de gros atomes dans le ciel

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Un atome gravitationnel dans le ciel Se pourrait-il que les trous noirs soient les accélérateurs de particules attitrés de l’univers lui-même, produisant en continu des signaux susceptibles de dévoiler de nouvelles particules exotiques – et peut-être même la supposée matière noire ? (Interview vidéo du Pr Arvanitaki : https://www.youtube.com/watch?v=UckW7YQI6vw ) Les particules sont minuscules. Ce sont les plus riquiquis composants de la nature, dont toutes les choses plus grandes sont composées – les gens, les pachydermes ou les planètes. N’est-ce pas ? Eh bien, oui et non. « Les particules peuvent être énormes », explique Asimina Arvanitaki , physicienne de la théorie des particules, Professeur à l’Institut Périmètre à Waterloo (Ontario), au Canada. « En fait, elles peuvent être plus grandes qu’une pièce, ou être aussi grandes que l’univers. » C’est une notion qui va à l’encontre de notre intuition, celle-ci étant enracinée dans l’expérience du monde de tous les jours où les particules sont d’ordinaire minuscules. Mais l'intuition nous dit rarement toute la vérité, particulièrement en physique théorique, où sont en jeu les phénomènes incroyables de la mécanique quantique ainsi que l’extrême chaos gravitationnel des trous noirs. « Il n'y a aucune limite à taille théorique des particules », précise Arvanitaki, « et nous avons beaucoup de théories dans lesquelles les particules ne sont pas petites. » L’une de ces théories a mené Arvanitaki et ses collaborateurs à une idée novatrice qui réinvente les trous noirs comme des accélérateurs de particules artisanaux de l'univers, ce qui pourrait contribuer à découvrir une particule depuis longtemps prévue par la théorie. Supposons, avancent-ils, que la taille d'une particule - ou, plus techniquement, sa longueur d'onde de Compton - soit analogue à celle d'un trou noir. Une telle particule peut être liée par la gravité intense du trou noir, entraîné par la rotation de son espace-temps dans une forme de

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Le Pr Arvanitaki de l'Institut Périmètre pense que les trous noirs pourraient bien avoir une structure très similaire à celle connue pour les atomes, avec un noyau et le nuage électronique qui l'accompagne. Du coup, de tels systèmes devraient émettre des ondes gravitationnelles susceptibles d'être détectées sur Terre, confirmant à la fois leur existence, prédite par la Relativité Générale, et la pertinence de ce modèle original d' "atome dans le ciel".

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Page 1: De gros atomes dans le ciel

Un atome gravitationnel dans le ciel

Se pourrait-il que les trous noirs soient les accélérateurs de particules attitrés de l’univers lui-même, produisant en continu des signaux susceptibles de dévoiler de nouvelles particules exotiques – et peut-être même la supposée matière noire ?

(Interview vidéo du Pr Arvanitaki : https://www.youtube.com/watch?v=UckW7YQI6vw )

Les particules sont minuscules. Ce sont les plus riquiquis composants de la nature, dont toutes les choses plus grandes sont composées – les gens, les pachydermes ou les planètes. N’est-ce pas ?

Eh bien, oui et non.

« Les particules peuvent être énormes », explique Asimina Arvanitaki, physicienne de la théorie des particules, Professeur à l’Institut Périmètre à Waterloo (Ontario), au Canada. « En fait, elles peuvent être plus grandes qu’une pièce, ou être aussi grandes que l’univers. »

C’est une notion qui va à l’encontre de notre intuition, celle-ci étant enracinée dans l’expérience du monde de tous les jours où les particules sont d’ordinaire minuscules.

Mais l'intuition nous dit rarement toute la vérité, particulièrement en physique théorique, où sont en jeu les phénomènes incroyables de la mécanique quantique ainsi que l’extrême chaos gravitationnel des trous noirs.

« Il n'y a aucune limite à taille théorique des particules », précise Arvanitaki, « et nous avons beaucoup de théories dans lesquelles les particules ne sont pas petites. »

L’une de ces théories a mené Arvanitaki et ses collaborateurs à une idée novatrice qui réinvente les trous noirs comme des accélérateurs de particules artisanaux de l'univers, ce qui pourrait contribuer à découvrir une particule depuis longtemps prévue par la théorie.

Supposons, avancent-ils, que la taille d'une particule - ou, plus techniquement, sa longueur d'onde de Compton - soit analogue à celle d'un trou noir. Une telle particule peut être liée par la gravité intense du trou noir, entraîné par la rotation de son espace-temps dans une forme de synchronisation - un processus théorisé par l'astrophysicien pionnier Roger Penrose et auquel on a finalement donné son nom.

Liés ensemble par le processus de Penrose, particule et trou noir deviennent ce qu'Arvanitaki appelle un « atome gravitationnel dans le ciel. »

C'est une analogie pratique. Un atome d’hydrogène, par exemple, possède une configuration de liaison entre un noyau (un proton) et l'électron en orbite autour de lui. Dans « l'atome gravitationnel dans le ciel » d'Arvanitaki, le trou noir peut être vu comme le proton et l'énorme nuage de particule est analogue à l'électron cinglant de tous côtés.

Cette idée de particules se liant avec des trous noirs suivant une configuration semblable à celle de l'atome n'est pas nouvelle. La théorie de ce processus a été formulée par Penrose dans les années 1960 et expliquée par le Physicien Yakov Borisovich Zel’dovich dans les décennies qui ont suivi.

Par contre, l'idée que cette chorégraphie cosmique pourrait fonctionner comme la propre version de la nature du Grand Collisionneur de Hadrons (LHC) est une innovation récente - celle qui

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Un atome gravitationnel dans le ciel

« excite vraiment » le Professeur Arvanitaki. Il pose les bases de fascinantes possibilités dans la chasse aux composantes élémentaires de la nature, y compris la matière noire, la colle gravitationnelle invisible supposée pénétrer une grande partie de l'univers.

« L'atome gravitationnel » - le trou noir et les particules qui lui sont liées - est un espace dynamique.

Comme les forces incroyables du trou noir font des ravages dans l'espace-temps environnant, un processus appelé superradiance provoque un accroissement très rapide - en fait, exponentiel - du nombre de particules en orbite autour du trou noir, extrayant du trou noir énergie et moment cinétique.

À cause de cette croissance exponentielle qui attire un nuage de particules en pleine expansion, la rotation du trou noir ralentirait. C’est là où « certaines choses très intéressantes peuvent se produire », dit Arvanitaki.

Les particules peuvent transiter entre différents états d'énergie, produisant des gravitons (un processus semblable aux transitions d'électrons dans les atomes qui peuvent produire des photons et par lequel fonctionne un laser). Des paires de particules peuvent aussi s’annihiler, se transformant en une paire de gravitons - dont l’un est absorbé par le trou noir, l'autre lui échappant. Les deux phénomènes créent un signal qui peut être détecté sur Terre : des ondes gravitationnelles.

Arvanitaki pense que ce processus peut permettre aux chercheurs d’identifier la présence d'une particule appelée l’axion de la Chromodynamique Quantique (QCD), une particule élémentaire hypothétique que beaucoup considèrent comme un candidat potentiel à la matière noire et l’une de celles qui ont motivé de nombreuses recherches.

« Depuis que l’on a proposé cet axion à la fin des années 70, il y a eu des tonnes d'expériences pour le trouver », dit Arvanitaki. « L’essentiel dans ce que nous avons fait, ça a été de dire : hé ! si nous regardons le ciel, nous pourrions le trouver là ! »

Quoique l’axion QCD soit un prix fortement couru, Arvanitaki dit que la démarche de son équipe peut s’appliquer à chercher « toutes sortes d'autres particules », pourvu que ce soit des bosons.

Bien sûr, enquêter sur de telles particules n'est pas tout à fait aussi facile que de simplement regarder dans le ciel. Même l'équipement terrestre le plus sophistiqué n'a pas pu mesurer d’aussi faibles signatures à des distances aussi énormes.

Mais cela ne va pas tarder à changer cette année quand Advanced LIGO, l’un des interféromètres les plus sophistiqués jamais construits, commencera sa recherche d’ondes gravitationnelles – l’une des prédictions non encore observées de la Relativité Générale.

Constitué de deux lasers perpendiculaires, de quatre kilomètres d’envergure chacun, le projet LIGO avancé possédera une sensibilité décuplée par rapport à celle du LIGO original et il est prévu pour transformer la science des ondes gravitationnelles. Si les trous noirs, les « atomes gravitationnels dans le ciel » d’Arvanitaki, produisent effectivement des particules comme sa théorie le prévoit, le LIGO avancé peut en fournir la preuve expérimentale.

La perspective alléchante de jouer un rôle dans une telle découverte rappelle à Arvanitaki ses motivations pour devenir un physicien de premier plan.

« Je veux juste savoir pourquoi les choses sont comme elles sont », dit-elle. « C’est le pourquoi qui m'a conduit à la physique et qui me guide encore. »

– Colin Hunter

Texte original : A Gravitationnal Atom in the Sky