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DEBOUT DOMINÉS LES Jacques-Philippe Leyens

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DEBOUT DOMINÉSLESJacques-Philippe Leyens

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© De Boeck Supérieur s.a., 2015 1re édition Fond Jean Pâques, 4 - 1348 Louvain-la-Neuve

Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par

photocopie) partiellement ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.

Imprimé en Belgique

Dépôt légal : Bibliothèque nationale, Paris : janvier 2015

Bibliothèque royale de Belgique, Bruxelles : 2015/0074/121 ISBN 978-2-8041-8549-7

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À Christian et Gabrielle,à Jorge Vala,

amis de toujours.

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SOMMAIRE

Introduction Dominés ! Haut les cœurs ! ................................................................... 9

Chapitre 1. Défi cits des dominés ................................................................................ 13

Chapitre 2. Élites et dominants ................................................................................... 33

Chapitre 3. Mobilité individuelle et changement social ........................................... 49

Chapitre 4. Tension, décatégorisation, recatégorisation .......................................... 65

Chapitre 5. Stigmates : souffrances et remèdes ........................................................ 81

Chapitre 6. Action collective, méritocratie et banalisation ...................................... 101

Chapitre 7. La réconciliation ........................................................................................ 115

En guise de conclusion ................................................................................................. 127

Table des matières ......................................................................................................... 133

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Avertissement

Contrairement à beaucoup d’écrits scientifi ques, ce livre est écrit à la première personne. Il s’appuie sur des expériences et théories scientifi ques reconnues, mais l’auteur, fort de son expérience personnelle, y exprime de manière claire ses préférences pour certaines théories ou certains points de vue… Il s’agit donc d’une « écriture » relativement originale – dans le sens de peu fréquente – et cela pourrait surprendre le lecteur. Cette manière d’écrire ouvre cependant la porte à la réfl exion et à des débats entre lecteurs.

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INTRODUCTION

DOMINÉS ! HAUT LES CŒURS !

Dans ce livre, j’ai pris le point de vue, j’allais écrire le parti pris, des groupes dominés. Voici une quinzaine d’années, j’écrivais avec Susan Fiske que le sujet des études de psychologie sociale était un individu mâle et blanc. Suivaient des couplets pour prendre en considération des groupes qui n’étaient pas nécessairement dominants et blancs. C’est ce que j’ai essayé de faire dans cet ouvrage.

La psychologie qui a étudié les préjugés à l’égard d’individus stigmatisés a davantage porté son attention sur les individus dominants qui ne stéréo-typaient ou ne discriminaient que sur leurs cibles. C’était un point de vue tout à fait légitime dans la mesure où ces études cherchaient les façons de réduire l’écart entre dominants et dominés. Et les fautifs étaient les Blancs dominants. On sortait de cette littérature en ayant de nombreuses connaissances sur les stratégies démoniaques, défensives ou altruistes des individus qui étaient censés diriger le monde. On apprenait comment fonctionnaient les appareils psychiques des supérieurs en ignorant les répercussions chez les inférieurs.

Le propos de ce livre n’est pas du tout de renverser les rôles. La hiérarchie des groupes n’a de sens que s’il y a un consensus aussi bien au niveau des dominants que des dominés. Ce consensus ne dicte cependant pas les réactions des uns et des autres. Plusieurs théories ont émis leurs hypo-thèses, souvent divergentes, sur les conséquences de la cohabitation de groupes dominants et dominés. J’ai choisi de m’intéresser particulière-ment à ceux qui sont en bas de la hiérarchie parce qu’ils me paraissaient non seulement défavorisés par leur statut, mais aussi par l’intérêt qu’on

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Debout les dominés !

leur portait. On ne prête qu’aux riches et je voulais voir si la myriade de stratagèmes mis à jour auprès des dominants avait son correspondant chez ceux qui devaient se défendre de l’étiquette qu’on leur collait à la peau. La réponse de ces derniers était-elle simplement d’accepter cette étiquette ?

Les dominés ont développé un immense éventail de réactions pour répondre aux stigmates que leur attribuent les groupes dominants. C’est le sujet de ce livre. Il s’oppose à certaines théories et s’appuie sur d’autres.

La théorie de la justifi cation du système occupe le premier chapitre parce qu’elle défend une position que je juge aussi obtuse que pernicieuse. Elle croit être originale en englobant la société – le système –, en prônant la recherche de l’idéologie du statu quo chez les dominants et en affi rmant que les dominés, eux aussi, respectent la même idéologie et sont contents de respecter le statu quo. Seul le dernier point est original, et mon cha-pitre montre combien les « preuves » de cette thèse sont maladroites, voire ridicules, et se réfugiant au niveau intra-individuel, très éloigné du système. Cela ne veut pas dire que les dominés ne se montrent pas vul-nérables, mais certaines de ces réactions sont des réponses absolument normales et, placés dans les mêmes situations, les dominants réagiraient de la même manière.

Le deuxième chapitre est consacré à l’importante théorie de la dominance sociale. Cette théorie permet de mesurer l’orientation à la dominance sociale qui dépend des idéologies comme la méritocratie ou l’égalita-risme qui accentuent ou freinent la dominance sociale dans toutes sortes de domaines de la société. Les différences individuelles, souvent liées au conservatisme, ne sont pas inscrites une fois pour toutes dans la person-nalité des gens, mais elles dépendent aussi des contextes qui favorisent ou éliminent la dominance. L’exposé de la théorie est suivi d’exemples qui illustrent des aspects méconnus de la dominance ou constituent des exemples de rébellion par rapport à des autorités.

La théorie de l’identité sociale de Henri Tajfel est présentée dans le troi-sième chapitre. C’est sans aucun doute la théorie qui fait la part la plus belle aux confl its de groupes qui ont des statuts différents. La théorie propose également des conditions qui vont conduire à la mobilité des individus d’un groupe dominé vers un groupe dominant, ou qui mèneront à des stratégies groupales donnant une identité sociale positive à des groupes dominés. Souvent reçue comme une théorie des discriminations, cette théorie est bien davantage intéressée par le changement. C’est une théorie qui repose sur une vue confl ictuelle de la société. Des exemples terminent l’exposition de la théorie certainement la plus accomplie en ce qui concerne les inégalités entre groupes.

Le quatrième chapitre passe en revue une série de points de vue. Le confl it réaliste de Sherif illustre l’effi cacité de la coopération supra- ordonnée entre groupes, c’est-à-dire le fait de s’entraider afi n de réussir.

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Introduction

Cette solution est portée à son maximum avec la décatégorisation. Plutôt que de former une entité qui chapeaute plusieurs groupes, elle défend la thèse que les confl its s’élimineront avec la suppression des frontières entre groupes, tous les membres devenant des individus. La recatégorisa-tion, au contraire, propose de changer les frontières de place de manière à former un groupe supra-ordonné à la Sherif, comme la Belgique com-prenant Flamands et Wallons, ou de garder des sous-groupes sous un groupe plus large, une fédération entre Wallons et Flamands qui forme la Belgique. Enfi n, les différentiations harmonieuses mettent en exergue les collaborations que des groupes ou pays peuvent mettre en place en toute sérénité. Un exemple serait le cinéma belge auquel collaborent Flamands, Wallons et étrangers qui, sans perdre leur identité régionale, travaillent ensemble et c’est cette collaboration qui les défi nit.

Stigmates et culpabilité sont les deux grands problèmes traités dans le cinquième chapitre. Deux stratégies sont examinées pour faire face aux stigmates. Une façon de réagir est d’attribuer les discriminations aux pré-jugés de sorte que la personne avec des problèmes soit la dominante et non la dominée. Cette tactique n’est pas toujours possible et les dominés subiront les discriminations dont ils souffrent, mais le groupe d’apparte-nance sert d’appui. Le rejet sur la personne ayant des préjugés, d’une part, et l’appui du groupe, d’autre part, font en sorte de protéger l’estime de soi des gens discriminés. Les dégâts pourraient être limités si les dominants reconnaissaient leur culpabilité, mais les individus qui s’identifi ent le plus à leur groupe dominateur nient toute culpabilité. Heureusement, le senti-ment de honte peut jouer de même qu’une vision humaniste des groupes : nous faisons partie de la même humanité.

Les groupes dominés peuvent réagir en s’opposant frontalement aux groupes dominants. L’abstention de contacts et l’identifi cation au groupe dominé jouent un rôle capital dans cette compétition sociale comme l’ap-pelait Henri Tajfel. Certains dominés peuvent opter pour une stratégie privilégiée des dominants comme la méritocratie. Ceux qui réussissent passent dans le groupe dominant, mais ce succès est limité aux seules personnes qui parviennent à s’approprier l’idéologie dominante. Enfi n, certains préjugés se perdent avec une facilité déconcertante sans que je trouve de justifi cation ; je donne l’exemple des homosexuels qui sont tou-jours stigmatisés, mais beaucoup moins qu’il y a quelques décennies.

Comment mieux clore ce livre qu’en montrant le chemin vers la réconci-liation entre groupes dominants et dominés ? La réconciliation va au-delà de la résolution de confl its en respectant l’ethnocentrisme sans lequel aucun groupe ne pourrait survivre. Ce respect passe par une confi ance mutuelle, en permettant aux besoins et désirs respectifs de s’exprimer, de s’affronter et de se partager. Les groupes y gagnent une nouvelle iden-tité positive ; celle-ci leur apporte un plus au lieu d’un compromis. Sur ce chemin, l’entraide est essentielle malgré la distinction des aspirations et

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Debout les dominés !

des privilèges respectifs. Finalement, les groupes dominés accordent le pardon parce que celui-ci est fondamental pour qu’ils puissent s’épanouir, et s’élever dans leur humanité.

La conclusion montre comment les groupes dominés peuvent se consi-dérer comme plus humains que les groupes dominants. Inversement, les groupes dominants peuvent aussi, et plus souvent, infrahumaniser les dominés. L’infrahumanisation n’est pas aussi radicale que la déshumani-sation qui, lorsqu’elle conduit à la mort des victimes, doit leur rendre leur humanité ou tout au moins une partie de celle-ci. En effet, on ne décide pas la mort d’animaux, mais celle d’êtres humains. La perception d’huma-nité sort donc victorieuse même si la réalité se résume à la mort des plus démunis.

Je n’ai pas écrit ce livre pour des spécialistes, mais pour des gens inté-ressés ainsi que pour des étudiants curieux. J’ai privilégié la réfl exion à l’exhaustivité. Ce livre n’est pas un catalogue de recherches, même s’il est basé sur des études que je considère comme fondamentales. Ce qui m’im-portait était de mettre en évidence les actions des groupes dominés alors que la littérature traite avant tout des groupes dominants. Le but était de montrer que tous les groupes partagent la même humanité même s’ils s’en approchent par des voies qui leur sont propres.

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Défi cits des dominés

Toute personne sensée sera d’accord pour admettre que, dans chaque société, il y a une hiérarchie des groupes. Les groupes égaux sont peu nombreux ; la plupart sont soit dominants, soit dominés. Prenons l’exemple simple des femmes et hommes en politique. En Belgique, durant la période entre 1946 et 1995, il y a eu 71 femmes parlementaires et 1105 hommes. Durant les années 1990, on a fi xé un ratio de 2 sur 3 sur les listes élec-torales qui, dans les années 2000, a été porté à 1 sur 2, c’est-à-dire à l’égalité. Cette exigence ne veut absolument pas dire que les élections res-pectent, à tort ou à raison, l’ordre des candidats sur les listes. En Belgique, on compte environ 30 % de femmes au parlement national. Bien qu’il soit inférieur de 20 % par rapport à l’idéal, c’est apparemment un pourcentage encourageant puisque, au niveau européen, la Belgique fi gure au sixième rang derrière les pays scandinaves et, chose plus surprenante, derrière un pays du sud comme l’Espagne.

Les vagues d’immigrants constituent un autre cas exemplaire. Après la Seconde Guerre mondiale, il y a eu beaucoup d’Italiens qui venaient tra-vailler et s’installer en Belgique. Il y eut ensuite les Espagnols, suivis des Portugais. Plus récemment, ce sont les Maghrébins et les Turcs qui ont fait leur apparition. Ces groupes étaient considérés comme inférieurs aux Belges de souche, mais à mesure que de nouvelles vagues arrivaient, les immigrés précédents grimpaient les échelons dans la hiérarchie. Si, au début des années 2000, on avait demandé quelle était la « colonie » étrangère la plus nombreuse en Belgique, la plupart des gens auraient répondu : ce sont les Marocains, et ils auraient eu tort, car les Marocains n’ont dépassé les Italiens qu’en 2006. Ces chiffres sont d’ailleurs trom-peurs, car seuls 3 Italiens sur 10 se naturalisent alors que c’est le cas de 7 sur 10 pour les Marocains. Le nombre de Marocains est donc sous-estimé par rapport à celui des Italiens.

CHAPITRE 1

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Debout les dominés !

Les discriminations varient souvent en fonction de l’ancienneté des immi-grations. Un collègue juif, originaire de Russie, m’a raconté que lorsque ses parents sont venus aux U.S.A. avec de nombreux autres Juifs pauvres de Russie, c’est par les Juifs polonais et allemand qu’ils étaient le plus dis-criminés. Pour bien montrer qu’ils n’avaient rien à voir avec ces « bandes de bons à rien de Russes », les Juifs nantis de Pologne et d’Allemagne faisaient une croix sur leurs coutumes ancestrales et internationales pour être plus Américains1 que les Américains.

Toutes les théories de psychologie sociale s’accordent sur le fait qu’existe une inégalité fondamentale entre groupes. Elles différeront sur le pourquoi et le comment des différences. En général, les théories convergent en ce qui concerne les groupes dominants. Ceux-ci sont évidemment contents de leur sort sauf que l’on est toujours le dominé d’un autre groupe. La hiérarchie doit donc faire l’objet d’un consensus. Il faut que les groupes se mettent d’accord sur l’identité des groupes dominants et dominés. Cela veut dire que les groupes dominants se revendiquent comme tels avec l’accord des dominés. De même, les groupes dominés doivent être recon-nus comme tels par eux-mêmes et par les groupes dominants. Comme ce consensus a lieu dans un contexte de société, cela veut dire que domi-nance et soumission se reconnaissent l’une par rapport à l’autre, ou les uns par rapport aux autres, et non de façon absolue et abstraite. Si on parle de femmes, on renvoie aux hommes, si on pense à femmes d’affaires, c’est probablement la femme au foyer qui servira de contraste. Si on considère des immigrants, ce sera en fonction des autochtones et des autres classes d’immigrants.

Donc, pour autant qu’on ait trouvé un vrai groupe dominant, unanimement reconnu, on pensera qu’il apprécie tellement son statut qu’il fera tout pour garder son rang et même l’améliorer. Cette situation est semblable à une entreprise qui fait des bénéfi ces mirobolants, mais qui envisage de mettre à pied des centaines de personnes, les dominés, pour améliorer encore son statut et faire plaisir à ses actionnaires. Les groupes dominés, eux, posent davantage de problèmes ou, du moins, les théories ne sont pas consensuelles sur leur sort. Dans ce premier chapitre, je vais présenter une théorie, appelée théorie de justifi cation du système (SJT). En quelques mots, cette théorie fait appel à un large contexte – le système- traversé par diverses idéologies, mais ne faisant appel qu’à une d’elles, à savoir le statu quo. On aura compris que les dominants ne veulent pas changer. La surprise vient des groupes dominés qui adhèrent tellement au système qu’ils sont contents du statu quo. Je commence par présenter cette théo-rie parce qu’elle me semble la plus radicale et, sans doute, abusive.

J’admets immédiatement ne pas aimer cette théorie, ou, plus exactement, je ne l’apprécie pas au niveau intellectuel en même temps que je la rejette affectivement. N’attendez pas de moi que je vous fasse une présentation « objective » de cette théorie. Il faudra la saisir au travers de mes biais et de mes désaccords.

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Défi cits des dominés

Tous les chercheurs s’accordent pour accepter l’idée que les groupes dominants veulent au moins le statu quo. Je suis d’accord avec mes col-lègues pour dire que beaucoup de groupes dominés se contentent de leur sort. Il y a d’ailleurs des contraintes structurelles qui empêchent un renversement de la hiérarchie. Les ouvriers ne pourront pas du jour au len-demain commander les directeurs. Les contraintes peuvent être structu-relles – aussi – par la force de la tradition. Un enfant de Belges qui naît en Angleterre (excluant donc le Pays de Galles et l’Écosse) ne sera jamais un Anglais ; il sera un Britannique. Les enfants d’immigrés de plusieurs géné-rations seront dans le même cas ; quel que soit le nombre de générations, l’enfant naîtra et restera Britannique. Seul un enfant d’Anglais, un Britan-nique blanc né en Angleterre, sera Anglais. Je suis donc d’accord pour admettre que certains dominés sont forcés de rester tels et je suis donc d’accord aussi pour accepter que quelques-uns restent dominés alors que rien ne les empêche de changer de statut. Les Roms constituent un de ces groupes de dominés. Ils restent fi dèles à ce que leur nom signifi e : « êtres humains accomplis et mariés dans la même communauté ». Il ne reste pas moins que, de la même manière que la plupart des Roms sont passés du nomadisme à la sédentarité, ils pourraient s’insérer, seuls ou en groupes, dans la société dominante.

1. La théorie de la justifi cation du système (SJT)

Les théoriciens de la SJT basent une grande part de leurs affi rmations sur des études dont les participants font déjà partie de groupes hiérarchisés. Il est normal que, dans ces conditions, les dominés se disent inférieurs. Dire l’inverse relèverait de la stupidité. Dans des études à peine plus élaborées, les chercheurs décrivent aux participants le groupe, dominant ou dominé, auquel ils sont supposés appartenir. Par exemple, ils travaillent avec des étudiants de Brooklyn College et demandent de comparer le niveau avec celui des étudiants d’un autre collège, Hunter College. Ils présentent ce dernier comme plus puissant – ce qui est la réalité – en ne donnant pas d’explication de cette différence, ou en en donnant une qui est légitime ou illégitime (le chercheur est un ancien de Hunter College). Ils demandent ensuite quelle institution l’emporte en expertise, en expérience et en habi-leté, et pourquoi. Sans surprise, les participants jugent Hunter College plus puissant que Brooklyn College d’autant plus qu’ils ont reçu une explica-tion, légitime ou illégitime. À nouveau, les membres de groupes dominés se reconnaissent un moindre statut. Que pourraient-ils dire d’autre que ce que leur a dit la personne qui les interroge et vient de les mettre dans ce bas statut ? De plus, ils expliquent leur statut peu élevé en reproduisant les raisons qu’on leur a données. Dans une autre étude, les chercheurs de SJT renseignent les étudiants de deux universités sur l’avenir des anciens.

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Debout les dominés !

Selon la condition, les anciens d’une université gagnent beaucoup plus d’argent, bénéfi cient davantage de promotions, et se dirigent vers des spécialités plus exigeantes que dans l’autre université. Que l’université présentée comme dominée soit le groupe d’appartenance ou la rivale, elle est jugée comme moins performante. Le même résultat est obtenu avec des étudiants n’appartenant à aucune de ces deux universités. Franche-ment, quelle autre réponse les étudiants auraient-ils pu donner sans traiter le chercheur de menteur ? La justifi cation est équivalente à l’obéissance.

Ces mêmes théoriciens de la SJT insistent sur les choix politiques, notant par exemple que des membres de ghettos noirs votent pour des partis racistes. Après les élections qui ont eu lieu en France, on peut voir qu’il en va de même pour les électeurs du parti d’extrême droite qui, selon ses cadors, est non raciste, mais s’avère indubitablement opposé aux immi-grés. La Belgique néerlandophone compte également un parti qui, pour des raisons légales, a dû adoucir ses propos racistes, mais qui compte encore beaucoup de membres de familles de collaborateurs nazis, et qui est explicitement national-socialiste. Son centre de gravité se trouve dans la plus grande ville fl amande, Anvers, qui est un bastion des diamantaires juifs. Étrangement à première vue, certains Juifs votent pour ce parti. Comme en France, les partis d’extrême droite ne sont pas seulement anti-sémites, mais, on l’a dit, ils sont aussi opposés aux immigrés. De nombreux Juifs d’Anvers partagent cette crainte des immigrés qui sont source de problèmes spécifi ques et votent pour « la loi et l’ordre ». Je partage la même perplexité en voyant des politiciens américains noirs qui sont des républicains rabiques plutôt que des démocrates. Pourquoi Colin Powell, un républicain modéré (qui a voté pour Obama), a-t-il accepté de tra-vailler pour Bush et – pire encore – pour le vice-président Dick Cheney, et pourquoi a-t-il défendu la guerre d’Irak alors qu’il était persuadé de la fausseté des motifs ? Pourquoi le juge noir Laurence Thomas, qui avait défendu les Black Panthers dans sa jeunesse, est-il devenu un conser-vateur tel qu’un président républicain, G.W. Bush, l’a fait élire à la Cour Suprême des U.S.A. ?

La SJT estime que l’idéologie du statu quo l’emporte sur l’ethnocentrisme. Cette dernière notion est cependant considérée comme innée par de nombreux chercheurs, ou à tout le moins d’une ubiquité remarquable. Elle signifi e que nous prenons notre groupe d’appartenance comme un soleil autour duquel tournent les autres groupes. Ces autres groupes sont d’ailleurs jugés à l’aune de notre propre groupe. Ceci signifi e que même si notre groupe est dominé, nous ne le percevrons pas spontané-ment comme tel ou que nous le considérerons comme moins dominé qu’il n’est (à moins que des faits avérés nous forcent à le percevoir comme absolument dominé). De même, un groupe dominant s’arrogera toutes les qualités. C’est l’ethnocentrisme (sexiste) qui explique que les hommes ont permis le droit de vote des femmes seulement dans les années 1940 dans la plupart des pays d’Europe occidentale (France, Belgique, Italie,

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TABLE DES MATIÈRES

Sommaire ............................................................................................................................ 7

Introduction Dominés ! Haut les cœurs ! ................................................................... 9

Chapitre 1. Défi cits des dominés ................................................................................ 13

1. La théorie de la justifi cation du système (SJT) ...................................... 15

2. Vulnérabilité des dominés ............................................................................. 20

2.1. Qui est le plus discriminé ? La personne ou son groupe ? ..................... 20

2.2. La menace du stéréotype. .......................................................................... 24

2.3. Suspects blancs ou noirs, armés ou non armés ....................................... 28

Chapitre 2. Élites et dominants ................................................................................... 33

1. La théorie de la dominance sociale ............................................................ 33

1.1. L’orientation vers la dominance sociale (ODS) ........................................ 34

1.2. ODS et contexte ........................................................................................... 35

1.3. ODS et institutions sociales ........................................................................ 36

1.4. ODS et prédispositions ............................................................................... 37

2. Dominance et rébellion .................................................................................. 38

2.1. Comment dominer ? .................................................................................... 39

2.2. Élites, rebelles et rôle .................................................................................. 41

2.3. Milgram, obéissance et rébellion ................................................................ 44

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Debout les dominés !

Chapitre 3. Mobilité individuelle et changement social ........................................... 49

1. La théorie de l’identité sociale ..................................................................... 49

2. Inégalités et alternatives ................................................................................ 54

2.1. La BBC prison ............................................................................................... 55

2.2. Avant et avec Obama .................................................................................. 58

2.3. Asymétrie positive-négative dans la catégorisation ............................... 61

Chapitre 4. Tension, décatégorisation, recatégorisation .......................................... 65

1. La Caverne aux voleurs .................................................................................. 66

2. Décatégorisation .............................................................................................. 70

3. Recatégorisation ............................................................................................... 74

4. Différentiations harmonieuses ..................................................................... 77

Chapitre 5. Stigmates : souffrances et remèdes ........................................................ 81

1. Les stigmates ..................................................................................................... 82

1.1. Stigmatisation et protection ....................................................................... 86

1.2. Rejet et identifi cation .................................................................................. 89

2. La culpabilité ...................................................................................................... 91

2.1. L’identifi cation au groupe tortionnaire ..................................................... 94

2.2. Culpabilité, honte et humanité ................................................................... 96

Chapitre 6. Action collective, méritocratie et banalisation ...................................... 101

1. L’action collective ............................................................................................. 102

1.1. Dynamique de l’action collective ................................................................ 103

1.2. Réduction des préjugés et action collective ............................................. 105

2. Illusion de méritocratie ................................................................................... 109

3. Banalisation de l’homosexualité .................................................................. 111

Chapitre 7. La réconciliation ........................................................................................ 115

1. Vers la réconciliation ....................................................................................... 116

2. Les routes instrumentale et socio-affective ............................................ 118

3. L’entraide ............................................................................................................. 123

4. Le pardon ............................................................................................................ 124

En guise de conclusion ................................................................................................. 127

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Comment dominants et dominés cohabitent-ils ? Ces derniers sont-ils réelle-ment sans ressources face à leurs “maîtres” ? Ne disposent-ils pas de plus d’échappatoires que l’on ne pourrait le croire ? C’est ce que vous découvrirez en lisant ce livre !

Sans même s’en rendre compte, la plupart des sociétés fonctionnent sur des rapports de domi-nation, qu’ils soient individuels ou intergroupes.

De facto, les membres qui les composent peuvent être subdivisés en deux grands ensembles : celui des dom-inants et celui des dominés. Debout les dominés nous plonge au cœur de la réalité vécue par les groupes ou individus dominés.

Comment ces derniers vivent et ressentent-ils cette dom-ination au quotidien? Restent-ils passifs face à celle-ci ? Si non, quels sont leurs moyens d’action ? Dominants et dominés acceptent-ils chacun ce statut ? La hiérarchie des groupes apporte-t-elle finalement ordre et paix, cha-cun en tirant profit, ou tout n’est-il que question de pré-jugés, d’images, de projections ?

C’est à toutes ces questions et à bien d’autres encore que répond cet ouvrage, écrit par un spécialiste du sujet. Mêlant grandes théories et micro-modèles, Jacques-Philippe Leyens démonte les différents mécanismes qui régissent les relations humaines en se basant sur l’ensem-ble des théories de la psychologie sociale. Le principal enseignement de cet ouvrage est que tous les groupes, qu’ils soient dominés ou dominants, partagent la même humanité, même s’ils s’en approchent par des voies qui leur sont propres…

Accessible, cet ouvrage intéressera tous celles et ceux désireux de mieux comprendre les relations invisibles ré-gissant chacune de nos interactions sociales.

Jacques-Philippe Leyens est professeur émérite de l’Université Catholique de Louvain. Éditeur du European Journal of Social Psychology, il a été président de l’Association Européenne de Psychologie Sociale Expérimentale et a reçu la plus importante distinction européenne de sa discipline, le prix Henri Tajfel, pour la qualité de ses travaux et sa contribution à la psychologie sociale. Auteur d’une dizaine de livres, il a aussi été éditeur associé du Journal of Personality and Social Psychology.

ISBN : 978-2-8041-8549-7

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