Économie environnement ressources naturelles

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NUMÉROS 66-67 – 1 er ET 2 e TRIMESTRES 2005 INSTITUT DE L’ÉNERGIE ET DE L’ENVIRONNEMENT DE LA FRANCOPHONIE environnement de l’ et des ressources naturelles Économie

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Page 1: Économie environnement ressources naturelles

NUMÉROS 66-67 –1er ET 2e TRIMESTRES 2005

INSTITUT DE L’ÉNERGIE ET DE L’ENVIRONNEMENT DE LA FRANCOPHONIE

environnementde l’et des ressources

naturelles

Économie

INSTITUT DE L’ÉNERGIE ET DE L’ENVIRONNEMENT DE LA FRANCOPHONIE (IEPF)56, RUE SAINT-PIERRE, 3e ÉTAGE, QUÉBEC (QUÉBEC) G1K 4A1 CANADA

L’IEPF est un organe subsidiaire de l’Agence intergouvernementale de la Francophonieopérateur principal de l’Organisation internationale de la Francophonie.

Page 2: Économie environnement ressources naturelles

SSOOMMMMAAIIRREE

ÉCONOMIE DE L’ENVIRONNEMENT ET DES RESSOURCES NATURELLESMot du Directeur ....................................................................4

El Habib BENESSAHRAOUI

HISTORIQUE ET CONCEPTS

Introduction au numéro.......................................................... 5 Jean-Pierre REVÉRET, Université du Québec à Montréal,Canada-QuébecJacques WEBER, Institut Français de la Biodiversité (IFB)

Les grands courants actuels de pensée en économie de l’environnement ........................................................... 9Patrice HAROU et Anne STENGER, ENGREF, France

Le cadre de l’économie néoclassique de l’environnement ........ 18Thierry TACHEIX, Université de Limoges, France

Théorie économique et dimension environnementale du développement durable ............................................... 24Claude NJOMGANG, Université de Yaoundé II – Soa, Cameroun

LES APPROCHES ET LES OUTILS

Droits de propriété et gestion de l’environnement .................. 27Frank-Dominique VIVIEN, Université de ReimsChampagne-Ardenne, France

Les politiques fiscales environnementales ................................ 32Beat BÜRGENMEIER, Centre Universitaire d’ÉcologieHumaine, Université de Genève, Suisse

Fondements, limites et perspectives de l’analyse coûts-avantages ............................................................... 40Philippe MÉRAL, C3EDM – IRD/Madagascar, France

Les démarches d’aide multicritère à la décision en économie de l’environnement.......................................................... 46Géraldine FROGER, C3ED, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, France

Stratégies de financement pour la préservation de la faune et retombées économiques............................................... 54Bernard BEAUDIN, Président de la Fondation de la Faune du Québec

INSTITUT DE L’ÉNERGIE ET DE L’ENVIRONNEMENT DE LA FRANCOPHONIE (IEPF)

Numéros 66-671er et 2e trimestres 2005

La revue Liaison Énergie-Francophonie est publiée trimestriellement par l’Institut de l’énergie et de l’environnement de la Francophonie (IEPF).L’IEPF est un organe subsidiaire de l’Agence intergouvernemen-tale de la Francophonie, opérateur principal de l’Organisation internationale de la Francophonie.

56, rue Saint-Pierre, 3e étageQuébec G1K 4A1 CanadaTéléphone: 1 (418) 692-5727Télécopie : 1 (418) 692-5644Courriel : [email protected] Internet : www.iepf.org

Directeur de la publication:El Habib Benessahraoui

Comité éditorial :Jean-Pierre Revéret, rédacteur en chef invitéFaouzia AbdoulhalikBoufeldja BenabdallahEl Habib Benessahraoui Sibi BonfilsSory I. DiabatéChantal GuertinLouis-Noël JailDenis L’AnglaisJean-Pierre Ndoutoum

Édition et réalisation graphique:Communications Science-Impact

Photo de couverture:Claude Hamel/IEPF/Agence de la Francophonie

ISSN 0840-7827

Tirage:4000 exemplaires

Dépôt légal :Bibliothèque nationale du QuébecBibliothèque nationale du Canada

Les textes et les opinions n’engagent que leurs auteurs.Les appellations, les limites, figurant sur les cartes de LEFn’impliquent de la part de l’Institut de l’énergie et de l’en-vironnement de la Francophonie aucun jugement quant austatut juridique ou autre d’un territoire quelconque, ni lareconnaissance ou l’acceptation d’une limite particulière.

Prix de l’abonnement annuel (4 numéros) :40$ CAD; 28$ USD; 30€ ; 16000 CFA;380000 Dongs vietnamiens

Poste-publications – Convention No 400347191

Imprimé au Canada

Le prochain numéro de Liaison Énergie-Francophonie(no 68, 3e trimestre 2005) aura pour thème Culture etdéveloppement durable.

167Économie de l’environnement et des ressources naturelles

Activités réalisées

Le lancement du module spécialisé de formation en économie de l’environnement à l’Université Senghoren décembre 2004 mérite d’être souligné. Ce lancement a été précédé de deux ateliers régionaux, centréssur l’économie de la biodiversité (Antanarivo, décembre 2003, pour l’océan Indien et Kinshasa, mai 2004,pour l’Afrique centrale) qui ont permis de mesurer les attentes et de renforcer notre conviction quant àl’intérêt des enseignements en économie de l’environnement. La première école d’été de l’Économie del’environnement organisée à Montréal, dans la première quinzaine de juillet, devait confirmer l’engoue-ment pour cet outil. L’IEPF a permis à cette occasion aux participants d’assister au Congrès international desÉconomistes écologiques, un événement de portée mondiale qui se déroule traditionnellement en anglais.

L’IEPF a organisé dans ce cadre 3 sessions francophones (sur une centaine, toutes en anglais) dont l’une descommunications, portée par une doctorante malgache, a été primée par le congrès.

Ces actions qui entrent dans la stratégie de développement et de renforcement des communautés de pra-tique dans le domaine de l’économie de l’environnement se conduisent au même niveau pour l’évaluationenvironnementale dont la pratique est plus répandue avec cependant encore, le besoin d’être renforcée etinstitutionnalisée.

Prochaines activités

* Atelier régional sur l’évaluation économique et la valorisation de la biodiversité en Afrique de l’Ouest(Cotonou, Bénin, automne – dates à confirmer)

* 2e édition du module de formation de base en Économie et politique de gestion des ressources naturel-les (Université Senghor, Alexandrie, Égypte, 4-15 décembre 2005 – dates à confirmer)

Partenaires du programme

– Agence Universitaire de la Francophonie (AUF)

– Université Senghor (Alexandrie, Égypte)

– Institut des Sciences de l’Environnement de l’Université du Québec à Montréal (UQAM, Canada-Québec)

– Secrétariat international francophone pour l’évaluation environnementale (SIFÉE, Montréal, Canada-Québec)

– Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD-France)

– Groupe EIER-ETSHER (Ouagadougou, Burkina Faso)

– C3ED - Université de Saint-Quentin-Yvelines (France)

Pour information s’adresser à :

Sory Ibrahim Diabaté, Responsable de ProgrammeInstitut de l’énergie de l’environnement de la Francophonie (IEPF)56, rue Saint-Pierre G1K 4A Québec (Canada)Tél. : 1 (418) 692-5727Téléc. : 1 (418) 692-5644Courriel : [email protected]

Page 3: Économie environnement ressources naturelles

3Économie de l’environnement et des ressources naturelles

BIODIVERSITÉ ET RESSOURCES RENOUVELABLES

La valeur économique de la biodiversité: fondements,méthodes et usages .............................................. 60Guillaume LESCUYER, Centre de CoopérationInternationale en Recherche Agronomique pour leDéveloppement, CIRAD, France

Évaluation de l’environnement par la méthode des profits .................................... 69Fano ANDRIAMAHEFAZAFY, C3EDM, Universitéd’Antananarivo, Madagascar

La valorisation économique de la biodiversité:ancrage territorial et gouvernance de filière .......... 77Denis REQUIER-DESJARDINS, C3ED, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, France

Les débats autour de la valorisation économique de la biodiversité par les accords de bioprospection en Afrique: le cas de Madagascar ............................ 82Vahinala RAHARINIRINA, C3ED, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, France

La valorisation de la jacinthe d’eau pour la production d’énergie ................................ 93Willy KIPOY S. MUSALU, Ministère de l’énergie,République Démocratique du Congo

De la pertinence des approches économiques de la biodiversité dans les économies nonmarchandes: le cas du pays Bara (Madagascar) ...... 97Hugues F. RAJAONSON, Université d’Antananarivo,Madagascar, Université d’Orléans, France

Gestion d’une ressource naturelle et action collective:le cas de la forêt de Tiogo au Burkina Faso .......... 103Martin YELKOUNI, Institut de Recherche pourl’Ingénierie de l’Agriculture et de l’Environnement,CEMAGREF, France

Cogestion de la pêche crevettière à Madagascar ........ 111Dominique ROJAT, Département Développementrural, Environnement et Ressources naturelles (TEN),Agence Française de Développement

Enjeux économiques de la gestion de l’eau................ 119Pierre-Frédéric TÉNIÈRE-BUCHOT, ConseilMondial de l’Eau, France

POLLUTION DE L’AIR ET CHANGEMENT CLIMATIQUE

La mise en œuvre des systèmes de quotas d’émissionéchangeables dans la gestion des émissions de GES.............................................................. 124Alain WEBSTER, Université de Sherbrooke,Canada-Québec

Peut-on étendre le système des quotas échangeables aux PED?.......................................................... 129Renaud CRASSOUS et Sandrine MATHY, CentreInternational de Recherche sur l’Environnement et le Développement, CIRED, France

Le mécanisme de développement propre:à la recherche d’une synergie entre environnement et développement............................................... 136Sandrine MATHY, Centre International deRecherche sur l’Environnement et le Développement,CIRED, France

Dossier: Le Mécanisme pour un Développement Propre (MDP): Base d’un Partenariat Nord-Sud pour le développement durable ........... 141Sibi BONFILS et Faouzia ABDOULHALIK,IEPF

Mesure de la valeur économique de la qualité de l’air: le cas de la ville de Cotonou .................. 147Roch Edgard GBINLO,Université d’Abomey Calavi, Bénin

INFORMATION SUPPLÉMENTAIRE

Enjeux environnementaux et économiques du solaire thermique dans les pays industrialisés et les pays en développement – Exemples de l’Union Européenne et du bassin méditerranéen ................................ 151Stéphane POUFFARY,Agence française del’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie(ADEME), France

Un important concept pour la protection de l’environnement: le coût additionnel ................155Mamadou DIARRA, Société Nigérienne d’Électricitéet Comité National Nigérien du Conseil Mondial del’Énergie

Dossier documentaire .............................................. 157

Page 4: Économie environnement ressources naturelles

Que ce soit pour déterminer lavaleur d’une zone que l’on veutprotéger, pour concevoir et

mettre en place une fiscalité verte, oucalculer la valeur des impacts des chan-gements climatiques, les appels à l’éco-

nomie de l’environnementsont incessants autant de la partdes autorités publiques natio-nales que des organisationsinternationales. Dans le proce-

ssus d’édification du développement durable, cettediscipline encore en émergence a effectivement unrôle clef à jouer dans l’intégration de l’économiqueet de l’environnemental.

Chacune des conventions issues du Sommet deRio fait explicitement appel à la prise en comptede la dimension économique des enjeux envi-ronnementaux. Les banques de développementet la plupart des bailleurs de fonds intéressés à lagestion durable de l’environnement veulentconnaître la valeur économique des écosystèmesqu’ils vont contribuer à mieux gérer ou à pro-téger. Nous sommes effectivement dans uncontexte où l’on comprend de mieux en mieuxqu’il y a une valeur économique aux fonctionsremplies par ces écosystèmes et que plusieurs deces fonctions se détériorent.

Or la théorie économique qui permet de répon-dre à ces questions est longtemps restée dans lesmanuels, loin des processus d’aide à la décision.Samaîtrise gagnait et gagne à être élargie au plusgrand nombre parmi les acteurs du dévelop-pement et particulièrement ceux chargés de lagestion environnementale.

Il existe donc une réelle demande autant auniveau de l’utilisation de la «boîte à outils » quepropose l’économie de l’environnement, qu’entermes de formation continue et plus largementde développement de capacité que ce soit auniveau des administrations publiques, des bureaux

d’études et de consultants, des ONG, mais aussiau niveau même des universités et autres centresd’enseignement et de recherche.

Dans ce contexte, l’IEPF a conçu avec un ensem-ble de partenaires un programme de dévelop-pement de capacité portant sur la «Maîtrise desoutils de gouvernance pour l’environnement et ledéveloppement» (MOGED) (http://www. iepf.org/programmes/projets.asp? prj_id = 61#) dontl’un des deux thèmes est l’économie de l’envi-ronnement alors que l’autre porte sur l’évaluationenvironnementale et, plus précisément, les étudesd’impact sur l’environnement ainsi que les étudesenvironnementales stratégiques.

Maîtriser un outil, une approche, c’est en con-naître les fondements afin que, lorsqu’on l’utiliseon en saisisse les forces et les faiblesses.Connaîtreles limites d’un outil afin de ne l’utiliser qu’à bonescient, avec les précautions nécessaires est indis-pensable.Cela est encore plus important quand ils’agit de transposer une approche conçue dansdes contextes d’économies industrialisées à deséconomies dans lesquelles le marché ne joue pasle même rôle dans l’allocation des ressources.

Après deux années de mise en œuvre du pro-gramme MOGED dans le domaine de l’éco-nomie de l’environnement, il a paru intéressantau comité éditorial de la revue Liaison Énergie-Francophonie de consacrer un numéro spécial, etdouble en la circonstance, à cette thématique.Nous sommes heureux et fiers d’avoir réuni, àcette occasion, sous la responsabilité de notre amiJean-Pierre Revéret, un impressionnant groupede spécialistes de cette question qui sont venus,de l’ensemble de notre espace, partager les forceset les avancées, mais aussi les limites et les fai-blesses de leur discipline.Puisse cela contribuer àen renforcer la maîtrise collective et l’usage élargipour une gestion attentive des ressources natu-relles et de l’environnement.

4 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE Nos 66-67

MMoott dduu DDiirreecctteeuurr

El Habib BENESSAHRAOUI

Directeur exécutif, Institut del’énergie et de l’environnementde la Francophonie.

Page 5: Économie environnement ressources naturelles

Jean-Pierre REVÉRET et Jacques WEBER

Jean-Pierre REVÉRET est Professeurtitulaire au Département desciences biologiques et à l’Institutdes sciences de l’environnement(ISE), UQAM et co-directeur del'Observatoire de l'écopolitiqueinternationale basé à l'ISE/UQAM.Il a été directeur du Départementde gestion de l’environnement del'Université Senghor à Alexandrie(Égypte), vice-directeur de l’Acadé-mie internationale de l’environne-ment à Genève et a agi commeexpert dans le domaine du déve-loppement durable et de la ges-tion des ressources naturelles. Ilfait partie des premiers partenairesayant participé à la conception duprogramme MOGED à l'initiativede l'IEPF et il a été co-organisateurde la 8e Conférence scientifiquebiennale de la Société interna-tionale pour une économie écolo-gique (ISEE 2004, à Montréal du 11au 14 juillet 2004).

Jacques WEBER est Directeur del'Institut Français de la Biodiver-sité (IFB).

L’économie de l’environnement s’est élaborée sur le plan desconcepts, des théories et des outils qui en découlent avant que lagravité des problèmes environnementaux n’en justifie l’application.Jusque dans les années soixante, il s’agissait avant tout d’une sectiondans certains manuels d’économie. C’est ainsi que le passage de lathéorie aux applications à des réalités du terrain est récent.

La surexploitation des ressources naturelles vivantes (pêche et forêt enparticulier), les problèmes environnementaux, locaux d’abord, régionauxpuis globaux,ont longtemps été gérés par une approche réglementaire.Un

double contexte favorise aujourd’hui le recours aux approches économiques,d’une part, le relatif échec, dans plusieurs cas des approches réglementaires et,d’autre part, le souhait de nombreux gouvernements et organisations inter-nationales de faire appel au marché comme instrument principal de gestion.

Dans la mouvance du programme MOGED de l’IEPF, ce numéro spécial«Économie de l’environnement» veut contribuer à faire le point sur les grandestendances que l’on retrouve sous ce vocable. Il s’agit de présenter de façoncritique les théories qui sous-tendent la conception des outils en les confrontantavec les situations concrètes auxquelles ils sont appliqués. Il s’agit en effet desaisir les forces et les faiblesses afin de maîtriser les limites des outils proposés.

Nous devons être sensibles aux différences qui prévalent dans les systèmessocioculturels du Nord et du Sud et qui représentent des contraintes à latransposition d’approches développées dans des contextes particuliers et qui nesauraient prétendre à l’universalité.

Le numéro est divisé en quatre grandes parties.La première traite de l’historiqueet des concepts principaux, la deuxième aborde les approches et les outils. Latroisième partie traite des applications de ces approches au domaine de labiodiversité et des ressources renouvelables en général alors que la quatrièmeest consacrée à la pollution atmosphérique et aux changements climatiques.

La toile de fond historique et conceptuelle est posée par Patrice Harou et AnneStenger ainsi que par Thierry Tacheix, leurs deux contributions resituent l’éco-nomie de l’environnement dans le contexte de l’avènement du concept dedéveloppement durable. Précisons d’emblée que ce numéro ne traitera pas dela dimension macro-économique de l’environnement, au niveau de la

IInnttrroodduuccttiioonn aauu nnuumméérroo

5

@[email protected] [email protected]

Économie de l’environnement et des ressources naturelles

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6 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE Nos 66-67

comptabilité nationale et des indicateurs quipeuvent en découler en matière de dévelop-pement durable.

Nous y verrons que l’économie de l’environne-ment couvre globalement deux grandes dimen-sions, celle qui vise à évaluer économiquementl’environnement, à donner une valeur monétaireà ce qui n’a pas de prix, et à fournir au gestion-naire de l’environnement une panoplie d’appro-ches et d’outils de gestion.

En brossant le portrait des grands courants actuelsde pensée en économie de l’environnement, ilsmontrent que ce domaine ne peut plus se satisfaireque de l’économie néoclassique et de ces instru-ments d’internalisation des externalités environne-mentales.L’approche en termes de développementdurable requiert d’introduire la dimension envi-ronnementale par une description biophysique desimpacts possibles des projets mais aussi des poli-tiques économiques proposées,combinée avec une évaluation deces impacts. La relation avec ladimension environnementale dudéveloppement durable est d’ail-leurs explorée plus loin par ClaudeNjomgang.

La dimension sociale doit aussiêtre intégrée et selon eux, c’est finalement parune concertation effective de toutes les partiesprenantes que les progrès dans la prise dedécision pourront se faire, et ce processus dedécision doit adopter un point de vue global, lesbiens et services environnementaux ne connais-sant pas de frontières.

Tous convergent pour témoigner de la nécessaireouverture à de nouvelles approches tentant derépondre aux limites de l’approche néoclassique.Mentionnons en particulier l’économie écolo-gique dont l’objet est l’étude des interactionscomplexes entre l’économie humaine et lefonctionnement des écosystèmes. Ses outils sontempruntés à la fois aux sciences de la nature et àl’analyse économique.

Dans la deuxième partie,qui explore plus en détailles approches et les outils, Frank-DominiqueVivien discute des droits de propriété dans ledomaine de la gestion de l’environnement.

Ce débat, très ancien, oppose généralement lestenants de la propriété privée à ceux de lapropriété publique. À partir des années 60, avecCoase, comme on l’aura vu dans la premièrepartie, il va connaître un renouveau avec lesinterrogations qui se font jour quant aux possi-bilités d’instaurer des «marchés de droits » pourréguler les pollutions et l’exploitation des res-sources naturelles.

On poursuit, avec Beat Bürgenmeier par uneprésentation de l’approche initiée par Pigou (voirpremière partie) en termes d’instruments incitatifset plus précisément des politiques fiscales. Cesinstruments de nature préventive cherchent àinclure dans le calcul des acteurs économiques lescoûts qui sont consécutifs à leur activité,mais quisont supportés par la collectivité.

Philippe Méral présente ensuite ce qui constituel’outil traditionnel en matière d’évaluation

économique de l’environnementet d’aide à la décision : l’analysecoûts-avantages (ACA). Malgréun usage intensif de cet outil tantdans les pays industrialisés quedans les pays en développementvia notamment les agencesinternationales (Banque mon-

diale, ONUDI…), ses limites sont importanteset souvent négligées face au souhait d’obtenir desdonnées monétaires à tout prix. Il s’agit là d’unedimension qui sera discutée par plusieurs dans cenuméro.Cette contribution dresse succinctementles principales caractéristiques et limites del’ACA, et va au-delà du débat scientifique ; ellerelève d’un souci de clarification à l’usage despraticiens de l’environnement qui ont la charged’évaluer les projets ou les politiques ayant unimpact sur l’environnement.

Après avoir bien saisi les limites de l’ACAcomme outil d’aide à décision quand il s’agit deprendre en compte la dimension environne-mentale, nous explorons, avec Géraldine Froger,l’aide multicritère à la décision.Cette approche sejustifie lorsqu’on est confronté à la complexitéet que la prise en compte d’une seule famille decritères n’est pas pertinente. Il s’agit donc d’uneméthode qui ne cherche pas à déterminer unesolution optimale unique mais qui vise à aboutirà un compromis satisfaisant. Elle a été utilisée

Les outils de l’économie

écologique sont empruntés

à la fois aux sciences

de la nature et à l’analyse

économique.

Page 7: Économie environnement ressources naturelles

7Économie de l’environnement et des ressources naturelles

dans des problématiques d’aménagement terri-torial et de gestion de l’environnement.

Cette deuxième partie se termine avec la contri-bution de Bernard Beaudin qui montrecomment, avec l’application du principe usager-payeur la Fondation de la Faune du Québec aréussi à partir d’un partenariat avec plusieursparties intéressées, à assurer un financement stabled’un certain nombre d’actions de conservationet de mise en valeur de la faune.

Après avoir donc fait le point sur les approches, lesoutils, leurs forces et leurs faiblesses, la troisièmepartie commence par l’application des approchesen termes d’évaluation économique au domainede la biodiversité et des ressources renouvelables.La diversité biologique produit directement ouindirectement un grand nombre d’avantages pourles sociétés humaines. On l’a vu plus haut, c’estbien l’objet de l’évaluation éco-nomique que d’identifier puisd’estimer monétairement cesdifférents bénéfices. GuillaumeLescuyer nous montre que mêmesi cette démarche est aujourd’huibien décrite d’un point de vuethéorique, elle peut se révélerdélicate et complexe dans sa miseen œuvre. Il montre bien que si leconcept de valeur économiquetotale apparaît théoriquementvalide, en réalité il n’offre qu’une informationpartielle et souvent subjective des bénéfices àattendre de l’usage de la biodiversité. Il explore,au-delà de la théorie économique dominante, lesdifférents types de valeurs liées à la diversitébiologique et appelle à leur explicitation afind’améliorer l’efficacité et la durabilité des modesactuels de gestion qu’on lui applique.

Fano Andriamahefazafy poursuit cette partie enillustrant de façon empirique le cas d’une ressourcenaturelle particulière, Cedrelopsis greveï Baillon(Katrafay), un arbre du sud et de l’ouest deMadagascar à multi-usages et ayant une grandeimportance traditionnelle. Il présente unedémarche méthodologique de détermination dela valeur à partir des profits perçus et il identifieles conditions incitant à la pratique d’uneexploitation durable sur la base de décisionséconomiques.

Donner une valeur économique théorique à labiodiversité a un intérêt du point de vue de l’aideà la décision, mais ne contribue pas en soi à ceque la conservation de cette biodiversité contri-bue aux mieux-être des populations locales.Dansce sens, Denis Requier-Desjardins traite de lavalorisation de la biodiversité, dans une perspec-tive territoriale et de gouvernance au niveau dela filière. Il montre comment cette valorisationéconomique est aujourd’hui considérée commeun outil essentiel de la protection de la biodiver-sité, notamment parce qu’elle peut permettre decréer des revenus pour les populations locales,directement concernées par l’usage des ressourcesd’un territoire de conservation ou même d’unterritoire rural dédié aux activités agricoles.

La valorisation de la biodiversité par l’exploitationdes ressources génétiques est un des enjeuxmajeurs en termes de conservation et de partage

équitable des avantages qui endécoulent.Vahinala Raharinirinaexplore les fondements théoriqueset les débats autour des accords debioprospection et, à travers le casmalgache, analyse l’impact desactivités de bioprospection sur ladurabilité écologique, écono-mique et sociale du pays.

Willy Kipoy S. Musalu abordequant à lui la question de la

jacinthe d’eau en RDC. Il montre comment sonutilisation en tant que matière première dans laproduction de biogaz la fait passer du statut defléau à celui de ressource valorisée.

C’est sur les limites de la transposition de l’analyseéconomique de la biodiversité à des économiesnon marchandes que s’interroge HughesRajaonson. Il analyse pour cela l’activité d’élevagecontemplatif dans une région de Madagascar, lepays Bara, et constate que l’objectif du systèmed’élevage reste l’harmonie d’une organisationspatiale et temporelle des activités agricoles avecle système d’élevage. Il poursuit en évoquant lestypes de biais qui apparaissent lorsque l’onapplique les méthodes d’évaluation contingentespour calculer la valeur des écosystèmes à conserverdans de telles situations.

Introduction au numéro

HISTORIQUE ET CONCEPTS

Si le concept de valeur

économique totale apparaît

théoriquement valide, en

réalité il n’offre qu’une

information partielle et

souvent subjective des

bénéfices à attendre de

l’usage de la biodiversité.

Page 8: Économie environnement ressources naturelles

8 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE Nos 66-67

On sait que le contrôle de la déforestation, par lamise en place par les autorités étatiques d’interditset de restrictions sur l’usage des ressourcesforestières, se heurte à des difficultés de succès dansbeaucoup de pays en développement. Souvent,l’approche actuelle consiste à rendre aux commu-nautés locales le contrôle de leurs ressources,lorsque l’État et les marchés n’arrivent pas àrésoudre les problèmes comme la gestion desexternalités négatives dans le cas d’une exploitationde ressources en propriété commune et de laprovision de biens publics. Dans ce contextegénéral,Martin Yelkouni analyse en particulier lessolutions crédibles et durables auxproblèmes de coordination dansl’usage de la forêt classée de Tiogoau Burkina Faso.

Avec Dominique Rojat, c’est dansle domaine de la pêche crevettièreque l’on discute de la gestionpartagée entre l’État central et lescommunautés locales utilisatricesde la ressource. Il montre com-ment le dialogue instauré entre l’État et le secteurprivé à partir de 1994 avec l’appui de l’AgenceFrançaise de Développement a permis de garantirla durabilité de l’exploitation et de progresser à lafois sur la performance économique du secteur etsur la responsabilité sociale et environnementale.Cette expérience réussie de cogestion démontrel’intérêt des investissements institutionnels pour lagestion des ressources renouvelables, à la fois d’unpoint de vue empirique, en termes d’analysecoûts-avantages, et théorique, à la lumière del’économie institutionnelle.

Cette troisième partie se termine avec uneréflexion de Pierre-Frédéric Ténière-Buchot surles enjeux économiques de la gestion de l’eau.Pour lui, deux approches sont envisageables : uneapproche micro-économique par le coût et leprix du service de l’eau, une approche macro-économique par l’évaluation de la demande àfinancer pour satisfaire les objectifs du millénairepour le développement en matière d’alimen-tation en eau potable et en assainissement. Unedifficulté commune à ces deux approches per-

siste : comment surmonter l’obstacle de la pau-vreté qui concerne plus de 20% de la populationmondiale actuelle?

La quatrième partie, consacrée à la question deschangements climatiques et de la pollution del’air, commence avec Alain Webster qui ouvre ladiscussion sur les quotas d’émission échangeablesqui sont appelés à jouer un rôle prédominantdans les politiques de mise en œuvre du Proto-cole de Kyoto. Il explore l’ensemble des choixréglementaires qui permettent de définir lesmodalités de fonctionnement de ces nouveaux

marchés dans leur dimensionefficacité et équité. RenaudCrassous et Sandrine Mathypoursuivent dans la même veineen étudiant les possibilitésd’extension du système de quotastransférables aux pays en déve-loppement dont les émissionsaugmentent rapidement et repré-senteront bientôt plus de lamoitié des émissions mondiales.

On sait cependant qu’ils n’auront pas, pasjusqu’en 2012 d’objectifs de réductionscontraignants. Leur participation aux réductionsest donc sur une base volontaire, par le biais duMécanisme de Développement Propre (MDP)analysé ici par Sandrine Mathy qui y voit uneintéressante illustration de la problématique de larecherche d’une synergie entre environnementet développement.

Les enjeux économiques des changements clima-tiques ne doivent pas faire oublier les autresfacettes plus locales de la pollution atmosphé-rique. C’est ainsi que dans le dernier article decette partie, Roch Edgar Gbinlo traite du calculde la valeur économique de la qualité de l’air trèsdétériorée dans la ville de Cotonou par laméthode d’évaluation contingente.

Voilà donc le voyage à travers les concepts, lesoutils et leurs applications auquel vous êtesconviés dans une perspective critique, Bonnelecture!

Les quotas d’émission

échangeables sont appelés

à jouer un rôle

prédominant dans

les politiques de mise

en œuvre du Protocole

de Kyoto.

Page 9: Économie environnement ressources naturelles

9

Patrice A. HAROU, Anne STENGER

Patrice A. HAROU est Professeurvisiteur au Laboratoire d’Écono-mie Forestière (LEF) de l’InstitutNational de la Recherche Agro-nomique (INRA) et de l’ÉcoleNationale du Génie Rural desEaux et des Forêts (ENGREF) àNancy, en France, depuis 2002.De 1990 à 2001 il a occupé plu-sieurs fonctions importantes auniveau international.

Anne STENGER est Docteur enSciences Économiques de l’Uni-versité Strasbourg, enseignanteet habilitée à diriger des recher-ches à la Faculté de Sciences Éco-nomiques et de Droit de Nancy.Depuis 1999, elle est Experte à laCommission Européenne (Pro-grammes de Recherche Energie,environnement et développe-ment soutenable). Elle est actuel-lement Directrice du LEF del’INRA/ENGREF à Nancy, enFrance.

Le domaine de l’économie environnementale s’est considérable-ment élargi depuis les années 1990 avec l’avènement du concept dedéveloppement durable. Ce domaine ne se satisfait plus seulementde l’économie néoclassique et de ces instruments d’internalisationdes externalités environnementales. Ce concept requiert d’intro-duire la dimension environnementale par une description biophy-sique des impacts possibles des projets, mais aussi des politiqueséconomiques proposées, combinées avec une évaluation de cesimpacts. La dimension sociale doit aussi être intégrée et c’est fina-lement par une concertation effective de toutes les parties prenantesque les progrès dans la prise de décision pourront se faire. Ceprocessus de décision doit adopter un point de vue global, les bienset services environnementaux ne reconnaissant pas de frontières.

Introduction

La qualité environnementale devenant rare, l’économie de l’environnementa pris un essor que nul n’aurait pu prédire jusque dans les années 1960.Le secteur énergétique se trouve au centre des préoccupations environ-

nementales comme sa consommation augmente avec la croissance économiqueet la population du globe. Cette consommation énergétique augmente lesémissions de CO2 dans l’atmosphère, un commun mondial, qui demande uneréponse globale : les instruments économiques du Protocole de Kyoto. Ce sontpourtant les instruments de commande et de contrôle qui ont primé jusqu’icipour résoudre les problèmes de pollution créés par l’industrie énergétique, tantau niveau local que national. Le secteur énergétique est aussi responsable enpartie de l’acidification de l’air, des sols et des eaux, de l’accumulation de déchetssolides et de la pollution thermale à l’échelle locale comme planétaire.

La réalisation de ces problèmes durant les années 1960-1970 n’a pas inquiétéoutre mesure les économistes qui avaient un cadre conceptuel et des outils ana-lytiques prêts à étudier ces problèmes : l’économie néoclassique, en particulierl’économie du bien-être, avec les politiques publiques qui en découlent consistanten instruments de régulation ou de marché (Baumol et Oates,1988).La pollutionest une externalité liée à une défaillance de marché qui peut être diminuée,voiresupprimée, par un éventail d’instruments comme les impôts (taxe de Pigou), les

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Économie de l’environnement et des ressources naturelles

@Patrice. [email protected]. [email protected]

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normes, les permis et les interdictions. Avantd’utiliser ces instruments,Coase (1960) argumentede façon convaincante que les externalités peuventdisparaître si les droits de propriété sont bienétablis en l’absence de coûts de transactions.Depuis les années 1990, les instruments écono-miques ont pris de l’importance (OECD, 1989,1991,1994a,1994b).Ces instruments sont calibrésen vue de l’efficience en utilisant l’analyse coûts-avantages et, seulement plus récemment, en vuede l’équité.De nouveaux instruments en sus de larégulation et de l’incitant économique du typevolontaire sont apparus, comme l’écocertification,et récemment la divulgation de l’information.

L’approche néoclassique est vite apparue limitéedevant l’ampleur qu’a prise la question environ-nementale dans le développement de la planète.Même s’il reste encore certains écologistes scep-tiques (Lomborg, 2004), l’opinion publiquecomprend mieux qu’auparavant les tenants etaboutissants du problème créé par l’explosiondémographique et la croissance économique.Lesobjectifs de protection de l’environnement et dedéveloppement économique sont plus difficile-ment conciliables que complémentaires et néces-sitent des politiques élaborées. Il existe une rela-tion en «U inversée», une courbe Kuznet, entrecertains polluants et le produit brut d’un pays(Rapport de la Banque mondiale, 1992 ;Grossman et Krueger 1993 ; Selden et Song,1994). Un choix s’impose alors souvent entrel’utilisation ou la non-utilisation d’une ressourcenaturelle. Les réponses des économistes nedonnent pas toujours une solution à ce problèmede choix.Dans un modèle à deux périodes,Olson(1990) montre que l’information et l’appren-tissage ne permettent pas toujours de faire unchoix entre préservation ou utilisation d’uneressource comme input dans un processus de pro-duction. Les décisions d’utilisation de ressourcesenvironnementales sont souvent effectuées dansun contexte incertain (Neumayer, 1998).L’incer-titude peut concerner les bénéfices liés à la non-utilisation (ou préservation) d’une ressource dansun processus de production.Mais elle peut égale-ment concerner la productivité de la ressourceemployée dans un processus de production.Pourchaque option, préservation ou utilisation de laressource, il existe des effets irréversibles : uneconsommation réduite de biens produits pour la

première option, et une réduction de la ressourcenaturelle dans le cas de la deuxième option. Lechoix peut parfois être plus évident quand laressource naturelle considérée a fait l’objet d’unevalorisation.Tant que les préférences des individusn’ont pas été révélées, les recommandations sontcelles de la conservation et de l’application duprincipe de précaution (Henry, 2002).

Aujourd’hui, l’économie environnementale s’estélargie considérablement pour englober à la foisles aspects transfrontaliers et d’insécurité, maisaussi la dimension intergénérationnelle (temps)et globale (espace) du problème.Enfin, la problé-matique s’est accrue, liée au développement éco-nomique durable et à la qualité de la vie dans lespays en développement et industrialisés. Cepen-dant, même cette économie environnementaleélargie ne satisfait pas tout le monde. Les écolo-gistes, les économistes écologiques, certains poli-tologues argumentent pour une durabilité fortesans substituabilité entre environnement et autresfacteurs de production et un environnement sansprix (Harou, 1998). La question n’est pas close.

Ceci nous amène à organiser cet essai succinct surles grands courants actuels de pensée en écono-mie de l’environnement selon trois dimensionsforcément réductionnistes : (1) un cadre élargid’analyse ; (2) l’importance grandissante maislimitée de l’évaluation environnementale entrantdans l’analyse coûts-avantages des projets et poli-tiques; (3) la globalisation des problèmes environ-nementaux.

Contexte élargi pour l’économie de l’environnement

Une évolution importante de l’économie del’environnement est la dimension de durabilité del’économie dans sa globalité conférée à la Confé-rence de Rio. La complexité de cette nouvelledimension est schématisée sur la figure 1.Ce cadreest proposé pour la formation des praticiens dudéveloppement durable (Harou, 1998) et a étérepris avec plus de détails dans un manuel pourpraticiens de l’économie du développement et del’environnement (Markandya etal.,2002). Il serviraici à structurer les principaux aspects de cette nou-velle orientation en économie de l’environnement.

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11Économie de l’environnement et des ressources naturelles

Les grands courants actuels de pensée en économie de l’environnement

HISTORIQUE ET CONCEPTS

Tout d’abord, les problèmes environnementauximportants ne peuvent généralement plus êtreconsidérés dans le seul cadre national (boîte 1 surla figure 1). Les impacts des émissions de gaz car-bonique, la destruction de la couche d’ozone, les

pluies acides sont des problèmes qui ne con-naissent pas de frontière.Cet aspect est capital tantdans la reconnaissance des problèmes environ-nementaux que pour leur analyse économique.Dans l’analyse économique globale, les transferts

Politiques budgétaires

Politiques sectorielles

8

Cycle du projet

1

2

2

4 3

5

Contexte mondial 1

2

7

Analyse du projet Environnemental/Social

Évaluation

10

Prise de décisions

11 Monitorage, management et évaluation

6

Politiques macroéconomiques

Politiques environnementales

Évaluation

environnementale

9

Développement durable

Investissement

Figure 1 – Durabilité de l’économie

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disparaissent (Harou, 1989), mais la question dela répartition des coûts et des avantages entreparties prenantes prend une ampleur toute parti-culière (Ballet, 2005).

L’impact des politiques macroéconomiques surl’environnement offre tout un champ relative-ment nouveau à l’économie de l’environnement.L’économie de l’environnement et des ressourcesnaturelles trouve son origine dans des problèmesponctuels utilisant la théorie microéconomique.Si certains impacts environnementaux ont étéconsidérés au niveau macroéconomique, cela aconstitué un lien simpliste basé sur des tablesinput/output.Aujourd’hui, l’impact des politiquesmacroéconomiques sur l’environnement est bienreconnu, au point que les réformes de politiquescommencent à faire l’objet d’analyses d’impact,comme cela se faisait déjà en ce qui concerne lesprojets. Le changement du taux de change parexemple peut avoir des répercussions importantessur l’économie d’un pays basée sur l’exportationde ses ressources naturelles. Cette tendance a crééune nouvelle branche de l’analyse économiqueenvironnementale. Les impacts de l’ajustementstructurel sur l’environnement sont mieux connusaujourd’hui (Markandya et al., 2002;Gueorguievaet Bolt, 2003). La mesure PNB de l’économie aété remise en question et les comptes nationauxsont modifiés par exemple en utilisant le concept«Genuine Savings » (Hamilton, 2000) ou préfé-rentiellement complétés par une série d’indica-teurs appropriés aux dimensions non seulementéconomique mais aussi environnementale etsociale du développement durable (Senestam,2003). Pour un puriste, c’est le modèle d’équilibregénéral qui doit être utilisé pour démontrerl’impact des effets globaux de l’environnement etdes programmes environnementaux sur l’éco-nomie (List et de Zeeuw, 2002). Les écotaxes ontmotivé les économistes de l’environnement àquantifier un possible double dividende, mais latâche s’est avérée plus difficile que prévu(Bovenberg et Moij, 1994). Les modélisations dela croissance économique tentent avec plus oumoins de succès d’endogénéiser l’environnementde même que les progrès technologiques(Beltrati, 1996 ; Bovenberg et Smulders, 1995,Musu, 1995 ;Vellinga, 1995). La courbe Kuznetne doit pas toujours se vérifier (Levinson, 2002),mais les imperfections des systèmes de décision

font que le plus souvent la croissance écono-mique s’accompagne de problèmes comme dansle cas de la Chine.

L’approche économique environnementale se faitplus spécifique au niveau du secteur. Commepour les politiques macroéconomiques, les chan-gements de politique économique sectoriellerequièrent aujourd’hui, souvent légalement, uneétude d’impact (Harou, 1996) à laquelle devraparticiper l’économiste de l’environnement. Lalibéralisation d’un secteur, le secteur forestier, parexemple, peut avoir un impact déterminant surles ressources naturelles d’un pays selon les carac-téristiques de son économie. Dans le cas dusecteur forêt, par exemple, cela entraîne souventune déforestation accrue si on a affaire à une éco-nomie non industrialisée. Le secteur qui nousintéresse plus spécialement ici est bien sûr lesecteur énergétique.La branche de l’économie del’environnement qui s’intéresse au secteur éner-gétique est importante (Munasinghe et Meier,1993). L’extension de l’approche de l’économienéoclassique appliquée au secteur énergétique àla dimension des ressources naturelles a impliquéun recours à des numéraires intégrant à la foisl’économique et l’énergétique, comme la mesurede l’entropie (Georescu-Roegen, 1974). Ce sontplutôt les indicateurs complémentaires (la mesuredu SNB) qui recueillent le consensus des écono-mistes.Les instruments classiques d’internalisationdes externalités du secteur énergétique ont suiviune évolution similaire à celle proposée par leséconomistes de l’environnement pour les autressecteurs industriels: régulations, normes, taxes parémissions de polluants comme le CO2, les SOxet les NOx, permis d’émissions et instrumentssimilaires. Kyoto utilise les mécanismes de droitd’émissions et de développement propre àl’échelle globale qui ne sont pas nécessairementles plus efficients (Guesnerie, 2003). Les coûts detransaction de ces instruments étant élevés,les économistes de l’environnement se sontpenchés sur des moyens moins coûteux tels quela divulgation de l’information (Tietenberg etWheeler, 2002) et les systèmes volontaires,comme ceux du contrôle de qualité (ISO etécocertification). Cependant, la motivation n’estpas toujours éthique : ce serait davantage unestratégie qui permettrait d’éviter des régulationspouvant s’avérer plus coûteuses par la suite

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Les grands courants actuels de pensée en économie del’environnement

HISTORIQUE ET CONCEPTS

(Dawson et Segerston, 2002) ou qui permet àterme de soigner son image de marque (Godard,2003). Il est certain que l’instrument préféré del’économiste de l’environnement est finalementle prix de l’énergie délivrée aux consommateurs.Pour ce faire, il travaille d’abord sur la demandequ’il s’évertue à minimiser, stratégie la plusprotectrice de l’environnement à moindre coût.Du côté de l’offre, l’économiste des ressourcesnaturelles rectifiera les prix de marché pourcompenser les défaillances du marché, des poli-tiques et des institutions (Harou, 2000).

La nouvelle branche de l’écologie industrielles’intéresse plus particulièrement à cette trilogie«entreprise, environnement et société» (Reynaud,2004;Ferone,2004;Spaeter, 2004;Vivien,2004).Si l’hypothèse de Porter (1995) de situationgagnant-gagnant pour le duo économie/environ-nement fait des adeptes pour certaines industriesdans des circonstances spécifiques, le cas ne peutpas être généralisé. Pour l’industrie énergétique,cette proposition n’est que peu contredite.L’éco-logie industrielle se préoccupe à la fois de l’éco-nomie des ressources et de l’environnement(Ayres, 2004) ; l’environnement est considérécomme un capital naturel qui doit être gérécomme le capital fait par l’homme. Dans ce casde figure, la firme démontre une gestion supé-rieure et le double dividende à la Porter estattendu.Dans le cadre plus ample du développe-ment durable, l’économie environnementaleappliquée devrait amener une architecture du sys-tème électrique différente de celle que l’onconnaît aujourd’hui:miniaturisation,décentralisa-tion et «écologisation» de la production d’élec-tricité (Dunsky,2004).Les énergies renouvelablesnon polluantes, techniquement fiables et finan-cièrement abordables représentent un élément clépotentiel de développement durable, spécialementpour les pays en développement (Martin, 2003).

La boîte «Politique Environnementale» n’est cer-tainement pas à considérer comme celle d’unsecteur, car elle est par définition intersectorielle.Ici, l’économiste de l’environnement s’appliqueà identifier les problèmes prioritaires, propose dessolutions pour y remédier sous la forme d’unepanoplie d’instruments comme ceux énumérésci-dessus, et propose des outils décisionnels pourchoisir le plus efficient d’entre eux (Sainteny,1998). L’outil majeur proposé par l’économiste

de l’environnement pour présenter son analysebudgétaire est l’analyse coûts-avantages (Harou,2000) qui repose sur l’évaluation environnemen-tale (cf. infra). Le zéro budget système, une appli-cation de l’analyse marginale et des coûts enfouis(sunk costs) ont amené à abandonner des infra-structures pour des raisons environnementalesalors qu’elles étaient déjà en partie construites,comme les barrages à l’ouest des États-Unis. Lepoint important à souligner ici est que tous lesinvestissements environnementaux proposés dansle budget seront en compétition entre secteurs età différents niveaux de décision.Ce dernier pointest au centre du débat sur le fédéralisme envi-ronnemental (Oates, 2002).Alors que les exter-nalités globales requièrent des décisions au niveausupranational, un rôle important reste dévolu àl’échelon local selon le principe de subsidiarité.Quel que soit le niveau de décision, la concer-tation de toutes les parties prenantes, y comprisentre échelons administratifs, est devenue centraleà la résolution des conflits environnementaux.Leprocessus budgétaire entériné par le législatif estau centre de ce processus et l’économiste de l’en-vironnement devra continuer à rationaliser lesdébats, même si au final la décision est politique(Stavens, 2003). On observe cependant que lepolitique est devenu plus réceptif à l’argument enfaveur des instruments de marché, mais la classepolitique semble peu favorable à un emploi pluslarge de l’analyse coûts-avantages.

L’économie de l’environnement, qui a com-mencé comme une branche de la théorie desexternalités et des biens publics, s’est passablementélargie ces dernières décennies à un concept de laqualité de la croissance économique et jusqu’àcelui de développement durable, explicite dansune stratégie nationale de développement du-rable, qui est représenté dans la boîte 6. Pour lespays en développement, cela nécessite une aidebien synchronisée des partenaires au développe-ment (Markandya et al., 2002). Les décisionsàprendre à l’échelle macro et sectorielle sontimportantes, car elles déterminent les prix etdonc les allocations dans une économie donnée.Ces politiques comprennent aujourd’hui une di-mension environnementale,même si elles restentencore à améliorer et à mieux combiner avecl’impact social de ces mêmes politiques (Ballet,2005).La pollution et la disparition des ressources

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naturelles affectent davantage les pauvres, puisqueces derniers dépendent souvent de ces ressourcespour leur survie. L’outil essentiel pour introduirel’environnement dans ces décisions est l’analysecoûts-avantages qui doit intégrer les valeurs envi-ronnementales vers lesquelles nous nous tournonsmaintenant.

L’évaluation environnementale

L’évaluation environnementale a connu une pro-gression spectaculaire ces deux dernières dé-cennies (Cropper et Oates, 1992;Knetsh, 2000).Cette évolution était nécessaire à l’utilisation del’analyse coûts-avantages non seulement de projetenvironnement mais aussi des politiques environ-nementales et même dans l’établissement d’unecomptabilité verte (Aronsson, Backlund etLofgren, 2001). La théorie et l’application del’analyse de l’investissement publique ont été biendéveloppées au début des années 1970 après lesmanuels OECD et UNIDO d’analyse de projet.L’évaluation des externalités n’y était cependantpas considérée. Elle consiste à pousser plus loinl’établissement des prix fictifs de l’analyseéconomique faite du point de vue de la sociétépar opposition à l’analyse financière faite dupoint de vue de l’intérêt privé qui initie uninvestissement. La double analyse économique etfinancière permet de calibrer les instrumentsenvironnementaux (Harou, 1985).

Les méthodes d’évaluation environnementalesont de deux types : celles qui révèlent des préfé-rences directement ou indirectement, comme laméthode hédonique et celle du coût de transport,par proxy, et celles qui sollicitent ces valeurslorsque aucune proxy n’existe sur le marché,comme la méthode contingente et la méthodepar expérimentation des choix. Ces deux der-nières méthodes sont préférées et utilisées lors-qu’on a affaire à des valeurs de non-usage. Laméthode d’évaluation contingente consiste, pardes techniques de questionnaires bien étudiés, àobtenir le consentement à payer. Comme pourl’évaluation contingente, la méthode par expéri-mentation des choix s’effectue par l’administra-tion d’une enquête directe auprès des individuset se déroule en plusieurs étapes (Benett etBlamey, 2001) : (1) la conception des séries dechoix alternatifs ; (2) l’enquête ; (3) l’estimation

de la fonction d’utilité aléatoire ; (4) l’inférencedu CAP des individus. La méthode est nouvelle,mais est une suite logique de l’importance sanscesse grandissante de la théorie des jeux enéconomie de l’environnement.

Avant de se poser la question de l’acceptabilitéde ces méthodes d’évaluation par les décideurs,ce sont les caractéristiques des ressources environ-nementales qui expliquent la nécessité de révéleret d’intégrer dans la prise de décision les préfé-rences des consommateurs. La multifonction-nalité des ressources, l’incertitude jointe de lademande et de l’offre, l’irréversibilité des utili-sations et la sous-estimation de la qualité sontautant de raisons pour évaluer l’ensemble desbénéfices de préservation/conservation des res-sources. L’évaluation des ressources joue un rôleimportant pour résoudre d’éventuels conflits,pour prévenir les pollutions potentielles et pourinternaliser les externalités de l’environnement.

Ces méthodes d’évaluation font l’objet depuis ledébut des années 1980 de nombreuses applicationsen Europe (DG Environnement,2000) et couvrentune variété de cas (qualité de l’air, de l’eau,biodiversité, paysages, déchets…). Ces méthodespermettent aux individus concernés par unequestion environnementale d’exprimer leur pré-férence à travers l’indicateur monétaire du consen-tement à payer.Au-delà des critiques adressées àces méthodes quant à la mesure obtenue et à sescomposantes, la connaissance de la demande pourl’environnement facilite la décision du gestionnaire.L’analyse des politiques environnementales del’Union européenne montre que l’évaluation desressources naturelles et leur intégration dans uncadre décisionnel ont été définitivement reconnuescomme nécessaires à travers le Traité de Maastricht(Grasso et Pareglio,2001).L’attention croissante del’Union européenne portée à l’évaluation s’esttraduite depuis 1998 par la mise en œuvre deprogrammes de recherche ayant trait principale-ment à la qualité de l’air, mais aussi à la qualité del’eau ou à celle de la préservation de certainsespaces (zones humides, etc.).Toutefois, l’intérêtdes valeurs de non-usage pour un décideur publicainsi que les composantes et l’identification de cesvaleurs sont un autre aspect de la politique envi-ronnementale qui ne semble pas pour le momentcomplètement intégré au processus de décision.

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15Économie de l’environnement et des ressources naturelles

Les grands courants actuels de pensée en économie del’environnement

HISTORIQUE ET CONCEPTS

L’application de ces méthodes d’évaluation aconduit à s’interroger sur la fiabilité des indica-teurs obtenus et leur intégration dans un pro-cessus de prise de décision. Le caractère crédibleet fiable des indicateurs (consentement à payer/àrecevoir) peut et tend à être testé de plus en plusfréquemment par l’instauration de protocolesexpérimentaux dans lesquels les paiements nesont plus hypothétiques mais réels. La mise enparallèle de l’expérimentation et de l’évaluation(notamment contingente) vise à s’interroger surl’ampleur du biais hypothétique et de fait surl’utilisation des indicateurs obtenus par des déci-deurs publics. L’économie expérimentale a deplus en plus été employée parallèlement à laméthode contingente, soit ex ante dans le butd’améliorer les résultats de la méthode d’évalua-tion, soit ex post dans un but de contrôle desrésultats obtenus par la méthode contingente (X-procedure). Plus généralement, les techniquesd’économie expérimentale constituent un autremoyen de tester la réaction du consommateurface à de nouveaux procédés ou biens. Ellessemblent efficaces au regard de l’apprentissage.De plus, les caractéristiques de l’expérimentationsont liées à la maîtrise et au contrôle de l’infor-mation donnée aux individus.

Très coûteuse en temps et en ressources, l’appli-cation de ces méthodes d’évaluation a égalementposé le problème de leur financement et de leurefficacité opérationnelle dans le temps. Rapide-ment, la réponse du transfert de bénéfices estapparue (EPA, 2005). Compte tenu des con-traintes budgétaires et de l’urgence de certainesquestions touchant l’utilisation des ressourcesnaturelles, le décideur public est souvent con-fronté au problème de la prise de décision avectrès peu d’information. Il est dès lors tentant derecourir à des données collectées sur d’autres sites,pour lesquels des évaluations ont déjà été réalisées,et dont les caractéristiques sont similaires à cellesdu site pour lequel des choix publics doivent êtreeffectués. Un rappel rapide sur la question dutransfert de bénéfices montre que cette méthodepeut être rapprochée de la pratique publiqueconsistant à fonder la décision sur des valeurs deréférence, comme le taux d’actualisation desprojets publics, la valeur du temps dans les projetsd’infrastructure routière, etc. Elle s’en distingue

cependant, dans la mesure où l’on peut tenircompte des différences de caractéristiques entrela population à partir de laquelle la valeur a étéestimée et les populations concernées par lesétudes qui servent de référence (Rozan etStenger,2000).L’élaboration de bases de référence(EVRI,Environmental Valuation References Inventory,2000) montre la nécessité de s’appuyer sur unacquis pour y réfléchir dans le sens d’une prise dedécision plus rapide et moins coûteuse.

Les externalités et bien publicsmondiaux

L’environnement n’a pas de frontières, et il n’estdonc pas surprenant que l’économie environ-nementale se soit penchée d’emblée à résoudre lesproblèmes à une échelle globale.La problématiquedes pollutions en général et le Protocole de Kyotoen particulier en sont des exemples. Les taxespeuvent se prélever au niveau international(Aronsson,T.,K.Backlund et K-G.Lofgren,2001).L’économie environnementale ne doit plus êtrepensée au niveau national ou sur le plan des rela-tions internationales entre États-nations (Mistral,1986), mais plutôt au niveau de l’économie poli-tique transnationale.Ce champ de recherche va ens’agrandissant après le travail pionnier deKindleberger (1986) et avec l’importance desglobaux internationaux (Faust et al., 2001; Gabaset al., 2001;Kaul et al., 2003).Hugon (2004) décritla notion de biens publics mondiaux (BPM) àl’origine d’une nouvelle régulation internationaleamenée par des forces sociales transnationales. Ildistingue les biens collectifs, communs, publics,mondiaux ou internationaux et étudie les deuxtypes d’instruments, à savoir une régulation écono-mique en termes d’intérêts (Stiglitz, 1999), derègles (Kindleberger, 1986) et de défaillances demarché (Buchanan et Musgrave, 1999), et unerégulation en termes de conflit de valeurs avec lesdéfaillances de droit, les patrimoines communs etles nouveaux construits sociopolitiques (Hugon,2004). Ces travaux rejoignent ceux de l’ÉcolePublique Internationale (Palan,1998).L’économieenvironnementale dans ce nouveau contexte sepratique en grande partie par des études coûts-avantages dans un cadre juridique planétaire où lestransferts entre nations disparaissent.

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Conclusion

Il serait prétentieux de conclure cette revue suc-cincte des courants de pensée actuels en éco-nomie de l’environnement par une projectiondes tendances.Cependant, il n’est pas trop risquéde prévoir que l’économie environnementalesera progressivement intégrée (mainstreamed) dansun contexte général de développement écono-mique durable et dans les processus de décision àtous les niveaux, y compris à un niveau trans-national. La survie de notre planète demande unprogrès dans la gouvernance à tous les niveauxde décision, y compris transnational (Jacquetetal., 2002). C’est spécialement important pourle secteur énergétique.

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Page 18: Économie environnement ressources naturelles

Thierry TACHEIX

Docteur ès Sciences Écono-miques, Maître de Conférencesen économie à la Faculté deDroit et des Sciences Écono-miques de Limoges, Chercheurau CRIDEAU – CNRS/INRA(Centre de Recherches Interdisci-plinaires en Droit de l’Environ-nement, de l’Aménagement etde l’Urbanisme).

18 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE Nos 66-67

Face aux atteintes à l’environnement, les experts ont cherché desréponses dans la doctrine libérale à travers le cadre de l’économienéoclassique des ressources naturelles et de l’environnement.Même si ce cadre d’analyse est parfois contesté, un certain nombrede résultats font aujourd’hui l’objet d’un consensus.

Introduction

Si les classiques accordaient aux ressources naturelles une place de choix ausein de leur théorie de la production en leur reconnaissant explicitementun rôle moteur dans l’industrie et dans l’agriculture, l’analyse utilitariste des

néoclassiques va rattacher l’existence d’un bien non pas à sa consistance maté-rielle mais à la satisfaction qu’il procure.Ceci explique pourquoi les néoclassiquesse sont si longtemps désintéressés de l’environnement.

L’économie néoclassique libérale de l’environnement puise ses fondementsintellectuelles dans les résultats de l’économie du bien-être et de la gestion desressources naturelles. Les fondements de l’analyse sont plutôt microécono-miques. La frontière qui séparait l’économie des ressources naturelles1 etl’économie de l’environnement2 s’est progressivement estompée sous l’influencede la raréfaction des services rendus par le milieu naturel. L’environnement estdésormais abordé comme un ensemble de biens relevant de la problématiquegénérale de leur allocation en fonction des préférences des agents. Ces biensou ces actifs naturels rendent des services à l’homme en entrant dans la fonctiond’utilité des consommateurs comme l’air pur ou les aménités procurées par unpaysage, et dans la fonction de production comme les matières premières, lesressources énergétiques, les réserves de ressources naturelles ou leur fonctiond’assimilation des déchets.

L’homme est ainsi au centre des décisions et les problèmes s’inscrivent dans larecherche d’une allocation optimale des ressources environnementales entreles agents en fonction de leurs préférences.

Dans la théorie standard, le libre fonctionnement du marché est censé conduirel’économie dans un état optimal caractérisé par le fait qu’il devient impossibled’améliorer la situation d’une personne sans détériorer celle d’une autre.Comme

LLee ccaaddrree ddee ll’’ééccoonnoommiiee nnééooccllaassssiiqquuee ddee ll’’eennvviirroonnnneemmeenntt

@[email protected]. Avec l’étude des modalités de prélèvement sur les ressources naturelles renouvelables et

épuisables.2. Avec l’étude de l’impact des pollutions sur le bien-être.

Page 19: Économie environnement ressources naturelles

19Économie de l’environnement et des ressources naturelles

Le cadre de l’économie néoclassique de l’environnement

HISTORIQUE ET CONCEPTS

cette situation peut être remise en question enprésence de pollution, la théorie va chercher àfournir les outils nécessaires au rétablissementd’un optimum économique.

Les biens environnementaux n’ont souvent pasde prix par absence de marché. L’analyse va alorschercher à définir les valeurs spécifiques des biensenvironnementaux et mettre en place des mé-thodes pour les évaluer monétairement, afin deles réintégrer dans la sphère marchande de l’éco-nomie et remédier à leur gaspillage et à leurdétérioration.

Le cadre de l’économie néoclassique de l’environ-nement va ainsi être abordé à travers l’exploi-tation des ressources naturelles et leur transmissioncomme capital, les externalités issues de la défail-lance du marché et leur internalisation, et enfinl’évaluation des biens environnementaux.

L’exploitation des ressourcesnaturelles et la substituabilitédu capital

Les ressources naturelles marchandes sont intégréesdans la croissance économique sous la forme d’unfacteur de production substituable au capital arti-ficiel.Ceci pose principalement deux problèmes:

– celui de sa disparition lors de son utilisation;

– celui de l’intensité de sa substituabilité.

L’exploitation des ressourcesnaturelles

Les ressources naturelles désignent les biens nonissus des processus de production humains maisqui répondent néanmoins à une demande de leurpart.Ce concept vise à prendre en considérationles contraintes particulières qui pèsent sur l’offrede ces biens et marquent la formation de leurprix de marché. Deux grandes distinctions sontopérées pour l’analyse selon qu’il s’agit de res-sources renouvelables ou épuisables.

Pour les ressources épuisables comme le pétroleou un minerai, les travaux d’Hotelling en 1931ont établi une règle qui montre que la logique

d’investissement rationnel de la part des déten-teurs de capitaux devrait conduire à exploiter cesressources, dont le stock est en permanenceconnu avec certitude,de manière à ce que le prixde vente augmente au rythme du taux d’intérêtde l’économie.À long terme, ce sont les prix desressources naturelles, sur lesquelles le progrèstechnique n’a pas de prise, qui devraient dominerl’économie.

Les ressources renouvelables comme les stocks depoissons ou une forêt sont capables de fournir desressources sur une longue période de temps.L’importance de leurs stocks dépend principa-lement du prélèvement humain. Un stock depoissons peut être pêché jusqu’à son épuisement.L’analyse porte principalement sur le prélèvementannuel maximum compatible avec le renouvelle-ment perpétuel de la ressource à travers le conceptde rendement maximum soutenable (RMS).

La substituabilité du capital

Les néoclassiques considèrent comme du capitaltous les facteurs qui permettent de drainer lesflux de services productifs3. L’idée importante estque tous ces éléments sont considérés commesubstituables entre eux. Pour les néoclassiques, ilest important qu’il n’y ait pas de décroissance ducapital global entre les générations. Peu importela forme du capital que l’on laisse aux générationsfutures (baleines, arbres, machines ou matièregrise), pourvu que l’on transmette plus de capitalque l’on en a reçu.

Sous l’hypothèse de soutenabilité faible, les biensenvironnementaux ne méritent pas d’attentionparticulière. L’épuisement total d’une ressourcenaturelle ne pose pas de problème particulier dèsl’instant où sa raréfaction est compensée parl’augmentation d’une autre composante du stocktotal de capital (capital humain, biens et servicesmarchands, machines outils…).

La soutenabilité forte refuse l’idée de substitua-bilité parfaite entre les différentes formes decapital en faisant remarquer que le capital naturelassure aussi des fonctions extra économiques4.

3. On y trouve ainsi toutes les ressources naturelles ettoutes les ressources artificielles dont la connaissance.

4. En particulier récréatives et écologiques.

Page 20: Économie environnement ressources naturelles

20 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE Nos 66-67

La défaillance du marché et les externalités

L’approche économique néoclassique de l’éco-nomie de l’environnement consiste en l’analysedes conséquences d’un certain nombre de défail-lances du marché qui ont abouti au conceptd’effets externes.

La défaillance du marché

Le succès d’une économie dépend du bon fonc-tionnement du marché qui transmet par l’inter-médiaire des prix la rareté relative des différentesressources.Une consommation d’environnementtrop élevée (trop d’arbres abattus, trop de poissonscapturés, trop d’effluents versés dans les coursd’eau) révèle une défaillance du marché qui n’estpas capable de signaler une rareté croissante de laressource5.

La mauvaise tarification des ressources, commele prix du bois brut qui ne reflète pas la valeurdes fonctions écologiques et climatiques des forêtsou comme la valeur des zones humides quin’inclut pas une valeur écologique et hydrolo-gique, montre que le marché reçoit des signauxinadaptés.Ce défaut de tarification constitue unecause importante de détérioration et de gaspillagedes ressources.

La défaillance du marché peut également êtreobservée à partir des biens communs. Un biencommun est un bien qui satisfait au principe denon-exclusion. Cela signifie qu’il n’est pas pos-sible d’exclure un agent de la jouissance d’unbien. La pollution de la mer Noire est un exem-ple de cette défaillance car on ne peut pasinterdire son accès aux pollueurs qui la bordent.

Une attitude de passager clandestin dont le com-portement individualiste conduit à une sous-décla-ration de son intérêt pour un bien environnemen-tal exprime également une défaillance du marché.

La notion d’effets externes ou d’externalités

La dimension économique des biens échangéssur un marché devrait prendre en considérationl’ensemble des coûts liés au processus de produc-

tion, y compris ceux liés à l’utilisation de lanature et de l’environnement.

Toute activité économique a un coût.L’ensembledes coûts imposés par une activité à la collectivitéconstitue le coût social. Une partie de ce coûtsocial est compensée par les paiements effectuéspar les agents qui sont à l’origine de l’activité.Cesont les coûts engendrés par l’achat des matièrespremières ou des machines, ou encore ceuxengendrés par la rémunération du travail. Ilsconstituent les coûts privés de l’agent. Mais il sepeut qu’une activité entraîne des coûts pour lacollectivité qui ne sont pas pris en charge par lepollueur, par exemple ceux liés à la pollution.Cesont des effets externes ou externalités et les prixdes biens et services offerts sur le marché nereflètent donc pas leur coût social total.

On appelle externalités les effets d’une action surd’autres parties lorsque ces effets n’ont pas été prisen compte par l’auteur de l’action. Ces effetsn’ont pas donné lieu à échange ou à compen-sation monétaire. Les externalités peuvent êtremesurées par la différence entre le coût marginalsocial et le coût marginal privé. Une externalitéest un coût social non compensé, c’est-à-direimposé à des tiers, en dehors de toute transactionvolontaire.

Ainsi, la non-prise en compte des externalités etla non ou la mauvaise tarification des ressourcesnaturelles sont deux défaillances du marché demême nature. Une manière de rétablir unecertaine vérité des prix consiste à internaliser leseffets externes.

L’internalisation des effetsexternes

Si une activité économique entraîne une pollu-tion, alors le coût de cette pollution doit être prisen compte au niveau du pollueur.Si son existencese manifeste par une différence entre les coûtssociaux et les coûts privés, son internalisationsuppose de combler cet écart en le faisantsupporter par l’agent privé. L’internalisation deseffets externes passe, d’un point de vue écono-mique par deux grandes possibilités6. Ou bien,

5. Ceci peut également s’analyser du côté de l’offre quin’a pas été capable de montrer l’intérêt du reboisement.

6. À côté des instruments purement économiques, ilexiste des instruments réglementaires pour internaliserles effets externes comme les normes, les autorisations,les limitations d’activité…

Page 21: Économie environnement ressources naturelles

21Économie de l’environnement et des ressources naturelles

L’instauration d’un marché de droits à polluernécessite l’intervention de la puissance publiqueau stade de la conception du dispositif ets’effectue en trois étapes :

– la fixation d’un plafond global de pollution;

– la répartition des droits entre les acteurs con-cernés par l’externalité ;

– l’autorisation d’échange des droits.

Le système conduit à définir le prix optimal dudroit à polluer par le jeu des offres et desdemandes de droits. Le prix de la pollution n’estplus administré comme chez Pigou. Ces droits àpolluer9 fournissent une incitation permanentepour les agents pollueurs à adopter des procédésmoins polluants et permettent une répartitionefficace des efforts de dépollution, puisque l’onminimise le coût global de réalisation d’un niveauglobal d’émission. Ceux qui ont les coûts dedépollution les plus faibles peuvent vendre leursdroits à ceux qui ont les coûts les plus élevés.

L’évaluation des biensenvironnementaux

Un des problèmes majeurs des biens environne-mentaux est qu’ils n’ont bien souvent pas de prixcar ils n’ont pas de marché. Mais, ce n’est pasparce qu’un bien n’a pas de prix de marché qu’iln’a pas de valeur. Il s’agit alors de pouvoirexprimer la valeur des biens environnementauxpour faire ressortir les avantages sociaux qu’ilsprocurent. Cela conduit à tenir compte à la foisdes services qu’ils rendent et qui sont susceptiblesde disparaître, et des dommages qu’ils subissent.

La valeur totale des biensenvironnementaux

D’un point de vue général, la valeur des actifsenvironnementaux peut être mesurée à partir despréférences des agents économiques pour l’uti-lisation ou la conservation de ces actifs. Ondistingue les valeurs d’usage et les valeurs de non-usage. Les valeurs d’usage se rapportent aux

Le cadre de l’économie néoclassique de l’environnement

HISTORIQUE ET CONCEPTS

comme le préconise Pigou, on instaure une taxeadministrative, ou bien, comme le préconiseCoase,on crée les conditions d’une régulation parle marché. Dans les deux cas, l’environnement setrouve intégré dans la sphère marchande etl’intensité de son utilisation sera fonction de sonprix, administré ou de marché.

Pigou et le principe du pollueur-payeur7

Pour Pigou, l’internalisation des effets externesnégatifs se fera en instaurant une taxe unitairepour atteindre le niveau optimal de pollution.C’est un paiement effectué sur chaque unité depollution déversée. On fixe ainsi un coût auxémissions polluantes et le pollueur qui, dans lecadre de l’analyse classique recherche la maxi-misation de son profit, va arbitrer entre payer lataxe ou investir dans la dépollution. La taxereprésente en quelque sorte le prix à payer pourl’utilisation de l’environnement, et plus elle estélevée, plus les pollueurs seront incités à dépol-luer pour ne pas avoir à la payer. L’utilisation del’environnement comme récepteur de la pollu-tion est alors inversement proportionnelle aumontant de la taxe.

Ce principe sert de base aux différents outilsd’une fiscalité environnementale. Il pose le pro-blème de la quantité optimale de pollution àretenir par confrontation du coût de dépollutionet du dommage de pollution.

Coase et le marché de droits à polluer8

D’un point de vue général, les externalitéspeuvent s’expliquer par l’absence de droits depropriété sur certaines richesses car elle rendimpossible l’organisation de marchés. Si des droitssont créés et peuvent s’échanger, l’incitationfinancière à préserver la ressource est retrouvée.

7. C’est le mode d’internalisation développé par Pigou(1920) qui sert de fondement théorique au principepollueur-payeur énoncé par l’OCDE en 1972.

8. Le théorème de Coase (1960) énonce que dans unmonde où les coûts de transaction sont nuls et les droitsde propriétés bien définis, il est possible d’obtenir uneallocation optimale des ressources sans intervention del’État. Le marché des droits à polluer est à attribuer àDales (1968).

9. La mise en place des permis d’émissions négociables(PEN) sur les gaz à effets de serre est un exempled’application.

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22 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE Nos 66-67

services fournis par le bien considéré10. Lesvaleurs de non-usage renvoient, soit à des usagesfuturs que l’on veut préserver pour nous (valeurd’option) ou pour les générations futures (valeursde legs), soit à l’existence même du bien, indé-pendamment de tout usage présent ou à venir(valeur d’existence).

La valeur économique totale se calcule par simpleaddition des différentes valeurs d’usage et denon-usage.

Les méthodes d’évaluationmonétaires

Il s’agit d’apprécier les valeurs révélées par lecomportement ou par le consentement à payerou à recevoir. Les méthodes de valorisationreposent sur l’observation des services rendus parles actifs naturels. Selon que l’observation descomportements est possible ou non,on distinguedeux grandes familles de méthodes d’évaluation.

Si l’observation du comportement est possible,on utilise des méthodes indirectes qui se fondent

sur l’observation du comportement pour endéduire une mesure du surplus.

La méthode des coûts de déplacement est utiliséepour estimer la demande et la valeur des biensrécréatifs. La valeur d’un site est donnée par leconsentement à payer pour visiter ce site.

La méthode des prix hédonistes part du constatque le prix de certains biens (logement parexemple) dépend de multiples caractéristiquesdont certaines peuvent être environnementales. Ils’agit alors d’exprimer la valeur de cette compo-sante environnementale dans le prix total. Sur labase du comportement d’évitement et des dé-penses de protection,on obtient des informationssur les dépenses effectuées pour une modificationde la qualité de l’environnement. Ce consente-ment à payer reflète ainsi la valeur accordée aubien environnemental ou à la nuisance.

Enfin, il faut mentionner l’utilisation des prix dumarché pour évaluer la modification de l’envi-ronnement en observant les changements phy-siques intervenus et en estimant la différence qu’ils

10. Comme par exemple la vente du bois d’une forêt ouson usage récréatif à travers la possibilité de s’ypromener.

Page 23: Économie environnement ressources naturelles

23Économie de l’environnement et des ressources naturelles

entraîneront dans la valeur des biens et services.On peut citer l’évaluation des pluies acides oucelui du déboisement sur les rendements descultures.

Lorsque l’observation du comportement n’estpas possible, il reste la possibilité d’interrogerdirectement un échantillon d’individus sur leconsentement à payer ou sur le consentement àrecevoir pour bénéficier ou pour éviter unemodification de la qualité de l’environnement.C’est la méthode d’évaluation contingente quirevient à créer artificiellement un marché quin’existe pas.

Conclusion

L’approche néoclassique aborde l’environnementet les ressources naturelles comme une collectionde biens qui relèvent de la problématique géné-rale de leur allocation en fonction des préférencesdes agents.

L’économique est posé comme un univers en soi,indépendant des institutions sociales mais pou-vant être affecté par elles.

Les problématiques collectives sont, par uneanalyse de type microéconomique, ramenées àdes logiques individuelles. Le comportementindividuel environnemental s’étudie en termesd’anticipations, de choix rationnels et de préfé-rences. Le caractère central reste celui d’unesituation d’équilibre obtenue en réintégrant dansle marché des effets qui en ont été écartés.

Cette approche s’est imposée par la puissance deses formulations et la masse de ses chercheurs. Lecorps théorique qu’elle a développé est reconnuet accepté par les institutions internationales.Lorsque l’OCDE a adopté en 1972 le principedu polluer-payeur, c’est en se référant à la théoriede l’internalisation des effets externes selonlaquelle les prix des marchandises doivent êtrecorrigés pour refléter l’intégralité des coûts, ycompris ceux liés à l’utilisation de l’environ-nement. De nombreux décideurs voient dans

cette théorie des bases solides pour les décisionset le choix des instruments de la politiqueenvironnementale.

D’autres approches que la théorie néoclassiquestandard ont vu le jour.On peut citer l’économieécologique dont l’objet est l’étude des interac-tions complexes entre l’économie humaine et lefonctionnement physiologique et biologique dela planète Terre. Ses outils sont empruntés à lafois aux sciences de la nature et aux travauxéconomiques du fonctionnement de l’économiematérielle des hommes. On peut égalementmentionner la perspective d’une socio-économiequi souligne la formation des choix individuelsdans une approche d’écodéveloppement. Cesapproches s’inscrivent toutes dans une perspec-tive de développement durable qui va au-delà del’internalisation des effets externes pour être à lahauteur des enjeux du XXIe siècle.

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Le cadre de l’économie néoclassique de l’environnement

HISTORIQUE ET CONCEPTS

Page 24: Économie environnement ressources naturelles

24 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE Nos 66-67

Claude NJOMGANG

Professeur de Sciences Écono-miques à l’Université deYaoundé II-Soa au Cameroun ;spécialiste d’Économie de l’Envi-ronnement, et membre duréseau MOGED (Maîtrise desoutils de gestion de l’envi-ronnement et du développe-ment).

Bien qu’encore très controversé (on recensait déjà plus de 350 défi-nitions au Sommet de Rio en 1992!), le concept de développementdurable intègre, dans l’acception commune, les trois dimensions dela soutenabilité (environnementale, économique et sociale) dansune dialectique qui constitue l’essentiel des débats actuels surl’impact des activités humaines sur l’habitat naturel et social. Aucœur du débat se trouve le défi de traduire, dans les politiqueséconomiques concrètes, les principes du développement durable.Le Rapport de la Commission mondiale pour l’Environnement de1987 (Rapport Brundtland) constitue aujourd’hui la référencecommune pour la définition du développement durable. Celui-ci seréfère aux «sentiers de progrès humain qui répondent aux besoinset aux aspirations de la génération présente sans compromettre lacapacité des générations futures à satisfaire leurs besoins».

De cette définition, il ressort que le développement durable est essentiel-lement un concept de transition environnementale. Il s’agit en effet defranchir le seuil d’une croissance que nous pourrions dire « de

cueillette», fondée sur la croyance erronée en une offre illimitée de ressourceset des rendements croissants du capital naturel, vers une croissance maîtriséedans un «monde fini » (selon les termes du rapport du Club de Rome),compatible avec le renouvellement de la base de ressources. La dimensionenvironnementale constitue ainsi la dimension de base, l’environnementreprésentant l’ultime contrainte pour l’efficience économique et l’équité.

Cette transition est parfois décrite par une relation en U inversé entre lacroissance économique et la dégradation de l’environnement, connue sous lenom de «courbe environnementale de Kuznets ». Une telle relation supposeque les modes de consommation et de production évoluent dans le sens d’unedemande croissante de qualité environnementale en fonction des revenus. Lestentatives de vérification empirique ont donné des résultats très variables selonles études et selon les niveaux de développement des pays.

La théorie économique fonde l’analyse de la dimension environnementale dudéveloppement durable sur les lois de la thermodynamique, qui mettent enexergue les notions fondamentales d’asymétrie du progrès technique etd’irréversibilité.

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@[email protected]

Page 25: Économie environnement ressources naturelles

25Économie de l’environnement et des ressources naturelles

Théorie économique et dimension environnementale du développement durable

HISTORIQUE ET CONCEPTS

Thermodynamique et soutenabilité faible: la première loi (ou loi de laconservation de la matière)

Selon l’équation (quantitative) d’Einstein (e = mc2),la masse (m) et l’énergie (e) sont convertibles selonun multiple de la vitesse de la lumière (c).Dans unsystème clos, cette conversion traduit la loi de laconservation de la matière (masse et énergie), oupremière loi de la thermodynamique, selon laquellela quantité d’énergie (fournie directement ouindirectement par le Soleil) présente dans l’universest constante. L’énergie n’est donc ni créée nidétruite ; elle est seulement transformée en uneforme ou en une autre (chaleur, lumière ou énergiemécanique),mais intégralement conservée à traverstout le processus de transformation (principe de labalance matière).Le cycle du carbone est sous-tendupar cette chaîne vitale de transformation de lamatière,à travers le phénomène de la photosynthèse.Un corollaire important de la première loi de lathermodynamique est que la masse et l’énergie sontéquivalentes et indéfiniment substituables.La trans-formation de l’énergie est pleinement efficiente.

En termes de développement durable, la loi de laconservation de la matière a été transposée en éco-nomie par Ayres et Kneese (1969), pour exprimerl’égalité comptable ex post entre la masse desressources extraites de l’environnement et utiliséesdans les activités économiques, et la masse desdéchets produits par ces activités. Ceci signifie queles déchets générés par les activités économiquessont intégralement recyclés par les puits environne-mentaux. Cette approche comptable constitue lefondement de la soutenabilité dite faible, quiconsidère que le capital naturel et le capital créé parl’homme sont substituables. Cette transposition futpopularisée dès 1966 par Boulding, à travers sasaisissante analogie entre la Terre et le vaisseau spatial(« spaceship earth»), système clos du point de vuede la conversion de la matière.

Thermodynamique etsoutenabilité forte: la secondeloi (ou loi d’entropie)

L’optimisme de la première loi de la thermodynami-que trouve sa limite dans la seconde (loi d’entropie),popularisée en économie par Georgescu-Roegen

(«The Entropy Law and the Economic Process»).Selon cette loi, tout système clos laissé à lui-même(c’est-à-dire coupé de sa source externe d’alimen-tation, en l’occurrence le Soleil) voit diminuer sacapacité à fournir de l’énergie utile au fur et à mesurequ’il approche de son état d’équilibre (exemple dumouvement pendulaire qui se stabilise à la verticale,ou de la tasse de thé qui se refroidit).

Ceci signifie que même si la quantité d’énergiereste constante, sa qualité (mesurée en termes decapacité à fournir un travail) se détériore, ce quise traduit par une perte d’énergie utile par dis-persion sous forme de gaz, de particules ou dechaleur. La pollution apparaît ainsi comme laconséquence d’une conversion inefficiente de lamatière. Le recyclage naturel à 100% est ainsiimpossible, et la croissance économique est inévi-tablement associée à une pollution croissante.Or,la pollution générée par les activités économiques(gaz à effet de serre) perturbe les mécanismes detransfert de l’énergie solaire à la Terre, et dephotosynthèse qui assure reproduction de la viesur Terre, accentuant ainsi l’entropie.

En termes de développement durable, cetteapproche entropique constitue le fondement dela soutenabilité dite forte, qui rejette l’hypothèsede substituabilité entre capital naturel et capitalcréé. Un minimum de capital naturel doit ainsiêtre préservé, par la réalisation d’investissementsenvironnementaux assurant la reproduction dusystème économique.

Asymétrie entre progrèstechnique et développementdurable

L’idée de base est celle d’une asymétrie des effetsdu progrès technique sur le développement éco-nomique et la conservation de l’environnement.Le progrès technique accroît la productivitéphysique des facteurs, sans accroître proportion-nellement notre capacité à «produire» du capitalnaturel.

Formellement, la symétrie du progrès techniquepeut être décrite de deux façons : 1) dans l’opti-que de la première loi de la thermodynamique,par le concept de neutralité du progrès tech-nique, où on suppose que le progrès techniqueest exogène et constant, et augmente au même

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taux l’efficacité de l’ensemble des facteurs deproduction (y compris la matière); 2) dans l’opti-que de la loi d’entropie, par le concept de progrèstechnique biaisé, où on exige seulement que leprogrès technique augmente tous les facteurs,même à des taux différents.Cette dernière appro-che est commode pour la prise en compte de lacroissance nette du progrès technique (déductionfaite du taux de la croissance de la population).

Le développement durable est conditionné dansce cas, par l’efficience écologique (« ecologicaleffectiveness ») du progrès technique appliquéaux activités économiques. Ce problème estdistinct du problème de la croissance zéro posédans les années cinquante par le Club de Rome.Il s’agit en effet non pas de ralentir la croissancepour en réduire les impacts environnementaux,mais plutôt d’instaurer une croissance danslaquelle le progrès technique augmente à la foisl’efficacité du capital matériel et la reproducti-bilité du capital naturel.

Irréversibilité, risque et incertitude: le principe de précaution

La théorie économique orthodoxe est basée surle modèle d’équilibre général, lequel est lui-mêmeune application de la mécanique classique àl’économie (la première loi est une loi d’équilibregénéral). Dans ce cadre conceptuel, l’avenir estcertain ou «probabilisable ». Les choix écono-miques sont indéfiniment révisables au moyen dequasi-options. L’équilibre est automatiquementréalisé par les choix rationnels des agents et l’inter-dépendance des offres et des demandes. Le tempséconomique est ainsi pleinement réversible.

Les choix environnementaux sont au contraireirréversibles, à la fois sur le plan historique etphysique. Sur le plan physique, la seconde loi dela thermodynamique implique que les optionspossibles s’épuisent (l’irréversibilité se renforce)au fur et à mesure que l’entropie s’élève. Sur leplan historique, le temps historique est irréver-sible dans ses effets environnementaux (dispari-tion d’un site unique, ou d’une réserve de bio-diversité).

Ainsi, l’incertitude et le risque d’irréversibilitéassociés aux choix environnementaux font duprincipe de précaution le fondement de la poli-tique de développement durable. Dans cetteoptique, les choix sont guidés par une rationalitéprocédurale,caractérisée par la prise en compte d’unsystème de flexibilité environnementale,par exem-ple l’adoption d’un maximum d’options (ou descénarios) correspondant à diverses représentationsdes impacts environnementaux possibles.

Bibliographie

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27Économie de l’environnement et des ressources naturelles

Franck-DominiqueVIVIEN

Franck-Dominique VIVIEN estMaître de conférences en écono-mie à l’Université de ReimsChampagne-Ardenne. Il estmembre du laboratoire «Orga-nisations marchandes et insti-tutions» de cette même univer-sité. Il a été chargé de missiondu département des Sciences del’homme et de la société auprogramme Environnement, Vieet Sociétés du CNRS de 1998 à2002. Il est auteur de Économieet Écologie, La Découverte,1994, et, en collaboration avecC. Aubertin, des Enjeux de labiodiversité, Économica, 1998. Ilest éditeur scientifique deBiodiversité et appropriation :les droits de propriété enquestion, Elsevier, 2002 et, encollaboration avec C. Barrère, D. Barthélemy et M. Nieddu, deRéinventer le patrimoine, Paris,L’Harmattan, 2004.

Discuter des droits de propriété dans le domaine de la gestion del’environnement est une manière de s’interroger sur la meilleure façonde concilier les intérêts individuels et l’intérêt collectif. Ce débat, trèsancien, oppose généralement les tenants de la propriété privée à ceuxde la propriété publique. À partir des années 1960, il va connaître unrenouveau avec les interrogations qui se font jour quant aux possibilitésd’instaurer des «marchés de droits» pour réguler les pollutions etl’exploitation des ressources naturelles. Depuis le début des années1970, un autre chantier de réflexion s’est ouvert en ce qui concerneles droits de propriété et l’environnement, autour de la notion de patri-moine naturel pour tenter de sortir d’un débat qui se restreint tropsouvent à l’opposition entre propriété publique et propriété privée.

Laisser faire ou intervention de l’État?

Au XIXe siècle, la «question forestière», qui est débattue depuis longtempsdéjà, va prendre un nouveau tour, au point de pouvoir être considéréecomme un des lieux d’invention de la problématique du développement

durable1.Très tôt, en Europe,on a considéré que les forêts n’étaient pas des bienscomme les autres.En France, à partir de la Révolution, elles ont même symboliséles limites naturelles que rencontraient les évolutions sociales voulues parl’instauration du Code civil et la promotion du régime de la propriété privée.Après avoir abrogé la réglementation de Colbert, les pouvoirs publics ontrapidement pris conscience que la privatisation des forêts allait se traduire parleur dégradation accélérée. Une autre politique est alors mise en place sous laRestauration, basée sur une nouvelle administration, avec la création d’un corpsd’ingénieurs publics et de nouvelles règles agronomiques qui visent au traitementdes peuplements forestiers en futaie et non plus en taillis, ce qui allonge l’horizontemporel dans lequel s’inscrivent les hommes de l’art. Dans ces conditions, letemps de régénération de la ressource en bois risque fort d’entrer encontradiction avec la recherche de la rentabilité financière à court terme quepoursuivent généralement les propriétaires privés. Ce souci est d’autant plus

DDrrooiittss ddee pprroopprriiééttéé eett ggeessttiioonn ddee ll’’eennvviirroonnnneemmeenntt

@[email protected]. Vatin, F., «Aménagement forestier et métaphysique économique du XVIIIe au XIXe siècle : lepremier débat sur le “développement durable”», dans J.-P. Maréchal, B. Quenault (sous la dir.),Le développement durable. Une perspective pour le XXIe siècle, Rennes, PUR, 2005, p. 51-67.

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grand que, selon la doctrine alors en vigueur, lecouvert forestier a des incidences environne-mentales qui vont bien au-delà de la seuleconservation des éléments végétaux.

Depuis la seconde moitié du XVIIIe siècle, le lienest fait par certains administrateurs des coloniestropicales entre les phénomènes de déforestation,l’érosion des sols et le changement climatique2.Des thèses identiques sont développées au XIXe

siècle par les ingénieurs et les forestiers en ce quiconcerne le déboisement et la dégradation desmontagnes françaises. Ces perspectives vont con-duire à définir des règles de gestion spécifiquespour ce «capital naturel», comme on le désigne àl’époque, aussi bien en termes d’objectifs à attein-dre que d’institutions les mieux placées pour lesfaire respecter. En ce qui concerne le premierpoint, l’optimum technico-économique est définipar un prélèvement de la ressource en bois cor-respondant à la production de la ressource depuisla dernière coupe. En ce qui concerne le second,l’intervention de l’État,qui n’est pas contraint parune rentabilité financière immédiate, est requise.Pendant longtemps, cette doctrine économiqueforestière, où la propriété publique occupe uneplace centrale, va prévaloir, y compris chez deséconomistes libéraux.Des interrogations similairesvont rapidement se faire jour sur le bien-fondé du«laisser faire» en ce qui concerne la «question ducharbon» 3, sans qu’elles aboutissent à l’édictiond’une économie politique particulière.

Les «marchés de droits» en débat

Au XXe siècle, le débat autour des droits de propriétéen matière d’environnement va rebondir à partir desannées 60.L’impulsion initiale vient d’un article deRonald Coase4 dans lequel il suggère de distribuerdes droits de propriété sur les ressources naturellesà des acteurs en conflit au sujet de l’usage de cesressources afin d’initier une négociation entre ceux-ci qui aboutisse à un marchandage de ces droits de

propriété.Dans ce cadre, le fait d’avoir des «droits àse nuire» les uns les autres est parfaitement légitimépar Coase, pourvu que la richesse produite parl’usage particulier de ces droits soit supérieure auxdésagréments induits.L’idée d’instaurer des systèmesd’échange de droits de propriété portant sur desressources naturelles ou des rejets polluants va alorsfaire son chemin,non sans susciter des débats sur lateneur des institutions à mettre en place dans ce cas.

Inspiré en partie par les travaux de Coase, JohnDales5 va, le premier, proposer l’instauration de«quotas transférables» pour réguler la pollution desgrands lacs canadiens.Cet économiste insiste sur lefait que ce système est un instrument administratifde régulation,dans lequel on introduit de la flexibi-lité pour permettre aux acteurs privés de s’adapterà moindre coût aux objectifs environnementauxfixés par la puissance publique. Dans l’esprit deDales,un tel mécanisme n’a donc pas grand-choseà voir avec un «marché» habituel puisqu’il s’agitplutôt d’une procédure de planification – l’admini-stration détermine de manière centrale la quantitéde polluants autorisée pour une période donnée –à laquelle se trouve associé un système d’échangede quotas – l’autorisation totale de polluants estrépartie entre les différents acteurs concernés par lapolitique mise en œuvre, lesquels peuvent procéder,sous certaines conditions,à des achats et à des ventesde leurs quotas individuels. Les pouvoirs publicsn’établissent donc pas des «droits» équivalents à undroit de propriété sur une terre, mais délivrent desautorisations provisoires d’émettre, qui obéissent àdes règles d’attribution et d’échange particulières.Les pouvoirs publics doivent connaître les échangesde quotas s’effectuant entre les acteurs privés etvérifier si leurs rejets effectifs de polluants corres-pondent aux autorisations d’émission qu’ils possè-dent.S’ils le jugent souhaitable, ils peuvent aussi agircomme courtier sur le marché afin de contrôler leprix auquel s’échangent les quotas.

Une lecture libérale de ce système va être rapi-dement proposée, certains économistes entendantdonner tout son sens à l’expression «marché dedroits».De ce point de vue, l’influence du texte dubiologiste Garrett Hardin6 sera considérable, nonpar l’originalité des thèses qu’il y développe – on

2. Grove,R., «The Origins of Environmentalism»,Nature,345, 1990, p. 11-14.

3. Cournot A.A. (1863), Principes de la théorie des richesses,Paris, Hachette ; Jevons W.S. (1865) The Coal Question :an Inquiry concerning the Progress of the Nation, and theprobable exhaustion of our coal-mines, London, Macmillan.

4. Coase, R.H., «The Problem of Social Cost », Journal ofLaw and Economics, 3, 1960, p. 1-44.

5. Dales, J.H., Pollution, Property and Prices, Toronto,University of Toronto Press, 1968.

6. Hardin, G., «The Tragedy of the Commons», Science,162, 1968, p. 1243-1248.

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Droits de propriété et gestion de l’environnement

Économie de l’environnement et des ressources naturelles

LES APPROCHES ET LES OUTILS

trouve les mêmes éléments dans l’article de Gordon7

sur l’économie des pêches, paru une quinzained’années plus tôt – mais par la diffusion étonnantequ’il a connue. La fable mise en scène par Hardincampe une société d’éleveurs de moutons qui used’un pâturage appartenant à l’ensemble de la col-lectivité.Dans ces conditions, la logique du «premierarrivé, premier servi » prévaut et conduit à unesurexploitation du pâturage et à la ruine de lacommunauté. La morale qu’en tire Hardin est quela ressource en herbe doit être appropriée soit demanière étatique, soit de manière privative ; lapréférence de l’auteur,dont les positions apparaissentproches de celles de Malthus, étant nettement enfaveur de la seconde solution. Cette conclusion vadans le sens de celle des économistes de l’École desdroits de propriété8 qui, à partir des années 1970,vont marquer le débat de leur empreinte.Selon cesauteurs, si les droits de propriété étaient clairementspécifiés, parfaitement exclusifs et aisément trans-férables, tous les avantages et dommages résultantd’une activité économique concerneraient celui-làseul qui la met en œuvre. L’ensemble des coûts etbénéfices serait alors internalisé et la poursuite del’intérêt individuel n’entrerait plus en conflit avecla recherche de l’intérêt général.Dès lors, aux yeuxdes tenants de la théorie des droits de propriété, lesproblèmes de pollution et d’épuisement des res-sources naturelles ne relèvent pas tant d’une«défaillance du marché» que du cadre légal surlequel il repose.Le rôle de l’État est donc de spéci-fier correctement ces droits de propriété sur l’envi-ronnement et de «laisser faire» les individus ration-nels qui, conformément à la doctrine libérale, saventmieux que quiconque où sont leurs intérêts etœuvrent naturellement au plus grand bien-êtrecollectif. Les économistes de l’École des droits depropriété se montrent ainsi favorables à une priva-tisation complète de l’environnement,n’hésitant pas,dans les exemples qu’ils mobilisent, à déformer lesfaits pour les faire correspondre à leurs idées9.

À partir des années 1980, les politiques relativesaux pollutions globales et la gestion des res-sources transfrontières (les pêcheries, notamment)ont pris une importance de plus en plus grande.Sous l’influence des analyses économiques, lerecours à des systèmes de permis négociables y aété de plus en plus fréquent. Les retours d’ex-périence en la matière commencent à se fairejour, tandis que les débats sur les systèmes àmettre en œuvre dans le cadre de la lutte contrele changement climatique sont vifs. La contro-verse est grande aujourd’hui, au sein même de lacommunauté des économistes10, pour qualifiercette grande diversité d’instruments et en déter-miner les qualités et les défauts, notamment ence qui concerne leurs effets redistributifs.Un deséléments de la discussion porte sur la dimensionpatrimoniale de ce type de politique.

La reconnaissance d’une logique patrimoniale

Ainsi qu’on a pu le constater, le débat relatif auxdroits de propriété dans la gestion de l’environ-nement se résume souvent à une opposition entrepropriété publique et propriété privée. Cetterestriction du champ de l’analyse provient notam-ment du fait que, suivant l’exemple de Hardin, leséconomistes ont tendance à confondre les situa-tions de «propriété commune» et d’«accès libre»des ressources. Or, ainsi que le montrent nombred’exemples11,une communauté peut parfaitements’entendre pour définir des règles collectivesd’accès et de gestion des ressources naturelles.Unedes formes prises par cette gestion collective enOccident est la patrimonialisation. La notion de«patrimoine naturel» apparaît au XIXe siècle pourqualifier certains objets naturels qui sont embléma-tiques des conditions de vie et de l’identité decertaines nations et communautés. BernardKalaora12 a montré ainsi comment,à partir de cetteépoque, la forêt de Fontainebleau a été considérée

7. Gordon, H.S., «The Economic Theory of a Common-Property Resource : the Fishery », Journal of PoliticalEconomy, 62, 2, 1954, p. 124-142.

8. Alchian, A.A., Demsetz H., «The Property RightParadigm»,Journal of Economic History,33,1,1973,p.16-27.

9. Boisvert,V., Caron, A., Rodary, E., « Privatiser pourconserver? Petits arrangements de la nouvelle écono-mie des ressources avec la réalité », Revue Tiers Monde,177, 2004, p. 61-83.

10. Voir notamment le débat entre A. Karsenty et J.Weber,«Les marchés de droits pour la gestion de l’envi-ronnement», Revue Tiers Monde, 177, 2004, p. 7-28.

11. Berkes, F., Feeny, D., McCay, B.J.,Acheson, J.M., «TheBenefit of the Commons», Nature, 340, 1989, p. 91-93;E. Ostrom, Governing the Commons, Cambridge,Cambridge University Press, 1990.

12. Kalaora, B., Le musée vert ou le tourisme en forêt, Paris,Anthropos, 1981.

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comme un «musée vert» destiné à l’agrément desclasses aisées et à l’édification du grand public.Desconsidérations identiques ont été invoquées auxÉtats-Unis pour légitimer la création des grandsparcs naturels, tels que le Yosemite ou leYellowstone.À partir du début des années 1970, laquestion de la gestion de l’environnement seposant avec une acuité de plus en plus grande, lanotion de «patrimoine naturel » va revenir avecforce et s’institutionnaliser plus explicitement àtravers des textes de loi, des pratiques de gestionet des travaux de recherche.L’idée commune à cesdifférentes démarches est que s’il faut gérer lanature, il faut le faire à la manière d’un patrimoine,c’est-à-dire comme une relation particulièrenouée entre avoir et être par une communautéd’acteurs autour de certains objets naturels spéci-fiques, qui doivent être transmis aux générationsfutures avec une qualité préservée.

L’approche patrimoniale a été marquée par unepremière génération de travaux13 qui s’est atta-

chée à montrer les limites des modalités de ges-tion édictées par une approche monodisciplinairedes problèmes. Or, en la matière, la complexitéest de mise. L’appropriation, ainsi que le rap-pellent Jacques Weber et Jean-Pierre Revéret14,recouvre différentes dimensions : 1) les repré-sentations sociales de la nature qui constituentdes systèmes de classement des choses et deshommes et des systèmes de relations entre leshommes et les choses ; 2) les usages possibles desressources tirées de la nature ; 3) les modalitésd’accès à ces ressources; 4) la transférabilité de cesdroits d’accès ; 5) le mode de répartition et departage des ressources naturelles. Cela se traduitconcrètement par le fait que nombre de res-sources naturelles sont appropriées dans dessituations d’enchevêtrement de modalités et detitulaires de droits.D’où l’idée, dans des situationsde conflit, de mettre en place une démarche depatrimonialisation, qui vise à identifier les objetset les sujets de droits et à élaborer une stratégiecollective de gestion de l’environnement à longterme.Cette «médiation patrimoniale», ainsi quecertains la désignent, qui met tout particu-lièrement l’accent sur la négociation relative aux

14. Weber, J. et J.-P. Revéret, «Biens communs: les leurresde la privatisation», dans «Une terre en renaissance»,LeMonde diplomatique, coll. Savoirs, no 2, 1994, p. 71-73.

13. Natali, J.-M., Montgolfier J. de (éds) (1987), Le patri-moine du futur.Approche pour une gestion patrimoniale desressources naturelles, Paris, Economica ; Ollagnon H.(1989) «Une approche patrimoniale de la qualité dumilieu naturel », dans N. Mathieu, M. Jollivet (éd.), Durural à l’environnement. La question de la nature aujourd’hui,Paris,ARF Ed./L’Harmattan, p. 258-268.

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31Économie de l’environnement et des ressources naturelles

Droits de propriété et gestion de l’environnement

LES APPROCHES ET LES OUTILS

15. Weber, J., « Pour une gestion sociale des ressourcesnaturelles », dans D. Compagnon, F. Constantin (sous ladir.), Administrer l’environnement en Afrique, Paris/Nairobi, Karthala/IFRA, 2000, p. 79-105 ; Aubert S.« La gestion patrimoniale des ressources forestières àMadagascar. Limites et perspectives d’une “révolutionpar le haut”», dans M.-C. Cormier-Salem et al. (éd.),Patrimonialiser la nature tropicale, Paris, IRD Ed., 2002,p. 101-124.

16. Barthélemy, D., Nieddu, M.,Vivien, F.-D., «Économiepatrimoniale, identité et marché », dans C. Barrère,D. Barthélemy, M. Nieddu, F.-D.Vivien (éd.), Réinventerle patrimoine, Paris, L’Harmattan, p. 121-150.

modalités d’usages et d’accès aux ressources etaux milieux, a trouvé des terrains d’applicationprivilégiés en Afrique15.

À la lumière de la patrimonialisation, une nou-velle génération de travaux économiques16 sepenche sur l’étude des politiques publiquesmenées dans les domaines de l’agriculture et del’environnement en Europe et en France. Uneanalyse attentive conduit à les caractérisercomme des politiques de compromis – des com-promis qui sont régulièrement contestés etrétablis, au besoin, sous de nouvelles formesinstitutionnelles – entre des intérêts marchandset des intérêts patrimoniaux, lesquels visent àpréserver, dans le temps et l’espace, l’identité degroupes sociaux liés à certains milieux et res-sources naturels. Une économie patrimoniale,avec ses attributs particuliers, prend ainsi placeaux côtés d’une économie publique et d’uneéconomie marchande.

Conclusion

Le débat relatif aux droits de propriété dans ledomaine de la gestion de l’environnement estfort ancien. Les termes de celui-ci continuent àêtre discutés aujourd’hui, tout en se déplaçant dufait de la nécessité de réguler de nouveaux typesde ressources ou de pollution, à l’exemple destonnes de CO2 dans le cas du changement clima-tique.La controverse reste vive au sein de la com-munauté des économistes en ce qui concerne lescaractéristiques et les qualités des diverses insti-tutions envisageables – propriété privée,propriétépublique ou propriété commune – en matièrede gestion de l’environnement.Les interrogationsportent sur leur efficacité économique et envi-ronnementale, mais aussi sur leurs conséquencesen termes d’équité sociale. Une des difficultés

rencontrées dans l’analyse réside dans le fait queles règles et normes par lesquelles sont déclinéesces institutions diffèrent grandement d’un cas àl’autre. Parler de la propriété privée, publique oucommune en général n’a alors pas grand sens.Pour mener à bien l’étude des institutionsexistantes, il importe de mettre sur pied des pro-grammes de recherche interdisciplinaire associantdes sciences de la nature et des sciences sociales– répondant au besoin de connaître les carac-téristiques écologiques des ressources ou desmilieux et les caractéristiques sociales des com-munautés humaines concernées – mais aussiconfrontant les approches de différentes sciencessociales. Les droits de propriété dans le domainede l’environnement sont des objets complexesqui doivent être appréhendés selon différentsangles d’analyse : histoire, anthropologie, droit,économie, science politique, etc.Ceux-ci doiventtravailler de concert pour améliorer la compré-hension des tenants et des aboutissants de leurdéfinition et de leur mise en œuvre.

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Beat BÜRGENMEIER

Beat BÜRGENMEIER est Pro-fesseur ordinaire à l’Universitéde Genève depuis 1982. Il occupeactuellement le poste de direc-teur du Centre d’ÉcologieHumaine et des Sciences del’Environnement. Il a été doyende la Faculté des Sciences Écono-miques et Sociales de 1995 à2001. Ses recherches portent surla socio-économie, notammentdans le domaine de la protectionde l’environnement. Il est Pré-sident du comité scientifique de Fondaterra, fondation euro-péenne pour des territoires du-rables, membre du comité scien-tifique du programme Gestion etimpacts du changement clima-tique (GICC2) du Ministère fran-çais de l'Écologie et du Dévelop-pement Durable et membre de ladirection du projet du BUWAL del'administration fédérale Écono-mie et environnement.

Les politiques fiscales font partie de la grande famille des instrumentsincitatifs censés lutter contre la pollution préventivement. Ces instru-ments cherchent à inclure dans le calcul des acteurs économiques lescoûts qui sont consécutifs à leur activité, mais qui sont supportés parla collectivité. Ces politiques s’appuient sur une conception de l’envi-ronnement compris en tant que bien public ayant comme carac-téristiques:

• La non-rivalité: Le fait que certains jouissent de l’environnementintact ne doit pas empêcher son usage par les autres.

• La non-exclusion: L’environnement doit être accessible à tous.Cette non-exclusion peut avoir des raisons techniques ounormatives. Certains usages de la nature ne connaissent pas desubstituts technologiques, comme l’air et l’eau, tandis qued’autres se fondent sur des jugements de valeur.

Cette contribution analyse les politiques fiscales en quatre parties.La première rappelle les règles d’internalisation des coûts externesopérés par les taxes environnementales. La deuxième présente lesdifférentes facettes des politiques fiscales environnementales endiscutant de leurs principaux instruments. La troisième évalue leuracceptabilité sociale en se basant sur plusieurs enquêtes qui ont étémenées récemment dans ce domaine. La quatrième partie, enfin,conclut sur les recommandations pour la conduite d’une politiqueenvironnementale cohérente.

Règle d’internalisation

L’approche de l’environnement par la théorie des biens publics débouchesur une règle de l’internalisation des effets externes qui est conforme auprincipe du pollueur-payeur : le coût social doit être pris en compte lors

du calcul économique habituel du pollueur.Or, selon la configuration du marchéet ses élasticités-prix, cette charge se partage entre le consommateur et leproducteur.

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@[email protected]

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33Économie de l’environnement et des ressources naturelles

Les politiques fiscales environnementales

LES APPROCHES ET LES OUTILS

Cette optique soulève cependant les deux pro-blèmes majeurs suivants :

• Il est parfois très difficile de clairement identifierle pollueur tellement les sources de pollutionsont issues d’interactions complexes. Nous neles connaissons que d’une manière incomplète.

• Le caractère réciproque de certaines actionspolluantes rend difficile la détermination duniveau maximal de la pollution.

Ces deux problèmes ont conduit à traiter l’envi-ronnement non pas comme un bien public, maisen tant que bien économique dont il faut attribuerclairement les droits de propriété. Nous nouséloignons ainsi de la fiscalité environnementale etfavorisons la création de nouveaux marchés.Toutefois, les politiques fiscales environnementalescorrigent avant tout des marchés existants.

La théorie économique démontre que l’objectifd’un certain degré de protection de l’environ-nement peut être atteint à un coût économiquemoindre, en utilisant des instruments incitatifsplutôt que des règlements. Cette démonstrationdébouche sur les deux propositions suivantes :

• Si les coûts et les bénéfices marginaux privésdiffèrent des coûts et des bénéfices marginauxsociaux, les échanges librement consentis surun marché ne conduisent pas forcément à unbien-être économique plus élevé. Si une tech-nique d’internalisation tient compte des effetsexternes d’une manière telle que la différenceentre les appréciations privées et sociales descoûts et des bénéfices marginaux disparaît,tout échange sur un marché parfaitementconcurrentiel augmentera à nouveau le bien-être économique.

• Le choix des instruments d’internalisations’opère en fonction de la diminution des gains àl’échange.En règle générale, l’instrument qui neprovoque pas de nouvelles distorsions est préfé-rable à celui qui entraîne des pertes supplémen-taires dans l’allocation optimale des ressources.

Instruments des politiquesfiscales environnementales

Ces instruments répondent aux échecs demarché. Ils sont inspirés des modèles développésdans le cadre de l’économie de l’environnement.Ils agissent sur le prix d’équilibre d’un marché et

modifient les prix relatifs entre différents mar-chés. Ils ont les deux effets majeurs suivants :

• L’effet de substitution du côté de l’offre, quiconduit à changer les choix technologiques.La hausse du prix qui résulte de l’internali-sation des coûts sociaux stimule la recherche etle développement de technologies «propres».

• L’effet de substitution du côté de la demande,qui conduit à changer les préférences desconsommateurs.

Les instruments incitatifs n’agissent pas seulementsur les prix, mais s’expriment également par lapromotion de deux droits :

• Droit de propriété: Les biens environnementauxsont privatisés dans le sens du théorème deCoase.

• Droit de la responsabilité individuelle : La luttecontre la pollution est soumise à l’appréciationd’individus agissant librement. C’est doncl’individu et non pas l’État, qui sait le mieuxce qui est dans son intérêt.

Le renforcement du droit de la responsabilitéindividuelle comme moyen de mieux protégerl’environnement relève du vieux débat entre finset moyens. Quelles conditions doivent être réu-nies pour qu’un individu puisse librement expri-mer ses choix ? Ces conditions varient consi-dérablement d’un individu à l’autre et peuventêtre à l’origine de nombreuses inégalités écono-miques et sociales. Elles ne peuvent donc servirde justification à des politiques visant une plusgrande égalité, et ne sont que des moyens pouren venir à un libre choix individuel.

Si l’environnement est un bien dont la valeur estdéterminée sur un marché, certes corrigé par desinstruments incitatifs, son prix est issu de calculséconomiques individuels dictés par un compor-tement rationnel qui utilise toute l’informationdisponible. L’accès à cette information doit doncégalement être libre pour assurer la condition detransparence sur laquelle repose le fonction-nement du marché. Par conséquent, la politiqueenvironnementale s’appuie également sur descampagnes de sensibilisation, d’information et deresponsabilisation individuelle. Elle est notam-ment appliquée dans des programmes scolaires.

L’environnement comme un moyen devient lacondition pour des libres choix économiques.

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34 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE Nos 66-67

Un environnement intact figure, au même titreque l’éducation, parmi les éléments assurant lefonctionnement des marchés. Sa valeur estsoumise à une évaluation monétaire ; elle devraitdonc également tenir compte de cette doublefonction.Or, l’environnement comme finalité estégalement soumis à une évaluation non moné-taire. Son appréciation normative dépend ducontexte culturel différent des acteurs écono-miques. Ce contexte varie selon la stratificationsociale à l’intérieur des pays et se présente diffé-remment d’un pays à l’autre. Il est dicté par leniveau de développement.

La différence entre finalité et moyen change laperception sociale de l’environnement, ce qui estillustré par l’accident chimique de Bhopal. EnInde, un environnement intact est une fin codi-fiée dans les pratiques religieuses. En déifiant lanature, ces pratiques considèrent l’environnementcomme un bien libre. Or, l’industrialisationcroissante et l’évolution démographique l’ontrendu rare. L’environnement est devenu un bienéconomique.

L’accident chimique a détruit l’environnementen tant que moyen. Les accidentés se trouvaientprivés d’une des conditions essentielles de librechoix. Sous la contrainte des maladies dues àl’accident, ces choix se réduisent à des actions desurvie. Le fait que la compensation monétaireofferte selon le principe du «pollueur-payeur »ait été non seulement fixée en fonction duniveau de vie des victimes,mais ait également étéversée à d’autres destinataires éclaire les aspectsopérationnels des instruments incitatifs basés surle libre choix individuel. Les politiques fiscalesde l’environnement expriment certes les effetsexternes sur le plan monétaire, mais sont doncégalement datées culturellement.

Les redevances

Les redevances forment le groupe d’instrumentsincitatifs le plus important. Elles peuvent êtreclassées en deux catégories selon des critèrespréétablis, notamment en ce qui concerne lechoix de l’assiette fiscale :

• Une taxe causale reflète le coût social sur leplan monétaire. Elle correspond théorique-ment au coût écologique effectif. L’objectif decette taxe est donc clairement l’internalisation

des effets externes. Or, en pratique, il estdifficile d’évaluer tous les coûts sociaux.Souvent, le montant de la taxe est déterminépar ajustements successifs.

• Une taxe incitative reflète ce processus d’ap-proche à une taxe causale «idéale». Par tâton-nements, elle provoque un changement relatifdes prix qui, à son tour, modifie le comporte-ment des acteurs économiques vers un meil-leur respect de l’environnement. Le montantde la taxe incitative est donc fixé en fonctionde cet objectif. Éviter les dommages environ-nementaux doit devenir moins coûteux quepayer la taxe.

Fondement théorique

Les politiques fiscales de l’environnement agissentsur les prix et bénéficient d’une démonstrationthéorique de leur efficacité qui puise son originedans la théorie du bien-être. Cette théoriecherche à définir des critères de redistribution derevenus et de fortune, qui est forcément affectéepar les politiques fiscales de l’environnement.Or,aucun des critères n’est libre de toute valeur. Lathéorie du bien-être a un contenu normatifcertain. Non seulement l’intention de redistri-bution peut être influencée par le comportementde groupes économiques et sociaux, mais elledépend aussi de la conception qu’une société sefait de la justice sociale.

Dans quelle mesure les perdants économiquesd’une politique fiscale de l’environnement peu-vent-ils inciter les gagnants à revenir à la situationrégnante avant l’introduction de la taxe ? Ceretour en arrière ne devrait évidemment pasréduire le bien-être économique collectif.

La théorie du bien-être économique débouchedonc sur un raisonnement circulaire. C’est lacroissance économique qui, en fin de compte,assure le maintien du bien-être économique etnon pas la distribution du produit.

Acceptabilité sociale des politiques fiscalesenvironnementales

En pratique, la taxe incitative est difficile àappliquer, car elle combine l’effet incitatif avecun effet fiscal. Elle permet soit d’augmenter les

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35Économie de l’environnement et des ressources naturelles

Les politiques fiscales environnementales

LES APPROCHES ET LES OUTILS

recettes fiscales, soit de remplacer la fiscalitétraditionnelle.À première vue, l’objectif financiersemble représenter un des obstacles majeurs àl’introduction d’une réforme fiscale écologique,malgré le fait qu’elle jouit d’un large soutien deprincipe. Or, comme Thalmann l’a montré, lesrevenus fiscaux résultant des politiques fiscalesenvironnementales n’ont pas eu un impact signi-ficatif sur les résultats du vote en Suisse, qui arefusé l’introduction d’une taxe sur l’énergie(Thalmann, 2001).

Notre propre enquête menée en Suisse en 1996auprès des 300 plus grandes entreprises a montréque les taxes incitatives sont bien acceptées(Bürgenmeier et al., 1998). Le tableau 1 résumeles résultats de l’enquête et montre qu’il n’y a pasde différences significatives entre les entreprises«pollueuses» consommant beaucoup d’énergie,comme les cimenteries, et les entreprises «nonpollueuses». Le taux d’acceptation se situe autourdes deux tiers pour les deux catégories.

• Le fait que ces investissements sont associés à unaccroissement du coût de production s’expliquepar l’optique microéconomique de l’entreprisequi évalue mal que le changement de safonction de production contribue à diminuerles coûts sociaux.

• L’incertitude sur les objectifs signale un conflitentre l’incitation et le financement public.

• La compétitivité internationale n’est pas seule-ment un obstacle, mais un atout. La modi-fication des prix relatifs donne lieu à desavantages comparés nouveaux.

• Le fait que les activités économiques sedéplacent dans des lieux qui ne connaissent pasde redevances écologiques est-il une craintequi s’estompe avec la généralisation des me-sures de protection de l’environnement auniveau international?

• N’importe quelle mesure engendre des coûtsadministratifs. Les mesures incitatives sont engénéral moins coûteuses que les contrôlesdirects.

• La rétrocession de la recette d’une taxe incita-tive, par une diminution d’un autre impôt,comme la TVA, annule cette objection.

• Les problèmes de compétences surgissentsurtout en Suisse, État fédéral, par excellence.La Suisse connaît des conflits fiscaux entre lescommunes, les cantons et la Confédération.

• Le changement des prix relatifs dépend desélasticités de prix de l’offre et de la demande.Il affecte donc différemment les secteursd’activités. Pour lever cette objection, desexonérations peuvent être prévues.

• La taxe incitative est également à la charge duconsommateur, selon les élasticités de prix dumarché concerné. Elle contribue ainsi à unchangement des préférences des consom-mateurs. Ce changement est un effet positifprévu par la théorie.

Cette enquête a montré que les taxes incitativessont largement approuvées par une majorité.L’introduction des taxes doit être assortie derègles d’affectation strictes qui excluent la possi-bilité d’une source de financement supplémen-taire non affecté pour les dépenses publiques.

Tableau 1 – Résultats d’enquête sur l’acceptabilité des taxes incitatives

D’une manière générale, êtes-vous favorables aux taxes incitatives?Une meilleure protection de l’environnement

OUI (%) NON (%) Pas de réponse (%)

Toutes entreprises 66,7 27,5 5,8

«Pollueuses» 63,6 27,3 9,1

«Non pollueuses» 69,0 27,6 3,4

Le fait que des propositions de taxes incitativesaient été rejetées en votation populaire en 2001peut servir d’illustration du paradoxe de l’actioncollective. Si une majorité de votants pris isolé-ment souhaitent l’introduction d’une taxe incita-tive, l’anonymat des urnes fournit le résultatcontraire.

Cette enquête a également soumis aux entre-prises une liste d’objections qui ont été réperto-riées dans le débat public contre les taxes incita-tives. Elle leur demandait de désigner l’objectionla plus fondée. Le tableau 2 donne la liste des 10 objections jugées les plus fondées :

• Le fait que les taxes incitatives engendrent desinvestissements supplémentaires est prévu parla théorie qui y voit moins un coût qu’uneincitation.

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36 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE Nos 66-67

L’État serait donc obligé d’introduire des taxesincitatives tellement élevées qu’elles déclenche-raient aussitôt les effets de substitution souhaités,sans qu’elles donnent lieu à des paiements effec-tifs. Une telle synchronisation n’est pas possibleen pratique. L’incitation porte sur le long termeet la taxe incitative,même avec des délais d’intro-duction longs, inclut nécessairement un aspectfiscal.

Les redevances interfèrent avec des questionsnormatives.La délimitation entre sphère publiqueet sphère économique obéit à des valeurs définieshors marché et rend visible un champ de tensionentre les différentes valeurs et les différentsobjectifs qui sont défendus dans le domaineéconomique.

Une enquête menée auprès des principalesassociations économiques et des organisationsnon gouvernementales s’occupant de la protec-tion de l’environnement en Suisse a identifié le

potentiel de conflit d’intérêts auquel les poli-tiques fiscales de l’environnement se trouventexposées (Bürgenmeier et al., 2004). Le tableau 3résume les principaux résultats de classement desinstruments de protection de l’environnement.Il montre que les politiques fiscales de l’environ-nement ne sont placées qu’au cinquième rangpar les associations économiques, mais audeuxième par les associations environnementales.

Cette différence importante dans la prioritéaccordée aux différents instruments expose doncles politiques fiscales de l’environnement à unelutte entre groupes de pression. Ces résultatsmontrent qu’un compromis semble être plus facileen ce qui concerne les certificats d’émission sur leplan national,puisque le classement de cet instru-ment est au quatrième rang pour les associationséconomiques, respectivement au troisième rangpour les associations environnementales.

Tableau 2 – Les 10 objections considérées les plus fondées

Classement Objections évaluées par toutes les entreprises Moyenne centrée Écart-type

1 Investissements supplémentaires 0,77 0,67

2 Coûts de production supplémentaires 0,63 0,77

3 Incertitude sur les objectifs 0,62 0,88

4 Compétitivité internationale 0,57 0,86

5 Déplacements à l’étranger 0,47 0,83

6 Coûts administratifs trop grands 0,45 0,87

7 Influence de l’État qui augmente 0,41 0,97

8 Problèmes de compétences 0,39 0,97

9 Incertitude sur les secteurs 0,37 0,71

10 Charges supplémentaires pour les consommateurs 0,36 0,92

Tableau 3 – Degrés d’acceptation des instruments de protection de l’environnement en Suisse

Accords Information Certificats Certificats Contrôles volontaires et éducation internationaux nationaux Taxes directs

Associationséconomiques 1 2 3 4 5 6

Associationsenvironnementales 5 4 6 3 2 1

Les chiffres indiquent les rangs de classement.

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37Économie de l’environnement et des ressources naturelles

Les politiques fiscales environnementales

LES APPROCHES ET LES OUTILS

Comparaison entre certificatsd’émission et taxe incitative

Cette comparaison montre que, malgré lalogique économique commune, les certificatsd’émission limitent en premier lieu la pollutionquantitativement et n’agissent qu’ensuite sur leprix des produits. L’action sur le prix se mesureen fonction du degré de concurrence observésur les marchés des certificats etsur les marchés des biens etservices.

La taxe incitative, par contre, agitd’abord sur le prix établi sur lemarché des produits et se réper-cute seulement ensuite et indirec-tement sur le volume échangé sur ce marché.Leseffets indirects d’une intervention de l’État nesont donc pas symétriques.Cette asymétrie peutavoir une influence sur le choix des instruments:

• Pour les certificats d’émission, le législateurconnaît la conséquence sur la réduction de lapollution, mais ignore les effets sur les prix. Ilne sait donc pas quel est, pour les entreprises,le coût consécutif à la mise en place de cetinstrument.

• Pour la taxe incitative, ce coût est connu,maisses conséquences sur la réduction de la pollu-tion ne le sont pas.

La mise en place d’un système de certificatsd’émission obéit donc non seulement à la logiquedu marché, mais également à un processus quitient compte des aspects juridiques et des effetsasymétriques. Il est tributaire des facteurs déter-minant l’acceptabilité sociale d’un instrument qui,à lui seul, ne peut répondre à toutes les attentes.D’autres instruments souvent complémentairesont été développés.

Recommandations pour la politique environnementale

Les politiques fiscales environnementales sontpréférables aux instruments de contrôle et depolice pour les raisons suivantes :

• Elles tiennent mieux compte des incertitudeset des problèmes d’information, notammentlorsque ces derniers sont asymétriques (pro-blèmes de rétention de l’information ou d’accès

inégal), car ils utilisent pleinement les change-ments de prix relatifs comme signal.

• Elles permettent d’atteindre les objectifs de laprotection de l’environnement par différentesvoies, que les acteurs peuvent choisir eux-mêmes, et n’imposent pas la même techno-logie à tout le monde.

• Elles stimulent le progrès technique et incitentà un changement de préférencesdes consommateurs.

• Elles sont orientées vers unepolitique préventive et leur effi-cacité peut être démontrée empi-riquement.

Ces arguments sont aujourd’hui acceptés par lesresponsables des politiques environnementales.Pourquoi les instruments incitatifs sont-ils alorsl’exception et non pas la règle?

Selon l’OCDE (2001), de nombreuses appli-cations des instruments incitatifs existent, mais,pris dans leur ensemble, ils ne forment pas unestratégie dominante. Le tableau 4 présente quel-ques domaines d’application et les différentsinstruments utilisés, et montre leur grandediversité.

Les politiques fiscales

environnementales sont

préférables aux instruments

de contrôle et de police.

Tableau 4 – Exemples d’application des instruments incitatifs

Domaines Instruments

Climat Instruments prévus dans le protocole de Kyoto, comme:

• Certificats d’émission

• Mécanismes de développement

Taxes CO2

Énergie Subventions d’assainissement

Déclaration et commerce d’énergie propre

Marchés pour le commerce de NOX et de SO2

Déchets Dépôts

Recyclage d’emballages

Crédits de recyclage

Taxes sur les déchets

Taxes sur les poubelles

Transport Prix différenciés de l’essence

Taxes sur l’essence

Taxes sur le transport routier

Eau Taxe métrique

Agriculture Taxe sur les pesticides

Réforme agraire de l’Union européenne

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38 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE Nos 66-67

Il y a deux manières de comprendre les difficultésque rencontrent les politiques fiscales environne-mentales. La première voit les obstacles plus dansla procédure que dans les modalités d’application.La deuxième se réfère plus fondamentalement à labase théorique, trop exclusivement économique,qui ne tient pas suffisamment compte du conceptdu développement durable défini en termesd’interactions entre l’économie, l’environnementet le social. Dans cette optique, c’est surtout dansla négligence du social que se trouvent les prin-cipales raisons de la réticence du public envers lespolitiques fiscales environnementales.

Problèmes de procédure

Les principaux obstacles rencontrés pour intro-duire les instruments incitatifs sont les suivants :

• L’expérience du passé pèselourdement dans les recomman-dations des politiques environ-nementales actuelles. Face auxdégâts environnementaux déjàcausés, les instruments de con-trôle et de police ont trouvéune vaste application et ontpromu une approche d’ingé-nieurs cherchant à imposerpartout la meilleure techniquedisponible du moment. Lesuccès de cette politique nesemble pas rendre nécessairel’instauration d’instruments sup-plémentaires du type incitatif.Par conséquent, les instruments incitatifss’ajoutent aux instruments déjà en place. Uneréorientation radicale dans le choix desinstruments s’avère donc difficile.

• La transparence des impôts montre claire-ment les coûts de la politique environne-mentale, tandis que les instruments de con-trôle et de police cachent leurs coûts effectifs.Le mouvement politique général du «moinsd’impôts » n’est pas non plus de nature àpromouvoir les instruments.

• Les groupes d’intérêts parviennent àinfluencer les modalités des instruments decontrôle et de police plus facilement que cellesdes instruments incitatifs. Il est donc plus

difficile de trouver une majorité politiquepour les promouvoir. Par ailleurs, différentsgroupes d’intérêts existent au sein des instancesgouvernementales, non seulement tirailléesentre la promotion de la croissance éco-nomique et la protection de l’environnement,mais également entre les entrées fiscalesaccrues dues aux taxes et les objectifs de pro-tection de l’environnement.

• Plusieurs conflits dominent les recomman-dations des politiques environnementales,créant des problèmes de légitimité pourl’action publique. Quel sens faut-il donner aubien-être général si le gouvernement chercheà libéraliser, par exemple, les marchés del’énergie afin de faire baisser les prix par uneconcurrence accrue? Mais si, du point de vue

de la protection de l’environne-ment, les instruments incitatifsdevaient provoquer le contraire?Ce type de contradiction a con-duit à des combinaisons de poli-tiques inconsistantes déjà dans lepassé et ne peut que renforcer lesconflits entre les différents objec-tifs dans l’avenir, où le besoind’une stratégie cohérente pour laprotection de l’environnementne fait que s’accentuer.

• Les normes et standardsminimaux sont fixés par lesinstruments de contrôle et depolice qui sont plus coûteux que

les instruments incitatifs. Mais, comme leconcept des coûts d’opportunité n’est pas biencompris, il n’y a pas de soutien politique fortpour des instruments conformes au marché,d’autant plus que les normes et standardsminimaux s’appliquant uniformément à toutle monde semblent mieux répondre à l’exi-gence légale de l’égalité de traitement.

• Les médias montrent que de nombreuxjournalistes n’ont pas compris les instrumentsincitatifs et la recherche journalistique dans cedomaine n’est pas suffisante pour publier devéritables évaluations de politiques publiques.Il n’est pas important d’avoir raison; on doitêtre dans le vent. La formation et la déonto-logie des journalistes doivent être renforcées.

Des aménagements

institutionnels, des

politiques sociales

complémentaires et une

meilleure intégration des

connaissances scientifiques

dans l’élaboration des

politiques environ-

nementales nécessitent un

dépassement d’une analyse

strictement économique.

Page 39: Économie environnement ressources naturelles

39Économie de l’environnement et des ressources naturelles

Les politiques fiscales environnementales

LES APPROCHES ET LES OUTILS

Problèmes liés au fondementthéorique des politiques fiscalesde l’environnement

Cette liste d’obstacles que rencontrent les ins-truments incitatifs, montre, sans être exhaustive,qu’il faut intensifier l’analyse des politiques éco-nomiques pour la protection de l’environnementen insistant notamment sur leur évaluation rétro-spective. Si en votes populaires des projets detaxes environnementales ont subi des échecscuisants à deux reprises, cela montre égalementl’absence de groupes d’intérêts forts capables demener une campagne politique en faveur desinstruments incitatifs.

Il s’ensuit un renforcement des problèmes delégitimité de l’action publique. Cette crise delégitimité croissante favorise des analyses qui neprennent pas seulement le raisonnement écono-mique en compte,mais qui insistent sur une meil-leure compréhension des interdépendancessociales et écologiques.Des aménagements institu-tionnels, des politiques sociales complémentaireset une meilleure intégration des connaissancesscientifiques dans l’élaboration des politiquesenvironnementales nécessitent un dépassementd’une analyse strictement économique sur laquellese fondent traditionnellement les politiques fiscalesde l’environnement. Ce dépassement facilite lamise en place des politiques fiscales de l’environ-nement et assure leur succès dans l’avenir.

Références

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Bürgenmeier, B., Y. Harayama et N. Wallart,Théorie et pratique des taxes environnementales,Paris, Economica, 1997.

Bürgenmeier,B.,C.Ferrier,C.Germond-Duret,K. Ingold et S.Perret, «Acceptation des instru-ments de marché dans la politique climatiquesuisse : enquête auprès des principaux acteurséconomiques suisses », NCCR Working Paper,WP4-25, 2004.

Fiorino,D.J.,Making Environmental Policy,Berkeley,University of California Press, 1995.

OCDE, Managing the Environment,The Role ofEconomic Instruments, Paris, OCDE, 1994.

Portney, P.R. et R.N. Stavins (éd.), Public Policiesfor Environmental Protection,Washington D.C.,Resources for the Future, 2e édition, 2000.

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Thalmann,Ph., «The Public Acceptance of GreenTaxes : Two Million Voters Express theiropinion»,NCCR-WP 4 Working Paper 1, 2001.

Wallart,N.,The political Economy of EnvironmentalTaxes,Cheltenham,United Kingdom,EdwardElgar, collection «New Horizons in Environ-mental Economics», 1999.

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40 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE Nos 66-67

Philippe MÉRAL

Docteur en Sciences Économi-ques, Chargé de recherches àl’IRD (ex-ORSTOM) et membrede l’Unité Mixte de RechercheC3ED (Centre d’Économie etd’Éthique pour l’Environnementet le Développement) ; en af-fectation au C3ED Madagascar, àl’Université d’Antananarivo. Sestravaux portent sur la dimensionéconomique du développementdurable dans les pays en déve-loppement. Il est actuellementen charge d’un programme derecherche franco-malgache surles politiques environnemen-tales et la gestion locale des res-sources à Madagascar.

L’analyse coûts-avantages (ACA) constitue l’outil traditionnel enmatière d’évaluation économique de l’environnement et d’aide àla décision. Malgré un usage intensif de cet outil autant dans lespays industrialisés que dans les pays en développement, par lebiais notamment des agences internationales (Banque mondiale,ONUDI…), les limites sont souvent négligées face au souhaitd’obtenir des données monétaires à tout prix. Cet article, quidresse succinctement les principales caractéristiques et limites del’ACA, va au-delà du débat scientifique ; il relève d’un souci declarification à l’usage des praticiens de l’environnement qui ont lacharge d’évaluer les projets ou les politiques ayant un impact surl’environnement.

Les fondements et les caractéristiques de l’analysecoûts-avantages

L’ACA (ou Cost Benefit Analysis en anglais) est à la fois une méthoded’évaluation et un outil d’aide à la décision. Elle cherche à prendre encompte les coûts et les avantages engendrés par un projet et qui sont

supportés ou perçus par la collectivité1. Ce calcul relève d’une évaluation (dansle sens de «donner une valeur à quelque chose») qui utilise le référent monétairepour agréger les différents éléments formant les coûts et les avantages etpermettant de comparer le gain social net dudit projet. Elle est également unoutil d’aide à la décision dans la mesure où l’évaluation permet de guider undécideur dans le choix entre différents projets ou le choix entre différentesversions d’un même projet. Appliquée au choix public, l’ACA permet desélectionner le projet, le programme ou la politique qui a l’avantage social netle plus élevé.

FFoonnddeemmeennttss,, lliimmiitteess eett ppeerrssppeeccttiivveess ddee ll’’aannaallyyssee ccooûûttss--aavvaannttaaggeess

@[email protected]. Il existe de nombreux manuels appliquant l’ACA au domaine environnemental. Le lecteurtrouvera un guide récent et complet réalisé pour le compte de la Commission européenne àl’adresse suivante:http://europa.eu.int/comm/regional_policy/sources/docgener/guides/cost/guide02_fr.pdf

Page 41: Économie environnement ressources naturelles

41Économie de l’environnement et des ressources naturelles

Fondements, limites et perspectives de l’analyse coûts-avantages

LES APPROCHES ET LES OUTILS

Une double origine qui expliquele succès de la méthode

L’origine de l’ACA peut être abordée de deuxmanières : l’une qui peut être qualifiée d’épisté-mologique, l’autre, de financière. Sur le planépistémologique, l’ACA est l’expression d’uncalcul normatif qui cherche à minimiser lespeines et à maximiser les joies et les plaisirs, ausens où l’entendaient les utilitaristes tels que JohnStuart Mill au XIXe siècle. Elle représente le«canal historique» de l’économie du bien-être(branche normative de l’économie publique) àpartir de laquelle ont été bâtis les guides d’éva-luation de projets grâce à des économistes telsque IMD. Little,A. Sen ou encore S. Marglin. Leproblème fondamental de ce type de méthodeest de parvenir à mesurer les coûts et les avantagessociaux (quelle est la perte économique subie parles agriculteurs lors de la construction d’un bar-rage?) et de les comparer (le coût d’opportunitésubi par cet exploitant peut-il être comparé, dansun sens technique tout autant qu’éthique, auxavantages que les usagers retirent de l’électricité?).Il existe sur ce point une ligne de fracture entreles tenants du calcul économique (qu’il soit ap-pliqué à l’environnement ou pas, d’ailleurs) et lesopposants. Les premiers sont souvent qualifiésd’économistes de l’environnement au sens néo-classique du terme, c’est-à-dire qui utilisentl’ACA et les techniques d’évaluation économique(au sens monétaire) de l’environnement que l’onretrouve dans la plupart des manuels2. Les oppo-sants à l’ACA ne forment pas un groupe homo-gène, mais plutôt un continuum entre ceux quicherchent à l’améliorer en prenant en considé-ration des effets de répartition entre les coûts etles avantages, par exemple, ou en la couplant avecd’autres méthodes (spatialisée, modélisée…), etceux qui, à l’extrême, refusent d’évaluer moné-tairement l’environnement et proposent derecourir à des évaluations plus qualitatives, allantde l’analyse multicritère aux méthodes d’évalua-tion moins fondées sur l’expertise et plus partici-patives3.Ainsi, l’ACA évolue dans un contexte

historiquement marqué mais controversé.Malgréles controverses que suscite cette méthode, elleest abondamment utilisée.Cela s’explique, d’unepart, parce que ces débats se cantonnent la plupartdu temps aux cercles académiques des scienceshumaines et sociales ; les praticiens de l’environ-nement mais également les scientifiques des autresdisciplines étant la plupart du temps convaincus,pour leur part, de l’utilité de ce type de calcul. Iln’est en effet pas rare de voir les biologistes ouécologues, souvent à la tête d’ONG de conser-vation, souhaiter une évaluation économique descoûts et des avantages de la déforestation, parexemple, qui viendrait compléter l’analyse despertes (coûts) en biodiversité.D’autre part, et c’estla principale raison, le succès rencontré par l’ACAtient à son origine financière.

En effet, la seconde manière de comprendrel’origine de l’ACA est liée à l’analyse de projet.L’ACA puise ses origines dans l’analyse financièrequi compare des flux de recettes à des flux dedépenses qui s’échelonnent dans le temps pourun projet de nature privée4. Dans l’analysefinancière, les coûts et les bénéfices recensés sontceux supportés ou perçus par l’investisseur,comme les coûts d’investissement, les chargesd’exploitation et les recettes issues de la vente desproduits ou services ainsi obtenus par le projet.En termes économiques, on considère que l’éva-luation financière ne prend pas en compte leseffets que le projet induit sur l’extérieur, lesfameux effets externes (qu’ils soient positifs ounégatifs, d’ailleurs). La prise en compte de cesexternalités lors de l’évaluation financière revientà basculer vers l’évaluation économique.L’exten-sion du calcul financier au domaine économiques’explique par la mise en place de grands projetsd’investissement publics ayant des impacts signi-ficatifs sur l’environnement naturel et humain.

2. Parmi les manuels en langue française, on peut citerceux de l’OCDE: Évaluation des projets et des politiques :intégrer l’économie et l’environnement, Paris, 1994 etÉvaluation économique des politiques et projets environne-mentaux, Paris, 1995.

3. Même si, dans bien des cas, l’analyse multicritère peutêtre vue comme complémentaire à l’ACA, elle est

souvent présentée comme une solution de rechange.Lelecteur trouvera auprès du CIFOR un guide d’analysemulticritère appliquée aux projets de gestion durabledes ressources forestières : http://www.cifor. cgiar.org/acm/methods/candi.html. D’autres méthodes, notam-ment celles se référant à la gestion adaptative et colla-borative, sont clairement explicitées à travers différentessources, dont http://www.cifor.cgiar.org/ acm/pub/co-learn.html ou encore http://www.world wildlife.org/bsp/publications/aam/112/titlepage.htm.

4. Il existe de nombreux manuels de gestion de projets ;citons par exemple Bridier et Michaïlof : Guide pratiqued’analyse de projets : évaluation et choix des projets d’inves-tissement, Économica, 5e édition, 1995.

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42 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE Nos 66-67

En tant qu’acteur public, l’État (pris au sens large;cela peut être une grande entreprise publique ouune agence quelconque) ne limite pas ses actionset ses choix à de simples considérations finan-cières. Il lui revient d’intégrer les effets que sonprojet peut engendrer sur la société. D’un pointde vue technique, le passage de l’évaluation fi-nancière à l’évaluation économique consiste àappliquer des prix de référence (shadow prices)pour les principales variables (salaires, taux dechange, prix des produits locaux et à l’export,taux d’actualisation).L’évaluateur a alors la libertéd’appliquer des valeurs qui lui semblent corres-pondre le mieux à l’envergure nationale du projetou au rôle tutélaire de l’État (le choix du tauxd’actualisation social est le meilleur exemple, voirpar la suite).

Une logique pyramidale

Le calcul coûts-avantages consiste à «ramener à savaleur présente» ou à actualiser une série de coûtset d’avantages qui s’échelonnent dans le temps.Enutilisant un taux d’actualisation (voir l’encadré ci-dessous) pour pondérer les flux provenant depériodes différentes, on obtient une valeur actua-lisée nette (VAN) qui permet d’identifier si l’onobtient un avantage net ou un coût net.

La réalisation du calcul ne pose pas de problèmeune fois que l’ensemble des éléments sont listés etcalculés. Les difficultés se situent en fait en amontdu calcul proprement dit, c’est-à-dire dans lamanière dont on évalue monétairement les dif-férentes composantes du calcul (voir par la suite).La principale caractéristique de cet outil est lecalcul en cascade. Le résultat final, la VAN, peutêtre assimilé au sommet d’une pyramide qui estle produit de l’ensemble des données soigneuse-ment structurées. Cela implique que la VAN est,la plupart du temps, très sensible aux variationsdes données initiales5.

Les trois principales limites de l’ACA

L’utilisateur de l’analyse coûts-avantages est rapi-dement confronté à trois problèmes qui ont desrépercussions sur l’aide à la décision: la prise encompte du temps, l’incomplétude de l’évaluationet enfin la question de la répartition des coûts etdes avantages.

«Dans le long terme, nous seronstous morts!»

La dimension temporelle est la principale sourcede difficulté dans l’ACA et dans l’analyse écono-mique en général, comme le rappelle ce vieiladage de Keynes. L’intégration du temps dansl’évaluation est rendue nécessaire par le fait quel’on compare des flux monétaires s’échelonnantdans le temps. La temporalité s’exprime de deuxmanières : à travers la durée de vie du projet etdonc du nombre d’années à intégrer dans lecalcul coûts-avantages, et à travers le choix dutaux d’actualisation. Nous n’abordons ici que lesecond point qui est très symptomatique de lafragilité de l’ACA.

Dans l’analyse financière, le taux d’actualisations’impose de lui-même; les financiers retiennentle taux des marchés financiers (ou une moyennedes différents taux existants). Lorsqu’il s’agitd’intégrer les coûts et les avantages sociaux, lesévaluateurs prennent la liberté de modifier le taux

Taux d’actualisation

Le principe sous-jacent à l’actualisation est que100 unités monétaires (UM) ont une plus fortevaleur aujourd’hui que dans le futur. On ne peutdonc mettre sur un pied d’égalité un gain (ou uncoût) de 100 UM aujourd’hui et un autre de100 UM à percevoir (ou à payer) dans 5 ans.Lorsque l’on réalise l’ACA, le gain à percevoir dans5 ans a une valeur actuelle moindre que celuiperçu immédiatement. La valeur du taux d’actuali-sation correspond, dans l’analyse financière, autaux d’intérêt sur le marché bancaire. Ainsi,100 UM placées à un taux d’intérêt de 10 %rapporteront, dans 5 ans, 161 UM; ce qui signifieque la valeur actuelle de 161 UM est égale à100 UM. Dans un sens «le présent projeté vers lefutur», on parle d’annualisation tout en utilisantle taux d’intérêt ; dans l’autre sens, « le futurramené au présent», on parle d’actualisation touten utilisant le taux du même nom. 5. Dans des études de cas menées à Madagascar, on a

montré qu’une variation de + 1% de l’ensemble descoûts et des prix implique une variation de 17% de laVAN et qu’elle est très sensible au choix des variables.

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43Économie de l’environnement et des ressources naturelles

Fondements, limites et perspectives de l’analyse coûts-avantages

LES APPROCHES ET LES OUTILS

d’actualisation qui devient une variable de l’éva-luation et non plus une donnée exogène;on parlealors de taux d’actualisation social. La questionreste entière au sujet du taux à retenir. En effet,un taux élevé réduit la valeur actualisée des évé-nements futurs et inversement. En termes d’aideà la décision dans le domaine environnemental,la question du choix du taux d’actualisation estpar conséquent cruciale. Certains projets, ceuxindustriels notamment, engendrent des coûtsenvironnementaux non pas immédiatement maisau bout d’un certain temps, lorsque les dommagesécologiques s’accumulent dans le temps et dé-passent la capacité de charge de l’environnement(le cas du démantèlement des centrales nucléairesen est une bonne illustration).Dans ce cas, si l’onsouhaite que ces coûts pèsent dans le rapportcoûts-avantages, l’évaluateur devra retenir un tauxd’actualisation faible. Cependant, un taux faiblerend économiquement pertinents des projets quine l’étaient pas avec un taux plus fort. Le risqueest grand de démultiplier les projets, ce qui peutengendrer des dommages écologiques.

La manipulation du taux d’actualisation social estsource de vives controverses depuis de longuesannées. Pour certains, puisqu’il n’y a pas de solu-tion hormis une manipulation à double tranchant,autant s’en remettre au taux du marché ou biendécider que ce sera tel ou tel taux ou fourchettede taux (position de la plupart des institutionsinternationales) ; pour d’autres, le problème n’estpas résolu,mais il est possible de suggérer des tauxdécroissants dans le temps (position très récentede la France – voir le Rapport du CommissariatGénéral du Plan du 21 janvier 2005). D’autresenfin considèrent que la dépréciation temporelleest un argument culturellement marqué et que lefutur a parfois plus de valeur que le présent, cequi plaiderait pour l’usage de taux nuls (voirenégatifs). Quelle que soit la position des uns etdes autres, positions exacerbées dans le cas duchangement climatique et du nucléaire notam-ment, le taux d’actualisation social peut êtreconsidéré comme le «talon d’Achille» de l’ACA.

Le mythe de la complétude de l’évaluation

La seconde difficulté est liée à la complétude del’évaluation, c’est-à-dire comment être certainque l’évaluation a intégré l’ensemble des impacts

environnementaux et sociaux? Lors de l’évalua-tion financière, les coûts et les bénéfices retenusdans le calcul sont liés aux coûts que supportel’investisseur, et aux recettes qu’il va obtenir aufur et à mesure que le projet se déroulera. Il n’ya donc pas de grande difficulté à recenser cescoûts et ces bénéfices, souvent identifiés à partirde documents comptables. Le problème se poselorsqu’on aborde les coûts et les avantagessociaux et environnementaux.

La plupart des manuels d’économie de l’environ-nement proposent des méthodes pour les évaluer.Celles-ci sont si complexes et si coûteuses (entemps, en moyens humains et techniques) àutiliser que les évaluateurs vont devoir faire deschoix de deux natures: le degré d’intégration deseffets induits (la profondeur de l’analyse) et lechoix des composantes de la valeur économiquetotale (VET) à mesurer (l’étendue de l’analyse).

La profondeur de l’analyse signifie: jusqu’où allerdans l’évaluation? Si l’ACA porte sur un projetde mise en place d’une aire protégée qui limite ladéforestation, l’évaluation se cantonnera à l’im-pact direct sur les revenus des populations locales.Les effets indirects ne seront généralement paspris en considération, alors qu’ils peuvent avoirdes conséquences sociales (migrations…), écolo-giques (accentuation de la déforestation dansd’autres endroits) et économiques (hausse du prixde l’énergie dans les villes…) susceptibles demodifier structurellement l’environnement sansque cela soit correctement intégré à l’ACA.

L’étendue de l’analyse fait référence au choix descomposantes de la VET que l’on mesure.Comptetenu des contraintes mentionnées précédemment,il est quasiment impossible d’évaluer intégralementla VET, de sorte que le caractère «total» de celle-ci fait référence à la liste de ses composantes et nonà leur mesure. On ne mesure en réalité jamais lavaleur économique totale d’un écosystème lié àun projet ou à une politique.La plupart du temps,l’évaluateur se limite aux effets les plus évidentsou à ceux pour lesquels on dispose de bases dedonnées: la protection des bassins versants (valeurd’usage indirect) lorsqu’on possède les cartes descours d’eau, la valeur d’existence lorsque le site esttouristique ou à forte valeur récréative… En soi,ce genre de sélection est tout à fait normal etinhérent à toute méthode d’évaluation. Le

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problème est qu’ici il s’agit, in fine, d’obtenir unevaleur actualisée nette; celle-ci va par conséquentdépendre en grande partie des choix faits.Ainsi,dans une évaluation de la VET de la mangrove auxîles Fidji, la valeur d’usage (pêche sur site, bois dechauffe et autres produits alimentaires) a étéestimée à 158USD/ha et les services écologiques,à 5820USD/ha! De toute évidence, les effets surla VAN sont très importants. De nombreuxpraticiens, notamment dans les pays en dévelop-pement (voir ci-dessous), comprennent l’ambi-guïté qu’il y a à tenir compte de telle ou tellecomposante de la valeur (potentiel de captationde carbone pour le bois, valeur d’existence desespèces rares…) dans le calcul global, étant donnéles montants substantiels impliqués.

L’épineuse question de la compensation

Le troisième problème relatif à l’ACA est lié à larépartition des coûts et des avantages. Si l’onreprend le cas précédent, les avantages de la con-

servation, c’est-à-dire le maintien des servicesécologiques, peuvent être perceptibles pour cer-tains acteurs extérieurs à la zone du projet, alorsque les coûts du projet sont supportés par lapopulation locale. Le calcul peut rapidementdevenir immoral dès que les coûts (d’opportu-nité, notamment) du projet sont évalués à partirde la perte de revenus des populations ruralesconcernées, alors que les gains sont évalués àpartir du consentement à payer de touristesoccidentaux. Pour faire face à ce problème, quiest très important dans les pays pauvres mais àforte biodiversité, susceptible de dégager uneforte valeur de non-usage hors site, plusieursétudes incorporent un volet socio-économiqueà l’ACA. Il s’agit d’identifier les gagnants et lesperdants ou à pondérer les coûts et les avantagesde manière à donner plus de poids aux popu-lations à faibles revenus. Selon que l’on se situepour ou contre l’ACA, on considérera ces dé-marches comme une amélioration substantielleou, au contraire, comme un véritable tour depasse-passe.

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45Économie de l’environnement et des ressources naturelles

Fondements, limites et perspectives de l’analyse coûts-avantages

LES APPROCHES ET LES OUTILS

Quelles perspectives pour l’ACA?

Tout en étant un outil très pertinent pour lespraticiens de l’environnement, l’usage de l’ACApose de nombreux problèmes tant techniquesqu’éthiques. Ce constat est également vrai pourla plupart des méthodes d’évaluation (analysecoût-efficacité,méthodes des effets…),mais revêtun caractère plus prononcé pour l’ACA dans lamesure où elle est largement utilisée à des fins dechoix politiques qui sont déjà décidés. L’éva-luation économique va la plupart du temps venirjustifier des projets ou des politiques et nonchoisir entre plusieurs possibilités. En un certainsens, l’évaluation ne sert pas à aider à la prise dedécision mais à justifier la décision. Si ce n’étaitpas le cas, on se servirait beaucoup plus inten-sément des modèles de simula-tion qui mettent l’accent sur lesscénarios possibles des politiquesou des projets, voire sur l’analysecoût-efficacité, comme le faitl’IIASA dans le volet écono-mique de son modèle RAINS.

La seconde raison qui est fortement liée à laprécédente tient à ce qu’on pourrait appeler le« syndrome de la valeur unique ». L’ACA a cet«avantage» par rapport aux autres méthodes defournir une valeur monétaire qui peut être large-ment diffusée en dépit de toutes les précautionsnécessaires quant à l’obtention des résultats. Ellepermet de légitimer les choix à partir d’une jus-tification pseudo-financière, dont la seule expres-sion d’un chiffre de type «XUSD/ha/an» suffit àmasquer les hypothèses réalisées et les approxi-mations liées au calcul en cascade.À cela s’ajoutela crédibilité d’un calcul d’origine financière quil’exonère de facto des critiques de «boîte noire»,comme cela est le cas pour les modèles de simu-lation ou les approches multicritères, et l’illusionde la valeur unique devient parfaite.

Cela dit, il est vrai que le temps de l’évaluationdoit être en phase avec celui de la décision si l’onsouhaite que l’évaluation économique soit utile.

Or, une fois les données collectées, le temps dela réalisation d’une ACA se compte en semaines,alors que pour un modèle, le pas de temps estl’année. Le succès de l’ACA relève donc égale-ment de cette dimension très pratique (rapide etsimple à mettre en œuvre) qui est l’argument laplupart du temps avancé par les institutionsinternationales.

Quelles perspectives pour l’évaluation économi-que de l’environnement? Selon les circonstances(le temps et les moyens humains et techniquesdisponibles, les données existantes, la nature duprojet ou de la politique – locale, régionale,nationale…), plusieurs options se dessinent. Sil’ACA est la méthode à utiliser (par exemple, sielle est explicitement mentionnée dans des termesde référence d’une étude), un raisonnement en

fourchettes et des analyses desensibilité doivent être réalisés.Au-delà de ce travail, il apparaîtnécessaire de s’assurer de la bonnediffusion de l’ensemble des résul-tats et pas seulement du montantde la VAN. L’aspect communica-tionnel relève alors de l’éthique de

l’évaluateur. Si la méthode n’est pas spécifiée et siles circonstances mentionnées précédemment lepermettent, on suivra volontiers Kirkpatrick etLee (1996,p. 9) lorsqu’ils écrivent: «Cela conduitsouvent à l’utilisation des formes hybrides d’éva-luation économique qui incorporent l’informa-tion sur quelques impacts environnementaux etsociaux en forme non monétaire. Dans ce cas,l’évaluation complète s’oriente vers l’analysemultiobjectifs ou multicritères ». L’ACA peutmême être incorporée dans un dispositif multi-critère plus large. Enfin, d’autres formules pluscomplexes peuvent être privilégiées selonl’échelle de l’évaluation : une approche plusmodélisée se rapprochant de la méthode des effetssur l’évaluation porte sur une politique nationale,une politique sectorielle ou un programmed’envergure. Si le niveau est plus local et si l’aideà la décision est l’objectif principal, l’ACA devraêtre dans la plupart des cas abandonnée au profitd’approches dites adaptatives.

L’évaluation économique va

la plupart du temps venir

justifier des projets ou des

politiques et non choisir

entre plusieurs possibilités.

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Géraldine FROGER

Géraldine FROGER est Maître deconférences, habilitée à dirigerdes recherches, à l’Université deVersailles Saint-Quentin-en-Yvelines (France). Économiste etmembre du C3ED UMR IRD-UVSQ no 063, ses thèmes derecherche portent sur l’écono-mie des ressources naturelles etde l’environnement, l’économiedu développement durable, lagouvernance et les politiquespubliques environnementales(en particulier dans les pays endéveloppement). Elle a coordon-né deux ouvrages chez Helbinget Lichtenhahn: Gouvernance I –gouvernance et développementdurable en 2001, et Gouver-nance II – action collective etpolitiques d’environnement (encoll. avec Ph. Méral) en 2002. Lacoordination d’un troisième ou-vrage, La mondialisation contrele développement durable?, esten cours.

Les méthodes multicritères ont été développées à partir des années1970 dans le monde industriel, pour pallier les limites des analysesréduisant la décision à la prise en compte d’un critère unique (trèssouvent financier). Elles ont été ensuite progressivement utiliséesdans des problématiques d’aménagement territorial et de gestionde l’environnement. Se sont alors développées les démarchesparticipatives multicritères, où le décideur unique des premièresanalyses multicritères s’entoure de groupes de personnes auxjugements de valeur multiples et divergents.

Pourquoi recourir aux outils d’aide multicritère à la décision en économie de l’environnement?

L’utilisation de l’aide multicritère à la décision se justifie lorsqu’on estconfronté à la complexité, contrairement aux modèles technico-économiques (dont fait partie le modèle coûts-avantages) qui visent à

ramener les problèmes de décision à l’optimisation d’une fonction objectif ; cesmodèles, relevant d’une approche à critère unique, reposent sur des hypothèsesfortes (globalité, stabilité, comparabilité transitive) qui sont rarement satisfaitessimultanément dès que l’on s’intéresse aux questions d’aménagement duterritoire et de gestion des ressources1.

Dans ce domaine, plusieurs actions/stratégies possibles sont rarement comparéesà l’aide d’un seul critère et, quand on évalue les conséquences de celles-ci enfonction de plusieurs critères, on risque de considérer comme optimale uneaction/stratégie différente pour chacun des critères. D’où la nécessité derecourir à des méthodes qui ne cherchent pas à déterminer une solutionoptimale unique, mais qui visent à aboutir à un compromis satisfaisant.

Par ailleurs, certains critères peuvent être « incommensurables » (notammentlorsque plusieurs aspects sont difficilement traduisibles en coûts) ; il faut alorspouvoir disposer de méthodes permettant de tenir compte de plusieurs critèressans les réduire à un seul, en l’occurrence monétaire. Les critères peuvent êtreégalement contradictoires ou conflictuels (cf. l’exemple de l’implantation d’une

LLeess ddéémmaarrcchheess dd’’aaiiddee mmuullttiiccrriittèèrree àà llaa ddéécciissiioonn eenn ééccoonnoommiiee ddee ll’’eennvviirroonnnneemmeenntt

@[email protected]. Schärlig,A., Décider sur plusieurs critères, panorama de l’aide à la décision multicritère, Lausanne, Presses

polytechniques et universitaires romandes, 1985.

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47Économie de l’environnement et des ressources naturelles

Les démarches d’aide multicritère à la décision en économie de l’environnement

LES APPROCHES ET LES OUTILS

station d’épuration où la minimisation desnuisances olfactives par éloignement vis-à-vis deshabitations est en contradiction avec le coûtd’acheminement des eaux usées). D’où lanécessité de rechercher des méthodes qui soientpertinentes dès que l’on considère divers critèrescontradictoires ou conflictuels.

La superposition de la complexité, de la présenced’acteurs et de groupes d’intérêts multiples et dela « crise » de légitimité de l’ancien mode dedécision publique2 vient justifier l’utilisation dedémarches multicritères qui se veulent participa-tives. La participation de divers groupes d’acteursapparaît comme une condition nécessaire pourétablir un climat de confiance entre les différentsacteurs et obtenir une certaine légitimité etacceptabilité, tant en ce qui concerne le processusdécisionnel que la décision qui en résulte.Troisinterprétations sont alors possibles : la premièreconsidère les dispositifs de participation commeun «progrès de la démocratie participative» (démocra-tisation de la vie publique avec tous les détermi-nismes que cela comporte) ; la deuxième lesconsidère comme «une nouvelle astuce des Étatsmodernes simulant le renforcement des droits démocra-tiques par des actions de communication manipulatrices.Celles-ci n’auraient pour finalité que la légitimationpar le débat public de décisions dont le fond resteraittoujours maîtrisé par les acteurs politico-administratifsou les gestionnaires publics habituels » ; la troisièmeenvisage ces dispositifs comme «des instrumentsdélibératifs participants d’une démocratie procédurale,mais qui reste vigilante sur leurs conditions de réalisa-tion et leurs impacts3 ».

La philosophie générale des démarches multicritères

L’aide à la décision

L’aide à la décision est envisagée comme uneactivité au service de l’action: «L’aide à la décisionest l’activité de celui qui, prenant appui sur des modèlesclairement explicités mais non nécessairement complè-tement formalisés, aide à obtenir des éléments de réponseaux questions que se pose un intervenant dans unprocessus de décision, éléments concourant à éclairer ladécision et normalement à recommander, ou simplementà favoriser, un comportement de nature à accroître lacohérence entre l’évolution du processus, d’une part, etles objectifs et systèmes de valeurs au service desquelscet intervenant se trouve placé, d’autre part4.» Cetteactivité est généralement exercée par un spé-cialiste (chercheur opérationnel, économiste,statisticien, etc.), ou une équipe de spécialistes, àla demande d’un ou de plusieurs promoteurs-décideurs. Le ou les spécialistes qui ont la chargede l’aide à la décision sont qualifiés d’«homme(s)d’étude» ou encore de « facilitateur(s)».

Les méthodes d’aide à la décision ont donc pourfinalité de proposer des recommandations5; elless’inscrivent dans une démarche prescriptive qui seveut pragmatique, l’objectif n’étant pas de déve-lopper des idéalisations acceptables ou des choixrationnels (approche normative) ni de correspondreaux choix observés (approche descriptive), maisd’aider les individus à prendre de meilleuresdécisions. Par ailleurs, l’esprit dans lequel lesméthodes d’aide à la décision sont mises en œuvrecorrespond à une démarche constructive recon-naissant explicitement, non seulement la grandeinstabilité des préférences et des systèmes de valeurs(à l’inverse d’une démarche descriptive),mais aussil’influence exercée par les hommes d’étude dansl’évolution ou la stabilisation de ces préférences etsystèmes de valeurs.

2. Celui-ci organise le processus décisionnel autour del’État – garant de l’intérêt général – et instance légitimede production des normes. Dans cet «ancien» modèle,la légitimité des décisions provient « des systèmes dereprésentation politique classiques chargés en principedu bien commun et de l’expertise scientifique et tech-nique à laquelle a été pendant longtemps déléguéel’analyse des données d’un problème et la sélection desdécisions. » (Lascoumes, P., La productivité sociale descontroverses, intervention au séminaire Penser les sciences,les techniques et l’expertise aujourd’hui, janvier 2001). Or,les deux piliers que sont l’État et l’expertise unilatéraleont été soumis à de vives critiques, entre autres, dansle domaine environnemental et sanitaire.

3. Lascoumes, op. cit.

4. Roy, B., Bouyssou, D., Aide multicritère à la décision :méthodes et cas, Paris, Economica, 1993.

5. Toutefois, l’aide à la décision ne se réduit pas à unerecommandation finale; même si cette dernière est unecomposante essentielle du processus, les étapes inter-médiaires restent importantes, car elles aident les acteursà former, à argumenter et à partager leurs convictions,et donc à éclairer la décision.

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48 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE Nos 66-67

L’aide multicritère à la décision

L’aide à la décision s’avère d’autant plus perti-nente dans le cadre des processus de décisioncomplexes. Elle est d’ailleurs souvent mise enœuvre sous la forme d’une aide multicritère à ladécision (AMD); nombreuses sont les situationsoù les conséquences sont suffisamment com-plexes pour qu’une seule fonction objectif (unseul critère) ne puisse appréhender toute l’infor-mation nécessaire à la comparaison globale desactions/stratégies. En général, les conséquencessont multiples et s’évaluent en termes variés(économique, technique, de confort, de prestige,d’impacts environnementaux…).L’AMD recon-naît explicitement plusieurs points de vuecontradictoires, plusieurs objectifs conflictuels,sans les ramener à un seul critère; cette démarchese concrétise par l’élaboration et la prise encompte simultanée de plusieurs objectifs et cri-tères (souvent conflictuels) incluant éventuel-lement des aspects qualitatifs, ce qui présente unintérêt indéniable dans le domaine qui nousintéresse puisque les critères d’appréciation desimpacts d’une action sur l’environnement sontle plus souvent qualitatifs.

Les démarches d’AMD envisagent la non-existence d’une solution optimisant tous lescritères en même temps, ainsi que l’insuffisancedes relations de préférence et d’indifférence pourapprécier l’ensemble des situations. L’incom-parabilité des actions doit être prise en consi-dération: lorsqu’une action est jugée «meilleure»qu’une autre selon un critère donné, elle peuts’avérer être «moins bonne» qu’une autre selond’autres critères et il est possible que les évalua-tions ne se compensent pas complètement entreelles. L’objectif principal de l’AMD est d’aiderun acteur à prendre part au processus de décision,c’est-à-dire à former, à argumenter ou à trans-former ses préférences, ou encore à prendre unedécision en conformité avec ses objectifs. Ellecherche à aider les acteurs à trouver des solutionsde compromis.

L’aide multicritère à la décisionparticipative

Bon nombre de concepts, procédures et modèlesd’aide multicritère à la décision sont de plus enplus fréquemment utilisés dans le cadre de

démarches participatives6. D’où l’utilisation deméthodes d’aide multicritère à la décision partici-pative (AMDP) 7, ou encore de démarchesparticipatives multicritères8.

Ce que nous qualifions d’AMDP ne s’identifie pasà ce que de nombreux chercheurs appellent «aideau travail et à la décision de groupe».Nous consi-dérons que dans la plupart des processus décision-nels en matière d’aménagement du territoire et degestion des ressources, les systèmes de valeurs ainsique les intérêts des acteurs sont le plus souventconflictuels, ce qui ne correspond pas au cadrecoopératif, ou encore non conflictuel, dans lequelles concepts et les modèles de l’aide au travail à ladécision de groupe sont le plus souvent utilisés.Précisons néanmoins que lors de certaines étapesdesdits processus, l’aide multicritère à la décisionparticipative peut effectivement favoriser le travailet la décision de groupe(s) d’acteurs donné(s).

Aussi, l’aide multicritère à la décision participativeest différente de « l’aide à la décision concertée».Quelle que soit la définition de la concertation(action de concert ou consultation systématique),l’AMDP se démarque des démarches concertativesdans le sens où elle peut dépasser la simple consul-tation, les acteurs pouvant être amenés à aller plusloin que donner leur avis. Par ailleurs, si l’AMDPimplique que chaque acteur puisse avoir un impact(même minime) sur la décision, la décision finalen’est pas forcément concertée, et ce, afin d’éviterles problèmes de non-décision. La participationdoit pouvoir être privilégiée à plusieurs momentsdu processus décisionnel sans que les comman-ditaires soient pour autant contraints de prendre ladécision finale en concertation avec d’autresacteurs,et ce, sans que la légitimité et l’acceptabilitéde la décision finale s’en trouvent affectées.

6. Voir, entre autres,Stagl,S.,Multicriteria evaluation and publicparticipation: in search for theoretical foundations, communi-cation à l’European Association for Ecological Economics, du12au 15 février 2003, Ténérife ; Rauschmayer F.,WittmerH., «Evaluating deliberative and analyticalmethods for the resolution of environmental conflicts»,Land Use Policy, décembre 2004.

7. Froger, G., Oberti, P., «Gouvernance et développementdurable. L’aide multicritère à la décision participative»,Sciences de la Société, no 57, 2002, p. 57-76.

8. Bertrand, L., Martel, J.M., «Mise en œuvre d’unedémarche participative multicritère pour la gestionintégrée des forêts publiques », dans Oberti, P. (dir.),Développement durable : participation-concertation, évaluationet illustration,Actes des IIes journées internationales del’APREMA, mai 2001, p. 35-56.

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49Économie de l’environnement et des ressources naturelles

Les démarches d’aide multicritère à la décision en économie de l’environnement

LES APPROCHES ET LES OUTILS

Quelles méthodes d’AMD/AMDP en économie de l’environnement?

Les bases méthodologiquesprincipales de l’AMD9

Une première phase consiste en l’élaboration dela liste des actions/stratégies potentielles. Cesdernières correspondent à des actions/stratégiesenvisageables, admissibles… L’ensemble desactions/stratégies potentielles devra être aussicomplet que possible, ce qui est loin d’êtreévident. La littérature en AMD n’a pas jusqu’iciaccordé suffisamment d’attention à la générationde cet ensemble, comme s’il s’imposait a priori10.Toutefois, avec l’AMDP, des démarches partici-patives sont mises en place pour que ces actions/stratégies soient élaborées en partie par desgroupes d’acteurs autres que le décideur, l’hommed’étude, et les experts. Dans un exemple pure-ment didactique que nous allons développer,nousconsidérons que parmi un ensemble de solutionsde rechange à l’agriculture sur abatis brûlis11, troisactions/stratégies potentielles retiennent notreattention: (1) la mise en défens (forêt naturelle);(2) la monoculture (palmiers à huile); (3) l’agro-foresterie (avec hévéas).

Une deuxième phase porte sur la constitutiond’une liste des critères à prendre en considé-ration. Elle revient à déterminer les critères(généralement conflictuels) à partir desquels lesactions/stratégies vont être évaluées. Un critèrepermet de désigner une réalité objective ou desjugements et des points de vue moins objectifs ;il peut donc être construit (somme pondérée,notes, relevé de mesures) ou informel (avisd’experts).Toute famille de critères doit possédercertaines propriétés : applicabilité à toutes les

actions/stratégies envisagées, exhaustivité, non-redondance, cohérence, indépendance… Deuxapproches sont possibles pour la constructiond’une famille de critères. L’approche top-down(descendante) consiste à construire une structurehiérarchique avec comme premier niveau unobjectif global non mesurable, qui est éclaté ensous-objectifs, qui sont à leur tour éclatés ensous-sous-objectifs… jusqu’à ce que l’on attei-gne un niveau mesurable à l’aide de critères12.La seconde approche, bottom-up (ascendante),consiste à identifier toutes les conséquencespouvant résulter de la mise en œuvre d’ac-tions/stratégies, que l’on structure en classes deconséquences puis en axes de signification (parexemple : équilibre écologique, préoccupationssociales, rendements économiques…) autourdesquels sont construits les critères (par exemple:indice de biodiversité, de séquestration de car-bone pour ce qui relève de l’équilibre écolo-gique…). Un critère est alors une fonction,définie sur l’ensemble des actions, qui prend sesvaleurs dans un ensemble totalement ordonné.Il peut être quantitatif si des échelles numériquessont retenues, qualitatif si des échelles verbalessont adoptées. Dans plusieurs cas, des infor-mations intercritères sont également prises encompte: des coefficients d’importance ou encoredes vetos (en deçà ou au-delà desquels toutecompensation est impossible). Dans notreexemple didactique, nous retenons cinq critères :la profitabilité (monétaire), l’emploi (jours/hab./an), la soutenabilité agronomique (note), laséquestration de carbone (pour une surface,tonnes/hab.), la biodiversité (appréciationverbale par le biais d’avis ou nombre d’espècesde plantes).

Une troisième phase consiste en la constructiondu tableau de performances ; il s’agit de dresserl’ensemble des évaluations de performances, oudes impacts des actions selon chacun des critères.9. Nous n’avons pas ici la prétention de présenter dans le

détail l’ensemble des démarches et des méthodesmulticritères. Sur ce point, voir Roy et Bouyssou, op. cit.et Roy, B., Méthodologie multicritère d’aide à la décision,Paris, Economica, 1985.

10. Martel, J.M., «L’aide multicritère à la décision : mé-thodes et applications», communication à la conférenceannuelle CORS-SCRO, 1999, disponible sur le site :http://www.cors.ca/windsor.

11. Nous nous sommes inspirés d’un exemple développépar le consortium ASB (Alternatives-to-Slash-and-Burn)dans Policybriefs en février 2003. Voir le site :http://www.greenink.co.uk.

12. Cette approche a été appliquée par Faucheux, S.,Froger, G., Munda, G., «Mutlicriteria decision aid andthe sustainability tree », dans Faucheux S., O’ConnorM. (éd.), Valuation for Sustainable Development, EdwardElgar,Cheltenham,1998, p. 187-214, pour appréhenderle développement durable dans le cadre d’une analysemulticritère.

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50 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE Nos 66-67

Ces évaluations peuvent s’effectuer en ayantrecours à divers moyens (des formules analy-tiques, des instruments de mesure, des juge-ments…); elles peuvent être quantitatives (à partirdu moment où elles sont chiffrées), qualitatives(appréciation verbale des actions), être plus oumoins subjectives et être entachées d’imper-fections plus ou moins importantes.Un exemplede tableau de performances avec les actions et lescritères retenus dans les étapes précédentes estillustré en Annexe 1.

La quatrième phase, l’agrégation des perfor-mances, consiste à adopter une procédure quipermet de produire, à partir d’une évaluationd’actions/stratégies sur plusieurs critères et d’uneinformation intercritère,une information synthé-tique sur la relation de préférence entre chacunedes actions évaluées. Les méthodes d’agrégationsont nombreuses ; nous ne retiendrons ici que lesenseignements principaux de méthodes d’agré-gation partielle (approches de surclassement).Dans ce cadre, les actions sont comparées deuxpar deux et la comparaison a pour objet de tester,pour chaque paire (a, b) d’actions s’il est ou nonjustifié de valider une assertion de type «a n’estpas pire que b», ou encore «a surclasse b». Cettejustification repose sur des conditions de concor-dance et dans certains cas de non-discordance ;celles-ci sont inspirées des procédures de vote,respectivement avec une idée de majorité requiseet une autre d’absence de veto. La condition deconcordance assure que les critères sont, comptetenu de leur importance relative,majoritairementconcordants avec l’assertion selon laquelle « asurclasse b»; celle de non-discordance assure que,parmi les critères discordants avec l’assertion selonlaquelle «a surclasse b», aucun ne vient la réfuterfortement. Ces conditions conduisent à consi-dérer qu’une action/stratégie a surclasse uneaction/stratégie b si elle est au moins aussi bonneque b sur une majorité suffisante de critères sansêtre trop nettement plus mauvaise relativementaux autres critères.La quatrième phase est illustréeà l’aide de notre exemple didactique dans lesannexes 2, 3, 4 et 5. En conclusion, seulel’action/stratégie «agroforesterie (avec hévéas) »est écartée, les deux autres actions/stratégies nepouvant pas être comparées entre elles, à moinsqu’un autre système de pondération ne soit utilisé,ou qu’aucune pondération ne soit introduite…

Des analyses de sensibilité doivent compléter leprocessus pour tester la robustesse des résultatsobtenus.

Un des problèmes avec les approches de surclas-sement est qu’elles adoptent d’emblée une repré-sentation nette (non floue) des informationsdisponibles, en dépit de leur nature souventimparfaite. Il peut être alors intéressant de com-pléter ces méthodes par l’utilisation de modèlesde représentation des connaissances vagues ouimparfaites, à l’aide de la théorie des ensemblesflous. Ensuite, ces méthodes sont essentiellementlimitées par l’absence de prise en considérationdes aspects dynamiques.Toutefois, l’intérêt prin-cipal de ces méthodes réside dans le fait que descritères quantitatifs et qualitatifs sont pris encompte simultanément et que les relations depréférence établies, ou plus précisément les rela-tions de surclassement, peuvent ne pas êtretransitives ni complètes13 (modélisation «fine» despréférences).

Les spécificités de l’aide multicritèreà la décision participative (AMDP)et des démarches participativesmulticritères (DPM)

Nous allons voir en quoi l’AMD peut être con-ciliée avec des démarches participatives impli-quant des groupes d’acteurs dont les systèmes devaleurs, les modalités de traitement de l’infor-mation, les rationalités, etc., sont différents, voireantagonistes.

L’AMDP,ou la DPM, se place dans une phase depréparation à la décision, après l’initiation d’unprojet, mais avant le choix effectif entre diversesactions/stratégies. Elle vise à dépasser la simpleconsultation et la négociation, et à structurer unprocessus décisionnel comprenant plusieurs inter-venants et conciliant des points de vue divergents.Cette démarche est construite sur le principe del’analyse multicritère (permettant la comparaison

13. Une relation de surclassement notée « S » n’est pascomplète, lorsque ni «a S b» ni «b S a» ne peuvent êtreétablies (au regard des conditions de concordance etde non-discordance). La seule conclusion possible estque «a » est incomparable à b ». Cela interdit de com-penser une très mauvaise performance de « a » parrapport à «b», sur un critère donné, par une très bonneperformance de « a » par rapport à « b » sur un autrecritère.

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51Économie de l’environnement et des ressources naturelles

Les démarches d’aide multicritère à la décision en économie de l’environnement

LES APPROCHES ET LES OUTILS

d’actions, de stratégies en fonction d’une série decritères) mais elle se veut avant tout participative(actions, critères et importance relative des critèresétant déterminés en partie par les acteurs) ; lesacteurs doivent s’entendre sur une procédured’arbitrage des intérêts, et s’engager, dans unprocessus défini par eux-mêmes, à en arriver àune solution la plus acceptable possible et àlaquelle ils adhèrent14 ; une telle démarche metl’accent sur la recherche de synergies et de solu-tions de compromis acceptables. Elle organisel’avancée d’un projet ou des décisions en phasesdéterminées en répartissant les rôles entre lesdifférents acteurs15 et en «impliquant» des groupesd’acteurs à toutes les étapes du processus (mêmes’il existe plusieurs niveaux d’implication à diffé-rentes étapes du processus).

Trois phases principales peuvent être recensées16 :(1) le lancement de la démarche, phase essentiel-lement participative, qui vise à clarifier le pro-cessus, à impliquer et à sensibiliser les acteursconcernés, à structurer des groupes de travail et àrecueillir les premiers avis ; (2) la structurationprogressive de la problématique, une phase plustechnique, qui vise à fournir les éléments

nécessaires à l’AMD: les stratégies et les critères ;(3) la formulation des recommandations, dernièrephase participative, avec discussions sur l’impor-tance relative donnée aux différents critères. Àl’aide de la procédure d’agrégation multicritèresont identifiées les stratégies qui sont préférablespour une majorité de groupes d’intérêts sans êtretrop défavorables pour aucun d’entre eux. Lesrésultats de l’analyse multicritère, après étude etdiscussion, servent de base pour les recom-mandations aux décideurs.

Le principal avantage de l’AMDP et des DMPest de proposer une formalisation concrète de laparticipation suffisamment souple et flexible pours’adapter à diverses configurations. Elles per-mettent de structurer un processus participatif enamont et si une place plus ou moins limitée maisstratégique est confiée à l’expertise, celle-cin’intervient pas en premier lieu, mais seulementà partir du moment où les préoccupations desacteurs ont été exprimées.

Toutefois, plusieurs limites peuvent être énon-cées17: des situations de blocage sont susceptiblesd’être induites par de fortes divergences entre lesobjectifs du décideur et les préoccupations desacteurs ou lorsque le décideur ne fournit pas lesressources nécessaires au bon fonctionnement dela participation des acteurs,ou lorsqu’il ne recourtpas, dès l’émergence de conflits, à un facilitateurayant une expertise pour aider à trouver dessolutions de compromis. Ensuite, il peut s’avérerdifficile de disposer d’experts indépendants dudécideur, donc de proposer des actions ou desstratégies alternatives à une action/stratégieprédéterminée.Par ailleurs, la réalisation de ce typed’études est très longue et très coûteuse.Enfin,plusle projet considéré est général et vaste, plusl’élaboration d’actions/stratégies risque d’êtreeffectuée essentiellement par les experts, avec uneabstraction et une déconnexion des préoccupa-tions des acteurs. En posant les «garde-fous»nécessaires, toute AMDP,ou toute DPM,présenteun intérêt indéniable pour aider la prise dedécision en environnement.

14. Rousseau,A., Martel, J.M., La décision participative : unedémarche pour gérer efficacement les conflits environnemen-taux, document de travail 96-24, Centre de recherchesur l’aide à l’évaluation et à la décision dans lesorganisations, Faculté des sciences de l’administrationde l’Université Laval, 1996.

15. À titre illustratif, plusieurs catégories d’acteurs peuventêtre distinguées : (1) le promoteur du projet ou encorele décideur, le commanditaire (personne ou organi-sation ayant pris l’initiative de lancer la démarche,détenant l’autorité, chargée de mettre en œuvre lesmoyens nécessaires à la réalisation de la décision,acceptant ou rejetant les résultats) ; (2) les parties inté-ressées correspondant aux personnes, groupes depersonnes ou organisations, impliqués dans la situation,autrement dit qui peuvent être affectés par les consé-quences de l’action du ou des promoteurs-décideurs,ou qui peuvent affecter ou influencer le processusdécisionnel ; (3) le comité de concertation représentantun échantillon représentatif des parties intéressées quiinforme et consulte les parties intéressées tout au longdu processus ; (4) le facilitateur, ou encore l’hommed’étude, nommé par le promoteur-décideur. Il animele comité de concertation, gère l’ensemble de ladémarche, met en place l’analyse multicritère et faitappel aux experts si nécessaire ; (5) les experts quiassistent le comité de concertation.

16. Froger et Oberti, op. cit., distinguent dix phases dis-tinctes, illustrent les divers allers et retours possiblesentre ces phases et montrent quel est le degré departicipation requis dans chacune d’elles.

17. Joliveau,T., Molines, N., Caquard, S., Méthodes et outilsde gestion de l’information pour les démarches territorialesparticipatives, rapport réalisé dans le cadre du 15e appeld’offres Jacques-Cartier, 2000.

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52 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE Nos 66-67

Annexe 1 – Tableau de performances

Critères Profitabilité Emploi Soutenabilité Séquestration Biodiversité(unité monétaire, (jours/hab./an) agronomique de carbone (nombre d’espèces

US$/hab.) (note) (tonnes/hab.) de plantes parparcelle ou avis)

Actions

Mise en défens 0 0 1 306 120 (ou avis (forêt naturelle) stipulant un

impact positif)

Monoculture 1653 108 0,5 54 25 (ou avis stipulant (palmiers à huile) un impact négatif)

Agroforesterie 506 111 0,6 89 90 (ou un avis (avec hévéas) stipulant un impact

modéré)

Source : Consortium ASB, Policybriefs, février 2003 (adapté).

Annexe 2 – Tableau de performances « normalisé » avec notations/intervalles

Critères Profitabilité Emploi Soutenabilité Séquestration Biodiversitéagronomique de carbone

Actions

Importance relative des critères 3 1 3 3 1

Échelles [1-5] (1 : pire; [1-4] (1 : pire; [1-5] (1 : pire; [1-5] (1 : pire; [1-3] (1 : pire; de mesure 5: meilleur) 4: meilleur) 5: meilleur) 5: meilleur) 3: meilleur)

Mise en défens(forêt naturelle) 1 1 5 5 3

Monoculture(palmiers à huile) 5 2 3 3 1

Agroforesterie(avec hévéas) 3 3 2 4 2

Annexe 3 – Établissement de la matrice de concordance

Calcul d’un indice de concordance c qui mesure le degré (compris entre 0 et 1) selon lequel le surclassement estvérifié («degré de vraisemblance» avec lequel une action a en ligne surclasse une action b en colonne). On a:,

où Pj correspond à l’importance relative des critères et j aux critères. De plus, wj = 0 si la performanced’une action a sur un critère j est moins bonne que celle d’une action b sur ce même critère et wj = 1

si la performance d’une action a sur un critère j est au moins aussi bonne que celle de l’action b sur ce mêmecritère.

Mise en défens Monoculture Agroforesterie

Mise en défens – 7/11 = 0,64 7/11 = 0,64

Monoculture 4/11 = 0,36 – 6/11 = 0,55

Agroforesterie 4/11 = 0,36 5/11 = 0,45 –

c = ∑jwjPj

∑Pj

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53Économie de l’environnement et des ressources naturelles

Les démarches d’aide multicritère à la décision en économie de l’environnement

LES APPROCHES ET LES OUTILS

Annexe 5 – Synthèse des indices de concordance et de discordance

Indice de concordance Indice de discordance

Mise en défens/Monoculture 0,64 1

Mise en défens/Agroforesterie 0,64 0,5

Monoculture/Mise en défens 0,36 0,5

Monoculture/Agroforesterie 0,55 0,25

Agroforesterie/Mise en défens 0,36 0,75

Agroforesterie/Monoculture 0,45 0,5

Avec les hypothèses suivantes, pour que le surclassement de deux actions soit vérifié (c ≥ 0,5 et d ≤ 0,5), onpeut conclure que la mise en défens surclasse l’agroforesterie (avec hévéas), et que la monoculture (avecpalmiers à huile) surclasse l’agroforesterie (avec hévéas). La mise en défens et la monoculture sont desactions/stratégies incomparables entre elles.

Annexe 4 – Établissement de la matrice de discordance

Calcul d’un indice de discordance d (comparaison d’une action a en ligne avec une action b en colonne) quicorrespond, là où le surclassement n’est pas vérifié, au rapport de la différence maximale entre lesperformances sur la différence maximale entre les extrêmes des échelles utilisées.

Mise en défens Monoculture Agroforesterie

Mise en défens – 4/4 = 1 2/4 = 0,5

Monoculture 2/4 = 0,5 – 1/4 = 0,25

Agroforesterie 3/4 = 0,75 2/4 = 0,5 –

Age

nce

Fran

coph

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Page 54: Économie environnement ressources naturelles

Bernard BEAUDIN

Président-directeur général de laFondation de la faune du Québecdepuis 1996, Bernard BEAUDIN estbachelier en sciences agronomi-ques de l’Université Laval. Entre1986 et 1996, M. Beaudin a occupédivers postes de direction dans lesdomaines de la négociation, de lacommunication et des affaires pu-bliques, au Secrétariat des affairesautochtones, au ministère del’Énergie et des Ressources et auministère des Ressources naturellesdu Québec. M. Beaudin est depuislongtemps engagé bénévolementpour la faune et l’environnement;il fut président de la Fédérationquébécoise pour le saumon atlan-tique et membre de plusieurs asso-ciations dont le «ManagementBoard of Atlantic Salmon Federa-tion (Canada and USA)». Il reçut,entre autres distinctions, la mé-daille vermeille de la pisciculture duministère de l’Environnement deFrance en 1994 et le prix de la Con-servation de la faune du gouverne-ment du Québec, en 1995.

SSttrraattééggiieess ddee ffiinnaanncceemmeenntt ppoouurr llaa pprréésseerrvvaattiioonn ddee llaa ffaauunnee eett rreettoommbbééeess ééccoonnoommiiqquueess

@[email protected]

54 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE Nos 66-67

Sur ses 1700000 km2 de territoire, le Québec compte plus d’un millionde lacs, 130000 cours d’eau dont 5000 rivières, le fleuve Saint-Laurentlong de 1200 km, une faune des plus diversifiées et 140000 km2 deterritoires légalement structurés pour une utilisation faunique. Ensomme, la nature et la faune constituent au Québec une importantecomposante patrimoniale et un vecteur de développement socio-économique qui se traduit annuellement en milliards de dollars.

Le ministère des Ressources naturelles et de la Faune du Québecreconnaît que 3400000 adeptes québécois pratiquent des activitésliées à la faune et à la nature dans les différentes régions du Québec.La mise en valeur de la nature et de la faune génère annuellement1,4 milliard de dollars1 en valeur ajoutée, grâce aux dépenses réaliséespar les adeptes de pêche, de chasse, de plein air et d’activités liées àla faune sans prélèvement. De plus, ces activités permettent chaqueannée la création et le maintien de 31000 emplois.

Le secteur faunique participe donc activement à l’économie du Québec,grâce aux clientèles nationales et internationales qui pratiquent nonseulement des activités traditionnelles de prélèvement fauniqueadaptées au milieu naturel – la chasse, la pêche ou le piégeage – maisaussi qui recherchent le Québec comme lieu privilégié pour l’éco-tourisme, l’aventure ou des expéditions d’observation faunique.

Depuis plusieurs années, des études menées par le gouvernementdu Québec permettent de constater que les menaces les plussérieuses envers la faune concernent davantage leurs milieux devie que les espèces elles-mêmes. C’est pourquoi les habitatsfauniques sont devenus au Québec un des éléments importantsdu Plan d’action québécois sur la diversité biologique qui, dansune optique de développement durable, vise le maintien de ladiversité des espèces, de ressources génétiques sauvages etd’habitats fauniques protégés.

1. En dollars canadiens.

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55Économie de l’environnement et des ressources naturelles

Stratégies de financement pour la préservation de la faune et retombées économiques

LES APPROCHES ET LES OUTILS

La Fondation de la faune du Québec voit le jour

C’est en constatant la perte d’impor-tantes superficies d’habitats humides,la dégradation de la qualité d’habitats

aquatiques et terrestres et afin de préserver,mettreen valeur et promouvoir les ressources fauniquesque le gouvernement créa, en 1984, la Fondationde la faune du Québec.

Constituée en vertu de la Loi sur la conservationet la mise en valeur de la faune, la Fondationobtint le statut qu’elle conserve toujours depersonne morale à but non lucratif, mandatairedu gouvernement et relevant du ministre desRessources naturelles et de la Faune.

La Fondation conserve aussi la mission qui l’a vuenaître: promouvoir la conservation et la mise envaleur de la faune et de son habitat.Quatre princi-paux pouvoirs lui sont conférés pour réaliser sonmandat:

– solliciter et recevoir des dons, des legs, dessubventions et autres contributions;

– acquérir, louer ou aliéner des biens ou desdroits réels sur des biens et y effectuer destravaux de conservation;

– fournir de l’aide financière ou technique afin deconserver ou de mettre en valeur la faune et sonhabitat;

– conclure des ententes dans le cadre des fonc-tions citées antérieurement.

Du financement public au financement privé

Au cours des années, quelques jalons ont con-firmé le statut et les spécificités actuelles de laFondation en matière de sources et de politiquesde financement.Ainsi, en 1987, la Fondation étaitofficiellement reconnue comme organisme decharité enregistré, obtenant ainsi le droit dedélivrer des reçus pour usage fiscal.

En 1988, sous l’égide du principe de l’utilisateurpayeur, la Fondation obtient du gouvernementquébécois la garantie d’un financement stable etrécurrent provenant des contributions versées partous les pêcheurs sportifs, les chasseurs et les trap-peurs du Québec, lors de l’achat de leur permis.Encore aujourd’hui, la Fondation reçoit entre 1,60$et 3,25$,soit environ 10% du prix de chaque permis.

Pour compléter ce financement et pour que lesutilisateurs de la faune soient solidement appuyés pard’autres donateurs dans leur effort de conservationdes habitats fauniques, la Fondation créa, dès 1988,ses premiers mécanismes de collecte de fonds. Ils’agissait du timbre de conservation des habitatsfauniques,destiné au grand public et aux philatélistes,ainsi que de la carte de crédit «affinité» – la cartenature VISA Desjardins – gérée en partenariat avecla plus importante caisse d’épargne au Québec.

En 2000, une restructuration interne donne lieuà la mise au point d’une stratégie de financementprivé qui se traduira, au cours des années suivantes, par l’établissement de partenariatsd’affaires, d’ententes pour redevances commer-ciales et d’autres techniques de collectes de fondsà l’intention des individus, des PME,des grandesentreprises, de fondations privées et d’autresorganismes publics. La Fondation évolue défini-tivement du modèle de financement public à desstratégies concertées de financement privé.

La Fondation en 2005: un modèle de partenariatmultiparti

La Fondation intervient sur l’ensemble du terri-toire québécois et de ses milieux naturels –terrestres, humides et aquatiques – touchantl’ensemble des espèces fauniques.Elle œuvre danstrois secteurs d’activité qui traduisent son rôle etsa spécificité en matière de modèles de finan-cement: aide technique et financière, acquisitiond’habitats fauniques et collecte de fonds.

Les stratégies de développement de la Fondationciblent donc des clientèles variées, regroupéessous quatre types. Au chapitre de son finan-cement, la Fondation s’adresse aux utilisateurs dela faune – chasseurs, pêcheurs et trappeurs –, àdes partenaires d’affaires et à des commanditairesainsi qu’aux souscripteurs et aux donateursprivés. Concernant ses interventions fauniques,elle dessert des organismes privés ou publics,promoteurs de projets de conservation ou demise en valeur. Ce dernier groupe rallie plusprécisément les gestionnaires de territoires fau-niques – zecs2, pourvoiries3 et autres –, des

2. Zones d’exploitation contrôlée.3. Établissements gouvernementaux qui offrent aux

chasseurs et aux pêcheurs des installations et desservices pour pratiquer la chasse et la pêche sportives.

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56 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE Nos 66-67

associations de chasse et de pêche,des organismesde conservation, des propriétaires d’habitatsfauniques, des municipalités, des institutionsd’enseignement et de recherche.

La Fondation est administrée par un conseild’administration formé de 13 membres nomméspar le gouvernement.Ce dernier inclut des repré-sentants des secteurs de la faune, de la forêt, de lagrande industrie et du monde des affaires, et prôneune gestion axée sur les résultats.À ce titre, le Plantriennal d’activités 2004-2007 oriente le dévelop-pement de la Fondation de façon intégrée vers uneaugmentation d’actions concrètes sur le terrain, depair avec l’accroissement et la diversification desrevenus de financement.

En 2004, la Fondation enregistrait un revenuannuel de 6,25 millions de dollars provenant à48% des contributions des utilisateurs – permisde chasse, de pêche et de piégeage.Au chapitredes dépenses, les charges totales de la Fondations’élevaient à 5,9 millions de dollars, dont 82%étaient investis directement dans le soutien deprojets fauniques et à peine 8% étaient consacrésaux coûts d’administration de sa structure.

Dans le cadre d’une gestion intégrée de sesobjectifs d’interventions terrain et de collecte defonds, la Fondation lançait en janvier 2005 sonnouveau Plan d’intervention pour la biodiversité descours d’eau en milieu agricole, s’assurant la partici-pation financière du ministère des Ressourcesnaturelles et de la Faune, du ministère de l’Agri-culture, des Pêcheries et de l’Alimentation, del’Union des producteurs agricoles du Québec etde partenaires d’affaires. Une fois de plus, laFondation concrétisait le modèle de partenariatmultiparti qui caractérise l’ensemble de ses actions.

FAIRE ENSEMBLE pour la faune

Toutes les actions de la Fondation sont portéespar un mot d’ordre, «Faire ensemble» ; la Fonda-tion ne réalise pas elle-même de projets terrainet cette façon de faire la distingue. En fait, ellesoutient les initiatives de plus de 1000 organismesdu milieu, agit en partenariat avec ceux-ci, oudéveloppe à leur intention des partenariats definancement.

Le leitmotiv «Faire ensemble» sous-tend donctoutes les relations que la Fondation tisse avec ses

clientèles. Il oriente aussi les stratégies de finan-cement et de partenariat associées à chacun destrois axes qui soutiennent toujours la raison d’êtrede la Fondation, en matière de financement:

– partenariat avec l’État québécois par un finan-cement public;

– partenariat d’affaires comme source de finan-cement privé privilégiée;

– partenariat en appui aux stratégies de finan-cement des organismes du milieu de la fauneau Québec.

Ensemble avec l’État québécois

En 17 ans, par l’achat de leur permis, lespêcheurs, les chasseurs et les trappeurs québécoisont versé 38,7 millions de dollars à la Fondationpour conserver la biodiversité.

En contrepartie, selon quatre valeurs fondamentalesmises de l’avant dans son Plan triennal d’activités, laFondation développe une intervention qui assureun soutien direct aux politiques du gouvernement.Ainsi, par ses projets de protection et de mise envaleur des habitats fauniques, d’acquisition deconnaissances,de formation et de sensibilisation, laFondation appuie la stratégie québécoise sur labiodiversité. Par la formation croissante de parte-nariats de financement privé, elle allège le rôle del’État.Par le développement de projets en régions,elle stimule l’entrepreneurship de groupes locauxdans le domaine de la faune. Enfin, par la créationd’emplois découlant des interventions qu’ellefinance, la Fondation produit un effet structurantqui engendre des retombées économiques perma-nentes pour les milieux locaux.

Ensemble avec les gens d’affaires

Les enjeux concernant la sauvegarde de la biodi-versité au Québec sont majeurs, tant pour laFondation que pour les entreprises qui exploitentles richesses naturelles.

Par son rayonnement dans tout le Québec, sonvaste réseau de promoteurs et son savoir-faire, laFondation peut répondre adéquatement aubesoin qu’ont les entreprises de rentabiliser leursinvestissements dans le développement durabledes ressources fauniques du Québec. L’esprit departenariat qui anime la Fondation depuis 17 anscontribue donc fortement à convaincre lesentreprises de s’engager avec elle sur cette voie.

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57Économie de l’environnement et des ressources naturelles

Stratégies de financement pour la préservation de la faune et retombées économiques

LES APPROCHES ET LES OUTILS

La part des entreprises dans le financement privéet la collecte de fonds a enregistré une pro-gression annuelle moyenne de 46% de 2001 à2005. La Fondation compte actuellement à sonactif une cinquantaine de partenaires d’affaires,chefs de file de l’économie québécoise dans lessecteurs bancaire, forestier, minier, agricole, del’hydro-électricité et de la grande distribution.Des ententes multiannuelles avec ses partenaireslui offrent la stabilité nécessaire à une actionplanifiée, permettant l’offre de programmesstructurés d’aide financière.

C’est ainsi que 65% des contributions des entre-prises sont versées dans le cadre du Fonds pourles espèces nordiques et du Fonds pour labiodiversité et les habitats, créés respectivementen 2002 et en 2004. Ces fonds de financementrépondent non seulement aux besoins d’investis-sement des entreprises,mais aussi aux préoccupa-tions du gouvernement et de la société:

– ils créent un réseau d’intervenants préoccupéspar les écosystèmes nordiques, incluant lasauvegarde de la biodiversité et le dévelop-pement durable de la forêt boréale du Québec;

Projet de biodiversité de cours d’eau en milieu agricole, rang du Bas-de-l’île à Sainte-Monique. Photo: Jacques Dorion

Projet de création d’une réserveaquatique sur la rivière Moisie.

Photo :Alain Parent

Projet d’aménagement d’une passemigratoire pour l’Omble chevalierde la rivière Nepihjee.Photo : Miroslav Chum

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58 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE Nos 66-67

– ils offrent une table d’échange et de concer-tation entre industriels, organismes de conser-vation, nations autochtones;

– ils permettent aux entreprises présentes dansles écosystèmes naturels de s’associer à larecherche de solutions pouvant mener à unesaine cohabitation avec les utilisateurs de cesécosystèmes;

– ils constituent un incubateur de stratégiesd’aménagement intégré des ressources fores-tières;

– ils proposent une vitrine aux entreprisesrespectueuses de la biodiversité, augmentantainsi la sensibilisation de tous les membres deleur industrie;

– ils constituent un engagement concret pour lesentreprises soucieuses de protéger leurs mar-chés et de rassurer leurs clientèles sur la qualitéde leur bilan social et environnemental.

À l’heure actuelle, aucun organisme non gouver-nemental, aucun organisme de conservation,aucune fondation ne se préoccupe des écosys-tèmes du Nord du Québec ni de l’ensemble desespèces menacées au Québec. Grâce à ses fonds,la Fondation agit efficacement dans ces domaineshautement stratégiques pour le Québec, édifiantune pyramide de partenariats public-privé.Aprèstrois ans d’existence, les contributions et lesengagements financiers des partenaires dans cesdeux fonds totalisent environ deux millions dedollars.

Outre les investissements des entreprises, laFondation recueille 23% de ses revenus auprèsde donateurs privés qui participent annuellementaux activités-bénéfice de la Fondation ou sous-crivent aux différentes formes de dons – don enargent, don testamentaire, don de biens immo-biliers, de valeurs immobilières, d’assurance vie,etc. – disponibles à la Fondation. L’achat decertains produits offerts sur le marché auxconsommateurs québécois génère également leretour de redevances au profit de la Fondation.

Le Caribou forestier, une priorité du Fonds pour les espèces nordiques et l’industrie forestière du Québec. Œuvrede la Fondation de la faune du Québec

Projet pour l’inventaire de l’Ours blanc au sud de la baied’Hudson.

Projet traitant de l’impact de la foresterie sur l’habitat de l’Orignal sur leterritoire cri de Waswanipi. Photo : Martin Savard

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59Économie de l’environnement et des ressources naturelles

Stratégies de financement pour la préservation de la faune et retombées économiques

LES APPROCHES ET LES OUTILS

Ensemble avec les organismes du milieu de la faune

La Fondation estime qu’il est impératif d’aider lemonde de la faune à augmenter sa performance parrapport aux autres secteurs philanthropiques; actuel-lement, le «don faunique» représente moins de 1%de tous les dons effectués au Québec et au Canada.

La Fondation est donc la seule organisation qué-bécoise à soutenir directement le développementd’un réseau de collecte de fonds pour la faune.Aider les organismes fauniques à développer leursolidité financière fait aussi partie de sa stratégied’affaires.

Ainsi, la Fondation consacre annuellement envi-ron 100000$ au soutien direct d’activités definancement d’organismes fauniques. En mai2005, les profits générés par un souper-bénéficetenu à Montréal seront entièrement versés auRéseau des milieux naturels protégés, quiregroupe 30 organismes de conservation. Ceciconstitue une première dans le domaine de laconservation au Québec.

Une performance enviable

Depuis sa création, la Fondation présente unbilan enviable de réalisations et de retombées,tant en matière de financement public, de col-lecte de fonds que de partenariats fauniques.

Le soutien financier de la Fondation a un effetde levier majeur pour les investissements enprojets fauniques. Chaque dollar versé en sub-vention entraîne un investissement global de 4$en interventions terrain. Plus précisément,3,2 M$ de revenu net des collectes de fonds etdes partenariats d’affaires ont permis en 2004l’injection de 13,8 M$ pour la protection ou lamise en valeur des habitats fauniques.

Compte tenu de son champ d’activité, les véri-tables résultats de la Fondation se traduisent àlong terme par l’accroissement direct des res-sources fauniques et de leur utilisation, rendupossible par les divers programmes d’interventionet de financement.Toutefois, force est de cons-tater que la portée des activités engendrées parla Fondation s’étend au-delà de la conservation

de ressources, comme l’indiquent quelquesréalisations du bilan global de notre organisme:

– 4060 projets et plus de 1000 partenairesfauniques soutenus depuis 1987;

– 54000 jeunes initiés à la pêche depuis 1997dans le cadre d’un programme annuel derelève;

– réalisation de projets de démonstration, d’ate-liers, de guides techniques et de publicationsqui assurent le transfert de connaissances et lamobilisation d’organismes locaux en matièrede protection et d’aménagement d’habitats ;

– création de près de 500 emplois pour desjeunes et des personnes économiquementdémunies, dans le cadre du programmeEmplois-nature-jeunesse.

Un modèle reconnu

Bien que ses interventions soient circonscrites auterritoire du Québec, la Fondation a étéreconnue à deux reprises hors des frontières dela province pour la valeur de son œuvre deprotection et de mise en valeur de la faune et deses habitats, ainsi que pour la qualité de ses actionsdans le domaine de la gestion philanthropique.

En 2000, le ministère des Pêches et des Océans duCanada octroyait à la Fondation le «Prix de lapêche récréative au Canada», en reconnaissancede sa contribution exceptionnelle à la conserva-tion et à la promotion de la pêche auprès desjeunes.

En 2002, le partenariat établi entre la Fondationet l’entreprise forestière Kruger pour le déve-loppement du Fonds pour les espèces nordiquesétait reconnu par le Centre canadien de laphilanthropie comme un des dix meilleurs parte-nariats entre un organisme de bienfaisance et uneentreprise privée.

Des reconnaissances publiques qui ont mis envaleur, à l’échelle du pays, les stratégies definancement de la Fondation pour la préservationde la faune.

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Guillaume LESCUYER

Guillaume LESCUYER est écono-miste au département forestierdu Centre de Coopération Inter-nationale en Recherche Agrono-mique pour le Développement(CIRAD). Après avoir réalisé sondoctorat sur l’application destechniques d’évaluation écono-mique aux ressources de la forêttropicale et avoir travaillé pen-dant trois ans pour l’Universitéde Wageningen (Pays-Bas) surl’évaluation environnementale,il est actuellement spécialisé surla mise en œuvre des politiquesforestières dans les pays du Sud.

La diversité biologique produit directement ou indirectement ungrand nombre d’avantages pour les sociétés humaines. C’estl’objet de l’évaluation économique que d’identifier puis d’estimermonétairement ces différents bénéfices. Mais si cette démarcheest aujourd’hui bien décrite d’un point de vue théorique, elle peutse révéler délicate et complexe dans sa mise en œuvre.

La biodiversité, une ressource (économique) qui s’amenuise

La «diversité biologique», ou biodiversité, est une notion apparue à la findes années 1980 pour désigner la variété et la variabilité rencontrées chezles organismes vivants et les écosystèmes dans lesquels ils résident (Wilson,

1988). Elle définit le nombre et la fréquence des éléments qui composent lemonde du vivant. Ces éléments s’organisent selon trois niveaux: les individus,les espèces et les écosystèmes. À chaque niveau correspondent les concepts dediversité génétique ou intraspécifique, la diversité spécifique ou interspécifique,et la diversité écologique ou des écosystèmes. Or, quel que soit le niveauconsidéré, la dégradation de la diversité biologique est préoccupante depuisquelques décennies (Lévêque, 1994). Si l’extinction d’espèces est un phénomènenaturel, il est facile de constater que le taux d’extinction actuel est très supérieurau taux naturel. Par exemple, pour les quelque 13000 espèces d’oiseaux et demammifères, les taux d’extinction sont probablement de cent à mille foissupérieurs à ce qu’ils devraient être sans intervention humaine (Reid et Miller,1989). La cause première de la détérioration de la diversité biologique n’est pasl’exploitation,mais la destruction, la dégradation et la fragmentation de l’habitatqui résultent de l’expansion de la population humaine et de ses activités. Cettetendance est appelée à se poursuivre, avec l’ouverture d’au moins 120 millionsd’hectares de terres agricoles dans les pays du Sud d’ici à 2030, principalementen Amérique du Sud et en Afrique subsaharienne (Jenkins, 2003).

Depuis une vingtaine d’années, la gestion de la biodiversité, en tant que bienpublic mondial et comme élément souvent essentiel des conditions de vie enzone tropicale, est devenue l’objet de nombreuses réflexions de la part de lacommunauté internationale. Plusieurs événements majeurs, allant du Sommetde la Terre à Rio de Janeiro en 1992 qui a entériné la Convention sur la DiversitéBiologique (CDB), à la conférence internationale «Biodiversité, Science,Gouvernance» tenue à Paris en janvier 2005, ont consacré ce thème comme un

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61Économie de l’environnement et des ressources naturelles

La valeur économique de la biodiversité:fondements, méthodes et usages

BIODIVERSITÉ ET RESSOURCES RENOUVELABLES

volet central de la mise en œuvre du dévelop-pement durable à l’échelle planétaire.

Relevant a priori des sciences de la nature, labiodiversité est également un objet d’étude pourles sciences sociales. L’économie de l’environne-ment, notamment, appréhende la biodiversité dedeux manières concomitantes. D’une part, labiodiversité constitue une ressource naturelle au sensoù elle est un élément de l’environnement quifournit des biens et services utiles à l’homme,quipeut être exploité et qui est dépendant demécanismes naturels pour son abondance et sadistribution (van den Bergh, 1996). Mais cetteressource naturelle, du fait de son statut de biencollectif et de sa fréquente gratuité, n’est paspleinement prise en compte dans les comporte-ments des acteurs économiques: on parlera alorsd’effet externe lié à l’utilisation de la biodiversitélorsque les actions d’un agent – consommation ouproduction – ont une répercussion sur les fonc-tions d’autres agents, sans que cet effet soit l’objetd’une transaction sur un marché.La disparition decertaines espèces va par exemple engendrer unedégradation de certaines fonctions écologiques,c’est-à-dire générer un effet externe négatif pourcertaines populations humaines sans que celles-cisoient compensées monétairement pour la dégra-dation de leur milieu.Or, la présence de ces effetsexternes, «en distordant le système d’incitations qu’estle système de prix, est une source d’inefficacité dansl’allocation des ressources naturelles et des autres facteursde production, et dans la répartition des biens produits»(Godard, 1992, p. 2). L’objet de l’économie del’environnement est d’internaliser ces effetsexternes afin de viser un fonctionnement optimal

du marché allocataire des ressources (y comprisnaturelles). Cette internalisation passe par l’éva-luation économique de la biodiversité afin de luidonner une valeur qui puisse être connue desacteurs économiques, de modifier leurs compor-tements et, le cas échéant, de donner lieu à descompensations lorsque le milieu naturel estmodifié.

De la valeur (de la biodiversité)

Les économistes de l’environnement considèrentgénéralement la détérioration de la biodiversitécomme la conséquence d’un système de marchéincomplet : sur la base des principes de l’écono-mie du bien-être, un ensemble de concepts etd’instruments a donc été élaboré depuis quelquesdécennies pour intégrer la biodiversité dans lasphère de régulation marchande. La procédurestandard est de calculer sa valeur économique totale,c’est-à-dire d’estimer économiquement l’en-semble des avantages tirés par les communautéshumaines de la biodiversité.

La demande d’un agent économique pour unélément de la biodiversité peut être motivée dedeux manières: il existe, d’une part, une demanded’usage, présent ou futur, direct ou indirect, pourun bien environnemental. D’autre part, leconsommateur peut ressentir une utilité person-nelle à ce qu’un bien soit préservé en tant quetel, sans qu’aucune intention d’usage ne soitexprimée; il est courant, dans ce cas, de parler dedemande de non-usage. Au total, l’utilité d’unbien dépend de la valeur d’usage et de la valeurde non-usage que l’individu lui accorde. Entermes économiques, cette utilité ressentie parl’usage ou le non-usage d’un bien non marchandprend le nom de «valeur économique » totale.Celle-ci correspond à la variation du bien-êtrequi serait subie par les agents économiques si cebien disparaissait (Munasinghe, 1992) 1.

1. Outre cette valeur économique totale des ressourcesbiologiques, certains économistes reconnaissent à labiodiversité une valeur « primaire » ou « infrastruc-turelle », car elle constitue un élément nécessaire à laproduction et au maintien de processus écologiquesvitaux pour l’homme, sans lesquels il n’y a aucunefourniture de biens et services (Aylward, 1991; Nuneset van den Bergh, 2001). On considère alors que lavaleur économique de la biodiversité correspond à la

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Panorama des techniquesd’évaluation économique

Un élément de la diversité biologique fournitdonc de multiples biens et services qu’il convientd’estimer pour connaître sa contribution au bien-être humain. L’évaluation de ces différents béné-fices économiques va se faire selon trois moda-lités, en fonction de la disponibilité de ce biensur un marché concurrentiel :

– Dans le cas idéal, le bien environnemental estproposé sur un marché de concurrence pureet parfaite : on considère alors que le prix quis’exprime sur ce marché correspond à savaleur économique. C’est par exemple le casdes bois tropicaux qui sont vendus sur lemarché international.

– Il est plus fréquent qu’un actif naturel soitdisponible sur un marché qui n’obéit paspleinement aux règles de la concurrence.Dansce cas, le prix de marché est une donnée finan-cière et il n’est pas égal à la valeur économiquedu bien. Il convient de procéder à un certainnombre de rectifications du prix de marchépour obtenir la valeur correcte (shadowprice)du bien environnemental (Garrabé, 1994). Lavaleur économique du bien environnementaldérive alors d’un prix corrigé de marché.

– Enfin, pour la majorité des actifs naturels, iln’existe aucun prix de marché spécifique quipermette de fonder l’estimation de leur valeuréconomique. Il devient nécessaire de recourirà une ou à plusieurs techniques d’évaluationéconomique de l’environnement.

Ces méthodes d’évaluation économique del’environnement relèvent globalement de deuxcatégories (OCDE, 2002 ; Faucheux et Noël,1995) :

1) L’évaluation directe d’un actif naturel signifieque sa valeur est estimée à partir des préfé-rences des agents qui s’expriment sous laforme d’une courbe de demande sur lemarché. Ces méthodes reposent donc surl’observation des comportements des agentssur des marchés réels ou hypothétiques.

2) L’évaluation indirecte n’a pas pour objectif dereconstruire la courbe de demande du bien,mais cherche à donner une valeur monétaire àune conséquence physique (positive ou néga-tive) de l’évolution de l’environnement enrecourant à des estimations existantes, souventmacroéconomiques. Ces évaluations n’expri-ment donc pas les préférences des agentséconomiques et ne sont pas en mesure defournir la valeur économique théoriquementexacte de l’actif naturel.

Ces deux grandes catégories se divisent égale-ment en sous-groupes, qui sont présentés dans letableau 1 et succinctement décrits ensuite.

Figure 1 – Décomposition de la valeur économique totale

VALEUR ÉCONOMIQUE TOTALE

Valeur d’usage Valeur de non-usage

Valeur d’usage Valeur d’usage Valeur Valeur de legs Valeur d’existencedirect indirect d’option

Valeur des biens Valeur des biens Valeur d’usage Valeur exprimant la Valeur attachée au ou services ayant ou services ayant (direct et indirect) volonté de transmettre fait de savoir qu’un une utilité directe une utilité indirecte ou de non-usage aux descendants bien existe

futurs des valeurs d’usageet de non-usage

Ressources Fonctions Ressources Patrimoine,… Espèces prélevées,… écologiques,… génétiques,… emblématiques,…

valeur économique de chacun de ses composants,qu’on agrège pour obtenir la valeur économique totale,à laquelle s’ajoute cette «valeur primaire» qui demeuretoutefois extrêmement difficilement à quantifier entermes monétaires.

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La valeur économique de la biodiversité:fondements, méthodes et usages

BIODIVERSITÉ ET RESSOURCES RENOUVELABLES

• L’évaluation économique par les préférencesrévélées : lorsque les préférences des individussont exprimées à partir de données constatéessur le marché, on parle de préférences révélées.On distingue cependant les informationsdisponibles sur un marché réel de celles sur unmarché-substitut :

• Les préférences pour un bien environne-mental sont révélées sur un marché réellorsque le prix d’un bien marchand dépendde manière directe de l’état du milieunaturel.Trois techniques permettent alorsd’estimer la valeur de ces bénéfices :

– Changement de productivité : l’évaluation éco-nomique de l’environnement peut êtreréalisée par l’impact qu’il a sur la productionde biens et services marchands.La variationattendue de la quantité produite d’un bienmarchand à cause de la dégradation dumilieu naturel permet de donner une valeurmonétaire minimale à l’actif naturel quandil est conservé.Cette technique d’évaluationest fréquemment utilisée en milieu rural depays en développement, notamment pourévaluer monétairement les effets d’un chan-gement de l’utilisation des sols.Bojö (1991)utilise,par exemple,cette technique d’évalu-ation pour apprécier l’utilité sociale d’unprogramme Farm Improvement with SoilConservation au Lesotho. La valeur écolo-gique du milieu naturel préservé est estiméeà partir de la dégradation attendue de lafertilité des sols sans ce projet (baisse de1%/an), de la baisse consécutive de laproductivité agricole (diminution annuellede 7 kg de maïs et de 8 kg de sorgho parhectare), et de la tendance probable des prixde ces deux produits dans le futur (+ 2%/anpour le maïs, – 2%/an pour le sorgho). Cesdonnées de marché permettent alors defournir une estimation minimale de la valeurde la fonction écologique.

– Dépenses de protection : l’évaluation écono-mique des actifs naturels peut se faire parl’estimation des dépenses réelles de protec-tion que sont prêts à engager les acteurséconomiques pour prévenir la dégradationde l’environnement. À partir des dépensesréelles des ménages, il est possible de tracerune courbe de demande pour la protectioncontre ces nuisances, mettant en relation laquantité de protection demandée et le prixde cette protection.

– Biens substituables : si l’on admet que deuxbiens d’usage équivalents ont des valeursd’échange comparables, alors la valeuréconomique d’un actif naturel non mar-chand utilisé pour un usage déterminé peutêtre estimée à partir du prix des biensmarchands qui fournissent le même service.On utilisera par exemple le prix des médi-caments «modernes » pour donner unevaleur économique à des éléments de lapharmacopée traditionnelle qui obtiennentle même résultat curatif.

• Les préférences sont révélées sur unmarché-substitut lorsque le prix d’un bienmarchand est influencé par la présence d’unbien ou d’un service environnemental nonmarchand mais sans qu’une relation directepuisse être établie. Il est alors envisageablede décomposer le prix de ces biens mar-chands pour connaître la valeur implicitedes actifs environnementaux qui y sontincorporés. Sur le marché immobilier, parexemple, le prix des maisons dépendpartiellement de la qualité du milieu qui lesenvironne (méthode des prix hédonistes).Dela même manière, les dépenses en temps eten argent que consentent des individuspour effectuer une visite à un parc nationalou à une source d’eau potable peuvent per-mettre d’apprécier la valeur économique

Tableau 1 – Les méthodes d’évaluation monétaire de l’environnement

Évaluation directe Évaluation indirecte

Préférences révélées Préférences exprimées Pas de préférence

sur marché réel sur marché-substitut sur marché fictif

– changement de productivité – prix hédonistes – évaluations contingentes – méthode dose-effet– dépenses de protection – coûts de transport – coûts de remplacement– biens substituables

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qu’ils accordent à cet actif naturel (méthodedes coûts de transport).

• L’évaluation économique par les préférencesexprimées par un consommateur sur lemarché fictif d’un bien environnemental.Cette technique d’évaluation contingente suittrois étapes :

– Une phase de préparation de l’enquêtevisant à construire un marché fictif danslequel l’individu pourra donner uneréponse aussi réaliste que possible : lesenquêtés doivent pouvoir calquer leursréponses au scénario hypothétique sur leurscomportements en marchés réels.

– Une phase d’entretien individuel qui, parle biais d’un questionnaire, incite lesindividus à révéler correctement leurspréférences pour le bien proposé sur lemarché hypothétique. Pour cela, il estnécessaire de proposer aux enquêtés unindicateur des préférences (consentementà recevoir ou consentement à payer) et unmode de paiement qui soient réalistes etcohérents avec le scénario hypothétique.

– Une phase de traitement des données quipermet d’estimer, à partir des consente-ments exprimés, la courbe de demandepour le bien environnemental. Le calcul duconsentement moyen nécessite un traite-ment statistique qui vise à écarter lesréponses anormales ou à distinguer les«vraies » des « fausses » réponses nulles. Unsecond intérêt de l’analyse statistique desréponses est de vérifier que le consentementexprimé pour l’actif naturel est en accordavec les variables socioéconomiques desenquêtés.

• L’évaluation indirecte (pas de préférence) :

– La méthode dose-effet évalue monétairementla variation de la qualité/quantité de l’envi-ronnement en observant les conséquencesphysiques que ce changement entraîne. Ladémarche est identique à celle de la mé-thode d’évaluation par le changement deproductivité si ce n’est que, dans ce cas, ladégradation de l’environnement ne modifiepas directement la fonction de production

des ménages : elle a un impact physiqueglobal qui est évalué en recourant à desdonnées monétaires déconnectées del’expression des préférences individuelles.Cette méthode d’évaluation indirecte pré-sente deux avantages. D’une part, elle estrelativement simple à mettre en œuvrepuisque, si les données monétaires sontdisponibles, elle ne repose que sur unequantification correcte de la relation dose-effet.D’autre part, elle est particulièrementadaptée quand on pense que la populationn’est pas consciente des effets qu’entraînela dégradation de l’environnement.

– Coûts de remplacement : il est égalementpossible d’estimer la valeur d’un actif naturelà partir du coût qu’il faudrait supporter pourremplacer ses fonctions productives par ducapital artificiel.Contrairement à l’évaluationde l’environnement par estimation des dé-penses réelles de protection, cette méthoded’évaluation de bénéfice environnementalvise à estimer la dépense potentielle qu’ilfaudrait accepter pour contrer la dégradationde l’environnement.

Les difficultés pratiques de l’évaluation économique de la biodiversité

L’application de ces différentes méthodesd’évaluation à la biodiversité permet, en théorie,de calculer sa valeur économique totale, c’est-à-dire sa contribution au bien-être humain.Toutefois, cette démarche exhaustive rencontrede nombreux obstacles dans la réalité, ce quiexplique le faible nombre d’études cherchant àestimer la valeur économique totale d’un éco-système ou de tout autre élément de la biodi-versité2. Si le concept de valeur économiquetotale apparaît donc théoriquement valide, enréalité, il n’offre qu’une information partielle etsouvent subjective des bénéfices à attendre del’usage de la biodiversité.

2. Par exemple, en ce qui concerne la forêt tropicale, quifait pourtant l’objet d’un grand nombre d’évaluationséconomiques, il n’existe qu’une seule étude, d’ailleursfort controversée, qui propose une expression moné-taire de la valeur économique totale de cet actif naturel(Costanza et al., 1997).

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La valeur économique de la biodiversité:fondements, méthodes et usages

BIODIVERSITÉ ET RESSOURCES RENOUVELABLES

Quatre motifs sont généralement invoqués pourexpliquer la difficulté de cet exercice:

– La valeur économique totale d’un écosystèmene peut être estimée de manière directe quepar recours à la méthode d’évaluation contin-gente; or, cette technique est difficile à mettreen œuvre dans des contextes faiblementmonétarisés (Lescuyer, 1998).

– La quantification monétaire des actifs naturelsreste délicate en raison des connaissancespartielles que nous avons du fonctionnementdes écosystèmes.

– Il est très fréquent de constater que les hypo-thèses d’estimation des valeurs économiquessont volontairement minorées (« conservative») :devant l’incertitude de la procédure d’évalua-tion, l’analyste opte généralement pour uneestimation basse des bénéfices tirés de l’envi-ronnement. Ce choix révèle la marge demanœuvre dont dispose l’évaluateur pourproduire son estimation.

– La littérature montre que, en pratique, l’esti-mation de la valeur économique totale est lerésultat non pas de l’agrégation de tous lesbénéfices tirés de cet écosystème, mais seule-ment de certaines valeurs qui ont pu êtrequantifiées monétairement (Lampietti etDixon, 1995;Nunes et van den Bergh, 2001).

La notion de valeur économique totale cor-respond alors à la somme de quelques valeurséconomiques sélectionnées subjectivement parl’évaluateur et non à la totalité des valeurs quila constituent.

Ces difficultés pratiques ne doivent pourtant pasdélégitimer le recours à l’évaluation économiquede la biodiversité. Si l’estimation de la valeuréconomique totale constitue effectivement unobjectif idéal, l’évaluation monétaire de certainsavantages tirés de la biodiversité constitue sou-vent une information importante pour lesusagers ou les gestionnaires de ces ressources.Mais si la biodiversité se caractérise par unevaleur économique plus ou moins importante,elle est également porteuse d’autres valeurs quivont également influencer la prise de décision.

Une ou des valeur(s) de la biodiversité?

Très schématiquement, les discussions et lalittérature actuelles développent principalementsix perceptions de la valeur de la biodiversité.Nous avons vu que la biodiversité était dotéed’une valeur économique en raison de soninfluence sur le bien-être humain mais d’autresexpressions de la valeur de la biodiversité sontégalement données (Randall, 1991). Elles sontrécapitulées dans la figure 2.

Figure 2 – Les valeurs de la biodiversité

BIODIVERSITÉ

Valeur économique car influence le bien-être humain

Valeur intrinsèque car présence sur la planète

Valeur juridique car objets de droits (modernes et coutumiers)

Valeur sociale/culturelle car patrimoine collectif

Valeur écologique car résilience et stabilité de l’écosystème

Valeur de conservation car endémicité et patrimonialité

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Une valeur intrinsèque

Pour un certain nombre de personnes, lesressources naturelles et la biodiversité ont unevaleur intrinsèque par le simple fait qu’ellesexistent sur Terre, indépendamment de leur rôledirect ou indirect sur le bien-être humain. Cettevaleur traduit une responsabilité morale depréserver la nature qui appartient à tous etentérine notamment un changement d’attitudedans les sociétés occidentales par rapport à lanature. Inspirée du courant de la «deep ecology»dans les années 1970-1980, cette opinion repré-sente toujours de 10 à 15% des réponses obte-nues lors des évaluations contingentes réaliséesaux États-Unis à propos de la nature.

Une valeur écologique

Pour les écologues et les biologistes, la biodi-versité doit être valorisée car elle contribue à lastabilité et à la résilience des écosystèmes (Chapinet al., 2000). Or, ceux-ci assurent quatre grandesfonctions environnementales nécessaires à la viesur Terre: (1) fonction de régulation; (2) fonctionde support; (3) fonction de production; (4) fonc-tion d’information.

Une valeur sociale et culturelle

Toutes les sociétés ont développé des relationsparticulières et caractéristiques avec le milieunaturel ; les savoirs et les pratiques d’un groupesocial sont indissociables de leur support matériel(Godelier, 1984).Ainsi, le patrimoine symboliqueet historique de la plupart des sociétés humainescomprend presque toujours des éléments de labiodiversité, allant du chêne des blasons euro-péens aux animaux tabous des lignages africains.La détérioration de la biodiversité va donc avoirun impact sur le tissu social qui peut se révélerdécisif quand, comme dans de nombreusescroyances africaines, des liens de causalité sontsupposés entre les processus concernant la santédes hommes et la productivité de l’environ-nement naturel (Fairhead et Leach, 1994).

Une valeur de conservation

Depuis le milieu des années 1990, principale-ment pour pouvoir arbitrer entre des sites àprotéger, les gestionnaires de la biodiversité ont

proposé la notion de «valeur de conservation»(Lawton et al., 1998). Elle se situe en fait entre lavaleur écologique et la valeur sociale, et combineplusieurs critères: (1) diversité spécifique; (2) rare-té ; (3) endémisme; (4) naturalité ; (5) expositionaux menaces ; (6) degré de «patrimonialisation».

Une valeur juridique

Enfin, depuis la mise en œuvre de la CDB, labiodiversité est dotée d’une valeur juridique, oùil convient de distinguer droits sur les ressourceset droits sur les savoirs. À l’heure actuelle, laquestion des droits de propriété se focalise moinssur les ressources biologiques (qui appartiennentaux États) que sur les savoirs, les savoir-faire et lestechniques qui permettent leur préservation ouleur utilisation durable. Toute la question estaujourd’hui de pouvoir conserver et valoriser lessavoirs des sociétés humaines qui ont généré ouentretenu cette biodiversité ; en ce sens, la biodi-versité appartient à un patrimoine local, quiimplique la reconnaissance juridique de ce lienpatrimonial et la mise en place de règles d’accèsadaptées, dans le cadre global des Accords sur lesDroits de Propriété Intellectuelle liés au Com-merce (Roussel, 2003).

Vers une gestion durable de la biodiversité: les approches actuelles

La reconnaissance des différentes valeurs que l’onpeut octroyer à la biodiversité ne suffit évidem-ment pas à mettre en place sa gestion durable.Elle indique plutôt la pluralité des représentationset des intérêts qui existent quand on cherche àétablir l’utilisation pérenne ou la conservation dela biodiversité. En fonction des différents acteursimpliqués et des valeurs qu’ils reconnaissent à labiodiversité, l’étape suivante consiste à élaborerdes mécanismes réels visant à prendre explicite-ment en compte la biodiversité dans les compor-tements humains afin de tendre vers sa gestiondurable.Trois principaux modes de gestion in situde la biodiversité ont ainsi été développés :

– La mise en place par l’État régalien de mesuresde protection de la nature. Ces interventionsprennent des formes variées, plus ou moinsdirectives. Il s’agit tout d’abord d’augmenter le

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La valeur économique de la biodiversité:fondements, méthodes et usages

BIODIVERSITÉ ET RESSOURCES RENOUVELABLES

nombre et l’étendue des aires protégées dansun but de préservation intégrale d’écosystèmesmajeurs.Toutefois, si le nombre d’aires proté-gées a remarquablement augmenté dans lespays tropicaux depuis 20 ans, nombre d’entreelles restent des coquilles vides. Une solutionalternative est de promouvoir les projetsintégrés de conservation et de développement,dont les résultats sont également mitigés,notamment en termes de retombées pour lespopulations résidentes (Weber, 1996). Enfin,l’État peut également instituer des incitationsindirectes par lesquelles la protection de labiodiversité constitue le bénéfice secondaired’une autre activité, comme l’aménagementforestier durable. Ce type de mesures faittoutefois l’objet de critiques de la part desmilieux conservationnistes qui les jugentfinancièrement insuffisantes et écologiquementpeu satisfaisantes (Ferraro et Kiss, 2002).

– L’élaboration au niveau local d’arrangementsinstitutionnels permettant la prise en chargeau moins indirecte de la biodiversité. La miseen place de dispositifs de propriété communede ressources constitue aujourd’hui une desvoies avérées de gestion durable de la nature(Ostrom et al., 1999). Pourtant, ce type desolution ne peut être extrapolé sans difficultéà des biens globaux, tels que la diversité biolo-gique, notamment, car on voit mal commentinciter des acteurs locaux à convenir ensemblede l’utilisation d’une ressource dont ils tirentpeu de bénéfices (Dietz et al., 2003).

– La valorisation marchande des différentséléments de la biodiversité afin que ceux-cisoient mieux pris en compte dans les stratégiesindividuelles et institutionnelles. L’objectif decette approche est de modifier le comporte-ment des acteurs en donnant un prix à labiodiversité, alors que cette ressource estgénéralement considérée comme un biengratuit et, de ce fait, exploitée de manièreirrationnelle (Swanson, 1992; OCDE, 2002).Une telle valorisation de la biodiversitéimplique la mise en œuvre de mécanismes demarché permettant de rémunérer les «fournis-seurs » de biodiversité (Pagiola et al., 2002).Selon le mécanisme classique d’offre et dedemande sur un marché, les interactionsmarchandes entre producteurs et consom-mateurs de biodiversité tendent en théorie àen assurer une gestion efficiente.

Sur le terrain, ces grandes approches pour laconservation de la biodiversité sont souventcombinées de manière empirique, sans que lesperceptions et les attentes des acteurs soientappréhendées de manière claire et systématique.Chercher au préalable à définir puis à qualifierles valeurs associées à la biodiversité permettraittrès probablement d’améliorer l’efficacité et ladurabilité des modes actuels de gestion de labiodiversité.

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Page 69: Économie environnement ressources naturelles

69Économie de l’environnement et des ressources naturelles

Fano ANDRIAMAHEFAZAFY

Économiste, doctorant, chercheurau Centre d’Économie et d’Éthiquepour l’Environnement et le Déve-loppement – Madagascar (C3EDM),Université d’Antananarivo et àl’UMR C3ED IRD-UVSQ no 063,Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (France). Sesrecherches concernent l’applica-tion de l’économie de la proximitéà l’analyse de la relation entrebailleurs de fonds et groupementspaysans, l’évaluation des actifsetprojets environnementaux, etl’analyse des politiques publiquesenvironnementales.

Les décisions causant une surexploitation d’une ressource natu-relle donnée sont généralement liées aux perspectives de profitsdans l’immédiat. Cette situation est la conséquence, entre autres,de la non-connaissance par les acteurs concernés (populationlocale, collecteurs, exploitants forestiers, exportateurs, entreprisesd’extraction d’huiles essentielles…) des différentes valeurs oubénéfices résultant d’un arbitrage entre une exploitation immé-diate et totale et un mode d’exploitation durable.

En prenant le cas d’une ressource naturelle particulière, cet articleprésente une démarche méthodologique de détermination de lavaleur à partir des profits perçus et identifie les conditions incitantà la pratique d’une exploitation durable sur la base de décisionséconomiques. À partir des caractéristiques biologiques du Cedre-lopsis greveï Baillon (Katrafay), la production exploitable de cetteressource est estimée en quantité puis exprimée en termesmonétaires. La comparaison des résultats économiques des deuxsystèmes d’exploitation est faite sur la base du concept de ValeurActualisée Nette.

Le calcul des profits comme méthode d’évaluationd’un actif environnemental

Cette méthode calcule la valeur de la ressource à partir de la somme desprofits gagnés par l’ensemble des acteurs directs (population locale,exploitants forestiers, exportateurs, industries d’extraction d’huiles

essentielles, etc.) qui exploitent une ressource donnée.

Même si la méthode d’évaluation des actifs environnementaux présentée n’estpas toujours explicitée dans les manuels d’économie de l’environnement, elle al’avantage d’utiliser directement les profits perçus par les acteurs concernés comme

ÉÉvvaalluuaattiioonn ddee ll’’eennvviirroonnnneemmeenntt ppaarr llaa mméétthhooddee ddeess pprrooffiittss11

@[email protected]@yahoo.fr

1. Cet article est tiré d’une étude de cas réalisée dans le cadre d’un programme de recherche enéconomie de l’environnement de l’Université d’Antananarivo et de l’Office national del’environnement de Madagascar. L’étude est également disponible sous forme de document detravail du Centre d’économie et d’éthique pour l’environnement et le développement –Madagascar (C3EDM).

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70 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE Nos 66-67

mesure de la valeur de la ressource. L’utilisationdes profits, et donc de la valeur d’usage observéesur le marché, permet de rapprocher l’arbitrageentre les deux modes d’exploitation de la réalitédes acteurs concernés. En effet, disposer d’infor-mations sur les valeurs des ressources d’environne-ment ou sur les avantages ou coûts liés à leurexploitation facilitera la mise en œuvre d’unprocessus collectif de prise de conscience et dedécision, pour les acteurs concernés, en matièrede gestion durable d’une ressource naturelle(Cohen de Lara et Dron, 1997) 2.

En prenant le cas de l’exploitation du bois deCedrelopsis greveï Baillon3, la méthode d’évaluationpeut se schématiser comme suit :

Valeur de 1 m3 de bois de Cedrelopsis greveï B. = Profit total = P 1 + P 2 + P 3

avec P 1 = R 1 – C 1 [Profit issu de la phase d’exploitation]

P 2 = R 2 – C 2 [Profit issu de la phase de commercialisation]

P 3 = R 3 – C 3 [Profit issu de la phase de transformation]

P: profit/m3 ; R: prix de vente/m3 ; C: coût de revient/m3

2. Cohen de Lara, M., Dron, D., Évaluation économique etenvironnement dans les décisions publiques, Rapport auMinistre de l’Environnement, La Documentationfrançaise, Paris, 1997.

3. Arbre ou arbuste du sud et de l’ouest du pays ayant unegrande importance traditionnelle, Cedrelopsis greveï B.est endémique de Madagascar. C’est une plante àmultiusages. Son écorce fébrifuge est reconnue en tantque reconstituant et dynamisant. Son huile essentielleprésente des vertus contre les douleurs, plus préci-sément les rhumatismes. Ses effets dynamisants fontqu’il est reconnu comme un très bon aphrodisiaque.Donnant des bois de qualité, il est utilisé en ébénisterie,menuiserie fine et plaquages décoratifs (parquet deluxe, etc.).

Écorçage partiel du Cedrelopsis greveï Baillon (Katrafay)

4. Les données proviennent principalement des obser-vations effectuées à Morondava (région ouest deMadagascar) et à Antananarivo.

5. On posait alors des questions du type : si x USD est leprix de vente d’une unité, que représente votre profit(en pourcentage ou en somme) par rapport à celui-ci ?

Les informations4 servant pour le calcul desprofits sont issues des données observées sur lesdifférents marchés et de résultats d’entretiens avecles acteurs concernés par l’exploitation du boiset de l’écorce du Cedrelopsis greveï B. : exploitantsforestiers, responsables des services forestiers,commerçants, responsables dans les entreprises detransformation de bois ou de fabrication demédicaments à base de plantes locales, expor-tateurs, etc.

La principale difficulté réside dans le calcul descoûts de revient servant au calcul des profits. Eneffet pour avoir des informations précises sur cetélément, il faut disposer d’une ventilation desdifférents éléments de coûts constituant le prixde revient. Celle-ci provient généralement desdonnées de la comptabilité analytique tenue parl’acteur concerné.Or, ces informations de comp-tabilité existent rarement chez les personnes quiparticipent à l’enquête. Quand la personneinterrogée ne disposait pas de détails sur les coûts,on était obligé de recourir à une estimation dutaux de profit par rapport au prix de vente5.

Exemple de calcul de profit pour une phase

Pour un exploitant forestier (cas de 1 m3 de bois équarri)

Prix de vente = 61,53 USD/m3

Coût = 50 USD/m3

19,22 USD/m3 prix d’achat aux bûcherons

15,38 USD/m3 frais de transport jusqu’au dépôt

7,7 USD/m3 redevances

7,7 USD/m3 charges diverses

Profit (P1) = 11,53 USD/m3

Nous avons ramené tous les prix observés sur labase de 1 m3 pour le bois et de 1 kg pourl’écorce. Par exemple, pour les produits dérivés(meubles, huile essentielle, pommade…), il a fallueffectuer des conversions (avec informationsbibliographiques ou fournies par les enquêtés)pour avoir d’abord la quantité correspondante enm3 (ou en kg) et ensuite le prix pour 1 m3 (ouen kg).

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71Économie de l’environnement et des ressources naturelles

Évaluation de l’environnement par la méthode des profits

BIODIVERSITÉ ET RESSOURCES RENOUVELABLES

Établissement des profitstotaux dégagés selon les modes de valorisation

Les modes de valorisationexistants…

Nous avons pu mettre en évidence sept modesde valorisation (trois pour le bois et quatre pourl’écorce).

Exemple de calcul de profit pour l’exploitation du bois

Étapes Quantification en forêt Exploitation Commercialisation Transformation et exportation

Produits sortis Arbres mesurés sur pied Bois équarri Bois brut Bois travaillés (parquet)(madriers – traverses)

Rendement technique 30% 100% 25%

Évolution des quantités(base: 1 m3) 1 m3 0,3 m3 0,3 m3 0,075 m3

Profits issus de 1 m3

d’arbre sur pied 3,46 USD 2,30 USD 38,77 USD

Résultat : 1 m3 d’arbre mesuré sur pied procure un profit total de 44,53 USD

Exemple de calcul de profit pour l’exploitation de l’écorce

Étapes Quantification en forêt Récolte Extraction Transformation et vente locale

Produits sortis Écorce verte Écorce sèche Huiles essentielles Baumemesurée sur pied Huile de massage

Rendement technique 20% 1,4% 100%

Évolution des quantités(base: 1 kg) 1 kg 0,2 kg 0,0028 kg 0,0028 kg

Profits pour 1 kgd’écorce verte sur pied 0,04 USD 0,03 USD 0,15 USD

Résultat : 1 kg d’écorce verte mesurée sur pied procure un profit total de 0,22 USD

Pour le bois

Étape 1 Étape 2 Étape 3 Étape 4 Modes de valorisation

Arbre sur pied Exploitation Commercialisation Exportation bois brut VB1

Transformation et vente sur place (meuble,…) VB2

Transformation et exportation (parquet) VB3

Pour l’écorce

Étape 1 Étape 2 Étape 3 Étape 4 Modes de valorisation

Écorce verte Récolte Extraction d’huile Exportation VE1essentielle

Fabrication de produits médicinaux et vente sur place VE2

Vente d’écorce sur le marché VE3

Fabrication de produits médicinaux et vente sur place VE4

Les profits totaux issus de chaquemode de valorisation

On peut lire par exemple que 1 m3 d’arbre surpied procure un profit total de 44,53 USD si onconsidère le mode de valorisation VB2.

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72 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE Nos 66-67

connaissance du contenu de chaque méthoded’exploitation.

La comparaison des profitscomme aide à la décision dans le choix d’une méthoded’exploitation

En élaborant des scénarios, la comparaison desprofits issus de chaque méthode d’exploitation faitappel à la règle de la valeur actualisée nette (VAN).Celle-ci permet d’effectuer des arbitrages concer-nant les gains ou pertes entre une somme perçuemaintenant et un flux de sommes perçu surplusieurs années, contournant ainsi le problèmed’homogénéité dans la comparaison. En effet, lestermes de calcul ne sont pas libellés dans des unitésmonétaires identiques, puisque 1 USD d’aujour-d’hui n’a pas la même valeur que 1 USD perçudans un, deux ou dix ans (Mourgues, 1994)6.

Plus généralement, la valeur actuelle d’un revenuà percevoir à l’échéance de t années est égale aumontant du flux que multiplie un coefficientd’actualisation égal à (1 + r) – t ; ce coefficient estdéterminé par le montant du taux d’actualisation(r). La valeur actuelle d’un ensemble de fluxmonétaires futurs est égale à la somme des valeursactuelles de l’ensemble des flux (Mourgues,1994).

√ La somme perçue maintenant correspond auprofit total issu de l’exploitation non durable:

Pi = profit perçu en une fois

√ Le flux de sommes à travers une période estreprésenté par les profits périodiques issus del’exploitation durable :

Profit actualisé = ∑ [Pt (1 + r) – t] avec t= 1,2,…, n

avec Pt : profit pour l’année tr : taux d’actualisation

Modes de valorisation Somme des profits tirés par l’ensemble des acteurs concernés

Pour 1 m3 d’arbre sur pied

VB1 41,07 USD

VB2 44,53 USD

VB3 14,30 USD

Pour 1 kg d’écorce verte sur pied

VE1 0,16 USD

VE2 0,22 USD

VE3 0,05 USD

VE4 0,20 USD

Choix du mode de valorisation du bois et de l’écorce dégageantun profit optimal

Le calcul de ces profits incorpore les rendementsphysiques dans chaque étape de chacun desmodes de valorisation. Il révèle que pour le boisd’œuvre, la transformation et l’exportation debois travaillé comme le parquet (VB2) per-mettent de dégager plus de profits par rapportaux autres modes de valorisation.Un mètre cubed’arbre mesuré sur pied peut procurer alors unprofit de 44,53 USD.

Pour l’écorce, l’extraction d’huile essentielle etsa transformation en médicaments ou en para-médicaments comme l’huile de massage et lebaume (VE2), dégagent le plus de profits et fontque 1 kg d’écorce verte mesurée sur pied procureun profit de 0,22 USD.

Instrument d’analyse pour la comparaison desméthodes d’exploitation

Les méthodes d’exploitation

L’arbitrage entre une exploitation immédiate ettotale et une exploitation durable passe par la

Du point de vue économique Du point de vue écologique

Exploitation immédiate et totale Percevoir une somme (profit) maintenant Abattre l’ensemble des arbres et récupérer(non durable) la totalité des écorces

Exploitation durable Percevoir un flux de sommes – Abattage de quelques arbres et récupération(profits) sur une période donnée des écorces

– Écorçage partiel et périodique pour le reste

6. Mourgues N., « Le choix des investissements dansl’entreprise », Economica, 1994.

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73Économie de l’environnement et des ressources naturelles

Évaluation de l’environnement par la méthode des profits

BIODIVERSITÉ ET RESSOURCES RENOUVELABLES

√ On définit le profit actualisé net (PAN)comme suit :

PAN = – Pi + ∑ [Pt (1 + r) – t] avec t = 1,2,…,n

Il s’interprète de la manière suivante:

avons effectué des tests de sensibilité selon lavariation du taux d’actualisation.

Les quantificationscorrespondantes auxméthodes d’exploitation

La quantification tient compte des contraintesécologiques comme le taux de croissance del’arbre et la durée de cicatrisation.

L’écorçage durable

Le poids moyen d’écorce prélevable est la quan-tité qu’on peut tirer sur un arbre sans le mettre endanger. Il faut alors tenir compte d’un temps decicatrisation donné avant de l’écorcer à nouveau.Une méthode d’écorçage rationnel consiste àune anhélation partielle pratiquée sur une partiede la face de l’arbre (environ la moitié de la face,soit le quart de la bande d’écorce totale). Il fautveiller à ne pas «brûler» ses racines: en écorçantà une distance relativement élevée de sa base (à30 cm) et jusqu’à la moitié seulement du fût res-tant. Le premier écorçage pourrait être pratiquésur un arbre de diamètre supérieur à 15 cm cor-respondant en général à la première floraison.

Profit actualisé net positif Gain en adoptant une méthode d’exploitation durable ou

Perte en adoptant une méthode d’exploitation non durable

Profit actualisé net négatif Perte en adoptant une méthode d’exploitation durable ou

Gain en adoptant une méthode d’exploitation non durable

Le choix du taux d’actualisation

Le choix du taux d’actualisation pose toujours unproblème en matière d’environnement car, d’unpoint de vue strictement financier, on doit géné-ralement prendre un taux d’actualisation relative-ment élevé, alors qu’une tendance «conserva-tionniste» pense que même un taux d’actualisationplus faible est acceptable, étant donné qu’uneaugmentation du taux diminue la valeur présentedes sommes futures. Dans un souci de clarté del’analyse,nous avons adopté un taux d’actualisationdonné (accompagné par les hypothèses qui lejustifient) qui sert à comparer les profits,puis nous

Encadré 1: Le taux d’actualisation

Le choix du taux d’actualisation à utiliser dans le calcul de la VAN s’appuie sur deux règles (Barde, 1992, p. 75-77) 7 :

• En premier lieu, la règle de la VAN repose sur une idée du réinvestissement des flux de revenus associés auprojet ; la règle de la VAN conduit à calculer une valeur du projet non seulement en tenant compte du coûtd’opportunité du capital investi, mais également en supposant que les flux de revenus engendrés par leprojet soient réinvestis au taux du marché. On résume le plus souvent cette implication de la règle en disantque tous les flux négatifs, dans l’échéancier du projet, peuvent être empruntés au taux d’actualisation choisiet que tous les flux positifs peuvent être prêtés, autrement dit réinvestis, à ce même taux. On conçoit le tauxd’actualisation comme l’élément d’arbitrage, pour un acteur d’une des phases de l’exploitation du Cedrelopsisgreveï B., entre le placement du profit (perçu en une fois, issu du scénario non durable) au taux du marchéet le rendement du flux de profits périodique (issu du scénario durable).

• En second lieu, le taux d’actualisation retenu devrait représenter le coût des ressources pour l’entreprise.Puisque ce taux d’actualisation mesure le manque à gagner que l’entreprise supporte du fait d’une perceptiondécalée dans le futur des revenus liés à l’investissement, le coût des ressources qu’elle est contrainte desolliciter dans l’attente de ces revenus en fournit une mesure adéquate.

7. Barde, J.Ph., Économie et politique de l’environnement,Paris, PUF, 1992.

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74 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE Nos 66-67

Cette méthode nous sert de base pour le calculde la quantité probable d’écorce pouvant êtreprélevée sans trop menacer l’avenir de la popula-tion de Cedrelopsis greveï B. et, éventuellement, àdéterminer la durée probable d’exploitationd’écorce du stock naturel. Toutefois, elle neprétend pas être la plus rationnelle, sachant quequelques paramètres restent approximatifs (tempsde cicatrisation, croissance en diamètre, impactsde l’écorçage sur l’avenir de l’arbre, etc.).

Proposition de scénariosd’exploitation

L’accroissement en hauteur du Cedrelopsis greveïB.a été estimé à 12 cm/an, soit 2,4 m en 20 ans(Blaser et al., 1993). Ce qui donne donc unaccroissement moyen en volume de 0,045 ±0,003 m3/an.Le calcul ne considère pas les pertesde bois causées par la mort des arbres à la suitede la coupe rase, c’est-à-dire qu’il supposel’accroissement de la régénération actuelle suivant

les accroissements théoriques supposés.Grossière-ment, le temps de cicatrisation de l’arbre observépar les riverains se situe entre un à cinq ans. Il estévident que ce temps est fonction de la quantitéd’écorce prélevée, du diamètre de l’arbre exploitéet de la méthode d’écorçage.

Le renouvellement de la ressource, dans le casd’une coupe rase (tout abattre), n’est pas assuré.C’est une pratique dangereuse pour la populationde Cedrelopsis greveï B. Par contre, une éclairciepar le haut, c’est-à-dire une coupe de quelquesarbres de diamètre supérieur à 30 cm, favoriseraitl’installation de la régénération future et dégage-rait un certain revenu, ou encore une éclairciepar le bas, c’est-à-dire une coupe de quelquesarbres de diamètre et de qualité inférieurs, quifavoriserait à la fois l’installation de la régé-nération naturelle et le développement de lapopulation restante.

Les quantifications peuvent être schématiséescomme suit, pour un hectare de forêt :

EXPLOITATION NON DURABLE On coupe tout en une seule fois et on ne pourrait recommencer à exploiter qu’après au moins 30 ans. Ce qui n’est d’ailleurs pas sûr, étant donné que la régénération naturelle n’est pas assurée.

On peut obtenir alors : – 7,3 m3 de bois mesuré sur pied

– 1050,4 kg d’écorce verte

EXPLOITATION DURABLE On prend comme temps de cicatrisation, quatre ans. On effectue quelques abattages (conformes à la nécessité d’effectuer des éclaircies) et des écorçages partiels sur le reste (on divise alors par quatre faces la partie prélevable pour l’écorçage de l’arbre, ce qui donne alors une quantité prélevable par an incorporant l’accroissement annuel).

Au temps t = 0: – on pratique un écorçage partiel sur les bois rond et sur 70% des bois de dimension inférieure

– on coupe en une fois et on récupère la totalité des écorces sur 30% des bois de dimension inférieure et l’ensemble des bois de dimension supérieure

Au temps t = +10 ans: on coupe en une fois et on récupère la totalité des écorces sur l’ensemble des bois de dimension supérieure

Au temps t = +20 ans: on coupe en une fois et on récupère la totalité des écorces sur l’ensemble des bois de dimension supérieure

On a alors

t = 0 2,8 m3 de bois + 394,92 kg d’écorce (prélevable en une fois)

72,69 + n 1,05 kg d’écorce par an (n = 0,…,30)

t = 10 1,93 m3 de bois + 293,32 kg d’écorce (prélevable en une fois)

t = 20 2,13 m3 de bois + 357,6 kg d’écorce (prélevable en une fois)

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75Économie de l’environnement et des ressources naturelles

Évaluation de l’environnement par la méthode des profits

BIODIVERSITÉ ET RESSOURCES RENOUVELABLES

Arbitrage entre exploitationdurable et exploitation non durable

Comparaison des profits

Hypothèses :

– On pratique exclusivement les deux modesoptimaux d’exploitation respectivement pourle bois d’œuvre et l’écorce (VB2 et VE2).

– Taux d’actualisation (coût d’opportunité ducapital) = 10% (conforme au taux d’intérêtpratiqué par les institutions financières pré-sentes dans la région).

– Les profits sont indexés de 7% par an comptetenu de l’estimation de l’inflation annuelle.

– Pour la gestion durable, on prend un horizontemporel de 29 ans.

Tests de sensibilité

Nous voulons analyser l’évolution des profitsactualisés nets selon la variation du taux d’actuali-sation et de l’estimation de l’inflation annuelle quiva indexer les profits (assimilés comme des revenusvariables). Le TRI (taux interne de rentabilité –qui représente le taux d’actualisation annulant laVAN) – nous sert de repère pour situer lebasculement du profit actualisé net du positif versle négatif (ce passage signifie que nous passonsd’une situation où une exploitation durable estrentable à une autre où elle ne l’est plus).

Pour 1 ha de forêt

√ Exploitation non durable → Profit = 564,40 USD

√ Exploitation durable → Profit actualisé = 738,15 USD

Gain en appliquant une exploitation durable

Profit net actualisé (PAN) = + 173,75 USD

Perte en appliquant une exploitation non durable

Évolution des profits actualisés nets (PAN) selon la variation du taux d’actualisation

PAN avec un taux d’actualisation de 5% PAN avec un taux de 10% PAN avec un taux de 15% TRI

Profits constants à travers les années (inflation annuelle estimée à 0%) 62,75 USD – 106,54 USD 7 %

Indexation des profits avec une inflation annuelleestimée à 7% 750,15 USD 173,74 USD – 55,08 USD 13 %

Évolution du PAN selon le taux d’actualisation

-4005 7 10 13

Configuration 1

Configuration 2

15

Prof

it n

et a

ctua

lisé

(en

USD

)

Taux día ctualisation (en %)

-200

0

200

400

600

800

1000

√ La configuration 1 représente des profits cons-tants à travers les années (avec une inflationannuelle estimée à 0%). Elle est caractériséepar un TRI à 7%.

√ La configuration 2 représente des profitsindexés périodiquement avec une inflationannuelle estimée à 7%.Elle est caractérisée parun TRI à 13%.

Nous constatons qu’un taux d’actualisationfaible, préconisé par certaines tendances enmatière d’environnement, met en évidence toutde suite les avantages d’appliquer une exploi-tation durable de la ressource. Un taux d’actua-lisation plus élevé, plutôt conforme aux critèresfinanciers (pour un exploitant forestier, parexemple), exige que la valeur nominale des

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76 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE Nos 66-67

profits augmente annuellement ou qu’on inter-vienne sur la quantité pour inciter à une exploi-tation durable. Or, jusqu’à maintenant, seull’aménagement (éclaircissement par le haut oupar le bas) permet d’intervenir sur la quantitéétant donné qu’on ne connaît rien sur les possi-bilités d’effectuer des régénérations artificielles.

Éléments de conclusion

Pour encourager une exploitation durable de laressource étudiée, le test de sensibilité a montrél’importance d’une différenciation des prix prati-qués selon les méthodes d’exploitation. Une dessolutions passe par la mise en place d’un label quivalorise les produits issus d’une exploitationdurable. La possibilité de mise en place d’unefiscalité incitative en faveur des acteurs qui vontdans ce sens est souhaitable. Des recherchesspécifiques sont nécessaires également pour

identifier d’éventuelles différences de qualitéentre le bois et l’écorce issus des deux méthodesd’exploitation. Une telle différence de qualitéinfluencera non seulement le rendement maiségalement les prix de vente.

Les données techniques et économiques consti-tuées peuvent servir de base à la déterminationdes autres valeurs non abordées dans cet article.On peut citer, entre autres, la possibilité deconstituer une fourchette de valeurs à proposerdans la construction des questions relatives auconsentement à payer ou à recevoir (cas del’évaluation contingente d’une valeur de non-usage).En outre, ces données peuvent égalementservir de point de départ pour d’éventuellescomparaisons avec les profits obtenus à partir desactivités de reconversion (culture de maïs, parexemple) d’une surface de forêt.

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77Économie de l’environnement et des ressources naturelles

Denis REQUIER-DESJARDINS

Professeur d’Économie à l’Uni-versité de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines et Directeurde l’Unité Mixte de Recherche(IRD/UVSQ) C3ED (Centre d’Éco-nomie et d’Éthique pour l’Envi-ronnement et le Développe-ment).Il travaille notamment sur lesdynamiques locales de dévelop-pement dans les zones ruralesdes pays du Sud (Amériquelatine et Afrique).

La valorisation de la biodiversité s’inscrit dans le fonctionnementde filières de production dont les modes de gouvernance sontvariables. Elle a également une dimension locale qui se manifestepar l’ancrage territorial des ressources concernées. Sa contributioneffective à la préservation de la biodiversité dépend donc desmodalités d’insertion des activités locales de valorisation dans lesfilières globales correspondantes.

La valorisation économique de la biodiversité est aujourd’hui considéréecomme un outil essentiel de la protection de la biodiversité, notammentparce qu’elle peut permettre de créer des revenus pour les populations

locales, directement concernées par l’usage des ressources en biodiversité d’unterritoire de conservation ou même d’un territoire rural dédié aux activitésagricoles. Dans un contexte où on privilégie la gestion concertative et décen-tralisée des ressources ainsi que le transfert de gestion des réserves de biodiversitéaux populations locales, la valorisation semble une incitation puissante pourmotiver les dites populations et elle permet également d’allier à la protectionde la biodiversité celle de la diversité culturelle, notamment lorsqu’il s’agit depopulations « indigènes».

Toutefois, la valorisation économique se définit par la production d’une valeurajoutée par le biais de la transformation et de la commercialisation des ressourcesde la biodiversité. Elle implique donc la participation d’un certain nombred’acteurs qui, compte tenu de la pluralité des formes de coordination des agentsdans une économie de marché, sont amenés à se coordonner, d’une part, sur desmarchés et, d’autre part, au sein d’organisations hiérarchiques ou réticulaires. Lesystème productif ne doit plus simplement être envisagé du point de vue de lanature des biens ou services produits (qui correspond aux découpages ensecteurs ou en branches), mais également du point de vue des formes decoordination prédominantes dans chacun de ses sous-systèmes. La notion de«structure de gouvernance» renvoie à une combinaison spécifique de ces formesde coordination.

Cette coordination se fait d’abord au plan local, dans la mesure où les ressourcesde la biodiversité ont souvent une dimension localisée, donc un ancrageterritorial.Cette dimension est particulièrement prégnante dans le cas des aires

LLaa vvaalloorriissaattiioonn ééccoonnoommiiqquuee ddee llaa bbiiooddiivveerrssiittéé :: aannccrraaggee tteerrrriittoorriiaall eett ggoouuvveerrnnaannccee ddee ffiilliièèrree

@Denis. [email protected]

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78 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE Nos 66-67

protégées ou des réserves de biosphère délimitéesgéographiquement. Mais elle se fait égalementpar le biais de marchés et d’organisations au seinde filières de production, ce concept identifiant àla fois :

– un ensemble de stades de transformation dela ressource jusqu’à la consommation finale ;

– un espace d’interaction pour les acteursmettant en évidence des formes de gouver-nance conditionnant la répartition de la valeurajoutée, et en particulier la part qui revient auxdifférentes catégories d’acteurs locaux.

Ces filières concernent par exemple le tourisme,l’industrie pharmaceutique ou agroalimentaire,le bois… Les conditions de la valorisation écono-mique de la biodiversité au plan local sont doncaffectées par les modes de coordination desacteurs au sein de ces filières.

Si l’on suit Gereffi (1999), ces filières peuvent êtrecaractérisées :

– par leur structure input-output plus ou moinscomplexe;

– par leur couverture géographique qui peutaller du local au global ;

– par leur mode de fonctionnement qui reposesur le cadre institutionnel définissant leurmode de gouvernance.

Le processus de globalisation, marqué par laréorganisation de réseaux productifs autour desgrands groupes multinationaux et le dévelop-pement de la sous-traitance et des délocalisations,a conduit à l’émergence et à la dominance defilières de plus en plus globales où la valorisationprend la forme d’une «chaîne de valeur globale».Les formes locales de gouvernance de ces filièressont fortement articulées à leur forme de gou-vernance globale. Ces rapports de subordinations’expriment notamment par l’existence du«maillon stratégique»,où se localise la part la plusimportante de la création de valeur et qui définitla «structure de gouvernance» de la filière globale.

• Dans les filières «producer’s driven», pilotées parl’amont, telles que l’industrie automobile oul’industrie pharmaceutique, la compétitivitédes produits a une base essentiellement tech-nologique et est construite par un effort de

recherche sur la durée, compte tenu de lapériode qui sépare le début des activités deconception de la mise effective sur le marchédu produit. Ce sont en effet les performancesobjectivables des produits qui sont recherchéespar les consommateurs. L’actif stratégique estla maîtrise de la technologie, qui fixe notam-ment le niveau des barrières à l’entrée dansl’activité, et le contrôle de la filière y est assurépar les firmes qui investissent massivementdans la recherche. Les firmes « globales »dominantes privilégient le contrôle direct desactivités de recherche et de conception,développent la sous-traitance en cascade etl’externalisation des activités en aval de pro-duction et de réplication des produits ainsi queles activités de commercialisation.

• Dans les filières «buyer’s driven », pilotées parl’aval, telles que le textile, l’agroalimentaire oule tourisme, l’actif stratégique est la maîtrisede la perception du produit par le consomma-teur, qui privilégie la variété et les caractéris-tiques symboliques du produit et qui éprouveun besoin fort de réassurance vis-à-vis de cescaractéristiques, dans la mesure où elles ne serésument pas aux caractéristiques matérielles,facilement objectivables, du produit. De cefait, l’innovation se concentre sur la mise enmarché des produits. Les firmes dominantesse concentrent sur le contrôle direct des seg-ments en aval de la filière, notamment ladistribution, le marketing et les services auconsommateur, en ayant recours à l’externa-lisation des segments en amont par le recoursà la sous-traitance sur une base mondiale.

Dans le cas des filières concernées par la valori-sation de la biodiversité, on peut trouver desfilières plutôt du premier type, comme l’industriepharmaceutique, où la recherche et développe-ment est l’actif stratégique essentiel, ce quiimplique que les questions de propriété intellec-tuelle du savoir jouent un rôle déterminant. Onsait cependant que pour une grande part desfilières du second type, comme le tourisme,l’artisanat ou l’agroalimentaire, le contrôle de laperception de la qualité environnementale oupatrimoniale des biens par le consommateurconstitue l’actif stratégique. Cette qualité envi-ronnementale ou patrimoniale va, dans le casnotamment des aires protégées, mais aussi dans

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79Économie de l’environnement et des ressources naturelles

La valorisation économique de la biodiversité:ancrage territorial et gouvernance de filière

BIODIVERSITÉ ET RESSOURCES RENOUVELABLES

le cas de la biodiversité agricole, s’inscrire dansun cadre territorial et définir des actifs spécifiquesavec un «ancrage» territorial.

Cet ancrage territorial repose d’abord sur ladimension territoriale de la biodiversité liée àl’identification des espèces et des écosystèmes ;chaque espèce animale ou végétale peut en effetêtre référée à un habitat, portion d’espace surlequel elle trouve les ressources nécessaires à sasurvie et à sa reproduction, et la notion d’écosys-tème qui se réfère à un système d’espèces eninteraction a elle-même un contenu spatial évi-dent. Le concept de territoire développé par lesgéographes comme un espace «pensé, produit etvécu» par un groupe humain renvoie par analogieà la notion de territoire développé par l’écologie.

Dans une approche socioéconomique, le terri-toire, au contraire de l’espace purement topo-logique, peut être défini comme un supportgéographique, correspondant à une constructionsociale et historique, d’un ensemble d’activitéséconomiques.Ces activités peuvent constituer unsystème dans la mesure où les acteurs sont liés parun ensemble spécifique de relations articulantrelations marchandes et relations non mar-chandes. La littérature abondante sur les diffé-rentes formes de « systèmes productifs locaux »(«districts industriels », «milieux innovateurs »,« clusters ») insiste sur le fait que ces dynamiquess’appuient sur des « actifs spécifiques » territo-rialisés plutôt que sur des «ressources génériques».Un actif spécifique est un actif dédié à un pro-cessus productif particulier, dont le redéploiementne peut se faire qu’à un coût relativement élevé,mais qui peut être aussi potentiellement sourced’un « avantage compétitif » pour le territoire,puisqu’il n’est disponible que localement. Cesactifs spécifiques résultent de l’activation deressources locales, y compris les ressources natu-relles. Cette «activation» fait intervenir le carac-tère spécifique des relations locales de proximitéentre les acteurs impliqués, qui s’exprime dansl’action collective de construction de ces actifs,qu’il s’agisse de l’existence de confiance ou dereprésentations communes qui facilite leurcoordination,de savoir-faire partagés, du contrôlede la qualité spécifique dans la relation avec leconsommateur à travers un label de qualité, etc.

Dans le cas des territoires ruraux, la biodiversitépeut être source d’actifs spécifiques car elle estliée étroitement à des processus productifs,notamment par l’intermédiaire d’un certainnombre de filières de qualité, dans la mesure oùla « typicité » des produits agroalimentaires estgénéralement fondée sur des variétés locales etsur des savoirs concernant leur usage et leurtransformation en produits agroalimentaires : lescahiers des charges des différentes appellationsd’origine précisent généralement les variétésvégétales ou animales éligibles pour l’attributiondu label. Par ailleurs, la caractéristique de qualitéliée à l’origine territoriale peut être partagée parun ensemble de biens et de services produits surces territoires, fortement articulés sur le plan dela production mais aussi sur celui de la consom-mation puisqu’ils ont des attributs communs.Telest le cas d’un ensemble d’aménités rurales etpaysagères, et des activités de tourisme rural quiles valorisent, comme dans le modèle du «panierde biens territorialisés » (Lacroix, Mollard etPecqueur, 1998). L’existence des aménités ruralesrenvoie en effet à des actifs spécifiques « situés»,base de la valorisation, comme en témoigne parexemple la définition proposée par l’OCDE deces aménités : « les attributs, naturels ou façonnéspar l’homme, liés à un territoire et qui ledifférencient d’autres territoires qui en sontdépourvus » (OCDE).

Cette production conjointe de biens privés etpublics ayant une caractéristique commune dequalité concerne également la valorisation de labiodiversité naturelle. La notion de typicité peutêtre étendue aux paysages, anthropisés ou non, età la flore ou à la faune spécifique à des territoirespour lesquels les ressources environnementalesacquièrent une valeur patrimoniale ou un carac-tère d’aménité définissant la qualité des produitset services issus de leur valorisation.Par exemple,la définition d’une aire protégée suppose unereconnaissance de la qualité spécifique de labiodiversité (faune, flore) de la zone et desaménités environnementales qui lui sont liées(paysage…).Parallèlement, cette qualité spécifiques’étend aux biens issus de la valorisation de cettebiodiversité (plantes médicinales, prestations éco-touristiques, voire produits agroalimentairescomme le miel).

Page 80: Économie environnement ressources naturelles

Si la biodiversité est un «bien public global», lesressources locales en biodiversité peuvent êtreconsidérées comme des «biens communs», nonpas en « libre accès», mais appropriés collective-ment par les populations locales (Ostrom, 1998).Cependant, ces ressources de la biodiversité vontêtre exploitées et donner lieu à la production et àla commercialisation de biens ou de servicesprivés (produits de cueillette, prestations écotou-ristiques…). Les activités de valorisation de labiodiversité contribuent donc dans cette optiqueà la production jointe d’un ensemble des biens:des «biens privés » individualisables, rivaux etexclusifs (prestations écotouristiques), des «bienspublics» locaux (infrastructures d’accès), voire des«biens de club» (label, aménités environnemen-tales) et un «bien public global », à savoir laprotection de la biodiversité.Autrement dit, onest en présence d’une activité «multi-fonctionnelle », au sens qui estdonné à ce terme à propos del’agriculture.

Par ailleurs, la valorisation écono-mique de la biodiversité reposesur la mise en place d’une actioncollective locale qui doit assurerle contrôle de ressources commu-nes, notamment par la mise enplace de dispositifs d’exclusion.Ce processus peut modifier lesstructures d’actifs des populationslocales et affecter les conditionsde leur gouvernance de la biodiversité, qui relèveégalement de l’action collective.

Si la valorisation économique locale de la bio-diversité doit s’intégrer dans une dynamique defilière globale, la filière valorisera des caracté-ristiques de qualité renvoyant à l’ancrage terri-torial du produit de manière très différente.Dansle secteur des plantes médicinales, par exemple,la reconnaissance de l’ancrage territorial desressources valorisées par la filière, propriétéscuratives des variétés locales mais aussi propriétéintellectuelle des savoirs locaux ayant permis deles découvrir, n’est pas un actif spécifique valori-sable en aval de la filière vis-à-vis du consom-mateur de santé.Au contraire, les groupes phar-maceutiques souhaitent rentabiliser lesinvestissements lourds en recherche fondamentale

pour identifier le principe actif de ces variétés.En revanche, la reconnaissance à l’échelle interna-tionale d’une propriété intellectuelle collective etancrée territorialement dans d’autres secteurs, parexemple dans le domaine des appellations d’ori-gine,pourrait créer un précédent dont pourraientbénéficier les acteurs locaux investis dans cesfilières. On voit ainsi comment les enjeux glo-baux au sein des filières peuvent influer sur lamaîtrise par les acteurs locaux de leurs actifsspécifiques.

De même, les formes de coordination des acteurslocaux avec les autres acteurs de la filière vontjouer un rôle important. Par exemple, la mise enplace de « signes de qualité » valorisant la bio-diversité des espèces cultivées valorisées parl’agroalimentaire, constitue la création d’une res-source exclusive dont les dispositions des cahiers

des charges peuvent générer desconflits liés notamment àl’émergence de différentes lignesde fracture qui font intervenir lesmodes d’intégration aux filières ;il peut y avoir conflit entre desagriculteurs engagés dans unedémarche de valorisation duproduit par des signes de qualitéreconnus dans des filièreslongues, au prix d’une perte dediversité des variétés protégées, etceux attachés à une démarcheplus conservationniste et n’envi-

sageant la valorisation que sous la forme de ventedirecte dans des circuits courts.

L’écotourisme, qui constitue généralement lepremier type de valorisation envisagé dans lesaires naturelles protégées dans une perspective dedéveloppement local, illustre particulièrementbien les enjeux de l’articulation entre filière etterritoire.

Les activités d’écotourisme ou de tourisme vertdoivent être situées dans la structuration globaled’une filière, le tourisme, dont le taux de crois-sance du chiffre d’affaires est actuellement un desplus élevés au monde (12% par an environ) etqui constitue une «filière globale», associant pourla vente d’une prestation de nombreux acteurs(transport, hôtellerie, restauration, encadrement,artisanat, spectacles, assurances, services divers).

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L’écotourisme, qui constitue

généralement le premier type

de valorisation envisagé

dans les aires naturelles

protégées dans une

perspective de

développement local, illustre

particulièrement bien

les enjeux de l’articulation

entre filière et territoire.

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La valorisation économique de la biodiversité:ancrage territorial et gouvernance de filière

BIODIVERSITÉ ET RESSOURCES RENOUVELABLES

Ces services doivent être en outre situés dans denombreux pays (au moins les pays d’origine etde destination des touristes) et avoir unecouverture géographique mondiale, les plus grosmarchés se situant au Nord mais de nombreusesdestinations étant au Sud. Cette filière est domi-née par les grands groupes de « tour operators »situés en aval de la filière, ce qui la positionnecomme une filière «buyer’s driven» où les activitésde marketing et de promotion des destinationsvis-à-vis de la clientèle constituent le maillonstratégique.

Le passage d’un marché dominé par le «tourismede masse », caractérisé par uneforte standardisation desprestations à un marchétouristique caractérisé par ladiversité et par la montée desformes de tourisme « alternatif »(écotourisme, tourisme culturel,tourisme «vert» ou agrotourisme,tourisme «de découverte », tou-risme sportif, etc.) fait que laqualification spécifique de laprestation touristique, liée à sonancrage territorial, devientessentielle. L’écotourisme qui, enréférence à sa dimension éducative, à une formede tourisme assurant « l’empowerment» des acteurslocaux, ou plus simplement à un tourismerespectueux de l’environnement. Il entre dans lanébuleuse du « tourisme alternatif » censé repré-senter l’économie de la variété dans le tourisme,et apparaît tout spécialement comme une activitébasée sur des «actifs spécifiques» localisés.Cepen-dant, ce sont les secteurs du tourisme de longuedistance qui présentent les taux de croissance lesplus élevés, ce qui renforce encore la tendance àl’intégration des prestations, notamment celles dutransport et du séjour, et éloigne géographi-quement le touriste potentiel de la prestationtouristique, fut-elle écotouristique.

Dans ces conditions, l’impact du développementdes activités écotouristiques sur le système d’acti-vités prédominant dans les zones concernées peut

varier en fonction des conditions d’intégration àla filière. Ainsi, la gestion par les populationslocales des infrastructures écotouristiques, ou lacréation d’emplois réservés à des locaux par desprestataires extérieurs, sont deux options quirenvoient à une articulation différente avec lesacteurs de la filière. Dans le premier cas, lacréation de revenus liée à l’écotourisme peut neconcerner qu’une partie de la population locale.Les exclus peuvent alors compenser en accen-tuant leurs pratiques prédatrices sur l’environne-ment dans les zones adjacentes à la zone proté-gée.Ces externalités négatives peuvent conduire

à privilégier des solutions où lesactivités écotouristiques sontmises en œuvre par des parte-naires extérieurs, liés à la filièreglobale, avec le versement deprestations compensatoires à l’en-semble de la communauté. Maisle risque est une déconnexiontotale de l’activité écotouristiquepar rapport au développementlocal.

Ces quelques remarques souli-gnent la nécessité des diagnosticsportés au cas par cas sur les

opportunités de la valorisation de la biodiversité,en évitant une approche trop générale.

Références

Gereffi, G., A Commodity Chains Frameworkfor Analysing Global Industries,mimeo,DukeUniversity, août 1999, www.ids.ac.uk/ids/global/gereffi.pdf

Ostrom, E., Coping with the tragedy of thecommons,Workshop in Political Theory andPolicy Analysis, CSIPEC, Indiana University,W98-24, novembre 1998.

Pecqueur, B., «Qualité et développement terri-torial : l’hypothèse du panier de biens et deservices territorialisés », Économie rurale,no 261, janvier-février 2001, p 37-53.

La gestion par

les populations locales

des infrastructures

écotouristiques, ou

la création d’emplois

réservés à des locaux par

des prestataires extérieurs,

sont deux options qui

renvoient à une articulation

différente avec les acteurs

de la filière.

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Vahinala RAHARINIRINA

Vahinala RAHARINIRINA est Allo-cataire de Recherche au Centred’Économie et d’Éthique pourl’Environnement et le Dévelop-pement (C3ED), UMR IRD-UVSQno 063, au sein de l’Université deVersailles Saint-Quentin, France.Elle prépare, depuis septembre2003, une thèse d’économie sur«La valorisation économique de labiodiversité par la filière plantesmédicinales et aromatiques: placedes acteurs locaux et impacts surle développement local à Mada-gascar», au sein de l’Université deVersailles Saint-Quentin. En 2004,elle a obtenu le prix de la meil-leure présentation étudiante lorsde la 8e Conférence scientifiquebiennale de la Société interna-tionale pour une économie écolo-gique (ISEE 2004), à Montréal, du11 au 14 juillet 2004, pour unecommunication portant sur «Lavalorisation de la biodiversité autravers des accords de bioprospec-tion».

La Convention sur la diversité biologique (CDB) offre un nouveau cadrede régulation pour la bioprospection, souvent contestée par les pays duSud. Ces derniers considèrent avoir été victimes de pillage biologiqueet de piratage des savoirs traditionnels par les industries pharma-ceutiques. La CDB prône un mécanisme marchand permettant auxdétenteurs de droit de propriété de les échanger librement. Il s’agit decontrats entre les pays fournisseurs de ressources et les industriespharmaceutiques. C’est l’ouverture vers la coopération et la coordi-nation Nord-Sud pour commercialiser les ressources génétiques.

Dans cet article, nous focaliserons notre étude sur l’Afrique, plusprécisément sur Madagascar. Ce dernier est un pays incontestablementriche en biodiversité et doté d’une richesse importante en ressourcesgénétiques. Face à l’intérêt croissant pour les ressources génétiques, ilest intéressant de connaître les différents enjeux liés à la bioprospectionet de voir si les activités de bioprospection permettent d’assurer laconservation de la biodiversité tout en réalisant le partage équitabledes avantages et l’utilisation rationnelle des ressources.

Dans une première partie, nous analyserons les fondements théoriqueset les débats autour des accords de bioprospection. Ensuite, à traversle cas malgache, nous verrons l’impact des activités de bioprospectionsur la durabilité écologique, économique et sociale du pays.

Les enjeux théoriques de la valorisation de la biodiversité par les accords de bioprospectiondans les pays du Sud

Avant l’entrée en vigueur de la CDB, les ressources génétiques, comme labiodiversité elle-même, étaient classées dans la catégorie «patrimoinecommun de l’humanité».Elles étaient donc théoriquement libres d’accès

pour tous, ce qui nous permet de dire qu’à cette époque antérieure à la CDB,onse situait dans le contexte de « tragédie des communaux» décrite par Hardin(1968).Les pays industrialisés, à travers les scientifiques et les industriels,pouvaientprofiter du libre accès pour effectuer sans restriction de la bioprospection (Morin,2003).Avec l’avènement de la CDB, il y a une reconnaissance du rôle des pays

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Les débats autour de la valorisation économique de la biodiversité par les accords de bioprospection en Afrique: le cas de Madagascar

BIODIVERSITÉ ET RESSOURCES RENOUVELABLES

du Sud qui se matérialise, principalement parl’obtention du droit de souveraineté des pays duSud sur leurs ressources génétiques.Une nouvelleforme de régulation est née ; il appartient auxpouvoirs publics des pays du Sud de déterminerl’accès aux ressources et de mettre en place deslégislations qui permettent d’atteindre l’objectiffixé par la CDB.

Dans cette première partie de l’article, nous allonsvoir,d’abord, les fondements théoriques des accordsde bioprospection. Ensuite, nous distinguerons lesdébats théoriques autour de la valorisation etl’impact de celle-ci sur la durabilité économiquedes pays du Sud.Enfin, nous aborderons la notionde conservation de la biodiversité face à lavalorisation des ressources.

Fondement des accords de bioprospection: théorème de Coase

Coase (1960) a critiqué le caractère optimal desinstruments proposés par Pigou (1932) : le rôlecentral de l’État dans la régulation du marché etdes externalités négatives. Coase propose alorsune solution moins interventionniste et laisse uneplus grande place au libre jeu de la concurrence.Le théorème de Coase a été accueilli comme unedécouverte capitale dans le processus d’adoptionde principes d’efficacité économique pour lamise en place de solutions légales et la correctiondes effets externes. Ces externalités constituentune des manifestations les plus flagrantes etsignificatives des échecs du marché. Coase partalors de la notion de droit romain res nullius. Cedroit considère l’air et l’eau comme des bienscommuns, inappropriables, ou appartenant à tous.Le problème majeur est l’impossibilité de la partdes personnes privées d’affirmer des droits indi-viduels sur un bien collectif. Personne n’esthabilitée à se plaindre de la dégradation d’une resnullius et res communis.Cette incapacité juridiqued’agir découle en partie de l’absence de droits depropriété – l’air et l’eau ne peuvent être saisismais uniquement utilisés. Selon les théoriesnéoclassiques, la résolution de cette difficulté setrouve dans le fait d’assigner des droits de pro-priété individuels sur l’environnement. Engénéral, les biens d’environnement (air, eau, etc.),sont donc non appropriés.Coase élabore alors sathéorie des droits de propriété: «quelle que soit

l’existence initiale de coûts sociaux, le marchéconduira à la meilleure solution dès lors que lesagents sauront et pourront négocier entre euxdes renonciations mutuelles à leurs droits depropriété» (Ilbert et al., 1999, p. 82).

Appliqué à la biodiversité, le théorème de Coasemet l’accent sur la nécessité d’établir des contratsbilatéraux grâce à l’instauration de droits depropriété bien définis sur une ressource.

Les accords de bioprospection non seulementpermettraient de résoudre les problèmes desurexploitation des ressources,mais offriraient auxpays du Sud la possibilité de tirer avantage de labiodiversité. En d’autres termes, c’est la recon-naissance de la possibilité pour les pays endéveloppement (PED), notamment les acteurslocaux, d’exploiter leurs ressources et d’en tirerdes avantages économiques tout en maintenantl’objectif de conservation et d’utilisation durable.

Cependant, d’autres auteurs réfutent l’applicationde cette thèse de Coase dans le cadre de la bio-prospection. Ceci en raison des difficultés à iden-tifier, d’une part, les détenteurs de droits sur cesplantes et,d’autre part, ce qui revient aux différentssélectionneurs dans un processus de sélection deplantes qui peut s’étaler sur une dizaine d’années.

Il est intéressant de voir comment ces contratsbilatéraux sont établis et quels sont les différentsacteurs qui peuvent interagir dans le domaine de labioprospection. Boisvert (2002) distingue trois typesd’accords possibles :

A) Les contrats commerciaux : l’entreprise concernéedoit verser une somme aux populations ou auxautorités des pays du Sud et recevoir en contre-partie des redevances. Il y a par exemple PFIZER etGLAXO qui sont en contrat avec le gouvernementchinois afin d’étudier les plantes médicinalesutilisées dans la médecine traditionnelle chinoise.

Le plus connu dans cette catégorie est le contratMERCK/INBio1. INBio s’est engagé à fournir deséchantillons de plantes et d’insectes contre unmillion de dollars. Par contre, la société MERCKdoit payer des redevances sur tous les produitsdéveloppés à partir des échantillons fournis parINBio. Cet accord a été fortement critiqué. Même

1. INBio est un organisme privé, d’intérêt public, créé parle gouvernement du Costa Rica. Il a pour tâched’inventorier la biodiversité de ce pays et de rationaliserla fourniture de matériel biologique végétal.

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si l’accès d’INBio à la biodiversité du pays estexclusif, il est limité. En effet, le contrôle de ladiversité biologique nationale est une tâcherelevant du Ministère des Ressources Naturellesdes Mines et de l’Extraction. Selon Guillaud (2003),l’expérience d’INBio s’est trop centrée sur les terrespubliques pour éviter la question délicate dupartage des droits avec les populations locales.Malgré cela, cet accord a eu un impact importantsur la conservation de la biodiversité au Costa Rica.

B) L’International Cooperative Biodiversity Groups(ICBG), lancé en 1992, octroie des financementspour des accords de coopération internationale enmatière de bioprospection. Pour pouvoir recevoirun financement de l’ICBG, il faut que les projetsprévoient le partage de bénéfices avec des com-munautés locales et des organisations, reçoiventle consentement de ces populations et les infor-ment (Boisvert, 2002). Quelques projets ICBG sonten cours en Amérique latine (au Costa Rica, auPérou et au Surinam), au Cameroun, à Madagascaret au Nigeria, pour une durée de cinq ans. Norma-lement, les populations locales de ces pays doiventdonc recevoir une partie des bénéfices de l’exploi-tation de leurs ressources.

C) L’initiative de biocommerce (Biotrade Initiative) :Organisée par la Conférence des Nations Unies surle Commerce et le Développement (CNUCED), leSecrétariat de la CDB et l’Université de Charleston,l’objectif de ce troisième type de contrats debioprospection est le développement des marchésinternationaux pour les ressources biologiques.Ceci pour inciter à conserver la biodiversité. Elle sefixe comme priorité d’aider les pays riches endiversité à ajouter plus de valeur à leurs ressourcesgénétiques pour que ces derniers puissent lesvendre à des prix favorables. Ce schéma suggèreune spécialisation des pays du Sud à fournir desbiens et services différenciés. Par exemple, criblageeffectué sur place, fourniture de données ethno-graphiques, etc. (Boisvert, 2002).

La valorisation de la biodiversité par l’exploitation des ressourcesgénétiques: une rente durablepour les pays du Sud ou «mythe de l’or vert»?

La CDB met l’accent sur l’intérêt à valoriser lesressources génétiques des pays du Sud afind’assurer des avantages économiques durables

pour eux. D’ailleurs, selon Dedeurwaerdere(2003), les pratiques de bioprospection ont proli-féré du fait de l’engagement des entreprises phar-maceutiques et biotechnologiques à collecter desressources à travers le monde.

Les débats autour de l’exploitation des ressourcesgénétiques sont multiples et opposent différentsacteurs tels que les ONG, les industriels et labo-ratoires pharmaceutiques, les PED, les scien-tifiques, etc.

Cette question de la durabilité économiqueoppose deux visions théoriques distinctes : celledes acteurs qui soutiennent les discours des ins-tances internationales, basée notamment sur lathéorie de l’échange international de Ricardo, etcelle des tenants du «mythe de l’or vert».

La théorie ricardienne de l’échangeinternational pour permettre aux pays du Sud de tirer avantage de leurs ressources

Cette théorie a été appliquée par les instancesinternationales notamment la Banque mondialeet le Fonds monétaire international (FMI) pourdiffuser et insister sur la nécessité de valoriser lesressources naturelles dans les PED. Et d’ailleurs,ces instances ont même conditionné leurs prêtsenvers les pays du Sud à l’acceptation de ce modede développement : « croissance économiquecentrée sur l’exploitation des ressources naturelleset la domination de la nature par la technologie»(Bontems et Rotillon, 2003, p. 12).

La théorie de Ricardo stipule que chaque pays aintérêt à se spécialiser dans les activités qui luiprocurent un avantage comparatif. Les pays duSud détiennent un avantage en termes de res-sources naturelles et conformément à cettethéorie, ils devront donc plutôt exporter leursressources vers les pays du Nord. En effet, laperception des économistes en matière de com-merce international est qu’il existe des gainsprovenant de l’échange et cela signifie quelorsque des pays échangent des biens et services,c’est pour leur bénéfice mutuel (Krugman etObstfeld, 2001). Les pays du Sud, pour pouvoirréaliser ces gains, doivent donc commercialiserleurs ressources naturelles avec d’autres pays,notamment les pays industrialisés.

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Les débats autour de la valorisation économique de la biodiversité par les accords de bioprospection en Afrique: le cas de Madagascar

BIODIVERSITÉ ET RESSOURCES RENOUVELABLES

En d’autres termes, la Banque mondiale préconisaitque «les PED devraient se spécialiser dans l’expor-tation de leurs ressources naturelles ou des produitsincorporant de la main-d’œuvre, tandis que les paysindustrialisés leur fourniraient de la technologie etdes biens incorporant beaucoup de capital »(Bontems et Rotillon, 2003, p. 12).

Appliquée à la bioprospection, cette théoriesouligne que les pays du Sud, grands détenteursde ressources, devraient se lancer dans la com-mercialisation auprès des laboratoires et industriespharmaceutiques.

Le «mythe de l’or vert »

L’objectif de la valorisation de la biodiversité est,entre autres, de financer le développement desPED, d’autant plus que la majorité des payspauvres sont paradoxalement les plus riches enbiodiversité.Depuis le Sommet de Rio, plusieurspays du Sud ont espéré tirer des avantages deleurs ressources naturelles, pour promouvoir parla suite les investissements d’un côté et le déve-loppement local de l’autre.

L’hypothèse de l’existence d’une rente durablepour les PED semble pourtant être remise encause.En effet, jusqu’à présent, rares sont les paysdu Sud ayant réussi à tirer profit durablement deleurs ressources et peu d’accords de bioprospec-tion ont permis de financer le développement.Des auteurs viennent alors contester l’idée quela valeur des plantes comme inputs pour l’indus-trie pharmaceutique, cosmétique ou agroalimen-taire, serait une richesse pour les pays détenteursdes ressources.

Plusieurs explications semblent démontrer queles accords de bioprospection n’assurent pasvraiment la durabilité économique promue parla CDB et espérée par les PED.

D’abord, le principe de partage des avantages estrarement respecté par les bioprospecteurs. Cecien raison de sa nature non contraignante. D’oùl’émergence de plusieurs litiges internationauxopposant des tribus autochtones à des industriespharmaceutiques.

Ensuite, certains chercheurs et ONG ont long-temps supposé que les ressources génétiques,prin-cipaux intrants pour les industriels, constituaient

des avantages comparatifs sûrs pour les pays duSud. Ce qui n’est pas souvent le cas dans lapratique.

D’après Boisvert (2002), les communautés localesdans les pays du Sud se retrouvent en position defaiblesse dans leur rapport avec les biopros-pecteurs. Elles ont le plus souvent un faiblepouvoir de négociation face aux industriels.Ensuite, les industries pharmaceutiques, qui sontde plus en plus organisées et peu nombreuses2,ont un choix multiple face à plusieurs pays duSud, fournisseurs d’intrants.De plus, ces dernierssont en concurrence les uns avec les autres etn’arrivent pas à coopérer pour améliorer lemarché des ressources génétiques. Les industrielsqui proposent des accords de bioprospection ontdonc plusieurs choix possibles face à l’existencede plusieurs pays fournisseurs potentiels.

Prenons le cas de la pervenche de Madagascar(photo) pour illustrer le mythe de l’or vert. Lapervenche est une plante endémique de Mada-gascar dont les propriétés anticancéreuses,découvertes dans les années 1960, ont donnénaissance à la Navelbine.Les laboratoires PIERREFABRE détiennent le brevet sur cette plante etcommercialisent la Navelbine.Madagascar, le paysd’origine de la plante ne perçoit pas de redevancessur cette plante (Grain, 2002). Cette situationmontre bien le problème de l’asymétrie d’infor-mation et l’inégalité du pouvoir détenu par lesacteurs de la filière plantes médicinales.

2. Les compagnies pharmaceutiques sont peu nombreusessur le marché, notamment en raison de la politique defusion.

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Enfin, les industries pharmaceutiques elles-mêmes contestent l’existence de bénéficesimportants générés par la bioprospection. Ellesrefusent le discours généralement véhiculé parles ONG dans les pays du Sud. Certes, ellesallouent des fonds énormes pour la recherche etdéveloppement de nouveaux médicaments,maisle résultat n’est pas certain. Simpson (1997)aborde de manière claire cette question. Il affirmeque des milliers d’espèces utilisées dans la bio-prospection peuvent aboutir à un seul et mêmeprincipe actif, ce qui constitue un risque nonnégligeable pour les bioprospecteurs. Même sichaque espèce est une nouvelle opportunité pourla recherche, la probabilité d’aboutir à unnouveau produit est très faible. Ce qui déclinel’hypothèse de l’existence de retombées écono-miques importantes et sûres dégagées par lesaccords de bioprospection. Simpson (1997)considère que dans la bioprospection, ce quiimporte pour les bioprospecteurs, c’est la valeurmarginale d’une espèce, c’est-à-dire le bénéficeque peut procurer l’utilisation d’une espècesupplémentaire pour la recherche3. En d’autrestermes, dans le domaine de la bioprospection, lacontribution des espèces additionnelles à larecherche permet d’assurer l’aboutissement à denouveaux produits commercialisables. Or, tou-jours selon Simpson (1997), même sans tenircompte de la probabilité d’aboutir à un nouveauproduit commercialisable, plus il y a d’espècesintéressantes pour la recherche, plus la valeurmarginale des espèces est négligeable. Ce quiremet en cause l’efficacité économique desaccords de bioprospection.Les retombées écono-miques ne sont pas aussi certaines et stables.

Par contre, Dedeurwaerdere (2003) expliquel’inefficacité des accords de bioprospection parles insuffisances de l’approche purement mar-chande et contractuelle de la gouvernance. Ilconsidère que la définition des droits de pro-priété, sur laquelle s’appuient les contrats departage des bénéfices, est très controversée et queles contrats sont mal définis. Il affirme également

qu’à cette incomplétude dans la définition descontrats s’ajoute l’incertitude sur les bénéficesdégagés par les accords de bioprospection.

Après avoir analysé l’efficacité socioéconomiquedes accords de bioprospection, il est intéressantd’étudier leur impact sur la conservation de labiodiversité.

Les accords de bioprospection:antinomiques avec l’objectif deconservation de la biodiversité?

S’agissant de la corrélation entre la commercia-lisation des ressources génétiques et la préservationde la biodiversité, les visions sont généralementpartagées.

Les tenants de l’approche coasienne et la CDBsoutiennent que seuls les accords de bioprospec-tion peuvent assurer une conservation à longterme des ressources.Théoriquement, «la conser-vation de la biodiversité est favorisée par l’aug-mentation de la valeur attribuée aux ressourcesgénétiques et par la partie des profits qui estutilisée directement dans les programmes deconservation» (Boisvert, 2002). D’ailleurs, selonMorin (2003), l’idée selon laquelle le partage desavantages découlant de l’exploitation des res-sources puisse contribuer à la conservation de labiodiversité n’est pas seulement la vision des paysdu Nord.Elle est aussi véhiculée par certains paysdu Sud, comme le Costa Rica.

Contrairement aux discours internationaux, desauteurs comme Simpson (1997), Ten Kate etWells (1998) et Morin (2003) considèrent que labioprospection ne peut pas vraiment garantirla conservation de la biodiversité dans les paysduSud.

D’après Ten Kate et Wells (1998), l’objectif descompagnies pharmaceutiques est de créer denouveaux produits qui vont générer des profits, etnon de conserver la biodiversité. Les industriesobéissent à des objectifs commerciaux et ont despriorités précises:maximiser le profit et élargir leurpart. Morin (2003) souligne que même si lamajorité des accords prévoyaient des avantagesmonétaires et non monétaires, ils ont rarementcontribué à la conservation des ressources.En effet,« les préoccupations de développement local

3. Évidemment, le problème n’est pas le même si le bio-prospecteur n’est qu’un simple intermédiaire entre lepays détenteur de ressources et le laboratoire ou l’in-dustrie pharmaceutique. Il restera un simple fournisseurdes ressources génétiques et il ne lui appartient pas degérer le risque de ne pas aboutir à de nouveaux pro-duits commercialisables.

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BIODIVERSITÉ ET RESSOURCES RENOUVELABLES

concurrencent les préoccupations environne-mentales pour obtenir les mêmes ressourcesmonétaires » (Morin, 2003, p. 10). Les études queSimpson (1997) a effectuées auprès de quelquesindustries pharmaceutiques, leaders sur le marchémondial, sur ce qu’elles étaient prêtes à payer,pourprotéger la biodiversité, démontrent ce paradoxe.En effet, les résultats de l’étude sur le consente-ment à payer4 qu’il a effectué auprès de cescompagnies pharmaceutiques, concernant laprotection de 18 sites hot spots en biodiversité,montrent le manque d’intérêt des industriels pourla conservation, même dans les régions les plusréputées en termes de qualité dela biodiversité5. Selon Simpson(1997), cette insouciance desindustriels, pour la protection,résulte dans un premier temps dustatut oligopolistique, voire mo-nopolistique du marché desressources génétiques, et ensuite,du fait que les industriels eux-mêmes sont conscients de lamultiplicité des espèces qui peu-vent être étudiées et approfondiesafin d’aboutir à des produitscommercialisables6.

Même si théoriquement, onconsidère qu’une partie des avan-tages monétaires des exploita-tions des ressources va financer la

préservation de la biodiversité, ce réinvestisse-ment n’est pas toujours certain. Selon Boisvert(2002), cette hypothèse selon laquelle la pro-tection des écosystèmes sera assurée par le revenuconsidérable généré par l’exploitation des res-sources génétiques, est purement prospective.D’après Morin (2003), il est fréquent que lesfonds versés pour la conservation ne soient pasdirectement injectés par le bénéficiaire dans desprojets de conservation. Ils sont souvent utiliséspour répondre à des besoins à court terme plutôtque pour investir dans la conservation desressources. L’OCDE (1997) pense pourtant que

le produit du partage des avan-tages a peu de chances de couvrirles besoins financiers de la préser-vation de la biodiversité.

D’après les tenants de l’approchecoasienne, la conservation desressources est assurée si le contratqui régit la commercialisation desressources génétiques est clair. Lesmesures pour assurer la conser-vation seront assurées et respectéesquand il y aura une bonne défi-nition des droits de propriété.Toutefois, selon Simpson (1997),même si les droits de propriété surla diversité biologique sont claire-ment définis, la préservation nesera pas pour autant garantie. Ilpense que la majorité des pays hot

spots n’ont jusqu’à présent pu tirer des avantagesconsidérables des activités de bioprospection, cequi rend très faible la valeur commerciale estiméede la biodiversité. D’où le problème d’incitationà la protection (Simpson, 1997).

Pour les tenants de l’approche conservationniste,l’idée de la marchandisation des ressources, pourassurer la préservation de la biodiversité dans lespays du Sud, est tout à fait réfutable. Non seule-ment il s’agit d’une sous-estimation de la valeurde la biodiversité, mais c’est surtout accélérer saperte.

L’objectif de conservation est loin d’être atteintpuisque pour le moment, la CDB ne fait quepréconiser le principe selon lequel une partie desavantages découlant des activités de biopros-pection doit être affectée à la préservation.

4. Simpson (1997) a dressé un tableau contenant lerésultat d’une étude sur le consentement à payer parhectare des différentes compagnies pharmaceutiquespour protéger 18 sites hot spots mondiaux en biodi-versité. Il parle de « willingness to pay to preserve ahectare of land in eighteen biodiversity hot spots ».

5. Dans cette étude qu’il a effectuée auprès de quelquesentreprises pharmaceutiques, Simpson (1997) démontreque la bioprospection n’assure pas forcément la con-servation. Les entreprises pharmaceutiques, considéréescomme principaux preneurs et utilisateurs des res-sources génétiques n’accordent pas beaucoup de valeurmonétaire pour la préservation. Par exemple, lesentreprises pharmaceutiques accordent 0,76 cent dedollars par hectare pour protéger la biodiversité deMadagascar contre 0,49 cent de dollars par hectarepour la côte atlantique au Brésil, et 0,08 cent de dollarspar hectare pour le Chili.

6. Même si les industriels et les laboratoires de recherchesavent que la probabilité que ces espèces aboutissent àdes médicaments ou à des produits pharmaceutiquesest très faible.

Cette insouciance

des industriels, pour

la protection, résulte dans

un premier temps du statut

oligopolistique, voire

monopolistique du marché

des ressources génétiques,

et ensuite, du fait que

les industriels eux-mêmes

sont conscients de

la multiplicité des espèces

qui peuvent être étudiées

et approfondies afin

d’aboutir à des produits

commercialisables.

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La CDB reste une simple référence pour les payssignataires, mais ne les contraint pas à sesoumettre à ce principe de conservation. SelonMorin (2003), «un rapport du Secrétariat de laCDB a timidement reconnu que les accords debioprospection ne contribuent pas nécessaire-ment à la conservation» (Morin, 2003, p. 22).

Les enjeux de la bioprospectionpour Madagascar

D’après Mittermeier (1998), hot spot en matièrede biodiversité, avec un taux d’endémisme àhauteur de 80% pour sa flore,Madagascar est unpays incontournable en termes de ressourcesnaturelles. Et le revenu de l’économie malgachedépend directement des ressources naturellespour au moins 50% (Karpe, 2004). Outre ungrand nombre de plantes médicinales utilisées parl’industrie pharmaceutique – plus de 12000 es-pèces de plantes, dont 80% sont endémiques(Guillaumet, 1996) –, la flore malgache est l’unedes plus riches au monde : 8500 espèces, dont4900 sont endémiques, comprenant 7 espèces debaobabs et 1000 espèces d’orchidées.

Peu d’accords de bioprospection sont pourtantconnus à Madagascar. Or, plusieurs bioprospec-teurs y passent, étant donné la renommée et larichesse de l’île en termes de ressources, servantd’intrants aux industries pharmaceutiques.Avec laCDB, qui préconise une nouvelle base contrac-tuelle pour régler la question de l’accès auxressources7, les pays africains, dont Madagascar,discernent enfin une opportunité pour eux detirer profit des ressources génétiques et d’intégrerenfin les acteurs locaux.

D’abord, nous allons analyser un des premiersaccords de bioprospection conclus à Madagascar.Ensuite, il sera intéressant de voir si la biopros-pection permet réellement le partage des avan-tages avec les acteurs locaux et si elle va dans lesens de la conservation. Enfin, nous dégageronsles problèmes spécifiques malgaches en matièrede bioprospection.

L’accord ICBG-Zahamena:un des premiers contrats debioprospection à Madagascar

L’accord ICBG-Zahamena est un des premiersaccords de bioprospection conclus à Madagascar.Toutefois, avant même la CDB, le premier accordconnu date de 1990. Il a été conclu entre leNational Cancer Institute (NCI) et le Ministère dela Recherche scientifique. Il s’agit d’un accordportant sur les plantes médicinales anticancéreuseset anti-VIH. À cette époque, même si lespartenaires étaient d’accord sur le principe del’équité du partage des bénéfices,Madagascar étaitresté au stade de simple fournisseur de matièrespremières (Rabodo-Andriantsiferana, 2004).

L’accord ICBG-Zahamena, conclu en 1998,regroupe des partenaires internationaux financéspar l’American National Institute of Health et laNational Science Foundation. Il associe plusieursentités telles que Conservation International (CI),Missouri Botanical Garden (MBG), Virginia StateUniversity and Polytechnic Institute d’un côté, lesdeux sociétés BRISTOL MYERS SQUIBB etDOW AGROSCIENCES de l’autre, et un parte-naire malgache, le Centre National d’Applicationdes Recherches Pharmaceutiques (CNARP).Sonobjectif est de lier la découverte de médicaments,la conservation de la biodiversité, la recherchescientifique et le développement rural. D’aprèsRabodo-Andriantsiferana, responsable de cetaccord au sein du CNARP et coordonnateurnational de cet accord, l’ICBG-Zahamena entameactuellement ses activités de bioprospection auxalentours d’Antsiranana, dans le nord deMadagascar. Par contre, pendant les cinq pre-mières années, la collecte de plantes a été réaliséedans les fragments de forêt aux alentours de l’aireprotégée de Zahamena8. Selon Chris Birkinshaw,Conseiller technique et scientifique du MBG etmembre du Consortium ICBG-Madagascar9, legroupe effectue de la bioprospection «au hasard»,c’est-à-dire qu’il collecte les échantillons à partird’une grande variété de plantes sans recourir aux

7. Boisvert, 2000, p. 190.

8. Il est à noter que la bioprospection n’est pas autoriséeà l’intérieur des aires protégées.

9. Lors de nos échanges avec Chris Birkinshaw en avril2004, ce dernier a affirmé que la conciliation entreobjectifs de recherche, valorisation, protection etintégration des populations locales est souvent difficile.

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BIODIVERSITÉ ET RESSOURCES RENOUVELABLES

savoirs traditionnels locaux.Les travaux de terrainsont effectués par une équipe composée debotanistes du MBG et du CNARP.

Les accords de bioprospection:quel impact sur le développementlocal et pour la conservation de labiodiversité à Madagascar?

Dans la zone de Zahamena,CI s’occupe du volet«conservation». Par contre, le volet «développe-ment», bénéficiant de soutien financier octroyépar les compagnies pharmaceutiques, est sous laresponsabilité du CNARP, en collaboration avecCI et la communauté locale.Cette dernière doitsoumettre des projets de développement auConsortium ICBG et certains sont choisis.Quel-ques projets ont été réalisés, tels que la construc-tion d’un grenier communautaire villageois, laréhabilitation et l’achat de mobilier pour deuxécoles publiques, la construction d’un pont et laconstruction d’un centre d’interprétation10. Cesavantages perçus par les populations locales danscette zone de Zahamena ne sont pourtant pastrès significatifs. L’accord n’a pas eu d’impactpalpable sur le revenu des paysans de la région11.L’ICBG-Zahamena n’a même pas fait appel à lapopulation locale pour la collecte des plantes. Etpourtant, avec la CDB, les pays du Nord se sontengagés à intégrer les communautés locales dansleurs activités de bioprospection,notamment lorsde la collecte des plantes médicinales sur leterrain, ou en assurant un transfert technologiquedans ces pays.Mais l’ICBG-Zahamena n’a pas decontraintes de reversement de fonds, tout commele contrat ne précise pas la part qui est due auxcommunautés locales.

Pourtant, selon Morin (2003), les accords conclusdans le cadre de l’ICBG privilégient le retour desavantages monétaires dans la région où les res-sources génétiques ont été prélevées.Ce qui n’est

pas vraiment le cas de l’ICBG-Zahamena. Cedernier a eu peu d’impacts économiques pour lespopulations locales, et le principe du partageéquitable des avantages est loin d’être appliqué.D’après Boisvert (2002), les bénéfices monétairesgénérés par les accords de bioprospection sontgénéralement faibles et les avantages monétairesfréquemment mis en avant par les promoteurs dela bioprospection sont souvent illusoires. Maistoujours selon Morin (2003), ce sont les commu-nautés locales qui n’ont pas des structuresadéquates pour gérer des fonds collectifs. Lescommunautés locales de Zahamena n’ont-ellesdonc pas réussi à faire un montage local pour gérerles fonds?

Cependant, l’ICBG-Zahamena a permis auCNARP de développer une unité de rechercheantipaludéenne.Pour la première fois, le CNARPest maintenant capable d’effectuer des testsd’activité antipaludéenne sur des composanteschimiques. Selon le responsable de cet accord ausein du CNARP, non seulement les accords debioprospection permettent le renforcement descapacités,mais ils assurent en plus un contact directavec les populations locales. Ils se révèlent égale-ment un moyen efficace de valoriser la biodiversitédu pays et sont d’une importance majeure pour larecherche dans les PED.

10. Renseignements fournis par Rabodo-Andriantsiferana,directeur du CNARP, avril 2004.

11. Pourtant, d’après les chiffres fournis par l’OCDE, lavaleur annuelle pour l’industrie pharmaceutique parespèce productive varie de 203 milliards à 600 milliardsde dollars alors que la valeur des redevances versées parespèce non testée et par échantillon est respectivementde 52,50$ à 46000$ pour la première et de 20 à 2000$pour le second (OCDE, 1997).

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Le programme ICBG-Zahamena semble doncêtre plus favorable à la recherche qu’à la prise encompte des avantages des communautés de baseou qu’à la conservation de la biodiversité.

La bioprospection à Madagascar:les objectifs de la CDB confrontésà plusieurs difficultés locales

En analysant l’accord ICBG-Zahamena, onconstate que les pouvoirs publics malgaches n’ontni le moyen ni le droit d’exiger leversement de fonds pour lescommunautés locales dans leszones de collecte. En effet, lesaccords de bioprospection sontdes contrats privés ; il appartientdonc aux différents stakeholders defixer les conditions et les béné-fices attendus de ces accords. Lerôle qui incombe aux autoritésest d’intégrer les communautéslocales dans ces contrats pourqu’elles puissent en être béné-ficiaires.

On constate également qu’à Madagascar, letransfert technologique promis par les pays duNord, lors du Sommet de Rio, semble rester austade de simple discours.

Comme plusieurs gouvernements qui se sont en-gagés à appliquer la CDB, Madagascar n’a pasencore pleinement mis en œuvre les dispositions surle partage équitable des avantages.Toutefois, le pays

encourage la prise de conscience sur l’importancede la biodiversité et l’appropriation du processus devalorisation de la biodiversité par les différentsacteurs locaux (Andriantsilavo,2003).Les politiquesde développement et environnementales appliquéesvont également dans le sens du respect des principesstipulés dans la CDB. Mais, le problème majeur àMadagascar est l’application de ces différentespolitiques au niveau local à cause de plusieurs para-mètres, tels que le manque de moyens,d’infrastruc-tures et de ressources financières. La situation

géographique et administrative dupays rend également aléatoire lamise en œuvre des politiques dedéveloppement et environnemen-tales du pays.Cette difficulté terri-toriale a souvent été négligée;or, ils’agit d’un obstacle pour le contrôleet l’évaluation des politiques appli-quées.Les pouvoirs publics ne peu-vent pas contrôler l’ensemble duterritoire malgache et cela favorisela biopiraterie dans certaines locali-tés de l’île.Le problème de la circu-lation de l’information pénalise

également le pays en matière de bioprospection.

Les accords de bioprospection posent égalementun problème pour les législateurs malgaches.C’est un système de contrats privés qui nécessitedonc de nouvelles législations dans un pays où latradition administrative était, depuis plusieursdécennies, l’intervention des pouvoirs publics,voire le monopole étatique. Cependant, la

Pour le cas de Madagascar,

l’expansion des accords

de bioprospection prévue

par la CDB n’est pas

vraiment visible et

c’est certainement le cas

de plusieurs pays africains,

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BIODIVERSITÉ ET RESSOURCES RENOUVELABLES

12. Indice de menace = espèces endémiques menacées/espèces totales connues.

valorisation de la biodiversité par les accords debioprospection n’est pas confrontée au seul pro-blème de législation nationale. Les débats inter-nationaux sur la bioprospection progressentbeaucoup, sans qu’il y ait toutefois de véritablesengagements de la part desgouvernements. Selon Karpe(2004), « le cadre réglementaireactuel, national et international,de la valorisation des ressourcesde la diversité biologique fores-tière et des connaissances tradi-tionnelles liées à la forêt ne seraitpas susceptible de garantir pleine-ment un développement durableet équitable de Madagascar.En effet, il apparaîtraitpeu ou prou lacunaire et inadapté à la situationspécifique d’un pays en voie de développementet à celle des communautés locales et tradi-tionnelles».

Un autre problème menace également la bio-prospection à Madagascar. Plusieurs tonnes deplantes sont collectées chaque année dans lesforêts primaires et les autres biotopes de l’île. Onconstate qu’avec cette pratique, il y a disparitionde nombreuses espèces endémiques. SelonRabibizaka et al. (2002), l’indice de menace12 estde 0,11%, ce qui correspond à 345 espècesendémiques menacées en l’an 2000. Malgré lespolitiques de conservation, le risque est encoreélevé. Non seulement les plantes disparaissent,mais elles emportent avec elles des connaissancesqui ne sont pas écrites ni transmises.

Enfin, selon les opérateurs malgaches dans lafilière plantes médicinales, même si Madagascardispose d’une multitude d’espèces endémiques,le pays se trouve en concurrence avec plusieurspays.Tant que les pays du Sud ne se coordon-neront pas, cette concurrence Sud-Sud pourraengendrer une suprématie encore plus grandedes industries en matière d’exploitation desressources génétiques.

Conclusion

La valorisation de la biodiversité par les accordsde bioprospection présente plusieurs enjeux dedéveloppement durable non négligeables, mais

fait également face à plusieursobstacles et continue d’être unterrain d’affrontement entre lespays du Sud, riches en bio-diversité, et les pays riches, utili-sateurs de ressources génétiques.Même si la Convention sur laDiversité Biologique offre uncadre de régulation pour ce typed’activité et souligne l’impor-

tance du rôle joué par les communautés localesdes pays du Sud, pouvoir financer leur dévelop-pement à travers l’exploitation de leurs ressourcessemble être un «mythe» pour plusieurs acteursdes pays du Sud.

Pour le cas de Madagascar, l’expansion des accordsde bioprospection prévue par la CDB n’est pasvraiment visible et c’est certainement le cas deplusieurs pays africains, riches en ressources natu-relles. Dans les rares accords conclus entre leslaboratoires ou industries pharmaceutiques et lespays hot spots comme Madagascar,on constate quele principe de partage équitable des avantages etla conservation de la biodiversité ne sont pasencore une priorité pour les bioprospecteurs. Lescommunautés locales restent souvent de simplescollecteurs de plantes, voire sont exclues desaccords, et ne tirent pas de véritables avantageséconomiques palpables de ces ressources géné-tiques, intrants pour les industries pharmaceu-tiques. Aussi, les partis à ces contrats de bio-prospection oublient souvent l’importance duvolet « conservation», pilier de la pérennité desactivités de bioprospection.

Toutefois, des efforts pour la mise en œuvreeffective de la CDB à Madagascar sont palpables.Il s’agit notamment de la loi sur l’accès aux res-sources. Les différents acteurs au niveau nationalcommencent également à mettre l’accent surl’importance du renouvellement des stocks deressources génétiques.Avec plus de considérationpour les communautés locales, les accords debioprospection pourraient éventuellement deve-nir un facteur de développement dans les payshot spots en biodiversité.

La valorisation

de la biodiversité

par les accords

de bioprospection

présente plusieurs enjeux

de développement durable

non négligeables.

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93Économie de l’environnement et des ressources naturelles

Willy KIPOY S. MUSALU

Physicien et Expert en énergie,Willy KIPOY S. MUSALU est Chefde Département Adjoint, Chargédes énergies nouvelles et renou-velables à la Commission Natio-nale de l’Énergie/Ministère del’Énergie de la République Démo-cratique du Congo.

À ce jour, le monde en voie de développement connaît un besoincroissant en énergie et la demande d’électricité pour l’éclairage etla force motrice croît à un rythme annuel supérieur à celui de lademande moyenne en énergie. Face à ce besoin, les zones ruralessont bien souvent laissées pour compte, car leur fournir une unitéde puissance coûte plus cher que la même fourniture en milieuurbain. La solution passe par la technologie, car des optionsalternatives existent ; parmi celles-ci sont citées les technologiesaptes à convertir des ressources naturelles renouvelables enélectricité, dont la cogénération sur biogaz. La production del’énergie à partir des ressources renouvelables locales participe audéveloppement local et est créatrice d’emplois.

Un pays aux potentiels énergétiques immenses

La République Démocratique du Congo dispose d’un potentiel hydro-électrique immense évalué à 774000 GWh, soit 66% du potentiel del’Afrique centrale, 35% du potentiel global du continent africain et 8%

du potentiel mondial. Ce potentiel se traduit par une puissance exploitable de88400 MW, dont près de 44000 MW sont concentrés sur le seul site d’Inga.La poursuite des campagnes d’évaluation sur des sites identifiés peut porter cepotentiel à 100000 MW minimum.

L’énergie-bois représente en moyenne plus de 80% de l’énergie primaireconsommée en RDC. La biomasse moderne (production d’alcool, d’éthanol,de biogaz ou d’électricité) offre également des possibilités intéressantes du faitd’énormes potentialités dont dispose le pays. Malgré cela, le taux d’électrifi-cation est estimé à seulement 6%.

Pour remédier à cette situation, le Ministère de l’Énergie a défini, dans le cadrede sa politique énergétique, différents programmes et actions dont entre autresceux visant à vulgariser la production d’unités décentralisées de productiond’électricité afin de susciter un engouement chez les opérateurs économiquesintéressés à la résolution des problèmes énergétiques dans les milieux rurauxet périurbains.Ainsi furent créés par un Arrêté ministériel en 1999 les Centresde Démonstration des Énergies Nouvelles et Renouvelables (CEDENR) au

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94 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE Nos 66-67

sein de la Commission Nationale de l’Énergie(CNE) avec comme mission la matérialisationsur terrain des projets de la CNE. Ces Centresont pour volonté de regrouper en leur sein lesdifférentes formes de production d’énergiesrenouvelables afin de:

• identifier les intérêts de chaque filière pour laRDC et sa population, la reproductibilité oula multiplication des installations à travers toutle pays ;

• déterminer les conditions de mise en œuvreen termes de gisement, de débit, de vent ;

• fixer les potentiels de production électriquede chaque filière en fonctiondes provinces dans lesquellescelles-ci sont mises en œuvre;

• électrifier certains villages afind’assurer un certain confortet la sécurité des populations,et susciter l’envie de multi-plier l’électrification d’autresvillages.

C’est dans ce contexte que s’inscrit le projetd’implantation d’une unité de biométhanisationsur le site de Kikimi-Kilambu, localité située à35 km de Kinshasa.

Le projet consiste à produire de l’énergieélectrique à partir d’une unité de biométhani-sation pour une puissance de 40 kW, utilisablepour les besoins tant ménagers que de la petiteindustrie artisanale.

La jacinthe d’eau, une ressource énergétiquerenouvelable et abondante en RDC

La jacinthe d’eau, de son nom latin Eichhorniacrassipes, est une plante exotique de la famille despontédériacées, originaire d’Amazonie enAmérique latine. Vivace aquatique à rosette,flottant à la surface de l’eau, elle possède de trèsfines racines rougeâtres. Son feuillage persistant,vert acide, épais, brillant et spongieux, joue le rôlede flotteur. Ce végétal aquatique est caractérisépar une croissance très rapide et peut ainsidevenir envahissant comme la fougère et la salade

d’eau. La jacinthe d’eau est abondante enRépublique Démocratique du Congo du fait deson important réseau hydrographique qui endraine des quantités immenses. Sa vitesse deprolifération fait d’elle une plante menaçante quiperturbe tout écosystème avoisinant. Ainsi, cegisement constitue un fléau pour les cours d’eauen empêchant la navigation fluviale et en occa-sionnant des accidents. Elle obstrue les canauxd’irrigation, les conduites d’eau et les canauxd’amenée des ouvrages hydroélectriques, occa-sionnant des coupures d’électricité dans certainspays.L’incidence socioéconomique et environne-mentale de l’invasion par la jacinthe d’eau pose

un problème de contrôle et delutte contre cette proliférationdans la plupart des pays où cephénomène est présent. Et desmoyens conséquents sont mobi-lisés pour éradiquer ou contrôlercette prolifération, à l’exemple duprogramme d’éradication financépar la FAO et la Banque mon-diale dans certains pays.

La biométhanisation, le compostage et le traitementd’eaux usées, trois modes devalorisation de la jacinthe d’eau

La jacinthe d’eau peut être valorisée commematière organique par :

• la biométhanisation pour la productiond’énergie par le biogaz;

• le compostage en vue de la fertilisation dessols pour l’agriculture;

• le traitement d’eaux usées.

La filière biométhanisation a retenu l’intérêt de laCNE du fait qu’elle produira in fine un produitde qualité, le digestat, en vue d’améliorer laqualité agronomique des sols et donc des terresagricoles. Le projet de Kikimi-Kilambu a optépour la valorisation de la jacinthe d’eau en vuede la production de l’énergie électrique.

En Asie, la jacinthe d’eau est compostée pour êtreensuite utilisée comme substrat pour y cultiverdes champignons comestibles, technique repriseen Afrique pour d’autres cultures.

La jacinthe d’eau est

abondante en République

Démocratique du Congo du

fait de son important réseau

hydrographique qui en

draine des quantités

immenses.

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95Économie de l’environnement et des ressources naturelles

La valorisation de la jacinthe d’eau pour la production d’énergie

BIODIVERSITÉ ET RESSOURCES RENOUVELABLES

En Amérique, elle est maintenant utilisée dansdes stations d’épuration pour purifier l’eau.

La biométhanisation est la digestion anaérobiquede la matière organique provenant des substancesbiodégradables, sous l’action microbienne, en vuede la production d’un gaz combustible appelébiogaz. Cette fermentation naturelle résultantd’une activité microbienne complexe s’établit entrois étapes principales qui sont :

• l’hydrolyse, étape par laquelle les macromo-lécules organiques se trouvent décomposéesen produits simples ;

• l’acidogenèse, qui conduit à la formation desacides gras volatils divers, en particulier l’acideacétique;

• la méthanogenèse, phase à partir de laquelledes acides gras volatils, du dioxyde de carboneet de l’hydrogène issus des étapes précédentesinteragissent pour produire du méthane parles principales réactions suivantes :

CH3---COOH CH4 + CO2

la synthèse du CH4 par la réduction du CO2

Le biogaz produit est principalement composé deméthane (de 55 à 70%) et de dioxyde de carbone(de 30 à 45%). Le résidu solide issu de la bio-méthanisation sert à fertiliser le sol et contribueà l’augmentation de la productivité agricole.

Comme on le voit, la jacinthe d’eau peut êtreutilisée pour l’épuration des eaux usées ou lecompostage et pour promouvoir la fertilité dusol, ou encore comme matière organique pou-vant être intégrée seule ou en combinaison avecd’autres dans un digesteur pour la production del’énergie.

Une ressource renouvelablepour la production de l’énergiepar cogénération sur le biogaz

La Commission Nationale de l’Énergie avec leconcours de la Région Wallonne ont mis surpied un projet d’étude d’implantation d’uneunité de biométhanisation pour produire del’énergie électrique à Kikimi-Kilambu.

La réalisation de ce projet a été évaluée à 221262$.

À cet effet, une mission d’investigation a étéorganisée conjointement par les experts de laCNE et ceux de la Région Wallonne. Cetteprospection avait pour objectif d’évaluer lesressources renouvelables locales disponibles etd’étudier la faisabilité de ce projet. Les résultatsde cette mission d’étude sont présentés ci-dessous, avec un gisement sur le site évalué à :

Pour la production porcine :

Nombre Nombre de fermes de cheptels

Élevage semi-intensif (10-100) 23 627

Élevage familial (2-10) 94 701

Source : CNE, enquêtes sur terrain

Les fermiers peuvent collecter en moyenne950 litres d’excréments de porc par jour.

Pour la jacinthe d’eau :

La jacinthe d’eau y est abondante. À l’instar dela jacinthe d’eau trouvée en culture dans uneferme pour nourrir les porcs en complément auson de blé et de maïs, il a été envisagé la possibi-lité de construire des bassins de culture dejacinthes à proximité du digesteur ou d’aménagerune partie du cours d’eau traversant la contréeafin d’alimenter l’unité de biométhanisation enplantes d’eau.

Pour la drêche de brasserie :

Le gisement en drêche humide est très importantpour les brasseries locales. Le prix de vente,livraison sur site comprise, est de huit dollars partonne.

L’étude montre que la biométhanisation peutfournir 2500 kWh/j pour une quantité journa-lière de 10 m3 de matières premières (2,5 m3 dejacinthe d’eau; 2 m3 de déjection porcine; 3 m3

de drêche de brasserie et 2,5 m3 d’eau) et avecun taux de production de biogaz de 0,45 m3/kg,0,41 m3/kg et 0,45 m3/kg de matière solide,respectivement pour les excréments de porc, lajacinthe d’eau, la drêche de brasserie.

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96 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE Nos 66-67

Ainsi, le calcul du potentiel de production éner-gétique total serait de:

Pour ce faire, le projet prévoit la constructiond’un digesteur en phase liquide de 300 m3,alimenté en continu et fonctionnant en régimemésophile (35 à 40°C) pour un temps de diges-tion de 30 jours, en moyenne,pour produire du biogaz avec lamise en œuvre d’un moteur de40 kW avec cogénération etchauffage soit du digesteur, soitde la phase liquide du digestatqui sera recyclé dans le diges-teur.

L’utilisation de l’électricité pource site expérimental concerneune centaine de maisons, uncentre de santé, une pharmacievétérinaire, 40 points lumineuxpour l’éclairage public et éven-tuellement un moulin, unecharcuterie et une chambre froide.

En définitive, nous pouvons dire que troismatières premières interviennent dans la pro-duction de cette énergie électrique : la jacinthed’eau, la drèche de brasserie et les déjectionsporcines.

Considérant le coût des intrants, le coût dukilowattheure d’électricité produite est estimé à0,46$.

Conclusion

Ainsi, nous sommes arrivés à attribuer une valeuréconomique à la jacinthe d’eau qui apparemmentn’en avait pas, car elle intervient à raison du quartde la matière première utilisée dans la productiondu biogaz. Il est vrai que la jacinthe d’eau peutêtre considérée comme un fléau, mais ce projetmontre qu’elle est aussi indispensable, car elle peut

servir pour la production d’énergiepar cogénération. Le projet desauvegarde de cet élément de labiodiversité cadre avec l’économiede l’environnement en favorisantla protection de cet élément de labiodiversité qui donne à la fois del’énergie et de l’engrais vert auxfermiers.

Bibliographie

CNE, Projet d’implantation d’uneunité de biométhanisation sur le site deKikimi-Kilambu, novembre 2003.

CNE,État des lieux énergétiques de la RDC, 2003.

Fall,Alioune, «Énergie et développement durableen Afrique : l’apport du NEPAD», LiaisonÉnergie-Francophonie, no 65, 4e trimestre 2004,IEPF, Québec.

Martezo, Production d’électricité et de chaleur par cen-trale à générateur à gaz (http://www.martezo.fr).

Atelier sous-régional sur la jacinthe d’eau dansle bassin du Niger, septembre 2002.

Biométhanisation et jacinthe d’eau (http ://science-energie.chez.tiscali.fr ;http://www.areneidf.org/energies/erenouvelables.html)

La jacinthe d’eau peut être

utilisée pour l’épuration

des eaux usées ou

le compostage et pour

promouvoir la fertilité

du sol, ou encore comme

matière organique pouvant

être intégrée seule ou en

combinaison avec d’autres

dans un digesteur pour

la production de l’énergie.

246 m3 × 36,5 MJ/m3

3,6MJ/kWh= 2500 kWh/j

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97Économie de l’environnement et des ressources naturelles

Hugues F. RAJAONSON

Enseignant et Chercheur auDépartement Économie de laFaculté DEGS de l’Universitéd’Antananarivo.Spécialité en Économie de l’Envi-ronnement et des RessourcesNaturelles obtenue à l’ÉcoleNationale Supérieure Agrono-mique de Rennes (ENSAR).

«Le Sud détient à lui seul l’essentiel du patrimoine mondial de labiodiversité» (Leclercq et al., 1997, p. 5). Ces stocks de ressourcesse trouvent dans des zones où les populations vivent dans deséconomies d’échange. Dans ces économies, la valeur d’un bien estune valeur sociale et non une valeur individuelle. Le marché y joueun rôle marginal puisque dans les économies d’échange le droitlégal d’appropriation individuelle est absent. En revanche, il y a desrègles qui légitiment le droit d’usufruit des stocks de ressources.

Nous présentons ici les résultats d’une étude réalisée en pays Bara,à Madagascar dans 23 villages dans une zone enclavée et oùmême les charrettes à zébus ne peuvent pas passer et tous lesdéplacements doivent se faire à pied.

La valeur d’un stock de ressources naturelles dans une économie d’échange

Dans une économie d’échange, le marché ne joue pas un rôle derégulateur de l’offre et de la demande. La monnaie y est rare et n’a pasde valeur intrinsèque puisqu’elle n’est pas l’intermédiaire des échanges

entre les agents. Pour ces agents, les ressources naturelles restent le moyenprincipal de production pour faire vivre leur communauté.

La place des actifs naturels dans le système de production

Selon le lonaky1, le choix de la localisation des villages par la communauté –lors de la migration des premiers lignages – a été déterminé par l’abondance desressources naturelles qui peut être favorable à l’élevage extensif de zébus.L’existence de grandes savanes d’une part, et de la présence de fleuves ayantleur source dans la chaîne montagneuse de l’Andringitra2, d’autre part, ont étéles paramètres essentiels du choix. Les ressources naturelles jouent un rôleessentiel dans le système d’élevage qu’ils ont mis en place. En effet, ce systèmed’élevage extensif a besoin d’écosystèmes variés : savane herbeuse spacieuse,forêt dense et zones humides.

DDee llaa ppeerrttiinneennccee ddeess aapppprroocchheessééccoonnoommiiqquueess ddee llaa bbiiooddiivveerrssiittéé ddaannss lleess ééccoonnoommiieess nnoonn mmaarrcchhaannddeess :: llee ccaass dduu ppaayyss BBaarraa ((MMaaddaaggaassccaarr))

@[email protected]. Le mot lonaky désigne aussi bien un chef de lignage qu’un chef de village.Un lonaky Tompontananaest un descendant d’un chef de lignage créateur du village.

2. Chaîne montagneuse qui se trouve dans la province de Fianarantsoa.

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98 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE Nos 66-67

Le territoire Bara a été partagé – entre les BaraIatsantsa (Ivohibe), les Bara Haronga (Nordd’Ivohibe), les Bara Tevondro (sud-est d’Ivohibe)et les Bara Zafindravala (Iakora et ses environs) –selon l’importance de l’effectif de chaque lignage.Les dotations initiales de chaque grand lignageont été ensuite partagées entre grandes familles(lignages). Chaque grande famille a fondé sonvillage – en hauteur – près d’un des stocks deressources essentielles : eau, pâturages, forêts etterres agricoles. Les lignages ont ensuite mis enplace leurs institutions selon les préceptes desanciens : structure sociale de la société et organisations(règles internes). Les organisations touchent lesallocations et les affectations de toutes lesressources (sols, forêts, eau, pâturages), ainsi queles règles d’accès à ces ressources. Les allocationssont discutées en assemblée des chefs de famille.

Pour les Bara, un stock de ressources naturelles –la forêt, par exemple – est un bien collectif. Ilsaffirment que les services fournis par l’écosystèmeforestier étant indivisibles,pour bien gérer ce bien,il faut des règles d’accès et des normes d’usage.Puisque les stocks de ressources naturelles sont desbiens collectifs, les dotations initiales accordées àchaque famille sont attribuées de façon provisoire.La répartition des dotations initiales – qui se renou-velle tous les cinq ans – dépend de plusieursfacteurs: la situation familiale du chef de famille,son âge, sa présence au village, son effectif ainsique la capacité de travail des ménages.

Selon nos enquêtes, l’allocation des ressources estune procédure par laquelle la communautécherche à rendre leur accumulation (en termesde têtes de zébus) maximale; toute surproductionagricole est échangée contre des têtes de zébus.Toutes les stratégies se basent sur les cultures àexploiter, les superficies affectées et la quantitéde travail à utiliser. Les informations collectées –pour élaborer ces stratégies – sont analysées surles bases de dimensions cognitives admises aprèsun long apprentissage collectif. Enfin, les alloca-tions dépendent des objectifs en matière d’auto-consommation et d’échange interlignage.

Quant à l’affectation des ressources, la qualité des sols(couleur et granulométrie), le microclimat(altitude et exposition au soleil) des zones où setrouvent les superficies ainsi que leur situationpar rapport au village déterminent – par exemple

– l’utilisation des sols. À travers cela, les Baraprouvent qu’ils connaissent les rendementsdécroissants des terres éloignées par rapport auvillage: tout d’abord, pour justifier l’emplacementdu village près des terres riches. Ensuite, pourexpliquer les risques de dégradation des culturesdus aux oiseaux prédateurs. Par ailleurs, pourexprimer les dommages induits par les incer-titudes et dus aux comportements des individusmal intentionnés des autres villages. Enfin, pourtraduire les pertes de temps occasionnées parl’exploitation de ces superficies (déplacement dela main-d’œuvre et des zébus). Les décisionsd’affectation se basent sur les expériences anté-rieures et sur les rendements espérés. Le lonakryest le décideur de toutes ces affectations.

Dans la société Bara le don et contre-don estune des règles internes principales.Les anciens quideviennent dépendants sont pris en charge par lacollectivité. Ils perçoivent ainsi une «rétribution»proportionnelle à leur apport à l’accroissement dutroupeau lignager. Il en est de même pour lesveuves qui reçoivent une «allocation» en fonctionde l’apport de leur mari. Les jeunes Bara sontconsidérés comme adultes à partir de 16 ans.Aucours de leur jeune âge, les hommes Bara sontappelés à migrer au moins pour deux ans.Cela faitpartie de l’apprentissage de la vie. Les familles deces jeunes migrants «autorisés» sont aussi prisesen charge par la collectivité. Mais à leur retour, ilsdoivent apporter des zébus au lignage en guise dereconnaissance à la collectivité.

Les allocations et affectations – des ressourcesnaturelles – montrent l’importance de la place del’objectif de bien-être social dans les organisationsBara. Il nous semble important maintenant decomprendre la rationalité au sein de la sociétéBara.

Une rationalité contemplative

D’après l’économie standard, « la rationalité sedéfinit par la recherche du maximum de satis-faction au moindre coût ». Par ailleurs, dans lejargon de l’élevage, on oppose souvent le terme«contemplatif» au terme « industriel» : le premierest souvent rattaché à l’irrationalité de l’activité,alors que le second se rapporte à la rationalité.L’élevage industriel répond à une logique de larecherche du profit,même si parfois il occasionne

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99Économie de l’environnement et des ressources naturelles

De la pertinence des approches économiques de la biodiversité dans les économies non marchandes: le cas du pays Bara (Madagascar)

BIODIVERSITÉ ET RESSOURCES RENOUVELABLES

des coûts sociaux importants, comme la pollutionde l’environnement.De son côté, l’activité d’éle-vage contemplatif n’a que peu de rapport avec lemarché. D’après nos investigations, l’objectif dusystème d’élevage Bara reste – depuis toujours –l’harmonie entre une organisation spatiale ettemporelle des activités agricoles et le systèmed’élevage. Elle relève d’un apprentissage collectif– technique et social – hérité des anciens.

Nous avons analysé la valorisation du capital – lezébu – chez les Bara3. «Un Bara qui n’a pas dezébu est un moins que rien», affirme un lonakry.«Dans tous les aspects de leur vie sociale, les Baraont besoin du zébu: sacrifice, don et contre-don,etc. Le zébu est aussi un moyen de travail impor-tant. Par ailleurs, comme chez beaucoup depeuplades pasteurs, le bétail est un moyen dethésaurisation et le plus souvent un moyen deplacement».

«Un Bara ne déposerait jamais son argent dansune banque», persiste et signe un lonakry.Voicises arguments: «Parce que, d’une part, cette insti-tution ne rémunère pas assez son capital4 et deplus elle prélève des agios. Supposons que:

– le banquier est honnête, il ne part pas avec lacaisse ;

– la banque ne brûle pas ;

– la banque ne se fait pas cambrioler».

Si je dépose 1000000 Fmg (83,40$), je n’obtien-drais que 30000 Fmg (2,50$) au bout d’un an, sile taux de rémunération de mon placement estde 2,9%. De plus, je paierais 5000 Fmg (0,40$)à titre d’agios.

Tandis que si j’achète un zébu avec mon argent(1000000 Fmg), qu’est-ce que je gagne?

En considérant les hypothèses suivantes :

– aucune maladie virale ne tue le zébu (risquenul) ;

– le prix ou la valeur d’échange des zébusrestent constants (stabilité des prix) ;

– aucun vol (pas d’incertitude) ;

– aucune dégradation du milieu ayant uneconséquence incommensurable (pas d’irréver-sibilité) ne survient.

1. Cas d’une jeune vache: une jeune vache, au boutde deux ans, me donnera un veau et ce veauvaudra 500000 Fmg (41,70$), c’est-à-dire quej’aurai gagné 250000 Fmg (20,80$) par an.

Dans le cas où notre jeune vache ne vêle pas etcroît normalement, cette jeune vache, que j’aiachetée à 1000000 Fmg, au bout de deux ans,s’échangera contre un équivalent de 1500000Fmg (125$). Donc, j’aurais également gagné250000 Fmg par an (50% par an).

2. Cas d’un jeune taureau : un jeune taureau, aubout de trois ans, peut être échangé contredeux jeunes taureaux qui valent chacun500000 Fmg; dans ce cas, j’ai obtenu environ300000 Fmg (25$) par an (30% par an).

Ensuite, les bénéfices ne s’arrêtent pas là, puisquele troupeau participe aux travaux des champs et autransport des récoltes. Dans notre système deproduction,un zébu est aussi un élément importantdu capital matériel.Pour labourer un champ de rizpluvial, dix zébus sont nécessaires pour faire letravail en huit heures, c’est-à-dire la journée detravail pour travailler un hectare de rizière. Lalocation de ces dix zébus permet à son propriétaired’obtenir un équivalent de 50000 Fmg (4,10$)sous forme de récoltes.

Mais il faut vous avouer que ma satisfaction n’estpas totalement traduisible en termes monétaires.Le fait de contempler mon zébu et profiter de laqualité du milieu où il vit me donne plus desatisfaction que l’accroissement de sa valeurd’échange. En effet, je vois grandir mon capital àl’œil nu. Alors que si j’ai placé mon argent enbanque,non seulement je n’ai pas eu ce plaisir devoir mon capital croître ou faire des petits, maisaussi il faut que je me déplace pour contemplerdes chiffres, alors que je ne sais pas lire.»

C’est vrai qu’il y a des frais de gardiennage.Maispuisque la vache ou le jeune taureau font partied’un troupeau unique, le prix de leur gardien-nage est inclus dans le contrat global de gar-diennage du troupeau tout entier. Pour untroupeau de cent têtes, le gardien perçoit unjeune veau zébu, c’est-à-dire l’équivalent de

3. Nous avons traduit sous forme monétaire (les produitsobtenus lors des échanges – prix de marché local).

4. Rémunération de 3% seulement.

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500000 Fmg (41,70$) pour un contrat de un an,auquel il faut ajouter la nourriture journalière etun vêtement par an, ce qui donne un total globalde 1250000 Fmg (104,20$). Pour un zébu àgarder, le gardien percevra donc 17500 Fmg(1,45$) par an. Cette dernière somme pourraits’appeler agios de l’élevage.

Si nous soustrayons ce coût des gains, nousvoyons que l’éleveur gagne plus en achetant unzébu qu’en plaçant l’équivalent en banque.Ainsi,pour les Bara de la zone d’étude, le marchémonétaire ne rémunère pas le capital de façonoptimale. En revanche, l’économie d’échangemaximise la rémunération du capital zébu ensystème d’élevage contemplatif. Par ailleurs, cemode d’élevage n’exerce pas de pression forte surles ressources renouvelables – eau, forêts et air –et contribue ainsi, en partie, à la préservation dela biodiversité.

L’économie d’échange et la validité de l’évaluationcontingente d’une ressource

Pour les Bara, l’agriculture et l’élevage du zébusont bien plus que des activités économiquesdestinées à produire un bien donné ou à obtenirle plus grand profit possible. Un Bara ne peutuniquement s’intéresser aux seuls objectifs etréalisations de son exploitation; il doit aussi veillerà la production de la société et des activités éco-nomiques et sociales. La production locale doitêtre appréhendée comme un système beaucoupplus vaste, qui met en relation les paramètresenvironnementaux, économiques et sociaux.

L’agriculture permet de nourrir les familles. Lesactivités agricoles ne sont pas entreprises poursatisfaire un individu mais la collectivité. Les Barapartent d’un examen minutieux des écosystèmeset de la connaissance des sols. Ce savoir estcrucial, car la gestion correcte des sols induit engrande partie la réussite du système de pro-duction. L’amélioration de la fertilité des solspar les techniques indirectes est bien connueet utilisée par les Bara: les rotations de cultures, lesengrais verts, les légumineuses, le labour minimalet la fertilisation animale lors du pâturage.Ainsi,les parcs à zébus sont installés au sommet d’unecolline et les eaux de ruissellement font le reste.

L’utilité des vers de terre dans la fertilité des solsest bien connue dans la zone ; les Bara mettentun bon paquet de vers de terre dans les rizièrespluviales après leur labour superficiel effectué parpiétinage d’un troupeau de zébus.

Pour traduire les propos des lonakry, nousprenons pour référence les paroles de WangariMaathai – Prix Nobel de la paix 2004: «d’aprèsle témoignage de mes grands-parents, [voci] lesbienfaits de la période précédant le colonialisme.Les chefs de tribus étaient tenus de rendre descomptes aux gens. Ils mangeaient à leur faim, leurhistoire et leur vision du monde étaient véhi-culées et contenues dans leurs riches traditionsorales. Leur cohabitation avec les autres créatureset la nature était harmonieuse et ils veillaient àleur protection. L’agriculture, soit la façon donton sème, plante, moissonne et mange, est unedimension de la culture…» (L’Écologiste, no 14,oct. 2004, p. 7).

Le marché accorde une valeur marchandeimportante à un bien rare utile qui peut fairel’objet d’une appropriation individuelle. L’agri-culture moderne pousse les agriculteurs à satis-faire les demandes insatisfaites, c’est-à-dire àintervenir sur cette rareté. Cette satisfaction dela demande implique une forte pression exercéesur l’écosystème. Les Bara refusent l’intégrationde leurs activités au marché, comme le proposentles projets de conservation et de développement.En effet, nous avons vu plus haut que les marchésne rémunèrent pas de façon optimale les facteursde production. Alors que dans l’économied’échange, les activités ne s’intéressent qu’auxcircuits courts: les échanges intracommunautaireset les échanges marginaux sur les marchés locaux.Ces circuits courts garantissent la durabilité decette agriculture.

Chez les Bara, la forêt est un bien collectif.L’usage de la forêt est un usage collectif géré parle chef de lignage. La forêt sert de pâturage autroupeau du lignage en saison froide et sèche.Dansles lignages, chaque membre met ses zébus – s’ilen a, bien sûr – dans le troupeau du lonakry. Engénéral,bien que la propriété d’un ou de plusieurszébus dans le troupeau soit reconnue pour unindividu donné, tout projet de consommation oud’échange – du propriétaire – ne peut se réalisersans l’aval du lonakry. En effet, le troupeau reste

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De la pertinence des approches économiques de la biodiversité dans les économies non marchandes: le cas du pays Bara (Madagascar)

BIODIVERSITÉ ET RESSOURCES RENOUVELABLES

un élément essentiel de l’aménagement de l’espacecommun. Chez les Bara, les lonakry veillent à ladurabilité du système d’élevage et du systèmeagricole. Cette durabilité – chez les Bara – sefonde sur les principes de la richesse en espèces etde la diversité biologique.

En vue d’une mise en réserve du corridor fores-tier,nous avons voulu tester la validité de l’évalua-tion contingente.Nous avons demandé au lonakryson consentement à recevoir pour quitter les lieuxet accepter de rappeler à l’ordre les membres desa communauté qui peuvent dégrader les forêts. Ila répondu: « l’argent nécessaire pour gagner leprocès contre les gens du «projet» et leurs acolytesétrangers qui pourraient nous exproprier. Notrevie,nos cultures ne sont pas à vendre et il n’y a pasde marché pour cela». Le lonakry croit qu’il estimpossible pour la collectivité de gagner le procès,car si l’État décide de mettre en œuvre ce projet,ce dernier verra le jour. Pour lui, cette décisionentraîne des irréversibilités. Sa conceptiond’irréversibilité ressemble étonnamment à unphénomène physique irréversible : il faut que lacollectivité dépense une quantité infinie d’énergiepour récupérer le droit de réoccuper la zone: «Sile projet nous demande de partir, nous ne pour-rons plus revenir ici, même au prix de nos vies.Par ailleurs, si notre communauté se fait expulserde la zone, elle doit migrer dans les espaces péri-urbains. En effet, le partage initial – de toute lazone entre les lignages – est aussi irréversible.Tousles espaces attribués sont occupés. Or, vivre dans

les zones urbaines signifie l’abandon de toutes nosvaleurs et de nos cultures; voilà une irréversibilitésupplémentaire regrettable».

Dans toute leur culture, les Bara associenttoujours la biodiversité à la sociodiversité5. Laqualité de la biodiversité résulte des comporte-ments des acteurs sociaux. Dans une zone oùl’administration publique est absente, le respectdes règles conditionne la préservation de laqualité des stocks. Pour les Bara, la qualité dustock correspond à une valeur essentielle pour lacollectivité, c’est la valeur de survie.Cette valeurde survie se base sur un accès collectif à laressource.

Selon les propos du lonakry, « la valeur desurvie est directement liée aux irréversibilités» :la disparition des valeurs Bara. En effet, la valeurdu stock de ressource n’est pas seulement unevaleur d’usage actuel (direct, induit et indirect)grâce aux prélèvements et aux bénéfices qu’ilspeuvent obtenir aujourd’hui à laquelle nouspouvons ajouter une valeur de préservation (valeurd’existence, valeur d’usage futur et valeur dedisponibilité) 6, mais c’est surtout une valeur qui

5. Ensemble des valeurs sociales dominées par une valeurcommune. À une sociodiversité donnée correspondentdes relations particulières avec la ressource naturelle.Une société qui utilise une ressource influe sur l’étatde la biodiversité.

6. Voir POINT, 1998, p.17.

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permet à la collectivité d’exister en tant que telle.Elle est l’essence même de la pérennisation descultures et des traditions, des savoir-faire locaux,des réserves d’aliments d’appoint et des systèmesde productions actuels.

Il est par conséquent évident qu’ils ne peuventdonner un prix de marché au stock de ressources.L’évaluation contingente peut avoir dans ce casun biais «hypothétique». Par ailleurs, le fait queles individus – au sein de la collectivité – nedisposent pas de droits de propriété mais de droitsd’usufruit des ressources, cela ne nous permet pasde valider le prix de marché qu’ils donnent. Deplus, malgré une réponse assez précise donnéepar le lonakry, au consentement à recevoir, celui-ci n’est pas celui du consentement à recevoirpour préserver le stock sans la présence des Baracomme usagers potentiels,mais celui de la préser-vation obtenue par la relation biodiversité-sociodiversité proposée par la communauté.

Conclusion

La disparition des ressources de la biodiversitédevient aujourd’hui une préoccupation mon-diale. Exclure les Bara des zones limitrophesconduit à interdire aux zébus de brouter dans laforêt.Mais si ces ruminants ne broutent plus dansla forêt, sommes-nous sûrs que les espèces quenous trouvons actuellement dans cet écosystèmevont résister à la modification du milieu où ellesvivent ? Pourrons-nous estimer les coûts de laperte en sociodiversité?

Bibliographie sommaire

Arrow, K., Lind, R., «Uncertainity and thevaluation of public investment decision»,American Economic Review, 60, 1970, p. 41-47.

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Bouchet, G., «Prises en compte des relationsagriculture-élevage au niveau des exploitationsagricoles dans un projet de recherche-développement en Haïti»,Montpellier,DSA-CIRAD, Cahier de Recherche – Développementno 11, 1986, p. 57-62.

Fauroux,E., «Le bœuf et le riz dans la vie écono-mique et sociale des Sakalava dans la vallée dela Maharavo», dans AOMBY 2, ORSTOM,Antananarivo, 1989.

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102 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE Nos 66-67

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103Économie de l’environnement et des ressources naturelles

Martin YELKOUNI

Martin YELKOUNI est docteur enÉconomie (environnement, res-sources naturelles et institu-tions) depuis mars 2004. Il apréparé sa thèse au Centred’Études et de Recherches sur leDéveloppement International(CERDI), Université d’Auvergneà Clermont-Ferrand (France).Membre du réseau, AfricanEconomic Research Consortium(AERC), Martin YELKOUNI aparticipé à divers colloques etséminaires internationaux. Il estdepuis octobre 2004 chercheur(post-doctorant) au Cemagref(Institut de Recherche pour l’In-génierie de l’Agriculture et del’Environnement) de Clermont-Ferrand pour 18 mois.

Le contrôle de la déforestation, par la mise en place par lesautorités étatiques d’interdits et de restrictions sur l’usage desressources forestières, se heurte à des difficultés de succès dansbeaucoup de pays en développement. L’approche actuelle consistesouvent à rendre aux communautés locales le contrôle de leursressources, lorsque l’État et les marchés n’arrivent pas à résoudreles problèmes comme la gestion des externalités négatives dansle cas d’une exploitation de ressources en propriété commune etde la provision de biens publics. Cet article analyse les solutionscrédibles et durables aux problèmes de coordination dans l’usagede la forêt classée de Tiogo au Burkina Faso.

Contribution du secteur forestier à l’économie du Burkina Faso

Le Burkina Faso est un pays où les activités agropastorales dépendent desressources naturelles renouvelables, notamment des surfaces forestières.L’agriculture et l’élevage emploient 86% de la population active et

fournissent à eux seuls 36% du PIB et 80% des recettes d’exportation (Ministèrede l’Économie et des Finances, 2002). La contribution du secteur forestier àl’économie du Burkina Faso se situe à plusieurs niveaux:

– L’État alimente ses recettes budgétaires, par l’ensemble des taxes prélevéescollectées (0,23% du budget au 1er semestre 2003) à travers les activités liéesà la forêt (chasse, tourisme, filière bois).

– Les revenus des ménages, notamment ruraux: la coupe et la vente du bois dechauffe ont généré plus de 4,5 milliards de FCFA pour les bûcheronsmembres des groupements de gestion forestière, de 1986 à 19991. Lacommercialisation des produits forestiers non ligneux est une source nonnégligeable de revenus pour les ménages ruraux, particulièrement pour lesfemmes. Les paysans utilisent les produits ligneux pour la confection demeubles et d’objets artisanaux pour la vente.

GGeessttiioonn dd’’uunnee rreessssoouurrccee nnaattuurreellllee eett aaccttiioonn ccoolllleeccttiivvee :: llee ccaass ddee llaa ffoorrêêtt ddee TTiiooggoo aauu BBuurrkkiinnaa FFaassoo

@[email protected]. Données fournies par la Direction du projet PNUD/BKF à Ouagadougou.

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104 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE Nos 66-67

– L’autoconsommation considérable des diversproduits forestiers par les ménages : produitsalimentaires de cueillette, bois pour la cons-truction, médecine traditionnelle, bois dechauffe, etc.Mais elle est difficilement quanti-fiable.

Le bois est le produit le plus demandé de la forêt,car il constitue pour la majeure partie de lapopulation l’unique source d’énergie. Ainsi,plusieurs forêts sont aménagées pour l’approvi-sionnement des villes. C’est le cas de la forêtclassée de Tiogo, aménagée pour l’approvisionne-ment de la ville de Koudougou (centre-ouest dupays) en bois de chauffe. De 1995 à 2001, cette

forêt a fourni officiellement 66848 stères de bois,représentant environ de 60 à 65% (estimation dela Direction Régionale de l’Environnement etde l’Eau) des besoins en bois de chauffe de cetteville. Ce qui équivaut à 58 millions de FCFA2

distribués au total, dont 20 millions de FCFAcomme taxes forestières entrant dans le budgetde l’État.

Malheureusement, ces ressources naturelles fores-tières subissent diverses pressions, diminuant ainsil’offre des différents biens et services. Plusieursraisons peuvent expliquer cette situation, géné-ralement de nature anthropique.

Les facteurs de dégradation de la forêt

Les diverses utilisations concurrentes de la forêtgénèrent des externalités négatives. Ainsi, lescauses de la déforestation (externalité négative)sont l’agriculture, l’élevage, les feux de brousse etla coupe anarchique du bois vert.L’augmentationde la population dans cette zone accentue lademande de terres de culture,puisque les popula-tions fuyant la sécheresse y viennent à la recherchede nouvelles terres productives et fertiles.

Le phénomène du passager clandestin est aussiprépondérant dans la zone de la forêt de Tiogo.Le problème du passager clandestin se poselorsqu’il y a des règles établies en commun et quetous les acteurs ne les respectent pas.Les enquêtesrévèlent, en effet, que certains chefs de ménageenfreignent souvent les règles de gestion misesen place par l’administration. C’est ainsi que, parexemple, la coupe clandestine du bois est fré-quente. La demande urbaine en bois de chauffeaccentue également cette activité illégale decoupe de bois du fait de la montée croissante duprix du bois de chauffe et du charbon de bois.La demande de bois sur les marchés urbains enfait un produit de type agricole dans les zonespériurbaines.

Figure 1 – Évolution des quantités de stères de bois des forêts du projet PNUD/BK

19930

20 000

40 000

60 000

80 000

100 000

120 000

140 000

160 000

180 000

1994 1995

Années

Qua

ntit

és

1996 1997

Sources : Projet PNUD/BKF/93/003

Figure 2 – Stères de bois sortiesofficiellement chaqueannée de la forêt de Tiogo

1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001

Années

Nom

bre

de s

tère

s

0

2 000

4 000

6 000

8 000

10 000

12 000

Source : Chantier de Tiogo

2. Calculs faits à partir des données du chantier de Tiogo.

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105Économie de l’environnement et des ressources naturelles

Gestion d’une ressource naturelle et action collective:le cas de la forêt de Tiogo au Burkina Faso

BIODIVERSITÉ ET RESSOURCES RENOUVELABLES

Plusieurs raisons expliquent le comportement depassager clandestin des chefs de ménage:

– Inadéquation entre droit moderne et droittraditionnel sur l’usage de la forêt, rendantsouvent l’application des sanctions difficile : laforêt s’est constituée sur des terres ancestralesappartenant aux différents villages et dont lagestion ne relève plus des institutions locales,tandis que les autres espaces sont toujours

gérés de manière traditionnelle. Deux typesde culture, l’une traditionnelle et l’autremoderne, coexistent alors sans trop se com-prendre et cette superposition de deux droits,moderne et traditionnel, peut favoriser lecomportement de passager clandestin dansl’usage de la forêt.

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– Insuffisance du personnel pour la surveillance.Avec une superficie de 30000 hectares, la forêtclassée de Tiogo dispose seulement de troisagents pour son fonctionnement: un chef dechantier, un animateur et un agent de com-mercialisation.Ces agents seuls ne sont pas enmesure de surveiller toute la forêt et il estdonc facile d’y accéder. Il serait égalementdifficile et très coûteux de la clôturer ; ainsi, laforêt de Tiogo est très perméable.

– Niveau d’application de « l’enforcement» oude la sanction (exécution des décisions juri-diques) dans le contexte rural au BurkinaFaso.Les textes juridiques sont pourtant expli-cites sur ce point, mais leur applicationdemeure difficile. Le code forestier indique lesdifférentes formes de sanctions en fonction dela gravité des fautes commises dans ses articles258 à 262.

La fréquentation de la forêt, plus de 73000 visitesannuelles effectuées, peut s’interpréter commeune conséquence probable de ce phénomène. Ilest alors indispensable de trouver des solutionscrédibles et durables pour arrêter la dégradationde la forêt. Une analyse des institutions et desdroits de propriété s’impose pour faire émergerune solution.

Institutions et droits de propriété dans l’allocationdes ressources

Le droit de propriété est la capacité de contrôlerl’utilisation d’un bien en excluant autrui. Lecontrôle peut porter sur l’ensemble des utili-sations ou se limiter à certaines d’entre elles.Àtravers les droits de propriété sont codifiés lesrapports entre les individus, ces rapports ayanttrait à l’usage des ressources (Demsetz, 1967 ;Furubotn et Pejovich, 1972).Ainsi, les droits depropriété influencent les comportements et desdroits bien définis et garantis sont nécessairespour une utilisation efficace des ressources. Ilspermettent d’internaliser les externalités par leurfonction de coordination.

Les institutions sont aussi déterminantes dansl’allocation des ressources. Selon North (1991),elles «sont des contraintes humainement conçues

qui structurent les interactions politiques, écono-miques et sociales ». Elles consistent en descontraintes informelles (les sanctions, les tabous,les coutumes, les traditions et les codes de com-portement) et en des règles formelles (les consti-tutions, les lois et les droits de propriété). Lesorganisations formelles, les contrats, les marchés,les règles culturelles ou les codes de com-portement sont des institutions dans la mesureoù ils peuvent contraindre les relations entre desindividus ou des groupes. Les transactions entreindividus et les externalités sont des situationsfavorisant l’émergence des institutions dans lamesure où les activités engendrent des coûts.Aussi, une institution est-elle un arrangementpour minimiser les coûts des activités humainesen protégeant les agents des comportementsopportunistes par la mise en place de contrats.

Dans le cas de la forêt de Tiogo, trois régimes dedroits de propriété (correspondant à trois typesd’institutions) peuvent être mis en concurrencepour une gestion efficace de la ressource : lesrégimes public, privé et communautaire. L’Étatfonctionne par la réglementation et par lamenace (la peur du gendarme), le marché, par lessignaux des prix incitant les individus à modifierleurs choix, et les organisations locales, par desaccords fondés sur des négociations, des coopé-rations et des persuasions. Le choix parmi cestrois régimes devrait se faire selon le critère de laminimisation des coûts de transaction dans l’allo-cation de la ressource (Coase, 1960).

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107Économie de l’environnement et des ressources naturelles

Gestion d’une ressource naturelle et action collective:le cas de la forêt de Tiogo au Burkina Faso

BIODIVERSITÉ ET RESSOURCES RENOUVELABLES

L’analyse des coûts de transaction dans le cas dela forêt de Tiogo montre qu’ils sont importants àla fois pour le privé et pour le public. Ces deuxinstitutions devraient supporter des frais nonnégligeables de surveillance, d’exclusion, denégociation et d’imposition des règles. Lesexternalités négatives pour la forêt de Tiogo sejustifient également par les coûts de transactionénormes pour l’État. En revanche, pour lescommunautés locales, il apparaît que les coûtsd’exclusion, de surveillance, d’information etd’imposition sont faibles. Mais la négociationserait coûteuse, car les différents acteurs devraientse déplacer, se réunir pour que des compromis sefassent dans chaque village.

Le passage d’un régime de droits de propriété pu-blique vers des régimes plus atténués (droits depropriété en commun) a pour effet la minimisationdes coûts de transaction. Dès lors, les bénéficessociaux des droits communautaires sont la réduc-tion des comportements opportunistes et la préser-vation de la forêt. En effet, la communauté peutédicter des règles précises et contraignantes d’accèsà la forêt,mais cela suppose l’existence d’institutionscommunautaires capables d’imposer des règles degestion collective dans l’intérêt de tous.

Institutions locales et gestion communautaire:une alternative à ladégradation de la forêt

La gestion communautaire suppose l’existenced’un régime de droits de propriété en commun.Cela signifie qu’un groupe d’utilisateurs partagedes droits et des obligations vis-à-vis d’une res-source, en l’occurrence la forêt.

Les résultats des enquêtes montrent que 64% deschefs de ménage estiment qu’une structureefficace de gestion de la forêt devrait se composerde l’État, des autochtones et des immigrés. Dèslors, il pourrait y avoir un partage des droits entrel’État et l’ensemble de la population riveraine :droits d’accès, d’extraction,de gestion,de cession,d’aliénation. La population locale devrait alorsavoir un système de gestion communautaire deces droits.

Les avantages d’un régime de gestion commu-nautaire sont : la possibilité de donner des droitssans morceler la forêt, une efficacité dans la ges-tion avec la participation accrue de la population,l’internalisation des externalités négatives enminimisant les coûts de surveillance, des travauxd’entretien, de négociation, etc. De plus, il existe,au sein des communautés riveraines de la forêt deTiogo, des mécanismes internes (système derécompenses et de sanctions accepté par tous lesacteurs) assurant le respect des engagements et unegarantie d’efficacité.Le chef de terre ou le chef devillage, ainsi que le conseil des sages constituentl’autorité d’où émanent les décisions et lessanctions dans un village.Le chef de terre est ainsiune personnalité importante dans le village ; ilattribue la terre, fait les sacrifices nécessaires pourla protection du village et règle les conflits liés àl’utilisation de la terre et à la vie quotidienne. Lesvillageois continuent d’utiliser ces institutions pourrésoudre leurs problèmes (conflits entre agricul-teurs et éleveurs ou entre familles). Lorsqu’unconflit ne trouve pas sa solution avec les méca-nismes du village, ils ont alors recours aux insti-tutions formelles (administrations étatiques). Maisune absence de coopération entre les acteurs àl’intérieur et entre les villages constituerait unrisque d’échec de la gestion communautaire ; ilpeut y avoir aussi un risque de capture du systèmepar des élites villageoises.

La participation actuelle des chefs de ménage àl’entretien de la forêt (67% de l’échantillon) sejustifie entre autres par l’importance des bosquetssacrés à l’intérieur de celle-ci.Le bois sacré révèlela valeur spirituelle de ces lieux, témoins de larelation étroite entre la forêt et les villageois, etmet l’accent sur la possible coopération entrevillages et entre individus pour entretenir la forêt.D’une manière générale, les chefs de ménage

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affirment pouvoir coopérer pour mettre en placedes règles de gestion et les faire respecter.Le finan-cement de la gestion forestière se ferait alors parleur consentement à payer pour l’entretien de laforêt, estimé à 487 FCFA par mois et par ménage.

Conclusion

Dans un environnement institutionnel favorable,les communautés rurales peuvent apporter dessolutions aux problèmes fonciers et aux problèmesde gestion des ressources forestières. Le succèsd’une gestion communautaire d’une ressourcecomme la forêt est plus probable si c’est la com-munauté elle-même qui définit sa stratégie et sesrègles de gestion, et qu’elle est le moteur de ceprocessus (même si à des niveaux différents despartenaires comme l’État ou les ONG peuventapporter leurs contributions).Au Burkina Faso,dans le cas des ressources naturelles en général etde la forêt de Tiogo en particulier, un réaména-gement de la structure des droits de propriété enfaveur des acteurs locaux peut fournir les inci-tations nécessaires à une meilleure coordinationdans l’exploitation de ces ressources.

La forêt constitue aussi un univers culturel, faitde représentations du monde qui ne se réfèrentpas forcément à la production marchande. Ladurabilité de la gestion forestière, dans cette op-tique, dépend alors de son adaptabilité aux repré-sentations et pratiques sociales, le tout dans unsouci d’équité intra et intergénérationnelle.

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109Économie de l’environnement et des ressources naturelles

Gestion d’une ressource naturelle et action collective:le cas de la forêt de Tiogo au Burkina Faso

BIODIVERSITÉ ET RESSOURCES RENOUVELABLES

Présentation de la forêt de Tiogo

La forêt classée de Tiogo est située administrativement dans les départements de Kyon et de Tenado, dans laprovince du Sanguié. Elle est localisée sur l’axe Koudougou-Dédougou, à environ 40 km de Koudougou. Elle apour coordonnées géographiques les 2° 39’ et 2° 52’ de longitude Ouest et 12° 11’ et 12° 24’ de latitude Nord.La forêt de Tiogo a été classée par l’arrêté n° 114/SE du 17 janvier 1940. Sa superficie de classement était de37600 hectares, mais elle est estimée de nos jours à 30000 hectares.

Plusieurs villages bordent la forêt de Tiogo à des distances variables. Les principaux villages de la zone ayantdes groupements de gestion forestière (GGF) sont ceux de Ténado, Tio, Tiogo, Tialgo, Kyon, Négarpoulou, Bwo,Poa, Esapoun, Po, Balivarsé et Ziliwélé.

La forêt de Tiogo porte le nom du même village. Tiogo se compose de deux noms lyélé: «Tio», qui est le nomdu village voisin situé à environ 6 km à l’est sur la route de Koudougou, et «go», qui désigne la brousse. Tiogosignifie donc «la brousse de Tio».

Les groupes ethniques composant la population riveraine sont les Gourounsis (autochtones et groupemajoritaire) et les migrants que sont les Mossis, les Peuls, les Samos et même des Maliens. La population de lazone de Tiogo se caractérise par la prédominance de familles polygames et par la précocité des mariages.L’activité principale est l’agriculture avec de l’élevage de bovins, d’ovins, de caprins et de volailles. L’activitésecondaire est la culture maraîchère. Le ramassage et la coupe du bois apportent des revenus non négligeablesainsi que la commercialisation des produits forestiers non ligneux.

Enquête

Cette étude est basée sur une enquête menée auprès de ménages, effectuée en février et en mars 2001 dans les12 villages ci-dessus cités. La taille de l’échantillon, soit 300 ménages, a été calculée sur la base des donnéesdémographiques de l’Institut National de la Statistique et de la Démographie (INSD). Chaque village n’ayantpas le même poids, la fréquence par village a été calculée en divisant le nombre de ménages du village par lenombre total des ménages. La fréquence par village multipliée par 300 a donné le nombre de ménages àenquêter par village. La personne répondant aux questions est le chef de ménage. Le ménage est défini commeun groupe de personnes, apparentées ou non, qui vivent dans la même enceinte, qui prennent en général leurrepas ensemble à partir d’un stock commun et qui répondent à l’autorité d’un même chef de ménage.

Extrait du Code forestier du Burkina Faso

Des infractions en matière forestière

Art. 258: Sont punis d’une amende de 100000 F à 1000000 F et d’un emprisonnement de 6 mois à 3 ans ou del’une de ces deux peines seulement:

– ceux qui allument intentionnellement des feux incontrôlés dans les forêts classées, parcs nationaux et autresaires protégées;

– ceux qui procèdent à la destruction d’un périmètre de reboisement ou de restauration;

– ceux qui réalisent des activités d’exploitation industrielle des produits forestiers sans autorisation préalable.

Art. 259: Sont punis d’une amende de 50000 F à 500000 F et d’un emprisonnement de 3 mois à 2 ans ou del’une de ces deux peines seulement:

– ceux qui allument des feux incontrôlés sur le domaine forestier protégé;

– ceux qui par négligence ou par imprudence provoquent des feux incontrôlés dans les forêts classées ;

– ceux qui procèdent à des défrichements non autorisés dans les forêts classées ;

– ceux qui procèdent à la destruction d’essences forestières protégées.

Art. 260: Sont punis d’une amende de 20000 F à 200000 F et d’un emprisonnement de un mois à un an ou del’une de ces deux peines seulement:

– ceux qui réalisent des activités d’exploitation commerciale des produits forestiers sans autorisation préalable;

– ceux qui laissent divaguer les animaux dans les forêts non ouvertes à leur pâturage;

– ceux qui procèdent à la coupe de bois vert sans autorisation.

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110 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE Nos 66-67

Art. 261: Sont punis d’une amende de 5000 F à 50000 F:

– ceux qui procèdent à l’ébranchage ou à la mutila-tion des arbres ;

– ceux qui circulent dans une forêt classée à des finstouristiques, scientifiques ou autres, sans autori-sation;

– ceux qui procèdent au déplacement ou à ladestruction des bornes, balises et autres moyensde délimitation du domaine forestier classé.

Art. 262 : Dans un but d’éducation, et en tenantcompte des circonstances de l’espèce, le tribunal peutremplacer les sanctions prévues à l’article précédentpar un travail d’intérêt commun.

Figure 3 – Prix moyen du kg de bois à Ouagadougou

1980

1982

1984

1986

1988

1990

1992

1994

1996

1998

2000

Années

Prix

en

F CF

A

0

5

10

15

20

25

30

35

40

Source : INSD (2002)

Atelier régional sur l’évaluation économique et la valorisation de la biodiversité en Afrique de l’Ouest

COTONOU (BÉNIN), AUTOMNE 2005

L’Atelier régional de Cotonou s’inscrit dans une série de séminaires ateliers régionaux portant sur l’évaluationéconomique et la valorisation des ressources de la biodiversité dans différents contextes géographiques etécologiques. Il fait ainsi suite à:

– l’Atelier régional sur les ressources de la biodiversité dans le contexte insulaire et ayant regroupé les paysde l'Océan Indien à Antanarivo (Madagascar) en 2003

– l’Atelier régional sur les ressources de la biodiversité dans le contexte des grands massifs forestiers etayant regroupé les pays d’Afrique Centrale à Kinshasa (Congo RD) en 2004

L’Atelier de Cotonou traitera des ressources de la biodiversité dans le contexte des pays à faible couvertforestier d’Afrique de l’Ouest. Il regroupera 30 participants provenant des pays suivants : Bénin, BurkinaFaso, Côte d’Ivoire, Guinée, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal et Togo.

Cet atelier s’inscrit dans une dynamique institutionnelle qui cherche à améliorer la prise en compte desdimensions économiques et sociales de la biodiversité dans la mise en œuvre de la Convention sur la diversitébiologique, dans la planification environnementale et les programmes de développement.

Cet atelier permettra de faire le point sur les approches économiques de l’évaluation et de la valorisation,au sens de mise en valeur, de la biodiversité. Il s’agit de discuter :

– des méthodes utilisées : caractéristiques, champ d’application, avantages, limites…;

– de leur pertinence par rapport aux évolutions méthodologiques et théoriques, et en fonction desspécificités des pays d’Afrique de l’Ouest ;

– de leur adéquation vis-à-vis des attentes des décideurs.

Les résultats attendus de cet Atelier sont entre autres :

– une meilleure reconnaissance de la dimension économique dans la gestion durable des ressourcesnaturelles de l’Afrique de l’Ouest ;

– une amélioration des méthodes d’évaluation environnementales en vue de la prise de décision dans lasous-région;

– une utilisation plus efficace et judicieuse des méthodes d’évaluation économiques traditionnelles enAfrique de l’Ouest ;

– des échanges d’expériences sur l’évaluation économique environnementale et la valorisation de la biodi-versité qui contribuent au renforcement du réseau d’économistes de l’environnement dans la sous-région.

Pour information:

S’adresser à Sory Ibrahim Diabaté,Responsable deProgramme, Institutde l'énergie del’environnement de laFrancophonie (IEPF),56, rue Saint-PierreG1K 4A QuébecCANADATél. : 1 (418) 692-5727Téléc. : 1 (418) [email protected]

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Dominique ROJAT

Économiste au DépartementDéveloppement rural, Environ-nement et Ressources natu-relles, Agence Française deDéveloppement, Paris.

La pêche crevettière, secteur d’exportation primordial pourMadagascar, était arrivée dans les années 1990 à une pleineexploitation, mais dans un contexte instable et avec des modes degestion porteurs de risques pour l’avenir. Le dialogue instauré entrel’État et le secteur privé à partir de 1994, avec l’appui de l’AgenceFrançaise de Développement, a permis de garantir la durabilité del’exploitation et de progresser à la fois sur la performance écono-mique du secteur et sur la responsabilité sociale et environne-mentale. Cette expérience réussie de cogestion démontre l’intérêtdes investissements institutionnels pour la gestion des ressourcesrenouvelables, à la fois d’un point de vue empirique, en termesd’analyse coûts-avantages, et théorique, à la lumière de l’économieinstitutionnelle.

Description du secteur et naissance du GAPCM

La filière crevettière, incluant pêches et aquaculture, est à la fois l’une desprincipales sources en devises de Madagascar, mais également unemployeur majeur dans ce pays en développement avec un PIB per capita

de 260 USD. Elle est donc considérée comme stratégique au niveau national.

La pêcherie (hors aquaculture) a été stable au cours de la dernière décennie, avecdes captures annuelles de 10000 à 12000 tonnes. La pêche industriellecomprend 70 chalutiers pour 9000 tonnes de production, contre 36 chalutierset 1000 tonnes pour la pêche artisanale. Ces flux représentent 52 millionsd’euros et environ 5000 emplois directs. Les captures de la pêche traditionnelle,opérant avec des pirogues non motorisées, sont de 1000 à 1500 tonnes.

La pêche se fait très près de la côte (figure 1), ce qui est une source de conflitsentre pêche industrielle et pêche traditionnelle. Les captures accessoires depoissons et de tortues marines sont aussi un sujet de préoccupation.

Au milieu des années 1990, l’attribution discrétionnaire des licences de pêche,dont la durée était limitée à un an, la compétition exacerbée entre armementset la perte de confiance entre l’État et le secteur privé avaient entraîné unegrande instabilité et des menaces sérieuses sur le devenir de la pêcherie, dontles résultats économiques et fiscaux n’étaient pas satisfaisants. Le Groupementdes Armateurs à la Pêche Crevettière de Madagascar (GAPCM), créé en 1994

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Économie de l’environnement et des ressources naturelles

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112 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE Nos 66-67LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE Nos 66-67

dans ce contexte difficile, a été la première étapede la cogestion du secteur.

Un mode nouveau de gouvernance

Dans le cadre du dialogue instauré entre le gou-vernement et le secteur privé, et avec l’appui del’Agence Française de Développement,du Minis-tère français des Affaires Étrangères et du FondsFrançais pour l’Environnement Mondial,un Pro-gramme National de Recherche Crevettière(PNRC), un centre de surveillance des pêches etun observatoire économique ont été mis en place,la pêcherie a été stabilisée, et le système d’attri-bution des licences a été profondément modifiédans un sens plus transparent et équitable. Lesprincipaux acquis du décret 2000-415 qui aconsacré cette réforme sont:

- le gel de l’effort de pêche et la surveillancesatellitaire obligatoire des navires ;

- l’extension de la durée des licences à 20 ans,avec redevances payables annuellement, trans-férabilité et mise aux enchères des licenceslibres1 ;

- la transparence et l’obligation des armementsde fournir l’information requise au PNRC2

et à l’Observatoire économique institués parle décret3 ;

- la restauration de l’équité par la suppressiondes zones exclusives et la limitation du nom-bre de licences détenues par un armement ouun groupe financier à moins de 40% du totalattribué;

- la répartition de la rente par augmentation desprélèvements de l’État avec un objectif de 8%de la valeur des captures en 2002;

- l’incitation à l’amélioration de la valeur ajou-tée par le biais de sanctions ou de retraits delicences pour les sociétés les moins perfor-mantes, à la lumière des résultats de l’Obser-vatoire économique.

Des résultats économiques,sociaux et environnementaux

La cogestion a d’abord entraîné une améliorationspectaculaire des résultats économiques.Ainsi, leprix de la crevette malgache est resté stable, alorsque les prix du marché mondial déclinaientfortement (figure 2), et le gain net de valeurajoutée qui en a résulté sur les années 2000 à2002 a atteint 27 millions d’euros, soit la moitiéde la valeur des exportations (figure 3). Cette

Figure 1 – Zones de pêche à la crevette à Madagascar

Source : Programme National de Recherche Crevettière

1. C'est-à-dire expirées, retirées pour faute envers un autreopérateur, ou résultant d’une décision d’accroîtrel’effort de pêche dans les limites préconisées par larecherche scientifique.

2. Le PNRC a suffisamment approfondi les connaissancesscientifiques sur la ressource crevettière pour aboutir àune modélisation économique de l’ensemble de lapêcherie, y compris de la pêche traditionnelle, dont lecalibrage a été effectué en partie sur les données del’Observatoire économique.

3. L’Observatoire économique, structure paritaire associantl’État et les professionnels, publie chaque année lesperformances micro et macroéconomiques de la filièrecrevette en utilisant une méthode inspirée de la méthodedes effets, qui analyse la valeur ajoutée et les importationsincluses dans l’ensemble des flux de produits et la répar-tition de la valeur ajoutée entre les agents économiques.Les traitements effectués permettent de mesurer lacontribution de la filière au PIB, à la création d’emplois,à la balance commerciale et aux recettes publiques.

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Cogestion de la pêche crevettière à Madagascar

Économie de l’environnement et des ressources naturelles

BIODIVERSITÉ ET RESSOURCES RENOUVELABLES

performance est due à un effet taille (les crevettesmalgaches issues d’une ressource bien gérée étantde gros calibre) et à un effet spécifique sur lesprix des exportations ; les entreprises, dont cer-taines avaient des participations dans des sociétésde commercialisation à l’étranger et pratiquaientdes prix de transfert (le différentiel moyen avaitété évalué à 8%), ont été fortement incitées, enraison de la transparence apportée par l’Obser-vatoire économique et du risque de retrait deslicences en cas de mauvaise performance, àréaliser de meilleurs prix qu’auparavant.

Un calcul avantages/coûts, utilisant commeavantage le gain de valeur ajoutée de 27 millionsd’euros évoqué plus haut, et comme coût l’en-semble des charges liées à la cogestion, y comprisl’appui des bailleurs de fonds et l’assistance tech-nique extérieure depuis la création du GAPCM,a abouti à un ratio hautement favorable de 1,5.

Parallèlement, l’État, dont les recettes fiscalesétaient négligeables jusqu’en 1994, a pu préleverune part croissante de la rente de la pêcherie,atteignant l’objectif fixé par le décret 2000-415de 8% de la valeur des captures à partir de 2002(figure 4).

La pêcherie a également progressé vers la coopé-ration entre les pêcheurs industriels et tradition-nels, avec la mise en place à partir de 2003 dezones d’aménagement concerté où doit sedérouler un processus de dialogue aboutissant àdes contrats de gestion, à des mécanismes decoopération économique (organisation de filièresde collecte, crédits de campagne) et à des actionsde développement local.

Enfin, diverses actions ont été réalisées, principa-lement par l’initiative des professionnels, et demanière progressive, dans les différentes zones depêche.

Changements apportés aux engins de pêche:– diminution de la corde de dos et augmenta-

tion du maillage des chaluts ;– abandon des chaînes racleuses ;– suppression des chaluts jumeaux;– dispositifs de réduction des captures de

poissons et de tortues.Changements dans les stratégies de pêche:– allongement des périodes de fermeture;

Figure 2 – Comparaison entre le prix moyen exportde la crevette de pêche d’origine malgache(USD/kg de crevette entière) et le prixinternational reflété par l’indice moyenUrner Barry sur la crevette blanche, en dollars courants

3,03,54,04,55,05,5

USD

/kg 6,0

6,57,07,58,0

19991996

Prix origine Madagascar

Indice moyen Umer Barry

2000 2001 2005

Sources : Observatoire économique et publications Urner Barry

Figure 3 – Valeurs ajoutées incluses (observée et pondérée) par l’indice Urner Barry, enmillions de FMG constants 2000 par tonne

20000,00

5,00

10,00

15,00

Mill

ions

de

FMG

con

stan

ts 2

000/

tonn

e

20,00

25,00

30,00

35,00

40,00

2001 2002

Figure 4 – Évolution des redevances sur licences de pêche en pourcentage de la valeur des captures de 1995 à 2003

Sources : Observatoire économique, calculs de D. Rojat et de M. Carli, publications Urner Barrya

20010123456789

2001 2001 2001 2001 2001 2001 2001 2001

Source : Observatoire économique

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114 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE Nos 66-67

– alternance de la pêche nuit/jour au cours dela saison;

– réduction de la durée des traits de chalut.

Ces actions avaient un triple objectif d’optimi-sation des rendements, de réduction des consom-mations énergétiques (et donc de diminution despollutions directes par le CO2 et induites par leslubrifiants) et de diminution des captures acces-soires de poissons et de tortues.

Les plus importantes parmi les mesures mises enœuvre par les professionnels ont été reprises dansla réglementation; ainsi, les dispositifs d’échappe-ment de tortues ont été rendus obligatoires en2004.

La tendance à l’augmentation de la valeur ajoutéeà la suite des mesures de réduction de la consom-mation énergétique et d’optimisation des rende-ments est déjà perceptible, même si les résultatsdéfinitifs ne sont pas encore disponibles.

Concernant les tortues, des actions de formationdes équipages et de suivi et marquage des ani-maux sont en cours.

En ce qui a trait aux captures accessoires depoissons, l’objectif des professionnels a été deréduire à la fois les captures par l’installation dedispositifs d’évitement, afin d’éviter un gaspillageécologique, et les rejets des poissons qui sontcapturés malgré les mesures prises, afin d’éviterun gaspillage nutritionnel pour Madagascar, oùsévit une sous-alimentation en protéines. Laréglementation impose désormais aux entreprisesde pêche de débarquer un quota de 0,5 kg depoisson par kg de crevettes pêchées, et 3000tonnes ont été effectivement débarquées en 2004.

Les principes de la cogestion à la lumière de l’économieinstitutionnelle

Il existe de nombreuses références tant historiquesque contemporaines d’une gestion des pêchesimpliquant directement les usagers (prud’homiesde pêche en Méditerranée française, Cofradiasespagnoles, comités locaux pour la gestion de lapêche à la morue aux îles Lofoten, coopérativesjaponaises opérant sur une base territoriale,gestionde la pêche côtière aux Samoa, etc.). Mais la co-gestion, au sens moderne de «partage du pouvoiret des responsabilités entre le gouvernement et les

utilisateurs de la ressource» 4, est devenue un sujetd’actualité, particulièrement dans le domaine despêches où sévit une surexploitation généralisée etoù la simple accumulation d’actions techniques,juridiques et économiques, même bien conçueset menées de manière «participative», ne permetpas une évolution favorable. La cogestion est leprincipal défi à relever,car elle conditionne l’effica-cité et l’acceptabilité de toute mesure de gestion.Elle a été reconnue comme une priorité par laBanque mondiale dans son document «Saving fishand fishers» de mai 2004.

À côté des approches empiriques et de l’analysecoûts-avantages classique, il peut être utile de faireune lecture de la cogestion à l’aide des outilsthéoriques, peu utilisés dans ce contexte, del’économie institutionnelle.

Échec du marché et rôle de l’Étatdans la gestion des ressourcesrenouvelables en accès libre

La ressource halieutique est un patrimoine de lacollectivité nationale, les objectifs de celle-ci étantd’en retirer le maximum de bénéfice économiquetout en gérant les équilibres sociaux et régionaux,et en préservant sa durabilité. Or, le seul jeu dumarché ne permet pas d’atteindre ces objectifstant que la ressource demeure un bien public ausens strict, c’est-à-dire que les droits d’usage,qu’ilssoient individuels ou collectifs, n’en sont pasdéfinis.Cette situation d’accès libre conduit à desexternalités négatives par effet d’encombrement;c’est la «tragédie des communs» (G.Hardin,1968)qui se traduit par une surcapacité de pêche, unediminution de la ressource et une dissipation de larente représentée par la valeur économique decelle-ci.

L’État est donc fondé à intervenir, d’abord enréglementant l’exploitation (lieux, saisons,navires,engins et techniques de pêche, quotas globaux ettailles minimales pour les espèces capturées…)afin d’assurer la durabilité de la ressource et lapréservation de l’écosystème qui la supporte.Compte tenu de la défaillance du marché, il luirevient également, après avoir fixé les grandsobjectifs d’exploitation de la ressource dans le

4. Définition commune à World Resources Institute, UICN,PNUE, FAO, UNESCO, chapitre VI, « Action 35 »,1992.

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Cogestion de la pêche crevettière à Madagascar

BIODIVERSITÉ ET RESSOURCES RENOUVELABLES

cadre de ses responsabilités macroéconomiques,de déterminer l’allocation des droits d’usage quien découle, en limitant l’accès à la pêcherie oul’effort de pêche : émission de licences pourdifférents types d’activités, délivrance de permis,voire de quotas individuels, etc.

Les outils réglementaires peuvent aller de pairavec des instruments fiscaux, comme des taxesbasées sur le principe pollueur-payeur, selonl’approche de C.Pigou, permettant d’internaliserles externalités tout en prélevant une partie de larente au profit de l’État. Ce dernier peut aussiinstaurer des mécanismes de marché pour l’ac-quisition ou l’échange des droits d’usage : miseaux enchères des licences, possibilité d’échangedes permis ou des quotas individuels.

L’État et le secteur privé:le dilemme du prisonnier

Autant l’intervention publique est nécessaire,autant l’État, s’il agit seul, ne peut atteindre l’effi-cacité maximale, en raison de coûts de transactionélevés (Coase, 1988).

La première raison à cela est l’asymétrie d’infor-mation entre les entreprises, qui connaissentparfaitement leurs conditions d’activité, et l’État,responsable de la gestion du secteur, mais obligéd’acquérir l’information qui lui manque au moyend’activités coûteuses de recherche scientifique etd’analyse économique (coûts de transaction ex anted’O.Williamson,1995).Dans l’incertitude où ellesse trouvent quant aux intentions de l’État, lesentreprises sont incitées à ne pas communiquerl’information dont elles disposent (opportunismeex ante), ce qui est contre-productif (effet desélection adverse).

La deuxième raison est que l’État supporte descoûts élevés de formulation et d’application de laréglementation et des modalités d’allocation desdroits d’usage, y compris les coûts de surveillance,de contrôle et de sanction (coûts de transactionexpost de Williamson). Ces coûts seront d’autantplus élevés que, si le travail a été fait sansconcertation, l’acceptabilité sociale des règlementset modalités d’allocation n’est pas garantie, ce quine diminue pas les risques de fraude,d’autant quecelle-ci est payante (opportunisme ex post, ou aléamoral). L’État peut alors être tenté de durcir exa-gérément la réglementation, le contrôle et les

sanctions, aggravant encore le manque de con-fiance, alors qu’il manque de moyens pourconnaître et pour contrôler l’activité.

Ainsi, l’État et le secteur privé sont dans la situa-tion du « dilemme du prisonnier » (Axelrod,1984), où les décisions indépendantes sont sous-optimales, tandis que la coopération peut per-mettre d’améliorer le résultat pour chacun despartenaires.

La cogestion vue sous l’angle du modèle Principal-Agent

L’équilibre coopératif qui est la solution de basedu dilemme du prisonnier (une assurance mu-tuelle sur les comportements permet d’arriver àune décision conjointe globalement meilleurepour toutes les parties) suppose une parité desacteurs, c’est-à-dire un niveau égal d’informationet de responsabilité de chacun dans le processusde décision.Cependant, cette condition n’est pasremplie dans le cas de la gestion d’une pêcherie,où l’État joue un rôle spécifique. Dans cecontexte, la référence adéquate est le modèlePrincipal-Agent (Laffont et Martimort, 2002),qui s’applique aux rapports entre une autoritérégulatrice et un (ou des) opérateur(s), c’est-à-dire entre des acteurs « non pairs » et dontcertains intérêts divergent.

Dans ce modèle, le Principal (ici, l’État) proposeun contrat à l’Agent (ici, le ou les opérateur(s))par lequel celui-ci accepte de tenir compte desobjectifs du Principal (en l’occurrence le respectde la réglementation et la performance écono-mique) en échange de sanctions positives ounégatives (ici, les droits de pêche) dans uncontexte d’asymétrie d’information.Le Principalne peut observer directement le comportementde l’Agent, ce dernier étant jugé sur le résultatqu’il obtient sur la base des critères prévus aucontrat. Par ailleurs, le résultat observé est corréléà l’action de l’Agent,mais de manière non déter-ministe. Il existe des bruits et des aléas dans larelation entre l’action et le résultat.Pour résumer,«l’acteur en position de Principal maîtrise la règledu jeu, sans détenir toute l’information utile,tandis que l’acteur en position d’Agent se plie àla règle tout en contrôlant la marge d’incertitudeque lui confère son avantage en termes d’infor-mation» (N. Curien).

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Les figures 6 à 8 ci-après, extraites d’un diapo-rama, illustrent le raisonnement qui vient d’êtretenu dans le cas de la pêcherie crevettière deMadagascar.

La cogestion comme élémentessentiel d’une pêcherieresponsable

La filière crevette de Madagascar associe aujour-d’hui la durabilité et la performance économique.La maîtrise globale associée à la gestion localisée

116 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE Nos 66-67

Figure 6 – Situation de la pêcherie dans les années1990, ayant abouti à la création du GAPCM

Figure 7 – Le dilemme du prisonnier entre l’État et le secteur privé

de l’effort de pêche, la réflexion sur des marchésde droits (quotas individuels transférables), la coo-pération avec la pêche traditionnelle et la préser-vation de la biodiversité par la limitation descaptures accessoires sont en cours, avec une largeplace pour les initiatives des professionnels,qui vontparfois au-delà des demandes de l’État, tandis quel’écocertification, incluant le secteur de l’aqua-culture,est à l’étude en collaboration avec le WWF.La pêcherie est donc économiquement, sociale-ment et environnementalement responsable auregard notamment du code de conduite de la FAO(Organisation des Nations Unies pour l’agricultureet l’alimentation) qui représente la référence en lamatière.

Cette expérience réussie montre que le secteurprivé est capable d’initiatives en faveur de la sainegestion des ressources lorsque celles-ci sont ren-tables et sanctionnées par le marché, comme c’estle cas pour la certification.

Elle montre également que la cogestion est dou-blement gagnante à trois niveaux: collectiviténationale et secteur privé; pêcheurs industriels ettraditionnels;développement et préservation de labiodiversité.Ainsi, elle donne du sens aux liensindispensables entre transparence, bonne gouver-nance, construction de capacités, réduction de lapauvreté et développement durable;elle contribueégalement à définir les rôles respectifs de l’État etdu secteur privé,et le partenariat entre eux.Enfin,elle justifie empiriquement,par les outils classiquesde l’analyse coûts-avantages, et théoriquement, àtravers l’apport de l’économie institutionnelle, lesinvestissements immatériels que peuvent faire lesentreprises, les États et les bailleurs de fonds en vuede créer des mécanismes qui permettent deformuler des décisions de gestion des ressourcesrenouvelables au mieux des intérêts communs.

Une des leçons à tirer est aussi que la conduitedu processus, sur le terrain, est un élément essen-tiel de la réussite. En l’espèce, les principauxfacteurs ont été:

• l’implication de toutes les parties prenantes, ycompris les petits opérateurs, auxquels lesrègles de décision du GAPCM réservent uneplace importante, puis, par la suite, les pêcheurstraditionnels ;

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Cogestion de la pêche crevettière à Madagascar

BIODIVERSITÉ ET RESSOURCES RENOUVELABLES

Figure 8 – Caractéristiques du modèle Principal-Agentet application à la pêcherie malgache

• l’exhaustivité: de la connaissance scientifique àla surveillance et au contrôle des opérateurs, enpassant par les données techniques, écono-miques, commerciales et humaines de l’activitéde la filière, le contrôle des produits et l’éco-certification, tous les domaines qui pouvaientconcourir à l’établissement d’une gestiondurable de la ressource ont été abordés, sanschaînon manquant;

• la centralisation des financements des bailleursde fonds sur le GAPCM et l’administrationdes pêches (y compris les appuis relatifs auPNRC et à l’Observatoire économique) : iln’y pas eu de saupoudrage sur une pluralitéde structures, ce qui aurait pu nuire àl’efficacité de la démarche, et les acteurs ontété ainsi responsabilisés ;

• la constance et la cohérence de l’appui : lesoutien financier et l’appui technique del’AFD ont été constants sur toute la périodede construction de la cogestion (presque10 ans), quels qu’aient été les changements dedirection politique.L’AFD a notamment veilléaux ressources humaines en prenant en chargele poste de responsable de l’Observatoireéconomique et en assurant la transition, pourle temps nécessaire, du poste de secrétairegénéral du GAPCM.

Enfin, du point de vue de l’AFD, en termes deconception des projets, les conclusions tirées del’expérience malgache seront précieuses nonseulement dans le secteur de la pêche, mais aussipour la gestion d’autres types de ressources, qu’ils’agisse des groupements pastoraux, des contratsd’aménagement pour l’exploitation forestière, ouencore des agences de l’eau.

Références

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Coase, R., «The firm, the market and the law»,University of Chicago press, 1988.

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Laffont, JJ. et D. Martimort, «The Theory ofIncentives, the Principal-Agent Model», 2002.

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Observatoire économique, «Analyse dynamiqueet macroéconomique sur l’exercice 2002 dela sous-filière pêche industrielle crevettière»,Rapport n° 9, tome 1, 2004.

Observatoire économique, «Analyse dynamiqueet macroéconomique sur l’exercice 2002 dela sous-filière aquaculture industrielle decrevette», Rapport n° 9, tome 3, 2004.

Ranaivoson,Eulalie et Z.Kasprzyk, éd., «Aména-gement de la pêche crevettière à Madagascar»,Actes de l’atelier, 2000.

Rojat,D.,Rajaosafara, S.,Chaboud,C., 2004,Co-management of the Shrimp Fishery in Madagascar,Proceedings of the 12th International Instituteof Fisheries Economics and Trade Conference,Tokyo, juillet 2004.

Samudra,Avril,L’indispensable cogestion, Éditorial,2000.

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SEPIA p/c du GAPCM, «Étude d’impact et deretombées économiques de la pêche et del’aquaculture à Madagascar», Rapports finaux 1(Analyse de la filière et des sous-filières et desconditions de mise en place d’un observatoireéconomique) et 2 (Analyse intracomparative dela sous-filière pêche industrielle et thèmesparticuliers), 1998.

SEPIA p/c Projet d’Appui Institutionnel à laGestion Publique (PAIGEP), Identification d’un

système approprié d’octroi de licences de pêchecrevettière à Madagascar, 2000.

Watt,P.,Manuel de cogestion des ressources halieutiquescommerciales en Océanie,CPS (Secrétariat généralde la Communauté du Pacifique), 2001.

Williamson,O.,The Economic Institutions of capita-lism, (documentation Internet), 1985.

Pour en savoir plus : http://www.madagascar-contacts.com/gapcm/

118 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE Nos 66-67

M. Ahmed Djoghlaf (Algérie) prend les commandes d’un des traités phares en matière d’environnement

Nairobi/Montréal, 21 juin 2005 – Il a été annoncé aujourd’hui que M. Ahmed Djoghlaf, de nationalitéalgérienne, a été nommé Secrétaire Exécutif de la Convention sur la Diversité Biologique (CDB) dont le siègeest à Montréal, Canada.

M. Djoghlaf, qui succède à Hamdallah Zedane (Égypte), a une expérience étendue en matière d’environne-ment, de biodiversité et d’organisations multilatérales.

Présentement, il est Directeur de la Division du Fonds pour l’Environnement Mondial (FEM) au sein duProgramme des Nations Unies pour l’environnement à Nairobi, Kenya.

À ce poste depuis 1996, il a joué un rôle fondamental pour placer le PNUE et ses activités au premier plan,dans le cadre de cet important fonds multimillionnaire. M. Djoghlaf détient également le titre d’Assistant auDirecteur Exécutif du PNUE.

Avant ce poste, il a occupé de nombreuses fonctions y compris celle de Chargé principal par intérim desquestions intergouvernementales et modalités de coopération au Secrétariat de la CDB, où il était en chargedes réunions telles que la première et seconde Conférences des Parties.

En 1994, il était également le Conseiller Spécial du Secrétaire Exécutif de la CDB, en charge par exemple dela préparation de la première Conférence des Parties qui s’est tenue à Nassau, Bahamas au mois de décembrede la même année.

Avant cela, M. Djoghlaf a occupé une série de postes importants au sein du Gouvernement algérien.

Il a un doctorat de l’Université de Nancy, France ainsi que de nombreuses qualifications académiques ycompris un Master en Gouvernement et Politiques de l’Université St John’s, New York, États Unis.

M. Klaus Toepfer, Directeur Exécutif du PNUE a dit aujourd’hui: «ce sera une grande perte pour le PNUE quede voir partir Ahmed Djoghlaf. Il a réellement changé le rôle du PNUE au sein du FEM et sa présence nousmanquera énormément. Mais notre perte est un gain pour la CDB. M. Djoghlaf a les compétences,l’intelligence et l’expérience pour faire avancer cette convention au 21e siècle.»

Pour plus d’informations, prière de contacter Nick Nuttall, Porte-parole du PNUE, Bureau du DirecteurExécutif, au Tél : +254 20 62 3084; Portable: +254 733 632 755, E-mail : [email protected]

En cas d’absence de réponse immédiate, prière de contacter Elisabeth Waechter, Chargée d’InformationAssociée, au Tél : 254 20 623088, Protable: 254 720 173968, E-mail : [email protected]

PNUE Communiqué de Presse 2005/32

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119Économie de l’environnement et des ressources naturelles

Pierre-Frédéric TÉNIÈRE-BUCHOT

Gouverneur du Conseil Mondialde l’Eau (World Water Council) ;conseiller du Panel mondial pourle financement des infras-tructures hydrauliques («panelCamdessus»), Administrateur del’Académie de l’eau, Adminis-trateur du Cercle français del’Eau, Vice-président du Pro-gramme Solidarité Eau (pS-eau),Administrateur du MouvementUniversel pour la ResponsabilitéScientifique (MURS), Adminis-trateur de Pro-Natura Interna-tional.Auteur de plusieurs ouvrages etde nombreux articles. Derniersouvrages publiés: Le développe-ment durable de l’eau, in MarcelBoiteux, L’homme et sa planète,Académie des Sciences Morales etPolitiques (PUF, 2003). Eau, avecMichel Camdessus, BertrandBadré et Ivan Chéret (RobertLaffont, 2004).Chevalier de la Légion d’Honneur.

Deux approches des enjeux économiques de la gestion de l’eau sontenvisageables: une approche micro-économique par le coût et leprix du service de l’eau, une approche macro-économique parl’évaluation de la demande à financer pour satisfaire les objectifs dumillénaire pour le développement en matière d’alimentation en eaupotable et en assainissement. Une difficulté commune à ces deuxapproches persiste: comment surmonter l’obstacle de la pauvretéqui concerne plus de 20% de la population mondiale actuelle?

C’est en la payant que l’on gère l’eauconvenablement

L’eau de bonne qualité est rare. Elle est donc chère et quelqu’un doit lapayer. Ce peut être l’usager (domestique, industriel, agricole), on parlealors de tarification ou de prix de l’eau. Ce peut être la collectivité, à

travers une fiscalité qui couvre les frais du service de l’eau.

L’alimentation en eau potable chez l’habitant est un grand progrès tant quel’évacuation des eaux usées après lavage, cuisson, refroidissement et autresfonctions a été effectuée. Imaginez dans une cuisine un évier qu’on ne pourraitjamais vider, dans une salle de bain une baignoire sans bonde.Tout cela ne seraitpas viable et périrait dans une inondation générale. Il en va de même pour tousles usagers de l’eau si l’on s’en tient aux règles de bonne gestion durable :l’évacuation des eaux usées ou en excès et leur traitement avant rejet dans lemilieu naturel sont à prévoir. Le coût de ces opérations est du même ordre degrandeur, voire supérieur au traitement et à la distribution de l’eau potable.On ne peut pas, on ne doit pas, considérer le tuyau d’amenée de l’eaudifféremment du tuyau d’évacuation.

À ces deux coûts principaux, on peut ajouter la protection de la ressourcehydraulique et la préservation des milieux naturels, ainsi que la protection contrecertains risques, comme les inondations.

Des normes, des standards, des recommandations définissent le niveau de qualitédu service de l’eau. En Europe, une directive-cadre sur l’eau rassemble cesexigences.Elle se traduit par un coût objectif de l’ensemble eau-assainissement-prévention des risques d’environ 3,50 euros/m3.Aux États-Unis d’Amérique,les contraintes sont moins sévères et les coûts très variés à l’échelle municipale,

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120 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE Nos 66-67

selon l’abondance ou la rareté de la ressource.Dans le reste du monde, les exigences réglemen-taires sont basses, le coût et la qualité de l’eauégalement.

Le coût objectif qui résulte des normes de qualitéà respecter n’est pas obligatoirement accompagnéd’un prix adapté du mètre cube délivré auxusagers. Celui-ci est en moyenne de 4,50 eurosau Danemark et de 2,50 euros en France (avecdes poursuites judiciaires exercées par l’Unioneuropéenne en cas de non-observation desnormes de rejet d’eau épurée en provenance desmunicipalités et de l’agriculture) ; enfin, le prixpratiqué en Italie est de seulement 0,70 euro/m3

(ce qui justifie, dans les hôtels italiens, le conseilde s’abstenir de boire l’eau du robinet de la sallede bain…).

Au Canada, l’eau est souvent gratuite, il y en atellement. Cela ne constitue pas pour autant unemploi de bonne pratique du développementdurable. Dans beaucoup de pays moins avancés,l’eau est gratuite également. Une morbidité etune mortalité élevées pour ceux qui la boiventsont la conséquence de ce laisser-aller.

Faut-il pour autant recommander un prix de3,50 euros/m3, notamment dans des zones oùune proportion importante de la populationgagne moins de 1$/jour (360$/an)? La réponseest non, bien entendu, si l’on considère qu’unconfort minimal requiert 50 m3 d’eau par an etpar personne, et que le budget eau d’une famillede 4 personnes serait alors de 700 euros par an…

Et pourtant… pour des quantités d’eau bienmoindres (10 m3 par an) une qualité incertaineet en l’absence d’assainissement, l’eau est payée10 euros/m3 à des porteurs d’eau ambulantscupides. Pour 4 personnes, on atteint 400 eurosannuellement. Dans des familles plus aisées, del’eau embouteillée est achetée encore plus chèresur la base de 30 à 150 euros/m3. Personne n’ytrouve à redire en la portant à bout de brasjusqu’au lieu de consommation. Ce derniermarché connaît une croissance remarquablepartagée entre quatre groupes mondiaux (Nestlé,Danone, Coca-Cola, Pepsi) Dans l’univers del’eau, c’est le seul marché, hélas, qui soit finan-cièrement attrayant.

Ne pas faire payer les services publics de l’eau etde l’assainissement favorise l’essor de l’eau condi-tionnée en bonbonnes ou en bouteilles. C’estune mauvaise mesure qui, paradoxalement,favorise l’emploi (les nombreux camionneurs quitransportent les bonbonnes et les casiers debouteilles), alors que les réseaux de tuyaux d’eauet d’égout nécessitent des capitaux très élevés,mais se contentent d’un personnel faible. Cettemauvaise mesure est bien vue des responsablespublics qui transfèrent dans le secteur commercialune charge qu’ils n’ont plus à assumer fiscale-ment. C’est en promettant de baisser les impôtsque l’on se fait le plus aisément élire dans lesystème démocratique…

L’eau – bien alimentaire – progresse, l’eau – res-source naturelle – régresse. Sans impact dirimantpour les plus riches, cette tendance est aggravantepour les plus pauvres.

Mieux vaudrait gérer l’eau à son juste prix àl’échelle collective.Hors du discours, ce n’est pasce qui est observé aujourd’hui.

Les enjeux du millénaire

Deux objectifs du Millénaire pour le dévelop-pement ont été arrêtés en 2001 pour l’eau etl’assainissement de l’eau. Il s’agit dans chaque casde réduire d’ici 2015 de moitié la population quin’a pas accès à l’eau potable (1,1 milliard depersonnes en 2001) ou qui ne dispose d’aucundispositif d’assainissement (2,4 milliards depersonnes).

À la fois ambitieux et ambigus (comment fairepartie de l’heureuse moitié bénéficiaire? à quelniveau de qualité l’eau est-elle considéréecomme potable? quels niveaux d’assainissementet de protection de l’environnement sont pris encompte?), ces objectifs sont déclinés sans préci-sion par grandes régions du monde. À eux seuls,des résultats convenables en Chine (1,3 milliardd’habitants) et en Inde (1,2 milliard d’habitants)suffiront à faire oublier l’absence de résultats enAfrique subsaharienne (600 millions d’habitants).

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121Économie de l’environnement et des ressources naturelles

Enjeux économiques de la gestion de l’eau

BIODIVERSITÉ ET RESSOURCES RENOUVELABLES

Les évaluations chiffrées du coût de cet énormeprogramme d’investissement et de dépenses defonctionnement varient de presque rien (ce quiest consenti aujourd’hui : 7 milliards d’euros paran pour l’eau des pays en développement) à100 milliards par an pour respecter les normeseuropéennes ou nord-américaines*.

La moyenne consensuelle entre ces deux borness’est finalement située au doublement desmoyens, soit à 15 milliards d’euros par an, ouencore à 225 milliards d’ici 2015.

Nombreux sont ceux qui considèrent qu’unetelle somme est aisément mobilisable tant du côtédes aides publiques bilatérales et multilatéralesque du côté des financiers privés.

Rien n’est moins sûr cependant ; la confiance nerègne pas, les risques politiques, les risques dechange restent importants sur les longuespériodes (de 10 à 20 ans au minimum) qui carac-térisent les investissements hydrauliques. Le privés’intéresse plus à la téléphonie mobile ou àl’énergie qu’à l’eau et à l’assainissement.L’expres-sion partenariat-public-privé marque plus uneépoque (le tournant du XXe au XXIe siècle)qu’elle ne traduit une réalité concrète.

En bref, l’image qui s’impose en ce moment estcelle d’un avion qui roule – mais pas assez vite –sur une piste trop courte pour qu’il réussisse àdécoller…

Au-delà des fantasmes,quelques espoirs

Lorsqu’une société de transport ferroviaire veutsupprimer une ligne de son réseau, elle s’arrangepour que les trains roulent à des horaires sansaffluence: aller à 11h30 le matin, retour à 23h45,par exemple. Personne n’utilisant ce genre detrains, il est aisé de montrer qu’il n’y a désaf-fection de la clientèle, ce qui permet de sup-primer le service au nom de la rationalitééconomique.

L’attitude des institutions financières interna-tionales vis-à-vis de l’eau et de l’assainissementfait un peu penser à ce genre de montage. Il n’ya pas ou peu de «bons dossiers » de l’eau (selondes critères définis par ces institutions, sans aucunsouci de gouvernance autre que leurs règlespropres.) Il n’y a donc pas moyen de dépenser lesbudgets réservés à l’eau. Il convient alors de lesdiminuer pour les adapter à un marché inexistant.

Bien que les montants en jeu soient infinimentplus faibles, un espoir subsiste cependant. Il s’agitde démarches volontaires et décentralisées quis’appuient sur le citoyen-usager (cas del’Angleterre) et sur des collectivités territoriales(cas de la France).

En Angleterre, l’association WaterAid est autoriséeà joindre à la facture d’eau adressée à l’usager unedemande argumentée d’arrondir, à la dizaine delivres sterling supplémentaire, le montant àacquitter par l’usager.Si celui-ci reçoit une factureannuelle de 180£,par exemple, il lui est demandés’il veut bien accepter de payer 190£, le sup-plément étant versé à des actions de coopérationpour l’eau dans des pays moins avancés. Plus oumoins 70% des usagers acceptent ce versementvolontaire et contrôlé, la première fois. Environ50% sont fidèles les années suivantes.

Très récemment, la France s’est dotée d’une loisur la coopération décentralisée des collectivitéslocales (municipalités, départements, régions) etdes agences de l’eau, leur donnant la possibilitéde soustraire jusqu’à 1% de leur budget eau.Cette disposition fait entrer dans le cadre législatifdes pratiques que l’on pouvait observer depuisquelques années dans une agence de l’eau, ungrand syndicat de distribution et quelquesgrandes villes. L’enjeu financier global maximumde ce volontariat basé sur 1% des recettes seraitde 20 millions d’euros par an pour les agences del’eau et de 130 millions pour les collectivités. Ilest probable que les montants effectifs seront plusfaibles durant les premières années de mise enœuvre de cette mesure,mais ils représentent unecontribution d’ordre de grandeur similaire àl’aide publique au développement consacrée àl’eau et provenant des grandes institutions qui ensont chargées.* L’intéressante étude d’Henri Smets de l’Académie de

l’eau (France) sur le coût des recommandations pourl’eau de la Conférence de Johannesburg (octobre 2002)détaille la grande variété de ces évaluations financières.

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S’adresser directement aux usagers qui béné-ficient d’un bon service de l’eau ainsi qu’à leurregroupement local est une innovation quipersonnalise et humanise les sommes récoltées.

Celles-ci sont attribuées sur le terrain en s’appuyantsur des structures locales (municipalités, syndi-catsd’eau et d’assainissement,orga-nisations non gouvernementales etgroupements associatifs d’usagers)dans les pays pauvres bénéficiaires.Cela complète symétriquement ledispositif de versement volontaireprécédent, sans exclure l’État cen-tral.Cet ensemble vient utilementcompléter ce que l’autorité cen-trale a du mal à réaliser.

Il n’y a pas de meilleure confianceque celle partagée par des inter-locuteurs qui se connaissent, se rencontrent et ontdes valeurs et des réalisations en commun.C’est lecontraire de l’anonymat bureaucratique, ce quin’empêche nullement d’exiger des règles strictesde suivi administratif et de contrôle comptable.

Pratiquer la gouvernance avec les usagers est unemeilleure approche que d’en parler seulementdans des conférences. Cette pratique doit

impliquer financièrement chaque citoyen de paysdéveloppé dans un enjeu réel de partage.

L’eau est locale

Capter l’eau, la distribuer, puis l’assainir sont desopérations qui s’effectuent àl’échelle locale dans la plupart descas, qu’ils soient urbains oururaux.

Mobiliser les volontés et lesénergies à ce niveau est possibleet constitue le véritable cadre desenjeux économiques de lagestion de l’eau.

Il y a trop de pauvres dans lemonde qui n’ont ni l’eau potableni la dignité que procure un

assainissement de base pour que ce problèmepuisse être résolu par les 70 États riches ou envoie de l’être de la planète. Il s’agit doncd’appuyer l’effort sur des milliers de collectivitéslocales et des millions d’usagers volontaires.

Cette «mutualisation» globale d’un service de l’eauuniversel est une voie à explorer et à faire évoluer.Son but n’est pas de se substituer à l’aide publiqueau développement,qui assure consistance et durée,

Nombre de personnes à

traiter : six cents millions

pour l’alimentation en eau

potable, le double pour

l’assainissement et le tout

sur une période de 10 ans

est considérable et exige

l’abandon des approches

administratives passées.

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mais de la dynamiser, comme la musculaturepermet d’agiter le squelette.

De nouveaux montages financiers pourront ainsiapparaître.Au-delà d’un partenariat public-privé,pour le moment peu convaincant, des fonds devolontariat pour l’eau devraient prendre uneimportance croissante, donnant enfin à l’épargneprivée un rôle d’orientation des prêts et dessubventions en faveur de l’eau.

Les projets sont morts, vive les programmes!

À la suite des réunions du G8 (Monterrey,Kananaskis, Évian), l’idée de doubler les aidesbilatérales et multilatérales en faveur de l’eau faitson chemin.À la condition de ne pas tricher (enimputant indûment à cet objectif une part deremise de la dette, par exemple), un tel effort peutcontribuer à changer la situation calamiteuseobservée jusqu’à présent.

Beaucoup d’argent offert ne signifie pas beaucoupde bons projets pour l’utiliserefficacement. Adopter des pro-grammes – comme c’est le casdans les pays développés – plutôtqu’une multitude de projets, dontle nombre a vite fait d’étouffer unebureaucratie internationale limitée,tatillonne sur les détails et aveuglesur les détournements de la cor-ruption.C’est probablement la meilleure solutionà recommander.

Le nombre de personnes à traiter (en chiffresronds : 600 millions pour l’alimentation en eaupotable, le double pour l’assainissement et le toutsur une période de 10 ans) est considérable etexige l’abandon des approches administrativespassées.

C’est, semble-t-il, l’orientation de gestion plusglobale et souple qu’ont adoptée pour l’Europede l’Est, la Banque Européenne pour la Recons-truction et le Développement et, pour l’Afrique,la Banque Africaine de Développement. Peut-

être un jour, la Banque mondiale et d’autresétablissements de développement régional fran-chiront-ils ce pas.

C’est l’intention de réaliser qui donne les bonsprogrammes et non les idées théoriques quiconduisent à des réalisations effectives.

Pour une institution financière de développe-ment, lutter contre la pauvreté, aider les plusdémunis à avoir accès à l’eau et à bénéficier d’unassainissement de base, n’exige d’aucune façond’exhiber sa cotation «Triple A» en ne prenantjamais aucun risque.C’est au contraire en s’éver-tuant à prendre des risques maîtrisés qu’une telleinstitution témoignera de sa volonté et de soncourage d’aboutir économiquement et sociale-ment, remplissant ainsi sa mission véritable.

Bibliographie sommaire

Michel Camdessus,Bertrand Badré, Ivan Chéret,P.-F. Ténière-Buchot, Eau, huit millions demorts par an: un scandale mondial, Paris,Robert

Laffont, 2004.

Michel Camdessus, BertrandBadré, Ivan Chéret, P.-F.Ténière-Buchot, «Goutte à goutte l’eaucreuse la pierre – une heureuseloi française pour la coopérationinternationale», dans Futuribles no

306, Paris, mars 2005, www.futuribles.com.

Jeffrey Sachs, Investir dans le développement – Planpratique pour réaliser les objectifs du millénaire pourle développement (résumé), New York, Mille-nium Project, 2005, [email protected].

Henri Smets, The cost of meeting the Johannesburgtargets for drinking water, Paris, Académie del’eau, mars 2004, www.academie-eau.org.

P.-F.Ténière-Buchot, «Ne devons-nous pas payerl’eau plus cher?»,dans Alternatives Internationales,no 21, Paris, février 2005, www.alternatives-internationales.fr.

123Économie de l’environnement et des ressources naturelles

Enjeux économiques de la gestion de l’eau

BIODIVERSITÉ ET RESSOURCES RENOUVELABLES

C’est l’intention de réaliser

qui donne les bons

programmes et non

les idées théoriques

qui conduisent à des

réalisations effectives.

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@Alain. [email protected]

Alain WEBSTER

Alain WEBSTER est Adjoint auvice-rectorat à l’administration,Université de Sherbrooke.Il enseigne l’économie de l’envi-ronnement depuis quinze ansainsi qu’un cours spécifique surles changements climatiques.Ses principaux champs d’intérêtsont la gestion et l’économie del’environnement et des res-sources naturelles, les politiquesde développement durable et lacomptabilité environnementale.Il a œuvré à titre de consultantdans le domaine des change-ments climatiques pour diffé-rents organismes. Il est membrede l’Observatoire de l’environ-nement et du développementdurable de l’Université deSherbrooke et de l’Observatoirede l’écopolitique internationalede l’UQAM.

Les quotas d’émission échangeables sont appelés à jouer un rôleprédominant dans les politiques de mise en œuvre du protocole deKyoto. Un tel outil de gestion est réputé permettre une réductiondes coûts de mise en œuvre et faciliter les changements technolo-giques. La conception des systèmes nationaux suppose un ensemblede choix réglementaires qui permettent de définir les modalités defonctionnement de ces nouveaux marchés. Ces choix sont effectuésdans un souci d’équité et de prise en compte des enjeux de concur-rence internationale. Il ne faut pas cependant perdre de vue quel’objectif premier de ce protocole est d’induire les changementsnécessaires pour la réduction des émissions de GES.

Introduction

Le lieu géographique de l’émission ou de la réduction de GES n’a aucuneincidence sur les changements climatiques. Dans ce contexte de parfaiteflexibilité spatiale, le protocole de Kyoto reconnaît, à travers ses mécanismes

de flexibilité, qu’un pays peut atteindre son objectif en finançant la réduction desémissions à l’étranger. Ce recours au marché permet ainsi la minimisation descoûts économiques pour les pays signataires, considérés dans leur ensemble ouconsidérés individuellement.

Le protocole ne définit pas de façon explicite les moyens à utiliser au niveaunational. Mais pour que les entreprises puissent bénéficier directement de cesmécanismes de flexibilité, elles doivent être soumises à un système de quotas,ou droits d’émission échangeables. Le protocole favorise donc, de façon impli-cite, la mise en place d’un tel système au niveau national. C’est ainsi que laplupart des pays de l’Annexe B ayant ratifié le protocole privilégient la miseen place d’un système de quotas d’émission, c’est le cas notamment du Canadaet des pays de l’Union européenne. Cet instrument de gestion, utilisé jusqu’iciessentiellement aux États-Unis, est donc appelé à jouer un rôle de plus en plusimportant dans la gestion des changements climatiques.

LLaa mmiissee eenn œœuuvvrree ddeess ssyyssttèèmmeess ddee qquuoottaass dd’’éémmiissssiioonn éécchhaannggeeaabblleess ddaannss llaa ggeessttiioonn ddeess éémmiissssiioonnss ddee GGEESS

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125Économie de l’environnement et des ressources naturelles

La mise en œuvre des systèmes de quotas d’émissionéchangeables dans la gestion des émissions de GES

POLLUTION DE L’AIR ET CHANGEMENT CLIMATIQUE

Le fonctionnement du système

Le quota d’émission accorde à son détenteur ledroit d’émettre une certaine quantité de GES aucours de l’année, droit pouvant être utilisé,reporté à l’année suivante ou vendu sur lemarché. Lorsque le libre accès à l’émission deGES est limité par de tels droits, le marché devraitalors être à même de jouer son rôle d’allocateuroptimal des ressources : «L’organisation d’unmarché concurrentiel sur lequel les offres etdemandes de permis se confrontent fait appa-raître un prix d’équilibre pour ces permis et réta-blit l’optimalité des décisions décentralisées despollueurs en matière de dépollution » (Cros etGastaldo, 2003).

La mise en œuvre d’un tel système peut êtrerésumée en quatre étapes :

• déterminer la quantité annuelle d’émissionspouvant être rejetées par l’ensemble desinstallations ;

• répartir, lors d’une allocation initiale, cettequantité entre les différentes installations sousforme de quotas d’émission;

• obliger chacune des installations à détenir unvolume de quotas équivalent au niveau d’émis-sions qu’elles effectuent;

• permettre aux installations de modifier laquantité de quotas qu’elles détenaient audépart en achetant ou vendant ces quotas surun marché libre.

Si le niveau d’émissions excède le quota détenuinitialement, l’établissement peut adopter diffé-rentes stratégies :

• réduire ses émissions de GES;

• acheter des quotas d’émission auprès d’entre-prises nationales ayant préalablement réduitou capté leurs émissions ;

• ou acheter des quotas d’émission sur les mar-chés internationaux.

Il ne s’agit donc pas ici de la mise en place d’undroit de polluer comme le dit parfois l’expressionpopulaire. Considéré jusqu’alors comme sansvaleur économique, le droit d’émettre une tonnede GES était illimité. La mise en place de quotasd’émission permet de reconnaître la rareté associée

au droit d’émettre des émissions de GES.Le cadrethéorique sous-jacent à ce système vise à limiterle libre accès à l’utilisation d’une ressource rare etsusceptible de se dégrader, la fonction naturelle derégularisation du climat… Cette approche n’estdonc pas différente de la théorie utilisée pourgérer les ressources naturelles comme la forêt, lespêcheries ou même les ressources pétrolières. Laparticularité de ce cas vient notamment de sonapplication à une fonction environnementalen’ayant pas, au départ, de valeur marchande, parson caractère global et par la dynamique de longterme qu’elle suppose.

La mise en place de quotas échangeables limite etvalorise les possibilités d’utilisation de cetteressource pour les entreprises tout en permettantde concilier protection de l’environnement etdéveloppement économique. L’objectif globald’émissions devient alors une contrainte physiquequi ne peut être dépassée alors que la possibilitéd’échange accordée aux firmes permet de ne pasfiger le système économique. La déterminationd’une telle contrainte physique constitue cepen-dant un changement important dans le paradigmeéconomique. Pour certains, le marché permetd’induire les changements qui permettent d’éviterdes contraintes physiques absolues au dévelop-pement économique. L’approche retenue viseplutôt à définir a priori cette contrainte physiquepuis laisser le marché induire les changementstechnologiques permettant la poursuite dudéveloppement économique.

Les avantages théoriques

Dans un système de quotas d’émission échan-geables, tant que les coûts marginaux de réduc-tion des émissions de GES d’une firme donnéesont inférieurs au prix du quota sur le marché,la firme aura avantage à réduire ses émissions etvendre ses quotas excédentaires aux firmes quiont des coûts marginaux de réduction élevés.Cetincitatif continuel à la réduction des émissions,qui n’existe pas dans une approche purementréglementaire, permet alors de minimiser le coûtglobal de réduction des émissions pour l’ensem-ble de la société. Outre cet avantage d’efficienceéconomique, notons également que:

• par rapport à une approche traditionnelle deréglementation, les quotas échangeables

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possèdent théoriquement une plus grandecapacité à favoriser les changements technolo-giques visant à réduire les émissions de GESpuisque toute réduction se traduit par la possi-bilité de vendre des quotas ou d’en réduirel’achat ;

• ce gain d’efficience peut également s’exprimeren termes environnementaux puisque, pourune dépense équivalente, il permet d’accroîtreles niveaux de réduction de GES par rapportà une approche réglementaire ;

• la souplesse dans la répartition de l’effort deréduction entre les différents secteurs permetde tenir compte des problèmes de compé-titivité spécifiques à certains secteurs.

Les règles entourant la conception du système

La mise en place d’un système de quotasd’émission échangeables ne suppose pas un retraitde l’État dans la gestion de l’environnement,maisun rôle différent de celui auquel l’approchecommand and control nous avait habitués. Ce rôlese définit d’abord par un ensemble de décisionspermettant de définir les paramètres à l’intérieurdesquels le marché pourra intervenir. Il n’existedonc pas un modèle unique de système, maisplutôt une multitude de formules reflétant la priseen compte des différentes priorités nationales, descaractéristiques des secteurs pour lesquels de telsmécanismes sont établis et de la volonté (ounon…) d’induire un changement significatif dansla prise en compte de la problématique carbonedans la prise de décision.La directive européennede 2003 a reconnu cet état de fait en laissant àchaque pays le soin de définir son plan nationald’allocation de quotas.Ces plans,qui déterminentles quotas alloués aux entreprises, doivent tenircompte de l’objectif de réduction prévu auprotocole, la stratégie nationale de lutte contre leschangements climatiques, la répartition desémissions selon les secteurs d’activité et unensemble de critères spécifiés à l’Annexe III de ladirective.Toutefois, les variables principales dusystème sont définies au niveau national: plafondd’émissions, détermination du périmètre desinstallations et critères d’allocations.

Périmètre du système et plafonddes émissions

Il est possible, théoriquement, d’imposer l’obli-gation de détenir un quota d’émission pour l’en-semble des émissions associées au secteur énergé-tique.Tout distributeur d’énergie fossile se voitalors dans l’obligation de détenir un quota et sonprix est alors répercuté sur toute la filière, jusqu’auconsommateur final.Une telle approche est alorséquivalente à une taxe sur le carbone, mais reste,pour l’instant, un simple cadre théorique.

L’approche traditionnelle limite l’obligation dedétenir un quota aux émetteurs finaux.Toutefois,la nécessité de mesurer ces émissions pour cha-cune des sources limite cette approche auxgrands émetteurs finaux. La mise en place dusystème suppose donc la définition de ces grandsémetteurs, définition qui s’effectue tant au niveaudu choix des secteurs industriels soumis à cerégime qu’au niveau de la taille minimale del’établissement.

Lorsque le paramètre du système est défini, il fautconvenir du budget attribué à l’ensemble de cesgrands émetteurs. Ce choix administratif auranon seulement une influence déterminante surl’effort de réduction demandé à chaque firme,mais également sur l’ensemble des autres secteurs.En effet, dans un système fermé, tout effort deréduction d’un secteur aura des répercussions surles autres secteurs même s’ils ne sont pas soumisà ce système de quotas sauf, bien sûr, dans l’hypo-thèse où l’État décide d’acheter sur le marchéextérieur des droits d’émission supplémentaires.

Critères d’allocation des quotas

L’allocation initiale est nécessairement un enjeupolitique important et, probablement, l’enjeu leplus litigieux puisqu’il détermine la répartitioninitiale du fardeau. L’enjeu en termes d’équitéqui en découle n’est cependant pas spécifique àcet outil de gestion; la mise en place de mesuresréglementaires ou fiscales se traduit égalementpar des choix qui auront une influence sur larépartition du fardeau.

L’allocation initiale peut se faire sur une basegratuite ou par un mécanisme d’enchères.Toute-fois, la très grande majorité des expériences d’uti-lisation de quotas échangeables, dans le secteur de

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l’environnement ou des ressources naturellescomme les pêches maritimes, privilégient uneallocation gratuite permettant ainsi de limiter lescoûts de mise œuvre pour les détenteurs.Ainsi,dans le cas du modèle européen, « pour la périodede trois ans qui débute le 1er janvier 2005, les Étatsmembres allouent au moins 95% des quotas àtitre gratuit. Pour la période de cinq ans quidébute le 1er janvier 2008, les États membresallouent au moins 90% des quotas à titre gratuit»(Commission européenne,2003).Cette approchene permet pas cependant une internalisationcomplète du coût des émissions puisque les firmesn’auront à assumer que l’écart entre le nombrede quotas alloués et le niveau réel des émissions.

Le choix d’une attribution gratuite suppose lanécessité de définir des critères de répartition.L’approche peut faire référence aux émissionsantérieures ou encore, comme dans le modèlecanadien en discussion, à des normes d’intensité(Gouvernement du Canada, 2005). Plusieurséléments doivent alors être analysés dont notam-ment les éléments suivants :

• L’équité est au centre de cette répartition,maiscomment définir cette équité? Certains paysvoudront privilégier une équité basée sur larépartition des émissions, conformément auprincipe pollueur-pollueur l’effort de réduc-tion demandé sera proportionnel au niveaud’émissions. D’autres, dont le Canada, favori-seront une équité basée sur les conséquencesde ces politiques et l’effort relatif de réductionsera réparti uniformément entre les secteurs.

• Les nouveaux producteurs bénéficient de lacapacité d’intégrer la contrainte de GES dansleurs choix initiaux d’investissement,possibilitésque ne possèdent pas les firmes existantes.Doit-on favoriser cette prise en compte par descontraintes plus strictes pour les entrants mêmesi cela est perçu par certains comme un freinaux nouveaux investissements?

• Doit-on, finalement, retenir des modalitésspécifiques pour les secteurs en forte concur-rence internationale ou encore pour les entre-prises ayant effectué des activités précoces deréduction des émissions?

Règles d’échange, d’apurement et de contrôle

Pour qu’un système de quotas d’émission puissejouer adéquatement son rôle, il faut égalementélaborer un ensemble de règles définissant cemarché.Ce marché mis en place doit être fluide,concurrentiel et engendrer de faibles coûts detransactions. Le système de quotas doit prévoirdes protocoles spécifiques pour que les établis-sements quantifient leurs émissions de GES eteffectuent l’apurement entre le nombre de quotasdétenus et les émissions réelles de GES. Lesystème doit prévoir des mesures suffisammentincitatives pour réduire les cas d’infraction.Ainsi,dans le modèle européen, l’amende sur les émis-sions excédentaires est de 40 euros par tonnepour la période 2005-2007 et de 100 euros pourla période 2008-2002. Finalement, pour per-mettre l’ajustement à long terme de ces poli-tiques environnementales, le quota n’est généra-lement pas défini comme un véritable droit depropriété à perpétuité.

Vers une véritable prise en compte de la contraintecarbone?

Pour la Commission européenne (2004) « la miseen œuvre du Protocole de Kyoto offrira dès ledépart aux entreprises de l’Union européenne unavantage lors de la transition progressive vers uneéconomie mondiale qui limite les émissions decarbone, à partir du moment où la performancesur le plan des émissions de carbone sera suscep-tible de constituer un avantage concurrentiel nonnégligeable à l’avenir, au même titre que laproductivité du travail ou du capital aujourd’hui».Toutefois, à court terme « le respect de ces enga-gements peut entraîner un accroissement descoûts pour des entreprises et des secteurs donnés».Dans ce contexte, les enjeux associés à la compé-titivité peuvent avoir une influence forte sur lesmodalités d’allocation.

Ainsi, le plan national d’allocation des quotas dela France souligne d’entrée de jeu que «la Francesouhaite concilier au mieux le maintien de lacompétitivité économique et le respect de sesengagements internationaux » (MÉDD, 2004).Pour Delalande et Martinez (2004), ce risque de

127Économie de l’environnement et des ressources naturelles

La mise en œuvre des systèmes de quotas d’émissionéchangeables dans la gestion des émissions de GES

POLLUTION DE L’AIR ET CHANGEMENT CLIMATIQUE

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128 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE Nos 66-67

distorsion de concurrence apparaît: entre les paysavec cibles de réduction et ceux sans engage-ment, entre entreprises d’un même secteur pourl’ensemble des pays ayant des cibles de réduction,entre secteurs au niveau national, entre des entre-prises ou des secteurs affectés indirectement,maisdifféremment, par le marché de l’électricité.

Les modalités de l’allocation initiale doivent per-mettre d’atteindre les objectifs du protocole etde prendre en compte ces enjeux de concur-rence. Toutefois, les méthodes d’attributiondoivent également favoriser les changementsstructurels attendus en matière de décarboni-sation. Le cas du secteur production d’électricité estun bel exemple où les règles d’allocation nedoivent pas perpétuer les avantages associés à lafilière thermique par la prise en compte ina-déquate de ses externalités. Sinon, c’est l’efficacitééconomique et environnementale à long termede l’approche qui est réduite.

Conclusion

La mise en œuvre d’un tel système de quotaspeut contribuer à préserver la compétitivité del’économie puisque toute mesure alternativeimposerait aux entreprises des coûts plus élevés.Toutefois, la répartition des coûts dépendra desdécisions prises dans l’élaboration des plansd’allocation ainsi que des décisions retenues pourmaîtriser les émissions dans les secteurs noncouverts par le système de quotas.

L’effort de réduction demandé aux secteurssoumis à un système de quotas ainsi que lesmodalités de répartition de cet effort constituentl’enjeu politique le plus litigieux puisqu’ils déter-minent l’équité du système. Il ne faut pas cepen-dant que ce système se transforme en «une aidepublique aux entreprises industrielles concernéesà travers une allocation gratuite de quotas excé-dentaires par rapport au niveau nécessaire àl’atteinte des objectifs nationaux proclamés »(Godard, 2004). Une telle situation serait pour lemoins paradoxale pour un instrument écono-mique devant introduire plus d’efficience dans lagestion environnementale.

Finalement, il ne faut pas perdre de vue le carac-tère dynamique des choix réglementaires effec-tués dans l’élaboration du système: « il sera trèsdifficile à l’avenir de changer l’équilibre distributif

des règles… les principaux intéressés penserontavoir des droits acquis que les gouvernementsfuturs n’oseront pas remettre en question » (idem).Les choix réglementaires ne doivent donc passeulement permettre d’atteindre les objectifsprévus, ils doivent également permettre à l’Étatde préserver sa marge de manœuvre pour définirles objectifs de la seconde période d’engagementdébutant en 2013.

Bibliographie

Commission européenne,2003. «Directive 2003/87/CE du Parlement et du Conseil du 13oc-tobre 2003 établissant un système d’échangede quotas d’émission de gaz à effet de serredans la Communauté et modifiant la Directive96/61/CE du Conseil », Journal Officiel del’Union européenne, L 275/32, du 25 octobre.

Commission européenne, 2004.Communicationsur les orientations visant à aider les Étatsmembres à mettre en oeuvre les critères quifigurent à l’Annexe III de la Directive 2003/87/CE, COM (2003), 830 final du 7 janvier2004.

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Renaud CRASSOUS, Sandrine MATHY

Renaud CRASSOUS est ingénieurdu Génie Rural, des Eaux etForêts. En poste au départementEnvironnement de l’École duGénie Rural des Eaux et Forêts àParis, il mène en parallèle destravaux de recherche et unethèse de doctorat au CentreInternational de Recherche surl’Environnement et le Dévelop-pement (CIRED), sur les poli-tiques de réduction des émis-sions de gaz à effet de serre, lesrégimes de coordination inter-nationale de ces politiques, et lamodélisation des trajectoireséconomiques de long terme.

Sandrine MATHY est chargée derecherche CNRS, au Centre Inter-national de Recherche en Envi-ronnement et Développement(CIRED). Elle a beaucoup travaillésur les potentialités du Méca-nisme de Développement Propreet sur les modalités d’intégrationdes pays en développementdans les politiques climatiques.

Les émissions dans les pays en développement (PED) augmententrapidement et représenteront bientôt plus de la moitié desémissions mondiales. Stabiliser les concentrations à un niveauacceptable implique donc une participation significative des PEDaux réductions d’émissions de gaz à effet de serre (GES), ce quisignifie qu’à terme ils devront observer des objectifs de réductiond’émissions contraignants. Parmi un large panel d’instrumentspossibles, le Protocole de Kyoto a entériné celui des quotaséchangeables. Cet article étudie les possibilités d’extension dusystème de quotas aux PED.

Dans la perspective d’une continuité du système de quotas d’émissionsau-delà de la période couverte par le Protocole de Kyoto, la commu-nauté internationale se heurte à la question récurrente de l’acceptabilité

d’engagements contraignants pour les PED et de leur compatibilité avec lesbesoins d’émissions liés à l’enjeu prioritaire de leur développement.

Un tour d’horizon des tentatives de réponses, focalisées sur la définition de règlesd’allocation initiale des quotas qui soient jugées équitables a priori, ne reflète quepartiellement les enjeux de l’élargissement de la coordination. Un examenpragmatique des implications quantitatives des règles de coordination est nécessaire,d’une part, à cause des incertitudes qui caractérisent les trajectoires de long termeauxquelles ces règles vont s’appliquer et qui rendent l’évaluation ex ante des règlestrès difficile, et d’autre part, parce que les choix de déclinaison des contraintesd’émissions internationales en politiques nationales pourraient avoir un impactaussi important sur le développement que le partage apparent du fardeau.

Les règles d’allocation des quotas:une grande diversité d’approches

Deux règles «polaires» d’allocation des quotas sont les droits acquis (grandfathering),consistant à définir des objectifs de réduction en pourcentage des émissions d’uneannée de référence fixée,et l’allocation uniforme de quotas par habitant (percapita).

Le Protocole de Kyoto s’est appuyé sur la première règle, avec une différenciationdes taux de réduction issue des négociations. Mais pour prendre en compte lesbesoins impératifs de croissance des émissions des PED dans leur processus dedéveloppement, la référence à leurs émissions historiques apparaît inacceptable.

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Économie de l’environnement et des ressources naturelles

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Les émissions actuelles donnent-elles un quel-conque droit sur l’usage futur de l’atmosphère (entant que décharge des émissions des pays indus-trialisés), dès lors qu’il s’agit d’un problèmenouveau que l’on ignorait avant? Pour répondreà cette critique, Jacoby et al. (1999), ont parexemple proposé une règle permettant de ne pasimposer à court terme une contrainte supplé-mentaire au développement. L’intégration pro-gressive des PED dans le régime contraignant estréalisée uniquement au-dessus d’un seuil de PIBpar habitant au-delà duquel les quotas allouéscorrespondent d’abord à un taux maximum decroissance des émissions qui diminue au fur et àmesure du développement, puis à un taux deréduction fonction du PIB par tête. D’autrespropositions de différenciations des taux deréduction – proposition norvégienne de règlemulticritère (AGBM, 1995), règles du Triptyque(Phylipsen et al., 1998) ou multisectorielle (Jansenet al., 2001) – relèvent du même souci de priseen compte des capacités réelles de réduction etdes besoins de croissance dans l’allocation desquotas initiaux.

À l’autre extrême, la proposition d’A.Agarwal etde S. Narain, dès 1991, d’affecter les quotasd’émissions sur la base d’un droit individuel etuniversel à émettre des GES se fonde sur leprincipe d’égalité des droits humains fondamen-taux.Toute la question de cette règle d’allocationest de savoir si les émissions de carbone, au-delàdu minimum vital, sont vraiment partie intégrantedes droits fondamentaux de la personne humainecar, alors, si la réponse est positive, comment peut-on les vendre? Celle-ci est néanmoins devenuesymbolique de la revendication d’équité des PED.Allouer dès maintenant les quotas selon ceprincipe est cependant inacceptable pour les paysdéveloppés, réticents à engager des efforts deréduction ou des rachats de quotas qui dépasse-raient leur volonté à payer implicite pour limiterles risques climatiques. Étant donné les fortesdisparités actuelles entre les émissions par habitantdes pays industrialisés et celles des PED (figure 1),certains PED se verraient ainsi attribuer la rentede quotas fortement excédentaires pendantplusieurs décennies, générant ainsi des crédits deréduction virtuels.

De ce fait, l’attribution d’un unique quota d’émis-sions par habitant a été ensuite posée comme un

Figure 1 – Émissions de CO2 par tête

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Peut-on étendre le système des quotas échangeables aux PED?

POLLUTION DE L’AIR ET CHANGEMENT CLIMATIQUE

objectif non plus à réaliser immédiatement, mais àatteindre à moyen terme. Ce principe de conver-gence, inclus dans les Accords de Marrakech (1997),peut être décliné de plusieurs manières selon la datede convergence, le niveau de convergence, le seuilà partir duquel un PED intègrerait l’Annexe B1.Laproposition dite Contraction et Convergence(Meyer,2002) combine ainsi une allocation de typegrandfathering à court terme avec une convergencedes quotas alloués par tête en 2030. Cependant,certains arguments de réalisme économique, con-cernant la variabilité des besoins d’émissions, à unniveau de développement économique et techno-logique égal, en fonction des énergies disponibles(hydroélectricité, par exemple), des spécificitésstructurelles des économies, des conditions clima-tiques (besoins de chauffage) ou spatiales (besoinde mobilité) fragilisent considérablement la notiond’un droit uniforme à émettre des GES2.

Inclassable entre les deux extrêmes mentionnésci-dessus, la proposition de fonder la répartitiondes efforts sur un calcul des responsabilités histo-riques différenciées des pays dans le changementclimatique d’origine anthropique (UNFCCC,1997) a suscité un vif intérêt et un suivi scienti-fique poussé au sein de l’IPCC (Den Elzen et al.,1999).Traduisant à un niveau mondial le principepollueur/payeur, cette proposition se heurtepourtant à des difficultés opérationnelles:de nom-breuses incertitudes ou controverses subsistentdans l’attribution des responsabilités historiquesdans l’élévation de la température moyenne. Il estpossible aussi de lui opposer un contre-argumentd’ordre juridique, fondé sur l’ignorance passée del’impact des émissions.

Face à cette diversité de propositions, la complexitéde l’évaluation ex ante des coûts finaux d’unecontrainte carbone sur les économies se double desincertitudes sur le contexte économique futur, quiconfèrent aux références à l’équité et à l’incertitudeun caractère stratégique dans les négociations,compliquant la décision.

Le jeu des incertitudes

Chacune des règles proposées s’appuie sur desdonnées observables présentes et futures, et inclutdes paramètres devant être fixés au cours desnégociations, comme le budget total d’émissionsou les niveaux de seuils pour l’engagement desPED. Les conséquences des règles en termes dequotas alloués et de coûts finaux dépendrontsensiblement des paramètres négociés, mais aussides valeurs prises par les variables observables.Or,les incertitudes pesant sur ces variables à longterme sont extrêmement larges (figure 2), ce quirend hasardeuse toute tentative d’anticipation desimpacts futurs des règles d’allocation. Face à lanécessité de donner aux industriels et aux Étatsune vision claire des contraintes de long termepour faciliter leur engagement dans des réductionsimportantes, il est alors utile de recourir à desexercices de simulation numérique pour identifierles lieux de robustesse et les points de sensibilitéforte à l’incertitude suivant les règles d’allocation.

Des tests3 sur 5 règles appliquées à 23 scénariosmondiaux (Lecocq et Crassous, 2003) ont permisde mettre en évidence que:

• selon le scénario de référence utilisé, les prixdu carbone peuvent être très différents : de 0 à95$USD en 2015,de 0 à 180 $USD en 2030;

• un seuil d’entrée fixé en termes de niveau dePIB par tête reporte les incertitudes qui pèsentsur la croissance future des PED sur leur dateeffective d’entrée dans le régime;

• cela introduit des incertitudes dynamiques surl’évolution du prix du carbone, qui grimpe siles PED restent en dessous du seuil, puis baissefortement quand un PED avec des coûts deréduction plus faibles entre dans le système(figure 3).

L’incertitude se reporte in fine sur les transfertsfinanciers occasionnés par les échanges internatio-naux de quotas et sur les coûts totaux supportés parles différentes parties, créant un aléa macroéco-nomique non négligeable pour certains pays.

Il est d’autant plus difficile pour les pays d’évaluerles conséquences du montant de quotas qu’ils sontsusceptibles de recevoir que les conséquences

1. L’Annexe B du Protocole de Kyoto liste les États ayantaccepté de prendre des engagements contraignants ainsique les niveaux de réduction d’émissions auxquels ils sesont engagés.Elle comprend tous les États de l’AnnexeIde la Convention, sauf la Turquie et la Biélorussie.

2. On trouvera une discussion poussée de cette notiondans Godard (2000) et une analyse des facteurs naturelsd’émissions dans Neumayer, 2002.

3. Ces tests sont effectués avec un modèle d’équilibrepartiel du marché de quotas.

Page 132: Économie environnement ressources naturelles

macroéconomiques (coûts d’abattement, prix ducarbone, transferts, coût total) dépendent autantde la rigueur du budget global de quotas allouésque de sa répartition:un «bonus» de quotas pourun pays sera valorisé au prix du carbone effectif,lequel sera d’autant plus bas que la contrainteglobale sera lâche.

Cette incertitude économique réelle peut cepen-dant être réduite grâce à l’instauration de méca-nismes garde-fous, tels qu’un prix plafond auqueldes quotas supplémentaires pourraient être acquis,autorisant ainsi un surplus global d’émissions touten modérant une contrainte trop forte surl’économie. Certaines propositions innovantesvisent à faciliter un élargissement progressif de lacoordination aux PED: objectifs dynamiquesindexés sur la croissance économique réelle, parexemple exprimés en termes relatifs d’intensitécarbone, quotas non contraignants ayant unique-ment un caractère incitatif Philibert et Pershing

(2001) donnent un aperçu complet des optionsenvisageables). Il est aussi toujours envisageable derenégocier collectivement le paramétrage desrègles d’allocation d’une période d’engagement àl’autre dans le cas d’une contrainte introduisantdes déséquilibres trop importants, même si lesrisques de blocage dans le cadre d’un « jeu àsomme nulle » (pour un plafond d’émissionsinchangé) sont réels.

Pluralité et non-convergencedes critères d’évaluation

En sus des difficultés d’évaluation liées aux incer-titudes sur le monde futur, il n’est pas aisé dedéfinir avec précision les critères d’évaluation del’acceptabilité du régime futur pour chaque pays.Il existe en effet plusieurs métriques pour jugerde l’acceptabilité du fardeau réel pesant sur lesacteurs économiques, toutes pertinentes à deséchelles différentes:

– Le coût total de respect de la contraintecarbone par les pays : celui-ci couvre lescoûts des réductions domestiques effective-ment réalisées et l’achat (ou la vente) de quotaséchangeables sur le marché international afind’égaliser émissions effectives et quotas réelle-ment possédés.L’évaluation du coût des réduc-tions d’émissions réalisées est rendue complexepar la multiplicité des notions de coût (techni-que, sectoriel,macroéconomique) et des outilsde modélisation utilisés.

– Les transferts opérés par les échanges depermis : leur répartition et leur dimensionposent des problèmes macroéconomiques. Leur

Figure 2 – Incertitude sur les trajectoires de référence

Population mondiale Revenu mondial Émissions de CO2 mondiales

Source : Lecocq et Crassous, 2003

Figure 3 – Prix du carbone pour la règle de Jacoby et al.

Source : Lecocq et Crassous, 2003

132 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE Nos 66-67

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Peut-on étendre le système des quotas échangeables aux PED?

POLLUTION DE L’AIR ET CHANGEMENT CLIMATIQUE

recyclage au sein des économies dépendra desstructures technico-économiques préexis-tantes (modes de production intensifs ou nonen capital), et pourra induire des déséquilibresimportants de balance des paiements(McKibbin et Wilcoxen, 2002), ce qui nemanque pas de soulever des questions d’ordregéopolitique, notamment dans le cas d’uneforte polarisation des transferts vers un oudeux pays (Russie, dotée d’« air chaud4 » dansle Protocole de Kyoto, ou Chine, qui pourraitrecevoir la majorité des crédits du mécanismede développement propre).

– Les effets en bien-être, une fois pris encompte les effets d’équilibre général : ilsdépendent des conditions préexistantes danschacun des pays. Dans le cas d’une taxe,l’ampleur du double dividende obtenu serafonction du mode de recyclage de son produitau sein de l’économie nationale.Dans le cas dequotas domestiques, le mode d’allocation despermis (gratuits ou aux enchères) aura unimpact différencié en terme de signal-prix versles consommateurs.

– L’impact du prix international du car-bone émanant du système de permisd’émissions négociables sur les prixnationaux, en particulier de l’énergie : lecoût du respect de la contrainte d’émissions esttransmis au système de prix domestiques, enfonction des instruments mis en œuvre (parexemple, taxe interne sur les énergies fossiles5).

L’impact global des mesures et l’ampleur d’unpotentiel double dividende grâce au recyclaged’une taxe dépendront des systèmes productifset fiscaux préexistants. Par ailleurs, l’effet duprix international du carbone (égal au coût deréduction marginal de la dernière tonne decarbone réduite) sur le consommateur finaldépendra à la fois du taux de parité de pouvoird’achat applicable au pays concerné et del’utilité marginale du revenu, généralementsupposée décroissante6.

Ceci est illustré par l’évaluation des résultats netsd’une règle d’attribution des quotas – ici unerègle de convergence des quotas par tête – dans letableau 1,extrait d’un exercice numérique (Ghersiet al., 2003) couplant les modèles POLES7 etIMACLIM8.

Ainsi, malgré un flux net de capitaux entrant, laChine, le reste de l’Asie, le Brésil, mais surtoutl’Inde, subissent des pertes de consommation,duesà un prix du carbone élevé (équivalant à391$USD dans le cas de l’Inde) dont l’impactinflationniste sur l’économie n’est pas compensépar la redistribution de la rente.La vente de quotas,supposée être réinvestie dans des gains de pro-ductivité n’est pas suffisante pour contrebalancerla perte de pouvoir d’achat. Les disparitésobservées en termes d’impact sur la consomma-tion finale des ménages dépendent de la situationde référence concernant les capacités d’investisse-ment dans les pays.Ainsi, avec une rareté du capitalnon atténuée en 2030, et des transferts du mêmeordre de grandeur que pour l’Inde, l’Afriquesubsaharienne connaît une hausse des consom-mations de 3,95%.

Ceci illustre bien l’importance cruciale des poli-tiques domestiques – répartition des réductions,recyclage fiscal, tarification de l’énergie – dansl’impact d’une contrainte carbone globale (IPCC,WG III, 2001).

4. Certains pays auront en effet un excès de droits d’émis-sions par rapport à leur année de référence. C’est le casde l’ancienne URSS et des pays de l’Europe de l’Est. Leniveau de leurs émissions a décru entre 20 et 46% parrapport à l’année de référence.Ces pays auront un excèsde quotas qu’ils pourront ainsi vendre sur le marché depermis. Après d’âpres négociations sur l’inclusion oul’exclusion des échanges d’une partie de cet air «chaud»,l’accord de Marrakech (2001) n’apporte aucune restric-tion sur l’échange de permis issus de celui-ci.Ce transfertde droit ne représente aucune réduction réelle parrapport au scénario de référence et les réductions d’émis-sions correspondantes sont atteintes à un coût nul.Cettequantité d’air « chaud » ampute d’autant l’objectif deréduction global de – 5,2 % par rapport aux émissions de1990 fixé par le Protocole de Kyoto.

5. Il est également possible qu’un pays reçoive un certainquota d’émissions et mette en place une politique denormes (de consommation des centrales électriques, parexemple).

6. À cause de ces deux effets cumulés,un dollar prélevé surune tep d’énergie carbonée aura un effet tout autre surun Indien et sur un Américain.

7. De l’Institut d’Économie et de Politique de l’Énergie.8. Centre International de Recherche en Environnement

et Développement.

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Conclusion

Les quelques éléments de réflexion exposés ici,tirés du champ philosophique de l’équité, oud’enseignements empiriques de l’évaluation éco-nomique, montrent que tant que la question du«partage du fardeau» sera débattue comme un jeuà somme nulle, l’utilisation stratégique des diversesconceptions de l’équité et des incertitudes futuresne pourra que bloquer les négociations.

C’est pourquoi il est devenu nécessaire d’inverserla problématique climat/développement, en déce-lant au sein des enjeux majeurs de développementde certains PED (exploitation des ressourcesfossiles, charbon en tête, déforestation intensive)

les moyens de promouvoir les modes de déve-loppement les plus sobres en émissions.Les quotaspourront alors constituer un instrument decontrôle des émissions, couplé à des objectifssectoriels et à des politiques et mesures.

Remerciements

Les auteurs remercient Franck Lecocq pour sesprécieux commentaires. Cet article s’appuie surune recherche financée en partie par l’Agence del’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie(ADEME, programme GICC). Les propos desauteurs n’engagent qu’eux et les erreurs quisubsistent sont de leur seule responsabilité.

Références

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Godard, O., Sur l’éthique, l’environnement etl’économie : la justification en question, Cahier duLaboratoire d’Économétrie de l’École Polytechniquen° 513, Paris, 2000.

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Tableau 1 – Règle de convergence avec allocation gratuite des permis

Réductions Transfertsd’émissions MC DC (milliardsen 2030 (%) ($/tC) (%) de $USD 1990)

Union européenne (15) 42 43 (56) – 0,31 12,2

États-Unis 63 43 (43) – 0,94 33,6

Japon 39 43 (52) – 0,62 4,7

Canada, Océanie 59 43 (60) – 0,68 5,9

Suisse, Turquie, Norvège 30 43 (82) +0,25 1,0

Europe de l’Est 29 43 (125) – 2,28 1,6

Ex-URSS 38 43 (163) – 2,45 5,8

Chine 26* 43 (189) – 1,57 – 4,2

Inde – 14 43 (391) – 2,16 – 22,2

Brésil – 3 43 (163) – 0,12 – 1,1

Moyen Orient et Afrique du Nord 19 43 (168) +0,05 2,0

Afrique subsaharienne – 78 43 (1006) +3,95 – 21,0

Asie (autres) – 4 43 (202) – 0,77 – 15,3

Amérique latine (autres) – 7 43 (151) +0,28 – 2,8

Note : MC : coût marginal de réduction, 1990 USD par tonne ; les chiffres entreparenthèses désignent le coût marginal ajusté selon le niveau de revenu du pays ;DC: variation de la consommation finale de biens non-énergie; un transfert positifsignifie un flux de capitaux sortant.

* Selon le critère d’allocation de la convergence des émissions par tête à moyenterme, la Chine, pays à croissance économique rapide, devrait rapidementcontraindre ses émissions, à l’opposé de régions comme l’Inde, l’Afrique subsa-harienne, des autres pays asiatiques ou dans une moindre mesure le Brésil, quirecevraient un excès de quotas et qui donc bénéficieraient encore en 2030 detransferts importants.

9. Selon le critère d’allocation de la convergence des émis-sions par tête à moyen terme, la Chine, pays à croissanceéconomique rapide, devrait rapidement contraindre sesémissions, à l’opposé de régions comme l’Inde, l’Afriquesubsaharienne, des autres pays asiatiques ou dans unemoindre mesure le Brésil qui recevraient un excès dequotas et qui dont bénéficieraient encore en 2030 detransferts importants.

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Peut-on étendre le système des quotas échangeables aux PED?

POLLUTION DE L’AIR ET CHANGEMENT CLIMATIQUE

Bourses d’excellence en économie de l’environnement et évaluation environnementale

Dans le cadre du programme de Maîtrise des outils de gestion de l’environnementpour le développement (MOGED), l’Institut de l’énergie et de l’environnement de lafrancophonie (IEPF) et l’Agence universitaire de la francophonie (AUF), ont lancé unappel à candidature fin 2004 pour la 1re édition du Concours des bourses deperfectionnement en économie de l’environnement et évaluation environnementale.

Un jury international de huit membres présidé par Monsieur Jean-Pierre Revéret,Professeur de l’Institut des Sciences de l’Environnement de l’Université du Québec à Montréal a été mis en place pour sélectionnerles lauréats et les résultats ont été proclamés fin mai 2005.

Sur les recommandations unanimes du jury, les trois lauréats retenus, sur un total de 12 candidatures examinées, sont:

– Monsieur Fano R. Andriamahefazafy, Économiste, doctorant, chercheur au Centre d’économie et d’éthique pourl’environnement et le développement – Madagascar (C3EDM), Département Économie Faculté DEGS de l’Universitéd’Antananarivo et à l’UMR C3ED IRD-UVSQ n°063, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (France) ;

– Monsieur Samuel Yonkeu, Enseignant-chercheur, Groupe EIER-ETSHER, Ouagadougou 03 (Burkina Faso) ;

– Monsieur Noya Kessy Alain, Assistant, Enseignant Chercheur à l’Université Marien Ngouabi Brazzaville (Congo).

Le jury était composé de M. Claude Njomgang (Yaoundé II), Maurice Lemelin (HEC Montréal), Beat Bürgenmeieir (U. de Genève),Jacques Weber (IFB, France), Mohamed Behlaj (IVL. Goteborg, Suede), Michel A. Bouchard (École Polytechnique Montréal) etMichel Damian (U. Senghor, Alexandrie).

Ces bourses visent à renforcer les compétences scientifiques de chercheurs et enseignants de haut niveau dans le domaine del’économie de l’environnement et de l’évaluation environnementale et, par le fait même, les capacités des universités et desunités de recherche du Sud dans ces domaines.

Elles permettront à des chercheurs ou enseignants relevant d’universités ou d’unités de recherche du Sud de poursuivre leur formationdans une autre université ou une autre unité de recherche de l’espace francophone où de tels programmes existent déjà.

Trois bourses d’une valeur de 18300 € chacune sont ainsi attribuées dans la perspective, et sous condition, du retour des boursiersdans leur pays et institution d’origine, de la poursuite de leurs activités de recherche et/ou d’enseignement et de la mise surpied de programmes ou de cours dans les domaines visés.

De retour dans leur pays et institution d’appartenance les boursiers deviendront des partenaires relais de la mise en œuvre duprogramme MOGED. Ils devront s’engager à contribuer au développement des capacités dans les domaines de l’économie del’environnement et de l’évaluation environnementale et s’efforcer d’introduire dans leurs institutions des modules d’enseigne-ment ou de recherche dans ces domaines, d’une façon permanente ou pour une période minimale de 5 ans.

L’IEPF et ses partenaires adressent leurs vives félicitations aux trois lauréats pour cette distinction.

Pour information s’adresser à:

Sory Ibrahim Diabaté, Responsable de ProgrammeInstitut de l’énergie de l’environnement de la Francophonie (IEPF)56, rue Saint-Pierre G1K 4A Québec (Canada)Tél. : 1 (418) 692-5727, Téléc. : 1 (418) 692-5644 Courriel : [email protected] www.iepf.org

McKibbin,W.J.,Wilcoxen,P., «The Role of Economicsin Climate Change Policy », Journal of EconomicPerspectives, vol. 16,no 2,printemps 2002,p.107-129.

Meyer,A.,Contraction and convergence, the solution to climatechange, Schumacher Briefing no 5, Green Books,2002.

Neumayer, E., «Can natural factors explain any cross-country differences in carbon dioxide emissions?»,Energy Policy, vol. 30, 2002, p. 7-12.

Philibert, C., Pershing, J., « Des objectifs climatiquespour tous les pays: les options»,Revue de l’énergie, no

524, février 2001, p. 92-104.

Phylipsen, G.J.M., Bode, J.W., Blok, K., « A triptychapproach to burden differentiation; GHG emissionsin the European bubble»,Energy Policy, vol.26,no 12,1998, p. 929-943.

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Sandrine MATHY

Sandrine MATHY est chargée derecherche CNRS, au Centre Inter-national de Recherche en Envi-ronnement et Développement(CIRED). Elle a beaucoup travaillésur les potentialités du Méca-nisme de Développement Propreet sur les modalités d’intégrationdes pays en développementdans les politiques climatiques.

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Les pays en développement (PED) n’ont pas jusqu’en 2012d’objectifs de réductions d’émissions de gaz à effet de serre (GES)contraignants. Ils ne participent aux réductions que sur une basevolontaire par le biais du Mécanisme de Développement Propre,mécanisme qui illustre la problématique de la recherche d’unesynergie entre environnement et développement.

C’est grâce à la rédaction de l’article 12, définissant le Mécanisme deDéveloppement Propre (MDP), que les pays participants trouvèrentun accord en dernière minute de la Conférence des Parties à Kyoto.

Ce qu’on a pu appeler la « surprise de Kyoto» est en fait le fruit d’un consensusforcé entre les positions de chacun des groupes de négociations : d’un côté, leSénat américain avec l’adoption de la résolution Byrd Hagel, conditionnant lasignature des États-Unis à un accord, à une participation significative des paysen développement, insista sur le fait de pouvoir bénéficier grâce aux mécanismesde flexibilité des opportunités de coûts de réduction moins élevés dans ces pays;de l’autre côté, les PED refusèrent de se voir imposer de fait une contrainteenvironnementale sur leur développement, et obtinrent une inversion de lahiérarchisation des priorités du mécanisme plaçant au premier plan la contri-bution des projets inscrits au MDP au développement durable du pays hôte duprojet et non la dimension de flexibilité.

Le MDP tel que décrit dans le Protocole a donc pour objet «d’aider les Partiesne figurant pas à l’Annexe I à parvenir à un développement durable ainsi qu’àcontribuer à l’objectif ultime de la Convention, et d’aider les Parties visées àl’Annexe I à remplir leurs engagements chiffrés de limitation et de réductionde leurs émissions» (UNFCCC, 1997).

Cependant, à l’heure où les négociateurs rédigèrent cet article 12, ils ne se sontsans doute pas rendu compte des difficultés qu’ils allaient devoir affronter pourrendre ce mécanisme opérationnel tout en préservant les objectifs de contribu-tion au développement durable et d’intégrité environnementale inscrits à sadéfinition.

Le paragraphe 12 § 5 spécifie que les activités entreprises au nom du MDPdoivent être «additionnelles » par rapport à ce qui se serait passé sinon1 (sans

LLee mmééccaanniissmmee ddee ddéévveellooppppeemmeenntt pprroopprree :: àà llaa rreecchheerrcchhee dd’’uunnee ssyynneerrggiiee eennttrreeeennvviirroonnnneemmeenntt eett ddéévveellooppppeemmeenntt

1. Cette notion d’additionalité fut absente des discussions lors des négociations jusqu’à la sessionde Lyon en 2000, bien que donnant lieu à un débat riche sur le plan académique.

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137Économie de l’environnement et des ressources naturelles

Le mécanisme de développement propre: à la recherche d’unesynergie entre environnement et développement

POLLUTION DE L’AIR ET CHANGEMENT CLIMATIQUE

projet MDP) renvoyant ainsi à la définition d’unscénario de référence à partir duquel le projetMDP doit montrer son additionalité.Vues lesconditions inscrites à l’article12, celle-ci renvoieà différentes dimensions : environnementale, etdéveloppementale bien sûr, mais aussi commenous allons le voir financière et économique; desorte qu’il est complexe aujourd’hui de distinguerles liens entre celles-ci, ce qui conduit à denombreuses contradictions dans l’interprétationque l’on peut en donner, et rend difficile l’établis-sement d’une taxonomie des projets éligibles autitre du MDP.

Des conceptsmultidimensionnels de l’additionalité…

Tout d’abord, l’additionalité environnementalerevendiquée par les groupes environnementalistesdoit garantir que les réductions d’émissions sontmesurables et réelles. Ceci implique la nécessitéd’établir un scénario de référence par rapportauquel on puisse calculer les réductions d’émis-sions, ainsi que de mettre en place des systèmesde mesures des émissions sans projet et avecprojet. Ceci peut conduire à des coûts de trans-action élevés, qui décourageraient la réalisationde petits projets. Pour limiter ces coûts, il estpossible d’établir des scénarios standardisés sebasant par exemple sur des benchmarks technolo-giques. Il y a donc forcément un arbitrage àeffectuer entre précision de la mesure et coûts detransaction à mettre en œuvre. De plus, il fautsavoir que tous les projets ne peuvent pas sesoumettre à ce type de discipline. Des coûts detransaction même élevés ne pourraient éviter unecertaine marge d’incertitude importante sur lecalcul des réductions d’émissions pour certainssecteurs comme celui des transports.

Seconde dimension, l’additionalité développe-mentale fut revendiquée par les PED de manièreà ce que le mécanisme ne permette pas aux paysde l’Annexe I de profiter des coûts de réductiondes émissions plus bas dans les PED, sans qu’il yait de retombées positives sur le développementdu pays hôte.Les fonds consacrés au changementclimatique doivent être alloués en tenant comptedes priorités de développement du pays hôte.Cependant, cette additionalité pose le problème

de sa définition qui rejoint la dimension multi-forme que revêt la notion de développementdepuis la seconde moitié du 20e siècle : déve-loppement en termes de croissance économique,d’indicateurs de développement humain (éduca-tion, santé…), de diminution des inégalités derevenus, d’accès aux services essentiels… Selonque l’on retienne l’une ou l’autre des définitions,les projets retenus ne seront pas les mêmes.

Les projets éligibles doivent vérifier ces deuxconditions d’additionalité. Certes, des projets setrouvent d’emblée vérifier ces deux conditions:les projets d’électrification photovoltaïque enAfrique subsaharienne, par exemple;mais ils sonten général financés par des fonds de l’AidePublique au Développement (APD). De ce fait,une des craintes avancées par les organisationsinternationales en matière de développement estjustement l’éviction des fonds initialement des-tinés au développement au profit de l’environne-ment. Cette crainte se double de celle des PED:que l’obtention des fonds de l’aide au dévelop-pement soit conditionnée à l’introduction d’unecomposante environnementale. C’est pourquoiorganisations internationales et PED plaidèrentpour que les fonds alloués à l’environnement dansle cadre du Protocole de Kyoto soient des fondsnouveaux et extraordinaires. De là découle ladécision d’exclure tout fonds provenant de l’APDdans le financement des projets MDP. Cettenotion d’additionalité économique des projetsMDP fut initialement utilisée par le Fonds pourl’Environnement Mondial qui ne finance que lesurcoût technologique (substitution d’une cen-trale charbon par une centrale au gaz, par exem-ple) de l’introduction d’une composante environ-nementale à un projet défini a priori, donc pourlequel il est facile de définir un coût de réductiondes émissions (ratio entre la différence de coûtdes technologies et les réductions d’émissionsobtenues). Par contre, pour le MDP, une telledéfinition n’est pas adaptée puisque ces fondsnouveaux et extraordinaires doivent permettre àla fois de contribuer au développement et deréduire les émissions de GES.

À partir de ces trois conditions préalables d’addi-tionalité, quels projets seront éligibles au MDP?

Il n’y a pas de réponse standardisée à cette ques-tion. En effet, un projet peut être considérécomme éligible dans un pays et non dans un autre.

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138 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE Nos 66-67

Par exemple,un projet de centrale au gaz peut êtreconsidéré comme additionnel du point de vue del’environnement en Inde, là où les émissionsmoyennes de référence dans le secteur de laproduction d’électricité où domine le charbon,mais ce même projet ne le sera sans doute pas auBrésil, si on considère une référence correspondantau taux d’émission moyen dans le pays où l’hydro-électricité occupe une grande part du mix techno-logique. Par contre, si on prend maintenant encompte la dynamique du secteur dans chacun despays,comme le potentiel hydroélectrique brésilienest quasi épuisé, les capacités additionnelles serontsans doute basées sur du gaz et, dans ce cas,l’additionalité d’une centrale au gaz performanteserait vérifiée.Cette complexité de sélection risqueau final de conduire à ne valider que peu deprojets et donc peu de réductions d’émissions.

… que la microéconomie peineà clarifier

Pour permettre de clarifier cette superposition dedimensions relatives à l’additionalité, les écono-mistes ont tenté d’apporter une réponse, avec laboîte à outils dont ils disposentpour l’analyse de projets : lamicroéconomie. Selon les prin-cipes de base, un projet rentable aune valeur actuelle nette positive(VAN), équivalant à un taux derendement interne supérieur autaux d’actualisation du pays et estalors spontanément réalisé. Or,selon le critère d’additionalitééconomique décrit précédem-ment, un projet MDP doit faireappel à des financements addi-tionnels pour être réalisé ; ce quisignifie qu’il ne serait pas réalisé spontanémentdans le scénario de référence.Autrement dit, dansun scénario de référence, un projet éligible auMDP ne doit pas être rentable.

Ceci conduit à un paradoxe dans la sélection deprojets effectuée selon ce critère: en effet, dans lesPED, de nombreux projets dits « sans regrets »2,c’est-à-dire menant à la fois à des gains environ-

nementaux et à des gains financiers (typiquement,des projets d’amélioration de l’efficacité énergé-tique) existent et ne sont pas réalisés.Cependant,selon un critère d’additionalité économique, lesprojets « sans regrets » ont une VAN positive ; ilssont donc rentables, et par ce fait ne seraient paséligibles au MDP, car ils auraient été réalisés detoute façon.Appliquer un critère d’additionalitééconomique conduit alors à exclure les potentielssans regrets, c’est-à-dire les opportunités deréductions d’émissions à coût négatif, du MDP. Ilne resterait alors que des projets coûteux, ce quiest paradoxal pour un mécanisme à destinationdes PED.

Barrières au développement,scénario de référence, et barrières à l’adoption des technologies

Un biais inhérent à cette démonstration estd’ignorer l’existence de barrières non financièresà la réalisation de ces projets, barrières qui nepeuvent être révélées par un critère économiquecomme la VAN. Elles sont par exemple (Jaffe et

Stavins, 1994) la non-maîtrisetechnologique par le PED consi-déré, les asymétries d’informationconduisant à des situations d’aléamoral, la contrainte financièrelimitant l’accès au capital, lesdistorsions de marché (répartitiondes coûts et bénéfices sur desacteurs distincts, distorsion desprix, etc.), les coûts de transactionassociés à la transition vers lanouvelle technologie, les coûtscachés non monétaires (accepta-bilité culturelle de la solution

technologique choisie), l’inertie des systèmes derente constitués s’opposant à des réformes Pareto-améliorantes (Stiglitz) ou encore la précarité ducontexte économique ou politique.

De ce fait, la situation la plus probable est souventune situation « business as usual » avec la repro-duction de solutions précaires, insatisfaisantes, etgénératrices d’externalités négatives, le plus

2. Selon le GIEC (2001), l’exploitation des potentiels sansregrets permettrait au niveau mondial de réduire lesémissions de GES entre 10 et 30 %.

Pour permettre de clarifier

cette superposition

de dimensions relatives

à l’additionalité,

les économistes ont tenté

d’apporter une réponse,

avec la boîte à outils dont

ils disposent pour l’analyse

de projets :

la microéconomie.

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139Économie de l’environnement et des ressources naturelles

Le mécanisme de développement propre: à la recherche d’unesynergie entre environnement et développement

POLLUTION DE L’AIR ET CHANGEMENT CLIMATIQUE

souvent mises en œuvre dans le domaine indus-triel : équipements de production obsolètes etfréquemment défaillants, conditions de travail dan-gereuses, autoconstruction anarchique,congestionet prolifération de véhicules dégradés, recours àdes formes d’énergie et d’approvisionnement eneau précaires, insalubres et coûteuses, etc.

On voit bien ici l’espace libre pour la réalisationde programmes de développement concertés avecles acteurs sectoriels (projets publics, privés oupartenariat mixte) dans le but de produire desutilités ou de réduire les externalités négatives etde trouver une synergie entre environnement etdéveloppement.

Par ailleurs, il est clair que mêmesi ces causes de blocages peuventêtre levées, le choix ne se portecependant pas nécessairement surl’alternative la plus bénéfique (oula moins néfaste) pour l’envi-ronnement global. Une nouvellesérie de causes peuvent êtreidentifiées conduisant à la non-adoption de l’alternative plusvertueuse. Certaines sont demême nature que les précédentes,mais se manifestent cette fois auniveau de la sélection de latechnologie.

Parmi ces causes, on notera que plusieurs sontassociées au fait que l’investisseur potentielmaîtrisant la technologie «propre» est étranger,alors que la technologie « sale », si elle est plusancienne, est peut-être déjà maîtrisée par uninvestisseur potentiel du PED considéré.

Le MDP comme effet levier sur l’adoption de politiques et de mesures domestiques dans le pays hôte

Du point de vue du contrôle des émissionsfutures des PED, l’enjeu des mécanismes quipeuvent être mis en place par la Convention estdonc de créer des incitations de nature à lever les

causes de blocage à la réalisation de l’alternativela plus vertueuse en termes d’émissions.Au-delàde la levée de cette seconde série de causes deblocage,on peut se demander si le MDP pourraitégalement contribuer à lever, en tout ou en partie,la première série de causes de blocage, celles quiempêchaient même la réalisation du projet dedéveloppement de référence et de projets « sansregrets».Dans ce cadre, le but est alors de démon-trer que le MDP peut inciter à l’adoption depolitiques et de mesures domestiques visant àlever les barrières à la réalisation de projets «sansregrets ».Au-delà de l’incitation financière purecréée par la rémunération des crédits MDP aufinancement de projets ponctuels, le MDP

permettrait alors d’obtenir uneffet levier sur le développementà travers la réalisation de pro-grammes de développementsectoriels basés sur des techno-logies vertueuses du point de vuede l’environnement.

Un exercice3 de ce type a étémené sur le secteur électriqueindien (Mathy et al., 2001), sec-teur fournissant une bonneillustration des barrières institu-tionnelles, des imperfections demarché et des distorsions tarifaires

justifiant l’existence d’un potentiel de mesuresPareto-améliorantes. La production d’électricitéy est assurée à 60% par du charbon domestiquede mauvaise qualité et fortement subventionnée(le secteur émet 45% des émissions de GES dupays et entraîne de hauts niveaux de pollutionlocale) ; les rendements sont très faibles, la tarifi-cation appliquée montre de fortes subventionscroisées au profit des agriculteurs et des ménages,ce qui entraîne une faible maîtrise de la demande.Enfin, les taux d’évasion sont très élevés. Lamodernisation des unités existantes ainsi quel’ajout de capacités additionnelles se heurtent alorsà une forte contrainte en capital, et l’adoption detechnologies «propres» à un système institutionnelet fiscal peu incitatif.

3. Cet exercice a été mené sur la base du modèle repré-sentant le secteur énergétique indien MARKAL-Inde,en collaboration avec l’équipe de P.R. Shukla à l’IndianInsitute of Ahmedabad.

On peut se demander si

le MDP pourrait également

contribuer à lever, en tout

ou en partie, la première

série de causes de blocage,

celles qui empêchaient

même la réalisation

du projet de développement

de référence et de projets

« sans regrets ».

Page 140: Économie environnement ressources naturelles

Ce constat a mené à l’identification de politiqueset de mesures domestiques (diminution des sub-ventions sur le charbon, recyclées vers des aidesaux énergies renouvelables sous forme de prêtbonifié et de subvention à l’achat, programmes dediminution des pertes en transmission et endistribution, programmes de restructuration desmodes de gestion pour bénéficier des gains enefficacité) visant à lever les obstacles au dévelop-pement dans ce secteur principalement empreintde technologies obsolètes et fortement polluantes.Ces mesures augmentent la rentabilité de projetsbénéfiques pour l’environnementpar, entre autres, l’augmentationrelative de la rentabilité desprojets d’énergie renouvelable parrapport à la perte de rentabilitédes projets basés sur des combus-tibles fossiles. De ce fait, lesopportunités d’investissements seréorientent ainsi vers des projetsplus vertueux du point de vue del’environnement.Cette levée desbarrières à l’investissement attireles investisseurs étrangers parallèlement à l’aug-mentation de la rentabilité de leurs projets grâceaux revenus des crédits MDP.La part des énergiesrenouvelables en 2035 passe alors dans le scénariode référence de 3% du mix énergétique à 8% dansle scénario avec MDP;celle du gaz,de 9% à 13%,tandis que la part du charbon tombe de 69% à59%. Au total, substitution technologique etamélioration de l’efficacité conduisent à desréductions d’émissions de CO2 de 16% en 2035.Les investissements étrangers représentent alors8% des investissements dans le secteur, libérantdes capitaux domestiques pour des investissementsdans d’autres secteurs.

Au total, le caractère incitatif du MDP réside dansla contribution de trois types de rémunérations:

• différence entre valeur internationale du car-bone, établie par les échanges de permis, et coûtde réduction du projet;

• bénéfices commerciaux de l’investissement MDPet réallocation des investissements domestiquesvers d’autres opportunités d’investissements;

• création d’externalités sociales, économiqueset environnementales positives qui justifientl’adoption des politiques publiques.

Conclusion

Au-delà de l’innovation sémantique inscrite àl’article 12 du Protocole de Kyoto, cherchant àétablir une synergie entre environnement etdéveloppement, il a fallu chercher à définir demanière opérationnelle le MDP, de manière à cequ’il permette de répondre à ses objectifs de

développement et de réductiondes émissions de GES. Ceci aconduit à de nombreuses confu-sions sur les tenants et aboutissantsde l’additionalité, censée encadrerles critères d’éligibilité des projets.Une manière de clarifier ladiscussion consiste à penser leMDP comme une opportunitépour la mise en œuvre des nom-breux potentiels « sans regrets »dans les PED. Ceci permet de

définir un MDP basé sur des programmes secto-riels visant à la levée des barrières au dévelop-pement.

Bibliographie

GIEC, Climate Change 2001:Mitigation,CambridgeUniversity Press, 2001.

Jaffe,A.B., Stavins, R.N., «The energy paradoxand the diffusion of conservation technology»,dans Resource and Energy Economics, vol. 16, 1994,p. 91-122.

Mathy,S.,Hourcade, J.C.,de Gouvello,C., «Cleandevelopment mechanism: leverage for develop-ment?», Climate Policy, 1 (2), 2001, p. 251-268.

UNFCCC – United Nations Framework Con-vention on Climate Change,The Kyoto Protocol tothe Convention on Climate Change, 1997, 24 p.

140 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE Nos 66-67

Une manière de clarifier

la discussion consiste

à penser le MDP comme

une opportunité pour

la mise en œuvre

des nombreux potentiels

« sans regrets »

dans les PED.

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141Économie de l’environnement et des ressources naturelles

Dossier : Le Mécanisme pour un Développement Propre MDP

POLLUTION DE L’AIR ET CHANGEMENT CLIMATIQUE

Ce dossier donne un aperçu succinct des différentesinitiatives prises par l’Institut de l’énergie et de l’envi-ronnement de la Francophonie (IEPF), Organe subsi-diaire de l’Agence Intergouvernementale de la Franco-phonie (AIF), pour faire du MDP la base d’unesolidarité Nord-Sud opérationnelle dont la Francophoniepourrait s’inspirer pour renouveler et dynamiser sonaction en faveur du développement durable. Il comprend:

• une note introductive qui rappelle ces initiatives enles situant dans leurs contextes respectifs (p. 141);

• un échantillon des profils MDP des pays membresen développement, profils préparés pour faire con-naître aux investisseurs le potentiel de ces pays (voirfiche MDP Tunisie, p. 144);

• le descriptif de l’initiative francophone de Parte-nariat pour le MDP (IFP-MDP) précédé d’unrappel synthétique des résultats du Séminaireorganisé sur le MDP en avril 2005 à Montréal,séminaire au cours duquel l’IFP-MDP a étéconçue et adoptée (p. 162).

L’IFP-MDP connaît depuis mai 2005 un débutprometteur de mise en œuvre avec:

• un groupe actif de discussion en ligne;

• un bulletin de liaison en ligne, qui paraît aurythme d’un numéro par semaine;

• un portail regroupant à ce stade les premiersdocuments produits dans le cadre de l’Ini-tiative MDP.

Un premier bilan des réalisations sera dressé enmarge de la 11e Conférence des Parties (CdP-11) à la Convention cadre des Nations Unies surles changements climatiques, Conférence qui setiendra en novembre de cette année, à Montréal,au Canada.

L’IFP-MDP a été doté d’un Comité de suivi etd’évaluation international comprenant les per-sonnalités suivantes:Ali Agoumi (Maroc),CheikhSylla (Sénégal), Gilles Potvin (Canada), JeanneJosette Acacha Akoha (Bénin), Joseph Amougou(Cameroun), José Romero (Suisse), MassambaThioye (Sénégal), M’Gbra N’Guessan (Côted’Ivoire), Philippe Meunier (France), PierreLanglois (Québec), Stéphane Cools (Belgique),Faouzia Abdoulhalik (IEPF), El HabibBenessahraoui (IEPF), Sibi Bonfils (IEPF).

C’est le lieu de souligner la place que tiennentles profils MDP dans l’IFP-MDP. L’échantillonpublié ici donne un premier aperçu de l’infor-mation que ces profils contiennent. Il doit êtreconsidéré comme une invite aux pays qui nel’ont pas encore fait, à compléter leur profil avantsa publication aux fins pour lesquelles il a étépréparé.

Puissent toutes ces initiatives créer les dyna-miques nécessaires dans l’espace francophoneafin que le MDP joue son rôle de catalyseurpour une solidarité opérationnelle en faveur dudéveloppement durable.

Note introductive

De Rio à Kyoto et au MDP

C’est au Sommet de Rio,en 1992,qu’a été signéela Convention cadre des Nations Unies sur lesChangements Climatiques (UNFCCC) dontl’objectif est de stabiliser les concentrations de gaz àeffet de serre dans l’atmosphère à un niveau qui empêchetoute perturbation anthropique dangereuse. Lesnégociations qui ont suivi Rio pour mettre enplace cette Convention conduisent, en décembre1997, à l’adoption du Protocole de Kyoto.

DOSSIERLe Mécanisme pour un Développement Propre (MDP):Base d’un Partenariat Nord-Sud pour le développement durable

Sibi Bonfils, Directeur adjoint IEPFFaouzia Abdoulhalik, Responsable de programme IEPF

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142 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE Nos 66-67

Ce Protocole tire les leçons de cinq années denégociations sans résultats réels sur l’évolutiondu climat pour imposer des engagements quantifiésde limitation et de réduction de gaz à effet de serre auxpays industrialisés, dits Parties de l’Annexe 1 dela Convention, lesquels ont reconnu leur respon-sabilité historique dans la dégradation observéedu climat. Le taux moyen de réduction auquelces pays ont souscrit est de 5,2% au-dessous desniveaux d’émissions de 1990.

Pour atteindre au moindre coût cet objectif de limi-tation ou de réduction des émissions, le Proto-cole a introduit, dans le processus de mise enœuvre, trois mécanismes dits de flexibilité : la miseen œuvre conjointe (MOC), l’échange interna-tional de droits d’émissions et le Mécanismepour un Développement Propre (MDP).

Le MDP,un mécanisme de partenariatNord-Sud pour le Développement durable

Le MDP est, des trois mécanismes de flexibilité,celui qui implique directement les pays endéveloppement dans le processus de lutte contrel’effet de serre, comme l’attestent du reste sesdeux principaux objectifs :

• aider les Parties non Annexe 1, les pays endéveloppement, à parvenir au développementdurable tout en contribuant à la réalisation del’Objectif de la Convention;

• aider les Parties de l’Annexe 1, les pays indus-trialisés, à remplir leurs engagements chiffrésde limitation et de réduction des émissions.

Le MDP apparaît ainsi comme un mécanismede partenariat Nord-Sud qui innove à plus d’untitre. Il renouvelle la coopération technologiqueavec, au cœur de la dynamique, le secteur privéet la société civile dans ses différentes compo-santes. Il est générateur de flux nouveaux decapitaux du Nord vers le Sud avec cependantl’obsession du développement durable. Les pro-cédures simplifiées pour la prise en compte depetits projets et même des projets de dévelop-pement non réducteurs de gaz à effet de serre,

telles qu’elles se négocient actuellement, ouvrentdes perspectives d’implication directe des com-munautés de base dans cet exercice de solidaritéplanétaire forgée autour de l’idée d’un mondetotalement interdépendant…

Des obstacles qui peuvent se révélerrédhibitoires

L’intérêt du MDP est évident pour les paysmembres en développement de la Franco-phonie:

• possibilités de transfert de technologiespropres ;

• de nouvelles ressources financières pour ledéveloppement;

• création d’emplois et génération de ressources;

• renforcement de l’efficacité énergétique et del’efficience des procédés de production;

• amélioration de l’environnement local.

Mais l’accès à ce mécanisme si prometteur,suppose des compétences et des capacités quiont encore besoin d’être développées dansbeaucoup de ces pays.

La compréhension de l’ensemble du processus,encore en négociation par ailleurs, et des enjeuxqu’il recouvre,est en soi une gageure,notammentau niveau des différents acteurs et de leurs rôlesrespectifs. La maîtrise des concepts clés, addition-nalité, ligne de base, etc., pour la formulation deprojets éligibles au mécanisme est un tout autredéfi à relever.Les pays sont aussi confrontés à dif-férentes autres nécessités: celles de se doter d’unepolitique nationale de développement durable quifixe les priorités de développement ; celle demettre en place un cadre législatif et réglemen-taire adapté à ce mécanisme de marché, et doncattractif et sécurisant pour l’investissement étran-ger.La mise en place d’une Autorité nationale duMDP apparaît comme un préalable institution-nel,compte tenu du rôle qu’un tel organisme doitjouer dans l’ensemble du processus. Interfaceentre les opérateurs nationaux et les partenairesextérieurs, c’est en effet lui qui délivrera la lettred’approbation qui confirme la conformité d’unprojet national aux critères nationaux et interna-tionaux de développement durable.C’est lui quifixera les règles et procédures d’évaluation des

1. L’IEPF se félicite de la collaboration de Monsieur AliAgoumi et de tous les membres du Comité de suivi etd’évaluation de l’IFP-MDP qui ont joué un rôle déter-minant dans la conception de cette initiative. Il leurexprime ici toute sa gratitude.

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143Économie de l’environnement et des ressources naturelles

Dossier : Le Mécanisme pour un Développement Propre MDP

POLLUTION DE L’AIR ET CHANGEMENT CLIMATIQUE

projets.C’est à lui que reviendra la responsabilitéde construire et promouvoir le portefeuille natio-nal de projets MDP…

Des initiatives… mais encoreinsuffisantes pour lever ces obstacles

Pour répondre à ces besoins pressants d’informa-tion, de compétences et de capacités nécessairesaux pays membres en développement en vue detirer avantage du MDP, l’IEPF a pris, ces dernièresannées,en collaboration avec différents partenairesau développement, quelques initiatives, certeslimitées, mais fort appréciées des pays:

• L’Atelier international sur le Mécanisme pourun développement propre, organisé en mars2001, à Québec, avec l’appui des gouverne-ments canadien, français et québécois, s’inscritdans ce contexte. Il a permis de toucher plusde 100 représentants des pays membres duSud en charge de ces questions ;

• L’une des recommandations de cet Atelierétait de préparer un guide pratique sur laformulation de projets éligibles au MDP. Ceguide a été édité et diffusé en 2001 à plus de2000 exemplaires (1re page du guide) ;

• Un portefeuille d’une soixantaine d’idées deprojets a été constitué dans le cadre de cetatelier sur proposition des participants, dans laperspective d’un cheminement dont le termeserait leur prise en charge par des partenairesdu développement désireux d’apprendre parla pratique, la mise en œuvre du MDP. Six deces propositions, parmi les plus abouties, ontété instruites plus avant dans des dossiers prêtsà l’emploi pour d’éventuels promoteurs, etc. ;

• L’IEPF a lancé en 2003 une initiative visant àdresser le profil MDP des pays francophones endéveloppement.L’objectif est de les faire con-naître aux investisseurs des pays francophoneset d’ailleurs pour mieux les y intéresser et lesattirer. L’initiative soutenue par le Bureaucanadien du MDP et le Ministère québécoisde l’Environnement, avec une participation duCentre Hélios, a permis de produire les profilspour 37 pays membres en développementsuivant l’exemple donné ci-après;

• Courant juin 2003, l’IEPF a organisé àOuagadougou, au Burkina Faso qui devait

accueillir le Xe Sommet de la Francophonie en2004, un Atelier international sur le MDPciblant principalement les hauts Conseillers desMinistres de l’Environnement en charge de cedossier. Une cinquantaine de personnes ontpris part à cette activité.L’appui à la mise en placedes Autorités nationales du MDP et la formation àla formulation des projets éligibles à ce mécanismeont été leurs principales recommandations auxpartenaires du développement;

• En avril 2005, il a organisé à Montréal, avecle soutien et la participation de différentspartenaires au développement bilatéraux(Canada, France, Région Wallonne deBelgique, Suisse) et multilatéraux (Banquemondiale, PNUD/FEM, le Secrétariat de laConvention sur la Biodiversité,Le MécanismeMondial, etc.), un séminaire de haut niveausur le MDP. Le principal résultat de cettemanifestation a été l’adoption et la mise enplace d’une Initiative francophone de parte-nariat pour le MDP (IFP-MDP) décritesuccinctement ci-après.L’IFP connaît déjà undébut prometteur de mise en œuvre.

Le MDP, base d’une action francophonestimulante pour tous

Ces initiatives, somme toute limitées, ont cepen-dant permis de mesurer les enjeux du MDP.Mécanisme de marché, il apparaît comme unpuissant levier de développement du partenariatd’affaires dans l’espace francophone. Mécanismede coopération, il crée les bases d’un partenariatNord-Sud et d’une solidarité opérationnelle dontla Francophonie pourrait s’inspirer pour renou-veler et dynamiser son action.Avec son parti prispour un développement économique et socialrespectueux de l’environnement, il participe dudéveloppement durable à la promotion duquel lespays membres se sont engagés dans le cadre duPlan d’action de Johannesburg.

À ces différents titres, le MDP pose pour laFrancophonie, une Francophonie solidaire pour ledéveloppement durable, les bases d’une action com-munautaire stimulante qui s’inscrirait pleinementdans la perspective de ce Plan d’action et duCadre stratégique décennal que viennent d’adop-ter à Ouagadougou (Burkina Faso) les Chefsd’État et de Gouvernement de la Francophonie.

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144 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE Nos 66-67

Cette fiche d’information a été réalisée dans le cadred’une initiative de l’Institut de l’énergie et de l’envi-ronnement de la Francophonie.Le projet vise à fournirune information de base aux acteurs économiques etpolitiques sur le potentiel et les opportunités en matièrede Mécanisme pour un développement propre dans lespays de la Francophonie.Les fiches comprennent quatresections principales: climat d’investissement (et portraitsocio-économique), politiques Kyoto (et autres activitésinstitutionnelles reliées), portrait des émissions et profilénergétique, et secteurs prioritaires d’intervention etprojets MDP.

Le contenu de cette fiche sur la Tunisie provient d’unensemble de sources d’information publiquementdisponibles.

Climat d’investissement

La Tunisie est un pays de l’Afrique du Nord limitéà l’ouest par l’Algérie,au sud-est par la Libye et aunord et à l’est par la mer Méditerranée.

Depuis 1987, des efforts notables en matière dedéveloppement économique et social ont étéenregistrés. C’est ainsi que depuis quelquesannées le pays connaît une forte croissance grâceà trois richesses principales : le tourisme, lesphosphates et le pétrole.

Au terme de l’Indicateur de développementhumain (IDH), la Tunisie se classe 89e sur untotal de 175 pays.

La stabilité politique et la poursuite attendue desprivatisations et des réformes structurelles sontsusceptibles d’attirer davantage de capitaux étran-gers. L’accord d’association avec l’UE, mis enœuvre en 1998, a entraîné au pays une réorien-tation de la coopération financière.Dans le cadrede cet accord, la Tunisie et l’UE se sont engagéesà créer progressivement une zone de libre-échange d’ici 2010. Le chômage demeure à unniveau élevé (15% de la population active) et lerythme des réformes structurelles est irrégulier,ce qui peut affecter les flux d’investissementsdirects étrangers.

La Tunisie occupe le 5e rang sur le continentafricain en termes d’investissement direct étran-ger. Selon l’indice COFACE du risque, le paysest coté «A4».

Politiques KYOTO

Depuis le Sommet de la Terre de Rio en 1992,le gouvernement de la Tunisie a démontré unintérêt marqué pour la lutte aux changementsclimatiques. Suite à une adhésion à la Conven-tion cadre des Nations Unies sur les changementsclimatiques (CCNUCC), la Tunisie a complétésa Communication nationale initiale en 20011.Le protocole de Kyoto a été ratifié en 2002.

Depuis la période 1995-2003, la Tunisie a parti-cipé à un grand projet du FEM/PNUD pourrenforcer les capacités en matière de change-ments climatiques au Maghreb (Algérie,Maroc,Tunisie). Dans le cadre de cette initiative, laTunisie a réalisé plusieurs études et activitésassociées à la mise en œuvre du Protocole deKyoto: inventaire et projections des émissions deGES, stratégie d’intégration des opérateurs éco-nomiques, ateliers de formation, création deréseaux d’experts et d’un Comité national surles changements climatiques (CNCC).Ce projetlui a aussi permis de réaliser en 2002 et 2003 desportefeuilles de projets, qui identifient plusieurs

1. La Communication nationale est disponible sur http://unfccc.int/resource/natcom/nctable.html

Survol socio-économique

Population (1994) 9,5 millions

PIB par habitant (PPA) (2000) 6363$US

Ressources naturelles pétrole, phosphates, fer, plomb, zinc, sel

Industries pétrole, mines, textile, tourisme

IDH – Indicateur de développement humain (2001) 89e

Croissance économique (2001) 5%

IDE – Investissement direct étranger (2001) 486M$US

Sources : Nations Unies, l’État du monde, IEPF, PNUD, Banquemondiale, CNUCED

Survol socio-économique

Page 145: Économie environnement ressources naturelles

145Économie de l’environnement et des ressources naturelles

MDP et Francophonie

POLLUTION DE L’AIR ET CHANGEMENT CLIMATIQUE

options susceptibles d’être éligibles au MDP(voir les sections Secteurs et projets MDP). Lepays était l’hôte d’un atelier régional sur le MDP,financé par le PNUE, qui s’est tenu en janvier2003 et a participé à l’atelier international sur leMDP organisé par l’IEPF en juin 2003.

Mentionnons aussi que le Canada a signé unprotocole d’entente sur le MDP avec la Tunisie.De plus, l’Agence nationale pour l’énergie renou-velable de la Tunisie (ANER) a créé un parte-nariat avec l’Agence de l’efficacité énergétique(AEE) du Québec, par l’entremise du projetSAGES (pour Stratégie d’atténuation des gaz àeffet de serre), visant également à développer desprojets de réduction de GES,éligibles notammentau MDP, et le renforcement des capacités enmatière de maîtrise de l’énergie en Tunisie.

En termes de politiques environnementales ayantune incidence sur la réduction des GES au pays,citons le code d’incitation aux investissements(incitatifs fiscaux pour promouvoir la maîtrise del’énergie), une nouvelle loi pour renforcer lecadre réglementaire de la maîtrise de l’énergie,et un programme d’utilisation rationnelle del’énergie. Enfin, un projet de réglementationthermique des bâtiments et un projet de certi-fication énergétique des réfrigérateurs ont étélancés en 2000.

Portrait des émissions

Inventaire des émissions

L’inventaire national des émissions de GES révèleque le pays a émis environ 32 Mt d’éq. CO2 en1997, avec une prépondérance des émissionsassociées à la consommation d’énergie, notam-ment dans la filière de production thermiqued’électricité. En effet, avec 15,3 Mt d’éq. CO2,les utilisations énergétiques représentent plus de

la moitié des émissions nationales brutes, suiviesdes émissions provenant de l’agriculture (6,4 Mt,20%),du secteur utilisation des terres et foresterie(3,9 Mt, 12%) et des procédés industriels, domi-nés par les industries minérales : cimenteries,production de chaux (3,3 Mt, 10%).

Ratification du protocole Oui

Communication nationale initiale Complétée

Effort de capacitation Élevé

Autorité nationale désignée En cours

Point de contact MDP*

M. Imed FadhelMinistère de l’Environnement et Développement [email protected]

*Correspondant national identifié par l’IEPF Émissions (Mt) 1997 2010 202032 55 79

1997 par secteurÉnergie 53,4%Agriculture 20,2%Utilisation des terres et foresterie 12,4%Procédés industriels 0,3%Déchets 3,7%

Consommation totale d’énergie (1994) 5000 kTEPProduits pétroliers 63%Biomasse 17%Électricité 10%Gaz naturel 8%

Production d’électricité (2002) 9,2 TWhHydroélectricité 1%Pétrole et gaz 99%

Sources : Ministère de l’Aménagement du Territoire de la Tunisie,Agenceinternationale de l’énergie, IEPF

Projections des émissions

La Tunisie est un des rares pays en développe-ment de la Francophonie à avoir réalisé uneétude sur les perspectives d’émissions. Sous unscénario de maintien du statut quo, il a étéestimé que le pays émettra 55 Mt de GES en2010 et 79 Mt en 2020, ce qui représente plusd’un doublement des émissions entre 1997 et2020. La part de l’énergie dans le total desémissions brutes passerait de 53% en 1997 à plusde 62% en 2020.

Profil énergétique

Comme le suggèrent les données précédentes, laTunisie est un pays à forte consommation decombustibles fossiles, notamment le pétrole et legaz naturel. La production d’électricité est en faitpresque totalement d’origine thermique (99,5%).Cependant, le pays vise à développer l’efficacitéénergétique et les énergies renouvelables parl’entremise de son programme de maîtrise del’énergie.D’ailleurs, selon une évaluation à méso-échelle de la Banque africaine de développe-ment/Hélimax, la Tunisie figure parmi les 15 paysaux meilleurs potentiels éoliens de l’Afrique.

Portrait des émissions et de l’énergie

La préparation à Kyoto

Page 146: Économie environnement ressources naturelles

146 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE Nos 66-67

Notons que les émissions de CO2 associées augaz naturel augmentent dans les projections dugouvernement tunisien, ce qui est conséquentavec la croissance fulgurante de la consomma-tion de gaz naturel d’environ 15% par an desdernières années, alors que celles associées aupétrole diminuent légèrement.Ceci suggère quele pays est déjà bien en voie de transition vers legaz naturel dans le secteur de la production ther-mique d’électricité. La demande d’énergie élec-trique annuelle augmente de 7%.En 1996, une loi abrogeait le monopole de laSociété tunisienne d’électricité et du gaz (STEG)et permettait la production d’électricité indé-pendante, tout en conservant son monopole surle transport et la distribution. En outre, desdispositions fiscales encouragent l’utilisation dugaz naturel dans les installations de productiond’électricité de moins de 40 MW. La STEG estresponsable de la quasi-totalité de la productiond’électricité en Tunisie. Les auto-producteursreprésentent moins de 10% de la productionélectrique nationale. L’ouverture récente de cemarché aux investisseurs privés a permis la miseen chantier de projets qui modifieront la répar-tition de la production d’électricité.

Secteurs et Projets MDP

Secteurs prioritaires

De par la forte consommation de combustiblesfossiles, le secteur énergétique est identifiécomme prioritaire en termes de réduction deGES en Tunisie. En effet, dans la Communica-tion nationale, qui comportait globalement47projets pour un total de réduction de 240 Mtd’éq.CO2, la majorité (33 projets) était reliée ausecteur de l’énergie ; le potentiel d’atténuationdes émissions dans ce secteur occuperait 60,5%des émissions évitées, soit 145 Mt d’éq. CO2 surla période de 2002-2020. Près de 21% desréductions se retrouvent dans le secteur «forêt etchangement d’affectation des sols», 11% dans lesecteur déchets et 8% dans le secteur agriculture.

Projets MDP potentiels

Suite à cette identification de projets d’atténua-tion, la Tunisie a procédé à une étude plus appro-fondie des options afin d’identifier des projetssusceptibles d’être recevables dans le cadre duMDP.Ce portefeuille de projets (versions 2002 et

Projets Investissement Émissions Valeurtotal de CO2 potentielle

(M$US) évitées des UREs(Mt) (M$US)*

Cogénération (150 MW) 34,5 1,4 6,8

Energy Service Compagny (ESCO) 24 3,7 18,5

Énergie éolienne (155 MW) 155 8,2 41

Biogaz (7 MW) 4,8 0,3 1,6

Chauffage solaire 11,7 0,5 2,5

Centrale de fret 6,0 1,2 6

Éclairage public 0,3 0,8 4

Éclairage éconergétique 1,2 0,2 1

* supposant 5$US/tonne

2003) a identifié huit options différentes dans lesecteur de l’énergie. Le portefeuille fait une des-cription synthétique de ces options, incluant quel-ques détails techniques,économiques et financierssur chacune d’elles. L’investissement requis, lesréductions de CO2 escomptées et la valeur poten-tielle des unités de réduction d’émission pour cesprojets sont présentés au tableau ci-haut.Notons que la Tunisie, par l’entremise del’ANME et en collaboration avec l’AEE duQuébec, poursuit présentement ses travaux afinque ces efforts débouchent en la concrétisationde projets MDP qui généreront des unités deréduction d’émission pour les parties impliquées.Par ailleurs, soulignons que le portefeuille tuni-sien comprend également des projets dans dessecteurs autres que l’énergie : ceux-ci incluentdes projets en foresterie (plantation arboricole,plantation pastorale, reboisement forestier) et desprojets de valorisation des déchets (compostageet valorisation du biogaz).

Participation à l’AMAC et projetsMDP en cours

La Tunisie n’a pas participé aux «activités misesen application conjointement» (AMAC), la phasepilote prévue sous le protocole de Kyoto.Aucunprojet MDP situé en Tunisie n’a été soumis auComité exécutif MDP de la CCNUCC.

Coordination et réalisation: Centre Hélios

Partenaires financiers: IEPF, Ministère des Affairesétrangères-Canada,Ministère du Développementéconomique et régional du Québec

Portefeuille de projets MDP tunisien (2003)

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147Économie de l’environnement et des ressources naturelles

Assistant au Centre de Forma-tion et de Recherche en Déve-loppement (CEFRED) à la Facultédes Sciences Économiques et deGestion (FASEG) de l’Universitéd’Abomey Calavi (UAC/BENIN).

@[email protected]

Roch Edgard GBINLO

L’existence du phénomène taxi-moto dans le transport urbain àCotonou constitue l’une des sources majeures de la détériorationde la qualité de l’air dans cette ville. Le nombre croissant desmotos-taxis en circulation dans la ville devient tellement importantque toutes les artères de la ville connaissent le problème de lapollution atmosphérique de façon permanente. Les émissions duesaux véhicules à moteur en général portent un préjudice sérieux àla santé publique et à l’environnement. L’objectif de cet articleétant de mesurer la valeur économique de la qualité de l’air dansla ville de Cotonou, la méthode d’évaluation contingente a permisune évaluation monénaire de la qualité de l’air qui s’élève à182355153,8 FCFA.

Introduction

Au cours des vingt dernières années, la pollution causée par le transportterrestre et plus particulièrement celle des taxis-motos communémentappelés «zémidjans», s’est affirmée à Cotonou comme l’une des toutes

premières causes de la détérioration de la qualité de vie et d’insatisfactionenvironnementale.

L’air d’une région ou d’une agglomération peut être considéré comme un bienpublic, accessible à tous. Une fois pollué, il constitue une externalité négativepublique indivisible.Cette pollution peut entraîner certains problèmes de santé,dévaloriser des biens immobiliers… Tous ces impacts induisent des coûtssociaux: coûts médicaux, coûts de protection des logements exposés, coûts deprotection des ménages exposés… parce qu’ils ne sont pour la plupart pasfacturés aux agents qui en sont responsables.

Leur évaluation pourrait grandement aider à des arbitrages politiques afind’infléchir les situations d’inconfort et d’insatisfaction. Évaluer de tels coûtssociaux offre plusieurs opportunités, notamment la fiscalité, la tarification ou lafixation de valeurs tutélaires pour l’intégration préventive des coûts environ-nementaux dans la gestion du transport urbain, dont celle de donner lapossibilité aux pouvoirs publics de facturer le coût estimé aux responsables desdommages causés et donc d’appliquer le principe de pollueur-payeur.

MMeessuurree ddee llaa vvaalleeuurr ééccoonnoommiiqquuee ddee llaa qquuaalliittéé ddee ll’’aaiirr :: llee ccaass ddee llaa vviillllee ddee CCoottoonnoouu

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148 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE Nos 66-67

Du concept théorique de coûtexterne au coût évalué

L’évaluation des coûts externes des transports estde plus en plus destinée à une régulation dusystème de transport avec des signaux de prix quipermettent de se rapprocher d’un optimum.

En effet, l’automobiliste génère des effets exter-nes négatifs (nuisances), supportés par les popula-tions exposées à la pollution. Comme la relationentre l’émetteur de la nuisance et les récepteurss’établit en dehors d’un marché, les victimessupportent la nuisance sans contrepartie ; l’effetexterne conduit alors à un coût externe.

La mesure de la valeur économique de la pollu-tion de l’air causée par les véhicules à moteur viseà déterminer le niveau de taxe qui donne unsignal tarifaire aux agents pollueurs corres-pondant à leur émission polluante. Ce signal,internalisé dans le coût de production, donc dansles prix de vente des outputs (carburant, véhiculesà moteur), déplace alors l’équilibre vers un niveaude nuisance acceptable, du moins en théorie.

La typologie des méthodes d’évaluation des coûtsexternes de la figure ci-dessous montre que lescoûts sont évalués soit du point de vue de l’indi-vidu (à qui on demanderait d’exprimer sespréférences), soit du point de vue de la société,voire de l’État, qui prend en compte des pertessociales (pertes de production par malade, pardécès…) et certains coûts directs (hospita-lisation…), ou qui fixe un objectif à atteindre.

En regard de la théorie du bien-être, le dommagemarginal est évalué à partir de la perte des utilitésindividuelles créée par la dégradation de l’envi-ronnement (pollution de l’air). Cette perte estévaluée par le consentement à payer (CAP) desindividus pour éviter des nuisances provoquéespar la dégradation de la qualité de l’air. L’objectifde cet article étant de mesurer la valeur écono-mique de la qualité de l’air dans la ville deCotonou, la méthode d’évaluation contingente(voir Lescuyer dans ce numéro) a été utilisée àpartir des préférences déclarées par les popu-lations exposées à la pollution atmosphérique.

Cette méthode permet par interrogation directedes individus de générer une estimation desmesures compensées de variation de leur bien-être. C’est une méthode qui est aujourd’huiutilisée pour la valorisation du risque lié à lagestion des déchets (Mc Clelland et al., 1989), àla qualité de l’air (Johanson,1987) et à la visibilité(Schulze et al., 1983) ; (Mc Clelland et al., 1991).

L’idée principale de cette évaluation psychomé-trique part du fait que le consommateur (pollué)alloue ses dépenses entre les catégories agrégéesde biens (alimentation, loisir, transport, santé,logement, environnement) connaissant sonbudget global et les prix (valeur d’un bien).L’allocation se fait donc en maximisant une fonc-tion d’utilité sous la contrainte du budget et desprix des biens qui constituent le panier deconsommation.

Figure 1 – Synthèse des différentes méthodes d’évaluation économique des dommages

Source : D’après Nicolas et Grosclaude

Valorisation des préférences

individuelles

Méthodedíévaluationcontingente

Méthodedes prix

hédonistes

Approche psychométrique(CAP ou CAR)

Approche économétrique

Préférences révéléesPréférences déclarées

Dépensesde protection

Valorisation des choixcollectifs

Coûtsd’évitement

Coûtdes dommages

Objectifpolitique

Expertisescientifique

Préférences révéléesPréférences déclarées

Évaluationà posteriori

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149Économie de l’environnement et des ressources naturelles

Mesure de la valeur économique de la qualité de l’air :le cas de la ville de Cotonou

POLLUTION DE L’AIR ET CHANGEMENT CLIMATIQUE

L’étude a donc consisté en l’élaboration d’unquestionnaire permettant de déterminer le mon-tant maximal, exprimé sous forme de consen-tement à payer par les populations de Cotonouqui représente la valeur qu’elles accordent à laqualité de l’air. Ce raisonnement tire sonfondement de l’approche théorique suivante.

Modélisation du CAP

Considérons le programme primal d’unepersonne enquêtée qui maximise sa fonctiond’utilité U pour un vecteur de prix P et unniveau de revenu Yo donnés. Son programmes’écrit de la façon suivante:

Max U (x, Qo, m)

x ≥ o Px ≤Yo

x est le vecteur des biens privés, m décrit sescaractéristiques (âge, sexe, revenu, formation…)et Qo désigne la politique environnementale(dépollution) en vigueur. Ce programme admetune solution qui est la fonction d’utilité indirecteVo = V (P, Yo, Qo, m). Elle donne le niveaumaximum d’utilité qui peut être atteint comptetenu des prix et des revenus de la personneinterrogée. Ses caractéristiques et la politiqueenvironnementale en vigueur interviennent entant que paramètres de cette fonction.

L’amélioration de la qualité ou d’une nouvellepolitique environnementale se traduit, touteschoses égales par ailleurs, par une augmentationdu niveau d’utilité qui atteint V1 tel que:

V1 =V (P,Yo, Q1, m),V1 ≥ Vo

où Q1 désigne la nouvelle politique de l’amélio-ration de la qualité de l’air. Si la situation initialedésigne la situation de référence, le surpluscompensateur (SC) fournit un équivalent moné-taire de cet accroissement. Il est défini par :

Vo =V (P,Yo – SC, Q1, m)

Le consentement à payer (CAP) est égal ausurplus compensateur, c’est-à-dire à la diminu-tion de revenu qui permet de conserver le niveauinitial d’utilité lorsque la nouvelle politique estmise en place. Il dépend donc des prix, durevenu, de la politique environnementale et descaractéristiques socioéconomiques.

En introduisant une variable aléatoire ε nousspécifions le modèle économétrique de la façonsuivante:

CAP* = f (P,Yo, Qo, Q1, m) + ε

Au cours de l’enquête, les personnes interrogéesannoncent une valeur positive ou nulle du CAP.Pour certaines, la valeur zéro traduit effective-ment une valeur nulle de la qualité de l’air, tandisque pour d’autres, il peut s’agir d’un rejet de laquestion posée et correspond à un faux zéro.

L’information obtenue ne permet pas de classerles réponses en catégories plus homogènes; ainsi,on a fait l’hypothèse que les réponses strictementpositives révélaient le CAP, ce qui conduit àretenir un modèle «Tobit» avec CAP* commevariable latente. Cette variable peut être positiveou négative alors que le CAP est positif ou nul.

CAP = CAP* si CAP* > 0 et CAP = 0 sinon

Le CAP désigne la valeur monétaire qu’accordentles personnes interrogées à la qualité de l’air. Lemodèle est estimé par la méthode du maximumde vraisemblance (Maddala, 1983).

Données statistiques

Les données utilisées sont issues d’une enquêteréalisée sur un échantillon de 120 personnes dansla ville de Cotonou.La population interrogée estcelle qui est effectivement exposée à la pollutionatmosphérique causée par le transport urbain.

En effet, à Cotonou, le nombre de personnesexposées aux polluants dans les différents micro-environnements, notamment à l’intérieur desvéhicules, dans des files d’attente et aux abordsdes routes, est très important. Mais, compte tenudes difficultés à questionner les individus dans lesvéhicules, l’enquête porte sur les riverains setrouvant aux abords des voies à forte circulationcaractérisées par un embouteillage permanent.

Estimation de la valeuréconomique de la qualité de l’air

La valeur économique de la qualité de l’air estobtenue au moyen du CAP, estimé à partir dutraitement économétrique des réponses del’échantillon.Le CAP moyen obtenu est multiplié

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150 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE Nos 66-67

par la population totale concernée pour obtenir lavaleur totale attribuée à la qualité de l’air.

Sur les 120 enquêtés, nous en avons retenu 103pour l’analyse économétrique, ce qui correspondà un taux de réponse de 86%.

À partir des données collectées, le consentementà payer moyen obtenu s’élève à 558,25 FCFA parmois, par individu. Ce consentement à payermoyen concerne surtout les personnes exposéesà la pollution de l’air le long des voies de circu-lation. Il s’agit surtout des commerçants, desvendeurs, des vendeurs ambulants, les conduc-teurs de taxi-motos, surtout ceux qui font partie

du sous-secteur non structuré (secteur informel)de l’économie nationale. En considérant que70% de la population de la ville de Cotonouévolue dans le secteur informel, le nombre depersonnes exposées à la pollution de l’air danscette ville peut être estimé à 326655 habitants.

La valeur monétaire de la qualité de l’air consisteraà faire le produit du consentement à payer moyen etdu nombre de personnes exposées aux polluants lelong des voies de circulation à Cotonou.Ce produit,appelé «consentement à payer total » (CAPT), estévalué à 182355153,8 FCFA par mois.

Formation des formateurs en évaluation environnementale – Programme MOGED

Dans le cadre de son programme MOGED (Maîtrise des outils de gestion del’environnement pour le développement), l’Institut de l’énergie et de l’environne-ment de la Francophonie (IEPF), organe subsidiaire de l’Agence intergouverne-mentale de la Francophonie (AIF), a mis en place une activité de formation deformateurs en évaluation environnementale.

Ce processus de formation de formateurs, destiné aux pays de l’Afriquefrancophone, poursuit les objectifs suivants :

– former des relais nationaux de formation (formateurs nationaux) chargés d’élaborer et de mettre en œuvre des programmesde formation en évaluation environnementale adaptés aux besoins de chacun des pays impliqués;

– renforcer l’aptitude de ces responsables à diffuser les connaissances acquises auprès des acteurs de développement dansleurs pays respectifs ;

– former rapidement, efficacement, à moindre coût et en grand nombre les différents acteurs du développement.

L'atelier organisé conjointement par l’IEPF et le Groupe EIER-ETSHER, à Ouagadougou du 16 au 20 mai 2005 constitue la dernièredes cinq phases suivantes du processus de formation de formateurs nationaux, menées sur la période 2003 à 2005:

1. Un atelier régional pour former des formateurs nationaux (Bamako, octobre 2003) ;

2. L’élaboration de programmes nationaux de formation par chaque pays participant (transmis à l’IEPF en juillet 2004) ;

3. L’évaluation des dossiers et sélection des pays participants (août 2004) ;

4. Un appui à la tenue de sessions nationales dans les pays retenus (septembre à décembre 2004) ;

5. Un atelier international de consolidation des sessions nationales (Ouagadougou, 16- 20 mai 2005).

Les résultats obtenus à l’issue de l’atelier de Ouagadougou sont des mesures concrètes d’accompagnement visant uneappropriation de la démarche et des acquis du processus par les pays bénéficiaires :

– Un rapport sur l’évaluation des sessions nationales organisées dans les différents pays et sur les pistes d’amendement;

– Une matrice sur le montage d’un projet national et/ou régional ;

– Deux modèles de projets nationaux et/ou régionaux élaborés, éligibles aux financements internationaux;

– Un document sur les financements existants et sur les procédures des différents bailleurs de fonds, pour la réalisation desactivités de renforcement des capacités en évaluation environnementale;

– La version avancée d’une Boîte à outils pour les formateurs nationaux, en cours de migration vers un format « Mallettepédagogique » présentée sur CD-ROM.

Pour information s’adresser à:

Sory Ibrahim Diabaté, Responsable de ProgrammeInstitut de l’énergie de l’environnement de la Francophonie (IEPF)56, rue Saint-Pierre G1K 4A Québec (Canada)Tél. : 1 (418) 692-5727, Téléc. : 1 (418) 692-5644 Courriel : [email protected] www.iepf.org

Page 151: Économie environnement ressources naturelles

151Économie de l’environnement et des ressources naturelles

Basée sur une technologie efficace et éprouvée,l’utilisation de l’énergie solaire thermique contribueà la réduction de la demande en énergie, à l’utilisa-tion de ressources locales et à la diminution des émis-sions de gaz à effet de serre. Dotée d’un potentiel trèssignificatif au niveau mondial et dans la plupart despays, force est de constater que le développement decette filière reste conditionné par un nombre impor-tant de paramètres tant dans les pays industrialisésque dans les pays en développement. Ceci étant,l’expérience montre que les barrières sont, dans tousles cas, de la même nature. Dans ce contexte, lacoopération internationale est une véritableopportunité pour que chacun puisse s’approprier unemême compréhension sur les modalités à mettre enplace pour une diffusion massive de ces technologies.

Qu’il s’agisse des pays industrialisés, des pays en tran-sition ou en développement, l’accès à l’énergie est unecomposante essentielle de la vie économique. Quelque soit le scénario énergétique retenu, la notion dedépendance va devenir de plus en plus un importantdéterminant économique. C’est pourquoi il convientd’anticiper l’épuisement attendu des ressources fissilesou fossiles en favorisant la réduction de la demandeen énergie et le développement des énergies renouve-lables (ER). Ces deux alternatives complémentairesréduisent la vulnérabilité des réseaux d’approvision-nement et ont un impact positif sur le développement

local et sur la réduction des émissions des gaz à effetde serre.

L’énergie solaire thermique est une énergie poten-tiellement applicable partout et qui répond à ces pré-occupations. Plus de 100 Mm2 sont installés dans lemonde, principalement répartis entre la Chine, leJapon, l’Union européenne et les États-Unis. Cemarché repose sur une technologie éprouvée et surune expérience acquise depuis plusieurs décennies.Qu’il s’agisse de la production d’eau chaude sanitairedans des systèmes individuels ou collectifs, du chauf-fage des piscines, des systèmes solaires combinés(chauffage d’un local et production d’eau chaudesanitaire) ou de la climatisation solaire, le marchépotentiel est très significatif.

Compte tenu de la durée de vie des aménagementsénergétiques, une réflexion préalable sur le moyen etle long terme est indispensable. Cependant, qu’ils’agisse d’enjeux stratégique et environnementalpour les uns et/ou d’un indispensable outil de déve-loppement pour les autres, les choix sont et serontfortement dépendants des possibilités de finance-ment et de la capacité des pays à les mobiliser.

Nous illustrerons notre propos en présentant l’expé-rience européenne et celle des pays du Sud et de l’Estde la Méditerranée (PSEM). Dans chaque cas, nousmettrons en évidence les barrières mais aussi les dyna-miques possibles. Nous verrons que les problèmes àsurmonter sont assez similaires quelle que soit la zoneconsidérée. Dans notre conclusion nous souligneronsl’importance d’une coopération régionale, voire inter-nationale sur ce sujet.

Le marché européen… une situation très contrastée

Fin 2003, plus de 12 millions de m2 de capteurs solairesthermiques étaient en fonctionnement dans l’Unioneuropéenne (EU15). Ce chiffre concerne les capteursvitrés, non vitrés et sous vide et prend en compte leremplacement des capteurs dans les réalisations lesplus anciennes (ESTIF 2004).

En 2003, environ 1400000 m2 de capteurs vitrés ontété installés soit un taux de croissance sur l’année de25 %. Les principaux marchés en termes de surface

Enjeux environnementaux et économiques du solaire thermique dans les pays industrialisés et les pays en développement – Exemples de l’Union européenne et du bassin méditerranéen

Cette contribution ne s’intègre pas tout à fait dans la thématique générale de ce numéro de LiaisonÉnergie-Francophonie sur l’Économie de l’environnement mais constitue une étude de cas intéressantede l’économie de l’énergie solaire thermique dans les pays industrialisés et les pays en développement.

Stéphane Pouffary*

* Monsieur Stéphane POUFFARY 41 ans, est respon-sable de la coordination de l’Activité Internationale ausein de la Direction des Énergies Renouvelables, desRéseaux et des Marchés Énergétiques de l’AgenceFrançaise de l’Environnement et de la Maîtrise del’Énergie (ADEME). Cette Direction s’articule autourdes départements Énergies Renouvelables, Maîtrise dela Demande en Énergie et BioÉnergies.Il a été notamment en charge du projet MEDA-AESTBM « Applications de l’Energie Solaire Ther-mique dans le Bassin méditerranéen » qui a rassemblé12 pays méditerranéens. Ce projet a été présentécomme meilleure pratique régionale lors de la Confé-rence Internationale sur les Énergies Renouvelables quis’est déroulée à Bonn en juin 2004.Contact: [email protected] – Tél. : 00 33 (0)4 93 95 79 55

Enjeux environnementaux et économiques du solaire thermiquedans les pays industrialisés et les pays en développement

POLLUTION DE L’AIR ET CHANGEMENT CLIMATIQUE

Page 152: Économie environnement ressources naturelles

152 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE Nos 66-67

installée cumulée sont l’Allemagne 4898000 m2 (39%de croissance), la Grèce 2779200 m2 (6%), l’Autriche1921594 m2 (9%). 80% de la surface totale installéese répartit sur ces trois pays, ce qui démontre unerelative fragilité du marché. Le ratio surface installée/nombre d’habitants par pays illustre l’importance dela pénétration de la filière.

Pour mémoire, l’objectif à 2010 de l’UE dans son LivreBlanc est de 100 millions de m2. Cela correspond à264 m2 pour 1 000 habitants alors que la moyenneactuelle des pays de l’UE est d’environ 37 m2. Seulsl’Autriche et la Grèce dépassent cet objectif avecrespectivement 334 et 274 m2 (l’Allemagne affiche unpeu plus de 55 m2). Ainsi, sans une très forte mobili-sation des États membres, cet objectif ne sera pasatteint. Pourtant l’ESTIF (Association européenne desindustriels du solaire thermique) estime le potentieltotal de l’UE à 1,4 milliard de m2, soit une productionénergétique de 58,7 Mtep!

Au-delà des chiffres, l’expérience européenne permetde mettre en avant les éléments porteurs de succès(et à l’opposé les freins) au développement de lafilière. Rappelons que l’Allemagne et l’Autriche nesont pas les pays qui bénéficient du meilleur enso-leillement. Le succès de la filière solaire thermiquen’est donc pas lié aux seules conditions climatiques.

L’expérience européenne… facteurs de succès et freins

Sans être exhaustif, on soulignera l’importance de laréglementation thermique des bâtiments ou desréglementations rendant obligatoire l’étude de l’op-tion solaire (ordonnance de Barcelone), la mise enplace d’incitations financières adaptées et stablespour diminuer les temps de retour (mesures fiscales,allégement ou exonération, crédit d’impôts, subven-tions à l’investissement au niveau local, régional ounational, éco-bonus, prêts adaptés et bonifiés, etc.)ou les externalités positives des ER que ne reflète pasle prix des énergies conventionnelles. Des actions desensibilisation auprès des décideurs et du grand publicavec un soutien à la mise en place de réseaux deprofessionnels qualifiés et motivés ou encore la miseen avant de projets de démonstrations (État exem-plaire) doivent être renforcées. Enfin, on souligneral’importance de la promotion d’équipements dequalité avec une labellisation et des standardsreconnus et harmonisés et des systèmes « clefs enmain » pour la maison individuelle ou le petit rési-dentiel collectif.

Une politique attractive proposant plusieurs outils depromotion et de soutien s’avère indispensable pourfavoriser l’option solaire par rapport aux équipements

traditionnels. En Europe, on citera l’initiative «SolarKeymark» lancée en 2003 qui ambitionne la mise enplace d’un réseau intégré de commercialisation/distribution et de formation au niveau européen surla base d’un label de qualité commun.

On citera également la procédure de Garantie deRésultats Solaires (GRS) initiée en France puis mise enplace en Europe depuis le début des années 1990 parles professionnels du secteur et avec l’aide de laCommission européenne. La GRS garantie contrac-tuellement les performances techniques et écono-miques d’une installation équipée de chauffe-eausolaire. Le groupement technique s’engage sur lacontribution énergétique de l’installation (en kWh).Si le niveau défini n’est pas atteint un dédomma-gement est versé au client. Pour contrôler les perfor-mances et les besoins en maintenance, il est néces-saire de disposer d’équipements spécifiques demesure et de télésuivi. Compte tenu du coût addition-nel, la GRS s’applique pour le moment aux installa-tions collectives mais des solutions économiques sonten cours d’évaluation pour l’adapter à des installa-tions individuelles. La GRS contribue à structurerdurablement l’ensemble de la chaîne avec despersonnels qualifiés utilisant des matériels de qualitéet s’engageant contractuellement vis-à-vis du client.

Contextes économique et énergétique des paysméditerranéens

Pour les PSEM, compte tenu de la croissance démo-graphique attendue, la nécessité d’un développementéconomique harmonieux et équitable s’accompagned’une inévitable augmentation de la consommationénergétique. Pour l’ensemble des pays méditerranéens,les options énergétiques qui seront retenues devrontprendre en compte les problèmes de sécurité et dediversité d’approvisionnement dans un marché de plusen plus libéralisé et avec des situations nationales trèscontrastées. Les pays du Nord de la Méditerranée sonttous fortement importateurs d’énergie. Pour la riveSud, seulement quatre PSEM sont encore exportateursnets d’énergie (Algérie, Égypte, Libye, Syrie). La Tunisieest devenue importateur net, la Turquie est en grandepartie dépendante des importations et les autres paysde la rive Sud sont en dépendance quasi totale (Maroc,Autorité palestinienne et Israël).

Dans tous les cas, le commerce de l’énergie est depremière importance pour l’équilibre régional (95%des recettes commerciales de l’Algérie proviennentde la vente d’hydrocarbures). Pour les pays de la riveNord, il s’agit principalement de répondre à un besoinde sécurité énergétique. Pour les PSEM, il s’agit derépondre aux besoins et d’anticiper l’augmentation

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153Économie de l’environnement et des ressources naturelles

Enjeux environnementaux et économiques du solaire thermiquedans les pays industrialisés et les pays en développement

POLLUTION DE L’AIR ET CHANGEMENT CLIMATIQUE

de la demande tout en garantissant la sécurité éner-gétique pour les uns et les conditions optimales de lavente d’énergie pour les autres.

Le développement des énergies renouvelables est unealternative stratégique pour diversifier l’offre énergé-tique. Elles représentent environ 6% du bilan éner-gétique du bassin Méditerranéen (biomasse et grandehydroélectricité incluses). Cette zone est particulière-ment favorable aux ER à la fois par ses caracté-ristiques climatiques et, dans certains cas comme leMaroc, par la structure dispersée de son habitat et deses réseaux électriques. Cependant, malgré unpotentiel très important, les gisements sont encorepeu exploités. La mise en valeur des ER passe par uneplanification et une gestion des systèmes énergé-tiques beaucoup moins centralisées que dans lesapproches classiques. Il est notamment nécessaire demettre en place des réglementations spécifiques, desincitations financières, des actions de formation et desensibilisation. C’est pourquoi l’implication despouvoirs publics est indispensable.

L’énergie solaire thermique en Méditerranée

Avec un rayonnement significatif (4,1 à 5,2 kWh/m2/jouren moyenne), le potentiel des applications thermiquesde l’énergie solaire est très important.

Entre avril 2001 et octobre 2004, un consortium euro-méditerranéen a conduit le projet «Applications del’énergie solaire thermique dans le bassin méditer-ranéen» (AESTBM) co-financé par la CE (EuropeAid)dans le cadre du programme régional MEDA etsoutenu par MEDENER (Association Méditerranéennedes Agences Nationales de Maîtrise de l’Énergie).L’objectif était de contribuer à l’émergence d’unmarché solaire thermique autonome et durable et audéveloppement d’industries locales et de réseauxd’artisans. Il s’agissait également de transférer dansles pays partenaires le concept de la GRS. Ce projet a

rassemblé 7 PSEM: l’ALMEE-Liban, l’APRUE-Algérie,le CDER-Maroc, l’ANER-Tunisie, le NREA-Égypte, lePEC-Autorité Palestinienne, le NERC-Jordanie et 5paysde la rive Nord : l’ADEME-France (coordinateur), leCRES-Grèce, IDAE-Espagne, ISNOVA-Italie et l’ADENE-Portugal.

En 2002, des études réalisées dans les 7 pays du Sudpartenaires ont permis de dresser un bilan des expé-riences, des compétences techniques et matériellesdisponibles localement, des aspects réglementaires,des tarifications des autres énergies et des finance-ments locaux existants. Des dénominateurs communsont été mis en évidence. Sans être exhaustif, on peutciter l’importance du cadre réglementaire et le besoinde structurer en profondeur la filière tant au niveaudes pouvoirs publics qu’au niveau des opérateurstechniques ou des maîtres d’ouvrages ou encore leprix subventionné des énergies de référence.

En termes de surfaces installées, on constate une dis-parité importante: 1025000 m2 pour l’Autorité pales-tinienne, 1000 m2 pour l’Algérie, 2000 m2 pourl’Égypte et 90000 m2 pour la Tunisie avec, pour cepays, un taux de croissance en 2001 de 37%. Dans lespays producteurs ou dans les pays où le prix de l’élec-tricité, du gaz ou du fioul est bon marché ou sub-ventionné, le solaire thermique connaît un faibledéveloppement. À confort égal, le surcoût engendrépar une installation solaire est trop important pourinciter les usagers à changer d’équipements. Àl’opposé, les pays fortement importateurs ont déve-loppé la filière solaire thermique de manière signifi-cative (exemple de la Tunisie pour des installationscollectives et individuelles ou de la Palestine quipossède un parc d’installations individuelles très impor-tant). Pour les systèmes individuels, à qualité égale, lescoûts peuvent être plus faibles qu’en Europe car il n’estpas toujours nécessaire de prévoir un système antigel.

Liban-Orphelinat Dar El Aytam (Photo P. Zabbal) 178 m2 de capteurs – stockage de 20000 litres

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154 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE Nos 66-67

Des recommandations et freins semblables à ceuxidentifiés pour le marché européen ont été mis enévidence (implication nécessaire des pouvoirs publics,non prise en compte des externalités positives, prixsubventionné des énergies conventionnelles, besoind’actions de promotion, de formation et de la miseen place d’un cadre incitatif, etc.). Les compétenceslocales devront être renforcées. Un travail prépara-toire sur la mise en place effective des normes et surl’adaptation des documents contractuels de la GRS aété réalisé. Le Maroc, le Liban et la Tunisie ont déjàappliqué concrètement cette charte avec succès surdes installations neuves. Pour mettre en évidencel’intérêt de la GRS sur les installations collectives, deséquipements de télécontrôle ont été mis en place surune installation pilote par pays bénéficiaire. Ceconcept est particulièrement bien adapté au secteurdu tourisme.

Dans les PSEM (mais cela reste vrai ailleurs), les projetssolaires thermiques peuvent être financés de manièretraditionnelle: prêts des banques commerciales ou dedéveloppement, financement par tiers de type ESCOpour la vente d’eau chaude, crédit bail-leasing ouencore financement de projet. Les instruments nontraditionnels et les nouveaux instruments (pro-grammes d’aide des bailleurs de fonds, agences definancement des exportations, partenariats appli-cables à la zone Euro Méditerranéenne, FEMIP, Méca-nismes de Développement Propre (MDP) ou encore lespartenariats de type public-privé) n’ont pas encore ététous testés ou appliqués à cette filière. Les MDPdevront faire l’objet d’une analyse particulière pourne pas créer d’attentes qui ne pourront être tenuessur la base des simples règles du marché.

Le cadre réglementaire et l’intégration dans le bâti-ment sont des éléments importants. La mise en placede règles de constructions favorables à l’implantation

d’équipements solaires vient d’être expérimentéeavec succès au Liban dans le cadre d’un projet financépar le Fonds Français pour l’Environnement Mondial.

On citera le programme marocain PROMASOL lancéen 2004 par le CDER (en partenariat avec le Ministèrede l’Énergie et des Mines, l’ONE, le PNUD, le FEM, leGouvernement Andalou et l’AMISOLE). Destiné auxapplications individuelles et collectives, son objectifest de favoriser la mise en place d’un marché durableet à terme autonome. Pour cela, il rend obligatoirel’application des normes marocaines, l’organisationde formations spécifiques régulières, l’application dela GRS et il met en place des mécanismes de finan-cements spécifiques.

On citera également le mécanisme SOLdinars lancéen 2004 en Tunisie par l’ANME (ex-ANER), la STEG etavec le soutien du PNUE dans le cadre de l’Initiativerégionale MEDREP.

Conclusion

Nous avons vu qu’il est possible de mettre en parallèleles marchés européens et méditerranéens du solairethermique dont le développement repose sur lesmêmes principes. Pour les PSEM, la filière doit êtreabordée d’un point de vue national et régional. Lespartenariats Nord/Sud et Sud/Sud sont à renforcer ouà développer sur une base politique et technique eten fonction des financements disponibles ou enélaborant de nouvelles modalités pour les mobiliserde façon optimale. Pour assurer la pérennité desactions engagées, la coopération doit être structuréeautour d’actions de long terme.

La coopération internationale est une opportunitépour que chacun puisse s’approprier une même com-préhension et une même connaissance des modalitésà mettre en place pour obtenir une diffusion massivede ces technologies. Les transferts de compétences,qu’ils soient Nord-Sud, Sud-Sud mais aussi Sud-Nordfavoriseront une mise en place accélérée des indis-pensables outils d’accompagnement. Les barrières audéveloppement de cette filière sont souvent les mêmesd’un pays à l’autre et une connaissance approfondiedes situations locales doit permettre de mieux définirles moyens à mettre en place pour les surmonter.

Pour les bailleurs mais aussi pour les pays partenairesil s’agit, à terme, d’élaborer et de mettre en place desoutils de financement adaptés, ce qui constituel’enjeu principal pour un développement durable decette filière. Enfin, dans le cadre de la coopérationeuro-méditerranéenne, la mise en place de réseauxdurables d’échanges institutionnels, techniques maisaussi financiers contribue sans aucun doute au renfor-cement du processus de Barcelone.

Tunisie-Hôtel Phenicia (Photo S. Pouffary)625 m2 de capteurs – stockage 12000 litres

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155Économie de l’environnement et des ressources naturelles

Un important concept pour la protection de l’environnement:le coût additionnel

POLLUTION DE L’AIR ET CHANGEMENT CLIMATIQUE

Mamadou Diarra*

Afin d’assurer un développement durable et en raisondes dangers menaçant notre patrimoine commun,l’environnement, la Convention Cadre sur lesChangements Climatiques (CCCC) a été élaborée.

Elle offre un instrument d’application des orientationsde ladite convention: le Fonds pour l’EnvironnementMondial (FEM), un mécanisme de financement enfaveur des initiatives internationales environnemen-tales basées sur le coût additionnel.

Ce coût joue un rôle important dans les décisionsd’investissement en matière de protection de l’envi-ronnement.

1. La Convention Cadre sur les ChangementsClimatiques

Les manifestations climatiques sont nombreuses :

– les sécheresses et inondations fréquentes;– la diminution des forêts et des ressources en eau;– la disparition de certaines espèces animales et

végétales.

Les études scientifiques montrent que l’activitéhumaine est principalement responsable du change-ment climatique. Bien entendu, les changementspeuvent se produire par variabilité naturelle, maisl’activité humaine accélère l’élévation de la tempé-rature, principalement par les gaz à effet de serre telsque le gaz carbonique (CO2), le méthane (CH4), etl’oxyde nitreux (N20).

Cette menace a conduit à la signature de la Conven-tion Cadre des Nations Unies sur les ChangementsClimatiques à Rio en 1992. L’objectif de cetteconvention, tel que défini à l’article 2, est le suivant:

« stabiliser la concentration des gaz à effet deserre dans l’atmosphère à un niveau qui empêchetoute perturbation anthropique (provoquée parl’homme) dangereuse du système climatique ».

À cette date, la plupart des pays ont signé cetteconvention.

* Chef de Département Électricité à la Société Nigé-rienne d’Électricité (Nigelec) et Président de laCommission des Études du Comité National Nigériendu Conseil Mondial de l’Énergie. L’auteur estégalement Réviseur Technique (secteur énergie) desinventaires des gaz à effet de [email protected]

En y adhérant, les pays doivent rendre compte de lamanière dont ils appliquent la Convention. Il s’agit depréparer des « communications nationales » compre-nant:

– des inventaires nationaux des gaz à effet de serreavec un répertoire de leurs sources (telles que lesusines, les centrales thermiques, etc.) et de leurspuits (forêts et autres écosystèmes qui absorbentles gaz à effet de serre de l’atmosphère) ;

– la mise en œuvre des programmes nationaux surles mesures d’atténuation et d’adaptation vis-à-vis des effets des changements climatiques.

L’inventaire des émissions des gaz à effet de serre estun élément essentiel de la communication nationale.Il favorise les discussions et les négociations entre legouvernement et les différents départements concer-nés par les émissions de gaz (énergie, agriculture,foresterie, industrie, etc.) sur les mesures d’atté-nuation et d’adaptation à entreprendre. C’est pour-quoi les technologies sont appelées à jouer un rôlemajeur dans la lutte contre les changements clima-tiques. Par ailleurs, la Convention établit un cadre etun processus permettant de convenir, ultérieurement,de mesures spécifiques.

2. FEM: rôle et fonctionnement

Le Fonds pour l’Environnement Mondial est précisé-ment l’instrument d’application des orientationsdonnées dans la Convention Cadre sur les Change-ments Climatiques. Le FEM est « un mécanisme decoopération internationale destiné à fournir, sousforme de dons ou à des conditions concessionnelles,des moyens de financement nouveaux et supplémen-taires pour couvrir le surcoût fixé de mesures visant àaméliorer de façon concertée la protection de l’envi-ronnement: diversité biologique, changement climati-que, eaux internationales et appauvrissement de lacouche d’ozone». Les bénéficiaires du Fonds sont lespays en développement et les pays à économie entransition. Les donateurs du FEM sont principalementles pays industrialisés de l’Annexe I et quelques inves-tisseurs privés. Les pays de l’Annexe II sont les pays àéconomie en transition vers une économie de marché.Le FEM reçoit aussi des fonds de pays en transition etde pays en développement, notamment de l’Égypteet de la Côte d’Ivoire. Les activités du Fonds sontexécutées par:

Un important concept pour la protection de l’environnement: le coût additionnel

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156 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE Nos 66-67

– La Banque mondiale : élaboration et gestion d’in-vestissement, mobilisation des ressources privées etadministration de la caisse.

– Le Programme des Nations Unies pour le Dévelop-pement (PNUD): exécution du programme d’assis-tance technique et de renforcement des capacités.

– Le Programme des Nations Unies pour l’Environ-nement (PNUE): promotion de la gestion de l’envi-ronnement régional et mondial, rôle de catalyseurdes activités d’analyse scientifiques et techniques.

Dans la Convention Cadre sur les Changements Clima-tiques, il est stipulé à l’article 4-3 que les ressourcesfinancières fournies par les pays développés sont des-tinées à couvrir les «coûts convenus», encore appelésles «coûts approuvés», encourus par les pays en déve-loppement. Cette expression se réfère à l’approchedu FEM pour l’estimation des coûts dits « incré-mentaux » ou additionnels. Conformément à cetteapproche, le FEM finance la différence entre, d’unepart, le coût d’un projet conçu avec prise en comptede l’environnement mondial et, d’autre part, le coûtd’une alternative du projet qui aurait été mise enœuvre sans la prise en compte de l’environnementmondial.

– Cette différence définit le concept de «coût incré-mental », encore désigné par « surcoût », « coûtmarginal» ou encore «coût additionnel».

Illustrons ce concept par un exemple.

Le graphique ci-dessous illustre éloquemment ceprincipe:

que au mazout dotée de dispositifs de réduction dela pollution. La centrale thermique est moins chère etrespecte les exigences environnementales, tout ensatisfaisant les mêmes besoins en énergie électrique.

Seule la prise en compte additionnelle de la protec-tion de l’environnement (ici, éviter les émissions degaz à effet de serre) dans le processus de décisionpermet de préférer l’option solaire.

Le surcoût ou coût additionnel susceptible d’êtrefinancé par le FEM est la différence de coût entre lesdeux projets.

Le financement du FEM porte sur les coûts dits«convenus» (cf. supra) en ce sens que l’estimation descoûts additionnels s’appuie sur le dialogue, la concer-tation systématique et les négociations techniquesentre le FEM et le promoteur du projet. Les accords àtrouver portent essentiellement sur la définition etl’évaluation de l’option alternative dite «de base» quiaurait été mise en œuvre sans la prise en compte del’environnement mondial.

Comme on le constate, le coût additionnel est un outilcomparatif permettant la prise de décision dans le choixdes options d’investissement. Les institutions financièresinternationales de développement utilisent cetteméthode lorsqu’il s’agit, par exemple, de comparer unepetite irrigation à une autre plus grande.

C’est une notion dérivée de l’analyse coûts-avantages.Elle porte sur le coût global (les coûts d’investisse-ment, d’exploitation, d’entretien, de maintenance etde déclassement) actualisé du projet considéré et deson alternative.

Le principe est simple. On prend deux situations:

l’une désigne le projet ligne de base,

l’autre, le projet alternatif.

Le résultat considère la différence de coût entre les deux projets.

Il faut toutefois noter que ce principe, comme l’exigela Convention sur la diversité biologique, s’appliqueégalement aux projets de diversité biologique. Leprincipe de coût additionnel peut aussi être déve-loppé pour couvrir des approches programme où ilest difficile d’identifier un unique projet ligne de basesubstitué par un projet alternatif.

Dans ces cas, il faut prendre en considération le pro-gramme de développement global.

Le coût additionnel permet d’engager les négo-ciations sur le cofinancement (pour les projets lignede base ou pour les activités ligne de base) et sur lesretombées locales qui seraient indispensables pourassurer l’adhésion des bénéficiaires aux objectifsenvironnementaux.

PROJETS FEM/Avantages mondiaux

Proje ts de développement/Avantages nationaux

Graphique – Coût additionnel

3. Exemple d’application de ce concept

Le coût additionnel attaché à un projet d’utilisationd’une technologie solaire de pointe pour la produc-tion d’électricité peut être estimé en comparant lecoût du projet considéré au coût de production de lamême quantité d’électricité par une centrale thermi-

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157Économie de l’environnement et des ressources naturelles

Dossier documentaire

POLLUTION DE L’AIR ET CHANGEMENT CLIMATIQUE

Articles

Froger, G. 1997. Éléments pour une théorieinstitutionnaliste des ressources naturelles etde l’environnement. In Économies et Sociétés,Série Développement, croissance et progrès,no 35 (4) : 147-169.

Cet article explore les contributions de l’écono-mie institutionnelle dans la gestion des ressourcesnaturelles et de l’environnement. Il présenteégalement les caractéristiques méthodologiquesde cette approche ainsi que ses apports micro etmacroéconomiques en matière d’analyse del’interface économie/environnement.

http://www.ismea.org/ISMEA/develop.35.html

Weigel, J.Y. 1997. Enjeux politiques, continuitéset ruptures théoriques. In Économies et Sociétés,Série Développement, croissance et progrès,no 35 (4) : 7-31.

Tout en analysant les enjeux économiques,politiques et environnementaux de l’exploitationdes ressources naturelles, cet article retrace l’évo-lution des courants de pensée en économie del’environnement.À travers une analyse des théo-ries orthodoxes et hétérodoxes en économie,l’auteur nous éclaire sur leurs différences etsurtout sur les nouveaux défis auxquels elles fontface en matière de gestion des ressources natu-relles et de l’environnement.

http://www.ismea.org/ISMEA/develop.35.html

Ouvrages

Vivien, F.D.1994.Économie et écologie. Éditions LaDécouverte, Paris, 122 p.

Cet ouvrage expose une lecture historique et cri-tique de l’évolution du rapport entre l’économiehumaine et l’économie de la nature. Il expliquecomment la « question naturelle » est abordée parla théorie économique néoclassique, notammentà travers l’économie de l’environnement et l’éco-nomie des ressources naturelles. L’auteur conclut

sur l’économie écologique présentée commetroisième voie face aux insuffisances des deuxméthodes précédemment évoquées quant auxquestions et enjeux interdisciplinaires d’inté-gration de l’économie et de l’écologie.

Éditions La Découverte, 9 bis, rue Abel-Hovelacque, 75013 Paris, France

Costanza, R. 1991. Ecological economics.The scienceand management of sustainability. ColumbiaUniversity Press, New York, 525 p.

Ce livre explique le développement de l’écono-mie écologique depuis ses origines ainsi que lespositions théoriques et approches méthodolo-giques qu’elle utilise dans la gestion de la durabi-lité et l’analyse des problématiques environne-mentales globales.

Columbia University Press, 61 W. 62nd Street,New York, NY 10023, USA

Barde, J.P. et Gerelli, E. 1977.Économie et politiquede l’environnement. Presses universitaires deFrance, 210 p.

Cet ouvrage qui figure parmi les pionniers enformat de poche dans le domaine permet decomprendre le développement de l’économie del’environnement dans son évolution historique. Ilaide également à mieux cerner le poids de ladimension politique dans l’application des instru-ments économiques en environnement.

Presses universitaires de France, 6, avenue Reille,75685 Paris Cedex 14, France

Approches et outils

Articles

Claeys-Mekdade, C., Geniaux, G. et Luchini, S.1999.Approche critique et mise en œuvre dela méthode d’évaluation contingente : undialogue entre économiste et sociologue.Nature Science Société, 7 (2) : 35-47.

Cet article fait une analyse critique de l’appli-cation de la méthode d’évaluation contingente

Dossier documentaire sur l’économie de l’environnement et des ressources naturelles*

Historiques et concepts

* Dossier préparé par Jérémie Mbairamadji, ISE/UQAM

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158 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE Nos 66-67

particulièrement en ce qui concerne la prise encompte du contexte social par cette méthode.Enréponse à cette difficulté, les auteurs proposentune nouvelle méthodologie qui permet d’homo-généiser les distributions de consentements àpayer ou à recevoir tout en tenant compte desstratifications sociales.

http://www.elsevier.com/wps/find/journaldescription.cws_home/600432/description#description

Amigues, J.P. 1997. Enjeux et limites de l’éva-luation des actifs naturels. In Économies etSociétés, Série Développement, croissance etprogrès, no 35 (4) : 35-55.

Cet article analyse les limites des méthodes éco-nomiques utilisées dans l’évaluation des actifsnaturels.Bien que plusieurs travaux en économies’intéressent à ce domaine, l’auteur souligne lanécessité d’un effort méthodologique et concep-tuel pour mieux éclairer la prise de décision enenvironnement.

http://www.ismea.org/ISMEA/develop.35.html

Ouvrages

Titenberg, T. 2003. Environmental and naturalresource economics. Pearson Education, sixthEdition, 646 p.

Dans une démarche pédagogique bien structurée,ce livre présente pour chaque concept traité (droitde propriété, externalité, évaluation de l’environ-nement, ressources naturelles renouvelables et nonrenouvelables, pollution,développement durable)l’état de la question en économie et ensuite lesdifférentes méthodes et approches utilisées.

Edinburgh Gate, Harlow, Essex, CM20 2JE,United Kingdom

Vallée, A. 2002. Économie de l’environnement.Éditions du Seuil, 344 p.

En plus de la présentation des approches et outilsutilisés en économie de l’environnement et desressources naturelles, cet ouvrage fait une lecturecritique de leurs fondements.Parmi les questionsabordées, on relève entre autres l’analyse écono-mique de la pollution, les politiques de l’envi-ronnement, particulièrement l’efficacité des ins-truments économiques, les marchés de permiséchangeables, les fondements théoriques de l’ana-lyse coûts-avantages ainsi que de l’évaluationmonétaire des biens environnementaux.

Éditions du Seuil, 27, rue Jacob, 75006 Paris,France

Beaumais, O. 2002. Économie de l’environnement :méthodes et débats. La Documentation Fran-çaise, 139 p.

Cet ouvrage rapporte les résultats de deux annéesde séminaires ayant réuni des universitaires etdécideurs autour de l’économie de l’environ-nement. Ces résultats sont présentés dans unlangage accessible aux non-économistes etpermettent ainsi de bien se familiariser avec lamodélisation économique, le choix des instru-ments économiques et la théorie de décision etd’actualisation en environnement.

http://www.ladocumentationfrancaise.fr/catalogue/9782110051516/index.shtml

Bontems, P. et Rotillon, G. 1998. Économie del’environnement. Éditions La Découverte &Syros, Paris, 119 p.

Débutant par une mise en contexte des causes dedégradation de l’environnement pour bien com-prendre les fondements de l’approche écono-mique de l’environnement, cet ouvrage présentede façon succincte et précise les approchesutilisées en économie de l’environnement dansl’évaluation des biens environnementaux. Deuxgrandes catégories d’évaluation sont exposées enl’occurrence les méthodes indirectes basées surl’observation des comportements et les méthodesdirectes qui tiennent compte des préférencesindividuelles des acteurs.

Éditions La Découverte, 9 bis, rue Abel-Hovelacque, 75013 Paris, France

Faucheux, S. et Noël, J.F. 1995. Économie des res-sources naturelles et de l’environnement.ArmandColin, 370 p.

Écrit dans un style accessible aux non-écono-mistes, ce livre débute par l’explication des fonde-ments de l’économie de l’environnement et desressources naturelles pour conclure par le conceptde développement durable. On y retrouve uneprésentation détaillée de différentes théories quisous-tendent l’économie des ressources naturelleset l’économie de l’environnement.

Armand Colin Éditeur, 5, rue Laromiguière,75241 Paris Cedex 05, France

Page 159: Économie environnement ressources naturelles

159Économie de l’environnement et des ressources naturelles

Dossier documentaire

POLLUTION DE L’AIR ET CHANGEMENT CLIMATIQUE

Gonzague, P. 1987. Économie écologique. GeorgÉditeur, Genève, 223 p.

Ce livre de base en économie de l’environ-nement et des ressources naturelles permet de sefamiliariser tant avec les approches et outils queles terminologies et concepts utilisés en écono-mie de l’environnement.

Georg Éditeur SA, 46, ch. de la Mousse,1225Chêne-Bourg – Genève, Suisse

Biodiversité et ressourcesnaturelles

Articles

Vivien, F. D. 2000. Quel prix accorder à la bio-diversité? La Recherche, 333: 88-91.

Dans cet article, l’auteur expose deux étapes im-portantes de l’évaluation économique de la bio-diversité dont la première consiste à l’explorationdes valeurs de la biodiversité et la deuxième portesur la mesure de ces valeurs. Deux méthodescouramment utilisées dans la mesure de la bio-diversité y sont analysées ainsi que les particu-larités qui les distinguent.

http://www.larecherche.fr/arch/00/07

Barbault, R. 1993. Une approche écologique dela biodiversité. Nature Science Société, 1 (4) :322-329.

Dans cet article, l’auteur explique la pertinencede se préoccuper de la biodiversité en se basantsur trois justifications relevant d’ordre éthique ouculturel, d’ordre biologique et écologique etd’ordre économique. Les difficultés d’effectuerune évaluation économique de la biodiversité ysont explorées.

http://www.elsevier.com/wps/find/journaldescription.cws_home/600432/description#description

Provencher, B. and Burt, O. 1993.The external-ities associated with the common propertyexploitation of groundwater. Journal of environ-mental economics and management, vol. 24, no 2,p. 139-158.

Ce papier met en évidence les différentes exter-nalités associées à l’exploitation des ressourcescommunes et particulièrement de l’eau souter-raine en fonction des formes de gestion adoptées.En relevant les lacunes de non prise en charge

de telles externalités par les agences centrales degestion de l’eau, l’auteur suggère la décentra-lisation de la gestion de cette ressource.

http://www.elsevier.com/wps/find/journaldescription.cws_home/622870/description#description

Ouvrages

Nunes, P.A.L.D., Bergh,V.D. and Njikamp, P.2003. The ecological economics of biodiversity :methods and policy applications. Edward Elgar,USA, 165 p.

Après une mise en contexte des liens entreéconomie et environnement, ce livre expliqueles fondements économiques et biologiques del’économie écologique comme préalables à lamodélisation de l’interface économie/écologieet à l’analyse de la biodiversité.

Edward Elgar Publishing, Inc., 136 West Street,Suite 202, Northampton, Massachusetts 01060,USA

Tacconi, L. 2000. Biodiversity and ecologicaleconomics. Earthscan Publications, 254 p.

Alors que la première partie de ce livre présenteles fondements théoriques de l’économie éco-logique et l’économie de la biodiversité, ladeuxième partie expose les résultats d’études decas pratiques effectués dans plusieurs pays. Cesétudes de cas mettent en lumière les difficultésd’application des théories économiques dans laconservation de la biodiversité.

Earthscan Publications Ltd, 120 PentonvilleRoad London, N1 9JN, UK

Pollution de l’air et changementclimatique

Articles

Innes, R. 2003. Stochastic pollution, costlysanctions and optimality of emission permitbanking. Journal of environmental economics andmanagement, vol. 45, no 3, p. 546-568.

Cet article examine les modalités de régulationde la pollution dans le temps.Les résultats obtenusmontrent qu’un régime de permis intertemporelproduit d’efficaces incitatifs d’abattement de lapollution par les firmes sans une interventiononéreuse des gouvernements.

Page 160: Économie environnement ressources naturelles

160 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE Nos 66-67

http://www.elsevier.com/wps/find/journaldescription.cws_home/622870/description#description

Seskin,E.P.,Anderson,R.J. and Reid,R.O.1983.An empirical Analysis of economic strategiesfor controlling air pollution. Journal of envi-ronmental economics and management, vol. 10,no 2, p. 112-124.

Cet article analyse les coûts d’atteinte, à courtterme, d’un standard d’émission contrôlée dudioxyde d’azote comparativement à une variétéde stratégies de contrôle des sources d’émissiondans la région de Chicago. Les résultats obtenusmettent en évidence la plus-value du recours auxapproches économiques comparées aux approchesréglementaires conventionnelles de contrôled’émission.

http://www.elsevier.com/wps/find/journaldescription.cws_home/622870/description#description

Ouvrages

Bonnieux, F. et Desaigues, B. 1998. Économie etpolitique de l’environnement. Éditions Dalloz, 328p.

Ce livre présente et commente les différentesthéories économiques utilisées dans l’analyse dela pollution. On y retrouve également les mé-thodes d’évaluation des actifs naturels et demodélisation des impacts.

Dalloz, 31-35 rue Froidevaux, 75685 ParisCedex14, France

OCDE,1993.Les instruments économiques interna-tionaux et le changement climatique. Éditions del’OCDE, Paris, 107 p.

Cet ouvrage analyse les modalités d’utilisationdes instruments économiques internationauxparticulièrement les permis d’émission échan-geables dans la réduction des gaz à effet de serre.Il explore également les avantages et inconvé-nients du recours aux taxes dans la prévention del’effet de serre et questionne par ailleurs l’effi-cience économique des instruments utilisés ainsique leur efficacité environnementale par rapportaux questions d’équité.

Éditions de l’OCDE, 2, rue André Pascal,75775 Paris Cedex 16, France

Faucheux,S. et Noël, J.F. 1990.Les menaces globalessur l’environnement. Éditions La Découverte,Paris, 124 p.

Cet ouvrage situe la problématique de la pollu-tion de l’air et des changements climatiques dansune perspective de pollutions globales et donc,un défi à la théorie économique.Les limites de lathéorie économique y sont explorées par rapportà l’internalisation des effets externes et auxmodalités de l’analyse coûts-avantages.

Éditions La Découverte, 1, place Paul-Painlevé,Paris Ve, France

Revues en économie de l’environnement et des ressources naturelles

Journal of environmental economics and management(JEEM)

Cette revue spécialisée est le premier journal dediffusion des travaux scientifiques de l’Associationdes économistes de l’environnement et des res-sources. Elle assure la publication des recherchesthéoriques et empiriques qui explorent les liensentre le système économique et le système envi-ronnemental. On y retrouve à la fois des articlespurement économiques qu’interdisciplinaires.

Pour plus d’information, consulter http://www.econ.iastate.edu/jeem/

Environmental & Resource economics

Cette revue est le journal de l’Association euro-péenne des économistes de l’environnement etdes ressources. Elle privilégie la publication desrecherches portant sur l’application des théorieset méthodes économiques aux problématiquesenvironnementales en vue d’en améliorer lagestion.

Pour plus d’information, consulter http://www.eaere.org/ere.html

Land Economics

Comme les deux premières revues présentéesprécédemment, cette revue s’inscrit dans le cou-rant de l’économie néoclassique. Elle s’intéresseparticulièrement à la publication des recherchesportant sur la gestion des ressources naturelles, lesusages des terres et la problématique des utilitéspubliques.

Consulter http://www.wisc.edu/wisconsinpress/journals/journals/le.html

Page 161: Économie environnement ressources naturelles

161Économie de l’environnement et des ressources naturelles

Dossier documentaire

POLLUTION DE L’AIR ET CHANGEMENT CLIMATIQUE

Ecological Economics

Cette revue est le journal transdisciplinaire dediffusion des travaux scientifiques de la Sociétéinternationale d’économie écologique (SIEE).Elle privilégie la publication des recherchesportant sur l’intégration de l’économie et del’écologie.

Pour plus d’information, consulter http://www.ecoeco.org/publica/ee_journal.htm

Centres deressources/organisations

Société internationale d’économie écologique (SIEE)

La Société internationale d’économie écologiqueest un regroupement international de spécialistesqui a pour objectif de faciliter les échanges entreéconomistes et écologistes à travers l’utilisationdes approches transdisciplinaires. Cette sociétédispose d’une revue intitulée Ecological Economicset elle organise tous les deux ans un congrèsinternational.

Pour plus d’information, consulter http://www.ecoeco.org

Association des économistes de l’environnement et desressources

L’Association des économistes de l’environ-nement et des ressources regroupe plus de800membres provenant de plus d’une trentainede pays.Elle a été créée en 1979 pour faciliter leséchanges, stimuler la recherche et promouvoir laformation pratique en économie de l’environ-nement et des ressources. Une association de cegenre se trouve également en Amérique latine etCaraïbe (http://www.aler.org), en Asie du Sud(www.sandeeonline.org) et en Europe (http ://www.eaere.org).

Pour plus d’information, consulter http://www.aere.org

Sofia Initiative

Cette initiative est issue d’une résolution de la3e conférence paneuropéenne des ministres del’environnement. Elle vise à faciliter la mise enœuvre des plans d’action environnementale enEurope de l’Est et Centrale. Le site de cette ini-tiative rassemble des documents et publicationsaccessibles au public et couvrant les champs

suivants : les instruments économiques, la biodi-versité et la pollution de l’air.

Pour plus d’information consulter http://www.rec.org/REC/Programs/SofiaInitiatives/SI.shtml

National Center for Environmental Economics(NCEE)

Ce centre rassemble les publications de l’Agenceaméricaine de protection environnementale (US-Environmental Protection Agency) portant surl’économie environnementale. On y retrouveégalement d’autres publications connexes et unebase de données pour économistes.

http://yosemite1.epa.gov/ee/epa/eed.nsf/Webpages/Publications.html

Calendrier des activités en économie de l’environnementet des ressources naturelles

2005

3- 4 juin 2005, Mumbai (Inde)4e Conférence biennale de la société indienned’économie écologique (SIEE)http://www.igidr.ac.in/news/insee/index.html

14-17 juin 2005, Lisbonne (Portugal)6e Conférence biennale de la société européenned’économie écologique

http://www.esee2005.org/

23-25 juin 2005, Saint Petersburg (Russie)7e Conférence internationale de la société russed’économie écologiquehttp://www.rsee.org/

27-29 octobre 2005,Toronto (Canada)5e Conférence biennale de la société canadienned’économie écologiquehttp://www.cansee.org/cansee2005_e.aspx

20-23 juillet 2005,Tacoma,Washington (USA)3e Conférence biennale de la société américained’économie écologiquehttp://www.ussee.org/conference/

2006

3-7 juillet 2006, Kyoto (Japon)3e Congrès mondial des économistes de l’envi-ronnement et des ressourceshttp://www.worldcongress3.org/

Page 162: Économie environnement ressources naturelles

162 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE Nos 66-67

Le MDP: Base d’un Partenariat opérationnel pour le développement durable dans l’espace francophone

Synthèse du Séminaire international de Montréal, du 4 au 6 avril 2005

À l’initiative de l’Institut de l’énergie et de l’en-vironnement de la Francophonie (IEPF), organesubsidiaire de l’Agence Intergouvernementalede la Francophonie (AIF), s’est tenu à Montréal,du 4 au 6 avril 2005, un séminaire internationalsur le thème «Mécanisme pour un Dévelop-pement Propre (MDP: base d’un partenariatopérationnel pour le développement durabledans l’espace francophone»).

Près de 160 participants de 34 pays, de plusieursorganisations internationales et régionales etd’organisations non gouvernementales activesdans le domaine du MDP ont pris part auxtravaux du séminaire.

Le séminaire s’est tenu moins de deux mois aprèsl’entrée en vigueur du protocole de Kyoto et dansla dynamique définie par le dernier Sommet de laFrancophonie organisé à Ouagadougou, auBurkina Faso, sur le thème «Francophonie,espacesolidaire pour le développement durable».

Il visait principalement à :

– faire le point des acquis et mettre à niveau lesinformations sur le marché émergent du car-bone en général et sur le MDP en particulier;

– définir et poser les bases d’une collaborationtechnique et institutionnelle francophone surle MDP et le commerce du carbone;

– dégager un cadre d’action visant à donner uncontenu concret et opérationnel à cette col-laboration entre les pays membres de laFrancophonie.

Les travaux se sont ouverts avec la participationde Monsieur Stéphane Dion,Ministre de l’Envi-ronnement du Canada, de Monsieur LaurentSédogo, Ministre de l’Environnement et duCadre de vie du Burkina Faso, représentant lepays hôte du dernier sommet de la Franco-phonie, de Monsieur Jean-Pierre Soucy,Adjointparlementaire du Ministre du Développementdurable, de l’Environnement et des Parcs du

Québec; et de Monsieur Habib Benessahraoui,Directeur exécutif de l’IEPF.

Un ensemble de 30 communications organiséesen ateliers spécialisés ont permis d’atteindre lesobjectifs d’information mutuelle et d’échanged’expériences, et de conduire une réflexioncollective pour se donner une stratégie d’actionconcertée sur le MDP.

Les idées-forces suivantes ressortent des contri-butions remarquables qu’il nous a été donnéd’apprécier au cours de cet exercice collectif :

1. Le marché du carbone est un marché encroissance exponentielle et le MDP en est laprincipale composante;

2. Le MDP s’impose de jour en jour à l’échelleinternationale comme une réalité incontour-nable ;

3. Les intervenants ont tous montré un intérêtmarqué pour ce mécanisme novateur dont onpeut faire le vecteur d’un partenariat opéra-tionnel ;

4. Malgré cet intérêt et un potentiel significatif,les pays francophones, dans leur ensemble,sont encore en deçà des seuils requis pourtirer du MDP, tout son potentiel ;

5. Les pays francophones de l’Annexe 1 ontencore beaucoup d’étapes à franchir pourconstruire leur marché intérieur de crédit,même si la plupart disposent des institutionsidoines ;

6. Les pays francophones en développementdont certains ont fait des progrès remarquablesdans la mise en place des cadres institutionnelsutiles ont encore, dans leur grande majorité,beaucoup de pain sur la planche avant de se posi-tionner sur le marché du carbone.

Tous font face à :

• la forte concurrence des pays non franco-phones en termes de volumes de crédits

Page 163: Économie environnement ressources naturelles

163Économie de l’environnement et des ressources naturelles

Le MDP: base d’un Partenariat opérationnel pour le développement durable dans l’espace francophone

POLLUTION DE L’AIR ET CHANGEMENT CLIMATIQUE

cessibles, de prix de cession et d’accès auxinstitutions facilitatrices ;

• et à la complexité rédhibitoire des procéduresdu MDP.

C’est à partir de l’ensemble de ces élémentsd’analyse que les participants ont conclu à l’inté-rêt de mettre en place, dans l’espace franco-phone, une plate-forme de collaboration dontles maîtres mots seraient :

– la solidarité pour accélérer les apprentissageset mieux faire face à la concurrence;

– l’information pour résorber la complexitédes procédures et saisir les opportunités ;

– l’expertise pour maîtriser les technicalités ettirer avantage des potentialités.

C’est autour de ces idées que s’est construite«L’initiative Francophone de Partenariat pour leMDP» présentée ci-après.

Initiative Francophone dePartenariat dans le domaine du MDP

Un partenariat opérationnel en vue de soutenir ledéveloppement durable dans l’espace francophone1

Résumé exécutif

Le Mécanisme pour un Développement Propre(MDP) créé par le Protocole de Kyoto (PK) représenteun atout considérable pouvant favoriser la coopérationinternationale autour de projets concrets de dévelop-pement durable.Avec l’entrée en vigueur du PK, le16 février 2005, une nouvelle dynamique est lancéeet ce mécanisme a pris une place plus importante avecun avenir prometteur !

La Francophonie considère ce moment appro-prié pour créer les conditions d’une collabo-ration renforcée entre ses pays membres autourdu Mécanisme pour un Développement propre(MDP).L’objectif de la Francophonie est de fairedu MDP la base d’un partenariat opérationnelpour renouveler et redynamiser son action enfaveur du développement durable.C’est dans ce

contexte que s’inscrit «L’Initiative franco-phone de partenariat dans le domaine duMDP (IFP-MDP)». Cette initiative est dotéed’un Cadre d’Action Francophone pour leMDP (CAF MDP) visant à la concrétiser et àla matérialiser durant la période 2005-2009, etce, à la veille de la première période d’engage-ments pris dans le Protocole de Kyoto par lespays industrialisés.

Très faible implication des paysfrancophones en développement dans le MDP

Si les pays développés francophones ont été rela-tivement actifs et ont fait le minimum nécessairepour participer et profiter du MDP, les paysFrancophones en développement sont restés enretrait. C’est le cas en particulier des pays Afri-cains Francophones :

• Seuls quelques pays francophones en déve-loppement ont mis en place les bases néces-saires à une implication réelle dans le MDP,en particulier l’Autorité Nationale Désignéedu MDP (AND-MDP) et les procédures etrègles précises de fonctionnement de celle-ci(moins d’un pays sur trois).

• Parmi les projets en cours de validation sur lesite Internet de la convention, au 1er avril2005, seuls 2 sur les 93 projets sont prévusdans des pays francophones.

• Parmi les méthodologies de ligne de baseproposées au comité exécutif et présentées surle site de la Convention, seules 5 sur les 92sont proposées à travers des projets de paysfrancophones.

• Parmi les 32 projets approuvés pour finance-ment par le Fonds Prototype Carbone (PCF),5% seulement sont des projets de pays franco-phones.

• Sur les 8 petits projets approuvés à ce jourpour achats d’unités de carbone par le FondCarbone de Développement Communau-taire, aucun n’est situé en Afrique.

1. L’IEPF se félicite de la collaboration de Monsieur AliAgoumi et de tous les membres du Comité de suiviet d’évaluation de l’IFP-MDP qui ont joué un rôledéterminant dans la conception de cette initiative. Illeur exprime ici toute sa gratitude.

Page 164: Économie environnement ressources naturelles

164 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE Nos 66-67

On notera par ailleurs que différents pro-grammes de renforcement des capacités sur leMDP dans les pays en développement existentet ont permis d’obtenir des résultats significatifs.Il s’agit des programmes de la Banque mondiale;du PNUD; du PNUE, etc.Toutefois, et à cejour, la participation des pays francophones à cesprogrammes est restée limitée à faible : 5% pourles projets approuvés par le PCF, 18% pour lesprogrammes PNUD,45% pour le projet PNUECD4CDM, 0% pour les projets du Fondscommunautaire.

Ces indicateurs démontrent et confirment qu’ungrand nombre de pays en développement fran-cophones ont un besoin réel et significatifd’appuis tant au niveau institutionnel qu’auniveau du renforcement des capacités pour leurpermettre d’intégrer le marché du MDP et deconsolider leurs politiques de DéveloppementDurable.

Présence limitée des pays Annexe Ifrancophones sur le Marché du MDP

Les pays francophones Annexe I sont intéresséspar l’achat d’Unités de Carbone à partir duMDP tenant compte de leurs engagements prisdans le PK ou au niveau de leurs régions. Lemarché global en carbone que ces pays Annexe Ifrancophones représentent, dans la perspectivequ’ils ont de remplir leurs engagements, est del’ordre de 160 Mt CO2e/an à répartir entreprojets MDP, projet MOC (Mise en ŒuvreConjointe) et actions domestiques, soit autourde 800 Mt CO2e pour la période 2008-2012.

Pour atteindre cet objectif d’achats d’unités decarbone, ces pays se sont organisés et ont mis enplace des actions concrètes leur permettantd’accéder au Marché du Carbone et du MDP.C’est en particulier le cas du Canada, de laFrance et de la Communauté Francophone deBelgique avec la création de fonds carbone oula participation à des fonds mis en place par laBanque mondiale. Ces pays ont aussi soutenu, àtravers des programmes et des mémorandumsd’ententes directes (MOUs), des pays en déve-loppement dans le MDP. La part de ce soutienaux pays francophones en développement estrestée cependant marginale.

Malgré ces efforts, on peut noter qu’au niveaudu portefeuille de projets en cours de validationet des méthodologies en cours d’approbation parle Conseil exécutif du MDP, en mars 2005, lespays Annexe I francophones restent peu présents:

• sur les 93 projets en cours de validation/enre-gistrement,quatre seulement résultent d’inves-tissements de pays développés francophones;

• sur les 92 méthodologies en cours d’appro-bation, trois résultent de projets dont l’inves-tisseur est originaire d’un pays développéfrancophone.

Initiative Francophone de Partenariatdans le domaine du MDP (IFP MDP)

L’analyse faite ci-dessus montre clairement qu’àce jour les pays francophones n’ont pas étésuffisamment impliqués dans le MDP. C’est lecas des pays en développement, mais aussi despays développés qui aspirent à une plus grandeprésence sur le marché du carbone. C’est pourparer à cette situation qu’une Initiative de Parte-nariat Francophone dans le domaine du MDP(IFP-MDP) a été proposée. L’objectif visé étantde permettre :

• aux pays francophones en développement deprofiter pleinement du MDP et de pouvoirconcrétiser des projets de développementpropres et durables; en utilisant la synergie etla complémentarité Nord-Sud et Sud-Sud quicaractérisent la communauté francophone;

• aux pays francophones développés de trouverappui auprès des pays en développement fran-cophones pour l’achat de crédits carbone leurpermettant de remplir une partie de leursengagements.

L’IFP MDP est basée principalement sur unCadre d’Action Francophone pour leMDP (CAF MDP). Le CAF MDP vise troisobjectifs principaux:

• la création d’une nouvelle dynamiqueMDP au sein de l’espace francophoneen utilisant les technologies de l’infor-mation, avec la mise en place de sites Internetfrancophones du MDP et du marché ducarbone, et d’une lettre d’information franco-phone sur ces aspects ;

Page 165: Économie environnement ressources naturelles

165Économie de l’environnement et des ressources naturelles

Le MDP: base d’un Partenariat opérationnel pour le développement durable dans l’espace francophone

POLLUTION DE L’AIR ET CHANGEMENT CLIMATIQUE

• la contribution au renforcement descapacités des différents acteurs du MDPdans les pays en développement franco-phones à travers l’organisation d’ateliers surdifférents volets : institutionnels, techniques,financiers et juridiques. L’intérêt de ces ate-liers est de créer un cadre où la coopérationSud-Sud sera valorisée et où les expériencesréussies de certains pays pourraient permettreà d’autres d’avancer plus rapidement et avecplus d’efficience. En cela le CAF MDP seracomplémentaire à d’autres programmes quivisent une assistance directe aux pays ;

• la mise en place, au niveau de la Fran-cophonie, d’une coopération Nord-Sudprivilégiée en matière de MDP avec desMémorandums d’Entente directe entre pays

francophones du Nord et du Sud et des effortsparticuliers de la part des pays industrialiséspour associer les pays francophones en déve-loppement au Marché du MDP (aide à la miseen place des AND et des procédures MDP deces pays, appui au niveau de l’identification dupotentiel MDP de ces pays; achats d’URCEsde projets MDP de ces pays).

Le CAF MDP est organisé en 4 modules indé-pendants et complémentaires programmésdurant la période 2005-2009, pour lesquelspourrait être envisagé soit un financementpropre au niveau de la Francophonie, soit unfinancement et une réalisation avec l’appuid’autres programmes.Ces modules sont présen-tés dans le tableau ci-dessous.

Cadre d’Action Francophone pour le MDP 2005-2009

CAF MDP 2005-2009 Activités proposées Résultats – Indicateurs Opérateurs possibles

Module I : Sensibilisation – Portail Internet MDP Francophone – Portail francophone MDP – IEPFet information Franco- (Activité II-2) opérationnelphone sur le MDP et – Réseau MDP Francophonie et bulletin – Réseau MDP francophone dynamiquele Marché du carbone en MDP Francophone (Activité V-1) – Bulletin MDP francophone mensuel particulier sur Internet – Documents de base pour accéder régulier

au MDP en français (Activité IV-2) – Guides francophones sur les différentsaspects du MDP

Module II : Constitution – Mémorandums d’entente directe – Des MOUs signés entre pays Annexe I – Pays Annexe I de liens MDP privilégiés (MOUs) particuliers liant des pays et plus des 2/3 des pays en dévelop- francophonesentre pays francophones francophones Annexe I et en dévelop- pement francophonesdu Nord et du Sud pement (Activité I-1) – Plus des 2/3 des pays en développe- – Programmes

– Création d’une Entité Opérationnelle ment francophones dotés d’AND opé- multilatérauxDésignée (OED) dans l’espace franco- rationnelles avec un projet ayant suiviphone (Activité III-3) le cycle de projet jusqu’à la validation – IEPF

– Au moins une EOD francophone régio-nale opérationnelle associant des experts francophones du Nord et du Sud

Module III : Renforcement – Programme de renforcement des – un groupe d’acteurs dans le MDP de – IEPFdes capacités des pays capacités intégrant 5 ateliers en plus pays francophones en développementfrancophones en dévelop- de l’atelier de lancement de l’IFP MDP: formé et disposant de capacités lui – Acteurs multilatérauxpement dans le MDP – Atelier de lancement de l’IFP permettant de développer le MDP

MDP (COP11) dans ces pays – Pays Annexe I – Atelier sur l’organisation et le fonc- francophonestionnement des AND (Activité I-2)– Atelier aux Opérateurs économiques sur les enjeux et possibilités du MDP (Activité II-1) – Atelier sur le montage des projets MDP pour les experts et consultants (Activité III-1)– Atelier sur les aspects financiers et juridiques des contrats MDP (Activité III-2)– Atelier Réseau MDP Francophone Bilan et perspectives (Activité IV-1)

Module IV: Constitution – Réalisation d’études sectorielles – Plus des 2/3 des pays en développement – Programmes de portefeuilles de projets d’identification de projets MDP, francophones disposent de portefeuilles multilatérauxMDP montage de projets MDP et accompa- de projets MDP et d’un projet pilote (ex CF Assist)

gnement vers le Marché du carbone ayant été validé(Activité II-3)

Page 166: Économie environnement ressources naturelles

166 LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE Nos 66-67

Le programme de renforcement des capacités pour la Maîtrise des Outils de Gestion de l’Environnement pour le Développement durable (MOGED)

L’Institut de l’énergie et de l’environnement de la Francophonie(IEPF), organe subsidiaire de l’Agence intergouvernementale de laFrancophonie, a conçu le programme renforcement des capacitéspour la Maîtrise des outils de gestion de l’environnement pour ledéveloppement durable (MOGED).

Les objectifs de MOGED sont:

– Développer dans l’espace francophone les capacités humaines, institutionnelles, législatives et matériellesleur permettant de mettre en œuvre des programmes de développement économiquement viables,socialement acceptables et respectueux de l’environnement;

– Développer et diffuser les outils de maîtrise de la gestion de l’environnement et en assurer l’intégrationdans les processus décisionnels des États pour l’élaboration et la mise en œuvre des politiques et stratégiessectorielles dans une perspective de développement durable.

Le programme MOGED est élaboré dans l’optique de donner une réponse à des besoins identifiés ou expriméspar les bénéficiaires. Il s’inscrit dans le cadre des initiatives de partenariat de type 2 issues du Sommet mondialsur le développement durable tenu à Johannesburg.

Les domaines d’intervention portent sur :

– L’Évaluation environnementale (MOGED-IMPACT) qui permet la mise en place des institutions et descompétences pour la réalisation et le suivi des études d’impacts environnementaux (ÉIE), la mesure desimpacts sur l’environnement des plans, programmes et projets de développement.

– L’Économie de l’environnement (MOGED-ÉCO) qui permet d’attribuer une valeur économique aux impactssur l’environnement des projets de développement et d’intégrer la valorisation économique et les coûtsdes politiques environnementales dans les processus décisionnels des États.

Les moyens utilisés pour la mise en œuvre du programme consistent en:

– Formation : les méthodes d’évaluation économique, la maîtrise des impacts et enjeux du commerceinternational par rapport à l’environnement, le calcul des coûts environnementaux au niveau del’entreprise, les méthodes de calcul des coûts additionnels récurrents pour rendre les projets éligibles auxdifférents fonds pour l’environnement…

– Diffusion de l’information et appui à la mise en réseau des experts nationaux et régionaux dans lesdomaines de l’économie de l’environnement et de l’évaluation environnementale;

– Appuis méthodologiques sur le développement des normes en matière d’environnement;

– Développement d’outils portant sur les techniques de contrôle de l’effectivité de mesures de protectionde l’environnement;

– Développement de partenariats élargis. C’est ainsi que les représentants des pays membres de laFrancophonie, des partenaires de développement (bilatéraux et multilatéraux) et de centres universitairesont marqué leur intérêt pour le programme MOGED, identifié les pistes de partenariat possibles et arrêtéensemble les meilleures modalités de mise en œuvre des différentes actions.

Page 167: Économie environnement ressources naturelles

SSOOMMMMAAIIRREE

ÉCONOMIE DE L’ENVIRONNEMENT ET DES RESSOURCES NATURELLESMot du Directeur ....................................................................4

El Habib BENESSAHRAOUI

HISTORIQUE ET CONCEPTS

Introduction au numéro.......................................................... 5 Jean-Pierre REVÉRET, Université du Québec à Montréal,Canada-QuébecJacques WEBER, Institut Français de la Biodiversité (IFB)

Les grands courants actuels de pensée en économie de l’environnement ........................................................... 9Patrice HAROU et Anne STENGER, ENGREF, France

Le cadre de l’économie néoclassique de l’environnement ........ 18Thierry TACHEIX, Université de Limoges, France

Théorie économique et dimension environnementale du développement durable ............................................... 24Claude NJOMGANG, Université de Yaoundé II – Soa, Cameroun

LES APPROCHES ET LES OUTILS

Droits de propriété et gestion de l’environnement .................. 27Frank-Dominique VIVIEN, Université de ReimsChampagne-Ardenne, France

Les politiques fiscales environnementales ................................ 32Beat BÜRGENMEIER, Centre Universitaire d’ÉcologieHumaine, Université de Genève, Suisse

Fondements, limites et perspectives de l’analyse coûts-avantages ............................................................... 40Philippe MÉRAL, C3EDM – IRD/Madagascar, France

Les démarches d’aide multicritère à la décision en économie de l’environnement.......................................................... 46Géraldine FROGER, C3ED, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, France

Stratégies de financement pour la préservation de la faune et retombées économiques............................................... 54Bernard BEAUDIN, Président de la Fondation de la Faune du Québec

INSTITUT DE L’ÉNERGIE ET DE L’ENVIRONNEMENT DE LA FRANCOPHONIE (IEPF)

Numéros 66-671er et 2e trimestres 2005

La revue Liaison Énergie-Francophonie est publiée trimestriellement par l’Institut de l’énergie et de l’environnement de la Francophonie (IEPF).L’IEPF est un organe subsidiaire de l’Agence intergouvernemen-tale de la Francophonie, opérateur principal de l’Organisation internationale de la Francophonie.

56, rue Saint-Pierre, 3e étageQuébec G1K 4A1 CanadaTéléphone: 1 (418) 692-5727Télécopie : 1 (418) 692-5644Courriel : [email protected] Internet : www.iepf.org

Directeur de la publication:El Habib Benessahraoui

Comité éditorial :Jean-Pierre Revéret, rédacteur en chef invitéFaouzia AbdoulhalikBoufeldja BenabdallahEl Habib Benessahraoui Sibi BonfilsSory I. DiabatéChantal GuertinLouis-Noël JailDenis L’AnglaisJean-Pierre Ndoutoum

Édition et réalisation graphique:Communications Science-Impact

Photo de couverture:Claude Hamel/IEPF/Agence de la Francophonie

ISSN 0840-7827

Tirage:4000 exemplaires

Dépôt légal :Bibliothèque nationale du QuébecBibliothèque nationale du Canada

Les textes et les opinions n’engagent que leurs auteurs.Les appellations, les limites, figurant sur les cartes de LEFn’impliquent de la part de l’Institut de l’énergie et de l’en-vironnement de la Francophonie aucun jugement quant austatut juridique ou autre d’un territoire quelconque, ni lareconnaissance ou l’acceptation d’une limite particulière.

Prix de l’abonnement annuel (4 numéros) :40$ CAD; 28$ USD; 30€ ; 16000 CFA;380000 Dongs vietnamiens

Poste-publications – Convention No 400347191

Imprimé au Canada

Le prochain numéro de Liaison Énergie-Francophonie(no 68, 3e trimestre 2005) aura pour thème Culture etdéveloppement durable.

167Économie de l’environnement et des ressources naturelles

Activités réalisées

Le lancement du module spécialisé de formation en économie de l’environnement à l’Université Senghoren décembre 2004 mérite d’être souligné. Ce lancement a été précédé de deux ateliers régionaux, centréssur l’économie de la biodiversité (Antanarivo, décembre 2003, pour l’océan Indien et Kinshasa, mai 2004,pour l’Afrique centrale) qui ont permis de mesurer les attentes et de renforcer notre conviction quant àl’intérêt des enseignements en économie de l’environnement. La première école d’été de l’Économie del’environnement organisée à Montréal, dans la première quinzaine de juillet, devait confirmer l’engoue-ment pour cet outil. L’IEPF a permis à cette occasion aux participants d’assister au Congrès international desÉconomistes écologiques, un événement de portée mondiale qui se déroule traditionnellement en anglais.

L’IEPF a organisé dans ce cadre 3 sessions francophones (sur une centaine, toutes en anglais) dont l’une descommunications, portée par une doctorante malgache, a été primée par le congrès.

Ces actions qui entrent dans la stratégie de développement et de renforcement des communautés de pra-tique dans le domaine de l’économie de l’environnement se conduisent au même niveau pour l’évaluationenvironnementale dont la pratique est plus répandue avec cependant encore, le besoin d’être renforcée etinstitutionnalisée.

Prochaines activités

* Atelier régional sur l’évaluation économique et la valorisation de la biodiversité en Afrique de l’Ouest(Cotonou, Bénin, automne – dates à confirmer)

* 2e édition du module de formation de base en Économie et politique de gestion des ressources naturel-les (Université Senghor, Alexandrie, Égypte, 4-15 décembre 2005 – dates à confirmer)

Partenaires du programme

– Agence Universitaire de la Francophonie (AUF)

– Université Senghor (Alexandrie, Égypte)

– Institut des Sciences de l’Environnement de l’Université du Québec à Montréal (UQAM, Canada-Québec)

– Secrétariat international francophone pour l’évaluation environnementale (SIFÉE, Montréal, Canada-Québec)

– Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD-France)

– Groupe EIER-ETSHER (Ouagadougou, Burkina Faso)

– C3ED - Université de Saint-Quentin-Yvelines (France)

Pour information s’adresser à :

Sory Ibrahim Diabaté, Responsable de ProgrammeInstitut de l’énergie de l’environnement de la Francophonie (IEPF)56, rue Saint-Pierre G1K 4A Québec (Canada)Tél. : 1 (418) 692-5727Téléc. : 1 (418) 692-5644Courriel : [email protected]

Page 168: Économie environnement ressources naturelles

NUMÉROS 66-67 –1er ET 2e TRIMESTRES 2005

INSTITUT DE L’ÉNERGIE ET DE L’ENVIRONNEMENT DE LA FRANCOPHONIE

environnementde l’et des ressources

naturelles

Économie

INSTITUT DE L’ÉNERGIE ET DE L’ENVIRONNEMENT DE LA FRANCOPHONIE (IEPF)56, RUE SAINT-PIERRE, 3e ÉTAGE, QUÉBEC (QUÉBEC) G1K 4A1 CANADA

L’IEPF est un organe subsidiaire de l’Agence intergouvernementale de la Francophonieopérateur principal de l’Organisation internationale de la Francophonie.