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Loïc Cazaux – 5/11/2014
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Académie de la Guadeloupe
Loïc Cazaux – Formation du mercredi 5/11/2014
Conférence sur l’histoire médiévale dans les programmes du Secondaire (5e, 2nde)
Guerre et population
Le texte suivant s’entend en corrélation avec le fascicule qui lui est joint.
Introduction à la journée de formation
L’histoire médiévale intervient à deux moments importants de la scolarité de l’élève en
histoire, au collège et au lycée :
-en classe de Cinquième, elle ouvre les apprentissages en histoire pour un nouveau cycle
d’enseignement, le cycle « des approfondissements »1. Ce cycle correspond aux trois
dernières années du collège, dont la classe de Cinquième constitue la première année. Les
élèves se sont déjà familiarisés en Sixième avec la période médiévale en étudiant les empires
chrétiens du haut Moyen Âge, en écho avec l’essor du christianisme et le concept impérial
romain qu’ils voient la même année.
Mais c’est en Cinquième que les élèves approfondissent véritablement leur connaissance
du Moyen Âge. Celui-ci est appréhendé sous des angles multiples qui donnent à l’élève une
vision complète des transformations marquant la période médiévale de l’an Mil au XVe siècle.
Cette vision correspond aux objectifs d’apprentissage et aux attendus méthodologiques des
programmes : découverte d’une grande civilisation, l’Europe occidentale latine ;
familiarisation avec des sources historiques diverses. Le programme aborde donc : l’histoire
sociale et économique (« Paysans et seigneurs », « Expansion de l’Occident) ; l’histoire
politique (« Féodalité et premiers Etats ») ; l’histoire religieuse et culturelle (« La place de
l’Eglise »). A titre comparatif, la civilisation islamique n’est pas oubliée (« Les débuts de
l’Islam »).
-en classe de Seconde générale et technologique, l’histoire médiévale prend toute sa
part au fil conducteur du programme, qui vise à pousser les élèves à réfléchir sur « la place
des Européens dans l’Histoire du monde ». Classe charnière entre le collège et le lycée, la
Seconde vise à prolonger les acquis du collège et à initier les démarches propres au lycée.
Il n’est donc pas étonnant de constater que les élèves reprennent en Seconde, sous un angle
plus problématisé et en fonction d’exigences méthodologiques distinctes, des thématiques
esquissées en Cinquième. Celles-ci sont rassemblées autour du thème 3 « Sociétés et
cultures de l’Europe médiévale du XIe au XIIIe siècle ».
En Cinquième comme en Seconde, les programmes d’histoire choisissent donc de centrer
leur perspective sur les grandes dynamiques qui traversent la civilisation chrétienne
médiévale à partir de l’an Mil. Aucun aspect de ces transformations n’est éludé : les élèves 1 Au titre du code de l’éducation, articles L 311-1 à 3 (10/07/2013).
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réfléchissent autant sur l’organisation de la société médiévale, que sur les rapports de
pouvoir, les relations économiques, les cadres institutionnels et spirituels. Au travers de
sources diverses, l’approche se veut autant chronologique que spatiale.
En cela, on peut dire que les programmes d’histoire médiévale restent héritiers des
évolutions de l’historiographie depuis l’Ecole des Annales. La réflexion se veut structurelle,
elle ne néglige aucun type de source, elle vise à comprendre les différents aspects de la vie
des hommes au Moyen Âge, et pas seulement à centrer le regard sur les institutions. Tous
les domaines de l’histoire médiévale sont envisagés.
C’est en vertu de ce cadre pédagogique que l’on m’a demandé de réaliser une conférence
sur l’histoire médiévale, et plus précisément sur la place de la guerre dans la société
médiévale (// programme de l’agrégation interne : « Guerre et société, fin XIIIe-fin XVe s. »).
En fonction des sujets abordés par les programmes – qui sont très divers, comme nous
avons pu le voir –, je vous propose d’effectuer d’abord une présentation de l’historiographie
actuelle en histoire médiévale.
Après cette présentation historiographique, et en nous appuyant sur les documents que
j’ai réunis dans le fascicule, j’examinerai le thème « Guerre et populations » au travers des
programmes du secondaire. J’ai choisi pour cela de cumuler les perspectives propres aux
programmes de Cinquième et de Seconde, car les thématiques restent proches, même si les
objectifs d’apprentissage et les attendus méthodologiques diffèrent. L’ensemble des
documents présentés dans le fascicule sont, à mon sens, mobilisables en classe de
Cinquième ou de Seconde. J’ai tenté de varier les types de documents pour donner un
panorama large, dans lequel les collègues peuvent puiser s’ils le veulent.
Dans la deuxième partie de cette journée, nous nous concentrerons sur deux de ces
documents (voir la fin de fascicule), pour réfléchir sur la méthodologie du commentaire de
documents historiques en fonction des thèmes des programmes.
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Bilan historiographique :
L’état de la recherche en histoire médiévale
Comme toutes les périodes historiques, le Moyen Âge traîne derrière lui certains
stéréotypes (voir le texte de Jérôme Baschet, p. 5 fascicule). Dans la conscience collective,
l’époque médiévale se trouve un peu écartelée entre des rejets anciens qui la taxent de
période « obscurantiste », et des envolées tirées du romantisme qui y voient un
conservatoire du merveilleux et de l’épique. Certains de ces stéréotypes fonctionnent
toujours actuellement, et on peut suivre J. Baschet lorsqu’il considère qu’il faut échapper à
la caricature ou à l’idéalisation quand on parle du Moyen Âge : ce n’est pas une période de
guerres continues et de violence débridée ; et la société médiévale ne se limite pas aux
joutes et aux armures d’apparat des chevaliers du XVe siècle.
Cependant, fort heureusement, la vigueur de l’enseignement (secondaire ou
universitaire) et de la recherche en histoire médiévale ne se démentent pas et sont là pour
tordre le cou aux préjugés.
-Dans ce bilan historiographique, j’aborderai d’abord les espaces couverts et les disciplines
utilisées par la recherche en histoire médiévale (I).
-Je vous présenterai ensuite les grandes thématiques de recherche (II).
I. Les espaces couverts et les disciplines de la recherche : une grande
diversité des outils et des approches
a. Les espaces couverts par la recherche en histoire médiévale
Les domaines couverts par l’historiographie médiévale actuelle sont larges, si bien que
l’on ne peut pas dégager de secteur principal de recherche en histoire médiévale, mais
seulement une série de tendance. Ce sont ces tendances que je vais m’attacher à exposer ici.
Les intitulés des unités de recherche du C.N.R.S. dans la section 32 (Mondes anciens et
médiévaux) montrent cette diversité des champs de recherche. Diversité qui est vraie au
C.N.R.S. comme à l’Université, d’autant que la majorité de ces unités de recherche sont
intégrées au monde universitaire. Les espaces couverts par la recherche ne se limitent pas
au seul royaume de France, même s’il est bien représenté, ou encore à l’Europe latine
(Empire, mondes nordiques et anglo-écossais, Italie et Espagne, Europe centrale). Un rapide
panorama de ces espaces de recherche montre que sont bien représentés : l’Orient byzantin,
l’Islam (Andalousie, Afrique du Nord, Egypte, Proche-Orient), les mondes iraniens et indiens
– et je n’évoquerai pas le monde asiatique médiéval, qui est lui aussi un domaine de
recherche à part entière. Face à cela, parallèlement espaces méditerranéens forment un
pôle de recherche spécifique et très valorisé dans le cadre du C.N.R.S.
La diversité des espaces de recherche est représentée à l’Université dans les intitulés de
Master et les champs couverts par les écoles doctorales. Et la nouvelle question donnée à
l’agrégation et au CAPES externes montrent bien ce souci de perspective large pour l’étude
du Moyen Âge : « Gouverner en terre d’Islam, Xe-XVe siècles ». Des coopérations se sont
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d’ailleurs développées dans les 2 dernières décennies pour créer des ponts entre les espaces
et les périodes. La création du Laboratoire Orient et Méditerranée au CNRS a permis de
dépasser la coupure entre antiquisants et médiévistes, entre spécialistes des espaces
chrétiens et spécialistes des premiers siècles de l’Islam. A l’étranger, les grands
établissements français facilitent les séjours de recherche et l’étude des sources locales :
Ecole française de Rome, Ecole française d’Athènes, Institut français en Orient, etc.
b. La diversité des disciplines utilisées dans la recherche en histoire médiévale
Diversité est également le maître mot lorsque l’on considère les multiples disciplines qui
sont utilisées pour la recherche en histoire médiévale. Cette diversité ne date pas de la
dernière décennie. Elle s’est construite progressivement, surtout depuis les années 1950-
1960 : quand, d’une part, l’archéologie médiévale s’est imposée comme une discipline
scientifique à part entière et, d’autre part, lorsque toutes les sciences auxiliaires de l’histoire
médiévale ont acquis une importance certaine dans l’enseignement universitaire.
L’archéologie est maintenant étroitement intégrée aux recherches en histoire médiévale.
L’archéologie médiévale est un domaine d’étude indépendant, bien identifié au C.N.R.S.
comme à l’Université, qui a vu depuis les dernières décennies ses problématiques s’élargir.
Le nombre de thèse en archéologie médiévale est d’ailleurs en progression constante depuis
15 ans, et le nombre de postes offerts est en relation avec ce « boom » : il est de plus en plus
important. Quels sont les grands secteurs de recherche en archéologie médiévale ?
On sait l’apport de l’archéologie rurale pour des thèmes aussi importants que la naissance
du village. Le maillage des villages se fixe définitivement au Moyen Âge central, comme
l’indique le programme de Cinquième. Mais ce processus de pérennisation des
communautés villageoises s’appuie aussi sur des antécédents au haut Moyen Âge, qui ont
été bien étudiés grâce à l’archéologie, faute de sources écrites. L’archéologie a ainsi prouvé
le relatif dynamisme des organisations humaines dans l’espace rural entre le Ve et le Xe
siècle.
A côté de l’étude de l’espace rural, l’archéologie castrale forme la deuxième grande
branche de l’archéologie médiévale en Europe. Elle est aujourd’hui toujours importante, et
des domaines nouveaux de recherche se sont intégrés à l’étude monumentale des châteaux
et des enceintes : l’étude des armes et des armures notamment, qui s’appuie sur des
analyses métallurgiques fines faisant appel aux sciences exactes.
L’archéologie s’épanouit aussi depuis les années 1980-1190 dans l’étude des villes
médiévales, tant et si bien que l’archéologie urbaine, généralement préventive, est
actuellement le premier pôle de recherche en archéologie du Moyen Âge.
Les champs de recherche ne s’arrêtent pas là. Il faut citer l’importance de l’archéologie
des techniques, qui travaille en lien avec l’histoire de l’art et des sciences (étude des
structures architecturales, des charpentes – par exemple pour les cathédrales – ; étude de
l’outillage et du travail du fer – par exemple dans les grandes abbayes cisterciennes, où des
modèles évolués de forges ont été inventés au XIIe s.).
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Importance enfin de l’archéogéographie, qui étudie l’évolution des paysages dans le
temps. Elle utilise pour cela l’analyse des pollens anciens (paléopalynologie), l’étude des
restes d’animaux (archéozoologie), l’étude des restes de végétaux (archéobotanique), etc. :
on regroupe parfois ces champs de recherche sous le terme « d’archéologie
environnementale ». L’une des secteurs d’étude de l’archéogéographie est l’histoire des
climats, abordée par exemple par Emmanuel Leroy-Ladurie.
Dans tous ces domaines, l’informatique a révolutionné les outils de recherche. La
possibilité de compulser les relevés dans des bases de données numériques permet des
études statistiques. La cartographie des espaces de recherche se fait sur ordinateur, en
utilisant le GPS. La 3D permet de réaliser des reconstitutions qui font progresser la recherche.
Ce renouvellement des champs de recherche concerne d’autres « sciences auxiliaires de
l’histoire », qui étudient les textes. La diplomatique ou la paléographie, qui étudient les
diplômes et les écritures anciennes, sont des disciplines nées avant le XXe siècle. Mais ce
n’est que depuis quelques décennies que leur enseignement s’est renforcé à l’université
pour l’histoire médiévale, dès le cycle de licence. Au CNRS, des équipes travaillent
spécifiquement sur ces disciplines pour étudier les textes religieux et littéraires. Des
spécialisations existent en fonction des espaces de recherche : la papyrologie est par
exemple importante pour les études byzantines.
De plus, le manuscrit est maintenant analysé autant pour les textes qu’il contient qu’en
tant qu’objet matériel : on étudie le type de reliure, d’écriture, les pigments utilisés pour les
enluminures, etc. : c’est la codicologie. L’écriture n’est plus seulement envisagée comme
moyen de recueillir des informations sur l’histoire, mais aussi considérée pour elle-même :
on étudie les spécialistes de l’écrit (clercs et laïcs), les pratiques sociales de l’écrit au Moyen
Âge. Par ailleurs, de nouvelles disciplines ont également émergé depuis les années 1980-90,
comme la prosopographie, qui vise à l’étude statistique des groupes sociaux (évêques,
chanoines, officiers royaux).
Au total, nous avons souligné la vigueur de la recherche en archéologie. Cette vigueur
concerne aussi l’analyse des sources écrites. La recherche en histoire aujourd’hui n’est pas
seulement une analyse des textes. Pour étudier les sources écrite et leurs différents supports,
l’interconnexion entre les différentes sciences auxiliaires a beaucoup progressé, et les
équipes de recherches s’appuient sur l’analyse textuelle, mais également l’histoire de l’art, la
numismatique, la sigillographie, l’iconographie, etc. Une typologie des sources écrites est
ainsi en cours depuis la fin du XXe siècle chez Brépols. Elle recense toutes ces sources, leurs
méthodes d’étude, et les principes d’édition des textes. Le dynamisme de l’Institut de
Recherche et d’Histoire des Textes, situé à Paris et Orléans, est un autre le signe de ce
renouvellement dans l’approche méthodique des sources écrites. Cet institut, qui dépend du
C.N.R.S., rassemble les études sur les manuscrits, les enluminures, la philologie, l’histoire
littéraire et religieuse dans une même perspective, grâce au recours aux multiples sciences
auxiliaires de l’histoire.
L’informatique a également transformé la recherche grâce à la constitution depuis les
années 1990 de bases de données qui sont accessibles en ligne : bases de textes numérisés,
bases iconographiques (BnF, Archives nationales).
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II. Les grandes thématiques de recherche en histoire médiévale
Aucun domaine de l’histoire n’est négligé par l’historiographie actuelle. Tous les champs
de recherche sont abordés. Il me paraît un peu artificiel de faire ici un recensement complet
de tous ces champs de recherche, domaine par domaine. Mieux vaut vous présenter les axes
de recherche les plus dynamiques actuellement, afin de donner une photographie de
l’historiographie d’aujourd’hui 2 . J’ai insisté sur les domaines de recherche les plus
représentés dans les programmes de Cinquième et Seconde.
*L’histoire de la guerre :
Le sujet nous intéresse ici : l’histoire de la guerre au Moyen Âge est un secteur en
renouvellement. La recherche ne se limite pas à l’étude institutionnelle de la guerre
(organisation et recrutement des armées par les pouvoirs en place), ou à l’étude des
stratégies et des tactiques. Celle-ci est d’ailleurs renouvelée par une meilleure connaissance
des armes et des équipements, aidée par l’archéologie, comme je l’ai dit plus haut. En outre,
la théorie de la guerre, « l’art de la guerre » est un sujet à part entière : en 2014, un ouvrage
a par exemple paru sur les manuels de combat au Moyen Âge. Enfin, l’histoire des
campagnes militaires s’est réorientée en fonction de l’histoire sociale et politique : par
exemple, l’histoire des croisades est très liée à celle des rapports avec le monde musulman,
et aux modalités d’organisation de la conquête en Orient.
D’un point de vue plus structurel, les historiens se sont interrogés sur les processus
politiques et juridiques qui ont mené la royauté, à la fin du Moyen Âge, à s’arroger le droit
exclusif de faire la guerre et la paix. En ce sens, les études sur la guerre se trouvent à la
croisée de l’histoire des pouvoirs et de la justice (texte de Richard Kaeuper sur Guerre,
justice et ordre public, p. 8 : l’auteur compare les royaumes de France et d’Angleterre à la fin
du Moyen Âge, surtout pendant la période de Cent ans).
L’analyse du fait militaire devient donc un vecteur permettant de comprendre l’évolution
des structures politiques et sociales. Dans ce cadre, elle permet aussi de s’interroger sur les
mentalités : quel rapport existait-il entre les combattants et la violence ? Quelles étaient les
répercussions de cette violence sur les populations ? En quoi les pratiques militaires
déterminaient-elles une identité sociale et culturelle pour les combattants, notamment pour
les combattants nobles ? C’est à ce titre que progresse la « nouvelle histoire bataille ».
Dans une veine anthropologique, celle-ci étudie la bataille comme un phénomène social
permettant de s’interroger sur les pratiques culturelles et les représentations des
combattants médiévaux.
*L’histoire de l’Etat monarchique ou « la genèse de l’Etat moderne »
Il s’agit de l’un des grands programmes de recherche pour le Moyen Âge, datant des
années 1980. Il s’agissait à l’origine de réfléchir aux éléments qui permirent le
développement d’un Etat monarchique en Occident : fiscalité, droit, législation, théories
2 Je m’appuie ici sur : Sirinelli (J-F.), Cauchy (P.), Gauvard (C.) (dir.), Les historiens français à l’œuvre, 1995-2010,
Paris, PuF, 2010.
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politiques sur la souveraineté. Ces aspects sont toujours étudiés actuellement, mais de
nouveaux ont émergé. On analyse par exemple les caractéristiques du pouvoir princier par
rapport au pouvoir royal : souvent, dans les derniers siècles du Moyen Âge, les grands
princes ont copié des principes institutionnels propres à l’Etat royal pour organiser leur
principauté. On s’interroge aussi sur les modalités du débat et des idées politiques dans la
société, dans le cadre d’un programme de recherche qui va du XIIe au XVIIe siècle.
Cette étude des pouvoirs est aussi réalisée pour le monde islamique et byzantin :
rapports entre le politique et le religieux, modes de légitimation et formes d’exercice du
pouvoir.
*L’histoire socio-culturelle : un domaine d’étude très centré sur l’histoire des élites
L’histoire des élites reste au cœur de l’histoire sociale médiévale. Le manque de sources
ne permet malheureusement pas de bien connaître l’ensemble de la population, même si
des recherches ont été faites sur le peuple médiéval. Cependant, celui-ci est généralement
appréhendé dans ses relations avec le pouvoir ou avec les puissants.
L’histoire des élites est d’abord l’histoire de la noblesse. Celle-ci est ancienne et plonge
ses racines dans les études faites au XIXe siècle, voir avant, avec la généalogie. Elle reste
toutefois extrêmement riche, car l’étude de la noblesse est à la croisée de l’histoire sociale,
mais aussi culturelle, politique et économique du Moyen Âge.
Néanmoins, les dernières décennies ont élargi le regard posé par les historiens sur les
élites, en intégrant l’étude des élites urbaines (marchands, notaires) et ecclésiastiques
(chanoines par exemple). Les historiens ont ici profité de l’apport de la sociologie, qui définit
l’élite non pas seulement comme les deux ordres dominants de la société médiévale (clercs
et nobles), mais comme ceux qui dominent un groupe social particulier. La prosopographie
et l’outil statistique ont également été ici d’une grande aide. Enfin, dans le cadre de l’histoire
de l’Eglise, l’étude des élites intellectuelles médiévales a bien progressé : études sur les
universités, mais aussi sur les collèges, les écoles cathédrales, les abbayes comme centre de
production du savoir et de l’écrit.
*Une histoire économique renouvelée, mais en lent redémarrage
L’histoire économique ne néglige pas l’analyse des cycles économiques et des grands axes
de commerce (notamment en Méditerranée). Ainsi, elle s’intéresse aux rapports Orient-
Occident, mais également aux conditions des crises économiques, surtout au début du XIVe
siècle.
Mais face à cela, l’histoire économique s’est renouvelée dans la dernière décennie. Il
s’agit pour beaucoup d’une histoire faite à l’échelle locale, centrée sur l’étude des conditions
de mise en valeur du patrimoine, du marché de la terre, des transferts d’argent et de biens
(notamment sous forme de don). Ce renouvellement a permis de relancer la discipline, qui a
connu une longue traversée du désert, face aux autres domaines d’étude, à la fin du XXe
siècle.
Dans le cadre de l’histoire rurale, l’étude de la seigneurie connaît aussi un regain d’intérêt,
en lien avec l’histoire de la noblesse et l’histoire des fiefs.
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*L’histoire de l’Eglise : la vigueur de l’histoire de la spiritualité et de l’histoire de l’art
Depuis les travaux précurseurs d’André Vauchez, l’histoire de l’Eglise ne se concentre plus
seulement sur les problématiques institutionnelles, mais s’intéresse aussi à l’histoire de la
spiritualité, tant dans les milieux cléricaux que laïcs. Cette histoire de la spiritualité a donné
lieu au développement des études sur la prédication religieuse et les ordres monastiques.
Les historiens s’interrogent aussi sur la culture et le sentiment religieux.
Parallèlement, l’histoire de l’art a renforcé ses liens avec l’histoire de l’Eglise à l’Université.
L’étude des monuments religieux se fait en fonction de l’évolution de la spiritualité
médiévale et de l’analyse de la place de l’Eglise dans la société, pour encadrer les
comportements. Ainsi, la plupart des Universités ne négligent pas l’histoire de l’art religieux
dans leur cursus de licence. L’histoire de l’art est alors conçue comme un moyen de mieux
comprendre l’Eglise et la société médiévales.
*Les débats historiographiques : les questions de la « mutation de l’an Mil » et de la
naissance de l’Etat moderne
Ces différents domaines de recherches soulèvent bien évidemment des débats
historiographiques. Le programme sur la « genèse de l’Etat moderne » a par exemple été
critiqué : certains historiens considèrent que l’on plaque avec ce programme le concept
d’Etat moderne en un temps où il n’existait pas encore véritablement. Le programme aurait
donc des tendances téléologiques. Quoiqu’il en soit, que l’on s’oppose ou que l’on adhère au
postulat historiographique de la « genèse de l’Etat moderne », le programme pousse les
historiens à réfléchir sur une question majeure à l’époque médiévale et moderne : celle de
l’évolution des pouvoirs souverains et de leur rapport avec la société qu’ils dominent.
Les débats historiographiques portent également sur la définition des grandes ruptures
chronologiques qui organisent la période médiévale. Le texte de Dominique Barthélemy (p. 7
du fascicule) permet d’aborder la question de la « mutation de l’an Mil ». Le texte de
Dominique Barthélemy démontre que la désaffection du pouvoir royal après la chute de
l’empire carolingien n’entraîna pas pour autant l’anarchie. Le cadre seigneurial, marqué par
les liens féodaux, formait la base de l’ordre social et politique. Si ce cadre seigneurial a pu se
prouver si opératoire aux Xe-XIe siècle, c’est parce qu’il plonge pour Dominique Barthélemy
ses racines dans le haut Moyen Âge. Ainsi, la chevalerie n’apparaîtrait pas après l’An mil mais
serait héritière d’évolution déjà anciennes, remontant aux siècles précédents. Pour D.
Barthélemy, il n’y aurait donc pas de « mutation » ou de « révolution de l’an mil », avec des
changements fondamentaux par rapport à la période carolingienne, mais le développement
progressif d’une société aristocratique marquée par des continuités entre le IXe et le XIIe
siècle.
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Guerre et populations
dans les programmes d’histoire médiévale
La guerre est un élément structurant de la société médiévale, tout particulièrement de
la société aristocratique. En écho au sujet de la question d’histoire médiévale à l’agrégation
interne (« Guerre et société, fin XIIIe-fin XVe s.), nous avons choisi d’explorer cette
importance de la guerre au Moyen Âge en partant d’un thème transversal : « Guerre et
populations ». Thème qui permet de s’intéresser à la place de la guerre dans la société
nobiliaire, le discours clérical, et pour l’affirmation du pouvoir royal, mais aussi aux rapports
qu’entretient l’ensemble du peuple médiéval avec le fait militaire. Un thème large donc, qui
traverse les programmes d’histoire médiévale en Cinquième comme en Seconde.
Mon objectif ici n’est pas de refaire les programmes en histoire médiévale – ce que vous
êtes beaucoup plus apte à faire que moi – mais de vous donner des clés de lecture à partir
d’un thème transversal, qui aborde l’ensemble des aspects des programmes de Cinquième
et de Seconde. Le travail sur le fascicule vous donne également différents supports
pédagogiques, pour développer la réflexion et même pour les utiliser en cours.
J’ai subdivisé ce thème général en 3 sous-thèmes qui recoupent ceux des
programmes et permettent d’envisager la question en fonction de ses
problématiques sociales, politiques et religieuses :
I. Les seigneurs, les paysans et les villes dans l’Occident médiéval (XIe-XVe s.)
II. Guerre, populations et pouvoir : l’Eglise et l’Etat royal (XIe-XVe s.)
III. Guerre, religion et conquêtes en Orient et en Occident.
Pour explorer ce thème avec vous, je m’appuierai sur un fascicule que j’ai constitué en
choisissant des documents de nature diverse, mobilisables avec les élèves. A mon sens,
chacun de ces documents peut être utilisé par le professeur et répond aux attendus
méthodologiques des programmes :
-qu’il s’agisse de la classe de Cinquième, pour laquelle on attend que les élèves puissent
se familiariser avec différents types de sources historiques, qu’ils apprennent à situer
dans le temps et dans un contexte donné » (Programmes officiels).
-qu’il s’agisse de la classe de Seconde, où les élèves doivent établir un travail critique sur
les sources, qui ne néglige pas l’histoire de l’art.
I. Les seigneurs, les paysans et les villes dans l’Occident médiéval (XIe-
XVe siècle)
1. L’importance de la guerre dans le mode de vie noble
La guerre est un élément fondamental de l’identité aristocratique au milieu du Moyen
Âge. Le noble se distingue socialement car il est un guerrier, un spécialiste du maniement
des armes. Le combat à cheval représente l’essentiel de son activité.
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Cette fonction guerrière du noble est tout à fait reconnue par l’Eglise au XIe siècle, avec le
développement de la théorie des trois ordres. Dans la première moitié du XIe siècle, les
évêques Gérard de Cambrai et Adalbéron de Laon formulent l’idée d’une tripartition
fonctionnelle de la société chrétienne : trois « ordres » associés travaillent de concert pour
assurer la Loi et la Paix : « ceux qui prient », « ceux qui combattent », « ceux qui travaillent ».
Il faut cependant souligner que cette vision de la société en ordres, qui confère aux nobles
une place particulière comme défenseurs, par les armes, de la communauté des chrétiens,
n’est pas nouvelle au XIe siècle. Elle s’élabore au cours du haut Moyen Âge, sous les
Carolingiens, lorsque des évêques (Jonas d’Orléans) et des moines (de l’abbaye St Germain
d’Auxerre) veulent promouvoir un système de classification de la société chrétienne
départageant les laïcs (qui doivent défendre l’Eglise par les armes), et les clercs (qui
dominent la société et assurent la paix et la prière).
Si l’Eglise a voulu dès le haut Moyen Âge réfléchir sur la place de l’aristocratie
combattante dans la société chrétienne, c’est en raison du lien intime qui unit les nobles
francs à la guerre. Ce lien entre l’aristocratie et la guerre remonte aux fondements mêmes
des sociétés germaniques. La guerre n’est pas seulement pour le noble un moyen de
défendre ses terres et de s’enrichir grâce au butin. C’est par la guerre qu’il assoit et légitime
son pouvoir. Le roi franc, premier des nobles, est d’ailleurs avant tout un guerrier, et cela dès
les premiers temps de la période mérovingienne. Une des bases idéologiques de la royauté
mérovingienne, puis carolingienne et capétienne réside dans la fonction militaire du roi, qui
rassemble l’armée et justifie par les armes sa domination charismatique (concept
germanique de « roi chef d’armée » : Heerkönig).
Les armes symbolisent la fonction guerrière, et donc l’identité aristocratique. Armes
remises pendant le haut Moyen âge aux nobles lors de rituels marquant le passage à l’âge
adulte. Armes déposées dans les tombes aristocratiques ou royales, comme le montre (p. 9
fascicule) :
Le mobilier funéraire de la tombe de Childéric Ier (v. 481-482)
Ces armes ont été retrouvées dans la tombe de Childéric Ier :
-Childéric Ier, roi des Francs saliens mort en 481, était le père de Clovis. Sa tombe a été
retrouvée au XVIIe s. à Tournai, région que dominaient les Francs à la fin du Ve s.
-sont présentées ici différents essais de reconstitution des épées de Childéric déposées
dans sa tombe. Sous les Mérovingiens, les nobles utilisent l’épée longue à double
tranchant (spatha) et le long couteau à un seul tranchant (scramasaxe). Ce sont les armes
privilégiées de l’aristocratie, à côté de la lance, et de la hache de jet (francisque).
On remarquera avec ces dépôts funéraires la forme des épées franques. Cette forme
évoluera légèrement au cours du Moyen Âge en favorisant différents types de mouvements.
Jusqu’au XIe-XIIe siècle, on se préoccupe surtout de trancher. Les combattants se protègent
avec une broigne, juste-au-corps en tissu ou en cuir renforcé de mailles rigides. Mais à partir
du milieu du Moyen Âge, l’usage de cottes de mailles (veste constituée d’un assemblage
serré de mailles en fer) se développe, ce qui protège mieux le combattant. Les armes
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s’adaptent : l’épée devint plus effilée et longue pour trancher mais aussi percer (les cottes
de mailles). Le scramasaxe est progressivement abandonné au cours du haut Moyen Âge.
Malgré ces évolutions, on remarque que la forme de base de l’épée à double tranchant
est fixée dès l’origine, au haut Moyen Âge. Dès le Ve siècle, l’épée est avec la lance l’arme
privilégiée pour le noble. De là, elle symbolise l’identité aristocratique : l’épée est utilisée
comme dépôt funéraire royal. Avec la christianisation de l’aristocratie franque au cours de la
période mérovingienne, l’usage de déposer des armes dans les tombes des nobles se perdra.
Mais la représentation funéraire du noble comme un guerrier en armes restera parfaitement
effective : on le voit avec les plaques funéraires et les gisants qui sont encore bien conservés
pour le Moyen Âge central et le bas Moyen Âge, et qui montrent le corps du défunt en
armure, avec son épée.
Tournons maintenant complètement vers le Moyen Âge central avec ces représentations
de chevaliers armées du XIe et du XIIIe siècle (Bayeux, Bréviaire d’Amour). Elles nous
montrent valeur essentielle de la guerre dans le mode de vie noble et les caractéristiques de
son armement.
Enluminure illustrant les chevaliers et la vie de Cour, d’après le Bréviaire d’Amour
d’Ermengol de Béziers (v. 1290)
Cette enluminure est intéressante d’un point de vue pédagogique : d’une part, elle
représente les fondements du mode de vie aristocratique (guerre et vie de Cour) ; d’autre
part, elle permet de faire allusion à la littérature courtoise :
-le bréviaire d’Amour est composé à la fin du XIIIe siècle par un clerc et juriste de
Béziers, Ermengol de Béziers. Le texte est écrit occitan sur l’enluminure qui illustre le
manuscrit. La littérature courtoise, genre auquel il appartient, fait l’apologie du mode de
vie nobiliaire, partagé entre la vie de cour et la guerre, source d’exploits permettant de
ravir l’amour des dames. Du point de vue de l’histoire de l’art, on notera l’importance de
l’enluminure, ici en pleine-page, dans la peinture gothique et dans la littérature.
-ce mode de vie courtois est partagé par tous les nobles combattants à cheval, les
chevaliers. Mais il n’est pas sans lever des critiques de la part des clercs, qui dénoncent le
goût pour le faste et le luxe. C’est pourquoi des diablotins viennent animer les scènes aux
différents registres, et tenter les chevaliers à mal agir. Au registre inférieur (en bas à
droite), un démon s’empare de l’âme du chevalier mourant.
L’enluminure est intéressante car, au travers de ce regard doucement critique, elle
montre la quintessence du mode de vie nobiliaire aux XIe-XIIe et XIIIe s. :
-la cour (royale ou seigneuriale) est le principal lieu de sociabilité nobiliaire. La
commensalité (le partage du repas) permet de nouer des liens de fidélité avec les
vassaux et de montrer la richesse du seigneur, qui reçoit et doit faire preuve de
générosité. La vie de cour se veut fastueuse : elle est l’occasion de danses et de
musiques, avec des troubadours (4e registre).
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Loïc Cazaux – 5/11/2014
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-le port des armes se présente dans différents contextes. C’est d’abord en montant armé
à cheval que le chevalier représente son appartenance à une famille noble (2e
registre) : il est paré de ses armoiries. L’usage de l’héraldique se diffuse au XIIe s. en
réaction à l’équipement de plus en plus complet des chevaliers, qui empêche de les
identifier.
-Vient ensuite (3e registre) une scène de tournoi : les tournois permettent de renforcer
les liens entre familles nobles, entre seigneurs et vassaux, par les équipes qui sont
constituées et ont une dimension internationale. Ils connaissent un grand succès du
XIIe au XVIe siècle. Ils peuvent être à cheval, lance baissée, ou à pied. Le but n’est pas
de tuer mais de prouver son courage et surtout d’emprisonner son adversaire pour en
tirer une rançon. Mais l’Eglise réprouve ce simulacre de guerre, qu’elle considère
comme des violences inutiles et comme une mauvaise expression de la vanité
aristocratique : d’où de multiples interdictions en conciles, et d’où la présence des
démons qui incitent sur l’enluminure les chevaliers à s’élancer au combat. Néanmoins,
malgré les interdictions ecclésiastiques, les tournois prospèrent car ils sont un élément
essentiel dans l’identité noble.
Le chevalier et son armement du milieu à la fin du Moyen Âge
Avec cette enluminure du Bréviaire d’Amour, nous avons vu l’importance du combat à
cheval dans la guerre, pour les nobles. L’usage du cheval pour combattre est constant dans
le monde aristocratique pendant tout le Moyen Âge, au point que, comme le disait Philippe
Contamine, historien spécialiste de la guerre médiévale, l’histoire de la noblesse et de la
guerre au Moyen Âge devrait être aussi une histoire du cheval.
L’usage du cheval influence les tactiques de combat. Mais celles-ci évoluent entre le XIe et
le XVe siècle. Pour le montrer, comparons deux documents iconographiques représentants
deux batailles célèbres : la bataille d’Hastings (victoire normande en Angleterre, 1066) ; la
bataille de Crécy (victoire anglaise contre l’armée française de Philippe VI de Valois, pendant
la guerre de Cent ans, au nord du royaume de France, 1346) :
-La tapisserie de Bayeux (fin XIe s.) :
Le combat des nobles se fait essentiellement à cheval – mais pas seulement : on peut
mettre pied à terre si nécessaire ou si l’on y était obligé par perte du destrier (registre
inférieur) :
-au XIe siècle, l’attaque se fait pour les nobles en charge compacte et frontale,
lance couchée sous le bras (la lance est de plus en plus rarement utilisée comme arme de
jet). L’usage répandu de l’étrier et de la selle rembourrée, après l’An mil, favorise la charge.
L’épée longue à double tranchant permet le corps à corps, utilisée pour couper, mais aussi
de plus en plus pour piquer.
-pour se protéger, le noble tend à se couvrir de plus en plus complètement d’un
équipement lourd qui peut dépasser 20 kg : casque avec renfort nasal (heaume), cotte de
maille couvrant les jambes (haubert), bouclier (écu).
-La bataille de Crécy (1346) d’après un manuscrit des Chroniques de Froissart datant du
XVe s. :
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Loïc Cazaux – 5/11/2014
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L’armement offensif et défensif a évolué, malgré des permanences :
-les nobles combattent toujours à cheval et utilisent volontiers la charge de cavalerie
lance baissée, ainsi que l’épée, qui est plus longue et fine qu’auparavant.
-Dans le même temps, le perfectionnement des épées tend à promouvoir des armures
complètes, très articulées pour conserver une capacité de mouvement. Le haubert (bien que
toujours utilisé) laisse la place à l’armure « de plates » (XIVe), aussi appelée harnois. Cette
armure du bas Moyen Âge n’est pas composée d’anneaux de fer formant une cotte de maille,
mais de lames de fer rivetées à une étoffe. Surtout, elle couvre tout le corps, y compris les
jambes et les avant-bras. Un « plastron » en fer est ajouté pour protéger le tronc (voir
l’enluminure), tandis qu’une jupe (pansière, braconnière) protège le bas ventre du chevalier.
Le cou est protégé par un collet. Pour la tête, on abandonne l’usage du heaume au profit du
bacinet à visière, qui couvre tout le visage (la visière peut être abaissée et remontée, ce qui
n’empêche pas le chevalier d’avoir un mauvais champ de vision et de suffoquer rapidement
sous l’équipement).
-tout cela fait que l’armure coute très cher. Elle est un signe de richesse pour les nobles,
et ce n’est pas pour rien que les gisants du XIVe représentent les grands nobles en harnois
complet, épée à la main. L’armure de plate fait aussi marcher pendant la guerre de Cent ans
toute une économie de guerre (forgerons, armuriers) qui profite aux villes les abritant.
-Les combattants à pied (non nobles) sont aussi protégés, mais pas complètement : avec
une salade (casque en fer) et une brigandine (tunique renforcée de fer, sorte d’évolution de
la broigne) (voir document).
Néanmoins, l’art traditionnel de la guerre tend à devenir moins efficace à la fin du Moyen
Âge. A Crécy, les chevaliers français qui chargent de façon indisciplinée lance baissée sont
décimés par les archers anglais. Ceux-ci ont une très bonne cadence de tir et surpassent les
arbalétriers génois présents dans les rangs français. C’est une défaite cuisante pour la France.
Par la suite, la noblesse française tâchera de s’adapter en combattant plus souvent à pied,
en s’appuyant sur la cavalerie légère et en multipliant le nombre des arbalétriers pour
rivaliser avec les archers anglais (le tout avec un succès très inégal).
Enfin, la diffusion de l’usage de la poudre (surtout au XVe s.) modifiera complètement les
tactiques et stratégies militaires des nobles sur le champ de bataille.
Quoiqu’il en soit, la guerre reste jusqu’à la fin du Moyen Âge un principe absolument
essentiel de l’identité noble. Cela se perçoit au travers de ces deux documents :
-A la fin du XIe s., la tapisserie de Bayeux commémore les exploits guerriers du duc de
Normandie Guillaume le Conquérant et sa conquête de l’Angleterre. Elle détaille les
évènements militaires et représente les nobles en armes.
-Au XVe s., les plus célèbres chroniques, comme celles de Jean Froissart (mort au début
du XVe s.) attachent beaucoup d’importance aux exploits chevaleresques et aux
épisodes guerriers, qui sont représentés grâce à de magnifiques enluminures pleine-
page. Incontestablement, le noble, même lorsqu’il perd la bataille comme à Crécy, se
définit et se distingue au travers de la guerre.
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2. Les populations rurales et urbaines face à la guerre
Les populations médiévales, qu’elles soient rurales ou urbaines, sont touchées et
concernées par la guerre, qui opposent généralement, au Moyen Âge central, les nobles
entre eux.
Il faut d’abord comprendre que les méthodes de combat en dehors des batailles
privilégient les dommages faits sur les terres de l’adversaire : la guerre a donc un impact sur
les populations locales.
Parallèlement, la guerre permet d’assurer le contrôle des communautés locales, sous la
dépendance des seigneurs.
Pillages et rapines vers 950 dans les Annales de Flodoard de Reims
Cet extrait des Annales de Flodoard de Reims donne, peu avant l’an Mil, une vision des
clercs sur les pratiques militaires nobiliaires. Flodoard était en effet chanoine auprès de
l’évêque de Reims. La vision de Flodoard est partiale à double titre : l’évêché de Reims prend
surtout partie contre le comte de Vermandois, Herbert de Vermandois (cité dans le texte
comme un agresseur des seigneuries appartenant à l’évêque de Reims, §1) ; de plus, l’Eglise
tend à désapprouver la violence armée des nobles, surtout lorsqu’elle s’exerce sur le pays,
contre les communautés locales.
Les Annales de Flodoard n’en restent pas moins précieuses. Elles illustrent les bases de
l’activité militaire des nobles au Xe siècle pour défendre leur seigneurie et affaiblir leurs
adversaires : la chevauchée et le siège :
-la chevauchée s’appuie sur une stratégie de razzia afin d’atteindre les ressources
agricoles de l’adversaire. Cf. §1 : « les vassaux du roi [Louis IV] ravagèrent la seigneurie de
l’évêché de Reims, …. » : l’évêché est en effet disputé entre le roi carolingien Louis IV et le
comte de Vermandois Herbert. Les groupes de chevaliers parcourent les terres en attaquant
les champs et les paysans. Cependant, ne caricaturons pas : ces chevauchées sont
circonscrites dans le temps et dans l’espace, et les dommages restent généralement très
limités.
-le siège permet de réduire les positions seigneuriales ennemies. Au Xe siècle, les
châteaux n’étaient pas encore tous appareillés en pierre. Mais ils se multiplient, sous l’effet
de la montée en puissance des nobles importants (comtes, ducs) face au roi. Les châteaux
sont pris par la force ou par la ruse, voire la trahison. Dans ce texte, le siège débouche sur
des négociations avec la tenue d’un plaid, c’est-à-dire d’une assemblée judiciaire permettant
de régler par la justice le conflit militaire. On voit donc que les affrontements obéissent à des
règles, et qu’il n’y a rien d’anarchique dans ces contentieux seigneuriaux. Ajoutons que les
oppositions militaires se font entre seigneurs et non pas contre les communautés rurales,
même si celles-ci peuvent être des cibles pour affaiblir l’adversaire.
Au total, pendant tout le Moyen Âge central, les guerres seigneuriales sont marquées par
de faibles dynamiques territoriales : on agresse les terres ennemies mais on les met
rarement entièrement sous sa coupe, une attaque génère une contre-attaque, ponctuée de
négociations. Il y a beaucoup de démonstrations de force, et peu de violence débridée. Mais
cela a évidemment un impact sur les communautés villageoises, qui peuvent voir leurs liens
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de dépendance avec un seigneur évoluer en fonction des retournements militaires. De plus,
elles subissent différents dommages matériels.
Des pillages pendant la guerre de Cent ans et la guerre civile : une chevauchée
armagnaque sur les terres anglo-bourguignonnes en 1433
Ce texte, issu de célèbres chroniques du XVe s. (celles du Bourguignon Enguerrand de
Monstrelet) est intéressant. Il nous montre en effet qu’un demi-millénaire après Flodoard de
Reims, les pratiques militaires des nobles en guerre ont peu évolué.
Nous sommes pendant la guerre de Cent ans. Malgré sa durée (1337-1453), cette guerre
franco-anglaise n’est marquée que par un nombre très réduit de grandes batailles, comme
Crécy (1346) ou Azincourt (1415). Les armées évitent généralement la bataille, coûteuse en
hommes, et dont la défaite a des conséquences trop lourdes. Les défaites de Crécy et
d’Azincourt auront ainsi un très important coût politique et militaire pour les rois de France.
C’est après Azincourt que le roi anglais Henri V réussit à reconquérir toute la Normandie,
puis la région parisienne, sur les Français. Cela amènera l’une des crises les plus importantes
de la monarchie française, avec la signature en 1420 du traité de Troyes qui place le roi
Anglais à la tête d’une double monarchie comprenant le royaume d’Angleterre et le
royaume de France.
La guerre pratiquée dans ce texte par les capitaines français (les Armagnacs qui sont
opposés aux Anglais alliés aux troupes du duc de Bourgogne) est une guerre de pillage et de
razzia. On retrouve la technique de la chevauchée utilisée par les chevaliers du comte de
Vermandois au Xe siècle. Les cibles et le mode opératoire sont clairs :
-les grandes villes bien défendues sont évités, au profit des plus faciles à prendre. Le
« plat-pays », c’est-à-dire la campagne, est ravagée sur le passage de la chevauchée. Les
attaques contre les « paysans qui ne s’étaient pas protégés » (§1) sont privilégiées.
-Cela vise autant à affaiblir l’adversaire, à désorganiser et atteindre ses ressources, qu’à
s’enrichir : car le pillage apporte des gains aux capitaines.
-L’attaque est brève et ciblée : les capitaines français font un aller-retour depuis leurs
bases aux limites de la Champagne, en poussant jusqu’au Cambrésis. Ils agissent de façon
concertée, en troupes bien garnies (1500 combattants) pour avoir le maximum de puissance
de frappe. C’est une guerre de razzia et de harcèlement.
Le contrôle et la protection des communautés rurales par les nobles
A partir du Xe-XIe siècle, vous savez que l’affaiblissement du pouvoir public engendre un
morcellement du territoire. Les nobles à la tête des grandes principautés acquièrent un haut
degré d’autonomie face au roi. Puis les petits nobles, à la tête de châtellenies réunies autour
d’un ou de plusieurs châteaux, réussissent à aussi à obtenir une certaine autonomie. Dans le
cadre de cet émiettement territorial, la seigneurie et les liens féodaux viennent structurer
les relations de pouvoir.
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Ce type de guerre pousse en effet à renforcer les systèmes de défense : défense de la
seigneurie, mais aussi défense des communautés paysannes placées, dans la
seigneurie, sous la dépendance du seigneur. En défendant leurs terres contre les
agressions militaires, les nobles développent aussi leurs moyens de contrôler les
populations locales et de les placer certes sous leur protection, mais aussi sous leur
dépendance. C’est pourquoi les châteaux se multiplient à partir du Xe et XIe siècle. Ils
expriment le pouvoir des seigneurs tout autant qu’ils permettent de défendre leur
seigneurie et ses dépendants.
-La motte de Dinan selon la tapisserie de Bayeux (fin XIe s.)
Cette représentation d’une motte (à Dinan, côtes d’Armor) nous montre le premier type
de château existant autour de l’an Mil : la motte castrale. Ces châteaux sont essentiellement
en terre et en pierre.
Dans certains cas, la motte est doublée d’un second espace protégé par une palissade en
bois : la basse-cour, où peuvent se réunir les paysans sous la protection du seigneur, et où se
trouvent des bâtiments destinés à loger le seigneur, à la prière (chapelle), et à entreposer les
outils agricoles et les récoltes. C’est ce que l’on voit avec la reconstitution faire à St-Sylvain
d’Anjou (p. 14) : à côté de la motte castrale prend place une large basse-cour accueillant
différentes habitations, un logement seigneurial, des ateliers.
La motte permet de surveiller le territoire grâce à une tour (donjon, qui a alors moins une
fonction résidentielle qu’une fonction défensive, comme tour de garde). La tour est
surélevée grâce à une levée en terre (artificielle ou naturelle), la motte, entourée d’un fossé,
lui-même protégé par un remblai. Une palissade en bois fait office d’enceinte rudimentaire.
Entre le Xe et le XIIe siècle, le modèle-type du château va évoluer. On utilise de plus en
plus la pierre, plus solide, et plus monumentale : d’abord pour l’enceinte, puis pour le
donjon (ou « tour-maîtresse »), qui gagne en hauteur : voir l’exemple de Loches (Indre-et-
Loire), l’un des premiers donjons en pierre (v. 1030), haut de 37 mètres. L’organisation du
château se complexifie. Entre la fin XIIe et le XIVe s., on voit apparaître des châteaux à
double enceintes en France et en Angleterre.
Les communes, les seigneurs et l’essor urbain : la charte de Saint-Omer
(14/04/1127)
Tout comme les campagnes, les villes sont touchées et façonnées par la guerre.
Vous savez que le milieu du Moyen Âge est marqué par un important essor urbain :
accroissement démographique, force du pouvoir épiscopal se traduisant par les grands
chantiers de cathédrales, organisation de l’activité économique en fonction du système des
métiers/guildes (appelés corporations à l’époque moderne), enrichissement qui profite aux
élites urbaines : la bourgeoisie. Celle-ci organise les gouvernements urbains des principales
villes.
Cet essor urbain est canalisé par les pouvoirs laïcs ou ecclésiastiques : les évêques, les
seigneurs laïcs ou le roi accordent aux gens des villes (avant tout à ceux qui les dominent :
métiers et bourgeoisie), associées en « communes », des statuts juridiques grâce à des
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Loïc Cazaux – 5/11/2014
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chartes de commune. Ces chartes leur reconnaissent une timide autonomie politique et
judiciaire, mais aussi certains privilèges (franchises) commerciaux et fiscaux qui doivent
favoriser l’essor économique urbain. En échange, ils doivent rester fidèles au seigneur, qui
assure la paix.
Voir dans le fascicule p. 15 l’extrait de la charte de Saint-Omer, concédée au
gouvernement urbain (les échevins) par le comte Guillaume de Flandre en 1127. St-Omer
est une ville drapante en pleine croissance économique au XIIe s.
La mise en défense des villes et sa traduction dans l’identité urbaine (XIIIe-XVe s.)
Cet essor urbain, qui peut s’accompagner en plus pour les villes importantes de privilèges
et d’une relative autonomie, fait des villes médiévales des centres de pouvoir avec lesquels
les puissants, laïcs ou clercs, doivent s’entendre, ou qu’ils doivent dans tous les cas protéger
et soutenir.
Au début du XIIIe siècle, le roi de France Philippe II Auguste décide de construire une
nouvelle enceinte pour protéger Paris. Il redoute notamment des attaques depuis la
Normandie, qu’il a reprise récemment aux Anglais (Jean sans Terre). Ainsi, il fait construire
l’enceinte et le Louvre pour protéger Paris :
-Plan de l’enceinte de Philippe II Auguste à Paris au XIIIe s. :
L’enceinte urbaine a une fonction militaire et politique :
-fonction militaire car elle protège une ville en expansion, qui est devenue sous
Philippe Auguste la capitale administrative du royaume (voir le palais royal sur l’Ile-
de-la-Cité).
-fonction politique car elle exprime la domination royale sur la ville, mais aussi la
volonté du roi de protéger sa capitale et de l’embellir.
Les enceintes urbaines se multiplient à partir du XIIe siècle dans tout l’Occident. Elles
permettent de protéger les villes contre les agressions militaires, mais aussi
d’exprimer la puissance politique de la ville. En cela, la guerre a bien une dimension
politique pour les communautés urbaines :
-Sceau de la commune de Valenciennes (XIVe s.) / Ville de Montbrison d’après l’Armorial
de Guillaume Revel (mi-XVe s.) :
Ce sceau et cette miniature (XIVe-XVe s.) montre que l’identité urbaine se fonde au Moyen
Âge sur une symbolique militaire. Certes, Valenciennes était un château avant de devenir
une commune au XIIe s., mais il n’empêche que la ville a conservé les symboles militaires
que sont les tours et l’enceinte pour montrer la puissance urbaine et exprimer son statut
juridique (le sceau sert à authentifier les actes promulgués par la commune).
Au XVe s., l’armorial de Guillaume Revel représente Montbrison (Forez) étroitement blottie
derrière son enceinte et protégée par son château dépendant du duc de Bourbon.
Ces éléments militaires sont tout aussi importants que les églises pour caractériser et
distinguer la ville sur l’enluminure.
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Loïc Cazaux – 5/11/2014
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II. Guerre, populations et pouvoirs : l’Eglise et l’Etat royal (XIe-XVe s.)
L’importance de la guerre dans le mode de vie noble et l’impact qu’elle a sur les
communautés rurales et urbaines pousse l’Eglise chrétienne à développer un discours
particulier sur le fait militaire.
La guerre n’est jamais complètement rejetée par l’Eglise. Nous verrons plus loin, avec la
croisade, que la guerre peut être considérée comme « juste » lorsqu’il s’agit de défendre la
communauté chrétienne contre des agresseurs extérieurs. Par ailleurs, les nobles peuvent
porter les armes : il s’agit même de leur fonction première dans la société selon le modèle
tripartite élaborée par les clercs au XIe siècle. Mais ils ne doivent pas utiliser ses armes
n’importe comment. La guerre doit permettre de rétablir la paix et de conserver l’ordre :
ordre religieux, ordre social et ordre politique. Tout cela pousse l’Eglise à promouvoir au
milieu du Moyen Âge, face aux conflits qui opposent les seigneurs et les rois entre eux, une
logique de régulation de la violence armée. Il ne s’agit pas d’interdire les guerres, mais de
réduire leurs effets sur les communautés locales, et sur les clercs ainsi que sur leurs
possessions (1).
Ces principes sont partagés par le roi lui-même. Roi guerrier, le roi est aussi un roi de paix
qui doit faire régner la justice et l’ordre : il prône donc avec ses ordonnances des principes
de limitation de la violence (2).
1. La place de l’Eglise face à la guerre
La paix et la trêve de Dieu selon le moine bourguignon Raoul Glaber (XIe s.)
Ce texte sera étudié plus en détail lorsqu’on travaillera sur la méthodologie du
commentaire de documents.
Il illustre les mouvements de la « paix » et de la « trêve » de Dieu, qui se développèrent
dans le royaume de France à partir de la fin du Xe siècle. Ils constituent une réponse de
l’Eglise aux divisions politiques qui touchent le royaume et sont marqués par une
multiplication des seigneuries, mais aussi des conflits militaires latents. Il faut comprendre
que la guerre, si elle est fréquente autour de l’An mil, n’est pas véritablement plus présente
qu’auparavant : les seigneurs du milieu du Moyen Âge ne sont pas fondamentalement plus
« guerriers » que les nobles mérovingiens ou carolingiens. En revanche, l’évolution politique,
avec le morcellement territorial qui touche le royaume de France et l’affaiblissement du
pouvoir royal, favorise la montée en puissance des abbés et évêques qui, à l’échelle locale,
s’attachent à renforcer leur emprise sur la société chrétienne. On observe d’ailleurs que les
ligues diocésaines et les conciles qui s’organisent aux Xe et XIe siècles pour promouvoir la
paix demandée par l’Eglise (ou paix de Dieu) à apparaissent surtout dans des régions peu
marquées par les incursions normandes (Auvergne, Bourgogne) et dominée par
d’importantes seigneuries ecclésiastiques. Par ailleurs, la Paix de Dieu ne se fait pas
complètement à rebours du pouvoir des nobles locaux, qui souvent la cautionnent et
protègent les assemblées chargées de la déclarer.
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Loïc Cazaux – 5/11/2014
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Que demandent ces assemblées diocésaines réunies autour de plusieurs évêques, et
soutenues par des comtes et ducs locaux ? Elles n’interdisent pas la guerre, mais cherchent à
l’encadrer en déterminant des normes et en promouvant la paix. Ces normes sont inspirées
du dogme et de la morale chrétienne et visent à réprimer l’usage inconsidéré de la force
armée. Les individus qui ne peuvent pas porter les armes (clercs, paysans, femmes, enfants)
sont protégés par des immunités. L’Eglise demande de ne pas attaquer les biens et les outils
agricoles, et surtout de protéger les sanctuaires chrétiens. Il faut aussi s’abstenir de toute
opération militaire pendant certains jours de la semaine (Trêve de Dieu).
Avec cela, l’Eglise s’impose aux Xe-XIe siècles comme un acteur essentiel dans
l’encadrement des mœurs et le contrôle des comportements. La Paix de Dieu et le discours
sur la guerre permettent à l’Eglise (notamment les évêques) de renforcer leur emprise sur la
société laïque et de promouvoir un idéal de société chrétienne. Le mouvement de la Paix de
Dieu permet aussi à l’Eglise d’être un acteur important au sein de la société féodale, en
renforçant ses liens et son ascendant sur les grands nobles, qui participent aux conciles.
C’est dans le même temps que se diffuse l’idée d’une tripartition de la société en trois
ordre : les clercs dominent, suivis des nobles qui doivent combattre, mais en fonction de
principes chrétiens.
L’église, « citadelle de la foi » : la cathédrale Sainte-Cécile d’Albi (Tarn, XIIIe-XIVe s.)
La place des clercs dans la société médiévale se renforce aussi au Moyen Âge par la
réforme de l’Eglise et l’accroissement de l’autorité du pape. Il s’agit en particulier de lutter
contre l’indiscipline cléricale et contre l’hérésie. En ce sens, l’Eglise chrétienne va reprendre
à son compte l’image de la guerre – les armes étant spirituelles – contre ceux qui portent
atteinte à l’orthodoxie chrétienne.
Cette image de l’Eglise militante est transposée au sud du royaume dans l’architecture
même des églises, qui sont pensées comme des « citadelles de la foi ». Cela est très visible
pour la cathédrale Sainte-Cécile d’Albi (Tarn, chantier débuté à la fin du XIIIe s.) :
-l’église témoigne déjà des particularités du gothique méridional : église à nef unique,
héritière des églises-halles romanes (centre-ouest et sud-ouest du royaume). Il s’agit en
effet de favoriser la prédication, car l’Albigeois est marqué par la permanence de
l’hérésie cathare, qui a provoqué au début du XIIIe siècle la croisade des Albigeois (1209-
1229). La construction d’une nouvelle cathédrale à Albi au XIIIe s. s’inscrit de ce fait dans
un contexte de reconquête du comté de Toulouse par l’Eglise catholique romaine contre
les Cathares. Reconquête par les armes (croisade) et par l’Inquisition, qui s’y développe
à partir de 1233. La cathédrale doit donc marquer la force, y compris militaire, de l’Eglise
catholique romaine dans l’Albigeois.
-ces objectifs particuliers expliquent l’architecture de Ste-Cécile : cathédrale fortifiée,
très sévère, dotée de systèmes de défense inspirés des châteaux : clocher tour de 76 m
imitant le donjon, une seule porte gardée par un mâchicoulis, contreforts en forme de
tourelles, murs épais de plus de 2 m.
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Loïc Cazaux – 5/11/2014
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L’Eglise et la légitimation de la guerre royale : Saint-Denis et l’oriflamme royal
En somme, le thème qui nous intéresse, « Guerre et population », est aussi un thème
d’histoire religieuse et spirituelle. Cette volonté de l’Eglise d’investir le discours sur la guerre
légitime et licite n’est pas nouvelle au milieu du Moyen Âge (voir saint Augustin et ses
réflexions sur la guerre juste, au Ve s.). Mais le contexte particulier des XIe-XIIIe siècle le
favorise sans aucun doute. Aussi n’est-il pas étonnant de voir l’Eglise prendre part à la
justification de la guerre royale.
L’Eglise et la religion chrétienne sont depuis les Mérovingiens un élément prépondérant
dans la légitimation du pouvoir royal. Cela se vérifie évidemment sous les Capétiens (voir le
sacre royal). La guerre du roi ne peut donc être qu’une guerre approuvée et soutenue par les
clercs. Rappelons que le roi, au Moyen Âge, se veut profondément chrétien et qu’il jure à
son avènement, lors du serment du sacre, de défendre les principes chrétiens et de
conserver paix, justice et ordre dans le royaume. La guerre doit en théorie servir ces
objectifs religieux et moraux.
Le légendaire de la royauté selon le prologue de la Cité de Dieu de saint Augustin,
traduction de Raoul de Presles, manuscrit de la fin du XVe s.
La réactualisation du légendaire royal au XIXe siècle : peinture de 1841 par Pierre
Révoil
L’abbaye de Saint-Denis joue pendant tout le Moyen Âge, mais surtout à partir du XIIe
siècle, un rôle de premier plan dans la justification et l’apologie du pouvoir royal. Les abbés
de Saint-Denis veillent sur les regalia (insignes du pouvoir royal) utilisés pour sacrer les rois
capétiens à Reims. Et Saint-Denis s’imposera définitivement, à partir du règne de saint Louis,
comme nécropole royale.
C’est l’abbé Suger, grand artisan de la promotion du pouvoir royal capétien, qui
développa au XIIe siècle l’usage de l’étendard de Saint-Denis. Celui-ci, ensuite appelé
oriflamme de Saint-Denis, aurait appartenu selon le légendaire à Charlemagne (ce qui
permettait de relier les Capétiens aux Carolingiens).
Ainsi, à partir du XIIe siècle et jusqu’à la fin du Moyen Âge l’oriflamme de Saint-Denis est
levé, à l’abbaye, par les rois de France, pour les campagnes militaire (par exemple par
Philippe Auguste lors de la IIIe croisade voir p. 21 du fascicule). L’étendard original est
rapidement perdu, ce qui n’empêche pas d’en refaire un à l’occasion (il évolue comme un
étendard dédié à saint Michel à la toute fin du Moyen Âge). On associe dès lors la défense du
royaume de France à la protection de ce même royaume par Dieu. Ce principe est un
principe essentiel dans la légitimation du pouvoir royal médiéval. De fait, il est utilisé dans
une commande artistique de Louis-Philippe au XIXe siècle pour la salle des croisades à
Versailles : il s’agit surtout d’inspirer une certaine nostalgie de l’ancien temps visant à rallier
la noblesse ultra au régime (Louis Philippe ne veut pas renouer avec le système de la
monarchie absolue).
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L’enluminure sur la Cité de Dieu de saint-Augustin reprend les différents éléments du
légendaire de la royauté française à la fin du Moyen Âge : légendaire qui fait du royaume et
du roi de France des élus de Dieu. Comme l’indique la légende, on notera :
-le don des fleurs de lys – emblème marial – qui remonterait à Clovis (l’insigne fleur de
lysée se fixe en fait sous Louis IX au XIIIe s.)
-le baptême de Clovis à Reims et le miracle de la Saint Ampoule.
-le pouvoir thaumaturgique des rois de France.
-et l’oriflamme de Saint-Denis portée pour le départ en guerre de l’armée royale.
On remarquera l’importance de la scène militaire dans l’enluminure : elle occupe la
moitié de la page. Le roi de France, Rex christianissimus, est bien un roi de guerre tout
autant qu’un roi de paix.
2. Le pouvoir royal et la régulation de la violence armée
La régulation royale de la violence et la promotion de la paix du XIIe au XVe siècle
Les principes de régulation de la violence portés par l’Eglise aux Xe-XIIe siècle sont repris
par la royauté capétienne, qui les utilise pour affermir son contrôle sur les grands féodaux.
-Décret de paix générale de Louis VII (10/06/1155).
Le décret de paix général de Louis VII en 1155 montre que la royauté s’appuie sur la
promotion des idéaux d’ordre, de justice et de paix pour renforcer ses liens avec les grands
princes : duc de Bourgogne, comte de Flandre. Le texte est promulgué lors du concile de
Soissons, ce qui montre les liens forts entretenus par la royauté capétienne avec l’Eglise
(archevêques de Reims et de Sens). Le texte réitère d’ailleurs des proscriptions issues de la
Paix et de la Trêve de Dieu.
Ce décret est célèbre car il constitue l’une des toutes premières lois du roi à avoir une
portée générale, étendue à tout le royaume. Il s’agit de l’une des toutes premières
ordonnances royales des Capétiens.
-Extraits de la grande ordonnance de Charles VII sur la violence armée (2/11/1439).
Cette ordonnance très importante promulguée par Charles VII pendant la guerre de Cent
ans montre que les préoccupations de Louis VII en 1155 sont toujours d’actualité au
XVe siècle. La guerre se déroule essentiellement en France, où elle occasionne pas mal de
destructions et de pillages (même si, encore une fois, il n’y a pas de chaos généralisé …).
Face à cela, le roi de France multiplie dès le XIVe siècle les ordonnances destinées à
réprimer l’indiscipline des soldats de l’armée royale et à limiter les pillages (voir ce que j’ai
dit plus haut sur la chevauchée de 1433).
L’ordonnance de 1439 est importante :
-elle reprend des normes édictées dans les siècles précédents pour limiter la violence
armée dans le royaume (voir la p. 23).
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Loïc Cazaux – 5/11/2014
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-mais surtout, elle est l’une des premières ordonnances royales à évoquer l’idée d’un
monopole royal de la force armée. C’est le roi qui décide des conditions licites d’usage de la
force, et les nobles ne peuvent pas prendre les armes sans avoir l’autorisation du roi.
-en cela, l’ordonnance de 1439 illustre le développement de l’Etat royal à la fin du Moyen
Âge.
Le roi chef de guerre (XIIIe-XVe s.)
Si le roi est roi de paix, il est aussi « roi de guerre », pour reprendre l’expression
consacrée par le livre de Joël Cornette sur Louis XIV. Il se doit en effet de défendre le
royaume et protéger sa population. La guerre royale répond donc à des normes validées par
l’Eglise, et les campagnes royales sont justifiées en fonction de ces principes moraux,
religieux, et politiques.
Le roi est aussi le premier des nobles. A ce titre, il partage avec l’aristocratie une série de
références militaires, qui fondent son identité sociale. Le roi est un chevalier. Il reçoit lors du
sacre les attributs du pouvoir royal (sceptre, couronne), mais aussi les attributs de la
chevalerie : épée, éperons d’or. A la fin du Moyen Âge, le roi (de France mais aussi
d’Angleterre) valorise considérablement la culture chevaleresque. Il procède à des
adoubements avant une campagne ou un siège ; il fonde des ordres de chevalerie par
lesquels il développe son contrôle de la noblesse du royaume (ordre de l’Etoile, de la
Jarretière, de saint-Michel).
Deux miniatures reproduites dans le fascicule montrent cette importance du roi de guerre
dans la représentation du pouvoir royal.
-La reddition de Rouen à Philippe Auguste en 1204 (enluminure de la fin du XIVe s.)
Les oppositions féodales entre le roi d’Angleterre et duc de Normandie Jean sans Terre et
le roi de France Philippe II Auguste permettent à ce dernier de déclencher une grande
campagne militaire se soldant en 1204 par la prise de la Normandie. Le duché de Normandie
est alors intégré au domaine royal.
Cet épisode célèbre est remémoré dans cette miniature de la fin du XIVe s., en pleine
guerre de Cent ans entre la France et l’Angleterre : la Normandie est alors convoitée par les
Anglais, qui la reconquerront d’ailleurs entre 1415 et 1449. On voit Philippe Auguste, vêtu
d’une armure de type XIVe s. (mais avec un haubert), distingué par la couronne ouverte aux
fleurs de lys qu’il lors du sacre, se faire remettre les clés de la ville de Rouen, capitale
administrative du duché.
Le roi est présenté comme un roi combattant et victorieux. Mais surtout, il est montré
comme celui qui rétabli l’ordre militaire et politique dans le royaume. Les vaincus lui font
soumission : la guerre permet bien d’exalter la puissance royale, que ce soit sous les
Capétiens ou sous les Valois.
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Loïc Cazaux – 5/11/2014
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-L’entrée victorieuse de Charles VII à Rouen en 1449 à la fin de la guerre de Cent ans
(miniature du XVe s.)
A la fin du Moyen Âge, la reddition des villes lors de campagnes royales entraîne le
développement d’un rituel politique et militaire : l’entrée royale. On en voit une illustration
avec l’entrée de Charles VII à Rouen, alors que la Normandie a été reprise par les Français
après 3 décennies de conquête anglaise :
-l’entrée exprime la hiérarchie politique du royaume. Le roi apparaît en combattant, paré
de ses attributs de souverain, de chevalier, de combattant : destrier à robe de fleurs de lys,
couronne (sur un chapeau : pas de heaume ni de bacinet afin de pouvoir porter la couronne
fleur de lysée), armure à plate complète avec plastron sur le torse. Derrière Charles VII se
pressent tous les capitaines de son armée. On sait aussi que le chancelier, symbolisant son
pouvoir législatif, était présent dans le cortège (mais il n’est pas représenté ici).
-le roi de France reçoit les clés des bourgeois rouennais, qui montrent ainsi leur
soumission au roi. A côté d’eux apparaissent les clercs (évêque de Rouen, chanoines), qui
célèbrent le rétablissement de la paix qu’a permis la reconquête royal.
-souvent, les redditions et les entrées royales sont accompagnées à la fin de la guerre de
Cent ans d’amnisties collectives par lesquelles le roi de France exalte son pouvoir en
montrant que, par sa guerre, il ne détruit pas mais rétablit paix dans le royaume.
La création d’une armée royale moderne à la fin de la guerre de Cent ans
-L’institution des grandes compagnies d’ordonnance par Charles VII en 1445 :
La guerre est un vecteur de déstabilisation dans le royaume, mais aussi d’affirmation du
pouvoir royal. On le voit au travers de ces miniatures, lorsque la royauté exploite ses succès
militaires et veut ainsi apparaître comme plus légitime vis-à-vis des populations du royaume
(même lorsqu’il s’agit de population soumises et vaincues). Pour le roi, la guerre permet le
de rallier et de mieux contrôler les communautés du royaume.
C’est pendant la guerre de Cent ans, en vertu des aux efforts que cette longue guerre a dû
demander à la monarchie pour mieux organiser son armée, que naît l’armée permanente et
moderne. L’ordonnance de Charles VII promulguée en 1445 créée les compagnies de
grandes ordonnances, qui doivent résider dans les villes fortifiées et sont entretenues en
permanence pour défendre le royaume. Dès lors, l’armée n’est plus convoquée en fonction
des besoins militaires du roi, mais elle est continuellement mobilisée. Elle est fondée sur un
corps d’hommes de guerre professionnels, volontaires et soldés par la monarchie. Les
capitaines sont tous des nobles choisis par le roi.
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Loïc Cazaux – 5/11/2014
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III. Guerre, religion et conquêtes en Orient et en Occident
PLACER ICI le 3) de la partie suivante : il y a une erreur de pagination, car cette sous-partie
sur les croisades a plus sa place dans le III
3. Les croisades et l’expansion latine en Méditerranée
Les croisades, qui sont des pèlerinages armés dirigés contre l’infidèle, sont l’une des
expressions de la « réforme de l’Eglise » promue par Grégoire VII. Il s’agit de renforcer la
place centrale de l’Eglise et de sa hiérarchie (pape, mais aussi évêques et abbés) dans la
société chrétienne. La guerre juste encouragée par l’Eglise depuis la fin de l’Antiquité est une
guerre essentiellement défensive, qui vise à protéger la communauté chrétienne. Mais elle
peut être aussi offensive lorsqu’elle vise à restaurer l’intégrité des territoires chrétiens en
Orient, autour de Jérusalem. C’est donc une guerre contre les infidèles, qui peut s’effectuer
contre les Musulmans depuis qu’ils ont conquis la Terre Sainte au VIIe siècle (prise de
Jérusalem en 638). Or, à la fin du XIe siècle, les musulmans sont divisés au Proche-Orient, et
les conquêtes arabes sont fragilisées par la progression des Turcs seldjoukides. Celle-ci
pousse l’Empire byzantin à faire appel aux chrétiens latins.
Les croisades sont aussi une expression de l’expansion latine en Méditerranée, qui se
renforce à partir du XIe siècle, grâce à l’activité commerciale des cités italiennes.
La Première croisade (1095-1099)
-La Première croisade (fin XIe s.) vue d’après des miniatures du XIIIe siècle :
La Première croisade est déclenchée à la suite de la prédication au concile de Clermont en
1095 du pape Urbain II, successeur de Grégoire VII. Urbain II promeut l’idée d’une chrétienté
unie derrière le pape pour défendre la Palestine, prise illégitimement par les musulmans en
638.
L’enluminure illustre les principaux épisodes de la première croisade (1095-1099), qui se
termine par la reprise de Jérusalem en 1099. Insérée dans la Chanson d’Antioche au XIIIe
siècle, elle donne une vision tronquée de la croisade, qui sélectionne les évènements (en
ajoutent certains, imaginaires 3). Laissant de côté le rôle des roturiers, notamment comme
combattants (piétons, arches), elle se concentre surtout sur l’aristocratie latine (les Francs)
et musulmane (les Turcs, lors du siège d’Antioche contre les Seldjoukides, en 1097-1098).
Elle est cependant intéressante, car elle permet de montrer que l’idéal de la croisade et les
succès de la croisade restaient tout à fait important dans la production littéraire de la suite
du Moyen Âge (la littérature épique ici, car la Chanson d’Antioche est une épopée).
3 Des exemples de réinterprétations faites par la Chanson d’Antioche de l’histoire de la Première croisade :
-dans le registre supérieur, en haut à gauche : une miniature représente le frère du roi de France Philippe Ier, qui propose ses services à Urbain II et au prédicateur Pierre L’Ermite, lors du concile de Clermont. Philippe Ier avait été excommunié à cause d’un mariage illégal. -dans le registre intermédiaire, à droite : le duc lorrain Godefroi de Bouillon mène les troupes lors de la sortie d’Antioche contre les Turcs. Or ce fut surtout Bohémond de Tarente (un normand d’Italie) qui joua un rôle décisif dans cette sortie.
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Dans toute la seconde partie du Moyen Âge et jusqu’au XVe siècle, la croisade
participe bien du mode de vie nobiliaire et de la culture courtoise : une culture
essentiellement tournée vers la guerre et les beaux faits militaires accomplis par les
chevaliers :
-l’enluminure édulcore toute mention trop crue de violence pour chacun des belligérants.
Or les croisés comme les Turcs ont accomplis des massacres : les croisés lors de la prise e
Marra et de Jérusalem, les Turcs lors de leur conquête du Proche-Orient.
-les combats qui sont représentés sur la miniature font l’apologie du combat
chevaleresque classique, lance couchée : combat adopté après par les croisés, mais pas par
les musulmans. Or ici, les Turcs sont montrés en chevaliers identiques aux croisés.
La première croisade serait un vaste combat de chevaliers partageant une même culture
militaire. Cela se fait tout à l’honneur des croisés, qui réussissent à vaincre des adversaires à
leur mesure. Cette déformation démontre d’ailleurs la perception ambigüe qu’avaient les
croisés des musulmans au Moyen Âge : ils les combattent et les dénoncent, mais les
respectent également, et n’hésitent d’ailleurs pas à négocier avec eux (voir le document
placé un peu plus loin, p. 30, sur la chevalerie franque vue par un musulman).
-cependant, la réalité des combats était bien différente. Les Turcs privilégiaient non pas la
charge de cavalerie lourde, mais les rapides coups de mains, le harcèlement et les guets-
apens, grâce à une cavalerie légère très agile et mobile. Plutôt que des lances baissées, ils
utilisaient des javelots et des arcs.
1. Les débuts de l’Islam et l’expansion musulmane en Méditerranée
La guerre est également l’un des fondements du monde musulman, en ce qu’elle a
garanti l’expansion de l’islam dès les premiers temps du prophète, au début du VIIe siècle. Le
programme de Cinquième invite à présenter aux élèves les débuts de l’islam et un épisode
de l’expansion musulmane. J’ai choisi d’évoquer la bataille de Badr (624) et le concept de
Jihad, tel qu’il apparaît dans le Coran et les Hadîths, puis quelques siècles plus tard au XIe
siècle parmi les Almoravides (avant d’être repris encore au XIIe siècle en Palestine contre les
croisés). Avec la conversion à la suite des invasions armées, le Jihâd joua un rôle essentiel
dans les grandes conquêtes musulmanes du VIIe siècle.
La bataille de Badr en 624, d’après la Sîra du Prophète.
La Sîra est une biographie du prophète. La plus ancienne conservée a été rédigée par
Ibn Ishaq (cité dans le texte p. 27, mort v. 768), et remaniée par Ibn Hichâm (m. v. 830). C’est
un extrait de cette Sîra qui évoque ici la bataille de Badr en 624.
La bataille de Badr est importante car il s’agit de la première victoire remportée, dès
l’an II de l’hégire, par les musulmans commandés par Mahomet. Badr se situe au sud-ouest
de Médine, sur la route des caravanes reliant la Mecque à la Syrie. C’est donc grâce à la
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Loïc Cazaux – 5/11/2014
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victoire de Badr que Mahomet s’impose non seulement comme prophète mais aussi comme
homme de guerre. La bataille est provoquée par son souhait d’intercepter un convoi ennemi
protégé par les Mecquois. Elle est un grand succès pour les troupes de Mahomet car ils
étaient inférieurs en nombre, et la victoire leur permit d’accumuler un butin important.
D’après le Coran, la victoire fut considérée comme un signe de l’assistance divine, qui
aurait appuyé les troupes musulmanes par l’envoi d’anges. La victoire de Badr fut donc
considérée comme un moyen de justifier et de légitimer la foi musulmane nouvelle contre
les infidèles :
-la Sîra d’Ibn Ishaq reflète cette idée, selon laquelle la bataille est le signe d’un jugement
de Dieu : Mahomet prie Dieu « pour qu’il lui accorde la victoire promise » (l.4-5). Une
révélation fait apparaître au prophète l’ange Gabriel, qui intervient sur le champ de bataille
(l. 9-10). Par ailleurs, la victoire est conçue comme un moyen d’accéder au paradis pour les
combattants musulmans. Prendre les armes pour Dieu est donc un signe de foi.
-on peut faire un parallèle direct entre cette interprétation divine de la victoire à Badr et
la conception religieuse de la bataille dans la chrétienté médiévale. Les chrétiens médiévaux
(clercs et laïcs) considéraient que la victoire relevait d’un jugement de Dieu, d’une ordalie.
Dieu choisissait et distinguait le vainqueur sur le champ de bataille. Ainsi, comme l’a montré
G. Duby dans un livre célèbre, le Dimanche de Bouvines, la bataille de Bouvines est
interprétée comme une ordalie, un signe de Dieu envers le royaume de France, victorieux
(27/07/1214 : elle fait suite à la prise de la Normandie par Philippe Auguste. Celui-ci doit
alors affronter à Bouvines, dans les Flandres, une coalition formée autour de l’empereur
Otton IV).
Le Jihâd dans le Coran et les Hadîths, et son rappel au milieu du Moyen Âge.
Les Hadîths sont les paroles attribuées au prophète. Elles se distinguent du Coran car elles
ne sont pas considérées – sauf exceptions – comme une parole divine transmise au