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COMITÉ DE DISCIPLINE ORDRE DES INGÉNIEURS DU QUÉBEC Canada PROVINCE DE QUÉBEC N° : 22-05-0305 DATE : Le 13 juin 2006 ______________________________________________________________________ Me Jean-Guy Gilbert Président Réal Beaudet, ingénieur Membre LE COMITÉ : ______________________________________________________________________ Louis Tremblay, ingénieur, en sa qualité de syndic de l’Ordre des ingénieurs du Québec Partie plaignante c. Vincent Boulet, ingénieur Partie intimée ______________________________________________________________________ DÉCISION SUR CULPABILITÉ ______________________________________________________________________ [1] Le 3 mars 2005, le syndic de l’Ordre des ingénieurs portait une plainte contre l’intimé ainsi libellée : 1. À Montmagny, district de Montmagny, le ou vers le 24 mai 1999, l’ingénieur Vincent Boulet a exprimé, dans le cadre d’un écrit concernant la contamination d’un terrain appartenant à monsieur Gérard Cloutier, situé sur le chemin des Cascades, à Montmagny, des avis incomplets et/ou contradictoires qui n’étaient pas basés sur des connaissances suffisantes et d’honnêtes convictions, contrevenant ainsi aux articles 3.02.04 et 2.04 du Code de déontologie des ingénieurs ; [2] Le 6 mai 2005, lors d’une rencontre pour gestion de l’instance en présence de l’intimé et du procureur du plaignant, Me Simon Venne, l’audition du présent dossier est

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Page 1: COMITÉ DE DISCIPLINE ORDRE DES INGÉNIEURS DU QUÉBEC · Terrapex Environnement ltée, 5 juillet 2003. S-16 Document intitulé « Caractérisation environnementale Phase II », Terrapex

COMITÉ DE DISCIPLINE ORDRE DES INGÉNIEURS DU QUÉBEC

Canada PROVINCE DE QUÉBEC

N° : 22-05-0305 DATE : Le 13 juin 2006 ______________________________________________________________________

Me Jean-Guy Gilbert Président Réal Beaudet, ingénieur Membre

LE COMITÉ :

______________________________________________________________________ Louis Tremblay, ingénieur, en sa qualité de syndic de l’Ordre des ingénieurs du Québec

Partie plaignante c. Vincent Boulet, ingénieur

Partie intimée ______________________________________________________________________

DÉCISION SUR CULPABILITÉ

______________________________________________________________________

[1] Le 3 mars 2005, le syndic de l’Ordre des ingénieurs portait une plainte contre

l’intimé ainsi libellée :

1. À Montmagny, district de Montmagny, le ou vers le 24 mai 1999, l’ingénieur Vincent Boulet a exprimé, dans le cadre d’un écrit concernant la contamination d’un terrain appartenant à monsieur Gérard Cloutier, situé sur le chemin des Cascades, à Montmagny, des avis incomplets et/ou contradictoires qui n’étaient pas basés sur des connaissances suffisantes et d’honnêtes convictions, contrevenant ainsi aux articles 3.02.04 et 2.04 du Code de déontologie des ingénieurs ;

[2] Le 6 mai 2005, lors d’une rencontre pour gestion de l’instance en présence de

l’intimé et du procureur du plaignant, Me Simon Venne, l’audition du présent dossier est

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fixée aux 1-2-3 et 4 novembre 2005, à la demande de l’intimé qui travaille à l’extérieur

du Québec.

[3] Le 8 juillet 2005, Me Judith Rochette comparaît au dossier pour l’intimé.

[4] Le 18 octobre 2005, Me Rochette présente une requête afin de surseoir à

l’audition de la plainte disciplinaire.

[5] Le vendredi 21 octobre 2005, lors d’une conférence téléphonique à laquelle

participent l’avocate de l’intimé, Me Rochette, Me Mélodie Sullivan pour le plaignant et

Me Jean-Guy Gilbert, président du Comité de discipline, il est décidé de reporter la

présentation de cette requête devant le Comité au 26 octobre 2005.

[6] Le 26 octobre 2005 les parties sont présentes.

[7] Le 26 octobre 2005, le Comité refuse la demande de remise de l’audition de la

plainte disciplinaire.

[8] Le 28 novembre 2005, le Tribunal des professions, par l’entremise de l’honorable

juge Anne Laberge, confirmait la position du Comité.

[9] L’audition et l’instruction du présent dossier ont été fixées aux 6-7 et 8 mars

2006.

[10] Le 6 mars 2006, les parties sont présentes.

[11] Me Mélodie Sullivan représente le syndic, monsieur Louis Tremblay et Me Guy

Samson représente l’intimé, monsieur Vincent Boulet.

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22-05-0305 PAGE : 3 PREUVE DU PLAIGNANT :

[12] Me Sullivan dépose les pièces suivantes :

S-1 Attestation de l'Ordre des ingénieurs (# 109977). S-2 En liasse, demande d’enquête de Michel Delisle, agronome,

directeur général, Société de coopérative agricole de Montmagny et lettre de précisions, 7 et 30 janvier 2004.

S-3 Lettre de Vincent Boulet, ingénieur, (Noram Experts-conseils inc.)

adressée à la Société Coopérative Agricole de Montmagny, re. : « Caractérisation environnementale des sols », 24 mai 1999.

S-4 Procès-verbal de la réunion des administrateurs de la Société

Coopérative Agricole de Montmagny: offre d’achat, 25 mais 1999. S-5 Facture nº EX-99-037 de Noram Experts-conseils inc. adressée à

Société Coopérative Agricole de Montmagny, re. : services rendus par Vincent Boulet, ingénieur. 26 mai 1999.

S-6 En liasse, lettre et télécopies de Vincent Boulet, ingénieur. (Noram

Experts-conseils inc.) adressées au Centre financier aux entreprises de Montmagny-L’Islet (Desjardins), re. : caractérisation environnementale, phase II, 5, 15 et 16 mai 2003.

S-7 En liasse, télécopies et lettre de Vincent Boulet, ingénieur (Noram

Experts-conseils inc.) adressées à Michel Delisle (Société Coopérative Agricole de Montmagny), 20 mai, 4 et 20 juin 2003.

S-8 En liasse, document préparé par Noram Experts-conseils inc.

intitulé « Sondages Environnementaux », et lettre de présentation de Vincent Boulet, ingénieur., juin 2003 et 20 juin 2003.

S-9 En liasse, facturation et notes de crédit de Noram Experts-conseils inc. concernant les études de caractérisation environnementale phase II et phase III, mai et décembre 2003.

S-10 Avis technique de Éric Morissette, conseiller en environnement

(Coopérative Fédérée de Québec), adressé à Michel Delisle (Société Coopérative Agricole de Montmagny), re. : travaux effectués par Noram Experts-conseils inc., 29 juillet 2003.

S-11 Offre de services professionnels de Vincent Boulet, ingénieur.

(Noram Experts-conseils inc), adressée à Gérard Cloutier, propriétaire du terrain, re. : Caractérisation environnementale de phase 1 et 2, 3 juin 1999.

S-12 Déclaration du Centre financier aux entreprises de Montmagny-

L’Islet (Desjardins) et de la Société Coopérative Agricole de Montmagny concernant le processus de décontamination, 11 juillet 2003.

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S-13 Lettre du Centre financier aux entreprises de Montmagny-L’Islet (Desjardins) adressée à Michel Delisle (Société Coopérative Agricole de Montmagny), re. : report par le créancier de la date d’échéance pour la décontamination du site, 29 juin 2004.

S-14 Curriculum vitae de Sheila Pitre, ingénieure. (Terrapex

Environnement ltée). S-15 Document intitulé « Évaluation environnementale Phase I »,

Terrapex Environnement ltée, 5 juillet 2003. S-16 Document intitulé « Caractérisation environnementale Phase II »,

Terrapex Environnement ltée, 14 novembre 2003.

S-17 En liasse, curriculum vitae et rapport de l’expert Yves Robert, ingénieur, Quéformat, 18 février 2005.

[13] Me Sullivan fait entendre son premier témoin, monsieur Michel Delisle qui

déclare au Comité :

Il est directeur général de la Société coopérative agricole de Montmagny depuis 2001.

Ses fonctions sont subordonnées au conseil d’administration de la Société.

Le 7 janvier 2004, au nom de la Coopérative, il a porté plainte à l’Ordre.

En mai 1999, la Coopérative désirait acheter un terrain face de son immeuble.

Suite à une demande de son institution financière, la Caisse populaire Desjardins de Montmagny, ils ont mandaté la firme « Noram experts conseils inc. » afin d’avoir son opinion sur les risques de contamination du site convoité.

Suite à une visite des lieux effectuée par l’intimé, la Société achète le terrain, considérant que le rapport qualifie comme faible les risques de contamination au sens de la loi sur la qualité de l’environnement.

La Coopérative décide de procéder à l’achat du terrain en 1999 suite à l’opinion émise par l’intimé.

En 2003, la Coopérative décide de réaménager l’entrepôt qui est loué et de le transformer en quincaillerie.

Suite à une demande de l’institution financière conditionnelle au financement, une caractérisation des sols plus approfondie est exigée.

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La Coopérative engage la même firme.

Cette fois des contaminants sont observés mais à un degré limité.

En juin 2003, l’intimé informe la Coopérative que le degré de contamination est élevé et que le coût de décontamination s’élèverait à 150,000$ suite à la découverte qu’une fonderie a existé sur ce site.

Suite à la recommandation de la Direction de l’environnement de la Coopérative fédérée de Québec, il décide de changer de firme d’ingénieurs conseils.

La nouvelle firme évalue le coût de la décontamination à environ 400,000$.

Suite à ce rapport l’institution financière n’a pas déboursé la totalité du prêt.

La quincaillerie est quand même en opération mais sans asphalter le stationnement.

Il souligne que la lettre et l’opinion émise en 1999 a sécurisé la Coopérative en relation avec l’achat de cet immeuble.

L’intimé l’a informé en mai 2003 que les coûts de décontamination étaient de 20,000 à 30,000$.

En juin 2003, l’intimé l’a informé que les coûts seraient de 70,000$.

L’intimé lui aurait offert de camoufler le fait qu’il y ait un taux aussi élevé de contamination lors d’une conversation téléphonique.

Il n’a pas payé la facture de l’intimé de 2003. (S-9)

La pièce S-11 lui a été remise par l’assureur, il ne l’avait jamais vue auparavant, elle n’était pas dans le dossier de la Coopérative.

Il croyait que c’était le terrain adjacent appartenant à la compagnie Irving qui pouvait être contaminé.

Il y a des poursuites civiles présentement devant la cour Supérieure.

Les faits survenus avant son arrivée comme directeur général proviennent du dossier de la Coopérative et de conversations avec son président.

L’ouverture de la quincaillerie a eu lieu en juillet 2003.

Il a débuté en modifiant l’immeuble à l’automne 2002.

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Il dépose les pièces suivantes : I-1 copie de l’acte de garantie hypothécaire immobilière intervenu le 8 juin

1999, devant Me Mario Dolan, portant le numéro d’inscription 154615. I-2 un document de REMAX sur l’évaluation dudit immeuble. I-3 copie de l’acte de vente intervenu le 9 juin 1999 devant Me Mario Dolan. I-4 copie de l’offre d’achat en date du 25 mai 1999. I-5 copie d’un deuxième acte de garantie hypothécaire immobilière intervenu

le 7 juillet 2003, entre la Caisse populaire Desjardins de Montmagny et la «Société coopérative agricole de Montmagny».

En 1999, il y avait un autre acheteur pour l’immeuble ce qui explique la rapidité de la transaction.

Il restait environs 50% des travaux à effectuer lors du retrait du mandat à l’intimé.

Il a discuté en mai et juin 2003 à deux ou trois reprises avec l’intimé.

[14] Me Sullivan fait entendre son 2e témoin, monsieur Yves Robert.

[15] Le Comité accepte son témoignage à titre de témoin expert.

[16] Celui-ci déclare au Comité :

En 1988, le Ministère de l’Environnement du Québec a publié sa « Politique de protection des sols et de réhabilitation des terrains contaminés. »

Une nouvelle version de ce document est publiée en 1998.

Les entreprises comme les industries des fils et des câbles métalliques, des ateliers d’usinage et des commerces de gros de produits pétroliers font parties de la liste des activités pouvant contaminer les sols et les eaux souterraines apparaissant à l’annexe 1 dudit document.

L’intimé aurait dû recommander à tout le moins une phase 1 et 2 considérant les activités antérieures connues.

La visite visuelle des lieux n’est pas une garantie acceptable dans les circonstances considérant le passé historique du site.

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Les eaux de ruissellement ne sont pas un critère valable; celles-ci peuvent très bien contaminer le sol en profondeur.

Si des contaminants étaient découverts sous l’immeuble cela pourrait avoir une incidence sur sa valeur marchande et sur la santé des utilisateurs.

Dans le cadre d’une caractérisation phase 1, l’impact des voisins est aussi important que celui des activités ayant eu lieu sur le site à l’étude.

Les produits pétroliers sont des contaminants mobiles qui exigent une prudence supplémentaire en matière environnementale.

L’historique du site est un indice important et dans ce cas cela constitue un risque potentiel non négligeable.

La conclusion de son rapport d’expertise ( S-17 ) est la suivante : Sur la base des commentaires donnés ci-dessus, nous considérons qu'en 1999, l'ingénieur Vincent Boulet manquait de connaissance et d'expérience pour émettre l'opinion exprimée dans son document du 24 mai 1999. Une caractérisation environnementale préliminaire phase I aurait dû être réalisée pour préciser la position des sources potentielles de contamination, tant sur le site que chez les voisins. Les résultats de cette étude auraient permis de définir le programme de sondage d'une caractérisation préliminaire phase II qui aurait été jugée nécessaire pour confirmer la qualité environnementale du site.

[17] Me Sullivan fait entendre son 3e témoin, monsieur Pierre Sauvé, syndic

correspondant, qui déclare au Comité :

Il est syndic correspondant depuis 7 ans.

Il est sous la gouverne du syndic de l’Ordre.

Il a rencontré l’intimé le 3 mai 2004.

Il n’a pas rencontré monsieur Cloutier, le vendeur de l’immeuble 1999.

Il n’a pas rencontré le directeur de l’époque en 1999, monsieur Talbot, car il n’en voyait pas la nécessité.

Il savait que monsieur Talbot (directeur général de la Société coopérative en 1999) avait été congédié en 2001 et qu’il n’était pas, selon lui, un témoin favorable à la Coopérative.

Il a produit ses notes suite à la rencontre du 3 mai 2004 avec l’intimé, de même que ses notes de la conversation téléphonique du 4 mai 2004.

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22-05-0305 PAGE : 8 PREUVE DE L’INTIMÉ :

[18] Me Samson fait entendre son 1e témoin, monsieur Charles Pépin qui déclare au

Comité :

Il travaille au centre financier des entreprises pour la caisse.

La demande de financement de la Coopérative a été accordée le 31 mai 1999.

Dans la lettre du 24 mai 1999, il savait que cela ne constituait pas une phase 1 de caractérisation des sols.

Le directeur général de l’époque (M. Talbot) n’était pas à l’aise avec une étude phase 1.

L’approche de 1999 et celle de 2003 sont différentes en regard des questions qui touchent l’environnement.

Aujourd’hui aucune valeur n’aurait été accordée à la lettre de l’intimé.

L’opinion de Noram était réconfortante mais insuffisante.

Lors du prêt du 7 juillet 2003, une somme de 100,000$ est prévue pour la décontamination.

Pour la Caisse, la Coopérative était un excellent sociétaire.

[19] Me Samson fait entendre monsieur Gérard Cloutier qui déclare au Comité :

Il était l’un des propriétaires de la société GGB inc. qui était propriétaire de l’immeuble convoité par la Coopérative.

Le 25 mai 1999, il a accepté une offre d’achat de la Coopérative.

Dans la semaine du 17 mai 1999, lors d’une rencontre avec le directeur général M. Talbot, l’offre lui avait été faite verbalement et sans garantie.

C’est lui qui a référé l’intimé à la Coopérative.

La Coopérative savait qu’il y avait un autre acheteur sans garantie.

L’autre acheteur était le locataire de l’immeuble objet de la transaction.

La compagnie Montel, l’autre acheteur potentiel, avait un délai d’une semaine pour procéder à l’achat.

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L’acte de vente est passé le 9 juin 1999.

Il ne se souvient pas d’avoir reçu la lettre du 3 juin 1999 de l’intimé. (S-11)

[20] Me Samson fait entendre l’intimé.

[21] Celui-ci dépose les pièces suivantes :

I-6 copie des notes qu’il a prises suite à sa rencontre avec M. Cloutier en date du 17 mai 1999.

I-7 copie des notes qu’il a prises suite à sa rencontre avec M. Talbot en

date du 21 mai 1999. I-8 une liste de 20 projets où une caractérisation environnementale a été

effectuée. I-9 copie d’un extrait de la caractérisation environnementale, en date du 14

novembre 2003, soit son annexe 2, intitulé « Rapports de sondages».

[22] L’intimé déclare au Comité :

Il est ingénieur depuis 1995.

Depuis 1993, il travaille pour le groupe Noram.

Le 17 mai 1999, il a rencontré monsieur Cloutier concernant l’immeuble convoité par la Coopérative.

Monsieur Cloutier voulait avoir une inspection visuelle pour la vente de cet immeuble.

Il l’informe que cela ne suffit pas pour avoir une conclusion définitive.

Monsieur Cloutier lui demande de rentrer en contact avec monsieur Talbot de la Coopérative.

Il avait déjà travaillé avec M. Cloutier en relation avec une étude environnementale.

Monsieur Cloutier l’informe de commencer par une inspection visuelle et que l’on verrait par la suite.

Monsieur Cloutier lui donne certaines informations concernant l’historique de ce terrain. (I-6)

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Il informe monsieur Cloutier qu’une étude lui coûterait environ 3000$.

Il rencontre monsieur Talbot le 21 mai 1999 à la Coopérative.

Il l’informe que c’est monsieur Cloutier qui l’envoie pour une inspection visuelle de l’immeuble.

Il visite les lieux avec monsieur Talbot.

Il déclare à monsieur Talbot que c’est bien beau.

Il lui souligne qu’il faudrait faire une étude de caractérisation dont le coût serait d’environ 3000$.

Monsieur Talbot le renvoie à monsieur Cloutier pour le coût de cette étude; il refuse son offre de service.

Monsieur Talbot lui demande une lettre suite à cette visite.

Il l’informe que cela ne vaut pas grand chose.

Il revient au travail le 24 mai 1999 et rédige la lettre qu’il envoie par la poste à monsieur Talbot et par télécopie à monsieur Cloutier.

Il a fait parvenir une offre de service le 3 juin 1999 à M. Cloutier.

Monsieur Talbot avait refusé mon offre de service alors je l’ai faite à monsieur Cloutier.

Il n’était pas au courant de l’offre d’achat et des pourparlers entre les parties.

Il n’a pas reçu de réponse de son offre de service à monsieur Cloutier.

Il considère sa lettre du 24 mai 1999, comme une opinion préliminaire.

Contrairement au témoignage de monsieur Delisle, il n’a jamais été question de 20,000$ à 70,000$ pour le coût de l’étude de caractérisation.

De même qu’il n’a jamais envisagé de cacher quelque chose en relation avec la contamination des lieux.

Il n’a jamais suivi de cours sur la caractérisation environnementale des sols.

En matière d’environnement, il travaille avec un laboratoire de Québec.

La Coopérative le poursuit au civil pour 600,000$ en relation avec les évènements de 1999.

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Dans son offre de service du 3 juin 1999 (S-11), il spécifie que la lettre du 24 mai 1999 n’était pas une expertise et qu’elle est d’aucune utilité.

En 2003, il a dû supporter la pression de monsieur Delisle qui désirait aller très vite dans ce dossier.

La Coopérative a mis fin à son mandat de façon cavalière en 2003.

Il savait que ce terrain avait déjà eu des problèmes de pollution par le passé.

À LA DEMANDE du Comité le témoin Jean-Paul Talbot :

[23] Celui-ci déclare au Comité :

Il est présentement sans emploi.

En 1999, il était le directeur général de la Coopérative.

Il corrobore l’intimé en regard de sa rencontre du 21 mai 1999.

Suite à la visite des lieux et du contenu de leur conversation, il lui a demandé de mettre par écrit son opinion à l’effet que le sol ne semblait pas contaminé.

Ce document lui a semblé rassurant de même qu’aux administrateurs de la Coopérative ce qui lui a permis d’effectuer la transaction.

Cette rencontre avec l’intimé l’a rassuré et il a continué les démarches en fonction de l’achat de l’immeuble.

Il a interrogé l’intimé en regard du voisin de l’immeuble qui était la compagnie Irving.

L’intimé l’a informé que s’il y avait des problèmes de pollution dus à la compagnie Irving et qu’elle en était la responsable ce serait à elle de payer les coûts de dépollution.

Il souligne que la teneur de la lettre était différente du langage employé lors de la conversation;

Suite à cette opinion exprimée par l’intimé, il a émis le commentaire apparaissant sur la pièce S-4 à l’effet que le risque de contamination était faible.

La Coopérative a payé la facture de 158.16$ à l’intimé pour cette visite et cette opinion écrite.

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22-05-0305 PAGE : 12 LE DROIT :

[24] Le Comité croit utile de reproduire les articles pertinents du Code de déontologie

relatif à la plainte du présent dossier.

2.04. L'ingénieur ne doit exprimer son avis sur des questions ayant trait à l'ingénierie, que si cet avis est basé sur des connaissances suffisantes et sur d'honnêtes convictions.

3.02.04. L'ingénieur doit s'abstenir d'exprimer des avis ou de donner des conseils contradictoires ou incomplets et de présenter ou utiliser des plans, devis et autres documents qu'il sait ambigus ou qui ne sont pas suffisamment explicites

[25] Le Comité accorde une importance particulière à ces articles qui touchent à la

quiddité même du droit disciplinaire.

[26] L’intégrité du professionnel et ses devoirs envers le public sont des aspects

essentiels à sa démarche professionnelle.

[27] Me Mélodie Sullivan a déposé les autorités suivantes :

1. Me François VANDENBROEK, L'ingénieur et son Code de déontologie, 1993, Juriméga, Trois-Rivières, pp. 49-50

2. Ingénieurs c. Dion, [2000] D.D.O.P. 99 (C.D. Ing.) et [2001] QCTP 053 (T.P.)

3. Ingénieurs c. Nadeau, [2001] D.D.O.P. 78 (C.D.Ing)

4. Rémi Alaurent c. Marc Gélinas, C.D. Ing., no. 22-99-0010

5. Jacques Guilbault c. Jean-Luc Arsenault, C.D. Ing., no. 22-00-0015 ; [2001] D.D.O.P. 77 (rés.)

6. Ginette Latulippe c Denis Maillette, C.D. Ing., no. 22-00-0019

7. Rémi Alaurent c. Julien Bilodeau, C.D. Ing., no. 22-00-000

8. Roy c. Ingénieurs, [1999] Q.C.T.P. 079

9. Rémi Alaurent c. Roger Farrell, C.D. ing., no. 22-00-0033

10. Deschênes c. Cloutier, C.D. Médecins, 24-03-00575

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11. Rochefort c. Pigeon, QC 500-80-001460-030 et 500-80-001461-038

12. Côté c. Rancourt, 2004 CSC 58

I3. Lavoie c. Fortin, 2005 TP 755-07-000008-031

14. Fortin o. Chrétien, 2001 CSC 45

[28] Me Guy Samson a déposé la jurisprudence suivante :

1. Tremblay c. Bilodeau, Tribunal des professions, 200-07-000081-043

2. Tremblay c Bilodeau. Cour supérieure, 200-17-005870-050

[29] Le Comité a pris connaissance des autorités citées par les parties.

[30] Comme cette décision fait appel à des principes et à des éléments juridiques

pertinents au droit disciplinaire, le Comité juge utile de présenter dans les prochains

paragraphes les extraits des autorités sur lesquelles il s’appuie.

[31] Le Comité de discipline de l’Ordre des ingénieurs trouve sa raison d’être dans la

mission même de l’Ordre définie à l’article 23 du Code des professions, ce que rappelle

fort à propos l’Honorable Juge Gonthier(1) en ces termes:

“Depuis déjà plusieurs années, le législateur québécois assujettit l'exercice de certaines professions à des restrictions et à différents mécanismes de contrôle. Adopté pour la première fois en 1973, le Code des professions, L.R.Q., ch. C-26 (C.P.), régit maintenant les 44 ordres professionnels constitués en vertu de la loi. Il crée un organisme, l'Office des professions du Québec, qui a pour fonction de veiller à ce que chacun d'eux accomplisse le mandat qui leur est expressément confié par le Code et qui constitue leur principale raison d'être, assurer la protection du public (art. 12 et 23 C.P.) Dans la poursuite de cet objectif fondamental, le législateur a accordé aux membres de certaines professions le droit exclusif de poser certains actes. En effet, en vertu de l'art. 26 C.P., le droit exclusif d'exercer une profession n'est conféré que dans les cas où la nature des actes posés par ces personnes et la latitude dont elles disposent en raison de la nature de leur milieu de travail habituel sont telles qu'en vue de la protection du public, ces actes ne peuvent être posés par des personnes ne possédant pas la formation et la qualification requises pour être membres de cet ordre‘’.

1Barreau c Fortin et Chrétien, 2001, 2 R.C.S. 500, para 11

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[32] En ce qui concerne la conduite du professionnel, le Comité s’en réfère à cet

égard à l’opinion de l'Honorable juge L'Heureux-Dubé de la Cour Suprême du Canada

dans l'affaire Roberge c. Bolduc :

«Il se peut fort bien que la pratique professionnelle soit le reflet d'une conduite prudente et diligente. On peut, en effet, espérer qu'une pratique qui s'est développée parmi les professionnels relativement à un acte professionnel donné témoigne d'une façon d'agir prudente. Le fait qu'un professionnel ait suivi la pratique de ses pairs, peut constituer une forte preuve d'une conduite raisonnable et diligente, mais ce n'est pas déterminant. Si cette pratique n'est pas conforme aux normes générales de responsabilité, savoir qu'on doit agir de façon raisonnable, le professionnel qui y adhère peut alors, suivant les faits de l'espèce, engager sa responsabilité». 2

[33] En regard de la notion de prépondérance de la preuve le Comité retient la notion

suivante :

- Dans l'arrêt PARENT c. LAPOINTE l'honorable juge Taschereau de la Cour suprême du Canada déclare :

« C'est par la prépondérance de la preuve que les causes doivent être déterminées, et c'est à la lumière de ce que révèlent les faits les plus probables que les responsabilités doivent être établies ».

- Dans l’arrêt SNELL c. FARRELL. [1990] 2 R.C.S. 311:

La Cour suprême s'est risquée à traduire en termes mathématiques ce que voulait dire la balance des probabilités : 50% plus 1 [51%]. En fait, la prépondérance est la probabilité, et la probabilité est ce qui est certain à 51% et non 100%. Un degré raisonnable de certitude signifie un degré de probabilité supérieur à 50%. [à la p. 330, Juge Sopinka pour la cour].

[34] Le Comité a entendu une preuve d’expertise et il l’appréciera dans le cadre

suivant :

o Sa pertinence;

2 1991 1 R.C.S.374

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o La nécessité d’aider le juge des faits;

« … L’opinion d’un expert est recevable pour donner à la cour des renseignements scientifiques qui, selon toute vraisemblance, dépassent l’expérience et la connaissance d’un juge ou d’un jury… » (R. c. Turner, [1975] Q.B. 834, p. 841, cité dans Mohan, p. 24) (Le Comité souligne)

o L’absence de toute règle d’exclusion;

o La qualification suffisante de l’expert.

[35] Le Comité souligne que cette preuve n’a pas pour effet de substituer l’expert au

juge des faits.

[36] Il appartient au Comité de décider de la question de fait, à savoir si l’acte

reproché en vertu d’une disposition du Code de déontologie des ingénieurs constitue

bien un acte dérogatoire.

[37] Le plaignant doit démontrer la norme et sa notoriété par le témoignage de son

expert.

[38] Il doit nous démontrer la norme applicable au moment de l’acte, le comportement

du professionnel prétendument fautif et enfin que l’écart entre ces deux derniers points

est tel qu’il constitue plus qu’une erreur légère mais bien une faute déontologique

passible de sanction.

[39] En ce qui concerne la faute déontologique, le Comité précise que celle-ci doit

être une violation des principes de moralité et d’éthique propre au milieu des

ingénieurs.3

[40] Sur ce point le professeur Yves Ouellette s’exprime ainsi :

3 Béchard c Roy 1974, C.S. 13

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« En outre, la faute disciplinaire réside en principe dans la violation d’une règle d’éthique inspirée par des sentiments d’honneur et de courtoisie, une faute purement technique, erreur, maladresse, négligence, qui peut entraîner une responsabilité civile, ne sera pas considérée comme une faute disciplinaire en l’absence de texte précis .»4

[41] De même nous partageons l’opinion de Me Goulet lorsqu’il s’exprime sur la

notion d’incompétence :

«En matière d’incompétence, le rôle dévolu à l’instance disciplinaire est cependant limité. Il ne consiste pas à décider, d’une façon générale, de la compétence d’un intimé, sur une certaine période. Comme la faute doit être caractérisée, la plainte doit porter sur un cas spécifique et impliquer plus qu’une simple erreur technique.»

«Par la gravité qu’elle implique, l’incompétence doit être distinguée de l’erreur technique pouvant entraîner une responsabilité civile, la faute disciplinaire n’étant pas reliée à l’occurrence d’un dommage. Ont ainsi été considérés fautes disciplinaires, les comportements suivants : la maladresse hors de l’ordinaire, l’ignorance outrée et l’insouciance impardonnable, le laxisme mais aussi le manque de diligence dans le suivi d’un dossier. On pourrait également y inclure le défaut de mettre ses connaissances professionnelles à jour.»

[42] Le Comité, en regard de l’article 2.04 du Code de déontologie, se réfère à

l’ouvrage de Me François Vandenbroek5 :

« L’avis visé par l’article 2.04 du Code de déontologie peut être l’expression spontanée par l’ingénieur de ce qu’il pense sur une question ayant trait à l’ingénierie dans le cadre d’un séminaire ou d’une conférence. Il peut s’agir également d’une opinion donnée à titre consultatif en réponse à une question, notamment à titre de témoin expert. Dans tous les cas, l’avis devra être basé sur des “ connaissances ” assurées par la formation universitaire requise ou satisfaisant aux autres critères d’admission à l’exercice énoncés à la section IV de la Loi sur les ingénieurs. C’est à l’ingénieur qu’incombe la responsabilité de tenir ses connaissances constamment à jour, entre autres par sa participation à des activités de formation continue. Pour être qualifiées de “suffisantes” au sens de l’article 2.04, ces connaissances devront habituellement être complétées par une solide expérience dans le domaine de pratique duquel relève la question posée. Il est également requis que l’ingénieur ait une connaissance suffisante du cas soumis ou du dossier invoqué et qu’il se limite strictement à sa spécialisation lorsqu’il se prononce ou exprime son opinion».

4 Presses de l’université d’Ottawa, 1969, 209 5 Les éditions Juruméga, 1993 p. 49

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[43] Quant à la valeur de la signature de l’ingénieur nous reprenons les propos du

Comité de discipline dans le dossier Roy6 :

«Si l’on veut donner à la profession d’ingénieur la place qui lui revient, force est de conclure que lorsque l’ingénieur utilise son titre, c’est qu’il a de façon professionnelle vérifié ce qui doit être vérifié et que par conséquent les gens qui traitent avec lui peuvent se fier à ses déclarations».

[44] Le Comité, relativement à l’article 3.02.04 du Code de déontologie, se réfère à

l’ouvrage de Me François Vandenbroek7 :

« En plus de ne pas compromettre la qualité de ses services par des comportements contraires à l'article 3.01.03, l'ingénieur doit également en vertu de l'article 3.02.04 «s'abstenir d'exprimer des avis ou conseils contradictoires ou incomplets et de présenter ou utiliser des plans, devis et autres documents qu'il sait ambigus ou qui ne sont pas suffisamment explicites". D'une part, il s'agit d'une question d'intégrité et c'est d'ailleurs sous cette rubrique que cet article a été classé dans le Code de déontologie. Le client et l'employeur ont en effet le droit de bénéficier d'avis et de conseils clairs et cohérents qui ne cherchent pas à masquer de quelconques erreurs, omissions ou négligences ou à faire passer leurs intérêts après ceux de l'ingénieur. D'autre part, c'est une question de qualité objective des services et de compétence professionnelle, car le client et l'employeur comptent sur l'ingénieur pour leur fournir une expertise complète qui s'appuie sur des plans et devis et sur une documentation d'une précision et d'une qualité irréprochable».

« Le devoir de l'ingénieur d'éclairer et de conseiller un client doit être mis en corrélation avec l'obligation de demander son consentement ou de tenir compte de sa volonté pour la conduite de son dossier (nous reviendrons sur cette question en analysant l'article 3.02.03 relatif au mandat). C'est pour que le client puisse prendre ses décisions en toute connaissance de cause afin d'être en mesure de donner un consentement éclairé qu'il est indispensable qu'il soit adéquatement conseillé. Et c'est parce que le client veut garder un rôle dans la conduite de son dossier que l'ingénieur, au lieu de prendre à sa place les décisions, est obligé de le conseiller. C'est par le jeu de cette double obligation que pourra se réaliser la collaboration souhaitée avec le client».

« Comme on peut le constater, le devoir de conseil prévu à l'article 3.02.04 est d'une plus grande portée que le devoir d'information. Il s'agit en quelque sorte d'un devoir déontologique qui, tel que formulé à l'article 3.02.04, complète l'obligation générale de compétence de l'ingénieur envers le public énoncé à l'article 2.04 qui stipule, rappelons-le, que l'ingénieur ne doit exprimer son avis

6 22-97-0003 7 Les éditions Juruméga, 1993 p. 49

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sur des questions ayant trait à l'ingénierie, que si cet avis est basé sur des connaissances suffisantes et d'honnêtes convictions».

APPRÉCIATION DE LA PREUVE :

[45] Le Comité considère que la situation de mai 1999 est celle qui est en cause et

non les évènements de 2003 qui ne sont que la suite de la décision de la Coopérative

de procéder à l’achat en 1999.

[46] La lettre du 24 mai 1999 de l’intimé et les évènements qui l’entourent sont les

faits pertinents de ce présent dossier.

[47] La question que le Comité doit résoudre est de savoir si un ingénieur agissant de

façon raisonnable aurait émis la même opinion que l’intimé dans les mêmes

circonstances.

[48] L’intimé connaissait le vendeur de l’immeuble (M. Cloutier) et c’est à sa

demande qu’il a contacté la Coopérative.

[49] Il ne pouvait ignorer la raison de sa démarche qui avait pour objectif la vente de

l’immeuble de M. Cloutier à la Coopérative.

[50] Le Comité a assisté à un long débat grammatical concernant la teneur de la

lettre du 24 mai 1999 de l’intimé.

[51] Le Comité n’envisage pas suivre la partie intimée dans ce type de débat car là

n’est pas l’essentiel.

[52] À l’analyse des éléments présentés en preuve le Comité perçoit ainsi la

situation : un acheteur, la Coopérative, désire s’assurer qu’il n’y pas de problèmes

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majeurs en matière environnementale lors de l’acquisition d’un immeuble et pour ce

faire consulte un professionnel, l’intimé.

[53] L’intimé a le devoir de conseiller son client, « l’acheteur », de la meilleure

manière possible et cela va plus loin que la simple information.

[54] La conclusion de l’interprétation qu’il faut donner à cette opinion est la même que

celle à laquelle l’intimé est arrivé :

« Par conséquent, notre opinion, qui ne constitue pas une expertise, est que ce site ne semble pas présenter un sol contaminé au sens de la loi sur la qualité de l’environnement ».

[55] Le Comité n’a pas l’intention d’élaborer sur les distinctions à apporter selon que

le professionnel émet un avis, donne une opinion ou exécute une expertise puisque

quel que soit le moyen choisi par l’ingénieur, le client doit recevoir du professionnel qu’il

consulte une information technique et d’ingénierie complète et des conseils clairs et

cohérents en regard de l’objet de sa consultation.

[56] Le Comité a analysé l’ensemble de la preuve; il y a eu visite des lieux par

l’intimé, échanges de propos avec l’acheteur potentiel et le vendeur et enfin une lettre

qui constitue une opinion d’un professionnel qui connaissait la motivation de sa

démarche professionnelle.

[57] L’intimé était très conscient de la motivation de l’acheteur à tel point que l’intimé

considérait sa démarche comme préliminaire dans ce dossier, (d’ailleurs l’avenir lui a

donné raison puisqu’il a effectivement eu le mandat).

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[58] Mais cette démarche préliminaire est-elle acceptable dans les circonstances de

ce dossier malgré les réserves que l’intimé a émises et dans son témoignage et dans

son opinion écrite?

DÉCISION :

[59] Le Comité considère que la précision apportée dans le procès verbal ( S-4 ) de

la Coopérative démontre l’importance que celle-ci a accordé à cette opinion, (le risque

de pollution faible).

[60] Dans le cadre de la plainte, le Comité n’a pas à se prononcer sur le fait de savoir

si cette opinion a conduit ou non à la réalisation de la transaction.

[61] L’expert entendu a été très catégorique à l’effet que l’intimé aurait dû

recommander à l’acheteur d’effectuer les caractérisations, phase 1 et 2, avant de

conclure à l’achat.

[62] Le rapport d’expertise de l’ingénieur Robert n’a pas été contredit.

[63] Le Comité ne croit pas qu’un avis aussi optimiste aurait dû être émis par l’intimé

surtout qu’il connaissait les usages antérieurs de ce site.

[64] Ces usages antérieurs ne pouvaient permettre à l’intimé d’arriver à une telle

conclusion.

[65] Le Comité estime que l’intimé a manqué à son devoir de conseil qui va plus loin

que la simple information.

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[66] L’intimé est un ingénieur et son opinion n’est pas l’opinion d’un homme ordinaire

mais bien celle d’un professionnel qui exerce ses droits et privilèges en tant que

membre de l’Ordre des ingénieurs du Québec.

[67] Le Comité, ainsi qu’il l’a déjà souligné au paragraphe 38, ne considère pas la

moindre erreur de jugement ou négligence comme un manquement aux règles de

déontologie professionnelle.

[68] Cependant, il ressort de la preuve que l’intimé avait en main les informations

nécessaires et qu’il n’a pas conseillé son client de façon adéquate lors de son mandat

d’ingénierie.

[69] Malgré le fait que la preuve a clairement révélé que l’intimé avait les

connaissances factuelles suffisantes pour accomplir son mandat de façon

professionnelle, il a dérogé à son devoir déontologique envers son client en émettant

une conclusion inacceptable dans les circonstances de ce dossier.

[70] Dans le présent cas il ne s’agit pas d’une erreur technique mais d’une erreur

grave qui va à l’encontre de ses obligations professionnelles.

[71] L’intimé a déclaré au Comité avoir affirmé, tant à l’acheteur qu’au vendeur, que

« cette opinion ne valait pas grand chose »; or dans les circonstances, il était de son

devoir de l’écrire de façon claire et précise et, à titre de professionnel de

l’environnement et en regard de son mandat relativement à la contamination du site, il

se devait de ne surtout pas conclure ainsi qu’il l’a fait.

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[72] La profession exige de l’ingénieur un comportement professionnel où

compétence, rigueur intellectuelle et intégrité forment un ensemble qui garantit au

public qu’il peut se sentir en sécurité lorsque le professionnel émet une opinion.

[73] En conclusion, l’intimé connaissait les usages antécédents du site et il avait à sa

disposition les informations nécessaires pour conseiller son client avec compétence;

mais il ne l’a pas fait et a ainsi dérogé à ses obligations déontologiques en émettant une

conclusion inacceptable dans les circonstances de ce dossier.

PAR CES MOTIFS LE COMITÉ :

[74] DÉCLARE l’intimé coupable des actes dérogatoires reprochés au chef 1 de la

plainte du 3 mars 2005.

[75] Le tout frais à suivre.

__________________________________Me Jean-Guy Gilbert __________________________________Réal Beaudet, ingénieur __________________________________

Me Mélodie Sullivan Procureure de la partie plaignante Me Guy Samson Procureur de la partie intimée Date d’audience : 6-7 et 8 mars 2006