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© Cour de cassation 1 Demande d’avis n° 1200016 Séance du 21 janvier 2013 Juridiction : cour d’appel de Versailles (conseiller de la mise en état) Rapporteur : Edouard de Leiris, conseiller référendaire * * RAPPORT Par ordonnance du 18 octobre 2012, le conseiller de la mise en état de la 12 e chambre de la cour d’appel de Versailles a saisi la Cour de cassation de la demande d’avis suivante, enregistrée sous le n° 12-00016 : « Les conclusions visées par les articles 908 et 909 du code de procédure civile sont-elles nécessairement des conclusions au fond devant la cour, ou peut-il s’agir de conclusions saisissant le conseiller de la mise en état d’un incident tendant à obtenir la radiation du rôle de la cour par application de l’article 526 du même code, ou, plus généralement, tendant à mettre fin à l’instance ou à en suspendre/interrompre le cours ? » Cette demande d’avis est formée dans une instance d’appel jugée suivant la procédure avec représentation obligatoire, telle qu’elle a été modifiée par le décret n°2009-1524 du 9 décembre 2009 et le décret n° 2010-1647 du 28 décembre 2010, applicables aux appels formés à compter du 1er janvier 2011. 1. Rappel des faits et de la procédure Par jugement en date du 6 avril 2012, le tribunal de commerce de Versailles a condamné M. X..., M. Y... et la société Hydrotec à payer à Mme Z..., ancienne gérante de la société Hydrotec, une somme de 75 000 euros à titre d’indemnité de révocation sans juste motif. Il a assorti sa décision de l’exécution provisoire. MM. X... et Y... et la société Hydrotec ont interjeté appel de ce jugement le 6 avril 2012. L’ordonnance de transmission de la question indique qu’ils ont «conclu au fond» le 20 juin 2012. Dès avant cette date, par acte en date du 25 avril 2012, M. et Mme Z..., intimées, ont sollicité la radiation du rôle de l’affaire sur le fondement de l’article 526 du code de procédure civile, dont ils ont été déboutés par ordonnance du 20 septembre 2012. L’ordonnance de

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Demande d’avis n° 1200016 Séance du 21 janvier 2013 Juridiction : cour d’appel de Versailles (conseiller de la mise en état) Rapporteur : Edouard de Leiris, conseiller référendaire

* *

RAPPORT Par ordonnance du 18 octobre 2012, le conseiller de la mise en état de la 12e chambre de la cour d’appel de Versailles a saisi la Cour de cassation de la demande d’avis suivante, enregistrée sous le n° 12-00016 : « Les conclusions visées par les articles 908 et 909 du code de procédure civile sont-elles nécessairement des conclusions au fond devant la cour, ou peut-il s’agir de conclusions saisissant le conseiller de la mise en état d’un incident tendant à obtenir la radiation du rôle de la cour par application de l’article 526 du même code, ou, plus généralement, tendant à mettre fin à l’instance ou à en suspendre/interrompre le cours ? » Cette demande d’avis est formée dans une instance d’appel jugée suivant la procédure avec représentation obligatoire, telle qu’elle a été modifiée par le décret n°2009-1524 du 9 décembre 2009 et le décret n° 2010-1647 du 28 décembre 2010, applicables aux appels formés à compter du 1er janvier 2011. 1. Rappel des faits et de la procédure Par jugement en date du 6 avril 2012, le tribunal de commerce de Versailles a condamné M. X..., M. Y... et la société Hydrotec à payer à Mme Z..., ancienne gérante de la société Hydrotec, une somme de 75 000 euros à titre d’indemnité de révocation sans juste motif. Il a assorti sa décision de l’exécution provisoire. MM. X... et Y... et la société Hydrotec ont interjeté appel de ce jugement le 6 avril 2012. L’ordonnance de transmission de la question indique qu’ils ont «conclu au fond» le 20 juin 2012. Dès avant cette date, par acte en date du 25 avril 2012, M. et Mme Z..., intimées, ont sollicité la radiation du rôle de l’affaire sur le fondement de l’article 526 du code de procédure civile, dont ils ont été déboutés par ordonnance du 20 septembre 2012. L’ordonnance de

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transmission indique que les intimés ont conclu au fond le jour-même de cette décision, 20 septembre 2012. Le conseiller de la mise en état, se saisissant d’office, a invité les parties à présenter leurs observations sur une éventuelle irrecevabilité de ces conclusions et avisé les parties de ce qu’il envisageait de solliciter l’avis de la Cour de cassation. 2. Recevabilité de la demande d’avis 2.1. Au regard des règles de forme Les observations des parties ont été sollicitées, pour le 18 octobre 2012, par actes transmis électroniquement à leurs avocats le 25 septembre 2012. La cour d’appel de Versailles fait en effet partie des juridictions qui expérimentent la communication électronique, de sorte que figure dans le dossier l’état des avis de réception électroniques de ces transmissions. L’affaire ayant été communiquée au ministère public le 25 septembre 2012, celui-ci a fait connaître son avis le 17 octobre 2012. La demande d’avis paraît recevable en la forme. 2.2. Au regard des règles de fond Aux termes de l’article L. 441-1 du code de l’organisation judiciaire, la demande d’avis doit porter sur une question de droit nouvelle présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges. 2.2.1. La nouveauté de la question Une question de droit peut être nouvelle soit parce qu’elle concerne l’application d’un texte nouveau, soit parce qu’elle n’a jamais été tranchée par la Cour de cassation. En l’occurrence, la question porte sur l’application des articles 908 et 909 du code de procédure civile, tels qu’ils sont issus du décret du 9 décembre 2009. Le dispositif, organisé en particulier par ces articles, est tout à fait nouveau. Il impose en effet aux parties un délai pour conclure sanctionné, pour l’appelant, tenu de conclure dans les trois mois de sa déclaration d’appel, par la caducité de cette déclaration, et, pour l’intimé, tenu de répliquer dans les deux mois suivant les conclusions de l’appelant, par l’irrecevabilité de ses conclusions. Antérieurement, en application de l’ancien article 915 du code de procédure civile, seul l’appelant se voyait impartir un délai pour conclure, de 4 mois, sanctionné par la radiation de son appel, faisant perdre à cet appel son effet suspensif mais n’interdisant pas le rétablissement de l’affaire, sur simple production des conclusions. La question porte donc indéniablement sur un texte nouveau. Du fait de son caractère encore récent, cette réforme n’a pas donné lieu à des décisions de la Cour de cassation, en particulier sur la question posée par la présente demande d’avis.

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2.2.2. L’existence d’une difficulté sérieuse La question est sérieuse dès lors qu’elle commande la solution du litige (Avis du 23 avril 2007, n° 07-00.008 ; Avis du 20 octobre 2000, n° 02-00.014) et qu’elle donne ou pourrait donner lieu à plusieurs solutions divergentes d’égale pertinence de la part des juridictions du fond, en sorte que la demande d’avis vise à prévenir des contrariétés de jurisprudence. Mais une question n’est pas sérieuse lorsqu’elle dépend d’une opération de qualification qui relève de l’office du juge (Avis du 4 mai 2010, n° 10-00.001), lorsque la réponse va de soi (Avis du 29 janvier 2007, n°07-00.003) ou encore lorsque la réponse résulte de la lecture et de la combinaison des textes en cause dont les conditions d’élaboration et d’application ne suscitent aucune interrogation (Avis du 26 septembre 2006, n°06-00.010). 2.2.2.1. La question commande-t-elle la solution du litige ? En l’occurrence, la solution du litige, peut être entendue comme le point que le conseiller de la mise en état est appelé à trancher. A cet égard, la question de savoir si les conclusions tendant à la radiation peuvent être considérées comme des conclusions au sens de l’article 909 du code de procédure civile semble sérieuse. En effet, dans le cas d’espèce, considérer que cette demande ne constitue pas des conclusions au sens de l’article 909 du code de procédure civile et n’est pas de nature à suspendre ou interrompre le délai imparti par cet article aux intimés pour conclure, imposera au conseiller de la mise en état de déclarer irrecevables comme tardives les conclusions des intimés remises le 20 septembre 2012, soit plus de deux mois suivant celles des appelants1. En retenant la solution inverse, ces dernières conclusions n’encourront pas la sanction de l’article 909. Relevons de façon plus générale que l’irrecevabilité des conclusions de l’intimé est en outre de nature à commander la solution de l’appel dans son ensemble. En effet, si le conseiller de la mise en état n’estime pas nécessaire de nouveaux échanges entre les parties, en vertu de l’article 912, il prononcera la clôture de l’instruction, ce qui sera alors de nature à interdire à l’intimé de faire valoir ses prétentions et moyens dans l’instance d’appel, jugée pourtant de façon contradictoire. 2.2.2.2. La question est-elle susceptible de recevoir des réponses divergentes ? Les nouveaux articles 908 à 910 imposent aux parties de conclure, sans préciser ce qu’il faut entendre par ce terme. Le code de procédure civile ne donne pas non plus de définition générale de ces notions, qui sont employées ponctuellement au fil des dispositions particulières. Faute de définition, on peut ainsi, dans une approche extensive, considérer que les dispositions ne contenant pas de restriction englobent toutes sortes d’écritures qu’une partie peut communiquer au cours de l’instance d’appel. En ce sens, le ministère public, dans son 1 Sur l’absence de pouvoir d’appréciation : CE, 13 juillet 2011, n° 336360, 6e et 1re sous-section réunies, Inédit au Lebon : «qu'il ne ressort pas des pièces des dossiers qu'en fixant de tels délais, non susceptibles de dérogation, et en prévoyant leur sanction automatique par, d'une part, la caducité de l'appel et, d'autre part, l'irrecevabilité des conclusions de l'intimé, relevée d'office sans recueil obligatoire des observations des parties, le pouvoir réglementaire ait commis une erreur manifeste d'appréciation ;» ; V. égal. Bléry, JCP, 2011, 1271, veille sous CA Caen, 1re chambre, 8 nov. 2011, n° 11/02310; C. Chainais, Le destin d’une pensée visionnaire, Procédures, 2012, dossier 14, n° 35.

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avis du 17 octobre 2012, retient «que ces articles imposent simplement de conclure ; qu’il ne paraît, dès lors, pas nécessaire d’ajouter au texte et d’imposer des conclusions au fond, conclusions éventuellement parfaitement inutiles si l’incident soulevé met fin à la procédure ». Sans insister à ce stade sur les travaux préparatoires du décret, le rapport du groupe de travail présidé par le premier président Magendie privilégiait au contraire l’approche restrictive des conclusions. Telle est la position soutenue par les appelants dans leurs conclusions d’incident («l’on ne voit pas d’un point de vue procédural comment des conclusions d’incident visant l’article 526 du CPC permettraient d’interrompre le délai très précis de prescription prévu à l’article 909 qui a pour but de donner une argumentation au fond et de former éventuellement un appel incident»). En l’état, les deux approches semblent donc pouvoir être raisonnablement soutenues. Au surplus, chacune de ces deux approches peut donner lieu à diverses solutions. Ainsi, dans l’hypothèse même où serait retenue une approche restrictive de la notion de conclusions, les nouveaux articles 901 et suivants du code de procédure civile ne contiennent, dans l’ensemble, pas de disposition de coordination avec les règles régissant le procès civil en général, voire l’appel en particulier, permettant d’articuler les dispositions entre elles2. Les conséquences d’une demande tendant à l’interruption ou à la suspension de l’instance d’appel sur le cours des délais pour conclure ne sont ainsi pas envisagées par le texte, pas plus que le sort de ces délais une fois constatée la suspension ou l’interruption de l’instance. 2.2.3. La question est-elle susceptible de se poser dans de nombreux litiges ? Selon l’annuaire statistique de la justice publié en 2012, les cours d’appel ont été, en matière civile, saisies de 243 967 affaires en 2010, dont l’essentiel relevait de la procédure avec représentation obligatoire. Si l’on exclut l’appel des décisions relevant de la procédure sans représentation obligatoire, on peut retenir que dans environ 190 000 affaires par an l’appelant, l’intimé et les intervenants forcés seront tenus de conclure dans les conditions et délais impartis par les articles 908 à 910 du code de procédure civile3. S’il n’est pas possible de connaître, à la lecture de l’annuaire, le nombre de demandes de radiation d’instance présentées par l’intimé sur le fondement de l’article 526 du code civil, il est fait état de 19 645 radiations effectivement prononcées en 2010. Ce chiffre concerne toutefois tant les radiations prononcées en application de l’article 526 du code de procédure civile, pour inexécution du jugement attaqué, que celles qui le sont sur le fondement de l’ancien article 915 du code de procédure civile (demeurant applicable aux appels engagés avant le 1er janvier 2011), pour défaut de conclusions de l’appelant sous quatre mois, voire sur le fondement du droit commun de la radiation pour défaut de diligence (CPC, art. 470).

2 Ph. Gerbay, « L’avenir du décret Magendie », La Semaine Juridique Edition Générale, n° 17, 23 avril 2012, 532 : Le décret « ne prévoit aucune articulation avec les autres textes organisant la procédure d’appel tels ceux concernant la radiation faute d’exécution (...) ».

3 Echappent essentiellement à la procédure avec représentation obligatoire l’appel des décisions prud’homales, représentant 49 547 affaires, et des décisions des juridictions de sécurité sociale, représentant 8 696 affaires, ainsi que les 6 526 appels d’ordonnances de référé, relevant de la procédure rapide de l’article 905 du code de procédure civile. Ces chiffres sont globalement stables d’une année sur l’autre.

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Les outils statistiques du ministère de la Justice ne permettent pas de connaître le nombre de demandes formées en application de l’article 526, ainsi que la durée moyenne de traitement de ces demandes. Le pôle évaluation de la justice civile de la Direction des affaires civiles et du sceau, qui estime que le nombre de demandes serait assez faible, de l’ordre de 300 par an, a mené une étude pour les besoins de la présente demande d’avis (à partir d’une exploitation de la base de données des décisions des cours d’appel, Jurica), dont il ressort que la durée moyenne de traitement de ces demandes s’établirait à trois mois. La durée de traitement d’une demande de radiation formée par un intimé serait ainsi supérieure au délai qui lui est laissé pour conclure. 3. Eléments de réponse à la question posée : La formulation de la demande d’avis appelle deux remarques préliminaires. D’une part, l’affaire donnant lieu à la demande d’avis ne pose que la seule question de la définition des conclusions de l’intimé, au sens de l’article 909 du code de procédure civile. Il semble toutefois utile, pour dégager une solution mettant en cohérence le dispositif issu de la réforme, d’examiner conjointement l’article 908 du même code, qui est d’ailleurs mentionné par la demande d’avis, mais également l’article 910, quoique celui-ci ne soit pas évoqué par la demande d’avis. Ces articles, qui se suivent et se répondent, forment en effet un tout et emploient d’ailleurs des termes identiques. D’autre part, l’ordonnance du conseiller de la mise en état de Versailles invite la Cour de cassation à donner son avis sur l’effet des conclusions tendant à mettre fin à l’instance d’appel ou à en interrompre le cours. L’affaire donnant lieu à la demande d’avis ne pose pas non plus cette question puisque la demande tendant à la radiation de l’affaire pour défaut d’exécution du jugement attaqué revêtu de l’exécution provisoire ne tend qu’à la suspension de l’instance. Ces différentes conclusions n’en sont pas moins proches les unes des autres. Il semble donc, là encore, intéressant, dans un souci de mise en cohérence du dispositif, d’étendre la réflexion à l’ensemble des hypothèses dans lesquelles l’intimé ne conclut pas au fond. Ce faisant, la demande d’avis démontre que l’intimé peut se défendre par d’autres stratégies que des conclusions sur le fond, qui se coulent alors difficilement dans le déroulement procédural envisagé par les articles 908 à 910 et nécessite d’examiner, outre la réforme elle-même (1), si ces textes ne laissent pas la place à une acception plus large des conclusions, en s’appuyant, d’une part, sur les définitions qui ont pu être données par la doctrine et la jurisprudence (2) et, d’autre part, sur le régime de la suspension de l’instance en général et la demande de radiation pour défaut d’exécution du jugement de première instance en particulier (3). 3.1. La réforme de la procédure d’appel 3.1.1. Les textes Art. 908 : A peine de caducité de la déclaration d'appel, relevée d'office, l'appelant dispose d'un délai de trois mois à compter de la déclaration d'appel pour conclure.

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Art. 909 : L'intimé dispose, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, d'un délai de deux mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant prévues à l'article 908 pour conclure et former, le cas échéant, appel incident. Art. 910 : L'intimé à un appel incident ou à un appel provoqué dispose, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, d'un délai de deux mois à compter de la notification qui lui en est faite pour conclure. L'intervenant forcé à l'instance d'appel dispose, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, d'un délai de trois mois à compter de la date à laquelle la demande d'intervention formée à son encontre lui a été notifiée pour conclure. Art. 912. - Le conseiller de la mise en état examine l'affaire dans les quinze jours suivant l'expiration des délais pour conclure et communiquer les pièces. Il fixe la date de la clôture et celle des plaidoiries. Toutefois, si l'affaire nécessite de nouveaux échanges de conclusions, il en fixe le calendrier, après avoir recueilli l'avis des avocats. 3.1.2. Les objectifs de la réforme4 Du fait du caractère réglementaire de la réforme examinée, il n’existe pas à proprement parler de travaux préparatoires susceptibles d’éclairer le lecteur sur les objectifs poursuivis. La circulaire d’application du ministère de la justice, du 31 janvier 20115, n’aborde pas explicitement la question. Elle précise que la réforme s’inscrit dans le prolongement des travaux de la mission présidée par M. Magendie et, dans cet esprit, indique que le délai imparti à l’appelant pour conclure «manifeste le souci d'accélérer la procédure d'appel en évitant que les affaires ne “sommeillent” après leur inscription au rôle, l'appelant devant faire connaître rapidement ses moyens et prétentions dans un acte distinct de l'acte de saisine de la cour»6. Cet objectif de célérité a été notamment souligné par le Conseil d’Etat. Saisi d’un recours en annulation du décret du 9 décembre 2009, celui-ci l’a validé en considérant en particulier que les dispositions imposant des délais impératifs aux parties pour conclure étaient «inspirées par l'exigence de célérité de la justice et la nécessité de garantir le droit à un jugement dans un délai raisonnable ; que ces dispositions, qui laissent à chacune des parties une durée raisonnable pour rédiger ses conclusions, ne méconnaissent pas le principe des droits de la défense»7.

4 Les développements de cette partie sont communs au rapport établi sur la demande d’avis n° 12-00018.

5Circ. 31 janv. 2011, NOR : JUSC1033672C, publiée au BO du ministère de la Justice.

6 Circ., p. 8.

7 CE, 13 juillet 2011, n° 336360, 6e et 1re sous-section réunies, Inédit au Lebon : CE, «Considérant que les dispositions qui fixent à trois mois à compter de la déclaration d'appel le délai imparti à l'appelant pour conclure et à deux mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant celui imparti à l'intimé pour conclure et former, le cas échéant, appel incident, sont inspirées par l'exigence de célérité de la justice et la nécessité de garantir le droit à un jugement dans un délai raisonnable ; que ces dispositions, qui laissent à chacune des parties une durée raisonnable pour rédiger ses conclusions, ne méconnaissent pas le principe des droits de la défense ;»

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Quant à la filiation du décret avec le rapport de la mission Magendie, les commentateurs n’ont pas manqué de la souligner. Les deux précédentes demandes d’avis portant sur la réforme de l’appel avec représentation obligatoire8 ont également été l’occasion de rappeler que cette réforme avait essentiellement entendu traduire les préconisations de cette mission. Celle-ci, présidée par le premier président Magendie, a remis à la garde des Sceaux le 25 juin 2008 son rapport intitulé Célérité et qualité de la justice devant la cour d’appel.9 La lecture de ce rapport est particulièrement éclairante quant à l’intention de ses auteurs relativement aux questions soulevées par la présente demande d’avis. La mission s’est d’abord interrogée sur le maintien de l’objet de l’appel. Conçu dans le code de procédure civile comme une voie d’achèvement du procès, la mission s’est interrogée sur une possible transformation de l’appel en voie de réformation du jugement frappé d’appel. La mission a écarté cette option et cette solution a été globalement approuvée. Ainsi Mme Amrani-Mekki fait observer que du fait de la jurisprudence relative à la «concentration des moyens»10, « il n’est plus possible de faire un second procès changeant de fondement juridique. Cette rigueur horizontale doit ainsi se traduire par une souplesse verticale. Parce que la partie ne peut changer de stratégie dans un autre procès, il faut le lui permettre entre la première instance et l’instance d’appel»11. Toutefois, recensant les défauts affectant la procédure d’appel, notamment la tardiveté des échanges entre les parties12, la mission s’est attachée à proposer des moyens permettant de faire de l’appel une voie d’achèvement du procès mieux maîtrisée, c’est-à-dire plus encadrée. C’est ainsi à l’aune du choix de maintenir l’appel comme voie d’achèvement, que les préconisations de cette mission peuvent être lues. Ces préconisations sont essentiellement l’instauration d’un « principe de concentration de l’appel » lié à un principe de « rationalisation des écritures »13.

8 Rapports du conseiller rapporteur et avis de l’avocat général sur les demandes d’avis n°1200002 (avis du 2 avril 2012) et n° 1200005 (avis du 25 juin 2012).

9 J-C Magendie, « Célérité et qualité de la justice devant la cour d’appel », Rapport au garde des Sceaux, ministre de la Justice, La documentation française, 2008.

10 Ass. plen., 7 juillet 2006, pourvoi n° 04-10.672, Cesareo, Bull. 2006, Ass. Plen., n° 8.

11 S. Amrani-Mekki, sous la direction de L. Cadiet et D. Loriferne, La réforme de la procédure d’appel, ouvrage issu du colloque organisé le 10 décembre 2010 par la Cour de cassation et le Département de Recherche sur la Justice et le Procès, IRJS Editions, juin 2011, chapitre 1 : « Présentation générale », p. 23.

12 «Les conclusions [de l’appelant, en application de l’ancien article 915] notifiées dans le délai de quatre mois peuvent être de pure forme, n’aborder que de loin les moyens, ne pas comporter les pièces sur lesquelles la demande se fonde, sans qu’une sanction ne s’y attache.» (rapport, p. 17) ; «Quelles que soient la matière et les pratiques de mise en état suivies au sein de la cour d’appel ou dans la chambre concernée, on constate une reprise de l’activité procédurale des parties à l’approche de la date de l’audience. Au lieu d’arriver sereinement à l’audience, leurs pièces et conclusions ayant été échangées, les parties cherchent, souvent, à reporter les dernières échéances, sinon l’audience elle-même, et, à tout le moins, l’ordonnance de clôture.» (p. 18).

13Rapport préc., p. 48.

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Précisément, « l’appelant devrait être obligé de présenter toutes les critiques formulées contre le jugement dans un délai déterminé »14, à savoir « un délai de deux mois pour déposer ses conclusions [qui] devront concentrer les prétentions, moyens de fait et de droit ainsi que la critique du jugement rendu», à défaut «l’appel [serait] considéré comme non soutenu »15. La mission a considéré que «La concentration procédurale doit concerner l’intimé tout autant que l’appelant : dans la mesure où il est informé à temps des moyens de son contradicteur, la loyauté consiste pour lui à répondre dans un délai déterminé, en invoquant à son tour la totalité des moyens pertinents»16 et suggéré en conséquence « qu’un même délai de deux mois soit imposé à l’intimé pour établir ses conclusions en défense », sachant que « c’est dans ce délai de deux mois qu’il devra, s’il le souhaite, former un appel incident»17. La mission prévoyait en outre un schéma procédural spécifique en cas de conclusions de l’intimé tendant à l’irrecevabilité de l’appel, soumis à de brefs délais d’échanges, pour purger la fin de non-recevoir avant que ne débute l’échange de conclusions des parties au fond 18. Ainsi, «Au terme de ces (...) délais (...), chacune des parties et le conseiller de la mise en état seront en mesure de disposer d’une vision très précise des termes du débat»19. La mission préconisait donc que le conseiller de la mise en état tienne alors sa conférence de mise en état dans les quinze jours suivant l’expiration des délais pour conclure. «Pour les affaires simples – celles qui ne nécessitent ni réplique ni duplique –, l’affaire pourra être fixée « pour plaider » dans le mois suivant la conférence.» A défaut,«le conseiller de la mise en état, qui aura pris connaissance de l'ensemble des écritures des parties et bénéficiera d'une connaissance précise des éléments du débat, sera en mesure d'inviter telle ou telle partie à conclure sur tel ou tel moyen qu'elle n'aurait pas évoqué, à fournir des explications complémentaires de fait et de droit et à présenter ses écritures dans les formes requises. (...) À titre exceptionnel, pour cause grave et légitime, le conseiller de la mise en état pourra être saisi par une partie en vue d'une prorogation du délai de droit commun.» «Enfin, en cas de non-respect de ces exigences, l’irrecevabilité du moyen ou de la prétention devrait pouvoir être prononcée, pour assurer l’efficacité du principe de concentration.» 3.1.3. Les commentaires de doctrine Lors de l’entrée en vigueur de la réforme, la question du contenu des conclusions a été peu évoquée par la doctrine, qui s’est concentrée en particulier sur le nouveau rythme de la mise en état et les sanctions. Seul le contenu des conclusions de l’appelant a retenu l’attention de certains commentateurs. Ainsi, Ph. Gerbay indiquait-il à ce propos : « Les conclusions de pure forme seront-elles suffisantes ? Peut-on imaginer que l'appelant se contente de conclure après un bref rappel 14 Rapport préc., p. 50.

15Rapport préc., p. 57.

16Rapport préc., p. 50.

17Rapport préc., p. 58.

18Rapport préc., p. 63.

19Rapport préc., p. 58.

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des faits qu'il a été mal jugé et bien appelé alors même que les exigences quant à la structure des conclusions ont été renforcées par le nouvel article 954 CPC ? (...) Une certaine logique voudrait que les conclusions non conformes au nouvel article 954 du CPC ne soient pas prises en considération. S'il y a discussion sur la portée réelle des conclusions, la décision du conseiller de la mise en état qui constaterait la caducité est susceptible de déféré devant la cour. »20. En revanche, les commentateurs du décret ne se sont pas penchés sur le contenu des conclusions de l’intimé. Par la suite, la doctrine n’a envisagé ce contenu qu’au fil des questions ponctuelles qui ont pu se poser. 3.1.4. Examen du dispositif mis en place par la réforme L’examen des recommandations de la mission Magendie, qui ont inspiré la réforme, permet raisonnablement de retenir que les nouveaux textes ont à tout le moins poursuivi l’objectif d’un échange de conclusions nouant, voire achevant, le débat des parties sur le sort de l’appel, avant même l’intervention du conseiller de la mise en état. En pratique il semble d’ailleurs que tel soit bien le cas pour de nombreux appels. Cet objectif apparaît, en creux, à l’article 912 du code de procédure civile, dont il ressort en effet qu’en principe le conseiller de la mise en état devrait ordonner la clôture de l’instruction dès l’issue du premier échange de conclusions. La mise en état organisée par la réforme repose donc sur le schéma ordinaire suivant : les parties notifient, les unes après les autres, un premier jeu de conclusions ; à l’issue de cette première étape, de nouveaux échanges peuvent avoir lieu, sous l’égide du conseiller de la mise état qui, s’il n’estime pas nécessaires de tels échanges, clôture l’instruction et fixe les plaidoiries. Les conclusions envisagées par l’article 909 du code de procédure civile s’inscrivent donc à un stade bien déterminé de l’affaire. Et bien que cet article ne l’énonce pas expressément, il est clair que les conclusions dont il fait état viennent normalement répliquer aux conclusions de l’appelant, soit par des moyens de défense, soit par des demandes reconventionnelles voire un appel incident. En ce sens, cet article fixe le point de départ du délai pour conclure à la notification des conclusions de l’appelant. La situation à laquelle est confrontée la cour d’appel de Versailles démontre toutefois que le déroulement linéaire organisé par la réforme, pour habituel qu’il soit, n’est pas le seul envisageable. Ainsi, au delà-même du cas d’espèce, d’autres hypothèses, sortant du schéma ordinaire organisé par la réforme, sont possibles. En premier lieu, une partie qui a conclu avant l’expiration du délai qui lui est imparti en vertu des articles 908 à 910 du code de procédure civile peut souhaiter compléter ses conclusions par de nouvelles conclusions notifiées dans ce délai. C’est poser la question de l’unicité des conclusions envisagées par ces articles : les délais prévus par chacun des articles n’ouvrent-il droit qu’à un seul jeu de conclusions par partie ? Cette possibilité de conclusions complémentaires a notamment été envisagée, à la suite de l’avis du 25 juin 2012, pour des conclusions de production, dans l’hypothèse où l’auteur des premières conclusions n’aurait

20Ph. Gerbay, « La réforme de la procédure d’appel avec représentation obligatoire en appel », Gazette du Palais, 12 janvier 2010, n° 12, p. 12, § 8 ; V. Egal., G. Narran, « La nouvelle procédure d’appel est arrivée ! », Gazette du Palais, 22 décembre 2009, n° 356, p. 2.

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pas communiqué ses pièces simultanément. Elle fait ainsi plus particulièrement l’objet de la demande d’avis n° 12-00017. En second lieu, l’ordre des échanges prévu par les articles 908 à 910 du code de procédure civile n’est pas intangible. L’intimé peut, dès avant les conclusions de l’appelant, prendre l’initiative de contester l’appel, par des «conclusions d’incident», au sens large, soumises au conseiller de la mise en état, qu’il s’agisse d’une demande de radiation pour inexécution du jugement attaqué (CPC, art. 526), comme dans le cas d’espèce, ou d’un incident de nullité de la déclaration d’appel ou d’irrecevabilité de l’appel (CPC, art. 914), sur lesquelles le conseiller de la mise en état statue suivant la procédure d’incident de mise en état prévue par les articles 773 et 774 du code de procédure civile. Si de telles conclusions d’incident ne devait pas, en raison de leur date, répondre aux exigences de l’article 909 du code de procédure civile, l’intimé serait alors tenu de prendre un second jeu de conclusions dans les deux mois des conclusions de l’appelant, à peine d’irrecevabilité de toute conclusions ultérieures, en application de l’article 909. Il pourrait paraître paradoxal de sanctionner ainsi un intimé, dont l’initiative semble parfaitement répondre à l’objectif de célérité poursuivi par la réforme. Aussi pourrait-il être retenu que le respect des exigences de l’article 909 du code de procédure civile ne dépend pas du moment où les conclusions sont notifiées, mais du contenu de ces conclusions. Si ce contenu est jugé conforme aux exigences de cet article, il ne frappera pas d’irrecevabilité un second jeu de conclusions notifié par l’intimé plus de deux mois suivant les conclusions de l’appelant. Le sort réservé à ce second jeu de conclusions dépendra des règles régissant l’étape suivante de la mise en état, ayant lieu sous l’égide du conseiller de la mise en état (ce point fait plus particulièrement l’objet de la demande d’avis n° 12-00018). Pour déterminer le contenu des conclusions imposé par les articles 909 à 910 du code de procédure civile, il apparaît nécessaire d’examiner les contours qui ont pu être donnés à la notion de conclusions, en doctrine comme en jurisprudence. 3.2. Les contours donnés à la notion de conclusions Si tous les commentateurs ont souligné que le décret avait institué un «rythme de dépôt des écritures (...) calqué sur celui appliqué aux mémoires devant le Cour de cassation», c’est pour aussitôt souligner, avec justesse, la différence radicale du pourvoi et de l’appel, demeuré une voie d’achèvement, de sorte que «l’affaire est vivante et peut être étoffée d’éléments de fait et d’incidents multiples de procédure»21, à commencer par des demandes incidentes et des moyens nouveaux, dans la mesure où ceux-ci sont autorisés par les articles 563 et suivants du code. En dehors du cas particulier de la radiation du rôle pour inexécution de la décision attaquée devant la Cour de cassation, qui devra être examiné, les règles régissant le pourvoi pourraient ne pas constituer un précédent utile quant à la détermination du contenu des conclusions d’appel. 21 Ph. Gerbay, « L’avenir du décret Magendie », La Semaine Juridique Edition Générale, n° 17, 23 avril 2012, 532 ; V. Egal., S. Amrani-Mekki, sous la direction de L. Cadiet et D. Loriferne, La réforme de la procédure d’appel, ouvrage issu du colloque organisé le 10 décembre 2010 par la Cour de cassation et le Département de Recherche sur la Justice et le Procès, IRJS Editions, juin 2011, chapitre 1 : « Présentation générale », p. 24. ; J. Heron et T. Le Bars, Droit judiciaire privé, Montchrestien, 5e éd., août 2012, n° 784.

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Pour apporter des éléments de réponse à la question posée, il semble nécessaire de se pencher sur les définitions générales de la notion de conclusions (1) et ses applications devant la cour d’appel (2). 3.2.1. La notion de conclusions en procédure civile Le code de procédure civile, bien que riche en définitions, emploie le terme de conclusions à de nombreuses reprises22 sans pour autant le définir. La pratique apparaît user de ce terme dans un sens très large, englobant tout acte par lequel un avocat s’exprime au nom d’une partie dans le cadre d’une instance. Ainsi parle-t-on de conclusions au fond, de conclusions d’incident, de conclusions d’acquiescement ou de désistement, voire de «conclusions d’attente». La doctrine donne une définition du terme qui apparaît plus stricte. Le Vocabulaire juridique de Gérard Cornu indique qu’il s’agit de l’ «énoncé des prétentions respectives des parties à un procès, présenté soit oralement (conclusions à la barre), soit, le plus souvent (et quelquefois obligatoirement), par écrit»23. Une définition proche est donnée par le Lexique des termes juridiques, qui fait plus précisément état, pour le défendeur, de ses moyens de défense24. Ceux-ci peuvent en effet est compris comme l’expression, par le défendeur d’une prétention, à savoir la contestation des prétentions adverses25. MM. Solus et Perrot incluent également dans la définition des conclusions l’argumentation juridique fondant les prétentions d’une partie : « Les parties, par l’intermédiaire de leurs avocats, saisissent le tribunal de leurs prétentions, moyens et arguments, par des actes écrits que l’on appelle des ‘conclusions’»26. MM. Cadiet et Jeuland en donnent une définition similaire27. M. Cayrol, indique : «Dans le langage de la procédure, le mot de conclusion désigne l'ensemble des actes rédigés par les avocats au nom de leur client comprenant l'exposé de prétentions et d'allégations»28. 22 L’occurrence «conclusions » est employée dans 44 articles du code de procédure civile.

23 G. Cornu, Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, PUF, 7e éd.

24 «Acte de procédure par lequel le demandeur expose ses chefs de demande, le défendeur ses moyens de défense. C’est par le dépôt des conclusions que le débat est lié.» S. Guinchard (sous la direction de), Lexique des termes juridiques, 18e éd., 2011.

25 S. Guinchard, C. Chainais, F. Ferrand, Procédure civile, 30ème éd., n° 470: «le litige comprend effectivement toutes les prétentions soumises au juge, y compris celles exprimées dans les défenses».

26 Solus et Perrot, Droit judiciaire privé, T. 3, Procédure de première instance.

27 «Les conclusions sont l’acte de procédure par lequel l’avocat d’une partie fait connaître les prétention de celle-ci et l’argumentation sur laquelle elles se fondent » (L. Cadiet et E. Jeuland, Droit judiciaire privé, LexisNexis, 7e éd., n° 893.

28N. Cayrol, Répertoire de procédure civile, « Procédure devant le tribunal de grande instance », juin 2010 (mis à jour en juin 2012), n° 125, qui précise que dans son acception étymologique, ce terme « désignait l'acte par lequel un avoué entendait conclure son office, avant la plaidoirie de l'avocat, les actes précédents de l'instance accomplis par l'avoué étant des ‘avenirs’ ».

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Ces définitions peuvent s’appuyer sur les dispositions du code de procédure civile faisant état de conclusions, en particulier l’article 4 qui dispose que : «L'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties. Ces prétentions sont fixées par l'acte introductif d'instance et par les conclusions en défense. Toutefois l'objet du litige peut être modifié par des demandes incidentes lorsque celles-ci se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.» L’article 69 précise que : «L’acte par lequel est formé une demande incidente vaut conclusions». MM. Croze et Laporte, qui proposent une définition similaire à celle des précédents auteurs cités, font dès lors remarquer que «Les conclusions ne sauraient être un acte purement formel. Elles doivent formuler des prétentions et des moyens ou contenir au moins des moyens. A défaut, les conclusions dites «de pure forme » ne produiront pas les effets juridiques habituels», ces auteurs de citer la jurisprudence en matière d’acte interruptif de péremption, que ne sont pas des conclusions par lesquelles les parties se bornent à demander le bénéfice de leurs assignations et de leurs conclusions subséquentes, ou des conclusions de désistement, auxquelles ne sauraient faire échec des conclusions dites «banales»29. Au terme de ces considérations, les conclusions pourraient être comprises, pour le demandeur, comme l’acte par lequel celui-ci réitère tout ou partie des demandes initiales, présente le cas échéant des demandes additionnelles, discute les prétentions de son adversaire et contient les moyens venant au soutien de ces différentes prétentions et, pour le défendeur, de l’acte par lequel celui-ci s’oppose aux prétentions du demandeur en formulant des moyens de défense et, le cas échéant, contient des demandes reconventionnelles et les moyens au soutien de ces demandes. Observons qu’ainsi comprises, les conclusions concernent l’objet du litige, le droit d’action ou le sort de la procédure. Si cette définition peut alors englober une partie de ce que la pratique dénomme «conclusions d’incident» - pour autant que ces conclusions formulent une exception de procédure, voire une fin de non-recevoir - elle laisse en revanche de côté de multiples actes des parties, exprimés sous la forme de conclusions (un incident de communication de pièce, une demande d’une mesure d’instruction voire de sursis à statuer, etc.). La Cour de cassation a été amenée à donner un contenu plus large aux conclusions échangées en appel. 3.2.2. Les définitions susceptibles d’émerger de la jurisprudence de la Cour de cassation 3.2.2.1. Le droit antérieur : la radiation pour défaut de conclusions de l’appelant Les auteurs qui se sont penchés sur la question du contenu des conclusions des parties dans le contexte de la réforme de l’appel se sont tous appuyés sur le précédent de l’ancien article 915 du code de procédure civile. Ainsi, à l’instar de la position déjà évoquée de M. Gerbay, M. Gallet, dans son ouvrage consacré à la procédure civile devant la cour d’appel, considère-t-il que s’appliquent les règles dégagées par la jurisprudence sous l’empire de l’ancien article 915

29 H. Croze et Ch. Laporte, Guide pratique de procédure civile, Litec, 4 éd., 2012 n° 223.

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du code de procédure civile30. MM. Travier et Guichard évoquent également cet ancien article 915 à propos d’un arrêt de la cour d’appel de Paris prononçant la caducité faute de conclusions au fond31. Cet ancien article, issu du décret n° 89-511 du 20 juillet 1989, prévoyait la radiation de l’instance d’appel en l’absence de conclusions du demandeur dans les quatre mois suivant la déclaration d’appel, mettant fin à l’effet suspensif de l’appel32. Cette disposition préfigurait ainsi le nouvel article 908. M. Estoup analysait l’ancien article 915 du code de procédure civile dans un article particulièrement éclairant. Rappelant que cette radiation était destinée à «accélérer la procédure d’appel» qu’ «il était auparavant loisible à l'appelant de paralyser - quasi impunément - (...) pendant plusieurs mois, tout simplement en tardant à faire connaître ses moyens d'appel», il souligne que celle-ci « reste subordonnée à l'absence de dépôt de conclusions de l'appelant», de sorte que «le concept de conclusions constitue la clé de voûte de l'édifice, et que l'efficacité et l'effectivité de la réforme opérée par l'article 915 sont liées à l'interprétation de la notion de conclusions. Si l'on estime qu'il suffit à l'appelant de déposer n'importe quel type de conclusions, dans le délai prescrit, pour échapper à la sanction prévue à l'alinéa 2 de l'article 915, ce texte n'aura servi à rien, sinon à obliger l'appelant à faire un petit geste dans les quatre premiers mois de sa déclaration d'appel, et l'intimé une fois la formalité accomplie, se retrouvera dans la situation où il était antérieurement à la réforme.»33 Près de vingt après, c’est un constat identique qui aurait pu être dressé quant à la réforme de la procédure d’appel. Ce précédent s’avère ainsi déterminant pour circonscrire le contenu des conclusions de l’appelant (1) et pourrait s’avérer utile pour apprécier celui des conclusions de l’intimé (2). 1° Le contenu des conclusions de l’appelant La radiation constituant une simple mesure d’administration judiciaire, non susceptible de recours (CPC, art. 915 ancien, 2e al.), la Cour de cassation a manqué d’occasions de définir explicitement les contours des conclusions que ce texte exigeait, en dehors d’un arrêt du 26 juin 1991, que M. Estoup commentait dans l’article précité. La portée de cet arrêt était au demeurant difficile à déterminer, dès lors que la Cour de cassation retenait simplement que l’ordonnance de radiation du conseiller de la mise en état n’était pas susceptible de pourvoi immédiat faute d’excès de pouvoir34. L’analyse de M. Estoup, déduisant de cet arrêt que ne satisfaisaient pas aux exigences de l’article 915 des conclusions par lesquelles l’appelant se bornait à demander au conseiller de la mise en état d’enjoindre à l’un des intimés de 30 J-L Gallet, La procédure civile devant la cour d’appel, LexisNexis, 2e éd., 2010, n° 204

31 B. Travier et R. Guichard, note sous CA Montpellier, ord. 27 juil. 2012, JCP, 2012, 960.

32 C. Giverdon, « Le point sur l’article 915 du nouveau code de procédure civile impartissant à l’avoué de l’appelant un délai de quatre mois pour déposer ses conclusions » , La Semaine Juridique Edition Générale, n° 49, décembre 1992, I, 3630.

33 P. Estoup, note sous Civ. 2e, 26 juin 1991, JCP, 1992, II, 21821.

34 Ph. Gerbay, « L’avenir du décret Magendie », La Semaine Juridique Edition Générale, n° 17, 23 avril 2012, 532 préc., observait : « à vrai dire, la jurisprudence sur le fondement de l'ancien article 915 du CPC était peu fournie et très ancienne. Cela était en partie dû au fait que la mécanique de cet article, appliqué d'inégale façon selon les cours, était peu claire et très sophistiquée. »

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communiquer des pièces35, est toutefois partagée par la doctrine, qui s’est appuyée sur plusieurs arrêts de cours d’appel, pour affiner le contenu exact des conclusions susceptibles de répondre aux attentes de l’ancien article 915. Cette jurisprudence des cours d’appel s’est montrée rigoureuse dans la détermination des conclusions répondant aux exigences de l’ancien article 915. Ainsi, la cour d’appel de Paris a-t-elle décidé que des conclusions sollicitant un complément d’expertise ne répondaient pas aux exigences de l’article 91536, de même que la cour d’appel de Versailles pour des conclusions de sursis à statuer37. La cour d’appel de Paris a toutefois admis de telles «conclusions de sursis à statuer en raison d’une plainte pénale, dès lors qu’elles valaient formulation implicite du moyen de défense que l’appelant entendait soulever en cause d’appel»38. Comme l’indiquait Mme Fricero commentant cet arrêt39, la jurisprudence dominante a considéré que «les conclusions dont le dépôt est exigé par l’art. 915 NCPC doivent répondre aux conditions de l’art. 954 NCPC : il ne peut s’agir que de conclusions au fond, traduisant les moyens pertinents et opérants au soutien de l’appel, et formulant expressément les prétentions de l’appelant». Elle approuve toutefois la cour d’appel de Versailles d’avoir retenu, en l’espèce, que des conclusions de l’appelant (postérieures à ses premières conclusions aux fins de sursis) répondant aux exigences de l’article 954, en vue de s’opposer à des conclusions d’irrecevabilité de l’appel, satisfaisaient aux exigences de l’article 915. Mme Fricero observe : «les prétentions des parties, qui doivent être formulées dans les conclusions d’appel, peuvent aussi bien concerner «le fond » que des aspects procéduraux. Nul n’a jamais contesté que celui qui soulève une fin de non-recevoir, une exception de nullité émet une prétention : il suffit que cette prétention soit formulée expressément et qu’elle indique les moyens sur lesquels elle est fondée pour que les dispositions de l’art. 954 NCPC soient respectées.» Mme Fricero considère que la jurisprudence rendue sous l’empire de l’article 915 doit demeurer applicable aux conclusions de l’appelant sous l’empire des nouveaux textes40. Dans le même sens, M. Gallet fait observer que les conclusions de l’appelant «doivent répondre aux conditions de l’article 954 et permettre à la cour de statuer utilement à leur vue»41. 2° Le contenu des conclusions de l’intimé

35 Civ. 2e, 26 juin 1991, pourvoi n° 90-14.363, Bull.1991, II, n° 190 ; JCP, 1992, II, 21821, commentaire P. Estoup.

36 CA Paris, 5e ch. B, ord. 15 mars 1991, Bull. avoués 1991, n° 117, p. 10 ; CA Paris, 19e ch. A, 9 oct. 1991, Bull. avoués 1991, n° 119, p. 101.

37 CA Versailles, 9 juin 1995, Dalloz, 1995, somm. p. 107, comm. Fricero.

38J-L Gallet, préc., citant CA Paris, 15e ch. A, 23 février 1993, Bull. avoués 1994, n° 129, p. 17.

39 N. Fricero, « Si l’avoué de l’appelant doit déposer au greffe ses conclusions, dans les quatre mois de la déclaration d’appel, à peine de radiation de l’affaire, les écruitures dont le dépôt est exigé ne sauraient se borner à des conclusions banales mais doivent en principe répondre aux prescriptions de l’article 954 du nouveau code de procédure civile », Recueil Dalloz, 1995, p. 107.

40 Fricero, JurisCl. Appel, procédure ordinaire en matière contentieuse, procédure avec représentation obligatoire, instruction de l’affaire, mise en état, fasc. n° 721, n° 2 et 17.

41 J-L Gallet, ouvrage préc., n° 204.

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Avant la réforme de la procédure d’appel, aucun texte n’imposait à l’intimé de prendre des conclusions dans un délai déterminé, a fortiori des conclusions sur le fond ou déterminant l’issue de la procédure. Le rapport Magendie a toutefois fondé sa recommandation d’imposer à l’intimé un délai pour répondre sur le principe de loyauté : «dans la mesure où il est informé à temps des moyens de son contradicteur, la loyauté consiste pour lui à répondre dans un délai déterminé, en invoquant à son tour la totalité des moyens pertinents»42. Au-delà même du principe de loyauté, on pourrait également songer à fonder cet équilibre entre les parties au procès sur le principe d’égalité des armes, présidant au procès équitable. On sait que ce principe d’égalité des armes implique l’obligation d’offrir à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire43. Certes, il a vainement été soutenu devant le Conseil d’Etat que ce principe se trouverait atteint par la seule différence de délai imparti à l’appelant et l’intimé44, d’autant que la simple dissymétrie de délai est peut-être plus apparente que réelle45 et que les délais impartis participent de l’objectif de juger les appels dans un délai raisonnable. En irait-il de même si le contenu des conclusions attendues respectivement de l’appelant et des intimés était envisagé de façon radicalement différente ? Tel était le cas du dispositif antérieur à la réforme, qui n’impartissait pas à l’intimé d’obligation de conclure dans un délai déterminé. Mais la question ne peut pas pour autant être éludée dès lors que le nouveau dispositif sanctionne l’appelant par une caducité de l’appel, le privant potentiellement définitivement du droit de former un appel. La donne est ainsi profondément changée par rapport à l’ancien dispositif, et plus généralement par rapport au droit commun du procès civil. En outre, dans le schéma classique du procès civil, l’appel présente un effet suspensif, de sorte que l’intimé, autant que l’appelant, sont intéressés à un aboutissement rapide de l’appel, sauf pour l’appelant à rechercher le retardement de la mise à exécution du jugement dont il relève appel, justifiant alors pleinement l’ancien article 915 du code de procédure civile, qui faisait perdre tout effet suspensif à l’appel radié. Or ce schéma classique est peut-être moins

42Rapport préc., p. 50.

43Guinchard et alii, Droit processuel, Droits fondamentaux du procès, n° 439 (je ne retrouve pas cet ouvrage) ; F. Sudre, JurisClasseur Europe Traité, Fascicule 6526 « Convention européenne des droits de l’Homme - Droits garantis - Droit à un procès équitable », août 2008, paragraphe n° 123.

44 CE, 13 juillet 2011, n° 336360, 6e et 1re sous-section réunies, Inédit au Lebon : « Considérant qu'il est soutenu qu'en fixant un délai différent à l'appelant et à l'intimé pour conclure, le pouvoir réglementaire aurait méconnu le principe d'égalité des armes garanti par l'article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que cependant, d'une part, l'intimé est informé de la déclaration d'appel dès son enregistrement au greffe de la juridiction, d'autre part, la différence de durée entre les deux délais est limitée ; que, par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l'intimé serait placé dans une situation de net désavantage vis-à-vis de l'appelant, de telle sorte que ce déséquilibre serait incompatible avec le principe d'égalité des armes ; qu'il ne ressort pas des pièces des dossiers que la fixation de tels délais, qui ne méconnaît pas davantage l'égalité des citoyens devant le service public de la justice, serait entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;»

45 J. Pellerin, « La procédure d’appel en question », Gazette du Palais, 8 septembre 2012, n° 252, p.11.

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probant dans le cas de l’appel d’un jugement revêtu de l’exécution provisoire, situation qui, à défaut d’être devenue la norme, tend à se développer. C’est d’ailleurs justement la situation à laquelle se trouve confrontée la cour d’appel de Versailles, face à un intimé qui se prévaut de la radiation de l’affaire faute d’exécution du jugement de première instance. On comprend alors ce souci de loyauté mis en avant par le rapport de la mission Magendie pour exiger des deux parties qu’elles fassent également diligences, de sorte que l’appelant puisse obtenir une décision dans un délai raisonnable. Cela dit, le principe d’égalité des armes ne saurait conduire à rechercher une stricte identité de traitement, «l’égalité absolue n’existe pas et (...) doit donc s’apprécier ‘raisonnablement’»46, en vue d’un «juste équilibre entre les parties»47. A cette fin, on pourrait mettre en avant le fait que le positionnement défensif de l’intimé est tout à fait différent du positionnement «offensif» de l’appelant. Ainsi, l’appelant doit nécessairement se positionner sur le fond du litige, alors que l’intimé qui se contente de contester l’appel est principalement conduit à revendiquer la pertinence du jugement attaqué ou à réitérer les moyens de défense qu’il avait présentés au premier jugement48. Il est à cet égard caractéristique que l’article 954 du code de procédure civile fasse clairement la différence sur ce point entre l’appelant et l’intimé en retenant que le premier, qui conclut à l’infirmation du jugement, doit expressément énoncer les moyens qu’il invoque (4e al.), quand l’intimé, qui demande la confirmation du jugement, est réputé s’approprier les motifs de ce jugement s’il n’énonce pas de nouveaux moyens (5e al.). La nouvelle obligation imposée à l’intimé de conclure dans un délai déterminé ne s’est pas accompagnée d’une modification de ce texte. L’intimé demeure donc autorisé à se contenter de conclure à la confirmation du jugement. Il faut toutefois reconnaître que cette règle est désormais délicate à articuler avec l’obligation faite aux parties de communiquer à nouveau leurs pièces (CPC, art. 132, 3e al. abrogé) et d’indiquer pour chaque prétention les pièces invoquées à son soutien (CPC, art. 954, 1er al.). A la faveur de ces nouvelles exigences, les obligations pesant sur les parties se rapprochent nettement. La situation des parties se rapproche également lorsque l’intimé entend prendre l’initiative de critiquer le jugement frappé d’appel ou de solliciter un avantage autre que sa seule confirmation, ses conclusions devant alors contenir, selon le cas, un appel incident ou une demande reconventionnelle. Dans l’un ou l’autre de ces cas, les conclusions de l’intimé devront articuler les moyens qui sont le support de cet appel incident ou de ces demandes reconventionnelles, conformément aux prescriptions de l’article 954 du code de procédure civile. 46 S. Guinchard, préc.

47 F. Sudre, préc.

48 On peut lire en ce sens la position exprimée par MM. Travier et Guichard (« La communication des pièces de l’appelant et la notification des conclusions de l’intimé : un avis sans influence ?», La Semaine Juridique Edition Générale, n° 37, 10 septembre 2012, 960) qui, examinant le cas particulier où l’appelant n’a pas communiqué ses pièces simultanément avec ses conclusions, appellent les intimés à la prudence, en ne se contentant pas de conclusions aux fins de voir écarter ces pièces, tout en retenant qu’ « il pourrait cependant être soutenu que des conclusions d’intimé sur incident valent ‘‘conclusions’’ au titre de l’article 909 du code de procédure civile, dès lors que l’utilité des conclusions au fond est tributaire du sort de l’incident ». Ces auteurs observent toutefois qu’ « une telle solution serait contraire à l’esprit du décret du 9 décembre 2009, qui prône le principe de ‘‘concentration des moyens’’ (...) repris dans l’article 954, alinéa 1er ». On pourrait ajouter que des notions cadres, laissées aux lumières du juge, telles l’utilité des conclusions, pourraient être difficiles à marier avec la radicalité des sanctions encourues.

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La jurisprudence rendue sur le fondement de l’article 954 gagne ainsi à être examinée. 3.2.2.2. Les conclusions récapitulatives 1° Le domaine d’application des conclusions récapitulatives : L’article 954 du code de procédure civile dispose que «les conclusions d’appel doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ses prétentions est fondée». Cette rédaction est issue du décret n°98-1231 du 28 décembre 1998, qui formulait la même exigence devant le tribunal de grande instance (CPC, art. 753). Le décret du 9 décembre 2009, en même temps qu’il imposait un premier échange de conclusions dans les délais rappelés, complétait l’article 954, en vue de traduire la recommandation de structuration des écritures, faite par la mission Magendie. Il apparaît ainsi utile d’analyser ces textes en contemplation les uns des autres. Les articles 753 et 954 du code de procédure civile exigent des conclusions particulières, que l’on nomme «conclusions qualificatives»49, c’est-à-dire des conclusions qui «formulent expressément non seulement les moyens en fait, mais aussi en droit, sur lesquels sont fondées les prétentions des parties», et récapitulatives, comme «procédant à la synthèse intellectuelle des prétentions et moyens présentés ou invoqués dans des conclusions antérieures»50. En plus d’être «qualificatives» et «récapitulatives», ces conclusions doivent être complétées, en annexe, d’un bordereau de communication de pièces51. S’y ajoutent d’autres exigences en cause d’appel, depuis l’entrée en vigueur du décret du 9 décembre 2009 : l’indication pour chaque prétention des pièces invoquées et la récapitulation, au sein de chaque jeu de conclusions, des prétentions sous forme de dispositif. La Cour de cassation a été amenée à préciser le domaine d’application des articles 753 et 954 du code de procédure civile, en vue de déterminer le champ des conclusions récapitulatives. Outre la précision suivant laquelle cette disposition ne concernait que la procédure avec représentation obligatoire52, il ressort de cette jurisprudence que tous les actes émanant des parties ne sont pas soumis aux prescriptions de ces dispositions. La Cour de cassation a ainsi été d’avis, le 10 juillet 2000, qu’ «Il ressort des dispositions de l'article 954, alinéa 2, du nouveau Code de procédure civile, que toutes les conclusions successives, en demande ou en défense, qui avant la clôture de l'instruction, déterminent l'objet du litige ou soulèvent un incident de nature à mettre fin à l'instance doivent exposer l'ensemble des prétentions et la totalité des moyens qui les fondent »53.

49 N. Cayrol, Répertoire de procédure civile, « Procédure devant le tribunal de grande instance », Dalloz, juin 2010 (mis à jour en juin 2012), n° 130.

50 Lexique des termes juridiques, préc.

51 B. Travier et F. Watremet, Répertoire de procédure civile, « Procédure devant la cour d’appel », Dalloz, septembre 2005 (mis à jout en septembre 2011), n° 74 et s.

522e Civ. , 30 avril 2002, pourvoi n° 00-15.917, Bull.2002, II, n° 82.

53 Cass. avis, 10 juill. 2000, n° 20-20.007, Bull. 2000, Avis, n° 6 ; D. 2000, Jur. p. 837, note A. Lacabarats. La Cour a suivi les conclusions de son rapporteur, le conseiller Séné qui, après avoir rappelé que la réforme de 1998 « tendait en effet à satisfaire à des impératifs de clarification et d’accélération du débat judiciaire », considérait que : «Des conclusions dans lesquelles une partie demandera le rejet des conclusions de la partie adverse comme tardives ou la révocation de l’ordonnance de clôture ou reprendra l’instance préalablement interrompue ne me paraissent pas constituer les dernières conclusions et exiger la reprise des prétentions et moyens précédemment exposés et invoqués. Mais je dois reconnaître que cette définition entraînera inévitablement des difficultés. Que décider en effet lorsque des conclusions comporteront une

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La jurisprudence de la Cour de cassation, qui a maintes fois repris les termes de l’avis, est venue, essentiellement de façon négative, circonscrire le contenu de l’exigence de récapitulation, en retenant qu’échappaient à l’obligation de récapitulation les conclusions sollicitant exclusivement une expertise judiciaire54 ou un sursis à statuer55 ou s’opposant à une telle demande56, les conclusions tendant exclusivement à l'irrecevabilité, pour tardiveté, des conclusions de la partie adverse57 ou encore celles répondant à des questions posées par un arrêt avant dire droit58 ; il en a été décidé de même pour des conclusions en défense à l’exception de nullité d’une assignation (devant le TGI)59. L’expression «incident de nature à mettre fin à l’instance » pourrait prêter à confusion. En effet, stricto sensu les incidents d’instance mettant fin à l’instance sont ceux visés aux articles 384 et 385 du code de procédure civile, inclus dans le titre XI du livre 1er du code, relatif aux «incidents d’instance »60. Toutefois, au regard de la jurisprudence rendue en matière de conclusions récapitulatives, cette notion apparaît pouvoir être comprise, non dans le sens étroit des «incidents d’instance» mais, comme le fait observer M. Gallet, dans le sens plus large que certains textes du code de procédure civile confèrent à ce terme, à savoir une exception de procédure61, une fin de non-recevoir ou «tout autre incident » mettant fin à l’instance (CPC, art. 544, 607)62. Cette jurisprudence ne viserait ainsi pas les seuls «accidents du procès », pour reprendre l’expression de MM. Foyer et Cornu, préférant cette dénomination à celle d’ «incidents», auxquels bien des dispositions du code confèrent en effet un sens plus large. 2° Les enseignements de cette jurisprudence On a pu considérer que la jurisprudence sur l’exigence de récapitulation tendait à distinguer les conclusions intéressant la discussion devant le juge de celles portant sur la décision du

demande de sursis ou de provision, une demande d’expertise, soulèveront une exception de procédure ou tout autre incident d’instance ? Seront-elles aussi considérées comme les dernières écritures, au sens de l’alinéa 2 de l’article 954 du NCPC ? Je pense que nous devons veiller à éviter tout catalogue à cet égard mais plutôt rechercher un critère qui permette de faire le départ entre les différents incidents de l’instance.»

54 2eCiv., 18 décembre 2008, pourvoi n° 07-20.238, Bull. 2008, II, n° 273, Procédures, 2009, comm. n°36, note Perrot.

55 1re Civ., 24 septembre 2002, pourvoi n° 00-21.060, Procédures, 2002, comm. n°223, note Perrot

56 2e Civ., 20 janv. 2005, n° 03-12.834, Bull. 2005, II, n° 20.

57 2e Civ., 3 mai 2001, pourvoi n° 99-16.293, Bull. 2001,. II, n° 87, D. 2003, p. 99, obs. Bolze.

58 2e Civ., 21 avril 2005, pourvoi n° 02-14.675, Bull. 2005, II, n° 115.

59 2e Civ., 20 octobre 2005, pourvoi n° 03-18.931, Bull. 2005, II, n° 265, Procédures, 2005, comm. 269, note Perrot.

60 Cass., avis, 13 novembre 2006, n° 06-00.012, Bull. 2006, Avis, n° 10 : examinant la question de l’étendue des pouvoirs du juge de la mise en état.

61 2e Civ., 9 avril 2009, pourvoi n° 08.16-210, pour une exception de nullité de la déclaration d’appel, réputée abandonnée faute d’être reprise dans les dernières écritures.

62 J-L Gallet, préc., n° 230.

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juge63, c’est-à-dire celles «qui ont pour finalité de donner une solution définitive à tout ou partie du litige»64. Si le critère dégagé par la jurisprudence pour fixer le domaine de l’article 954 du code de procédure civile était appliqué aux conclusions prévues par les article 908 à 910, les parties seraient ainsi tenues de se positionner, dès leurs premières conclusions, sur le sort de l’appel. Incontestablement cette solution rejoindrait les préoccupations de la mission Magendie, précédemment rappelées. Si la Cour était d’avis de donner à la réforme le contenu qui était envisagé par la mission Magendie, il serait ainsi possible de s’appuyer sur les critères précis dégagés par cette jurisprudence, instaurant alors une continuité depuis les premières conclusions jusqu’aux dernières conclusions récapitulatives. Examinant la jurisprudence rendue en application de l’article 954 du code de procédure civile, M. Bolard s’était interrogé sur la pertinence des solutions dégagées par cet avis, en relevant notamment que« l'incident visant à mettre fin à l'instance, c'est-à-dire à éliminer du débat ses autres éléments, pourquoi de telles conclusions devraient-elles - en pure perte si l'incident est fondé - débattre de tous autres moyens et prétentions ?»65. Par hypothèse cette difficulté ne se présente pas pour les premières conclusions de l’intimé : celles-ci seraient jugées conformes aux exigences de l’article 909 du code de procédure civile dès lors qu’elles invoqueraient un moyen tendant à l’extinction de l’instance. Il en irait alors de même que pour les conclusions de l’appelant, pour lesquelles MM. Heron et Le Bars considèrent que «l’appelant doit déposer, dans le délai de trois mois, des conclusions présentant au moins un moyen de réformation, mais il ne lui est pas interdit de les compléter ultérieurement (et même au-delà de ce délai), par des écritures additionnelles qui énonceraient des moyens supplémentaires au soutien de ses prétentions»66. En revanche, l’observation de M. Bolard retient l’attention dans le cas de conclusions invoquant un sursis à statuer, voire une demande d’expertise : si une partie (appelant comme intimé) entend se défendre au vu d’un événement, ou d’une mesure d’instruction, estimé déterminant et dans l’attente duquel elle demande à la juridiction ne pas statuer, est-il opportun de lui imposer de prendre immédiatement position par des conclusions au fond ? Ne devrait-on d’ailleurs pas laisser la partie qui entend obtenir un sursis à statuer libre d’apprécier l’opportunité de conclure immédiatement sur le fond ? Certes le juge veille au bon déroulement de l’instance (CPC, art. 3). Mais du fait de l’effet dévolutif de l’appel, la cour d’appel peut trancher l’affaire qui lui est dévolue sans inviter les parties à s’expliquer sur le fond67, de sorte que le déroulement de l’affaire n’est, en théorie, pas retardé par les conclusions d’une partie ne sollicitant qu’un sursis à statuer ou une mesure d’instruction. Il en

63 A. Bolze, obs. préc.

64 Gallet, préc., n° 230.

65 G. Bolard, « Les dernières conclusions », La Semaine Juridique Edition Générale, n° 7, 14 février 2001, I, 297.

66 J. Heron et H. Le Bars, Droit judiciaire privé, Montchrestien, 5e éd., août 2012, n° 784.

67 J. Junillon, sous la direction de S. Guinchard, Droit et pratique de la procédure civile, Dalloz action 2012/2013, n° 541.331 ; V. Egal. J-M Sommer, « Chronique de jurisprudence de la Cour de cassation », Recueil Dalloz, 2009, p. 757, obs. sous 2e Civ., 18 décembre 2008, pourvoi n° 07-21.906, Bull. 2008, II, n° 269.

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a été décidé de même lorsque l’intimé se contente de conclure à l’irrecevabilité de l’appel68. On pourrait ainsi laisser à la partie concernée la responsabilité d’apprécier la meilleure stratégie procédurale au soutien de ses intérêts, assumant alors le risque, en ne concluant pas au fond, de voir sa demande écartée et l’affaire jugée au fond sans avoir égard aux observations qu’elle aurait pu formuler. Dans cette optique, les parties devraient échanger un premier jeu de conclusions dans les délais impartis par les articles 908 à 910 du code de procédure civile, dont le contenu serait laissé à leur appréciation, sauf éventuellement à proscrire des conclusions de pure forme. Cette option gagne toutefois à être examinée en regard de la possibilité ouverte ou non aux parties de développer de nouvelles prétentions ou de nouveaux moyens à l’occasion de nouvelles conclusions. Comme il a été indiqué, cette question fait plus particulièrement l’objet de la demande d’avis n° 12-00018. En substance, si une partie ne peut plus, après le premier échange de conclusions, développer de nouvelles prétentions ou de nouveaux moyens, sauf en vue de répliquer à son adversaire, elle prend effectivement le risque, en se contentant de conclusions de sursis à statuer ou de radiation, d’être jugée sans s’être expliquée sur le fond. Si, au contraire, les parties peuvent, jusqu’à la clôture des débats, conclure à nouveau pour développer de nouvelles prétentions (sous réserve qu’elles soient autorisées par des articles 564 et suivants du code de procédure civile) et de nouveaux moyens, y compris dans le cas où le conseiller de la mise en état n’aurait pas fixé, en application de l’article 912 du code de procédure civile, de calendrier d’échange de conclusions faute de l’estimer nécessaire, la partie, au regard de la durée moyenne des procédures d’appel, aura en pratique tout le temps de conclure à nouveau sur le fond. C’est précisément une stratégie que la mission Magendie avait stigmatisée et entendu combattre en défendant l’idée d’une «concentration de la procédure d’appel». Suivre les préconisations de la mission Magendie conduirait donc à estimer insuffisantes des conclusions soulevant un incident affectant seulement le cours de l’instance. Il semble toutefois nécessaire d’examiner précisément ces incidents, en particulier la demande de radiation pour défaut d’exécution du jugement frappé d’appel. 3.3. Effet des incidents affectant le cours de l’instance 3.3.1 La suspension et l’interruption de l’instance en général S’il était considéré qu’une demande tendant à la suspension de l’instance ne devait pas valoir conclusions au sens de l’article 909 du code de procédure civile, demeurerait la question de l’effet d’une telle demande sur le cours des délais pour conclure : pourrait-on considérer que celle-ci, ou à tout le moins la décision emportant suspension, aurait pour effet de suspendre, voire d’interrompre, les délais impartis pour conclure ? La demande d’avis évoque également le cas de l’interruption de l’instance. Ce cas, qui repose sur un changement objectif affectant la situation d’une partie69, est toutefois radicalement différent de la suspension de l’instance. L’événement qui provoque l’interruption de 68 2e Civ., 18 décembre 2008, préc., qui apparaît ainsi revenir sur l’obligation précédemment retenue d’enjoindre à l’intimé de conclure au fond, par 1re Civ. 28 février 1995, pourvoi n° 93-11.310, Bull. 1995, I, n° 102.

69 S. Guinchard, C. Chainais, F. Ferrand, Procédure civile, 30e éd., 2010, n° 429 : insistent sur la différence profonde entre interruption et suspension de l’instance.

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l’instance opère de plein droit (CPC, art. 369) ou suivant la notification qui en est faite (CPC, art. 370), sans qu’il soit donc nécessaire d’attendre la décision la constatant. Ainsi pourrait-on retenir que l’événement interruptif ou sa notification arrête nécessairement le cours des diligences procédurales et des délais impartis pour les accomplir. Une telle solution peut se prévaloir du fait que les actes accomplis pendant l’interruption de l’instance sont nuls (CPC, art. 372) et qu’à son issue l’instance reprend son cours en l’état où elle se trouvait au moment où elle a été interrompue (CPC, art. 374), de sorte par exemple que le délai pour produire un mémoire dans un pourvoi ne court qu’à compter de la reprise de l’instance70. Telle est la position défendue par M. Pellerin qui, observant que les cas d’interruption «constituent une mesure de protection permettant à la partie concernée de réorganiser la défense de ses droits», en déduit que « la protection de la partie doit prévaloir. Aussi les délais concernant cette partie ne peuvent qu’être interrompus. Lors de la reprise d’instance, un nouveau délai devra courir, permettant à la partie d’assurer pleinement sa défense»71. La situation de la suspension d’instance est différente. En dehors des cas où la loi le prévoit, l’instance est suspendue par la décision qui sursoit à statuer, radie l’affaire ou ordonne son retrait du rôle (CPC, art. 377). Il est donc exclu que la demande suspende par elle-même le cours de l’instance. En revanche, les textes ne déterminent pas l’impact de la suspension de l’instance sur les délais de procédure. Dans l’absolu, on pourrait soutenir qu’une instance suspendue ou interrompue arrête nécessairement le cours des diligences procédurales et donc des délais impartis pour les accomplir. Pourtant l’arrêt des délais de la procédure est loin de constituer la norme et ne semble d’ailleurs retenu par la Cour de cassation que lorsqu’un texte le prévoit ou l’implique. Ainsi la suspension de l’instance n’interrompt-elle pas, en principe, le cours du délai de péremption, sauf exception, en particulier le sursis à statuer dans l’attente d’un événement déterminé, cas dans lequel le délai de péremption ne recommence à courir qu’au moment de la survenance de cet événement (CPC, art. 392). De même, si la radiation n’interrompt en principe pas la péremption72, il est prévu pour la demande de radiation du rôle devant la Cour de cassation que le délai de péremption court à compter de la notification de la décision ordonnant la radiation (CPC, art. 1009-2). Il a pu en être décidé de même pour la radiation sanctionnant un défaut de diligence dans les procédures en matière sociale73. En outre, certains textes réglementent également le sort des délais de procédure en cas de suspension de l’instance. Telle est ainsi la solution en cas de demande d’aide juridictionnelle, qui interrompt le délai pour conclure, ne commençant à courir qu’une fois réglé le sort de 70 MM. Boré, La cassation en matière civile, Dalloz, 2008, paragraphe n° 111.211 ; V. égal. Weber et autres, Droit et pratique de la cassation en matière civile, LexisNexis, 3ème éd., 2012, paragraphe n° 211.

71 J. Pellerin, « La procédure d’appel en question », Gazette du Palais, 8 septembre 2012, n° 252, p. 11, § 19.

72 2e Civ., 28 juin 2006, pourvoi n° 04-18.226, Bull. 2006, II, n° 176 ; 2ème Civ., 19 déc. 2002, pourvoi n° 01-00.243 ; 2ème Civ., 26 octobre 2006, pourvoi n° 05-18.134.

73 2e Civ., 15 mai 2008, pourvoi n° 07-12.767, Bull. 2008, II, n° 115 : pour les juridictions de sécurité sociale, l'article R. 142-22 du code de la sécurité sociale disposant expressément que l'instance n'est périmée que lorsque les parties s'abstiennent d'accomplir pendant le délai de deux ans mentionné à l'article 386 du code de procédure civile les diligences qui ont été expressément mises à leur charge par la juridiction, il en a été déduit que la notification de la décision de radiation de l'affaire subordonnant son rétablissement au dépôt par toutes les parties de leurs conclusions interrompt le délai de péremption ; même solution en matière prud’homale, s’appuyant sur l’ancien article R.516-3 du code du travail, Soc. 11 juin 2002, pourvoi n° 00-42.654, Bull. 2002, V, n° 202.

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cette demande (D. 19 déc. 1991, art. 38-1, issu du décret du 9 déc. 2009). De même est-il prévu, devant la Cour de cassation, que la décision de radiation pour défaut d’exécution ne suspend pas le délai imparti au demandeur pour remettre son mémoire ampliatif (CPC, art. 1009-1). Ou encore, l’article R. 322-20 du code des procédures civiles d’exécution dispose, en matière de saisie immobilière, que la décision qui fait droit à la demande de vente amiable suspend le cours de la procédure d’exécution, à l’exception du délai imparti aux créanciers inscrits pour déclarer leur créance. La saisie immobilière, nourrie en délais de procédure, pourrait d’ailleurs fournir d’autres exemples74. Au total, M. Pellerin fait observer que lorsque la suspension résulte de la sanction des parties (radiation) ou de leur accord (retrait conventionnel), «les délais pour conclure, fondés sur l’ordre public, ne peuvent alors pas être suspendus». Il devrait à son sens, en aller différemment dans le cas du sursis à statuer, dès lors que dans l’attente de «l’événement qui a causé le sursis (...) les parties ne peuvent pas être en mesure de conclure»75. Mme Fricero considère plutôt que « cette suspension de l’instance [résultant de l’ordonnance prononcée en application de l’article 526] doit logiquement, en application de l’article 377 du code de procédure civile, entraîner la suspension des délais de procédure prévus au décret de 2009 (délai de caducité, d’irrecevabilité)»76. Encore faut-il toutefois que le sursis à statuer soit prononcé alors que les délais pour conclure demeurent en cours. Or, au-delà même de la technique, il faut reconnaître que conférer à la suspension de l’instance un effet sur les délais pour conclure pourrait s’avérer plus théorique que pratique. En effet, la brièveté des délais pour conclure prévus par les articles 908 à 909 du code de procédure civile est telle que rares devraient être les cas dans lesquels la suspension sera prononcée avant l’expiration des délais pour conclure. C’est d’ailleurs la situation qui s’est produite dans l’affaire donnant lieu à la demande d’avis : bien que sollicitée avant même les conclusions de l’appelant, la demande de radiation a été rejetée trois mois après la date des conclusions de l’appelant, soit théoriquement un mois après la date à laquelle l’intimé devait conclure. Cette situation pourrait expliquer que la demande de radiation du pourvoi se voit conférer un effet interruptif de délai de dépôt de mémoire en défense. 3.3.2. Le cas particulier de la radiation pour défaut d’exécution La demande de radiation pour défaut d’exécution du jugement est régie par l’article 526 du code de procédure civile, qui dispose : «Lorsque l'exécution provisoire est de droit ou a été ordonnée, le premier président ou, dès qu'il est saisi, le conseiller de la mise en état peut, en cas d'appel, décider, à la demande de l'intimé et après avoir recueilli les observations des parties, la radiation du rôle de l'affaire lorsque l'appelant ne justifie pas avoir exécuté la décision frappée d'appel ou avoir procédé à 74 V. pour une question proche : 2e Civ., 13 janvier 2012, pourvoi n° 11-13.495, Bull. n°12 : les délais pour vendre le bien immobilier à l’amiable, fixés à l'article 54 du décret du 27 juillet 2006 (devenu l’article R. 322-21 du code des procédures civiles d’exécution) étant impératifs, le juge ne peut y contrevenir en ordonnant un sursis à statuer.

75 Pellerin, préc., § 20.

76 Brenner et Fricero, La nouvelle procédure d’appel, 2e éd. 2011, n° 156.

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la consignation autorisée dans les conditions prévues à l'article 521, à moins qu'il lui apparaisse que l'exécution serait de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives ou que l'appelant est dans l'impossibilité d'exécuter la décision. «Le premier président ou le conseiller chargé de la mise en état autorise, sauf s'il constate la péremption, la réinscription de l'affaire au rôle de la cour sur justification de l'exécution de la décision attaquée.» Cette mesure emblématique du décret n°2005-1678 du 28 décembre 2005 était destinée à renforcer l’exécution des décisions de première instance et le droit à l’exécution, sur le modèle du retrait du rôle des pourvois pour défaut d’exécution, prévu depuis un décret du 20 juillet 1989 par l’article 1009-1 du code de procédure civile. La doctrine, très critique à l’égard de ce mécanisme «mal accueilli»77, n’a pas manqué d’en souligner la profonde originalité, qui gagne à être examinée pour apprécier l’effet de cette demande sur le cours du délai imparti à l’intimé pour conclure. 3.3.2.1. La forme et la nature de la demande de radiation pour inexécution Il est admis que la demande de radiation constitue des conclusions. En effet, lorsqu’elle est soumise au premier président, elle est formée par assignation, qui vaut conclusions (CPC, art. 56). Lorsqu’elle est présentée au conseiller de la mise en état, elle est faite « par demande incidente, ce qui autorise la voie de simples conclusions ( art. 68 CPC)»78. Cette demande pourrait donc, d’un point de vue formel, satisfaire aux prescriptions de l’article 909. Elle s’inscrit toutefois parmi les demandes tendant à la suspension de l’instance. Ainsi, le domaine de l’obligation de récapitulation imposée par l’article 954 du code de procédure civile n’apparaît pas s’étendre à la demande de radiation pour défaut d’exécution de l’article 526 du même code. En effet, si aucune jurisprudence de la Cour de cassation n’est venue statuer sur ce point, il ne fait pas de doute que cette demande, pas plus que la demande de sursis à statuer, ne fixe l’objet du litige ni ne met fin à l’instance. Il faut néanmoins observer que le mécanisme de l’article 526, inséré par le décret du 28 décembre 2005, n’existait pas lorsque la Cour de cassation a fixé, par son avis, sa jurisprudence à venir sur le contenu des conclusions récapitulatives. En outre, bien qu’elle emprunte la forme d’une demande de radiation de l’instance, la demande formée en application de l’article 526 présente de fortes spécificités par rapport aux incidents suspendant l’instance, qui la rapprochent d’un véritable moyen de défense à l’appel. En effet, là où la radiation de droit commun sanctionne le défaut de diligence procédurale des parties et en particulier du demandeur, l’article 526 tend au contraire à faire obstacle à

77 R. Perrot, « Décret n° 2005-1678 du 28 décembre 2005» Procédures, 2006, n° 25 (référence à préciser) ; B. Lissarrague, « Décret de procédure du 28 décembre 2005 : quel cadeau ?», Gazette du Palais, 29-30 janvier2006, p. 2, n° 2 ; Ph. Hoonakker, « Dernières réformes de l'exécution provisoire », Recueil Dalloz, 2006, p. 754, n° 19 ; P. Julien et N. Fricero, « Procédure civile », Recueil Dalloz, 2006, pan. p. 545, spéc. p. 546 ; Lacabarats et Lacroix-Andrivet, « La procédure de radiation du rôle des articles 526 et 1009-1 du code de procédure civile et le droit d’accès au juge », in Justice et droit du procès. Du légalisme procédural à l'humanisme processuel. Mélanges en l'honneur de Serge Guinchard, 2010, Dalloz, p. 784 et s. ; S. Guinchard, « Petit à petit, l’effectivité du droit à un juge s’effrite », Mélanges en l'honneur de J. Boré, Dalloz, 2007, p. 287. La presse généraliste s’en est fait l’écho : Le Monde du 22 mars 2005 (“Jugements désormais sans appel”) ; Les échos du 1er mars 2005, p. 14.

78C. Chainais et G. Tapie, « La radiation du rôle pour inexécution de la décision frappée d‘appel : précautions d’emploi », Recueil Dalloz, 2008, p. 2780.

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l’examen de l’appel tant que la décision de première instance n’a pas été exécutée79. Sous cet angle il pourrait être tentant de la rapprocher d’une fin de non-recevoir, en particulier lorsque cette dernière sanctionne une action prématurée et n’interdit dès lors pas la réitération de l’action. En outre, là où le sursis à statuer entend conditionner la poursuite de la procédure à l’intervention d’un événement extérieur aux parties, dans l’attente duquel le délai de péremption est suspendu, l’article 526 sanctionne la résistance de l’appelant, de sorte que cette demande «peut également conduire à son extinction car le délai de péremption de deux ans continue à courir»80 et que «selon l'article 390 du nouveau code de procédure civile, la péremption en cause d'appel confère au jugement la force de chose jugée même s'il n'a pas été notifié»81. Certes la radiation sanction de droit commun n’interrompt pas non plus le délai de péremption. Mais la situation est tout-à-fait différente, car il suffit au demandeur de faire à nouveau preuve de diligence dans l’instance pour obtenir la réinscription de l’affaire et échapper à la péremption. Celle-ci conserve alors sa fonction classique, fondée sur une présomption de désintérêt de l’instance par les parties82. La situation est inverse pour la radiation fondée sur l’article 526. Ainsi que l’a souligné la doctrine, l’effet de la radiation pour inexécution est donc potentiellement plus radical que celui de la caducité, de l’irrecevabilité ou de la nullité de la déclaration d’appel, qui n’interdisent pas la réitération de l’appel, si le délai d’appel n’a pas expiré, en particulier dans le cas, qui était fréquent, où l’appel est interjeté sans signification préalable du jugement attaqué83. Pourquoi dans ces conditions imposer à l’intimé de prendre des conclusions sur le fond du litige ou tendant à l’extinction de l’instance ? La remarque est d’autant plus frappante mise en regard de la demande de l’intimé tendant à la caducité de la déclaration d’appel pour irrespect par l’appelant du délai detroismois pour conclure. En effet, la caducité est un incident mettant fin à l’instance (CPC, art. 384), qui pourrait ainsi entrer dans le champ de l’obligation de récapitulation. Or, la caducité a succédé à la radiation prévue par l’ancien article 915, qui ne tendait qu’à la suspension de l’instance. Ces sanctions n’ont certes pas la même nature, mais ne faut-il pas s’attacher à l’objectif identique qu’elles recherchent ? On pourrait toutefois relever que l’article 526 ne tend pas à mettre un terme à l’instance d’appel, mais à imposer l’exécution du jugement frappé d’appel. Cette analyse conduit alors à bien distinguer l’objet de cette disposition de sa sanction. Elle est d’autant plus probante que la sanction privant l’appelant du droit à voir sa cause entendue en appel n’a été jugée compatible avec les exigences du procès équitable qu’au regard des objectifs qu’elle poursuit, à savoir l’exécution des décisions de justice, qui est l’une des composantes du droit au procès équitable, ainsi que la bonne administration de la justice. C’est en considération de ces objectifs que la Cour européenne des droits de l’homme a retenu, à l’occasion de l’affaire Chattelier, que ce dispositif était compatible avec les exigences de l’article 6, §1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales84. Ne pourrait- 79 Ph. Hoonakker, « Dernières réformes de l'exécution provisoire », Recueil Dalloz, 2006, p. 754, n° 19 ; Ph. Gerbay, « L'article 526 du NCPC : premières approches », Procédures, n° 6, juin 2006, étude 15.

80 F. Ferrand, Répertoire de procédure civile, « Appel », Dalloz, mars 2012, paragraphe n° 303.

81 F. Hoonakker, préc. n° 21 ; V. égal. F. Ferrand, préc.

82S. Guinchard, C. Chainais, F. Ferrand, Procédure civile, préc.

83 Ph. Gerbay, préc.

84 CEDH, Chattelier c. France, n° 34658/07, Procédures, 2011, comm. 171, Fricero.

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on ainsi pas défendre l’idée que la demande de l’article 526, faute de tendre, même indirectement, à l’extinction de l’appel, ne devrait pas permettre à l’intimé de se dispenser de conclure sur l’appel lui-même ? Ne pourrait-on d’ailleurs pas retenir, à la fois sous l’angle de la loyauté procédurale invoquée par le rapport de la mission Magendie et de l’effectivité des voies de recours, résultant du droit au procès équitable, l’intérêt de conclusions de l’intimé sur le sort de l’appel, permettant à l’appelant d’apprécier l’opportunité pour lui de persister en son appel et, à cette fin, d’exécuter la décision de première instance ? 3.3.2.2. Le régime de la radiation pour inexécution du jugement frappé d’appel 1° La demande de radiation ne s’inscrit pas toujours dans le schéma procédural dessiné par les articles 908 à 910 du code de procédure civile. En premier lieu, ainsi qu’il a été vu, cette demande peut être présentée à tout stade de l’instance et n’emprunte dès lors pas nécessairement la forme des conclusions en réponse. La demande peut ainsi être présentée avant toutes conclusions de l’appelant. C’est exactement le cas dans l’affaire donnant lieu à la demande d’avis. Il a même pu être observé que les cours d’appel examinaient d’un oeil plus favorable les demandes de radiation lorsqu’elles étaient présentées en début de procédure85. A l’inverse, avant la réforme de la procédure d’appel, il était considéré que cette demande pouvait être présentée à un stade avancé de l’instance, ce que la lettre de la réforme ne condamne d’ailleurs pas explicitement. En second lieu, l’article 526 prévoit que cette demande est tranchée par «le premier président ou, dès qu’il est saisi, le conseiller de la mise en état». Comme le relevait M.Verdun, «dans les affaires avec représentation obligatoire et mise en état, le premier président est seul compétent de la déclaration d’appel jusqu’à la désignation du conseiller de la mise en état»86, alors exclusivement compétent. La question se pose ainsi de savoir si la demande présentée au premier président ressortit à l’instance d’appel ? En effet, pour considérer qu’une telle demande vaut conclusions au sens de cet article, il pourrait être nécessaire de retenir qu’elle est présentée dans l’instance d’appel elle-même. On sait que pour l’application des pouvoirs que le premier président tient de l’article 524 du code de procédure civile, il a été considéré que celui-ci statuait par une décision mettant fin à une instance autonome et dès lors susceptible d’un pourvoi immédiat87. C’est dire que le premier président agit alors comme une juridiction autonome. De sorte que la demande de l’appelant tendant à l’arrêt de l’exécution provisoire ne devrait pas pouvoir être considérée comme valant conclusions au sens de l’article 908 du code de procédure civile. Transposer une telle solution au cas de l’article 526 du code de procédure civile devrait interdire de considérer que la demande de radiation puisse valoir conclusions au sens de l’article 909 du code de procédure civile lorsqu’elle est soumise au premier président plutôt qu’au conseiller de la mise en état. La question se pose d’autant plus dans le contexte de la réforme de l’appel, qui a prévu un premier échange de conclusions pouvant avoir lieu sans aucune intervention du 85 Chainais et Tapie, préc. ; D. Cholet, note ss. 2e Civ., 9 juillet 2009, pourvois n° 08-13.451 et 08-15.176, Bull. 2009, II, n° 192 JCP, 2009, 260.

86 G. Verdun, « La radiation atypique de la radiation de l’article 526 du code de procédure civile », Mélanges Guinchard, LGDJ, p. 871.

87 Ass. plén., 2 novembre 1990, pourvoi n° 90-12.698, Bull. 1990, AP, n° 11.

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conseiller de la mise en état, et n’a pas précisé à quel moment ce conseiller était désigné. Ajoutons qu’aucun texte ne précise quand et comment les parties sont informées de cette désignation88. Toutefois, certaines dispositions semblent présupposer que ce magistrat est désigné dès l’introduction de l’appel89 et c’est la position soutenue par plusieurs auteurs90. La Cour de cassation n’a pas, à notre connaissance, été amenée à déterminer si la demande soumise au premier président était formée dans le cadre de l’instance d’appel, ou si elle introduisait une instance autonome devant le premier président. Cela dit, les demandes prévues aux articles 524 à 525-1 du code de procédure civile ne sont pas identiques à celles présentées en application de l’article 526 de ce code. En effet, les premières, bien que conditionnées par l’exercice préalable d’un appel, concernent exclusivement l’exécution de la décision frappée d’appel. Au contraire, la demande formée en application de l’article 526 tend à la radiation de l’instance d’appel elle-même. Or, la radiation est classée parmi les incidents d’instance, qui sont tranchés par la juridiction devant laquelle se déroule l’instance qu’ils affectent (CPC, art. 50). Au surplus, à la différence des décisions rendues en application des articles 524 à 525-1, aucun pourvoi ne peut être formé contre la décision de radiation, qui constitue une mesure d’administration judiciaire91. Ces considérations pourraient conduire à considérer que la demande présentée en application de l’article 526 ressortit nécessairement à la procédure d’appel, laissant ouverte, sous cet angle, la possibilité que cette demande satisfasse à l’exigence de conclusions prescrite par l’article 909. 2° Si cette demande de radiation pour défaut d’exécution ne devait pas satisfaire aux prescriptions de l’article 909 du code de procédure civile, pourrait-elle suspendre ou interrompre le délai pour conclure ? On a vu qu’en principe une demande tendant à la radiation de l’instance ne suspend pas celle-ci, sauf disposition particulière. L’article 526 du code de procédure civile ne contient pas explicitement de disposition sur ce point. M. Pellerin, regrettant l’absence de règle particulière, estime qu’il aurait été possible de «s’inspirer des articles 1009-1 et 1009-3 » et indique qu’en cet état, «les parties, malgré la radiation, devront se prémunir en concluant dans les délais impartis sous peine d’être sanctionnées au cas où l’affaire serait réinscrite»92.

88 J-L Gallet, La procédure civile devant la cour d’appel, 2e éd., 2010, n° 185 ; C. Brenner et N. Fricero, La nouvelle procédure d’appel, 1ère éd., 2010, n° 289, qui observent que les parties sont avisées par l’avertissement du greffe les informant de la distribution de l’affaire ; cette pratique peut se prévaloir de l’article 970 du code de procédure civile, qui prévoit que les parties sont immédiatement avisées de la distribution de l’affaire à une chambre déterminée ; V. égal. B. Travier et F. Watremet, Répertoire de procédure civile, « Procédure devant la cour d’appel », Dalloz, septembre 2005 (mis à jour en septembre 2011), n°109.

89 Ainsi l’article 911-1, al. 2, du code de procédure civile ne confère-t-il compétence qu’à ce magistrat pour prononcer la caducité de la déclaration d’appel, en application de l’article 902, faute de signification de la déclaration d’appel.

90 Chainais et Tapie, préc. ; Cholet, préc.

91 2e Civ., 18 juin 2009, pourvoi n° 08-15.424 Bull., n° 167; 2e Civ., 10 fév. 2011, pourvoi n° 09-72.947 (non publié).

92 Pellerin, préc., § 21.

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Cela dit, les dispositions applicables devant la Cour de cassation, dont est inspiré l’article 526, ne prévoient pas non plus explicitement l’interruption du délai de dépôt du mémoire en réponse. Or la Cour de cassation a pu retenir un tel effet interruptif. Mais il est vrai que la Cour de cassation pouvait, à cette fin, s’appuyer sur les dispositions nettement plus précises la régissant, qui suggéraient une telle solution. L’article 1009-1 du code de procédure civile dispose que la requête en retrait du rôle doit être présentée avant l’expiration des délais prescrits pour le dépôt du mémoire en défense et l’article 1009-3 du même code ajoute que le délai imparti au défendeur pour déposer son mémoire en défense court à compter de la notification de la réinscription de l’affaire au rôle. A la lettre, ces deux dispositions ne confèrent pas à la seule demande de radiation du rôle un effet interruptif de délai, qui n’est formellement attaché qu’à la décision de radiation. Toutefois, l’effet utile de ces dispositions comme son esprit apparaissent assez clairement à leur lecture, de sorte que la Cour de cassation a pu juger que « le point de départ de l’interruption du délai de remise ou de signification du mémoire en défense est constitué par le dépôt de la requête en retrait du rôle effectué au greffe de la Cour de cassation ; en cas de retrait du rôle un nouveau délai court à compter de la notification de l’ordonnance autorisant la réinscription ; en cas de rejet le délai court à compter de la notification du rejet de la requête en retrait du rôle »93. Rien de tel n’est prévu à l’article 526 du code de procédure civile. En outre, la différence de régime pourrait s’appuyer sur les motifs de la décision Chattelier, dans laquelle la Cour européenne des droits de l’homme souligne que «compte tenu de la gravité de l’atteinte au droit à un tribunal à ce stade de la procédure, la Cour estime que l’Etat disposait en l’espèce d’une marge d’appréciation plus restreinte que dans les affaires portant sur l’article 1009-1 du code de procédure civile pour juger de l’opportunité de la mesure de radiation ». L’éventuelle extension prétorienne de la solution retenue pour le pourvoi devrait ainsi s’accorder avec les équilibres de la procédure d’appel. De façon plus générale, au regard de l’ensemble des considérations qui ont été développées, on peut estimer que la réponse à donner à la demande d’avis devrait procéder d’une articulation, voire d’une mise en cohérence, de la réforme de la procédure d’appel avec représentation obligatoire avec les principes généraux de la procédure civile et de l’appel.

93 3e Civ., 10 octobre 2001, pourvoi n° 98-20.269, non publié ; 2e Civ., 7 juin 2006, pourvoi n° 04-11.532, Bull.2006, II, n° 147.