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Bienveillance et rigueur Regard du Christ Jusqu’où peut aller la bienveillance en politique ? Stop aux idées fausses Rencontre nationale n°26 ISSN 1969-2137 Janvier - Février - Mars 2015 10 € Attitudes bienveillantes

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  • Bienveillance et rigueur

    Regard du Christ

    Jusqu’où peut aller la bienveillance en politique ?

    Stop aux idées fausses

    Rencontre nationale

    n°26

    ISSN

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    Attitudes bienveillantes

    CV 01 - ldc26_Indica 02/03/2015 10:08 Page1

  • Site de CdEP : www.cdep-asso.org

    Éditorial (M. Nicault) ................................................. p 3France, diversité et accueil (D. Ndjoko Bwatu) ....... p 4

    MétierInfirmière scolaire (C. Patry)...................................... p 5Bienveillance et rigueur (C. De La Ronde) ............... p 6Se savoir écouté (J.-L. G.) ......................................... p 7Diriger avec fermeté et bienveillance (C. Réalini) ... p 9La Discipline Positive (C. Réalini) ............................. p 10Aujourd’hui j’ai encore aimé mon métier….(P. Handtschoewercker) ............................................ p. 12

    Église et FoiCe qui m’enthousiasme et m’émerveille(Frère J.-L. Vialaton) .................................................. p 14Regard du Christ (O. Joncour) .................................. p 17Oser la bienveillance (J.-L.. Gourdain) ..................... p 23Livre de J.-M. Ploux (J.-L.. Gourdain) ........................ p 24Prendre soin (M. Santier) ......................................... p 26Les méfaits d’un regard malveillant (Tertullien) ..... p 27

    SociétéNous leur voulons du bien (A. Guigon) .................... p 28HEP une entreprise d’insertion (M. Bouteiller) ....... p 28La bienveillance à l’hôpital (V. B.) ............................ p 30Jusqu’où peut aller la bienveillance en politique ? (M.-I. Silicani) ............................................................. p 32Prière .......................................................................... p 34

    Et ailleurs ?Oser la bienveillance avec l’Europe (C. Antoine) ..... p 35La solidarité j’y crois (G. Aurenche) ......................... p 35En Inde, une expérience revitalise les villages(B. Fernandez) ........................................................... p 36MAPTO Mouvement Alliance Paysanne du Togo(É. Couteux) ............................................................... p 39

    Relecture BibliqueParoles et regards (O. Joncour) ................................ p 40

    Vie culturelleDeux films “inspirés” (I. Tellier) ................................ p 42L’atome, le singe et le cannibale (B. Petit) .............. p 43Stop aux idées fausses (B. Lepage) ......................... p 45

    Vie de l’associationCharlie, et après ? ..................................................... p 46CdEP, exister et communiquer (A.-M. Marty) ........... p 46Rencontre nationale ................................................. p 48Histoire d’une Vierge (J. Dumont) ............................ p 48Sessions d’été ........................................................... p 49

    IconographieJeu de regards (A. Gobenceaux) .............................. p 50

    Sommaire

    2 Lignes de crêtes 2015 - 26

    Lignes de crêtesest la revue de Chrétiens dans l’En-

    seignement Public, résultat de la fu-sion des Équipes Enseignantes et dela Paroisse Universitaire.

    Elle s’adresse à ceux qui se sententconcernés par l’école et les questionsd’éducation, qui ont le souci de nourrirleur foi pour faire vivre leurs engage-ments et éclairer leur regard sur lemonde.

    Directeur de publication : Anne-Marie Marty - Commission Paritaire des Publications et Agences de Presse n° 0217 G 81752 du 7 juin 2012Imprimerie Chauveau-Indica, 2 rue 19 Mars 1962 - 28630 Le COUDRAY

    Prochains numéros Souffler / Respirer. Ressourcement spirituelViolence institutionnelle, Souffrance des enseignants Biens communs

    Abonnement à Lignes de crêtesnormal

    (non-cotisants)36 €

    réduit (cotisants,aumôniers)

    25 €

    soutien à partir de 40 €

    étranger 40 €

    Cotisation à Chrétiens dansl’Enseignement Public

    Merci de libeller votre chèque à l’ordre

    de Chrétiens dans l’EnseignementPublic et de l’envoyer à :Chrétiens dans l’Enseignement Public

    67 rue du Faubourg-Saint-Denis

    75010 Paris - tél : 01 43 35 28 50

    traitement mensuel cotisation

    1000-1500 € 80 €

    1500-2000 € 120 €

    + de 2000 € 160 € ou plus

    Cotisation minimale annuelle de 40 €Cependant, nous vous proposons de dé-terminer le montant de votre cotisationen fonction de vos possibilités. Vous trou-verez ci-dessous un tableau donnant desindications de montant.

    Page 1 de couverture : Vierge CdEPPage 4 de couverture : Suzanne Cahen

    CV 02 - ldc26_Indica 11/09/2015 14:06 Page2

  • Áune époque où les tempssemblent exiger fermeté,voire dureté ou méfiance,pourquoi ‘en rester’ à la bienveil-lance ? Première raison : on parlebeaucoup bienveillance actuelle-ment dans la formation des ensei-gnants en ESPE1. Notons mêmeque le Référentiel des compé-tences professionnelles des mé-tiers du professorat et del’éducation publié en juillet 2013,mentionne la bienveillance avantla notion d’évaluation.

    Depuis les attentats de jan-vier, certains discours por-teraient pourtant l’accentsur “remettre de l’ordre, réaffir-mer le cadre scolaire, pour conso-lider la communauté. Calme,cohésion, disponibilité au travail,paix, entente, il est évident quec’est ce dont l’éducation nationalea en partie besoin. Cependant ceslimites que nous devons veiller àrespecter, et faire respecter, doi-vent lier, pacifier, pas masquer nidissimuler la question de l’acqui-sition d’un vrai savoir”2.

    “Échec scolaire” : formulepéremptoire qui porteen elle-même sa propreviolence avec l’idée d’une fatalitésociale pesant sur les épaulesd’un seul élève, d’une seule fa-mille. Pour certains, l’école a étécette école qui ouvre la porte uneseule fois et qui la referme pourtoujours si les élèves n’en profi-tent pas. N’a-t-on pas tous rencon-tré des adultes, amis ou famille,qui, parce qu’on est un enseignantdisponible pour écouter, vousprendront à témoin de vieillesamertumes ou humiliations, d’es-pérances déçues dans leur scola-rité ? Il en est qui portent avec euxdes comptes jamais réglés.

    Quoique provocateur, parlerplutôt de “l’échec del’école” serait alors déjà un

    semi-progrès : regarder en face lesinsuffisances de l’institution elle-même,… mais aussi celles de lasociété qui en est responsable.Car l’école est plus poreuse qu’au-trefois, et se retourner vers ellepour tout résoudre, en ayant né-gligé de voir et soutenir aupara-vant tout ce qui s’y réussissait, estde l’ordre d’une pensée magiqueaux conséquences coupables.Échec de l’école, et de la société,par rapport à quel but ? Certaine-ment pas celui d’une logique deperformance qui supprimerait pra-tiquement l’enfance si on l’écou-tait, sauf pour la garder commeargument de consommation. Pour-quoi perd-on tant de temps, au furet à mesure que la scolaritéavance, à chercher comment re-trouver la motivation présentechez le jeune enfant qui explore,expérimente, se trompe et recom-mence sans se fatiguer ? Tout ap-prentissage peut déclencher autantd’enthousiasme et de fierté quedéstabiliser chacun dans ses sché-mas mentaux et affectifs. Il fautpouvoir grandir, ouvrir son univers,et aussi apprendre à aimer la diffi-culté et ses défis, autrement quepar l’humiliation ou le rejet. Notrechance est d’avoir désormais desétudes scientifiques démontrantqu’émotion et cognition sont neu-robiologiquement inséparables.Des professionnels attentifs à lapersonne et aimant leur métier nel’ont-ils pas découvert et appliquédans leurs méthodes de manage-ment, ou pour la prise en chargede personnes atteintes de mala-dies neurologiques ?

    Le métier d’enseignant s’estcomplexifié, ses missions sesont diversifiées. Au sein deséquipes pédagogiques commeavec les parents d’élèves, laconfiance des partenaires est né-cessaire. On ne peut faire sanseux et encore moins contre eux.

    C’est aussi le meilleur moyen dene donner aucune prise au qu’endira-t-on, à la rumeur d’où qu’ellevienne3. Face au risque d’une po-pulation refermée sur elle-mêmepar l’angoisse et la paupérisation,mais aussi la culture mercantile,plus que de bienveillance traduiteen “bons sentiments”, c’est debien-veiller dont nous avons besoin.

    Il y a trois ans déjà, un militantdu Secours Populaire avertis-sait : “On voit de plus en plus demonde, et on sent une nervositéplus sensible aussi… On aide,sans s’immiscer dans les vies despersonnes, même si on est obli-gés de tenir compte de tous leséléments. L’essentiel, c’est qu’envenant nous voir, elles existent so-cialement”. Être contemporain,c’est répondre à un appel quel’époque nous lance par son obs-curité, percevoir dans l’obscuritédu ciel cette lumière qui cherche ànous rejoindre et ne le peut pas,avait dit le philosophe GiorgioAgamben en 2012… L’homme esttoujours en train de devenir hu-main, donc aussi de rester inhu-main, animal. La pensée, c’est lecourage du désespoir.

    Bien-veiller à prendre les bonschemins de la relation et del’action, pour soi et pour lesautres, bien-veiller à s’informer etchercher la clarté, ce pourrait êtrecela la bienveillance...

    Mireille NicaultFévrier 2015

    1/ Écoles Supérieures du Professoratet de l’Éducation, remplaçant lesIUFM.2/ Propos repris d’un article du2/12/2013 de Mara Goyet, enseignantede collège, auteur de plusieurs ou-vrages et du blog Alchimie du collège.3/ Pistes de réflexion puisées dansles n° 235/236, 238, 239, 243 de larevue Animation et Éducation – http://animeduc.occe.coop

    3Lignes de crêtes 2015 - 26

    Éditorial

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  • Quand je suis arrivé à Orly, beau-coup de choses m’ont étonné et jevoudrais en dire quelques-unes.

    La diversitéJ’ai été très surpris de voir plu-

    sieurs peuples de toutes les cou-leurs. Partout on peut les rencon-trer : dans l’administration, dansles grandes surfaces, à la Préfec-ture, à la Mairie, dans les bus,dans les trains, dans les églises,dans les quartiers… J’ai donc com-pris que la France est multicultu-relle et multicolore. Le diocèse deCréteil m’a donné ce visage de ladiversité. Je suis toujours émer-veillé de voir les différentes ori-gines des peuples qui le consti-tuent. Il reflète le visage de sondépartement. Cela montre une ca-ractéristique de la France : unpays d’accueil. Pourquoi ne pasavoir devant soi la marche répu-blicaine du 11 janvier où ce jour-làon a vu la vraie France, celle quiest multiculturelle, multicolore etlaïque ?

    Pays de droitJ’ai été marqué par l’exercice du

    droit ici. La police fait son travailavec professionnalisme et la jus-tice est là pour tous. J’ai été vic-time d’un vol de portable débutjanvier et grande a été ma sur-prise de recevoir par mail un mes-sage de la police me disant quemon portable était retrouvé entreles mains d’un voleur et que jepouvais passer le récupérer aucommissariat du 18e arrondisse-ment. Et pourtant je n’avais pasencore porté plainte et je me di-sais que c’était peine perdue. Et levoleur sera jugé en mars même sile téléphone m’a été remis en bonétat. Je peux donc confirmer quela justice est au service de tous lescitoyens.

    L’attention auxautres

    J’ai été surpris lorsqu’un jour, enrevenant de Bondy pour prendre letrain vers la gare du Nord, j’avaisraté la marche d’un escalier et ducoup j’étais par terre avec monsac à la main. Je me suis fait trèsmal et des gens étaient tout desuite près de moi pour me releveret m’apporter les premiers soins.Un homme de type blanc que je neconnais pas, à l’aide de son mou-choir en papier enleva du sang surma main et me dit d’aller consul-ter un médecin pour m’assurerque je n’avais rien de grave.

    Côté négatifJ’ai l’impression que les gens

    courent tous les jours comme sion les pourchassait, comme s’ilsétaient toujours très pressés. Aveccette attitude d’être toujours pres-sés, on ne peut plus avoir le ré-flexe de parler avec quelqu’un.C’est ce qui arrive malheureuse-ment tous les jours où certainespersonnes ne répondent pas à unpetit bonjour qu’on leur fait. Mêmeavec des gens du même palier, lebonjour devient lourd à donner età recevoir. Mais il faut avoir ducourage de renouveler la saluta-tion quand l’autre partie ne ré-pond pas, jusqu’au jour où onprendra conscience de la signifi-cation de la salutation qui peutêtre le premier pas pour rencon-trer l’autre.

    Dominique Ndjoko BwatuOblat de Marie Immaculée

    Val-de-Marne

    France, diversité et accueil

    4 Lignes de crêtes 2015 - 26

    La rencontre avecles musulmans

    Jusqu’avant mon arrivée à Orly,je n’ai jamais pensé à une ren-contre entre chrétiens et musul-mans. Selon moi, c’est une sortede “chacun pour soi”, pas dans lemauvais sens. C’est chacun dansson coin faisant ce qui lui est pro-pre. Voilà qu’à Orly, il y a cettepossibilité de rencontres entrechrétiens et musulmans qui estfondée sur le Vivre ensemblecomme citoyens d’un même dé-partement, d’une même ville,comme fils d’un même Père. Dansces rencontres, on apprend la to-lérance et le respect mutuel. J’aidonc découvert ici ce que l’Égliseappelle le dialogue inter-religieux.

    Les AssociationsJ’ai été aussi marqué par l’exis-

    tence des associations qui nesont là que pour défendre lesdroits des personnes. Pour moi cefut un grand étonnement de voirdes hommes et des femmes, fran-çais d’origine ou pas, prendre ladéfense des Roms et d’autresétrangers. Ils le font parfois endésaccord avec l’État. Tout sim-plement parce qu’ils se préoccu-pent de ce qui touche à l’humanité.Pour eux, l’humanité est sacrée ettoute personne a droit à la vie, à laprotection, au logement…

    Grand est mon étonnement devoir des associations accompa-gner les jeunes sans travail etsans qualification en leur propo-sant des voies pour arriver à trou-ver de l’emploi ou les mettre enlien avec des entreprises.

    04 - Ldc26_Indica 02/03/2015 10:17 Page4

  • Pour réussir à l’école, un postu-lat s’impose : le jeune doit êtrebien dans son corps et dans satête (mens sana in corpore sano),cela paraît être une évidence maiscertains enseignants l’oublienttrop vite et/ou ne prennent passuffisamment en considération lebien-être de l’élève. Pourtant jepeux confirmer en tant qu’infir-mière scolaire que les jeunes sonttrès sensibles à l’attention queleurs enseignants, leurs ca-marades ont pour eux et cer-tains comportementspeuvent les déstabiliser,voire leur nuire. L’infirmièrescolaire contribue à l’inté-gration de certains jeunespour qui l’école est un lieuqui peut être source de souf-france, de violence physiqueou psychologique, de harcè-lement… plutôt qu’un lieud’apprentissage et d’épa-nouissement per-sonnel. Pour ce faireelle peut intervenirsur le plan individuellors d’entretiensd’aide, suite à des trou-bles somatiques expri-més par l’élève (maux deventre, céphalées, troublesdu sommeil) qui cachent unmal-être. L’écoute bienveil-lante répondra alors au besoin réelet permettra l’expression, la ver-balisation des problèmes rencon-trés. La réponse de soutienessaiera de s’appuyer sur les com-pétences psychosociales1 dujeune pour le valoriser, le rassureret lui redonner confiance en lui.

    Sur le plan collectif, l’infirmièreou tout autre membre de la com-munauté éducative peut mener desactions qui vont permettre de créerun climat scolaire plus serein, pro-tecteur et rassurant pour l’élève.

    Métier

    5Lignes de crêtes 2015 - 26

    Infirmière scolaire Voici un exemple concret avec

    un groupe d’élèves du LP plutôt defaible niveau mais surtout très agi-tés avec de nombreux problèmesde discipline, d’agressivité… quigénéraient des exclusions decours, des sanctions.

    Avec le professeur principalnous avons souhaité changer ceclimat de la classe en modifiant lecomportement des jeunes maisaussi de l’équipe éducative. Pource faire nous avons décidé denous appuyer sur la notion debienveillance et de proposer uneactivité d’une heure pendant la-quelle chacun essaierait d’avoirune attitude positive et aidantevis-à-vis des autres. Nous avonsterminé la séquence en leur de-mandant de coller un post-it dans

    leur dos où chacun devait inscrireune qualité ou un compliment.L’objectif était que chacun puisserécupérer son post-it avec tous lescommentaires positifs des autresélèves de la classe. Au départc’était, pour certains, impossible àfaire car ils n’ont pas l’habitude defaire des compliments ni de valo-riser l’autre. Bien au contraire, ilsétaient plutôt dans la critique etl’insulte. Néanmoins ils ont res-pecté la consigne et c’était un plai-sir de les voir sourire, se détendre

    à la lecture des notes écrites sureux. Leur regard sur l’autre achangé, ils se sont aperçus quecette bienveillance calmait les ten-sions et ils l’ont vraiment ressenti.

    De même les adultes devraientmettre des lunettes de bienveil-lance pour observer leurs élèveset ainsi les rassurer, les valoriseret les évaluer (je pense notam-ment aux appréciations sur lesbulletins scolaires qui sont parfoistrès redoutables !!).

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  • Cette attention portée à l’autre peutconduire à organiser une réunion de suivispécifique pour les jeunes en difficultéscolaire : CPE (Conseiller Principal d’Édu-cation), assistante sociale, infirmière, COP(Conseiller d’Orientation Psychologue) etprofesseur principal se réunissent, dansun premier temps sans l’élève, pour fairele point. En fonction du problème rencon-tré, l’équipe déterminera qui pourra sui-vre plus spécifiquement le jeune et lerencontrer régulièrement. Ce sont en effetces jeunes en difficulté qui ont le plus be-soin de renforcer estime de soi etconfiance en eux. Les écouter, les laisserlibrement s’exprimer en respectant leurressenti puis s’appuyer sur ce qui va bienpour élaborer avec eux des objectifs réa-lisables sur du court terme sont des mo-teurs pour les faire réussir. De mêmefaut-il considérer les erreurs non pascomme des échecs mais comme unmoyen de comprendre ce qui n’a pas étésaisi et de progresser.

    Pour plus de bienveillance, révisonsnotre vocabulaire en recherchant une listeétoffée de qualités à utiliser en classe,dans les entretiens individuels et pourl’évaluation, laissons les élèves exprimerleurs émotions et leurs idées, offrons-leurun cadre stable et fiable pour les mettreen sécurité, laissons-leur le droit à l’er-reur, oublions les formulations négatives…

    Colombe PatryInfirmière scolaire

    Lycée et LP Flaubert à Rouen

    1/ L’OMS définit cinq couples de compétencespsychosociales :● Avoir conscience de soi / avoir de l’empathiepour les autres.● Savoir gérer son stress / savoir gérer sesémotions.● Savoir communiquer efficacement / être ha-bile dans les relations interpersonnelles.● Avoir une pensée critique / avoir une pen-sée créative.● Savoir résoudre des problèmes / savoirprendre des décisions.

    Être ferme et bienveillante, c’est à la fois la beauté et lagrande difficulté de notre métier. J’ai toujours essayéd’avoir cette attitude qui se décline en trois axes :

    ● Accueillir par une posture bienveillante

    ● Pratiquer une pédagogie adaptée à chacun

    ● Mettre en place un travail sur le vivre ensemble.

    AccueillirAccueillir chaque enfant tel qu’il est, avec son histoire, et

    pour cela être à son écoute et à celle de sa famille. Êtreprésente physiquement dans la classe : ne pas croiser lesbras, circuler dans tout l’espace, s’asseoir à côté de l’élèveen difficulté, regarder les enfants et pas sa préparation. Nepas hésiter à théâtraliser son enseignement, moduler savoix, varier les intonations pour capter l’attention, ritualiserles retours au calme avec des objets médiateurs (bâton depluie, clochette tibétaine). S’exprimer avec clarté et préci-sion, reformuler les éléments importants, faire reformulerpar un élève. Tous ces éléments aident à établir une rela-tion de confiance avec l’enfant.

    Mettre en place une pédagogieoù l’enfant est acteur

    Je pars du postulat que chaque enfant peut réussir (cf.Antoine de la Garanderie1). Je pratique la gestion mentale2

    dans ma classe (prendre en compte le fonctionnementmental de chacun et proposer des supports adaptés pourne mettre personne de côté).

    Construire le vivre ensembleEnfin, construire le vivre ensemble pour apprendre avec

    des actions concrètes. Permettre à chaque élève de donnerson avis par le biais d’un journal d’opinion, de s’exprimerdans le cadre du conseil de classe ; l’amener à mieux seconnaître et à accepter l’autre par la relaxation et le théâ-tre ; l’aider à s’intégrer dans des projets porteurs telsqu’une classe de découvertes ou monter une pièce dethéâtre.

    Toutes ces actions s’inscrivent dans un cadre et un es-pace dont les règles sont posées au départ et qui permet-tent à l’élève d’avoir ses repères. Il existe et est reconnu entant qu’individu à l’intérieur de ce cadre collectif. Il sait qu’ila la possibilité de s’y exprimer.

    Métier

    6 Lignes de crêtes 2015 - 26

    Bienveillanc e

    05-08 - Ldc26_Indica 11/09/2015 14:08 Page6

  • C’est l’ensemble de tous ces paramètres qui va aiderl’enfant à trouver sa place dans le groupe classe et à avoirenvie de rentrer dans les apprentissages.

    Tout au long de ma carrière, j’ai vu ainsi des enfants “al-lergiques” à l’école s’épanouir et être heureux de venirchaque matin.

    Pour illustrer ces réussites, je terminerai en évoquant destémoignages qui m’ont particulièrement touchée parce quevenant de parents d’enfants qui avaient chacun une his-toire douloureuse avec l’école.

    M. était une enfant caractérielle en rupture avec l’école,dont le malaise se traduisait par une certaine violence, unegrande agressivité et l’impossibilité en début d’année derentrer dans les apprentissages. À la fin de l’année samaman m’a écrit : “Merci d’avoir donné à M. le goût d’ap-prendre, la confiance en elle, ce qu’elle est devenue enl’espace d’une année auprès de vous qui avez fait preuvede courage et de témérité”.

    A. est arrivé d’une école où il était harcelé par ses ca-marades. Aller en classe le rendait malade. Il ne croyaitplus en lui. Après un travail de longue haleine avec lui, safamille et les autres élèves, il a fini par trouver sa place.“Votre gentillesse, votre rigueur au travail et votre écouteattentive ont aidé notre fils à avoir confiance en lui et às’épanouir”.

    Ces témoignages sont là pour montrer à quel point labienveillance alliée à la fermeté peut donner de bons ré-sultats et encouragent à poursuivre dans cette voie.

    Chantal De La RondeProfesseur des Écoles en CE2

    Hauts de Seine

    1/ Tous les enfants peuvent réussir de Antoine de la Garanderieet Geneviève Cattan chez Bayard Culture.2/ www.ifgm.org/Activites/gestion-mentale.htm

    Se savoirécouté

    Métier

    7Lignes de crêtes 2015 - 26

    c e et rigueur

    Avoir une attitude bienveillante vis-à-visde nos élèves est une nécessité lorsquel’on est enseignant, surtout dans des zonesdites difficiles. Que dit notre institution sur“l’attitude bienveillante des enseignants” ?

    La présence en classe d’un élève repéréen difficulté d’apprentissage et qui, enoutre, vit dans un milieu considéré comme“défavorisé” pourrait conduire certains en-seignants à minimiser leurs exigences sco-laires, sous prétexte que, “cumulant divershandicaps” :

    ● il est logique que cet élève échoue.

    ● il est humain de le laisser tranquille.

    À la lumière de ce qui précède, postulonsqu’un “bon” enseignant, c’est d’abord unepersonne capable de porter un regard po-sitif sur tous les enfants qui lui sont confiés.Choisir de voir “le verre à moitié plein” plu-tôt qu’à “moitié vide”, constitue la méta-phore de base de l’attitude éducative. C’estfaire sans cesse le pari de l’éducabilité.Condition nécessaire mais non suffisante,cette attitude doit s’accompagner d’une vo-lonté de faire réussir, d’espérer sans cessede l’autre le meilleur tout en acceptant lepire. C’est exprimer une double exigence :pour soi et pour l’autre. Dès lors, “laisserl’élève tranquille”, c’est participer à sonéchec1.

    Il s’agit donc de maintenir un équilibrefragile entre accueil, écoute et exigences.Je pense à cette élève en difficulté scolaire,sociale mais aussi en souffrance et expri-mant son désarroi par des réactions vio-lentes vis-à-vis des adultes qui l’entourent.Après avoir passé du temps à discuter avecelle, à désarmer les situations de tensions,à essayer de trouver des solutions d’ac-compagnement pour son travail scolaire,cela se termine au bout de six mois par unconseil de discipline et une exclusion parcequ’elle n’a pas pu se retenir face à unadulte qui a exigé d’elle son travail d’élèvequ’elle était incapable de fournir.

    05-08 - Ldc26_Indica 11/09/2015 14:08 Page7

  • C’est aussi de ces élèves engrande difficulté scolaire qu’on vaexiger quand même qu’un travailsoit fait pour que, sans cesse, ilssoient en attitude d’essayer, de re-commencer, de ne pas baisser lesbras. Essayer, à chaque fois quecela est possible, de redonner es-poir à l’élève en montrant quenous croyons en ses possibilitésde progresser et que, dès que l’en-vie est présente, alors tout devientpossible.

    prisme de leurs seuls résultatsscolaires. Un élève est bien plusque ses notes, même si, ce qui vanous préoccuper immédiatement,c’est sa réussite scolaire.

    Étant également enseignant encentre pénitentiaire, je penseaussi à ces détenus qui viennent,à leur demande, suivre des courspendant leur détention. Il est né-cessaire, avant de commencer uncours, de les laisser s’exprimer sur

    leur et leurs difficultés à répondrede l’attitude de leur enfant. Cesparents attendent de nous une so-lution à leur problème et noussommes dans l’incapacité de leurdonner une solution miracle : nousne pouvons que leur conseiller decontinuer à discuter avec leurs en-fants en espérant que cela finissepar produire quelque chose. Il esttoujours nécessaire de leur rappe-ler que l’école n’est qu’un élé-ment, certes important, maisparmi beaucoup d’autres, dansl’éducation de leur enfant et quel’aventure, en ce qui le concerne,ne fait que commencer.

    Avoir une attitude bienveillantevis-à-vis des élèves et de leurs pa-rents est grandement facilité parl’atmosphère générale de l’éta-blissement. Si les enseignants sesavent écoutés de leur direction,et si entre eux, ils savent entendreles difficultés, voir la détressed’un collègue, alors leur attitudevis-à-vis de leurs élèves peut êtreplus bienveillante car ils se saventsentent soutenus et épaulés dansleur travail.

    Cette attitude est de toute façonplus libératrice pour l’enseignantcar elle permet non seulement deregarder l’élève autrement maisaussi d’envisager son travail diffé-remment. Comme le dit le texte deconclusion de Diaconia : “Ensem-ble, osons le changement de re-gard sur les plus fragiles.Abandonnons un regard qui jugeet humilie pour un regard qui li-bère. Nous n’avons pas de pro-chain clé en main. La proximité seconstruit chaque jour”.

    J.-L. G.Val-de-Marne

    1/ Pour prendre en charge la diffi-culté à l’école, site de l’inspection aca-démique de la Moselle :h t t p : / / w w w 4 . a c - n a n c y -metz.fr/ppre57/spip.php?article20

    Métier

    8 Lignes de crêtes 2015 - 26

    leurs difficultés de détenus, lesconditions de détention, les rela-tions avec les codétenus, avec lessurveillants. Une fois le fardeau dé-posé, on peut commencer à pen-ser à autre chose et faire cours.

    Mais le regard ou l’attitude bien-veillante ne peut s’arrêter auxélèves. Il nous faut prendre encompte aussi les parents. C’estparfois dur de voir des parentsconvoqués au collège parce queleurs enfants ont pour la énièmefois transgressé les règles, ou ontmanqué les cours au collège. Ilfaut alors savoir écouter leur dou-

    Il faut tenir compte des désirsque nos élèves peuvent exprimerlors des réflexions concernant leurorientation, alors que l’on mesurela distance avec leurs résultats ouleur travail actuel. Toute la diffi-culté consiste à permettre àl’élève de voir la réalité actuelle enface, tout en ne brisant pas lesrêves qui peuvent éventuellementse réaliser plus tard, peut-être enpartie seulement, en passant pard’autres chemins.

    Je crois aussi que, pour êtrebienveillant, notre regard sur lesélèves ne doit jamais passer par le

    05-08 - Ldc26_Indica 11/09/2015 14:08 Page8

  • Depuis 15 ans en tant que per-sonnel de direction (sept commeadjointe, huit comme chef d’éta-blissement), Mme D. est actuelle-ment proviseure d’un lycée enÎle-de-France.

    D’emblée, elle souligne que“c’est un établissement où la dif-férence et le handicap sont re-connus et acceptés car toutenotre équipe pédagogique y estparticulièrement sensibilisée ;nous recevons donc de plus enplus d’élèves à besoins particu-liers (PAI, PPS1 et autres) ; en effetc’est un des motifs de déroga-tion”. Que peut-elle me dire sur le“couple” bienveillance~fermeté,qui a tout de suite suscité chezelle un grand intérêt, dès que j’aisollicité un entretien sur cethème ? C’est d’ailleurs un desaxes du projet d’établissement.

    “Pour les professeurs”, constate-t-elle, “certains ont une autoriténaturelle, innée, qui ne s’acquiertpas, ou très peu : ils se font natu-rellement respecter, et saventposer et faire respecter des règles,tout en étant à l’écoute de leursélèves. Ces derniers disent d’eux :‘Madame X, elle est gentille maissévère’, et ils ne semblent pas op-poser ces deux adjectifs ! Ce sontdes enseignants qui allient sou-vent fermeté, humour et discerne-ment, et qui réussissent dans leurfonction”.

    Et pour un(e) proviseur(e), peut-on aussi concilier les deux, voireles trois ? Est-ce plus difficile des’imposer aussi face à desadultes ? Mme P. estime que non,l’attitude et les qualités requisessont les mêmes : “D’abord le sou-rire, l’humour, la bonne humeur.C’est tellement important que lesjeunes aient face à eux un visagesouriant, accueillant ! Chaque foisque je peux, j’accueille les élèvesà la grille, et avec un large sourire

    plutôt qu’un visage fermé ou sé-vère, en leur disant bonjour ou enayant une parole agréable, quelsque soient mes soucis par ail-leurs. Il faut aussi savoir dire leschoses positivement… Par exem-ple, lorsque je vois arriver unejeune fille en minijupe, je com-mence par un petit compliment :‘cela te va très bien / c’est trèsjoli... mais c’est bien pour la plage/ c’est parfait pour le jardin, leweek-end, et pas pour venir tra-vailler’. Cela passe bien ainsi, et ilest rare que j’aie à y revenir. Jen’hésite cependant pas à faireune remarque lorsque l’élève ar-rive en retard”.

    Avec les adultes, les maîtres-mots sont dialogue et ouverture.“Ma porte est toujours ouverte, jesuis très à l’écoute. Par exemple,je consacre souvent mes mati-nées du samedi à dialoguer avecles familles. Elles apprécient cetteproximité. J’essaie de communi-quer avec tout le monde, y com-pris les agents. Je passe de tempsen temps en salle des professeurs(mais pas trop, il ne faut pas quema présence soit ressentiecomme “pesante”), ou je suisdans le hall, dans les couloirs, oùl’on peut m’aborder si l’on veut...même les élèves. Il est importantqu’un chef d’établissement soitprésent (certains, ayant des res-ponsabilités syndicales ou autres,ne le sont pas tellement) ; il fautcirculer, se montrer, arpenter leterrain, et ne pas être enfermédans son bureau !

    Je suis même allée en voyage àl’étranger avec un groupe de ly-céens, certains ont eu un “petitrecul” en voyant la proviseureparmi les adultes accompagna-teurs, mais cela s’est très bienpassé. Au fil des jours et des dé-couvertes en commun, nousavons vécu des moments de dé-

    tente dans une très bonne am-biance, sans qu’ils ne contestentmon autorité ni ne manquent derespect à mon égard.

    Bien sûr, étant à la tête du lycée,je dois prendre des décisions ettrancher ; mais j’essaie d’abord demettre tout le monde en synergie,de voir si un consensus se dé-gage... d’écouter et de recevoirtout le monde. Il faut créer un cli-mat de confiance, savoir accueil-lir ce que les uns et les autres ontà dire. Les enseignants sont trèssensibles à la bonne entente ausein de l’équipe de direction : pro-viseur, adjoint, CPE ; cela se “dif-fuse” dans tout le lycée.

    Le seul moment où je prends unpeu de recul et ne reçois pas sur-le-champ, c’est en cas d’incidententre professeur et élève : autantque faire se peut, je soutiens lecollègue enseignant, et j’évite devoir “à chaud” l’élève ou ses pa-rents, pour laisser diminuer unpeu l’émotionnel. Il faut bien direque beaucoup de parents dénon-cent le laxisme ambiant, récla-ment de la fermeté de la part desprofesseurs ‘qui doivent tenir leurclasse’, mais protestent dès quec’est leur enfant qui a une re-marque ou une punition !

    Dans leur ensemble, les parentsreconnaissent que l’équipe dulycée est ferme et bienveillante,que les professeurs sont exi-geants et impliqués, disponibleset à l’écoute. L’objectif du lycée estde faire en sorte que les jeunesréussissent et s’épanouissent. Etpour cela ils ont besoin d’autorité,de règles, de fermeté, et d’un cli-mat de confiance, de sérénité”.

    Propos recueillis parCatherine Réalini

    Yvelines1/ PAI : Projet d'Accueil Individua-lisé , PPS : Projet Personnalisé deScolarité

    Diriger avec fermeté et bienveillance

    Métier

    9Lignes de crêtes 2015 - 26

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  • Cette méthode éducative, partied’Europe, nous y revient via lesÉtats-Unis (comme bien deschoses à la mode...).

    Origine etfondateurs

    La plupart des principes fonda-teurs de la DP (Discipline Positive)ont été mis en place progressive-ment par deux hommes : toutd’abord Alfred Adler [1870-1937],ex-disciple de Freud, qui rompitavec ce dernier, et alla s’installeraux États-Unis lors de la montéedu nazisme ; il fonda la “psycholo-gie individuelle”. Puis Rudolf Drei-kurs [1897-1972], psychiatreautrichien, pour qui, à la source detout comportement inapproprié, ily a un sentiment de non-apparte-nance (à un groupe). Tous deuxpostulent qu’il est possible defaire coopérer l’enfant (et le jeune)à son éducation en se basant surdes principes simples : pas de pu-nition ; respect, écoute, compré-hension, encouragement ; fairegrandir l’estime de soi ; s’expli-quer, donner un but clair ; impli-quer, responsabiliser... le toutfavorisant l’autonomie. Voilà, tra-cés à gros traits, les principes ad-lériens basiques.

    Aux USA puis enFrance

    Positive Discipline a d’abord étéle titre d’un livre, publié en 1981,par Jane Nelsen, docteur en psy-chologie de l’éducation (Universitéde San Francisco) ; peu à peu,avec Lynn Lott (thérapeute fami-liale) elle a mis sur pied des ate-liers de DP, une associationétatsunienne (site : www.positi-vedscipline.com), des livres, desconférences... En France, BéatriceSabaté, psychologue clinicienne, acréé en 2012 l’Association DPFrance (site : www.disciplineposi-tive.fr) ; elle traduit et adapte à unpublic français les livres de JaneNelsen. De nombreux médias s’ensont fait l’écho récemment (dontLa Croix, La Vie...).

    En quoi est-cenouveau ?

    Le principe de base est qu’il fautrenoncer à la punition et à son cer-cle vicieux (punition / récom-pense, ou bâton / carotte), et doncrenoncer aux relations de pouvoirsur/avec l’enfant. Se sentir infé-rieur, être humilié, critiqué, voirpointés ses défauts ... donne rare-ment l’envie de progresser, maissuscite plutôt rancœur, révolte oudésintérêt, sans compter la baissed’estime personnelle. La relationde départ (écouter l’autre, avec unintérêt profond pour ce qu’il dit /ressent, établir une “connexion”sincère et vraie entre deux per-sonnes, dans le respect et la bien-veillance) est fondamentale.

    Professeurs, nous rêvons tousd’un inspecteur qui serait bienveil-lant, compréhensif, saurait voirnos efforts et nos qualités, tout en

    nous donnant des pistes pournous améliorer n’est-ce pas ?Nous aimerions sortir d’une ins-pection en nous sentant reconnus,appréciés, gonflés à blocs pour lasuite, et munis de conseils aviséspour pouvoir progresser... Pourquoipenser que l’enfant ou l’adoles-cent est différent ? C’est exacte-ment la même chose pour lui !

    La Discipline PositiveMétier

    10 Lignes de crêtes 2015 - 26

    Que faire en casd’erreur, de

    bêtise ?La première règle est : “toute er-

    reur est une occasion d’appren-dre” ! Qui réussit toujours tout ? Etdu premier coup ? Qui est parfaitet ne fait jamais rien de travers ?N’a jamais de saute d’humeur ? –Personne... Nous avons tous nosdifficultés, nos hauts et nos bas,nos manques... C’est vrai à la mai-son, vrai en classe. Si tous nouscommettons des erreurs, quel be-soin d’humilier celui qui vient d’enfaire une ? Au contraire, il fautconsidérer qu’elle fait partie d’unprocessus, qu’il est “normal” d’enrencontrer/faire... Donc, dire gen-timent à un enfant “là tu vois, c’estune erreur ; pourquoi, selon toi ?”,

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  • sans dramatiser du tout, c’est luiprouver que l’erreur est couranteet pas du tout négative ou dévalo-risante (je rappelle que les en-quêtes PISA montrent que lesélèves français sont parmi ceuxqui sont le plus paralysés par lerisque de faire une erreur !). Enoutre, c’est aussi lui montrerqu’on le croit parfaitement capa-ble d’analyser ce qui s’est produitet de trouver lui-même la solution ;en l’accompagnant un peu au be-soin (mais tout en restant co-pi-lote, et en le laissant auxcommandes, autant que faire sepeut...). Évidemment, en cas de“comportement inapproprié”, sic’est un ado qui “pique sa crise”et nous défie en classe, on risqued’être moins bienveillant, dans laforme et le fond. Et pourtant...c’est bien sur ce chemin-là aussiqu’il faudrait marcher ; après avoirpris du recul.

    En cas de crise : letemps de pauseOn ne peut pas régler les pro-

    blèmes “à chaud”, dans les cris,les larmes, quand la colère ou toutautre émotion a tellement pris ledessus qu’on n’entend rien (“on”= l’autre, ou moi, ou les deux !),que le dialogue est impossible.D’où la nécessité de laisser le ra-tionnel reprendre les commandes,de prendre le temps d’instaurer ànouveau une “connexion” plusrespectueuse de part et d’autre.Donc dire à l’enfant qui est fâchéque je préfère lui laisser retrouverson calme pour s’expliquer un peuplus tard et me reparler de toutcela. Ou que moi-même j’ai besoinde retrouver mon calme et ma sé-rénité pour pouvoir discuter en-suite ; et au besoin quitter les lieux(aller dans ma chambre, la salle

    de bain...). En classe, pas questionde sortir de la salle naturelle-ment ; on peut partager avec lesélèves ce qu’on ressent, et pren-dre un livre pour faire un temps depause ; ou alors marquer son dés-accord à l’élève irrespectueux,poursuivre le cours, et en reparlerseul avec lui à la fin. J’ai puconstater que souvent, devant desquestions ouvertes et sincères dela part de son enseignant, l’élèvequi se sent écouté explique sanshargne ce qu’il a ressenti ; parfoiss’excuse ; et nous avons pu parlerde façon plus apaisée, entamerun dialogue plus confiant, etmoins axé sur les reproches.

    éprouvé l’autre, voire être en em-pathie (sans pour autant excuserni approuver) change bien deschoses : poser des questions ou-vertes (et non culpabilisantes), re-formuler (“alors, tu éprouvaisceci ?”) permet de “poser desmots sur les maux”, et de quitterensuite l’aspect émotionnel pourpouvoir se concentrer ensemblesur la solution. Cette dernière doitêtre en rapport avec le problème,respectueuse des personnes, rai-sonnable, et positive (apporterquelque chose, être utile, béné-fique, aidante...). Si l’on y réfléchitbien, on voit que ce n’est quasi-ment jamais le cas de la “puni-tion” qui vient sanctionner unebêtise. La recherche communed’une solution doit permettre àl’enfant de rectifier l’erreur, de ré-parer la conduite inappropriée,tout en prenant confiance en lui.

    Des TEF (temps d’échanges enfamille) ou TEC (temps d’échangesen classe) planifiés et régulierspermettent de faire émerger denouveaux problèmes ou de revenirsur d’anciens (si la solution neconvient finalement pas, on peuten chercher une autre), d’encou-rager, d’impliquer au maximum en-fants ou élèves, de ne pasattendre les “crises” pour commu-niquer, bref de favoriser la coopé-ration et le dialogue : quoi de plusbeau et de plus essentiel à ensei-gner aux citoyens de demain ?

    Catherine RéaliniYvelines

    D’après les livres de Jane Nelsen(adaptés et traduits par Béatrice Sa-baté) : La Discipline Positive, éditionsdu Toucan, 2012 ; ou Poche Marabout,2014. Et La Discipline Positive pour lesadolescents, éd. du Toucan, 2014.

    Métier

    11Lignes de crêtes 2015 - 26

    Le maître mot :partager

    Partager son ressenti est impor-tant : “quand tu dis / fais..., alorsj’ai l’impression que..., je res-sens...” ; c’est ce qui crée uneconnexion, une relation vraie. L’en-fant sera sensible au fait quel’adulte cherche sincèrement à sa-voir, à comprendre ce qu’il a res-senti, ce qui l’a mis dans cet état.Se montrer curieux de ce qu’a

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  • France Info dans la voiture : çacontinue, encore une journéegrise et tremblante...

    J’arrive à la récréation de 10 h,les élèves, dans la cour du lycée,sont en train de prendre unephoto hommage, vêtus du blancde la paix et munis de pancartescharliesques. Je longe lesfresques de libre expression noir-cies d’émouvants messages. Descourts, des simples, des Je suisCharlie, des billets bien écrits, desdessins joyeux… trois ou qua-tre rares, tristes et iné-vitables ratures : unnullos “quenelle” aussi,un bêta “Dieudonné”et un dérangeant “la li-berté d’expressionquand ça vous ar-range”… Je me dis qu’ilreste du boulot !

    J’entre en classe,salue les élèves de ter-minale, leur lis la décla-ration rédigée par lesenseignants du lycée. Ungrand silence. Des yeuxrougis. Les miens aussidevant ceux de cette jeunesse at-tentive et émue. Je ne peux pasm’arrêter à la fin du message, jesens qu’il faut en dire plus. Jesens surtout que je vais flanchersi je laisse un nano silence.

    Alors je raconte ma tristesse,l’importance pour moi de parler decela avec eux, ce qu’est la libertéd’expression, ce que c’est quel’histoire qui recommence tou-jours pareille, les fanatiques s’enprennent en premier aux plus fra-giles, aux défenseurs de paix et detolérance. Que je peux compren-dre qu’on puisse être blessé dans

    sa foi par un dessin ou des motsmais que l’on doit quand même sebattre pour ce droit salvateur etgarant de la liberté. Et surtout qu’ilne faut pas offrir le plus beau ca-deau que quelques êtres à la dé-rive recherchent : fracturer etdiviser une société dont ils se sen-tent ou se sont d’eux-mêmes ex-clus. J’explique que Charlie est unjournal toujours premier dans lalutte contre le racisme, qu’un nu-méro sur ce thème se prépare,

    que l’arrogance de ces journa-listes n’a d’égal que leur humanitéet leur douceur. Qu’il est bien cy-nique que deux policiers chargésde les défendre dans leur droit àse moquer des forces de l’ordreaient payé de leur vie cette gran-deur de notre pays imparfait. Dansla classe des hochements de têteapprobateurs. Des pleurs. Des re-gards entre eux, qui en racontentdes histoires… Il y a là la plus belleexpression de la banlieue d’au-jourd’hui : des Français bienblancs, des élèves musulmans,

    français descendants d’algériens,turcs, marocains, des Antillais, desFrançais descendants du Mali oudu Burkina, des jeunes originairesdu Portugal ou d’Italie. Quelquesélèves juifs. Les élèves savent quependant qu’on parle il y a deuxprises d’otages, dont une à deuxpas d’ici, porte de Vincennes. LaA86 voisine nous arrose de si-rènes de pompiers et de police.

    Je laisse la parole.

    W : “Monsieur vous avez parléd’extrémistes, je n’aime pas cemot, ils n’ont rien à voir avec mareligion”… ?... Je ne comprendspas tout de suite. Échange. Je pigeenfin. “Tu as raison W., on ne de-vrait pas dire islamistes, ces gensn’ont rien à voir avec l’Islam”, ilfaudra inventer un autre mot.

    J’explique l’étymologie de reli-gion, religare, et du mot secte, se-care. Un élève : “Ma religion medit d’aimer mon dieu, Allah, maisje sais que c’est le même que le

    Aujourd’hui j’ai encore aimémon métier…

    Métier

    12 Lignes de crêtes 2015 - 26

    12-13 - Ldc26_Indica 10/03/2015 08:21 Page12

  • dieu des chrétiens et des juifs”.Moi : “oui, tous là sans trop savoirpourquoi, différents des animauxparce qu’on sait que notre pas-sage est éphémère, mais aussidifférents parce qu’on a la chancede pouvoir chanter, danser, ap-prendre, et… dessiner… se relier,religare”. “Ne laissez pas la haineet la peur s’emparer de vos bellespersonnes”. J’explique l’étymolo-gie en “phobie” des mots commexénophobie. Crainte et haine lesdeux complices. Les élèves ac-quiescent, ils connaissaient pourla plupart.

    Un élève : “Marine Le Pen veutrétablir la peine de mort”. Unautre : “qu’ils crèvent ces deux sa-lauds”. Moi : “si on s’en prenait àmon enfant j’aurais la mêmehaine, même envie de mort indivi-duelle. La force de l’homme en so-ciété c’est de différencierl’émotion personnelle et la gran-deur du collectif. L’abolition de lapeine de mort c’est comme ledroit d’expression, il n’y a pas dedemi-mesure, c’est à prendre enentier ou pas du tout”. Des sou-rires. Ou des moues.

    Un élève demande : “maispourquoi toujours des isla-mistes”. Je rappelle (comme jepeux…) l’histoire, la décolonisa-tion, les conflits au Moyen-Orient,dans le Golfe, en Irak, en Afgha-nistan. Je rappelle aussi lesheures sanglantes de l’Inquisi-tion, je rappelle que YitzhakRabin a été assassiné par un juifextrémiste (là aussi il faudraittrouver un autre mot).

    Je provoque : “c’est drôle qu’ilsne se soient pas plutôt attaquésau FN qui s’oppose à la construc-tion de mosquées”. Échanges.Une élève musulmane : “Normalils se rejoignent, ils ne sont pas làpour défendre le Coran mais justeleur gueule de tarés”. Échange surl’extrême droite. Je sens certains

    élèves mal à l’aise. J’explique quema plus grande tristesse, c’estque dans cette société dont je suischargé de participer au scelle-ment de la fraternité et de l’intelli-gence collective, des gens sesentent exclus et désœuvrés à cepoint pour se radicaliser dans leterrorisme. Que c’est dur pourmoi, un sentiment d’échec profes-sionnel. Que je connais des gensqui votent Front national, et qu’ils’agit souvent de gens qui se sen-tent abandonnés par tous lesbien-pensants, qu’il faut veillerplus que jamais à ne pas exclureet dédaigner quiconque. Je citemon René-Char-à-peu-près : “Il n’ya pas de fin, que des moyens àperpétuité”. On en discute. Cer-tains notent.

    Un élève bouleversé s’exclame :“mais pourquoi faut-il toujours s’enprendre à certains, à des commu-nautés, au nom d’une idéologie ?!”.Je cite (comme je peux encore)René Girard, La violence et lesacré, Le bouc émissaire. Desélèves notent le blase des bou-quins, “wesh ça a l’air frais”. Rires.

    On parle de la laïcité. Un élèveathée “c’est dommage tous cesrites différents selon les religions,ça fout la merde”. Unautre “ma foic’est pas lesrites”. Uneautre : “moije trouve çan o r m a ld’entendresonner lescloches d’égliseet d’en voir par-tout, c’est normalon est en France, y aune histoire ; c’estjuste dommage quecertains ne veulentpas qu’on nousconstruise quelquesmosquées”. Je ne dis rien.

    On évoque le problème “peut-onrire de tout”, on évoque l’inévita-ble Dieudo, j’essaie de faire desdistinguos en contextualisant, pasfacile.

    Je choisis de leur montrer qua-tre caricatures de Charlie que j’hé-sitais à sortir de mon sac. Là, je lesens, alors… Il y a là la célèbre“c’est dur d’être aimé par descons”, une autre avec “le FN achangé” et l’inscription “mort auxbougnoules” remplacée par “mortaux gens de couleur”, une troi-sième “le dîner de cons”, une Cèneavec Jésus entouré d’intégristescatholiques (qui voulaient censurerGolgota Picnic), une dernière avecun rabbin radin à propos du conflitisraélo-palestinien. Pas de hurle-ments ni de scandale, on les com-mente doucement, on prend letemps. J’explique à W : “tu vois‘c’est dur d’être aimé par des cons’dit exactement la même chose quetoi tout à l’heure à propos de ceuxqui détournent ta religion”.

    Ça sonne. Je remercie les élèvesde leur écoute respective, de leurintelligence, de leur participation.Ils sortent en silence. Il y a desyeux encore humides. Et des sou-rires. De nombreux : “au revoirmonsieur, merci beaucoup”. Au-

    jourd’hui j’ai encore aimé monmétier (même si Isaac New-ton et Galilée attendront leprochain cours). Avec le pri-vilège de recevoir une telleénergie de mes élèves de

    terminale. Et de me sentirétoffé de leur humanité.

    J’avais besoin de l’écrire, etd’allumer cette loupiotte, dérisoireen cette violente journée.

    Philippe HandtschoewerckerProfesseur de physique chimie

    lycée Pablo PicassoVal-de-Marne

    Vendredi 09 janvier 2015

    Métier

    13Lignes de crêtes 2015 - 26

    12-13 - Ldc26_Indica 10/03/2015 08:21 Page13

  • Église et Foi

    14 Lignes de crêtes 2015 - 26

    “Voici que je vous envoiecomme des agneaux au milieudes loups” dit Jésus. Fréquenterles loups avec la pédagogie desagneaux. Pas en maso ! Je peuxvous dire que ça désarme ! Mar-cellin Champagnat1 répétait sou-vent : “Je ne puis voir un enfantsans avoir envie de lui dire com-bien Dieu l’aime”. Aimer, vous lesavez bien, c’est pas que des dis-cours ! Il faut que ça se voie !Concrètement, je suis présent aulocal de l’aumônerie de 9h30 à17h30, et parfois plus. Les jeunesle savent. Parfois certains me de-mandent de venir plus tôt. Être là,simplement pour eux. Dès qu’unjeune arrive, je laisse le travail encours, pour être tout à lui. Je dissouvent : “le mot présent est sy-nonyme de cadeau, votre pré-sence est un cadeau quotidien !Votre présence est un cadeaupour les autres !”. Dans un mondeoù tout va très vite, il est bon defreiner : c’est la technique du bonSamaritain, quand ses collèguesont mis plein gaz !

    Toujours accueillir, s’intéresserà la vie de ceux ou celles qui fran-chissent le seuil. Trouver despoints communs entre eux, entreeux et moi. Tout cela crée desliens : c’est ce que j’aime dans lemot religion, tisser des liens entreles hommes et avec Dieu. Tout cequi nous divise, ne vient ni de lareligion, ni de Dieu !

    Vous imaginez bien que tout celane peut fonctionner sans uneconfiance absolue et réciproque. Jeme fais souvent avoir, mais je re-donne encore et toujours cetteconfiance. Vous savez mieux quemoi que c’est la base de l’éducation.

    Écouter, toujours écouter etquand il le faut, demander desnouvelles.

    Du coup, étant dans leur école,ils sont naturels et m’apprennentbeaucoup. Quand un gamin sesent écouté et respecté, il enre-gistre, et fait de même avec lesautres.

    Tout cela m’émerveille, maprière est peuplée de leursvisages.

    Aujourd’hui, il n’est plus possi-ble d’être chrétien à moitié : beau-coup l’ont compris !

    J’ai une chance énorme de par-tager le quotidien de tous cesjeunes. Nous passons souvent dutemps dans la salle de prière. Sou-vent en silence. Pourtant ce n’estpas leur truc, mais il est toujoursapprécié, même s’ils en ont trèspeur. Pendant le carême, on par-tage l’Évangile du week-end avantle pique-nique au moment où lesestomacs gargouillent. Tout celaest possible grâce au “vivre avec”,à un a priori favorable, uneconfiance à toute épreuve. Un adoa le droit d’évoluer, de grandirmême dans une direction qu’on

    ne souhaite pas. Beaucoup sesentent tellement abandonnés,jugés, ou se jugent eux-mêmes. Ilnous faut rester sur les failles.Elles ne sont pas encore des cas-sures. C’est dur, mais il le faut. Ilm’arrive, quand il s’agit d’aider unélève, de mettre 2-3 de ses amisdans le coup, pour l’aider et pourprier pour lui ou elle. Ils sont flat-tés de cette confiance, et sont100 fois plus efficaces que moi,pour le tirer d’affaire.

    Les liens avec laparoisse

    À Saint Chamond, les trois au-môneries que j’animais étaienttoutes, sous, sur ou à côté d’uneéglise. Arrivé à Saint Étienne, jeme sentais assez seul. Pour moi,la création des paroisses nou-velles a été une grande avancée.Tous ceux qui ont une lettre demission font partie de l’équipepastorale où tout se décide. Ducoup, l’aumônerie ne navigue pasen parallèle. Aux Dimanches PourTous (DPT) mensuels nous avonsparfois 40 lycéens. De 9h à 12h,alors que leurs parents sont en-core sous la couette. Nous bénéfi-cions du soutien de toute laparoisse : dans la prière liturgique,dans les actions financières ou lesaménagements divers du local,mais aussi dans l’évangélisationde tout ce petit peuple. Les invita-tions sont relayées par beaucoup

    Ce qui m’enthousiasme etm’émerveille

    Voici un extrait de l’intervention “ Du côté des jeunes, leur rapport au passé et à l’avenir”de Jean-Louis Vialaton, faite à la session “Faire mémoire” de septembre 2014. On peuttrouver le texte complet sur le site CdEP.

    14-16 - Ldc26_Indica 11/09/2015 14:07 Page14

  • Église et Foi

    15Lignes de crêtes 2015 - 26

    Je crois très fort que les commu-nautés ne doivent pas attendred’être parfaites pour marcher en-semble. La paroisse telle qu’elleest, les jeunes acceptés tels qu’ilssont. Sinon, on n’avancera jamais !

    Les relations avecl’établissement

    J’ai connu cinq proviseurs etquatre principaux. Les liens onttoujours été excellents. L’aumône-rie, c’est l’aumônerie de l’établis-sement… pas seulement de ceuxqui traversent la rue pour s’y réu-nir ! C’est pour moi très impor-tant ! Dès qu’un jeune a unproblème, j’en réfère aux respon-sables. On cherche ensemble unesolution : je suis témoin del’énorme disponibilité de tout cemonde, vis-à-vis des jeunes. De-puis 20 ans, au lycée, je fais partiedu CESC (Comité d’ÉducationSanté, Citoyenneté) invité par leproviseur.

    Les jeunes fontpeur…

    Quand la pastorale diocésainede la santé réunit ses animateurs,il y a plus de 300 personnes…Pour la pastorale scolaire, noussommes 70 ! L’évêque est le pre-mier à le déplorer. À la paroisse,pour le primaire, 50 adultes. Au-mônerie : 2-3 ! Les jeunes fonttrembler ! Le pape François necesse de marteler que l’Église doitse tenir aux frontières, et doit allerau-devant des gens ! Les jeunesnaviguent dans des cultures trèsdifférentes. C’est une richesse !Dans notre société, nous vivonsavec des personnes qui se disentathées, ou d’une autre religion, oud’une autre manière de suivreJésus-Christ. Parfois dans nos fa-milles. L’aumônerie est un deslieux où tout cela peut s’exprimer,dans un immense respect et sur-tout dans la fraternité. Un lieud’entraînement, qui engage l’ave-nir. Je dis souvent : “Méfiez-vous

    de monde. Ceux qui viennent àl’église repartent avec le prénomd’un jeune à soutenir dans laprière jusqu’à la confirmation, lebaptême ou la communion. Nousen rendons grâce à Dieu. Nouslançons des invitations à tour debras, par internet, SMS ou lebouche à oreille. C’est usant.Nous n’avons jamais rencontréd’hostilité, bien au contraire, cer-tains sont heureux qu’on pense àeux. Nous essayons de penser auxanniversaires. Dieu nous aime : ilfaut qu’on puisse le sentir. SaintBernard disait : “Ce que tu fais crieplus fort que ce que tu dis !” Laconfirmation est intégrée à unDPT, et tout le monde participe àla réflexion, avant la célébration.Les fruits sont excellents. Desliens intergénérationnels secréent, des jeunes prennent leurplace dans la liturgie dominicale(musique, lectures, sacristie…).L’aumônerie est donc prise dansun réseau incroyable ! Le Groupe-ment de parents organise mille etune opérations pour soutenir lefonctionnement. Ce qui me laisselibre pour être toujours au plusprès des jeunes.

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    16 Lignes de crêtes 2015 - 26

    comme de la peste des gens quiveulent vous monter les uns contreles autres”. En début d’année, ungroupe de 1ères arrive avec Robin.On échange. L’humoriste de labande le présente comme “athée”,en se moquant gentiment de lui.J’interviens en disant “il a bien ledroit”. Robin nous explique : “per-sonne ne m’a jamais parlé deDieu” ! Silence ! Et chacun a ex-primé qui est Dieu pour lui.

    Marcellin Champagnat1 s’est dé-cidé à fonder les frères après larencontre de Jean-Baptiste Mon-tagne 17 ans et mourant. Ce jeunelui avait dit : “Dieu c’est qui ?”… Àl’aumônerie, les chrétiens sontmajoritaires, mais ils ne sont pastous catholiques. Évangélistes, Ar-méniens et Orthodoxes font bonménage. Un vendredi, un jeuneTurc et un Arménien mangeaientcôte à côte. Dans la conversation,bien entendu, le génocide de1915 a été évoqué. Calmement,et ça n’a pas modifié l’ambianceamicale du groupe de 1ères (STMGSciences et Technologies du Ma-nagement et de la Gestion et ST2SSciences et Technologies de laSanté et du Social). Certains mu-sulmans viennent par amitié, etsont accueillis tels qu’ils sont.

    Les jeunes musulmans que jefréquente depuis des années mé-ritent aussi qu’on les aide à ap-profondir leur culture et leur foi.Mais ce n’est pas à moi de le faire.Je crois beaucoup au “vivre avec”qui est un des piliers de la spiri-tualité mariste, et je sais que çafait des miracles. Nous sommesen présence d’une faille. Beau-coup voudraient qu’elle devienneune vallée infranchissable. Jean-Paul II proposait que les aumône-ries soient largement œcuméni-ques. Au lycée Honoré d’Urfé, elles’élargit à l’interreligieux et à ceuxqui se disent athées (Benoît XVIparlait du parvis des gentils).

    Les jeunes eux-mêmes

    Au niveau collège, un noyau durfait le maximum pour inviter lescopains, à temps et à contretempscomme dit St Paul. Pour eux c’esttrès dur : en 6e, la moitié et parfoisplus ont des prénoms musul-mans… mais des Kévin ou desMickaël le sont souvent aussi, mu-sulmans… Dur parce qu’ils sonttrès souvent agressés verbale-ment “ta religion, c’est pas labonne”… Les petits sont les plusagressifs ! Même avec moi !Quand on arrive à créer un dia-logue, ils changent de ton. Je suisconvaincu que ces gamins sont té-léguidés… Par qui ? Certainesmosquées vont dans ce sens-là.Mais surtout les sites internet.Allez voir, par curiosité, toutes lesâneries racontées sur les chré-tiens, sur Jésus… Que ça plaise ounon (en France, c’est un sujettabou !…) les jeunes sont modeléspar ce quotidien, qui ne baignepas spécialement dans l’Évangile !

    En 4e-3e, les relations sont bienmeilleures. Beaucoup plus de 3e

    fréquentent l’aumônerie. Cetteannée six jeunes seront confirmésfin septembre.

    En Lycée, c’est carrément l’inva-sion. Les jeunes eux-mêmes invi-tent à tour de bras, sans problème.C’est une vraie richesse. Le recru-tement dépasse largement lequartier, à cause des options et del’internat : c’est très intéressant.Certains lycéens passent trois ouquatre fois par semaine. L’an der-nier, 160 lycéens fréquentaientl’aumônerie. Nous proposons àtous de créer ou de participer àune fraternité, entre trois et huitmembres. Les collégiens serontsans doute plus nombreux cetteannée grâce à l’arrivée d’une quin-zaine de 6e, fruits des DPT !

    Une vingtaine de BTS (ils sont400) fréquentent aussi l’aumône-rie. Dans cette ambiance catho-lique, c‘est à dire “universelle”,l’évangélisation se fait au raz despâquerettes, par l’accueil, le par-tage autour d’un café, la lecturede Saint Luc, les témoignages desuns et des autres… Les demandesde sacrements fleurissent sur ceterreau. Après 17 h, plus rien n’estpossible sinon pour des tempsforts exceptionnels. Tout se joueentre 9 h et 17 h 30 ! Cela exigeune grande disponibilité, qui ef-fraie les éventuels successeurs.

    La prière est aussi très pré-sente : l’oratoire est au cœur de lamaison, et tout le monde passedevant. Le Seigneur y est présent.Porte ouverte : personne ne peutle rater ! Une fois par mois, un sa-medi matin, le “déjeune-qui-prie”rassemble ceux qui le désirentpour venir louer le Seigneur et in-tercéder pour les copains. Les an-ciens continuent de venir. Lescandidats aux sacrements y sontfortement invités.

    Priez pour eux, et là où vousêtes, soutenez les aumôneries :c’est la graine de moutarde quipeut devenir un grand arbre, oùles oiseaux du ciel pourront être àl’aise ! Même les drôles d’oi-seaux ! Et encore une fois, vivreavec les jeunes, ce n’est jamaisune question d’âge !

    Frère Jean-Louis VialatonFrère mariste

    Aumônier du Collège-Lycée Honoré d’Urfé à Saint Etienne

    1/ Marcellin Champagnat (1789-1840), est le fondateur de la Sociétédes Petits Frères de Marie, dits FrèresMaristes pour promouvoir l’enseigne-ment primaire dans les campagnes.

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    Ce dont souffrent les plus lespauvres, ce n’est pas seulementde la faim, de la pauvreté, de nepas pouvoir réaliser leurs rêves,c’est de la misère, voire de l’ab-sence de relations : un manqued’intérêt, absence de regard, desourire. Regarder l’autre, c’est luidire : “je t’ai vu, tu n’es pas trans-parent, tu existes”. Par notre re-gard, nous pouvons faire existerquelqu’un.

    Dans notre civilisation et notreculture tant marquées par l’image,les images (réelles, virtuelles, tru-quées, corrigées), la vue a pris ledessus sur les autres sens. Ungrand nombre de personnes ontfait leur ce que l’apôtre St Thomasa répondu à ceux qui lui annon-çaient que Jésus était ressuscité :“Si je ne vois pas… je ne croiraipas”. (Jn 20,25 b). À l’ère desconseillers en communicationaussi bien en politique que chezles grands dirigeants écono-miques, notre société cherche àcontrôler son image. Quelle imagevoulons-nous donner ? Quelleimage donnons-nous ?

    Adopter le regard duChrist, regarder commeJésus

    Quel est ce regard particulier deJésus ? Ne pas nous tromper (À lasynagogue de Nazareth : “N’est-cepas là le fils de Joseph ?”(Lc 4, 22 c), “N’est-il pas le fils ducharpentier ?” (Mt 13, 55) ; onveut le faire roi après la multipli-cation des pains (Jn 6, 15a)…)sinon nous regarderons mal ou neregarderons que le mal à réformerou changer chez les autres, etnotre conversion sera erronée.

    Le regard duChrist dans les

    ÉvangilesDans les Évangiles, il est ques-

    tion à bien des reprises du regardde Jésus, soit sur des personnesprécises, soit sur la foule. Le verbe“voir” revient plus que “regarder”.On les trouve dans Mt : 13 fois,Mc : 22, Lc : 19, Jn : 12.

    Selon la déclaration de Jésus -“le Père et moi, nous sommesun” (Jn 17,21) - le regard deJésus nous fait entrer dans celuidu Père.

    Des exemples dans Gn 1 : “Dieuvit que la lumière était bonne”,“Dieu vit ce qu’il avait fait. C’étaitbon.”. Après la création del’homme et de la femme créés àl’image de Dieu et à la fin du 6e

    jour : “Dieu vit tout ce qu’il avaitfait. C’était très bon”. On y recon-naît et y discerne un regard pater-nel de bonté et reconnaissant dutravail bien fait pour tout ce qui aété créé par la Parole de Vie. Il fautsavoir s’auto-complimenter sur cequ’on a bien fait.

    Jésus nous fait découvrir le re-gard de son Père dans la paraboledu père et des deux fils (Lc 15, 11-32) : comme les deux fils ne per-çoivent pas le regard paternel sureux, ils le rejettent et se trompenteux-mêmes : l’aîné voit son pèrecomme un maître ou un chef, etson frère revenu comme un gê-neur avec qui il va falloir partager ;le cadet ‘tue’ son père en récupé-rant son héritage financier, et cen’est que loin de lui que sa pré-sence, son amour, son regard vontlui manquer. Il s’est maltraité, puisil a été maltraité : pas reconnu parle regard des prostituées qui s’api-toient sur son manque d’amour,pas reconnu par le regard dupaïen qui l’emploie à garder sesporcs, pas reconnu par le regarddes porcs qu’il garde. Ce n’estqu’en rentrant qu’il va trouver levrai père : pas celui dont il s’étaitfait une fausse image, mais celuiqui l’engendre à la vie, lui rend lavie, l’accueille pour une nouvellevie. C’est le regard du père quiscrute l’horizon dans l’attente duretour du cadet. Il invite l’aîné à re-trouver son frère et à le considérercomme tel, à lui laisser une placedans sa vie, à retisser une relationavec lui.

    Cet article n’est qu’un extrait de la réflexion/méditation proposée par OlivierJoncour aux enseignants en activité au cours de leur session d’août 2014.Le commentaire de texte biblique des pages 40 et 41 provient également de sonintervention

    Regard du Christ

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    C’est un problème de juste dis-tance, et de mise au pointcomme en photo : si on est tropprès, ou trop loin, on risque quece soit flou.

    Regard de Jésus, aprèsle triple reniement dePierre :

    Pierre avait affirmé, avec force,qu’il n’abandonnerait jamais sonmaître. Mais lorsqu’une servantele soupçonne d’être disciple deJésus, il jure trois fois de suite qu’ilne le connaît pas. Juste après le 3e

    reniement, le texte nous dit : LeSeigneur se retourna et regardaPierre (Lc 22, 61). Ce regard queJésus pose sur Pierre ressemble àcelui qu’il avait posé sur le jeunehomme riche : “Alors Jésus fixasur lui son regard et l’aima”.(Mc 10, 21). Dans le récit de laPassion, selon saint Luc, Pierrerenie Jésus à trois reprises. “LeSeigneur s’étant retourné regardaPierre”, alors, “Pierre sortit etpleura amèrement”. Jésus a prisl’un et l’autre en “flagrant délit deregard”. Coup de projecteur sur lafigure de Pierre. Comment pou-vons-nous affirmer qu’il n’y avaitni reproches ni jugement dans ceregard, mais seulement del’amour ? Si Jésus, cloué sur lacroix, a prié son Père de pardon-ner à ceux qui l’avaientcondamné et crucifié (Lc23, 34), il est certainqu’il a regardé Pierreavec compassion,même après son re-niement. Ce qui leconfirme, c’estqu’après sa résurrec-tion, Jésus considère toujoursPierre comme son disciple (Jn 21).

    Jésus regarde Pierre en “fla-grant délit de reniement”. Pierreest bouleversé, il pleure amère-ment. Pleurer ainsi révèle une cer-taine forme de noblesse : on

    reconnaît ce que l’on est vraiment.Le Pape François a fait une homé-lie sur les larmes : il y a des larmesde douleur, de regret, de joie, denoblesse… La douleur d’amour dePierre, c’est de prendreconscience qu’il n’est pas à lahauteur de l’amour qu’il prétendavoir pour Jésus. Souvent Jésusnous prend en flagrant délit de fai-blesse. Il voit notre part d’ombre,et c’est à partir de là qu’il vaconstruire.

    Autres exemples duregard de Jésus :• Un regard d’amour : Marc 10,

    17-22, la rencontre avec le jeunehomme riche.

    •Un regard plein de grâce : Luc 7,36-50 met en opposition le regardde Jésus et celui de Simon le phari-sien face à la femme pécheresse.

    • Un regard en tête à tête : Jean8, 1-11 nous relate la rencontrede Jésus avec la femme adultère.(cf. Lignes de crête n° 17 p.45,session de Vannes 2012)

    • Un regard qui permet de fairela vérité sur sa vie : Luc 19, 1-11Zachée, le chef des collecteursd’impôt de Jéricho (cf. l’article deJean-Louis Gourdain p. 24)

    voient (“Dans la mesure où vousl’avez fait à l’un de ces petits demes frères, c’est à moi que vousl’avez fait” Mt 25, 40).

    Et je n’ai pas parlé de tous cesaveugles à qui Jésus a rendu la vue(Mc 8, 22-26, Mc 10, 46-52, Jn 9).

    Jésus voit les personnes dansl’espérance : il voit toujours danscelui qu’il rencontre un extraordi-naire possible. Il lui arrive mêmed’y discerner quelque merveillesecrète dont la contemplation leplonge dans l’action de grâce.

    Il ne dit pas : “Ce Judas ne serajamais qu’un traître”. Il l’embrasseet lui dit “Mon ami” (Mt 26, 47-50). Il ne dit pas : “Ce fanfaronn’est qu’un renégat”. Il dit : “Pierrem’aimes-tu ?” (Jn 21, 15-19). Il nedit pas : “Ces grands prêtres nesont que des juges iniques, ce roin’est qu’un pantin, ce procurateurromain n’est qu’un pleutre, cettefoule qui me conspue n’est qu’uneplèbe, ces soldats qui meconspuent ne sont que des tor-tionnaires”. Il dit : “Père, par-donne-leur, car ils ne savent pasce qu’ils font” (Lc 23, 34).

    Jésus n’a jamais dit : “Il n’y arien de bon dans celui-ci, danscelui-là, dans ce milieu-ci, dans cemilieu-là.” De nos jours, il n’aurait

    jamais dit : “Ce n’est qu’un inté-griste, qu’un moder-niste, qu’un gauchiste,qu’un fasciste, qu’unmécréant, qu’unbigot”. Pour lui, lesautres, quels qu’ilssoient, quels quesoient leurs actes,

    leur statut, leur répu-tation, sont toujours des êtresaimés de Dieu.

    Jamais homme n’a respecté lesautres comme cet homme. Il estunique. Il est le Fils unique decelui qui fait briller son soleil surles bons et sur les méchants.

    En conclusion de cette partiesur le regard de Jésus dans lesÉvangiles, nous pouvons retenirqu’il est bienveillant, encoura-geant, optimiste, qu’il exprime latendresse du Père, qu’il nous per-met de voir depuis le Ciel. Jésusvoit au-delà de ce que les hommes

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    Le regard deJésus sur moi

    Nous n’avons peut-être jamaisfait l’expérience de ce regard surnous. Peut-être ne l’avons-nous ja-mais senti. Pourtant, rien ne nousinterdit de penser que Jésus nousregarde aussi. À cette idée, com-ment nous sentons-nous ? Noussentons-nous mal à l’aise de savoirque Jésus peut lire dans notre cœuret tout connaître de nous, façon re-gard inquisiteur ou voyeur ? “L’œilétait dans la tombe et regardaitCaïn” (V. Hugo La conscience, in Lalégende des siècles).

    Si cela nous rend mal à l’aise,cela veut dire que nous avons en-core peur de Dieu. Lorsque nousessayons de dissimuler à Dieu desactes, des attitudes ou des pen-sées dont nous avons honte, celaveut dire que nous avons peur queDieu nous juge et nous punisse.En agissant ainsi, nous restons en-fermés dans notre culpabilité !Cela peut vouloir dire aussi quenous aimerions pouvoir vivre en luicachant des choses ou des situa-tions contraires à l’esprit del’Évangile. Cela montre que nousaimerions pouvoir vivre en dés-obéissant à Dieu, tout en essayantde passer pour de bons chrétiens !Dans les deux cas, ce n’est pas leSaint-Esprit qui nous guide ! Dansles deux cas, nous sommes pri-sonniers du péché !

    Il faut considérer, au contraire,que c’est une grâce que Jésuspuisse lire en nous. En effet,puisqu’il connaît tout de nous,nous ne commettons plus l’erreurd’essayer de dissimuler nosfautes, de les minimiser et ainside nous enfermer dans la culpabi-lité ou le péché. Le fait qu’ilconnaisse tout de nous, et queson regard ne nous juge pas, nouspermet de venir librement vers luipour lui demander et recevoir son

    pardon. Plus nous désirons que leregard du Seigneur pénètre ennous, plus nous sommes libérésdes pièges du péché, et plus nousdécouvrons que c’est un regardd’amour que Dieu pose sur nous.

    Cependant, je pense qu’à unmoment ou à un autre, même sinous l’avons oublié, chacun denous dans sa vie, a senti ce regardet pas seulement une fois. Peut-être à travers la personne d’un prê-tre (qui nous a pardonné nospéchés), d’amis. Tous, nous noustrouverons face à ce regard mer-veilleux, cet ultime regard de Jésussur notre vie qui sera pour toujourscomme le dit Job : “Je sais, moi,que mon libérateur est vivant, etqu’à la fin il se dressera sur lapoussière des morts ; avec moncorps, je me tiendrai debout, et demes yeux de chair, je verrai Dieu.Moi-même, je le verrai, et quandmes yeux le regarderont, il ne sedétournera pas” (Jb 19, 26-27a).

    Comprendre le regard que Dieupose sur nous (comment Dieunous regarde) peut nous aider àsaisir combien le connaître est unplus dans notre vie. Cela changecomplètement notre vie. Dieu veutque nous acceptions son regardd’amour envers nous. Il ne nouslaisse pas seuls. Il nous donne lapuissance pour aller vers ceschangements.

    Alors, accueillons sonregard

    Comme la femme adul-tère, accueillons ce regardde Jésus qui s’abaissepour nous dire : moi nonplus je ne te condamnepas ! (Jn 8, 11). Commele lépreux, la Samari-taine, Mathieu lorsqueJésus l’appelle, Pierreaprès avoir reniéJésus, le bon larron,Marie à la Croix…

    Fermons les yeux et accueillonsen nous-même ce regard du Christqui guérit, relève, console, délivre,restaure… Le regard de Dieu surmoi-même est un regard de bonté,de tendresse et de miséricorde.Jésus ne voit que le beau et le bonen chacun de nous et cela nousguérit. Laissons-nous réconcilieravec Dieu, laissons-Le nous regar-der, laissons-Le vivre en nous etlaissons-Le nous sauver !

    Puisque, lorsque Jésus regardequelqu’un, c’est toujours un re-gard d’amour qu’il pose sur lui, ilest très important que nous com-prenions cela pour nous-mêmes :le regard que Jésus pose sur cha-cun d’entre nous est un regardd’amour.

    C’est aussi celui qu’il pose surnous quelle que soit notre condi-tion. Avant que nous ayons choiside le suivre, Jésus nous regardaitdéjà avec plein d’affection. Ce re-gard peut faire, dans nos vies,toute la différence car il ne jugepas, ne critique pas, ne condamnepas. Il est gratuit. Il accompagne,invite à réfléchir et à avoir un autrebut dans la vie.

    Réfléchissez à ceregard

    Il nous faut accueillir Jésus,mais pas comme Simon le Phari-sien, pour avoir une juste connais-sance de nous-mêmes. Lui seulest capable de débusquer notre

    orgueil, notre propre jus-tice et notre suffisance

    derrière notre masqueet nos apparences.Dieu veut nous ren-contrer dans un re-gard de cœur àcœur, et c’est ainsiqu’il nous invite à

    rencontrer autrui,l’autre qui peut êtresi différent de moi.

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    Le regard de Dieu sur moi, estun plus dans ma vie. Comme pourZachée, en accueillant le regardde Jésus dans ma vie, cela mepermet d’avoir une juste connais-sance de moi.

    Savoir que Dieu me regardeavec ce regard plein de grâce mepermet de venir à ses pieds, tel(le)que je suis, comme la femme pé-cheresse avec son vase de parfumprécieux. Je peux surtout ne plusm’inquiéter de ce que vont penserou dire ceux qui m’entourent.

    Jésus nous enseigne et aprèsnous invite à choisir.

    Connaître Jésus me permetd’être délivré(e) des fardeaux (telsque la culpabilité, mes mauvaischoix, mes colères...) les pluslourds, il me rejoint là où je suis etm’invite à ce changement. Cen’est pas non plus le regard d’unDieu Horloger qui regarderait duciel le spectacle se dérouler surterre. Au contraire, Jésus seulveut me restaurer, d’ailleurs,lui seul peut le faire si j’ac-cepte de me laisser guider.

    Dieu ne menace pas à tra-vers sa parole, mais nousdonne un signal d’alarme pournous détourner du péché et deses conséquences humaines etspirituelles. Lorsque le signal so-nore de votre détecteur de fuméeretentit, ce n’est pas le signal so-nore qui vous menace, c’est lafumée qui risque de vous as-phyxier. C’est la même chose pourla parole : quand il y a danger deprendre le mauvais chemin, la pa-role nous le signale. À chacun denous d’en tenir compte !

    Cette parole pénétrante estaussi donnée aux hommes pourles guérir. Les guérir du découra-gement, de l’incrédulité, d’une foivacillante, des peurs multiples, del’angoisse de la mort, du manqued’estime de soi, de l’orgueil, du

    mensonge, de l’hypocrisie, de lafascination du pouvoir ou de l’ar-gent, de souvenirs traumatisants,des séquelles du rejet, des sé-quelles d’une enfance volée, de larancune, du non-pardon… Beau-coup d’autres situations sont au-tant de boulets que nous traînonsdans nos vies, qui nous paralysentet nous rendent plus ou moins pri-sonniers. Dieu connaît ces situa-tions et veut que nous en soyonsguéris, libérés, délivrés pour fairede chacun de nous des serviteurset des servantes du Christ, libres(Lc 4,17-18 et 21). Aujourd’hui en-core, le regard de Jésus peut bou-leverser la vie d’un homme, d’unefemme, quel que soit son âge, etquel que soit son parcours avantcette rencontre décisive. N’ayonspas peur du regard de Jésus surnous ! C’est un regard libérateur,un regard d’amour.

    Jésus nous dit :Tu es mon fils, tu es ma fille bien

    aimé(e) en qui j’ai mis tout monamour. Si tu savais comme tu esbeau (belle), comme je t’aime. Jeveux plonger mes yeux dans tesyeux, afin que tu regardes lemonde, tes frères, comme moi jeles regarde. Je porte dans mon re-gard toute la tendresse du Père, lacompassion de l’Esprit-Saint. Moi,la Parole, je suis venu plonger mesyeux dans ceux de l’homme surcette terre afin que l’homme re-

    garde vers son Dieu et goûte cetteinfinie bonté qui relève et qui gué-rit son cœur. Laisse-toi regarder,car je veux partager et vivre avectoi. À chaque fois que nous nousregardons, toi et moi, c’est mondivin amour qui te pénètre, et toi,à ton tour, tu peux enflammer demon amour les cœurs délaissés !

    Convertir sonregard

    Quel est mon regard sur les au-tres, la société, ma famille, monhistoire, mes contemporains, mesélèves, leurs parents, mes col-lègues ? Optimiste, pessimiste,juste, plein d’espérance, mé-fiant ? ... Attention à l’erreur de ju-gement et à la paille dont nousfaisons une poutre dans la vie del’autre, et à la poutre dans notrepropre regard (cf Mt 7, 1-5). En

    effet, l’œil est le miroir de notreâme (cf Mt 6, 22-23).

    Lorsque nous regardonsquelqu’un, nous pouvonsfaire passer une grande va-riété de messages sans pro-noncer un seul mot : amour,joie, surprise, incrédulité, in-différence, peur, moquerie, co-

    lère, mépris, haine… Nosregards sont comme nosmots : ils sont capables de

    construire ou de détruire unêtre, de le rassurer ou l’inquiéter,l’encourager ou le décourager.

    Demander la grâce quemon regard deviennecelui de Jésus

    Le regard que nous portons ouqui est porté sur nous est qualifiéde mille et une manières commeen témoignent les adjectifs noir,malicieux, expressif, hautain... ou lesexpressions telles qu’un appel du re-gard, fusiller du regard, “je ne nommepersonne, suivez mon regard”.

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    Ce qui a fait écrire à GeorgesBernanos : “Ce que la voix peut ca-cher, le regard le livre”.

    Dans sa lettre de Carême 2012,le pape Benoît XVI se demandaitce qui empêche le regard d’êtrehumain et affectueux envers lefrère. Il répond : “Ce sont souventla richesse matérielle et la satiétémais c’est aussi le fait de fairepasser avant tout nos intérêts etnos préoccupations personnels.Jamais, nous ne devons-nousmontrer incapables de ‘fairepreuve de miséricorde’ à l’égardde celui qui souffre ; jamais notrecœur ne doit être pris par nos pro-pres intérêts et par nos problèmesau point d’être sourds au cri dupauvre”.

    L’enjeu, c’est la conversion demon propre regard sans attendrecelui des autres. Autrement dit,parce que j’aurai changé de re-gard, le regard des autres pourraaussi changer. Demandons donc àJésus de regarder les autres avecses yeux. Il s’agit également devoir les autres réels et pasce que je m’imagine sureux, notamment en neretenant que ce quim’insupporte ou ce quim’exaspère.

    Comme Don Bosco,grand pédagogue duXIXe siècle, auprèsdes enfants des quar-tiers pauvres, qui nousinvite à regarder cequ’il y a de bon chez lapersonne et la fairegrandir même si cen’est que 5%, plutôtque critiquer oucondamner ou reprocher ou insis-ter sur les faiblesses. Il s’agit dechercher à voir le trésor, parfoisbien caché sous la carapace ouderrière la muraille, que Dieu amis en cet élève et que je n’arrivepas encore à voir.

    Chez les Orthodoxes, ce sont lesicônes qui nous regardent : le Cielregarde la terre pour que la terreconvertisse son regard sur la terreet le Ciel. En regardant une icôneou un(e) saint(e), je regarde unepersonne qui a été transforméepar le Seigneur.

    Comme pour les habitants deNazareth vis-à-vis de Jésus, nouscourons le risque du regard habi-tué, notamment avec les frères ousœurs d’élèves dont nous avonspu avoir l’aîné en classe. Nous ris-quons de les ‘clôner’, de considé-rer que le(s) suivant(s) est/sontcomme le(s) premier(s) : il estcomme son frère / sa sœur.

    Comme au cinéma, il s’agitd’élargir notre regard sur une per-sonne : du gros plan au planlarge : de ‘je le connais par mamatière’ à ‘toute sa vie (famille,amis, loisirs, autres matières, …)’ ;

    foule, la femme aux pertes desang qui est guérie après avoirtouché le vêtement de Jésus).

    Notre regard sur les autres peutconditionner ce qu’ils vont devenir.“On le sait aujourd’hui : quand onenferme quelqu’un dès son plusjeune âge dans un jugement sursa nature profonde – qu’on pré-tend connaître de source divine -,il le croit sur parole. C’est joueravec le feu : il lui sera difficile degrandir hors des œillères que lesautres lui ont mises. L’enfant seconstruit en relation étroite avecses proches – leur regard sur lui,l’image qu’ils lui renvoient de lui-même. […] Comment s’étonner que,devenu adolescent puis adulte, ilagisse en conformité avec ce qu’onlui a toujours dit qu’il était ?” (LyttaBasset Oser la bienveillance AlbinMichel, p. 33 - cf. l’article de Jean-Louis Gourdain p. 24).

    Donnons-Lui notreregard

    Quittons notre regard.Nous sommes trop sé-vères (ou laxistes) avecnous-même et avec lesautres. Reconnaissonsque nous manquonsde sagesse et que sou-vent nous siégeons enjuge… Le soupçon etl’accusation habitenten chacun de nous telAdam qui répond auPère : C’est la femmeque tu m’as donnée qui

    m’a donné dufruit de l’ar-

    bre, et j’aimangé ! (Gn 3,

    12). Notre regard accuse et dé-forme et nous percevons Dieu, lemonde et nous-mêmes comme àtravers une vitre sale. Nos yeuxportent un filtre invisible, avec sescodes, ses lois, ses a priori… Alorsfermons les yeux pour les donner

    et aussi de concentrer notre re-gard : du plan général au grosplan, en passant du regard circu-laire sur tous les élèves de laclasse (la foule pour Jésus) à cha-cun en particulier (Zachée dans la

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  • Quel est le regard de mes élèvessur moi ? De mes collègues, sur-tout quand ils savent que je suiscatho ? D’amis cathos qui saventque j’enseigne dans l’enseigne-ment public ?

    À certains moments, il s’agitaussi d’aider les parents à changerleur regard sur leur(s) enfant(s), àleur dire ce que vous voyez grandirchez eux, ce qu’il y a de positif, sur-tout pour ceux qui peuvent avoirdes difficultés. Le système scolairefrançais a aussi du mal à valorisercertains talents artistiques ousportifs face aux gros coefficientsde matières plus ‘nobles’.

    Vous aiderez aussi vos élèves àporter un autre regard sur eux-mêmes, sans tomber dans l’excèsdu nombrilisme ou du narcis-sisme, à porter sur vous un autreregard : vous n’êtes pas que desenseignants, vous êtes aussi pa-rents, vous avez des amis…

    En exprimant à voix haute votreémerveillement, votre admiration,une parole de bénédiction ou unencouragement, vous les aiderezaussi à voir qu’il y a du beau et dubon autour d’eux et en eux.

    Pour conclure, par son regardqui aime, qui fait confiance et quiespère, Jésus fait exister et rendleur dignité à ceux qui l’ont perdueà cause de la maladie, du péché…

    Si le regard de certains peutsalir ou détruire, par le regard desautres, nous savons que nousexistons, et qu’il peut faire grandir.

    Par notre regard, nous pouvonsfaire exister les autres. Les regar-der à leur auteur d’hommes : pasde haut (de haut en bas, en posi-tion de dominateur, de supérieur),mais à la même hauteur de vi-sage, quitte à s’agenouiller, quitteà s’asseoir par terre, en face de, àcôté de, comme ceux qui font desmaraudes auprès des personnesqui vivent et dorment dans la rue.

    P. Olivier Joncourcuré de St Pierre St Paul

    de ColombesHauts-de-Seine

    Accompagneune équipe du CdEP

    à Jésus, c’est là notre véritableconversion. Cessons de croire quenous allons nous en sortir toutseuls et livrons-nous à Lui, afinque nous puissions dire avec StPaul : “ce n’est plus moi qui vis,mais c’est le Christ qui vit en moi”(Ga 2, 20) et même, ce n’est plusmoi qui regarde (vois), mais c’estle Christ qui regarde par moi.

    Éducation duregard

    Si nous n’avons pas fait ce tra-vail de transformation de notrepropre regard, Jésus nous traiterad’aveugle qui veut guider d’autresaveugles ! Quel regard les autresportent-ils sur moi ? La questionnous préoccupe plus que nousn’osons souvent nous l’avouer.

    Lignes de crêtes 2015 - 2622

    Église et Foi

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  • Adam et Ève, pris dans nos divi-sions et nos engrenages morti-fères”, n’exprime-t-elle pas lasignification profonde du dogmequ’elle rejette ?

    Quoi qu’il en soit, la secondemoitié du livre – à mes yeux debeaucoup la plus réussie – s’at-tache à revisiter la condition hu-maine pour en donner une visionpositive. Lytta Bas