de l’oralité à l’écriture d’un épithalame amazighe

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1 De l’oralité à l’écriture d’un épithalame amazighe Mustapha OUDIJA Doctorant, Laboratoire de Langues, Cultures, Dictionnairique et Corporas (LaCuDiC) Université Sidi Mohamed Ben Abdellah-Fès Introduction L’amazighe est une langue essentiellement orale. Une société à tradition orale n’implique pas forcément une absence totale d’expériences de l’écriture. Cet aspect oral de la langue et la culture amazighe est l’un des paramètres de sa résistance mais aussi l’une de ses faiblesses. Ce caractère oral de l’amazighe est une faille qui le dévalorise et le confine dans une position secondaire par rapport aux autres langues en concurrence au Maghreb. La transmission intergénérationnelle des expériences des communautés amazighophones se fait essentiellement par le biais de l’oralité en prenant la forme du conte, de la poésie, de la devinette, etc. Et avec l’évolution de la société marocaine dans le contexte de l’urbanisation, la question de la transmission de la mémoire collective pose des difficultés. La pérennité de cette langue dépend essentiellement du passage à l’écrit. En fait, Il ne faut pas confondre l’oralité avec le parlé. L’oralité est une forme de communication sociale caractérisée par des modes de transmission et de production propre à une communauté, alors que le parlé, c’est un acte individuel de la conversation.

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Page 1: De l’oralité à l’écriture d’un épithalame amazighe

1

De l’oralité à l’écriture d’un épithalame amazighe

Mustapha OUDIJA

Doctorant, Laboratoire de Langues,

Cultures, Dictionnairique et Corporas (LaCuDiC)

Université Sidi Mohamed Ben Abdellah-Fès

Introduction

L’amazighe est une langue essentiellement orale. Une société

à tradition orale n’implique pas forcément une absence totale

d’expériences de l’écriture. Cet aspect oral de la langue et la culture

amazighe est l’un des paramètres de sa résistance mais aussi l’une de

ses faiblesses. Ce caractère oral de l’amazighe est une faille qui le

dévalorise et le confine dans une position secondaire par rapport aux

autres langues en concurrence au Maghreb. La transmission

intergénérationnelle des expériences des communautés amazighophones

se fait essentiellement par le biais de l’oralité en prenant la forme du

conte, de la poésie, de la devinette, etc. Et avec l’évolution de la société

marocaine dans le contexte de l’urbanisation, la question de la

transmission de la mémoire collective pose des difficultés.

La pérennité de cette langue dépend essentiellement du passage

à l’écrit. En fait, Il ne faut pas confondre l’oralité avec le parlé. L’oralité est

une forme de communication sociale caractérisée par des modes de

transmission et de production propre à une communauté, alors que le

parlé, c’est un acte individuel de la conversation.

Page 2: De l’oralité à l’écriture d’un épithalame amazighe

2

1se définit par son support physique

acoustique

2

3 Associé à une communication immédiate dans le temps et dans

l'espace

4 Emission évanescente où la transmission est risqué de ne pas être

fiable

5La spontanéité dans la transmission

Emission sonore et récéption par l'ouïe

Oralité

Les questions auxquelles nous voulons apporter quelques

réponses sont : comment s’effectue le passage à la scripturalité ? Et

comment transposer dans l’écrit un texte oral sans avoir galvaudé sa

portée significative première ? Nous tenterons dans ce qui suit de

présenter l’oralité comme étant un mode lié à la culture amazighe puis

nous débattrons les problèmes liés à la scripturalité.

1- Oralité et scripturalité

Pour ne pas nous égarer, nous devons jeter une clarté

définitive sur les vocables de "oralité" et "scripturalité". La notion

d’oralité caractérise souvent des sociétés traditionnelles dites

orales. Elle est la forme qui témoigne de l’ancienneté des cultures

et des sociétés, elle est donc ce fait verbal dans lequel :

« S’affirme le patrimoine culturel oral. Il s’agit d’une parole

vive enrichie de fonds traditionnel millénaire dont les

dépositaires fidèles sont ceux qui excellent dans l’art verbal et

représentent par cet acte même la mémoire sociale. Poésie

orale, proverbes, dictons, devinettes, contes, […] sont les

genres qui constituent le champ d’une production raffinée dont

l’oralité, […] est le moyen de transmission1 ».

Ce patrimoine oral est transmis de bouche à oreille, de génération

en génération, s’il n’est pas

suffisamment transcrit, sera

promis à une future

1 M. NAJJI, « Dictionnaire et oralité », in : Écriture et Oralité, Université Sidi

Mohamed Ben Abdellah : Revue de la Faculté des Lettres Dhar El Mehrez-Fès,

N°8, 1992, p : 163.

Page 3: De l’oralité à l’écriture d’un épithalame amazighe

3

1Se définit par son support physique visuel où l'émission est par lettre

et la réception par la vue

2

3La fixation et la stabilité

4La conservation de l'information

Se définit par son support physique acoustiqueécriture

disparition. La scripturalité joue donc un rôle primordial à la conservation

du patrimoine socio-culturel d’une communauté. De toute part dans le

monde, l’oralité et la scripturalité cohabitent toutes les nations, il n’y a

quasiment jamais une société dominée par une culture orale ou une

culture écrite. Pour mieux comprendre ces deux modes il faut s’interroger

sur les spécificités de chacun d’eux :

Page 4: De l’oralité à l’écriture d’un épithalame amazighe

4

La comparaison que nous faisons d’après les deux schémas

ci-dessus est que dans la culture où prédomine l’oralité, les

interlocuteurs sont directement en présence et que le discours est

consommé au moment de l’énonciation. Par contre, la culture où

l’écriture est dominée suppose en principe « une communication

différée et médiatisée par l’objet livre2 ». Ainsi, la suprématie de

l’une ne fait pas disparaître l’autre. En ce sens, l’oralité ne se

définit pas par opposition à la scripturalité et l’une n’exclut pas

l’autre, mais plutôt elles se complètent, chacune à ses forces qui

dépendent de la situation dans laquelle elle est utilisée. Pour notre

part, DERIVE affirme avec raison que l’oralité est un mode culturel

premier et fondamental de toutes les civilisations :

« On pourrait presque dire un mode "naturel". Non que la

pratique graphique n’ait existé très tôt dans certaines

civilisations, mais la présence de l’écriture ne fait pas pour

autant disparaître l’oralité comme mode culturel privilégié3 ».

1-1 Les types de l’oralité

2 J. DERIVE, « L’oralité, un mode de civilisation », in : Littératures orales africaines :

Perspectives théoriques et méthodologiques, S.dir. de U. BAUMGARDT, J. DERIVE,

Paris : éds. Karthala, 2008, p : 18.

3 Ibid, p : 25.

Page 5: De l’oralité à l’écriture d’un épithalame amazighe

5

Le médiéviste P. ZUMTHOR distingue trois catégories

d’oralité correspondant à trois types de culture : une oralité

primaire ou pure qui ne comporte aucun contact avec l’écriture.

Autrement dit, elle existe dans une société qui « ignore totalement

l’écriture et dans laquelle l’ensemble de la tradition culturelle ne

peut être transmis que par la mémoire4 » ; et une oralité

coexistante avec l’écriture et qui, selon le mode de cette

coexistence peut fonctionner selon deux manières :

« Soit comme oralité mixte quand l’influence de l’écrit y

demeure externe, partielle, […], soit comme une oralité

seconde qui se compose à partir de l’écriture et au sein d’un

milieu où celle-ci prédomine sur les valeurs de la voix dans

l’usage et dans l’imaginaire5 ».

Cette oralité seconde renvoi au fait de fixer une

performance sur un support ; si nous voulons fixer une

performance sur un support matériel nous le faisons passer à un

statut différent de son statut premier. Une langue écrite n’est donc

pas la simple transcription d’une langue orale, elle ne peut

certainement pas la considérée comme une forme écrite d’une

production orale. À cet égard, l’amazighe n’est pas purement une

langue orale mais il ne connait plus une promotion graphique à

l’instar des langues écrites, et l’amazighe est une langue mixte

4 O. DUCROT, J.-M. SCHAEFFER, Nouveau dictionnaire encyclopédique des sciences

du langage, Paris : Éds. du Seuil, 1995, p : 620.

5 U. BAUMGARDT, « La littérature orale n’est pas un vase clos », in : Littératures

orales africaines : Perspectives théoriques et méthodologiques, S.dir. U. BAUMGARDT,

J. DERIVE, Paris : éds. Karthala, 2008, p : 246-247.

Page 6: De l’oralité à l’écriture d’un épithalame amazighe

6

selon la terminologie de Paul Zumthor, dans ce cas, l’influence de

l’écrit est certainement partielle.

1-2 Les différentes écritures

Nous savons que l’amazighe a connu au cours de son

histoire une écriture en employant l’alphabet le libyco-berbère. Ce

système graphique s’est dissimulé progressivement au cours des

siècles jusqu’à son camouflage total. En attendant le 16e siècle

pour que l’amazighe soit matérialisé de nouveau par une graphie ;

et les manuscrits amazighes écrits en caractères arabes :

« datent de cette époque-là. Le dialecte noté est le tachelhiyt

[…]. L’adoption des caractères arabes pour écrire le berbère

est devenue depuis, une tradition encore vivante aujourd’hui

surtout dans le Sous 6».

Alors que la fin du 19e siècle marque l’apparition du premier

dictionnaire bilingue kabyle-français de Jean-Michel DE VENTURE

DE PARADIS transcrit en graphie latine. Ces derniers caractères

prennent la relève en servant à transcrire l’amazighe. M. Quitout

note à propos de ces trois systèmes graphiques :

« Jusqu’à une date récente, c’est vers les pays d’immigration

qu’il fallait se tourner pour trouver des expériences

d’enseignement du berbère en graphie latine. En France, par

exemple, où l’on dispose de plusieurs centres d’enseignement et de

recherche universitaire s’intéressant au berbère, la graphie latine

semble prédominante eu égard à l’importance de la production

scientifique à laquelle elle donne lieu ces dernières décennies.

Le tifinagh est marginalement utilisé par les Touaregs et une

6 M. TAÏFI, « L’écriture de la langue berbère : Problèmes de notation », in :

Écriture et oralité, Université Sidi Mohamed ben Abdellah : Revue de la faculté

des Lettres, Dhar El Mahrez Fès, N°8, 1992, p : 145-146.

Page 7: De l’oralité à l’écriture d’un épithalame amazighe

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partie des Kabyles. Quant à la graphie arabe, elle a toujours

été, depuis le Haut Moyen Âge, la tradition chez les Ibadites et au

sud du Maroc 7».

Trois systèmes d’écriture sont donc en concurrence pour noter

l’amazighe. Le choix d’une graphie pertinente n’est pas purement neutre, il

est fondé sur des options idéologiques. Voici quelques vains arguments :

les défenseurs de la graphie latine pour fixer l’amazighe se basent

principalement sur son aspect pratique et économique, elle facilitera à la

langue une large diffusion dans la mesure où il ne compte qu’un « nombre

limité de caractères, […]. Ensuite, et si on le vise à long terme, en fonction

des rapports de force actuels et futures, c’est le système qui est le plus

utilisés comme support de vulgarisation du savoir, qu’il soit technologique

ou autre8 ». Le choix de la graphie arabe pour écrire l’amazighe est fondé

par trois arguments : premièrement, la parenté généalogique entre l’arabe

et l’amazighe, deuxièmement, la sacralité de la langue arabe et

finalement, les premiers textes amazighes parus au Sous étaient écrits en

arabe, ce système est sûrement pour certains défenseurs est plus

« familier que tout autre alphabet aux masses berbérophones, il est donc

facilement appréhensible par le plus grand nombre 9». Tandis que les

promoteurs de la graphie tifinaghe considèrent que ce système répondrait

à la sensibilité des amazighes « son emploi permettrait […] à la

7 M. QUITOUT, « L'enseignement du berbère en Algérie et au Maroc : Les défis d'un

aménagement linguistique », in : Timsal n Tamazight, N°1, s. dir. de M. SABRI, Algérie,

Bulletin d’information du CNPLET, 2011, p : 10.

8 M. BENLAKHDAR, « Écrire [le] berbère, une nécessite scientifique ou pratique ? »,

in : Études et Documents Berbères, N°11, 1994, p : 21.

9 A. AKOUAOU, « La voix et la trace ou le berbère et l'écriture », in : Hommage aux

détenus: Paroles berbères de solidarité, de lutte et d'espoir, Aix-en-Provence: Les Amis

de Tafsut, N°6, 1986, p : 53.

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réappropriation de l’histoire et l’affirmation d’une identité linguistico-

culturelle enfin retrouvée10 », ils insistent sur l’utilisation de l’écriture de

leurs ancêtres comme preuve de leur degré d’authenticité.

C’est donc la conscience et la revendication identitaire qui a été

émergée dans ce choix ; le passage étant « la condition impérative

pouvant permettre à cette langue de se maintenir dans un monde où l’écrit

règne en maître et où l’école représente le lieu incontesté de la

transmission du savoir 11», quel que soit la graphie utilisée, c’est le

passage à l’écrit qui importe et la graphie n’est qu’un outil, le suréminent

est le contenu que cette graphie tente de faire transposer.

2- Le passage à la scripturalité d’un épithalame amazighe

Sans entrer dans les détails du débat existant entre les trois

systèmes, nous nous pencherons sur les quelques hics véhiculés

lors de la transposition à l’écriture d’un épithalame chanté dans la

région du Sud-Est. Ce passage recèle évidemment des dangers, il

faut que le scripteur de ces poèmes-chants doive être vigilant pour

donner toutes les interprétations sémantiques dont ils sont

porteurs.

Le texte choisi ici est celui de la séance d’aserkʷeḍ (as=la journée ;

rkʷeḍ= chanté d’une manière assise), il s’agit des poèmes-chants

presque long, ni rimés et ni assonancés mais obéissant à la

mesure rythmique. Ce genre poétique chanté est improvisé lors de

la deuxième et la troisième journée du mariage. Lorsque la mariée

10 M. TAÏFI, « L’écriture de la langue berbère : Problèmes de notation », art. cit., p : 153.

11 M. QUITOUT, « L'enseignement du berbère en Algérie et au Maroc : Les défis d'un

aménagement linguistique », art. cit., p : 11.

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entre chez la famille hôte, un seul groupe des hommes surtout les

jeunes s’improvisent et lancent des chants à l’adresse de la

mariée.

Les chanteurs-compositeurs les composent en position

assise avec une musicalité bien distincte des autres chants ; en

visant à éveiller les émotions de la mariée, magnifient la

personnalité de Tislit (la mariée) et justifient son appartenance à

une famille de chefferie en faisant la quête des amendes (signe de

paix et d’hospitalité) dans les quatre premiers fragments du

l’épithalame, si la cabas de la mariée contient peu d’amandes, les

chanteurs-compositeurs font tourner leur dos et commencent à

reprendre les chants mais cette fois-ci avec un style rossard en

cherchant à lui perdre sa réputation et celle de son frère, avec des

faits qui portent atteint à son honneur et à sa considération

(fragment 5). Toutes ses attaques de finesse, de délicatesse

remplissent bien des fonctions de solidarité de groupe en créant

une ambiance plutôt joyeuse et distrayante. Les vers suivant en

sont une parfaite illustration :

(1) iffu lḥal ur iffu manza-kʷem a mm lman

iffu lḥal ur iffu manza-kʷem a mm lxiri

iffu lḥal ur iffu manza-kʷem a tislit

ad isnem rebbi aḍu-nnem i snem win ayt-mam

L’aube allait bientôt poindre, où es-tu celle de probité ?

L’aube allait bientôt poindre, où es-tu celle de prospérité ?

L’aube allait bientôt poindre, où es-tu la mariée ?

Ô Dieu ! Arrangez ses besognes et celle de ses frères

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(2)ržiġ rebbi d nnebi ad amkʷ-in a tislit kʷin-am ma ad ak igʷan lislam

ržiġ rebbi d nnebi ad amkʷ-in a tislit sebƐa n warrawen gʷin kʷullu

lašyax

ržiġ rebbi d nnebi ad amkʷ-in a tislit miat n teġġat ad itggan laƐwil nnem

ržiġ rebbi d nnebi ad amkʷ-in a tislit miat n tekʷḍifet ad itggan usan

nnem

Ô Dieu et prophète ! Procurent la mariée tout ce qui figure dans l’islam

Ô Dieu et prophète ! Procurent la mariée sept seigneurs des savanes

Ô Dieu et prophète ! Procurent la mariée cent biquettes faisant sa manne

Ô Dieu et prophète ! Procurent la mariée cent nattes faisant sa literie

(3) zzurġ lfal nnem a tislit ad igʷ almu meqqar taḥma ġušt ar ggʷren

iġanimen

zzurġ lfal nnem ad igʷ imšilli tggʷan ifellaḥen igʷ ufan tagʷerza s waman n

unzar

zzurġ lfal nnem ad igʷ imšilli tggʷan aġġu d wudi igʷ inda imun a tislit

Ô la mariée ! Je vous avise un présage verdoyant dont les roseaux s’éclosent au

canicule

d’Août

Ô la mariée ! Je vous avise un présage des agriculteurs dont il tombe des

cataractes

Ô la mariée ! Je vous avise un présage du petit lait et du beurre séparés mais

ensemble

(4) a tislit a tafruxet d inkʷren ammas n iġanimen gʷ ir n uġbalu ha asukʷrid

dikʷs

a tislit a tarrayst mi ttugʷa dheb gʷ ugʷarḍ ilint tiwura n lxir

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a tislit a tabža n zƐafran iṭaf kʷa gʷ ufus ar tssinwir aliwa

Ô la mariée ! Jeune palmier germant sur les rivages

Ô la mariée ! Présidentielle à cou doré vivant dans l’opulence

Ô la mariée ! L’écrin de safran s’illumine ta présence

(5) a taġrart n uxatar gʷ udayen

a taqmut n tawerta yanniy izimer

a yma-s n tislit a tiġurḍin n tažžažt

a yma-s n tislit a yahiḍur abaliy

a yaxbaš n ismex ittakʷren ibawen

Bourse du grand des juifs, ô lésine !

Ô trait de lynx épiait un bélier broutant de l’herbe !

Ô beau-frère ! Omoplate d’un quinquet

Ô vieille peau de mouton tannée !

Ô ongles abîmés de serf chapardant les fèves !

D’après ce qui précède, cet épithalame s’apparente à une

scène de théâtre où les personnages principaux sont les

chanteurs-compositeurs et la mariée, les invités du mariage sont

évidemment le public. Il est clair que l’écriture nous aide à la

fixation de notre patrimoine oral mais aussi la proclamation de sa

mort, car cet épithalame n’est pas destiné à être lu, il est destiné à

être chanté dans les mariages.

Il n’est pas un simple texte arrangé selon des normes

poétiques et sa signification « ne se réduit pas seulement au

thème traité ou aux procédés d’agencement mis en œuvre dans sa

Page 12: De l’oralité à l’écriture d’un épithalame amazighe

12

composition12 » mais son sens authentique réside en dehors du

poème transcrit. Ce dernier n’est qu’un seul élément de toute la

situation d’énonciation où d’autres éléments tels : la voix, la

position dans l’espace, le rythme, les réactions des invités du

mariage, etc.

Si nous donnons cet épithalame transcrit à une personne

qui n’a pas assisté à la séance de composition de ce poème

lyrique, il consacre tant d’effort à le déchiffrer et à comprendre de

quoi il s’agit mais il n’arrive plus. Sa transcription va

indubitablement défigurer le vers poétique.

Toutes ces composantes constituent le sens exact du

poème. Autrement dit, l’interprétation sémantique d’un poème-

chant transcrit est fondée non pas sur la signification des mots,

des vers et les groupes rythmiques mais sur « toutes les

manifestations scéniques lors de la représentation. Cette dernière

composante sémantique n’est saisissable que lors de

l’énonciation13 », c’est donc l’acte énonciatif qui lui donne

scrupuleusement son sens.

Conclusion

En définitive, l’épithalame-échantillon que nous avons

transcrit, prouve que l’écriture dégarnit tous les rouages de la

signification, à savoir : l’élimination de la mélodie qui fait du poème

un épithalame et la théâtralité de la scène. Égarés ses

12M. TAÏFI, « La transcription de la poésie orale : déperdition de sens », in : Amazigh

days at Al Akhawayn University : Paving the way for Tifinagh, s. dir. de M. PEYRON,

Ifrane : Université Al Akhawayn, 2004, p : 80.

13 Ibid., p : 81.

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13

caractéristiques définitoires du poème-chant oral ne fait que

transcrire un texte inerte de sens, c’est pour cela que F.

BOUKHRIS affirme avec raison que « la transposition graphique

ne pourrait que trahir ce genre poétique pluridimensionnel 14» donc

la transposition de l’épithalame à l’écrit introduit une distance entre

sa production et sa consommation. La fidélité donc au texte oral

lors de son écriture est une illusion15.

Références bibliographiques

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45-54, in : Hommage aux détenus: Paroles berbères de solidarité,

14 F. BOUKHRIS, « Les izlan : De l’oralité à l’écriture », in : Écriture et oralité,

Université Sidi Mohamed ben Abdellah : Revue de la faculté des Lettres, Dhar El Mahrez

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15 A. BEZZAZI, « Le passage à l’écrit en littérature amazighe : enquête menée auprès de

quelques élèves », in : A. KICH (s.dir.), La littérature amazighe : oralité et écriture,

spécificités et perspectives, Actes du colloque, Rabat : Publication de l’IRCAM, 2004,

p :276

Page 14: De l’oralité à l’écriture d’un épithalame amazighe

14

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Page 15: De l’oralité à l’écriture d’un épithalame amazighe

15

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Mahrez Fès, N°8, 1992.

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Université Al Akhawayn, 2004.