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DEMOCRATIE, CLASSES PREPARATOIRES ET GRANDES ECOLES Ce Colloque a été organisé par l'Union des Professeurs de Spéciales avec la participation de la Conférence des Grandes Ecoles (C.G.E.) et les Associations de Professeurs de Classes Préparatoires aux Grandes Ecoles (A.P.H.E.C., A.P.P.L.S., U.P.A., U.P.L.S., U.P.S.T.I.). Il a bénéficié du soutien des Ecoles Normales Supérieures, de l'Ecole Nationale Supérieure de la Statistique et de l'Administration Economique (E.N.S.A.E.), et enfin de la Direction de la Prospective et du Développement du Ministère de l'Education Nationale. Comité Scientifique Christian BAUDELOT, Bruno BELHOSTE, Bernard LAHIRE, Jean LAMOURE, Catherine PARADEISE, Fabienne ROSENWALD, Claude THELOT, Alain TROGNON Organisation Gérard DEBEAUMARCHE - 20 rue Thiers – 51100 – Reims 03 26 47 07 11 ou 06 81 27 68 99 - [email protected] François LOUVEAUX - 61 Boulevard Bessières – 75017 - Paris 01 44 85 99 30 ou 06 81 23 77 14 - [email protected]

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DEMOCRATIE,

CLASSES PREPARATOIRES

ET GRANDES ECOLES

Ce Colloque a été organisé par l'Union des Professeurs de Spéciales avec la participation

de la Conférence des Grandes Ecoles (C.G.E.) et les Associations de Professeurs de Classes

Préparatoires aux Grandes Ecoles (A.P.H.E.C., A.P.P.L.S., U.P.A., U.P.L.S., U.P.S.T.I.).

Il a bénéficié du soutien des Ecoles Normales Supérieures, de l'Ecole Nationale Supérieure

de la Statistique et de l'Administration Economique (E.N.S.A.E.), et enfin de la Direction de

la Prospective et du Développement du Ministère de l'Education Nationale.

Comité ScientifiqueChristian BAUDELOT, Bruno BELHOSTE, Bernard LAHIRE, Jean LAMOURE,

Catherine PARADEISE, Fabienne ROSENWALD, Claude THELOT, Alain TROGNON

OrganisationGérard DEBEAUMARCHE - 20 rue Thiers – 51100 – Reims03 26 47 07 11 ou 06 81 27 68 99 - [email protected]

François LOUVEAUX - 61 Boulevard Bessières – 75017 - Paris01 44 85 99 30 ou 06 81 23 77 14 - [email protected]

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Introduction

Le colloque Démocratie, classes préparatoires et grandes écoles s'est tenu les 16 et 17 mai 03à l'Ecole Normale Supérieure. Réalisé à l'initiative de l'Union des Professeurs de Spécialesavec la participation de la Conférence des Grandes Ecoles, soutenu par les autres associationsde professeurs des classes préparatoires, par les Ecoles Normales Supérieures et la Directionde la Programmation et du Développement du Ministère, ce colloque, placé sous le hautpatronage de Luc Ferry, Ministre de l'Education Nationale, a été introduit par Xavier Darcos,Ministre délégué à l'enseignement scolaire. Plus de trois cents personnes ont suivi les débatset la liste des participants montre que la plupart de ceux qui ont affaire aux classes préparatoiresétaient présents : représentants du Ministère, Inspecteurs généraux, directeurs et responsablesd'Ecoles, responsables de l'orientation, professeurs des CPGE - toutes disciplines et filièresreprésentées, proviseurs, professeurs d'Université et chercheurs, anciens étudiants, journalistesspécialisés…

L'idée de ce colloque est née de la volonté de savoir comment la multiplication des classes,l'évolution et la diversification des filières, des débouchés, des étudiants ont modifié la réalitédes classes préparatoires. L'image qui est encore parfois donnée de celles-ci ne correspond plusà la réalité que vit chacun d'entre nous.

Les objectifs de ce colloque étaient alors doubles. D'abord réunir une documentation solide - àla fois des chiffres croisés, des statistiques, des expériences, des interprétations - qui puisseservir de base à une analyse lucide d'un système de formation qui mérite davantage que desraccourcis souvent trompeurs. Ensuite lancer une réflexion que d'autres pourront poursuivre.Ainsi, il s'agissait d'imaginer des moyens et d'évoquer des pistes permettant de réaffirmerles liens entre démocratie, classes préparatoires et Grandes Ecoles.

Pour une majorité d'entre nous, l'ouverture de nos classes à de nouveaux publics, socialementplus divers, est à la fois une condition de bonne santé de notre système et une façon pour luid'être fidèle à un héritage précieux, celui de l'élitisme républicain qui ne se décrète pas, maisse construit volontairement en tenant compte souplement des évolutions de la société. C'estainsi que Christian Baudelot a parlé "du casse-tête de l'élitisme républicain, entre mérite ethéritage". Ce colloque n'avait évidemment pas pour objectif d'imposer une vision ou de fixerdes évolutions, mais l'ambition d'être un lieu d'échanges, une incitation à poursuivre.

C'est dans cet esprit qu'ont été réunies les pages qui suivent. On retrouvera sur le site de l'INTces Actes, ainsi que de riches annexes qui n'ont pu être publiées ici. Qu'il nous soit permis deremercier la Conférence des Grandes Ecoles pour son soutien tout au long du colloque et desa préparation. Nos remerciements vont aussi à l'E.N.S., son directeur, Gabriel Ruget,sa secrétaire générale, Marylène Meston de Ren, les différents services de l'Ecole, en particulierJuliette Roussel qui a assuré la délicate transcription des Tables rondes. Grâce à eux, la prépa-ration, le déroulement, puis la rédaction du compte-rendu de ce colloque ont pu être menésdans les meilleures conditions.

Gérard Debeaumarché et François Louveaux

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Résumé du Colloque

Vendredi 16 Mai 2003

Les interventions de la première matinée voulaient établir un état des lieux de l'objet originalque constituent les classes préparatoires et les grandes écoles. Les tables rondes de l'après midiétaient consacrées à une analyse des pratiques, à des comptes rendus d'expériences originales,mais elles voulaient aussi permettre d'imaginer très librement des solutions pragmatiques pourune plus grande ouverture.

Le Doyen de l'I.G.E.N., Dominique Borne, s'est interrogé en ouverture sur l'impossibilité dedéfinir le système à partir des mots qui le désignent. L'analyse historique de Bruno Belhoste,Histoire et place des CPGE et GE dans le système éducatif a rappelé à tous l'originalité dusystème C.P.G.E./G.E. Tissé d'héritages multiples, ce système est né avec les concours, il s'estplacé délibérément en face d'une Université qui semblait ne pas se préoccuper vraiment deformer des "cadres performants" pour répondre aux besoins nés des progrès de l'Etat, destechniques, du développement de l'économie. On peut voir là une grande continuité historiqueet un défi : l'heure n'est certes plus à opposer Université, CPGE et GE, surtout dans un contextede coopération-compétition internationale pour la formation et la recherche, mais à inventerde nouveaux liens, des synergies fondées sur une claire identification et reconnaissanceréciproques. Le très riche travail mené par Christian Baudelot et les statisticiens de la DPD,Evolutions historique, géographique et sociologique des différentes classes préparatoiresdepuis 25 ans, a posé clairement les termes des débats à venir. En ouverture, ils notent que"la situation ne s'aggrave pas" : le triplement des effectifs des CPGE depuis les années 1960,l'ouverture de nouvelles classes, la réorganisation des filières et concours ont, pour l'essentiel,accompagné la croissance spectaculaire des effectifs d'élèves et d'étudiants. Seuls 5% desélèves de sixième seront concernés par les classes préparatoires. Le système CPGE ne touchedonc qu'un faible pourcentage des élèves, et, à l'image du public des classes terminales S,il est socialement différentié. La composition des CPGE ne reflète pas la moyenne française :il y a concentration des enfants issus des milieux sociaux supérieurs et des enfants d'ensei-gnants, sous-représentation des autres catégories et d'abord des milieux populaires et inter-médiaires. Ce constat est clair - même si la consultation des chiffres incitera à le nuancer,voire à le contester sans doute sur certains points. En revanche les résultats globaux masquentde réelles diversités : des disparités géographiques - entre un fils d'ouvrier et un fils de cadresupérieur, la propension à entrer en CPGE varie de 1 à 5 à Paris, de 1 à 2 seulement enProvince ; des nuances selon les filières - les classes littéraires - AL et BL - sont socialementplus ouvertes, plus provinciales, plus féminines et nettement liées au monde enseignant. Resteque ce constat, sous bénéfice d'inventaire et de recherches nouvelles, ne peut être éludé. Il esttrès loin pourtant de clore tout débat sur "Démocratie, classes préparatoires et grandes écoles".L'étude des trajectoires individuelles des étudiants montre en effet que l'entrée en CPGE estaujourd'hui le résultat d'une " distillation fractionnée" qui se fait au long du parcours scolaire.Citant une étude de l'IREDU, Alain Cadix, Président de la Conférence des Grandes Ecoles,en souligne les prémisses dès le primaire et insiste sur l'étape essentielle du collège. Il seraalors intéressant de comparer la composition sociale des étudiants des CPGE avec celles desformations universitaires à bac plus 5. Cette sélection par le mérite scolaire en CPGE serévèle socialement inégalitaire, ce qui renvoie, bien en amont des CPGE, au système éducatifdans son ensemble dans lequel réussite scolaire et origine sociale restent fortement corrélées.

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L'exposé de Bernard Lahire sur Les difficultés scolaires des étudiants issus des milieuxpopulaires apporte des éclairages particulièrement riches, précis et stimulants. Il montrel'ampleur et la profondeur des questions soulevées, économiques mais aussi culturelles, tenantà une méconnaissance de "la nature des exigences scolaires et des moyens matériels etintellectuels pour parvenir à les satisfaire". L'étude de Christian Baudelot et de son équipe amis par ailleurs à jour un phénomène que nous étions nombreux à pressentir, l'importance del'information sur les CPGE donnée par les enseignants. Ce critère est le plus discriminant, audelà de tous les autres, origine sociale incluse, pour déterminer à résultats scolaires compa-rables un lycéen à postuler pour une CPGE ; les 3/4 des bacheliers issus des milieux ouvriersqui s'inscrivent en CPGE le font après avoir été informés par un professeur. Il y a d'un côté de"nouveaux viviers" pour les CPGE -c'est à dire des élèves auxquels leur réussite scolaire pour-rait donner accès aux CPGE et qui n'en font pas la demande- et de l'autre des professeurs quipeuvent inciter ces élèves à entrer dans des classes qui leur assureraient une réussite, maisqu'ils ne connaissent pas ou dont ils ont une image déformée, et vis à vis desquelles ils prati-quent donc une sorte "d'autocensure".

Il est alors intéressant de considérer sous cet éclairage les "ateliers" de l'après midi.Les ateliers 2, La diversification des CPGE, instrument d'ouverture sociale? et 6, La diversitédes recrutements des Grandes Ecoles, quels bilans? ont montré que ni les CPGE, ni les GEne se contentaient d'un constat vaguement désolé sur l'inégalité sociale, mais que de nom-breuses initiatives - individuelles ou institutionnelles - permettaient d'ouvrir CPGE et GE àdes publics moins favorisés, voire défavorisés. Il reste que cet indispensable travail aux margesdu système ne dispense pas d'une réflexion sur le coeur du dispositif et les Grandes Ecolesont, en ce domaine, une marge de manoeuvre et d'initiative plus étendue que les CPGE, ce quiramène, une fois encore, à la question des concours, largement et vivement abordée lors dela table ronde animée par Claude Thélot.

Les ateliers 3, Les débouchés des CPGE en lettres et sciences sociales: quelle organisation envue d'un meilleur affichage, quelles évolution en vue de leur élargissement, et 7, Filièreéconomique et commerciale : le coût des études, frein à l'ouverture sociale?, ont mis enévidence des obstacles techniques, financiers et d'organisation, et ont montré que les collèguesne manquaient pas d'idées - pas toujours mises en œuvre, pas toujours parfaitement consen-suelles - pour améliorer encore l'efficacité de ces filières, en illustrer les mérites, y attirerdavantage. Ces ateliers ont aussi évoqué les questions de l'image, de l'information, de leursdistorsions parfois, qui étaient au coeur des travaux des ateliers 5, L'image des CPGE, frein àleur ouverture sociale? et 1, L'information et l'orientation, outils majeurs pour l'ouverture desCPGE?. Si le professeur de terminale apparaît comme un personnage majeur, tous les autres -professeurs, proviseurs, conseillers d'orientation, organismes et médias chargés d'informerles étudiants - sont directement impliqués, tandis que reviennent aux professeurs de CPGEnon seulement le travail habituel dans les "forums", "portes ouvertes"... mais aussi la tâche dediffuser en " amont", en particulier auprès des collègues, une information et une image justesdes CPGE, "ni bagne, ni Club Med" pour reprendre la formule d'un intervenant.

L'atelier 4, Les prépas scientifiques : comment élargir le recrutement, a mis en lumière toutel'efficacité de la réorganisation des différentes voies scientifiques, de leur diversification, enmême temps qu'il a rappelé à tous l'enjeu essentiel pour la Nation que représente la formationen grand nombre de cadres et chercheurs scientifiques de haut niveau. Les CPGE et GE ontici un rôle majeur mais non exclusif à jouer. L'élargissement du recrutement des CPGE etl'augmentation du nombre d'ingénieurs, cadres et professeurs sont des nécessités.

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L'atelier 8, Les formations étrangères d'ingénieurs : quels modes de fonctionnement?, amontré à quel point l'étude comparative était instructive, à la fois parce que nous sommesdans un système de plus en plus ouvert et concurrentiel, dans lequel les étudiants seront deplus en plus amenés à circuler d'un pays à l'autre, mais aussi parce que la question de la sélec-tion des élites est sociale et culturelle. La table ronde animée par Alain Trognon l'illustrerale lendemain. Dans le domaine de la formation, et surtout celle des élites, la définition de cequi est indispensable, souhaitable, acceptable est affaire de perception par une société donnée.

Le souci d'égalité, celui de corriger les déséquilibres, cette volonté de suivre et de traquerdans notre système éducatif et pas seulement les CPGE/GE, les inégalités et injusticessociales correspondent profondément à une certaine idée que les Français se font de l'égalité.Il n'y pas que les CPGE/GE qui soient une exception française, il y a aussi une certaine façond'envisager le débat éducatif, le rôle de l'Ecole : sans doute est-il utile de le dire, sans que celasignifie qu'il faille ne pas regarder au delà de notre propre horizon. Les ateliers ont été ainsil'occasion d'échanges très riches, ouverts, libres. Sont apparues de façon récurrente, des ques-tions comme celle de l'argot, du "folklore" des CPGE comme un possible frein à leur ouver-ture, la marque d'une volonté de se distinguer et de ne s'ouvrir qu'à des "déjà initiés"; ouencore celle de la notation en CPGE, envisagée à la fois sous l'angle "technique" - l'écartcroissant entre les exigences des concours et les savoir-faire de bons élèves des terminales - etsous l'angle de l'effet qu'elle produit sur les étudiants, d'autant plus difficile à vivre qu'ils nesont pas familiers du monde des prépas.

La multiplicité et la diversité des thèmes pourraient faire croire que les travaux se sont égarésloin de leur sujet de réflexion initial. On peut considérer au contraire qu'ils ont été fidèles àleur objectif et que les questions des CPGE, des GE et de la démocratie ne se réduisent pas àquelques formules rapides, à quelques recettes "faciles", mais supposent une ferme volontéqui soit le guide de toute une série de mesures très diverses, touchant tous les domaines, del'organisation à la pédagogie, de la défense à la promotion, de la justification à une saine etconstructive critique.

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Samedi 17 Mai 2003

Après une première journée consacrée à un état des lieux et des pratiques et à des mises enperspectives historiques, les tables rondes de la seconde matinée étaient consacrées à despoints de vue et des débats, dans une optique volontairement internationale, à l'image dumonde auquel seront confrontés les étudiants des CPGE et des GE. Il s'agissait donc de traiterde l'aval et de l'avenir.

Faut-il diversifier - ou plutôt élargir - les modes de sélection des Grandes Ecoles ?Cette première table ronde est animée par Claude Thélot –ancien Directeur des Etudes et dela Prospective au Ministère de l'Education Nationale - avec la participation de deux Directeurs(HEC et ENSAM) qui font le point des réflexions menées dans leurs Ecoles.

Pour Claude Thélot, deux raisons principales rendent indispensables "de diversifier etd'élargir le recrutement et les modes de recrutement des Grandes Ecoles". Les futurs cadres etingénieurs devront avoir des connaissances, des compétences et des comportements qui leurpermettent de réagir face à l'incertain, à l'inattendu : les connaissances n'y suffisent pas.

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Les Grandes Ecoles doivent élargir leur recrutement, pour la richesse que représentent ouver-ture et diversification, et pour asseoir une légitimité qui serait contestée si les Grandes Ecolesne recrutaient que sur une base socialement trop étroite. Cette double obligation entraînenécessairement une modification des procédures de recrutement et donc des concours. PourClaude Thélot, il n'est pas bon que la diversification soit assurée "par des filières parallèles derecrutement": il faut que les concours eux mêmes assument cette double exigence d'élargis-sement des compétences et d'ouverture sociale. Sélectionner de nouvelles compétences obligeà repenser l'organisation des concours, à mener une triple réflexion : sur l'importance à donneraux différentes matières, le jeu des coefficients ; sur les contenus des épreuves - "selonla forme et le contenu, ce ne sont pas les mêmes compétences qui sont sélectionnées"; sur ladéfinition de nouvelles épreuves, "moins strictement scolaires" car "l'inégalité sociale devantl'Ecole est une inégalité devant la réussite scolaire". Faire apparaître "de nouveaux profilsd'élèves" exige cette fois de "compléter le concours par autre chose ( ...) prendre en compted'autres critères que les résultats obtenus aux épreuves". Plusieurs pistes s'ouvrent, parexemple tenir compte du cursus scolaire antérieur, accorder des bonifications en fonction del'âge ou du sexe... Pour Claude Thélot cela ne remet pas en cause les concours "dès lors quec'est à des doses faibles et que cela correspond à une politique explicite". Il rappelle enfin quenotre conception juridique de l'égalité à la française "ne veut pas dire uniformité" et "quel'égalité consiste aussi à compenser les handicaps, réels ou supposés". L'intervention s'achèvesur le souhait d'aboutir à un système transparent qui permette de caractériser l'étudiant defaçon plus globale.

Michel Raimbaut, Directeur des HEC, insiste à la fois sur les qualités du système actuel etsur les redoutables défis auxquels il est confronté. L'Ecole des Hautes Etudes Commercialesest satisfaite de la formation intellectuelle initiale et des qualités humaines que suppose laréussite aux concours - "courage, ténacité, résistance au stress". Cette formation initiale doitse poursuivre ensuite par "une formation par la recherche", la plus à même de développer lesqualités nécessaires aux futurs dirigeants, savoir gérer, l'instabilité, faire face à la complexitécroissante, être capable de rendre intelligibles des bouleversements inattendus et doncd'apporter des solutions nouvelles à des situations nouvelles. On ne peut cependant s'arrêter àce constat plutôt positif. Il faut souligner la diversification déjà largement à l'oeuvre dans lesEcoles de gestion, et se préparer à une triple ouverture : ouverture internationale, diversi-fication des profils, ouverture sociale "question de légitimité et de crédibilité", notammentlorsque l'on forme ceux qui auront "à gérer des entreprises qui seront, elles, représentatives del'ensemble de la société". L'ouverture internationale pose en outre un redoutable défi auxgrandes Ecoles, aux concours et aux CPGE. Deux standards internationaux se dégagent, deuxniveaux : under-graduate et post-graduate, c'est à dire avant ou après le niveau 3 - Licence,Bachelor's Degree. Les Ecoles de gestion doivent-elles devenir "des graduate businessschools, c'est à dire proposer des enseignements de type program master en recrutant desétudiants, français ou non, munis d'un Bachelor's Degree ou d'une Licence?" Doivent-ellesaussi investir le niveau undergraduate? Développer les deux niveaux? On imagine à quelpoint ces interrogations pèseront lourd sur le sort et la nature des CPGE et des Concours.

Marie Reynier, Directrice de l'ENSAM, souligne l'importance du moment, des enjeux et desvéritables ruptures à mettre en oeuvre. Il s'agit pour les pays de l'Union Européenne de rester"dans la très haute technologie, d'être des "fers de lance du progrès" faute de quoi l'Europedeviendrait "une vieille Europe". Il importe pour cela d'aboutir à une claire connaissance etreconnaissance des systèmes de formation propres à chaque pays européen, à favoriser leséchanges alors même que "les cultures, le rapport à l'enseignement et à la formation"diffèrent. Pour Marie Reynier, la question est loin de se résumer à une mise en oeuvre des

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ECTS, code d'échange et non cadre que chaque pays pourrait définir seul. Le défi majeur estde déterminer comment et à quoi il faut former les étudiants. En ce domaine, des ruptures luisemblent nécessaires. Le système actuel est orienté vers l'aval, axé vers "l'opérationnalitéimmédiate des ingénieurs". Il privilégie ainsi le "problem solving", la capacité "à résoudre desproblèmes existants", plus qu'il ne favorise "les inventeurs, les entrepreneurs, les inno-vateurs". Notre système, les concours ont aussi leurs atouts. La formation a, entre autresavantages, celui de "savoir former vite". Le principe du concours a ses vertus : la mise àl'épreuve, l'aptitude à résister au stress, la capacité à préparer longtemps un objectif, sontformateurs. Ils ont aussi des effets pervers : certains étudiants sont capables de réussir leconcours car ils ont été assistés, portés à bout de bras par leurs parents, puis par lesenseignants, mais arrivent dans les Ecoles épuisés et n'ayant pas toujours les aptitudes pourêtre un bon ingénieur. Surtout, les épreuves actuelles sont trop exclusivement organiséesautour des critères qui permettent de sélectionner des enseignants ou la haute fonctionpublique et non des "entrepreneurs, des inventeurs, des directeurs techniques, des ingénieurscapables de maîtriser des chaînes de production, capables de conduire sans risques industrielsun certain nombre d'installations difficiles". Marie Reynier plaide ainsi pour l'introduction denouvelles épreuves, destinées à tester d'autres qualités : chaque Ecole pourrait ainsi définir destests d'aptitudes adaptés à sa spécificité. Elle conclut sur de nécessaires mobilités, sur l'effortd'information qui s'impose, sur la nécessité de proposer effectivement l'accès "à une situationsociale de qualité", faute de quoi, les étudiants ayant de plus en plus une attitude consumé-riste, les CPGE pourraient être concurrencées par des formations moins exigeantes.

La situation en Europe, quels enseignements retenir?Cette seconde table ronde est animée par Alain Trognon, Directeur du groupe des Ecoles deStatistiques. Elle permet d'évoquer d'autres systèmes d'éducation européens et extra européenssous l'angle à la fois des objectifs, des types de cursus et de la question, qui se révèle centrale,du coût et du financement des études.

Alain Trognon souligne l'importance du moment présent : "dans toute l'Europe, l'hétéro-généité des structures est en passe de coexister avec la normalisation des LMD". Il indiqueque se posent donc en Europe des questions comparables - celle des inégalités sociales, du faitque les étudiants les moins favorisés se tournent principalement vers les filières courtes ettechniques, celle de l'auto-censure de ces étudiants et partout s'affirme la volonté d'informersur la question du financement des études, entre autres celles des étudiants d'origine modeste.Enfin, chacun réfléchit à des modes de sélection des élites clairs et "loyaux". A ces questionscommunes sont apportées des réponses diverses selon les sociétés.

Michael O'borne, Directeur à l'OCDE, présente ensuite l'exemple américain dediscrimination positive "affirmative action". Les Etats-Unis ont désormais 45 ans de reculpour évaluer les effets de cette décision politique mise en oeuvre concrètement en jouant surles financements - les Universités qui ouvrent de nouveaux enseignements et accueillent denouveaux publics disposent de financements supplémentaires. Pour l'intervenant, "le succèsde ce système est important". Il a profondément modifié le profil des étudiants et a étél'occasion d'une grande ouverture d'esprit, entre autres grâce à ces nouveaux enseignementsmis en place pour attirer les nouveaux publics. M.Oborne montre bien les difficultés dusystème -de la délicate définition des minorités à la qualité des diplômes et à une possiblemodification de l'interprétation de cette disposition à la suite d'une plainte portée devant laCour Suprême. Il évoque ensuite le cas britannique, la politique nouvelle "de financement etde choix des disciplines" : il s'agit de favoriser des enseignements nouveaux, de réduire au

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contraire les crédits alloués à certains enseignements classiquement choisis par les élitestraditionnelles. L'intervention se termine par un plaidoyer en faveur de la souplesse, del'établissement de passerelles pour faire en sorte qu'il n'y ait plus, comme en Franceaujourd'hui, une sorte de "CV absolument établi", mais que l'on tienne compte des évolutionsdes étudiants au cours de leur vie, bref que l'on diversifie les voies de réussite.

Eric Maurin est chercheur au CREST (Centre de recherche en économie et statistique) et faitpartie d'un réseau européen de chercheurs sur l'éducation. Les premiers résultats des étudescomparatives menées en Europe "ne sont pas enthousiasmants". Il ne semble pas en effet quela variété institutionnelle des systèmes d'enseignement permette de dégager un type d'organi-sation qui serait à même de promouvoir "des formes intéressantes d'égalité des chances sansnuire à l'efficacité". Il semble par contre que les pays européens soient tous plus ou moinsconfrontés au même phénomène : une progression de l'accès à l'enseignement supérieur, maisune inégalité croissante dans l'accès aux filières les plus prestigieuses. Eric Maurin parle"d'inégalités de deuxième ordre, qui reposent sur les effets d'auto-sélection : en fin de par-cours, les enfants des milieux défavorisés ne prennent pas le risque de formations pourlesquelles ils n'ont pas d'informations très précises et s'engagent dans les voies les moinsprestigieuses qui permettent "d'assurer (...)". L'une des questions centrales est donc alors desavoir comment lutter contre ces effets d'autocensure. Il semble que des "politiques d'excel-lence doublées de volontarisme au niveau local " soient prometteuses. En effet "il sembleraitque ce qui compte dans un voisinage, ce n'est pas tant qu'il soit pauvre ou culturellement malintégré, mais le fait que les enfants soient entourés d'élèves qui eux-mêmes échouent".Politique volontariste de mixité sociale et de promotion locale de l'excellence peuvent selonl'auteur "avoir des effets de long terme potentiellement intéressants".

Daniel Grimm, Directeur adjoint de l'Ecole Centrale de Paris, rassemble les différents pointsévoqués par cette table ronde. Il souligne les différences de cursus. Cela vaut d'abord pourle pré-baccalauréat, qui peut avoir trois grands objectifs : en France l'acquisition d'une culturegénérale, aux Etats-Unis la socialisation, en Allemagne la professionnalisation précoce. Celaporte ensuite sur la durée des études. Cela joue donc logiquement sur le type de formation.Daniel Grimm estime par exemple que "nos formations longues de qualité permettent à nosingénieurs d'être capables, entre plusieurs solutions, d'anticiper celles qui marcheront lemieux", tandis qu'aux Etats-Unis, "les ingénieurs plus pragmatiques et pratiques vont êtreamenés à développer toutes les solutions et constater, après coups, celles qui marchent etcelles qui ne marchent pas".

La table ronde s'achève sur la question du financement des études, question centrale àl'évidence, domaine dans lequel des évolutions sensibles sont très prévisibles, enjeu techniqueet symbolique fort. Daniel Grimm rappelle qu'en 1994, l'OMC a esquissé une distinction entreun premier niveau - "L", Bachelor, bac + 3 - qui ferait partie du service public tandis que lasuite de la formation entrerait dans "le champ commercial". Se posent alors au moins deuxquestion : celle du coût des études - et donc de leur durée, de l'éventualité aussi qu'un coûtélevé soit un frein à la mobilité internationale - et, en arrière plan, celle du lien entredémocratisation de l'enseignement et financement des études. En France, le débat porte aussisur la notion de gratuité des études, question soulevée il y a une dizaine d'année par LaurentSchwartz et spectaculairement posée aujourd'hui par le Directeur de l'IEP de Paris. Si l'onconsidère que la formation supérieure est un investissement non seulement pour l'Etat, maisaussi pour l'étudiant qui en bénéficie, on peut imaginer que cet investissement soit progres-sivement remboursé au cours de la vie professionnelle (remboursé au cours de sa vie profes-sionnelle par celui qui en a bénéficié). Daniel Grimm souligne que l'Australie a mis en place

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un tel système. Alain Trognon indique que les projets du gouvernement britannique vont dansce sens. Michael O'borne quand à lui s'interroge sur le sens même de "gratuité": rien n'estgratuit, la question est de savoir qui paie pour la formation, la collectivité ou celui qui enbénéficie.

Cette table ronde, comme la précédente d'ailleurs, s'achève sur l'affirmation que ces questionsconstituent des enjeux stratégiques majeurs pour l'Europe.

***

Claude Boichot, Doyen du groupe "physique-chimie" de l'IGEN et chargé de mission sur lesCPGE et le post-bac auprès du Ministre et du Ministre délégué, Alain Cadix, président de laConférence des Grandes Ecoles et Gérard Debeaumarché, président de l'U.P.S. etorganisateur du colloque, pouvaient en conclusion remercier partenaires et participants pourla densité et la qualité des travaux, pour la très grande qualité d'écoute manifestée par tous, etinsister sur la nécessité de fournir à la Nation plus de cadres en recrutant plus largement.

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L'ouverture du colloque par Dominique BORNE, Doyen de l'I.G.E.N. A sa droite, Gabriel RUGET, Directeur de l'E.N.S.

A sa gauche, Gérard DEBEAUMARCHÉ, président de l'U.P.S.

L'assistance pendant le colloque. Au premier rang, Claude BOICHOT, assis devant Claude THELOT, Claudine RUGET, Laurent WIRTH,

Jean-Pierre SARMANT, I.G.E.N. et Christian MARGARIA, Conférence des Grandes Ecoles.

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Christian BAUDELOT pendant son exposé, entouré de Sylvie LEMAIRE et Brigitte DETHARE, et retourné vers Fabienne ROSENWALD

Gérard DEBEAUMARCHÉ, président de l'U.P.S., remercie le Ministre, Xavier DARCOS

Une histoire des C.P.G.E.

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Une histoire des C.P.G.E.

Bruno Belhoste, I.N.R.P.

Dans cet exposé, je présenterai un panoramique sur l’histoire de ce qui constitue certainement

l’une des institutions les plus originales du système éducatif : les classes préparatoires aux

grandes écoles.

Ces classes, on le sait, se caractérisent par plusieurs traits spécifiques :

D’abord, elles sont des classes d’enseignement supérieur, mais situées dans des

établissements secondaires. Remarquons qu’autrefois, il existait également des classes

élémentaires dans les lycées, mais celles-ci ont disparues depuis 40 ans.

Ensuite, ces classes sont étroitement liées, par leur mission et leur enseignement, aux

établissements particuliers appelés « grandes écoles », qui recrutent sur concours. C’est même

là, bien sûr, leur raison d’être. C’est pourquoi on ne peut faire l’histoire des classes

préparatoires sans évoquer les concours auxquels elles préparent.

Enfin, elles disposent d’un personnel enseignant à part, ayant ses traditions, ses intérêts et ses

méthodes de travail spécifiques, qui les distinguent aussi bien des professeurs de

l’enseignement secondaire que des enseignants-chercheurs des universités.

L’histoire des CPGE est une histoire de longue durée, puisque le système se met en place dès

le XVIIIe siècle, en même temps que celui des concours, et qu’il est toujours bien vivant

aujourd’hui. Il faut noter cependant que les classes préparatoires ont été pendant longtemps

exclusivement des classes scientifiques et que ce n’est qu’au XXe siècle que l’on voit

apparaître des classes préparatoires littéraires, puis commerciales.

Curieusement, si le rôle considérable des CPGE est bien connu, leur histoire n’a pour ainsi

dire jamais été étudiée. Je me limiterai ici à un cadre : l’objectif est de fournir quelques points

de repère historiques susceptible d’alimenter notre réflexion sur la situation présente et aussi

sur l’avenir de ces classes.

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La naissance des classes préparatoires

C’est au XVIIIe siècle que sont nées les classes préparatoires. Comme il n’y a pas de prépas

sans examen à préparer, c’est la création d’un recrutement sur concours qui constitue le point

de départ.

Les premiers concours sont des concours de recrutement pour les armes savantes, c’est à dire

le Génie, l’Artillerie et la Marine. Dès 1692, Vauban institue un examen pour l’admission au

Génie.

« Personne, écrit-il, ne doit être reçu dans les fortifications par faveur ou par recommandation.

Il faut que le mérite seul et la capacité des gens leur attirent les emplois. »

Les aspirants du Génie doivent subir un examen oral portant sur les mathématiques devant un

examinateur membre de l’Académie des sciences.

A partir de 1756, l’Artillerie, à son tour, se dote d’un examinateur sur le modèle du Génie,

puis la Marine à partir de 1764.

A la veille de la Révolution, les examinateurs des armes savantes sont des savants de premier

ordre : Bossut pour le Génie, et surtout Laplace pour l’Artillerie et Monge pour la Marine.

Dès la fin du XVIIIe siècle, par conséquent, il existe un système de recrutement sur concours

lié à l’institution militaire. Les candidats admis sont reçus dans des écoles dépendant des

armes savantes. La plus connue est l’École du Génie de Mézières, fondée en 1749, où le

mathématicien Monge a longtemps été professeur.

Tout naturellement, l’examen d’admission suscite, en amont, sa préparation.

L’examen consiste alors en une interrogation orale qui porte sur le manuel rédigé par

l’examinateur. Les plus connus de ces manuels sont ceux de l’ancien examinateur de

l’Artillerie et la Marine, sur lesquels Laplace et Monge continuent d’interroger à la veille de

la Révolution. Préparer l’examen revient donc à connaître le manuel.

En fait, à la fin de l’Ancien régime, il est exceptionnel qu’un candidat reçu se soit préparé seul

à l’épreuve. Certains candidats font appel à des maîtres de mathématiques qui donnent,

moyennant finance, des leçons privées sur les matières du concours. Mais, dès cette époque,

la plupart se préparent dans des établissements spécialisés.

Une histoire des C.P.G.E.

15

On peut distinguer, en fait, deux types d’établissement préparatoire. Les premiers sont des

institutions privées, souvent protégées par l’examinateur. C’est le type le plus ancien, et aussi

le plus florissant. On en trouve quelques-uns en province, principalement à Metz où a lieu

l’examen d’artillerie, mais la plupart sont à Paris. Les plus connues sont la pension Longpré et

la pension Berthaud.

Lazare Carnot, par exemple, se prépare d’abord seul à l’examen du génie, mais il échoue en

1769. L’année suivante, son père décide de le placer à Paris dans une institution spécialisée.

Sur les conseils de l’intendant du protecteur de la famille Carnot, le duc d’Aumont, Lazare

entre ainsi chez Longpré et il est admis à l’École de Mézières après quelques mois de

préparation, en 1770.

Le succès des pensions privées s’explique parce que, dans les établissements publics que

constituent les « collèges », que ceux-ci soient dépendants d’une Université ou d’une

congrégation enseignante, les mathématiques sur lesquelles on interroge les candidats aux

examens, n’occupent qu’une position marginale.

C’est pour former les officiers des armées, et en particulier ceux des armes savantes, que

l’École militaire est fondée à Paris en 1751, à l’instigation de la marquise de Pompadour. La

nouvelle école accueille des boursiers du roi. On y enseigne les sciences et en particuliers les

mathématiques. Les résultats s’avèrent malheureusement décevants. C’est pourquoi, en 1776,

le ministre de la guerre décide de fermer l’École militaire et de la remplacer par douze écoles

militaires, installées en province pour préparer les boursiers du roi au métier militaire. C’est

ainsi que le jeune Napoléon Bonaparte prépare au collège de Brienne, érigée en école

militaire, l’examen d’artillerie qu’il passe devant Laplace en 1785.

C’est la Révolution française qui va étendre le système de recrutement des armes savantes à

l’ensemble des administrations techniques, en créant l’École polytechnique. Cette

transformation répond au souci de perfectionner la formation des experts civils et militaires

mais aussi à celui de démocratiser leur recrutement. Avant 1789, en effet, l’autorisation de

passer les examens n’était accordée qu’à ceux qui pouvait prouver la qualité de leur naissance

ou une parenté avec un officier. Carnot lui-même reçoit sa lettre d’examen en se réclamant

d’un cousin très éloigné, l’ancêtre commun remonterait à cinq générations, qui est capitaine.

Après 1786, tout candidat doit prouver quatre degrés de noblesse. La sélection par concours

16

ne fait ainsi que s’ajouter à une sélection préalable beaucoup plus sévère, fondées entièrement

sur des critères de naissance.

Cet exclusivisme social explique les caractères de la filière de formation. La préparation aux

examens des armes savantes relève de l’éducation nobiliaire. Les pensions préparatoires

privées sont très chères et les écoles militaires sont créées pour accueillir les rejetons de la

noblesse militaire auxquels le roi accorde des bourses. C’est le cas, je le rappelle, de

Bonaparte lui-même, qui appartient à la petite noblesse corse.

La Révolution balaie tout cela. Dorénavant, les emplois publics sont ouverts à tous les

citoyens, sur le seul critère du mérite. L’admission à l’École polytechnique, fondée en 1794,

se fait sur un concours auquel tout jeune homme entre 16 et 20 ans peut se présenter. Si l’on

compare le concours de l’École polytechnique avec les anciens examens des armes savantes,

les différences apparaissent donc évidentes : désormais, le concours, organisé dans une

vingtaine de villes, est public et ouvert à tous. Le nombre de places offertes est beaucoup plus

élevé, car les débouchés ont été considérablement élargies : aux armes savantes, s’ajoutent

principalement le génie maritime et les grands corps civils, ponts et chaussées et mines. C’est

la technocratie française dans son ensemble qui s’alimente à l’École polytechnique.

Quant aux pensions préparatoires privées et aux écoles militaires d’Ancien régime, elles

disparaissent dans la tourmente, et les candidats au concours de la nouvelle école ne disposent

d’aucun lieu de préparation. Très vite, les professeurs de mathématiques des écoles centrales,

ouvertes dans chaque département en 1795, s’efforcent de pallier ce manque. C’est ainsi

qu’Henri Beyle, notre Stendhal, se prépare à l’École polytechnique en suivant les cours du

professeur de mathématiques de l’école centrale de Grenoble. Il ne passera d’ailleurs jamais le

concours.

En 1802, sont créés les lycées, où la loi prévoit que l’on enseigne le latin et les

mathématiques. Dans chaque lycée, il existe une classe dite de mathématiques transcendantes,

rebaptisée en 1809, classe de mathématiques spéciales. La vocation de ces classes, dites

parfois aussi classes de deuxième année de philosophie, par référence à l’organisation de

l’enseignement dans les collèges d’Ancien régime, devient aussitôt la préparation au concours

de l’École polytechnique. On peut dire alors que les classes préparatoires sont nées.

Une histoire des C.P.G.E.

17

Les classes préparatoires au XIXe siècle

L’imposition du monopole universitaire donne aux lycées la main mise sur la préparation à

l’École polytechnique. Je rappelle que l’Université (avec U majuscule) a été fondée par

Napoléon. Elle correspond grosso modo à ce qu’on appelle aujourd’hui l’Éducation nationale

et elle dispose jusqu’à la loi Falloux, votée en 1850, du monopole de l’enseignement. Celui

s’exerce en fait principalement sur l’enseignement secondaire. Certes, il existe des pensions et

des institutions privées, mais leurs chefs doivent être membre de l’Université, dont ils ont les

grades, et ils ont obligation d’envoyer leurs élèves dans les établissements publics, lycées ou

collège communaux. Leur rôle se limite, en principe, à l’hébergement des élèves et aux

travaux d’études et de révision des cours. Évidemment, ce monopole s’étend aux classes

préparatoires. Si certains candidats se préparent au concours en suivant les leçons privées de

maître de mathématiques, ce qui reste possible, la très grande majorité suit les cours de

mathématiques spéciales des lycées.

Comme je l’ai dit, dans la première moitié du XIXe siècle, on trouve des classes de

mathématiques spéciales dans tous les lycées, c’est à dire en 1848 dans une cinquantaine

d’établissement. Cette omniprésence des mathématiques spéciales permet d’offrir partout une

préparation à l’École polytechnique. L’organisation même du concours répond au même souci

égalitaire : les examinateurs sillonnent la France, allant de ville d’examen en ville d’examen,

interroger les candidats. Jusqu’au milieu des années 1830, ils s’arrêtent ainsi dans tous les

lycées.

Cette organisation n’a été rendue possible que par la création d’un véritable corps enseignant

de professeurs de mathématiques. La création d’une agrégation de sciences en 1808, pour

laquelle est organisé un véritable concours dès 1821 et sa spécialisation en mathématiques et

en sciences physiques en 1840, ainsi que l’ouverture de l’École normale en 1809 assure la

formation et le recrutement de ces professeurs. Dans chaque lycée, existent deux chaires de

mathématiques, l’une dite de mathématiques élémentaires et l’autre de mathématiques

spéciales. Les professeurs de mathématiques spéciales sont les mieux payés, mais ils n’ont

pas le monopole de l’enseignement dans les classes de mathématiques spéciales, les

règlements universitaires prévoyant longtemps l’alternat avec les professeurs de

mathématiques élémentaires.

18

La présence dans tous les lycées d’une classe de mathématiques spéciales ne doit cependant

pas faire illusion. En réalité, la préparation à l’École polytechnique se trouve concentrée dans

quelques grandes villes, comme Metz, Lyon, Toulouse, Rennes, Dijon et Strasbourg et

surtout, bien entendu, Paris, qui domine outrageusement. On remarquera en outre que le nord

l’emporte très largement sur le midi. Dans beaucoup de lycées, la classe de mathématiques

spéciales existe sur le papier, mais elle n’accueille en fait que quelques élèves, qui ne se

destinent pas à Polytechnique. Un autre phénomène, en revanche, doit être pris en compte :

celui de la préparation aux autres écoles recrutant sur concours qui apparaissent au XIXe

siècle : l’École spéciale militaire de Saint-Cyr, l’École navale et l’École forestière. Pour ces

concours, beaucoup moins relevés que celui de Polytechnique, on voit apparaître dans un

certain nombre de villes des enseignements préparatoires accueillis dans des classes de

mathématiques élémentaires ou spéciales.

Qu’il s’agisse de ces concours ou de celui de l’École polytechnique, l’épreuve, jusqu’au

milieu du XIXe siècle, reste comparable à celle des examens d’Ancien régime. Les candidats

sont interrogés oralement par l’examinateur en tournée, à peu près exclusivement sur les

mathématiques. On ne voit apparaître des épreuves écrites que très timidement à partir des

années 1840. Une bonne préparation doit donc être un entraînement à l’oral. Or, il faut bien

reconnaître que l’enseignement magistral des classes préparatoires de lycée est peu adapté à

cet objectif. A Paris, où près des deux tiers des candidats admis à Polytechnique se sont

préparés, un système original de préparation se met en place, associant étroitement classes de

mathématiques spéciales publiques et institutions préparatoires privées. C’est au lycée, à

cause du monopole universitaire, que tous les préparationnaires étudient le cours, sous la

direction d’enseignants chevronnés, qui constituent l’élite des professeurs de sciences de

l’enseignement secondaire. Pour ne citer qu’un exemple, Louis Richard enseigne à Louis-le-

Grand où il forme, entre autres, Galois et Hermite. Dans la première moitié du XIXe siècle,

les trois principaux établissements de Paris, pour les classes de mathématiques spéciales, sont

Louis-le-Grand, Saint-Louis et Charlemagne. Mais, si certains élèves sont externes libres ou

pensionnaires au lycée – c’est le cas de Galois-, la plupart, venus de province, sont en pension

dans des établissements privés. Les principaux de ces établissements privés sont l’institution

Mayer, où ont étudiés entre autres Liouville et Le Verrier, et le collège Sainte-Barbe, qui

ouvre en 1832 une école préparatoire spécialisée placées sous la direction du mathématicien

Duhamel. C’est dans ces établissements privées que les élèves de mathématiques spéciales,

les taupins comme on les appelle déjà, s’entraînent véritablement à l’examen, par un système

Une histoire des C.P.G.E.

19

d’études encadrées, de conférences et surtout de colles. Les enseignants qui font ce travail

sont des professeurs de lycée, des répétiteurs de l’École polytechnique et des maîtres de

mathématiques spécialisés, généralement d’anciens polytechniciens qui n’ont pas intégrés

l’institution universitaire. Le plus illustre exemple, sans doute, est le philosophe Auguste

Comte, ancien polytechnicien qui donne des cours à l’institution Laville tout en étant

répétiteur d’analyse à l’École polytechnique et, pendant un temps, examinateur d’admission.

Le milieu du XIXe siècle voit des changements importants dans l’organisation générale de

l’enseignement en France : la loi Falloux abolit l’enseignement libre et autorise la création

d’écoles libres, en particulier au niveau de l’enseignement secondaire. Le ministre Fortoul

réforme peu après l’enseignement secondaire public pour mieux l’adapter à la concurrence.

Dorénavant, l’obtention du baccalauréat ès sciences est exigée pour l’admission à l’École

polytechnique. Le nombre des classes de mathématiques spéciales est considérablement réduit

et leur moyen renforcé : à l’exemple de ce qui se faisait déjà dans les institutions privées, un

système de conférences et d’interrogations est organisé pour les élèves pensionnaires des

lycées. Ces changements entraînent à Paris l’effondrement de l’ancien système préparatoire

qui associait aux cours des mathématiques spéciales les répétitions et les colles des

institutions privées. Sainte-Barbe renonce à envoyer ses élèves à Louis-le-Grand comme

autrefois et organise un enseignement dans ses propres murs, les autres institutions

préparatoires disparaissent, et, en revanche, on voit apparaître un nouvel établissement privée

dans le Quartier latin : l’École Sainte-Geneviève, dirigée par les jésuites, qui organise un

enseignement préparatoire sur le modèle de Sainte-Barbe et remporte de grands succès aux

concours de Polytechnique et Saint-Cyr. Pour contrer la concurrence de ces préparatoires

privées, le ministère de l’Instruction publique décide à la fin des années 1860 de créer sur le

même modèle dans un certain nombre de lycées de Paris, comme à Saint-Louis, et de

province, comme au lycée de Nancy, des écoles préparatoires, dont les élèves sont

entièrement séparées de leurs camarades de l’enseignement secondaire.

Les classes préparatoires au XXe siècle

C’est sous la IIIe République, entre 1880 et 1914 que le système des classes préparatoires

scientifiques prend le visage qu’il va conserver presque sans changements jusqu’aux années

1970. On peut estimer qu’à la fin du XIXe siècle, ce système accueille et forme environ

20

10000 élèves. Ce chiffre ne sera pas dépassé avant les années 1960. On trouve des classes

préparatoires dans les grands lycées, en province et surtout à Paris. Saint-Louis et Louis-le-

Grand dominent, comme dans la période précédente. Viennent ensuite les lycées de l’Ouest

parisien, Janson-de-Sailly, Condorcet et Carnot, ce dernier ancienne école Monge nationalisée

en 1894. L’école préparatoire de Saint-Louis, qui est la plus importante, comprend ainsi vers

1890 plusieurs filières préparatoires : une préparation à Saint-Cyr en deux ans, au sortir de la

classe de 3e ou de 2e, une préparation à l’École navale en un an, au sortir de la classe de 3e,

une préparation à Centrale et aux Mines en un an, sous forme d’une classe de mathématiques

spéciales, après le baccalauréat ès sciences, et, également après le baccalauréat ès sciences,

une préparation à l’École polytechnique en deux ans, sous forme d’une spé de nouveaux et

d’une spé de vétérans. Louis-le-Grand obtient régulièrement les meilleurs résultats aux

concours de l’ENS et de Polytechnique. Janson de Sailly est renommé, entre autres, pour sa

prépa Agro. En province, les meilleures préparatoires sont celles du lycée du Parc, à Lyon, et

du lycée de Nancy. Face à ces préparatoires publiques, seule l’École Sainte-Geneviève, qui

déménage à Versailles en 1905, est en mesure de faire concurrence, en restant jusqu’à

aujourd’hui l’un des meilleurs établissements préparatoires aux grandes écoles.

Selon une tendance déjà sensible dans la période précédente, les professeurs de spé forment

une sorte d’aristocratie enseignante au sein des lycées, se séparant nettement de leurs

collègues des classes inférieures. En même temps, il faut distinguer les professeurs de

province des professeurs de Paris. Les professeurs de spé des grands lycées parisiens

dominent leur discipline, sont en contact étroit avec les examinateurs, participent aux

commissions ministérielles, et alimentent le corps des inspecteurs généraux. Les professeurs

de province se sentent en position d’infériorité. C’est pour mieux défendre leurs intérêts qu’ils

décident finalement en 1927, contre la volonté de la majorité de leurs collègues de la capitale,

de s’organiser en une Union des professeurs de spéciales. Si, à l’origine, la création de cette

association est le fruit des tensions internes au milieu des professeurs de spé, son existence

ultérieure, jusqu’à aujourd’hui traduit plutôt la spécificité de ce milieu au sein du corps des

professeurs de lycée. Cette tendance va d’ailleurs se renforcer au cours du siècle, avec la

croissance des effectifs du corps enseignant secondaire, qui réduit de plus en plus la part des

anciens normaliens où se recrutent exclusivement les professeurs de spé.

Un autre phénomène majeur affecte les classes préparatoires de la Belle époque : c’est l’essor

rapide de l’enseignement supérieur, en particulier de l’enseignement supérieur scientifique,

Une histoire des C.P.G.E.

21

dont l’existence était à peu près nulle avant 1880. Cet enseignement supérieur s’intéresse en

particulier à la formation des cadres techniques. Plusieurs universités créent ainsi autour de

1900 des instituts universitaires délivrant des diplômes d’ingénieurs. Tout naturellement, vers

1900 les enseignants du supérieur commencent à revendiquer pour eux la préparation aux

grandes écoles. Cette revendication, qui reviendra souvent au cours du Xxe siècle, n’aboutit

pas, car elle se heurte à l’opposition conjuguée des grandes écoles et des professeurs des

classes préparatoires. L’offensive permet seulement d’imposer une réforme de l’organisation

des épreuves de concours et de leurs programmes, qui sont revus et mis à jour en 1905. La

place des sciences physiques est augmentée par rapport aux mathématiques, qui continuent

cependant à avoir la part du lion. La préparation est étendue officiellement à deux ans et les

classes préparatoires de première année qui existaient déjà dans certains lycées sous le nom de

classe de mathématiques élémentaires supérieures, sont généralisées sous le nom de classes de

mathématiques spéciales préparatoires. Ces classes seront rebaptisées sous l’Occupation

classes de mathématiques supérieures. Toujours en 1905, l’inspection générale obtient un

droit de regard sur la nomination des examinateurs et le choix des sujets. A l’École

polytechnique le jury d’admission doit rédiger un rapport auquel les professeurs de spé ont

accès après 1920 et qui deviendra public après 1945.

Alors que l’histoire des classes préparatoires scientifiques remonte au début du XIXe siècle et

même, comme on l’a vu, au-delà, les classes préparatoires littéraires et commerciales sont

beaucoup plus récentes. La création des Khâgnes est liée au concours de l’École normale

supérieure de la même manière que celle des taupes est liée au concours de l’École

polytechnique. Pendant longtemps, cependant, les candidats au concours littéraire de l’École

normale se préparent dans les classes de rhétorique des lycées, où ils reviennent après avoir

passé leur baccalauréat de philosophie. C’est en 1880 que sont créées dans quelques lycées

des classes de rhétorique supérieure, spécialement réservées à cette préparation. La plupart,

cependant, ne sont que de simples subdivisions des classes de rhétorique. Seuls quelques-unes

sont autonomes. Les plus importantes de ces Khâgnes, et de très loin, sont celles de Louis-le-

Grand et d’Henri IV, qui sont subdivisées en deux années, hypokhâgnes et khâgnes, dès le

début du Xxe siècle. Si ces classes ont un rayonnement notable – on songe à l’influence

d’Alain, qui enseigne longtemps la philosophie dans la khâgne d’Henri IV- en formant l’élite

littéraire, elles pèsent peu au point de vue numérique avant les années 1960. Quand aux

classes préparatoires économiques et commerciales, leur origine est beaucoup plus récente. Si

les premières grandes écoles de commerce sont créées à la fin du XIXe siècle, le système de

22

recrutement par concours ne se met en place qu’au siècle suivant et la préparation est assurée

pour l’essentiel par l’enseignement privé. C’est seulement après 1970 que se multiplient les

prépas HEC dans les lycées. La croissance a été fulgurante à partir de 1980.

Le système des classes préparatoires est lié à celui des grandes écoles recrutant sur concours,

qui prend véritablement naissance à la fin du XIXe siècle avant de se développer au siècle

suivant. La réorganisation d’ensemble des écoles d’ingénieurs autour de la question du

diplôme, dans les années 1930, favorise son expansion progressive. Au terme d’un long

travail d’homogénéisation et de différentiation, qui dure une trentaine d’années, ces écoles

s’intègrent dans une pyramide dont les différents niveaux sont déterminés par le concours.

L’extension après 1945 du principe méritocratique à l’ensemble des carrières administratives

et économiques supérieures, avec la création de l’ENA et le développement des grandes

écoles de commerce aboutit à la mise en place dans les années 1960 du système des grandes

écoles tel qu’il existe encore aujourd’hui, et à celui des classes préparatoires qui en est

l’appendice.

On notera cependant qu’en dépit de tout, le nombre des préparationnaires à la fin des années

50 n’est pas supérieur à celui de la fin du XIXe siècle. Cette stagnation met en évidence un

profond malthusianisme, qui n’est pas l’apanage d’ailleurs des grandes écoles et de leurs

préparations mais qui caractérise, en fait, également l’enseignement secondaire, ou du moins

celui des lycées, pendant les deux premiers tiers du XXe siècle.

Je laisse à Christian Baudelot et ses complices le soin de nous éclairer sur l’évolution des

classes préparatoires au cours du dernier tiers du XXe siècle. Ils sont beaucoup plus

compétents que moi pour le faire. Je voudrais cependant pour terminer et avant de leur laisser

la parole soulever quelques questions en me plaçant au point de vue de la longue durée.

Les classes préparatoires constituent un élément d’un dispositif plus vaste, celui des grandes

écoles, dont la pièce essentielle est le recrutement par concours. On a vu que ce mode de

recrutement remonte à la fin du XVIIe siècle, quand est créé par Vauban un examen

d’admission dans le corps des ingénieurs des fortifications. Depuis l’origine, on n’a cessé

d’insister, avec plus ou moins de raisons, sur deux avantages de ce mode de sélection

méritocratique : en écartant la recommandation, il est ouvert à tous, selon leurs talents et leur

travail ; en obligeant tous les candidats à se préparer intensément, il assure une grande

homogénéité de la formation. Au début du XIXe siècle, ce système a suscité l’admiration

Une histoire des C.P.G.E.

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partout en Europe. Des écoles comme l’École polytechnique ou l’École centrale ont servi de

modèles, imités dans de nombreux pays, y compris aux Etats-Unis. Mais, il y a eu depuis un

développement extraordinaire des universités. Aux Etats-Unis par exemple, les engineering

schools et les business schools ont un statut universitaire. De même en Allemagne ou en

Angleterre. Il n’existe pas de système de concours homogène. Les établissements sont

beaucoup plus grands et profitent des synergies qu’offre l’intégration dans de vastes structures

universitaires. Le MIT compte 20000 étudiants, contre 500 à peine pour l’École

polytechnique qui voudrait se comparer à lui.

En France, où l’enseignement universitaire s’est développé plus tard et plus faiblement,

l’histoire a été différente. On est resté sur le modèle mis en place au début du XIXe siècle,

pour la formation des élites scientifiques et techniques. On insiste souvent sur son degré

d’excellence, qui est réel. On veut moins souvent voir ses défauts, qui sont évidents :

étroitesse, auquel ne peuvent remédier ni l’explosion du nombre des classes prépas, ni

l’harmonisation entre les écoles ; malthusianisme, qui reste celui d’une filière fortement

hiérarchisée et isolée du système global de formation supérieure, élitisme, d’une formation

financièrement avantagée, pour une population scolaire le plus souvent déjà favorisée

socialement. Notre système des grandes écoles est typique d’un mal français : on s’illusionne

pour ne rien changer. Si on veut remédier un jour aux faiblesses criantes de notre

enseignement supérieur, que tout le monde reconnaît, il faudra bien aussi réformer en

profondeur notre système des grandes écoles et, avec lui, un système des classes préparatoires

qui a aujourd’hui plus de deux siècles.

***

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Les C.P.G.E. au fil du temps : une étude statistique et sociologique (Acte I)

25

Les CPGE au fil du temps

Christian Baudelot(Département de sciences sociales, Ecole normale supérieure)Brigitte Dethare, Sylvie Lemaire et Fabienne Rosenwald

(Direction de l’Evaluation et de la Prospective, Ministère de la Jeunesse, de l’Education Nationale et de la Recherche)

Nous connaissons, désormais, grâce à l’exposé de Bruno Belhoste, les origines historiques desclasses préparatoires et des grandes écoles ainsi que la place très originale, qu’elles occupentdans le système français. Le caractère duel de notre enseignement supérieur et les classespréparatoires participent de cette exception française qu’il est si difficile d’expliquersimplement à l’étranger...Et pour cause, puisque ce fer de lance de l’école laïque etrépublicaine est le fruit de l’église et de l’armée ! Héritage composite qui réunit des aspectsempruntés aux Collèges des Jésuites, à la formation des officiers des corps techniques desarmées de l’Ancien régime et de l’Empire, à la recherche démocratique des talents inspiréepar la Convention, à la volonté des entreprises et de l’Etat de sélectionner et de former lescadres dont ils ont besoin. Sources diverses qui partagent pourtant un point commun : uneméfiance séculaire à l’égard de l’Université, jugée a priori incapable de former efficacementles cadres scientifiques et techniques dont l’Etat puis les entreprises avaient besoin. Ladivision du travail est la suivante : à l’Université de former les « clercs », les intellectuels,savants et autres hommes de culture. Aux grandes écoles et aux classes préparatoires lamission de choisir et de former des professionnels chargés d’encadrer les diverses fonctionsscientifiques, techniques de l’Etat et des entreprises.

Après la fresque historique de long terme, voici venu le temps d’une autre fresque, de moyenet de plus court terme, telle que peut la brosser la statistique. Les données statistiques quenous allons vous présenter permettent de se faire une idée précise de la place qu’occupeaujourd’hui les classes préparatoires dans l’enseignement supérieur ainsi que des évolutionsrécentes et même de moyen terme. La très grande qualité des statistiques scolaires établiesdepuis plus de cinquante ans par les services du Ministère – autre exception française,l’excellente qualité des services statistiques – permet de remonter assez loin (années 60) maissurtout de combiner deux approches : une approche institutionnelle et une approcheindividuelle. La première est synchronique ou plutôt synchro-diachronique ; elle dresse letableau de la situation une année donnée ou une série d’années données par des courbes oudes graphique. La seconde, beaucoup plus individuelle est longitudinale ; elle retracel’itinéraire scolaire d’une génération. Elle est ainsi capable de reconstituer le processus desélection continu qui isole progressivement dès la classe de sixième les cinq petits pour centde leur génération qui entreront dans une classe préparatoire. Cinq petits pour cent d’unegénération, telle est la dimension exacte de la population qui nous réunit tous dans le cadre dece colloque. L’articulation de ces deux approches est absolument nécessaire. Complémentairede la vision historique qui vient de nous être présentée, elle montre combien le système desclasses préparatoires ne constitue pas seulement un petit morceau de notre enseignementsupérieur mais comment, au contraire, il fait corps avec la conception de l’excellence scolaireà la française, telle que la République l’a empruntée aux Jésuites, aux Armées de l’Ancienrégime et à l’administration de l’Empire, in saecula saeculorum.

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L’articulation de ces deux approches permet aussi d’identifier des marges d’action. Elle permeten particulier de repérer de nouveaux viviers susceptibles de renouveler et d’élargir la basesociale, scolaire et géographique des publics des CPGE. Elle appelle ainsi à modifier le pro-fil des élites de demain de manière à ce qu’ils soient plus en phase avec les transformationsdes emplois et des métiers de la France de demain.

***

Acte I

Les graphiques permettant de suivre l'exposé sont à la fin de celui-ci.

Attention : pendant la première partie de l’étude, le champ considéré est celui des classespréparatoires publiques relevant du Ministère de l’Education Nationale. Les autres CPGE(celles du ministère de l’agriculture, de la défense ainsi que les écoles privées) représentent en2002, 17 % des effectifs, soit 12600 étudiants. Mais pour des raisons de suivi sur longuepériode et de meilleures statistiques sur différentes variables nous ne les avons pas inclusesdans notre étude.

Commençons par le début et observons l’évolution des effectifs des classes préparatoiresdepuis la fin de la deuxième guerre mondiale, soit plus d’un demi-siècle. Le profil d’ensembleest à la hausse, avec trois périodes bien distinctes : une montée en charge de la fin des années40 à 1985, un fort et vif accroissement, pendant dix ans, de 1985 à 1995, suivi d’un plateauoù l’effectif demeure à peu près constant frôlant sans jamais l’atteindre les 60 000 élèves.Plus précisément si en 1947 seulement 8 600 élèves étaient en classes préparatoires, ils sontactuellement 58 600 soit près de 7 fois plus. De 1975 à 2000, en 25 ans, les effectifs ontdoublé en CPGE. La hausse a été particulièrement forte de 85 à 95 (+ 55%) (avec +40% de85 à 90) puis on a assisté à une légère baisse de 95 à 2 000 suivie d’une légère remontée de 2000 à 2 002.

Cette progression des effectifs des CPGE ne s’est pas effectuée au détriment de la capacité del’Education Nationale à former une élite scolaire. En effet la Direction de l’Evaluation et de laProspective a évalué en 1993 les connaissances et compétences scolaires des " meilleursélèves " et les a comparées à celles de leurs aînés des années 50, 60, 70 et 80. Les conclusionsde l'étude sont claires : ces compétences scolaires prises globalement étaient stables et mêmeen légère croissance. Croissance des effectifs de l'élite scolaire et maintien de son niveaud'excellence sont donc allés de pair.

Lorsqu’on fragmente cet ensemble « classes préparatoires, toutes filières confondues », en sestrois composantes – classes préparatoires scientifiques, économiques et commerciales,littéraires, les khagnes BL étant regroupées avec les prépas littéraires -, on s’aperçoit que :

Les 3 filières de CPGE qui se distinguent à la fois par leurs évolutions mais également parleur contribution à l’évolution totale ont connu chacune leur propre rythme de développement

Les C.P.G.E. au fil du temps : une étude statistique et sociologique (Acte I)

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Ainsi, de 1975 à 2002, l’ensemble des effectifs des CPGE a augmenté de 95%.

- les effectifs des classes scientifiques ont augmenté de 82%

- les effectifs des classes économiques ont augmenté de 214%

- et les effectifs des classes littéraires ont augmenté de 63%

Lors de la période 85 à 95, ce sont les prépas scientifiques qui tirent l’évolution vers le haut ;elles sont relayées de 95 à 2000 par un boom des classes économiques et commerciales quisont les seules à augmenter à ce moment. De 2000 à 2002, toutes les filières augmentent, maisles classes littéraires relativement plus que les autres.

Finalement

- les prépas scientifiques se taillent la part du lion puisqu’à elles seules elles constituent,tout au long de la période, près des deux tiers des effectifs. C’est à elles qu’on doit laforte croissance observée entre 1985 et 1995, les deux autres composantes ne secaractérisant par aucune inflexion forte à la hausse. La forte progression de 85 à 95 seretrouve quelles que soient les filières mais elle est surtout expliquée par la forte augmen-tation des filières scientifiques.

- ne représentant à elles deux qu’un tiers des effectifs, les prépas commerciales et littérairesont une influence moins accentuée. Cependant elles contribuent fortement aux évolutionsrécentes.

Ainsi, de 1995 à 2000, les effectifs des CPGE ont baissé de 1,6% mais la filière économie-commerce a connu, et c’est la seule filière, une hausse de 31%. Cette augmentations’explique en partie par la réforme de 95, c’est-à-dire, le passage de un à deux ans de lascolarité des prépas économiques et commerciales option scientifique et économique.

Conséquence de tout cela : les prépas commerciales et économiques dont les effectifs étaienten début de période inférieurs à ceux des prépas littéraires, les dépassent en 1995 et comptentdésormais 2 000 élèves de plus.

Une comptabilité plus précise de l’évolution des volumes respectifs de ces trois composantesmet en évidence un net accroissement de la part des prépas économiques qui, en 25 ans,passent de 13 à 20%. Cette percée réduit donc mécaniquement les parts relatives des deuxautres composantes – scientifiques et littéraires – sans que ces dernières voient baisser leurseffectifs.

Avant 1995, sur 10 élèves de CPGE, 7 étaient des scientifiques, 2 des littéraires et 1 un écono-miste. En 2002, sur 10 élèves, 6 sont des scientifiques, 2 des littéraires et 2 des économistes.On assiste donc à une redistribution des scientifiques vers les économistes-commerciaux.

Tout cela est bel et bon, dira-t-on, mais une croissance des effectifs n’a de sens que si on larapporte à la croissance des effectifs des autres composantes de l’enseignement supérieur, lesuniversités, bien sûr mais aussi les autres secteurs sélectifs, Iut, Sts… Chacun sait en effet quedepuis les années 60, les effectifs de l’enseignement supérieur ont explosé, le nombred’étudiants passant de 310 000…. en 1960 à 2 millions 2…. en 2002. Soit un facteur 7.

28

La seule vraie question est donc de savoir si les effectifs des prépas ont cru plus, autant oumoins que les autres secteurs de l’enseignement supérieur, ceux du premier cycle universitaireen particulier. Et là, surprise : miracle de la statistique et de ses fonctions d’objectivation. Endépit des fortes variations des effectifs enregistrées dans la première courbe, en dépit destransformations de la composition organique des prépas (plus de prépas commerciales et éco-nomiques), en dépit de toutes ces créations de classes ici et là, au prix d’un travail acharné dechefs d’établissements et des associations professionnelles qui devaient développer des trésorsd’ingéniosité et d’obstination pour faire ouvrir dans leur établissement qui une khagne BL,qui une taupe M, ou une prépa Hec, c’est un tableau de la constance et des permanences quela statistique nous invite à contempler. Il en va des statistiques des prépas comme de cellesque Durkheim a établies pour le suicide : elles sont animées d’une grande force d’inertie, ellesvarient très peu. L’information la plus intéressante du graphique réside en effet dans l’aligne-ment des petits bâtonnets bleu roi qui représentent la part occupée par les classes préparatoirespar rapport à la part des étudiants de premier cycle des universités.

Elle ne varie quasiment pas oscillant légèrement au cours du dernier quart de siècle autour de7%, tantôt un peu plus, tantôt un peu moins. Dans le cadre d’une tendance générale à lahausse des effectifs de l’enseignement supérieur, les classes préparatoires ont maintenu, à ladécimale près, leur place. Ni plus, ni moins. Le phénomène est particulièrement remarquablelorsqu’on sait qu’une partie de la régulation des effectifs est spontanée. Ce quota de 7 % n’ajamais fait l’objet d’une décision politique ou administrative. Nombreux ont également été lesbouleversements de l’enseignement supérieur au cours de la période. Or, dans cet ensemble,la proportion des prépas reste constante.

Deuxième enseignement de ce graphique, celui qui joue le rôle de trompe l’œil, tant il estspectaculaire :la forte croissance d’autres filières sélectives de premier cycle : IUT et STS. Laseule croissance de ces filières réduit considérablement la part des classes prépas proprementdite dans le secteur ouvertement sélectif : elle tombe de 10 points (de 29 à 18). Le secteurouvertement sélectif se rééquilibre donc au détriment des CPGE et au profit des IUT et STS.

Autre évolution importante : la montée des classes BL (sciences économiques et sociales),nouvelles venues dans le paysage qui ont créé un pôle nouveau, un pôle d’avenir au sein desformations littéraires, en recrutant des bacheliers scientifiques et en diversifiant considé-rablement leurs débouchés : ens, ensae, écoles de commerce, etc…Elles ne représentaient que4 % des effectifs des khagnes littéraires, elles sont passées à 10 % et ne demandent qu’àcroître et embellir.

Au terme de ce premier aperçu, il ressort que les Cpge ont évolué, mais qu’elles ont évolué aumême rythme que l’enseignement supérieur en général, d’autres structures ouvertement1

sélectives voyant le jour et se développant à leurs côtés.

Cependant – spéciale dernière ! ! !- à la rentrée 2002 on observe une forte hausse desnouveaux entrants en CPGE (+3,6%) alors que les nouveaux entrants baissent en IUT (-1,5%)et en STS (-2,5%).

***

1 Nous utilisons à dessein « ouvertement » car d’autres instances de premier cycle sont « fermement sélectives »dans la mesure où elles exigent une certaine section de bac pour inscrire les étudiants : fac de sciences et d’éco-nomie ne recrutent que des bacs C ou S.

Les C.P.G.E. au fil du temps : une étude statistique et sociologique (Acte I)

29

Il importe maintenant de compléter cette première vue d’ensemble par une analyse plusdétaillée des évolutions internes. De mieux caractériser les différentes populations quicomposent cet ensemble et ses sous-ensembles. Chercher à savoir comment au fil du temps,les classes préparatoires se distribuent sur l’ensemble du territoire, entre Paris et la Province,distinction stratégique en France. Se demander si le procès qu’on leur fait souvent de n’attirerque des garçons et de repousser les filles est fondé ou si les filles au contraire ne commencentpas à conquérir à leur manière ce nouveau territoire. S’interroger également sur leurrecrutement scolaire. Et puis aussi d’avoir des idées plus claires sur l’évolution de sonrecrutement social. Chacun se souvenant de l’article de Michel Euriat et Claude Thélot quimontrait qu’en trente ans les chances d’un enfant d’origine populaire d’entrer dans l’une desquatre très grandes écoles (Ens, X, Hec, Ena) sont demeurées constantes : 24 fois moins dechances qu’un élève originaire d’un autre milieu.

Longtemps, le centralisme jacobin (qui existait déjà sous l’Ancien Régime ! ! !) a fait de Parisle foyer unique des lumières, la capitale concentrant les meilleures formations.

De fait, Paris et la région parisienne abritaient en 1970, 40 % des élèves scolarisés en classespréparatoires. Les trente dernières années du siècle passé ont sensiblement corrigé cettedisparité majeure. Soixante dix pour cent des effectifs étudient désormais dans des classespréparatoires situées en dehors de la Région Parisienne, sur l’ensemble du territoire, les partsde la Région parisienne et de Paris intra muros étant respectivement tombées en trente ans de40 à 33 et de 30 à 19. Aujourd’hui, seul un élève de prépa sur cinq est scolarisé à Paris. On adonc une redistribution vers la province et à l’intérieur de l’Ile de France hors de Paris.

Progrès certes mais qui semble avoir atteint un palier. La situation ne progresse plus depuis1995.…

Et le poids de Paris reste encore très élevé : il existe une forte redistribution des élèvesentrant en classes prépas avant et après l’obtention de leur baccalauréat. Les bacheliersparisiens inscrits en CPGE ne représentent que 8% du total des bacheliers qui continuent enCPGE. Or, 17% - un peu plus du double - des bacheliers entrant en CPGE font leur scolaritéà Paris.

De plus, si toutes les académies de France possèdent des classes préparatoires, les capacitésd’accueil sont très variables : en France métropolitaine et sans l’académie de Corse, .lerapport est de 1 à 24 entre l’académie dotée de la capacité d’accueil la plus faible(Limoges avec 470 élèves) et l’académie dotée de la capacité d’accueil la plus large(Paris avec 11 130 élèves). Six académies (Paris, Versailles, Lyon, Lille, Rennes et Toulouse)sur 26 concentrent à elles seules près de la moitié des effectifs.

Rien d’étonnant, dans ces conditions, si les élèves de CPGE sont plus mobiles que les autresétudiants du supérieur. De fait, les CPGE suscitent d’importants flux migratoires. Alors qu’unétudiant sur dix change d’académie après son bac, c’est le cas d’un préparationnaire surquatre.

Plus précisément, sur l’ensemble des élèves qui continuent après leur baccalauréat en CPGE :10% quittent une académie de province pour aller à Paris, 14% changent d’académie dans lesens province … province, 1% vont de Paris vers la Province et les trois autres quarts nechangeant pas d’académie.

30

Il existe par contre une bonne raison de se réjouir, sans devoir le moins du monde bouder sonplaisir. Il s’agit à coup sûr de la transformation la plus importante intervenue au cours descinquante dernières années dans l’univers des clases préparatoires. La percée scolaire desfilles. Certes, on est encore loin de la parité. Surtout, les classes préparatoires accusent unretard considérable sur l’évolution en cours dans toutes les autres instances del’enseignement, médecine comprise. La percée des filles s’est effectuée là avec retard et surun rythme moins soutenu qu’ailleurs. Mais il faut pour mesurer à sa juste valeur cesévolutions récentes se souvenir d’où l’on part, c’est-à-dire d’un état voisin du degré zéro. Cesclasses, héritées, rappelons-le des collèges des Jésuites, avaient gardé de l’Eglise cettedéfiance dont toutes les religions ont toujours fait preuve à l’égard des femmes. S’agissant deformer l’élite intellectuelle du pays, ces classes ne pouvaient recruter que des hommes. Lesgrandes écoles étaient des écoles de garçons. Ce n’est plus le cas.

Si le rythme de croissance des années récentes de 1 % par an se maintient, la parité sera enfinréalisée vers 2009 ou 2010, ce qui a longtemps été exclu des imaginations les plus hardies.Petite ombre au tableau, toutes les filières ne sont pas également féminisées. Et une analyseplus fine des prépas scientifiques montre que la poussée des filles est forte dans les classes bioet plus faible, beaucoup plus faible dans les prépas Maths et Physique. Par contre, les filières« modernes », économiques, commerciales et sciences sociales se caractérisent par despoussées significatives. La « femme étant l’avenir de l’homme », ne sont-ce pas ces filièresqui sont aujourd’hui, le plus porteuses d’avenir ? ? ? ?

Si certaines filières ne sont pas encore assez féminisées (le noyau dur des prépasscientifiques), certaines par contre, le sont trop (les prépas littéraires, avec près de 80 % desfilles). L’équilibre étant presque atteint par les préparations commerciales. Phénomène làencore très récent : l’art de la vente et des échanges a longtemps été un apanage masculin,associé à la faconde (voir le personnage de Gaudissart chez Balzac). Depuis que cesprofessions commerciales et économiques sont devenues plus scientifiques et rationnelles(marketing, études de marché, prévisions, modèles économétriques, direction de grandessurfaces…), elles se sont ouvertes aux femmes qui y font merveille. Idem pour la filière B/L,sciences économiques et sociales. A chacun de se demander où est la cause, où est l’effet ?

Mais, en dépit de ces fortes disparités sectorielles, les pentes sont à la hausse dans les troissecteurs. Le retard accumulé dans le domaine des prépas scientifiques et surtout dans sonnoyau dur (maths-physique) constitue à lui seul un grave problème. Ne nous laissons pasberner par les représentations graphiques. N’oublions pas que la micro flûte de Pan à gauche(celle des prépas scientifiques), qui se font toutes petites, lorsqu’il s’agit d’enregistrer laprogression des filles, dissimule sous sa taille modeste les gros bataillons des prépas.Souvenons-nous des premiers schémas.

La courbe des évolutions des effectifs par sexe montre avec clarté un phénomène décisif,confirmé par beaucoup d’autres analyses. Les effectifs masculins stagnent ou régressent, ceuxdes filles ne cessent de progresser. Autre phénomène non négligeable : les filles contribuentplus que les garçons proportionnellement à leur poids à la croissance des effectifs en CPGE.

Ainsi de 1975 à 2002 les effectifs de filles en CPGE ont augmenté de 172% alors que ceuxdes garçons n’augmentaient que de 60%. Ce sont les filles qui ont le plus contribué à lacroissance totale des effectifs de CPGE et leur poids augmente donc de 1975 à 2002 commenous l’avons vu précédemment. Ce phénomène se retrouve quelle que soit la filière deCPGE.

Les C.P.G.E. au fil du temps : une étude statistique et sociologique (Acte I)

31

Récemment, de 2000 à 2002, les effectifs de garçons baissent de 1% alors que les effectifs defilles augmentent de 7%. Ces évolutions inverses se retrouvent également quelle que soit lafilière.

C’est donc aux filles qu’on doit dans les dernières années le maintien et la progression dupoids des classes préparatoires dans le système d’enseignement supérieur français. Cemouvement est particulièrement net dans le secteur des prépas commerciales. Par contre, ladécroissance sensible de la participation masculine aux formations littéraires pose unproblème du même ordre que la sous représentation des filles dans les prépas scientifiques.

Le moment est venu d’aborder un sujet délicat. Celui du recrutement social des classespréparatoires et de son évolution. Afin de ne pas froisser des oreilles sensibles par un discourstrop appuyé sur la reproduction, nous avons opté pour une présentation muette en laissantcette fois les faits parler d’eux-mêmes. Car ils sont éloquents…..

Mais ces disparités sociales se construisent tout au long de la scolarité.

En matière sociale, une situation n’est jamais désespérée. La connaître de façon objectiveconstitue un premier pas pour la transformer. Une analyse des évolutions récentes desbaccalauréats indique l’existence de nouveaux viviers.

De nouveaux viviers

Les analyses précédentes des évolutions des CPGE permettent déjà d’identifier deux viviersd’élèves pour les CPGE mais également de mettre en évidence une certaine démocratisationdes recrutements en CPGE sur 25 ans. Un troisième vivier apparaîtra à la fin de l’ Acte II..

a) les bacheliers technologiques.

Globalement, la courbe des bacheliers a la même allure que celle des effectifs de CPGE avecdes différences qui sont liées au comportement des différents bacs, des différentes sériescomposant le bac général, mais surtout aux taux de poursuite des bacheliers en CPGE. Cesdeux facteurs ont joué de grands rôles sur la période et la hausse des effectifs de CPGE estdue à la fois à une augmentation du nombre de bacheliers mais également à une croissance deleurs taux de poursuite en CPGE.

Ainsi, de 1975 à 2002, le nombre de bacheliers généraux a augmenté de 63% et celui desbacheliers technologiques de 170%. Parallèlement de 1975 à 2002 les effectifs des entrants enCPGE venant d’un bac techno de 2288% et ceux d’un bac général de 79%, donc beaucoupplus que leur effectifs au bac. On assiste donc à une hausse des taux de poursuite desbacheliers en CPGE à la fois pour les bacheliers généraux et pour les technologiques. On ale même phénomène quelle que soit la série au bac général : 5% des bacheliers L continuaienten CPGE en 75, ils sont 7,1% en 2002, 2% des bacheliers ES continuaient en CPGE en 75,ils sont 4,5% en 2002, 15,6% des bacheliers S continuaient en CPGE en 75, ils sont 17,3% en2002.

32

Les taux de poursuite jouent un rôle essentiel mis un peu compliqué à analyser puisqu’ilsmesurent à la fois un attrait pour les CPGE, un nombre de places disponibles mais égalementun degré de sélectivité, ces trois facteurs n’étant pas totalement indépendants entre eux :

De 1985 à 1995 le nombre de bacheliers généraux a plus augmenté que celui des entrants enCPGE : ce sont en effet les taux de poursuite des bacheliers généraux, les S et dans unemoindre mesure les L, et ceux des bacheliers technologiques qui ont baissé entraînant unemoindre hausse des CPGE.

De 1995 à 2000 le nombre de bacheliers généraux a baissé de 6% mais celui des bachelierstechnologiques a augmenté de 10%, or les effectifs des entrants en CPGE connaissent sur lamême période une baisse de 6% : cette fois les taux de poursuite des bacheliers généraux ontlégèrement baissé, en raison d’une forte baisse des taux de poursuite des bacheliers Scontenue par une hausse des celles des bacheliers L et ES. Par contre les taux de poursuite desbacheliers technologiques ont augmenté.

Par contre, de 2000 à 2002 le nombre de bacheliers généraux a baissé de 5%, celui desbacheliers technologiques de 7% alors que les effectifs des entrants en CPGE augmentaientquel que soit le bac et la série. Donc les taux de poursuite ont augmenté et permis d’enrayerla baisse des effectifs de bacheliers.

Cette hausse des taux de poursuite des bacheliers généraux en CPGE a permis de compenserla baisse des bacheliers généraux et plus particulièrement celle des bacheliers S si bien qu’onassiste en 2002 à une hausse des entrants en 1ère année de CPGE alors qu’on on une baissedes effectifs en IUT et STS.

Dans la conjoncture démographiquement déprimée que nous connaissons, les CPGE demeu-rent toujours attractives.

Si on examine plus finement le profil des bacheliers on constate une redistribution des profilsdes élèves en terminales et en CPGE en terme de bac, de séries mais également d’options.Cependant cette redistribution a évolué dans le temps.

En 1975, au baccalauréat général ou technologique on avait 75% de bacheliers généraux et25% de bacheliers technologiques. Plus précisément parmi les bacheliers généraux 33%avaient un bac A, 14% un bac B et 53% un bac C, D , D’ ou E (et 37% d’entre eux un bac C).

Toujours en 1975, les bacheliers qui se retrouvent en CPGE étaient pour 99,6% des bacheliersgénéraux et pour 0,4% des bacheliers technologiques. Plus précisément parmi les bacheliersgénéraux qui entrent en CPGE 17% avaient un bac A, 3% un bac B et 80% un bac C, D , D’ou E ( avec 80% d’entre eux un bac C).

En 2002, au baccalauréat général ou technologique le poids des bacheliers technologiques aété multiplié par 1,4 et leurs effectifs par 3 : on a 65% de bacheliers généraux et 35% debacheliers technologiques. Plus précisément parmi les bacheliers généraux 19% ont un bac L,31% un bac ES et 50% un bac S.

Et en 2002, soit 27 ans plus tard, le poids des bacheliers technologiques en CPGE a étémultiplié par 12 et leurs effectifs par 24: les bacheliers qui se retrouvent en CPGE sont pour5% des bacheliers technologiques. Plus précisément parmi les bacheliers généraux qui entrenten CPGE 12% avaient un bac L, 12% un bac ES et 76% un bac S.

Les C.P.G.E. au fil du temps : une étude statistique et sociologique (Acte I)

33

Aussi, les bacheliers technologiques rendent compte, à eux seuls, entre 1975 et 2002 de 10%de l’évolution des effectifs d’ensemble. Alors qu’ils ne représentaient que 0,4 % des effectifsde CPGE en 1975, ils en représentent 5 % aujourd’hui. Leurs taux de poursuite en CPGE a étémultiplié par 10. Mais cela reste faible : si seulement 0,1% d’entre eux entraient en CPGE en1975, ils sont 1% actuellement.

Autre mesure qui confirme la première. Les rapports de chances relatives d’entrée en CPGE,entre un bachelier général et un bachelier techno, un bachelier S et un autre bachelier ontdiminué depuis 75. On enregistre ainsi une diminution des disparités scolaires face à l’entréeen CPGE.

b) Les filles

De 1975 à 2002,

le nombre de bachelières générales a augmenté de 70% alors que celui des bacheliersgénéraux n’augmentait que de 54%.

Le nombre de bachelières générales série S a augmenté de 59% alors que celui des bacheliersgénéraux n’augmentait que de 47%.

Le poids des filles a donc augmenté au bac général et au bac S mais également en ES et L.Sur la même période leur présence en CPGE a été multipliée par trois, donc plus que leurseffectifs au baccalauréat. Leur taux de poursuite en CPGE a donc cru fortement. De plus,quelle que soit la filière les effectifs de filles ont plus augmenté que ceux des garçons si bienqu’elles expliquent, à elles seules, plus de la moitié de la croissance des effectifs en CPGE de1975 à 2002 alors qu’elles représentent bien moins que la moitié des effectifs.

Cette forte contribution des filles aux évolutions des CPGE est due à la fois à uneaugmentation des effectifs de bachelières, à une hausse de leur poids au bac mais également àune progression de leur taux de poursuite en CPGE.

Allons plus loin : depuis 1995, c’est la poussée des filles qui soutient les Cpge puisque leseffectifs masculins diminuent. Alors qu’elles ne représentaient que 30 % des effectifs, ellespassent à 40 aujourd’hui.

Il y a là un fort potentiel : d’autant qu’elles sont plus souvent bachelières, qu’elles obtiennentplus souvent avec une mention. Or, ces poids des filles dans les différentes séries au bac etcette meilleure réussite des filles ne se retrouve pas en CPGE lorsqu’on examine le poids desfilles. Les réserves sont grandes et forte est la marge d’accroissement. Les filles ont toujoursmoins de chances d’entrer en classes prépa que les garçons mais l’écart se resserre. Lesrapports de chances relatives d’entrée en CPGE, entre un bachelier et un bachelière ontdiminué depuis 75. On enregistre ainsi une diminution des disparités filles/garçons face àl’entrée en CPGE.

Nous tirerons de ce premier acte, 5 conclusions :

34

a) forte résistance de l’institution qui évolue en s’adaptant à la montée des effectifs dansl’enseignement supérieur, sans la moindre baisse de qualité

b) montée en puissance d’autres filières « ouvertement sélectives »

c) poussée forte des filles et significatives des bacs technologiques, qui constituent denouveaux viviers à la fois par une progression de leur effectifs en amont (au bac) enabsolu et en relatif et par de meilleurs taux de poursuite en CPGE. Mais il reste de lamarge.

d) maintien d’une forte sélection sociale qui doit être tempérée par le fort accroissement dansla population active des catégories de cadres intellectuels moyens et supérieurs.

e) Mais baisse de la disparité par sexe et par origine scolaire.

***

Les C.P.G.E. au fil du temps : une étude statistique et sociologique (Acte I)

35

Les grandes évolutions Evolution des effectifs des classes préparatoires - publiques MEN -

5857258157

8619

14925

2271627387

30078

37519

52547

33531

57251 57460

0

10000

20000

30000

40000

50000

60000

70000

1947 1958 1964 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2001 2002

Rentrées

LES DIFFERENTES PARTS AU COURS DU TEMPS DES FILIERES SCIENTIFIQUES, LITTERAIRES ET ECONOMIQUES

2 705

24 46620 450

36 82736 703 37 152

22 347

18 382

39 728

35 256

5 982

11 88211 383

3 779 4 688

9 179

8 758

11 481

9 2506 300 6 496

8 1129 538

5 8497 071

9 671

9 067

0

5 000

10 000

15 000

20 000

25 000

30 000

35 000

40 000

45 000

1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2001 2002

RentréesClasses scientifiques Classes économiques Classes littéraires

36

29,3

7,5

6,0

26,4

7,0

5,5

23,8

6,4

5,0

22,4

6,8

5,2

19,5

6,8

5,0

18,1

6,8

5,0

18,2

7,1

5,1

18,6

7,2

5,2

0,0

5,0

10,0

15,0

20,0

25,0

30,0

1975 1980 1985 1990 1995 2000 2001 2002

Le poids des cpge dans le premier cycle

CPGE/filières sélectives (STS + IUT + CPGE) cpge/1er cycle universitaire CPGE/ensemble

30,3

61,0

28,5

61,9

20,9

67,0

19,7

68,2

18,4

69,4

18,7

69,1

19,0

68,9

0,0

10,0

20,0

30,0

40,0

50,0

60,0

70,0

1970-71

1980-81

1990-1991

1995-1996

2000-2001

2001-2002

2002-2003

Evolution du poids Paris/province % Paris

% Ile deFrance%Province

Les C.P.G.E. au fil du temps : une étude statistique et sociologique (Acte I)

37

Evolution de la part des filles dans les classes préparatoires (Education nationale)

31 3337 38 41 42 43

0

10

20

30

40

50

60

70

80

90

100

1975-76 1980-81 1990-91 1995-96 2000-2001 2001-2002 2002-2003

Elè

ves

Filles et garçons dans les classes scientifiques

16 788

26 426 26 44626 629

29 394

27 205

27205

18 177

10 40110 074

10 70610 334

8 051

49524 1703 662

0

5 000

10 000

15 000

20 000

25 000

30 000

1975-76

1980-90

1984-85

1990-91

1995-96

2000-2001

2001-2002

2002-2003

Garçons

Filles

dans les classes littéraires

2120

1747

1910 20002270

25062085 2126

7165

5842

5071

4586

7412

7165

4102

0

1000

2000

3000

4000

5000

6000

7000

8000

1975-76

1980-90

1985-86

1990-91

1995-96

2000-2001

2001-2002

2002-2003

Garçons

FillesDans les classes économiques et commerciales

22753973

4772 4797

2484

2826

3833

4952

2204

3084

5346

4785

6529 66117085

1504

0

1000

2000

3000

4000

5000

6000

7000

8000

1975-76

1980-81

1984-85

1990-91

1995-96

2000-2001

2001-2002

2002-2003

Garçons

Filles

38

L’origine sociale des étudiants dans les classes scientifiques

44,844,244,243,944,7 43,743,5

11,8121212,413,7 13,3

11,7

28,9 27,9 28,228,3 28,8 28,9 28,9

15,214,914,91514,914,7 14,7

0,0

10,0

20,0

30,0

40,0

50,0

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002

Milieu supérieur Milieu enseignant

Milieu intermédiaire Milieu populaire

dans les classes économiques et commerciales

51,2 51,5 51,1

9,1 9,4 9 8,4 8,4 8,6

25,8 26,2 26,1 25,7 26,1 26,1 25,5

13,2 12,7 13,2 14 13,9 13,9 14,8

51,352,052,8 51,5

8,2

0,0

10,0

20,0

30,0

40,0

50,0

60,0

1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002

Milieu supérieur Milieu enseignant Milieu intermédiaire Milieu populaire

Les C.P.G.E. au fil du temps : une étude statistique et sociologique (Acte I)

39

dans les classes littéraires

19,5 18,6 18,5 17,4 17,4 16,6

26,2 25,927,8 26,8 25,8 25,8 25,9

12,2 11,9 11,8 11,2 12 12 12,4

44,342,7 41,8 43,5

44,9 44,9 45

17,2

0,0

10,0

20,0

30,0

40,0

50,0

1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002

Milieu supérieur Milieu enseignant Milieu intermédiaire Milieu populaire

Les origines sociales des étudiants :

57 % des garçons et 59 % des filles élèves de classes préparatoiressont issus de milieux sociaux supérieurs ou de familles d’enseignants.

Lesquels ne représentent que 18% de la population active.

La contribution de la Province :

- plus d’enfants d’enseignants. - plus d’enfants de classes moyennes.

40

Les origines sociales des élèves selon leurs origines géographiques

(1996-1997)56,5

19,8

9,3

42,1

31,2

14,4 12,813,9

0

10

20

30

40

50

60

Milieu supérieur Milieu intermédiaire Milieu populaire Milieu enseignant

Ile deFranceProvince

(2002-2003)

56,4

19

9,3

41,4

31,1

13,115,3 14,4

0

10

20

30

40

50

60

Milieu sup?rieur Milieuinterm?diaire

Milieu populaire Milieu enseignant

Ile deFranceProvince

44,6

28,7

15,311,4

52,8

25

13,2

9

44,6

25,4

10

20,1

0

10

20

30

40

50

60

Sciences Economie Lettres

et des garçons selon la classe suivie en 2002-2003

Milieu supérieur Milieu intermédiaire Milieu populaire Milieu enseignant

44,9

27,9

14,0 13,3

50,0

25,9

15,9

8,3

45,1

26,1

13,1 15,6

0,0

10,0

20,0

30,0

40,0

50,0

60,0

Sciences Economie Lettres

l'origine sociale des filles selon la classe suivie en 2002-2003

Milieu supérieur Milieu intermédiaire Milieu populaire Milieu enseignant

Les C.P.G.E. au fil du temps : une étude statistique et sociologique (Acte I)

41

51,343,8

16,8 13,221,4

27,7

10,515,3

0

10

20

30

40

50

60

Milieu supérieur Milieu enseignant Milieuintermédiaire

Milieu populaire

Les CSP en MP et MP* MP*

MP51,9

43,5

11,9 11,5

2329,9

13,2 15,2

0

10

20

30

40

50

60

Milieu supérieurMilieu enseignant Milieuintermédiaire

Milieu populaire

Les CSP en PSI et PSI* PSI*

PSI

52,6

42,4

12,3 11,6

22,530,4

12,7 15,6

0

10

20

30

40

50

60

Milieu supérieurMilieu enseignant Milieuintermédiaire

Milieu populaire

Les CSP en PC et PC* PC*

PC55,4

39,2

7,2 9,8

26,633,2

10,817,8

0

10

20

30

40

50

60

Milieu supérieurMilieu enseignant Milieuintermédiaire

Milieu populaire

Les CSP en PT et PT* PT*

PT

Evolution des bacheliers

281004250316

148476 137425

2800090778

501941 478519

592870

100000

200000

300000

400000

500000

600000

1960 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2001 2002

Bac général Bac technologique Bac professionnel Tous bacs

42

Poids des différents types de baccalauréat

Bac général

Bac technologique

Bac professionnel

0%

20%

40%

60%

80%

100%

1960 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2001 2002

17 1451

84

687

32

528

25 6 4 6

-50

50

150

250

350

450

550

650

750

Elèv

es

ENS cachanC

PTSI TPC TB TSI Eco opttechno

ENS CachanD2

Autres cpge

Où se sont inscrits les bacheliers technologiques ?

Ter STI

Ter STL

Ter STT

Les C.P.G.E. au fil du temps : une étude statistique et sociologique (Acte II)

43

Acte II

Les données qui vont être présentées dans ce deuxième moment de l’exposé apportent sur laquestion un autre éclairage, complémentaire au premier. Les premières étaient une successionde photographies instantanées prises, année après année, de la structure : évolution deseffectifs, évolution de la part des trois principales composantes (sciences , commerce, lettres),des garçons et des filles, etc…. Les secondes relèvent plus du cinéma que de la photo. Ellesretracent des trajectoires individuelles. Issues d’un panel longitudinal, elles situent les élèvesde prépas de la fin des années 90 au sein de leur propre génération, celle qui entrait en classede sixième en 1989. Ces données permettent de saisir directement, depuis la fin de l’écoleprimaire, les facteurs favorables et défavorables à une entrée en classes préparatoire, huit ansplus tard. Elles retracent les étapes d’un processus de sélection continu. Le point de référenceauquel sont rapportées toutes les grandeurs est la génération, c’est à dire l’ensemble des filleset des garçons qui se entraient en sixième en 1989. Parmi cet ensemble d’environ 770 000individus, seuls 38 500 soit 5 % de la génération se retrouvent huit ou neuf ans plus tardélèves d’une classe préparatoire. Cinq % d’une génération, voilà le poids statistique à peu prèsconstant chaque année, de cette élite scolaire. Car à n’en pas douter il s’agit d’une élitescolaire sévèrement sélectionnée qui a su très tôt manifester ses talents.

Elite scolaire, certes, mais très inégalement issue des différents milieux sociaux. Il y a, dansce processus de sélection, deux forces à l’œuvre que l’élitisme républicain aimerait biendissocier, découpler l’une de l’autre : l’origine sociale et l’excellence scolaire, l’héritage et lemérite.. Depuis la déclaration des droits de l’homme et l’établissement de la République, lesseules distinctions légitimes entre les citoyens sont celles qui séparent les talents. Là sont leprincipe et l’esprit de l’élitisme républicain. La sélection par l’excellence scolaire devraitrebattre à chaque génération les cartes de l’origine sociale. Il n’en va malheureusement pasainsi : le recrutement des classes préparatoires, antichambre des grandes écoles, offre uneimage grossie d’un phénomène qu’on retrouve à tous les points du système. Ce sont à coupsûr, les meilleurs élèves qui entrent en classes préparatoires. Il n’est pas question ici de passedroit ; ils en payent le prix en termes d’efforts et de travail, mais l’expérience prouve qu’ils serecrutent beaucoup plus souvent en haut qu’en bas, à excellence scolaire égale.

Les futurs élèves de CPGE se recrutent en effet d'abord parmi les meilleurs élèves de leurgénération : trois sur quatre avaient ainsi obtenu aux tests d'évaluation organisés au début dela 6ème des résultats qui les plaçaient parmi les 25 % d'élèves les plus brillants. Mais tous lesélèves du quartile supérieur n'ont pas la même probabilité d'accéder en classe préparatoire :parmi eux, ceux dont les parents sont enseignants ou cadres supérieurs iront quatre fois plussouvent en classe préparatoire que ceux de milieu populaire. Si on prend l'ensemble des élèvesde 6ème, la proportion est de 1 à 10, la probabilité d'accès en CPGE d'un élève du milieu inter-médiaire étant à peine plus élevée que celle d'un enfant de milieu populaire.

Les vues suivantes illustrent de façon très suggestive, sous la forme de flûtes de pan, ladistillation continue qui s'opère à partir de l'entrée en 6ème : les élèves appartenant aux milieuxsupérieurs sont trois fois plus nombreux parmi les entrants en CPGE que dans l'ensemble dela cohorte des élèves de 6ème. La généralisation de l’accès au bac – qui a constitué un sautquantitatif – modifie peu la distribution des catégories sociales telle qu'on l'observe en 6ème..

44

Par contre le clivage important - saut qualitatif, celui-là – c'est celui qui sépare l'accès au bacde l'accès à un baccalauréat général avec mention, cela pour les filles comme pour lesgarçons, à cette nuance près que les filles d'origine populaire résistent un peu mieux...

On retrouve ce même saut qualitatif lorsqu'on compare le niveau de diplôme des parents : plusde six bacheliers sur dix sont des bacheliers de la première génération, c'est à dire qu'ils sontles premiers de leur famille à accéder au bac. A l'inverse six sur dix de ceux qui ont eu unbaccalauréat général avec mention ont un père bachelier, plus d'un sur trois a au moins unelicence, une maîtrise ou le diplôme d'une grande école, et c'est le cas de pas très loin d'unélève de prépa sur deux. On retrouve le même phénomène, un peu atténué, pour les mères.

Sur les revenus familiaux, on ne dispose que d'un indicateur, avec ses limites qui sont cellesdes critères d'attribution des bourses, mais qui montre quand même que les boursiers sontpresque trois fois moins nombreux parmi les élèves de terminale inscrits en classe prépa quedans l'ensemble des bacheliers du panel.

Il s'agit là d'un phénomène fort connu, et qui n’est pas propre à la France, - notre pays ayantl’avantage sur beaucoup d’autres de le reconnaître et de le regarder en face par des mesuresprécises et régulières -, l’embourgeoisement croissant de la population scolaire à mesurequ’on s’élève dans les degrés de l’excellence, ou, autre façon de le décrire, l’éliminationprogressive des enfants d’origine populaire à mesure qu’on gravit les degrés de l’excellencescolaire. La hausse et la baisse semblent animés d’une force implacable : les filles ne setaillent progressivement leur place que dans le strict respect des inégalités existantes.

Ce nouvel angle de vision permet de relativiser les grandes tendances mises au jour au coursde l’Acte 1. Les classes préparatoires ne constituent pas une exception, un monde qui seraitrégi par des lois à part. Elles s’inscrivent au contraire dans le droit fil de la logique defonctionnement du système scolaire français. Elles concentrent seulement, en les grossissant,des constantes du système. Mérite et héritage, excellence scolaire et sélection sociale ontparties liées.

Cela dit, on aurait tort de croire que tout processus de sélection explicite ne correspondequ’aux aptitudes et aux aspirations des milieux sociaux les plus riches en capitauxéconomiques et culturels. La structure sélective en soi ne rebute les aspirations ni des parents,ni des élèves de classes populaires. L’atteste avec clarté le fait que leurs enfants s’engagentplus que les autres dans les IUT et STS : formation sélective, courte, qualifiante à finalitéprofessionnelle claire.

Le tableau suivant contient à ce sujet des informations très instructives.

La population prise en compte dans le tableau est celle de l’élite scolaire nationale saisieimmédiatement après le bac. Ils sont tous titulaires d’un bac général obtenu avec mention etne constituent à eux tous qu'à peine 12 % de leur génération entrée la même année en classede sixième. Dans la mesure où ils disposent les uns et les autres des mêmes atouts scolaires,on pourrait supposer que s’agissant de choisir une orientation dans l’enseignement supérieuret dans la vie professionnelle, ce soient leurs goûts ou leurs projets personnels qui déterminentleur choix. En tous cas, la marge scolaire de décision étant la même pour tous, l’originesociale ne devrait pas jouer un rôle important.

Or que voit-on ? Dans la première colonne, en rouge, celle de l’orientation en CPGE, les pro-portions diminuent à mesure qu’on descend des catégories les mieux dotées aux plus démunies.

Les C.P.G.E. au fil du temps : une étude statistique et sociologique (Acte II)

45

Les deux suivantes offrent un spectacle inverse. Les proportions augmentent à mesure qu’ondescend les degrés de la hiérarchie sociale. Les élèves s’orientant d'autant plus en IUT et STSque leurs parents sont d’origine plus populaire. Et cela, rappelons-le, à réussite scolaire égale.La disparité des choix faits par les garçons et les filles accentue ces inégalités : la probabilitéqu'un élève qui obtient un bac général avec mention entre en CPGE est trois fois et demi plusforte s'il s'agit d'un garçon de milieu supérieur que s'il s'agit d'une fille de milieu populaire.

On constate que le clivage majeur s’opère entre les milieux supérieurs et enseignants d’unepart, et les classes moyennes et populaires de l’autre. Les IUT semblent ainsi jouer pour lesclasses moyennes et populaires un rôle analogue à celui des prépas pour les milieuxsupérieurs : accueillir leurs meilleurs élèves. Ce n’est donc pas leur caractère ouvertementsélectif qui décourage les meilleurs élèves des classes populaires de s’y engager en force, bienau contraire. C’est peut-être davantage le risque d’un saut dans l’inconnu et le sacrifice d’uninvestissement long sans retour immédiat. L’effet du diplôme des parents joue dans le mêmesens que leur profession. Le clivage majeur s'opère ici entre le fait que le père ait accédé ounon à l’enseignement supérieur : le bac ne suffit pas pour modifier les comportements.

Le bilan social que l'on peut en tirer ? Il montre bien sûr de fortes disparités : les catégoriessociales sont très inégalement représentées au sein des grandes filières empruntées par lesbacheliers après leur bac, le premier cycle d'études médicales n'étant pas très éloigné desclasses préparatoires, le DEUG et l'IUT présentant de leur côté une structure sociale assezproche. Les bacheliers "de première génération" sont particulièrement sous-représentés parmiles élèves qui s'inscrivent en classes préparatoires, et deux fois plus nombreux en DEUG ouen IUT. La seconde mesure confirme ainsi celle du premier acte.

Si on estime maintenant l'effet toutes choses égales par ailleurs des différentes caractéristiquesdes bacheliers sur leur probabilité d’entrer en CPGE, on constate que c'est le niveau scolairequi creuse l'écart le plus important. Mais entre deux élèves qui ont décroché un baccalauréatgénéral à 18 ans avec une mention AB, celui dont le père appartient aux catégoriessupérieures ou détient un diplôme de niveau bac+3 intégrera bien plus souvent une classepréparatoire que celui dont le père appartient aux milieux intermédiaires ou a juste le bac.

Que peut-on faire ? L’enquête longitudinale suggère ici quelques pistes.

Le bac en soit n’induit pas une modification des comportements. Lesquels dépendent engrande partie du niveau d’information et de connaissance du système.

Lequel est loin d’être également partagé. Beaucoup n’entrent pas en prépas tout simplementparce qu’ils en ignorent l’existence. Alors qu’ils disposent d’un capital scolaire tout à faitcomparable à ceux qui entrent. Ce facteur de sélection négative est loin d’être négligeable. Ils’ajoute à cette inhibition psychologique, bien connue des sociologues, qui persuade à tortélèves et parents de certains milieux que « les prépas, ce n’est pas pour nous ».

Le rôle des enseignants dans l’information et les conseils aux bons élèves d’origine populaireest ici capital. Puisque trois sur quatre d'entre eux, lorsqu'ils s'inscrivent en prépa, déclarentavoir été informés par leurs enseignants, ce qui n’est le cas que d’un enfant de cadre sur deux,l’information circulant pour eux dans le cadre de la famille. Tandis que les élèves d'origineouvrière n'ont disposé d'aucune autre information, ni bien sûr de leurs familles qui le plussouvent ne connaissent pas cette filière, ni non plus des conseillers d'orientation. On peutpenser que la nouvelle procédure d’inscription en CPGE agira dans le sens d’une meilleurelisibilité des classes préparatoires.

46

Si on revient aux orientations prises par les bacheliers généraux avec mention, on voit queceux-ci prennent toujours plus souvent la voie d'une classe préparatoire lorsqu'ils ontbénéficié d'informations de la part de leurs enseignants. Mais ce rôle des enseignants n'a pasdu tout le même impact selon le contexte familial : l’absence d’information par lesenseignants au lycée réduisant à néant chez les enfants d’ouvriers toute chance d'orientationen prépa, ce qui n’est pas le cas pour les enfants de cadre. Cette importance de l’informationest confirmée par la régression logistique : on voit que le fait d'avoir été conseillé par sesenseignants pour son orientation exerce toutes choses égales par ailleurs une influencepresqu'aussi forte que les variables scolaires, et plus sensible que l'appartenance sociale.

Le fait qu’une part aussi importante d’élèves de prépas déclare avoir dans son environnementfamilial proche au moins une, voire plusieurs personnes passées par cette filière indique acontrario une certaine absence de visibilité nationale de ces classes, et en même temps lapesanteur qui s'exerce en faveur d'une orientation en prépa pour les bons élèves de certainesfamilles.

Dans cette perspective l'analyse des motivations d'une inscription en classe préparatoire estéclairante. L’inertie des résultats scolaires antérieurs est ainsi très souvent invoquée pourl'entrée dans les prépas scientifiques, ce qui laisse planer certains doutes sur l’intérêt suscitépar les matières et carrières scientifiques, tandis que la qualité des débouchés joue le rôle leplus important pour ceux qui s'inscrivent dans les classes économiques. Pour le choix d'uneclasse littéraire, l'intérêt pour le contenu des études est très fort, mais le souci del'encadrement et du suivi comme celui de se garder le plus de portes ouvertes ont beaucouppesé aussi. La comparaison avec les motivations des bacheliers généraux avec mention quiont fait eux le choix de l'université est intéressante : on voit en particulier que c’est là où lesdébouchés sont les plus aléatoires que « le projet professionnel » est le plus souvent invoqué.

Quoiqu’il en soit et c’est la leçon du dernier graphique, le choix d'une classe prépa n’était pasun mauvais choix… y compris pour l’immense majorité des littéraires qui pourtant,contrairement aux élèves de prépa scientifique et économiques, pour beaucoup - quasiment unsur deux - n’y passent qu’un an. Cette présence fugitive les dote néanmoins d’atoutssubstantiels pour la suite de leur parcours. Ils trouvent de meilleurs débouchés, plus variés etplus rapidement que ceux qui ne sont pas passés par cette filière.

Le troisième vivier final, lui aussi très fourni, est constitué de tous les bacheliers avec mentionissus de milieux populaires et moyens qui faute d’informations ou de confiance en soi sedétournent du chemin des prépas.

Il ressort clairement de cette fresque statistique que les CPGE doivent trouver des moyens decompenser les effets sociaux pervers des processus de sélection qui se construisent tout aulong de la scolarité. En élargissant la base sociale, il s’agit aussi d’ouvrir davantage l'éventaildes compétences des étudiants recrutés en CPGE. Les réservoirs potentiels existent et ne sontpas très loin : plus de femmes, plus de bacheliers technologiques, plus de bons et très bonsélèves issus des classes moyennes et populaires.

Les contraintes sociales sont fortes, certes, mais les marges de jeu aussi. L’école a du poids,elle peut convaincre et briser des résistances. Il suffit, pour s’en convaincre et se rassurer, dese rappeler le rôle que jouent les enseignants dans les orientations des bons et très bons élèvesdes catégories culturellement les plus éloignées du monde des prépas.

***

Les C.P.G.E. au fil du temps : une étude statistique et sociologique (Acte II)

47

Le mérite et l’héritage,comment les dissocier ?

Le casse-tête del’élitisme républicain

Parmi les élèves du quartile supérieur à l’évaluation en classe de 6ème...

30 % sont issus du milieu enseignant,

27 % sont issus du milieu supérieur,

mais 10 % sont issus du milieu intermédiaire

et... 7 % sont issus du milieu populaire

48

5 % des élèves entrés en 6ème en 1989intègreront une classe préparatoire après leur bac

20 % des élèves de 6ème issus du milieu enseignant

16 % des élèves issus du milieu supérieur

4 % des élèves issus du milieu intermédiaire

..et 1,5 % des élèves du milieu populaire, (qui représentent par ailleurs 45 % des élèves de 6ème)

entreront en classe préparatoire

De la 6ème aux classes préparatoires…

les origines sociales

45%

36%

5%

14%

36%

38%

7%

19%

20%

34%

14%

32%

13%

27%

18%

42%

0%

10%

20%

30%

40%

50%

60%

70%

80%

90%

100%

élèves entrés en6ème

bacheliers bach.générauxavec mention

entrants en CPGE

milieu supérieurenseignantsmil.intermédiairemil.populaires

Les C.P.G.E. au fil du temps : une étude statistique et sociologique (Acte II)

49

celles des garçons...

45%

36%

5%

14%

34%

38%

8%

20%

19%

30%

17%

34%

13%

26%

19%

42%

0%

10%

20%

30%

40%

50%

60%

70%

80%

90%

100%

élèves 6ème ensemblebacheliers

bacheliers générauxavec mention

entrants en CPGE

milieu supérieurenseignantsmil.intermédiairemil.populaires

et celles des filles...

45%

37%

4%

14%

38%

39%

5%

17%

21%

36%

12%

31%

14%

29%

15%

42%

0%

10%

20%

30%

40%

50%

60%

70%

80%

90%

100%

élèves 6ème ensemble bacheliers

bacheliersgénéraux

avec mention

entrants en CPGE

milieu supérieur

enseignants

mil.intermédiaire

mil.populaires

50

le niveau de diplôme du père...

70%

12%

6%

12%

62%

14%

8%

16%

39%

17%

10%

34%

30%

14%

12%

44%

0%

10%

20%

30%

40%

50%

60%

70%

80%

90%

100%

ensemble desélèves de 6ème

ensemble desbacheliers

bach. générauxavec mention

entrants en CPGE

dipl.de niveau bac+3 et +dipl.de niveau bac+2baccalauréatpas de bacc.

… et celui de la mère

71%

13%

9%

7%

64%

16%

11%

9%

39%

23%

16%

22%

33%

23%

17%

27%

0

10

20

30

40

50

60

70

80

90

100

ensemble desélèves de 6ème

ensemble desbacheliers

bach. générauxavec mention

entrants en CPGE

dipl.de niveau bac+3 et +

dipl.de niveau bac+2

baccalauréat

pas de bac

Les C.P.G.E. au fil du temps : une étude statistique et sociologique (Acte II)

51

Une indication sur les revenus familiaux : la part de boursiers en terminale

Les disparités dans les grandes orientations prises par les bacheliers généraux avec mention

CPGE DEUG/PCEM IUT/STS

milieu supérieur 45 39 6garçons 57 29 9

filles 36 48 4

enseignants 47 41 5garçons 53 34 7

filles 38 50 3

milieu intermédiaire 27 49 15garçons 37 35 19

filles 21 58 13

milieu populaire 23 52 19garçons 33 41 20

filles 17 60 18

52

L’influence du niveau de diplôme du père...

CPGE PCEM DEUG IUT/STS

2ème-3ème cycle sup. 49% 12% 28% 3%

1er cycle sup. 42% 5% 32% 10%

baccalauréat 29% 8% 38% 16%

pas de baccalauréat 26% 7% 44% 16%

et du niveau de diplôme de la mère...

Un bachelier inscrit en CPGE sur 4a une mère enseignante

CPGE PCEM DEUG IUT/STS

2ème-3ème cycle sup. 47 12 29 3

1er cycle sup. 39 11 36 5

baccalauréat 35 7 37 12

pas de baccalauréat 27 6 41 18

Les C.P.G.E. au fil du temps : une étude statistique et sociologique (Acte II)

53

Une représentation inégale des catégories socialesselon les filières

13%

27%

18%

42%

22%

28%

12%

38%

32%

41%

8%

19%

42%

41%

4%

13%

0%

10%

20%

30%

40%

50%

60%

70%

80%

90%

100%

CPGE PCEM DEUG IUT/STS

milieu supérieurmilieu enseignantmilieu intermédiairemilieu populaire

mais aussi des niveaux de diplôme des parents

30%

14%

12%

44%

40%

14%

10%

36%

58%

16%

9%

17%

71%

15%

7%

7%

0%

10%

20%

30%

40%

50%

60%

70%

80%

90%

100%

CPGE PCEM DEUG IUT/STS

2ème-3ème cycle sup.

1er cycle sup.

baccalauréat

pas de baccalauréat1

54

enfants de cadres enfants d'ouvriers

Forums ou salons 32 31

Conseillersd'orientation 13 15

Enseignants 48 76

Famille 45 17

Relations 22 28

Le rôle décisif des enseignants au lycéeauprès des élèves les moins informés par leurs familles

MOYENS D’INFORMATION UTILISES PAR LES BACHELIERS INSCRITS EN CPGE

L’importance aussi des motivations dans le choix d’une filière...

bacheliersavec mention

classes classes classes inscrits scientifiques économiques littéraires à l'université

Intérêt pour le contenu études 57 57 79 76

Débouchés de la filière 52 64 20 36

Projet professionnel 34 30 28 53

Souci de se garder le plus 33 35 39 21 possible de portes ouvertes

Résultats scolaires précédents 33 20 23 24

Encadrement et suivi 25 33 45 2

Intervention du Ministre

55

Intervention de

Xavier DARCOS

Ministre délégué à l’Enseignement scolaire

Lors du colloque

« Démocratie, classes préparatoires et grandes écoles»

�������

le Vendredi 16 mai 2003

56

Messieurs les Présidents,

Monsieur le Directeur de l’Ecole normale supérieure,

Monsieur le Doyen de l’Inspection générale,

Mesdames et Messieurs les Inspecteurs généraux,

Mesdames et Messieurs les Professeurs,

Mesdames, Messieurs,

Je suis très heureux d’être parmi vous ce matin. Comme vous le savez, je porte depuis

longtemps un intérêt et même une affection particuliers aux classes préparatoires aux

grandes écoles. J’y ai enseigné pendant dix ans. J’y ai introduit, aux côtés de François

Bayrou, un certain nombre de réformes dont celle, notamment, des classes économiques et

commerciales. Enfin, en tant que doyen de l’Inspection générale, j’ai eu à en suivre de très

près le fonctionnement et les évolutions. Je me réjouis, donc, cette fois-ci en qualité de

ministre délégué à l’enseignement scolaire, d’avoir la charge d’un dossier qui me tient à

cœur.

Je voudrais tout d’abord remercier les organisateurs de ce colloque qui va permettre, durant

deux jours, de favoriser les échanges, de croiser les points de vue et surtout d’aboutir à des

propositions concrètes, susceptibles de renforcer l’ouverture, le diversité et l’efficacité du

système des classes préparatoires et des grandes écoles. Ces remerciements s’adressent en

premier lieu à l’Union des Professeurs de Spéciales, en la personne de son président M.

Gérard Debeaumarché. Ils vont aussi aux associations de professeurs de classes

préparatoires ainsi qu’à la Conférence des Grandes Ecoles, dont je salue également le

Président, M. Alain Cadix. Je n’oublie évidemment pas l’ensemble des intervenants qui ont

bien voulu faire bénéficier ces journées de leur expérience et de leur expertise.

Je suis convaincu, Mesdames et Messieurs, que le colloque d’aujourd’hui était nécessaire

et qu’il vient à point nommé. Nous le savons tous : d’ici peu de temps et dans tous les

domaines d’activité, notre pays va devoir assurer la relève de ses très nombreux cadres

parvenus au terme de leur carrière. Dans cette formidable entreprise, les classes

préparatoires et les grandes écoles vont être naturellement placées en première ligne. Plus

que jamais, elles vont avoir à remplir la mission qui leur a été assignée dès leur origine :

celle de sélectionner et de former les responsables de haut niveau dont les entreprises et

l’Etat ont besoin.

Il est donc important de se demander si cette mission s’exerce aujourd’hui de manière

optimale. Et d’ailleurs un certain nombre de données nous forcent à nous interroger.

Intervention du Ministre

57

En effet, après avoir doublé en l’espace d’une génération, les effectifs des classes

préparatoires ont tendance à stagner. Plusieurs centaines de places y demeurent vacantes.

Depuis trois ans, sur les 14 000 places offertes par les écoles d’ingénieurs, 2 000 n’ont pas

été pourvues et près d’un millier, sur les 7000 offertes par les écoles commerciales, ne

l’ont pas été davantage.

Ces chiffres appellent deux explications, sur lesquelles nous sommes nombreux, je crois, à

nous accorder. La première est que la base de recrutement des classes préparatoires est trop

étroite. Il importe donc de réfléchir aux moyens de l’élargir rapidement, dans un souci à la

fois d’efficacité et de justice sociale, ce qui est au fond un des objectifs majeurs de ce

colloque.

Je voudrais dire à cet égard qu’il ne me paraît pas souhaitable que se multiplient les

formules fondées sur la discrimination positive, peu conformes au fond avec les principes

d’égalité de notre école républicaine. Je considère que les expériences menées jusqu’à

présent ont certes un effet d’affichage extrêmement positif – et c’est évidemment le cas de

celle mise en œuvre par Sciences Po – mais qu’elles doivent demeurer ponctuelles et

transitoires. Il me semble préférable de parvenir à un élargissement du recrutement en

maintenant de vrais critères de sélection, qui demeurent rigoureux et exigeants tout en

prenant mieux en compte les compétences et les aptitudes des publics scolaires qui ont été

jusqu’à présent insuffisamment concernés par le système des classes préparatoires.

La deuxième explication est que les classes préparatoires ont perdu ces dernières années un

peu de leur attractivité, parce que la représentation qui en est donnée auprès du public et en

particulier du public « non initié » est souvent ou inexacte ou dépassée. Nous sommes

nombreux, je crois, à estimer que la réalité des classes préparatoires d’aujourd’hui s’avère

assez éloignée de l’image que beaucoup de familles, de lycéens et même d’enseignants en

ont encore.

Dans la remarquable analyse qu’ils vous ont présentée ce matin, Brigitte Dethare, Sylvie

Lemaire, Fabienne Rosenwald et Christian Baudelot ont montré de manière lumineuse les

grandes évolutions qu’avaient enregistrées les classes préparatoires en l’espace d’une

génération. En particulier, le rééquilibrage entre les prépas de province et celles d’Ile de

France, la meilleure répartition entre les filles et les garçons ou encore la montée en

puissance des classes économiques et commerciales. Je n’y reviendrai donc pas.

Je ne m’attarderai pas non plus sur les profondes transformations qu’elles ont connues dans

leurs structures ou dans le contenu de leurs enseignements : la diversification des filières,

58

surtout scientifiques, la mise en place d’une pédagogie de projet, prenant mieux en compte

la spécificité des élèves et assurant une meilleure transition avec le second degré.

Tout ceci montre à l’évidence la profonde capacité d’adaptation d’un système pouvant,

sans aucun doute, se montrer beaucoup plus souple et beaucoup plus réactif que les

premiers cycles universitaires et qui n’a pas vocation, en lui-même, à assurer la

reproduction d’une élite sociale. Tout ceci témoigne surtout de la qualité de l’engagement

des professeurs à faire constamment évoluer le système en fonction des besoins et des

exigences du monde d’aujourd’hui. Et je n’oublie pas, évidemment, le rôle majeur que

jouent les chefs d’établissement non seulement dans la gestion des classes préparatoires,

mais dans la réflexion sur leur devenir.

Par ailleurs, nous savons tous qu’en à peine vingt ans, c’est un véritable réseau qui s’est

développé, permettant aux classes préparatoires d’être à la proximité immédiate des élèves

et non plus reléguées dans les établissements chics des grandes capitales régionales. En

1980, 171 lycées d’enseignement général et technique du public possédaient des prépas. Ils

sont aujourd’hui 336, soit près d’un lycée sur cinq.

A travers ces établissements, c’est une véritable irrigation intellectuelle de notre pays qui

s’est constituée, au-delà même des villes universitaires, et il importe bien évidemment de

continuer à faire vivre ce vaste réseau qui contribue à implanter des pôles d’excellence

dans les zones parfois les plus défavorisées. C’est là un des enjeux du système informatisé

de recrutement dont je reparlerai tout-à-l’heure.

Pour que l’image qui est donnée des classes préparatoires reflète plus exactement ces

réalités, il nous faut donc mieux informer et notamment mieux informer les enseignants.

Ceux-ci, en effet, devraient pouvoir jouer un rôle analogue à celui que remplissaient jadis

les Hussards noirs de la République, à savoir repérer les jeunes faisant montre d’évidentes

potentialités et accompagner leur promotion scolaire. Mais pour cela il convient de cesser

de présenter les classes préparatoires comme des bagnes ou des abbayes de Trappistes,

comme le font encore certaines brochures de l’éducation nationale elle-même !

Certes, nous savons tous qu’il ne s’agit pas là de lieux de tout repos. Mais il faut souligner

aussi et avant tout les formidables atouts qu’elles sont à même d’offrir. Permettant

d’effectuer des études pluridisciplinaires et fortement encadrées, elles ont tout pour séduire

beaucoup de jeunes qui ne désirent pas opter pour une spécialisation trop précoce ou qui ne

se sentent pas suffisamment autonomes pour affronter la vie universitaire.

Mais surtout elles ouvrent des voies qui conduisent de manière presque assurée à la

réussite. Que celle-ci soit immédiate, comme dans le cas des classes économiques et

Intervention du Ministre

59

commerciales, où chaque élève a quasiment la garantie de pouvoir intégrer une grande

école. Ou qu’elle soit différée, comme dans le cas des anciens khâgneux qui triomphent

sans doute plus aisément que les autres étudiants du CAPES ou de l’agrégation. A cet

égard, l’Inspection générale des lettres propose d’évaluer de façon précise le nombre

d’anciens élèves des classes préparatoires reçus à ces concours. Je pense que c’est là une

excellente initiative qui permettrait d’ajouter un argument supplémentaire en faveur de ces

classes.

Mieux informer, mais aussi mieux recruter. C’est là notamment l’objectif de la procédure

informatisée et globale de recrutement des étudiants de classes préparatoires qui a été mise

en place cette année et qui répond à un souhait unanime de tous les acteurs concernés.

Comme vous le savez, cette procédure a pour ambition de déboucher sur une amélioration

de l’offre et des conditions d’accueil et de permettre une utilisation optimale des ressources

du dispositif, répondant ainsi davantage aux vœux des candidats et aux besoins des

établissements.

Elle introduit une complète transparence dans un système jugé jusqu’alors opaque et

favorisant les initiés et concourt ainsi à lever les blocages, les inhibitions que pouvaient

éprouver certains jeunes au moment d’effectuer leur choix d’établissements. Parmi les

douze vœux possibles, chacun est désormais libre d’indiquer Louis-le-Grand aussi bien que

Mantes-la-Jolie !

Mais évidemment, cette procédure ne suffit pas à elle seule à ouvrir les classes

préparatoires à de nouveaux élèves et à utiliser de manière optimale les ressources

existantes. C’est pourquoi il nous faut trouver les moyens d’assurer un repérage plus

systématique des meilleurs élèves de condition modeste, afin que leur soient proposées des

poursuites d'études auxquelles il n’avaient jusqu’à présent guère l’accès, qu’il s’agisse des

prépas, mais aussi des facultés de médecine ou de droit. C’est en ce sens qu’ont été créées

les « bourses au mérite » qui ont apporté un début de réponse à ce problème. Nous devons

poursuivre dans cette voie, notamment en nous intéressant, comme l’a suggéré le Président

de la Conférence des Grandes Ecoles, aux meilleurs des bacheliers technologiques, dont les

compétences et la créativité pourraient être très certainement mises à profit au sein des

prépas et des grandes écoles.

Sur toutes ces questions, j’attends naturellement beaucoup de la réflexion que vous allez

conduire au cours de ces deux journées et des propositions que vous serez amenés à

formuler. Toutes vos idées, toutes vos suggestions seront les bienvenues. Mais faisons

attention toutefois à ne pas fragiliser un dispositif qui, malgré des défauts dont nous avons

60

tous conscience et notamment son insuffisante mixité sociale, n’en constitue pas moins un

des maillons les plus solides de notre système d’enseignement supérieur. Et un des

éléments essentiels de cette vaste entreprise de renouvellement des cadres de la Nation que

j’évoquais en commençant. Nous avons tous la volonté de ne pas laisser au bord du chemin

des jeunes pleins de promesses, mais entravés par leur condition sociale. Ne jouons pas

pour autant aux apprentis-sorciers. Pour reprendre une pertinente formule d’Alain Cadix,

ce n’est pas parce que nous ne savons pas ou que nous ne savons plus faire fonctionner

l’ascenseur social que nous devons détruire les étages les plus élevés de l’édifice éducatif.

Enfin, la promotion des classes préparatoires ne doit pas se faire contre les premiers cycles

universitaires. Bien au contraire, je crois qu’il nous faut rechercher entre toutes les

formations post-baccalauréat les meilleures synergies possibles pour former et promouvoir

les jeunes qui, demain, auront à prendre la relève des centaines de milliers d’ingénieurs,

d’entrepreneurs, d’enseignants, de commerciaux ou d’administratifs qui cesseront leur

activité.

***

Les difficultés des étudiants issus des milieux populaires

61

Les difficultés scolaires des étudiants issus des milieux populaires

Bernard LahireProfesseur de sociologie à l'École Normale Supérieure LSH

Directeur du GRS (UMR 5040 CNRS)

Pour pouvoir parler des difficultés scolaires des étudiants issus des milieux populaires,il est indispensable de faire un détour par l'analyse des cadres scolaires au sein desquels ilssont insérés car chaque cadre engendre des difficultés spécifiques. Et l'on ne comprend bien lecadre spécifique des classes préparatoires aux grandes écoles que si on les saisit dans lacomparaison avec les autres formes d'enseignement supérieur.

Tout d'abord, il est important de rappeler que pour des raisons évidentes d'effectifs, lapremière voie d'accès à l'enseignement supérieur en France reste aujourd'hui, et ce, quelle quesoit l'origine sociale des étudiants, l'université (près des trois-quarts des effectifs del'enseignement supérieur).

Si un étudiant de classe préparatoire sur deux est enfant de cadre supérieur (ce quiconstitue une sur-représentation massive), moins d'un étudiant dont le père est cadre supérieursur dix sont scolarisés dans les classes préparatoires. Les classes préparatoires sont donc desétudes socialement improbables pour tout le monde, y compris pour les fractions de lapopulation les plus dotées en capitaux économiques et scolaires.

Enquête OVE 1994: Composition sociale des différents établissements* (%)

UFR STS IUT PRÉPASAgriculteurs 3,5 6,6 4,5 2,8Artisans, commerçants 8,7 7,6 9,5 6,3Cadres et prof. intell.sup.

36,1 12,4 25,6 51,3

Prof. intermédiaires 18,9 18,3 20,8 18,4Employés 15,1 22,4 17,2 9,7Ouvriers 17,2 32,7 21,6 11,4Total 100 100 100 100

* Profession du père. On lira : sur 100 étudiants en classes préparatoires, 3 ont un pèreagriculteur, 6 un père artisan, commerçant, 51 un père cadre...

Des styles d'études différenciés

Pour comprendre complètement la forme que prennent les études dans les classespréparatoires aux grandes écoles et saisir la difficulté pour les enfants de milieux populairesd'y accéder, il est important de situer ce type particulier d'études dans l'univers des typesd'études possibles (STS, IUT, études universitaires plus ou moins sélectives). Les grandesenquêtes (1994 et 1997) sur les conditions de vie des étudiants menées dans le cadre del'Observatoire nationale de la Vie Étudiante (OVE) et reposant sur environ 28 000 réponses àdes questionnaires permettent d'opérer des comparaisons : elles s'adressent à des étudiants et

62

élèves d'Universités, d'Instituts Universitaires de Technologie (IUT), de Sections deTechniciens Supérieurs (STS) et de Classes Préparatoires aux Grandes Écoles1.

En ne retenant qu'un seul critère, le temps de travail scolaire ("personnel" ou "encadrépar l'institution"), distribué entre semaine et week-end, on fait déjà apparaître des différencesessentielles. On a, en effet, très largement esquissé les grands traits du profil (ou du style) desétudiants de premier cycle lorsqu'on a précisé les parts qui reviennent, dans leur emploi dutemps hebdomadaire, aux heures de cours, de TD ou de TP, ainsi qu'aux heures de travailpersonnel en semaine et en week-end. On peut ainsi établir une distinction entre quatre grandsgroupes d'étudiants :

1) Ceux qui ont peu d'heures de cours et de TD-TP hebdomadaires et relativement peud'heures de travail personnel en semaine comme durant le week-end : l'ensemble desétudiants de premier cycle des facultés, Médecine excepté.

Par exemple, les étudiants de Lettres et sciences humaines n'ont en moyenne que16-18 heures de présence encadrée à l'université et ne sont guère nombreux àétudier longuement hors de ces temps scolairement encadrés (44% travaillentmoins de 10 heures en semaine et seulement 13% consacrent 10 heures et plus àl'étude durant le week-end). Même si les étudiants de faculté dans leur ensembleconsacrent davantage d'heures par semaine à leur travail scolaire personnel queceux de STS et d'IUT, ils restent encore loin derrière eux du point de vue duvolume global d'heures consacrées au travail scolaire (encadré et personnel) durantla semaine.

2) Ceux qui ont relativement peu d'heures de cours et de TD-TP hebdomadaires, maisbeaucoup d'heures de travail personnel en semaine comme durant le week-end : les étudiantsde Médecine, et tout particulièrement ceux de premier cycle (la première année de Médecineétant une année de préparation intensive au concours de fin d'année, elle exige des étudiants ungrand investissement scolaire qui, une fois le concours réussi, a tendance à faiblir).

Les étudiants de Médecine de premier cycle n'ont que 23-24 heuresd'enseignement par semaine, mais ils sont 73% à travailler plus de 15 heures ensemaine et 55% à travailler 10 heures et plus durant le week-end.

3) Ceux qui ont beaucoup d'heures de cours et de TD-TP hebdomadaires et relativement peud'heures de travail personnel en semaine comme durant le week-end : l'ensemble desétudiants de STS et d'IUT.

Les étudiants d'IUT production ont en moyenne 33 heures d'enseignement et ceuxd'IUT tertiaire, environ 30-31 heures. 36-37 heures en STS production ; 34 heuresen STS tertiaire. Leur charge de travail personnel est incomparablement moinslourde que celle des étudiants des classes préparatoires : seulement 16,1% desétudiants d'IUT production et 17,7% des étudiants d'IUT tertiaire travaillent 15

1. Cf. C. Grignon et L. Gruel, La Vie étudiante, Paris, PUF, 1999 ; B. Lahire, Les Manières d'étudier, Paris,La Documentation française (avec la collaboration de Millet M. et Pardell E.), 1997 et « Conditions d'études,manières d'étudier et pratiques culturelles », in C. Grignon, Les Conditions de vie des étudiants. Paris, PUF,2000, p. 241-381.

Les difficultés des étudiants issus des milieux populaires

63

heures et plus par semaine ; c'est le cas de 9,6% de ceux de STS production et de18,8% de ceux de STS tertiaire.

4) Enfin, ceux qui ont beaucoup d'heures de cours et de TD-TP hebdomadaires et denombreuses heures de travail personnel en semaine comme durant le week-end : l'ensembledes étudiants des classes préparatoires.

Par exemple, les étudiants des classes préparatoires scientifiques ont en moyenneenviron 35-36 heures hebdomadaires d'enseignement auxquelles se rajoutent denombreuses heures de travail personnel durant la semaine (environ deux tiers desétudiants travaillent plus de 15 heures en semaine) et durant le week-end (un tiersdes étudiants travaillent plus de 10 heures les samedi-dimanche). De même, lesétudiants des classes préparatoires littéraires ont en moyenne environ 33-34heures hebdomadaires d'enseignement par semaine et généralement davantaged'heures de travail personnel que leur camarades scientifiques (72% des étudiantstravaillent plus de 15 heures en semaine et 55% travaillent plus de 10 heures enweek-end). Les étudiants des classes préparatoires s'avèrent ainsi les championsde l'investissement scolaire. Ce type d'étude interdisant quasiment par nature touttravail salarié, même à temps partiel, il va de soi qu'en plus des compétencesscolaires, il suppose une possibilité pour les parents de supporter le coûtéconomique de telles études.

Trois lignes de clivage se laissent donc percevoir à travers ces différences de rythme de travail :

* la première sépare les établissements à forts encadrements pédagogiques, c'est-à-dire à fortstemps de présence obligatoire à des cours et à des travaux dirigés ou pratiques (classespréparatoires, IUT, STS), des établissements moins exigeants en la matière et pour lesquelsl'assiduité n'est que rarement contrôlée ou même contrôlable (facultés). Les étudiants d'IUT, deSTS et de classes préparatoires continuent à être soumis au régime lycéen et les élèves sontobligés de fournir des justificatifs d'absence ;

* une seconde ligne marque une différence à l'intérieur de l'espace des établissements à fortsencadrements pédagogiques, entre ceux où les étudiants travaillent essentiellement dans leslimites du temps scolairement contraint (IUT et STS) et ceux où ils travaillent sansdiscontinuité en cours comme chez eux (les classes préparatoires) ;

* la troisième et dernière ligne partage, d'une part, les étudiants de Médecine, qui suivent uneformation prestigieuse, très sélective et doivent, à l'instar des étudiants de classespréparatoires, travailler de nombreuses heures hors des temps officiels de présence dansl'établissement, et d'autre part, les étudiants des autres facultés (avec, bien sûr, des formationsqui s'éloignent plus ou moins de ce modèle prestigieux, les Lettres et sciences humainesconstituant le pôle le plus éloigné).

Concernant la première opposition, on peut dire qu'elle est celle qui distingue le plusles étudiants entre eux. Le passage du lycée à l'enseignement supérieur peut être vécu commeun moment de crise plus ou moins important, selon à la fois le degré de rupture pédagogique etles dispositions scolaires des étudiants. Or, pour ce qui est du premier point, on peutremarquer que la rupture pédagogique est radicale lors du passage en faculté et minimale lorsdu passage vers les IUT, les STS ou les classes préparatoires. Les étudiants sortentconcrètement plus ou moins du modèle du lycée dans lequel ils ont été socialisés jusque-là(avec relativement de bonheur, étant donné leur réussite au baccalauréat) : une semaine

64

relativement chargée en cours, une assiduité obligatoire et contrôlée, des unités pédagogiquesfixes sous forme de classes d'élèves, des enseignants fixes que l'on voit tout au long de l'annéescolaire, un contrôle des connaissances régulier et fréquent, un programme de connaissancesrelativement balisé par les manuels scolaires (qui permettent de savoir ce que l'on doitapprendre et de s'y préparer), etc.

"Devenir étudiant, écrivait Michel Verret à propos des étudiants des facultés delettres, c'est entrer en liberté. La vie antécédente, c'était lycée et collège, l'emploidu temps réglé, voire même l'internat, «le temps dirigé», ponctué du lever aucoucher par la sonnerie, arrière petite fille du tambour napoléonien. L'entrée enFaculté marque une rupture brutale, vécue tout à la fois dans la surprise et ledésarroi. (...) Un emploi du temps demeure bien, mais il n'intéresse que les cours :au maximum 15 heures par semaines — non sans déplacements, ni irrégularités. Etla prescription n'est plus soutenue ni par un appareil de surveillance extérieure nipar un système de sanctions immédiates. (...) Pour peu que l'étudiant n'ait pasintériorisé, en un ethos de la discipline et du travail, la longue régularisationscolaire antécédente, l'auto-surveillance ne signifie plus pour lui que le droit àl'auto-permissivité indéfinie. La règle devient invisible, tout étudiant un peumyope peut croire qu'il devient invisible à la règle […]2".

On pourrait dire que les facultés posent un problème aux étudiants qui est d'embléerésolu par les établissements à forts encadrements pédagogiques : "Comment occuper etorganiser son temps journalier et hebdomadaire ?". Laissant les étudiants libres de s'organiseret d'occuper une grande partie de leurs journées, de leurs semaines et de leur année, les facultésles laissent objectivement libres d'échouer dans la résolution pratique de ce problème. Si lesétudiants les plus fortement encadrés pédagogiquement vivent de longues séquences d'activitésunivoques, contraints qu'ils sont à la mono-activité — scolaire — durant un tempsrelativement long, en revanche ceux des facultés affrontent une difficulté (nouvelle dans leurparcours scolaire), à savoir celle de la mise en place le plus souvent dans un univers non-académique — domestique — d'un contexte d'études scolaire. Ils doivent eux-mêmes trouverdes lieux et surtout des temps spécifiques d'étude à l'intérieur d'espaces-temps le plus souventpluri-fonctionnels, où plusieurs activités peuvent entrer en concurrence au sein d'une mêmeséquence temporelle. Pourquoi se lever à 7 ou 8 heures du matin, si les cours ne débutent pasavant 14 heures ? Pourquoi ne pas regarder la télévision, discuter avec ses parents, ses frères etsœurs ou ses amis, alors que la rédaction des notes de lecture ou la préparation des examens defin d'année peuvent (semblent pouvoir) encore attendre ?

Dans une étude sur les carrières étudiantes3, Bernard Convert et Michel Pinet,parlent d'une "immixtion du domestique dans le scolaire" que font apparaître lesbudgets-temps : le travail universitaire personnel peut être fréquemmentinterrompu par des temps familiaux, les étudiants peuvent continuer à travailler enparlant avec leurs parents ou en regardant la télévision avec des membres de leurfamille, etc.

2. M. Verret, Le Temps des études, Lille, Université Lille III, 1975, Thèse présentée devant l'Université deParis V le 29 mai 1974, 2 tomes, p. 686-687.

3. B. Convert, M. Pinet, La Carrière étudiante, Laboratoire d'aménagement régional et urbain, École Centrale deLille, Programme interministériel de recherche-expérimentation "L'Université et la Ville", novembre 1993,p. 251.

Les difficultés des étudiants issus des milieux populaires

65

Lorsque la séparation ainsi que les basculements du contexte scolaire au contexte non-scolaire (et inversement) ne sont plus objectivés, institutionnalisés (comme cela était le casdans le cadre du lycée), ils deviennent désormais des problèmes "personnels" (produitpourtant par l'institution) que doit s'efforcer de résoudre chaque étudiant.

La nature même du travail "personnel" au sein des différents établissements varie : lesobjectifs du travail personnel sont plus ou moins explicités par les différents établissementsd'enseignement supérieur, les différents actes de travail personnel sont plus ou moins prescritspar l'institution, les différentes injonctions au rendu du travail personnel sont plus ou moinsfréquentes. Ainsi, tout oppose l'objectif lointain de la dissertation finale dans les facultés deLettres et sciences humaines, qui laisse les étudiants "libres" de déterminer les moyens les plusadéquats de l'atteindre, aux micro-injonctions plus denses que constituent "devoirs", exercicesou révisions prescrits quasi quotidiennement au sein, notamment, des classes préparatoires. Làoù les étudiants d'UFR sont amenés à conduire eux-mêmes leur travail personnel pouratteindre des objectifs plus ou moins clairement établis par leurs enseignants, les étudiants deSTS, d'IUT ou de classes préparatoires sont véritablement conduits par l'institution et leurtravail "personnel" est donc très largement un travail dirigé.

Cependant, si cette première coupure, de même que la troisième (entre des filières plusou moins sélectives et plus ou moins animées par l'esprit de concurrence), sont assez bienconnues, la seconde – entre STS/IUT et CPGE – est moins immédiatement perceptible et, parconséquent, intéressante à souligner. En effet, si la différence de prestige social desétablissements paraît évidente (la composition sociale des différents publics le montre bien), sil'on peut saisir sans difficulté la différence de prestige spécifiquement scolaire (oppositionentre culture générale et théorique — ou formelle — d'une part, culture technique et pratiqued'autre part), la différence dans le type d'investissement dans le travail est le signe d'unedifférence fondamentale dans le rapport des étudiants à leurs études. Si les étudiants de STSou d'IUT sont particulièrement encadrés scolairement, ils ont davantage tendance à cesser letravail hors cadre, alors que les étudiants des classes préparatoires se doivent de continuer letravail scolaire hors du temps spécifiquement scolaire. D'un côté, on a affaire à une mise autravail scolaire d'étudiants qui ressentent parfois le besoin d'être contraints, peu sûrs qu'ilssont de leur volonté scolaire ; de l'autre, les enjeux scolaires sont tels que les étudiants ontintériorisé la nécessité du travail scolaire au-delà du travail surveillé et doivent s'être constituéune capacité d'auto-contrainte au travail scolaire.

Ce sont les STS qui comptent proportionnellement le plus d'étudiants désirantstopper leurs études à Bac + 2 (54,9%). Puis viennent les IUT (28,1%), lesfacultés (2,9%) et les classes préparatoires (0,5%). Pour une grande partie desélèves de STS (et pour une part non négligeable des étudiants d'IUT), le choix d'untel type d'établissement est une manière d'éviter l'université qui sera alors critiquée(et crainte) pour son faible degré d'ancrage dans des réalités économiques (manièrenégative de désigner la nécessaire autonomie culturelle, symbolique des univers deproduction et de diffusion de la connaissance savante) et son faible degréd'encadrement pédagogique. Le choix d'études supérieures courtes dans unétablissement qui fonctionne sur le modèle, déjà expérimenté, du lycée permetd'éviter les paris universitaires par trop risqués tout en donnant l'espoir d'accéder àun diplôme d'enseignement supérieur pour se distinguer sur le marché du travail deceux qui n'y ont pas eu accès.

66

La forte croyance en l'univers scolaire est déterminante pour comprendre cette énergiedépensée quasi exclusivement dans le domaine scolaire. Ainsi, la part de ceux qui consacrentplus de 20 heures en semaine à un travail personnel augmente au fur et à mesure que l'ongrimpe l'échelle de l'excellence scolaire : c'est le cas de 10% des étudiants ayant obtenu unemention Passable au baccalauréat, de 13% de ceux qui ont une mention Assez bien, de 17,2%de ceux qui ont une mention Bien et de 25,9% de ceux qui ont atteint la reconnaissance scolairemaximale (Très bien). De même pour le travail durant le week-end : la part de ceux quitravaillent plus de 10 heures diminue quand on va de la mention Très bien (21,3%) à lamention Passable (7,4%) en passant par la mention Bien (15,2%) et Assez bien (10,8%).

Ce sont quasiment des styles de vie et de travail qui se dessinent dans ces différences :les étudiants d'IUT et de STS (ceux parmi lesquels on compte le plus d'enfants d'ouvriers etd'employés) anticipent une vie sociale fondée sur la nette distinction entre "travailprofessionnel" et "loisir" (on sort de l'école, chaque soir ou chaque week-end, comme on sortdu "boulot"), alors que les étudiants des classes préparatoires, destinés à des fonctions plusintellectuelles et/ou de pouvoir, vivent l'apprentissage de rythmes temporels qui préfigurentdes lignes de partage plus floues entre ce qui relève du "travail" et ce qui est de l'ordre de la"vie privée", du "loisir"... De ce point de vue aussi, les étudiants d'origine populaire sontmoins préparés à trouver « normal » ce style de travail et de vie : nombre de témoignages detransfuges de classe par la voie scolaire montrent qu'ils sont obligés de résister à des visionspathologisantes de ce type d'investissement scolaire (« Tu travailles trop », « À force de lire,tu vas attraper une méningite », « Tu gâches ta jeunesse », etc.).

Les origines économiques et culturelles des difficultés scolaires des étudiants demilieux populaires

Les difficultés scolaires des étudiants issus des milieux populaires ont des originesdiverses. Et l'on peut établir grossièrement, mais utilement, une différence entre :

* d'une part ce qu'on pourrait appeler, d'une part, des "échecs scolaires" (pour des raisonsliées à la nature des savoirs scolaires ou aux dispositions sociales-culturelles nécessaires à leurappropriation systématique : habitudes ascétiques, maîtrise de méthodes de travail intellectuelet d'habitudes de planification de son travail) ;

* et d'autre part ce qu'il est sans doute plus juste d'appeler des "abandons scolaires" pourdes raisons économiques et sociales indépendantes de la bonne ou mauvaise compréhensiondes objectifs scolaires, ou des faibles ou fortes dispositions à l'ascétisme scolaire.

Ne pas se présenter aux épreuves ou ne pas achever sa formation pour des raisons demanque (économiquement déterminé) de concentration sur des enjeux scolaires (aide financièreparentale réduite et nécessité de travailler parallèlement à ses études), ce n'est pas la mêmechose qu'éprouver des difficultés à se mettre au travail dans un cadre pédagogique faiblementcontraignant, qui privilégie l'autonomie et repose sur l'auto-discipline des étudiants. Et ce n'estpas non plus la même chose qu'obtenir de "mauvaises notes" par manque de maîtriseintellectuelle des savoirs universitaires-savants.

Qu'est-ce qui tient à des raisons économiques ou matérielles (la nécessité pour certainsétudiants de travailler parallèlement à leurs études ou de prendre en charge l'organisationdomestique quotidienne, qui rend difficile la concentration sur des objectifs scolaires) ? Qu'est-ce qui tient à des difficultés culturelles (au sens de cognitives) liées à la nature des savoirssavants enseignés ? Qu'est-ce qui tient enfin à des raisons de non maîtrise des nouvelles

Les difficultés des étudiants issus des milieux populaires

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conditions de travail (manque d'auto-contrainte, d'auto-discipline…) ? Situer les problèmes,c'est évidemment envisager une politique raisonnée de solutions articulées (pédagogierationnelle ? soutien scolaire/tutorat ? conditions scolaires de travail améliorées ? systèmeélargi de bourses ? conditions de logement améliorées ?, etc.).

Étudier est une activité qui demande du temps et ce temps spécifiquement consacré auxétudes suppose que soit réglé le problème du temps passé à faire autre chose : s'occuper descourses, de la lessive, du repassage, du ménage, de la cuisine, des tracas administratifs liés à laresponsabilité d'un logement et d'un budget et, bien sûr, travailler pour gagner l'argentnécessaire à son autonomie financière. La vie hors de la protection morale, financière,domestique, etc., des parents est une vie moins favorable à un haut degré d'investissementmental (et temporel) spécifiquement scolaire. La concentration sur des enjeux purementacadémiques suppose une forme d'irresponsabilité sociale et, par conséquent, de remise de soitemporaire vis-à-vis d'institutions publiques (l'internat) et/ou privées (famille). On voit doncbien qu'une des tensions qui travaillent, à un degré ou à un autre, tout étudiant oppose lesinjonctions sociales plus ou moins tacites à gagner son autonomie, son indépendance morale etfinancière vis-à-vis des parents et la nécessaire dépendance et remise de soi que supposel'appropriation des connaissances scolaires-universitaires. À la différence du statut de lycéen,être étudiant c'est aussi vivre le passage progressif (et la plus ou moins grande rapidité de ceprocessus fait évidemment la différence entre les différentes manières d'être étudiant) vers unevie d'adulte "autonome", le moment des études supérieures correspondant, étant donné l'âgedes étudiants, à un moment particulier du cycle de vie.

Par ailleurs, une coupure sépare assez nettement les étudiants des facultés peuprestigieuses socialement, non professionnalisantes, et dont les chances de trouver un emploipar une stratégie mono-centrée d'investissement strictement scolaire sont les plus faibles, del'ensemble des autres étudiants. Vivant un faible encadrement universitaire qui leur laisseobjectivement le temps d'avoir des activités extra-académiques et connaissant la faiblerentabilité de leur diplôme sur le marché de l'emploi, les étudiants de Lettres et scienceshumaines ne perçoivent sans doute pas comme une dispersion fatale à leur avenirprofessionnel l'exercice d'une activité salariée. Cette dernière est même le moyen de prendreses marques sur le marché de l'emploi et d'éventuellement s'y faire une place si l'occasion s'enprésente. Ils ont quelques bonnes raisons sociales d'"avoir la tête ailleurs" et en tout cas de nepas "avoir la tête" qu'aux études.

On pourrait donc dire que, dans une logique méritocratique, l'injustice la plusgrande est celle que vivent des étudiants d'origine populaire freinés non pour des raisonsspécifiquement scolaires, mais pour des raisons de difficultés objectives à se consacrer à leursétudes. Ces étudiants ressemblent à nombre de ces femmes de milieux populaires qui, à uneautre époque, ont payé cher le fait d'être les aînées de leur famille et qui ont du arrêter leursétudes pour des raisons économiques (pauvreté économique) et sociales (organisation internede la famille) alors que celles-ci se passaient plutôt bien. On ne saura jamais combien demilliers d'étudiants de milieux populaires, stoppés pour des raisons économiques, auraient pufaire des études longues et brillantes.

Mais l'injustice n'est au fond pas moins grande si l'on se tourne du côté des degrésd'encadrement pédagogique, de densité des injonctions, conseils, évaluations et d'explicitationdes exigences, méthodes et jugements scolaires.

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Une thèse récemment soutenue sous la direction de Jean-Michel Chapoulie, celle deValérie Monfort4, qui portait sur le rapport au travail scolaire, les conditions de travailuniversitaire et les relations de travail d'étudiants de première année d'AES (public hétérogèneet plutôt mal doté scolairement) et de Sciences (public plus homogène, socialement etscolairement bien doté) réactualise les conclusions des Héritiers de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron : attentes non explicitées, méthodes de travail non transmises, rareté desévaluations, absence d'émulation (cf. la remise des notes qui ne prend pas du tout la mêmeforme au lycée et à l'université), absence de relations d'entraides, représentationsdévalorisantes du niveau d'exigence et du type d'investissement demandé, quasi-absence decontrôle des absences et des retards, absence de révisions planifiées et d'examens "blancs", de"devoirs" à faire chez soi, relatif désinvestissement pédagogique des enseignants-chercheurs etattitudes peu normatives, absences de consensus enseignant sur les exigences, etc. L'appel àune pédagogie plus rationnelle semble pouvoir être relancé près de quarante ans après lapublication des Héritiers.

Les universitaires sont d'ailleurs les plus mal placés, historiquement, pour réfléchir surles manières de transmettre leurs savoirs et leurs techniques intellectuelles, sur les façons dontles étudiants perçoivent leurs messages, leurs enseignements, les ouvrages conseillés ouimposés, etc. Ils sont les plus mal placés parce qu'historiquement, la pédagogie a étéconstituée comme une affaire "primaire" dans les deux sens du terme : 1) la pédagogie est unequestion qui se pose à l'école primaire et 2) c'est une question qui est peu digne d'intérêt pourceux qui sont censés maîtriser des savoirs. La ligne de séparation existe déjà fondamentalementdans l'histoire entre l'école primaire et le lycée. Pour les enseignants de lycée en France audébut du XXème siècle, il est inconcevable de suivre des cours de pédagogie, de suivre desstages, etc., et la pédagogie n'a aucune place dans une véritable formation intellectuelle. Or, laquestion de la "pédagogie" se pose d'autant plus que l'enseignement se démocratise ou semassifie. Comment faire entrer dans des savoirs savants des populations qui en sont trèséloignées ? Or c'est bien la situation que connaissent les Universités aujourd'hui. Dès lorsqu'on quitte "l'Université chargée de former des élites" pour "l'Université qui forme des cadressupérieurs et, de plus en plus, des cadres moyens", on est amené à se poser des questionsnouvelles sur les manières de transmettre les connaissances ou d'aider les étudiants à construireleur savoir.

Plus les enseignants (des instituteurs aux professeurs d'Universités) explicitent leursexigences ainsi que les moyens concrets pour y arriver et plus ils donnent la possibilité à ceuxqui ne partagent pas les implicites culturels par leur milieu familial de s'approprier les savoirsscolaires. L'enseignant doit alors avoir pour objectif de transmettre explicitement, mais aussipratiquement, les techniques matérielles et intellectuelles les plus ordinaires qui permettentaux élèves de construire leurs savoirs. Les élèves ou les étudiants sont inégalement dotés descapacités de mettre en œuvre une organisation du travail scolairement efficace parce qu'ils nesaisissent pas tous 1) la nature des exigences scolaires et 2) les moyens matériels etintellectuels à employer pour parvenir à les satisfaire.

Une pédagogie à la fois explicite et pratique devrait viser à transmettre les techniquesmatérielles et intellectuelles du travail scolaire qui font souvent partie de la "cuisine" de laréflexion. De même que dans certaines maisons la cuisine est un lieu qui ne se montre pas, les

4. V. Monfort, Les étudiants de première année à l'Université et le travail scolaire. L'exemple de deux filières :sciences et AES, Université de Paris I, le 15 février 2002.

Les difficultés des étudiants issus des milieux populaires

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enseignants rechignent à faire entrer les élèves ou les étudiants dans les "cuisines" où sefabrique le travail intellectuel. De même que le tour réussi du magicien ou l'exécution d'uneœuvre musicale donnent l'impression du "naturel" parce que les "ratés" ont été peu à peuéliminés au cours des multiples répétitions, les performances orales des enseignants, les texteslittéraires ou les ouvrages scientifiques peuvent désarmer ceux qui sont dépourvus des moyensles plus ordinaires pour se les approprier ou les imiter. En définitive, l'explicitation de cesactes les plus anodins du travail intellectuel est nécessaire si l'on veut dissiper le mystère de laproduction intellectuelle (mystère qui apparaît davantage aux yeux de ceux qui sont les plusétrangers au monde scolaire, qui ont plus rarement que d'autres assisté dans leur famille à deséchanges argumentatifs, qui n'ont parfois jamais vu leurs parents ou leurs frères et sœursprendre des notes sur leurs livres, se constituer des fiches de lecture personnelle ou des cahiersde citations, et ainsi de suite).

Que peut-on donc tirer ici, en matière de saisie des difficultés scolaires des étudiantsd'origine populaire, du tableau que j'ai dressé en commençant cet exposé concernant lesinvestissements dans les différents types d'études ? Le fait que c'est souvent à ceux qui enauraient le plus besoin que l'on accorde ou donne finalement le moins (et notammentde temps, d'attentions, de conseils, d'encouragements, d'explicitations, d'orientations, deconsignes, de techniques, de recettes...). Le fait que c'est dans les parties les moins sélectivesde l'université que les étudiants les plus éloignés de la culture savante sont les moins encadréspédagogiquement, contrairement aux élèves des classes préparatoires ou des grandes écoles.

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Dans tous les cas, que l'on soit dans des cas d'"abandons scolaires" ou dans des casd'"échecs scolaires", que l'origine des difficultés scolaires des étudiants de milieux populairessoit plutôt de nature économique (et appelle des aides économiques) ou plutôt de natureculturelle (et appelle des moyens d'encadrement supplémentaires), on voit bien qu'unepolitique rationnelle qui viserait l'amélioration significative des parcours scolaires aurait uncoût économique important.

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Atelier n°1

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Atelier 1

Information et orientation, outils majeurs pour l’ouverture des CPGE ?

Après avoir introduit l’atelier, Brigitte PERUCCA donne la parole aux quatre intervenants.

Jean Lamoure rappelle l’esprit qui a toujours animé la réalisation des Palmarès des classesprépas, aussi bien dans Le Monde de l’éducation que dans leur mise en ligne sur le sitewww.lemonde.fr. C’est, dit-il, satisfaire la demande légitime des familles et des élèves en leurfournissant le maximum d’éléments d’information pour les aider à choisir « nous mobilisonsalors le vaste réseau d’enseignants, de responsables d’établissements, constitué au cours desannées et qui nous font confiance ». Trois principes guident ces palmarès. C’est, d’abord,« faire avec », et non « faire contre » : définir avec les enseignants, les partenaires, lesinformations les plus pertinentes ; c’est également « faire pédagogique » et non« démagogique » : le souci est de rendre un service aux familles, aux élèves, « loin de touterecherche de sensationnel » ; c’est enfin « jouer la complémentarité plutôt quel’opposition » : complémentarité avec les conseils des enseignants, des COP dans lesétablissements, avec les sources officielles, documents statistiques et revues d’orientation.Ces trois principes sont, pour Jean Lamoure, à la base de la « qualité d’expertise » largementreconnue à ces publications.

Renaud Palisse pense que les élèves du secondaire sont insuffisamment informés, et que demanière générale l’information qui leur est donnée par les canaux officiels est très lacunaireen particulier pour les jeunes dont les familles n’ont pas la connaissance des prépas. Pourattirer un public plus large, il lui semble par ailleurs nécessaire de « passer d’une logique desélection à une logique d’orientation » et suggère que les principes de sélection pour l’entréeen prépa soient revus dans un souci de plus grande ouverture sociale.

Jean-François Guipont revient sur le rôle essentiel des professeurs de terminale dans leprocessus d’information et d’orientation des élèves vers les prépas « même si la prise deconscience des élèves doit s’effectuer bien avant la terminale ». Il regrette également que,bien souvent, ils soient la seule source d’information de nombreux élèves. A cet égard, Jean-François Guipont pense que la nouvelle procédure d’admission en CPGE « donne uneopportunité aux professeurs de terminale d’avoir désormais un véritable rôle de conseil,puisqu’ils se trouvent dégagés de la procédure des conseils personnalisés, même s’ils portentune évaluation verbale et chiffrée sur le dossier de l’élève. Les professeurs de terminaledevront évidemment se persuader de ce nouveau rôle et il appartiendra évidemment aux chefsd’établissement de favoriser cette prise de conscience chez les professeurs ».

Marie-Claude Gustot reconnaît que les changements qui se sont opérés dans les classes prépasces vingt dernières années sont d’importance et réclament une nouvelle lecture, uneprésentation différente. Pour Marie-Claude Gustot, les publications de l’Onisep,continuellement actualisées, sont un excellent support pour véhiculer l’information sur lesclasses prépas.

Brigitte Perucca lance alors les débats en donnant la parole aux inspecteurs généraux,proviseurs et professeurs participant à l’atelier. De nombreuses questions sont posées parcertains, de nombreux témoignages sont donnés par d’autres. L’essentiel est regroupé ici enquatre thèmes.

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Thème 1 : le rôle des professeurs de terminale dans l’information et l’orientation de leursélèves en prépas.

Ce rôle est jugé essentiel. Deux points sont soulignés :

- l’action importante que peuvent mener les proviseurs envers ces professeurs enstimulant, organisant, leur rôle de conseil auprès des élèves,

- le rôle des professeurs de terminale envers ceux de leurs élèves qui s’autocensurent ;les professeurs de terminale peuvent « rassurer en informant davantage ».

Thème 2 : les actions d’information menées par les professeurs de prépas.

De nombreuses actions sont déjà menées par les professeurs de prépas pour recruter les élèvesde terminales : forums, journées portes ouvertes, déplacement des collègues dans les lycées.On remarque dans tous les cas que l’élève de prépa qui accompagne son professeur est unexcellent vecteur d’information.

Un véritable partenariat s’instaure parfois entre les prépas de proximité et les lycées qui lesentourent ; un collègue de Marseille témoigne combien ce partenariat s’avère alors trèsefficace pour l’élargissement du public des candidats aux classes préparatoires.

On peut par contre regretter qu’il n’y ait pas davantage de forums sur les métiers organiséspar les lycées pour leurs élèves du secondaire qui semblent largement méconnaître la réalitédes métiers d’ingénieur, de chercheur, etc. généralement destinés aux élèves qui, après uneprépa, ont intégré une grande école.

Thème 3 : l’ouverture des CPGE aux élèves des mileux plus modestes.

Deux remarques sont faites à ce sujet :

- le frein que peut constituer, dans les milieux modestes, la perspective d’avoir às’engager dans un processus de cinq années d’études : certains de ces élèves sonttentés de commencer par une orientation vers une voie plus courte - en IUT ou BTS –quitte à rejoindre les grandes écoles , après ce premier niveau « assuré ».

- l’information sur le coût des études devrait être plus systématique, et mieux signalerque l’enseignement en classe prépa est gratuit, que les frais de scolarité – en particulierdans les écoles de commerce peuvent être pris en charge de diverses manières, parexemple, par le biais de l’apprentissage ou de l’alternance : un étudiant d’école decommerce peut commencer à gagner sa vie en école.

Thème 4 : un outil d’information d’actualité pour l’ouverture des prépas : l’Internet.

L’étude de faisabilité réalisée par la Commission TICE inter-unions a mis en valeur unedemande croissante d’information par l’Internet émanant des élèves du secondaire. Al’objection d’utiliser pour une meilleure ouverture de nos classes un outil pas encore assezdémocratique on peut opposer les efforts réels faits par les collectivités locales pour mettre en

Atelier n°1

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place l’Internet pour tous. Ce thème, présenté par Nathalie Van de Wiele, secrétaire de laCommission TICE, est repris par Jean-François Guipont pour qui il semble en effet que«l’usage de la ‘toile’ est pleinement intégré au mode de vie des jeunes, qui se procurentfacilement des accès internet hors de chez eux : cyber-cafés, établissement scolaire,camarades,… » et que l’on ne doit pas garder le sentiment qu’internet ne se répand pasaisément dans les classes sociales moins favorisées : «la ‘publicité’ [sur les prépas] soustoutes ses formes est essentielle (…) et le vaste usage d’internet va s’avérer des plus précieux.Presque tous les lycées se présentent maintenant sur internet - la nouvelle procédure yincitaient fortement les lycées à CPGE - mais une information plus générale (ONISEP,Ministère) qui existe déjà sur internet doit s’amplifier, et sans démagogie mais avec réalisme(la CPGE n’est ni le « bagne », ni le « club méditerranée »), encourager véritablement lefutur étudiant à ne pas éliminer la possibilité d’une CPGE. »

Brigitte PERUCCA conclut alors en saluant la qualité des interventions des intervenants etdes participants ; elle est heureuse de constater que la réflexion est en route, grâce enparticulier à ce « croisement des regards » des divers partenaires engagés dans ce rôled’information, et que l’atelier a su dégager des propositions concrètes concernantl’information et l’orientation pour une meilleure ouverture de nos classes.

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Encadré 1

La question de la démocratisation de nos CPGE est à mon sens complexe en raisonessentiellement des barrages psychologiques de type socio-culturel, les élèves des milieuxmodestes ne possédant pas les « codes » et percevant mal les enjeux des CPGE. A cet égard,la notation traditionnellement basse des professeurs de CPGE est plus déroutante pour euxque pour les élèves mieux avertis. Il faut ajouter à cela la relative incertitude de ces élèves surleur engagement dans des études longues, dont ils perçoivent assez mal la finalité. Lespremiers éléments chiffrés du déroulement de la procédure informatique semblent indiquer untrès bon remplissage des établissements, et pas seulement des plus prestigieux. Il fautévidemment attendre les confirmations et acceptations des élèves (il ne manquera pas d’yavoir des abandons), mais d’ores et déjà les indicateurs de « remplissage » sont bons. Cenouveau dispositif semble aller dans le sens que nous souhaitons tous d’une meilleureouverture des CPGE.

J-F Guipont, Lycée Saint-Louis

Encadré 2

C'est en qualité de Conseillère d'orientation-psychologue que je voudrais apporter mon témoi-gnage qui ne vise qu'un objectif: une meilleure collaboration entre nous tous.J'ai essayé au cours de cet atelier de faire passer deux messages qui nous tiennent vraiment àcœur mais qui vont manifestement à l'encontre d'idées véhiculées tout au long de ce colloque.Quelles sont-elles?

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- « Les élèves du secondaire ne sont pas informés de l'existence des CPGE ». Je ne peux quem'inscrire en faux contre cette assertion. Les élèves reçoivent des informations, et ceci bienavant le second trimestre de l'année de terminale. Certes, le fait que chaque COP ait en chargedeux ou trois établissements scolaires limite la portée de notre action mais nous passons dansles classes, des documents de l'Onisep sont distribués ( dont je conseille aux participants ducolloque une lecture attentive), des conférences ou des rencontres avec des anciens élèvessont organisées. Les élèves sont en outre invités à se rendre aux Journées Portes Ouvertes etbien sûr à faire des recherches sur différents sites. Nous passons notre temps à inciter lesélèves à multiplier les occasions de s'informer, à confronter les différentes sourcesd'information... Ceci en collaboration avec les professeurs du secondaire.

- « L'information n'étant pas faite ou mal faite, il faut l'organiser car l'information, c'est lasolution ». Nous considérons pour notre part que si l'information est nécessaire, elle n'est passuffisante, en particulier dans le cas des jeunes d'origine modeste. C'est un tout autre travailqu'il faut mener avec ces jeunes. Notre expérience montre qu'il est illusoire de penser qu'uneinformation, en particulier si elle est délivrée de façon collective, suffira à ébranler lesentiment très intériorisé que peut avoir un jeune que le monde des prépas et des grandesécoles n'est pas pour lui.

[Joëlle Moynier développe alors l’exemple d’un jeune d’origine populaire et étrangère, « P.3,qui est un brillant élève de terminale ES et qui choisit de s’inscrire en BTS alors que, d’aprèsson professeur principal, « il aurait le profil CPGE »]

La décision de préparer un BTS, «P.» l'a prise, semble-t-il, en fin de 1ère. Dès lors, il va filtrerles informations pour ne retenir que ce qui va dans le sens de son projet. Ce mécanisme estfondamental pour comprendre son cas mais pas uniquement car nous fonctionnons tous decette manière. Personne n'y échappe. «P.» écoutera d'une oreille distraite le témoignage deCaroline, ancienne élève du lycée, étudiante en CPGE économique et commerciale. Il ne serendra pas aux Journées Portes Ouvertes des lycées qui proposent ce type de classe ...

Si «P.» vise un BTS plutôt qu'une classe préparatoire, sa demande comporte néanmoinsquelque chose de hardi! En effet, c'est au lycée Y que «P.» demande à poursuivre ses études,le prestigieux lycée Y, qui l'aurait peut-être également admis en CPGE. Ce n'est pas rien!C'est accéder au lycée qu'il ne s'est pas autorisé à demander à l'entrée en classe de seconde. Ila préféré alors le lycée X, jugé plus « convivial », dont « les profs sont proches des élèves »au lycée Y qui a la réputation de « casser les élèves » et qui semble, au fil des ans, sespécialiser dans l'accueil des héritiers de l'incontournable Pierre Bourdieu. Il y a là encore unproblème d'image. Il y a aussi des éléments de réalité, des statistiques qui montrent que leslycées X et Y, situés dans le même district, n'accueillent pas les mêmes publics.

«P.» va donc préparer un BTS. Dans deux ans se posera la question d'une poursuite d'études,de la possibilité de postuler pour les Grandes Ecoles par le biais des admissions parallèles.Vous vous en doutez, le lycée Y obtient d'excellents résultats à ces concours... Il lui faudraaborder la question du financement avec ses parents (son père est employé au service desjardins de la ville, sa mère est employée de maison) . Il sera alors peut-être en mesured'entendre ce que ses enseignants de terminale n'ont pas manqué de lui indiquer: les étudiantsde deuxième année des écoles de commerce (la quatrième année d'enseignement supérieur!)peuvent, grâce à l'alternance, devenir salariés. «P.» n'est donc peut-être pas perdu pour les

Atelier n°1

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Grandes Ecoles. Ou il entrera à l'Université en IUP, en MST ou autre. Il aura la possibilité defaire des études longues... N'est-ce pas l'essentiel? (…)J'ai choisi un cas extrême pour illustrer mon propos. La plupart des élèves de terminalefranchissent la porte de nos bureaux. Nous conseillons les CPGE car nous n'avons aucunpréjugé concernant cette filière mais pour certains, c'est un choix qui ne coule pas de source,qui se fait après une valse-hésitation. Nous essayons, dans le temps qui nous est imparti, deles accompagner tout au long de leurs questionnements, de lever leurs inquiétudes maiscertainement pas de les nier! J'ajouterai que ces inquiétudes ne sont pas l'apanage des élèvesqui postulent pour une CPGE, tous les élèves de terminale sont inquiets à la veille de l'entréedans l'enseignement supérieur, au moment de faire des choix qui les engagent.(…)Il nous faut continuer à échanger, dans l'intérêt des élèves, plutôt que de donner des réponsesrapides à un problème qui est complexe.

Joëlle Moynier, Conseillère d'orientation-psychologue

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Atelier 2

"La diversification des C.P.G.E., instrument d'ouverture sociale ?"

L'atelier n°2 s'est déroulé selon le planning suivant :

o Introduction par J.L. PIEDNOIR, Inspecteur Général de Mathématiqueso Intervention de M. TEMMERMAN, enseignant en PT au lycée Langevin Wallon de

Champigny sur Marne et précédemment en TSI au lycée Voillaume d’Aulnay sousBois.

o Intervention de M. MESTRE, professeur de Génie Mécanique en TSI au LycéeRaspail Paris 14e.

o Intervention de R. BERTRAND, présidente de l'A.D.E.P.P.T (Association desProfesseurs de Classes Préparatoires H.E.C. voie technologique)

o Intervention de S. TARDIF, vice-présidente de l'A.P.H.E.C. (Association desProfesseurs de Classes Préparatoires H.E.C.)

o Débat avec la salle.

En introduction, J.L. PIEDNOIR indique que, depuis leur création, en 1977, les classespréparatoires réservées aux élèves des séries technologiques STI et STT accueillent des élèvesqui n'auraient pas pu choisir cette voie si elles n'existaient pas.

Il mentionne que pour l'année scolaire 2001 2002 :o les effectifs des classes TSI-ATS ne représentent que 3,8 % des bacheliers STI, soit

environ 1300 étudiants, contre 20% d'inscriptions en CPGE pour les bacheliers S.o les effectifs des classes ECT ne représentent que 0,6 % des bacheliers STT, soit

environ 500 étudiants.o 40 % des étudiants des classes TSI-ATS-ECT sont boursiers contre 14 % pour

l'ensemble des C.P.G.E.o 25% des élèves de TSI sont titulaires d’un BEP et proviennent donc d’une première

d’adaptation.Les classes préparatoires technologiques jouent donc un rôle d’ascenseur social réel maisméconnu. S’il est difficile de le quantifier au niveau national de nombreux témoignagesmontrent qu’il en est de même pour les classes de proximité quoique dans une moindremesure.Les statistiques complètes sont données ci-dessous :

Année TSI 1 TPC+TB 1

HECtechno

1

TSI 2 TPC+TB 2

HECtechno

2

ATS BacSTI

BacSTL

BacSTT

2001-2002 779 137 491 660 95 439 540 32900 5800 727002000-2001 759 127 529 611 91 436 526 35700 6100 784001999-2000 695 126 537 648 70 361 509 36900 6300 822001998-1999 757 129 430 663 75 354 474 36200 6300 794001997-1998 705 114 416 734 89 292 407 34600 6200 77000

Atelier n°2

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M. TEMMERMAN décline la question posée selon les deux points suivants :

• La diversification permet-elle d’augmenter le flux d’élèves d’origine sociale moinsfavorisée ?

• Quelles sont les moyens pédagogiques à mettre en œuvre pour la réussite des élèves ?

Avant de développer le premier point, M. TEMMERMAN présente brièvement la classepréparatoire PTSI /PT du lycée Langevin Wallon (LW) de Champigny sur Marne.Elle a été créée en septembre 1993 et totalise toutes promotions confondues depuis cette date,selon l’indicateur "mentions au baccalauréat S "les résultats suivants :

2,7% Bien, 26% Assez Bien et 71,3% Passable

M. TEMMERMAN revenant au premier point, apporte son témoignage d’une diversificationavec la voie PTSI de la filière scientifique, de son implantation dans un lycée de proximitéassociée à un partenariat régional avec d’autres lycées possédant des CPGE.

Si on donne la parole aux élèves, ils sont nombreux à affirmer que « Si la prépa duLLW n’avait pas existé, ils n’auraient jamais fait ce type d’étude… »

Pourquoi ?

� Pour certains, ils sont élèves du lycée depuis la 2nd et ont bénéficié d’uneinformation privilégiée avec de nombreux contacts et ont leur a proposé unepoursuite d’étude dans le même établissement, à coté de chez eux avec desprofesseurs qu’ils connaissent…

� Pour d’autres, ils ont fait une terminale S avec des notes simplement moyennes enmathématiques et ne pensaient pas avoir la compétence requise pour suivre cetteformation. On leur a présenté la spécificité de cette voie avec son approcheexpérimentale importante.

� Ou encore, on leur a expliqué l’esprit et les contenus des sciences de l’ingénieur,discipline nouvelle pour eux et fortement valorisée en PTSI-PT.

Un des moyens du développement du recrutement vers une population moins captiveserait la diversification des voies et l’implantation de CPGE notamment dans des lycées deproximité, et plus particulièrement dans des lycées polyvalents avec filière scientifique ettechnologique, vecteurs de démocratisation !

Or on constate sur l’Académie de Créteil à forte population ouvrière possédant cinqPTSI-PT (Aubervilliers, Cachan, Champagne, Champigny et Meaux), que hormis la sectionde Cachan qui bénéficie de l’intégration dans le campus de l’ENS, les autres sections ont desdifficultés de recrutement !

Comment dès lors, concilier une implantation de CPGE dans un lycée de proximité etassurer un recrutement optimal ?

M. TEMMERMAN présente alors une expérience intéressante ; le partenariat régionalassociant trois lycées du Val de Marne dont l’un des objectifs est d’augmenter les flux

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d’élèves dans les sections scientifiques PTSI et PCSI. Ces trois lycées du Val de Marnegéographiquement proches possédant des CPGE scientifiques sont :

Marcellin Berthelot à St Maur (2MPSI,3PCSI,2MP,1MP*,1PC,1PC*,1PSI*)D’Arsonval à St Maur (1PCSI/PSI,1PSI*)Langevin Wallon à Champigny (1PTSI, 1PT),

En ce qui concerne plus particulièrement la PTSI-PT, les premières conséquences del’existence de ce pôle sont les suivantes :

o le déficit d’image du lycée technique LW , frein important au recrutement esten grande partie gommé par le partenariat avec les lycées prestigieux voisins.

o l’information confidentielle de la Journée Portes Ouverte-LW sort de seslimites étroites vers un auditoire beaucoup plus large à l’occasion des JPO desdeux autres lycées. Plus généralement l’information en direction des candidatspotentiels et de leurs familles est nettement améliorée avec le souci de la fairela plus en amont possible.

o la connaissance et la valorisation des sciences de l’ingénieur s’expriment pardes actions spécifiques au sein du pôle.

o L’attractivité est renforcée par l’existence d’une structure sécurisante trèsréactive avec de nombreuses passerelles entre les voies scientifiques pouroptimiser les parcours et améliorer l’adéquation filière / profil d’élève.

o La mise en commun d’un certain nombre de moyens, ressources du pôle,comme l’internat du lycée MB favorisent le recrutement en PTSI du LW.

o Une image d’ouverture et d’innovation est attachée à l’existence de ce pôlerégional décidant les élèves les plus indécis.(exemple : complémentaritéd’équipement entre les différents établissements enrichit les ressourcesmatérielles du pôle accessibles à l’ensemble des élèves).

Ainsi le maintien d’une CPGE-PTSI/PT dans un lycée polyvalent de proximité et dansune cité ouvrière facilite l’accès à ce type de formation d’une population de conditionmodeste et l’isolement de cette implantation nuisible notamment en terme d’effectif estrompu par l’appartenance à un pôle régional.

M. MESTRE, dans son intervention propose une réflexion issue d’une expérience de 22 ansd’enseignement en CPGE dont 5 en TSI.

« La démocratisation des armes de guerre est en marche ». C’est ainsi que débute un articledu Monde sur le grand banditisme. « Démocratiser » signifie maintenant non plus « instaurerun gouvernement où le peuple exerce la souveraineté », mais « rendre accessible au plusgrand nombre » et, partant, « faire œuvre de promotion sociale ». Et le glissement sémantiquedu terme « démocratie » est semble-t-il en marche, lui aussi, en direction de : « ouverturesociale ».

Atelier n°2

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Il pose ensuite en termes concrets les questions suivantes :

• « Les classes prépa technologiques sont-elles seulement des entreprisescaritatives destinées à assurer la promotion sociale d’élèves marginalisés parle système scolaire ? ».

• « Quels sont les ingrédients d’un enseignement réussi dans ces classes ? »

M. MESTRE présente alors trois exemples d’élèves (un échec, un espoir, un succès) quiillustrent les spécificités pédagogiques de la filière TSI.

L’échec était celui d’un élève d’origine marocaine et ouvrière. Particulièrementrespectueux, sérieux, travailleur, bref : méritant, il avait gravi tous les échelons des étudestechniques : CAP, BEP, BP, Bac technologique, et enfin CPGE TSI. Il était assis au premierrang, voulait TOUT comprendre, posait des questions jusqu’à épuisement. Hélas ses capacitésd’abstraction et de rapidité n’ont pas permis le moindre passage en deuxième année, et nousavons dû le réorienter en IUT. Échec apparent du point de vue étroit de la seule classe prépa,en réalité une réussite du point de vue des études supérieures car son expérience en CPGEl’avait bien armé pour l’IUT où il s’est épanoui.

L’espoir est le cas d’un autre élève d’origine marocaine encore en activité dans maclasse : il est issu d’un lycée de la banlieue nord de Paris.

Or cet élève est fort en math – très fort même, pas seulement à l’aune du niveaumoyen de TSI. Il aurait sa place en prépa classique. Mieux, à l’occasion de Noël, je racontaisà la classe un conte dans lequel j’avais intégré, sans crier gare, un ciel bas et lourd pesantcomme un couvercle sur l’esprit gémissant en proie aux longs ennuis. Le gaillard réjouis’écria « Baudelaire ! »

La réussite est incarnée par une jeune fille issue d’un collège violent de banlieue sud,auquel elle put échapper par l’inscription en cycle technologique à Paris. Première de saclasse en sup et en spé, stage dans un labo d’astrophysique suivi d’un TIPE brillant, et enfinadmission en 3/2 aux Mines de Paris. Certes, ses performances dans les matières scientifiquesne la placent pas en tête de promotion, mais elle vient « d’avoir » son semestre. De plus,il semble qu’elle confirme ses talents d’initiative, de communication, d’interdisciplinarité,d’organisation et de leadership, tant appréciés dans cette institution – sans parlerde ses capacités, spécifiques à sa formation, à garder les pieds sur terre même dansles situations où prévaut la réflexion théorique.

Enfin, M. MESTRE pose la question suivante :

"Considérant que certains, y compris dans les Grandes Écoles, affichent une hostilité ouverteà la présence de TSI, la filière TSI n’est-elle qu’un filet servant à repêcher des élèvesméritants, et qui bénéficient d’une discrimination positive du fait de l’étanchéité entre leurconcours et ceux des autres filières ? Ou à l’inverse, est-ce une pépinière de talents qued’autres filières seraient moins à même de développer ?"

En conclusion, pour M. MESTRE, une réflexion plus large conduit à considérer lesspécificités des étudiants de TSI non comme celle d’élèves marginalisés en voie deréinsertion, mais comme celles de toute la classe d’âge, à peine caricaturées en TSI. M.MESTRE est amené à proposer quelques pistes à une réflexion et une action future : Pour

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« démocratiser », il faut sélectionner. - Il ne suffit pas de démocratiser, il faut former. - Pourformer, il faut du temps.En conclusion, on observe banalement que l’enseignement ne peut faire fi de règles ancienneset éprouvées : la sélection des meilleurs, l’effort et la mémorisation, la répétition, ainsi que lerespect de la durée et des rythmes d’apprentissage – conditions pour que la diversification desCPGE puisse constituer un instrument d’ouverture sociale, et que l’ensemble des CPGE et dusystème éducatif français continue à former une élite de niveau européen.

R. BERTRAND indique que les classes préparatoires Economiques et Commerciales optiontechnologique (ECT) ont été créées en 1976 et qu'il y a désormais 24 classes préparatoiresECT.Les séries technologiques tertiaires STT desquelles sont issus les étudiants des CPGE ECTforment chaque année 100 000 futurs bacheliers. Parmi eux 600 entrent en classe préparatoireECT.Leurs profils sont très différents du vivier classique des classes préparatoires commercialescar 70% d'entre eux sont enfants d’employés, d’ouvriers, ou de personnes sans emploi(chômage ou retraite). Ils ont un baccalauréat technologique qui développe des qualités depragmatisme, de sens de l’initiative, d’ouverture d’esprit appréciées par des responsablesd’écoles.Les classes préparatoires ECT permettent de :

o Donner à ces étudiants un bon niveau d’enseignement général leur conférant lesqualités indispensables à de futurs cadres, leur permettant de suivre avec profit lestrois années d’Ecole.

o Conserver leurs aptitudes dans les disciplines de l’entreprise qu’ils retrouveront enEcoles mais en les utilisant comme vecteurs de développement de capacités deréflexion, d’analyse, de logique.

On constate enfin qu'en dépit de ce qui précède, les candidats option technologique restenttrop peu nombreux. En effet, faute d’un recrutement suffisant, les classes préparatoires ECTne jouent pas pleinement leur rôle.L’action des prescripteurs naturels peut être améliorée. Professeurs mais aussi proviseurs etconseillers d’orientation psychologues devraient être mieux informés de la nature des étudesen classe préparatoire et de la réussite aux concours. On pourrait sur la toile développer lesentrées par mots-clefs dédiés aux divers métiers accessibles après une Grande Ecole : lehasard de la recherche pourrait ouvrir, alors de nouveaux horizons ! Il en est de même pourles sites de chacune des Ecoles de ManagementLes bacheliers STT ont des idées fausses sur leur CPGE. Nombreux sont ceux qui sontpersuadés qu’une moyenne générale de 15 est tout à fait indispensable pour être admis enprépa. Ils pensent qu’une prépa est le royaume du « chacun pour soi », du bachotage, de larivalité. Ils ignorent que des conventions existent entre prépas technologiques et Université etque toute admissibilité à une Ecole permet d’entrer en licence avec dispense de DEUG ; ducoup ils privilégient les études supérieures courtes. Ils ont une mauvaise connaissance desdébouchés concrets des Grandes Ecoles ce qui les amène à s'autocensurer.Ils ont des atouts, des capacités intellectuelles mises en lumière par la prépa, qui leurpermettraient de suivre avec profit l’enseignement des Ecoles du plus haut niveau. Encorefaudrait-il que les critères de sélection tiennent compte de leurs spécificités.

Atelier n°2

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Mais le jeu de « course-poursuite » pour les grands concours est rendu impossible par lepassage à deux ans de la réforme de 1995 et l’impossibilité de passer à trois ans pour les voiestechnologiques. D’autant que le niveau d’exigence des très Grandes Ecoles s’est accru.Il est possible de se résigner à cet état de chose, c’est dommage pour la mixité sociale et pourles écoles qui se privent d’une source de renouvellement.

Sophie TARDIF note que les étudiants issus des prépas commerciales, voie technologiqueréussissent bien aux concours et accèdent à des carrières globalement plus intéressantes quecelles offertes par les filières courtes (BTS/IUT) plébiscitées par les bacheliers STT. Lapopulation des Ecoles se trouvent enrichie d’étudiants caractérisés par des profils intellectuelset sociaux particuliers mais ils continuent à devoir faire face à des obstacles qui leur sontpropres : structure de concours relativement défavorable, financement du concours et desétudes.Trop souvent les élèves de seconde s’orientent ou sont orientés vers la filière STT par défaut :profil scolaire jugé mal adapté à des études générales, travail insuffisant, manque d’ambitiondes familles, etc…Arrivés en terminale ils hésitent à s’orienter en CPGE. En effet, ils pensentne pas être capables de réussir, d’avoir trop de travail, ils ont peur de l’échec, les étudescoûtent cher. En résumé, ils sont insuffisamment informés et surtout insuffisammentencouragés. Aussi l’orientation en BTS les rassure et souvent attire les meilleurs élèves.En classe préparatoire ils ont besoin d’un encadrement plus grand que leurs camarades desvoies scientifique ou économique mais ils sont volontaires et s’accrochent malgré des lacunesen culture générale, surtout en langue étrangère. Leur réussite est réelle car 85% d’entre-euxintègrent une grande école de commerce. Il y a bien une ouverture sociale mais elle restemodeste.

***

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Le débat avec la salle

Les intervenants présents à l'atelier n°2 étaient des collègues professeurs de CPGE, desproviseurs de lycée, des inspecteurs généraux de l'Education nationale.Le débat s'est orienté autour des deux questions suivantes :

1. Comment mieux recruter pour ces CPGE ?

2. Quelle est la réussite de ces étudiants ?

Les responsables de l'Atelier n°2 proposent la synthèse suivante :

Pour la première question, il s'agit de mieux informer et convaincre que la réussite est réelle

En effet, les élèves de première et de terminale se sentent, à priori, peu concernés par cesclasses et n'utilisent pas les vecteurs traditionnels d'information sur les prépas (standsspécifiques des salons étudiants, presse spécialisée...).D'autre part, les prescripteurs d’orientation (proviseurs de lycée, professeurs principaux desclasses terminale, conseillers d'orientation-psychologues) sont trop souvent mal informés dela réussite réelle des classes préparatoires technologiques.

Comment faire ?

Il est nécessaire de fournir, aux futurs bacheliers technologiques, à leurs professeurs,des témoignages ;

• d'élèves en classes préparatoires pour prouver, par exemple, que l'accès des bachelierstechnologiques est possible,

• d'élèves en écoles d'ingénieur ou de management, issus des classes préparatoirestechnologiques

• d'ingénieur, de professeur ou cadre manager diplômés issus des mêmes classes.

D'autre part, il faut aussi ;

• rencontrer les élèves de terminale concernés dans leur classe et, plus particulièrement pourles bacheliers technologiques, leur proposer d'assister aux cours et colles de C.P.G.E.). Leclimat particulier des classes préparatoires technologiques peut rassurer les élèves.

• développer le nombre des classes de proximité et des classes préparatoires technologiquesafin de rendre ces classes plus accessibles à des jeunes de milieu modeste.

• développer les internats pour ces classes compte tenu du contexte sociologique de cesélèves.

• accepter des effectifs plus réduits pour ces classes car plus la classe est hétérogène plus ellenécessite des moyens adaptés.

Pour la seconde question, les points suivants ont été relevés :

Atelier n°2

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• Le bon niveau de réussite (80 % au moins) à l'entrée en grande école (reconnue par lacommission des titres ou visées ou homologuées par le ministère de l'éducation nationale)atteste de la qualité de la formation de prépas.

• Certaines écoles d'ingénieurs signalent, pour ces élèves, quelques difficultés en premièreannée d'étude qui s'estompent ensuite, éventuellement au prix d'un redoublement.

• Les élèves de prépas option technologique tertiaire n'éprouvent pas de difficultésparticulière en école de management.

• Une enquête réalisée par la C.G.E. auprès des Ecoles montre que la grande majorité desEcoles se déclare satisfaite de ces élèves à capacités et à profils différents.

Un exemple original

Le pôle " CPGE des boucles de la Marne " regroupe les lycées Marcellin Berthelot etd'Arsonval de Saint Maur et le lycée Langevin Wallon de Champigny.Cette structure permet :• d'élargir l'information à un public plus vaste,• de réguler les flux d'étudiants (à l'entrée et à l'intérieur du parcours) au mieux de l'intérêt

des étudiants,• d'optimiser l'utilisation des équipements des trois sites (laboratoires de sciences de

l'ingénieur conçus en concertation).

Un exemple à suivre ?

J.L. PIEDNOIR remercie tous les participants.

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Atelier 3

Les débouchés des C.P.G.E. en lettres et sciences sociales :Quelle organisation en vue d’un meilleur affichage ?

Quelles évolutions en vue de leur élargissement ?

Rapporteur : Jean Duchesne (UPLS et APPLS)

Intervenants : Mme Catherine Paradeise, E.N.S. Cachan.Mme Katherine Weinland, Doyen I.G.E.N. Lettres.M. Zanotti, I.G.E.N. Arts.M. Charles Thomas, Proviseur, Écoles de management.M. Sadran, ancien Directeur, I.E.P. BordeauxM. Hervouet, Directeur, École de Journalisme, Lille.

I. Possibilités d’évolution et d’élargissement des débouchés.

1. Nouveautés en C.P.G.E. : options cinéma (5), théâtre (11), histoire des arts (3).Débouchés dans des domaines sous contrôle du Ministère de la Culture (en plus desoptions arts plastiques et musique, qui ne permettent jusqu’à présent que relativementpeu d’intégrations dans les E.N.S.). Ces nouvelles options ne devraient pas nuire àcelles qui existent déjà.

2. Écoles de management : depuis 1995, recrutement par concours sur les programmesdes khâgnes. En moyenne 20% des candidatures aux écoles de management.Également possibilité d’intégration après licence ou maîtrise (concours sur titre), cequi peut intéresser d’anciens khâgneux. Pas de quotas. 181 intégrations de littéraires(soit 30% des candidats) intégrés en 2002 (2% du total - beaucoup d’admis vontailleurs...). Tendance à l’élargissement des écoles demandées (y compris en province).

3. I.E.P. : 9 (1 à Paris, 8 en province). Objectif : diplôme (de l’établissement, et nonnational) à bac + 5 (soit licence, puis maîtrise). Bordeaux : plus de 2000 candidats en2002 (dont de nombreux khâgneux) pour 120 places. Objectif : organiser lacomplémentarité avec les khâgnes. Bordeaux : 20 conventions entre I.E.P. et lycées àprépas littéraires avec option I.E.P. en vue d’entrée en second cycle. Concours en find’hypokhâgne. Les reçus restent en khâgne. Cette complémentarité a bien fonctionnéquand il y avait des échanges pédagogiques entre enseignants. Procédure à consoliderdans le cadre du système L.M.D.

4 . Écoles de journalisme : 5 en France. En moyenne 2000 nouvelles cartes dejournaliste en France chaque année, pour un total d’environ 36000. Lille : 833candidats à bac + 3 (soit 180 ECTS) pour 50 places en 2002. Parmi les reçus : 40%d’I.E.P. et 20% de khâgneux. Les écoles souhaitent diversifier les origines desétudiants. Perspective de banque d’épreuves pour la culture générale et la maîtrise dufrançais. Les écoles souhaitent garder des épreuves propres (testant empathie,autonomie, créativité, etc.).

Atelier n°3

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II. Quinze propositions et suggestions entendues en vue d’un meilleur affichage.

A. Améliorer l’information.1. Retourner les chiffres. On dit trop 400 places pour 4000 candidats. Il faudrait faire entrer

dans les têtes : 8000 places pour 4000 candidats (il y a plus de 8000 places aux Capes etagrégations dans l’ensemble des disciplines littéraires, en comptant tout). Il va falloircompenser quantité de départs à la retraite dans les années qui viennent !

2. Recenser systématiquement les anciens hypokhâgneux et khâgneux parmi les lauréats duCapes et de l’agrégation et publier les chiffres.

3. Alerter les lycées : a) en insistant sur le caractère pluridisciplinaire des prépas littéraires,qui évite les spécialisations prématurées et s’ouvre sur la culture artistique (cf. épreuve deculture littéraire et artistique à l’ENSLSH de Lyon) ; b) en attirant l’attention deprofesseurs sur la nécessité vitale de la maîtrise de la langue française et de la dissertationpour remplir les dossiers de candidature selon la nouvelle procédure : c) en faisant inscrirela spécificité des prépas littéraires dans les « projets » des établissements qui en ont.

4. Informer élèves et familles dès la fin de la seconde sur les débouchés des études littéraires,afin de relancer sur une filière qui souffre actuellement de désaffection.

5 . Organiser des « tournées des popotes » pour expliquer les débouchés des C.P.G.E.littéraires et les possibilités de financement des études en écoles de management.

B. Augmenter la lisibilité.6. Ne pas trop distinguer et surtout ne pas opposer le littéraire « pur » et les « sciences

humaines » et souligner au contraire leur complémentarité.7 . Bien insister sur le système des équivalences, et donc resserrer les liens avec les

universités, qui demeurent le principal débouché des khâgnes (préparation aux Capes etagrégations), notamment avec le renouvellement prévisible du corps enseignants.

8. Clairement inscrire ce système d’équivalences dans le cadre 3-5-8 ou L.M.D. des ECTS.9. Fédérer autant que possible (p. ex. avec une convention-cadre) les concours d’entrée pour

khâgneux dans les écoles de management, les I.E.P. et écoles de journalisme.10. Envisager une rationalisation du dispositif des concours d’admission dans les ENS, soit

sur le modèle de la banque d’épreuves B/L, soit au moyen d’une banque de notes, l’une etl’autre accessibles à d’autres écoles.

C. Accroître l’attractivité.10. Bien insister sur l’intérêt du rétablissement l’option maths en 1ère et terminale L : c’est une

condition pour la revalorisation de cette filière ; la répugnance pour les chiffres est aussiune raison d’échec dans les intégrations de khâgneux dans les écoles de management (demême que la réticence devant les stages en entreprise dans le cours des études et l’absencede projet professionnel).

11. Augmenter (pourquoi pas ? fût-ce de façon symbolique) le nombre de places aux E.N.S.12. Valider au niveau des équivalences la pluridisciplinarité des CPGE littéraires : pourquoi,

en règle générale, limiter les équivalences à une seule discipline ?13. Envisager de donner une équivalence complète de licence (180 ECTS) aux bons étudiants

qui font une seconde khâgne.14. Proposer un système de bourses comme celui des IPES d’autrefois, qu’il faudrait

« réinventer » (valable également pour les filières scientifiques, voire management ?).

Conclusion : La filière « lettres et sciences humaines » est décisive pour la démocratisationdes C.P.G.E. : c’est la littérature (entendue au sens le plus large) qui a constitué ladémocratie !

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Atelier 4

Classes préparatoires scientifiques :comment élargir le recrutement ?

La question de l'élargissement du recrutement se pose d'une manière cruciale aujourd'hui. Eneffet, d'une part, une certaine désaffection pour les études scientifiques se fait sentir alors queles classes préparatoires scientifiques peuvent accueillir davantage d'élèves en leur offrant lesdébouchés correspondants, d'autre part, la composition du recrutement apparaît parfois trophomogène et n'inclut pas suffisamment toutes les catégories de la population.

L'atelier 4 a été suivi par un grand nombre de participants, principalement des professeurs,mais aussi des chefs d'établissement et des responsables d'associations de professeurs.Le débat fut introduit par quatre interventions de personnes de terrain qui se voulaient destémoignages : celle de Jean-Marc Fournier, fondateur de l'association TREMPLIN, cellesd'Olivier Sidokpohou, professeur à la Courneuve, de Daniel Gasecki et Jean-Marc Truffaut,professeurs à Mantes la Jolie, et celle de Jean-Hervé Cohen, professeur à Saint Denis.Monsieur Maurice Porchet, professeur de biologie à l'université de Lille-I, termina les inter-ventions en élargissant la réflexion plus généralement aux formations scientifiques.

On trouvera en annexe trois textes[1] texte de présentation de Jean-Marc Fournier[2] texte de Olivier Sidokpohou[3] texte de Daniel Gasecki

Principaux constats et recommandations issus de l'atelier

1- Les causes de la sous représentation des élèves issus de milieu modeste

II est apparu au fil des interventions, puis au cours du débat avec la salle, que quatre causesprincipales se dégageaient à partir de tous les cas étudiés. Il s'agit de l'autocensure, du besoinsupplémentaire d'encadrement, de l'inégalité d'information, et de la difficulté de financement.Certaines de ces causes sont liées, par exemple l'inégalité d'information et l'autocensure.Le rôle des professeurs du secondaire est déclaré prépondérant aussi bien dans sa pratiquequotidienne que dans l'information qu'il peut transmettre (voir les chiffres donnés dans lesinterventions du matin).

2- Quelques propositions

Du côté des professeurs qui enseignent dans des classes préparatoires qui recrutent déjà dansdes milieux moins homogènes, et qui désirent attirer plus d'élèves, il s'agit d'abord de gérer lecours d'une manière adaptée, mais en évitant l'image de "prépas au rabais", pour donner aucontraire l'image de prépas comme les autres, dont les élèves bénéficient d'une proximitégéographique et d'un accompagnement personnalisé. Il s'agit aussi de concevoir uneévaluation structurante et non cassante, afin d'éviter tout découragement, et toute "mauvaisepresse" véhiculée par le bouche à oreille.

Atelier n°4

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Du côté des professeurs des classes de lycée, et tout particulièrement des classes de seconde,il leur est recommandé de jouer leur rôle, prépondérant, dans l'information et l'orientation, enrepérant les potentiels (même dans le cas de résultats scolaires inégaux selon les matières) eten apportant l'information et le soutien aux élèves concernés ( parfois en essayant deconvaincre leurs collègues réticents lors des conseils de classe). Ce suivi et ce soutien devrontse poursuivre en première et terminale. Il en résulte une nouvelle recommandation, celled'informer en premier lieu ces professeurs (et aussi bien entendu les CIO).

Pour modifier l'image qui peut être négative des "prépas" et les tabous qui persistent malgrél'information (ou par manque d'information) chez les élèves des classes secondaires, il estrecommandé de faire intervenir le témoignage de jeunes eux-mêmes en prépas auprès de cesderniers, ainsi que celui d'anciens élèves des lycées d'accueil qui ont réussi. Ce genred'intervention est plus efficace que beaucoup de discours.

Enfin, il faut repérer des élèves à haut potentiel mais avec des talents différents. Ceciconstitue un autre volet de l'ouverture et concerne plus directement les grandes écoles et leurrecrutement. L'ouverture sociale ne passe pas uniquement par l'attention, la confiance àdonner, le tutorat, mais aussi sans doute par la reconnaissance de talents moins académiques.Par exemple, l'augmentation de la part des démarches d'invention par rapport aux démarchesde restitution dans les évaluations, ou la mise en place d'entretiens sont des évolutions àprendre en compte.

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Annexe [1]L’expérience de l’Association Tremplin : une action de proximitéUn double constat :- Les jeunes issus de milieux modestes sont sous-représentés dans l’enseignement supérieurfrançais, et notamment en classes préparatoires scientifiques.- En théorie, ces élèves n’ont pas d’obstacles particuliers pour intégrer ces filières.Notamment, l’anonymat du concours est censé garantir l’équité et donner les mêmes chancesà tous.

Pourquoi cette sous représentation ?- Autocensure : ‘Ce n’est pas pour moi’- Difficultés de financement : Les études longues obligent à reporter les premiers salaires.- Besoin d’encadrement au travail : faire face aux méthodes de travail exigées en prépas.- Inégalités devant l’information : en terminale, on ne sait pas ce qu’est une école d’ingénieur.- Importance des proches : des parents ou amis ayant suivi des parcours analogues à celui del’élève jouent un rôle important pour conseiller et mettre en confiance.

Que propose l’Association Tremplin ?- L’Association Tremplin intervient dans des lycées en Z.E.P. ou des lycées dont les taux deréussite au baccalauréat sont sensiblement inférieurs à la moyenne nationale (8 lycées sontconcernés).- Sur place, Tremplin offre des séances régulières d’exercices scientifiques pour des lycéensvolontaires, par des étudiants (de l’X, de l’E.N.S. ou de l’E.N.S.A.E pour l’année 2003).

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- Les exercices sont destinés à des élèves intéressés par des études longues (prépas,université…).- Les exercices proposés sont des exercices d’approfondissement traités en petits groupes.- Les étudiants engagent un dialogue afin de donner des conseils d’orientation.

Un exemple de petit groupe :- Dans un lycée classé en Z.E.P. en Seine-Saint-Denis.- 4 élèves motivés en terminale S : 3 élèves en ‘tête de classe’ et un redoublant.- Aujourd’hui, deux élèves sont en MP* à Condorcet, une élève est en deuxième année deBCPST à Sainte-Geneviève et un élève est en DEUG MIAS à PARIS VI.

Quelles leçons tirer de ce type d’expérience ?- Oser dire ‘toi aussi tu peux’, démystifier les classes préparatoires.- La proximité de l’âge est un atout auprès des élèves : les étudiants ont un rôle important àjouer, complémentaire de celui des professeurs.- Un ciblage sur l’année charnière de Terminale est efficace. Cependant, intervenir plus tôtdans le cursus aide à toucher davantage d’élèves.- Ne pas hésiter à donner leurs chances à des jeunes issus de ‘lycées de banlieue’, ils en sontcapables et cela crée une dynamique positive pour l’image de ces lycées.Pour en savoir plus sur Tremplin : - [email protected] http://tremplin.polytechnique.org

Annexe [2]Contribution d'Olivier Sidokpohou

Par mon intervention, je voudrais essayer de présenter quelques pistes de réflexionsconcernant les moyens de favoriser l'ambition des jeunes de milieu défavorisés, et ce à partirde ma double expérience d'ancien préparationnaire et d'enseignant dans le secondaire.

Je voudrais tout d'abord présenter le cadre dans lequel s'inscrit mon action. Un lycée publicsitué et recrutant majoritairement à La Courneuve, avec une forte proportion de populationdéfavorisée, pour des taux de réussite au baccalauréat un peu au-dessus de 50%.

Précisons tout de suite que ma conviction profonde est que les problèmes et lesdifficultés que l'on peut rencontrer dans ce type de lycée ne sont pas de nature particulière. Iln'y pas d'élèves de banlieue, mais des élèves rencontrant des difficultés auxquelles l'école seheurte de tout temps et de tout lieu. Simplement, elles se rencontrent ici sous une forme plusconcentrée, et concernent un nombre d'élèves tel qu'il n'est pas possible d'éviter de s'yconfronter.

Une première remarque s'impose concernant les élèves de lycée : par rapport à leurmilieu, au passé scolaire de leurs parents, se retrouver au lycée général est pour eux déjà uneréussite, souvent obtenue grâce à un investissement personnel et familial réel. Dès leur entrée,ils ont par rapport à la réussite un comportement double : une fierté d'être arrivés jusque là eten même temps une facilité déconcertante à perdre confiance en eux. C'est ainsi qu'en débutd'année, on pourra compter une vingtaine d'élèves déclarant vouloir exercer une professionscientifique ou médicale, mais seulement cinq osant timidement déclarer vouloir faire unepremière S.

Deux options se présentent alors : faire son métier comme si de rien n'était, déclarerqu'enfin cette année ils vont commencer à faire des mathématiques, car on n'apprendmaintenant plus grand chose au collège, débuter par des révisions d'algèbre, constater que les

Atelier n°4

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élèves n'ont pas du tout le niveau, rédiger des devoirs où les questions faciles valent un pointet les belles questions difficiles 4, mettre 5 de moyenne à la classe pour ne pas lui mentir surson vrai niveau et constater avec tristesse que dès le deuxième trimestre, il n'y a plus que deuxélèves qui travaillent. Ou au contraire, entrer dès le premier jour dans le vif desmathématiques, valoriser le savoir accumulé par les élèves au cours du primaire et du collège,faire des devoirs un moment de contrôle et non un petit concours, valoriser les progrès plutôtque stigmatiser les manques, fixer à chacun un objectif qu'il puisse réaliser et donc qu'onpuisse exiger de lui, en un mot mettre en place un véritable élitisme républicain, et non unesélection par le découragement.Ce débat n'est d'ailleurs sans doute pas spécifique à la classe de seconde…On ne peut pasmettre 5 de moyenne à une classe, expliquer que l'on ne fait qu'exiger des notions de base quetout élève de terminale devrait savoir ,et se plaindre que les élèves ne se sentent pas capablesde préparer Normale Sup. Bien sûr certains élèves, parce qu'ils connaissent la musique, ouqu'ils ont un caractère exceptionnel, continueront à travailler, mais combien se décourageront,et décourageront leurs camarades de suivre leur voie : la S c'est trop dur, la prépa c'est l'enfer.On sous estime à ce propos l'effet très puissant du système de notation utilisé autrefois enlycée et aujourd'hui encore dans certaines classes préparatoires, qui décourage chaque annéeune bonne partie de ceux qui auraient pu être intéressés par cette filière. L'idée qu'on peutavoir 5 et ne pas être nul, et le prendre comme un encouragement à progresser est une idéetotalement incompréhensible pour beaucoup d'élèves. Méfions-nous à ce propos de cesinjonctions paradoxales, qui peuvent se nicher dans les discours les mieux intentionnés, etconsistent à présenter les élèves venus de lycée du 93 uniquement par leurs défauts : ils nesavent pas… ils devraient connaître… ils auraient dû apprendre… ils ne savent pas calculer,factoriser, lire (!), même si ce catalogue de déficiences est suivi d'un…mais nous allons lesaider.

Une politique d'accompagnement et d'encouragement permet au contraire à quasimenttous les élèves de quitter la seconde avec des connaissances de base et l'idée que lesmathématiques peuvent être aussi un monde accessible et un atout dans leur cursus. Pour cequi est plus directement des séries scientifiques, elle permet d' y amener une douzaine d'élèvesce qui a pour effet d'offrir de réelles perspectives de promotion sociale à ces jeunes, et d'avoirun vivier suffisant pour que se dégage cette élite qui nous intéresse ici particulièrement.

En terminale, s'effectue un travail plus directement lié au propos de ce colloque,puisqu'il s'agit d'amener les élèves à élargir leur choix d'orientation, et à se mettre dans la peaude futurs étudiants au long cours. On utilise tout ce qui peut rendre les études longuesfamilières, proches, visibles. Il s'agit d'un travail de longue haleine car entre le moment où oncommence à expliquer le système des classes préparatoires et celui où des élèves commencentà spontanément poser des questions sur le sujet, il s'écoule souvent plusieurs mois. Tout cequi peut inscrire le monde des études dans la réalité et les projets concrets des élèves estbienvenu. Carrefours des métiers, sélections pour la bourse scientifique des jeunes filles,ateliers Tremplin. Le cours de mathématique est encore une fois un lieu essentield'information, où l'on indique les prolongements, les applications que la notion peut avoir, enmettant en valeur la diversité des points de vue mathématiques sur un même objet : le point devue du biologiste, celui du mathématicien, celui de l'ingénieur ou celui de l'économiste. Celapermet aux élèves d'avoir une idée du type de mathématiques qu'ils aiment, et de faire leurschoix en conséquence. Le fait que j'aie moi-même suivi la filière des classes préparatoires etque j'aie réussi le concours de l'Ecole Polytechnique et de L'Ecole Normale Supérieure deCachan donne une légitimité à mon discours et aux avis que je peux donner sur les possibilitésde réussite des élèves. Il ne s'agit pas d'impressionner les élèves, mais encore une fois de leur

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rendre proches et accessibles un code, un vocabulaire, à la façon peut-être d'un artisantransmettant son métier.

Il me semble, et c'est là encore une conviction profonde, que l'on favorise d'autantmieux la réussite des meilleurs que l'on s'attache à la réussite de tous. Je ne peux que mettreen garde contre la tentation de "sauver les petits Mozart qu'on assassine" en sacrifiant ceuxqui décidément "ne comprendront jamais rien à rien". Voir une élève réussir brillamment uneclasse préparatoire à Saint-Louis est évidemment tout à fait gratifiant, mais savoir qu'un élèvede section littéraire deviendra un instituteur ayant gardé un bon souvenir de son cours de mathl'est aussi.Pour conclure, il me semble que plutôt que de regarder ce qui manque aux élèves, il faut avoiraussi le courage de regarder ce qui nous manque pour les faire réussir, voire les obstacles quenous pouvons plus ou moins consciemment mettre en travers de leur route. Choixpédagogiques, notations, les enseignants ont beaucoup plus de latitude qu'on ne le dit pouraméliorer la réussite des élèves de banlieue. Il ne faut cependant pas cacher la difficulté de latâche, qui nécessite un travail profond de remise en question de la part de chaque enseignant.

Annexe [3]Contribution de Daniel Gasecki

A la suite des émeutes de 1991, le lycée Saint-Exupéry a connu une longue grève pour obtenirles moyens de sortir d’une logique de ghetto. Refusant le classement en ZEP, les collèguesont notamment demandé une redéfinition de la sectorisation, et la création de classespréparatoires. (Cette dernière revendication n'étant pas absurde puisque le Mantois constitueun bassin de recrutement suffisamment grand et sans concurrence immédiate d'autres lycées.)Une classe préparatoire scientifique a été ouverte en 1993 (ainsi qu’une classe commercialevoie économique puis, en 98, une classe littéraire). Pour assurer le recrutement et le bonfonctionnement de ces classes, on doit surmonter deux obstacles majeurs :1) l'image du lycée (c'est le lycée du Val Fourré, le lycée des foulards islamiques,… )2) l'absence de culture de travail chez la plupart des élèves.Sont ainsi admis des élèves qui n'ont pas de vocation particulière pour les CPGE mais pourqui le lycée est plus proche que la faculté (concept de classes de proximité) et des gens auprofil plus traditionnel.On est donc amené à pratiquer le grand écart pédagogique c'est-à-dire :1) veiller à ce que les plus motivés puissent intégrer l'école de leur choix (deux élèves ont

préféré rester en Spé au lycée plutôt que d'aller dans une classe étoilée et ont obtenu en3/2 Ponts et Chaussées et Centrale Paris) et donner ainsi une bonne image de la classe(cercle vertueux)

2) s'efforcer que les autres ne décrochent pas.L'expérience montre que ces derniers obtiennent presque tous une école dès la première annéeet que les rares contre-exemples concernent des élèves ayant un projet personnel (futursenseignants, poursuite d'une filière universitaire.. ) ou des gens qui n'auraient pas pu suivre àla faculté.Les classes préparatoires de proximité ne sont donc pas exotiques : on y suit les mêmes cours(TP de physique, TP de MAPLE), on y prépare les mêmes concours (le filtre s'effectue entrele collège et le lycée), seules les proportions changent :

1) Davantage d'élèves intègrent des écoles du concours E3A et quand on les retrouve àl'occasion des forums, ils semblent métamorphosés (l'enseignement devient concret et

Atelier n°4

91

est adapté à leur niveau, ils se découvrent un projet professionnel, et ils me semblentpersonnellement plus épanouis que certains ayant des écoles plus prestigieuses).En consultant le palmarès des classes préparatoires du Monde au concours E3A, jem'étonne de voir ce concours rester marginal dans certains lycées (si les écolesn'arrivent pas à recruter des effectifs suffisants, elles se tourneront vers les formationsintégrées comme à Poitiers et ce, nécessairement au détriment des CPGE )

2) Le recrutement étant plus large, le profil sociologique des étudiants est plus diversifié(entre 1/4 et 1/3 d'élèves boursiers, ou d'origine maghrébine, ou de filles, même si cescritères sont discutables)

3) De nouvelles tendances se dessinent : absence de travail de la part de ceux qui sedestinent au concours E3A "puisque tout le monde l'a " et refus de s'investir dans unTIPE (non évalué à ce concours) Le regroupement des concours ESTP, ECRIN,ARCHIMEDE et ICARE ne permet plus d'avoir des épreuves classantes pour lesécoles de bas de tableau ni même d'établir une hiérarchie entre les écoles. Les élèves,sans repères clairement définis, identifient les concours à une loterie et font 5/2 endépit du bon sens.

En conclusion, les classes préparatoires de proximité participent de façon efficace à l'ascenseursocial tant qu'elles ne sont pas ressenties par les élèves, les collègues, … comme des classesau rabais. Cela nécessite un matériel performant en physique ou en informatique, des résultatshonorables aux concours et surtout une information permanente auprès des intéressés (jamaisacquise). Elles ont alors un rayonnement bien plus important pour le lycée que certainesmesures de discrimination positive (comme les conventions avec Sciences Po) puisqueconcernant des élèves qui n'auraient pas pu réussir par des voies universitaires.

***

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Atelier 5

L’image des CPGE et des GE, un frein à leur ouverture sociale ?

Le constatLes échanges au cours de l’atelier ont essentiellement porté sur les CPGE à propos desquelles unconstat a été assez aisé à établir et unanime: les CPGE présentent l’image d’un « monde à part ».On peut en préciser les contours : c’est d’abord une image patrimoniale ; elle participe à la repro-duction des héritiers et à la dissuasion des autres. C’est également une image sexiste quicontribue à renforcer l’exclusion précédente. La transmission de ces images participe à la fois del’autorité parentale, mais aussi professorale, et professionnelle – des spécialistes de l’éducation etde l’orientation. Dans tous les cas, c’est généralement une image retardée – ou rémanente,véhiculée sur la base d’une expérience - ou d’une expertise datée, ou décalée.

Les échanges ont essentiellement porté sur les usages, les pratiques, au sein même de l’institutionscolaire – les lycées mais aussi les classes préparatoires - qui contribuaient à transmettre cetteimage. Si cette image n’explique pas l’essentiel d’une sélectivité sociale qui, comme le montrentbien les travaux de la DEP se détermine tout au long de la scolarité secondaire, il ne semble fairede doute pour aucun de participants à l’atelier qu’elle contribue à repousser une part desbacheliers qui auraient toute leur place en CPGE.

A cet égard, nombre de participants se sont émus des références au « bagne », à « la viemonacale », aux « sacrifices » à consentir… qui émaillent fréquemment les articles de presse surles classes prépas mais que l’on retrouve également dans des documents officiellement destinés àl’information des enseignants…. Cette image strictement négative ne peut être que dissuasive,bien au-delà même des seules catégories populaires ou féminines qui semblent désormaiscommunément considérées comme les nouvelles cibles stratégiques de recrutement des classespréparatoires.

A l’inverse, plusieurs intervenants ont souligné combien l’image des prépas pouvait êtreprésentée par les mêmes enseignants ou élèves sous un jour totalement différent selon leursinterlocuteurs. Ces remarques venaient en écho à l’intervention de Jean-Claude Lafay surl'ambivalence de la perception du « monde prépas » par lui-même, sur cette image retardée« maintenue vivante par des processus complexes où les traditions familiales, professorales,étudiantes - les BDE, les associations d'anciens élèves - ont un rôle important. C'est pourquoiles enquêtes (en particulier auprès des élèves de prépas) obtiennent des réponses souventcontradictoires ou en décalage avec la réalité : on ‘défend’ sa prépa - ou on s'en dissocie - tantôten exagérant les contraintes, tantôt en les niant contre toute évidence, selon les intentions quel'on suppose à l'enquêteur ».

Encore semble-t-il nécessaire de distinguer les « lycées à prépas » des lycées sans prépas ; pourAlbert Munoz, par exemple, l’absence d’image des prépas est peut-être aussi fréquente, pourcertaines catégories de lycéens – de familles immigrées ou populaires – que la « mauvaise » ou la« bonne » image : nombreux sont ceux qui ne connaissent tout bonnement pas ces classes etencore moins les différentes filières : aussi, la première information qui leur en est donnée – leplus fréquemment par des enseignants – jouera-t-elle un rôle déterminant.

Atelier n°5

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L’importance de l’information apportée par les enseignants de lycée fait consensus, de même quel’image généralement ambiguë qui est donnée des classes préparatoires : une image d’attraction– répulsion, ainsi que le souligne Albert Munoz, qui serait partagée aussi bien par les professeursque les élèves, en particulier dans les lycées « sans prépas » où elle est fortement liée au proprecursus des enseignants – voire à leurs perspectives de carrière.

Comment changer cette image ? Des collègues souhaitent qu’en cherchant à dédramatiser l’imagedes classes préparatoires on ne les banalise pas pour autant, ce qui ne semble pas forcément unetâche simple, tant elles apparaissent comme une institution en décalage par rapport au discoursambiant sur l’école : « il faut dire qu’elles réclament des efforts, du travail… » ajoute un collègue.

Des suggestions

Un large accord se fait autour de quelques suggestions le plus souvent déjà expérimentées par descollègues, dans quelques établissements. Il est souhaité que ces initiatives puissent être plussystématiquement recensées et diffusées.

Il semble qu’il faille, d’abord, travailler auprès de tous ces élèves qui n’ont pas d’image desprépas, qui n’en entendent parler que lors de la procédure de dépôt des dossiers. D’un avisgénéral, ce travail est à mener :

- bien avant la terminale, dès la classe de première, ou mieux, dès la seconde proposentplusieurs collègues ;- par les enseignants de classes prépas, mais pas seuls, pour qu’ils ne puissent risquerd’apparaître plaider pro domo;- avec les élèves des prépas, retournant dans leur lycée ? mais il semblerait que l’imagequ’ils en donnent puisse être très différente de leurs convictions intimes, ainsi cet élève quidécrivait sa vie prépa de manière à effrayer les élèves de son lycée d’origine : par « désir dese mettre en valeur », propose un collègue - mais il ne semble pas que cela épuise le sujet…

L’intervention la plus efficace reste, semble-t-il, la sensibilisation des collègues de lycée :

- d’abord, au sein des lycées à prépas où elle passe entre autres par l’implication deséquipes pédagogiques dans la vie de leur établissement ;

- dans le développement des liens à l’intérieur du réseau constitué par les lycées danslesquels recrutent chaque prépa : ces liens permettraient en particulier des opérations desensibilisation des collègues des lycées « sans prépas ».

Mais, pour un grand nombre des participants, le plus important est de mener un travail interne aumilieu même des classes prépas, pour aller vers plus de lisibilité et de transparence :

- plus de lisibilité du ‘système prépa-grandes écoles’, pour qu’il ne soit plus vu au traversdu miroir déformant des quelques établissements, les plus prestigieux, mais intègre la diversitédu système ;- plus de transparence, afin de ne pas travestir la réalité; la prépa, ça n’est ni le bagne, ni leClub Méditerranée. Il faut dire la réalité sur le travail à fournir, sur la concurrence, à

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l’intérieur des classes. Mais il faut aussi, plus positivement, dire davantage sur cettecommunauté de travail, élèves et professeurs, sur son efficacité qui fait la grande spécificitédu système.

Ce travail interne concerne peut-être surtout le mode d’évaluation des élèves. C’est un sujet qui aété débattu durant une bonne part de la durée de l’atelier. Une collègue a dit la difficulté dugenre, la prépa coincée entre la notation issue de la terminale, qui a le bac pour horizon et lanotation «concours», supposée beaucoup plus rigoureuse que la notation de prépa. Celle-ci seraiten quelque sorte une cote mal taillée entre les deux ; mais, d'un côté il s'agit d'un examen(exigence de niveau), de l'autre d'un concours (exigence de classements discriminants). D’autrescollèges ont donc souligné combien ce système d’évaluation était totalement incompris descatégories d’élèves, de parents qui n’y sont pas familiarisés.

Au delà de la réflexion sur l’évaluation des élèves, il semble enfin nécessaire d’imaginercomment tous les efforts qui pourraient être déployés pour une plus grande attractivité des prépaspeuvent ne pas être annihilés en quelques semaines, après la rentrée scolaire. Car si les prépasaccueillent de nouveaux publics, encore faudra-t-il se donner les moyens de les conserver pourqu’ils n’abandonnent pas au bout de deux semaines ou de trois mois : pour commenter le contre-exemple de sa classe, «aucun élève n’abandonne, dit une collègue, car nous ne les humilionspas ». Ce travail sur les pratiques, les styles pédagogiques des prépas pourrait constituer un beauet vaste chantier à mettre en œuvre – comme une réponse partielle mais réelle à la question deleur ouverture sociale.

***

Encadré 1 – L’implication des équipes pédagogiques - Le témoignage d’une collègue à MarieCurie (Nogent sur Oise).

« Les occasions d’échanges avec les prépas sont plus nombreuses qu’on le croit. Les professeursde Physique de CPGE ont pu mettre au point plusieurs TP informatisés grâce à leurs collèguesde Physique Appliquée des sections de BTS. Les étudiants de CPGE ont été initiés à certainsprocédés de fabrication sur l’invitation des collègues de Forge et de Fonderie. Le collègue deMathématiques de PT a animé une formation MAPLE pour les professeurs du secondaire, cellede PTSI a participé à la préparation des Olympiades de Mathématiques avec des élèves de 1èreS. Le collègue qui enseigne le Français en CPGE est coordonnateur de sa discipline et s’investitdans les questions de communication au sein de l’établissement (… )». Ce sont autantd’occasions qui permettent à toute une communauté scolaire, élèves, professeurs et étudiants demieux se connaître, de mutualiser des moyens, des savoirs et des compétences. On peut ainsidonner une image positive et constructive des CPGE ».

Atelier n°5

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Encadré 2 – Les rivalités de clocher

« Dans les classes prépas qualifiées par l'euphémisme navrant et poujadiste de "classes deproximité"(que l'on sache que presque tous les élèves ont une heure de transport pour arriver etprésentent une mixité sociale intéressante!), on offre le même enseignement qu'ailleurs destiné àpréparer les concours dans toute leur rigueur. Cependant, le petit nombre d'élèves et l'étatd'esprit militant des enseignants font que l'on repère et met en valeur les qualités singulières deces élèves tout en les adaptant à l'académisme nécessaire. Le résultat est qu'aucun élèven'abandonne, que tous les ans certains choisissent de cuber estimant avoir des chances auxconcours et qu'ils vivent leur scolarité de manière heureuse. Notre principal obstacle est lamauvaise image diffusée a priori par les lycées voisins comportant des hypokhâgnes seulement,qui dissuadent leurs élèves de préparer les concours avec nous et préfèrent les envoyer en Deugà l'université les privant d'une année de formation pluridisciplinaire solide! Quant aux lycées dusecondaire, ils ont souvent une absence regrettable d'information sur les classes préparatoires engénéral.

Ce problème -on le sait bien- se retrouve à des degrés divers sur tout le territoire et il faudraitcesser de miner ce système démocratique de qualité auquel nous tenons tant, par des rivalitésstupides et sans objet entre établissements, voire entre villes, départements ou régions quirelèvent de l'esprit de clocher, nuisent à l'unité républicaine et surtout à l'égalité de chancesofferte à tous nos élèves. Lorsque l'an dernier, l'une de nos élèves de Saint-Ouen, dès la premièreannée a obtenu des résultats convenables au concours, nous l'avons envoyée sans honte ni étatd'âme dans un lycée du quartier latin où elle a réussi à travailler de manière plus anonyme etautonome après avoir été dirigée et soutenue dans un établissement modeste.

Il y a encore beaucoup à faire pour effacer l'image désastreuse qui s'attache à un départementque l'on n'ose désigner que par un chiffre pudique, le "9-3", mais il faut se souvenir que géogra-phiquement ces étudiants ne se trouvent qu'à une demi-heure de la Bibliothèque Sainte Genevièveet que l'on continue encore à exercer sa raison de l'autre côté du périphérique! »

Anne, professeur de Lettres modernes en khâgne au lycée Blanqui de Saint-Ouen (93)

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Atelier 6

La diversité des recrutements dans les grandes écoles :quels bilans ?

Nous avons commencé par quelques données factuelles issues du MEN et que je vaisrappeler.

Pour les écoles d'ingénieurs (annexe 1), sur 100 diplômés, 44 viennent des CPGE, 28 viennentdes classes préparatoires intégrées, 7 viennent de DEUG, 14 viennent de DUT, BTS ou d'uneprépa ATS et 7 viennent d'une maîtrise universitaire. 72 d'entre eux sont donc passés par uneclasse préparatoire (et même un peu plus si on intègre les ATS) ce qui, de l'avis desparticipants de l'atelier, semble être une garantie de la qualité du recrutement et donc de laformation.

Pour les écoles de management (annexe 2), la situation est plus complexe puisque 19 viennentd'une CPGE, 24 ont été recrutés après la baccalauréat (et sont donc l'équivalent des classespréparatoires intégrées), 18 viennent d'un DUT ou d'un BTS, 4 viennent d'un DEUG, 9viennent d'une maîtrise universitaire, 2 d'un troisième cycle, 3 d'une école d'ingénieurs, 2d'une autre école de commerce, et près de 19 sont d'une autre origine.

Ces chiffres semblent cependant cacher une réalité assez diversifié selon les écoles puisquepour HEC (annexe 3), toujours sur 100 diplômés, 75 proviennent des classes préparatoires, 11viennent d'une licence, 13 ont intégrés après un deuxième cycle universitaire, le complémentintégrant après un troisième cycle universitaire.

La diversité des recrutements dans les grandes écoles est donc une réalité.

Nous avons ensuite entendu Éric Savatero, directeur de la formation de l'ENS Cachan, quinous a présenté le concours spécial BTS pour l'entrée en première année et les recrutementssur titre en troisième année.

Depuis la session 97 du concours BTS, l'ENS Cachan a recruté 46 élèves par cette voie, danstrois spécialités (18 en génie mécanique, 18 en EEA et 10 en génie civil). Ces 46 étudiants ontdes origines diverses (BTS, BTS + ATS, DUT), des qualités et des lacunes qui dépendentassez fortement de leur passé, mais tous ont des déficits dans les disciplines scientifiques etdoivent fournir un effort particulier en première année.

Sur les 19 étudiants qui ont eu la possibilité de se présenter à l'agrégation, 15 l'ont réussi dupremier coup, 2 ont été admis la seconde fois, 2 la repassent cette année. Sur les 10 étudiantsrecrutés en 97 et 98, 4 sont actuellement en doctorat et 6 se sont tournés vers l'enseignementen secondaire dont la moitié après avoir passé un DEA.

Les problèmes rencontrés concernent une démission en cours de première année, uneexclusion pour double échec en fin de deuxième année et deux redoublements avec succès enfin de première année.

Atelier n°6

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Ce parcours particulier a été brillamment illustré par Didier Briand qui est l'exemple mêmed'un parcours atypique réussi : CAP, formation qualifiante à la DGA, CPGE, DUT, ENSCachan, en attente des résultats de l’écrit de l’agrégation !

Cyril Delhay, de Sciences Po, nous a ensuite parlé des conventions d'éducation prioritaires quiont permis de sélectionner une cinquantaine d'étudiants issus d'une quinzaine de lycéessensibles. Plus précisément :

17 étudiants provenant de 7 lycées partenaires ont été admis en 2001 et 33 étudiantsprovenant de 13 lycées partenaires ont été admis en 2002.

Les étudiants admis par cette procédure viennent à 85% des Catégories Socio-Professionnelles "ouvriers", "employés" ou "professions intermédiaires" contre 11% de ceuxqui intègrent Sciences Po par les autres filières d'admission.

70% des admis par cette voie sont des femmes.

Ces étudiants représentaient 10% des effectifs de première année en 2002.

15 des 17 admis en 2001 sont passés en année supérieure et dans l'ensemble les résultatsacadémiques des étudiants admis par cette filière sont comparables à ceux des étudiants admispar d'autres voies.

Ce recrutement a été illustré, tout aussi brillamment, par Aurélia Makos et Hakim Hallouch,élèves de deuxième année de Sciences Po.

Alain Bernard de l’ESSEC nous a rapidement présenté un projet de cette école qui consistenon pas à créer une nouvelle voie d’entrée mais à favoriser l’entrée des élèves des Zonesd’Éducation Prioritaires en les sensibilisant très tôt au fait que de penser intégrer une école demanagement n’est pas un rêve absurde.

Christiane Tincelin, qui co-animait avec votre serviteur cet atelier, nous a cité le cas de Jean-Michel Jaffrelot qui a intégré l'ESC Le Havre après un BTS de commerce international et suitles cours de la filière HEC Entrepreneurs en ayant déjà une grande expérience professionnelleet qui illustre la diversité des comportements.

Pour structurer la réflexion, nous avons scindé les discussions autour des questions suivantes :

La diversité des profils à l'entrée d’une grande école est-elle une richesse ou au handicap :Pour l'école ? Pour les étudiants eux-mêmes ? Pour leurs camarades de promotion des voiesplus " classiques " ? Pour les entreprises qui recrutent nos diplômés ?

Quelles diversités peut-on identifier (filières amont, sociales, culturelles, comportementales)et quels sont les points forts et leurs faiblesses par rapport à nos écoles ?

Quels types de profils d'étudiants voudrait-on privilégier ? Quelles compétences autres quescolaires souhaiterait-on chez nos étudiants ? Comment bâtir des compléments d'épreuves oudes modes de sélection pour évaluer ces compétences ?

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De l’avis unanime des participants à l’atelier, la diversité des profils à l’entrée des grandesécoles est effectivement une véritable richesse : richesse pour les étudiants eux-mêmes quin’auraient certainement pas pu intégrer les écoles par les voies classiques de sélection ;richesse pour les autres membres de la promotion qui bénéficient d’un échange decompétences et de connaissances et d’une plus grande ouverture culturelle grâce aux échangesavec des personnes aux histoires personnelles différentes, aux origines (sociales etgéographiques) différentes, aux pratiques linguistiques différentes ; richesse pour l’école àcondition qu’elle sache exploiter cette diversité dans ses méthodes pédagogiques par exemple; richesse pour les entreprises qui demandent d’ailleurs des diplômés aux profils divers etvariés et non des collections de clones sortis d’un même moule.

Il est d’ailleurs à noter que la recherche de la diversité des profils par les grandes écolesrésulte de cette analyse et non d’un problème d’appauvrissement des viviers habituels derecrutement.

Les diversités à rechercher sont donc :

Diversités sociales, nous en avons déjà parlé et la plupart des interventions en séance plénièred’hier tournaient autour de ce thème ;

Diversités de genre. J’emploie ici la traduction de l’anglais " gender " qui est beaucoup plusprécise que notre terme français de sexe. C’est aussi un thème qui a été abordé lors desséances plénières ;

Diversités des formations amont, le plupart des écoles recrutant des universitaires, certainesrecrutent des titulaires de DUT et BTS et certaines écoles de management recrutant deskhagneux ;

Diversités comportementales comme le montre les profils entrepreneuriaux ;

Diversités des nationalités qui induisent des diversités de formation amont et en général desdiversités sociales et comportementales.

Au delà des aspects linguistiques pour les recrutements internationaux mais diversesexpériences montrent qu’ils ne sont pas insolubles, loin s’en faut, deux principaux problèmessemblent se poser :

Il nous faut être capables d’adapter nos méthodes de formation pour éviter de passer à côté del’objectif et donc de fabriquer des clones à partir de profils différents.

Il nous faut surtout être capables de concevoir des modalités de recrutement adaptées auxdifférents profils, les méthodes fondées sur une discrimination positive ne semblant pouvoirêtre légitimées que sous forme expérimentale.

Les points suivants ne sont pas issus des travaux de l’atelier qui, faute de temps, s’est contentéde signaler la difficulté du problème précédent, mais de réflexions personnelles ou induitespar les exposés en séance plénière. Je vous les livre donc comme tels sachant que le premierconcerne effectivement les modalités de sélection et que les deux autres ont rapport àl’élargissement du vivier de recrutement :

Atelier n°6

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Les réflexions autour de la loi de modernisation sociale et de la validation des acquis del’expérience devraient amener les écoles à réfléchir sur les compétences nécessaires à leursdiplômés et il me semble qu’il sera plus facile de trouver des méthodes de recrutementadaptées aux différents profils en raisonnant en termes de compétences qu’en raisonnant entermes de connaissances.

Si nous voulons attirer plus de filles en taupe, il nous faudra certainement réfléchir à leurhébergement et donc ouvrir des internats de jeunes filles directement dans les lycées : en tantque parent d’élèves, comment voulez-vous que je conseille aussi facilement à ma fille qu’àmon fils d’aller en CPGE alors que je sais que mon fils pourra être logé directement dans lelycée et que ma fille devra, après une journée de cours éprouvante, se déplacer pour rejoindresa résidence ?

Enfin, l’exposé de Bernard Lahire nous a montré que finalement le système universitairesemblait mieux adapté aux enfants des Catégories Socio-Professionnelles favorisés qu’à ceuxdes CSP défavorisés qui ont plus de difficultés à mettre en place par eux-mêmes des méthodesde travail et semblent donc avoir besoin de plus d’encadrement. Nous devrions donc attirerplus d’enfants de CSP défavorisées dans les CPGE où l’encadrement est plus fort. Comme lesCSP défavorisées n’ont pas les moyens d’envoyer leurs enfants en CPGE loin du domicilefamilial, ne faut-il pas réfléchir à augmenter le nombre de " prépas de proximité " ?

Je vous remercie de votre attention.

Christian Margaria, Directeur de l'I.N.T.

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CZem – 15 avril 2003

NIVEAU DE FORMATION D’ORIGINEDES ÉTUDIANTS DE L’ECOLE HEC

EN 3ÈME ANNÉE AU COURS DE L’ANNÉE UNIVERSITAIRE 2002-2003

Nombre total d'étudiants ..................................................... 478 100,0 %

recrutés en 1ère année après CPGE..................................... 360 75,3 %

• concours scientifique ................................................ 254 70,5 % 53,1 %• concours économique ............................................... 77 21,4 % 16,1 %• concours littéraire ...................................................... 28 7,8 % 5,9 %• concours technologique ............................................ 1 0,3 % 0,2 %

admis directs en 2ème année ............................................. 118 24,7 %

• 1er cycle universitaire ............................................... 53 44,9 % 11,1 %

Licence ........................................................ 35 66,0 %Bachelor’s degree ...................................... 18 34,0 %

• 2ème cycle universitaire ............................................ 64 54,2 % 13,4 %

IEP ............................................................... 34 53,1 %Maîtrise ........................................................ 5 7,8 %DEA .............................................................. 1 1,6 %Diplôme d'Ingénieur ................................... 22 34,4 %Master's degree .......................................... 2 3,1 %

• 3ème cycle universitaire ............................................ 1 0,9 % 0,2 %

Doctorat de médecine vétérinaire ........... 1 100,0 %

Répartition des 118 admis directs en 2ème année selon le mode de recrutement :

¾ titulaires d'un diplôme français ..................................... 60¾ titulaires d'un diplôme étranger (concours CIAM) ........ 45¾ recrutés dans le cadre des accords de DD .................. 13

Sources :

• Effectif total des étudiants de 3ème année = Delphine Vilain le 15/04/03• Tableau des effectifs au 18/10/2002 MAJ le 11/03/03 fourni par M.-P. Leccia-Lamarre• Répartition des étudiants admis en 1ère année = M.-P. Leccia-Lamarre le 10/04/03• Fichier des AD/CIAM/DD en FQ avec diplôme d'origine fourni par MPLL le 11/04/03

et contrôlé par FS le 15/04/03 pour CIAM et DD• Calcul des pourcentages = CZem

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Atelier 7

Filière économique et commerciale

Le coût des études, frein à l’ouverture sociale ?

Philippe HEUDRON (APHEC) – Nicolas MOTTIS (ESSEC)

L’atelier s’ouvre sur un constat amer : la veille, la filière économique et commerciale s'est vuedécerner un « carton rouge » par Christian BAUDELOT. De toutes les filières de CPGE,elle est celle où la proportion d'élèves issus du niveau social supérieur est la plus forte.

Philippe HEUDRON introduit le débat : ce carton rouge est-il vraiment mérité ?Mais surtout à qui faut-il vraiment le décerner ? Aux acteurs de cette filière ou aux pouvoirspublics qui participent de moins en moins au financement de la formation des managers ?Le problème du financement des études ne peut être dissocié de celui du financement desécoles. Et les écoles de commerce ont à cet égard une place très particulière dans le paysagede l’enseignement supérieur français.

C'est ce qu'expose alors Nicolas MOTTIS, directeur de l'ESSEC, qui, en préambule, rappellela mission des Grandes Ecoles de Management :

Former des étudiants au meilleur niveau international pour assurer leur dévelop-pement personnel mais aussi et surtout celui du pays, à la fin d'un processus et d'uninvestissement étalés sur près de 20 ans (de la maternelle à la fin des classes prépa-ratoires…). On notera que ce système, quasi unique au monde et essentiellementpublic, conduit à un niveau de qualification exceptionnel qui n’est atteint dans laplupart des pays développés qu’à un âge beaucoup plus élevé.

Il faut donc d'abord placer le débat sur le plan d'une concurrence internationale de plus en plusvive et cerner les défis et les enjeux auxquels est confronté le pays.Comment donc les grandes écoles de gestion peuvent-elles assumer ces défis alors que :

La France consacre globalement de faibles moyens à son enseignement supérieur età la recherche. A l'intérieur du système français, la gratuité de l'enseignement dansles universités de gestion, les grandes écoles d'ingénieurs, les instituts d'étudespolitiques interdit des frais de scolarité très élevés.

Nicolas MOTTIS donne quelques chiffres significatifs sur les coûts annuels des études :

ESSEC 15 KE/étudiantX, Mines 60 KE/étudiant

University of Richmond (peu connue…) 60 KE/étudiantHarvard Business School 150 KE/étudiant !!!!

ou sur les ratios professeurs/étudiants :

ESSEC 1/33CENTRALE 1/8

INSEAD 1/6

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Comment alors recruter des professeurs de classe internationale et ouvrir les portes des écolesaux meilleurs étudiants. L'ESSEC, comme l'ensemble des écoles de gestion, a fait le choix decontinuer à servir notre pays, c’est-à-dire de continuer à offrir une formation de qualité dansun marché non solvable et avec un très faible soutien public. Le défi est de continuer àassumer cette mission de service public tout en étant un acteur de premier ordre au niveauinternational. Le véritable enjeu est de promouvoir le modèle socio-économique européen,constitué d’équilibres assez différents de ceux qui dominent le modèle anglo-saxon classique.L’enjeu est aussi de défendre le système des Grandes Ecoles et de ne pas laisser la formationsupérieure européenne en management aux mains des MBA anglais ou néerlandais.Ce débat ne peut donc pas esquiver la question politique : qui a vocation à financer l'enseigne-ment supérieur ? Quelle est la part de Bien Public ? Celle du Bien Privé ?

Nicolas MOTTIS expose alors les évolutions sur les cinq dernières années de la structure definancement de l'ESSEC. Il en ressort principalement :

Une diminution sensible de la part de financement public : 48% en 97, 35% en 2002(dont les 2/3 correspondent à la taxe d’apprentissage que les écoles doivent générer)

Une augmentation parallèle et symétriques des ressources propres, formationpermanente, chaires, fund raising : 22% en 97, 35% en 2002

Une stabilité de la part provenant des frais de scolarité : 30% environ

Aujourd'hui donc un auto-financement d'environ 65%.

A propos des frais de scolarité Nicolas MOTTIS fait ensuite quelques remarques concernantl'ESSEC mais qui, à quelques nuances près, sont sans doute généralisables :

30% des élèves ne paient pas de frais de scolarité. Grâce à l'apprentissage.Ils perçoivent même en plus un salaire leur permettant d'être totalement autonomes.220 étudiants de l'ESSEC perçoivent une bourse.

Il ajoute que toutes les aides possibles ne sont actuellement pas utilisées et que l’école fait ensorte que la contrainte financière soit levée pour les étudiants qui le demandent. Paradoxale-ment pourtant, les écoles de management restent victimes en France d’un biais sociologique :beaucoup considèrent qu’il s’agit encore exclusivement d’écoles de « gosses de riches »…Il conclut son propos en mettant l'accent sur deux points :

A l'intérieur du système français, le handicap des écoles de management parrapport aux écoles d'ingénieurs ou aux universités est évident :

ce sont les étudiants et leurs familles qui trinquent.

Si on regarde la position de ces écoles par rapport à la concurrence internationale,US, Asie... une autre évidence s'impose :

c'est le pays qui trinque !!

Ceci dit, pour sortir de ces difficultés structurelles, il ne faut pas poser la question qu'entermes financiers Les écoles doivent développer des mécanismes innovants (fund raising,création de chaires, programmes de bourses internationales, etc.), travailler sur le fond- recherche, recrutement, accompagnement pédagogique, partenariats internationaux - et

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valoriser leurs spécificités. Le système des Grandes Ecoles de management reste d’une qualitéexceptionnelle, ce qu’atteste, par exemple, les performances de nos étudiants partant enéchange dans les meilleurs universités mondiales. Il n'empêche,

A terme, pour répondre aux défis énoncés plus haut,la collectivité nationaledevra investir plus et mieux si elle veut préserver sa compétitivité internationale.

Après cet exposé, Philippe HEUDRON reprend la parole. Tout au long de son intervention,il s'appuiera sur les résultats d'une enquête menée, courant avril 2003, par l'APHEC auprèsd'un échantillon d'environ 1800 élèves de classe préparatoire EC. Il indique que les résultatsde cette enquête concordent parfaitement, sur les questions communes, avec les résultatsprésentés la veille par Christian BAUDELOT. Ceci lui semble donc un gage de la robustessedes autres résultats dont il sera question ici.

Il part d'un constat simple : les études dans les écoles de management sont chères. Bien sûrpas si on les compare aux études dans les universités américaines, mais objectivement chèresdans le système français. Peut-on alors écarter l'idée qu'il existe un rapport entre ce fait et lacomposition sociologique des étudiants de cette filière ?Pourtant le choc démographique à venir et la tertiarisation constante de l'économie sont desoccasions rêvées pour démocratiser l'accès à ces études...Encore faut-il reconnaître et mesurer les obstacles.

Le premier de ces obstacles est un problème d'image :

écoles de commerce = écoles de « riches » !

A preuve, ce courrier de lecteur dans ALTERNATIVES ÉCONOMIQUES

ContradictionsFidèle lectrice de votre revue depuis une quinzaine d'années, abonnée depuis dix ans,j'apprécie vos analyses de la situation économique et sociale de notre pays et du mondesans doute en raison de la proximité entre mes convictions politiques et les vôtres,mais aussi de la richesse intellectuelle de vos papiers. C'est pourquoi je me permetsde vous dire à travers ce courrier combien je trouve paradoxales et contradictoiresles idées que vous défendez et la présence dans tous vos numéros de publicités pourdes écoles de commerce privées et payantes. Chacun sait que ces écoles pratiquentdes frais de scolarité élevés (au minimum 4 000 euros l'année) tels qu'elles demeu-rent inaccessibles aux catégories socio-professionnelles du bas de l'échelle, celles quevous défendez tant dans vos analyses. Nous savons aussi tous que la sélection parl'argent opérée par ces écoles conduit à une auto-reproduction de la classe diri-geante tant décriée dans vos lignes.Cette contradiction me dérange et je tiens à vous en faire part. Je la résume parl'expression suivante : « l'argent n'a pas d'odeur... ».

Ce courrier pourrait passer pour une simple opinion individuelle. Mais il est en fait assezreprésentatif d'une vision couramment répandue : confusion entre le caractère payant desétudes et le caractère supposé privé des écoles (la plupart d'entre elles sont pourtant desétablissements consulaires, donc des établissements publics administratifs) ; volonté quasi-délibérée de pratiquer une sélection par l'argent dans un strict souci d'auto-reproduction desclasses dirigeantes. Bien entendu, l'auteur ne se rend pas compte du germe d'hommage qu'il

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rend au système : le passage par ces écoles conduit effectivement à des fonctions dirigeantes.Il y a peut-être des explications à cela : la raison d'être des écoles est de former et derenouveler les élites, non de les reproduire. Mais l'aspect le plus insidieux du discours est soncaractère auto-réalisateur : car dire aux pauvres que ces écoles sont des écoles de riches, c'estdissuader les pauvres de tenter même d'y accéder. On peut enfin remarquer que les chiffresdonnés par l'auteur ... sous-estiment largement la réalité !!

Il convient donc d'abord d'analyser les chiffres véritables : ceux-ci proviennent d'un enquêteeffectuée par le chapitre des grandes écoles de management en 2001.

Coût total des études en école sur 3 ans- minimum : 14 445 €- maximum : 21 000 €- moyen : 18 147 €

soit environ 6000 € par an pendant 3 ans (40 000 F)

Un autre constat s'impose : si les effectifs des classes préparatoires économiques et commer-ciales sont en constante progression (environ 3,2% par an sur les cinq dernières années),il n'en demeure pas moins que le nombre de candidats aux concours est égal au nombres deplaces offertes par les écoles et qu'en fin de compte 700 d'entre elles (soit environ 10%) nesont pas pourvues. L'attractivité des études en prépas ne semble pas en cause :

Plus de 80% des étudiants sont satisfaits ou très satisfaits de leurs études, quelle quesoit la voie. Les motifs de satisfaction les plus souvent cités sont :• les contenus des enseignements, jugés très intéressants• la diversité des disciplines.

Pas non plus de problème d'ambiance : seuls 6,5% la trouve détestable, ils sont dix fois plusnombreux à la trouver excellente. La prépa n'est pas le bagne que certains se plaisent à décrireou plutôt à imaginer Du côté de l'origine sociale, les résultats sont moins encourageants :

Catégorie socio-professionnelle du père par voie.

0, 00%

10, 00%

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explo i tantagricole

a r tisan,commerçant,

chef d'entrepr ise

cadre supérieur,profession

l ibérale

Professeurs professionintermédia i re

employé ouvr ie r sans profession

economiquescientifiquetechnologique

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Même si les élèves ont eu tendance à exagérer le niveau social de leurs parents, les chosessemblent assez claires... Bien entendu ces chiffres sont à relativiser. Mais à l'évidence ilsamplifient les phénomènes observés dans les différentes séries des classes terminales.

On peut dès lors légitimement se demander s'il existe un vivier d'élèves qui renoncent à cettefilière pour des questions d'argent. Même si l'instrument de mesure est imparfait (l'enquête neporte pas sur les élèves de terminale), la réponse apportée par les élèves de prépas à laquestion : "avez-vous des camarades de lycée qui ont renoncé a venir en prépa EC parce queles études en écoles de commerce sont payantes ," est sans appel.

AUTOCENSURE

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20,00%

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OUI NON NSP

E

S

T

La réponse est oui pour environ 30% des élèves, 40% si on ne considère que les élèves ayantrépondu. L'examen de la filière technologique est évidemment le plus parlant !Il est alorsnécessaire d'affiner l'analyse : comment les élèves de prépa envisagent-ils de financer leurscolarité et où leur semble être la principale difficulté. Les tableaux qui suivent montrent queles élèves de prépas sont très concernés par le financement de leurs études.

Le financement de la première année d'école vu de la première année de prépa

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E1 S1 T1 Ens 1

FamilleEmpruntBoursePetits boulotsAutres

Le financement de la première année d'école vu de la seconde année de prépa

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E2 S2 T2 Ens 2

FamilleEmpruntBoursePetits boulotsAutres

Pour la première année d'école, ils envisagent, dans leur grande majorité, le recours à lafamille et à l'emprunt. Mais la conscience des difficultés semble se préciser entre la premièreet la seconde année de prépa. La contribution des familles est moins citée et la nécessité del'emprunt s'impose plus (de 45% à 55% en E, de 40% à 45% en S, .... de 63% à 75% en T !).On voit de même monter l'idée de compléter les ressources par des petits boulots.

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Le financement des autres années d'école

vu de la première année de prépa

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E1 S1 T1 ENS1

Famille

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Le financement des autres années d'école

vu de la seconde année de prépa

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E2 S2 T2 ENS2

Famille

Emprunt

Bourse

Petits boulots

Alternance

Autres

Pour le financement des autres années d'école, la part dévolue à la famille ou escomptée del'emprunt diminue très sensiblement au bénéfice de l'alternance (au sens large, apprentissage,stages en entreprise,...). On observe ici encore une conscience plus nette des difficultéscomme des solutions possibles chez les élèves de seconde année.La relation, voie par voie, de ces chiffres avec ceux de leurs compositions sociologiques estclaire : la conscience des problèmes de financement est d'autant plus aiguë que l'originesociale est modeste.Si on demande ensuite aux étudiants de situer le nœud des difficultés, c'est à dire de citerl'année d'école la plus difficile à financer, la réponse est d'une extrême clarté.

Elèves de première année

0,00%

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E1 S1 T1 Ens 1

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Elèves de seconde année

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E2 S2 T2 Ens 2

Année 1

Année 2

Année 3

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Tout ceci ne reflète bien entendu que l'idée que se font les élèves de prépa, c'est à dire d'élèvesles ayant par avance acceptés - à défaut de les avoir réellement mesurés, si on se réfère àl'évolution de leur perception à l'approche de l'échéance - les problèmes de financement posésdans cette filière. Une enquête en amont, dans les classes de première ou de terminale, seraitsans aucun doute utile pour apprécier plus sûrement les éventuels blocages à l'entrée dans unefilière qui semble par ailleurs séduisante tant au plan de son cursus qu'à celui de sesdébouchés.

Il est tout aussi nécessaire d'examiner la réalité des difficultés rencontrées par les étudiantsentrant en école. Lina IBRAHIM, élève de première année à l'Ecole Supérieure de Commercede Lille, prend alors la parole. Elle va, en utilisant son exemple et celui de deux de sescamarades de prépa, illustrer quelques situations auxquelles peuvent être confrontés desétudiants au début de la première année d'école.Elle insiste d'abord sur sa propre détermination : oui, elle a réellement choisi cette filière. Pargoût, et de ce point de vue les deux années passées en prépa ont été tout à fait conformes à sesespérance, et parce qu'elle nourrit depuis la classe de première un projet professionnel précis.Elle a d'ailleurs choisi l'ESC Lille pour cette raison précise.Un seul regret, qu'elle exprime avec force : on ne m'avait pas tout dit ... en particulier sur lesmoyens de financer mes études. Car :

La première année d'étude, c'est un challenge financier !

o Les frais de scolarité ( 6000 à 8000 € )o L’ordinateur portable ( environ 2000 €)o Les frais d’emménagement (meubles, déménagement, caution…)o Frais de vie : presque un SMIC par mois !!!� Loyer (≈ 400 € / mois)� Nourriture ( 250 € / mois)� Factures (EDF, téléphone, lavomatic, transports = ≈150€)

On pourrait penser que le stage de fin de première année permet de se « renflouer » un peu, cen’est malheureusement pas toujours le cas. Deux possibilités se présentent :

Vous restez en France

Dans ce cas, mis à part pour les stages de vente, la rémunération moyenne oscilleentre un tiers et un demi SMIC.

Vous partez à l'étranger

Une pratique qui se généralise de plus en plus

Le but dans ce cas là n'est pas de gagner de l'argent mais d'éviter d'en perdre !

Un exemple : un stage de marketing, à Londres, en fin de première année :RecetteSalaire : £ 140

DépensesImpôts : £ 5,61Métro : £ 23Auberge de jeunesse : £ 118

Bilan pour une semaine : £ - 6,61 !!

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En pratique, les stages de première année ne peuvent donc être considérés comme des moyensde financement. Lina explique alors que dans son cas personnel, le financement des autresannées sera difficile : ce n'est qu'une fois inscrite à l'école qu'elle a appris que la sectioninternationale (celle qui correspond à son projet professionnel) était incompatible avecl'apprentissage. Ce qu'elle déplore par dessus tout, c'est le manque d'information sur lesproblèmes de financement, autant avant l'entrée en prépa qu'au moment de l'intégration enécole. Il en est ainsi des bourses : il n' y a quasiment pas de cadre national, chaque école a misau point son propre système, et le tout manque singulièrement de transparence.

Parfois tout va pour le mieux et les bourses peuvent s'ajouter :

Elle cite l'exemple de son amie Nathalie : son père est serveur, sa mère est au chômage. Elleest boursière du CROUS (3000 € par an), mais aussi de l'ESC Lille (1000 € par an). Elle estde même logée dans une résidence universitaire … Ses frères, déjà bien installés dans la vie,paient sa scolarité. (et le CROUS n'a pas à le savoir !)

Son ami Clément a moins de chance : la situation de ses parents ne lui donne accès à aucunebourse. Il ne vit plus chez eux. Il a contracté un emprunt. A la fin de ses études il devrarembourser 650 € par mois, pendant trois ans.

Quant à elle, sa mère est cadre supérieur dans une banque, son père est chômeur depuis 1995et ne perçoit plus aucune allocation. Elle n'a droit à aucune bourse. La banque ne lui a prêtéque le montant de la scolarité et de quoi acheter son ordinateur. La vie est dure... elle s'en sorten faisant des « petits boulots », donne des cours particuliers, a dépouillé l'enquête del'APHEC. Elle pense qu'elle s'en sortira mieux les années suivantes, grâce aux stages.Elle conclut son témoignage en disant qu'elle n'est pas un cas isolé : c'est en effet la catégoriedes cadres moyens et des professions intermédiaires qui a le plus de mal à supporter les fraisengendrés par les études en école de commerce car ces catégories sociales échappentgénéralement aux aides. Pour ces familles l'emprunt s'impose, en particulier pour financer lapremière année d'école.

La discussion s’engage alors avec l'assemblée. On peut en retenir les points suivants :

• Le financement de la première année d'école est clairement un handicap pour la filièreGP–E - Grandes Ecoles de commerce.

• Le système d'information est totalement insuffisant et bien trop tardif. Le systèmeactuel des bourses n'est pas lisible. Hormis pour les bourses de l'enseignementsupérieur, comment les lycéens et leurs parents peuvent-ils s'y retrouver dans lessystèmes d'aides existants. Que peuvent-ils connaître des Bourses sur la taxed'apprentissage, Bourses sur fonds de solidarité, Bourses de mobilité, mais encore decelles des régions, des Bourses Eiffel, de la Fondation Francence, du Ministère desAffaires Etrangères ...

• Pourquoi les Bourses de mérite (décernées aux élèves ayant obtenus de brillantsrésultats au baccalauréat) ne s’adressent-elles pas aux élèves de la filière économiqueet commerciale ?

• La conjonction du LMD et du problème spécifique de financement de la premièreannée d'école ne fait-elle pas courir un risque nouveau au système CPGE - GE ? Lepalier d'orientation structurellement prévu au niveau de la licence ne va-t-il pasfavoriser des stratégies de contournement ? Il peut en effet sembler judicieux de tenter,après une licence gratuite, l'entrée en seconde année d'école, quand les problèmes de

Atelier n°7

111

financement sont rendus moins aigus grâce aux stages, à l'apprentissage, à l'alternanceou encore à l'année césure.

• Une approche fiscale du problème semble nécessaire tant pour faciliter le financementdes écoles par les entreprises que celui de la scolarité par les familles. Il apparaît eneffet particulièrement injuste que les familles aux revenus moyens, qui, comme on l'avu, échappent généralement aux aides, participent par leur impôt au financement del'enseignement supérieur "gratuit" tout en supportant directement les frais de scolaritéde leurs propres enfants. En somme, elles paient deux fois ! Dans le même temps sedéveloppent des officines privées de soutien scolaire dont la publicité reposeprécisément sur la possibilité de dégrèvement fiscal !

• Des intervenants tentent d'imaginer des solutions :o D'abord organiser une véritable information auprès des lycéens sur les aides

existantes.o Diminuer les frais de scolarité en première année, en les reportant éventuellement sur

les deux autres.o L’Etat ne pourrait-il pas prendre entièrement à sa charge la première année d'école

pour garantir la gratuité jusqu'au niveau « L » du LMD ?

Le sujet est vaste et Philippe Heudron doit conclure :« La conjonction du choc démographique à venir et de la tertiarisation massive de l'économieva se traduire à court terme par une forte demande sur le marché de l'emploi des cadres engénéral, sur celui des cadres de gestion en particulier. C'est bien évidemment une opportunitépour démocratiser notre filière. Cette démocratisation sera d'ailleurs d'autant plus facilequ'elle sera rendue nécessaire. Encore convient-il d'agir sur les bons leviers. Nous avonsessayé de localiser quelques difficultés, de mettre en lumière quelques obstacles structurels.Nous avons parlé d'argent, sujet généralement peu débattu dans le milieu de l'éducation. Nousavons parlé d'argent parce ce sujet ne pourra pas être éternellement éludé dans notre filière.Nous ne prétendons pas pour autant avoir fait le tour de la question. Nous ne prétendons pasnon plus posséder de solution toute faite.De profondes mutations se dessinent dans l'enseignement supérieur. Puisse seulement notreréflexion commune éclairer les choix à venir. »

***

112

Atelier n°8

les formations étrangères d'ingénieurs : quels modes de fonctionnement ?

Introduction

Les entreprises ont besoin de deux profils différents en terme de formations d'ingénieurs :un profil appliqué pour conduire les installations et les processus de réalisation, un profilconceptuel pour concevoir les nouveaux produits et services ainsi que pour organiser dessystèmes et des organisations complexes.

Pour répondre à ces besoins, deux organisations des études supérieures et trois modes defonctionnement de ces organisations se sont développés historiquement dans les divers pays.

Les deux profils nécessitent des durées d'études différentes : plus longues pour le profilconceptuel, plus courtes pour le profil appliqué. L'organisation qui permet cela peut êtreséquentielle ou parallèle. L'organisation séquentielle correspond à un premier diplôme de typeBachelor (3 à 4 ans) et à une poursuite des études pour obtenir le diplôme de Master aprèsune à deux années. L'organisation parallèle consiste à séparer dès la fin de l'enseignementsecondaire les deux formations, l'une conduisant en trois à quatre ans à un diplôme de niveauBachelor utilisable pour aller sur le marché du travail, l'autre conduisant en cinq ans, sansdiplôme professionnel intermédiaire, à un diplôme de niveau Master. Cette organisation paral-lèle est celle de l'ensemble de l'Europe, Europe de l'Ouest, Europe de l'Est, Europe du Nord etmême celle du Royaume-Uni dans une large mesure. L'obtention d'un Master après celle d'unBachelor peut demander un recul de deux ans pour reprendre le cycle ingénieur conceptueldans un pays comme la Suède par exemple, soit au total huit ans d'études sans qu'il y ait eu unredoublement.

Cette approche est complétée par deux modes de fonctionnement différents pour l'organisationséquentielle. Aux Etats-Unis où les étudiants ayant le meilleur potentiel académique s'orien-tent vers les études juridiques ou de médecine, le potentiel académique plus limité desétudiants américains conduit à des programmes très appliqués dès l'entrée en université.La conséquence en est une entrée quasi systématique d'un diplômé Bachelor dans la vieprofessionnelle. Apparaît alors un phénomène très particulier : les enseignements de Masterse remplissent avec des étudiants étrangers, généralement formés par des cycles conceptuelsen Europe ou en Asie ou ailleurs. Ces nouveaux arrivants relèvent brutalement le niveau théo-rique des enseignements et certains deviennent ensuite les enseignants de ces départementsd'engineering. Dans d'autres pays ayant apparemment cette organisation séquentielle, commela Chine par exemple, les diplômés Bachelor poursuivent en grande majorité leurs étudesjusqu'à l'obtention du Master. La conséquence ici est que les responsables pédagogiques,sachant qu'ils disposent de six années d'études, vont mettre en place des programmes quicommencent par des bases scientifiques et techniques très solides. Le diplôme de Bachelorn'étant pas un diplôme professionnellement utilisable directement.

La figure qui suit représente en résumé l'ensemble de ces deux organisations et trois modes defonctionnement.

Atelier n°8

113

Cette présentation vous permettra de situer les présentations par pays qui vont vous êtrefaites :

- le système allemand,- le système norvégien,- le système asiatique, avec un développement sur la Chine,- le système britannique,- le système européen des formations d'ingénieurs agronomes.

Des échanges nombreux montrent concrètement que les divers systèmes sont compatibles, leseul cas pour lequel il y a des difficultés étant celui des étudiants américains, et que l'essentielest la cohérence des cursus avant et après l'échange plutôt que l'existence formelle d'undiplôme intermédiaire.

Toutefois, avant de passer à ces présentations, il me paraît important de souligner que desexpressions traduites littéralement peuvent conduire à des malentendus significatifs. Prenonsun exemple, il est souvent fait état de la sélection ou de la non sélection à l'entrée dansl'enseignement supérieur au cours de débats européens. Ce point prend un relief très différentlorsque l'on réalise qu'en France, 61% d'une classe d'âge est reçue au baccalauréat (chiffres2002) alors qu'en Suisse, à l'opposé, seulement 15% est dans ce cas et qu'en Allemagne et auRoyaume-Uni, la barre des 30% a été atteinte depuis peu de temps.

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Le système allemand

Daniel Grimm

Fortement fondé sur la professionnalisation, il est caractérisé par des orientations trèsprécoces. Celles-ci se situent vers l'âge de douze treize ans. Un peu plus de 30% des jeunesvont vers "l'Abitur", l'équivalent allemand du baccalauréat, qui est obtenu un an plus tardqu'en France. Les autres s'engagent dans des voies plus ou moins longuesprofessionnalisantes. Certaines se prolongent dans l'enseignement supérieur, beaucoup sontbasées sur ce qui est appelé le système dual, c'est-à-dire un apprentissage avec alternanceentre les parties scolarisées et les activités en entreprise.

Les universités allemandes, dans la tradition von Humboldt, mettent la recherche en avant,la formation n'en étant qu'une conséquence. Les études se font avec une grande différenceentre la durée nominale et la durée réelle, environ 50% d'allongement. Les professeursallemands ont une autonomie importante, ce qui les conduit à conserver en thèse desdoctorants très longtemps, les soutenances se faisant généralement après l'âge de trente ans.Pour tenter de réduire cette dérive dont le coût pour la société allemande est lourd, il a étéenvisagé de mettre des frais de scolarité progressifs pour les étudiants qui "s'attarderaient"dans leur formation universitaire. Cette mesure est difficile à mettre en œuvre en raison del'opposition des étudiants. Autre sujet brûlant, celui-ci particulièrement tabou en Allemagnepour des raisons historiques, la sélection : comment distinguer l'orientation qui permet des'engager dans des voies avec des chances raisonnables de réussite de la sélection par l'échecoù les examens finaux laissent sans diplôme un trop grand nombre de jeunes ?

Commentaires complémentaires

Le premier est un rappel du fait qu'en 1994, lors des discussions sur le commerce mondial, il aété considéré que le premier diplôme universitaire était hors champ commercial, mais pas lesecond. Que va t'il se passer lors de la mise en œuvre des ces accords ?

Le second est une observation : dans les pays où il y a des frais de scolarité significatifs et undiplôme intermédiaire avant le niveau Master, on observe une tendance forte à sortir dès lepremier diplôme. Celui-ci est alors professionnel, et comme indiqué dans l'atelier n°8, ilmanque de bases scientifiques solides. Il est souvent dit : "les diplômés savent comment fairesans forcément savoir pourquoi alors que les diplômés de cursus longs sans diplômeintermédiaire savent pourquoi ils font sans forcément savoir comment". Au-delà, laconséquence peut être dramatique à terme pour l'industrie européenne. Celle-ci dépense desept à huit fois moins que l'industrie américaine pour développer des domaines industriels touten restant en avance. L'explication réside dans la capacité qu'ont nos ingénieurs conceptuelsd'anticiper plus tôt les conséquences de tel ou tel choix technique, économisant ainsi les coûtsd'exploration concrète des solutions correspondantes. La mise en place d'une organisationavec diplôme intermédiaire professionnel du type de celle proposée par le processus deBologne rendra nos entreprises non compétitives sur la scène internationale à terme.

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Atelier n°8

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Le système britannique

Daniel Grimm (Ecole Centrale de Paris)

Le système britannique est complexe car différent selon les pays qui composent le Royaume-Uni : si l'Angleterre et le Pays de Galles sont relativement similaires, il n'en va pas de mêmeavec l'Écosse et l'Irlande du Nord.

En premier lieu et vu le thème du colloque, il faut noter que l'accès à l'enseignement supérieurest très sélectif pour entrer dans certaines universités. Pour avoir les meilleures chances desuccès, des établissements privés secondaires se sont développés depuis fort longtemps, les"Public Schools" devenus "Independant Schools", très chers et où les places dans lesmeilleures sont très demandées. L'accès à l'université est ainsi réservé à des enfants defamilles aisées.

La sélection pour entrer dans une université se fait sur les résultats de ce qui est appelé "A-levels" pour "Advanced levels", littéralement "niveau avancé". Ces "A-levels" sont au niveaude notre terminale, voire légèrement au-dessus mais pas au niveau de notre classe supérieure.Ils ne caractérisent chacun qu'UNE discipline et sont évalués par une appréciation qui va deA, meilleure note, à F note signifiant un échec. Les universités de Cambridge et d'Oxfordexigent au minimum trois "A-levels" avec une note A (d'où l'expression "triple A" pourdésigner un brillant élève), l'Imperial College prend avec deux A et un B, etc. Les étudesuniversitaires sont payantes, ce qui incitent les étudiants à ne pas séjourner trop longtempsdans le système. C'est une des raisons qui expliquent le peu d'étudiants britanniques allantfaire des études à l'étranger dans le cadre d'échanges.

La figure suivante illustre l'architecture générale des formations d'ingénieurs avec la situationavant le changement de nom des "polytechnics" en université, changement de nom qui a eudes effets catastrophiques. Auparavant, les universités et les "polytechnics" assuraient lesformations conduisant aux deux profils nécessaires et chacun avait ses spécificités et sesexcellences. Aujourd'hui, le financement des universités étant basé sur des critèresuniversitaires, les anciens "polytechnics" ont tenté de s'y adapter, ce qu'ils ont mal réussi carce n'était pas leur métier. Le résultat en est qu'ils sont devenus des universités de secondezone, à très peu d'exceptions près, que les étudiants sont mal formés et que les entreprises netrouvent plus le profil dont elles ont besoin.

Il est à noter :- que le système britannique est loin d'être plus simple que le nôtre !- qu'il n'est pas conforme aux standards de fait qui se mettent en place dans le cadre du

processus de Bologne. En effet, il existe des cursus qui vont directement au niveau duMaster, les MEng et les MSci, sans diplôme intermédiaire. En outre, les duréesd'études des cursus de Master, soit 4 ans direct, soit 1 an post-Bachelor, ne satisfontpas a priori le critère de 120 crédits ECTS qui demande deux années d'études.

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Atelier n°8

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NORVEGE

Jean-Pierre SoulaDirecteur des Relations Internationales de l’INSA de Toulouse.

Ce pays de 4, 5 millions d’habitants comporte 4 Universités et une trentaine ‘d’écolesupérieures’. C’est essentiellement à l’Université de Trondheim que sont formés les‘Sivilengenior’, équivalents de nos formations d’ingénieur à bac + 5. Certaines écoles peuventégalement délivrer ce titre mais de façon générale, elles suivent le schéma des écoles en troisans, formant des techniciens. La distinction entre ‘ingenior’ et ‘sivil ingenior’ correspond àcelle qui existe en Grande-Bretagne par exemple, entre ‘engineer’ et ‘chartered engineer’ ;d’autre part, la reconnaissance sociale de l’ingénieur en Norvège est proche de celle qu’il adans notre pays.

La formation délivrée à NTNU (l’Université de Trondheim) se déroule sur un bloc qui peuts’effectuer en 5 ans mais il n’est pas rare que l’étudiant prenne un peu plus de temps.La notion d’années d’études supérieures ne correspond pas tout à fait à celle de notre pays :après les études secondaires, les lycéens interrompent souvent leurs études pendant un an,comme dans les pays anglo-saxons, pour réaliser une expérience différente, souvent dans unpays étranger. Le service militaire d’un an, occasionne également une pause dans les études.

Les résultats scolaires et de l’examen de fin d’études secondaires conditionnent l’admissiondans les filières ingénieurs. Le bac norvégien est davantage ‘à la carte’ que ceux que nousconnaissons en France et ce sont des ensembles où les mathématiques et la physiquedomineront qui permettront l’accès de NTNU, par exemple. Le système de sélection estrelativement similaire à celui de nos écoles d’ingénieur qui recrutent après le baccalauréat.

Les Universités de Norvège travaillent depuis presque 2 ans à une modulérisation de leurscursus pour se mettre en phase avec le LMD. Cependant, le site internet de NTNU indiquaitencore récemment que la formation d’ingénieur consistait encore en un bloc de 5 ans.

Comme dans beaucoup d’autres pays, les études scientifiques attirent de moins en moinsd’étudiants : les Norvégiens lancent de temps en temps des campagnes de recrutement demédecins et d’ingénieurs, à l’étranger. : www.nokut.no (Norwegian Agency for Quality Assu-rance in Education).

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Les formations d’ingénieurs en Asie-Pacifique

Laurent BREYTON, ESIEE/CCIPAnimateur du Groupe Asie Pacifique de la CGE

Références• Graduate Education Reform in Europe, Asia and the Americas and Mobility of Scientists

and Engineerwww.nsf.gov/sbe/srs/nsf00318/htmstart.htm

• Unesco www.unesco.org/iau/whed.html• Fiches MAE www.diplomatie.fr/culture/curie• Southeast Asian Ministers of Education Organization www.seameo.org• INED www.ined.fr• CEFI www.cefi.org

Généralités régionales• Grosse moitié de l’humanité 3720 M/6137 M

• Région en fort développement : urbanisation & émergence technologique

• Priorité gouvernementale : Investissement dans la formation en particulier technologique

• Récent (20 ans)Accroissement qualitatif et quantitatif des formations scientifiques

• Forte sélectivité à l’entrée du supérieur (sauf Inde)

• Hiérarchie à l’anglo-saxonne : droit, médecine, management, sciences…(sauf Japon &Corée)

• Liens industriels ténus (sauf recherche)

• Computer science vs Engineering

Inde 1033 M 2,2 K$• Modèle : spécifique (britanno-américano-sovieto-européen)

• fort tropisme informatique

• IISc & IIT : 7 grands établissements Comparable au GE française

• BEng/BTech (4 à 4,5 ans) 59 K/an

• MEng/MTech (+ 1,5 à 2 ans) 5K/an et non 15 K

• Phd (+ 3 ans + ) 400/an (brain drain)

Singapour 4 M 23 K$• Modèle : Britanno Américain planifié

• NUS : « Oxbridge » NTU « MIT »

• Bachelors 4 K/an

• Masters 1,5 K/an

• PHD 1K/an

• « Bonds »

Atelier n°8

121

Indonésie 206 M 2,6 K$• Modèle Hollandais américanisé

• Instituts de Technologie et Facultés d’engineering publiques et privées

• Bachelor (4 ans) 20 K/an

• Master (+ 2 ans)

• PhD (+ 3 ans)

Australie 19,4 M 23 K$• Britannique en voie d’américanisation

• Activité d’exportation

• Bachelor (3 ans +) 6 K/an

• Master (+1 à 2 ans)

• PhD (+3 ans)

• Avance généralisée pour les nationaux

Japon 127 M 25K$• Modèle : Américano-étatique, dérégulé depuis la crise en cours (1990) fortement affecté

par la dénatalité

• Sélectivité à l’entrée à l’Université, relax ensuite

• Dissociation undergraduate/graduate

• Fort appétit pour l’engineering (40 % des étudiants)

• 48 % classe d’age ( 2 M en 92, 1,2 M en 07) vers le supérieur

• Emergence des établissements privés (de 1 pour 1 en 1960 à 4 pour 1 actuellement)

• BEng/BTech (4 ans) 136 K/an

• MEng/MTech (+ 2 ans) 26 K/an

• Phd (+ 1an) 4,7 K/an

• Prêts & bourses incitatives graduate ++

Corée du Sud 49 M 15K$• Proche du système Japonais

• Bachelor 41K/an

Chine 1 273 M 3,5K$• Modèle : soviétique, en voie d’américanisation

• 1000 Universités

• Bachelor (4 ans)149 K/an

• Master (+ 2 ans)

• PhD

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Conclusions de l'atelier n°8

Six points ont été mis en évidence :

Point n°1 : deux profils d'ingénieurs

Le besoin de deux profils d'ingénieurs, l'un appliqué, l'autre conceptuel, est satisfait soit parune organisation parallèle de deux cursus séparés dès le baccalauréat, soit par uneorganisation séquentielle des enseignements, mais avec deux modes de fonctionnement : pourl'un, le diplôme intermédiaire n'est pas professionnel, pour l'autre, il y a changementimportant de population étudiante après le premier diplôme.

Point n°2 : divers systèmes de formation

Voir les actes de l'atelier pour avoir les descriptions des systèmes de formation d'ingénieursen Allemagne, en Norvège, au Royaume-Uni, en Asie et les formations d'ingénieursagronomes en Europe. L'Asie représente les 2/3 de l'humanité et le dynamisme y est très fort,ce qui induit un développement rapide que nous ne pouvons ignorer.

Point n°3 : et les CPGE ?

L'existence de cursus longs sans diplôme professionnel intermédiaire avant le diplôme deniveau Master conduit à la mise en place de programmes commençant par l'acquisition debases scientifiques solides à l'image de celles données en CPGE. La seule exception estconstituée par les Etats-Unis qui compensent ce manque par un brain drain attirant desétudiants et des ingénieurs ayant suivi un cursus long.

La différence entre les pays étrangers et les CPGE se situe dans la visibilité forte des CPGEqui recrutent un auditoire homogène alors que les étudiants étrangers ayant un potentielcomparable à nos taupins sont mélangés avec des étudiants moins performants sur le planacadémique, sauf dans quelques pays comme au Royaume-Uni et en Chine. Des échanges endouble diplôme, avec arrivée des étudiants étrangers en première année d'écoles françaises ontmontré qu'il était possible de trouver dans ces publics étudiants ceux qui s'adapteraient dansun auditoire d'anciens taupins et avec une formation suffisamment proche de celle des CPGEpour réussir, même parfois brillamment.

Point n°4 : la taille

Il est souvent reproché aux écoles françaises d'être d'une taille trop petite pour être visible àl'étranger. Les enquêtes de la Conférence des Grandes Écoles montrent que le pourcentaged'étudiants étrangers dans nos écoles est de l'ordre de 18%, soit le double de la moyennenationale. Dire que cette réussite est basée sur le prestige de nos établissements estcontradictoire avec l'idée du manque de visibilité!Les structures de taille humaines que sont nos établissements peuvent faire preuve d'undynamisme très volontariste. Une étude du CEFI il y a quelques années a mis en évidence unfoisonnement d'initiatives des écoles sans équivalent en matière d'ouverture internationale.

Atelier n°8

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Point n°5 : la complexité

Il nous est aussi reproché d'avoir un système compliqué et de nous attacher trop au diplôme enFrance. Les expériences d'échanges d'étudiants avec les institutions étrangères montrent que lacomplexité est la même partout mais qu'elle apparaît de façon différente. L'objectif de laformation d'ingénieurs est de permettre à un diplômé de trouver un emploi pour lequel il nesoit ni surqualifié ni sous qualifié : c'est l'intérêt du recruté et du recruteur. Or, prenonsl'exemple d'une université allemande. Sa taille, avec ses 35 000 étudiants, lui permet d'être"visible". Mais, comme son recrutement est majoritairement local, son public étudiant estforcément hétérogène en potentiel académique. Une entreprise ne pourra se contenter dudiplôme attribué pour distinguer les différences de potentiel, elle sera contrainte de mettre desfiltres complémentaires. Première question : quelle durée pour obtenir ce diplôme ? il fautsavoir que la durée nominale est de 5 ans, la durée effective moyenne de 7 à 7,5 ans etcertains étudiants mettent jusqu'à 10 ans. Deuxième question : quelles notes ont-elles conduità ce diplôme ? Selon que le diplômé a des notes entre 1.0 et 2.0 (notes excellentes) ou entre3.0 et 4.0 (notes très moyennes), l'entreprise lui proposera telle ou telle activité. En France,précisément en raison de la taille, les auditoires des écoles ont une homogénéité forte etl'énoncé du diplôme suffit pour connaître le profil et le potentiel du diplômé. D'expérience, onconstate que ces filtres sont peu, voire pas connus des étudiants.

Si donc l'on ajoute à un système de formation, le besoin de compréhension de son mode denotation et de sa durée réelle par rapport à sa durée nominale, il devient moins évident de direoù est la complexité, avec un commentaire supplémentaire : le système français des concoursest public, connu et ouvert au mérite et fonctionne a priori alors que le mode de recrutementpost-diplôme à l'étranger est basé sur des processus a posteriori et dont les règles ne sont pasconnues.

Point n°6 : financement des études

Ce point a été peu abordé en raison de la brièveté de l'atelier. Un système mériterait d'êtreétudié de plus près, le système australien. Les étudiants paient une partie significative du coûtde leur formation. Pour éviter aux étudiants qui ne pourraient prendre une telle dépense encharge, le gouvernement australien a mis en place un dispositif de prêts automatiques, sansintérêts, et dont le remboursement se fait au cours de la vie professionnelle à partir dumoment où les revenus dépassent un certain montant. La durée du remboursement n'est paslimitée et son montant est très supportable.

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Table ronde n°1, animée par Claude Thélot

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Le recrutement des Grandes Ecoles :faut-il diversifier les modes de sélection ?

Claude Thélotancien directeur de l’évaluation et de la prospective au MEN

Les organisateurs ont pensé que la matinée devait, après le compte-rendu des débats d’hier, seconcentrer sur l’aval. Je cite souvent ce mot d’Alfred Sauvy que je trouve très éclairant :« lorsque je vois un ver de terre circuler, je ne sais jamais si c’est la tête qui tire ou bien laqueue qui pousse ». Pour un cycle éducatif, un morceau du système éducatif, ce sont soit lesprocédures de sélection à l’entrée, les programmes, etc. qui poussent en amont, soit, et c’estencore plus important, ce qui se passe en aval qui tire. Il est temps dans une réflexion sur lesCPGE de penser à l’aval. Les organisateurs nous ont proposé de non seulement réfléchir maisaussi peut-être d’avoir un temps de débat sur cette question des critères de sélection des GE,elles-mêmes comme étant la tête du ver de terre. Monsieur Belhoste nous a rappelé hier queles CPGE n’existent que parce qu’elles préparent aux GE. Par conséquent si vous structurez lasélection dans les GE, de telle ou telle façon, automatiquement, peut-être pas immédiatement,mais au bon moment et dans des formes propres à notre système français, ça forme, çaorganise, ça structure les CPGE elles-mêmes. Mon expérience au sein du système éducatiffrançais me permet d’affirmer qu’en matière d’éducation c’est plus la tête qui tire que laqueue qui pousse. Par conséquent, il n’échappe à personne dans ce colloque qu’un des pointsdécisifs, et pas simplement complémentaires de ceux qu’on a évoqués jusqu’alors, vraimentdécisif pour les CPGE et leur avenir c’est le type de sélection auquel entendent procéder lesgrandes Ecoles.

La Table ronde est en quelque sorte plus normative que descriptive puisqu’il s’agit d’essayerde répondre à la question « faut-il diversifier les modes de sélection des grandes Ecoles ? ». Àla réflexion, le mot « élargir » aurait été plus ajusté, adapté, que « diversifier ». mais ça n’apas d’importance car on voit bien de quoi il s’agit. Nous allons tous les trois essayer del’illustrer à titre introductif. Moi-même de façon un peu générale et puis chacun des directeursd’école qui sont ici exprimeront, expliqueront, ce qu’ils entendent pour leur école, à la fois deréflexion et d’expérimentation ou d’observation. Encore une fois, la réflexion est plusnormative que descriptive.

Si je commence à essayer d’illustrer la façon dont je perçois cette affaire, il me semble eneffet qu’il faut diversifier et élargir le recrutement et les modes de recrutement de nos GE. Ille faut, je crois, pour deux raisons, qui sont connues je pense de chacun d’entre vous mais queje me permets de rappeler.

- La première, c’est celle qui a été dite en particulier lors du compte rendu de l’atelier n°6 parChristian Margaria : je crois qu’en ce moment et pour les x années à venir, les compétences àattendre et les compétences requises dans nos économies et nos sociétés par les cadres et lesingénieurs, par les grands et les moyens cadres et ingénieurs, auxquelles les GE préparent etqu’ils forment, ces compétences ont un peu changé par rapport à autrefois et en particulier quedu coup il faut avoir, en effet plus en termes de compétences que de connaissances, uneréflexion sur le mode de sélection qui soit en phase avec ce qui est requis. Je suis person-nellement extrêmement sensible à cette idée, et je pense que ce sont des choses que vousconnaissez, que ce qui a changé c’est un accent beaucoup plus fort qu’autrefois mis sur :

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1. la capacité d’innover,2. la capacité de s’adapter,3. la capacité à travailler avec les autres, pas simplement en équipe mais aussi par exemple

avec des concurrents ;4. ces trois capacités/compétences/comportements devant se produire au cours de la vie

professionnelle dans un univers où c'est désormais le règne de l’incertain, de l’incertitude.

Je crois que ceci, qui n’était pas absent il y a 30 ans, s’est accru depuis une quinzained’années et que cela va aller en s’accroissant. Ces compétences ne sont pas antinomiques aufait d’être un bon élève, d’avoir de grandes connaissances, mais ça ne s’y résume pas. Jepense que si on veut vraiment favoriser ce qui par rapport à l’étranger est une caractéristiquefrançaise, c’est-à-dire les capacités d’innovation et de création en particulier, il fauts’interroger sur le mode de sélection à l’entrée des GE.

- La deuxième raison pour laquelle je pense qu’il faut s’interroger c’est qu’il faut que la légi-timité des GE soit bien assise dans notre pays. Je pense qu’avoir du coup une surface derecrutement trop étroite offre un certain risque à cet égard.. Le constat d’hier matin a étéplutôt un constat de stabilité quantitative et qualitative du vivier du recrutement, de la massesociale de cette filière de formation. Une des caractéristiques du compte-rendu de ChristianMargaria c’est au contraire d’avoir mis en valeur une certaine diversité. Le constat lui-mêmepeut être discuté, il n’y a pas de doute, mais l’image des GE dans notre pays doit être d’autantplus soignée, si je puis dire, qu’on tient aux GE et il faut donc que leur légitimité ne soit pasremise en cause. De ce point de vue là, je pense qu’une certaine ouverture, sociale en parti-culier, du vivier et donc des recrutements est à la fois précieux pour éventuellement la qualitéet en tout cas prudent pour asseoir la légitimité de cette filière de formation d’excellence.

La deuxième observation c’est que cet élargissement du recrutement ou des structures desélection, des modes de sélection, ne doit pas se limiter à la création de filières de recrutementparallèles au concours. Il ne faut pas prendre le risque que les sélections organisées par les GEsoient d’une part le concours qui est classique, qui est fondé sur telle ou telle connaissance, etd’autre part d’autres modes de sélection qui ont leurs valeurs qui ont été rappelées ce matind’ailleurs, et qu’ainsi seuls ces autres modes de sélection concrétiseraient une forme d’élargis-sement, une forme de diversification. Je crois, et c’est très important du point de vue à la foisintellectuel et politique, qu’il faut que ce soit sur le concours lui-même qu’on réfléchisse, pourqu’il intègre plus profondément, plus intimement, un certain nombre de dimensions nouvellesvisant à élargir les choses. Il faut que cette tradition du concours, qui est extrêmement forte,importante, extrêmement précieuse et familière et à laquelle nous tenons extrêmement pourdes raisons sur lesquelles il n’est pas nécessaire de revenir car nous les connaissons tous,il faut que cette tradition du concours nous la réinterrogions à l’aune des deux exigences queje viens de dire. Cette interrogation doit prendre deux directions :

1) La première direction doit être dans le sens d’un élargissement des compétences pourfavoriser, à travers les épreuves du concours, davantage qu’autrefois, les compétencesnécessaires dont je viens de parler. Comment favoriser les esprits créatifs dans le cadre duconcours ? Comment favoriser des esprits capables de s’adapter ? ...

2) Nos concours sont des épreuves qui organisent, anonymement et fondées sur le mérite,l’excellence scolaire. En ce sens, nos concours sont justes en effet. Justes. Mais il fautbien voir que l’excellence scolaire toute juste qu’elle soit, et ça vaut aussi pour le collège,le lycée, la sélection à l’entrée des CPGE que pour la sélection à l’entrée des GE,la sélection par le mérite scolaire, tout juste qu’elle soit, favorise de facto certainesfamilles et certaines catégories sociales.

Table ronde n°1, animée par Claude Thélot

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C’est un point décisif, l’inégalité sociale devant notre système scolaire. Elle n’est pas d’abordune inégalité de connaissances, d’informations, je n’ai rien contre le fait d’informer davantageil faut informer davantage, mais ce n’est pas le cœur de la question. Le cœur de la question,c’est que l’inégalité sociale devant l’École est une inégalité devant la réussite scolaire. Lescontenus et les épreuves par quoi nous évaluons les élèves, par quoi la réussite scolaire sedessine, surtout et en dépit du fait qu’elle soit absolument méritocratique, favorisent certainesclasses sociales et défavorisent d’autres. Donc si vous voulez élargir socialement le vivier, ilfaut réfléchir sur les épreuves elles-mêmes, tout anonymes, équitables, justes qu’elles soient.Il faut réfléchir, s’agissant du concours de recrutement des GE me semble-t-il sur trois pointssi l’on veut s’élargir à des nouvelles compétences et élargir socialement le vivier.

1. Il faut réfléchir à la part et à l’importance respectives des différentes épreuves, matières,parce que toutes les matières ne sont pas corrélées de façon équivalente avec les compé-tences qui sont requises pour les 30 ans qui viennent dans une société développéecomme la nôtre : certaines matières sont plus corrélées avec l’esprit d’innovation,d’autres moins, etc. Donc il faut réfléchir plus qu’on ne le fait à l’importance donnée, àtravers les coefficients par exemple, aux différentes épreuves.

2. Je pense qu’on peut modifier le contenu d’une épreuve. Lorsque j’étais directeur auministère, j’avais promu une étude qui avait un intérêt considérable qui était d’évaluersur 40 ans l’évolution des compétences de nos meilleurs élèves.. J’avais à cette occasionfait évaluer par un certain nombre de professeurs de CPGE sur 30-40 ans le contenumême des épreuves de mathématiques à l’École polytechnique et au concours généralde mathématiques. Ceci depuis les années 1960. Naturellement les professeurs demathématiques ici le savent, mais cela a une vertu plus générale. Le contenu même desproblèmes de mathématiques fait appel chez les élèves à des compétences mathé-matiques très différentes aujourd’hui de celles qu’elles demandaient hier. Le doyenDominique Borne l’a bien dit hier, ce qui est décisif dans une épreuve c’est la forme etle contenu que l’on donne à cette épreuve. Selon la forme et le contenu que l’on donnece ne sont pas des mêmes compétences qui sont sélectionnées. Il faut donc réfléchir à laforme que l’on donne aux épreuves.

3. Le troisième point, naturellement, c’est qu’il faut, je pense, éventuellement concevoirdes épreuves nouvelles qui soient moins strictement scolaires. C'est une faiblesse de nosstatistiques, et je le dis en valeur d’autocritique puisque j’ai été l’un de ceux qui ontcontribué à les former, ces statistiques : lorsqu’on repère l’origine sociale des élèves,on repère ça souvent, et cela a été très bien fait hier matin, suivant l’origine sociale soitdu père, soit de la mère de l’étudiant. Mais on ne repère jamais les choses en mariantle père et la mère. Et si nous avions fait cela hier, on aurait vu que le ticket gagnantaujourd’hui, c’est d’avoir un père cadre supérieur et une mère professeur. Au lieu dele faire séparément, de sorte que les deux catégories cadre supérieur et professeur quiapparaissent séparées sur les données sont en vérité intimement liées, alors qu’il y a 35-40 ans, le ticket gagnant c’était déjà un père cadre supérieur, mais une mère au foyer.Nous avons, je crois, privilégié beaucoup, et je crois personnellement trop, des épreuvesstrictement scolaires, dans lesquelles par conséquent des familles où l’excellencescolaire est portée au pinacle sont de facto avantagées.

Ça c’est le premier point, essayer de réfléchir et du coup de changer un peu nos concours pourfavoriser l’émergence, lors du recrutement des GE, de nouvelles compétences. Le deuxièmepoint, ce n’est plus de favoriser de nouvelles compétences, mais l’apparition de nouveaux« profils d’élèves ». Je prends le terme exprès. Alors je pense du coup que, pour favoriser desprofils d’élèves que les directeurs d’écoles ou l’ensemble des GE, pour les différentes raisons

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évoquées tout à l’heure ou d’autres, voudraient favoriser, il faut véritablement se poser laquestion, qui est difficile dans le contexte français mais qu’on s’est déjà posée et qu’il fautqu’on se repose, de compléter le concours par autre chose. Je veux dire de faire que les genssoient reçus ou recalés non seulement à travers des épreuves de concours mais à travers uneforme de prise en compte d’autres critères que ceux qui résultent des épreuves à faire, ycompris dans la tradition de l’égalité à la française. Je rappelle, parce que c’est un pointdécisif, pour ceux que ça intéresse, regardez le rapport du Conseil d’état d’il y a 5/6 ans,je rappelle que la tradition de l’égalité à la française dans le droit français ne veut pas direl’uniformité. Elle se conjugue parfaitement avec l’idée que l’égalité consiste aussi àcompenser les handicaps, réels ou supposés. La tradition française de l’égalité issue, et àlaquelle nous tenons, de la Révolution française, dans le droit français, ce n’est pas simple-ment l’uniformité. Je pense par conséquent qu’il faut compléter les épreuves du concours parla prise en considération de critères hors de ces épreuves, qu’on les codifie, qu’on les quantifie.D’ailleurs, nous l’avons souvent fait à des degrés différents, et suivant les écoles, les périodes,la jeunesse a été assez souvent primée. Par exemple, les gens qui passaient pour la premièrefois un concours avaient un peu plus de points en dehors du concours lui-même mais quis’ajoutaient. Par conséquent c’était une façon de privilégier les candidats jeunes. Le fait-onassez ? trop ? reprenons cela, le fait-on de façon diversifiée ? voilà un premier exemple.Deuxième exemple, qui tient toujours compte des critères des personnes, c’est la questiongarçon/fille. Si hier vous étiez choqués par les chiffres ou si par exemple vous voulez avoirplus de filles dans la filière scientifique, donnons des points spécifiques aux filles lors desconcours scientifiques. Si vous voulez favoriser les garçons dans la filière littéraire, donnonsdes points spécifiques aux garçons. Je rappelle un point décisif qui n’a jamais été contraire àl’égalité dans nos esprits, jusqu’en 1975 il y avait des agrégations séparées garçon/fille. Nousavons réuni ces agrégations en une seule. Pourquoi est-ce qu’en fonction de la politique qu’onsouhaite suivre pourquoi en ayant une seule agrégation on ne mettrait pas des pointscomplémentaires ici pour les garçons, là pour les filles, là pour les jeunes, là pour les vieux,etc. En quoi ceci est-il contraire à l’égalité ? Ça ne l’est pas. Nous l’avons toujours jugécomme ne l’étant pas.

Je termine pour dire que cela ne pourrait pas seulement être le profil dont on pourrait tenircompte, on pourrait aussi tenir compte du cursus scolaire antérieur. Je vais vous citer ce quim’est arrivé lorsque j’ai présenté l’École polytechnique en 1965. J’ai eu en plus du concoursdes points supplémentaires parce que j’était jeune d’une part, et c’est grâce à ces 40 pointsque j’ai été reçu, et d’autre part parce que j’avais fait du latin au lycée, 15 points, et du grec,15 points de plus. À l’époque il avait été décidé, que l’on trouve ça juste ou non, de tenircompte dans le concours de l’École polytechnique que mon cursus scolaire pouvait donner 30points de plus…

Je ne vous dis pas qu’il faut rétablir ce genre de critères, peut-être que oui, peut-être que non,je dis simplement une chose : je pense que les GE pour élargir leur recrutement et faire appa-raître des compétences différentes, doivent s’interroger sur ce type de compléments auconcours. Ceci ne remet pas en cause la question des concours dès lors que c’est à des dosesfaibles bien entendu et que ça correspond à une politique explicite.

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Table ronde n°1, animée par Claude Thélot

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Le recrutement des Grandes Ecoles :faut-il diversifier les modes de sélection ?

Michel RaimbaultDirecteur de HEC

Lorsque j’ai lu le titre de la table ronde « faut-il diversifier les modes de sélection de nosGE ? », je suis resté perplexe car la réponse a déjà été donnée depuis des années. Nos modesde sélection sont en effet diversifiés. Peut-être faut-il le faire plus ? ou mieux ? ou en prenanten compte de nouveaux critères ? Par ailleurs, est-ce qu’il ne se cacherait pas derrière laquestion « faut-il diversifier les modes de sélection de nos GE ? » une critique implicite denotre mode de sélection actuel et des filières qui conduisent au concours ? Les filières, les GEet le recrutement par le concours sont en effet l’objet de critiques explicites et implicites.Comme l’a annoncé Claude Thélot, nous ne sommes pas ici pour dresser des tableaux statis-tiques mais plutôt pour exprimer des points de vue et susciter un débat.

Il est en effet légitime de se demander s’il ne fallait pas diversifier plus radicalement le profildes élèves que nous recrutons. Les modes de recrutement ne sont jamais qu’un moyen auservice d’une fin. Christian Margaria (atelier n°6) rappelait tout à l’heure qu’HEC recrutetoujours 75% de ses promotions dans les CPGE. Je voudrais exprimer ici fortement que cen’est pas par inertie conservatrice que nous le faisons mais par choix délibéré. Les écoles demanagement sont, depuis de nombreuses années, très attentives à l’aval, aux demandes desentreprises, et à l’environnement international. Nous savons que les profils des diplômés queles entreprises attendent doivent comporter bien d’autres qualités que des qualités intellec-tuelles. Nous travaillons depuis plusieurs années à l’évolution de nos méthodes pédagogiquesinternes pour forger ces qualités, en relation étroite avec les entreprises qui apportent, àtravers l’alternance, une contribution notoire à ce développement. Nous persistons cependant,malgré tout, à dire que la filière CPGE, ainsi que le concours dans ses modalités actuelles,continuent d’apporter les profils dont les entreprises auront besoin demain.Revenons rapidement sur l’idée que nous nous faisons des objectifs d’une GE et plus particu-lièrement d’une GE de management. Nous assumons clairement le fait que notre filière existepour former de futurs cadres supérieurs et cadres dirigeants. Nous avons donc l’obligationpermanente de nous interroger sur les situations auxquelles seront confrontés nos diplômésquand, dans 15-20 ans, ils auront réalisé une partie de leur parcours professionnel et, nous leursouhaitons, qu’ils occuperont des fonctions de direction. Nous sommes persuadés quel’instabilité de leur environnement sera plus grande encore que celle à laquelle sont confrontésles dirigeants actuels, et que les managers auront de plus en plus à assumer une complexitécroissante. Ils auront à faire face à des bouleversements non prévisibles, prenant des formesinouïes, inattendues. Il sera de la responsabilité des managers de savoir rendre lisibles cesbouleversements avant de pouvoir agir. Ils devront ensuite inventer des solutions nouvellespour répondre à ces problèmes nouveaux. Il nous semble plus que jamais que la capacité àthéoriser, à donner du sens à une situation concrète, à rendre intelligibles les rapports entrel’entreprise et son environnement, devra être une qualité majeure des managers de demain.La formation que les écoles de management offrent à ces futurs managers, au moment où ilsont le temps de se consacrer à l’activité intellectuelle, doit s’appuyer aussi sur une formationpar la recherche. Comme dans les écoles d’ingénieurs, même si cela pourrait sembler moinsévident à première vue, il faut former par la recherche. Il s’agit de la seule formation quiapporte la liberté d’esprit, la capacité de savoir analyser une situation nouvelle sans plaquerimmédiatement de vieux schémas explicatifs ou des solutions traditionnelles, qui permet, en

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un mot, de donner du sens. Toutes ces raisons font qu’il nous semble que le potentielintellectuel de nos élèves reste quelque chose de fondamental. Nous estimons que les filièresCPGE et le concours restent structurellement, car tout peut être amélioré comme nous leverrons dans un instant, d’excellents viviers et modes de sélection pour nos écoles.

Une interrogation légitime nous est apportée par notre environnement international. Lesécoles de management discutent actuellement de la structuration de l’enseignement supérieuren deux niveaux under-graduate et post-graduate, ce que nous appelons en France le LMD.Les écoles de management vivent depuis longtemps dans un environnement internationalconcurrentiel où elles sont confrontées à des circulations d’étudiants et à la structuration del’enseignement supérieur au management en deux cycles undergraduate et postgraduate : nousdevons en tenir compte dans notre réflexion sur nos modes de recrutement et leurdiversification.Nous sommes, par exemple, en contact étroit avec 16 partenaires européens leaders dans leurpays. Certains sont déjà très avancés dans la voie du 3-5-8, d’autres le font avec précaution,de façon expérimentale, mais avec une volonté d’aboutir qui est très claire. En Allemagne parexemple, la conférence des recteurs a validé le passage au 3-5 et tous nos partenairesenclenchent le mouvement. Les écoles de management en France ont un problème depositionnement que je résumerais caricaturalement ainsi : « devons-nous devenir des graduatebusiness schools, c’est-à-dire ne proposer que des enseignements de type program master enrecrutant des étudiants, français ou non, munis d’un Bachelor’s Degree ou d’une Licence ; oubien devons-nous investir aussi le créneau undergraduate et développer le recrutement auniveau baccalauréat ? Faut-il avoir les deux ? » Cette réflexion légitime, retranscrite dans leréférentiel français auquel nous tenons, pose immédiatement le problème de ce qu’estactuellement la partie undergraduate de notre filière, à savoir les CPGE et la 1ère annéed’école. Faut-il avoir une réflexion radicale d’aménagement de la structure et du contenu deces trois ans ? Nous sommes à un niveau de réflexion qui dépasse les modes de sélectionpuisque nous nous interrogeons sur la structuration des cursus d’enseignement.

D’ici une dizaine d’année ces débats vont probablement aboutir à des décisions stratégiques.Pour le moment, la position d’HEC est de considérer que le fait de recruter 75% de nospromotions en CPGE continue à répondre pleinement à nos attentes. Les profils que nous yrecrutons, nous permettent de proposer aux entreprises des diplômés qui, au-delà descapacités et du potentiel intellectuel dont nous parlions, sont dotés de qualités humaines, decourage, de ténacité, de la capacité à gérer des risques et à supporter le stress. La formationintellectuelle initiale dispensée par les CPGE reste fondamentale, charge à l’école dedévelopper aussi l’ensemble des autres qualités requises.

La diversification des modes de recrutement existe pour les écoles de management. Nousl’avons souhaitée d’abord au sein même du concours à la française, du schéma des classespréparatoires. Plusieurs filières d’accès par des CP de natures différentes, avec plusieursépreuves communes au concours pour maintenir une certaine homogénéité, existent. Sur unepromotion de première année à HEC, 70% des élèves viennent de l’option S, 20% de l’optionéconomie et 8-10% de la filière littéraire. Il y a également chaque année quelques admisvenant de la filière technologique. La variété des profils, couplée à la variété des formations,permet de répondre à la variété qui existe au sein des entreprises entres les différents métiers.De plus, ces jeunes managers auront à gérer des systèmes de plus en plus complexes et despersonnes aux profils variés. La variété dans l’école est formatrice en soit. Il s’agit depédagogie implicite. Nous travaillons à faire en sorte d’offrir dans les cours, mais aussi endehors des salles de classes, un projet pédagogique fondé sur l’apprentissage des différences.

Table ronde n°1, animée par Claude Thélot

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Il s’agit de développer la sensibilité de nos élèves à l’altérité, à la prise en compte de l’autreen ce qu’il a de différent, avec toute la difficulté qu’il y a à tirer le meilleur de cette diffé-rence. Nous ne pouvons mettre en place cette pédagogie que si nous avons un corps étudiantsuffisamment varié et la diversification des voies du concours en est l’un des moyens.L’international a fait une percée significative de ce point de vue avec actuellement plus de20% d’élèves étrangers et plus de 30% si l’on ajoute les élèves en échange académique. Nousrecrutons à l’international les étudiants avec un Bachelor’s Degree pour les intégrer enmaster. Nous allons essayer de structurer notre programme avec une partie undergraduatebien identifiée puis deux années de master ayant progressivement une identité, une autonomieet un recrutement spécifique, notamment à l’international. L’international nous oblige àdiversifier nos modes de recrutement car nous pouvons difficilement recruter avec un con-cours à la française des étudiants titulaires d’un Bachelor’s Degree. Nous avons donc recoursà des tests reconnus au niveau international et à des entretiens.Nous sommes également satisfaits du fait que les élèves recrutés par les CPGE sont plus inter-nationaux qu’il y a quelques années et nous sommes très favorables aux initiatives permettantde rendre nos CPGE et nos GE plus internationales. L’année dernière HEC a recruté 54profils internationaux parmi les 380 admis venant des CPGE.

Je souhaiterais aborder une dernière diversification qui est aussi le fil conducteur de cecolloque et un problème auquel nous devons nous attaquer : l’ouverture sociale. La situationactuelle, caractérisée par une ouverture sociale limitée pose implicitement des problèmes delégitimité et de crédibilité, notamment lorsqu’on forme des gens qui auront demain à gérerdes entreprises qui seront, elles, représentatives de l’ensemble de la société. Nous menons uneréflexion sur les voies de recrutement par lesquelles les personnes issues de milieux moinsfavorisés peuvent intégrer nos écoles. Il s’agit principalement de la voie technologique qui estmise en place depuis plusieurs années. Elle fournit déjà de nombreux élèves à un certainnombre d’écoles de management. Les écoles du haut du tableau ont, selon moi, une responsa-bilité au moins d’exemplarité. Nous essayons d’y répondre en évitant deux écueils principaux.Le premier écueil est celui de l’opération cosmétique. Nous ne souhaitons pas garder unconservatisme fondamental en réalisant un simple ravalement de façade qui donnerait le senti-ment de faire quelque chose mais en sachant qu’au fond on se satisfait de la situation actuelle.Le deuxième écueil est la tentation de la discrimination positive. Il ne faut pas, me semble-t-il,mettre en place des dispositifs de discrimination positive sans prendre énormément deprécautions. Il y a d’une part un risque majeur d’ébranlement d’un des éléments fonda-mentaux qui font la crédibilité de notre système qui est l’égalité formelle de nos candidatsdevant le concours. D’autre part, il ne faudrait pas prendre en otage une « sous-population »avec un pré-ciblage fait en fonctions de ces critères. Quels critères prendre d’ailleurs ?Le message que nous transmettrions à ces candidats pourrait être mal interprété. Nous prenonsde plus une énorme responsabilité vis-à-vis d’eux. À HEC, nous considérons qu’il fautavancer avec beaucoup de prudence et nous préférons travailler par exemple avec les pro-fesseurs de CPGE technologiques qui sont déjà en contact avec ces élèves et qui connaissentleurs attentes, leurs craintes et leurs blocages. Je crois que c’est en travaillant avec des gensqui sont déjà à proximité, et qui ont cette caractéristique de rester inscrits dans le systèmeavec toutes ses vertus de sélectivité républicaine, que nous pourrons développer une voieintéressante.

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Le recrutement des Grandes Ecoles :faut-il diversifier les modes de sélection ?

Marie ReynierDirectrice générale de l’ENSAM

Le problème de l’Europe se pose aujourd’hui très clairement à nos Grandes Ecoles. Commentce que l’on appelle en France les spécificités de l’enseignement français vont-elles se propa-ger en Europe, vont-elles au contraire "faire les frais" d'un schéma international préétabli?Le cadre du LMD peut, si une application plus rigoriste que ne le préconise l'Europe estdécrétée au plan national, devenir un rouleau compresseur au service d'une politique d’arbi-trage plus national qu’international.Chaque fois que nous rencontrons en Europe nos collègues professionnels de l’enseignement,professeurs et administrateurs, nous constatons qu’en Allemagne, Italie ou Espagne, leproblème est du même type: le LMD décliné en Bac +3 +5 +8 ne correspond pas à ce qu’ilspratiquent, il n’est pas reconnu par les conventions collectives ou la profession. Ce qui estsignificatif, c'est le niveau de qualification. Ainsi le LMD serait à considérer en échelle degrades et non pas de diplômes.

La question dite de « de l’exportation du modèle français », celui de l’élitisme républicain quinous concerne ici, se pose effectivement en Europe, où les cultures, le rapport des jeunes àl’enseignement et à la formation, ne sont pas du tout ce que nous connaissons en France.Cependant plus d'un pays d'Europe a d’ores et déjà développé des formes similaires du mêmeélitisme, ce comportement n’est pas si français que cela.Le système élitiste est fondé sur l'idée qu’il est pertinent de détecter des jeunes à fort potentielafin de leur offrir un système ultrarapide de formation. Quelle que soit la professionnalisationà bac+5, un jeune à bac+5 ingénieur de Grande Ecole français n’est pas le même qu’un jeuneà bac+5 universitaire Allemand, de même en Italie ou en Espagne.Ce qui est communément reproché à « notre » système aujourd'hui est de considérer leprofessionnel en pré-baccalauréat de façon mineure et paradoxalement d'exacerber trop leprofessionnel post-baccalauréat ingénieur, préparer nos meilleurs "cerveaux" à faire du"problem solving" c’est-à-dire finalement à savoir répondre à des problèmes connus, àconvoquer des connaissances et des moyens connus pour répondre à des problèmes dumoment. Il serait ainsi reproché aux GE de ne pas être capables de mettre sur le marché desinventeurs, des entrepreneurs, des innovateurs. Il y a tout de même peu ou pas de GrandesEcoles qui méritent ce diagnostic.En admettant que ce reproche corresponde à une perception sincère, elle pourrait être induitedans une certaine mesure, par un pilotage de nos établissements résolument par la demandeaval. La demande socio-économique intervient effectivement fortement dans la définition ducontenu de nos formations et des stratégies pédagogiques. L’aval c’est la professionnalisationidoine, c’est aussi combien nous allons placer d’étudiants. Conserver 90% d’embauchesimmédiates, 98-99% pour certains, est très relié à la perception par les DRH del’opérationnalité immédiate de nos élèves.

D’un autre côté, la Commission européenne est très claire : les pays qui forment l’Unioneuropéenne doivent prendre conscience qu’ils ne resteront dans la course économique dans unquart de siècle que s’ils sont dans la très haute technologie et s’ils sont en fait les fers de lancedu progrès. Sinon, l’Europe ne sera qu’une vieille Europe. Nous avons très peu de temps pourfaire en sorte que les meilleurs éléments de ce pays innovent de façon exceptionnelle pour que

Table ronde n°1, animée par Claude Thélot

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nos produits soient exportables et enviables par le reste de la planète. Cela veut dire unemutation qui peut être profonde aussi bien dans nos secteurs tertiaires que dans nos secteurssecondaires.Nous voyons plus à l'Ecole Nationale Supérieure d'Arts et Métiers, combien l’industriefrançaise du procédé a "perdu" ses secteurs les plus conventionnels, délocalisés vers l’Est,vers l'Asie, … , et combien finalement les ressorts français dans ce domaine-là se situent dansl’innovation et dans les ruptures technologiques, de la très haute vitesse en usinage parexemple. La recherche doit être consolidée. Cette recherche est à comprendre au sens de larecherche technologique, apte à lever le verrou technologique qu’il soit tertiaire ousecondaire. L'élite se déplacerait –elle en partie à Bac+8 ?Le système français a l'immense avantage de savoir former vite. Un DUT qui reçoit 1800h està un bac+3, 3,5 , 4, 4,5 ? et un ingénieur avec 3000h sur trois ans chez nous, plus les CPavant, est en fait quelqu’un qui est à bac plus je ne sais pas.De toute façon le problème est ailleurs. : il s'agit de constituer l'Europe de la connaissance,c'est à dire d'apprendre à travailler avec les Européens et donc de savoir repérer entre nous lesniveaux de qualification.

Il existe plus d'une solution, on a entendu que l’École polytechnique disait tout à l’heurequ’elle avait 90 crédits ECTS. Difficile de proposer un système d’échange ! La connaissanceest-elle tronçonnable en crédits ECTS ? En tout cas, les buts de l'Europeen Credit TransfertSystem, les textes de 1995 établissent uniquement que ce système est un code d'échange entreétablissements de formation qui reconnaissent des cursus partiels ou complets du payseuropéen partenaire. Il ne peut s'agir d'un pays qui définit seul intra muros des tranches deformation. Cette dérive, si elle se poursuit, saura être utilisée par des jeunes qui pourront àloisir acquérir n'importe quel diplôme, de n'importe quel niveau, à condition qu'ils sachentrepérer le « bon » circuit européen, un guide du routard en quelque sorte !Un outil, le supplément au diplôme mérite une attention particulière, ce document qui vatraduire comment nous transférons, comment nous formons nos jeunes.Que faut-il faire pour faire en sorte que les élèves que nous recrutons – et comment faut-il lespréparer – pour que finalement nous réussissions ce pari de l’innovation ?On se rend compte qu’au niveau des Classes Préparatoires il faut introduire également des« ruptures », c’est-à-dire rechercher aussi d'autres critères que la capacité d'abstractionclassiquement repérée, que la capacité et sa dérive qui consiste à retraduire finalement lemode de fonctionnement de l’enseignement lui-même. Tout à l’heure, Claude Thélot a mis enavant le « délit d’initié », l'importance de la mère enseignante. L'administration elle mêmel'Education Nationale conforte ce dispositif, avec les lycées cœur de ville et les interventionsmultiples de placements dérogatoires, oui le jeu est faussé – mais notre dispositif s’avèrecomplice voire organisateur de cette dérive.

Nous observons parfois des phénomènes d’inversions au sein du cursus à l’ENSAM, qui sontle résultat d’accompagnements pré-bac très et trop importants de jeunes par leurs parents,alors qu’en réalité ils n'ont pas les aptitudes suffisantes. Nous allons essayer d’autres pistes enintroduisant des tests d’aptitudes. Ces tests d’aptitudes sont extrêmement liés aux objectifs deformation de l’école. Chaque école aurait à définir les siens.Par exemple, il est important à l'ENSAM de savoir repérer si l'élève ingénieur sait "voir" dansl’espace, se représenter les mouvements dans l’espace et la position des volumes dansl’espace. Nous avons fait passer des tests à nos élèves entrants en 2002. Ces tests anonymespour l'administration de l’Ecole peuvent constituer une aide appréciable à l'élève ingénieur luimême dans son orientation personnelle.

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D’autres aptitudes nous ont intéressés, comme par exemple celles qui consistent à repérer unclassement ou des analogies. Nous rejoignons ici le propos de Claude Thélot. Nousidentifions d’autres populations par ces tests, et nous allons poursuivre cette démarchejusqu’au bout, parce que nous cherchons à former des entrepreneurs, des inventeurs, desdirecteurs techniques, des cadres capables de maîtriser des chaînes de production, d’installeren maîtrisant le risque industriel, d'innover en haute technologie.Nous comptons sur les CPGE pour nous y aider, parce qu’il peut aussi y avoir unepréparation, qui ne soit pas exclusivement orientée par l’accès à haute fonction publique.D'autres élites ont leur place, elles doivent se dégager. Les CPGE pourraient les détecter avecnous et très bien les préparer à des concours spécifiques.

Je crois beaucoup en la vertu des concours parce qu’il s’agit de ruptures et parce qu’ilspréservent mieux l’égalité des chances. Tous les spécialistes du comportement nous disentque la mise à l’épreuve est salutaire, et plus elle est présente, plus elle prépare à bien vivre lesruptures qui ne manquent pas de se présenter dans la vie professionnelle et …privée. Del’école maternelle à l’université on s’ingénie à gommer, à aplanir toutes les ruptures pour queles élèves ne soient pas trop "désorientés". Un cadre supérieur va devoir gérer dans le stressdes décisions ultimes à effet irréversible et décisives pour l’avenir. Le concours c’est aussiça : garder son sang froid, être capable de raisonner dans des systèmes de stress, être capablede préparer longtemps pour un objectif et un enjeu unique. Tout ceci fait partie de notreformation. Nous avons le devoir de continuer à prodiguer cette culture.Il nous faut également développer l’accueil des étudiants étrangers ne serait ce que pourinterpeller nos jeunes. La mobilité obligatoire à l’international les bouscule déjà. Nousprônons également à l'ENSAM la mobilité nationale qui, au sein du réseau Arts et Métiers,peut se pratiquer en interne, car elle sort les jeunes de leur quartier de naissance, de leurrégion, bref de leur cocon.Il ne faut pas oublier non plus que les jeunes sont à la recherche de cocooning, qui semblerépondre à une overdose de sollicitations en tous genres. L'attitude consumériste est de plusen plus constatée. Ils se présentent en toute circonstance en demandant « qu’est-ce que vousme donnez ? ». Le système CP-GE avec ses exigences de rapidité et de concentration durable,sera perçu comme intéressant et non agressif s’il reste le garant de l’accès à une situationsociale de qualité. Les jeunes ne sont pas effrayés par les « castings », ils sont simplementméfiants et tentent d’éviter les « voies de garages », trop dures en rapport investissementpersonnel/ revenus.De plus, le manque de statut social de l'étudiant jeune adulte et sa mise systématique enparasite des adultes le confortent dans un comportement passif et de nivellement.

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Table ronde n°2, animée par Alain Trognon

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La situation en Europe (Allemagne, Grande-Bretagne) :quels enseignements retenir ?

Alain TrognonDirecteur du groupe des Écoles de statistiques

Cette Table ronde ne peut avoir pour ambition de traiter aussi précisément, comme ont pu lefaire Christian Baudelot et nos amis de la DEP (Direction de l’évaluation et de la prospectivedu MENR), la mise en perspective de statistiques venant de divers pays. Les systèmeséducatifs suivent clairement des traditions et des historiques nationaux qui rendent lescomparaisons extrêmement difficiles, même si, comme le souhaiterait Christian Baudelot, lesinstitutions statistiques étaient aussi performantes ailleurs qu’en France. L’exemple del’histoire des classes préparatoires si spécifiques à la France exposé par Bruno Belhoste suffit,je pense, à soutenir mon propos. Néanmoins, dans l’ensemble européen de l’enseignementsupérieur, l’hétérogénéité des structures est en passe de coexister avec la normalisation desLMD, sur laquelle Daniel Grimm reviendra. Les étapes des grades et des diplômes établissentune échelle d’accès à l’enseignement supérieur dont on peut mesurer l’évolution au cours dutemps, et qu’il convient bien évidemment d’enrichir par les spécificités nationales. Les GE enFrance face aux universités classiques ou aux IUT, les universités classiques en Allemagneface aux universités de sciences appliquées (les Fachhochschule), les grandes universitésbritanniques (le Russel Group) et les grandes universités américaines face aux autres. Il y aaussi des spécialités d’excellence dont il faudrait tenir compte comme le droit, lesmathématiques, la médecine. Sans entrer dans une comparaison fine, on peut néanmoins, àgrands traits dire qu’au moins pour trois pays européens, l’Allemagne, la Grande-Bretagne etla France, les tendances sont comparables en matière d’inégalités sociales.En Allemagne par exemple, il y a eu sur le long terme une décroissance des inégalités socialespour l’obtention d’un diplôme de l’enseignement supérieur. Walter Mühler de l’universitéde Mannheim constate une stabilisation au milieu des années 1970 qui, lorsqu’on tient comptedu système tripartite allemand – université classique y compris technologique, Fachhoch-schule et apprentissage ou formation professionnelle – peut s’interpréter alors une croissancedes inégalités sociales car les choix des filières sont très segmentés selon les origines sociales,les classes les moins favorisées choisissant par prudence la sécurité de l’apprentissage.Dans le document britannique que vous avez peut-être lu « Widening participation in highereducation » (http://www.dfes.gov.uk/highereducation/docs/wideningparticipation.pdf), sontdistingués trois groupes d’universités :- le Russel group, dont j’ai parlé tout à l’heure, qui rassemble par exemple Oxford, Cambridge

ou Bristol, soit toutes les grandes ;- un groupe des universités créées avant 1992 ;- la coalition des universités modernes qui réunit les universités technologiques.On trouve des résultats qualitativement comparables à ceux que nos collègues de la DEP nousont présenté hier. La part des classes sociales les moins favorisées augmente dans l’ordre danslequel j’ai cité les trois groupes. Le rapport constate également « un taux de candidature trèsvariable selon les origines sociales, même pour le groupe des étudiants qui ont réussi desexcellents A levels (correspondant à nos Bac mention bien). » Nos homologues ont, commeon a pu le faire dans ces journées, conclu par exemple qu’il fallait informer les étudiants desclasses sociales les moins favorisées. À leur manière, en s’appuyant sur le financement de laBanque royale d’Écosse, ils ont mis en place des tours promotionnels. À chaque payssa méthode, ou plutôt son mode de financement. On voit bien les réactions de la salle quandon parle de changement du système de financement de l’enseignement supérieur français.On y trouve également des méthodes de soutien locaux aux élèves capables. Je ne vais pasaller plus loin, mais des expériences analogues à celle de l’IEP (Sciences Po) et à l’initiative

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de l’ESSEC ont eu lieu ailleurs en Grande-Bretagne. Le but est aussi d’inciter (to raiseinspiration) et de comprendre – et c’est encore moins clair outre-manche que pour le cas de laFrance abordé par la table ronde précédente – les méthodes de sélection pour qu’elles soientfair en Grande-Bretagne. Ce décor étant rapidement planté, et ayant déjà je pense trop parlé,je vais laisser la parole aux vrais acteurs de cette Table ronde qui est organisée autour del’analyse des solutions pour faire progresser, si ce n’est la démocratie, tout au moins ladémocratisation de l’enseignement supérieur.

Michael O'borne, directeur à l’OCDE, va présenter ce qu’il y a derrière l’affirmative action,les mesures anti-discrimination mises en place il y a déjà de nombreuses années aux États-Unis, dans un contexte certes différent mais je pense riche d’enseignements. Il présenteraaussi ce que le gouvernement travailliste britannique instaure par les Matching terms et le Billof Fair Admission.

Éric Maurin, chercheur au CREST (centre de recherche en économie et statistique) etimpliqué dans un réseau européen de chercheurs sur l'éducation, présentera quelles sont, à sonavis, les conditions de réussite des systèmes favorisant la démocratisation de l’enseignementsupérieur.

Daniel Grimm, directeur adjoint de l’École centrale Paris, nous fera part de son expérienceinternationale, et en particulier de ses réflexions sur le rapport entre la normalisation du LMDet la démocratisation de l’enseignement supérieur.

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Table ronde n°2, animée par Alain Trognon

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La situation aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne :quels enseignements retenir ?

Michael O’Borne (O.C.D.E.)

Je ne peux pas présenter toute l’histoire de la politique américaine de la discriminationpositive dans ce court exposé, mais je vais en donner les grands principes. Elle a commencé àla fin des années 1950 et a pris forme dans les universités et les lycées dans les années 1960.Nous avons donc tout de même 45 ans de recul et nous connaissons les classes sociales quiont pu en bénéficier. Il faut comprendre que c’était une politique sociale à l’origine et pas dutout une politique scolaire. Il n’y a pas d’Éducation nationale aux États-Unis. Le système estlocal ou régional, entre public et privé. La politique de discrimination positive a donc étéinstaurée par le gouvernement pour toucher tous les niveaux dans les secteurs privé et public,car il n’avait pas de mainmise sur le système d’éducation nationale. Il a été instauré pour lasélection à l'entrée des universités, puis plus tard des lycées et des écoles primaires. Dans lesannées 1970/1980, les universités privées utilisaient ce système pour recruter très agres-sivement dans les communautés ethniques qui n’étaient pas représentées dans l’Université.Au départ c’était une politique qui visait un profil ethnique dans les universités, plutôt qu’unprofil socio-économique, parce qu’il avait été présumé que les deux étaient corrélés. Elle ad'abord concerné la communauté noire, puis latino et enfin asiatique. Ensuite, la révolutionféministe de la fin des années 1960 – début des années 1970, a fait en sorte que les femmessont devenues une partie de la communauté défavorisée, et qu’il fallait donc compenser lemanque de femmes dans les grandes universités et les centres de recherches. D’ailleurs, c’està ce moment là que la plupart des écoles et universités qui étaient réservées aux femmes sesont ouvertes et ont été absorbées par les grandes universités comme Harvard, Yale oul’université de Pennsylvanie. Les filières non-mixtes ont été plus ou moins supprimées enmême temps.

L’idée était d’utiliser davantage le système éducatif pour permettre l'intégration dans lasociété. Il s’agissait donc d’une impulsion très forte du gouvernement d’imposer ce type desélection. Ils ont utilisé toute une série d’outils pour le faire, dont le financement est le plusimportant. Les universités qui ouvraient des places à des personnes défavorisées obtenaientdes postes en plus. Les universités avaient donc la possibilité d’augmenter leurs effectifs.Deuxièmement, ils ont créé dans les universités de nouveaux cursus. Au départ, c’était deschoses comme le multiculturalisme et les groupes ethniques ont créé leurs propres cursus.Par la suite, il y a eu toute une série de disciplines qui ont été ouvertes, des études multi-disciplinaires, et l’idée était fortement ancrée dans le principe que cela allait attirer desgroupes qui n’étaient pas représentés dans les disciplines traditionnelles. Les universités profi-taient en même temps du fait qu’il y avait un nouveau financement et de nouvelles possibilitésde déstructurer l’université traditionnelle et de créer une autre structure transversale àl’intérieur de l’institution.

Comme je vous l’ai dit, pour la plupart des universités, le but était quasiment statistique,il fallait avoir un profil à l’intérieur de l’institution qui grosso modo reflétait le profil ethniqueet socio-économique. Pour établir ces profils ethniques, il fallait d'abord définir l'ethnie, créertoute une série de critères, notamment raciaux, ce qui est très controversé ; il fallait aussirégler le cas des personnes d'origine mixte ; une fois ces définitions établies, que fallait-il fairepour les groupes qui ne se retrouvaient dans aucune de ces classifications? La catégorie"autres races" a ainsi été ajoutée à la douzaine de classes ethniques… Deuxièmement, quefait-on une fois qu’on a établi ce genre de principes quand vous vous retrouvez avec un profil

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ethnique qui n’est pas le même que le profil national ? Par exemple, l’université de Californie,Berkeley, a un profil avec 40% d’entrées d’origine asiatique, surtout des Chinois d’outre-meret pas des vietnamiens ou des laotiens, alors qu’au niveau national, les Chinois représententmoins de 3%. Est-ce que l’université est allée trop loin ? Est-ce qu’il fallait faire des chosespour diminuer le nombre de personnes ? C’est un grand débat qui continue aujourd’hui.

Évidemment, les grands perdants ce sont les hommes blancs. Ce sont eux qui ont porté plaintecontre ce système, et qui continuent à le faire dans les États. Pour en finir avec ce sujet, vousavez probablement lu dans la presse qu’il y a actuellement le cas à l’université du Michigand’une femme qui porte plainte contre l’université pour avoir discriminé contre elle en faveurde quelqu’un de race noire. Ce cas est typique de beaucoup d’actions qui ont été menées dansles années 1990, et il ne serait pas exceptionnel si le gouvernement Bush n’avait pas décidé desoutenir cette personne et de porter plainte devant la Cour suprême. La Cour suprême va doncdébattre de nouveau du principe de discrimination positive. Or, la composition de la Courlaisse penser qu’il y a une forte chance pour que cela aboutisse à un changement dans lapolitique ou du moins dans son interprétation. L’ironie est que c’est à l’origine legouvernement qui avait imposé à l’université ce pour quoi cette dernière se défendmaintenant.

Le succès de ce système, à mon avis personnel, et je ne suis pas spécialiste, mais j’ai unebonne connaissance du milieu de l’enseignement et de la recherche dans les grandesuniversités américaines, est important. Si vous mesurez la distance entre l’université desannées 1960 et celle d’aujourd’hui, il existe d’énormes différences par la composition desétudiants mais aussi par l’ouverture d’esprit que cela a représenté. Il y a bien sûr desproblèmes de qualité d’enseignement par la suite, car il y a une pression à l’intérieur desuniversités évidemment pour faire en sorte que chacun soit diplômé à la fin des études parceque du résultat d’une université dépend son financement par le gouvernement. C’est d’ailleursun des arguments de cette femme qui attaque l’université du Michigan que de dire qu’il y adeux voies à l’intérieur de l’université. Les règles diffèrent pour ceux qui sont entrés parles voies normales et pour les autres.Il reste encore beaucoup à dire sur les États-Unis. À mon avis, il va y avoir dans les deuxannées à venir un changement dans l’interprétation de ce principe très important aux États-Unis qu’est la discrimination positive.

Je vais maintenant dire quelques mots sur la Grande-Bretagne. Le gouvernement travailliste apris des mesures importantes pour changer le système éducatif qui ont souvent fait la une desjournaux. Mais ils avaient d’autres problèmes, notamment un problème de participation parcohortes d’âge. Il y avait beaucoup moins de gens qu’ailleurs qui entraient à l’Université etcela a été considéré comme étant la faute du système de recrutement donc au niveau des exa-mens du type A-levels et O-levels. Les premières réformes initiées par les travaillistes, ontconsisté à changer la composition du recrutement, en fait en baissant la qualité du niveau dudiplôme de départ. Le gouvernement ne présenterait bien évidemment pas les choses ainsi.C’est cependant ce qui a eu lieu car les mesures ont été prises très rapidement et souvent pourdes raisons très ouvertement politiques.

Deuxièmement, le gouvernement a changé le système de financement des universités. Lesystème est mixte de fait en Grande-Bretagne. Toutes les universités sont dans le domainepublic, financées par celui-ci ; elles ne sont cependant pas contrôlées par l’État mais par desfondations, et elles ont des statuts donnant la possibilité de poursuivre une politique en dehorsdes pressions du gouvernement si elles ont l’argent pour le faire. Le gouvernement a décidéjustement de faire en sorte que les universités ne disposent plus d’une autonomie financière.Ils ont commencé à miner les différents types de financement privés, notamment à Cambridge

Table ronde n°2, animée par Alain Trognon

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et Oxford. Ils ont ensuite décidé de financer de nouvelles disciplines dans les universités ensupprimant ou en réallouant les financements des disciplines existantes. Ainsi, si l’universitéva dans le sens des programmes multidisciplinaires, par exemple scientifiques, il a falludécider oui ou non de supprimer un certain nombre de places dans les recrutements d’élited’autrefois que sont, par exemple, les lettres classiques, la théologie, la philosophie, la littéra-ture anglaise. Il y a donc un rééquilibrage à l’intérieur d’une université pour faire en sorte queles élites qui utilisaient ces voies de recrutement pour les services de l’État n’aient plus lemême nombre de places, et que les personnes entrant sans une formation de base dans cesdisciplines aient des places à l’université dans des disciplines nouvelles. C’est le système dumatching funds. L’université met 50% du financement et le gouvernement fait en sorte que lereste vienne du secteur public pour les chaires, les départements et les infrastructures desnouvelles disciplines. L’État finance de plus les bourses pour les étudiants, jusqu’à 90% dansla plupart des cas, et il peut contrôler par le numerus clausus des disciplines le nombre d’étu-diants qui entrent dans ces disciplines, c’est par exemple le cas pour les chaires en physique eten lettres classiques. C’est une politique à la fois de financement et de choix des disciplines.

Je vais terminer par une remarque : on a créé beaucoup de souplesse dans le système tant enGrande-Bretagne qu'aux États-Unis. Un des aspects remarquables du système américain estl’existence de passerelles. Si vous avez raté l’examen d’entrée à Harvard, vous ne ratez pasvotre vie car il existe d’autres moyens de rattraper votre retard au niveau de la maîtrise ou dudoctorat. Nombre de chercheurs importants et professeurs des grandes universités ont souventdébuté dans des établissements assez modestes. La situation est donc très différente de cellequ’on trouve en France où il y a une sorte de CV absolument établi qu’il faut avoir.Le système des passerelles est très important car il encourage les étudiants qui ont malgré toutdes niveaux différents de maturité intellectuelle selon les périodes de leur vie. La Grande-Bretagne est en train de mettre en place une architecture qui est, d'une certaine façon, dumême type.

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La situation en Europe (Allemagne, Grande-Bretagne) :quels enseignements retenir ?

Éric Maurin

J’avais prévu de témoigner surtout de l’avancement du travail d’un groupe de spécialistes del’éducation qui se réunit au niveau européen, et d’évoquer une étude américaine qui est menéeen parallèle, sur l’évolution des inégalités d’accès dans l’enseignement supérieur enAllemagne, aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Italie, ... dans une panoplie assez variéede pays. Justement je n’ai pas l’ambition de ce groupe de chercheurs qui est de testerl’hypothèse selon laquelle il y a un lien entre la grande diversité institutionnelle dans la façondont ces pays organisent l’enseignement supérieur, entre les différents types d’institutions, etla variation des performances en termes de promotion de l’égalité des chances d’accès dansles différentes institutions. Je crois que l’espoir, au début, était de dégager le type d’institution,d’organisation de l’enseignement supérieur, le plus à même de promouvoir des formesintéressantes d’égalité des chances sans nuire à l’efficacité.

Autant que je puisse juger des rapports intermédiaires qui ont été produits par ce groupe, lespremiers résultats ne sont pas très enthousiasmants, au sens où les diagnostics concernantl’évolution des inégalités sont assez partagés. Il y a assez peu de variation, contrairement à cequi était espéré – peut-être que les conclusions finales seront plus optimistes ? – et du coup cen’est pas très facile de savoir quel type d’organisation est le plus intéressant. Qu’est-ce que cegroupe entend pas organisation ? Je crois que la façon qu’ils ont de mesurer, d’appréhender,la diversité des organisations se fait autour de l’enseignement supérieur, autour du rôlerespectif qu’ont joué les formations universitaires courtes, à orientation plutôt professionnelle,et les formations universitaires plus académiques, prestigieuses. Ils étudient le rôle qu’ontjoué ces deux grandes formes d’institutions de l’enseignement supérieur pour absorber lamassification et l’arrivée d’étudiants supplémentaires au cours des décennies écoulées. Lediagnostic assez partagé par ces chercheurs, c’est que l’on a assisté dans de nombreux pays àdes formes d’égalisation nominales d’accès au niveau baccalauréat, à l’enseignementsecondaire, mais que ça c’est « payé » par des formes d’accroissement d’inégalité nouvellesdans l’accès aux institutions du supérieur plus prestigieuses, conditionnellement au faitd’avoir le baccalauréat, c’est-à-dire une forme de compensation.Le cas de l’Allemagne, dont Alain Trognon a un peu parlé précédemment, est assezexemplaire : le système allemand est traditionnellement décrit par l’international comme l’undes plus inégalitaires des systèmes occidentaux. La raison la plus souvent invoquée c’est qu’ila maintenu une pré-orientation précoce qui se fait bien sûr sur les critères sociaux.Néanmoins, au fil des décennies écoulées, même si institutionnellement il n’a pas été créé defilière unique au collège, le verrou s’est démocratisé et parallèlement, conditionnellement àavoir le baccalauréat allemand, l’accès aux filières les plus prestigieuses, aux universités lesplus prestigieuses, s’est réduit et est devenu plus sélectif selon les critères sociaux. Onconstate même un accroissement – il s’agit de formes assez pathétiques d’évolution descomportements – de la préférence, de la part des enfants des classes supérieures, à ne pasavoir de diplômes supérieur plutôt que d’avoir un diplôme autre que national en Allemagne.Les formations universitaires courtes, professionnelles, sont de plus en plus réservées auxenfants des classes populaires.

En termes de politique publique, les chercheurs s’accordent plus ou moins – même si ce nesont pas des modèles causaux qui sont testés et qu’il faudrait regarder les choses de plus près– sur le fait qu’on assiste à des inégalités de deuxième ordre, c’est-à-dire qui reposent sur leseffets d’auto-sélection. En fin de parcours, les enfants des milieux défavorisés ne prennent pas

Table ronde n°2, animée par Alain Trognon

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le risque de formations pour lesquelles ils n’ont pas d’information très précises et s’engagentdans les voies les moins prestigieuses qui permettent « d’assurer ». Ce phénomène d’auto-sélection d’inégalités serait aujourd’hui le phénomène croissant dans les systèmes éducatifsoccidentaux. En termes de politique publique, pratiquement tous les outils imaginables ont étédéveloppés autour de l’idée d’assurer, des économistes diraient de favoriser, l’accès aumarché du crédit des étudiants qui n’ont pas vraiment des parents pouvant les aider, et doncdes mécanismes d’assurance de cet ordre.

Ceci dit, tout n’est sûrement pas aussi simple. Derrière la démocratisation nominale des stadesinitiaux du système éducatif, il y a sans doute la persistance d’inégalités réelles. C’est un peule sens de tout ce qui se disait tout à l’heure, c’est-à-dire qu’en fin de parcours les élèvesnominalement ont le même niveau au baccalauréat, mais quand on regarde ce qui se passe entermes de redoublement, au début des carrières scolaires, on voit que des formes d’inégalitéspersistent et sans doute, si on était capable de mieux mesurer, on verrait qu’en dépit d’uneégalité nominale dans le secondaire, il subsiste des inégalités réelles. Il ne s’agit pasuniquement de phénomènes de sélection, mais aussi du fait qu’au bout du compte, en dépit dequelque chose qui paraît identique, tout le monde n’est pas également armé. Tout ça est àprendre de manière posée, et d’autres formes de politiques plus « traditionnelles », tous lesleviers de redistribution en amont qui débordent à mon avis le cadre de l’École, c’est-à-dire delutte contre la pauvreté des enfants, gardent leur pertinence.

Au-delà des leviers habituels, il y a un intérêt croissant parce que le rapport coût/bénéfice estpotentiellement très intéressant. Je pense que c’est une des raisons fondamentales, même sielle n’est pas très bien perçue, qui accroît l’intérêt, le renouvellement en tout cas, pour lespolitiques de discriminations positives. La discrimination positive peut regrouper des chosestrès différentes, des choses pour lesquelles on a spontanément une certaine aversion au sensoù elles semblent aller à l’encontre de l’égalité formelle à laquelle tout le monde est attaché,et des politiques d’excellence doublées de volontarisme au niveau local, qui ne sont pasnécessairement des politiques qui violent les principes de l’égalité formelle dans le concours.En gros, toutes les politiques sociales, puisque c’est comme ça qu’il faut les décrire, dont lapertinence repose sur le fait que la concentration sur le territoire des familles pauvres oudésavantagées, ou la concentration d’élèves à problèmes, a en elle-même un effet.Indépendamment des facteurs familiaux, de l’environnement immédiat, le fait d’être entouré,le type de voisinage au sens large qui est celui de l’élève, compte en soit. Dès lors qu’on seraitcapable de bien comprendre ces phénomènes, alors il y aurait de nouveaux outils de mixitésociale qui deviendraient très pertinents et qui auraient potentiellement – c’est à regarder dansle détail – l’avantage de pouvoir avoir des effets considérables à moindre coût. Une politiqued’excellence ciblée sur quelqu’un, au sens où ça va améliorer le voisinage de beaucoup, vaaugmenter les performances de tout le monde et donc avec peu de choses on peut obtenirbeaucoup.

À la fin des années 1980, il y a eu un intérêt assez fort, qui était né autour d’un livre américainqui a été traduit depuis, « Les vraiment défavorisés » de Gibson, pour ce genre de mécanismeset pour ce genre de politique publique, sous forme de discrimination positive, sous forme devolontarisme au niveau local que cela fondait en raison. Et puis, il y a eu des études trèsthéoriques menées par des statisticiens contemporains qui ont attiré l’attention sur lesdifficultés méthodologiques considérables qu’il y avait à interpréter le fait qu’on réussissaitplutôt moins bien quand autour de soi les gens réussissent moins bien. Et maintenant il y aune espèce de retour, on est en train de re-comprendre certaines des conditions sous lesquelleson peut dire des choses à ce propos. Les premiers résultats qui se dégagent, tant aux États-Unis qu’en Europe, laissent penser qu’il semblerait que ce qui compte dans un voisinage, cen’est pas tant que ce soit un voisinage pauvre ou culturellement mal intégré, mais le fait que

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les élèves soient entourés d’élèves qui eux-mêmes échouent. En France aujourd’hui, un enfantde famille pauvre ou étrangère vit en moyenne dans un voisinage où le pourcentaged’étrangers ou de familles pauvres est quatre fois plus élevé que la moyenne nationale. On atendance à dire que le problème de la ségrégation sociale est un problème plutôt américain,mais en France il y a des formes de ségrégation assez aigues aussi. Peu importe en fait lescauses de l’échec, ce qui semble particulièrement crucial dans les effets de contexte, ce quirésiste bien à l’analyse, c’est « si je suis dans un environnement où autour de moi on échoue,alors ma probabilité d’échouer est plus forte ». Ça c’est particulièrement intéressant parce quequand on réfléchit un tout petit au problème, c’est typiquement le genre d’effets qui fonde enraison le volontarisme pour promouvoir l’excellence au niveau local, qui fonde en raison lesformes de politiques de mixité sociale avec des effets de long terme potentiellementintéressants.

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Table ronde n°2, animée par Alain Trognon

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La situation en Europe (Allemagne, Grande-Bretagne) :quels enseignements retenir ?

Daniel GrimmEcole Centrale de Paris

Mon intervention sera brève car de nombreux points ont été abordés par mes prédécesseurs.Je ferai simplement quelques commentaires en vrac après ce qui a été exposé sur lesformations de l’enseignement supérieur.

Dans un premier temps, je souhaiterais, à partir d’une anecdote, souligner les problèmes demixité sociale liés au confinement et au cloisonnement géographique. La fille d’un collèguequi s’occupe à Marseille de jeunes en milieu très défavorisés, a fait un jour une remarque quim’a fait froid dans le dos. Elle m’a dit que la plupart des jeunes au contact desquels elle est,ne sortent pas d’un rayon de 500-600 m autour de leur lieu d’habitation. Cet isolement peutavoir des conséquences importantes qu’il faut souligner.

Il faudrait se poser la question des objectifs de l’enseignement pré-baccalauréat, le primaire etle secondaire. La comparaison entre différents pays nous permet d’observer que ces objectifssont très différents même s’ils ne sont pas nécessairement formalisés ou exprimés de cettefaçon-là. J’ai pu en identifier trois jusqu’à présent :

1. La culture générale. Il s’agit de l’objectif principal en France. Claude Boichot ad’ailleurs demandé hier à ce sujet : « est-ce qu’il faut dire bac S (pour scientifique) oubac G ( pour général) ? ». La primauté est donnée à la culture générale avec le souciconstant que les gens n’en n’ont pas assez.

2. La socialisation. Aux États-Unis, et ça rejoint aussi les parcours avec les passerelles etles parcours progressifs qui ont été évoqués précédemment, l’enseignement primaireet secondaire est plus axé sur une approche de socialisation, c’est-à-dire d’intégrationdes jeunes dans la société dans laquelle ils sont. Il s’agit de leur apprendre à travailleren groupe, ce qu’est une bibliothèque, une association. Ils apprennent ainsi à se servirde leur environnement et à le décoder. Plus tard ils savent chercher les parcours quivont correspondre à ce qui leur convient le mieux.

3. La professionnalisation. L’Allemagne est le pays le plus représentatif de cet objectif.Vers l’âge de 11-12 ans les élèves sont confrontés à une orientation qui ensuite estquasiment définitive. Là où les français auraient tendance à faire un complexe, lesallemands sont en général très fiers de pouvoir dire qu’ils ont « des cols bleus dans uncertain nombre de directoires d’entreprises ».

En France, il faut nécessairement avoir fait ses études dans telle ou telle grande école et lespasserelles sont tellement nombreuses, que chaque élève ayant un potentiel doit normalementpouvoir passer dans ces circuits. Si la ghettoïsation nous prive encore aujourd’hui d’un certainnombre d’élèves de talent, je suis ravi – et j’en profite pour féliciter les organisateurs – de cecolloque qui pose la question de comment ne pas perdre ces talents.

Pour aborder la question de la durée des études, je vais reprendre l’exemple de l’Allemagne.La durée des études est très élastique en Allemagne puisque si par exemple un bac+5 doitnominalement durer 5 ans, il peut parfois aller jusqu’à 7,5/10/12 ans. Le doctorat estextrêmement allongé et il faut du temps pour être autorisé à soutenir une thèse. De plus, enrapport avec ce qui vient d’être dit sur la forte inégalité sociale dans les universités à cursuslong en Allemagne, on observe que la gratuité des études couplée à la possibilité des parentsde financer la vie d’étudiant n’incitent pas les jeunes à entrer dans la vie active.

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Le coût des études est un sujet sur lequel il faudra se pencher. En effet, en 1994, l'O.M.C. atraité de l’éducation et a pris une orientation qui consiste à dire d’après le premier diplôme,les formations vont entrer dans le champ commercial. En France, la formation continue estdéjà dans le champ. Le dispositif vers lequel nous nous dirigeons comprendra probablementun premier diplôme (L, bachelor, bac+3) qui fera partie du service public, suivi d’un diplômeau niveau master qui entrera dans le champ commercial comme cela est déjà le cas dans uncertain nombre de pays. Lors des séances d’atelier, il a été exposé, par le britanniqueprésentant l’Asie pacifique, que l’Australie s’enorgueillit aujourd’hui d’avoir un montant derecettes en devises étrangères supérieur, grâce à l’enseignement supérieur via les étrangers quiviennent, que ce qu’ils arrivent à obtenir en exportant de la laine. La question de la gratuitédes scolarités a été soulevée récemment de façon spectaculaire par notre collègue, le directeurde l’IEP (Sciences Po). Nous ne pourrons pas éviter ce débat. Il y a une dizaine d’années,Laurent Schwartz qui avait été à l’origine d’un mouvement pour la qualité de la sciencefrançaise, avait fait un éditorial expliquant que la gratuite n’était pas forcément synonyme dedémocratisation, à condition bien sûr de mettre les mécanismes qu’il convient en face. Ceciétant, si les études deviennent payantes, cela risque de diminuer la mobilité des étudiants àl’international. Les étudiants britanniques, par exemple, ont une mobilité très faible parrapport aux autres étudiants européens car ils payent leurs études, et en général relativementcher. Les institutions qui sont brimées financièrement par le gouvernement (voirl’intervention de Michael O’Borne) ont en effet tendance à se rattraper sur leurs étudiants.Des situations d’endettement apparaissent et à partir de là, il y a un souhait d’aller sur lemarché du travail le plus rapidement possible pour pouvoir commencer à rembourser, d’où lefait que le passage par une structure étrangère est considéré comme une perte de temps. Lesconséquences à terme de cette exclusivité des filières courtes peuvent être dramatiques d’unpoint de vue économique et industriel.D’un point de vue économique, les États-Unis qui ont des études payantes semblent bien s’ensortir. Il faut tout de même savoir que pour développer un produit technologique sophistiqué,en général, les américains dépensent en dollar ce que nous dépensions en franc. En effet, nosformations longues de qualité permettent à nos ingénieurs d’être capables entre plusieurssolutions d’anticiper celles qui vont marcher le mieux, en prévoyant les résultats des diversesvoies possibles, alors qu’aux États-Unis, leurs ingénieurs, plus pragmatiques et pratiques,vont être amenés à développer les différentes solutions et constater après coup celles quimarchent et celles qui ne marchent pas. Par exemple, le nucléaire civil français, qui est tout demême très en pointe, a coûté en développement sept à huit fois moins que le nucléaire civilaméricain.D’un point de vue industriel, la Grande-Bretagne, où les études durent en moyenne un an demoins, a déjà subi les premières conséquences de ce mécanisme. Les britanniques ont en effetperdu pratiquement leurs grandes entreprises et tous leurs grands constructeurs automobilessont dans les mains de groupes étrangers.

Le problème de la démocratisation, le problème du financement des études, le problème del’organisation des cursus, restent des questions qui recouvrent des enjeux stratégiques pourl’avenir de l’Europe et je remercie Marie Reynier d’avoir souligné ce point. Nous sommes entrain d’aborder l’avenir de l’Europe. L’Asie pacifique, par exemple, représente les deux tiersde la population mondiale et cette région possède un dynamisme et un développement tout àfait impressionnants. Il est donc vital que nous mobilisions effectivement toutes nosintelligences sur ces questions.

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Clôture du colloque

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Intervention de clôture de Claude BOICHOT,Inspecteur Général de l'Education Nationale

Chargé de mission C.P.G.E.

Monsieur le Président,

Il me revient la lourde tâche de conclure par délégation du ministre Xavier Darcos. Je vaisdire quelques mots qui resteront très modestes, peut-être pas très prudents mais très modestes.Dans un premier temps je vais revenir sur quelques phrases ou formules entendues ce matin.

Je crois que c’est Michel Raimbault qui a parlé de l’aptitude à traiter de la complexité dessituations. Lorsqu’on est ministre, y compris ministre délégué en charge d’une partie dusystème éducatif, et que cette partie, ce sont les CPGE, la tâche est complexe et à très fortesresponsabilités Politiques. En effet, le segment bac+2 est au fond un segment bi-charnière.L’ancrage sur le secondaire, Gérard Debeaumarché l’a dit, est une des contraintes aux limites.Sur cette frontière nous devons montrer une grande réactivité à ce qui se passe au lycée...Nous avons ainsi modifié nos programmes de CPGE pour avoir une meilleure adéquationavec ceux du secondaire qui viennent d’être mis en place. Nous avons la meilleure réactivitéparce qu’il y a une grande proximité. L’une des spécificités du " maillon CPGE " est sa trèsgrande proximité entre ce qui se passe dans le secondaire et bien évidem-ment ce qui se passedans le supérieur. Il nous appartient par exemple de faire en sorte que notre système s’ouvredès le niveau bac+0 aux élèves étrangers, à l’international. Il faut construire cet accueil quipour le moment, et même si Joël Vallat et d’autres font tout ce qu’ils peuvent, n’est pasinstitutionnellement organisé. Nous devons réfléchir à l’organisation de classes de premièreannée susceptibles d’accueillir des élèves non francophones. Les CPGE débouchentnaturellement sur les concours aux grandes écoles dont nous voyons bien qu’ils n’éliminentplus mais qu’ils trient, au moins pour les filières scientifiques et économiques-commerciales.Depuis quatre années déjà, et chaque année hélas, nous constatons que 2000 places restentvacantes dans les écoles scientifiques et 750 dans les écoles de management. Pour les lettres,nous veillons à ce que les 2 000 places au Capes et à l’Agrégation soient mieux mises enperspective avec le parcours hypokhâgne-khâgne, et qu’au fond on ne désespère par les élèvesd’hypokhâgne et de khâgne en ne les focalisant que sur les 240 places offertes chaque année,bon an mal an, aux ENS. La place des concours entre les CPGE en deux ans et les études dansles grandes écoles était claire et simple avant l’émergence du schéma de mobilité et deconstruction de l’univers universitaire européen. Désormais, il faut s'inscrire dans cet universLMD/3-5-8, et le maillon CPGE ne correspond pas à une séquence du LMD … Bac +2 et pasBac+3….Vous avez compris ce matin la perplexité dans laquelle je me trouve et laresponsabilité qu’il peut y avoir à perturber les articulations entre les CPGE et notreenvironnement universitaire singulier et dual (grandes Ecoles –Universités). Les CPGE"installées" dans le LMD, c’est bien le cœur de ma feuille de route.

L’univers scientifique n’est pas rigoureusement le même que celui des classes de managementpour faire simple, et les classes littéraires relèvent encore d’une autre approche. Il faut aumoins tenter de comprendre avant d’agir. Je reprends une autre formule de Michel Raimbault," sinon on est des apprentis sorciers ". Je confirme, il me pardonnera cette audace, que XavierDarcos fait partie de ceux qui veulent comprendre avant d’agir. Il y aurait une autre solutionqui serait de dire qu’au fond la réflexion paralysant l’action, il n’y a qu’à agir et que l'on verra

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bien. Il me semble qu’on a déjà vu ce que cela donnait… Il vaut mieux comprendre avantd’agir et mettre en place d’abord un véritable diagnostic partagé sur lequel peut et doit ensuites’exercer la responsabilité des choix Politiques. Il faut donc une grande " capacité à rendreintelligible " et je vous assure que ce n’est pas simple, mais c’est là qu’est la véritable ruptureau sens de Bachelard. Pour rendre intelligible, pour cristalliser une connaissance, il faut bieneffectivement passer par une situation de rupture, et les uns et les autres nous n’y sommes parforcément toujours préparés. Il convient donc d’expliquer, d’expliquer encore, d’expliquertoujours…..

Et puis, il y a le temps. Le rapport de l’IGAENR (Inspection générale de l’administration del’éducation nationale et de la recherche) de 2002, (consultable sur Internethttp://www.education.gouv.fr/syst/igaen/rapports.htm) traite très longuement du temps, qu’ilsoit politique, pédagogique ou social. Lorsqu’on connaît la brièveté du temps politique, on estquelquefois entraîné à ne pas prendre le temps de comprendre pour agir. Du coup peut-êtrebien que certains sont rapidement amenés à nous taxer, nous qui sommes après tout aux côtésdes décideurs, de frileux, d’immobiles, d’immobilistes... La prudence, la vigilance, ce n’estabsolument pas de l’immobilisme.

Autre phrase choc que Daniel Grimm a reprise tout à l’heure, c’est que " nous n’avons pas ledroit de gaspiller une seule intelligence ". Hier nous avons dit la même chose dans l’atelierconsacré aux ouvertures sociales des CPGE : nous n’avons pas de le droit de gaspiller un seultalent, une seule réussite potentielle car la situation de notre Pays exige que le potentiel deformation d’excellence sous toutes les formes de celles ci soit utilisé.

Autre remarque brève : au fond, lorsqu’on est en CPGE on met beaucoup d’œufs et d’" E "dans son panier. Il y a le " E " d' ExcellenceS. Il faut par exemple définir positivementl’excellence de la voie technologique. Il ne s’agit pas d’une excellence au rabais par rapport àla voie générale. Il ne faut plus présenter les choses ainsi, mais définir des critèresd’excellence spécifiques et regarder qui a l’aptitude justement pour s’adapter au mieux, et dela façon la plus efficiente évidemment, à tel ou tel type d’excellence. Excellences, mais aussiExigence, exigence certes mais Encouragement et Ecoute aussi. Équité enfin. Elle peut sedécliner de façon géographique avec les classes de proximité ou classes de service publiccomme l’a dit Xavier Darcos. Équité en termes de formation, équité presque éthique allais -jedire, avec bien évidemment le respect de l’équité de traitement entre tous les candidats, aussibien au concours que pendant la formation. Comment imaginer un engagement inéquitable del’État alors que le concours, qui est l’instrument d’évaluation, est lui anonyme et unique ? " E "comme Équirespectabilité. Là aussi notre engagement est intact : en 1994 il n’était pas gagnéqu’au fond l’équirespectabilité des filières que nous affichions, allait se produire dans lesfaits. Pour qu’elle se traduise dans les faits, il fallait qu’il y ait dans toutes ces filières uneéquiprobabilité de réussite. Nous n’y sommes pas totalement parvenus, mais nous n’ensommes pas très loin. Ce matin nous avons parlé des ECT (classes économiques etcommerciales technologiques). Quand vous faites le ratio entre le nombre de candidats dansces classes et le nombre de places qui leurs sont offertes par toutes les Écoles de management– l'ensemble des Ecoles, et pas seulement HEC où le ratio varie entre 0 et 1 puisque certainesannées il n’y a aucun recruté - vous trouverez grosso modo le même ratio que celui que voustrouvez entre le nombre de places offertes en MP rapporté au nombre d’élèves dans cettefilière. Il y a cependant une filière qui souffre, c’est la filière TSI (technologie et sciences del’ingénieur).

Clôture du colloque

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Au fond, ce colloque a montré que nous étions tous des passionnés de l’École. Vousremarquerez que j’utilise passion et pas amour. Nous voulons tous, franchement tous, réussirl’École, l’École comme creuset de la Nation. Dans cette démarche là, la démocratisationscolaire est une exigence d’équité citoyenne ou civique. Parce que la citoyenneté estsingulièrement galvaudée, je pense que le Ministre délégué aurait préféré le terme civique. Àcôté de nous qui sommes des passionnés de l’École, et il ne faut pas en avoir honte, il y a 60millions de spécialistes de l’École. Eh oui ! J’emprunte à Claude Thélot la formule : " tous lesFrançais et les Françaises ont une institution en commun parce que c’est la seule par laquelleils sont tous passés, c’est l’École. " Ils ont donc tous leur mot à dire sur l’École. Le problèmec’est que leur qualité dite de spécialiste, ils la tirent d’observations micro-éducatives, perçues,respectables, mais micro-éducatives. Or, le micro-éducatif fait appel à l’affectif. Il ne faut pasnier l’affectif puisqu’il est au cœur de la construction du savoir personnel, qu'il est surtout aucœur de la transmission des savoirs. L’effet Professeur est là. L’affectif est qualitatif, difficileà modéliser, à objectiver, mais il est là. " Papa, maman, je rentre aujourd’hui et tiens, j’ai unbon prof ! " Si le Ministre de l’éducation nationale pouvait être assuré que le lendemain de larentrée 90% des enfants rentrent chez eux en disant "Ah, cette année j’ai un bon prof !"franchement je pense qu’alors la résolution des problèmes qui restent en serait complètementsimplifiée. En mettant en avant cet aspect affectif de la construction interactive du savoir avecle professeur, je rends hommage, comme le fait quotidiennement Xavier Darcos, auxprofesseurs.

Ensuite, il reste que la passion ne doit pas empêcher la raison de s’exercer. Le passage à laraison a lieu en passant d’une situation micro-éducative - perçue, massivement perçue, peuraisonnée, peu raisonnable - à une analyse plus globale, plus macro-éducative, mais qui peutdevenir très impersonnelle, ou apparaître comme telle. Dans le champ de l’éducation et dansla relation de la construction du savoir, la notion de moyenne n’a pas beaucoup de sens. Etpourtant il convient que les décideurs, que tout le monde d’ailleurs, s’accordent sur la réalitédes faits macro-éducatifs, voire méso-éducatifs - situation intermédiaire -afin d’éviter deparler, parler, et éventuellement agir, sans autre référence qu’un cas isolé transposé à l’infiniet surtout mis en application comme définissant une politique. Cette démarche-là, c’estClaude Thélot qui le dit, " elle est funeste ". Il n’est pas question d’éradiquer telle ou tellepartie du système éducatif, tel ou tel programme, parce que sa nièce, son neveu ou son fils,momentanément, ne l'a pas complètement apprécié, ou parce que, vieille frustration, il y a 25-30 ans, on avait eu des problèmes avec tel ou tel corps de discipline. On a parléd’autocensure, de censure, je vous assure que les frustrations dans notre milieu, sont énormes.Du coup, si nous n’arrivons pas à les lever, à actualiser les informations, nous n’arriveronspas à faire venir sur le chemin de la réussite ceux-là même qui sont les plus fragiles. Cettedémarche est bien une partie de la tentative de donner la parole aux élèves pour que,spontanément d’abord, ils aillent sur Internet voir ce qui se passe dans l’univers des classespréparatoires, et qu’ensuite ils s’inscrivent...

À ce point, je voudrais vous dire "merci", au nom du Ministre, mais vraiment "merci".On n’est pas à la cérémonie de remise des Molière ou des César. On l’est d’autant moins que,rappelez-vous dans les réunions auxquelles vous avez participé et auxquelles participait tel outel ministre ou tel représentant du ministère, les remerciements, surtout quand ils ne sont pasconvenus, ne sont pas si fréquents que ça. On n’a pas l’habitude entre nous de dire merci,peut-être par pudeur. Je dis, au nom de Xavier Darcos, " merci ! ". Je le dis d’autant plusfortement à mon compte cette fois. Vous le savez bien, Messieurs les Présidents, et singuliè-rement Gérard Debeaumarché, que depuis un an quand on me parlait de ce colloque, surtoutcompte tenu de la conjoncture, et du fait que malgré la force avec laquelle j’affirmais tous les

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résultats qui ont émergé et que je pensais établis, je me disais " si jamais l’univers médiatiquen’est pas bien assuré, s’il y a des dérapages, si tel ou tel nous emmène sur un chemin detraverse, nous aurons un mal fou à nouveau à redresser la barre ". Cet écueil a été totalementévité.

Le travail de la DEP est également important. Le Ministre m’a chargé de vous dire qu’ils’associait à l’hommage que vous avez de façon très forte rendu à Dominique Faure. Il m’aégalement chargé de vous dire que la qualité de ce travail mérite que l’institution reprenne àson compte, reprenne en pilotage évidemment, les sujets que nous avons traités ensemble. Çane veut pas dire qu’ils sont trop sérieux pour être confiés à des associations. Ce n’estabsolument pas ce que j’ai dit. J’ai dit qu’il y a des endroits, des sujets, des niveauxd’engagement où évidemment l’État et l’institution doivent prendre toute leur place.

Je vous invite à nous faire remonter toutes les suggestions, toutes les pistes, toutes lesinformations, toutes les idées. Le Ministre sait qu’il peut compter sur vous. Il faut garderintact notre engagement, notre passion pour le bien public et l’École, et construire son aveniravec raison. Les chantiers sont extrêmement nombreux. Je vais vous citer des sigles sansjamais les décliner. Je crois que sur les agendas des uns et des autres on va trouverrapidement, dans le chantier qui nous intéresse : IEP, CPU, CDFI, CTI, CGE, IPES, UPS,UPSTI, UPA, APPLS, APHEC... Ces rencontres prévues doivent nous permettre tousensemble, chacun à sa place selon ses responsabilités et ses prérogatives, de construire l’avenir.

Merci infiniment pour votre aide et votre engagement.

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Clôture du colloque

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Intervention de Alain CADIX,président de la Conférence des Grandes Ecoles

J’ai retenu au moins un point de l’intervention de Christian BAUDELOT : 60% des élèves desCPGE proviennent de classes sociales qui représentent 20% de la population. Ce sont desordres de grandeur. Ce décalage se retrouve dans les GE, même si leurs étudiants neproviennent pas tous des CPGE. C’est un problème majeur pour notre système d’ensei-gnement supérieur. Les 3° cycles universitaires connaissent un problème de même nature,avec un décalage moins marqué.

Notre système fondé sur l’élitisme républicain ne peut assurer sa pérennité sans conforter salégitimité.

Bien sûr la source de ces dysfonctionnements est en amont des CPGE et des GE. Une étudede l’IREDU (mars 2003) montre qu’au début du Cours Préparatoire, l’avantage des enfants demilieux favorisés est particulièrement net en pré-lecture, dans la reconnaissance des lettres, etdans la maîtrise des concepts liés au temps. Elle montre qu’au Collège les écarts se creusent,au point qu’on a pu estimer que le Collège produisait en deux ans plus d’inégalités sociales derésultats que toute la scolarité antérieure. Quant à l’orientation, l’étude montre combien estdéterminant le niveau culturel et économique des familles dans la stratégie des choix desétablissements et des classes.

La Conférence des Grandes Ecoles (CGE) aurait pu dire « ce ne sont pas les GE qui créentdes inégalités, c’est l’amont ». Elle en a décidé autrement, en mettant la problématique sur latable, en la faisant sienne, sachant qu’elle ne pourrait pas la traiter seule. La question de fondétant : comment élargir la base des recrutements des GE sans mesure de discriminationpositive et sans remettre en cause la qualité de leurs diplômes ?

A la suite de son séminaire de Montpellier (septembre 2001), la CGE a décidé de créer sonobservatoire social, en commençant par faire une enquête sur les CSP des familles desétudiants. Les premiers éléments seront dévoilés lors de son AG du 11 juin.

Ensuite, la CGE a créé, au sein de sa Commission Amont présidée par ChristianMARGARIA, un groupe de travail sur l’apprentissage dans l’enseignement supérieur. Cegroupe animé par Laurent HUA vient de rendre ses premières recommandations pourfavoriser son développement.

Par ailleurs, toujours au sein de la Commission Amont, un groupe de travail « Tremplin STI-STT » a été animé par Jean-Michel DUMAS et Régine BERTRAND. Son objectif : connaîtrece qui se fait dans les GE pour accueillir des bacheliers technologiques, préconiser desmesures tendant à accroître les flux tout en préservant l’exigence de qualité des diplômes desGE. Il en ressort en particulier que, à certaines conditions, le développement des CPGE TSIet ATS est à favoriser.A cet égard, pour la suite des travaux, je crois qu’il faut explorer la voie des admissions (parconcours) de BTS venant des bacs technologiques. Pourquoi ? D’abord parce que 80% desélèves de STS proviennent de milieux intermédiaires et populaires. Par ailleurs 70% desélèves de STS proviennent de bacs technologiques. Parmi ces BTS, il y en a qui ont unpotentiel intéressant pour les GE. Bien entendu les concours doivent être fondés sur des

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modes alternatifs de sélection. Les formes et les contenus des épreuves ne peuvent êtrecalqués sur ceux des concours traditionnels post CPGE. Par ailleurs les débuts de parcours ausein des GE doivent être adaptés aux types de compétences de ces jeunes.

Enfin, la CGE a décidé de lancer une campagne de démythification des CPGE et GE. Il fautvaincre les réserves de familles modestes dont les enfants ont des talents et qui, victimes dedéterminants culturels et de manque d’information, disent a priori : « les grandes écoles, c’estpas pour nous ! ». Convaincue que les enseignants sont les prescripteurs les plus écoutés parles familles modestes, la CGE a lancé cette année une campagne de communication vers lesenseignants des classes de 3ème et de 2ème. Cela a commencé par la journée « portes ouvertes »nationale du 26 mars dernier. Un résultat mitigé pour cette première édition. Nous en avonstiré des leçons pour les prochaines années. Il faut poursuivre ce travail de sape des préjugés.

Le thème de nos interventions de conclusion est : « quelles perspectives pour le systèmeCPGE – GE ? ». Les sujets à aborder seraient bien trop nombreux : évolution de ladémographie associée à la baisse tendancielle de la part des bacheliers S poursuivant desétudes scientifiques, faible féminisation des CPGE et GE scientifiques (hors sciences duvivant), place des CPGE lettres et sciences humaines, le financement de l’enseignementsupérieur, ... Et puis, il y a la question du positionnement des GE face à la concurrenceeuropéenne et mondiale, leur aptitude à s’adapter aux demandes des entreprises, elles-mêmeplongées dans la mondialisation de l’économie et des réseaux.

Quitte à donner l’impression de pratiquer le paradoxe, je choisis dans un colloque traitant del’ouverture sociale, de parler de l’instauration de frais de scolarité dans l’enseignementsupérieur public. Je donne (cette fois-ci) raison au directeur de Sciences Po Paris qui vient de(re)lancer le débat sur ce thème. A un moment où l’Etat rencontre les plus grandes difficultéspour subvenir aux besoins des universités, et des écoles dont il a la tutelle directe, je croisqu’il est normal de mettre ce sujet en débat.

Avec une idée force : une augmentation des droits de scolarité permet d’accroître lespossibilités de redistribution directe.

On peut en effet se demander si la gratuité a été un facteur d’ouverture sociale etd’accroissement de l’égalité des chances… Pourquoi se retrancher derrière un sacro-saintprincipe qui n’a pas les effets attendus ?

De plus on peut se demander si la gratuité dans les GE publiques est bien équitable, compte-tenu des CSP des familles concernées…

On objectera qu’un accroissement des frais détournera encore plus les milieux intermédiaireset modestes des GE. Oui, si tout reste par ailleurs en l’état. C’est tout le système definancement et d’aides au financement qui est à réformer.

Je vous invite à vous reporter aux études récentes de l’OCDE sur ce thème. Elles sont richesd’enseignements.

N’oublions pas que les avantages que retire un individu de l’enseignement supérieur sontimportants, au plan social (risque réduit de chômage, par exemple), au plan financier (mêmeavec des frais plus élevés le ROI serait bien meilleur que celui de tous les placements àcourt/moyen terme existants). Il retire plus d’avantages personnels que n’en retire la société.

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Au cours des prochains mois, la CGE devra se pencher sur cette question. Ses propositionsdevront concerner aussi le système d’aides : réduction de frais fondée sur des donnéesfiscales, abondement des bourses d’Etat par des bourses des collectivités territoriales, et pardes bourses attribuées par des fondations d’entreprises, création d’un PEE (plan d’épargneétudes, qui pourrait être ouvert dès la fin de la 6ème, avec des taux bien supérieurs à ceux duPEL), possibilité d’un paiement différé des études, tenant compte du niveau des ressources dudiplômé dans la vie active, ... Les idées manquent souvent moins que le courage politique ences matières…

La mise en œuvre de ces dispositions pourrait être progressive et adaptée aux niveaux degrade des diplômes préparés : jusqu’à « L », dans un premier temps, la prudence s’impose. Lepassage de « L » à « M » justifierait à plus d’un titre des frais de scolarité élevés. Les chiffresavancés par Richard DESCOINGS ne me choquent pas. Le passage de « M » à « D » pourraitbénéficier d’un traitement inversé, afin d’attirer plus de jeunes, souvent en charge de famille,vers la recherche (allocations de recherche, contrats CIFRE, largement accessibles).

Je voudrais maintenant conclure en disant que dans ce grand débat sur l’avenir de l’éducationet, singulièrement, de l’enseignement supérieur, les CPGE et les GE ont partie liée. Il fautensemble nous adapter à un contexte social en profonde mutation. C’est pourquoi je rendshommage à Gérard DEBEAUMARCHÉ et au Bureau de l’UPS d’avoir pris l’initiative de cecolloque et de l’avoir organisé avec le concours en particulier de l’ENS. Je les en remercie.La CGE a trouvé légitime et utile de s’y associer.

C’est ensemble, CPGE et GE, que nous devons conduire des expérimentations, faire des pro-positions pour assurer la pérennité d’un système auquel nous croyons, qui a fait ses preuves,et qui a rendu de grands services à la République.

Merci de votre attention.

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Conclusion de Gérard DEBEAUMARCHÉ,président de l'Union des Professeurs de Spéciales

Avant de conclure ce Colloque "Démocratie, classes préparatoires et grandes écoles", je tienstout d'abord à remercier toutes celles et tous ceux qui nous ont apporté leurs connaissances,leurs compétences, leur dynamisme : professeurs, proviseurs, responsables des Ecoles,Inspecteurs Généraux, experts du système éducatif, et bien entendu Monsieur le Ministre,Xavier Darcos, qui nous a fait l'honneur de s'exprimer ici même hier matin.

En décidant voici un an d'organiser ce Colloque, notre objectif était d'apporter des réponses àquelques questions que chacun parmi nous se posait à propos des classes préparatoires, et queje résumerai comme suit :

• Où en est l'ouverture sociale du système des classes préparatoires et des grandes écoles,qui est si nécessaire tant pour garantir l'exigence républicaine de l'égalité des chances quepour assurer l'avenir de la Nation au moment où nous risquons à brève échéance demanquer de scientifiques ?

• Où en est l'ouverture sociale de nos classes par rapport aux autres formations analoguesqui conduisent aussi à des diplômes à Bac + 5, à l'instar des DESS, de la médecine ouencore de la pharmacie ?

• Que pouvons-nous faire collectivement pour poursuivre cette ouverture sociale et attirervers le système des classes préparatoires et des grandes écoles davantage de jeunes issusd'autres milieux, qui traditionnellement n'y viennent que très peu ?

Pour répondre à ces questions, il nous a paru nécessaire de replacer l'évolution de nos classesdans un contexte historique de longue durée, puis de disposer de données statistiques extrê-mement fiables, et c'est pourquoi nous avons voulu que ces réponses soient apportées pard'autres que nous-mêmes, autrement dit par des experts indépendants et indiscutables, afinqu'elles aient une crédibilité maximale. Je crois que chacun ici s'accordera pour remercierencore Christian Baudelot et les statisticiennes de la D.E.P., Brigitte Dethare, Sylvie Lemaire,et Fabienne Rosenwald, pour le travail énorme qui a été accompli cette année et qui a permisde donner les réponses que nous avons découvertes hier matin lors de leur très brillant exposé.Désormais, ce dossier –même s'il conviendra évidemment de l'actualiser au fil des années–donne des réponses claires et précises aux questions que j'indiquais à l'instant.

Si ces réponses montrent à l'évidence que l'ouverture sociale des classes préparatoiress'accroît, elles montrent aussi que pour aller plus loin, il faudrait en amont améliorerl'ouverture sociale des classes terminales générales, et en particulier de la classe terminale Squi est bien loin d'être à l'image de la Nation –Christian Baudelot n'indiquait-il pas que parmiles bacheliers généraux ayant le bac avec mention, on trouvait 32% de jeunes issus desmilieux supérieurs et 14% issus des milieux enseignants ? Sans doute aussi conviendrait-ild'accroître le recrutement à partir des baccalauréats technologiques. Mais d'ores et déjà,quelques pistes se sont dégagées hier au cours des ateliers pour améliorer à brève échéancel'ouverture du système, et j'en cite quelques unes :

Clôture du colloque

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• la nécessité de mieux faire connaître à tous les débouchés des études longues –je tiens àrappeler que selon les chiffres de l'A.P.E.C., il faudrait former dans les 5 années à venir200.000 étudiants à Bac + 4 ou davantage afin de compenser tous les départs à la retraitedes classes d'âges nombreuses d'après-guerre, alors que nous continuerons à en formertout au plus 160.000.

• la nécessité d'une meilleure coopération avec les professeurs des lycées, de tous les lycées,dont le rôle dans l'orientation des jeunes de milieu modeste apparaît capital, mais aussiavec les organismes d'information et d'orientation qui doivent parfois adapter les conseilsqu'ils dispensent en fonction de la réalité des classes préparatoires actuelles, qui sont loind'être ces classes élitistes qu'on se plaît à décrire parfois encore.

• la nécessité pour les professeurs des classes préparatoires de poursuivre l'adaptation deleurs enseignements qui s'adressent à des jeunes qui ont changé, qui continuent à changer,et qui ont reçu un enseignement secondaire différent de leurs prédécesseurs, la nécessitépour eux aussi de toujours mieux coordonner leurs enseignements, à l'instar de ce quenous avons tenté de faire dans les classes scientifiques à l'occasion de la réforme 2003-2004 des programmes des C.P.G.E. scientifiques.

• la nécessité de poursuivre avec nos partenaires –Conférence des Grandes Ecoles et asso-ciations de professeurs de classes préparatoires– et le Ministère de l'Education Nationalele suivi de l'information sur ces questions cruciales ainsi que la réflexion sur l'adaptationde nos formations, tant aux jeunes qui nous arrivent du Lycée qu'aux impératifs de l'avalet aux évolutions culturelles, économiques, scientifiques et techniques d'une société enévolution rapide.

Chacun mesure la difficulté de la tâche à cette double charnière de l'enseignement secondaired'une part, des grandes écoles d'autre part : nous devons à la fois accueillir les élèves issus desclasses terminales –tels qu'ils nous arrivent, et non pas tels que nous voudrions qu'ils soient–pour en faire en 2 ans des étudiants susceptibles de suivre les enseignements de haut niveaudes grandes écoles et des universités ; et parallèlement, nous devons proposer une pédagogieet des enseignements attractifs, motivants, mais accessibles, pour attirer le plus grand nombred'étudiants dans nos classes, et à la suite dans les grandes écoles, afin que le système gardetoute sa légitimité démocratique. En résumé, il convient de conjuguer l'excellence reconnuede nos classes avec une ouverture sociale à des publics auxquels nous devons nous adapter,quitte à remettre en cause parfois certains aspects de notre pédagogie –je pense en particulierau système de notation utilisé ici ou là–. La mission des professeurs des classes préparatoiresest donc loin d'être facile, et la réalisation de ces objectifs ambitieux, qui sont indispensables àla pérennité du système CPGE/GE, nécessitera la mobilisation de tous les partenaires, la miseen commun des expériences et des réussites, et la volonté d'avancer de tous.

Merci encore à vous tous d'être venus aussi nombreux à ce Colloque, merci aux intervenants,merci à vous, messieurs les Inspecteurs Généraux, et à toi, cher Claude Boichot, merci à vous,messieurs les Directeurs des Ecoles, en particulier à toi, cher Alain Cadix, qui nous a apportéle soutien sans faille de la Conférence des Grandes Ecoles dans la préparation de ce colloque,et enfin, merci à toi, cher François Louveaux, pour avoir largement contribué à ce colloque età sa réussite, en particulier du côté de nos amis littéraires.

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Table des matières

3 Introduction, suivie du résumé du colloque

13 Une histoire des C.P.G.E., Bruno BELHOSTE

25 Les C.P.G.E. au fil du temps : étude statistique et sociologique, Christian BAUDELOT,

Brigitte DETHARE, Sylvie LEMAIRE et Fabienne ROSENWALD

55 Intervention du Ministre, Xavier DARCOS

61 Les difficultés scolaires des étudiants issus des milieux populaires, Bernard LAHIRE

71 Atelier 1 : Information et orientation, outils majeurs pour l’ouverture des C.P.G.E. ?

Marie-Claude GUSTOT (I.G.A.E.N.R.), Brigitte PERUCCA (Le Monde de l’Education)

76 Atelier 2 : La diversification des C.P.G.E., instrument d’ouverture sociale ?

Jean Louis PIEDNOIR (I.G.E.N.) avec des professeurs de C.P.G.E.

84 Atelier 3 : Les débouchés des classes préparatoires en lettres et sciences sociales :quelle organisation en vue d'un meilleur affichage?quelles évolutions en vue de leur élargissement?

Catherine PARADEISE (E.N.S. Cachan), Katherine WEINLAND (I.G.E.N.)

86 Atelier 4 : Prépas scientifiques : comment élargir le recrutement ?

Claude BOICHOT (I.G.E.N.), Claudine RUGET (I.G.E.N)

92 Atelier 5 : L’image des C.P.G.E. et des G.E., frein à leur ouverture sociale ?

Christine FONTANINI (I.U.F.M. Toulouse), Jean LAMOURE (ENS Cachan)

96 Atelier 6 : La diversité des recrutements dans les Grandes Ecoles : quels bilans ?

Christian MARGARIA (I.N.T.), Christiane TINCELIN (E.S.C. Le Havre)

103 Atelier 7 : Voie économique et commerciale :

le coût des études, frein à l’ouverture sociale ?

Philippe HEUDRON (A.P.H.E.C.), Nicolas MOTTIS (E.S.S.E.C.)

112 Atelier 8 : Les formations étrangères d'ingénieurs : quels modes de fonctionnement ?

Jean-Pierre BONVALLET (INA PG), Daniel GRIMM (Ecole Centrale de Paris),

125 Table ronde n°1, animée par Claude THELOT :

Le recrutement des Grandes Ecoles : faut-il diversifier les modes de sélection ?

Avec Michel RAIMBAULT, Directeur d’H.E.C., et Marie REYNIER, Directrice de l’E.N.S.A.M.

135 Table Ronde n°2, animée par Alain TROGNON :

La situation en Europe (Allemagne, Grande Bretagne) : quels enseignements retenir ?

Avec Michael O'BORNE (O.C.D.E.), Eric MAURIN (C.R.E.S.T.), et Daniel GRIMM (Centrale Paris)

145 Allocution de clôture de Claude BOICHOT, I.G.E.N.

149 Intervention d'Alain CADIX, président de la Conférence des Grandes Ecoles

152 Conclusion de Gérard DEBEAUMARCHE, président de l'U.P.S.

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