culture et grand paris, la pompe funèbre ?
DESCRIPTION
Article par Marc Armengaud, in D'ARCHITECTURES (d'a), 188, février 2010, pp. 14-17.TRANSCRIPT
PARCOURS
Atelier Novembre
RÉALISATIONS
RCR ArquitectesRodrigo Cerviño LopezGerme & JAMBallot & FranckDusapin-Leclercq
NOUVEAULe supplément d’a-guide avec son dossier spécial univers du bain : entre bien-être et écologie
DOSSIER L’agriculteur, l’architecte et le paysage
d’a
D’ARCHITECTURES 188 - FÉVRIER 2010
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Le 10 décembre 2009, un débat sur la culture au CabaretSauvage tient lieu de clôture au cycle de « Rencontresdu Grand Paris ». Quel est le sens de ce final « culturel »pour le processus de transformation de la métropole,résumé depuis plusieurs mois à un double anneau detransports en commun rapides ? La « culture » commeun autre moyen de poursuivre l’élan suspendu de laconsultation sur le Grand Paris et de redonner une placeaux architectes (et à leur ministère de tutelle), ou avisde décès élégant ? Les observateurs attentifs aurontnoté que durant le seul mois de décembre 2009, troisautres débats publics majeurs initiés par les plusgrandes institutions politiques avaient posé la mêmequestion : la culture peut-elle ou doit-elle être un acteurdes transformations urbaines de la grande échelle ?
La culture est-elle réellement un enjeu stratégique
pour la métropole francilienne ? Pas en termes de
manques : il s’agit probablement du territoire le plus
dense du monde en matière d’institutions culturelles
publiques et privées. Mais avec des disparités de posi-
tionnements et d’échelles qui coexistent sans vision
générale, à l’image de la complexité du territoire. La
mission Karmitz proposait d’ailleurs la création d’une
« colline des arts » autour de Chaillot, d’un axe
« Paris-Périphérie » de La Villette à Aubervilliers ou de
définir la Seine comme une « vallée de la culture »,
soulignant la difficulté de valoriser la diversité de ces
institutions et le besoin de recréer des territoires
thématiques cohérents. Parallèlement, la part de la
culture dans les propositions des architectes du Grand
Paris est restée jusqu’à présent anecdotique. La confé-
rence métropolitaine n’avait pas débouché sur le sujet
non plus, même si chaque GPRU devait s’accompa-
gner d’un volet culturel ambitieux. Parce que la
culture n’est jamais la priorité, premier volet supprimé
en cas de contraction de budget ?
Désormais, la question fait l’actualité : la culture peut-
elle servir de modèle pour des stratégies territoriales ?
En décembre 2009, quatre débats publics ont eu lieu
sur ce thème. Au MacVal, à l’IAU, au CENTQUATRE
(celui de Pantin) et au Cabaret Sauvage. C’est plus
qu’une coïncidence. Les équations sont différentes,
mais elles entrecroisent les mêmes termes. Pourquoi,
Culture et Grand Paris, la pompe funèbre ? par Marc Armengaud
MAGAZINE > LE DEHORS DE L’ARCHITECTURE
^ « Chantier-studio ». Pendant la « Nuit blanche » 2004, dans la friche de l’hôpital Saint-Lazareà Paris, l’artiste Francisco Ruiz de Infante installait un chantierqui n’avait d’autre fonction que d’informer sur ses progrès,son actualité. Cette installationtravailleuse diffusait une documentation multimédia live et,toutes les deux heures, imprimaitune nouvelle édition du petit journal du chantier, signalant les événements les plus récents.© Sébastien Demont.
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soudain, un tel intérêt ? Dans un contexte de crise, la
culture offre le confort d’être un espace entièrement
positif, consensuel, qualitatif, bref inattaquable. Mais
derrière le mot doux, on fait dire et surtout faire beau-
coup de choses à la culture. Le concept clé serait celui
d’attractivité, depuis le spectaculaire succès des thèses
de Richard Florida sur les « classes créatives » à la fin
des années quatre-vingt-dix (<www.creativeclass.com>).
Les villes existent par leur identité culturelle et aug-
mentent fortement leur compétitivité (et leurs reve-
nus) en augmentant leurs performances culturelles,
recette appliquée avec succès dans le monde entier
(dont Paris). Il est ironique que cette stratégie marke-
ting, qui proposait aux grandes métropoles nord-amé-
ricaines la modification génétique de leur patrimoine
culturel et social afin d’attirer des entreprises et des
habitants désirables, ait été inspirée par l’évolution
du rôle de la culture dans les années quatre-vingt en
Europe, en particulier à Paris. Entre-temps, les
relations entre politique et culture ont beaucoup
changé sur le Vieux Continent, avec une tendance au
désengagement public et à la décentralisation, accom-
pagnée par une privatisation. La culture est de plus en
plus définie comme loisir et mode de consommation
global, comme en témoigne la frénésie de tourisme
culturel. La France reste néanmoins le berceau de nou-
veaux formats de diffusion artistique (« Nuit blanche »
à Paris, « Estuaire Nantes/Saint-Nazaire », « Evento » à
Bordeaux), qui assument explicitement des objectifs de
transformation territoriale. Ceux qui critiquaient le
caractère superficiel des actions culturelles à l’échelle
urbaine semblent aujourd’hui reconnaître qu’il s’agit
d’un champ majeur de l’action transformatrice des
villes, voire son élément privilégié : moins cher, à effet
immédiat, permettant l’implication de la population,
avec des effets d’image positifs à tous les niveaux… Le
Grand Paris ne pouvait donc esquiver cet enjeu. Parce
que l’architecture, c’est de la culture ? �
>
RÉCIT
Le 10 décembre 2009, clôture des « Rencontres du
Grand Paris », sur le thème de la culture. Le Cabaret
Sauvage réunit Christian Blanc, secrétaire d’État au
Grand Paris, Frédéric Mitterrand, ministre de la
Culture, et Anne Hidalgo, premier adjoint du maire de
Paris, en charge de l’urbanisme et de l’architecture. Une
première rencontre, pour un dernier débat. Qui débuta
par une série d’escarmouches révélant qu’autour du
Grand Paris, ce sont aujourd’hui les malentendus qui
dominent, puisque l’élue parisienne quittait l’estrade
au bout d’une courte protestation sur le naufrage
du Grand Paris depuis qu’il est passé sous l’autorité du
secrétariat d’État dédié. Regrettant l’occasion historique
offerte par la consultation sur le Grand Paris, qui avait
suscité un climat de collaboration et de responsabilité
unique autour du rôle renouvelé de l’architecte. Anne
Hidalgo : « Parler de culture aujourd’hui suppose de recon-naître que ce n’est pas nous qui façonnons le réel, mais c’estle réel qui nous façonne. Il faut donc accompagner les éner-gies et la créativité qui existent dans la ville monde. »Il faut croire que le débat au sommet avait commencé
en coulisses, puisque le secrétaire d’État avait ouvert la
séance un peu plus tôt en se défendant de n’avoir
qu’une idée fixe (un métro rapide en forme de 8). Pour
dire sa bonne foi, il confia avoir fait un rêve (culturel) :
« mon rêve personnel, c’est que dans les cinquante ans quiviennent, Paris soit la capitale de l’art de vivre, dont la culture est une dimension essentielle ». Une définition de
la culture par sa contribution au confort général. En
fait, le ministre parlait de lifestyle. Frédéric Mitterrand
reprenait ensuite le fil : « La consultation sur le GrandParis a réhabilité l’affinité profonde entre la politique etl’art de concevoir les villes. La culture est structurante,notamment parce qu’elle est en avance. » Annonçant la
création d’un Atelier international du Grand Paris, le
ministre recadrait le débat : « C’est en s’appuyant surl’éthique de la culture que l’on doit développer le GrandParis. Pas la culture pour tous, mais pour chacun. Commeconstruction d’une mémoire commune, mais surtout parl’invention de nouveaux modes culturels à partager. »Une fois ces divergences clairement énoncées, le débat
commençait. Qui sont les invités ? Une trentaine de
personnes se pressent sur l’estrade. En l’absence specta-
culaire du moindre architecte, l’unique artiste au pro-
gramme était le compositeur Pascal Dusapin. Tentant
de parler d’urbanité, il se plaignit longuement de la dif-
ficulté à se garer dans Paris la nuit, y voyant l’indice
que la culture n’y serait plus en mouvement… Les
autres participants se rangeaient en trois catégories : de
grands commis de la culture pilotant de grandes insti-
tutions (château de Versailles, IFA…), avec un quarteron
d’anciens ministres. Des experts : le directeur artistique
du palais de Tokyo, l’égérie d’un bureau de style spé-
cialisé dans la grande consommation, une productrice
de fictions de télévision en quête de respectabilité…
Enfin, des représentants de l’Île-de-France culturelle
d’en bas : une étudiante de l’école Boulle, souhaitant
que le Grand Paris l’aide à monter sa boutique de bijou-
terie parce que c’est trop dur pour les jeunes ; une sty-
liste se plaignant de la fragilisation des artisanats d’art,
contraints à l’exil à Dubaï et Beverly Hills ; une direc-
trice de conservatoire de banlieue regrettant que sa pro-
grammation ne soit pas suivie d’assez près par le public
parisien… Bref, une litanie de plaintes corporatives et
nombrilistes (écho direct des râleries du blog consacré
à ces débats : <www.mon-grandparis.fr>). Il faut autant
d’inconscience que de courage pour venir défendre l’art
de la sellerie et des tailles de gemmes dans un débat sur
la culture, à moins que l’on y ait été invité à dessein.
La création ? Il n’en futpratiquement pasquestion. Au motimagination, on préférait celuid’innovation, quipromet des transfertstechnologiquesprofitables.
Trois débats : � Le 3 décembre, auMacVal (musée d’Artcontemporain du Val-de-Marne, à Vitry), eut lieu lepremier d’une série de troisdébats sur les relations entreterritoire et art, à l’initiativedes CAUE du 94 et du 92.La première table ronderéunissait, autour d’AlexiaFabre, directrice du musée, lecollectif de paysagistesColoco, Pascale Lebroc, char-gée d’expertise pour la SEMVille renouvelée à Roubaix,et Stefan Shankland, artiste,pour son projet Trans305dans la ZAC du Plateau àIvry (voir « Le dehors de l’ar-chitecture » dans le numéro d’oc-tobre 2009 de d’a). Leurs pro-pos tournaient autour de lanécessité d’entreprendre desexpérimentations au cœurdes projets urbains, deshybridations nourries pardes collaborations sur mesu-re pour tenter de donner unsens aux transformations àvenir. Si la caractéristique del’Île-de-France durant lequart de siècle à venir estd’être en chantier, à quellesconditions cela peut-il deve-nir une culture partagée ? Etcomment ne pas inviter l’ar-tiste à jouer un rôle dans cesmutations, malgré l’incon-fort de sa position de média-teur ou d’incubateur, plutôtque d’auteur en vedette ? �
� Le 9 décembre, l’IAUÎle-de-France invitait lepOlau (<www.polau.org>)pour présenter son étude sur
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« Culture et développementurbain depuis trente ans »(une suite de sa participation àl’équipe Jean Nouvel), avec unzoom sur la démarche HQAC de Stefan Shankland(<www.trans305.org>).Étaient présents des techni-ciens de l’aménagement duterritoire, ainsi que desartistes et des architectesfamiliers de cette probléma-tique. La discussion portaitprincipalement sur le risquepris par l’artiste d’instru-mentalisation politique. Laquestion n’étant pas seule-ment de savoir ce que l’ar-tiste peut apporter à la fabri-cation de la ville, mais aussice que la ville peut apporterà l’artiste. Il est alors essen-tiel d’admettre qu’il n’y a pasde spécialistes, pas de compé-tences, qui embrassent toutce spectre. Il faut donc col-laborer de manière très ouverte, mais envisager égale-ment tous ces projets sousl’angle d’une pédagogie, enassociant le plus souventpossible des étudiants à cesprocessus d’hybridation où letemps devient la matière duprojet, plus que l’espace. �
� Enfin, le 10 décembre, àguère plus d’un kilomètre duchapiteau du CabaretSauvage où l’on discutait deculture dans le bain duGrand Paris, se tenait àPantin un colloque del’Observatoire des politiquesculturelles (<www. observatoi-re-culture.net>) sur le « déve-loppement culturel durable ».En présence du président dela Région, Jean-Paul Huchon,du directeur de la Drac Île-de-France et de celui de l’Arcadi,la manifestation importaitparticulièrement pour le pré-sident de la Seine-Saint-Denis,Claude Bartolone, marquantle positionnement de sondépartement avec sa stratégieculturelle/multimédia pourLa Plaine-Saint-Denis. Lesintervenants étaient presquetous des universitaires ou desresponsables de projets artis-tiques au sein des collectivitésterritoriales, détaillant desétudes de cas comme un cata-logue de bonnes pratiquesculturelles à l’échelle urbaine.En fait de développementdurable, il s’agissait principa-lement de décrire le rôle de laculture dans le projet urbain :outil d’embellissement, denégociation ou de communi-cation, supplément d’âme ouvaleur ajoutée, espace demédiation avec les habitantset les acteurs… �
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De fait, ces contributions formaient le paysage explicite
de ce que la culture représentait dans ce contexte : une
activité porteuse qu’il faut remettre en selle.
Faut-il préciser que les débats étaient menés par une
journaliste économique, peu experte des enjeux
culturels, de son propre aveu, mais plus à l’aise
avec le positionnement de la discussion : « la culture
comme attractivité et facteur de développement éco-
nomique » ? Il s’agissait de discuter de l’offre (cultu-
relle), de la valorisation (du patrimoine), d’attractivité
(touristique), bref de billetterie. La culture n’étant à
aucun moment envisagée comme une dimension
méritant d’être investiguée pour elle-même – et de
manière prospective – afin de définir son rôle dans la
transformation métropolitaine. La création ? Il n’en
fut pratiquement pas question. Au mot imagination,
on préférait celui d’innovation, qui promet des trans-
ferts technologiques profitables.
FLASH BACK
Par contraste, tout le processus de la consultation sur le
Grand Paris apparaît profondément culturel, voire
même utopique ! Le grand écart est même stupéfiant.
Un petit retour en arrière propose un éclairage sur le
statut du mot-clé « culture » dans ce processus : on se
souvient que la consultation a été portée par le Bureau
de la recherche de la Dapa au ministère de la Culture,
dans la continuité de son programme de recherche sur
« L’architecture de la grande échelle ». Cette rupture
avec le processus canonique qui, depuis plusieurs
siècles, donnait la responsabilité de l’aménagement du
territoire aux ingénieurs des Ponts et Chaussées, fut si
brutale qu’elle entraîna l’annulation du premier appel
d’offres sous la pression de ce Grand Corps puissant.
Malgré tout, la consultation fut relancée sous les aus-
pices d’une vision « culturelle ». Et l’installation pro-
chaine de l’Atelier au palais de Tokyo vient réaffirmer
de manière extrêmement explicite où se situe le camp
des architectes dans cet échiquier.
Pourtant, au-delà de son label ministériel, le processus
de la consultation n’a jusqu’à présent pas fait grand cas
de la culture. L’équipe Jean Nouvel, lors de la première
phase, avait posé avec ambition la question d’une rela-
tion culturelle contemporaine au territoire, en interro-
geant le pOlau (Pôle des arts urbains, dirigé par
Maud Le Flo’ch). L’équipe Grumbach avait invité
Dani Karavan, donnant également sur ce sujet l’im-
pression de rejouer les années quatre-vingt. Artistes, cri-
tiques et programmateurs culturels font partie des
grands absents d’équipes pourtant pléthoriques (et de
la composition du comité de pilotage, d’ailleurs). Parce
que les architectes ne maîtrisent pas ces alliances ?
Néanmoins, si le terme « culture » s’est fait rare, il faut
reconnaître aux démarches de l’AUC et de Studio 09,
à l’originalité exploratoire, d’être fondées sur une
relation culturelle au territoire, à la fois dans leurs
objets et leurs outils, parfois dans leurs propositions
(le Louvre comme gare…).
MAGAZINE > LE DEHORS DE L’ARCHITECTURE
« Nuit blanche » 2009, le terrain de foot impraticable de Priscilla Monge devant la rotonde Ledoux à Stalingrad : plus que l’équipe adverse, les joueursaffrontent la topographie du terrain et les règles devenues absurdes d’un jeu distordu. Projet créé pour la Biennale de Liverpool en 2006.
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DÉCRYPTAGE
Et si le mot culture avait été jeté en pâture par
Christian Blanc sur l’autel de la réconciliation minis-
térielle (imposée par en haut) ? Un gage ou un appât,
puisque le refrain est repris par tous. Les lignes de par-
tage politiques ne sont pas là où on pourrait les
attendre : ainsi la Ville de Paris paraît-elle la meilleure
alliée du ministère de la Culture pour tenter de rendre
aux architectes le pilotage du Grand Paris et éviter que
le surnom du palais de Tokyo ne soit bientôt fort
Alamo, voire fort Saganne…
Tandis que la Région Île-de-France joue au poker men-
teur, son président s’exprimant le moins possible
avant les élections régionales, laissant les élus verts cri-
tiquer le projet de Christian Blanc, avec lequel le pré-
sident de Région réélu pourra être tenté de s’entendre,
une fois que sa marge de manœuvre sera clarifiée. Car
en tout état de cause, c’est bien la Région qui serait le
grand bénéficiaire du projet de double rocade de
métro. De son côté, le secrétaire d’État donne l’im-
pression aux acteurs engagés dans cette aventure hyper-
métropolitaine de faire cavalier seul, se préoccupant
aussi peu de culture que des conditions concrètes de
l’aménagement du territoire. En effet, il procède
aujourd’hui uniquement en discutant au coup par
coup avec des élus sur le trajet du Grand 8, sans envi-
sager une concertation globale et articulée avec tous les
acteurs concernés. À ce rythme, le projet risque d’épui-
ser très vite son énergie jacobine et de sombrer dans les
marais des nombreuses communes traversées.
Le doute naît : et si l’on avait choisi de parler de
culture afin de masquer la paralysie du processus
du Grand Paris ? Plombé par la crise, les échéances
électorales et les contradictions institutionnelles de
pilotage. La culture est bien bonne, parfois produit
cosmétique, parfois écran de fumée. Un sujet de
conversation sans gravité…
L’OUVERTURE FERMÉE
Que pouvait-on attendre de ce recours à la culture ?
Qu’il contribue à répondre aux enjeux du présent et
surtout qu’il engage une relation réellement créative à
l’avenir. Or la « culture » convoquée comme un tout
indistinct apparaît à chaque fois comme lestée de
devoirs et de calculs pesants, qui la placent en contra-
diction avec ses propres valeurs d’invention et de
liberté. Mots d’ordre et effets d’annonce masquent mal
des réflexes d’instrumentalisation sans esprit.
Et les architectes ne sont pas en reste. Début décembre,
lors de la présentation finale d’un marché de définition
réunissant cinq des dix équipes du Grand Paris autour
du périmètre Orly-Rungis, tous revendiquaient la pra-
tique éminemment culturelle du « parcours » comme
fondement du projet. « On a tracé des pistes, on a arpenté, on a exploré pour révéler la véritable structure duterritoire, celle des usages, même marginaux », revendi-
quant une nouvelle culture du projet, un rapport
culturel au réel. Mais finalement, aucun projet ne tirait
de conclusions opérationnelles nourries de cette
approche initiale. Le bon vieux plan-masse final illus-
trait le retour des réflexes top>down. Élus et acteurs
locaux du territoire ressortaient d’ailleurs déçus de cette
présentation en avouant leur malaise : celui d’être
considérés comme des quantités négligeables, d’emblée
condamnés à la tabula rasa.Il y a donc une tension réelle entre le renouvellement
des postures auquel invitent les défis de notre époque
et la culture des différents protagonistes. Une intuition
prend forme : la nécessité d’expérimenter. Ce que le
Grand Paris en tant que processus institutionnel ne sait
pas faire. Aucune équipe ne l’a préconisé (ou celles qui
l’avaient fait n’ont pas été retenues). Le hiatus français
veut que ce soit au niveau institutionnel que se fasse la
rencontre entre contre-culture et culture, avec en géné-
ral quinze ans de retard. Mais en 2025, ceux qui sont
aujourd’hui capables d’inventer de nouvelles stratégies
culturelles pour le Grand Paris seront un peu périmés,
comme la plupart des équipes de la consultation…
En fait de culture, on aura donc surtout découvert
des tactiques politiciennes qui resituent la dimen-
sion culturelle dont l’architecture risque d’être por-
teuse in fine : l’expression d’une politique (ou des
contradictions entre les politiques). Du moins si les
architectes continuent à accepter que la dimension
culturelle de leur mission soit définie par le bel
objet, la figure de style. Des architectes qui sauraient
occuper le terrain du « projet territorial culturel »
auraient pourtant une avance, qui procurerait peut-
être des moyens politiques inédits. �
Une intuition prend
forme : la nécessité
d’expérimenter.
Ce que
le Grand Paris,
en tant que processus
institutionnel,
ne sait pas faire.
© M
arc A
rmen
gaud
Mise en place de l’Observatoire,une œuvre de Tadashi Kawamatapour le festival « EstuaireNantes/Saint-Nazaire » en 2007.
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