des secrets si bien gardés vincent nouzille

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Les dossiers de la CIA et de la maison Blanche sur la France et ses president 1958-1981

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  • Table des MatiresPage de Titre

    Table des Matires

    Page de Copyright

    DU MME AUTEUR

    Ddicace

    Prologue

    PREMI RE PARTI E - De Gaulle, le gnral ombrageux

    Chapitre premier - Un coup de main pour le retour du gant

    Les gaullis tes ras s urent dis crtem ent les Am ricains

    Un coup de pouce linv es titure du Gnral

    Nos relations av ec lui s eront difficiles

    Chapitre 2 - La France nen fait qu sa tte !

    Un ballon des s ai env oy Was hington

    Une explos ion nuclaire dans le Sahara

    Des es s ais s outerrains tudis en Cors e

    Chapitre 3 - De Gaulle-Kennedy :les coulisses dun froid sommet

    Grand s pectacle et tens ions extrm es

    Des m is s aires s ecrets llys e

  • Pour la CI A, de Gaulle es t im pntrable

    Parlez-lui dhis toire pour lim pres s ionner

    Ne cdez rien Khrouchtchev s ur Berlin !

    Les illus ions am ricaines en As ie

    De gros m ens onges s ur Cuba

    Des cons ultations s ans s uite

    De Gaulle doute de la ripos te nuclaire am ricaine

    De Gaulle ne rev erra plus JFK

    Chapitre 4 - Et si de Gaulle tait assassin ?

    La CI A croit une nouv elle tentativ e de puts ch

    Ne v ous m lez pas de nos affaires algriennes !

    Was hington v eut aider dis crtem ent de Gaulle, m ais s im patiente

    Nous allons droit une s ituation de cris e

    Un puts ch m ilitaire annonc et des rum eurs ins is tantes

    Les Am ricains ont propos un s outien m ilitaire de Gaulle

    La cible num ro un des terroris tes : le Gnral

    LAlgrie s e dirige v ers un paroxys m e s anglant

    Nous av ons des contacts av ec tousles s ucces s eurs potentiels

    Encore des rum eurs s ur une aide am ricaine lOAS

    Des extrm is tes as s oiffs de s ang

    Aprs lattentat du Petit-Clam art, de Gaulle res te de m arbre

    Les gorilles du clan gaullis tepourraient us er de v iolence

    Le Pentagone v eut tre prt interv enirm ilitairem ent en France

    Chapitre 5 - Un prsident mystrieux en ballottage

    gocentrique, m galom ane, intraitable, abs olutis te ...

    Aucune rencontre au s om m et entre Johns on et de Gaulle

    Des v is iteurs s ecrets dconcerts

    Une cam pagne antiam ricaine orches tre llys e

  • Un s outien affich Gas ton Defferre

    Des relations financires v ia la CI A

    Pos s ibles s ucces s eurs du Gnral : Pom pidou ou le com te de Paris ?

    De Gaulle fait planer le doute s ur s a candidature

    I l dev rait lem porter facilem ent ds le prem ier tour

    Le Gnral nes t plus infaillible !

    Chapitre 6 - LOTAN, le diable de llyseet lespion du Quai

    Une lettre m anus crite adres s e au prs ident Johns on

    Une critique rpte de lOTAN depuis 1958

    Un des directeurs du Quai dOrs ay au s erv ice des Am ricains

    Juin 1964 : Jean de La Grandv ille dev ientinform ateur de la CI A

    De Gaulle ris que de dtruire lOTAN

    Des docum ents s ecrets et un rendez-v ous Londres

    Des plans de retrait du s ol franais tudis ds m ai 1965

    Les ultim es m anuv res du Gnral

    Voulons -nous une guerre ouv erte av ec de Gaulle ?

    Chapitre 7 - Laprs-de Gaulle se prpare ds 1966

    La CI A dres s e un tableau cruel de loppos ition

    La drague des centris tes et de Gis card

    Des rencontres s ecrtes av ec Franois Mitterrand et s on frre

    Un leader de gauche m oins prtentieux et plus ralis te

    Dautres s ocialis tes s e lchent en priv

    Une lis te confidentielle de leaders potentiels

    Un bouillant s ecrtaire lEm ploi nom m Chirac

    Beaucoup de futurs m inis tres s ocialis tes et peu de com m unis tes

    Des VI P en v is ite aux tats -Unis

    Une fixation antiam ricaine qui tourne l obs es s ion

    Chapitre 8 - Espionnez la bombe franaise !

  • La rs olution du Gnral nes t pas pris e au s rieux

    Une cons igne s ecrte de Kennedy ds 1962

    La force de frappe franais e s erait dj obs olte

    Un cons ul am ricain obs erv e les Mirage I V Mrignac

    La directiv e de Johns on contre les projets franais

    Lobs truction touche notam m ent les gros ordinateurs

    Des cons uls es pionnent Kourou et Mururoa

    La CI A es t trs intres s e par les dtails s ur les es s ais

    Et s i les v ols Gem ini concidaient av ec les tirs nuclaires ?

    Un v ol s us pect au-des s us de lus ine nuclaire de Pierrelatte

    Quelques activ its potentiellem ent em barras s antes

    Les pionnage continue, jus quau s ein du Cons eil de dfens e

    Les Franais ttonnent av ant de trouv er la bom be H

    Chapitre 9 - Mai 1968 : le Gnral tremble ?Tant mieux !

    Une Nouv elle Gauche ins pire par Mao et Rgis Debray

    Pas de danger du ct du Parti com m unis te franais

    La CI A v oque un plan s ecret de v trans de lOAS

    Le cons ens us des annes de Gaulle tait une illus ion

    Une cellule de cris e s pciale inform e la Mais on-Blanche

    Des cons ignes de s ilence donnesaux diplom ates am ricains

    Le Gnral a dis paru pour dm is s ionner !

    Les purges m ilitaires lim itent les ris ques de puts ch

    Le dis cours de De Gaulle ? Ces t la France au bord du ds as tre

    Juin, le m ois des s urpris es

    Fini la politique de grandeur

    Nul ne connat les plans du prs ident

    Chapitre 10 - Nixon-de Gaulle : les secrets dun dgel

    Une leon m agis trale s ur lURSS

    Je s uis dev enu gaullis te , dira Nixon

  • Je ne s uis pas pris onnier du v ote juif

    Sans dfens e nationale, la France nes t pas debout

    La bom be franais e es t utile , s elon Nixon

    Chapitre 11 - De Gaulle dmissionne ? Ouf !

    Fin 1968, la CI A dres s e dj le bilan du gaullis m e

    Un rfrendum aux allures de s uicide politique

    Peu de ds ordres en v ue et Pom pidou fav ori

    La dm is s ion du Gnral ? Cachez v otre s atis faction

    Plus de coopration, m oins dem phas e

    Kis s inger redoute un prs ident franais plus faible

    DEUXI ME PARTI E - Pompidou, lhritier indocile

    Chapitre 12 - Pompidou, le successeurque Washington ne soutenait pas

    Pom pidou confie s es am bitions prs identielles

    Un fav ori et des oppos ants div is s

    Pom pidou le m anager et Poher l atlantis te

    Une cam pagne de pub im agine en pleine lection franais e

    Rencontre s ecrte entre Rus s es et Am ricains s ur les lections

    Georges v a s occuper de la France

    Chapitre 13 - Fiasco Chicago et mensongessur les ventes darmes

    Un affront indigne des Am ricains

    Les Franais m entent s ur les liv rais ons de Mirage la Libye

    La France a plus arm I s ral quon ne le dit

    Des Mirage env oys en pices dtaches en I s ral

    Un face--face tendu av ec le patron de Lazard Frres

  • Le dpartem ent dtat prpare des excus es , au cas o...

    Le pire des s cnarios m algr la bonne entente Nixon-Pom pidou

    S il fallait tirer s ur la foule, il en donnerait lordre !

    Chapitre 14 - Tout ceci doit rester confidentiel

    Pom pidou : Notre bom be peut v ous tre utile

    La France dem ande une aide am ricaine pour s es m is s iles

    Un pacte s ecret entre Pom pidou et Nixon

    Des hs itations am ricaines ralentis s ent les projets

    Trois ges tes politiques env ers la France

    Une aide trs prcieus e , s elon Michel Debr

    Les Franais v eulent des rens eignem ents s tratgiques s ur lURSS

    Ne pas v endre s on m e pour un plat de lentilles

    Un grand coup de froid change la donne

    I l faut aiguis er lapptit des Franais s ans rien leur donner

    Chapitre 15 - Mitterrand, Rocard, Marchais et les autres

    Je v ais runifier le PS et je s erai lu prs ident

    Rocard : dynam ique, intelligent, rapide

    Av ec Marchais , la ligne pros ov itique dom ine le PCF

    Un program m e com m un PCF-PS es t peu probable

    Mitterrand gagne un trem plin pour 1976

    Chapitre 16 - La sombre fin de rgnedun prsident malade

    Des s candales ds tabilis ent Chaban-Delm as

    Un rfrendum s ur lEurope bien dcev ant

    Des prtendants Matignon, dont le jeune Jacques Chirac

    Av ec Pierre Mes s m er, un v irage rat

    Les m enaces dAranda rav iv ent les s oupons de corruption

    I l faut aider Pom pidou lem porter aux lgis lativ es

    Une re de s oupon et de pes s im is m e s ins talle

    Des rum eurs juges extrav agantes s ur un cancer

  • Un s entim ent de m alais e en France

    Pom pidou m ourant, s on gouv ernem ent la driv e

    TROI SI ME PARTI E - Giscard dEstaing, le libral distant

    Chapitre 17 - 1974 : Giscard ou Mitterrand,quelles diffrences ?

    Unit gauche, div is ions droite

    Des portraits de Chaban, Gis card et Mitterrand

    Gis card es t bien le fav ori de Was hington

    Mitterrand progres s e et les chabanis tes appellent les Am ricains laide

    Si Mitterrand es t lu, une cris e interne es t inv itable

    Le duel s era s err pour le s econd tour

    La lune de m iel de Gis card s era courte

    Chapitre 18 - Un prsident dilettante quil faut bichonner

    Llu annonce dj s a future im popularit

    I l faut renforcer nos relations av ec Gis card s ans le gner

    I l a trois s oucis : les fem m es , la pares s e, s on entourage

    Gis card es t un am ateur , Ford m anque de leaders hip

    Les Franais s e s ont s entis hum ilis

    Une v ictoire s ym bolique concde au Franais

    Chapitre 19 - Opration Apollon

    Gis card dem ande de laide nuclaire s ans contrepartie

    Ford rpond fav orablem ent et lopration Apollon dbute

    Si nous fais ions quelques es s ais nuclaires dans le Nev ada...

    Un coup de m ain pour le futur m is s ile s tratgique

    Des dis cus s ions inform elles dans de dis crets htels de prov ince

  • Des frictions de pouv oir ct am ricain

    Chapitre 20 - La victoire de la gauche est inluctable...

    Lacces s ion au pouv oir des com m unis tes pos erait un v rai problm e

    Gis card s offus que des rendez-v ousentre Mitterrand et Kis s inger

    Mitterrand ne v erra pas Ford pour ne pas v exer Gis card

    Un front occidental contre les com m unis tes en I talie

    Lquipe Carter croit une v ictoirede la gauche en France

    Gis card es t coinc entre Chirac et Mitterrand

    Un rendez-v ous s ecret av ec un dirigeant du PCF

    Gis card s e fche dev ant Carter : Ne s outenez pasla gauche !

    Ds union gauche et coup de pouce droite

    Chapitre 21 - Les messages secrets de Giscard

    Pom m es de dis corde et tens ions s ur le Concorde

    I l nes t pas ques tion darrter nos es s ais nuclaires

    I ndiffrence s ur laide nuclaire franais e lI rak

    Bras de fer s ur une us ine de retraitem ent pour le Pak is tan

    Jaim e lAfrique, et pas s eulem ent pour la chas s e...

    Mais interv enez donc dav antage en Afrique !

    Gis card, m is s aire entre Carter et Khom einy

    Em pchez un coup dtat et lais s ez-nous lI ran

    Ne tom bez pas dans le pige de Mos cou !

    Le petit tlgraphis te de Mos cou

    Conclusion

    Remerciements

    Annexes

  • Librairie Arthme Fayard, 2009.978-2-213-64756-2

  • DU MME AUTEUR

    LEspionne. Virginia Hall, une Amricaine dans la guerre,Fayard, 2007.

    Dputs sous influences. Le vrai pouvoir des lobbies lAssemble nationale, avec Hlne Constanty, Fayard,2006.

    Les Empoisonneurs. Enqute sur ces polluants etproduits qui nous tuent petit feu, Fayard, 2005.

    Les Parrains corses. Leur histoire, leurs rseaux, leursprotections, avec Jacques Follorou, Fayard, 2004.

    La Traque fiscale, Albin Michel, 2000.LAcrobate. Jean-Luc Lagardre ou les armes du

    pouvoir, avec Alexandra Schwartzbrod, Seuil, 1998.LAnti-Drogue, avec Bernard de La Villardire, Seuil,

    1994.Citizen Bouygues, avec lisabeth Campagnac, Belfond,

    1988.

  • Jean et Anne-Marie

  • Prologue

    Jacques Chirac ? Cest lun des plus amricanophiles desjeunes dirigeants gaullistes. Aprs un t dtudes Harvard en 1953, il sest promen aux tats-Unis et a prisgot la vie amricaine, y compris la cuisine !

    Franois Mitterrand ? Un opportuniste prt brandirnimporte quelle pe en change dune promessedavancement personnel...

    Valry Giscard dEstaing ? Il est brillant, lgant, maisdilettante et indiscret...

    Georges Pompidou ? Un simple manager, un directeurgnral...

    Charles de Gaulle ? Un caractre gocentrique,mgalomane, absolutiste...

    Les dossiers secrets amricains sur la France fourmillentde jugements de ce type, formuls au gr des circonstances,sur les leaders politiques de la Ve Rpublique, parfois mmebien avant quils noccupent le devant de la scne. Cetintrt na rien danecdotique. Les services amricains, de laCIA la Maison-Blanche, ont toujours espionn notre payset tent den influencer, voire den inflchir, la politique.

    Qucrivaient-ils sur nous dans notre dos ? Que savaient-ils rellement des coulisses de la vie politique franaise etdes secrets dtat ? Qui les informait ? Que leur

  • murmuraient leurs sources bien places dans lesantichambres du pouvoir ? Et quel rle ont-ils vraiment joudans le droulement des vnements qui ont marqulhistoire de la Ve Rpublique, de la guerre dAlgrie auxlections prsidentielles ?

    Ces questions simples motivent mes recherches depuiscinq ans.

    Car, entre les tats-Unis et la France, lamiti affiche atoujours masqu un sourd affrontement. On ne peut pasfaire confiance aux Franais , a confi, un jour de 1974, lesecrtaire dtat Henry Kissinger... Paris-Washington, cestle feuilleton dune liaison lectrique, dune mfiancemaladive entre une hyperpuissance maladroite et unemoyenne puissance indocile, dun bras de fer permanententre deux nations aux ambitions plantaires concurrentes,chacune se jugeant fonde intervenir l o ses intrts lelui commandent.

    partir de 2004, jai commenc recueillir les archivesgouvernementales amricaines se rapportant lhistoirepolitique franaise et aux relations franco-amricainesdepuis le dbut de la Ve Rpublique. Elles portent les sceauxofficiels de la Maison-Blanche, de la CIA et dautresministres, comme le dpartement dtat ou le Pentagone.

    Classs top secret lors de leur rdaction, les rapportstablis par les diplomates, les espions, les militaires et lesexperts amricains sur la France ont t dclassifis demanire slective, aprs un dlai dune trentaine dannes,conformment la lgislation amricaine. Mme sans tre

  • exhaustive, ma collecte na pas t aise. Elle a dbut auxArchives nationales1, College Park, dans le Maryland, prsde Washington, notamment pour les documentsdiplomatiques, qui incluent les tlgrammes envoys parlambassade des tats-Unis Paris. Ceux-ci couvrent unegrande varit de sujets, de la politique africaine de laFrance aux rivalits internes du moindre petit partidopposition, des dossiers bilatraux aux prparatifs deslections. Nanmoins, les dossiers peuvent tre classs sousdivers intituls, ce qui ncessite des croisements mticuleux.De plus, ils nont t dclassifis que partiellement et, pourle moment, jusquaux annes 1974-1975.

    Puis il ma fallu entreprendre un tour des tats-Unis afinde visiter la plupart des bibliothques prsidentielles ,qui centralisent les archives de chacun des prsidentsamricains successifs2. Celles de John Kennedy (1960-1963)se trouvent, par exemple, Boston (Massachusetts), etcelles de son successeur Lyndon Johnson (1963-1968) Austin (Texas). Celles de Gerald Ford (1974-1976) sontrassembles Ann Harbor (Michigan), et celles de JimmyCarter (1976-1980) Atlanta (Gorgie).

    L encore, la disponibilit des documents est ingale. Endpit de ces lacunes, les bibliothques prsidentiellespermettent de reconstituer un panorama plus complet desrapports manant des dpartements ou des agences derenseignement qui convergent en permanence vers laMaison-Blanche. On y dniche aussi des mmos des quipesqui entourent directement le prsident des tats-Unis,notamment ceux des conseillers aux affaires de scurit

  • nationale, souvent les plus importants en matire depolitique trangre. Des notes prparatoires aux voyagesofficiels, des comptes rendus de runions internes et desmmorandums de conversation sont galement accessiblesdans les fonds des bibliothques prsidentielles.

    Dautres sources mont aid assembler ce puzzlehistorique, par exemple la collection des tmoignages orauxdanciens diplomates amricains, runis dans le cadre duForeign Affairs Oral History Project (FAOHP), initi par uneassociation dhistoriens base luniversit Georgetown, Washington. De mme, je me suis plong dans plusieursbases de donnes de documents dclassifis de la CIA qui nesont, pour la plupart, accessibles que depuis quelquescentres darchives aux tats-Unis. Les ressourcesbibliographiques de la bibliothque du Congrs, dans lacapitale fdrale, mont galement t dun secours trsprcieux.

    Au fur et mesure de mes recherches, je suis all desurprise en surprise. Dabord cause de la quantit dedocuments disponibles. Les Amricains ont rdig des notessur tous les grands vnements franais, ce qui confre leurs rapports une richesse historique peu commune, mmesi tout nest pas dclassifi et si le contenu en estnaturellement empreint de subjectivit. Au total, jai collectquelque dix mille documents dorigine amricaine sur laFrance portant sur la seule priode de 1958 1981. Cetteprofusion ma convaincu de lintrt de rdiger ce premierouvrage. Il ne sagissait pas de faire une simple compilationdarchives, mais de procder une slection des documents

  • les plus significatifs et les plus indits.Deuxime surprise : certaines de ces pices contribuent

    considrer dun il neuf des pans entiers de notre passrcent. Ainsi, les verbatim des conversations entre lesprsidents franais et amricains traduisent de manirefactuelle la ralit de leurs dialogues. La version amricainede ces entretiens est fidle au compte rendu que les servicesde llyse ont rdig, lpoque, de leur ct. Pardrogation, jai en effet pu consulter, Paris, certaines desarchives de la prsidence de la Rpublique, portant sur lesmandats de Charles de Gaulle, de Georges Pompidou et deValry Giscard dEstaing3. La plupart des entretiensbilatraux au sommet y sont retranscrits, avec les notesprparatoires, ce qui ma permis de comparer les deuxversants, franais et amricain, de ces relationsantagonistes.

    Grce ces documents, que jai complts par laconsultation dautres ouvrages4 et par des interviews, il estpossible de commencer crire une nouvelle histoire descontacts diplomatiques au plus haut niveau, souvent bienloigne des discours officiels. Par exemple, recevant leprsident Kennedy Paris en avril 1961, le gnral deGaulle reste de marbre, en dpit de lengouement populairequi entoure la visite du jeune JFK accompagn de sa bellepouse Jackie. Entre les deux hommes, le courant ne passepas. Le Gnral, de plus en plus critique sur la politiqueamricaine, prfre frquenter Richard Nixon, qui lui voue,en retour, une admiration sans bornes. Venu Paris sitt lu la Maison-Blanche, dbut 1969, Nixon coute de Gaulle lui

  • donner une vritable leon magistrale de gopolitiquemondiale. Leon quil tentera de suivre la lettre, tant sur leVietnam que sur la Chine ou lURSS.

    Entre Pompidou et Nixon, le climat est galementdroutant. Dans le secret de leur tte--tte, en pleinetourmente, ils saccordent sur des sujets ultra-sensibles,tandis que leurs conseillers et leurs ministres rdigent desnotes virulentes sur le camp adverse, sac cusantmutuellement de tous les maux. Quant Valry GiscarddEstaing, il formule des demandes trs tonnantes sonple homologue Gerald Ford, fin 1974, avant de multiplierles quiproquos avec Jimmy Carter jusqu son dpart dellyse en mai 1981, ce qui ne lempchera pas den trelmissaire secret auprs dun certain ayatollah Khomeiny !

    Les opinions tranches des officiels amricains sur lesprsidents franais, exprimes dans leurs rapportsconfidentiels, se lisent donc aujourdhui avec dlectation,parce quelles traduisent davantage le climat variable desrelations transatlantiques que des jugements erratiques surdes personnes. On y relve des analyses plus svres queconciliantes sur de Gaulle, des propos tantt flatteurs, tanttacides sur Pompidou, un mlange de compliments et demchancets sur Giscard, selon la mto diplomatique dumoment.

    Les dcouvertes ne sarrtent pas l. Car les Amricainsont pris soin de rdiger des notes dtailles sur nombredautres hommes politiques de lHexagone Premiersministres, ministres, parlementaires, conseillers de cabinet,

  • hauts fonctionnaires, dirigeants de parti, de la majoritcomme de lopposition. De Michel Debr Michel Rocard, deGaston Defferre Jacques Chirac, de Jean Lecanuet Jean-Pierre Chevnement, ils les ont observs, analyss, invits,couts. Ils ont scrut les leaders potentiels de la France,allant jusqu dresser des listes compltes de plusieurscentaines de noms la fin des annes 1960. Ils ont reprles secrtaires dtat prometteurs ou les opposants quipouvaient assurer une sage alternance, tout en barrant laroute aux communistes. Lhistoire indite des relationsnoues avec les tats-Unis par lensemble de la gauche noncommuniste, bien avant 1981, est raconte dans ces pages,ainsi que la teneur des entretiens entre Franois Mitterrandet les Amricains. Trs tt, celui-l leur a confi ses secrets,ses opinions, sa stratgie de conqute de la gauche et dupouvoir...

    Il ntait pas le seul le faire. Les hommes politiquesfranais aimaient visiblement bavarder avec les Amricains.Certains sont alls trs loin dans les confidences, pensantprobablement quil tait important de mnager les tats-Unis, au cas o... Ils sont devenus des sources privilgies au point dtre parfois choys, soutenus, voirefinancs par les services amricains. Danciens leaders de laIVe Rpublique furent ainsi pauls par la CIA, avant queWashington ne recrute de nouveaux amis au cur dupouvoir.

    Quelques-uns ont livr des secrets de la Rpublique,franchissant subrepticement la frontire de lespionnage.Les tats-Unis, il est vrai, paraissaient friands des moindres

  • renseignements. Dans les documents de la CIA ou de laMaison-Blanche que jai exhums, il est question des secretsde larmement atomique franais comme des dernireslectures du gnral de Gaulle, de lattitude franaise vis--vis de lOTAN comme du prochain dplacement dun pontesocialiste aux tats-Unis, des tentations de rapprochementfranco-sovitique comme du nombre de parachutistessautant sur Kolwezi, des plans dinstallation du centredessais nuclaires de Mururoa comme des noms deministres francs-maons, des rivalits internes au sein duParti communiste franais comme des relations conjugalesde certains hommes politiques, de Georges Pompidou Franois Mitterrand.

    Ces documents permettent surtout dentrevoir la volontdinfluence et dingrence des Amricains sur le cours delhistoire. Cette volont na rien dun fantasme, mme si ellene fut pas, loin sen faut, toujours couronne de succs.

    Les rapports amricains sont plus diserts sur ces sujetsque ne lont jamais t les acteurs des volets inavous de lapolitique des tats-Unis. Ils dvoilent une partie de cetactivisme souterrain. Des exemples ? Un jour, lesAmricains donnent un coup de pouce de Gaulle face auxgnraux putschistes Alger. Le lendemain, ils prparentdes plans secrets dintervention militaire en France, au caso le Gnral serait assassin. Ils lui envoient des missairespour le convaincre de ne pas quitter lOTAN, tout enenvisageant une guerre ouverte contre lui tant sesinitiatives impromptues les insupportent. Ils encouragentses opposants, se rjouissent de sa dstabilisation en

  • mai 1968 et se flicitent de son dpart en 1969...Les Amricains ne mnagent pas leur peine. Ils

    soutiennent discrtement certains candidats auxprsidentielles et sondent leurs ennemis sovitiques pourconnatre leurs prfrences. Ils appuient les ventes darmesfranaises Isral et tentent ensuite de freiner les contratssigns avec la Libye. Ils dcident un embargo sur touteassistance atomique la France, allant jusqu lobstructionactive, avant de se convertir une coopration militairenuclaire ultra-confidentielle, dcide au plus haut niveau,dont je raconte lorigine et lampleur secrtes, documents ettmoignages lappui.

    Au fond, il y a peu de rebondissements de lhistoire de laVe Rpublique qui aient chapp aux Amricains. Et peudvnements importants sur lesquels ils naient tentdavoir prise.

    Ces histoires mconnues, racontes dans le dtail,constituent le premier volet de cette enqute. Dautresrvlations viendront dans un prochain ouvrage, qui porterasur la priode de 1981 nos jours, de Mitterrand Sarkozy.

    Mais, pour commencer notre rcit, il faut revenir auxorigines de la Ve Rpublique, au moment du retour sur scnedun dnomm Charles de Gaulle. Un jour du mois demai 1958.

    1 Le centre de recherches des Archiv es nationales amricaines deCollege Park dpend de la National Archiv es and Records Administration(NARA). La mention NARA figure dans les notes de cet ouv rage lorsqueles documents cits prov iennent de College Park.

    2 Les diffrentes bibliothques prsidentielles, ou Presidential Libraries,

  • dpendent galement de la NARA. Lorsque les documents consultsprov iennent de ces bibliothques, les sources leur sont attribues :Kennedy Library pour la bibliothque Kennedy de Boston, JohnsonLibrary , Nixon Library (situe College Park), Ford Library , CarterLibrary , Reagan Library ( Los Angeles). Pour la priode Eisenhower(1 958-1 960), je me suis rfr aux documents issus de la EisenhowerLibrary et dautres sources, comme celles rassembles dans les collectionssur la politique trangre des tats-Unis, Foreign Relations of the UnitedStates, ainsi que des bases de donnes de documents dclassifis de la CIA.

    3 Les documents issus de ces archiv es sont rfrencs dans les notes decet ouv rage sous la mention archiv es de la prsidence de la Rpublique,Archiv es nationales .

    4 Notamment les ouv rages et articles dhistoriens amricains etfranais comme Maurice Vasse, Pierre Mlandri ou Frdric Bozo sur lapolitique trangre franaise, les biographies trs documentes de DeGaulle et de Pompidou dric Roussel, les Mmoires de responsablespolitiques (tels ceux de Richard Nixon, dHenry Kissinger ou de ValryGiscard dEstaing), ou encore le liv re du journaliste Vincent Jauv ert surle conflit entre de Gaulle et les tats-Unis de 1 961 1 969, v u partir desarchiv es amricaines (LAmrique contre de Gaulle, Seuil, 2000). Voir lesrfrences dtailles de ces ouv rages dans les notes.

  • PREMIRE PARTIE

    De Gaulle, le gnralombrageux

  • Chapitre premier

    Un coup de main pour le retour dugant

    13 mai 1958. La IVe Rpublique agonise. Alger, un comit de salut public, dirig par le gnral

    Massu, vient de se constituer. Il soppose linvestiture Paris, comme prsident du Conseil, de Pierre Pflimlin,ancien ministre des Finances du prcdent gouvernement,jug trop conciliant.

    Entre les deux rives de la Mditerrane, la rupture estconsomme. Les Franais dAlgrie, soutenus par larme,craignent que le nouveau cabinet nabandonne un jour leurterritoire. Linsurrection se propage rapidement, avec lacration dautres comits en Algrie. Elle secoue un pouvoirchancelant, min par linstabilit chronique et par lebourbier algrien.

    Paris, la confusion rgne. Le prsident de la Rpublique,Ren Coty, en appelle lobissance des militaires. En vain.Le pouvoir chappe aux autorits.

    Les Amricains suivent cette situation explosive de trsprs. Pour eux, la France est un tat stratgique, pilier

  • continental de lAlliance atlantique face aux menacessovitiques. Pas question que ce pays, largement sous leurtutelle, se transforme en maillon faible de lOccident. Il nedoit pas basculer dans le chaos, qui ferait le lit ducommunisme. Voil des annes que les tats-Unis sactiventen coulisse pour pauler les gouvernements proamricainsde la IVe Rpublique, des chrtiens-dmocrates auxsocialistes, et pour subvenir aux dpenses militaires de laFrance, notamment en Indochine, o les GI ont finalementpris le relais des troupes tricolores aprs les accords deGenve de juillet 19541.

    En plein redmarrage conomique, grce notamment auxinjections de dollars du plan Marshall, la France reste unalli vulnrable. Selon un rapport de la Maison-Blanchedoctobre 1957, les changements constants degouvernement, le poids des dpenses militaires, lessoubresauts de la dcolonisation, la forte influence du Particommuniste fragilisent encore le pays, lempchant dassumer compltement le rle constructif et importantquil peut jouer en Europe . La rbellion algrienne complique la donne, mobilisant plus de quatre cent millesoldats et des moyens financiers considrables, au dtrimentdes efforts de lOTAN, lorganisation militaire de lAllianceatlantique. Cest le problme le plus aigu actuellement, quimet en pril la stabilit institutionnelle et financire de laFrance et sa politique, tant au plan domestique qulextrieur , estiment lautomne 1957 les experts duConseil national de scurit, linstance qui entoure leprsident amricain, le gnral Dwight Eisenhower. Selon

  • eux, cela ne fait aucun doute, lindpendance de lAlgrie est invitable . Plus longtemps la France sy opposera, pluslissue finale sera difficile pour ses intrts en Afrique duNord, et plus les menaces pour sa stabilit interne serontgrandes2.

    En janvier 1958, Jean Monnet, lun des pres de lEuropeet ami des Amricains, est venu Washington la tte dunedlgation franaise pour ngocier une nouvelle assistancefinancire durgence de 274 millions de dollars. La Maison-Blanche a donn son feu vert. La France est sous perfusion.Lorsque laviation tricolore bombarde, le 8 fvrier, le villagetunisien de Sakiet Sidi Youssef afin de dtruire un camp de rebelles algriens du FLN, causant la mort de soixante-neuf personnes, les Nations unies smeuvent. Souspression, le gouvernement de Flix Gaillard doit accepterune mission anglo-amricaine de bons offices sur ledossier algrien. Le snateur Michel Debr, proche dugnral de Gaulle, dnonce un spectacle humiliant desoumission franaise. Accus de faiblesse par les ultras, lecabinet Gaillard tombe la mi-avril, ce qui ouvre unenouvelle priode dincertitude, faute de gouvernement.

    Linsurrection des partisans de lAlgrie franaise, le13 mai 1958, contre la nomination de Pflimlin aggrave cettecrise politique. Lheure est grave pour la France ,rsume, ds le lendemain, lambassadeur des tats-Unis Paris, Amory Houghton, qui rend compte du dsarroi quirgne dans les alles du pouvoir. En mme temps, note lediplomate, ltoile de Gaulle brille de plus en plus. Il est Paris aujourdhui pour des consultations politiques3.

  • Incarnant le recours, le gnral Charles de Gaulle se tientdepuis 1955 en retrait de la vie politique, dans sa demeurede la Boisserie, Colombey-les-Deux-glises. Alors que lacrise enfle, ses fidles, Paris comme parmi les insurgsdAlger, lui envoient des messages : lui seul, lhomme de laFrance libre, la figure de la Libration, peut redresser lasituation, sortir le pays de limpasse o il se trouve, garantirle maintien de lAlgrie dans le giron tricolore. Mais deGaulle reste prudent sur le dossier algrien, sans blmer lesinsurgs ni leur faire de promesses prcises. De plus il lafait savoir diffrents missaires , il ne reviendra aupouvoir quen imposant une cure de choc, une profonderforme des institutions qui les soustraira au rgime despartis , ces combinaisons mouvantes de majorits qui fontet dfont les gouvernements, affaiblissant lexcutif. Aprsun appel lanc son intention par le gnral Massu, Charlesde Gaulle annonce le 15 mai quil se tient prt assumerles pouvoirs de la Rpublique , sans en dire davantage surle sujet sensible de lAlgrie. Lheure de son retour en scneapproche.

    De Gaulle ? Il reprsente la fois le pire et le meilleurpour les Amricains. Le prsident Eisenhower, anciencommandant en chef des armes allies, garde un souvenirprouvant du rugueux gnral franais, avec qui il ne sestpas entendu durant les annes de guerre4. Ni Londres niWashington nont russi nouer de contacts cordiaux avecle chef de la France libre, qui sest impos aux Allis plusque ceux-ci ne lont choisi. De Gaulle a eu des relationsglaciales avec Roosevelt et tortueuses avec Churchill. Il est

  • pourtant devenu incontournable, incarnant la Rsistance etle nouveau gouvernement, garant de lunit du pays,rempart contre le communisme. Dans la guerre froide, deGaulle est un roc. Mais fait dune pierre abrasive,inconfortable, parfois tranchante, y compris pour ses amis.

    Soucieux de prserver lavenir, certains diplomatesamricains ont conserv des liens avec de Gaulle durant satraverse du dsert, de 1955 1958, prenant rgulirementlavis de celui quon appelle le Conntable . Il estvident que le rgime actuel devrait connatre bientt desrieuses difficults , a confi le Gnral lambassadeurDouglas Dillon, le 10 janvier 1957, en le recevant dans sonbureau parisien, rue de Solfrino, ancien sige de son parti,le RPF. De Gaulle a pronostiqu que les tats-Unis feraientsans doute tout pour prserver lactuel rgime faible5 plutt que de voir apparatre un gouvernement fort enFrance, moins facile manipuler... Le diplomate a protest,sans convaincre le Gnral, trs remont contre linfluenceamricaine sur la IVe Rpublique, ses yeux tropprgnante. La mfiance est de mise.

    Dailleurs, en ces jours tendus de mai 1958, lhypothse deson retour aux commandes ne dclenche pas franchementleuphorie. Lannonce, le 15 mai, de sa disponibilit pourassumer le pouvoir par les voies lgales, prcisent sesproches est mme mal perue, si lon en croit le nouvelambassadeur amricain Paris, Amory Houghton, qui a prisla succession de Douglas Dillon : Bien que sa personnalitpuisse rveiller le nationalisme et aplanir des divergencespolitiques profondes, tous ceux qui nous avons parl cet

  • aprs-midi considrent que son retour sur la scne politiqueva conduire une aggravation rapide des clivages entredroite et gauche. Tous saccordent penser que son annoncefavorise le jeu des communistes, en acclrant lamobilisation des partis de gauche et des syndicats en faveurdun front populaire par crainte dun pouvoir trop personnel.Certains estiment que son silence au sujet des gnrauxrebelles en Algrie sera interprt comme un alignementtacite sur leurs positions et celles de la droite. Tousprdisent que sa rapparition sonnera probablement le glasde la IVe Rpublique ou sa transformation radicale. Laplupart pensent que les dsordres de rue vont stendre Paris et partout en France dans les jours qui viennent6.

    Voil qui ne ressemble gure un mot daccueilencourageant !

    Les gaullistes rassurent discrtement lesAmricains

    Durant plusieurs jours, le pays flotte. Le prsident duConseil, Pierre Pflimlin, cherche dsesprment une issue,gardant le contact avec les gnraux Alger, envisageantune rforme constitutionnelle. Le chef dtat-major desarmes, le gnral ly, dmissionne. Jacques Soustelle,leader politique de droite favorable lAlgrie franaise etau gnral de Gaulle, russit rejoindre Alger pour prendrela tte de la rvolution du 13 mai . Le socialiste GuyMollet prie par crit de Gaulle de dsavouer les conjursdAlger et demande sil envisage de devenir prsident du

  • Conseil en respectant les procdures rpublicaines. Lacrise algrienne peut tre le point de dpart dunersurrection. [...] Croit-on qu soixante-sept ans je vaiscommencer une carrire de dictateur ? rtorquepubliquement le Gnral, le 19 mai, lors dune confrence depresse durant laquelle il fustige limpuissance du rgimedes partis sans condamner les gnraux sditieux. Lesurlendemain, aprs avoir t reu Colombey, le vieilAntoine Pinay, pilier de la droite librale, adjure PierrePflimlin de faire appel de Gaulle.

    En coulisse, le Gnral prpare dj le terraindiplomatique pour son arrive, afin de rassurer les tats-Unis, dont il connat les prventions son gard. MichelDebr, qui sactive pour son retour en force, avant dedevenir son Premier ministre, a djeun opportunmentavec le numro deux de lambassade amricaine, Cecil Lyon,avec qui il a gard le contact7 .

    Ds le 16 mai, avant la confrence de presse du Gnral,Henri Tournet, un ami de lminence grise gaulliste JacquesFoccart, a rencontr secrtement le colonel Sternberg, lundes officiers amricains en poste en France. Le messagetait apaisant : de Gaulle respectera les engagements de laFrance dans lOTAN, quil na pas lintention de quitter8. Le21, alors que le dsordre se propage, Tournet, accompagnde Sternberg, rend visite lambassadeur amricain AmoryHoughton pour ritrer ces propos et tablir un canal decommunication informel entre lambassade et leGnral, avec laccord tacite de ce dernier. Tournet ainsist pour que ce contact ne soit pas rendu public [...], car

  • lentourage de De Gaulle est inquiet lide quil puisseapparatre comme ayant fait des ouvertures aux tats-Unis9 , rapporte le diplomate.

    Lmissaire officieux livre alors, sous le sceau de laconfidence, quelques cls aux Amricains sur son mentor.Certes, le Gnral est trs critique vis--vis des tats-Unis,essentiellement parce quil se sent mal jug par eux et queWashington a soutenu trop ouvertement les politiques desgouvernements de la IVe Rpublique, comme le trio Monnet-Pleven-Gaillard . Des changements de forme interviendront srement. Mais, assure Tournet, il ny auraaucune rupture de ligne. La France avec de Gaulle ? Ce serale maintien dans lAlliance atlantique, une puissancefavorable lintgration europenne, un gouvernementfort et responsable qui suivra une ligne daction claire etferme , une politique librale sur le dossier algrien,avec une prfrence pour une large autonomie accorde lAlgrie, sans exclure toutefois lindpendance. En bref, deGaulle ne doit pas faire peur aux tats-Unis. La France nesera pas bouleverse.

    Nous sommes cent lieues des dclarations publiques duGnral, qui a promis une rsurrection . Quimporte : lamanuvre russit. Les tats-Unis promettent de conserverleur neutralit dans la crise. De plus, lenvoy spcialrpte que de Gaulle ne tentera aucun coup de force pourprendre le pouvoir et quil est oppos toute agitation derue, que ce soit pour ou contre lui .

    La situation se tend. Un comit de salut public se

  • constitue en Corse. Une rumeur se rpand selon laquelle ilsagit de la premire tape dun plan des gnraux insurgsvisant au dbarquement sur le continent des parachutistesvenus dAlgrie. Les fidles partisans de De Gaulle comptentsur le dclenchement de cette opration Rsurrection pour forcer la main des politiques1 0. Le spectre dun putschmilitaire accrot linquitude. Le ministre de lIntrieurvoque la constitution de milices rpublicaines. Le pouvoirvacille. Le prsident du Conseil, Pierre Pflimlin, se rsout rencontrer secrtement de Gaulle, dans le parc de Saint-Cloud, la nuit du 25 au 26 mai. Le Gnral refuse toujoursde dnoncer linsurrection dAlger.

    Forant son destin dhomme providentiel, de Gaulleprcipite les vnements en sa faveur : le 27, sans prvenirPflimlin, il dclare la radio avoir entam le processusrgulier, ncessaire ltablissement dun gouvernementrpublicain capable dassurer lunit et lindpendance dupays . Le lendemain, Pflimlin, furieux et dstabilis, donnesa dmission au prsident Coty, qui fait appel de Gaulle.Celui-ci pose ses conditions : il exige les pleins pouvoirs poursix mois au moins et la rforme constitutionnelle quilappelle de ses vux. Face aux rumeurs grandissantes,agites par les gaullistes, dun dbarquement imminent detroupes menes par le gnral Massu, le prsident Coty senremet, le 29 mai dans la soire, au plus illustre desFranais .

    La IVe Rpublique est morte. Lre de Gaulle dbute dansun parfum de coup dtat.

  • Un coup de pouce linvestiture du Gnral

    Attentifs aux moindres soubresauts, de plus en plusinquiets face aux risques de dsordre, les Amricains ontdabord espr que Pflimlin sen sortirait. Le gnralEisenhower gardera une secrte prfrence pour leshommes politiques franais lancienne, comme PierrePflimlin, Antoine Pinay ou Ren Pleven, solides allis destats-Unis1 1. Mais le prsident amricain finit par se rallier la seule personnalit qui semble capable de mettre unterme, au moins provisoirement, au dlitement de la France.Le 29 mai 1958, lors dune runion la Maison-Blanche,Eisenhower coute un rapport du directeur de la CIA, AllenDulles, sur la situation franaise, avant dintervenirsolennellement : Je crains un grave dsordre civil si lescommunistes et les socialistes continuent de sopposerfermement aux prtentions de pouvoir du gnral deGaulle1 2.

    Les diplomates en poste Paris sont chargs dunediscrte mission par le dpartement dtat. Nousessayions dviter des confrontations violentes dans les rues.Nous ne voulions pas que cela tourne au chaos complet, dontles communistes auraient pu profiter, racontera DeanBrown, lun de ces missaires amricains qui ont descontacts rguliers avec les leaders socialistes. la fin, un desproblmes fut dinstaller de Gaulle lgalement, de faire ensorte que lAssemble vote pour lui. Or ctait extrmementdifficile parce que la gauche non communiste tait contre lui.Les socialistes taient la cl.

  • En se recommandant de Robert Murphy, sous-secrtairedtat adjoint, bien connu dans les milieux politiques Paris,Dean Brown fait pression sur les lus de la SFIO : Je leurai dit : Jai un message pour vous de la part de BobMurphy. Il veut sassurer que le groupe socialiste se diviseau moins en deux lors du vote pour de Gaulle. Ceux qui luisont opposs de manire inflexible peuvent voter contre lui,mais tous les autres doivent rellement voter pour lui. Etcest ce quils firent1 3.

    Difficile de savoir si ces consignes sont agrmentesdautres arguments par exemple sur des financementsoccultes de la SFIO par la CIA et comment elles psentrellement dans la balance. Mais, dans la soire du vendredi30 mai, Antoine Pinay, symbole de lorthodoxie conomique,appel comme ministre des Finances dans le cabinet deGaulle, a rassur son ami Amory Houghton, lambassadeuramricain : Le problme des socialistes sera probablementarrang aujourdhui et il y a 90 % de chances que cela sepasse de manire satisfaisante1 4.

    Le dimanche 1er juin, lAssemble vote la confiance augouvernement du Gnral avec 329 voix contre 224.Conformment aux vux amricains, le groupe socialiste sedivise, une moiti seulement refusant linvestiture. Leleader socialiste Guy Mollet, traditionnellement trs prochedes Amricains, soutient de Gaulle et obtient un poste deministre dtat, tandis que Franois Mitterrand dnonce un coup de force .

  • Nos relations avec lui seront difficiles

    Le dpartement dtat nest pas totalement dupe de cequi lattend : Tout le monde savait ce que de Gaulle feraitquand il serait au pouvoir, confiera Dean Brown. Il avaitrpt, livre aprs livre, que la France serait un paysindpendant, avec sa propre arme et son propre pouvoir.Donc chacun pouvait deviner quil ny aurait jamais darmeeuropenne et que les officiers amricains ne contrleraientplus les officiers franais, comme cela se passait avec laFrance au sein de lOTAN. On devait sattendre cela. Mais,dun autre ct, il fallait bien restaurer lordre.

    Dans un mmo dat du 27 mai 1958, lassistant dusecrtaire dtat pour les Affaires europennes, BurkeElbrick, grne ladresse de la Maison-Blanche quelquesconseils sur le futur gouvernement franais. Les relationsdes tats-Unis avec de Gaulle seront videmmentdifficiles , admet-il.

    Sur lAlgrie, le Gnral va certainement mener unepolitique librale, presque paternaliste ; les tats-Unisdoivent lui donner toutes chances de succs et viter lesinterfrences, en insistant sur le fait que la France peutgarder une influence naturelle en Afrique du Nord sans quecela passe par des moyens militaires . Le diplomate necroit pas que de Gaulle veuille quitter lOTAN et il soulignela ncessit dcouter davantage les remarques franaisessur le sujet, en poursuivant le partage des informationsatomiques et lassistance militaire, tout comme laideconomique.

  • En revanche, Elbrick suggre de suspendre, durant lapriode du gouvernement de Gaulle, les efforts dintgrationeuropenne, qui risquent de se heurter son opposition.Surtout, il estime que le point le plus difficile etdangereux de la politique gaulliste concerne sa tentationdavoir une approche de lUnion sovitique indpendante et de reconnatre la Chine communiste. Nous devons avoirun change de vues le plus tt possible avec de Gaulle surlensemble des sujets Est-Ouest. Tactiquement, il vautmieux lui laisser prendre des initiatives sur ces sujets1 5.

    Elbrick exprime galement ses craintes que de Gaulle neressuscite rapidement lide, ne durant la Seconde Guerremondiale, dun directoire du monde libre trois, entre lestats-Unis, le Royaume-Uni et la France, o il jouerait enpermanence un rle de trouble-fte1 6. Un cauchemar pourWashington, qui ne souhaite pourtant pas vexer le Franaisen lui opposant un refus catgorique. En tout tat de cause,selon le diplomate, il faut envisager rapidement une visite Paris du prsident ou du secrtaire dtat afin de dissipertoutes les suspicions et conceptions errones .

    Le Franais peut-il russir ? De Gaulle ne restera pasternellement et peut dcider de se retirer aprs unepriode limite, crit Elbrick. Cependant, il se peut quilrussisse rsoudre quelques-uns des problmes franais,comme lAlgrie et linstabilit gou vernementale. Lheureest au ralisme mesur, pas lenthousiasme dbrid.

    Tout aussi pragmatique, lambassadeur Houghton estime,le 1er juin, que lopinion franaise accueille de Gaulle avec un

  • mlange de foi, despoir et de rsignation . Lapersonnalit du Gnral laisse penser que les problmesvont saccrotre [...] et il faut sattendre des difficults,mais il semble quavec les annes il ait mri et quil ait misde ct certaines choses qui ont pu crer des problmesentre nous. videmment, beaucoup de choses dpendrontdes hommes qui lentourent et de linfluence quils pourrontavoir sur lui.

    tout prendre, conclut lambassadeur, mieux vaut encorede Gaulle que les communistes : Les intrts des tats-Unis seront mieux servis par le succs de De Gaulle. Sonchec pourrait conduire une crise plus srieuse que celle-ci, puisquil ny a gure dalternatives. Les communistes [...]pourraient croire que leur heure est venue. Alors, lesinstitutions de la communaut atlantique et de lEuropeseraient vraiment en danger. Nos intrts nouscommandent davoir les meilleures relations possible avecde Gaulle et ses plus proches collaborateurs1 7 . Soulag aulendemain de la prise de fonctions du Gnral, le patron dela CIA, Allen Dulles, farouche partisan de la guerre froide,est mme optimiste : Si tout se passe bien avec de Gaulle,il y a un peu plus despoir pour lavenir de la France quil nyen a eu depuis longtemps1 8. Aprs la crise, Washingtonrespire.

    De plus, les piliers atlantistes de la IVe Rpublique, lesPinay, Mollet, Pflimlin, sont rests aux manettes autour duGnral. Le 10 juin, lors dun djeuner, le ministre AntoinePinay confie Cecil Lyon, de lambassade amricaine, quilsest engag dans le gouvernement de Gaulle en tant sr de

  • la ligne pro-OTAN et proeuropenne du Gnral. Pinay,Mollet et Pflimlin vont agir pour freiner et influencer deGaulle afin quil reste dans la bonne voie1 9 , note Cecil Lyon.

    Le ministre dtat Guy Mollet tient, quelques jours plustard, le mme langage confiant. Le leader socialiste ajoutecette confidence tonnante : il explique Cecil Lyon que deGaulle vient de lui demander de partir rapidement envoyage aux tats-Unis pour expliquer sa politique nosamis amricains , ainsi quaux Canadiens et auxBritanniques. Il ma confirm en riant la description quejai faite de lui comme charg des Anglo-Saxons20 , rsumeLyon. Voil qui ne semble pas prfigurer de graves rupturesavec Washington.

    Le locataire de la Maison-Blanche na dailleurs pas tard communiquer avec le nouveau chef du gouvernementfranais. Les deux anciens soldats sestiment autant quils seredoutent. Ds le 2 juin, Eisenhower a saisi sa plume pourfliciter le Gnral de son entre en fonction. Vous pouveztre sr que je garde lesprit lamicale association que nousavons eue durant les jours critiques de la Seconde Guerremondiale. Vous connaissez ma profonde et durable affectionpour la France21 , a-t-il crit. Peu importe que les relationsentre les deux gnraux naient jamais t chaleureuses.Lessentiel est de renouer un fil personnel.

    Juste avant de senvoler pour Alger o il va prononcerla fameuse phrase si ambigu : Je vous ai compris devant une foule qui lacclame , de Gaulle remercieEisenhower sur le mme ton de vieille camaraderie : Votre

  • message rveille la mmoire des grandes heures durantlesquelles la France et les tats-Unis unirent leurs effortsdans une coalition au service de la libert et quand vousassumiez de manire si glorieuse le commandement desarmes allies22.

    Dtail qui a son importance : dans ce message ardent, laFrance et les tats-Unis sont placs, aux yeux du Gnral,sur un pied dgalit. Plus quun symbole, cest lindice dunepense hante par la grandeur perdue de la France, par unevolont de la restaurer cote que cote, par le souhait dtretrait parit parmi les grands. Une poque nouvellesannonce entre la France et les tats-Unis, celle dun brasde fer permanent.

    Il va commencer, comme au thtre, par trois coups desemonce.

    1 Lassistance militaire amricaine la France est v alue par lesAmricains 3 ,8 milliards de dollars de 1 950 mi-1 957 , sans compter1 milliard mis disposition pour acheter des quipements, sur unmontant total denv iron 24 milliards de dollars de dpenses militairesfranaises. Fin 1 956, la France a fait une nouv elle demande daidemilitaire amricaine, dun montant de 1 ,4 milliard de dollars, ce queWashington a partiellement accept. Source : Statement of US Policy onFrance, 1 9 octobre 1 957 , rapport du Conseil national de scurit, Maison-Blanche, Washington, archiv es du dpartement dtat, Foreign Relationsof the United States, 1 955-1 957 , v ol. XXVII, France, doc. 55.

    2 Statement of US Policy on France, 1 9 octobre 1 957 , op. cit.3 Tlgramme de lambassadeur Amory Houghton au dpartement

    dtat, 1 4 mai 1 958, archiv es du dpartement dtat, Foreign Relations ofthe United States, 1 958-1 960, v ol. VII, France, doc. 6.

    4 Eisenhower garde notamment le souv enir dun incident dplaisant Alger, durant la guerre, quand de Gaulle a quitt une runion o setrouv ait le prsident amricain av ec le gnral Giraud. Mmorandum deconv ersation entre le gnral Norstad et le prsident Eisenhower, 9 juin

  • 1 959, Eisenhower Library , Foreign Relations of the United States, 1 958-1 960, v ol. VII, OTAN, doc. 21 4. Le contentieux est confirm par lex-ambassadeur Paris Douglas Dillon, interv iew, 28 av ril 1 987 , ForeignAffairs Oral History Project (FAOHP), Association for Diplomatic Studiesand Training.

    5 Tlgramme de lambassadeur Douglas Dillon au dpartement dtat,1 0 janv ier 1 957 , archiv es du dpartement dtat, Foreign Relations of theUnited States, 1 955-1 957 , v ol. XXVII, France, doc. 32.

    6 Tlgramme de lambassadeur Amory Houghton, 1 5 mai 1 958,archiv es du dpartement dtat, Foreign Relations of the United States,1 958-1 960, v ol. VII, France, doc. 7 .

    7 Rencontre chez lancien ambassadeur Louis Einstein v oque dans uneinterv iew de Cecil Ly on, 26 octobre 1 988, FAOHP. Cecil Ly on a galementdes relations suiv ies av ec dautres proches de De Gaulle, dont GeorgesPompidou (alors banquier chez Rothschild) et Oliv ier Guichard.

    8 Ce contact est mentionn dans un tlgramme du 1 6 mai 1 958 audpartement dtat, Foreign Relations of the United States, 1 958-1 960,v ol. VII, France, note du doc. 9. Voir aussi ric Roussel, Charles de Gaulle,Gallimard, 2002, p. 590, qui v oque galement un message du gaullisteEdmond Michelet aux Amricains, ainsi quun autre dun collaborateur deJacques Chaban-Delmas, de la mme teneur.

    9 Tlgramme de lambassadeur Amory Houghton, 21 mai 1 958,archiv es du dpartement dtat, Foreign Relations of the United States,1 958-1 960, v ol. VII, France, doc. 9. Et ric Roussel, Charles de Gaulle, op.cit., p. 592.

    1 0 Voir notamment Christophe Nick, Rsurrection. Naissance de laVe Rpublique, un coup dtat dmocratique, Fay ard, 1 998 ; FranoisPernot, Mai 1 958 : larme de lair et lopration Rsurrection , Revuehistorique des armes, 1 998.

    1 1 Pinay et Plev en resteront deux de ses prfrs, selon le mmorandumde conv ersation entre le gnral Norstad et le prsident Eisenhower,9 juin 1 959, Eisenhower Library , Foreign Relations of the United States,1 958-1 960, v ol. VII, OTAN, doc. 21 4. Lors dune v isite officieuse, Pinay ,ministre des Finances de De Gaulle, sera reu la Maison-Blanche le22 mai 1 959, av ec tous les honneurs et les flicitations dEisenhower pourson programme conomique. Lors de sa dmission, en janv ier 1 960, ledpartement dtat estimera que le gouv ernement franais a perdu unefigure plaidant pour une coopration troite av ec les tats-Unis , tant sur

  • lOTAN que sur lEurope. Antoine Pinay continuera de rencontrerrgulirement, pour des discussions informelles, les diplomates amricains(par exemple Cecil Ly on en janv ier 1 962 ou Wells Stabler en juin 1 962),qui le v erront comme une alternativ e de Gaulle jusquen 1 965.

    1 2 Runion du Conseil national de scurit, 29 mai 1 958, WhitmanFile, National Security Files, Eisenhower Library , cit dans ForeignRelations of the United States, 1 958-1 960, v ol. VII, France, doc. 1 3 .

    1 3 Durant les derniers mois de la IVe Rpublique, Dean Brown, chargdes relations av ec les parlementaires, av ait lhabitude, av ec plusieursautres diplomates (un Britannique, un Danois, un Isralien, etc.), derencontrer informellement les leaders de la gauche socialiste, tels PierreMends France, Guy Mollet, Franois Mitterrand. Tmoignage de DeanBrown, qui dev iendra sous-secrtaire dtat, 1 7 mai 1 989, FAOHP.

    1 4 Tlgramme de lambassadeur Amory Houghton, 31 mai 1 958,archiv es du dpartement dtat, Foreign Relations of the United States,1 958-1 960, v ol. VII, France, doc. 1 4.

    1 5 Policy Considerations Toward a de Gaulle Government, 27 mai 1 958,mmorandum de Burke Elbrick, assistant du secrtaire dtat auxAffaires europennes, archiv es du dpartement dtat, Foreign Relations ofthe United States, 1 958-1 960, v ol. VII, France, doc. 1 1 .

    1 6 Cette inquitude face une ide de runion des Big Three (tats-Unis, Roy aume-Uni, France) apparat dans un mmo de Burke Elbrick du5 juin 1 958 (US Relations with de Gaulle), qui fait suite celui du 27 mai,archiv es du dpartement dtat, Foreign Relations of the United States,1 958-1 960, v ol. VII, France, doc. 1 8.

    1 7 Tlgramme de lambassadeur Amory Houghton, 1 er juin 1 958,archiv es du dpartement dtat, Foreign Relations of the United States,1 958-1 960, v ol. VII, France, doc. 1 6. Cette crainte dune prise de pouv oircommuniste en Europe de lOuest a conduit, aprs 1 945, la CIA et lOTAN mettre en place des rseaux secrets stay behind (Gladio en Italie, OPK enGrce, etc.) chargs dorganiser une rsistance arme en cas dinv asionsov itique. Ces rseaux, composs danciens rsistants ou de militairesanticommunistes, v ont perdurer jusquaux annes 1 980, sans que lonpuisse encore tablir leur rle rel, notamment en France.

    1 8 Runion du Conseil national de scurit, 3 juin 1 958, interv entiondAllen Dulles, directeur central du renseignement, Whitman File,National Security Files, Eisenhower Library , Foreign Relations of theUnited States, 1 958-1 960, v ol. VII, France.

  • 1 9 Tlgramme de Cecil Ly on, 1 0 juin 1 958, archiv es du dpartementdtat, Foreign Relations of the United States, 1 958-1 960, v ol. VII, France,doc. 1 9.

    20 Tlgramme de Cecil Ly on, 1 4 juin 1 958, archiv es du dpartementdtat, Foreign Relations of the United States, 1 958-1 960, v ol. VII, France,doc. 21 .

    21 Lettre du prsident Eisenhower au gnral de Gaulle, 2 juin 1 958,archiv es du dpartement dtat, Foreign Relations of the United States,1 958-1 960, v ol. VII, France. Loriginal se trouv e dans les archiv es de laprsidence de la Rpublique, 5AG1 -203, Archiv es nationales.

    22 Lettre du gnral de Gaulle au prsident Eisenhower, 3 juin 1 958,archiv es du dpartement dtat, Foreign Relations of the United States,1 958-1 960, v ol. VII, France.

  • Chapitre 2

    La France nen fait qu sa tte !

    De Gaulle revenu au pouvoir, les conflits et lesmalentendus commencent saccumuler entre les deuxrives de lAtlantique. De 1958 1969, les sujets de discordene manqueront pas entre le plus illustre des Franais etles administrations amricaines successives de Ike Eisenhower, John Kennedy et Lyndon Johnson : politiqueeuropenne, participation lOTAN, rle de lONU,puissance nuclaire, Algrie, Afrique, guerre du Vietnam,Qubec...

    Durant une dcennie, lexception de quelques momentsforts de solidarit franco-amricaine lors des tensions Berlin en 1961, durant la crise des missiles de Cuba enoctobre 1962 ou aprs lassassinat de JFK ennovembre 1963 , latmosphre sera froide, pour ne pasdire glaciale, entre Paris et Washington1.

    Chacun souponne chez lautre de noirs desseins. DeGaulle craint que les tats-Unis ne cherchent acqurir unesorte de monopole sur les affaires du monde, quitte sentendre pour cela avec lURSS. Les prsidents amricainssinquitent des initiatives intempestives du Gnral,

  • visiblement prt se mler de tout, suspect de vouloirrompre la solidarit atlantique pour se poser en championde lquilibre entre les grands. De Gaulle, dcidment, estincontrlable, et la France na plus rien dune puissancevassale.

    Ds son investiture en juin 1958 comme chef du derniergouvernement de la IVe Rpublique, le gnral de Gaulle,qui prpare les fondations de sa nouvelle Constitution, faitcomprendre ses amis amricains que les temps ontchang. La premire explication se droule le 5 juillet, dansla matine, lorsque le chef du gouvernement franais reoit, Matignon, le secrtaire dtat amricain, Foster Dulles,entour dautres officiels du dpartement dtat venusspcialement de Washington.

    Frre du directeur de la CIA et fidle bras droit duprsident Eisenhower depuis 1953, Foster Dulles est lefervent partisan de la politique dendiguement ducommunisme dans le monde. Toute sa politique consistait organiser, soutenir, voire armer les bons et rsister auxmchants pour les contenir2 , ironisera Maurice Couve deMurville, laustre ministre gaulliste des Affaires trangres.Avec Ike et ses conseillers, Dulles a minutieusementprpar son rendez-vous parisien3. Cette rencontredevrait fournir une occasion unique de convaincre celui quiva gouverner la France durant les deux prochaines annesde la validit de notre politique4 , a crit lun des assistantsdu secrtaire dtat.

    Bien que Foster Dulles soit un diplomate chevronn et

  • parle trs bien le franais, il est impressionn par le Gnral,quon lui a dcrit comme un autocrate qui ne peut treinfluenc , habit d une croyance mystique dans lamission spciale de la France, ainsi que dans sa grandeur etson prestige . Sans droger ses habitudes, de Gaulle,entour de son ministre des Affaires trangres MauriceCouve de Murville et de quelques collaborateurs, accueilleson visiteur par ces mots directs : Alors, monsieur lesecrtaire dtat, quest-ce que vous avez dire5 ?

    Pris de court, Foster Dulles se lance ex abrupto dans uneprsentation gnrale de la politique amricaine. Il sexcuteavec brio, faisant habilement le vu que le prestige de laFrance retrouve de son lustre sous le leadership de DeGaulle. Il martle ensuite, durant plus dune demi-heure, lancessit pour les nations occidentales de se dfendre demanire unie contre l imprialisme communiste , leplus grave pril auquel elles aient faire face. Dulles sepose en reprsentant de la superpuissance protectrice, prte fournir des armes la France, pourvu que celle-cidemeure intgre au sein de lAlliance atlantique, sans gaspiller des ressources construire elle-mme unquelconque arsenal nuclaire. voquant lAlgrie, le Moyen-Orient, lIndochine, lAllemagne, lURSS, le secrtaire dtatdonne une leon de gopolitique de Gaulle. Erreur tactiquemajeure.

    Son tour dhorizon achev, Dulles se tait, guette laraction de son interlocuteur, nerveux sur son sige. LeGnral prend son temps avant de rpondre :

  • Jai beaucoup apprci votre expos. Je comprendsvotre tat desprit sur les principaux sujets que vous avezabords. Je vais vous dire maintenant notre position. Vousavez exprim votre sentiment concernant la France et vousavez remarqu que lopinion amricaine avait tdsappointe par le flchissement franais. Vous enconnaissez les raisons : la France a subi, en cent cinquanteans, six invasions et a connu treize rgimes. En plus, elle napas de ptrole et elle na pas de charbon. Peut-tre que sitout cela arrivait aux tats-Unis, cela provoquerait chezvous dennuyeuses consquences. Cependant la France estl. Elle reprend ses moyens. Elle est un lmentconsidrable du monde, et la preuve, cest que vous tes l,et moi aussi. Mais comment la France peut-elle avoir saplace dans la situation mondiale ? Car si la France cessedtre mondiale, elle cesse dtre la France.

    Ce couplet introductif donne le ton : de Gaulle assimilebien son propre retour au pouvoir celui de son pays sur lascne mondiale. Plus question de se laisser dicter quelquepolitique que ce soit. Il exclut, comme il lcrira dans sesMmoires, la docilit atlantique que la Rpublique dhierpratiquait6 . Les flches sont dcoches, une une, endirection des tats-Unis. Si la France ne participe pas ladirection de la dfense du monde libre dans ses instances lesplus leves, alors elle ne sy intressera pas beaucoup. [...]Or ceci na pas t pris en considration jusqumaintenant , lche le Gnral. Le message est clair : deGaulle veut avoir son mot dire !

    Il insiste ensuite sur la volont de la France de crer sa

  • propre force de frappe nuclaire : Nous sommes trs enretard sur vous. Nous sommes moins riches que vous. Maisnous sommes sur la voie de nous faire une puissanceatomique qui, bien videmment, sera sans rapport avec lavtre ou avec celle de lURSS. Cest maintenant une affairede mois. Une chose est sre : nous aurons larmeatomique.

    Certes, de Gaulle ne refuse pas le bouclier nuclaireamricain ni loffre dassistance militaire. Mais sousconditions : Vous avez voqu linutilit, pour les pays delOTAN, dutiliser des ressources considrables lafabrication darmes atomiques puisque vous-mmes endisposez. Et vous dites : pourquoi ne pas se contenter dedistribuer les armes atomiques diffrents tats delAlliance ? Cela est une ide que nous ne repoussons pas.Nous pensons quil est peut-tre utile pour lAlliance davoirdes armes atomiques et nous pensons que, si vous donnezune aide la France, ce sera la fois une conomie et unrenforcement. Cest pourquoi nous ne refuserons pas vosarmes, de mme que nous avons dj utilis vos canons, etvous les ntres.

    Le Gnral prcise : Le point dlicat, cest de savoir quidisposera de ces armes atomiques. Si lemploi de ces armesest subordonn la condition que le gouvernementamricain et le commandement de lOTAN en donnentlordre, cela nous intresse peu, car linconvnient davoirsur notre territoire des armes atomiques na pas sacontrepartie dans notre rle au sein de lAlliance. Mais sivous remettez les armes atomiques aux forces franaises

  • dans le cadre dun plan agr par nous, et que ces armessoient places sous la garde et sous le contrle dugouvernement franais, alors je suis daccord aussi pour quelutilisation de ces armes se fasse dans le plan de lOTAN, condition que ce plan soit le ntre au mme titre que celuides principales autres puissances.

    Or de Gaulle sait pertinemment que ce dernier schmaest inacceptable pour les Amricains... Et il affirme ntre pas satisfait de lorganisation actuelle de lOTAN,poursuivant : Je me rsume : pour que la France se sente sa place dans lOccident, il faut procder deschangements importants.

    Alors quil est accapar par les soucis algriens et par sonprojet de rforme constitutionnelle, le Gnral vient desynthtiser en quelques phrases sa vision, celle duneFrance refusant toute subordination et raffirmant sasouverainet, une vision quil va mettre en uvre demanire inflexible dans les dix annes suivantes : autonomiediplomatique, cration dune force nuclaire franaise,critique systmatique de lOTAN, etc. Loin des proposconciliants de ses proches, rpts ces dernires semainespour amadouer Washington, il est prt prendre le contre-pied des Amricains sur tous les sujets.

    En quittant, ce jour-l, lhtel Matignon aprs cinq heuresdentretien approfondi que de Gaulle qualifiera de franche explication franco-amricaine , Foster Dullespense que cet change a t un succs7 . Le secrtairedtat estime avoir fait passer ses propres messages et

  • entam un dialogue direct. Il ne se rend pas encore comptede toutes les secousses qui attendent les Amricains.

    Un ballon dessai envoy Washington

    Aprs ce premier coup de semonce, le Gnral ne tardepas envoyer une deuxime salve, qui confirme sontemprament irrductible. Le 17 septembre 1958, il hissele drapeau selon son expression8 en lanant un ballondessai aux Amricains et aux Britanniques afin de testerleur raction. Il sagit dun mmorandum confidentieladress concomitamment au prsident Dwight Eisenhoweret au Premier ministre Harold Macmillan. Dans cettemissive, de Gaulle remet en question lOTAN et suggre delui substituer un triumvirat amricano-franco-britanniquepour diriger les affaires du monde occidental. Rien demoins !

    Le mmo entonne un refrain gaullien : La France nesaurait considrer que lOTAN, sous sa forme actuelle,satisfasse aux conditions de la scurit du monde libre et,notamment, de la sienne propre. Il lui parat ncessaire qulchelon politique et stratgique mondial soit institue uneorganisation comprenant : les tats-Unis, la Grande-Bretagne et la France. Cette organisation aurait, dune part, prendre les dcisions communes dans les questionspolitiques touchant la scurit mondiale, dautre part tablir et, le cas chant, mettre en application les plansdaction stratgique, notamment en ce qui concerne lemploides forces nuclaires9.

  • Le dpartement dtat sen doutait. La lettre confirme lavolont de De Gaulle dtre dsormais considr comme undes trois grands de lOccident. Pour un pays encore enpleine crise financire, embourb en Algrie et sans armesatomiques, cest assez culott. Mieux que cela : de Gaulle estprt jeter lOTAN aux oubliettes si on ne lui donne passatisfaction. De plus, il souhaite avoir un droit de regard siles Amricains dcident demployer larme nuclaire o quece soit dans le monde !

    Cest tout simplement inacceptable pour Washington. Leconcept de planning militaire tripartite a peu de chancesdtre accept dans les milieux militaires amricains , juge-t-on au dpartement dtat. Quant la cooprationnuclaire, il est douteux que nous puissions satisfaire lesFranais de manire substantielle1 0 . La messe est dite.

    Embarrasss, les Amricains ne peuvent cependantrefuser toute discussion sur le sujet de la coordination entreAllis. Mais Eisenhower ne cache pas, dans sa rponse deGaulle, le 20 octobre 1958, quil ne peut changer lOTAN, nirestreindre le monde occidental un sommet tripartite : Nos procdures actuelles pour organiser la dfense dumonde libre requirent la coopration volontaire de toutesles autres nations, membres de lOTAN ou pas1 1 , crit-il.Cest une manire polie de botter en touche, mme sil se ditouvert aux pourparlers. Alors, les Amricains font semblantde ngocier.

    Lors dune nouvelle rencontre avec le secrtaire dtatFoster Dulles, Paris, le 15 dcembre 1958, de Gaulle tente

  • de clarifier sa position : M. Dulles a fait allusion desmalentendus qui sont apparus au cours des conversationsexploratoires. Je pense pouvoir trs brivement les dissiper.Nous demandons que lAlliance atlantique soit pratique dela manire que je vais dire. Tout dabord sur les sujetspouvant mettre la paix en cause, et quil est faciledidentifier, il doit y avoir des conversations organiques Washington, entre les Trois. En mme temps, il faudraitinstituer entre les trois gouvernements occidentaux, quelleque soit la diffrence des moyens dont chacun dispose, uneentente stratgique commune pour le cas dune menace deguerre ou dune guerre. Ceci devrait sappliquer notammentau dclenchement de la guerre atomique.

    videmment, le secrtaire dtat amricain ne peutapprouver cette position, prfrant des discussionsinformelles tout triumvirat officiel : Nous ne sommes pasfavorables linstauration dune structure organiqueimpliquant un droit de veto dune puissance lgard delautre. [...] Si nous voulions rformer lOTAN et instituer undirectoire, nous briserions ce qui existe et qui a beaucoup devaleur1 2.

    En ralit, cest un coup plusieurs bandes que tente deGaulle en septembre 1958 avec sa proposition de directoire trois : il essaie de briser laxe privilgi entreLondres et Washington tout en prenant lascendant sur tousles autres pays dEurope continentale, commencer parlAllemagne, dont il craint toujours le rveil. De toute faon,le Gnral nignore pas que ce mmorandum est intolrablepour les Amricains, qui naccepteront jamais quun pays

  • alli ait un quelconque droit de veto sur leur propre dfense.Il cherche ainsi, sabritant derrire leur refus, un prtextepour sortir un jour de lOTAN1 3.

    De plus, il sait que son ide va diviser les chancelleries.Les pourparlers sur le sujet, qui dbuteront au printemps1959, vont effectivement durer des annes, sans que lonparvienne jamais les concrtiser. En retour, Washingtonproposera en 1960 un projet de force multilatrale au seinde lOTAN, cense partager les dcisions nuclaires...suggestion que de Gaulle qualifiera de faux-semblant et laquelle il opposera la mme obstruction que les Anglo-Saxons son projet de triumvirat1 4. Un vrai jeu de dupes.

    En prenant cette initiative perdue davance, de Gaullegagne simplement quelques annes, le temps de rsoudre ledossier algrien et de se doter dun armement nuclaire afinde pouvoir peser davantage sur la scne mondiale. Dici l, illui suffit doccuper le terrain, de se rendre incontournable,de faire lentement monter la pression, sans rompre avec sesallis. Ainsi que je my attends, les deux destinataires demon mmorandum me rpondent vasivement, avouera deGaulle. Rien ne nous retient donc dagir [...] mais tout nouscommande de le faire sans secousses. [...] Nous allons lafois entrer par des mesures appropries dans la voie dudgagement atlantique et maintenir notre cooprationdirecte avec les tats-Unis et avec lAngleterre1 5. Unedmonstration dhabilet tactique !

    Malgr ces prcautions de mthode, le climat franco-amricain se dtriore rapidement. Non pas sur les dossiers

  • Est-Ouest, comme le craignait Washington, puisque deGaulle affiche une fermet inbranlable dans la crise deBerlin. Dautres sujets de discorde viennent sajouter aummorandum : lAlgrie, la Tunisie, la Guine, le Marchcommun... Lun des hauts responsables du dpartementdtat sen meut fin novembre 1958 : Bien sr, depuis denombreuses annes, nous escomptions que le retour dugnral de Gaulle, sil devait advenir, aggraverait nosproblmes avec les Franais et que la France suivrait unepolitique plus nationaliste. Nos craintes ne sont pas toutessans fondement. lheure actuelle, il y a un nombreinhabituel de problmes qui nous causent des difficults. [...]Nos relations avec les Franais sont insatisfaisantes [...].Pour le moment, peu de choses peuvent tre entreprisespour amliorer nos relations avec de Gaulle, cause de lacomplexit et du caractre fondamental de nosdivergences1 6.

    La situation se dgrade aprs ladoption massive de laConstitution de la Ve Rpublique par rfrendum etllection par quatre-vingt mille grands lecteurs, le21 dcembre 1958, du gnral de Gaulle la prsidence dela Rpublique. Sa lgitimit est renforce, les finances dupays sont en cours dassainissement, la poudrire algrienneparat contenue.

    llyse, de Gaulle se sent les mains libres. Finjanvier 1959, il prend une premire mesure symbolique : leretrait de la France du commandement des forces navalesde lOTAN en Mditerrane. La dcision na que peu deconsquences militaires, mais cest un vrai pied de nez aux

  • Amricains : elle signifie que la marine franaise entendnaviguer comme elle veut entre les rives de laMditerrane, notamment pour mener ses oprationsmilitaires en Algrie.

    Cette dcision unilatrale provoque la stupeur Washington, qui crie au coup bas contre lOTAN, alors que latension redouble avec les Sovitiques Berlin. Je ne peuxpas cacher un vieil ami mes craintes que laction de votregouvernement ait des rpercussions psychologiques etpolitiques malheureuses1 7 , crit Eisenhower le 19 mars1959 de Gaulle. Lequel lui rpond, quelques semaines plustard, quil na jamais t plus convaincu que, dans lasituation prsente, lalliance des tats libres est absolumentncessaire . Mais un commandement franais de laMditerrane ayant pour zone daction cette mer toutentire va tre institu. Ce commandement recevra sesmissions du gouvernement franais1 8 . Le message estlimpide : la France reprend les rnes de son destin.

    Autre dcision concrte, de la mme veine : en juin 1959,le Gnral refuse que les armes amricaines introduisentdes stocks darmes nuclaires de lOTAN sur le territoirefranais ou y installent des rampes de lancement, dfautden avoir obtenu le commandement. Le dgagementatlantique voulu par de Gaulle se ralise par tapes. Latension grimpe chaque fois avec Washington.

    En reprsailles, le gnral Lauris Norstad, commandanten chef de lOTAN, dplace neuf escadrons de chasseurs dela France vers lAllemagne, au grand dam des autorits

  • franaises. Tous les efforts doivent tre entrepris pourviter dapparatre en colre ou excits, mais il nous fautfaire ce que nous pensons juste , confie Norstad auprsident Eisenhower, lequel lui rappelle que de Gaulle estdabord obsd par lhonneur, la force et la gloire de laFrance1 9 .

    Une explosion nuclaire dans le Sahara

    Le troisime coup de semonce est une explosion. Elle alieu le 13 fvrier 1960, 7 h 04, dans le sud du dsert duSahara algrien, prs de Reggane. La France procde aupremier test dune bombe atomique, Gerboise bleue, avecun engin denviron 70 kilotonnes, soit trois fois la puissancede celui dHiroshima. Hourra pour la France ! Depuis cematin, elle est plus forte et plus fire , se flicite aussitt deGaulle. Un deuxime tir, Gerboise blanche, suivra le1er avril, avant une srie dautres essais.

    Le prsident franais ne plaisante pas : il veut vraimentque la France dispose un jour dun arsenal nuclaire. Sesprdcesseurs de la IVe Rpublique avaient lanc leprogramme des recherches, quitte le partager avecplusieurs pays europens20. Arriv aux commandes, deGaulle a confirm cette ambition, en la confinant au strictcadre national. Autant par ncessit stratgique de dfenseque par amour-propre : la bombe franaise va devenir lesymbole dune puissance qui entend se faire respecter sur lascne internationale comme quatrime membre du club desnations atomiques, aprs les tats-Unis, lURSS et le

  • Royaume-Uni.Curieusement, en dpit de leur opposition fondamentale

    toute prolifration, les Amricains nont pas toujours thostiles aux dmarches franaises. Avant le retour dugnral de Gaulle, ils semblaient disposs aider la France acqurir des armes nuclaires... pourvu quils en gardent lecontrle, via lOTAN.

    Fin 1957, un accord sur la fourniture dun sous-marin propulsion atomique se dessinait. En fvrier 1958, unemission secrte de scientifiques franais, baptise Aurore, at accueillie aux tats-Unis, notamment sur le site desessais amricains, dans le Nevada. Ils nous ont autoriss tudier de prs leurs procdures de tests et de scurit, ycompris dans les galeries souterraines. Nous avons imitleurs techniques et ce fut trs prcieux21 , rapporteraPierre Billaud, lun des atomistes qui participaient cesvisites. Reu Washington, le chef de la dlgation, legnral Albert Buchalet, a remerci ses htes : Ce que jaiappris devrait permettre la France dconomiser desmillions de dollars22. Il a rvl que le premier test franaisaurait lieu dans le Sahara, ds que les stocks de plutonium lepermettraient.

    Demandeuse, la France esprait que des amendements la loi McMahon de 1946, loi amricaine qui proscrit touttransfert de technologies nuclaires hors des tats-Unis, luipermettraient daccder plus facilement au savoir-faireatomique, linstar des changes privilgis entreWashington et Londres, concrtiss par un accord secret en

  • 1957.Mais le secrtaire dtat Foster Dulles, lors de son

    entretien du 5 juillet 1958 avec de Gaulle, semble formel :les tats-Unis ne veulent fournir des armes que souscontrle de lOTAN. Or le Gnral rcuse cette sujtion. Desdiscussions ont repris sur la fourniture par les Amricainsdu sous-marin et de petites quantits duranium enrichi235. Seul ce deuxime point dbouche en avril 1959 sur unaccord secret, qui ne sera pas entirement respect23. Ladcision de la France de retrait des forces navales delOTAN en Mditerrane et le refus daccepter des stocksdarmes nuclaires amricaines sur son sol grippent toutengociation srieuse.

    Lors de la visite du prsident Eisenhower Paris, enseptembre 1959, de Gaulle prend soin de lui rserver unaccueil triomphal. Tout au long du parcours du cortgeofficiel, une foule immense se presse pour acclamer lanciencommandant en chef des forces allies, hros de la SecondeGuerre mondiale. Au cours de leurs tte--tte, le prsidentfranais rpte Ike son soutien de principe lAllianceatlantique, sans que cela altre son vu que la Francedispose, terme, de son propre arsenal. Pourquoi ? Par laforce des choses, ce sont les tats-Unis seuls qui sont en tatdengager le monde dans un conflit atomique o la Francerisque dtre engage sans mme le savoir , plaide leGnral, qui refuse cette passivit. Mme si Eisenhowerlassure quil entend bien ne jamais dclencher une guerreatomique sans consultation de ses allis , cela ne suffit pas convaincre de Gaulle de renoncer ces efforts nationaux.

  • Souhaitant ne pas braquer son hte, Eisenhower affirmequil dplore de ne pouvoir aider la France : La loiamricaine, qui ma toujours paru une erreur, est telle queseule lAngleterre est actuellement mme de bnficierdune aide amricaine en matire atomique. Cest sans doutele bon sens rebours, mais la France elle-mme ne pourrarecevoir une telle aide que lorsquelle aura d dpenser tropdargent et trop de temps. Je le regrette, mais ne peux fairemieux.

    Le gnral de Gaulle le reprend avec ses mots empreintsde fiert contrarie : Je ne suis pas demandeur24.

    Le lendemain soir, sirotant un cognac au coin dun feu dechemine dans le chteau de Rambouillet, le Franais estplus direct, fustigeant devant Eisenhower, en robe dechambre, la loi McMahon qui sert de prtexte auxAmricains pour ne rien lcher : Moi, jai chang laConstitution quand je ne la trouvais pas pratique. Et ilajoute : Vous me dites quil est dangereux pour moi deconnatre des secrets quun millier de caporaux sovitiquessavent dj. a, je ne peux pas laccepter. [...] Croyez-moi, laFrance na pas perdu, comme les Britanniques, le got pourlexcellence25.

    Le 4 septembre, juste avant le dpart dEisenhower pourlcosse, le prsident franais lui rvle que la France vaprochainement faire exploser une bombe A et lui indiqueune date thorique, en mars 1960. Cette bombe sera defaible puissance, prcise-t-il, trs infrieure ce dont lesAmricains disposent maintenant, mais cest un dbut ; la

  • France continuera son programme atomique de manire disposer un jour dun armement atomique complet, moinsque les stocks darmes atomiques dtenus par les autres nesoient dtruits.

    Parfaitement inform de ce que prparent les atomistesfranais, le prsident amricain y semble moins oppos quele dpartement dtat, trs sensible aux diffrents sujetsdaffrontement avec les Franais. Dsireux de sarrangeravec de Gaulle , comme le recommandera son Conseilnational de scurit26, Eisenhower ne veut cependant pasdroger aux lois ni sortir du cadre de lOTAN. Il est dansune impasse.

    Peu aprs les explosions de Reggane, un Amricain faitune visite ultra-secrte llyse. Il sagit de John McCone,qui dirige la Commission de lnergie atomique des tats-Unis et qui sera nomm la tte de la CIA fin 1961. Cetexpert a t reu en France par ses homologues du nouveaucommissariat lnergie atomique (CEA), avec lesquels sesrelations demeurent cordiales. Il sest rendu Pierrelatte,sur le chantier de lusine franaise de retraitementduranium qui doit fournir le combustible dune futurebombe H thermonuclaire. Lorsque les responsables du CEAont demand McCone de nouvelles livraisons duraniumenrichi ainsi que du plutonium pour leur racteur pilote,lAmricain a tergivers, arguant des restrictions imposespar la loi McMahon. Il rpte ces arguments devant legnral de Gaulle, qui rpond que la France nen est encorequ ses dbuts. La route atomique est dure et longue27 ,insiste McCone.

  • Dans le fond, lAmricain doute des capacits deretraitement de Pierrelatte. La France est encore loindavoir sa bombe. Elle risque dy engloutir des milliards etde finir par se dcourager. En dpit de consultations qui seprolongent et doffres intermittentes de coopration, lestats-Unis nont gure envie daider les Franais entrerrapidement dans le club restreint des nations atomiques.Washington ne veut pas crer un prcdent que dautresnations, dont lAllemagne, ne manqueraient pas de brandir.

    Des essais souterrains tudis en Corse

    En attendant, les Amricains tentent dinterdire tous lesessais atmosphriques, aprs les avoir eux-mmeslargement pratiqus. Un moratoire sapplique de factodepuis 1958 entre les tats-Unis, lURSS et le Royaume-Uni. Les diplomates entament, Genve, la ngociation duntrait international pour bannir ces essais.

    Fin avril 1960, de Gaulle effectue un voyage officiel auxtats-Unis une manire de rendre la politesse aprs lavisite dEisenhower Paris quelques mois auparavant. Aucours de son entretien avec le prsident amricain laMaison-Blanche, le 22 avril, le gnral de Gaulle estinterrog par son hte au sujet des premiers essais ariensfranais dans le Sahara, essais qui ont provoqu desractions indignes dans plusieurs pays africains voisins. DeGaulle ironise : Tous ces gouvernements africains ont desdifficults internes et ils cherchent des prtextes lextrieur pour calmer leur population, comme Fidel Castro

  • le fait Cuba lencontre des tats-Unis. En rfrence autrait prpar par son administration, Eisenhower insistesur les risques des explosions atmosphriques :

    Les preuves se font de plus en plus concluantes que desexpriences vieilles de huit ou neuf ans donnent encorecertaines retombes. Pour ma part, je nai rien dire contrevotre dcision de faire des expriences. Mais tant donnlincertitude qui rgnera pendant encore trois ou quatregnrations sur les effets physiologiques des expriencesdj faites, je me permets une suggestion : la Francepourrait-elle faire ses prochaines expriences sous terre ?

    Un peu surpris par cette remarque, le gnral de Gaullene veut pas donner le sentiment quil lude la question. Enprincipe, oui , rpond-il. Avant dajouter, faisant allusionaux multiples essais atmosphriques amricains et russes : La contribution franaise la pollution de latmosphre estinfiniment faible, mais, en tout tat de cause, legouvernement franais est en train de rechercher desrgions favorables, notamment en Corse, o existentnombre de cavernes.

    Jespre que des cavernes seront trouves, poursuitEisenhower. En ce qui nous concerne, nous nous employons creuser, pour le cas o un accord sur larrt desexpriences ne serait pas ralis Genve, un puits trsprofond qui communiquera avec un long tunnel28.

    Sur la sellette, les Franais feront encore deux testsariens prs de Reggane, puis se replieront sur un sitegranitique dIn Ekker, dans le Hoggar algrien, au nord de

  • Tamanrasset, pour mener des essais souterrains de faiblepuissance de novembre 1961 fvrier 1966, avant derelancer dimportants tests atmosphriques dans latoll deMururoa dans le Pacifique. Entre-temps, le moratoire surles essais ariens sera rompu ds septembre 1961 parlURSS, suivie par les tats-Unis, jusqu ce que les deuxsuperpuissances signent, la mi-1963, un trait lesinterdisant29.

    Au dtour de leurs conversations, les deux prsidents ontcurieusement parl de la Corse. Il ne sagit pas dune erreurni dune boutade. Dans le plus grand secret, le CEA a tudidiffrents sites possibles, autres que le Sahara, pourprocder ses essais souterrains de faible puissance.Notamment dans des rgions montagneuses, comme laCorse, propices lexistence de profondes failles rocheuses,ce qui permettrait dconomiser de coteux forages. Lhypothse de grottes dans le nord de la Corse, dans ledsert des Agriates, a effectivement t envisagesrieusement, confirme Pierre Billaud. Mais, trs vite, nouslavons carte en raison des populations environnantes, et, ma connaissance, il ny a pas eu dtudes sur leterrain. Nous nous sommes concentrs sur le Hoggar30.

    Lhistoire de la Corse et sans doute t bouleverse sielle avait t retenue, au terme des tudes techniques, pouraccueillir des essais de bombe atomique ! Lhypothse, entout cas, a t tudie assez mticuleusement en 1960 pourtre voque par le CEA lors de la visite de John McCone,puis aborde directement par les deux prsidents pendantleur tte--tte.

  • Dans le climat de plus en plus tendu qui rgne entre lesdeux pays, rien de ce qui se trame en France, y comprisdans les grottes corses, nchappe la Maison-Blanche...

    1 Voir notamment sur cette dcennie de discorde : Robert Paxton,Nicholas Wahl et al., De Gaulle and the United States. A CentennialReappraisal, Berg, 1 994 ; Frdric Bozo, Deux Stratgies pour lEurope. DeGaulle, les tats-Unis et lAlliance atlantique, 1958-1969, Fondation Charles-de-Gaulle/Plon, 1 996 ; Vincent Jauv ert, LAmrique contre de Gaulle.Histoire secrte 1961-1969, Seuil, 2000 ; Maurice Vasse, La Grandeur.Politique trangre du gnral de Gaulle, 1958-1969, Fay ard, 2002.

    2 Maurice Couv e de Murv ille, Une politique trangre 1958-1969, Plon,1 97 1 , p. 30.

    3 Mmorandum de runion entre Dulles et le prsident Eisenhower etleurs conseillers, 3 juillet 1 958, Whitman File, Eisenhower Diaries,Eisenhower Library , Foreign Relations of the United States, 1 958-1 960,v ol. VII, France, doc. 32.

    4 Scope of Your Meeting with de Gaulle, 26 juin 1 958, mmorandum deBurke Elbrick, assistant du secrtaire dtat pour les Affaires europennes,au secrtaire dtat Foster Dulles, archiv es du dpartement dtat,Foreign Relations of the United States, 1 958-1 960, v ol. VII, France, doc. 27 .

    5 La tension av ant ce premier entretien Dulles-de Gaulle est notammentrapporte par Cecil Ly on, alors numro deux de lambassade amricaine Paris, interv iew, 26 octobre 1 988, op. cit. Les citations de lentretien sontissues du mmorandum de conv ersation, 5 juillet 1 958, archiv es dudpartement dtat, Foreign Relations of the United States, 1 958-1 960,v ol. VII, France, doc. 34. Nous av ons pu le comparer la v ersion franaise similaire du mme entretien, dans les archiv es de la prsidence de laRpublique, 5AG1 -200, Archiv es nationales. Nous av ons choisi, pour desraisons de forme, de reprendre la v ersion franaise. Voir lapprciation dugnral de Gaulle lui-mme sur cet entretien dans Charles de Gaulle,Mmoires despoir. Le renouveau, 1958-1962, Plon, 1 97 0, p. 220-221 . Voirgalement Dav id Schoenbrun, The Three Lives of General de Gaulle,Atheneum, 1 965, p. 293 ; Wilfrid Kohl, French Nuclear Diplomacy,Princeton Univ ersity Press, 1 97 1 , p. 66 ; Bernard Ledwidge, De Gaulle etles Amricains, 1958-1964, Flammarion, 1 984, p. 1 4 et suiv .

    6 Charles de Gaulle, Mmoires despoir, op. cit., p. 21 4.7 Tlgramme du secrtaire dtat, Foster Dulles, au prsident

  • Eisenhower, 5 juillet 1 958, archiv es du dpartement dtat, ForeignRelations of the United States, 1 958-1 960, v ol. VII, France, doc. 37 .

    8 Charles de Gaulle, Mmoires despoir, op. cit., p. 21 4.9 Ce mmorandum secret du 1 7 septembre 1 958 est accompagn dune

    lettre manuscrite du gnral de Gaulle au prsident Eisenhower : v oircopie et traduction dans Foreign Relations of the United States, 1 958-1 960,v ol. VII, France, doc. 45, et dans les archiv es de la prsidence de laRpublique, 5AG1 -203, Archiv es nationales. Pour une analy se dtailledes consquences, v oir louv rage de rfrence, Maurice Vasse, LaGrandeur, op. cit., p. 1 1 4 et suiv ., ainsi que Wilfrid Kohl, French NuclearDiplomacy, op. cit., p. 7 0 et suiv .

    1 0 Reply to de Gaulle Letter, mmorandum de lassistant adjoint ausecrtaire dtat pour les Affaires europennes au secrtaire dtat,9 octobre 1 958, archiv es du dpartement dtat, Foreign Relations of theUnited States, 1 958-1 960, v ol. VII, France, doc. 55.

    1 1 Lettre du prsident Eisenhower au gnral de Gaulle, 20 octobre1 958, Foreign Relations of the United States, 1 958-1 960, v ol. VII, France ;et aussi archiv es