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Droit Déontologie & Soin 8 (2008) 278–330 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Document Délégation, transferts, nouveaux métiers... Comment favoriser des formes nouvelles de coopération entre professionnels de santé ? Haute Autorité de santé, en collaboration avec l’Observatoire national de la démographie des professions de santé 1 2, avenue du Stade-de-France, 93218 Saint-Denis-La-Plaine cedex, France Disponible sur Internet le 17 novembre 2008 Présentation La recommandation 2 publiée en avril 2008 par la Haute Autorité de santé (HAS) « Délégation, transferts, nouveaux métiers... Comment favoriser des formes nouvelles de coopération entre professionnels de santé ? » est un étape majeure dans l’organisation des professions de santé. Le rapport final a été préparé par les travaux de trois groupes (juridique, économique et formation) et l’ensemble est une source d’une grande richesse tant par l’analyse du présent que par les perspectives dessinées pour les professions de santé pour l’avenir. Doit-on être d’accord avec les conclusions de la Haute Autorité de santé ? Le débat est libre, et ces questions, qui concernent la vie professionnelle d’un million de personnes, et de tous les citoyens, assurés sociaux, ne sauraient répondre à une alternative simple du type « oui ou non ». Liberté, bien sûr, et l’expression de toutes les critiques est salutaire. Mais l’essentiel est que le plus grand nombre aient accès au rapport et que celui-ci ne rejoigne pas la pile des rapports qui, aussitôt publiés, sont déjà oubliés. Ce document est d’une grande qualité pédagogique. Aussi avons-nous souhaité nous arrêter sur cette recommandation par la publication de larges extraits, en particulier de ses annexes juridiques. Débattre, oui, mais une fois informé. Et ce rapport mérite la plus large diffusion. © 2008 Publi´ e par Elsevier Masson SAS. La rédaction de DDS. 1 Haute Autorité, de santé : www.has-santé.fr. 2 Haute Autorité de santé. http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/reco coopration vvd 16 avril 2008. 1629-6583/$ – see front matter © 2008 Publi´ e par Elsevier Masson SAS. doi:10.1016/j.ddes.2008.09.001

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Droit Déontologie & Soin 8 (2008) 278–330

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

Document

Délégation, transferts, nouveaux métiers. . .Comment favoriser des formes nouvelles

de coopération entre professionnels de santé ?

Haute Autorité de santé, en collaboration avec l’Observatoirenational de la démographie des professions de santé1

2, avenue du Stade-de-France, 93218 Saint-Denis-La-Plaine cedex, France

Disponible sur Internet le 17 novembre 2008

Présentation

La recommandation2 publiée en avril 2008 par la Haute Autorité de santé (HAS) « Délégation, transferts,nouveaux métiers. . . Comment favoriser des formes nouvelles de coopération entre professionnels desanté ? » est un étape majeure dans l’organisation des professions de santé. Le rapport final a été préparé parles travaux de trois groupes (juridique, économique et formation) et l’ensemble est une source d’une granderichesse tant par l’analyse du présent que par les perspectives dessinées pour les professions de santé pourl’avenir.

Doit-on être d’accord avec les conclusions de la Haute Autorité de santé ? Le débat est libre, et cesquestions, qui concernent la vie professionnelle d’un million de personnes, et de tous les citoyens, assuréssociaux, ne sauraient répondre à une alternative simple du type « oui ou non ».

Liberté, bien sûr, et l’expression de toutes les critiques est salutaire. Mais l’essentiel est que le plus grandnombre aient accès au rapport et que celui-ci ne rejoigne pas la pile des rapports qui, aussitôt publiés, sontdéjà oubliés.

Ce document est d’une grande qualité pédagogique. Aussi avons-nous souhaité nous arrêter sur cetterecommandation par la publication de larges extraits, en particulier de ses annexes juridiques.

Débattre, oui, mais une fois informé. Et ce rapport mérite la plus large diffusion.© 2008 Publie par Elsevier Masson SAS.

La rédaction de DDS.

1 Haute Autorité, de santé : www.has-santé.fr.2 Haute Autorité de santé. http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/reco coopration vvd 16 avril

2008.

1629-6583/$ – see front matter © 2008 Publie par Elsevier Masson SAS.doi:10.1016/j.ddes.2008.09.001

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Synthèse

Introduction

Cette recommandation traite des nouvelles formes de coopération entre pro-fessionnels de santé, définies comme une nouvelle répartition de tâchesexistantes ou la répartition de nouvelles tâches entre professionnels desanté. Elle s’inscrit donc dans la problématique générale de l’amélioration del’organisation des soins.Dans un contexte où se mêlent l’apparition de nouveaux « besoins » de santé,l’évolution de la demande adressée aux professionnels, des progrès techno-logiques importants et la diminution annoncée du nombre de médecins, cettequestion mérite une attention toute particulière.Les enjeux des nouvelles formes de coopération sont multiples :

• L’amélioration de la qualité des soins est recherchée en favorisant le déve-loppement de certaines activités (l’éducation thérapeutique par exemple)et/ou la réorganisation de la prise en charge des patients (par exemple, pourle suivi des malades chroniques).

• Si l’on ne peut attendre de ces nouvelles formes de coopération de réductionimmédiate des dépenses de santé, en raison notamment des besoins enformation, le maintien, voire l’amélioration, de la qualité de la prise en chargedes patients constitue un objectif premier et essentiel en termes d’efficiencedu système de santé.

• L’évolution des pratiques grâce aux nouvelles formes de coopérationreprésente un élément clé d’attractivité des professions. Pour les méde-cins, elles peuvent contribuer à améliorer les conditions d’exercice, endéveloppant l’exercice pluriprofessionnel et en leur permettant de privi-légier les activités purement médicales. Pour les autres professions desanté, l’accroissement des missions et la reconnaissance de l’évolution descompétences offrent des possibilités d’évolution de carrière autres que lesseuls postes d’encadrement.

Des conditions actuelles d’exercice peu propices à une évolution despratiques

Les conditions de formation initiale des professions de santé créent d’embléeune séparation entre les médecins, dont la formation relève d’une filière univer-sitaire longue (9 à 11 ans), et les professions paramédicales, dont la formationcorrespond à des filières professionnelles plus courtes (3 ans en moyenne). Iln’existe que peu de passerelles à l’exception de celles mises en place à l’issuede la première année de médecine.

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Le cadre juridique de l’exercice des professions médicales et des autres pro-fessions de santé est construit en référence aux diplômes et à la notion de« monopole médical ». Le monopole médical est défini comme une exonéra-tion légale au principe de protection de l’intégrité corporelle des personnes,c’est-à-dire que seuls les médecins sont autorisés à porter atteinte à cette inté-grité. Dans le Code de la santé publique, le périmètre d’exercice des autresprofessions de santé est défini en dérogation à ce monopole.Les modes de rémunération des professionnels de santé, tant en ville qu’àl’hôpital, offrent a priori peu de place au développement de nouvelles formesde coopération. En ville, ils sont construits autour de l’exercice individuel et,à l’hôpital public, ils sont déterminés en fonction des statuts plutôt que desmissions.Il est possible de modifier de manière conjoncturelle le cadre existant pourdévelopper les nouvelles formes de coopération au cas par cas. Cette modi-fication peut concerner le domaine juridique (introduction d’un acte dans undécret d’exercice), la formation ou les conditions de financement des soins(création d’un acte dans la nomenclature) mais cette approche est nécessai-rement limitée à des ajustements ponctuels et sa généralisation en routinenécessiterait de mettre en place un système complexe.Il apparaît, dès à présent, souhaitable de pérenniser l’activité dérogatoire miseen place dans les sites expérimentateurs, sous réserve que les équipes enfassent la demande officielle auprès du ministère de la Santé et que la HASet/ou l’ONDPS valident l’expérimentation sur la base de son évaluation.

Pour un cadre rénové créant les conditions favorables au développementdes nouvelles formes de coopération

Seule une approche structurelle, qui repose sur la production d’un nouveaucadre de référence professionnel, est à même de répondre de manière cohé-rente et pérenne aux enjeux de qualité, d’efficience et d’attractivité.Les travaux nécessaires à la rénovation de l’organisation des professions desanté doivent être initiés le plus rapidement possible avec l’ensemble despartenaires institutionnels et professionnels.L’élaboration d’un nouveau cadre de référence professionnel passe par larévision fondamentale et simultanée des trois piliers de l’organisation des pro-fessions de santé : le système de formation, le cadre juridique et les conditionséconomiques d’exercice.Le système de formation des professionnels de santé doit être repensé dansle cadre du dispositif licence-master-doctorat (LMD), selon un continuum decompétences répondant aux besoins de santé publique actuels et à venir,avec en particulier le développement de formations de niveau master et defilières de recherche. Ainsi, il convient de définir des champs prioritaires pour ledéveloppement des nouvelles formes de coopération en fonction des besoins

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ou des priorités de santé publique identifiés par les acteurs concernés(autorités de tutelle, patients et professionnels de santé) ; de construiredes référentiels métiers et compétences permettant de répondre auxbesoins identifiés ; de développer une offre de formation adaptée auxenjeux.Le cadre juridique doit dépasser l’approche nécessairement restrictive d’uneliste d’actes autorisés par profession pour évoluer vers une logique mixte,définissant également les professions de santé par les missions qui leursont confiées. À ce titre, il convient de modifier l’article L. 4161-1 du Codede la santé publique. Les nouvelles formes de coopération appellent aussiune évolution des règles déontologiques pour l’ensemble des professionsconcernées et renforcent le besoin d’une régulation professionnelle organi-sée.Les conditions de financement et de rémunération des professionnels desanté doivent inciter au développement des nouvelles formes de coopéra-tion. Dans le secteur ambulatoire, il convient d’expérimenter de nouveauxmodes de rémunération qui laissent une place à d’autres éléments quele paiement à l’acte. À l’hôpital, si la tarification à l’activité peut consti-tuer un moteur pour le développement des coopérations, il apparaîtcependant nécessaire de modifier les règles de rémunération des pro-fessionnels paramédicaux dans le secteur public. Enfin, dans ces deuxsecteurs, il importe de tenir compte des activités liées à la coordina-tion.

Pour un développement des nouvelles formes de coopération qui améliorela qualité du système de santé

Les évolutions du cadre d’exercice des professions de santé constituent unsocle indispensable pour créer des conditions favorables au développementdes nouvelles formes de coopération. La mise en œuvre des nouveaux métierset des nouveaux rôles professionnels permis par ce cadre doit être accom-pagnée. La définition des modalités concrètes de développement de cesnouvelles formes de coopération est nécessaire dans un objectif de qua-lité.La mise en place de ces nouvelles organisations du travail doit tenir comptedes principes définis dans le document de la HAS « Bases méthodologiquespour la réalisation d’un cahier des charges ».Il convient d’intégrer le développement des nouvelles formes de coopérationdans le cadre des réflexions actuelles sur l’organisation des soins et notam-ment celles concernant les parcours de soins.Il est nécessaire d’évaluer l’impact des nouvelles formes de coopérationsur l’ensemble du système de santé en termes de qualité des soins etd’efficience.

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1. Introduction

Du fait des progrès de la recherche scientifique et des innovations cliniques et techniques,de l’émergence des problèmes de santé publique et, aussi, des transformations plus généralesde la société, les métiers de la santé ont connu des changements majeurs. Le partage des rôlesentre professionnels de santé, l’articulation des différentes interventions, la coordination descompétences professionnelles autour du patient sont en perpétuelle évolution.

Outre son inscription naturelle dans la dynamique de la médecine, cette évolution s’insèredans une conjoncture de tension prévisionnelle en termes de démographie professionnelle. Ladiminution prévisible de la densité médicale et du temps médical pose la question de l’optimisationde l’organisation des soins et de la prise en charge des patients. Une nouvelle répartition des tâchesentre professionnels permettant l’optimisation du « temps médical et paramédical disponible »pourrait offrir une perspective de réponse aux difficultés démographiques actuelles et à venir.Toutefois, les expériences internationales et l’analyse de la répartition territoriale de l’ensembledes professions de santé laissent penser que cela ne suffit pas à résoudre les questions liées à ladémographie des professionnels de santé et notamment la question de la répartition territorialedes professionnels.

Néanmoins, la répartition des tâches entre professionnels de santé est un facteur essentielde la qualité du système de santé et de sa capacité à répondre aux besoins de la population.Cela implique une réflexion qui doit s’étendre, au-delà des coopérations entre médecins et infir-miers, à l’ensemble des professions de santé (pharmaciens, sages-femmes, kinésithérapeutespar exemple), aux autres professions intervenant dans le domaine sanitaire (comme les aides-soignantes ou les secrétaires médicales), aux professionnels avec lesquels ils sont amenés àtravailler (travailleurs sociaux notamment), jusqu’aux patients, acteurs de leur propre prise encharge.

Cette recommandation s’inscrit dans la problématique générale de l’amélioration del’organisation des soins. Les nouvelles formes de coopération entre professionnels de santé sontdéfinies comme :

• une nouvelle répartition de tâches existantes, dans une logique de substitution ;• la répartition de nouvelles tâches, dans une logique de diversification des activités3.

1.1. La genèse du projet

Cette recommandation se situe dans la lignée des travaux initiés depuis décembre 2003 par leministre chargé de la Santé sur le thème des coopérations entre professions de santé, à la suite durapport 2002 de la mission « Démographie des professions de santé ».

Une première mission sur la coopération des professions de santé confiée au Pr Berland apermis : de définir un premier état de la question à partir de l’analyse de la situation internationaleet d’une série d’auditions de professionnels de santé ; de préciser des modalités concrètes delancement d’expérimentations sur les nouvelles formes de coopération. Le ministre chargé dela santé a alors annoncé le lancement de plusieurs projets d’expérimentations portés par deséquipes médicales volontaires. La loi d’orientation en santé publique du 9 août 2004, qui a

3 En pratique, les expériences étrangères et l’évaluation des expérimentations francaises montrent que ces deux logiquesne sont généralement pas exclusives.

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été suivie par les deux arrêtés d’application de décembre 2004 (5 projets) et du 30 mars 2006(10 nouveaux projets et 3 projets renouvelés), autorise la dérogation temporaire dans ce cadreexpérimental.

L’ONDPS a encadré le travail de formalisation et d’évaluation des cinq premières expéri-mentations qui se sont déroulées en 2005. Le rapport d’évaluation publié par l’ONDPS enjuillet 2006 conclut que « tous les projets présentés montrent qu’il est possible pour des pro-fessionnels paramédicaux de réaliser des actes médicaux sans danger pour les patients, auprix d’une réorganisation des processus de travail et d’une étroite collaboration avec les méde-cins ».

Ce rapport a, en outre, été suivi de dispositions législatives concernant l’organisation de lacoopération dans certaines spécialités.

L’arrêté du 30 mars 2006 étend la démarche expérimentale à dix nouveaux projetsavec la reconduction de trois projets issus de l’arrêté de décembre 2004. Ce secondarrêté permet d’élargir le champ observé et de compléter la nature des informationsrecueillies.

C’est dans ce cadre que le ministre chargé de la santé a confié à la Haute Autorité de santé unedouble mission :

• assurer le suivi de l’évaluation des expérimentations en cours en apportant aux promoteurs deces expérimentations l’aide méthodologique et logistique nécessaire ;

• élaborer une recommandation générale dans ce domaine de la coopération entre professionnelsde santé.

1.2. Le contenu de la recommandation

Cette recommandation devra s’intéresser aux conditions des nouvelles formes de coopération :organisation des soins, formation des professionnels, etc. et devra porter :

• d’une part, sur les conditions de généralisation des expérimentations en cours ;• d’autre part, sur une extension à l’ensemble du champ de la santé de la démarche.

Cette recommandation est le fruit d’une coopération entre la Haute Autorité de santé etl’Observatoire national de la démographie des professionnels de santé.

La recommandation est organisée en quatre grands chapitres. On trouvera ci-dessous delarges extraits des trois premiers chapitres :

• une présentation des principaux enseignements des expérimentations francaises et des expé-riences internationales ;

• un état des lieux sur les conditions de l’exercice des professions de santé et les opportunités etles limites au développement des nouvelles formes de coopération ;

• les évolutions structurelles nécessaires à un développement plus ambitieux des nouvelles formesde coopération ;

• les conditions de mise en œuvre des nouvelles formes de coopération garantissant la qualité dusystème de santé.

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2. Les nouvelles formes de coopération : quels enseignements des expérimentationsfrancaises et des expériences internationales ?

2.1. Les enseignements des expériences étrangères sur l’impact des nouvelles formes decoopération

Un certain nombre de pays ont, depuis longtemps, pensé et mis en œuvre des pratiques coopé-ratives entre professionnels de santé à la fois en ce qui concerne les soins primaires (en particulierle Royaume-Uni et le Québec) et les soins spécialisés.

Ces expériences, le plus souvent anglo-saxonnes, offrent une piste d’analyse intéressante pourréfléchir aux enjeux des nouvelles formes de coopération entre professionnels de santé en France.Tout d’abord, elles montrent l’importance de l’environnement ainsi que de l’organisation del’offre de soins et de la médecine de ville. La littérature américaine sur les nouvelles formes decoopération (skill mix) s’est ainsi d’abord focalisée sur les expériences visant à une substitutionentre les divers types de professionnels de santé (médecins-infirmières, psychiatres-conseillersen psychiatrie, médecins-pharmaciens, médecins-diététiciens, infirmière-personnel non qualifié,infirmière-diététicien) au début des années 1990, puis a analysé les expériences de diversificationdes services proposés aux patients. C’est, au contraire, la question du volume et de la diversificationdes activités de soins qui a, semble-t-il, constitué la porte d’entrée à la réflexion sur les coopéra-tions entre professionnels au Royaume-Uni, la problématique de la substitution intervenant plustardivement dans les débats.

Ces deux approches des coopérations entre professionnels illustrent l’importance des facteursde contexte. Si, aux États-Unis, les principaux problèmes du système de santé sont liés à soncoût, au Royaume-Uni, c’est souvent la médiocre qualité de la prise en charge des patients quia été dénoncée dans les années 1990. Dès lors, on comprend que la problématique principaleabordée aux États-Unis soit celle de la substitution entre des professionnels ayant des niveauxde rémunération différents, afin de « produire » un ensemble de soins donné au moindre coût. Àl’inverse, au Royaume-Uni, la priorité a été de proposer la meilleure prise en charge possible, àniveau de ressources donné (humaines mais aussi financières).

2.2. Les enseignements à retenir

Nonobstant des contextes et des enjeux différents, les expériences américaines et anglaisespermettent de dégager des enseignements généraux utiles quant à l’impact potentiel des nouvellesformes de coopération.

2.2.1. Améliorer la qualité des soinsIl apparaît d’abord que les expériences de coopération ont un impact significatif sur le contenu

même du processus de soins. Elles peuvent ainsi permettre d’améliorer la qualité des soins enfavorisant le développement de certaines activités (l’éducation thérapeutique par exemple) et/ou laréorganisation de la prise en charge des patients avec des professionnels paramédicaux possédantdes compétences étendues (par exemple pour le suivi des malades chroniques).

2.2.2. Répondre aux tensions de démographie professionnelleLes coopérations peuvent aussi permettre de faire face à des insuffisances du nombre de

médecins grâce à une utilisation plus efficiente des compétences disponibles. Si elles peuventcontribuer à dégager du « temps médecin » lorsqu’elles relèvent d’une logique de substitution,

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leur impact dépend toutefois de l’utilisation de ce temps dégagé. Par ailleurs, dans le contextefrancais elles ne permettront probablement pas, à elles seules, de résoudre des difficultés liéesà des pénuries localisées de médecins ; la répartition géographique des autres professionnels desanté est, en effet, le plus souvent proche de celle des médecins.

2.2.3. Améliorer l’efficience du système de santéEn termes de coût, les expériences étrangères montrent plutôt une hausse des dépenses à

court terme. Si les coopérations améliorent l’efficience, c’est par l’amélioration des résultatsobtenus en termes de qualité de la prise en charge. En effet, le développement des coopérationss’accompagne d’une phase de formation souvent coûteuse. De plus, si les coopérations répondentà une demande non satisfaite, elles aboutissent à une hausse des dépenses liées à un effet volume.Enfin, lorsqu’elles permettent le développement de nouveaux rôles, elles sont également facteurde hausse des dépenses, avec un effet qualité. Il importe donc de raisonner en termes d’efficienceplutôt que d’économies.

2.2.4. Valoriser les compétences professionnellesEnfin, les coopérations peuvent contribuer à la revalorisation de certaines professions dans la

mesure où elles font l’objet de formations et de qualifications reconnues, permettant des évolu-tions de carrière. Cependant, la multiplication de ces nouvelles tâches peut aussi être synonymede surcharge de travail, et peut alors être vécue comme un moyen de transférer les malades lesplus lourds (gériatrie, patients en fin de vie, patients ayant aussi besoin d’une prise en chargesociale).

3. Le développement des nouvelles formes de coopération : opportunités et limites ducadre actuel d’exercice

La question du développement de nouvelles formes de coopération entre professionnels desanté se pose aujourd’hui entre des professionnels motivés par une même mission – participer àla meilleure prise en charge possible de la population et des patients – mais exercant dans desconditions très différentes.

Ce chapitre propose tout d’abord une analyse du cadre d’exercice des professions de santédéfini par la formation initiale des professionnels, les conditions juridiques de leur exercice et, enparticulier, la définition juridique des professions de santé et, enfin, le contexte économique decet exercice.

Une deuxième section est consacrée aux aménagements de ce cadre qui pourraient permettrele développement des nouvelles formes de coopération.

Enfin, la troisième section met en évidence les limites de ces aménagements, les freins audéveloppement des nouvelles formes de coopération étant structurels et ne pouvant être levéssans une véritable rénovation du cadre d’exercice.

3.1. L’exercice des professions médicales et paramédicales aujourd’hui : formation, contextejuridique et économique

Le Code de la santé publique distingue trois grandes catégories de professions de santé :

• les « professions médicales » : les médecins, les sages-femmes et les odontologistes ;

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• les « professions de la pharmacie » : les pharmaciens et les préparateurs en pharmacie ;• les « professions d’auxiliaires médicaux » : infirmier(e), masseur-kinésithérapeute et pédicure-

podologue, ergothérapeute et psychomotricien(ne), orthophoniste et orthoptiste, manipulateurd’électroradiologie médicale, audioprothésiste, opticien- lunetier, prothésiste et orthésiste pourl’appareillage des personnes handicapées et diététicien(ne).

La formation de ces différentes professions, les conditions juridiques et le contexte économiqueet organisationnel de leur exercice constituent le cadre de référence au sein duquel s’organisent,en théorie, la prise en charge des patients et les modalités d’intervention des uns et des autres.

En ce qui concerne les médecins, la formation, le cadre juridique et les conditions économiquesd’exercice mettent l’accent sur l’autonomie et l’indépendance. Cette profession bénéficie d’unereconnaissance universitaire, d’une exception générale au principe de protection de l’intégritécorporelle et de la capacité à engager des dépenses financées collectivement. Les conditionsd’exercice légales et économiques des autres professions de santé sont, le plus souvent, définiesen référence à celles des médecins.

3.1.1. Des conditions de formation initiale qui créent d’emblée une séparation entre lesdifférentes professions de santé

La possession d’un diplôme déterminé par la loi, et donc la formation aux professions de santé,est ce qui autorise l’exercice des professions de santé. Cette formation est à la fois théorique etpratique pour l’ensemble des professions de santé.

Celle des médecins se caractérise par la longueur de son cursus. Elle se fait en neuf à 11 ans aucours de trois cycles d’études. Les autres professions médicales (sages-femmes et odontologistes)bénéficient, elles aussi, d’une formation relativement longue avec une première année communeavec les médecins ; cinq ans pour les sages-femmes ; entre six et huit ans pour les odontologistes.

La formation des auxiliaires médicaux dure en moyenne trois ans, une partie de ce temps –comme pour les autres professions de santé – étant consacrée à des stages pratiques. Les auxiliairesmédicaux peuvent, après une première expérience professionnelle, suivre une formation de dixmois à l’encadrement des équipes soignantes et à l’enseignement. Les infirmières ont, de plus,la possibilité de suivre des formations supplémentaires spécialisées en vue d’obtenir un diplômed’État d’infirmière anesthésiste, d’infirmière de bloc opératoire ou d’infirmière puéricultrice. Ladurée de ces formations varie de 12 à 24 mois avec 700 à 900 heures d’enseignements théoriqueset 700 à 2500 heures de stage. Elles permettent, notamment, d’accéder à la catégorie A de lafonction publique.

On peut noter un rapprochement récent entre les études médicales et celles des auxiliairesmédicaux ; certains instituts de formation de kinésithérapie (la moitié des instituts sont dansce cas), de manipulateurs d’électroradiologie et d’infirmiers (à titre expérimental pour les deuxderniers) recrutent tout ou partie de leurs effectifs à l’issue d’une première année de médecine.

Les médecins, les chirurgiens-dentistes, les pharmaciens, les orthophonistes, les orthoptisteset les conseillers en génétique suivent une formation universitaire qui dépend de l’enseignementsupérieur4 ; les autres professions suivent une formation professionnelle sous l’égide du ministèrede la Santé.

Au final, il apparaît que les formations proposées aux professions de santé sont marquées parun écart important en termes de durée (9 à 11 ans pour les médecins et 3 ans le plus souvent pour

4 La formation des orthophonistes et des orthoptistes relève aussi de l’université dans le cadre d’une capacité nationale.

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les auxiliaires médicaux) et de nature de l’enseignement dispensé (universitaire avec un cursusde recherche pour certaines professions, professionnel pour les auxiliaires médicaux et les sages-femmes sans possibilité d’évolution autre que managériale). Cette organisation singulière – lesautres professions étant généralement structurées autour d’un continuum de qualification (brevetprofessionnel, technicien, ingénieur, docteur) – ne reconnaît que très partiellement le besoin enqualifications intermédiaires5.

3.1.2. Un cadre légal d’exercice qui entérine cette séparationDans le système de droit francais, une intervention sur le corps humain, si elle entraîne un

dommage, constitue, par principe, une « atteinte à l’intégrité physique des personnes » au sensdu Code pénal. Elle est, à ce titre, punissable, la peine dépendant de la gravité de l’atteinte. Celaimplique, en particulier, que seule la loi peut autoriser un professionnel de santé à intervenir surle corps humain.

Les conditions d’une atteinte légitime à l’intégrité corporelle sont mentionnées à l’article16-3 du Code civil : « Il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas denécessité médicale pour la personne ou à titre exceptionnel dans l’intérêt thérapeutique d’autrui.Le consentement de l’intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rendnécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n’est pas à même de consentir ». Le critèrelégal de légitimité des interventions sur le corps humain retenu par le législateur est celui de laqualification professionnelle liée à l’obtention d’un diplôme ou d’un titre équivalent, véritable« permis de soigner ».

La notion de qualification constitue donc la clé de voûte de cette organisation. Soulignons,à ce propos, que cette organisation n’est pas fondée sur la compétence qui renvoie à la mise enœuvre d’une combinaison de savoirs en situation (une facon adaptée et reconnue de faire et de secomporter) par les professionnels, mais sur l’inscription de l’intervention dans les cadres légaux.

La profession médicale, qui est au cœur du système d’organisation des professions de santé,est définie sur le principe d’une exonération au principe de protection de l’intégrité corporelle.Cette exonération constitue le « monopole médical ». Les interventions des autres professionnelsde santé sont, pour leur part, concues comme des dérogations à ce monopole. Pour les autresprofessions médicales (sages-femmes et odontologistes), ces dérogations sont autorisées dansle cadre d’un modèle d’intervention fondé sur les missions qui leur sont imparties. Pour lesauxiliaires médicaux, elles sont autorisées dans le cadre des décrets d’actes. Ce cadre juridiquedéfinit en particulier les règles de la responsabilité des professionnels de santé.

Par souci de clarification, les termes « délégations » et « transferts » n’ont pas été utilisés dansce rapport en dehors du titre. Ces termes sont aujourd’hui largement utilisés par les professionnelsde santé lorsqu’ils s’intéressent à la question des nouvelles modalités de répartition des activités.Cependant, les travaux du groupe juridique nous amènent à penser qu’ils peuvent générer desconfusions importantes, notamment en ce qui concerne la responsabilité des uns et des autres.

En effet, selon le droit pénal, seule la loi peut autoriser un professionnel à porter atteinte àl’intégrité corporelle d’un être humain et cette autorisation n’est ni transférable ni délégable.Un médecin qui transférerait ou déléguerait certaines activités qui appartiennent à lui seul sur leplan légal, de manière isolée, à un professionnel paramédical engagerait sa responsabilité pénale.En revanche, l’impact des nouvelles formes de coopération, dès lors que la loi les autorise, sur

5 Par exemple, dans les métiers de l’enseignement on trouve des professeurs des écoles, des professeurs certifiés, desprofesseurs agrégés, des maîtres de conférence et des professeurs des universités.

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la responsabilité civile des professionnels concernés est lié au mode de collaboration entre cesprofessionnels (indépendants, salariés d’un même établissement ou engagés par un contrat detravail).

L’arrêté du 6 janvier 1962 définit ainsi la liste, limitative, des actes pouvant être délégués parun médecin à un paramédical – ceux-ci étant réalisés soit sous le contrôle direct d’un médecin,soit sur sa prescription – et, dans le cas particulier des infirmiers, les actes pouvant être réalisésdans le cadre du « rôle propre ».

Cet arrêté a été pris sur le fondement des dispositions du Code de la santé publique relativesà l’exercice illégal de la médecine. Cela veut dire que les possibilités légales d’intervention desauxiliaires médicaux sont déterminées au regard d’une liste limitative d’actes énumérés par l’arrêtdu 6 janvier 1962.

3.1.3. Des modes de rémunération des professionnels de santé relativement rigidesL’organisation de l’offre de soins en France est fondée sur deux secteurs, la ville et l’hôpital,

obéissant à des règles de fonctionnement et de gestion très différentes. Dans le secteur ambula-toire, l’offre de soins comprend à la fois des soins de premier recours assurés par des médecinsgénéralistes et des professionnels paramédicaux exercant le plus souvent dans un cadre libéralet des soins spécialisés effectués par des médecins spécialistes exercant eux aussi dans un cadrelibéral.

Le cadre libéral s’accompagne d’un mode de rémunération des professionnels essentiellementfondé sur le paiement à l’acte. Le revenu de chaque professionnel libéral, qu’il soit médecin géné-raliste, médecin spécialiste ou professionnel paramédical, est ainsi directement lié à son activitépropre, laquelle va dépendre du mode de partage de l’activité existant entre ces professionnels. Ilfaut toutefois souligner que la Convention médicale de 2005 prévoit la possibilité pour un méde-cin, salariant au sein de son cabinet un auxiliaire médical, de facturer les actes effectués par ceprofessionnel.

On peut distinguer deux grands groupes d’actes pour les médecins :

• les actes techniques, identifiés dans la nomenclature ;• les actes cliniques, inclus de manière forfaitaire dans le tarif des consultations (c’est-à-dire

qu’il n’est pas possible d’isoler, au sein d’une même consultation, les différents actes cliniquesqui la composent.

En matière d’actes cliniques, il convient de souligner que la rémunération d’une consul-tation n’est liée ni à son niveau de difficulté ni à sa durée. Par exemple, une premièreconsultation est facturée de la même facon qu’une consultation de suivi ou de renouvelle-ment d’ordonnance. Cela signifie que les consultations médicales les plus simples et les plusrapides – qui sont aussi celles qui sont considérées comme pouvant être éventuellement réali-sées par un autre professionnel de santé – sont au final les plus « rentables » pour les médecins.Ces derniers n’ont donc pas d’incitation financière à confier la réalisation de ces consultationsà un autre professionnel. En revanche, en matière d’actes techniques, les cumuls de cota-tion sont encadrés et les tarifs sont dégressifs. Dès lors, ne pas faire un acte technique parmiplusieurs lors d’une même consultation ne modifie pas de manière notable le revenu du méde-cin.

Les nouvelles formes de coopération entre professionnels de santé en ville s’inscrivent doncdans un contexte économique qui valorise plus naturellement l’exercice individuel. L’équilibreéconomique pour les professionnels impliqués dans ces coopérations – qui est une condi-

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tion a minima de leur développement – n’est pas assuré de manière automatique, notammentlorsque ces coopérations impliquent un nouveau partage des activités. Ainsi, l’expérimentationde coopération entre orthoptiste et ophtalmologue – qui relève de la substitution – a montré quel’équilibre économique n’est atteint que pour les médecins exercant en secteur 2. De même, dansle cadre de l’expérience Asalée – qui relève d’une diversification de l’activité – le salaire del’infirmière n’est pas compensé par une augmentation de l’activité des médecins. Si quelquesopportunités existent à mode de rémunération constant – et, en particulier, pour les actes tech-niques – des évolutions du mode de rémunération des professionnels de santé semblent toutefoisnécessaires.

À l’hôpital, le contexte économique peut s’appréhender à deux niveaux : celui del’établissement avec la tarification à l’activité et celui des professionnels de santé salariés rému-nérés en fonction de « grilles » dans les établissements publics.

À court terme, la méthodologie de fixation actuelle des tarifs hospitaliers – à l’exception desactivités pour lesquelles sont définis des coûts standard normés ou pour lesquelles l’entité debase de facturation (GHS, forfait) est homogène médicalement (ex : dialyse, chimiothérapie) –ne tient pas compte de la structure des personnels et de son évolution. Elle peut ainsi permettreaux établissements d’engranger des gains de productivité liés à la répartition des activités entreprofessionnels de santé du fait de la différence de salaire entre les médecins et les professionnelsparamédicaux.

Par ailleurs, les conditions de rémunération des professionnels paramédicaux à l’hôpitalpublic obéissent aux règles de la fonction publique hospitalière. Les rémunérations s’inscriventainsi dans le cadre de « grilles » qui ne permettent que peu d’évolution pour les person-nels paramédicaux dans le domaine des soins. Les principales opportunités de carrière pourles infirmières se situent dans l’encadrement des équipes soignantes ou encore sur quelquesspécialités précises (infirmières de bloc opératoire, infirmières anesthésistes ou infirmières pué-ricultrices).

3.2. Des aménagements possibles du cadre d’exercice. . .

L’intérêt des professionnels de santé pour les nouvelles formes de coopération est indéniable.Ceux qui se sont lancés dans les expérimentations ont accepté un investissement conséquent : lamise en place de nouvelles formes de coopération suppose une phase d’apprentissage commun del’ensemble des professionnels impliqués, des formations pour les professionnels paramédicauxauxquels on confie de nouvelles tâches. . .

L’enquête sur les pratiques actuelles de coopération menée par la HAS met en évidence denombreuses expériences informelles concernant, par exemple, le suivi de malades chroniques oula réalisation d’actes techniques.

Enfin, lors de la consultation publique lancée par la HAS sur son projet de recommandation, denombreux professionnels ont identifié des activités aujourd’hui réalisées par un médecin qui pour-raient être confiées à d’autres professionnels de santé (infirmières, masseurs-kinésithérapeutes ouencore pharmaciens).

Ces initiatives et cet intérêt doivent, aujourd’hui, trouver un écho auprès des différentesinstitutions du monde de la santé. L’aménagement du cadre d’exercice actuel peut apporterun certain nombre de réponses à ces professionnels. Il convient pour cela de distinguer deuxgrands types de coopérations : celles liées à la réalisation d’actes bien identifiés et pouvantêtre décrits précisément dans le cadre de protocoles (plutôt dans une logique de substitu-tion) et celles ressortissant à une évolution des modalités de prise en charge comme, par

290 Document / Droit Déontologie & Soin 8 (2008) 278–330

exemple, les coopérations dans la prise en charge des malades chroniques (dans une logiquede diversification)6.

3.2.1. La réalisation d’actes précis : une adaptation à la marge du cadre juridiqueLa réalisation d’actes précis qui ne sont pas aujourd’hui listés dans les décrets d’actes – ces

actes pouvant, en particulier, être ceux évalués dans le cadre des expérimentations – par desprofessionnels non médecins peut, dans une certaine mesure, se développer sans bouleversementde l’organisation juridique, économique ou de l’offre de formation.

Il est ainsi possible de faire évoluer les décrets d’actes, profession par profession, lorsquecela semble pertinent et à condition que les professionnels soient formés pour prendre en chargeles nouveaux actes. Il s’agit donc d’un aménagement du cadre juridique actuel des professionsparamédicales qui ne modifie pas la logique qui sous-tend ce cadre.

Par ailleurs, en termes de formation des professionnels à la réalisation de ces nouveaux actes,le développement d’une offre importante de formation accessible aux paramédicaux constitueune opportunité intéressante. Ainsi, dans les seules universités de la région parisienne, 149DU et diplôme interuniversitaire (DIU) accessibles aux infirmières ont pu être recensés. Cesdiplômes, aujourd’hui relativement hétérogènes7, pourraient constituer, sous réserve d’un mini-mum d’harmonisation, une voie d’accès pour les professionnels paramédicaux à un plus hautniveau de connaissance et d’expertise.

Enfin, les règles de rémunération des professionnels et celles du financement des établissementsde santé peuvent aussi offrir des opportunités de développement des coopérations pour certainsactes bien identifiés.

Ainsi, en ville, certains actes peuvent donner lieu à une prise en charge à travers la nomenclaturedes actes libéraux sans difficultés majeures, dès lors que des règles de bonne pratique concernantles modalités d’accès aux professionnels paramédicaux sont édictées. Il semble aujourd’hui peuréaliste de concevoir l’intervention de ces professionnels en dehors d’une prise en charge médicaleavec une orientation par le médecin vers les autres professionnels8. Cependant, même si le médecinreste le prescripteur initial, la question du renouvellement de cette prescription dans le cadre d’unprotocole mérite d’être abordée.

À l’hôpital, le contexte de la tarification à l’activité incite à une plus grande intervention desprofessionnels paramédicaux par rapport aux médecins dans la mesure où le différentiel de salairepeut permettre aux établissements qui y auraient recours de réaliser des économies en termes desalaires.

En conclusion, il apparaît que la réalisation d’actes techniques bien identifiés qui ne relèventpas aujourd’hui du champ d’intervention des professionnels paramédicaux peut être confiée àces professionnels sous réserve de le prévoir dans le cadre des décrets d’actes, d’organiser uneformation leur permettant d’acquérir les compétences techniques nécessaires et de se prémunircontre le risque d’une multiplication de ces actes.

6 Cette distinction est toutefois schématique : les principales conclusions des travaux menés sur les coopérations montrentqu’elles se situent le plus souvent sur un continuum allant de l’acte technique à la transformation des modalités de priseen charge.

7 Les volumes horaires de formation sont compris entre 70 et 150 heures et les contenus vont de la réalisation d’actesprécis (en dialyse par exemple) à des réflexions plus générales (éthique par exemple).

8 Ce principe n’a toutefois pas été totalement retenu en ce qui concerne l’autorisation donnée aux opticiens de renouvelerdes lunettes dès lors que les patients disposent d’une ordonnance de moins de trois ans.

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3.2.2. Le développement des coopérations dans le cadre de prises en charge spécifiques : desaménagements avant tout économiques

Certaines expériences de coopération entre professionnels de santé ne posent pas de problèmesmajeurs liés au cadre juridique actuel. En effet, les infirmiers se voient actuellement reconnaître lapossibilité de faire 109 actes, dont un certain nombre liés à leur rôle propre (et donc pour lesquelsils bénéficient d’une plus grande autonomie) ou au contexte organisationnel (la présence d’unmédecin immédiatement mobilisable leur permettant d’effectuer certains types d’actes). Parmices actes, il convient de noter que l’on retrouve la participation à des actions de prévention, dedépistage, de formation et d’éducation à la santé.

À ce titre, l’expérimentation « Asalée » qui a permis d’évaluer l’intervention d’une infirmièrede « santé publique » dans le suivi de patients diabétiques de type 2 dans des cabinets de méde-cine générale montre qu’un développement des nouvelles formes de coopération, fondé sur ladiversification de l’activité des médecins, pose des problèmes d’équilibre économique pour lesprofessionnels de santé dans le secteur ambulatoire. En effet, le paiement à l’acte des profession-nels ne permet pas de valoriser une prise en charge pluridisciplinaire alors même que cette priseen charge est, au final, largement compatible avec les textes régissant le champ d’intervention desinfirmières9.

En matière de formation, le développement de ce type de coopérations implique probablementde définir des niveaux de compétence aujourd’hui peu investis, entre les médecins et les profes-sionnels paramédicaux. À ce titre, il peut être utile de s’appuyer, au moins dans un premier temps,sur l’expérience et les parcours professionnels. En effet, depuis la loi de modernisation sociale du17 janvier 2002, il est possible d’obtenir un diplôme par la voie de l’expérience avec la validationdes acquis de l’expérience (VAE).

3.2.3. Le cas particulier des professionnels ayant participé aux expérimentations sur lesnouvelles formes de coopération

Les entretiens menés auprès des équipes ayant participé aux deux vagues d’expérimentationsmettent en évidence leur investissement majeur. La mise en place de protocoles partagés entreles médecins et les professionnels paramédicaux, la formation, parfois relativement longue, deces derniers, le sentiment d’avoir franchi une première étape de montée en charge nourrissentla volonté de la plupart de ces équipes de pérenniser cette nouvelle organisation au-delà desexpérimentations.

Il apparaît donc souhaitable de permettre, très rapidement, aux professionnels ayant participéaux expérimentations d’inscrire cette organisation dans leurs pratiques courantes, non pas dansun cadre expérimental mais dans un cadre dérogatoire permanent. Pour cela, les professionnelsdoivent en manifester le souhait et les évaluations réalisées par l’ONDPS ou par la HAS doiventmontrer des résultats satisfaisants.

3.3. . . .mais qui restent insuffisants pour promouvoir une vision plus ambitieuse

Bien que des évolutions soient possibles dans un cadre aménagé, leurs conséquences serontnécessairement limitées si des mesures plus structurelles ne sont pas mises en œuvre tant ence qui concerne la formation des professionnels de santé que le cadre juridique et économique

9 Il convient de souligner que les médecins ayant mis en place l’expérimentation Asalée se sont appuyés sur des fondsprovenant du FAQSV afin de financer le salaire de l’infirmière.

292 Document / Droit Déontologie & Soin 8 (2008) 278–330

de l’exercice de ces professions. Ces mesures structurelles visent à permettre l’adaptation desorganisations des soins aux transformations en cours et à venir en garantissant une meilleurereconnaissance des compétences et responsabilités qui seront à assumer pour les professionnelsde santé.

Les analyses menées par les trois groupes d’expertise permettent ainsi de mettre en évidenceles principaux freins au développement d’une politique plus ambitieuse de coopération entreprofessionnels de santé :

• l’absence d’une politique globale de formation des professionnels de santé liée à l’éclatementdes systèmes de formation ne permettant pas d’harmoniser les modules de formation etd’assurer, à terme, des passerelles ;

• l’absence de reconnaissance, notamment par des autorisations spécifiques d’exercice, desdiplômes éventuels des professionnels paramédicaux au-delà de la formation initiale et larigidité du cadre d’exercice liées à l’exigence de définition légale des actes autorisés auxparamédicaux ;

• les difficultés en termes d’équilibre économique, notamment pour les nouvelles formes decoopération relevant plutôt d’une logique de diversification, pour les professionnels libérauxliées au paiement exclusif à l’acte ;

• l’absence de valorisation financière de toute évolution du niveau de compétences et de res-ponsabilité liée à la définition des statuts par le niveau de qualification. Par exemple, dans lesecteur public hospitalier, si l’établissement peut trouver un intérêt à ces nouvelles formes decoopération, les professionnels de santé n’y ont, pour leur part, aucun avantage dès lors queleur rémunération est avant tout liée à leur diplôme et à leur ancienneté.

Ces principaux freins appellent des évolutions de l’architecture et de l’organisation du systèmede santé. À ce titre, il apparaît peu réaliste de considérer qu’ils pourront être levés par un simpleaménagement du cadre d’exercice. Il semble donc nécessaire de penser un cadre rénové, tant auniveau de la formation des professions de santé qu’à celui de leurs conditions, économiques etjuridiques, d’exercice.

4. Pour un cadre rénové créant des conditions favorables au développement desnouvelles formes de coopération

Un développement plus ambitieux des nouvelles formes de coopération entre professionnelsde santé suppose des modifications conséquentes du cadre d’exercice et de formation. En effet,les freins mis en évidence dans la section précédente rendent peu probable (voire impossible)ce développement au-delà de quelques domaines spécifiques bien identifiés. Or, ce qui se jouedans le développement des nouvelles formes de coopération, c’est aussi la capacité du système desanté et des professionnels concourant à la prise en charge des patients à s’adapter à un environ-nement médical, social, économique et culturel en mutation. Cette capacité résulte notamment del’équilibre entre un cadre institutionnel garantissant le respect de principes essentiels et l’existencede marges de manœuvre dans l’exercice des professions de santé.

Ce chapitre propose trois grands types d’évolution qui, au terme des travaux menés par lesgroupes d’expertise mobilisés par la HAS, apparaissent nécessaires pour renforcer les coopéra-tions entre professionnels de santé. On trouvera ci-dessous de larges extraits des deux premièresévolutions proposées :

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• développer l’offre de formation, notamment vers des niveaux de qualification intermédiaires ;• repenser la logique juridique de définition des professions de santé selon un modèle mixte ;• adapter les modalités de financement et de rémunération à la nature de la prise en

charge.

Ces évolutions doivent être pensées de manière conjointe : l’évolution de la formation n’ade sens que si le cadre juridique et économique reconnaît ces nouvelles formations et inverse-ment l’évolution du cadre juridique n’a de sens que si des professionnels de santé disposenteffectivement des niveaux de formation idoines.

4.1. Renforcer l’offre de formation pour les professionnels de santé

Partant du constat que les conditions de formation des différents professionnels de santéoffrent aujourd’hui peu de passerelles et sont marquées par la quasi-absence de formationsintermédiaires entre les professions médicales et paramédicales, il convient de renforcer l’offrede formation pour les professionnels de santé. Des réflexions associant les professionnels etles pouvoirs publics sont indispensables afin de définir des référentiels de formation actualiséset prospectifs prenant en compte la pratique réelle et les besoins en termes de compétences.Il s’agit, en particulier, de permettre à certaines professions de développer à un niveau mas-ter des expertises et compétences répondant aux besoins de santé publique actuels et àvenir.

4.1.1. Associer les professionnels de santé aux grands chantiers concernant l’évolution deleur profession et de leur formation

Première étape de la mise en œuvre d’un cadre rénové pour la formation des professionnelsde santé, une large concertation avec les professions et les ordres concernés doit permettre deles associer aux réflexions et travaux sur l’évolution des formations existantes et la création denouvelles spécialités cliniques demandant des connaissances et un savoir-faire plus approfon-dis.

L’analyse de ces connaissances et savoir-faire approfondis est au cœur de l’évolution desformations proposées aux professionnels de santé. Cette analyse permet, en effet, de construiredes référentiels métiers et compétences sur lesquels s’appuyer pour développer des formationsadaptées aux enjeux.

Selon que ces référentiels s’appliquent à des métiers existants ou non, deux méthodes peuventêtre distinguées.

Pour les métiers existants, la définition des référentiels métiers et compétences comporte deuxétapes :

• l’analyse des situations de travail et de la pratique réelle des professionnels de santé ;• l’identification des compétences nécessaires pour assumer ces activités et correspondant aux

exigences attendues par les titulaires des diplômes.

Pour les nouveaux métiers, ces réflexions impliquent une étape préalable de définition. Ils’agit alors de construire un cadre d’élaboration de ces nouveaux métiers qui tienne compte del’évolution des besoins dans les domaines de la santé et du social, des évolutions de la démographie

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des professions de santé et de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences.10 Cesréflexions doivent nécessairement associer l’État et les représentants des professions concernées.Elles doivent, en outre, permettre d’affirmer, ou non, le lien entre niveau de formation et nouveauxmétiers, les observatoires des métiers de la santé liant, pour leur part, la reconnaissance desnouveaux métiers à celle de compétences relevant d’un niveau master.

4.1.2. Définir les niveaux de compétences sur une échelle de formation à trois niveaux etconstruire des référentiels de formation

L’élaboration cohérente, structurée et homogène de référentiels, en mettant en évidence dessavoir-faire ou des connaissances partagées ou spécifiques par métiers, devrait faciliter la miseen place de contenus de formation pour partie communs et surtout des passerelles devenuesnécessaires entre les métiers. Il convient aussi d’intégrer à ces réflexions les évolutions envisagéespour les professionnels de santé au niveau européen et surtout les enjeux liés à la mise en œuvredu dispositif LMD.

Ainsi, la structure des cursus de formation des professionnels paramédicaux doit au moinstenir compte de trois niveaux de compétences :

• Le premier niveau regroupe les compétences communes et nécessaires à une bonne pratique dumétier acquises dans le cadre de la formation initiale des professionnels paramédicaux. Au coursdes expérimentations, il est apparu que certains actes médicaux pouvaient être ajoutés à la listedes actes réalisés par ces professionnels sans que cela change la nature du métier (par exemple,la manométrie digestive chez les infirmiers). Il s’agira alors de vérifier que les connaissanceset les savoir-faire correspondants seront bien ajoutés aux contenus de la formation de base.

• Le deuxième niveau couvre des savoir-faire et connaissances qui constituent un approfondis-sement dans un domaine particulier (exemple : infirmière en soins spécialisés dans le domainede l’hémodialyse). L’acquisition de ces compétences nécessite une formation spécifique, struc-turée et évaluée, donnant lieu à une certification, et relativement courte. Cette formation peutcorrespondre à un diplôme d’université (DU)11, mais peut aussi être validée dans le cadre de laVAE. De nature technique, cette formation doit permettre de valider un niveau satisfaisant deconnaissances à la fois sur les plans théorique (anatomie, physiologie par exemple) et pratique(réalisation de l’acte).

• Le troisième niveau correspond à une formation longue donnant lieu à un diplôme de niveaumaster. Les compétences à acquérir sont de nature différente et constituent un nouveau métier(préalablement défini avec un référentiel métier idoine). En particulier, la formation théoriqueet pratique doit couvrir à la fois des dimensions techniques, médicales, organisationnelles (pourune bonne compréhension de l’environnement institutionnel et des processus organisationnels).Il s’agit de confier aux professionnels des segments de prise en charge : évaluation clinique,diagnostic de situation, prescription (conseils, éducation, médicaments, examens. . .) ou prisede décision concernant l’orientation des patients (par exemple, l’infirmière en suivi de patients

10 Le cadre, national, d’élaboration des nouveaux métiers doit, notamment, s’appuyer sur les travaux déjà réalisés par lesobservatoires (ONEMFPH, ONDPS. . .), les employeurs (FHF, FEHAP, FNCLCC. . .), les organismes spécifiques (INCA,INPES. . .). Il devra être proposé par un groupe expert comprenant des représentants des ministères de la Santé et del’Enseignement supérieur, de l’ONDPS, des ordres et, éventuellement, de la HAS.11 Les « diplômes d’université » (DU) sont cependant très hétérogènes en termes de durée et de contenu, ce qui pose la

question de la reconnaissance à leur attribuer.

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atteints de cancer ou le manipulateur d’électroradiologie en dosimétrie). Cette démarche per-met de rendre visible l’existence de niveaux de maîtrise différents au sein d’un même champ(schématiquement, le soin, la rééducation et le médicotechnique). Elle permet aussi d’établirun lien avec d’autres évolutions en cours : évaluation des pratiques professionnelles, gestionprévisionnelle des emplois et compétences, et aussi mise en place de plans de formation et deprogression dans les carrières professionnelles. En outre, elle représente une opportunité dedéveloppement de formations regroupant des étudiants de différentes filières (médecins, infir-miers, masseurs-kinésithérapeutes, par exemple), ce dernier élément étant de nature à favoriserles coopérations ultérieures.

Dans un souci de cohérence, cette hiérarchisation en trois niveaux devra prendre en compteles spécialités existantes dans le métier infirmier (Iade, Ibode et puéricultrice), ainsi que le métierde cadre de santé, qui seront alors repositionnés soit en première année, soit en deuxième annéede master.

L’ouverture vers des formations de niveau master pour les professions paramédicales pourrait,par ailleurs, structurer de véritables filières développant la recherche en soins, en rééducationou dans le domaine médicotechnique et fournissant des corps d’enseignants (avec à moyen/longterme le développement de masters de recherche et de doctorats).

4.1.3. Organiser les formations à partir de référentielsS’il semble indispensable de redéfinir les formations offertes aux professionnels de santé,

la question des opérateurs chargés d’assurer cette formation est entière12. Dans ce cadre,il est possible de s’appuyer sur les référentiels de formation, construits à partir des tra-vaux sur les métiers et les compétences. Ils pourraient alors constituer les « cahiers descharges » confiés aux opérateurs de la formation afin que les contenus, y compris pour lesmasters soient adaptés aux besoins et compétences attendues dans l’ensemble du champ soi-gnant.

De plus, il importe de s’inscrire dans la logique des accords européens. Le contenu des for-mations doit permettre la transposition des logiques européennes d’attribution et de transfert desdiplômes : les système de transfert de crédits européens pour la formation universitaire (ECTS) etles système européen d’accumulation et de transferts d’unités capitalisables pour l’enseignementet la formation professionnelle (ECVETS). Le cadre de qualification européen LMD pourrait ainsiêtre également utilisé.

Enfin, il est nécessaire de prévoir le financement de ces formations qui peuvent soit relever de laformation continue – auquel cas la réglementation actuelle sur la formation continue s’applique13

– soit être accessibles en formation initiale – le financement étant alors assuré selon le droitcommun.

12 En effet, le développement d’une offre de formation de niveau master conduit à associer l’université, aujourd’hui enretrait dans la formation des professionnels paramédicaux. Toutefois, la question du partage des rôles entre instituts deformation et université dépasse le cadre de la présente recommandation.13 Dans le secteur public, l’ANFH devenue « organisme paritaire agréé » (OPCA) devra être sollicitée sur le plan national

et par les institutions au travers des plans de formation et pour le secteur privé, tous les OPCA seront consultés afin detrouver des modalités de partenariats.

296 Document / Droit Déontologie & Soin 8 (2008) 278–330

4.2. Redéfinir le cadre juridique de l’exercice des professions de santé

Dans une perspective de développement des nouvelles formes de coopération, une modifi-cation importante du cadre juridique apparaît rapidement nécessaire. En effet, le cadre actuelpeut certes être aménagé mais ces aménagements restent toujours ponctuels et ne permettentpas d’accompagner des évolutions plus importantes. Il s’agit donc ici de proposer un cadre juri-dique rénové reposant sur un modèle mixte de définition des professions. Ce cadre demandeun aménagement des règles déontologiques des professions afin de tenir compte du développe-ment éventuel des nouvelles formes de coopération. De même, il peut être nécessaire de prévoirdes mécanismes de gestion des risques (et de négociation) afin de limiter d’éventuels surcoûtsassurantiels.

4.2.1. Définir les professions de santé selon un modèle mixteAfin d’adapter le cadre juridique en vue de développer de nouvelles formes de coopérations,

il semble nécessaire de sortir du système actuel de définition des professions, organisé autour desdécrets d’actes, en privilégiant un système dans lequel les professions seraient définies – à l’instardes professions médicales (médecin, chirurgien-dentiste et sage-femme) et des professions de lapharmacie – en fonction de types d’interventions ou de missions, bornées par certains critères.Une telle évolution fait écho à certains exemples étrangers, notamment en Grande-Bretagne, enSuède et dans certaines provinces du Canada. Les infirmiers sont, dans ces États, plus autonomes,en ce qui concerne l’activité diagnostique et la possibilité de prescription. Cette autonomie estautorisée par la définition des professions à partir de leurs missions.

La notion de mission est moins limitative que celle d’acte, dans la mesure où elle renvoie àl’idée d’un but à atteindre, tandis que la notion d’« acte » est plus technique.

L’exemple des sages-femmes montre qu’une organisation des professions autour des missions,au-delà des seuls actes, est possible. Si la notion de mission d’intervention est centrale, il n’apparaîtpas souhaitable de proposer un modèle « pur » de définition des professions.

Un modèle mixte, reposant sur une logique « mission-limites » et faisant référence aux actesselon une distribution renvoyant aux particularités de chaque profession, dans la mesure où ceux-ci font partie intégrante de la logique générale du système de droit francais en la matière, sembleplus pertinent.

La définition des missions et des limites peut alors être construite en référence à certains actesprofessionnels particuliers et notamment en ce qui concerne les limites interventionnelles. Deplus, il peut être utile de viser certains actes pour préciser les modalités de coopération entreprofessionnels, à l’image des rapports entre médecins et sages-femmes. Il ne s’agit donc pasd’exclure toute référence aux actes mais d’éviter que la référence aux actes constitue le modeexclusif d’autorisation d’intervention d’un professionnel sur le corps d’un patient.

En France, l’exercice de la sage-femme prévoit la pratique des actes « nécessaires » au diagnos-tic, à la surveillance de la grossesse et à la préparation psychoprophylactique à l’accouchement,ainsi qu’à la surveillance et à la pratique de l’accouchement et des soins postnataux en cequi concerne la mère et l’enfant, suivant les modalités fixées par le code de déontologie de laprofession.

Toutefois, un tel cadre n’exclut pas la possibilité de référence aux actes. Si la notion de missiond’intervention est au cœur de l’organisation de la profession de sage-femme, il est toujours faitréférence aux actes. Il existe ainsi une liste de 13 actes pouvant être réalisés par les sages-femmes, mais celle-ci n’est pas limitative. L’article R. 4127-318 prévoit en effet que « la sage-femme est autorisée à pratiquer notamment, etc. ». Les sages-femmes disposent d’une importante

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marge d’initiative, limitée dans le cadre de leur qualification, un médecin ayant l’obligationd’intervenir dès lors que la situation le nécessite. Les modalités d’articulation et de référencemententre professionnels de santé dans le cadre du parcours de soins peuvent faire l’objet de règlesprofessionnelles élaborées conjointement. C’est le cas pour la grossesse, avec la production récentepar la HAS d’une recommandation sur le suivi des grossesses et l’orientation en fonction du risque.

Il convient de souligner que les principes déontologiques occupent une place fondamentaledans cette organisation puisqu’elle confère au professionnel la responsabilité de juger les limitesde son intervention, en fonction de ses compétences. Le professionnel de santé se trouve devantun arbitrage. Il doit faire preuve de prudence et reconnaître les limites de sa compétence.

L’importance des actes dans la définition de ces professions variera selon le degré d’autonomieet selon le contenu de la formation des auxiliaires de santé. Si les métiers d’infirmier et de kiné-sithérapeute, voire de pédicure-podologue, s’adaptent bien au modèle mission-limites, l’activitéd’autres professions d’auxiliaires médicaux peut rester plus centrée sur la réalisation de certainsactes précis.

4.2.2. De la définition par les actes à un modèle mixte : impact sur les textes réglementairesDe telles évolutions de définition des compétences impliquent certaines modifications des

textes législatifs et réglementaires, qui concernent notamment le droit des professions de santé.Afin d’adapter le cadre juridique en vue de développer de nouvelles formes de coopérations,

il semble nécessaire de sortir du système actuel de définition des professions, organisé autour desdécrets d’actes, en privilégiant un système dans lequel les professions seraient définies – à l’instardes professions médicales (médecin, chirurgien-dentiste et sage-femme) et des professions de lapharmacie – en fonction de types d’interventions ou de missions, bornées par certains critères.

Une telle évolution fait écho à certains exemples étrangers, notamment en Grande-Bretagne, enSuède et dans certaines provinces du Canada. Les infirmiers sont, dans ces États, plus autonomes,en ce qui concerne l’activité diagnostique et la possibilité de prescription. Cette autonomie estautorisée par la définition des professions à partir de leurs missions.

La notion de mission est moins limitative que celle d’acte, dans la mesure où elle renvoieà l’idée d’un but à atteindre, tandis que la notion d’« acte » est plus technique. L’exemple dessages-femmes montre qu’une organisation des professions autour des missions, au-delà des seulsactes, est possible. Si la notion de mission d’intervention est centrale, il n’apparaît pas souhai-table de proposer un modèle « pur » de définition des professions. Un modèle mixte, reposantsur une logique « mission-limites » et faisant référence aux actes selon une distribution renvoyantaux particularités de chaque profession, dans la mesure où ceux-ci font partie intégrante de lalogique générale du système de droit francais en la matière, semble plus pertinent. La définitiondes missions et des limites peut alors être construite en référence à certains actes professionnelsparticuliers, et notamment en ce qui concerne les limites interventionnelles. De plus, il peut êtreutile de viser certains actes pour préciser les modalités de coopération entre professionnels, àl’image des rapports entre médecins et sages-femmes. Il ne s’agit donc pas d’exclure toute réfé-rence aux actes mais d’éviter que la référence aux actes constitue le mode exclusif d’autorisationd’intervention d’un professionnel sur le corps d’un patient.

L’équipe

Cette recommandation a été pilotée et coordonnée par un comité de suivi présidé par :Yvon Berland, président de l’ONDPS, et Claude Maffioli, membre du Collège de la HAS et

composé de :

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Yann Bourgueil, chargé de mission ONDPSPhilippe Michel, HAS, directeur de l’évaluation des stratégies de santéLise Rochaix, membre du Collège de la HASFrancois Romaneix, directeur de la HASCatherine Rumeau-Pichon, adjointe au directeur de l’évaluation médicoéconomique et de la

santé publique.Les travaux ont été conduits, sous la responsabilité de Catherine Rumeau-Pichon, par une

équipe constituée de :Sandrine Chambaretaud – Mission prospective et recherche – HASAnne-Line Couillerot – Mission prospective et recherche – HASGuillermo Jasso-Mosqueda – Service de l’évaluation économique et santé publique –

HASFabienne Midy – Service de l’évaluation économique et santé publique - HASClémence Thébaut – Service de l’évaluation économique et santé publique – HAS

Annexes juridiques

Annexe A. Vocabulaire

Tenant compte de confusions récurrentes, la commission juridique a souhaité apporter toutd’abord des précisions de vocabulaire.

A.1. Ne pas confondre compétence et qualification

Le groupe de travail propose de reprendre la définition de la compé-tence qui semble actuellement faire l’objet d’un consensus dans différentesdisciplines ainsi que dans le droit communautaire et telle qu’elle permetaujourd’hui de structurer la réflexion autour des actions et des « métiers »professionnels, réflexion qui s’incarne notamment dans différents rapports ministé-riels.

Selon ces réflexions : « La notion de compétence est définie, de manière générale en pre-mière intention (. . .) comme « la mise en œuvre d’une combinaison de savoirs connaissances,savoir-faire, comportement et expérience) en situation » (Medef 1998, LeBoterf 1996, Zarifian2000) »

La qualification renvoie, quant à elle, à une habilitation du professionnel à exercer un certainnombre d’actes du fait de sa possession d’un diplôme ou d’un titre équivalent.

A.2. Préférer les tâches aux actes

La question des rapports entre les vocables de « tâches » et d’ « actes » est particulièrementimportante, dans la mesure où le droit actuel est notamment organisé autour des « décrets d’actes ».

Dans ce contexte, le vocable de tâches a été préféré à celui d’actes pour deux raisons. D’unepart, le vocable de tâches, partiellement téléologique, renvoyant au but à atteindre, a paru plusapproprié à une réflexion prospective que celui d’acte, auquel est associé un sens plus technique,celui des « décrets d’actes ».

D’autre part, les réflexions du groupe le conduisent à proposer une redéfinition des professionsd’auxiliaires médicaux fondées, notamment, sur leurs « missions », et non plus seulement sur

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les décrets d’actes. Or le vocable de tâches est plus large que celui d’actes, et les nouvelles« missions » des professionnels pourraient être déclinées en tâches, mode d’action intermédiaireentre les missions et les actes.

On comprend, cependant, que le vocable d’actes doit être conservé, puisqu’une redéfinitiondes professions d’auxiliaires médicaux fondée, principalement, sur leurs missions ne signifie pas,pour autant, la disparition de la référence aux actes professionnels.

La notion de compétence émerge de facon explicite pour les professionnels de santé à partirde 1996 à l’initiative de la Communauté européenne. Le concept de compétence a d’abord étédéfini au niveau de la Communauté européenne autour d’approches très sectorielles telles quel’art dentaire en 1996 et les soins infirmiers généraux en 1998. Ces approches avaient pour but unevolonté d’harmonisation des métiers, compétences et formations dans un but de simplificationadministrative entre les différents États membres afin de promouvoir la libre circulation desprofessionnels de santé (directive simplifier la législation relative au marché intérieur dite SLIM).

A.3. Éviter les vocables de délégation et de transfert des tâches et/ou actes professionnels

D’une part, les termes de délégation et de transfert ont bien un sens juridique, et qui ne faitpas discussion, puisque même un dictionnaire non spécialisé en fait état sans ambiguïté. D’autrepart, tant la délégation que le transfert impliquent le pouvoir du déléguant ou du créancier surl’obligation en cause.

Or, l’un des points importants de notre analyse résidera dans le fait de montrer que, dans lesystème juridique francais, seule la loi peut organiser l’atteinte licite à l’intégrité corporelle. Etrien, dans le système de droit actuel, ne permet à un professionnel de décider de « transférer sacompétence » à quelqu’un d’autre, fût-ce un autre professionnel de santé.

Nous proposons donc d’éviter l’utilisation des vocables de délégation et de transfert detâches ou actes professionnels, situation régulièrement rigoureusement impossible au regarddu droit actuel, et sans doute peu envisageable à l’avenir, mais surtout source potentielle deconfusion pour des professionnels qui pourraient se croire habilités à autoriser d’autres pro-fessionnels à pratiquer certains actes, sous prétexte qu’il peuvent eux-mêmes régulièrement leseffectuer.

A.4. Utiliser l’expression « nouvelles formes de coopération entre professions de santé »

L’idée d’une « participation à une œuvre commune » nous semble très proche des questionsfactuelles envisagées et notamment la participation de plusieurs professionnels appartenant à desprofessions différentes à la meilleure prise en charge possible du patient ainsi qu’à la poursuited’objectifs de santé publique.

Il s’agit bien, en outre, dans le cadre de la mission du groupe de travail, de s’inscrire dans lesévolutions présentes, en anticipant les évolutions à venir « nouvelles formes ».

Il s’agit bien, enfin, de travailler sur les relations et les articulations entre les différents pro-fessionnels de santé, qui coopèrent dans le but de fournir les meilleurs soins possibles, mais sansque cette coopération puisse s’inscrire dans des schémas intellectuels et juridiques de transfert oude délégation.

Dans ce contexte, si l’utilisation du vocable « articulation » à la place de celui de « coopération »a été envisagée, le second a été retenu comme englobant le premier, et pouvant, par surcroît, couvrirles situations dans lesquelles un auxiliaire médical doit « se contenter » d’exécuter une prescriptionmédicale.

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Le terme de « coopération » peut donc être considéré, du point de vue du droit, d’une partcomme pertinent, d’autre part comme pouvant être décliné, au moins en deux autres termes :articulation et exécution.

Le groupe a donc choisi d’utiliser le vocable de « nouvelles formes de coopération entreprofessions de santé ».

Annexe B. Contraintes juridiques

L’analyse des évolutions possibles suppose un examen préalable des contraintes. La commis-sion juridique avait identifié trois types de contraintes : règles relatives à la protection de l’intégritédes personnes, l’organisation actuelle du système de répartition de tâches entre professions, et lesconséquence fiscales, sociales et assurancielles.

Seuls les deux premiers points sont ici repris.

B.1. La nécessaire protection de l’intégrité physique

Cette protection est organisée par deux corps de règles : les règles civiles et les règles pénales.

B.1.1. En droit civilLe « respect du corps humain » fait l’objet d’une protection particulière dans le Code civil, dont

l’article 16-1 prévoit que « Chacun a droit au respect de son corps. Le corps humain est inviolable.Le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial ».

L’article 16-1 est complété, dans la poursuite de cet objectif, par l’article 16-3, selon lequel« Il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité médicalepour la personne ou à titre exceptionnel dans l’intérêt thérapeutique d’autrui. Le consentement del’intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une interventionthérapeutique à laquelle il n’est pas à même de consentir ».

Le Code civil prévoit, en outre, pour assurer le respect de ces dispositions, deux règles complé-mentaires, l’article 16-2 selon lequel « Le juge peut prescrire toutes mesures propres à empêcherou faire cesser une atteinte illicite au corps humain ou des agissements illicites portant sur deséléments ou des produits de celui-ci », ainsi que l’article 16-9 selon lequel « Les dispositions duprésent chapitre sont d’ordre public », énoncé signifiant que l’on ne peut déroger à ces règles parun acte de volonté, seule la loi pouvant prévoir des dérogations aux règles analysées.

On constate donc, dès l’abord, que la possibilité de porter atteinte à l’intégrité du corps humainne peut être admise qu’à deux conditions : la nécessité médicale et le consentement de l’intéressé16. Dans ce contexte, dès lors que l’atteinte à l’intégrité corporelle n’obéit pas à une « nécessitémédicale » au sens de l’article 16-3 du Code civil, et compte tenu du fait que le consentementdu patient est, seul, insuffisant pour permettre l’atteinte licite à l’intégrité corporelle, seule la loipeut organiser une telle atteinte. Encore ces articles du Code civil sont-ils récents, ne datant quede 1994. La situation antérieure ne correspondait pourtant pas à une absence de règles, puisquel’organisation de la protection de l’intégrité corporelle relève traditionnellement, en decà desrègles civiles, et au-delà du seul champ de la santé, du droit pénal.

B.1.2. En droit pénalSoulignons, d’emblée, deux caractéristiques liées à la régulation pénale de l’activité des pro-

fessionnels de santé. Celle-ci témoigne, d’une part, de l’importance des questions envisagées, leCode pénal s’attachant essentiellement à la protection des valeurs sociales fondamentales, dont

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font évidemment partie la vie ainsi que l’intégrité physique des personnes. Un tel encadrementne signifie pas, d’autre part, que les professionnels soient systématiquement attraits devant lesjuridictions en cas d’infraction, le ministère public, qui demande l’application de la loi au nomde la société – disposant du pouvoir de ne pas poursuivre s’il estime « inopportun ». Notons,cependant, que nul n’est en mesure, aujourd’hui, de fournir une évaluation chiffrée des poursuitespénales engagées contre des professionnels de santé, faute de système de comptage pertinent. Cetencadrement pénal doit, cependant, être souligné, puisque, comme nous allons le montrer, touteviolation des règles d’organisation des professions se traduit, en droit pénal, par une infraction.

Dans cette perspective, dans le système de droit francais, une intervention sur le corps humain,si elle entraîne un dommage, constitue, par principe, une « atteinte à l’intégrité physique despersonnes » au sens du Code pénal. Elle est, à ce titre, punissable, la peine dépendant de la gravitéde l’atteinte.

La loi peut, cependant, organiser les conditions d’une atteinte légitime à l’intégrité corporelle,c’est-à-dire prévoir des cas dans lesquels l’atteinte sera justifiée et ne sera donc pas punis-sable. Cette possibilité est techniquement admise, dans le Code pénal, par le mécanisme de« l’autorisation de la loi ». Il s’agit de la technique traditionnellement utilisée en ce qui concernel’intervention des professionnels de santé, du fait de son caractère thérapeutique. On peut doncretenir que seule la loi peut autoriser un professionnel de santé à intervenir sur le corps humain.

Se pose, dès lors, la question des critères légaux de la légitimité de ces interventions. Lecritère retenu par le législateur est celui de la qualification professionnelle liée à l’obtention d’undiplôme ou d’un titre équivalent, véritable « permis de soigner », permettant à un professionnelde légitimement porter atteinte à l’intégrité physique d’autrui.

Soulignons, à ce propos, que le système n’est pas fondé sur la compétence, possiblemententendue comme « une facon adaptée et reconnue de faire et de se comporter » des professionnels,mais sur l’inscription de l’intervention dans les cadres légaux.

Il est évidemment nécessaire, dans un tel contexte, d’analyser la manière dont le système dedroit organise la définition des professions de santé.

B.2. Le système actuel d’organisation des professions de santé

Le système actuel de définition des professions de santé peut être schématiquement décritcomme organisé autour de la qualification, essentiellement entendue comme la possession d’undiplôme ou d’un titre équivalent, cette qualification leur permettant d’exécuter un certain nombred’actes, et non de la compétence des professionnels.

B.2.1. La qualification et non la compétence au cœur du systèmeLa question de la coopération entre les professions de santé pose essentiellement celle de la

situation des professions d’auxiliaires médicaux. Cette dernière ne peut, cependant, se comprendreindépendamment de l’organisation de l’ensemble des professions de santé.

B.2.1.1. L’organisation générale des professions. Au centre du système d’organisation des pro-fessions de santé se trouve la profession médicale, les compétences des autres professions étantconstruite comme des dérogations à son monopole, lui-même protégé par l’infraction d’exerciceillégal de la médecine.

Le Code de la santé publique est implicitement organisé, dans cette perspective, selonl’importance des qualifications professionnelles. Sa quatrième partie, consacrée au « professionsde santé », se décline, ainsi, en trois livres, dévolus, respectivement aux : « professions médi-

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cales », aux « professions de la pharmacie » et aux « auxiliaires médicaux ». Le livre 1 estorganisé en six titres, les deux premiers contenant des dispositions communes à l’ensemble des« professions médicales », les trois suivants dédiés aux professions de « médecin », « chirurgien-dentiste », et « sage-femme ». Le dernier titre regroupe, quant à lui, des « dispositions pénales »qui concernent l’exercice illégal des trois professions, l’usurpation de titres ainsi que d’« autres dispositions pénales ». Le livre 2, relatif aux « professions de la pharmacie », est consa-cré aux professions de pharmacien et de préparateur en pharmacie. Le livre 3, relatif aux« auxiliaires médicaux », traite, dans l’ordre des titres qui leur sont consacrés, des professionsd’infirmier ou d’infirmière (titre 1), de masseur-kinésithérapeute et de pédicure-podologue (titre2), d’ergothérapeute et de psychomotricien (titre 3), d’orthophoniste et d’orthoptiste (titre 4),de manipulateur d’électroradiologie médicale (titre 5), d’audioprothésiste, d’opticien-lunetier,de prothésiste et d’orthésiste pour l’appareillage des personnes handicapées (titre 6), et de laprofession de diététicien (titre 7). Ces dispositions sont, enfin, complétées par un titre8 consacré aux « Dispositions communes et compétences respectives de l’État et de larégion ».

B.2.1.2. La place centrale du diplôme comme condition de la régularité de l’exercice des profes-sions. La possibilité d’exercer légalement l’une des trois « professions médicales » sur le territoirenational suppose remplies un certain nombre de conditions, énumérées par l’article L. 41111 duCode de la santé publique.

Outre les conditions d’inscription à l’ordre professionnel et de nationalité – qui recoiventd’ailleurs exception dans certaines circonstances – la condition qui nous intéresse ici est la néces-sité, pour appartenir à l’une des professions médicales, d’être « titulaire d’un diplôme, certificatou autre titre » déterminé par la loi. Cette condition est primordiale, puisqu’elle conditionne lamise en œuvre des deux autres. Il s’agit donc bien de la condition principale de l’exercice régulierdes professions médicales.

La clef de voûte de l’organisation de l’atteinte légitime au corps humain par les profes-sions médicales est donc bien leur qualification, attestée par le diplôme, condition de licéitéde l’intervention, les articles L. 4131-1, L. 4141-3 et L. L. 4151-5 précisant, dans ce contexte :

« Les diplômes, certificats et titres exigés en application du 1◦ de l’article L. 4111-1 (. . .) pourl’exercice de la profession de médecin », (. . .) pour l’exercice de la profession de chirurgien-dentiste et (. . .) pour l’exercice de la profession de sage-femme ».

Il en est de même en ce qui concerne les professions d’auxiliaires médicaux. Ainsi, selonl’article L. 4311-2, « sous réserve des dispositions des articles L. 4311-4 et L. 4311-5, peuventexercer la profession d’infirmier ou d’infirmière les personnes titulaires d’un diplôme, certificatou titre mentionné aux articles L. 4311-3 et L. 4311-4, ou titulaires des autorisations prévues auxarticles L. 4311-9 et L. 4311-10 ».

Rappelons qu’il ne s’agit pas, à ce stade de l’analyse, de prétendre que la définition desprofessions renverrait uniquement aux diplômes, mais, plus simplement, de souligner que lapossession d’un diplôme constitue, pour les professionnels, la principale condition (à côté desconditions de nationalité et d’inscription à un ordre professionnel ou d’enregistrement de sonactivité auprès de l’autorité administrative) de l’exercice régulier de leur profession.

Cette logique est, en outre, portée, en négatif, par les infractions d’exercice illégal des diffé-rentes professions, destinées, non à prévoir les conditions de l’exercice régulier des professions,mais à sanctionner ceux qui les exerceraient irrégulièrement.

Or, l’une de ces incriminations, l’exercice illégal de la médecine est particulièrement impor-tante, dans la perspective qui est la nôtre, puisque c’est à partir de celle-ci que s’organise l’activité

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des différentes professions d’auxiliaires médicaux, et ce en référence aux actes professionnelsque leurs membres peuvent exécuter.

B.2.2. L’exercice illégal de la médecine et la référence aux actesLa distribution des champs d’intervention entre les différents professionnels de la santé renvoie,

dans le système actuel d’organisation des professions, aux actes que peuvent effectuer les membresdes différentes professions. Or cette construction prend sa source dans la rédaction de l’infractiond’exercice illégal de la médecine.

B.2.2.1. L’exercice illégal de la médecine. L’article L. 4161-1 du Code de la santé publiqueincrimine l’exercice illégal de la médecine.

Dans cette perspective : « Exerce illégalement la médecine (. . .) toute personne qui prendpart habituellement ou par direction suivie, même en présence d’un médecin, à l’établissementd’un diagnostic ou au traitement de maladies, congénitales ou acquises, réelles ou supposées,par actes personnels, consultations verbales ou écrites ou par tous autres procédés quels qu’ilssoient, ou pratique l’un des actes professionnels prévus dans une nomenclature fixée par arrêté duministre chargé de la santé pris après avis de l’Académie nationale de médecine, sans être titulaired’un diplôme, certificat ou autre titre mentionné à l’article L. 4131-1 et exigé pour l’exercice dela profession de médecin, ou sans être bénéficiaire des dispositions spéciales mentionnées auxarticles L. 4111-2 à L. 4111-4, L. 4111-6, L. 4111-7, L. 4112-6, L. 4131-2 à L. 4131-5 ».

On constate ainsi que la perpétration des actes en cause n’est pas infractionnelle si elle est lefait du « titulaire d’un diplôme, certificat ou autre titre mentionné à l’article L. 4131-1 et exigépour l’exercice de la profession de médecin, ou sans être bénéficiaire » des exceptions prévuespar le Code. Autrement dit, le respect des conditions de l’exercice légitime de la accomplissent,dans les conditions prévues par décret en Conseil d’État pris après avis de l’Académie nationalede médecine, les actes professionnels dont la liste est établie par ce même décret.

On comprend également que la forme de l’acte infractionnel est indifférente à la réalisation del’infraction, puisque celle-ci est réalisée « par actes personnels, consultations verbales ou écritesou par tous autres procédés quels qu’ils soient ».

Ne reste plus, à ce stade de l’analyse du contenu de l’article L. 4161-1 alinéa 1er, que ladéfinition même de l’exercice de la médecine. Il s’agit de « prend[re] part habituellement oupar direction suivie, même en présence d’un médecin, à l’établissement d’un diagnostic ou autraitement de maladies, congénitales ou acquises, réelles ou supposées », ou de pratiquer « l’undes actes professionnels prévus dans une nomenclature fixée par arrêté du ministre chargé de lasanté pris après avis de l’Académie nationale de médecine ». En résumé, constitue un exerciceillégal de la médecine le diagnostic d’une maladie, le traitement d’un patient, ou la réalisation desactes professionnels réservés aux médecins.

Ces derniers sont prévus dans un arrêté du 6 janvier 1962, fixant la liste des actes médicauxne pouvant être pratiqués que par des médecins ou pouvant être pratiqués également par desauxiliaires médicaux ou par des directeurs de laboratoires d’analyse médicale non médecins.

Nous allons, à présent, préciser le champ d’application de ce dernier texte, ainsi que sesconséquences quant à la situation des autres professions que la profession médicale.

B.2.2.2. La référence aux actes pouvant être accomplis par les membres des autres professions.L’article L. 4161-1 alinéa 2 précise le champ d’application des alinéas qui précèdent en prévoyantque « Les dispositions du présent article ne s’appliquent pas aux étudiants en médecine ni auxsages-femmes, ni aux infirmiers ou gardes-malades qui agissent comme aides d’un médecin ou

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que celui-ci place auprès de ses malades, ni aux personnes qui accomplissent, dans les conditionsprévues par décret en Conseil d’État pris après avis de l’Académie nationale de médecine, les actesprofessionnels dont la liste est établie par ce même décret ». Cet article prévoit donc une modalitégénérale d’organisation de l’intervention des « étudiants en médecine, (. . .) sages-femmes, (. . .)infirmiers ou gardes-malades qui agissent comme aides d’un médecin » ou d’autres « personnes »sans que les conditions de l’intervention de ces dernières soient déterminées a priori.

C’est à partir de la désignation des « personnes qui accomplissent, dans les conditions prévuespar décret en Conseil d’État pris après avis de l’Académie nationale de médecine, les actesprofessionnels dont la liste est établie par ce même décret », que se développe la régulation desauxiliaires médicaux. On comprend, également, que l’intervention de l’ensemble des professionsd’auxiliaires médicaux ainsi que celles de la profession de sage-femme ne s’entend, au sens dudroit actuel, que comme une exception au monopole médical, puisque l’exercice illégal de lamédecine a, justement, pour objet la défense de ce monopole.

Du point de vue de la forme que peuvent embrasser les règles relatives à ces actes, l’articleL. 4161-1 alinéa 2 précise que ces derniers doivent être accompli « dans les conditions prévuespar décret en Conseil d’État pris après avis de l’Académie nationale de médecine, (. . .) actesprofessionnels dont la liste est établie par ce même décret ». Autrement dit les « décrets d’actes »ne peuvent prendre place, suite à cet article, et sous peine d’illégalité, que dans des décrets enConseil d’État, actes du premier ministre, et non des décrets simples ou des arrêtés, pour cesderniers possiblement actes du ministre de la santé.

Encore ne faut-il pas mésestimer la place, dans ce système, de l’arrêté du 6 janvier 1962,fixant la liste des actes médicaux ne pouvant être pratiqués que par des médecins ou pouvant êtrepratiqués également par des auxiliaires médicaux ou par des directeurs de laboratoires d’analysemédicales non médecins, auquel il est fait référence dans le premier alinéa de l’article L. 4161-1.En effet, le second alinéa débute par la formule selon laquelle « Les dispositions du présent articlene s’appliquent pas (. . .) ». Or, le premier alinéa, lorsqu’il fixe les conditions de la répression del’exercice illégal de la médecine, prévoit, comme éléments de cette définition, la pratique de « l’undes actes professionnels prévus dans une nomenclature fixée par arrêté du ministre chargé de lasanté pris après avis de l’Académie nationale de médecine ». Il faut ici bien comprendre l’articleL. 4161-1 alinéa 1er utilise la technique de « l’incrimination par renvoi », ce qui signifie que sil’arrêté auquel renvoie la loi peut être modifié dans les formes habituelles de modification desarrêtés, son contenu, lorsqu’on le considère comme norme d’application de l’article L. 4161-1,doit être considéré comme ayant une valeur équivalente à celle de la loi dont il précise le contenu.

Dans ce contexte, les « décrets d’actes » prévus à l’article L. 4161-1 alinéa 2, qui doivent, bienévidemment, respecter les règles légales en application desquelles ils sont pris, doivent égalementrespecter, dans le cas de figure qui nous intéresse, les règles de l’arrêté de 1962, qui doivent êtreconsidérées, dans ce contexte, comme ayant une valeur équivalente à celle de la loi.

Or, celui-ci définit trois types d’actes en fonction du contrôle exercé sur leur réalisation parla profession médicale : l’article 2 détermine les actes qui « ne peuvent être pratiqués que parles docteurs en médecine » ; l’article 3 prévoit que « ne peuvent être exécutés par des auxiliairesmédicaux qualifiés que sous la responsabilité et la surveillance directe d’un médecin, celui-ci pouvant contrôler et intervenir à tout moment, les actes médicaux suivant, dont la liste estlimitative » ; selon l’article 4, enfin, « peuvent être exécutés par des auxiliaires médicaux qualifiéset uniquement sur prescription qualitative et quantitative du médecin, mais en dehors de la présencede celui-ci, les actes médicaux suivants, dont la liste est limitative ».

Ce faisant, cet arrêté contient deux éléments d’une importance cruciale en ce qui concerne notrepropos ; d’une part, la liste des actes à propos desquels il prévoit la possibilité d’une exécution par

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les auxiliaires médicaux est limitative ; d’autre part, ces actes ne peuvent être exécutés que dansdeux cadres bien identifiés : « sous la responsabilité et la surveillance directe d’un médecin, celui-ci pouvant contrôler et intervenir à tout moment » ou « uniquement sur prescription qualitative etquantitative du médecin, mais en dehors de la présence de celui-ci ».

Le plan de cet arrêté nous indique, en outre, et de manière anticipée, la manière dont les« décrets d’actes » seront organisés. Par exemple, l’article R. 4321-5 du Code de la santé publiqueprévoit : « Sur prescription médicale, le masseur-kinésithérapeute est habilité à participer auxtraitements de rééducation suivants (. . .) » ; il prévoit, en outre, dans l’article R. 4321-8 :« Sur prescription médicale, et à condition qu’un médecin puisse intervenir à tout moment, lemasseur-kinésithérapeute est habilité à (. . .) ». De manière comparable, et reprenant la contraintefigurant dans l’article L. 4342-1, selon lequel « est considérée comme exercant la professiond’orthoptiste toute personne qui exécute habituellement des actes de rééducation orthoptique horsla présence du médecin », l’article R. 4341-2 débute par la formule suivante : « les orthoptistessont habilités, sur prescription médicale (. . .) », l’article suivant comprenant la liste des actesrépondant à cette exigence.

3.3 Conclusion

On ne peut que souligner, pour terminer, la position centrale de la profession médicale dansla régulation des professions d’auxiliaires médicaux. Ainsi, l’Académie nationale de médecineest systématiquement consultée en ce qui concerne le contenu des décrets relatifs aux actespouvant être accompli par les différentes professions, sachant que ceux-ci s’inscrivent dans latypologie définie dans l’arrêté du 6 janvier 1962, pris, lui aussi, après consultation de laditeAcadémie.

Une bonne partie des actes qui peuvent, en outre, être accomplis par des auxiliaires médi-caux ne peuvent l’être que « sur prescription médicale », et même « à condition qu’un médecinpuisse intervenir à tout moment ». Ces dernières remarques permettent de donner tout son sens àl’expression « auxiliaires médicaux ».

Une telle organisation implique la conséquence, qui est, à l’évidence, à l’origine même de cetteconstruction, d’un encadrement médical systématique des interventions sur le corps des patients,gage de la meilleure prise en charge dans un système dans lequel la compétence renvoie à laqualification. On concoit, cependant, que le système touche sa limite dès lors que l’interventionmédicale ne peut plus, notamment pour des raisons démographiques ou organisationnelles êtresystématiquement assurée.

D’autres contraintes pèsent, en outre, sur l’organisation actuelle des professions de santé. Ils’agit des relations réciproques entre ces règles et d’autres champs de droit.

Annexe C. Comparaisons internationales

Les éléments d’information relatifs aux situations étrangères, que le groupe a rassemblés ontessentiellement porté sur la situation de la profession infirmière. Cette profession présente, en effet,une double caractéristique : elle constitue, tout d’abord, la profession d’auxiliaire médical auxpossibilités d’intervention les plus variées (intervention sur prescription médicale, mais égalementrôle propre et encadrement d’équipes soignantes) ; elle représente, ensuite, la profession verslaquelle nombre de systèmes étrangers se sont tournés dès lors qu’il s’est agit de trouver desacteurs destinés à « remplacer » les médecins dans certaines circonstances.

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Dans ce contexte, un certain nombre d’éléments ont pu être identifiés. Ainsi, la situation desinfirmières dans les différents États semble très diversifiée, avec comme extrêmes les situationsallemande (peu d’autonomie) et anglaise (une large autonomie de diagnostic et de prescription,pour certains acteurs spécifiquement formés), cette caractéristique rendant, d’ailleurs, la compa-raison difficile. En outre, la question des « nouvelles formes de coopération » dans les différentspays renvoie principalement à des considérations démographiques. Dans un tel contexte, nombred’évolutions apparaissent récentes.

En outre, les infirmières sont, dans certains États, plus autonomes qu’en France dans le sens oùleurs actes se rapprochent de ceux réservés, en France, à la profession médicale, notamment en cequi concerne l’activité diagnostique et la prescription (cas anglais et suédois). Cette plus grandeautonomie s’appuie, en outre, sur le mode de définition de la profession. Celle-ci peut, en effet,semble-t-il, être définie de manière moins limitative que dans le cadre d’un décret de compétence(Allemagne, Angleterre, Suède et, au-delà de l’Europe, Québec et Ontario), pour renvoyer unedéfinition centrée sur les missions des professionnels. L’exemple extrême est, de ce point de vuel’exemple anglais, la compétence des infirmières dépendant essentiellement de leur formation.Dans cette perspective, certains exemples étrangers montrent que l’une des manières de définirune profession est négative : les professionnels sont autorisés à exercer sauf s’ils atteignent unecertaine limite.

De même, le contexte d’exercice constitue une donnée importante, dans le sens où les possibi-lités d’action pour un professionnel sont modulées suivant ce critère, selon que le professionnelexerce dans le cadre d’une structure, et peut donc faire appel à des compétences supérieures ouautres, en cas de besoin, et pour un professionnel exercant seul, sans possibilité de recours à unecompétence autre que la sienne.

Annexe D. Situation de l’outre-mer

Les collectivités francaises d’outre-mer présentent une grande diversité de situation géogra-phique : elles sont situées dans trois océans différents (Atlantique, Pacifique, Indien), de la zoneéquatoriale à la zone polaire. Certaines s’étendent sur des superficies considérables avec une mul-titude d’îles éloignées les unes des autres. Sur le plan juridique, la loi constitutionnelle du 28 mars2003 s’est donné pour but de mettre fin à un grand éparpillement statutaire par une simplificationdes catégories de collectivités territoriales situées outre-mer. Néanmoins, l’ensemble des collec-tivités francaises d’outre-mer présente des particularismes factuels alors même que l’ensembledes collectivités francaises d’outre-mer n’est pas juridiquement homogène 214.

D.1. L’ensemble des collectivités francaises d’outre-mer présente des particularismesfactuels

Globalement, l’outre-mer francaise se caractérise par une grande dispersion des territoireset une faible densité médicale et paramédicale. En conséquence, les professionnels de santédoivent faire face à des contraintes matérielles spécifiques. Il est facile d’imaginer les situationsd’isolement que rencontrent quotidiennement les acteurs de terrain. Qu’il suffise d’évoquer lesconditions de travail d’un infirmier, seul personnel de santé à plusieurs centaines de kilomètresde toute structure médicale (Marquises, Bélep, Mascareignes, etc.). Futuna (5000 habitants) ne

14 Ce texte a été rédigé par M. Bruno Py, maître de conférences en droit, université de Nancy.

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dispose que de trois médecins généralistes, d’un dentiste et d’une sage-femme diplômée d’État. Enl’absence de gynécologue-obstétricien, la plupart des Futuniennes sont évacuées sur l’hôpital deWallis, dix jours avant la date prévue de l’accouchement. En Polynésie, certaines îles (Gambier)ne disposant pas d’infirmier ou de sage-femme, des médecins généralistes et spécialistes tournent,même sur les îles qui n’ont pas d’aérodrome. Pour tenter de répondre à ces particularismes, lesreprésentants des hôpitaux de Wallis-et-Futuna, de Polynésie francaise et de Nouvelle-Calédoniese sont retrouvés, le 18 juillet 2007 pour la toute première réunion de la Fédération hospitalièrerégionale du Pacifique sud, qui s’est tenue à Nouméa.

L’éloignement des sites d’exercice est corroboré par un éloignement des centres de formation.Il existe ainsi, par exemple, trois IFSI pour l’ensemble des Antilles et de la Guyane (800 000 habi-tants). L’essentiel du personnel soignant est donc le plus souvent composé d’extérieurs, dont lesséjours professionnels sont généralement à durée déterminée. À cela, il faut ajouter la diminutionde l’offre de soins du service de santé des armées du fait de la disparition du service national (Loin o97-1019 du 28 octobre 1997).

Les questions juridiques qui se posent sont alors de deux ordres. D’une part, comment lesnormes juridiques tiennent-elles compte de ces contextes particuliers ? d’autre part, comment lesrègles de responsabilité s’appliqueraient-elles aux événements indésirables qui se produiraient,le cas échant ?

D.1.1. Isolement du soignant et norme juridiqueDans l’hypothèse d’un non-médecin isolé, confronté à un danger qui menace une personne le

concept d’état de nécessité justifierait pénalement l’infraction d’exercice illégal de la médecinequ’il commettrait en outrepassant ostensiblement ses compétences. L’infirmier pratiquant un gestechirurgical, le dentiste réalisant un accouchement, le kinésithérapeute prescrivant un médicamentseraient pénalement impunissables en démontrant l’existence d’un état de nécessité.

En application de l’adage classique : « nécessité fait loi », le droit pénal contemporain sauraittenir compte du soignant qui outrepasserait volontairement ses compétences juridiques telles quedécoulant des normes applicables pour parer un danger imminent. Les professionnels de la santéreconnaîtront derrière le mécanisme de l’état de nécessité, le principe de la raison proportionnéeappelé aujourd’hui balance avantages/risques.

On ne pourra pas poursuivre pour exercice illégal de la médecine le non-médecin qui a pratiquéun massage cardiaque sur une personne en arrêt cardiorespiratoire parce que ces gestes sontproportionnels aux risques (en l’occurrence risque de décès). Ce fondement juridique est celuiqui justifie au quotidien l’action des secouristes et sauveteurs non professionnels de santé.

On notera, par ailleurs, que les textes prévoient parfois spécifiquement cette hypothèse del’urgence pour donner à titre exceptionnel à un professionnel paramédical le « droit » d’accomplirun acte médical. Ainsi en est-il du décret de compétence des infirmiers-ères.

Hors danger actuel ou imminent, deux autres mécanismes juridiques pourraient être invoquésdans le cas où l’impossibilité d’évacuation sanitaire ou d’arrivée de secours médicaux. Il s’agitde la contrainte et du commandement de l’autorité légitime.

La contrainte suppose que l’individu n’ait pas eu la liberté de choix d’éviter l’infraction. Lecommandement de l’autorité légitime suppose un ordre hiérarchique.

D.1.2. Isolement du soignant et responsabilitéSur le plan indemnitaire, les professionnels de santé outre-mer, en dehors des quelques centres

urbains où exercent quelques libéraux, sont principalement des agents publics ou des salariés. D’où

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l’on peut déduire que l’éventuel contentieux portant sur la réparation des dommages causés par lefait qu’un professionnel de santé a dépassé ses compétences juridiques entraînerait indemnisationpar l’employeur.

L’organisation de l’offre de soins, la prévention et la préparation des opérations de secours àpersonne sont des missions de l’État et des autorités publiques. Il pourrait donc être plaidé quel’absence de personnel de santé ou la présence d’un personnel non compétent matériellement àtel endroit du territoire national engage la responsabilité de l’État.

Sur le plan répressif, en cas d’accident ayant pour origine un acte d’un professionnel hors champde sa compétence juridique, le principe de l’analyse in concreto imposerait au juge de comparerl’acte poursuivi avec l’acte qu’aurait accompli un autre professionnel placé dans l’exacte mêmesituation. Autrement dit, la responsabilité pénale individuelle d’un soignant serait examinée auregard du contexte qui était le sien. Un infirmier seul de nuit sur un ilot isolé n’est pas un infirmierde jour dans un service hospitalier. . .

À l’influence des ces particularismes factuels, il faut ajouter des spécificités juridiques propresaux différentes collectivités concernées.

D.2. L’ensemble des collectivités francaises d’outre-mer n’est pas juridiquement homogène

La simplification des catégories de collectivités territoriales situées outre-mer opérée par la loiconstitutionnelle du 28 mars 2003 met fin à un grand éparpillement statutaire. Mais la révisionconstitutionnelle de 2003 n’élimine pas pour autant la diversité statutaire. Jean-Yves Faberonidentifie ainsi une dizaine de statuts possibles, pouvant rendre plus complexe encore le paysageinstitutionnel outre-mer. On distinguera les départements et les régions d’outre-mer, DOM-ROMet les autres collectivités d’outre-mer.

D.2.1. La compétence juridique des soignants dans les DOM-ROMLes DOM-ROM relèvent en principe du régime d’assimilation législative, en vertu duquel

les règles métropolitaines s’appliquent sauf à connaître des modalités particulières d’applicationliées aux spécificités locales.

Comme exemple d’adaptation textuelle au contexte local, on peut citer la dérogation expli-cite permettant aux infirmiers de procéder à des diagnostics par réalisation d’actes de biologiemédicale.

Le Code de la santé publique prévoit expressément cette hypothèse sur l’ensemble du territoirenational en ce qui concerne la lutte contre les maladies humaines transmises par l’intermédiaired’insectes et constituant une menace pour la santé de la population. Le même code vise spécia-lement les sites isolés, parmi lesquels les départements d’outremer.

C’est par ce raisonnement que le ministère de la Santé a récemment autorisé des non-médecinsà réaliser des tests de détection antigénique du paludisme dans le département de la Guyane.

Les collectivités d’outre-mer relèvent en principe du régime de spécialité législative 68 envertu duquel les règles métropolitaines ne sont pas applicables, sauf validation explicite. Ainsi,par exemple, le statut de la Nouvelle Calédonie, lui donne-t-il compétence pour voter des « loisde pays », normes juridiques sui generis, pour réglementer plusieurs domaines dont la santé et ledroit du travail. C’est pourquoi le Code de la santé publique n’y est pas globalement applicableet que les Ordres professionnels y connaissent une organisation particulière.

Récemment, la commission permanente du congrès de Nouvelle Calédonie vient d’adopterun projet de loi de pays instituant un statut cohérent des personnels soignant et créant un cadreterritorial des psychologues.

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À Mayotte, les soignants non titulaires des diplômes visés à l’article L. 4311-3 du Codede la santé publique pour exercer la profession d’infirmier peuvent néanmoins être autorisésà travailler en vertu d’une autorisation d’exercer la profession d’infirmier délivrée par l’autoritéadministrative.

En conclusion, toute modification des règles qui gouvernent la répartition des rôles respectifsdes acteurs de santé dans l’offre de soin et donc de leurs compétences juridiques devrait absolumenttenir compte des spécificités factuels et normatives propres aux collectivités ultra-marines et ced’autant que, du fait de la mobilité croissante des acteurs fait que des métropolitains (voireintracommunautaires ou même extracommunautaires) sont de plus en plus souvent amenés àexercer outre-mer et réciproquement.

Annexe E. L’organisation actuelle de la profession infirmière

Dans la distinction entre les régimes d’organisation des professions de santé, l’infirmières’illustre comme l’archétype de celle définie par référence à une liste d’actes. La commissionanalyse et tire un bilan critique.

E.1. Une définition par référence aux actes

Selon l’article L. 4311-1 du Code de la santé publique, « Est considérée comme exercant laprofession d’infirmière ou d’infirmier toute personne qui donne habituellement des soins infirmierssur prescription ou conseil médical, ou en application du rôle propre qui lui est dévolu. L’infirmièreou l’infirmier participe à différentes actions, notamment en matière de prévention, d’éducationde la santé et de formation ou d’encadrement. Un arrêté des ministres chargés de la santé et dela sécurité sociale fixe la liste des dispositifs médicaux que les infirmiers, lorsqu’ils agissent surprescription médicale, peuvent prescrire à leurs patients sauf en cas d’indication contraire dumédecin et sous réserve, pour les dispositifs médicaux pour lesquels l’arrêté le précise, d’uneinformation du médecin traitant désigné par leur patient ».

La possibilité de prescription de dispositifs médicaux, qui fait l’objet du troisième alinéa decet article, est relativement récente puisqu’elle date de la loi n◦ 2006-1640 du 21 décembre 2006.On ne peut que souligner, à cet égard, l’encadrement médical fort de ces prescriptions.

La liste des dispositifs médicaux que les infirmiers peuvent prescrire est :

a. prévue par arrêté ;b. ne concerne que les cas dans lesquels les infirmiers agissent sur prescription médicale ;c. n’existe que sous réserve l’indication contraire du médecin ;d. peut nécessiter une information du médecin traitant.

Cependant, les dispositions qui nous intéressent ici particulièrement résident dans les deuxpremiers alinéas de l’article L. 4311-1. Dans cette perspective, le second alinéa est consacréaux activités qui n’impliquent pas directement d’actes de soins, « prévention », « éducation de lasanté », « formation », « encadrement », l’activité la plus proche de l’acte étant « l’encadrement ».Le premier alinéa est, quant à lui, consacré aux activités directement soignantes, l’infirmier oul’infirmière étant défini comme la « personne qui donne habituellement des soins infirmiers surprescription ou conseil médical, ou en application du rôle propre qui lui est dévolu ». Or cettedéfinition n’est que peu éclairante quant à l’activité concrète de ces professionnels. En effet, la

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formule utilisée est absolument tautologique, puisque l’infirmier ou l’infirmière est la personnequi « donne des soins infirmiers ». Le texte précise, en revanche, les conditions dans lesquellesces « soins infirmiers » sont dispensés : ils le sont soit sur « prescription ou conseil médical »,soit « en application du rôle propre » de ces professionnels. Ici encore, la loi ne nous apprendque peu de choses lorsqu’elle prévoit que les soins infirmiers sont donnés sur « prescription ouconseil médical » puisqu’il ne s’agit, en fait, que de reprendre les conditions posées à l’article L.4161-1 alinéa 2, lorsque ce dernier pose les conditions générales de l’intervention des auxiliairesmédicaux comme exception au monopole médical. Le seul apport normatif de l’article L. 4311-1réside donc dans la référence au « rôle propre » des infirmières et infirmiers, qui nécessitera desinvestigations supplémentaires.

Précisons, pour l’heure, que lorsque l’article L. 4311-1 fait référence aux soins dispensés surprescription ou conseil médical, il renvoie, pour définir plus précisément la profession, à son« décret d’actes », qui constitue donc l’élément principal de la définition de la profession. Dansce contexte, le premier article de ce dernier, codifié à l’article R. 4311-1 précise :

« L’exercice de la profession d’infirmier ou d’infirmière comporte l’analyse, l’organisation, laréalisation de soins infirmiers et leur évaluation, la contribution au recueil de données cliniqueset épidémiologiques et la participation à des actions de prévention, de dépistage, de formation etd’éducation à la santé.

« Dans l’ensemble de ces activités, les infirmiers et infirmières sont soumis au respect desrègles professionnelles et notamment du secret professionnel.

« Ils exercent leur activité en relation avec les autres professionnels du secteur de la santé, dusecteur social et médicosocial et du secteur éducatif ».

Dans ce contexte, il est possible d’isoler quatre types d’activités qui constituent les modalitésd’intervention des infirmiers et infirmières, activités déclinées dans les articles R. 4311-3 à 15 duCode de la santé publique. Il s’agit, en premier lieu, des activités de formation, d’éducation, deprévention et de recherche, prévues à l’article R. 4311-1581. Celles-ci ne sont, cependant, pasdirectement liées aux actes de soins, cœur des présentes réflexions sur les « nouvelles coopéra-tions des professions de santé ». Nous ne les analyserons donc pas plus avant. Les trois autrestypes d’activités que l’on peut repérer dans les dispositions analysées sont constituées par lesactes s’inscrivant dans leur « rôle thérapeutique propre » (articles R. 4311-5 et 6) ; des actesencadrés par la profession médicale dans le cadre de l’intervention traditionnelle des auxi-liaires médicaux (R. 4311-7 à 10) ; et des fonctions d’animation d’équipe et d’encadrement (R.4311-4).

E.2. Analyse

E.2.1. Le rôle propreSelon l’article R. 4311-3, « Relèvent du rôle propre de l’infirmier ou de l’infirmière les soins

liés aux fonctions d’entretien et de continuité de la vie et visant à compenser partiellement ou tota-lement un manque ou une diminution d’autonomie d’une personne ou d’un groupe de personnes ».Et d’ajouter, dans l’alinéa suivant « Dans ce cadre, l’infirmier ou l’infirmière a compétence pourprendre les initiatives et accomplir les soins qu’il juge nécessaires conformément aux disposi-tions des articles R. 4311-5 et R. 4311-6. Il identifie les besoins de la personne, pose un diagnosticinfirmier, formule des objectifs de soins, met en œuvre les actions appropriées et les évalue. Ilpeut élaborer, avec la participation des membres de l’équipe soignante, des protocoles de soinsinfirmiers relevant de son initiative. Il est chargé de la conception, de l’utilisation et de la gestiondu dossier de soins infirmiers ».

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La liste des actes que l’infirmier est autorisé à effectuer dans ce cadre fait l’objet des articlesR. 4311-5 et R. 4311-6 (santé mentale). L’article R. 4311-5 dispose ainsi que « Dans le cadre deson rôle propre, l’infirmier ou l’infirmière accomplit les actes ou dispense les soins suivants visantà identifier les risques et à assurer le confort et la sécurité de la personne et de son environnementet comprenant son information et celle de son entourage : (. . .) », faisant suivre cette formuled’une liste de 42 actes. L’article R. 4311-6 précise, quant à lui, que « Dans le domaine de lasanté mentale, outre les actes et soins mentionnés à l’article R. 4311-5, l’infirmier ou l’infirmièreaccomplit les actes et soins suivants : (. . .) », faisant suivre la formule une liste de quatre actes.

E.2.2. Les actes effectués sur prescription médicaleL’article R. 4311-7 dispose ainsi, en ce qui concerne les actes nécessitant une prescription

médicale ou un protocole établi par le médecin : « L’infirmier ou l’infirmière est habilité à pratiquerles actes suivants soit en application d’une prescription médicale qui, sauf urgence, est écrite,qualitative et quantitative, datée et signée, soit en application d’un protocole écrit, qualitatif etquantitatif, préalablement établi, daté et signé par un médecin ».

Les actes que « l’infirmier ou l’infirmière est habilité à accomplir sur prescription médicaleécrite, qualitative et quantitative, datée et signée, les actes et soins suivants, à condition qu’unmédecin puisse intervenir à tout moment : (. . .) » sont, quant à eux, prévus par l’article R. 4311-9.

Les derniers de ces actes sont ceux de l’article R. 4311-10, selon lequel l’infirmier oul’infirmière « participe à la mise en œuvre par le médecin des techniques suivantes ».

L’article R. 4311-14 est relatif, enfin, au cas particulier de l’urgence, en prévoyant que « enl’absence d’un médecin, l’infirmier est habilité, après avoir reconnu une situation comme relevantde l’urgence ou de la détresse psychologique, à mettre en œuvre des protocoles de soins d’urgence,préalablement écrits, datés et signés par le médecin responsable. Dans ce cas, l’infirmier accom-plit les actes conservatoires nécessaires jusqu’à l’intervention d’un médecin. Ces actes doiventobligatoirement faire l’objet de sa part d’un compte rendu écrit, daté, signé, remis au médecin etannexé au dossier du patient. En cas d’urgence et en dehors de la mise en œuvre du protocole,l’infirmier ou l’infirmière décide des gestes à pratiquer en attendant que puisse intervenir unmédecin. Il prend toutes mesures en son pouvoir afin de diriger la personne vers la structure desoins la plus appropriée à son état ».

On constate, ici encore, que le modèle dominant est celui de l’encadrement médical. Danscette perspective, le « retour à l’autonomie » prévue dans le cadre du second alinéa dans lequel« l’infirmier ou l’infirmière décide des gestes à pratiquer » ne doit pas tromper. Il ne s’agit ici, eneffet, que d’un « retour au droit commun » selon lequel, si une personne constate qu’une autrepersonne a besoin de soins urgents, elle doit les dispenser, dans la mesure de ses compétences etde la prudence nécessaire, sous peine de se voir appliquer les règles relatives à la non-assistanceà personne en péril. Relevons, cependant, que le texte prévoit explicitement, le faite de « dirigerla personne vers la structure de soins la plus appropriée à son état ».

La dernière modalité d’intervention des infirmiers et infirmières réside dans l’organisationd’équipes soignantes.

E.2.3. L’organisation d’équipes soignantesSelon l’article R. 4311-3, l’infirmier « peut », dans le cadre de son rôle propre, « élaborer, avec

la participation des membres de l’équipe soignante, des protocoles de soins infirmiers relevantde son initiative ». Approfondissant la même logique, l’article R. 4311-4 dispose, quant à lui :« Lorsque les actes accomplis et les soins dispensés relevant de son rôle propre sont dispensés dansun établissement ou un service à domicile à caractère sanitaire, social ou médicosocial, l’infirmier

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ou l’infirmière peut, sous sa responsabilité, les assurer avec la collaboration d’aides-soignants,d’auxiliaires de puériculture ou d’aides médicopsychologiques qu’il encadre et dans les limites dela qualification reconnue à ces derniers du fait de leur formation. Cette collaboration peut s’inscriredans le cadre des protocoles de soins infirmiers mentionnés à l’article R. 4311-3 ». Autrement dit,l’infirmier peut organiser l’activité des équipes soignantes sous forme de protocoles, dès lors queson activité se déroule dans le cadre d’une collectivité.

On peut remarquer, plus largement, que ces différentes dispositions mettent en place une orga-nisation qui reprend le modèle des rapports entre les médecins et les auxiliaires médicaux. Ce nesont, cependant, cette fois-ci, pas les médecins qui encadrent et contrôlent des auxiliaires médi-caux, mais les infirmiers et infirmières qui encadrent et contrôlent les aides-soignants, auxiliairesde puériculture et aides médicopsychologiques « dans les limites de la qualification reconnue àces derniers du fait de leur formation ». Il ne faudrait pas, cependant, qu’une telle constructionconduise à accréditer l’idée d’une possibilité de protocoles « en cascade ». Les protocoles rela-tifs aux relations entre les médecins et les infirmiers concernent, en effet, les actes pouvant êtreeffectués sur prescription médicale (article R. 4311-7) ainsi que les actes accomplis en situationd’urgence (article R. 4311-14) ; les protocoles relatifs aux relations entre infirmiers et équipesoignante ne peuvent concerner, quant à eux, que le champ du rôle propre infirmier, c’est-à-dire« les soins liés aux fonctions d’entretien et de continuité de la vie ».

L’organisation des interventions professionnelles en référence aux actes peut, à présent, fairel’objet d’une première évaluation.

E.3. Évaluation

L’analyse de la situation de la profession infirmière permet de mettre en lumière certains traitssaillants liés à une organisation reposant sur la référence aux actes professionnels.

Le premier d’entre eux réside dans la protection importante des patients dans le cadre de cesystème, puisque le médecin, c’est-à-dire le professionnel le plus qualifié, est systématiquementappelé à intervenir dès lors que l’on ne se situe pas dans le périmètre du « rôle propre ».

En outre, les précédents développements ont permis de dégager plusieurs modes de« coopération » actuellement à l’œuvre :

• la participation aux actes effectués par un professionnel plus qualifié (médecin) ;• la réalisation d’actes sous le contrôle immédiat possible d’un professionnel plus qualifié (méde-

cin) ;• la réalisation d’actes sur prescription (prescription médicale) ;• la réalisation d’actes prévus dans le cadre de protocoles (établis, selon les cas, soit par des

médecins soit par des infirmiers) ;• la réalisation de protocoles à destination d’autres professionnels.

Le groupe de travail a envisagé, dans ce contexte, une « nouvelle forme de coopération » :étendre le « modèle infirmier » à d’autres professions d’auxiliaires médicaux. Il s’agirait, danscette perspective, d’éventuellement prévoir un « rôle propre » pour d’autres professions, ainsiqu’une possibilité d’organisation, pour certaines professions, de l’activité de professionnels moinsqualifiés lorsque cela semble pertinent. Il s’agirait, également, de développer la possibilité régle-mentaire de l’organisation de l’activité des professions d’auxiliaires médicaux sous la forme deprotocoles.

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Le modèle rencontre, toutefois, ses limites, en ce qu’il reste organisé autour d’actes limitati-vement énumérés.

Le médecin constitue, en effet, dans le modèle de la distribution des tâches des professionnelsde santé en référence aux actes, le passage obligé pour l’entrée dans le système de soins. Onconstate qu’il s’agit, ici, de l’inverse de l’argument utilisé plus tôt, qui voyait dans ce passageobligé un point positif, puisque permettant au patient d’être pris en charge par le professionnel leplus qualifié. Cependant, dans un cadre prospectif, on ne peut qu’anticiper de futures difficultésliées à la démographie du corps médical dans certaines situations (difficultés d’ores et déjà sous-jacentes et réglées, à propos de l’intervention des infirmiers dans les situations d’urgence dansl’article R. 4311-14).

Le second point négatif de ce modèle réside dans sa lourdeur. Nous avons ainsi pu dénombrer,à propos de la profession infirmière, pas moins de 109 actes énumérés dans les articles R. 4311-1à 15. On peut se demander, dans ce contexte, s’il ne serait pas possible de rendre licites des sériesou des types d’actes, en fonction des missions à accomplir, quitte à en préciser les limites ainsique celles des interventions des professionnels.

Annexe F. La définition des professions par leurs missions

Comme en ce qui concerne l’analyse de la définition des professions en référence aux actesprofessionnels, nous allons procéder en partant de l’exemple de professions organisées en réfé-rence à leurs missions : les professions médicales : nous procéderons, ensuite, à une évaluationde cette organisation.

F.1. L’exemple des professions médicales

Le Code de la santé publique qualifie deux professions autres que la profession de médecin,de « professions médicales » : les professions de chirurgien-dentiste et de sage-femme.

L’organisation de ces professions se caractérise, en ce qui concerne les actes professionnels, parla capacité, accordée aux professionnels, de déterminer et de pratiquer l’ensemble des soins qu’ilsjugent utiles, si tant est que ceux-ci interviennent dans leur champ de compétence, déterminéespar la loi. Le législateur ne limite donc pas les actes possibles, mais les domaines dans lesquelsles professionnels peuvent intervenir.

Nous analysons successivement la manière dont ces professions sont organisées.

F.1.1. Les chirurgiens dentistesSelon l’article L. 4141-1 « La pratique de l’art dentaire comporte la prévention, le diagnostic et

le traitement des maladies congénitales ou acquises, réelles ou supposées, de la bouche, des dents,des maxillaires et des tissus attenants, suivant les modalités fixées par le code de déontologie de laprofession mentionné à l’article L. 4127-1 », l’article L. 4141-291 précisant que « Les chirurgiens-dentistes peuvent prescrire tous les actes, produits et prestations nécessaires à l’exercice de l’artdentaire ».

On constate ainsi que la définition de la profession de chirurgien-dentiste reprend les termescentraux de la définition de l’exercice illégal de la médecine, le « diagnostic ou le traitement desmaladies congénitales ou acquises, réelles ou supposées », le chirurgien-dentiste pouvant doncintervenir de la même manière que le médecin, mais dans un domaine spécifique : « la bouche,les dents, les maxillaires et les tissus attenants ». Soulignons, encore, que, à la différence del’article L. 4311-1, qui trace les contours de la profession infirmière, et renvoie implicitement,

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pour une définition plus précise, au « décret d’actes » intégré aux articles R. 4311-1 et suivants,l’article L. 4141-1 renvoie, quant à lui, pour définir la profession de chirurgiens-dentistes, au Codede déontologie de la profession, qui prévoit, notamment, dans l’article R. 4127-204 que : « Lechirurgien-dentiste ne doit en aucun cas exercer sa profession dans des conditions susceptibles decompromettre la qualité des soins et des actes dispensés ainsi que la sécurité des patients. Il doitnotamment prendre, et faire prendre par ses adjoints ou assistants, toutes dispositions propres àéviter la transmission de quelque pathologie que ce soit. Sauf circonstances exceptionnelles, ilne doit pas effectuer des actes, donner des soins ou formuler des prescriptions dans les domainesqui dépassent sa compétence professionnelle ou les possibilités matérielles dont il dispose ».

On est donc amené à constater que, dans le modèle d’une définition professionnelle par lesmissions, c’est le professionnel qui décide, sur le modèle de la profession médicale, et dans lechamp qui est le sien, des actes à effectuer, dans la limite de sa compétence, qu’il évalue lui-même.

F.1.2. Les sages-femmesEn ce qui concerne la profession de sage-femme, l’article L. 4151-192 dispose : « L’exercice

de la profession de sage-femme comporte la pratique des actes nécessaires au diagnostic, à lasurveillance de la grossesse et à la préparation psychoprophylactique à l’accouchement, ainsiqu’à la surveillance et à la pratique de l’accouchement et des soins postnataux en ce qui concernela mère et l’enfant, sous réserve des dispositions des articles L. 4151-2 à L. 4151-4 et suivantles modalités fixées par le code de déontologie de la profession, mentionné à l’article L. 4127-1. L’examen postnatal peut être pratiqué par une sage-femme si la grossesse a été normale etsi l’accouchement a été eutocique. L’exercice de la profession de sage-femme peut comporterégalement la participation aux consultations de planification familiale ».

Une première remarque d’être effectué, soulignant le fait que cette disposition ne reprend pas,à la différence de l’article relatif à la profession de chirurgien-dentiste, les termes centraux de ladéfinition de la profession médicale, à savoir « la prévention, le diagnostic et le traitement desmaladies congénitales ou acquises, réelles ou supposées », mais renvoie à la « pratique [d’] actes ».

Tout comme en ce qui concerne les chirurgiens-dentistes, en revanche, l’article L. 4151-4prévoit, quant à lui, que « Les sages-femmes peuvent prescrire les dispositifs médicaux, dont laliste est fixée par l’autorité administrative, et les examens strictement nécessaires à l’exercice deleur profession. Elles peuvent également prescrire les médicaments d’une classe thérapeutiquefigurant sur une liste fixée par arrêté du ministre chargé de la santé pris après avis de l’Agencefrancaise de sécurité sanitaire des produits de santé ». Soulignant, cependant, que l’autonomiedes sages-femmes est ici plus limitée que celle des chirurgiens-dentistes, puisque celle-ci estautrement limitée que par la seule évaluation des professionnelles elles-mêmes, la liste des dispo-sitifs médicaux ainsi que la classe thérapeutique des médicaments pouvant être prescrits faisantl’objet d’un encadrement réglementaire. On peut ainsi observer des variations dans les possibilitésd’action des professionnels, même dans le cadre du titre Ier de la quatrième partie du Code de lasanté publique, c’est-à-dire en ce qui concerne les « professions médicales ».

La même tonalité se dégage des articles L. 4151-2 et 3, qui disposent, respectivement, que« Les sages-femmes sont autorisées à pratiquer les vaccinations dont la liste est fixée par arrêté duministre chargé de la santé », et que « En cas de pathologie maternelle, fœtale ou néonatale pendantla grossesse, l’accouchement ou les suites de couches, et en cas d’accouchement dystocique, lasage-femme doit faire appel à un médecin. Les sages-femmes peuvent pratiquer les soins prescritspar un médecin en cas de grossesse ou de suites de couches pathologiques ».

Dans cette perspective, le Code de déontologie de la profession prévoit des normesd’application. Ainsi, d’un point de vue général, l’article R. 4127-313 prévoit, à l’instar de la

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profession de chirurgiens-dentistes « Dans l’exercice de sa profession, la sage-femme ne doitpas, sauf circonstances exceptionnelles, effectuer des actes ou donner des soins, ni formulerdes prescriptions dans les domaines qui débordent sa compétence professionnelle ou dépassentses possibilités », laissant ainsi à la sage-femme l’évaluation des limites de sa compétence.L’article R. 4127-318 dispose, quant à lui, que : « I. - Pour l’exercice des compétences quilui sont dévolues par l’article L. 4151-1, la sage-femme est autorisée à pratiquer notamment :[suivant une liste de 13 actes]. II. – La sage-femme est autorisée, au cours du travail, à effec-tuer la demande d’anesthésie locorégionale auprès du médecin anesthésiste-réanimateur. Elle eninforme le médecin gynécologue-obstétricien. Sous réserve qu’un médecin puisse intervenir àtout moment, la sage-femme peut participer à la technique d’analgésie locorégionale pratiquéelors de l’accouchement, à l’exclusion de la période d’expulsion. La première injection doit êtreréalisée par un médecin. La sage-femme ne peut pratiquer les injections suivantes que par lavoie du dispositif mis en place par le médecin. Elle peut procéder au retrait de ce dispositif ».Ce dernier article mérite d’être commenté en détail puisqu’il introduit nombre de subtilités dansl’architecture que nous analysons.

Ainsi, si l’article R. 4127-318 I prévoit, à l’instar des professions d’auxiliaires médicaux, uneliste d’actes qui peuvent être effectués par la sage-femme, cette liste n’est, contrairement à cellequi encadre l’exercice des professions d’auxiliaires médicaux, pas limitative, puisque l’articleprévoit que « la sage-femme est autorisée à pratiquer notamment ».

Dans le même registre, le II du même article « autorise » les professionnels à effectuer unedemande à un médecin anesthésiste, sous réserve d’en informer un médecin obstétricien. Autre-ment dit, si un contrôle médical existe, où peut exister, l’initiative de l’action professionnellerevient à un non médecin.

La répartition des tâches entre la sage-femme et le médecin est, enfin, à propos de la « techniqued’analgésie locorégionale pratiquée lors de l’accouchement » réglementée dans le détail, mais dansun cadre grammatical positif, cohérent avec la définition générale de la profession.

F.2. Évaluation

Un certain nombre de points utiles à notre analyse se déduisent des développements quiprécèdent.

On est ainsi amené à constater, dans un système essentiellement organisé autour des actesprofessionnels, qu’au moins une autre modalité d’organisation est possible : l’organisation autourdes missions. Dans ce contexte, l’exemple des sages-femmes est particulièrement intéressant dufait de la subtilité de son organisation, puisqu’il ne s’agit pas, lorsque le législateur organiseles possibilités d’intervention des sages-femmes, de leur donner une liberté intégrale ; il s’agitplutôt de leur donner une importante marge d’initiative, mais uniquement dans le cadre de leurqualification, un médecin devant intervenir dès lors que l’on atteint les limites de cette dernière.

Relevons, également, que l’intervention d’un médecin peut résulter de l’initiative de lasage-femme, soit pendant le suivi de la grossesse, soit à propos de « demande d’anesthésie loco-régionale ». Il est donc possible, dans ce modèle, d’entrer dans le système sanitaire par un autreprofessionnel que le médecin, même si les sages-femmes appartiennent à une « profession médi-cale ». La logique habituelle du parcours de soins relativement aux interlocuteurs du patient estici inversée : il ne s’agit pas, comme dans le modèle habituel, de rencontrer, en première inten-tion, un médecin, qui peut éventuellement renvoyer le patient à un auxiliaire médical ; il s’agit derencontrer un professionnel autre que le médecin, qui pourra ou devra, selon les cas, renvoyer àun médecin ou, a minima, l’informer de ses interventions pour permettre un contrôle.

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Une telle organisation implique donc que les professionnels fassent en sorte de faire appelà d’autres professionnels plus compétents lorsque leur propre compétence atteint ses limites,nécessité prévue par les codes de déontologie, et donc éventuellement sanctionnée, en cas decarence, dans un cadre au moins disciplinaire.

Il n’en reste pas moins que même dans la perspective d’une profession définie par ses missions,l’article R. 4127-318 dresse une liste d’actes que peuvent accomplir les sages-femmes. Il estcependant nécessaire de rappeler que cette liste n’est pas limitative ; la sage-femme peut participerà la technique d’analgésie locorégionale pratiquée lors de l’accouchement, à l’exclusion de lapériode d’expulsion. La première injection doit être réalisée par un médecin. La sage-femme nepeut pratiquer les injections suivantes que par la voie du dispositif mis en place par le médecin.Elle peut procéder au retrait de ce dispositif. C’est nous qui soulignons.

Ces professionnels peuvent donc accomplir d’autres actes que ceux énumérés, dans les limitesde leurs « compétences » (article R. 4127-313). Autrement dit, un système organisé autour de« missions professionnelles » peut fort bien intégrer une référence aux actes, notamment dansun but didactique, ou pour lever un certain nombre d’ambiguïtés, mais sans que cette liste soitlimitative.

Il ne s’agit, bien évidemment, pas de prôner ici le passage généralisé à un tel système, mais biende prendre conscience qu’un système autre qu’organisé autour d’une liste d’actes limitativementénumérés est possible. C’est, en outre, la voie dans laquelle semblent s’être engagées la Grande-Bretagne et la Suède en ce qui concerne certaines infirmières.

Soulignons, en outre, que dans un tel système, les règles déontologiques jouent un rôle depremier plan (les articles R. 4127-301 et suivants constituent le Code de déontologie des sages-femmes), puisque le professionnel évalue lui-même les limites de son intervention en fonctionde sa compétence. Un tel système pourrait même receler une certaine pertinence en termesd’acceptabilité professionnelle, lorsque l’on sait que les professionnels sont très attachés à larégulation déontologique, percue comme une « autorégulation », et souvent mieux acceptée qued’autres types de règles percues comme une « réglementation » externe à la profession.

Annexe G. Proposition pour une redéfinition des professions d’auxiliaires médicaux

La commission a réservé une place spécifique à la profession infirmière, dans la mesure oùcelle-ci occupe une place particulière dans le système de soins, du fait de son organisation ainsique de ses champs d’intervention. Nous envisagerons, ensuite, la situation des autres professionsd’auxiliaires médicaux.

G.1. La profession infirmière

Rappelons que la profession infirmière est définie, dans l’article L. 4311-1 du code de la santépublique, de la manière suivante : « Est considérée comme exercant la profession d’infirmièreou d’infirmier toute personne qui donne habituellement des soins infirmiers sur prescription ouconseil médical, ou en application du rôle propre qui lui est dévolu. L’infirmière ou l’infirmierparticipe à différentes actions, notamment en matière de prévention, d’éducation de la santé etde formation ou d’encadrement ». Nous avons indiqué, analysant spécifiquement ce texte, quela formule utilisée était largement tautologique, renvoyant, pour une définition plus précise, audécret d’actes, intégré aux articles R. 4311-1 et suivants122.

Ce dernier dispose ainsi, dans son alinéa 1er, que : « L’exercice de la profession d’infirmiercomporte l’analyse, l’organisation, la réalisation de soins infirmiers et leur évaluation, la contri-

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bution au recueil de données cliniques et épidémiologiques et la participation à des actions deprévention, de dépistage, de formation et d’éducation à la santé. (. . .) », ajoutant que les infirmiers« exercent leur activité en relation avec les autres professionnels du secteur de la santé, du secteursocial et médico-social et du secteur éducatif ».

La mission des infirmiers est, enfin, précisée, en ce qui concerne leur rôle propre, dans l’articleR. 4311-3, selon lequel « Relèvent du rôle propre de l’infirmier ou de l’infirmière les soins liés auxfonctions d’entretien et de continuité de la vie et visant à compenser partiellement ou totalementun manque ou une diminution d’autonomie d’une personne ou d’un groupe de personnes ». Etd’ajouter, dans l’alinéa suivant « Dans ce cadre, l’infirmier ou l’infirmière a compétence pourprendre les initiatives et accomplir les soins qu’il juge nécessaires conformément aux dispositionsdes articles R. 4311-5 et R. 4311-6. Il identifie les besoins de la personne, pose un diagnosticinfirmier, formule des objectifs de soins, met en œuvre les actions appropriées et les évalue. Ilpeut élaborer, avec la participation des membres de l’équipe soignante, des protocoles de soinsinfirmiers relevant de son initiative. Il est chargé de la conception, de l’utilisation et de la gestiondu dossier de soins infirmiers ».

Pour en revenir à la question de la définition de la profession, et compte tenu du fait que laformule de l’article R. 4311-1 est plus précise que celle de l’article L. 4311-1, une propositionsimple réside dans le fait de remplacer la prévision légale par la prévision réglementaire, oud’ajouter la prévision réglementaire à la prévision légale.

Dans ce contexte, la référence aux limites des interventions des infirmiers ne fait pas l’objet deprévisions textuelles explicites. Il faut, cependant, souligner que celles-ci ne sont pas nécessaires,dans la mesure où, dans le système actuel, les infirmiers ne sont autorisés hors rôle propre -qu’àeffectuer des actes sous contrôle médical. Ainsi, tout acte qui n’est pas explicitement autorisé estexclu ; il n’est donc pas besoin de préciser les limites de l’intervention professionnelle. Si l’ondevait se diriger vers un système dans lequel la référence aux actes devenait secondaire par rapportaux missions, cette configuration textuelle serait amenée à évoluer, et la définition de la professiondevrait intégrer, à l’exemple des dispositions relatives aux sages-femmes et aux ostéopathes, uncertain nombre de limites.

G.2. Les autres professions

G.2.1. Les masseurs-kinésithérapeutesL’article L. 4321-1 dispose que « La profession de masseur-kinésithérapeute consiste à pra-

tiquer habituellement le massage et la gymnastique médicale. La définition du massage et de lagymnastique médicale est précisée par un décret en Conseil d’État, après avis de l’Académie natio-nale de médecine. Lorsqu’ils agissent dans un but thérapeutique, les masseurs-kinésithérapeutespratiquent leur art sur ordonnance médicale et peuvent prescrire, sauf indication contraire dumédecin, les dispositifs médicaux nécessaires à l’exercice de leur profession. La liste de ces dis-positifs médicaux est fixée par arrêté des ministres chargés de la santé et de la sécurité socialeaprès avis de l’Académie nationale de médecine ».

Cet article, à l’instar de la situation de la profession infirmière renvoie donc au décret d’actes ladéfinition précise des contours de la profession, construction renvoyant à la logique d’organisationdes professions d’auxiliaires médicaux comme exception au monopole médical.

Dans ce contexte, l’article R. 4321-1 précise que « La masso-kinésithérapie consiste en des actesréalisés de facon manuelle ou instrumentale, notamment à des fins de rééducation, qui ont pour butde prévenir l’altération des capacités fonctionnelles, de concourir à leur maintien et, lorsqu’ellessont altérées, de les rétablir ou d’y suppléer. Ils sont adaptés à l’évolution des sciences et des

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techniques ». L’article R. 4321-3 ajoute, dans la même registre, « On entend par massage toutemanœuvre externe, réalisée sur les tissus, dans un but thérapeutique ou non, de facon manuelleou par l’intermédiaire d’appareils autres que les appareils d’électrothérapie, avec ou sans l’aidede produits, qui comporte une mobilisation ou une stimulation méthodique, mécanique ou réflexede ces tissus ».

Ici, comme en ce qui concerne les infirmiers et infirmières, on est amené à constater que ladéfinition des professions est tributaire du système organisé en référence aux actes. Le décretd’actes contient, cependant, un certain nombre d’articles plus larges que les seules listes d’actes,qui pourrait servir de base à une redéfinition légale des professions.

G.2.2. Les pédicures-podologuesLa définition de la profession de pédicure podologue est, quant à elle, plus centré sur les mis-

sions des professionnels, puisque l’article L. 4322-1 dispose que « Seuls les pédicures-podologuesont qualité pour traiter directement les affections épidermiques, limitées aux couches cornéeset les affections unguéales du pied, à l’exclusion de toute intervention provoquant l’effusionde sang. Ils ont également seuls qualité pour pratiquer les soins d’hygiène, confectionner etappliquer les semelles destinées à soulager les affections épidermiques. Sur ordonnance et souscontrôle médical, les pédicures-podologues peuvent les cas pathologiques de leur domaine decompétence ».

Cette configuration de la définition de la profession, plus « ouverte » que celle des professionsd’infirmier et infirmière et de masseur kinésithérapeute, est sans doute lié au fait que les pédi-cures podologues peuvent intervenir pour un certain nombre d’actes, sans prescription médicalepréalable. L’article R. 4322-1 dispose, en effet : « Les pédicures-podologues accomplissent, sansprescription médicale préalable et dans les conditions fixées par l’article L. 4322-1, les actesprofessionnels suivants : (. . .) », [liste de six actes].

Cette organisation est, dans la perspective adoptée, particulièrement intéressante. Elle permet,en effet, de constater qu’il est possible, dès aujourd’hui, d’une part d’organiser une professiond’auxiliaire médical en la définissant en référence à ses missions, d’autre part de développerl’entrée dans le système de soins, en première intention, par des auxiliaires médicaux, et nonseulement par des professions médicales.

G.2.3. Les autres professions d’auxiliaires médicauxLes développements qui suivent concernent les professions d’ergothérapeute (articles L. 4331-

1 et suivants127), de psychomotriciens (articles L. 4332-1 et suivants128), d’orthophoniste(articles L. 4341-1 et suivants129), d’orthoptiste (articles L. 4342-1 et suivants130), de manipu-lateur d’électroradiologie médicale (articles L. 4351-1 et suivants131), audioprothésiste (articlesL. 4361-1 et suivants132), opticiens lunetiers (articles L. 4362-1 et suivants133), prothésistes etorthésistes pour l’appareillage des personnes handicapées (article L. 4364-1134) et diététicien(article L. 4371-1135).

La définition de ces différentes professions renvoie systématiquement aux actes professionnels.Celles-ci sont, en effet, construites sur le modèle suivant : « Est considérée comme exercantla profession [considérée] toute personne qui, non médecin, exécute habituellement des actesprofessionnels [de la profession], définis par décret en Conseil d’État pris après avis de l’Académienationale de médecine. Les [professionnels] exercent leur art sur prescription médicale ».

Il s’agit ici de la traduction, dans la définition du champ d’intervention de différents profession-nels, de la conception des professions d’auxiliaires médicaux portée par l’exception au monopolemédical déterminé, à leur profit, dans le cadre de l’infraction d’exercice illégal de la profession

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médicale : les auxiliaires médicaux interviennent, par exception, dans le champ médical, sous lecontrôle des médecins. On peut comprendre, dans ce modèle que la « définition » d’une professionse résume à la détermination des actes qu’elle peut effectuer.

Quelques dispositions s’écartent, cependant, peu ou prou de ce modèle. C’est le cas de l’articleL. 4342-1 alinéa 2 qui dispose, depuis le 21 décembre 2006137, que « Les orthoptistes nepeuvent pratiquer leur art que sur ordonnance médicale ou, dans le cadre notamment du cabi-net d’un médecin ophtalmologiste, sous la responsabilité d’un médecin ». Il en est de mêmede l’article L. 4361-1, alinéa 1 et 2, qui dispose « Est considérée comme exercant la profes-sion d’audioprothésiste toute personne qui procède à l’appareillage des déficients de l’ouïe. Cetappareillage comprend le choix, l’adaptation, la délivrance, le contrôle d’efficacité immédiateet permanente de la prothèse auditive et l’éducation prothétique du déficient de l’ouïe appa-reillé ». C’est également le cas de la profession de diététicien, puisque « Est considérée commeexercant la profession de diététicien toute personne qui, habituellement, dispense des conseilsnutritionnels et, sur prescription médicale, participe à l’éducation et à la rééducation nutrition-nelle des patients atteints de troubles du métabolisme ou de l’alimentation, par l’établissementd’un bilan diététique personnalisé et une éducation diététique adaptée. Les diététiciens contri-buent à la définition, à l’évaluation et au contrôle de la qualité de l’alimentation servie encollectivité, ainsi qu’aux activités de prévention en santé publique relevant du champ de lanutrition ».

Une seule définition échappe à ce modèle, celle des opticiens lunetiers, dans l’article L. 4362-1alinéa 2, qui ne fait que renvoyer à la condition de diplôme nécessaire pour exercer la profession :« Peuvent exercer la profession d’opticien-lunetier détaillant les personnes titulaires d’un diplôme,certificat ou titre mentionnés aux articles L. 4362-2 et L. 4362-3 enregistré conformément aupremier alinéa ».

Dans un tel contexte, il paraît bien difficile, pour ces professions, de faire évoluer le modede définition en partant des dispositions actuelles, tant celles-ci sont proches des actes que lesprofessionnels sont autorisés à accomplir.

G.3. Vers une réalité normative forcément hybride ?

En conclusion de ces développements consacrés à l’analyse de l’organisation de l’interventiondes professions en référence à des missions assorties de limites, un certain nombre de pointspeuvent être considérés comme acquis.

On est ainsi amené à constater, d’une part, qu’il n’existe pas de modèle « pur » d’organisationd’une profession en référence au modèle « missions-limites ». Ainsi, en ce qui concerne la pro-fession de sage-femme, l’activité des ostéopathes, les professions d’infirmier et infirmière ou depédicure-podologue, les régulations en cause prévoient systématiquement des références, à la foisaux missions des professionnels, aux limites de leurs interventions, ainsi qu’à un certain nombred’actes autorisés ou non, selon une distribution renvoyant aux particularités de chaque profes-sion ainsi qu’aux différents contextes d’exercice professionnel. Encore, cette référence aux actesdoit-elle sans doute beaucoup à la logique générale du système de droit francais en la matière,construit en référence à ces derniers.

Les seuls modèles « purs » existant actuellement concernent les professions d’auxiliaires médi-caux les moins qualifiées, construites exclusivement en référence aux actes que les professionnelspeuvent exécuter et systématiquement sous contrôle médical.

La référence aux actes dans la définition des différentes professions doit donc faire l’objetd’une approche nuancée. Il ne s’agit pas, en effet, de considérer que celle-ci manque totalement

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de pertinence, et doit être complètement écartée au profit d’un modèle de définition des professionsconstruit exclusivement en référence à des missions professionnelles assorties de limites.

En effet, d’une part, la définition des missions et des limites des professions peut être construiteen référence à certains actes professionnels particuliers, et notamment en ce qui concerne leslimites interventionnelles. Il peut être utile, d’autre part, de viser certains actes pour préciser lesmodalités de coopération entre professionnels, à l’image des rapports entre les médecins et lessages-femmes.

L’attention doit être attirée, en revanche, dans une optique de réflexion relative aux « nouvellesformes de coopération entre professions de santé », sur l’obstacle que constitue, en ce qui concernel’évolution du système, la référence exclusive aux actes pour définir le champ d’intervention légaledes professions d’auxiliaires médicaux, ou encore le fait que l’ensemble de ces actes doit êtreeffectué sous contrôle médical.

Trois exemples a contrario, tirés du droit en vigueur, permettent de l’illustrer. Il s’agit, d’unepart de la situation de la profession de sage-femme (même s’il s’agit d’une profession médicaleau sens du Code de la santé publique), dont la liste des actes entrant dans le cadre de sa missionn’est pas limitative, débutant par l’adverbe « notamment ». Il s’agit, d’autre part, de la situationdes ostéopathes, dont l’activité est définie en référence à leurs missions, assorties de limitesstrictes, limites précisées notamment sous la forme d’actes autorisés ou défendus. Il s’agit, enfin,de la situation des pédicures-podologues, qui peuvent effectuer certains actes hors prescriptionmédicale préalable.

Il ne s’agit donc pas ici de gommer toute référence aux actes dans la définition des tâchesprofessionnelles, mais d’éviter que la référence aux actes constitue la référence exclusive pourpermettre l’intervention d’un professionnel sur le corps d’un patient.

Il faut avoir conscience, cependant, que d’éventuelles redéfinitions des professions seront sansdoute variables en fonction du degré d’autonomie et du contenu de la formation des différentsprofessionnels. Ainsi, si une évolution semble relativement aisée en ce qui concerne les professionsd’infirmier et infirmière, de masseurs kinésithérapeutes, voire de pédicure podologue (si celaest utile eu égard au degré d’autonomie déjà existant dans le cadre de cette profession), celle-cisemble plus difficile en ce qui concerne les autres professions d’auxiliaires médicaux, tant celles-cisemblent construites pour effectuer certains actes précis.

Dans cette perspective, il semble pertinent de proposer :

• la redéfinition des professions d’auxiliaires médicaux principalement en référence à un doublecritère : leurs missions et les limites de ces dernières ;

• la sortie, corrélative, du système actuel de définition des professions, dans lequel la référenceaux actes est la condition exclusive de l’intervention des auxiliaires médicaux sur le corps despatients ;

• de ne pas exclure, par principe, la référence aux actes professionnels, en tant qu’ils permettentde préciser les missions et limites définissant les professions.

Soulignons, une fois de plus, qu’il s’agit ici d’ouvrir des possibilités d’intervention pour uncertain nombre de professions, ce qui ne signifie pas que l’ensemble des professionnels pourront,demain, effectuer l’ensemble des actes qu’ils estiment pertinents. Il est, en effet, tout à fait possible,dans le cadre du système proposé, de maintenir, pour certaines professions, activités, ou mêmenouveaux métiers, le modèle actuellement à l’œuvre en ce qui concerne la majorité des professionsd’auxiliaires médicaux, c’est-à-dire l’intervention, pour certains actes limitativement énumérés,et sous contrôle médical.

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Rappelons, enfin, qu’il ne s’agit, dans le cadre de ce rapport, que d’analyser le système juri-dique d’organisation des tâches des différentes professions de santé, et non de se prononcer surl’opportunité de l’intervention effective de telle ou telle profession à tel propos.

De telles modifications dans la définition des professions n’iront, cependant, pas sans un certainnombre d’implications.

Annexe H. Implications d’un nouveau régime d’organisation des professions

Ces implications concernent essentiellement le droit des professions de santé, le droit de lasécurité sociale ainsi que le droit de la responsabilité et des assurances.

H.1. Droit des professions de santé

Les premiers mécanismes concernés par les évolutions proposées sont ceux du droit des pro-fessions de santé. Il en est ainsi, pour permettre l’évolution proposée, de la nécessaire évolutionde l’article L. 4161-1 du Code de la santé publique, consacré à l’exercice illégal de la médecine ;une telle évolution en implique, en outre, sans doute d’autres dans l’agencement des normesrelatives à la définition des tâches professionnelles ; il en est de même, de la création, dans lemodèle analysé, de champs communs à différentes professions ; il en est de même, enfin, en cequi concerne la manière dont les tâches seraient autorisées en fonction de l’expérience différentsprofessionnels.

H.1.1. La nécessaire évolution de l’article L. 4161-1 CSPNous avons montré que la répartition des tâches entre les différentes professions de santé était

essentiellement organisée autour de l’infraction d’exercice illégal de la médecine, l’interventiondes auxiliaires médicaux constituant, dans le droit actuel, une exception au monopole médicaldéfendu par l’infraction d’exercice illégal, obligeant, dans le texte même de cette infraction àprévoir un « fait justificatif de l’infraction » permettant aux auxiliaires médicaux d’intervenirlégitimement. Rappelons, en outre, que l’énoncé analysé renvoie à l’arrêté du 6 janvier 1962,fixant la liste des actes médicaux ne pouvant être pratiqués que par des médecins ou pouvant êtrepratiqués également par des auxiliaires médicaux ou par des directeurs de laboratoires d’analysemédicales non médecins, auquel il est fait référence dans le premier alinéa de l’article L. 4161-1,et dont la valeur est équivalente à celle de la loi, dans le cadre de la définition des professions, lelégislateur ayant eu recours à la technique de « l’incrimination par renvoi ».

Dans ce contexte, les « décrets d’actes » prévus à l’article L. 4161-1 alinéa 2, qui doivent, bienévidemment, respecter les règles légales en application desquelles ils sont pris, doivent égalementrespecter, dans le cas de figure qui nous intéresse, les règles de l’arrêté de 1962.

Or celui-ci ne permet pas d’autres systèmes que celui de la définition des professions en réfé-rence aux actes professionnels. C’est la raison pour laquelle il est nécessaire, si l’on s’engage dansla voie d’une redéfinition des professions non exclusivement fondée sur les actes professionnels,de gommer la référence à l’arrêté de 1962 dans l’article L. 4161-1.

Signalons toutefois qu’il serait possible, techniquement, de modifier le système dans le sensproposé, sans abrogation de la référence à l’arrêté de 1962 dans l’article L. 4161-1. Il suffirait,pour ce faire, de modifier les règles légales de définition des professions, et donc de prévoir,implicitement, une exception légale à l’article L. 4161-1, l’exception prévalant alors sur la règlegénérale. Tel est notamment le cas en ce qui concerne les sages-femmes. Une telle solution sembletoutefois peu pertinente à un double point de vue : elle manquerait, en effet, de lisibilité, obligeant,

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pour en mesurer les effets, à une série d’interprétation passablement techniques, lorsque l’objectifde l’accès au droit est constitutionnel ; elle impliquerait, en outre, des interventions légales àchaque fois qu’il s’agirait de modifier, même marginalement, le champ d’intervention d’uneprofession, rendant, paradoxalement, le système plus difficile à faire évoluer qu’aujourd’hui.Nous choisissons donc d’écarter cette solution.

Ces analyses nous conduisent donc à proposer deux modifications de l’article L. 4161-1 duCode de la santé publique :

• supprimer du premier alinéa la formule : « ou pratique l’un des actes professionnels prévus dansune nomenclature fixée par arrêté du ministre chargé de la santé pris après avis de l’Académienationale de médecine »

• modifier le second alinéa en remplacant la formule « dans les conditions prévues par décret enConseil d’État pris après avis de l’Académie nationale de médecine, les actes professionnelsdont la liste est établie par ce même décret », par la formule « leurs missions professionnellesdans les conditions définies par la loi ».

Les alinéas 1 et 2 de l’article L. 4161-1 seraient donc rédigés comme suit :

• alinéa 1 : « Exerce illégalement la médecine : 1◦ Toute personne qui prend part habituellementou par direction suivie, même en présence d’un médecin, à l’établissement d’un diagnostic ou autraitement de maladies, congénitales ou acquises, réelles ou supposées, par actes personnels,consultations verbales ou écrites ou par tous autres procédés quels qu’ils soient, sans êtretitulaire d’un diplôme, certificat ou autre titre mentionné à l’article L. 4131-1 et exigé pourl’exercice de la profession de médecin (. . .) » ;

• alinéa 2 : « Les dispositions du présent article ne s’appliquent pas aux étudiants en médecine niaux sages-femmes, ni aux infirmiers ou gardes-malades qui agissent comme aides d’un médecinou que celui-ci place auprès de ses malades, ni aux personnes qui accomplissent leurs missionsprofessionnelles dans les conditions déterminées par la loi ».

Deux remarques complémentaires doivent, cependant, être effectuées.On pourrait craindre, d’une part, que de telles modifications nuisent à la capacité répressive

du juge pénal en ce qui concerne l’exercice illégal de la médecine. Or il n’en est rien. En effet,supprimer la référence à l’arrêté de 1962 ne modifie en rien la définition « générique » de lamédecine portée par l’article L. 4161-1, l’arrêté de 1962 ne faisant actuellement que précisercette définition. Autrement dit, le juge pourra réprimer les mêmes comportements, avec ou sansla référence à l’arrêté précité.

On pourrait s’inquiéter, d’autre part, de la disparition de la référence à l’avis de l’Académienationale de médecine à propos de la définition des actes des auxiliaires médicaux. La modificationproposée ne l’implique pourtant pas : la définition légale des professions peut, en effet, renvoyer,comme c’est le cas actuellement pour nombre de professions d’auxiliaires médicaux, à une normeréglementaire qui pourra, quant à elle, être prise après avis de cette institution.

Mais c’est déjà, ce faisant, aborder la question d’une éventuelle évolution des normativités enla matière.

H.1.2. L’évolution des normativitésPlusieurs types de normes contribuent, aujourd’hui, à l’encadrement des taches des profes-

sions de santé : la loi, les normes réglementaires, notamment les décrets d’actes et les règles

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déontologiques (professions médicales, et notamment profession de sage-femme, mais égale-ment, professions d’infirmiers et infirmières, masseur kinésithérapeute et pédicure-podologue),les recommandations de bonnes pratiques de la Haute Autorité de santé (ensemble des profession-nels de santé en ce qui concerne l’information du patient, certaines interventions des ostéopathes,notamment).

Il va de soi, en effet, que le mode de redéfinition proposé ne peut qu’augmenter l’importancede la loi en la matière. Cependant, puisqu’il s’agit, dans cette perspective, de donner d’avantagede souplesse au système actuel afin de favoriser les « nouvelles formes de coopération entreprofessions de santé », l’importance de l’intervention légale en la matière n’aura qu’un temps, lesnormes d’application ne perdant rien de leur importance.

De ce dernier point de vue, le système proposé implique une perte d’importance des « décretsd’actes », même s’il ne signifie pas forcément leur disparition. Cependant, si les listes d’actesinclues dans les décrets ne sont plus, pour certaines professions, limitatives, ces décrets perdront,ipso facto, de leur importance.

D’autres normes réglementaires pourront, cependant, prendre le relais : les codes de déontolo-gie. Il en est ainsi, en effet, à l’heure actuelle, en ce qui concerne la profession de sage-femme, dontle code contient des règles relatives à la « coopération » entre ces professionnels et les médecins.

Il en est de même des recommandations de bonne pratique de la Haute Autorité de santé,comme c’est actuellement le cas à propos de certains actes possibles pour les ostéopathes.

Il en sera de même, également, des professionnels eux-mêmes, qui gagneront un certain nombrede marges d’initiative dans leur exercice professionnel (d’autant plus si certaines listes d’actessont, à l’instar de celle de la profession de sage-femme aujourd’hui, non limitatives) et pourrontmême, pour certains d’entre eux l’organiser sous forme de protocoles.

Une place particulière doit être faite, ici, à l’Académie de médecine. Son rôle est, en effet,aujourd’hui central, puisque toute évolution de l’arrêté de 1962 ainsi que des décrets d’actesnécessitent de recueillir son avis. Or, le recul de ce mode de régulation implique le recul del’importance de ces avis. Il serait, toutefois, tout à fait possible de conserver cette place enréintroduisant la nécessité de cet avis dans les dispositions réglementaires.

H.1.3. Des champs communs à différentes professionsLa réorganisation envisagée implique également l’apparition éventuelle de champs communs à

différentes professions. Une telle configuration ne constitue pourtant pas une nouveauté. Il existe,en effet, aujourd’hui, un certain nombre d’activités pouvant être exercées par des professionnelsappartenant à des professions différentes. Il en est ainsi, notamment, de l’activité des directeurs delaboratoires d’analyses de biologie médicale, qui peuvent appartenir aux professions de médecin,pharmacien ou vétérinaire. Il en est de même, à propos de l’activité d’ostéopathe, des méde-cins, sages-femmes, masseurs-kinésithérapeutes, infirmiers, ou de personnes titulaires de certainsdiplômes. Il en est également ainsi des médecins et des sages-femmes en cas d’accouchementeutocique. Il en est de même ce qui concerne les médecins et pharmaciens à propos de la prophar-macie. Il en est de même, enfin, pour les médecins à propos de l’activité de l’ensemble des autresprofessions de santé, cette logique découlant directement de la construction du système telle quenous l’avons analysée.

Terminons en soulignant que l’une des conséquences impliquée par la redéfinition des pro-fessions sur le modèle proposé – certaines missions pouvant donc être communes à différentesprofessions – résiderait dans la possibilité d’entrer dans le système de soins par un professionnelautre qu’un membre d’une « profession médicale ».

Repenser les missions et les tâches en fonction de l’expérience et du contexte professionnels.

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Nous avons souligné, dans les analyses précédentes, les liens existants (et qui doiventsans doute perdurer) entre les possibilités d’intervention des professionnels et les contextesd’exercice, vocable sous lequel nous avons regroupé les contextes organisationnels ainsi queles qualifications particulières, en soulignant que ces logiques d’organisation des tâches étaienttransversales.

Dans cette perspective, une des pistes connexes à la réflexion que nous menons ici réside dansla prise en compte, dans le cadre de la distribution des possibilités d’intervention des profession-nels, de l’expérience de ces derniers dans le cadre même de leur profession. On pourrait ainsi,par exemple, imaginer un système progressif dans la reconnaissance des possibilités d’actiondes professionnels, un professionnel franchissant certaines étapes qui, à chaque fois, lui permet-traient d’accomplir un certain nombre de tâches (étudiant, étudiant avancé, professionnel débutant,professionnel confirmé, professionnel disposant de compétences particulières, par exemple).

Un tel modèle n’est pas sans rappeler celui qui s’applique en ce qui concerne la formation desmédecins.

D’autres implications doivent, cependant, être déclinées en ce qui concerne le droit de lasécurité sociale, de la responsabilité et de l’assurance.

H.2. Autres implications

H.2.1. Droit de la sécurité socialeLes implications sont au nombre de deux : la définition, et la revalorisation des actes.

H.2.1.1. La définition des actes. La définition des actes dans la nomenclature des actes profes-sionnels (NGAP), et à terme dans la classification commune des actes médicaux (CCAM). Jusqu’àaujourd’hui, les tarifs des prestations effectuées par les professionnels de santé sont fixés par lesconventions nationales à partir d’une liste d’actes élaborée selon la procédure prévue à l’articleL. 162-1-7 du Code de la sécurité sociale. Cette liste, appelée NGAP et publiée par la voie d’unarrêté ministériel, décrit, selon la nature de l’acte et pour chacune des professions, une hiérarchie.Les médecins bénéficiant d’une autorisation d’exercer la propharmacie sont soumis à toutes lesobligations législatives et réglementaires incombant aux pharmaciens. Ils ne peuvent en aucuncas avoir une officine ouverte au public. Ils doivent ne délivrer que les médicaments prescrits pareux au cours de leur consultation ».

À terme, la NGAP doit être remplacée par la CCAM. Or cette nouvelle classification reposesur une approche bien différente de classement des actes puisqu’elle a pour objet d’attribuer unnombre de points à un geste médical, la valeur du point étant la même dans toutes les spécialités.Il s’agit, en fait, d’obtenir, à terme bien sûr, des libellés communs d’actes, qu’il s’agisse d’acteseffectués dans le secteur libéral ou dans les établissements de santé. Cette nouvelle codificationdes actes devrait en outre affecter la hiérarchisation des actes.

On peut même penser, dans cette perspective, qu’à terme la CCAM ne devrait plus permettrede différence de prix pour un même acte technique, le type de professionnel qui l’exécute n’étantpas le critère de détermination de sa technicité.

H.2.1.2. Une revalorisation des actes ?. Une réflexion sur le système de tarification des actesdoit également être introduite dès lors que l’on demande aux professionnels de santé d’exécuterde nouvelles tâches. Trois cas de figure sont alors envisageables.

Soit on maintient le système en vigueur et les partenaires conventionnels vont devoir négocierla tarification des nouveaux actes qui entrent dans leur champ de compétence. Des rémunérations

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supplémentaires ou l’augmentation des lettres-clés, sans remise en cause de la hiérarchisa-tion des actes, sont largement imaginables en contrepartie d’objectifs de maîtrise médicaliséechiffrés.

Soit on prend acte de l’évolution de la Nomenclature des actes qui est en cours et les nouvellesformes de coopérations auront très certainement des conséquences fortes sur cette nomenclature.Jusqu’à aujourd’hui, la nomenclature générale des actes professionnels était établie par professionet permettait d’affecter une lettre-clé aux différents actes effectués par le professionnel de santé.À terme, on prévoit d’introduire une CCAM qui a pour objet de contenir des libellés communsd’actes entre le secteur public et le secteur privé et de refondre de manière globale les honorairesmédicaux, refonte qui devrait affecter la hiérarchisation des actes. Les deux critères principaux dehiérarchisation des actes devraient en effet porter sur le travail médical mis en œuvre (et non plusle travail à l’acte) et les charges professionnelles (coût de la pratique professionnelle en cause).Ces scores de travail (stress, compétence technique, effort mental. . .) seront ensuite convertisen euros dans le cadre des négociations conventionnelles. Si, aujourd’hui, cette classification esten cours d’élaboration et n’est effective que pour les actes les plus techniques qui concernentessentiellement les médecins spécialistes, on peut très bien imaginer, à titre d’exemple, que lesnouvelles prescriptions puissent faire partie des actes techniques à haute hiérarchisation qui don-neront lieu à une valeur-clé de haut niveau pour tous les professionnels de santé. La technicité dudroit de prescription pourrait déjà conduire les infirmières libérales à demander des rémunérationssupplémentaires ou une hiérarchisation différentes des actes qu’elles exécutent. On peut mêmeimaginer, qu’à terme, la CCAM ne permette plus de différence de tarification pour un même actetechnique, le type de professionnel qui l’exécute n’étant plus le critère de détermination de satechnicité et donc de sa valeur.

Cette seconde possibilité de structuration des actes par la CCAM est cohérente avec la possibi-lité d’une entrée dans le système de soins non plus en fonction de la profession, mais en fonctionde la mission envisagée et donc des compétences du professionnel concerné.

Cette seconde possibilité pose également question quant à la perpétuation d’une négociationconventionnelle par profession, qui pourrait conduire à une facturation différente du même acteselon les professions. La loi du 6 mars 2002 portant rénovation des rapports conventionnels ad’ailleurs crée d’autres cadres conventionnels que les seules conventions nationales en prévoyantla conclusion d’accords-cadres, véritables socles de principes communs aux professionnels desanté, ou encore les accords interprofessionnels qui pourraient encadrer l’intervention de plusieursprofessionnels autour d’une même pathologie.

La dernière piste consiste à envisager, pour tenir compte de nouvelles formes de coopérationentre professionnels de santé, de modifier les mécanismes de tarification des actes réalisés parles professionnels de santé. Le système retenu en Allemagne pourrait ici servir d’exemple pourrenouveler notre système de tarification. L’Allemagne ne connaît, en effet, pas le tarif forfaitaire.La valeur monétaire de chaque consultation que réalise le médecin est déterminée en fonction desactes médicaux ou administratifs accomplis à cette occasion. La Nomenclature médicale indiquela valeur, exprimée en points, de ces actes.

Des suppléments forfaitaires sont, en outre, prévus pour la prise en charge des consommables oudes matériels à usage unique. Les consultations de prévention ou celles effectuées dans le cadre deprises en charges spécifiques (tel le diabète) font quant à elle l’objet d’une rémunération spécifique.Dans une telle perspective, il ne s’agirait plus de tarifer l’acte lui-même, mais l’ensemble des actestechniques et administratifs susceptibles d’être réalisés auprès du patient, ce indépendamment dela profession exercée par celui qui l’exécute. Une difficulté majeure se pose cependant à ce stade :un tel modèle conduirait à une modification profonde du système même de nomenclature et même

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de la classification commune des actes médicaux, dernière réforme en la matière, non encoreachevée. Il semble, dès lors, que cette possibilité soit aujourd’hui politiquement peu réaliste.

H.2.2. Droit de la responsabilitéH.2.2.1. Une couverture assurantielle plus proche des réalités professionnelles. Pour rester uneactivité couverte par une assurance responsabilité civile professionnelle, l’acte doit entrer dansle champ des compétences du professionnel et dans le cadre de la mission qui lui est dévolue àl’égard des patients.

À défaut, les termes du contrat d’assurance peuvent autoriser la compagnie d’assurance : soit àappliquer une franchise spécifique au titre du non respect de la réglementation en vigueur (lorsquecette franchise a été contractuellement organisée) ; soit à mettre en œuvre une clause d’exclusionde garantie au titre de l’exercice illégal d’une profession pour laquelle l’assuré n’est pas réputécouvert par le contrat d’assurance.

Dans ce contexte, si la définition des professions évolue, ces mécanismes permettront de facili-ter leur appréhension par les compagnies d’assurance. Il convient en effet d’éviter le risque de voirun surcoût assurantiel éventuel devoir être supporté aussi bien par le professionnel de santé orga-nisant la coopération que par l’établissement de santé responsable hiérarchiquement de l’acteurde santé participant à cette coopération. Une contractualisation accrue et une protocolisation desresponsabilités respectives, associant la profession assurantielle, peuvent apparaître nécessaires.

En tout état de cause, il appartient à l’assuré, en application du Code des assurances,de déclarer l’étendue de son risque professionnel. La garantie n’est due par la compagnieque sur l’activité que l’assuré a déclaré exercer. Aussi, les éventuelles coopérations engagées devront-elles faire l’objet de déclarations auprès des compagnies d’assurance des acteurs desanté concernés.

H.2.2.2. Les garanties quant à l’impact des coopérations en termes de charges assurantielles.L’organisation d’une coopération entre professions de santé devra garantir une maîtrise du risquepropre à éviter tout impact assurantiel. Le raisonnement renvoie aux coopérations interhospita-lières (réseaux, groupements de coopération sanitaire, etc.) qui ne sont pas décrites comme étantà l’origine de surcoûts assurantiels.

L’analyse est variable selon le statut de l’établissement hospitalier.Dans le cadre d’un exercice statutaire (hospitalisation publique notamment), l’établissement de

santé restera en charge des dommages du fait de l’activité du personnel médical et paramédical.La coopération entre professions de santé devra s’organiser de manière à ne pas accroître laresponsabilité encourue du fait du défaut d’organisation et du service. Ce type de coopération,organisée et encadrée, ne légitime pas plus un surcoût assurantiel dans le cadre des contratspersonnels des médicaux et paramédicaux couvrant l’hypothèse de faute détachable du service.

Rappelons, en outre, que la clause de défense recours est liée à la garantie d’assurance res-ponsabilité civile médicale correspondante, notamment au pénal et pour l’engagement de laresponsabilité personnelle du soignant.

Dans le cadre de l’exercice libéral et salarié (hospitalisation privée, cabinet libéral de ville ouhospitalisation à domicile), outre la responsabilité encourue par l’établissement de santé du faitdu défaut d’organisation et de fonctionnement du service, l’activité libérale des médecins engageleur responsabilité (donc leur propre assurance) dans le cadre de la gestion de l’équipe de soins.Il convient donc de s’assurer des conditions de maîtrise du risque dans les coopérations entreprofessions de santé de facon à ce qu’aucun surcoût ne pèsent, ni alternativement, encore moinscumulativement, sur la charge d’assurance du médecin organisant la coopération ou de la clinique

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du fait des paramédicaux préposés participant à cette coopération. Rappelons que les soignantspeuvent être salariés de l’établissement de santé mais également d’un médecin ou d’une sociétéd’exercice libéral (SEL). C’est alors la garantie d’assurance de ce médecin ou de cette SEL quicouvre la garantie professionnelle du salarié.

Ajoutons, pour conclure, que la limite de l’intervention des professionnels renvoie à leurappréciation des conditions légales de leur intervention et l’engagement de leurs responsabi-lités respectives ne saurait reposer sur une telle appréciation subjective. Aussi, l’encadrementdes pratiques de coopération entre professions de santé par des normes et recommandations debonnes pratiques peut-il valider ces pratiques et maîtriser en amont les risques systémiques quis’y rattachent.

Annexe I. Conclusions et cohérence

I.1. Une nouvelle cohérence

La conclusion de cette partie relative au modèle d’organisation des interventions profession-nelles prend la forme de la mise en évidence d’un certain nombre de lignes de cohérence entreles options adoptées, et d’autres évolutions du système de santé.

Il en est ainsi de sa cohérence internationale, puisque nombre d’États (Grande-Bretagne, Suède,Ontario et le Québec) choisissent, depuis quelques années, de s’orienter vers une définition desprofessions centrée sur les missions et non sur les actes.

Il en est également ainsi du rapprochement avec les réflexions menées depuis quelques années àpropos de l’intégration, dans l’exercice des professions, de mécanismes renvoyant à la compétencedes professionnels, ne se contentant plus de leur permettre d’intervenir sur le seul fondement deleur diplôme (évaluation des pratiques professionnelles, accréditation, suspension administrative,formation continue, changement de qualification, nouvelle procédure d’autorisation, ou encore,dans la même veine, validation des acquis de l’expérience).

Il en est également ainsi, et dans le même registre, du second enjeu relevé par l’HAS à proposdes expérimentations actuellement menées relatives aux coopérations professionnelles, à savoir« l’attractivité des professions, par la reconnaissance de leurs compétences réelles, l’améliorationde leurs conditions de travail et une possibilité d’évolution des carrières dans le soin ».

L’option retenue est cohérente, en outre, avec l’idée de la réorganisation du « parcours de soins »des patients. Il est en effet possible, dans le modèle proposé, d’entrer dans le système de santépar un professionnel autre que membre d’une « profession médicale ». La logique habituelle duparcours du patient relativement à ses interlocuteurs professionnels est donc inversée : il ne s’agitpas, comme dans le modèle habituel, de rencontrer, en première intention, un médecin, qui peutéventuellement renvoyer le patient vers un auxiliaire médical ; il s’agit également de permettre derencontrer, en première intention, un professionnel autre que le médecin – à l’instar, aujourd’hui,dans certaines hypothèses, des sages-femmes, des ostéopathes ou des pédicures podologues – quipourra ou devra, selon les cas, renvoyer à un médecin ou, a minima, l’informer de ses interventionspour en permettre un contrôle.

Elle est cohérente, enfin, avec certaines évolutions récentes du droit de la sécurité sociale.Ainsi, l’article L. 162-12-2 du Code de la sécurité sociale prévoit, que la convention qui lieles infirmiers aux organismes d’assurance maladie peut fixer « le cas échéant, les modes derémunération, autres que le paiement à l’acte, des activités de soins ainsi que les modes derémunération des activités non curatives des infirmiers », rompant ainsi, en ce qui concerne laprise en charge des prestations réalisées par ces professionnels, avec la seule référence aux

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actes professionnels. Toujours en ce qui concerne les rapports entre les professionnels et lesorganismes d’assurance-maladie, les parties conventionnelles disposent également du pouvoirde négocier et de fixer les tarifs des prestations, ainsi que du pouvoir de prévoir des rémuné-rations spécifiques liées à certaines prises en charge. Dans ce contexte, la dernière conventionconclue entre les médecins libéraux et l’UNCAM en 2005, fixe, non seulement les tarifs desactes inscrits dans la nomenclature, mais prévoit également des rémunérations forfaitaires sup-plémentaires liées à la création du parcours de soins coordonnés (rémunération spécifique pourles patients atteints d’une affectation de longue durée, majoration de coordination, consultationpour avis ponctuel d’un autre médecin. . .). On s’éloigne, ici encore, du système du « paiement àl’acte ».

Nous procédons, à présent, à la synthèse des orientations proposées.

I.2. Synthèse des orientations

Rappelons que, selon la mission confiée au groupe par la Haute Autorité de santé, celui-cidevait analyser, notamment, « la question de l’opportunité des décrets d’actes », des perspectivesimpliquées par une réflexion sur les « nouvelles formes » de coopération, ainsi que des objec-tifs sous-jacents de « revalorisation » des professions d’auxiliaires médicaux, l’ensemble de cesobjectifs impliquant une réflexion quant aux vocables utilisés ».

Dans cette perspective, les développements qui précèdent nous amènent à synthétiser lesorientations retenues dans les propositions suivantes.

I.2.1. Vocabulaire

• Ne pas confondre compétence et qualification :◦ la qualification correspond à une aptitude juridique résultant de la possession d’un diplôme

ou d’un titre équivalent,◦ la compétence renvoie à une combinaison de « savoir, savoir-faire et savoir-être » en situation,

• éviter les vocables de délégation et de transfert des tâches et/ou actes professionnels ;• utiliser l’expression « nouvelles formes de coopération entre professions de santé ».

I.2.2. Organisation des professions

• Sensibiliser les professionnels au fait que l’acceptation d’un « transfert » ou d’une « délégation »de compétence non organisé par la loi constitue un exercice illégal de la profession à laquelleappartient le « délégant » ;

• faire évoluer les modes de définition des professions :◦ redéfinir des professions d’auxiliaires médicaux principalement en référence à un double

critère : leurs missions et les limites de ces dernières,◦ sortir, corrélativement, du système actuel de définition des professions d’auxiliaires médi-

caux dans les « décrets d’actes », dans lequel la référence aux actes est la condition exclusivede l’intervention des auxiliaires médicaux sur le corps des patients,

◦ ne pas exclure, par principe, la référence aux actes professionnels, en tant qu’ils permettentde préciser les missions et limites définissant les professions,

◦ retenir, en résumé, un système de définition « hybride » des professions.• admettre les chevauchements de compétences, qui permettent l’entrée dans le système de soins

par différentes professions :

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◦ supprimer l’arrêté du 6 janvier 1962 et la référence à ce dernier dans la définition de l’exerciceillégal de la médecine (article L. 4161-1 CSP),

◦ supprimer du premier alinéa la formule : « ou pratique l’un des actes professionnels prévusdans une nomenclature fixée par arrêté du ministre chargé de la santé pris après avis del’Académie nationale de médecine »,

◦ modifier le second alinéa en remplacant la formule « dans les conditions prévues par décret enConseil d’État pris après avis de l’Académie nationale de médecine, les actes professionnelsdont la liste est établie par ce même décret », par la formule « leurs missions professionnellesdans les conditions définies par la loi »,

• sensibiliser les professionnels au fait qu’ils seront susceptibles, en raison des propositionseffectuées, de voir leur responsabilité engagée s’ils outrepassent leurs missions.

I.2.3. SuiviOrganiser un « comité de suivi » relatif aux « nouvelles formes de coopération entre les

professions de santé ».

Bibliographie

Y. Matillon, Modalités et conditions d’évaluation des compétences professionnelles des métiersde la santé, rapport au ministre de l’Éducation et au ministre de la Santé, mars 2003.

D. Thouvenin, Les lois no 94-548 du 1er juillet 1994, no 94653 et 64-654 du 29 juillet 1994 oucomment construire un droit de la bioéthique, Actualités Législatives Dalloz, 1995, 149–216).

J. Moret-Bailly, Étude et comparaison les aspects réglementaires des qualifications médicales,d’une part pour le secteur libéral ambulatoire et d’autre part pour les médecins hospitaliers dela fonction publique hospitalière. Description des différents modes d’autorisation d’exercice envigueur ainsi que leur impact (enjeux et risques) en termes de responsabilités juridiques In:Y. Matillon, Modalités et conditions d’évaluation des compétences professionnelles médicales,rapport au ministre de la Santé, mars 2006, pages 91–143.

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I. Vacarie, Les tensions entre droit de la santé et droit de la sécurité sociale, RDSS, 2005, F.

Composition du groupe

Bicheron Francoise, Ordre national des sages-femmesBoyer Hélène, chargée RH, Fédération hospitalière de FranceChapuis Yves, Académie nationale de chirurgieCherpion Jacques, secrétaire général conseil national de l’Ordre des chirurgiens-dentistesde Kerguenec Yann, responsable juridique Fédération de l’hospitalisation privéeDevers Gilles, avocatEggers Jérôme, directeur des soins, CH CognacEvin Claude, avocatFrering Dominique, trésorière, association nationale des directeurs de soinsGibert Sabine, responsable juridique ONIAMGinon Anne-Sophie, maître de conférences en droit, université Paris-X, Nanterre

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Guillouet Monique, directrice unité santé publique au CNAM Pays de LoireJornet Francisco, conseiller juridique, Conseil national de l’Ordre des médecinsMoret-Bailly Joël, maître de conférences en droit, université de Saint-ÉtienneNegri Jean-Francois, DG institut soins infirmiers supérieursParrot Jean, président conseil national de l’Ordre national des pharmaciensPy Bruno, maître de conférences en droit, université de Nancy

Pour en savoir plus

Berland Y, Gausseron T. Démographie des professions de santé. Ministère de la Santé, de laFamille et des Personnes Handicapées, 2002, http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/024000643/index.shtml

Berland Y Coopération des professions de santé : le transfert de tâches et de compétences.ONDPS, 2003, http://www.sante.gouv.fr/ondps/

Berland Y, Bourgeuil Y. Cinq expérimentations de délégations de tâches entre professions desanté ONDPS, 2006, http://www.sante.gouv.fr/ondps/