couloubaritsis, l., le sens de la notion «demonstration» chez le pseudo-denys

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Theologie mistique

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  • LE SENS DE LA NOTION DEMONS TRATION CHEZ LE PSEUDO-DENYS

    L. COU LOU BA RITS IS, B R U XEL LES

    1. Introduction

    Dans une etude precedente, 1 nous avons tente de relever le sens et la portee du rejet par Denys l'Areopagite de Ia critique refutative. N ous y avons indique, entre autres, que Ia maniere dont ce penseur refuse l'epreuve de toute opinion, par consequent aussi celle des premisses de toute demonstration, alors meme qu'il soutient en meme temps !'importance de Ia demonstration pour persuader, souleve une aporie que seuls le caractere apocryphe des textes, les circonstances de leur apparition et leur visee politique semblent pouvoir reellement expliquer. Mais independamment de ce probleme pose par l'origine et le statut des textes en question, il nous est apparu que tout se passe, chez cet auteur, comme si, entre Ia verite revelee, connue par quelques inities, et l'erreur, il n'y avait aucune mediation possible, comme par exemple une critique de 1' erreur susceptible d'eclairer ou d'etablir Ia verite. Dans ces conditions, le seul procede gnoseologique qui pourrait encore supporter le poids d'une justification de Ia verite supposee est le procede demonstratif, auquel font allusion les Lettres VII et IX.

    Dans Ia premiere de ces deux Lettres, !'auteur dit que les hommes de bien (&.ya-&oi'c; &.v3p&ow) seraient pleinement satisfaits s'ils pouvaient connaitre et exposer le vrai en soi, tel qu'il est reellement; car, une fois cette verite, quelle qu'elle soit, correctement demontree selon la loi de la verite (xa"t'!i V6[LOV a/;YJ-ltdac; op-ltwc; arro?le:XVUfLEVOU) et etablie dans sa purete, tout ce qui lui est etranger et feint de lui ressembler, se refute par lui-meme comme quelque chose qui est autre que l'etre authentique, qui lui est aussi dissemblable et apparent. 2 Dans Ia seconde Lettre, il prolonge un peu ce point de vue, en remarquant que Ia transmission du savoir des theologiens est double: l'une est inclicible et secrete, !'autre mani feste et plus connaissable; en outre, l'une est s vmboliqu e et initi

  • I. Abteilung

    notion . Mais empressons-nous d e dire que ces affirm ations ne peuvent qu' embarrasser le lecteur attentif du Corpus dionysiacu m : non seulement parce que, comme nous venons de le rappeler, en ! ' absence d e toute critique possible, on ne discerne pas quelle serait Ia valeur logiquement indubitable des premisses de pareilles d emonstrations , mais surtout , comme nous le verrons, le sens du terme d emonstration est equivoque chez Denys , au point m eme d'outrepasser le sens habitu e ! . L a reference cl'ailleurs de !' auteur a des hommes de bien est deja u n indice qui temoigne en faveur de cette p lurivocite de sens . On s ' apen;:oit ainsi de Ia necessite qu'il y a d e bien circonscrire cette notion et d 'evaluer les consequences d e son usage. C ' est a cette tache qu e vont etre consacrees les !ignes qui suivent. Pour commencer il nous faut naturellement rappeler, tres brievement , le sens du termc demonstration dans l 'histoire d e Ia philosophic grecque .

    z. D ialectique et demonstration dans Ia pensee grecquc L'us age que font les Anciens des expressions demontrer (&.no3c:xvuav) et demonstration ( &n66t:c;) n' est pas touj ours tres clair. Car, s ' i l est vrai que ! 'on songe en general au sens aristotelicien du terme, etabli dans les Seconds Analytiques , ou demontren> s ' identifie avec I a connaissance scientifiqu e et , comme tel , requiert tout a Ia fois d es principes propres , Ia verite des premisses , une certaine forme de caus alite et Ia realis ation d e l 'apparte n ance d'un attribut essentiel a un s uj et , on n e doit cepend ant pas oublier que dans le neoplatonisme qui inspire Denys, cette expression s' integre d ans Ia di alectique au sens p l atonicien ou plus correctement neoplatonicien d u terme . Or , probab lement depuis le B anquet et le Phedre, cette dialectique suppose, le plus souvent , soit Ia reduction d'une multiplicite de notions a !'unite d'une I dee, soit ! 'organisation d ' I dees ou etres subordonnes a p artir d'une I dee superieure . 4 L'originalite de Platon reside d ans le fait d ' associcr cet tc methode avec lc dialogu e, c 'cst-a-dire avec !'usage de questions ct de rcponscs susceptiblcs d 'etablir Ia verite . Cet usage d e Ia dialectique est assez different de celui d 'Aristote, chf'z qui k (luestionn emcnt s ' integre plus spccia lement d ans unc recherc h e critique, capable d' eprouver toute forme de s avoir possible .G ChezAristote , le savoir positif est assure non plus par Ia dialect ique proprement elite , mais soit p a r Ia demonstration, soit p a r le processu s p h ilosoph i que (d ans lequel Ia dialecti que j ou e certes un role i mportant, mais seulement en tant que partie refutative et criti que . 6 On comprend , par Ia meme, que I a dialectiqu e platonicienne est fort differente d e la demonstration aristoteli-

    Voir en particulier le P heclre, 257 b ss . Sur cette question, cfr A. J. Festugiere, Contemplation et vie contemplative selon Platon (Paris 1 967) ainsi que ! ' analyse recente de P . Hadot, Philosophic, Dialectique , Rhetorique dans l ' antiquite, Studia Philosophica 39 (1980) 139-166.

    5 S u r cette question, nous permcttons de renvoyer a n otre etude D ialect ique et philosophic chez Aristote,

  • L. Cou!oubaritsis, Le sens de , Dhnondration " chez !e Pseudo-Denys 319

    cienne. On peut dire, d'une fa

  • 320 I. Abteilung

    tonicienne, alors meme que cette methode a ete p artiellement critiquee par Aristote. En realite, Ia destinee extraordinaire qu' a eu Ia cl ialectique de Platon est Ia consequence de !'evolution de Ia philosophic dans le mond c hellenistique, et p lus particulierement de I a transformation de !'Academic platonicienne, ainsi que ! 'apparition de Ia pensee stolcienne. Comment s 'est constituee, au cours de cette histoire, Ia dialectique neop latonicienne ? C' est une question qui demeure pour !' instant insuffisamment clarifiee.10 Mais , pour notre propos, les remarques recentes de Pierre Hadot sont en p artie suffisantes: les neoplatonicien s retiennent de la dialectique de Piaton la division, Ia remontee aux genres premiers , la s ynthese et !' analyse, mais ecartent de leur demarche le d i alogue, se contentant ainsi du simple monologue. De la structure dialogique, ils ne conservent qu'une trace tres vague, sous Ia forme d'un parcours (lheoooc;) et d 'une errance qui s ' accomplit a travers les I d ees . Leur dialectique suit en fait les mouvements de procession et de conversion , les phases de distinction et d e reunion, les etapes de multiplication interne dans les quels se constitue l e monde intelligible. Ces differents procedes d ' analyse et de s ynthese, d ' a ffirmation et de negation sont destines a faire entrevoir le reflet de l'Un transccnd ant dans la multiplicite intelli gible .11 Aj outons, a ce que dit Pierre Hadot, que Ia transformation de Ia clialectique de Platon en un monologue realise en quclquc sorte s a s ynthese avec la d emarche demonstrative d 'Aristote, a laquelle d ' ailleurs elle emprunte certains con cepts fond amcntaux, comme par cxemplc l'especc et le genre. 12 Bien plus , a l 'epo que qui nous concerne, cette sorte de s ynthese se traduit par !'integration positive et expresse de Ia demonstration selon Aristote dans le procede dialectique d'origine platonicienne - integration par laquelle, au demeurant, les neoplatoniciens pensent accomplir pleinement toute Ia philosophic grec que. Sur ce point, le texte de Proc lus nous parait sans equivoque.

    En effet , lors qu 'i l traite des h ypotheses clu Parmenide de Plato n , cl ans sa Theologic platoni cienne, Proclus, qu i rejette ! ' interpretation dominante selon laquelle le Parmenicle ne serait qu'un exercicc de logiqu c (bd A.oytxv '(U!J.\IIXcrtct.v), proprcmcnt arg11mrntatif ( ota Twv E:mx.EtPYJIL'hwv (L-3-oooc;), 13 unifie de far;:on explicite dialectique et demonstration . I I souli gne fortement qu'il ne saurait accepter de rabaisser au raisonn ement relevant d e !'opinion (T\1 TW\1 E\IOOW\1 bnxEtp"lj(LIXTWV) cctte methode unifiee qu'il considere comme superieure aux sciences les plus precises . Pour lui, Ie

    10 S ur cette question, voir en plus de !'etude de P . Hadot que nous venons de citer. ! ' important ouvrage de H . -J . Kramer, Platonism us und hellenistische Philosophic, Berlin, 1 97 1 .

    11 P. Hadot, art . cit., p. 1 5 8 . 12 Voir notammcnt A. C. Lloyd, Neoplatonic Logic and Aristotelian Logic, P h ro

    nesis, 1 et 2, 5 8-79 et 1 46-- 1 6o, qui discerne bien ce point, mais, paradoxalernent, e lude Ia question de Ia demonstration meme. Cctte q uest ion est auss i negligee dans !'etude recente deS. G ersh, From Iamblichus to Eriugena ( Leiden 1 978 ) 1 1 3 ss.

    13 Theol . Plat., I , 9, Saffrey-\oVesterink, 34-40. Nous su ivons ici Ia traduction de ces deux auteurs, dans Ia collection Bude .

  • I". Couloubaritsis, Le sens de ,Denwnstration" chez le Pseudo-Denys 321

    raisonnement argumentati f est infericur au raisonnement demonstratif ('r'Yj &.nosx-rx). puisqu' il se contente de d epasser les illusions de l 'eristi que, alors q u ' au contraire Ia dialectique, telle qu'il la con

  • J22 I. Abteilung

    tion exigee par l ' henologie neoplaton icienne. Au contraire , Ia dialectique, parce qu' elle regie son cheminement sur les degn!s du reel, au point meme de conduire, par s a necessite meme, aux principes anh ypothetiques de cette realite, peut pretendre d'accomplir le caractere hierarchiquement principiel et theologique, a Ia fois du platonisme- tel que les neoplatoniciens l'ont compris - et des neoplatonismes pai:ens et chretiens .

    Ces quelques remarques suffisent, nous semble-t-i l , pour presumer que le texte du Pseudo-Den ys , i nfluence par le neoplatonisme de Ia fin du Verne siecle, devrait theoriquement comprendre ! 'expression de demonstration dans le meme sens que Proclus . Nous verrons pourtant que le probleme n'est pas si simple, non seulement parce que les premisses qui regissent neoplatonisme pai:en et neoplatonisme chretien ne sont pas les memes , mais surtout parce que !' auteur en question parvient magistralement a accepter Ia demarche demonstrative, et en meme temps a Ia mettre entre parentheses, et meme a Ia trans gresser .

    3 Dialectique et demonstration chez Pseudo-Denys

    La difficulte pratique que nous rencontrons aussitot vient de !'absence chez Denys l 'Areopagite d'une analyse explicite et continue de Ia question d e Ia connaissance. Disperses dans differentes parties de son ceuvre, les divers passages d'ordre gnoseologique n'autorisent chaque fois qu'une vue p artielle de Ia question, ce qui necessite une construction retrospective de Ia p art de l'interprete. Pourtant ces passages ne sont pas touj ours marginaux, mais paraissent s' integrer pleinement a ce qui est en debat. Car, on ne doit pas l 'oublier, l ' arriere -fond de toute Ia problematique de Denys est Ia possibilite et Ia nature de Ia connaissance que nous pouvons avoir d e Dieu . Or , precisement, toute Ia difficulte de comprendre son discours provient en fait de cette attitude, presque exclusive, de son ceuvre. En realite, Denys them atise definitivement !' idee, traditionnellement implicite ou partiellement assumee par le christianisme, de l ' i nconnaissance absolue de Dieu au moyen de Ia raison humaine et de l ' intellection. 1 8 En cffct, alors que notamment nep11i!'; Origne- avec qu i Ia pensee chretienne thematise les fondements theologiques qui deviendront Ia base de Ia dogmatique -, le neoplatonisme chretien associe !'etude de Dieu , du monde et de l'homme, ne faisant de Ia theologie que Ia partie Ia plus excell ente du savoir, le lieu o u Ia cosmologie et l ' anthropologie s e decouvrent leur raison d'etre , avec D en ys l'Areopagite, au contraire, i l accomplit Ia theologie, l ' instaurant comme Ia seule question du christianisme, comme la question absolue q u i penetre tout, meme le monde intelligible (envisage comme l e lieu de Ia hierarchic celeste des anges) et le monde sensible

    18 II s'agit Ia d'une question fondamentale de l'histoire de Ia pensee occidentale -ou se rencontrent !'idee du Dieu cache de Ia Bible et les exigences metaphysiques de la pensee grecque -, sur laquelle nous aurons !'occasion de nous attarder dans une prochaine etude. N otons seulement ici que cette question est au centre de toute Ia pensee de Pseudo-Denys.

  • L. Cou!oubaritsis, Le sens de , Dlnu"lstration" cltez le Pseudo-Denys 323

    hum ain (reduit a Ia hierarchic spirituelle de I'Itglise) . A ce titre, toutes les questions traditionnelles concernant le cosmos et l 'homme sont soit negligees , soit reduites a leurs elements les plu s s imples , comme s i elles n ' etaient que d es questions second aires et toutes marginales . Seuls les suj ets concernant Ia connaissance de Dieu conservent chez lui u n 8ens, et sont longu ement debattus . Meme lors qu'i l traite de Ia connaissance humaine et angelique, !' auteur ! ' envisage touj ours sous ! ' angle d'une connaissance accordee par Dieu pour servir a Ia connaissance de tout ce qui le concerne. Cette sorte de cercle epistemologiqu e - sous-j acent a tout Ie christianisme theologique - indique en meme temps que, quelles que soient les possibilites gnoseologiques de l'homme, celui-ci est neanmoins touj ours capable, d'une fayon ou d'une autre , de decouvrir Dieu et meme de se mettre en rapport mystique avec lui , par les mo yens memes que celui-ci , en tant que Providence, l u i a assures .

    D es lors , aucune critique de Ia connaissance, meme Ia plus e!ementaire, n' est possible d ans cette pensee. Mieux, i l semble meme que Ia conception platonicienne classique de I a connaissance, issue d u Prem. Alcibiade, et en vertu de laquelle on peut atteindre le reel et le divin par un approfondissement de son arne, 19 est absente ici 20 alors qu' elle est encore expressement assumee chez Proclus . 21 On pourrait dire que cette possibilite de Ia connaissance du reel par Ia connaiss ance de soi-meme est attribuee, par D en ys , au seul Dieu . En effet, celui-ci , dit-il ,

  • 324 I. Abteilung

    et par elle Ia demonstration qui y est incluse, ne trouvent leur domaine nature! que dans Ia theologie positive et affirmative. C'est dans le chap. VII des Noms Divins, consacre a Ia Sagesse de Dieu, que fait son apparition cette question. Voyons ce point de plus pres, en le situant dans son contexte propre, c'est-a -dire l'ttude de !'arne rationnelle.

    Dans le seul passage ou il est question des modes de raisonnement conformes a Ia verite, !'auteur du Corpus indique ce qu'il entend en fait par raison. C'est de Ia Sagesse (divine), dit-il, que les ames re

  • L. Couloubaritsis, Le sens de ,Demonstration" clzez le Pseudo-Denys 325

    tions, car elles ne tirent point leurs divines connaissances d'une analyse d' elements, de sensations ni de raisons discursives: elles n'usent point non plus d'une subsomption sous des concepts universels. Purifiees de toute materialite, c'est de fa

  • I. Abteilung

    car celle-ci est inconnaissable et excede toute raison et toute intelligence. C'est plut6t, precise-t-i l , a partir de !'ordonnance de tous les etres , telle que celle-ci a ete produite par lu i , et qui contient des images et des copies des modeles divins , q u e nous elevons graduellement et par echelon s , autant qu'il est e n notre pouvoir , jusqu'a celui qui transcende tout etre, en niant alors et en dep assant tout attribut, commP a Ia Cause universelle des etres .30 En d' autres termes , c'est a u mo yen , semble-t-i l , d'une theologie positive et affirmative , dans laquelle la demarche dialectique pourrait j ouer un role essentiel , que l'homme est capable d' atteindre une certaine connaissance de Dieu . D' ailleurs , i l apparait , en ! 'occurrence, que le reel se manifeste comme !'image et la copie des modeles divin s , ce qui est conforme aux exigences de toute dialectique du type platonicien et neoplaton icien . 31 Par cette approche, !' auteur parvient, en fin de compte, a j ustifier egalement Ia theologie traditionnelle, fondee en p artie sur u n e dialectique affirmative , m ais completee souvent p a r une theologie negative, et plus rarement symboliqu e . Aussi se permet-il de dire : ce n' est p a s done a tort q u ' o n parle d e Dieu e t qu'on le celebre a partir d e tout etre proportionnellement a tous ses effets . 32 Mais cette valorisation de Ia theologie affirmative , pratiquement oubliee dans l'ceuvre , 33 ne dure qu'un tres court instant , puisqu' i l s'empresse d' aj o uter que Ia maniere neanmoins de connaitre Dieu qui est la plus digne de lui , c 'est de le connaitre par le mode de l ' inconn aissance, dans une union qui dep asse toute intelligence . 34 Ainsi , apres quelques moments fu gitifs , creant une certaine illusion, nous voila remis sur le chemin, celui que toute l 'ce uvre du theologien cherche a faire prevaloir et a fonder definitiv ement : l ' impossibilite de connaitre Dieu, s i ce n'est par le mode de l ' inconnaissance. Les seules theo logies qui paraissent compatibles avec Dieu , qui sont dignes de lui, sont, pour Den ys , les theologies negatives , s ym boliques et m ystiques . II s ' agit Ia d'un tournant decisif dans l 'histoire du christianisme, dont Ia portee ne nous parait pas avoir jusqu'ici attire suffisamment !' attention des historiens de Ia philosophic. II n'empeche qu'il subsiste, dans l' ceuvre de Den ys, des traces importantcs de Ia theologie affirmative - ct par ellc de la dialcctiquc ct clone :lt\i de ln Mmonstration)) - Oll elle apparait memc comm e un mode valable de Ia connaissance de Dieu . Car, meme si le probleme peut p araitre, en derniere analyse , comme tout a fait marginal , i l n 'empeche qu e !' auteur y insiste , meme s' i l se contente de quelques mots: il n 'en reste pas moins , dit-il , comme j e l 'ai dit, que cette Sa gesse est connaissable a partir de toute realite ; car elle est elle-meme , selon l'Ecriture, Ia fabricatrice universelle, l'ordonnatrice perpetuelle et u niverselle , Ia cause de !' harmonic et de l'ordre indissolubles ; et el le unit aussi perpetuellement l 'achevement de ce qui prec ede au pri ncipc de ce qui suit et

    30 Noms Divins, V I I , 3, 869 C D . 31 I bid . , 869 D s s . Voir ace propos Proclus, Theol . Plat . 32 I bid . , 872 A. 33 Voir cependant Lettre I X, 1 1 08 B et Ia su ite de notre expose. 34 Noms Divins, 872 A.

  • L. Couloubaritsis, Le sens de ,Dbnonstration" chez le Pseudo-Denys 327

    c'est elle qui procluit avec beaute Ia sympathie et ! 'harmonic uniques d e l 'univers entier . 35

    En d ' autres termes , bien qu'elle ne soit pas Ia methode Ia mieu x inspiree pour parler de Dieu , et moins encore pour l ' atteindrc, Ia theologie affirmative garde une v a leur indubitable, puisqu ' elle trouve un appui d ans l ' Ecriture. Nous verrons dans Ia suite quelle est l a portee exacte de cette reference permanente a l' Ecriture chez Denys . Pour le moment, ! ' important est de constater cette acceptation de Ia theologie affirmative, qui conduit finalement 1' auteur a formuler ! ' idee centrale de s a theologie : Dieu est connu a Ia fois en toutes choses et hors de toutes choses , et i l est connu tout ensemble par mode de connaissance et par mode d ' inconnaissance. I I est o bj et d'intellection , de raisonnement, d e science, d e contact, de sensation, d 'opinion, d ' imagination , d ' appellatio n , etc . .. . et pourtant i l n'est saisi ni par !' intelligence, ni par le raisonnement , ni par Ia parole. II n ' est rien de ce qui est et on ne peut done le connaitre a travers rien de ce qui est, et i l est pourtant tout en tout. II n 'est rien en rien et i l est pourtant connu p ar tout en meme temps qu'i l n' est connu par rien en rien . 3 6 Sans nous preoccuper ici de Ia question de s avoir s i et d ans quelle mes ure le principe d e non-contradiction est viole par Den ys d ans c e texte , nous noterons que l e c aractere positif et affirmatif du langage ne renvoie pas exclusivement a la d i alectique telle que nous l ' avons circonscrite ci-dessus , mais peut egalement concerner une sorte de dialectique s ymbolique que les Noms Divins mettent en ceuvre . Ce qui signifie de nouveau , mais d'une autre fa l>z zl vuv, dit !'auteur . 39 Cfr Prem. Ep. Cor., I I , 4 -

  • .f. Abteilung

    que Ia regie (&crfL6) qu'il prescrit est de demontrer Ia verite de ce qui est d it a propos de Dieu , non pas par des raisonnements persu asifs de I a s agesse humaine, mais p a r u n e demonstration (Ev &7to8dEL) propre a I a faculte q u i vient a u x theologiens p a r ! 'action d e !' Esprit , e t qui nous fait adherer sans parole et sans s avoir aux realites qui ne se disent ni ne se savent , selon une union qui excede en puissance notre faculte et activite d e raisonner et d 'intelliger ( xa&'fLiX

  • L. Couloubaritsis, Le sens de ,Drltnonstration" chez le Pseudo-Denys 329

    ment en revue clans le Corpus . 45 Ce rapport entre Esquisses Theologiques et theologie positive est confirmc par cl' autres passages , en particulier par un texte des Noms Divins , ou i l est question d e !'unite et des distinctions en D ieu (probleme clone de la Trinite) relativement a la doctrine d e l' I n carn ation . L' auteur y cl i t avoir expose ces unites e t distinctions , selon les prescriptions de l ' E criture, clans ses Esquisses Theologiques , ou i l aurait en plus precise les proprietes d e chacune :

  • 330 I. Abteilung

    Esquisses Theologiqu es (l'ouvrage pourtant par excellence de I a theologie positive) , on decouvre u n certain flottement d ans les textes de l' auteur , disons m eme une certaine ambigulte d ans !'usage d u terme d e demonstration . Et cette ambigui:te prend plus d 'ampleur encore lorsqu'on songe que Ia methode utilisee d ans les Noms Divins, pour accomplir Ia s ynthese theologique que no us avons rappelee ci-dessu s , est surto ut celle d ' u n e theologie s ym boliqu e . 49 Bien sur, o n pourrait se poser Ia question de sa voir dans guelle mesure toutes ces theologies sont compatibles entre elles , et s'il n ' y a pas de la p art de !' auteur une tendance a l 'eclectisme theologiqu e , lice a la raison d ' etre e t Ia visee reelle d u Corpu s , mais qui ne se tient que par une succession d e coups de force. 5 C ' est Ia u n e question qui demand e une analyse plus approfondie des textes , qui deborde cependant notre present propos . Ce qui nous parait plus important ici , c 'est de souligner cette presence purement theorique, et jusqu'a u n certain point fictive, d e c e genre rationnel d e d emonstration , et d' indiquer e n meme temps s o n caractere intempestif, inutile, dans l' economie generale d e !' argumentation de ! ' auteur, en raison de la necessite d'un autre genre de demonstration , plus essen tiel et plus conforme a la scien c e s uressentielle . L'interet, a nos yeux, du texte d e Pseudo-Den ys reside dans cette question .

    E n effet, deux attitudes pourraient a voir d etermine ! 'auteur : soit mettre entre parentheses l a question de Ia theologie affirm ative, afin de promou voi r d ans le christianisme une nouvelle forme de theologie, plus fondam entale, soit chercher d eliberement a eviter d e prendre position sur les questions cruciales du debat theologique de l 'epoque, en feignant en meme temps d ' a ccepter, en p artie , les problematiques traitees . Du reste, ces deux attitudes ne sont p as necessairement incompatibles, puisque en acceptant Ia theologie affirmative (pour eviter le reproche d ' avoir elude Ies pro blemes essentiels du christianisme ), tout en Ia mettant entre parentheses (pour se sauvegarder du reproche d 'heresie) , D en ys se donne les cond itions necessaires pour proposer une theologie plus fon damentale, ou toutes ces questions s 'e!iminent en quel q u e sorte par elles-mem es . La fiction et ! 'absence de toute application demonstrative pourrait ainsi servir a unc intention precise : ev it

  • L. Cou!oubaritsis, Lr sens de , Demonstration" chez !e Pseudo-Denys 331

    voie chaque fois aux Ecritures , meme dans le cas de Ia theologie affirmative . Or, d ans un autre passage en core, qui se refere au meme traite fictif, il est dit qu e certains noms conviennent en commun a l 'entiere Deite, et que Ce point a etC abondamm ent d emontre (aTCeOdOl[J..C:V) , au mo yen des Ecritures , dans ses Esquisses Theologiques . 52 Cela est d' ailleurs pleinement confirme par ce qui est dit quelques !ign es auparavant : quiconque, dit D en ys , est nourri des s aintes Ecritures , a moins d 'avoir !' esprit p erverti , accordera, je pense, que to ut ce qui se dit proprement de Dieu convient a Ia Thearchie entiere selon sa parfaite et divine raison. Ayant ainsi, conclut-il , demon trees et definies ces verites ( aTCo8eoeyf1.EVWV TC: xa:t OUlp crf.!.EVWV), ici de fac;on breve et p artielle, mais ailleurs avec assez de details a p artir des Ecritures (ex TWV "Aoy[wv) , disons que, quel que soit l e nom integral de Dieu qu'il s ' agit d' expliquer, i l faut l ' appliquer a Ia Deite entiere . 5 3 Ainsi done, i l apparait bien ici que par demonstration !'auteur ne renvoie pas touj ours a un raisonnement s yllogistique conforme aux exigences de !a logique ou meme de Ia dialectique neoplatonicienne, mais egalement a u n e methode qui vise a adapter une certain e realite aux donn ees et revelations de l' Ecriture .54 L'adhesion aux Ecritures apparalt, dans cette m ethodologie, comme le prealable necess aire a toute demonstration. Les Ecritures sont Ia regie >> (xa:vwv, .&ecrf.!.O

  • 3 3 2 I. Abteilung

    retenu tout au debut de notre etude. Si , pour ce qui concerne ]'association de Ia philosophic et de Ia demonstration dans Ia Lettre I X , ] 'on peut encore penser a une methode rationnelle de demonstration , selon les regles fixees par le neoplatonisme, et ceci en vertu de Ia position favorable a l'egard de Ia theologie affirm ative, ce n' est plus le cas pour Ia Lettre VI I , ou il est question d'une demonstration selon Ia loi de Ia verite (x!X--ra v6fLOV cD-Y)&d1Xc;) et propre aux hommes de bien (&y!X&o!:c; &v3p (rppoupe:!:v) , si ! 'on ose dire, a tout p rix.64 On comprend , du meme cou p , pourquoi D en ys accorde une telle importance a I' Eglise dont Ies membres sont, a ses yeux, Ies depositaires de Ia verite cachee des Ecritures . 65 Au point qu'on peut se demander, finalement, si toute l' ceuvre de D en ys est rien d ' autre q u ' une justification d es Ecrits sacres du christianisme, 66 et des institutions qui en sont les depositaires . Aucune ceuvre chretienne, en effet , n'a ete aussi soucieuse de dissimuler l'action de Ia raison et de ses fonctions logiques, pour faire prevaloir Ia primaute exclusive et absolue des Ecritures . C'est pourquoi Denys propose toute une methodologie pour leur comprehension correcte , SllSC'eptihk, a S('S yeu x , ci 'effacer tout cioute possible ct ci 'aneantir toute hesitation . Cette methoclologie consacre en fait Ia methode allegorique traclitionnelle, completee par une methode s ymbolique, ou !' element moteur

    6 0 Voir I ntroduction ci- dessus. 6 1 Ce q u i confirme, par un autre biais , notre etude citee dans I a n. 1 ci-dessus. 6 2 V oir note precedente. 6 3 N oms D ivins, 640A. 64 I bid. , 64oA B. 6 5 Le traite de La Hierarchie Ecclesiastiq u e et Jes Lettres confirment amplement ce

    point de vue. 66 N o u s disons ecrits et n o n seulement Ecritures , car ! 'expression rete n u e par

    ! 'auteur, a savoir -rwv "Aoyiwv , inclut egalement Ia tradition de l ' E glise. Ce qui a pousse M. de Gandillac a traduire cette expressio n par D its (dans son edition des Sources chretiennes ) , conservant Ia traduction d' Ecritu res p o u r d' autres termes plus precis , comme par exemple ic:poyp()(Cj)LCJ(t. M ais pour notre etude, ces nuances n o u s semblent superflues.

  • L. Couloubaritsis, Le sens de , Demonstration" clzez le Pseudo-Denys 3 33

    est !a notion de similitude disscmblable (&vo(Lolouc; O(LOt6nrr

  • 334 !. A bteilung

    ! ' interpretation allegorique et s ymbolique des Ecritures , pourrait faire croire que, peut-etre, la nouveaute du neoplatonisme dionysien reside dans la thematisation d'une theologie s ymbolique, renforcee, par surcroit , par une theologie m ystique . M ais ce s erait la negliger, entierement, le contexte philosophique de l 'epoque, et notamment la presence touj ours inebranlable de Proclus d ans cette ceuvre . Car, on ne peut oublier que ce d ernier est le grand theoricien de la theologie p lurivoqu e .

    En effet , interpretant l e s differentes formes de Ia methode theologique d e Plato n , Proclus remarque que celui-ci n 'a pas toujours traite de I a meme fayon son enseignement concernant l e s chases divines , mais selon qu atre modes d ifferents : par !'inspiration divine (Ev&wnx

  • L. Couloubaritsis, Le sens de , Demu n.rtration" chez le Pseudo-Denys 335

    ainsi , comme il dit, d'unc fac;:on irr