citoyen, usager ou consommateur, statut et droits des « utilisateurs » des services publics locaux...

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Christophe Lèguevaques Avocat au barreau de Paris – Docteur en droit CITOYEN, USAGER OU CONSOMMATEUR, STATUT ET DROITS DES « UTILISATEURS » DES SERVICES PUBLICS LOCAUX DELEGUES Quelques considérations pratiques dans le cadre des services publics de distribution et d’assainissement de l’eau

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Christophe Lèguevaques CITOYEN, USAGER OU CONSOMMATEUR, STATUT ET DROITS DES « UTILISATEURS » DES SERVICES PUBLICS LOCAUX DELEGUES Quelques considérations pratiques dans le cadre des services publics de distribution et d’assainissement de l’eau

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Page 1: CITOYEN, USAGER OU CONSOMMATEUR, STATUT ET DROITS DES « UTILISATEURS » DES SERVICES PUBLICS LOCAUX DELEGUES (Colloque Brest 2010)

Christophe Lèguevaques Avocat au barreau de Paris – Docteur en droit

CITOYEN, USAGER OU CONSOMMATEUR, STATUT ET DROITS DES « UTILISATEURS »  DES SERVICES PUBLICS LOCAUX DELEGUES 

Quelques considérations pratiques

dans le cadre des services publics de distribution et d’assainissement de l’eau

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Colloque de Brest – 2 avril 2010 – Le service public local    2 

 

Christophe Lèguevaques, 2010 – Copyleft : Liberté d’accès ; Liberté de copier ; Liberté de diffuser ; Liberté de transformer ; Obligation de conserver ces quatre  libertés, à condition que, (i)  il n’en soit pas fait une utilisation commerciale, (ii)  l’œuvre dérivée soit publiée selon les mêmes termes  et que (iii) l’auteur original soit cité. 

 

Dans une interview au journal « Le Monde »1, le médiateur de la République lançait un cri d’alarme fort de son diagnostic de la société française : « je perçois, disait-il, une société qui se fragmente, où le chacun pour soi remplace l’envie de vivre ensemble où l’on devient de plus en plus un consommateur de République plutôt que citoyen ».

Cette analyse trouve à s’appliquer avec une particulière acuité lorsque l’on étudie les services publics locaux délégués et les relations ambiguës qu’ils peuvent entretenir avec les « utilisateurs ». J’utilise à dessein ce terme neutre d’utilisateur car nous allons le voir, il existe un conflit sémantique entre, au moins, trois notions voisines, correspondantes à des périodes historiques datées et reflétant la pensée dominante du moment2.

En effet, lorsqu’on regarde les services publics de l’autre coté du guichet, du coté des utilisateurs, trois situations peuvent se rencontrer :

• L’utilisateur est un citoyen, c’est particulièrement vrai en présence d’un service public administratif où les principes de neutralité et d’égalité sont les tuteurs de l’action. D’ailleurs en présence d’un service public administratif, on parle plus facilement d’administré pour bien monter la prédominance de l’administration sur l’usager. C’est l’époque où l’on pouvait dire que le service public était la « pierre angulaire du droit administratif français » (Jèze). L’utilisateur est considéré comme « une personne abstraite, désincarnée, soumise au bon vouloir de l’Administration. Les pouvoirs publics ne créent le service que pour répondre à des besoins d’intérêt général qui transcendent les exigences de chaque particulier »3. En raison de cette recherche de l’intérêt général, la doctrine, sous la plume inspirée de M. Rolland, a mis en évidence les lois intrinsèques à tous les services publics : la continuité, l’égalité d’accès ou de traitement et l’adaptabilité du service. Dans cette conception classique du service public, le service est le plus souvent gratuit. En effet, il est financé par le biais de l’impôt, ce qui fait que derrière chaque utilisateur se cache un contribuable.

• L’utilisateur est un usager - Mais l’utilisateur n’est pas simplement un citoyen ayant

recours aux services de l’Etat-gendarme. Il est également un usager des services publics industriels et commerciaux4 (SPIC) nés de la nécessité pour l’Etat d’intervenir dans l’activité économique5, notamment après la Première guerre mondiale. L’utilisateur se prévaut d’un droit d’usage à un service rendu de plus en plus personnalisé. Depuis, l’arrêt « Bac d’Eloka »6, la nature de la relation entre l’utilisateur et les SPIC commence à changer. o D’abord parce que le droit privé vient régir les relations entre le titulaire du SPIC et les

utilisateurs7, quand bien même le service est exploité directement par une collectivité. Ainsi, le juge administratif se trouve déposséder de sa compétence au profit du juge judiciaire.

o Par ailleurs, l’administration n’est plus l’interlocuteur naturel et direct de l’utilisateur. En effet, entre l’administration et l’utilisateur s’interpose un troisième venu, le délégataire de services publics. Dans un premier temps, cette interposition se justifie au nom de la souplesse propre à l’activité économique. Puis, très vite, cette intervention d’un tiers soulève des questions économiques, sociologiques et pour tout dire,

                                                            1 Jean-Paul Delevoye, « La société française est fatiguée psychiquement », Le Monde 21-22 février 2010, p. 1. 2 Olivier Dugrip, Notice bibliographique de l’ouvrage de Sophie Nicinski, L’usager du service public industriel et commercial, Rev. trim. dr.

comp., 2002, vol. 54, n° 4. « la notion d’usager transcende l’aspect réglementaire et l’aspect commercial des liens unissant l’usager au service public industriel et commercial. Cette notion évolue avec le temps en s’adaptant aux valeurs et aux besoins de la société. Selon les aspirations dominantes, elle insiste sur les exigences collectives ou les besoins individuels mais elle est toujours à la confluence de la relation de service public et de la relation commerciale »

3 Christian Barbier, L’usager est-il devenu le client du service public ?, JCP G 1995 I, 3816, n° 1. 4 V. par exemple, T. confl. 21 mars 2005, Commune de Tournefort, Dr. Adm. Juin 2005, n° 6, comm. 94, « les litiges nés des rapports entre un service

public industriel et commercial et ses usagers, qui sont des rapports de droit privé, relèvent de la compétence des juridictions judiciaires ». Quand bien même le SPIC serait géré en régie directe par la commune. Mais, le tribunal des conflits précise que « le service ne peut revêtir un caractère industriel et commercial lorsque son coût ne fait l’objet d’aucune facturation périodique à l’usager ».

5 Didier Linotte et Raphaël Romi, Services publics et droit public économique, Litec, 5ème éd°, n °1. 6 T. conf. 22 janvier 1921, GAJA, n° 40. 7 Guy Braibant et Bernard Stirn, Le droit administratif français, Dalloz, p. 158 et s.

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Colloque de Brest – 2 avril 2010 – Le service public local    3 

 

Christophe Lèguevaques, 2010 – Copyleft : Liberté d’accès ; Liberté de copier ; Liberté de diffuser ; Liberté de transformer ; Obligation de conserver ces quatre  libertés, à condition que, (i)  il n’en soit pas fait une utilisation commerciale, (ii)  l’œuvre dérivée soit publiée selon les mêmes termes  et que (iii) l’auteur original soit cité. 

 

politiques. En effet, le délégataire de services publics est le plus souvent une société commerciale dont la raison d’être est de réaliser des profits. Ainsi vient se surajouter un élément perturbateur, l’appât du gain. Le délégataire ne cherche pas simplement à équilibrer les comptes du service public dont il a la charge afin d’en assurer la continuité et l’adaptabilité. L’exploitant a pour vocation d’appréhender une partie de la plus value résultant de son activité économique et du monopole de fait qui lui est consenti par une autorité publique. Sans remonter aux concessions romaines et à certaines prébendes de l’Ancien régime, les concessions, affermages et autres régies intéressées fleurissent, dès la fin du XIXème siècle notamment dans le secteur de l’eau. Les groupes industriels, qui se constituent alors, deviennent d’autant plus dominants qu’ils allient puissance financière, savoir faire technologique et relations de proximité avec les élus. On assiste alors à une triple accumulation capitalistique : argent + technique + informations. Le rapport de force s’inverse. L’administration perdant et savoir-faire et moyen de contrôle réel tend à accepter les informations délivrées par le concessionnaire. Cette asymétrie de l’information est source de plus d’une difficulté. Par ailleurs, comme on le sait, l’argent et le pouvoir font rarement bon ménage et des relations immorales, voire incestueuses peuvent naître de ces relations permanentes. C’est la raison pour laquelle le législateur8 est intervenu à plusieurs reprises pour renforcer et la concurrence et la transparence dans la passation et le renouvellement des délégations de service public, car, au final, le coût de la corruption est supporté par les usagers.

• L’utilisateur devient un consommateur. Durant les « Trente Glorieuses », les SPIC se

développent et contribuent à la reconstruction de la France autour de deux principes : solidarité et justice sociale, principes issus du programme du Conseil national de la Résistance. Mais, en réaction à l’Etat providence, une nouvelle domination intellectuelle commence à prendre son essor au début des années 70 : utilitariste, individualiste, libertaire puis franchement libérale, elle vante la rentabilité, l’efficacité et la personnalisation des services là où prévalaient la dignité, la sérénité et la continuité9. Peu à peu, la figure du grand serviteur de l’Etat détaché des contingences temporelles ou pécuniaires s’efface au profit de celle du juge chargé d’arbitrer entre différents intérêts en présence10. La notion d’intérêt général perd de sa prééminence et celle de la concurrence s’affirme comme clé de voute de la nouvelle pensée juridique. La grande habileté (ou pour ne pas dire l’escroquerie intellectuelle) des thuriféraires de la concurrence et du « marché total »11 est de laisser croire qu’ils agissent au nom de la liberté au bénéfice des consommateurs. En réalité il s’agit d’asservir les consommateurs au rang d’abonné et le véritable bénéfice de cette « révolution copernicienne » se traduit par la financiarisation de l’économie et le retour de l’économie de la rente au détriment du travail… On pourra y revenir si l’on décrypte les splendeurs et les misères de VIVENDI du temps du flamboyant MESSIER12.

                                                            8 La loi « Sapin » (n° 93-122 en date du 29 janvier 1993), modifiée par la loi « Barnier » (n°95-101 en date du 02 février 1995). 9 Alain Supiot (dir.), Servir l’intérêt général, PUF, 2000, p. 6 et s. 10 Alain Supiot, ib. « dans une société suspendue à un Etat centralisé, le sentiment de justice dépend de la vertu des grands corps qui l’administrent, bien plus que

celle des juges » 11 Alain Supiot, L’esprit de Philadelphie, Le Seuil, 2010 12 Voir par exemple Jean-Luc Touly et Roger Lenglet, L’eau de Vivendi : les vérités inavouables, Alias, 2003, « Que cache le robinet d'eau des Français ? Des

montagnes d'argent et des secrets bien gardés : enrichissements vertigineux, fuites de capitaux, financements occultes, pratiques d'influence douteuses, " arrosage " tout azimut achats de syndicalistes, manipulation d'élus, rapports dissimulés, bénéfices cachés... La Compagnie générale des eaux-Vivendi (rebaptisée Veolia) est derrière nombre d'entre eux. C'est pour mettre un terme à ces pratiques qu'un agent de maîtrise de Vivendi indigné et un journaliste d'investigation ont décidé de tout révéler, preuves à l'appui. Ce livre met sur la place publique des informations et des dossiers brûlants détenus par les autorités et les compagnies privées. Entre autres, des rapports confidentiels montrant comment on siphonne l'argent des Parisiens et des habitants d'Ile-de-France à leur insu, via leurs factures d'eau... Et les baisses qu'on devrait normalement leur consentir. Les auteurs mettent au jour également les dessous d'un des plus gros scandales du siècle ; la disparition, vers un compte off shore, des provisions versées depuis de nombreuses années par les communes en vue de rénover nos réseaux de distribution d'eau. Ils montrent que les villes de provinces n'échappent pas non plus aux manipulations des multinationales de l'eau. De Toulouse à Lille, en passant par Castres, Châtellerault, Grenoble et beaucoup d'autres communes, les usagers ont été les " vaches à lait " des grands groupes privés. Le lecteur y verra aussi comment les multinationales de l'eau se livrent à des pratiques anticoncurrentielles, et refusent de communiquer aux autorités leurs comptes détaillés, en toute impunité. Il découvrira comment, à la CGE-

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Christophe Lèguevaques, 2010 – Copyleft : Liberté d’accès ; Liberté de copier ; Liberté de diffuser ; Liberté de transformer ; Obligation de conserver ces quatre  libertés, à condition que, (i)  il n’en soit pas fait une utilisation commerciale, (ii)  l’œuvre dérivée soit publiée selon les mêmes termes  et que (iii) l’auteur original soit cité. 

 

Ainsi, à la fin des années 90, sous la pression communautaire et en application de la doctrine économique dominante, les grands services publics industriels et commerciaux sont peu à peu démantelés, déréglementés, privatisés. L’utilisateur se voit de plus en plus reconnaître le statut de consommateur. C’est donc au nom du « bonheur des consommateurs » que les services publics se trouvent assimilés à des services marchands. Au nom des impératifs concurrentiels à l’œuvre sur les marchés (performance, rentabilité, évaluation), l’Etat, après avoir été « gendarme », « providence » tente de devenir « manager ». La RGPP (Révision générale des politiques publiques) participe de cette marchandisation des services publics, voire de l’Etat13. Pour autant, je souhaiterais vous démontrer à travers mon exposé qu’en utilisant les armes de l’adversaire, le consommateur peut redevenir un citoyen à condition de retrouver le sens de l’action collective et de l’intérêt commun.

Voila très sommairement dessiné l’évolution du statut des utilisateurs d’un service public industriel et commercial. Mais, devant l’ampleur de l’étude et son impact sociologique et économique, nous avons dû en limiter l’étendue. Nous n’étudierons que les SPIC et dans cette dernière catégorie, la question des services de distribution et d’assainissement de l’eau. Nous posons comme postulat que le droit applicable à cette activité est connu afin de mieux concentrer notre attention sur les droits des utilisateurs de tels services publics locaux délégués. A ce stade, trois observations préalables s’imposent :

• Première observation de procédure : Lorsque je parle d’usager, je pense indifféremment à une personne physique ou morale, de droit privé ou de droit public. Je ne prendrai pas la peine de distinguer entre un simple particulier, une collectivité ou une association14. Mais gardez à l’esprit qu’au regard de la procédure, cette question est loin d’être anodine. En effet, la question de la recevabilité d’une action et de l’intérêt à agir d’un demandeur est une question essentielle à la réussite d’un contentieux éventuel. D’ailleurs, la question de l’action collective se pose avec un intérêt certain dans cette matière, mais pour le moment le droit français est orphelin d’une véritable « class action » qui permettrait aux consommateurs de rivaliser, comme aux USA, avec les grandes entreprises qui dictent trop facilement leur loi.

• Deuxième observation : pourquoi l’utilisateur souhaite-t-il agir ? N’existe-t-il pas des interlocuteurs ou des procédures lui permettant d’améliorer la qualité du service ? Si on va plus loin, l’utilisateur est-il légitime à agir ? n’a-t-il pas délégué son pouvoir d’action et de décider aux élus qui l’exprime en sélectionnant et en contrôlant le délégataire d’un service public local ? Pour répondre à cette question, il suffit de relever qu’un utilisateur peut avoir des intérêts différend (pour ne pas dire divergent) de ceux des élus (quand une même société gère directement ou indirectement la plupart des services publics délégués d’une municipalité, le rapport de force n’est pas forcément en faveur de la municipalité). Ensuite, l’utilisateur peut souhaiter exercer une pression directe sur les prix ou sur la qualité des services, ou tout simplement mettre un terme à une rente de situation source d’opacité et comportements douteux tel ceux connus de tous pour le SEDIF. Au final, l’utilisateur peut aussi considérer qu’il est de son devoir (ou de son intérêt) de surveiller l’action des élus.

                                                                                                                                                                                          Vivendi, on apprend à dissuader les élus de regarder les comptes de près. Et la manière dont la direction porte atteinte aux droits syndicaux de certains délégués du personnel quand ils n'entrent pas dans le jeu des petits financements... »

13 Michaël Foessel, Esprit, mars-avril 2010. 14 Philippe Brachet, L’usage du service public, partenaire des politiques publiques, nécessités et blocages en France, in

http://www.globenet.org/aitec/chantiers/sp/resumsp/usager2.htm « Les associations d’usagers sont donc un partenaire mal commode mais incontournable. Il peut seul apporter aux organismes de service public un retour d’information: alors que les techniques individuelles de communication avec les usagers permettent de connaître les dysfonctionnements des services, elles sont insuffisantes à elles seules à en connaître les causes et à expérimenter leur suppression. C’est par contre ce que permet le partenariat avec les associations. Tout conflictuel qu’il soit souvent, il est donc indispensable aux deux partenaires. (…) À travers l’objet de leurs activités, les associations acquièrent d’une part une expérience des services, et d’autre part une connaissance des appréciations des usagers à leur égard qui en font des représentants (tout imparfaits et partiaux qu’ils soient) des usagers et des médiateurs vis-à-vis des organismes de service public. Or l’attitude traditionnelle de l’administration à l’égard des associations revendicatives est de les considérer a priori comme des adversaires et de tenter de neutraliser leurs critiques en les discréditant comme non représentatives. Et celle de ces associations (en miroir, faute de voir leur point de vue pris en considération par les services) est de camper sur une attitude dénonciatrice ».

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• Troisième observation : j’ai volontairement restreint l’objet de mon étude à des situations le

plus souvent conflictuelles. Je n’aborderai pas toutes les recherches de la satisfaction des utilisateurs15 que ce soit charte de qualité16, recommandations, traitement alternatif des conflits17 ou création de commission consultative des services publics locaux (article L 1413-1 CGCT). En cette matière non contentieuse, beaucoup a été fait pour intégrer les « meilleures pratiques » du secteur privé18, souvent avec succès. Comme quoi, un dialogue entre le secteur privé et le secteur public peut être positif à condition que le privé cesse de vouloir être hégémonique et de tout ramener à la défense de ses intérêts particuliers. Pour faire simple, les utilisateurs que nous allons rencontrés son mécontents. La cause de leur mécontentement peut être personnelle ou plus politique. Ils veulent agir, le faire savoir et peser sur les décisions déjà entérinées ou à prendre, comme un renouvellement de concession par exemple. Pour se faire entendre dans la relation à trois qu’une délégation de service public (l’autorité délégante, l’exploitant du SPIC et les usagers terminaux), ils disposent désormais de trois types d’actions. Certaines sont connues, d’autres sont en construction et les troisièmes sont en création. On aurait pu étudier également le droit pénal des délégations de service publics mais je préfère réserver ces questions à une prochaine fois tant il s’agit d’un sujet en soi. Je vous propose d’analyser les modes d’actions des utilisateurs au regard du trois armes à leur disposition :

‐ l’arme du droit administratif lorsque l’utilisateur agit en qualité d’usager ; ‐ l’arme du droit privé s’il préfère se prévaloir de son statut de

consommateur ; ‐ et l’arme du droit constitutionnel s’il accepte de redevenir un citoyen et

d’arpenter les chemins, pour le moment inexplorés, de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC).

                                                            15 Nicolas Charbit, Le droit de la concurrence et le secteur public, L’Harmattan, 2002, p. 395 et s. 16 La charte des usagers de juillet 1992 précise que « le service rendu à l’usager constitue la finalité de l’action administrative ». 17 Azoulay & al., La gestion des ressources humaines, élément de performance des administrations publiques, ENA (juillet 1999), « depuis l’institution du

Médiateur de la République en 1973 et des comités d’usagers (par ministère) créés en 1974, on peut considérer que l’administration s’efforce souvent avec efficacité de répondre à l’exigence de modernisation manifestée par un usager devenu consommateur » (p. 3) ; «l’administration ne peut pas adopter une logique de service rendu à n’importe quel prix. Ses usagers ne sont pas des clients et ses missions comportent une dimension de puissance publique qui lui interdit de s’affranchir de certaines contraintes », p. 10 ; cité avec l’aimable autorisation de l’ENA.

18 Bruno Carlier, Améliorer la qualité de la relation service public/usagers, Administration générale, ° 402, « Le passage d'une logique d'offre à une logique de demande, où les services publics à l'écoute des usagers peuvent évoluer en fonction des attentes de ces derniers, suppose la diffusion d'un état d'esprit et d'outils (marketing public, démarche qualité, communication par objectif) permettant de mettre l'usager au centre des préoccupations de l'administration ».

Bertrand de Quatrebarbes, Ecoute, marketing, et qualité dans les services publics, Ed° de l’Organisation, 1998.

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I. L’USAGER ET L’ARME DU DROIT ADMINISTRATIF 

Encore une fois, je me place au-delà des procédures d’accès à l’information voire de participation à la gestion de services publics qui peuvent être mises en place. Nous sommes en présence d’usagers d’un service public qui souhaitent en découdre :

‐ Soit, ils s’estiment que la décision de délégation du service public est en-elle-même critiquable et ils saisiront le juge administratif sur la base d’un recours pour excès de pouvoir (A) ;

‐ Soit, ils estiment que le contrat de délégation contient des clauses qui leur portent griefs et ils tenteront d’en obtenir l’annulation en tout ou partie (B).

‐ Enfin, nous devons réserver la possibilité pour les usagers en question de substituer à l’autorité publique en cas de carence de cette dernière (C).

A. LA VOIE ROYALE : LE RECOURS POUR EXCES DE POUVOIR

Depuis la loi Sapin, la signature d’un contrat de délégation est précédée de deux délibérations :

‐ Une délibération décidant le recours ou non à la délégation de service public pour gérer le service envisagée. Cette délibération justifie le recours à une DSP plutôt qu’à une régie directe en présentant les avantages pour la collectivité. Elle détermina les caractéristiques de la DSP qui se retrouveront dans l’appel à candidatures ;

‐ Une délibération autorisant l’organe exécutif de la collectivité à signer la convention ainsi négociée.

Pour chacune de ces délibérations, il est possible de saisir le juge de l’excès de pouvoir pour qu’il prononce la nullité de la délibération et les actes subséquents. Nous retrouverons les trois moyens d’un recours bien connus des praticiens :

‐ Les moyens tirés de la légalité externe de l’acte attaqué (incompétence de l’auteur de l’acte, vice de forme, en ce compris le défaut de motivation, vice de procédure) ;

‐ Les moyens tirés de la légalité interne (violation directe de la loi, erreur de fait ou de droit, erreur dans la qualification juridique des faits ou erreur manifeste d’appréciation, détournement de procédure ou de pouvoir)

‐ Enfin, les moyens d’ordre public.

Dans le dossier de l’eau de Toulouse, l’association EAU SECOURS 31 avait déniché un très beau moyen d’ordre public, à savoir que le maire de l’époque (février 1990) avait signé le contrat avant sa transmission au préfet, ce qui constituait une violation de l’article L. 2131-1 du CGCT. Ce moyen paraissait tellement fort que la municipalité a obtenu que la loi soit modifiée pour « sauver » le contrat. Je reviendrai sur cette question lorsque j’étudierai la constitutionnalité des lois de validation (cf. III).

Bref, on peut développer tous les arguments classiques du recours pour excès de pouvoir, à condition de les présenter dans les délais d’un recours contentieux.

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B. LA VOIE, POUR LE MOMENT, SANS ISSUE ? L’USAGER TENTE D’ATTAQUER LE CONTRAT DE DELEGATION DE SERVICES PUBLICS OU CERTAINES CLAUSES DITES REGLEMENTAIRES

Nous sommes à un tournant du droit.

Jusqu’au début du XXIème siècle, la jurisprudence considérait qu’un tiers au contrat, comme l’usager ou le candidat évincé d’un appel d’offres, n’était pas recevable pour exercer un recours en pleine juridiction à l’encontre du contrat19. Tout au plus, leur reconnaissait-on la possibilité de demander l’annulation de l’acte détachable du contrat20. Toutefois, la jurisprudence avait reconnu au préfet la possibilité d’utiliser la voie du déféré préfectoral21 pour contester le contrat ou en demander l’annulation22.

Mais, ce principe a connu une première et sévère altération lorsque le Conseil d’Etat, par l’arrêt TROPIC23, a accordé à certains tiers, les concurrents évincés la possibilité de saisir le juge du contrat.

Tout en maintenant le principe d’interdiction d’accès au juge du contrat pour les autres tiers, une jurisprudence complexe et hésitante semblait reconnaître aux usagers et aux contribuables le droit d’exercer un recours pour excès de pouvoir contre les clauses réglementaires du contrat24. Bien que tiers au contrat, certaines décisions reconnaissait que les clauses réglementaires étaient divisibles du reste du contrat, en rendant la critique et donc l’annulation possibles devant le juge de l’excès de pouvoir.

Dans son arrêt Association Alcaly25, le Conseil d’Etat vient lever l’une des dernières ambiguïtés en considérant que les clauses réglementaires d’un contrat sont par nature divisibles de l’ensemble du contrat.

Les clauses dites réglementaires concernent le plus souvent l’organisation et le fonctionnement des services publics délégués26. Ainsi, les clauses tarifaires, c'est-à-dire fixant le principe et les modalités de calcul des redevances dues parles usagers sont des clauses réglementaires27. De même, les clauses imposant certaines obligations aux usagers sont considérés comme réglementaires. Cela se comprend aisément, ces clauses sont impersonnelles et s’imposent à tous dans un souci de rationalisation du service public.

Au point où nous en sommes, le principe de l’interdiction d’attaquer le contrat par les usagers semble se réduire comme peau de chagrin. Cette remise en cause du principe pourrait devenir définitive si l’on suit les commentaires de certains commissaires du Gouvernement ou de certains auteurs. En effet, pour M. Casal, commissaire du Gouvernement dans l’affaire TROPIC, on pourrait considérer que les usagers et les contribuables peuvent se prévaloir d’un véritable droit de nature patrimoniale qui aurait été lésé par les conditions financières (tarifs, prix) du contrat conclu.

                                                            19 Jean-Paul Pietri, Recevabilité des recours des tiers, Contr. et marc. publ., Août 2007, n° 8, comm. 254 20 CE, 5 avril 1905, Martin, Rec. CE 1905, p. 749, concl. Romieu 21 CE, 26 juillet 1991, Commune de Sainte-Marie, Juris-Data n° 1991-044398 ; Rec. CE 1991, p. 302), 22 CE, 2 nov. 1988, n° 600115, Commissaire de la République des Hauts-de-Seine c/ OPHLM de Malakoff : Juris-Data n° 1989-600115 ; Rec. CE 1988,

p. 659 23 CE, ass., 16 juill. 2007, n° 291545, Sté Tropic travaux signalisation : concl. D. Casas, BJCP 2007, p. 391 à 405 ; RFD adm. 2007, p. 696 à 711 ;

AJDA 2007, p. 1577 à 1588, chron. F. Lenica et J. Boucher ; JCP G 2007, p. 33 à 39, note B. Seiller ; JCP A 2007, 2212, note F. Linditch ; Contrats – Marchés publ. 2007, p. 28 à 31, note J.-P. Pietri ; RJEP 2007 n° 646, p. 327, note P. Delvolvé ; Gaz. Pal. 8 sept. 2007, p. 6 à 12, note O. Guillaumont.

24 CE, 10 juill. 1996, n° 138536, Cayzeele : Rec. CE 1996, p. 274 ; AJDA 1996, p. 732, chron. D. Chauvaux et T.-X. Girardot ; CJEG 1996, p. 382, note Ph. Terneyre ; RFD adm. 1997, p. 89, note P. Delvolvé.

25 CE 8 avril 2009, Assoc. Alcaly et a. Olivier Guillaumont, Les clauses réglementaires d’un contrat sont par nature divisibles de l’ensemble du contrat, JCP (Adm. coll. terr.) Septembre 2009, n° 37, 2215.

26 René Chapus, Droit administratif général, n° 660, p. 457, elles représentent le règlement unilatéralement édicté de l’exécution du service ou de l’exploitation de l’ouvrage. Elles fixent en bref les conditions dans lesquelles le concessionnaire doit s’acquitter de sa mission et notamment les modalités de ses rapports avec les usagers (notamment tarifs et redevances à percevoir).

27 TA Dijon, 9 mai 1995, n° 94292, Bessis, AJDA, 1995, p. 941, obs. L. Richer.

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Cela paraît être une évidence lorsque l’on étudie, comme l’on fait la Cour des comptes28 et le Conseil de la concurrence29. On s’aperçoit alors qu’il existe une captation de la rente30 liée à l’exploitation du monopole de fait31. Les usagers peuvent par ce biais contester les dispositions du contrat qui sont en apparence favorable à la collectivité délégante.

Dans le dossier de l’eau de Toulouse, plusieurs arguments étaient développés contre le contrat de délégation : outre le paiement d’un droit d’entrée de 430 millions de francs, le versement d’une redevance annuelle au budget général de la ville de Toulouse (environ 6 millions d’euro) paraissait être en contradiction avec le principe selon lequel l’eau paye l’eau32 mais ne peut pas financer une autre activité. Dès lors, on comprend le point de vue des usagers qui refusent que les redevances liées à la consommation d’eau ne dissimule un impôt qui ne dit pas son nom et qui se trouve inodore, incolore et sans saveur !

En attendant de voir la jurisprudence du Conseil d’Etat évoluer, il existe, peut être une tierce solution pour permettre aux usagers de remettre en cause un contrat qui lèse leurs intérêts et ceux de la collectivité.

C. LA VOIE INDIRECTE : L’ACTION EN SUBSTITUTION

En effet, l’article 2132-5 du CGCT dispose que « Tout contribuable inscrit au rôle de la commune a le droit d'exercer, tant en demande qu'en défense, à ses frais et risques, avec l'autorisation du tribunal administratif, les actions qu'il croit appartenir à la commune, et que celle-ci, préalablement appelée à en délibérer, a refusé ou négligé d'exercer ».

Il suffit de démontrer que l’action peut avoir un intérêt positif pour le budget communal.

Ainsi, si les usagers (ou l’association d’usagers) considère que la délégation de service public a été conclue de manière contraire aux intérêts financiers de la commune, ils pourraient exercer, avec l’autorisation du tribunal administratif, les droits de cette dernière.

Cette disposition peut être utilisée aussi bien dans le cadre du droit administratif que dans un contentieux civil, voire pénal.

                                                            28 Cour des comptes, La gestion des services publics d’eau et d’assainissement, Décembre 2003 29 Avis du Conseil de la concurrence n° 00.A.12 du 31 mai 2000, Rapport du Conseil 2000, p. 1230 et s. 30 A propos du retour en régie de l’eau de Paris, on peut lire dans la dépêche de l’agence NOVOPRESS 5 http://paris.novopress.info/5081/la-

gestion-de-l%e2%80%99eau-a-paris-repasse-en-regie) « Depuis le 1er janvier 2010, le retour de l’eau au public est effectif dans la capitale, mettant ainsi fin à plus de 20 années de gestion privée. Ce retour dans le giron du public ne pourra que satisfaire tous ceux qui sont attachés à la gestion publique et directe des services collectifs et qui pensent que le service public essentiel qu’est la production et la distribution de l’eau ne peut être marchandisée. De plus, le contribuable devrait également y trouver son compte, puisque la gestion de tout ce qui fonctionne en réseau, et en particulier, l’eau, les égouts, l’énergie, le ramassage des ordures, coûte en moyenne 17% de moins en cas de régie avec des fonctionnaires territoriaux, (pourtant tant décriés…), qu’avec une multinationale du type Veolia, ex lyonnaise des eaux (qui a changé de nom à cause de sa réputation sulfureuse et de ses affaires de corruption) »

31 Anne Le Strat, adjoint au maire de Paris chargée de la re-municipalisation du service des eaux de la capitale, car « elle permettra de récupérer les gains financiers générés par les contrats actuels aux multinationales, qui servent à rémunérer les actionnaires et ainsi de les réinvestir dans le service ».

32 Les investissements nécessaires aux installations d'assainissement, qui représentent un effort considérable, sont à la charge des communes. Le principe "l'eau paye l'eau", réaffirmé par l'instruction budgétaire et comptable M.49 du 12 août 1991, oblige les collectivités locales (à l'exception des communes et groupements de communes de moins de 3 000 habitants) à gérer les services d'eau et d'assainissement dans le cadre d'un budget spécifique, où les dépenses et les recettes doivent s'équilibrer sans faire appel au budget général de la commune. Le principe "l'eau paye l'eau" n'interdit pas aux communes de bénéficier d'aides financières pour la création ou la modernisation de leurs outils de collecte et d'épuration (sources http://www.cieau.com/toutpubl/sommaire/texte/8/contenu/8851.htm) .

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II.  CONSOMMATEUR ET L’ARME DU DROIT PRIVE  

La reconnaissance du statut de consommateur à l’utilisateur d’un SPIC emporte la soumission du contentieux au droit privé, tant en ce qui concerne la compétence ratione materiae des juridictions qu’en ce qui concerne le droit applicable.

Tout le droit privé peut devenir servir les arguments du consommateur dans sa relation avec le délégataire du SPIC.

Avant d’étudier en détails, le droit de la consommation et le droit de la concurrence, il convient de rappeler que le consommateur pourrait, dans l’absolu, requérir l’application de la notion, ancienne mais toujours d’actualité, de répétition de l’indu (article 1376 C. civ.) qui prévoit que celui qui a fait un paiement indu, par erreur, peut obliger celui qui a reçu le paiement à le lui restituer. Encore faut-il démontrer le caractère indu du paiement réalisé par le consommateur. Cette difficulté dans la charge de la preuve se retrouve également en cas de recours au droit de la concurrence (B) ou au droit de la consommation (C). C’est pourquoi il est nécessaire de vérifier comment le consommateur pourrait contraindre le délégataire à lui communiquer des informations pertinentes (A).

A. LA QUESTION DE LA PREUVE : LE RECOURS A L’EXPERTISE IN FUTURUM

Nous vivons dans une société de l’information.

Il existe de nombreuses obligations d’informations ou de rendre des comptes pesant sur les délégataires. Pour autant, il est parfois difficile de s’y retrouver. Trop d’informations tue l’information. En matière de détermination du juste prix de l’eau, même la Cour des comptes reconnaît que le prix de l’eau est « encore peu compréhensible ». Certains prétendent même que dans les grandes sociétés, il n’est pas certain que les mécanismes de tarification mis en place à une certaine époque soient encore compréhensibles. Nous sommes face à une myopie institutionnelle.

De bonne ou de mauvaise foi, les informations communiquées sont insuffisantes ou peu pertinentes.

Souvent, l’entrelacs des liens contractuels et capitalistiques rend difficile la détermination des quotes-parts revenant à chaque société de distribution de l’eau. Ainsi, dans un dossier, il existe un GIE regroupant trois sociétés de distribution qui est censé partagé les coûts communs et faire bénéficier les usagers de l’économie ainsi réalisée. A la vérité, ce GIE sert de « boite noire » pour rendre difficile voire impossible une comptabilisation fine et analytique des différents postes concourant à la détermination du coût de production.

Alors que faire ?

Au maire de la commune concernée et aux usagers particulièrement à la pointe de la recherche d’informations, j’ai proposé de lancer une expertise in futurum sur le fondement de l’article 145 du NCPC.

« S'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ».

La simple lecture du texte montre son intérêt :

• cette expertise doit avoir lieu avant tout procès et elle permettra aux demandeurs d’apprécier l’opportunité d’une procédure au regard des pièces ainsi obtenues ;

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• la notion de « motif légitime » est suffisamment ample pour autoriser facilement la mesure. Ainsi, obtenir des éléments de détermination du prix de l’eau ou vérifier l’application des articles correspondants peuvent constituer des motifs légitimes

• la mesure d’instruction permet d’établir ou de conserver les preuves nécessaires à l’issue d’un litige.

Outre la question de l’indépendance et de la compétence de l’expert judiciaire, le seul inconvénient de cette procédure est le coût d’une telle mesure. Il faut pouvoir plonger dans la comptabilité de grandes sociétés (et de leurs myriades de sociétés filles ou sœurs33) et passer beaucoup de temps pour vérifier et pister les flux.

B. APPLICATION DU DROIT DE LA CONCURRENCE

1°) Considérations générales relatives à l’application du droit de la concurrence

Depuis l’arrêt Million & Marais34, le Conseil d’Etat considère que les personnes publiques et les activités de service public qu’elles organisent doivent respecter les règles de droit de la concurrence35. Selon le professeur Philippe Terneyre36, les règles de la concurrence obligent l’Administration (et le juge) a faire le tri entre ses activités économiques et les activités non économiques, seules les dernières pouvant échapper à l’application du droit de la concurrence.

Si les règles de la concurrence obligent l’administration, sous le contrôle du juge, à s’interroger systématiquement sur l’effet anticoncurrentiel de ses actes et comportement à objet économique, cela ne doit pas l’empêcher de remplir ses missions d’intérêt général (unité de l’Etat, continuité des services publics, préservation de l’intégrité et de l’affectation du domaine public, principe d’égalité, etc.). Ainsi, loin d’être une arme contre les services publics, le droit de la concurrence peut il devenir un outil au service de l’intérêt général pour compléter les obligations de « transparence relative et de mise en concurrence limitée » 37 issues des lois Sapin et Barnier.

Une étude du cas particulier du secteur de l’eau permettra de mettre en évidence l’effet paradoxal du droit de la concurrence : c’est un moyen de limiter l’influence des grands groupes et de permettre un meilleur contrôle. Encore faut-il que les élus et les consommateurs s’approprient ces moyens d’action.

2°) Application du droit de la concurrence aux délégations de service public de l’eau et de l’assainissement.

Dans un avis déjà ancien mais toujours d’une cruelle actualité, le Conseil de la concurrence s’était penché sur le prix de l’eau en France38. Son analyse garde d’autant plus sa pertinence qu’elle a influencé les juridictions chargées de l’application du droit de la concurrence à ce secteur d’activité. Par ailleurs, cet avis contient un certain nombre de recommandations qui mériteraient d’être appliquées pour mettre fin à la situation d’oligopole qui existe sur ce marché.

                                                            33 Il est fréquent que les travaux d’entretien supportés par le délégataire soient réalisés par une société appartenant au même groupe. Cela permet

de maximiser les profits du groupe ou d’isoler la plus value dans une structure plutôt que dans une autre. 34 CE, 3 mai 1997, Sté Million et Marais : Juris-Data n° 1997-050805 ; Rec. CE 1997, I, p. 393, concl. J.-H. Stahl ; JCP A 2007, 2281 à JCP A 2007,

2289 ; JCP G 1998, I, 165, chron. J. Petit ; JCP E 1997, 443 ; Dr. adm. 1997, comm. 372. – CE, sect., 26 mars 1999, n° 202260, Sté Eda : Juris-Data n° 1999-050078 ; Rec. CE 1999, p. 96 ; Dr. adm. 1999, comm. 130. – CE, 16 juin 2004, n° 235176, Mutuelle générale services publ. et a. : Juris-Data n° 2004-067002 ; JCP G 2004, IV, 3336 ; JCP E 2005, 277 ; JCP E 2004, 1027 ; JCP E 2003, 1326 ; Dr. adm. 2004, comm. 140, note M. Bazex et S. Blazy ; Contrats, conc. consom. 2004, comm. 155, M. Malaurie-Vignal ; Europe 2004, comm. 370, P. Cassia et E. Saulnier

35 Par exemple, le Conseil de la concurrence a condamné, pour abus de position dominante, diverses pratiques mises en œuvre par la régie des pompes funèbres de Marseille, Cons. Conc., décision n° 97 D 92, BOCCRF 28 décembre 1997.

36 Philippe Terneyre, L’impact des règles de la concurrence sur les actes et les comportements de l’administration, JCP (Adm. coll. terr.) 29 octobre 2007, 2282.

37 Didier Linotte et Raphaël Romi, ibidem, p. 317, n° 602 et s. 38 Avis du Conseil de la concurrence n° 00A12 du 31 mai 2000 sur le prix de l’eau

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a) La faiblesse de la concurrence pèse sur les prix

Le Conseil de la concurrence part d’un constat partagé : le marché des services d’approvisionnement et de distribution d’eau est un marché faiblement concurrentiel. Trois acteurs principaux se partagent plus de 95 % du marché et la plupart des grandes agglomérations sont entre les mains des deux opérateurs.

Certains observateurs avaient déjà remarqué dans les années 80/90 que le partage des communes pouvait constituer un indice d’entente. En effet, les villes de gauche et de centre revenaient plutôt à la Générale des eaux (devenue Veolia) et les villes de droite (principalement RPR) revenaient à la Lyonnaise des eaux (devenu Suez-Lyonnaise des eaux).

Le Conseil de la concurrence commente en précisant « Cette structure peu concurrentielle est le résultat d'opérations de concentration successives ; elle est aggravée par la création de filiales communes dans certaines zones géographiques et par la faiblesse de la concurrence à l'échéance des conventions ».

En effet, l’un des enjeux important réside dans le taux de changement des délégations : environ 5 % de non reconduction des délégations antérieures, soit trois contrats sur 1000 changeraient chaque année de titulaire !39

A cela s’ajoute la question de la durée des délégations que le Conseil estime souvent excessive.

Devant cette situation, le Conseil de la concurrence s’interrogeait pour savoir si l’on n’était pas en présence d’un « monopole de fait », renforcé au cas d’espèce par l’adoption d’un « code de bonne conduite (sic !) implicite ».

A cette interrogation, la Cour de cassation est venue apportée une réponse positive en reconnaissant que « le SEDIF (syndicat des eaux d’Ile de France) bénéficiait d’un monopole de fait sur le marché de la fourniture d’eau aux consommateurs situés sur le territoire des communes adhérentes »40. Autrement dit, les consommateurs sont captifs.

Et pour enfoncer le clou, le Conseil de la concurrence conclut que cette faiblesse de la concurrence apparaît comme l’explication des hausses de prix constatées par « un fonctionnement imparfait du marché ». Le Conseil rappelle alors quelles sont les armes du droit de la concurrence contre les comportements des opérateurs du marché.

En ce qui concerne la détermination du marché pertinent sur lequel apprécier l’application des règles de concurrence, il suffit de rappeler que le marché pertinent peut être un marché local, se réduisant par exemple au territoire d’une commune41.

Le Conseil rappelle ensuite les deux principales atteintes à la concurrence sur lesquelles il peut intervenir :

• Les ententes illicites : le conseil se réserve d’étudier de manière approfondie le cas des entreprises communes mais il insiste particulièrement sur la question de la durée des conventions de délégation et sur les conditions de leur renouvellement en précisant que « il ne peut être exclu que les exigences du droit de la concurrence imposent des durées plus courtes [que celles prévues par l’article L1411-2 du CGCT qui plafonne à 20 ans], s'il pouvait être démontré que la convention de délégation a pour objet ou pour effet d'évincer d'autres entreprises ».

                                                            39 A l’approche du 20ème anniversaire de la loi Sapin qui prévoit de plafonner la durée d’une délégation à 20 ans (Conseil d'Etat, 8 avril 2009,

Compagnie générale des eaux et Commune d'Olivet, requêtes n°271737 et 271782, Droit Administratif n° 6, Juin 2009, comm. 85, La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales n° 27, 29 Juin 2009, 2157), les grandes manœuvres ont commencé. La filiale française du groupe allemand Gelsenwasser vient de remporter le marché de Chelles (Seine-et-Marne) en proposant un prix de 40 % inférieur à celui de ses concurrents. (Marc Daniel et Isabelle Rey-Lefebvre, Distribution d’eau : la concurrence s’éveille, les prix baissent, Le Monde, 14-15 février 2010, p. 10)

40 Cass. Com. 20 novembre 2007, n° 06-20.262, JCP (Adm. coll. terr.) 11 février 2008, 205, observations Cabanes et Neveu. 41 CJCE 10 déc. 1991, aff. n° C179/90, Merci, Rec. 5523. Cons. Conc., décision n° 97 D 92, BOCCRF 28 décembre 1997.

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• Abus de position dominante : à partir du moment où la situation de monopole de fait est

reconnue sur le marché local de la distribution de l’eau est reconnu, la question d’une « position dominante » ne se pose plus. Par ailleurs, le Conseil de la Concurrence a décidé qu’en s'abstenant de faire concurrence aux filiales communes qu'elles ont créées dans le secteur de la distribution de l'eau et de l'assainissement, les sociétés Compagnie générale des eaux (CGE) et Lyonnaise des eaux (SLDE) ont abusé de la position dominante qu'elles détiennent conjointement42.

La Cour d’appel de Paris43 approuve la décision du Conseil en relevant les éléments suivants permettant de démontrer tout à la fois l’existence d’une position dominante et d’un abus de cette position. La lecture intégrale des principaux attendus de cet arrêt apparait nécessaire tant la cour d’appel a synthétisé les principaux griefs pesant sur ces deux sociétés : ‐ « la décision attaquée relève, sans être démentie par la requérante, que la part de marché cumulée

détenue par cette dernière ainsi que par la société SLDE a dépassé 80 % au cours des 27 dernières années, atteignant 82,5 % en 1975 et passant à 85 % de ce marché en 2002 alors que la part de marché détenue par la SAUR n'a pas dépassé 13 %, l'importance des parts de marché des groupes CGE et SLDE caractérisant à elle seule une position de domination au sens de l'article L. 420-2 du Code de commerce, les interventions sur le marché de plus petits opérateurs, qui ont été analysées par le Conseil dans la décision attaquée et représentent environ 1 % du marché pour la période couverte par l'enquête, ne pouvant remettre en cause ce constat »

‐ « le caractère conjoint de la domination exercée sur le marché par les sociétés CGE et SLDE, qui suppose l'existence de liens structurels et celle d'une politique d'action commune, est suffisamment démontré du fait même de la création d'entreprises communes disposant de zones d'influence reconnues par l'une et l'autre de leurs sociétés-mères dont les comportements sont parallèles et prévisibles dans ces zones, ce qu'au demeurant la requérante ne conteste pas, le développement relatif et récent de la concurrence dans les secteurs extérieurs à ces zones ne contredisant pas les constatations du Conseil ; que la décision attaquée relève enfin le caractère homogène du produit eau commercialisé par les deux sociétés et l'inélasticité de la demande de ce produit par rapport à son prix, cet élément venant s'jouter aux présomptions de comportement parallèle réunies à l'encontre des deux sociétés »

‐ « il résulte des constatations du Conseil que lors de 41 appels à la concurrence lancés par des collectivités dans les secteurs de l'eau potable et de l'assainissement postérieurement au 21 juin 1997 et sur lesquels six des entreprises créées et contrôlées par les sociétés CGE et SLDE (…) ont formulé des offres, la CGE n'a présenté que 4 candidatures distinctes de celles des entreprises communes avant le 2 août 2000 date à laquelle elle a été informée par le rapporteur de la saisine d'office du Conseil ;

‐ « la société CGE, qui s'est abstenue comme la société SLDE dans la plupart des cas de créer des agences à moins de 50 km du siège d'une entreprise commune, n'est pas fondée à invoquer la nécessité de concentrer ses capacités techniques et la rationalité économique de cette abstention dans les secteurs d'activité des entreprises communes, compte tenu de l'ampleur des moyens dont elle dispose sur l'ensemble du territoire national ;

‐ « la requérante admet elle-même un taux d'abstention moyen de 83 % (sic !) sur les 41 marchés analysés dans la décision attaquée, alors qu'elle a fait état lors de l'enquête d'un taux de réponse à appels d'offres de 80 % à l'échelle nationale ; que la comparaison proposée par la requérante entre son propre comportement d'abstention et celui de la SAUR, sur certains de ces appels à candidature, n'est pas pertinente eu égard à leurs positions respectives sur le marché ;

                                                            42 Cons. conc. déc. n° 02-D-44, 11 juill. 2002 : JCP E 2003, 196, note P. Arhel. - V. Sélinsky et C. Montet 43 CA Paris, 1re ch. H, 18 février 2003 ; La Compagnie Générale des Eaux c/ La Société d'Aménagement Urbain et Rural (SAUR) [Juris-Data n° 2003-

200255] La Semaine Juridique Entreprise et Affaires n° 14, 3 Avril 2003, 544, comm. Pierre Arhel

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‐ « les pratiques reprochées à la société CGE, sur laquelle pesait, comme sur la SLDE, du fait de leur position de domination collective, une obligation particulière de ne pas porter atteinte au développement d'une concurrence effective sur le marché, ont limité sensiblement le nombre d'offreurs actifs dans la zone d'influence des entreprises communes ; qu'elles ont eu un objet et un effet anticoncurrentiel et constituent un abus de position dominante au sens des dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce ».

Cette décision – qui semble pas avoir l’objet d’un arrêt de la Cour cassation – est également intéressante car elle rappelle que le Conseil de la concurrence dispose d’un pouvoir propre résultant de l’article L 430-9 du Code de commerce. En effet, en cas d'exploitation abusive d'une position dominante ou d'un état de dépendance économique, le Conseil de la concurrence de demander au Ministre chargé de l'économie d'enjoindre à l'entreprise en cause de modifier, de compléter ou de résilier dans un délai déterminé tous accords ou tous actes par lesquels s'est réalisée la concentration de la puissance économique ayant permis ces abus. L’arrêt de la cour d’appel prend le soin de préciser qu’il importe peu que les opérations en cause soient intervenues plusieurs décennies avant l'entrée en vigueur de cette disposition. De plus, la demande adressée par le Conseil de la concurrence au Ministre de l'économie sur le fondement de l'article L. 430-9 ne fait pas grief, de sorte que le recours en annulation formé devant la Cour d’appel contre une telle demande est irrecevable. On le voit, déjà à ce stade, le droit de la concurrence peut s’avérer efficace. Mais il peut devenir redoutable si l’on étudie les mesures conservatoires pouvant être prises par le Conseil de la concurrence, étant précisé que le Conseil peut être saisi en parallèle d’autres juridictions, notamment les juridictions administratives44. A ce titre, deux décisions retiendront notre attention :

• Commune de Saint Michel sur Orge / UFC Que Choisir Lors d’un renouvellement d’une délégation de services de distribution d’eau potable, l’ancien délégataire a refusé de communiquer certaines informations, notamment celles relatives aux règles de détermination du prix en gros (on retrouver encore une fois cette fameuse « asymétrie de l’information » qui est l’une des clés de la compréhension de nos « sociétés de l’information »). Cette situation a conduit les autres opérateurs à ne pas participer à l’appel d’offre. Saisi d’une demande de communication des conditions de vente en gros, le Conseil de la concurrence45, approuvé par la cour d’appel de Paris46, a refusé d’enjoindre la communication forcée au motif que « les parties saisissantes n'avaient pas apporté d'éléments suffisamment probants pour établir que les pratiques dénoncées porteraient une atteinte grave et immédiate au secteur intéressé ou à l'économie en général ».

• Desserte de la Corse47 - Le Conseil a ordonné à la Société nationale Corse Méditerranée (SNCM) la communication sous 48 heures de plusieurs séries d’informations susceptibles d’assurer l’égalité des offres (notamment, le montant ferme de la subvention sur lequel elle s’engage ligne par ligne dans l’offre qu’elle a

                                                            44 www.conseil-concurrence.fr/pdf/avis/06mc03.pdf 45 Cons. Con. déc. n° 98-MC-02 du 31 mars 1998, BOCCRF du 15 mai 1998 46 CA Paris, 19 mai 1998 47 Michaël Karpenschif , Violation des règles de concurrence lors de la passation d'une délégation de service public : de la complémentarité des juges, JCP (Adm.

et Coll. terr.) n° 4, 22 Janvier 2007, 2011 : « L'attribution de la délégation de service public pour la desserte de la Corse au continent sur la période 2007-2012 n'est pas qu'un enjeu économique important (puisque le délégataire sélectionné devrait bénéficier de près de 95 millions d'euros de subventions annuelles au titre des obligations de service public prises en charge), elle est aussi cruciale pour l'avenir de la SNCM récemment privatisée (dont les actionnaires sont désormais Veolia transport et le fonds d'investissement BCP). Il n'est pas sûr toutefois que les nécessités politiques s'accommodent parfaitement de la place croissante faite aux règles de concurrence dans ce qu'il convient d'appeler le droit de la « commande publique ». Le juge administratif et le Conseil de la concurrence apparaissant, plus que jamais, comme des alliés incontournables des concurrents irrégulièrement évincés. »

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déposée). Dans la même décision, le Conseil enjoint à la SNCM de s’abstenir de signer tout projet de contrat qui lui serait proposé pour une nouvelle délégation de service public relative à la desserte maritime de la Corse à partir de Marseille tant qu’il n’aurait pas respecté l’injonction de communication.

Les utilisateurs-consommateurs doivent retenir qu’outre le juge administratif et le juge judiciaire, il dispose d’une troisième voie en saisissant l’Autorité de la concurrence qui peut prendre des mesures conservatoires susceptibles d’améliorer la concurrence sur le marché local de l’eau48.

Mais, les utilisateurs-consommateurs ne doivent pas ignorer la hiérarchie entre les normes de droit public et celle de droit privé car, comme le relève le professeur TERNEYRE et le commissaire du gouvernement GLASER, « la soumission de l’administration aux règles de la concurrence ne doit pas empêcher cette dernière de remplir ses missions d’intérêt général »49. Ainsi, les règles de droit privé sont elles destinées à confortées la théorie des services publics à la française.

b) Recommandations du Conseil de la concurrence pour améliorer

Au-delà de l’approche strictement contentieuse, l’Avis du Conseil de la concurrence contenait un certain nombre de propositions dont on ferait bien de s’inspirer :

• Distinguer production et distribution de l’eau, • Assurer la transparence en publiant systématiquement le calendrier des délégations

existantes et les dates d’échéances, • Recourir à des consultations anticipées pour connaitre les conditions d’exploitation

les plus modernes, les plus pertinentes et/ou les plus économiques, • Permettre à des petites entreprises ou à des entreprises étrangères d’accéder au

marché ; • Retour en régie (ou menace d’un retour en régie) ; • Mise en place d’une autorité de surveillance chargée de « collecter, de traiter, de

diffuser des informations permettant d’améliorer le fonctionnement de la concurrence ».

C. Application du droit de la consommation Contrairement à ce que l’on pourrait penser prime facie, les lois du service public tirent profit de

leur confrontation avec les principes renforçant les droits des usagers (bonne foi, abus de droit, confiance légitime) : la contradiction de principe donne naissance à un droit nouveau, renouvelant en profondeur la situation de l’usager50.

C’est ainsi, que le Conseil d’Etat a admis que la législation sur les clauses abusives51, et partant tout le droit de la consommation, s’applique aux contrats conclus entre les services publics industriels et commerciaux et ses usagers. Dans l’affaire SOCIETE DES EAUX DU NORD52, le Conseil d’Etat a déclaré illégale une disposition du règlement de service de distribution d’eau de la communauté urbaine de Lille ayant pour effet de faire peser sur l’abonné la charge de dommages apparus sur le branchement particulier en amont du compteur.

                                                            48 René Poesy, Le conseil de la concurrence et les collectivités territoriales, La Semaine Juridique Administrations et collectivités territoriales, n° 5,

Janvier 2008, 2019 49 Philippe Terneyre et Emmanuel Glaser, L’impact des règles de la concurrence sur les actes et les comportements de l’Administration, Semaine Juridique

Administrations et Collectivités territoriales, n ° 44, 29 octobre 2007, 2282. 50 Sophie Nicinski, L’usager du service public industriel et commercial, L’Harmattan, 2001, coll° « Logiques juridiques » 51 Article 35 de la loi du 10 janvier 1978 devenu l’article L. 132-1 du Code de la consommation. 52 CE, 11 juillet 2001, Société des Eaux du Nord.

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On remarquera que le Conseil d’Etat considère que le service est assuré « en monopole », dans le cadre d’un « contrat d’adhésion » ce qui équivaut à constater une évidence, l’utilisateur d’un réseau d’eau est captif et sa liberté de choix en faveur d’une offre concurrente est inexistante. C’est la raison pour laquelle, le droit de la consommation doit le protéger et tenter de rétablir le rapport de force tant que les « caractéristiques particulières du service public » ne justifient pas telle ou telle atteinte aux droits individuels.

Dans le même esprit, le tribunal administratif d’Amiens a considéré que la clause excluant toute responsabilité du service des eaux pour les dommages survenus sur les branchements particuliers des usagers avant compteur était elle-aussi abusive53.

Parmi les dispositions du code de la consommation qui pourrait être invoqué devant les juridictions compétences, il convient également de signaler l’article L. 113-3 du Code de la consommation lequel dispose :

« Tout vendeur de produit ou tout prestataire de services doit, par voie de marquage, d'étiquetage, d'affichage ou par tout autre procédé approprié, informer le consommateur sur les prix, les limitations éventuelles de la responsabilité contractuelle et les conditions particulières de la vente, selon des modalités fixées par arrêtés du ministre chargé de l'économie, après consultation du Conseil national de la consommation ».

Grâce à cet article, tous les vendeurs de produits et tous les prestataires de services sont tenus par l'obligation d'informer le consommateur sur les prix. Quant au consommateur visé par ces dispositions, l’article 113-3 du Code de la consommation prévoit l'information du consommateur sur les prix, sans autre précision. L'obligation d'affichage des prix sur le lieu de vente s'entend toutefois des prix de vente offerts au consommateur final.

Ce dernier peut être défini comme étant celui qui passe commande des produits et des services « pour satisfaire ses propres besoins et ceux des personnes à sa charge, et non pour les revendre, les transformer ou les utiliser dans le cadre de sa profession».

La portée de cet article particulièrement large permet de l’utiliser comme fondement à l’action des usagers. Elle fait écho aux dispositions générales du Code civil qui prévoit que le principe de détermination d’une obligation à laquelle on s’engage.

Ce texte ne fait pas obstacle aux règles particulières de détermination du prix de l’eau. D’ailleurs, cette question fait couler beaucoup d’encre, tant les professionnels du secteur organisent une opacité certaine source de plus d’une suspicion.

Toutefois, il ne faut pas pousser trop loin cet impact des règles issues du droit de la consommation. En effet, les juridictions administratives font preuve de pragmatisme en accordant la primauté aux principes de droit public54. Pour le dire simplement, il n’est pas question qu’un consommateur isolé puisse faire échec au principe de continuité du service…

Paradoxalement, en transformant les utilisateurs d’un SPIC en simple consommateur, ces derniers sont appelés à se regrouper pour faire défendre leur droit55.

Derrière chaque consommateur, il y a un citoyen qui sommeille.

Et il est peut être temps de le réveiller, d’autant plus que l’on vient de lui reconnaitre un nouveau droit : celui de contester une loi promulguée devant le Conseil constitutionnel avec la question prioritaire de constitutionnalité (QPC).

                                                            53 TA Amiens, 13 octobre 2008, Gan Assurances, 54 François Beroujon, L’impact des règles issues du droit de la consommation, JCP (Adm. et coll. terr. ), n° 44, 29 octobre 2007, 2283 55 Jeannot Gilles, Services publics : l'usager, le client, le consommateur, Urbanisme, n° 307, 1999, p. 53-55., « Plutôt qu'un client atome

initial du modèle néo-libéral, on a une construction qui conduit à un consommateur éclairé seul capable de faire jouer les règles de la concurrence. Cela parce qu'outre la liberté il possède certains droits. Avec cette réémergence de la question du droit on rejoint en partie la première définition de l'usager. »

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III.  CITOYEN ET L’ARME DU DROIT CONSTITUTIONNEL.  Contrairement à ceux que d’aucuns ont voulu croire, la « percée du consommateur » n’a pas

achevé l’usager et détruit le citoyen. A plusieurs reprises et parfois avec fracas, les Français ont montré leur attachement aux services publics. En ces temps de crise et de remises en cause larvées, masquées ou revendiquées56 des « jours heureux »57, les services publics n’apparaissent ils pas comme les derniers remparts de protection des citoyens esseulés face à l’arrogance des banquiers , l’avidité aussi cruelle que dangereuse des marchés financiers et l’horizon intellectuel somme toute limité de tous les « beaux esprits » appartenant au cercle de la raison et vulgarisateur de la doxa ultra libérale ?

En insérant la QPC dans notre droit, le président de la République vient d’offrir une nouvelle arme qui permettra aux utilisateurs d’affirmer leurs prérogatives de citoyens. Avant d’étudier deux hypothèses de QPC, l’une concernant les lois de validation (B) ; l’autre, l’application de la charte de l’environnement (C), il convient de présenter rapidement ce texte qui fait l’objet d’une attention soutenue des praticiens (A).

A. PRESENTATION DE LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE

L’article 61-1 de la Constitution ouvre aux citoyens le droit de contester, à l’occasion des procès devant les juridictions (administratives et civiles) la constitutionnalité d’une loi.

Le texte prévoit de nombreux filtres et verrous pour éviter tout usage abusif ou dilatoire de cette disposition dont la sanction ultime n’est rien moins que l’abrogation du texte qui serait finalement déclaré inconstitutionnel.

Premier verrou et non des moindres, l’inconstitutionnalité ne peut résulter que d’une « atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit ». Autrement dit, si une loi a été adoptée par un abus de procédure (cavalier législatif, par exemple), cela n’est pas suffisant pour poser une QPC.

Les droits et libertés protégés sont ceux figurant dans la Constitution58 et les textes auxquels son préambule renvoie (Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, préambule de la Constitution de 1946, principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, Charte de l’environnement de 2004).

On le voit le domaine d’intervention peut être large : outre les questions classiques de liberté et d’égalité, la référence au « service public national » (notion flou s’il en est) dans le préambule de la constitution de 1946 peut permettre à des requérants inventifs de poser une question de constitutionnalité.

D’où instauration d’un premier filtre, on ne peut poser une QPC qu’à l’occasion d’une instance née ou en cours au 1er mars 2010, date d’entrée en vigueur de la disposition. Il existe des filtres processuels sur lesquels il n’est pas utile d’insister59.

                                                            56 Opinions de Denis Kessler, ancien mao, devenu idéologue du Medef : « Adieu 1945, raccrochons notre pays au monde ! Le modèle social français est le

pur produit du Conseil national de la Résistance. […] Il est grand temps de le réformer, et le gouvernement s’y emploie. Les annonces successives des différentes réformes par le gouvernement peuvent donner une impression de patchwork, tant elles paraissent variées, d’importance inégale, et de portées diverses : statut de la fonction publique, régimes spéciaux de retraite, refonte de la Sécurité sociale, paritarisme… A y regarder de plus près, on constate qu’il y a une profonde unité à ce programme ambitieux. La liste des réformes ? C’est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Elle est là. Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ! […] Désavouer les pères fondateurs n’est pas un problème qu’en psychanalyse. », http://www.challenges.fr/magazine/analyse/0094.005304/?xtmc=kessler&xtcr=19

57 C’est le nom donné au programme du Conseil national de la résistance 58 Mais on ne peut pas exclure l’utilisation perverse de la QPC. Ainsi, il n’est pas exclu que les grandes financiers gérant l’eau en France tentent

une QPC de remettre en cause une tarification sociale ou écologique, sur le fondement de la violation du principe d’égalité entre les usagers. Quand bien même, le Conseil d’Etat vient de juger que le principe d’égalité n’impose pas de différenciation des tarifs pour des abonnés dans des situations différentes (notamment eu égard aux volumes consommées), CE 14 octobre 2009, n° 300 608, Commune de Saint Jean d’Aulps, Semaine Juridique Administrations et collectivités locales, n° 49, 30 novembre 2009, 2293, Droit adm. Décembre 2009, comm. 159

59 Dominique Rousseau (sous la dir.), La question prioritaire de constitutionnalité, Gaz. Pal. Lextenson, 2010.

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En revanche, il convient de souligner que le citoyen n’a pas un accès direct au Conseil constitutionnel. Loin de là, il doit d’abord convaincre le juge saisi du litige principal qu’il est en présence d’une QPC. Si tel est le cas, le juge saisi transmet la question à la juridiction suprême de l’ordre concernée (Cour de cassation pour juridictions judiciaires, conseil d’Etat pour les juridictions administratives)

Pour apprécier le bien fondé de la transmission, trois conditions cumulatives doivent être remplies :

• La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure ou constitue le fondement des poursuites ;

• Elle n’a pas été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et dans le dispositif d’une décision du conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances de fait ou de droit ;

• Elle n’est pas dépourvue d’un caractère sérieux.

Il sera également procéder à l’examen de ces trois conditions par la juridiction suprême concernée afin de déterminer si la question doit être adressée au Conseil constitutionnel.

Devant le Conseil constitutionnel, il est prévu que la décision soit rendue dans les trois mois de sa saisine après une procédure contradictoire comprenant une audience publique, sauf cas exceptionnel.

Pendant la QPC, la juridiction du fond doit surseoir à statuer.

Le caractère prioritaire de la QPC résulte du fait que si le juge est saisi en même temps de moyens d’inconstitutionnalité et d’inconventionnalité, la question constitutionnelle doit être examinée en priorité.

Si le Conseil constitutionnel déclare la disposition attaquée conforme à la Constitution, le juge du fond devra l’appliquer sauf à considérer qu’elle est incompatible avec une norme internationale ou européenne.

Si le Conseil constitutionnel décide que la disposition attaquée, il pourra l’abroger soit à compter de la publication de sa décision soit à une date ultérieure qu’il fixera.On le voit, même si les filtres sont importants, le champ d’application de la QPC ouvre des perspectives intéressantes pour tous les justiciables…

B. APPLICATION A DES LOIS DE VALIDATION ? Je vais prendre un exemple en forme de regret. Je vous ai parlé du dossier de l’eau de Toulouse qui a fait l’objet d’une décision de rejet des

demandes de l’association EAU SECOURS 31 tant par le tribunal administratif de Toulouse que par la Cour administrative d’appel.

Pourtant, nous avions un argument intéressant : le contrat de délégation de service public avait été signé par le maire avant sa transmission au préfet. Ce qui constitue un cas de nullité d’ordre public. Le risque a paru suffisamment sérieux pour que l’adjoint au maire chargé des délégations de service public, par ailleurs député, introduise une disposition particulière dans la loi sur l’eau et les milieux aquatiques (ci-après « LEMA »). Je ne reviendrais pas sur l’introduction de cet amendement vers 23 heures. La LEMA est promulguée le 30 décembre 2006 et ne fait pas l’objet d’un examen par le Constitutionnel.Or cette loi comprend un article 101-VII ainsi rédigé :

« Sous réserve des décision de justice passées en force de chose jugée, sont validés les contrats conclus par les communes ou leurs groupements avant le 10 juin 1996 pour la gestion de services publics locaux de l’eau et d’assainissement dans la mesure où ils seraient contestés pour un motif tiré de l’absence de caractère

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exécutoire, à la date de leur signature, de la délibération autorisant cette signature, et sous réserve de la transmission effective de ladite délibération au représentant de l’Etat dans le département au titre de l’article L. 2131-1 du CGCT »

Il n’y a pas de doutes, cette disposition est clairement une validation législative.

Le tribunal administratif et la Cour administratif ont été mal à l’aise lorsque nous leur avons demandé d’écarter l’application de la loi en raison du caractère abusif de cette validation législative.

Nous avions pourtant pris la peine de développer les arguments constitutionnels et conventionnels adéquats. Les juridictions administratives ont préféré ne pas répondre.

Si l’association avait eu les moyens de poursuivre devant le Conseil d’Etat, nous aurions été en mesure de poser la question de la constitutionnalité de l’article 101-VII de la LEMA.

En effet, mettant un terme à la liberté totale dont jouissait jusque-là le législateur en matière de validations législatives, le Conseil Constitutionnel est intervenu pour la première fois en 1980, par sa décision n°80-119 DC du 22 juillet 1980, en fixant trois conditions cumulatives à la constitutionnalité d’une loi de validation :

- la validation ne saurait remettre en cause une décision de justice devenue définitive ou, selon une expression équivalente, passée en force de chose jugée.

- Ensuite, la validation ne saurait rétroactivement fonder une sanction pénale.

Enfin, la validation doit être justifiée par la poursuite d’un « objectif d’intérêt général suffisant ». A ce titre, l’objectif de préservation du fonctionnement du service public constitue le motif d’intérêt général le plus souvent invoqué. On retrouve dans de nombreuses décisions : la continuité et bonne marche du service public de l’enseignement supérieur60 ; la continuité du service public des transports urbains61 ; la continuité du service public de la protection sociale et continuité des services publics communaux62 ; et la continuité des services publics fiscaux et juridictionnels63,…

Dans le cadre du dossier de l’eau de Toulouse, toute la question était de savoir si la loi de validation était justifiée par la poursuite d’un ’objectif d’intérêt général. En effet, les objectifs de la LEMA justifient-ils l’intervention d’une telle loi ? Selon l’adjoint au maire-député, « il s’agit de mettre fin à une situation d’insécurité juridique, préjudiciable à la fois aux communes, aux gestionnaires et aux usagers concernés. »

Cette argumentation est pour le moins surprenante…de cynisme ! Parler « d’insécurité juridique » pour fermer les yeux sur des illégalités d’ordre public... Car en effet, quel est le véritable objectif de cette mesure si ce n’est de soustraire l’acte au contrôle de légalité du préfet?

Or ce contrôle de légalité est consacré à l'article 72, dernier alinéa, de la Constitution du 4 octobre 1958 selon lequel « dans les collectivités territoriales de la République, le représentant de l'État, représentant de chacun des membres du Gouvernement, a la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois. »

Il s’agit bien d’un principe constitutionnel. Et c’est pourtant bien en référence à ce principe que les députés ont employé les termes « d’insécurité juridique » dans leur plaidoyer en faveur de la LEMA… Car dans leur esprit, l’irrégularité de l’acte ne constitue qu’une petite erreur minime, et le contrôle impératif un obstacle inutile et contournable.

                                                            60 Décision n°85-192 DC du 24 juillet 1985 sur la loi portant diverses dispositions d’ordre social 61 Décision n° 88-250 DC du 29 décembre 1988 sur la loi de finances pour 1998 62 Décision n° 97-390 DC du 19 novembre 1997 sur la loi organique relative à la fiscalité applicable à la Polynésie Française 63 Décision n° 99-425 DC du 29 décembre 1999 sur la loi de finances rectificative pour 1999

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Ainsi la formalité consiste pour eux à faire régulariser la convention par une « banale » loi rétroactive et non à respecter les règles inscrites dans le Code général des collectivités territoriales découlant de la Constitution elle-même.

La notion d’ordre public vise à préserver l’intérêt général. Ainsi une mesure visant à se soustraire aux règles d’ordre public ne peut naturellement pas prétendre poursuivre un objectif d’intérêt général. Il est évident que cette condition exigée par le Conseil fait défaut dans la volonté du législateur et son œuvre.

C. CHARTE DE L’ENVIRONNEMENT

Il existe peut être un autre argument à développer pour soutenir une QPC : l’application de la Charte de l’environnement.

Adoptée par la loi constitutionnelle du 1er mars 200564, le Conseil constitutionnel a reconnu une valeur constitutionnelle de l’ensemble des droits et devoirs65 contenus dans la Charte de l’environnement tels que le principe de précaution (article 5 de la Charte)66 ; l’exigence de promotion du développement durable (article 6 de la Charte)67 ; ledroit de toute personne à accéder aux informations relatives à l’environnement et détenues par les autorités publiques68 et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement.

Il appartient, à présent, à la pratique de vérifier si l’on peut faire application de ces principes dans des contentieux existant ou à venir.

CONCLUSION EN FORME DE QUESTIONS  A travers cet exposé volontairement partiel, seul le point de vue de l’usager a été pris en

compte, et partial, tant l’objectivité en cette matière est un leurre ou une hypocrisie, j’ai essayé de vous démontrer que l’arme du droit peut être puissante à condition de vouloir et de savoir s’en servir. Elle est non seulement un moyen de protéger les consommateurs mais aussi de réveiller les citoyens qui sont tapis dans chaque usager d’un service public local délégué.

Ce réveil citoyen, que j’appelle de mes vœux pour résister aux « féodalités économiques », peut se traduire par deux questions :

• Faut il améliorer la « cogestion » tripartite ou quadripartite : collectivité / entreprise privée / utilisateur / salariés ? et comment ?

• Faut-il créer un observatoire des bonnes pratiques destinées à auditer juridiquement les contrats / et techniquement les réseaux afin d’aider les collectivités à résister aux grands groupes et diminuer autant que possible l’asymétrie de l’information qui existe ?

Enfin, plutôt que de vous lamenter auprès des « Malaussène »69 cathodiques, prenez votre avenir en main : ne soyez plus consommateur, redevenez citoyen !

                                                            64 Loi constitutionnel n° 2005-205 du 1er mars 2005 (JO du 2 mars 2005) 65 Décision 2008-564 DC, 19 juin 2008, JORF 26 juin 2008, p. 10228, texte n° 3, cons. 18 et 49, Rec. p. 313 66 Décision 2008-564 DC, 19 juin 2008, JORF 26 juin 2008, p. 10228, texte n° 3, cons. 18, Rec. p. 313 67 Décision 2005-514 DC, 28 avril 2005, JORF 4 mai 2005, p. 7702, texte n° 2, cons. 37, Rec. p. 78 68 Décision 2008-564 DC, 19 juin 2008, JORF 26 juin 2008, p. 10228, texte n° 3, cons. 48, 49 et 56, Rec. p. 313 69 Benjamin Malaussène (et toute sa tribu), personnage attachant créé par Daniel Pennac (Au bonheur des ogres, Gallimard, 1985, notamment)

devenu « bouc émissaire » professionnel dans un grand magasin parisien.

Page 20: CITOYEN, USAGER OU CONSOMMATEUR, STATUT ET DROITS DES « UTILISATEURS » DES SERVICES PUBLICS LOCAUX DELEGUES (Colloque Brest 2010)

Colloque de Brest – 2 avril 2010 – Le service public local    20 

 

Christophe Lèguevaques, 2010 – Copyleft : Liberté d’accès ; Liberté de copier ; Liberté de diffuser ; Liberté de transformer ; Obligation de conserver ces quatre  libertés, à condition que, (i)  il n’en soit pas fait une utilisation commerciale, (ii)  l’œuvre dérivée soit publiée selon les mêmes termes  et que (iii) l’auteur original soit cité. 

 

Présent à Paris, Toulouse, Marseille et Bordeaux,

cLé réseau d’avocats

regroupe des professionnels indépendants associés par une même éthique,  

une même exigence et  une même volonté  

de défendre et protéger les intérêts de leurs clients. 

Chaque associé a su développer une compétence reconnue dans son domaine et  le cabinet propose ses services aussi bien  aux collectivités locales qu’aux entreprises,  

aux associations qu’aux particuliers.  

cLé réseau d’avocats  intervient aussi bien en conseil, 

qu’en assistance ou représentation devant les juridictions ou 

dans le cadre des modes alternatifs de résolution des conflits (arbitrage, notamment). 

 cLé réseau d’avocats 

assure également une veille juridique dans ses domaines de compétences et ses membres participent à et animent  activement des formations reconnues 

(colloques, conférences, formation professionnelle « ad hoc » ou « à la carte »).   

L’un des plus grands atouts de cLé réseau d’avocats réside dans la transversalité et la complémentarité des équipes  

et des partenariats avec d’autres professionnels en France ou à l’étranger  ainsi qu’avec d’éminents représentants du monde universitaire. 

 cLé réseau d’avocats 

Est particulièrement adaptée pour gérer des dossiers complexes et sophistiqués   

Nos domaines d’expertise : 

❚ banque finance assurance ❚ fusions-acquisitions, private equity, ❚ financement de projets, financement d’actifs ❚immobilier, construction , urbanisme❚ droit public, partenariats public-privé

(PPP) ❚ droit social ❚ arbitrage, contentieux, actions collectives (‘class action’) ❚ droit des collectivités locales ❚ restructurations et entreprises en difficulté ❚ droit pénal des affaires ❚droit de la responsabilité (hommes, produits, structures, …) et droit médical ❚concurrence et consommation

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