conférence sur l’histoire médiévale dans les programmes du...

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Loïc Cazaux – 5/11/2014 1 Académie de la Guadeloupe Loïc Cazaux – Formation du mercredi 5/11/2014 Conférence sur l’histoire médiévale dans les programmes du Secondaire (5 e , 2 nde ) Guerre et population Le texte suivant s’entend en corrélation avec le fascicule qui lui est joint. Introduction à la journée de formation L’histoire médiévale intervient à deux moments importants de la scolarité de l’élève en histoire, au collège et au lycée : -en classe de Cinquième, elle ouvre les apprentissages en histoire pour un nouveau cycle d’enseignement, le cycle « des approfondissements » 1 . Ce cycle correspond aux trois dernières années du collège, dont la classe de Cinquième constitue la première année. Les élèves se sont déjà familiarisés en Sixième avec la période médiévale en étudiant les empires chrétiens du haut Moyen Âge, en écho avec l’essor du christianisme et le concept impérial romain qu’ils voient la même année. Mais c’est en Cinquième que les élèves approfondissent véritablement leur connaissance du Moyen Âge. Celui-ci est appréhendé sous des angles multiples qui donnent à l’élève une vision complète des transformations marquant la période médiévale de l’an Mil au XV e siècle. Cette vision correspond aux objectifs d’apprentissage et aux attendus méthodologiques des programmes : découverte d’une grande civilisation, l’Europe occidentale latine ; familiarisation avec des sources historiques diverses. Le programme aborde donc : l’histoire sociale et économique (« Paysans et seigneurs », « Expansion de l’Occident) ; l’histoire politique (« Féodalité et premiers Etats ») ; l’histoire religieuse et culturelle (« La place de l’Eglise »). A titre comparatif, la civilisation islamique n’est pas oubliée (« Les débuts de l’Islam »). -en classe de Seconde générale et technologique, l’histoire médiévale prend toute sa part au fil conducteur du programme, qui vise à pousser les élèves à réfléchir sur « la place des Européens dans l’Histoire du monde ». Classe charnière entre le collège et le lycée, la Seconde vise à prolonger les acquis du collège et à initier les démarches propres au lycée. Il n’est donc pas étonnant de constater que les élèves reprennent en Seconde, sous un angle plus problématisé et en fonction d’exigences méthodologiques distinctes, des thématiques esquissées en Cinquième. Celles-ci sont rassemblées autour du thème 3 « Sociétés et cultures de l’Europe médiévale du XI e au XIII e siècle ». En Cinquième comme en Seconde, les programmes d’histoire choisissent donc de centrer leur perspective sur les grandes dynamiques qui traversent la civilisation chrétienne médiévale à partir de l’an Mil. Aucun aspect de ces transformations n’est éludé : les élèves 1 Au titre du code de l’éducation, articles L 311-1 à 3 (10/07/2013).

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  • Loïc Cazaux – 5/11/2014

    1

    Académie de la Guadeloupe

    Loïc Cazaux – Formation du mercredi 5/11/2014

    Conférence sur l’histoire médiévale dans les programmes du Secondaire (5e, 2nde)

    Guerre et population

    Le texte suivant s’entend en corrélation avec le fascicule qui lui est joint.

    Introduction à la journée de formation

    L’histoire médiévale intervient à deux moments importants de la scolarité de l’élève en

    histoire, au collège et au lycée :

    -en classe de Cinquième, elle ouvre les apprentissages en histoire pour un nouveau cycle

    d’enseignement, le cycle « des approfondissements »1. Ce cycle correspond aux trois

    dernières années du collège, dont la classe de Cinquième constitue la première année. Les

    élèves se sont déjà familiarisés en Sixième avec la période médiévale en étudiant les empires

    chrétiens du haut Moyen Âge, en écho avec l’essor du christianisme et le concept impérial

    romain qu’ils voient la même année.

    Mais c’est en Cinquième que les élèves approfondissent véritablement leur connaissance

    du Moyen Âge. Celui-ci est appréhendé sous des angles multiples qui donnent à l’élève une

    vision complète des transformations marquant la période médiévale de l’an Mil au XVe siècle.

    Cette vision correspond aux objectifs d’apprentissage et aux attendus méthodologiques des

    programmes : découverte d’une grande civilisation, l’Europe occidentale latine ;

    familiarisation avec des sources historiques diverses. Le programme aborde donc : l’histoire

    sociale et économique (« Paysans et seigneurs », « Expansion de l’Occident) ; l’histoire

    politique (« Féodalité et premiers Etats ») ; l’histoire religieuse et culturelle (« La place de

    l’Eglise »). A titre comparatif, la civilisation islamique n’est pas oubliée (« Les débuts de

    l’Islam »).

    -en classe de Seconde générale et technologique, l’histoire médiévale prend toute sa

    part au fil conducteur du programme, qui vise à pousser les élèves à réfléchir sur « la place

    des Européens dans l’Histoire du monde ». Classe charnière entre le collège et le lycée, la

    Seconde vise à prolonger les acquis du collège et à initier les démarches propres au lycée.

    Il n’est donc pas étonnant de constater que les élèves reprennent en Seconde, sous un angle

    plus problématisé et en fonction d’exigences méthodologiques distinctes, des thématiques

    esquissées en Cinquième. Celles-ci sont rassemblées autour du thème 3 « Sociétés et

    cultures de l’Europe médiévale du XIe au XIIIe siècle ».

    En Cinquième comme en Seconde, les programmes d’histoire choisissent donc de centrer

    leur perspective sur les grandes dynamiques qui traversent la civilisation chrétienne

    médiévale à partir de l’an Mil. Aucun aspect de ces transformations n’est éludé : les élèves 1 Au titre du code de l’éducation, articles L 311-1 à 3 (10/07/2013).

  • Loïc Cazaux – 5/11/2014

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    réfléchissent autant sur l’organisation de la société médiévale, que sur les rapports de

    pouvoir, les relations économiques, les cadres institutionnels et spirituels. Au travers de

    sources diverses, l’approche se veut autant chronologique que spatiale.

    En cela, on peut dire que les programmes d’histoire médiévale restent héritiers des

    évolutions de l’historiographie depuis l’Ecole des Annales. La réflexion se veut structurelle,

    elle ne néglige aucun type de source, elle vise à comprendre les différents aspects de la vie

    des hommes au Moyen Âge, et pas seulement à centrer le regard sur les institutions. Tous

    les domaines de l’histoire médiévale sont envisagés.

    C’est en vertu de ce cadre pédagogique que l’on m’a demandé de réaliser une conférence

    sur l’histoire médiévale, et plus précisément sur la place de la guerre dans la société

    médiévale (// programme de l’agrégation interne : « Guerre et société, fin XIIIe-fin XVe s. »).

    En fonction des sujets abordés par les programmes – qui sont très divers, comme nous

    avons pu le voir –, je vous propose d’effectuer d’abord une présentation de l’historiographie

    actuelle en histoire médiévale.

    Après cette présentation historiographique, et en nous appuyant sur les documents que

    j’ai réunis dans le fascicule, j’examinerai le thème « Guerre et populations » au travers des

    programmes du secondaire. J’ai choisi pour cela de cumuler les perspectives propres aux

    programmes de Cinquième et de Seconde, car les thématiques restent proches, même si les

    objectifs d’apprentissage et les attendus méthodologiques diffèrent. L’ensemble des

    documents présentés dans le fascicule sont, à mon sens, mobilisables en classe de

    Cinquième ou de Seconde. J’ai tenté de varier les types de documents pour donner un

    panorama large, dans lequel les collègues peuvent puiser s’ils le veulent.

    Dans la deuxième partie de cette journée, nous nous concentrerons sur deux de ces

    documents (voir la fin de fascicule), pour réfléchir sur la méthodologie du commentaire de

    documents historiques en fonction des thèmes des programmes.

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  • Loïc Cazaux – 5/11/2014

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    Bilan historiographique :

    L’état de la recherche en histoire médiévale

    Comme toutes les périodes historiques, le Moyen Âge traîne derrière lui certains

    stéréotypes (voir le texte de Jérôme Baschet, p. 5 fascicule). Dans la conscience collective,

    l’époque médiévale se trouve un peu écartelée entre des rejets anciens qui la taxent de

    période « obscurantiste », et des envolées tirées du romantisme qui y voient un

    conservatoire du merveilleux et de l’épique. Certains de ces stéréotypes fonctionnent

    toujours actuellement, et on peut suivre J. Baschet lorsqu’il considère qu’il faut échapper à

    la caricature ou à l’idéalisation quand on parle du Moyen Âge : ce n’est pas une période de

    guerres continues et de violence débridée ; et la société médiévale ne se limite pas aux

    joutes et aux armures d’apparat des chevaliers du XVe siècle.

    Cependant, fort heureusement, la vigueur de l’enseignement (secondaire ou

    universitaire) et de la recherche en histoire médiévale ne se démentent pas et sont là pour

    tordre le cou aux préjugés.

    -Dans ce bilan historiographique, j’aborderai d’abord les espaces couverts et les disciplines

    utilisées par la recherche en histoire médiévale (I).

    -Je vous présenterai ensuite les grandes thématiques de recherche (II).

    I. Les espaces couverts et les disciplines de la recherche : une grande

    diversité des outils et des approches

    a. Les espaces couverts par la recherche en histoire médiévale

    Les domaines couverts par l’historiographie médiévale actuelle sont larges, si bien que

    l’on ne peut pas dégager de secteur principal de recherche en histoire médiévale, mais

    seulement une série de tendance. Ce sont ces tendances que je vais m’attacher à exposer ici.

    Les intitulés des unités de recherche du C.N.R.S. dans la section 32 (Mondes anciens et

    médiévaux) montrent cette diversité des champs de recherche. Diversité qui est vraie au

    C.N.R.S. comme à l’Université, d’autant que la majorité de ces unités de recherche sont

    intégrées au monde universitaire. Les espaces couverts par la recherche ne se limitent pas

    au seul royaume de France, même s’il est bien représenté, ou encore à l’Europe latine

    (Empire, mondes nordiques et anglo-écossais, Italie et Espagne, Europe centrale). Un rapide

    panorama de ces espaces de recherche montre que sont bien représentés : l’Orient byzantin,

    l’Islam (Andalousie, Afrique du Nord, Egypte, Proche-Orient), les mondes iraniens et indiens

    – et je n’évoquerai pas le monde asiatique médiéval, qui est lui aussi un domaine de

    recherche à part entière. Face à cela, parallèlement espaces méditerranéens forment un

    pôle de recherche spécifique et très valorisé dans le cadre du C.N.R.S.

    La diversité des espaces de recherche est représentée à l’Université dans les intitulés de

    Master et les champs couverts par les écoles doctorales. Et la nouvelle question donnée à

    l’agrégation et au CAPES externes montrent bien ce souci de perspective large pour l’étude

    du Moyen Âge : « Gouverner en terre d’Islam, Xe-XVe siècles ». Des coopérations se sont

  • Loïc Cazaux – 5/11/2014

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    d’ailleurs développées dans les 2 dernières décennies pour créer des ponts entre les espaces

    et les périodes. La création du Laboratoire Orient et Méditerranée au CNRS a permis de

    dépasser la coupure entre antiquisants et médiévistes, entre spécialistes des espaces

    chrétiens et spécialistes des premiers siècles de l’Islam. A l’étranger, les grands

    établissements français facilitent les séjours de recherche et l’étude des sources locales :

    Ecole française de Rome, Ecole française d’Athènes, Institut français en Orient, etc.

    b. La diversité des disciplines utilisées dans la recherche en histoire médiévale

    Diversité est également le maître mot lorsque l’on considère les multiples disciplines qui

    sont utilisées pour la recherche en histoire médiévale. Cette diversité ne date pas de la

    dernière décennie. Elle s’est construite progressivement, surtout depuis les années 1950-

    1960 : quand, d’une part, l’archéologie médiévale s’est imposée comme une discipline

    scientifique à part entière et, d’autre part, lorsque toutes les sciences auxiliaires de l’histoire

    médiévale ont acquis une importance certaine dans l’enseignement universitaire.

    L’archéologie est maintenant étroitement intégrée aux recherches en histoire médiévale.

    L’archéologie médiévale est un domaine d’étude indépendant, bien identifié au C.N.R.S.

    comme à l’Université, qui a vu depuis les dernières décennies ses problématiques s’élargir.

    Le nombre de thèse en archéologie médiévale est d’ailleurs en progression constante depuis

    15 ans, et le nombre de postes offerts est en relation avec ce « boom » : il est de plus en plus

    important. Quels sont les grands secteurs de recherche en archéologie médiévale ?

    On sait l’apport de l’archéologie rurale pour des thèmes aussi importants que la naissance

    du village. Le maillage des villages se fixe définitivement au Moyen Âge central, comme

    l’indique le programme de Cinquième. Mais ce processus de pérennisation des

    communautés villageoises s’appuie aussi sur des antécédents au haut Moyen Âge, qui ont

    été bien étudiés grâce à l’archéologie, faute de sources écrites. L’archéologie a ainsi prouvé

    le relatif dynamisme des organisations humaines dans l’espace rural entre le Ve et le Xe

    siècle.

    A côté de l’étude de l’espace rural, l’archéologie castrale forme la deuxième grande

    branche de l’archéologie médiévale en Europe. Elle est aujourd’hui toujours importante, et

    des domaines nouveaux de recherche se sont intégrés à l’étude monumentale des châteaux

    et des enceintes : l’étude des armes et des armures notamment, qui s’appuie sur des

    analyses métallurgiques fines faisant appel aux sciences exactes.

    L’archéologie s’épanouit aussi depuis les années 1980-1190 dans l’étude des villes

    médiévales, tant et si bien que l’archéologie urbaine, généralement préventive, est

    actuellement le premier pôle de recherche en archéologie du Moyen Âge.

    Les champs de recherche ne s’arrêtent pas là. Il faut citer l’importance de l’archéologie

    des techniques, qui travaille en lien avec l’histoire de l’art et des sciences (étude des

    structures architecturales, des charpentes – par exemple pour les cathédrales – ; étude de

    l’outillage et du travail du fer – par exemple dans les grandes abbayes cisterciennes, où des

    modèles évolués de forges ont été inventés au XIIe s.).

  • Loïc Cazaux – 5/11/2014

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    Importance enfin de l’archéogéographie, qui étudie l’évolution des paysages dans le

    temps. Elle utilise pour cela l’analyse des pollens anciens (paléopalynologie), l’étude des

    restes d’animaux (archéozoologie), l’étude des restes de végétaux (archéobotanique), etc. :

    on regroupe parfois ces champs de recherche sous le terme « d’archéologie

    environnementale ». L’une des secteurs d’étude de l’archéogéographie est l’histoire des

    climats, abordée par exemple par Emmanuel Leroy-Ladurie.

    Dans tous ces domaines, l’informatique a révolutionné les outils de recherche. La

    possibilité de compulser les relevés dans des bases de données numériques permet des

    études statistiques. La cartographie des espaces de recherche se fait sur ordinateur, en

    utilisant le GPS. La 3D permet de réaliser des reconstitutions qui font progresser la recherche.

    Ce renouvellement des champs de recherche concerne d’autres « sciences auxiliaires de

    l’histoire », qui étudient les textes. La diplomatique ou la paléographie, qui étudient les

    diplômes et les écritures anciennes, sont des disciplines nées avant le XXe siècle. Mais ce

    n’est que depuis quelques décennies que leur enseignement s’est renforcé à l’université

    pour l’histoire médiévale, dès le cycle de licence. Au CNRS, des équipes travaillent

    spécifiquement sur ces disciplines pour étudier les textes religieux et littéraires. Des

    spécialisations existent en fonction des espaces de recherche : la papyrologie est par

    exemple importante pour les études byzantines.

    De plus, le manuscrit est maintenant analysé autant pour les textes qu’il contient qu’en

    tant qu’objet matériel : on étudie le type de reliure, d’écriture, les pigments utilisés pour les

    enluminures, etc. : c’est la codicologie. L’écriture n’est plus seulement envisagée comme

    moyen de recueillir des informations sur l’histoire, mais aussi considérée pour elle-même :

    on étudie les spécialistes de l’écrit (clercs et laïcs), les pratiques sociales de l’écrit au Moyen

    Âge. Par ailleurs, de nouvelles disciplines ont également émergé depuis les années 1980-90,

    comme la prosopographie, qui vise à l’étude statistique des groupes sociaux (évêques,

    chanoines, officiers royaux).

    Au total, nous avons souligné la vigueur de la recherche en archéologie. Cette vigueur

    concerne aussi l’analyse des sources écrites. La recherche en histoire aujourd’hui n’est pas

    seulement une analyse des textes. Pour étudier les sources écrite et leurs différents supports,

    l’interconnexion entre les différentes sciences auxiliaires a beaucoup progressé, et les

    équipes de recherches s’appuient sur l’analyse textuelle, mais également l’histoire de l’art, la

    numismatique, la sigillographie, l’iconographie, etc. Une typologie des sources écrites est

    ainsi en cours depuis la fin du XXe siècle chez Brépols. Elle recense toutes ces sources, leurs

    méthodes d’étude, et les principes d’édition des textes. Le dynamisme de l’Institut de

    Recherche et d’Histoire des Textes, situé à Paris et Orléans, est un autre le signe de ce

    renouvellement dans l’approche méthodique des sources écrites. Cet institut, qui dépend du

    C.N.R.S., rassemble les études sur les manuscrits, les enluminures, la philologie, l’histoire

    littéraire et religieuse dans une même perspective, grâce au recours aux multiples sciences

    auxiliaires de l’histoire.

    L’informatique a également transformé la recherche grâce à la constitution depuis les

    années 1990 de bases de données qui sont accessibles en ligne : bases de textes numérisés,

    bases iconographiques (BnF, Archives nationales).

  • Loïc Cazaux – 5/11/2014

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    II. Les grandes thématiques de recherche en histoire médiévale

    Aucun domaine de l’histoire n’est négligé par l’historiographie actuelle. Tous les champs

    de recherche sont abordés. Il me paraît un peu artificiel de faire ici un recensement complet

    de tous ces champs de recherche, domaine par domaine. Mieux vaut vous présenter les axes

    de recherche les plus dynamiques actuellement, afin de donner une photographie de

    l’historiographie d’aujourd’hui 2 . J’ai insisté sur les domaines de recherche les plus

    représentés dans les programmes de Cinquième et Seconde.

    *L’histoire de la guerre :

    Le sujet nous intéresse ici : l’histoire de la guerre au Moyen Âge est un secteur en

    renouvellement. La recherche ne se limite pas à l’étude institutionnelle de la guerre

    (organisation et recrutement des armées par les pouvoirs en place), ou à l’étude des

    stratégies et des tactiques. Celle-ci est d’ailleurs renouvelée par une meilleure connaissance

    des armes et des équipements, aidée par l’archéologie, comme je l’ai dit plus haut. En outre,

    la théorie de la guerre, « l’art de la guerre » est un sujet à part entière : en 2014, un ouvrage

    a par exemple paru sur les manuels de combat au Moyen Âge. Enfin, l’histoire des

    campagnes militaires s’est réorientée en fonction de l’histoire sociale et politique : par

    exemple, l’histoire des croisades est très liée à celle des rapports avec le monde musulman,

    et aux modalités d’organisation de la conquête en Orient.

    D’un point de vue plus structurel, les historiens se sont interrogés sur les processus

    politiques et juridiques qui ont mené la royauté, à la fin du Moyen Âge, à s’arroger le droit

    exclusif de faire la guerre et la paix. En ce sens, les études sur la guerre se trouvent à la

    croisée de l’histoire des pouvoirs et de la justice (texte de Richard Kaeuper sur Guerre,

    justice et ordre public, p. 8 : l’auteur compare les royaumes de France et d’Angleterre à la fin

    du Moyen Âge, surtout pendant la période de Cent ans).

    L’analyse du fait militaire devient donc un vecteur permettant de comprendre l’évolution

    des structures politiques et sociales. Dans ce cadre, elle permet aussi de s’interroger sur les

    mentalités : quel rapport existait-il entre les combattants et la violence ? Quelles étaient les

    répercussions de cette violence sur les populations ? En quoi les pratiques militaires

    déterminaient-elles une identité sociale et culturelle pour les combattants, notamment pour

    les combattants nobles ? C’est à ce titre que progresse la « nouvelle histoire bataille ».

    Dans une veine anthropologique, celle-ci étudie la bataille comme un phénomène social

    permettant de s’interroger sur les pratiques culturelles et les représentations des

    combattants médiévaux.

    *L’histoire de l’Etat monarchique ou « la genèse de l’Etat moderne »

    Il s’agit de l’un des grands programmes de recherche pour le Moyen Âge, datant des

    années 1980. Il s’agissait à l’origine de réfléchir aux éléments qui permirent le

    développement d’un Etat monarchique en Occident : fiscalité, droit, législation, théories

    2 Je m’appuie ici sur : Sirinelli (J-F.), Cauchy (P.), Gauvard (C.) (dir.), Les historiens français à l’œuvre, 1995-2010,

    Paris, PuF, 2010.

  • Loïc Cazaux – 5/11/2014

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    politiques sur la souveraineté. Ces aspects sont toujours étudiés actuellement, mais de

    nouveaux ont émergé. On analyse par exemple les caractéristiques du pouvoir princier par

    rapport au pouvoir royal : souvent, dans les derniers siècles du Moyen Âge, les grands

    princes ont copié des principes institutionnels propres à l’Etat royal pour organiser leur

    principauté. On s’interroge aussi sur les modalités du débat et des idées politiques dans la

    société, dans le cadre d’un programme de recherche qui va du XIIe au XVIIe siècle.

    Cette étude des pouvoirs est aussi réalisée pour le monde islamique et byzantin :

    rapports entre le politique et le religieux, modes de légitimation et formes d’exercice du

    pouvoir.

    *L’histoire socio-culturelle : un domaine d’étude très centré sur l’histoire des élites

    L’histoire des élites reste au cœur de l’histoire sociale médiévale. Le manque de sources

    ne permet malheureusement pas de bien connaître l’ensemble de la population, même si

    des recherches ont été faites sur le peuple médiéval. Cependant, celui-ci est généralement

    appréhendé dans ses relations avec le pouvoir ou avec les puissants.

    L’histoire des élites est d’abord l’histoire de la noblesse. Celle-ci est ancienne et plonge

    ses racines dans les études faites au XIXe siècle, voir avant, avec la généalogie. Elle reste

    toutefois extrêmement riche, car l’étude de la noblesse est à la croisée de l’histoire sociale,

    mais aussi culturelle, politique et économique du Moyen Âge.

    Néanmoins, les dernières décennies ont élargi le regard posé par les historiens sur les

    élites, en intégrant l’étude des élites urbaines (marchands, notaires) et ecclésiastiques

    (chanoines par exemple). Les historiens ont ici profité de l’apport de la sociologie, qui définit

    l’élite non pas seulement comme les deux ordres dominants de la société médiévale (clercs

    et nobles), mais comme ceux qui dominent un groupe social particulier. La prosopographie

    et l’outil statistique ont également été ici d’une grande aide. Enfin, dans le cadre de l’histoire

    de l’Eglise, l’étude des élites intellectuelles médiévales a bien progressé : études sur les

    universités, mais aussi sur les collèges, les écoles cathédrales, les abbayes comme centre de

    production du savoir et de l’écrit.

    *Une histoire économique renouvelée, mais en lent redémarrage

    L’histoire économique ne néglige pas l’analyse des cycles économiques et des grands axes

    de commerce (notamment en Méditerranée). Ainsi, elle s’intéresse aux rapports Orient-

    Occident, mais également aux conditions des crises économiques, surtout au début du XIVe

    siècle.

    Mais face à cela, l’histoire économique s’est renouvelée dans la dernière décennie. Il

    s’agit pour beaucoup d’une histoire faite à l’échelle locale, centrée sur l’étude des conditions

    de mise en valeur du patrimoine, du marché de la terre, des transferts d’argent et de biens

    (notamment sous forme de don). Ce renouvellement a permis de relancer la discipline, qui a

    connu une longue traversée du désert, face aux autres domaines d’étude, à la fin du XXe

    siècle.

    Dans le cadre de l’histoire rurale, l’étude de la seigneurie connaît aussi un regain d’intérêt,

    en lien avec l’histoire de la noblesse et l’histoire des fiefs.

  • Loïc Cazaux – 5/11/2014

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    *L’histoire de l’Eglise : la vigueur de l’histoire de la spiritualité et de l’histoire de l’art

    Depuis les travaux précurseurs d’André Vauchez, l’histoire de l’Eglise ne se concentre plus

    seulement sur les problématiques institutionnelles, mais s’intéresse aussi à l’histoire de la

    spiritualité, tant dans les milieux cléricaux que laïcs. Cette histoire de la spiritualité a donné

    lieu au développement des études sur la prédication religieuse et les ordres monastiques.

    Les historiens s’interrogent aussi sur la culture et le sentiment religieux.

    Parallèlement, l’histoire de l’art a renforcé ses liens avec l’histoire de l’Eglise à l’Université.

    L’étude des monuments religieux se fait en fonction de l’évolution de la spiritualité

    médiévale et de l’analyse de la place de l’Eglise dans la société, pour encadrer les

    comportements. Ainsi, la plupart des Universités ne négligent pas l’histoire de l’art religieux

    dans leur cursus de licence. L’histoire de l’art est alors conçue comme un moyen de mieux

    comprendre l’Eglise et la société médiévales.

    *Les débats historiographiques : les questions de la « mutation de l’an Mil » et de la

    naissance de l’Etat moderne

    Ces différents domaines de recherches soulèvent bien évidemment des débats

    historiographiques. Le programme sur la « genèse de l’Etat moderne » a par exemple été

    critiqué : certains historiens considèrent que l’on plaque avec ce programme le concept

    d’Etat moderne en un temps où il n’existait pas encore véritablement. Le programme aurait

    donc des tendances téléologiques. Quoiqu’il en soit, que l’on s’oppose ou que l’on adhère au

    postulat historiographique de la « genèse de l’Etat moderne », le programme pousse les

    historiens à réfléchir sur une question majeure à l’époque médiévale et moderne : celle de

    l’évolution des pouvoirs souverains et de leur rapport avec la société qu’ils dominent.

    Les débats historiographiques portent également sur la définition des grandes ruptures

    chronologiques qui organisent la période médiévale. Le texte de Dominique Barthélemy (p. 7

    du fascicule) permet d’aborder la question de la « mutation de l’an Mil ». Le texte de

    Dominique Barthélemy démontre que la désaffection du pouvoir royal après la chute de

    l’empire carolingien n’entraîna pas pour autant l’anarchie. Le cadre seigneurial, marqué par

    les liens féodaux, formait la base de l’ordre social et politique. Si ce cadre seigneurial a pu se

    prouver si opératoire aux Xe-XIe siècle, c’est parce qu’il plonge pour Dominique Barthélemy

    ses racines dans le haut Moyen Âge. Ainsi, la chevalerie n’apparaîtrait pas après l’An mil mais

    serait héritière d’évolution déjà anciennes, remontant aux siècles précédents. Pour D.

    Barthélemy, il n’y aurait donc pas de « mutation » ou de « révolution de l’an mil », avec des

    changements fondamentaux par rapport à la période carolingienne, mais le développement

    progressif d’une société aristocratique marquée par des continuités entre le IXe et le XIIe

    siècle.

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  • Loïc Cazaux – 5/11/2014

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    Guerre et populations

    dans les programmes d’histoire médiévale

    La guerre est un élément structurant de la société médiévale, tout particulièrement de

    la société aristocratique. En écho au sujet de la question d’histoire médiévale à l’agrégation

    interne (« Guerre et société, fin XIIIe-fin XVe s.), nous avons choisi d’explorer cette

    importance de la guerre au Moyen Âge en partant d’un thème transversal : « Guerre et

    populations ». Thème qui permet de s’intéresser à la place de la guerre dans la société

    nobiliaire, le discours clérical, et pour l’affirmation du pouvoir royal, mais aussi aux rapports

    qu’entretient l’ensemble du peuple médiéval avec le fait militaire. Un thème large donc, qui

    traverse les programmes d’histoire médiévale en Cinquième comme en Seconde.

    Mon objectif ici n’est pas de refaire les programmes en histoire médiévale – ce que vous

    êtes beaucoup plus apte à faire que moi – mais de vous donner des clés de lecture à partir

    d’un thème transversal, qui aborde l’ensemble des aspects des programmes de Cinquième

    et de Seconde. Le travail sur le fascicule vous donne également différents supports

    pédagogiques, pour développer la réflexion et même pour les utiliser en cours.

    J’ai subdivisé ce thème général en 3 sous-thèmes qui recoupent ceux des

    programmes et permettent d’envisager la question en fonction de ses

    problématiques sociales, politiques et religieuses :

    I. Les seigneurs, les paysans et les villes dans l’Occident médiéval (XIe-XVe s.)

    II. Guerre, populations et pouvoir : l’Eglise et l’Etat royal (XIe-XVe s.)

    III. Guerre, religion et conquêtes en Orient et en Occident.

    Pour explorer ce thème avec vous, je m’appuierai sur un fascicule que j’ai constitué en

    choisissant des documents de nature diverse, mobilisables avec les élèves. A mon sens,

    chacun de ces documents peut être utilisé par le professeur et répond aux attendus

    méthodologiques des programmes :

    -qu’il s’agisse de la classe de Cinquième, pour laquelle on attend que les élèves puissent

    se familiariser avec différents types de sources historiques, qu’ils apprennent à situer

    dans le temps et dans un contexte donné » (Programmes officiels).

    -qu’il s’agisse de la classe de Seconde, où les élèves doivent établir un travail critique sur

    les sources, qui ne néglige pas l’histoire de l’art.

    I. Les seigneurs, les paysans et les villes dans l’Occident médiéval (XIe-

    XVe siècle)

    1. L’importance de la guerre dans le mode de vie noble

    La guerre est un élément fondamental de l’identité aristocratique au milieu du Moyen

    Âge. Le noble se distingue socialement car il est un guerrier, un spécialiste du maniement

    des armes. Le combat à cheval représente l’essentiel de son activité.

  • Loïc Cazaux – 5/11/2014

    10

    Cette fonction guerrière du noble est tout à fait reconnue par l’Eglise au XIe siècle, avec le

    développement de la théorie des trois ordres. Dans la première moitié du XIe siècle, les

    évêques Gérard de Cambrai et Adalbéron de Laon formulent l’idée d’une tripartition

    fonctionnelle de la société chrétienne : trois « ordres » associés travaillent de concert pour

    assurer la Loi et la Paix : « ceux qui prient », « ceux qui combattent », « ceux qui travaillent ».

    Il faut cependant souligner que cette vision de la société en ordres, qui confère aux nobles

    une place particulière comme défenseurs, par les armes, de la communauté des chrétiens,

    n’est pas nouvelle au XIe siècle. Elle s’élabore au cours du haut Moyen Âge, sous les

    Carolingiens, lorsque des évêques (Jonas d’Orléans) et des moines (de l’abbaye St Germain

    d’Auxerre) veulent promouvoir un système de classification de la société chrétienne

    départageant les laïcs (qui doivent défendre l’Eglise par les armes), et les clercs (qui

    dominent la société et assurent la paix et la prière).

    Si l’Eglise a voulu dès le haut Moyen Âge réfléchir sur la place de l’aristocratie

    combattante dans la société chrétienne, c’est en raison du lien intime qui unit les nobles

    francs à la guerre. Ce lien entre l’aristocratie et la guerre remonte aux fondements mêmes

    des sociétés germaniques. La guerre n’est pas seulement pour le noble un moyen de

    défendre ses terres et de s’enrichir grâce au butin. C’est par la guerre qu’il assoit et légitime

    son pouvoir. Le roi franc, premier des nobles, est d’ailleurs avant tout un guerrier, et cela dès

    les premiers temps de la période mérovingienne. Une des bases idéologiques de la royauté

    mérovingienne, puis carolingienne et capétienne réside dans la fonction militaire du roi, qui

    rassemble l’armée et justifie par les armes sa domination charismatique (concept

    germanique de « roi chef d’armée » : Heerkönig).

    Les armes symbolisent la fonction guerrière, et donc l’identité aristocratique. Armes

    remises pendant le haut Moyen âge aux nobles lors de rituels marquant le passage à l’âge

    adulte. Armes déposées dans les tombes aristocratiques ou royales, comme le montre (p. 9

    fascicule) :

    Le mobilier funéraire de la tombe de Childéric Ier (v. 481-482)

    Ces armes ont été retrouvées dans la tombe de Childéric Ier :

    -Childéric Ier, roi des Francs saliens mort en 481, était le père de Clovis. Sa tombe a été

    retrouvée au XVIIe s. à Tournai, région que dominaient les Francs à la fin du Ve s.

    -sont présentées ici différents essais de reconstitution des épées de Childéric déposées

    dans sa tombe. Sous les Mérovingiens, les nobles utilisent l’épée longue à double

    tranchant (spatha) et le long couteau à un seul tranchant (scramasaxe). Ce sont les armes

    privilégiées de l’aristocratie, à côté de la lance, et de la hache de jet (francisque).

    On remarquera avec ces dépôts funéraires la forme des épées franques. Cette forme

    évoluera légèrement au cours du Moyen Âge en favorisant différents types de mouvements.

    Jusqu’au XIe-XIIe siècle, on se préoccupe surtout de trancher. Les combattants se protègent

    avec une broigne, juste-au-corps en tissu ou en cuir renforcé de mailles rigides. Mais à partir

    du milieu du Moyen Âge, l’usage de cottes de mailles (veste constituée d’un assemblage

    serré de mailles en fer) se développe, ce qui protège mieux le combattant. Les armes

  • Loïc Cazaux – 5/11/2014

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    s’adaptent : l’épée devint plus effilée et longue pour trancher mais aussi percer (les cottes

    de mailles). Le scramasaxe est progressivement abandonné au cours du haut Moyen Âge.

    Malgré ces évolutions, on remarque que la forme de base de l’épée à double tranchant

    est fixée dès l’origine, au haut Moyen Âge. Dès le Ve siècle, l’épée est avec la lance l’arme

    privilégiée pour le noble. De là, elle symbolise l’identité aristocratique : l’épée est utilisée

    comme dépôt funéraire royal. Avec la christianisation de l’aristocratie franque au cours de la

    période mérovingienne, l’usage de déposer des armes dans les tombes des nobles se perdra.

    Mais la représentation funéraire du noble comme un guerrier en armes restera parfaitement

    effective : on le voit avec les plaques funéraires et les gisants qui sont encore bien conservés

    pour le Moyen Âge central et le bas Moyen Âge, et qui montrent le corps du défunt en

    armure, avec son épée.

    Tournons maintenant complètement vers le Moyen Âge central avec ces représentations

    de chevaliers armées du XIe et du XIIIe siècle (Bayeux, Bréviaire d’Amour). Elles nous

    montrent valeur essentielle de la guerre dans le mode de vie noble et les caractéristiques de

    son armement.

    Enluminure illustrant les chevaliers et la vie de Cour, d’après le Bréviaire d’Amour

    d’Ermengol de Béziers (v. 1290)

    Cette enluminure est intéressante d’un point de vue pédagogique : d’une part, elle

    représente les fondements du mode de vie aristocratique (guerre et vie de Cour) ; d’autre

    part, elle permet de faire allusion à la littérature courtoise :

    -le bréviaire d’Amour est composé à la fin du XIIIe siècle par un clerc et juriste de

    Béziers, Ermengol de Béziers. Le texte est écrit occitan sur l’enluminure qui illustre le

    manuscrit. La littérature courtoise, genre auquel il appartient, fait l’apologie du mode de

    vie nobiliaire, partagé entre la vie de cour et la guerre, source d’exploits permettant de

    ravir l’amour des dames. Du point de vue de l’histoire de l’art, on notera l’importance de

    l’enluminure, ici en pleine-page, dans la peinture gothique et dans la littérature.

    -ce mode de vie courtois est partagé par tous les nobles combattants à cheval, les

    chevaliers. Mais il n’est pas sans lever des critiques de la part des clercs, qui dénoncent le

    goût pour le faste et le luxe. C’est pourquoi des diablotins viennent animer les scènes aux

    différents registres, et tenter les chevaliers à mal agir. Au registre inférieur (en bas à

    droite), un démon s’empare de l’âme du chevalier mourant.

    L’enluminure est intéressante car, au travers de ce regard doucement critique, elle

    montre la quintessence du mode de vie nobiliaire aux XIe-XIIe et XIIIe s. :

    -la cour (royale ou seigneuriale) est le principal lieu de sociabilité nobiliaire. La

    commensalité (le partage du repas) permet de nouer des liens de fidélité avec les

    vassaux et de montrer la richesse du seigneur, qui reçoit et doit faire preuve de

    générosité. La vie de cour se veut fastueuse : elle est l’occasion de danses et de

    musiques, avec des troubadours (4e registre).

  • Loïc Cazaux – 5/11/2014

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    -le port des armes se présente dans différents contextes. C’est d’abord en montant armé

    à cheval que le chevalier représente son appartenance à une famille noble (2e

    registre) : il est paré de ses armoiries. L’usage de l’héraldique se diffuse au XIIe s. en

    réaction à l’équipement de plus en plus complet des chevaliers, qui empêche de les

    identifier.

    -Vient ensuite (3e registre) une scène de tournoi : les tournois permettent de renforcer

    les liens entre familles nobles, entre seigneurs et vassaux, par les équipes qui sont

    constituées et ont une dimension internationale. Ils connaissent un grand succès du

    XIIe au XVIe siècle. Ils peuvent être à cheval, lance baissée, ou à pied. Le but n’est pas

    de tuer mais de prouver son courage et surtout d’emprisonner son adversaire pour en

    tirer une rançon. Mais l’Eglise réprouve ce simulacre de guerre, qu’elle considère

    comme des violences inutiles et comme une mauvaise expression de la vanité

    aristocratique : d’où de multiples interdictions en conciles, et d’où la présence des

    démons qui incitent sur l’enluminure les chevaliers à s’élancer au combat. Néanmoins,

    malgré les interdictions ecclésiastiques, les tournois prospèrent car ils sont un élément

    essentiel dans l’identité noble.

    Le chevalier et son armement du milieu à la fin du Moyen Âge

    Avec cette enluminure du Bréviaire d’Amour, nous avons vu l’importance du combat à

    cheval dans la guerre, pour les nobles. L’usage du cheval pour combattre est constant dans

    le monde aristocratique pendant tout le Moyen Âge, au point que, comme le disait Philippe

    Contamine, historien spécialiste de la guerre médiévale, l’histoire de la noblesse et de la

    guerre au Moyen Âge devrait être aussi une histoire du cheval.

    L’usage du cheval influence les tactiques de combat. Mais celles-ci évoluent entre le XIe et

    le XVe siècle. Pour le montrer, comparons deux documents iconographiques représentants

    deux batailles célèbres : la bataille d’Hastings (victoire normande en Angleterre, 1066) ; la

    bataille de Crécy (victoire anglaise contre l’armée française de Philippe VI de Valois, pendant

    la guerre de Cent ans, au nord du royaume de France, 1346) :

    -La tapisserie de Bayeux (fin XIe s.) :

    Le combat des nobles se fait essentiellement à cheval – mais pas seulement : on peut

    mettre pied à terre si nécessaire ou si l’on y était obligé par perte du destrier (registre

    inférieur) :

    -au XIe siècle, l’attaque se fait pour les nobles en charge compacte et frontale,

    lance couchée sous le bras (la lance est de plus en plus rarement utilisée comme arme de

    jet). L’usage répandu de l’étrier et de la selle rembourrée, après l’An mil, favorise la charge.

    L’épée longue à double tranchant permet le corps à corps, utilisée pour couper, mais aussi

    de plus en plus pour piquer.

    -pour se protéger, le noble tend à se couvrir de plus en plus complètement d’un

    équipement lourd qui peut dépasser 20 kg : casque avec renfort nasal (heaume), cotte de

    maille couvrant les jambes (haubert), bouclier (écu).

    -La bataille de Crécy (1346) d’après un manuscrit des Chroniques de Froissart datant du

    XVe s. :

  • Loïc Cazaux – 5/11/2014

    13

    L’armement offensif et défensif a évolué, malgré des permanences :

    -les nobles combattent toujours à cheval et utilisent volontiers la charge de cavalerie

    lance baissée, ainsi que l’épée, qui est plus longue et fine qu’auparavant.

    -Dans le même temps, le perfectionnement des épées tend à promouvoir des armures

    complètes, très articulées pour conserver une capacité de mouvement. Le haubert (bien que

    toujours utilisé) laisse la place à l’armure « de plates » (XIVe), aussi appelée harnois. Cette

    armure du bas Moyen Âge n’est pas composée d’anneaux de fer formant une cotte de maille,

    mais de lames de fer rivetées à une étoffe. Surtout, elle couvre tout le corps, y compris les

    jambes et les avant-bras. Un « plastron » en fer est ajouté pour protéger le tronc (voir

    l’enluminure), tandis qu’une jupe (pansière, braconnière) protège le bas ventre du chevalier.

    Le cou est protégé par un collet. Pour la tête, on abandonne l’usage du heaume au profit du

    bacinet à visière, qui couvre tout le visage (la visière peut être abaissée et remontée, ce qui

    n’empêche pas le chevalier d’avoir un mauvais champ de vision et de suffoquer rapidement

    sous l’équipement).

    -tout cela fait que l’armure coute très cher. Elle est un signe de richesse pour les nobles,

    et ce n’est pas pour rien que les gisants du XIVe représentent les grands nobles en harnois

    complet, épée à la main. L’armure de plate fait aussi marcher pendant la guerre de Cent ans

    toute une économie de guerre (forgerons, armuriers) qui profite aux villes les abritant.

    -Les combattants à pied (non nobles) sont aussi protégés, mais pas complètement : avec

    une salade (casque en fer) et une brigandine (tunique renforcée de fer, sorte d’évolution de

    la broigne) (voir document).

    Néanmoins, l’art traditionnel de la guerre tend à devenir moins efficace à la fin du Moyen

    Âge. A Crécy, les chevaliers français qui chargent de façon indisciplinée lance baissée sont

    décimés par les archers anglais. Ceux-ci ont une très bonne cadence de tir et surpassent les

    arbalétriers génois présents dans les rangs français. C’est une défaite cuisante pour la France.

    Par la suite, la noblesse française tâchera de s’adapter en combattant plus souvent à pied,

    en s’appuyant sur la cavalerie légère et en multipliant le nombre des arbalétriers pour

    rivaliser avec les archers anglais (le tout avec un succès très inégal).

    Enfin, la diffusion de l’usage de la poudre (surtout au XVe s.) modifiera complètement les

    tactiques et stratégies militaires des nobles sur le champ de bataille.

    Quoiqu’il en soit, la guerre reste jusqu’à la fin du Moyen Âge un principe absolument

    essentiel de l’identité noble. Cela se perçoit au travers de ces deux documents :

    -A la fin du XIe s., la tapisserie de Bayeux commémore les exploits guerriers du duc de

    Normandie Guillaume le Conquérant et sa conquête de l’Angleterre. Elle détaille les

    évènements militaires et représente les nobles en armes.

    -Au XVe s., les plus célèbres chroniques, comme celles de Jean Froissart (mort au début

    du XVe s.) attachent beaucoup d’importance aux exploits chevaleresques et aux

    épisodes guerriers, qui sont représentés grâce à de magnifiques enluminures pleine-

    page. Incontestablement, le noble, même lorsqu’il perd la bataille comme à Crécy, se

    définit et se distingue au travers de la guerre.

  • Loïc Cazaux – 5/11/2014

    14

    2. Les populations rurales et urbaines face à la guerre

    Les populations médiévales, qu’elles soient rurales ou urbaines, sont touchées et

    concernées par la guerre, qui opposent généralement, au Moyen Âge central, les nobles

    entre eux.

    Il faut d’abord comprendre que les méthodes de combat en dehors des batailles

    privilégient les dommages faits sur les terres de l’adversaire : la guerre a donc un impact sur

    les populations locales.

    Parallèlement, la guerre permet d’assurer le contrôle des communautés locales, sous la

    dépendance des seigneurs.

    Pillages et rapines vers 950 dans les Annales de Flodoard de Reims

    Cet extrait des Annales de Flodoard de Reims donne, peu avant l’an Mil, une vision des

    clercs sur les pratiques militaires nobiliaires. Flodoard était en effet chanoine auprès de

    l’évêque de Reims. La vision de Flodoard est partiale à double titre : l’évêché de Reims prend

    surtout partie contre le comte de Vermandois, Herbert de Vermandois (cité dans le texte

    comme un agresseur des seigneuries appartenant à l’évêque de Reims, §1) ; de plus, l’Eglise

    tend à désapprouver la violence armée des nobles, surtout lorsqu’elle s’exerce sur le pays,

    contre les communautés locales.

    Les Annales de Flodoard n’en restent pas moins précieuses. Elles illustrent les bases de

    l’activité militaire des nobles au Xe siècle pour défendre leur seigneurie et affaiblir leurs

    adversaires : la chevauchée et le siège :

    -la chevauchée s’appuie sur une stratégie de razzia afin d’atteindre les ressources

    agricoles de l’adversaire. Cf. §1 : « les vassaux du roi [Louis IV] ravagèrent la seigneurie de

    l’évêché de Reims, …. » : l’évêché est en effet disputé entre le roi carolingien Louis IV et le

    comte de Vermandois Herbert. Les groupes de chevaliers parcourent les terres en attaquant

    les champs et les paysans. Cependant, ne caricaturons pas : ces chevauchées sont

    circonscrites dans le temps et dans l’espace, et les dommages restent généralement très

    limités.

    -le siège permet de réduire les positions seigneuriales ennemies. Au Xe siècle, les

    châteaux n’étaient pas encore tous appareillés en pierre. Mais ils se multiplient, sous l’effet

    de la montée en puissance des nobles importants (comtes, ducs) face au roi. Les châteaux

    sont pris par la force ou par la ruse, voire la trahison. Dans ce texte, le siège débouche sur

    des négociations avec la tenue d’un plaid, c’est-à-dire d’une assemblée judiciaire permettant

    de régler par la justice le conflit militaire. On voit donc que les affrontements obéissent à des

    règles, et qu’il n’y a rien d’anarchique dans ces contentieux seigneuriaux. Ajoutons que les

    oppositions militaires se font entre seigneurs et non pas contre les communautés rurales,

    même si celles-ci peuvent être des cibles pour affaiblir l’adversaire.

    Au total, pendant tout le Moyen Âge central, les guerres seigneuriales sont marquées par

    de faibles dynamiques territoriales : on agresse les terres ennemies mais on les met

    rarement entièrement sous sa coupe, une attaque génère une contre-attaque, ponctuée de

    négociations. Il y a beaucoup de démonstrations de force, et peu de violence débridée. Mais

    cela a évidemment un impact sur les communautés villageoises, qui peuvent voir leurs liens

  • Loïc Cazaux – 5/11/2014

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    de dépendance avec un seigneur évoluer en fonction des retournements militaires. De plus,

    elles subissent différents dommages matériels.

    Des pillages pendant la guerre de Cent ans et la guerre civile : une chevauchée

    armagnaque sur les terres anglo-bourguignonnes en 1433

    Ce texte, issu de célèbres chroniques du XVe s. (celles du Bourguignon Enguerrand de

    Monstrelet) est intéressant. Il nous montre en effet qu’un demi-millénaire après Flodoard de

    Reims, les pratiques militaires des nobles en guerre ont peu évolué.

    Nous sommes pendant la guerre de Cent ans. Malgré sa durée (1337-1453), cette guerre

    franco-anglaise n’est marquée que par un nombre très réduit de grandes batailles, comme

    Crécy (1346) ou Azincourt (1415). Les armées évitent généralement la bataille, coûteuse en

    hommes, et dont la défaite a des conséquences trop lourdes. Les défaites de Crécy et

    d’Azincourt auront ainsi un très important coût politique et militaire pour les rois de France.

    C’est après Azincourt que le roi anglais Henri V réussit à reconquérir toute la Normandie,

    puis la région parisienne, sur les Français. Cela amènera l’une des crises les plus importantes

    de la monarchie française, avec la signature en 1420 du traité de Troyes qui place le roi

    Anglais à la tête d’une double monarchie comprenant le royaume d’Angleterre et le

    royaume de France.

    La guerre pratiquée dans ce texte par les capitaines français (les Armagnacs qui sont

    opposés aux Anglais alliés aux troupes du duc de Bourgogne) est une guerre de pillage et de

    razzia. On retrouve la technique de la chevauchée utilisée par les chevaliers du comte de

    Vermandois au Xe siècle. Les cibles et le mode opératoire sont clairs :

    -les grandes villes bien défendues sont évités, au profit des plus faciles à prendre. Le

    « plat-pays », c’est-à-dire la campagne, est ravagée sur le passage de la chevauchée. Les

    attaques contre les « paysans qui ne s’étaient pas protégés » (§1) sont privilégiées.

    -Cela vise autant à affaiblir l’adversaire, à désorganiser et atteindre ses ressources, qu’à

    s’enrichir : car le pillage apporte des gains aux capitaines.

    -L’attaque est brève et ciblée : les capitaines français font un aller-retour depuis leurs

    bases aux limites de la Champagne, en poussant jusqu’au Cambrésis. Ils agissent de façon

    concertée, en troupes bien garnies (1500 combattants) pour avoir le maximum de puissance

    de frappe. C’est une guerre de razzia et de harcèlement.

    Le contrôle et la protection des communautés rurales par les nobles

    A partir du Xe-XIe siècle, vous savez que l’affaiblissement du pouvoir public engendre un

    morcellement du territoire. Les nobles à la tête des grandes principautés acquièrent un haut

    degré d’autonomie face au roi. Puis les petits nobles, à la tête de châtellenies réunies autour

    d’un ou de plusieurs châteaux, réussissent à aussi à obtenir une certaine autonomie. Dans le

    cadre de cet émiettement territorial, la seigneurie et les liens féodaux viennent structurer

    les relations de pouvoir.

  • Loïc Cazaux – 5/11/2014

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    Ce type de guerre pousse en effet à renforcer les systèmes de défense : défense de la

    seigneurie, mais aussi défense des communautés paysannes placées, dans la

    seigneurie, sous la dépendance du seigneur. En défendant leurs terres contre les

    agressions militaires, les nobles développent aussi leurs moyens de contrôler les

    populations locales et de les placer certes sous leur protection, mais aussi sous leur

    dépendance. C’est pourquoi les châteaux se multiplient à partir du Xe et XIe siècle. Ils

    expriment le pouvoir des seigneurs tout autant qu’ils permettent de défendre leur

    seigneurie et ses dépendants.

    -La motte de Dinan selon la tapisserie de Bayeux (fin XIe s.)

    Cette représentation d’une motte (à Dinan, côtes d’Armor) nous montre le premier type

    de château existant autour de l’an Mil : la motte castrale. Ces châteaux sont essentiellement

    en terre et en pierre.

    Dans certains cas, la motte est doublée d’un second espace protégé par une palissade en

    bois : la basse-cour, où peuvent se réunir les paysans sous la protection du seigneur, et où se

    trouvent des bâtiments destinés à loger le seigneur, à la prière (chapelle), et à entreposer les

    outils agricoles et les récoltes. C’est ce que l’on voit avec la reconstitution faire à St-Sylvain

    d’Anjou (p. 14) : à côté de la motte castrale prend place une large basse-cour accueillant

    différentes habitations, un logement seigneurial, des ateliers.

    La motte permet de surveiller le territoire grâce à une tour (donjon, qui a alors moins une

    fonction résidentielle qu’une fonction défensive, comme tour de garde). La tour est

    surélevée grâce à une levée en terre (artificielle ou naturelle), la motte, entourée d’un fossé,

    lui-même protégé par un remblai. Une palissade en bois fait office d’enceinte rudimentaire.

    Entre le Xe et le XIIe siècle, le modèle-type du château va évoluer. On utilise de plus en

    plus la pierre, plus solide, et plus monumentale : d’abord pour l’enceinte, puis pour le

    donjon (ou « tour-maîtresse »), qui gagne en hauteur : voir l’exemple de Loches (Indre-et-

    Loire), l’un des premiers donjons en pierre (v. 1030), haut de 37 mètres. L’organisation du

    château se complexifie. Entre la fin XIIe et le XIVe s., on voit apparaître des châteaux à

    double enceintes en France et en Angleterre.

    Les communes, les seigneurs et l’essor urbain : la charte de Saint-Omer

    (14/04/1127)

    Tout comme les campagnes, les villes sont touchées et façonnées par la guerre.

    Vous savez que le milieu du Moyen Âge est marqué par un important essor urbain :

    accroissement démographique, force du pouvoir épiscopal se traduisant par les grands

    chantiers de cathédrales, organisation de l’activité économique en fonction du système des

    métiers/guildes (appelés corporations à l’époque moderne), enrichissement qui profite aux

    élites urbaines : la bourgeoisie. Celle-ci organise les gouvernements urbains des principales

    villes.

    Cet essor urbain est canalisé par les pouvoirs laïcs ou ecclésiastiques : les évêques, les

    seigneurs laïcs ou le roi accordent aux gens des villes (avant tout à ceux qui les dominent :

    métiers et bourgeoisie), associées en « communes », des statuts juridiques grâce à des

  • Loïc Cazaux – 5/11/2014

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    chartes de commune. Ces chartes leur reconnaissent une timide autonomie politique et

    judiciaire, mais aussi certains privilèges (franchises) commerciaux et fiscaux qui doivent

    favoriser l’essor économique urbain. En échange, ils doivent rester fidèles au seigneur, qui

    assure la paix.

    Voir dans le fascicule p. 15 l’extrait de la charte de Saint-Omer, concédée au

    gouvernement urbain (les échevins) par le comte Guillaume de Flandre en 1127. St-Omer

    est une ville drapante en pleine croissance économique au XIIe s.

    La mise en défense des villes et sa traduction dans l’identité urbaine (XIIIe-XVe s.)

    Cet essor urbain, qui peut s’accompagner en plus pour les villes importantes de privilèges

    et d’une relative autonomie, fait des villes médiévales des centres de pouvoir avec lesquels

    les puissants, laïcs ou clercs, doivent s’entendre, ou qu’ils doivent dans tous les cas protéger

    et soutenir.

    Au début du XIIIe siècle, le roi de France Philippe II Auguste décide de construire une

    nouvelle enceinte pour protéger Paris. Il redoute notamment des attaques depuis la

    Normandie, qu’il a reprise récemment aux Anglais (Jean sans Terre). Ainsi, il fait construire

    l’enceinte et le Louvre pour protéger Paris :

    -Plan de l’enceinte de Philippe II Auguste à Paris au XIIIe s. :

    L’enceinte urbaine a une fonction militaire et politique :

    -fonction militaire car elle protège une ville en expansion, qui est devenue sous

    Philippe Auguste la capitale administrative du royaume (voir le palais royal sur l’Ile-

    de-la-Cité).

    -fonction politique car elle exprime la domination royale sur la ville, mais aussi la

    volonté du roi de protéger sa capitale et de l’embellir.

    Les enceintes urbaines se multiplient à partir du XIIe siècle dans tout l’Occident. Elles

    permettent de protéger les villes contre les agressions militaires, mais aussi

    d’exprimer la puissance politique de la ville. En cela, la guerre a bien une dimension

    politique pour les communautés urbaines :

    -Sceau de la commune de Valenciennes (XIVe s.) / Ville de Montbrison d’après l’Armorial

    de Guillaume Revel (mi-XVe s.) :

    Ce sceau et cette miniature (XIVe-XVe s.) montre que l’identité urbaine se fonde au Moyen

    Âge sur une symbolique militaire. Certes, Valenciennes était un château avant de devenir

    une commune au XIIe s., mais il n’empêche que la ville a conservé les symboles militaires

    que sont les tours et l’enceinte pour montrer la puissance urbaine et exprimer son statut

    juridique (le sceau sert à authentifier les actes promulgués par la commune).

    Au XVe s., l’armorial de Guillaume Revel représente Montbrison (Forez) étroitement blottie

    derrière son enceinte et protégée par son château dépendant du duc de Bourbon.

    Ces éléments militaires sont tout aussi importants que les églises pour caractériser et

    distinguer la ville sur l’enluminure.

  • Loïc Cazaux – 5/11/2014

    18

    II. Guerre, populations et pouvoirs : l’Eglise et l’Etat royal (XIe-XVe s.)

    L’importance de la guerre dans le mode de vie noble et l’impact qu’elle a sur les

    communautés rurales et urbaines pousse l’Eglise chrétienne à développer un discours

    particulier sur le fait militaire.

    La guerre n’est jamais complètement rejetée par l’Eglise. Nous verrons plus loin, avec la

    croisade, que la guerre peut être considérée comme « juste » lorsqu’il s’agit de défendre la

    communauté chrétienne contre des agresseurs extérieurs. Par ailleurs, les nobles peuvent

    porter les armes : il s’agit même de leur fonction première dans la société selon le modèle

    tripartite élaborée par les clercs au XIe siècle. Mais ils ne doivent pas utiliser ses armes

    n’importe comment. La guerre doit permettre de rétablir la paix et de conserver l’ordre :

    ordre religieux, ordre social et ordre politique. Tout cela pousse l’Eglise à promouvoir au

    milieu du Moyen Âge, face aux conflits qui opposent les seigneurs et les rois entre eux, une

    logique de régulation de la violence armée. Il ne s’agit pas d’interdire les guerres, mais de

    réduire leurs effets sur les communautés locales, et sur les clercs ainsi que sur leurs

    possessions (1).

    Ces principes sont partagés par le roi lui-même. Roi guerrier, le roi est aussi un roi de paix

    qui doit faire régner la justice et l’ordre : il prône donc avec ses ordonnances des principes

    de limitation de la violence (2).

    1. La place de l’Eglise face à la guerre

    La paix et la trêve de Dieu selon le moine bourguignon Raoul Glaber (XIe s.)

    Ce texte sera étudié plus en détail lorsqu’on travaillera sur la méthodologie du

    commentaire de documents.

    Il illustre les mouvements de la « paix » et de la « trêve » de Dieu, qui se développèrent

    dans le royaume de France à partir de la fin du Xe siècle. Ils constituent une réponse de

    l’Eglise aux divisions politiques qui touchent le royaume et sont marqués par une

    multiplication des seigneuries, mais aussi des conflits militaires latents. Il faut comprendre

    que la guerre, si elle est fréquente autour de l’An mil, n’est pas véritablement plus présente

    qu’auparavant : les seigneurs du milieu du Moyen Âge ne sont pas fondamentalement plus

    « guerriers » que les nobles mérovingiens ou carolingiens. En revanche, l’évolution politique,

    avec le morcellement territorial qui touche le royaume de France et l’affaiblissement du

    pouvoir royal, favorise la montée en puissance des abbés et évêques qui, à l’échelle locale,

    s’attachent à renforcer leur emprise sur la société chrétienne. On observe d’ailleurs que les

    ligues diocésaines et les conciles qui s’organisent aux Xe et XIe siècles pour promouvoir la

    paix demandée par l’Eglise (ou paix de Dieu) à apparaissent surtout dans des régions peu

    marquées par les incursions normandes (Auvergne, Bourgogne) et dominée par

    d’importantes seigneuries ecclésiastiques. Par ailleurs, la Paix de Dieu ne se fait pas

    complètement à rebours du pouvoir des nobles locaux, qui souvent la cautionnent et

    protègent les assemblées chargées de la déclarer.

  • Loïc Cazaux – 5/11/2014

    19

    Que demandent ces assemblées diocésaines réunies autour de plusieurs évêques, et

    soutenues par des comtes et ducs locaux ? Elles n’interdisent pas la guerre, mais cherchent à

    l’encadrer en déterminant des normes et en promouvant la paix. Ces normes sont inspirées

    du dogme et de la morale chrétienne et visent à réprimer l’usage inconsidéré de la force

    armée. Les individus qui ne peuvent pas porter les armes (clercs, paysans, femmes, enfants)

    sont protégés par des immunités. L’Eglise demande de ne pas attaquer les biens et les outils

    agricoles, et surtout de protéger les sanctuaires chrétiens. Il faut aussi s’abstenir de toute

    opération militaire pendant certains jours de la semaine (Trêve de Dieu).

    Avec cela, l’Eglise s’impose aux Xe-XIe siècles comme un acteur essentiel dans

    l’encadrement des mœurs et le contrôle des comportements. La Paix de Dieu et le discours

    sur la guerre permettent à l’Eglise (notamment les évêques) de renforcer leur emprise sur la

    société laïque et de promouvoir un idéal de société chrétienne. Le mouvement de la Paix de

    Dieu permet aussi à l’Eglise d’être un acteur important au sein de la société féodale, en

    renforçant ses liens et son ascendant sur les grands nobles, qui participent aux conciles.

    C’est dans le même temps que se diffuse l’idée d’une tripartition de la société en trois

    ordre : les clercs dominent, suivis des nobles qui doivent combattre, mais en fonction de

    principes chrétiens.

    L’église, « citadelle de la foi » : la cathédrale Sainte-Cécile d’Albi (Tarn, XIIIe-XIVe s.)

    La place des clercs dans la société médiévale se renforce aussi au Moyen Âge par la

    réforme de l’Eglise et l’accroissement de l’autorité du pape. Il s’agit en particulier de lutter

    contre l’indiscipline cléricale et contre l’hérésie. En ce sens, l’Eglise chrétienne va reprendre

    à son compte l’image de la guerre – les armes étant spirituelles – contre ceux qui portent

    atteinte à l’orthodoxie chrétienne.

    Cette image de l’Eglise militante est transposée au sud du royaume dans l’architecture

    même des églises, qui sont pensées comme des « citadelles de la foi ». Cela est très visible

    pour la cathédrale Sainte-Cécile d’Albi (Tarn, chantier débuté à la fin du XIIIe s.) :

    -l’église témoigne déjà des particularités du gothique méridional : église à nef unique,

    héritière des églises-halles romanes (centre-ouest et sud-ouest du royaume). Il s’agit en

    effet de favoriser la prédication, car l’Albigeois est marqué par la permanence de

    l’hérésie cathare, qui a provoqué au début du XIIIe siècle la croisade des Albigeois (1209-

    1229). La construction d’une nouvelle cathédrale à Albi au XIIIe s. s’inscrit de ce fait dans

    un contexte de reconquête du comté de Toulouse par l’Eglise catholique romaine contre

    les Cathares. Reconquête par les armes (croisade) et par l’Inquisition, qui s’y développe

    à partir de 1233. La cathédrale doit donc marquer la force, y compris militaire, de l’Eglise

    catholique romaine dans l’Albigeois.

    -ces objectifs particuliers expliquent l’architecture de Ste-Cécile : cathédrale fortifiée,

    très sévère, dotée de systèmes de défense inspirés des châteaux : clocher tour de 76 m

    imitant le donjon, une seule porte gardée par un mâchicoulis, contreforts en forme de

    tourelles, murs épais de plus de 2 m.

  • Loïc Cazaux – 5/11/2014

    20

    L’Eglise et la légitimation de la guerre royale : Saint-Denis et l’oriflamme royal

    En somme, le thème qui nous intéresse, « Guerre et population », est aussi un thème

    d’histoire religieuse et spirituelle. Cette volonté de l’Eglise d’investir le discours sur la guerre

    légitime et licite n’est pas nouvelle au milieu du Moyen Âge (voir saint Augustin et ses

    réflexions sur la guerre juste, au Ve s.). Mais le contexte particulier des XIe-XIIIe siècle le

    favorise sans aucun doute. Aussi n’est-il pas étonnant de voir l’Eglise prendre part à la

    justification de la guerre royale.

    L’Eglise et la religion chrétienne sont depuis les Mérovingiens un élément prépondérant

    dans la légitimation du pouvoir royal. Cela se vérifie évidemment sous les Capétiens (voir le

    sacre royal). La guerre du roi ne peut donc être qu’une guerre approuvée et soutenue par les

    clercs. Rappelons que le roi, au Moyen Âge, se veut profondément chrétien et qu’il jure à

    son avènement, lors du serment du sacre, de défendre les principes chrétiens et de

    conserver paix, justice et ordre dans le royaume. La guerre doit en théorie servir ces

    objectifs religieux et moraux.

    Le légendaire de la royauté selon le prologue de la Cité de Dieu de saint Augustin,

    traduction de Raoul de Presles, manuscrit de la fin du XVe s.

    La réactualisation du légendaire royal au XIXe siècle : peinture de 1841 par Pierre

    Révoil

    L’abbaye de Saint-Denis joue pendant tout le Moyen Âge, mais surtout à partir du XIIe

    siècle, un rôle de premier plan dans la justification et l’apologie du pouvoir royal. Les abbés

    de Saint-Denis veillent sur les regalia (insignes du pouvoir royal) utilisés pour sacrer les rois

    capétiens à Reims. Et Saint-Denis s’imposera définitivement, à partir du règne de saint Louis,

    comme nécropole royale.

    C’est l’abbé Suger, grand artisan de la promotion du pouvoir royal capétien, qui

    développa au XIIe siècle l’usage de l’étendard de Saint-Denis. Celui-ci, ensuite appelé

    oriflamme de Saint-Denis, aurait appartenu selon le légendaire à Charlemagne (ce qui

    permettait de relier les Capétiens aux Carolingiens).

    Ainsi, à partir du XIIe siècle et jusqu’à la fin du Moyen Âge l’oriflamme de Saint-Denis est

    levé, à l’abbaye, par les rois de France, pour les campagnes militaire (par exemple par

    Philippe Auguste lors de la IIIe croisade voir p. 21 du fascicule). L’étendard original est

    rapidement perdu, ce qui n’empêche pas d’en refaire un à l’occasion (il évolue comme un

    étendard dédié à saint Michel à la toute fin du Moyen Âge). On associe dès lors la défense du

    royaume de France à la protection de ce même royaume par Dieu. Ce principe est un

    principe essentiel dans la légitimation du pouvoir royal médiéval. De fait, il est utilisé dans

    une commande artistique de Louis-Philippe au XIXe siècle pour la salle des croisades à

    Versailles : il s’agit surtout d’inspirer une certaine nostalgie de l’ancien temps visant à rallier

    la noblesse ultra au régime (Louis Philippe ne veut pas renouer avec le système de la

    monarchie absolue).

  • Loïc Cazaux – 5/11/2014

    21

    L’enluminure sur la Cité de Dieu de saint-Augustin reprend les différents éléments du

    légendaire de la royauté française à la fin du Moyen Âge : légendaire qui fait du royaume et

    du roi de France des élus de Dieu. Comme l’indique la légende, on notera :

    -le don des fleurs de lys – emblème marial – qui remonterait à Clovis (l’insigne fleur de

    lysée se fixe en fait sous Louis IX au XIIIe s.)

    -le baptême de Clovis à Reims et le miracle de la Saint Ampoule.

    -le pouvoir thaumaturgique des rois de France.

    -et l’oriflamme de Saint-Denis portée pour le départ en guerre de l’armée royale.

    On remarquera l’importance de la scène militaire dans l’enluminure : elle occupe la

    moitié de la page. Le roi de France, Rex christianissimus, est bien un roi de guerre tout

    autant qu’un roi de paix.

    2. Le pouvoir royal et la régulation de la violence armée

    La régulation royale de la violence et la promotion de la paix du XIIe au XVe siècle

    Les principes de régulation de la violence portés par l’Eglise aux Xe-XIIe siècle sont repris

    par la royauté capétienne, qui les utilise pour affermir son contrôle sur les grands féodaux.

    -Décret de paix générale de Louis VII (10/06/1155).

    Le décret de paix général de Louis VII en 1155 montre que la royauté s’appuie sur la

    promotion des idéaux d’ordre, de justice et de paix pour renforcer ses liens avec les grands

    princes : duc de Bourgogne, comte de Flandre. Le texte est promulgué lors du concile de

    Soissons, ce qui montre les liens forts entretenus par la royauté capétienne avec l’Eglise

    (archevêques de Reims et de Sens). Le texte réitère d’ailleurs des proscriptions issues de la

    Paix et de la Trêve de Dieu.

    Ce décret est célèbre car il constitue l’une des toutes premières lois du roi à avoir une

    portée générale, étendue à tout le royaume. Il s’agit de l’une des toutes premières

    ordonnances royales des Capétiens.

    -Extraits de la grande ordonnance de Charles VII sur la violence armée (2/11/1439).

    Cette ordonnance très importante promulguée par Charles VII pendant la guerre de Cent

    ans montre que les préoccupations de Louis VII en 1155 sont toujours d’actualité au

    XVe siècle. La guerre se déroule essentiellement en France, où elle occasionne pas mal de

    destructions et de pillages (même si, encore une fois, il n’y a pas de chaos généralisé …).

    Face à cela, le roi de France multiplie dès le XIVe siècle les ordonnances destinées à

    réprimer l’indiscipline des soldats de l’armée royale et à limiter les pillages (voir ce que j’ai

    dit plus haut sur la chevauchée de 1433).

    L’ordonnance de 1439 est importante :

    -elle reprend des normes édictées dans les siècles précédents pour limiter la violence

    armée dans le royaume (voir la p. 23).

  • Loïc Cazaux – 5/11/2014

    22

    -mais surtout, elle est l’une des premières ordonnances royales à évoquer l’idée d’un

    monopole royal de la force armée. C’est le roi qui décide des conditions licites d’usage de la

    force, et les nobles ne peuvent pas prendre les armes sans avoir l’autorisation du roi.

    -en cela, l’ordonnance de 1439 illustre le développement de l’Etat royal à la fin du Moyen

    Âge.

    Le roi chef de guerre (XIIIe-XVe s.)

    Si le roi est roi de paix, il est aussi « roi de guerre », pour reprendre l’expression

    consacrée par le livre de Joël Cornette sur Louis XIV. Il se doit en effet de défendre le

    royaume et protéger sa population. La guerre royale répond donc à des normes validées par

    l’Eglise, et les campagnes royales sont justifiées en fonction de ces principes moraux,

    religieux, et politiques.

    Le roi est aussi le premier des nobles. A ce titre, il partage avec l’aristocratie une série de

    références militaires, qui fondent son identité sociale. Le roi est un chevalier. Il reçoit lors du

    sacre les attributs du pouvoir royal (sceptre, couronne), mais aussi les attributs de la

    chevalerie : épée, éperons d’or. A la fin du Moyen Âge, le roi (de France mais aussi

    d’Angleterre) valorise considérablement la culture chevaleresque. Il procède à des

    adoubements avant une campagne ou un siège ; il fonde des ordres de chevalerie par

    lesquels il développe son contrôle de la noblesse du royaume (ordre de l’Etoile, de la

    Jarretière, de saint-Michel).

    Deux miniatures reproduites dans le fascicule montrent cette importance du roi de guerre

    dans la représentation du pouvoir royal.

    -La reddition de Rouen à Philippe Auguste en 1204 (enluminure de la fin du XIVe s.)

    Les oppositions féodales entre le roi d’Angleterre et duc de Normandie Jean sans Terre et

    le roi de France Philippe II Auguste permettent à ce dernier de déclencher une grande

    campagne militaire se soldant en 1204 par la prise de la Normandie. Le duché de Normandie

    est alors intégré au domaine royal.

    Cet épisode célèbre est remémoré dans cette miniature de la fin du XIVe s., en pleine

    guerre de Cent ans entre la France et l’Angleterre : la Normandie est alors convoitée par les

    Anglais, qui la reconquerront d’ailleurs entre 1415 et 1449. On voit Philippe Auguste, vêtu

    d’une armure de type XIVe s. (mais avec un haubert), distingué par la couronne ouverte aux

    fleurs de lys qu’il lors du sacre, se faire remettre les clés de la ville de Rouen, capitale

    administrative du duché.

    Le roi est présenté comme un roi combattant et victorieux. Mais surtout, il est montré

    comme celui qui rétabli l’ordre militaire et politique dans le royaume. Les vaincus lui font

    soumission : la guerre permet bien d’exalter la puissance royale, que ce soit sous les

    Capétiens ou sous les Valois.

  • Loïc Cazaux – 5/11/2014

    23

    -L’entrée victorieuse de Charles VII à Rouen en 1449 à la fin de la guerre de Cent ans

    (miniature du XVe s.)

    A la fin du Moyen Âge, la reddition des villes lors de campagnes royales entraîne le

    développement d’un rituel politique et militaire : l’entrée royale. On en voit une illustration

    avec l’entrée de Charles VII à Rouen, alors que la Normandie a été reprise par les Français

    après 3 décennies de conquête anglaise :

    -l’entrée exprime la hiérarchie politique du royaume. Le roi apparaît en combattant, paré

    de ses attributs de souverain, de chevalier, de combattant : destrier à robe de fleurs de lys,

    couronne (sur un chapeau : pas de heaume ni de bacinet afin de pouvoir porter la couronne

    fleur de lysée), armure à plate complète avec plastron sur le torse. Derrière Charles VII se

    pressent tous les capitaines de son armée. On sait aussi que le chancelier, symbolisant son

    pouvoir législatif, était présent dans le cortège (mais il n’est pas représenté ici).

    -le roi de France reçoit les clés des bourgeois rouennais, qui montrent ainsi leur

    soumission au roi. A côté d’eux apparaissent les clercs (évêque de Rouen, chanoines), qui

    célèbrent le rétablissement de la paix qu’a permis la reconquête royal.

    -souvent, les redditions et les entrées royales sont accompagnées à la fin de la guerre de

    Cent ans d’amnisties collectives par lesquelles le roi de France exalte son pouvoir en

    montrant que, par sa guerre, il ne détruit pas mais rétablit paix dans le royaume.

    La création d’une armée royale moderne à la fin de la guerre de Cent ans

    -L’institution des grandes compagnies d’ordonnance par Charles VII en 1445 :

    La guerre est un vecteur de déstabilisation dans le royaume, mais aussi d’affirmation du

    pouvoir royal. On le voit au travers de ces miniatures, lorsque la royauté exploite ses succès

    militaires et veut ainsi apparaître comme plus légitime vis-à-vis des populations du royaume

    (même lorsqu’il s’agit de population soumises et vaincues). Pour le roi, la guerre permet le

    de rallier et de mieux contrôler les communautés du royaume.

    C’est pendant la guerre de Cent ans, en vertu des aux efforts que cette longue guerre a dû

    demander à la monarchie pour mieux organiser son armée, que naît l’armée permanente et

    moderne. L’ordonnance de Charles VII promulguée en 1445 créée les compagnies de

    grandes ordonnances, qui doivent résider dans les villes fortifiées et sont entretenues en

    permanence pour défendre le royaume. Dès lors, l’armée n’est plus convoquée en fonction

    des besoins militaires du roi, mais elle est continuellement mobilisée. Elle est fondée sur un

    corps d’hommes de guerre professionnels, volontaires et soldés par la monarchie. Les

    capitaines sont tous des nobles choisis par le roi.

  • Loïc Cazaux – 5/11/2014

    24

    III. Guerre, religion et conquêtes en Orient et en Occident

    PLACER ICI le 3) de la partie suivante : il y a une erreur de pagination, car cette sous-partie

    sur les croisades a plus sa place dans le III

    3. Les croisades et l’expansion latine en Méditerranée

    Les croisades, qui sont des pèlerinages armés dirigés contre l’infidèle, sont l’une des

    expressions de la « réforme de l’Eglise » promue par Grégoire VII. Il s’agit de renforcer la

    place centrale de l’Eglise et de sa hiérarchie (pape, mais aussi évêques et abbés) dans la

    société chrétienne. La guerre juste encouragée par l’Eglise depuis la fin de l’Antiquité est une

    guerre essentiellement défensive, qui vise à protéger la communauté chrétienne. Mais elle

    peut être aussi offensive lorsqu’elle vise à restaurer l’intégrité des territoires chrétiens en

    Orient, autour de Jérusalem. C’est donc une guerre contre les infidèles, qui peut s’effectuer

    contre les Musulmans depuis qu’ils ont conquis la Terre Sainte au VIIe siècle (prise de

    Jérusalem en 638). Or, à la fin du XIe siècle, les musulmans sont divisés au Proche-Orient, et

    les conquêtes arabes sont fragilisées par la progression des Turcs seldjoukides. Celle-ci

    pousse l’Empire byzantin à faire appel aux chrétiens latins.

    Les croisades sont aussi une expression de l’expansion latine en Méditerranée, qui se

    renforce à partir du XIe siècle, grâce à l’activité commerciale des cités italiennes.

    La Première croisade (1095-1099)

    -La Première croisade (fin XIe s.) vue d’après des miniatures du XIIIe siècle :

    La Première croisade est déclenchée à la suite de la prédication au concile de Clermont en

    1095 du pape Urbain II, successeur de Grégoire VII. Urbain II promeut l’idée d’une chrétienté

    unie derrière le pape pour défendre la Palestine, prise illégitimement par les musulmans en

    638.

    L’enluminure illustre les principaux épisodes de la première croisade (1095-1099), qui se

    termine par la reprise de Jérusalem en 1099. Insérée dans la Chanson d’Antioche au XIIIe

    siècle, elle donne une vision tronquée de la croisade, qui sélectionne les évènements (en

    ajoutent certains, imaginaires 3). Laissant de côté le rôle des roturiers, notamment comme

    combattants (piétons, arches), elle se concentre surtout sur l’aristocratie latine (les Francs)

    et musulmane (les Turcs, lors du siège d’Antioche contre les Seldjoukides, en 1097-1098).

    Elle est cependant intéressante, car elle permet de montrer que l’idéal de la croisade et les

    succès de la croisade restaient tout à fait important dans la production littéraire de la suite

    du Moyen Âge (la littérature épique ici, car la Chanson d’Antioche est une épopée).

    3 Des exemples de réinterprétations faites par la Chanson d’Antioche de l’histoire de la Première croisade :

    -dans le registre supérieur, en haut à gauche : une miniature représente le frère du roi de France Philippe Ier, qui propose ses services à Urbain II et au prédicateur Pierre L’Ermite, lors du concile de Clermont. Philippe Ier avait été excommunié à cause d’un mariage illégal. -dans le registre intermédiaire, à droite : le duc lorrain Godefroi de Bouillon mène les troupes lors de la sortie d’Antioche contre les Turcs. Or ce fut surtout Bohémond de Tarente (un normand d’Italie) qui joua un rôle décisif dans cette sortie.

  • Loïc Cazaux – 5/11/2014

    25

    Dans toute la seconde partie du Moyen Âge et jusqu’au XVe siècle, la croisade

    participe bien du mode de vie nobiliaire et de la culture courtoise : une culture

    essentiellement tournée vers la guerre et les beaux faits militaires accomplis par les

    chevaliers :

    -l’enluminure édulcore toute mention trop crue de violence pour chacun des belligérants.

    Or les croisés comme les Turcs ont accomplis des massacres : les croisés lors de la prise e

    Marra et de Jérusalem, les Turcs lors de leur conquête du Proche-Orient.

    -les combats qui sont représentés sur la miniature font l’apologie du combat

    chevaleresque classique, lance couchée : combat adopté après par les croisés, mais pas par

    les musulmans. Or ici, les Turcs sont montrés en chevaliers identiques aux croisés.

    La première croisade serait un vaste combat de chevaliers partageant une même culture

    militaire. Cela se fait tout à l’honneur des croisés, qui réussissent à vaincre des adversaires à

    leur mesure. Cette déformation démontre d’ailleurs la perception ambigüe qu’avaient les

    croisés des musulmans au Moyen Âge : ils les combattent et les dénoncent, mais les

    respectent également, et n’hésitent d’ailleurs pas à négocier avec eux (voir le document

    placé un peu plus loin, p. 30, sur la chevalerie franque vue par un musulman).

    -cependant, la réalité des combats était bien différente. Les Turcs privilégiaient non pas la

    charge de cavalerie lourde, mais les rapides coups de mains, le harcèlement et les guets-

    apens, grâce à une cavalerie légère très agile et mobile. Plutôt que des lances baissées, ils

    utilisaient des javelots et des arcs.

    1. Les débuts de l’Islam et l’expansion musulmane en Méditerranée

    La guerre est également l’un des fondements du monde musulman, en ce qu’elle a

    garanti l’expansion de l’islam dès les premiers temps du prophète, au début du VIIe siècle. Le

    programme de Cinquième invite à présenter aux élèves les débuts de l’islam et un épisode

    de l’expansion musulmane. J’ai choisi d’évoquer la bataille de Badr (624) et le concept de

    Jihad, tel qu’il apparaît dans le Coran et les Hadîths, puis quelques siècles plus tard au XIe

    siècle parmi les Almoravides (avant d’être repris encore au XIIe siècle en Palestine contre les

    croisés). Avec la conversion à la suite des invasions armées, le Jihâd joua un rôle essentiel

    dans les grandes conquêtes musulmanes du VIIe siècle.

    La bataille de Badr en 624, d’après la Sîra du Prophète.

    La Sîra est une biographie du prophète. La plus ancienne conservée a été rédigée par

    Ibn Ishaq (cité dans le texte p. 27, mort v. 768), et remaniée par Ibn Hichâm (m. v. 830). C’est

    un extrait de cette Sîra qui évoque ici la bataille de Badr en 624.

    La bataille de Badr est importante car il s’agit de la première victoire remportée, dès

    l’an II de l’hégire, par les musulmans commandés par Mahomet. Badr se situe au sud-ouest

    de Médine, sur la route des caravanes reliant la Mecque à la Syrie. C’est donc grâce à la

  • Loïc Cazaux – 5/11/2014

    26

    victoire de Badr que Mahomet s’impose non seulement comme prophète mais aussi comme

    homme de guerre. La bataille est provoquée par son souhait d’intercepter un convoi ennemi

    protégé par les Mecquois. Elle est un grand succès pour les troupes de Mahomet car ils

    étaient inférieurs en nombre, et la victoire leur permit d’accumuler un butin important.

    D’après le Coran, la victoire fut considérée comme un signe de l’assistance divine, qui

    aurait appuyé les troupes musulmanes par l’envoi d’anges. La victoire de Badr fut donc

    considérée comme un moyen de justifier et de légitimer la foi musulmane nouvelle contre

    les infidèles :

    -la Sîra d’Ibn Ishaq reflète cette idée, selon laquelle la bataille est le signe d’un jugement

    de Dieu : Mahomet prie Dieu « pour qu’il lui accorde la victoire promise » (l.4-5). Une

    révélation fait apparaître au prophète l’ange Gabriel, qui intervient sur le champ de bataille

    (l. 9-10). Par ailleurs, la victoire est conçue comme un moyen d’accéder au paradis pour les

    combattants musulmans. Prendre les armes pour Dieu est donc un signe de foi.

    -on peut faire un parallèle direct entre cette interprétation divine de la victoire à Badr et

    la conception religieuse de la bataille dans la chrétienté médiévale. Les chrétiens médiévaux

    (clercs et laïcs) considéraient que la victoire relevait d’un jugement de Dieu, d’une ordalie.

    Dieu choisissait et distinguait le vainqueur sur le champ de bataille. Ainsi, comme l’a montré

    G. Duby dans un livre célèbre, le Dimanche de Bouvines, la bataille de Bouvines est

    interprétée comme une ordalie, un signe de Dieu envers le royaume de France, victorieux

    (27/07/1214 : elle fait suite à la prise de la Normandie par Philippe Auguste. Celui-ci doit

    alors affronter à Bouvines, dans les Flandres, une coalition formée autour de l’empereur

    Otton IV).

    Le Jihâd dans le Coran et les Hadîths, et son rappel au milieu du Moyen Âge.

    Les Hadîths sont les paroles attribuées au prophète. Elles se distinguent du Coran car elles

    ne sont pas considérées – sauf exceptions – comme une parole divine transmise au