des etoilesdes etoiles sans firmament des etoiles … · 2020. 6. 4. · famille vera et eva...

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FAMILLE Juste avant la liquidation du ghetto de Bratislava, Elizabeth Silberstein parvient à trouver un abri où ses filles Vera (13 ans) et Eva (15 ans) pourront se cacher tandis qu'elle-même s'installera dans une autre cachette. Cependant, à la suite d'une dénonciation, les deux adolescentes sont déportées dans le camp d'extermination d'Auschwitz-Birkenau, où elles sont séparées— l'une sera assassinée, l'autre épargnée. Vera est envoyée dans les chambres à gaz ; Eva, affectée aux travaux forcés, survivra. « Nous sommes arrivées à Auschwitz-Birkenau… Les paroles de ma mère résonnaient dans mon esprit—j'étais la grande sœur et j'avais le devoir de veiller sur elle [Vera] en toute circonstance. Puis nous nous sommes retrouvées en face d'un homme qui m’a fait signe d'aller à droite et a dit à ma sœur d'aller à gauche... Il n'était pas question que je bouge d'un pouce sans ma sœur. Elle se débattait et il me fallait mobiliser toutes mes forces. Je lui ai demandé : « Puis-je rester ici avec ma sœur ? » Il a répondu : « Non, elle doit aller à l'école et tu dois travailler. » Elle s’est retournée et m’a dit : « Tu vois ? » En l'espace d'une fraction de seconde, elle m'a échappé et est partie en courant. Elle s'est enfuie avec le sourire. » FRÈRES ET SœURS EVA SILBERSTEIN, NÉE EN 1929 À BRATISLAVA, TCHÉCOSLOVAQUIE VERA SILBERSTEIN, NÉE EN 1931 À BRATISLAVA, TCHÉCOSLOVAQUIE FAMILLE « Dans le ghetto, je courais partout avec les autres enfants pour dénicher et voler de la nourriture ; nous creusions sous la muraille. Nous étions enfants et je ne me faisais pas prendre, c'est comme ça que je rapportais de la nourriture à la maison. Telle fut mon enfance. » Yosef (Alterwein) Tirosh Pendant la Shoah, on assiste à l'éclatement de la cellule familiale et à la destruction des sources de protection et de soutien que les parents ont toujours procuré à leurs enfants jusqu'alors. Les circonstances contraignent chaque enfant juif à créer son propre univers : un équilibre fragile entre la nouvelle réalité qui leur est imposée, les capacités limitées de leurs parents à leur apporter de l'aide et leur propre aptitude à faire face aux divers défis auxquels ils sont confrontés. Durant la guerre, de nombreux enfants se retrouvent responsables de leur propre sort, et de celui de leurs parents, de leur fratrie et de leur famille élargie. Beaucoup doivent se mettre à travailler pour subvenir aux besoins du foyer. Certains puisent dans leur courage et leur ingéniosité pour se procurer clandestinement de la nourriture en s'exposant à de graves dangers, d'autres sont obligés de voler. Tout au long de cette période, les membres d'une même famille sont souvent séparés de force ; les parents ou les frères et sœurs déportés ou assassinés. Certains enfants se retrouvent seuls et ne peuvent plus compter que sur eux-mêmes pour survivre. Ces séparations forcées ne leur laissent d'autre choix que celui d'assumer l'entière responsabilité de leur propre destin. “Tout le monde se souvient de nous mais nous ne nous souvenons de personne... Mère n'était pas toujours avec nous mais nous étions là l'une pour l'autre et il nous suffisait de nous donner la main.” FAMILLE Regina Hoffmann parvient à s'évader du ghetto de Chrzanów en emmenant Chana, sa fille unique âgée de neuf ans. Toutes deux réussissent à atteindre le domicile de Pani Hacusz, leur ancienne blanchisseuse. Regina demande à Hacusz de garder Chana jusqu'à la fin de la guerre, tandis qu'elle- même essaiera de gagner le ghetto de Sosnowiec. Hacusz accepte. Regina se sépare alors de sa fille. Elle sera assassinée dans le camp d'extermination d'Auschwitz-Birkenau. « Le matin du départ de Maman, Pani Hacusz m'a apporté le petit-déjeuner dans ma chambre et un grand bol d'eau pour me laver. Après cela... Maman a voulu me prendre dans ses bras, avant notre séparation. Elle a voulu m'embrasser... Je considérais son départ comme une trahison. Maman a dit à Pani Hacusz : « Prenez soin d'elle pour moi. Lorsque tout sera fini, je reviendrai la chercher. » Pani Hacusz a donné un fichu à Maman pour qu'elle ait l'air d'une paysanne. Quant à moi, je suis restée debout à la fenêtre de la cuisine et j'ai regardé Maman s'éloigner, petit à petit, avec son fichu sur la tête, et j’ai senti mon cœur se briser. » Chana (Hoffmann) Aloni SÉPARATION CHANA HOFFMANN, NÉE EN 1934 À SUCHA, POLOGNE “J'étais seule dans la chambre. Maman me manquait tellement... Je portais la chemise de nuit que Maman avait cousue et brodée pour moi. Plus tard, j’ai été heureuse de la porter ; je l'ai conservée jusqu'à ce jour, c'est le seul souvenir qui me reste de Maman. ” 4 5A 5B « Qu'est-ce qui importe le plus ? L'identité avec laquelle je suis née, ou ce que je ressens maintenant ? » Sara (Warszawiak) Avinun QUI SUIS-JE ? À la fin de la Seconde Guerre mondiale, seul un petit nombre d'enfants juifs sont encore en vie. Certains ont survécu sous de fausses identités chrétiennes, dans des familles d'accueil ou des monastères. Après la guerre, pour avoir compris que leur identité juive pouvait entraîner la mort, beaucoup refusent de revenir à leurs origines juives, préférant conserver leur nom d’emprunt. Parfois, les enfants confiés à des familles d’accueil répugnent à suivre leurs proches, rescapés, venus les réclamer. Parmi les plus jeunes dont les parents ont été assassinés, nombreux sont ceux qui n'ont aucune idée de leur véritable identité, de celle de leurs parents ou encore de leurs lieux et dates de naissance. Marta Winter a huit ans lorsque sa mère la fait sortir clandestinement du ghetto de Czortkow pour passer du côté « aryen » de Varsovie avec des faux papiers au nom de Krystyna (Krysia) Griniewicz. Elle la confie à un ami de la famille, Jozef Szulc. Au cours de l'insurrection de Varsovie, la famille Szulc est chassée de chez elle. Marta et madame Czaplinska, la gouvernante, sont déportées dans un camp de concentration. Rescapées, elles reviennent à Varsovie après la guerre. Son grand-père et son oncle retrouvent Marta. Devenue une chrétienne fervente, elle refuse catégoriquement de les suivre et d'aller rejoindre les autres survivants de la famille. En dépit de ses objections, Marta est conduite chez son grand-père, sans pour autant renoncer à sa foi chrétienne. Finalement transférée dans un foyer juif, elle émigrera en Terre d'Israël avec les autres enfants de l’établissement. QUI SUIS-JE ? « J’avais supprimé Marta. Je n'étais plus que Krysia. » Marta (Winter) Goren DIFFICULTÉ À REVENIR À SES ORIGINES JUIVES MARTA WINTER, NÉE EN 1935 À CZORTKOW (TCHORTKIV), POLOGNE “La maison d'enfants... c'est là que j'ai entendu parler du kibboutz et du rêve de fonder un Etat juif en Terre d'Israël. Avec le temps, je me suis habituée à l'idée que j'étais juive, et que mes amis et moi-même allions partir en Terre d'Israël. Malgré tout, je continuais à m'appeler Krysia. ” En 1943, le père d'Eva Walter est affecté aux travaux forcés. En octobre 1944, environ six mois après l'invasion de la Hongrie par les nazis, sa mère Ilona est déportée dans le camp de concentration de Bergen-Belsen. Eva demeure seule à Budapest. Des proches la recueillent et veillent sur elle, mais sont internés, peu de temps après, dans le ghetto de Budapest. Ils parviendront à y survivre jusqu'à la Libération. Libérée de Bergen-Belsen après y avoir contracté le typhus, Ilona est gravement malade et extrêmement affaiblie. Sentant la mort venir, elle insiste pour retourner à Budapest afin de revoir sa fille et son mari. Elle mourra peu après avoir revu Eva, mais ne parviendra pas à retrouver son époux, lui aussi rescapé des camps, avant de rendre son dernier souffle. QUI SUIS-JE ? « Depuis que je suis parvenue à l'âge adulte, j'ai toujours pensé qu'il était dommage qu'elle [Mère] soit revenue et qu'elle ne soit pas morte (des mots très durs), mais laissez-moi m'expliquer. Si ma mère était morte 'là-bas', cela lui aurait épargné la souffrance qu'elle a endurée pendant les dix jours qu'il lui a fallu pour rentrer à la maison. Certes elle me retrouvait, moi sa fille unique... mais elle percevait aussi ma peur. Quant à moi, j'étais une enfant de dix ans, qui se souvenait d'elle telle qu'elle était lorsque nous nous étions séparées neuf mois auparavant, et non pas telle que je l'ai retrouvée lorsqu'elle est revenue. À son retour, elle était complètement squelettique. Chauve, incapable de se tenir debout... Je n'osais pas l'approcher, la prendre dans mes bras ou l'embrasser. » Dvora Peleg (Eva Walter) LES RETROUVAILLES AVEC LA FAMILLE EVA WALTER, NÉE EN 1935 À BUDAPEST, HONGRIE 6 7A 7B « 'Poussin' dans sa joie nous distribuait des bisous tandis que sa petite valise se remplissait de nourriture, et nous lui disions : 'N'oublie pas, nous formons un groupe et nous nous entraidons...' Ulila n'avait rien à se mettre donc nous lui avons donné ce que nous pouvions et à trois heures de l'après-midi, elles sont parties. Cette nuit- là, lorsque nous sommes allées nous coucher, nous avons senti que quelqu’un nous manquait. Les filles étaient parties et nous nous sommes dit : 'Ce ne sera plus jamais le vrai '28' comme auparavant.’ » Extrait du livre Heim28, R.G. (13 ans) LES ENFANTS FORMENT DES GROUPES Les filles de la chambre (Heim) 28 du block de filles L410 du ghetto de Theresienstadt, fondent une sororité du nom de « Ma'agal » (cercle). Ma'agal devient pour elles un mode d'expression sociale fait de réunions, de chant, de jeu, d'étude et de partage du quotidien, supposés les mener sur le droit chemin. C’est donc main dans la main qu’elles entonnent leur hymne : « Tu crois et je crois / Tu sais ce que je sais / Et quoiqu'il puisse arriver / Tu ne me trahiras pas et je ne te trahirai pas. » La réalité des convois dans le ghetto vient néanmoins bouleverser la vie des jeunes filles. Du fait des ordres de déportation, elles sont obligées de quitter la sororité et décident de découper leur drapeau en quatre au moment des convois de septembre-octobre 1944. Chaque morceau est remis à l'une de celles qui demeurent dans le ghetto. AMITIÉ AMITIÉ « Dans la réserve à laquelle j'avais été affecté, j’aperçois une silhouette familière...‘Benek !' Il se retourne comme s'il avait été mordu par un serpent. ‘Mula !' On se donne l’accolade et de grandes tapes dans le dos. Et puis on commence simultanément à se demander l’un à l’autre : 'Mais comment... ?' avant de s’interrompre et d'éclater de rire... Ensemble, on est plus que deux petits gars, plus qu'un adulte même, en termes de chances de survie. On se jure mutuellement qu’on va tout partager et qu’on va rester ensemble et 'tenir le coup'. On conclue le pacte Benek-Mula—le pacte de ceux qui veulent survivre ! » Samuel Pisar Durant la Seconde Guerre mondiale, les enfants juifs sont confrontés à une réalité faite de menaces et de dangers. Les relations d’amitié, telles des « familles de substitution », offrent un refuge et une source de réconfort. Elles s’expriment à travers des interactions, des secrets, des conversations, des jeux et parfois même un combat commun pour la survie. Ces liens vécus dans l'esprit de la maxime « un pour tous, tous pour un » aident les enfants à surmonter les difficultés auxquelles ils doivent faire face. Pour un grand nombre d'entre eux, les mouvements de jeunesse représentent une source de réconfort supplémentaire. Dans certains ghettos, ces mouvements continuent à être actifs et offrent aux jeunes un environnement solidaire et chaleureux, contrastant avec la réalité froide et menaçante qui les entoure. Lorsque les enfants n'ont personne à qui se confier, ils créent quelquefois aussi des relations tout à fait uniques avec des animaux. « Nous nous sommes habitués à beaucoup de choses. Passer la nuit sur le sol d'un hall immense à l'odeur fétide. Les latrines nauséabondes sans aucune intimité, la faim, le couvre- feu. Heureusement pour moi, j'ai traversé tout cela aux côtés de mon amie Ruthy... Ruthy a ensuite été envoyée en Pologne et elle a disparu. Les convois se succédaient à un rythme tellement effréné que nous n'avons même pas eu la possibilité de nous dire au revoir. Je pense souvent à elle, à ce qu'elle aurait dit en voyant des gratte-ciels ou un avion à réaction... elle n'avait pas encore 13 ans lorsqu'elle a apparemment été abattue. » Michal Beer (Maud Stecklmacher) AMITIÉ MAUD STECKLMACHER, NÉE EN 1929 À PRoSTějov, TchécoSLovAquIe Maud Stecklmacher et Ruth Weiss vivent dans la ville de Prostějov en Moravie et deviennent de proches amies durant leur troisième année d'école primaire. Ensemble, les deux fillettes endurent les épreuves liées à l'invasion nazie. En juillet 1942, elles sont déportées avec leurs familles à bord du même convoi au départ de Prostějov et à destination du ghetto de Theresienstadt. Dans le ghetto, les deux jeunes filles sont logées ensemble et partagent tout. Mais Ruth est brusquement déportée en Pologne et Maud ne la reverra jamais plus. Maud, sa sœur et sa mère survivront à la Shoah. Maud rejoindra une ferme de formation du mouvement de jeunesse Gordonia-Maccabi Hatzair et émigrera en Israël en mars 1949 avec sa mère, sa sœur et un groupe de jeunes du mouvement. AMITIÉ 16 17A 17B FOYER Suite au pogrom de la Nuit de cristal, les parents de la petite Regina Zimet, alors âgée de six ans, décident de quitter l'Allemagne pour se rendre en Terre d'Israël. Ils fuient leur maison de Leipzig et traversent la frontière italienne en 1939. L'année suivante, la famille parvient à Benghazi (Lybie) alors sous contrôle italien. L'Italie étant entrée en guerre aux côtés de l'Allemagne en juin 1940, ils sont renvoyés en Italie et internés dans le camp de détention de Ferramonti. Les familles avec enfants, dont la famille Zimet, sont ensuite libérées et autorisées à vivre dans les villages alentour. Regina et ses proches évoluent alors relativement librement au milieu des petites communes de la région. Suite à l'occupation allemande du nord de l'Italie, à l'automne 1943, la famille Zimet est obligée de se cacher et utilisera à plusieurs reprises des identités d'emprunt. La région sera libérée en avril 1945. Regina et sa famille parviendront en Terre d'Israël trois mois plus tard. « Un peu plus tard ce soir-là, nous avons quitté notre appartement. Tandis que le taxi démarrait, nous nous sommes retournés, les yeux baignés de larmes... j'ai serré contre moi ma petite poupée... la seule chose que j'avais pu prendre avec moi et j’ai enfoui ma tête dans les bras de ma mère. À la frontière, un garde a voulu confisquer ma poupée ! Il m'a dit : 'Donne-moi cette poupée pour ma fille ! » J'ai crié : 'Prenez tout ce que vous voulez mais laissez-moi mon dernier souvenir de Leipzig !' Il a souri et m'a répondu qu'il me laissait la poupée en souvenir de mon pays natal. » Regina (Zimet) Levi QUITTER SON FOYER REGINA ZIMET, NÉE EN 1933 À LEIPZIG, ALLEMAGNE FOYER « Il ne restait plus qu'une petite poignée d'enfants... chacun d'eux était le vestige d'une génération et rendait témoignage pour celle-ci. » Lena Küchler-Silberman L'expulsion du foyer, la fuite, la vie dans la clandestinité, autant d’expériences bouleversantes, qui provoquent un fort sentiment d'insécurité. Pour de nombreux enfants juifs, elles symbolisent le déclenchement de la guerre. Souvent, les plus jeunes emportent avec eux un objet qui leur apporte du réconfort et rappelle leur foyer. La majorité des enfants rescapés survivront dans des « foyers alternatifs » : monastères, familles d'accueil non-juives, maisons d'enfants ou abris clandestins. Un grand nombre demeurera également sans abri, contraint d’errer d'un lieu à l'autre. FOYER Betty Waterman naît en 1940 de l'union de Konrad et Simone Rivka Waterman. À deux ans, elle est envoyée dans une maison d'enfants chrétienne à Utrecht, enveloppée dans une couverture, sa poupée et un chiot en peluche dans les bras, avec un papier indiquant son nom. Un informateur ayant averti les autorités qu'il s'agit d'une enfant juive, Betty est transférée dans le secret au domicile de la famille Tinholt qui fait partie de la résistance hollandaise. Elle y restera cachée jusqu'à la fin de la guerre. La petite Betty a les cheveux bruns dans une région où la majorité de la population locale a les cheveux clairs ; cette particularité attire l'atte ntion des soldats nazis stationnés aux alentours. Craignant de mettre l'enfant en danger, sa mère adoptive la garde à l'intérieur et la petite passe des heures debout à la fenêtre, son chiot sous le bras. À la fin de la guerre, les parents de Betty, qui ont survécu dans la clandestinité, localisent les Tinholt avec l'aide de la Croix-Rouge et viennent récupérer leur fille. « Pour moi, ce petit chien représentait mes parents qui n'étaient pas avec moi... Du moment de la séparation avec mes parents, je n'ai aucun souvenir. C'était en novembre 1942. J'ai pris la poupée que j'avais toujours avec moi et le petit chiot en peluche... Je me souviens que je les serrais tous les deux très fort contre moi. Ils me procuraient un sentiment de sécurité. Je parlais avec le chiot : 'Nous allons dormir' ; 'Nous ne devons pas faire de bruit’. C'était comme si je me parlais à moi-même. Je le réconfortais en disant : 'Tu n'as pas de raison d’avoir peur, je suis là avec toi.' Après la guerre, en juin 1945, je suis retournée chez mes parents et le chiot est rentré avec moi.» Betty (Waterman) Ilsar DANS LA CLANDESTINITÉ BETTY WATERMAN, NÉE EN 1940 À AMSTERDAM, PAYS-BAS 18 19A 19B JEU « Pouvaient-elles imaginer, qu'ayant perdu mon ours en peluche un jour où nous avions dû fuir, je m’étais mise à jouer avec des épingles à cheveux ? N'importe quelle épingle, un simple morceau de métal recourbé, se transformait en poupée. Les boîtes d'allumettes devenaient des lits... À chaque fois qu'il y avait des bougies, je mâchais la cire jusqu'à ce qu'elle ramollisse et la modelais pour en faire des ustensiles de cuisine, des petites tasses, des assiettes... Mes doigts, sur lesquels je dessinais parfois un visage, devenaient mes poupées et cela me suffisait. » Ruth (Yurgrau) Lavie Jeu et Shoah pourraient sembler incompatibles. En temps normal, le jeu est le reflet de l'imagination, de la créativité des enfants, qui leur permet de bâtir un monde et d’en fixer les règles. Durant la Shoah, le jeu apportera non seulement du réconfort aux plus jeunes ; il leur procurera aussi un moyen de survie sur le plan émotionnel – telle une bouée de sauvetage. JEU « Chacun de nous avait dans son armée des héros et des généraux. Celui qui lisait un livre le premier pouvait inviter le héros du livre dans son armée. Évidemment, mon armée avait les héros les plus remarquables. Un jour, lorsque Mère nous raconta l'histoire de Robin des Bois, mon frère se leva d'un bond et invita Robin des Bois à être dans son armée avant moi. À partir de ce jour-là, son armée avait un général Robin des Bois ; et je ne pouvais rien y faire, à mon grand désarroi. Dans la cave de Mieleszka, je nous construisis un palais où nous vivions avec nos épouses. J'étais Tarzan chef de l'univers et mon frère était Richard Grenadier. » Uri Orlev (Henryk "Yurek" Orlowski) JEUX ET JOUETS HENRYK "YUREK" ORLOWSKI, NÉ EN 1931 À VARSOVIE, POLOGNE KAZIMIERZ "KAZEK" ORLOWSKI, NÉ EN 1933 À VARSOVIE, POLOGNE Henryk « Yurek » Orlowski et son jeune frère Kaimierz « Kazek » vivent à Varsovie avec leurs parents Zofia et Maximilian. Lorsque la guerre commence, Maximilian est enrôlé dans l'armée polonaise. Zofia et les enfants sont contraints de s'installer dans le ghetto de Varsovie, où Zofia est assassinée. Stefania Rosenzweig, la tante des garçons, décide alors de les prendre sous son aile. Elle les fait entrer dans la clandestinité et obtient par la suite des « certificats » (visas) les autorisant à émigrer en Terre d'Israël (Palestine mandataire). Ces documents leur procurent un statut potentiellement utile pour les nazis et leurs conditions de vie dans leur section du camp de concentration de Bergen-Belsen s'en trouveront quelque peu améliorées. Tous trois survivront. « 'Un heureux incident' est un récit fantastique, l'histoire d'une enfant, d'une 'Cendrillon' avec une méchante belle-mère. Un beau jour, la petite fille s'enfuit et trouve sur sa route un palais où vit une magnifique princesse. La princesse invite l'enfant à demeurer chez elle, et, à dater de cet 'heureux incident', la petite fille ne connaîtra plus que le bonheur. Le décor, les meubles, le piano, le banc, les portes et la chambre bleue ont tous été dessinés à partir des souvenirs de notre appartement de Lviv et de la vie d'avant-guerre. La robe bleue, inspirée du souvenir d'une de mes robes, est également 'réelle'. » Nelly (Mieses) Toll CONTES ET DESSINS NELLY MIESES, NÉE EN 1935 À LWÓW, POLOGNE (VILLE DE LVIV DANS L'UKRAINE ACTUELLE) JEU Pendant ses longues heures passées dans la clandestinité, Nelly Mieses entreprend d'illustrer les histoires que sa mère Rozia lui raconte. Ses peintures mêlent des personnages tirés des récits maternels aux souvenirs encore distincts de sa vie d'avant-guerre. Ces aquarelles, avec leur palette enjouée, donnent naissance à un monde enchanté idéal, dans lequel les enfants jouent en toute liberté. Bien loin de l'univers dont Nelly est prisonnière, qui se résume à une seule et unique pièce, avec l'interdiction de faire le moindre bruit pour ne pas se faire repérer. Nelly et Rozia survivront et découvriront après la Libération de Lwów qu'elles sont les seules rescapées de leur famille. 8 9A 9B « Un officier allemand... m'a arrangé un travail dans la cuisine des Allemands... j'étais un petit gars de belle taille et à l'allure visiblement sympathique... Je lui rappelais peut-être son fils, il m'a donc emmené travailler dans la cuisine des SS... je cirais [aussi] ses chaussures, je nettoyais sa chambre, et il m'a offert la chose la plus précieuse de toutes, quelque chose que les autres enfants n'avaient pas, un uniforme de prisonnier. Imaginez quel 'exploit'. On m'octroyait un uniforme rayé. C'était une sorte de reconnaissance symbolique signifiant : vous avez été désigné pour travailler. » TRAVAUX FORCÉS DANIEL CHANOCH, NÉ EN 1933 À KOVNO, LITUANIE Lorsque le ghetto de Kovno est liquidé en juillet 1944, les hommes sont envoyés dans le camp de travaux forcés de Kaufering à Landsberg. Daniel Chanoch y travaille dans le bureau du commandant et à la cuisine. Il est ensuite transféré au camp d'extermination d'Auschwitz-Birkenau et affecté au transport des charrettes utilisées pour charger les effets personnels des victimes. En janvier 1945, il prend part à une marche de la mort à destination du camp de concentration de Mauthausen. Transféré par la suite dans celui de Gunskirchen en Allemagne, il sera finalement libéré en mai 1945. TRAVAIL DES ENFANTS TRAVAIL DES ENFANTS « Il n'y a pas d'enfants dans le ghetto—il n'y a que des petits Juifs… les enfants du ghetto sont obligés de travailler. À défaut de travail, ils courent le risque d'être arrachés à leurs parents et envoyés vers une destination inconnue. » Josef Zelkowicz Durant la Shoah, certains enfants juifs sont également affectés aux travaux forcés, parfois même aux côtés des adultes. Ils travaillent dans les ghettos, les camps et ailleurs. Les enfants assimilent vite l'idée que le travail, qui les rend utiles aux yeux des nazis, est un gage de survie. Gardant cela en tête, ils consentent à tous les travaux dont ils sont chargés, même les plus éreintants. « Je suis vite devenu un travailleur comme les autres—avec de grands sabots de bois, une houe, une pelle à poussière et un rendement minimum régulier...» Thomas Geve (Stefan Cohn) TRAVAUX FORCÉS STEFAN COHN, NÉ EN 1929 À ZUELLCHOW , ALLEMAGNE La famille Cohn déménage à Berlin en 1939. Après la fermeture des écoles juives, Stefan est obligé de travailler dans le cimetière juif. En juin 1943, il est déporté au camp d'extermination d'Auschwitz- Birkenau avec sa mère Bertha, qui y sera assassinée. Stefan est affecté à l'usine de maçonnerie. En janvier 1945, il est évacué dans le cadre d’une marche de la mort vers l'Allemagne. Libéré par les troupes américaines en avril 1945, il réalise 79 dessins représentant la vie dans les camps. TRAVAIL DES ENFANTS 10 11A 11B MAISONS D'ENFANTS EDUCATION Avant la Seconde Guerre mondiale, des maisons d'enfants offrent éducation et environnement chaleureux aux orphelins et à ceux que leurs parents ne peuvent prendre en charge. Durant la Shoah, ces maisons ouvrent leurs portes à de nombreux enfants livrés à eux-mêmes depuis que leurs parents ont été affectés aux travaux forcés ou déportés dans des camps. Il en existe alors de nombreuses à travers l'Europe. Dans le seul ghetto de Varsovie, 30 000 des 100 000 enfants vivent dans des maisons de ce type. Le personnel est complètement dévoué aux jeunes résidents et s'efforce de rendre leur vie aussi normale que possible. Malgré les efforts déployés pour tenter de les sauver, de nombreuses maisons d'enfants seront purgées et les enfants déportés dans des camps d'extermination en compagnie de leurs enseignants et de leurs accompagnateurs. Cher Papa : Je m'amuse bien avec mes camarades… Es-tu en bonne santé ? Mois (sic), je me porte bien. En classe, je suis le troisième sur huit, j'ai eu 64 points edemie (sic). On fait des compositions d’écriture, de calcul, de science, de grammaire, de histoire de France (sic), de géographie, de leçon de choses. Je dors bien, je mange bien. On fait des promenades les jeudi et les dimanche (sic) quand il fait beau. On m'a rasé la tête. Je termine ma lettre en t’envoient (sic) 1000.000.000.000.000.000.000.000.000.000.000.000… Ton fils qui pense beaucoup à toi et à papa, mille beser (sic) pour maman et pour papa ! Vendredi le 11 mars 1944 EDUCATION « Mon seul réconfort durant cette longue et sombre période fut la lecture... Jadwiga [la fille de ses hôtes], qui allait à l'école, empruntait chaque jour un nouveau livre à la bibliothèque pour moi... Sans cette lecture incessante, je serai sans doute devenu complètement demeuré ou pire encore. Je lisais constamment. Je dévorais chaque jour un nouveau livre. Qu'aurais- je bien pu faire d'autre dans ce grenier moisi ? Cette lecture incessante me tint lieu d'école primaire, de secondaire et d'université. » Jakov Goldstein Pendant la Shoah, malgré les conditions de vie difficiles et les graves restrictions qui entravent l'éducation, les organismes juifs s'efforcent de fournir des solutions aux enfants de leurs communautés. La mise en place de cadres éducatifs et sociaux alternatifs - bibliothèques, théâtres pour enfants, salles de classe et ateliers d'art - va permettre un enseignement structuré et la transmission des traditions juives et valeurs morales. Ces structures jouent un rôle capital dans l’existence des enfants et leur procurent un sentiment de stabilité. Ceux qui vivent dans la clandestinité ne peuvent bénéficier de ces alternatives. Ils s'instruisent grâce aux livres dont ils disposent, ou auprès des adultes de leurs caches. Un grand nombre d'entre eux néanmoins, trop occupés à se battre pour assurer leur survie, n'auront pas le loisir d'étudier durant la Shoah. EDUCATION L'AUTO-APPRENTISSAGE GYURKAH KLEIN, NÉ EN 1932 À BUDAPEST, HONGRIE Lorsqu'il quitte son domicile à l'âge de 12 ans pour rejoindre un foyer pour enfants dans l'une des maisons étoilées de Budapest (bâtiments alloués aux Juifs par les autorités hongroises), Gyurkah Klein emporte avec lui un ouvrage intitulé Histoire de l'humanité. Il sera ensuite transféré dans un refuge pour enfants géré par le mouvement des Jewish Youth Pioneers sous les auspices de la Croix-Rouge. Les représentants du mouvement fasciste hongrois des Croix fléchées font un jour brusquement irruption au refuge et déportent tous les résidents dans le ghetto. Gyurkah conservera précieusement son livre, même le jour où il s'évadera seul du ghetto. Il retrouvera ensuite sa mère et tous deux vivront ensemble dans la clandestinité jusqu'à la Libération. « 'Histoire de l'humanité', l'un de mes livres d'enfant, m'en a appris davantage que n'importe lequel de mes professeurs. » Moshe Eitam (Gyurkah Klein) 12 13A 13B « J'attendais impatiemment le jour où j'allais célébrer ma bar mitsva... et le jour tant attendu a fini par arriver... Ma synagogue était le tunnel que j'avais moi-même percé. J'ai creusé de mes propres mains un cercle dans la terre et j’ai planté une multitude de brindilles dans le cercle. Après avoir terminé, j'ai relevé la tête et regardé tout autour... toutes les brindilles me parlaient, comme des pierres tombales vivantes. Comme si elles festoyaient toutes autour de moi. J'ai continué à regarder toutes ces petites pierres tombales, cette foule qui avait été là jadis mais qui n'était plus et dont seul le souvenir subsistait. » Eliyahu (Rozdzial) Raziel La Bar Mitsva, célébrée par les garçons juifs lors de leur treizième anniversaire, marque le passage de l'enfance à l'âge adulte. Lorsqu'il atteint treize ans, le jeune garçon devient responsable de ses actes et a le devoir d'observer toutes les mitzvot (commandements prescrits par la loi juive). Cette étape est considérée comme l'un des événements les plus importants de la vie de l'enfant, de sa famille et de sa communauté. Elle est généralement marquée par une cérémonie spéciale qui se déroule dans une synagogue ou un lieu doté d’une signification juive. Sous le régime nazi, les jeunes Juifs sont peu nombreux à pouvoir célébrer leur Bar Mitsva comme il convient ou même de façon incomplète. La cérémonie prend un sens nouveau durant la Shoah, à l'instar de toutes les autres célébrations marquant les grands évènements de la vie. L'organisation de cette cérémonie et la célébration des anniversaires de manière générale sont l’occasion de proclamer un message d'amour et d'amitié, d'attachement aux valeurs du passé et de dire son espoir de voir advenir des jours meilleurs pour des enfants privés du droit même d'exister. Les anniversaires servent de points d'ancrage dans un monde en plein effondrement dans lequel les repères habituels de temps et de lieu ont disparu. RITES DE PASSAGE « Puis [à Westerbork], est arrivé le jour où mon deuxième frère, Meir, a atteint à l'âge de la Bar Mitsva. Père s'est assuré que quelqu'un se charge de lui enseigner tout ce qu'un garçon doit savoir pour sa Bar Mitsva : comment être 'appelé à la Torah', prononcer les bénédictions et même un petit peu de lecture à partir des rouleaux de la Torah. J’ai même réussi à 'arranger' un cadeau pour mon frère. Une femme... avait oublié son livre de prière. J'ai écrit une dédicace pour mon frère à l'intérieur et je le lui ai offert pour sa Bar Mitsva. Mon frère a été appelé à la Torah... les gens ont mangé du [pain] gâteau et bu à sa santé. » Bilha Muhlbaum BAR MITSVA MEIR MUHLBAUM, NÉ EN 1930 À BERLIN, ALLEMAGNE Shlomo et Mina Muhlbaum ont quatre enfants, dont Meir et Bilha. En 1935, la famille fuit Berlin pour Amsterdam. En 1941, Shlomo est déporté au camp de transit de Westerbork, suivi deux ans plus tard par le reste de la famille. Tous sont ensuite envoyés dans le camp de concentration de Bergen-Belsen. En 1944, dans le cadre d'un programme, unique en son genre, d'échange de prisonniers juifs contre des Templiers allemands résidant en Terre d'Israël (Palestine mandataire), la famille arrive en Terre d'Israël via la Turquie et s'établit à Tel-Aviv. RITES DE PASSAGE « Je me souviens de mon onzième anniversaire dans le camp... un seau de charbon rempli à ras bord avait été posé à côté de la chaudière, c’était un cadeau d'une valeur inestimable. Il y avait une carte de vœux en forme de fer à cheval, un livre d'or... découpé dans les restes d'un tablier de travail noir et un autre livre d'or... qui s'ouvrait pour former une fleur brodée. Ce jour-là, le personnel de la cuisine m’a préparé un cadeau d’anniversaire tout à fait exceptionnel... un plateau avec un bol de soupe et une assiette de vraies betteraves et de vraies pommes de terre. » Yochit Mendelson (Jadzia Beitner) ANNIVERSAIRES JADZIA BEITNER, NÉE EN 1933 À KATOWICE, POLOGNE Après l'invasion de la Pologne, les Allemands déportent Herman et Bila Beitner, et leurs enfants Anny, Nathan, Zusia et Jadzia, dans la ville de Sosnowiec. Herman, Nathan et Anny s’enfuient peu de temps après. Bila et ses deux plus jeunes filles Zusia (10 ans) et Jadzia (6 ans) demeurent dans la ville. En janvier 1942, après la mort d'Herman et de Nathan, Anny parvient à regagner Sosnowiec, où elle retrouve sa mère et ses sœurs. Un mois plus tard, elle est envoyée dans le camp de travaux forcés d'Oberaltstadt dans la région des Sudètes. Zusia l'y rejoint quelques mois plus tard. Au printemps 1943, Bila et Jadzia sont internées dans le ghetto de Scherodola. Lors de sa liquidation en 1943, elles sont à leur tour envoyées à Oberaltstadt, où Jadzia, plus jeune prisonnière du camp, est affectée à des travaux de ménage. Le 4 mars 1944, les prisonniers célèbrent le onzième anniversaire de la fillette. Bila Beitner et ses filles seront libérées d'Oberaltstadt en mai 1945. RITES DE PASSAGE 15B 14 15A Pendant la Shoah, les communautés juives subissent de violents bouleversements et traversent de graves crises sociales et familiales. Les enfants plongés dans cette réalité se retrouvent privés de leur routine et de leur insouciance. Dans les ghettos, les épreuves se multiplient encore : là, ils sont confrontés à la surpopulation, la faim, les maladies infectieuses, la peur et la violence. Contraints de s’adapter dans l’urgence à ces conditions de vie extrêmement difficiles, nombre d'entre eux deviennent alors des « adultes dans des corps d'enfants ». D’autres seront séparés de leurs familles et contraints de survivre sans leurs parents cachés ou déportés dans des camps de concentration. Pour eux, le combat est plus rude encore. Leur enfance est détruite. Pour autant, malgré les conditions de vie effroyables et les situations terribles auxquelles ils doivent faire face, les enfants continuent à dessiner, écrire des histoires et inventer des jeux qui expriment leurs rêves, leurs peurs et leurs espoirs. Tout au long de cette exposition, une sélection de dessins, poèmes, lettres et jouets offre un aperçu émouvant de la vie des enfants juifs durant la Shoah. Un vent d'optimisme, de créativité et d'imagination qui démontre la capacité tout à fait unique des plus jeunes à s'accrocher à la vie. En dépit de tout, même du pire et de l’impensable. DES ETOILES SANS FIRMAMENT LES ENFANTS DANS LA TOURMENTE DE LA SHOAH Une enfant dans le ghetto, ghetto de Kovno, 1941-1944 Jacob Lipschitz(1903-1945) DES ETOILES SANS FIRMAMENT Les enfants dans la tourmente de la Shoah Le terme de Shoah désigne le génocide total, systématique et sans précédent perpétré par l’Allemagne nazie et ses complices dans le but d’exterminer le peuple juif et d'anéantir à jamais sa culture et ses traditions. Son principal moteur : l'idéologie raciste nazie. Entre 1933 et 1941, l’Allemagne nazie mène une politique de persécution qui consiste à dépouiller les Juifs de leurs droits et de leurs biens, puis à stigmatiser et concentrer les populations juives sous son contrôle dans des zones définies par avance. Fin 1941, cette politique s'est muée en un plan d’action exhaustif et systématique que les nazis nomment « Solution finale de la question juive en Europe ». Ces mesures bénéficient d’un large soutien en Allemagne et dans la majeure partie de l'Europe. L’Allemagne nazie voue alors à l’extermination les Juifs d’Europe, et dans leur sillage, ceux du monde entier. Près de deux millions de Juifs sont tués par balles tandis que des millions d’autres, originaires de toute l’Europe, sont raflés et déportés à bord de wagons à bestiaux vers des camps d’extermination – complexes industriels de mise à mort où ils sont assassinés dans des chambres à gaz. Lorsque la guerre prend fin en 1945, près de six millions de Juifs ont été assassinés. Parmi eux, approximativement un million et demi d'enfants. Seul un faible pourcentage d'enfants juifs survivront à la Shoah. LA SHOAH Yad Vashem a été établi en 1953 pour être le centre mondial de commémoration, de documentation, d'étude et d'enseignement de la Shoah. Mémorial vivant du peuple juif en souvenir de la Shoah, Yad Vashem œuvre à préserver la mémoire du passé et à lui donner un sens pour les générations à venir. Cette exposition est une adaptation de l'exposition « Les enfants dans la tourmente de la Shoah : Des étoiles sans firmament » réalisée sous la direction de Yehudit Inbar et présentée à Yad Vashem. Elle a été produite par le Département des expositions itinérantes de la Division des musées de Yad Vashem. Conception graphique : Division informatique, Yad Vashem Cette exposition a été généreusement financée par : Victor David et Ruth Grubner. The Jay and Barbara Hennick Family Foundation 3 2 1 DES ETOILES SANS FIRMAMENT Les enfants dans la tourmente de la Shoah

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Page 1: DES ETOILESDES ETOILES SANS FIRMAMENT DES ETOILES … · 2020. 6. 4. · FAMILLE Vera et Eva Silberstein, Bratislava, Tchécoslovaquie, 1939 Dessins réalisés par Vera Silberstein

F A M I L L E

Vera et Eva Silberstein, Bratislava, Tchécoslovaquie, 1939

Dessins réalisés par Vera Silberstein à Bratislava en 1943, avant sa déportation et son assassinat à Auschwitz-Birkenau. Vera exprime son profond désir de se rendre en Terre d'Israël (Palestine mandataire). Elle s’y représente au milieu d'un groupe de pionnières tirées de son imagination.

Collections de Yad Vashem, don d'Eva (Silberstein) Grinstone, Cremorne, Nouvelle-Galles du Sud, Australie  

Juste avant la liquidation du ghetto de Bratislava,

Elizabeth Silberstein parvient à trouver un abri

où ses filles Vera (13 ans) et Eva (15 ans) pourront

se cacher tandis qu'elle-même s'installera

dans une autre cachette. Cependant, à la suite

d'une dénonciation, les deux adolescentes sont

déportées dans le camp d'extermination

d'Auschwitz-Birkenau, où elles sont séparées—

l'une sera assassinée, l'autre épargnée. Vera est

envoyée dans les chambres à gaz ; Eva, affectée

aux travaux forcés, survivra.

« Nous sommes arrivées à Auschwitz-Birkenau…

Les paroles de ma mère résonnaient dans mon esprit—j'étais

la grande sœur et j'avais le devoir de veiller sur elle [Vera] en

toute circonstance. Puis nous nous sommes retrouvées en

face d'un homme qui m’a fait signe d'aller à droite et a dit

à ma sœur d'aller à gauche... Il n'était pas question que je

bouge d'un pouce sans ma sœur. Elle se débattait et il me

fallait mobiliser toutes mes forces. Je lui ai demandé :

« Puis-je rester ici avec ma sœur ? » Il a répondu : « Non, elle

doit aller à l'école et tu dois travailler. » Elle s’est retournée et

m’a dit : « Tu vois ? » En l'espace d'une fraction de seconde,

elle m'a échappé et est partie en courant. Elle s'est enfuie

avec le sourire. »

Eva (Silberstein) Grinstone

FRèRES ET SœURS

Eva SiLbErStEin, NéE EN 1929 à BRATISLAVA, TCHéCOSLOVAqUIE

vEra SiLbErStEin, NéE EN 1931 à BRATISLAVA, TCHéCOSLOVAqUIE

F A M I L L E« Dans le ghetto, je courais

partout avec les autres enfants

pour dénicher et voler de la

nourriture ; nous creusions

sous la muraille. Nous étions

enfants et je ne me faisais pas

prendre, c'est comme ça que je

rapportais de la nourriture à la

maison. Telle fut mon enfance. »

Yosef (Alterwein) Tirosh

Les jumelles Czengery, Yehudit et Leah, six ans, Roumanie, 1943United States Holocaust Memorial Museum (USHMM), Washington DC, USA

Pendant la Shoah, on assiste à l'éclatement de la cellule familiale et à la destruction des sources de

protection et de soutien que les parents ont toujours procuré à leurs enfants jusqu'alors. Les circonstances

contraignent chaque enfant juif à créer son propre univers : un équilibre fragile entre la nouvelle réalité qui

leur est imposée, les capacités limitées de leurs parents à leur apporter de l'aide et leur propre aptitude à

faire face aux divers défis auxquels ils sont confrontés.

Durant la guerre, de nombreux enfants se retrouvent responsables de leur propre sort, et de celui de leurs

parents, de leur fratrie et de leur famille élargie. Beaucoup doivent se mettre à travailler pour subvenir aux

besoins du foyer. Certains puisent dans leur courage et leur ingéniosité pour se procurer clandestinement

de la nourriture en s'exposant à de graves dangers, d'autres sont obligés de voler.

Tout au long de cette période, les membres d'une même famille sont souvent séparés de force ; les parents

ou les frères et sœurs déportés ou assassinés. Certains enfants se retrouvent seuls et ne peuvent plus

compter que sur eux-mêmes pour survivre. Ces séparations forcées ne leur laissent d'autre choix que celui

d'assumer l'entière responsabilité de leur propre destin.

“Tout le monde se souvient de nous mais nous ne nous souvenons de personne... Mère n'était pas toujours avec nous mais nous étions là l'une pour l'autre et il nous suffisait de nous donner la main.”Yehudit et Leah Czengery

En 1944, Yehudit et Leah Czengery sont déportées dans le camp d'extermination d'Auschwitz-Birkenau avec leur mère Rosi. Les deux fillettes, que le docteur Mengele appelle « les jolies jumelles », sont envoyées dans le block où il réalise ses expériences. Rosi s'y glisse pour leur donner le pain qu'elle a réussi à se procurer. Après la guerre, en compagnie de leur mère, les filles retrouvent leur père qui a également survécu. Elles seront les seules enfants rescapées de leur famille élargie.

F A M I L L E

Chana Hoffmann et sa mère Regina (gauche) avant la guerre

Une chemise de nuit confectionnée par Regina pour Chana pendant la guerre et sur laquelle elle a brodé son nom de jeune fille—Regina Buchnik. Ce sera le seul souvenir que Chana gardera de sa mère.

Collections de Yad Vashem, don de Chana (Hoffmann) Aloni, Bnei Brak, Israël

Regina hoffmann parvient à s'évader du ghetto

de Chrzanów en emmenant Chana, sa fille unique

âgée de neuf ans. Toutes deux réussissent à

atteindre le domicile de Pani hacusz, leur ancienne

blanchisseuse. Regina demande à hacusz de garder

Chana jusqu'à la fin de la guerre, tandis qu'elle-

même essaiera de gagner le ghetto de Sosnowiec.

hacusz accepte. Regina se sépare alors de sa fille.

Elle sera assassinée dans le camp d'extermination

d'Auschwitz-Birkenau.

« Le matin du départ de Maman, Pani Hacusz m'a

apporté le petit-déjeuner dans ma chambre et un grand

bol d'eau pour me laver. Après cela... Maman a voulu me

prendre dans ses bras, avant notre séparation. Elle a voulu

m'embrasser... Je considérais son départ comme une

trahison. Maman a dit à Pani Hacusz : « Prenez soin d'elle

pour moi. Lorsque tout sera fini, je reviendrai la chercher. »

Pani Hacusz a donné un fichu à Maman pour qu'elle ait l'air

d'une paysanne. quant à moi, je suis restée debout à

la fenêtre de la cuisine et j'ai regardé Maman s'éloigner,

petit à petit, avec son fichu sur la tête, et j’ai senti mon

cœur se briser. »

Chana (Hoffmann) Aloni

SéPARATION

Chana hoffmann, NéE EN 1934 à SUCHA, POLOGNE

“J'étais seule dans la chambre. Maman me manquait tellement... Je portais la chemise de nuit que Maman avait cousue et brodée pour moi. Plus tard, j’ai été heureuse de la porter ; je l'ai conservée jusqu'à ce jour, c'est le seul souvenir qui me reste de Maman. ”

4 5A 5B

« qu'est-ce qui importe le plus ?

L'identité avec laquelle je suis née,

ou ce que je ressens maintenant ? »

Sara (Warszawiak) Avinun

qUI SUIS-JE ?

Huguette et Micheline Mosieznik lors d'un spectacle de Noël dans le couvent français où elles ont été cachées.

Collections de Yad Vashem, don de Miriam (Micheline Mosieznik) Hochstein, Tel-Aviv, Israël et d'Huguette (Mosieznik) Ramon, Holon, Israël

Lorsque débute la déportation des Juifs de France, Micheline Mosieznik et sa sœur Huguette errent d'une cachette à l'autre, jusqu'à ce que leur mère les place dans l'orphelinat d'un couvent. Là, elles reçoivent une éducation catholique très stricte et prennent part aux rituels chrétiens. Après la guerre, leur mère parvient à convaincre les responsables du couvent de lui rendre ses filles.

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, seul un petit nombre d'enfants juifs sont encore en vie. Certains

ont survécu sous de fausses identités chrétiennes, dans des familles d'accueil ou des monastères. Après

la guerre, pour avoir compris que leur identité juive pouvait entraîner la mort, beaucoup refusent de revenir

à leurs origines juives, préférant conserver leur nom d’emprunt. Parfois, les enfants confiés à des familles

d’accueil répugnent à suivre leurs proches, rescapés, venus les réclamer. Parmi les plus jeunes dont

les parents ont été assassinés, nombreux sont ceux qui n'ont aucune idée de leur véritable identité, de

celle de leurs parents ou encore de leurs lieux et dates de naissance.

Marta Winter a huit ans lorsque sa mère la fait

sortir clandestinement du ghetto de Czortkow pour

passer du côté « aryen » de Varsovie avec des faux

papiers au nom de Krystyna (Krysia) Griniewicz.

Elle la confie à un ami de la famille, Jozef Szulc.

Au cours de l'insurrection de Varsovie, la famille

Szulc est chassée de chez elle. Marta et madame

Czaplinska, la gouvernante, sont déportées dans un

camp de concentration. Rescapées, elles reviennent

à Varsovie après la guerre. Son grand-père et son

oncle retrouvent Marta. Devenue une chrétienne

fervente, elle refuse catégoriquement de les suivre

et d'aller rejoindre les autres survivants de la famille.

En dépit de ses objections, Marta est conduite chez

son grand-père, sans pour autant renoncer à sa foi

chrétienne. Finalement transférée dans un foyer

juif, elle émigrera en Terre d'Israël avec les autres

enfants de l’établissement.

qUI SUIS-JE ?

« J’avais supprimé Marta.

Je n'étais plus que Krysia. »

Marta (Winter) Goren

DIFFICULTé à REVENIR à SES ORIGINES JUIVES

marta WintEr, NéE EN 1935 à CzORTKOW (TCHORTKIV), POLOGNE

Marta pendant la guerre

“La maison d'enfants... c'est là que j'ai entendu parler du kibboutz et du rêve de fonder un Etat juif en Terre d'Israël. Avec le temps, je me suis habituée à l'idée que j'étais juive, et que mes amis et moi-même allions partir en Terre d'Israël. Malgré tout, je continuais à m'appeler Krysia. ”

Une médaille de la Vierge à l'enfant portée par Marta Collections de Yad Vashem, don de Marta (Winter) Goren, Rehovot, Israël

En 1943, le père d'Eva Walter est affecté aux travaux

forcés. En octobre 1944, environ six mois après l'invasion

de la hongrie par les nazis, sa mère Ilona est déportée

dans le camp de concentration de Bergen-Belsen. Eva

demeure seule à Budapest. Des proches la recueillent et

veillent sur elle, mais sont internés, peu de temps après,

dans le ghetto de Budapest. Ils parviendront à y survivre

jusqu'à la Libération.

Libérée de Bergen-Belsen après y avoir contracté le

typhus, Ilona est gravement malade et extrêmement

affaiblie. Sentant la mort venir, elle insiste pour retourner

à Budapest afin de revoir sa fille et son mari. Elle mourra

peu après avoir revu Eva, mais ne parviendra pas à

retrouver son époux, lui aussi rescapé des camps, avant

de rendre son dernier souffle.

qUI SUIS-JE ?

« Depuis que je suis parvenue à l'âge adulte, j'ai toujours pensé

qu'il était dommage qu'elle [Mère] soit revenue et qu'elle ne soit

pas morte (des mots très durs), mais laissez-moi m'expliquer.

Si ma mère était morte 'là-bas', cela lui aurait épargné la souffrance

qu'elle a endurée pendant les dix jours qu'il lui a fallu pour rentrer à

la maison. Certes elle me retrouvait, moi sa fille unique... mais elle

percevait aussi ma peur. quant à moi, j'étais une enfant de dix ans,

qui se souvenait d'elle telle qu'elle était lorsque nous nous étions

séparées neuf mois auparavant, et non pas telle que je l'ai retrouvée

lorsqu'elle est revenue. à son retour, elle était complètement

squelettique. Chauve, incapable de se tenir debout... Je n'osais pas

l'approcher, la prendre dans mes bras ou l'embrasser. »

Dvora Peleg (Eva Walter)

LES RETROUVAILLES AVEC LA FAMILLE

Eva WaLtEr, NéE EN 1935 à BUDAPEST, HONGRIE

Eva Walter avec sa mère Ilona avant la guerre

Mouchoir brodé des lettres « I.W. » [Ilona Walter], conservé par la jeune Eva après la déportation de sa mère dans le camp de concentration de Bergen-Belsen. Collections de Yad Vashem, don de Dvora Peleg (Eva Walter), Kiryat Tivon, Israël  

6 7A 7B

Le drapeau de la sororité de Ma'agal, Heim (Chambre) 28, ghetto de Theresienstadt Archives de Beit Theresienstadt, Givat Haïm Ihoud, Israël

« 'Poussin' dans sa joie nous distribuait des bisous

tandis que sa petite valise se remplissait de nourriture, et

nous lui disions : 'N'oublie pas, nous formons un groupe

et nous nous entraidons...' Ulila n'avait rien à se mettre

donc nous lui avons donné ce que nous pouvions et à

trois heures de l'après-midi, elles sont parties. Cette nuit-

là, lorsque nous sommes allées nous coucher, nous avons

senti que quelqu’un nous manquait. Les filles étaient parties

et nous nous sommes dit : 'Ce ne sera plus jamais le vrai

'28' comme auparavant.’ »

Extrait du livre Heim 28, R.G. (13 ans)

LES ENFANTS FORMENT DES GROUPES

Les filles de la chambre (heim) 28 du block de filles

L410 du ghetto de Theresienstadt, fondent une

sororité du nom de « Ma'agal » (cercle). Ma'agal

devient pour elles un mode d'expression sociale fait

de réunions, de chant, de jeu, d'étude et de partage du

quotidien, supposés les mener sur le droit chemin.

C’est donc main dans la main qu’elles entonnent

leur hymne : « Tu crois et je crois / Tu sais ce que je

sais / Et quoiqu'il puisse arriver / Tu ne me trahiras

pas et je ne te trahirai pas. » La réalité des convois

dans le ghetto vient néanmoins bouleverser la vie

des jeunes filles. Du fait des ordres de déportation,

elles sont obligées de quitter la sororité et décident

de découper leur drapeau en quatre au moment

des convois de septembre-octobre 1944. Chaque

morceau est remis à l'une de celles qui demeurent

dans le ghetto.

AMITIéAMITIé« Dans la réserve à laquelle j'avais été affecté, j’aperçois une silhouette familière...‘Benek !' Il se retourne comme s'il avait été mordu par un serpent. ‘Mula !' On se donne l’accolade et de grandes tapes dans le dos. Et puis on commence simultanément à se demander l’un à l’autre : 'Mais comment... ?' avant de s’interrompre et d'éclater de rire... Ensemble, on est plus que deux petits gars, plus qu'un adulte même, en termes de chances de survie. On se jure mutuellement qu’on va tout partager et qu’on va rester ensemble et 'tenir le coup'. On conclue le pacte Benek-Mula—le pacte de ceux qui veulent survivre ! »

Samuel Pisar

Des enfants juifs vendent des cigarettes à Varsovie, PologneCollections de Yad Vashem

Durant la Seconde Guerre mondiale, les enfants juifs sont confrontés à une réalité faite de menaces et

de dangers. Les relations d’amitié, telles des « familles de substitution », offrent un refuge et une source

de réconfort. Elles s’expriment à travers des interactions, des secrets, des conversations, des jeux et

parfois même un combat commun pour la survie. Ces liens vécus dans l'esprit de la maxime « un pour

tous, tous pour un » aident les enfants à surmonter les difficultés auxquelles ils doivent faire face.

Pour un grand nombre d'entre eux, les mouvements de jeunesse représentent une source de réconfort

supplémentaire. Dans certains ghettos, ces mouvements continuent à être actifs et offrent aux jeunes

un environnement solidaire et chaleureux, contrastant avec la réalité froide et menaçante qui les entoure.

Lorsque les enfants n'ont personne à qui se confier, ils créent quelquefois aussi des relations tout à fait

uniques avec des animaux.

Les vendeurs de cigarettes de la « Place des Trois croix » à Varsovie sont des enfants juifs qui ont réussi à s'évader du ghetto de la ville. Ces jeunes réfugiés forment de petits groupes et se faisant passer pour des Polonais, vendent des journaux et des cigarettes sur la place et à bord des trains. Ils dorment dans les bâtiments abandonnés et les cimetières. Ils font aussi parvenir clandestinement de la nourriture et des vêtements à leurs proches du ghetto. Ils se joindront par la suite à la révolte armée contre les nazis durant l'insurrection de Varsovie en août 1944.

Ruth (gauche) et Maud, sur le terrain de sports « Maccabi », Prostějov, Moravie, hiver 1940-1941

Album photo miniature en ardoise fabriqué par Katrina Steckelmacher pour sa fille Maud à l'occasion de son anniversaire, ghetto de Theresienstadt.

Collection de l'USHMM (United States Holocaust Memorial Museum), don de Michal Beer (Maud Stecklmacher)

« Nous nous sommes habitués à beaucoup de choses.

Passer la nuit sur le sol d'un hall immense à l'odeur fétide. Les

latrines nauséabondes sans aucune intimité, la faim, le couvre-

feu. Heureusement pour moi, j'ai traversé tout cela aux côtés de

mon amie Ruthy... Ruthy a ensuite été envoyée en Pologne et

elle a disparu. Les convois se succédaient à un rythme tellement

effréné que nous n'avons même pas eu la possibilité de nous

dire au revoir. Je pense souvent à elle, à ce qu'elle aurait dit en

voyant des gratte-ciels ou un avion à réaction... elle n'avait pas

encore 13 ans lorsqu'elle a apparemment été abattue. »

Michal Beer (Maud Stecklmacher)

AMITIé

maUD StECkLmaChEr, NéE EN 1929 à

PRoSTějov, TchécoSLovAquIe

Maud Stecklmacher et Ruth Weiss vivent dans la

ville de Prostějov en Moravie et deviennent de

proches amies durant leur troisième année d'école

primaire. Ensemble, les deux fillettes endurent les

épreuves liées à l'invasion nazie. En juillet 1942,

elles sont déportées avec leurs familles à bord

du même convoi au départ de Prostějov et à

destination du ghetto de Theresienstadt.

Dans le ghetto, les deux jeunes filles sont logées

ensemble et partagent tout. Mais Ruth est

brusquement déportée en Pologne et Maud ne la

reverra jamais plus.

Maud, sa sœur et sa mère survivront à la Shoah.

Maud rejoindra une ferme de formation du

mouvement de jeunesse Gordonia-Maccabi hatzair

et émigrera en Israël en mars 1949 avec sa mère, sa

sœur et un groupe de jeunes du mouvement.

AMITIé

16 17A 17B

F O Y E R

Regina en train de donner à manger aux pigeons sur l'Augustusplatz à Leipzig (Allemagne) avant la guerre

Regina et sa mère chez la famille Boaron, qui les accueille à Benghazi Collections de Yad Vashem, don d'Efraïm Levi, Ramat Efal, Israël

Suite au pogrom de la Nuit de cristal, les parents de la

petite Regina Zimet, alors âgée de six ans, décident de

quitter l'Allemagne pour se rendre en Terre d'Israël. Ils

fuient leur maison de Leipzig et traversent la frontière

italienne en 1939.

L'année suivante, la famille parvient à Benghazi

(Lybie) alors sous contrôle italien. L'Italie étant entrée

en guerre aux côtés de l'Allemagne en juin 1940, ils

sont renvoyés en Italie et internés dans le camp de

détention de Ferramonti. Les familles avec enfants,

dont la famille Zimet, sont ensuite libérées et

autorisées à vivre dans les villages alentour. Regina

et ses proches évoluent alors relativement librement

au milieu des petites communes de la région. Suite à

l'occupation allemande du nord de l'Italie, à l'automne

1943, la famille Zimet est obligée de se cacher et

utilisera à plusieurs reprises des identités d'emprunt.

La région sera libérée en avril 1945. Regina et sa

famille parviendront en Terre d'Israël trois mois

plus tard.

« Un peu plus tard ce soir-là, nous avons quitté notre

appartement. Tandis que le taxi démarrait, nous nous sommes

retournés, les yeux baignés de larmes... j'ai serré contre moi ma petite

poupée... la seule chose que j'avais pu prendre avec moi et j’ai enfoui

ma tête dans les bras de ma mère. à la frontière, un garde a voulu

confisquer ma poupée ! Il m'a dit : 'Donne-moi cette poupée pour ma

fille ! » J'ai crié : 'Prenez tout ce que vous voulez mais laissez-moi

mon dernier souvenir de Leipzig !' Il a souri et m'a répondu qu'il me

laissait la poupée en souvenir de mon pays natal. »

Regina (zimet) Levi

qUITTER SON FOYER

rEGina zimEt, NéE EN 1933 à LEIPzIG, ALLEMAGNE

Cette poupée est le seul objet que Regina emportera en 1939 quand elle fuit, avec sa famille, sa maison de Leipzig pour se rendre en Italie. La fillette réussira à la conserver tout au long du périple familial en Europe et en Afrique du Nord, durant les six années qui suivront.

F O Y E R

« Il ne restait plus qu'une

petite poignée d'enfants...

chacun d'eux était le vestige

d'une génération et rendait

témoignage pour celle-ci. »

Lena Küchler-Silberman

Dans le ghetto de Debrecen en Hongrie, Leah Burnstein fabrique une maison de poupées et deux figurines à l'image de ses parents, en souvenir du foyer dont ils ont été chassés. Leah est envoyée dans le camp de concentration de Strasshof en Autriche. Elle y trouve une couverture de livre avec laquelle elle recouvre sa « maison » de carton.Leah survivra et émigrera en Terre d'Israël, emportant avec elle la « maison de son enfance ».

Collections de Yad Vashem, don de Leah (Burnstein) Carmel, Haïfa, Israël

L'expulsion du foyer, la fuite, la vie dans la clandestinité, autant d’expériences bouleversantes, qui

provoquent un fort sentiment d'insécurité. Pour de nombreux enfants juifs, elles symbolisent le

déclenchement de la guerre. Souvent, les plus jeunes emportent avec eux un objet qui leur apporte du

réconfort et rappelle leur foyer.

La majorité des enfants rescapés survivront dans des « foyers alternatifs » : monastères, familles d'accueil

non-juives, maisons d'enfants ou abris clandestins. Un grand nombre demeurera également sans abri,

contraint d’errer d'un lieu à l'autre.

Après la Libération, des dizaines d'orphelins juifs abandonnés se réunissent dans le bâtiment du Conseil juif de Cracovie en Pologne. Ils n'ont ni foyer ni famille vers lesquels s'en retourner et personne pour s'occuper d'eux. Lena Küchler-Silberman les rassemble et fonde une maison d'enfants. Elle veille sur eux, les aide à se reconstruire et devient pour eux comme une « mère ».

F O Y E R

Betty Waterman naît en 1940 de l'union de Konrad et

Simone Rivka Waterman. À deux ans, elle est envoyée

dans une maison d'enfants chrétienne à Utrecht,

enveloppée dans une couverture, sa poupée et un chiot

en peluche dans les bras, avec un papier indiquant son

nom. Un informateur ayant averti les autorités qu'il s'agit

d'une enfant juive, Betty est transférée dans le secret

au domicile de la famille Tinholt qui fait partie de la

résistance hollandaise. Elle y restera cachée jusqu'à la

fin de la guerre. La petite Betty a les cheveux bruns dans

une région où la majorité de la population locale a les

cheveux clairs ; cette particularité attire l'atte ntion des

soldats nazis stationnés aux alentours. Craignant de

mettre l'enfant en danger, sa mère adoptive la garde à

l'intérieur et la petite passe des heures debout à la fenêtre,

son chiot sous le bras.

À la fin de la guerre, les parents de Betty, qui ont survécu

dans la clandestinité, localisent les Tinholt avec l'aide de

la Croix-Rouge et viennent récupérer leur fille.

« Pour moi, ce petit chien représentait mes parents qui n'étaient

pas avec moi... Du moment de la séparation avec mes parents, je n'ai

aucun souvenir. C'était en novembre 1942. J'ai pris la poupée que

j'avais toujours avec moi et le petit chiot en peluche... Je me souviens

que je les serrais tous les deux très fort contre moi. Ils me procuraient

un sentiment de sécurité. Je parlais avec le chiot : 'Nous allons

dormir' ; 'Nous ne devons pas faire de bruit’. C'était comme si

je me parlais à moi-même. Je le réconfortais en disant : 'Tu n'as pas

de raison d’avoir peur, je suis là avec toi.' Après la guerre, en juin 1945,

je suis retournée chez mes parents et le chiot est rentré avec moi.»

Betty (Waterman) Ilsar

DANS LA CLANDESTINITébEtty WatErman, NéE EN 1940 à AMSTERDAM, PAYS-BAS

Betty Waterman (date inconnue)

Le chiot en peluche qui accompagna Betty dans la clandestinité Collections de Yad Vashem, don de Ronit Ilsar, Afoula, Israël

18 19A 19B

J E U« Pouvaient-elles imaginer, qu'ayant perdu

mon ours en peluche un jour où nous avions dû

fuir, je m’étais mise à jouer avec des épingles à

cheveux ? N'importe quelle épingle, un simple

morceau de métal recourbé, se transformait en

poupée. Les boîtes d'allumettes devenaient des

lits... à chaque fois qu'il y avait des bougies, je

mâchais la cire jusqu'à ce qu'elle ramollisse et la

modelais pour en faire des ustensiles de cuisine,

des petites tasses, des assiettes... Mes doigts,

sur lesquels je dessinais parfois un visage,

devenaient mes poupées et cela me suffisait. »

Ruth (Yurgrau) Lavie

La bobine de fil qui servit de jouet à Daniel Ehrenkrantz alors qu'il se cachait en France avec sa sœur Lisette et leur gouvernante. Daniel l'emportera avec lui dans leurs cachettes successives, tout au long de la guerre.Collections de Yad Vashem, don de Lisette Ehrenkrantz Galel, Ramat Hasharon, Israël

Jeu et Shoah pourraient sembler incompatibles.

En temps normal, le jeu est le reflet de l'imagination, de la créativité des enfants, qui leur permet de bâtir un

monde et d’en fixer les règles. Durant la Shoah, le jeu apportera non seulement du réconfort aux plus jeunes ;

il leur procurera aussi un moyen de survie sur le plan émotionnel – telle une bouée de sauvetage.

J E U

« Chacun de nous avait dans son armée des héros et des généraux. Celui qui lisait un livre le premier pouvait inviter le héros du livre dans son armée. évidemment, mon armée avait les héros les plus remarquables. Un jour, lorsque Mère nous raconta l'histoire de Robin des Bois, mon frère se leva d'un bond et invita Robin des Bois à être dans son armée avant moi. à partir de ce jour-là, son armée avait un général Robin des Bois ; et je ne pouvais rien y faire, à mon grand désarroi. Dans la cave de Mieleszka, je nous construisis un palais où nous vivions avec nos épouses. J'étais

Tarzan chef de l'univers et mon frère était Richard Grenadier. »

Uri Orlev (Henryk "Yurek" Orlowski)

JEUx ET JOUETS

hEnryk "yUrEk" orLoWSki, Né EN 1931 à VARSOVIE, POLOGNE

kazimiErz "kazEk" orLoWSki, Né EN 1933 à VARSOVIE, POLOGNE

henryk « Yurek » Orlowski et son jeune frère Kaimierz

« Kazek » vivent à Varsovie avec leurs parents

Zofia et Maximilian. Lorsque la guerre commence,

Maximilian est enrôlé dans l'armée polonaise. Zofia

et les enfants sont contraints de s'installer dans le

ghetto de Varsovie, où Zofia est assassinée. Stefania

Rosenzweig, la tante des garçons, décide alors de

les prendre sous son aile. Elle les fait entrer dans la

clandestinité et obtient par la suite des « certificats »

(visas) les autorisant à émigrer en Terre d'Israël

(Palestine mandataire). Ces documents leur

procurent un statut potentiellement utile pour les

nazis et leurs conditions de vie dans leur section

du camp de concentration de Bergen-Belsen s'en

trouveront quelque peu améliorées. Tous trois

survivront.

Yurek Orlowski et son frère Kazek, à leur arrivée en Terre d'Israël

Yurek et Kazek Orlowski se retrouvent souvent seuls et font passer le temps en jouant avec de petits soldats qu'ils fabriquent à l'aide de bouts de papier, de bois et de tout ce qu'ils trouvent à portée de main. Les soldats « se battent » dans des forteresses construites par les garçons avec tous les matériaux qu'ils parviennent à dénicher. Durant leur internement à Bergen-Belsen, ils réussissent à se procurer des petits soldats auprès d'un autre enfant. Après la Libération, ils sont transférés dans la ville allemande de Hillersleben où d'autres figurines, retrouvées dans des maisons allemandes abandonnées, viennent s'ajouter à leur collection.

Collections de Yad Vashem, don d'Uri Orlev, Jérusalem, Israël.

Nelly et sa mère Rozia, Teplice, Tchécoslovaquie, 1946Avec l'aimable autorisation de Nelly Toll

Nelly Toll, extrait de la série L'histoire : « Un heureux incident », 1943 :mère et fille, Gouache et crayon sur papierPrès du piano, Gouache et crayon sur papierCollections de Yad Vashem, avec l'aimable autorisation de Nelly Toll

« 'Un heureux incident' est un récit fantastique, l'histoire

d'une enfant, d'une 'Cendrillon' avec une méchante belle-mère.

Un beau jour, la petite fille s'enfuit et trouve sur sa route un

palais où vit une magnifique princesse. La princesse invite

l'enfant à demeurer chez elle, et, à dater de cet 'heureux

incident', la petite fille ne connaîtra plus que le bonheur. Le

décor, les meubles, le piano, le banc, les portes et la chambre

bleue ont tous été dessinés à partir des souvenirs de notre

appartement de Lviv et de la vie d'avant-guerre. La robe bleue,

inspirée du souvenir d'une de mes robes, est également 'réelle'. »

Nelly (Mieses) Toll

CONTES ET DESSINS

nELLy miESES, NéE EN 1935 à LWóW, POLOGNE

(VILLE DE LVIV DANS L'UKRAINE ACTUELLE)

J E U

Pendant ses longues heures passées dans la

clandestinité, Nelly Mieses entreprend d'illustrer les

histoires que sa mère Rozia lui raconte. Ses peintures

mêlent des personnages tirés des récits maternels

aux souvenirs encore distincts de sa vie

d'avant-guerre. Ces aquarelles, avec leur palette

enjouée, donnent naissance à un monde enchanté

idéal, dans lequel les enfants jouent en toute liberté.

Bien loin de l'univers dont Nelly est prisonnière, qui se

résume à une seule et unique pièce, avec l'interdiction

de faire le moindre bruit pour ne pas se faire repérer.

Nelly et Rozia survivront et découvriront après la

Libération de Lwów qu'elles sont les seules rescapées

de leur famille.

8 9A 9B

Daniel Chanoch (gauche) et son frère Uri lors de leurs retrouvailles après la guerre, Bologne, Italie, 1945

Pantalons de prisonniers. Le pantalon de prisonnier avait une grande importance dans les camps : celui qui le portait était un travailleur et avait par conséquent le droit de vivre.Collections de Yad Vashem, don de Daniel Chanoch, Karmei Yosef, Israël

« Un officier allemand... m'a arrangé un travail dans la

cuisine des Allemands... j'étais un petit gars de belle taille et

à l'allure visiblement sympathique... Je lui rappelais peut-être

son fils, il m'a donc emmené travailler dans la cuisine des

SS... je cirais [aussi] ses chaussures, je nettoyais sa chambre,

et il m'a offert la chose la plus précieuse de toutes, quelque

chose que les autres enfants n'avaient pas, un uniforme de

prisonnier. Imaginez quel 'exploit'. On m'octroyait un uniforme

rayé. C'était une sorte de reconnaissance symbolique

signifiant : vous avez été désigné pour travailler. »

TRAVAUx FORCéS

DaniEL ChanoCh, Né EN 1933 à KOVNO, LITUANIE

Lorsque le ghetto de Kovno est liquidé en juillet

1944, les hommes sont envoyés dans le camp de

travaux forcés de Kaufering à Landsberg. Daniel

Chanoch y travaille dans le bureau du commandant

et à la cuisine. Il est ensuite transféré au camp

d'extermination d'Auschwitz-Birkenau et affecté au

transport des charrettes utilisées pour charger les

effets personnels des victimes. En janvier 1945, il

prend part à une marche de la mort à destination du

camp de concentration de Mauthausen. Transféré

par la suite dans celui de Gunskirchen en Allemagne,

il sera finalement libéré en mai 1945.

TRAVAIL DESENFANTS

TRAVAIL DESENFANTS

« Il n'y a pas d'enfants dans le

ghetto—il n'y a que des petits Juifs…

les enfants du ghetto sont obligés

de travailler. à défaut de travail, ils

courent le risque d'être arrachés à

leurs parents et envoyés vers une

destination inconnue. »

Josef zelkowicz

Des enfants transportent une barrique d'eaux usées, ghetto de Łodz, PologneCollections de Yad Vashem

Certificat de travail au nom de Nelkenbaum Muniek, dix ans, apprenti dans une usine métallurgique, ghetto de Łodz, Pologne Collections de Yad Vashem

Durant la Shoah, certains enfants juifs sont également affectés aux travaux forcés, parfois même aux côtés

des adultes. Ils travaillent dans les ghettos, les camps et ailleurs. Les enfants assimilent vite l'idée que le

travail, qui les rend utiles aux yeux des nazis, est un gage de survie. Gardant cela en tête, ils consentent à

tous les travaux dont ils sont chargés, même les plus éreintants.

Dans le ghetto de Łodz, les enfants commencent à travailler dès l'âge de dix ans, parfois même plus tôt. Ils sont astreints à des travaux dans la quasi-totalité des ateliers du ghetto ; certains acceptent même des emplois d'adultes afin d’obtenir un « ticket pour la survie ». Il leur faut prouver qu'ils sont utiles pour rester en vie. La plupart des enfants du ghetto de Łodz seront pourtant assassinés.

Stefan Cohn (gauche) avec deux autres travailleurs forcés dans le cimetière juif de Weissensee, Berlin, 1942Avec l'aimable autorisation de Werner Jacobsohn, New York, Etats-Unis

« Je suis vite devenu un travailleur

comme les autres—avec de grands

sabots de bois, une houe, une pelle à

poussière et un rendement minimum

régulier...»

Thomas Geve (Stefan Cohn)

TRAVAUx FORCéS

StEfan Cohn, Né EN 1929 à zUELLCHOW , ALLEMAGNE

La famille Cohn déménage à Berlin en 1939. Après

la fermeture des écoles juives, Stefan est obligé

de travailler dans le cimetière juif. En juin 1943, il

est déporté au camp d'extermination d'Auschwitz-

Birkenau avec sa mère Bertha, qui y sera assassinée.

Stefan est affecté à l'usine de maçonnerie. En janvier

1945, il est évacué dans le cadre d’une marche de

la mort vers l'Allemagne. Libéré par les troupes

américaines en avril 1945, il réalise 79 dessins

représentant la vie dans les camps.

TRAVAIL DESENFANTS

Celle qui sauva la vie de centaines d'enfants (l'école de maçonnerie), crayon, crayon de couleur et aquarelle sur papierLa routine quotidienne, crayon, crayon de couleur et aquarelle sur papierCollections de Yad Vashem, don de l'artiste

10 11A 11B

Le drapeau qui était déployé chaque soir durant « l'appel » à la maison d'enfants de Wezembeek en BelgiqueCollections de Yad Vashem, don de Marie Blum-Albert, Bruxelles, Belgique

MAISONS D'ENFANTS

EDUCATION

Avant la Seconde Guerre mondiale, des maisons

d'enfants offrent éducation et environnement

chaleureux aux orphelins et à ceux que leurs

parents ne peuvent prendre en charge. Durant la

Shoah, ces maisons ouvrent leurs portes à de

nombreux enfants livrés à eux-mêmes depuis que

leurs parents ont été affectés aux travaux forcés

ou déportés dans des camps. Il en existe alors

de nombreuses à travers l'Europe. Dans le seul

ghetto de Varsovie, 30 000 des 100 000 enfants

vivent dans des maisons de ce type. Le personnel

est complètement dévoué aux jeunes résidents

et s'efforce de rendre leur vie aussi normale que

possible. Malgré les efforts déployés pour tenter

de les sauver, de nombreuses maisons d'enfants

seront purgées et les enfants déportés dans des

camps d'extermination en compagnie de leurs

enseignants et de leurs accompagnateurs.

Cher Papa :

Je m'amuse bien avec mes camarades… Es-tu en bonne santé ?

Mois (sic), je me porte bien. En classe, je suis le troisième sur huit,

j'ai eu 64 points edemie (sic). On fait des compositions d’écriture,

de calcul, de science, de grammaire, de histoire de France (sic), de

géographie, de leçon de choses. Je dors bien, je mange bien. On

fait des promenades les jeudi et les dimanche (sic) quand il fait

beau. On m'a rasé la tête. Je termine ma lettre en t’envoient (sic)

1000.000.000.000.000.000.000.000.000.000.000.000…

Ton fils qui pense beaucoup à toi et à papa, mille beser (sic) pour

maman et pour papa !

Lettre écrite à son père par Georgie Halpern, l'un des résidents de la maison d'enfants d'Izieu

Vendredi le 11 mars 1944

Des enfants font une ronde à la maison d'enfants de Wezembeek en Belgique Collections de Yad Vashem

Lettre écrite à son père par Georgie Halpern à la maison d'enfants d'Izieu, France, mars 1944Tous les enfants d'Izieu seront déportés dans le camp d'extermination d'Auschwitz-Birkenau.Avec l'aimable autorisation de Serge Klarsfeld, France

EDUCATION« Mon seul réconfort durant cette longue et sombre période fut la lecture... Jadwiga [la fille de ses hôtes], qui allait à l'école, empruntait chaque jour un nouveau livre à la bibliothèque pour moi... Sans cette lecture incessante, je serai sans doute devenu complètement demeuré ou pire encore. Je lisais constamment. Je dévorais chaque jour un nouveau livre. qu'aurais-je bien pu faire d'autre dans ce grenier moisi ? Cette lecture incessante me tint lieu d'école primaire, de secondaire et d'université. »

Jakov Goldstein

Deux années durant, Jakov Goldstein est cantonné à l'espace exigu du grenier de la famille qui le cache.

Des enfants étudient dans une école clandestine, ghetto de Kovno, LituanieCollections de Yad Vashem

Pendant la Shoah, malgré les conditions de vie difficiles et les graves restrictions qui entravent l'éducation,

les organismes juifs s'efforcent de fournir des solutions aux enfants de leurs communautés.

La mise en place de cadres éducatifs et sociaux alternatifs - bibliothèques, théâtres pour enfants, salles

de classe et ateliers d'art - va permettre un enseignement structuré et la transmission des traditions juives

et valeurs morales. Ces structures jouent un rôle capital dans l’existence des enfants et leur procurent un

sentiment de stabilité.

Ceux qui vivent dans la clandestinité ne peuvent bénéficier de ces alternatives. Ils s'instruisent grâce aux

livres dont ils disposent, ou auprès des adultes de leurs caches.

Un grand nombre d'entre eux néanmoins, trop occupés à se battre pour assurer leur survie, n'auront pas le

loisir d'étudier durant la Shoah.

Dans le ghetto de Kovno, les dirigeants juifs prennent les dispositions nécessaires pour permettre aux enfants de poursuivre leur scolarité et leurs études religieuses, malgré les nombreux défis et restrictions. Les cours se déroulent par petits groupes dans des écoles clandestines ou au domicile des enseignants. Les enfants sont ravis d'aller étudier et de conserver une certaine forme de routine.

Gyurkah Klein et sa mère, Budapest, avril 1944

« Histoire de l'humanité »Collections de Yad Vashem, don de Moshe Eitam, Haïfa, Israël

EDUCATIONL'AUTO-APPRENTISSAGE

GyUrkah kLEin, Né EN 1932 à BUDAPEST, HONGRIE

Lorsqu'il quitte son domicile à l'âge de 12 ans pour

rejoindre un foyer pour enfants dans l'une des

maisons étoilées de Budapest (bâtiments alloués

aux Juifs par les autorités hongroises), Gyurkah

Klein emporte avec lui un ouvrage intitulé histoire

de l'humanité. Il sera ensuite transféré dans un

refuge pour enfants géré par le mouvement des

Jewish Youth Pioneers sous les auspices de la

Croix-Rouge.

Les représentants du mouvement fasciste hongrois

des Croix fléchées font un jour brusquement

irruption au refuge et déportent tous les résidents

dans le ghetto.

Gyurkah conservera précieusement son livre, même

le jour où il s'évadera seul du ghetto. Il retrouvera

ensuite sa mère et tous deux vivront ensemble dans

la clandestinité jusqu'à la Libération.

« 'Histoire de l'humanité', l'un de mes livres d'enfant, m'en a

appris davantage que n'importe lequel de mes professeurs. »

Moshe Eitam (Gyurkah Klein)

12 13A 13B

« J'attendais impatiemment le jour où j'allais célébrer ma bar mitsva... et le jour tant attendu a fini par arriver... Ma synagogue était le tunnel que j'avais moi-même percé. J'ai creusé de mes propres mains un cercle dans la terre et j’ai planté une multitude de brindilles dans le cercle. Après avoir terminé, j'ai relevé la tête et regardé tout autour... toutes les brindilles me parlaient, comme des pierres tombales vivantes. Comme si elles festoyaient toutes autour de moi. J'ai continué à regarder toutes ces petites pierres tombales, cette foule qui avait été là jadis mais qui n'était plus et dont seul le souvenir subsistait. »

Eliyahu (Rozdzial) Raziel

Tefillin (phylactères) ayant appartenu à Vittorio (Victor) ReginianoCollections de Yad Vashem, don de Victor et Shulamit Reginiano, Rishon Lezion, Israël

La Bar Mitsva, célébrée par les garçons juifs lors de leur treizième anniversaire, marque le passage de l'enfance à

l'âge adulte. Lorsqu'il atteint treize ans, le jeune garçon devient responsable de ses actes et a le devoir d'observer

toutes les mitzvot (commandements prescrits par la loi juive). Cette étape est considérée comme l'un des

événements les plus importants de la vie de l'enfant, de sa famille et de sa communauté. Elle est généralement

marquée par une cérémonie spéciale qui se déroule dans une synagogue ou un lieu doté d’une signification juive.

Sous le régime nazi, les jeunes Juifs sont peu nombreux à pouvoir célébrer leur Bar Mitsva comme il convient ou

même de façon incomplète. La cérémonie prend un sens nouveau durant la Shoah, à l'instar de toutes les autres

célébrations marquant les grands évènements de la vie.

L'organisation de cette cérémonie et la célébration des anniversaires de manière générale sont l’occasion de

proclamer un message d'amour et d'amitié, d'attachement aux valeurs du passé et de dire son espoir de voir

advenir des jours meilleurs pour des enfants privés du droit même d'exister. Les anniversaires servent de points

d'ancrage dans un monde en plein effondrement dans lequel les repères habituels de temps et de lieu ont disparu.

En 1940, la famille Reginiano est déportée de Tripoli (Libye) au camp d'internement de Villa Olivato en Italie. Là, un shohet (abatteur rituel) donne au jeune Vittorio alors âgé de treize ans une paire de tefillin (phylactères) et un livre de prière pour marquer sa Bar Mitsva. Vittorio conservera les tefillin la guerre durant.

RITES DEPASSAGE

Meir Muhlbaum à l'école à Amsterdam (Pays-Bas), après 1937

Tefillin (phylactères) et pochette ayant appartenu à un déporté inconnu, offerts au jeune Meir Muhlbaum pour sa Bar Mitsva dans le camp de transit de Westerbork Collections de Yad Vashem, don de Meir Muhlbaum, Herzliya, Israël

« Puis [à Westerbork], est arrivé le jour où mon deuxième

frère, Meir, a atteint à l'âge de la Bar Mitsva. Père s'est

assuré que quelqu'un se charge de lui enseigner tout ce

qu'un garçon doit savoir pour sa Bar Mitsva : comment être

'appelé à la Torah', prononcer les bénédictions et même

un petit peu de lecture à partir des rouleaux de la Torah.

J’ai même réussi à 'arranger' un cadeau pour mon frère.

Une femme... avait oublié son livre de prière. J'ai écrit une

dédicace pour mon frère à l'intérieur et je le lui ai offert pour

sa Bar Mitsva. Mon frère a été appelé à la Torah... les gens

ont mangé du [pain] gâteau et bu à sa santé. »

Bilha Muhlbaum

BAR MITSVA

mEir mUhLbaUm, Né EN 1930 à BERLIN, ALLEMAGNE

Shlomo et Mina Muhlbaum ont quatre enfants, dont

Meir et Bilha. En 1935, la famille fuit Berlin pour

Amsterdam. En 1941, Shlomo est déporté au camp

de transit de Westerbork, suivi deux ans plus tard

par le reste de la famille. Tous sont ensuite envoyés

dans le camp de concentration de Bergen-Belsen.

En 1944, dans le cadre d'un programme, unique en

son genre, d'échange de prisonniers juifs contre

des Templiers allemands résidant en Terre d'Israël

(Palestine mandataire), la famille arrive en Terre

d'Israël via la Turquie et s'établit à Tel-Aviv.

RITES DEPASSAGE

Jadzia Beitner, avant la guerre

« Je me souviens de mon onzième anniversaire dans le

camp... un seau de charbon rempli à ras bord avait été posé à

côté de la chaudière, c’était un cadeau d'une valeur inestimable.

Il y avait une carte de vœux en forme de fer à cheval, un livre d'or...

découpé dans les restes d'un tablier de travail noir et un autre

livre d'or... qui s'ouvrait pour former une fleur brodée. Ce jour-là,

le personnel de la cuisine m’a préparé un cadeau d’anniversaire

tout à fait exceptionnel... un plateau avec un bol de soupe et une

assiette de vraies betteraves et de vraies pommes de terre. »

Yochit Mendelson (Jadzia Beitner)

ANNIVERSAIRES

JaDzia bEitnEr, NéE EN 1933 à KATOWICE, POLOGNE

Après l'invasion de la Pologne, les Allemands déportent herman et Bila Beitner, et leurs enfants Anny, Nathan, Zusia et Jadzia, dans la ville de Sosnowiec. herman, Nathan et Anny s’enfuient peu de temps après. Bila et ses deux plus jeunes filles Zusia (10 ans) et Jadzia (6 ans) demeurent dans la ville.En janvier 1942, après la mort d'herman et de Nathan, Anny parvient à regagner Sosnowiec, où elle retrouve sa mère et ses sœurs. Un mois plus tard, elle est envoyée dans le camp de travaux forcés d'Oberaltstadt dans la région des Sudètes. Zusia l'y rejoint quelques mois plus tard. Au printemps 1943, Bila et Jadzia sont internées dans le ghetto de Scherodola. Lors de sa liquidation en 1943, elles sont à leur tour envoyées à Oberaltstadt, où Jadzia, plus jeune prisonnière du camp, est affectée à des travaux de ménage. Le 4 mars 1944, les prisonniers célèbrent le onzième anniversaire de la fillette. Bila Beitner et ses filles seront libérées d'Oberaltstadt en mai 1945.

RITES DEPASSAGE

Les deux livres d'or offerts à Jadzia pour son onzième anniversaire dans le camp de travaux forcés d'Oberaltstadt, 1944Collections de Yad Vashem  

15B14 15A

Pendant la Shoah, les communautés juives subissent de violents bouleversements et traversent de graves crises sociales et familiales. Les enfants plongés dans cette réalité se retrouvent privés de leur routine et de leur insouciance. Dans les ghettos, les épreuves se multiplient encore : là, ils sont confrontés à la surpopulation, la faim, les maladies infectieuses, la peur et la violence. Contraints de s’adapter dans l’urgence à ces conditions de vie extrêmement difficiles, nombre d'entre eux deviennent alors des « adultes dans des corps d'enfants ». D’autres seront séparés de leurs familles et contraints de survivre sans leurs parents cachés ou déportés dans des camps de concentration. Pour eux, le combat est plus rude encore. Leur enfance est détruite. Pour autant, malgré les conditions de vie effroyables et les situations terribles auxquelles ils doivent faire face, les enfants continuent à dessiner, écrire des histoires et inventer des jeux qui expriment leurs rêves, leurs peurs et leurs espoirs. Tout au long de cette exposition, une sélection de dessins, poèmes, lettres et jouets offre un aperçu émouvant de la vie des enfants juifs durant la Shoah. Un vent d'optimisme, de créativité et d'imagination qui démontre la capacité tout à fait unique des plus jeunes à s'accrocher à la vie. En dépit de tout, même du pire et de l’impensable.

Rosa Wurman-Wolf, maison d'enfants de Wezembeek, Belgique, durant la guerreRosa n'a que deux ans lorsque ses parents sont déportés dans le camp d'extermination d'Auschwitz-Birkenau. Elle survivra à la Shoah.Collections de Yad Vashem

DES ETOILES SANS FIRMAMENTLES ENFANTS DANS LA TOURMENTE DE LA ShOAh

Une enfant dans le ghetto, ghetto de Kovno, 1941-1944Jacob Lipschitz (1903-1945)

Collections de Yad Vashem

DES ETOILES SANS FIRMAMENT

Les enfants dans la tourmente de la Shoah

Le terme de Shoah désigne le génocide total, systématique et sans précédent perpétré par l’Allemagne nazie et ses complices dans le but d’exterminer le peuple juif et d'anéantir à jamais sa culture et ses traditions. Son principal moteur : l'idéologie raciste nazie. Entre 1933 et 1941, l’Allemagne nazie mène une politique de persécution qui consiste à dépouiller les Juifs de leurs droits et de leurs biens, puis à stigmatiser et concentrer les populations juives sous son contrôle dans des zones définies par avance. Fin 1941, cette politique s'est muée en un plan d’action exhaustif et systématique que les nazis nomment « Solution finale de la question juive en Europe ». Ces mesures bénéficient d’un large soutien en Allemagne et dans la majeure partie de l'Europe.

L’Allemagne nazie voue alors à l’extermination les Juifs d’Europe, et dans leur sillage, ceux du monde entier. Près de deux millions de Juifs sont tués par balles tandis que des millions d’autres, originaires de toute l’Europe, sont raflés et déportés à bord de wagons à bestiaux vers des camps d’extermination – complexes industriels de mise à mort où ils sont assassinés dans des chambres à gaz.

Lorsque la guerre prend fin en 1945, près de six millions de Juifs ont été assassinés. Parmi eux, approximativement un million et demi d'enfants.

Seul un faible pourcentage d'enfants juifs survivront à la Shoah.

LA ShOAh

Yad Vashem a été établi en 1953 pour être le centre mondial de commémoration, de documentation, d'étude et d'enseignement de la Shoah. Mémorial vivant du peuple juif en souvenir de la Shoah, Yad Vashem œuvre à préserver la mémoire du passé et à lui donner un sens pour les générations à venir.

Cette exposition est une adaptation de l'exposition « Les enfants dans la tourmente de la Shoah : Des étoiles sans firmament » réalisée sous la direction de Yehudit Inbar et présentée à Yad Vashem.

Elle a été produite par le Département des expositions itinérantes de la Division des musées de Yad Vashem.

Conception graphique : Division informatique, Yad Vashem

Cette exposition a été généreusement financée par : Victor David et Ruth Grubner. The Jay and Barbara hennick Family Foundation

Des enfants font la queue pour recevoir de la nourriture, ghetto de Lodz, Pologne Musée juif de Francfort, photo : Walter Genewein

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DES ETOILES SANS FIRMAMENT

Les enfants dans la tourmente de la Shoah