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Page 1 sur 18 Consommation des ménages et récession. Dossier. On connaissait peut-être déjà L’amour aux temps du choléra (hommage à GGM disparu en 2014), voici dans un registre un peu différent, la consommation en temps de crise, et au passage un petit hommage à Charlie Hebdo* (*le poste « lunettes » des dépenses de santé est, selon les enquêtes de l’INSEE et du CREDOC, le plus contraint de l’ensemble des dépenses de consommation des ménages). Composition du dossier. -Document 1. Quels sont les principaux déterminants de la consommation des ménages ? -Document 2. La consommation des ménages réagit-elle aussi à l’inflation et aux taux d’intérêt ? -Document 3. Le chômage affecte-t-il la consommation des ménages ? -Document 4. Politique budgétaire et consommation des ménages : comportements ricardiens ou comportements keynésiens ? -Document 5. Les ménages français sont-ils devenus plus ricardiens depuis la récession de

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Page 1: Consommation des ménages et récession · Page 3 sur 18 Document 2. La consommation des ménages réagit-elle aussi à l’inflation et aux taux d’intérêt? Source : José Bardaji,

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Consommation des ménages et

récession.

Dossier.

On connaissait peut-être déjà L’amour aux temps du choléra (hommage à GGM disparu en

2014), voici dans un registre un peu différent, la consommation en temps de crise, et au passage

un petit hommage à Charlie Hebdo* (*le poste « lunettes » des dépenses de santé est, selon les

enquêtes de l’INSEE et du CREDOC, le plus contraint de l’ensemble des dépenses de

consommation des ménages).

Composition du dossier.

-Document 1. Quels sont les principaux déterminants de la consommation des ménages ? -Document 2. La consommation des ménages réagit-elle aussi à l’inflation et aux taux d’intérêt ? -Document 3. Le chômage affecte-t-il la consommation des ménages ? -Document 4. Politique budgétaire et consommation des ménages : comportements ricardiens ou comportements keynésiens ? -Document 5. Les ménages français sont-ils devenus plus ricardiens depuis la récession de

Page 2: Consommation des ménages et récession · Page 3 sur 18 Document 2. La consommation des ménages réagit-elle aussi à l’inflation et aux taux d’intérêt? Source : José Bardaji,

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2008 ? -Document 6. Pourquoi est-il difficile de vérifier empiriquement le principe d’équivalence Barro-Ricardo ? -Document 7. Comment la crise bouleverse-t-elle les comportements des consommateurs ? -Document 8. Quelle analyse économique du low cost peut-on faire ?

Document 1. Quels sont les principaux déterminants de la consommation des ménages ?

Source : José Bardaji, Matthieu Lequien, Aurélien Poissonnier, « La consommation des ménages

français depuis 2009 : rôle du système fiscalo-social », L’économie française, INSEE

Référence, 2014.

Le revenu et la richesse des ménages constituent les premiers déterminants de la consommation

mis en avant par la littérature théorique comme empirique. Dans une perspective de « cycle de

vie », les ménages déterminent en effet leur consommation en fonction de la chronique de

revenus qu’ils anticipent percevoir au cours des années à venir, ramenée à la valeur

d’aujourd’hui à l’aide du taux d’intérêt. Les ménages épargnent lorsqu’ils anticipent une perte de

revenu future (par exemple en prévision de la retraite) et à l’inverse désépargnent lorsque le

revenu est temporairement faible. La consommation est ainsi déterminée par la somme actualisée

par le taux d’intérêt des revenus du travail anticipés par le ménage et des revenus qu’il tirera de

ses actifs financiers, nets des dettes qu’il peut avoir contractées. La valeur des actifs étant en

théorie égale à la somme des revenus financiers actualisée, la richesse détenue par les ménages

est aussi un déterminant théorique de la consommation. De fait, les estimations menées sur

données américaines ou britanniques font ressortir l’impact du revenu et de la richesse sur la

consommation des ménages. Les effets de richesse semblent toutefois beaucoup moins présents

en France qu’aux États-Unis (…).

Par ailleurs, Carroll, Hall et Zeldes (Carroll C., Hall R. et Zeldes S., « The buffer-stock theory of

saving: Some macroeconomic evidence » Brookings papers on economic activity, (2), 1992.

Carroll C., « How does future income affect current consumption? » The Quarterly Journal of

Economics, 109(1), 1994) proposent l’idée d’un consommateur prudent, épargnant en prévision

des aléas futurs, mais aussi impatient. Cela le conduit ainsi à consommer selon son revenu

courant une fois qu’il s’est constitué un volant minimal d’épargne de précaution, lui permettant

d’éviter de se trouver sans ressource en cas de perte d’emploi. Cette épargne est malgré tout

insuffisante pour lisser complètement sa consommation sur son cycle de vie. Une telle approche

rend compte du lien fort entre consommation et revenu courant largement établi dans la

littérature empirique. Carroll (1994) trouve ainsi sur données américaines que la consommation

courante est liée au revenu courant, mais ne l’est pas à l’évolution prévisible des revenus futurs,

ce qui signale l’impatience des ménages. Sur données macroéconomiques françaises, le revenu

courant ressort en général comme un déterminant essentiel de la consommation, mais également

les revenus passés, que cela traduise le fait que les ménages construisent leurs anticipations de

revenu en extrapolant leurs revenus passés, ou une certaine inertie des comportements de

consommation face à une variation imprévue de leur revenu.

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Document 2. La consommation des ménages réagit-elle aussi à l’inflation et aux taux

d’intérêt ?

Source : José Bardaji, Matthieu Lequien, Aurélien Poissonnier, « La consommation des ménages

français depuis 2009 : rôle du système fiscalo-social », L’économie française, INSEE

Référence, 2014.

L’inflation joue également un rôle sur la consommation en érodant le revenu et la richesse, ce

qui pousse souvent à considérer toutes ces grandeurs en termes réels, c’est-à-dire hors inflation.

Cette dernière peut influer sur la consommation via deux effets supplémentaires et opposés :

d’un côté, les anticipations d’inflation peuvent inciter à anticiper certains achats (comportement

dit de fuite devant la monnaie) ; de l’autre, l’inflation réduit le pouvoir d’achat

des liquidités disponibles, ce qui pousse les ménages à épargner davantage. Empiriquement, le

second effet, appelé « effet Pigou » ou d’encaisses réelles, domine (sur données françaises

Bonnet et Dubois, 1995).

Le taux d’intérêt affecte la consommation de manière ambivalente. D’abord, une montée des

taux d’intérêt réduit le prix actualisé de la consommation future par rapport à la consommation

courante, cet effet de substitution poussant l’épargne à la hausse. En outre, elle peut réduire la

valeur de certains actifs détenus par les ménages, ce qui déprimerait la consommation par un

effet richesse. En revanche, elle augmente les revenus futurs du patrimoine des ménages, ce qui

les pousse à consommer plus aujourd’hui et dans le futur. Cet effet revenu découle du fait qu’en

moyenne, les ménages ont une richesse nette positive (la hausse des revenus sur leurs actifs

l’emporte sur celle du service de leur dette). Toutefois, raisonner à un niveau agrégé peut

masquer l’hétérogénéité des comportements : un ménage avec de forts revenus du capital est en

moyenne plus aisé et sa propension à consommer est donc en général plus faible [RL :

importance d’une analyse « désagrégée », les ménages du 5e quintile épargnent

près de 35 % de leurs revenus disponibles ; en revanche, les ménages à revenu

modeste ou moyen sont davantage contraint par le revenu courant et par les taux

d’intérêt portant sur les crédits à la consommation].

Document 3. Le chômage affecte-t-il la consommation des ménages ?

Source : José Bardaji, Matthieu Lequien, Aurélien Poissonnier, « La consommation des ménages

français depuis 2009 : rôle du système fiscalo-social », L’économie française, INSEE

Référence, 2014.

La consommation peut aussi répondre à d’autres déterminants. Le chômage, au-delà de son effet

sur le revenu courant qui est capturé par la variable de revenu, réduit les anticipations de revenu

futur et augmente l’incertitude sur celui-ci. Par conséquent, une hausse du chômage devrait

pénaliser la consommation via une hausse de l’épargne de précaution. Cet effet pourrait toutefo is

être limité à long terme si la réduction de leurs revenus conduit les ménages touchés par le

chômage à consommer une part très importante de leur revenu courant, conduisant ainsi à faire

baisser le taux d’épargne agrégé. La confiance des ménages peut renseigner directement sur

l’état d’esprit des ménages et leur envie de consommer et permettre de capter la part des

anticipations qui ne se déduit pas de la valeur de ses déterminants mesurables tels que le revenu.

Finalement, d’autres variables ou des indicatrices peuvent capter des mesures ponctuelles de

politique économique, comme une prime à la casse ou la mise en place d’un bonus/malus

écologique qui joue sur les achats automobiles, ou des événements climatiques, comme un hiver

plus ou moins rigoureux. Ces deux derniers effets peuvent être particulièrement importants dans

une analyse infra-annuelle de la consommation ; autrement, ils restent plus marginaux.

Page 4: Consommation des ménages et récession · Page 3 sur 18 Document 2. La consommation des ménages réagit-elle aussi à l’inflation et aux taux d’intérêt? Source : José Bardaji,

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Document 4. Politique budgétaire et consommation des ménages : comportements

ricardiens ou comportements keynésiens ?

Source : José Bardaji, Matthieu Lequien, Aurélien Poissonnier, « La consommation des ménages

français depuis 2009 : rôle du système fiscalo-social », L’économie française, INSEE

Référence, 2014.

La relation entre consommation et revenu courant est aussi souvent étudiée en lien avec la

politique budgétaire, puisque cette dernière est une source majeure de chocs sur le revenu,

visibles à l’échelle macroéconomique. Jusqu’à présent, les ménages ont été supposés ajuster leur

consommation en fonction du revenu courant, ou d’une extrapolation de leurs revenus passés.

Par conséquent, une baisse des impôts payés par les ménages est supposée augmenter leur

consommation. A contrario, comme l’a montré Barro (Barro R.J., « Are government bonds net

wealth? », Journal of Political Economy 82(6), 1974), si les ménages sont parfaitement

rationnels et se soucient des besoins futurs de leur descendance, une baisse des impôts ne doit

pas affecter leurs dépenses de consommation. En effet, dans ce cadre, les ménages sont

conscients que les dépenses publiques passées et futures sont exactement payées par les impôts

passés et futurs. Tant que le chemin de dépenses n’est pas modifié, ils savent que la somme

actualisée des impôts dont ils doivent s’acquitter restera la même et ils ajustent donc leur

épargne, par exemple à la hausse en prévision de la hausse future des taxes : c’est l’équivalence

ricardienne. Dans ce cadre, une baisse permanente des dépenses publiques, en réduisant

implicitement les impôts à acquitter dans le futur, est exactement compensée par une hausse

équivalente de la consommation privée, si bien que l’activité n’en est pas affectée.

Finalement, le multiplicateur budgétaire serait théoriquement nul dans ce cadre d’analyse. Des

modélisations plus récentes ont été développées pour rendre compte de consolidations

budgétaires qui ont été accompagnées par une hausse de l’activité, c’est-à-dire un multiplicateur

budgétaire négatif. C’est l’existence de non-linéarités dans la réaction des agents qui expliquerait

alors le plus souvent ce comportement qualifié d’« anti-keynésien ». Le modèle néoclassique

peut être enrichi avec le niveau permanent des dépenses publiques, qui détermine le

comportement d’offre des entreprises à travers le niveau induit de la taxation. Selon cette

modélisation, une baisse pérenne des dépenses réduit la pression fiscale et les distorsions

associées, ce qui entraîne une hausse de la production à long terme. La consommation augmente,

quant à elle, dès que les ménages anticipent cette baisse des dépenses. Bertola et Drazen (1993)

et Sutherland (1997) ont enrichi le modèle néokeynésien de non-linéarités provenant du niveau

de la dette publique : au-delà d’un certain niveau d’endettement public, les agents en attendent

des conséquences néfastes sur l’activité. Dans ce modèle, un engagement crédible à diminuer cet

endettement pourrait alors relancer la consommation. Quelques études ont testé le comportement

ricardien des ménages français et ont obtenu des résultats contrastés. De Serres et Pelgrin (De

Serres A. et Pelgrin F., « The Decline in private saving rates in the 1990s in OECD

countries:How much can be explained by non-wealth determinants? » Economic Studies, n° 36,

OECD 2003) estiment que la hausse du déficit public est compensée pour un tiers par une hausse

de l’épargne privée. Pour Fraisse (Fraisse H., « Du nouveau sur le taux d’épargne des ménages ?

» Bulletin de la Banque de France n° 130, 2004), la hausse du déficit public est compensée par

une hausse d’épargne privée pour un quart à court terme mais n’est pas compensée à long terme.

Ces estimations de la réponse de l’épargne privée, puisqu’elles sont plus proches de 0 que de 1,

indiqueraient un comportement keynésien. Au contraire, Röhn (Röhn O., « New evidence on the

private saving offset and Ricardian equivalence », Economics Department Working Papers, n°

762, OECD, 2010) aboutit plutôt à un comportement ricardien à court terme puisque l’épargne

privée augmente d’autant que le déficit public (issu d’une baisse d’impôts). À long terme,

l’épargne privée augmente de la moitié de la hausse du déficit public. Sur le panel de 16 pays de

l’OCDE qu’il étudie, il trouve même en moyenne une hausse d’épargne privée qui fait un peu

plus que compenser la hausse du déficit public à court et long terme.

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Document 5. Les ménages français sont-ils devenus plus ricardiens depuis la récession de

2008 ?

Source : José Bardaji, Matthieu Lequien, Aurélien Poissonnier, « La consommation des ménages

français depuis 2009 : rôle du système fiscalo-social », L’économie française, INSEE

Référence, 2014.

De 2008 à 2013, la consommation des ménages français a crû très faiblement : + 0,4% en

moyenne par an contre + 2,4 % sur les années 2000. Ce net ralentissement est lié à celui du

pouvoir d’achat du revenu des ménages, qui a fortement ralenti entre les deux périodes : de 2,4

% en moyenne par an à 0,4 % également. Depuis la grande récession, la croissance de la

consommation s’est en revanche écartée assez sensiblement de celle du revenu, d’abord à la

baisse en 2009 puis à la hausse entre 2010 et 2013 (figure 1).

(1) Consommation et pouvoir d’achat des ménages.

Champ : France. Lecture : entre 2000 et 2007, la consommation des ménages a crû de 2,4% en moyenne par an

comme le pouvoir d’achat.Source : Insee, comptes nationaux annuels.

La spécification (RL : la modélisation macroéconomique prenant en compte les

différents déterminants de la consommation des ménages) rend globalement compte de

la consommation des ménages depuis 40 ans. Plus récemment, la moindre croissance de la

consommation pendant les années 2008-2009 par rapport aux années 2000-2007 (+ 0,3 % contre

+ 2,4 % auparavant) provient en premier lieu du pouvoir d’achat du revenu, avec une

contribution annuelle moyenne en recul de 0,9 point ; ce recul reste inférieur à celui de la

croissance du pouvoir d’achat, illustrant une fois encore les délais d’ajustement de la

consommation à un choc de revenu. L’inflation et la variable de crédit n’ont pas eu de grande

influence. Une partie du ralentissement de la consommation sur la période 2008-2009 reste

finalement inexpliquée par ces déterminants (1,2 point).

De fait, la consommation a été plus faible qu’attendu par ses principaux déterminants au moment

des épisodes récessifs, et notamment en 2009 où sa croissance a été inférieure de 1,5 point à celle

prévue, occasionnant une déconnexion en niveau résorbée sur les années suivantes. Cette partie

inexpliquée de la consommation peut venir de l’omission de certains déterminants de la

consommation. Deux pistes directement liées à la grande récession sont donc examinées ici :

(i) la modification de la composition du revenu des ménages induite par la crise et

(ii) le caractère ricardien des ménages suite aux plans de relance puis à la consolidation.

Cette faiblesse de la consommation n’est pas liée à la modification du revenu sur la période.

La grande récession suivie d’un rebond de l’activité en 2010-2011 puis d’une période de

croissance atone en 2012-2013 a engendré des modifications de la part de chaque type de revenu

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dans le total du revenu des ménages. Cette modification est aussi en partie liée à la consolidation

budgétaire menée depuis 2010, qui a principalement porté sur les recettes et en particulier sur les

impôts affectant les revenus des ménages les plus aisés. La partie qui suit cherche ainsi à

analyser comment cette modification des différents types de revenu a pu orienter le taux

d’épargne des ménages, du fait de propensions différentes à consommer chaque type de revenu.

Le revenu disponible brut (RDB) des ménages comprend les revenus d’activité, les revenus du

patrimoine, les transferts en provenance d’autres secteurs institutionnels et les prestations

sociales (y compris les pensions de retraite et les indemnités de chômage), nets des impôts

directs (impôt sur le revenu, CSG et CRDS, taxe d’habitation, ISF).

De 1970 à 2007, la composition du revenu des ménages s’est profondément transformée. Si les

salaires nets en représentent une part stable à environ 50 %, la part du revenu mixte des ménages

(revenu d’activité des ménages non salariés) a baissé, passant de 22 % à 11 %. Cette

modification tient à la « salarisation » croissante de l’économie. En miroir, sur la même période,

les autres revenus nets (revenus de la propriété, notamment financiers) ont doublé en part du

revenu, passant de 5 à 10 %, tout comme l’EBE des ménages passant de 8 % à 13 %. Les

prestations sociales ont également progressé (de 20 à 31 % du revenu), en miroir des cotisations

sociales, reflétant la forte montée en charge de la protection sociale en France. Par ailleurs, la

part des impôts directs dans le revenu a plus que doublé puisqu’ils représentent une ponction de

14 % en 2007 contre 6 % en 1970.

Composition du revenu des ménages.

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Depuis 2007, la part des salaires nets a légèrement progressé. En revanche, celle correspondant

au revenu des non-salariés a reculé de plus d’un point, signalant en creux un impact plus

important de la crise sur cette population. Les prestations sociales ont nettement progressé en

part du revenu (+ 4 points), notamment du fait de la hausse des indemnités chômage sur la

période. Enfin, les impôts ont également progressé, surtout depuis 2010 (+ 2 points de revenu en

trois ans).

Les revenus d’activité non salariaux correspondent au revenu d’agriculteurs, d’artisans, de

commerçants, de professions libérales, etc. dont le taux d’épargne est très élevé (46 % en 2003

pour les indépendants hors agriculteurs et 19 %pour les agriculteurs-exploitants contre 17 % en

moyenne sur l’ensemble de la population). Cette différence s’explique notamment par

l’utilisation de cette épargne pour financer les investissements professionnels de ces ménages

producteurs mais aussi par des différences dans leurs régimes de retraite.

Les revenus de la propriété, notamment financiers, sont susceptibles d’être plus

systématiquement ré-épargnés pour deux raisons. C’est d’abord souvent la solution par défaut et

la moins coûteuse d’utilisation de ce revenu du fait d’incitations fiscales attachées à ce type de

produit, notamment les plans d’épargne en actions et assurances-vie. Ensuite, ces revenus sont

aussi concentrés sur les plus hauts déciles de revenus dont la propension à consommer est plus

faible. Les prestations et cotisations sociales correspondent à une redistribution de revenu vers

des ménages a priori plus contraints, c’est-à-dire ayant une capacité d’épargne plus faible. [Mais]

cette analyse ne permet pas de conclure à un effet probant de la composition du revenu sur la

dynamique inexpliquée de la consommation.

La période post-2007 est également caractérisée par des variations majeures du solde public : il a

baissé les trois premières années de crise, à cause d’une baisse des recettes et d’une hausse des

dépenses, et a remonté ensuite avec le processus de rétablissement des finances publiques. Si

certains ménages adoptaient un comportement ricardien, ces mouvements seraient à même

d’expliquer aussi une partie de l’évolution de la consommation. De fait, les épargnes privée et

publique (exprimées en point de PIB) présentent une corrélation

négative. Cette dernière pourrait signaler une causalité de l’épargne publique vers l’épargne des

ménages qui reste toutefois à vérifier. Cette partie propose donc de voir comment le

comportement de consommation des ménages peut s’expliquer en partie par la politique

budgétaire (…).

Ce lien est simple : une hausse de la consommation se traduit mécaniquement par un supplément

de recettes, de TVA notamment, et in fine par une amélioration du solde public. De manière

générale, une hausse de la consommation induit une hausse de la production qui en retour se

matérialise par plus d’emploi, plus de revenu et in fine plus de recettes et moins de dépenses

publiques. Enfin, il est possible que ce soit en réaction à une consommation annoncée en berne

que les autorités budgétaires décident de relancer l’activité. Cela induirait des baisses

simultanées de la consommation et du solde public qui passeraient par le canal de la politique

économique. En définitive, la forte corrélation entre consommation et solde public traduit (du

moins en partie) une causalité de la consommation vers le solde public. Qu’en est-il de la

causalité dans l’autre sens, qui est celle qui nous intéresse ici ?

Le comportement de consommation réagirait faiblement à une variation de l’épargne publique

(ici approchée par le solde structurel primaire). D’après nos estimations, une hausse de cette

épargne d’un point de RDB se traduirait par une hausse légère et temporaire, mais significative,

de la consommation (+ 0,2 point). Elle n’aurait pas d’impact à long terme, confirmant l’absence

d’équivalence ricardienne. Pour être en mesure de qualifier ce comportement de ricardien, il est

utile de tester la sensibilité de la consommation des ménages à la provenance de l’amélioration

(ou de la dégradation) de l’épargne publique. Pour ce faire, les variations du solde structurel sont

distinguées en recettes et en dépenses structurelles (hors dépenses d’investissement8). Les

conclusions précédentes sont réaffirmées avec un impact faible et à court terme uniquement des

variables budgétaires sur la consommation des ménages. L’impact est sensiblement le même

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suivant l’origine de la variation du solde public : une hausse/baisse d’un point de RDB des

recettes/dépenses viendrait accroître la consommation de 0,3 point la première année. Toutefois,

ces conclusions restent fragiles. […]

Cette réaction dépendrait également de l’ampleur de la variation de l’épargne publique. Les

ménages pourraient aussi n’adapter leurs dépenses de consommation que si l’épargne publique

connaît de fortes variations. L’idée sous-jacente est simple : lorsque les pouvoirs publics

décident de mener des politiques budgétaires d’envergure, la presse s’en fait davantage écho et la

prise de conscience par les acteurs économiques devient plus forte. Les faits économiques

récents en constituent une parfaite illustration : au lendemain de la grande récession, en partie du

fait de la crise des dettes souveraines en Europe, les gouvernements ont inscrit comme priorité le

rétablissement des finances publiques. S’en sont suivies des mesures de consolidation qui ont

alimenté les débats nationaux et internationaux. […]

Effectivement, l’estimation menée suggère la présence de non-linéarités : la réaction des

ménages serait plus forte lorsque l’épargne publique connaît des évolutions importantes; elle

serait non significative dans le cas contraire. La prise en compte de cet effet de seuil aiderait à

mieux comprendre le ralentissement marqué de la consommation des ménages pendant les

années 2008-2009. En 2009 notamment, la croissance presque nulle de la consommation est la

résultante d’une contribution positive du revenu contrebalancée fortement par une contribution

négative du solde primaire (respectivement + 1,7 point et – 1,1 point). La contribution négative

des crédits a été globalement compensée par le soutien de la désinflation. Au total, la croissance

de la consommation en 2009 est restée 0,4 point inférieure à ce que ses déterminants laissaient

attendre, ce qui est faible en comparaison historique. De manière générale, cette spécification

rend globalement mieux compte de la consommation des ménages sur la période récente.

Depuis 2007, la croissance ténue de la consommation des ménages (0,4 % en moyenne annuelle)

est surtout liée à la faiblesse du revenu sur la période, les autres déterminants usuels ayant une

moindre influence. Les évolutions annuelles ne sont pourtant pas toujours très bien expliquées.

Jusqu’en 2009, le taux d’épargne a sensiblement augmenté (+ 1,1 point à 16,2 % du revenu),

plus qu’attendu. Ce n’est vraisemblablement pas en lien avec la modification de la composition

du revenu pendant la crise. En revanche, face à la récession, les ménages ont constitué un surplus

d’épargne, soit en réaction à une hausse future des impôts soit par précaution en raison du

contexte économique devenu plus incertain. Il est difficile de privilégier l’une de ces deux

interprétations même si l’analyse économétrique plaiderait davantage pour la première. En effet,

ce comportement particulier d’épargne est mis en évidence par la variation du solde public mais

n’est pas expliqué par la hausse du chômage ou par la baisse de la confiance telle que retranscrite

dans l’enquête de conjoncture auprès des ménages. La politique budgétaire aurait ainsi une

légère influence sur la consommation des ménages à court terme venant compenser l’impact

direct qu’elle peut avoir sur le revenu.

Sur la période 2010-2013 et en miroir, le taux d’épargne a diminué (– 1,2 point à 15,1 %),

également un peu plus qu’escompté par le revenu et par les autres déterminants usuels de la

consommation. Ce retour du taux d’épargne à son niveau pré-crise pourrait s’expliquer par une

reprise de la confiance et/ou par l’amorce du rétablissement des finances publiques, d’abord lié

au retrait des mesures de soutien à l’activité mises en place pendant la crise et ensuite à la

consolidation budgétaire entamée à partir de 2011.

Document 6. Pourquoi est-il difficile de vérifier empiriquement le principe d’équivalence

Barro-Ricardo ?

Source : Source : José Bardaji, Matthieu Lequien, Aurélien Poissonnier, « La consommation des

ménages français depuis 2009 : rôle du système fiscalo-social », L’économie française, INSEE

Référence, 2014.

Page 9: Consommation des ménages et récession · Page 3 sur 18 Document 2. La consommation des ménages réagit-elle aussi à l’inflation et aux taux d’intérêt? Source : José Bardaji,

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L’équivalence ricardienne, une théorie économique difficile à tester. Quelle variable budgétaire

considérer ? L’équivalence ricardienne veut que la consommation ne dépende que de la richesse

actuelle, des revenus futurs anticipés et du coût anticipé des dépenses publiques. Ainsi, la

consommation ne doit pas dépendre du calendrier de la taxation,

à dépenses publiques anticipées inchangées. Gale et Orszag (2004) expliquent que la réponse

de la consommation à une variation des dépenses publiques ne renseigne pas sur le

comportement ricardien des ménages, puisque la consommation publique peut être un substitut

(les dépenses de santé ou d’éducation) ou un complément (les dépenses militaires) à la

consommation privée. Plus précisément et avec des ménages ricardiens, une baisse permanente

de la dépense publique augmente la consommation dans la mesure où elle signale une baisse

permanente de la taxation et donc une hausse de la richesse intertemporelle. Mais cette réponse

est brouillée par le type de consommation publique envisagée. En définitive, seule la réaction de

la consommation à la taxation permettrait de caractériser un comportement ricardien.

Le dossier propose donc différents tests de l’équivalence ricardienne, en retenant d’abord le

solde public puis en distinguant les recettes des dépenses publiques. D’où provient l’endogénéité

ou la causalité double entre consommation et finances publiques ?

L’évaluation de l’impact des finances publiques sur la consommation est aussi rendue complexe

par la nécessité de distinguer l’effet de causalité qu’on cherche à mesurer, de l’effet inverse

qu’on cherche à écarter et qu’a la consommation sur les finances publiques notamment au travers

des recettes de TVA. En effet, les impôts dépendent eux-mêmes de la base taxable et donc plus

ou moins directement de la consommation : la concomitance d’une

hausse de l’épargne et d’une baisse des impôts peut ainsi traduire soit une réaction de nature

ricardienne d’une frange de la population au creusement des déficits publics, soit la réaction des

impôts à une baisse de la consommation. […]

Romer et Romer (Romer C. et Romer D., « The macroeconomic effects of tax changes: estimates

based on a new measure of fiscal shocks », American Economic Review, 100, June), 2010)

notent que ce sont précisément dans les situations de creux conjoncturel, qui se matérialisent par

une relative faiblesse de la consommation, que des politiques de relance sont menées. Les

auteurs traitent ce problème par l’approche narrative, en analysant les textes de loi, discours

politiques et journaux de l’époque. Ils écartent les mesures fiscales qui affectent l’activité à court

ou moyen terme (par exemple parce qu’elles visent explicitement à relancer l’activité) et se

restreignent à celles qui peuvent être considérées comme véritablement exogènes et qui ne sont

pas systématiquement corrélées à d’autres facteurs impactant l’activité (par exemple parce

qu’elles visent à réduire le déficit ou à un objectif de plus grande justice sociale). De fait, les

auteurs trouvent qu’une hausse de la taxation a un impact négatif sur le PIB beaucoup plus fort

une fois la correction apportée.

Document 7. Comment la crise bouleverse-t-elle les comportements des consommateurs ?

Source : Revue Sciences humaines, janvier 2013.

Low cost, achats d’occasion ou groupés, location, troc… Les consommateurs développent de

nouvelles stratégies auxquelles les industriels cherchent à s’adapter. Ce faisant, une

modification durable des modes de consommation s’opère.

Baisse du pouvoir d’achat, crainte du chômage, incertitudes quant à l’avenir… Les Français

n’ont d’autre choix que de s’adapter. Différentes « solutions » s’offrent – ou s’imposent – à eux :

consommer moins, moins cher, « mettre la main à la pâte » ou encore partager.

1. Consommer moins.

En temps de crise, dépenser moins se révèle un impératif pour beaucoup ; l’augmentation des

dépenses dites « contraintes » ou « préengagées » limite les marges de manœuvre. Pour faire face

à la baisse de leur pouvoir d’achat, les Français se voient donc dans l’obligation de faire des

arbitrages ; certains achats s’en trouvent différés, voire supprimés.

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Victimes de ces choix, les ventes de voitures neuves ont chuté de 14 % en 2012. Pour tenter

d’inverser la tendance, les constructeurs multiplient les rabais sur les voitures neuves, de façon à

dégonfler leurs stocks. Mais les particuliers recherchent avant tout des prix serrés et c’est

l’occasion qui leur apporte actuellement la meilleure réponse. Autre donnée notable, même s’il a

été éphémère, le monde a connu en 2008 un nouveau choc pétrolier qui a laissé des traces dans

les ménages qui ont continué de réduire leur consommation lorsque les prix de l’essence ont

baissé.

Autre poste de dépense directement menacé par la

baisse du pouvoir d’achat : les vacances. Les Français

continuent à partir, mais la crise impose de nouvelles

contraintes ; ils partent moins loin, moins longtemps et

pour moins cher. Dans ce domaine comme dans

d’autres, toutes les catégories sociales ne sont pas

logées à la même enseigne. Le taux de départ en

vacances varie ainsi du simple au double entre le bas et

le haut de l’échelle des revenus ; et ces différences ont

tendance à se creuser depuis la crise. Avec celle-ci, les

foyers les plus modestes, déjà en prise avec des

difficultés pour boucler leurs fins de mois, sont les

premiers touchés par l’augmentation du chômage. Dès

lors, partir en vacances semble, pour ces groupes, de

plus en plus improbable. Et le manque de moyens n’est

pas le seul obstacle ; la plupart des vacances des

Français se font à moindre coût : selon la Direction

générale de la compétitivité, de l’industrie et des

services (DGCIS), 88 % de leurs voyages en 2011 sont

restés dans l’Hexagone, plus des trois quarts ont été effectués par la route, essentiellement en

voiture, et l’hébergement chez des amis ou la famille reste prédominant. Autant de possibilités

qui ne s’offrent pas toujours aux plus modestes qui, en moyenne, sont moins souvent équipés

d’une voiture et disposent également d’un réseau relationnel moins étendu. À cela s’ajoute le fait

que le développement des offres touristiques par Internet exclut une partie des moins fortunés

qui n’ont pas d’accès à Internet chez eux (1).

À côté de cela, 80 % des Français envisageraient de réduire leurs dépenses de loisirs ; ils étaient

déjà 29 %, l’an dernier, à dépenser moins pour leurs sorties. Il ne s’agit pas tant de supprimer ce

poste de dépenses, mais plutôt de le réorienter vers des sorties de proximité, de la musique, de

grands événements ou, mieux encore, des loisirs gratuits ; théâtres, petites salles de spectacle et

restaurants subissent, eux, une baisse significative de fréquentation.

Peut-être encore plus alarmant : la santé est elle aussi victime des restrictions budgétaires des

Français. 27 % de ceux-ci auraient reporté ou renoncé à des soins médicaux en 2011. En France,

les achats de lunettes sont le premier poste différé pour des raisons économiques (19 %), devant

les soins dentaires (10 %) et les achats de médicaments (5 %). La faute à la crise, aux

déremboursements de la Sécu, aux dépassements d’honoraires des médecins, mais aussi à la

hausse du prix de mutuelles : l’accès aux services de santé est de plus en plus mis à mal.

2. Consommer moins cher

Quand ils ne les suppriment pas, les Français cherchent à réduire au maximum le coût de leurs

achats. Différentes options s’offrent alors à eux, celles-ci variant, notamment, selon les biens et

services concernés.

Réserver son vol sur une compagnie low cost est aujourd’hui, pour beaucoup, une pratique

courante. Preuve en est : les compagnies à bas coûts représentent aujourd’hui 38 % du trafic

passager intraeuropéen. Mais s’il s’agit là du secteur où la percée du low cost semble la plus

évidente, bien d’autres domaines sont également concernés : la distribution alimentaire avec des

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enseignes de hard discount, le jardinage avec Garden Price, le bricolage avec Bricodépôt,

l’hôtellerie avec Formule 1, l’automobile avec la Logan de Renault, et même la coiffure avec les

salons Tchip coiffure. Contrairement à ce qu’il pourrait être facile de penser, le low cost ne

s’adresse pas qu’à un « marché de pauvres » ; les consommateurs font des choix et privilégient

certains biens ou services, ramenant le reste de leur consommation au registre de la simple

fonctionnalité. À changement de demande, changement d’offre ; aux évolutions des modes de

consommation, les industriels tentent de répondre avec une modification des méthodes de vente

et de marketing. Ainsi, les sociétés comme Unilever s’adaptent « au retour de la pauvreté en

Europe », affirme Jean Zidervekd (responsable Europe du groupe) et proposent, par exemple, de

plus petits conditionnements, comme c’est le cas sur le continent asiatique. Cette prise de

conscience des industriels se manifeste également par le développement de marques de

distributeurs, mais aussi par la présence de plus en plus fréquente, dans certaines enseignes

traditionnelles de la grande distribution, de rayons « self discount » avec des pâtes, du café, des

céréales et autres gâteaux en vrac.

Pour consommer moins cher, les Français sont en revanche de plus en plus adeptes des achats

d’occasion et de la location. Après tout, pourquoi payer le prix fort un bien qu’il est possible de

dénicher d’occasion, parfois deux ou trois mois après sa sortie et jusqu’à 50 % moins cher ?

Pourquoi ne pas louer un outil dont on ne compte faire qu’un usage occasionnel ? À la faveur de

la crise, le principe que l’usage prime sur la possession rencontre un engouement croissant

auprès des consommateurs. Internet et les réseaux sociaux jouent – ont joué et joueront – un

grand rôle dans le développement des nouvelles pratiques de consommation ; ils en sont aussi les

témoins. Il n’y a qu’à observer la croissance des sites Internet de location (aujourd’hui, tout se

loue !) comme Zilok, Goopes, Consoloc ou autre e-Loue ; celle des sites de troc et de don

également ou encore l’essor de sites comme Le bon coin, PriceMinister ou eBay. Des sites qui

proposent d’acheter d’occasion, mais également de vendre. Et si le prix reste le principal moteur

du marché de l’occasion, les consommateurs sont aussi de plus en plus sensibles au fait de

donner une seconde vie aux objets plutôt que d’être dans une course perpétuelle à la nouveauté.

L’achat de produits d’occasion est « devenu aujourd’hui un geste banal », qui concerne 60 % des

Français selon l’Observatoire société consommation (Obsoco). Malgré le rôle croissant des

nouvelles technologies, certains hésitent encore à sauter le pas, à faire confiance au Web en

matière d’achats, lui préférant les réseaux physiques. Brocantes, vide-greniers – environ 500 000

organisés tous les ans – et autres Sel (systèmes d’échanges locaux) se renouvellent fortement,

quand, dans un même temps, des magasins d’achat-vente ouvrent un peu partout en France à un

rythme soutenu. Mais même dans les réseaux physiques, la Toile a son rôle à jouer. Il n’est pas

rare, dans les brocantes, d’observer des promeneurs arpenter les stands smartphone à la main,

prêts, à tout moment, à vérifier si le prix proposé par le vendeur constitue – ou non – une

opportunité à saisir

3. Faire soi-même

Dans cette dynamique, le fait-main rencontre un regain d’intérêt assez exceptionnel. Pourquoi

laisser faire par un autre – et en le payant ! –, ce que l’on peut faire soi-même ? Et en prenant du

plaisir !

La cuisine « maison » connaît ainsi un réel boom. Émissions de télévision culinaires, salons,

livres, titres de presse et autres rubriques gourmandes, cours de cuisine, blogs et sites Internet

consacrés à la gastronomie ne cessent de se développer. Ainsi, quelque 84 % des Français

pratiqueraient régulièrement ou occasionnellement la cuisine maison pour des raisons d’abord de

santé et de plaisir, mais aussi pour des raisons économiques. Le « fait maison » coûte moins cher

que les petits plats industrialisés et permet d’être maître de la quantité. Quand bien même la

cuisinière ou le cuisinier aurait eu les yeux plus gros que le ventre, accommoder les restes permet

d’éviter le gâchis. Il s’agit là d’une vraie tendance : des associations développent aujourd’hui des

cours proposant d’apprendre à cuisiner les restes. En temps de crise, plus que jamais, la chasse

au gâchis est ouverte : un site Internet comme www.zero-gachis.com – qui invite les internautes

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à signaler les produits proches de la date de péremption vendus à prix cassés dans les

supermarchés – en est un exemple concret.

Autre tendance côté cuisine : récolter soi-même ses fruits et légumes. Ce n’est pas vraiment une

nouveauté, mais baisse du pouvoir d’achat et « bio attitude » aidant, le concept connaît un succès

grandissant. L’idée est de pouvoir ramasser et choisir soi-même ses fruits et légumes dans des

exploitations agricoles spécifiques. Pour cela, il suffit de se renseigner sur les producteurs

pratiquant cette activité, prendre son panier et… mettre de bonnes chaussures ! Économique – les

marges intermédiaires sont supprimées –, ce mode d’approvisionnement est également amusant,

ludique… et écoresponsable.

Autre domaine où le faire soi-même rencontre un franc succès : le bricolage. Les Français sont

plus de 80 % à déclarer préférer réaliser leurs travaux eux-mêmes plutôt que de les confier à des

professionnels (5). Environ 50 % d’entre eux se présentent ainsi comme « bricoleurs

expérimentés », alors qu’ils n’étaient qu’un peu plus de 30 % il y a un an seulement. Malgré la

baisse du pouvoir d’achat, l’aménagement de l’habitat reste ainsi une dépense prioritaire ; une

dépense néanmoins raisonnée puisque réfléchie avec le souci d’éviter le gaspillage, de trouver

des bons plans et de faire des économies d’énergie. On dépense, oui, mais on dépense économe.

« Faire soi-même » s’envisage – et se développe – dans bien des domaines. « Self-garage »,

ateliers de décoration, de fabrication de bijoux, de tricot… Le phénomène se nourrit des

nouvelles pratiques de consommation nées avec Internet : chacun peut aujourd’hui ouvrir un

blog, une boutique en ligne, et contourner ainsi les circuits classiques fondés sur la publicité et

les grandes enseignes commerciales. Le phénomène dépasse largement le cadre de la « simple »

débrouille ; les gens inventent un nouvel artisanat.

4. Consommer ensemble

Le partage est au cœur des nouveaux modes de consommation ; les particuliers tendent de plus

en plus à se débrouiller entre eux.

Le covoiturage est ainsi une marque évidente du développement du « consommer ensemble ».

Cet état d’esprit qui, au tout début, semblait réservé aux autostoppeurs, aux jeunes et aux

étudiants, gagne désormais bien d’autres catégories ; année après année, ce mode de transport

prend de l’ampleur, les cadres et les seniors s’y mettent, et si le facteur économique reste la

première motivation pour y recourir, la convivialité et les préoccupations écologiques

contribuent également à son développement. Preuve de l’intérêt que suscite ce service, outre la

multiplication des sites Internet y étant dédiés : de nombreux acteurs, des entreprises aux

collectivités territoriales en passant par les sociétés d’autoroutes, l’encouragent. Le covoiturage

semble avoir de belles années devant lui.

La colocation, elle non plus, ne se trouve pas réservée aux étudiants. Les actifs sont en effet

nombreux à ne plus avoir d’autres choix que ce type de logement ou à vouloir profiter de leur vie

de jeune actif autrement qu’en mettant la moitié de leur salaire dans un loyer. Émerge aussi, avec

la crise, une génération dite « boomerang ». En France, près de 700 000 adultes seraient ainsi

retournés vivre chez leurs parents, rejetés au bercail par la flambée de l’immobilier, un divorce,

le chômage ou une difficulté passagère (6).

De plus en plus, les Français se déplacent ensemble, vivent ensemble… achètent également

ensemble. Une tendance que confirme la bonne santé de sites comme Groupon, Maxideal,

KgbDeal ou Livingsocial, mais aussi l’observation de ce que même les centres commerciaux se

mettent à proposer des achats groupés.

La crise a des effets économiques et sociaux importants en termes de dégradation de niveau de

vie, de précarisation des franges de la population les plus fragiles, mais également

d’interrogation sur notre modèle de production et de consommation. Nos comportements s’en

trouvent modifiés, davantage marqués par des valeurs de responsabilité environnementale, de

convivialité, de lien social et de solidarité. Certes, la crise n’est pas à proprement parler à

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l’origine de ces changements, elle en est cependant clairement révélatrice et amplificatrice. Et ça

semble bien parti pour durer.

Document 8. Quelle analyse économique du low cost peut-on faire ?

Source : Emmanuel Combe, Le low cost (2011) ?

Longtemps cantonné à l’aérien et à la distribution alimentaire, le low cost se diffuse aujourd’hui

dans plusieurs secteurs, même s’il y occupe une place encore limitée : automobile, banque,

assurance, coiffure, jardinerie, salles de gym, téléphonie mobile, etc. À l’exception des produits

de luxe et de haute technologie, la plupart des activités dédiées à la consommation des ménages

offrent désormais un segment low cost, plus ou moins florissant. Plus encore, loin d’être réservé

à une catégorie donnée de population, le low cost est utilisé aujourd’hui par une majorité de

consommateurs, même si les pratiques restent très différenciées selon les groupes sociaux : le

low cost aérien concerne tout autant le cadre supérieur que l’étudiant ou le retraité, tandis que le

hard discount alimentaire est fréquenté à la fois par les ménages à faibles revenus à titre

principal et par une majorité de la population comme magasin de complément. […]

Pourtant, en dépit de son succès auprès des consommateurs, le low cost reste toujours l’objet de

vives critiques, accusé notamment de sacrifier la qualité et l’emploi sur l’autel des prix bas. Si le

low cost suscite encore la méfiance, c’est sans doute d’abord parce qu’il s’agit d’un modèle

économique relativement récent : la nouveauté suscite toujours une certaine inquiétude, en

bouleversant nos schémas de pensée, nos certitudes les mieux établies.

Mais commençons d’abord par identifier les contours de notre objet : lorsque l’on parle de low

cost, à quelle réalité fait-on exactement référence ?

Il est tentant de partir du sens littéral en anglais pour en cerner la nature : le low cost désignerait

alors toute activité économique fondée sur la baisse des coûts. Si l’on retient cette acception

large, une entreprise qui délocalise sa production dans un pays à faible coût de main-d’oeuvre

(pays dit low cost), une entreprise qui réorganise ses méthodes de production pour réaliser des

gains de productivité seront alors qualifiées de low cost.

Cette approche du low cost se révèle en réalité trop extensive : le même jouet, produit hier en

Europe, deviendrait soudainement demain low cost du seul fait de la délocalisation de sa

production en Chine, alors même que les contours du produit n’ont été en rien modifiés. Toute

production à bas coûts ne saurait être assimilée à du low cost si elle ne s’accompagne pas

simultanément d’une démarche de redéfinition du produit dans le sens d’une simplification. À ce

titre, le low cost doit être clairement distingué de pratiques telles que l’outsourcing, consistant à

faire fabriquer un produit dans un pays à bas coûts, ou le lean management, consistant à réduire

les coûts cachés dans les processus de production, notamment en gérant mieux les temps morts et

l’organisation du facteur travail. Si le low cost se traduit bien par de fortes baisses de coûts, tout

modèle de réduction des coûts ne peut pour autant se réclamer du low cost.

Une seconde piste consiste à définir le low cost en partant des niveaux de prix : le low cost serait

d’abord une pratique de prix bas (low fare). À nouveau, une telle approche passe à côté de son

véritable objet : le low cost n’a pas le monopole du prix bas, comme en témoignent des pratiques

telles que les promotions, rabais ou soldes. Qui plus est, le low cost n’est pas toujours synonyme

de bas prix. Dans l’aérien par exemple, les prix se révèlent très volatiles selon les dates de

réservation/départ. Le low cost n’a pas aboli la loi de l’offre et de la demande : même avec des

coûts d’exploitation faibles, une compagnie aérienne low cost vend son billet à un prix élevé…

lorsque la demande est forte. De même, le jeu des options et des accessoires, très répandu dans le

low cost, peut faire monter rapidement le prix, que ce soit pour un billet d’avion, une chambre

d’hôtel ou une voiture.

À vrai dire, pour cerner la nature profonde du low cost, il convient de partir de la demande

finale, c’est-à-dire du consommateur. Le low cost est d’abord un modèle qui part des besoins du

consommateur, pour les redéfinir dans le sens d’une simplification à l’extrême. Chaque produit

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et service sont repensés pour être « mis à nu », « découpés », « dépouillés » de leurs fonctions

annexes jusqu’à n’en retenir que le coeur, c’est-à-dire la fonction essentielle, celle qui satisfait

un besoin minimal. À cet égard, le low cost peut être appréhendé comme un retour à la

fonctionnalité première des produits, fonctionnalité dont les producteurs se sont progressivement

éloignés au cours du temps, en multipliant les options et accessoires. Le cas de la voiture low

cost est à cet égard révélateur : la Logan marque d’une certaine manière le retour aux origines de

l’automobile, avec une réhabilitation des notions de fiabilité et de simplicité d’usage. Une

expression revient souvent dans le transport aérien pour caractériser cette redéfinition

minimaliste des besoins : no frills, c’est-à-dire littéralement « sans chichis ».

Le corollaire de la simplification, du redécoupage du produit, c’est l’optionalisation de tous ses

attributs secondaires : tout ce qui est ajouté, en plus du produit de base, est payé en supplément,

pour autant que ce supplément soit proposé. Mais c’est au consommateur de choisir les attributs

qu’il souhaite ajouter. Le low cost est en quelque sorte l’antimodèle de la gratuité : tout a un

prix, donc tout se paye.

[…] Nous avons vu que les compagnies aériennes low cost étaient en mesure d'offrir des billets à

des prix très attractifs, grâce aux baisses de coûts qu'elles réalisent. Mais l'impact du low cost sur

le marché du transport aérien de passagers ne se limite pas à cet effet direct sur les prix. Il existe

également un second impact, plus diffus mais néanmoins puissant, que nous pouvons qualifier

d'« effet concurrence » : lorsqu'une compagnie low cost entre sur une ligne déjà desservie par un

opérateur, ce dernier est souvent contraint de réagir en baissant à son tour son prix. Cet effet se

révèle plus ou moins marqué selon les lignes aériennes et l'intensité de la concurrence entre

compagnies. […]

Dans la mesure où la consommation low cost affecte aujourd'hui une majorité de la population et

n'est pas strictement assimilable à une catégorie de population bien identifiable (que ce soit en

termes d'âge, de revenus ou de niveau d'éducation), il est utile de partir d'une approche

microéconomique, centrée sur l'individu et ses décisions de choix, pour comprendre les

différents comportements de consommation low cost.

Un premier comportement, qualifié de « low cost de substitution », consiste pour un

consommateur à reporter son choix d'un bien ou service traditionnel vers le produit low cost. Par

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exemple, une personne qui achetait une voiture d'occasion décidera pour son prochain achat

d'acheter une Logan. De même, en matière alimentaire, un consommateur substituera un panier

hard discount au panier du supermarché, de manière totale ou partielle : certains produits de base

(farine, produits d'entretien, etc.) seront désormais achetés en hard discount, tandis que les autres

continueront à être achetés dans un magasin traditionnel. L'étude du Credoc [2005b] sur le hard

discount alimentaire confirme cette tendance des consommateurs à multiplier les canaux de

distribution : si la part de marché du hard discount est seulement de 14 %, le taux de

fréquentation atteint 61 %.

Un deuxième comportement consiste pour le consommateur à acheter un produit low cost alors

même qu'il ne consommait pas ce type de bien auparavant (graphique 27). Il s'agit d'une

demande d'induction : la forte baisse du prix crée une demande qui ne s'exprimait pas jusqu'ici.

Les maisons low cost constituent à cet égard un cas d'école : leur mise sur le marché, à un prix

inférieur à 150 000 euros, a permis à des ménages à faibles revenus d'accéder à la propriété, alors

même que cette perspective n'existait pas auparavant.

Ce phénomène d'induction de la demande est également très marqué dans le transport aérien, en

particulier avec des compagnies comme Ryanair qui ouvrent de nouvelles lignes. Près de 60 %

de la demande résultant d'une baisse du prix du billet proviendrait de nouveaux clients. Parmi les

nouveaux clients, plus des deux tiers n'auraient pas voyagé si le prix n'avait pas été attractif.

L'enjeu crucial pour une entreprise low cost consiste à détecter ce prix psychologique à partir

duquel apparaît l'effet d'induction. Par exemple, dans le transport aérien court/moyen-courrier, la

fonction de demande ressemble davantage à une ligne brisée qu'à une droite continûment

décroissante. En effet, lorsque le prix se situe au-dessus d'un certain prix psychologique P*, les

clients renoncent à voyager par avion pour leur agrément et seule la clientèle des hommes

d'affaires subsiste. Lorsque le prix passe en dessous du prix psychologique P*, la demande

explose sous l'effet de l'induction : par exemple pour un prix de 70 euros, la demande fait un saut

de 100 à 400 billets, avant de retrouver une pente négative.

Fonction de demande et effet de seuil.

Un troisième type de demande – qualifié de « low cost de complémentarité » – consiste pour le

consommateur à acheter le produit low cost en complément du produit traditionnel. Tel est le cas

dans l'automobile : l'apparition d'une offre low cost peut conduire certains ménages disposant

déjà d'un véhicule à acheter une voiture low cost comme seconde voiture. […]

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En dépit de son succès commercial, le low cost reste l'objet de vives critiques, accusé de sacrifier

la qualité sur l'autel des prix bas et de prospérer sur le dos de ses salariés. Force est de constater

que la sévérité des jugements et leur caractère tranché contrastent avec le faible nombre de

travaux scientifiques dont nous disposons à ce jour sur le low cost. […]

La réputation de « mauvaise qualité » des produits low cost est de prime abord surprenante, dans

la mesure où elle vient contredire plusieurs constats factuels :

— les études de marché montrent que les consommateurs ne semblent pas prêts à rogner sur la

qualité pour consommer low cost : si la majorité des Français accepte de se passer d'une bonne

présentation des produits ou de disposer d'un choix plus limité de marques, seule une minorité (9

%) accepte une baisse de la qualité en échange d'un prix plus bas. De même, les enquêtes

annuelles du Credoc sur les motivations d'achat des consommateurs font ressortir une constante

sur la période 1993-2008 : le critère d'« hygiène et de sécurité » occupe toujours la première

place devant celui du « prix compétitif » ;

— l'offre de produits low cost est souvent initiée par des opérateurs présents sur des produits de

marque : ainsi, les banques en ligne sont des filiales de grands groupes, tout comme les hôtels,

les magasins de bricolage, les assurances ou la voiture low cost. Il n'est donc pas dans leur intérêt

de négliger la qualité du produit low cost, sous peine de créer un effet de réputation négatif sur

l'ensemble de leurs produits et de leur marque ;

— les consommateurs eux-mêmes estiment que les produits premiers prix sont souvent de

qualité égale aux produits de marque [Credoc, 2005] ;

— les études et tests menés par les associations de consommateurs (UFC Que Choisir ?, CLCV),

pourtant peu amènes avec les producteurs, et les agences publiques d'évaluation ne permettent

pas de conclure à une qualité intrinsèque moindre des produits low cost par rapport à leur

équivalent de marque. Ainsi, dans le cas de l'alimentaire, le Conseil national de l'alimentation

[2010] propose une synthèse des neuf études disponibles sur la qualité nutritionnelle des produits

low cost et conclut : « Les résultats des études examinées ne permettent pas de mettre en

évidence, sauf exceptions, des différences de qualités nutritionnelles significatives entre les

produits "entrée de gamme" et ceux proposés sous marques de distributeurs ou de fabricants. »

Si l'offre low cost rencontre un certain succès auprès des consommateurs, c'est sans doute parce

que ces derniers estiment que, au-delà d'une qualité minimale non négociable, la qualité ne

constitue pas une fin en soi et doit être mise en relation avec le surprix qu'elle occasionne. En

consommant low cost, le client effectue simplement un nouvel arbitrage entre la qualité et le prix

: la diminution de la qualité – réelle ou perçue – est plus que compensée par la baisse du prix, ce

qui signifie que l'utilité du consommateur augmente.

Le graphique illustre ce principe : sur l'axe des abscisses, nous trouvons les différents niveaux de

qualité proposés, tandis que l'ordonnée représente le prix et la disposition maximale à payer d'un

consommateur. En dessous d'un certain niveau de qualité q0, le consommateur n'est pas prêt à

acheter, quel que soit le prix proposé : l'écart entre sa disposition maximale à payer et le prix est

toujours négatif. Ce seuil q0 correspond par exemple à une qualité minimale du produit en

termes de sécurité : aucun consommateur ne sera disposé à payer moins cher un billet d'avion,

dès lors qu'il est informé que la compagnie aérienne est notoirement dangereuse. Nous

retrouvons ici la notion de « qualité non négociable » pour le consommateur. En revanche,

lorsque la qualité devient supérieure au niveau q0, la disposition maximale à payer du

consommateur augmente, mais de manière asymptotique : il est certes prêt à payer plus cher pour

un produit de meilleure qualité, mais l'augmentation de sa disposition à payer augmente moins

rapidement que le niveau de qualité. Si l'entreprise offre une qualité trop élevée (par exemple le

niveau q2), le consommateur n'achète pas le produit car le prix demandé est supérieur à sa

disposition maximale à payer. Sur le graphique 32, l'utilité du consommateur est maximale pour

un niveau de qualité q* : l'écart entre sa disposition maximale à payer et le prix proposé est

maximum en ce point. Une entreprise qui se positionne sur un niveau de qualité q* a donc plus

de chances d'attirer les consommateurs qu'une entreprise qui offre un bien de meilleure qualité.

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Qualité et disposition maximale à payer.

La définition du « bon niveau » de qualité constitue un exercice délicat pour le producteur, pris

entre deux écueils : s'il simplifie trop ou renonce à des attributs de qualité non négociables pour

le consommateur ou, à l'inverse, si le produit inclut trop d'options obligatoires mais non

essentielles, le consommateur risque de ne plus acheter. Le producteur doit donc trouver un «

optimum » de qualité, que ce soit en termes d'options ou de niveau de service.

Le choix de la consommation low cost peut s'interpréter comme un refus de la surqualité

imposée et inutile, au-delà d'un certain niveau de qualité minimal, non négociable : pourquoi

payer pour des caractéristiques non essentielles, des options non souhaitées ? En offrant des

produits toujours plus sophistiqués, les producteurs ont peut-être oublié que, au-delà d'un niveau

minimal, la qualité ne constituait pas une fin en soi. En particulier, l'essor du low cost témoigne

d'une certaine défiance des consommateurs vis-à-vis :

— des stratégies de « package », qui consistent à englober dans un forfait un ensemble de

prestations dont le client n'a pas toujours besoin.

— des stratégies fondées sur un large assortiment de produits : pour les produits répondant à des

besoins considérés comme basiques, l'étroitesse de l'offre peut être préférable à une trop grande

variété. Ainsi, certains consommateurs plébiscitent le hard discount justement parce qu'il permet

de choisir rapidement à l'intérieur d'une catégorie de produits : ce que le consommateur perd en

éventail de choix, il le gagne en temps consacré au choix.

— des promesses de qualité qui ne sont pas tenues par les opérateurs traditionnels : pourquoi

payer cher si la qualité effective n'est pas celle que l'on espérait ? À nouveau, le cas de la banque

de réseau est symptomatique : en échange du paiement d'un forfait annuel, le client s'attend à

disposer d'une agence physique à proximité de son domicile, dans laquelle il peut nouer un lien

direct, régulier et personnalisé avec un conseiller financier. Une enquête par sondage du Credoc

[2010] révèle toutefois un tableau assez différent : 35 % des ménages à revenus élevés se disent

peu satisfaits de la relation avec leur banque. En particulier, le montant des frais de gestion de

compte leur paraît élevé, au regard de la qualité des conseils reçus. […]

Nous nous retrouvons alors face à un paradoxe : comment expliquer que le low cost suscite

autant d'intérêt, de critiques et d'inquiétudes, alors même que sa part de marché, à l'exception de

l'aérien et (dans une moindre mesure) du hard discount alimentaire, reste somme toute assez

modeste ?

En premier lieu, la faible part de marché du low cost ne reflète en rien l'importance réelle qu'il

revêt dans les choix quotidiens des consommateurs. Le low cost touche aujourd'hui l'ensemble de

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la population, même s'il l'affecte de manière très différenciée. Le low cost n'a pas de public

vraiment dédié : quel que soit son âge, sa catégorie socioprofessionnelle, le niveau de ses

revenus, chacun utilise de manière plus ou moins importante le low cost. Si l'on reprend

l'exemple du hard discount, sa part de marché au niveau national ne dépasse certes pas les 14 %,

mais plus de 70 % des Français disent le fréquenter au moins occasionnellement, soit à titre de

magasin principal, soit à titre de magasin de complément. Le même consommateur qui n'est pas

adepte du hard discount pourra cependant utiliser le low cost aérien ou ouvrir un compte dans

une banque low cost.

En second lieu, même avec une part de marché limitée au sein d'un secteur, le low cost exerce,

par les prix bas qu'il pratique, une pression concurrentielle très forte sur les entreprises installées.

En réalité, s'il y a bien une victime « collatérale » du low cost, il faut sans doute la rechercher du

côté des insiders, dont les positions acquises se voient déstabilisées par l'irruption de ce nouveau

modèle économique. En pratiquant des prix bas, en modifiant radicalement les contours du

besoin satisfait, le low cost vient bousculer les frontières établies et instaurer un nouveau

benchmark, à l'aune duquel les performances des opérateurs installés sont désormais évaluées.

Par une sorte d'inversion des rôles, ce sont les opérateurs installés qui sont aujourd'hui mis en

demeure de justifier, de légitimer aux yeux des consommateurs leur prix, leur valeur ajoutée

(…).

D'un point de vue économique, le low cost peut être appréhendé comme un choc de productivité,

une innovation à la fois organisationnelle et de produit, qui vient déstabiliser les équilibres

établis, redéfinir les contours d'un secteur, redynamiser la concurrence. En ce sens, le low cost

participe au mouvement perpétuel de « destruction créatrice », que l'économiste Schumpeter

avait identifié comme étant l'essence de toute économie de marché.