dans un petit carnet d’adresses, je note, depuis...

20

Upload: ngothu

Post on 12-Sep-2018

214 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

2

2 2

2 3

Dans un petit carnet d’adresses, je note, depuis mon arrivée en région parisienne, en 1985, toutes les dates de naissances et de morts des membres de la famille dont je suis issue. C’est comme un changement, un passage de la proximité orale nous noyant dans un vécu commun fusionnel, à la prise de conscience de l’existence de l’état-civil comme tiers nouveau de ces personnes.

Famille, responsabilités, ouverture, tragédies, liberté d’expression, exclusions, guérisons, renouvellement, luttes entre Eros et Thanatos, emprises des uns sur les autres. Au Secours la vie.

L’amour, la haine, les faux semblants, ruminations, accouchements divers : vivre, vivre enfin en dehors de ces phénomènes familiers vécus précédemment avant ces ruptures et séparations douloureuses, minantes.

Hors devoirs de mémoires ? La mémoire : collective, individuelle ? La mémoire

d’une famille est faite de tous ses membres ? A quoi tient-elle ? Quelqu’un est-il dépositaire de sa vérité ? La famille d’où je viens : où est-elle ? Et sa mémoire existe-t-elle ?

Il y a longtemps, en présence de ma mère, silencieusement, je me promets de dénoncer tout le mal qui est fait à notre famille d’où est exclu le père au profit de la mère ignorant que je risque de sacrifier ma vie en m’engageant ainsi. Lorsque l’on est jeune femme adulte, la première nécessité n’est-elle pas de penser à soi, à faire sa propre vie hors des problèmes parentaux afin de trouver son propre amour pour, à son tour, créer sa propre famille à soi, libérée de tout marquage parental lorsqu’il est pathogène ?

2 4

Les valeurs officielles de ma famille d’origine sont liées à la foi en Jésus-Christ, au Dieu amour dans le cadre de la confession catholique. Mes parents sont pratiquants. Ils croient en la Sainte Vierge, en Jésus-Christ, son fils, notre Seigneur, né sans père humain fécondant de son sperme la Vierge Marie. La femme comme vierge est une valeur essentielle. La mère, aussi. Donner sa vie pour les autres sans penser à soi, s’oublier comme le font, dans l’idéal, les religieux, les religieuses, consacrant leurs vies aux autres, à Dieu.

Adolescente, j’ai choisi de conserver la foi chrétienne en moi sans partager forcément les valeurs ci-dessus concernant cette histoire de virginité de la Vierge Marie, dogme chrétien étrange touchant à la négation des réalités sexuelles humaines au nom de la spiritualité chrétienne catholique traduite par des théologiens. Le mystère de la Trinité divine, le mystère de l’incarnation en Jésus-Christ du fils de Dieu fait homme conçu par la Vierge Marie, nous y croyons ou n’y croyons pas. C’est une histoire de révélation étrangère à la pensée rationaliste ou scientifique.

Cette éducation religieuse développe en moi un platonisme adolescent parallèlement au repli sur soi causé par la catastrophe familiale dans laquelle je vais survivre comme mutilée dans mon être.

Je lis et vis repliée sur moi dans ma chambre, refusant tout contact avec mes parents, lorsque je suis chez eux. Certes, je travaille sans formation, à l’extérieur, dans un bureau de comptabilité d’un grand magasin, j’ai quinze ans, je ne manque jamais une seule journée. Réfugiée dans ma chambre, je lis les paroles suivantes de l’apôtre Jean dans les Evangiles :

« L’amour vient de Dieu et quiconque aime est né de Dieu et connaît Dieu. »

2 5

C’est un radeau secret de survie intérieure. L’un de mes frères se moquera de moi à cause de ma foi en Dieu, alors, contrairement à lui. Pour seul bijou, longtemps, je porte une petite croix en bois autour de mon cou. J’ai vingt ans et je suis malheureuse voulant changer ma vie en reprenant des études.

« L’amour vient de Dieu et quiconque aime est né de Dieu et connaît Dieu : ces paroles me frappent. Je ne peux pas tout rejeter du monde de mon père, sombrant dans un alcoolisme le rendant méconnaissable, déséquilibré, renégat de ses propres paroles antérieures à sa rechute. Celui-ci est la cause de la grande souffrance portée par moi sur toute ma vie de femme « me rendant fade et terne » comme me l’a dit une jeune sœur très cruelle, lorsque j’avais vingt-six ans. Je vivais encore chez notre mère « comme une vieille fille ». Ma jeune sœur venait d’avoir le bac et se préparait à partir du domicile maternel pour, finalement, devenir institutrice aux Antilles. Elle était jolie, sortait en rencontrait des garçons. Elle ne se confiait pas à moi mais à la femme de notre frère. Enfant, cette jeune sœur, je l’ai beaucoup aimé. Jamais je n’aurais cru qu’une sœur puisse avoir de telles paroles destructrices. J’étais devenue moche, « fade et terne », le serais-je toute ma vie ?

Ecrire cette histoire familiale pour honorer la mémoire de nos parents, ces parents-là, déchirés, déchirants, décédés, l’un en 1990, l’autre en 2002, tous deux hors de leurs domiciles personnels, tous deux placés sous tutelle, forme dégradante d’une identité adulte détruite, est-ce porteur d’une action créative, est-ce utile dans cette société où tout se vend, où rien n’a d’importance, où la valeur humaine

2 6

est réduite à néant, où les injustices, elurs vérités succèdent à d’autres.

Pourquoi vouloir raconter ces vies au nom d’une certaine recherche de vérités sur les faits qui ont abouti à l’avilissement de parents au nom du système de protection des majeurs en situation de vulnérabilité face à autrui, aux prédateurs sociaux pouvant en abuser.

Un homme s’appelle Maurice Bellissens. Il naît le 5.7.1911 à Narbonne. Une femme se nomme Suzanne Chenevoy à son entrée dans le monde le 8.9.1917 à Dijon. Elle deviendra épouse Bellissens lors de son mariage en 1939 avec le premier jusqu’à la fin de sa vie bien que « séparée de corps » en 1965 mais jamais divorcée.

J’utilise des pseudonymes pour toute autre personne liée de près ou de loin à ce couple, à l’histoire familiale.

Je suis issue, ainsi que mes six autres frères et sœurs, d’un même père, Maurice et d’une même mère, Suzanne. L’un et l’autre croient en Dieu, celui du Nouveau Testament, fils de Dieu fait homme, Jésus Christ. Ils croient en la vie éternelle, en la Sainte Trinité. Ils sont de confession catholique, ils obéissent au pape, croient au célibat des prêtres et des religieuses, à la chasteté, à l’abstinence sexuelle comme voie à une spiritualité détachée des passions du monde terrestre piégeant les « âmes » par ses tentations. Eux se sont mariés et ont vécu leurs relations affectives et sexuelles. Ils sont devenus parents.

1977. Besançon. Un train depuis Dijon. Dans un de ses compartiments, une femme, connaissance de mes parents dans les années soixante (elle me semble être du « grand monde ») me dit :

2 7

– « Vous serez marquée toute votre vie »... » c’est une tragédie, votre père »..

Pourquoi cette femme, admirée par moi, me dit-elle cette façon de me voir ? Je ne peux rien lui répondre. Cette personne voit le déroulement du temps vécu comme un cycle. Le temps vécu ne comporte aucune création ? Il est impossible de changer quoi que ce soit à son existence et si vous souffrez de malheurs parentaux, ceux-ci se répéteront, aussi, pour vous, parce que ce serait héréditaire, dans les gênes, dans un héritage d’habitudes psychologiques, sociologiques ayant à se dérouler en cycles, de répétition de « saisons » de vie, de la naissance à la mort ?

Viscéralement, au-delà de toutes raisons, il peut exister dans l’être humain un cri silencieux refusant le destin, l’enfermement dans des blessures intérieures tues causées par des adultes autour de soi vous rendant coupée d’eux, repliée.

De quels malheurs s’agit-il en fait ? Ses paroles sont horribles car jamais je ne penserais

devoir être marquée à vie par les graves problèmes de mes parents desquels, justement, je veux me distinguer, me démarquer, me libérer. En faisant, par exemple, des études scolaires, en faisant par exemple, une supposée psychanalyse pour tenter de rompre mon isolement amoureux injuste commencé à mon adolescence fracassée.

Cette personne a été une amie de mes parents dans leur période heureuse. Son mari, bien qu’issu de la zone banlieusarde parisienne, de ses bidonvilles, sans avoir fait d’études scolaires, a beaucoup appris en militant. Il est devenu écrivain et père de six garçons. L’un d’eux est pris en charge par le milieu

2 8

psychiatrique depuis son adolescence. Dans ce contexte de souffrance psychique, cette femme est devenue psychothérapeute vittozienne. Je lui ai dit que je faisais une psychanalyse avec plein d’espoir dans ma voix. Depuis, elle me considère peut-être comme une malade mentale comme son fils ?

Impressionnée par la valeur, à mes yeux, de cette personne semblant avoir réussi sa vie, elle s’est mariée, ancienne comédienne, à un homme aimé, qui l’aime, je ne peux lui répondre. Je prends ces paroles comme porteuse d’une condamnation au malheur à vie alors que je veux vivre, vivre sans plus souffrir de ce qui s’est passé dans ma famille d’origine à laquelle je suis attachée douloureusement. Je tente de me remettre de ces meurtrissures qui me coupent d’autrui, de l’amour. Naïvement, je fais un travail sur moi-même à visée créatrice, invisiblement, une supposée psychanalyse. Je veux accéder à ma vie sexuelle et sentimentale de jeune femme, changer ma vie, m’épanouir. J’informe Jacqueline de mon engagement en psychanalyse. Elle me répond qu’elle a connu le cas d’un homme qui a mis fin à ses jours après avoir reçu une interprétation trop brutale d’un psychanalyste. Elle me met en garde contre cette méthode de transformation de soi, je ne sais pourquoi. J’écoute cette femme. Elle me compare à son fils. Moi, je me sens totalement différente de lui mais je n’ose l’affirmer à cette dame. Faire des efforts pour se réaliser dans la vie, se confier à autrui et passer pour celle que l’on n’est pas : un vrai cauchemar. Se taire dans la vie est sûrement mieux.

1945 : un homme, Maurice est marié depuis 1939 avec Suzanne. Ils n’ont pas d’enfants depuis neuf ans de vie commune. Maurice boirait selon Suzanne à cause d’elle, à cause de sa stérilité.

2 9

Si elle parvenait à mettre au monde des enfants, son homme ne boirait plus confiera-t-elle à la deuxième de ses quatre filles, des années plus tard. Cette fille, Nalette, moi-même, reçoit ces paroles sans pouvoir s’en défendre.

A d’autres moments, sa mère lui raconte sa vie, sa crainte de n’avoir pas été la bienvenue dans sa propre famille en 1917. Toute petite, elle va dans le grenier de ses parents. Elle fouille en cachette dans les malles de ces derniers. Lis leurs lettres échangées pendant la guerre afin de savoir s’ils l’aimaient, elle. Elle a été conçue lors d’une permission de son père. La pauvreté matérielle est de mise.

Nalette sait de son père le grand drame qui a eu lieu dans sa petite enfance à lui.

A l’âge de quatre ans, il voit passer le cercueil de sa mère le jour de son enterrement, caché tout seul dans l’entrebaîllement d’une porte cochère. Sa mère est morte à Tulle d’un avortement clandestin. Elle a vingt ans et déjà deux fils. Elle n’en peut plus d’une troisième grossesse précipitée. Au point d’en mourir sans le vouloir et de dévaster le cœur de son fils aîné pour la vie. Son frère cadet, Serge trouve en sa belle-mère, une infirmière remariée, la nouvelle maman dont il a besoin. Maurice ne sera pas aimé par celle-ci.

Suzanne et Maurice ont vécu la première guerre mondiale, lui enfant, elle bébé. A la fin de la guerre 14-18, elle retrouve un père gazé, séquelle tragique des combats au front auxquels il participera. Cet homme, son père, ouvrier dans une usine de briques, meurt peu de temps après en laissant une femme anéantie dans un logement vétuste avec trois enfants, deux filles et un garçon. Cette personne mourra d’un cancer de l’utérus à cinquante ans. L’une des deux

2 10

filles de cette famille est ravissante, coiffeuse, aimée par son jeune mari jusqu’au jour où la tuberculose détruit sa vie. Elle décède dans la fleur de l’âge. Ces chagrins marquent les mémoires.

Suzanne, quant à elle, se marie à l’âge de vingt ans. Elle surmonte, ainsi, sa crainte de rester vieille fille. Elle rencontre Maurice à l’occasion du baptême d’un enfant de son amie, Aurore. Le père, Serge, est le frère de Maurice.

Lui ne veut pas se marier mais pour une raison inconnue, il se retrouve devant Monsieur le Maire et Monsieur le Curé en 1936. Son idéal est celui de la virginité avant le mariage pour la femme (pour l’homme ?) Il fera ces confidences à Nalette dans les années 1961-62, prise par lui pour confidente alors qu’il s’écroule dans sa vie d’homme. Sa mère, aussi, se confiera à elle. Nalette n’a pas les moyens psychologiques de mettre à distance leurs confidences. Celles-ci lui font beaucoup de mal car elles sont intrusives, perturbant son psychisme envahi par les propos parentaux inadéquats.

Confidences reçues : Suzanne, lors d’une sortie au bal, avant de le connaître, s’est assise sur les genoux d’un jeune militaire. Sa première relation sexuelle a eu lieu à cette occasion, inopinément, par entraînement ou forçage du jeune homme. Elle ne savait pas le danger encouru d’accepter de monter sur les genoux d’un homme inconnu. Avec Maurice, elle fera deux fois l’amour avant leur mariage.

Lui aurait voulu devenir prêtre avant sa rencontre avec sa future femme. Mais l’un de ceux-ci le lui aurait déconseillé en disant qu’il n’était pas fait pour cela. Devenir prêtre, c’est faire vœu de chasteté et d’autres choses..

2 11

A la même époque, un homme vient de mourir : Sigmund Freud. C’est le fondateur de la psychanalyse, une technique thérapeutique des névroses. Menacé par le régime nazi, il s’exile à Londres bien qu’âgé de plus de quatre-vingt ans pour continuer d’exercer sa pratique nouvelle, la psychanalyse, jusqu’à la fin de ses forces.

Dans le monde ouvrier, personne ne le connaît. Dans le monde psychiatrique biologisant, non plus. Ni Maurice ne connait Sigmund Freud. Il fut empêché de faire des études par son propre père contrairement à son souhait. Le père, agriculteur, viticulteur, ne voulait pas de bureaucrate dans la famille, lui annonça-t-il à son adolescence. Adolescence passée dans une possible détresse au point qu’un jour, il se jettera sous les sabots d’un cheval pour en finir de la vie racontera-t-il à Suzanne, elle-même me le répétant des années plus tard.

Nalette, sa mère la prend pour une psychologue et non pour elle-même contre son gré. Suzanne déverse ses confidences envahissantes dans les oreilles de Nalette sans que cette dernière ne sache s’en défendre, dire à sa propre mère de se taire, de ne pas se confier à sa fille. Celle-ci, alors, fait des études de psychologies en Faculté. Elle n’existe pas comme fille, en tant que telle pour sa mère mais comme un objet à utiliser.

1945 : Un gynécologue consulté dit à Suzanne qu’elle souffre d’un utérus en rétroversion, tordu, empêchant le sperme de son mari d’aller vers ses trompes. Il redresse celui-di. Et, quelques mois plus tard, « miracle », elle se retrouve enceinte juste à la fin de la guerre. En avril 1946, elle accouche prématurément, à sept mois de grossesse, d’une petite fille dans la salle commune de la maternité de la ville. Elle découvre l’absence de respect pour l’intimité de la

2 12

femme lors de l’accouchement devant tout le monde. Suzanne est une petite personne d’un mètre quarante-trois. Son bassin est à peine large et lui permet un accouchement normal d’une petite fille, Cléophilette.

Elle aime sa petite aux doigts pas plus gros que des allumettes. Pour l’élever, elle arrête de travailler. A présent, pour faire tourner la marmite, le seul salaire de Maurice est utilisé.

Avec la venue de leur premier enfant, Maurice ne change pas. Suzanne, maintenant, après sa première grossesse, se retrouve très vite enceinte, une deuxième fois. Elle fait une fausse couche : le fœtus aurait été un garçon dit-elle. Une troisième grossesse se présente et elle transmet la vie à une deuxième petite fille, de taille normale ayant du mal à passer sa tête puisqu’elle sera en forme de « pain de sucre », pointue.Le passage fut étroit et la tête dut s’allonger selon la mère qui dut masser celle-ci pour l’arrondir.

Dix-huit mois séparent ses deux filles. Dix-huit mois plus tard naît un garçon, le premier. Il a le cordon ombilical serrant son cou chérubin.

Dix-huit mois après, une Fenouillette apparaît. Un jour, une sœur religieuse Saint Vincent de

Paul, amie de la famille, dit à Maurice : – « … Un homme si bien que vous et qui boit ! Ce

n’est pas possible !… » Le père s’arrête de boire, enfin, encouragé par

Sœur Marie des Anges, pleine de douceur. 1950 : Maurice s’engage dans un mouvement

chrétien antialcoolique, la Croix d’Or. En dehors de son métier d’ouvrier spécialisé, il travaille gratuitement, bénévolement, dans le cadre de cette association catholique. Il la fonde à Dijon en Côte

2 13

d’Or puis l’élargit à la Bourgogne et à la Franche-Comté. Au départ, il y a l’aide ou le conseil du Père Pasdeloup, un chanoine venu de Suisse pour fêter l’évènement en famille. Maurice a des contacts avec Madagascar. Il reçoit un responsable malgache chez lui, tel un ami. Il devient Président national ou, peut-être régional (ultérieurement, un homme affirmera que ce fut lui, et non Maurice, le Président…. Cet homme, appelons-le Paul Conquérant l’Usurpateur.

Le jour, Maurice travaille à l’usine, à la chaîne chez Terrot, fabricant de motos, (racheté par Peugeot quelques années plus tard). Il est ouvrier spécialisé, polisseur-fraiseur.

Un jour Nalette, sept ans, demande, les yeux plein de fierté pour son père :

– « Papa, c’est quoi ton travail ? » Celui-ci lui répond simplement : – « Je m’occupe de pièces pour les motos, les

voitures. Je regarde comment elles sont. Je les fais briller, je les polies »

A ses yeux, son père est un homme extraordinaire. Elle l’aime, l’admire, elle veut comprendre ce qu’il fait au dehors. Elle trouve son activité comme ayant une grande valeur car il touche à des pièces mécaniques dans un monde d’hommes, viril, fort où se construit des choses rares pour l’époque (des motos, puis des voitures automobiles). Elle ignore tout de cette vie professionnelle organisée en tâches parcellaires, répétitives, apprendra-t-elle plus tard à l’âge adulte.

En soirée et en week-end, son père accueille au domicile des hommes, des femmes sortant de l’alcoolisme ou s’en étant guéris grâce aux liens

2 14

noués avec lui, chaleureux, à l’écoute. Il accueille leurs familles, les enfants. Même des clochards, parfois ou des hommes en crises.

L’un d’eux s’appelle Nez Rouge. Nalette a peur d’entendre répéter cet homme : « c’est Nez Rouge » derrière la porte du logement à une heure où aucune visite ne se fait plus, où toute la famille est au lit. Vraiment, Il est tard, trop tard ce soir-là. Mais Nez Rouge insiste. Il a faim.

Le père, hésitant, ouvre la porte alors que toute la famille a besoin d’intimité, de repos. C’est le soir. La mère semble fâchée mais elle se retient et ne dit rien, servant une assiette de soupe au monsieur qui, ensuite, repart dehors dans la nuit d’hiver. Tout le monde se recouche. Nalette n’oublie pas ce qu’elle vient de vivre.

Toute sa famille peut être bouleversée par des perturbations causées par des personnes extérieures souffrant d’alcoolisme.

Un dimanche matin, un homme, connu de Maurice, vient chez eux et fait une crise de délirium tremens. Nous, enfants sommes réfugiés dans une pièce à côté de la cuisine où se déroule la scène gérée par nos parents qui n’en mènent pas large. Mais ils font ce qu’ils peuvent pour contrôler le délire de cet homme, bavant, prenant le balai pour manger ses poils… Une fois calmé, la crise passée, cet homme s’en va. Et nous faisons ouf ! Ses parents ne sont pas formés à la prise en charge d’un délirant mangeant les poils du balai dans la cuisine d’un autre.

Maurice est ouvrier à l’usine et militant bénévole, gratuit, dans un mouvement catholique de « relèvement des buveurs ». Il s’est engagé devant

2 15

Dieu et à vie à l’abstinence de toute consommation d’alcool. Il travaille en lien avec un médecin de l’hôpital psychiatrique de Dijon pratiquant les cures de dégoût de l’alcool avec les cachets d’Espéral (si une personne alcoolique essayant de se sevrer avec l’aide de ce médicament, à prendre obligatoirement, chaque matin, reboit, elle est malade, elle risque de faire un choc).

Maurice agit sans aucune rémunération pour ce difficile travail bénévole, sans aucune formation, exceptée celle d’avoir l’expérience vécue de l’alcoolisme et de sa sortie, de sa guérison. La base juridique de son militantisme et de celui de tout autre est constituée par les statuts de l’association Croix d’Or, écrits par lui (?), signés par lui, le 5 septembre 1955. Ce document, Nalette l’obtient le 20.1.1994 auprès de la Préfecture de la Côte-d’Or au service « groupements et Associations » :

« Madame

Pour faire suite à votre lettre du 30.12.1993 relative à l’association intitulée « la Croix d’Or de la Côte d’Or », j’ai l’honneur de vous communiquer, ci-joint, la copie des statuts en vigueur entre 1955 et 1991… »

« CY03935 Association La Croix d’Or Dijonnaise

STATUTS

Article I

La section dijonnaise de la Croix d’Or (Bourgogne et Franche-Comté) groupe des personnes et des associations ayant pour but la lutte contre l’alcoolisme

2 16

par l’abstinence volontaire de ses membres, par le relèvement des victimes de la boisson et par la préservation de la jeunesse avec l’aide de secours matériels et spirituels indépendamment de toute organisation confessionnelle ou politique.

Article II

Les moyens d’action de la section sont le contact individuel auprès du buveur, ou buveuse. La création de sections locales de foyers éducatifs et récréatifs, d’hôtels et restaurants sans alcool, de services sociaux, de réunions, conférences et publications.

Article III

La durée de l’Association est illimitée. Le siège est à Dijon, 25 Cour Henri Chabeuf. Il pourra être transféré en tout autre endroit par simple décision du Conseil d’Administration.

Article V

Les membres actifs se composent de buveur relevés et d’abstinents non anciens buveurs désireux de participer à la lutte anti alcoolique.

Article VI

Les membres honoraires sont composés de Croix Blanches et d’Auxiliaires de la Tempérance.

Les Croix Blanches sont des personnes s’engageant à ne pas consommer de boissons et liquides alcoolisés autrement qu’en quantité modérée et pendant les repas et à l’exclusion de tous apéritifs et digestifs alcoolisés.

2 17

Les Auxiliaires de la Tempérance sont des personnes s’engageant à l’abstinence de boissons et liquides alcoolisés un jour par mois.

Article VII

L’association est administrée par un conseil d’administration de 6 membres au moins et 35 membres au plus, élus par l’assemblée générale annuelle des membres actifs. Ils sont élus pour un an et rééligibles.

Article VIII

Le conseil d’administration élit en son sein un bureau comprenant :

– un président – un ou plusieurs vices présidents – un secrétaire – un trésorier – un trésorier adjoint

Article IX

La direction de l’association et le contrôle de ses différents services sont exercés conjointement par le Président et un membre désigné qui en rendront compte dans un rapport trimestriel au conseil d’administration, revêtu de leurs deux signatures.

Article X

Toute intervention ou discussion d’ordre politique ou privé et, en général, tout exposé sur des sujets étrangers aux buts de l’association, sont interdits aux diverses réunions.

2 18

Article XI

Les ressources de l’association sont constituées : 1°) par les cotisations et souscriptions de ses

membres 2°) par les subventions et legs qui peuvent lui être

accordés par l’Etat, les départements, les communes ou tous autres organismes.

3°) par les dons faits par les membres bienfaiteurs et par d’autres personnes s’intéressant aux buts de l’association.

4°) par les bénéfices des Etablissements qui pourront être créés en vertu de l’article 2.

5°) par des moyens créés à titre exceptionnel et, s’il y a lieu, avec l’agrément de l’autorité compétente.

Article XI

La cotisation des membres actifs âgés au moins de 16 ans est fixée à 250 francs par an. Tous les membres devront en outre, payer un abonnement au Journal « La croix d’Or » avec un maximum de 3 cotisations par famille.

La cotisation des membres honoraires est fixée à 300 francs par an.

Les membres bienfaiteurs ont toute liberté quant au montant de leur cotisation (minimum 500 Fr)

Le montant des cotisations pourra être modifié par décision de l’assemblée générale.

Article XIII

Le Trésorier, sous le contrôle et la responsabilité du Conseil d’administration, gère les fonds et tient à jour une comptabilité deniers par recettes et dépenses

2 19

et, s’il a lieu, une comptabilité matière, Les recettes ne pourront servir à d’autres buts que ceux fixés par les présents statuts.

Article XIV

En cas de dissolution statutaire ou forcée, l’assemblée générale désignera un ou plusieurs commissaires chargés de la liquidation des biens de l’association. Elle déterminera l’emploi de l’actif net et de son attribution.

Article XV

Des associations régionales et locales peuvent être affiliées sur leur demande à la Croix d’Or Dijonnaise.

L’acceptation des présents statuts doivent faire l’objet des déclarations et publications prescrites par la loi du 1er Juillet 1901.

Domicile : Pour toutes formalités, élection de domicile est

faite à Dijon au siège de l’association : 25 Cour Henri Chabeuf Dijon Certifié conforme, P. Le Président : Bellissens » Le 4.4.1960, des « modifications » sont « apportées

aux statuts de la Croix d’Or Dijonnaise »

« STATUTS DE LA CROIX D’OR DE LA COTE D’OR.

2 20

Article I

Il est formé entre les soussignés et tous ceux qui adhéreront ultérieurement aux présents statuts, une association régie par la loi du 1er juillet 1901.

Article II

Cette association prendra pour titres : LA CROIX D’OR DE LA COTE D’OR.

Article III

Elle aura pour objet la lutte contre l’alcoolisme

Article IV

Ceci en conformité avec les statuts de « LA CROIX D’OR FRANCAISE, 11 rue Perronnet Paris 7è et de l’Association régionale « LA CROIX D’OR DE BOURGOGNE FRANCHE COMTE », auxquelles la présente Association déclare s’affilier.

Article V

Son siège social est fixé 22 rue Crébillon. Il pourra être transporté en tout autre lieu par décision de l’Assemblée Générale.

Article VII

L’Association « La Croix d’Or de la Côte d’or », sera administrée par un comité faisant fonction de conseil d’administration et comprenant obligatoirement parmi ses membres au moins un représentant de chaque groupe de zone Croix d’Or. Il sera composé de trois membres minimum et de vingt