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Concurrence dans les chemins de fer : Une chimère ? Réflexions sur la réforme des chemins de fer 2 Christophe Genoud, Mirconsulting Prof. Matthias Finger, EPFL Chaire MIR Prof. Matthias Finger EPFL-MIR-iLEMT Odyssea 1015 Lausanne Phone +41 21 693 00 01 Fax +41 21 693 00 00 [email protected] Février 2004

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Concurrence dans les chemins de fer :Une chimère ?Réflexions sur la réforme des chemins de fer 2

Christophe Genoud, MirconsultingProf. Matthias Finger, EPFL

Chaire MIR Prof. Matthias FingerEPFL-MIR-iLEMT Odyssea1015 Lausanne Phone +41 21 693 00 01 Fax +41 21 693 00 00 [email protected]évrier 2004

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© Mirconsulting, EPFLLausanne, février 2004

Tirage : 700 allemand, 200 français

Emolument de protection CHF 10.–

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Résumé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2

1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3

2 Réforme des chemins de fer 2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4

3 Régionalisation et réforme des chemins de fer 1 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6

4 Bilan réformes précédentes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84.1 Trafic voyageurs national . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94.2 Trafic voyageurs régional . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 104.3 Trafic marchandises . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 114.4 Open access . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 124.5 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14

5 Concurrence et concentration . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 165.1 L'effet synergie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 165.2 La mise à niveau des opérateurs sur les marchés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 185.3 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19

6 La stratégie du champion national . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20

7 Conclusions générales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21

Sommaire

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Cette publication entend contribuer au débat autour des propositions de la réformedes chemins de fer 2 (Bahnreform 2) présentée dans le projet mis en consultation endécembre 2003.

Constatant l’absence d’évaluation globale des réformes précédentes (régionalisationet réforme des chemins de fer 1), ce document propose de dresser un bilan succinctde l’état de la concurrence dans le secteur. Ce survol et l’analyse des propositionsprésentées dans le projet de réforme des chemins de fer 2 permettent de formuler lesconclusions suivantes :1. Les propositions de réforme des chemins de fer 2 en matière de paysage des

transports publics ferroviaires ne reposent actuellement sur aucune évaluationsérieuse des résultats des réformes précédentes. Ces propositions, tout commel’ensemble des propositions présentées dans le message, sont plus le fruit d’uneapproche «trial and error» intuitive, ponctuelle et pragmatique, que d’une approcheméthodique, systématique et scientifique.

2. Alors que la concurrence est évoquée par les opérateurs et par les autorités pourexpliquer les enjeux actuels ou pour promouvoir les nouvelles réformes, celle-ci esten réalité une chimère, sauf dans le secteur des marchandises, où elle demeureencore modérée.

3. Les dispositions prévues par les réformes précédentes n’ont pas été pleinementutilisées (ex. mise au concours).

4. Les arguments avancés pour défendre les mesures de restructuration du paysagedes chemins de fer ne sont pas décisifs en l’état actuel des évidences empiriqueset reposent de surcroît sur des contradictions évidentes d’objectifs politiques.

5. La stratégie de création d’un champion national est contreproductive et potentiel-lement dangereuse, car elle concentre les risques du marché sur un seul opéra-teur dominant (ex. Swissair) et réduit les possibilités de concurrence interne à laSuisse.

Résumé

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Alors que le projet de réforme des chemins de fer 2ème étape (Réforme des cheminsde fer 2) est officiellement mis en consultation depuis le 19 décembre 2003, denombreux acteurs ont déjà pris position sur quelques points centraux proposés. Parexemple, l’Union des Transports Publics lors de son assemblée générale du 28 août2003, par la voix de son directeur Peter Vollmer, a exprimé son désaccord avec lesmesures préconisées visant à remodeler considérablement le paysage des cheminsde fer suisses dans le sens d’une concentration accrue autour des CFF1. Il semblaitdonc légitime d’entamer une discussion sur cette question.Ce présent document réalisé en collaboration par l’Unité Management des Industriesde Réseau de l’EPFL et par le bureau de conseil Mirconsulting sàrl vise à dresser unbilan de la situation des chemins de fer suisse huit ans après les premières réformesimportantes de 1995. Cette courte étude veut être un élément du débat et vise àéclairer, d’un point de vue critique et scientifique, les propositions présentées dans leprojet de réforme des chemins de fer 2. Le propos de cette étude ne couvre toutefoispas l’ensemble des propositions formulées dans le projet. Seules les problématiquesliées au paysage des chemins de fer et à la concurrence sont abordés.Le document est organisé de la manière suivante. Dans la section 2, nous présentonsles propositions formulées dans l’avant-projet et interrogeons l’orientation générale dela réforme des chemins de fer 2. Dans la section 3, nous rappelons les objectifs et lesdispositions des réformes précédentes, dont la réforme des chemins de fer 2 se veutêtre le prolongement. La section 4 cherche à dresser, sur la base des données existan-tes, un bilan des réformes précédentes afin de mieux situer les nouvelles propositionsdans leur contexte. La section 5 discute et évalue la pertinence des propositions visantà poursuivre l’effort de concentration des opérateurs dans le secteur. Les deux scénariiproposés par l’avant-projet (regroupement des ETC et intégration des ETC au sein desCFF) sont plus spécifiquement évalués à la lumière de la situation empirique actuelle.La section 6, revient sur les arguments principaux sous-tendant ces propositions derenforcement des CFF, soit la volonté de créer un champion national sur le marchéeuropéen. Enfin, dans la section 7, nous résumons les conclusions de cette étude.

1 Introduction

1 Peter Vollmer «Le paysage des TP suisses ne doit pas devenir le terrain de jeu de l’administration»,allocution Assemblée générale UTP, Appenzell 28 août 2003, www.utp.ch.

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2 OFT (2003). Réforme des chemins de fer 2, Consultation, 19.12.03, Berne : OFT.

Comme le rappelle l’avant-projet mis en consultation cet hiver2, la réforme des che-mins de fer 2 est un processus continu visant à approfondir les réformes entaméesen 1995 (modification de la loi sur les chemins de fer) et en 1999 (loi sur les CFF).Parmi les dispositions proposées dans ce document figure l’idée de revoir en profon-deur le paysage des chemins de fer suisses (Bahnlandschaft), soit la structure et lenombre d’opérateurs ferroviaires. En effet, selon le document, de nombreux opéra-teurs ferroviaires seraient trop petits pour participer à la mise au concours de lignes.Cette fragmentation des opérateurs ferroviaires suisses ne permettrait donc pasd’atteindre les objectifs de la Confédération d’accroissement de l’efficience et de laproductivité du secteur. Aussi, prenant acte des fusions et autres regroupementsd’opérateurs qui ont déjà eu lieu ces dernières années, le projet prévoit de poursuivreactivement cette concentration des opérateurs et la réduction à terme de leur nombreen proposant deux scénarii :– Le premier scénario, intitulé «Renforcement des CFF» prévoit le transfert des

réseaux à voie normale aux CFF et la création de sociétés régionales entre lesopérateurs privés et les CFF pour la production des prestations de transport public.Ce scénario reproduit le modèle Thurbo déjà expérimenté.

– Le second scénario, intitulé «CFF+X», envisage de poursuivre le processus deconcentration au sein des chemins de fer privés (ETC) pour aboutir à terme à uneréduction du nombre nominal d’opérateurs régionaux pouvant se faire concurren-ce tout en restant des entreprises intégrées. Ce scénario revient à poursuivreactivement le processus de concentration déjà en cours.

2 Réforme des chemins de fer 2

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En tant qu’actionnaire unique des CFF et minoritaire de la plupart des ETC, la Con-fédération serait en mesure de mettre en œuvre activement l’un ou l’autre de cesscénarii. Un autre moyen de parvenir à ces buts réside dans la possibilité pour laConfédération et les cantons, en tant que commanditaires, d’inciter aux fusions enrecourant à la mise au concours des prestations de transports.La réaction virulente des acteurs concernés, chemins de fer privés et UTP, démontrel’enjeu que représente une telle réforme et soulève de nombreuses questions sur lanature de cette nouvelle réforme et la pertinence de ces propositions. La réforme deschemins de fer2 telle qu’elle est actuellement présentée est-elle véritablement,comme elle le prétend, la continuation logique des réformes précédentes ? L’accrois-sement de la concentration dans le secteur et le renforcement du poids des CFF sont-elles des options désirables ?

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La modification de la loi sur les chemins de fer opérée en 1995 a introduit la régio-nalisation des compétences en matière d’organisation des transports publics. Cetteréforme reposait sur quatre principes : l’harmonisation des flux financiers entreConfédération et cantons, le transfert des compétences d’organisation aux cantons,la mise sur pieds de conventions de prestations entre commanditaires et prestataireset la possibilité de mettre au concours la fourniture des prestations de transportspublics régionaux. Cette dernière mesure constituait le point d’orgue de cette réfor-me en introduisant une dose de concurrence dans le secteur des transports publicsavec comme objectif d’accroître l’efficience et la qualité des prestations.

Ces deux objectifs ont été clairement réaffirmés en 1999, avec la réforme des che-mins de fer 1 organisée autour de quatre mesures principales :– La séparation organisationnelle de l’infrastructure et de l’exploitation ;– L’accès libre au réseau par les tiers (open access) ;– La généralisation du principe de la commande de prestations ;– L’ouverture du marché du trafic marchandises.

Comme le relève le message du Conseil fédéral du 13 novembre 1996, «La réformevise deux objectifs essentiels, à savoir :– Augmenter l’efficacité des transports publics, notamment du trafic ferroviaire– Améliorer le rapport coûts-bénéfices des pouvoirs publics.» p.5

La concurrence n’est pas l’objectif ultime des réformes successives, mais bienl’instrument central de cette redynamisation des transports publics et du secteurferroviaire en particulier. En effet, l’introduction de l’accès au réseau des tiers viseclairement «à instaurer systématiquement davantage de concurrence entre les diversopérateurs ferroviaires». Concurrence qui, par ailleurs, est en accord avec les objec-tifs de la politique européenne en la matière.

3 Régionalisation et réforme des chemins de fer 1

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Moyen de redynamiser et de restructurer le secteur ferroviaire, plus qu’objectif en soi,la concurrence représente incontestablement la cheville ouvrière du système mis surpied depuis la régionalisation de 1995 et confirmée par la réforme des chemins defer 1. Dès lors, deux questions se posent.– Les objectifs d’augmentation de l’efficacité et l’amélioration du rapport coût-béné-

fices ont-ils été atteints ? – Quel rôle a joué la concurrence dans l’atteinte de ces résultats ?

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A notre connaissance, peu d’enquêtes ou de publications ont été menées sur lesecteur des transports publics et des chemins de fer suisses depuis 1995 hormis les publications régulière de la Litra dont une publiée en 20003 qui présente l’étatd’avancement des réformes, mais ne procure pas de chiffre ou de résultats concrets.En 2000, Genoud4 a publié les résultats d’une recherche sur les implications de larégionalisation. Cette étude menée dans quatre cantons (NE, JU, BE, ZH) montre queles nouvelles dispositions en matière de régionalisation sont très diversement misesen œuvre et que celles-ci requièrent des compétences, notamment en matière demise au concours, dont ne disposent pas tous les cantons.Plus récemment, un mémoire de diplôme de l’IDHEAP5 a permis de réaliser la seuleévaluation, à ce jour, de l’accès des tiers au réseau ferroviaire (open access). Mis enperspective face au expériences étrangères (France, Angleterre, Suède, Allemagne),le cas suisse est caractérisé par une tarification des aspects de monopole (infra-structures et indémnités) sur-administrée et une tarification des aspects de con-currence (open access) sous-administrée. L’auteur relève également que le systèmede régulation suisse repose sur une foi quasi-inébranlable sur l’auto-régulation dusecteur, nuisible à l’instauration d’une concurrence ordonnée et efficace.Enfin, une enquête intitulée «Liberalisierungsindex Bahn 2002»6 réalisée conjointe-ment par IBM et des chercheurs de l’Université Humbolt de Berlin, a réalisé une éva-luation comparative, incluant 17 pays (UE + Suisse et Norvège), sur l’ouverture desmarchés des chemins de fer. Evaluée sur la base de trois index composites (ouvert-ure légale, conditions d’accès et dynamique du marché), la Suisse se positionne parmiles pays où l’ouverture est la plus grande. Ce «bon» résultat doit toutefois être sérieu-sement relativisé. Premièrement, les indices utilisés se fondent essentiellement surune définition statique et légale de l’ouverture des marchés. Le seul indice dynamique

3 LITRA (2000). Réforme des chemins de fer en Suisse. Une année d’expérience. Berne : LITRA, 12p.

4 Genoud, C. (2000). La régionalisation des transports publics. Lausanne : IDHEAP.

5 Favre, D. (2003). Access pricing et régulation ferroviaires. La Suisse face aux expériences européennes.Lausanne : IDHEAP.

6 IBM. (2002). Liberalisierungsindex Bahn 2002, Vergleich der Marktöffnung in den Eisenbahnmärkten der15 Mitgliedsstaaten der Europaischen Union, der Schweiz und Norwegen. Berlin : Humbolt Universität.

4 Bilan réformes précédentes

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fondée sur une représentation de la concurrence donne un score relativement bonpour la Suisse. Toutefois, les auteurs relèvent eux-mêmes que le cas suisse estdifficilement comparable sur ce plan là, dans la mesure ou le nombre élevé deconcurrents théoriques (ETC) ne résulte nullement de la libéralisation, mais de lastructure historique du secteur helvétique comprenant déjà un nombre importantd’opérateurs.Hormis ces quelques publications spécifiques et limitées dans leur objet,aucune évaluation globale, solide et exhaustive des impacts des réformesde 1995 et de 1999 n’a été, à ce jour, réalisée7. Une évaluation de la réforme de1995 serait bien prévue à l’Office fédéral des transports (OFT), mais elle n’aurait pasencore été lancée. En vue de la formulation des scénarii de paysage des chemins defer, le projet mis en consultation évoque la réalisation de «douze scénarios fonda-mentaux»8. Il ne nous a pas été possible de se procurer ce document. En conséquen-ce de quoi, il est aujourd’hui difficile de répondre aux deux questions formulées plushaut. C’est pourquoi, nous avons cherché à combler ce vide en collectant desdonnées empiriques sur l’état de la concurrence dans les transports publics, et plusparticulièrement dans les chemins de fer suisses. Nous avons décomposé notreanalyse en quatre sections: trafic voyageurs national, trafic voyageur régional, traficmarchandises et open access.

4.1 Trafic voyageurs national

Le trafic national de voyageurs par chemins de fer est aujourd’hui la responsabilitéexclusive des CFF. Un monopole légal sur ce type de trafic leur est garanti jusqu’en2007 par les deux conventions de prestations successives signées avec la Con-fédération. Sur les tronçons utilisés par les trains pendulaires IC (Genève/Lausanne-Bienne-Bâle/Zürich-Saint-Gall) ce monopole est même garanti par la concessionjusqu’en 20199. Les CFF ne reçoivent pour la fourniture de ces prestations aucunecontribution financière.Conclusion: Il n’y a pas de concurrence pour le trafic voyageurs national.

7 Il existe bel et bien une évaluation partielle de la réforme réalisée par l’OFT sous le titre de «Monitoring2000». Nous n’avons pas pu nous procurer ce document auprès de l’OFT.

8 OFT (2003). Réforme des chemins de fer 2, Consultation, 19.12.03, Berne : OFT, p. 14.

9 Message du Conseil fédéral concernant la Convention de prestation entre la Confédération suisse et la SACFF du 8 mars 2002.

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4.2 Trafic voyageurs régional

Depuis la régionalisation de 1995, les cantons sont libres de mettre au concours lesprestations de transports régional de concert avec la Confédération qui est co-signa-taire de l’ensemble des contrats de prestations. On ne dispose aujourd’hui d’aucunebase de donnée complète et systématique du nombre de mises au concours réaliséesdepuis 1996 ainsi que leurs effets. Une rapide enquête auprès des cantons ainsiqu’une liste élaborée par l’Union des transports publics permet toutefois de dresserle tableau suivant.

Tableau 1 : Nombre de mise au concours depuis 1996 en trafic voyageursrégional

Mode de transport No Lignes-réseau (année)Transport routier 33 Réseaux et lignes régionales (1996-2003)Transport ferroviaire 1 Ligne City-Vogel entre Konstanz et Zürich (2000)

Source : enquête par e-mail auprès des cantons et liste élaborée par l’UTP

En matière de transports routiers, parmi ces 33 mises au concours de lignes ou deréseaux, à notre connaissance plus de la moitié ont visé la mise en concurrence d’uneprestation déjà existante. Nous ne disposons par contre pas de statistique complètepermettant de déterminer parmi les lignes existantes mise au coucours combien ontmené à un changement d’opérateur. Quelques explications provisoires, en l’absenced’une évaluation approfondie, peuvent être avancées pour expliquer ces chiffres rela-tivement bas. Premièrement, il a fallu un certain temps pour que le cadre légal et lesoutils (ex. définition des critères d’évaluation etc.) soient développés pour qu’une miseau concours puisse avoir lieu. Deuxièmement, la décision de mise au concours revientessentiellement aux cantons. Ceux-ci ne sont pas toujours bien disposés à mettre auconcours les prestations pour diverses raisons (manque de ressources, manque devolonté politique, conflit d’intérêt à cause de la propriété publique des opérateursetc.). A ce jour seul les cantons de Zürich et de Lucerne ont adopté des dispositionslégales instaurant une mise au concours périodique des prestations de transportspublics. Troisièmement, l’organisation de mis au concours représente des coûts quetous les cantons ne peuvent pas supporter. Enfin, il n’a pas été encore démontré queles exercices réalisés ont permis d’atteindre les objectifs fixés.

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En matière de transport ferroviaire, si l’on exclut le cas de la ligne du Bodensee qui aeu lieu avant la réforme de 1996, une seule mise au concours à eu lieu. Il s’agit dela ligne «City-Voge» entre Konstanz et Zürich. Initiée en 2000, la mise au concours n’ajamais été menée à terme. En effet, l’offre à l’origine considérée comme du traficnational a été par la suite intégrée dans le trafic national, non indemnisé et sous laresponsabilité des CFF.Conclusion : une faible concurrence existe en matière de transports voyageurs sur laroute. A ce jour, la concurrence en matière de transports voyageurs régionalsur les rail est inexistante.

4.3 Trafic marchandises

Le trafic marchandises sur le rail en Suisse est totalement libéralisé depuis 1999.Toute entreprise obtenant une licence ferroviaire peut offrir sur le marché des presta-tions de transports de marchandises sur le rail. Comme le confirme l’étude récentemenée par IBM, la Suisse figure parmi les pays où la concurrence sur ce marché estformellement la plus ouverte. En réalité, la situation est plus contrastée.Le secteur compte aujourd’hui en Suisse trois opérateurs nationaux actifs dans letransport de marchandises (CFF-Cargo, BLS-Cargo et Regionalverkher Mittelland).Les parts de marchés entre ces trois opérateur se répartissent comme suit :

Tableau 2 : Parts de marché en trafic marchandises national 2002

Mio Tonnes-km nettes. Parts de marché en %CFF Cargo 9’732 91.2BLS Cargo 870 8.2RM 60 0.6

Source : UTP10

En comparaison internationale, les Deutsche Bahn (DB) transportent 74.3 Mia tkm, laSNCF 50.4 Mia tm et les chemins de fer autrichiens (ÖBB) 16.6 Mia tkm11.

10 Quelle: Jahresberichte SBB, BLS und RM je 2002; RM-Zahlen aufgrund einer mündlichen Auskunft von Brutto- auf Netto-tkm umgerechnet.

11 Source: UIC 2001 – Zeitreihen der Bahnen.

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Cette large domination des CFF occulte toutefois une réalité où la concurrence est enpleine croissance. L’alliance entre les BLS et Railion (DB) par exemple représente lamise sur pied d’une concurrence sérieuse pour les CFF. Ce n’est également qu’en2000, que les RM ont commencé à offrir des prestations en trains combinés en utili-sant l’Open Access.La part du rail dans le transport de marchandises en Suisse est comparativement trèsélevée, sachant que 31.1% des marchandises (trafic national et transit, en tonnes-kilomètre) sont transportées par le train. La part du transport par route s’élève quantà lui à 61.5%12. En revanche, les prix des transports de marchandises par le rail sontcomparativement plus élevés que la moyenne européenne, comme l’illustre une étudecommandée par le Secrétariat à l’économie13.En conclusion, si le niveau de concurrence actuel dans le secteur des transports demarchandises n’est pas encore très élevé, celle-ci est bien réelle. L’arrivée prochainede nouveau opérateurs sur ce segment de marché devrait stimuler une concurrencenaissante.

4.4 Open access

L’introduction de la concurrence sur le marché ferroviaire ne peut se faire qu’à con-dition que l’accès au réseau par des tiers soit possible. En Suisse, cet accès estréglementé par la loi sur les chemins de fer (art. LCF) et par l’ordonnance sur l’accèsau réseau. Selon ces dispositions, tout opérateur en possession d’une autorisationdélivrée par l’Office fédéral des transports peut accèder au réseau de tiers après avoirconclu une convention avec le gestionnaire de l’infrastructure.Il n’existe pas, aujourd’hui, de données centralisées sur l’accès au réseau ferroviaire,ni auprès de l’OFT, ni auprès de la Commission d’arbitrage. Les chiffres présentés ci-dessous ont été recueillis auprès des CFF. Ces derniers n’ont pas souhaité voir publiésles chiffres bruts détaillés, c’est pourquoi ne sont présentées que les parts annuellesen pourcentages.

12 Source : LITRA, Les transports en Chiffres 2002.

13 Vaterlaus, S, Worm, H & Wild, J. (2003). L’ouverture des marches des secteurs organisés en réseau : les facteurs de succès. La Vie économique no 7, Berne : SECO, pp. 23–27.

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Tableau 3 : Part d’utilisation du réseau CFF selon trafic entre 2000 et 2002

Tonnes-kilomètre bruttes 2000 2001 2002Trafic voyageurs CFF 97.75% 97.77% 97.64%Trafic voyageurs autres 2.25% 2.23% 2.36%Trafic marchandises CFF 99.45% 97.72% 95.57%Trafic marchandises autres 0.55% 2.28% 4.43%

Ces chiffres illustrent tout d’abord le niveau encore très faible de l’utilisation desréseaux des CFF par des tiers. Toutefois, une distinction très claire apparaît entre letrafic voyageurs et le trafic marchandises. Dans le premier cas, la situation est extrè-mement stable, dans la mesure où toute évolution passe nécessairement par la miseau concours de prestations ou par la mise sur pied de nouvelles prestations.Même si son niveau reste encore très modeste, on assiste à une évolution importan-te de l’accès au réseau en matière de trafic de marchandises, où à l’évidence, laconcurrence s’installe. Jusqu’en 2001, l’accès des tiers au réseau des CFF en traficmarchandises se limitait aux activités de BLS Cargo et de MThB/Lokoop. En 2000, RMa commencé à fournir des prestations de trains-combinés. Le trafic de MThB/Lokoopa été réparti, en 2002 lors de l’intégration de la companie au sein des CFF, entre lesCFF et le BLS. En 2003, Railion (DB Cargo) a commencé à offrir des prestations dansla Suisse orientale. L’accès au réseau par des tiers devrait encore considérablementaugmenter durant l’année 2004. Cette faible utilisation de l’open access, bien qu’encroissance forte, peut être expliquée par plusieurs facteurs.Premièrement, la croissance du trafic marchandises est actuellement limitée par desproblèmes de congestion du réseau, qui rendent difficile une croissance exponentiel-le du trafic.Deuxièmement, l’arrivée de nouveaux acteurs étrangers nécessite un certain temps,pour ceux-ci avant de pouvoir être actifs sur le marché suisse. La plupart du temps,leur entrée se fait par l’intermédiaire d’un partenariat avec un acteur suisse déjà éta-bli (ex. DB avec BLS). Cela ne sera plus nécessaire, dès 2004, puisque les opérateursétrangers pourront également déployer leurs activités dans le trafic marchandisestransfrontalier sans aucune restriction.Troisièmement, il n’est pas impossible de la régulation de l’open access souffre defaiblesses institutionnelles14. Le faible nombre de recours déposés auprès de la Com-mission d’arbitrage ne saurait être unilatéralement interprété comme un signe de bon

14 Voir notamment Favre 2003 op.cit. pp. 268ss.

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fonctionnement du cadre de régulation. Comme le relève de projet de réforme deschemins de fer 2 lui-même, les petits opérateurs demandant un accès au réseau peu-vent s’abstenir de solliciter l’intervention de la Commission de peur de subir ensuitedes mesures de représailles de la part des plus gros opérateurs15. Ce constat illustreen effet une des faiblesses du cadre actuel de régulation de l’accès au réseau qui doitêtre corrigé par la réforme proposé, en octroyant, par exemple, la capacité pour laCommission d’arbitrage de s’autosaisir d’un problème qu’elle constate, sans devoirattendre qu’un opérateur le lui soumette.En conclusion, l’open access en Suisse reste aujourd’hui encore relativementfaible, bien qu’une tendance claire vers son développement est déjà ob-servable.

4.5 Conclusion

Premier constat, cette évaluation sommaire et partielle constitue la seule entreprisepubliée, à ce jour, de dresser un bilan global de l’état de la concurrence dans le sec-teur des transports publics et des chemins de fer depuis les premières réformes de1996 et 1999 en Suisse. Certaines des données présentées (ex. open access) ont étécollectées pour la première fois de façon systématique.Deuxième constat, alors que la concurrence est utilisée par les opérateurs et par lesautorités fédérales pour justifier les difficultés et la nécessité de poursuivre active-ment la réforme du secteur, celle-ci reste quasi-inexistante, sauf dans le secteur destransports de marchandises qui n’est pas directement concerné par les réformes dis-cutées dans le cadre de cette étude.Troisièmement, il est souvent argué que la véritable concurrence à laquelle font faceles chemins de fer est celle de la route, qu’il s’agisse du transport de marchandisesou de voyageurs. C’est affirmation indiscutable doit pourtant être relativisée. Contrai-rement à l’argument traditionnel invoqué par les acteurs ferroviaires, une concurren-ce intramodale ne nuit pas à une concurrence intermodale. La politique européennede redynamisation du rail, et par extension la politique suisse, est fondée sur l’idéeque le meilleur moyen de rendre le rail plus compétitif par rapport à la route passepar la concurrence interne au secteur ferroviaire et non pas par sa cartellisation. Cetobjectif était d’ailleurs également celui de la réforme des chemins de fer 1. En ren-dant les opérateurs plus competitifs et innovatifs à l’intérieur du secteur, on contribueà renforcer l’attractivité du secteur lui-même.

15 Projet Bahreform 2, 19.12.03, p.41 (version française)

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A la lumière de ces constats, il apparaît clairement que :1. Les propositions formulées dans le projet de réforme des chemins de fer 2 en

matière de paysage des transports ne reposent sur aucune évaluation empiriquesolide et publique des résultats des précédentes réformes (régionalisation et réfor-me des chemins de fer 1).

2. La concurrence dans les chemins de fer est aujourd’hui quasiment inexistante enSuisse, à l’exception du trafic de marchandises où elle est naissante.

C’est donc dans un contexte caractérisé par l’absence de points de référence clairsquant à la situation des chemins de fer suisses que les propositions de la réforme deschemins de fer 2 doivent être examinées et évaluées. C’est ce que la section suivan-te s’attache à faire en examinant de manière critique les arguments avancés dans leprojet pour justifier les scénarii en matière de paysage des chemins de fer.

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BR 2 propose une plus grande concentration dans le secteur sous la forme des deuxscénarii présentés au point 2. À la lumière des constats formulés dans les para-graphes précédents, quelle est la pertinence de ces scénarii par rapport à la situationactuelle du secteur et quelles pourraient être les conséquences de leur mise enoeuvre ? Nous proposons d’examiner systématiquement les arguments plaidant pourchacun des scénarii.

5.1 L’effet synergie

La principale justification pour une concentration dans le secteur ferroviaire, tel qu’elleest proposée par le projet de réforme des chemins de fer 2 se fonde sur l’argumentselon lequel, un regroupement des opérateurs ferroviaires permettrait, par l’inter-médiaire des effets de synergie et d’échelle, de réduire les coûts d’exploitation.Théoriquement parfaitement justifiable, cet argument n’est à ce jour, du moins dansle secteur ferroviaire, pas empiriquement vérifié.Il convient ici de distinguer deux cas de figure. Le premier est celui d’un transfert del’exploitation des infrastructures à un seul opérateur, le second celui d’une concen-tration entre opérateurs en matière de transport. Dans le premier cas, le transfert del’exploitation des réseaux à un acteur unique, et en l’occurrence aux CFF, ne garantitpas automatiquement une plus grande efficience. En l’état actuel des connaissancesscientifiques en la matière dans le secteur ferroviaire, il est impossible de vérifier oud’invalider cette hypothèse. Du moins, le projet de réforme des chemins de fer 2 nefournit, à ce jour, aucun élément empirique susceptible de soutenir cette hypothèse.De la même manière, dans le cas de coopérations ou de fusions d’opérateurs enmatière de transports, aucune donnée empirique disponible et applicable au secteurferroviaire ne permet de déduire une conclusion définitive dans un sens ou dansl’autre. Si des baisses de coûts en matière de transports, ou une amélioration desprestations aux mêmes coûts, peuvent être observées çà et là16, celles-ci semblent

16 En l’absence d’une évaluation globale des effets des réformes précédentes, l’évocation de ces bénéficesreste anecdotique.

5 Concurrence et concentration

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être plus le produit de la pression exercée par les autorités organisatrices (cantons etConfédération) sur les prix des offres, que de la concurrence ou de la coopération,voire de la fusion d’opérateurs. En effet, il n’est pas rare que les autorités comman-ditaires annoncent avant ou lors du lancement des demandes annuelles d’offres deréduire l’enveloppe financière linéairement de X% pour l’année suivante, provoquantainsi une diminution des coûts totaux, sans pour autant qu’il y ait eu mise auconcours.Il convient également de relever que la coopération entre opérateurs de transportspublics de manière générale n’a jamais été aussi populaire parmi les acteurs dusystème que depuis que la concurrence est possible. Dans un tel contexte, la coopé-ration est un bon moyen pour les opérateurs de réduire la probabilité d’une mise enconcurrence17.

En conclusion, on peut relever les points suivants :– Les hypothèses selon lesquelles un transfert de l’exploitation des réseaux à un

opérateur unique et/ou des fusions entre opérateurs permettent de réaliser desgains d’efficiences ne sont aujourd’hui ni vérifiées, ni invalidées. En l’absenced’évidence empirique, il n’est pas raisonnable d’argumenter en faveur ou en défa-veur de l’une ou l’autre position.

– Avant d’envisager des mesures aussi drastiques que la fusion d’opérateurs, qu’ils’agisse d’infrastructure ou de transport, d’autres moyens, moins radicaux etmoins susceptibles de réduire les chances de concurrence peuvent être envisagés.Ainsi, en matière de commande de prestations, l’utilisation plus soutenue de lamise au concours de prestations pourraient permettre d’accroître la pression surles opérateurs, notamment dans les chemins de fer où comme il a été relevé plushaut, la concurrence est aujourd’hui inexistante.

– La coopération entre opérateurs ne peut avoir comme unique objectif d’accroîtrel’efficience de la prestation. Elle doit également permettre de rendre la prestationplus efficace et l’innovation plus soutenue.

– Enfin, la proposition d’intégrer la gestion des infrastructures dans un seul opéra-teur ferroviaire entre en contradiction formelle avec la position défendue par leprojet réforme des chemins de fer 2 et par les acteurs ferroviaires eux-mêmes de ne pas opérer une séparation complète de l’infrastructure et de l’exploitation.En effet, le regroupement de la gestion des infrastructures, premier pas vers la

17 Genoud, C. (2003). Transports publics. Vers une «co-opétition» ?. Lausanne : Mirconsulting.

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constitution d’un opérateur unique de l’infrastructure, plaide fortement pour ununbundling plus approfondi. La constitution d’un tel monopole des infrastructuresaccroît en effet considérablement les risques d’inégalité de traitement dans l’accèsdes tiers au réseau et requiert donc une régulation plus forte et une séparation desactivités plus approfondie. Aussi, l’objectif de regrouper les infrastructures ferro-viaires requiert une mesure qui est elle-même en contradiction formelle avec laposition officielle défendue de non-séparation de l’infrastructure et de l’exploi-tation.

5.2 La mise à niveau des opérateurs sur les marchés

Un second argument plaidant pour une concentration des opérateurs suisses de che-mins de fer repose sur le constat selon lequel, l’opérateur suisse dominant, les CFF,sont en comparaison internationale trop petits pour survivre sur le marché européen.En conséquence de quoi en renforçant les CFF sur le marché interne on augmente-rait leur taille et leurs chances de survie.Si le diagnostique est incontestable, les conclusions qui en sont déduites ne résistentpas à une examen critique. Deux problèmes doivent être relevés : la justification théo-rique de l’argumentation et l’amalgame d’enjeux différents.Tout d’abord, comme il a été relevé au point précédent, la taille n’est pas nécessai-rement un facteur de succès sur un marché. Ensuite, il convient de préciser de quelmarché on parle. En effet, la question de la taille critique ne se pose qu’en fonctionde la taille du marché pertinent. Or, comme il a été relevé plus haut, le secteur deschemins de fer doit être divisé au moins en quatre marchés spécifiques : voyageursinternational, voyageurs national, voyageurs régional et marchandises. Ces marchéssont par définition de taille et de nature différentes. Si à l’évidence dans un marchédes marchandises où les opérateurs sont de plus en plus gros et internationaux, lesCFF sont un opérateur modeste, sur le marché du transport de voyageurs national ourégional suisse, ils sont un opérateur de taille. De même, dans la mesure où lesmarchés de transports de voyageurs régionaux sont par définition régionaux, le faitd’être précisément un opérateur régional n’est pas en soi un handicap, au contraire.Par conséquent l’argument de la taille critique sur le marché européen n’est valableque pour le trafic de marchandises, mais pas pour les autres marchés.

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En conclusion, on peut retenir les points suivants :1. la taille n’est pas toujours fonction de productivité et d’efficience2. Les marchés sont divers par leur nature et leur taille. Il n’y a donc pas de définition

globale de la taille critique. Celle-ci se définit en fonction du marché considéré.3. La justification d’une concentration des acteurs ferroviaires selon l’argument de la

taille critique n’est théoriquement valable que pour le marché des transports demarchandises.

5.3 Conclusion

Les arguments avancés pour la justification des scénarii visant à concentrer lesopérateurs dans le secteur ferroviaire, par le projet de réforme des chemins de fer 2sont au mieux théoriquement justifiés, mais empiriquement faibles (effet synergie), aupire incohérents et inconsistants (taille critique).

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Un troisième type d’argument peut être identifié derrière les propositions développésprésentées dans le projet de réforme des chemins de fer 2, soit celui de faire des CFFl’opérateur national unique, sous la forme d’un «champion national» sur le marchéeuropéen des chemins de fer. Hormis les problèmes identifiés au point précédent,cette stratégie comportent une série de dangers considérables pour l’ensemble dusecteur.Toute stratégie du «champion national» vise essentiellement deux objectifs : protégerle marché indigène et renforcer la position de l’opérateur dominant face à la concur-rence étrangère sur le marché indigène et international. Ce type de stratégie soulèveles problèmes suivants.Tout d’abord, la création d’un champion national passe essentiellement par l’étouffe-ment de la concurrence interne au pays et donc par l’affaiblissement, voire la dispa-rition d’opérateurs secondaires ou locaux. En d’autres termes, une telle stratégie va àl’encontre des objectifs des précédentes réformes ferroviaires visant à introduire uneplus grande concurrence.Ensuite, cet essouflement de la concurrence interne au pays a pour conséquencedirecte de ne rendre la concurrence possible que par l’arrivée de concurrents étran-gers suffisament grands pour concurrencer le champion national. A nouveau, cetteconséquence va à l’encontre de l’opinion générale qui domine au sein des acteursferroviaires suisses de favoriser l’entrée de concurrents étrangers. Aussi, le meilleurmoyen de «protéger» le marché suisse est d’y maintenir une concurrence interne réel-le et vivace, plutôt que de chercher à l’étouffer.Enfin, en créant un champion national appelé à faire concurrence aux opérateurseuropéens, on concentre les risques (difficultés financières, faillite etc.) liés à laconcurrence sur une seul acteur. En maintenant un nombre suffisant d’opérateursactifs sur le territoire suisse on fragmente les risques.Cette stratégie implicite de protection du marché helvétique est donc non seulementincohérente, mais dangereuse. De plus, il n’est pas certain que celle-ci s’accomodedes exigences européennes en matière de droit de la concurrence.

6 La stratégie du champion national

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Dans un article publié dans la Neue Zürcher Zeitung du 4 novembre 200318, nous for-mulions cinq questions permettant d’évaluer les propositions de refonte du paysagedes chemins de fer telles que proposées par le projet de réforme des chemins de fer2. Nous reprenons chacune de ces questions et proposons une réponse à la lumièredes discussions développées dans les paragraphes précédents.

1. Pourquoi la concurrence, alors qu’il s’agissait d’un objectif essentiel des réformesde 1995 et 1999, n’a-t-elle pas été plus utilisée comme instrument de redynami-sation du secteur ? Quelles sont les causes de son inemploi ou les obstacles à sondéveloppement ?

Dans le secteur des chemins de fer, la concurrence en trafic voyageurs est beaucoupplus lourde et compliquée à organiser que pour le transport par route ou pour le traficde marchandises. L’absence de concurrence en trafic voyageurs est essentiellementdue à trois facteurs : le monopole réservé au CFF sur les lignes nationales à longuedistance, les coûts d’un processus de mise au concours et l’absence de volonté poli-tique de mettre les prestations en concurrence. Le projet de réforme des chemins defer 2 envisage d’améliorer la situation, par exemple, en incitant à la mise sur pied desystèmes d’évaluation de la performance des opérateurs. En cas de mauvaise perfor-mances, la prestation pourrait alors être mise au concours. De plus, la Confédérationreconnaît dans le projet de réforme des chemins de fer 219 que «l’expérience montreque les petites entreprises évitent de faire appel à la commission [d’arbitrage]. Ellescraignent en effet des représailles de la part de grandes entreprises, en particulierdans les domaines où leur coopération est nécessaires (ex. tarifs).» p.41. En d’autrestermes, l’accès au réseau par les tiers souffre de la faiblesse du cadre de régulation.Pour remédier à ce problème, le projet de réforme des chemins de fer 2 prévoit derenforcer les pouvoirs de la commission d’arbitrage. Quant aux deux scénarii propo-sés en matière de paysage des chemins de fer, le scénario «renforcement de CFF»représente à l’évidence une limitation drastique des possibilité de concurrence. La

7 Conclusions générales

18 Finger, M & Genoud, C. (2003). Wettbewerb bei der Eisenbahn. Wunschtraum mit höchst unvollstandigerUmsetzung. NZZ 4.11.03, p. 15.

19 Page 41 de la version française.

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poursuite du scénario «CFF + X» constitue une menace moins grande sur les possi-bilités de mise en concurrence des opérateurs, pour autant que le processus deconcentration ne soit pas mené à des extrèmes.

2. La Confédération et les cantons se sont-ils véritablement donné les moyens demettre en œuvre les réformes précédentes et d’utiliser la concurrence comme unoutil efficace ? Y a-t-il une véritable volonté politique d’instaurer une concurrencedans ce secteur ?

Les réformes de 1996 et 1999 ont nécessité de longues périodes d’apprentissagepour l’ensemble des acteurs du secteur ferroviaire et des transports publics demanière générale. Les autorités organisatrices (cantons et Confédération) ont dûapprendre à réorganiser les processus de commandes de prestations et de mise auconcours. Toutefois, il faut bien constater que les moyens et la volonté d’appliquer lesmécanismes de la concurrence dans le secteur varient considérablement d’un cantonà l’autre. Qu’il s’agissent de ressources financières ou organisationnelles, les cantonsne sont clairement pas à la même enseigne. De plus, il est frappant de relever queles cantons suisse-romands n’ont pratiquement pas utilisé la possibilité de mettre auconcours les prestations de transports publics. Cette absence de volonté politiquepeut également expliquer cette prudence.

3. La tendance au regroupement des opérateurs ferroviaires et à la concentrationdans le secteur, si elle devait se confirmer, est-elle tenable à long terme ? N’y a-t-il pas là un risque de définitivement étouffer une concurrence potentielle ?En favorisant le développement d’une telle tendance, ne crée-t-on pas précisé-ment les conditions pour l’établissement d’une concurrence externe en étouffanttoute concurrence interne ?

Sur le plan théorique, une réduction du nombre d’opérateurs dans un secteur écono-mique par l’intermédiaire de fusions peut amener à des gains d’efficience dus auxéconomies d’échelle. En l’occurrence, nous ne disposons pas aujourd’hui de donnéesfiables permettant de vérifier cette hypothèse pour le secteur suisse des chemins defer. Dans un tel contexte, tout volontarisme excessif paraît déplacé. Ce qui est enrevanche certain, c’est qu’une réduction drastique du nombre d’opérateurs sur lemarché réduit d’autant les possibilités de concurrence et favorise l’entrée de concur-rents étrangers. Sur ce plan le scénario «CFF + X» paraît moins dommageable qu’untransfert de l’exploitation des réseaux aux CFF.

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4. Quels sont les risques et les implications de la poursuite d’une stratégie orientéevers le positionnement des CFF comme champion national au détriment d’opéra-teurs plus petits ? La diversité et le pluralisme ne sont-ils pas les meilleurs garantsdu dynamisme et de l’innovation ?

La stratégie du «champion national» est non seulement dangereuse, mais égalementerronée. Les dangers d’une telle stratégie reposent essentiellement sur le fait qu’ellepasse par l’étouffement de la concurrence interne et sur le fait que de la sorte lesrisques sont concentrés sur un opérateur plutôt que sur plusieurs. Cette stratégie estfausse, parce qu’elle repose sur le postulat erroné selon lequel pour survivre dans unmarché ferroviaire libéralisé européen, il convient d’être le plus gros possible. La réali-té est plus complexe. Le secteur ferroviaire est composé de marchés très différents(marchandises, voyageurs régional, national, international) dans lesquels la taille cri-tique est très différente. Comme l’illustre l’exemple allemand, la DB, qui compte parmiles opérateurs européens les plus grands, a perdu nombre de marchés régionaux enmatière de transports de voyageurs au profit d’opérateurs plus petits.

5. Comment ces propositions s’inscrivent-elles dans le cadre de la politique euro-péenne du rail ?

Le projet de réforme des chemins de fer 2 prévoit de mettre le cadre légal suisse enharmonie avec les derniers développements du droit européen en la matière. Si lescénario «CFF + X» devait être poursuivi, les réformes prévues dans le projet (ex.Commission d’arbitrage) devraient suffire pour satisfaire les critères européens. Enrevanche, une mise en œuvre du scénario «Renforcement des CFF» risque de rentreren contradiction partielle avec les dispositions européennes. Même si le droit euro-péen ne requiert pas de séparation institutionnelle entre infrastructure et exploitation,un transfert de la totalité des infrastructures de voie normale au sein des CFF plaidefortement pour une séparation plus profonde entre infrastructure et exploitation quela situation actuelle ou pour un renforcement plus substantiel des pouvoirs de la com-mission d’arbitrage, qui devrait alors se transformer en véritable organe de régulation.A ce titre, l’arrivée prochaine de plusieurs opérateurs européens sur le marché desmarchandises constituera un test pour la robustesse et l’efficacité du cadre de régu-lation suisse, notamment en matière d’accès au réseau.

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En conclusion,

1. Les propositions de réforme des chemins de fer 2 en matière de paysage destransports publics ferroviaires ne reposent actuellement sur aucune évaluationsérieuse des résultats des réformes précédentes. Ces propositions, tout commel’ensemble des propositions présentées dans le message, sont plus le fruit d’uneapproche «trial and error» intuitive, ponctuelle et pragmatique, que d’une approcheméthodique, systématique et scientifique.

2. Alors que la concurrence est évoquée par les opérateurs et par les autorités pourexpliquer les enjeux actuels ou pour promouvoir les nouvelles réformes, celle-ci esten réalité une chimère, sauf dans le secteur des marchandises, où elle demeureencore modérée.

3. Les dispositions prévues par les réformes précédentes n’ont pas été pleinementutilisées (ex. mise au concours).

4. Les arguments avancés pour défendre les mesures de restructuration du paysagedes chemins de fer ne sont pas décisifs en l’état actuel des évidences empiriqueset reposent de surcroît sur des contradictions évidentes d’objectifs politiques.

5. La stratégie de création d’un champion national est contreproductive et poten-tiellement dangereuse, car elle concentre les risques du marché sur un seulopérateur dominant (ex. Swissair) et réduit les possibilités de concurrence interneà la Suisse.

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