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Cité, démocratie et écriture

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Cité, démocratie et écriture

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Cet ouvrage est publié avec le soutien de l’Université Paris 8

CULTURE ET CITÉ – 3

Centre de recherche sur la Cité grecqueUniversité Libre de Bruxelles

Collection dirigée par Didier VIVIERS

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CULTURE ET CITÉ– 3 –

Christophe PÉBARTHE

Cité, démocratie et écriture

HISTOIRE DE L’ALPHABÉTISATION

D’ATHÈNES À L’ÉPOQUE CLASSIQUE

DE BOCCARD11, rue de Médicis – 75006 Paris

2006

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ISBN : 2-7018-0204-0

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Avant-propos

Ce livre trouve son origine dans une thèse soutenue le 4 janvier 2002 à l’InstitutAusonius (Bordeaux III). Le jury était composé de Jean-Marie Bertrand (Paris

I-Panthéon-Sorbonne) qui le présidait, Alain Bresson (Bordeaux III-Michel-de-Montaigne), Patrice Brun (Tours-François-Rabelais), Pierre Carlier (Paris X-Nan-terre) et Raymond Descat (Bordeaux III-Michel-de-Montaigne). Nous les remer-cions chaleureusement de l’attention critique qu’ils ont prêtée à ce travail et desnombreuses remarques constructives faites à cette occasion.

Au cours de nos recherches et encore aujourd’hui, nous avons bénéficié et bénéfi-cions des remarquables conditions intellectuelles et matérielles offertes par le centreAusonius. Que ses directeurs successifs, Jean-Michel Roddaz et Raymond Descat,ainsi que son personnel, trouvent ici l’expression de notre gratitude.

Nous souhaitons remercier particulièrement Alain Bresson, qui dirigea cette thèseet qui continue à nous faire profiter de son savoir et de son amitié, et Didier Viviersqui a accepté que ce volume soit publié dans la collection qu’il dirige, Culture &Cité.

Nos remerciements vont également à ceux qui, par une référence, un courrier, unecitation, une suggestion, même par une réponse négative, voire par une relecture,ont donné une partie de leur temps pour ce travail : R. Descat, P. Brun, P. Debord,J. Wilgaux, L. Capdetrey, J.-M. Roubineau, F. Michel, V. Mehl, S. Lalaguë-Dulac,A. T. Nef, R. de Brézé, C. Pébarthe. Que ceux que nous oublions sachent que l’in-gratitude n’y est pour rien.

Pessac, le 10 novembre 2004.

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Abréviations

1. Sources littéraires

AND. = ANDOCIDEC. Alc. = Contre AlcibiadeMyst. = Sur les mystères

PS-AND., Retour = PSEUDO-ANDOCIDE, Sur le retourANT., Accusation = ANTIPHON, Accusation d’empoisonnementAR. = ARISTOPHANE

Ach. = AcharniensCav. = Les CavaliersEccl. = L’Assemblée des femmesGren. = Les GrenouillesLys. = LysistrataOis. = Les OiseauxPl. = PloutosThesm. = Thesmophories

ARSTT = ARISTOTEMét. = MétaphysiquePol. = PolitiqueRhet. = Rhétorique

PS- ARSTT = PSEUDO-ARISTOTEAth. pol. = Constitution des AthéniensEc. = Économique

CIC. = CICÉRONDiv. = De la divinationRep. = De la république

DÉM. = DÉMOSTHÈNEAmb. = Sur les forfaitures de l’ambassadeAndr. = Contre AndrotionAphob. = Contre AphobosApat. = Contre ApatouriosArist. = Contre AristocrateAristog. = Contre AristogitonBœot. = Contre BœotosCall. = Contre Calliclès

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Con. = Contre CononCour. = Sur la couronneDion. = Contre DionysodôrosEub. = Contre EuboulidèsEverg. = Contre Évergos et MnésiboulosHal. = Sur l’HalonnèseLacr. = Contre LacritosLeo. = Contre LéocratèsLept. = Contre LeptineLet. Phil. = Lettre de PhilippeMacart. = Contre MacartatosMid. = Contre MidiasNaus. = Contre Nausimachos et XénopéithèsNééra = Contre NééraNicostr. = Contre NicostratosOlymp. = Contre OlympiodorosOlynt. = OlynthienneOnet. = Contre OnétorPant. = Contre PanténètosPhen. = Contre PhénipposPhil. I = 1ère PhilippiquePhorm. = Contre PhormionP. Phorm. = Pour PhormionPol. = Contre PolyclèsSpoud. = Contre SpoudiasSteph. = Contre StéphanosSym. = Sur les symmoriesTheocr. = Contre ThéocrinèsTim. = Contre TimothéeTimocr. = Contre TimocrateZen. = Contre Zénothémis

DEN. HAL., Dem. = DENYS D’HALICARNASSE, De l’éloquence de DémosthèneDIN. = DINARQUE

Dem. = Contre DémosthèneDIO. L. = DIOGÈNE LAËRCE

D.S. = DIODORE DE SICILE

ESCHN. = ESCHINEAmb. = Sur l’ambassadeCtes. = Contre CtésiphonTim. = Contre Timocratès

EUR. = EURIPIDEErech. = ÉrechthéeHipp. = HippolyteI. T. = Iphigénie en Tauride

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HARP. = HARPOCRATION

HDT = HÉRODOTE

HYP., C. Athén. = HYPÉRIDE, Contre AthénogénèsISÉE

Apol. = La succession d’ApollodorosAst. = La succession d’AstyphilosArist. = La succession d’AristarchosDik. = La succession de DikaiogénèsEuphil. = La défense d’EuphilétosHag. = La succession d’HagniasKiron = La succession de KironKleo. = La succession de KléonymosMén. = La succession de MénèklèsNik. = La succession de NikostratosPhilok. = La succession de PhiloktémonPyrr. = La succession de Pyrrhos

ISOCR. = ISOCRATEAreop. = AréopagitiqueMyt. = Aux magistrats de MytilèneC. Call. = Contre CallimakhosEch. = Sur l’échangeEuth. = Contre EuthynousPanath. = PanathénaïquePan. = PanégyriqueTrap. = Trapézitique

LYC., Leocr. = LYCURGUE, Contre LéocratèsLYS. = LYSIAS

Agor. = Contre AgoratosAlc. = Contre AlcibiadeAnd. = Contre AndocideArist. = Sur les biens d’AristophaneCall. = Pour CalliasC. Erat. = Contre ÉratosthèneConf. = Affaire de confiscationDéf. = Défense d’un anonyme accusé de corruptionDiog. = Contre DiogitonErg. = Contre ErgoclèsEv. = Au sujet de l’examen d’ÉvandrosErat. = Sur le meurtre d’ÉratosthèneMant. = Pour MantithéosNicom. = Contre NicomachosPan. = Contre PancléonPol. = Pour PolystratosPour un citoyen… = Pour un citoyen accusé de menées contre la démocratieSim. = Contre Simon

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Theom. = Contre ThéomnestosMÉN. = MÉNANDRE

PAUS. = PAUSANIAS

PHOT. = PHOTIUS

PLAT. COM. = PLATON LE COMIQUE

PLAT. = PLATONAlc. = AlcibiadeAp. = Apologie de SocrateCharm. = CharmideClit. = ClitophonEuth. = EuthydèmeHip. min. = Hippias mineurMen. = MénonPolit. = PolitiqueProt. = ProtagorasRép. = RépubliqueThéèt. = ThéètèteTim. = Timée

PLUT. = PLUTARQUEArist. = Vie d’AristideAlc. = Vie d’AlcibiadeCat. anc. = Vie de Caton l’AncienCim. = Vie de CimonLyc. = LycurgueLys. = LysandreM. = Œuvres moralesNic. = Vie de NiciasPer. = Vie de PériclèsSol. = Vie de SolonThem. = Vie de Thémistocle

PS-PLUT. = PSEUDO-PLUTARQUEDem. = Vie de DémétriosLyc. = Vie de Lycurgue

PLIN., Hist. nat. = PLINE L’ANCIEN, Histoire naturellePLIN., Ep. = PLINE LE JEUNE, LettresPOLL., Onom. = POLLUX, OnomastikonPOL. = POLYBE

QUINT., Inst. or. = QUINTILIEN, Institutions oratoiresSEXT. EMP. = SEXTUS EMPIRICUS

SOPH. = SOPHOCLEAnt. = AntigoneTrach. = Trachiniennes

STR. = STRABON

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THÉOPHRASTE, Carac. = THÉOPHRASTE, CaractèresTHC = THUCYDIDE

SALLUSTE, B.C. = SALLUSTE, La guerre civileSTR. = STRABON

XÉN. = XÉNOPHONCyn. = L’art de la chasseCyr. = CyropédieEc. = ÉconomiqueHell. = HelléniquesHipp. = HipparqueLac. = Constitution des LacédémoniensMem. = MémorablesSymp. = Banquet

PS- XÉN, Ath. pol. = PSEUDO-XÉNOPHON, Constitution des Athéniens

2. Sources épigraphiques

BRUN = P. BRUN, Impérialisme et démocratie à Athènes. Inscriptions de l’époque clas-sique, Paris, 2005.

DURRBACH = F. DURRBACH, Choix d’inscriptions de Délos, Paris, 1921.FD = Fouilles de Delphes. III. Epigraphie, Paris, 1909-1985.TOD = M.N. TOD, A Selection of Greek Historical Inscriptions, 1948.ID = Inscriptions de Délos, Paris, 1926-1972.Inschr. Kyme = Die Inschriften von Kyme, Bonn, 1976Inschr. Priene = Inschriften von Priene, Berlin, 1968MEIGGS & LEWIS = R. MEIGGS et D.M. LEWIS, A Selection of Greek Historical Ins-

criptions to the End of the Fifth Century B.C., 1988.MICHEL = C. MICHEL, Recueil d’inscriptions grecques, Paris, 1900.OSBORNE & RHODES = P.J. RHODES et R. OSBORNE (éd.), Greek Historical Inscrip-

tions 404-323 B.C., Oxford, 2003.PEEK, GVI = W. PEEK, Griechische Vers-Inschriften, Berlin, 1955.Tituli Camirenses = M. SEGRE et G. PUGLIESE CARRATELLI, Tituli Camirenses,

ASAten 27-29, 1949-1951, p. 141-318.WELLES = C.B. WELLES, Royal Correspondence in the Hellenistic Period, Londres,

1934.

3. Sources iconographiques

ARV2 = J.D. BEAZLEY, Attic Red-Figure Vase-Painters, New-York, 1984.

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4. Travaux modernes

BERTRAND, Écriture = J.-M. BERTRAND, De l’écriture à l’oralité. Lectures des Lois dePlaton, Paris, 1999.

BONNER, Evidence = R.J. BONNER, Evidence in Athenian Courts, Chicago, 1905.Bull. ép. = J. et L. ROBERT, Bulletin épigraphique, Paris, 1938-1984 ; depuis 1986 :

Ph. GAUTHIER (dir.), Bulletin épigraphique, REG 99, 1986-.GABRIELSEN, Financing = V. GABRIELSEN, Financing the Athenian Fleet, Baltimore,

1994.GAUTHIER, Symbola = Ph. GAUTHIER, Symbola, Nancy, 1972.GAUTHIER, Les cités grecques = Ph. GAUTHIER, Les cités grecques et leurs bienfaiteurs,

Athènes, 1985HARRIS, Inventory Lists = D. HARRIS, The Inventory Lists of the Parthenon Treasures,

Ann Arbor, 1991.HARRIS, Freedom of Information = D. HARRIS, Freedom of Information and Accoun-

tability : The Inventory Lists of the Parthenon, in R. OSBORNE et S. HORN-BLOWER (éd.), Ritual, Finance, Politics. Athenian Democratic Accounts Presented toDavid Lewis, Oxford, 1994, p. 213-225.

HARRIS, Ancient Literacy = W.V. HARRIS, Ancient Literacy, Harvard, 1989.HARRISON, Law of Athens II = A.R.W. HARRISON, The Law of Athens, II, Procedure,

Oxford, 1971.HENRY, Polis/acropolis, = A.S. HENRY, Polis/acropolis, Paymasters and the Ten Talent

Fund, Chiron 12, 1982, p. 91-118.HENRY, Provisions = A.S. HENRY, Provisions for the Payment of Athenian Decrees,

ZPE 78, 1989, p. 247-295.JONES, Associations = N.F. JONES, The Associations of Classical Athens. The Response to

Democracy, Oxford, 1999.LAMBERT, Phratries = S.D. LAMBERT, The Phratries of Attica, Ann Arbor, 1998.LANGDON, Poletai = M.K. LANGDON, Poletai Records, in G.V. LALONDE, M.K.

LANGDON et M.B. WALBANK, Inscriptions. The Athenian Agora 19, Princeton,1991, p. 53-143.

LEWIS, Profanation = D.M. LEWIS, After the Profanation of the Mysteries, inD.M. LEWIS, Selected Papers in Greek and Near Eastern History, Cambridge, 1997,p. 158-172.

LEWIS, Temple Inventories = D.M. LEWIS, Temple Inventories in Ancient Greece, inD.M. LEWIS, Selected Papers in Greek and Near Eastern History, Cambridge, 1997,p. 40-50 (= M. VICKERS (éd.), Pots and Pans, Oxford, 1986, p. 71-81).

OSBORNE, Demos = R. OSBORNE, Demos : the Discovery of Classical Attica, Cam-bridge, 1985.

RHODES, Athenian Boule = P.J. RHODES, The Athenian Boule, Oxford, 1972.RHODES, Commentary = P.J. RHODES, A Commentary on the Aristotelian Athenaion

Politeia, Oxford, 1993.SAMONS, Empire of the Owl = L.J. SAMONS, Empire of the Owl. Athenian Imperial

Finance, Stuttgart, 2000.SICKINGER, The State Archive = J.P. SICKINGER, The State Archive of Athens in the

Fourth Century B. C., Ann Arbor, 1992.

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SICKINGER, Public Records = J.P. SICKINGER, Public Records and Archives in ClassicalAthens, Chapel Hill-Londres, 1999.

THOMAS, Oral Tradition = R. THOMAS, Oral Tradition and Written Record in Clas-sical Athens, Cambridge, 1989.

THOMAS, Literacy = R. THOMAS, Literacy and Orality in Ancient Greece, Cambridge,1992.

TRACY, Lettering = St.V. TRACY, The Lettering of an Athenian Mason. Hesperia Sup-plement 15, Princeton, 1975.

TRACY, Athenian Democracy = St.V. TRACY, Athenian Democracy in Transition. AtticLetter-Cutters of 340 to 290 B.C., Berkeley-Los-Angeles, 1995.

WHITEHEAD, Demes = D. WHITEHEAD, The Demes of Attica 508/7-ca 250 B.C.,Princeton, 1986.

Pour les revues, nous avons utilisé les abréviations de l’Année Philologique.

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Introduction

POUR UNE HISTOIRE DE L’ALPHABÉTISATION

DE LA GRÈCE ANCIENNE

Sous l’impulsion des travaux d’un anthropologue britannique, Jack Goody, plu-sieurs historiens de la Grèce ancienne ont tenté de décrire les effets de l’intro-

duction de l’écriture alphabétique dans la culture grecque. Certains, comme E. A.Havelock, ont élaboré un modèle selon lequel l’adoption de ce nouveau moyen decommunication serait à l’origine de nombreuses innovations telles que la démocratieou la philosophie1. De façon plus ou moins explicite, ils se plaçaient dans une pers-pective déterministe que Brian Street a regroupé sous l’appellation de “modèle auto-nome” (autonomous model) qui pose l’alphabétisation comme un moyen de civilisa-tion et de progrès2. Le postulat est le suivant. L’écriture est isolée comme une variableindépendante, ce qui permet d’étudier ses conséquences sur les sociétés. Cette ques-tion prenait une acuité particulière pour le monde grec et son alphabet. Cetteapproche a cependant l’inconvénient de nier les différences culturelles et de consi-dérer comme acquis le fait que l’écriture affecte les processus cognitifs.

D’autres chercheurs ont, au contraire, tenté de replacer l’alphabétisation au seinde la société grecque, sans en chercher au préalable des effets prédéterminés, adop-tant ainsi la perspective du “modèle idéologique” (ideological model) pour reprendrela terminologie de Brian Street. Ils remettent en cause l’idée de rationalité et l’ou-verture d’esprit que l’écriture contiendrait intrinsèquement. Ils insistent sur la néces-sité de ne pas isoler un moyen spécifique de communication par rapport aux autres,en particulier l’oralité. Avant de rappeler les fondements anthropologiques de cetteopposition et d’en souligner le caractère artificiel, il paraît important de proposerune définition des différents concepts utilisés car une partie du débat en dépend.

1 Cf. par exemple E.A. HAVELOCK, Aux origines de la civilisation écrite en Occident, Paris, 1981 et TheLiterate Revolution in Greece and Its Cultural Consequences, Princeton, 1982.2 J. GOODY et I. WATT, The Consequences of Literacy, in J. GOODY (éd.), Literacy in Traditional Socie-ties, Cambridge, 1968, p. 40 parlent de l’écriture comme d’“un mode autonome de communication”.Cette qualification est à l’origine de l’expression forgée par Br.V. STREET, Literacy in Theory and Prac-tice, Cambridge, 1984 et ID. (éd.), Cross-Cultural Approaches to Literacy, Cambridge, 1993.

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1. Les termes du débat

A. ORALITÉ ET ÉCRITURE : ESSAI DE DÉFINITION

Les termes “oral” et “oralité” sont souvent opposés à ceux de “lettré” et “alphabé-tisation”. Parfois, au contraire, leur complémentarité est mise en évidence. Celadépend du sens retenu pour les deux premiers termes3. Si l’oralité désigne une“expression verbale de la pensée”4, un mode de communication c’est-à-dire unmedium (un discours peut être prononcé et écouté ou lu), alors il est possible d’op-poser l’oralité à l’écriture, la voix humaine à la manifestation graphique de caractèressur une page. Au contraire, si l’oralité est une activité à part entière qui mobilise desressources singulières, distinctes de l’écriture, alors elle doit être considérée commeun véritable concept, au même titre que l’écrit, sans pour autant la réduire à la rhé-torique5.

Un raisonnement analogue peut être tenu sur l’écriture. Si celle-ci est définiecomme “une technique de re-présentation de la parole par une trace laissée sur unsupport conservable”6, elle apparaît comme un simple prolongement de l’oralité, dela langue orale. Or, “Une langue écrite n’est pas une langue orale transcrite. C’est unnouveau phénomène linguistique, autant que culturel”7. Les exemples qui le mon-trent sont nombreux, comme les expériences de mise par écrit du créole. On secontentera de rappeler le cas des écritures alphabétiques. À l’origine, celles-ci avaientpour finalité première de noter la langue, plus exactement ses sons. Mais cette fonc-tion n’est pas durable et on observe “une modification progressive, plus ou moinsrapide, de la prononciation, qui rend caduque une graphie initialement fidèle”8.

Les différents sens des termes oralité et écriture doivent être distingués, sans pourautant considérer que l’un exclue l’autre. Ainsi, un discours oral (au sens conceptuel)peut être mis par écrit (avoir l’écriture pour medium) et réciproquement. Cependant,en tant que modes de communication, ils sont disjoints. Le medium oral ne peutintervenir simultanément avec le medium écrit. Sur le plan conceptuel au contraire,il faut envisager un spectre, oralité et écriture représentant chacun un pôle. Le plussouvent, les discours se placent entre les deux, à une distance variable de ces deuxextrémités selon les cas. En terme d’écriture uniquement, le spectre va de la trans-cription (oral) à la composition (écriture). Cette approche qui se caractérise par uneréflexion graduelle a de nombreuses implications. La première est de nature sociolo-gique. Les membres d’une communauté maîtrisent plus ou moins bien le mediumécrit. La seconde est historique. L’introduction de l’écriture correspond au temps dela transcription. Le développement se fait vers la composition écrite. Progressive-

16 CITÉ, DÉMOCRATIE ET ÉCRITURE

3 Cf. E.J. BAKKER, How Oral is Oral Composition ?, in A. MACKAY (éd.), Signs of Orality. The Oral Tra-dition and its Influence in the Greek and Roman World, Leyde-Boston-Cologne, 1999, en particulierp. 29-33.4 Fr. WAQUET, Parler commme un livre. L’oralité et le savoir (XVe-XXe), Paris, 2003, p. 45.5 Sur ce point, cf. Ibid, p. 46-49.6 La définition est de Cl. HAGÈGE, L’homme de paroles. Contribution linguistique aux sciences humaines,Paris, 1985, p. 72-73.7 Ibid, p. 92.8 Ibid, p. 78.

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ment, le temps qui sépare la version orale et écrite d’un discours diminue, jusqu’à ceque ce dernier devienne une simple fiction. Bien entendu, cette évolution n’affectepas la société dans son ensemble de façon identique et simultanée. On ne saurait enoutre dissocier ici écriture et oralité puisque cette étude commence avec le premierdocument athénien écrit connu, l’inscription du Dipylon9. Dès cette date, oralité etécriture interagissent, quelle que soit l’intensité de l’interaction. On se trouve dansla situation d’oralité seconde10.

Il ne s’agit donc pas ici de nier l’importance du medium oral comme moyen decommunication. Nous ne nous rangeons pas dans la catégorie des scriptophiles telleque la définit Claude Hagège11. Nous nous inspirons de la démarche entreprise parFrançoise Waquet dans le but d’écrire une histoire de l’oralité savante : “Retracer laplace que l’oralité eut dans un milieu donné en un temps donné, les formes qu’elley prit, le statut qui lui fut reconnu, la fonction qui lui fut dévolue”12. Nous la fai-sons nôtre pour tenter une histoire du medium écrit à Athènes au cours de l’époqueclassique, sans méconnaître le rôle de l’oralité qui sera souligné le cas échéant.

B. L’ALPHABÉTISATION (LITERACY, RESTRICTED LITERACY, DOCUMENT MINDED)

Notre objet d’étude est la literacy, terme anglo-saxon sans équivalent en français.Celui-ci désigne tout à la fois la capacité à lire et à écrire et le rapport à l’écriture13.C’est sans doute le mot d’alphabétisation qui en est le plus proche, si l’on retient ladéfinition qu’en a proposée Roger Chartier14. Pendant longtemps, les historiens onteu tendance à séparer l’histoire de la lecture et l’histoire de l’écriture. La première apour sujet principal le livre et de ce fait s’intéresse aux niveaux d’alphabétisation, auxmanières de lire plus généralement15. Histoire de la réception des textes, elle se veutégalement une histoire de l’objet livre. L’histoire de l’écriture a pour sujet la “culturegraphique”, “l’ensemble des objets écrits et des pratiques dont ils sont issus”16. Lesdifférents supports sont confrontés aux différents usages17. Par voie de conséquence,le savoir lire et le savoir écrire ont été distingués, le premier étant associé à la sou-mission, le second à l’émancipation18.

INTRODUCTION 17

9 M. GUARDUCCI, Epigrafia greca I : Caratteri e storia della disciplina. La scrittura greca dalle origini all’età imperiale, Rome, 1967, p. 135-136.10 Cette notion a été élaborée par W. ONG, Orality and Literacy. The Technologizing of the Word, Londres,1982 et critiquée par WAQUET, op. cit., en particulier p. 33. Elle rend compte de l’oralité dans lessociétés connaissant l’écriture.11 HAGÈGE, op. cit., en particulier p. 69-72.12 WAQUET, op. cit., p. 69.13 Cf. B.B. POWELL, Writing and the Origin of Greek Literature, Cambridge, 2002, p. 21-25.14 R. CHARTIER, Culture écrite et littérature à l’âge moderne, AHSS 56, juillet-octobre 2001, p. 783-802.15 Cf. par exemple G. CAVALLO et R. CHARTIER (dir.), Histoire de la lecture dans le monde occidental,Paris, 1997 (pour la traduction française).16 CHARTIER, op. cit., p. 785.17 Cf. A. PETRUCCI, Jeux de lettres. Formes et usages de l’inscription en Italie, XIe-XXe siècles, Paris, 1993(pour la traduction française) qui tente une histoire de l’écriture exposée.18 Pour des exemples dans l’historiographie de la période antique, cf. par exemple pour la GrèceJ. SVENBRO, Phrasikleia. Anthropologie de la lecture en Grèce ancienne, Paris, 1988 et W.A. JOHNSON,

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Dans notre perspective, ces distinctions doivent être abandonnées. L’histoire de laculture écrite athénienne, entendue comme “l’ensemble des objets et des pratiquesd’écriture propres à un temps et un lieu”, impose de rédiger une histoire de la lec-ture autant qu’une histoire de l’écriture, ce que Roger Chartier appelle la “doublealphabétisation”19. Elle s’intéresse autant aux niveaux d’alphabétisation qu’aux diffé-rentes pratiques d’écriture. Il s’agit d’appliquer à l’Athènes classique le projet deFrançois Furet et Jacques Ozouf, décrire et analyser “le phénomène social et culturelde l’alphabétisation” de la France moderne jusqu’à la fin du XIXe siècle20. Histoiredes pratiques, histoire des représentations, mais aussi histoire sociale car “Com-prendre cette ‘culture graphique’ partagée exige de situer les pratiques qui la produi-sent, à la fois dans leur autonomie créatrice et dans les limites qui les contraignent”21.

Le rapport global des Athéniens à l’écriture a souvent été réduit à une restrictedliteracy, concept emprunté à Jack Goody22. Ce dernier distingue trois stades et troistypes de sociétés : sans écriture, à alphabétisation restreinte (restricted literacy) et àalphabétisation de masse (mass literacy). Ce dernier type correspond aux seulessociétés contemporaines à partir de la fin du XIXe siècle. Quant au deuxième, ilregroupe des sociétés très diverses et comme le remarque Mireille Corbier, les histo-riens “ont donc besoin d’une grille plus fine”23. Plus généralement, les éléments dedéfinition de la restricted literacy ne s’appliquent pas à la réalité grecque, du moinsdans leur assemblage. Jack Goody construit son concept en étudiant une sociétéd’Afrique occidentale (nord Ghana) dans laquelle co-existent deux langues, dont uneseule est mise par écrit, l’arabe, en lien très étroit avec une religion. De ce fait, l’écri-ture n’est maîtrisée que par un tout petit nombre d’individus, socialement marqués,et dans l’optique de l’apprentissage du Coran. Au contraire, dès les VIIIe-VIIe sièclesen Grèce, les pratiques d’écriture sont multiples tout comme les couches sociales quiécrivent24. Le concept de restricted literacy appliqué à la Grèce ancienne ne paraîtdonc guère opératoire25. Une réflexion sur la place de l’écriture dans la culturegrecque requiert donc une approche plus ambitieuse, qui, en outre, intègre l’impor-tance accordée à l’écriture même par les non alphabétisés. Du reste, pour l’époquemoderne, les travaux récents d’Arlette Farge ont montré que les analphabètes ne sontpas coupés de l’écriture et que certains d’entre eux portent des documents écrits alorsmême qu’ils sont incapables de les lire26.

18 CITÉ, DÉMOCRATIE ET ÉCRITURE

Towards a Sociology of Reading in Classical Antiquity, AJPh 121, 2000, p. 593-627 et pour Rome E.VALETTE-CAGNAC, La lecture à Rome, Paris, 1997.19 CHARTIER, op. cit., p. 785.20 Fr. FURET et J. OZOUF, Lire et écrire. L’alphabétisation des Français de Calvin à Jules Ferry, Paris, 1977,p. 12.21 R. CHARTIER, op. cit., p. 801.22 Cf. en particulier J. GOODY, Restricted Literacy in Northern Ghana, in ID., Literacy in TraditionalSocieties, p. 199-264 et ses remarques dans ID., The Power of the Written Tradition, Londres-Washington, 2000, p. 4.23 M. CORBIER, L’écriture en quête de lecteurs, in J.H. HUMPHREY (éd.), Literacy in the Roman World,Ann Arbor, 1991, p. 100.24 Cf. chapitre 1.25 Bien que ce soit la thèse qu’il défende, W.V. HARRIS, Ancient Literacy, Harvard, 1989, p. 7 recourtaux concepts de scribal literacy ou de craftman’s literacy.26 A. FARGE, Le bracelet de parchemin. L’écrit sur soi au XVIIIe siècle, Paris, 2003.

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Une autre façon de rendre compte de la culture écrite des Athéniens consiste àqualifier leur rapport aux documents. Rosalind Thomas a proposé le concept dedocument minded, emprunté à Michael Clanchy. Cet historien médiéviste a étudiél’Angleterre médiévale entre les XIe et XIVe siècles, période au cours de laquelle lerecours à l’écriture connaît des modifications importantes, s’accroît et se normalise27.En 1307, l’ensemble de la société manie des documents même si tous ses membresne peuvent les lire28. L’un des corollaires de ce modèle évolutif concerne la produc-tion de documents qui se déroule en trois temps. “Making documents for adminis-trative use, keeping them as records and using them again for reference were threedistinct stages of development which did not automatically and immediatly followfrom one another”29. R. Thomas reprend l’idée pour le monde grec antique. “It isone thing to produce written decrees, put them up in stone and (probably) depositthe original wooden tablet in the archive ; quite another to refer systematically to thearchive copies once their immediate relevance has passed”30. Cette dernière étape nepeut être franchie que lorsque les individus sont, dans l’ensemble, document minded.Cette évolution interviendrait au cours du IVe siècle selon Rosalind Thomas ;Eschine en serait une figure emblématique en raison de son travail dans les archivesciviques et jusqu’à cette époque, l’oralité l’emporterait31.

Si ce modèle est séduisant, en particulier en raison de l’évolution linéaire qu’ilpermet de retracer, il cadre mal avec les realia. D’abord, en Grèce, les écritures pri-vées précèdent de beaucoup, deux siècles au minimum, les premières écriturespubliques, du moins dans leur aspect monumental. L’assertion de Michael Clanchyselon laquelle “Trust in writing and understanding of what it could — and couldnot — achieve developed from growing familiarity with documents”32 s’applique dece fait difficilement à la Grèce antique. Ensuite, bien que la problématique de Rosa-lind Thomas se définisse résolument entre oralité et écriture, le modèle qu’elle pro-pose a tendance à se réduire à une évolution d’un temps premier, celui de l’oralité,à un deuxième, celui d’une lente pénétration de l’écriture, en laissant présager ladomination ultérieure de celle-ci. Or, dès l’invention de l’alphabet, la Grèce évolueentre écriture et oralité. L’importance de l’une et de l’autre connaît des évolutionsdans le temps, sans jamais toutefois que l’une ne l’emporte sur l’autre. Les travauxrécents de Françoise Waquet ont montré que leur interaction est encore détermi-nante dans la communication des savoirs après l’invention de l’imprimerie et jusqu’àla fin du XXe siècle. Dans la perspective d’une histoire de l’alphabétisation de laGrèce ancienne, le modèle d’une transition de l’oralité vers l’écriture doit de ce faitêtre abandonné.

INTRODUCTION 19

27 M.T. CLANCHY, From Memory to Written Records, Londres, 1993.28 En fait, en 1066 comme en 1307, l’Angleterre peut être rangée dans la catégorie de restricted literacy,ce qui souligne le peu d’intérêt de ce concept pour une histoire de l’alphabétisation.29 CLANCHY, op. cit., p. 125 cité par THOMAS, Oral Tradition, p. 37.30 THOMAS, Oral Tradition, p. 72. Cf. aussi p. 81 : “It is after all comparatively easy to keep documents.It is a rather different step to use them again, find them and consult them”.31 Cf. par exemple Ibid, p. 69-71.32 CLANCHY, op. cit., p. 2.

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C. ARCHIVES ET DOCUMENTS

L’histoire de la lecture et de l’écriture à Athènes pendant l’époque classique sup-pose une réflexion sur la nature des textes lus, autrement dit sur les livres et les docu-ments. Par document, il ne faut pas entendre tout écrit mais seulement des écrits“tels qu’ils étaient conçus et utilisés par les anciens eux-mêmes, pour leurs propresusages. On voit du coup que cela introduit une heureuse distinction entre le ‘témoi-gnage’ entendu, au sens le plus large, comme tout indice […] du passé, et le ‘docu-ment’, qui, tel qu’on le définit ici doit avoir été conçu et utilisé comme tel dès l’ori-gine”33. Un texte littéraire ne saurait donc être retenu comme un document, aucontraire des différentes écritures ordinaires et des textes officiels34.

Pour l’essentiel, les écrits dont il est question ici ont disparu. Nous possédons enrevanche de nombreux témoignages sur la conservation des documents à Athènes,autrement dit sur les archives publiques et privées. Le terme peut être trompeur, ilse prête à l’anachronisme, et est, en outre, trop souvent réduit à la seule conserva-tion. Il convient d’en proposer une définition acceptable pour l’Antiquité35. Ainsi,“Le moment propre de l’archive” est avant tout une impression sur un support, unemarque36. C’est aussi la prise de décision de conserver. La destruction de documentsne contredit pas la mise en archives, elle la constitue37. Les définitions que proposentdeux grandes encyclopédies vont dans un sens identique38. Selon l’EncyclopaediaUniversalis : “Les archives sont constituées par l’ensemble des documents qui résul-tent de l’activité d’une institution ou d’une personne physique ou morale”. Selonl’Encyclopaedia Britannica : “The term archives designates the organized body ofrecords produced or received by a public, semipublic, institutional business or pri-vate entity in the transaction of its affairs and preserved by it, its sucessors or autho-rized repository through extension of its original meaning as the repository for suchmaterials”. La finalité demeurerait donc la conservation et non pas l’information39.La définition retenue par Claude Nicolet, inspirée de Jean Favier, suggère uneapproche différente : “ensemble de documents, quels qu’en soient le support et ladate, qui procèdent de l’activité d’une personne physique ou morale, conservé parcelles-ci à des fins d’utilité comme mémoire active — et secondairement à des fins illi-

20 CITÉ, DÉMOCRATIE ET ÉCRITURE

33 Cl. NICOLET, À la recherche des archives oubliées : une contribution à l’histoire de la bureaucratieromaine, in La mémoire perdue. À la recherche des archives oubliées, publiques et privées, de la Romeantique, Paris, 1994, p. VI.34 Pour une définition des écritures ordinaires appliquée à l’époque moderne, CHARTIER, op. cit.,p. 786 : “contrats sous seing privé, quittances et reconnaissances de dettes, recueils de secrets de métier,livres de raison, registres de comptes ou de titres de propriété, livres de famille, récits de vie”.35 Voir en dernier lieu J.K. DAVIES, Greek Archives : From Record to Monument, in M. BROSIUS (éd.),Ancient Archival and Archival Traditions. Concepts of Record-Keeping in the Ancient World, Oxford-NewYork, 2003 p. 323-343.36 J. DERRIDA, Mal d’archive. Une impression freudienne, Paris, 1995, p. 46.37 SICKINGER, Public Records, p. 194 : “It is a characteristic even of modern archives to preserve onlythose records with enduring value (and even then often without success) ; it is unreasonable to expectmore of the ancient Athenians”.38 Elles sont citées par P. RICŒUR, Temps et récit III : Le temps raconté, Paris, 1985, p. 171 qui chercheà déterminer une définition pour le mot “archives”.39 Ibid, p. 171-172.

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mitées de recherche historique”40. L’histoire des archives est donc une histoire desdocuments, de leur production, de leur utilisation et des raisons qui poussent desinstitutions ou des individus à les conserver.

L’historiographie des archives publiques se résume pour l’essentiel à des travauxsur la cité athénienne, avec en particulier la question de l’origine des archives athé-niennes41. La première étude sur ce thème est celle de Curtius, publiée en 186842.Pendant longtemps, elle demeura une référence dans ce domaine pour les recherchesultérieures. Pour cet auteur, la conservation des documents publics débute tôt, dèsle VIIe siècle, et s’organise autour du Métrôon, véritables archives centrales de la citésur l’agora d’Athènes après les réformes d’Éphialte (c. 461). Les successeurs de Cur-tius ont critiqué ce travail pionnier en se préoccupant surtout des sources archéolo-giques43. La découverte de la Constitution des Athéniens, à la fin du XIXe siècle, nemodifia pas l’état des connaissances. La plupart des historiens portèrent leur atten-tion sur la question des sources utilisées par l’auteur de ce texte44. Quant aux fouillesde l’Agora entreprises dans les années 1930, elles ne permirent pas de trancher vrai-ment la question de l’origine des archives officielles athéniennes, c’est-à-dire dutransfert des documents officiels dans le Métrôon45. Toutefois, de nouvelles étudessuggèrent que les sources archéologiques pourraient apporter des éléments nouveauxsur ce point46. La centralisation des archives centrales athéniennes, avec le transfertdes documents au Métrôon, fut aussi au cœur des débats, ainsi que la nature desarchives avant cet événement47.

Les débats récents ont abordé la question des archives athéniennes de façon plusgénérale. Rosalind Thomas étudie les attitudes des Athéniens face aux documents

INTRODUCTION 21

40 Cl. NICOLET, op. cit., p. VII. Cf. également dans le même sens, M. BROSIUS, Ancient Archives andConcepts of Record-Keeping : An Introduction, in ID., op. cit., p. 1-16.41 Comme exception, on peut citer l’étude générale de E. POSNER, Archives in the Ancient World, Cam-bridge (Mass.), 1972 et l’article de ST. GEORGOUDI, Manières d’archivages et archives de cités, inM. DETIENNE (dir.), Les savoirs de l’écriture en Grèce ancienne, Lille, 1992. Nous faisons abstractionpour l’instant des études plus fines de tel ou tel aspect qui seront commentées dans les parties suivantes.42 C. CURTIUS, Das Metroon in Athen als Staatsarchiv, Berlin, 1868.43 Cf. U. VON WILAMOWITZ, Aus Kydathen, Philologische Untersuchungen 1, 1980, p. 1-96, C. WACHS-MUTH, Die Stadt der Athens, Berlin, 1888, p. 327-344 et O. MILLER, De decretis atticis quaestiones epi-graphicae, Bratislava, 1885.44 Cf. sur la question des archives J.E. SANDYS, Aristotle’s Constitution of Athens, Londres, 1893, p. LXX.45 Cf. H.A. THOMPSON, Buildings on the West Side of the Agora, Hesperia 6, 1937, p. 1-226.46 Cf. E.D. FRANCIS, Image and Idea in Fith-Century Greece, Londres, 1990, p. 112-120, St.G. MILLER,Old Metroon and Old Bouleuterion in the Classical Agora of Athens, et T. LESLIE SHEAR, Bouleute-rion, Metroon and the Archives at Athens, in M.H. HANSEN et K. RAAFLAUB (éd.), Studies in theAncient Greek Polis, Historia/Einzelschriften, Stuttgart, 1995, p. 133-156 et p. 157-190. Ce point estdéveloppé au chapitre 3.47 Cf. par exemple U. KAHRSTED, Untersuchungen zur athenischen Behörden. II Die Nomotheten unddie Legislative in Athen, Klio 37, 1938, p. 1-32 en particulier Anhang : Das athenische Staatsarchiv,p. 25-32, G.V. LALONDE, The Publication and Transmission of Greek Diplomatic Documents, Ann Arbor(thèse dactylographiée), 1971 (En s’intéressant à la publication et à la transmission des documentsdiplomatique en Grèce — il définit sa thèse comme l’étude des “technical procedures involved in thepublication and transmission of these diplomatic documents” (p. IV) —, G. V. Lalonde recourut sou-vent à des sources athéniennes et convint que les Athéniens conservaient des écrits au Ve siècle),R.S. STROUD, Drakon’s Law on Homicide, Berkeley, 1968 ou bien encore A.L. BOEGEHOLD, The Esta-blishment of a Central Archive at Athens, AJA 76, 1972, p. 23-30.

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écrits et aux archives48. Elle considère, d’une part, que l’usage de l’écriture pour laconservation ne s’est développé à Athènes, et ailleurs dans le monde grec, que tardi-vement et très progressivement et que, d’autre part, l’oralité demeurait un complé-ment indispensable. La consultation des écrits archivés était rare et le Métrôonn’était qu’un lieu d’accumulation de documents, bien éloigné d’archives organisées.Au Ve siècle, l’archive ne serait donc le plus souvent que l’inscription. Cependant,cette historienne reconnaît que certains documents ont été archivés au Bouleutériondans la deuxième moitié du siècle49. L’historiographie de la question a été fortementmodifiée par la publication en 1999 de la thèse de James Sickinger, Public Recordsand Archives in Classical Athens50. L’un des intérêts majeurs de cet ouvrage est demontrer que les écrits publics sur support périssable étaient en nombre importantbien avant 450 et que l’administration de la cité reposait en partie sur leur utilisa-tion51.

En somme, les historiens se séparent clairement en deux écoles. L’une s’oppose àl’idée d’archives centrales et officielles à Athènes au Ve siècle tandis que l’autre consi-dère que leur existence ne peut être mise en doute. Pour le siècle suivant, si tousidentifient le Métrôon comme l’institution chargée d’accueillir les archives officiellesde la cité, voire comme les archives centrales, la discussion concerne l’organisationdes documents archivés et surtout leur utilisation éventuelle. Sur ce dernier point, laréférence au modèle médiéval du rapport à l’écrit est récurrente, en particulier sousl’influence des travaux de Michael Clanchy52. En soi, la comparaison est un moyenméthodologique fondamental de compréhension. Elle ne saurait pour autant se sub-stituer à une analyse des sources anciennes qui peuvent révéler en matière de conser-vation des documents écrits une réalité très différente de ce que l’on sait du Moyen-Âge53. Mais avant de passer à l’analyse des realia antiques, il importe de rappeler lesacquis des travaux anthropologiques sur l’écriture et ses effets.

2. Les acquis de l’anthropologie de l’écriture

Les effets de l’écrit sur une société voire sur toute société sont encore aujourd’huilargement débattus. Beaucoup ont idéalisé la part de l’écriture dans les changementssociaux et culturels, notamment du fait de l’influence du modèle grec. Ce dernier amarqué les esprits car il était lié à l’invention de l’alphabet et plus généralement à

22 CITÉ, DÉMOCRATIE ET ÉCRITURE

48 THOMAS, Oral Tradition ne s’intéresse pas directement aux archives athéniennes mais seulement à laconfrontation des traditions généalogiques orale et écrite. Pour ce faire, elle a éprouvé la nécessité préa-lable de faire le bilan de l’utilisation des documents écrits à Athènes (p. 15-94). Voir plus généralementTHOMAS, Literacy.49 THOMAS, Oral Tradition, p. 75-76.50 La thèse avait été soutenue en 1992 mais son sujet était moins ample puisqu’il s’agissait d’étudiersimplement les archives officielles athéniennes au IVe siècle. Le titre était The State Archive of Athens inthe Fourth Century B. C.. Pour l’essentiel, les références bibliographiques utilisées par SICKINGER, PublicRecords s’arrêtent en 1996.51 Pour une approche historique des archives dans le monde grec, cf. L. BOFFO, Per una storia dell’archiviazione pubblica nel mondo greco, Dike 6, 2003, p. 5-85.52 CLANCHY, op. cit.53 Cf. notre deuxième partie.

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l’élaboration de pans entiers de la culture occidentale. Il n’est donc pas étonnant delire un long développement sur la Grèce antique dans l’article de Jack Goody etIan Watt, “The Consequences of Literacy” paru en 1963 qui tente d’expliciter lesconséquences de l’adoption de l’écriture sur les sociétés anciennes54. Si ces deuxauteurs ne négligent pas la dimension sociale de la question abordée à travers des élé-ments tels que l’alphabétisation de la société ou l’efficacité de l’écriture commemoyen de communication en son sein, ils n’en considèrent pas moins que l’introduc-tion de l’écriture permet de prendre conscience de l’antériorité du passé. Dans lessociétés orales, les individus ne développaient qu’une perception du passé modeste,sauf à le penser au présent. Les anthropologues ont évoqué une “amnésie structurale”.Pour illustrer leur propos, les auteurs citent un exemple africain, celui des Tiv, unpeuple du Nigéria, dont les membres étaient capables de donner une généalogie surdouze générations pour aboutir à leur ancêtre éponyme et fondateur. Cet effort demémoire traduit moins un attachement au passé que le souci de conserver ce qui jus-tifie les relations sociales du moment. Ces généalogies servaient de point de départdans les procédures judiciaires. Pour faciliter le travail de la justice, les colonisateursbritanniques décidèrent de mettre ces généalogies par écrit, afin de rendre plus aisé letravail des gouverneurs qui avaient à rendre la justice. Mais cela eut des conséquencessur l’existence des Tiv qui, quarante ans après, critiquaient cette généalogie car elle necorrespondait plus à aucune donnée sociale contemporaine.

Jack Goody et Ian Watt considèrent que toutes les écritures n’ont pas les mêmeseffets et ils accordent une importance particulière à l’alphabet, “l’écriture démocra-tique” selon l’expression de David Diringer, parce que la phonétisation y est extrêmeet qu’il lève les ambiguïtés, même si son impact culturel ne fut pas immédiat55. Poureux, les cités grecques constituent les premiers exemples de sociétés à proprementparler literate. Elles ont en outre l’avantage de connaître une transition complèteentre une société orale, ignorant l’écriture, et une société pleinement alphabétisée56.Les auteurs précisent tout de suite : “Many of the reasons why literacy became wides-pread in Greece, but not in other societies which had Semitic or, indeed, any othersimple and explicit writing systems, necessarily lie outside the scope of this essay”57.Ils ajoutent un peu plus loin : “The extensive diffusion of the alphabet in Greece wasalso materially assisted by various social, economic and technological factors”58 :développement économique (reprise des échanges avec l’Orient), émergence d’unesociété moins hiérarchisée, influence de l’Orient (dont le commerce du papyrus avecl’Égypte). Toutefois, les avantages intrinsèques de l’adaptation grecque de l’alphabetphénicien auraient joué un rôle important, principalement en raison de la facilité del’apprentissage. Certains inconvénients sont également mentionnés, comme la lec-ture à haute voix ou la non séparation des mots, sans que cela n’empêche le déve-loppement de l’écriture.

INTRODUCTION 23

54 L’article est repris dans J. GOODY (éd.), Literacy in Traditional Societies, Cambridge, 1968, p. 27-68.55 J. GOODY et I. WATT, op. cit., p. 41 emploient les trois adjectifs suivants : “easy, explicit and unam-biguous”.56 En affirmant cela, ils négligent l’influence orientale qu’ils ont pourtant mentionnée auparavant. Ibid,p. 42 57 Ibid, p. 40.58 Ibid, p. 41.

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Il leur paraît possible de lier les modifications culturelles que connaît la Grèce etl’introduction de l’alphabet, modifications parmi lesquelles ils placent le passaged’un mode de pensée mythique à un mode de pensée logico-empirique. Toutefois,ils critiquent ce type de formulations dans lequel ils reconnaissent la dichotomieentre primitif et civilisé. Ils contestent les conclusions de Lévy-Bruhl sur la penséesauvage à la lumière entre autres de Cl. Lévi-Strauss59. Cette transition proviendraitde la nature de l’écriture alphabétique qui, par la relation qu’elle implique entre lemot et son référent, favorise la généralisation et l’abstraction, contrairement à lacommunication orale qui serait plus liée au contexte, à la personne qui transmet età l’inscription spatiale et temporelle de ce qui est transmis.

Cependant, dans une société à écriture la culture n’est pas forcément l’objet d’unediffusion large. Si le nouveau medium permet à l’individu d’accéder à une certaineliberté par une pratique solitaire de l’écriture et de la lecture, il n’empêche pas le refusde la connaissance de la tradition, ce qui est moins vrai dans les sociétés orales. Bienentendu, les choix individuels ne sont pas indépendants de la pression sociale, maiscette dernière n’est jamais en capacité d’altérer durablement le libre choix des indi-vidus60. Mise par écrit, une idée peut être examinée longuement, critiquée voireréfutée, pendant une période à durée indéterminée, autant de potentialités qui pei-nent à se réaliser si elle est simplement exposée oralement.

Jack Goody approfondit certains aspects de sa réflexion dans son introduction auvolume collectif Literacy in Traditional Societies61. Le point de départ est identique :l’écriture crée un nouveau médium de communication qui permet la conservationet la transmission des discours à travers le temps et l’espace. “In the administrativesphere, complex bureaucratic organizations are directly dependent upon writing forthe organization of their activities, especially financial”62. Elle relie le centre à la péri-phérie et limite les forces centrifuges à l’intérieur des empires. Cela ne signifie pasque recensements ou levées de taxes soient impossibles dans des États qui neconnaissent pas l’écriture comme le montre le cas des Ashanti ou celui du royaumedu Dahomey, mais ces opérations sont nettement plus efficaces avec l’écriture.

Les effets de cette dernière sont analysés en terme de potentialités. Plusieurs fac-teurs les affectent : le support, la forme graphique, l’extension ou non de l’alphabé-tisation… Dans certaines situations, le pouvoir se montre réticent à laisser circulerles écrits. Dans des sociétés, la communication orale continue d’être utilisée pourtransmettre la tradition alors que l’écriture est connue. Des doutes sont émis sur lecommerce à entretenir avec les livres. Dans d’autres sociétés, on associe livre etapprentissage par cœur, un livre lu est un livre dont le contenu est mémorisé. Dansde nombreuses sociétés, l’écriture possède une fonction traditionnelle d’aide-mémoire, elle aide la communication orale. Cette situation se rencontre lorsque l’as-sociation entre écriture et religion est forte. Mais il ne faut pas oublier que la res-triction de l’usage de l’écriture peut s’expliquer simplement par les supports utilisés.

24 CITÉ, DÉMOCRATIE ET ÉCRITURE

59 CL. LÉVI-STRAUSS, La pensée sauvage, Paris, 1962. D’autres travaux anthropologiques peuvent êtreégalement cités, par exemple ceux de Malinowski ou d’Evans-Pritchard.60 J. GOODY et I. WATT, op. cit, p. 63.61 J. GOODY, Introduction, in ID., Literacy in Traditional Societies, Cambridge, 1968, p. 1-26.62 Ibid, p. 2.

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Jack Goody a prolongé sa réflexion dans plusieurs ouvrages et articles63. Il a déve-loppé deux axes de recherche principaux : les effets de l’écriture sur les processuscognitifs d’une part et sur les principales institutions sociales d’autre part. Avecl’écriture qu’il qualifie de “technologie de l’intelligence”64, note-t-il dans La raisongraphique, l’accumulation de connaissances, en particulier abstraites, devient pos-sible et la mémorisation en partie accessoire. L’esprit critique et le commentaire peu-vent naître. Des notions scientifiques se diffusent également au sein des sociétésorales, mais la critique ne peut exister à travers le temps que si elle est fixée par l’écrit.La science, définie comme un scepticisme à l’égard des savoirs religieux, ne permetdonc pas en réalité d’opposer tradition et modernité mais écriture à oralité65. L’al-ternative apparaît avec le livre et la bibliothèque. Car la forme change tout. La cri-tique écrite peut être examinée, analysée, intemporelle et dépersonnalisée66. “Ce n’estpas par hasard si les étapes décisives du développement de ce que nous appelonsmaintenant ‘science’ ont à chaque fois suivi l’introduction d’un changement capitaldans la technique des communications : l’écriture en Babylonie, l’alphabet en Grèceancienne, l’imprimerie en Europe occidentale”67. Mais pour Jack Goody, l’avantagedécisif que l’écriture procure réside dans la possibilité qu’elle offre de classer des élé-ments, c’est-à-dire de réaliser des tableaux et des listes.

Les effets de l’écriture se font sentir également sur l’organisation des sociétés.L’écrit donne aux prescriptions religieuses une audience plus importante, qui dépassecelle des croyances locales car il facilite leur décontextualisation tout en rendant expli-cites les contradictions. Il affecte les échanges économiques, en augmentant leurnombre et en permettant le déroulement d’activités plus complexes. Il permet aussibien un pouvoir centralisé et autoritaire qu’un pouvoir démocratique ouvert à tous. Ilinduit un plus grand formalisme dans l’action juridique et dans l’enregistrement de lapropriété foncière. Mais si l’écriture est un facteur significatif des évolutions décrites,elle ne saurait être une causalité unique. Une véritable défense du déterminisme del’écrit doit être cherchée dans d’autres œuvres68. Il n’en demeure pas moins qu’à tropcentrer son propos sur l’écrit, la réflexion de Jack Goody finit par négliger de fait lesfacteurs sociaux, ou par les limiter à la restriction de la liberté de circulation des livreset à l’extension ou non de l’alphabétisation. Quoi qu’il en soit, cet anthropologue a eule mérite de souligner qu’en tout état de cause, l’introduction de ce mode de commu-nication est “un facteur significatif”69. Comme l’indique Ruth Finnegan, il fautpenser l’alphabétisation comme un “facteur ouvrant des possibilités” (enabling factor),ce qui implique de prendre en compte un grand nombre d’autres facteurs comme lastructure politique et économique, les structures sociales70…

INTRODUCTION 25

63 Cf. J. GOODY, La raison graphique, Paris, 1979, ID., La logique de l’écriture, Paris, 1986 et ID., Entrel’écriture et l’oralité, Paris, 1994. Dans un ouvrage récent, il répond aux critiques qui lui ont été faites(J. GOODY, The Power of the Written Tradition).64 L’expression est de J. GOODY, op. cit., p. 1.65 WAQUET, op. cit., nuance fortement ce point.66 J. GOODY, La raison graphique, p. 105-106.67 J. GOODY, La raison graphique, p. 107.68 Par exemple, ONG, op. cit., et D.R. OLSON, L’univers de l’écrit. Comment la culture écrite donne formeà la pensée, Paris, 1998.69 J. GOODY, La logique de l’écriture, p. 9.70 Cf. R. FINNEGAN, Literacy and Orality. Studies in the Technology of Communication, Oxford, 1988, enparticulier p. 159.

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Les conséquences de l’écriture telles qu’elles ont été analysées par Jack Goody etpar d’autres rencontrèrent de nombreux scepticismes. Claude Lévi-Strauss ne fut pasle dernier à s’en méfier71. Pour lui, le premier effet de l’écrit est de permettre l’asser-vissement ; la culture et la rationalité viennent en second. L’anthropologue associeécriture et domination lors d’une rencontre avec les Nambikwara. S’étant rendudans leur village afin de les dénombrer, il leur remit comme cadeaux des feuilles depapier et des crayons. Or, “on se doute que les Nambikwara ne savaient pas écrire ;mais ils ne dessinent pas davantage, à l’exception de quelques pointillés ou zigzagssur leurs calebasses”72. Peu après, tous les membres de la tribu se mirent à réaliser deslignes ondulées sur le papier ; ils tentaient d’imiter l’anthropologue. “Mais le chef debande voyait plus loin. Seul, sans doute, il avait compris la fonction de l’écriture”73.Utilisant un bloc-note, il trace des lignes incompréhensibles qu’il tendait àClaude Lévi-Strauss comme s’il pouvait communiquer ainsi. Il accompagnait toute-fois cet acte de commentaires oraux, évitant les confusions. Puis, il fit semblant delire sur une feuille les cadeaux qui devaient être distribués à chacun, “atteignant ainsile fondement de l’institution sans en posséder l’usage”74. “L’écriture avait donc faitson apparition chez les Nambikwara ; mais non point, comme on aurait pu l’ima-giner, au terme d’un apprentissage laborieux. Son symbole avait été emprunté tandisque sa réalité demeurait étrangère. […] Il ne s’agissait pas de connaître, de retenir oude comprendre, mais d’accroître le prestige et l’autorité d’un individu — ou d’unefonction — aux dépens d’autrui”75.

Dès sa sortie, cette “Leçon d’écriture” fut critiquée, principalement en raison deson “rousseauisme” — Rousseau avait émis les plus grands doutes sur les progrès quepermettaient l’écriture dans son Essai sur l’origine des langues — voire de sonmarxisme réducteur76. Cela est d’autant plus étonnant que l’œuvre de Lévi-Strauss,particulièrement Tristes Tropiques, ne se prête pas à la diffusion du modèle du “bonsauvage” et de l’idée d’un effet destructeur du progrès77. Si l’écriture permet le pou-voir, elle ne saurait être réduite à l’oppression, sauf à prôner un déterminisme tech-nologique dans l’approche de l’alphabétisation des sociétés. Bien d’autres aspects de

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71 Cl. LÉVI-STRAUSS, Tristes tropiques, Paris, 1955, p. 337-345 (soit une bonne partie du chapitre 28“Leçon d’écriture”).72 Ibid., p. 339.73 Ibid.,. 340.74 Ibid., p. 345.75 Ibid., p. 341-342.76 Ce qualificatif peut surprendre pour l’œuvre de Cl. Lévi-Strauss mais lui-même s’y réfère en parlantd’une “hypothèse marxiste sur l’origine de l’écriture” en répondant à deux articles critiques deM. Rodinson parus dans La Nouvelle Critique en 1955, n° 66 et 69 (in Cl. LÉVI-STRAUSS, Anthropologiestructurale, Paris, 1974, p. 390-391 n. 2). Du reste, dans les entretiens avec G. Charbonnier, Cl. Lévi-Strauss n’hésite pas à affirmer : “L’écriture elle-même ne nous paraît associée de façon permanente, dansses origines, qu’à des sociétés qui sont fondées sur l’exploitation de l’homme par l’homme” (G. CHAR-BONNIER, Entretiens avec Claude Lévi-Strauss, Paris, 1961, p. 33). Le marxisme de “La leçon d’écriture”a été discuté par J. DERRIDA, De la grammatologie, Paris, 1967, notamment p. 174-175.77 Voir les critiques de DERRIDA, op. cit., en particulier p. 149-202 et celle de L.J. CALVET, La traditionorale, Paris, 1997, p. 110 qui parle d’“excès théoriques”.

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cette approche peuvent être mis en cause. Nous en retiendrons deux en particulier78.“Quand même il s’agirait d’écriture, ce qui a le caractère de la soudaineté, ce n’estpas ici le passage à l’écriture, l’invention de l’écriture mais l’importation d’une écri-ture déjà constituée. C’est un emprunt et un emprunt factice”79. Jacques Derridapointe là sans le dire de façon explicite les dangers d’un comparatisme poussé à l’ex-trême qui néglige de prendre en considération l’ensemble des facteurs. Les étudesanthropologiques de terrain ont observé l’alphabétisation et l’occidentalisation dessociétés, les deux phénomènes n’étant pas indépendants l’un de l’autre, bien aucontraire. Le deuxième point consiste en une séparation entre la finalité intellectuelleet la finalité sociologique de l’écriture. S’il est indubitable que la production de listesaccompagne les premières étapes de l’alphabétisation, celles-ci ne se résument pas àl’imposition d’un pouvoir. Les longues énumérations, lexicales par exemple, n’ontparfois pour simple fin que l’acquisition d’un savoir supplémentaire80.

Au-delà de cette critique ponctuelle, d’autres anthropologues ont proposé uneautre manière de penser les effets de l’écriture sur une société, en prenant leurs dis-tances avec le seul medium et en mettant au centre de leur réflexion l’interactionentre mode de communication et société81. Cela n’implique pas de nier les implica-tions cognitives de l’écriture mais de les concevoir comme imbriquées dans une cul-ture et dans une structure de pouvoir. L’un des intérêts de cette démarche est dechercher à confronter théorie et pratique82. Brian Street entend ainsi valider sonmodèle à la lumière de son travail de terrain mené en Iran dans les années soixante-dix au village de Cheshmeh. Au cours de cette période, le régime du Shah encou-ragea fortement le développement des villes au détriment des campagnes. Certainsvillages réussirent pourtant à conserver une prospérité relative grâce à la productionmaraîchère destinée à alimenter les populations des villes.

Mais le démarrage de ces activités économiques ne put avoir lieu que grâce audéveloppement d’une écriture particulière et adaptée, sans pour autant que celle-cisoit le seul facteur83. Quels usages les Iraniens faisaient-ils de l’écriture dans ledomaine commercial ? Ils signaient des chèques, émettaient des factures et certi-fiaient par ce moyen les caisses. La construction d’un nouveau hammam donna lieuà la rédaction de listes de dons et de donateurs et les chèques furent stockés avantd’être déposés à la banque. Dans les magasins, les marchands faisaient leurs comptessur des cahiers d’écoliers, remplissant une page par affaire. Les entrepreneurs enre-

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78 À la suite de DERRIDA, op. cit., p. 184-187 même si nous ne tirons pas les mêmes conclusions, en par-ticulier pour le deuxième aspect. Pour une critique plus globale de la grammatologie de J. Derrida, voiren dernier lieu J. GOODY, The Power of the Written Tradition, p. 109-118.79 DERRIDA, op. cit., p. 185.80 Nous rejetons l’assimilation entre savoir et pouvoir qui ne nous semble pas rendre compte des phé-nomènes ici décrits. Sur les premières listes, cf. J. GOODY, La raison graphique, p. 140-196.81 Cf. Br.V. STREET, Literacy in Theory and Practice, Cambridge, 1984 et ID. (éd.), Cross-CulturalApproaches to Literacy, Cambridge, 1993.82 Outre STREET, Literacy in Theory and Practice, p. 132-180 dont nous rappelons les principales conclu-sions infra, cf. STREET (éd.), Cross-Cultural Approaches to Literacy, un volume collectif qui rassemble desétudes de terrain autour de trois grands thèmes : l’introduction de l’écriture dans le répertoire desmodes de communication, les interactions entre les écritures locales et des politiques nationales et enfinles alphabétisations différenciées dans les villes occidentales.83 STREET, Literacy in Theory and Practice, p. 171-172 insiste sur ce point.

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gistraient avec précision les poids et les prix pratiqués et faisaient signer leurs parte-naires commerciaux. L’ensemble de ces pratiques écrites repose sur les connaissancestraditionnelles acquises dans les écoles coraniques. Les nouveaux besoins écono-miques ne manquèrent pas de modifier les fonctions de l’écriture. Désormais,chaque individu qui écrivait cherchait à communiquer avec lui-même et aussi avecles autres. De même, un vendeur devait être capable de rédiger une transaction dontla forme allait être acceptée par toutes les parties prenantes et les entrepreneursdevaient conférer une autorité à leurs écrits, ce qui n’était pas nécessaire dans le cadrede l’école coranique84. Bien entendu, tout ceci ne procède pas directement de l’écri-ture mais découle de l’utilisation qu’en font certains groupes en vue de faciliterl’essor de leurs activités économiques. Ces pratiques deviennent un élément du pou-voir exercé par les individus dans la société car les entrepreneurs maîtrisent l’écrittandis que les autres villageois prennent la mesure de l’écriture dans leur vie quoti-dienne, sans pour autant la dominer. Tous partagent une idéologie commune àpropos de l’écriture, ce que révèlent par contraste les conceptions développées par lesjeunes villageois partis faire leurs études à la ville85. “The acquisition of literacy is, infact, a socialisation process rather than a technical process”86.

L’application de ce modèle théorique à une réalité historique a été l’œuvre de l’his-torien médiéviste Michael Clanchy87. La lente progression de l’écrit qu’il observedans le royaume d’Angleterre s’expliquerait par l’influence normande et par lesnécessités de la conquête. Les Normands pouvaient ainsi donner des terres à deshommes jugés méritants, car le propriétaire originel ne pouvait produire de docu-ments écrits pour s’opposer à la volonté du conquérant. Dès lors, les autochtonesétaient mis en demeure de produire eux-mêmes des documents. Cependant, la dif-fusion de l’écriture fut lente. Le Domesday Book ne fut consulté régulièrementqu’au XIVe siècle, au moment où un “esprit scribal” a vu le jour88. Mais les Nor-mands s’inspirèrent de ce qui existait déjà, en l’adaptant à leurs besoins. Le par-chemin ne cessa pas d’être utilisé : son coût relativement faible lui permettait des’adapter à l’augmentation de la demande. La pratique de la cursive fut sinoninventée ou du moins se généralisa, car elle était adaptée au besoin nouveau de rapi-dité. Le souci de centralisation entraîna l’essor des rouleaux qui, bien qu’existantdéjà, servaient au mieux les intérêts des nouveaux dirigeants. Pour autant, certainsdomaines furent moins perméables à l’utilisation de l’écriture, notamment ledomaine judiciaire. Les témoignages oraux ou d’autres symboles, comme les sceaux,étaient requis pour prouver le droit. Ce n’est que plus tard que les archivistesauraient développé une mentalité de lettrés et donc une confiance absolue à l’égarddes documents écrits. Cependant, les procédures orales devant les tribunaux perdu-raient au XIVe siècle. De façon générale, certains auteurs proclamèrent leurconfiance dans l’oralité sur laquelle de nombreuses pratiques sociales continuèrent

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84 Ibid., p. 173-174 sur le problème de la signature.85 Ibid., p. 176-180 fait remarquer que le savoir des jeunes gens partis étudier en ville ne leur permetque difficilement de comprendre les techniques de l’écriture commerciale qu’utilisent leurs parents sansgrande difficulté.86 Ibid., p. 180.87 CLANCHY, op. cit.88 L’expression “esprit scribal” est d’OLSON, op. cit., p. 285-312.

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de reposer bien au-delà de la période considérée par Michael Clanchy. Ainsi lemodèle élaboré par ce dernier semble confirmer la thèse selon laquelle la sociétéinduit une utilisation de l’écriture et non l’inverse.

Mais la démarche la plus féconde consiste à dépasser la séparation entre les diffé-rents modes de communication et à penser l’interaction entre écriture et oralité. Sila thèse liant changements d’une technique de communication et évolutions socialesdoit être abandonnée, elle n’en possède pas moins quelques mérites. Comme leremarque Ruth Finnegan, elle a contribué à faire réfléchir sur les technologies et surla communication alors que ces questions étaient considérées comme secondaires.“This is not to throw away the case for emphasizing the technology of communica-tion — it is only to show that it is more complex than envisaged in the simplifiedstrong model”89. Il faut donc rejeter le Grand Partage (Great Divide) entre sociétés àécriture et sociétés sans écriture90. Rien ne permet de présupposer la présence oul’absence d’un phénomène donné par la simple prise en compte de l’écriture ou del’oralité. Chaque société doit être étudiée pour savoir si elle correspond au modèleproposé91. “The medium in itself cannot give rise to social consequences — it mustbe used by people and developed through social institutions. The mere technicalexistence of writing cannot affect social change. What counts is its use, who uses it,who controls it, what it is used for, how it fits into the power structure, how widelyit is distributed — it is these social and political factors that shape the conse-quences”92.

Notre réflexion s’inscrit dans cette démarche qui considère l’introduction d’unmode de communication dans une société comme une possibilité nouvelle qui luiest offerte. En étudiant Athènes à l’époque classique, nous ne cherchons pas àconfirmer ou à infirmer telle ou telle hypothèse anthropologique mais seulement àsouligner l’intérêt qu’il y a à prendre en considération la communication écrite dansle fonctionnement d’une cité grecque et dans la vie courante des individus qui lacomposent. En outre, de très nombreux historiens et épigraphistes ont associé le sys-tème politique athénien, la démocratie, à une forte alphabétisation et dans l’en-semble à un important recours à l’écriture93. Cette affirmation générale, et souventliminaire, repose sur un certain nombre de postulats, notamment le lien entre l’aug-mentation du nombre d’inscriptions et la démocratisation des formes de gouverne-ment94. Considérant l’écriture comme une détermination et non comme un déter-

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89 FINNEGAN, op. cit., p. 44.90 Cf. J. GOODY, La raison graphique, en particulier p. 245-267.91 FINNEGAN, op. cit., p. 159-161 rappelle qu’en sciences humaines, modèle et contre-exemple ne sontpas antinomiques. Du reste, elle ne défend pas tant les exceptions que la complexité des rapports entrel’écriture et un phénomène donné.92 FINNEGAN, op. cit., p. 41-42.93 Souvent évoqué dans ce débat, F.D. HARVEY, Literacy in the Athenian Democracy, REG 79, 1966,p. 588 émet pourtant un jugement nuancé : “The Athenian democracy had much less need for thewritten word” (lire aussi p. 630-631). À noter la position originale de C. COULET, Communiquer enGrèce ancienne. Écrits, discours, information, voyages…, Paris, 1996, p. 114-115 : “À partir du milieu duVe siècle environ, Athènes a peu à peu formé et diffusé l’idée que l’écriture publique — celle des lois,des décrets — était liée à la démocratie”.94 Par exemple, M.I. FINLEY, La censure dans l’Antiquité, RH 533, 1980, p. 3-20, DETIENNE, op. cit.,D. MUSTI, Democrazia e Scrittura, S&C 10, 1986, p. 21-48 et THOMAS, Literacy, p. 132 et p. 144-150.

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minisme, l’analyse du cas athénien doit permettre de décrire les relations entre alpha-bétisation et démocratie. Athènes est-elle une cité démocratique en raison de ses pra-tiques documentaires ou bien faut-il renverser la proposition ? Pour répondre à cettequestion, nous tenterons d’établir une histoire de la production, de l’utilisation et dela conservation de documents dans la cité athénienne à l’époque classique. Pour cela,il convient d’abord de préciser les aspects quantitatifs et qualitatifs de l’alphabétisa-tion athénienne95. Il faut ensuite poser la question des archives officielles à Athènes,c’est-à-dire déterminer le rôle de la conservation des documents dans le fonctionne-ment de la cité96. Enfin, parce qu’une histoire du rapport qu’Athènes entretient avecl’écriture ne doit pas se réduire à une histoire des archives, de leur fonctionnementet éventuellement de leur utilité sociale, il est nécessaire de décrire l’utilisation desdocuments écrits dans la cité, autrement dit de proposer une histoire de la commu-nication écrite athénienne97.

30 CITÉ, DÉMOCRATIE ET ÉCRITURE

Voir en dernier lieu Chr. PÉBARTHE, Inscriptions et régime politique : le cas athénien, in A. BRESSON,A.-M. COCULA et Chr. PÉBARTHE (éd.), L’écriture publique du pouvoir, Bordeaux, 2005, p. 169-182.95 Chapitres 1 et 2.96 Chapitres 3 et 4.97 Chapitres 5 et 6.

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PREMIÈRE PARTIE

LIRE ET ÉCRIRE À ATHÈNESÀ L’ÉPOQUE CLASSIQUE

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CHAPITRE I

MESURER L’ALPHABÉTISATION À ATHÈNES

Les travaux de W. V. Harris aboutissent à un très faible taux d’alphabétisation àAthènes1. Jusqu’en 480, ce dernier n’excéderait pas 10%, ce que l’historien juge

déjà considérable2. Pour l’époque classique, seuls les hommes de rang hoplitique sau-raient lire et écrire, ainsi que certains artisans3. Au total, il y aurait à peu près 10 000hoplites à Athènes sur 100 000 personnes, d’où l’estimation comprise entre 5 à 10%de la population alphabétisée4. Si une telle estimation devait être retenue, il faudraitalors appliquer le concept d’alphabétisation restreinte (restricted literacy) à l’Athènesclassique et conclure avec R. Thomas sur l’absence d’une mentalité lettrée (documentminded) avant le IVe siècle. Pourtant, l’époque archaïque a laissé un nombre impor-tant de documents. L’étude de M. K. Langdon sur les graffiti du mont Hymettel’avait du reste amené à conclure : “It seems likely to me that by the end of the 7thcentury there were as many literate citizens as illiterate”5. Il ne s’agit pas d’opposer àla démonstration de W. V. Harris quelques contre-exemples sur lesquels des inter-prétations divergentes sont toujours possibles. Il convient de s’interroger sur laméthode à suivre pour estimer l’alphabétisation d’une société ancienne. Auparavant,il importe de définir le sens de ce concept, car la définition influe nettement sur lerésultat6.

1. Définir l’alphabétisation7

Les définitions proposées par les historiens sont loin de correspondre. P. Cartledgedéfinit la literacy comme la faculté pleine et entière de lire et écrire8. Il ne retient pas

1 Curieusement, le livre de HARRIS, Ancient Literacy a été fortement critiqué par les historiens roma-nistes (J.H. HUMPHREY (éd.), Literacy in the Roman World, Ann Arbor, 1991) tandis que les hellénistesont semblé considérer que ces estimations étaient recevables : par exemple H.W. PLEKET, Compte-rendu de W.V. HARRIS, Ancient Literacy, Mnemosyne 45, 1992, p. 423 : “This is the book about levelsof literacy in antiquity for decades to come”.2 HARRIS, Ancient Literacy, p. 61.3 K. ROBB, Literacy and Paideia in Ancient Greece, Oxford, 1994, notamment p. 12-13 considère quel’alphabétisation a d’abord été sensible dans le milieu des artisans.4 HARRIS, Ancient Literacy, p. 114.5 M.K. LANGDON, A Sanctuary of Zeus on Mount Hymettos. Hesperia Suppl. 16, Princeton, 1976, p. 49.Sur le dossier des graffiti du mont Hymette, H.L. LORIMER, Homer and the Monuments, Londres, 1950,p. 129 n. 2 concluait que dès 700, “Ability to write was fairly general”.6 ROBB, op. cit., p. 7 le remarque en évoquant son expérience des campagnes lancées en Turquie dansles années 60 pour mesurer l’alphabétisation.7 W.V. HARRIS, Literacy and Epigraphy I, ZPE 52, 1983, p. 87-88 et ID., op. cit., p. 3-7 présente lesaspects généraux du problème.8 P. CARTLEDGE, Literacy in the Spartan Oligarchy, JHS 98, 1978, p. 25.

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les aspects plus littéraires comme la lecture de livres voire la possibilité d’écrire destextes littéraires. T. A. Boring adopte une définition plus complexe. Il considère quel’alphabétisation mesure “the ability of an individual to make any use of writing asa tool for the satisfaction of normal social, business, or political requirements,however great or small. For some Spartans this meant the ability to write a name ;for others, a book or even many books”9. Récemment, E. Millender a repris cettedéfinition en raison de sa souplesse qui permet de rendre compte de la diversité dessituations observées10. Si on se tourne vers une définition actuelle, l’UNESCOconsidère qu’est analphabète “celui qui ne peut lire ni écrire de manière compré-hensible un petit exposé simple portant sur sa vie quotidienne”11.

Dans l’ensemble, les historiens sont loin d’avoir utilisé la même définition. Cer-tains ont proposé comme critère principal la capacité d’écrire son nom ou bien designer. Si cet aspect n’est pas à négliger, il n’est pas question ici de s’occuper de cetteconsidération car nous ne disposons pas pour l’Antiquité de sources telles que lescontrats de mariage qui permettent d’apprécier les signatures individuelles12.D’autres ont préféré prendre en compte ceux qui savaient lire, toujours plus nom-breux que ceux qui savent écrire13. Le choix d’une définition est une question capi-tale car elle détermine en grande partie le reste de la réflexion. L’option large risqued’amener à une impasse, au moins en ce qui concerne l’établissement d’un taux d’al-phabétisation. Aujourd’hui, on établit une équivalence entre lire et comprendre untexte d’une part et écrire et rédiger d’autre part14. Or, chercher à mesurer de tellescompétences est impossible, de même qu’il n’est guère possible de penser l’achève-ment de leur apprentissage. Dès lors, “l’alphabétisation […] pourrait ici désigner unprocessus ininterrompu plutôt qu’un état ou un stade atteignable à un momentdonné de l’histoire”15.

34 LIRE ET ÉCRIRE À ATHÈNES À L’ÉPOQUE CLASSIQUE

9 T.A. BORING, Literacy in Ancient Sparta. Suppl. Mnemosyne 54, Amsterdam, 1979, p. 1.10 MILLENDER, Spartan Literacy Revisited, CA 20, 2001, p. 123 n. 7.11 Citée par HARRIS, Literacy and Epigraphy, p. 88 n. 5 et ID., op. cit., p. 3.12 La relation entre la signature et l’alphabétisation est un point fondamental des études portant sur lesTemps Modernes (Fr. FURET et J. OZOUF, Lire et écrire. L’alphabétisation des Français de Calvin à JulesFerry, Paris, 1977, p. 19-27 et R. CHARTIER, Les pratiques de l’écrit, in ID., Histoire de la vie privée.Tome 3 : De la Renaissance aux Lumières, Paris, p. 113-114). Nous manquons de sources pour l’Anti-quité mais il est possible d’affirmer que “l’écriture personnelle est une procédure d’authentification dudocument. Elle tient lieu de signature quand la confection du texte est confiée à un tiers” (M. COR-BIER, L’écriture en quête de lecteurs, in J.H. HUMPHREY (éd.), op. cit., 1991, p. 106). Les études deH.C. YOUTIE, Brad°vw grãfvn : Between Literacy and Illiteracy, GRBS 12, 1971, p. 239-261 lemontrent clairement pour l’Égypte gréco-romaine. Deux exemples attestent une possible reconnais-sance d’un document par son rédacteur à l’aide de la seule apparence de l’écriture : DÉM., Aphob. III,29.21 et Apat., 33.17.13 Cette question doit être posée en termes différents dans l’Antiquité car on apprenait à lire et à écrireen même temps voire d’abord à écrire. Cf. infra.14 Sur ce qu’aujourd’hui on entend par lire, B. LAHIRE, L’invention de l’”illettrisme”, Paris, 1999, p. 13et plus généralement pour une mise en perspective historique au cours du XXe siècle A.-M. CHARTIER

et J. HÉBRARD, Discours sur la lecture (1880-2000), Paris, 2000.15 LAHIRE, op. cit., p. 14. À notre avis, HARRIS, Literacy and Epigraphy, p. 94 n’échappe pas à cetteaporie lorsqu’il considère qu’une personne alphabétisée “is one who can write a simple message withcomprehension, an illiterate a person who is unable to do so”. En effet, la notion de message simple estbien trop vague pour qu’il soit permis d’en déduire un taux d’alphabétisation acceptable ; d’autant plusqu’aucun test n’est possible !

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Le vocabulaire grec lui-même reflète l’ambiguïté de ces notions. L’agrammatos esttout aussi bien celui qui ne sait ni lire ni écrire que celui qui est inculte16. Savoir seslettres est loin d’avoir un sens unique dans les textes17. Ces notions n’apparaissentqu’au IVe siècle. Cela peut avoir deux significations : les lettres ont peu d’impor-tance18 ou bien comme le dit E. G. Turner, “la diffusa capacità di leggere e scrivereè un presupposto fondamentale della democrazia ateniese”19, ce qui signifie que tousou presque savent lire et écrire, les autres n’existant pas dans nos sources. En d’autrestermes, la maîtrise de l’écriture et de la lecture renvoie à une réalité complexe, dontles contours varient en fonction des définitions retenues. Comme le fait remarquerB. Lahire au sujet de l’époque contemporaine, “la culture écrite est devenue poly-morphe, plurielle, complexe, faisant de l’histoire — autant collective qu’indivi-duelle — de son appropriation une véritable histoire sans fin : personne ne peut plusaffirmer, à un moment de sa formation, être capable de tout lire et de tout écrire”20.Il semble difficile de penser qu’il en allait autrement jadis21.

Si les sources manquent pour Athènes, les papyri montrent que la société gréco-égyptienne a pris en compte cette question22. Une accusation portée à l’encontred’un komogrammateus, Ischyrion, sous le règne de Commode, permet d’en avoir unaperçu23. Entre autres torts, il ne serait pas à même d’exercer sa charge car agram-matos. L’enquête est confiée à un certain Petaus, un autre komogrammateus. Ilconclut à la compétence d’Ischyrion car ce dernier signe lui-même les documentsqu’il envoie à l’administration centrale. Par chance, nous disposons de documentstraités par Petaus cette fois-ci en fonction. Ce dernier se révèle un piètre écrivain, fai-sant même une faute récurrente dans sa signature, qu’il recopiait sans comprendreen suivant un modèle. Il n’est pas capable de rédiger un acte en vue d’un prêt et ilest donc lui-même agrammatos, à moins que ce qualificatif ne désigne des situationsdiverses.

Plusieurs autres documents révèlent les différences de maîtrise dans l’acte d’écrire.Ainsi, un document enregistrant la vente d’un chameau est écrit par un intermédairequi précise qu’il a écrit le corps du document mais que le vendeur a écrit son nom,l’action faite (j’ai vendu, pepraka) et “en conformité avec ce qui précède”24. Ces der-nières lignes correspondent à une écriture lente, mal maîtrisée. Plusieurs papyrolo-gistes en ont déduit que le rédacteur de ce document était un scripteur lent, un bra-

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16 Voir respectivement PLAT., Tim., 23a et XÉN., Mem., 4.2.20.17 Voir les travaux de H.C. Youtie.18 C’est l’opinion défendue par S.G. COLE, Could Greek Women Read and Write ?, in H.P. FOLEY (éd.),Reflections of Women in Antiquity, New-York, p. 219-220.19 E.G. TURNER, I libri nell’Atene del V e IV secolo a.C., in G. CAVALO, Libri, editori e publico nelmondo antico, Rome, 1989, p. 9.20 LAHIRE, op. cit., p. 9.21 CORBIER, op. cit., insiste sur les différents niveaux de l’alphabétisation dans l’Antiquité.22 Nous suivons les travaux de H. C. Youtie. Il est intéressant de noter ici la réflexion de R.S. BAGNALL,Reading Papyri, Writing Ancient History, Londres-New-York, 1995, p. 12 pour qui la réalité gréco-égyp-tienne ne doit pas être considérée comme un cas particulier. Il évoque la tablette de Vindolanda ; iln’hésite pas à parler d’”existence of extensive written documentation outside Egypt” (c’est l’auteur quisouligne).23 L’exemple est cité et commenté par H.C. YOUTIE, Brad°vw grãfvn.24 PLond 3.1132b (L’exemple est cité par Ibid., p. 246).

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déôs graphôn, terme que l’on rencontre dans les papyri25. Le dossier est constitué de48 documents et désigne 46 personnes. Quelle réalité cela recouvre-t-il précisément ?Les lettres sont mal formées et plutôt proches de la capitale, irrégulières ; elles sem-blent être écrites l’une après l’autre avec peine ; la ligne n’est pas tenue. “It is evidentthat the people called slow writers did in fact write slowly, but they also wrote badly,many incompetently. They all wrote with difficulty ; they concentrated with painfulintensity as they put down their names and a few words”26. Il ne faut toutefois pasles confondre avec des enfants ; leur écriture n’est pas destinée à s’améliorer. “Theywrite slowly and they write poorly because they lack both training and practice”27.Dans le code Justinien, la catégorie de ceux qui ne connaissent par leurs lettres (oigrammata ouk epistamenoi) est divisée en deux sous-catégories, ceux qui ne savent pasécrire du tout (agrammatoi) et ceux qui savent écrire leur nom et quelques mots (oli-gogrammatoi)28. Cette dernière catégorie correspond aux aptitudes d’un bradéôs gra-phôn.

Les compétences de ces derniers sont variables. Elles vont de l’analphabétisme, oupresque, à la capacité d’écrire plusieurs phrases. Curieusement, H. C. Youtie ne s’in-terroge pas sur le sens de la formule récurrente : “j’ai écrit pour Didymè aliasMatrona parce qu’elle est une bradéôs graphôn”29. Elle est d’autant plus intéressanteque d’autres documents rédigés au nom de Didymè ne portent pas cette apprécia-tion30. La récurrence même de cette formule semble signifier que la situation nor-male n’est pas l’écriture par le kyrios. Dans d’autres papyri, l’écriture est maladroitesans que son auteur soit qualifié de bradéos graphôn. “We get the impression ratherthat they there could be uncertainty about the status of slow writers”31. Pour le direautrement, il ne s’agit pas d’un statut défini et de nombreux cas de figure sont pos-sibles et connus.

Pour autant, l’interprétation donnée par H. C. Youtie suppose que le recours àune tierce personne pour l’écriture révèle une inaptitude à écrire, au sens premier duterme. Or, les travaux de Chr. Métayer sur l’époque moderne mettent en gardecontre le concept d’intermédaire culturel32. Certes, la figure de l’écrivain public quecette historienne étudie comble l’écart “entre un besoin accru et diversifié de l’écrit

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25 Pour les autres variantes, Ibid., p. 248 n. 40.26 Ibid., p. 250-251.27 Ibid., p. 252-253.28 Cité par Ibid., p. 253.29 Exemple cité par Ibid., p. 255.30 Ibid., p. 255s. n’envisage pas que celle-ci ait pu apprendre à écrire convenablement entre temps (neufans).31 Ibid., p. 258.32 Chr. MÉTAYER, Au tombeau des secrets. Les écrivains publics du Paris populaire. Cimetière des Saints-Innocents XVIe-XVIIe siècles, Paris, 2000. Dans cette étude de l’écrivain public (“humble métier et métierdes humbles”, p. 126), Chr. Métayer aborde les aspects sociaux de l’écriture dans la France moderne.Elle nous renseigne sur le rapport à l’écrit des plus humbles et donc également sur la culture de ces der-niers. Ces écrivains publics sont connus grâce à un de leurs lieux de travail, le cimetière des Saints-Inno-cents, au cœur des quartiers populaires de Paris (“à quelques foulées au nord du Palais, sur la rive droite,bornée à l’ouest par la rue Saint-Denis et à l’est par la rue de la Ferronnerie”, p. 28) pour lequel lessources étaient abondantes. Tout l’intérêt de l’ouvrage de Chr. Métayer réside dans l’intégration de cetteprofession au sein de son contexte si particulier, celui d’un cimetière. Dans cette perspective, le pou-voir de l’écrit ne se dissocie plus de la société dans lequel il se développe.

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et les capacités d’écriture […] entre une obligation d’écriture toujours plus pressanteet l’incapacité technique d’y faire face”33. En ce sens, il est un intermédiaire. Le pro-blème réside dans l’épithète “culturel”. Ce dernier s’applique pour le notaire, seule-ment l’écrivain public ne dispose pas du même statut social. Il n’est pas un lettré, pasplus qu’il n’est un membre des couches populaires. Les sources de l’époque le quali-fient de scribe, de copiste, au mieux de secrétaire34. De fait, c’est la diversité des apti-tudes qui frappe : “Traductions, créations calligraphiques, pièces d’orthographe et decomposition, placets, mémoires” dit une enseigne35. Les écrivains publics rédigeaientdes lettres d’amour, ce qui fut l’objet de nombreuses railleries. Ils écrivaient au roi,aux grands officiers pour demander l’émission de lettres de cachet, une faveur…Cela supposait de la part du client une parfaite confiance à l’égard de l’écrivainpublic car ce dernier devenait dépositaire de secrets.

Le recours à l’écrivain public montre que le client était conscient de son incapa-cité à écrire. “La seule existence du scribe public dit avec quelle efficacité la valeur dela lettre pénétrait toutes les couches de la société, même celles où l’écriture n’était pasune réalité quotidienne. Si la pratique n’était pas assimilée, le poids de l’écrit l’étaiten revanche parfaitement”36. Celui qui recourait à l’écrivain public n’était pas tou-jours analphabète. Il pouvait savoir lire, voire connaître des rudiments d’écriture37.Le client recherchait un énoncé juste. Dès lors, “le rôle du scribe dépassait largementla seule capacité technique, il était de formulation, de rédaction. Dans un mondesoumis à l’impératif scriptuaire, cette mise en situation démontre la conscience vive,même chez ceux qui ne participaient pas des cultures lettrées, de devoir produire unécrit qui pût jouer sur l’exactitude de son registre afin d’entraîner l’effet désiré”38.Quel que soit son niveau d’alphabétisation, on connaissait le pouvoir de l’écrit. Lemême type de raisonnement peut être appliqué à l’Antiquité. La construction mêmede la catégorie de bradéôs graphôn est le signe de la place prépondérante que l’écri-ture occupe dans la société gréco-égyptienne. Le recours à un tiers pour des écrituresne prouve en rien un faible taux d’alphabétisation39.

Autrement dit, il convient d’adopter une approche diversifiée, tenant compte dela diffusion à la fois d’une culture écrite et de compétences plus modestes mais nonmoins importantes. M. Corbier suggère donc de se tourner vers une histoire des pra-tiques40. Ceci étant dit, l’appréciation globale du rapport à l’écriture ne permet pasde conclure sur la situation particulière athénienne, c’est-à-dire sur l’importance del’utilisation de l’écriture. Pour ce faire, il est indispensable de déterminer l’ensembledes facteurs qui rendent possible une estimation du taux d’alphabétisation à

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33 MÉTAYER, op. cit., p. 10, à la suite de A. PETRUCCI, Scrivere per gli altri, S&C 13, 1989, p. 475-487,particulièrement p. 475-476.34 MÉTAYER, op. cit., p. 44-45.35 Citée par Ibid., p. 48.36 Ibid., p. 55.37 Sur la complexité du rapport à l’écriture sous l’Ancien Régime, Ibid., p. 56 n. 2 pour la bibliogra-phie.38 Ibid., p. 59.39 Sans connaître les travaux postérieurs de MÉTAYER, op. cit., N. HORSFALL, Statistics or States ofMind ?, in HUMPHREY, op. cit., p. 69-70 parvient à une conclusion identique.40 CORBIER, L’écriture en quête de lecteurs, p. 101-102.

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Athènes41. Auparavant, un détour par Sparte a paru nécessaire. L’analphabétisme desSpartiates est un lieu commun que de nombreuses sources rapportent. Les historienscontemporains ont le plus souvent repris ces affirmations opposant le système poli-tique spartiate à la démocratie athénienne, établissant un lien entre la démocratie etla présence de l’écriture en général et un fort taux d’alphabétisation en particulier42.De prime abord, il est alors facile d’opposer Sparte à Athènes, “la ville de semi-illet-trés” à l’école de la Grèce43.

2. Le contrepoint spartiate44

Sans doute en raison du problème général que posait l’alphabétisation faible desSpartiates, la plupart des recherches récentes sur la literacy s’en sont tenues à la com-munis opinio45. Un article récent d’E. G. Millender invite à considérer de nouveau laquestion de l’ampleur de l’alphabétisation à Sparte et de comprendre commentl’analphabétisme généralisé des Spartiates a pu devenir un lieu commun. Dans notreperspective, il s’agit de mettre en question l’originalité athénienne en matière d’al-phabétisation, avec comme corollaire l’interrogation sur l’association automatiqueentre démocratie et écriture.

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41 Sur cette question, nous nous inspirons de la réflexion menée par CORBIER, L’écriture en quête delecteurs, p. 102-105 ainsi que, dans une perspective plus large, de FURET et OZOUF, op. cit.. Les travauxde L. STONE, Literacy and Education in England 1640-1900, P&P 42, 1969, p. 69-139 sont certesintéressants, même s’ils insistent trop sur les révolutions technologiques. Pour cet historien, quatre fac-teurs ont été décisifs dans l’alphabétisation de l’Angleterre moderne : l’imprimerie, les migrations ruro-urbaines, l’industrialisation et le protestantisme. Sans entrer dans une discussion de détail, rappelonsici que FURET et OZOUF, op. cit., (particulièrement p. 209-210) ont montré le rôle de l’Église catho-lique dans l’alphabétisation de la France, que la situation des campagnes était loin d’être uniforme toutcomme celle des villes (respectivement p. 176-228 et p. 240-245) et que l’industrialisation s’est plutôttraduite par un recul de l’alphabétisation (p. 245-262). On voit par là le danger qu’il y a à reprendredes données partielles d’une époque différente, comme le fait HARRIS, Literacy and Epigraphy, p. 90-92. Cela ne condamne pas le comparatisme (CORBIER, L’écriture en quête de lecteurs, p. 99-102), celainvite à la prudence.42 F.D. HARVEY, Literacy in the Athenian Democracy, REG 79, 1966, p. 585-635 en particulier sur cepoint. D’autres historiens ont approfondi ou seulement suivi cette hypothèse, comme M. DETIENNE,L’espace de la publicité : ses opérateurs intellectuels dans la cité, in ID. dir., Les savoirs de l’écriture, Lille,1992, p. 56-64 surtout p. 58, THOMAS, Literacy, p. 132 et p. 144 et J. WHITLEY, Cretan Laws andCretan Literacy, AJA 101, 1997, p. 645-649. Nous avons abordé cette question dans Chr. PÉBARTHE,Inscriptions et régime politique : le cas athénien, in A. BRESSON, A.-M. COCULA et Chr. PÉBARTHE

(éd.), L’écriture publique du pouvoir, Bordeaux, 2005, p. 169-182.43 L’expression est de H.I. MARROU, Histoire de l’éducation dans l’Antiquité, Paris, 1964, p. 39 qui recon-naît plus loin que l’analphabétisme des Spartiates est un topos (p. 40-45). Mais, il ne cherche pas à com-prendre sa construction, tout comme CARTLEDGE, op. cit., p. 27-28 et BORING, op. cit., p. 4 et 41-47qui ont émis des doutes sur la valeur de ces témoignages, sans pour autant en expliquer l’origine. Surce dernier point, voir J.-M. BERTRAND, De l’écriture à l’oralité. Lectures des Lois de Platon, Paris, 1999,p. 76-82 et MILLENDER, op. cit., p. 121-164.44 La notion proche de contre-épreuve est utilisée par DETIENNE, L’espace de la publicité, p. 56.45 Par exemple HARRIS, Ancient Literacy, p. 65, 74, 89 et 112-114 ; et THOMAS, Oral Tradition, p. 22 etp. 30-32. Plusieurs articles et un livre ont été consacrés à la question de l’alphabétisation des Spartiates :CARTLEDGE, op. cit., BORING, op. cit., STEINER, op. cit., p. 181-185, J.-M. BERTRAND, op. cit., p. 70-82et à présent cf. l’approche novatrice de MILLENDER, op. cit., notamment p. 149-159.

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L’un des éléments qui explique pourquoi les Modernes sont sensibles à la thèse del’analphabétisme spartiate est sans conteste le faible nombre d’écrivains lacédémo-niens connus pour l’époque classique, au contraire de l’époque archaïque46. Les troisnoms parvenus jusqu’à nous, Lysandre, Pausanias et Thibron, sont attachés à despamphlets politiques. Le premier aurait rédigé un discours sur la royauté et conservéun ensemble d’oracles47. Le deuxième aurait écrit un pamphlet contre la constitutionde Lycurgue pendant son exil à Tégée après 39548. Le troisième, qui fut responsabled’une expédition en Asie Mineure c. 391, a mis par écrit au début du IVe siècle uneapologie du système d’éducation spartiate qu’il pensait être responsable de la victoiresur Athènes49. On peut certes déplorer le peu d’informations en notre possession surces différents écrits. Quoi qu’il en soit, leur existence atteste la qualité de l’alphabé-tisation à Sparte, au moins pour certaines catégories sociales. Même si nous neconnaissons pas d’œuvres littéraires pour l’époque classique, les Spartiates semblentavoir été parfaitement capables de lire celles des autres50.

Un autre élément consiste en l’interdit de Lycurgue sur les lois écrites51 :

Tå d¢ mikrå ka‹ xrhmatikå sumbÒlaia ka‹ metap$ptonta ta›w xre$aiwêllote êllvw, b°ltion ∑n mØ katalambãnein §ggrãfoiw énãgkaiw mhd¢ékinÆtoiw ¶yesin, éll' §çn §p‹ t«n kair«n, prosy°seiw lambãnonta ka‹éfair°seiw, ìw ín ofl pepaideum°noi dokimãsvsi. TÚ går ˜lon ka‹ pçn t∞wnomoyes$aw ¶rgon efiw tØn paide$an én∞ce. M$a m¢n oÔn t«n =htr«n ∑n,Àsper e‡rhtai, mØ xr∞syai nÒmoiw §ggrãfoiw.

“Quant aux règlements de moindre importance, qui ne concernent que les biensmatériels et qui doivent changer avec les besoins, tantôt dans un sens et tantôt dansun autre, il vaut mieux, pensait-il, ne pas les assujettir à des formules écrites et àdes normes immuables, mais permettre d’y faire les additions et les suppressionsque les gens compétents jugeraient convenables. Aussi fit-il dépendre toute sonœuvre législative de l’éducation. Une de ses rhètres interdisait, je l’ai dit, d’avoir deslois écrites”.

Quelle que soit l’interprétation que l’on propose de ce texte, il n’est pas possiblede nier qu’il existait au moins une loi écrite à Sparte, la Grande Rhètra, et ce dès lapremière moitié du VIIe siècle puisque Tyrtée en cite des extraits52. Ce texte auraitété amendé par deux rois53 :

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46 BORING, op. cit., p. 50-63.47 PLUT., Lys., 30.4.48 ÉPHORE, FGrHist 70, F 118 (apud STR. 8.5.5.C366).49 ARSTT, Pol., 7.14.18-21.1333b.50 Par exemple ISOCR., Panath., 12.249-259 ; pour d’autres exemples d’un goût des Spartiates pour lalittérature, voir MILLENDER, op. cit., p. 126. Rappelons que cet aspect ne saurait suffire pour estimer lerapport d’une société à l’écriture comme Br.V. STREET, Literacy in Theory and Practice, Cambridge,1984, p. 41-42 l’indique.51 PLUT., Lyc., 13.3-4 (trad. CUF).52 Nous suivons BERTRAND, op. cit., p. 70-82 qui parle d’”interdit prétendu de l’écriture”.53 PLUT., Lyc., 6.7. Voir le commentaire de BERTRAND, op. cit., p. 74.

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ÜUsteron m°ntoi t«n poll«n éfair°sei ka‹ prosy°sei tåw gn≈maw dias-trefÒntvn ka‹ parabiazom°nvn, PolÊdvrow ka‹ YeÒpompow ofl basile›wtãde tª =Ætr& paren°gracan.

“Cependant, comme dans la suite le peuple en vint à déformer et fausser d’auto-rité les propositions par des retranchements ou des additions, les rois Polydore etThéopompe ajoutèrent à la rhètra cet article”.

Dans le Contre Léocratès, l’orateur athénien Lycurgue cite une loi spartiate, quin’appartient pas à la Grande Rhètra et dont il fait lire un extrait devant le tribunal54.Il n’est pas question de discuter ici de l’interdit lycurguéen en matière d’écriture maissimplement de constater que si une telle interdiction a été proférée elle n’a pas long-temps été suivie d’effets.

Un troisième élément qui venait asseoir l’autorité de la thèse de l’analphabétismegénéralisé des Spartiates consistait en un constat de la faiblesse numérique des ins-criptions55. Certains avaient toutefois avancé l’hypothèse de la spécificité institu-tionnelle, le secret spartiate, pour justifier le faible nombre de stèles retrouvées, cequi ne permettait pas de déduire de cette dernière une quelconque estimation dutaux d’alphabétisation56. E. G. Millender propose d’y voir une conséquence dumatériau choisi pour la réalisation d’inscriptions, le bronze57. Il n’en demeure pasmoins que les sources littéraires sont sans équivoque, les Spartiates recouraient à l’ex-position de textes gravés comme la plupart des autres Grecs vivant en cité58.

Bien plus, les sources, en particulier celles du Ve siècle, révèlent que la cité spar-tiate utilisait les documents écrits pour son fonctionnement. Les rois avaient la gardedes réponses faites par la Pythie59. Comme le remarque N. Richer, il s’agit d’“archivesintéressant l’ensemble de la communauté civique”60. Les éphores de même avaientprobablement la responsabilité de la conservation de certains documents, notam-ment ceux qui concernaient la gestion des effectifs militaires61. Deux temples ont puégalement participer à la conservation des documents, au moins à l’exposition destèles. La caractéristique principale de l’utilisation publique de documents écrits àSparte consisterait en une absence d’archives civiques comme à Athènes et non enl’absence d’archives62. Les traités inter-poliades, les oracles, des listes de vainqueurs

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54 LYC., Leocr., 1.129.55 Par exemple, les premiers décrets de proxénie connus remontent au IIe siècle et révèleraient une inex-périence en ce domaine (IG V 1, n° 4-5 avec BORING, op. cit., p. 7-8).56 Par exemple HARVEY, op. cit., p. 599.57 MILLENDER, op. cit., p. 139-141. On sait par ailleurs d’une part que le marbre spartiate était de mau-vaise qualité et se prêtait mal à la gravure de stèles et d’autre part que le bronze résiste mal à l’usure dutemps (R. THOMAS, Literacy and the City-state in Archaic and Classical Greece, in A.K. BOWMAN etGr. WOOLF (éd.), Literacy & Power in the Ancient World, Cambridge, 1994, p. 49 qui considère que les“cities which have left little written record may often have used more perishable bronze”).58 Les références sont données par MILLENDER, op. cit., p. 139.59 HDT 5.90.2-5.91.1, 6.57.2-4 ; voir aussi STR. 8.5.5.C366 ; XÉN., Lac., 15.5, PLUT., M., 1116f, CIC.,Div. 1.43.95.60 N. RICHER, Les éphores. Études sur l’histoire et sur l’image de Sparte (VIIIe-IIIe s. a.C.), Paris, 1998,p. 173 n. 122.61 Ibid., p. 479-480 et 490.62 Nous préférons l’expression “archives civiques” à celle d’“archives centrales” (cf. chapitre 3).

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étaient conservés. En dépit du manque de preuves indubitables, il semble que lestraités mentionnés dans nos sources ont donné lieu à des archives, ne serait-ce quepour en vérifier le contenu lorsque leur durée de vie dépassait la dizaine d’années63.Les protestations des Spartiates contre les Athéniens pour non respect des traitésviennent apporter un élément supplémentaire à cette supposition64. On peut citerégalement différentes listes, comme celles des éphores65. En somme, tout laisse àpenser que la cité de Sparte utilisait les documents écrits de façon comparable auxautres cités grecques.

Est-il possible d’aller plus loin, de proposer une estimation qualitative ou quanti-tative de l’alphabétisation à Sparte ? Dans l’ensemble, l’historiographie a eu tendanceà minimiser l’importance du taux d’alphabétisation des Spartiates66. En s’intéressantà l’éducation, E. G. Millender tente de proposer une estimation nouvelle67. Certes,les témoignages des sources ne se recoupent pas sur le fait de savoir si l’agogè impli-quait un apprentissage généralisé de l’écriture et de la lecture. Selon Plutarque, lesSpartiates utilisaient peu l’écriture, si ce n’est pour des usages pratiques : Grãmmataßneka t∞w xre$aw §mãnyanon: t«n d' êllvn paideumãtvn jenhlas$an§poioËnto, oÈ mçllon ényr≈pvn µ lÒgvn68. Toutefois, l’utilisation des docu-ments était si importante dans la vie publique, particulièrement dans la diplomatieet la rédaction de traités complexes qu’elle requérait, qu’il n’est pas possible de s’entenir à l’idée d’un apprentissage rudimentaire69. Le même constat peut être dressé surl’éphorat. Leurs fonctions impliquaient une maîtrise convenable de la lecture et del’écriture70. “Since the ephors came from the Spartan citizen populations as a whole,the ability of at least some of them to read and write such a variety of documentsargues in favor of a widespread and relatively high level of literacy among full Spar-tiates”71. Dès lors, il est raisonnable de penser que l’agogè spartiate impliquait unapprentissage consistant de l’écriture et de la lecture. Quant aux déclassés du sys-tème, l’exemple de la conspiration de Cinadon montre qu’ils n’étaient pas exclus del’alphabétisation72.

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63 Nous suivons l’hypothèse faite par MILLENDER, op. cit., p. 131.64 Par exemple, THC 1.67-88 et 7.18.2.65 Par exemple THC 2.2.1, XÉN., Hell., 2.3.9-10.66 HARRIS, Ancient Literacy, p. 112-114 penche pour une faible minorité, CARTLEDGE, op. cit., p. 28 et37 pour qui seule l’élite participant aux plus hautes fonctions maîtrisaient l’écriture et BORING, op. cit.,p. 96-97 penchait pour une connaissance rudimentaire pour la majorité des citoyens, seuls les magis-trats de première importance continuant de recourir à l’écriture après leur éducation, les autres oubliantcette technique.67 MILLENDER, op. cit., notamment p. 143-149.68 PLUT., M., 237a.69 PLUT., M., 237a et Lyc., 16.10.70 Par exemple THC 5.19.1-2 et 5.24.1 ; 1.131.1 avec les commentaires de CARTLEDGE, op. cit., p. 29-30 et HARRIS, Ancient Literacy, p. 113 ; W.K. PRITCHETT, The Greek State at War. Part II, Berkeley,1974, p. 45-46 mentionne les sources se rapportant à la scytale, ce moyen de communication secrèteentre les magistrats spartiates et leur cité ; cf. en dernier lieu l’analyse de RICHER, op. cit., p. 483-490.MILLENDER, op. cit., p. 147-148 croit trouver dans les sources les preuves d’un accès large des citoyensà cette magistrature. Mais il faut préférer l’approche nuancée de E. LÉVY, Sparte. Histoire politique etsociale jusqu’à la conquête romaine, Paris, 2003, p. 200-201.71 E.G. MILLENDER, art. cit., p. 148.72 XÉN., Hell., 3.3.9-11.

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Comment alors comprendre l’émergence et la diffusion d’un tel lieu commun ?73

Dans l’ensemble, les historiens ont émis des doutes sur la valeur des témoignages rela-tifs à l’analphabétisme des Spartiates, sans pour autant expliquer pourquoi les auteursanciens adhéraient à cette vision74. Il faut partir de l’opposition entre deux modèlesd’éducation que Thucydide construit dans son œuvre75. La description de la cultureathénienne faite par Périclès dans l’Oraison funèbre s’oppose presque point par pointà la paideia spartiate dont Archidamos fait l’éloge76. Mais les critiques athéniennes duVe siècle ne portent pas sur l’analphabétisme, plutôt sur l’ignorance, l’inculture (ama-thia) des Spartiates, elles visent leur capacité de discourir et leur libre exercice de laparole publique77. Au contraire, la maîtrise de l’écriture est parfois associée à latyrannie78. Ce n’est qu’au IVe siècle que l’amathia des Spartiates est associée à leuranalphabétisme, au moment où les grammata deviennent pour les Athéniens un élé-ment à part entière de l’éducation79. La transition intervient dans la première moitiédu IVe siècle. Ainsi, si Isocrate n’hésite pas à affirmer que les Spartiates ne connaissentmême pas l’alphabet, Xénophon décrit les éphores attendant de recevoir la liste descomplices de Cinadon mise par écrit par ce dernier pour intervenir80.

Au total, il n’y a pas lieu de penser a priori que “Democratic Athens is somethingof a special case” en matière d’alphabétisation81. Sparte et les Spartiates recourentquotidiennement à l’écriture, dans la vie publique comme dans la vie privée s’ils ledésirent82. Il y a donc tout lieu de s’interroger s’il n’en allait pas de même à Athènes.Dès lors, les estimations minimalistes relatives à l’alphabétisation des Athéniens pro-posées par W. V. Harris et R. Thomas doivent être discutées.

3. Approche méthodologique de la mesure de l’alphabétisation à Athènes

A. L’ÉCOLE À ATHÈNES83

D’une forte présence de maîtres d’école, les historiens ont souvent déduit unealphabétisation importante et inversement, tout en reconnaissant que les écoles ne

42 LIRE ET ÉCRIRE À ATHÈNES À L’ÉPOQUE CLASSIQUE

73 MILLENDER, op. cit., p. 149-159.74 CARTLEDGE, op. cit., p. 27-28 et BORING, op. cit., p. 4 et 41-47.75 THC 2.35-2.46.76 THC 1.84-1.85.1.77 Par exemple, HDT 5.78. Cela se poursuit au IVe siècle.78 HARRIS, Ancient Literacy, p. 90-92 et D.T. STEINER, The Tyrant’s Writ. Myths and Images of Writing inAncient Greece, Princeton, 1994, p. 127-241 surtout p. 227-241.79 Cf. chapitre 2.80 Cf. respectivement ISOCR., Panath., 12.209 (mais 12.250-251 nuance l’affirmation) et XÉN., Hell.,3.3.10-11 avec le commentaire de RICHER, op. cit., p. 490.81 T.J. MORGAN, Literate Education in Classical Athens, CQ 49, 1999, p. 46. P. CARTLEDGE, A SpartanEducation, in ID., Spartan Reflections, Londres, 2001, p. 85 considère que l’éducation spartiate est iden-tique à celle d’Athènes jusqu’à l’âge de 12 ans et qu’elle intègre donc l’enseignement de l’écriture et dela lecture.82 RICHER, op. cit., p. 490 parle d’une “alphabétisation assez générale”. Concernant l’alphabétisation desfemmes spartiates, COLE, op. cit., p. 228.83 F.A.G. BECK, Greek Education : 450-350 B.C., Londres, 1964 et HARRIS, Ancient Literacy, p. 96-104sur l’école en Grèce classique, MARROU, op. cit., surtout p. 69-81 sur l’éducation à Athènes ainsi que

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sont pas les seuls lieux d’apprentissage84. Il convient en effet d’être d’une grande pru-dence à ce sujet. Les observations de Fr. Furet et de J. Ozouf ne font apparaîtrequ’une concomitance du facteur alphabétisation et du facteur scolarisation. Ledeuxième ne précède pas le premier. “On peut dès lors faire l’hypothèse que l’exten-sion de l’alphabétisation au XIXe siècle passe bien par l’école, mais à condition qu’ilexiste au préalable un noyau de population lui-même alphabétisé, c’est-à-dire un cer-tain seuil culturel, qu’on ne peut franchir que lorsque certaines conditions sontréunies : entre autres, la formation d’une élite sociale, la mise en place d’une struc-ture administrative, l’éclatement des isolants culturels”85. Les analyses statistiquesvalident l’hypothèse qui devient une conclusion. “L’école n’est pas le signal de l’accèsà la culture écrite”86. Bien qu’il ne soit pas question d’appliquer à l’Antiquité tellesquelles les conclusions de ces deux historiens pour le XIXe siècle, leur réflexion vautcomme une mise en garde. L’histoire de l’école ne suffit pas. Il faut également éta-blir celle de “l’investissement social sur l’éducation élémentaire, qui est antérieure àl’existence de l’école, et sa condition même” et celle de “l’efficacité pédagogique” del’école87. Si les sources ne permettent pas d’apprécier réellement ce dernier point,elles renseignent sur la place qu’occupent lecture et écriture dans l’enseignementainsi que sur l’existence d’écoles88.

Sur ces dernières, les informations dont nous disposons sont fragmentaires et pastoujours fiables. Ainsi, Plutarque rapporte que les habitants de Trézène qui hébergè-rent les femmes et les enfants à la veille de la bataille de Salamine recrutèrent des per-sonnes pour apprendre leurs lettres aux réfugiés athéniens89. Plus crédible est le juge-ment de Xénophon, contemporain de la réalité qu’il décrit90 :

Ofl m¢n dØ pa›dew efiw tå didaskale›a foit«ntew diãgousi manyãnontewdikaiosÊnhn: ka‹ l°gousin ˜ti §p‹ toËto ¶rxontai Àsper par' ≤m›n ˜tigrãmmata mayhsÒmenoi.

MESURER L’ALPHABÉTISATION À ATHÈNES 43

A. BURNS, Athenian Literacy in Fith Century B.C., JHI 42, 1981, p. 375-376, et MORGAN, op. cit.,1999 plus particulièrement sur la place de l’écriture dans l’éducation à Athènes.84 HARRIS, Literacy and Epigraphy, p. 95-96 cite l’absence de maître d’école pour affirmer un faible tauxd’alphabétisation et HARRIS, Ancient Literacy, p. 15-16. Ch.W. HEDRICK, Writing, Reading, andDemocracy, in R. OSBORNE et S. HORNBLOWER éds., Ritual, Finance, Politics. Athenian DemocraticAccounts Presented to David Lewis, Oxford, 1994, p. 164 fait un raisonnement analogue : “In theabsence of any state-sponsored schools, widespread literacy would be virtually unparalleled”. Plusmodérée est l’approche de ROBB, op. cit., p. 183 qui établit une distinction entre l’alphabétisation rudi-mentaire apprise auprès de ses parents et l’alphabétisation apprise à un jeune âge dans une école.85 FURET et OZOUF, op. cit., p. 281.86 Ibid., p. 305-306 particulièrement (la citation est extraite de la page 306).87 Ibid., p. 69.88 Un élément important provient de l’ampleur du recours à la main d’œuvre servile qui libère d’autantles enfants des tâches auxquelles ils sont dévolus dans les sociétés pré-modernes (HARRIS, Ancient Lite-racy, p. 19-20).89 PLUT., Them., 10.5 : “les Trézéniens, en effet, décrétèrent qu’ils seraient nourris aux frais de l’État,que chacun d’eux recevrait deux oboles, que les enfants auraient la permission de cueillir des fruits par-tout, et qu’on payerait pour eux le salaire de leurs maîtres d’école” (trad. CUF). MARROU, op. cit., p. 78qui cite ce passage y voit la preuve de “l’existence d’un enseignement des lettres”. Tel quel, cela paraîtaventureux (HARRIS, Ancient Literacy, p. 58).90 XÉN., Cyr., 1.2.6 (trad. CUF modifiée) et aussi Lac., 2.1.

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“Les enfants qui fréquentent l’école y passent le temps à apprendre la justice. Ilsdisent eux-mêmes qu’ils y vont pour cela, comme ceux de chez nous y vont pourapprendre l’écriture”.

L’apprentissage des grammata est présenté comme une évidence, comme le pointde départ de l’éducation. Certains ont pensé qu’il remontait à une loi de Solon etqu’il était donc obligatoire91. Plusieurs sources peuvent être évoquées. Dans uneœuvre de Platon, Socrate dialogue avec les Lois de la cité. Ces dernières affirmentalors en réponse à celui-ci92 :

ÉAllå to›w per‹ tØn toË genom°nou trofÆn te ka‹ paide$an §n √ ka‹ sÁ §pai-deÊyhw; µ oÈ kal«w pros°tatton ≤m«n ofl §p‹ toÊtƒ tetagm°noi nÒmoi,paragg°llontew t“ patr‹ t“ s“ se §n mousikª ka‹ gumnastikª paideÊein;

“Et à celles qui règlent les soins de l’enfance, l’éducation qui fut la tienne ? Étaient-elles mauvaises, les lois qui s’y rapportent, celles qui prescrivaient à ton père de tefaire instruire dans la musique et la gymnastique ?”

Pour H. I. Marrou, “Platon pense ici aux Lois non écrites, à la Coutume, sansqu’il soit besoin d’imaginer l’existence d’une loi édictant (contre quelle sanction ?)l’obligation, pour le père de famille, d’envoyer son fils aux écoles de lettres et degymnastique”93. Plus prudent, F. D. Harvey préfère penser que le disciple de Socratese laisse emporter par son éloquence94. Toutefois, F. A. G. Beck analyse d’autres pas-sages de ce même dialogue et montre que les nomoi évoqués ici peuvent être des loisde la cité95. Quoi qu’il en soit, l’Alcibiade laisse plutôt l’impression d’un désintérêtde la part de la polis96.

Pourtant, Eschine cite longuement une loi de Dracon ou de Solon concernantl’éducation97 :

ÑO går nomoy°thw pr«ton m¢n to›w didaskãloiw, oÂw §j énãgkhw paraka-tatiy°meya toÁw ≤met°rouw aÈt«n pa›daw, oÂw §stin ı m¢n b$ow épÚ toËsvfrone›n, ≤ d¢ épor$a §k t«n §nant$vn, ˜mvw épist«n fa$netai, ka‹diarrÆdhn épode$knusi, pr«ton m¢n ∂n Àran prosÆkei fi°nai tÚn pa›da tÚn§leÊyeron efiw tÚ didaskale›on, ¶peita metå pÒsvn pa$dvn efisi°nai, ka‹phn$ka épi°nai. Ka‹ toÁw didaskãlouw tå didaskale›a ka‹ toÁw pai-dotr$baw tåw pala$straw éno$gein m¢n épagoreÊei mØ prÒteron pr‹n ín¥liow én$sx˙ klπein d¢ prostãttei prÚ ≤l$ou dedukÒtow, tåw §rhm$aw ka‹tÚ skÒtow §n ple$st˙ Ípoc$& poioÊmenow: ka‹ toÁw nean$skouw toÁwefisfoit«ntaw oÏstinaw de› e‰nai ka‹ ëstinaw ≤lik$aw ¶xontaw, ka‹ érxØn

44 LIRE ET ÉCRIRE À ATHÈNES À L’ÉPOQUE CLASSIQUE

91 Sur cette question, MARROU, op. cit., p. 374-375, BECK, op. cit., 1964, p. 92-94, HARVEY, op. cit.,p. 589 et n. 10 et ROBB, op. cit., p. 129.92 PLAT., Criton, 50d (trad. CUF).93 MARROU, op. cit., p. 374.94 HARVEY, op. cit., p. 589 n. 10.95 BECK, op. cit., 1964, p. 92-94 cite PLAT., Criton, 51a et c.96 PLAT., Alc., 122b.97 ESCHN., Tim., 1.9-11 (trad. CUF).

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¥tiw ¶stai ≤ toÊtvn §pimelhsom°nh, ka‹ per‹ paidagvg«n §pimele$aw ka‹per‹ Mouse$vn §n to›w didaskale$oiw ka‹ per‹ ÑErma$vn §n ta›wpala$straiw, ka‹ tÚ teleuta›on per‹ t∞w sumfoitÆsevw t«n pa$dvn ka‹ t«nxor«n t«n kukl$vn. KeleÊei går tÚn xorhgÚn tÚn m°llonta tØn oÈs$an tØn•autoË efiw Ímçw énal$skein Íp¢r tettarãkonta ¶th gegonÒta toËto prãt-tein, ·n' ≥dh §n tª svfronestãt˙ aÍtoË ≤lik$& Övn, oÏtvw §ntugxãn˙ to›wÍmet°roiw pais$n. ÉAnagn≈setai oÔn Ím›n toÊtouw toÁw nÒmouw ı gramma-teÊw, ·n' efid∞te ˜ti ı nomoy°thw ≤gÆsato tÚn kal«w traf°nta pa›da êndragenÒmenon xrÆsimon ¶sesyai tª pÒlei:

“Et tout d’abord ces maîtres auxquels nous sommes obligés de confier nos enfantset qui doivent leur pain quotidien à l’honnêteté de leurs mœurs tandis qu’unemauvaise conduite les réduirait à la misère, on voit cependant le législateur s’endéfier. La loi fixe donc exactement l’heure à laquelle l’enfant de condition libre doitse rendre à l’école, le nombre de condisciples avec lesquels il doit y aller, l’heure àlaquelle il doit en sortir. Elle interdit aux maîtres des écoles et aux maîtres de gym-nastique d’ouvrir les écoles ou les palestres avant le lever du soleil, elle leur ordonnede les fermer avant la nuit, tenant par dessus tout en suspicion la solitude et lesténèbres. Elle dit aussi quels sont les jeunes gens qui peuvent fréquenter ces lieux,leur âge, quelle est l’autorité qui veillera à l’exécution du règlement. La loi s’occupeencore des fonctions de l’esclave chargé d’accompagner les enfants, de la fête desMuses à l’école, de celle d’Hermès à la palestre, enfin de la participation des enfantsaux chœurs cycliques. Elle prescrit en effet que le chorège qui fait pour vous lesfrais de la représentation doit être âgé de plus de quarante ans, afin que ce soit unhomme parvenu à l’âge le plus raisonnable qui ait à faire avec vos enfants. Le secré-taire va vous lire ces textes de loi et vous comprendrez que, dans l’idée du législa-teur, l’enfant qui a reçu une bonne éducation deviendra, à l’âge d’homme, uncitoyen utile à la cité…”

Les historiens ont dû minorer la valeur de ce passage pour ne pas conclure à l’exis-tence d’une loi scolaire98. Les dispositions législatives mentionnées ne concerneraient“que la police des mœurs et ne [viseraient] qu’à réprimer le développement de lapédérastie”99. En même temps, la présence d’adultes dans les écoles à Athènes,comme le montrent certains dialogues platoniciens, serait une preuve supplémen-taire de l’inexistence de cette loi, de son caractère apocryphe100. Cependant, dans soncommentaire récent du Contre Timarque, N. Fisher considère qu’il n’est pas possiblede négliger ce texte parce que de trop nombreuses sources révèlent un usage impor-tant de l’écrit dès le VIe siècle101. Il n’en conclut pas pour autant à une origine solo-nienne.

MESURER L’ALPHABÉTISATION À ATHÈNES 45

98 Sans citer ce passage, ROBB, op. cit., p. 129 peut affirmer qu’aucune loi ne marqua une préoccupa-tion en matière d’alphabétisation, ni à la fin du Ve, ni au cours du IVe siècle.99 MARROU, op. cit., p. 375.100 C’est la position de BECK, op. cit., 1964, p. 94.101 N. FISCHER, Aeschines. Against Timarchos. Introduction, Translation, and Commentary, Oxford, 2001,p. 129-130 montre qu’une partie du débat repose sur des considérations préalables et non sur une étudedes sources.

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Un élément paraît aller dans le sens de cette dernière analyse. Eschine demande àun grammateus de lire le texte de celle-ci et rien n’autorise à négliger cette men-tion102. À l’époque du plaidoyer, il existait donc une loi réglant les écoles dans les-quelles les enfants devaient se rendre. Est-il dès lors concevable que ces didaskaloin’apprenaient pas à leurs élèves les grammata, entre autres choses, alors que laconnaissance de celles-ci permettait un plein accès à la citoyenneté par l’exercice desmagistratures et faisait de chacun un citoyen utile pour la cité ? Certes, la réalité auniveau de chacun des dèmes était différente et on comprend pourquoi un stratège,Dercylos, a pu être honoré pour sa générosité concernant l’éducation des enfants103.Il n’en demeure pas moins qu’Athènes ne s’est pas désintéressée de l’éducation de sesfils, même s’il n’est pas question d’envisager une politique scolaire d’envergure et descampagnes d’alphabétisation104. Du reste, au IVe siècle, la cité des Magnètes ima-ginée par Platon accorde une place centrale à l’éducation, y compris des filles105.Dans ce vaste programme, l’alphabétisation n’est qu’un élément mineur par rapportà la guerre, la gestion de l’oikos et l’administration de la cité, autant d’activités, sur-tout les deux dernières, que les Athéniens pratiquaient en recourant quotidienne-ment à l’écriture.

Les sources iconographiques pourraient constituer un élément supplémentaire deconfirmation de l’importance de l’écriture dans l’enseignement106. La céramiqueattique à figures rouges révèle en effet une centaine de scènes d’apprentissage deslettres107. Certes, T. J. Morgan a raison d’insister sur la prudence nécessaire à l’inter-prétation d’un corpus faible en nombre. “The fifth century sees a sudden spate ofvases with reading scenes, but this, too, should be interpreted with caution. Overallsuch scenes are not many in number compared with, for instance, athletic, military,mythical, or domestic scenes. Many of them are among the most sophisticated pain-tings we possess, suggesting a wealthy audience. And the fact that reading scenesbecame a familiar icon in the early fifth century attests the literate revolution insociety which accompanied the democracy (or even slightly pre-dated it) ; it does notattest widespread literacy in practice”108. Pour une centaine de descriptions de scènes

46 LIRE ET ÉCRIRE À ATHÈNES À L’ÉPOQUE CLASSIQUE

102 Cela n’est en rien une défense de l’authenticité du texte qui est parvenu jusqu’à nous (FISCHER, op.cit., p. 135 sur ce passage en particulier et p. 68 sur l’authenticité des documents cités dans ce plai-doyer).103 Dans ce cas (IG II2, n° 1187), il s’agit d’un contexte particulier, la suppression de l’éphébie sous l’oli-garchie pro-macédonienne (F.W. MITCHELL, Derkylos of Hagnous and the Date of IG II2, n° 1187,Hesperia 33, 1964, p. 337-351).104 DÉM., Steph. I, 45.72 mentionne un cas d’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Un banquieralphabétise celui qui doit devenir son adjoint.105 BERTRAND,op. cit., p. 66-67 et n. 245.106 BURNS, op. cit., p. 375 considère que les sources iconographiques confirment l’enseignement del’écriture dans les écoles au Ve siècle. Tout en partageant son opinion, nous gardons à l’esprit la mise engarde de C. Bérard et de J.-L. Durand : “Ni les textes littéraires ou épigraphiques, ni les fouilles sur leterrain, ni l’ensemble de l’imagerie ne permettent de reconstituer totalement la conjoncture historiquequi rendrait compréhensible le document [iconographique] en question” (La cité des images. Religion etsociété en Grèce antique, Paris, 1984, p. 19).107 Cf. A. FORD, From Letters to Literature. Reading the ‘Song Culture’ of Classical Greece, inH. YUNIS (éd.), Written Texts and the Rise of Literate Culture in Ancient Greece, Cambridge, 2003, p. 24n. 33.108 MORGAN, op. cit., 1999, p. 48 n. 9.

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scolaires, nous possédons 1400 scènes athlétiques. Doit-on pour autant en déduirele peu d’importance de l’école ? L’argument est dangereux car ce faible nombre, rela-tivement aux autres scènes figurées, peut être un signe d’une certaine banalité del’apprentissage des lettres, une scène qui ne permet pas la distinction. Il est en outredifficile d’être aussi péremptoire avant d’avoir proposé une description des diffé-rentes scènes109. De plus, la qualité du support ne permet pas de considérer a priorique la scène en question était réservée aux couches supérieures de la société athé-nienne. “L’image n’a […] qu’un rapport arbitraire avec le vase”110. Enfin, la dispari-tion de ces scènes à la fin du Ve siècle ne saurait signifier la fin de l’enseignement del’écriture111.

La céramique attique révèle plusieurs représentations de jeunes hommes en trainde lire ou tenant une tablette ou un rouleau, sans que le cadre scolaire soit claire-ment évoqué. Par exemple, sur une coupe du peintre de Tarquinia, un enfant nutient des tablettes dans ses mains ; deux enfants assis l’encadrent112. D’autres scènesévoquent discrètement l’école sans qu’il soit possible à coup sûr d’y lire une descrip-tion d’une scène d’enseignement. Sur une coupe du peintre Adria (c. 500-475), laface A présente deux jeunes hommes assis113. L’un d’eux tient un stylet et unetablette, l’autre des rouleaux. Sur la face B, l’un tient un stylet et une tablette, unautre une lyre et un autre encore un rouleau. C’est la présence d’un instrument demusique qui évoque le cadre scolaire114. Une coupe peinte par un disciple de Douris,Akestoridès, représente une scène analogue (c. 460)115. Sur la gauche, un jeunehomme lit un rouleau. Face à lui, se tient un autre jeune homme qui tient une lyre.Plus loin, sur la droite, un homme plus âgé, barbu, les observe avec intérêt. Le texteinscrit sur le rouleau ne se lit pas facilement et plusieurs hypothèses ont été propo-sées le concernant. J. D. Beazley y reconnaît des vers homériques (Il. 9.399 et13.638) tandis que H. R. Immerwahr y voit un simple texte didactique116. Plusexplicite est le kyathos peint par Onésimos (c. 480)117. Entre deux jeunes gens

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109 Nous disposons pour ce faire d’un site internet (http ://ccat.sas.upenn.edu/~awiesner/oralit.html) quipropose une série de sources iconographiques ayant trait à l’écriture et à l’oralité pour les Ve-IIIe siècles.110 La cité des images. Religion et société en Grèce antique, Paris, 1984, p. 12.111 L’une des dernières représentations de ce type de scènes date des années 430-420 (ARV2 1208.38),voir infra.112 ARV2 866.1. Pour d’autres exemples, voir ARV2 104.4 et 893.25. Voir aussi ARV2 452 (Paris Seyrig,Un enfant assis tient un rouleau dans ses mains et regarde devant lui un autre personnage non repré-senté. Le rouleau accueille un texte qui est le début de l’hymne à Hermès dans sa version courte. Pourune photographie, voir http ://ccat.sas.upenn.edu/~awiesner/bookimg12.html).113 ARV2 349.1.114 Pour d’autres exemples, voir une coupe peinte par Onésimos (c. 480, ARV2 326.93), fragmentaire,qui représente un jeune homme un rouleau ouvert à la main, encadré par un joueur de flûte barbu etpar un personnage tenant une tablette et un stylet à la main (pour une photographie, voirhttp ://ccat.sas.upenn.edu/~awiesner/bookimg09.html) et une oinochoè (c. 425) qui représente ungarçon assis tenant un rouleau ouvert devant lui et faisant face à un jeune homme nu avec une lyre àla main (pour une photographie, voir http ://ccat.sas.upenn.edu/~awiesner/bookimg17.html).115 ARV2 781.4 (pour une photographie, voir http ://ccat.sas.upenn.edu/~awiesner/bookimg13.html).116 J.D. Beazley in ARV2, p. 781 H.R. IMMERWAHR, Book Rolls on Attic Vases, in C. HENDERSON (éd.),Classical Mediaeval and Renaissance Studies in Honor of Berthold Louis Ullman, Rome, 1964, p. 17-48et ID., More Book Rolls on Attic Vases, AK 16, 1973, p. 143-147.117 ARV2 329.134 et 1645 (photographie sur le site http ://ccat.sas.upenn.edu/~awiesner/boo-kimg10.html).

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appuyés sur leurs bâtons, un garçon blond, assis, tient un rouleau ouvert des deuxmains et en examine attentivement le texte118. Devant lui, sur un coffre, se trouve unautre volumen ; derrière lui, des agrès, semble-t-il, qui renvoient à l’éducation spor-tive.

D’autres représentations évoquent clairement l’école et l’enseignement qu’y reçoi-vent les enfants mâles. Une coupe réalisée par le peintre de Munich 2660 (c. 460)représente à l’intérieur un garçon seul qui tient une tablette fermée119. À l’extérieur,sur l’une des faces, deux jeunes gens font face à leur professeur, l’un d’eux a un rou-leau à la main et l’autre une tablette. Sur l’autre face, le professeur semble remettreun prix, une branche, à un de ses élèves qui tient un rouleau dans sa main. La repré-sentation la plus riche d’intérêt est sans conteste celle d’une coupe attique à figuresrouges signée Douris (c. 480)120. “Au centre, est assis le maître d’école. Il tient unrouleau dont le texte est tout à fait lisible : en effet, l’écriture au lieu d’être disposéed’un rouleau à l’autre, y est tracée de façon à ce que le spectateur du vase puisse lalire. Il s’agit d’un vers épique évoquant le fleuve de Troie : ‘Muse, trouve pour moi,sur les bords du Scamandre, la matière initiale de mon chant’. Le jeune hommedevant lui récite et le texte écrit sert à contrôler. On sait que l’apprentissage de lapoésie, et tout particulièrement des poèmes homériques, occupe une place impor-tante dans le programme auquel sont soumis les jeunes gens. À gauche, une leçon demusique : maître et élève se font face tenant la lyre. Sur l’autre face de la coupe, onretrouve les instruments de l’écriture : tablette et stylet tenus par le personnage assisau centre. Une autre tablette est d’ailleurs suspendue au mur”121.

Deux observations peuvent être faites sur ces quelques exemples. D’une part,l’éducation des jeunes garçons est naturellement associée dans ces scènes à la lectureet à l’écriture. Rien ne permet de dire que les peintres représentaient là des situationsrares ou nouvelles. D’autre part, les premières représentations remontent à la fin duVIe et au début du Ve siècle, ce qui est un indice de l’existence d’une éducation inté-grant l’alphabétisation à une époque relativement haute. Certes, le nombre de jeunesgens concernés ne peut être déterminé. Mais même si ces vases étaient destinés à cer-taines couches de la société athénienne ou aux aristocraties étrangères, nous ne pou-vons préjuger de l’alphabétisation des couches modestes. En outre, nous ignoronstout du statut des maîtres d’école dont rien ne dit qu’ils appartenaient aux couchessupérieures de la société athénienne. Pour lever une partie de ces interrogations, ilfaut se tourner vers les sources littéraires qui permettent également d’apprécier laplace de l’écriture dans l’enseignement, notamment Aristophane et Platon.

Dans les Nuées, le poète comique revient à un thème qu’il avait abordé dans sapremière pièce Le participant au banquet (427) : l’éducation offerte par les sophistes,

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118 Une inscription figure sur le rouleau ouvert mais elle est difficilement lisible (une restitution est pro-posée par J.D. Beazley).119 ARV2 784.25. Voir le commentaire de G. RICHTER, Red-Figured Athenian Vases in the MetropolitanMuseum of Art, New Haven, 1936, p. 136-137. Pour une photographie, voirhttp ://ccat.sas.upenn.edu/~awiesner/bookimg02.html120 ARV2 431.48 et 1653. Pour une photographie, voir M.-Chr. VILLANUEVA-PUIG, Images de la vie quo-tidienne en Grèce dans l’Antiquité, Paris, 1992, p. 28-29.121 VILLANUEVA-PUIG, op. cit., p. 31.

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particulièrement en rhétorique122. Dans cette œuvre de jeunesse, il mettait en scèneun vieux père et ses deux enfants dont l’un apprenait la rhétorique. Cette fois-ci, lasituation décrite est différente. Le père, Strepsiade, exige de son fils, Pheidippidès,qu’il apprenne la rhétorique auprès d’un sophiste afin qu’il puisse faire triompher lefaux du vrai, en l’occurrence persuader ses créanciers de l’inexistence de ses dettes.Le fils refuse ; le père essaie mais il échoue lamentablement et doit se résigner à aban-donner les cours de Socrate. Il tente alors une nouvelle fois de persuader son fils quifinit par se rendre aux raisons de son père. Strepsiade le présente à Socrate etdemande à ce dernier d’enseigner à Pheidippidès la technique qui permet de fairetriompher le mauvais argument. Le philosophe répond que le jeune hommeapprendra les deux arguments de la bouche des Arguments eux-mêmes et il s’effacealors de la scène pour laisser place aux deux Arguments, le Bon Argument et le Mau-vais123. Au cours de cette joute oratoire, le premier évoque l’ancienne éducation et lesecond la nouvelle124. L’érxa$a paide$a ne paraît pas avoir prêté une attention par-ticulière à l’enseignement des grammata. Seules comptent les mousikè et gymnastikè.L’enfant se rend d’abord chez le cithariste pour apprendre à chanter puis chez lepédotribe qui enseigne la gymnastique. “Nowhere in the sources is it stated, as oftenassumed, that grammata constitute purely the earliest, mechanical stage of educationand that once pupils begin to read literature it counts as mousikê” affirmeT. Morgan125.

Toutefois, un passage des Cavaliers laisse entendre qu’avant l’enseignement de lamousikè l’enfant apprenait ses lettres, voire que ces dernières étaient contenues dans lamousikè. En effet, le Charcutier indique à son Premier Serviteur que cette dernière nelui pas été enseignée à l’exception des grammata126 : “Mais mon bon, je ne sais rien dela mousikè, à l’exception des lettres et encore je les sais peu et mal”. Que l’enseigne-ment des lettres soit considéré comme une partie de celui de la mousikè, les représen-tations sur les vases attiques le laissaient présager. Certes, dans ce contexte, le motgrammata pourrait évoquer le système de notation musicale127. Mais cela serait plus

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122 Sur Le participant au banquet, cf. fr. 205-255 K-A. Sur les Nuées, cf. en dernier lieu D.M. MCDO-WELL, Aristophanes and Athens, Oxford, 1995, p. 113-149.123 AR., Nuées, 889-1104. La majuscule se justifie parce qu’il s’agit de personnages dans la pièce. Lechoix du nom “Argument” retenu ici pour les deux Logoi repose sur le commentaire de MCDOWELL,op. cit., p. 136-138. Les qualificatifs de bon et mauvais pour rendre kreitton et etton paraissent préfé-rables à ceux de juste et injuste car ils sont différemment connotés. Un bon argument n’est pas néces-sairement juste sur le plan moral mais simplement fort sur le plan de la logique.124 AR., Nuées, 961-1104. Cependant, seule l’ancienne éducation est réellement décrite (961-1023), leMauvais Argument se contentant de contredire les qualités évoquées par le Bon Argument (1023-1104).125 T.J. MORGAN, Literate Education in the Hellenistic and Roman Worlds, Cambridge, 1998, p. 12 n. 31et ID., op. cit., 1999, p. 50 n. 16.126 AR., Cav., 188-189 : ÉAll', Œgãy', oÈd¢ mousikØn §pistãmai plØn grammãtvn, ka‹ taËtam°ntoi kakå kak«w. À propos de ce passage, MORGAN, op. cit., p. 11 envisage que l’enseignement dela mousikè implique celui des lettres. Cela est explicite dans PLAT., Prot., 325e. Pour un passage ana-logue, cf. AR., Guêpes, 959-961.127 Les dictionnaires Bailly et Liddell-Scott renvoient à un seul et même passage pour un tel sens, Antho-logie Palatine, 11.78. MORGAN, op. cit., p. 10 n. 24 comprend les grammata comme les lettres de l’al-phabet. Quoi qu’il en soit, le Charcutier apparaît un peu plus loin comme capable de lire un oracle(AR., Cav., 1030s.).

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que surprenant étant entendu que “dans toute la durée de leurs études, les jeunes vir-tuoses s’abstenaient entièrement d’apprendre le système de notation musicale”128.

Un passage des Guêpes confirme cette interprétation. Au cours de la parodie deprocès à laquelle se livrent Bdélycléon et Philocléon, la première accusation porte surun détournement d’argent public. Bdélycléon essaie de faire absoudre l’accusé etpour cela évoque sa modeste éducation : “il ne sait pas jouer de la cithare”. Laréponse de Philocléon est sans ambiguïté : “J’aurai voulu qu’il ne sût même pas seslettres ; il n’aurait pu falsifier l’état de compte qu’il nous a dressé”129. On doit doncadmettre que les grammata sont une partie de la mousikè comprise comme unensemble de savoirs dès le troisième quart du Ve siècle130. La coupe de Douris (c.480) évoquée ci-dessus présente du reste deux scènes d’éducation, l’une concernel’apprentissage de la lyre, l’autre celui de la lecture, association explicite entre gram-mata et mousikè auxquels il faut ajouter l’entraînement physique puisqu’un athlètedénoue ses sandales à l’intérieur de la coupe131. Comme le conclut Beck, “so thatDouris has, on one vase, alluded to the three main branches of education”132.

Il est intéressant de remarquer que le Charcutier en question est présenté commeun marchand de second ordre, venant après le marchand d’étoupes, le marchand demoutons et le marchand de cuir133.

Lorsque le Bon Argument décrit le comportement des nouveaux jeunes gens, lescompétences qu’il laisse entrevoir dépassent largement la seule connaissance deslettres : aller à l’Agora et y tenir des discours (991 et 1003), plaider en justice desaffaires sans importance (1004) et faire des décrets longs (1019). Il désigne plutôt unenseignement de rhétorique en vue de former un citoyen actif, ce qui ne va pas sansaffaiblir le corps du jeune homme obligé de délaisser l’enseignement du pédotribe134.Cela amène Aristophane à décrire l’opposition suivante135 :

áHn taËta poªw èg∆ frãzvka‹ prÚw toÊtoiw pros°x˙w tÚn noËn ßjeiw afie‹

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128 A. BÉLIS, Les Musiciens dans l’Antiquité, Paris, 1999, p. 36.129 AR., Guêpes, 959-961 (trad. CUF) : ÉEg∆ d' §boulÒmhn ín oÈd¢ grãmmata, ·na mØ kakourg«n§n°graf' ≤m›n tÚn lÒgon.130 On ne saurait admettre que mousikè renvoie à un enseignement oral comme le soutient ROBB, op.cit., p. 209-210.131 F.A.G. BECK, Album of Greek Education. The Greeks at School and at Play, Sydney, 1975, p. 15 : “Sothat Douris has, on one vase, alluded to the three main branches of education”. Comme autre exempled’association entre mousikè et grammata, cf. une coupe à figures rouges conservée à Berlin (StaatlicheMuseen F 2549, c. 450) représente un jeune garçon assis avece une lyre qui fait face à deux autres jeunesgarçons qui ont dans la main un rouleau, l’un ouvert, l’autre fermé. Cf. aussi un fragment de coupe àfigures rouges Ashmolean Museum G 138 (à gauche un garçon joue de la flûte, à droite un jeunehomme assis tient un rouleau entre les mains, c. 485, ARV2, p. 326, 93).132 Ibid., p. 15.133 AR., Cav., 128s.134 La politique et la justice sont à l’origine de la rhétorique. Celle-ci serait née vers 465 en Sicile, aprèsle renversement des tyrans Gélon et Hiéron, si l’on en croit les dires de Cicéron (Brutus, 12.46). Cesderniers avaient volé des terres et il s’agissait de les rendre. Il fallait donc instaurer un tribunal et donnerla possibilité à chacun de récupérer ses biens. On aurait alors fait appel à des spécialistes pour qu’ilsenseignent l’art du discours.135 AR., Nuées, 1009-1018 (trad. V.-H. Debidour).

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st∞yow liparÒn, xroiån lamprãn,Övmouw megãlouw, gl«ttan baiãn, pugØn megãlhn, pÒsyhn mikrãn:áHn dÉ ëper ofi nËn §pithdeÊw,pr«ta m¢n ßjeiwxroiån …xrãn, mÖvmouw mikrÊw,st∞yow leprtÒn, gl«ttan megãlhn,pugØn mikrãn, kvl∞n megãlhn...

“Si tu fais ce que je te dis [i. e. respecter l’ancienne éducation], en t’appliquant àmes leçons, tu auras toujours : le teint, bien vermeil ; les épaules, larges ; le torse,musclé ; la fesse, dodue ; la verge, menue ; la langue, succincte. Mais si tu adoptesles façons d’à présent, d’abord tu auras : le teint, tout blafard ; les épaules, maigres ;le torse, fluet ; la fesse, chétive ; la verge, pesante ; la langue, pendante”.

La conclusion tombe, “tu seras un ruffian”, catégorie parmi laquelle on recrute lessynégores, les tragédiens et les orateurs136. On ne doit pas en déduire que ces derniersétaient seulement des spécialistes de la parole. Selon Aristote, l’orateur doit maîtriserla question des revenus de la cité ainsi que celle des dépenses nécessaires. Il doit ensavoir plus que le simple citoyen137. Le même type d’appréciation se rencontre chezXénophon138. Le rhètor est mieux informé que le peuple, d’où sa fonction de didas-kalos. Ces orateurs ne pouvaient pas ne pas posséder une bonne maîtrise de la lec-ture et de l’écriture alors que bon nombre de magistratures simples requéraient cettedernière139.

L’érxa$a paide$a ne négligeait pas l’enseignement des lettres140. Elle ne leurdonnait pas une place spécifique car elle ne se préoccupait pas de rhétorique mais demousikè, au contraire de la nouvelle. Au début du IVe siècle, la taxinomie de l’édu-cation connaît une modification, le diptyque mousikè et gymnastikè devient un trip-tyque avec l’ajout des grammata141. Platon l’évoque à plusieurs reprises, ainsi qued’autres auteurs142. Pour autant, les jeunes enfants qui recevaient une éducation auVe siècle apprenaient à lire et à écrire. À partir de la fin de ce siècle, les sophistes ontréussi à imposer leurs conceptions nouvelles de l’enseignement. L’art de persuader

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136 AR., Nuées, 1022 et 1088-1094. Nous empruntons le terme ruffian à Victor-Henri Debidour. Pré-cisons que dans l’œuvre d’Aristophane, les tragédiens, et notamment Euripide, sont associés à l’écriture(Gren.., 52-54 et 1113).137 ARSTT, Rhet., 1.4.1359b.138 XÉN., Mem., 3.6.5-6.139 J. OBER, Mass and Elite in Democratic Athens. Rhetoric, Ideology, and the Power of the People, Prin-ceton, 1989, p. 157-159 parvient à une conclusion similaire.140 MORGAN, op. cit., 1999, p. 53 reconnaît que la transition du diptyque au triptyque ne permet pasde déterminer l’importance numérique de l’enseignement des grammata. Celui-ci a très bien pu êtreconsidéré comme un savoir pratique indispensable à l’étude des matières nobles.141 MORGAN, op. cit., 1999, p. 47-53. Au cours du IVe siècle, la dimension sportive (gymnastikè) se dis-tingue des deux autres (grammata et mousikè). À la même époque, le mot grammatistès fait son appari-tion, sans doute avec l’autonomisation des grammata par rapport à la mousikè (cf. PLAT., Prot., 326d,Euth., 279e comme enseignant des bases, Prot., 312a-b, Euth., 276c, XÉN., Symp., 4.27). Cette évolu-tion est accomplie dans l’œuvre d’Aristote qui discute des mérites comparés de la mousikè et des gram-mata, ces derniers l’emportant.142 PLAT., Prot., 312a-b, 325e-326b, Clit., 407b-c et Charm., 159c ; XÉN., Lac., 1.10 ; ISOCR., Ech., 15. 267.

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devint un art indispensable à ceux qui se destinaient à la vie politique143. Cela sup-posait une connaissance approfondie de l’écriture, afin de pouvoir préparer ses inter-ventions à l’assemblée, devant un tribunal…

L’estimation du taux d’alphabétisation de la cité athénienne n’est certes pas pos-sible à l’aide du seul facteur scolaire. Simplement, en montrant la place qu’occupel’enseignement des lettres, voire d’une certaine culture lettrée avec la rhétorique, ellerend difficile le choix d’une fourchette basse comme le fait W. V. Harris. L’étude dece seul facteur, les écoles et l’enseignement à Athènes, confirme la remarque faite parT. Cornell. “The great strength of W. V. Harris’ book on ancient literacy is that itdoes not attempt to go beyond the evidence. Harris’ wide-ranging survey of the epi-graphic and literary material from all of Graeco-Roman antiquity leads him toconclude that mass literacy was never achieved in classical times : the available evi-dence simply will not support it”144.

Enfin, en suivant la démarche de Fr. Furet et de J. Ozouf, il est tentant de cher-cher à déterminer l’importance de la demande sociale d’éducation qui selon eux pré-cède la scolarisation145. Pour les XVIe-XIXe siècles, ils mettent en évidence trois typesde demande146. Le premier provient des notables, c’est-à-dire le clergé, les hommespolitiques et les industriels, qui voient dans l’alphabétisation “l’instrument ducontrôle, de la moralisation, de la discipline des masses populaires”147. Le deuxièmeest une revendication des nouvelles élites qui poussent à l’alphabétisation qu’ellesconsidèrent comme une préparation au suffrage universel. Enfin, troisième type dedemande, celle des couches populaires rurales et urbaines, pour assurer leur dignité,pour l’utilité d’un tel savoir (lecture d’une lettre, communication avec l’administra-tion, assurer l’administration domestique) et pour l’espoir que sa maîtrise suscite(ascension sociale, amélioration des conditions de vie par l’émergence de nouvellesrendications). Si la première demande sociale d’éducation paraît éloignée de la réa-lité athénienne de l’époque classique, il n’en va pas de même des deux autres. Eneffet, la démocratie recourait à l’écriture148. On pense à des procédures comme l’os-tracisme149. Même dans les dèmes ruraux, les Athéniens étaient confrontés à l’écrit ;leur nom était inscrit dans un registre, il était affiché sur les listes de mobilisation etcertaines décisions de la collectivité étaient gravées sur pierre. Ainsi, nombreuxétaient les habitants d’Athènes qui avaient de bonnes raisons de souhaiter apprendreà lire ou que leurs enfants apprennent leurs grammata.

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143 Dans la démocratie athénienne, le pouvoir réside dans la capacité de persuasion des individus (surcelle de Périclès, THC 2.65.8-10).144 T. CORNELL, The Tyranny of the Evidence : A Discussion of the Possible Uses of Literacy in Etruriaand Latium in the Archaic Age, in HUMPHREY (éd.), op. cit., p. 7. HORSFALL, op. cit., p. 65 émet unecritique identique : “The evidence is widely dispersed, nowhere correlated, and reduced to the barestminimum”.145 Pour eux, “le concept le plus éclairant est celui de la demande sociale d’éducation, au niveau col-lectif, et de la propension à l’éducation, au niveau des familles et des individus” (FURET et OZOUF, op.cit., p. 199).146 Ibid., p. 137-153.147 Ibid., p. 140.148 Le Charcutier dépeint par Aristophane (Cav., 186-189) doute de ses compétences pour s’occuperactivement des affaires de la cité en raison de sa modeste maîtrise de l’écriture. Voir aussi AR., Ois.,1286-1289.149 Cf. infra.

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Au total, le facteur scolaire pris dans son ensemble indique d’une part que l’en-seignement ancien ou nouveau tenait compte de l’alphabétisation150. D’autre part,la cité, prise au sens collectif comme au sens d’un ensemble d’individus, recourait àl’écriture quasi quotidiennement, et ce sur l’ensemble du territoire attique, ce quiconstituait une base favorable pour l’expansion d’une demande sociale d’éducation.Précisons enfin que les hommes de l’Antiquité utilisaient des méthodes d’enseigne-ment différentes de celles des périodes ultérieures151. Contrairement à celles desXVIe-XVIIIe siècles, l’apprentissage de l’écriture est concomitant de celui de la lec-ture voire antérieur152. Dès lors, même un bref passage à l’école permettait de pos-séder des rudiments de l’une et de l’autre. Tout cela permet de supposer un taux d’al-phabétisation supérieur à 10% et une demi-alphabétisation très importante153.L’analyse d’autres facteurs vient confirmer cette hypothèse.

B. LES INSCRIPTIONS ATHÉNIENNES À L’ÉPOQUE ARCHAÏQUE154

Une autre possibilité consiste à déduire une évaluation du taux d’alphabétisationdu nombre d’inscriptions. W. V. Harris recourt à cette argumentation pour proposerune estimation basse du nombre de personnes alphabétisées en Étrurie à l’époquearchaïque. Or, rien n’est moins sûr155. Il faut en effet prendre en compte la naturedes documents parvenus jusqu’à nous ainsi que les raisons et les modalités de leursurvie jusqu’à nous. L’étude de T. Cornell sur l’Italie centrale à l’époque archaïqueest riche d’enseignement car elle permet de dépasser ce critère pour déterminer l’im-portance de l’alphabétisation d’une société. De plus, les similitudes avec la réalitéathénienne sont fortes.

La majorité des premières inscriptions d’Italie centrale se trouve sur supportmobile, principalement la céramique, et nombreux sont les objets qui portent untexte semblant émaner de l’objet lui-même. Le support est souvent constitué par unobjet de qualité trouvé dans un contexte funéraire (tombe d’aristocrate). Uneconclusion semble s’imposer, à cette époque, l’alphabétisation est associée à certainescouches de la société, l’aristocratie, et son usage est restreint aux activités de l’élite età la fabrication de céramique (signatures de potiers). La principale objection que l’on

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150 De ce fait, nous ne suivons pas la conclusion de ROBB, op. cit., p. 189 selon laquelle Athènes seraiten retard sur les autres cités dans le domaine de l’enseignement des lettres.151 Sur l’apprentissage de l’écriture précisément, voir E.G. TURNER, Athenians Learn to Write : Plato,Protagoras 326d, BICS 12, 1965, p. 67-69.152 DEN. HAL., Dem., 5.52.2-4. C’est du reste ce que montre l’école peinte par Douris sur la coupe(ARV2 431.48 et 1653). Pour l’époque romaine, QUINT., Inst. or., 1.1.27 et 10.2.2. Plus généralementsur les méthodes utilisées, voir HARVEY, op. cit., p. 631-633. Les travaux sur l’Égypte gréco-romaineconfirment cette impression (R. CRIBIORE, Writing, Teachers, and Students in Graeco-Roman Egypt,Atlanta, 1996, p. 148-149).153 Par demi-alphabétisation, il faut entendre la seule capacité de lire (nous reprenons le terme utilisépar FURET et OZOUF, op. cit., p. 357). Certains adultes perdaient la capacité d’écrire, faute de pratique.154 Une liste des sources épigraphiques disponibles (700-480) a été rassemblée dans un tableau parWHITLEY, op. cit., p. 641. Voir le commentaire fait par S. STODDART et J. WHITLEY, The Social Contextof Literacy in Archaic Greece and Etruria, Antiquity 62, 1988, p. 764-766.155 CORBIER, op. cit., p. 104-105 invite à la prudence. Sur cet exemple précis, voir CORNELL, op. cit.,dont les précisions méthodologiques dépassent la simple question de l’Étrurie.

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peut faire regarde la faible représentativité des inscriptions que nous possédons parrapport à la totalité des documents écrits de l’époque156. On sait par exemple l’im-portance des conditions climatiques dans la conservation des documents, la qualitédu support de ces derniers… Le contexte funéraire favorise la conservation de docu-ments déposés dans cette intention, au contraire des trouvailles dans les zones d’ha-bitations. Il n’est ainsi pas étonnant que nos textes proviennent des tombes et rienne permet d’en conclure une association étroite entre écriture et mort. De plus, l’as-sociation avec l’aristocratie peut n’être qu’une coïncidence. L’augmentation des trou-vailles dans les sanctuaires au VIe siècle révèle la croissance de ces derniers et non ledéveloppement de l’alphabétisation. De même, les mutations des coutumes funé-raires entraînent une modification du nombre d’inscriptions trouvées sans qu’il soitpossible d’en déduire une quelconque évaluation du taux d’alphabétisation157. “Themain point is that the surviving epigraphic evidence is unrepresentative, biased andmisleading”158.

Ces éléments d’analyse de T. Cornell sont particulièrement intéressants pour lesépoques les plus hautes de l’histoire athénienne car dès la deuxième moitié du Ve

siècle, la masse des inscriptions est l’élément dominant159. Jusque vers les années460, les sources épigraphiques sont en effet moins importantes, même si leurnombre demeure impressionnant par rapport aux autres régions du monde grec160.Pour l’époque archaïque, un peu plus de mille cinq cents textes, entiers ou frag-mentaires, sont parvenus jusqu’à nous161. L’inscription la plus ancienne remonte à ladeuxième moitié du VIIIe siècle, celle du vase du Dipylon. À la fin du VIIe siècle,leur nombre ne cesse de croître et de façon relativement soudaine. Sur la céramique,les noms des héros et des dieux sont inscrits à partir de la fin du VIIe siècle.

Des signatures apparaissent fréquemment sur des bases de statues162. Les fouillesde l’Agora ont révélé de nombreux graffiti sur de la céramique. 86 documents sontantérieurs à 450 dont sept pour le seul VIIe et 13 pour le VIe siècle, signe d’unrecours important à l’écriture163. Beaucoup sont des abréviations164. Celles de troislettres posent un problème d’interprétation. EUR-, KRI-, MEN-, NIK- ou FIL- cor-

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156 CORNELL, op. cit., p. 10.157 Ibid., p. 12-16.158 Ibid., p. 33.159 Si on fait le compte, d’après les éditions des IG I3, 29 décrets dont 15 sûres sont antérieures à 450.De 450 à 411, nous en avons 168, dont un tiers ne sont pas datées avec précision.160 Voir le tableau dans STODDART et WHITLEY,op. cit, p. 764.161 L’estimation est faite par Z. VARHELYI, The Written Word in Archaic Attica, Klio 78, 1996, p. 29-30. Sur les documents officiels avant 480, voir R.S. STROUD, State Documents in Archaic Athens,Athens comes from Age. From Solon to Salamis, Papers of a Symposium of Archaeological Institute of Ame-rica, Princeton, 1978, p. 20-42.162 Nous possédons une quarantaine de signatures intégrales pour le VIe siècle, réalisées par 25 mains(D. VIVIERS, Recherches sur les ateliers de sculpteurs et la cité d’Athènes à l’époque archaïque, Bruxelles,1992, notamment p. 41).163 Cette estimation provient du catalogue des marques écrites de propriété privée réalisé par M.L.LANG, Graffiti and Dipinti. The Athenian Agora 21, Princeton, 1976, p. 30-51.164 Les inscriptions d’une seule lettre ont été éliminées du catalogue de M.L. Lang car elles ne permet-tent pas une analyse raisonnée.

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respondent respectivement à plusieurs noms possibles165. Certaines marques sontcomplétées par le patronyme, le nom du grand-père, une épithète quelconque, unnombre ? (i. e. une ou deux ou trois lettres) peut-être un âge. Le plus souvent, il s’agitde la formule habituelle, eimi + génitif du nom du propriétaire. Il faut donc s’inter-roger sur leur sens. M. Lang pense qu’elles s’adressaient à un public restreint, à depetits groupes qui rendaient possible une identification précise166. L’hypothèse fami-liale lui paraît invraisemblable. Il propose des groupes de clients, marquant les objetsen céramique qu’ils utilisaient afin qu’ils soient rangés puis réutilisés par leur seulpropriétaire167. En l’absence d’informations complémentaires, il paraît difficile dedéterminer la finalité des ces graffiti.

Outre les marques de propriété, nous disposons d’un corpus de 571 inscriptionssur céramique pour la période antérieure à 480 sur un total de 726 pour la périodec. 660-c. 350, un peu moins des quatre cinquièmes168. La diversité des supports etdes scènes constitue une confirmation de la banalité de l’écriture pour le VIe siècleau moins169. La répartition chronologique des occurrences fournit une informationimportante, entre 550 et 530, 255 occurrences, plus du tiers, soit la quantité la plusimportante. L’association automatique de cet accroissement des sources à la progres-sion de l’alphabétisation impliquerait le postulat d’un déclin pour le Ve siècle de lamaîtrise de l’écriture170. Une corrélation stylistique peut être tentée. Les inscriptionssur céramique deviennent moins importantes avec la fin du style à figures noires ;techniquement, la gravure devenait moins simple avec le style à figures rouges. Maiscela ne suffit pas à expliquer une telle différence quantitative. A. Snodgrass préfère yvoir une mode. Quelle que soit la validité de cette hypothèse, elle ne dit rien de l’al-phabétisation des Athéniens, sinon que dès le VIe siècle ils pouvaient penser une uti-lisation de l’écriture, signe de leur maîtrise. Autre intérêt de ces sources, elles consti-tuent autant de témoignages d’une écriture quotidienne, émanant de toutes lescouches sociales, des femmes comme des hommes.

Les premières inscriptions sur pierre connues datent de la fin VIIe siècle, vers600. Ce sont des dédicaces171. Puis, les épitaphes se multiplient à partir de c.575.Au cours du VIe siècle, les inscriptions deviennent de plus en plus nombreuses etvariées.

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165 Cet ensemble documentaire semble confirmer les différences sexuelles en matière d’alphabétisation :127 noms d’hommes pour 19 noms féminins et 6 noms indéterminés (LANG, op. cit., p. 30). Celareflète aussi peut-être une différence de genre de vie.166 Ibid., p. 27.167 VARHELYI, op. cit., p. 39 reconnaît dans l’existence d’inscriptions réalisées après la cuisson de la céra-mique des marques liées au commerce et aux commerçants.168 Nous reprenons ici le travail de A. SNODGRASS, The Uses of Writing on early Greek Painted Pottery,in N.K. RUTTER et Br.A. SPARKES éds., Word and Image in Ancient Greece, Édimbourg, 2000, p. 31.169 Une tendance est observée, la fréquente association avec le banquet. Mais comme le fait remarquerSNODGRASS, op. cit., p. 28 à propos de l’ensemble du corpus, “In fact, it is so readily reconstructed thatthe impact of the proportion of sympotic shapes begins to reverse itself : if the application of paintedinscriptions to the symposion is so self-evident, then the remarkable fact is not that so many, but thatonly some two-thirds of the inscriptions are on the vessels which lend themselves to this context”.170 Ibid., p. 31.171 IG I3, n° 589. Voir aussi IG I3, n° 507, 510 et 590.

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De ce rapide aperçu, il ressort que la cité et ses membres écrivirent très tôt, dès leVIIIe siècle, d’abord pour des finalités privées172. Toutes les catégories sociales parais-sent concernées, les aristocrates par les inscriptions sur les vases qui leur sont desti-nées, les potiers qui les fabriquent, manifestement d’autres couches de la sociétéathénienne par les graffiti laissés ici ou là173. Il n’est donc pas possible de réduire l’al-phabétisation aux seuls hoplites et de négliger la documentation. Il importe à pré-sent de mieux cerner les différences sociales en matière de recours à l’écriture, ainsique les différences sexuelles. Autrement dit, en quelle proportion les femmes, lespauvres, les ruraux et les esclaves savaient-ils lire ou écrire ?

C. RECOURS À L’ÉCRITURE, STRATIFICATION SOCIALE ET DIVISION SEXUELLE174

Selon W. V. Harris, si le taux d’alphabétisation des villes est faible, celui des cam-pagnes l’est plus encore, affirmation qu’il met en parallèle avec l’inégale richesse desindividus175. Il semble s’inspirer sans le dire de façon explicite des travaux des histo-riens modernistes. “La concentration des habitants apparaît donc toujours comme‘alphabétisante’ par rapport à la campagne environnante, dans les zones avancées,comme dans les zones retardataires”176. Toutefois, Fr. Furet et J. Ozouf demeurentprudents. “Il ne suffit pas de réunir les hommes pour les instruire”177. De fait, lataille des villes influe, les types d’urbanisation également (fort taux d’alphabétisationlorsque “les fonctions traditionnelles sont essentiellement administratives, ecclésias-tiques, judiciaires, voire universitaires”178), la structure socioprofessionnelle (impor-tance des marchands, des membres de l’administration…) et la nature de l’immi-gration. Les taux d’alphabétisation à l’échelle de la ville reflètent ces différentsfacteurs (ex. les quartiers populaires sont moins alphabétisés que le centre historiquedans lequel habitent des populations aisées). Au total, pour la France moderne, ilconvient de retenir deux facteurs, les fonctions urbaines et la composition sociopro-fessionnelle179.

L’application à l’Antiquité ne va pas de soi180. Pour l’époque romaine, l’étude deN. Horsfall fournit plusieurs exemples intéressants. Ce dernier met en garde plus

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172 Nous ne pensons pas que la mention du verbe “écrire” dans les premières inscriptions ou graffiti soitun signe de la nouveauté de l’écriture (contra LANGDON, op. cit., p. 46 à propos des graffiti trouvés surle mont Hymette : “The verb form occurs several times, and because we are dealing with simple, glazedvessels, the word cannot refer to painting, but must instead mean ‘so-and-so himself wrote it.’ In otherwords writing must have been still so new that its accomplishment was being stressed”). Cela ne ditdonc rien d’une éventuelle datation.173 SNODGRASS, op. cit., p. 33.174 La question de l’alphabétisation de l’élite sociale athénienne ne paraît pas avoir divisé les historiens.Tous reconnaissent que celle-ci devait être importante. Sur le lien entre éducation et élite, voir OBER,op. cit., p. 156-191.175 HARRIS, Ancient Literacy, p. 17, 53, 67-68, 104 et 191. Il nuance son propos pour l’époque romaineaux pages 256, 269s. et 275.176 FURET et OZOUF, op. cit., p. 236.177 Ibid., p. 269.178 Ibid., p. 241.179 Ibid., p. 268.180 L’équivalence des différentes époques est établie par L. CANFORA, Lire à Athènes et à Rome,AESC 44, Juillet-Août 1989, p. 927 : “Dans les villages, il n’y a presque pas d’écoles, les paysans sont

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généralement contre la tentation de construire un modèle d’alphabétisation décrois-sante en fonction de l’éloignement d’un centre urbain181. Concernant Athènes, c’estun passage d’Aristophane qui divise les historiens sur l’alphabétisation des ruraux. Lascène se déroule chez Strepsiade. Au beau milieu de la nuit, ne trouvant pas le som-meil, celui-ci se lève, ses dettes l’empêchaient de dormir. Il s’adresse à l’un de sesesclaves182 :

ÜApte, pa›, lÊxnon,kêkfere tÚ grammate›on, ·n' énagn« lab«nıpÒsoiw Ùfe$lv ka‹ log$svmai toÁw tÒkouw.

“Allume la lampe, petit ; sors mon registre, que je voie combien j’ai de créanciers,et que je calcule les intérêts”.

Pour les uns, “on a affaire ici à un personnage très simple : si une telle scène estplacée au début de la comédie, c’est que faire ses comptes était une pratique habi-tuelle”183. Pour les autres, le cas de Strepsiade doit être analysé avec une plus grandeprudence184. Il ne correspond pas en effet à “un personnage très simple” mais plutôtà un propriétaire terrien185. Pour autant, il vit à la campagne et a appris ses gram-mata. Cette situation ne semble pas avoir été décrite pour surprendre le public quila considérait donc comme normale. Au IVe siècle, l’Économique de Xénophonévoque deux ruraux pour lesquels être lettré est une obligation186. Pour autant, lesAthéniens vivant dans les zones rurales de l’Attique savaient-ils lire et écrire ennombre ? Ces exemples ne permettent pas de l’affirmer et il est toujours possible deciter en contrepoint le cas du paysan analphabète que rencontre Aristide, quelle quesoit la valeur historique de ce passage de Plutarque. Mais la vie administrative dudème et l’importance du recours à l’écrit qu’elle requiert invite à ne pas plaquer arti-ficiellement les modèles médiéval et moderne sur la réalité athénienne.

Il en va de même de l’importance prêtée aux inégalités sociales qui se traduiraientpar un inégal accès à l’écriture et à la lecture. “Partout, toujours, la stratificationsociale domine l’histoire de l’alphabétisation”187. Les plus pauvres à Athènes étaientsouvent ceux qui disposaient de peu de connaissances et il est donc probable qu’aumieux ils ne savaient pas beaucoup plus que leur alphabet. Toutefois, il n’est pas pos-

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pratiquement analphabètes. Ils l’étaient encore en Italie, ou en Russie au XIXe siècle, et jusqu’à la moitiédu XXe siècle en Tunisie ou en Égypte”. Au passage, on note le parallèle entre le réseau scolaire et l’al-phabétisation fortement critiqué par FURET et OZOUF, op. cit., surtout p. 270-323. Ces derniers ontbien insisté sur le rôle des communautés villageoises dans l’apprentissage élémentaire de la lecture et del’écriture. “Presque jusqu’au bout, la société rurale française a assuré de ses propres forces, sans l’aide del’État, l’alphabétisation de ses fils” (p. 199).181 HORSFALL, op. cit., p. 65-66 et n. 43-47.182 AR., Nuées, 18-20.183 C. COULET, Communiquer en Grèce ancienne. Écrits, discours, information, voyages…, Paris, 1996,p. 98. HARVEY, op. cit., p. 611-612 émet un jugement analogue.184 HARRIS, Ancient Literacy, p. 67-68.185 AR., Nuées, 43-45.186 XÉN., Ec., 9.10. Le fait que certains passages décrivent des ruraux illettrés ne prouve rien (voir EUR.,Thésée, fr. 2 (CUF) et PLUT., Arist., 7.5-6 cité infra).187 FURET et OZOUF, op. cit., p. 351.

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sible de déterminer une statistique, ni même d’indiquer un ordre de grandeur188.Certaines catégories, sociales ou sexuelles dont l’insertion sociale à Athènes estlimitée ne sont pas nécessairement analphabètes.

Concernant l’alphabétisation des femmes, l’argument traditionnel était que cesdernières ne savaient pas lire et écrire parce qu’elles n’étaient pas pleinementcitoyennes189. Or, nombreux sont les témoignages d’écriture, pour les hommescomme pour les femmes, n’ayant rien à voir avec la vie civique. Il n’est pas ininté-ressant de noter que parmi les premiers écrits trouvés à Athènes, le plus souvent desdédicaces, des noms de femmes apparaissent, sans qu’il soit possible de dire si ellesles ont écrites de leurs propres mains190. Deux tessons portent toutefois un compli-ment adressé par deux femmes à deux hommes191. Une autre source peut être uti-lisée. Une stèle funéraire montre que l’on n’hésite pas le cas échéant à souligner laqualité de l’éducation d’une Athénienne192.

D’autres renseignements sont fournis par la céramique193. “Vases showing womenholding or reading book rolls are among the earliest evidence for the reading of lite-rary texts”194. Le dossier est composé de trente-deux exemples, tous présents sur dela céramique à figures rouges à l’exception d’un lécythe. Si dix-neuf représentent desMuses, treize concernent des femmes ordinaires ; leurs datations varient entre 460 et390. Dans l’ensemble, “Nous ne disposons pas, comme pour les jeunes garçons,d’image d’apprentissage ni de témoignage écrit sur la fréquentation par les filles del’école du grammatiste et du cithariste. Cependant, certaines femmes au moins doi-vent savoir lire : ces images de lecture et de musique, même si elles assimilent lesjeunes femmes à des Muses, semblent attester en tout cas une forme de culture”195.Les représentations de musiciennes sont parfois l’occasion de montrer des femmes,qui sont le plus souvent des Muses, en train de lire. Par exemple, une oinochoè àfigures rouges attribuée au peintre de Méthysé (c. 450) représente trois Muses, iden-tifiées par leur nom, Uranie, Calliope et Melpomène196. L’une d’elles tient unetablette dans sa main et la lit. Devant elle, un coffre pourrait contenir d’autres docu-ments écrits197. Autre exemple, sur un lécythe attique à figures rouges du peintre deKluegman (c. 440), une jeune femme tient dans sa main un rouleau déroulé et le lit.Cette fois-ci, rien n’indique qu’il s’agit d’une Muse198. “These domestic scenes are of

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188 ROBB, op. cit., tend à considérer que les artisans ont été les premiers à savoir lire et écrire et qu’au Ve

siècle ils constituaient la catégorie sociale la plus alphabétisée. Il ne paraît pas possible de retenir cettethèse qui a pour corollaire un relatif analphabétisme de l’aristocratie, alors que ses membres participentactivement à la vie civique, occupent des magistratures dont l’exercice quotidien requiert le maniementdes documents écrits (sur les archives des magistrats, voir chapitre 4).189 Par exemple, HARVEY, op. cit., p. 621.190 Par exemple LANGDON, op. cit., p. 15 n° 9.191 LANG, op. cit., p. 13 C10 et p. 13-14 C19. Une telle liberté laisse deviner des prostituées.192 Athènes, Musée national, 817, cf. photographie dans M. BELLIER-CHAUSSONNIER, Des représenta-tions de bibliothèques en Grèce classique, REA 104, 2002, p. 342 fig. 7 : une femme est assise près d’uncoffre sur lequel est posé un rouleau. Plus généralement, cf. Ibid., p. 341-344.193 COLE, op. cit., p. 239 n. 21 pour l’ensemble des sources.194 COLE, op. cit., p. 223.195 VILLANUEVA-PUIG, op. cit., p. 103.196 Paris, musée du Louvre numéro usuel G 440.197 L’hypothèse est envisagée par Ibid., p. 102.198 Paris, musée du Louvre numéro usuel CA 2220 avec le commentaire de Ibid., p. 102.

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interest because they show that reading was a normal activity for at least a limitednumber of Athenian women”199. Un point cependant est à souligner, aucune femmen’est représentée en train d’écrire. On ne connaît qu’une seule exception, citée infra,pouvant évoquer de façon indirecte l’écriture.

En bref, les sources iconographiques montrent qu’au Ve siècle certaines femmesétaient alphabétisées200. Peut-on en estimer la proportion ? À la différence deshommes, les femmes athéniennes ne vont pas à l’école. Seule une coupe accueilleune scène pouvant évoquer une jeune fille sortant pour aller apprendre la lecture etl’écriture201. Accompagnée par une autre jeune fille, cette dernière amène avec elleune tablette à écrire mais rien ne permet d’affirmer qu’elle se rend dans une école.Quoi qu’il en soit, les sources mentionnent des femmes maîtrisant la lecture et il fautdonc déterminer le lieu de cet apprentissage202. L’hypothèse de la sphère domestiquedéfendue par S. G. Cole paraît la plus logique203. Une céramique représente un jeunegarçon devant une femme qui tient un rouleau, ce qui évoque une scène d’appren-tissage204. En outre, selon Hérodote, le roi scythe Skylès aurait appris la langue etl’écriture grecques de sa mère originaire d’Istria205. Quelle que soit la validité histo-rique de l’anecdote, elle signifie qu’Hérodote ne s’étonnait pas qu’une femme sût lireet écrire et qu’elle transmît cette connaissance à son fils.

Pour la première moitié du IVe siècle, nous disposons de l’Économique de Xéno-phon206. Dans toute l’œuvre de ce dernier, l’éducation est un thème central. Danscet ouvrage en particulier, il la présente comme l’un des fondements de la société.Tous les membres de l’oikos sont concernés. Ischomaque est notamment le profes-seur de sa femme et il rencontre dans cette tâche un plein succès207. C’est pour celaque Socrate présente ce cas comme un modèle à Critobule. Le rôle primordial de lafemme dans le domaine de l’économie domestique imposait qu’elle dispose d’uneculture minimale non négligeable. Le modèle de Xénophon s’inspire du schéma tra-ditionnel de l’éducation dans les couches aristocratiques208. À l’homme mûr et àl’adolescent, il substitue le mari et la femme. Le sentiment érotique qui unit les deuxpersonnages est identique dans les deux cas. Dans quelle mesure cette éducationimplique-t-elle une maîtrise, même rudimentaire, de la lecture et de l’écriture ? Lors-

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199 COLE, op. cit., p. 224.200 Les tragédies ne fournissent pas d’éléments complémentaires, voir Ibid., p. 224-225. Si Phèdre saitécrire (EUR., Hipp., 856-881), Iphigénie demande qu’on lui écrive une lettre (EUR., I. T., 582-587).Pour des exemples de femmes parfaitement alphabétisées, LYS., Diog., 32.14-15 et XÉN., Ec., 7.5 et9.10.201 ARV2 908.13 avec le commentaire de Ibid., p. 226.202 Le cas d’Aspasie ne doit pas faire illusion sur le niveau général de connaissance des femmes, voirPLAT., Men., 235e avec cependant les critiques de Ibid., p. 225 sur la crédibilité de ce passage.203 Ibid., p. 226-227. ROBB, op. cit., p. 208 n. 6 pense même que l’enfermement dans la sphère domes-tique pouvait favoriser la fréquentation des livres. Leur alphabétisation dépendait d’un frère ou d’unesclave.204 IMMERWAHR, op. cit., p. 144.205 HDT 4.78.206 Cf. le commentaire de S.B. POMEROY, Social Historical Commentary on Xenophon Oeconomicus,Oxford, 1994, p. 267-269.207 XÉN., Ec., 10.1 : la pensée de la femme d’Ischomaque est qualifiée d’andrikè, autrement dit digned’un homme.208 Cf. HÉSIODE, Les travaux et les jours, 699.

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qu’Ischomaque décrit les tâches de son épouse, il insiste sur la surveillance desdépenses209. Cette fonction était très importante au sein des couples de la classe litur-gique mais rien ne dit que la femme exerce alors toujours cette responsabilité. Lessources indiquent cependant que ce n’est pas exceptionnel210. Plus généralement,Aristote et Théophraste considèrent que l’alphabétisation aide pour l’oikonomia211.Or, nous savons que la femme d’Ischomaque sait écrire212. Selon toute vraisemblancec’est auprès de son mari qu’elle est devenue alphabétisée. Il semble donc que l’al-phabétisation de la femme dépend de celle de son mari et de la fonction principalequ’elle doit remplir au sein de l’oikos.

Une conclusion prudente s’impose. La représentation de femmes en train de lireou d’écrire, alphabétisées donc, n’était pas perçue comme une incongruité. En outre,parmi les inscriptions sur céramique, on doit signaler celles qui sont faites sur deshydries, un matériel qui renvoie à des fonctions féminines et à un possible publicféminin213. Si le décalage entre les sexes ne doit pas être nié, il ne doit pas être exa-géré. “It is clear that literacy is not universal in antiquity, that the level of literacyvaries from place to place and from time to time, but that in all places women areless likely to be literate than men”214. Aucun interdit ne pesait sur l’instruction desfemmes et il serait périlleux de déduire un taux d’alphabétisation féminin par prin-cipe très inférieur à celui des hommes215. Un passage de Démosthène vient confirmercette impression. Dans le Contre Spoudias il est fait référence à des documents sur unprêt de 1800 drachmes que possédait une femme216. Certes, rien n’indique que celle-ci a rédigé elle-même les écrits en question. Toutefois, elle en est au moins à l’ori-gine, ce qui laisse penser qu’elle percevait l’intérêt de faire mettre par écrit de tellesopérations financières. L’orateur ne manifeste aucune surprise au sujet de cetteconservation de documents par une femme et ne juge pas nécessaire d’en justifierl’existence. Il y a donc tout lieu de penser qu’il s’agit d’une situation normale, sansqu’il soit possible d’en déduire un quelconque pourcentage.

Qu’en est-il des esclaves ? L’estimation de W. V. Harris concernant l’alphabétisa-tion des esclaves à Athènes est décisive car, concernant la majorité de la population

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209 XÉN., Ec., 7.36 avec le commentaire de POMEROY, op. cit., p. 281-283.210 LYS., Diog., 32.14-15, ISÉE, Hag., 11.43, DÉM., Aphob. I, 27.55, Everg., 47.57, LYS., Erat., 1.6 ;Strepsiade gère en revanche ses dettes.211 Respectivement, ARSTT, Pol., 8.3.7. 1338a15-17 et THÉOPHRASTE fr. 662 Fortenbaugh avec le com-mentaire de POMEROY, op. cit., p. 59.212 XÉN., Ec., 9-10.213 SNODGRASS, op. cit., p. 28-29.214 COLE, op. cit., p. 219. On retrouve ici l’approche nuancée de FURET et OZOUF, op. cit., p. 48 : “Uncertain niveau d’alphabétisation masculine constitue une condition de l’entraînement des femmes.Mais cela signifie en même temps une grande autonomie des deux mouvements”. L’un a une influencesur l’autre mais ce dernier ne se déduit pas du premier.215 Du reste, l’éducation des femmes est un thème abordé par les philosophes du IVe siècle Platon dansla République comme dans les Lois envisage une éducation des filles équivalente à celle reçue par les gar-çons. Plus tard, Théophraste (apud STOBÉE 4.193.31 Meineke) insiste sur la nécessité d’apprendre à lireet à écrire aux femmes mais il en restreint le contenu aux seuls besoins domestiques. Seul un auteurcomique (MÉN. frag. 476 K-A avec le commentaire de HARVEY, op. cit., p. 621) paraît se plaindre desconséquences d’un tel enseignement puisqu’il le compare au don de venin à un serpent.216 DÉM., Spoud., 41.9-10 et 21.

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attique, elle fonde le taux qu’il propose217. Cet historien considère que l’esclave ordi-naire est analphabète218. Il y a pourtant de fortes raisons d’en douter. Certes, lesesclaves engagés dans les domaines productifs comme l’agriculture ou la mine n’ontpas à apprendre à lire. Rien n’indique toutefois qu’ils soient à tout coup analphabètescar ils ont pu connaître une vie différente (naissance libre, éducation lettrée auprèsd’un ancien maître…)219. Un seul élément permet de minimiser la proportion d’es-claves lettrés employés aux travaux des champs ou dans les mines. Pour de simplesraisons financières, il est probable que les maîtres n’engageaient pas dans ce typed’activité les esclaves qui possédaient des compétences en matière de lecture et d’écri-ture, compétences qui étaient recherchées220. C’est dans le domaine du commerce etde la banque que les esclaves sont alphabétisés car leur activité requiert une telleconnaissance221. Ils sont même habitués à manier chiffres et lettres, sans doute mieuxque certains hommes libres. Pasion ou Lampis, l’esclave de Dion, engagé dans lecommerce maritime pour le compte de son maître, en sont deux exemples222. Lacatégorie la plus vague est sans conteste celle des esclaves domestiques dont les fonc-tions sont très variées. Certaines dispensent de savoir lire et écrire223. D’autres,comme celle de paidagogos, supposent un haut niveau d’alphabétisation224. Lessources décrivent des situations particulières au cours desquelles un esclave rédige undocument sous la dictée de son maître225. Il faudrait également tenir compte desesclaves publics dans cette perspective226. Ces exemples pourraient expliquer unepartie du ressentiment de certains Athéniens, comme le Vieil Oligarque ou Platon,à l’encontre des conditions de vie des esclaves dans leur cité qui ressemblent à cellesdes citoyens227.

MESURER L’ALPHABÉTISATION À ATHÈNES 61

217 HARRIS, Ancient Literacy, p. 111 et n. 207.218 Il voit dans la description de DION CHRYSOSTOME, Sur l’esclavage et la liberté II, 15.15 la trace d’unesource classique selon laquelle l’analphabétisme de l’esclave athénien correspond au cas général. Cf.cependant E. HARRIS, Notes on a Lead Letter from the Athenian Agora, HSCP 102, 2004, p. 157-170en particulier p. 160-161.219 Comme le note C.A. FORBES, The Education and Training of Slaves in Antiquity, TAPhA 86, 1955,p. 322, le fait que des esclaves soient instruits n’est pas étonnant car beaucoup d’entre eux étaient néslibres.220 Si l’on en croit PLUT., Cat. anc., 21.7, Caton prêtait de l’argent à certains de ses esclaves pour qu’ilsachètent et qu’ils éduquent des enfants afin de les revendre et de faire ainsi un bénéfice substantiel.221 HARRIS, Ancient Literacy, p. 111 n. 203-205 pour quelques exemples d’esclaves lettrés, qu’il juge tou-tefois non représentatifs.222 Voir respectivement la présentation de N.R.E. FISHER, Slavery in Classical Greece, Londres, 1993,p. 77-78 et DÉM., Phorm., 34.223 XÉN., Ec., 9.224 Cf. PLAT., Lysis, 208c. Un esclave-lecteur est mentionné par Platon dans Théèt., 143b-c ou bienencore un esclave-médecin par PLAT., Lois, 4.720b et 9.857c-d.225DÉM., Aphob. III, 29.11, 17 et 55. Cet esclave avait d’autres fonctions le reste du temps que mal-heureusement nous ignorons. Il est à noter que l’orateur précise à cette occasion que ce serviteur savaitlire et écrire (grãmmat' §pistãmenon). Cf. égalemement Dém., Apat., 33. 17.226 Chapitre 3.227 Voir respectivement PS- XÉN, Ath. pol., 1.10-12 et PLAT., Rép., 563b.228 FORBES, op. cit., fournit des éléments de réponse même si son travail se concentre surtout sur lemonde romain, principalement en raison des sources.

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Comment les esclaves apprenaient-ils à lire et à écrire ?228 Dans l’Athènes clas-sique, les esclaves éduqués sont des anciens hommes libres ou bien ils ont appris aucontact de leur maître229. Toutefois, la loi s’opposait à ce que les douloi reçoivent uneéducation équivalente à celle des citoyens, comme Eschine le rappelle230 :

Ofl går pat°rew ≤m«n, ˜y' Íp¢r t«n §pithdeumãtvn ka‹ t«n §k fÊsevwénagka$vn §nomoy°toun, ì to›w §leuy°roiw ≤goËnto e‰nai prakt°a, taËtato›w doÊloiw épe›pon mØ poie›n. “DoËlon”, fhs‹n ı nÒmow, “mØ gumnãzesyaimhd¢ jhraloife›n §n ta›w pala$straiw”.

“Nos pères, lorsqu’ils ont légiféré sur nos exercices et nos occupations naturelles,ont interdit aux esclaves de se livrer à celles qu’ils regardaient comme réservées auxhommes libres. ‘Un esclave, dit la loi, ne pourra s’exercer, ni se frotter d’huile dansles palestres’”.

L’éducation des esclaves était une affaire suffisamment importante pour qu’elle fûtévoquée dans une œuvre d’un auteur comique du Ve siècle antérieur à Aristophane,Phérékratès, qui rédigea une pièce intitulée Doulodidãskalow, dans laquelle l’ins-truction technique des esclaves apparaît à travers l’existence d’un individu payé pourinstruire les douloi231. Pour la fin de l’époque classique et le début de l’époque hellé-nistique, les sources sont plus abondantes. Le Pseudo-Aristote évoque la nécessitéd’éduquer les esclaves232. Plus généralement, les nombreuses mentions d’écoles pourgarçons libres peuvent laisser penser que les esclaves allaient parfois à l’école auxcôtés des libres. L’époque romaine se caractérise par une pédagogie destinée spécifi-quement aux enfants serviles. Ces derniers recevaient leur éducation à l’intérieur dela maison du maître, dans une pièce particulière que Pline nomme le paedagogium233.Pour l’essentiel, ils y apprenaient à écrire, lire et compter afin de devenir archivistes,intendants, secrétaires ou autres. Cela peut-il s’appliquer à Athènes au Ve et au IVe

siècle ? Les sources manquent et se réduisent pour l’essentiel à une scholie à Démos-thène : ÑO ÉAyhna$vn d∞mow ¶yow e‰xein »ne›syai ofik°taw grãmmata§pistam°nouw234. Dans une proportion que nous ne pouvons déterminer, les Athé-niens apprenaient à lire à leurs esclaves ou les achetaient alphabétisés. Quoi qu’il ensoit, ces différents éléments invalident l’affirmation d’un analphabétisme généralisédes esclaves. Certains d’entre eux savaient lire et écrire, soit parce qu’ils avaientacquis ces compétences avant de devenir esclaves, soit parce que leur maître y trou-vait un intérêt quelconque. Le taux d’alphabétisation des esclaves ne doit donc pasêtre négligé.

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229 DÉM., Everg., 47.56 mentionne l’attachement d’un maître pour un esclave qu’il a en partie éduqué,ce qui suppose un temps d’enseignement assez long.230 ESCHN., Tim., 1.138 (trad. CUF).231 Cf. le passage cité par ATHÉNÉE 6.262b.c. avec le commentaire de FORBES, op. cit., p. 325 ; cf. aussiARSTT, Pol., 1.2.22.1255b. À l’époque d’Hadrien, un affranchi rédigea un ouvrage sur l’éducation desesclaves, Per‹ t«n §n paide$& diaprecãntvn doÊlvn, cité par la SOUDA s.v. ÖIstrow.232 PS- ARSTT, Ec., 1.5.1.1344A.26-29.233 PLIN., Ep., 7.27.13.234 Schol. à DÉM., Olynt. II, 2.19, éd. Didot, 544B, cité par O. JACOB, Les esclaves publics à Athènes,Liège-Paris, 1928, p. 12.

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D. PROCÉDURES DÉMOCRATIQUES ET ALPHABÉTISATION : LE CAS DE L’OSTRACISME

Une procédure démocratique pose directement le problème de l’alphabétisationdes citoyens, l’ostracisme235. Nous rappelons brièvement son déroulement en signa-lant lorsque cela paraît nécessaire les contradictions entre les différents témoi-gnages236. Après que la décision d’organiser une ostrakophoria est prise par l’assem-blée au cours de la sixième ou de la huitième prytanie, une date pour le vote estretenue. Lors de celui-ci, les Athéniens sont disposés par tribu. Chacun dépose untesson, ˆstrakon237, inscrit en veillant à ce que le nom soit caché, str°fontew tØn§pigrafÆn238. Éphore et Plutarque précisent que chaque citoyen rédige lui-mêmeson ostrakon239. Puis, les archontes procèdent au comptage. Les désaccords les plusimportants portent sur le nombre de votants nécessaire à la réunion du quorum et ladurée de l’exil, cinq ou dix ans. Dans l’ensemble, les historiens considèrent que laprocédure requérait un quorum de 6000 votants et condamnait à un exil de dixans240. Le premier point est particulièrement intéressant car la réponse donnée à ceproblème modifie l’appréciation du niveau de l’alphabétisation des citoyens athé-niens. Dans la même perspective, la date de l’introduction de l’ostracisme doit êtreconsidérée comme un élément déterminant de la place que la cité acceptait deconfier à l’écriture dans son fonctionnement241. Le premier ostracisé connu est Hip-parchos fils de Charmos en 488/7, un Pisistratide qui serait un ami des tyrans. Selonle témoignage d’Androtion, l’institution aurait été créée lorsqu’elle fonctionna effec-tivement la première fois242. Les autres sources attribuent toutes l’ostracisme à Clis-thène243. Comment résoudre cette différence chronologique ?

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235 Sur l’ostracisme, E. VANDERPOOL, Ostracism at Athens, Cincinnati, 1970 demeure la synthèse deréférence ; la réflexion sur la procédure a été renouvelée par S. FORSDYKE, Exile, Ostracism and theAthenian Democracy, CQ 19, 2000, particulièrement p. 253-256. Dans notre perspective, M.L. LANG,Ostraka. The Athenian Agora 25, Princeton, 1990 qui publie les ostraka trouvés sur l’Agora et P. SIE-WERT (éd.), Ostrakismos. Testimonien I, Stuttgart, 2002 les tessons du Céramique, fournissent de pré-cieux exemples.236 Les sources sont multiples : PHILOCHOROS, FGrHist 328, F30, PS- ARSTT, Ath. pol., 43.5, D.S.11.55, POLL., Onom., 8.19-20 et PLUT., Arist., 7. Pour une présentation rapide et commode de cettequestion, FORSDYKE, op. cit., p. 253 n. 84.237 Le plus souvent, le matériau révélé par les trouvailles était utilisé pour fabriquer la poterie la pluscommune (40% chiffre donné par LANG, Ostraka, p. 8). Il s’agissait de supports très pratiques pourl’écriture (sur le support, VANDERPOOL, op. cit., p. 5-6).238 PHILOCHOROS, FGrHist 328, F30. St. BRENNE, Ostraka and the Process of Ostrakophoria, inW.D.E. COULSON et alii (éd.), The Archeology of Athens and Attica under the Democracy, Oxford, 1994,p. 21 imagine qu’à l’occasion de l’entrée dans l’aire de vote, on devait vérifier que chaque votant n’ame-nait avec lui qu’un seul tesson, peut-être en montrant les mains ouvertes, le tesson retourné, afin degarantir un certain secret. Toutefois, certains ostraka sont inscrits des deux côtés, une inscription pro-prement dite et un dessin (dans le cas de Kallias, on représentait un guerrier perse ; 16 cas connus).239 La même précision se retrouve dans une source byzantine tardive, §pigrãfein ¶yow ∑n efiw˜straka. Voir J.J.KEANEY et A.E. RAUBITSCHEK, A Late Byzantine Account of Ostracism, AJPh 93,1972, p. 87.240 R. THOMSEN, The Origin of Ostracism. A Synthesis, Copenhague, 1972, p. 66-67 n. 23 et VANDER-POOL, op. cit., p. 4.241 Les aspects historiographiques ont été développés par THOMSEN, op. cit., p. 18-60.242 ANDROTION, FGrHist 324 F 6.243 PS- ARSTT, Ath. pol., 22.1, D.S. 11.55.1 et PHILOCHOROS, FGrHist 328 F 30.

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Certains éléments pourraient plaider en faveur de l’existence d’une procédureanalogue antérieure à Clisthène, dans le cadre de la Boulè. Des tessons portant desimples noms et antérieurs à l’époque clisthénienne, datant des VIIe et VIe siècles,ont été retrouvés244. Toutefois, ces ostraka ne sont pas pour autant des tessons d’os-tracisme245. Une source byzantine évoque une procédure d’origine clisthénienne etun vote d’abord fait par la Boulè (200 voix étaient alors nécessaires) puis un trans-fert de compétence vers l’ecclésia (6000 voix)246. Une autre possibilité existe, deuxétats différents de la loi, une procédure pré-clisthénienne et un aménagement plusdémocratique fait par Clisthène247. Dès lors, rien ne dit que l’hypothétique ostra-cisme décidé par le Conseil recourait à des ostraka. Ce support correspond bien à laprocédure populaire et démocratique. Tout citoyen possède un bout de céramiqueou bien la cité est capable de lui en fournir un. Aucune source ne permet doncd’avancer l’hypothèse d’une procédure analogue à l’ostracisme avant les réformes deClisthène. Cependant, l’existence de cette institution à la fin du VIe siècle ne sauraitêtre remise en question par la seule date tardive du premier ostracisé. La procédurea pu chaque année commencer et ne jamais aboutir, par exemple en raison d’unquorum déficient. Simplement, les sources ne permettent pas de trancher ce débat.La date de la première ostracophoria est d’autant plus importante que l’écrituresemble être une composante essentielle de l’ostracisme, avec pour corollaire une fortealphabétisation des citoyens. C’est du moins ce qui ressort de la description de laprocédure telle qu’elle est faite par Plutarque248 :

ÖOstrakon lab∆n ßkastow ka‹ grãcaw ˘n §boÊleto metast∞sai t«npolit«n ¶feren efiw ßna tÒpon t∞w égoråw peripefragm°non §n kÊklƒdrufãktoiw.

“Chacun ayant pris un tesson et ayant écrit le nom de celui qu’il voulait mettre àl’écart des citoyens le portait dans un endroit de l’Agora entouré par une barrièrecirculaire”.

Toutefois, le même Plutarque rapporte une anecdote qui pose le problème del’analphabétisme à Athènes et du sens de la procédure249 :

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244 Cf. par exemple E. VANDERPOOL, Some Ostraka from the Athenian Agora, Commemorative Studiesin Honor of Theodore Leslie Shear. Hesperia Suppl. 8, Athènes, 1949, p. 405-408.245 LANG, Ostraka, p. 7 s’interroge sur l’identification des tessons et retient la méthode suivante, impar-faite certes mais qui paraît indépassable. Le nom doit être connu par ailleurs dans les sources littéraires.Sinon, il est difficile de ranger l’ostrakon dans cette catégorie.246 KEANEY et RAUBITSCHEK, op. cit. La SOUDA s.v. §kfullofore›n, §kfullofor∞sai pourrait évo-quer des pouvoirs du Conseil en matière d’exil. Voir aussi ESCHN., Tim., 1.111-112 qui décrit l’exclu-sion de Timarque puis l’annulation de cette décision par le Conseil.247 Cette hypothèse est retenue par LANG, Ostraka, p. 3.248 PLUT., Arist., 7.5. En dernier lieu, voir l’analyse de ce passage faite par St. BRENNE, op. cit., p. 14-20qui en confirme la validité par la confrontation avec le matériel archéologique.249 PLUT., Arist., 7.7-8 (trad. CUF).

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Grafom°nvn oÔn tÒte t«n Ùstrãkvn, l°geta$ tina t«n égrammãtvn ka‹pantel«w égro$kvn énadÒnta t“ ÉAriste$d˙ tÚ ˆstrakon …w •n‹ t«ntuxÒntvn parakale›n, ˜pvw ÉAriste$dhn §ggrãceie. ToË d¢ yaumãsantowka‹ puyom°nou mÆ ti kakÚn aÈtÚn ÉAriste$dhw pepo$hken, “oÈd°n” efipe›n,“oÈd¢ gin≈skv tÚn ênyrvpon, éll' §noxloËmai pantaxoË tÚn D$kaionékoÊvn”. TaËta ékoÊsanta tÚn ÉAriste$dhn épokr$nasyai m¢n oÈd°n,§ggrãcai d¢ toÎnoma t“ Ùstrãkƒ ka‹ épodoËnai.

“Au moment où, cette fois-là, on inscrivait les noms sur les tessons, on dit qu’unpaysan, un vrai rustre qui ne savait pas écrire, tendit son tesson à Aristide, commeau premier venu, et le pria d’y inscrire le nom d’Aristide. Celui-ci, étonné, luidemanda si Aristide lui avait fait quelque mal : ‘Aucun, répondit-il, et je ne connaismême pas cet homme ; mais je suis agacé de l’entendre partout appelé le Juste’. Àces mots, Aristide ne répondit rien ; il inscrivit son propre nom sur le tesson et lelui rendit”.

L’auteur ne dit rien de ses sources, hormis l°getai, et cette anecdote ressemblefort à une histoire forgée. Doit-on dès lors rejeter ce passage ? Il est possible de fairela remarque suivante250. Le paysan s’adresse au premier venu. En effet, rien nepermet de penser qu’il reconnaît au vêtement d’Aristide qu’il a affaire à un riche per-sonnage qui, par là, aurait de forte chance d’être alphabétisé. Ce paysan ne doute pasde trouver une personne sachant lire et écrire. Les incertitudes pesant sur ce passagede Plutarque ne permettent pas de tirer quelque conclusion que ce soit, sinon deréfléchir aux problèmes que poserait une telle procédure si une majorité de citoyensétait analphabète251.

Plus convaincants sont les très nombreux ostraka retrouvés, plus de onze mille252.L’orthographe des noms est très approximative253. Mais cette information ne permetpas d’émettre un jugement quant à la nature de l’alphabétisation254. En effet, unecomparaison avec des élections primaires qui se tenaient dans le Minnesota en mars1952 et pour laquelle chaque votant devait écrire le nom du candidat qu’il choisissaitrévèle une multitude d’orthographes pour le nom du vainqueur Dwight D. Eisen-hower. Les personnes chargées du dépouillement ont ainsi pu lire : “Eausonhower,Isenhower, Eneshower, Izenour, Ikenhouer, Ike”255. Quoi qu’il en soit, ces fautesmontrent que les votants préparaient leurs tessons. Mais il existe des exceptions.

Des séries de tessons réalisés par une même main ont été retrouvées sur le flancnord de l’Acropole, notamment l’une d’elles visant Thémistocle256. Dans ce cas, la

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250 BURNS, op. cit., p. 382.251 Cette anecdote a donné lieu des interprétations divergentes. Pour les uns, elle prouve la qualité del’alphabétisation (TURNER, op. cit., par exemple) alors que pour d’autre elle montre que l’ostracismepouvait fonctionner avec des analphabètes (HARVEY, art. cit., p. 593 par exemple).252 Sur ces derniers, voir MEIGGS & LEWIS n° 21, VANDERPOOL, op. cit., et en dernier lieu M.L. LANG,Ostraka, notamment p. 7 qui fournit ce nombre global et en publie 1145 pour la seule Agora. Sur leCéramique, voir à présent SIEWERT, op. cit.253 LANG, Ostraka, p. 12-18.254 contra E.A. HAVELOCK, Preface to Plato, Cambridge (Mass.), 1963, p. 54 n. 10.255 Cité par VANDERPOOL, op. cit., p. 10 ; Ike est le surnom d’Eisenhower.256 VANDERPOOL, op. cit., p. 11-13 étudie ce groupe d’ostraka. Voir aussi LANG, Ostraka, p. 102-132n° 664-1049 soit 385 tessons.

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question se pose de savoir si la personne agissait pour des raisons politiques ou finan-cières (i. e. payée par un camp) ou bien si elle agissait comme écrivain public qui setenait sur l’Agora et qui vendait aux citoyens qui le désiraient l’ostrakon portant lenom de leur candidat à l’exil temporaire. Les nouvelles trouvailles du Céramiquepermettent désormais de répondre à cette interrogation. Tout d’abord, les textesétant très courts, il faut développer des méthodes similaires à celles qu’emploie lagraphologie et qui diffèrent de celles utilisées par St. V. Tracy pour l’identificationdes mains. Ainsi, il a été possible de montrer que des tessons jointifs avaient été écritspar la même main mais que tous ne portaient pas le même nom257. Dans d’autrescas, des tessons jointifs ont été écrits par des mains différentes. Brenne reconstituealors la procédure. Le tesson trop grand est cassé en deux afin d’être partagé entredeux votants, voisins de circonstance. Ou bien des écrivains publics pouvaient éga-lement disposer de tessons sans nom et les rédiger à la demande. Enfin, la possibi-lité d’une présence de factions rivales encourageant à l’exclusion de tel ou tel per-sonnage n’est pas à négliger.

Quelle que soit l’origine de l’écriture du nom sur le tesson, il ne semble pas pos-sible de considérer que les votants, dans leur grande majorité, ne pouvaient pas lirel’ostrakon qu’ils utilisaient. En outre, si cela avait été le cas, les Athéniens auraienttrès bien pu recourir à des signes simples, des couleurs… pour permettre à chacunde désigner son candidat. Certes, l’existence de l’ostracisme ne prouve pas en elle-même l’importance de l’alphabétisation d’Athènes à la fin du VIe ou au début du Ve

siècle selon la date retenue pour l’instauration de l’ostracisme. En revanche, elleindique que l’essentiel des citoyens actifs de la cité étaient considérés comme pou-vant lire et écrire un nom sur un tesson. Du reste, le dépouillement auquel partici-paient les neuf archontes supposait la lecture de tous les ostraka et que celle-ci nefasse pas l’objet d’une contestation quelconque258. En même temps, l’ostracisme estun signe que l’écriture est déjà au cœur de la vie démocratique et que cette dernièrene peut fonctionner sans la première259. Une conclusion identique peut être tirée del’utilisation des pinakia dikastiques260. Tout ceci renforce l’impression que la thèse deW. V. Harris ne permet pas de rendre compte de la réalité athénienne et permet d’af-firmer d’ores et déjà que la démocratie athénienne de l’époque classique telle quenous la connaissons n’aurait en aucun cas pu fonctionner sans écriture. Les annéesqui séparent les réformes de Clisthène de l’ostracisme d’Hipparchos sont au regardde l’histoire de l’alphabétisation des citoyens d’une importance relative.

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257 VANDERPOOL, op. cit., p. 11 et St. BRENNE, op. cit., p. 19. Sur la portée d’une telle découverte, voirD.J. PHILLIPS, Observations on Some Ostraka from the Athenian Agora, ZPE 83, 1990, p. 135-136.258 La procédure est peut-être représentée sur une céramique du peintre de Pan (T.B.L. WEBSTER, Potterand Patron in Classical Athens, Londres, 1972, p. 142 avec fig. 16b). À juste titre, PHILLIPS, op. cit.,p. 139-140 s’interroge sur les critères de validité d’un tesson. Le nom seul suffisait-il ? Il n’apporte pasde réponse mais la fréquence des homonymies oblige au moins à poser la question, d’autant qu’un plai-doyer de Démosthène en montre l’importance pour un autre sujet (DÉM., Léo., 44).259 FORSDYKE, op. cit., propose une interprétation nouvelle de l’ostracisme qui tout en s’inscrivant dansla réflexion de J. CARCOPINO, L’ostracisme athénien, Paris, 1935 intègre les acquis des sciences politiqueset de l’anthropologie. Elle développe l’idée selon laquelle cette procédure est une institutionnalisationdu pouvoir populaire.260 Chapitre 6.

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Au total, l’analyse de l’alphabétisation athénienne se révèle complexe car tous lescas de figure se rencontrent. Comment dès lors proposer une estimation globale ?W. V. Harris évite pour l’essentiel la question en partant du principe que seuls lescitoyens de rang hoplitique savaient écrire, le plus souvent quelques mots, ce quil’amène à proposer le taux de 10% comme un maximum. Or, les sources ne cadrentpas avec une si faible estimation. D’abord, certains esclaves écrivaient et lisaient.Ensuite, rien ne permet de mesurer avec certitude la proportion des femmes alpha-bétisées et donc d’affirmer que celle-ci est négligeable. Les mêmes remarques peu-vent être faites pour les paysans. En outre, dès l’époque archaïque, les traces d’écri-ture privée se multiplient et les premiers documents publics apparaissent, sans douteen même temps que la cité se structure. Enfin, l’enseignement accorde une place nonnégligeable à la lecture et l’écriture dès le Ve siècle et peut-être même dès Solon.Ainsi, il semble bien que les Athéniens dans leur ensemble, citoyens comme noncitoyens, aient été en contact fréquent sinon quotidien avec des documents écrits,affichés ou non, et qu’ils étaient capables de les lire. Dès lors, les 10% deW. V. Harris paraissent constituer une estimation minimaliste que les sources ne per-mettent pas de confirmer et qu’en réalité elles contredisent. Tout converge donc versune alphabétisation significative de la population athénienne, plus ou moins impor-tante selon les couches sociales, le sexe et les statuts, dont il reste à présent à appré-cier la qualité. Le concept de restricted literacy ne paraît pas à même de rendrecompte de cette réalité de façon satisfaisante.

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CHAPITRE II

LES DIFFÉRENTS DEGRÉS D’ALPHABÉTISATION

DANS L’ATHÈNES CLASSIQUE

L’étude de l’alphabétisation des Athéniens ne doit pas se réduire à une estimationde la quantité d’individus capables de lire et d’écrire. Il faut déterminer la qua-

lité du recours à l’écriture. Qu’est-ce qu’un lettré à Athènes à l’époque classique ?Comment le devient-on ? Mais se contenter seulement de décrire les pratiques decette minorité d’individus pour lesquels l’écriture participe des processus cognitifs defaçon déterminante reviendrait à accréditer la thèse d’une alphabétisation restreinteet de l’inexistence d’une mentalité documentaire (document minded). Or, l’analysedes sources indique la banalité du recours à l’écriture dans la vie quotidienne denombreux Athéniens.

1. L’éducation à Athènes : comment devenir un lettré.

A. DE L’ENSEIGNEMENT DES LETTRES À LA CELUI DE LA LITTÉRATURE1

Les sources permettent de décrire les éléments principaux de l’apprentissage de lalecture et de l’écriture. Pour l’apprentissage de l’écriture, le grammatistès dessinait desmodèles de lettre que l’élève repassait ensuite2. L’enseignement de la lecture reposaitsur la méthode syllabique. “Les enfants, lorsqu’ils ont tout fraîchement fait connais-sance avec les lettres […], distinguent suffisamment dans les syllabes les plus courteset les plus faciles, et sont capables de faire, à leur sujet, une réponse exacte”3.

Une fois les rudiments de la lecture et de l’écriture maîtrisés par les élèves, lesdidaskaloi mettaient en contact ces derniers avec des œuvres littéraires, principale-ment poétiques4 :

ÉEpeidån aÔ grãmmata mãyvsin ka‹ m°llvsin sunÆsein tå gegramm°naÀsper tÒte tØn fvnÆn, paratiy°asin aÈto›w §p‹ t«n bãyrvnénagign≈skein poiht«n égay«n poiÆmata ka‹ §kmanyãnein énagkãzousin,§n oÂw polla‹ m¢n nouyetÆseiw ¶neisin, polla‹ d¢ di°jodoi ka‹ ¶painoi ka‹

1 Cf. à présent T.J. MORGAN, Literate Education in the Hellenistic and Roman Worlds, Cambridge, 1998,p. 9-21 et ID., Literate Education in Classical Athens, CQ 49, 1999, p. 46-61.2 PLAT., Prot., 326c-d avec J.V. MUIR, A Note on Ancient Methods of Learning to Write, CQ 34, 1984,p. 236-237.3 PLAT., Polit., 277e (trad. CUF).4 PLAT., Prot., 325e-326a (trad. CUF). La poésie est le genre le plus lu, toutes les sources convergent,cf. PLAT., Prot., 339a, Hip. min., 363a-b et XÉN., Mem., 4.2.1.

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§gk≈mia palai«n éndr«n égay«n, ·na ı pa›w zhl«n mim∞tai ka‹ Ùr°ghtaitoioËtow gen°syai.

“Quand les enfants, sachant leurs lettres, sont en état de comprendre les parolesécrites, comme tout à l’heure le langage parlé, il fait lire à la classe, rangée sur lesbancs, les vers des grands poètes, et lui fait apprendre par cœur ces œuvres rempliesde bons conseils, et aussi de digressions, d’éloges où sont exaltés les antiques héros,afin que l’enfant, pris d’émulation, les imite et cherche à se rendre pareil à eux”.

La fréquentation de ces œuvres ne donne d’abord pas lieu à une réflexion, maissimplement à une imitation. Le choix de la poésie pour apprendre à lire et à écrirerepose sur des fondements moraux. La connaissance des œuvres poétiques estdéfendue dans la perspective d’une édification des jeunes enfants. La critique destextes constitue une étape ultérieure5. La finalité de cet enseignement dépendait desmaîtres qui le dispensaient. Xénophon s’oppose très nettement aux Sophistes6. Il leurreproche de ne pas mener les jeunes gens à la vertu. L’opposition porte sur l’éthiquesinon la morale, mais non sur le recours aux textes écrits pour les jeunes à éduquer.En effet, de façon explicite, Xénophon oppose ses écrits à ceux des Sophistes etdéclare les siens seuls utiles.

L’œuvre d’Isocrate a souvent été perçue comme décisive dans cette évolution7. Cedernier rédige ses discours pour qu’ils soient lus et non pour les conserver enmémoire. Son enseignement intègre avec force la dimension oratoire tout en veillantà la connaissance des œuvres littéraires. Seulement, à la différence de ses maîtres, iln’était pas un orateur, peut-être par timidité disent certaines sources. Il doit sa popu-larité aux lectures de ses discours qu’il faisait devant un petit groupe de personnes.L’écriture n’est donc pas pour lui le reflet de paroles prononcées mais le reflet de sespensées sans réel intermédiaire. Le medium privilégié pour l’activité politique estl’écriture. Isocrate se définit comme un écrivain de discours politiques8. Il affirmeenfin que la suprématie athénienne est le fruit de son éducation lettrée9.

La position de Platon, bien que différente, n’est pour autant pas opposée. Concer-nant un nombre restreint d’étudiants, elle souligne que la lecture ne suffit pas et qu’ilfaut un maître avec lequel on puisse discuter. La dialectique défendue dans l’œuvrede Platon est une méthode orale, qui se déroule pendant un échange verbal, mais quipeut avoir pour origine un discours écrit, à la condition que ce dernier soit “matièred’enseignement” didaskÒmenow10. Son étude représente le niveau supérieur de

70 LIRE ET ÉCRIRE À ATHÈNES À L’ÉPOQUE CLASSIQUE

5 PLUT., Alc., 7.1 avec MORGAN, op. cit., p. 15. Nous n’avons pas de certitudes sur ce qui était considérécomme des connaissances indispensables une fois l’apprentissage des lettres effectué. Seul Isocrate men-tionne les mathématiques (Ech., 15.259-261 et 266-267 avec le commentaire de MORGAN, op. cit.,p. 16-17).6 XÉN., Cyn., 13.1-8.7 Cf. par exemple T.M. LENTZ, Orality and Literacy in Hellenic Greece, Carbondale-Edwardsville, 1989,p. 122-135 et Y.L. TOO, The Rhetoric of Identity in Isocrates. Text, Power, Pedagogy, Cambridge, 1995 enparticulier p. 113-150.8 ISOCR., Ech., 15.45-46 et Panath., 12.1-2.9 ISOCR., Ech., 15.296-297.10 PLAT., Phèdre, 277e-278b.

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l’éducation, contrairement à celle des lettres réduite à trois années11. Ainsi, cette der-nière est malgré tout indispensable, elle devient de ce fait le fondement du cursus.Aristote affirme même que les grammata sont plus utiles que la mousikè12.

Ces principes défendus par Isocrate, Platon ou Aristote correspondent-ils à la réa-lité ou ne sont-ils que des élements d’un projet de cité irréelle ? Certains élémentspermettent d’affirmer qu’au IVe siècle l’enseignement de la lecture et de l’écritureoccupaient un temps non négligeable. La grammatikè technè — pour les Grecs lacapacité à rendre par écrit les sons du langage — est enseignée en plusieurs étapescomme Platon et Aristote l’indiquent13. De même, lorsque Démosthène oppose sabiographie de bon citoyen à celle d’Eschine, il rappelle son adversaire “faisant, à côtéde [son] père, office d’auxiliaire dans une école, préparant l’encre, lavant les bancs,balayant la salle d’attente”14. La préparation du matériel indispensable à l’écritureconstitue la tâche quotidienne d’Eschine, preuve que cet apprentissage était aucentre de l’éducation des jeunes garçons.

Les femmes étaient-elles exclues totalement de cet enseignement ? Nous connais-sons quelques exemples. Ils suffisent pour dire que le monde de la littérature n’étaitpas fermé à toutes les femmes mais il semble qu’une minorité plus étroite encore quecelle des hommes accédait à une telle culture. Pour le Ve siècle, nous sommes trèsmal renseignés et il est à craindre qu’Aspasie de Milet masque les autres15. Pour leIVe siècle, nous savons par Diogène Laërce que deux femmes écoutaient Platon dansl’Académie puis son successeur Speusippe fils d’Eurymédon, Lasthénia de Mantinéeet Axiothéa de Phlionte16. Cette dernière s’habillait en homme selon Dicéarque,signe probable qu’il n’était pas évident pour une femme d’assister à l’enseignementdes hommes, et ce en dépit des principes platoniciens en la matière17. Pour l’essen-tiel, l’alphabétisation des femmes était en relation directe avec leurs fonctions au seinde l’oikos comme nous l’avons indiqué précédemment.

B. LIVRES ET LECTEURS À ATHÈNES18

Les premières mentions dans les sources de livres à Athènes apparaissent au coursde la deuxième moitié du VIe siècle19. Si dans l’ensemble les sources littéraires sont

LES DIFFÉRENTS DEGRÉS D’ALPHABÉTISATION DANS L’ATHÈNES CLASSIQUE 71

11 Sur la dialectique selon Platon, cf. par exemple Rép., 532a-b. L’enseignement des grammata estabordé dans les Lois, 809e-810a, il est précisé que l’excellence en ce domaine n’est pas recherché (Lois,810b). Un passage d’Aristote laisse penser que la durée de cet enseignement primaire est porté à septans (Pol., 7.17.1336b) au cours duquel les enfants apprennent les grammata (Pol., 8.3.1337b).12 ARSTT, Pol., 8.3.7.1338a.13 Pour une définition, cf. PLAT., Philèbe, 17b, ARSTT, Mét., 1003b et PLUT., M, 1131b. Pour les diffé-rentes étapes, PLAT., Cratyle, 431e-432a ; Polit., 277e-278c, 285c-d ; Sophiste, 253a-b avec le commen-taire de LENTZ, op. cit., p. 63-64.14 DÉM., Cour., 18.258 (trad. CUF) : ëma t“ patr‹ prÚw t“ didaskale$ƒ prosedreÊvn, tÚ m°lantr$bvn ka‹ tå bãyra spogg$zvn ka‹ tÚ paidagvge›on kor«n.15 Cf. en dernier lieu N. LORAUX, Aspasie, l’étrangère, l’intellectuelle, in N. LORAUX (dir.), La Grèce auféminin, Paris, 2003, p. 133-166.16 DIO. L. 3.46 et 4.2.17 PLAT., Lois, 7.804e.18 Nous tenons pour acquis que les Athéniens, comme les Grecs, lisaient aussi bien à haute voix que defaçon silencieuse. Nous reviendrons sur cette question dans un travail ultérieur. Pour un aperçu histo-riographique de la question, cf. A.K. GAVRILOV, Techniques of Reading in Classical Antiquity, CQ 47,

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peu nombreuses, les sources iconographiques, céramique et stèles funéraires, révèlentune certaine banalisation de la représentation des rouleaux de papyrus dès le Ve

siècle20. Pour la période antérieure, nous disposons d’informations parcellaires sur lespremiers traités en prose qui sont semble-t-il rédigés en Ionie21. La lecture d’ouvragespoétiques n’est attestée que dans la deuxième moitié du Ve siècle. Quoi qu’il en soit,“Au moment où Thucydide écrivait sa préface, la modification s’était produite : lelivre destiné à la lecture avait déjà pris pied dans la vie sociale”22. Si l’historien de laguerre du Péloponnèse envisage la lecture publique de son œuvre, il prévient tout desuite que celle-ci sera sans charme. Il semble donc bien qu’il pensait à son lectoraten lui offrant un ktèma eis aei23.

Il n’est pas aisé de déterminer la masse d’ouvrages qui circulaient. Deux passagesdes Grenouilles, pourraient laisser penser que la lecture des tragédies était une pra-tique répandue. Dans le premier, l’auteur décrit une lecture d’auteurs tragiques surun bateau athénien et dans le second il est fait référence à la possession de livres parle public du théâtre de Dionysos24. Mais il est toujours difficile d’interpréter desextraits d’Aristophane, de déterminer si on peut le prendre “au pied de la lettre”25.On ne saurait donc en conclure que les livres circulaient en nombre dans l’Athènesdu Ve siècle. Une autre source peut toutefois être évoquée. Dans sa défense, Socrateaffirme que les œuvres d’Anaxagore se trouvent sur l’Agora pour une somme faible,moins d’une drachme26. Cela signifierait que le commerce des livres était une acti-vité courante. Certains ont attiré l’attention sur le fait qu’il s’agissait en fait de livresd’occasion, “de livres de rebut”27. Croyant limiter l’importance de l’édition àAthènes à la fin du Ve siècle, ils en sont réduits à imaginer un commerce de livresd’occasion, parfois transformé en commerce de papyrus usagé28. Si tel est le cas, alorsil devient difficile de nier l’importance de l’alphabétisation, les bouquinistes ne pou-vant masquer l’existence de libraires. L’absence de sources doit inviter malgré tout àla prudence.

72 LIRE ET ÉCRIRE À ATHÈNES À L’ÉPOQUE CLASSIQUE

1997, p. 56-58 et W.A. JOHNSON, Towards a Sociology of Reading in Classical Antiquity, AJPh 121,2000, p. 594-600. S. GOLDHILL, Body/Politics : Is There a History of Reading ?, in Th.M. FALKNER etalii (éd.), Contextualizing Classics. Ideology, Performance, Dialogue. Essays in Honor of J. I. Peradotto,Lanham, 1999, p. 90-91 souligne les enjeux d’une histoire de la lecture.19 La bibliographie sur ce sujet étant importante, nous nous contentons de renvoyer à M. BELLIER-CHAUSSONNIER, Des représentations de bibliothèques en Grèce classique, REA 104, 2002, p. 330 n. 1et 2.20 Sur l’ensemble des sources céramiques sur les livres, cf. Ibid., p. 345-347 n. 90, soit 54 références.Elle conclut : “En Grèce classique, le livre est représenté dans trois cas : dans le contexte scolaire, ago-nistique ou au sein du gynécée” (Ibid., p. 347).21 Cf. C.H. KAHN, Writing Philosophy. Prose and Poetry from Thales to Plato, in H. YUNIS

(éd.), Written Texts and the Rise of Literate Culture in Ancient Greece, Cambridge, 2003, p. 139-161.22 L. CANFORA, Lire à Athènes et à Rome, AESC 44, Juillet-Août 1989, p. 928.23 THC 1.21-22, plus particulièrement 1.22.4 avec S. HORNBLOWER, A Commentary on Thucydides.Volume I : Books I-III, Oxford, 1997, notamment p. 60-61.24 AR., Gren., 52-53 et 1114.25 Pour reprendre l’expression de L. WOODBURY, ‘Aristophanes’ Frogs and Athenian Literacy : Ran 52-53, 1114, TAPhA 106, 1976, p. 349-357.26 PLAT., Ap., 26d-e.27 G. GLOTZ, Le prix du papyrus dans l’Antiquité grecque, AESC 1, 1929, p. 4.28 Par exemple CANFORA, op. cit., p. 929-930.

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Mais ce n’est pas une raison pour minorer la circulation des ouvrages à Athènes.À ce propos, parlant du Ve siècle, E. G. Turner affirme que “la nostra ignoranza deimetodi commerciali è assoluta”29. Les sources sur le commerce des livres se réduisentà un fragment d’Eupolis qui mentionne le lieu où on vend les livres30. Platon évoqueégalement un lieu particulier, l’orchestra31. Certes, le volume global de ce commerceest faible et il ne concerne qu’une minorité d’individus. Cependant, il existe et révèlela présence d’un lectorat réel, composé des auteurs et de leurs disciples, voire d’aris-tocrates lettrés. Une autre catégorie ne doit pas être oubliée, celle qui trouve unintérêt professionnel ou personnel dans la lecture des plaidoyers judiciaires des logo-graphes de renom comme Lysias, Isocrate ou Démosthène32. Pensons à Ischomaquequi occupait une partie de sa journée à s’entraîner à la plaidoirie33.

De façon plus générale, au cours du Ve siècle, les références aux livres se multi-plient34. La césure entre Euripide et Eschyle apparaît comme radicale, la poésie écrited’un côté, orale de l’autre. Ce nouveau statut du livre est dû aux Sophistes, qui ontété les maîtres d’Euripide35. On connaît l’intérêt de ces derniers pour l’orthographeou pour les synonymes36. Mais la promotion la plus importante du livre tient dansleur incontestable préférence pour la prose. Pour eux, leurs œuvres sont la poursuitede celles des poètes comme Homère ou Hésiode. Cette relation particulière entre lesSophistes et les livres est-elle avérée pour chacun d’entre eux ? Gorgias est connupour sa rhétorique et pour l’importance qu’il accordait à l’influence du kairos aumoment où Prodicos se préoccupe de l’exactitude des mots. Au cours du IVe siècle,le sophiste Alkidamas dénonça la précision du style écrit au moment où Isocrate leloue pour cela. Pour O’Sullivan, cela montre que les Sophistes ont conservé un cer-tain attachement pour l’oralité et qu’il ne faudrait pas les réduire ni à leurs carica-tures, ni au seul Ve siècle, comme si les Sophistes avaient disparu avec Platon37.

Une anecdote rapportée par Diogène Laërce pourrait également confirmer l’im-pression d’une importance des livres à Athènes dès le Ve siècle. “Ils ont brûlé les livresde Protagoras sur l’Agora, en l’accompagnant d’une proclamation publique, lesayant pris à leurs possesseurs”38. La première réaction est de voir dans ce récit un ana-

LES DIFFÉRENTS DEGRÉS D’ALPHABÉTISATION DANS L’ATHÈNES CLASSIQUE 73

29 E.G. TURNER, I libri nell’Atene del V e IV secolo a.C., in G. CAVALO (éd.), Libri, editori e publiconel mondo antico, Rome, 1989, p. 21.30 EUPOLIS frag. 327 K-A.31 PLAT., Ap., 26d-e.32 ARSTT, fr. 134 Rose.33 XÉN., Ec., 11.22-24.34 Outre Platon et Eupolis cités supra, voir ARISTOMÉNÈS fr. 9 K-A, THÉOPOMPE fr. 79 K-A, NICOPHON

fr. 10.4 K-A. Sur la lecture, EUR., Erech., fr. 21 (CUF), AR., Gren., 52s., PLAT. COM. fr. 189.1-3 K-A.Voir également sur les représentations de rouleaux sur les vases, H.R. IMMERWAHR, Book Rolls on AtticVases, in C. HENDERSON (éd.), Classical Mediaeval and Renaissance Studies in Honor of Berthold LouisUllman, Rome, 1964, p. 17-48 et ID., More Book Rolls on Attic Vases, AK 16, 1973, p. 143-147.35 DIO. L. 9.54 ; voir aussi AR., Nuées, 658s. Sur la relation entre l’écriture et la Première Sophistique,cf. N. O’SULLIVAN, Written and Spoken in the First Sophistic, in I. WORTHINGTON (éd.), Voice intoText. Orality and Literacy in Ancient Greece, Leyde, 1996, p. 115-127.36 Ibid., p. 116 n. 6 pour les références.37 Ibid., p. 127.38 DIO. L. 9.52. Sur cette anecdote, K.J. DOVER, The Freedom of the Intellectual in Greek Society,Talanta 7, 1975, p. 34-37. L’article s’intéresse plus généralement à la liberté d’expression dont dispo-saient les Grecs pour exprimer un point de vue contradictoire sur la religion, la morale ou bien la poli-

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chronisme car, au Ve siècle, la parole serait le médium pour les idées. Mais rien ne ledémontre. De plus, Diogène n’est pas notre source la plus ancienne à parler de Pro-tagoras. Timon de Phlionte, auteur du IIIe siècle, dit en effet que les Athéniens vou-laient brûler ses livres39. Avant lui déjà, Aristoxénos rapportait que Platon avait voulufaire un bûcher avec toutes les œuvres de Démocrite qu’il aurait pu rassembler40. Onlui objecta que celles-ci étaient déjà bien trop répandues. L’anecdote de Timon pos-sède donc une relative vraisemblance mais il est difficile d’aller plus loin. K. Doverpense que le souhait de faire brûler les œuvres de Protagoras a pu être émis au coursd’un procès par un disciple qui s’estimait corrompu par les idées de son ancienmaître41.

Euripide apparaît dans nos sources comme le premier grand collectionneur d’ou-vrages42. Dans Les Grenouilles, Aristophane témoigne de son intérêt pour les livres.Cette pièce met en scène Dionysos, qui se plaint de la disparition des grands auteursdans les festivals en son honneur. Euripide et Sophocle viennent de mourir et le dieusonge sérieusement à ramener un bon poète tragique sur terre. Lequel choisir ? Celane s’annonce pas facile car, à peine arrivé dans l’Hadès, Euripide tente de ravir letrône de la tragédie à Eschyle. Dionysos les convoque donc tous les deux pour lesdépartager. Euripide évoque alors son influence sur la tragédie à la suite d’Eschyle43 :

éll' …w par°labon tØn t°xnhn parå soË tÚ pr«ton eÈyÁw ofidoËsan ÍpÚ kompasmãtvn ka‹ =hmãtvn §paxy«n, ‡sxnana m¢n pr≈tiston aÈtØn ka‹ tÚ bãrow éfe›lon §pull$oiw ka‹ peripãtoiw ka‹ teutl$oisi leuko›w, xulÚn didoÁw stvmulmãtvn épÚ bibl$vn éphy«n: e‰t' én°trefon monƒd$aiw Khfisof«nta meignÊw.

“Non : d’emblée, à peine eus-je pris en main notre art tel que tu me l’as transmis,obèse, tout boursouflé de vocables pondéreux, je lui ai imposé une cure amaigris-sante ; je lui ai ôté du poids, en lui faisant courir la campagne, soumis à un régimede versiculine et de bettes blanches, avec décoctions de calembourdaine - du filtratde bibliothèque. Après quoi, comme remontant, du solo à haute dose, corsé d’unpeu de Céphisophon”.

Aristophane, par ce biais, accuse Euripide d’avoir écrit ses tragédies avec des livres,“du filtrat de bibliothèque”. Celui-ci se serait de plus adjoint les services d’unhomme de main, Céphisophon. Certes, la comparaison peut apparaître douteusemais elle donne, semble-t-il, une idée de ce qu’était Céphisophon pour Euripide.Dans un autre passage, il paraît pour le moins être très lié au poète. Après avoir misdans la balance les vers de l’un et les vers de l’autre pour voir de quel côté elle pen-

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tique avec les opinions dominantes. Sur l’autodafé en Grèce, voir C.A. FORBES, Books for Burning,TAPhA 67, 1936, p. 114-125.39 apud SEXT. EMP., Math,. 9.56.40 ARISTOXÉNOS fr. 131 (Wehrli).41 DOVER, op. cit., p. 36-37.42 En dernier lieu, voir C.W. MARSHALL, Literary Awareness in Euripides and his Audience, in WOR-THINGTON (éd.) op. cit., p. 81-98.43 AR., Gren., 939-944 (trad. Debidour).

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cherait, Eschyle propose à Euripide de s’y mettre en personne, mais non pas toutseul44 :

Ka‹ mhk°t' ¶moige kat' ¶pow, éll' efiw tÚn staymÚnaÈtÒw, tå paid$', ≤ gunÆ, Khfisof«n, §mbåw kayÆsyv, jullab∆n tå bibl$a:

“Suffit pour le vers à vers : qu’il embarque lui-même dans la balance et qu’il s’as-seye, avec sa marmaille, et sa femme, et Céphisophon, et ses bouquins sur sesgenoux !”

Le portrait d’Euripide se dessine peu à peu. Le tragédien devient inséparable deses livres et de Céphisophon, qui constituent en quelque sorte sa famille, au mêmetitre que sa femme ou ses enfants. Il s’agit certes d’une comédie mais elle s’appuyaitnécessairement sur des faits, ou à défaut sur une réputation, connus de l’ensembledu public athénien. Il était donc concevable pour eux qu’un homme, un artiste dumoins, possédât des livres.

Tous les éléments sont en place désormais pour qu’il soit possible de résumer letravail d’Euripide, d’après les sarcasmes d’Aristophane. Parmi les Tragiques athé-niens, il est le premier avoir fait usage de livres pour écrire. Mais, sans doute parceque cela était fastidieux, il décida de s’adjoindre les services de Céphisophon, quisemble avoir pallié les défaillances du maître. Tout ceci suppose qu’Euripide possé-dait un certain nombre d’ouvrages. La question connexe est alors de savoir commentles Athéniens connaissaient les pièces d’Eschyle auxquelles Euripide fait référence. Ilest intéressant de noter que l’influence du premier ne se fait sentir dans l’œuvre dusecond que vers 424. Dès lors, seuls les plus de soixante-dix ans pouvaient se rap-peler de la production originale45. Plusieurs hypothèses ont été défendues par les his-toriens mais aucune n’emporte l’adhésion46. Il est dès lors préférable d’adopter laposition modérée de C. W. Marshall qui conclut que certaines allusions sont faites àce qui a été vu (Orestie) et d’autres à ce qui a été lu (Les Perses et les Sept contreThèbes)47.

Un autre signe de l’importance de la lecture des œuvres littéraires dans ladeuxième moitié du Ve siècle consisterait dans l’évaluation du succès des Histoiresd’Hérodote. Cela est d’autant plus important que la taille de l’ouvrage est particu-lièrement imposante pour le Ve et même pour le IVe siècle. Les Histoires sont deux

LES DIFFÉRENTS DEGRÉS D’ALPHABÉTISATION DANS L’ATHÈNES CLASSIQUE 75

44 AR., Gren., 1407-1410 (trad. Debidour).45 L’écriture d’Euripide supposait-elle que le public, en général, puisse comprendre les allusions ? L’hy-pothèse est envisagée en partie par MARSHALL, op. cit., p. 95 lorsqu’il admet que tout le public n’étaitpas à même de saisir les allusions. Mais il suggère une option plus radicale selon laquelle Euripide nese soucie que de ceux qui lisent ses œuvres. Reste une troisième possibilité, le désintérêt pour la ques-tion de savoir qui peut saisir ou non l’allusion, ce dont doute Ibid., p. 95 n. 42.46 C.W. Marshall (Ibid.)en dénombre cinq : les récits que le public avait pu entendre à propos de la ver-sion d’Eschyle ; la connaissance des mythes ; la vision des pièces rejouées d’Eschyle ; la lecture despièces ; leur apprentissage à l’école.47 Ibid., p. 98. Nous ne pouvons que le suivre lorsqu’il critique une approche intellectualisante d’Euri-pide (il n’écrit que pour les intellectuels) qui oublie le caractère démocratique du théâtre. Les juges doi-vent pouvoir comprendre immédiatement la totalité du texte car ils vont émettre un jugement à proposde l’œuvre.

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fois plus longues qu’un poème homérique. On estime à une centaine de mètres depapyrus le matériau nécessaire à la confection des trente rouleaux48. De fait, l’œuvred’Hérodote est la plus longue connue pour les Ve et IVe siècles. Seul Thucydide luiest comparable, son Histoire de la guerre du Péloponnèse représente deux tiers des His-toires. Il est difficile dès lors de nier qu’un nombre suffisant de copistes et de“libraires” existait à Athènes pour permettre une diffusion de cette œuvre. En outre,le texte hérodotéen ne se prête pas ou moins à une exécution poétique. Cinquanteheures de lecture étaient nécessaires, ce qui excède de beaucoup la durée des festivalsconnus. Si vraiment Hérodote lisait son œuvre dans les cités, il ne livrait à son publicque des extraits. Quoi qu’il en soit, elle était connue de ses contemporains lettrés. Ilfaut donc envisager l’existence d’un certain nombre de grands lecteurs au sein de lacité, certes réduits, mais qui atteste l’importance acquise par la culture écrite dès leVe siècle.

2. Le lettré au travail. Aperçu de la culture lettrée à Athènes

A. LA COMPOSITION ÉCRITE DES ŒUVRES : PHILOSOPHES ET LOGOGRAPHES

Quelle place l’écriture avait-elle dans le travail des lettrés athénien ? Le prologuedu Théètète offre une réponse à cette question. Terpsion rend une visite à Euclide.Ce dernier lui parle d’un certain entretien qu’il a eu avec Socrate. Terpsion demandealors à son ami de le lui raconter. Euclide lui répond49 :

OÈ må tÚn D$a, oÎkoun oÏtv ge épÚ stÒmatow: éll' §gracãmhn m¢n tÒt'eÈyÁw o‡kad' §ly∆n ÍpomnÆmata, Ïsteron d¢ katå sxolØnénamimn˙skÒmenow ¶grafon, ka‹ ısãkiw ÉAyÆnaze éfiko$mhn, §panhr≈tvntÚn Svkrãth ˘ mØ §memnÆmhn, ka‹ deËro §ly∆n §phnoryoÊmhn: Àste moisxedÒn ti pçw ı lÒgow g°graptai.

“Non, par Zeus, au moins pas de tête, comme cela. Mais je mis alors par écrit, sitôtrentré, mes souvenirs immédiats. Plus tard, à mon loisir, j’écrivais au fur et àmesure ce qui me revenait en mémoire, et toutes les fois que je retournais àAthènes, j’interrogeais à nouveau Socrate sur ce qui manquait à mes souvenirs et,rentré ici, je corrigeais mon travail. Si bien qu’en somme l’ensemble des entretienss’est trouvé transcrit”.

Il est très tentant d’assimiler Euclide à Platon50. Comment ne pas entendre, dansce passage, l’auteur confiant à ses lecteurs sa méthode de travail, et avec quel respectet quelle volonté d’exactitude Euclide s’acquitte de sa tâche en consultant aussi régu-lièrement que possible Socrate. Platon dit ainsi que l’on peut avoir toute confianceen sa transcription des paroles de son maître. Le soin apporté dans la réalisation dece projet implique que la forme de l’écriture devait être soignée ; d’autant qu’il laisse

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48 L’estimation est faite par St. FLORY, Who Read Herodotus’ Histories ?, AJPh 101, 1980, p. 13.49 PLAT., Théèt., 143a (trad. CUF).50 Sur ce passage, voir P. LORAUX, L’art platonicien d’avoir l’air d’écrire, in M. DETIENNE (dir.), Lessavoirs de l’écriture, Lille, 1992, p. 420-455.

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son manuscrit chez lui, ce qui lui évite de prendre son texte sous la dictée51. Certes,il faut suivre les mises en garde contre tout modernisme en la matière et se méfier derecourir à des expressions comme “original, édition, publication, tirage…”52. Pourautant, les travaux de T. Dorandi permettent à présent de réfléchir à l’édition dansl’Antiquité sans risquer l’anachronisme, et donc de dépasser ce qui n’est après toutbien souvent qu’une question de terminologie53.

Les philosophes ne sont pas les seuls à être affectés dans leur activité par l’écriture,du moins si l’on suit un passage de Platon dans lequel Socrate déclare54 :

OÈkoËn aÔ tÚn mØ ¶xonta timi≈tera œn sun°yhken µ ¶gracen, ênv kãtvstr°fvn §n xrÒnƒ, prÚw êllhla koll«n te ka‹ éfair«n, §n d$k˙ poupoihtØn µ lÒgvn suggraf°a µ nomogrãfon prosere›w.

“Celui par contre qui n’a rien de plus précieux que ses œuvres, qui les a composéesou écrites en les retournant longuement dans tous les sens, collant des morceauxou les retranchant, tu auras le droit de l’appeler poète, auteur de discours, ou rédac-teur de lois”.

De même, les logographes comme Lysias rédigent leurs discours en fonctiond’impératifs en relation avec la forme écrite55. L’exemple d’Euripide a déjà permis demontrer l’influence de la culture littéraire du poète, c’est-à-dire de la connaissancedes ouvrages passés, sur son œuvre.

B. LE CAS DES HISTORIENS

Hérodote et Thucydide décrivent leur démarche en terme d’écriture56. Le premierétablit cependant une interaction avec l’oralité : “Moi, ce que je me propose tout lelong de mon récit (logos) est de mettre par écrit (graphein) comme je l’ai entendu ceque disent les uns et les autres”57. Il rassemble les histoires racontées par les gens despays qu’il visite et utilise les travaux des logographes qui connaissent les grandes tra-ditions, les généalogies, les théogonies, les fondations de cités ou de colonies. Mais

LES DIFFÉRENTS DEGRÉS D’ALPHABÉTISATION DANS L’ATHÈNES CLASSIQUE 77

51 T. DORANDI, Le stylet et la tablette. Dans le secret des auteurs antiques, Paris, 2000, p. 51-75 pour larédaction des livres par leurs auteurs et non sous la forme de dictées.52 CANFORA, op. cit., p. 929.53 DORANDI, op. cit., qui porte sur l’étude de la composition des œuvres littéraires et des méthodes detravail des écrivains antiques.54 PLAT., Phèdre, 278d-e (trad. CUF).55 PLAT., Phèdre, 264b.56 Sur Hérodote, Fr. HARTOG, Le miroir d’Hérodote, Paris, 2001 et R. THOMAS, Herodotus in Context.Ethnography, Science and the Art of Persuasion, Cambridge, 2000 ; sur Thucydide, Gr. CRANE, TheBlinded Eye. Thucydides and the New Written Word, Londres-Boston, 1996. N. LORAUX, Thucydide aécrit la guerre du Péloponnèse, Mètis 1, 1986, p. 143-144 a tenté une comparaison entre les deux pas-sages introductifs. Pour une réflexion plus générale mais centrée sur la question de l’utilisation des ins-criptions par les historiens antiques, cf. C. HIGBIE, Craterus and the Use of Inscriptions in AncientScholarship, TAPhA 129, 1999, p. 43-83.57 HDT 2.123 (trad. CUF) : §mo‹ d¢ parå pãnta tÚn lÒgon ÍpÒkeitai ˜ti tå legÒmena Íp'•kãstvn ékoª grãfv.

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il confronte les informations rassemblées avec ce qu’il voit58. Dans son œuvre, lamémoire doit conserver le kléos, la gloire. Il décrit les monuments, au sens matériel59

mais aussi au sens immatériel comme les mots d’esprit60. Il ne conserve pas tout, ilmentionne ce qui mérite de l’être. Du mythe, il ne faut dire que quelques mots, quele signaler61. Son aptitude à manier des documents écrits, à confronter les unes auxautres les informations recueillies, orales ou écrites, atteste l’ancienneté relative del’introduction de l’écriture dans les activités intellectuelles, ce qui n’est en rienincompatible avec la poursuite des exécutions poétiques62 ou plus généralement delecture à haute voix d’œuvres historiques. La composition d’ouvrages historiquesétait un acte d’écriture, et ce au moins depuis Hécatée63. Les travaux d’Hérodote nemarquent pas une rupture profonde et il n’y a pas lieu de considérer qu’il introduisitdes méthodes nouvelles à Athènes lors de son séjour.

Thucydide est résolument tourné vers l’écriture64 : “Thucydide d’Athènes a mispar écrit la guerre qui opposa les Péloponnésiens aux Athéniens”. Il conçoit sonœuvre comme un texte se suffisant à lui-même. Il écrit pour ceux qui veulent exa-miner en détail les faits et non pour les auditeurs d’une exécution65. L’œuvre de Thu-cydide porte en outre la trace de recours à des archives, à une connaissance réelle dedocuments écrits66. L’historien cite des dates précises qui selon toutes vraisemblancesne figuraient pas sur une inscription67. Il indique par exemple que la paix de Niciasentre en vigueur le sixième jour avant la fin du mois Élaphèbolion, l’année de l’ar-chontat d’Alcaios (422/1)68. De plus, l’oubli de certaines informations historiquesfigurant par ailleurs dans des documents publics, telles que l’archontat de Clisthèneen 525/4, pendant la tyrannie des Pisistratides, n’est pas le signe d’un intérêt relatifpour la consultation des archives. Il révèle simplement que Thucydide n’a pas poséla question de l’attitude des Alcméonides pendant cette période, ce n’était pas sonobjet de recherche69. Plus fondamentalement, l’auteur de l’Histoire de la guerre du

78 LIRE ET ÉCRIRE À ATHÈNES À L’ÉPOQUE CLASSIQUE

58 HARTOG, op. cit., p. 396-411.59 Par exemple les broches de fer de Rhodopis, une courtisane, conservées à Delphes (HDT 2.135).60 Les exemples sont nombreux, par exemple HDT 7.226 ou 6.109.61 Comme c’est le cas pour deux explications de la crue du Nil sur trois, HDT 2.20.62 Nous retenons exécution comme traduction du mot anglais performance proposée par J. Bouffartigue(in Gr. NAGY, La poésie en acte. Homère et autres chants, Paris, 2000, p. 9 n. 1).63 L’enjeu historiographique porte sur le Ve siècle. Pour la première moitié du IVe siècle Isocrate fournitun exemple incontesté de composition écrite (LENTZ, op. cit., p. 122-135).64 THC 1.1.1 (trad. CUF) : Youkud$dhw ÉAyhna›ow jun°grace tÚn pÒlemon t«n Peloponnhs$vnka‹ ÉAyhna$vn …w §pol°mhsan prÚw éllÆlouw. Le verbe jungrãfv renvoie à la composition écriteen prose, à la mise par écrit d’éléments jusque-là épars (N. LORAUX, op. cit., 1986, p. 145-146 etCRANE, op. cit., p. 28).65 THC 1.22.4.66 Cf. THC 4.118-119 ; 5.18-9 ; 5.23-24 ; 5.77 et 79 ; 8.18, 37 58 ; 6.55.1-2 ; sur la méthode de travailutilisée par Thucydide pour la rédaction de la Pentékontaétie, voir en dernier lieu W.K. PRITCHETT,Greek Archives, Cults, and Topography, Amsterdam, 1996.67 Les sources épigraphiques ne révèlent aucun exemple d’une telle précision pour le Ve siècle. W.C.WEST, The Public Archives in Fourth-Century Athens, GRBS 30, 1989, p. 529-543 a montré pour leIVe siècle que les datations précises apparaissaient sur les archives, cf. chap. 3.68 THC 5.19.1 avec SICKINGER, Public Records, p. 89.69 Comme le souligne P. RICŒUR, La mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, 2000, p. 225 : “C’est armé dequestions que l’historien s’engage dans une recherche d’archives”. Sur l’archontat de Clisthène, nous

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Péloponnèse écrit pour des lecteurs comme l’exemple des discours rapportés lemontre70. Plusieurs indices peuvent être évoqués. Périclès prononce des considéra-tions postérieures à la guerre71. Des discours se répondent alors qu’ils ne sont pas liéssur le plan factuel. Certains arguments apparaissent si éloignés du débat en coursqu’ils ne peuvent s’adresser qu’aux lecteurs72. Le lecteur est donc confronté directe-ment à l’opinion de Thucydide et non à celle des acteurs évoqués au cours du récit ;il peut librement l’interpréter. Au fil des discours, le lecteur est amené à discuter dela guerre, de l’empire et du pouvoir.

Dès lors, il n’est pas nécessaire d’étudier les successeurs de l’historien de la guerredu Péloponnèse73. Cependant, les pratiques de lecture impliquaient de fréquentséchanges oraux qui accompagnaient la rédaction et entraînaient la modification del’œuvre en train de se faire. Ces habitudes ne permettent en rien de déterminer unenature orale des travaux historiques. Elles attestent les pratiques sociales propres àAthènes et plus généralement aux sociétés grecques.

3. Les usages privés de l’écriture à Athènes : à la recherche des écritures quoti-diennes

A. LE RECOURS PRIVÉ AUX INSCRIPTIONS : LE CAS DES BORNES HYPOTHÉCAIRES

À la fin du Ve siècle, les personnes privées commencent à recourir à des inscrip-tions d’un type particulier, les bornes hypothécaires74. Le contenu de ces dernières

LES DIFFÉRENTS DEGRÉS D’ALPHABÉTISATION DANS L’ATHÈNES CLASSIQUE 79

renvoyons à notre article Chr. PÉBARTHE, Clisthène a-t-il été archonte en 525/4 ? Mémoire et histoiredes Athéniens à l’époque classique, RBPh 83, 2005, p. 25-53.70 H. YUNIS, Writing for Reading. Thucydides, Plato, and the Emergence of the Critical Reader,in YUNIS (éd.), op. cit., en particulier p. 198-204.71 Cf. notamment THC 2.64.3-4.72 Par exemple, THC 2.63.2.73 Cf. en dernier lieu HIGBIE, op. cit., en particulier p. 62-78.74 J.V.A. FINE, Horoi. Studies in Mortgage, Real Security, and Land Tenure in Ancient Athens. HesperiaSuppl. 9, Princeton, 1951, M.I. FINLEY, Studies in Land and Credit in Ancient Athens, 500-200 B.C. TheHoros Inscriptions, New Brunswick, 1952, L. GERNET, ‘Horoi’ hypothécaires, in L. GERNET, Droit etinstitutions en Grèce antique, Paris, 1982, p. 251-264, P. MILLET, The Attic Horoi Reconsidered in theLight of Recent Discoveries, Opus 1, 1982, p. 219-249 et THOMAS, Oral Tradition, p. 55-59. Les bornesde l’époque archaïque ne nous intéressent ici pas directement car elles étaient selon toute vraisemblanceanépigraphes (J. OBER, Greek Horoi : Artifactual Texts and the Contingency of Meaning, in D.B.SMALL [éd.], Methods in the Mediterranean. Historical and Archeological Views on Texts and Archeology,Leyde, 1995, p. 100-105 ; pour une bibliographie sur la question, L.-M. L’HOMME-WÉRY, Solon’s Sei-sachtheia and Eleusis, GRBS 40, 1999, p. 112 n. 13). L’hypothèse de bornes en bois ne repose suraucune source (G.R. STANTON, Athenian Politics c.800-500 B.C. A Sourcebook, Londres, 1990, p. 55-56 défend cette idée comme une évidence ; elle fut discutée par FINE, op. cit., p. 55-60 sur la base d’uneéventuelle synonymie entre horos et sanis ou sanidion. Il conclut sur une absence d’éléments positifs ; levocabulaire que les sources utilisent renvoie à la pierre et non à un matériau périssable. “Consequently,it does not seem justifiable to explain the fact that no horoi are extant from the time of Solon until thefourth century by assuming that in the intervening two centuries the Athenians used perishablewooden san$dia rather than the horos stones with which we are familiar for a later period” p. 60). Lesbornes soloniennes n’étaient en rien des archives de transactions, elles s’apparentaient à la pierre dresséepar Athéna (Il. 21.403-405 avec le commentaire de OBER, op. cit., p. 102-103).

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est réduit à la plus simple expression, parfois sans le nom du créancier ou sans lemontant de la dette. Leur fonction principale semble consister à rendre publiques lescharges qui pèsent sur une terre donnée et à informer que le bien foncier sur lequella borne est érigée sert de garantie. Dans la presque totalité des cas, cela n’impliquaitnullement un changement de domicile pour le débiteur75. Selon les lexicographesgrecs, les bornes empêchent qu’une personne fasse une transaction sur un bien déjàengagé, ßneka toË mhd°na sumbãllein to›w prokatesxhm°noiw76. Les ˜roi rem-plissent avant tout une fonction de publicité. Leur érection n’était pas encadrée parla cité, elle ressortissait à l’engagement entre deux personnes. L’acte d’enlèvement neparaît pas répréhensible77.

Par la pauvreté de son contenu, la borne ne pouvait être utilisée comme preuved’une transaction devant un tribunal. Est-elle pour autant le signe du recours massifà des archives privées ? Certaines bornes, dix au total, mentionnent un contrat écritdéposé chez un tiers, il est donc possible que la réponse soit affirmative78. Mais celademande confirmation. Les sources littéraires distinguent à plusieurs reprises lesbornes des dettes. Dans le Contre Timothée, on mentionne un arrachage de bornes ;les dettes ne s’interrompent pas pour autant79. Plus décisif est le Contre Phénippos.Ce plaidoyer concerne une affaire d’échange. Le plaideur cite Phénippos au titre decette procédure80 :

Kal°saw d¢ ka‹ paralab∆n t«n ofike$vn tinåw ka‹ f$lvn, §poreuÒmhnKÊyhrÒnde efiw tØn §sxatiån aÈtoË. Ka‹ pr«ton m¢n periagag∆n tØn §sxa-tiån pl°on µ stad$vn oÔsan tettarãkonta kÊklƒ, ¶deija ka‹ diemar-turãmhn §nant$on Fain$ppou, ˜ti oÈde‹w ˜row ¶pestin §p‹ tª §sxatiò: efi d°fhsin, efipe›n §k°leuon aÈtÚn ≥dh ka‹ de›jai, ˜pvw mØ Ïsteron §ntaËyaxr°vw genÒmenon [§p‹ t“ xvr$ƒ] énafanÆsetai.

“Après quoi, accompagné de quelques parents et amis, je me rendis à Kythèros, surson domaine. On fit d’abord le tour du domaine qui fait plus de quarante stades,et je fis constater par-devant Phénippos qu’il n’y avait sur le terrain aucune bornehypothécaire. S’il y avait une hypothèque à déclarer, je l’invitai à la faire constaterdès ce moment, pour éviter qu’une dette ne surgît et ne fût révélée après coup”.

Il est bien évident que la borne n’est pas la dette et que si une dette était déclaréeaprès coup, elle serait valable, ce que confirme la suite. Phénippos rend sa déclara-tion de biens et y fait figurer des dettes que son adversaire ignorait81. Ce dernier lesconteste, non pas en raison de l’absence de bornes, mais en invoquant le témoignaged’un supposé créancier selon lequel Phénippos l’a déjà remboursé. Rien ne permet

80 LIRE ET ÉCRIRE À ATHÈNES À L’ÉPOQUE CLASSIQUE

75 FINLEY, op. cit., p. 13.76 Anecdota Bekker 1.285.12, cité par FINLEY, op. cit., p. 211 n. 27.77 DÉM., Onet. II, 31.3-4.78 Cf. IG II2, n° 2724, 2725, 2726, 2727, 2741, 2758, 2759, 2768, 2769, FINLEY, op. cit., n° 6 p. 121,n° 17 p. 125, n° 171 p. 168.79 DÉM., Tim., 49.12.80 DÉM., Phen., 42.5.81 DÉM., Phen., 42.28.

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donc de retenir la suggestion de M. I. Finley selon laquelle “in the field of real secu-rity a written agreement was the exception rather than the rule”82.

Les horoi sont donc distincts des archives privées. Ils sont même postérieurs aucontrat qui fonde l’engagement dont ils sont une manifestation ostensible83. Leurétude ne confirme ni n’infirme l’importance du recours à l’écrit par les Athéniens.Tout au plus apporte-t-elle un éclairage sur l’usage privé des inscriptions.

B. LES COMMUNICATIONS ÉCRITES PRIVÉES84

L’absence de sources rend difficile une estimation qualitative et quantitative descorrespondances privées à Athènes. Si l’on croit l’appréciation de S. Lewis, “Personalcommunication through writing letters never became common in classicalGreece”85. Elle précise plus loin, “To the Greeks, the letter was never trustworthyenough for this to be valid, so they never exploited the potential of writing for anews-carrying system”86. Un nouvel examen du dossier permet de nuancer cetteaffirmation.

a) Les sources épigraphiques87

1. Les lettres sur tesson de céramique88

Le corpus est constitué de quatre tessons dont les textes sont très courts. Troisd’entre eux sont indéniablement des lettres gravées sur céramique. La plus anciennedate de la première moitié du VIe siècle et aurait été écrite par un Mégarien89 :

[Yamne]Ë : kãyew : hupÚ t?i hod?i tçw yÊraw t? kãpo : pr$on(a).

“Thamneus, pose la scie sous le seuil de la porte du jardin”.

La deuxième a été écrite au début du Ve siècle90 :

Pa›, t?i Falã[nyoi]êllow ka<i>nÚw kl[int™r]-aw fÒrei.

LES DIFFÉRENTS DEGRÉS D’ALPHABÉTISATION DANS L’ATHÈNES CLASSIQUE 81

82 FINLEY, op. cit., p. 22-23.83 FINE, op. cit., p. 43 n. 11.84 S. LEWIS, News and Society in the Greek Polis, Londres, 1996, p. 142-152 propose une étude d’en-semble mais non exhaustive des correspondances et P.A. ROSENMEYER, Ancient Epistolary Fictions. TheLetters in Greek Literature, Cambridge, 2001, en particulier p. 1-35, une réflexion générale sur la cor-respondance dans l’Antiquité.85 LEWIS, op. cit., p. 142. HARRIS, Ancient Literacy, p. 88-89 partage cet avis.86 LEWIS, op. cit., p. 152.87 Pour une présentation d’ensemble de ce type de documents épigraphiques et l’analyse de certainsexemples, voir M. GUARDUCCI, Epigrafia greca III. Epigrafi di carattere privato, Rome, 1974, p. 317-321. Si la domination du papyrus n’a pas à être remise en question, l’existence d’autres supports ne doitpas être mésestimée.88 M.L. LANG, Graffiti and Dipinti. The Athenian Agora 21, Princeton, 1976, p. 8-11.89 Ibid., p. 8 B1.90 Ibid., p. 8 B2.

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“Esclave, apporte à Phalanthos d’autres lits nouveaux”.

La troisième est datée du second quart du Ve siècle91 :

EÈmel‹w ∏k[e] / ıw tãxow / ÉArk°simow.

“Eumélis, arrive aussi vite que possible. Arkésimos”.

La nature de la quatrième (dernier quart du Ve) est incertaine, “Tag or mes-sage ?”92 :

Sos$neo(w)§p°steleGlaÊkoi§w êstu¶ndesmo`(n).

“Sosinéos, envoie une bourse à Glaukos en ville”.

Pour W. V. Harris, ce dossier présente peu d’intérêt car les textes sont courts etleur fonction difficile est à établir93. Si on peut convenir du constat, il n’en demeurepas moins que ces trois ou quatre lettres témoignent de l’utilisation de l’écrit pourcorrespondre. La première, par sa datation, est de ce point de vue remarquable. Deplus, les milieux sociaux considérés paraissent modestes. Les lettres sur plomb vien-nent confirmer cette impression.

2. Les lettres sur plomb

Trois ont été retrouvées en Attique dont deux seulement offrent un texte com-préhensible94. Elles datent du IVe siècle.

Le premier document présente deux faces gravées. Sur l’une figure l’adresse, surl’autre le contenu du message95 :

Face A

F°ren fiw tÚn k°ram-on tÚg xuntrikÚn:épod?nai d¢ Naus$aiµ Yrasukl∞i µ yufl«i.

“À porter là où on expose la céramique et remettre à Nausias, à Thrasyklès ou à sonfils”.

82 LIRE ET ÉCRIRE À ATHÈNES À L’ÉPOQUE CLASSIQUE

91 Ibid., p. 9 B7.92 Ibid., p. 9 B9.93 HARRIS, Ancient Literacy, p. 89.94 Syll3, n° 1259, Gl.R. DAVIDSON et D.B. THOMPSON, Small Objects from the Pnyx I. Hesperia Suppl.7, Baltimore, 1943, p. 10-11 n° 17 (avec fac-similé) avec le commentaire de Bull. ép., 1944, n° 90 etD.R. JORDAN, A Personal Letter Found in the Athenian Agora, Hesperia 69, 2000, p. 91-103.95 Syll3, n° 1259 avec le commentaire et la traduction de GUARDUCCI, op. cit., p. 318-319.

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Face B

Mnhs$ergow§p°stele to›w o‡koixa$ren ka‹ Ígia$nen,ka‹ aÈtÚw oÏtvw ¶fas[k]e [¶xen].st°gasma e‡ ti bÒlesteépop°mcai µ Övaw µ dify°raw…w eÈtelestã<ta>w ka‹ mØ sisurvtåwka‹ katÊmata : tuxÚn épod≈sv.

“Mnèsiergos écrit à ceux de sa maison. Salut et portez-vous bien et lui-mêmeindique qu’il est dans les mêmes dispositions. Si vous voulez m’envoyer une cou-verture ou une peau de brebis ou une peau de chèvre, bon marché et non travailléeainsi que des chaussures, je la rendrai à l’occasion”.

Le contenu de la lettre permet de supposer que Mnèsiergos appartient à un milieumodeste. Loin de chez lui, il demande à des proches de lui rendre un service qu’ilprésente comme menu. Il insiste ainsi sur la modestie du prix des peaux dont ildemande l’envoi. Il est à noter que la taille du message aurait dispensé Mnèsiergosde l’écriture. Pourtant, il choisit ce moyen pour communiquer avec des amis ou avecsa famille96. Cela constitue un signe de la banalité de la correspondance privée àAthènes au IVe siècle.

Le deuxième document laisse la même impression. D. Jordan a publié en 2000une lettre privée sur plomb, trouvée sur l’Agora, datant du IVe siècle97. Elle émaned’un artisan, jeune, et n’est jamais parvenue à son destinataire. Elle ne présente pasde séparation entre les mots98. Des considérations sur la forme de l’écriture laissentpenser que ce dernier avait l’habitude d’écrire sur d’autres supports comme lepapyrus99 :

L∞siw iw §pist°llei Jenokle› ka‹ t∞i mhtr‹ mhdam«w periid™naÈtÚn épolÒmenon §n t«i xalke$vi, éllå prÚw tÚw despÒtaw aÈt? §ly™nka‹ §neur°syai ti b°ltion aÈt«i. ÉAnyr≈pvi går parad°domai pãnuponhr«i:mastigÒmenow épÒllumai: d°demai: prophlak$zomai: mçllon mã[l]lon.

“Lèsis écrit à Xénoclès et à sa mère de ne surtout pas négliger le fait qu’il se meurtdans la fonderie mais de venir auprès de ses maîtres et de lui trouver une meilleuresituation. En effet, j’ai été confié à un homme foncièrement méchant. Je me meurssous les coups de fouets, je suis attaché, je suis traité comme un moins que rien, etpire encore”.

LES DIFFÉRENTS DEGRÉS D’ALPHABÉTISATION DANS L’ATHÈNES CLASSIQUE 83

96 GUARDUCCI, op. cit., p. 319 se montre sensible à l’oscillation entre le style écrit et le style oral dansce document. Cela n’enlève rien à la nature écrite de celui-ci.97 Pour la datation, D.R. JORDAN, op.cit., p. 93 et n. 10.98 Ibid., p. 93 refuse d’y voir la preuve d’une rédaction faite par un professionnel. 99 Ibid., p. 93 avec fig. 3 et 4, p. 96.

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Le verbe utilisé, §pist°llei, se rencontre dans d’autres lettres, la formule peut êtreconsidérée comme banale100. L’auteur de la lettre, Lèsis, est un esclave qui écrit à samère et à Xénoclès le prostatès de celle-ci101. Le ton utilisé ainsi que la nature ducontenu indiquent que le recours à l’écriture pour communiquer un message est cou-rant pour ces trois personnes. Cette lettre doit donc être considérée comme la traced’un monde perdu constitué par les correspondances sur papyrus. Toutefois, certainesmentions dans les sources littéraires, principalement les auteurs tragique du Ve siècleet les plaidoyers judiciaires du IVe siècle, permettent d’en connaître quelques-unes.

b) Les sources littéraires

1. Les lettres dans les tragédies d’Euripide102

Si l’on fait abstraction des fragments, trois pièces d’Euripide mentionnent deséchanges épistolaires103. Le premier passage figure dans Iphigénie en Tauride104. Iphi-génie écrit à ses parents à Argos et demande à Pylade de porter le message pour elle.Elle s’inquiète pour les tablettes qu’elle a rédigées et exige un serment de son mes-sager. L’ami d’Oreste s’exécute mais s’inquiète à son tour. Et si un accident l’empê-chait de remplir sa mission ? Iphigénie consent alors à lui enseigner le contenu de salettre. La précaution prise par la sœur d’Oreste peut apparaître comme le signe d’unesupériorité de l’oralité sur l’écriture. Elle est toutefois aussi un moyen propre authéâtre de faire connaître le contenu d’une lettre scellée ; elle répète à Pylade cequ’elle a rédigé et c’est par ce biais qu’Oreste, présent également, apprend que la pré-tresse n’est autre que sa sœur.

Le deuxième passage figure dans Hippolyte105. Phèdre se consume d’amour pourson beau-fils. Elle se pend. Avant de mourir, elle rédige une lettre sur une tablettescellée qu’elle accroche à sa main et que Thésée aperçoit au moment où il se préci-pite auprès du cadavre de son épouse106. Il s’agit d’un échange épistolaire particulierpuisque l’auteur de la lettre est morte. Thésée hésite d’abord car il pense qu’il s’agitdes dernières volontés de sa femme, le sceau confirme cette impression. Mais la lec-ture silencieuse à laquelle il se livre lui apprend vite qu’il s’agit d’un message danslequel Phèdre accuse Hippolyte de l’avoir séduite.

Le troisième passage se trouve dans Iphigénie à Aulis qui s’ouvre par une scènedans laquelle Agamemnon rédige une lettre qu’il hésite à envoyer. Celle-ci est des-tinée à Clytemnestre. Dans une première lettre, le roi d’Argos lui avait demandéd’envoyer auprès de lui Iphigénie sous un faux prétexte, un mariage avec Achille. Ils’agit en réalité de la sacrifier à Artémis, afin de permettre à la flotte de partir contreTroie, conformément à l’oracle du devin Chalcas. Se reprenant, Agamemnon rédige

84 LIRE ET ÉCRIRE À ATHÈNES À L’ÉPOQUE CLASSIQUE

100 Voir AR., Nuées, 608-610 et Syll3, n° 1259.101 Le nom Lèsis n’est pas attesté en Attique et il semble d’origine dorienne (D.R. JORDAN, op.cit.,p. 96). Nous suivons ici l’hypothèse de E. HARRIS, Notes on a Lead Letter From the Atheniam Agora,HSCP 102, 2004, p. 157-170.102 Eschyle et Sophocle utilisent l’écriture pour certaines métaphores mais ne représentent pas des cor-respondances écrites (ROSENMEYER, op. cit., p. 61-62).103 Ibid., p. 61-97.104 EUR., I. T., 727s. avec les remarques de ROSENMEYER, op. cit., p. 72-80.105 Cf. Ibid., p. 88-96.106 EUR., Hipp., 856-865. Voir aussi EUR., Hipp., 1311-1312.

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un second message dans lequel il ordonne à sa femme de surseoir au départ de leurfille. Le serviteur à qui est confiée cette deuxième lettre se la fait subtiliser parMénélas qui apprend ainsi le revirement de son frère. Dans ce cas, le message dérobésuffit au mari d’Hélène pour découvrir les menées d’Agamemnon, aucun accompa-gnement oral n’est prévu.

Dans les trois exemples, le recours à la correspondance privée est présenté auxspectateurs comme une pratique courante, au même titre que le recours au testa-ment107. La protection du contenu est garantie par un sceau. Cet usage de l’écrit nes’oppose pas aux échanges oraux et le premier passage en offre un exemple. Toute-fois, une bonne partie de la description offerte tient plus des conditions théâtrales— le public et Oreste ( !) doivent connaître le contenu du message — que de la réa-lité quotidienne des Athéniens. “Euripides uses letters in his dramas primarily as ameans to vary the conventions of tragic narratives”108. Ainsi dans Hippolyte, lorsqueThésée lit les accusations écrites de sa défunte femme, la lettre permet à l’auteurd’évoquer sur scène un événement passé. Dans Iphigénie en Aulide, la lettre rédigéepar Agamemnon fournit l’occasion de souligner le dilemne auquel l’Atride estconfronté. Dans Iphigénie en Tauride, la lettre est un élément important de la scènede reconnaissance entre Oreste et Iphigénie qui permet à la fois la tension extrêmeet l’ironie. Les correspondances mentionnées dans les plaidoyers judiciaires viennenten apporter confirmation.

2. Les correspondances dans les plaidoyers109

Dans les plaidoyers, la correspondance privée apparaît à la fois comme moyend’échange d’informations et comme transmission d’ordres à accomplir. Plusieurspassages évoquent des correspondances entre membres d’une même famille. Dans lePour Polystratos, l’orateur mentionne une lettre de son père, Polystratos, et enindique rapidement le contenu110. La lettre comporte deux parties bien différenciées.La première contient des informations de nature privée, le père de l’orateur donnaitdes nouvelles de la famille à son fils retenu par la guerre en Sicile. La deuxième partieconcerne une discussion sur ce que l’orateur doit faire. Polystratos y donne son avis,ce qui laisse supposer qu’il répondait à une question posée dans un courrier précé-dent. Rien de tout cela ne semble exceptionnel et la présentation en est banale111.Dans un cas d’éloignement, on correspond les uns avec les autres. Le contexte judi-ciaire permet d’affirmer que s’il en allait autrement, l’orateur eût été obligé de le faireremarquer.

Un autre passage figure dans le corpus démosthénien112. Apollodore a été trié-rarque. En raison de la défection de Polyclès, il dut prolonger sa charge et se rendre

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107 L’influence du contexte théâtral est analysée par ROSENMEYER, op. cit., p. 65-72.108 Ibid., p. 63.109 Les suspicions qui pèsent sur l’authenticité des lettres des orateurs nous amènent à ne pas les inté-grer dans notre étude.110 LYS., Pol., 20.27 (trad. CUF).111 Il n’est donc pas possible ici de mettre en avant “something of a specialized milieu” (HARRIS, AncientLiteracy, p. 89) pour justifier la banalité de la correspondance écrite sans remettre en cause le fait qu’ils’agit d’une pratique peu répandue. Du reste, ces deux passages ne sont pas cités par W. V. Harris.112 DÉM., Pol., 50.

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à Hiéron pour assurer un convoi de blé vers Athènes. Pendant ce temps, sa mère étaità l’article de la mort et sa femme souffrait de maladie113. Il ajoute : “Tout cela, je lesavais ou par les gens qui arrivaient d’Athènes ou par les lettres de ma famille”114. Demême, dans le Contre Timothée, dans les années 373-372, au sujet de l’expéditionmilitaire de Calaurie dont l’issue n’apparaît pas comme favorable à Athènes, Apol-lodore précise que ”les particuliers connaissaient la situation par des lettres deparents et d’amis”115. Cela confirme les hypothèses faites sur le passage précédent.On note également l’équivalence entre les récits oraux des voyageurs et les lettres.Enfin, la banalité de la correspondance privée semble être une constante116.

C’est sans conteste un extrait d’un plaidoyer d’Antiphon qui offre la descriptionla plus précise de l’intérêt d’écrire à un tiers. Dans cette affaire, un dénommé Hélosest accusé du meurtre d’Hérode. Parmi les pièces à conviction figure une lettre quele meurtrier présumé aurait écrite et que son complice, un esclave, devait porter117 :

Fas‹ d¢ grammate$dion eÍre›n §n t“ plo$ƒ, ˘ ¶pempon §g∆ Luk$nƒ, …wépokte$naimi tÚn êndra. Ka$toi t$ ¶dei me grammate$dion p°mpein, aÈtoËsuneidÒtow toË tÚ grammate$dion f°rontow; Àste toËto m¢n saf°steronaÈtÚw ¶mellen §re›n ı eflrgasm°now, toËto d¢ oÈd¢n ¶dei krÊptein aÈtã: ìgår mØ oÂon te efid°nai tÚn f°ronta, taËt' ên tiw mãlista suggrãcawp°mceien. ÖEpeita d¢ ˜ ti m¢n makrÚn e‡h prçgma, toËto m¢n ên tiw énag-kasye$h grãcai t“ mØ diamnhmoneÊein tÚn épagg°llonta ÍpÚ plÆyouw.

“Ils disent avoir trouvé dans le navire une tablette que j’envoyais à Lycinos, selonlaquelle j’aurais tué Hérode. Mais quoi, avais-je besoin d’envoyer une tablette dontle porteur n’était autre que mon complice ? Alors qu’il était plus sûr que ce dernier,ayant participé au forfait, rapporte oralement ce qui s’est passé et qu’il n’était pasnécessaire de le dissimuler. Car on fait porter des messages écrits lorsque le porteurne peut en connaître le contenu. Ou bien, si ce dernier est long, il devient néces-saire de le mettre par écrit parce que la personne envoyée ne se souviendrait pas detout”.

L’argumentation de l’orateur convainc à moitié puisque la correspondance com-merciale implique le plus souvent que le porteur connaît la tonalité du courrier afinde permettre une vérification. Mais il s’agit d’introduire un soupçon sur la validitéde ce document qui aurait été forgé par la partie adverse. L’intérêt de l’orateurconsiste à nier le besoin qu’il aurait eu de correspondre. L’utilisation de ce passagerequiert donc une certaine prudence. Cependant, sa lecture permet d’affirmer quedans cette deuxième moitié du Ve siècle, la correspondance écrite est banale.

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113 DÉM., Pol., 50.58-61.114 DÉM., Pol., 50.62 (trad. CUF) : œn ékoÊontã me ka‹ parå t«n éfiknoum°nvn lÒgƒ, tå d¢ ka‹di' §pistol«n parå t«n ofike$vn.115 DÉM., Tim., 49.13 (trad. CUF) : tå d¢ ka‹ di' §pistol«n •kãstou punyanom°nou parå t«nofike$vn ka‹ §pithde$vn …w di°keinto.116 Lorsque Nicostratos est fait prisonnier sur mer puis vendu comme esclave à Égine, il envoie dès qu’ille peut des lettres à son frère afin qu’il le rachète (DÉM., Nicostr., 53.6).117 ANT., Sur le meurtre d’Hérode, 5.53-54 (trad. CUF).

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Un passage extrait du corpus démosthénien mentionne un échange de lettresentre un marchand, Chrysippe, et un esclave qui le représente dans une autre cité118 :

ÉEly∆n to$nun efiw tÚn BÒsporon, ¶xon §pistolåw par' §moË, ìw ¶dvk' aÈt“énenegke›n t“ paid‹ t“ §m“ paraxeimãzonti §ke› ka‹ koinvn“ tin$, grãcaw§n tª §pistolª tÒ te érgÊrion ˘ §dedane$kein ka‹ tØn ÍpoyÆkhn, ka‹prostãjaw, §peidån tãxista §jaireyª tå xrÆmata §jetãzein ka‹ parako-louye›n, tåw m¢n §pistolåw oÈk épod$dvsin otow ìw ¶laben par' §moË, ·namhd¢n efide$hsan œn ¶pratten.

“Phormion arrive au Bosphore avec des lettres de moi que je lui avais confiées pourles remettre à un des mes esclaves qui passait l’hiver dans le pays et à un de mesassociés. J’y faisais mention du prêt que je lui avais fait et de l’hypothèque, et jedonnais ordre qu’aussitôt les marchandises débarquées, on les contrôlât et on ensuivît la vente. Ces lettres qu’il avait reçues de moi, il ne les remet pas : c’était pourqu’on ne sût rien de ses manoeuvres”.

Dans les affaires de Chrysippe, le recours à la correspondance paraît essentiel. Parce moyen, il peut à la fois informer ses représentants, dans ce cas un esclave présentdans la région du Bosphore, et leur donner des ordres, en l’occurrence surveiller labonne marche de la vente des marchandises. Lorsque le système fonctionne, il peutainsi surveiller ses débiteurs ou du moins les individus avec lesquels il est en affaire.Sans cette correspondance, Chrysippe aurait les plus grandes difficultés à organiserson commerce à distance. L’orateur précise un peu plus loin : “Tu ne leur a pas remisnon plus les lettres que nous t’avions confiées et qui leur prescrivaient de surveillertes démarches”119. L’inconvénient majeur réside dans l’absence d’un système de posteindépendant. Donner les lettres à Phormion implique de lui faire confiance car ilsuffit que ce dernier ne remette pas la correspondance pour que Chrysippe soitdépourvu de tout moyen de contrôle. Il eût été plus sûr de confier cette mission àun tiers120. Cet acte paraît suffisamment grave pour que l’orateur y revienne, afin dedresser un portrait moral de Phormion : “De quoi n’est pas capable un homme qui,dépositaire de lettres, ne les a pas remises fidèlement à qui de droit ?”121 La confiance,indispensable au fonctionnement des échanges, requiert donc une libre circulationdes correspondances commerciales.

Dans le Contre Dionysodoros, les lettres servent à constituer un réseau d’informa-tions sur le prix du blé avec comme finalité la spéculation122 :

Ofl m¢n går aÈt«n ép°stellon §k t∞w AfigÊptou tå xrÆmata, ofl d' §p°pleonta›w §mpor$aiw, ofl d' §nyãde m°nontew diet$yento tå épostellÒmena: e‰taprÚw tåw kayesthku$aw timåw ¶pempon grãmmata ofl §pidhmoËntew to›w

LES DIFFÉRENTS DEGRÉS D’ALPHABÉTISATION DANS L’ATHÈNES CLASSIQUE 87

118 DÉM., Phorm., 34.8 (trad. CUF).119 DÉM., Phorm., 34.28 (trad. CUF) : oÈd¢ tåw §pistolåw ép°dvkaw aÈto›w ìw ≤me›w §peyÆkamen,§n aÂw §g°grapto parakolouye›n soi ín prãtt˙w.120 Pour une telle situation, voir ISOCR., Trap., 17.52.121 DÉM., Phorm., 34.29 (trad. CUF) : t$ oÈk ín prãjeein ı toioËtow ˜stiw grãmmata lab∆n mØép°dvken Ùry«w ka‹ dika$vw ; Voir aussi 34.28 et 32.122 DÉM., Dion., 56.8 et 10 (traduction A. BRESSON, La cité marchande, Bordeaux, 2000, p. 187-188).

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épodhmoËsin, ·na §ån m¢n par' Ím›n t$miow ¬ ı s›tow, deËro aÈtÚnkom$svsin, §ån d' eÈvnÒterow g°nhtai, efiw êllo ti katapleÊsvsin§mpÒrion. ÜOyen per oÈx ¥kista, Œ êndrew dikasta$, sunetimÆyh tå per‹tÚn s›ton §k t«n toioÊtvn §pistol«n ka‹ sunergi«n.

[…]

P°raw d' oÔn, lab∆n går ı Parmen$skow ı toutou‹ koinvnÚw tå grãmmatatå parå toÊtou épostal°nta, ka‹ puyÒmenow tåw timåw tåw §nyãde [toËs$tou] kayesthku$aw, §jaire›tai tÚn s›ton §n tª ÑRÒdƒ kéke› épod$dotai.

“Les uns expédiaient d’Égypte les denrées, d’autres faisaient le voyage avec les mar-chandises, d’autres enfin demeurant ici en assuraient l’écoulement. Ensuite, enfonction des kathestèkuiai timai, ces derniers envoyaient des lettres à ceux qui sedéplaçaient, de sorte que si chez vous le grain était cher, on en faisait livrer ; si sonprix devenait meilleur marché, on le dirigeait vers une autre place de commerce.Une des causes les plus importantes, juges, de la cherté, ce furent ces correspon-dances et ces collusions […]

Finalement donc, Parméniskos son associé, ayant reçu la lettre envoyée par Dio-nysodôros et appris les kathestèkuiai (timai) sur notre place, décharge son grain àRhodes et l’y vend”.

Un autre problème déjà rencontré ci-dessus impliquait le recours à des messagesécrits, l’identification. Ainsi, quand Apollodore qui reste à Sestos, envoie Euctémonembaucher un équipage à Lampsaque, il le munit de grammata qui lui permettentde se faire reconnaître des hôtes de son père : doÁw aÈt“ érgÊrion ka‹ grãmmataprÚw toÁw j°nouw toË patrÚw toË §moË123. Il devait en aller de même pour tousceux qui naviguaient pour le compte de marchands disposant de relais dans diffé-rentes cités. Toutefois, la simple présentation d’un document écrit ne suffisait pastoujours pour se faire reconnaître124.

C. ARCHIVES PRIVÉES DES ATHÉNIENS

a) Les testaments125

Parmi les archives privées que les sources révèlent, le testament apparaît commeun document écrit courant. Il est même possible de retracer l’évolution de la pra-tique testamentaire126. À l’origine, la transmission est héréditaire. Un homme nepouvait pas modifier l’ordre de dévolution du bien déterminé par l’hérédité. Solonprit la première mesure en ce sens, bien qu’il ne soit pas possible de dire avec certi-tude l’ampleur que possédait sa réforme127. Mais les droits demeurent très limités.

88 LIRE ET ÉCRIRE À ATHÈNES À L’ÉPOQUE CLASSIQUE

123 DÉM., Pol., 50.18.124 DÉM., Naus., 38.12.125 Voir W.E. THOMPSON, Athenian Attitudes Toward Wills, Prudentia 13, 1981, p. 13-23.126 A.R.W. HARRISON, The Laws of Athens, I, The Family and Property, Oxford, 1968, p. 149-155 etD.M. MCDOWELL, The Law in Classical Athens, Ithaque (NY), 1978, p. 100-105.127 L. GERNET, La loi de Solon sur le ‘testament’, in L. GERNET, Droit et société dans la Grèce ancienne,Paris, 1955, p. 121-149. Les auteurs hésitent entre deux options. La première serait de considérer que

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Au IVe siècle, les mineurs ne pouvaient tester tandis que les femmes en avaient ledroit mais de façon restreinte, i. e. en fonction de la valeur des sommes mention-nées128. Les métèques ou les étrangers, en revanche, pouvaient le faire et il est pos-sible que la juridiction du polémarque dans ce cas admettait un droit différent decelui de l’Attique. Jusqu’à la fin du Ve siècle, les citoyens ne disposaient pas libre-ment de leur patrimoine s’ils avaient un ou plusieurs enfants mâles légitimes129.Autrement dit, il n’était pas possible de déshériter totalement un de ses fils. Enrevanche, la répartition des revenus variait selon les cas. La dot de la sœur et de lamère de Démosthène amputaient d’autant l’héritage de l’orateur130. Enfin, la loi pré-voyait la question des facultés mentales du testateur ou de la mauvaise influenced’une femme qu’il pouvait subir131.

Les lois athéniennes ne paraissent pas avoir requis une forme particulière. Un pas-sage de Démosthène pourrait mentionner un testament oral. Y figure l’expressionta›w diayÆkaiw paragenom°nouw “assister au testament”132. Selon L. Gernet, celle-ci “semble bien indiquer que le testament de Polyeucte était oral, et non écrit”133.Cette interprétation surprend car un passage mentionne que le défunt rédigea undocument au moment de mourir134. Il est étonnant cependant que l’orateur nemontre jamais ce document135. Pourquoi ? Un autre passage permet de comprendrece que l’orateur désigne par l’expression testament : “Et lui, il ne se soucie pas de voslois, ni des dernières volontés de Polyeucte, ni des écrits qui sont restés, ni non plusdes témoins”136. L’hypothèse la plus vraisemblable est que le défunt n’a pas eu letemps de sceller le document qu’il avait dicté et que cet écrit appartient aux gram-mata de sa femme qui sont mentionnés à plusieurs reprises137. Au sens strict, il s’agitdes dernières volontés exprimées et notées au dernier moment, t«nkataleify°ntvn grammãtvn138. En cas d’assassinat, ce document permet audéfunt de dénoncer le coupable, particulièrement lorsqu’il n’est pas assisté par desproches qui pourraient servir de témoins139. C’est par facilité, et parce que celaconvient à sa thèse, que le plaideur utilise l’expression impropre de testament. Du

LES DIFFÉRENTS DEGRÉS D’ALPHABÉTISATION DANS L’ATHÈNES CLASSIQUE 89

Solon a permis à un homme qui n’avait pas de fils d’en adopter un. La deuxième consiste à affirmerque le législateur a donné une complète liberté dans l’établissement d’un testament.128 ISÉE, Arist., 10.10.129 ISÉE, Pyrr., 3.68. ISÉE, Philok., 6.28 fait référence à une interdiction qui cessa d’être valide au coursdu IVe siècle. Voir aussi DÉM., Steph. II, 46.14.130 HARRISON, op. cit., p. 151-152.131 LYS., Arist., 19.41, ID., frg. 28 et la loi citée par DÉM., Steph. II, 46.14.132 DÉM., Spoud., 41.16 (trad. CUF).133 DÉM., Plaidoyers civils II, p. 65 n. 3.134 DÉM., Spoud., 41.7.135 Nous ne suivons pas LENTZ, op. cit., p. 85 qui considère qu’il y a un testament écrit.136 DÉM., Spoud., 41.10 (trad. CUF) : toËton d¢ mÆte t«n nÒmvn t«n Ímet°rvn front$zein mÆy'œn di°yeto PolÊeuktow mÆte t«n kataleify°ntvn grammãtvn mÆte t«n suneidÒtvn. Le verbeutilisé, diat$yhmi, n’est du reste pas associé au mot testament (voir aussi DÉM., Spoud., 41.6) commedans LYS., Arist., 19.39.137 Outre le passage cité supra, voir par exemple DÉM., Spoud., 41.21 et 24.138 LYS., Arist., 19.41 donne un exemple de dernières volontés qui n’ont pas été mises par écrit.139 ANT., Accusation, 1.29-30.

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reste, il ne le produit pas et se contente de témoins lorsqu’il aborde pour la premièrefois cette question140. La situation décrite correspondrait à un état intermédiaire141.

Un parallèle peut être trouvé avec le cas de la succession de Démosthène. Parmiles accusations portées par l’orateur, figure celle de ne pas avoir produit le testa-ment142. Toutefois, les tuteurs ont semble-t-il parfois discuté du contenu de ce docu-ment absent, ce qui est étonnant143. Cette contradiction est levée dans le passage sui-vant : “[les tuteurs] auraient dû, dès la mort de mon père, faire sceller le testamenten présence d’un grand nombre de témoins”144. Ainsi, d’un côté le testament existemais d’une autre il ne peut être utilisé en toute confiance en raison de l’absence desceaux. Pour le coup, ce testament est entre oralité et écriture145. En outre, l’expres-sion des dernières volontés ne suffisait pas toujours pour faire le partage de la suc-cession, notamment lorsque le patrimoine avait une valeur importante146 : “D’abord,Athéniens, comment partager une succession sans posséder des pièces qui rensei-gnent sur le montant de cette succession ? C’est impossible”.

Les sources manquent pour déterminer l’époque à laquelle la pratique testamen-taire se développa. Un passage d’Aristophane montre qu’il s’agissait d’un documentbanal et décisif dans les affaires judiciaires au cours du dernier quart du Ve siècle147.Dès lors, il convient d’être prudent sur les modèles construits autour d’une évolu-tion des pratiques testamentaires entre les situations décrites dans les plaidoyers deLysias, d’Isée et de Démosthène. Selon L. Gernet et M. Bizos dans leur notice intro-ductive au Contre Diogiton, dans ce discours, “nous n’avons pas encore affaire […] àun vrai testament, c’est-à-dire à une déclaration unilatérale de volonté, dont l’effetest suspendu jusqu’au lendemain de la mort”148. Le texte ne laisse pourtant pas dedoute149 :

90 LIRE ET ÉCRIRE À ATHÈNES À L’ÉPOQUE CLASSIQUE

140 DÉM., Spoud., 41.6.141 Pour le cas d’une mort intestat, ISÉE, Kiron, 8.31.142 Par exemple DÉM., Aphob. I, 27.40, 48 et 64 cités et discutés infra.143 Démosthène lui-même s’y réfère, alors qu’il ne cesse par ailleurs d’en nier l’existence ou plutôt lavalidité (DÉM., Aphob. III, 29.42).144 DÉM., Aphob. II, 28.5 (trad. CUF) : ÉAll' §xr∞n, §peidØ tãxist' §teleÊthsen ı patÆr,efiskal°santaw mãrturaw polloÁw parashmÆnasyai keleËsai tåw diayÆkaw.145 DÉM., Aphob. II, 28.14-15 dans lequel Démosthène décrit la mort de son père, la répartition desbiens que ce dernier proclame. Mais quelques instants après, l’un des cotuteurs lit un document, plustard les tuteurs “oublient” de sceller le testament…146 DÉM., P. Phorm., 36.19 (trad. CUF) : Pr«ton m¢n gãr, Œ êndrew ÉAyhna›oi, t$w ín §ne$mato tåpatr“a mØ lab∆n grãmmata, §j œn ¶mellen e‡sesyai tØn kataleifye›san oÈs$an; oÈd¢ eÂwdÆpou. Il est important de noter qu’un testament existe par ailleurs et qu’il est évoqué dans le plaidoyer(P. Phorm., 36.34).147 AR., Guêpes 583, cité chapitre 6. Ce passage n’est pas mentionné dans les études des testamentscomme celles de R.J., BONNER, Evidence in Athenian Courts, Chicago, 1905, p. 58-66, HARRISON, Lawof Athens II, p. 135-136, A. SOUBIE, Les preuves dans les plaidoyers des orateurs attiques, RIDA 20,1973, p. 224-226 ou LENTZ, op. cit., p. 85-87. À notre connaissance, seul W.E. THOMPSON, op. cit.attire l’attention sur ce passage et cite également EUR., Palamède, fr. 3 (CUF), SOPH., Trach., 161-163,LYS., Diog., 32.5-6 et ISÉE, Dik., 5.5-6.148 Voir LYS., Discours XVI-XXXV, Paris, 1999, 185 n. 4.149 LYS., Diog., 32.5-7 (trad. CUF).

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XrÒnƒ d¢ Ïsteron katalege‹w DiÒdotow metå YrasÊllou t«n ıplit«n,kal°saw tØn •autoË guna›ka, édelfid∞n oÔsan, ka‹ tÚn §ke$nhw m¢npat°ra, aÍtoË d¢ khdestØn ka‹ édelfÚn [ımopãtrion], pãppon d¢ t«npaid$vn ka‹ ye›on, ≤goÊmenow diå taÊtaw tåw énagkaiÒthtaw oÈden‹mçllon prosÆkein dika$ƒ per‹ toÁw aÍtoË pa›daw gen°syai, diayÆkhnaÈt“ d$dvsi ka‹ p°nte tãlanta érgur$ou parakatayÆkhn: Nautikå d¢ép°deijen §kdedom°na •ptå tãlanta ka‹ tettarãkonta mnçw ..., disxil$awd¢ Ùfeilom°naw §n XerronÆsƒ. ÉEp°skhce d°, §ãn ti pãy˙, tãlanton m¢n§pidoËnai tª gunaik‹ ka‹ tå §n t“ dvmat$ƒ doËnai, tãlanton d¢ tª yugatr$.kat°lipe <d¢> ka‹ e‡kosi mnçw tª gunaik‹ ka‹ triãkonta stat∞raw Kuzikh-noÊw. taËta d¢ prãjaw ka‹ o‡koi ént$grafa katalip∆n ’xetostrateusÒmenow metå YrasÊllou.

“Par la suite, Diodote fut enrôlé comme hoplite [parmi ceux qui partaient avecThrasylle]. Il fait alors venir sa femme, qui était en même temps sa nièce, et le pèrede celle-ci, qui était à la fois son beau-père et son frère, grand-père et oncle desmineurs ; estimant qu’en raison de ces liens de parenté, personne n’était plus qua-lifié pour pratiquer la justice envers ses enfants, il lui remit un testament et cinqtalents d’argent en dépôt ; plus le compte de ses prêts maritimes, qui se montaientà sept talents quarante mines… deux mille drachmes placées en Chersonèse. Et ille chargea d’exécuter ses dernières volontés, en cas de malheurs : sa femme et sa filledevaient avoir en dot un talent chacune, sa femme devait recevoir les meubles desa chambre ; il laissa en outre à sa femme vingt mines et trente statères de Cyzique.Ayant ainsi réglé ses affaires et laissé chez lui une copie de l’acte, il partit pour fairecampagne avec Thrasylle”.

Certes, plusieurs actions sont décrites, un dépôt, une donation et la remise de lagestion d’une fortune. Il n’en demeure pas moins qu’un testament est rédigé et qu’ilcontient les dernières volontés du défunt. L’original est confié au père de sa femme,Diogiton. Diodote garde une copie chez lui, sans doute destinée à son épouse. Cedocument n’est en rien une confirmation des déclarations orales, un quelconqueexemple de “formes mixtes” comme le voudraient L. Gernet et M. Bizos. Du reste,dès la mort de Diodote connue, Diogiton s’empresse de s’emparer de la copie afinque la veuve ne puisse faire valoir ses droits devant une cour : “Il s’empare des docu-ments écrits que son frère avait laissés scellés”150. Il n’y a donc pas lieu d’évoquer uneévolution entre le dernier quart du Ve et le IVe siècle même si les sources littérairessont plus abondantes pour ce dernier siècle151.

Il est alors possible de décrire le contenu et les pratiques de conservation rete-nues152. Le testament exprime un certain nombre de décisions prises par le défunt deson vivant. Il permet de rendre valide une adoption, au même titre que celle qui estdécidée oralement ou qui est rendue effective par les actes153. Il peut décider du sort

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150 LYS., Diog., 32.7 (trad. CUF) : tå grãmmata lambãnei ì kat°lipe seshmasm°na.151 Comme le remarque W.E. THOMPSON, op. cit., p. 23 n. 34, “Since almost all of our evidence comesfrom the orators, we cannot expect to trace the development of wills in the sixth and fifth centuries”.152 Voir W.E. THOMPSON, op. cit.153 ISÉE, Mén., 2.44 distingue trois types d’adoption verbale, testamentaire (diayÆk˙ tØn po$hsingegenhm°nhn) et effective ; voir aussi ISÉE, Pyrr., 3.60, Nik., 4.8, Philok., 6.5, Apol., 7.1-2, Ast., 9.8,

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de la famille. Dans un plaidoyer de Démosthène, un affranchi devient ainsi le maride la veuve de son ancien maître et le tuteur des enfants154. Le testament du père deDémosthène mariait la sœur et la mère de ce dernier avec les deux tuteurs155. Le plussouvent, le testament règle les aspects financiers de la succession, c’est-à-dire la ges-tion du patrimoine par les héritiers ou par les exécuteurs testamentaires et la répar-tition de la fortune. Les plaidoyers judiciaires n’ont pas transmis jusqu’à nous lestextes des testaments. Mais les descriptions sont précises et le contenu s’en devineaisément156 :

Afl diay∞kai, ìw di°yeto §n KÊprƒ, saf«w §dÆlvsan ˜ti pollostÚn m°row∑n tå xrÆmata œn Íme›w prosedokçte: tª m¢n går ÉAyhna$& kayi°rvsen efiwénayÆmata ka‹ t“ ÉApÒllvni efiw DelfoÁw pentakisxil$ouw stat∞raw: t“d¢ édelfid“ t“ •autoË, ˘w §fÊlatten aÈt“ ka‹ §tam$eue pãnta tå §nKÊprƒ, ¶dvken …w mur$aw draxmãw, t“ d¢ édelf“ tr$a tãlanta: tå d¢loipå t“ Íe› kat°lipe, tãlanta •ptaka$deka.

“Le testament qu’il avait fait à Chypre a montré clairement que sa fortune étaitbien au-dessous de ce que vous croyiez : à Athéna et à l’Apollon de Delphes, il aconsacré en offrandes 5000 statères ; à son neveu, qui était gardien et gérant de tousses biens à Chypre, il a fait un legs d’à peu près 10000 drachmes ; à son frère, unde trois talents ; et il a laissé à son fils le reste, soit plus de dix-sept talents”.

Les décisions sont multiples et ne concernent pas toutes la seule répartition desbiens dûs. Dans le cas présent, le testament organise aussi des offrandes à deux divi-nités.

Le testament pouvait également mettre en garde ceux qui ne comptaient pas res-pecter les volontés exprimées par le défunt : “au mépris du testament et des impré-cations qu’il contient, écrites de la main de ton père, tu le persécutes, tu le poursuis,tu lui fais un méchant procès”157.

Le testateur dictait ou rédigeait ce document en présence ou non de témoins158.Dans un seul passage, il semble que ces derniers prirent connaissance du contenu dutestament159. La pratique la plus courante était sans conteste de laisser les témoins

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Arist., 10.9 et Hag., 11.8-9. Nous renvoyons à la synthèse de L. RUBINSTEIN, Adoption in IVth CenturyAthens, Copenhague, 1993.154 DÉM., P. Phorm., 36.8 (trad. CUF) : ı Pas$vn §teteleutÆkei taËta diay°menow, Form$vnoÍtos‹ tØn m¢n guna›ka lambãnei katå tØn diayÆkhn, tÚn d¢ pa›d' §petrÒpeuen (“Pasion mort,Phormion devint, conformément au testament, le mari de la veuve et le tuteur de l’enfant”).155 DÉM., Aphob. I, 27.5 et Aphob. II, 28.15-16. Voir aussi le cas de Pasion supra.156 LYS., Arist., 19.39-40 (trad. CUF). Voir aussi DÉM., Aphob. I, 27.4-5.157 DÉM., P. Phorm., 36.52 (trad. CUF) : œn §ke›now m¢n xãrin e‰xen, sÁ d'oÈd°na poie› lÒgon,éll' §nant$a tª diayÆk˙ ka‹ ta›w ép' §ke$nhw éra›w, grafe$saiw ÍpÚ toË soË patrÒw, §laÊ-neiw sukofante›w di≈keiw.158 LYS., Diog., 32.5 laisse entendre qu’à l’exception de la femme de Diodote et de Diogiton, aucuneautre personne n’était présente. Ce testament peut donc être considéré comme sans témoin. Voir aussiISÉE, Ast., 9.12 qui en envisage la possibilité : efikÚw ∑n mhd¢ êllon mhd°na §ggegrãfyai §n t“grammate$ƒ mãrtura “personne absolument ne devrait figurer dans l’acte comme témoin” (trad.CUF).159 ISÉE, Ast., 9.12.

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dans l’ignorance et faire figurer leur nom dans le document scellé160. Une fois rédigé,le testament devait être conservé. Le plus souvent, il est déposé auprès d’une per-sonne de confiance161. Le plus souvent, comme dans le Contre Diogiton, le testateurconfie ses volontés à un membre de sa famille avec lequel il entretient des relationsd’amitié162. Dans un cas, un magistrat est choisi, en l’occurrence l’astynome163. Letexte maintient cependant une ambiguïté sur le fait de savoir si le testament a étéconfié à un individu, astynome par ailleurs, ou bien si le dépôt a été fait auprès dela magistrature. Cette deuxième hypothèse paraît préférable car le testateur neconnaissait pas à l’avance la date de sa mort. Que devenait alors le document aumoment de la sortie de charge ? Une fois en possession du dépositaire, le documentfaisait office d’original comme la procédure judiciaire le montre à plusieursreprises164.

Le texte était modifiable voire révocable en toute occasion jusqu’à la mort du tes-tateur. Les modalités précises d’une modification ne sont pas claires, particulière-ment en raison du flou qu’Isée entretient pour servir la cause de son client. Dans l’af-faire de La succession de Cléonymos, l’orateur décrit une situation particulière, lapersonne qui conservait le testament ne l’a pas rendu. Il serait alors possible derédiger un deuxième document qui amenderait le premier165 :

E‡ ti prosgrãcai toÊtoiw §boÊleto, diå t$ oÈk §n •t°rƒ grãcaw aÈtå gram-mate$ƒ kat°lipen, §peidØ tå grãmmata parå t«n érxÒntvn oÈk §dunÆyhlabe›n; ÉAnele›n m¢n gãr, Œ êndrew, oÈx oÂÒw t' ∑n êllo grammate›on µ tÚparå tª érxª ke$menon: grãcai d' §j∞n efiw ßteron e‡ ti §boÊleto, ka‹ mhd¢toËy' ≤m›n émfisbhtÆsimon §çn.

“De plus, s’il voulait ajouter quelque codicille à leur avantage, pourquoi ne l’a-t-ilpas consigné sur une deuxième tablette, alors qu’il n’a pu se faire restituer son écritpar les magistrats ? En effet, juges, il ne pouvait annuler aucun autre document quecelui qui était déposé chez les magistrats ; mais il avait tout loisir d’écrire un codi-cille à sa guise, et ne nous laisser alors aucune possibilité de contestation”.

L’annulation pure et simple du testament requérait des témoins et pouvait mêmefaire l’objet d’une procédure particulière166 :

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160 ISÉE, Nik., 4.13., Pyrr., 3.56, Philok., 6.7 et Apol., 7.2 constituent autant de situations analogues.161 Une ou plusieurs copies pouvaient être réalisées (LYS., Diog., 32.7, cité supra). La même pratique estobservée pour les contrats, voir infra.162 LYS., Diog., 32.5, cité supra, il s’agit du beau-père. Voir aussi ISÉE, Philok., 6.7 (le dépositaire est lebeau-frère), 6.27 (un parent), Apol., 7.1 (le texte parle de tiers, parã tisi), DÉM., Aphob. I, 27.40 (lestuteurs sont les dépositaires sans qu’il soit possible de préciser avec certitude ; la suite du plaidoyer laissepenser qu’il s’agit de Thérippidès [DÉM., Aphob. I, 27.42] et d’Aphobos [DÉM., Aphob. I, 27.43], res-pectivement un ami d’enfance du défunt et un parent selon l’hypothèsis), DÉM., Steph. I, 45.8 (le lienavec le testateur n’est pas indiqué).163 ISÉE, Kleo., 1.14-15. Dans un plaidoyer du corpus démosthénien (DÉM., Phen., 42.14), les stratègesconservent une déclaration de fortune dans une procédure d’échange.164 Cf. chap. 6.165 ISÉE, Kleo., 1.25 (trad. CUF modifiée).166 ISÉE, Philok., 6.31-32 (trad. CUF).

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ÑO EÈktÆmvn eÈyÁw épπtei tÚn PuyÒdvron tÚ grammate›on ka‹ pro-sekal°sato efiw §mfan«n katãstasin. KatastÆsantow d¢ §ke$nou prÚw tÚnêrxonta, ¶legen ˜ti boÊloit' énel°syai tØn diayÆkhn. ÉEpeidØ d' ıPuyÒdvrow §ke$nƒ m¢n ka‹ t“ Fanostrãtƒ parÒnti …molÒgei énaire›n, toËd¢ Xair°ou toË sugkatayem°nou yugãthr ∑n m$a, ∏w §peidØ kÊriowkatasta$h, tÒte ±j$ou énele›n, ka‹ ı êrxvn oÏtvw §g$gnvske, diomo-loghsãmenow ı EÈktÆmvn §nant$on toË êrxontow ka‹ t«n par°drvn ka‹poihsãmenow polloÁw mãrturaw …w oÈk°t' aÈt“ k°oito ≤ diayÆkh, ’xetoépi≈n.

“Euctémon, docile, réclama sur-le-champ l’acte à Pythodoros, et l’assigna pour enobtenir la production. Quand l’autre eut produit la pièce devant l’archonte, Euc-témon déclara sa volonté d’annuler ses dispositions. Pythodoros était prêt, d’accordavec lui et avec Phanostratos qui était présent, à les supprimer ; mais comme Chai-réas, l’un des intéressés, avait laissé une fille unique, il jugeait bon de ne détruirel’acte qu’en présence du représentant légal de la jeune fille, et l’archonte fut dumême avis. Alors, à la suite d’un arrangement conclu devant l’archonte et ses asses-seurs, Euctémon constitua un grand nombre de témoins, déclara qu’il n’existaitplus d’acte déposé par lui, et s’en alla”.

La forme matérielle des testaments n’est pas indiquée le plus souvent. Lorsquec’est le cas, il s’agit d’une tablette. Ce support devait être privilégié en raison des faci-lités de scellements qu’il offrait167. Une inscription externe permettait de savoir dequel document il s’agissait, ce qui s’avérait indispensable lorsque le dépositaireconservait d’autres écrits, contrats ou autres168.

b) Documents privés économiques

1. Les contrats : synthèkai, symbolaia et syngraphai

Les sources distinguent trois types d’engagements contractuels, les synthèkai, lessymbolaia et les syngraphai. Pour le IVe siècle, seul le deuxième type ne donne pas for-cément lieu à écriture, mais ce point fait l’objet de débat. Le premier, celui desconventions, diffère du troisième, celui des contrats proprement dits, en raison sur-tout de leur rapport à la justice. Les syngraphai constituent sans conteste des preuvesalors que la valeur juridique des synthèkai, actes avant tout privés qui engagent deuxparties, méritera un commentaire. Il convient cependant de ne pas attacher une tropgrande importance au vocabulaire car plusieurs exemples de synonymie montrent lasouplesse des Athéniens en la matière169. Ces trois termes peuvent donc être rendusle plus souvent par le mot unique de contrat.

Nous ne possédons pas d’exemples de contrats mis par écrit pour les périodesantérieures au début du IVe siècle et de nombreux historiens en ont déduit leurinexistence170. Toutefois, si nous ne saurions porter une appréciation quantitative et

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167 ISÉE, Kleo., 1.25 (cité supra) et Philok., 6.29.168 DÉM., Steph. I, 45.19-21.169 L. GERNET, Sur les actions commerciales en droit athénien, in L. GERNET, Droit et société dans laGrèce ancienne, Paris, 1955, p. 191.170 THOMAS, Oral Tradition, p. 41. GERNET, op. cit., p. 191 met en avant l’argument suivant : “il est ins-tructif de constater que, dans des occasions où l’emploi de l’écriture serait attendu, chez Lysias et chez

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qualitative sur les siècles précédents, il n’en demeure pas moins que certains élémentsamènent à considérer que les activités économiques impliquaient déjà un recours auxcontrats écrits. D’abord, les documents sur plomb prouvent que les Grecs dans leurensemble mettaient par écrit certains actes de nature économique, et ce dès ladeuxième moitié du VIe siècle. Ensuite, plusieurs sources athéniennes invitent ànuancer le constat négatif qui ouvre ce paragraphe. Premièrement, la procédure deremise des comptes impliquait que les magistrats conservassent une trace de leursactivités financières171. Or, les travaux de l’Acropole supposaient de recruter de nom-breux artisans et les inscriptions qui témoignent de ces activités montrent la préci-sion requise sur les sommes engagées. Les épistates n’établissaient-ils pas de docu-ments écrits avec les artisans alors même qu’ils rendaient leurs comptes sur papyrus ?Deuxièmement, le décret de Callias évoque des documents sur lesquels des dettesfiguraient172. Troisièmement, Strepsiade, le paysan des Nuées, possède à son domicileune comptabilité de ses dettes173. Est-il concevable que de tels écrits existent et nondes contrats ? Quatrième élément, les banquiers ont commencé à jouer un rôle éco-nomique au Ve siècle et ils ne semblent pas avoir pu exercer leur métier sans unmaniement de registres, le plus souvent en l’absence de témoins174. Cinquième etdernier élément, un passage des Guêpes atteste l’existence de testaments et surtoutleur valeur probatoire devant le tribunal, en l’absence de témoins175. Dès lors, il estprobable que les Athéniens établirent des contrats écrits au Ve siècle et peut-êtremême avant.

Cela n’est pas contradictoire avec une accélération du recours à l’écrit dans ledomaine commercial qui semble caractériser la deuxième moitié du IVe siècle,notamment avec l’instauration de procédures rapides, les dikai emménoi, qui repo-sent sur les seuls documents écrits. Pourquoi les Athéniens ont-ils éprouvé le besoinde mettre en place ce type d’institutions ? Pour L. Gernet, “les conditions concrètesde la vie juridique” permettent de rendre compte de cette mutation avec en toile defond le développement des échanges commerciaux et d’“accroissement du capital[…] C’est le droit commercial qui a vraiment généralisé l’usage de l’instrumentécrit”176. La généralisation de l’écrit passe aussi par les banquiers, intermédiairesindispensables entre les bailleurs de fonds et les emporoi.

Écriture et engagement contractuel : les conventionsLa première mention d’un tel document dans les sources, un passage du Trapézi-

tique d’Isocrate, laisse penser qu’à cette date, entre 393 et 391, l’utilisation decontrats écrits ne surprend personne parmi les membres du tribunal. Le demandeurqui se plaint de Pasion — ce dernier n’aurait pas voulu lui restituer un dépôt — rap-

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Isée notamment, les intéressés, visiblement, n’y ont pas recours”. Le cas des testaments développé supraamène à ne pas retenir ce constat.171 Chapitre 4.172 Chapitre 4.173 AR., Nuées, 18-20 cité chapitre 1. GERNET, op. cit., p. 194 n. 3 qui connaît ce passage n’en tire pasla même conclusion.174 Voir infra.175 AR., Guêpes., 583 cité chapitre 6. EUR., Hipp., 858-859 qui évoque la possibilité d’un testamentlaissé par Phèdre (428 av. J.-C.), voir supra.176 GERNET, op. cit., p. 192. À juste titre, il récuse une supposée augmentation de la malhonnêteté.

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porte que le banquier accepta de le voir et qu’ils finirent par s’entendre sur le mon-tant du remboursement et ses modalités177 :

TaËta d¢ suggrãcantew ka‹ énagagÒntew efiw ékrÒpolin PÊrvna Fera›onêndra, efiyism°non efisple›n efiw tÚn PÒnton, d$domen aÈt“ fulãttein tåwsunyÆkaw, prostãjantew aÈt“, §ån m¢n diallag«men prÚw ≤mçw aÈtoÁw,katakaËsai tÚ grammate›on, efi d¢ mØ, SatÊrƒ épodoËnai.

“Après rédaction de ces conditions, nous menâmes à l’Acropole Pyron de Phèresqui avait l’habitude d’aller dans le Pont et nous lui donnâmes à garder notreconvention, en lui enjoignant, si nous arrivions à un accord, de brûler la tablette,sinon de la remettre à Satyros”.

Ce type de convention, qui peut être assimilé aux contrats en raison des engage-ments qu’il contient, était suffisamment courant pour qu’une loi dise leur légalitédevant un tribunal, à partir du moment où il y avait un document écrit qui en fai-sait foi178. Deux plaidoyers du corpus démosthénien l’évoquent. Dans le ContreOlympiodoros, deux héritiers s’entendent sur le partage d’un héritage. Après le rappelde la convention, il est précisé179 :

Ka‹ mãrturaw §poihsãmeya per‹ toÊtvn pr«ton m¢n toÁw yeoÁw oÓw»mÒsamen éllÆloiw, ka‹ toÁw ofike$ouw toÁw ≤met°rouw aÈt«n, ¶peit' ÉAn-drokle$dhn ÉAxarn°a, par' ⁄ katey°meya tåw sunyÆkaw. BoÊlomai oÔn, Œêndrew dikasta$, tÒn te nÒmon énagn«nai kay' ˘n tåw sunyÆkaw §grãcamenprÚw ≤mçw aÈtoÊw, ka‹ martur$an toË ¶xontow tåw sunyÆkaw.

“Nous prîmes à témoin de ces dispositions, d’abord, les dieux par lesquels nousavions juré, puis nos parents, et enfin Androcleidès d’Acharnes, chez qui la conven-tion fut déposée. Je vais vous lire, juges, la loi d’après laquelle nous rédigeâmesentre nous la convention et le témoignage du dépositaire”.

Cet engagement contractuel ne concerne pas seulement le partage de l’héritagemais il contient aussi des promesses plus générales, dont l’objet est de prévoir l’ap-parition de sommes inconnues jusque là. Le Contre Macartatos mentionne égale-ment une convention passée entre quatre personnes au sujet d’une succession etdéposée chez un tiers180. Mais dans le cas présent, et sans doute dans les autres, il nes’agit pas d’une simple tablette rédigée pour garder en mémoire un accord. La loirègle les conditions de validité des conventions — sans qu’il soit possible d’en direplus — et les reconnaît dans les procédures judiciaires éventuelles qu’elles pourraientsusciter181.

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177 ISOCR., Trap., 17.20 (trad. CUF).178 DÉM., Dion., 56.2, Phen., 42.12 et Everg., 47.77.179 DÉM., Olymp., 48.11 (trad. CUF modifiée).180 DÉM., Macart., 43.7.181 ESCHN., Tim., 1.161 la mentionne dans le Contre Timarque, lorsqu’il évoque la dépravation deTimarque, coupable de s’être prostitué par contrat. Cf. aussi Tim., 1.165.

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Le Contre Apatourios offre une illustration parfaite de cette disposition législativeet de ses conséquences pour celui qui ne voulait pas respecter la convention182 :

Grãcantew sunyÆkaw §pitr°pousin •n‹ m¢n diaithtª koin“ Fvkr$tƒ pol$t˙aÍt«n, ßna d' •kãterow parekay$sato, otow m¢n ÉAristokl°a ÉO∞yen, ı d¢Parm°nvn §m°. ka‹ sun°yento §n ta›w sunyÆkaiw, efi m¢n tre›w ˆntewımogn≈monew geno$meya, taËta kÊria e‰nai aÍto›w, efi d¢ mÆ, oÂw ofl dÊogno$hsan, toÊtoiw §pãnagkew e‰nai §mm°nein. Suny°menoi d¢ taËta,§gguhtåw toÊtvn éllÆloiw kat°sthsan […] t$yentai parå t“ ÉAristokle›.[…] ÉEpeidØ går æsyeto ımogn≈monaw ˆntaw §m¢ ka‹ tÚn F≈kriton ka‹ ¶gnvkatadiaitÆsontaw ≤mçw •autoË, lËsai boulÒmenow tØn §pitropÆn,diafye›rai tåw sunyÆkaw §pexe$rhse metå toË ¶xontow aÈtãw.

“On rédigea la convention : il y avait un arbitre commun — Phocritos, un com-patriote à eux — et deux assesseurs désignés, l’un pour Apatourios — c’était Aris-toclès d’Oè — l’autre pour Parménon — c’était moi. L’acte stipulait qu’en casd’unanimité, la sentence des trois arbitres aurait effet ; sinon, deux suffrages suffi-raient pour qu’elle fût obligatoire. Ceci convenu, ils constituèrent des cautions quileur garantiraient réciproquement l’exécution de l’arbitrage […] Ainsi l’acte a étédéposé chez Aristoclès […] S’étant rendu compte que Phocritos et nous nousétions d’accord, et sachant que nous prononcerions contre lui, il voulut rompre lecompromis : pour cela il se mit en tête de falsifier l’acte, de connivence avec celuiqui en avait le dépôt”.

Son forfait accompli, Apatourios n’a plus qu’à nier l’existence d’un accord sur lenombre de trois arbitres et de n’en reconnaître plus qu’un, Aristoclès, celui qui luiest favorable. “Dès lors, le compromis était rompu, puisque l’acte avait disparu etque les arbitres étaient récusés”183. Toutefois, Apatourios craignait que le plaideurpuisse d’une manière ou d’une autre se prévaloir de cet accord184. Il lui proposa doncde conclure une nouvelle convention, afin d’annuler vraiment la première : “Aprèsque ces gens eurent fait disparaître l’acte du compromis, lui et Parménon ont vouluen rédiger un autre, reconnaissant ainsi que la première convention était annulée”185.Ce plaidoyer atteste la valeur qu’un écrit revêtait puisque non seulement le contenude la convention oblige ceux qui l’ont conclue mais aussi l’annulation de celle-cisuppose un nouveau document. Toutefois, ce deuxième élément vient prouver lamalhonnêteté d’Apatourios.

La suppression de la convention requiert des témoins, l’exposition des motifs quiamène à un tel acte et un nouveau document écrit, la protestation, remise au dépo-sitaire186. L’oralité n’est pas de mise ici. Un seul passage laisse entendre que les

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182 DÉM., Apat., 33.14-16 (trad. CUF modifiée).183 DÉM., Apat., 33.19 (trad. CUF) : ÉEnteËyen to$nun tÚ m¢n t∞w §pitrop∞w §l°luto,±fanism°nvn t«n sunyhk«n ka‹ t«n diaitht«n éntilegom°nvn.184 L’une des possibilités est que le dépositaire vienne témoigner de son existence (DÉM., Olymp., 48.32et 38). Mais elle est exclue ici en raison de l’entente qui existe entre Apatourios et le dépositaire.185 DÉM., Apat., 33.30 (trad. CUF) : §peidØ ±fan$syhsan afl suny∞kai ÍpÚ toÊtvn, §zÆtoun•t°raw grãfesyai otow ka‹ ı Parm°nvn, …w ékÊrvn ˆntvn aÈto›w t«n prÒteron…mologhm°nvn.186 Cf. DÉM., Olymp., 48.46 et pour un exemple de suppression réelle, DÉM., Apat., 33.12.

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conventions, reconnues par la loi, pouvaient être orales. À un moment de leur oppo-sition, Phormion et Apollodore s’entendent dans le sanctuaire d’Athéna et en pré-sence d’un arbitre, le premier laissant 5000 drachmes au second187. Le serment tientlieu de convention écrite. Lorsque le fils de Pasion intente une nouvelle action, Phor-mion ne peut que citer la sentence de l’arbitre et les témoins de la décharge188. Nonlié par une convention, Apollodore demeure libre cependant d’entamer une procé-dure pour recouvrer une nouvelle somme d’argent. À cet égard, l’oralité donnaitmoins de garantie qu’un document écrit189. Il est intéressant de faire ce constat dansun domaine non strictement commercial190.

Les contrats commerciauxC’est dans le domaine commercial, en particulier maritime, que les sources révè-

lent l’existence de contrats écrits entre particuliers et qu’elles permettent de mieuxdécrire l’établissement et la conservation de ces documents. Si l’on suit les analysesde L. Gernet, à la suite d’autres historiens, le Contre Lacritos citerait le texte completd’un contrat, sinon authentique du moins rédigé par quelqu’un qui connaissait avecprécision ce type de documents191. Deux éléments sont à retenir. D’abord, cette syn-graphè est longue. Outre les noms des créanciers et des débiteurs, le nom du capi-taine du navire, les différentes destinations, elle contient un certain nombre d’éven-tualités (accident, pirates…). Ensuite, ce point est un corollaire du premier, laprécision est justifiée par la dernière phrase : “À l’égard de tous ces points, la présenteconvention déroge à toute règle contraire”192. Le contrat oblige donc les deux partieset de ce fait il est une preuve de première importance devant les tribunaux193.

Les artifices rhétoriques parfois utilisés dans nos sources ne doivent pas masquerl’importance du contrat. Dans le Contre Dionysodoros, Darios, le plaignant, com-mence son discours par un constat général sur la supériorité de la position de l’em-prunteur sur celle du prêteur194 :

98 LIRE ET ÉCRIRE À ATHÈNES À L’ÉPOQUE CLASSIQUE

187 DÉM., P. Phorm., 36.15.188 DÉM., P. Phorm., 36.16-17.189 Pour un autre cas supposé, cf. DÉM., Steph. I, 45.61 : les deux protagonistes, Apollodore et Sté-phanos, mettent par écrit les conditions de la torture d’un esclave pendant un arbitrage. On peut sup-poser qu’il s’agit d’une convention qui les engageait comme les autres cas étudiés ici sans que le restedu plaidoyer en fournisse une confirmation.190 GERNET, op. cit., p. 192-193 voulait que le droit commercial fût à l’origine de la généralisation del’instrument écrit et que “de ce domaine [le commerce] la pratique de l’acte écrit se sera étendue àd’autres” après 350. Or, les exemples cités de conventions décrivent une situation bien différente.191 DÉM., Lacr., 35.10-13 ; les autres plaidoyers indiquent indirectement et de façon sporadique lecontenu des contrats (voir par exemple, DÉM., Pant., 37.5 (trad. CUF) qui cite le contenu d’uncontrat : ka‹ tiy°meya sunyÆkaw, §n aÂw ¥ te m$syvsiw ∑n gegramm°nh ka‹ lÊsiw toÊtƒ par'≤m«n ¶n tini =ht“ xrÒnƒ “et nous déposons une convention dans laquelle étaient écrits les montantsdu loyer et du rachat dans un délai déterminé”). Voir GERNET, op. cit., p. 197 et n. 4. Dans son éditiondu Contre Lacritos (dans Plaidoyers civils I, 170 et 183 n. 5), il maintient cette position.192 DÉM., Lacr., 35.13 (trad. CUF) : kuri≈teron d¢ per‹ toÊtvn êllo mhd¢n e‰nai t∞w suggraf∞w.193 Cf. chapitre 6.194 DÉM., Dion., 56.1 (trad. CUF modifiée) ; pour la traduction, cf. L. DEL CORSO, I documenti nellaGrecia classica tra produzione e conservazione, QS 56, 2002, p. 176-178.

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Sumba$nei d'≤m›n to›w tØn katå yãlattan §rgas$an pro˙rhm°noiw ka‹ tå≤m°ter' aÈt«n §gxeir$zousin •t°roiw §ke›no m¢n saf«w efid°nai, ˜ti ıdaneizÒmenow §n pant‹ pro°xei ≤m«n. Lab∆n går érgÊrion fanerÚn ka‹ımologoÊmenon, §n grammateid$ƒ duo›n xalko›n §vnhm°nƒ ka‹ bublid$ƒmikr“ pãnu tØn ımolog$an katal°loipe toË poiÆsein tå d$kaia.

“Nous qui avons pour profession de faire valoir notre argent dans le commercemaritime et qui le remettons entre des mains étrangères, nous savons très bien quel’emprunteur a tous les avantages sur nous. Il reçoit en bon argent ce qui a étéconvenu ; et puis il laisse, sur une tablette qui a coûté deux chalques et sur un boutde papyrus, la promesse de s’acquitter”.

Mais lorsqu’il décrit l’affaire qui l’oppose à Dionysodoros, les conditions de rédac-tion du contrat diffèrent. Après avoir convenu d’un prêt et de la nature de l’affairequ’il permettait d’accomplir, une course en Égypte, puis de là à Rhodes avec retourà Athènes, on en vient au document proprement dit195 :

Ka‹ §p‹ taÊtaiw ta›w ımolog$aiw dane$zontai par' ≤m«n §p‹ tª nh‹trisxil$aw draxmåw émfoterÒploun, ka‹ suggrafØn §grãcanto Íp¢rtoÊtvn. […] Katå taÊthn tØn suggrafÆn, Œ êndrew dikasta$, labÒntewpar' ≤m«n tå xrÆmata DionusÒdvrÒw te oÍtos‹ ka‹ ı koinvnÚw aÈtoËParmen$skow ép°stellon tØn naËn efiw tØn A‡gupton §ny°nde.

“Conformément à cet accord, ils nous empruntèrent 3 000 drachmes sur leurnavire pour un voyage d’aller et retour ; et ils dressèrent un contrat suivant cesconditions [le contrat est lu…] C’est d’après ce contrat, juges, que Dionysodorosici présent et son associé Parméniscos reçurent de nous l’argent stipulé et expédiè-rent le navire d’Athènes en Égypte”.

C’est la mise par écrit de l’engagement oral qui fonde le prêt196. En l’occurrence,il ne s’agit pas d’un vulgaire bout de papyrus rédigé sur un coin de table. Même danscette présentation sommaire peu conforme à la situation de l’affaire proprementdite, la réalisation d’un contrat est indispensable197. L’identité du scripteur n’est pasindiquée le plus souvent. Il devait s’agir soit d’un esclave, soit des individus eux-mêmes, soit du dépositaire, particulièrement lorsqu’il s’agissait d’un banquier198. Dureste, L. Gernet note que les sources ne livrent aucun exemple de contrat commer-cial oral199.

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195 DÉM., Dion., 56.6-7 (trad. CUF modifiée).196 Voir GERNET, op. cit., p. 198. Même si les textes des plaidoyers peuvent donner l’impression que l’ac-cord oral, donc le prêt, précède l’écrit, il est évident que l’argent n’est pas remis avant (voir aussi DÉM.,Phorm., 34.5-6 et HYP., C. Athén., 4.7-8).197 Si l’on en croit un passage de DÉM., Phorm., 34.30 (trad. CUF) : dane$zontai m¢n met' Ùl$gvnmartÊrvn “quand on emprunte, c’est avec un petit nombre de témoins”.198 Par exemple DÉM., Lacr., 35.15 (le contrat est rédigé par Lacritos et scellé par ce dernier avec Andro-clès le plaignant) et DÉM., Apat., 33.17 (rédigé par un esclave).199 Voir Plaidoyers civils I, 171. Plus généralement, FINLEY, op. cit., p. 214-215 n. 59 citait trois passages.Le premier, DÉM., Spoud., 41.5-6, concernerait un accord oral entre Spoudias et son beau-père Poly-eucte. Or l’orateur y évoque aussi le testament de ce dernier puis un peu plus loin des écrits laissés par

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Une fois rédigé, l’original du contrat commercial, comme tout autre document,devait être conservé. Plusieurs cas de figures sont connus. Il peut être confié à untiers200. Une autre possibilité consiste à le déposer auprès d’un banquier, bien sou-vent prêteur, homme de confiance et habitué à manier des écrits, ce qui en faisait undépositaire privilégié201. Dans ce cas, cela suppose un classement dans les archivespersonnelles du banquier, qui semble-t-il, mettait un ou plusieurs noms sur le docu-ment scellé afin de pouvoir le montrer si demande lui en était faite. Pour un contraten dépôt chez un banquier, Chrysippe observe : “l’acte du contrat était déposé ici [àAthènes] et il était déposé à mon nom”202. Dans tous les cas, l’identité du dépositairen’était pas choisie au hasard, même si les fraudes montrent que la certitude enmatière d’honnêteté n’était pas de mise.

Une fois en dépôt chez un tiers, il était possible de modifier le document mais celarequérait la présence des deux parties203. La destruction d’un tel document, seulmoyen efficace de mettre un terme à l’application des clauses qu’il contient, impli-quait une procédure complexe et qui sans doute pouvait donner lieu ensuite àcontestation204. Un exemple original figure dans le Contre Dionysodoros témoignantde la pluralité des possibilités. Suite à un premier différend, Darios, le plaignant,cherche à s’entendre avec Dionysodoros qui a vendu à Rhodes la cargaison qu’ildevait ramener à Athènes. Ce dernier lui fait alors la proposition suivante205 :

“ÉAnaire›sye” fhs‹ “to$nun tØn suggrafÆn”. ÑHme›w énair≈meya; oÈd°n gemçllon µ ıtioËn: éllå katå m¢n térgÊrion ˘ ín épod“w, ımologÆsomen§nant$on toË trapez$tou êkuron poie›n tØn suggrafÆn, tÚ m°ntoi sÊnolonoÈk ín énelo$meya, ßvw ín per‹ t«n éntilegom°nvn kriy«men.

“‘Supprimez donc, dit-il, l’acte du contrat’. ‘Nous le supprimer ? Jamais de la vie.Dans la mesure du payement effectué, nous déclarerons, en présence du banquier,annuler le contrat. Mais quant à supprimer l’acte totalement, non, jusqu’à ce qu’unjugement intervienne sur les points litigieux’”.

Tout en annulant la valeur du document, Darios souhaitait que le banquier, sansdoute témoin et dépositaire, conservât ce dernier afin qu’il puisse servir devant la jus-tice athénienne. La destruction définitive entraînait la disparition de la transac-

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la veuve du même Polyeucte. Le deuxième, DÉM., P. Phorm., 36.18-19, traite de la disparition de docu-ments écrits. Le troisième, DÉM., P. Phorm., 36.36, concerne des créances recouvrées au moyen d’ar-chives.200 Cf. DÉM., Zen., 32.16 et 19 (remise d’un contrat entre les mains d’un passager sur le navire) etDÉM., Lacr., 35.14 (dépôt chez un tiers).201 DÉM., Phorm., 34.6 et DÉM., Dion., 56.15.202 DÉM., Phorm., 34.31 (trad. CUF) : t∞w suggraf∞w soi keim°nhw ÉAyÆnhsi ka‹ prÚw §m°. Plusloin, Chrysippe semble indiquer que le contrat a été conservé par une autre personne mais l’absence deprécision ne permet pas d’en dire plus. La possession du contrat par le capitaine, Lampis, peut s’expli-quer par les contrôles que tout navire pouvait subir, cf. chapitre 6.203 Cette supposition paraît raisonnable si l’on se réfère aux pratiques en matières de conventions et detestaments.204 Cf. DÉM., Zen., 32.27 avec le commentaire supra et DÉM., Apat., 33.12.205 DÉM., Dion., 56.14-15 (trad. CUF).

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tion206. Il devenait difficile alors de protester sur un quelconque point du contratdont l’existence même était désormais sujette à caution. Mais, il était possible d’agirplus simplement, sans recourir à des témoins — à condition que la confiance soitassurée —, c’est-à-dire détruire le contrat en présence des protagonistes207.

Dans ces conditions, la simple consultation n’était pas aisée et il était préférablede posséder des copies. Il semble que le père de Démosthène conservait au moinsune copie des contrats de prêts maritimes208 :

Per‹ d' aÔ t∞w §kdÒsevw, §pikoinvnÆsantew t“ JoÊyƒ ka‹ dianeimãmenoitå xrÆmata ka‹ tåw suggrafåw énelÒntew, ka‹ pãny' ˘n trÒpon §boÊlesyekataskeuãsantew, ka‹ diafye$rantew tå grãmmata, …w Ím«n ı DÆmvn kate-martÊrei, fenak$zete ka‹ toutous‹ parakroÊsasyai zhte›te.

“Quant à l’argent placé en prêts maritimes, vous vous êtes entendus avec Xouthos,vous vous êtes partagés les fonds, vous avez fait disparaître les actes de prêt, et,après avoir tout arrangé à votre guise, après avoir falsifié les documents commeDémon en a témoigné contre vous, vous essayez, fripons que vous êtes, de circon-venir les juges”.

L. Gernet traduisait grammata par registres en référence aux livres des ban-quiers209. Or, rien ne permet d’être aussi affirmatif. De nombreux éléments de l’af-faire de l’héritage de Démosthène ont trait à des documents perdus ou falsifiés, et ilest probable que le père de l’orateur conservait trace de ses activités financières. Cesdocuments sont évoqués dans un autre plaidoyer210. En tous les cas, il est difficiled’envisager une fraude dans les archives d’un banquier, sans que ce dernier soit men-tionné et surtout cité comme témoin. Plus étonnant a priori est le cas de Lampis, lecapitaine d’une navire de commerce, qui est en possession du contrat211. Cela l’estmoins si l’on veut bien tenir compte que, pour de simples raisons de surveillance parles autorités des ports de commerce, le patron d’un bateau devait pouvoir justifier laprovenance et la destination de la cargaison qu’il transportait212. En l’occurrence, ils’agit plutôt d’archives propres à Lampis que d’une copie du contrat dont la duréede vie n’excédait pas celle de la course, même si les deux options ne sont pas contra-dictoires. En revanche, les copies véritables des contrats pouvaient être conservéespendant une période relativement longue213.

Autres documents financiersLes sources sont beaucoup moins nombreuses sur les autres documents financiers

que les Athéniens utilisaient et conservaient. Lorsqu’elles les mentionnent, elles res-

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206 Voir DÉM., Steph. I, 45.41.207 DÉM., Phorm., 34.31, cité supra.208 DÉM., Aphob. III, 29.36 (trad. CUF modifié).209 Voir Plaidoyers civils I, 81-82 n. 2.210 DÉM., Aphob. II, 28.6 mentionne des hypomnèmata ; voir infra.211 DÉM., Phorm., 34.9.212 Cf. chapitre 6.213 Outre le cas du père de Démosthène cité supra, DÉM., P. Phorm., 36.4 mentionne le contrat de loca-tion d’une banque (Pasion loue à Phormion) qui a été conservée plusieurs années durant.

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tent le plus souvent vagues. Le contenu des archives de la femme de Polyeucte, parexemple, dont la succession est en discussion, est pour le moins mystérieux214. Onpeut supposer qu’il s’agit d’un dossier documentaire ayant trait à des prêts.

Nous possédons peu d’exemples de comptabilités privées à l’exception de celle deStrepsiade décrite par Aristophane dans les Nuées. Après avoir consulté la tablettequ’un esclave lui tend, ce dernier cite un dénommé Pasias comme créancier, le mon-tant de sa dette, douze mines et la raison de l’emprunt : “Douze mines à Pasias. Pour-quoi douze mines à Pasias. Pourquoi ai-je emprunté ? Ah oui, c’est quand j’achetaile pur-sang”215. Si les deux premières informations figurent à coup sûr dans le docu-ment, l’incertitude demeure sur la troisième. L’évocation d’une deuxième dettepermet cependant de penser que l’ensemble figurait sur la tablette car dans ce casaucune hésitation n’est marquée : “À qui dus-je… emprunter après ce Pasias ? Troismines pour un petit siège et une paire de roues, à Amynias”216. On devine l’existenced’une telle comptabilité dans un plaidoyer de Lysias. À la veille de partir pour uneexpédition militaire, un certain Diodote remet à son beau-père, outre son testament,“le compte de ses prêts maritimes”, sans autre précision217. Un autre exemple de cetype d’archives, plus explicite, concerne le père de Démosthène. Ce dernier énumèreavec grande précision la composition de l’avoir qui revint à ses tuteurs218. Les détailsqu’il fournit ne peuvent provenir que de comptabilités privées qu’il a conservées. Dureste, juste après la mort du père de l’orateur, les tuteurs s’emparent de documentset les scellent, écrits qui sont qualifiés d’hypomnèmata219. Il y a lieu de penser que cesderniers constituaient les documents comptables de Démosthène père, qu’il utilisaitpour la gestion de sa fortune220. Autre élément, indirect cette fois, Aphobos n’a puproduire des preuves écrites des dettes que le père de l’orateur aurait contractées ettransmises, à sa mort, à son fils221. En revanche, le Contre Timothée indique sansambiguïté que les documents attestant les créances étaient conservés et transmis auxenfants comme héritage : “Du reste, juges, mon père ne nous a pas laissé seulementces créances par écrit : pendant sa maladie, il nous a indiqué, à mon frère et à moi,le détail de ce qui lui était dû, les débiteurs et l’objet des emprunts”222.

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214 DÉM., Spoud., 41.20-21.215 AR., Nuées, 21-23 (trad. CUF modifiée) : d≈deka mnçw Pas$&. ToË d≈deka mnçw Pas$&; t$§xrhsãmhn; ˜t' §priãmhn tÚn koppat$an.216 AR., Nuées, 30-31 (trad. CUF) : étår t$ xr°ow ¶ba me metå tÚn Pas$an; tre›w mna› difr$skouka‹ troxo›n ÉAmein$&.217 LYS., Diog., 32.6 cité supra.218 DÉM., Aphob. I, 27.9-11.219 DÉM., Aphob. II, 28.6.220 Un autre exemple apparaît dans un plaidoyer d’Hypéride. Athénogénès qui possédait trois parfu-meries reçoit des comptes des esclaves qui tiennent ses boutiques tous les mois (HYP., C. Athén., 4.19).221 DÉM., Aphob. I, 27.49. En revanche, Apollodore parvient à être remboursé de nombreuses fois enproduisant les archives de son père (DÉM., P. Phorm., 36.20-21, 36).222 DÉM., Tim., 49.42 (trad. CUF) : OÈ to$nun, Œ êndrew dikasta$, grãcaw moi ı patØr kat°lipentå xr°a mÒnon, éllå ka‹ ¶legen érrvst«n ˜ ti Ùfe$loito aÈt“ ßkaston, ka‹ par' ⁄, ka‹ efiw ˜ti §lÆfyh tÚ érgÊrion, ka‹ t“ édelf“ t“ §m“. La précision apportée par l’orateur ne doit pas êtrecomprise comme une conséquence de l’indigence du contenu des documents transmis mais surtout dufait qu’ils sont scellés afin de pouvoir servir de preuves. DÉM., Phorm., 34.31 cité supra fournit unexemple de contrat conservé par l’une des parties.

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Certains échanges donnaient lieu à des reçus. Ainsi, Aphobos a rédigé un docu-ment dans lequel il reconnaissait avoir touché 80 mines au titre de la dot — en vertudu testament de Démosthène père, il a épousé la veuve de ce dernier — et qu’il aremis à Thérippidès l’un des cotuteurs223. Malheureusement, les sources manquentpour déterminer l’ampleur de cette pratique. Il semble que les Athéniens aient pré-féré la destruction des documents qui les liaient que la fabrication d’un autre écrit.On doit donc supposer qu’ils recouraient aux reçus seulement dans les cas où l’éli-mination de la convention ou du contrat n’était pas possible.

En raison de la nature même de nos sources, l’un des types de documents finan-ciers qui est aussi cité est le compte de tutelle remis par les tuteurs à l’héritier aumoment de sa majorité224. Il était rédigé avec soin car il servait ensuite éventuelle-ment de pièce à conviction. Celui de l’un des cotuteurs de Démosthène porte encompte les frais d’entretien de l’orateur225. La complexité de certaines fortunes pou-vait amener à distinguer les recettes des dépenses et peut-être à présenter deux docu-ments. C’est du moins ce que deux phrases du Contre Aphobos II laissent entendre :“Vous prétendez n’avoir touché que peu de chose ; mais vous produisez des comptesde dépenses énormes” et plus loin : “Voilà les dépenses qu’il a comptées de ce chef ;de recette, aucune”226.

2. Les archives des banquiers227

Un orateur fournit une description du matériel nécessaire à l’activité bancaire àAthènes au IVe siècle. Il oppose la simplicité de ce dernier à une somme que le ban-quier, en l’occurrence Pasion, devrait : “Qui accepterait de payer un loyer aussi élevépour le bois, l’emplacement et les tablettes ?”228. Le bois est un élément essentielpuisqu’il évoque la trapéza, la table du banquier229. À son domicile, le banquierdevait conserver les dépôts les plus importants et peut-être certains documents. Plusgénéralement, chez lui, le banquier effectuaient une partie de ses activités, notam-ment celles qui ne devaient pas recevoir une publicité trop grande. Mais comme leremarque R. Bogaert, les grammata, que l’on traduit habituellement par livres, “sontde loin l’instrument le plus important du banquier”230. Le Contre Callipos offre unedescription précise de leur contenu231 :

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223 DÉM., Aphob. I, 27.14, 16 et 47.224 Voir DÉM., P. Phorm., 36.20, Naus., 38.14-16 et Onet. I, 30.15.225 DÉM., Aphob. I, 27.35-36.226 DÉM., Aphob. II, 28.9 : fãskontew d' oÈ pollå labe›n megãlvn énalvmãtvn lÒgouwépenhnÒxate et 12 énãlvma m¢n efiw aÈtå tosoËto lelÒgistai, l∞mma d' ép' aÈt«n oÈd'ıtioËn (trad. CUF).227 R. BOGAERT, Banques et banquiers dans les cités grecques, Leyde, 1968, en particulier p. 376-384.L’étude des comédies de Plaute et de Térence n’apporte pas de précisions d’importance sur cette ques-tion (J. ANDREAU, Banque grecque et banque romaine dans le théâtre de Plaute et de Térence,MEFRA 80, 1968, p. 483-492 : “La plupart des passages qui font allusion aux registres bancaires et à latenue des comptes sont donc brefs. Ils restent souvent vagues”).228 DÉM., Steph. I, 45.33 : ÖEstin oÔn ˆstiw ín toË jÊlou ka‹ toË xvr$ou ka‹ t«n grammate$vntosaÊthn Íp°meine f°rein m$syvsin; Nous revenons infra sur la différence éventuelle entre gram-mata et grammateion dans les écrits bancaires.229 Pour une description précise, BOGAERT, op. cit., p. 377.230 Ibid., p. 378.231 DÉM., Call., 52.4 (trad. CUF).

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Efi≈yasi d¢ pãntew ofl trapez›tai, ˜tan tiw érgÊrion tiye‹w fidi≈thw épo-doËna$ tƒ prostãtt˙, pr«ton toË y°ntow toÎnoma grãfein ka‹ tÚ kefã-laion toË érgur$ou, ¶peita paragrãfein “t“ de›ni épodoËnai de›”, ka‹ §ånm¢n gign≈skvsi tØn ˆcin toË ényr≈pou ⁄ ín d°˙ épodoËnai, tosoËtomÒnon poie›n, grãcai ⁄ de› épodoËnai, §ån d¢ mØ gign≈skvsi, ka‹ toÊtoutoÎnoma prosparagrãfein ˘w ín m°ll˙ sustÆsein ka‹ de$jein tÚnênyrvpon, ˘n ín d°˙ kom$sasyai tÚ érgÊrion.“C’est l’usage de tous les banquiers, lorsqu’un particulier déposant donne ordre depayer à un tiers, d’inscrire d’abord le nom du déposant et la somme, puis, enmarge : ‘à remettre à un tel’. S’ils connaissent de vue la personne qui doit toucher,ils se contentent de cette mention ; sinon, ils ajoutent en marge le nom de celui quidoit servir d’intermédiaire et certifier l’identité de la personne en question”.

Un peu plus loin, un extrait d’un document appartenant aux archives du mêmebanquier est lu232 :

LÊkvn ÑHrakle≈thw xil$aw •jakos$aw tettarãkonta: Khfisiãd˙ épo-doËnai de›. ÉArxebiãdhw LamptreÊw de$jei tÚn Khfisiãdhn.“Lycôn d’Héraclée, seize mines quarante drachmes. À remettre à Képhisiadès, quisera présenté par Archébiadès de Lamptrai”.

La tenue des livres est codifiée comme le montre le vocabulaire, en particulier lesverbes. Paragrãfein signifie “inscrire à côté du nom du client la somme qui estportée à son débit”233. Dans une acception proche, on trouve ici également pros-paragrãfein.

Les banquiers notent les entrées et les sorties. L’objet du prêt était également ins-crit car le prêt établissait un droit d’hypothèque234 :

Ofl går trapez›tai efi≈yasin ÍpomnÆmata grãfesyai œn te didÒasinxrhmãtvn ka‹ efiw ˜ ti ka‹ œn ên tiw tiy∞tai, ·na ¬ aÈto›w gn≈rima tã telhfy°nta ka‹ tå tey°nta prÚw toÁw logismoÊw.

“C’est l’usage chez les banquiers de tenir registre des versements qu’ils font et deleur objet, ainsi que des dépôts qui sont faits chez eux ; ils ont ainsi, en vue desrèglements de compte, un état des débits et des crédits”.

Les dates des mouvements apparaissaient aussi comme une procédure devantarbitre le révèle235 :

PrÚw to$nun tÚn diaithtØn kom$santÒw mou tå grãmmata, par∆n ı Form$vnka‹ ı EÈfra›ow, ofl dÒntew tÚ érgÊrion oÂw §k°leusen otow, §jÆlegxonaÈtÚn §n oÂw te xrÒnoiw ßkaston §dane$sato, ka‹ ˜stiw ¶labe tÚ érgÊrion,ka‹ efiw ì katexrÆsato.

104 LIRE ET ÉCRIRE À ATHÈNES À L’ÉPOQUE CLASSIQUE

232 DÉM., Call., 52.6 (trad. CUF). Nous avons discuté la nature du support de cet écrit infra.233 BOGAERT, op. cit., p. 54.234 DÉM., Tim., 49.5 (trad. CUF).235 DÉM., Tim., 49.44 (trad. CUF).

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“Quand j’ai apporté les livres devant l’arbitre, Phormion et Euphraios, qui avaientversé l’argent à son ordre, étaient présents : ils lui ont fait constater la date dechaque emprunt, le nom de celui qui avait touché et l’emploi de l’argent”.

Pour R. Bogaert, ces grammata avaient “la forme d’un journal [et étaient] enmême temps un livre de caisse”236. En outre, le banquier disposait d’un autre livredans lequel les titulaires des comptes de dépôt avaient chacun une entrée particu-lière. Ce type d’opération financière requérait une gestion précise car elle pouvaitavoir une durée importante et comporter plusieurs retraits. Au départ, un individudépose une certaine somme à la banque. Il peut ensuite la retirer en totalité ou enplusieurs fois. Le banquier devait donc connaître avec précision le montant du créditdu client, sous peine de perdre de l’argent237.

Hormis cette opération particulière, R. Bogaert considère que le système se carac-térisait par une simplicité en matière d’écriture238. Les ordres de paiement étaientmême le plus souvent oraux, même si cela ne tient pas à un supposé analphabétismedes marchands mais à “l’absence d’une cursive, d’une écriture personnelle, difficile àimiter”239. Les sources ne mentionnent qu’un seul ordre écrit, celui donné par Lycônà Képhisiadès dans le Contre Callipos240. Un orateur indique même qu’un documentécrit est souvent insuffisant241 :

ÖEstin oÔn oÏtv tiw ényr≈pvn êtopow, Àsy' ì toÁw kur$ouw diekroÊsatomØ kataye›nai tosoËton xrÒnon, taËta t“ mØ kur$ƒ p°mcanti grãmmay'•k∆n épodoËnai;

“Y-a-t-il un homme assez absurde pour payer spontanément, sur simple lettre, àcelui qui n’est pas son créancier une dette dont il a frustré si longtemps ceux quil’étaient ?”

Le paiement s’effectue le plus souvent sans remise de quittance, les témoins suffi-sent242 ; l’inscription dans le livre fait alors office de preuve.

Cette thèse repose toutefois sur l’idée que l’expression trapezitikå grãmmataest synonyme de grammate›on243. Or, il s’agit de deux types de support différents.R. Bogaert reconnaît lui-même l’existence de plusieurs types de documents pour lescomptes de dépôts244. La première expression désigne les livres du banquier, sans

LES DIFFÉRENTS DEGRÉS D’ALPHABÉTISATION DANS L’ATHÈNES CLASSIQUE 105

236 BOGAERT, op. cit., p. 380.237 Voir DÉM., Call., 52.3.238 BOGAERT, op. cit., p. 381-382.239 BOGAERT, op. cit., p. 337. Toutefois, deux passages de Démosthène (DÉM., Aphob. III, 29.21 etApat., 33.17) indiquent qu’un esclave était capable de reconnaître son écriture. Sur l’analphabétismesupposé des marchands, cf. à présent J.-P. WILSON, The ‘Illiterate Trader’ ?, BICS 42, 1998, p. 29-53.240 DÉM., Call., 52.24.241 DÉM., Naus., 38.12 (trad. CUF).242 BOGAERT, op. cit., p. 334 cite DÉM., Phorm., 34.30. Mais ce passage décrit simplement une opéra-tion de remboursement entre particuliers. Le cas des banques est peut-être différent.243 BOGAERT, op. cit., p. 55. Il est évident que dans certains cas le mot grammateion peut renvoyer à unregistre, celui du dème (cf. aussi aussi le cas plus mystérieux du grammateion qui sert de support à laliste des débiteurs de la tribu Léontis cité dans DÉM., Theocr., 58.18).244 BOGAERT, op. cit., p. 380.

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doute proches par leur forme de ceux de l’époque médiévale245. Un orateur évoqueainsi devant le tribunal les livres qui viennent de Pasion et qui renferment les nomsdes débiteurs et le montant de leurs dettes246. Il s’agit clairement d’un dossier : Otowgår §k m¢n t«n xre«n ımoË tãlant' e·kosin efisp°praktai §k t«n grammãtvnœn ı patØr kat°lipen “Les créances qu’il a fait rentrer d’après les livres laissés parson père représentent en tout 20 talents”247. Au cours du procès qui oppose Apollo-dore à Timothée, le premier offre de consulter ses livres, au sens d’archives complètesde la banque, afin de prouver son bon droit248 :

Prokalesam°nou d¢ toÊtou prÚw t“ diaithtª ka‹ keleÊontow §negke›n tågrãmmata épÚ t∞w trap°zhw ka‹ ént$grafa afitoËntow, p°mcantow Fra-sihr$dhn §p‹ tØn trãpezan, t“ te Frasihr$d˙ §jen°gkaw ¶dvka zhte›n tågrãmmata ka‹ §kgrãfesyai ˜sa otow Övfeile, ka‹ …w …molÒgei labe›notow tå ént$grafa.

“Comme il m’avait sommé devant l’arbitre de produire les livres de banque, dontil réclamait la copie, il nous a envoyé Phrasiéridès, à qui j’ai fourni les livres pourfaire les recherches et prendre copie de toutes les dettes de Timothée”.

La recherche qui est mentionnée laisse entendre que Phrasiéridès consulte unensemble documentaire et qu’il extrait d’une comptabilité complète les seules dettesdu stratège athénien. L’ordre était chronologique et on peut supposer que les diffé-rents archontats structuraient l’organisation des livres249.

La deuxième expression, grammate›on, n’est en rien synonyme des grãmmatamentionnés ci-dessus. Un passage du Contre Callipos en offre une illustration nette.À la veille de son départ pour la Libye, Lycôn, originaire d’Héraclée, ouvre uncompte de dépôt auprès de Pasion avec mandat de remettre la somme à Képhisiadès,ce que conteste Callipos qui s’en prétend propriétaire250 :

TÊxhw d¢ sumbãshw toiaÊthw t“ LÊkvni toÊtƒ Àste eÈyÁw §kpl°ontaaÈtÚn per‹ tÚn ÉArgolikÚn kÒlpon ÍpÚ l˙str$dvn ne«n tã te xrÆmatakataxy∞nai efiw ÖArgow ka‹ aÈtÚn tojeuy°nta époyane›n, ¶rxetai §p‹ tØntrãpezan Kãllippow oÍtos‹ eÈyÁw §rvt«n, LÊkvna ÑHrakle≈thn efigign≈skoien. ÉApokrinam°nou d¢ Form$vnow toutou‹ ˜ti gign≈skoien, ‘îraka‹ §xr∞to Ím›n’; ¶fh ı Form$vn: ‘ÉAllå prÚw t$ §rvtòw;’ ‘prÚw t$; ¶fh: §g≈soi §r«. ÉEke›now m¢n teteleÊthken, §g∆ d¢ projen«n tugxãnv t«n ÑHrak-levt«n. ÉAji« dÆ se de›ja$ moi tå grãmmata, ·n' efid« e‡ ti katal°loipenérgÊrion: §j énãgkhw gãr mo$ §stin èpãntvn ÑHraklevt«n §pimele›syai’.ÉAkoÊsaw d' aÈtoË ı Form$vn, Œ êndrew dikasta$, ¶deijen eÈy°vw

106 LIRE ET ÉCRIRE À ATHÈNES À L’ÉPOQUE CLASSIQUE

245 Ibid., p. 381 cherche à établir des parallèles avec les documents médiévaux : “La tenue des livres étaitcertainement très simple comme celle des banquiers du XIIIe siècle”.246 DÉM., P. Phorm., 36.20-21.247 DÉM., P. Phorm., 36.36 (trad. CUF).248 DÉM., Tim., 49.43 (trad. CUF).249 Nous faisons cette supposition en raison de DÉM., Tim., 49.59.250 DÉM., Call., 52.5-6 (trad. CUF sauf pour le deuxième paragraphe). La suite du passage est cité supra.

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paraxr∞ma. De$jantow d¢ aÈtoË tÚ grammate›on, énagnoÁw aÈtÚw ka‹êllow oÈde$w, ka‹ fid∆n gegramm°non §n aÈt“.

“Le malheur voulut que le navire de Lycôn, dès le début de la traversée, fût pris pardes navires pirates dans le golfe d’Argolide ; la cargaison fut amenée à Argos et lui-même périt, ayant été atteint d’une flèche. Tout de suite, Callipos se présente à labanque et demande si on connaissait Lycôn d’Héraclée. Phormion, ici présent,répondit que oui : ‘Était-il votre client ? — Pourquoi cette question ? dit Phormion.— Pourquoi, je vais te le dire. Il est décédé ; or il se trouve que je suis proxène desgens d’Héraclée : je demande à voir les livres pour savoir s’il a laissé de l’argent ;mon devoir est de veiller aux intérêts de tous les Héracléotes.’L’ayant écouté, juges, Phormion produisit le document immédiatement et sansdétour. Ayant montré la tablette et ayant vu ce qui était écrit à l’intérieur, il nelaissa à personne d’autres le soin de la lire”.

Précisément parce qu’il est question d’un compte de dépôt, Phormion produit icinon pas la totalité du registre mais la tablette du compte de Lycôn251. L’hypothèsetrouve confirmation avec la traduction d’un troisième terme associé aux documentsécrits des banquiers, les ÍpomnÆmata252. Si l’on en croit R. Bogaert, ce mot désigne“chaque poste dans les livres de banque”253. Cependant, la traduction que proposeL. Gernet de ce mot laisse penser qu’il s’agit d’un document annexe et non d’unerubrique du livre. Il s’agirait d’un document qui “comportait, outre le nom du man-dataire, celui du tiers qui devait le présenter et certifier son identité”254. Il prendappui sur deux passages du Contre Timothée255 :

Doy°ntow to$nun toË érgur$ou toÊtou §grãcato m¢n Ùfe$lonta tÚn keleÊ-santa xr∞sai TimÒyeon, ÍpÒmnhma d¢ §grãcato, ⁄ te otow §k°leusedoËnai, ÉAntimãxƒ, ka‹ ˘n ı ÉAnt$maxow sun°pemcen §p‹ tØn trãpezanlhcÒmenon tÚ érgÊrion, tÚn AÈtÒnomon, tåw xil$aw triakos$aw draxmåwka‹ pentÆkonta ka‹ m$an ka‹ dÊ' Ùbol≈.

“Quand le versement eut lieu, Timothée, le mandant, fut inscrit comme débiteur ;et un bordereau fut dressé qui portait le nom du mandataire : Antimachos ; le nomde celui qu’Antimachos avait envoyé à la banque pour toucher : Autonomos ; lasomme : 1351 drachmes 2 oboles”.

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251 Cette interprétation est conforme avec l’hypothèse de BOGAERT, op. cit., p. 350 n. 263 sur lesarchives des comptes de dépôt. Elle n’est pas contredite par DÉM., Call., 52.19 qui indique que Cal-lipos a demandé à Phormion de lui produire les livres (grammata) pour qu’il puisse connaître la sommequi devait être remise à Képhisiadès. Il est logique de considérer que la recherche ne peut se faire quedans le registre général de la banque ou dans l’ensemble documentaire récapitulatif et non dans uneseule tablette. Cf. aussi DÉM., Dion., 56.1 cité infra.252 L’affaire de l’héritage du père de Démosthène laisse entrevoir une synonymie possible entre leshypomnèmata et le grammateion. En effet, lorsque l’orateur évoque le comportement des ses tuteurs, illes accuse d’avoir scellé des hypomnèmata qui ne sont pas le testament (DÉM., Aphob. II, 28.6). Un peuplus loin, il décrit l’un de ces documents comme un grammateion (DÉM., Aphob. II, 28.14).253 BOGAERT, op. cit., p. 57. Voir aussi la discussion de la traduction de L. Gernet (Ibid., p. 381 n. 454).254 L. Gernet dans son introduction au Contre Callipos dans Plaidoyers civils III, p. 69-70.255 DÉM., Tim., 49.8 (trad. CUF).

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Dans un autre passage, L. Gernet propose une traduction identique : ÍpÒmnhmad' §grãcato tÆn te xre$an efiw ∂n §lÆfyh tÚ érgÊrion ka‹ tÚ ˆnoma toËlabÒntow “sur un bordereau fut indiquée la destination de l’argent et le nom decelui qui l’avait touché”256.

R. Bogaert oppose un autre passage de ce plaidoyer dans lequel l’orateur raconteles débats qui ont eu lieu devant l’arbitre257. Les grammata ont été amenés et on ytrouve les mêmes informations que dans le bordereau mentionné ci-dessus : pr≈taw§dane$sato toË Mounixi«now mhnÚw m°llvn §kple›n §p‹ Svkrat$douêrxontow “Pour le premier article, celui des 1351 drachmes 2 oboles qu’il avaitempruntées au mois Mounychion de l’archontat de Socratidès…”258. Plus loin, l’ora-teur prévient le tribunal259 : ÉApolog$an to$nun poiÆsetai ˜ti §n to›w grãmmasinto›w trapezitiko›w §p‹ ÉAlkisy°nouw êrxontow ∑n gegramm°now tÒ te naËlont«n jÊlvn efilhf∆w ka‹ tØn timØn t«n fial«n, ˘ ép°teisen Timosy°nei Íp¢rtoÊtou ı patÆr “Il se prévaudra de ce que, dans les livres de la banque, il figure,l’année de l’archontat d’Alkisthénès, comme ayant été débité du fret, des bois et duprix des coupes que mon père a payé pour lui à Timosthénès”. Ces différents pas-sages constitueraient la preuve de l’identité matérielle entre grammata et hypomnè-mata. Pourtant, ces deux opinions ne sont pas exclusives l’une de l’autre. L’existenced’un livre de banque qui offre une récapitulation des différents mouvements finan-ciers n’empêche pas le banquier de constituer des dossiers, une tablette par client,afin de déterminer immédiatement l’état du compte. En l’absence de sources archéo-logiques, il convient de rester prudent sur la matérialité des supports d’écriture desbanquiers.

Deux éléments complémentaires permettent de douter de l’existence d’un seullivre. D’abord, nous savons que les informations que les banquiers mettaient parécrit n’étaient pas effacées au fur et à mesure que les transactions se déroulaient,comme en témoigne la tenue de procès plusieurs années après les faits, par exemplele Contre Callipos. Pourtant, au cours de l’arbitrage, Apollodore, l’héritier de Pasionmort entre temps, est capable de fournir les registres dans lesquels figurent le comptede Lycôn260. Dans la même affaire, l’effacement (épale$fv) est présenté commeune fraude261. Les banquiers conservaient donc des archives très longtemps et lestransmettaient à leurs héritiers qui poursuivaient les affaires de banque262. Alors quedans le même temps, les archives de la cité témoignent d’un ordre certain et d’unequalité de conservation, il est peu probable que les banquiers se privaient de posséderplusieurs supports afin de faciliter leur travail. En outre, bon nombre des transac-tions se déroulaient sans témoin263. Enfin, les grammata n’étaient pas les seuls docu-

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256 DÉM., Tim., 49.30 (trad. CUF).257 BOGAERT, op. cit., p. 381 n. 454.258 DÉM., Tim., 49.44 (trad. CUF). Le début du passage est cité supra.259 DÉM., Tim., 49.59 (trad. CUF).260 DÉM., Call., 52.43-44 cité en partie supra.261 DÉM., Call., 52.27 et 29.262 Voir DÉM., Tim., 49.42.263 ISOCR., Trap., 17.2 (trad. CUF) : Tå m¢n går sumbÒlaia tå prÚw toÁw §p‹ ta›w trap°zaiw êneumartÊrvn g$gnetai “Les engagements avec les banquiers ont lieu sans témoins”. Cf. aussi DÉM.,Tim., 49.2.

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ments à attester les transactions financières, un contrat pouvait s’y rapporter. L’ac-cusation de Démosthène contre Aphobos, selon laquelle ce dernier et les autres cotu-teurs auraient fait disparaître les actes de prêts et falsifier les registres le montre264.

Ensuite, les banquiers pouvaient être amenés à dissimuler une partie des dépôtsqui étaient faits à leur bureau afin de cacher la fortune d’un client pour éviter que ladéclaration de fortune à la cité en tienne compte. Dans le Trapézitique, le deman-deur fait état d’une dissimulation d’une somme déposée chez Pasion sur les conseilsde ce dernier265. Si cela entraînait l’effacement de la comptabilité, il n’en demeurepas moins que le banquier devait en conserver la trace pour savoir où il en était etéventuellement faire apparaître de nouveau la somme en question266. De même, lors-qu’il transmettait à son héritier les affaires de la banque, ce dernier devait êtreinformé avec précision de l’état réel des comptes267.

Ainsi, les affaires de banque étaient avant tout des affaires d’écriture. Elles suppo-saient un maniement habile des tablettes et autres registres afin de pouvoir agir vite,pour un client ou devant un tribunal. Lorsque Pasion entreprend d’apprendre lemétier de la banque à Phormion, il lui apprend à lire268. Cela ne signifie pas que cedernier réalise lui-même les écritures. Il disposait selon toute vraisemblance depetites mains d’origine servile, à l’instar de ses clients. Pasion devait remettre à Anti-machos une somme déposée par Timothée. En réalité, ce fut Autonomos, dont lenom semble révéler une origine servile sinon une condition, qui gère les affairesd’Antimachos269. Il est intéressant de constater que le verbe utilisé, grammateÊv,renvoie explicitement à un travail d’écriture. Le banquier possédait toutefois un livrerécapitulatif dans lequel l’ensemble des opérations de sa banque figurait, ainsi éven-tuellement que des prêts faits à des amis. Il pouvait ainsi à tout moment déterminerla valeur réelle de ses biens, tå lhfy°nta ka‹ tå tey°nta270. “Il n’avait qu’à addi-tionner le montant de ses créances et l’encaisse et déduire de ce total le montant desdépôts”271.

** *

L’alphabétisation des Athéniens ne saurait donc être réduite en une connaissancerudimentaires des lettres de l’alphabet. Aux côtés des penseurs, philosophes, logo-graphes et historiens, dont l’activité intellectuelle et professionnelle supposait uneparfaite maîtrise de l’écriture, nombreux sont les Athéniens qui maniaient des docu-ments dans leur vie quotidienne. La banalité des correspondances privées est de ce

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264 DÉM., Aphob. III, 29.36.265 ISOCR., Trap., 17.7-8.266 BOGAERT, op. cit., p. 350 n. 263.267 DÉM., Tim., 49.42.268 DÉM., Steph. I, 45.72 (trad. CUF) : ÉEpeidØ d' ı patØr ı ≤m°terow trapez$thw $Õn §ktÆsat'aÈtÚn ka‹ grãmmat' §pa$deusen ka‹ tØn t°xnhn §d$dajen ka‹ xrhmãtvn §po$hse kÊrionpoll«n (“Il fut acquis par notre père qui était banquier, qui lui apprit à lire, qui l’initia à son com-merce, qui mit de grandes sommes à sa disposition”).269 DÉM., Tim., 49.7.270 DÉM., Tim., 49.5.271 BOGAERT, op. cit., p. 366.

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point de vue à souligner. En outre, il faut sans doute mentionner le biais induit parles sources à notre disposition. À de rares exceptions près, nous ne pouvons appré-cier ce recours quotidien à l’écriture que par des mentions indirectes. Si l’étude deces dernières est révélatrice, il est vraisemblable que l’appréciation de la qualité géné-rale de l’alphabétisation serait plus nette encore si nous possédions les documentsrédigés et utilisés par les Athéniens.

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DEUXIÈME PARTIE

LES ARCHIVESDANS L’ATHÈNES CLASSIQUE

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CHAPITRE III

ARCHIVES CIVIQUES

L’instauration de l’isonomie et de nouvelles institutions après 510, en particulierla Boulè des Cinq Cents, marque une rupture dans l’histoire des archives athé-

niennes. Les historiens ont eu pourtant tendance à réduire l’histoire des archivesathéniennes à celle du Métrôon qui commencerait donc seulement au IVe siècle.Pour la période précédente, si l’on excepte les positions extrêmes de Kahrsted quiconsidérait qu’il n’y avait pas d’archives avant 4031, un relatif consensus semble s’êtreétabli. Chaque institution, Boulè et magistrats en particulier, conservait les docu-ments dont elle avait besoin pour son fonctionnement. La dispersion était la règle.À la suite du coup oligarchique des Quatre Cents, les Athéniens décideraient d’har-moniser les thesmoi et nomoi de Dracon et de Solon avec des dispositions prises plustard2. Il s’agissait de mettre un terme à la confusion qui régnait du fait de l’existencede dispositions multiples entre lesquelles il était difficile d’établir une hiérarchie.Une telle opération ne pouvait pas ne pas modifier la gestion des archives athé-niennes. Il fallait par exemple être capable de retrouver tous les documents intéres-sant une question donnée et prévoir pour l’avenir une organisation efficace. Or dansleur grande majorité, les historiens considèrent que cela n’était pas possible avantl’institution du Métrôon comme archives centrales de la cité, ce qui résulterait jus-tement de la révision des lois des années 400.

L’expression d’archives centrales pour désigner cette institution porte toutefois àconfusion. Elle supposerait en effet l’existence d’un lieu unique pour la conservationdes documents ce qui n’a aucun sens pour Athènes, ni même pour l’époque contem-poraine. Bien plus, elle masque l’importance d’autres archives, telles celles desdèmes3. Enfin, les travaux de J. Sickinger ont montré la qualité et la quantité desécrits conservés au Ve siècle, atténuant de fait la mutation qui intervient à la fin dusiècle4. Pourtant, l’historien américain n’est pas loin de partager la communis opiniosur le désordre5. Il y a là une contradiction qu’il faut tenter de résoudre.

1 U. KAHRSTED, Untersuchungen zur athenischen Behörden. II Die Nomotheten und die Legislativein Athen, Klio 37, 1938, p. 1-32, repris par Ch. HIGNETT, A History of the Athenian Constitution to theEnd of the Fifth Century B.C., Oxford, 1952.2 A cette occasion, la distinction entre lois et décrets serait établie, ce qui rendait possible une certainecohérence : cf. pour une présentation générale M.H. HANSEN, The Athenian Ecclesia. A Collection ofArticles 1976-1983, Copenhague, 1983, p. 161-177 et p. 179-206 et A.R.W. HARRISON, Law-Makingat Athens at the End of the Fifth Century B.C., JHS 75, 1955, p. 26-27 qui met en relation la dis-tinction entre lois et décrets d’une part et la conservation des documents publics d’autre part.3 Cf. chapitre 4.4 SICKINGER, Public Records, en particulier p. 62-92.5 Ibid., p. 96 à propos des décrets et des lois au Ve siècle : “Both were housed without distinction withinthe records of the particular secretary under whom they had been ratified”. R.S. STROUD, Drakon’s Lawon Homicide, Berkeley, 1968, p. 24 livre un jugement similaire : “The laws of Athens existed on the old

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1. Archives, Bouleutérion et Boulè au Ve siècle

A. BOULEUTÉRION, MÉTRÔON ET ARCHÉOLOGIE

La majorité des historiens acceptent le modèle suivant. L’Ancien Bouleutérion estconstruit c. 500 en même temps qu’un petit temple situé sous la partie nord de lavaste pièce septentrionale du Métrôon hellénistique — nous ignorons la divinité àlaquelle il était voué — qui est détruit par les Perses en 480 et jamais reconstruit6 ;entre 415 et 406, un Nouveau Bouleutérion est construit7 ; l’Ancien Bouleutérionaccueille alors les archives et prend le nom de Métrôon, une statue est réalisée, peut-être par un élève de Phidias, Agoracritos, ou bien par le maître lui-même8 ; vers 140,un bâtiment remplace Bouleutérion et archives, le Métrôon hellénistique.

Au sud-ouest de l’Agora, une construction de forme carrée a été identifiée commeétant le Bouleutérion ; on le nomme Ancien Bouleutérion9. La date est incertainemais tourne autour du début du Ve siècle10. Son identification procède toutefois plusd’une argumentation logique que d’éléments archéologiques11. De façon générale, sasuperficie est plus importante que celle du Nouveau Bouleutérion. L’entrée se faisaitpar un vestibule, la première pièce au sud. La deuxième n’a révélé aucune trace desièges. Les archéologues en ont déduit qu’ils étaient en bois12. Cette nouvelleconstruction semble avoir des liens avec le bâtiment F qui accueillait les magistratsdès le VIe siècle. De ce point de vue, une certaine continuité prévaut.

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axones and kurbeis of Drakon and Solon, on poros and marble stelai and altars of various sizes andshapes, on bronze stelai and probably bronze plaques and tablets, on painted wooden boards or merelyon papyri in the state archive”. Le thème du désordre des archives athéniennes avant la révision sembleêtre un lieu commun parmi les historiens (P.J. RHODES, The Athenian Code of Laws, 410-399 B.C.,JHS 111, 1991, p. 92 : “But in a state which did not keep efficient records it not doubt proved diffi-cult to discover all the laws that were currently valid”).6 L’orientation des deux bâtiments est identique et tout laisse à penser la simultanétité des construc-tions. H.A. THOMPSON et R.E. WYCHERLEY, The Agora of Athens. The Athenian Agora 14, Princeton,1972, p. 30-31 pensaient que ce bâtiment était voué à la Grande Mère et que le Conseil était placé soussa protection en raison de la topographie.7 THOMPSON et WYCHERLEY, op. cit., p. 31-35 ; J.H. BOERSMA, Athenian Building Policy from 561/0 to405/4 B.C., Groningen, 1970, p. 93 ; J.M. CAMP, The Athenian Agora. Excavations in the Heart of Clas-sical Athens, Londres, 1986, p. 90-91.8 ARRIEN, Périple, 9 ; PAUS. 1.3.5 ; PLIN., Hist. nat., 36.17.9 H.A. THOMPSON, Buildings on the West Side of the Agora, Hesperia 6, 1937, p. 127-135. 10 Pour les justifications les plus récentes, voir T. LESLIE SHEAR, ÉIsonÒmouw t' ÉAyÆnaw §poihsãthn :The Agora and the Democracy, in W.D.E. COULSON et alii, The Archeology of Athens and Attica underthe Democracy, Oxford, 1994, p. 236.11 THOMPSON, op. cit., p. 205 insiste sur la nécessité pour les Athéniens d’avoir un espace pour accueillirle Conseil dès le début du Ve siècle. THOMPSON et WYCHERLEY, op. cit., p. 29 n.25 font observer quecertains éléments archéologiques pourraient amener à une date postérieure à 480 car aucune destruc-tion perse n’a pu être reconnue. Mais la céramique renforce une date haute tout comme la nature desfondations de ce bâtiment. De plus, au nord se trouvait un temple qui aurait gêné ceux qui étaient assissur les bancs installés le long de la pente du Kôlonos. Or celui-ci a été détruit lors de l’invasion perse.Dès lors, l’Ancien Bouleutérion était antérieur à 480.12 THOMPSON, op. cit., p. 127-140 et THOMPSON et WYCHERLEY, op. cit., p. 30.

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À la fin du Ve siècle, le Nouveau Bouleutérion fut construit, à l’ouest de son pré-décesseur qui devint le Métrôon13. La céramique et d’autres menues trouvailles, ainsique la technique architecturale utilisée, indiquent la dernière décennie du siècle.Cette nouvelle construction s’expliquerait par les dommages causés lors des troublesdes années 411 et 410 ; on sait par ailleurs que la Tholos avait subi des dégradations.De simples réparations auraient été plus simples. Mais H. A. Thompson a émis l’hy-pothèse d’un commencement des travaux en vue de la construction du NouveauBouleutérion avant les incendies à cause desquels le plan aurait été au final modifié14.Dès lors, les motivations pour le nouveau bâtiment précèderaient l’incendie. Ellesconcernaient peut-être l’accroissement de l’espace dévolu à l’archivage dans l’AncienBouleutérion. La concomitance avec l’introduction du culte de la Mère aurait induitla construction de cet ensemble plutôt qu’un bâtiment consacré aux seules archives.“Apparently the most convenient and economic solution was to build a new Bou-leuterion and reserve the old one for the goddess and the archives, rather than tobuild two separate, new structures, a temple and archives”15. À l’intérieur du Nou-veau Bouleutérion, une estrade facilitait la prise de parole pour les conseillers tandisque des sièges particuliers paraissent avoir été réservés pour les prytanes16. Grilles etportes empêchaient ceux qui n’appartenaient pas au Conseil de pénétrer à l’intérieurdu bâtiment.

L’Ancien Bouleutérion était associé avec le Métrôon mais la nature exacte de leursliens reste à définir. Les sources littéraires diffèrent d’ailleurs sur ce point, toutes nereconnaissant pas la séparation physique entre les deux bâtiments. Une scholie àEschine affirme que les Athéniens ont amputé l’espace du Bouleutérion pour yaccueillir le Métrôon alors que l’orateur les décrit l’un à côté de l’autre17. Cette oppo-sition s’expliquerait par les transformations du Ve siècle. Le Nouveau Bouleutérionservit à accueillir le Conseil tandis que l’Ancien devint le temple de la Mère et lesarchives de la cité. L’archéologie ne permet toutefois pas de séparer distinctementl’espace intérieur de ce dernier bâtiment et donc de préciser l’espace dévolu à laconservation des documents18. De ce fait, il n’est pas possible d’induire quoi que cesoit de la superficie.

L’identification du Métrôon du IVe siècle repose sur un certain nombre de faits.Un décret de 353/2 qui règle les offrandes des premiers fruits pour Éleusis prescritau secrétaire de placer la stèle devant le Métrôon, au-dessus du décret de Chairémo-nidès qui datait probablement de 403/219. Les fouilles ont révélé une base inscritequi accueillait la statue d’un prêtre de la Mère. Enfin, lors de la campagne de 1935,une dédicace à cette déesse a été trouvée. “None of the objects noted above has been

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13 THOMPSON et WYCHERLEY, op. cit., p. 31-35 ; BOERSMA, op. cit., p. 93 ; CAMP, op. cit., p. 90-91.14 THOMPSON, op. cit., p. 132.15 BOERSMA, op. cit., p. 93.16 ANT., Sur le Chorente 6.40 et LYS., Agor., 13.37. L’identification du bâtiment s’appuie principalementsur les fragments de bancs en marbre ainsi que sur la description de Pausanias, voir THOMPSON etWYCHERLEY, op. cit., p. 32.17 Scholie à ESCHN., Ctes., 3.187 (m°row toË bouleuthr$ou §po$hsan ofl ÉAyhna›oi tÚ Mhtr“on) ;ESCHN., Ctes., 3.187 : §n t“ Mhtr–ƒ parå tÚ bouleutÆrion.18 La même remarque peut être faite à propos du Métrôon hellénistique (THOMPSON et WYCHERLEY,op. cit., p. 38).19 IG II2, n° 140.

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found strictly in situ and they are all so small that any of them might have beentransported far from its original position. but that they should all have been gatheredto this one spot at widely different times and from a distance is quite incredible.Their combined evidence may be regarded as conclusive”20.

Récemment, l’identification de l’Ancien Bouleutérion a été remise en question21.Le Nouveau Bouleutérion, construit à la fin du Ve siècle, est nettement plus petit quele premier, de l’ordre de 40% ; ce qui est étonnant car le caractère démocratique durégime ne cesse de croître. La question de savoir si le Conseil se réunissait dans l’An-cien Bouleutérion doit donc être posée. La réponse est à coup sûr négative pour lesdeux derniers siècles et demi de l’existence de ce bâtiment. Il était l’ancêtre à toutpoint de vue du Métrôon hellénistique et devait, au IVe siècle, être appeléMétrôon22. Les archives y étaient conservées. Dans ce bâtiment encore, les mauvaisesmonnaies étaient récupérées afin de les remettre en circulation23. Tout ceci cadre malavec la restauration traditionnelle de l’Ancien Bouleutérion et de ses sièges, bâtimentqui portait le nom de Métrôon peut-être depuis les origines, au moins depuisl’époque d’Alcibiade si l’on en croit Athénée24.

La reconstitution traditionnelle de l’Ancien Bouleutérion, s’accorde mal avec lafonction de conservation de documents. Pourquoi les Athéniens auraient-ils gardéune infrastructure destinée à l’accueil d’une assemblée de cinq cents personnes poury placer leurs archives ? La présence de sièges n’est pas avérée mais supposée, en outrecontre la pente, ce qui n’est pas habituel. Enfin, l’intérieur du bâtiment est très malconnu et nous sommes condamnés le plus souvent à des suppositions. Selon S. G.Miller, le Métrôon hellénistique serait une extension de celui de l’époque précé-dente25. Il remarque que rien ne vient contredire cette nouvelle hypothèse, ni auniveau archéologique, ni au niveau architectural. Dès lors, la statue du culte et l’autelde l’époque hellénistique recouvraient leurs prédécesseurs du Ve siècle. Le nom deMétrôon paraît s’imposer depuis le début. “If this interpretation is correct, and giventhe little ‘Temple of Meter’ never existed, then the construction of a monumentalcult place for the Mother comes early in the development of the civic center in theClassical Agora, and would appear to have been an important element in the demo-cratic institutions that were then developing”26. Il ne serait pas alors impossible depenser que les archives ont très tôt joué un rôle essentiel dans la vie civique.

Mais en trouvant un Métrôon de l’époque classique, nous avons perdu le Bou-leutérion. Une première remarque peut être faite. Ce terme n’entraîne pas automa-tiquement un bâtiment fermé. Les sources littéraires parlent parfois de l’Ecclesiasté-rion pour désigner le lieu de la réunion, pourtant en plein air. La deuxième concernela chronologie. Quand la Boulè a-t-elle formellement fait partie du gouvernement de

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20 THOMPSON, op. cit., p. 205.21 Cf. S.G. MILLER, Old Metroon and Old Bouleuterion in the Classical Agora of Athens, inM.H. HANSEN et K. RAAFLAUB (éd.), Studies in the Ancient Greek Polis, Historia/Einzelschriften, Stutt-gart, 1995, p. 133-156.22 Voir ESCHN., Ctes., 3.187 avec LESLIE SHEAR, op. cit.23 Cf. OSBORNE & RHODES, n° 25, l. 12 le décret concernant la monnaie à Athènes ; il existe peut êtreun lien entre les archives et la frappe de monnaie, notamment le sceau.24 ATHÉNÉE. 9.407.b-c rapporte une anecdote (fin Ve) dans laquelle ce bâtiment portait le nom de Métrôon.25 MILLER, op. cit., p. 141 fig. 4.26 Ibid., p. 143.

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la cité ? Le bâtiment l’accueillant a-t-il été créé en même temps que l’institution oubien la Boulè a-t-elle connu une augmentation de la fréquence de ses réunions et deson importance dans le gouvernement de la cité ? Si cette dernière hypothèse s’avé-rait juste, alors la construction d’un bâtiment fermé, pour garantir la sérénité desdébats, devient logique à un moment donné de cette évolution. Il y aurait d’abordeu un espace en plein air pour des rencontres épisodiques, puis une aire construiteen dur, avec des sièges à mesure qu’elles devenaient plus fréquentes et enfin quoti-diennes. Le Bouleutérion de l’époque classique pourrait se trouver au NNE de l’an-cien Métrôon, espace dans lequel quatre rangées de sièges ont été dégagées qui pou-vaient accueillir semble-t-il cinq cents personnes27. Selon S. G. Miller, cet ensembleappartient à un programme de construction plus vaste comprenant la Tholos etl’Ancien Métrôon, i. e. l’Ancien Bouleutérion selon la communis opinio. Cet espaceen plein air devait être séparé de l’Agora d’une quelconque façon. En utilisant à lafois les sources littéraires et les sources archéologiques, S. G. Miller reconstruit uneclôture avec une porte centrale28. Le Nouveau Bouleutérion aurait été bâti à l’ex-trême fin du Ve siècle, sous le coup du traumatisme causé par les Trente, notammentpar l’arrestation et l’exécution de Théramène29. Le Conseil se réunissait auparavanten plein air.

Cette hypothèse a été fortement critiquée par T. Leslie Shear, auquel S. G. Millera répondu dans des remarques additionnelles30. L’argumentation s’organise autourde plusieurs éléments. Tout d’abord, il discute les aspects archéologiques, notam-ment la stratigraphie du site31. Il reconnaît que la forme inhabituelle de l’AncienBouleutérion — le Métrôon pour Miller —, trois pièces côte à côte derrière unecolonnade octostyle en façade, est totalement étrangère aux constructions reli-gieuses32. Toutefois, si on veut bien le considérer comme un bâtiment d’archives, etce dès le Ve siècle, ce qui serait cohérent avec le développement de la conservationdes documents à Athènes, alors une architecture non conforme est bien moins éton-nante. T. Leslie Shear s’interroge ensuite sur la date de l’introduction du culte de laDéesse Mère à Athènes et surtout de son association avec les archives centrales athé-niennes. Il conclut que le culte n’est pas antérieur à la fin du Ve siècle ce qui inva-lide l’hypothèse de S. Miller33. Il lui reste enfin à établir à quel moment du dernierquart du Ve siècle les bouleutes se sont installés dans de nouveaux quartiers et ontconsacré leur ancien bâtiment à la déesse mère. Ce dernier a-t-il eu comme fonctiondès le début de lieu de conservation des documents ? T. Leslie Shear répond par l’af-firmative car le plan permet d’affirmer que le Nouveau Bouleutérion a été conçupour avoir des liens particuliers avec l’Ancien.

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27 Ibid., p. 145 n. 34-35. Certains y ont vu le site d’un des tribunaux athéniens ce que contesteS. G. Miller.28 Pour une représentation figurée, cf. Ibid., p. 150 ; cf. aussi XÉN., Hell., 2.50 qui mentionne une“balustrade” selon la traduction CUF. L’explication fournie en note à propos de ce passage n’est pas trèsexplicite.29 Ibid., p. 152.30 T. LESLIE SHEAR, Bouleuterion, Metroon and the Archives at Athens, in HANSEN et RAAFLAUB (éd.),op. cit., p. 157-190 et MILLER, op. cit., p. 154-156.31 LESLIE SHEAR, op. cit., p. 159-165.32 Ibid., p. 169 et MILLER, op. cit., p. 155.33 Sur ce point, cf. infra.

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Finalement, si l’archéologie permet d’introduire une réflexion sur les archives àAthènes au Ve siècle, elle n’est pas en mesure aujourd’hui d’apporter des réponsesassurées. Du reste, T. Leslie Shear n’est pas opposé à l’existence d’archives organiséesavant le Métrôon34. Il faut alors interroger les sources épigraphiques notamment surdeux points essentiels liés entre eux. Existait-il des archives officielles au Ve siècle ?Le Conseil jouait-il un rôle dans la conservation des documents officiels au Ve siècle ?

B. LE CONSEIL ET LA CONSERVATION DES DOCUMENTS OFFICIELS ATHÉNIENS35

a) Des documents du Ve siècle archivés

Salluste rappelle une vieille accusation : les Athéniens devraient leur réputation,c’est-à-dire leur gloire, plus à leurs historiens qu’à leurs actes36. Théopompe deChios, trois siècles auparavant, disait déjà la même chose37. Cette affirmation inté-resse directement la question des archives au Ve siècle. Les Anciens, tout comme lesModernes qui reprennent cette position, critiquent des documents qui accréditentla thèse d’actes héroïques accomplis par les Athéniens et qui seraient des fabricationsultérieures. Ils s’appuyaient sur trois exemples : la bataille de Marathon, le sermentdes Grecs avant la bataille de Platées et le traité des Athéniens avec le roi perse quicorrespond à la paix de Callias38. S’agit-il d’inventions ? Cette possibilité n’est pas àexclure mais elle fait peu de cas du processus qui mène en temps normal à la gravured’un décret39. Les pratiques judiciaires indiquent que les documents lus à ces occa-sions ne sont pas pris au hasard ni encore moins fabriqués pour l’occasion40. Il res-terait alors l’hypothèse d’un nouvel établissement des textes au moment de la révi-sion des lois, une actualisation des documents conservés. Les sources ne permettentpas de dépasser le stade de l’hypothèse.

Il existe en revanche deux décrets du Ve siècle qui ne semblent pas avoir été“inventés” par des orateurs athéniens. La première décision proscrit la torture. Elleest votée sous l’archontat de Scamnadrios41. La seconde, plus tardive, est évoquée parDémosthène dans le Contre Leptine, pour prouver qu’Épikerdès de Cyrène serait lésépar la loi de Leptine alors même qu’il fut un bienfaiteur des Athéniens au momentde l’expédition de Sicile et qu’il avait reçu à ce titre l’atéleia42 :

OÔtow går ènÆr, …w tÚ cÆfisma toËto dhlo› tÚ tÒt' aÈt“ graf°n, to›wèloËsin tÒt' §n Sikel$& t«n polit«n, §n toiaÊt˙ sumforò kayesthkÒsin,¶dvke mnçw •katÚn ka‹ toË mØ t“ lim“ pãntaw aÈtoÁw époyane›n

118 LES ARCHIVES DANS L’ATHÈNES CLASSIQUE

34 LESLIE SHEAR, op. cit., p. 189.35 Cf. à présent SICKINGER, Public Records, p. 73-83.36 SALLUSTE, B.C., 8.3-4.37 THÉOPOMPE, FGrHist 115 F 153 et 154.38 Nous revenons sur cette question chapitre 5.39 Cf. chapitre 5.40 Chapitre 6.41 AND., Myst., 1.43 avec D.M. MCDOWELL, Andokides. On the Mysteries, Oxford, 1962, p. 92-93. Endernier lieu, voir R. DEVELIN, Athenian Officials 684-321 B.C., Cambridge, 1989, p. 51 qui donne labibliographie.42 DÉM., Lept., 20.42 (trad. CUF modifiée).

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afiti≈tatow §g°neto. Ka‹ metå taËta doye$shw étele$aw aÈt“ diå taËtapar' Ím«n, ır«n §n t“ pol°mƒ, prÚ t«n triãkonta mikrÒn, span$zonta tÚnd∞mon xrhmãtvn, tãlanton ¶dvken aÈtÚw §ppaggeilãmenow.

“Cet homme — témoin le décret que voici, rédigé à cette date en sa faveur — alorsque nos concitoyens, prisonniers en Sicile, étaient dans la triste situation que voussavez, leur fit présent de cent mines ; et s’ils n’ont pas tous péri de faim, c’est à luisurtout qu’ils le doivent. Plus tard, après avoir pour ce motif reçu de vous l’atélie,voyant au cours de la guerre, peu de temps avant les Trente, les embarras financiersde la cité, il vous donna spontanément un talent”.

Une inscription est venue confirmer l’allusion de l’orateur43 :

ÉEpik°r[dhw Kurhna›ow]eÈer[g°thw:][¶do]jen t∞i [boul∞i ka‹ t«i dÆmvi:....][..‹w §p]rut[ãneue, ......... §gr]am[m]-[ãteue, ......... §pestãt]e, ÉAlej$aw[∑rxe, ........... e‰pe: §p]ain°sai ÉEp-[ik°rdei t«i Kurhna$]v`i …w ˆnti éndr-[‹ égay«i ka› .... afit]$vi gegenhm°n-[vi ...............]aw tÚw §j Sikel-[$aw .............]n t«i pol°mvi: aÈ-[tÚw går mnçw •katÚn] §yelontØw §w sv-[thr$an ..........]\vsin ÉAyhna$oi[...... étele$aw de]dom°nhw ÍpÚ t? d-[Æmo .......... tãl]anton érgur$o a-[...............] eÔ pepo$hken ÉAyh-[a$vn tÚn d∞mon ka]‹ §`paggeilã-[menow poie› ktl].

Si l’un des dangers demeure de restituer uniquement en fonction du passage del’orateur et donc “à la limite, de montrer que Démosthène s’est inspiré… de lui-même”44, il n’en demeure pas moins que l’allusion démosthénienne est très prochedu texte de cette inscription, en dehors même des restitutions45. Il y a donc tout lieude penser qu’il connaissait ce dernier et qu’il en faisait une citation approximative,puisque l’enjeu du débat ne portait pas sur la nature des honneurs reçus46.

ARCHIVES CIVIQUES 119

43 IG I3, n° 125, l. 1-17. Cf. A. BIELMAN, Retour à la liberté. Libération et sauvetage des prisonniers enGrèce ancienne, Lausanne, 1994, p. 3-7 n° 1 à laquelle on se reportera pour la bibliographie.44 La formule est de M. NOUHAUD, L’utilisation de l’histoire par les orateurs attiques, Paris, 1982, p. 128.Les auteurs de l’avant-dernière édition de cette inscription (IG I3, n° 125) n’ont pas repris toutes les res-titutions de B.D. MERITT, Ransom of the Athenians by Epikerdes, Hesperia 39, 1970, p. 111-114.L’édition d’A. Bielman (op. cit.) a au contraire complété le travail de B. D. Meritt (op. cit.) et de ce faita confirmé l’étroite parenté entre le texte de l’inscription et l’allusion de Démosthène.45 BIELMAN, op. cit., p. 5 n. 8.46 Dans ce même plaidoyer, lorsqu’il s’agit de discuter de la loi de Leptine, Démosthène n’hésite pas àla citer (par exemple DÉM., Lept., 20.29).

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Un autre élément vient confirmer l’existence d’archives avant la fin du Ve siècle,les republications d’inscriptions à la suite des destructions des Trente47. Ainsi, dansle texte concernant les fils d’Apèmantos, on peut lire48 :

ÉA-mÊntori ka‹ EÈrupÊlvi k-a‹ ÉArge$vi ka‹ LÒkrvi ka-‹ ÉAlk$mvi to›w ÉAphmãntopais$, §peidØ kayhir°yh≤ stÆlh [§]p‹ t«n triãkont-a §n ∏i ∑[n a]Èto›w ≤ projen-$a, énagrãc[ai] tØn stÆlhntÚg gramma[t]°a t∞w bol∞wt°lesi to›w EÈrupÊlo ktl.

“Pour Amyntor, Eurypylos, Argéios, Lokros et Alkimos, les enfants d’Apèmantos,attendu que sous les Trente la stèle sur laquelle leur proxénie était inscrite a étédétruite, que le secrétaire de la Boulè fasse graver une stèle aux frais d’Eurypylos”.

Sans ambiguïté possible, le décret le plus récent demande une nouvelle gravure etnon une nouvelle inscription comme proxène49. Cette dernière est acquise etconservée dans les archives de la cité. Un exemple plus net encore est constitué parle décret en l’honneur des Samiens, adopté en 405 et gravé à cette date, détruit parles Trente et gravé de nouveau en 403/250.

Les décrets n’étaient pas les seuls documents à être archivés au Ve siècle. D’autrestypes d’écrits étaient conservés, notamment les différentes listes qui facilitaient lefonctionnement de la vie civique. Le décret de Chalcis contient une clause qui men-tionne explicitement la conservation d’un document : hork?sai d¢ presbe$anÉAyena$on §ly?san §w Xalk$da metå t?n horkot?n toË §n Xalk$di ka‹ épo-grãfsai tÚw ÙmÒsantaw Xalkid°on “Qu’une ambassade athénienne se rende àChalcis pour recevoir les serments en présence des magistrats aptes à recevoir les ser-ments et que l’on dresse la liste des Chalcidiens qui ont prêté serment”51. Il ne faitpas de doute que cette liste est placée dans les archives de la cité au retour des ambas-sadeurs52. Il est intéressant de constater que les Chalcidiens réalisent également une

120 LES ARCHIVES DANS L’ATHÈNES CLASSIQUE

47 Outre le décret infra, voir IG II2, n° 52, A.G. WOODHEAD, Greek Inscriptions, Hesperia 17, 1948,p. 54-60, et IG I3, n° 229 ; cf. plus généralement RHODES, Athenian Boule, p. 82-85. Un autre décret aété republié au IVe siècle et il est possible que cela soit également une conséquence de l’action des Trente(IG I3, n° 227). Les autres documents cités par SICKINGER, Public Records, p. 221 n. 71 paraissent trèsincertains et concernent plutôt la mise sur pierre de décision qui ne l’avait pas été auparavant (IG I3,n° 228 ; IG II2, n° 13, 17 et 77 ou bien sont bien trop fragmentaires pour permettre une quelconqueanalyse (IG II2, n° 49 et 63) voire paraissent hors de propos (IG II2, n° 95).48 IG II2, n° 6, l. 6-15. Voir M.B. WALBANK, Athenian Proxenies of the Fifth Century B.C., Toronto-Sara-sota, 1978, p. 324-328 n° 61.49 Cf. chapitre 5.50 MEIGGS & LEWIS, n° 94.51 IG I3, n° 40, l. 36-39 (trad. Brun).52 J.M. BALCER, The Athenian Regulations for Chalkis, Wiesbaden, 1978, p. 49-50.

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liste des Athéniens qui prêtent serment, signe de la banalité de l’archivage au Ve

siècle53.Outre la liste des archontes, on pense aussi à la liste des stratèges de 441/0 citée

par Androtion comportant onze noms54 :

ÉEp‹ m¢n Sãmvi d°katow aÈtÚw strathg«n (scil. ı Perikl∞w) t«n d°kastrathg«n t«n §n Sãmvi tå ÙnÒmata katå ÉAndrot$vna: Svkrãthw ÉAna-gurãsiow, Sofokl∞w §k KolvnoË ı poiht∞w, ÉAndok$dhw Kudayhna$euw,Kr°vn Skambvn$dhw, Perikl∞w XolargeÊw, GlaÊkvn §k Keram°vn,Kall$stratow ÉAxarneÊw, Jenof«n MeliteÊw, Lamp$dhw PeiraieÊw,Glauk°thw ÉAyhna›ow, Kleitof«n YoraieÊw.

“Voici selon Androtion les noms des dix stratèges lorsque Périclès était l’un d’entreeux pendant la guerre de Samos : Socratès d’Anagyrous, Sophocle de Kôlonos lepoète, Andocide de Kydathenaion, Créon de Scambonidai, Périclès de Cholargos,Glaukon du Céramique, Callistratos d’Acharnè, Xénophon de Mélitè, Lampidèsdu Pirée, Glaukétès Athénien et Cleitophon de Thorai”.

Mais cette liste pose deux problèmes qui ne vont pas sans concerner la validité del’information. Le premier concerne le fait que deux stratèges appartiennent à lamême tribu, le second que leur nombre soit égal à onze. Pour résoudre le deuxièmeproblème, les historiens ont le plus souvent émis l’hypothèse que l’un des noms étaitfaux55. Au sein de la liste, Glaukétès apparaît comme le possible nom interpolé. Eneffet, il pourrait être une répétition de Glaukon et lui seul ne possède pas de démo-tique. L’épithète “Athénien” constitue un élément supplémentaire de doute. Certainsont défendu la possibilité d’une élection de onze stratèges au lieu de dix en arguantd’un passage de Thucydide considéré cependant comme interpolé56. Le contenu decette liste n’est donc pas certain. Quant au premier problème, il semble pouvoir êtrerésolu. Selon la Constitution des Athéniens, l’élection se faisait d’abord par tribu puissur l’ensemble de la communauté, ce qui permettait l’élection de plusieurs magis-trats de la même tribu57. L’élection remonte à 501/0 mais on ne sait pas quand seproduisit le changement. On doit supposer que cette modification intervint avant441/0. De plus, nous connaissons d’autres exemples pour les années qui suivent.Souvent, il s’agit de la tribu Akamantis, celle de Périclès, qui est représenté par deuxindividus : 439/8, 433/2 avec Glaukon et 432/1 et 431/0 avec Karkinos58. Il n’y adonc pas lieu de penser que le cas particulier représenté par Périclès avait amené les

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53 IG I3, n° 40, l. 16-19.54 ANDROTION, FGrHist 324 F 38.55 F. JACOBY, Die Fragmente der Griechischen Historiker. Dritter Teil. Suppl. A Commentary on the AncientHistorians of Athens. Vol. I Text, Leyde, 1954, p. 148-150, HIGNETT, op. cit., p. 354-356, C.W. FOR-NARA, The Athenian Board of Generals from 501 to 404, Wiesbaden, 1971, p. 49 et Ph. HARDING,Androtion and the Atthis, Oxford, 1994, p. 144-148.56 THC 1.57.6.57 PS- ARSTT, Ath. pol., 61.1.58 Cf. HARDING, op. cit., p. 146 pour des exemples d’autres tribus ayant donné deux stratèges pour uneseule année.

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Athéniens à imaginer une disposition électorale différente pour lui59. Le plus logiqueest de considérer que cette élection de plusieurs représentants d’une même tribudécoule de la réforme décrite par la Constitution des Athéniens60. Le passage d’An-drotion ne permet pas d’affirmer qu’il existait une liste des stratèges qu’il aurait puconsulter et qui aurait donc été conservée. Cela demeure une possibilité. Quoi qu’ilen soit pour ce dernier exemple, la question du ou des lieu(x) de conservation de cesdocuments au cours du Ve siècle est donc posée.

b) Bouleutérion et archives civiques

Au IVe siècle, le Métrôon accueillait au moins certains d’entre eux61. Comme tousles documents mentionnés ici intéressent directement les affaires du Conseil, il esttentant de faire l’hypothèse d’archives civiques dans le Bouleutérion pour le Ve siècle.H. A. Thompson tenta de recenser l’ensemble des documents qui indiquaient laconservation de textes sous forme de stèles de marbre ou sur d’autres matériaux danscet édifice62. Ainsi, dans un décret de 426 qui précise les modalités de la perceptiondu tribut, les noms des hérauts annonçant les montants sont inscrits dans le Bou-leutérion, tout comme ceux des percepteurs, sur une stèle dont le prix est mis auxenchères par les polètes63. Dans le décret de Thoudippos de 425/4 qui recalcule letribut, il est explicitement dit que le secrétaire de la Boulè est chargé de la réalisationde deux stèles qui portent ce décret, l’une devant être placée dans le Bouleutérion64.Dans ces deux cas, il n’y a pas de doute possible, le Bouleutérion accueillait des ins-criptions. Toutefois, il est intéressant de noter ici que dans le deuxième cas, deuxstèles sont réalisées. Les auteurs du décret ont donc une volonté d’exposition.Ensuite, P. J. Rhodes a montré que ce texte concernait les compétences du Conseil65.Dans le premier cas, le contexte indique bien l’importance que recouvrait la missiondes hérauts et des collecteurs et donc la publicité que les Athéniens faisaient à leursnoms. Il ne faudrait donc pas arguer de la présence de stèles dans le Bouleutérionpour remettre en cause la possibilité que ce dernier accueillît aussi les archivesciviques athéniennes au Ve siècle parce que des inscriptions y trouvaient place.

Les archives du Bouleutérion se dérobent à l’investigation bien souvent pour desraisons de vocabulaire66. Les mot utilisés n’ont en effet pas de réalité clairementdéfinie pour nous. C’est le cas des pinãkia ou bien de la sãniw67.

122 LES ARCHIVES DANS L’ATHÈNES CLASSIQUE

59 C’était la position défendue par K.J. BELOCH, Die attische Politik seit Perikles, Leipzig, 1884, p. 275-288 et suivi par HIGNETT, op. cit., p. 348-353.60 Nous suivons ici les arguments de FORNARA, op. cit., p. 19-27 acceptés par D. HAMEL, AthenianGenerals. Military Authority in the Classical Period, Leyde-Boston-Cologne, 1998, p. 85-87 particuliè-rement n. 3 contre la position défendue par Beloch.61 Si l’on retient l’hypothèse d’E.D. FRANCIS, Image and Idea in Fith-Century Greece, Londres, 1990,p. 112-120 et de MILLER, op. cit., alors ces documents n’ont jamais quitté le Métrôon ou bien y ont ététransférés en 460 au moment des réformes d’Éphialte.62 THOMPSON, op. cit., p. 225-227. Concernant les documents sur matériau autre que la pierre, voirdésormais W.K. PRITCHETT, Greek Archives, Cults, and Topography, Amsterdam, 1996, p. 26-28.63 IG I3, n° 68, l. 52-57.64 IG I3, n° 71, l. 22-25.65 RHODES, Athenian Boule, p. 89-91.66 Ce problème dépasse le simple cas athénien et se repose avec la même acuité pour toute étude desarchives, d’où la nécessité de réaliser un lexique complet comme le remarque St. GEORGOUDI, Manièresd’archivages et archives de cités, in M. DETIENNE (dir.), Les savoirs de l’écriture, Lille, 1992, p. 221-239.

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Un décret de proxénie du Ve siècle évoque la production de deux documents, l’unsur pierre §n pÒlei et l’autre sur une sãniw dans le Bouleutérion68 :

[grãfsai pr]oxs°now ka‹ eÈ[erg°taw §n st°lei l]iy$nei §m pÒlei [ka‹ §n t?iboleute]r$oi §w san$da t[Ún grammat°a t™w B]ol™w ktl.

La formulation peut laisser penser qu’il s’agit là d’une mention du rôle d’archivespour ce bâtiment. Mais A. Wilhelm a montré qu’il était courant chez les Grecs d’uti-liser le bois pour des inscriptions69. Le décret appointant des collecteurs pour letribut, en témoigne. Les hellénotames doivent inscrire sur une sãniw les villes rede-vables au titre du tribut et l’identité des convoyeurs de l’argent puis l’installer en faced’un bâtiment dont le nom nous échappe70. Pour autant, il n’en va pas toujoursainsi. Dans le cas présent, un point mérite d’être noté : l’existence d’une stèle et dela sãniw71. La première est placée sur l’Acropole, ce qui est conforme à ce type dedécrets. Mais alors, pourquoi mettre une sãniw dans le Bouleutérion sinon pourl’archiver ?72 La seule interrogation qui vaille concerne en réalité la cause de cette pré-cision à propos de l’archivage de la décision. Celle-ci tient à son objet même. Leproxène, étranger à la cité, tient à préciser que la distinction qui lui échoit pourra àtout moment être vérifiée à Athènes. Sans doute a-t-il obtenu un papier attestant sesmérites73. Ou bien, à cette époque, entre 440 et 430, les archives restaient entre lesmains des secrétaires, notamment dans les cas des décrets de proxénie et non pasdans celui d’actes plus importants pour la vie civique. Ou bien enfin il est possibled’envisager que le terme sãniw désigne ici un objet bien particulier, d’usage courantdans le domaine des archives. Dans cette hypothèse, la précision ne concernerait pasl’archivage en général, mais le mode de conservation choisi en particulier74. Unparallèle d’ailleurs est connu par une autre inscription athénienne, plus tardive,

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67 Voir P.M. FRASER et T. RÖNNE, Boetian and West Greek Tombstones, Lund, 1957, p. 42 n. 13 etJ.P. SICKINGER, A Note on Wasps 349, CQ 41, 1991, p. 529-532 sur la sanis et FRASER et RÖNNE, op.cit., p. 40-41 n. 6 et PRITCHETT, op. cit., p. 29-33 sur les pinakia.68 IG I3, n° 155, l. 4-9. Le commentaire de G.V. LALONDE, The Publication and Transmission of GreekDiplomatic Documents, Ann Arbor (thèse dactylographiée), 1971, p. 30-31 va dans le même sens quele nôtre, sans emprunter toutefois le même raisonnement.69 A. WILHELM, Beiträge zur griechischen Inschriftenkunde, Vienne, 1909, particulièrement p. 240-242sur les sanides comme support pour les inscriptions. Voir plus généralement L.H. JEFFERY, The LocalScripts of Archaic Greece, Oxford, 1990, p. 51-53.70 IG I3, n° 68, l. 17-20 : énag[rafÒnton d¢ hoi •ll]enota[m]$ai §w san$di tåw [pÒlew tåw§llipÒ]saw t? fÒ[r]o ka‹ t$efln épagÒnt[on ......... ka]‹ tiy°nai [h]ekãstote prÒsye[n .71 Pour un possible exemple analogue dans une autre aire géographique, Syll3, n° 1011, l. 15s.72 G. KLAFFENBACH, Bemerkunden zum griechischen Urkundenwesen, Sitzungberichte der deutschenAkademie der Wissenschaften zu Berlin, Klasse fur Sprachen, Literatur und Kunst, 6, 1960, p. 24 mettaiten avant le fait que la sanis ne pouvait renvoyer qu’à un document exposé car sinon la mention des fraisn’aurait pas grand sens. Mais, comme le remarque LALONDE, op. cit., p. 30, cette remarque peut toutaussi bien concerner la stèle.73 Cette question est encore d’actualité au IVe siècle : ESCHN., Ctes., 3.41-42. Cf. infra.74 La loi sur le charbon de Délos d’ailleurs mentionne une sãniw que le contexte exclut comme unesimple planchette d’inscriptions : ID, n° 509 (= Syll3, n° 975). R. DESCAT, La loi délienne sur les boiset charbons et le rôle de Délos comme marché, REA 103, 2001, p. 127 traduit par “registre”.

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c.430, et par un autre document, dont la date varie selon les auteurs entre 449 et42075.

Le recours aux sources littéraires n’est pas ici sans intérêt pour tenter d’éclaircir lesdifférents sens du mot sãniw76. Toutes les utilisations confirment le matériau danslequel était confectionné cet objet, le bois. “The term sanis can refer to a variety ofobjects which resemble or are made from wooden boards”77. Il désigne ainsi souventune planche dont les usages étaient multiples78. Cependant, la sãniw est fréquem-ment associée à l’écriture. Elle constitue parfois un support pour les écrits mystiqueset philosophiques et ne saurait donc être confondue a priori avec une planche des-tinée à l’inscription79.

Certains passages indiquent que la sãniw servait aussi de support pour l’affichagede certains documents. Les débiteurs de l’État sont ainsi inscrits sur l’Acropole jus-qu’au remboursement qui entraîne leur effacement et donc la disparition du tableaudes infamies80. Les noms des personnes qui étaient citées en justice prenaient placesur une sãniw81. Enfin, cette dernière constituait un élément essentiel de la procé-dure de révision des lois telle que la décrit Andocide lorsqu’il cite le décret de Teisa-ménos82 :

“S’il y avait encore besoin de lois, que les nomothètes désignés par le Conseil lesexposent devant les Éponymes, après les avoir inscrites sur des tablettes afin que celuiqui le désire les examine, et les transmettent aux magistrats au cours de ce mois”.

Eschine reprend ces dispositions quelques dizaines d’années plus tard lorsqu’ilévoque la procédure habituelle de révisions des lois83 :

Kên ti toioËton eÍr$skvsin, énagegrafÒtaw §n san$sin §ktiy°nai keleÊeiprÒsyen t«n ÉEpvnÊmvn.

“Et s’ils constatent un cas de ce genre [i. e. deux lois contradictoires], le législateurleur ordonne d’inscrire les lois en question sur des tableaux en bois et de les affi-cher devant les statues des Héros Éponymes”.

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75 Respectivement IG I3, n° 56, l. 4-6 et IG I3, n° 27, l. 7-10. Dans cette dernière inscription, le termede sãniw n’apparaît pas. Mais la formulation est tellement identique aux autres documents que cetoubli semble montrer que la procédure est devenue commune (c’est l’analyse de PRITCHETT, op. cit.,p. 26 à propos d’IG I3, n° 27 selon laquelle le singulier signifierait qu’il n’y a qu’une stèle et que le textedéposé au Bouleutérion figurerait sur un autre matériau). Cela d’ailleurs tendrait à renforcer l’hypo-thèse basse (R. MEIGGS, The Athenian Empire, Oxford, 1972, p. 425-427). Mais le décret d’Histiée(DURRBACH n° 50, l. 25-27) dans lequel le singulier est utilisé et la localisation est précisée en mêmetemps que la gravure ne laisse pas de doute quant au matériau utilisé, la pierre.76 Nous avons privilégié les auteurs contemporains ou proches (Ve-IVe siècle).77 SICKINGER, op. cit., 1991, p. 530.78 Sur cette dernière, on peut clouer les récalcitrants (HDT 7.33 et 9.120 et AR., Thesm., 931, 940, 1124et 1165) ou bien elle peut former un battant de porte (EUR., Oreste, 1221).79 EUR., Alceste, 967. AR., Paix, 201 ne permet pas de trancher. En effet, abandonné par les autres dieux,Hermès confie à son humain visiteur qu’il garde entre autres choses des sanides. Ces derniers peuventcontenir des prescriptions religieuses ou bien au contraire renfermer les très secrètes archives des dieux !80 DÉM., Aristog. I, 25.70, cf. chapitre 5.81 Par exemple AR., Gren., 848.82 AND., Myst., 1.83. Le texte est cité dans sa totalité infra.83 ESCHN., Ctes., 3.39.

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Ces deux passages permettent bien de comprendre le choix de la sãniw. Elle pos-sédait l’avantage d’être maniable. Or la procédure requérait certains transferts dedocument. De plus, le matériau, le bois, résistait mieux aux différentes manipula-tions.

C’est dans le contexte judiciaire que l’utilisation de ce terme s’éloigne le plus radi-calement de l’inscription. Lysias, dans sa défense de Mantithéos, s’oppose à la sãniwque ses adversaires entendent imposer comme preuve de l’appartenance de l’accuséà la cavalerie sous les Trente car il y figure, ce qui entraînerait automatiquement sonexclusion du Conseil84. Il fait confiance à la liste de ceux qui avaient été cavaliers,réalisée par les phylarques, pour leur faire rembourser l’indemnité d’équipementqu’ils avaient perçue ; le changement de régime politique les empêchait de terminerleur année. Il justifie sa défiance ainsi85 :

ÜVste polÁ ín dikaiÒteron §ke$noiw to›w grãmmasin µ toÊtoiw pisteÊoite:§k m¢n går toÊtvn =ñdion ∏n §jaleify∞nai t“ boulom°nƒ, §n §ke$noiw d¢toÁw flppeÊsantaw énagka›on ∑n ÍpÚ t«n fulãrxvn épenexy∞nai.

“Il est donc beaucoup plus juste de s’en rapporter à ces pièces qu’à celles de mesaccusateurs : de celles-ci pouvait être effacé qui voulait, au lieu que, dans la listedressée par les phylarques, tous les anciens cavaliers devaient figurer”.

Deux documents aux supports différents apparaissent ici. Les adversaires de Man-tithéos disposent de la sãniw qui discrédite le client de Lysias au contraire de ladéfense qui fournit elle des grãmmata, qui proviennent sans aucun doute de laremise des comptes des phylarques. Leur mise en parallèle laisse présager qu’il s’agis-sait dans les deux cas de documents d’archives. Mais il est certain que la précisionest ambiguë et que l’allusion qui concerne la moindre qualité de la liste des cavaliersnous échapperait si un passage de la Constitution des Athéniens n’éclaircissait en partiela question86. La liste des noms placée sous la responsabilité des phylarques étaitscellée et de ce fait pouvait être légitimement considérée comme inviolable. Enrevanche, celle qui datait de l’époque des Trente devait être plus facile d’accès et neconstituait pas un obstacle pour celui qui souhaitait la falsifier, du moins peut-on enémettre l’hypothèse. Quoi qu’il en soit, derrière le discours de Lysias, ce ne sont pasdes inscriptions que l’on trouve mais bien des archives. Tout laisse à penser que leterme de sãniw pouvait désigner aussi des tablettes en bois scellées.

Un passage d’Eschine apporte des informations complémentaires87. Il y est expli-citement dit que les pièces législatives du dossier sont mises sur des sanides ; elles sontun élément constitutif de la procédure écrite. Or, la lecture des plaidoyers montrel’utilisation fréquente de textes de lois ou de décrets. Dès lors, ici, il paraît clair qu’undes modes de l’archivage, ou du moins qu’au IVe siècle un des supports utilisés pourfaire des doubles dans les archives, était la sanis.

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84 LYS., Mant., 16.6-7 ; sur l’exclusion automatique, LYS., Pour un citoyen…, 25.10.85 LYS., Mant., 16.7.86 PS- ARSTT, Ath. pol., 49.2 cité chapitre 4.87 ESCHN., Ctes., 3.200-201.

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Dans un discours théorique qu’il a rédigé à la suite d’un procès perdu dans uneaffaire d’antidosis, Isocrate permet d’avancer dans l’élucidation de la nature de lasanis. Dans ce passage, il entame une nouvelle justification personnelle88 :

ÖExv d¢ de›jai ka‹ tÒpouw, §n o‰w ¶jestin fide›n to›w boulom°noiw toÁwpoluprãgmonaw ka‹ toÁw ta›w afit$aiw §nÒxouw ˆntaw, íw oÔtoi to›wsofista›w §pif°rousin. ÉEn går ta›w san$sin ta›w ÍpÚ t«n érxÒntvn§ktiyem°naiw énagka›Òn §stin, §n m¢n ta›w t«n yesmoyet«n émfot°rouw§ne›nai, toÊw te tØn pÒlin édikoËntaw ka‹ toÁw sukofantoËntaw, §n d¢ ta›wt«n ßndeka toÊw te kakourgoËntaw ka‹ toÁw toÊtoiw §fest«taw, §n d¢ ta›wt«n tettarãkonta toÊw mØ dika$vw §gkaloËntaw: §n a‰w toËton m¢n ka‹ toÁwtoÊtou f$louw eÏroit' ín §n polla›w §ggegramm°nouw, §m¢ d¢ ka‹ toÁw per‹tØn aÈtØn §mo‹ diatribØn ˆntaw oÈd' §n miò toÊtvn §nÒntaw ktl.

“Je puis vous montrer même les endroits où l’on trouvera, si l’on veut, les intri-gants et ceux qui méritent bien les accusations adressées par mes adversaires auxsophistes. C’est sur les tablettes de bois rendues publiques par les magistrats quenécessairement ils figurent : sur celles des thesmothètes, à la fois les gens qui fonttort à l’État et les sycophantes ; sur celles des Onze, les criminels de droit communet leurs instigateurs ; sur celles des Quarante, les gens qui font tort aux particulierset ceux qui intentent des procès injustifiés. Vous pouvez constater que sur ces tablesmon adversaire et ses amis sont inscrits bien souvent, tandis que mon nom nefigure nulle part, non plus que celui des gens qui ont les mêmes occupations quemoi…”.

Le verbe §kt$yhmi est associé le plus souvent à l’affichage d’inscriptions au moyend’une sanis89. Le sens diffère ici comme le prouve la lecture de la Constitution desAthéniens. Cette dernière en effet décrit les attributions des magistratures athé-niennes les plus importantes parmi lesquelles figurent celles qui sont citées par Iso-crate. On pense aux thesmothètes qui introduisent de nombreuses affaires judiciairesau cours desquelles ce n’est pas tant l’inscription sur une sanis pour l’appel quiconstitue l’essentiel de leurs fonctions mais bien la conservation de documents attes-tant l’issue des procès. Nulle part d’ailleurs il n’est fait référence à un quelconque rôleen matière d’inscriptions. Il en va de même pour les Onze qui eux aussi ont unefonction judiciaire relative à certains crimes ou délits ; dans ce dernier cas, ils sont enrapport direct avec les polètes dont on connaît les archives90. La description des res-ponsabilités des Quarante fournit la même impression91.

Le décret de Patrocleidès lève les dernières ambiguïtés. Athènes, défaite à Aigos-Potamoi à la fin de l’été 405, décide de prendre des mesures identiques à celles quiavaient été prises lors des guerres médiques, à savoir la réintégration dans le corpscivique de nombreux atimoi dont le décret dresse une liste scrupuleuse92. L’ensembledes documents qui portent trace de ces décisions passées doivent être détruits, l’ori-

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88 ISOCR., Ech., 15.237-238 (trad. CUF).89 ESCHN., Ctes., 3.37 : voir supra.90 Cf. chapitre 4.91 PS- ARSTT, Ath. pol., 53.2.92 AND., Myst., 1.77-79 cité chapitre 4.

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ginal dans les archives civiques comme les copies éventuelles possédées par desmagistrats comme les thesmothètes. Ces archives pouvaient toujours sortir au coursd’un procès et se retourner contre un citoyen athénien réintégré. La cité entendoublier afin de se réconcilier et pour cela, elle détruit ses archives.

Dès lors, le passage d’Isocrate ci-dessus ne saurait être compris autrement. Lessanides désignent des documents archivés par certains magistrats, qui peuvent éven-tuellement être rendus public lors d’un procès afin de ruiner la moralité d’un plai-deur. Donc, certaines des inscriptions qui concernaient le Bouleutérion révèlent sansaucun doute la fonction d’archives de ce bâtiment.

Les sanides servaient aussi pour la remise des comptes si l’on en croit un passagedes comptes de l’Erechthéion qui en prescrit l’achat : sa[n$]dew dÊo hew ìw tÚnlÒgon ha[n]agrãfo[m]en93. Dans l’un des décrets de Méthonè, il est également faitréférence à des sanides, supports d’écriture qui enregistraient les dettes contractéespar les Méthonéens auprès des Athéniens94. Il ne saurait être ici question de docu-ments affichés.

Une inscription, antérieure à 420 pourrait venir en appui de la démonstration quiprécède, à la condition d’acccepter la restitution de W. K. Pritchett selon laquelletous les décrets étaient mis sur ce type de support et conservés dans le Bouleuté-rion95 :

TÚ d¢ fs]-°fisma t[Òde énagr]ãfsa[w ı grammateÁw t]-™w bol™w [§n st°le]i liy$ne[i ka‹ katay°to §m]pÒlei ıw [§n kall$]stoi ka‹ §n` [t?i boleut]-[e]r$oi §[n sanid$]oi ·naper tå êll[a fsef$]-[sma]ta: ktl.

“Que le secrétaire du Conseil fasse inscrire ce décret sur une stèle en pierre et qu’illa fasse placer sur l’Acropole au plus bel emplacement et dans le Bouleutérion surune tablette comme pour les autres décrets…”.

Une inscription utilise un autre mot pour désigner le support de certains docu-ments placés dans le Bouleutérion, les pinãkia. Un décret athénien règle vers 422les prémices d’Éleusis, c’est-à-dire le versement d’une partie des récoltes. La collecteest assurée par les démarques. Mais les cités de l’Empire sont aussi invitées à contri-buer. La participation de chacun sera inscrite sur des pinãkia96 :

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93 IG I3, n° 476, l. 188-190.94 IG I3, n° 61, l. 13-16.95 IG I3, n° 165 avec add. Nous citons le texte dans l’édition de WALBANK, op. cit., p. 184-190 n° 35 quiretient W.K. PRITCHETT, Lucubrationes epigraphicae, CSCA 5, 1972, p. 159-164 (repris par PRIT-CHETT, Greek Archives, p. 26). Cf. en dernier lieu D. WHITEHEAD, The ( ?) ‘Finest’ Place on the Athe-nian Akropolis, ZPE 118, 1997, p. 163 n. 1 pour la bibliographie. Toutefois, nous préférons le texte deB.D. MERITT, A Proxeny Decree Restudied (IG, I2, 85), ZPE 25, 1977, p. 289-295 et l’hypothèse d’unstoichédon de 32 lettres et non 35, principalement pour des raisons de cohérence dans la notation del’aspiration. La restitution de Pritchett citée supra fait violence aux trois dernières lignes ; les six lettresmanquantes avant boleute]r$oi tout comme les onze lettres (tå éll[a ...........]ta) constituent unobstacle difficile à franchir.96 IG I3, n° 78, l. 26-30 (= MEIGGS & LEWIS, n° 73).

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ÉAnagrãfsantew d¢ §[m] pinak$oi tÚ m°tron t? karp? t? te parå t?ndemãrxon katå tÚ[n d]™mon h°kaston ka‹ t? parå t?n pÒleon katå t¢npÒlin hekãs[ten k]atay°nton ¶n te t™i ÉEleusin$oi ÉEleus›ni ka‹ §n t?ibo[leut]e[r]$oi.

“Que soient inscrits sur des tablettes le montant de ce qui proviendra de la collecte,dème par dème, des démarques, et celui de ce qui a été reçu des cités, cité par cité,ces tablettes seront déposées à l’Éleusinion d’Éleusis et au Bouleutérion”97.

Le grec pourrait laisser croire que les pinãkia sont un support différent pour uneinscription. Le verbe katat$yhmi peut signifier “rendre public” ou bien “êtreaffiché” mais il signifie aussi “conserver des archives”98. Qu’en est-il ici ? À la fin dudécret, Lampron a fait un amendement99 :

Tåw d¢ xsungrafåw ka‹ tÚ fs°fisma tÒde énagrafsãto ho grammateÁw hot™w bol™w §n st°lain duo›n liy$nain ka‹ katay°to t¢n m¢n ÉEleus›ni §n t?ihier?i, t¢n d¢ het°ran [§]m pÒlei.

“Que le secrétaire du Conseil fasse inscrire ce décret et ces accords sur deux stèlesde pierre et qu’il les fasse afficher l’une à Éleusis dans le sanctuaire et l’autre surl’Acropole”.

Les logiques d’exposition et d’archivage apparaissent nettement. D’un côté, ils’agit de vérifier que les Mystères se sont déroulés correctement. Pour cela, les Athé-niens en archivent les aspects financiers. Ces documents d’archives, pinãkia, sontd’ailleurs à portée de main de la Boulè qui siège à l’Éleusinion, le jour suivant la findes Éleusinia, pour examiner si tout a été conforme. D’un autre côté, selon Lam-pron, il faut informer le peuple et pour cela il propose que le secrétaire soit chargédes inscriptions, l’une pour Éleusis, cette fois dans le sanctuaire mais non plus spé-cifiquement à l’intérieur de l’Éleusinion, et l’autre sur l’Acropole et non plus à l’in-térieur du Bouleutérion.

Ce décret montre donc que le Bouleutérion remplissait la fonction de bâtimentsd’archives, pour une décision prise par les Athéniens et pour des listes de contribu-teurs aux prémices d’Éleusis. Dès lors, rien ne permet de douter que le décret deMénippos, assurant l’impunité à Andocide, n’ait été lui aussi archivé dans le bâti-ment accueillant la Boulè comme le traducteur de la C.U.F. l’avait senti : “Il va vousêtre lu [le décret], car il figure encore dans les actes du Conseil”100. Il aurait en effetpu être détruit lors de la tyrannie des Trente. Finalement, il est probable que l’en-semble des décrets était archivé à l’intérieur du Bouleutérion et que certains seule-

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97 Nous préférons rendre pinakia par tablettes et non par tableau comme par exemple P. FOUCART, Ins-criptions d’Éleusis du Vème siècle, BCH 4, 1880, p. 230 : “ils inscriront sur un tableau les quantitésqu’auront remises les démarques par dème et les villes, par ville, et ils le déposeront dans l’Éleusision àÉleusis et dans la maison du Conseil”.98 Voir par exemple DIN., Dem., 1.86.99 IG I3, n° 78, l. 47s. ; sont citées ici les lignes 48-50.100 Ps-AND., Retour, 2.23 : ÉAnagn≈setai d¢ Ím›n aÈtÒ: ¶ti går ka‹ nËn §gg°graptai §n t“ bou-leuthr$ƒ.

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ment étaient mis sur pierre parfois plusieurs années après la prise de décision101. Lemeilleur exemple en est l’ensemble de décrets concernant Méthonè102. Le bois était-il le seul support à être utilisé au Ve siècle ?

Quelques éléments permettent de penser que des documents sur papyrus étaientconservés dans le Bouleutérion. Ainsi, le psèphismatopolès inventé par Aristophanedans les Oiseaux se présente à Coucouville avec un biblion sur lequel figure une loiathénienne103. Ce matériau semble habituel. Dans la même pièce, un peu plus loin,lorsqu’un autre personnage compare les Athéniens à des oiseaux, il les décrit commeaffamés de lois et de biblia, se repaissant de décrets104. Ainsi, la formule “Untel a faitla proposition” ne doit pas faire illusion. Le décret est une affaire d’écriture105.

2. La révision des lois de 410-399 et les archives civiques athéniennes106

La source principale est un plaidoyer de Lysias qui attaque un des acteurs de la révi-sion, Nicomachos107. Nous possédons également quelques témoignages épigraphiques,plus ou moins lacunaires, et une autre source littéraire, Andocide108. Le Contre Nico-

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101 L’origine des décrets n’est certainement pas orale car dès le Ve siècle on recourt à l’expression gra-phein psèphisma. (SICKINGER, Public Records, p. 75-76).102 IG I3, n° 61. Sur ce point, Ibid., p. 76-77.103 AR., Ois., 1035s, Chapitre 6.104 AR., Ois., 1286-1289.105 J.-M. BERTRAND, De l’écriture à l’oralité. Lectures des Lois de Platon, Paris, 1999, p. 56.106 Le choix d’utiliser l’expression “révision” est délicat (en grec, dokimas$a, par exemple AND., Myst.,1.85 avec une forme verbale). On verra infra que d’autres mots peuvent lui être substitués, sans suivrepour autant A. NATALICCHIO, Sulla cosiddetta revisione legislativa in Atene alla fine del V secolo, QS32, 1990, p. 61-90 qui conteste l’existence d’une révision. Cet événement a donné lieu à une abondantebibliographie. Parmi les titres les plus récents, cf. HARRISON, op. cit. ; St. DOW, The Law Codes ofAthens, Proc. Mass. His. Soc. 71, 1959, p. 3-36 et ID., The Athenian Calendar of Sacrifices : The Chro-nology of Nikomakhos’ Second Term, Historia 9, 1960, p. 292-293 pour la bibliographie antérieure ;ID., The Walls Inscribed with Nikomakhos’ Law Code, Hesperia 30, 1961, p. 58-73 ; A. FINGARETTE,A New Look at the Wall of Nikomakhos, Hesperia 40, 1971, p. 330-335 ; K. CLINTON, The Nature ofthe Late Fith-Century Revision of the Athenian Law Code, in Studies Presented to Eugen Vanderpool,Hesperia Suppl. 19, Princeton, 1982, p. 27-37 ; N. ROBERTSON, Compte-rendu d’M. Ostwald, FromPopular Sovereignity…, Berkeley, 1986, Phœnix 43, 1989, p. 365-375 ; M.H. HANSEN, Diokles’ Law(Dem. 24.42) and the Revision of the Athenian Corpus of Laws in the Archonship of Eukleides,C&M 41, 1990, p. 63-71 ; NATALICCHIO, op. cit. ; N. ROBERTSON, The Laws of Athens, 410-399 BC :The Evidence for Review and Publication, JHS 110, 1990, p. 43-75 ; RHODES, The Athenian Code ofLaws ; St.C. TODD, Lysias against Nikomachos : The Fate of the Expert in Athenian Law, in L. FOX-HALL et D.M. LEWIS (éd.), Greek Law in its Political Settings : Justifications Not Justice, Oxford, 1996,p. 101-131 ; SICKINGER, Public Records, en particulier p. 94-105 ; et S.D. LAMBERT, The SacrificialCalendar of Athens, ABSA 97, 2002, p. 353-399.107 LYS., Nicom.108 La fonction d’anagrapheus est connue par ailleurs (IG I3, n° 104 [Dracon] 105 [pouvoirs de laBoulè]). Nous connaissons également des fragments du calendrier des sacrifices (DOW, op. cit., 1961 enpublie différents fragments. Il faut à présenter se reporter à l’édition de LAMBERT, op. cit.). Enfin, nousdisposons des sources littéraires qui abordent le contexte dans lequel la révision des lois se déroulent(THC 8.45-98, PS- ARSTT, Ath. pol., 29-33 et pour la deuxième phase de la révision, AND., Myst., 1.71-89). En raison de son analyse, HANSEN, op. cit., ajoute à cette liste DÉM., Timocr., 24.42.

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machos contient le plus d’informations mais il pose des problèmes d’interprétationsimportants109. D’abord, nous ignorons l’identité de l’orateur et l’issue du procès. Enoutre, l’identification de Lysias comme auteur du texte n’est pas certaine, le nom del’adversaire varie à l’intérieur même de la plaidoirie110 et la date du procès oscille entre404 et 399. Les avis des historiens divergent de même sur la procédure. Les manuscritsparlent d’euthynai. En dépit des doutes qui pèsent sur la provenance de ce type d’in-formations, plusieurs passages permettent d’affirmer qu’il occupait la fonction d’ana-grapheus111. Mais, l’orateur accuse Nicomachos de n’avoir jamais remis de comptes.Deux procédures paraissent pouvoir dès lors correspondre au Contre Nicomachos. Lapremière est la graphè alogiou qui vise les magistrats qui n’ont pas remis leurs compteset elle peut être lancée par tout citoyen. Elle est cependant rarement attestée. Ladeuxième est mieux connue, l’eisangelia. Elle se déroulait en deux temps, d’aborddevant le Conseil puis devant l’assemblée. Il s’agirait ici de la première phase112.

Si ce point de droit n’est pas sans intérêt pour la compréhension globale de ceplaidoyer, il importe avant tout de déterminer les fonctions précises de Nicomachoset des les confronter aux autres sources, afin de déterminer l’importance de sa tâcheet le lien éventuel avec des modifications dans la localisation des archives civiques.

A. NICOMACHOS, ANAGRAPHEUS

Les sources permettent de distinguer deux périodes dont la césure est constituéepar l’épisode des Trente. En 410, les démocrates prirent la décision d’instituer unecommission d’énagrafe›w dont la mission était de publier les lois en vigueur etprincipalement celles de Dracon et de Solon. La loi sur le meurtre fut rapidementgravée ainsi que peut-être un texte sur les pouvoirs du Conseil. En revanche, les dis-positions soloniennes requirent plus de temps, six ans. Le code aurait été gravé surles murs de la Stoa Basileios après avoir été enlevé par les Trente. L’un des respon-sables de cette révision fut Nicomachos qui vit ses attributions reconduites en400/399. S’ouvrait alors son deuxième mandat.

a) 410-404

Les accusations que Lysias formule contre Nicomachos donnent des indicationssur la nature de la fonction entre 410 et 404113 :

ÉEpeidØ d¢ t«n nÒmvn énagrafeÁw §g°neto, t$w oÈk o‰den oÂa tØn pÒlin§lumÆnato; prostaxy¢n går aÈt“ tettãrvn mhn«n énagrãcai toÁw nÒmouw

130 LES ARCHIVES DANS L’ATHÈNES CLASSIQUE

109 NATALICCHIO, op. cit., p. 65 avoue cette difficulté. Deux tendances s’observent : la première prête unfort crédit à Lysias tandis que d’autres au contraire suspectent sa partialité. Il s’agit là d’un présupposéqui oriente fortement les conclusions des auteurs. TODD, op. cit., en particulier p. 101-108 expose uneméthode d’analyse de ce plaidoyer.110 Nicomachos, que nous connaissons seulement par ce discours et une mention à la fin des Gre-nouilles, 1504-1514, est cité à une reprise sous le nom de Nicomachidès (LYS., Nicom., 30.11) et c’estainsi qu’Harpocration le connaît.111 LYS., Nicom., 30.2, 4, 17…112 LYS., Nicom., 30.1 et 7. Toutefois, TODD, op. cit., p. 105-106 remarque que les faits reprochés à cedernier cadre mal avec une eisangelia.113 Lys. Nicom., 30.2-3 (Trad. CUF)

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toÁw SÒlvnow, ént‹ m¢n SÒlvnow aÍtÚn nomoy°thn kat°sthsen, ént‹ d¢tettãrvn mhn«n •j°th tØn érxØn §poiÆsato, kay' •kãsthn d¢ ≤m°ran érgÊ-rion lambãnvn toÁw m¢n §n°grafe toÁw d¢ §jÆleifen. Efiw toËto d¢kat°sthmen Àste §k t∞w toÊtou xeirÚw §tamieuÒmeya toÁw nÒmouw: ka‹ oflént$dikoi §p‹ to›w dikasthr$oiw §nant$ouw pare$xonto, émfÒteroi paråNikomãxou fãskontew efilhf°nai.

“Quand il fut devenu commissaire pour la transcription des lois, qui ne sait le malqu’il fit à la cité ? Il avait reçu mission de transcrire, dans le délai de quatre mois,les lois de Solon : il prit la place de Solon et s’institua législateur ; au lieu de quatremois, c’est six années qu’il fit durer sa charge ; au jour le jour, et contre argentcomptant, il insérait tel article, effaçait tel autre. Nous étions réduits à recevoird’une pareille main notre provision quotidienne de lois, et les parties en produi-saient de contraires devant les tribunaux, disant toutes deux les tenir de Nicoma-chos”.

Un verbe résume donc la charge de Nicomachos, énagrãfv114. Pour beaucoup,l’anagraphè renvoie à une exposition, “its natural meaning involves the act of writingup in a public place”115. Mais cela ne serait qu’un élément. Nicomachos devait éga-lement faire un travail de recherches de documents116. Toutefois, l’ampleur de ce der-nier est diversement appréciée par les historiens. K. Clinton considère que les éna-grafe›w ne pouvaient pas réellement faire des lois, même si leur travail ne seréduisait pas à de la copie117. Ils devaient inscrire les lois de Solon en usage à cettedate, fonction que Lysias tairait118. Pour N. Robertson, la tâche de l’anagrapheus neconcerne pas la publication sur pierre mais la recherche en archives en vue d’unetranscription sans que cela préjuge du support119. Il s’agirait avant tout de fournirune copie de référence pour les archives civiques qui se mettent en place. “The ana-grapheis do no more than put the laws in order : they assemble the documentaryrecord”120. En outre, l’énagrafeÊw devait également fournir des pièces dans lesprocès, responsabilité qui revenait en temps normal au secrétaire. On sait parexemple que Cléophon a été jugé en 404 parce que Nicomachos a fourni une loiautorisant une procédure en l’occurrence peu courante121. M. H. Hansen combineles deux dimensions, la publication sur pierre sur le mur de la Stoa Basileios, et un

ARCHIVES CIVIQUES 131

114 Cf. chapitre 5 une étude sur les différents sens de ce verbe.115 TODD, op. cit., p. 108 invite à privilégier le sens littéral de “publier” en raison de l’accusation portéecontre Nicomachos ; ce dernier se serait comporté comme un législateur outrepassant ses fonctions.Nombreux sont les historiens qui ont défendu cette thèse, par exemple M. OSTWALD, From PopularSovereignity to the Sovereignity of Law : Law, Society and Politics in Fifth Century Athens, Berkeley, 1986,p. 416 (“to write up for display in public”) et NATALICCHIO, op. cit., p. 65 (“Funzionari incariti di rico-piare e publicare testi legislativi”, en fait l’équivalent du travail du secrétaire).116 HARRISON, op. cit., p. 30.117 CLINTON, op. cit., p. 28-30.118 Ibid., p. 29.119 ROBERTSON, op. cit., p. 45 et p. 52-56 : “Surely the mandate of the anagrapheis was to provide a com-prehensive set of documents for the central archive” (p. 56).120 Ibid., p. 52.121 LYS., Nicom., 30.10-11 et Agor., 13.12 et le commentaire de ROBERTSON, op. cit., p. 54.

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travail précis en archives d’élaboration des textes122. Pour résoudre les contradictionsapparentes des sources, P. J. Rhodes envisage une charge dont le contenu n’était pasfixé avec précision, sinon qu’elle impliquait le traitement des lois de Solon. “I sus-pect that the anagrapheis were given a task whose nature was not at first fully thoughtout but gradually clarified as questions came to be asked and answered”123. Puis ilaurait été décidé d’aller plus loin, inclure les lois de Dracon ou du moins la partietoujours valide. L’idée d’une publication générale aurait vu le jour ensuite.

Les inscriptions directement en relation avec cet événement apportent quelquesinformations complémentaires. Dans la stèle portant republication de la loi deDracon sur l’homicide, la fonction des énagraf™w t?n nÒmon apparaît dans lesdécisions du décret124 :

TÚ[n] Drãkontow nÒmon tÚm per‹ t? fÒ[n]o énagra[f]sã[n]ton ofl énagr`af™wt?n nÒmon paralabÒntew parå t? b`[a]s`[i]l`°[ow me]t[å t? gramm]at°ow t™wbol™w §st°lei liy$nei ka‹ ka[t]a[y]°nt[on prÒs]ye[n] t™w stoçw t™wbasile$aw: ofl d¢ poleta‹ épomi[syo]s[ãnton katå tÚn n]Òmon, ofl d¢ •lle-notam$ai dÒnton tÚ ér`[g]Ê[r]i[on] vac. ktl.

“Que les énagraf™w t?n nÒmon transcrivent la loi de Dracon sur le meurtre surune stèle de marbre après l’avoir reçue de l’archonte roi avec le secrétaire duConseil et qu’ils la dressent devant la Stoa Basileios. Que les polètes afferment[l’érection de la stèle] conformément à la loi et que les hellénotames donnent l’ar-gent nécessaire”.

Les énagraf™w t?n nÒmon doivent inscrire sur une stèle un extrait de la loi qu’ilsont reçue de l’archonte-roi. Comment comprendre la réalité de l’opération ? Doit-on penser qu’il s’agit des anciens axones de Dracon ou bien d’une copie de cette loiécrite sur un support plus maniable et conservée dans les archives du Basileus ? Ladeuxième est plus conforme au verbe figurant dans l’inscription125. Il n’y a en outrerien de surprenant dans le fait qu’un magistrat athénien possède des archives et qu’enparticulier l’archonte-roi soit responsable de la conservation des dispositions solo-niennes126. Quoi qu’il en soit, la charge des énagraf™w t?n nÒmon concernant larepublication de la loi de Dracon sur le meurtre se restreignait à une mise sur stèle,assistée par le secrétaire. Aucun travail d’élaboration ni de correction n’est prévu.Cela correspond à la description faite par Lysias, principalement des tâches d’écri-ture. Du reste, Nicomachos avait été auparavant ÍpogrammateÊw, vraisemblable-ment assistant du secrétaire, c’est-à-dire l’homme chargé des écritures les plus cou-rantes127.

132 LES ARCHIVES DANS L’ATHÈNES CLASSIQUE

122 HANSEN, op. cit., p. 64-67. SICKINGER, Public Records, p. 98 propose une interprétation similaire :“The Athenians appointed the anagrapheis to draw up and record texts of Athenian laws that hence-forth were to be considered valid and binding on all Athenian citizens”.123 RHODES, The Athenian Code of Laws, p. 91.124 IG I3, n° 104, l. 4-9 avec le commentaire de STROUD, op. cit., p. 19-30.125 Ibid., p. 28.126 Cf. chapitre 4.127 Cf. infra.

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Les autres textes ne définissent pas la charge des anagrapheis. Toutefois, quelquesconfirmations, voire des renseignements complémentaires, apparaissent. Ledeuxième document épigraphique qui s’inscrit dans cet épisode définit les compé-tences de la Boulè128. Il est ainsi décidé que le Conseil sans l’accord du peuple nepouvait déclarer la guerre, faire la paix, condamner à mort… Le vocabulaire et lesphrases utilisés témoignent d’un relatif archaïsme. La formule “tãde ¶doxsen” seretrouve presqu’à l’identique dans l’inscription de l’Hékatompédon qui date de485/4, “taËt' ¶doxsen”129. Mais, l’intitulé en réalité diffère de façon non négli-geable si l’on veut bien le citer en totalité : tãde ¶doxsen §l Luke$o t`?i d`[°moi t?iÉA]y`e`[na]$on130. La réunion du peuple dans le Lykeion n’est pas connue par ailleurs.L’assemblée à l’époque de Clisthène se réunissait sur l’Agora ou bien sur la Pnyx.Cette précision pourrait indiquer une date antérieure à 508, même si la possibilitéd’une assemblée extraordinaire n’est pas à exclure. Il convient donc d’être prudentsur ce dernier point. Il est vrai que Solon est souvent associé à Apollon dans nossources131. Si ce dieu n’est pas une divinité de l’Agora, son rôle politique est loind’être négligeable132. Dès lors, cette loi sur les pouvoirs de la Boulè pourrait remonterà Solon. Une conclusion identique est émise par F. X. Ryan à la suite d’une étude dela formule êneu t? d°mo t? ÉAyena$on pleyÊontow133. Les anagrapheis furent doncchargés de proposer un code complet, ce qui impliquait la mise sur pierre des dis-positions anciennes, à l’origine disparates, qui avaient été conservées jusque-là134.

Toutefois, le texte d’un décret cité par Démosthène, proposé par Dioclès, invite àreconsidérer la question du sens du verbe énagrãfv et donc la nature de la chargedes anagrapheis135 :

Diokl∞w e‰pen: toÁw nÒmouw toÁw prÚ EÈkle$dou tey°ntaw §n dhmokrat$&ka‹ ˜soi §p' EÈkle$dou §t°yhsan ka‹ efis‹n énagegramm°noi, kur$ouw e‰nai.toÁw d¢ met' EÈkle$dhn tey°ntaw ka‹ tÚ loipÚn tiyem°nouw kur$ouw e‰nai

ARCHIVES CIVIQUES 133

128 IG I3, n° 105. Concernant les différentes positions historiographiques sur ce texte, particulièrementsur la question de la datation des dispositions qu’il contient, voir à présent F.X. RYAN, The OriginalDate of the d∞mow plhyÊvn : Provisions of IG, I3, 105, JHS 114, 1994, p. 120-122 qui en rappelle lesprincipales. SICKINGER, Public Records, p. 57-58 ne s’intéresse pas vraiment à l’ancienneté du document(qu’il estime être postérieur à Clisthène), plutôt aux raisons qui président à sa republications.129 IG I3, n° 4B, l.26. Le rapprochement entre les deux formules est proposé par RHODES, AthenianBoule, p. 197.130 Voir par exemple LYS., Theom. I, 10.17, PLUT., Sol., 10.4. Voir plus généralement les remarques deRYAN, op. cit., p. 126-128.131 Ibid., p. 127.132 Cf. les réflexions de M. DETIENNE, Apollon le couteau à la main, Paris, 1998, en particulier p. 131-133. Il émet la possibilité qu’à Athènes les péristiarques fassent un sacrifice à Apollon avant le début del’assemblée, ce qui alors pourrait constituer un lointain héritage de l’époque solonienne.133 RYAN, op. cit.134 Cf. aussi la loi triérarchique (IG I3, n° 236) qui contient des formes grammaticales antérieures au Ve

siècle. Cette position est relativement partagée même si tous les historiens ne vont pas aussi loin ; NATA-LICCHIO, op. cit., p. 65s. ; ROBERTSON, op. cit. ; et RHODES, The Athenian Code of Laws. D.M. LEWIS,A Note on IG, I2, 114, JHS 87, 1967, p. 132 a proposé de voir dans une série de trois groupes de ponc-tuations verticales le signe que les anagrapheis n’étaient pas parvenus à lire le document original qu’ilsavaient sous les yeux. Cette hypothèse n’a pas été discutée depuis.135 DÉM., Timocr., 24.42. Le rapprochement est fait par CLINTON, op. cit., p. 28 et HANSEN, op. cit.

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épÚ t∞w ≤m°raw ∏w ßkastow §t°yh, plØn e‡ tƒ prosg°graptai xrÒnow ˜ntinade› êrxein. §pigrãcai d¢ to›w m¢n nËn keim°noiw tÚn grammat°a t∞w boul∞wtriãkonta ≤mer«n: tÚ d¢ loipÒn, ˘w ín tugxãn˙ grammateÊvn,prosgraf°tv paraxr∞ma tÚn nÒmon kÊrion e‰nai épÚ t∞w ≤m°raw ∏w §t°yh.

“Dioclès a fait la proposition : que toutes les lois d’une part décidées avant l’ar-chontat d’Euclide et d’autre part décidées et inscrites pendant l’archontat soient envigueur ; que tous celles qui ont été décidées après l’archontat d’Euclide et quiseront décidées à l’avenir entrent en vigueur chacune le jour où elles ont été ins-taurées sauf si une date autre qu’il faut respecter est ajoutée ; que le secrétaire duConseil insère cette disposition sous trente jours dans les lois en vigueur mainte-nant ; et à l’avenir, que le secrétaire du moment ajoute que la loi entre en vigueurle jour où elle est décidée”.

L’expression anagegrammenoi nomoi surprend car toutes les lois semblent avoir étéinscrites, et non seulement celles datant de l’archontat d’Euclide. L’inscription estune clause banale dans les documents épigraphiques athéniens136. “The presumptionis that Diokles refers to some specific form of publication and that the Athenianswho passed Diokles’ law would understand at once what was meant by the clauseka‹ énagegramm°noi efis$n”137. Dès lors, le parallèle semble être le décret de Teisa-ménos tel qu’il est cité par Andocide138 :

ÖEdoje t“ dÆmƒ, TeisamenÚw e‰pe, politeÊesyai ÉAyhna$ouw katå tåpãtria, nÒmoiw d¢ xr∞syai to›w SÒlvnow, ka‹ m°troiw ka‹ staymo›w,xr∞syai d¢ ka‹ to›w Drãkontow yesmo›w, oÂsper §xr≈meya §n t“ prÒsyenxrÒnƒ. ÑOpÒsvn d' ín prosd°˙, o·de Ωrhm°noi nomoy°tai ÍpÚ t∞w boul∞wénagrãfontew §n san$sin §ktiy°ntvn prÚw toÁw §pvnÊmouw skope›n t“boulom°nƒ, ka‹ paradidÒntvn ta›w érxa›w §n t“de t“ mhn$. ToÁw d¢ paradidom°nouw nÒmouw dokimasãtv prÒteron ≤ boulØ ka‹ oflnomoy°tai ofl pentakÒsioi, oÓw ofl dhmÒtai e·lonto, §peidØ ÙmvmÒkasin.ÉEje›nai d¢ ka‹ fidi≈t˙ t“ boulom°nƒ, efisiÒnti efiw tØn boulØn sumbou-leÊein ˜ ti ín égayÚn ¶x˙ per‹ t«n nÒmvn. ÉEpeidån d¢ tey«sin ofl nÒmoi,§pimele$syv ≤ boulØ ≤ §j ÉAre$ou pãgou t«n nÒmvn, ˜pvw ín afl érxa‹ to›wkeim°noiw nÒmoiw xr«ntai. ToÁw d¢ kuroum°nouw t«n nÒmvn énagrãfein efiwtÚn to›xon, ·na per prÒteron énegrãfhsan, skope›n t“ boulom°nƒ.

“Il a plu au peuple, Teisaménos a fait la proposition.Que les Athéniens se gouvernent selon les lois des ancêtres, qu’ils recourent auxlois, aux poids et aux mesures de Solon ainsi qu’aux lois de Dracon qu’ils utilisaientauparavant. S’il y avait encore besoin de lois, que les nomothètes désignés par leConseil les exposent devant les Éponymes, après les avoir inscrites sur des tablettesafin que celui qui le désire les examine, et qu’ils les transmettent aux magistrats aucours de ce mois.

134 LES ARCHIVES DANS L’ATHÈNES CLASSIQUE

136 Chapitre 5.137 HANSEN, op. cit., p. 64.138 AND., Myst., 1.82-85.

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Que le Conseil et les cinq cents nomothètes que les démotes ont choisis examinentd’abord les lois transmises après qu’ils ont prêté serment. Qu’il soit permis à toutindividu qui le voudra, s’étant présenté devant le Conseil, de donner son avis surce qu’il y a de bon dans les lois. Lorsque les lois auront été décidées, que le Conseilde l’Aréopage veille sur les lois afin que les magistrats recourent aux lois en vigueur.Que les lois ratifiées soient transcrites sur le mur, là où elles furent auparavanttranscrites, afin que celui qui le désire les examine”.

À l’automne 400, la révision des lois de Solon est achevée. La mission de Nico-machos et des autres magistrats ne concerne plus que le calendrier des sacrifices139.Selon ce même décret, il découle que les lois décidées et inscrites renvoient aux loisde Solon révisées. Il existait donc des lois en vigueur postérieures à ces dernières. Lecode-loi de la Stoa ne concerne pas l’ensemble des dispositions législatives athé-niennes140. Du reste, la loi interdisant le recours à des agraphoi nomoi n’est pas ins-crite sur le mur141. D’autres exemples comme la loi/décret de Démophantos sur latyrannie peuvent être évoqués142. Certaines dispositions non inscrites sur le mur sontdonc encore en vigueur après la révision et sont intégrées dans une catégorie vaste,celle des lois de Solon143. Toutes les dispositions sont-elles pour autant en vigueur ?

Pour répondre à cette question, il faut revenir au Contre Nicomachos. SelonM. H. Hansen, “Presumably the magistrates entrusted with the revision were autho-rised to demolish obsolete laws as well as laws that (in a revised for) were includedin ‘the laws of Solon’”144. Cela peut sembler un pouvoir exorbitant mais dans cer-tains cas, les Athéniens n’hésitent pas à en confier à un magistrat145. Dès lors, l’ac-cusation portée contre Nicomachos correspondrait à sa fonction. Si l’on suit cettethèse, cela entraîne que Lysias accuse l’anagrapheus d’avoir accompli sa charge146. Or,le plaidoyer ne laisse pas de doute, l’accusation portée concerne une forfaiture deNicomachos qui, bien qu’anagrapheus, aurait agi comme nomothète147. Elle se situesur deux plans, fraude dans les archives — Nicomachos ne cesse d’inscrire des lois etde les effacer, toÁw m¢n §n°grafe, toÁw d¢ §jÆleifen148 — et corruption — four-

ARCHIVES CIVIQUES 135

139 CLINTON, op. cit., p. 34-35 et LAMBERT, op. cit., p. 353-357. Nous revenons infra sur cette inscrip-tion.140 HANSEN, op. cit., p. 65-66.141 AND., Myst., 1.85 et infra.142 Les deux termes sont utilisés par AND., Myst., 1.95, 96 et 99.143 AND., Myst., 1.96 qualifie ainsi le décret de Démophantos, ce qui montre qu’il ne pense pas queSolon en soit à l’origine.144 HANSEN, op. cit., p. 67-68, la citation est extraite de la page 67.145 La loi sur la monnaie de 375/4 (OSBORNE & RHODES, N° 25, l. 55-56) autorise le secrétaire àprendre des décrets sans en référer à qui ce soit d’autre.146 ROBERTSON, op. cit., p. 52 n. 26.147 LYS., Nicom., 30.2. Il n’y a pas lieu de considérer que les deux termes soient synonymes (contra OST-WALD, op. cit., p. 379-380 et p. 414-419).148 LYS., Nicom., 30.2 et 5. Ces deux verbes s’emploient dans le vocabulaire archivistique même s’ilspeuvent être utilisés dans le cas des inscriptions. Mais leur association enlève tout doute, comme leremarque ROBERTSON, op. cit., p. 55. La loi de Paros pour la réorganisation des archives les utilise éga-lement, W. LAMBRINUDAKIS et M. WÖRRLE, Ein hellenistisches Reformgestz aus Paros, Chiron 13,1983, p. 285 lignes 7-12.

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niture de fausses lois pour aider le plus offrant dans les procès149. Sa charge impli-quait donc un travail d’archives mais non de nouvelle élaboration de textes de loi, cequi correspond bien à l’une des anciennes fonctions de Nicomachos, celle d’hypo-grammateus150. “The task of the énagrafe›w, as publishers, must have beensomewhat mechanical, but it involved a large amount of work, for it required chec-king all-post-Solonian law against the original laws of Solon”151. Il s’agissait avanttout d’harmoniser les différentes dispositions et en ce sens, Nicomachos et ses col-lègues pouvaient intervenir sur le contenu. L’anagraphè renvoie ici à un processusinstitutionnel indifférent à la nature du support. Les lois examinées et inscrites parles anagrapheis s’appliquent ensuite à tous sans pour autant qu’il s’agisse d’une éla-boration de nouvelles lois.

Pourquoi les Athéniens ont-ils lancé une telle opération ? Le contexte politique del’époque, c’est-à-dire celui des années 411/410, a sans doute joué un rôle que tropd’historiens sous-estiment. Certains ont pensé que la révision constituait une réac-tion contre la tentative de prise de pouvoir par les factions oligarchiques. En effet,nous connaissons par le texte de la Constitution des Athéniens les premières mesuresprises par les Quatre Cents à travers la citation du décret de Pythodôros et de l’amen-dement de Cleitophon152 :

Kleitof«n d¢ “tå m¢n êlla kayãper PuyÒdvrow e‰pen, prosanazht∞sa:d¢ toÁw aflrey°ntaw ¶gracen ka‹ toÁw patr$ouw nÒmouw oÓw Kleisy°nhw¶yhken ˜te kay$sth tØn dhmokrat$an, ˜pvw ékoÊsantaw ka‹ toÊtvn bou-leÊsvntai tÚ êriston“, …w oÈ dhmotikØn éllå paraplhs$an oÔsan tØnKleisy°nouw polite$an tª SÒlvnow.

“Cleitophon se rallia à la proposition de Pythodoros, mais proposa d’ajouter queles commissaires élus auraient à examiner les lois des ancêtres établies par Clisthènequand il institua la démocratie, cela afin qu’on les prît aussi en considération etqu’on se décidât pour le mieux, et avec la pensée que la constitution de Clisthènen’était pas vraiment démocratique, mais analogue à celle de Solon”.

Le souci d’examiner les textes anciens précède le retour de la démocratie, ce quiamène certains historiens, comme A. Natalicchio, à nier l’existence même d’unerévision153. Il est préférable d’insister sur les désordres intérieurs qu’a connus Athènesdont l’un des enjeux était la constitution des ancêtres comme le démontre ce pas-sage. En cette fin de Ve siècle, les archives sont devenues un enjeu politique majeurdont le contrôle permet une légitimation historique du pouvoir que l’on tient et uneassise solide, sans contestation possible. La démocratie athénienne restaurée ne cessedès lors d’agir à l’instar des oligarques, c’est-à-dire de rappeler à tous que le citoyendoit respecter les lois des Anciens, celles de Dracon, de Solon et de Clisthène154. En

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149 LYS., Nicom., 30.3 cité supra.150 LYS., Nicom., 30.27.151 CLINTON, op. cit., p. 29. On comprend dès lors pourquoi une charge prévue à l’origine pour durerquatre mois dura finalement six ans (LYS., Nicom., 30.2).152 PS- ARSTT, Ath. pol., 29.3 (trad. CUF).153 NATALICCHIO, op. cit., p. 81-82.154 Sur la tentative menée par les Trente, voir PS- ARSTT, Ath. pol., 35.2 et NATALICCHIO, op. cit., p. 73-74.

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outre, les Quatre Cents avaient sans doute désorganisé les archives de la cité, princi-palement celle de la Boulè155. Une recherche minutieuse et générale s’imposait donc,en même temps que la constitution d’un fonds d’archives incontestable156. Quoiqu’il en soit, en 404, ce travail n’était toujours pas achevé et Nicomachos n’avait pasencore rendu ses comptes157.

b) 403-399Comme le fait remarquer N. Robertson, “the texts inscribed before 403 are very

largely concerned with ritual expenditure ; those inscribed after 403 appear to beexclusively concerned with it”158. Au cours de cette deuxième période, après la chutedes Trente, les anagrapheis poursuivirent leur tâche quatre ans encore. Mais cettefois-ci ils avaient un programme de transcription bien défini159 :

Ka‹ gãr toi, Œ êndrew dikasta$, §peidØ §ke$nvn d$khn oÈ d°dvken, ımo$anka‹ nËn tØn érxØn katestÆsato, ˜stiw pr«ton m¢n t°ttara ¶th én°gracen,§jÚn aÈt“ triãkonta ≤mer«n épallag∞nai: ¶peita divrism°non §j œn ¶deiénagrãfein, aÍtÚn èpãntvn kÊrion §poiÆsato.“Et voici juges, que, n’ayant pas été puni pour cette première forfaiture, il s’estencore attribué maintenant une charge semblable : non seulement, il a exercéquatre ans une fonction qu’il pouvait remplir en trente jours ; mais quand il avaitun programme de révision bien délimité, il s’est arrogé un souverain pouvoir surtoute la législation”.

La principale tâche de Nicomachos, et de ses collègues, était la réalisation d’uncalendrier des sacrifices pour lequel il est violemment attaqué par Lysias. Par seserreurs volontaires, l’anagrapheus aurait transformé les différents rituels tels qu’ilsapparaissaient sur les kyrbeis et les stèles et que des suggrafa$ imposaient de suivre,xrØn yÊein tåw yus$aw tåw §k t«n kÊrbevn ka‹ t«n sthl«n katå tåw sug-grafãw160. Cette dernière expression a dans l’ensemble été comprise comme uneréférence au décret fondant le pouvoir des anagrapheis161. Dans ce cas également, il

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155 La question du désordre des archives est suffisamment importante pour que des cités éprouvent lebesoin d’honorer ceux qui remettaient de l’ordre (par exemple Tituli Camirenses, n° 110 un décret enl’honneur de Philocratès [181-170], et une série de décrets de Priène honorant Zosimos, Inschr. Priene,n° 113, l. 16-18 et n° 114, l. 9-11 qui laisse deviner une réorganisation des archives suite à un désordredont l’origine est indéterminée).156 À cette occasion, les Athéniens firent graver la liste des archontes éponymes de la cité (cf. Chr.PÉBARTHE, La liste des archontes athéniens (IG, I3, 1031). Réflexions sur la datation d’une inscription,REA 107, 2005, p. 11-28).157 LYS., Nicom., 30.3-5.158 ROBERTSON, op. cit., p. 53.159 LYS., Nicom., 30.4 (trad. CUF).160 LYS., Nicom., 30.17 (la traduction CUF propose “ordonnance” pour syngraphai ce qui ne correspondà aucune réalité institutionnelle à Athènes au cours de cette période). Concernant les kyrbeis mention-nées dans ce passage, cf. R.S. STROUD, The Axones and Kyrbeis of Dracon and Solon, Berkeley, 1979,p. 8-10.161 Pour CLINTON, op. cit., p. 28-29, syngraphè renvoie à l’idée de législation et non plus de révision (voirAND., Myst., 1.96, la formule introductive de la proposition de Démophantos, cité infra). ROBERTSON,op. cit., p. 52-54 part du principe qu’il n’y a pas de révision des lois. “In 410-404 a board of anagra-pheis are at work upon the laws, and no other body, as of nomothetai, comes into question. […] The

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s’agirait bien d’une forfaiture. La faute essentielle consistait en une inscription desacrifices qui outrepassaient ceux qui étaient autorisés entraînant une surchargefinancière très importante162.

L’intitulé du décret proposé par Démophantos permet de reconstruire une partiede la procédure suivie163 :

NÒmow. ÖEdoje tª boulª ka‹ t“ dÆmƒ: Afiant‹w §prutãneue, Kleig°nhw§grammãteue, BohyÚw §pestãtei: tãde DhmÒfantow sun°gracen.

“Loi. Il a plu au Conseil et au peuple. La tribu Aiantis exerçait la prytanie, Clei-génès était secrétaire et Boèthos épistate. Démophantos a rédigé les propositionssuivantes”.

L’utilisation du verbe suggrãfv est intéressante car elle pose directement le pro-blème du statut de Démophantos. Selon A. Natalicchio, il est possible de résumerles interrogations sous la forme d’une alternative. “Se Demofanto ricevette un pre-ciso mandato, ciò va contro l’idea di incarichi generali riguardo alle legi ; se inveceDemofanto avanzò a titolo del tutto personale la proposta, come si potrà sostenerel’idea di un lavoro sistematico sulle leggi se è vero che l’aggiornamento di disposi-zioni rilevanti come quelle sui reati contro la democrazia fu lasciato all’iniziativaautonoma di un privato ?”164 Mais l’idée d’une révision des lois n’est pas incompa-tible avec la possibilité laissée aux citoyens de faire des propositions. La procédure dela révision est sans doute plus complexe que nous l’imaginons. De plus, — celaA. Natalicchio l’ignorait — la restitution proposée par N. Robertson tend à prouverque le calendrier a été réalisé en partie à l’aide de suggrafa$, c’est-à-dire de pro-positions écrites qui constituaient vraisemblablement les originaux à partir desquelsles anagrapheis inscrivaient les lois de la cité. En effet, nous disposons de treize frag-ments de huit inscriptions jointives qui constituent “le calendrier de Nicoma-chos”165. Six rubriques distinguent les différents sacrifices à accomplir, les trois pre-mières se lisent sans ambiguïté, la quatrième est restaurée et les deux dernièresdemeurent obscures166. Certains rites proviennent des magistrats principaux desquatre tribus ioniennes, §k t«n fulobasilik«n. D’autres sont classés par mois, §kt«n katå m∞na, et d’autres encore ne s’inscrivent pas dans un calendrier précis maissont complémentaires des rites précédents, §k t«n =ht∞i. Pour la quatrièmerubrique, N. Robertson propose une restitution originale qui s’appuie sur des recou-

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anagrapheis do no more than put the laws in order : they assemble the documentary record” (p. 52).L’expression kata tas syggraphas est comprise comme une référence à un rapport émanant d’une com-mission, et elle est distinguée des prescriptions qui figurent sur les kyrbeis. L’interprétation deRHODES, The Athenian Code of Laws, p. 95 s’en rapproche : “Syngraphai should denote a draft pre-sented to the assembly for approval, in this case presumably the decree which ordered the anagrapheisto revise the sacrificial calendar and which specified the sources to be followed […] Syngraphai are nota separate source, but the draft of the decree which specified the sources”.162 LYS., Nicom., 30.19-21.163 AND., Myst., 1.96.164 NATALICCHIO, op. cit., p. 68.165 Pour un fac similé, DOW, op. cit., 1961, p. 59 ainsi que les planches 9-11. Cf. à présent LAMBERT,op. cit.166 DOW, op. cit., 1959, p. 15-21.

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pements épigraphiques et sur une lecture de Lysias167. Au lieu de lire “§k t«nst`[hl«n]”, il restitue “§k t«n s[uggraf«n]”. Les parallèles qu’il fournit sontconvaincants mais son hypothèse a l’inconvénient de ne pas avoir été confirmée parune lecture directe de la pierre, même si l’éditeur de l’inscription justifie mal son tpointé168. Ayant examiné un estampage de la pierre et une photographie,P. J. Rhodes et Chr. Habicht ont confirmé l’absence de traces d’une lettre après lesigma169. Les observations de S. D. Lambert sur la pierre l’amènent à conclure à laprésence du début de la barre d’un tau ou d’un upsilon sans qu’il soit possible d’êtreplus affirmatif170.

L’ensemble de ces fragments seraient des éléments d’un ensemble plus vaste queles Modernes nomment le mur du code-loi de Nicomachos171. Ce dernier est citédans le décret de Teisaménos, toÁw d¢ kuroum°nouw t«n nÒmvn énagrãfein efiwtÚn to›xon, ·naper prÒteron énegrãfhsan, skope›n t“ boulom°nƒ172. De quelmur s’agit-il ? Naguère, N. Robertson avait proposé d’y voir un support tempo-raire173. Il notait que le toichos n’était que peu cité dans les sources. En 418/7, ledécret pour la location et l’embellissement du sanctuaire de Néleus et Basile ordonneà l’archonte-roi d’effacer le nom de l’homme qui achète la boue du lit du cours d’eaudès qu’il aura payé le prix requis et d’inscrire à la place sur le mur le nom de l’hommeà qui a été affermé le sanctuaire174. En aucun cas, il ne peut s’agir de celui qui entourece dernier car il n’était pas encore construit. De plus, le lieu d’affichage de la stèleportant ce décret est très précisément décrit. Il semble donc que le mur désigne unendroit bien connu et habituel de publication pour les Athéniens sans qu’il soit pourcela à coup sûr celui du Portique Royal. Pourtant, le toichos n’est cité qu’en 418/7 eten 403/2. Au IVe siècle, les orateurs mentionnent le monument des Éponymes, plusexactement ils parlent d’inscriptions sises en face175. Pour N. Robertson, les statuesdes Héros se tenaient dans la cour du Prytaneion qui était enclose par un mur quiaccueillait les différentes inscriptions176. Le mur en question serait donc destiné àl’examen des lois qui étaient ensuite déplacées. Toutefois, si l’on suit le décret de Tei-saménos, il n’est pas possible de reprendre cette hypothèse car il distingue deuxétapes, une exposition temporaire, ÑOpÒsvn d' ín prosd°˙, o·de Ωrhm°noinomoy°tai ÍpÚ t∞w boul∞w énagrãfontew §n san$sin §ktiy°ntvn prÚw toÁw§pvnÊmouw skope›n t“ boulom°nƒ, et une inscription définitive sur le mur toÁwd¢ kuroum°nouw t«n nÒmvn énagrãfein efiw tÚn to›xon. Ceci étant dit, il semblebien que ce mur cessa de servir de références pour les orateurs177.

L’épigraphie est à même d’apporter des précisions importantes quant à la natureet la fonction du mur. Les onze fragments formant un ensemble de trois murs join-

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167 LYS., Nicom., 30.17.168 ROBERTSON, op. cit., p. 68-70.169 RHODES, The Athenian Code of Laws, p. 94 n. 40.170 LAMBERT, op. cit., p. 378.171 Notamment DOW, op. cit., 1961 et FINGARETTE, op. cit.172 AND., Myst., 1.84, cité supra.173 ROBERTSON, op. cit., notamment p. 49-52.174 IG I3, n° 84.175 DÉM., Mid., 21.103, Lept., 20.94, Timocr., 24.18 et 23 ; ISOCR., C. Call., 18.61 et ESCHN., Ctes., 3.39.176 ROBERTSON, op. cit., p. 50-52.177 HANSEN, op. cit., p. 70-71.

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tifs d’épaisseur différente sont tous inscrits sur les deux faces, sauf un, l’une enalphabet attique, l’autre en ionien (respectivement face 1 et face 2)178. Les deux facesse différencient également par la qualité de la gravure, moyenne pour l’ancienne, degrande qualité pour la récente. Dès l’origine, la face récente était destinée à être laface principale179. Sur la face 1, St. Dow lit des textes de lois sacrées et profanes (trié-rarchique, listes de fêtes et de sacrifices). Sur la face 2, ne figure qu’un calendrier éla-boré et précis régissant des affaires religieuses qui prend la suite de celui qui figuresur l’ancienne face, ce qui implique que les deux faces n’étaient pas destinées à êtrelues simultanément, au moins à partir de la gravure de la face 2180. La particularitéde celle-ci consiste en une érasure sur la totalité de sa superficie181. E. Ruschenbuscha proposé une alternative182. La face ancienne résulterait de l’action des Trente. Plu-sieurs sources indiquent en effet que les Trente ont tenté de rédiger un code de loisautre que celui de Nicomachos183. Cela suffit-il pour penser que le mur servit à affi-cher la politeia des Trente ?

Rien n’est moins sûr car leur gouvernement fut d’une courte durée et ce dernierne semble pas avoir été particulièrement pressé de montrer les textes qui fondaientleur autorité184 : “Désignés pour rédiger les lois selon lesquelles [les Athéniens]devaient se gouverner, ils tardaient à le faire et à les exposer”. Si les Trente décidèrentune révision des lois, ils ne la mirent pas sur pierre ou ils n’en eurent pas le temps.En revanche, en prévision de la gravure du nouveau code, ils effacèrent le texte pré-sent sur la face 2185. Une fois la démocratie restaurée, on décida de poursuivre la révi-sion interrompue par l’oligarchie et en même temps de réinscrire ce qui avait étéeffacé, comme le prescrit le décret de Teisaménos. Mais cela ne signifie pas que lemur accueillait l’ensemble des textes retenus186. D’abord, un argument physiquepeut être invoqué, la taille du monument ne permettait pas d’accueillir l’ensemblede la législation athénienne187. De plus, il semble bien que la stèle portant la loi deDracon sur le meurtre ne s’insérait pas dans cet ensemble. Il faut donc admettre quela tâche que requérait le premier terme n’impliquait pas une gravure sur le mur de

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178 Cf. DOW, op. cit., 1961, p. 60-69 pour une description du monument.179 FINGARETTE, op. cit., p. 331.180 DOW, op. cit., 1959, p. 7-8 et ID., op. cit., 1960, p. 278.181 DOW, op. cit., 1961, p. 70-71. FINGARETTE, op. cit. en fait l’élément décisif de son interprétation quenous reprenons en large part.182 E. RUSCHENBUSCH, Der sogenannte Gesetzescode vom Jahre 410 v. Chr., Historia 5, 1956, p. 123-128.183 XÉN., Hell., 2.3.51. (Pour justifier l’exécution de Théramène, Critias fait référence à de nouvelleslois. “Dans les lois nouvelles, il est dit qu’aucune personne appartenant aux Trois Mille n’est mise àmort sans votre vote alors que ceux qui sont en dehors de la liste peuvent être condamnés à mort parla seule volonté des Trente”, trad. CUF) ; XÉN., Mem., 1.2.31 (Critias fut nomothète avec Chariclès) ;XÉN., Hell., 2.3.2 (qui rapporte le texte d’un décret montrant que les Trente devaient collecter par écritles lois des ancêtres selon lesquelles les Athéniens devaient se gouverner) ; DION CHRYSOSTOME, Sur labeauté, 21.3 (qui mentionne également que Critias est désigné nomothète par les Athéniens afin qu’ilchange les vieilles lois).184 XÉN., Hell., 2.3.11 (trad. CUF) : Aflrey°ntew d¢ §f' ⁄ste suggrãcai nÒmouw, kay' oÏstinawpoliteÊsointo, toÊtouw m¢n ée‹ ¶mellon suggrãfein te ka‹ épodeiknÊnai ktl.185 Cf. chapitre 5.186 Contra FINGARETTE, op. cit., p. 333-335.187 CLINTON, op. cit., p. 32-33 et RHODES, The Athenian Code of Laws, p. 90.

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la totalité des textes examinés, mais seulement de quelques-uns188. Les modalités duchoix nous échappent. En tous les cas, l’existence d’une politique de publication desstèles est avérée dès cette époque189.

B. RÉVISION DES LOIS ET LOIS NON ÉCRITES

L’appréciation de l’importance de cette révision requiert également une réflexionautour du concept de nomos qui semble prendre le sens de règle écrite au mêmemoment. “The idea of law as a body of written rules seems to have developped inclose conjonction with the political and legal experiences of 5th century Athens”190.Dès lors l’expression que les sources commencent à employer, agraphoi nomoi,intrigue191. Ces dernières renverraient à un droit coutumier que la révision des lois,par l’entreprise de mise par écrit qu’elle impliquait, aurait remis en question. Maisalors pourquoi cette expression apparaît-elle aussi tard ? S’agit-il d’un hasard lié à laconservation aléatoire des sources ? Ou bien n’est-elle pas plutôt inséparable de larévision et à ce titre un concept né de l’écriture ?

La première mention de cette expression se trouve dans une pièce de Sophocle,Antigone, dans laquelle Antigone défend le droit d’inhumer son frère, ce qui entre encontradiction avec le droit édicté par Créon192 :

OÈd¢ sy°nein tosoËton “Òmhn tå så khrÊgmay' Àst' êgrapta késfal∞ ye«n nÒmima dÊnasyai ynhtÚn ˆny' Íperdrame›n. OÈ gãr ti nËn ge kéxy°w, éll' ée$ pote zª taËta, koÈde‹w o‰den §j ˜tou ‘fãnh.

“Je ne pensais pas que tes défenses à toi fussent assez puissantes pour permettre àun mortel de passer outre à d’autres lois, aux lois non écrites, inébranlables, desdieux ! Elles ne datent, celles-là, ni d’aujourd’hui ni d’hier, et nul ne sait le jour oùelles ont paru”.

En apparence, il n’y a pas ici opposition avec des nomoi gegrammenoi193. Le nomosest ici du côté de Créon, l’interdiction d’inhumer les traîtres194. Du reste, Antigoneparle de nomima et non de nomos, signe qu’elle distingue ce qui ressort de l’écriture

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188 Nous ne retenons cependant pas l’hypothèse de RHODES, The Athenian Code of Laws, selon laquellel’opération de révision aurait pris une importance croissante à partir de son lancement. Cela revient àmésestimer la connaissance que les responsables athéniens avaient de leurs archives.189 Plus généralement chapitre 5.190 R. THOMAS, Written in stone ? Liberty, Equality, Orality and the codification of Law, BICS 40,1995, p. 66.191 M. OSTWALD, Was There a Concept êgrafow nÒmow in Classical Greece ?, in E.N. LEE,A.P.D. MOURELATOS et R.M. RORTY (éd.), Exegesis and Argument. Studies in Greek Philosophy Presentedto Gregory Vlastos, Assen, 1973, p. 70-104 propose une étude complète des occurrences de Sophocle àAristote. Cf. aussi J. DE ROMILLY, La loi dans la pensée grecque, Paris, 2001, p. 26-38.192 SOPH., Ant., 453-457 (trad. CUF) avec le commentaire d’OSTWALD, op. cit., p. 83-86.193 Comme le note OSTWALD, op. cit., p. 84, il faut rejeter l’hypothèse d’une volonté d’éviter un ana-chronisme (cf. aussi P.E. EASTERLING, Anachronism in Greek Tragedy, JHS 105, 1985, p. 1-10).194 Une loi analogue est attestée à Athènes, voir XÉN., Hell., 1.7.22 et THC 1.138.6.

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de ce qui n’en ressort pas. Ce terme permet de distinguer les connotations contenuesdans nomos qui ne concernent pas des règles écrites. Dans ce passage, les agraptanomima s’opposent donc aux nomoi de Créon. Mais, ces derniers sont appelés keryg-mata, ce qui ne va pas sans évoquer un héraut, c’est-à-dire une parole et non un écrit.Conscient de cette difficulté, M. Ostwald pense qu’Antigone cherche à atténuer laforce des nomoi de Créon. Il ne s’agit pas là d’un argument positif. Pourtant, unautre élément peut être évoqué pour renforcer cette interprétation. Lorsqu’Antigonedéclare, “Elles ne datent, celles-là, ni d’aujourd’hui ni d’hier, et nul ne sait le jour oùelles ont paru”, elle fait référence aux lois d’une cité qui portent une date et qui sontpubliées. Cela n’est pas sans rappeler les deux décisions que les Trente tardaient àprendre concernant la politeia qu’ils devaient instaurer, suggrãfein te ka‹ épo-deiknÊnai195.

La deuxième référence à des agraphoi nomoi apparaît dans l’Oraison Funèbre dePériclès. Elle concerne des lois d’origine humaine et non divine comme dans le casd’Antigone196 :

ÉAnepaxy«w d¢ tå ‡dia prosomiloËntew tå dhmÒsia diå d°ow mãlista oÈparanomoËmen, t«n te afie‹ §n érxª ˆntvn ékroãsei ka‹ t«n nÒmvn, ka‹mãlista aÈt«n ˜soi te §p' “fel$& t«n édikoum°nvn ke›ntai ka‹ ˜soiêgrafoi ˆntew afisxÊnhn ımologoum°nhn f°rousin.

“Malgré cette tolérance dans notre vie privée, nous nous efforçons de ne rien faired’illégal dans la vie publique. Nous nous soumettons aux magistrats et aux lois,surtout à celles qui protègent les victimes de l’injustice et à toutes celles qui, sansêtre écrites, valent une honte indiscutée à ceux qui leur désobéissent.”

Comment comprendre l’expression “surtout à celles qui protègent les victimes del’injustice” ? M. Ostwald analyse le sens de la forme verbale adikesthai et en déduitque Périclès fait ici référence à l’ensemble des lois qui permettent à chaque individuqui se sent victime d’une injustice d’obtenir réparation devant un tribunal. Maistous les nomoi ne sont pas écrits, notamment dans le domaine moral ou religieux.Dans ce cas, les magistrats et la justice ne peuvent apporter une quelconque répara-tion. Seule la honte constitue un rempart. Dans ce cas, les nomoi agraphoi n’ont pasde contenu particulier et ne constituent pas un droit au sens juridique du terme. Cequi fait alors leur unité est simplement le fait qu’ils ne sont pas mis par écrit.

En revanche, la mention des agraphoi nomoi dans le plaidoyer d’Andocide (Sur lesMystères) intrigue d’autant plus que cette expression concerne des textes écrits. L’ora-teur cite la loi suivante197 : “Loi. Que les magistrats ne recourent en aucun cas à une

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195 XÉN., Hell., 2.3.11, cité supra.196 THC 2.37.3 (trad. CUF) avec le commentaire d’OSTWALD, op. cit., p. 86-89. Cf. aussi LYS., And.,6.10 et OSTWALD, op. cit., p. 89-91.197 AND., Myst., 1.85 avec citations identiques dans 1.87 et 1.89 : NÒmow: ÉAgrãfƒ d¢ nÒmƒ tåwérxåw mØ xr∞syai mhd¢ per‹ •nÒw. Voir les commentaires de M. OSTWALD, Nomos and the Begin-nings of the Athenian Democracy, Oxford, 1969, p. 1 n. 4 et ID., êgrafow nÒmow, p. 91-92. Notre tra-duction reflète la compréhension que nous proposons de ce texte. Nous comprenons agraphos nomoscomme des lois non inscrites et non comme des lois non écrites. Pour une analyse plus complète del’anagraphè, cf. notre analyse in Lindos, l’Hellénion et Naucratis. Réflexions sur l’administration del’emporion, TOPOI 12-13, 2005, p. 158-167.

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loi non inscrite”. Dans ce cas, il n’y a pas opposition entre agraphos et gegrammenosmais entre agraphos et anagegrammenos, épithète qui s’applique aux lois qui ont étéexaminées en vertu du décret de Teisaménos et qu’Ostwald comprend comme “offi-cially published in an authoritative manner”198. Le décret d’Isotomidès est bienentendu écrit et conservé mais il est révoqué par les décisions postérieures ; c’est dumoins l’interprétation d’Andocide. Les agraphoi nomoi peuvent donc être mis parécrit et cette expression n’est en rien la preuve de l’existence d’un droit oral qui s’ap-pliquerait en partie avant 403/2199. L’inscription dont il est question ici ne renvoiepas à une mise sur pierre mais au processus de révision lui-même, l’anagraphè desnomoi. Elle consiste en un examen et une approbation de la magistrature ad hoc, lesanagrapheis. Que les lois figurent ou non sur le mur — ou sur un autre supportdurable — importe peu, seul compte le fait qu’elles aient été examinées et retenues.L’agraphos nomos désigne une loi que les anagrapheis n’ont pas inscrite, c’est-à-direintégrée dans les archives au sein du code. La révision des lois ne correspond pas àune mise par écrit de règles qui seraient restées jusque-là sous une forme orale maisbien à une refonte des lois dans un ensemble ordonné, ayant désormais autorité, sanspour autant que cela se traduise par une publication sur pierre unique et générale destextes législatifs adoptés200. Un code de lois n’est pas défini autrement.

C. RÉVISION DES LOIS ET CENTRALISATION DES ARCHIVES ATHÉNIENNES

Parmi les motivations invoquées pour expliquer la révision des lois, le souci deconstituer un ensemble documentaire de référence pour de nouvelles archivesd’Athènes, qualifiées abusivement de centrales, est souvent mis en avant201. Ces der-nières dateraient de la dernière décennie du Ve siècle. Toutefois, il y a en réalité peud’arguments convaincants. A. Boegehold prend appui principalement sur deuxsources. La première est un passage du décret pris en l’honneur des Samiens202 :

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198 OSTWALD, op. cit., p. 1 n. 4. Voir aussi THC 1.40.2 et 1.31.2 pour un autre cas de synonymie, cettefois-ci à propos de cités.199 En ce sens, les agraphoi nomoi ne traduisent pas une “aspiration vers un bien et une justice qui com-plèteraient et dépasseraient les règles posées par le législateur” ou bien encore une “une réaction auxinsuffisances de la loi écrite” (DE ROMILLY, op. cit., p. 26). THOMAS, op. cit., p. 66 n. 42 ne propose pasune alternative convaincante quand elle affirme : “Andocide is trying to argue, for his own purposes,that the law precludes those not recently inscribed, but the law as he cites it simply prohibits theêgrafow nÒmow”.200 Des lois antérieures demeurent valables. LYS., Erat., 1.30 cite une loi sur l’homicide qui se trouvesur l’Acropole (mais la date est incertaine, peut-être avant 403, donc avant l’interdiction de faire réfé-rence à une loi non écrite, i. e. non inscrite dans le code). Mais deux citations de Démosthène com-plètent le dossier (Arist., 23.22, loi provenant de l’Aréopage et Nééra, 59.76 sur la femme de l’archonte-roi, loi figurant sur une stèle placée dans le sanctuaire de Dionysos au Marais).201 BOEGEHOLD, op. cit., p. 29 est le premier à lier explicitement les deux. Dans l’ensemble, les histo-riens l’ont suivi ; citons par exemple ROBERTSON, op. cit., p. 56 : “Surely the mandate of the anagrapheiswas to provide a comprehensive set of documents for the central archive”.202 IG I3, n° 127, l. 25-31, la traduction reprend les conclusions de BOEGEHOLD, op. cit. Nous intégronsici les restitutions proposées par ce dernier (p. 23) qui ne sont pas retenues par les auteurs de la troi-sième édition des inscriptions de l’Attique.

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Ta›w d¢ triÆresi[ta›w] ˆsaiw §w Sãmvi xr∞syai aÈto›w d?nai §piskeuasam°noiw kayÒtiín aÈ-[to›w d]ok∞i: tå d¢ ÙnÒmata t«n trihrãrxvn, œn ∑san atai afl n∞ew,épogrãcai [tÚw pr°s]bew t«i grammate› t∞w bol∞w ka‹ to›w strathgo›w, ka‹ toÊtvne‡ po- [y°n t$ §stin én]agegramm°non §n t«i dhmos$vi …w parelhfÒtvn tåwtriÆrew, [ëpanta §jaleicã]ntvn ofl nevro‹ èpantaxÒyen, tå d¢ skeÊh t«idhmos$vi §s-[prajãntvn …w tãxista ka]‹ §panagkasãntvn épod?nai tÚw ¶xontawtoÊtvn [ti §ntel∞: ktl.

“Concernant les trières à Samos dont ils ont besoin, qu’elles leur soient donnéeséquipées comme il leur semblera bon. Que les envoyés transmettent la liste desnoms des triérarques à qui appartenaient ces trières au secrétaire du Conseil et auxstratèges, et si l’un de leurs noms est inscrit dans une liste dans les archivespubliques comme ayant reçu les trières, que les néoroi effacent leurs noms partoutoù ils peuvent se trouver, qu’ils réclament les agrès pour la cité aussi rapidementque possible et qu’ils contraignent ceux qui en possèdent à les rendre…”.

Cette traduction suppose d’accepter un sens différent pour une même expression,§n t«i dhmos$vi. Dans un cas, celle-ci nomme une institution, les archives de lacité, dans l’autre elle désigne la collectivité, le trésor public203. En soit, cela ne posepas de problème car les deux sens sont attestés204. Toutefois, la possibilité ne fait pasla démonstration. Pour cela, Boegehold tient le raisonnement suivant. D’abord, ilrappelle que le triérarque avait l’obligation avant tout de récupérer les agrès quedevait son prédécesseur. Pour ce faire, il disposait des seuls pouvoirs d’une personneprivée. Une fois le procès engagé et perdu, l’ancien triérarque devenait débiteur del’État. Dans ce décret, il s’agit de prémunir les triérarques en charge d’éventuellesaccusations de détournements d’agrès des navires donnés aux Samiens. Toutefois,certains ont profité de la situation et la cité veille à récupérer certains agrès. Dès lors,la restitution proposée par Boegehold possède une certaine logique205. Reste que celane permet toujours pas de conclure sur le sens de l’expression §n t«i dhmos$vi.

Un autre parallèle peut être trouvé dans un deuxième décret, celui de Patrocleidès.Nous citons d’abord la fin d’un passage dans lequel Andocide explique les différentscas menant à l’exil206 :

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203 Sur ces deux acceptions, voir respectivement KLAFFENBACH, op. cit., p. 6-22 et SAMONS, Empire ofthe Owl, p. 54-70.204 Cette expression est connue pour désigner l’État comme créditeur, voir par exemple DÉM., Nééra,59.7 (pour d’autres références, SICKINGER, Public Records, p. 232 n. 75) ; pour le sens d’archives, cf.KLAFFENBACH, op. cit., p. 6-22, en particulier p. 11-14, qui s’oppose de façon convaincante à WILHELM,op. cit., p. 257-264.205 Voir notamment un parallèle intéressant dans AND., Myst., 1.79.206 AND., Myst., 1.76 (trad. CUF).

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TaËtÉ oÈn §chf$sasye §jale›fai pãnta tå chf$smata, ka‹ aÈtå ka‹ e‡poÊ ti ént$grafon ∑n.

“Donc vous avez décidé de supprimer tous les décrets [faisant référence à ce quiprécède], les originaux et les copies s’il y en avait”.

Puis, dans le texte du décret proprement dit, une clause revient sur l’aspect déjàévoqué par l’orateur207 :

Tå d¢ êlla pãnta §jale›fai toÁw prãktoraw ka‹ tØn boulØn katå tåefirhm°na pantaxÒyen, ˜pou ti ¶stin §n t“ dhmos$ƒ, ka‹ efi ént$grafÒn pou¶sti, par°xein toÁw yesmoy°taw ka‹ tåw êllaw érxãw. Poie›n d¢ taËtatri«n ≤mer«n, §peidån dÒj˙ t“ dÆmƒ. àA dÉ e‡rhtai §jale›cai, mØkekt∞syai fid$& mhden‹ §je›nai mhd¢ mnhsikak∞sai mhd°pote:

“Pour tous les autres cas [Andocide vient de limiter les cas d’érasure et de destruc-tion de documents compromettant des citoyens], que les percepteurs et le Conseileffacent, suivant ce qui a été dit, partout §n t“ dhmos$ƒ ; et s’il se trouve descopies de ces actes, que les Thesmothètes et les autres magistrats les livrent. Quecela soit fait en trois jours lorsqu’il aura plu au peuple. Qu’il ne soit pas permis àune personne privée de posséder une copie des inscriptions qu’il a été ordonné dedétruire ni d’en faire jamais grief à personne”.

Peut-on traduire §n t“ dhmos$ƒ par “dans les archives” ? Pour justifier une telletraduction, Boegehold reprend la question des supports qui accueillaient les nomsdes débiteurs publics. Sa démonstration s’appuie principalement sur un extrait d’unplaidoyer de Démosthène208 :

ÉEg∆ går o‰mai de›n Ímçw, Àsper ín efi xr°ow §skope›t' ‡dion, oÏtvw§jetãsai toËton ka‹ tå toutou‹ toË ég«now d$kaia. Efi to$nun tiw Ùfe$leintin' ºtiçto xrÆmata, ı d' ±rne›to, efi m¢n §fa$nony' a· te suny∞kai kay' ìw§dane$sato ke$menai ka‹ ofl tey°ntew ˜roi •sthkÒtew, tÚn érnoÊmenon≤ge›sy' ìn énaid∞ dhlonÒti, efi d' én˙rhm°na taËta, tÚn §gkaloËnta: oÏtvtaËta p°fuken. Efis‹ to$nun œn ÉAristoge$tvn Ùfe$lei tª pÒlei suny∞kaim¢n ofl nÒmoi kay' oÓw §ggrãfontai pãntew ofl Ùfliskãnontew, Ùrow d' ≤san‹w ≤ parå tª ye“ keim°nh. Efi m¢n oÔn énπrhtai taËta ka‹ §jalÆliptaitÚ ˆflhma, ≤me›w lhroËmen, mçllon d¢ ceudÒmeya: efi d' ¶t' ¶sti ka‹ ¶stait°vsper ín §kte$s˙ ka‹ mene›, otow oßn élhy¢w l°gei, éll' édike› ka‹deinå poie› tå koinå dikai' éfan$zein §pixeir«n.

“À mon avis, vous devez examiner cet individu et les points de droit concernant leprésent procès comme si vous enquêtiez sur une dette privée ; supposons qu’unepersonne prétende qu’une autre lui doit de l’argent et que l’autre le nie, si l’onvoyait en place les conventions d’après lesquelles s’est fait l’emprunt et debout lesbornes hypothécaires, évidemment vous jugeriez impudent celui qui nierait la

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207 AND., Myst., 1.79. Pour l’expression §n t«i dhmos$vi, la traduction proposée par G. Dalmeyda(CUF) est “sur les registres publics”.208 DÉM., Aristog. I, 25.69-70 (trad. CUF) avec le commentaire de BERTRAND, op. cit., p. 162 n. 361.

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dette ; mais si tout cela avait été supprimé, ce serait le plaignant. C’est l’attitudenaturelle.Or, pour ce qu’Aristogiton doit à l’État, les conventions, ce sont les lois qui règlentl’inscription des débiteurs ; la borne, c’est la tablette déposée chez la Déesse. Si celaa été supprimé et la dette effacée, c’est nous qui parlons au hasard ; bien plus quimentons. Mais si cela existe et existera jusqu’à qu’il ait tout payé, si cela doit rester,c’est lui qui ne dit rien de vrai ; il est coupable et c’est un scandale qu’il essaie defaire disparaître les règles de droit public”.

En comparant dette publique et dette privée, l’orateur met en parallèle les docu-ments qui prouvent la dette contractée, sans établir une identité entre les différentsécrits. Les lois sont mises en parallèle avec les synthèkai, les contrats écrits209. L’autrecomparaison concerne la borne et la sãniw ≤ parå tª ye“ keim°nh. Loin d’évoquerune inscription au sens de gravure, cette mention évoque les contrats entreposés chezdes personnes privées, katå tåw sunyÆkaw tåw parå t“ de›ni210. Dans cet extrait,la sanis ne renvoie pas à un document exposé mais à un document conservé211. Ils’agirait donc d’archives particulières conservées dans le temple d’Athéna212. Dèslors, le décret de Patrocleidès eût été plus logique s’il avait mentionné l’Acropole oule temple et non le dèmosion. Mais celui-ci parle surtout des décrets (pséphismata)dont on sait par ailleurs qu’ils furent à un moment donné conservés dans leMétrôon, du moins certains d’entre eux. Cela ne suffit pas pour expliquer pourquoiles Athéniens utilisent ici l’expression §n t“ dhmos$ƒ au lieu de §n t“ Mhtr–ƒ.Comme le reconnaît lui-même Boegehold, la première peut très bien faire référenceau Bouleutérion213. Les arguments donnés ensuite concernant la tendance à la cen-tralisation qui prévaudrait dans le processus de révision des lois ne reposent que surune mauvaise estimation de l’importance de la conservation des documents au Ve

siècle. Dès lors, que le décret en l’honneur des Samiens évoque ou non les archivesde la cité importe peu214. Le concept d’archives centrales ne paraît pas pertinent pourrendre compte de la réalité athénienne car d’une part la dispersion des documentsperdure et d’autre part les archives civiques, celles de la Boulè, existent déjà.

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209 Chapitre 6.210 DÉM., Apat., 33.15, Lacr., 35.14, Olymp., 48.11, LYC., Leocr., 1.23.4. Cette formule est égalementattestée sur certaines bornes hypothécaires (M.I. FINLEY, Studies in Land and Credit in Ancient Athens,500-200 B.C. The Horos Inscriptions, New Brunswick, 1952, p. 26-27 et chapitre 2).211 BOEGEHOLD, op. cit., p. 26, contra J.V.A. FINE, Horoi. Studies in Mortgage, Real Security, and LandTenure in Ancient Athens. Hesperia Suppl. 9, Princeton 1951, p. 56s.212 Chapitres 4 et 5.213 BOEGEHOLD, op. cit., p. 29. AND., Retour, 2.23 cite un décret qui est enregistré dans le Bouleutérionen 410. La première attestation d’un document conservé au Métrôon date de 343 (DÉM., Amb.,19.129).214 SICKINGER, Public Records, p. 110 reconnaît que l’hypothèse de BOEGEHOLD, op. cit., ne peut êtreabandonnée. Il la met à l’écart simplement au nom de la vraisemblance.

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3. Le Métrôon, bâtiment d’archives de la cité215

Les sources permettent d’affirmer que le Métrôon, le temple de la Mère desDieux, accueillait les archives civiques au IVe siècle, au moins en partie. Avant des’interroger sur la place que ces archives occupent dans la société athénienne, il estnécessaire d’envisager plusieurs questions pratiques. Quels types de documentsétaient préservés au Métrôon ? Comment étaient-ils rangés et classés ? Quels magis-trats se chargeaient de surveiller l’administration des archives du Métrôon ? Cesdocuments étaient-ils accessibles ? Tout d’abord, il convient de revenir sur une ques-tion déjà en partie abordée. Pourquoi et depuis quand le Métrôon accueille-t-il lesarchives civiques ?216

Le lien entre archives et Mère des dieux n’est pas facile à établir217. Pour les uns,le facteur religieux serait à l’origine de l’implantation du bâtiment des archives dansle Métrôon218. Une façon particulière de poser la question peut consister en uneprise en compte de la dimension féminine de la divinité. “Une Mère au cœur dupolitique, gardienne de la justice des écrits, est-ce un paradoxe, dans une cité aussiexpressément patriarcale qu’Athènes ?”219 Pour d’autres, “Both literary sources andarchaeological remains attest to a close relationship between the Mother of theGods, the Boule, and the Bouleuterion”220. Autrement dit, aucune considérationautre que pratique et topographique n’aurait guidé les Athéniens dans leur choix duMétrôon comme bâtiment d’archives publiques.

Cette dernière interprétation ne paraît pas pouvoir être retenue telle quelle. Eneffet, tout laisse à penser que la fonction d’archives de ce temple n’est pas liée au seulhasard de la topographie. À Délos également, le Métrôon local accueillait les docu-ments publics221. Pour autant, il n’est pas possible de fournir une explication posi-

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215 Pour une présentation rapide du sanctuaire qui tienne compte aussi bien des aspects religieux quedes aspects politiques, cf. PH. BORGEAUD, La Mère des Dieux. De Cybèle à la Vierge Marie, Paris, 1996,p. 31-55.216 Sur cette question, voir un appendice dans SICKINGER, The State Archive, p. 197-204.217 SICKINGER, Public Records, p. 112 semble moins affirmatif que dans sa thèse (SICKINGER, The StateArchive), voir infra.218 Voir FRANCIS, op. cit., p. 112-120 ; R. PARKER, Athenian Religion : A History, Oxford, 1996, p. 159-160 et p. 188-193 ; et L.E. ROLLER, Reflections of the Mother of the Gods in Attic Tragedy, in E.N.LANE (éd.), Cybele, Attis and Related Cults : Essays in Memory of M. J. Vermaseren, Leyde, 1996, p. 317-318 et ID., In Search of God Mother. The Cult of Anatolian Cybele, Berkeley, 1999, p. 163 et 184.219 BORGEAUD, op. cit., p. 51. Nous revenons infra sur cette notion de “gardienne de la justice des écrits”qui provient d’une compréhension particulière d’un passage de Dinarque.220 SICKINGER, The State Archive, p. 201. Il reprend la thèse défendue par C. CURTIUS, Das Metroon inAthen als Staatsarchiv, Berlin, 1868, p. 15.221 P. ROUSSEL, Délos colonie athénienne, Paris, 1916, p. 44-45. Ce Métrôon délien n’est connu que pardes inscriptions. Si pendant longtemps les archéologues ont pensé qu’il se situait sur l’esplanade desdieux étrangers, PH. BRUNEAU, Le dromos et le temple C du Sarapeion C de Délos, BCH 104, 1980,p. 168-170 a montré qu’il y avait de sérieux doutes sur cette option. Faute de mieux et en reprenant cesderniers travaux, J. TRÉHEUX, Pourquoi le Parthénon ?, REG 98, 1985, p. 488 et n. 6 propose les alen-tours de l’Agora comme localisation, sur le modèle athénien. PARKER, op. cit., p. 189 signale des fonc-tions similaires à Smyrne et à Colophon (il renvoie à F. GRAF, Nordionische Kult, Rome, 1985, p. 317 ;le cas de Colophon ne peut être retenu car les textes CCCA I, p. 181 n° 599, p. 181-182 n° 601-603 etp. 183 n° 605 mentionnent l’érection de stèles dans le Métrôon local). De même, l’inscription concer-nant la monnaie qui date de 375/4 (OSBORNE & RHODES, N° 25) et qui indique un dépôt de la fausse

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tive de la relation entretenue entre la divinité et la conservation des documents. Ilpeut être tentant d’y voir une influence orientale. Mais, rien n’indique que la Mèresoit une déesse étrangère222. Au contraire, les sources anciennes ne mentionnent pasune importation phrygienne à l’époque classique ; elles ne commencent à le fairequ’à l’époque romaine. Au IVe siècle à Athènes, il s’agit d’un culte traditionnel etlocal, associé au Bouleutérion223. Cependant, ce n’est qu’à la fin du Ve siècle que lespremières sources mentionnent l’existence d’un sanctuaire de la Mère à Athènes surl’Agora224. Reste que l’institution d’un Métrôon ne dit rien de l’introduction de cettedivinité dans la cité. La date dépend en partie de l’attribution de la statue du culte.Si Phidias en est l’auteur, alors elle n’est pas postérieure à 432. Cela prouverait qu’elleétait totalement accueillie dans le dernier quart du Ve siècle mais non qu’elle com-mençait de l’être à cette même époque225.

Les textes attiques mentionnent la Mère à partir des années 430226. Certes, l’in-troduction est connue par un récit repris par les lexicographes de l’Antiquité tar-dive227. Les Athéniens auraient exécuté un Phrygien qui initiait les femmes au cultede la Mère228. R. Parker doute de l’authenticité de cette anecdote et considère qu’ellene correspond pas à la perception athénienne du culte229. Ph. Borgeaud va plus loin.

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monnaie au Métrôon athénien trouve un parallèle avec des tablettes consacrant de l’argent volé ou fauxdéposées dans d’autres temples de la Mère (pour un exemple du IIIe siècle, H.S. VERSNELL, BeyondCursing : The Appeal to Justice in Judicial Prayers, in Chr.A. FARAONE et D. OBBINK (éd.), MagikaHiera, Oxford, 1991, p. 73-74).222 Nous reprenons à notre compte la méfiance que PARKER, op. cit., p. 159-160 invoque à propos del’appellation “dieux étrangers”, qui serait une traduction de l’expression grecque “xenikoi theoi”. Eneffet, xenos qualifie tout ce qui n’est pas athénien. “The essential distinction is not between Greek andnon-Greek gods, but between those traditionally honoured in Athenian public cult and all others”. Deplus, le culte n’était pas importé sans altération. Un passage de Démosthène (Cour., 18.259-260)illustre parfaitement ce point. Il décrit une initiation et une purification. Certains aspects comme lespleurs évoquent Sabazios mais la prêtresse, en l’occurrence la mère d’Eschine, est grecque et la céré-monie ressemble aux rites dionysiaque et orphique. L’acclamation initiatique serait elle-mêmeempruntée à la cérémonie de mariage athénienne.223 PARKER, op. cit., p. 189 évoque à Agrai un culte de la Mère associé aux Grands Mystères d’Éleusis.Mais s’agit-il de la même divinité, de Cybèle, comme ce serait le cas pour celle de l’Agora ? Son temples’appelle aussi Métrôon comme l’atteste CLEIDÉMOS, FGrHist 323 F 1. Un culte de la Mère est égale-ment attesté au Pirée mais pour la première moitié du IVe siècle par des sources archéologiques et épi-graphiques. Les sources archéologiques datent de c.300 (PARKER, op. cit., p. 192). Les inscriptions sontantérieures. La première daterait de 400-350, IG II2, n° 6288. Les autres sont plus tardives et datent auminimum du IIIe siècle : cf. PARKER, op. cit., p. 192 n. 145. Moschato a révélé un sanctuaire de Cybèle,remontant selon les fouilleurs au début du IVe siècle (J. TRAVLOS, Bildlexicon zur Topographie desantiken Attika, Tübingen, 1988, p. 288-297).224 Si l’on retient la communis opinio ; cf. supra.225 BORGEAUD, op. cit., p. 34 et PARKER, op. cit., p. 190-191.226 ROLLER, op. cit. étudie les mentions de la Mère dans les tragédies du Ve siècle, à partir du derniertiers du siècle (les sources sont rassemblées, p. 308).227 Voir G. CERRI, La Madre degli Dei nell’Elena di Euripide. Tragedia e rituale, QS 18, 1983, p. 155-195 et N. FRAPICCINI, L’arrivo di Cibele in Attica, PP 42, 1987, p. 12-26.228 PARKER, op. cit., p. 189 : “Plague or crop-failure followed, and on the advice of an oracle they levelledthe pit and built a council-chamber and shrine of the Mother on the site (perhaps) of the actualkilling”.229 Ibid.., p. 190.

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“Partant d’une figure locale, représentante anonyme, mais ancienne et redoutable,des pouvoirs justiciers de la Terre, on voit ainsi se constituer, autour de l’image cul-tuelle de la Mère des dieux de l’Agora, un discours qui tend, sans vraiment y par-venir, à l’identifier à une déesse étrangère, lydienne ou phrygienne”230. En fait, leculte étranger de la Mère se développe en parallèle avec le culte local, sous l’influencede certains métèques. Les éléments rituels renforcent l’impression de l’ancienneté duculte. Théophraste rapporte que les prytanes sacrifiaient à la Mère des dieux pendantla fête des Galaxia231. Par une source tardive, on apprend qu’au cours de cette der-nière on réalisait une bouillie (poltos) d’orge et de lait, appelée galaxia. Or, la culturede cette céréale est antérieure à celle du blé et serait caractéristique de l’Attiquearchaïque. Cet élément renvoie donc plutôt à une époque antérieure à la présencedu culte de Démèter dans la cité, à l’époque de Solon232. Dans un de ses poèmes,Solon évoque la Grande Mère des divinités olympiennes233. Un marbre votif du der-nier tiers du VIe siècle, trouvé sur l’Acropole, lui serait adressé mais ce point demeureen discussion234. Une série de statuettes en terre cuite de la deuxième moitié du VIe

siècle, provenant également de l’Acropole, représentant une femme assise avec unlion sur ses genoux, évoque la Mère235. Au début du Ve siècle, cette divinité n’estdonc pas une inconnue.

Toutefois, l’introduction du culte de la Mère sur l’Agora doit être expliquée. SelonCerri, trois scénarios sont possibles236 :

1) Le culte de la Mère était présent à Athènes à la fin du VIe siècle et était associéau Bouleutérion qui servait de lieu de célébration. Après les destructions perses, lebâtiment qui abritait le Conseil servit de sanctuaire à la déesse. Avec la constructiondu Nouveau Bouleutérion, de nouveau la Mère des Dieux put disposer d’un sanc-tuaire particulier, l’Ancien Bouleutérion qui servit en même temps d’archives pourla cité237 :

2) Le culte de la Mère date de la construction du Nouveau Bouleutérion, sanspour autant qu’il s’agisse d’un culte nouveau et étranger.

3) Le culte de la Mère est revalorisé dans le dernier tiers du Ve siècle et assimiléau moins par l’image à une divinité phrygienne.

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230 BORGEAUD, op. cit., p. 49.231 THÉOPHRASTE, Carac., 21.11. N.D. ROBERTSON, The Ancient Mother of the Gods. A MissingChapter in the History of Greek Religion, in E.N. LANE (éd.), Cybele, Attis and Related Cults : Essays inMemory of M. J. Vermaseren, Leyde, 1996, p. 302 conclut à la présence d’éléments pastoraux d’originemycénienne. IG, II2, n° 4595 mentionne un prêtre pour l’année 328/7. Ibid., p. 241-269 fournit les élé-ments bibliographiques les plus récents.232 SOLON fr. 36.3-7 (West).233 L.-M. L’HOMME-WÉRY, Solon’s Seisachtheia and Eleusis, GRBS 40, 1999, p. 119-121.234 FRAPICCINI, op. cit., p. 20-21 à propos d’une Cybèle dans un temple représentée sur une amphorec.530.235 ROLLER, op. cit., p. 306-307.236 CERRI, op. cit., p. 172-176.237 THOMPSON et WYCHERLEY, op. cit., p. 30-31 avaient déjà émis cette hypothèse (contra BOERSMA, op.cit., p. 31). L’HOMME-WÉRY, op. cit., p. 119-121 l’a récemment encore défendue, en faisant de Solon lefondateur des archives du Métrôon (cette supposition ne repose sur aucune source et ne saurait doncêtre retenue).

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Les deux dernières hypothèses, non contradictoires, paraissent seules à même derendre compte des différents éléments, même s’il faut avouer une complète igno-rance sur cette première période du culte. L’acceptation de la première hypothèserenforcerait l’analyse de S. G. Miller sur la présence d’un Métrôon sur l’Agora pen-dant tout le Ve siècle238.

A. LES DOCUMENTS CONSERVÉS DANS LE MÉTRÔON

La liste des documents conservés dans le Métrôon a été faite par plusieurs histo-riens239. Pour autant, il n’est pas inutile de reprendre cette question. La présence decertains documents paraissait aller de soi, en dépit de sources très modestes. Aucontraire, certaines mentions dans les inscriptions comme to dèmosion ou ta dèmosiagrammata ne renvoyaient pas systématiquement aux archives civiques. Comme G.Klaffenbach l’a montré, de nombreux mots sont utilisés par les Grecs pour désignerles archives, tå dhmos$a grãmmata, tå ko$na grãmmata, §n to›w dhmos$oiwgrãmmasi, §n to›w ko$noiw grãmmasi, §n t“ dhmos$ƒ240. Dans le contexte athé-nien ces expressions peuvent se rapporter au temple de la Mère. Mais chaque pas-sage doit être examiné avec précision, ce qui rend la tâche délicate.

a) Les lois

Plusieurs sources attestent qu’au IVe siècle les lois, nomoi, étaient conservées dansle Métrôon, sans qu’il soit possible d’établir une relation directe entre la révision deslois de 410-404 et la dévolution de la conservation des documents au temple de laMère241.

Lycurgue dans son Contre Léocratès émet l’hypothèse suivante242 :

F°re gãr, œ êndrew, e‡ tiw ßna nÒmon efiw tÚ Mhtr“on §ly∆n §jale$ceien,e‰t' épologo›to …w oÈd¢n parå toËton tª pÒlei §st$n, îr' oÈk ínépekte$nat' aÈtÒn;

“Voyons juges, supposez qu’un homme pénètre au Métrôon, y efface une seule loi,et allègue ensuite pour excuse que de cette loi unique ne dépendait pas le salut dela cité : ne le mettriez-vous pas à mort ? Et vous auriez bien raison, à mon avis, sivous teniez à préserver les autres lois”.

Selon l’orateur, Léocratès a fait de même, il n’a pas respecté les lois. Dans notreperspective, ce passage est riche d’enseignement. En 330, la conservation des loisdans le Métrôon apparaissait comme une évidence. En outre, la destruction dudocument d’archives fait disparaître la loi, elle lui enlève sa validité. Il est alors ten-tant d’envisager l’existence d’une loi qui interdirait de modifier des textes de loi dans

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238 Cf. supra.239 R.E. WYCHERLEY, Literary and Epigraphical Testimonia. The Athenian Agora 3, Princeton, 1957,p. 150-160 repris et complété par SICKINGER, The State Archive, p. 69-109.240 Cf. KLAFFENBACH, op. cit.241 SICKINGER, The State Archive, p. 69-75 et ID., Public Records, p. 116-118.242 LYC., Leocr., 1.66 (trad. CUF).

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les archives243. Deux extraits d’un plaidoyer de Démosthène pourraient apporter uneconfirmation. Le premier n’est pas dû à l’orateur mais figure dans l’un des argumentsdu discours : une loi “interdit d’introduire des documents mensongers dans leMétrôon, bâtiment dans lequel sont les archives publiques”244. Il prend appui sur letexte d’une plainte déposée par Eschine contre Démosthène et que ce dernier cite.Un passage seulement nous intéresse, “les lois n’autorisent pas l’introduction de fauxécrits dans les archives”245. Eschine en donne une version différente : “En effet,toutes les lois réprouvent l’inscription d’éléments mensongers dans les décrets offi-ciels”246. L’existence d’une telle loi n’aurait rien d’étonnant, eu égard à ce que révèlepar exemple la loi de Paros sur les archives247.

L’orateur du Contre Aristogiton I décrit aussi le Métrôon comme le lieu dans lequelles nomoi sont conservés248 :

ÖEjit' aÈt$ka dØ mãl' §k toË dikasthr$ou, yevrÆsousi d' Ímçw ofl per-iesthkÒtew ka‹ j°noi ka‹ pol›tai, ka‹ kat' êndr' efiw ßkaston tÚn pariÒntabl°contai ka‹ fusiognvmonÆsousi toÁw épechfism°nouw. t$ oÔn §re›t', Œêndrew ÉAyhna›oi, efi pro°menoi toÁw nÒmouw ¶jite; po$oiw pros≈poiw µ t$sinÙfyalmo›w prÚw ßkaston toÊtvn éntibl°cesye; p«w d' efiw tÚ Mhtr“onbadie›sye, ên ti boÊlhsye; oÈ går dÆpou kay' ßn' Ím«n ßkastow …w §p‹kur$ouw toÁw nÒmouw poreÊsetai, efi nËn mØ bebai≈santew aÈtoÁw ¶jiy'ëpantew koinª.

“Dans un instant, vous allez sortir du tribunal ; vous serez contemplés par les assis-tants, étrangers et citoyens ; ils regarderont passer chacun de vous individuellementet reconnaîtront à leur mine ceux qui auront voté l’acquittement. Que direz-vousdonc, Athéniens, si vous sortez après avoir abandonné la cause des lois ? Avec quelvisage, avec quels yeux regarderez-vous chacun des assistants ? Comment pourrez-vous aller au Métrôon, si vous en avez le désir ? Car, bien évidemment, chacun devous, individuellement, ne pourra recourir aux lois et les juger souveraines, simaintenant vous sortez tous en corps sans avoir affermi leur autorité”.

Ce passage laisse clairement entendre que le Métrôon est un lieu de conservationdes lois dans lequel les citoyens peuvent se rendre pour consulter les textes législatifs.En acquittant Aristogiton, coupable d’avoir enfreint des lois, ce qu’ils trouveraientn’auraient plus de valeur, puisque sans effet dans les tribunaux. Il s’agit d’un élémentfort du discours.

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243 E. POSNER, Archives in the Ancient World, Cambridge (Mass.), 1972, p. 114 comprend ainsi cetextrait de Lycurgue.244 Hypothèsis à DÉM., Cour., 18.4 : keleÊei går mhd°pote ceud∞ grãmmata efiw tÚ Mhtr“onefisãgen, ¶nya §st‹n ˜la tå dhmÒsia grãmmata.245 DÉM., Cour., 18.55 : t«n nÒmvn oÈk §≈ntvn pr«ton m¢n ceude›w grafåw efiw tå dhmÒsia grãm-mata katabãllesyai.246 ESCHN., Ctés., 3.50 : ëpantew går épagoreÊousin ofl nÒmoi mhd°na ceud∞ §ggrãfein §n to›wdhmos$ow chf$smasi. W.E. GWATKIN, The Legal Arguments in Aischines’ Against Ktesiphon andDemosthenes’ On the Crown, Hesperia 26, 1957, p. 130 émet des doutes sur l’existence réelle de cetteloi et y voit un “tour de force” rhétorique.247 LAMBRINUDAKIS et WÖRRLE, op. cit.248 DÉM., Aristog. I, 25.98-99 (trad. CUF).

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Des sources plus tardives confirment la fonction de conservation des lois pour leMétrôon. Libanios fait dire à Démosthène que le temple de la Mère est rempli deses lois et décrets249. Les lexicographes comme Photios insistent en particulier sur laconservation des lois250. La récurrence de cette distinction n’est peut-être pas ano-dine et laisse deviner que le Métrôon possédait les dispositions législatives de Solonet de Clisthène mais peut-être aussi celles de Dracon, ou du moins les textes queleurs réformes avaient produits. Il semble raisonnable de considérer que le Métrôonétait le lieu de conservation des originaux des textes de loi, du moins de certains.

b) Les décrets

Des décrets sont aussi archivés dans le Métrôon251. La première mention d’unetelle conservation se trouve dans un plaidoyer de Démosthène, Sur la fausse ambas-sade (343 av. J.-C.) dans lequel l’orateur athénien rapporte qu’après le retour de ladeuxième ambassade, Eschine et lui-même avaient reçu la charge d’une troisièmeambassade auprès de Philippe et du Conseil de l’Amphictyonie. Démosthène refuse ;Eschine comprend qu’il n’a pas intérêt à quitter Athènes et à laisser son adversaireseul. Un médecin est convoqué devant la Boulè et affirme qu’Eschine n’est pascapable de servir sa cité, ce qui amène le frère de ce dernier à le remplacer. Pourprouver ses accusations, Démosthène présente le décret qui les nommait pour la troi-sième ambassade et le serment prêté par le frère d’Eschine qui affirmait l’incapacitéde ce dernier. Tous ces documents se trouvaient dans le Métrôon252.

Dinarque confirme la présence de décrets dans le Métrôon. Dans le ContreDémosthène (323 av. J.-C.), il s’attaque à l’orateur, accusé d’avoir reçu de l’argentd’Harpalos, le trésorier d’Alexandre. À cette occasion, il cite le décret proposé parDémosthène appelant à sa propre exécution en cas de condamnation pour corrup-tion. La formulation utilisée mérite un commentaire253 :

ÖEyeto sunyÆkaw metå toË dÆmou, grãcaw tÚ cÆfisma kay' •autoË, paråtØn mht°ra t«n ye«n, ∂ pãntvn §n to›w grãmmasi dika$vn fÊlaj tª pÒleikay°sthke.

“[Démosthène] avait conclu un contrat avec le peuple, rédigeant un décret contrelui-même déposé auprès de la Mère des dieux, qui est, pour la cité, établie gar-dienne de tout ce qui est légal dans les archives”.

De la même façon que les contrats sont déposés chez des tiers, le décret, qui estun contrat entre Démosthène et le peuple, est déposé au Métrôon.

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249 LIB., Disc., 23.36 (WYCHERLEY, op. cit., p. 155 n° 485).250 PHOT., s.v. Mhtr“on (WYCHERLEY, op. cit., p. 155 n° 488).251 SICKINGER, The State Archive, p. 75-83 et ID., Public Records, p. 118-119.252 DÉM., Amb., 19.129.253 DIN., Dem., 1.86. Le dernier élément de la phrase, ∂ pãntvn §n to›w grãmmasi dika$vn fÊlaj,renvoie directement à la fonction d’archives. La Mère des dieux possédait tous les documents qui per-mettait de trancher dans les affaires judiciaires. Du reste, cette distinction entre le juste et l’injusterecouvre chez Aristote les notions de lois écrites et de lois non écrites (OSTWALD, êgrafow nÒmow).

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La première mention épigraphique attestant la conservation de décrets dans leMétrôon daterait de la fin du IVe siècle. Un décret accordant vraisemblablement lacitoyenneté à un groupe d’hommes demande à l’esclave public de transmettre ausecrétaire un cÆfisma plus ancien donnant l’isotélie aux mêmes afin de le transcrireà la suite de la présente décision254 :

[Doke› t∞i boul∞i tÚ]n dhmÒsion tÚn §k t[oË Mhtr–iou tÚ cÆfisma kay' ˜§stin] aÈto›w ≤ fisot°le[ia paradoËnai t«i grammate›: tÚn d¢] grammat°apara[labÒnta ènagrãcai tØn fisot°leian] prosanagrãcan[ta tÚcÆfisma tÒde ka‹ tÚ prÒteron gen]Òmenon aÈto›[w ktl.

“Il a plu au Conseil : que l’esclave public transmette au secrétaire le décret parlequel ils avaient obtenu l’isotélie d’après les archives du Métrôon ; l’ayant reçu etayant rajouté l’isotélie, que le secrétaire fasse inscrire le présent décret ainsi que ledécret antérieur voté en leur faveur”.

Si l’on accepte la restitution, on peut en déduire que le prÒteron cÆfisman’était pas gravé mais conservé dans le Métrôon et qu’il ne le fut qu’au moment del’octroi d’un privilège plus important, en l’occurrence la citoyenneté255. Toutefois, lefait que l’esclave public utilise un document dans le Métrôon n’implique nullementqu’aucune pierre porte le cÆfisma en question. Cela signifie simplement que l’ori-ginal était dans le temple. Le texte semble évoquer une contestation au cours delaquelle le décret du Métrôon servit de référence et permit la gravure d’une stèle cor-respondant aux honneurs votés auparavant.

Une autre inscription mentionne un décret préservé dans le Métrôon256. En140/39, les Athéniens octroient la citoyenneté à un citoyen de Trézène, un certainTélésias, au nom de services rendus par un lointain ancêtre à la fin du IVe siècle.Ainsi, les responsables des archives étaient capables de retrouver un document vieuxde 150 ans, ce qui témoigne d’un souci de conservation très marqué et en mêmetemps de conditions de conservation satisfaisantes257.

Une source tardive, début du Ier siècle av. J.-C., vient confirmer le fait que leMétrôon accueillait l’ensemble des décrets pris par la cité. Selon Poseidonos, Apel-likon de Téos, l’acheteur de la bibliothèque d’Aristote, aurait tenté de dérober descopies de décrets anciens, tå t' §k toË Mhtr–ou t«n palai«n aÈtÒgrafachfismãtvn, conservés dans le Métrôon258. Le terme aÈtÒgrafa est intéressantcar il introduit une précision capitale259. Le Métrôon n’accueillait pas simplement lesdécrets, il conservait les originaux, les documents qui faisaient foi en cas de contes-

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254 IG II2, n° 583, l. 4-9. Les restitutions sont de WILHELM, op. cit., p. 230. Pour le sens de prosana-grapho, voir le commentaire de GAUTHIER, Les cités grecques, p. 90 n. 37bis. Pour une inscription simi-laire mais non identique, voir IG II2, n° 195.255 SICKINGER, The State Archive, p. 79.256 IG II2, n° 971.257 SICKINGER, Public Records, p. 119 parle de “long-term preservation”.258 POSEIDONIOS apud ATHÉNÉE 5.214d-e. Nous tenons compte de la correction proposée par Kaibelqui lit aÈtÒgrafa chfismãtvn au lieu de aÈtÒgrafa chf$smata.259 SICKINGER, The State Archive, p. 82 et plus généralement T. DORANDI, Le stylet et la tablette. Dans lesecret des auteurs antiques, Paris, 2000, p. 69-70.

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tation. Toutefois, ce dernier passage est tardif et il peut renvoyer à une pratique hel-lénistique.

En revanche, un passage d’Eschine pourrait permettre de prouver que les décretsétaient conservés dans le temple dès 403. Dans le Contre Ctésiphon, l’orateur affirmeque “dans le temple de la Mère, près du Bouleutérion, on peut voir la récompenseque vous avez accordée aux hommes de Phylè, restaurateurs de la démocratie exilée.C’est l’un d’entre eux, Archinos de Coelè, qui proposa et fit adopter le décret. Il por-tait d’abord qu’on leur ferait don pour des sacrifices et offrandes d’une somme demille drachmes…”260 Certains ont cru qu’Eschine utilisait l’original archivé261. J. P.Sickinger en revanche considère que l’orateur fait référence à l’inscription installée àl’intérieur du Métrôon et dont d’ailleurs il a été retrouvé des fragments262. Rien n’estmoins sûr car l’inscription n’est pas l’archive et la récompense, i. e. le décret, ne doitpas être confondue avec une manifestation de cette récompense, i. e. une inscriptionprès du Bouleutérion, qui entretient également la mémoire de l’action en faveur dela démocratie accomplie par ceux de Phylè. Ce texte ne peut donc être cité positive-ment comme la plus ancienne preuve de la fonction d’archivage du Métrôon et nousne pouvons déterminer où l’original était conservé. Pour autant, il atteste un lien trèsfort, dès 403, entre le temple et le Bouleutérion. Il est tentant de penser que le pla-cement de ce cÆfisma correspond à la volonté de l’associer fortement avec d’unepart le lieu dans lequel la décision avait été prise et d’autre part avec celui dans lequelelle était conservée, c’est-à-dire archivée, le Métrôon.

c) Les documents diplomatiques

Un autre type de documents se trouvait dans le temple de la Mère, la correspon-dance avec les États étrangers263. Une inscription trouvée à Athènes datant de 130 avJ.-C. contient deux décrets et une lettre de l’Amphictyonie delphique à propos desprivilèges des texn›tai de Dionysos dans la cité attique. Le premier texte date de279/8 ou 278/7 et asssure l’association de comédiens de droits importants, commel’ésfale$a et l’étele$a. Une stèle est placée à Delphes tandis qu’une copie scelléeest envoyée à Athènes. À la suite de ce décret, se trouvent une lettre du conseil del’Amphictyonie qui date de 130/29 et un renouvellement des privilèges consentisdans le premier texte qui contient une clause similaire quant à la publication264. Lamention à deux reprises §k toË Mhtr–ou confirme que le décret accordant les pri-vilèges initiaux avait été conservé pendant 150 ans265.

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260 ESCHN., Ctes., 3.187.261 En dernier lieu, W.C. WEST, The Public Archives in Fourth-Century Athens, GRBS 30, 1989,p. 529.262 SICKINGER, The State Archive, p. 83. Les fragments ont été publiés par A.E. RAUBITSCHEK, TheHeroes from Phyle, Hesperia 10, 1941, p. 284-295.263 SICKINGER, The State Archive, p. 83-84 et ID., Public Records, p. 119-121.264 IG II2, n° 1132 sur laquelle il faut à présent voir BR. LE GUEN, Les associations de technites dionysiaquesà l’époque hellénistique I. Corpus documentaire, Nancy, 2001, p. 57-61, n° 2 ; voir aussi IG II2, n° 839.265 THOMAS, Oral Tradition, p. 77 et n. 200 considère que la formule §k toË Mhtr–ou renvoie à unestèle et non à un document sur support périssable. Mais par exemple le calendrier des sacrifices recourtà une formule similaire pour signifier la source de l’information qu’utilisent les anagrapheis (DOW, op.cit., 1959, p. 15-21 ; voir supra). Pour une réfutation plus globale, voir SICKINGER, The State Archive,p. 58-60.

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De plus, Eschine rapporte que les traités avec les cités ou les États étrangers yétaient conservés266 : “Je fournis comme preuve de ce que j’avance le décret commundes Grecs et les noms des votants, informations que je tire des archives”. Mais il neprécise pas la localisation des archives, rien n’interdit de penser qu’il désignait ainsile Bouleutérion.

d) Les inventaires de sanctuaires

Les mentions de la conservation des inventaires au Métrôon sont toutes posté-rieures au IVe siècle. Au milieu du IIIe siècle, une inscription révèle qu’un inventairede l’Asclépieion y est conservé267. De même, un décret du Conseil rapporte qu’unecommission chargée de l’inventaire des biens du sanctuaire du héros Iatros doit ydéposer le résultat de son activité et y dresser une stèle en face268. Enfin, un autredécret de 191/0, honorant trois bouleutes qui ont remplacé la literie à l’intérieur dela Tholos et qui ont établi l’inventaire des biens s’y trouvant, indique qu’un exem-plaire de leur travail y est déposé269.

Ces derniers exemples témoignent de la conservation d’inventaires exceptionnels.Un décret du IIe siècle concernant l’utilisation des poids et mesures officiels àAthènes indique cependant que le Métrôon accueillait des listes établies chaqueannée à l’occasion de transmissions de charges270. Il prévoit le remplacement desanciens étalons par des nouveaux dans quatre lieux, Acropole, Tholos, le Pirée etÉleusis. Les esclaves responsables de cette substitution devaient rédiger et déposer auMétrôon une liste des objets en leur possession, une parãdosiw. Nous ne disposonsmalheureusement d’aucun texte mentionnant la conservation de paradÒseiw auIVe siècle271.

e) Les remises de comptes

Plusieurs inscriptions rapportent que des magistrats déposaient leurs comptes auMétrôon. Un décret de 215/4 l’indique pour les épimélètes des Mystères d’Éleusisavec une précision importante, katå toÁw nÒmouw. La loi en question peut désigneraussi bien l’obligation faite aux seuls épimélètes ou bien alors à l’ensemble des magis-trats. Toutefois au milieu du IIIe siècle, les agonothètes aussi déposaient leurscomptes au Métrôon272. Qu’en est-il à l’époque classique ? Un passage d’Eschine

ARCHIVES CIVIQUES 155

266 ESCHN., Amb., 2.32 : Ka‹ toÊtvn tÚ koinÚn dÒgma t«n ÑEllÆnvn ka‹ toÁw chfisam°nouw §kt«n dhmos$vn grammãtvn mãrturaw paresxÒmhn.267 IG II2, n° 1534, SICKINGER, The State Archive, p. 84-85 pour les problèmes de restitution etS.B. ALESHIRE, The Athenian Asklepieion, The People, their Dedications and the Inventories, Amsterdam,1989, p. 249-336.268 IG II2, n° 840 ; SICKINGER, The State Archive, p. 86 fait remarquer que certaines informations man-quent sur l’inscription alors qu’elles devaient figurer sur l’original déposé au temple de la Mère.269 Pour le texte, THOMPSON, op. cit., p. 144 n.47 avec B.D. MERITT, Athenian Archons 347/6-48/7,Historia 26, 1977, p. 181 pour la datation révisée qui contredit WYCHERLEY, op. cit., p. 184 n. 608.270 IG II2, n° 1013 et la bibliographie dans SICKINGER, The State Archive, p. 86 n.62.271 SICKINGER, The State Archive, p. 87 considère qu’il devait s’agir d’une pratique habituelle.272 IG II2, n° 956 et 958 ; C. PÉLÉKIDIS, Histoire de l’éphébie attique, Paris, 1962, p. 205-207, 229-230et 295-300 ; et MERITT, op. cit., p. 182 pour la datation révisée.

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confirme que tous les magistrats devaient déposer leurs comptes au Métrôon au IVe

siècle273 :

ÉEg∆ d¢ prÚw toÁw lÒgouw toÁw toÊtvn nÒmon Ím°teron par°jomai ˘n Íme›w§nomoyetÆsate lÊsein ≤goÊmenoi tåw toiaÊtaw profãseiw, §n Ÿ diarrÆdhng°graptai, ‘tåw xeirotonhtãw’ fhsin ‘érxãw’, èpãsaw •n‹ perilab∆nÙnÒmati ı nomoy°thw, ka‹ proseip∆n èpãsaw érxåw e‰nai ìw ı d∞mow xeiro-tone›, ‘ka‹ toÁw §pistãtaw’ fhs‹ ‘t«n dhmos$vn ¶rgvn’. ÖEsti d¢ ıDhmosy°nhw teixopoiÚw, §pistãthw toË meg$stou t«n ¶rgvn: ‘ka‹ pãntaw˜soi diaxeir$zousi ti t«n t∞w pÒlevw pl°on µ triãkony' ≤m°raw, ka‹ ˆsoilambãnousin ≤gemon$aw dikasthr$vn:’ ofl d¢ t«n ¶rgvn §pistãtai pãntew≤gemon$& xr«ntai dikasthr$ou: t‹ toÊtouw keleÊein poie›n; oÈ diakone›n,éll' ‘êrxein dokimasy°ntaw §n t“ dikasthr$ƒ’, §peidØ ka‹ afl klhrvta‹érxa‹ oÈk édok$mastoi, éllå dokimasye‹sai êrxousi ‘ka‹ lÒgon ka‹eÈyÊnaw §ggrãfein prÚw tÚn grammat°a ka‹ toÁw logistãw’, kayãper ka‹tåw êllaw érxåw keleÊei.

“À ces arguments, j’oppose la loi que vous avez faite pour réduire à néant les pré-textes de cette espèce. Elle dit formellement : ‘Les magistratures électives…’. L’au-teur de la loi comprend sous ce terme unique et dénomme magistratures toutes lescharges que le peuple confère par élection. Il continue : ‘Les préposés aux travauxpublics…’. Or Démosthène, comme inspecteur des fortifications, est à la tête de laplus importante de ces entreprises. La loi dit encore : ‘Tous ceux qui ont une partdans l’administration de l’État pour plus de trente jours, et tous ceux qui prennentla présidence d’un tribunal…’. Or, les préposés aux travaux sont tous présidents detribunal. Et que leur ordonne la loi ? De remplir un service public ? Non, mais ‘unemagistrature, après avoir passé l’épreuve réglementaire devant le tribunal…’. Carles magistratures conférées par le sort ne sont pas non plus soustraites à cette for-malité, mais soumises elles aussi à l’épreuve préalable. Enfin : ‘… de déposer entreles mains des vérificateurs le compte rendu de leur gestion.’ Cela, comme pour lesautres charges”.

La mention du secrétaire est ici décisive car elle permet de compléter la descrip-tion faite par l’auteur de la Constitution des Athéniens274. Elle ne figure pas dans tousles manuscrits et l’édition de la CUF ne la retient pas. Cependant, on ne voit pasquels arguments permettent d’affirmer que ce passage est interpolé. Peu d’auteursl’ont cité comme une preuve du dépôt des comptes au Métrôon275. Même si l’on neretient pas la mention du grammateÊw, l’éventualité d’une procédure judiciaire encas de contestation par un citoyen impose une trace écrite de l’exercice de la fonc-tion. Celle-ci ne saurait être niée car les affaires privées au IVe siècle pour une bonnepart fonctionnaient de la sorte276. Est-il possible d’affiner la datation ? L’achat depapyrus mentionné dans les comptes de l’Érechthéion de 408/7 est destiné à la mise

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273 ESCHN., Ctes., 3.14-15 (trad. CUF modifiée).274 PS- ARSTT, Ath. pol., 54.2, voir infra.275 HARRISON, Law of Athens II, p. 29 n.1 et SICKINGER, The State Archive, p. 91-92.276 Cf. chapitre 6.

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par écrit des comptes à remettre aux logistes277. Étaient-ils déposés au Métrôon oubien au Bouleutérion ? Les sources ne permettent pas de répondre278.

f ) Autres documents

Le testament d’Épicure est le seul document privé connu pour avoir été conservédans les archives civiques athéniennes279. Cela n’est pas une pratique courante àl’époque classique car les Athéniens préfèrent confier leurs documents écrits à despersonnes privées ou à des magistrats.

Selon le Pseudo-Plutarque, Lycurgue proposa une loi pour protéger les textes desgrandes tragédies des interpolations des acteurs280. Les écrits devaient être conservés§n t“ koin“. C. Curtius, U. Kahrstedt et E. Posner considéraient que cette expres-sion désignait le Métrôon tandis que J. P. Sickinger penche plutôt pour des archivesautres, celles de l’archonte par exemple car il était en charge des activités théâ-trales281. Mais rien ne permet de penser que le koinÚn grammate›on désignait autrechose que les archives athéniennes dans ce contexte. Rappelons que la cité conser-vait — ou avait conservé une version de référence des poèmes homériques au VIe

siècle — et qu’à ce titre la conservation des textes des tragédies pouvaient s’insérerdans une pratique plus large.

Sans aucun doute d’autres documents que ceux cités ci-dessus étaient archivés auMétrôon comme les oracles282. Des documents en relation avec les affaires de justiceauraient aussi été conservés au Métrôon283. La défense de Socrate y aurait étéaccueillie selon une source tardive284. Un passage d’Athénée, d’après Chamailéond’Héraclée du Pont (IVe-IIIe siècle), semble indiquer que ce temple accueillait lesminutes de certains procès285. Mais plusieurs éléments amènent à adopter la plusgrande prudence sur la véracité de cette anecdote selon laquelle Alcibiade auraiteffacé les minutes d’un procès d’un Athénien qui le lui avait demandé.

La possibilité de la conservation de certains documents financiers a été envisagéeen raison d’un passage de la Constitution des Athéniens sur le travail des polètes et quiévoque les bordereaux réalisés pour les locations de terres publiques286 :

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277 IG I3, n° 474, l. 289-291 et IG I3, n° 477, l. 1-2 pour une autre utilisation du papyrus.278 SICKINGER, The State Archive, p. 91 préfère retenir le milieu du IVe comme époque de l’origine del’archivage des comptes au Métrôon et il s’appuie pour cela essentiellement sur le décret concernant laChalcothèque de 353/2 (IG II2, n° 120). Mais selon nous, l’interprétation du document est erronée carelle repose sur une mauvaise compréhension de la procédure décrite, cf. chapitre 4.279 D. CLAY, Epicurus in the Archives of Athens, in Studies Presented to Eugen Vanderpool, HesperiaSuppl. 19, Princeton, 1982, p. 17-26.280 PS-PLUT., Lyc., 841F.281 SICKINGER, The State Archive, p. 96-97 ; THOMAS, Oral Tradition, p. 48-49 doute de la source elle-même.282 DÉM., Amb., 19.197 ; Mid., 21.52.283 CURTIUS, op. cit., p. 19 ; POSNER, op. cit., p. 108 ; HARRISON, Law of Athens II, p. 91, SICKINGER, TheState Archive, p. 93 et ID., Public Records, p. 131-133.284 DIO. L. 2.40.285 ATHÉNÉE 9.407b-c. Pour la bibliographie récente, voir MILLER, op. cit., p. 137 n. 11. WYCHERLEY,op. cit., p. 152 parle d’une “questionable anecdote”. Cf. aussi les critiques de SICKINGER, Public Records,p. 131-132.286 PS- ARSTT, Ath. pol., 47.5 (trad. CUF modifiée).

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Efisf°retai m¢n oÔn efiw tØn BoulØn tå grammate›a katå tåw katabolåwénagegramm°na, thre› d' ı dhmÒsiow: ˜tan d' ¬ xrhmãtvn katabolÆ,parad$dvsi to›w épod°ktaiw aÈtå taËta kayel[∆n] ép[Ú t«n] §pistul$vnœn §n taÊt˙ tª ≤m°r& de› tå xrÆmata katablhy∞nai ka‹ épaleify∞nai: tåd' êlla épÒkeitai xvr‹w ·na mØ proejaleifyª.

“On porte donc les bordereaux dressés suivant les échéances devant le Conseil ; ilssont sous la garde de l’esclave public. Lorsqu’arrive une échéance, l’esclave remetaux apodectes les bordereaux correspondants, en prenant sur les rayons ceux-là seu-lement dont le montant doit être versé dans la journée et effacé. Les autres restentà part, pour qu’on ne les efface pas avant le terme”.

La présence d’un esclave public a entraîné certains historiens à considérer qu’ils’agissait du même dhmÒsiow287. Aucun élément positif ne permet d’être affirmatif.En outre, le nombre important des dèmosioi encourage à une relative prudence288.Ce texte constituerait donc plutôt une preuve du maintien de la fonction d’archivespour le Bouleutérion qui la partageait avec le Métrôon.

Un décret honorant le kosmétès Épikétos datant de 61/2 ap. J.-C. précise qu’il atransmis une liste des éphèbes au Métrôon. Mais aucune source n’atteste une tellepratique pour le IVe siècle. La Constitution des Athéniens donne des renseignementsconcernant les éphèbes mais rien ne permet de penser que le temple de la Mèrearchivait de telles listes dont l’existence a été souvent mise en doute289.

Eschine affirme que les noms des ambassadeurs et les dates de leurs missions figu-raient dans les archives tout comme les écrits des stratèges en campagne290. Les nomsdes Athéniens proposant des décrets ainsi que ceux des magistrats mettant au voteétaient conservés §n to›w dhmos$oiw grãmmasi comme les dates des votes291. Pour-tant, il ne cite pas le Métrôon en tant qu’archives. En outre, lorsque par deux fois ilassocie un bâtiment avec les dhmos$a grãmmata, il parle du Bouleutérion292 :

Tå probouleÊmata aÈt«n §k toË bouleuthr$ou dÚw énagn«nai.

“Va prendre dans le Bouleutérion les propositions du Conseil et fais-nous endonner lecture”.

ÖEpeita o‡esy° ti toËton élhy¢w efirhk°na µ per‹ t«n §n Makedon$&praxy°nyvn µ per‹ t«n §n Yettal$&, ˘w toË bouleuthr$ou ka‹ t«ndhmos$vn grammãtvn ka‹ toË xrÒnou t«n §kklhs$vn kataceÊdetai;

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287 En premier lieu, CURTIUS, op. cit., p. 19-20.288 Voir infra.289 PS- ARSTT, Ath. pol., 53.4 et 42.2.290 DÉM., Amb., 19.13-16 et ESCHN., Amb., 2.58-59 ; DÉM., Amb., 19.150-177 avec la réponsed’ESCHN., Amb., 2.89-92 qui tente de montrer que son adversaire ment car ses accusations sont encontradiction avec les archives. Selon S. HORNBLOWER, Thucydides, Londres, 1987, p. 39-40, il s’agitlà d’une habitude répandue, sinon obligatoire (contra HARRIS, Ancient Literacy, p. 78).291 ESCHN., Ctes., 3.73-75 et 3.24.292 Respectivement ESCHN., Amb., 2.59 et 92 (trad. CUF) ; DÉM., Hal., 7.33 et Amb., 19.40-41 affirmede même que la lettre de Philippe II adressée aux Athéniens en 346 se trouvait dans le Bouleutérion.

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“Après cela, pensez-vous qu’il y a un seul mot de vrai dans les rapports qu’a faitscet homme touchant les événements de Macédoine ou ceux de Thessalie, cethomme qui fausse les témoignages du Conseil, les archives et les dates des assem-blées”.

Il peut sembler logique de considérer que le Bouleutérion accueillait encore uncertain nombre de documents vers 340 comme les lettres envoyées d’ailleurs souventdirectement à la Boulè ou bien les probouleumata, à moins qu’il existe un lien étroitentre le Métrôon et le Bouleutérion, ce que le deuxième passage souligne 293. Eneffet, Eschine sépare clairement les deux institutions. Mais les sources témoignentsouvent d’une absence de précision dans la terminologie employée. Aussi, lorsqu’unorateur cite le Bouleutérion, il peut vouloir désigner les archives civiques, c’est-à-direle bâtiment dans lequel se tenait le Conseil au Ve siècle et qui, au IVe siècle, estdevenu le temple de la Mère, pour partie au moins. Ce passage montre bien que l’ar-ticulation existant entre le Métrôon et la Boulè demande une réflexion approfondieet qu’en l’occurrence le concept d’archives centrales, même appliqué aux seulesarchives civiques, ne correspond pas à la réalité athénienne. Il est préférable donc deconsidérer le Métrôon comme un bâtiment qui accueillait bon nombre des docu-ments que la cité souhaitait conserver, sans pour autant que certaines institutions,comme le Conseil, cessent de garder des écrits. Du reste, la fonction d’archives queremplissait le Bouleutérion au Ve siècle amène à privilégier une transition à la fin duVe siècle plutôt qu’une centralisation brutale294. Aussi, il semble vain de chercherl’origine des archives du Métrôon et d’en faire les archives civiques uniques de la cité.

B. LA GESTION DES ARCHIVES DU MÉTRÔON

a) Les manières d’archivage295

Trois angles d’approche peuvent être retenus : les matériaux d’écriture, les tech-niques de conservation et les méthodes de classement296. Concernant les supportsd’écriture, l’utilisation du papyrus dans les archives ne paraît pas pouvoir être remisen question. Les Athéniens connaissaient et employaient, depuis le début du Ve

siècle au moins, ce matériau qui se prêtait parfaitement à la réalisation de documentset à leur conservation. Cependant, les tablettes de bois étaient aussi utilisées, notam-ment pour les contrats des polètes297.

Comment les documents étaient-ils conservés à l’intérieur du bâtiment ? Le textede la Constitution des Athéniens parle d’§pistÊlia, mot qui possède plusieurs signi-fications298. Le sens ici est vraisemblablement celui d’étagères que l’on connaît pourles bibliothèques299. Une anecdote rapporte que Diogène le Cynique était installé

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293 SICKINGER, The State Archive, p. 105-107.294 Ibid., p. 108-109 insiste sur le lien entre les documents archivés au Métrôon et la Boulè et PRIT-CHETT, op. cit., p. 14-36 parvient à une conclusion similaire.295 Nous reprenons l’expression de GEORGOUDI, op. cit.296 Sur ces questions, SICKINGER, The State Archive, p. 111-129 et ID., Public Records, p. 147-157.297 PS- ARSTT, Ath. pol., 47.2-3.298 PS- ARSTT, Ath. pol., 47.5 avec le commentaire de SICKINGER, The State Archive, p. 113-114.299 Pour un parallèle avec les bibliothèques, cf. M. SÈVE, Sur la taille des rayonnages dans les biblio-thèques antiques, RPh 64, 1990, p. 173-179.

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dans un pithos à l’intérieur du Métrôon, ce qui ne signifie pas pour autant que cesrécipients étaient utilisés pour la conservation des documents300. La présence decoffres en bois, kibôtoi, est, elle, hautement probable301. Ceux-ci servaient àconserver des vêtements, de l’argent, divers autres objets mais aussi et surtout desdocuments. Ainsi, selon Aristophane, Cléon déclare qu’il possède un kibôtos pleind’oracles302. Un décret du dème d’Halai évoque de même le kibôtos comme le moyende conserver les comptes annuels303.

Tout ceci suggère une relative organisation dans la conservation des docu-ments304. Du reste, les Athéniens distinguaient les documents selon leur nature. Lescontrats provenant du travail des polètes étaient séparés et classés selon leursdates305. Tout laisse donc à penser qu’il en allait de même pour l’ensemble desdocuments archivés. Démosthène rapporte même une loi distinguant les nomoi enquatre catégories306.

Au IVe siècle, la date prit une importance capitale ou du moins, elle devint un élé-ment important pouvant constituer un enjeu au cours d’une procédure judiciaire. Laloi de Dioclès prescrit qu’un nomos n’est valable qu’à partir du moment où il a étévoté et cela pour l’ensemble des décisions prises après l’archontat d’Euclide307. Cetteprécision chronologique suppose d’abord une liste des archontes consultable etensuite un rangement qui permette de connaître la date précise d’une loi. De plus,le décret de Patrocleidès conforte l’idée de l’existence d’un système de datation aumoins à la fin du Ve siècle car il précise une date butoir pour les effacements, “jus-qu’à l’expiration des pouvoirs du Conseil siégeant sous l’archontat de Callias”308.

Les décrets eux aussi comportaient des éléments de datation précis, d’abordl’année, puis le mois et enfin le jour309. La teneur du conflit opposant Démosthèneà Eschine montre qu’un système de classification était en place à leur époque et pou-vait être un enjeu d’importance. Sur la stèle, les considérants indiquaient la date sanspour cela être formalisés310. Au cours du IVe siècle, ils ne cessent de s’affiner et àpartir de 354/3, le patronyme de l’épistate est précisé. Avant la deuxième moitié duIVe siècle, nouvelle précision concernant la datation, le nom de l’épitaste desproèdres qui est renouvelé quotidiennement apparaît. Eschine le sait et il faitd’ailleurs remarquer aux Athéniens la commodité d’un tel système311 :

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300 WYCHERLEY, op. cit., p. 154 n. 479 et 481.301 Cf. l’étude de M. BELLIER-CHAUSSONNIER, Des représentations de bibliothèques en Grèce classique,REA 104, 2002, p. 329-347 sur les kibôtoi dans les bibliothèques.302 AR., Cav., 1000. Voir aussi DÉM., Aristog. I, 25.61.303 IG II2, n° 1174, l. 12 : mais il est restitué.304 SICKINGER, The State Archive, p. 117-118 (contra THOMAS, Oral Tradition, p. 82).305 PS- ARSTT, Ath. pol., 47.5.306 DÉM., Timocr., 24.24 avec le commentaire de D.M. MCDOWELL, Law-Making at Athens in theFourth Century B.C., JHS 95, 1975, p. 62-74.307 DÉM., Timocr., 24.42 ; voir supra.308 AND., Myst., 1.77.309 Cf. CURTIUS, op. cit., p. 23 ; POSNER, op. cit., p. 114 ; A.S. HENRY, The Prescripts of Athenian Decrees,Leyde, 1977, p. 104-105 ; WEST, op. cit. ; SICKINGER, The State Archive, p. 120-129.310 HENRY, op. cit.311 ESCHN., Amb., 2.89.

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Kãlliston går o‰mai prçgma ka‹ xrhsim≈taton to›w diaballom°noiw par'Ïm›n g$netai: ka‹ går toÁw xrÒnouw ka‹ tå chf$smata ka‹ toÁw§pichf$santaw §n to›w dhmos$oiw grãmmasi tÚn ëpanta xrÒnon fulãttete.“Je trouve qu’il y a chez vous une chose excellente et très utile pour ceux qui sontcalomniés : vous conservez pour toujours dans les archives publiques les dates, lestextes des décrets et le nom de ceux qui les ont mis aux voix”.

Sa fonction de secrétaire qui est liée à la responsabilité des archives athéniennes,celles qui sont dans le Métrôon ou dans le Bouleutérion, lui a donné cette aisancedans la manipulation des textes archivés312. Dans son argumentation, il utilise les dif-férentes dates auxquelles les Athéniens ont pris telle et telle décision et insistemême313 : “Vous entendez : ce décret date du 3 de la première décade de Mouni-chion”. Cela ne permet pour autant pas de mettre en évidence la méthode utiliséedans les archives pour classer les décrets. Quoi qu’il en soit, le secrétaire, en chargedes archives, avait toutes les raisons d’être le plus précis possible car il pouvait avoirà rechercher tel ou tel document en cas de procédure judiciaire. Pratiquement, ladate ne figurait pas nécessairement pour chacune des archives et il pouvait y avoir lenom de l’archonte, la date précise de la réunion selon le calendrier lunaire et le calen-drier civique, son propre nom… Le nom de celui qui proposait un décret ou unamendement devait aussi avoir sa place, à l’occasion. Chaque étagère ou chaquekibôtos conservait donc ces documents. Une marque écrite, vraisemblablement lenom de l’archonte, permettait de s’y retrouver.

Quand ce système a-t-il été mis en place ? W. C. West associe son adoption avecla réforme des archives314. Mais J. P. Sickinger se montre plus prudent315. Il note quele calendrier lunaire apparaît comme moyen de datation au Ve siècle dans certainsdocuments émanant de magistrats, signe de son utilisation dans la vie civique316. Defaçon plus générale, il convient de ne pas oublier que nous ne disposons que des ins-criptions et non des archives. Puisque les polètes et les trésoriers se servaient de cecalendrier au Ve siècle, tout laisse à penser que le secrétaire pouvait en faire de même.La Constitution des Athéniens fait aussi référence à ce système de datation lorsqu’elleévoque les événements de 411 tandis que les inscriptions ne le font pas317.

b) Le personnel du Métrôon

1. Les secrétaires

Notre source principale concernant les secrétaires est un passage de la Constitutiondes Athéniens dans lequel l’auteur distingue trois secrétaires différents. Les fonctionsdu premier sont décrites ainsi318 :

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312 DÉM., Amb., 19.70, 237 et 249.313 ESCHN., Amb., 2.92 (trad. CUF) : ÉAkoÊete ˜ti Mounixi«now §chf$syh tr$t˙ flstam°nou ; avecle commentaire de WEST, op. cit., p. 534-535.314Ibid., p. 536.315 SICKINGER, The State Archive, p. 127 et ID., Public Records, p. 152-153.316 IG I3, n° 377, l. 4-8, n° 378, l. 9-11 et 20 qui sont des comptes des Trésoriers (La première inscrip-tion daterait de 407/6 et la deuxième de 406/5). Les stèles des Hermocopides mentionnent égalementle calendrier lunaire (IG I3, n° 430, l. 5-6, 10 et 13, 414/3).317 PS- ARSTT, Ath. pol., 32.1.318 PS- ARSTT, Ath. pol., 54.3.

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KlhroËsi d¢ ka‹ grammat°a tÚn katå prutane$an kaloÊmenon, ˘w t«ngrammãtvn §st‹ kÊriow ka‹ tå chf$smata tå gignÒmena fulãttei, ka‹tîlla pãnta éntigrãfetai ka‹ parakãyhtai tª boulª. PrÒteron m¢n oÔnotow ∑n xeirotonhtÒw, ka‹ toÁw §ndojotãtouw ka‹ pistotãtouw§xeirotÒnoun: ka‹ går §n ta›w stÆlaiw prÚw ta›w summax$aiw ka‹projen$aiw ka‹ polite$aiw otow énagrãfetai: nËn d¢ g°gone klhrvtÒw.

“On tire également au sort celui qu’on nomme le secrétaire de la prytanie qui a laresponsabilité des archives civiques et qui conserve les décrets votés. Il prend unecopie de tous les autres documents et il assiste aux réunions du Conseil. Autrefois,cette magistrature était élective, et le vote à main levée désignait les citoyens les plusrenommés et les plus dignes de confiance ; en effet, son nom est inscrit sur les stèlesqui portent les traités d’alliance et sur les décrets qui confèrent la proxénie ou ledroit de cité. Il est de nos jours désigné par tirage au sort”.

Le grammateÁw katå prutane$an serait donc un magistrat tiré au sort par lepeuple alors que Pollux affirme qu’il est choisi au hasard par le Conseil et précisequ’il est ˜w t«n grammat°vn §st‹ kÊriow, c’est-à-dire le chef des grammate›w. Har-pocration apporte une nuance d’importance, t«n grammãtvn t' §st‹ kÊriow, ceque Pollux n’ignore pas (tå grãmmata fulãttein ka‹ chf$smata). Les éditeursdu texte ont donc adopté la formule suivante : ˜w t«n grammãtvn, §st‹ kÊriow,c’est-à-dire que le secrétaire a la direction des archives civiques319.

Sa responsabilité à l’égard des décrets, leur conservation, peut surprendre si l’ons’en tient à un sens concret, celui de surveillance320. Selon nos sources, celle-ci estl’affaire d’un esclave public, du moins dans son aspect concret321. Un autre magistratintervient dans ce domaine, l’épistate322 : thre› d' otow tãw te kle›w tåw t«,fler«n, §n oÂw tå xrÆmat' §st‹n ka‹ <tå> grãmmata tª pÒlei, ka‹ tØw dhmos$ansfrag›da “Il garde les clefs des temples où sont le Trésor et les archives civiques,ainsi que le sceau de la cité”. Pour comprendre le sens précis de cette attribution, ilconvient de préciser le sens de l’expression “tå chf$smata tå gignÒmena”. Eneffet, le verbe gignÒmai peut dans un certain contexte prendre une autre significa-tion et renvoyer à une réalité institutionnelle323. Isée emploie le verbe gen°syai ausujet de personnages inscrivant la l∞jiw t«n dik«n324. Lorsque Libanios ou Démos-thène évoquent la loi concernant les affaires entièrement contractées à Athènes ilsutilisent ce même verbe325. Une inscription publiée par Ph. Gauthier mentionne un

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319 La traduction de la CUF (Haussoullier révisé par Cl. Mossé) propose “maître des écriturespubliques”. SICKINGER, Public Records, p. 142 comprend “responsible for the records”. LALONDE, op.cit., p. 14 et 19 préfère “in charge of the documents” en insistant sur le fait que cette kyria suppose desassistants. RHODES, Commentary, p. 600 affirme simplement que “this secretary was responsible for thepublication of documents, and presumably had general responsability for the state’s records”.320 Pour cette raison, nous ne retenons pas la traduction de la CUF, “la garde des décrets”.321 DÉM., Amb., 19.129 avec M. BRILLANT, Les secrétaires athéniens, Paris, 1911, p. 4 (cf. infra).322 PS- ARSTT, Ath. pol., 44.1 et RHODES, Commentary, p. 532.323 Contra SICKINGER, Public Records, p. 145 qui pense que cette expression s’appliquerait aux décretsqui n’ont pas été complètement ratifiés.324 ISÉE, Hag., 11.10 ; le caractère écrit de la procédure apparaît dans un autre passage (ISÉE, Dik., 5.17)dans lequel l’un des protagonistes efface la plainte : ≤ m¢n l∞jiw toË klÆrou diegrãfh.325 DÉM., Phorm., 34.42, Apat., 33.1 et Zen., 32.1 ; cf. chapitre 6.

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“prix de vente déclaré” selon l’expression de L. Robert, ce qui désignerait une décla-ration faite auprès de l’agoranome et qui correspond à la traduction de“gen°syai”326. Enfin, autre point, la description des fonctions des thesmothètesdans la Constitution des Athéniens éclaire le sens du verbe phylattô : énagrãcantewtå y°smia fulãttvsi prÚw tØn t«n émfisbhtoÊntvn kr$sin327. Le verbefulãttv prend dans ce contexte un sens lié à l’idée de conservation328.

Certes, nous manquons d’informations sur les manières d’archivage des Athé-niens. Toutefois, l’existence d’un registre dans lequel figurait l’ensemble des décretsn’est pas absurde, que ce soit de façon définitive ou alors simplement temporaireavant un archivage sous une autre forme. La responsabilité du secrétaire à l’égard desarchives apparaît également dans le fait qu’il prenne “copie de tous les autres actes”et la logique du passage est plus nette si l’on retient la traduction proposée ici. Ilconserve donc les originaux des décrets, gravés ou non — ces derniers représentantla majorité des décisions prises — et il prend copie des autres documents pour lesarchiver. Il est cependant possible qu’il ne fasse pas ce travail en personne. Le verbeéntigrãfesyai peut se traduire comme énagrãcai, c’est-à-dire respectivement“faire copier” et “faire transcrire”329.

Reste la fin de ce passage, ka‹ går §n ta›w stÆlaiw prÚw ta›w summax$aiw ka‹projen$aiw ka‹ polite$aiw otow énagrãfetai. Le prestige du secrétaire serait-ildû à sa simple présence sur la stèle ou bien la lecture de leurs noms sur la pierre effec-tuée par l’auteur lui aurait-elle révélé leur position sociale élevée ?330 La traductionadoptée ici ne tranche pas. Quoi qu’il en soit, ce passage ne fait pas des stèles lesseules sources consultées par l’auteur de la Constitution des Athéniens. Ce dernierévoque simplement ce qui est le plus accessible à ses lecteurs. Mentionner l’inscrip-tion des noms des secrétaires sur la pierre n’est pas neutre. C’est une garantie vis-à-vis des Athéniens et c’est bien entendu un honneur de figurer sur cet “espace depublicité”331. Au Ve siècle, la mention du secrétaire indiquait la prytanie. Elle don-nait la date, le nom de l’archonte n’apparaissant que dans les deux dernières décen-nies du Ve siècle. La “réforme du secrétariat” expliquerait dès lors la notation des pry-tanies pour la datation qui ne découlait plus de l’identité du secrétaire332.L’inscription du secrétaire ne servait plus qu’à authentifier le texte, à confirmer savaleur officielle.

Ces différentes appréciations sur le passage de la Constitution des Athéniens relatifau secrétaire kata prytaneian ne doivent pas cacher la profonde mutation qu’a

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326 PH. GAUTHIER, Les villes athéniennes et un décret pour un commerçant (IG, II2, 903), REG 93,1982, p. 275-290 et Bull. ép., 1984, p. 435-436 n° 178.327 PS- ARSTT, Ath. pol., 3.4.328 Voir aussi ESCHN., Amb., 2.89. Une inscription de Léros (MICHEL, n° 372, IIe siècle) indique que lesecrétaire doit conserver le décret avec les autres documents.329 IG II2, n° 120 et BRILLANT, op. cit., p. 5-6 ; HARP., s.v. éntigrafeÁw t∞w boul∞w et POLL.,Onom., 8.98.330 Les deux thèses ont été respectivement défendues par W.S. FERGUSON, The Athenian Secretaries,New-York, 1898, p. 28 et BRILLANT, op. cit., p. 11.331 M. DETIENNE, L’espace de la publicité : ses opérateurs intellectuels dans la cité, in ID. (dir.), Lessavoirs de l’écriture en Grèce ancienne, Lille, p. 29-81 ; RHODES, Commentary, p. 603 dit “to secure publi-city for the ally or honorand”. Cf. chapitre 5.332 Sur tous ces problèmes, HENRY, op. cit.

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connue cette magistrature. Entre 366/5 et 363/2, elle est devenue annuelle333. L’in-certitude chronologique tient aux lacunes de nos sources. En 363/2 en effet, troisinscriptions attestent que Nicostratos est secrétaire pour la deuxième, la sixième et laseptième334. Au moment ou peu après cette réforme, le grammateÁw t∞w boul∞waurait changé de nom et serait devenu le grammateÁw katå prutane$an. Com-ment peut-on expliquer un tel changement, surtout que le nouveau nom de lamagistrature semble s’opposer directement à la nouvelle périodicité ? W. S. Fergusona mis en avant le poids des habitudes qui faisait que les Athéniens continuaient denommer ce secrétariat avec l’ancien nom335. Mais alors comment expliquer que lesecrétaire se trompe dans sa propre titulature ? De même, comment comprendre uneprédominance dans les inscriptions du titre de grammateÁw t∞w boul∞w jusquedans les années 340 ? Le décret relatif à la Chalcothèque plaide à première vue pourl’existence de deux magistrats, le grammateus kata prytaneian, qui est le magistrat leplus important, et le grammateus tès boulès dont la responsabilité essentielle est latranscription des décrets336. Mais d’autres inscriptions révèlent que le grammateus tèsboulès mentionné dans ce décret est le secrétaire éponyme, le grammateus kata pryta-neian, dans d’autres inscriptions337.

Plusieurs inscriptions apportent des indications complémentaires sur les attri-butions du secrétaire. Ainsi, ce dernier peut être chargé des érasures338. Il vérifieparfois la concordance des textes entre eux339. Il a la responsabilité de remettre unecopie d’une décision importante pour un Samien, Posès, qui reçoit la citoyen-neté340. Certains documents lui sont remis pour qu’il les dépose dans le Métrôoncomme le nom des triérarques dirigeant les trières à Samos en 405 ou les noms depersonnes exilées d’Ioulis et d’Athènes qui n’étaient d’ailleurs pas destinés à lapublication341. Le secrétaire surveille aussi l’érasure pratiquée directement sur lesdocuments d’archives comme dans le cas du traité conclu entre Athènes et Sélym-bria ou bien dans celui du décret concernant la monnaie, les poids et mesures dans

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333 Sur cette réforme du secrétariat au IVe siècle, voir FERGUSON, op. cit., et ID., The Introduction ofthe Secretary-Cycle, Klio 14, 1914, p. 393-397 qui apporte l’essentiel et dernièrement S. ALES-SANDRÌ, Alcune osservazioni sui secretari ateniesi nel IV sec. a.C., ASNP 12, 1982, p. 7-70. La limitesupérieure a été récemment abaissée (cf. A.S. HENRY, The Athenian State Secretariat and Provisions forPublishing and Erecting Decrees, Hesperia 71, 2002, p. 91-92 avec n. 5).334 Respectivement IG II2, n° 109, OSBORNE & RHODES, n° 38 et Syll3, n° 158, l. 28-30.335 Voir FERGUSON, op. cit., p. 36 ; BRILLANT, op. cit., p. 33 conserve cette même position.336 Selon ALESSANDRÌ, op. cit., p. 28-29, ce décret (IG II2, n° 120 cité chapitre 5) ordonne d’une part ausecrétaire kata prytaneian et aux autres secrétaires en charge des archives de faire l’inventaire de la Chal-cothèque et d’autre part au secrétaire du Conseil de faire inscrire les listes sur une stèle et de la faire ins-taller près du bâtiment (contra BRILLANT, op. cit., p. 34-49 et RHODES, Athenian Boule, p. 137-138).337 Voir IG II2, n° 120, l. 17-19, SEG 19, 1963, n° 129, l. 13-14, IG II2, n° 138-139 avec le commen-taire d’HENRY, op. cit., 2002, p. 93.338 IG I3, n° 101, l. 57-59 (MEIGGS & LEWIS, n° 89) ; IG I3, n° 106, l. 21-23 concerne les Trésoriers.339 Voir OSBORNE & RHODES, N° 25, l. 55-56 avec le commentaire de R.S. STROUD, An Athenian Lawon Silver Coinage, Hesperia 43, 1974, p. 184-185 ; MEIGGS & LEWIS, n° 45, l. 49 ; IG II2, n° 40, l. 16s.Sur cette attribution, voir HANSEN, The Athenian Ecclesia, p. 170-171.340 OSBORNE & RHODES, n° 2, l. 61-62.341 Respectivement IG I3, n° 127, l. 27-28 et OSBORNE & RHODES, n° 39, l. 42-45.

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lequel il est demandé à ce magistrat de mettre à jour le serment des Bouleutes342.Enfin, un passage d’Aristophane donne l’impression que les propositions faites parles citoyens sont mises en forme voire rédigées par le secrétaire343.

Les responsabilité du grammateÁw katå prutane$an sont donc multiples et fontde lui un magistrat important. Il reste que les sources ne permettent pas d’affiner lachronologie. Certaines des fonctions qui ont été exposées ci-dessus n’ont peut-êtrepas été exercées de façon concomitante. Dans l’ensemble, on peut supposer que lacharge a dû varier, tout comme le nom de la magistrature, même si rien ne permetde penser qu’elle aurait perdu en importance à un moment ou à un autre, sauf pen-dant les expériences oligarchiques de la fin du IVe siècle344.

Le texte de la Constitution des Athéniens évoque deux autres secrétaires345 :

KlhroËsi d¢ ka‹ §p‹ toÁw nÒmouw ßteron, ˘w parakãyhtai tª boulª, ka‹éntigrãfetai ka‹ otow pãntaw. Xeirotone› d¢ ka‹ ı d∞mow grammat°a, tÚnénagnvsÒmenon aÈt“ ka‹ tª boulª, ka‹ otow oÈdenÒw §sti kÊriow éll' µtoË énagn«nai.

“Est tiré au sort un autre secrétaire, en charge des lois, qui assiste au Conseil et quiprend copie de tout. Le peuple désigne un troisième secrétaire qui lit les actes à l’as-semblée et au Conseil ; il n’est responsable de rien d’autre que de la lecture”.

Le texte ne nous permet pas de savoir si le grammateÁw §p‹ toÁw nÒmouw étaitissu du Conseil ; toutefois, la précision de sa présence aux réunions laisserait plutôtpenser que non. Son titre incite à le rapprocher des lois, de leur conservation et deleur publication. Or le travail législatif affecte plutôt la responsabilité des nomo-thètes. Pourtant, les secrétaires ont peut-être joué un rôle dans ce domaine souventsous-estimé et ils recevaient des copies des lois proposées346. La loi de Dioclès leurintimait l’ordre de dater les documents et ils supervisaient la publication des lois surles stèles. Il est difficile de déterminer lequel des secrétaires disposait de telle ou telleresponsabilité mais il est probable que le grammateÁw katå prutane$an étaitassisté par le grammateÁw §p‹ toÁw nÒmouw347.

Quant aux décrets, dont il eut la charge sans doute à l’origine, des inscriptionsrévèlent l’existence d’un grammateÁw §p‹ tå chf$smata348. M. Brillant proposaitde le confondre avec le grammateÁw §p‹ toÁw nÒmouw, mais de nouveaux textes

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342 Respectivement IG I3, n° 118, l.37-42 et MEIGGS & LEWIS, n° 45, l. 12 (Th.J. FIGUEIRA, The Powerof Money. Coinage and Politics in the Athenian Empire, Philadelphie, 1998 propose une relecture com-plète de cette inscription, p. 419-422 pour le texte avec les nouvelles restitutions et la traduction).343 AR., Thesm., 431-432.344 Voir infra.345 PS- ARSTT, Ath. pol., 54.4-5.346 DÉM., Timocr., 24.94.347 Hypothèse de SICKINGER, The State Archive, p. 139. M.H. HANSEN, La démocratie athénienne àl’époque de Démosthène, Paris, 1993, p. 298 envisage une autre possibilité : “Son travail, comme celui dusecrétaire aux décrets, était probablement d’établir des copies en bonne et due forme des propositionsde lois qui venaient devant le Conseil”.348 La première date de 343/2 : IG II2, n° 223c.

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démontrent qu’il n’en est rien349. Nous ne pouvons que deviner ses fonctions à l’aidede son nom qui suggère qu’il assistait le grammateÁw t∞w boul∞w dans sa tâche depublication des décrets sur pierre.

Le troisième secrétaire cité par Aristote a pour fonction de lire devant l’assembléeet devant le Conseil et était élu pour un an au lieu d’être tiré au sort350. Il sembleposséder moins d’importance que les deux autres. Son titre exact est grammateÁwt∞w boul∞w ka‹ toË dÆmou, mais il est souvent nommé grammateÊw351. Cettemagistrature est connue dès le Ve siècle par un passage de Thucydide352.

2. L’esclave public353

Certains des esclaves publics du Conseil avaient la responsabilité de la gestion pra-tique des archives. Ils assistaient les grammate›w §p‹ to›w dhmos$oiw grãmmasin354.Démosthène cite un texte dans les archives dont l’esclave public a la charge355. Lorsde l’inventaire de la Chalcothèque, Euclès, un dhmÒsiow, est chargé de sa réalisa-tion356. Dans un document cité ci-dessus, un esclave public est chargé de faire unecopie d’une décision accordant l’isotélie afin de la mettre sur pierre357. Un autreexemple montre qu’un esclave public devait retrouver des documents concernant lesremparts de la cité358. En dehors de ces cas précis, il est difficile d’en savoir plus carbien souvent les sources mentionnent un dèmosios sans autre précision359. Or, cetteformulation, ı dhmÒsiow, ne suffit pas à identifier tel ou tel esclave public avec telautre. Il n’y a donc pas lieu de penser que celui qui était chargé des documents dansle Métrôon avait aussi la responsabilité des contrats des polètes à transmettre auxapodectes pour destruction360. Lorsque le nom du dhmÒsiow est cité comme dans lecas de l’inscription de la Chalcothèque, il ne faut pas y voir une quelconque dis-tinction. Il s’agit en l’occurrence simplement de nommer celui qui pourrait avoir àrépondre de ses actes en cas d’accusation361.

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349 B.D. MERITT, Greek Inscriptions, Hesperia 10, 1941, p. 45-46 fut le premier à réfuter la théorie deBRILLANT, op. cit., p. 94-108 ; RHODES, Athenian Boule, p. 134-141 partage cet avis. Mais les attribu-tions respectives de ces deux magistratures n’ont pas été déterminées.350 BRILLANT, op. cit., p. 110-111 et ALESSANDRÌ, op. cit., p. 32-46.351 ESCHN., Ctes., 3.100 et DÉM., Lept., 20.94 avec le commentaire BRILLANT, op. cit., p. 111-115.352 THC 7.10.353 Cf. la thèse ancienne sur les esclaves publics athéniens de O. JACOB, Les esclaves publics à Athènes,Liège-Paris, 1928.354 SICKINGER, Public Records, p. 144-146. Les grammate›w §p‹ to›w dhmos$oiw grãmmasin ne sontconnus que par l’inscription de la Chalcothèque (IG II2, n° 120, l. 16-17 cité chapitre 5).355 DÉM., Amb., 19.129.356 IG II2, n° 120 cité chapitre 5. Un successeur lui est connu pour les IIIe et IIe siècles, voir IG II2,n° 839, l. 42-45 et IG II2, n° 840, l. 10-11 et 20.357 IG II2, n° 583.358 IG II2, n° 463, l. 27 ; on sait par ailleurs que les magistrats chargés de la constructions des rempartsdevaient remettre leurs comptes au Bouleutérion (ESCHN., Amb., 2.14-15).359 JACOB, op. cit., p. 5-9. Toutefois pour certaines fonctions, les esclaves publics disposaient d’un titre.On connaît par exemple ı dhmÒsiow ı §n Peiraie› ou bien ı §n to›w nevr$oiw (Ibid., p. 6).360 PS- ARSTT, Ath. pol., 47.5. Cf. chapitre 4.361 JACOB, op. cit., p. 130-132 insiste sur ce point. Une inscription d’époque romaine, provenant deMyra, atteste la dureté des châtiments encourus par un esclave archiviste (SEG 33, 1984, n° 1177).

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En bref nous partageons l’avis émis par Jacob selon lequel les esclaves publics duConseil étaient très nombreux362. Le point commun des dèmosioi résidait dans leurcompétence, non pas seulement savoir lire et écrire, mais bien la capacité à admi-nistrer un ensemble documentaire imposant, avec plus de maîtrise parfois que lesmagistrats363. Du reste, l’un d’entre eux, Euclès, ne fut pas seulement chargé de laconservation des archives du Métrôon. Il remplit également la charge d’antigrapheusau sein de la commission des travaux à Éleusis en 317. Cela lui vaut de toucher unmisthos de deux oboles par jour au minimum. “Sa charge […] était considérable ensoi ; elle pouvait le devenir davantage dans certaines circonstances particulières, enl’amenant, par exemple, à vérifier les livraisons de matériaux, en l’absence des épi-states, et en se rendant compte de leur conformité aux prescriptions de la commande[…] En l’absence des magistrats […] il reçoit les fournisseurs et prend livraison desmatériaux après une minutieuse vérification”364. Sa compétence était bien supérieureà une simple alphabétisation. Il est un spécialiste du classement et de la vérificationdes documents écrits.

3. Les autres magistrats

D’autres magistratures dont le nom de fonction est un composé du verbe grã-fein sont connues : éntigrafeÊw, énagrafeÊw365. L’éntigrafeÊw devait faire untravail de copie si l’on s’en tient à l’étymologie. Selon Harpocration, l’éntigrafeÊwest un magistrat chargé du contrôle des finances de la cité366. Le compilateur en dis-tingue deux : l’éntigrafeÁw t∞w dioikÆsevw et l’éntigrafeÁw t∞w boul∞w. Polluxconfond l’éntigrafeÊw avec le grammateÊw. Chacun d’entre eux s’occupait desfinances publiques. Leur statut variait, ils étaient soit esclaves, soit libres. D’ailleurs,il est fréquent de rencontrer dans les inventaires des esclaves publics chargés d’énti-graf°syai, comme l’Euclès du décret concernant la Chalcothèque367. Dans uneinscription, un éntigrafeÊw est chargé de donner l’argent au secrétaire pour l’érec-tion d’une stèle368.

Parmi les éntigrafe›w, on doit porter une attention aux deux cités ci-dessus, etparticulièrement l’éntigrafeÁw t∞w dioikÆsevw, magistrature élective supprimée àl’époque d’Eubule et dévolue au collège du théorique369. Il faisait un rapport àchaque fin de prytanie sur les finances de l’État devant l’Ecclésia. L’éntigrafeÁwt∞w boul∞w devait s’occuper des affaires financières du Conseil. Il figure dans uneliste de 335/4 qui mentionne huit magistrats ayant des rapports avec le Conseil370.Son importance ne devait pas être considérable. Les deux charges ont-elles été

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362 Ibid., p. 98.363 Ibid., p. 104-105.364 Nous suivons ici les remarques de Ibid., p. 26-29 qui analyse l’inscription IG II2, n° 1669 (citationextraite des pages 28-29).365 Voir la bibliographie SICKINGER, The State Archive, p. 139 n.33.366 Voir ausi DÉM., Andr., 22.38 et 70 ; ESCHN., Ctes., 3.25.367 IG II2, n° 120 cité chapitre 5.368 IG II2, n° 575.369 Voir ESCHN., Ctes., 3.25 et PS- ARSTT, Ath. pol., 43.1 avec le commentaire de D.M. LEWIS, On theFinancial Offices of Eubulus and Lycurgus, in D.M. LEWIS, Selected Papers in Greek and Near EasternHistory, Cambridge, 1997, p. 216-218.370 IG II2, n° 1700, l. 215.

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réunies lors de la réforme d’Eubule ou bien ne subsistait-il que l’éntigrafeÁw t∞wboul∞w ? Les deux thèses ont été défendues371.

En temps normal, les énagrafe›w apparaissent dans certaines inscriptionscomme magistrats et sont donc citoyens. Pour autant, leur présence n’est pas régu-lière ce qui apporte un renseignement d’importance sur la réalisation de la stèle. Eneffet, le terme énagrafeÊw, dans lequel on retrouve le verbe énagrãfein, pourraitsuggérer une fonction en relation avec la transcription des décisions prises. Or, iln’en est rien. Dès lors, l’hypothèse d’une fonction en relation directe avec les archivesathéniennes ne saurait être exclue d’autant qu’un décret de 330/329 remercie Calli-cratidès pour le soin qu’il a apporté aux grammata dans sa fonction d’énagra-feÊw372. La référence aux archives est explicite et doit être considérée comme uneattribution ordinaire de cette magistrature. L’association automatique entre éna-grafeÊw et oligarchie doit dès lors être discutée373.

Lors de la mise en place d’une oligarchie en 321/0, cette magistrature acquiertune importance nouvelle374. À cette date, le Pirée est occupé militairement par unegarnison macédonienne et la démocratie est supprimée au profit d’une oligarchie de9000 citoyens375. Les inscriptions de cette période connaissent aussi un grand chan-gement puisqu’en titre figure l’énagrafeÊw qui prend la place, aux deux sens del’expression, du secrétaire. Ce magistrat est désormais en charge de la publication desdécrets. Selon S. Dow, le changement porte sur la titulature et non sur la charge elle-même : “énagrafeÊw sounded more pretentious than grammateËw”376. Le contextepermet cependant d’envisager une autre explication.

Les tentatives d’instauration d’un régime oligarchique ne sont pas nouvelles.Nous avons vu précédemment qu’au Ve siècle elles avaient entraîné une recherche detextes anciens et que la restauration démocratique avait fait de même par réaction.Dans ce cas, il est toujours possible d’envisager pour le nouveau régime une nouvelletentative de retour à la constitution des ancêtres. Mais pour cette fin de IVe siècle,une autre hypothèse peut être avancée. La première difficulté rencontrée par les oli-garques fut de dresser la liste des nouveaux citoyens, tout comme en 411377. Pourcela, l’oligarchie avait besoin d’un magistrat capable de mener à bien une telle entre-prise378. De plus, une inscription samienne contemporaine qui traite de la réinté-gration des exilés dans leur cité emploie le verbe énagrãfein pour désigner l’ins-cription dans un génos379. Dès lors, outre sa fonction traditionnelle de publicationdes décrets — et peut-être de recherche dans les archives de certains documents —,

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371 BRILLANT, op. cit., P. 133-134 et RHODES, Athenian Boule, p. 238-239.372 IG II2, n° 415, l. 12-14 : §peidØ ı Kallikra[t]$dhw kal«w ka‹ dika$vw §pimem°lht[a]i t∞wénagraf∞w t«n grammãtvn.373 Cf. les réticences de P. BRUN, L’orateur Démade, Bordeaux, 2000, p. 121 n. 24.374 Pour l’analyse épigraphique et les références, voir HENRY, op. cit., p. 50-57. Plus généralement, St.DOW, The Athenian Anagrapheis, HSCPh 67, 1963, p. 37-54 propose une synthèse sur cette magis-trature.375 Pour le détail des événements, cf. Chr. HABICHT, Athènes hellénistique, Paris, 2000, p. 63-71.376 DOW, op. cit., p. 40 ; HENRY, op. cit., p. 57 ne prend pas réellement position.377 LYS., Pol., 20.13-14. L’orateur parle de katalegein. Ce passage est en partie cité chapitre 4.378 Cf. chapitre 4 pour la pratique des recensements.379 Pour le texte de l’inscription et son commentaire, voir Kl. HALLOF, Das Bürgerrecht der as dem Exilheimkehrenden Samier, Klio 78, 1996, p. 337-346.

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il devait dresser la liste des 9 000 citoyens. La disparition du secrétaire et son rem-placement par un énagrafeÊw, magistrature dont les attributions augmententalors, traduirait un contrôle plus grand des écritures civiques et de l’accès à lacitoyenneté.

C. LA CONSULTATION DES DOCUMENTS DU MÉTRÔON380

Un passage de Démosthène laisse penser que chaque citoyen pouvait consulterdes documents dans le Métrôon381. De même, le crime qu’évoque Lycurgue n’est pastant d’entrer dans le Métrôon que d’y effacer une loi382. Des inscriptions confirmentcette impression, en particulier celle mentionnant la recherche par un esclave publicd’un décret honorant un ancêtre de Télésias383. Même s’il est curieux que Démos-thène ne fasse pas référence à des documents provenant du Métrôon, Andocide pourla fin du Ve siècle cite un document issu des archives car la pierre avait été détruite384.Tout cela démontre que la consultation était possible sinon fréquente, et qu’elle pou-vait déboucher sur une publication sur pierre bien des années plus tard. Quelquesinscriptions du début du IVe siècle sont d’ailleurs des publications ou des republica-tions remontant au Ve, certaines stèles ayant été détruites par les Trente. En outre,l’existence d’archives organisées et consultables est connue avant l’installation auMétrôon, au cours du Ve siècle.

Les procès requéraient une utilisation fréquente de documents385. Beaucoup destextes lus au cours des procès provenaient des archives civiques. La mention de stèlesdans les plaidoyers n’impliquait pas que le texte lu soit une copie de ce qui figuraitsur la pierre, car le but était de faire référence à un document exposé connu de tous,en particulier des dikastes. Dès lors, les archives civiques constituent une institutionfondamentale, sans laquelle la démocratie athénienne telle que nous la connaissonsne saurait fonctionner. Les textes provenant d’archives personnelles de magistratssemblent au contraire avoir été peu utilisés même si nous connaissons desexemples386. La consultation des documents archivés au Métrôon était donc possibleet parfois nécessaire.

Pour R. Thomas, Eschine aurait été le premier à comprendre l’intérêt des docu-ments archivés387. Pourtant, Andocide utilise des documents tout comme Isocrate

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380 SICKINGER, The State Archive, p. 145-193 et ID., Public Records, p. 160-187. Sur la consultation deslois en particulier, cf. ID., The Laws of Athens : Publication, Preservation, Consultation, in E.M.HARRIS et L. RUBINSTEIN (éd.), The Law and the Courst in Ancient Greece, Londres, 2004, p. 93-109.381 DÉM., Aristog. I, 25.98 cité supra avec le commentaire de SICKINGER, The State Archive, p. 73 et 146n.4 et THOMAS, Oral Tradition, p. 69.382 LYC., Leocr., 1.63-68 surtout 68 avec commentaire SICKINGER, The State Archive, p. 71-72.383 IG II2, n° 971 ; cf. supra.384 PS-AND., Retour, 2.23. La date du discours oscille entre 410 et 405.385 Voir chapitre 6.386 DÉM., Zen., 32.18 évoque une enquête auprès des magistrats de Syracuse qui sont en mesuresemble-t-il de dire l’identité de l’acheteur, les droits acquittés par lui et le prix qu’il a versé ; DÉM.,Phorm., 34.7 cite en justice la déclaration faite aux receveurs du cinquantième.387 THOMAS, Oral Tradition, p. 68-72 et p. 87-89. SICKINGER, The State Archive, p. 161-162 tented’isoler la spécificité d’Eschine par rapport aux autres orateurs.

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pour la première moitié du IVe siècle388. Sans pouvoir affirmer que la pratique étaitcourante, les historiens de l’Antiquité citaient aussi des documents. Thucydide men-tionne des documents diplomatiques, Théopompe par exemple consulta sur unestèle la paix de Callias et en déduisit qu’il s’agissait d’un faux ou bien encore Polybecitait des traités passés entre Rome et les Carthaginois389. Quant aux méthodes detravail des Atthidographes, elles sont malheureusement mal connues mais il est pro-bable qu’ils recouraient également aux archives390.

En revanche, à la fin du IVe siècle, les Péripatéticiens, au premier rang desquelsAristote, ont fréquemment consulté des documents391. Mais les Modernes considè-rent qu’ils n’utilisaient pas des archives et qu’ils n’auraient donc accompli qu’un tra-vail de compilation392. Or, une inscription honore le Stagirite et son neveu et élèveCallisthène pour son travail de réalisation d’une liste des vainqueurs des JeuxPythiques, sans doute depuis 590, date de leur fondation393. Il est probable que cetterecherche impliquait une enquête dans les archives. Les Delphiens ou l’Amphic-tyonie — il existe une incertitude sur l’autorité à l’origine du décret — disposaientde vieilles listes, sur un support fragile et souhaitaient dresser un liste sur pierre, afinqu’elle soit visible de tous, qui contiendrait l’ensemble des vainqueurs aux concourspythiques. Au cours de ses deux longs séjours à Athènes en 367/6-347 et 335/4-323,Aristote a travaillé sur les vainqueurs aux compétitions théâtrales athéniennes etpour cela il a consulté les archives concernant les Dionysies394. Le lieu de conserva-tion de ces dernières n’est cependant pas nécessairement le Métrôon.

Pour composer son œuvre, l’auteur de la Constitution des Athéniens, Aristote ouun Péripatéticien, a également consulté les archives du Métrôon, tant pour lapériode contemporaine que pour le passé, notamment le Ve siècle, mais peut-êtreaussi pour des périodes plus anciennes395. Un passage rapporte que le Conseil possé-dait autrefois des attributions relativement importantes dans le domaine judiciaire :droit de mort, amende, prison…396 Or, nous disposons d’une stèle concernant lespouvoirs du Conseil, gravée au moment de la révision des lois397. Dans le chapitre53 de la Constitution des Athéniens, l’institution des juges itinérants des dèmes dont

170 LES ARCHIVES DANS L’ATHÈNES CLASSIQUE

388 Sur Andocide, SICKINGER, The State Archive, p. 163-164 et THOMAS, Oral Tradition, p. 71 ; pour Iso-crate, voir Trap., 17.52 et C. Call., 18.19-20.389 THÉOPOMPE, FGrHist 115 F 153-154, POL. 3.22-24 sur les accords entre Rome et Carthage. SurThucydide, cf. chapitre 2.390 Cf. F. JACOBY, Atthis, Oxford, 1949 et HARDING, op. cit., spécifiquement sur Androtion.391 SICKINGER, The State Archive, p. 171s. et RHODES, Commentary, p. 15-30 et 33-35 pour les sourcesde la Constitution des Athéniens.392 Par exemple RHODES, Commentary, p. 23-24.393 OSBORNE & RHODES, N° 80. Il est probable qu’Aristote a aussi réalisé une liste des vainqueurs auxJeux Olympiques (PLUT., Lyc., 1.2 avec C. HIGBIE, Craterus and the Use of Inscriptions in AncientScholarship, TAPhA 129, 1999, p. 68-70).394 La liste des vainqueurs aux Dionysies a été mise sur stèle en 346 (IG II2, n° 2318-2323) et certainsont envisagé une consultation possible par Aristote (HIGBIE, op. cit., p. 71). Le travail de ce dernier àDelphes démontre que le Stagirite travaillait sur archive, cette hypothèse n’est donc pas nécessaire nimême probable.395 SICKINGER, The State Archive, p. 171-191 et ID., Public Records, p. 184-185.396 PS- ARSTT, Ath. pol., 45.1 avec RHODES, Athenian Boule, p. 179-207 et ID., Commentary, p. 537-540.397 IG I3, n° 105 ; cf. supra.

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l’auteur avait auparavant daté la réforme en 453/2 sous l’archontat de Lysicratès, estdécrite et il y a lieu de penser qu’il utilise ses propres recherches dans les archives. Ilen va de même sur la loi de Périclès de 451/0. Il ne recopie pas l’avis d’un historienantique. Il livre à ses lecteurs ses propres trouvailles, même s’il connaissait les travauxdes Atthidographes. L’utilisation de multiples sources est avérée dans la compositionde ce texte pour la description de la prise de pouvoir des Quatre-Cents398. Enfin,l’auteur connaissait la liste des archontes399.

** *

En somme, le Ve siècle athénien ne se caractérise pas par une découverte progres-sive de l’écriture mais bien par une cité dont le fonctionnement ne peut se passer desdocuments écrits. Au moment même où la Boulè des Cinq Cents était créée, le bâti-ment qui accueillait cette institution, le Bouleutérion, accueillait probablement aussiles archives civiques. Les décrets et les lois, sans doute d’autres documents aussi, yétaient conservés. Au tournant du siècle, le Métrôon semble prendre la place duBouleutérion. À la fin du Ve siècle, les Athéniens produisaient un grand nombre dedocuments et cela devait poser un problème matériel de place. De plus, la révisiondes lois a entraîné des modifications, des recherches sur d’anciens documents dontles conditions de conservation n’étaient pas toujours optimales. L’amélioration de lagestion des archives était à ce prix. Dès lors, l’enjeu de la date de l’installation desarchives civiques athéniennes devient secondaire, voire sans intérêt, si l’on accepte lefait que le Bouleutérion conservait les documents produits par l’assemblée et leConseil, principalement les lois et décrets du Ve siècle.

En dépit de l’organisation des archives athéniennes, de l’importance de leurconsultation, J. P. Sickinger conclut : “It would be an exaggeration to claim, on thebases of the existing evidence, that the state archive in the Metroon played a crucialand vital role in the administration of the Athenian state”400. Cette appréciation peutse comprendre si on admet le concept d’archives centrales. Or, parce que le NouveauBouleutérion a continué d’accueillir des documents tout comme l’Ancien le faisaitau Ve siècle, les archives officielles de la cité ne sauraient se réduire aux seules archivesciviques que semble avoir été au IVe siècle le Métrôon, associé d’une manière oud’une autre au Bouleutérion. Dès lors, l’interrogation ne doit plus porter sur le rôlevital de ce dernier dans l’administration civique mais plutôt sur l’importance desdocuments écrits, leur conservation et leur utilisation dans le fonctionnement de ladémocratie.

ARCHIVES CIVIQUES 171

398 PS- ARSTT, Ath. pol., 29 avec le commentaire de RHODES, Commentary, p. 370-371.399 HIGBIE, op. cit., p. 74 et Chr. PÉBARTHE, Clisthène a-t-il été archonte en 525/4 ? Mémoire et his-toire des Athéniens à l’époque classique, RBPh 83, 2005, p. 43-45.400 SICKINGER, The State Archive, p. 193.

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CHAPITRE IV

ARCHIVES OFFICIELLES PÉRIPHÉRIQUES

Les travaux sur les archives athéniennes ont eu tendance à se focaliser sur leMétrôon et à oublier que les circonscriptions territoriales comme le dème ou

que d’autres institutions comme la phratrie archivaient aussi des documents1. Lestemples recouraient de même quotidiennement à l’écrit pour assurer le bon fonc-tionnement des responsabilités publiques dont ils avaient la charge. Nous avonschoisi de regrouper l’ensemble de ces archives sous la notion de périphéries, enconsidérant les archives civiques, celles du Bouleutérion et du Métrôon comme uncentre2. Nous y intégrons les archives des magistrats qui constituent un élément éga-lement important de cette réflexion sur les archives périphériques comme pratiquesindispensables à l’administration de la cité. Par cette expression d’archives périphé-riques nous désignons donc les documents conservés par les institutions publiquesautres que le Conseil3. Notre étude doit beaucoup à la réflexion récente deN. F. Jones qui a montré que la démocratie athénienne ne pouvait pas fonctionnersans un certain nombre d’associations parmi lesquelles il range les tribus, les dèmes,les trittyes, les phratries4… Dans notre perspective, il s’agit de déterminer en quoi laconservation des documents a pu être indispensable au fonctionnement de la cité,dans le cadre de cette relation centre/périphérie5.

Cette histoire commence avec la fin de la tyrannie et l’installation d’un nouveaurégime politique consécutif à une série de réforme communément nommées lesréformes de Clisthène. Les sources sont peu nombreuses. Hérodote ne s’étend guèresur le sujet6. Toutefois, la Constitution des Athéniens énonce dans le chapitre 21 l’en-

1 Certains aspects de cette question ont été abordés par M. FARAGUNA, Registrazioni Castali nel Mondogreco : Il Caso di Atene, Athenaeum 85, 1997, p. 7-33, en particulier p. 14-16.2 Ces notions de centre et de périphérie, directement empruntées à la géographie, ont été utilisées parles historiens, notamment dans le cadre de réflexion sur le dème et sa fonction au sein de la démocratieathénienne (OSBORNE, Demos, p. 80-83 et WHITEHEAD, Demes, p. 255s.) ou bien dans une réflexionsur les communautés athéniennes vivant en dehors de l’Attique (N. SALOMON, Le cleruchie di Atene :Caratteri e funzione, Pise, 1997, p. 106). Dans une perspective proche, JONES, Associations rompt in fineavec la problématique centre/périphérie car il croit discerner dans les associations qu’il étudie uneréponse au manque de représentativité des institutions centrales (Ibid., p. 32 pour une présentationrapide). Ce faisant, il introduit des notions anachroniques que nous ne retenons pas.3 N.F. JONES, Public Organization in Ancient Greece : A Documentary Study, Philadelphie, 1987, p. 1recourt lui au concept de “public organization” en tant que “apparatus of units, whether of territory orpopulation, through which the state conducted its business”. Si certains éléments diffèrent des institu-tions auxquelles nous faisons ici référence, il n’en demeure pas moins que l’élément essentiel, un inter-médiaire assurant le fonctionnement de la cité, y figure.4 À la différence de JONES, Associations, p. 198-199, nous considérons cependant que le dème assure bonnombre des fonctions administratives nécessaires à la bonne marche de la cité.5 La communication écrite fait l’objet de la troisième partie.6 HDT 5.66 et 69.

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semble des mesures prises par l’Alcméonide. Les réformes de Clisthène sont sansconteste déterminantes dans notre perspective car elles impliquent un recours massifà des documents écrits. On pense notamment au registre de dème qui fonde lacitoyenneté ou même à la révision des listes de citoyens. La tentation est grande d’at-tribuer au législateur non seulement l’ensemble de ces réformes mais aussi de leconsidérer comme un innovateur. La difficulté principale réside dans la nécessairedistinction entre les décisions prises par Clisthène et celles que la tradition lui prête.L’existence de possibles précédents soloniens constitue une possibilité d’éviter enpartie ce danger.

Diodore mentionne une loi de Solon qui, à l’imitation d’une disposition égyp-tienne, exigerait des citoyens une déclaration écrite (épogrãfesyai) de leur for-tune7 :

Proset°takto d¢ ka‹ pçsi to›w Afigupt$oiw épogrãfesyai prÚw toÁwêrxontaw épÚ t$nvn ßkastow por$zetai tÚn b$on, ka‹ tÚn §n toÊtoiw yeusã-menon µ pÒron êdikon §pitelounta yanãyƒ perip$ptein ∑n énagka›on.L°getai d¢ toËton tÚn nÒmon ÍpÚ SÒlvnow parabalÒntow efiw A‡gupton efiwtåw ÉAyÆnaw metenexy∞nai.

“Il était enjoint à tout Égyptien de déposer auprès des magistrats une déclarationécrite sur les sources de ses revenus, et quiconque faisait une fausse déclaration à cesujet ou se procurait des gains illicites devait être condamné à mort. On dit quecette loi fut apportée à Athènes par Solon à la suite de son voyage en Égypte”.

Il s’inspirait sans doute d’Hérodote qui affirme8 :

NÒmon d¢ Afigupt$oisi tÒnde ÖAmas$w §sti ı katastÆsaw, épodeiknÊnai¶teow •kãstou t“ nomãrx˙ pãnta tinå Afigupt$vn ˜yen bioËtai: mØ d¢poieËnta taËta mhd¢ épofa$nonta dika$hn zÒhn fiyÊnesyai yanãtƒ. SÒlvnd¢ ı ÉAyhna›ow lab∆n §j AfigÊptou toËton tÚn nÒmon ÉAyhna$oisi ¶yeto:

“C’est Amasis qui imposa cette loi aux Égyptiens : que tout Égyptien, chaqueannée, fît connaître au nomarque ses moyens d’existence ; que quiconque ne leferait pas et ne justifierait pas de ressources honnêtes serait puni de mort. Solond’Athènes a pris cette loi en Égypte pour l’établir chez les Athéniens ; et ceux-cil’observent à tout jamais, comme une loi parfaite”.

L’historien d’Halicarnasse utilise deux verbes, épofa$nein et épodeiknÊnai, quin’impliquent pas nécessairement le recours à l’écrit9. Une déclaration orale devant unmagistrat compétent serait donc une autre possibilité que l’écriture. Mais auIVe siècle toutes ces procédures requièrent des documents écrits. Si le citoyen secontentait de faire une déclaration orale, il est difficile d’admettre que les magistratsécoutaient simplement, sans prendre note, alors même que de nombreuses per-sonnes écrivaient au VIe siècle et que la cité utilisait déjà l’écriture. Cette disposition

174 LES ARCHIVES DANS L’ATHÈNES CLASSIQUE

7 D.S. 1.77.5 (trad. CUF).8 HDT 2.177 (trad. CUF).9 SICKINGER, Public Records, p. 35. Il en conclut qu’il n’est pas possible d’analyser ces deux passages.

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solonienne est en outre compatible avec le classement censitaire et avec l’idéeavancée par l’auteur de la Constitution des Athéniens selon laquelle les pentacosiomé-dimnes n’étaient pas tous riches à la fin du IVe siècle mais pouvaient encoreconserver leur place dans la classification censitaire solonienne10. Cela suppose l’exis-tence de listes censitaires, en l’occurrence d’une liste centralisée. Du reste, lorsque lessources mentionnent pour la première fois une révision de la liste des citoyens, aumoment de la réforme de Clisthène, elles laissent deviner l’existence préalable d’untel document.

Selon la Constitution des Athéniens, une réorganisation du corps des citoyens etune révision des listes ont été faites lorsque la tyrannie cessa11. Cette phrase impliquel’existence antérieure de listes, dès l’époque de Solon et leur conservation sur laquelleles sources n’ont laissé aucun témoignage. N’est-ce pas un anachronisme ? Philo-choros cite une disposition, vraisemblablement solonienne, qui indique qu’unhomme est citoyen s’il appartient à une phratrie12. La vérification/révision a pu sedérouler dans le cadre de cette institution dont rien ne laisse supposer la disparitionpendant la période de la tyrannie des Pisistratides13. Notre connaissance de l’organi-sation politique d’Athènes avant les réformes de Clisthène est toutefois très modeste,à plus forte raison en ce qui concerne les phratries14. D’autres structures, comme lesnaucraries, ont très bien pu jouer un rôle fondamental dans la cité à l’époquearchaïque.

1. Les réformes clisthéniennes et le recours aux documents écrits

A. PHRATRIES ET NAUCRARIES AVANT LES RÉFORMES CLISTHÉNIENNES

“Pour les familles, les phratries et les sacerdoces, [Clisthène] laissa chacun lesconserver selon les traditions des ancêtres”, déclare la Constitution des Athéniens15.Comment apprécier cette affirmation ?

Trois témoignages directs nous renseignent sur les phratries avant 51016. Un frag-ment de la Constitution des Athéniens parle de quatre tribus divisées en douze unitésappelées trittyes ou phratries, chacune de ces dernières comprenant trente génè de

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10 PS-ARSTT, Ath. pol., 47.1 : “[Les trésoriers d’Athéna] sont au nombre de dix, tirés au sort, un partribu, parmi les pentacosiomédimnes : ainsi le veut la loi de Solon — car elle existe encore ; mais celuique le sort a désigné exerce les fonctions, même s’il est très pauvre”. RHODES, Commentary, p. 551explique le maintien de cette disposition par deux hypothèses. Soit le respect n’était que nominal — enfait, tout le monde pouvait se présenter —, soit chaque candidat déclarait qu’il était pentacosiomé-dimne, sans qu’il soit possible de le contester (cf. PS-ARSTT, Ath. pol., 7.4 avec le commentaire deRHODES, Commentary, p. 145-146).11 PS-ARSTT, Ath. pol., 13.512 PHILOCHOROS, FGrHist 328 F 35 et F. JACOBY, Die Fragmente der Griechischen Historiker. Dritter Teil.Suppl. A Commentary on the Ancient Historians of Athens. Vol. I Text, Leyde, 1954, p. 321-322).13 M. OSTWALD, Nomos and the Beginnings of the Athenian Democracy, Oxford, 1969, p. 141-142.14 Voir cependant LAMBERT, Phratries.15 PS-ARSTT, Ath. pol., 21.6 (trad. CUF).16 Pour l’essentiel, nous reprenons ici les conclusions tirées par LAMBERT, Phratries, p. 245-275, chapitredans lequel il étudie la nature et les fonctions de la phratrie jusqu’au début du Ve siècle.

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trente hommes chacun. Mais S. D. Lambert laisse de côté ce passage qu’il juge noncrédible17. La loi de Dracon sur l’homicide republiée en 409/8 admet que le crimenon prémédité peut être pardonné par la parentèle du défunt. Si ce dernier n’a pasde famille, alors sa phratrie y supplée. Cela implique que chaque Athénien apparte-nait à une phratrie, tout comme à l’époque classique18. De plus, le nombre de frèresrequis pour trancher l’affaire est identique à celui qui est nécessaire plus tard àl’examen des cas de citoyenneté ou d’héritage. La seule différence notable avecl’époque ultérieure concerne l’éminence des membres choisis (aristeiden), ce qui nesurprend pas pour le VIIe siècle. La troisième mention est un extrait de loi solo-nienne, mais le texte est interpolé. Cette disposition autorise les phratries, entreautres, à produire leurs propres réglementations à partir du moment où elles necontredisent pas les textes publics (tå dhmÒsia grãmmata)19.

Le rôle des phratries avant 510 ne peut donc être déterminé au moyen de ces seulstémoignages. Il est dès lors nécessaire de mener une réflexion plus générale sur lesgroupes dans lesquels les Athéniens se répartissaient pour les affaires politiques, enparticulier les naucraries20. Dans leur ensemble, les sources indiquent un statut offi-ciel et des pouvoirs importants pour ces dernière21. La nature précise de leurs attri-butions, notamment le lien éventuel que cette institution entretient avec la marine,fait encore débat aujourd’hui22. Si l’on en croit l’auteur de la Constitution des Athé-niens, “[Clisthène] établit aussi des démarques qui avaient la même fonction que lesanciens naucrares ; car il mit les dèmes à la place des naucraries”23.

L’Alcméonide n’a pas créé les dèmes24. “Il a fait co-démotes ceux qui habitaientdans chacun des dèmes”25. Il a transformé les dèmes en institution politique. “Ledémote serait le premier visage du nouveau citoyen athénien”26. L’expression“dhmÒtaw §po$hsen éllÆlvn” insiste sur les relations de solidarité entre les nou-

176 LES ARCHIVES DANS L’ATHÈNES CLASSIQUE

17 Ibid., p. 248 à propos du fr. 3 de la Constitution des Athéniens et Appendice 2, p. 371-380.18 Nous faisons l’hypothèse que la loi de Dracon est authentique ou du moins que son contenu corres-pond à l’original sans en reprendre le texte au mot près.19 SOLON fr. 76a Ruschenbusch.20 Pour la bibliographie ancienne, outre Ch. HIGNETT, A History of the Athenian Constitution to the Endof the Fifth Century B.C., Oxford, 1952, p. 68-74, voir B. JORDAN, Herodotos 5.71.2 and the Nau-kraroi of Athens, CSCA 3, 1970, p. 153 n.1 ; plus récemment, voir J.-C. BILLGMEIER et A.S. DUSING,The Origin and Function of the Naukraroi at Athens : an Etymological and Historical Explanation,TAPhA 111, 1981, p. 11-16, RHODES, Commentary, p. 151-153, V. GABRIELSEN, The Naukrariai andthe Athenian Navy, C&M 36, 1985, p. 21-51, S.D. LAMBERT, Herodotus, the Cylonian Conspiracyand the prutane›w t«n naukrãrvn, Historia 35, 1986, p. 105-112, WHITEHEAD, Demes, p. 33-34,GABRIELSEN, Financing, p. 19-24, M. OSTWALD, Public Expense : Whose Obligation ? Athens 600-454B.C.E., PAPhS 139, 1995 p. 368-379 et H.T. WALLINGA, The Athenian Naukraroi, in H. SANCISI-WEERDENBURG (éd.), Peisistratos and the Tyranny. A Reappraisal of the Evidence, Amsterdam, 2000,p. 131-146 (en particulier p. 131-133 qui traduit l’ensemble des sources).21 BILLGMEIER et DUSING, op. cit., p. 11.22 Les différentes positions sont rappelées par WALLINGA, op. cit., p. 134-136.23 PS-ARSTT, Ath. pol., 21.5 (trad. CUF) : Kat°sthse d¢ ka‹ dhmãrxouw tØn aÈtØn ¶xontaw§pim°leian to›w prÒteron naukrãroiw: ka‹ går toÁw dÆmouw ént‹ t«n naukrari«n §po$hsen.24 Sur la question des dèmes avant Clisthène, cf. WHITEHEAD, Demes, p. 3-16.25 PS-ARSTT, Ath. pol., 21.4 (trad. CUF) : dhmÒtaw §po$hsen éllÆlvn toÁw ofikoËntaw §n •kãstƒt«n dÆmvn.26 J. DUCAT, Aristote et la réforme de Clisthène, BCH 116, 1992, p. 43.

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veaux citoyens qui sont basées sur le domicile, ofikoËntaw, et non plus sur la nais-sance.

Un passage de Cleidémos semble toutefois proposer une autre version27 :

ÑO Kle$dhmow §n tª tr$t˙ fhs‹n ˜ti Kleisy°nouw d°ka fulåw poiÆsantowént‹ t«n tessãrvn, sun°bh ka‹ efiw pentÆkonta m°rh diatag∞nai aÈtoÊw, ì§kãloun naukrar$a<w>, Àsper nËn efiw tå •katÚn m°rh diairey°nta<w>kaloËsi summor$aw.

“Cleidémos dit dans son troisième livre que Clisthène a créé dix tribus à la placedes quatre existantes qu’il a divisées en cinquante parts qui étaient nommées nau-craries, comme maintenant on nomme symmories ce qui a été divisé en cent par-ties”.

Trois éléments s’opposent au témoignage de la Constitution des Athéniens. Pre-mièrement, Cleidémos affirme que les naucraries continuèrent d’exister après laréforme clisthénienne ; il n’est pas fait mention des naukraroi. Deuxièmement, il encompte cinquante. Troisièmement, il envisage que tous les Athéniens étaient intégrésdans les naucraries. Beaucoup d’historiens ont accordé leur confiance à Cleidémos.Il ne s’agit pourtant que d’un extrait choisi par Photios, un compilateur duVIIe siècle ap. J.-C., extrait dont nous ignorons la provenance précise. L’a-t-il recopiédirectement ou provient-il d’une autre compilation ? La source de Cleidémos, pos-térieure à la Constitution des Athéniens, est en outre inconnue. Le contenu de ce texten’est pas exempt d’ambiguïtés voire d’imprécisions. Il donne l’impression que lesnaucraries n’ont pas été réorganisées à l’époque de Clisthène mais créées (§kãlounnaukrar$aw), ce qui contrediraient les sources des Ve et IVe siècles28. En dépit desdoutes portés sur la véracité du passage de Cleidémos, son témoignage ne peut êtrerévoqué à coup sûr. Cependant, il ne saurait être retenu comme preuve formelle d’er-reurs commises par la Constitution des Athéniens29. Il paraît plus intéressant de s’in-téresser aux fonctions des naucraries et de chercher d’une part à établir des parallèlesavec celles des dèmes et d’autre part de montrer les éventuelles différences existantentre les deux institutions30.

Les différentes sources dont nous pouvons disposer démontrent que les naucraresétaient un corps de magistrats chargés d’affaires financières. L’auteur de La Consti-tution des Athéniens, s’il commet un anachronisme en employant le terme d’eisphora,fait néanmoins référence à des lois de Solon31 :

ARCHIVES OFFICIELLES PÉRIPHÉRIQUES 177

27 CLEIDÉMOS, FGrHist 323 F 8 ; pour une analyse de ce passage, cf. GABRIELSEN, op. cit., 1985, p. 33-38.28 Respectivement PS-ARSTT, Ath. pol., 8.3 et HDT 5.71.2. Cela dépend toutefois du sens que l’onaccorde à §kãloun naukrar$aw qui pourrait aussi renvoyer à une création antérieure à Clisthène, cf.infra.29 C’était la position défendue par de HIGNETT, op. cit., p. 130.30 Avec des finalités et une démonstration différentes, WALLINGA, op.. cit., parvient à la même conclu-sion, la continuité administrative entre les dèmes et les naucraries.31 PS-ARSTT, Ath. pol., 8.3 (trad. CUF). Cf. également POLL., Onom., 8.108, HÉSYCHIOS, s.v. naÊ-kraroi et PHOT., s.v. naÊkraroi (seul à mentionner la charge de mise en location des terres publiques).

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âHn d' §p‹ t«n naukrari«n érxØ kayesthku›a naÊkraroi, tetagm°nh prÒwte tåw efisforåw ka‹ tåw dapãnaw tåw gignom°naw: diÚ ka‹ §n to›w nÒmoiw to›wSÒlvnow o‰w oÈk°ti xr«ntai pollaxoË g°graptai: toÁw naukrãrouwefisprãttein, ka‹ ... énal$skein §k toË naukrarikoË érgur$ou.

“Les magistrats placés à la tête des naucraries étaient les naucrares, qui s’occupaientde la levée de l’impôt et des dépenses à faire ; c’est pourquoi dans les lois de Solontombées en désuétude il est souvent écrit : ‘les naucrares feront rentrer telle contri-bution’ et : ‘La dépense sera prise sur la caisse des naucrares’”.

L’extrait de la Constitution des Athéniens laisse penser que d’autres magistrats queles naucraroi pouvaient avoir accès aux trésors des naucraries ; Androtion nousapprend que les kolakrètai avaient autorité pour utiliser les fonds de cette caisse envue des dépenses de la théorie de Delphes32. Les naucrares étaient donc les percep-teurs des taxes de l’Athènes archaïque33. Peut-on en dire autant pour les démarquesensuite ? Ces derniers pouvaient saisir des fortunes de démotes en cas de dettesacquises auprès du dème ou auprès de personnes privées34. B. Haussoullier considé-rait cette charge comme un élément des “fonctions de police” qu’ils exerçaient plusgénéralement35. Aucun commentateur n’a noté jusque là un possible héritage de lanaucrarie. La perception des eisphorai se faisait dans le cadre du dème, sous l’auto-rité du démarque, jusqu’en 378/7, lors de la création des symmories36. D’autrescontributions sont perçues par le démarque, comme le montrent deux inscriptions37.

Les possibles parallèles entre le magistrat placé à la tête du dème et ceux gouver-nant les naucraries butent sur la question des prytanes des naucrares qu’Hérodoteévoque en ces termes38 : “les prytanes des naucrares, qui percevaient les taxes àAthènes la ville à cette époque, l’en écartèrent [Cylon] ainsi que ses complices en leurpromettant qu’ils n’encourraient pas la peine de mort”. Mais Thucydide affirme luique les neuf archontes étaient les magistrats les plus importants de la cité lorsqu’ilnarre à son tour la conspiration cylonienne39.

Selon B. Jordan, la compréhension du passage d’Hérodote repose sur le sens duverbe ¶nemon qu’il emploie pour désigner la fonction des naucrares et qui jusque là

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32 ANDROTION, FGrHist 324 F 36 (apud schol. à AR., Ois., 1541 : tÚn kvlakr°thn: tÚn tam$an t«npolitik«n xrhmãtvn [suit une citation d’Aristophane le grammairien] …w ÉAndrot$vn grãfeioÏtvw: “to›w d¢ fioËsi Puy«de yevro›w toÁw kolakr°taw didÒnai §k t«n naukrarik«n §fÒdionérgÊria, ka‹ efiw êllo ˜ ti ín d°hi énal«sai. Ce passage est traduit et commenté par Ph. HAR-DING, Androtion and the Atthis, Oxford, 1994, respectivement p. 68-69 et p. 134-138). Cf. WAL-LINGA, op. cit., p. 143.33 Cf. l’analyse de OSTWALD, op. cit.34 Pour toutes les références des sources, cf. WHITEHEAD, Demes, p. 124-127.35 B. HAUSSOULLIER, La vie municipale en Attique. Essai sur l’organisation des dèmes au IVe siècle, Paris,1884, p. 95, 103-104 et 106.36 J.K. DAVIES, Wealth and the Power of Wealth in Classical Athens, New-York, 1981, p. 143-150. C’estdu reste ce qu’affirme PS-ARSTT, Ath. pol., 21.5 ; cf. aussi infra.37 IG I3, n° 78 et n° 138 et le commentaire de M.H. JAMESON, Apollo Lykeios in Athens,ÉArxaiovnvs$a 1, 1980, p. 213-235 (cf. infra).38 HDT 5.71.2 (trad. CUF modifiée) : ToÊtouw énistãsi m¢n ofl prutãniew t«n naukrãrvn, o· per¶nemon tÒte tåw ÉAyÆnaw, ÍpeggÊouw plØn yanãtou.39 THC 1.126.8.

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a été traduit par “administraient” ou bien “gouvernaient”40. Il remarque que l’histo-rien d’Halicarnasse utilise ce verbe dans le sens susdit à quatre reprises41. Une étudeprécise de la forme moyenne de n°mv l’amène à cette conclusion42. “Nemesthaiconstrued with the accusative of the word denoting the source from which some-thing is taken has the normal and well attested meaning “to draw revenues from,”“collect an income from”. The source of the revenues, their form, and the methodwhereby they are obtained may vary”43. Dès lors, le passage controversé d’Hérodotedevrait être compris comme suit : les prytanes des naucrares étaient “ceux qui perce-vaient à cette époque les taxes à Athènes”. Un dernier obstacle doit être cependantlevé44. L’historien d’Halicarnasse utilise la forme active de n°mv et non la formemoyenne. Une erreur dans le manuscrit est toujours possible : ¶nemon est proche de§n°monto surtout lorsqu’il est suivi de tÒte45. Or un manuscrit du XIVe siècle, certesfortement interpolé par ailleurs, donne la forme moyenne pour ce passage.

Si l’on suit cette hypothèse, on comprend mal à quel titre des percepteurs de lacité négocieraient avec des conspirateurs. B. Jordan résolvait cette difficulté en ten-tant de démontrer que les prutãniew t«n naukrãrvn étaient les ancêtres destamiai et qu’à ce titre ils veillaient principalement à ce que l’ordre fût maintenu dansle temple et que personne ne touchât à la déesse ; d’où leur intervention dans l’af-faire cylonienne46. Ce dernier point ne repose sur aucune source et n’est donc pasconvaincant. R. Develin propose une interprétation différente47. Il comprend lestatut des prutãniew t«n naukrãrvn comme équivalent à celui des prytanes bou-leutes. Chacune des quatre tribus se composait de douze naucraries et à la tête dechacune d’elle se trouvait un naucraros48. Il y avait donc quarante-huit magistratsdont les finances publiques constituaient la responsabilité principale. Si l’étymologiese rapporte au temple, alors un lien existe avec les trésoriers49. Les naucrares avaient

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40 JORDAN, op. cit. Il revient sur certains aspects de sa démonstration ultérieurement sans toutefois pro-poser une alternative à ce qui suit (B. JORDAN, The Naukraroi of Athens and the Meaning of n°mv,AC 61, 1992, p. 60-79).41 HDT 1.59 ; 5.29 ; 5.92 ; 7.158.42 En reprenant RHODES, Commentary, p. 152, LAMBERT, op. cit., 1986, p. 106-107 a tenté de repousserl’hypothèse de B. Jordan. Le verbe nem°syai dans les passages cités par ce dernier posséderait le sensde “percevoir des sommes pour son propre compte” et non en tant que magistrats de l’État. Mais uneétude de l’usage de ce verbe chez Thucydide montre que le sens de “perception fiscale” est attesté(Chr. PÉBARTHE, Thasos, l’empire d’Athènes et les emporia de Thrace, ZPE 126, 1999, p. 132-134 avecpar exemple, THC 1.100.2.).43 JORDAN, op. cit., 1970, p. 171.44 Ibid., p. 172.45 Ce type d’arguments est très dangereux car il peut amener à tout remettre en cause. Pour autant, dansce cas précis, il paraît acceptable, d’autant plus qu’il est renforcé par un deuxième élément.46 Ibid., p. 173-174.47 R. DEVELIN, Prytany Systems and Eponyms for Financials Boards in Athens, Klio 68, 1986, p. 67-83.48 PS-ARSTT, Ath. pol., 8.3.49 L’étymologie ne permet pas de trancher véritablement. Trois positions ont été développées jusque là.Défendue en dernier lieu par WALLINGA, op. cit., la première établit un lien entre le préfixe nau- et lemot naus, navire (POLL., Onom., 8.108 fut le premier à établir l’analogie entre les naucraries et la flotte ;GABRIELSEN, Financing, p. 19-24 et ID., op. cit., 10985, p. 47 met en doute les témoignages des lexico-graphes et récuse cette hypothèse). BILLGMEIER et DUSING, op. cit., développent une interprétation dif-férente. Nau- se rapporte à naôs, le temple ; l’institution remonterait aux Âges Obscurs au moins. Enfin,

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donc une responsabilité à l’égard des trésors des temples, ce qui justifie leur présencelors de l’affaire cylonienne, du moins celle des prytanes. Leur nombre important per-mettait une rotation de quatre naucrares tous les mois, dès lors qu’un certain nombred’entre eux demeuraient au centre politique de la cité. Hérodote décrit un tel sys-tème de mutation dans l’année pour les stratèges au cours de la bataille de Mara-thon50. L’inscription de l’Hécatompédon démontre que les trésoriers ne devaient pasêtre présents pendant tout le temps de leur charge51. Un seul tamias était dans l’obli-gation de demeurer sur l’Acropole lorsqu’un certain événement survenait (fête reli-gieuse ?). Plus loin, la présence d’un tiers seulement du collège est requise52. R.Develin déduit de ce qui précède l’existence d’une rotation au moyen d’un systèmede prytanies pour les trésoriers tout comme pour les naucraries53. S. D. Lambert quine connaissait pas cet article n’est pas loin de partager le même avis mais il établit unparallèle légèrement différent. “There is an immediately striking parallel betweennot only the name of the officials but also the nature of their attested activity in theCylonian affair, and the bouleutic prytanies of the classical period”54.

Ainsi, le registre, si registre il y a, ne pouvait provenir que des naucraries, mêmesi rien ne permet d’affirmer l’existence de telles archives avant Clisthène en l’étatactuel de nos connaissances55. Il trouverait son origine dans la mise en place de la fis-calité, en lien direct avec les fonctions des naucrares56. Quant à la phratrie, elleconserva sa fonction, sans que celle-ci soit jamais déterminante57.

B. RÉFORME CLISTHÉNIENNE ET RÉVISION DE LA LISTE DES CITOYENS (DIAPSÈ-PHISMOS)

Androtion donne une définition de la diacÆfisiw, synonyme de diachfismÒw.Il s’agit d’un recensement des habitants des dèmes destiné à déterminer lesquelsétaient demotes et citoyens et lesquels étaient des étrangers inscrits par erreur58.Cette définition s’applique à coup sûr à la révision de 346/559. F. Jacoby considérait

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récemment, naô a été proposé, c’est-à-dire “résider” et klèros pour le sens de kraros. GABRIELSEN, Finan-cing, p. 24 conclut : “Three rival theories launched into the academic battleground do not increase ourconfidence in explanations based on etymology”.50 HDT 6.110.51 IG I3, n° 4.52 IG I3, n° 4B, l. 18-21.53 DEVELIN, op. cit., 1986, p. 71.54 LAMBERT, op. cit., 1986, p. 112 ; il pense à PS-ARSTT, Ath. pol., 44.1. Plus loin, il envisage même queles prutãniew t«n naukrãrvn soient les prédecesseurs institutionnels des prytanes de la Boulè.55 WALLINGA, op. cit., p. 144-145 envisage pour les naucraries l’existence de registres dans lequels figu-raient les noms des rameurs ou l’équipement des navires.56 PS-ARSTT, Ath. pol., 21.5 laisse du reste à penser que l’accès à la citoyenneté dépendait des naucra-ries. Sur les fonctions fiscales des naucraries, voir en dernier lieu OSTWALD, op. cit.57 LAMBERT, Phratries, p. 261 : “The phratry was no more a determinant of political power structuresbefore Cleisthenes than after”.58 ANDROTION, FGrHist 324 F 52. Cf. en dernier lieu le commentaire de HARDING, op. cit., 1994,p. 174-178.59 Cf. infra.

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qu’il y avait eu des précédents comme le contrôle de 445/460. Qu’en est-il du dia-chfismÒw de l’époque clisthénienne évoqué dans la Constitution des Athéniens ?61

Nos sources livrent des témoignages contradictoires62. Dans le Politique, Aristotemet en avant le fort accroissement du corps des citoyens : “il incorpora beaucoupd’étrangers et d’esclaves”63. Or, cette affirmation est en opposition avec la Constitu-tion des Athéniens selon laquelle la révision permit d’exclure ceux qui jouissaientindûment des droits politiques64. Si l’on accepte la véracité de ces deux témoignages,il faut concevoir le diachfismÒw comme une réaction aristocratique visant à res-treindre en nombre le peuple et donc à affaiblir son pouvoir accru depuis Solon etrenforcé sous les Pisistratides65. Clisthène aurait alors répondu par l’accroissementnumérique du corps des citoyens afin d’installer définitivement son pouvoir. L’hy-pothèse d’une révision s’accorde toutefois mal avec le témoignage d’Hérodote66. Cedernier mentionne l’expulsion des Alcméonides mais il ne cite pas le diachfismÒwdont parle la Constitution des Athéniens, ni sa conséquence, l’accroissement du dèmos,sur lequel insiste le Politique.

Comme point de départ, il convient de partir de l’affirmation suivante67 : ıKleisy°nhw proshgãgeto tÚn d∞mon, épodidoÁw t“ plÆyei tØn polite$an.Deux traductions de cette phrase ont été proposées. La première comprend “donnerla citoyenneté à la masse” ; la deuxième “rendre la citoyenneté à ceux qui l’avaientperdue”. Cette dernière repose sur la phrase du Politique dont il a été montré ci-

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60 JACOBY, Vol. I Text, p. 158-162.61 PS-ARSTT, Ath. pol., 13.5 cité supra. Dans l’ensemble, les historiens ont peu remis en cause le dérou-lement d’une telle procédure (RHODES, Commentary, p. 188 : “There is no need to doubt it”. Cf. aussiC.W. FORNARA, The Diapsephismos of Ath. Pol. 13.5, CPh 65, 1970, p. 243-246 et R.S. STROUD, StateDocuments in Archaic Athens, in Athens comes from Age. From Solon to Salamis, Papers of a Symposiumof Archaeological Institute of America, Princeton, 1978, p. 29-30 et SICKINGER, Public Records, p. 54).HIGNETT, op. cit., p. 132-142 s’interroge surtout sur la nature exacte de la révision.62 JACOBY, Vol. I Text, p. 158s. et HIGNETT, op. cit., p. 132-133.63 ARSTT, Pol., 3.2.3. 1275b : polloÁw går §ful°teuse j°nouw ka‹ doÊlouw [meto$kouw]. L’éditionCUF retient ce dernier mot. Or, F. JACOBY, Die Fragmente der Griechischen Historiker. Dritter Teil.Suppl. A Commentary on the Ancient Historians of Athens. Vol. II Notes, Leyde, 1954, p. 143 n. 15 leconsidère interpolé et le comprend comme étant une explication du statut précis des étrangers men-tionnés dans la phrase, ce qui paraît logique. Fr. RUZÉ, Délibération et pouvoir dans la cité grecque deNestor à Socrate, Paris, 1997, p. 391 partage cette opinion : “ajoutons que rien ne nous autorise à ima-giner une volonté chez Clisthène de définir un groupe de métèques : c’est la définition des citoyens quien créera le besoin”.64 PS-ARSTT, Ath. pol., 13.5.65 HIGNETT, op. cit., p. 132-142.66 E. DAVID, A Preliminary Stage of Cleisthenes’ Reforms, CA 5, 1986, p. 1-13 tente de démontrer queles deux sources, la Constitution des Athéniens et Hérodote, ne décrivent pas la même réforme. “Hero-dotus described a preliminary stage of the reforms, which preceded the Spartan intervention, whereasAristotle only hinted at that stage and concentrated on the description on the reforms in their finalform”, (p. 2). Cette première étape de la réforme comprendrait seulement la division de l’Attique endix tribus, respectivement placées sous l’autorité d’un phylarque et composées de dix dèmes. Cette pré-cision chiffrée a été contestée mais elle prend une importance toute différente dans l’optique d’uneréforme préliminaire. Elle reflèterait plutôt le projet du législateur. Aristote, utilisant des sources pro-clisthéniennes, insisterait sur l’accès à la citoyenneté d’un grand nombre de citoyens (PS-ARSTT, Ath.pol., 21.2). Cette approche intéressante des deux sources n’évoque pas la question du diapsèphismos.67 PS-ARSTT, Ath. pol., 20.1.

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dessus qu’elle ne pouvait être comprise ainsi. T“ plÆyei ne peut en outre être assi-milé à “ceux qui l’avaient perdue”, ce qui impliquerait un diachfismÒw antérieur àla réforme clisthénienne en lien avec l’instauration d’une nouvelle politeia sous l’au-torité d’Isagoras. Ph. Manville propose alors la traduction suivante : “Kleisthenestook the demos into partnership by rendering to all Athenians what was their due :citizenship”68. Cette volonté du législateur se retrouve dans une autre phrase, “afinque davantage de gens aient part à la citoyenneté”69. La définition de la citoyenneténe posait plus de problème, elle avait pour fondement l’inscription dans le dème70.Il était nécessaire dès lors de procéder à un examen avant d’inscrire les noms. Desdocuments émanant d’anciennes structures politiques ont dû être utilisés. Mais, l’as-semblée de chaque dème a pu s’appuyer aussi sur sa connaissance des individus pourdécider. Les éventuels cas litigieux dans les grands dèmes ont peut-être donné lieu àune procédure plus formalisée impliquant un recours à des archives, celles des phra-tries ou celles des naucraries.

Par l’inscription du citoyen dans chaque dème, trace définitive de son action,Clisthène effaçait les réformes précédentes, c’est-à-dire celle résultant de la fin de latyrannie en 510 et s’éloignait des anciennes institutions71. Le terme de diach-fismÒw est bien entendu impropre. L’Alcméonide n’a pas révisé la liste des citoyens,il en a constitué une sur des bases nouvelles. Pour un auteur du IVe siècle commeAndrotion, cela évoquait un diachfismÒw ; pour Hérodote, il s’agissait de réparerune injustice, la mise à l’écart du dèmos (d∞mon prÒteron épvsm°non) découlantde l’affrontement entre Isagoras et Clisthène72. Tout cela fait partie d’une seule etunique réforme, “a single package of measures”, qui reposait en majorité sur l’enre-gistrement au sein du dème73. Une grande liberté d’inscription aurait dû être le cas.Mais dès lors, la portée générale de la réforme s’en trouvait limitée. Clisthène a doncdû d’abord commencé par l’inventaire des dèmes, puis il lui fallait définir la procé-dure d’enregistrement elle-même, une commission ad hoc ayant pu être nommée74.Ou plus vraisemblablement, cette charge fut confiée aux démarques, seuls magistratsdes dèmes dont l’existence est attestée dans nos sources pour 508/775. La procéduredevait être centralisée, d’autant plus que les démotes n’étaient pas encore désignés.Enfin, Clisthène détermina la représentation des dèmes au sein du Conseil. Le choixdes bouleutes par rapport aux dèmes et non plus par rapport aux tribus constituaitune grande nouveauté et supposait certaines prévisions.

Cette volonté de changement qui se manifeste dans l’action de l’Alcméonide seretrouve aussi dans un autre élément de la réforme, le nombre de tribus76. Les com-mentateurs trouvent cette idée étrange car c’est surtout la transformation de lanature des tribus qui est importante. Qu’a donc voulu dire l’auteur de la Constitu-

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68 Ph.B. MANVILLE, The Origins of Citizenship in Ancient Athens, Princeton, 1997, p. 187.69 PS-ARSTT, Ath. pol., 21.2 : ˜pvw metãsxvsi ple$ouw t∞w polite$aw. Nous suivons ici la traductionet justification de DUCAT, op. cit., p. 38-39.70 PS-ARSTT, Ath. pol., 21.4 cité supra.71 WHITEHEAD, Demes, p. 31 n. 118.72 HDT 5.69.2 avec l’interprétation de FORNARA, op. cit., p. 246.73 WHITEHEAD, Demes, p. 32.74 DAVID, op. cit., défend également un étalement dans le temps mais en fonction d’autres arguments.75 PS-ARSTT, Ath. pol., 21.5.76 PS-ARSTT, Ath. pol., 21.3 en fait un élément essentiel.

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tion des Athéniens ? Vraisemblablement que Clisthène avait eu l’intelligence de sedémarquer le plus possible des institutions précédentes, voire de les contourner oude les abolir, afin de se donner les meilleures chances de réussite77. Cela incluait-ill’existence du registre de dème ou bien l’inscription s’est-elle faite selon une autremodalité ? Pour le dire plus directement, Clisthène a-t-il dans sa réforme créé lesregistres de dème et le principe d’inscription par le démarque ?

C. LE REGISTRE DE DÈME78

Le lhjiarxikÚn grammate›on apparaît dans nos sources dans la deuxièmemoitié du Ve siècle dans un décret instituant une taxe votée par l’assemblée athé-nienne, qui porte sur le misthos d’individus inscrits dans les registres de dème79.Cette inscription paraît confirmer le témoignage de certains scholiastes et lexico-graphes qui affirmaient que l’expression lhjiarxikÚn grammate›on provenait del∞jiw, le patrimoine, et que figuraient dans le registre seulement ceux qui dispo-saient d’une certaine quantité de biens80. Ce terme signifie à l’origine “tirage ausort”, puis devint synonyme de kl∞row ou d’oÈs$a, en bref de patrimoine81. Celaexpliquerait pourquoi au IVe siècle l’incapacité juridique des éphèbes ne concernaitpas les affaires d’héritage. Le scholiaste d’Eschine résume ainsi cette idée82 : “ Ceregistre (…) fut appelé lhjiarxikÚn parce que ceux qu’on y inscrivait avaient la dis-position de la l∞jiw, c’est-à-dire de l’héritage”. Une fois inscrit, l’Athénien était librede toute tutelle et pouvait éventuellement recueillir ou réclamer les héritages aux-quels il avait droit. Il acquérait aussi les droits politiques.

Le décret de Trézène, dit loi navale de Thémistocle, évoque aussi le lhjiarxikÚngrammate›on, ce qui pour les commentateurs constitue l’un des points essentiels83.Certains repoussent ce document parce qu’il laisse entendre que des thètes figuraientsur le registre, ce qui ne correspondrait pas à la situation que nous connaissons parailleurs de l’Athènes du début du Ve siècle. Pourtant, certains arguments peuventêtre avancés pour rejeter l’idée d’une non inscription de la quatrième catégorie solo-nienne dès cette époque. Si l∞jiw possède bien le sens de fortune, “l’insistance est

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77 Sur tous ces points, nous suivons les conclusions DUCAT, op. cit.78 La bibliographie sur le sujet est relativement abondante : voir HAUSSOULLIER, op. cit., E. KOCH,LhjiarxikÚn grammate›on, in Griechische Studien H. Lipsius zum sechzigsten Geburtsag dargebracht,Leipzig, 1884, p. 11-17, J. TOEPFFER, Das attische Gemeindebuch, Hermes 30, 1895, p. 391-400,J.J.E. HONDIUS, Quid sit tÚ koinÚn grammate›on ?, Mnemosyne 50, 1922, p. 87-90, C. PÉLÉKIDIS,Histoire de l’éphébie attique, Paris, 1962, p. 87-101, M.H. JAMESON, The Provisions for Mobilisation inthe Decree of Themistocles, Historia 12, 1963, p. 385-404, H. VAN EFFENTERRE, Clisthène et lesmesures de mobilisation, REG 89, 1976, p. 1-17 et en dernier lieu WHITEHEAD, Demes qui n’accordepas au registre un passage particulier de sa synthèse. L’ensemble des sources a été rassemblé dansTOEPFFER, op. cit., p. 393 n. 1 et 2 (voir aussi VAN EFFENTERRE, op. cit., p. 7-16).79 IG I3, n° 138, cf. infra.80 L’origine étymologique demeure controversée. Pour une présentation du débat, cf.WHITEHEAD, Demes, p. 35-36 n. 130 et LAMBERT, Phratries, p. 262 n. 80.81 PÉLÉKIDIS, op. cit., p. 87.82 Scholie à ESCHN., Tim., 1.18 : ÉEklÆyh (... ) lhjiarxikÚn épÚ toË toÁw §n aÈt“ grafÒmenouw,êrxein t∞w lÆjevw, ˜per §sti toË klÆrou.83 MEIGGS & LEWIS, n° 23.

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mise sur l’idée d’attribution par le sort et non sur la consistance matérielle de lachose attribuée”84. De plus, êrxein n’a jamais eu le sens de posséder85. Enfin, l’ins-cription dans le registre ne signifiait pas que le père était mort et que le nouveaudémote pouvait prétendre à quelque bien de famille que ce soit. Il faut préférerPollux qui, tout en connaissant et en citant le jeu de mot étymologique à propos dudroit de succession, insiste sur la parenté avec le substantif lhj$arxow86. Ce dernierdésignait une magistrature à Athènes chargée de maintenir l’ordre à l’assemblée, parexemple de vérifier la qualité des participants. Ce corps était composé de six magis-trats, signe de l’ancienneté de celui-ci. “Le lexiarque est en tout cas le chef (…) d’unelèxis, lot de citoyens inscrits sur des tablettes blanchies, des leuk≈mata, pourreprendre l’expression de Pollux”87.

Selon ce raisonnement, les lhjiarxikå grammate›a apparaissent comme deslistes de citoyens qui ont été mis en place avec la réforme de Clisthène. Celle-ci auraitalors principalement donné aux démarques la responsabilité des inscriptions. L’enre-gistrement ne représentait qu’une dizaine de noms par an en moyenne, en comptantles thètes88. L’information était ensuite centralisée près des statues éponymes89. Celaexplique pourquoi la Constitution des Athéniens parle d’une double éponymie90. “Toutindique donc que l’inscription sur le lexiarchikon grammateion du dème, base de laréforme de Clisthène, a été simultanément une mesure politique et une mesure mili-taire”91. L’armée civique était aussi un excellent moyen de brassage et correspondaitdonc à l’une des finalités des réformes clisthéniennes. Deux sources iconographiquesviennent renforcer cette hypothèse92. Elles décrivent la dokimasia. La première date dec. 47093. Elle figure des cavaliers qui présentent leurs montures à deux hommes assisdont l’un tient une tablette ou un rouleau94. La deuxième appartient à la dernièredécennie du VIe siècle95. La scène représentée est proche de la précédente. Dans notreperspective, on note que l’examinateur se tient debout et porte une tablette. Décrit-on deux moments différents de la procédure ou deux procédures différentes ? Il n’estpas possible de le dire. La date haute de ces documents permet simplement deconclure qu’au moment des réformes de Clisthène, et peut-être avant, les documentsécrits étaient indispensables à la mobilisation de la cavalerie96. L’établissement d’unlien avec le registre de dème est une possibilité qu’il n’est pas possible d’exclure.

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84 VAN EFFENTERRE, op. cit., p. 11.85 VAN EFFENTERRE, op. cit., p. 12 explique l’erreur d’interprétation faite par les scholiastes et cite lascholie à ESCHN., Tim., 1.18.86 POLL., Onom., 8.104.87 VAN EFFENTERRE, op. cit., p. 14 qui de plus signale que cette expression, leuk≈mata, se retrouvedans PS-ARSTT, Ath. pol., 53.4. Voir aussi le commentaire de PÉLÉKIDIS, op. cit., p. 73-74.88 L’appréciation chiffrée est de VAN EFFENTERRE, op. cit., p. 15.89 PS-ARSTT, Ath. pol., 21.6.90 PS-ARSTT, Ath. pol., 54.4 et 7.91 VAN EFFENTERRE, op. cit., p. 17 ; c’est l’auteur qui souligne.92 Gl.R. BUGH, The Horsemen of Athens, Princeton, 1988, p. 15-18 et SICKINGER, Public Records, p. 56.93 Berlin F 2296 dont BUGH, op. cit., fig. 1 offre une représentation.94 La céramique est mutilée et l’hésitation est possible. Ce qu’on aperçoit ne ressemble pas à la tablettede la deuxième céramique sur laquelle aucune hésitation n’est possible.95 Bâle 133, collection Herbert Cahn, avec une représentation dans BUGH, op. cit., fig. 2.96 Nous commentons infra le dossier d’archives de la cavalerie du IVe siècle trouvé sur l’Agora.

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Qu’en conclure ? Il convient de rappeler au préalable la prudence qui doit présiderà toute utilisation de l’inscription de Trézène qui ne peut constituer une preuve for-melle. Au mieux, ce texte peut être considéré comme une description du fonction-nement des institutions militaires au cours du IVe siècle, au moment où il est évoquépar Eschine97. Croisé avec le décret du Ve siècle, il devient néanmoins un élémentqui confirme les liens étroits entre les institutions militaires et le registre de dème.Les questions posées par les classes censitaires soloniennes ainsi que les attributionsanciennes des naucraries amènent à penser que les lhjiarxikå grammate›a exis-taient depuis l’époque de Clisthène ou qu’ils ont été instaurés quelque temps après98.

Dernier point, d’autres expressions pouvaient désigner le registre de dème99. LesAthéniens parlaient aussi du koinÚn grammate›on. Toutefois ces deux termes nom-maient également le registre de la phratrie, le fraterikÚn grammate›on. Le motgrammate›on se rapporte plus à la forme de conservation qu’au contenu de cesarchives.

2. Archives périphériques et citoyenneté

A. ENREGISTREMENT ET DÉFINITION DE LA CITOYENNETÉ

a) Les registres des phratries et la citoyenneté100

L’attribution de la citoyenneté se manifestait par l’inscription sur le registre dedème mais certaines sources laissent entendre qu’il fallait aussi être inscrit sur leregistre de la phratrie, fraterikÚn grammate›on ou éventuellement koinÚn gram-mate›on selon les passages. En mettant au jour les modalités de l’inscription dans laphratrie, il sera possible de réfléchir à l’articulation entre les deux institutions. Nousdisposons pour cela des orateurs attiques.

Léostratos qui cherche à se faire reconnaître comme fils adoptif d’Archiadès, ayantéchoué au niveau du dème, tente alors de faire inscrire son fils, Léocharès, dans laphratrie d’Archiodès101 :

ÉEpeidØ går aÈtÚw épetÊgxanen toË §ggraf∞nai, efispoie› Levxãrhn tÚnaÍtoË uflÚn ÉArxiãd˙ parå pãntaw toÁw nÒmouw, pr‹n toË dÆmou tØndokimas$an gen°syai: oÈk efishgm°nou d' efiw toÁw frãterãw pv toÁw

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97 Nous ne considérons pas que le décret de Thémistocle soit un faux en tant que tel, c’est-à-dire untexte forgé de toute pièce. Nous l’envisageons comme un mélange d’éléments authentiques et d’élé-ments postérieurs, tout comme certains documents médiévaux retouchés (cf. Chr. PÉBARTHE, Clis-thène a-t-il été archonte en 525/4 ? Mémoire et histoire des Athéniens à l’époque classique, RBPh 83,2005, p. 29-31).98 SICKINGER, Public Records, p. 55 remarque à juste titre que le silence des sources jusqu’aux années 440n’est en rien une preuve d’une création tardive, dans les années 450, du registre de dème. Les autresarguments que nous avançons ici paraissent pouvoir renforcer l’impression d’une relative anciennetédes registres de dème.99 Cf. infra.100 Sur les phratries à Athènes, voir la synthèse de LAMBERT, Phratries, et JONES, Associations, p. 195-220, en particulier p. 195-199 sur le rôle public des phratries athéniennes.101 DÉM., Leo., 44.41 (trad. CUF).

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ÉArxiãdou, éll' §peidØ §negrãfh, thnikaËta pe$saw ßna tinå t«nfrat°rvn §n°gracen efiw tÚ fraterikÚn grammate›on.

“N’ayant pu obtenir d’être inscrit lui-même, il institue son fils au mépris des lois,comme fils adoptif d’Archiadès, avant que le dème eût procédé à l’examen ; il nel’avait pas introduit dans la phratrie d’Archiadès : c’est seulement après qu’il eût étéinscrit au dème que, de connivence avec un des phratères, il le fit inscrire auregistre de la phratrie”.

La fraude est ici double. Le fils de Léostratos n’aurait pas dû être inscrit dans ledème n’ayant pas subi l’examen et achète la complicité d’un phratère pour se faireinscrire dans le registre de la phratrie102. Il est intéressant de noter que la tentativedu fraudeur consiste en la réalisation de faux en écriture, ce qui montre que les docu-ments écrits conservés étaient utilisés.

De plus, Isée décrit une procédure assez longue qui ressemble à celle du dème. Leplaignant, Thrasyllos, a été inscrit sur le registre de la phratrie, le koinÚn gram-mate›on, comme fils adoptif d’Apollodôros103 :

ÖEsti d' aÈto›w nÒmow ı aÈtÒw, §ãn t° tina fÊsei gegonÒta efisãg˙ tiw §ãn tepoihtÒn, §pitiy°nai p$stin katå t«n fler«n ∑ mØn §j ést∞w efisãgein ka‹gegonÒta Ùry«w ka‹ tÚn Ípãrxonta fÊsei ka‹ tÚn pointÒn: poiÆsantow d¢toË efisãgontow taËta mhd¢n ∏tton diachf$zesyai ka‹ toÁw êllouw, kíndÒj˙, tÒt' efiw tÚ koinÚn grammate›on §ggrãfein, prÒteron d¢ mÆ: toiaÊtawékribe$aw ¶xei tå d$kaia tå par' aÈto›w. ToË nÒmou dØ oÏtvw ¶xontow ka‹t«n frat°rv te ka‹ gennht«n §ke$nƒ <te> oÈk épistoÊntvn §m° te oÈkégnooÊntvn ˜ti ∑n §j édelf∞w aÈt“ gegon≈w, §ggrãfous$ me efiw tÚ koinÚngrammate›on chfisãmenoi pãntew, fiy°ntow §ke$nou tØn p$stin kay' fler«n.Ka‹ oÏtv m¢n ÍpÚ z«ntow §poiÆyhn ka‹ efiw tÚ koinÚn grammate›on§negrãfhn Yrãsullow ÉApollod≈rou, poihsam°nou me §ke$nou toËton tÚntrÒpon, t«n nÒmvn aÈt“ dedvkÒtvn.

“Ces associations [génè et phratries] ont une règle uniforme : quand un hommeleur présente un enfant né de lui ou adopté par lui, il doit jurer, en posant la mainsur les victimes, que l’enfant présenté est né d’une citoyenne, mariée légitimement,aussi bien s’il s’agit de son propre enfant que d’un enfant adopté. Quand le père aprêté ce serment, les autres membres n’en procèdent pas moins à un vote ; si ladécision est favorable, on inscrit l’enfant sur le registre de la communauté, maisjamais avant le vote. Telles sont les formalités minutieuses qu’imposent les statutsde ces confréries. Or, tel étant le règlement, les membres de la phratrie et du génos,parce qu’ils avaient toute confiance en Apollodôros et qu’ils me connaissaientcomme fils de sa sœur, m’inscrivirent sur le registre après un vote unanime et aprèsle serment prêté par Apollodôros sur les victimes. C’est ainsi que, de son vivant,j’ai été adopté par lui et inscrit au registre de la communauté sous le nom de Thra-

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102 LAMBERT, Phratries, p. 174 affirme que l’admission et l’enregistrement dans la phratrie étaient moinsrigoureuse que dans le dème. Mais ce dernier n’a semble-t-il vu aucune objection à l’inscription du filsde Léocharès comme fils adoptif d’Archiadès.103 ISÉE, Apol., 7.16-17 (trad. CUF).

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syllos, fils d’Apollodôros, lequel Apollodôros m’a adopté selon cette voie, commeles lois l’y autorisaient”.

L’enjeu de la procédure est ici simple. Thrasyllos prend un nouveau patronymequi constitue un signe de l’adoption et qui est inscrit dans le registre, ce qui vaut àprésent comme preuve de son adoption. À ce propos, il faut s’interroger sur l’iden-tité du koinÚn grammate›on car Isée mêle toujours dans ce passage les deux asso-ciations, génos et phratrie.

La loi rapportée par Philochoros rapporte indique que l’inscription devant le pre-mier suffit et entraîne automatiquement la seconde104. On peut dès lors supposerque les membres du génos se sont réunis au cours d’une réunion de la phratrie etqu’Isée ne s’embarrasse pas de détails, connus du reste des Athéniens. Pour autant,rien ne permet de penser qu’il existait deux registres, un pour le génos et l’autre pourla phratrie. “It may be more natural to take ‘the common register’ as the register ofa single institution, i.e, of a genos that was also a whole phratry”105. La compréhen-sion générale s’en trouverait alors facilitée. Rien ne permet cependant de trancherentre ces deux options. Il n’en demeure pas moins que ce passage atteste que l’ins-cription dans le registre sanctionne la régularité de la procédure plus générale de pré-sentation. Elle peut donc donner droit à l’héritage. Mais quelle place occupait-elledans l’acquisition de la citoyenneté athénienne et comment se situait-elle par rap-port à l’inscription dans le lhjiarxikÚn grammate›on ?

S. D. Lambert considère que le lien existant entre la phratrie et la citoyennetén’est pas moins fort que celui attesté entre cette dernière et le dème. À la fin duVe siècle, lorsque les Athéniens confèrent la citoyenneté à des étrangers méritants, ilsdécident que ceux-ci appartiennent à un dème et à une phratrie106. De même, Euxi-théos revendique comme preuve de sa qualité de citoyen sa double appartenance : ilest un démote et un phratère107. D’autres sources confirment cette idée. Isocrate, parexemple, dénonce le laxisme des Athéniens pendant la guerre du Péloponnèse àl’égard de l’accès aux tombes publiques ; ils ne vérifiaient plus dans les registres desphratries et des dèmes108. Enfin, le même Thrasyllos, afin de faire valider définitive-ment son adoption, doit se faire inscrire sur le registre de dème comme fils d’Apol-lodôros109 :

Pr‹n går §m¢ ¥kein §k t∞w Puya$dow, ¶lege prÚw toÁw dhmÒtawÉApollÒdvrow ˜ti pepoihm°now e‡h me ÍÚn ka‹ §ggegraf∆w efiw toÁw sug-gene›w ka‹ frãteraw ka‹ paraded≈koi tØn oÈs$an, ka‹ diekeleÊey' ˜pvw,

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104 PHILOCHOROS, FGrHist 328 F 35a assure que les phratères sont obligés d’accepter dans leur com-munauté les orgéons et les homogalaktes.105 LAMBERT, Phratries, p. 67.106 Voir Ibid. et la question des Platéens qui apparemment rejoignent en 427 les dèmes et les tribus seu-lement (DÉM., Nééra, 59.104). A.R.W. HARRISON, The Laws of Athens, I, The Family and Property,Oxford, 1968, p. 64-65 en conclut que l’inscription au sein de la phratrie n’était pas indispensable.Peut-être faut-il chercher un lien avec l’interdiction qui leur est faite d’être archonte.107 DÉM., Eub., 57.108 ISOCR., Myt. 8.88.109 ISÉE, Apol., 7.27 (trad. CUF).

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§ãn ti pãy˙ prÒteron, §ggrãcous$ me efiw tÚ lhjiarxikÚn grammate›on Yrã-sullon ÉApollod≈rou ka‹ mØ …w êllvw poiÆsousi.

“Avant mon retour des fêtes de la Pythaïde, Apollodôros déclara aux gens du dèmequ’il m’avait adopté et fait inscrire dans le génos et la phratrie, qu’il m’instituait sonhéritier et il leur recommanda, s’il lui arrivait auparavant malheur, de m’inscriredans le registre du dème sous le nom de Thrasyllos, fils d’Apollodôros, et de n’ypoint manquer”.

Apollodôros ne ménage pas ses efforts pour l’inscription de son fils adoptif sur leregistre de dème alors même que celle auprès de la phratrie a été effectuée. Il faudraitdonc supposer une complémentarité entre les deux ou un souci procédurier ou bienencore la volonté de ne pas exposer Thrasyllos à des procédures judiciaires. En effet,n’étant pas inscrit sur le registre de dème, certaines personnes pouvaient chercher àcontester l’adoption et donc l’héritage.

Toutefois, certains passages des sources ne lient pas la citoyenneté à une doubleinscription. La Constitution des Athéniens évoque seulement le dème à propos del’éphébie110. Isée ne parle de la phratrie que dans une affaire d’héritage, tout commeAristophane111. Comment alors comprendre cette différence entre la phratrie et ledème ? La plupart du temps, le contrôle fait par les deux institutions au sujet de lacitoyenneté est simultané et un recours à l’organe central, le Conseil, est toujoursprévu en cas de contestation112.

Les critères retenus par les deux circonscriptions ne sont néanmoins pas iden-tiques. Alors que les dèmes paraissent beaucoup moins intéressés par un contrôle del’appartenance familiale, la parenté est au centre de l’admission dans une phratrie.Un garçon y est d’abord présenté, à deux reprises, une fois pendant l’enfance, uneautre fois au cours de l’adolescence au moment de laquelle une vérification inter-vient113. Les femmes étaient introduites dans certaines phratries, sans pour autantpouvoir être considérées comme membres à part entière114. De même, la possibilitéd’hériter dépend de cette appartenance115. Dans le cas des adoptions, l’inscriptiondans la phratrie est donc essentielle, d’où le choix fait par Apollodôros de com-mencer par la phratrie pour adopter Thrasyllos116. Les privilèges issus de la citoyen-neté procèdent de la seule appartenance aux dèmes. D’ailleurs, l’inscription dans unephratrie ne signifiait pas automatiquement une autre dans un dème donné117.

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110 PS-ARSTT, Ath. pol., 42.111 ISÉE, Pyrr. et AR., Ois., 1660-1670.112 PS-ARSTT, Ath. pol., 42 et DÉM., Nééra, 59.60.113 LAMBERT, Phratries, p. 161-178 et les décrets des Démotionides (IG II2, n° 1237) ; cf. infra.114 Les historiens ont des positions divergentes sur cette question, cf. infra.115 Voir AR., Ois., 1660-1670 et ISÉE, Pyrr., 3.73 ; d’autres passages sont plus implicites : ISÉE, Philok.,6.10 et 21-23 ; Kiron, 8.18 ; DÉM., Macart., 43.11.116 ISÉE, Apol., 7.27 : en fait Apollodôros est décédé avant d’avoir pu faire inscrire son fils adoptif dansle dème ; d’autres références fournissent des parallèles : DÉM., Bœot. I, 39.30-31 ; ISÉE, Apol. ; DÉM.,Macart., 43.11, 13-15, 81 ; Leo., 44.38, 41 ; Nééra, 59.59.117 LAMBERT, Phratries, p. 316-317.

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Le cas des femmes en fournit une illustration, même si les sources ne permettentpas d’affirmer que leur inscription dans les phratries était généralisée. Un passaged’Isée dans lequel celui-ci évoque la présentation d’une fille dans une phratrie118 :

ÉAllå mØn Àw ge oÎte gamhl$an efisÆnegken ı ye›ow ≤m«n, oÎte tØnyugat°ra, ¥n fasi gnhs$an aÈtoË e‰nai otoi, efisagage›n efiw toÁw frã-teraw ±j$vse, ka‹ taËta nÒmou ˆntow aÈto›w.

“Or, notre oncle n’a jamais offert de repas de noces et cette fille dont nos adver-saires attestent la légitimité, jamais il n’a jugé bon de la présenter aux membres dela phratrie, en dépit de leurs statuts”.

Il existe donc dans cette phratrie un nomos réglant la présentation d’une fille légi-time119. S’agit-il d’une règle commune à toutes les phratries ? Il ne semble pas et Iséede ce point de vue constitue une référence isolée dans nos sources120. Il permet sim-plement d’affirmer que certaines phratries pratiquaient l’inscription des filles121. Enrevanche, les femmes étaient régulièrement inscrites dans la phratrie de leur mari.A.-M. Vérilhac et Cl. Vial considèrent que cette inscription est faite “dans lamémoire des phratères” et affirment donc que le mariage ne figurait pas dans lesarchives de la phratrie122. “Si tel avait été le cas les plaideurs n’auraient pas manquéde se référer à un tel document quand leurs adversaires contestaient la réalité d’unmariage”. Comme preuve de cette affirmation, elles citent deux passages. Le premier

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118 ISÉE, Pyrr., 3.76 qui fournit un exemple de présentation de filles épiclères. Cf. LAMBERT, Phratries,p. 178-188 en particulier p. 181 et St.C. TODD, Status and Gender in Athenian Public Records, in G.THÜR et J. VÉLISSAROPOULOS-KARACOSTAS (éd.), Symposion 1995 : Vorträge zur griechischen und helle-nistischen Rechtsgeschichte (Korfu, 1.-5. September1995), Cologne et Böhlau, 1997, p. 113-124. Dans unpassage précédent, (ISÉE, Pyrr., 3.73), il évoque également la possibilité d’inscrire la fille légitime d’unindividu dans la phratrie de ce dernier. J. GOULD, Law, custom and myth : Aspects of the Social Posi-tion of Women in Classical Athens, JHS 100, 1980, p. 38-59, S.G. COLE, Could Greek Women Readand Write ?, in H.P. FOLEY (éd.), Reflections of Women in Antiquity, New-York, p. 235-238, R. SEALEY,The Athenian Republic. Democracy or the Rule of Law ?, University Park (Pennsylvanie), 1987, p. 17s.,S.B. POMEROY, Women’s Identity and the Family in the Classical Polis, in R. HAWLEY etB. LEVICK (éd.), Women in Antiquity, New Assessments, Londres, 1995, p. 116-119 et ID., Families inClassical and Hellenistic Greece. Representations and Realities, Oxford, 1997, p. 79 sont opposés à l’idéed’une admission des femmes dans les phratries (que ce soit une inscription ou une simple présentationofficielle). Au contraire, M. GOLDEN, ‘Donatus’ and Athenian Phratries, CQ 35, 1985, p. 9-13 et LAM-BERT, Phratries, p. 36-37, 178-188 et 237 défendent l’existence d’une présentation des filles tout enreconnaissant que les pratiques variaient selon les phratries et qu’il n’y avait pas de règle commune.119 LAMBERT, Phratries, p. 179 n. 196 note qu’il n’y a pas lieu ici de suspecter l’orateur de mensonge.Signalons que GOULD, op. cit., p. 40-42 émet l’hypothèse que ce passage concerne les seules épiclèresalors que GOLDEN, op. cit., p. 10 préfère penser que les phratries n’avaient pas des pratiques identiquesen la matière.120 Ce nomos ne doit pas être compris comme une règle s’appliquant à toutes les phratries. Chacund’elles possédaient ses normes propres (voir par exemple ISÉE, Kiron, 8.18 qui mentionne des nomoiconcernant les gamélia).121 LAMBERT, Phratries, p. 180-181 considère que l’épiclérat a dû jouer dans le sens d’une inscriptiondes filles.122 A.-M. VÉRILHAC et CL. VIAL, Le mariage grec. Du VIe siècle av. J.-C. à l’époque d’Auguste, Athènes,1998, p. 330-331, la citation suivante est extraite de la page 331.

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est extrait du Contre Euboulidès dans lequel l’orateur déclare : “il a été attesté quemon père s’est marié conformément aux lois et a offert aux phratères la gamélia”123.Le deuxième se trouve dans Isée et a pour sujet la légitimité d’une fille et par voie deconséquence celle de ses enfants124. Dans les deux cas, rien ne permet d’affirmer queles archives de la phratrie ne conservaient pas trace des mariages. Au contraire, par-ticulièrement dans La succession de Kiron, le point important de la démonstration desorateurs, petits-fils de Kiron, réside dans le fait qu’aucun doute n’a été émis sur lalégitimité de la fille de Kiron. Sinon, “les membres de la phratrie ne nous auraientpas admis ; ils auraient soulevé une plainte, ouvert une enquête”125. Les modalités decette dernière ne sont pas connues et elle pouvaient impliquer une consultation duregistre ou de sa copie. Bien plus, une source tardive vient confirmer qu’une ins-cription dans les archives avait lieu au moment du mariage. La formule est explicite,§ggrãfein tåw fratr$aw126. En l’absence de convictions plus fortes, il faut retenirla conclusion prudente de S. D. Lambert : “It is possible that some phratries wouldhave made an entry on the phratry register”127.

Quelle réalité matérielle recouvrait l’inscription dans les registres de phratrie ?Que contenait-il ? S. D. Lambert considère qu’il se trouve être plus proche desminutes de la phratrie que d’une simple liste de membres. Dans cette perspective,deux éléments doivent être évoqués. Le premier tient dans une confusion entre leregistre et les archives, faisant fi des faibles connaissances dont nous disposons sur lesdétails pratiques. S’il paraît évident que dans chaque phratrie, les membres inscri-vaient leurs concitoyens dans le fraterikÚn grammate›on, cela ne signifie pas pourautant que celui-ci était le seul moyen à leur disposition pour la conservation desdocuments. La deuxième consiste à accepter comme règle que l’expression “koinÚngrammate›on” peut être synonyme de “fraterikÚn grammate›on”128. Ces propospréliminaires permettent de mieux appréhender les trois documents suivants danslesquels la première expression apparaît.

Le premier est un décret honorifique qui émane du dème d’Halimonte, datant de330-325129. Les démotes honorent un certain Charisandros. La fin du document

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123 DÉM., Eub., 57.69 (trad. VÉRILHAC et VIAL, op. cit., p. 331).124 ISÉE, Kiron, 8.18-20.125 ISÉE, Kiron, 8.20.126 Schol. à AR., Ach., 146, cf. aussi POLL., Onom., 8.107 avec les commentaires de LAMBERT, Phratries,p. 179-180 et n. 198.127 Ibid., p. 185.128 DÉM., Eub., 57.60 l’emploie pour désigner le registre de dème. L’expression se retrouve égalementdans une des stèles accueillant l’accord qui met un terme au conflit entre deux groupes du même génos,celui des Salaminiens (OSBORNE & RHODES, n° 37, l. 57-58.) Cl. LEDUC, Le genos des Salaminiens etl’intégration de Thésée et d’Héraklès dans la Politeia préclisthénienne, in Plutarque : Grecs et Romainsen Questions (textes rassemblés par Pascal Payen), Entretiens d’archéologie et d’histoire, Saint-Bertrand-de-Comminges, 1998, p. 95-153 donne une traduction du texte (p. 96-101) sans toutefois donner lesens d’archives à l’expression koina grammateia, au contraire de la dernière édition citée supra ou bienencore du premier éditeur (W.S. FERGUSON, The Salaminioi of Heptaphylai and Sounion, Hesperia 7,1938, en particulier p. 6). Il y est décidé que les grammateia koina sont la propriété de tous. En l’oc-currence, il s’agit sans aucun doute des archives du génos. Plus généralement, sur la nature du koinongrammateion, voir les commentaires de FARAGUNA, op. cit., p. 16.129 SEG 2, 1924, n° 7, l. 19-24 : ÉAnagrãcai d¢ tÚ cÆfisma tÚn dÆmarxon KÊbernin efiw tå koinågrammate›a ka‹ §n stÆlei liy$nai ka‹ st∞sai §n t«i Dionus$vi.

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ordonne l’enregistrement de cette décision : “Que le démarque Kybernis fasse ins-crire ce décret dans les archives et sur une stèle en pierre et qu’elle soit installée dansle Dionysion”. Les koinå grammate›a mentionnés dans ce décret désignent lesarchives du dème et non celles d’une phratrie130. Tout d’abord, la décision émaned’un dème, ce qui est attesté par une formule de résolution §chf$syai ÑAli-mous$oiw. De plus, le personnage honoré, Xar$sandrow, est loué pour son actionen rapport avec le démarque, Íp¢r toË dhmãrxou. Enfin, l’inscription dans lesarchives et la gravure de la stèle sont confiées à KÊberniw qui n’est autre que ledémarque d’Halimonte. Dès lors, ce décret n’est pas mis dans le registre de la phra-trie mais conservé dans les archives du dème. Il est toutefois possible d’envisager quel’archivage se fasse au moyen d’une tablette scellée ou si l’on préfère d’un autreregistre que le lhjiarxikÚn grammate›on. Notre ignorance dans ce domaine nousfait préférer un terme neutre dans la traduction.

Le deuxième qui date de la fin du IVe siècle enregistre la location du sanctuaired’Hypodectès à Diopeithès fils de Diopeithès du dème de Sphettos et à ses descen-dants131. Après avoir établi les conditions de cette location, les orgéons ordonnentl’archivage de ce contrat :

ÉAnagrãcai d¢ tãsde tåw sunyÆkaw toÁw m¢n Ùrge«na[w] efiw tÚ koinÚngrammate›on, Diope$yhn d¢ efiw stÆlhn liy$nhn ka‹ st∞sai §n t«i fler«iparå tÚ êgalma toË yeoË. vac.

“Que d’une part les orgéons fassent inscrire cet accord dans les archives et qued’autre part Diopeithès le fasse graver sur une stèle en pierre et qu’il la place dansle sanctuaire près de la statue du dieu”.

Dans ce deuxième cas, la traduction de koinÚn grammate›on est plus délicate carnous ne sommes pas dans le cadre du dème mais dans celui des orgéons132. Ces asso-ciations paraissent être relativement petites et fortement basées sur la parenté. Tou-tefois, les orgéons peuvent aussi être définis par leurs pratiques cultuelles puisqu’ils’agissait de leur seule activité en tant que membres. Chaque année, ils se réunis-saient lors de la fête annuelle de leur héros. C’est sans doute à cette occasion que lesdécisions concernant les affaires de l’association étaient prises, entre autres la ques-tion de la location du sanctuaire133.

L’accord conclu entre les deux parties (sunyÆkai), les orgéons et Diopeithès,impliquait certaines garanties qui apparaissent dans le texte sous la forme de l’ins-cription et de la conservation dans les archives. Ces dernières se réduisent-elles auregistre de la phratrie ? Les orgéons sont des groupes clairement définis qui étaientparfois en relation avec d’autres associations dont les phratries134. Dès lors, le koinÚn

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130 LAMBERT, Phratries, p. 174-175 ; OSBORNE, Demos, p. 72 comprend spontanément “registre dedème” tout comme WHITEHEAD, Demes, p. 96 n.48. Pour le sens de registre de phratrie, cf. par exempleISÉE, Apol., 7.27 (voir supra).131 IG II2, n° 2501, l. 20-22.132 Sur ces associations, cf. en dernier lieu JONES, Associations, notamment p. 249-267.133 E. KEARNS, The Heroes of Attica, Londres, 1989, p. 74-77.134 LAMBERT, Phratries, p. 74-77 considère même que les phratries sont des ensembles d’orgéons. Le seullien connu entre les orgéons et les phratries est indiqué par Philochoros, dans un domaine qui n’inté-resse pas notre perspective (PHILOCHOROS, FGrHist 328 F 35a).

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grammate›on pourrait désigner les archives de la phratrie qui accepte de jouer le rôledu tiers pour conserver ces accords qui d’ailleurs la concernent indirectement car ilsaffectaient la partie de ses membres qui appartenaient au même groupe d’orgéons.Ces circonscriptions parfois éloignées du centre pouvaient éprouver la nécessité degarantir un lieu de conservation des documents écrits afin d’assurer un certain calmedans les affaires locales. Toutefois, le passage d’Isée cité supra autorise tout autantune autre analyse du passage. Le koinÚn grammate›on désignerait alors les archivesd’une communauté, en l’occurrence les orgéons.

Le troisième document est constitué par un ensemble de décrets couvrant unequarantaine d’années (396/5 aux années 360)135. Ces décisions émanent d’ungroupe, les Démotionides, dont le statut fait l’objet d’un débat parmi les historiensqui hésitent entre phratrie et génos136. Mais, les passages qui nous intéressent ici nesont pas affectés par l’option choisie concernant l’identité des Démotionides. Dansle premier décret, celui de Hiéroclès, il est ainsi mentionné que toute personne quiserait jugée comme n’étant pas un phratère doit voir son nom effacé du registre quiest chez les Démotionides et de la copie par le prêtre et le phratriarque, ˘w d' índÒjhi mØ Ãn frãthr §saxy∞nai, §jaleiyãtv tÚ ˆnoma aÈt? ı flereÁw ka‹ ıfratr$arxow §k t? grammate$o t? §n Dhmotivnid«n ka‹ t? éntigrãfo137. Dansle deuxième décret, il est simplement dit que l’admission au sein de la phratrie se tra-duit par une inscription dans les koina grammateia, ı d¢ efisãgvn §f∞i efiw tÚwëpantaw, to›w d¢ ëpasi dÒjei e‰nai frãthr, §ngraf°syv efiw tå koinå gram-mate›a138. Dans ce cas, le pluriel, tå koinå grammate›a, renvoie à l’original et à lacopie mentionnés dans le premier décret139. Les manières d’archivage qui apparais-sent ici sont très élaborées et correspondent à ce que nous savons des habitudes enla matière. En effet, les Grecs ont grand souci de l’original et sa consultationconstitue toujours un moment particulier140. Dans le cas d’une phratrie, nousreconstruisons la procédure ainsi. Les admissions avaient lieu tout au long de l’annéeet elles étaient sanctionnées par une inscription sur l’éntigrãfon qui en l’occur-rence correspondait aux minutes du phratriarque141. À un moment particulier, ritua-lisé, le registre §n Dhmotivnid«n, conservé dans un temple, était ouvert et le prêtre

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135 IG II2, n° 1237 avec le commentaire général de Ch.W. HEDRICK, The Decrees of the Demotionidai,Atlanta, 1990 ainsi que LAMBERT, Phratries, p. 95-141.136 HEDRICK, op. cit., et LAMBERT, Phratries, considèrent que les Démotionides sont une phratrie tandisque tout récemment P.J. RHODES, Deceleans and Demotionidae again, CQ 47, 1997, p. 109-120entend prouver qu’ils sont un génos. Les aspects historiographiques ont été abordés par Ibid., p. 109.Cf. plus généralement HEDRICK, op. cit., qui a consacré un ouvrage à ce document.137 Lignes 18-22. Il n’apparaît pas certain que dans ce passage, le terme grammate›on désigne le bâti-ment d’archives comme le pense HEDRICK, op. cit., p. 38 avec n. 97. Concernant les différentes fonc-tions du prêtre et du phratriarque, voir LAMBERT, Phratries, p. 120-124.138 Lignes 95-98.139 Ce point est souligné par HEDRICK, op. cit., p. 38.140 La loi de Paros sur les archives exprime au plus haut point ce souci (W. LAMBRINUDAKIS etM. WÖRRLE, Ein hellenistisches Reformgestz aus Paros, Chiron 13, 1983, p. 283-368). Les archives pri-vées révèlent des comportements identiques (chapitres 2 et 6).141 LAMBERT, Phratries, p. 125 propose une autre interprétation de l’éntigrãfon, qui serait en posses-sion de l’autre groupe évoqué par ce document, les Décéliens.

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pratiquait l’inscription sur le document original qui faisait foi en dernier lieu142. Ilest du reste précisé dans le troisième décret que l’enregistrement doit être fait aucours de l’année du koureion143. En cas d’erreur, pour lever toute ambiguïté, il fallaiteffacer le nom dans les deux archives144.

Dans les trois cas analysés ici, le koinÚn grammate›on ne saurait être assimilé aufraterikÚn grammate›on. La première expression est utilisée dans les sources pourévoquer les archives d’une communauté, qui peut être la phratrie comme une autrecommunauté infra-civique. Elle atteste la banalité du recours à la conservation desdocuments à Athènes, même pour des groupes composés d’un nombre restreintd’individus.

b) Les révisions des listes de citoyens

1. Les procédures de révision au Ve siècle

En 451/0, les conditions d’accès à la citoyenneté sont modifiées par une loi dePériclès145 : “Sous Antidotos, à cause du nombre croissant de citoyens et sur la pro-position de Périclès, on décida de ne pas laisser jouir de la citoyenneté quiconque neserait pas né de deux citoyens”. Cette loi pose de nombreux problèmes d’interpréta-tion sur chacun desquels il n’est pas nécessaire ici de dresser l’état des recherches146.Il s’agit seulement de déterminer si elle a entraîné un diapsèphismos. Si tel était le cas,alors le texte de la Constitution des Athéniens indiquerait une rétroactivité. Pourdécrire les conséquences directes de la proposition de Périclès, il utilise une formu-lation négative, très claire et sans restriction, mØ met°xein t∞w pÒlevw. Cela s’appli-querait à tous, quelle que soit leur année de naissance. Or, le décret de 403/2, sti-pulant un retour à la loi de 451/0 dont l’application avait été interrompue au coursde la guerre du Péloponnèse, contient une clause pour éviter toute rétroactivité147 :

EÎmelow (...) fhs‹ Nikom°nh tinå cÆfisma y°syai mhd°na t«n met'ÉEukle$dhn êrxonta met°xein t∞w pÒlevw, ín mØ êmfv toÁw gon°aw éstoÁw§pide$jhtai, toÁw d¢ prÚ EÈkle$dou énejetãstouw éfe›syai.

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142 Il n’y a pas lieu de douter que le prêtre était responsable de l’effacement du nom §k t? grammate$ot? §n Dhmotivnid«n tandis que le phratriarque se chargeait de l’éntigrãfon, bien que HEDRICK, op.cit., p. 38 préfère demeurer prudent sur cette question. Du reste, il était également responsable de lagravure des trois décrets (lignes 2-3, 66 et 107) tout comme de l’inscription du nom des nouveauxmembres de la phratrie dans les archives du temple de Létô (lignes 123-125).143 Lignes 118-119 avec le commentaire de LAMBERT, Phratries, p. 140 n. 146.144 Le contenu du registre est connu par le troisième décret qui précise que doivent être inscrits les nomsdu père, de mère et du père de la mère, ainsi que les démotiques (lignes 119-121).145 PS-ARSTT, Ath. pol., 26.4 (trad. CUF) : ÉEp‹ ÉAntidÒtou diå tÚ pl∞yow t«n polit«n,Perikl°ouw efipÒntow, ¶gnvsan mØ met°xein t∞w pÒlevw, ˘w ín mØ §j émfo›n ésto›n ¬ gegon≈w.146 Cf. notamment C. PATTERSON, Pericles’ Citizenship Law of 451-50 B.C., New-York, 1981,Ph.B. MANVILLE, Toward a New Paradigm of Athenian Citizenship, in A.L. BOEGEHOLD et A.C. SCA-FURO (éd.), Athenian Identity and Civic Ideology, Baltimore, 1994, p. 21-33, A.L. BOEGEHOLD, Perikles’Citizenship Law of 451/0 B.C., in BOEGEHOLD et SCAFURO (éd.), op. cit., p. 57-66 et E.E. COHEN, TheAstoi of Attika : Nationality and Citizenship at Athens, in G. THÜR et J. VÉLISSAROPOULOS-KARACO-STAS (éd.), Symposion 1995 : Vorträge zur griechischen und hellenistischen Rechtsgeschichte (Korfu, 1.-5.September1995), Cologne et Böhlau, 1997, p. 57-96.147 Scholie à ESCHN., Tim., 1.39.

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“Eumélos […] dit que Nicoménès a fait établir un décret selon lequel aucune per-sonne née après l’archontat d’Euclide n’aura la citoyenneté si elle ne peut prouverque ses deux parents sont des astoi mais que ceux qui sont nés avant l’archontatd’Euclide seront maintenus sans vérification”.

Le retour à la loi de Périclès ne s’applique que pour les hommes nés après l’ar-chontat d’Euclide. Cette restriction se comprend aisément. La guerre avait obligé lesAthéniens à faire citoyen un nombre important de nothoi, pour en faire des sol-dats148. Désormais, avec la paix, ce besoin n’existait plus. Dans le cas de 451/0, l’hy-pothèse la plus probable demeurerait l’effacement pur et simple de tous ceux dontl’ascendance ne permettait plus d’accéder à la polite$a.

Cependant, l’explication de la décision de Périclès que donne la Constitution desAthéniens, à savoir une réponse à un surnombre des citoyens, diå tÚ pl∞yow t«npolit«n, permet de préciser le lien entre la loi de Périclès et le diapsèphismos de445/4. En quoi cela pouvait-il constituer un problème pour la cité ? Pour apporterun élément de réponse, il faut considérer les problèmes de fourniture publique decéréales149.

Philochoros rapporte qu’à l’occasion d’une distribution provenant d’Égypte, unerévision de la liste a été menée150 : “Lors d’une disette dans l’Attique, Psammétique,roi de Libye, envoya du blé aux Athéniens à leur demande. Quand vint la distribu-tion, les Athéniens se débarrassèrent de leurs étrangers ; en triant les véritablescitoyens, ils découvrirent que des étrangers avaient été portés sur les listes”. Plu-tarque mentionne aussi cet épisode151 :

ÉEpe‹ d¢ toË basil°vw t«n Afigupt$vn dvreåw t“ dÆmƒ p°mcantow tetra-kismur$ouw pur«n med$mnouw ¶dei dian°mesyai toÁw pol$taw, polla‹ m¢nénefÊonto d$kai to›w nÒyoiw §k toË grãmmatow §ke$nou t°vw dialanyãnousika‹ parorvm°noiw, pollo‹ d¢ ka‹ sukofantÆmasi peri°pipton. ÉEprãyhsanoÔn èlÒntew Ùl$gƒ pentakisx$livn §lãttouw, ofl d¢ me$nantew §n tª polite$&ka‹ kriy°ntew ÉAyhna›oi mÊrioi ka‹ tetrakisx$lioi ka‹ tessarãkonta tÚpl∞yow §jhtãsyhsan.

“Lorsque le roi d’Égypte envoya au peuple un présent de quarante mille médimnesde blé et qu’il fallut faire le partage aux citoyens, une foule de procès furent, en

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148 Nous retenons ici l’interprétation traditionnelle, celle de PATTERSON, op. cit., notamment, même sid’autres hypothèses ont été avancées. Le problème est que la loi ne dit rien du statut matrimonial (pourune approche critique de ce texte et plus généralement de la non abrogation de la loi de Périclès pen-dant la guerre, cf. K.R. WALTERS, Perikles’ Citizenship Law, CA 2, 1983, p. 322-327). Autre question,un bâtard né de deux astoi était-il citoyen ? Les avis ont varié sur ce point (cf. par exempleD.M. MCDOWELL, Bastards as Athenian Citizens, CQ 28, 1976, p. 88-91 et WALTERS, op. cit., p. 317-321 pour qui la réponse est affirmative, au contraire de D. OGDEN, Greek Bastardy in the Classical andthe Hellenistic Periods, Oxford, 1996, p. 151-165). 149 Pour tout ce qui concerne l’approvisionnement de cités, cf. P. GARNSEY, Famine et approvisionnementdans le monde gréco-romain, Paris, 1996, sur cette question en particulier, p. 172s.150 Nous disposons de trois scholies sur cet événement d’importance et de taille inégale. L’une ne com-porte que la mention d’une famine, l’autre se trouve reproduite dans PHILOCHOROS, FGrHist 328F 119 et la dernière, celle du manuscrit de Vénétus, est citée ici (trad. GARNSEY, op. cit., p. 175).151 PLUT., Per., 37.4 (trad. CUF) avec le commentaire de Ph.A. STADTER, A Commentary on Plutarch’sPericles, Chapel-Hill-Londres, 1989, p. 336-339.

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vertu de cette loi de Périclès, intentés aux sang-mêlé, qui jusqu’alors passaientinaperçus et échappaient à l’attention. Beaucoup de citoyens mêmes furent enbutte aux accusations calomnieuses. On vendit comme esclaves près de cinq millepersonnes convaincues de bâtardise et le nombre de celles qui gardèrent le droit decité et furent reconnues pour athéniennes se monta, après recensement, à quatorzemille quarante”.

“Les détails précis de cet épisode sont irrémédiablement perdus”152. P. Garnseydoute même de la réalité de cette famine. Il fait remarquer que R. Meiggs hésiteentre un généreux présent fait par le prince comme réponse à une situation grave etun acte politique afin de renouer des contacts avec Athènes, une hypothèse n’ex-cluant nullement l’autre153. Mais, dans notre perspective, le plus important demeurela distribution et les bénéficiaires de cette dernière154.

Le récit de Plutarque se démarque de la scholie et du texte de Philochoros par sonenchaînement logique. Il lie en effet la réforme de Périclès concernant les critères decitoyenneté à la distribution de céréales faite quelques années plus tard. En 451/0,une loi modifie en profondeur l’accès au corps des citoyens. Nulle révision n’est faite,ce qui indique que cette dernière ne comportait aucune clause de rétroactivité155. Enrevanche, en 445/4, le nombre des citoyens devenait un problème crucial car celaconditionnait le poids de céréales reçu par chaque Athénien. Une révision généraleétait impérative pour éviter une agitation dans les dèmes156. La Constitution des Athé-niens en garde le souvenir par son expression, voire donne un motif véritable pour ladécision de Périclès. En 451/0, celui-ci aurait pris conscience que les distributionsde céréales, indispensables en cas de disettes, imposaient une restriction de l’accès àla citoyenneté, ce qui se passa réellement en 445/4157. Le début de la scholie faitd’ailleurs observer ceci : “comme, lors des distributions, on procédait à un examenstrict afin d’établir qui étaient les véritables citoyens, les gens comparaissaient devantles tribunaux, accusés de prétendre illégitimement à la citoyenneté”158. Un passaged’Aristophane, base de la scholie, l’illustre, sans doute pour 424/3159 :

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152 GARNSEY, op. cit., p. 176. STADTER, op. cit., p. 337 hésite entre une révision générale des listes ouune série d’accusations concomitantes. Il préfère cette dernière hypothèse car ni Philochore, ni Plu-tarque n’évoquent une diapsèphisis.153 R. MEIGGS, The Athenian Empire, Oxford, 1972, p. 95 et 268.154 Si les chiffres donnés par Plutarque apparaissent fantaisistes, le passage n’en est pas moins riche d’en-seignement.155 C’est la position défendue par HAUSSOULLIER, op. cit., p. 35-36 qui fait toute confiance à Plutarque.J.M. HANNICK, Droit de cité et mariages mixtes dans la Grèce classique. À propos de quelques textesd’Aristote (Pol. 1275b, 1278a, 1319b), AC 45, 1976, p. 145-146 envisage la possibilité que l’applica-tion de la loi ait été retardée jusqu’au moment de la présentation de jeunes hommes nés en 451/0. L’ex-plication donnée par la Constitution des Athéniens, la volonté de faire baisser le nombre des citoyens, nesaurait être retenue telle quelle (Ibid., p. 147-148).156 HAUSSOULLIER, op. cit., p. 36 s’oppose à cette idée car le texte de Plutarque mentionne des tribu-naux. Or, ces derniers n’intervenaient qu’en appel. Mais Plutarque ne précise pas à quel moment de laprocédure ceux-ci sont entrés en action.157 Un décret honorifique daté sur critères paléographiques c.450 remercie un Théréen qui a fourni descéréales (IG I3, n° 30), signe supplémentaire des difficultés que connaît la cité.158 Nous citons le texte traduit par GARNSEY, op. cit., p. 175.159 AR., Guêpes, 715-718 (trad. Debidour).

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ÉAll' ıpÒtan m¢n de$svs' aÈto$, tØn EÎboian didÒasinÍm›n ka‹ s›ton Íf$stantai katå pentÆkonta med$mnouwporie›n: ¶dosan d' oÈp≈t° soi plØn pr≈hn p°nte med$mnouw,ka‹ taËta mÒmiw jen$aw feÊgvn ¶labew katå xo$nika -kriy«n.

“Mais quand ils ont la frousse pour eux-mêmes, ils vous font cadeau de l’Eubée, ilsvous promettent des largesses de blé, cinquante boisseaux par tête. Seulement, ilsne vous les ont jamais donnés ; sauf l’autre fois, cinq boisseaux ; et encore tu ne lesas touchés qu’à grand peine (on voulait t’exclure comme non-citoyen) et setier parsetier… et en orge”.

En période de guerre, les Athéniens surveillaient les distributions dont seuls lescitoyens bénéficiaient. Rien n’indique ici qu’il y ait eu une révision générale, sim-plement des procès qui s’expliquent assez bien par les jalousies. En 445/4, la loi dePériclès impliquait par voie de conséquence une révision générale160. Il est probableque jusque là, la décision souveraine de l’assemblée du dème était le seul critère etvalait inscription dans le registre161. Cette modalité induisait des abus et de l’arbi-traire que la révision de 445/4 limita.

2. Les révisions des registres de dèmes au IVe siècle

La révision générale de 346/5La procédure de la révision générale et exceptionnelle est connue principalement

pour 346/5 du fait de l’abondance des sources au premier rang desquelles il fautplacer le Contre Euboulidès de Démosthène162. La présentation du plaidoyer faite parLibanios décrit le contexte dans lequel ce diapsèphismos a eu lieu163 :

Grãfetai nÒmow par' ÉAyhna$oiw gen°syai zÆthsin pãntvn t«n §gge-gramm°nvn to›w lhjiarxiko›w grammate$oiw, e‡te gnÆsioi pol›ta$ efisin e‡temÆ, toÁw d¢ mØ gegonÒtaw §j éstoË ka‹ §j ést∞w §jale$fesyai,diachf$zesyai d¢ per‹ pãntvn toÁw dhmÒtaw, ka‹ toÁw m¢n épochfisy°ntawka‹ §mme$nantaw tª cÆfƒ, t«n dhmot«n §jalhl$fyai ka‹ e‰nai meto$kouw,to›w d¢ boulom°noiw ¶fesin efiw dikaståw dedÒsyai, kín m¢n èl«si ka‹ paråt“ dikasthr$ƒ, peprçsyai, §ån d' épofÊgvsin, e‰nai pol$taw.

“Une loi athénienne soumettait à une enquête tous ceux qui étaient inscrits sur lesregistres des dèmes, à fin de savoir s’ils étaient légitimement citoyens. Tous ceux quin’étaient pas de père athénien et de mère athénienne devaient être effacés. Lesmembres du dème avaient à voter sur tous les cas par oui ou par non : ceux qu’ils

196 LES ARCHIVES DANS L’ATHÈNES CLASSIQUE

160 Cela n’empêche pas que Périclès ait eu d’autres motivations, comme de prendre en compte les pro-blèmes fonciers de la cité (BOEGEHOLD, op. cit., p. 64-65).161 Cf. WHITEHEAD, Demes, p. 97-100 et MANVILLE, Origins of Citizenship, p. 176. Cela n’implique paspour autant qu’il n’existait pas de législation régulant l’admission dans le dème comme l’affirme PAT-TERSON, op. cit., p. 3 et chap. II (surtout p. 13-14 et p. 25-28).162 Outre DÉM., Eub., 57, voir ANDROTION, FGrHist 324 F 52, ESCHN., Tim., 1.77-78 avec scholie à77, 1.86, 1.114, Amb. 2.182 ; ISÉE, Euphil. avec DEN. HAL., Isée, 17 et Dinarque, 11.163 DÉM., Eub., 57, ÍpÒyesiw 1 (trad. CUF modifiée).

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avaient exclus et qui acceptaient la sentence du dème étaient définitivement déchuset devenaient métèques ; mais on avait la faculté d’en appeler à un tribunal : ceuxqui étaient condamnés en appel étaient vendus comme esclaves ; ceux quigagnaient leur procès restaient citoyens”.

Le terme de loi est bien sûr ici impropre. Il s’agit d’un décret voté en 346/5, sousl’archontat d’Archias. Démophilos, l’auteur de la proposition, demandait que tousles dèmes examinent les listes de leurs membres car nombre d’entre eux n’auraientpas dû s’y trouver : Euxithéos parle du “jour où la cité entière fut indignée et exas-pérée contre ceux qui avaient scandaleusement forcé l’entrée des dèmes”164. Lescommentateurs, depuis longtemps, s’interrogent sur le contexte précis de ce décret.Une distribution de biens est connue par le Pseudo-Plutarque, la fortune d’un cer-tain Diphilos qui s’élevait à 160 talents165. Une autre hypothèse peut être formulée.En 346, un décret accorde l’éloge à Spartacos et Pairisadès car ils ont veillé sur l’ex-portation de blé166. Certes, cela ne signifie pas qu’il y avait une disette à ce momentprécis. Mais le rapprochement avec ce qui précède est tentant. C’est donc peut-êtreune nouvelle distribution de céréales qui a causé cette révision de la liste descitoyens, au moment où la présence des pareggegrãmenoi paraissait la plus scan-daleuse.

Dans le Contre Euboulidès, Euxithéos conteste la décision prise par l’assemblée deson dème, Halimonte. Le plaidoyer est l’occasion pour lui de rappeler la procéduresuivie au cours de cette dernière167 :

Pr«ton m¢n oÔn ˘n trÒpon §n to›w dhmÒtaiw sun°bh tØn diacÆfisingen°syai [...] Pr«ton m¢n, §peidØ sun°ghsan ofl dhmÒtai, kat°tricen tØn≤m°ran dhmhgor«n ka‹ chf$smata grãfvn. ToËto d' ∑n oÈk épÚ toËaÈtomãtou, éll' §pibouleÊvn §mo‹, ˜pvw …w Ùcia$tay' ≤ diacÆfisiw ≤ per‹§moË g°noito: ka‹ dieprãjato toËto. Ka‹ t«n m¢n dhmot«n ofl ÙmÒsantew§genÒmeya tre›w ka‹ •bdomÆkonta, ±rjãmeya d¢ toË diachf$zesyai de$lhwÙc$aw, Àste sun°bh, ≤n$ka toÈmÚn ˆnom' §kale›to, skÒtow e‰nai ≥dh: ka‹går ∑n per‹ •jhkostÒn, ka‹ §klÆyhn Ïstatow èpãntvn t«n §n §ke$n˙ tª≤m°r& klhy°ntvn, ≤n$x' ofl m¢n presbÊteroi t«n dhmot«n épelhlÊyesanefiw toÁw égroÊw: toË går dÆmou ≤m›n, Œ êndrew dikasta$, p°nte ka‹ triã-konta stãdia toË êstevw ép°xontow ka‹ t«n ple$tvn §ke› ofikoÊntvn,épelhlÊyesan ofl pollo$: ofl d¢ katãloipoi ∑san oÈ ple$ouw µ triãkonta.ÉEpeidØ d' §klÆyh toÈmÚn ˆnoma, énaphdÆsaw otow §blasfÆmei kat' §moËtaxÁ ka‹ pollå ka‹ megãl˙ tª fvnª Àsper ka‹ nËn, mãrtura m¢n œnkathgÒrhsen oÈd°na parasxÒmenow oÎte t«n dhmot«n oÎte t«n êllvnpolit«n, parekeleÊeto d¢ to›w dhmÒtaiw épochf$zesyai [...] otow œn m¢n§g∆ proÈkaloÊmhn oÈd¢n §frÒntisen, tØn d¢ c∞fon eÈyÁw §d$dou to›w

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164 DÉM., Eub., 57.49.165 PS-PLUT., Lyc., 843D. L’hypothèse est douteuse toutefois car Lycurgue commence sa carrière poli-tique après Chéronée.166 OSBORNE & RHODES, n° 64.167 DÉM., Eub., 57.7, 9-11 et 13. WHITEHEAD, Demes, p. 88-89, 93-95, 105-109 et 296-301. L’étudeancienne de HAUSSOULLIER, op. cit., contient de précieuses remarques.

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paroËsi t«n dhmot«n, oÎt' épolog$an oÈdem$an §mo‹ doÁw oÎt' ¶legxonoÈd°n' ékrib∞ poiÆsaw. Ofl d¢ toÊtƒ sunest«tew énaphdÆsantew§chf$zonto. Ka‹ ∑n m¢n skÒtow, ofl d¢ lambãnontew dÊo ka‹ tre›w cÆfouwßkastow parå toÊtou §n°ballon efiw tÚn kad$skon. Shme›on d°: ofl m¢n gårchfisãmenoi oÈ ple$ouw µ triãkont' ∑san, afl d¢ c∞foi ±riymÆyhsanple$ouw µ •jÆkonta, Àste pãntaw ≤mçw §kplag∞nai.

“Je vais d’abord vous expliquer comment s’est faite, dans notre dème, la révisionde la liste (…) (9) D’abord, quand l’assemblée eut été réunie, [Euboulidès] passatoute la journée à faire des discours et à présenter des décrets. Tout cela non pas auhasard, mais calculé contre moi, pour que le vote sur mon cas eût lieu le plus tardpossible. Il y réussit. Nous étions soixante-treize membres du dème qui avionsprêté serment ; on commença à voter quand la soirée était très avancée, si bien qu’ilfaisait déjà nuit lorsque mon nom fut appelé. (10) On en était au soixantièmeenviron, et je fus le dernier de tous ceux qui furent appelés ce jour-là ; les démotesles plus âgés était repartis à la campagne : il faut dire que notre dème est à 35 stades[un peu plus de 6 km] de la ville et, comme presque tous y habitent, la pluparts’étaient retirés. Ceux qui restaient n’étaient pas plus de trente : dans le nombre,tous ceux que mon adversaire avait apostés contre moi. (11) À peine mon nom fut-il appelé qu’il bondit à la tribune et se met à me calomnier, parlant vite, d’abon-dance et à grands cris — vous l’avez vu faire — sans produire un témoin à l’appuide ses accusations, ni parmi les démotes, ni parmi les autres Athéniens ; et il invital’assemblée à m’exclure. [Euxithéos demande alors un report pour lui permettre derépondre à l’accusation et de fournir des témoins] (13) Mais il ne tint aucuncompte de ma proposition et fit immédiatement distribuer les jetons de vote auxdémotes présents, sans me permettre aucune défense, sans organiser un débatcontradictoire. Ses acolytes s’élancèrent au vote. Il faisait nuit, chacun reçut d’Eu-boulidès deux, trois jetons qu’ils jetèrent dans l’urne : ce qui le montre bien, c’estque, les votants n’étant pas plus de trente, on compta plus de soixante suffrages, àla stupéfaction générale”.

Plusieurs points sont à souligner dans cette révision à l’échelle du dème, d’abordle lieu de la réunion. De façon générale, nous ne savons pas où l’assemblée desdémotes se réunissait168. B. Haussoullier affirmait que “l’assemblée se tenait aumilieu du dème, sur l’Agora ou dans le théâtre”169. En réalité cette question n’est pasréglée. Le seul témoignage dont nous disposons, le Contre Euboulidès, laisse entendreque l’assemblée du dème d’Halimonte se tenait à la ville170. L’agora en questionpourrait aussi bien désigner celle d’Athènes. Dès lors, certains ont pensé que lesréunions des démotes se tenaient au centre. Mais le silence total de nos sources à cesujet paraît étrange171. Pour cette raison, D. Whitehead préfère considérer le lieudans lequel se réunissait l’assemblée du dème d’Halimonte comme un fait excep-

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168 WHITEHEAD, Demes, p. 88-90 et JONES, Associations, p. 86-94 en particulier p. 87-89 concernant cepassage du Contre Euboulidès.169 HAUSSOULLIER, op. cit., p. 5.170 DÉM., Eub., 57.10.171 JONES, Associations, p. 88 considère avec prudence cet argument en faisant remarquer que lesréunions des assemblées des dèmes ne donnaient pas forcément lieu à inscriptions.

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tionnel. Pour sa démonstration, il évoque deux conditions inhabituelles172. D’abord,en 346/5, Euboulidès aurait été bouleute et démarque. Cette dernière fonctionl’amenait souvent à Athènes. Il était donc pratique d’y réunir l’assemblée plutôt quedans le dème. Ensuite, la procédure est directement issue du décret de Démophilosordonnant l’examen des registres. La situation tendue qui en résultait au sein de lacommunauté pouvait pousser à préférer un lieu de réunion neutre comme la ville.Rappelons qu’Euxithéos accusait le père d’Euboulidès de forfaiture, en l’occurrenced’avoir usé de sa fonction de démarque pour inscrire de faux citoyens contre de l’ar-gent173. Or le décret de 346/5 entendait justement lutter contre les fraudes. Dès lors,il aurait été fort imprudent de confier la révision des registres aux fraudeurs en puis-sance, les magistrats des dèmes, au premier rang desquels le démarque. Le choix duou des bouleutes était plus approprié. Le Conseil, enfin, veillait déjà chaque année àla régularité des inscriptions174. Une extension de ses fonctions à ce sujet n’avait doncrien d’étonnant. La crédibilité de la deuxième condition n’interdit en rien l’erreurcommise au sujet de la première.

L’un des points majeurs de l’hypothèse de D. Whitehead concerne le statut d’Eu-boulidès démarque et bouleute au cours de la même année 346/5175. La tenue de cesdeux charges n’a pas d’équivalent dans nos sources. Nulle part dans le discours deDémosthène, cet homme n’apparaît exercer la fonction de démarque alors que sonpère, Antiphilos, est clairement désigné comme tel, tout comme Euxithéos176. On apu penser qu’une périphrase indiquerait cette fonction pour Euboulidès : “Étantbouleute, il faisait prêter serment et il disposait des listes qui servaient à faire l’appeldes démotes”177. R. Develin s’étonne qu’Euxithéos ne mentionne pas plus clairementla fonction de son adversaire. De plus, le discours démosthénien est sans ambiguïté.Euboulidès fait l’appel et fait prêter serment en tant que bouleute et non pas en tantque démarque. Il faut donc repenser la diapsèphisis. “The control of proceedingsunder Demophilos’ bill was given to one or more of a deme’s bouleutai for346/5”178. Le (ou les) responsable(s) de l’enquête veillai(en)t à la prestation du ser-ment et à la liste des démotes.

Un fragment d’Isée pourrait contredire cette position179. Le contexte paraît iden-tique à l’affaire d’Euxithéos comme l’introduction de Dionysios d’Halicarnasse lesuggère fortement. Euphilétos d’Erchia s’oppose à son exclusion du registre de dèmeen intentant un procès contre ses co-démotes et le démarque qui est décédé aumoment de l’affaire. Il vint alors devant l’arbitre pendant deux ans puis en appel180.Il n’est jamais question ici d’un démarque. Cependant, les procédures, la date de cediscours, et son authenticité même sont mal connues. Si l’on excepte l’introduction

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172 HAUSSOULLIER, op. cit., p. 5 en propose une troisième, les démotes auraient été à ce moment-là àAthènes, pour “quelque fête publique”.173 DÉM., Eub., 57.26 et 57.60 ; voir infra.174 PS-ARSTT, Ath. pol., 42.1-2 ; voir infra.175 WHITEHEAD, Demes, p. 88.176 DÉM., Eub., 57.26 et 57.63.177 DÉM., Eub., 57.8 (trad. CUF) : ka‹ bouleÊvn, Œ êndrew dikasta$, ka‹ kÊriow Ãn toË y' ˜rkouka‹ t«n grammat«n §j œn énekãlei toÁw dhmÒtaw.178 R. DEVELIN, Euboulides’ Office and the Diapsephisis of 346/5 B.C., C&M 42, 1991, p. 76.179 ISÉE, Euphil.180 ISÉE, Euphil.,12.11.

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de Dionysios, rien dans le fragment à notre disposition n’évoque la révision de346/5. Dès lors, son erreur devient parfaitement compréhensible. “This is, after all,simply a speech in support of Euphiletos by his half-brother”181. Nous aurions doncaffaire ici à une contestation normale dans laquelle le démarque joue son rôle182.

Enfin, une inscription d’Éleusis mentionnerait la tenue de l’assemblée au Thèseiond’Athènes, pour l’élection de magistrats183. Cette responsabilité essentielle pour la viedu dème l’était aussi pour la cité toute entière. Le démarque joue un rôle essentieldans la perception de la fiscalité comme dans l’octroi de la citoyenneté184. Uncontrôle émanant du centre sur les périphéries paraît de ce point de vue plausible etcompréhensible comme dans le premier cas. La révision générale et exceptionnelledes dèmes se faisait sous le contrôle du Conseil, c’est-à-dire des démotes bouleuteschargés de veiller à la régularité des procédures.

Les révisions à l’échelle d’un seul dèmeUne fois la procédure d’inscription accomplie, le démote pouvait considérer que

son statut ne varierait plus. Pourtant, la perte ou la détérioration des archives remet-tait tout en cause185 : “Les gens du dème ont dû procéder à une révision, après ser-ment prêté sur les victimes, quand le registre de Dème fut perdu ; c’était du tempsoù Antiphilos, le père d’Euboulidès, était démarque”. La perte du registre, signe deson importance, constitue à elle seule une raison suffisante pour examiner de nou-veau la situation des membres du dème d’Halimonte. Il y avait donc une consulta-tion régulière des archives ou du moins celle-ci devenait indispensable à certainsmoments. Mais dans ce cas, une mauvaise organisation des archives du dème n’ex-plique pas la perte du registre186 :

Dhmarx«n ı EÈboul$dou patÆr, Àsper e‰pon, ÉAnt$filow, texnãzeiboulÒmenow parã tinvn labe›n érgÊrion, ka‹ ¶fh tÚ koinÚn grammate›onépolvl°nai, Àst' ¶peise diachf$sasyai toÁw ÑAlimous$ouw per‹ aÍt«n,ka‹ kathgor«n d°ka t«n dhmot«n §j°balen, oÓw ëpantaw plØn •nÚwkated°jato tÚ dikastÆrion.

“Le père d’Euboulidès Antiphilos, étant démarque comme je l’ai rappelé,manœuvra pour obtenir de l’argent de certaines personnes. Il prétendit que leregistre s’était perdu : il fit décider que le dème soumettrait ses membres à l’examenet, se portant accusateur, en fit exclure dix ; tous sauf un furent réintégrés par le tri-bunal”.

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181 C’est l’avis de DEVELIN, op. cit., 1991, p. 78.182 PS-ARSTT, Ath. pol., 42.1-2.183 SEG 28, 1979, n° 103 décret II, 27-28 ; WHITEHEAD, Demes, p. 254s. considère que cela désignaitdes magistrats de la cité et non des dèmes.184 Cf. infra.185 DÉM., Eub., 57.26 (trad. CUF modifiée) : Diachf$seiw §j énãgkhw §g°nonto to›w dhmÒtaiwÙmÒsin kay' fler«n, ˜t' ép≈let' aÈto›w tÚ lhjiarxikÚn grammate›on dhmarxo$w ÉAntif$lou toËpatrÚw toË EÈboul$dou.186 DÉM., Eub., 57.60 (trad. CUF).

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Le recours devant les tribunaux était possible dans ce cas de figure. B. Haussoul-lier pensait qu’une procédure plus souple existait, basée simplement sur une enquêteorale menée rapidement par les démotes les uns sur les autres. Mais, comme le faitremarquer D. Whitehead, le plaidoyer ne mentionne rien de tel187. L’expressiondiacÆfisiw §j énãgkhw a toutes les chances de désigner une procédure technique,prévue justement en cas de détérioration des archives. Une loi prescrirait d’agir ainsi.Cette procédure n’est toutefois pas attestée dans d’autres dèmes, à l’exception decelui d’Euphilétos. Il ne peut donc s’agir que d’une hypothèse188. Le résultat de laprocédure judiciaire démontre aisément l’intérêt de l’appel. Il permet essentielle-ment d’éviter les abus et les excès qui ne manquaient pas. En même temps, il assureun contrôle régulier de la cité sur l’enregistrement des citoyens, ce qui témoigne deson souci à l’égard des archives des dèmes.

Les révisions ordinairesRégulièrement, les démarques inscrivaient des nouveaux membres dans le registre.

Il s’agissait le plus souvent de jeunes atteignant l’âge légal. Parfois cependant, desadultes pouvaient demander à être admis dans le dème, dans le cas d’affaires de suc-cession.

Avant d’être inscrits dans le registre, les jeunes subissaient une enquête sur laquellela Constitution des Athéniens donne des renseignements. Certains éléments sontindiscutablement postérieurs à la guerre du Péloponnèse, d’autres peuvent êtreconsidérés comme antérieurs sans qu’il soit possible d’affirmer que l’inscription n’apas subi de modifications depuis la fin du VIe siècle189 :

Met°xousin m¢n t∞w polite$aw, ofl §j émfot°rvn gegonÒtew ést«n, §ggrã-fontai d' efiw toÁw dhmÒtaw Ùktvka$deka ¶th gegonÒtew. ÜOtan d'§ggrãfvntai, diachf$zontai per‹ aÈt«n ÙmÒsantew ofl dhmÒtai, pr«ton m¢nefi dokoËsi gegon°nai tØn ≤lik$an tØn §k toË nÒmou, kên mØ dÒjvsi,ép°rxontai pãlin efiw pa›daw, deÊteron d' efi §leÊyerÒw §sti ka‹ g°gonekatå toÁw nÒmouw. ÖEpeit' ín m¢n épochf$svntai mØ e‰nai §leÊyeron, ı m¢n§f$hsin efiw tÚ dikastÆrion, ofl d¢ dhmÒtai kathgÒrouw aflroËntai p°nteêndraw §j aÍt«n, kín m¢n mØ dÒj˙ dika$vw §ggrãfesyai, pvle› toËton ≤pÒliw: §ån d¢ nikÆs˙, to›w dhmÒtaiw §pãnagkew §ggrãfein. Metå d¢ taËtadokimãzei toÁw §ggraf°ntaw ≤ boulÆ, kên tiw dÒj˙ ne≈terow Ùktvka$dek'§t«n e‰nai, zhmio› toÁw dhmÒtaw toÁw §ggrãcantaw.

“(1) Les jeunes gens sont inscrits au nombre des démotes à l’âge de dix-huit ans.Au moment de l’inscription, les démotes, après serment, décident par un vote :premièrement, s’ils ont l’âge exigé par la loi — en cas de décision contraire, ilsretournent parmi les enfants ; deuxièmement, s’ils sont de condition libre et denaissance légitime. Celui que les démotes repoussent par leur vote, comme n’étantpas de condition libre, peut faire appel au tribunal ; le dème de son côté élit cinqde ses membres pour soutenir l’accusation. Si le tribunal décide qu’en effet il n’a

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187 WHITEHEAD, Demes, p. 105.188 ISÉE, Euphil. ; cette analyse concernant ce plaidoyer n’a de sens qu’à partir du moment où l’hypo-thèse de R. DEVELIN, op. cit., 1991, est retenue.189 PS-ARSTT, Ath. pol., 42.1-2 (trad. CUF) avec le commentaire de RHODES, Commentary, p. 493-502.

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pas le droit de se faire inscrire, la cité le fait vendre ; si au contraire il gagne sonprocès, les démotes sont tenus de l’inscrire. (2) Cela fait, le Conseil soumet les ins-crits à un examen, et s’il décide que l’un d’eux n’a pas atteint l’âge de dix-huit ans,il met à l’amende les démotes qui l’ont inscrit”.

L’inscription sur le registre faisait un citoyen en même temps qu’elle faisait undémote190. Par voie de conséquence, pour prouver sa citoyenneté, il suffisait deprouver son appartenance à un dème ; l’appartenance à une phratrie ne paraît pasavoir la même importance dans le domaine de la citoyenneté. “It was thus vital tothe state as a whole as well as to the individual demes that precise records be kept,and that admission to (or exclusion from) a body of demesmen be a process notmerely enacted under controlled and standardized conditions but overseen and, ifnecessary, overturned by a higher authority”191. D. Whitehead reconnaît que l’exis-tence d’une liste générale paraît à tout le moins logique, sinon indispensable, alorsqu’il récuse par ailleurs cette hypothèse192.

La procédure ne peut être reconstruite pour le Ve siècle mais il est possible dedéterminer ses finalités principales, la vérification de l’âge et peut-être celle du statut.Pour la dokimasie à cette époque, nous disposons de deux sources. La premièren’appporte pas de renseignements sur la procédure proprement dite, sinon peut-êtresur la période de l’année au cours de laquelle elle se déroulait193. Le plaideur recon-naît avoir subi l’examen de majorité sous l’archontat de Théopompe (411/0). Il aexercé ensuite une liturgie lors des Dionysies et des fêtes des Thargélies. Son ins-cription a dû avoir lieu entre les mois d’Hékatombaion et d’Anthestérion. Ladeuxième émane d’Aristophane. Philocléon évoque les dokimasies auxquelles il par-ticipe en tant qu’héliaste : “Eh bien, quand les adolescents passent le conseil de révi-sion, je peux me rincer l’œil de leur nudité”194. Il est toujours difficile d’apprécierl’ampleur de la plaisanterie. Raille-t-il les juges qui observent de près les jeunes gensen vue de la vérification de leur âge ou bien caricature-t-il la procédure ? La premièrehypothèse n’exclut pas la seconde195.

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190 HAUSSOULLIER, op. cit., p. 11 et WHITEHEAD, Demes, p. 97.191 WHITEHEAD, Demes, p. 98.192 Il reprend M.H. HANSEN, The Number of Athenian Hoplites in 431 B.C., SO 56, 1981, p. 19-32sur l’absence de liste centralisée. Mais cf. infra.193 LYS., Déf., 21.1. Pour la procédure au IVe siècle, outre la Constitution des Athéniens, voir LYS., Theom.I, 10.31 et Theom. II, 11.2, Ev., 26.21, Diog., 32.9 ; DÉM., Aphob. I, 27.5.194 AR., Gren., 578 (trad. Debidour) : Pa$dvn to$nun dokimazom°nvn afido›a pãresti yeçsyai.Pour le commentaire, voir WHITEHEAD, Demes, p. 100-101.195 L’époque médiévale a laissé de nombreuses archives judiciaires concernant les affaires de détermina-tion de l’âge d’un individu. Le cas du royaume d’Angleterre a été étudié avec précision (J. BEDELL,Memory and Proof of Age in England 1272-1327, P&P 162, 1999, p. 3-27). Les documents écritsinterviennent dans la procédure mais ne sont jamais déterminants (une évolution est observée au coursdes XIVe-XVe siècles). On leur préfère les témoignages fondés sur la mémoire. Une comparaison avecla situation athénienne ne peut être menée terme à terme en raison de l’existence de registres de dèmeet de listes de conscription, pratiques d’écriture que les hommes du Moyen-Âge ne connaissaient pas.C’est pour cela que M. GOLDEN, Demosthenes and the Age of Majority at Athens, Phœnix 33, 1979,p. 37-38 conclut à l’existence d’archives précises constituées dès la naissance sur le modèle de la cité desMagnètes (PLAT., Lois, 6.785a).

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En somme, l’inscription dans le dème se fait en deux étapes. La première occupel’assemblée locale. La deuxième concerne le Conseil et éventuellement les tribunaux.Il est intéressant de constater, une fois encore, l’importance de la Boulè dans l’en-semble de la procédure, qu’elle soit exceptionnelle ou au contraire habituelle. Leshistoriens ont tendance à insister sur la liberté dont jouissait chaque dème. Pourautant, chaque étape paraît être sous un contrôle étroit du centre politique. Les tri-bunaux vérifiaient que personne n’était exclu improprement tandis que le Conseilveillait à ce que personne ne soit inscrit par erreur196. Les thesmothètes introdui-saient les procédures d’appel197. La procédure peut alors être reconstruite ainsi pourle IVe siècle : diacÆfisiw par l’assemblée du dème, ¶fesiw si besoin devant un tri-bunal et dokimasie par la Boulè sanctionnaient l’inscription dans le dème198. Elleprendrait un poids institutionnel supplémentaire s’il était démontrable qu’elle avaitlieu dans tous les dèmes en même temps199. En tous les cas, le cheminement insti-tutionnel est connu des Athéniens comme l’exprime Euxithéos200 :

ÑOr« gãr, Œ êndrew ÉAyhna›oi, oÈ mÒnon t«n épochfisam°nvn ÑAli-mous$vn §moË kuri≈ter' ˆnta tå dikastÆria, éllå ka‹ t∞w boul∞w ka‹ toËdÆmou.

“Je vois, Athéniens, qu’au-dessus du dème d’Halimonte qui m’a exclu, au-dessusmême du Conseil et de l’Assemblée, il y a les tribunaux”.

La procédure était plus simple dans le cas des adoptions d’adultes et des étrangersfaits citoyens201. Leur âge rendait inutile la dokimasie. Il pouvait quand même yavoir des étapes difficiles à franchir, surtout pour les fraudeurs. Le Contre Léocharèsnarre par le menu toutes les tentatives faites par Léocratès pour être inscrit dans ledème d’Otrynè. Le plaideur, Aristodèmos, dispute à Léocharès la succession d’Ar-chiadès. Ce dernier, décédé sans enfant, a donné par adoption ses biens à Léocratès(I) qui les a transmis à son fils Léostratos qui, de son vivant, fait de même avec sonenfant Léocratès (II). Celui-ci meurt sans enfant et la succession échoue à Léocharès,son frère. Dans l’épisode qui nous intéresse, Léocratès (I) tente à tout prix d’êtredémote à Otrynè ce qui lui permettrait de revendiquer à bon droit et au titre del’adoption les biens d’Archiadès inscrit dans ce même dème202 :

Ka‹ pr«ton m¢n §ly∆n o‰ow ∑n efiw tÚn ÉOtun°vn p$naka tÚn §kklhsiastikÚn§ggrãfein aÍtÚn ÉEleus$niow Övn, ka‹ toËto diƒke›to, ¶peita, pr‹n§ggraf∞nai ka‹ §n t“ lhjiarxik“ grammate$ƒ t“ t«n ÉOtrun°vn, met°xeint«n koin«n.

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196 WHITEHEAD, Demes, p. 101.197 PS-ARSTT, Ath. pol., 59.4.198 Pour les termes techniques désignant l’inscription, PS-ARSTT, Ath. pol., 42.1, ISÉE, Apol., 7.27-28,DÉM., Cour., 18.261, Boeot. I, 39.5, Eub., 57.61, Leo., 44.35-39, LYC., Leocr., 1.76… L’échec se disait¶kleiciw : voir SOUDA, s. v. ¶kleiciw ka‹ §j°lipen et Anecdota Bekker 1.259.21.199 WHITEHEAD, Demes, p. 103 n.86 en doute. Cf. cependant infra.200 DÉM., Eub., 57.56 (trad. CUF).201 HAUSSOULLIER, op. cit., p. 28-31.202 DÉM., Leo., 44.35 (trad. CUF modifiée).

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“D’abord, s’étant présenté au dème d’Otrynè, il se disposait à se faire inscrire surle tableau des membres de l’assemblée, lui qui était du dème d’Éleusis ; puis, avantmême son inscription sur le registre des démotes, à participer aux affaires dudème”.

La nature précise du pinax ecclèsiastikos n’est pas très claire. Les historiens ontpensé qu’il s’agissait d’une liste de tous ceux qui étaient payés pour leur présence àl’Ecclèsia d’Athènes203. Mais la nécessité d’une telle liste n’est pas évidente. En réa-lité, il faut reprendre le sens précis du passage. Léostratos tente de s’y inscrire car leregistre n’est pas encore ouvert. Son but est de vivre comme un démote et donc departiciper à l’assemblée du dème, ce qui est un élément de la définition de la citoyen-neté athénienne204. Celle-ci consiste aussi dans l’inscription formelle au sein d’undème, ce qui requiert l’inscription dans le registre. Or, ce dernier est fermé et Léos-tratos ne peut y avoir accès dans l’instant205. Jusqu’à son ouverture, il doit secontenter de vivre comme un démote et de se faire inscrire sur le pinax ecclèsias-tikon206. Aristodèmos, apprenant cette tentative, y fait obstacle en rappelant aux gensd’Otrynè que l’affaire de la succession n’étant pas réglée, ils ne sauraient déjàadmettre dans leur sein Léostratos comme fils adoptif d’Archiadès207.

Suite à cet échec, il ne se décourage pas et fait une deuxième tentative. Il se metd’accord avec des démotes d’Otrynè et le démarque, pour être inscrit lorsque leregistre sera ouvert208 :

äHke Panayhna$vn ˆntvn t«n megãlvn tª diadÒsei prÚw tÚ yevrikÒn, ka‹§peidØ ofl êlloi dhmÒtai §lãmbanon, ±j$ou ka‹ aÍt“ d$dosyai ka‹§ggraf∞nai efiw tÚ grammate›on §p‹ tÚ toË ÉArxiãdou ˆnoma.

“À l’occasion des Grandes Panathénées, s’étant présenté à la distribution du théo-rique, lorsque les démotes recevaient leur part, il demanda à toucher la sienne et àêtre inscrit sur le registre au nom d’Archiadès”.

Ce deuxième essai comporte des similitudes avec le premier. Il cherche à vivrecomme n’importe quel démote et donc à toucher le théorique. Mais il ne veut pasen rester là. Recevant son dû en tant que démote d’Otrynè, il entend être inscrit surle registre. L’admission dans le dème n’a de sens et n’a d’effectivité qu’avec la misepar écrit dans le lexiarchikon grammateion.

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203 Par exemple HAUSSOULLIER, op. cit., p. 111-113 ; pour d’autres références, voir WHITEHEAD, Demes,p. 104 n.94.204 Ph.B. MANVILLE, Origins of Citizenship, p. 1s. distingue à des fins didactiques, l’aspect légal et l’as-pect social. Le premier est passif tandis que le second est actif. L’état de citoyen se définit alors commeune participation active à la vie publique.205 DÉM., Leo., 44.37 ; voir infra.206 Cette volonté démontre que l’écrit pouvait avoir une certaine valeur dans les affaires de justice. Eneffet, sa volonté de figurer dessus ne se comprend que par son objectif, s’en prévaloir pour prouver sonadoption. On est donc loin des annoblissements taisibles qui permettaient à des individus de devenirnobles, dans la France moderne, simplement en adoptant le genre de vie nobiliaire.207 DÉM., Leo., 44.36.208 DÉM., Leo., 44.37 (trad. CUF).

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Une telle procédure n’est pas connue pour d’autres dèmes. Il n’est donc pas pos-sible d’en déduire d’éventuels caractères communs. Simplement, les poètes comiquesaimaient à se moquer de certains dèmes pour leur laxisme dans le domaine de l’ins-cription209. Dans le cas d’Otrynè, la corruption vient s’ajouter. Cela ne suffit paspour autant et le mérite en revient principalement à Aristodèmos, plutôt qu’audémarque.

La fraude paraît avoir été répandue à Athènes210. Cela provient en partie des avan-tages afférents à la citoyenneté. Les étrangers cherchaient eux aussi à figurer sur leregistre. La méthode utilisée paut être reconstruite à l’aide d’un passage de Démos-thène dans lequel le plaideur, Euxithéos, évoque ce qu’il aurait fait s’il avait étémétèque pour être inscrit dans un dème211 :

PoË prÚw êllouw dhmÒtaw §ly≈n, ka‹ oÈ dunhye‹w §ke$nouw pe›sai deËr'§mautÚn §n°graca; poË t$ poiÆsaw œn ˜soi mØ kayar«w ∑san pol›taipepoihkÒtew fa$nontai; oÈdamoË, éll' èpl«w, §n oÂw ı pãppow ı toËpatrÒw, ı §mÒw, <ı> patÆr, §ntaËya ka‹ aÈtÚw fa$nomai dhmoteuÒmenow. ka‹nËn p«w ên tiw Ím›n saf°steron §pide$jeien metÚn t∞w pÒlevw aÍt“;§nyume$syv går ßkastow Ím«n, Œ êndrew ÉAyhna›oi, toÁw •aut“ prosÆ-kontaw t$n' êllon ín dÊnait' §pide›jai trÒpon µ tÚn aÈtÚn §mo$, martu-roËntaw, ÙmnÊontaw, pãlai toÁw aÈtoÁw épÚ t∞w érx∞w ˆntaw;

“(55) Suis-je allé chercher un autre dème et ne me suis-je inscrit ici que pourn’avoir pu décider les gens ailleurs ? Ai-je fait une seule de ces démarches qui sontavérées chez les faux citoyens ? Non, c’est bien simple : on constate que je suisdémote, à mon tour, là où l’ont été le grand-père de mon père, le mien, puis monpère. Comment l’un d’entre vous pourrait-il démontrer plus sûrement qu’il appar-tient à la cité ? (56) Oui, que chacun de vous s’interroge, Athéniens : commentferait-il pour établir sa parenté autrement que je ne le fais en produisant le témoi-gnage et le serment de mes parents, les mêmes depuis toujours ?”

Le futur faux citoyen doit d’abord chercher un dème qui l’accueille et pourra par-fois faire plusieurs tentatives auprès de dèmes différents. Il doit éviter celui danslequel il réside sous peine d’encourir le risque de se faire reconnaître ; ce qui a commecorollaire de choisir un dème peuplé afin de ne pas tomber dans le piège d’unesociété de face à face212. Dans certains cas, le candidat à l’inscription choisit un dèmeéloigné de la ville car il pense que ses futurs co-démotes n’ont pas l’occasion de s’yrendre régulièrement et donc de le démasquer213. En l’occurrence, Pancléon optepour le dème de Décélie qui, outre son éloignement de l’asty, ne devait pas posséderd’archives anciennes, en raison de l’occupation lacédémonienne. Dans d’autres cas,le fraudeur pouvait espérer une absence de certains démotes qui vivaient en ville ;Démosthène n’a aucun intérêt dans son dème, Paiania.

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209 HAUSSOULLIER, op. cit., p. 32.210 HYP., Pour Euxénippe, 3.3 mentionne l’inscription d’un démote du Pirée dans le dème d’Halimonte,peut-être plus accommodant que celui d’Otrynè ou même que celui du Pirée.211 DÉM., Eub., 57.55-56 (trad. CUF).212 Voir JONES, Associations, p. 84. Dans le cadre de la conspiration oligarchique de 411, THC 8.66décrit les avantages de l’anonymat au sein d’un groupe trop nombreux pour la connaissance mutuelle.213 Voir LYS., Pan., 23 avec le commentaire de JONES, Associations, p. 83-86.

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Bien entendu, le faussaire doit déclarer des faux parents, ce qui explique qu’Euxi-théos précise que ses parents sont les mêmes depuis toujours. Cette affirmationrépond à une précédente dans laquelle il rappelait qu’il ne s’était pas fait inscrirecomme fils d’étrangers214. Mais, le but final, l’inscription dans le registre, n’était pastoujours atteint comme le montre l’exemple de Léostratos. La complicité de certainsdémotes peu scrupuleux assurait parfois la réussite de la tentative d’une inscriptionfrauduleuse. Cette dernière devenait alors un véritable commerce : “Des étrangers,Anaximénès et Nicostratos, voulaient devenir citoyens ; ils [Euboulidès et ses amis]les ont admis, moyennant une somme qu’ils se sont partagée à raison de cinqdrachmes par tête”215. Cependant, les faux démotes étaient toujours à la merci d’unerévision particulière de leur dème ou bien d’une révision générale. Dans les deux cas,c’est bien le recours aux documents écrits conservés qui est au cœur du fonctionne-ment de la démocratie athénienne et de la définition de la citoyenneté.

B. ARCHIVES ET EXERCICE DE LA CITOYENNETÉ

a) Archives, démarques et participation aux sacrifices des Panathénées

Le démarque est un agent de l’État athénien216. Quel rôle la gestion des archivesdu dème joue-t-elle dans cette fonction ? Un passage de Démosthène, peu com-menté, permet d’entrevoir l’importance du registre et donc par voie de conséquencedu magistrat qui en est responsable217. Après avoir échoué à se faire inscrire dans ledème d’Otrynè parce qu’il faut d’abord une décision du tribunal central à propos del’adoption qu’il revendique, Léostratos décide de s’entendre avec des démotes, dontle démarque, pour être inscrit lorsque le registre serait ouvert, ce qui advient aumoment des Panathénées. Cette précision n’est pas sans importance au regard despratiques grecques en matières d’archivage.

En Grèce, on ne consulte pas les originaux archivés à tout moment218. Dans le casdu dème d’Otrynè, l’ouverture concerne le registre, c’est-à-dire une sorte de tablettescellée ou bien une jarre ou un coffre également scellé, ce qui signifie que l’inscrip-tion réelle dans l’archive adéquate ne se faisait pas après le vote mais à un momentprécis, en l’occurrence à l’occasion d’une grande fête religieuse, et ce pour deux rai-sons. D’abord, grâce à sa liste, le démarque vérifiait l’identité de ceux qui allaientpercevoir le théorique (que Léostratos tente de toucher), ce qui constituerait unepreuve effective de son adoption. Ensuite, il faut garder à l’esprit l’organisation desPanathénées au cours desquelles les participants se rendaient au Céramique pour ledébut de la grande procession par dème à la tête duquel se trouvait le démarque.Selon la Souda, ce dernier diekÒsmoun tØn •ortØn t«n Panayhna$vn219. Une

206 LES ARCHIVES DANS L’ATHÈNES CLASSIQUE

214 DÉM., Eub., 57.51 (trad. CUF).215 DÉM., Eub., 57.59 : boulom°nouw tinåw ényr≈pouw j°nouw pol$taw gen°syai, ÉAnajim°nhnka‹ NikÒstraton, koinª dianeimãmenoi p°nte draxmåw ßkastow prosed°janto.216 À ce propos, voir WHITEHEAD, Demes, p. 130-139.217 DÉM., Leo., 44.37, cité supra.218 Les pratiques des personnes privées en matière d’archivage témoignent du même souci de non alté-ration de l’original, l’ouverture pouvant toujours donner lieu à une fraude (cf. chapitre 6).219 SOUDA, sv dÆmarxoi.

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scholie à un vers d’Aristophane est encore plus explicite : diekÒsmoun tØnpompÆn220. Pour D. Whitehead, “It is hard to tell (…) exactly what the demarchs’duties amounted to”221. Mais un complément d’informations peut être trouvé dansun décret de 335/4-330/29 qui réglemente les fêtes annuelles, les Petites Panathé-nées222. Les hieropoioi sont chargés de répartir la viande provenant du sacrifice “auxAthéniens dans le Céramique, comme dans les autres distributions de viande”, et de“répartir les parts pour chaque dème en proportion du nombre de leurs participantsà la procession”223. Cela signifie que chaque dème détermine le nombre des partici-pants et que les démarques ont la charge de répartir la viande entre chaque individu.“The demarchs’ diakosmesis was doubtless necessary not only for the ordering of theprocession but also to assist the hieropoioi in identifying by deme those who were tobe allotted their meat”224. À cette occasion également, était versé le theorikon225.

Dès lors, le passage du Contre Léocharès prend tout son sens226. L’ouverture duregistre lors des Grandes Panathénées — ou des Petites — se faisait parce qu’une foisla liste originale révisée, le démarque distribuait le théorique et s’assurait du droit dechacun à la perception de la viande227. Par ses archives, il veillait donc à ce que la citéne versât pas indûment une indemnité qui rendait effective la citoyenneté et plusimportant encore, il était le garant du droit des citoyens à partager le sacrifice et parlà il assurait la cohésion civique. Dans son dème, il devait également veiller à la qua-lité des participants aux sacrifices locaux. Par une inscription, nous savons que Kal-lidamas de Cholleidai reçut le privilège de recevoir une part de viande, comme lesdémotes du Pirée, lors des sacrifices dans les sanctuaires locaux sauf pour ceux quiétaient interdits à tout étranger228. Pour les dèmes comprenant de nombreux non-démotes, citoyens ou métèques, le recours à l’écrit devait s’imposer, d’autant plusdans le domaine religieux où l’erreur constituait un sacrilège. Le registre contenaitdonc des précisions quant au statut des personnes. Les responsabilités que ledémarque exerçait en matière de funérailles le confirment229.

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220 Scholie à AR., Nuées, 37.221 WHITEHEAD, Demes, p. 137.222 OSBORNE & RHODES, n° 81 ; pour un commentaire, H.W. PARKE, Festivals of the Athenians, New-York, 1977, p. 47-50.223 OSBORNE & RHODES, n° 81, l. 24-27 : ka‹ miçw §v|[nhm°nvn ne]mÒntvn tå kr°a t«i dÆmvi t«iÉAyhna$vn §n | [Kerameik«]i kayãper §n ta›w êllaiw kreanom$aiw: é[p|on°mein d¢] tåwmer$daw efiw tÚn d∞mon ßkaston katå [t|oÁw p°mpon]taw ıpÒsouw ín par°xhi ı d∞mow ßkastowktl.224 WHITEHEAD, Demes, p. 137.225 PÉLÉKIDIS, op. cit., p. 90-91 et FARAGUNA, op. cit., p. 15.226 DÉM., Leo., 44.37.227 Cette idée de l’ouverture se retrouve dans ISÉE, Apol., 7.27 lorsqu’Apollodôros fait savoir auxdémotes son intention de leur présenter Thrasyllos comme son fils adoptif et de le faire inscrire. Cettequestion est traitée au moment de l’assemblée électorale du dème, c’est-à-dire au début de l’annéecivique.228 IG II2, n° 1214, l. 11-19.229 Un passage d’Isocrate indique que pendant la guerre du Péloponnèse, les Athéniens ne vérifiaientplus dans les registres les noms de ceux qui avaient droit d’être inhumés (ISOCR., Myt., 8.88 ; cf. aussiDÉM., Macart., 43.58-59).

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Ainsi donc, le démarque apparaît comme un acteur essentiel et indispensable dela vie civique athénienne. Agent de l’État, il maintient la cohésion de la cité en s’as-surant de la qualité de ses membres et il garantit les droits de chacun des citoyensdémotes. Certes, il n’est pas question d’attribuer au seul Clisthène cette interactionentre le centre politique que représentent le Conseil et l’Assemblée et les périphériesque sont les dèmes. Pour autant, l’instauration du registre de dème, au plus tard dansla première moitié du Ve siècle, a enclenché un processus d’accroissement de la pro-duction, de l’utilisation et de la conservation des écritures publiques230.

b) Archives périphériques et mobilisations militaires

Les préoccupations militaires ont pu jouer un rôle important dans l’élaborationdes réformes de Clisthène, particulièrement si l’on retient l’analyse de H. van Effen-terre231. Sa démonstration prend appui notamment sur le décret de Thémistocledont l’interprétation ne va pas sans poser problème, en raison de l’identification desanachronismes. La stèle n’a pas été gravée au Ve mais au IIIe siècle. Le décret étaitcependant connu dès le IVe siècle232. Une procédure de levée y est décrite et nousconsidérons qu’elle est pour le moins proche de la réalité du IVe siècle233 :

ÉAnagrãcai d¢ ka[‹ toÁw êllouw katå] naË`n` toÁw strathgoÁw efiwleuk≈[mata, toÁw m¢n ÉA]y`hna$`o`uw §k t«n lhjiarxik«n grammate$[vn,toÁw] d`¢` j[°n]ouw §k t«n épogegramm°nvn pa[r]å t«i [pole]m`[ãrx]v`[i:]

“Que les stratèges inscrivent les autres par navire sur des tablettes blanchies, lesAthéniens à partir des registres de dème et les étrangers à partir des inscriptionsfaites auprès du polémarque”.

La réalisation de listes permettait la conscription. D’après le décret d’Aristophonde 362, les membres du Conseil et les démarques furent chargés de faire le recense-ment des démotes mobilisables et de fournir des matelots : ka‹ toÁw bouleutåw ka‹toÁw dhmãrxouw katalÒgouw poie›syai t«n dhmot«n ka‹ épof°rein naÊtaw“que les bouleutes et les démarques établissent la liste des mobilisables et qu’ils four-nissent des matelots”234. La suite montre que les matelots étaient recrutés par lesdèmes235. Or ce serait une déviation notable par rapport à la procédure normale, quenous ignorons, parce que c’est un décret qui organise la levée236. Nous savons parailleurs que les trièrarques équipaient leurs navires avec des volontaires sans appa-remment l’aide des démarques237. Cette procédure exceptionnelle n’était pas parfaite,

208 LES ARCHIVES DANS L’ATHÈNES CLASSIQUE

230 Nous persistons à penser que le registre de dème appartient à l’esprit même de la division nouvelledu territoire que nous attribuons à Clisthène. Cela ne signifie pas que ce dernier avait à l’esprit laconstruction d’un modèle centre/périphérie.231 VAN EFFENTERRE, op. cit. Cf. aussi M.R. CHRIST, Conscriptions of Hoplites in Classical Athens, CQ51, 2001, p. 398-399.232 Le décret est cité par Eschine (DÉM., Amb., 19.303).233 MEIGGS & LEWIS, n° 23, l. 29-31.234 DÉM., Pol., 50.6.235 DÉM., Pol., 50.7 : “Pour moi, je ne vis pas arriver les matelots enrôlés par les dèmes…”236 À propos de la procédure, DAVIES, op. cit., p. 144 et GABRIELSEN, Financing, p. 105-110. Cf. égale-ment CHRIST, op. cit., p. 401.237 LYS., Déf., 21.10 et DÉM., Mid., 21.154.

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comme Apollodôros le reconnaît lui-même ; il dût refuser l’équipage qui lui arrivait.Cependant, celui qu’il recruta ensuite déserta bien vite, contrairement aux hommesretenus d’après le catalogue238. De plus, la loi de Périandre de 357, qui établit lessymmories triérarchiques, laissait le recrutement de l’équipage à la charge de lacité239. Mais nous ne savons pas si le démarque avait quelques responsabilités danscelui-ci ou bien s’il revenait aux seuls stratèges de constituer le personnel de la flottede guerre, à l’aide toutefois des registres. Cependant, l’idée d’une procédure totale-ment nouvelle à propos du décret d’Aristophon paraît à exclure240. Il était naturel dese tourner vers le démarque et vers les démotes bouleutes, tout comme on le faisaitlors des révisions des listes ou pour la perception de certaines contributions.

Les registres, bien entendu, n’étaient pas transmis tels quels et toute une procé-dure était mise en place pour permettre la centralisation, procédure qu’un passage dela Constitution des Athéniens sur les éphèbes décrit241 :

Ofl d¢ ¶fhboi §ggrafÒmenoi prÒteron m¢n efiw leleukvm°na grammate›a§negrãfhsan ka‹ §pegrãfonto aÈto›w ˜ t' êrxvn §f' o §negrãfhsan ka‹ ı§p≈numow ı t“ prot°rƒ ¶tei dediaithk≈w, nËn d' efiw stÆlhn xalk∞n énagrã-fontai, ka‹ ‡statai ≤ stÆlh prÚ toË bouleuthr$ou parå toÁw §pvnÊmouw.

“Primitivement, ceux qu’on inscrivait comme éphèbes étaient inscrits sur destablettes blanchies et en tête on marquait le nom de l’archonte en charge dansl’année de leur inscription et le nom de l’éponyme qui avait été en tête de la listedes arbitres de l’année précédente. Maintenant, la liste des éphèbes est gravée surune stèle de bronze qu’on dresse devant le Bouleutérion, près des [dix] éponymes”.

Le principal changement à l’époque de l’auteur de ce texte concerne le support del’inscription, ce qui est à mettre en rapport avec la réforme de l’éphébie qui se tra-duisait par une volonté renouvellée de prestige. Sans doute a-t-on aussi voulu éviterles travers rapportés par Aristophane un siècle auparavant242 :

ToÁw m¢n §ggrãfontew ≤m«n, toÁw d' ênv te ka‹ kãtv§jale$fontew d‹w µ tr$w. @rion d' ¶sy' ¥jodow.T“ d¢ sit$ oÈk §≈nht': oÈ går ædein §ji≈n:e‰ta prosståw prÚw tÚn éndriãnta tÚn Pand$onowe‰den aÍtÒn, képor«n ye› t“ kak“ bl°pv ÙpÒn.TaËta d' ≤mçw toÁw égro$kouw ır«si, toÁw d' §j êstevw∑tton, ofl yeo›sin oÔtoi kéndrãsin =icãnspidew.âVn ¶t' euyÊnaw §mo‹ d≈sousin, µn yeÚw y°l˙.Pollå går dÆ m' ±d$khsan,ˆntew o‡koi m¢n l°ontew,§n mãx˙ d' él≈pekew.

ARCHIVES OFFICIELLES PÉRIPHÉRIQUES 209

238 DÉM., Pol., 50.16.239 Sur cette réforme, voir GABRIELSEN, Financing, p. 182-199.240 N.V. SEKUNDA, Athenian Demography and Military Strength 338-322 B.C., ABSA 87, 1992,p. 323-325.241 PS-ARSTT, Ath. pol., 53.4 (trad. CUF modifiée).242 AR., Paix, 1180-1190 (trad. Debidour modifiée).

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“Ils inscrivent des noms sur la liste, ils en effacent d’autres, ils la brouillent sensdessus dessous, deux fois, trois fois : ‘Demain, départ en campagne’. Le type n’avaitpas acheté de provisions : il ne savait pas qu’il allait partir ; et puis, quillé devant lepanneau d’affichage, il s’est vu marqué, lui ! Éperdu du désastre, il court partout,l’oeil à la vinaigrette ! Voilà ce qu’ils nous font, à nous les paysans ! Aux gens de laville, ils n’en font pas tant, ces grands déserteurs devant la statue de Pandion — etdevant les hommes.Un jour, s’il plaît au ciel, ils m’en rendront raison : car ils m’en ont trop fait subir !Lions au coin du feu, mais au combat, renards !”.

La réalisation de la liste paraît échapper totalement au démarque et constituer uneattribution des autorités militaires, stratèges et taxiarques. Mais, Aristophaneindique seulement que la ville, le centre, décide sans jamais rien demander à ceux dela campagne qui de plus ne peuvent intervenir pour contester les décisions, aucontraire des urbains. L’intervention du démarque serait mal venue dans ce tableau.La ville, pour parler comme Aristophane, possédait-elle dès lors un catalogue per-manent des hoplites ?

Pour M. H. Hansen, “the central katalogos of hoplites, like ‘the hoplite class’ is amodern fabrication without sufficient basis in the source”243. Il ajoute plus loin :“We have no evidence for a central register of hoplites listing all citizens ‘of hoplitecensus’ between 18 and 59 years of age. A katãlogow seems to have been a notifi-cation of citizens from the first three census classes called up for hoplite service on aparticular occasion. The register used for a katãlogow may have been thelhjiarxikå grammate›a”244. Une première remarque concerne le vocabulaire245.Les sources distinguent ı katãlogow des katãlogoi. Ce dernier désigne la liste queles stratèges doivent publier de tous ceux qui sont hoplites cette fois-ci246. Le premiernomme la liste des soldats mobilisés pour une tribu247. Ou bien, l’expression §kkatalÒgou doit être entendue comme un adverbe. Elle ne signifie pas qu’un registreunique a été réalisé à partir des listes tribales248. À juste titre, M. R. Christ souligneles difficultés posées par l’établissement d’une liste de 20000 noms et sa mise àjour249.

Dans tous les cas, pour des raisons pratiques, l’exclusion du démarque surpren-drait alors même que celui-ci occupe une place importante dans le décret d’Aristo-

210 LES ARCHIVES DANS L’ATHÈNES CLASSIQUE

243 HANSEN, op. cit., p. 24-25. Son argumentation est reprise dans M.H. HANSEN, Demography andDemocracy : The Number of Athenian Citizens in the Fourth Century, Herning, 1985, p. 83-91. Un pas-sage de Plutarque évoque cependant une liste des citoyens de Syracuse dont les Athéniens auraientréussi à s’emparer. Ils auraient découvert à cette occasion le nombre des soldats qui s’opposaient à eux,et s’en seraient inquiétés (PLUT., Nic., 14.5).244 HANSEN, op. cit., 1981, p. 29.245 A.H.M. JONES, Athenian Democracy, Oxford, 1957, p. 163, repris par A. ANDREWES, The HopliteKatalogos, in SHRIMPTON G.S. et D.J. MACCARGAR (éd.), Classical Contributions : Studies in Honor ofMalcom Francis McGregor, Locust Valley (NY), 1981, p. 1-3.246 Pour le Ve siècle, voir THC 6.26.2 et 6.31.3.247 LYS., Alc. II, 15.5.248 CHRIST, op. cit., p. 402-403.249 Ibid., p. 400-401.

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phon de 362250. À cette date, la levée a certes été modifiée et l’appel se fait par grouped’âge, autrement dit par année archontale, sur le modèle de l’inscription dans ledème251. Avant le deuxième quart du IVe siècle, et au moins depuis 450, lestaxiarques étaient en charge de l’enrôlement et avaient toute liberté pour accomplirleur tâche. Une telle liste était-elle établie sans recours aux informations desdémarques alors même que les registres étaient utilisées pour le paiement des contri-butions ? Nous ne le pensons pas252. Depuis la deuxième moitié du Ve siècle au plustard, le démarque organise donc la procédure de l’appel en fournissant ses archivesou plutôt des copies de celles-ci afin de permettre aux autorités athéniennes de pro-céder à la levée des troupes. Cela évoque directement l’affaire Euboulidès et lesgrãmmata à l’aide desquels il appelle les démotes. Ce dernier n’était pas démarquemais bouleute au moment de la réunion de l’assemblée du dème qui devait examinerla qualité de ses membres253. Une révision aurait-elle un sens si le démarque, peut-être coupable de fraudes, avait la charge de l’établissement de ces grãmmata ? Dèslors, ces documents écrits proviennent probablement du Conseil. Sans aller jusqu’àsuggérer une liste générale des citoyens conservée au Métrôon ou au Bouleutérion,il n’est pas absurde de penser que le centre politique athénien disposait ou pouvaitdisposer d’informations sur les citoyens par le démarque et surtout par la transmis-sion de ses archives254. Si les dèmes se réunissaient à la ville pour le diapsèphismos de346/5 — hypothèse que nous suivons, la possibilité matérielle d’une liste centraliséen’est plus à exclure. Cette question requiert un examen approfondi concernant l’es-timation des fortunes privées et le paiement de l’eisphora ou d’autres taxes basées surles biens possédés.

c) Archives périphériques et fiscalité

1. Inscription dans le registre et paiement de taxes

Selon plusieurs sources, des liens très étroits existent entre l’inscription dans unregistre, de dème ou de phratrie, et le paiement de taxes, le plus souvent pour destemples, mais aussi peut-être pour la cité tout entière. Cette interaction apparaîtdans un fragment du poète comique du IVe siècle Cratinos Le Jeune255 :

Pollost«i d' ¶tei§k t«n polem$vn o‡kad' ¥kv, suggene›wka‹ frãteraw ka‹ dhmÒtaw eÍr∆n mÒliwefiw tÚ kulike›on §negrãfhn: ZeÁw ¶sti moi•rke›ow, ¶sti frãtriow, tå t°lh tel«.

“De nombreuses années plus tard, j’arrivai chez moi de chez l’ennemi ; trouvantdifficilement des génnètes, des phratères ou des démotes, je m’inscrivis dans l’ar-

ARCHIVES OFFICIELLES PÉRIPHÉRIQUES 211

250 DÉM., Pol., 50.8. Voir infra.251 Cf. en dernier lieu CHRIST, op. cit.252 Cf. IG I3, n° 138, cité et commenté infra.253 DEVELIN, op. cit., 1991, et supra.254 De ce point de vue, il ne faut pas exagérer la lenteur du système de conscription comme le faitCHRIST, op. cit., p. 408.255 CRATINOS LE JEUNE frag. 9 K-A.

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moire à coupe : Zeus est bienveillant et “fraternel” à mon égard, je paie désormaisles taxes”.

Le tableau est rapidement dressé par le poète. L’homme en question, s’étantabsenté depuis de longues années pour cause de guerre, ne trouve à son retour niceux de son génos, ni ceux de sa phratrie, ni même ceux de son dème pour l’accueillir— et sans doute aussi pour le reconnaître. Il ne peut donc s’inscrire sur le registrecar la procédure suppose une présentation et un vote. Cherchant à pallier cette situa-tion délicate, il s’inscrit quand même mais dans l’armoire, c’est-à-dire sur une coupe.Cela suffit au temple de Zeus pour lui réclamer des taxes. Le comique repose ici surle support d’archivage et sur l’automaticité de l’imposition. Ce passage nous permetde proposer quelques hypothèses concernant le bâtiment d’archives. Il peut toutsimplement s’agir du temple dans lequel le matériel nécessaire au culte était aussiconservé dans une armoire, tÚ kulike›on. Ou bien, la phratrie en question possé-dait-elle un bâtiment lui permettant d’entreposer outre des documents, registre ouautre, les objets cultuels256.

L’inscription dans un dème peut servir de base pour une perception comme lemontre un décret de la deuxième moitié du Ve siècle (c. 440)257 :

[... 23 ... xsumbãllesyai d¢ tÚ]<w> h<i>pp[°>aw dÊo dr]axm<å ka>‹ <t>Úw[hopl$taw draxm¢n] ka‹ tÚw toxsÒtaw tÒw te ést[Úw ka‹ tÚw xs°now tr]™$wÙbo<l>Úw t? §nia[ut]? épÚ t?[n kay' •kãstow misy?n:] §kprattÒnton d¢ hoid°mar[xoi parå èpãnton t?n] §w tÚ lexsiarxikÚn gr<a>mmat[e›ongraf°nton, ofl d¢] <t>Òxsarxoi parå t?n toxso<t>[?n: §ån d° tinew m¢ép]odid?si, §kprãtt<e>n ka‹ [tåw érxåw a„ tÚw misyÚw é]podidÒasi paråtoÊton §k [t?n misy?n. he d¢ bol¢] he ée‹ boleÊosa sf?n aÈt?n [hair°syotam$a dÊo ê]ndre t? ér<g>u[r$]o t? ÉApÒllon[ow ˜tan tÚw t?n t™w Me]trÚwxremãton aflr™tai: to[Êtoin d¢ §w yÒlon §lyÒ]ntoin paradidÒnton ho<$> te[d°marxoi ka‹ ofl tÒxs]arxoi ka‹ <h>oi prutãnew hÚ ín` [§kprãttosiérgÊri]on. t<Ú> d¢ tam$a metå [t?] <h>i<e>[r°ow t?$ ÉApÒllonow t? te]m°now t?ÉApÒllono[w §pimel°syon, ˜pow ín kãllis]ta yerapeÊ<e>tai ka‹ [....]EU[...17 ...] NEI: xremat$zen d¢ aÈto‹[w ˜tamper pr?ton • bol¢] kay™tai prÒtoi<wme>tå tå hierå ... 14 ...].

“Que les cavaliers contribuent pour deux drachmes, les hoplites pour une et lesarchers citoyens et étrangers pour trois oboles, chaque année sur leurs soldes. Queles démarques exécutent cette décision pour tous ceux qui sont inscrits sur leregistre de dème et les toxarques pour les archers. Si certains ne versent pas leurscontributions, que les magistrats chargés du paiement de la solde les retiennent àla source. Que le Conseil, chaque fois qu’il se réunit, choisisse deux hommes parmises membres comme trésoriers de l’argent d’Apollon à l’imitation de ceux qui sontchoisis pour administrer les biens de la Mère. Que les démarques, les toxarques et

212 LES ARCHIVES DANS L’ATHÈNES CLASSIQUE

256 Il est naturel de penser que le personnage s’inscrit auprès d’une phratrie à cause de l’épiclèse de Zeusqui est frãtriow et •rke›ow ; cette épiclèse se retrouve aussi dans le décret des Démotionides.257 IG I3, n° 138 avec JAMESON, op. cit., 1980, WHITEHEAD, Demes, p. 135-136 et FARAGUNA, op. cit.,p. 15. Concernant la datation, un des arguments évoqué par JAMESON, op. cit., 1980, l’absence de sigmaà trois barres, est sujet à caution. Nous préférons donc une datation moins précise.

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les prytanes qui auront perçu l’argent le déposent en se rendant à la Tholos. Queles trésoriers et le prêtre d’Apollon aient souci du temple d’Apollon afin qu’il soitorné des plus belles choses. Que le Conseil s’occupe de leurs affaires et qu’il lesplace en premier dans ses débats avec les affaires sacrées”.

Le misyÒw qui existerait au moins depuis la révolte des Samiens définit les contri-butions selon la place dans l’armée et non selon le classement solonien258. Parmi lescontribuables cités dans le décret, il faut remarquer que les hoplites sont totalementrestitués mais cela demeure la possibilité la plus logique. M. Jameson s’interroge surle contenu réel de ce terme et envisage qu’en plus des soldats §k katalÒgou, il yavait aussi les membres de l’infanterie lourde affectés sur les bateaux259. Toutefois, laquestion ne semble pas devoir se poser car le texte précise clairement que ledémarque utilise ses archives, en l’occurrence le registre de dème, pour déterminerl’identité des personnes sur lesquelles il lève la contribution. L’inscription est doncici déterminante pour la levée de l’imposition et rien ne permet de penser que lesthètes en soient exclus. La citoyenneté était-elle alors un critère ? Les métèquesétaient-ils enregistrés dans un document possédé par le dème ? Nous avons vu pré-cédemment que les responsablités du démarque impliquaient qu’il puisse déterminerle statut des personnes habitant dans le dème. Il est possible que l’expressionlhjiarxikÚn grammate›on désigne ici un ensemble de documents parmi lesquelsdes listes de métèques auraient pu se trouver, comme le koinÚn grammate›on260.Mais l’inscription fait la citoyenneté et il serait donc étrange que l’on utilisât préci-sément ce terme pour désigner des métèques.

Ceux-ci contribuent toutefois au temple d’Apollon auprès des tÒxsarxoi. Cettecollecte vise-t-elle tous les archers ou bien seulement les étrangers ? L’hypothèse laplus probable est que ces magistrats perçoivent la contribution de ceux qui ne figu-rent pas dans le registre, comme les archers mercenaires non-résidents. Le cas descitoyens les moins riches, à savoir les thètes, ne peut être tranché. Cela dépend plusgénéralement du sens que l’on donne à l’ensemble des réformes de Clisthène. Si lesystème est né des préoccupations militaires, tous les citoyens devaient y figurer. Onpourrait aussi avancer une hypothèse fiscale en soulignant que le registre permettaitune vérification et l’assurance que personne ne serait oublié, en l’occurrence lesthètes.

Mais alors “comment admettre que les métèques, auxquels s’appliquaient tout unensemble de droits et de devoirs déterminés, qui avaient régulièrement à payerl’impôt, à fournir des soldats et des matelots, à prendre part aux cultes officiels,n’aient pas été soumis aussi à une organisation régulière”, c’est-à-dire à un enregis-trement écrit ?261 Dans les inscriptions, la forme de désignation des métèques estinvariable : le nom du dème est précédé de la formule ofik«n §n qui figure réguliè-rement dans les actes officiels262. En aucun cas, il ne s’agit d’un démotique et cela ne

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258 À propos du misyÒw, W.K. PRITCHETT, The Greek State at War. Part I, Berkeley-Los-Angeles-Londres, 1971, p. 3-14.259 JAMESON, op. cit., 1980, p. 218.260 Ibid., p. 219.261 M. CLERC, Les métèques athéniens, Paris, 1893, p. 237.262 Ibid., p. 240-241.

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fait pas de l’étranger un démote car il perdrait cette “épithète” en cas de changementde résidence au contraire du citoyen. Inscrits, ils paient des impôts pour lesquels ilspeuvent recevoir l’atélie263. Mais la question du support de l’inscription se pose : exis-tait-il un seul registre ou plusieurs ? Rien ne permet de trancher264.

Quoi qu’il en soit, le démarque avait à sa disposition la liste des métèques résidantdans son dème et ce pour une bonne raison : la perception du métoikion dont lemontant, selon les lexicographes, s’élevait à douze drachmes pour les hommes et sixpour les femmes indépendantes, ce qui d’après les comptes des travaux de l’Érech-théion représentait une journée de travail par mois265. En cas de fraude, les peinesencourues étaient sévères, la mise en esclavage266. Il fallait donc pouvoir vérifierl’identité de ceux qui devaient payer ou de ceux qui fraudaient267. Il est préférabledès lors d’envisager le dème comme lieu de paiement car les métèques étaient ins-crits dans cette circonscription. Certes, l’hypothèse de D. Whitehead ne peut êtretotalement récusée. Pour lui, il y avait à coup sûr des registres de métèques dans lesdèmes mais cela n’empêchait pas un paiement centralisé ailleurs, au Polétérion ou aubureau du polémarque. “They would be based on reports from the demes, and they(rather than the deme lists) would be wherein payment was recorded”268.

Il reste à apprécier la liberté d’inscription car elle concerne directement lesarchives. La gestion de ces dernières différerait selon que l’étranger faisait sademande ou si les autorités responsables l’inscrivaient automatiquement. L’amende-ment à un décret du IVe siècle montre que les étrangers séjournant à Athènesn’avaient pas le choix. Les Sidoniens de passage à Athènes reçoivent le privilège dene pas être inscrits à diverses contributions parmi lesquelles le métoikion, ce quiimplique que les autres étrangers de passage devaient régulariser leur situation, sansdoute lorsque leur séjour dépassait une durée minimale (un mois ?)269. Le démarquedevait donc tenir à jour ses registres, qu’il transmettait en bon état à son successeurpour lui permettre d’assurer une continuité indispensable dans les affaires fiscales.

2. Démarques, archives et eisphora

Entre 378 et 323, les Athéniens mirent en place un système original de percep-tion de l’eisphora270. Celui-ci requérait la désignation de groupes de personnes riches,

214 LES ARCHIVES DANS L’ATHÈNES CLASSIQUE

263 IG II2, n° 1185-1186.264 Un autre débat important concerne l’hypothèse d’une liste centrale des métèques : CLERC, op. cit.,p. 249 y est hostile ; D. WHITEHEAD, The Ideology of the Athenian Metic, Cambridge, 1977, p. 72s. netranche pas vraiment. Toutefois, le décret de Thémistocle (MEIGGS & LEWIS, n° 23, l. 29-31), pour leIVe siècle au plus tard, semble indiquer une inscription auprès du polémarque, ce qui n’est toutefoispas contradictoire avec l’idée d’une conservation de la liste de “ses” métèques par le démarque, juste-ment à des fins fiscales et non plus militaires.265 POLL., Onom., 3.55 et HARP., s.v. meto$kion.266 DÉM., Aristog. I, 25.57 ; WHITEHEAD, op. cit., 1977, p. 76 explique cette sévérité en insistant sur ceque représentait le non paiement du métoikon, à savoir le franchissement de la barrièrecitoyen/métèque.267 Voir GAUTHIER, Symbola, p. 122 à propos du paiement.268 WHITEHEAD, op. cit., 1977, p. 77.269 OSBORNE & RHODES, n° 21, l. 30-35.270 Pour la situation antérieure à 378, nous disposons de peu de sources (P. BRUN, Eisphora, Syntaxis,Stratiotika, Paris, 1983, p. 22-28). Il est donc difficile de reconstruire la procédure par laquelle la cité

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les symmories. Pour ne pas avoir à collecter les sommes auprès des individus, la citérecevait la somme totale de trois cents personnes (proeisphérontes) qui avaient ensuitela charge de se faire rembourser271. Ils étaient répartis à raison de trois par symmorie.Or le Contre Polyclès décrit une procédure bien différente pour l’année 362, puis-qu’assise sur le dème272 :

DÒjan går Ím›n Íp¢r t«n dhmot«n toÁw dhmãrxouw ka‹ toÁw bouleutåwépenegke›n toÁw proeiso$sontaw t«n te dhmvt«n ka‹ t«n §gkekthm°nvnprosaphn°xyh mou toÎnoma §n tritto›w dÆmoiw diå tÚ fanerån efina$ mouoÎsian.

“Vous aviez décidé que, pour chaque dème, les démarques et les bouleutes dresse-raient la liste des démotes propriétaires et des citoyens soumis à l’enktètikon quiseraient appelés à payer d’avance pour les autres : je fus inscrit dans trois dèmes carma fortune est visible”.

Trois éléments introduisent une différence avec le déroulement habituel du prélè-vement de l’eisphora273. Les Trois Cents n’apparaissent pas et la désignation desproeispherontes ne semble survenir qu’au moment de l’eisphora274. L’orateur sembleindiquer qu’en temps normal les dèmes jouaient un rôle dans la perception de cettetaxe. Aucune mention de deux autres proeispherontes qui auraient versé une partie dela somme avec Apollodôros n’est faite.

Pas moins de six explications différentes ont été avancées pour rendre compte decette apparente contradiction. La première, la plus simple, affirmait que la procédureclassique était postérieure à 362, ce qui est contredit par un passage d’Isée qui men-tionne les Trois-Cents dans un discours antérieur275. Bien plus, il semble que laconstitution de ce groupe soit sans lien avec la levée d’une eisphora. Il est en outredifficile de penser les proeispherontes sans les symmories qui constituent le cadremême du système. Les cinq autres explications considèrent que la procédure décritedans le Contre Polyclès était exceptionnelle276. Dans cette perspective, P. Brun met enavant le contexte historique277. Il rappelle qu’en juin 362 a lieu la bataille de Man-tinée pour laquelle une eisphora a été levée. Or le Contre Polyclès est postérieur detrois mois. Dès lors, la description ci-dessus correspondrait à une nouvelle levée pourlaquelle une autre assiette aurait été cherchée car les proeispherontes n’avaient pasencore eu le temps de récupérer leurs fonds. Les dèmes auraient été mieux à même

ARCHIVES OFFICIELLES PÉRIPHÉRIQUES 215

percevait l’eisphora. Toutefois, l’importance du dème dans le fonctionnement de l’Athènes post-clis-thénienne nous amène à penser que la perception recourait d’une manière ou d’une autre au démarqueet à ses archives. On peut aussi évoquer le rôle des naucraries (voir supra).271 ISÉE, Philok., 6.60.272 DÉM., Pol., 50.8 (trad. CUF modifiée).273 R.W. WALLACE, The Athenian Proeispherontes, Hesperia 58, 1989, p. 474.274 De nombreux commentaires ont été faits à propos de l’absence des Trois Cents (Cf. BRUN, op. cit.,p. 36 n.3).275 ISÉE, Philok., 6.60.276 WALLACE, op. cit., p. 476-478 montre les limites de chacune.277 BRUN, op. cit., p. 36-38.

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de connaître les fortunes visibles. Ce système serait exceptionnel et n’aurait pas étérenouvelé car il ne reposait que sur les biens immeubles278.

Il est pourtant possible de revenir sur le caractère supposé exceptionnel de la pro-cédure279. Une certaine similitude avec le système de levée militaire peut être établie,en particulier l’association entre le démarque et les bouleutes qui appartenaient vrai-semblablement au dème en question. La façon de procéder n’est donc pas une inno-vation radicale même si elle s’appliquait auparavant aux seuls domaines militaire etpolitique. En outre, l’extrait du Contre Polyclès mentionne trois dèmes et non unseul280. Cela suppose une procédure en deux temps, une déclaration dans les dèmesconcernés et une centralisation, à l’instar de celle que nous connaissons mieux pourle timèma281. La question doit donc être reprise à cette aune.

Un passage de Démosthène constitue un point de départ intéressant. L’orateurtente de récupérer son héritage et s’en prend à Aphobos, l’un de ses tuteurs. Dans saréplique, il déclare282 :

Tå m¢n går dÊo tãlanta ka‹ tåw ÙgdoÆkonta mnçw épÚ t«n tettãrvntalãntvn ka‹ trisxil$vn §lãbete, Àst' oÈd¢ taËta Íp¢r §moË efiw tÚdhmÒsion §timÆsasye.

“Vous aviez reçu vos deux talents et vos quatre-vingts mines sur le total de quatretalents et trois mille drachmes : vous n’avez donc pu comprendre ces sommes dansla déclaration de fortune que vous avez faite en mon nom eis to dèmosion”.

Il n’est pas certain que la formule employée par Démosthène, efiw tÚ dhmÒsion§timÆsasye, puisse être comprise par “déclaration de fortune à la cité”, selon la tra-duction de L. Gernet. En effet, la formule efiw tÚ dhmÒsion peut renvoyer à la miseaux archives civiques. Un certain nombre d’indices permettent d’aller dans ce sens.D’abord, la déclaration est citée au tribunal par Démosthène283 :

216 LES ARCHIVES DANS L’ATHÈNES CLASSIQUE

278 La notion de biens immeubles correspondrait à l’expression grecque phanéra ousia. Nous revenonssur cette question infra.279 En dernier lieu FARAGUNA, op. cit., p. 16-21 qui reprend pour l’essentiel les conclusions de WAL-LACE, op. cit. Sans vraiment l’affirmer, V. GABRIELSEN, FANERA and AFANHS OUSIA in ClassicalAthens, C&M 37, 1986, p. 113-114 avait émis l’hypothèse d’une procédure moins exceptionnelle quenombre d’historiens l’affirmaient.280 Plusieurs inscriptions établissent une différence entre les dhmÒtai et les §gkekthm°noi. Voir IG II2,n° 1214, l. 25-28 (avec WHITEHEAD, Demes, p. 385-386 n. 89 et 425 n. 510 ; voir aussi IG II2, n° 1187,l. 16-17 et n° 1204, l. 11-12 qui mentionnent une atélie pour des non démotes… WHITEHEAD, Demes,p. 75-76 n. 38, 82 et 150 met en garde contre une généralisation abusive à tous les dèmes de cette taxesur des propriétés foncières. Du reste, le Pirée peut être considéré à bien des égards comme un mondeà part, PS-ARSTT, Ath. pol., 50.2-51.3, 54.8, RHODES, Commentary, p. 573-578 et 611, R. GARLAND,The Piraeus From the Fifth to the First Century B.C., Londres, 1987, p. 72-100). Toutefois, la spécificitédu Pirée tient avant tout à son emporion et non à un régime foncier. DÉM., Pol., 50.8-9, cité supraévoque une liste des propriétés foncières possédée par les démarques, sans distinction particulière. Surcette question, voir à présent les analyses de FARAGUNA, op. cit., p. 21-22 que nous avons suivies.281 BRUN, op. cit., p. 15 : “Le timèma d’un contribuable était, dans l’Athènes classique, la déclaration del’ensemble des biens de ce dernier”, “ce qui ne signifie pas pour autant qu’elle était exacte” ajoute-t-il(cf. aussi GABRIELSEN, Financing, p. 100). Voir plus généralement BRUN, op. cit., p. 8-15.282 DÉM., Aphob. II, 28.8 (trad. CUF modifiée).283 DÉM., Aphob. II, 28.10-11 (trad. CUF modifiée).

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Lab¢ dØ tåw martur$aw ka‹ énãgnvy' aÈto›w pãsaw §fej∞w, ·na mnhsy°ntewka‹ t«n memarturhm°nvn ka‹ t«n efirhm°nvn ékrib°steron diagign«skvsiper‹ aÈt«n.

MARTURIAI.

TaËy' otoi prÚw pentekaidekatalãntouw o‡kouw sunetimÆsany' Íp¢r§moË.

“Prends-moi les témoignages et lis-les tout d’une suite au tribunal : il faut luiremettre en mémoire à la fois les témoignages et les dires, afin qu’il juge mieux enconnaissance de cause.

TÉMOIGNAGES.

Ainsi, d’après la déclaration qu’ils ont faite en mon nom d’un commun accord, jesuis classé parmi ceux qui possèdent un patrimoine de quinze talents”.

L’orateur distingue précisément les preuves écrites et les témoignages oraux(mnhsy°ntew ka‹ t«n memarturhm°nvn). Mais de toute façon, il est entendu quele mot martur$a ne désigne pas toujours un témoignage oral comme les traductionsle laissent penser284. Un autre passage extrait du même plaidoyer de Démosthène enfournit un exemple285 :

Pãntvn d' étop«tatÒn §stin, l°gontaw …w ı patØr oÈk e‡a misyoËn tÚno‰kon, tØn m¢n diayÆkhn mhdamoË taÊthn épofa$nein, §j ∏w ∑n efid°naitékrib°w, thlikaÊthn d'énelÒntaw martur$an oÏtvw o‡esyai de›n efikª pis-teÊesyai par' Ím›n.

“Le plus étrange, c’est que, tout en soutenant que mon père avait interdit d’af-fermer le patrimoine ils ne produisent pas le testament qui permettrait de vérifierce point, et qu’après avoir supprimé un témoignage de cette importance, ils pré-tendent en être crus sans examen à votre tribunal”.

Une déclaration écrite a donc été faite et elle a été conservée puisqu’elle est pro-duite devant le tribunal. Pour autant, cela signifie-t-il que les tuteurs de Démosthèneaient fait cette déclaration directement auprès du Conseil qui l’aurait ensuite misedans ses archives, au Métrôon ou dans le Bouleutérion ? L’expression utilisée, efiw tÚdhmÒsion, pourrait le laisser croire286. Les archives civiques ont conservé un décretaccordant l’isotélie pendant plus d’un siècle287. Il n’y aurait donc rien d’étonnant ence que cette institution conservât des informations de cette nature. Il apparaît tou-tefois plus vraisemblable d’envisager une procédure indirecte qui aurait le démarque

ARCHIVES OFFICIELLES PÉRIPHÉRIQUES 217

284 Voir par exemple ESCHN., Amb., 2.32. Nous revenons sur ce point chapitre 6.285 DÉM., Aphob. II, 28.5 (trad. CUF).286 Un intéressant parallèle peut être trouvé avec la désignation des cavaliers : voir PS-ARSTT, Ath. pol.,49.1-3 et St. GEORGOUDI, Manières d’archivages et archives de cités, in M. DETIENNE (dir.), Les savoirsde l’écriture, Lille, 1992, p. 231-232.287 IG II2, n° 971, commenté chapitre 3.

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pour médiateur ainsi que les démotes bouleutes, ce qui permettait une vérificationpréalable288.

Un dernier point du décret d’Aristophon mérite de plus amples commentaires, lamention d’une fanerå oÈs$a289. Le texte laisse l’impression que le “visible” pro-cède avant tout de l’inscription de ses biens dans le cadre des dèmes pour lesquels ilpaie l’enktètikon290. Les affaires d’héritage semblent aller dans le même sens. Un bienprésent dans un testament est phanéra ; aphanès s’il n’y figure pas291. Dès lors, la for-tune était visible lorsqu’elle était déclarée292. Cette interprétation trouve un début deconfirmation dans un passage d’Isée dans lequel l’orateur affirme qu’Apollodôrosavait fait une importante déclaration car il payait comme cavalier293. Un peu plusloin, il affirme que sa fortune était “visible”, en l’occurrence déclarée avec honnêteté.Dans un passage du corpus démosthénien, la fortune qu’un individu est accuséd’avoir caché n’est pas inconnue de tous294. La dissimulation concerne dans ce cas lefait de ne pas la déclarer dans l’apophasis. Le même passage indique que certainsbiens n’ont pas à être déclarés (épofa$nein). Du reste, le verbe épofa$nv très sou-vent utilisé dans cette affaire d’héritage a le sens de “porter en compte”. Il est inté-ressant de noter que la fraude fiscale, en l’occurrence dissimuler sa fortune, se ditépokrÊptomai et non avec un composé de fa$nv295. Du reste, si l’on en croitDémosthène, le déclenchement de la procédure d’antidosis intervenait le deux dumois de Métageitnion, soit un mois après le début de l’année et l’ouverture duregistre296.

Le dème recevait donc une déclaration écrite de tous les démotes qui incluait l’en-semble des biens “visibles” puisque les questions relatives à l’héritage traitent de l’en-semble de la fortune de Démosthène et non d’éventuelles propriétés foncières dansle dème de Paiania que l’orateur ne possède du reste pas297. Ces informations étaientensuite transmises au Conseil par l’intermédiaire des démotes bouleutes. Un passage

218 LES ARCHIVES DANS L’ATHÈNES CLASSIQUE

288 Ce passage de Démosthène n’est pas cité par FARAGUNA, op. cit., alors qu’il apporte un élément com-plémentaire à son hypothèse concernant l’existence d’un cadastre à Athènes.289 GABRIELSEN, op. cit., 1985 et ID., Financing, p. 53-60 considèrent que phanéra et aphanès ousia neconstituent pas deux catégories juridiques mais relèvent d’attitudes différentes des propriétaires par rap-port à leurs biens. Ses conclusions ne remettent pas en question l’hypothèse avancée ici.290 Une inscription du Pirée (IG II2, n° 1214) lie le fait d’avoir des propriétés dans le dème et le paie-ment d’une taxe pour un personnage citoyen mais non démote.291 GABRIELSEN, op. cit., 1985, p. 106. Voir par exemple DÉM., Aphob. I, 27.55, 57, 66 ; Aphob. II, 28.8 ;Aphob. III, 29.59.292 Cette hypothèse n’entre pas en contradiction avec les conclusions de GABRIELSEN, op. cit., 1985,p. 106 selon lesquelles les trois principaux moyens de rendre une fortune visible sont l’apographè, le tes-tament et la déclaration du timèma, autant d’actes qui impliquent des documents écrits.293 ISÉE, Apol., 7.39.294 DÉM., Phén., 42.23.295 Voir par exemple ISÉE, Apol., 7.40 et ISOCR., C. Call., 18.48. GABRIELSEN, op. cit., 1985, p. 104 n. 16fournit une liste des occurrences et analyse les différentes techniques utilisées par les fraudeurs (p. 104-110).296 DÉM., Phén., 42.5.297 De ce fait, l’opposition entre le timèma et la procédure décrite dans le Contre Polyclès paraît factice(contra WALLACE, op. cit., p. 481-482).

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du Pseudo-Aristote en apporte une preuve complémentaire. Il concerne les Athé-niens de Potidée298 :

ÉAyhna›oi d¢ ofl §n Potida$& ofikoËntew deÒmenoi xrhmãtvn efiw tÚn pÒlemonépogrãcasyai ëpasi sun°tajan tåw oÈs$aw, mØ èyrÒaw efiw tÚn aÍtoËd∞mon ßkaston, éllå katå kt∞ma §n ⁄ tÒpƒ ßkaston e‡h, ·na ofl p°nhtewdÊnvntai Ípotimçsyai: ˜tƒ d¢ mØ ∑n kt∞ma mhy°n, tÚ s«ma dimna›on timÆ-sasyai. ÉApÚ toÊtvn oÔn efis°feron tÚ §pigraf¢n ßkastow.

“Les Athéniens de Potidée manquaient d’argent pour subvenir aux frais de laguerre : ils donnèrent l’ordre à tous les habitants de faire par écrit une déclarationofficielle de leurs possessions, non pas globalement pour chacun dans son propredème, mais pour chaque propriété une par une à l’endroit même où elle étaitsituée, de façon que même les gens de condition modeste pussent établir cette esti-mation ; quant à celui qui ne possédait rien, il devait déclarer sa propre personnecomme capital imposable estimé à deux mines. Sur la base de ces déclarations,chacun dut payer la part de contribution correspondant à la somme inscrite”.

Il apparaît à la lecture de ce texte que la procédure normale impliquait le dème(“non pas globalement pour chacun dans son propre dème”)299. L’originalité de l’ac-tion entreprise par les Athéniens de Potidée, et qui leur vaut d’être retenus dansl’Économique, concerne les modalités de la déclaration. En l’occurrence, tous lesbiens devaient être inscrits en fonction de leur localisation dans un dème et non plusen fonction du dème du déclarant. La justification donnée concernant les pauvres ade quoi surprendre. Pourquoi ce système les frappe-t-il plus qu’un autre ? Pourrépondre à cette question, seules les conjectures sont possibles. La plus simple paraîtêtre de considérer que les pénètes désignent ceux qui ne paient pas d’ordinaire lescontributions parce qu’ils n’ont rien à déclarer dans leur dème ou bien un capitalinférieur à une certaine limite300. Avec cette nouvelle procédure, le propriétaire d’unbien modeste dans un autre dème — ou dans plusieurs — échappait plus difficile-ment à la contribution. Cette hypothèse a comme corollaire qu’il n’existait pas decadastre central et que seul le démarque possédait un tel registre. Sans déclaration aucentre de la part du démarque, il devenait possible de dissimuler sa fortune.

Mais faut-il établir le parallèle avec la réalité athénienne ? La question doit êtreposée car le passage de l’Économique peut aussi bien être compris comme l’applica-tion de la norme athénienne à la cité de Potidée301. Il est plus vraisemblable d’envi-sager pour Athènes une certaine forme de centralisation. Les Athéniens sont en effet

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298 PS-ARSTT, Ec., 2.2.5.1347a (trad. CUF). M. MOGGI, L’eisphorà dei coloni ateniesi a Potidea([Aristot.] Oec. 2.2.5 [1347a]), QUCC 1, 1979, p. 137-142 considère que ce passage décrit une situa-tion du IVe siècle. Son analyse est reprise et amplifiée par SALOMON, op. cit., p. 203-208. R. THOMSEN,Eisphora. A Study of Direct Taxation in Ancient Athens, Copenhage, 1964, p. 41-42 pense qu’il n’est paspossible de déterminer la date de l’anecdote. Notre interprétation concernant la procédure mise enœuvre ne dépend pas de cette question.299 BRUN, op. cit., p. 5-6 et 6 n. 1 cite ce texte et considère qu’il ressort de la procédure de la déclara-tion globale du timèma, sans noter le rôle central du dème.300 Ibid., p. 15-22.301 FARAGUNA, op. cit., p. 29-30 n. 81.

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capables de connaître le montant total des phanerai ousiai. Ainsi, Polybe cite lechiffre de 5750 talents pour l’année 378/7302. Quelques années plus tard, Démos-thène et Philochoros mentionnent un chiffre plus élevé, 6000 talents, mais cette dif-férence reste dans un ordre de grandeur acceptable303. Il n’y a pas lieu de contester lavéracité de ce chiffre304. Le rôle central (diagramma) devait donc être révisé fré-quemment305.

Il n’en demeure pas moins que le passage du Contre Polyclès ne mentionne pas lesTrois-Cents, oubli qui doit être expliqué car il constitue un point clé de l’interpré-tation de ceux qui affirment le caractère exceptionnel de la procédure306. La thèse deWallace est simple, “the proeispherontes were never a standing college but were alwaysnewly constituted at the time when an eisphora was required”307. Du reste, il étaitnormal de mettre en place un système qui tenait compte des changements qui pou-vaient intervenir dans les fortunes, dans un sens comme dans l’autre308. La mort éga-lement rendait caduque les listes permanentes309. À chaque eisphora, il fallait intégrerles exemptions qui avaient pu être obtenues entre temps. Enfin, le volontariat nedoit pas être négligé. Mais alors, quand la révision avait-elle lieu ? Une procédureannuelle serait d’un intérêt limité, notamment avant 347, période au cours delaquelle il y eut moins d’une année sur deux avec eisphora.

Le rôle donné au démarque dans la perception de l’eisphora ne doit pas sur-prendre310. Selon les lexicographes, les démarques faisaient du reste des apographaides propriétés dans leurs dèmes, ce que B. Haussoullier comprenait comme la preuved’un registre des propriétés311. Au contraire, D. Whitehead approuve M. I. Finleylorsqu’il tente de démontrer l’inutilité de cette sorte de cadastre et définit les apo-

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302 POL. 12.62.6-7.303 Respectivement DÉM., Sym., 14.30 et PHILOCHOROS, FGrHist 328 F 46.304 BRUN, op. cit., p. 11-13.305 ARSTT, Pol., 5.8.10.1308a-b. Dans ce passage, outre la fréquence des révisions, Aristote note l’im-portance de comparer les montants totaux des estimations.306 WALLACE, op. cit., p. 478-481.307 WALLACE, op. cit., p. 479. DÉM., Phen., 42.3 et 32 montre simplement qu’un homme riche ayantdéjà appartenu aux Trois-Cents est de nouveau intégré dans ce groupe, ce qui n’a rien de surprenant.De même, un autre passage de Démosthène (DÉM., Cour., 18.103) qui évoque la continuité au sein dugroupe, s’explique par le petit nombre d’Athéniens capables d’avancer les eisphorai n’entre pas encontradiction avec le fait que les Trois-Cents sont désignés à chaque levée. Voir ISÉE, Philok., 6.60 citésupra.308 Cf. par exemple LYS., Diog., 32.25 qui cite un bénéfice de 2 talents sur une seule expédition mari-time.309 PLAT., Lois, 6.785a-b envisage un système de correction permanente.310 L’innovation que relate le Contre Polyclès (cette description dans le plaidoyer indique qu’elle ne cor-respond pas à la procédure normale, comme l’a noté de G.E.M. DE STE CROIX, Demosthenes’ T$mhmaand the Athenian Eisphora in the Fourth Century, C&M 14, 1953, p. 60) réside à notre avis avant toutdans le fait que le démarque est ici à l’origine de la déclaration et non l’individu imposable. Noussommes moins sensibles que FARAGUNA, op. cit., p. 18 à la présence des membres du Conseil, quiconstituent selon nous l’articulation essentielle entre le centre et la périphérie.311 Les lexicographes fournissent un témoignage unanime : dans la SOUDA et HARP., s. v. dÆmarxow ;scholie à un vers d’Aristophane (Nuées, 37) ; voir les commentaires de HAUSSOULLIER, op. cit., p. 110-111, A.M. ANDREADES, A History of Greek Public Finance, Cambridge (Mass.), 1933, p. 341 et FARA-GUNA, op. cit., p. 23-24.

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graphai comme des inventaires “médiatisés”312. Il invoque l’argument suivant. En411, Archeptolémos et Antiphon ont été convaincus de fraude et leurs démarquesrespectifs doivent faire les relevés de leurs propriétés313. L’épigraphie a laissé d’autresexemples, lors des saisies réalisées au cours de l’affaire des mutilations des Hermès oubien encore en 402/1 lors de la confiscation des biens possédés par les Trente et leurspartisans dont il reste huit stèles314. D. Whitehead sous-estime ici les archives dudémarque et des polètes tout comme il confond les inscriptions et les archives, à lasuite de M. I. Finley qui appuie l’ensemble de sa démonstration sur cette confu-sion315. L’interprétation de B. Haussoullier est convaincante et a été prolongéedepuis par M. Faraguna316. Selon ce dernier, le démarque possédait un cadastre quicontenait des éléments précis de délimitations317. En outre, il devait posséder unregistre qui lui permettait de connaître le statut de l’ensemble du domaine foncierde son dème i.e. les terres possédées par les §gkekthm°noi, les terres communes, lestémenè et les possessions des démotes318. Dès lors, le rôle fiscal des démarques ne sur-prend plus. Ces derniers étaient tout désignés pour prendre la charge d’assurer le rôlecentral dans la désignation des proeispherontes.

Il est difficile d’aller jusqu’à partager l’avis de J. Davies pour lequel par cette déci-sion Athènes revenait au système qui avait cours jusqu’en 378/7319. Au contraire, lesAthéniens mettent en œuvre une procédure qui s’inspire des relations dème/cité quijusqu’alors fonctionnaient bien dans les domaines militaire et politique320. Il est pos-

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312 M.I. FINLEY, Studies in Land and Credit in Ancient Athens, 500-200 B.C. The Horos Inscriptions, NewBrunswick, 1952, p. 207 n.19 considère que l’apographè a été mal comprise. Il s’agirait dans ce cas d’uneprocédure judiciaire : “An inventory of property belonging to one who was a public debtor, made andpublished with a view to securing execution upon it for satisfaction of the debt ; and by transference itcould denote the actual process by which such a debtor was arraigned before a court” (HARRISON, Lawof Athens II, p. 211). Toutefois, cette procédure n’incombe pas au seul démarque, elle peut être lancée parn’importe quel citoyen qui en cas de succès reçoit les trois quarts du domaine mal déclaré (Ibid., p. 212).313 PS-PLUT., Antiphon, 834A : le verbe n’est pas identique, apophènai et non apographo.314 IG I3, n° 425 pour les mutilations des Hermès et pour les biens des Trente et de leurs partisans, cf.M.B. WALBANK, The Confiscation and Sale by the Poletai in 402/1 B.C. of the Property of the ThirtyTyrants, Hesperia 51, 1982, p. 74-98.315 Nous suivons WHITEHEAD, Demes, p. 132, citant D. M. Lewis, lorsqu’il fait remarquer que lesdémarques exerçaient cette responsabilité en raison de leurs connaissances des réalités socio-écono-miques de leurs dèmes. Mais cette aptitude reposait sur la conservation de documents.316 Voir FARAGUNA, op. cit., pour l’existence de cadastres à l’échelle des dèmes à Athènes. Il a étendu saréflexion à l’ensemble du monde grec dans un article récent (ID., A proposito degli archivi nel mondogreco : terra e registrazioni fondiarie, Chiron 30, 2000, p. 65-115). Cf. aussi ID., Vendite di immobilie registrazione pubblica nelle città greche, in G. THÜR et Fr. J. FERNANDEZ (éd.), Symposion 1999. Vor-träge zur griechischen und hellenistischen Rechtsgeschichte, Cologne, 2003, en particulier p. 105-106.317 FARAGUNA, op. cit., 1997, p. 23 n. 63.318 Une inscription rapportant deux décrets du dème d’Éleusis qui montrent la responsabilité dudémarque dans la location des temenè, ce qui suppose qu’il puisse les délimiter (St.N. KOUMANOUDIS

et D.C. GOFAS, Deux décrets inédits d’Éleusis, REG 91, 1978, p. 289-306 et C. SCHWENK, Athens inthe Age of Alexander, Chicago, 1985, p. 212-219 n° 43). FARAGUNA, op. cit., 1997, p. 26-27 étudie éga-lement le retour d’Oropos dans le giron athénien et sa transformation en dème. La procédure qui estmise en œuvre alors consiste en un examen des terres, i. e. à la réalisation d’un cadastre.319 DAVIES, op. cit., p. 143-150, contra WALLACE, op. cit., p. 477-478.320 C’est la position de WALLACE, op. cit., p. 482 : “Apollodoros’ remarks on the proeisphora in 362 maytherefore be construed not as contradicting the other available sources for that liturgy but as providingmore detailed information on the way in which the proeisphora was organized”.

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sible d’ailleurs que la réforme de 378/7 ait agi comme déclencheur. Elle modifiaitl’eisphora dans son esprit et dans son mode de répartition321. Désormais, cette contri-bution s’associait avec celle qui était demandée aux alliés, la syntaxis, et se répartis-sait entre cent groupes, les symmories, dans lesquels les stratèges enregistraient lescontribuables322. Or ces derniers avaient l’habitude de travailler avec les démarquesdans les affaires militaires, mais il est vrai que Démosthène, lorsqu’il parle de cesmagistrats, peut très bien décrire le système des symmories triérarchiques, ce qui doitinviter à la prudence. Chacune d’elles était dirigée par un hégèmôn et un secrétaireétait chargé des inscriptions sur le rôle de l’impôt, le diagramma, que nous connais-sons par les lexicographes323. Cependant, cette réforme ne permit pas réellement auxAthéniens d’améliorer la perception des impôts, ce qui à une date incertaine lespoussa à mettre en œuvre la proeisphora.

3. Archives des temples athéniens et finances de la cité

A. TRÉSORIERS, SECRÉTAIRES ET ARCHIVES

Très tôt, les temples occupent une place centrale dans la vie civique athénienne.Leurs trésoriers étaient certes chargés de l’administration des sanctuaires mais ilsjouaient également un rôle important dans la vie financière de la cité324. À ce titre,l’étude de leurs archives, périphériques par rapport aux archives civiques, permetégalement de déterminer l’importance de la conservation des documents dans lefonctionnement d’Athènes. En effet, ces magistrats administraient les finances de lacité naissante et ils collectaient les taxes destinées à financer la construction de bâti-ments de culte ou bien assurer les sacrifices… Homère mentionne l’existence d’untemple d’Athéna sur l’Acropole et l’archéologie confirme son existence pour leVIIe siècle325. Les trésoriers d’Athéna, eux, ne sont mentionnés pour la première foisqu’à la fin de ce même siècle, dans une loi de Dracon326. “These Treasurers were incharge of public funds, principally the income from fines, and sacred dedications toAthena, whatever their nature may have been at this early date”327. Il est possible queDracon ait aussi légiféré à propos de questions de juridiction entre les différentsmagistrats, de la conduite des sanctuaires…

Leur fonction apparaît nettement dans une inscription de l’Acropole duVIe siècle328 :

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321 BRUN, op. cit., p. 28-33.322 DÉM., Bœot. I, 39.8.323 HARP., sv. Voir le commentaire de WALLACE, op. cit., p. 489.324 Comme l’écrit SAMONS, Empire of the Owl, p. 79 au sujet du trésor d’Athéna, “a sacred treasury, butone that at time functionned as a kind of ‘public’ treasury for Athens”.325 Il., 3.546-551 et Od., 7.80-81. Cf. J.M. HURWITT, The Athenian Acropolis. History, Mythology, andArcheology from the Neolithic Era to the Present, Cambridge, 1999, p. 95-98.326 PS-ARSTT, Ath. pol., 4.2 ; un signe de leur ancienneté peut être aussi trouvé dans leur mode de recru-tement parmi les pentacosiomédimnes même au IVe siècle (cf. infra). Pour une approche récente de laquestion de la désignation des trésoriers d’Athéna, SAMONS, op. cit., p. 38-39.327 HARRIS, Inventory Lists, p. 17. Si SAMONS, op. cit., p. 32-33 revient sur les revenus du trésord’Athéna, il ne commente pas réellement cette inscription.328 IG I3, n° 510 et L.H. JEFFERY, The Local Scripts of Archaic Greece, Oxford, 1990, p. 77 n.2.

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hoi tam$ai tãde xalk$a [---c.12-14--- én°yesan]sunel°xsantew DiÚw krater[Òfroni paid$ ---c.8-10---]ÉAnaxs$on ka‹ EÎdiqow ka‹ S[---c.9-10 ka‹ ---c.9-10---]ka‹ ÉAnd`ok$dew ka‹ Lus$max[ow ka‹ ---c. 8--- ka‹ ---c.8---]

“Les trésoriers ont fait la dédicace de ces ‘bronzes’, les ayant collectés ; à la fille deZeus l’avisé ; les trésoriers étaient Anaxios, Eudikos, S…, … Andokidès, Lysima-chos”.

La paléographie de l’inscription indique une datation autour de 550. Ce textesemble être une dédicace et non un document comptable329. Le métal collecté,xalk$a, ne doit pas être confondu avec le bronze. À cette époque, il s’agit d’unterme générique330. Selon ce texte, les trésoriers sont au nombre de huit, ce qui cor-respondrait à un tirage au sort de deux tam$ai par tribu et confirmerait du mêmecoup la présence d’un corps organisé de trésoriers. Après la réforme solonienne, ilsfurent tirés au sort au sein des pentacosiomédimnes331. Pisistrate a vraisemblable-ment joué un rôle dans l’organisation des sanctuaires locaux afin de les réunir tousdans le calendrier des fêtes et d’établir des prêtres et des trésoriers. La réforme deClisthène a eu pour conséquence l’augmentation du nombre de ces derniers, dixdésormais, mais ils continuèrent d’appartenir à la première classe solonienne. Certes,cela restait un honneur d’être un trésorier d’Athéna, mais cette distinction n’allaitpas sans risque. Les sanctions encourues en cas de faute pouvaient aller jusqu’à lapeine de mort. Du reste, le collège était rarement au complet, neuf fois sur trente-trois connus entre 403/2 et 344/3332.

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329 SICKINGER, Public Records, p. 39-40 remarque que le participe sunel°xsantew et le pronom tãdese rencontrent dans les inventaires. Il fait alors l’hypothèse qu’une liste d’objets accompagnait cette ins-cription. Cette possibilité n’est pas à exclure mais trop d’incertitudes demeurent.330 La Souda parle d’une fête très ancienne et très populaire depuis l’origine, les Chalkia (PARKE, op. cit.,p. 38 et 92). Une inscription de 277/6 (IG II2, n° 674, l. 16-17) appelle la déesse des Chalkia AthénaArchegétis, c’est-à-dire la divinité fondatrice. Le nom de la fête rappelle sans doute la contribution ori-ginelle des Athéniens sous forme métallique pour la réalisation des sacrifices comme D. HARRIS, TheTreasures of the Parthenon and Erechtheion, Oxford, 1995, p. 15 en formule l’hypothèse.331 PS-ARSTT, Ath. pol., 7.3 semble contredire ce fait mais ID., 8.1, 8.4-5 (avec RHODES, Commentary,p. 147-148) et aussi 47.1 sont décisifs.332 Le calcul est fait J. TRÉHEUX, Études sur les inventaires attiques, Études d’archéologie classique 3,1965, p. 13. L’incomplétude des collèges a été expliquée de différentes façons. La plus traditionnelleconsistait à mettre en avant les risques encourus (en dernier lieu HARRIS, op. cit., p. 16). D’autres y ontvu la conséquence de rigidités dans les modalités de sélection des candidats qui devaient appartenir auxpentacosiomédimnes. J. Tréheux propose la conjecture suivante. Après la dokimasie, les trésoriers dési-gnés devaient fournir des cautions, en raison de l’importance des sommes qu’ils manipulaient. Ainsi,ils ne pouvaient disposer de leur fortune qu’après avoir fait approuver leurs comptes (ESCHN., Ctes.,3.21). Si l’on suit cette hypothèse, alors il est possible d’envisager qu’au moment de la gravure tous lestrésoriers n’avaient pas encore réuni les cautions nécessaires (TRÉHEUX, op. cit., p. 15 et n. 1 fait unparallèle avec une inscription de Délos sur des fermes remises aux enchères en raison de cautions jugéesinsuffisantes). “La paradosis se faisait naturellement avec les seuls trésoriers investis, mais, la responsa-bilité du collège étant collective et la possibilité restant ouverte de le voir compléter, on réservait dans

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À partir de quand les trésoriers recoururent-ils à l’écrit ? Il n’est pas possible de ledéterminer avec certitude. Deux sources permettent toutefois de constater l’impor-tance de l’écrit, l’une, notamment pour les inventaires, l’autre pour leurs fonctionsen général.

Xénophon souligne la place de l’écriture dans la gestion quotidienne familiale,principalement dans la réalisation de listes333 :

ÜOsoiw d' efiw •ortåw µ jenodox$aw xr≈meta µ efiw tåw diå xrÒnou prãjeiw,taËta d¢ tª tam$& pared≈kamen, ka‹ de$jantew tåw x≈raw aÈt«n ka‹ épa-riymÆsantew ka‹ gracãmenoi ßkasta, e‡pomen aÈtª didÒnai toÊtvn ˜tƒd°oi ßkaston, ka‹ memn∞syai ˜ ti ên t“ did“, ka‹ épolambãnousankatatiy°nai pãlin ˜yenper ín ßkasta lambãn˙.

“Tous les objets que nous n’utilisons que pour les fêtes, les réceptions ou les occa-sions exceptionnelles, nous les avons remis à la trésorière ; après lui avoir montrél’emplacement, en avoir fait l’inventaire complet et écrit la liste, nous lui avonsprescrit de donner chacun de ces objets à qui en aurait besoin, de se souvenir de cequ’elle donnait à chacun, puis quand on lui rendrait, de remettre l’objet à l’endroitoù elle l’avait pris”.

Les conseils donnés par Ischomaque s’inspirent de l’administration des temples.Ces derniers en effet recevaient de nombreuses offrandes et il fallait être capable deles localiser rapidement. De plus, tout mouvement les concernant devait être noté.À une modeste échelle, l’écriture joue un rôle important dans la gestion quotidienne.Le changement d’échelle qu’implique l’administration d’un temple ne peut qu’ac-centuer le recours aux écrits, en particulier aux listes. Un dernier point doit être sou-ligné. Le verbe épariyme›n qui est utilisé dans ce texte figure aussi dans le premierdécret de Callias334. Les similitudes avec le vocabulaire administratif, volontaires àcoup sûr, invitent à l’établissement d’un parallèle étroit entre la gestion privée et celledes temples.

Un ensemble de trois statues trouvées sur l’Acropole, que les Anglo-Saxonsdénomment “the scribes from the Akropolis”, démontre sans doute possible l’exis-tence d’un secrétaire des tam$ai335. Le nom de scribes donné par les Anglo-Saxonss’appuie sur la pose prise par les personnages que représentent les sculptures qui rap-pelle un rendu égyptien bien qu’ils ne soient pas à genoux mais assis. Sur leursjambes, ils tiennent un objet que les commentateurs identifient à des tablettes. Pour

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le procès-verbal la place nécessaire à l’éventuelle addition des autres noms (IG II2, n° 1388) ou à la dési-gnation du collège entrant (IG II2, n° 1377 et 1378) ou comme ici [dans le cas d’IG I3, n° 315], à latotalité du préambule” (Ibid., p. 15). La proposition est séduisante mais elle ne rend compte que d’unaspect du problème. La stèle n’est pas le procès-verbal et rien ne laisse supposer que la gravure étaitconcomitante à la transmission de la charge entre le collège sortant et le collège entrant.333 XÉN., Ec., 9.10 (trad. CUF modifiée).334 IG I3, n° 52, l. 20, voir infra.335 Sur ces trois statues, H. PAYNE, Archaic Marble Sculpture from the Acropolis, Londres, 1936, p. 47avec la bibliographie et photographies (planche 118) et B.S. RIDGWAY, The Archaic Style in Greek Sculp-ture, Princeton, 1993, p. 137 et photographie (planche 36). L’une d’elles (Akr. 629) est mieux préservéeque les deux autres ; elle est aussi de meilleure facture (cf. C.M. KEESLING, The Votive Statues of the Athe-nian Acropolis, Cambridge, 2003, p. 182-185 et 210-212).

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notre part — même si ce type d’interprétation est toujours sujet à caution —, nousy verrions plutôt un coffre, une kibvtÒw, associée fréquemment aux archives336.Concernant le choix du sujet, H. Payne doute de la réalité de l’influence égyptiennemême s’il note l’unicité du style des trois statues337. L’une des statues représente uncertain Chairion, dont le fils, Alkimachos, est à l’origine de cette dédicace à Athéna.Nous savons par une autre inscription que Chairion fut tamias. La pierre tombale deChairion a été retrouvée à Érétrie, ce qui a fait penser qu’il faisait partie des Eupa-trides ayant fui avec Pisistrate lors de son exil en Eubée qui s’acheva vers 546. Il estdonc logique de considérer que la statue a été dédicacée sur l’Acropole après cettedate mais son style ne permettrait pas d’aller au-delà de 520. Si l’on accepte cettehypothèse, il est intéressant de remarquer que le fils de Chairion a choisi pour luirendre hommage, une statue représentant son père au travail, c’est-à-dire classant sesdocuments dans une kibvtÒw.

Les huit trésoriers de la déesse avaient-ils un secrétaire ou bien l’un d’eux se char-geait-il plus particulièrement des écritures ? Deux inscriptions trouvées sur l’Acro-pole pourraient révéler l’existence d’un tel grammateÊw338 :

TÚn d[r]Òmon : §p[o$esan]T[---!.8---Dexs]$yeo[w---!.13 Me]l-es[$aw---!.12][---!.4---ho›w---!.5---$]aw §-gra[mãteue ---].[---!.6---]IOI tÚn ég`$na y°`san gl[a]-[u]kÒpid[i] kÒr[ei].

[TÚn drÒmon §po$esan]t$i Ye[$i---!.13---][---!.11---§g]ramãte-ue ~ Yaidr$[o].

Très fragmentaires, leur interprétation n’en est que plus délicate. Selon A. E. Rau-bitschek, le secrétaire mentionné serait celui des hiéropoioi. Son argumentationrepose sur plusieurs points. La dernière ligne de la première inscription donnerait lenom d’un collège de magistrats ayant en charge la totalité des Jeux des Panathénées.Pour les Ve et IVe siècles, nous connaissons les athlothètai que mentionne la Consti-tution des Athéniens339. Cette magistrature remonterait au milieu du Ve siècle selonA. Mommsen et serait assujettie aux hiéropoioi340. Ces derniers sont attestés par deuxinscriptions pour une période haute se référant à Eleusis341. Toutefois, cela n’appa-

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336 GEORGOUDI, op. cit., p. 236.337 PAYNE, op. cit., p. 47.338 IG I3, n° 508 et 509 ; voir aussi A.E. RAUBITSCHEK, Dedication from the Athenian Acropolis, Cam-bridge (Mass.), 1949, p. 353-358 (n°327 et 328 de son catalogue de dédicaces).339 PS-ARSTT, Ath. pol., 60.1. J.A. DAVISON, Notes on the Panathenaea, JHS 78, 1958, p. 29-33 attri-buait aux athlothetai ces dédicaces.340 Cf. RAUBITSCHEK, op. cit., p. 355 pour la référence.341 IG I3, n° 5 et 6C, l. 37.

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raît pas suffisant pour restituer à la dernière ligne “[hieropo]io$” et encore moinspour en déduire l’existence d’un secrétaire de ces magistrats342. D’une part, il s’agitd’un fragment rattaché aux autres343. D’autre part, aucune de ces inscriptions nepermet d’établir un lien entre les hiéropoioi et le secrétaire344.

En revanche, certaines coïncidences sont troublantes. Le premier texte laissedeviner un collège de huit magistrats345. De plus, l’organisation des Panathénées sup-posait un certain nombre de dépenses financées par le trésor de la déesse. Un reliefde l’Acropole montre Athéna et une Nikè couronnant un athlète victorieux346. Lestrésoriers devaient payer les récompenses. Une inscription du début du IVe siècledonne les différents prix attribués aux vainqueurs347. La statue de Chairon pourraitdès lors représenter celui des huit trésoriers plus particulièrement chargé des compteset des inventaires, le grammateÊw des tam$ai, car il paraît peu probable qu’il soit unneuvième magistrat ou que le secrétaire des thesmothètes exerçât également cette res-ponsabilité.

Mais alors, pourquoi le texte de la Constitution des Athéniens ne mentionne-t-ilpas dans sa description des fonctions des trésoriers cette magistrature et n’évoque-t-il même pas l’écriture ?348 Le recours à l’écriture était devenu banal en cette fin deIVe siècle : l’auteur de la Constitution des Athéniens n’éprouvait donc pas l’intérêt des’appesantir sur les moyens de l’administration quotidienne du temple que nousconnaissons par ailleurs. Les inscriptions révèlent l’existence de secrétaires des tréso-riers qui comme les secrétaires du Conseil figurent sur les pierres349. Pour le Ve siècle,R. Develin a repris le dossier des inventaires et remarque que si le grammateÊw esttoujours présent, il n’en est pas de même pour les dix trésoriers350. Un seul d’entreeux voit son nom inscrit sur la stèle, l’éponyme (le faux éponyme) ou bien le dernierde la prytanie si l’on retient l’hypothèse de l’auteur351. Le secrétaire des trésoriersapparaît comme garant de la continuité, et ce par la conservation des documents352.

En somme, du fait même de leurs fonctions, les trésoriers devaient recourir àl’écriture, non pas pour réaliser des stèles mais pour tenir à jour une comptabilitéprécise et des inventaires complets.

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342 SICKINGER, Public Records, p. 36-37 émet quelques doutes à ce propos.343 N’ayant pas vu les pierres, nous suivons RAUBITSCHEK, op. cit., p. 354 qui affirme : “The connectionof the various fragments is certain”.344 SICKINGER, Public Records, p. 38 mentionne certains documents que les hieropoioi pouvaient êtreamenés à conserver.345 RAUBITSCHEK, op. cit., p. 354-355 : “This board was apparently organized on the same lines as thetamiai”.346 PARKE, op. cit., planche 8.347 Ibid., p. 35.348 PS-ARSTT, Ath. pol., 47.1.349 W.S. FERGUSON, The Athenian Secretaries, New-York, 1898, p. 71-72.350 DEVELIN, op. cit., 1986, p. 70s.351 DEVELIN, op. cit., 1986 cherche à montrer qu’une rotation prytanique affectait plusieurs magistra-tures dont les naucrares et les trésoriers d’Athéna.352 Pour R. DEVELIN, Athenian Officials 684-321 B.C., Cambridge, 1989, p. 8, c’est une évidence :“Both boards, of course, had secretaries”.

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B. LE PREMIER DÉCRET DE CALLIAS

Le premier décret de Callias contient plusieurs éléments intéressant la conserva-tion des documents financiers par les temples353. Sur une certaine somme apparte-nant vraisemblablement au trésor des hellénotames, les Athéniens prélèvent 3 000talents pour Athéna, retirent le montant de la dette contractée auprès des autresdieux et enfin affectent le surplus à des constructions de navires et de murailles354.La restitution de l’argent dû par la cité n’est ici possible que par le recours à l’écri-ture, et particulièrement aux documents archivés :

Logisãsyon d¢ h-[oi l]ogista‹ hoi triãkonta ho$per nËn tå ÙfelÒmena to›w yeo›w ékr-[ib?]w, sunagog™w d¢ t?l logist?n • bol¢ aÈtokrãtor ¶sto. épodÒnton [d¢ t]å xr°mata hoi prutãnew metå t™w bol™w ka‹ §xsaleifÒnton §pei-[dån] épod?sin, zet°santew tã te pinãkia ka‹ tå grammate›a ka‹ §ãm p-[o êl]loyi âei gegramm°na. épofainÒnton d¢ tå gegramm°na ho$ te hier-[™w k]a‹ hoi hieropoio‹ ka‹ e‡ tiw êllow o‰den.

“Que les trente logistes en fonction calculent exactement la dette à l’égard desautres dieux et que le Conseil soit maître de les réunir ; que les prytanes avec leConseil rendent l’argent et lorsqu’il sera rendu, que les dettes soient effacées, ceux-ci ayant cherché les tablettes, les registres ou n’importe quel autre support sur les-quels étaient inscrites les dettes ; que les prêtres, les hiéropes ou qui que ce soitd’autres disposant d’informations en ce sens fassent connaître les dettes qui sontécrites”.

La procédure fait intervenir deux institutions, les logistes et le Conseil, en parti-culier les prytanes355. Elle recourt à des documents écrits (pinãkia et grammate›a)pour identifier les dettes. Toutefois, les logistes ne calculent pas les dettes contractéespar la cité à l’encontre des dieux à l’aide de ces documents356. L’enchaînement desévénements décrits dans le décret serait alors étrange puisque les prytanes réalisentleur calcul avant que les prêtres et les hiéropes produisent les documents écrits. Enfait, les pinãkia et les grammate›a mentionnés ici ne sont pas les archives deslogistes qui ont travaillé sur d’autres documents mais des archives conservées par le

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353 IG I3, 52.7-13 (cf. BRUN, n° 114) ; T. LINDERS, The Treasurers of the Other Gods in Athens and theirFunctions, Meisenheim, 1975, p. 38-57 (cf. p. 40-44 pour le passage qui nous intéresse ici) propose uneanalyse linéaire de ce texte. SAMONS, op. cit., p. 113-138 intègre ce document dans une étude plus vastedes finances impériales athéniennes.354 Nous suivons ici SAMONS, op. cit., p. 113-138. Mais nous reviendrons sur les deux décrets dans untravail ultérieur.355 Nous connaissons deux collèges de logistes, l’un d’eux étant issu du Conseil (PS-ARSTT, Ath. pol.,48.3). En raison de l’importance de la somme considérée, deux cents talents ou mille deux cents talentsselon la restitution retenue dans le deuxième décret, et du temps que cette fonction requérait, il sembleque les logistes évoqués dans ce texte correspondent au corps de magistrats annuels décrit par la Consti-tution des Athéniens, 54.2.356 contra H.TH. WADE-GERY, The Financial Decrees of Kallias (IG, I2, 91-92), JHS 51, 1931, p. 68s.

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Conseil357. Ces documents remplissaient deux fonctions, vérifier que la sommedemandée par les logistes correspondait à la somme due et effacer la dette aprèsqu’elle eut été payée, ce qui équivalait à la remise d’un reçu. L’ordre des actions estici le calcul, le paiement et l’effacement. Les documents se recoupaient, se complé-taient. Un impératif devait être respecté, les dettes reconnues devaient être écrites,c’est-à-dire citées dans un document pouvant être identifié.

En dehors de l’examen des comptes réalisés par les logistes, des prêtres, des hié-ropes ou “qui que ce soit d’autre disposant d’informations en ce sens” peuventobtenir des remboursements à condition de fournir les documents qui le prouvent.Selon T. Linders, la troisième catégorie des créanciers potentiels correspond à destiers à qui conservaient les archives des prêts, sur le modèle des affaires privées358.Cela semble excessif car tout montre que les temples conservaient les archives décou-lant de leurs activités financières. Cet appel s’adresse vraisemblablement à des magis-trats sortis de charge dont les archives personnelles pouvaient contenir des docu-ments attestant des prêts359.

Le texte mentionne aussi l’existence de sceaux dont la responsabilité est confiéeaux trésoriers d’Athéna et à ceux des autres dieux360. Une curieuse similitude peutêtre observée avec un passage de la Constitution des Athéniens concernant l’épistate :“il garde les clefs des temples où sont le Trésor et les archives publiques, ainsi que lesceau de la cité”361. Aristophane semble évoquer une telle responsabilité362. LorsqueDèmos entend révoquer le Paphlagonien, il déclare : “Rends moi mon anneau àl’instant : tu ne seras plus mon trésorier”363. Un peu plus loin, il le propose au Char-cutier : “Tiens, reçois celui-ci de mes mains, et sois mon trésorier”364. Le sceau, doncl’écrit et les archives, sont le fondement du pouvoir et de l’autorité365. Les trésoriers,magistrature essentielle à la vie des finances publiques, participaient aussi à la conser-vation des documents à Athènes366.

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357 IG I3, n° 369 montre que les logistes travaillaient sur des comptes mis à jour. Cf. C.W. FORNARA,The Date of the Callias Decrees, GRBS 11, 1970, p. 194 n.25 et LINDERS, op. cit., p. 40-42.358 LINDERS, op. cit., p. 42-44.359 Sur le modèle du décret de Patrocleidès sur lequel cf. infra. À moins qu’il ne faille relier ce décretavec la centralisation des trésors sur l’Acropole au moment du déclenchement de la guerre du Pélo-ponnèse, auquel cas cette précision pourrait concerner tous ceux qui ont été amenés à contracter desprêts auprès des temples, comme le compte de Némésis de Rhamnonte le montre (IG I3, n° 248).360 IG I3, n° 52, l. 17-18.361 PS-ARSTT, Ath. pol., 44.1.362 S.D. OLSON, Aristophanes, Equites 947-59 and the Athenian Public Seal, ZPE 113, 1996, p. 253-254 a bien montré que le passage désignait le sceau de la cité. En revanche, il ne fait pas ce rapproche-ment avec les trésoriers des autres dieux et ceux d’Athéna.363 AR., Cav., 947-948 (trad. Debidour).364 AR., Cav., 959 (trad. Debidour).365 OLSON, op. cit., p. 253.366 A.L. BOEGEHOLD, Andocide and the Decree of Patrokleides, Historia 39, 1990, p. 154 etRHODES, Athenian Boule, p. 148-151. Il est à noter que les trésoriers étaient responsables de l’érectiondes stèles et de monuments sur l’Acropole : une inscription les charge de détruire certains mots sur lesstèles en place sur l’Acropole (IG I3, n° 106, l. 21-23, 411-408 av. J.-C.). Cette responsabilité leuréchappe en 377/6. Cette fonction les apparente à des secrétaires et démontre s’il était besoin que lestrésoriers sont des hommes de l’écrit.

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Le deuxième décret de Callias ( ?) contient une prescription intéressante du pointde vue des manières d’archivage et aussi de l’étude des finances publiques athé-niennes367. Une fois la dette payée, le trésor d’Athéna était à droite tandis que letrésor des autres dieux était placé à gauche. Un parallèle peut être trouvé à Délos qui,au IIe siècle, transmit son trésor public et sa gestion au sanctuaire délien. Les docu-ments étaient séparés selon leur objet en flerå kibvtÒw et en dhmos$a kibvtÒw368.“Les deux caisses étaient des comptes courants constitués de jarres sur lesquellesétaient inscrites le montant, la provenance ou la destination du contenu, les nomsdes magistrats de la cité qui avaient déposé la jarre dans le temple, les noms des ban-quiers qui avaient servi d’intermédiaires à la transaction”369. Un principe de sépara-tion stricte entre les deux comptabilités semble donc avoir été la règle. Dès lors, l’hy-pothèse d’une séparation entre des fonds sacrés inaliénables et des fonds non sacréssur lesquels les trésoriers d’Athéna auraient puisé pour financer les travaux surl’Acropole n’est pas à exclure370.

Si peu d’inscriptions renseignent les finances publiques athéniennes, ces dernièresn’en sont pas moins très organisées comme ce décret le laisse entrevoir. Les trésoriersd’Athéna les administrent avec méthode, rigueur et aussi avec des documents écritsarchivés. Les procédures de gestion, complexes, dispensaient de réaliser une stèle. Lestemples, et parmi eux celui que les Athéniens nomment Parthénon, jouaient le rôlede bâtiments d’archives, non pas pour l’ensemble de la cité mais pour une partie del’administration des finances371. Aucune source du reste parle du temple d’AthénaParthénos, ni d’une quelconque prêtrise, ni même d’un autel. Nous ne possédonspas de mention de dédicaces ou de sacrifices à cette divinité. “In short, the Par-thenon was not the focus of Classical cult. It looked like a temple without actuallybeing one”372. Ce temple était avant tout un trésor comme l’inventaire de 434/3 lerévèle373. L’architecture intérieure est bien connue et la description de l’une despièces correspond assez bien avec l’idée de conservation de trésors. “La porte de lasalle ouest était intérieurement armée de barreaux de fer verticaux cachés dans l’ébé-nisterie. C’était donc une porte renforcée, une porte de chambre forte”374.

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367 IG, I3, 52B, l. 24-25 : ta[mieu°syo tå m¢n t™w ÉAy]e`na$aw xr°mata [§n t?i] §p‹ dexsiå toÉOpis[yodÒmo, tå d¢ t?n êllon y]e?n §n t?i §p' ér[ister]ã.368 ID, n° 339A, l. 1-73 ; n° 442A, l. 1-140 ; n° 461A, l. 1-92 ; voir R. BOGAERT, Banques et banquiersdans les cités grecques, Leyde, 1968, p. 163-165.369 A. GIOVANNINI, Le Parthénon, le trésor d’Athéna et le tribut des Alliés, Historia 39, 1990, p. 134.370 C’est un des arguments utilisés par A Giovannini (Ibid.) qui ne se réfère pourtant pas à ce passagede l’inscription ; L.J. SAMONS, Athenian Finance and the Treasury of Athena, Historia 42, 1993, p. 129-138, qui dénie cette possibilité, évoque une absence de mentions d’un tel système dans les sources lit-téraires comme dans les sources épigraphiques concernant Athènes au contraire de parallèles avecd’autres cités comme Phocée, Cyrène et Locres (à ce propos, cf. Ibid., p. 131 n.12)371 Sur le Parthénon, HURWITT, op. cit., p. 161-190. Le nom du bâtiment a donné lieu à contreverse,cf. G. ROUX, Pourquoi le Parthénon ?, CRAI, 1994, p. 301-317 et J. TRÉHEUX, Pourquoi le Parthénon ?,REG 98, 1985, p. 233-242.372 HURWITT, op. cit., p. 164.373 M.H. HANSEN, La démocratie athénienne à l’époque de Démosthène, Paris, 1993, p. 303 affirmait “lesAthéniens n’avaient pas de Trésorerie générale”. Ce point mériterait d’être nuancé. Voir désormaisSAMONS, Empire of the Owl, qui propose une réflexion d’ensemble sur les finances athéniennes auVe siècle.374 ROUX, op. cit., p. 306. En dernier lieu, HURWITT, op. cit., p. 164.

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4. Les archives des magistrats

Nous disposons de sources dispersées et inégales en nombre sur ce sujet. Quelquesmentions isolées dans les sources littéraires ne permettent pas d’affirmer que tous lesmagistrats conservaient des documents ni que le fait de posséder un documentconstitue la preuve de l’existence d’archives. À la grande différence des institutionsétudiées auparavant, il y a lieu de penser que les transmissions de documents d’uneannée sur l’autre n’étaient pas courantes. En effet, bon nombre des écrits que lesmagistrats utilisaient cessaient d’avoir une utilité après la reddition de compte. Celan’induit pas que la conservation de documents par des détenteurs de l’autoritépublique était rare, voire constituait des cas isolés.

Un indice indirect réside dans la mention de secrétaires ou autres hypogrammateisattachés à une magistrature. Dans notre perspective, le point le plus importantconcerne l’ancienneté de ce type de charge ou de fonction375. À partir du VIe siècle,des inscriptions évoquent des secrétaires qui assistent les trésoriers d’Athéna376. Ilsdevaient mettre par écrit et conserver le mouvement des biens nécessaires à l’accom-plissement de la charge. En même temps, cela pouvait être un moyen d’éviter unecorruption éventuelle. Les sources redeviennent ensuite muettes sur les secrétairesqui assistent des magistrats. Cela ne saurait signifier la disparition de cette fonction,ni que seuls les trésoriers recouraient à des secrétaires. On pense aux naucrares, autremagistrature mentionnée par des lois soloniennes ou aux magistrats chargés desterres publiques qui n’étaient peut-être pas encore les polètes377. L’administration desDionysies donnait aussi lieu à la constitution d’archives dont des secrétaires devaientêtre reponsables. Nous en avons la trace par une inscription du IVe siècle, la liste devainqueurs aux Dionysies gravée vers 346 et qui remonte au moins à l’année473/2378. Certes, nous ne pouvons déterminer les sources utilisées par les auteurs decette liste et toutes les hypothèses peuvent être envisagées, documents officielsanciens, dédicaces privées ou bien mémoire des individus. Cependant, la liste desvainqueurs des Dionysies est classée selon la succession archontale, ce qui rappelle laliste des archontes dont l’existence est antérieure à la stèle qui en rend compte379. Surle même modèle, nous pensons qu’il existait une liste antérieure à l’inscription.

D’autres éléments montrent que les magistratures recouraient de façon trèsimportante à l’écrit pour la gestion quotidienne de leur fonction. De toute façon, laremise des comptes supposait des documents que les logistes pouvaient étudier. Deplus, un décret, celui de Patrocleidès, fournit des renseignements importants sur laconservation des documents par les magistrats. Enfin, nos sources décrivent desarchives pour plusieurs magistratures. Nous en avons retenu trois qui chacune pré-sente des caractéristiques propres en matière de conservation de documents380.

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375 SICKINGER, Public Records, p. 36-41.376 Cf. supra.377 LANGDON, Poletai, p. 67-69. Personne ne remet vraiment en cause le fait que les polètes aient existédès l’époque solonienne, ce qui ressort de PS-ARSTT, Ath. pol., 7.3, même si l’absence de sources rendproblématique toute reconstruction de leurs attributions au début du VIe siècle.378 IG II2, n° 2318 avec le commentaire de SICKINGER, Public Records, p. 41-47.379 Cf. IG I3, n° 1031.380 D’autres magistrats recouraient aux archives dans l’exercice de leurs responsabilités de façon quoti-dienne, comme par exemple les magistratures financière (sur les kolakrètes, cf. SAMONS, Empire of theOwl, p. 312).

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A. SECRÉTAIRES DES MAGISTRATS ET REMISE DES COMPTES

L’adjonction d’un secrétaire à de nombreuses magistratures s’inscrit dans la pers-pective de la remise des comptes381. Chaque magistrat devait en effet à sa sortie decharge faire examiner ses comptes. Deux magistratures en étaient chargées, leslogistes qui sont les premiers concernés par la reddition et les euthynes qui n’inter-viennent qu’en cas de contestation par un citoyen. Quelles sont leurs compétencesrespectives ? Les logistes interviennent pour trois types d’accusation, le vol, la cor-ruption et l’injustice. Ce dernier terme, adikein, ne recouvre pas pour nous une réa-lité claire. On sait par ailleurs que cela permet d’intenter une action auprès deseuthynes382. Pouvait-on avoir un recours auprès des euthynes pour une même infrac-tion ? Si l’on en croit Démosthène, non, car “les lois défendent de poursuivre deuxfois la même personne pour les mêmes faits, qu’il s’agisse d’action civile, de reddi-tion de comptes”383. De plus, le cas de Périclès semble indiquer une différence entreles différents chefs d’accusation, soit le vol et la corruption, soit l’adikion384. SelonM. Piérart, les deux premiers délits concerneraient les logistes et le dernier leseuthynes. “Ainsi comprise, la procédure de reddition de comptes comprend deuxphases : la première, qui relève de la compétence des logistes, a trait à la gestionfinancière des magistrats, la seconde concerne le reste de leurs fonctions et est du res-sort des euthynes”385. Mais alors, la fonction de ces derniers est étroite et on com-prend mal pourquoi on leur affecte en outre deux parèdres. D’autres documentsmontrent que les euthynes avaient des attributions complémentaires386. Ils peuventdécider d’amendes élevées et leur compétence est élargie aux particuliers et non seu-lement aux magistrats, ce qui est déjà le cas pour le Ve siècle comme le montre uneautre inscription387.

Leur rôle précis est difficile à déterminer. Pour ce faire, M. Piérart propose uneanalyse étymologique du verbe euthynesthai qui “implique toujours l’idée d’unecondamnation, d’un châtiment (en espèces), frappant un magistrat qui ne remplitpas son devoir”388. Les magistrats rendaient leurs comptes devant les euthynes389.Une confirmation peut être trouvée dans une inscription du IVe siècle provenant dudème d’Hagnonte ( ?) qui décrit la reddition de compte des magistrats du dème etle rôle de l’euthyne390. Les logistes examinent aussi les documents comptables desmagistrats. Ils vérifiaient la comptabilité d’un sanctuaire391. Cette vérification descomptes supposait un dépôt de documents écrits par les magistrats concernés. Selon

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381 M. PIÉRART, Les EUYUNOI athéniens, AC 40, 1971, p. 526-573 et J.T. ROBERTS, Accountability inAthenian Government, Madison, 1982. Cette dernière ne s’intéresse cependant pas aux aspects pratiquesde la procédure. Cf. plus généralement P. FRÖHLICH, Les cités grecques et le contrôle des magistrats (IVe-Ier siècle av. J.-C.), Genève, 2004.382 PS-ARSTT, Ath. pol., 48.4.383 DÉM., Lept., 20.147.384 PLUT., Per., 32.4 avec STADTER, op. cit., p. 303.385 PIÉRART, op. cit., p. 529.386 IG II2, n° 1629, l. 233-242, 325/4.387 IG I3, n° 133, l. 18-20.388 PIÉRART, op. cit., p. 549.389 ROBERTS, op. cit., p. 24.390 OSBORNE & RHODES, n° 63, l. 16-18.391 IG I3, n° 32, l. 22-24.

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Eschine, la loi prescrit l’enregistrement des comptes auprès des logistes, ka‹ lÒgonka‹ eÈyÊnaw §ggrãfein prÚw toÁw logistãw392. Dès lors, la présence d’assistantstrouve une explication simple, il fallait administrer les archives que la procédurerequérait. Les comptes de l’Érechthéion distinguent le rouleau de papyrus qui estdestiné à la remise des comptes des tablettes consacrées aux écritures quotidiennes393.

Cette procédure que toutes les magistratures devaient subir entraînait une utilisa-tion quotidienne de l’écrit et supposait donc la conservation de documents pendantla durée de la charge au moins394. Selon toute vraisemblance, la remise des comptesest antérieure à 460 et on voit mal comment elle aurait pu fonctionner sans unminimum d’archivage de la part des magistrats.

B. LE DÉCRET DE PATROCLEIDÈS ET LA DESTRUCTION DES ARCHIVES

DES MAGISTRATS

Cette décision est évoquée et citée par Andocide qui a été impliqué dans deuxaffaires se déroulant en 415, la participation à une parodie profane des Mystères d’É-leusis et la mutilation des Hermès395. Il fut emprisonné mais obtint l’immunitécontre dénonciation des participants à ce dernier sacrilège. Quelque temps plus tard,Isotomidès fit adopter un décret selon lequel toute personne coupable d’une impiétéet qui l’a avouée était frappée d’atimie et exclue de l’Agora et des temples. Andocidedut s’exiler. Après plusieurs tentatives infructueuses, il revint à Athènes après la chutedes Trente. Cependant, en 400/399, Képhisios l’accusa au nom du décret d’Isoto-midès. La défense d’Andocide constitue son discours Sur les Mystères. L’orateurrevient sur les événements de 415 puis explique que ce dernier décret ne s’appliquepas à lui, d’abord parce qu’il est innocent, ensuite parce qu’il est abrogé en raison dudécret de Patrocleidès396. En présentant ce document, Andocide commence par rap-peler les différents actes pouvant déboucher sur une atimie, sans que cela ait un rap-port direct avec le contenu du décret dont il cite ensuite le texte397. Les différencesentre le discours d’Andocide et le décret sont un élément important de l’authenti-cité de ce dernier, puisque celui-ci ne saurait résulter d’une reconstruction posté-rieure faite par l’éditeur du discours398. L’intérêt premier de ce texte réside dans ladescription précise qu’il propose des documents possédés par certains magistrats399 :

232 LES ARCHIVES DANS L’ATHÈNES CLASSIQUE

392 ESCHN., Ctes., 3.15. Selon PIÉRART, op. cit., p. 567, il y a deux étapes. Il y aurait une remise maté-rielle des comptes auprès des logistes, logon didonai, et ensuite une comparution devant un tribunal,euthynas didonai.393 IG I3, n° 474, l. 289-291 avec le commentaire de N. LEWIS, Papyrus in Classical Antiquity, Oxford,1974, p. 70-73.394 LYS., Diog., 32.26 donne un exemple de conservations longues de documents traitant d’une triérarchie.395 D.M. MCDOWELL, Andokides. On the Mysteries, Oxford, 1962, p. 11-18.396 Respectivement AND., Myst., 1.10-69 et 1.73-76.397 AND., Myst., 1.77-79.398 BOEGEHOLD, op. cit., 1990, p. 150 n. 2.399 AND., Myst., 1.77-79. Tout le mérite revient à BOEGEHOLD, op. cit., 1990, qui a montré que la cléde lecture de ce décret concerne le vocabulaire utilisé. Les mots le plus souvent ne se réfèrent pas à desconcepts, des procédures légales, mais seulement à des objets qui accueillent les textes, à des documentsécrits. Nous citons ici la version du texte grec qu’il a utilisée (Ibid., p. 153 n. 6) car elle donne une cohé-rence à ce décret, sauf pour la fin du texte (Poe›n d¢ taËta ktl.). Voir aussi MCDOWELL, op. cit.,p. 113-119.

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Patrokle$dhw e‰pen: §peidØ §chs$sato ÉAyhna›oi tØn êdeian per‹ t«nÙfeilÒntvn Àste l°gein §je›nai ka‹ §pichf$zein, chf$sasyai tÚn d∞montaÈtå êper ˜te ∑n tå Mhdikã, ka‹ sunÆnegken ÉAyhna$oiw §p‹ tÚ êmeinon:per‹ d¢ t«n §pigegramm°nvn efiw toÁw prãktoraw µ toÁw tam$aw t∞w yeoË ka‹t«n êllvn ye«n µ tÚn basil°a µ e‡ tiw mØ §jegrãfhn m°xri t∞w §jelyoÊshwboul∞w §f' ∑w Kall$aw ∑rxen, ˜soi êtimoi ∑san µ Ùfe$lontew, ka‹ ˜svneÈyËnai tin°w efisi kategnvsm°nai §n to›w logisthr$oiw ÍpÚ t«n eÈyun«n µt«n par°drvn, µ mÆpv efishgm°nai efiw tÚ dikastÆrion grafa$ tin°w efisi per‹t«n eÈyun«n, µ prostãjeiw µ §ggÊai tin°w efisi kategnvsm°nai efiw tÚn aÈtÚntoËton xrÒnon: ka‹ ˜sa ÙnÒmata t«n tetrakos$vn tinÚw §gg°graptai, µêllo ti per‹ t«n §n t∞i Ùligarx$ai praxy°ntvn §sti pou gegramm°non: plØnıpÒsa §n stÆlaiw g°graptai t«n mØ §nyãde meinãntvn, µ §j ÉAre$ou Pãgouµ t«n §fet«n µ §k prutane$ou µ Delfin$ou §dikãsyh ÍpÚ t«n basil°vn, µ§p‹ fÒnvi t$w §sti fugÆ, µ yãnatow kategn≈syh, µ sfageËsin µ turãnnoiw:tå d¢ êlla pãnta §jale›cai toÁw prãktoraw ka‹ tØn boulØn katå tåefirhm°na pantaxÒyen, ˜pou ti ¶stin §n t«i dhmos$vi, ka‹ efi ént$grafÒn pou¶sti, par°xein toÁw yesmoy°taw ka‹ tåw êllaw érxãw: poe›n d¢ taËta tri«n≤mer«n, §peidån dÒj˙ t dÆm“: í d' e‡rhtai §jale›cai, mØ kekt∞syai fid$&mhden‹ §je›nai mhd¢ mnhsikak∞sai mhd°pote ktl.

“Patrocleidès a fait la proposition.Attendu que les Athéniens ont voté le droit de faire une proposition et de mettreaux voix un décret concernant les débiteurs publics, que le peuple vote les mesuresqu’ils avaient déjà décidées après les guerres médiques et qui avaient apporté auxAthéniens les meilleures choses.Concernant ceux qui sont inscrits dans les archives des receveurs, ou dans celles destrésoriers de la déesse et des autres dieux, ou dans celles du Roi ; ou si quelqu’unn’a pas été effacé [de ces archives alors qu’il aurait dû l’être] jusqu’à la sortie decharge du Conseil de l’archontat de Callias ; tous ceux qui étaient privés de leurcitoyenneté ou qui étaient débiteurs de l’État, tous ceux dont les comptes ont étécondamnés dans les chambres des logistes par les euthynes ou par leurs assistants,ceux dont les comptes ont fait l’objet d’une accusation non encore transmise au tri-bunal, ceux qui ont été condamnés à une restriction de leurs droits civiques400 ouceux qui l’ont été pour non respect d’une caution jusqu’à la date sus-dite ; et tousles noms des Quatre-Cents qui ont été inscrits ou qui figurent dans un documentrelatif aux actions commises pendant l’oligarchie ; à l’exception de ceux qui ont fuiet dont les noms sont inscrits sur des stèles de ce fait, ou bien ceux qui ont été jugéspar les basileis après procès devant l’Aréopage, devant les éphètes, devant le Pryta-neion ou devant le Delphinion, ceux qui ont été condamnés à l’exil pour meurtreou condamnés à mort comme meurtriers ou tyrans ; que les praktores et le Conseileffacent tous les autres noms des archives conformément à ce qui a été proposé et,s’il y a des copies, que les thesmothètes et les autres magistrats les fournissent.

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400 AND., Myst., 1.75-76 dresse la liste des limitations.

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Que cela soit fait en trois jours, lorsque la décision aura été prise par le peuple.Qu’il ne soit permis à personne de conserver les noms qu’il a été proposé d’effacer,ni d’en faire jamais état”.

L’objet du décret est simple, effacer les noms des documents, ce qui suppose unedéfinition précise des documents dans lesquels ces noms peuvent figurer. D’abord, ily a les listes ou archives que possèdent les praktores, les trésoriers et l’archonte-roidesquelles procède la liste des débiteurs publics qui était placée sur l’Acropole sur destablettes blanchies, vraisemblablement dans un sanctuaire, voire dans le Parthénon.Dans ce décret, il n’est pas question de ces dernières mais seulement des archives desmagistrats cités qui feraient office de preuves si besoin était401. Il n’est pas nécessairede chercher derrière chacun des termes utilisés un type de documents puisque paressence une décision d’effacement ne peut concerner que des écrits402. Andocide asouligné cet aspect peu avant de citer ce décret, “Donc vous avez décidé de sup-primer originaux et copies de tous ces décrets”403. Ce décret offre la preuve d’unepart que des magistrats constituaient des archives et d’autre part que ces dernièresservaient de bases à certaines actions juridiques. Il n’est en rien une innovationcomme le décret de Callias le montre.

C. LES MAGISTRATS ET LEURS ARCHIVES

a) Les polètes

La Constitution des Athéniens offre une description précise de leurs attributions404 :

ÖEpeiy' ofl pvlhta‹ iÄ m°n efisi, klhroËtai d' eÂw §k t∞w f[u]l∞w. [m]isyoËsid¢ tå misy≈mata pãnta, ka‹ tå m°talla pvloËsi ka‹ tå t°lh metå toËtam$ou t«n strativtik«n ka‹ t«n §p‹ tÚ yevrikÚn Ωrhm°nvn §nant$on t∞w[boul∞w], ka‹ kuroËsin ˜tƒ ín ≤ boulØ xeirotonÆs˙, ka‹ tå pray°ntam°talla, tã t' §rgãsima tå efiw tr$a ¶th pepram°na, ka‹ tå sugkexvrhm°na

234 LES ARCHIVES DANS L’ATHÈNES CLASSIQUE

401 BOEGEHOLD, op. cit., 1990, p. 153 comprend la proposition e‡ tiw mØ §jegrãfhn comme “whoever<is due but> has not had his name copied <onto any one of these lists>“. Il la considère comme uneproposition attrape-tout (p. 154-155). Il s’agit d’éviter qu’un individu puisse ne pas être en dehors dela décision. La liste des débiteurs publics résulte de listes intermédiaires mais la transcription sur la listegénérale peut ne pas être faite pour de multiples raisons. La clause citée supra permet d’éviter donc quecette erreur, volontaire ou non, se traduise par une apparition ultérieure sur la liste des débiteurspublics. Cette interprétation paraît oublier que la décision prise, unique, est l’effacement de noms ins-crits dans des archives. Le sens d’§jegrãfein doit donc être “effacer” et non “inscrire”. Il s’agit de nepas oublier ceux qui ont payé leurs dettes mais dont le nom n’a pas encore disparu de certains docu-ments. Cela participe pleinement de la volonté de mhd¢ mnhsikak∞sai mhd°pote.402 Ainsi, si nous suivons la conclusion de BOEGEHOLD, op. cit., 1990, p. 162 concernant le recourscroissant aux documents écrits, nous ne retenons pas son analyse selon laquelle ce décret constitue sixcatégories d’atimoi autour des documents qui recensent leur peine.403 AND., Myst. 1.76 : TaËt' oÔn §chf$sasye §jale›cai pãnta tå chf$smata, ka‹ aÈtå ka‹ e‡poÊ ti ént$grafon ∑n ktl. (trad. CUF). Ce faisant, Andocide privilégie les atimoi, victimes de cer-tains décrets qu’il convient de détruire, et particulièrement les atimies qui résultent du décret d’Isoto-midès entre autres la sienne… (BOEGEHOLD, op. cit., p. 156-157).404 PS-ARSTT, Ath. pol., 47.2-3 (trad. CUF).

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tå efiw [ ] ¶[th] pepram°na. ka‹ tåw oÈs$aw t«n §j ÉAre$ou pãgou feugÒntvnka‹ t«n êll[vn] §nant[$on t∞w b]oul∞w pvloËsin, katakuroËsi d' ofl y'êrxontew. Ka‹ tå t°lh tå efiw §niaut[Ú]n pepram°na, énagrãcantew efiwleleukvm°na grammate›a tÒn te priãmenon ka‹ [˜sou] ín pr$htai, tªboulª paradidÒasin. ÉAnagrãfousin d¢ xvr‹w m¢n oÓw de› katåp[ru]tane$an •kãsthn katabãllein, efiw d°ka grammate›a, xvr‹w d¢ oÓwtr‹w toË [§]niautoË, grammate›on katå tØn katabolØn •kãsthn poiÆ-santew, xvr‹w d' oÓw [§p]‹ t∞w §nãthw prutane$aw. ÉAnagrãfousi d¢ ka‹ tåxvr$a ka‹ tåw ofik$aw té[po]gra[f]°nta ka‹ pray°nta §n t“ dikasthr$ƒ:ka‹ går taËy' otoi pvl[oËsin. ÖEsti] d¢ t«n m¢n ofiki«n §n eÄ ¶tesinénãgkh tØn timØn épodoËnai, t«n d¢ xvr$vn §n d°ka: katabãllousin d¢taËta §p‹ t∞w §nãthw prutane$aw.

“Viennent ensuite les dix polètes, désignés par le sort, un par tribu. Ils font toutesles adjudications de la cité, ils mettent en vente l’exploitation des mines et la fermedes impôts, assistés du trésorier des fonds militaires et des administrateurs du théo-rikon, en présence du Conseil ; ils se portent aussi garants, à l’égard de l’acquéreurque le Conseil a désigné par un vote à main levée, des mines vendues, de celles quisont exploitables et ont été vendues pour trois ans et de celles qui sont concédéeset ont été vendues pour dix ans. Ils mettent en vente, en présence du Conseil, lesbiens de ceux qui ont été condamnés par l’Aréopage et des autres condamnés ; lavente est garantie par les neuf archontes. Quant aux fermes des impôts qui sontvendues pour une année, ils inscrivent sur des tablettes blanchies le nom de l’ache-teur avec le montant du prix et les remettent au Conseil. Ils inscrivent à part, surdix tablettes, ceux qui doivent faire des versements à chaque prytanie ; à part ceuxqui doivent verser trois fois par an et font une tablette pour chaque versement ; àpart ceux qui versent à la neuvième prytanie. Ils dressent la liste des terrains et mai-sons qui ont été revendiqués au profit de la cité et vendus par jugement. Car cesont les polètes qui font cette vente. Le prix des maisons est payable en cinqannuités ; celui des terrains en dix ; les versements se font à la neuvième prytanie”.

Leur tâche la plus importante était la vente des biens confisqués aux individuscondamnés à l’exil ou à mort405. “Given the fairly routine nature of the other dutiesof the poletai, it is easy to see that the keeping of records of all sales of confiscatedproperties, payments and interests, including installment payments from previoussales, and private claims (§nepiskÆmmata) which had been judged valid occupied aconsiderable amount of the time of each board’s tenure in office”406. Ces archivesétaient ensuite transmises au Conseil pour servir de preuve en cas de procédure judi-ciaire sur les ventes. En cas d’erreur, les polètes pouvaient parfois rembourser407. Tou-tefois, la vente ne peut être annulée, sauf si la confiscation est jugée illégale, commecelle faite sous les Trente. En tous les cas, il fallait disposer de documents écrits. Unebonne partie de l’activité des polètes se déroulait dans leur bureau, le poléterion, dans

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405 Les raisons principales de telles condamnations étaient l’homicide volontaire et l’endettement auprèsde la cité (HARRISON, Law of Athens II, p. 178-179 et p. 211-217 sur la procédure de saisie).406 LANGDON, Poletai, p. 59-60.407 Par exemple pour Alcibiade et son fils, PLUT., Alc., 33.3 et D.S. 13.69.2.

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lequel ils conservaient vraisemblablement leurs documents408. Il semble que lesventes des biens confisqués s’y déroulaient, plutôt qu’au tribunal.

Pour les aider dans leurs tâches, les polètes disposaient d’un héraut et d’un secré-taire409. Un passage d’Antiphon mentionne un hypogrammateus des polètes ou plu-sieurs410. Pour M. K. Langdon, il s’agirait d’une évocation d’un seul et même secré-taire411. Rien n’est moins sûr. En effet, le cas de Délos montre que le secrétaire demagistrats, en l’occurrence des hiéropes, n’était pas le seul à faire le travail d’écri-ture412. À Athènes, l’inscription sur l’exetasmos de la Chalcothèque évoque un esclavepublic413. En outre, lorsque Démosthène rappelle le passé d’Eschine et de son père,il le traite d’hypogrammateus, ce qui n’est certainement pas synonyme de gramma-teus : “Comme hypogrammateis et serviteurs de tous les magistrats ils ont touché del’argent”414. La formulation de l’orateur laisse penser que ce n’est même pas unemagistrature. Cette mention dans Antiphon serait donc plutôt le signe de l’impor-tance de l’archivage dans les activités des polètes et plus généralement de l’existencede petites mains, payées à la tâche (Délos) ou à l’année (Eschine) et ce dès 418. L’en-semble de ce personnel jouait un rôle considérable puisqu’il assurait la continuitéentre les différents corps de polètes alors même que les paiements étaient échelonnéssur plusieurs années.

b) L’archonte-roi

La republication d’une loi sur l’homicide de Dracon révèle que l’archonte-roi enpossédait une version écrite415. Mais la forme particulière du support, les axones,pouvait laisser penser qu’il s’agissait d’une responsabilité exceptionnelle. Pourtant, ladescription de ses attributions montre que l’archonte-roi conservait d’autres docu-ments416 : “L’archonte-roi apporte aussi les locations des terrains sacrés après les avoirinscrites sur des tablettes blanchies”. Une inscription de 418/7 en fournit une preuvesupplémentaire417. Il s’agit d’un décret relatif au sanctuaire de Codros, Néleus etBasilè. Les premières lignes précisent les attributions de chacune des magistraturesconcernées par le fermage. Concernant l’archonte-roi, il est dit : tÚ d¢ t°menow ıbasileÁw épomisyÒsato katå [t]åw xsungrafãw418. Un peu plus loin, dans unamendement, on mentionne une action en matière d’écriture : ı d¢ basileÁw§xsalecãto tÚn priãmenon tØn filÊn, §peidån épod?i t¢m m$syosin419. Mais il

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408 LANGDON, Poletai, p. 65-67.409 Ibid., p. 76-78 P5 et le commentaire p. 58 qui reprend M. CROSBY, A Poletai Record of the Year367/6 B.C., Hesperia 10, 1941, p. 20.410 ANT., Sur le choreute, 6.49.411 LANGDON, Poletai, p. 58.412 CL. VIAL, Délos indépendante (314-167 av.J.-C.), Paris, 1984, p. 220.413 IG II2, n° 120, voir infra.414 DÉM., Amb., 19.249.415 Cf. chapitre 3.416 PS-ARSTT, Ath. pol., 47.4 (trad. CUF) : Efisf°rei d¢ ka‹ ı basileÁw tåw misy≈seiw t«n<te>men«n, énagrãcaw §n grammate$[oiw lel]e[u]kvm°noiw. Nous faisons nôtre la lecture deLANGDON, Poletai, p. 64 qui considère que ce passage n’a rien à voir avec les attributions des polètes.417 IG I3, n° 84 avec Ibid., p. 64-65 ; cf. BRUN n° 130.418 IG I3, n° 84, l. 6-7.419 IG I3, n° 84, l. 21-22.

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s’agit de l’effacement d’un nom sur un mur comme la suite du texte le montre420.Toutefois, cette information devait être conservée sur un autre support jusqu’à lasortie de charge dans la perspective de la remise des comptes. En outre, parce que lalocation excède la durée de la charge, il paraît évident que la magistrature conservaitune trace écrite de ces activités. D’une part, cela permettait une surveillance pério-dique421. D’autre part, l’archonte-roi devait conserver des documents pour son suc-cesseur afin d’attester l’effectivité de ses actions au cours de la remise des comptes.Ainsi, les transactions dont l’archonte-roi est responsable donnent lieu à des conser-vations de documents.

c) Les hipparques

Il convient d’accorder une place particulière aux archives des hipparques car unepartie d’entre elles est parvenue jusqu’à nous422. Elles furent trouvées dans une zoneparticulière de l’Agora, les Hermès, associée par d’autres documents à la cavalerieathénienne423. Le lieu précis de la trouvaille est un puits qui a révélé une série de 111lamelles de bronze inscrites et 25 symbola en argile pour Pheidon hipparque de la clé-rouchie de Lemnos. Il est logique de supposer que tous ces documents étaient loca-lisés dans l’Hipparcheion avant d’avoir été jetés lorsqu’ils perdaient leur utilité424.Tous ne datent pas de la même époque : 26 ont été trouvés dans une couche légère-ment postérieure à 350, ainsi que les symbola de Pheidon hipparchos eis Lemnon. Lereste (85 plaquettes) est plus tardif, du troisième quart du IIIe siècle. Les plaquettesde bronze étaient pliées ou enroulées425 ; elles portent le nom d’un Athénien augénitif sur la face extérieure. Sur la face intérieure, non visibles avant l’ouverture,figurent une couleur, un symbole (sans marque, asèmos) et une somme exprimée enmines. Dans les plaquettes du IIIe siècle, on trouve souvent la mention timèma ouune abréviation équivalente (timè, tim, ti) précédant le montant. Cette descriptiongénérale ne doit pas cacher une grande diversité. Parfois, le nom est repris à l’inté-rieur, ou bien la couleur et le symbole sont repris à l’extérieur (uniquement pour destablettes du IIIe siècle). J. H. Kroll est parvenu à montrer que les plaquettes peuventêtre regroupées par tribu426.

ARCHIVES OFFICIELLES PÉRIPHÉRIQUES 237

420 Cf. chapitre 5.421 Pour un exemple d’inspection des terres, IG II2, n° 1165, l. 17s., un décret honorifique émanant dela tribu Érechtheis qui remercie Antisthénès de Lamptrai.422 K. BRAUN, Der Dipylon-Brunnen B1 : Die Funde, AM 85, 1970, p. 129-132 et p. 198-269 pour ladocumentation du Céramique et J.H. KROLL, An Archive of the Athenian Cavalry, Hesperia 46, 1977,p. 83-146 pour celle qui provient de l’Agora. Nous nous consacrerons ici surtout à cette dernière.423 Sur cette partie de l’Agora, J.M. CAMP, The Athenian Agora. Excavations in the Heart of ClassicalAthens, Londres, 1986, p. 74-77. Trois inscriptions montrent l’association entre les Hermès et la cava-lerie athénienne : IG II2, n° 3130 qui relate une victoire à des compétitions hippiques annuelles et deuxdécrets provenant des hippeis SEG 21, 1965, n° 525 et n° 357. Le premier est gravé devant les Hermès,l’autre dans le portique des Hermès.424 Sur ce bâtiment, CAMP, op. cit., p. 118-122.425 KROLL, op. cit., planche 33 fig. 1 et 13 par exemple.426 KROLL, op. cit., p. 92.

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L’analyse du contenu ne pose pas de problème particulier. La couleur et le sym-bole renvoient à des chevaux427. Selon toute vraisemblance, le nom est celui du pro-priétaire. En effet, dans deux tablettes, l’adjectif prodromos est accolé à ce dernier eton sait par ailleurs que ce terme désigne un corps particulier de cavaliers428. Le sensdu timèma mérite un commentaire plus approfondi. Dans un décret des hippeis pourhonorer leurs hipparques et phylarques, le soin du timèma est mentionné :§pimem°lhntai d¢ ka‹ t«n [ti]mÆsevn ka‹ t«n dokimasi«n429. Deux opérationsdistinctes apparaissent430. Les dokimasiai sont du ressort du Conseil431. Elles consis-tent en un examen physique avec pour corollaire un jugement sur l’entretien effectuépar le cavalier. La timèsis n’est connue que par ces plaquettes et une inscription. Ils’agit d’une évaluation monétaire. Mais dans quel but ?432 Nous savons par Lysias etpar un commentaire d’Harpocration que la cité prêtait une certaine somme d’argentaux cavaliers appelée katãstasiw, après qu’ils ont subi la dokimasie, pour qu’ilspuissent acheter leur monture et l’équiper433. Lorsque ceux-ci se retiraient, ils rem-boursaient leurs dettes et l’argent servait à financer les achats des nouveaux cavaliers,ÉAped$doto d¢ tÚ érgÊrion ÍpÚ t«n flppeusãntvn, ˜te ént' aÈt«n ßteroikay$stanto434. Que se passait-il si un cheval mourait ou n’était plus apte à servir ?La cité devait donner de nouveau la somme, ce qui pouvait donner lieu à constesta-tion. Grâce à ces plaquettes, il devenait possible d’obtenir une vérification aisée. Lemontant qui figurait représentait l’argent que la cité était prête à payer en cas de pro-blème.

Pourquoi choisir un tel support alors que le papyrus est d’usage courant dans lesarchives au milieu du IVe siècle ? Parce que c’est moins cher et plus facile à modifierrépond J. H. Kroll435. Mais cette réponse ne tient pas compte du fait que ces docu-ments ne semblent pas destinés à la consultation. De plus, aucun signe de réutilisa-tion n’apparaît, contrairement aux pinakia436. Quelle était alors leur fonction ? Nousfaisons l’hypothèse qu’il s’agit d’un original détruit lorsque l’année est écoulée, aprèsla remise des comptes des hipparques. Ces plaquettes n’étaient ouvertes qu’en cas denécessité. Pour les affaires courantes, on se contentait d’autres supports plusmaniables. Le plomb était certes choisi pour son faible prix mais aussi pour sa soli-dité et sa résistance437.

238 LES ARCHIVES DANS L’ATHÈNES CLASSIQUE

427 Pour les couleurs et les symboles qui correspondent à la marque du cheval, l’analyse la plus complèteest celle de BRAUN, op. cit., p. 199-200 et 251-267 ; voir aussi KROLL, op. cit., p. 86-88. Il est intéres-sant de noter que la marque n’est pas reproduite, elle figure sous la forme d’un mot.428 n° 62 de KROLL, op. cit., et n° 565 de Braun. Voir XÉN., Hipp., 1.25 et PS-ARSTT, Ath. pol., 49.1.429 SEG 21, 1965, n° 525, l. 14-15.430 Ces plaquettes interdisent de considérer que les dokimasiai sont synonymes des timèseis (KROLL, op.cit., p. 85-86 et 97).431 PS-ARSTT, Ath. pol., 49.1.432 Nous suivons ici les conclusions de KROLL, op. cit., p. 97-100.433 LYS., Mant., 16.6 et HARP., sv katãstasiw. D’autres sources l’évoquent, notamment XÉN., Hipp.,1.23 et 9.5. Cette pratique est attestée dès les années 420 (EUPOLIS, frag. 293 K-A). Le commentairede A. MARTIN, Les cavaliers athéniens, Paris, 1886, p. 335-345 demeure la référence sur la katãstasiw.434 HARP., sv katãstasiw.435 KROLL, op. cit., p. 94-95.436 Voir chapitre 6.437 Cf. les remarques de E.W. ROBINSON, Lead Plates and the Case for Democracy in Fifth-Century BCCamarina, in V.B. GORMAN et E.W. ROBINSON (éd.), Oikistes. Studies in Constitutions, Colonies, and

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Les différentes institutions étudiées recourent donc quotidiennement à l’écritureet ne pouvaient assurer le bon fonctionnement de la cité sans leurs archives. Uneorganisation autour d’une relation de type centre/périphérie semble constituer lecœur même de la cité. Le dème se dégage de cet ensemble car il assure le recrute-ment des soldats, participe à la levée des impôts et veille à la cohésion du groupe,c’est-à-dire à l’accès à la citoyenneté. La fonction de démarque comportait de trèsfortes responsabilités. Elle supposait une maîtrise de l’écriture suffisante pour pou-voir administrer les archives du dème, principalement le registre. Dans sa tâche, cemagistrat n’était pas seul puisque les démotes bouleutes formaient l’autre chevilleouvrière de cette institution périphérique438. Par leur intermédiaire, le centre poli-tique disposait d’informations sur les patrimoines respectifs des citoyens mais aussides métèques. Cet échelon rendait possible les réalisations de listes centralisées, d’in-dividus ou de fortune. De leur côté, les temples disposaient d’un patrimoine qu’ilsdevaient connaître, ce qui supposait le maniement de nombreux documents. Parcequ’ils assuraient en partie le financement des activités militaires d’Athènes, leurcomptabilité constituait un outil indispensable au bon fonctionnement de la cité.Enfin, les magistrats dans leur ensemble, conservaient des documents dans l’exercicede leurs attributions, au moins jusqu’à la remise des comptes. C’est à une omnipré-sence des archives que cette étude des institutions périphériques aboutit.

Mais la conservation de ces derniers n’est qu’un aspect de leur utilisation. Leurproduction et leur transfert doivent aussi être étudiés en tant que tels. Autrement dit,il convient de s’intéresser à présent à la question de la communication écrite de lacité. Qui produit les messages publics écrits ? À quelles fins ? Nous avons choisi dedissocier les inscriptions de la communication sur support périssable, tant ces der-nières constituent un type particulier, aussi bien au niveau des émetteurs que desrecepteurs.

ARCHIVES OFFICIELLES PÉRIPHÉRIQUES 239

Military Power in the Ancient World. Offered in Honor of A. J. Graham, Leyde, Boston et Cologne, 2002,p. 61-78.438 FARAGUNA, op. cit., 1997, p. 14-15 n. 33. L’importance des bouleutes et du démarque dans l’éta-blissement d’un lien avec la cité a été notée par de nombreux historiens, cf. par exemple RHODES, Athe-nian Boule, p. 8-12 et OSBORNE, Demos, p. 72-92.

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TROISIÈME PARTIE

LA COMMUNICATION ÉCRITE PUBLIQUE :ÉCHANGES DE DOCUMENTS

ET FONCTIONNEMENT DE LA CITÉ

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CHAPITRE V

LES ÉCRITS PUBLICS AFFICHÉS À ATHÈNES

FORMATION D’UN ESPACE PUBLIC

“Little work has been devoted to the precise role of inscriptions”1. Écrite en1992, cette affirmation a perdu aujourd’hui une partie de sa pertinence,

même si le constat contient encore une part de vérité. Plusieurs ouvrages ou articlessont revenus sur la question et l’exemple athénien, en raison de l’importance de ladocumentation, a été particulièrement traité2. Sur le plan conceptuel, les réflexionssont antérieures. Il faut évoquer les travaux d’A. Petrucci qui définit l’objet de sonouvrage comme une étude de “toutes les manifestations graphiques […] dans les-quelles l’écriture assume une fonction consciente d’extériorisation et de solennité,intentionnellement destinée à transmettre, à travers une réalisation particulièrementsoignée, une mise en évidence particulière ou d’autres caractéristiques encore, desmessages non seulement verbaux mais aussi et surtout visuels”3. L’ampleur du sujetinvite à privilégier certaines catégories de documents épigraphiques athéniens pourmener une étude détaillée. Il ne s’agit pas de proposer une interprétation globale,comme si l’ensemble de la documentation était homogène4. Certains se sont lancéssur cette voie et ont associé les inscriptions et la démocratie à Athènes. Or cettethèse, soutenue entre autres par B. D. Meritt, doit être fortement amendée5.

1 THOMAS, Literacy, p. 84.2 Sur la fonction des inscriptions dans le monde grec, outre THOMAS, Literacy, p. 84-88, voir C.L.LAWTON, Attic Document Reliefs. Art and Politics in Ancient Athens, Oxford, 1995, BERTRAND, Écriture,notamment p. 93-167 et A. BRESSON, Les cités grecques et leurs inscriptions, in A. BRESSON, A.-M.COCULA et Chr. PÉBARTHE (éd.), L’écriture publique du pouvoir, Bordeaux, 2005, p. 153-168. SurAthènes proprement dit, J.-M. BERTRAND, De l’usage de l’épigraphie dans la cité des Magnètes plato-niciens, in Symposion 1995. Vorträge zur griechischen und hellenistischen Rechtsgeschichte (Korfu, 1-5 Sep-tember 1995), 1997, p. 40-47 souligne des similitudes entre l’épigraphie des Magnètes et celled’Athènes ; Ch.W. HEDRICK, Democracy and the Athenian Epigraphical Habit, Hesperia 68, 1999,p. 387-439 et ID., Epigraphic Writing and the Democratic Restoration of 307, in P. FLENSTED-JENSEN,Th.H. NIELSEN et L. RUBINSTEIN L. (éd.), Polis & Politics. Studies in Ancien Greek History Presented toMogens Herman Hansen on his Sixtieth Birthday, August 20, 2000, Copenhague, 2000, p. 327-335 pro-posent une étude plus générale ; voir aussi Chr. PÉBARTHE, Inscriptions et régime politique : le cas athé-nien, in BRESSON et alii (éd.), op. cit., p. 169-182. Le monde romain a été mieux étudié et depuis pluslongtemps (pour une première approche, M. CORBIER, L’écriture dans l’espace public romain, L’Urbs.Espace urbain et histoire (Ier siècle. a.C.-IIIe siècle p.C.). Actes du Colloque International organisé par leCNRS et l’EFR (Rome, 8-12 mai 1985), Rome, 1987, p. 27-60).3 A. PETRUCCI, Jeux de lettres. Formes et usages de l’inscription en Italie, XIe-XXe siècle, Paris, 1993, p. 9.4 Dans une perspective analogue, L. BOFFO, Ancora una volta sugli “archivi” nel mondo greco : conser-vazione e pubblicazione epigraphica, Athenaeum 83, 1995, p. 91-130 a montré tout l’intérêt qu’il yavait à interroger en permanence la relation entre l’archive et l’inscription.5 Elle est exposée dans B.D. MERITT, Epigraphica Attica, Cambridge (Mass.), 1940, p. 89-93.

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1. Inscriptions et démocratie6

Le nombre d’inscriptions que nous possédons pour la cité athénienne, une ving-taine de milliers, tranche comparativement avec la faible quantité de textes gravés ennotre possession pour les autres cités7. L’étude de la distribution chronologique dudossier épigraphique athénien révèle une forte augmentation pour le Ve siècle quicompterait plus de 2000 inscriptions et d’un maximum pour le IVe siècle, autour de60008. Un raisonnement analogue peut être mené en tenant compte de la distribu-tion chronologique des inscriptions selon leur catégorie. Il ne donne pas des résul-tats identiques mais il ne contredit pas la ligne générale observée9. Il n’est pas pos-sible d’aller plus loin, c’est-à-dire d’établir un ratio entre le nombre de décrets votéset leur mise sur pierre10. En dépit des limites de toutes les estimations, il existe bienune spécificité athénienne en ce domaine. Des circonstances particulières peuventcertes être citées : le recours au métal dans d’autres cités, un matériau qui facilite laréutilisation ; la plus grande quantité de fouilles faites en Attique. Quoi qu’il en soit,si particularité il y a, elle concerne les sociétes civiques grecques qui recourent dansl’ensemble à cette occupation spécifique de l’espace public. Aucun équivalent avec lapériode mycénienne ne peut être trouvé. Le recours à l’écriture ne donne pas uneinformation sur le régime politique de la cité. Si Athènes étonne, ce n’est donc paspar sa pratique mais par l’ampleur de celle-ci.

Toutefois, cela ne préjuge pas de la valeur démocratique que les Athéniens pou-vaient prêter à l’inscription. Dès lors, il faut essayer de mettre en parallèle l’évolu-tion de la démocratie et celle du nombre d’inscriptions11. On constate alors que lesdocuments épigraphiques augmentent pendant la tyrannie des Pisistratides. Certes,nous ne possédons pas de décrets mais des dédicaces qui révèlent une politique actived’écriture publique. Au cours du VIe siècle, l’habitude de graver les lois se développeet tout laisse à penser que l’Athènes des Pisistratides n’échappait pas à la règle12. En

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6 Nous renvoyons à PÉBARTHE, op. cit., dont nous rappelons les grandes lignes ici.7 Nous disposons de 15000 inscriptions antiques athéniennes (tous types et toutes époques confon-dues), estimation largement en dessous de la vérité (HEDRICK, op. cit., 1999, p. 390 propose 20000comme ordre de grandeur et que nous reprenons). Autre estimation, ce nombre représenterait 20% dutotal des inscriptions grecques. Quelques exemples pour établir une comparaison : Éphèse en fournitun peu moins de 4000, Délos autour de 3000 et Delphes 2000. Ainsi, l’érection de stèles semble avoirdes aspects spécifiques à Athènes (Ch.W. HEDRICK, Writing, Reading, and Democracy, in R. OSBORNE

et S. HORNBLOWER (éd.), Ritual, Finance, Politics. Athenian Democratic Accounts Presented to DavidLewis, Oxford, 1994, p. 160-161).8 Pour les calculs, HEDRICK, op. cit., 1999, p. 392.9 Voir les tableaux récapitulatifs réalisés par Ibid., p. 394.10 M.H. HANSEN, The Athenian Assembly in the Age of Demosthenes, Oxford, 1987, p. 110 et ID., TheAthenian Ecclesia II. A Collection of Articles 1983-1989, Copenhague, 1989, p. 98-102 s’y est essayé sansréel succès. Il est toutefois indubitable que les décrets gravés constituaient une infime partie du nombrede décrets adoptés.11 R.S. STROUD, State Documents in Archaic Athens, Athens comes from Age. From Solon to Salamis,Papers of a Symposium of Archaeological Institute of America, Princeton, 1978, p. 20-42 propose une his-toire des documents publics athéniens à l’époque archaïque.12 Plusieurs sources insistent plus généralement sur le respect des Pisistratides des institutions (HDT

1.59.6 ; THC 6.54.6 ; PS-ARSTT, Ath. pol., 14.3 et 16.2).

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revanche, on n’observe pas d’augmentation à l’époque de Clisthène13. De fait, l’ac-croissement numérique n’est réel qu’après les années 450. La démocratie s’installeavec les réformes d’Éphialte et de Périclès ; l’impérialisme également. Dès lors, cettepériode ne saurait se réduire à un simple avènement démocratique. Les deux coupsd’État oligarchiques de la fin du Ve siècle ne durent pas assez longtemps pour qu’ilsoit possible d’en tirer une information concernant leurs pratiques en matière d’écri-ture publique14. On peut seulement dire que la démocratie revenant au pouvoir euttendance à s’occuper des écritures publiques, en augmentant leur nombre (à partirde 410, c’est la republication des lois), soit en réformant l’écriture (en 403/2, onmodifie l’alphabet). Au cours du IVe siècle, jusqu’en 322, il n’y a pas de variationssensibles.

La fin du IVe siècle et les fluctuations institutionnelles d’Athènes constituent unepériode clé pour déterminer si le nombre d’inscriptions varie en fonction des évolu-tions politiques : deux décrets connus pour la période 317-307 (Démétrios au pou-voir) contre seize pour la seule année 307/6 (début de la période de démocratie res-treinte)15. Mais il est difficile de passer de la coïncidence à une relation causale. Eneffet, au cours de cette période, la gravure de documents dans la cité se poursuit,comme celle des décrets de dème, des inventaires des trésoriers d’Athéna ou bienencore des bornes, même si la réalisation de certaines inscriptions semble inter-rompue comme les listes éphébiques ou bien celles des bouleutes16. En outre,St. V. Tracy a identifié pas moins de quatre lapicides actifs pendant cette période, cequi implique l’existence d’une certaine quantité de travail pour ces individus17. Lefaible nombre de décrets peut très bien s’expliquer par une moindre activité duConseil ou bien encore par une destruction de certaines écritures publiques del’époque de Démétrios commise par les démocrates18. Si “inscriptions basicallyreflect political acts”19, il est dangereux d’associer automatiquement nombre d’ins-criptions et institutions politiques. S’il est clair que certains textes, les décrets parexemple, sont sensibles aux évolutions politiques, il n’est pas possible d’en conclurel’hostilité des régimes non-démocratiques aux écritures publiques20. Du reste, la cité

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13 L’un des premiers décrets gravés mentionné dans nos sources concerne l’expulsion des Pisistratides(THC 6.55.1).14 L’attitude des autorités pendant la période de la tyrannie des Trente est connue par certains docu-ments. Il y a des érasures mais aussi des effacements de privilèges, voir infra.15 Le calcul est fait par St.V. TRACY, Athenian Politicians and Inscriptions of the Years 307 to 302, Hes-peria 69, 2000, p. 229. Sur les événements politiques, cf. Chr. HABICHT, Athènes hellénistique, Paris,2000, p. 55-97.16 Pour les références, voir TRACY, Athenian Democracy, p. 39 et plus généralement sur les inscriptionsà l’époque de Démétrios Ibid., p. 36-51.17 Ibid., p. 39-40.18 Selon FAVORINUS apud DIO. L. 5.77, après la chute de Démétrios de Phalère, les Athéniens firentmodifier la liste des archontes en inscrivant pour l’année correspondant à l’archontat de celui-ci(309/8), anomia. P. GREEN, D’Alexandre à Actium. Du partage de l’empire au triomphe de Rome, Paris,1997, p. 53-54 en déduit une possible suppression des décrets votés en l’honneur de Démétrios aumoment même où Antigone et son fils recevaient de très nombreux honneurs de la part des Athéniens(D.S. 20.46.1-2 et PLUT., Dem., 10-12). Des statues furent détruites et des procès furent organisés(HABICHT, op. cit., p. 85). Des destructions de stèles sont dans ce contexte probables.19 TRACY, op. cit., 2000, p. 227.20 HEDRICK, op. cit., 1999, p. 407.

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athénienne n’hésitait pas à éliminer certaines inscriptions n’ayant plus de valeur oureprésentant une période trouble21.

Pour autant, certaines périodes historiques athéniennes se traduisent par unevolonté explicite de recourir aux inscriptions. Pendant les années 307-301, lenombre de textes gravés en notre possession augmente et il semble que le souci departager l’information soit affirmé dans les textes22. Ch. W. Hedrick attire l’attentionsur le côté rhétorique de la formule indiquant la possibilité à tout citoyen deconsulter le document en question ; en 307, Athènes renoue avec ce type de dis-cours23. De plus, la restauration démocratique instaurée par Démétrios Poliorcèteentraîne une remise en cause profonde des institutions24. Les nomophylaques et lecens sont supprimés, l’assemblée et le Conseil connaissent une période intense d’ac-tivité, le nombre de citoyens s’accroît comme les listes éphébiques de l’époque lemontrent. Enfin, une révision et une publication des lois en vigueur sont entreprisespar un collège de nomothètes, ce qui évoque 411 et 403. Les modifications institu-tionnelles impliquaient donc des changements dans les pratiques épigraphiques25. Àl’extrême fin du IVe siècle, plusieurs catégories d’inscriptions, particulièrement lescomptes et les inventaires, cessent d’être produites par la cité26. Il y a là une tendancede fond. T. Linders l’expliquait par l’accroissement du recours aux archives, mais celarevient à négliger l’importance de l’archivage dès le Ve siècle27. Il est préférable d’yvoir un signe de plus de l’existence de modes épigraphiques qui imposaient un tempsde graver les textes de certaines décisions et qui procédaient de choix qui nous échap-pent28.

Parce qu’elle porte le texte, la pierre peut être une source d’informations pour toutcitoyen qui le désire comme certaines formules contenues dans les clauses de publi-cation des décrets l’attestent. On pense par exemple à skope›n t«i boulom°nvi29.Cependant, le verbe utilisé n’est pas énagign≈skein et il peut donc plutôt renvoyerà la dimension monumentale de la stèle30. Une autre formule à partir du IVe sièclemet en avant l’idée de savoir, ˜pvw ín efid«si. Il n’est pas aisé toutefois d’introduireun lien entre le verbe savoir et l’idée démocratique. Concernant les autres formulesprésentes dans les clauses de publication des décrets attiques, une seule éclaire le pro-blème posé, ˜pvw ín Ípãrxhi ÍpÒmnhma. Cette formulation met en avant l’idée de

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21 Voir infra.22 Voir les références des différents textes dans HABICHT, op. cit., p. 88 et les commentaires de HEDRICK,op. cit., 2000.23 HEDRICK, op. cit., 2000, p. 328.24 Ibid., p. 84-97.25 Ibid., p. 329-330 : “The restored democratic regime seems to have made it a priority to preserve anddisplay public documents”.26 Voir T. LINDERS, The Treasurers of the Other Gods in Athens and their Functions, Meisenheim, 1975,p. 61-65.27 Ibid., p. 61-62.28 Il est possible que la remise des comptes ait parfois requis une gravure, voir infra.29 Elle n’est attestée que dans cinq inscriptions dont quatre au Ve siècle et la cinquième à la fin du IVe

siècle. AND., Myst., 1.83 et 84 l’utilise une fois en relation avec un affichage temporaire et une autrefois à propos d’une publication définitive sur pierre.30 THOMAS, Oral Tradition, p. 51 (Ibid., p. 60-61 assimile pourtant dans son analyse les deux verbes).HEDRICK, op. cit., 1999, p. 411 invite à la prudence.

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conservation durable permise par le document. La stèle rappelle les bonnes actionsfaites par le personnage honoré ou bien la gratitude de la cité. Partant de là, la pierrepeut exprimer un honneur rendu31.

Ainsi, si l’érection de stèles gravées a partie liée avec l’idéologie démocratiqueathénienne, le nombre d’inscriptions n’est pas fonction strictement de la naturedémocratique ou non du régime en place32. La dimension monumentale de l’ins-cription est un élément aussi important que la dimension proprement informativedu document. L’importance accordée aux reliefs qui ornent certaines stèles confirmeque les Athéniens percevaient le texte et la pierre comme un tout33. Comme le faitremarquer J.-M. Bertrand, “L’écriture monumentale signifiait, d’abord, par sa seuleévidence, qu’une cité fonctionnait au lieu de son exposition et faisait connaître cequ’elle était. On ne comprendrait pas qu’eussent été publiés dans les cités tant detextes traitant de sujets tout à fait inessentiels, en apparence, tant d’inscriptionshonorifiques répétitives, si le geste de la publication n’avait pas une plus large signi-fication que la simple diffusion du contenu d’un document”34. Dès lors, la questionn’est pas d’établir un lien entre la nature d’un régime politique et les habitudes épi-graphiques. Il s’agit plutôt de montrer que les inscriptions résultent d’une politiquede communication publique de la cité, ce qui suppose de s’intéresser plus générale-ment aux finalités des inscriptions publiques. Auparavant, il convient de rappeler lesaspects pratiques de la gravure des stèles commandée par la cité.

2. Les aspects pratiques

A. LA RÉALISATION DES STÈLES35

La réalisation d’une stèle constitue la dernière étape d’un long processus quidébute par la discussion d’un décret ou d’une loi. Elle n’est en rien obligatoire. Ellerésulte donc d’un choix fait par la cité dans le cas d’accords entre cités ou éventuel-lement par l’auteur de la proposition particulièrement dans le cas des décrets de

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31 Voir infra.32 HEDRICK, op. cit., 1999, p. 425.33 LAWTON, op. cit., p. 29 remarque qu’il existe un lien entre le relief de la stèle et le contenu du texte.Nous renvoyons à l’ensemble de l’ouvrage de C. L. Lawton qui est une monographie sur les reliefs desdocuments épigraphiques athéniens ainsi qu’à M. MEYER, Die griechischen Urkundenreliefs (AM-BH 13), Berlin, 1989.34 BERTRAND, Écriture, p. 95.35 Bon nombre d’aspects intéressant cette question ont été abordés par G.V. LALONDE, The Publicationand Transmission of Greek Diplomatic Documents, Ann Arbor, 1971, en particulier p. 1-75 et parS. LEWIS, News and Society in the Greek Polis, Londres, 1996, p. 127-137. Des éléments plus précisconcernant notamment le prix de la gravure ont été développés par Br.Th. NOLAN, Inscribing Costs atAthens in the Fourth Century B.C., Ann Arbor (thèse dactylographiée), 1981 et W.T. LOOMIS, Wages,Welfare Costs and Inflation in Classical Athens, Ann Arbor, 1998, p. 121-165. Sur les aspects pratiques,voir aussi LAWTON, op. cit., p. 5-28. La question du lapicide a été abordée par plusieurs auteurs, citonsL. ROBERT, Épigraphie et paléographie, CRAI, 1955, p. 195-219, TRACY, Lettering et plus récemmentD. MULLIEZ, Vestiges sans ateliers : le lapicide, Topoi 8, 1998, p. 815-830. Enfin, les clauses de publi-cation ont été étudiées par K. LARFELD, Handbuch der griechischen Epigraphik II, Leipzig, 1902, p. 695-720.

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proxénie. Toutefois, les personnes privées ne sont pas libres d’ériger une stèle dansl’espace public. L’assemblée exerce une maîtrise complète de l’espace graphique. Undécret de 353 honorant Aristocratès en fournit un exemple36 : [tÚ d¢ cÆfisma] tÚprÒte[ron, ˘ ∑n énagegramm°non ¶mp]rosyen t? [bouleuthr$o aÈt«i,énagrã]canta tÚ[n grammat°a §stÆlhi liy$nh éna]ye›[nai §n ékropÒleiktl]. Un autre type de documents montre le contrôle de l’installation de stèles, lesdécrets ordonnant les republications37.

Parmi les critères qui fondaient la gravure d’une décision, le premier tient à l’es-pace disponible dans la cité. Les documents intéressant l’ensemble de la commu-nauté ont la priorité sur les autres. Les traités et autres documents qui concernent lavie diplomatique étaient publiés à la fois pour des raisons de publicité et pour desraisons légales, cela leur donnait existence. En revanche, les décrets honorifiques nebénéficiaient pas de la même libéralité. Les critères étaient ici plus stricts. En outre,dans ce dernier cas, la publication constitue un honneur.

L’autorisation de la mise sur pierre apparaît dans une clause du décret et contientles éléments suivants38 :

— un verbe à l’infinitif le plus souvent— ce qui doit être mis sur pierre— l’autorité responsable de la publication— la nature du support— un verbe autorisant l’érection du support— la localisation du supportLa formule possède alors la forme suivante : énagrãcai d¢ tÒde tÚ cÆfis[ma]

efiw stÆlhn liy$nhn tÚ<g> grammat[°a] tÚn katå prutane$an ka‹ st∞sa[i] §nékropÒlei39.

Un deuxième élément figure le plus souvent à la suite de cette première décision,le financement de la gravure. Lorsque le décret est payé par la cité, s’ajoutent les élé-ments suivants :

— une subordonnée relative indiquant que l’argent est destiné à l’inscription dece texte

— un verbe (merisai ou dounai) pour enjoindre le trésorier à effectuer le paiement— l’identité du payeur— le montant de la somme— l’origine de la somme.Une inscription fournit l’exemple suivant : efiw d¢ tØn énagrafØn t∞w sthl[∞w

d]?nai tÚn ta[m]$an t? dÆmo DD drã<x>maw §k [t]«n [ka]tå chf$smata éna-liskom°nvn t[«i] dÆmvi40.

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36 IG II2, n° 195, 7-11 et A. WILHELM, Beiträge zur griechischen Inschriftenkunde, Vienne, 1909, p. 236pour la restitution. Cf. aussi IG II2, n° 583.37 Sur les nouvelles gravures après les Trente, cf. supra.38 Cf. LALONDE, op. cit., p. 9-10 et NOLAN, op. cit., p. 6-17. Les aspects financiers ont été étudiés parHENRY, Polis/acropolis et ID., Athenian Financial Officials After 303 B.C., Chiron 14, 1984, p. 49-92(pour la période postérieure à 303) et ID., Provisions.39 IG II2, n° 222, l. 26-29.40 IG II2, n° 109, l. 24-29.

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Il ne fait guère de doute que le secrétaire est en charge de l’ensemble du pro-cessus, étant le seul magistrat mentionné lorsqu’il est question de l’anagraphè41.Bien entendu, ce magistrat doit simplement recruter l’artisan qui allait fabriquerl’inscription.

Plusieurs possibilités s’offraient et il fallait en désigner un. Pendant le Ve etau début du IVe siècle peut-être encore, l’attribution de ce marché public étaitplacée sous la responsabilité des polètes42. Ils apparaissent dans plusieurs inscrip-tions au Ve siècle. La première mention certaine date du milieu du siècle43 : hoid¢] poleta‹ épomisyosã[nton t¢n st°len ktl]. Toutefois, des inscriptionsantérieures autorisent des restitutions indiquant l’intervention des polètes dansla procédure menant à la gravure de la stèle44. Selon toute vraisemblance, cettemagistrature avait la charge d’attribuer le marché des inscriptions publiques dèsla première moitié du Ve siècle. La dernière attestation connue date de 375/4,dans la loi sur la monnaie d’argent. Dans ce dernier document, la formulationest différente, ı d¢ grammate[Á]w [ı] t∞w bol∞w paraggeilãtv m$syvma to›wpvl[hta›w]: ofl d¢ pvlhta‹ §senegkÒnton §w tØn bolÆn45. Le verbe attendu,épomisyvsãntvn, ne figure pas. La procédure retenue ici se déroule en deuxtemps. D’abord, le secrétaire doit transmettre la dépense aux polètes qui doiventensuite introduire la dépense devant le Conseil. Celui-ci ratifie le contrat deréalisation des stèles, le secrétaire ordonnant la gravure par l’intermédiaire depolètes. Selon M. K. Langdon, “Why a different wording was used here is notknown, but the procedure seems to be basically no different from that set forthin the normal formula of the 5th century”46. Cette appréciation paraît négligerun aspect essentiel. Le document en question n’est pas un décret mais une loiet il résulte d’une procédure particulière, la nomothésia. Certes, les autres déci-sions prises par des nomothètes montrent un financement différent, sans recoursaux polètes47. Toutefois, l’établissement d’une loi était un fait rare à Athènes eton peut considérer qu’un financement particulier était retenu ainsi qu’une pro-cédure particulière pour l’attribution du marché public de la gravure. Ainsi, cedocument ne permet pas de penser que les polètes ont continué d’exercer cetteresponsabilité au IVe siècle.

Si on excepte la loi sur la monnaie d’argent, la dernière mention date de 403/248.Mais nous savons par ailleurs qu’ils continuent d’être responsables des contratspublics. Aussi, pour beaucoup, il semble que cette disparition des sources ne corres-

LES ÉCRITS PUBLICS AFFICHÉS À ATHÈNES 249

41 Cf. Chapitre 3.42 Selon PS-ARSTT, Ath. pol., 47.2, ils avaient en charge l’ensemble des contrats publics.43 IG I3, n° 23 l. 11-12. Voir M.B. WALBANK, Athenian Proxenies of the Fifth Century B.C., Toronto-Sarasota, 1978, p. 85-89 n° 11.44 IG I3, n° 7, l. 6-7 (datation proposée par les éditeurs, c. 460-450) ; IG I3, n° 11, l. 12-13 (datationproposée par les éditeurs antérieure à 450). Toutes les autres inscriptions sont postérieures à 450 (lesréférences sont données par LANGDON, Poletai, P. 62-63).45 OSBORNE & RHODES, N° 25, l. 47-49.46 LANGDON, Poletai, P. 63.47 R.S. STROUD, An Athenian Law on Silver Coinage, Hesperia 43, 1974, p. 184.48 IG II2, n° 4, l. 3 avec le commentaire de HENRY, Polis/acropolis, p. 103 n. 34. Toutefois, IG I3, n° 80,l. 16-20 (421/0), IG I3, n° 84, l. 26-30 (418/7) et IG I3, n° 110, l. 20-24 ne mentionnent pas les polètes.

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ponde pas au terme d’une responsabilité. Leur rôle n’est simplement plus mentionnédans la clause bien qu’ils continuent à le tenir. Toutefois, au cours du IVe siècle, l’ar-gent est payé directement au secrétaire, si l’on en croit plusieurs inscriptions : §w d¢tØn énagrafØn t∞w stÆlhw doËnai toÁw tam$aw t«i grammate› t∞w bol∞w DDDdraxmåw §k t«n d°ka talãntvn49. Si les polètes continuent d’être responsables del’attribution du marché public de la réalisation de la stèle, il faut alors supposer quele secrétaire leur transmet l’argent, ce qui paraît peu probable. Cette nouvelle res-ponsabilité donnée au secrétaire appartient sans doute à la réforme qui affecte cettemagistrature dans les années 36050.

Le financement de la gravure a connu aussi d’importants changements. Jusqu’en411 au plus tard, les kolakrètes en étaient chargés51. Après cette date, les helléno-tames les remplacent52. Pour le IVe siècle, les documents ne permettent pas d’établirun schéma chronologique précis, principalement en raison du faible nombre d’ins-criptions datées à l’année près53. Toutefois, il est possible de faire quelques com-mentaires54. D’abord, le recours direct aux apodectes ne s’explique que par une situa-tion exceptionnelle et ne saurait correspondre à une période précise55. Ensuite, pourl’essentiel du IVe siècle, le financement des inscriptions était assuré par le trésorierdu peuple56. Enfin, et ce n’est pas l’élément le plus négligeable, la procédure suivierespecte des dispositions prises spécialement par la cité, signe de l’importance quecette dernière accorde aux écritures affichées. Trois documents l’évoquent en recou-rant à une formule inhabituelle dans nos sources57. Le premier mentionne trentedrachmes à verser selon la loi (efiw [d]¢ tØn énagr[afØn t∞w stÆ]lhw [dÒ]tv ı

250 LA COMMUNICATION ÉCRITE PUBLIQUE

Ces inscriptions n’évoquent pas non plus la question de l’attribution du marché de la gravure. On peutdonc retenir la conclusion de LANGDON, Poletai, p. 63 au moins jusqu’à la fin du Ve siècle : “These are,no doubt, examples of abbreviated expression. The poletai must have let the appropriate contracts, butthe fact is not stated”.49 OSBORNE & RHODES, n° 21, l. 15-18 (voir supra). IG II2, n° 33 présente une formule similaire maiselle n’est pas datée avec certitude (J. POUILLOUX, Recherches sur l’histoire et les cultes de Thasos I, Paris,1954, p. 199 et 203 qui propose une date autour de 402, reprise par HENRY, Polis/acropolis, p. 106).Pour l’ensemble des sources, voir HENRY, Provisions, p. 265-267.50 L’hypothèse a été faite par LALONDE, op. cit., p. 45-46.51 Citons par exemple IG I3, n° 78, l. 51-52 : hoi d¢ kolakr°tai dÒnton tÚ érgÊrion ; voir plus géné-ralement HENRY, Provisions, p. 248-250. La dernière apparition certaine de cette magistrature donne leterminus post quem de 418/7 (IG, I3, 84) : cf. SAMONS, Empire of the Owl, P. 241 avec n. 108 et 111 etp. 259-260.52 HENRY, Provisions, p. 250-251.53 Sur ces questions, cf. HENRY, Polis/acropolis,et ID., Provisons pour la période qui nous intéresse (i. e.jusqu’à la fin du IVe siècle).54 Différentes hypothèses ont été proposées. Cf. A.C. JOHNSON, Notes on Attic Inscriptions, CPh 9,1914, p. 417-423, W.B. DINSMOOR, The Burning of the Opisthodomos at Athens, AJA 36, 1932,p. 158-159 et HENRY, Polis/acropolis.55 Ces magistrats ne font pas de paiement direct en temps normal, ils transmettent les sommes néces-saires aux autres magistrats. Deux inscriptions révèlent cependant leur intervention dans le financementde gravure de stèles, en 386/5 (IG II2, n° 31) et en 378/7 (IG II2, n° 40). Voir HENRY, Polis/acropolis,p. 104-107 et ID., Provisions, p. 252-254.56 HENRY, Polis/acropolis, p. 112-116 et ID., Provisions, p. 256-267.57 Respectivement IG II2, n° 240, l. 23-25 (337/6), IG II2, n° 354, l. 29-31 (328/7) et IG II2, n° 558, l.29-31 (c. 303/2) avec le commentaire de HENRY, Provisions, p. 264.

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tam$aw triã[konta draxm]å[w] katå tÚn nÒmon), le second trente drachmes selonce que les lois ordonnent (efiw d¢ tØn énagr[afØn] t∞w stÆlhw doËnai tÚntam$an toË dÆm[ou : DD]D draxmåw ˜yen ofl nÒmoi keleÊousi[n]) et enfin le troi-sième trente drachmes à prélever sur les ressources communes (efiw d¢ tØn éna-grafØn t∞w stÆlhw doËnai tÚn tam$an toË dÆmou DDD draxmåw §k t«n koin«nxrhmãtvn). Les koina chremata renvoient à un fonds particulier et non à une règleprécise. Les deux premiers mentionnent l’existence de lois qui encadrent la réalisa-tion des inscriptions.

La nature du fonds affecté à cette dépense confirme le souci des Athéniens pourleurs inscriptions. Au Ve siècle, en raison des fonctions des kolakrètes, il est logiquede supposer que l’argent qu’ils affectaient à la réalisation des stèles provenait duDèmosion. Le remplacement par les hellénotames s’explique vraisemblablement parune fusion du trésor public et du trésor de la ligue et concerne donc une modifica-tion de la provenance des ressources58. À partir de 403 et jusque vers 370, les chan-gements de magistrature responsable du financement des inscriptions invitent à laplus grande prudence quant à l’origine des sommes dépensées. En revanche, lesdocuments des années 360 révèlent l’existence d’un fonds spécial dont le nomvarie59. Dans certains cas, les textes évoquent une enveloppe globale, §k t«n d°katalãntvn60. Dans d’autres, la formulation est plus vague, §k t«n katåchf$smata énaliskom°nvn t«i dÆmvi61. Mais selon toute vraisemblance, il s’agitdu même fonds62.

Le nombre de stèles gravées chaque année peut-il être alors déterminé en fonctiondu montant global du fonds ? Pour y répondre, il faut déterminer le prix unitaired’une inscription63. Jusque dans les années 390, les sources manquent, elles secontentent de mentionner le plus souvent tÚ érgÊrion sans autre précision. Uneseule exception, en 408/7, les comptes des épistates d’Éleusis, qui prévoient la réali-sation de la stèle pour 62 drachmes64. Pour le IVe siècle, les montants sont expliciteset il est alors possible de proposer l’évolution suivante. Le tarif habituel est 20 ou 30drachmes pour la cité, de dix drachmes pour les dèmes, au cours d’une période rela-tivement longue, allant de 403 à 33065. À partir de la fin des années 330 jusque vers300, le prix semble augmenter et se stabilise autour de 30 drachmes. Enfin, pendant

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58 SAMONS, Empire of the Owl.59 HENRY, Polis/acropolis, p. 110-111.60 La seule inscription pour laquelle la date soit certaine est OSBORNE & RHODES, n° 22. D’autres ins-criptions, plus tardives semble-t-il, mentionnent ce fonds (IG II2, n° 173 ou bien OSBORNE & RHODES,n° 21 cité supra).61 La première mention sure dans un texte daté par l’archonte figure dans IG II2, n° 106, l. 18-19, soitl’année 368/7.62 NOLAN, op. cit., p. 10 est réticent à considérer les deux expressions comme synonymes. Il opte pourune finalité plus vaste, couvrir l’ensemble des dépenses qu’entraîne le vote d’un décret. Mais il ne pré-cise pas lesquelles et on ne voit pas vraiment ce qui aurait nécessité l’existence d’un fonds complémen-taire.63 Une thèse a été consacrée à ce sujet (NOLAN, op. cit.) mais les travaux récents sur les prix à Athènesétablissent un catalogue plus précis : LOOMIS, op. cit., p. 121-157 et 158 n. 234 recense 228 occurrencesde prix d’inscriptions.64 IG I3, n° 386, l. 165-167.65 Les exceptions concernent des documents plus longs, voir LOOMIS, op. cit., p. 163 et n. 253.

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la première moitié du IIIe siècle, le prix baisse, 10 ou 20 drachmes. Une constante,la somme est toujours un multiple de dix drachmes. Avec un fonds de dix talents etavec une moyenne de 30 drachmes par inscription, les Athéniens prévoyaient 2000inscriptions. Il semble difficile de considérer qu’un tel nombre de stèles était gravéau cours d’une année. Le fonds était-il seulement renouvelé lorsqu’il avait été épuisé ?Couvrait-il d’autres dépenses, comme par exemple l’archivage ? Si la réponse à cettedernière question était positive, ce serait la preuve d’un coût de fonctionnement dela démocratie athénienne important.

Une autre série de questions concerne le prix indiqué dans les sources pour uneinscription. S’agit-il d’une limite maximale, de la rétribution de l’artisan, d’unesomme que donne la cité quel que soit le coût réel de la gravure ? La somme couvre-t-elle l’ensemble du processus ou seulement la gravure ? Les travaux récents deBr. Th. Nolan et W. T. Loomis ont invalidé pour Athènes l’association entre montantet nombre de lettres66. La somme que mentionne l’inscription couvre la rétributiondu sculpteur qui n’est pas fonction du nombre de lettres67. Le montant n’intègre pasl’ensemble du processus, les mensurations de la stèle sont indépendantes de celui-ci68.Selon toute vraisemblance, l’artisan avait à sa disposition des pierres préparées69. Celane signifie pas que la somme prévue ne couvrait pas tous les frais. Nombreuses sontles inscriptions publiques qui ont un prix identique à celui des décrets honorifiquespayé par des privés70. La gravure n’était donc pas l’affaire d’un magistrat ou d’undèmosios. Une même main pouvait graver un document privé et un documentpublic71. En réalité, le contrat concernait une seule inscription, ce qui explique pour-quoi de si nombreuses mains sont attestées pour les inscriptions publiques.

Il n’est pas aisé de donner de plus amples informations car dans l’ensemble, leslapicides sont mal connus, jusqu’au nom de leur métier72. Quelques éléments appa-raissent toutefois dans les sources. Il est peu probable qu’ils soient simplement gra-veurs de textes sur pierre73. Certains d’entre eux apparaissent dans nos sources pour

252 LA COMMUNICATION ÉCRITE PUBLIQUE

66 NOLAN, op. cit., p. 18-44 et LOOMIS, op. cit., p. 158-165. Les travaux de MULLIEZ, op. cit., p. 819-822 révèlent une grande variété de cas pour d’autres cités.67 Toutes les tentatives de corrélations entre les deux facteurs ont échoué (NOLAN, op. cit., p. 18-36).68 IG II2, n° 196 affecte 20 drachmes alors que la stèle est déjà dressée et partiellement inscrite.69 C’est la position de LAWTON, op. cit., p. 26, reprise par LOOMIS, op. cit., p. 162-163. Un extrait d’uncompte délien de 279 fournit le décompte précis des opérations mises en œuvre : fourniture de la stèle,déplacement, gravure, fourniture de plomb et de bois pour la fixation de la stèle sur son socle et rétri-bution des ouvriers qui installent la stèle (IG, XI 2, n° 161A, l. 117-119 avec le commentaire de MUL-LIEZ, op. cit., p. 821-822).70 Voir les références dans LOOMIS, op. cit., p. 161 n. 246.71 Par exemple A.E. RAUBITSCHEK, Dedication from the Athenian Acropolis, Cambridge (Mass.), 1949,p. 436.72 Les travaux de TRACY, Lettering sur la vie d’un lapicide portent sur les IIe-Ier siècles. Récemment MUL-LIEZ, op. cit., a proposé une réflexion générale sur cet artisan, principalement à l’aide du corpus deDelphes.73 L’étude des ateliers de sculpteurs dans l’Athènes de l’époque archaïque menée par D. VIVIERS,Recherches sur les ateliers de sculpteurs et la cité d’Athènes à l’époque archaïque, Bruxelles, 1992, en parti-culier p. 38-43, aboutit à la conclusion suivante : “Il est donc plus prudent de rejeter l’hypothèse delapicides professionnels au VIe siècle et d’inclure le travail de gravure des inscriptions dans les tâchesauxquelles se livrait l’atelier de sculpteurs, et cela d’autant plus que l’inscription figurant sur une baseest loin de constituer toujours une banale addition, tout à fait secondaire” (p. 41-42).

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d’autres activités liées ou non à la pierre, comme par exemple la pose de tuiles, le net-toyage de la couverture d’un bâtiment, le transport de bois, diverses réparations74…Mais il est toujours possible que le nom qui apparaît cache un entrepreneur polyva-lent qui n’exécute pas en personne toutes les tâches75. Les principaux aspects pra-tiques de la gravure ont pu être mis au jour76. Le graveur travaillait à l’aide d’un textequi lui était fourni par le commanditaire public77. Il n’y a pas lieu de postuler l’exis-tence d’une copie minuscule car, comme le remarque L. Robert, pourquoi imaginerque l’autorité en charge de l’anagraphè fournit “à l’ouvrier, — en qui l’on voit volon-tiers un illettré, un analphabète, je ne sais d’ailleurs pourquoi, — une minute pleinede pièges tendus au ‘déchiffrement’ et à la ‘translittération’ ?”78.

Nous ignorons tout ce qui concerne la fourniture de la pierre mais l’étude du prixrévèle que le lapicide athénien n’intégrait pas la taille de la stèle et son transport. Ildisposait dans son atelier du matériau nécessaire79. Les lignes permettant l’inscrip-tion n’étaient pas gravées le plus souvent, il faut donc envisager l’existence d’un qua-drillage amovible qui rendait possible la réalisation d’un stoichedon80. Il n’est pas pos-sible de déterminer à quelle date cette technique fut adoptée. Le lapicide du décretsur les Salaminiens aurait plutôt utilisé un guide horizontal81. En effet, si la disposi-tion horizontale est parfaite, il n’en va pas de même pour le placement vertical ; àpartir de la septième ligne, les colonnes ne contiennent pas toutes une lettre. L’ins-cription de l’Hekatombaion révèle une meilleure technique82. Les variations hori-zontales et verticales sont à peu près inexistantes. Le quadrillage était donc utilisé àla date de cette inscription. Dès lors, la tendance est plutôt de placer la lettre aucentre du rectangle unitaire. De plus, il était plus facile pour le lapicide de prévoir laplace de son texte. Toutefois, il ne prévoyait pas toujours la disposition du texte avecprécision83.

Le lapicide respectait scrupuleusement le texte fourni84. Les fautes sur les pierressont rares et nombres d’entre elles étaient corrigées au moment de la peinture. Il estvraisemblable de ce fait que la gravure était minutieuse et lente. Le texte était vérifiésinon plusieurs fois par jour au moins à la fin de chaque journée, même si un grand

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74 MULLIEZ, op. cit., p. 817-818.75 Un exemple est cité par MULLIEZ, op. cit., p. 818. Dans ce qui suit, nous utilisons le singulier parcommodité car les gravures à plusieurs mains étaient pratiquées. St.V. TRACY, Attic Letter-Cutters of 229to 86 B.C., Berkeley – Los Angeles – Oxford, 1990, p. 230 émet l’hypothèse d’ateliers modestes dans les-quels un maître travaillait aidé d’un ou deux ouvriers. Dans l’ensemble, il n’y a pas lieu d’envisagerl’existence de structures plus importantes. La notion d’ateliers a été développée par VIVIERS, op. cit.76 Voir principalement ROBERT, op. cit., TRACY, Lettering, p. 115-120 et MULLIEZ, op. cit., p. 824-827.77 Le cas des inscriptions privées pouvait être différent. ROBERT, op. cit., p. 215 envisage des commandesorales, en établissant un parallèle avec l’époque contemporaine.78 Ibid., p. 218. Les Grecs semblent écrire en minuscule seulement à la fin de l’époque classique et audébut de l’époque hellénistique. La question ne se pose donc pas pour la période étudiée.79 Voir supra.80 Sur les inscriptions stoichedon en Attique, l’ouvrage de R.P. AUSTIN, The Stoichedon Style in Greek Ins-criptions, Londres, 1938 demeure la référence en particulier p. 26-30 sur l’aspect abordé ici.81 IG, I3, n° 1. Pour une photographie d’un estampage de la stèle, voirhttp ://www.csad.ox.ac.uk/CSAD/Images/00/Image07.html82 IG I3, n° 4. Pour une photographie de la stèle, voir R.P. AUSTIN, op. cit., p. 8-9.83 TRACY, Lettering, p. 118-119.84 C’est la conclusion de Ibid., p. 117.

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nombre de corrections étaient faites immédiatement. Une mauvaise gravure pouvaitêtre abandonnée et refaite85. En outre, les pierres contiennent de nombreuses cor-rections faites par le lapicide lui-même. “Ces révisions peuvent être le fait d’un lapi-cide consciencieux. Mais on est assuré qu’il y a eu révision par une autre personnepour les inscriptions publiques, telles par exemple que décrets honorifiques et actesadministratifs”86. Le secrétaire ne pouvait que vérifier le contenu car sa responsabi-lité était engagée87. La dernière étape résidait dans la peinture des lettres, ce qui ren-dait posssible ou du moins plus aisée la lecture. En effet, la forte luminosité rendaittrès difficile la lecture pendant la plus grande partie de la journée, sinon la totalité.Beaucoup pensent que la peinture intervenait comme dernière phase. Cependant,S. V. Tracy considère qu’elle pouvait également être faite à la fin de chaque journée,ce qui rendait plus aisé la correction. “A day’s work would then consist of cutting,correcting, and painting X number of letters”88. L’érection définitive de la stèle inter-venait ensuite et n’était plus uniquement du ressort du lapicide.

B. LA LOCALISATION DES STÈLES89

Le lieu était choisi, sans doute avec précision. De façon générale, les affaires diplo-matiques sont mises sur des stèles exposées sur l’Acropole tandis que les affaires inté-rieures sont sur l’Agora90. Dans son étude des documents en lien avec la diplomatie,G. V. Lalonde note que sur 98 inscriptions attiques, 85 se trouvaient sur l’Acro-pole91. Plus généralement, sur une longue période, entre Ve siècle av. J.-C. et IIIe

siècle ap. J.-C., P. Liddel compte 64% des décrets localisés sur ce seul site, en inté-grant les gravures multiples92. Toutefois, après 301, il observe une diminution, 50%seulement. Cinq décrets sont placés sur l’Agora avant 395/4, sept avant 353/293. Lalocalisation sur l’Agora semble être en lien avec le contenu de la décision. La Chartede la Seconde Confédération athénienne est placée sur l’Agora devant la statue deZeus Eleutherios, marquant la volonté athénienne de respecter la liberté de leursalliés94.

254 LA COMMUNICATION ÉCRITE PUBLIQUE

85 ROBERT, op. cit., p. 211 cite entre autres un exemple de Delphes (FD 3 2, n° 216) particulièrementintéressant.86 Ibid., 1955, p. 212. Voir aussi MULLIEZ, op. cit., p. 826.87 Bien entendu, cela ne signifie pas que le magistrat accomplissait toujours cette tâche consciencieuse-ment.88 TRACY, Lettering, p. 120. Voir de même, ROBERT, op. cit., p. 211 n. 60 considérait que les correctionsse faisaient quotidiennement, au moment de la peinture.89 Sur cette question, cf. en dernier lieu M.B. RICHARDSON, The Location of Inscribed Laws in Fourth-Century Athens. IG II2 244, on Rebuilding the Walls of Peiraieus (337/6 B.C.), in FLENSTED-JENSEN

et alii, op. cit., p. 601-615 sur l’emplacement des textes de loi au IVe siècle et P. LIDDEL, The Places ofPublication of Athenian State Decrees from the 5th BC to the 3rd century AD, ZPE 143, 2003, p. 79-93 sur la localisation des décrets entre le Ve siècle et le IIIe siècle p.C.90 L’Agora devient un lieu d’exposition de stèles à partir du moment où la gravure de décrets honori-fiques, sinon la prise de ce type de décision, augmente (LIDDEL, op. cit., p. 81).91 LALONDE, op. cit., p. 52-67 et 275-276.92 LIDDEL, op. cit., p. 79-80.93 Cf. le tableau réalisé par Ibid., p. 85.94 R. OSBORNE, Inscribing Performance, in S. GOLDHILL et R. OSBORNE (éd.), Performance Culture andAthenian Democracy, Cambridge, 1999, p. 347 pensait que l’Agora avait été choisie parce qu’elle facili-tait le travail de celui ou ceux qui allaient graver sur cette stèle des noms de cités complémentaires.

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Pourquoi choisir un sanctuaire en général, et l’Acropole en particulier ? Il est pos-sible de faire plusieurs hypothèses, un lieu sûr car fermé, un lieu protégé par la divi-nité, le placement de la stèle sous la protection de la divinité à l’instar d’une dédi-cace… Enfin, les grands sanctuaires constituent autant de lieux offrant une grandevisibilité aux autochtones comme aux visiteurs95. Toutefois, il existe un lien entre lecontenu de la décision affichée et le lieu de l’affichage. Une série de décrets hono-rant des prêtres d’Asclépios ont ainsi été placés sur l’enceinte de l’Asklépéion, sur lapente méridionale de l’Acropole96. Trois lois du IVe siècle illustrent également l’exis-tence d’une telle relation97. La loi sur la monnaie est placée sur l’Agora et au Pirée,la loi sur les prémices est installée auprès d’une stèle portant une loi précédente surle même sujet à côté du Métrôon et la loi sur la tyrannie à l’entrée de l’Aréopage etdans le lieu de réunion de l’assemblée98. Dans certains cas cependant, la logique quipréside à l’installation d’une stèle échappe à l’historien99.

Les clauses manquent le plus souvent de précision pour déterminer si les autoritésse souciaient dans le détail de la localisation. Mais cette absence est peut-être le signeque le choix est postérieur à la prise de décision et résulte d’une collaboration entreles autorités du sanctuaire et le secrétaire100.

Dans un cas, le secrétaire est chargé de sélectionner le meilleur endroit, [ka‹katay°to §m] pÒlei ıw [§n kall$]stoi101. Les sources indiquent parfois que la stèledoit être située à un endroit précis, signe qu’à certains moments, l’affichage de ladécision était un élément à part entière de cette dernière. L’alliance avec les Halli-kyaioi contient ainsi la précision suivante102 : taËta d¢ tÚg grammat°a t™w b]ol™wénag[rçfsai §m pÒlei §n t™i st°lei §n h™i énag°graptai ka]‹` per‹ÉE[gesta$on tå §fsefism°na t?i d°moi. Il y aurait donc une volonté d’organiserl’emplacement des inscriptions selon leur contenu. Une même logique apparaît dansun décret de 299/8 accordant la citoyenneté à Aristolas et Sostratos103 : énagrã]caid[¢] tÒde tÚ cÆfism[a tÚn grammat°]a tÚn [ka]tå prutane$an §n [stÆleiliy$]nei k`a‹ st∞sai tØn stÆlhn [§n ékropÒ]le[i] parå tØn •t°ran stÆlh[n §n∏i ofl] [pr]Òt[e]ron tØn polite$an la[bÒntew t«n ...]$vn énagegramm°noi. Par-fois, la localisation est exprimée en fonction d’une statue et non d’autres inscrip-tions104 ; ou bien encore à côté d’un temple105. Pour le cas spécifique des décrets de

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95 Selon LIDDEL, op. cit., p. 80, à la suite de J.M. HURWITT, The Athenian Acropolis. History, Mythology,and Archeology from the Neolithic Era to the Present, Cambridge, 1999, p. 48-57 et de OSBORNE, Ins-cribing Performance, p. 346-347, il s’agit d’un facteur décisif. “Such occasions would give a chance forAthenians and non-Athenians to notice decrees set up there”. La masse des stèles exposées ne faisait-elle toutefois pas obstacle à la consultation ?96 R.O. HUBBE, Decrees from the Precinit of Asklepios at Athens, Hesperia 28, 1959, p. 169-201.97 RICHARDSON, op. cit., p. 607-608.98 OSBORNE & RHODES, n° 25 la loi sur le monnayage d’argent, IG II2, n° 140 loi sur les prémices d’É-leusis et OSBORNE & RHODES, n° 79, l. 87 la loi d’Eukratès sur la tyrannie.99 IG II2, n° 17, l. 8-11 qui ordonne une publication sur l’Acropole et dans le Pythion.100 IG II2, n° 1006, l. 96-98, n° 1008, l. 72-73 et n° 1009, l. 54-55.101 IG I3, n° 165, l. 8. Ce type de recommandation est fréquent dans les inscriptions grecques.102 IG I3, n° 12, l. 4-6 (433/2) dont nous acceptons la restitution.103 IG II2, n° 643, l. 3-9.104 OSBORNE & RHODES, n° 20, l. 24-26 : st∞sai d¢ stÆlhn §n ékropÒlei [prÒ]syen t? égãl-matow.105 IG II2, n° 448, l. 26-28 : énagrãcai d¢ tÚ cÆfism[a §n stÆlaiw l]iy$naiw ka‹ st∞sai tØn m¢nm$an parå [tÚn D$a, tØn d¢] §t°ran §n é[kropÒlei parå tÚn ne∆ t∞w Poliãdow ktl.

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proxénie, du moins pour ceux du Ve siècle, on peut supposer que l’emplacementprécis des stèles devait être proche de l’Érechthéion car dans les autres cités, “thetemple of the tutelary deity of the city is often specified as the place where proxeny-decrees are to be recorded”106.

D’autres inscriptions révèlent une politique d’affichage. Dans un décret concer-nant les exilés béotiens, on lit la clause suivante107 : tÚ [d¢ fs°fisma tÒde ka‹ tÚprÒteron, ˘ e‰pe, énagrafsãto §st°len liy$nen ka‹ ka]ta[y]°to §m pÒlei ı[grammateÁw t™w bol™w ktl.]. Si l’on accepte la restitution, cet exemple illustre uncas de conservation avant gravure et d’une volonté de faire figurer sur la même stèledeux décisions concernant un même sujet, ce qui indirectement revient à opter pourune localisation particulière. Un autre exemple est constitué par la série de décretssur les relations entre Athènes et Méthoné108. Aucune clause de publication ne figuredans les premiers décrets, ce qui correspond à la décision épigraphique d’une misesur pierre du dossier plusieurs années après leur entrée en vigueur. Mais la fin de lastèle manque et on doit supposer que figurait la décision de publier dans un lieudonné l’ensemble des décisions.

Le choix précis d’une localisation apparaît également dans les décisions de gra-vures multiples109. Le décret sur les prémices d’Éleusis est ainsi gravé sur deux stèles,l’une placée dans le sanctuaire d’Éleusis et l’autre sur l’Acropole110. On pense égale-ment à la loi d’Eucratès sur la tyrannie de 336 : énagrãcai d¢ tÒnde tÚn nÒmon §nstÆlaiw liy$naiw duo›n tÚn grammat°a t∞w boul∞w ka‹ st∞sai tØm m¢n §p‹t∞w efisÒdou t∞w efiw ÖAreion Pãgon t∞w efiw tÚ bouleutÆrion efisiÒnti, tØn d¢§n t∞i §kklhs$ai “que le secrétaire du Conseil inscrive cette loi sur deux stèles depierre et les érige l’une à l’entrée de l’Aréopage sur le chemin du Bouleutérion etl’autre à l’Ecclèsia”111. Le cas des stèles rapportant les ventes qui résultaient de laconfiscation des biens des Hermocopides, appelées les Stelai Attikai par Pollux, adonné lieu à une contestation112. Certains ont proposé une double localisation, une

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106 WALBANK, op. cit., p. 9. Cette hypothèse repose sur l’analyse des lieux de découverte des inscriptions(Ibid., p. 30 n. 43).107 IG I3, n° 72, l. 30-31 (414 ?) dont nous acceptons la restitution. Pour des parallèles approximatifs— la formulation n’est pas identique — voir IG I3, n° 98, l. 26-28 (cité infra) ; IG II2, n° 583, l. 4-9(cité chapitre 3) et IG II2, n° 448, l. 26-28 et l. 68-72.108 IG I3, n° 61.109 Ce point a été étudié par LALONDE, op. cit., p. 52-67. Voir aussi D.M. WHITEHEAD, IG, I3, 174 and175 : One Decree or Two ?, ZPE 118, 1997, p. 165-169.110 IG I3, n° 78, l. 48-51 : tåw d¢ xsungrafåw ka‹ tÚ fs°fisma tÒde énagrafsãto ho grammateÁwho t™w bol™w §n st°lain duo›n liy$nain ka‹ katay°to t¢n m¢n ÉEleus›ni §n t?i hier?i, t¢n d¢het°ran [§]m pÒlei ktl. Voir aussi IG II2, n° 448 (cité supra) ; IG II2, n° 125 qui semble ordonner unetriple inscription, ÉAnagrãcai d¢ tÚ [cÆfisma §stÆlhi li]y$nhi ka‹ st∞sai §n ékrop[Òlei ka‹§n t∞i égorçi] ka‹ §n t«i lim°ni, sur l’Acropole, sur l’Agora et sur le port. Mais d’autres interpréta-tions demeurent possibles. L’inscription sur le port vise symboliquement à avertir les cités attaquantÉrétrie des sanctions encourues. Il peut tout aussi bien s’agir d’une inscription auprès des autoritéscompétentes en matière de surveillance de l’accès au port. Pour un autre exemple, voir IG II2, n° 648,l. 10-12 qui précise que deux stèles doivent être érigées.111 C. SCHWENK, Athens in the Age of Alexander, Chicago, 1985, p. 33-41, n° 6, l. 22-27.112 W.K. PRITCHETT, The Attic Stelai, Hesperia 22, 1953, p. 234-235 ; A. PIPPIN, The Demioprata ofPollux X, Hesperia 25, 1956, p. 318-328 ; et LANGDON, Poletai ; et dans une moindre mesure, LEWIS,Profanation qui s’intéresse avant tout aux textes des stèles.

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à Athènes, avec hésitation entre l’Acropole et l’Agora, et l’autre à Éleusis113. D’uncôté, les inscriptions multiples sont rares. D’un autre côté, le crime des Hermoco-pides est suffisamment important pour susciter une publication particulière. L’unedes manières de résoudre la question est de proposer l’Éleusinion de l’Agora commelieu unique d’exposition des Stelai Attikai114.

Enfin, il convient de citer l’exemple original de gravures multiples qu’évoqueDémosthène dans le Contre Leptine. Ayant fait lire les décrets relatifs à Leukôn, ilprécise115 : “De tous ces documents, la copie est gravée sur les stèles que vous et luiavez érigées, l’une à Bosporos, l’autre au Pirée, une troisième à Hiéron”. Une seulestèle est érigée en Attique. L’une des deux autres est exposée dans le royaume deLeucôn (sur le Bosphore cimmérien). Sise à Hiéron, la dernière est installée sur lacôte asiatique, au débouché du Bosphore sur la mer Noire, qui est une escale fré-quentée par les convois de blé en provenance du Pont116. Par cette publication mul-tiple, les Athéniens souhaitaient honorer Leukôn de façon toute particulière ; dans lemême temps, celui-ci voyait son prestige croître117.

Un délai maximal devait séparer la prise de décision et l’érection de la stèle pro-prement dite. La durée est fixée à dix jours pour les documents diplomatiques118.Lorsqu’elle est explicite, elle correspond selon toute vraisemblance à une exigenceindiquée au secrétaire qui dès lors en est redevable. Sinon, cela n’est pas précisé ouon opte pour une formule vague …w tãxista119. Pour l’essentiel, il s’agit d’éviter quela décision de publication tombe dans l’oubli comme l’illustre une série de décrets120.La gravure bien que décidée dans le premier décret n’a pas été accomplie ; aussi le filsobtient finalement la mise sur pierre un peu plus tard en même temps que celle deson propre décret honorifique. Un dernier exemple doit être cité car il semble que laformulation originale utilisée renvoie à une question de durée. La clause de publica-tion en question figure dans le décret de Cléonymos121 : he Kekrop‹[w pruta]ne$ay°to §m pÒlei. Cette formule inhabituelle doit faire référence à une volonté depublication rapide, puisque la décision a été prise pendant cette même prytanie122.

Un cas particulier de localisation d’inscriptions publiques est constitué par lesbornes123. L’exemple des dèmes est intéressant car il permet de deviner l’existence

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113 Pour les références, voir PRITCHETT, op. cit., p. 234 avec les n. 19 et 20.114 J. HATZFELD, Alcibiade. Étude sur l’histoire d’Athènes à la fin du Ve siècle, Paris, 1940, p. 204 n. 1rejette sans explication la version contenant Éleusis. Cette interprétation est reprise par PRITCHETT, op.cit., PIPPIN, op. cit., p. 324 et LEWIS, Profanation, p. 159 et LANGDON, Poletai, P. 70.115 DÉM., Lept., 20.36 (trad. CUF) : ToÊtvn d' èpãntvn stÆlaw éntigrãfouw §stÆsay' Íme›w tekéke›now, tØn m¢n §n BospÒrƒ, tØn d' §n Peiraie›, tØn d' §f' ÑIer“.116 Voir DÉM.,. Lacr., 35.10. Voir le commentaire de A. BRESSON, L’attentat d’Hiéron et le commercegrec, in ANDREAU J., BRIANT P. et DESCAT R. (éd.), Les échanges dans l’Antiquité : le rôle de l’État. Entre-tiens d’Archéologie et d’Histoire, Saint-Bertrand-de-Comminges, 1994, p. 47.117 Sur les décrets honorifiques, voir infra.118 Voir OSBORNE & RHODES, n° 21, l. 14 (Straton de Sidon) ; IG II2, n° 130, l. 17 (décret de proxénie) ;et IG II2, n° 274, l. 3 (décret honorant le peuple de Sestos).119 IG II2, n° 148, l. 9.120 IG II2, n° 844.121 IG I3, n° 68, l. 25 122 IG I3, n° 68, l. 3.123 Sur ce type de documentation épigraphique, cf. M. GUARDUCCI, Epigrafia greca II : Epigrafi di carat-tere pubblico, Rome, 1970, p. 430-443. Pour les bornes athéniennes antérieures à 403, cf. IG I3,

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d’une carte sur support périssable. Dans ce cas, l’érection des inscriptions supposaitune relative précision. Pourtant, pendant longtemps, les historiens considérèrent queces horoi n’avaient jamais été érigés124. Leur argumentation était simple, la délimita-tion de 139 ou 140 dèmes aurait dû avoir pour conséquence un grand nombre detrouvailles. Mais des inscriptions rupestres pourraient montrer que les Athéniensavaient délimité les territoires des dèmes125. Elles se trouvent à l’extérieur des lieuxd’habitation et peuvent correspondre à des délimitations de frontières126. Elles résul-teraient des réformes de 307/6, au moment de la réorganisation due à l’adjonctionde deux nouvelles tribus, Antigonis et Démétrias. Cela suppose que les délimitationsétaient connues auparavant et avaient été consignées d’une manière ou d’uneautre127. La réorganisation de 307/6 n’implique en rien la réalisation de bornes. Onpeut donc supposer que ces dernières sont antérieures.

Plusieurs éléments viennent à l’appui de l’existence d’une délimitation précise,qui devait se matérialiser par des bornes aujourd’hui disparues. Premièrement, dansles contrats de location, la référence à un dème apparaît parfois128. Il s’agit d’un élé-ment déterminant car ces propriétés foncières se trouvaient à l’extérieur du noyau depeuplement principal. Une localisation imprécise aurait pu dès lors donner lieu à denombreuses contestations129. Deuxièmement, l’existence de fermes isolées et habi-tées, en dehors de tout noyau de peuplement, implique qu’il était possible de leslocaliser dans un dème, et ce dès Clisthène130. Troisièmement, une scholie à Aristo-phane (Ois., 997) mentionne l’existence d’un plan précis pour les dèmes de lapolis131. M. Langdon a en déduit que cela concernait les dèmes urbains132. Noussommes tentés de penser avec N. F. Jones que les horismoi couvraient l’ensemble duterritoire de l’Attique133. Quant au faible nombre de bornes retrouvées, il doit être

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n° 1049-1086bis (délimitation des sanctuaires), n° 1087-1100 (Athènes), n° 1101-1115 (Le Pirée),n° 1116 (Éleusis), n° 1117-1131 (délimitations des trittyes). Pour la documentation postérieure à 403,voir IG II2, n° 2617-2633. Une réflexion générale sur ce type de documents, objet et texte à la fois, aété menée par J. OBER, Greek Horoi : Artifactual Texts and the Contingency of Meaning, in D.B.SMALL (éd.), Methods in the Mediterranean. Historical and Archeological Views on Texts and Archeology,Leyde, 1995, p. 91-123.124 Voir W.E. THOMPSON, The Deme in Kleisthenes’ Reforms, SO 46, 1971, p. 72-79.125 J.S. TRAILL, Demos and Trittys : Epigraphical and Topographical Studies in the Organization of Attica,Toronto, 1986, p. 116-122 ; JONES, Associations, p. 60 n. 45 indique quelques documents complémen-taires.126 OBER, op. cit., p. 114-123 rappelle que la fonction de ces bornes n’est pas connue et qu’elle estreconstruite à partir d’un raisonnement dont la cohérence peut être remise en cause. “The deme-marker hypothesis remains in the category of speculation” (p. 122).127 JONES, Associations, p. 61.128 Ce point a été souligné par M.K. LANGDON, The Territorial Basis of the Attic Demes, SO 60, 1985,p. 5-15 et repris par JONES, Associations, p. 64.129 Le même constat peut être fait sur les rationes centesimarum, opération qui fut placée sous la res-ponsabilité des dèmes : voir LANGDON, op. cit., p. 8.130 JONES, Associations, p. 65-66.131 FGrHist 375 F 1 : oÏtvw m°row ti nËn sÊnhyew g°gone tÚ KolvnÚn kale›n tÚ ˆpisyen t∞wMakrçw Stoçw, éll' oÈk ¶sti: Mel$th går ëpan §ke›no, …w §n to›w ÑOrismo›w g°graptai t∞wpÒlevw. Voir aussi PHILOCHOROS, FGrHist 328 F 122.132 LANGDON, op. cit., p. 13.133 JONES, Associations, p. 69 n. 87.

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relativisé à l’aune du nombre de pierres portant simplement la mention horos et dontla provenance n’est pas connue134.

D’autres institutions athéniennes recouraient aux bornes pour délimiter leur airede compétence135. Nous privilégions ici le Ve siècle. Plusieurs exemples de trittyesattestent le souci d’une délimitation précise136. On pense également aux bornes del’Agora dont la plus ancienne remonte au début du Ve siècle137 ; ou bien encore à laséparation entre la paralia et l’asty138. Parfois, il s’agit seulement d’indiquer le statutd’un terrain139.

Un dernier groupe d’inscriptions requérait une localisation particulière et systé-matique, les obituaires publics, documents associés aux funérailles publiques, lepatrios nomos140. Le plus ancien témoignage littéraire de ces dernières remonte à507/6141. “The explicit reference to a public burial could permits us to assume thatin the wake of the Kleisthenic reforms a list of casualties could have formed part ofthe memorial, the city recording for the first time as it were the names of the deadin war”142. Les possibilités offertes par les registres de dème ont peut-être facilité letravail de catalogue143. Thucydide témoigne d’une répartition par tribu144. Cepen-dant, les premières listes sises dans le Dèmosion Sèma remontent aux années 470, aumoment de la domination de Cimon145. La recherche des ossements de Théséeentreprise par ce dernier est le signe d’un changement. Désormais, la cité assume lesresponsabilités sacrées qui auparavant revenaient aux familles146. Si cette explicationfournie par Chr. W. Clairmont peut expliquer en partie la réalisation de listes surpierre, il ne faut pas négliger le fait qu’un obituaire dépend d’une possibilité de fairele compte des morts, opération qui va de pair avec des documents écrits, katalogos etautres147. Les aspects pratiques étaient suffisament maîtrisés pour que la liste soit réa-lisée même lorsqu’il y avait beaucoup de morts comme à Délion. En revanche, l’ab-sence d’obituaires analogues pour le IVe siècle laisse penser qu’il s’agit d’un typed’inscriptions propre à la démocratie du Ve siècle qui accompagne un temps l’aug-mentation du nombre de documents publics gravés.

Ces stèles réalisées avec soin étaient placées dans un lieu particulier, le DèmosionSèma, que nous connaissons par l’archéologie et par Pausanias148 :

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134 LANGDON, op. cit., p. 9.135 Nous connaissons également des bornes de séparation du port (R. GARLAND, The Piraeus From theFifth to the First Century B.C., Londres, 1987, p. 225-226).136 IG I3, n° 1117-1131.137 IG I3, n° 1087-1090. Une borne de l’Agora du Pirée est connue (IG I3, n° 1115).138 IG I3, n° 1111-1113.139 IG I3, n° 1109-1110.140 Sur ces documents, cf. D.W. BRADEEN, The Athenian Casualty Lists, CQ 19, 1969, p. 145-159 etChr.W. CLAIRMONT, Patrios Nomos. Public Burial in Athens during the Fifth and Fourth Centuries B.C.,Oxford, 1983, p. 46-59.141 PEEK, GVI, n° 1.142 CLAIRMONT, op. cit., p. 9.143 Cf. chapitre 4. Sans l’associer avec la réforme du registre, Ibid., p. 12 en convient : “The frame-workwhich made the Patrios Nomos possible are the Kleisthenic reforms”.144 THC 2.34.3.145 Voir infra.146 CLAIRMONT, op. cit., p. 13-15.147 Ibid., p. 21 envisage plusieurs sources : listes du polémarque, des stratèges, des tribus… Cf. Chapitre 4.148 PAUS. 1.29.4 avec le commentaire de Ibid., p. 29-45.

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ÖEsti d¢ ka‹ pçsi mn∞ma ÉAyhna$oiw ıpÒsoiw époyane›n sun°pesen ¶n tenaumax$aiw ka‹ §n mãxaiw peza›w plØn ˜soi Maray«ni aÈt«n ±gvn$santo:toÊtoiw går katå x≈ran efis‹n ofl tãfoi di' éndragay$an, ofl d¢ êlloi katåtØn ıdÚn ke›ntai tØn §w ÉAkadhm$an, ka‹ sf«n •stçsin §p‹ to›w tãfoiwst∞lai tå ÙnÒmata ka‹ tÚn d∞mon •kãstou l°gousai.

“Il y a aussi le tombeau de tous les Athéniens qui ont trouvé la mort dans des com-bats sur terre ou sur mer, sauf pour les combattants de Marathon. Car pour ceux-ci, en raison de leur bravoure, on fit leur tombeau sur place. Quant aux autres,leurs tombes sont au bord de la route qui conduit à l’Académie et elles sont sur-montées par des stèles portant les noms et le dème de chacun”.

Nous ne pouvons affirmer que l’érection de ces documents appartenait au ritueldu patrios nomos. Toutefois, par analogie avec le traité entre Athènes, Élis, Mantinéeet Argos, il paraît logique de considérer que l’obituaire mis sur stèle devait être dresséle jour de l’epitaphios logos. Cela expliquerait les ajouts que certaines listes révèlent.L’étude d’un obituaire le montre aisément149. À l’origine, il s’agissait de dresser laliste des défunts en Chersonnèse et à Byzance. La stèle devait accueillir les noms desmorts dans ces deux endroits, tribu par tribu, chacune d’entre elles apparaissant clai-rement. Les onze morts à Byzance appartenaient aux dix tribus tandis que, parmi lesvingt-quatre défunts en Chersonnèse, aucun ne faisait partie des tribus Léontis, Aca-mantis ou Aiantis. Ils furent omis de la liste. Il restait donc de la place. Dix-neufnoms furent rajoutés sous la rubrique “morts au cours des autres affrontements”,apparemment par le même lapicide bien que les lettres soient plus petites. Pourquoiaussi peu de précision cette fois-ci ? On pourrait y voir une raison pratique, les Athé-niens responsables de l’établissement de cette liste n’ont pas cherché à compliquer lastèle en précisant que quelques individus étaient morts au cours de telle guerre etquelques autres à telle autre. Ou alors, il n’était pas possible de déterminer le lieu dedécès pour tous les morts. Mais pourquoi cela était-il possible pour les deux autresguerres ? Nous préférons l’hypothèse suivante, l’information n’est pas arrivée entemps voulu car l’inscription se rattache au rituel du patrios nomos. Dans d’autrescas, des noms de morts sont ajoutés au sein d’une tribu par une main différente.Celle-ci est à l’origine de ces ajouts et grave également le poème plus bas. Une troi-sième main a été identifiée ligne 15 pour un mort de la tribu Aigeïs. Ces pratiquessont courantes dans ces listes150. Ces additions paraissent tardives et non offi-cielles151. Elles peuvent résulter de problèmes liés au calendrier du rituel.

En somme, la localisation des stèles est un élément à part entière de la décisiond’ériger une inscription. En règle générale, la cité opte pour un lieu qui lui paraîtadapté au contenu. Une politique de communication publique semble apparaître.Pour en avoir confirmation, il faut à présent chercher à dégager le sens d’une ins-cription pour un individu et pour la cité.

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149 IG I3, n° 1162 avec les commentaires de MEIGGS & LEWIS, n° 48.150 Par exemple IG I3, n° 1144, 1147, 1150, 1168, 1177 et 1184.151 Ainsi certains noms sont gravés en ionien, par exemple IG I3, n° 1184, l. 39.

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3. Finalités des inscriptions publiques

A. ÉRASURES ET DESTRUCTIONS DE STÈLES

La cité demeure libre de détruire une stèle ou d’en effacer une partie du contenu,signe de sa maîtrise totale de l’espace graphique. Les Trente ont été très loin danscette volonté de recomposition de l’espace public graphique et dans la destructiond’inscriptions que plusieurs décrets du début du IVe siècle évoquent152. Parmi lesdécisions visées, les oligarques athéniens ont porté une attention particulière auxproxénies et aux évergésies. D’une part, les actes considérés à l’origine du décretavaient contribué d’une manière ou d’une autre au renforcement de la démocratie.D’autre part, c’est le corollaire de l’affirmation précédente, la stèle en elle-mêmeconstituait un honneur. Selon un passage de la Constitution des Athéniens, les Trenteont également détruit des textes de lois153 :

TÚ m¢n oÔn pr«ton m°trioi to›w pol$taiw ∑san ka‹ prosepoioËnto di≈keintØn pãtrion polite$an, ka‹ toÊw t' ÉEfiãltou ka‹ ÉArxestrãtou nÒmouwtoÁw per‹ t«n ÉAreopagit«n kaye›lon §j ÉAre$ou pãgo[u], ka‹ t«n SÒlvnowyesm«n ˜soi diamfisbhtÆseiw ¶sxon, ka‹ tÚ kËrow ˘ ∑n §n to›w dikasta›wkat°lusan, …w §panoryoËntew ka‹ poioËntew énamfisbÆthton tØnpolite$an.

“Au début ils étaient modérés à l’égard des citoyens et feignaient d’appliquer laconstitution des ancêtres ; ils enlevèrent de l’Aréopage les lois d’Éphialte et d’Ar-chestratos concernant les Aréopagites, et celles des lois de Solon qui provoquaientdes discussions, ainsi que le pouvoir de décision souveraine qu’avaient les juges ; ilsprétendaient redresser ainsi la constitution et la soustraire aux discussions.”

Toutefois, la conservation des axones soloniens amène à préciser que les docu-ments d’archives n’ont pas été touchés, à l’instar des originaux des décrets deproxénie154. Il semble que les Trente étaient sensibles avant tout aux possibilités decontestation et de discussion qu’offrait une stèle, comme si son érection suffisait àconstituer un espace public et une opinion publique155.

L’Athènes démocratique n’hésita pas non plus à détruire des stèles. Par exemple,le retour d’Alcibiade s’accompagna de la mise à bas des inscriptions qui rendaientcompte de sa condamnation dans le cadre de l’affaire des mutilations des Hermès156.Cependant, il ne suffisait pas de mettre à la mer les inscriptions gênantes pour

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152 IG I3, n° 229, TOD n° 98 ; IG II2, n° 66 (SEG 14, 1957, n° 40) ; avec les commentaires de RHODES,Athenian Boule, p. 82-85 et SICKINGER, Public Records, p. 150-151.153 PS-ARSTT, Ath. pol., 35.2 (trad. CUF). RHODES, Commentary, p. 440 comprend ainsi le texte. Voiraussi SICKINGER, Public Records, p. 73.154 Pour d’autres documents n’ayant pas été détruits par les Trente, voir IG I3, n° 227-228 ; IG II2, n° 49,63, 77, 95.155 On connaît une loi rédigée par Critias interdisant l’enseignement de la rhétorique (XÉN., Mem.,1.2.31). Il semble donc que les Trente aient eu une conception particulière du recours à l’expositiond’écrits publics.156 D.S. 13.69.2.

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annuler les effets de la vente des biens confisqués. En outre, comme le remarqueD. M. Lewis, “Those, I am sure, were bronze stelai, nothing to do with our texts.These remain standing”157. Il était donc possible d’un côté de détruire des stèles quimentionnaient un événement donné, sans pour autant détruire l’ensemble docu-mentaire158. Les Stelai Attikai constituaient l’aspect commémoratif des valeursciviques ; elles étaient dignes de la perpétuité, au moins dans les intentions, et chan-geaient de signification. Démosthène l’exprime justement à propos des décretshonorifiques en faveur de Thasiens et de Byzantins159 :

ÉHkoÊsate m¢n t«n chfismãtvn, Œ êndrew dikasta$: toÊtvn d' ‡svw ¶nioit«n éndr«n oÈk°t' efis$n: ÉAllå tå ¶rga tå praxy°nt' ¶stin, §peidÆperëpaj §prãxyh. ProsÆkei to$nun tåw stÆlaw taÊtaw kur$aw §çn tÚn pãntaxrÒnon, ‡n', ßvw m¢n ên tinew z«si, mhd¢n Íf' Ím«n édik«ntai, §peidån d¢teleutÆsvsin, §ke›nai toË t∞w pÒlevw ≥youw mnhme›on Œsi, ka‹parade$gmay' •st«si boulom°noiw ti poie›n Ímçw égayÒn, ˜souw eÔ poiÆ-santaw ≤ pÒliw énteupepo$hken.

“Vous avez entendu les décrets, juges. Il se peut que quelques-uns des intéressés nesoient plus, mais les actes, une fois accomplis, subsistent. Il convient donc que cesstèles gardent éternellement leur autorité, afin que les survivants, tant qu’il y enaura, ne subissent de votre part aucune injustice, et qu’après leur mort, ellesdemeurent un monument du caractère athénien, dressant aux yeux de vos bienfai-teurs à venir les exemples de tant de bienfaits auxquels Athènes a répondu par desbienfaits”.

La vie des documents d’archives suivait un cours particulier, indépendant de celledes inscriptions, en lien le plus souvent avec les activités et la responsabilité desmagistrats qui en étaient à l’origine ou qui en avaient la garde. Dans l’ensemble, lesstèles mises sur pierre par les polètes restèrent in situ bien longtemps après la fin desactions qu’elles rapportaient160.

En revanche, lorsque les Athéniens envisageaient d’éliminer toutes les traces docu-mentaires d’une décision ou d’une série de décisions, l’opération était beaucoup plusdélicate et difficile. Nous n’en possédons que peu d’exemples. Nous avons déjàévoqué le décret de Patrocleidès161. Un autre passage d’Andocide, sur la mêmepériode, porte également trace de l’ampleur d’une telle tâche : “Pour tous vous avezabattu des stèles, abrogé des lois et effacé des décrets”162. Le plus souvent, les Athé-niens se contentaient d’affirmer que telle décision n’avait plus cours sans toujoursbriser la stèle qui l’accueillait163. Selon Plutarque, l’annulation du décret de Périclès

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157 LEWIS, Profanation, p. 172. On ignore précisément la stèle qui a été ainsi mise à l’eau (BERTRAND,De l’usage de l’épigraphie, p. 42 n. 104).158 Voir BOFFO, op. cit., p. 120.159 DÉM., Lept., 20.64 (trad. CUF).160 LANGDON, Poletai, P. 66-67.161 Cf. chapitre 4.162 AND., Myst., 1.103 : $œn ßneka ka‹ stÆlaw éne$lete ka‹ nÒmouw ékÊrouw §poiÆsate ka‹chf$smata §jhle$cate (trad. CUF modifiée).163 Comme exemple non athénien, on peut citer la stèle portant le texte de l’alliance entre Athènes,Mantinée, Élis et Argos qui dura trois ans seulement (THC 5.57-75, et 79) et que Pausanias (5.12.8)

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concernant Mégare requérait seulement le retournement du pinakion qui en portaitle texte164.

Parfois, il s’agissait simplement de corriger un élément du texte de la stèle ou del’inscription. Le décret pour la location et l’embellissement du sanctuaire de Néleuset Basile ordonne ainsi à l’archonte-roi d’effacer le nom de l’homme qui achète laboue du lit du cours d’eau, dès que celui-ci aura payé le prix requis, et d’inscrire à laplace sur le mur le nom de l’homme à qui a été affermé le santuaire165. Le décretd’Aristotélès porte également trace de plusieurs érasures166. Dernier exemple, l’undes décrets en l’honneur des Néapolitains prescrit d’effacer du premier la mention“colonie des Thasiens”, ce qui a été fait167. Il s’agit alors d’une correction de la stèle,sans doute parce que la gravure s’est déroulée sur une certaine durée ; plusieurs mainssont distinguées. Le décret en l’honneur d’Oinadès de Palaiskiathos correspond àune situation intermédaire. L’amendement retenu vise à modifier l’ethnique du per-sonnage honoré. Au lieu de Skiathos, il faut écrire Palaiskiathos. Or, la pierre neporte trace d’aucune érasure. Dans ce cas, la pierre intègre la modification et nereflète pas le contenu du probouleuma168.

B. INSCRIPTIONS, ENTRE HONNEUR ET DÉSHONNEUR169

De très nombreuses inscriptions décident de l’anagraphè d’un individu commeproxène ou bien comme évergète. Le plus souvent, cette action est traduite par leverbe inscrire et le substantif inscription. Il y a pourtant lieu de se demander s’ilexiste une différence entre l’inscription de ce décret et l’inscription des privilègescités ci-dessus sur une stèle, pour le dire autrement entre l’inscription et la gravure,deux actions rendues par un seul verbe énagrãfv. Or, le plus souvent, le sens dece verbe est réduit à celui de graver. Cela peut amener à des interprétations dou-teuses, comme par exemple celle concernant un décret très mutilé170 :

[---]a`i prÒxs[enon ka‹ eÈerg°]ten ÉAyena$[on aÈtÒn: énagra]fsãto d¢[grammateÁw ho t]™w boul™w §[st°lei liy$nei] ka‹ tÚ fs°f[isma tÒdekata]y`™nai §m pÒl[ei: kal°sai d¢ k]a‹ §p‹ xs°n[ia aÈtÚn §w tÚ pru]tane›on§`[w aÎrion]---

LES ÉCRITS PUBLICS AFFICHÉS À ATHÈNES 263

vit plusieurs siècles après à Élis. Pourquoi cette dernière n’a-t-elle pas détruit ce document ? Maintenirla stèle, c’était également afficher la trahison d’Argos et de Mantinée. Plus tard, cette inscription n’étaitplus qu’une relique d’un passé ancien. L’alliance était donc rompue sans qu’il soit nécessaire de briserles stèles, ni même de détruire les archives.164 PLUT., Per., 30.1.165 IG I3, n° 84, l. 22-24.166 OSBORNE & RHODES, n° 22.167 IG I3, n° 110.168 OSBORNE, Inscribing Performance, a étudié la différence entre le texte de la pierre et celui de la pro-position. Il n’a pas de peine à montrer que le contenu de l’inscription résulte d’un choix.169 Nous reprenons les éléments de notre démonstration (cf. Chr. PÉBARTHE, Lindos, l’Hellénion etNaucratis. Réflexions sur l’administration de l’emporion, TOPOI 12-13, 2005, p. 159-166).170 IG I3, n° 163. Voir WALBANK, op. cit., p. 305-307 n° 56 pour la bibliographie.

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Deux verbes ont été proposés comme restitution pour la première ligne, e‰nai eténagrãfsai, mais dans ce contexte, ils sont synonymes171. Le sens précis de l’ex-pression “inscrire proxène et évergète” ne peut donc être assimilé à celui de graverun honneur sur pierre, sauf à invoquer un lapicide incompétent172. L’étude desclauses de publication des décrets honorifiques du Ve siècle révèle qu’aucun texte neparle seulement d’inscription pour désigner la gravure sur une stèle ; à chaque fois lesupport est mentionné, ainsi que, le plus souvent, son emplacement173. En outre,nous savons par plusieurs documents que l’expression “inscrire le décret” avait unsens précis. Le traité passé entre Athènes et Sélymbria distingue la gravure desaccords passés entre Athènes et de celle du décret proprement dite174. De même, unautre décret montre la différence qui existait entre la gravure sur une stèle et l’ins-cription comme proxène et évergète puisque cette dernière apparaît seulement dansun amendement175. Concernant les inscriptions du IVe siècle, il est intéressant d’évo-quer le cas des stèles regravées à la suite des destructions entreprises par les Trente176.Ainsi, dans le texte concernant les fils d’Apémantos, on peut lire l’obtention d’unenouvelle gravure et de ce fait la confirmation du privilège dont le contenu étaitconservé dans les archives de la cité177.

Le sens du verbe énagrãfv ne va donc pas de soi. Dans les inscriptions, ce der-nier désigne le plus souvent l’action de graver, ou plutôt de faire graver. La formulesuivante se rencontre dans la grande majorité des décrets : énagrãcai tÚ cÆfismaefiw stÆlhn liy$nhn. Pour traduire cette formule, L. Robert proposait plutôt “trans-crire” car le verbe “s’applique à d’autres supports que la pierre”178. Les sources litté-raires donnent de nombreux exemples de sens identique179. Elles témoignent ausside la richesse sémantique de ce mot180. Finalement, très souvent énagrãfv renvoieà une action qui implique l’écriture et le verbe français “inscrire” demeure une tra-duction convenable car il reprend l’ambiguïté du grec, notamment sur la nature dusupport. Qu’en est-il dès lors de la réalité matérielle de l’inscription ?

Concernant le titre de bienfaiteur, Ph. Gauthier propose l’alternative suivante.“L’anagraphè s’entendait soit de la gravure du décret octroyant le titre d’euergétès, soitdu report du nom du bénéficaire sur une liste générale (elle aussi gravée), soit del’une et de l’autre opération”181. Dans un cas comme dans l’autre, la mise sur pierre

264 LA COMMUNICATION ÉCRITE PUBLIQUE

171 Cf. PÉBARTHE, op. cit.172 C’est ce que fait A.S. HENRY, Honours and Privileges in Athenian Decrees, Hildesheim,-Zurich-New-York, 1983, p. 131.173 Pour les références, cf. PÉBARTHE, op. cit., p. 161-162.174 IG I3, n° 118, l. 26-31 et l. 33-36. Voir aussi IG I3, n° 119.175 IG I3, n° 70. Voir aussi IG I3, n° 82.176 Cf. chapitre 3 et supra.177 IG II2, n° 6 cité chapitre 3.178 ROBERT, op. cit., p. 216-217.179 Par exemple, THC 5.47.1 et 5.47.11 ; AND., Myst., 1.51, 1.82, 1.84 et 1.89.180 Les inscriptions peuvent également donner un aperçu de la polysémie d’un tel verbe (FD 3 2, n° 89fournit un exemple intéressant dans lequel le même verbe prend deux sens différents, transcription surstèle et mise en archive [ ?], dans la même proposition selon l’analyse de G. DAUX, Delphes au IIe et auIe siècle depuis l’abaissement de l’Étolie jusqu’à la paix romaine 191-31 a.C., Paris, 1936, p. 30-31). Pourles différents sens du verbe dans les sources littéraires, cf. PÉBARTHE, op. cit., p. 164.181 GAUTHIER, Les cités grecques, p. 18.

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n’est que l’élément final d’un processus administratif et politique182. La gravurepublique est un honneur supplémentaire, distinct de celui que représente l’inscrip-tion de la charge. Les Grecs établissaient du reste la différence entre celui qui aspi-rait à la proxénie et celui qui se voyait conférer ce titre par la cité183. Concernantl’évergésie, on peut citer deux décrets d’Halicarnasse (IIIe siècle). Dans l’un, il estdécidé que les contributeurs à l’achèvement du gymnase auront leurs noms bien envue. Mais il n’est pas question de les inscrire comme bienfaiteurs. Du reste, dansl’autre décret, Diodotos fils de Philonikos, qui était à l’origine de la décision prise derestaurer le gymnase, reçoit de grands honneurs (couronne d’or, statue de bronze)mais il n’est pas inscrit comme évergète ; pourtant, la cité fait graver sur une stèle leshonneurs qu’elle lui confère184. “‘Dire d’un citoyen qu’il a été l’évergète de sa proprecité’ et ‘décerner le titre d’évergète à des étrangers’ ne sont pas deux propositions ana-logues”185. Il faut donc comprendre d’une part ce que signifiait pour les individushonorés et pour la cité le fait d’être inscrit proxène à la lumière de ce que la proxéniereprésentait et d’autre part ce que représentait la mise sur pierre d’une décisionconférant les titres de prÒjenow et d’eÈerg°thw pour l’un comme pour l’autre.

Un premier élément de réponse consiste à replacer les stèles en notre possession,ainsi que leur contenu, dans la procédure administrative de l’octroi du titre deproxène ou d’évergète, c’est-à-dire interroger la décision proprement dite et ce quela stèle en dit186. Selon A. Wilhelm, les décrets honorifiques mis sur pierre étaient desabrégés. “Je suis enclin à admettre que l’exposé des motifs succinct, uniforme etgénéral, que montrent la plupart des décrets athéniens de l’époque ancienne, nereprésente également qu’une forme abrégée, issue de considérants plus développés,lesquels prouvaient par la citation détaillée des services rendus que l’exigence légaleétait remplie”187. Selon Ph. Gauthier, les textes de Kymè en Éolide confirment cetteintuition car ceux-ci ne reproduisent souvent que les décisions, les considérants quifondent pourtant le décret honorifique ne figurant pas sur la stèle188. On connaît lecas d’une inscription comportant les deux, la décision seule et le texte d’un décretplus ample qu’il est tentant d’assimiler à une copie de l’original archivé189. Qu’en est-il à Athènes ?

LES ÉCRITS PUBLICS AFFICHÉS À ATHÈNES 265

182 Cf. PÉBARTHE, op. cit., p. 165 avec n. 42-43. Sur ce thème, voir plus généralement BOFFO, op. cit.,particulièrement p. 110. BERTRAND, Écriture, p. 104-106 considère que la dernière étape est la procla-mation.183 POLL., Onom., 3.59 : “Le proxène est celui qui agit en hôte public d’une cité dans une autre cité,s’occupant d’y accueillir ceux qui y viennent, de leur procurer l’accès au peuple ou un siège au théâtre ;fait cela aussi le proxène volontaire, celui dont la proxénie n’est pas inscrite (poie› d¢ taÈtå ka‹§yeloprÒjenow, ı énãgrapton tØn projen$an mØ ¶xvn)” cité et traduit par GAUTHIER, Les citésgrecques, p. 142. Voir aussi sur le même passage le commentaire de GAUTHIER, Symbola, p. 59 n. 136.184 Voir A. WILHELM, Inschriften aus Halikarnassos und Theangela, JÖAI 11, 1908, p. 53-61 n° 1(décret honorant Diodotos fils de Philonikos) et 2 (décret honorant ceux qui ont participé à laconstruction du gymnase) avec le commentaire de GAUTHIER, Les cités grecques, p. 32.185 Ibid., p. 10.186 Voir Ibid., p. 77-128 dont nous reprenons l’essentiel de l’argumentation.187 WILHELM, op. cit., p. 280 cité et traduit par GAUTHIER, Les cités grecques, p. 15.188 Inschr. Kyme, n° 4, 5, 9 et 10 avec le commentaire de GAUTHIER, Les cités grecques, p. 15-16.189 Voir l’inscription publiée par G. PETZL et H.W. PLEKET, Ein hellenistisches Ehrendekret aus Kyme,Chiron 9, 1979, p. 73-81.

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Les megistai timai sont décernées à la suite d’une demande faite par l’individu enpersonne ou par ses héritiers. Cela est bien connue pour l’époque hellénistique190. Lademande d’honneur proposait une liste détaillée des mérites de l’individu, commepar exemple les contributions volontaires et les liturgies. Les sources pour l’époqueclassique fournissent moins de renseignements. Plusieurs passages laissent devinerune demande préalable à l’obtention d’honneurs. Selon Aristophane, Cléon — ouson père pour lui — aurait fait une demande en vue d’obtenir la proédrie et la nour-riture au Prytanée191. Suite à la victoire devant Corinthe sur un contingent spartiate,un décret honorifique fut voté pour Iphicrate mais il fut attaqué pour illégalité. Ladéfense de ce dernier est évoquée par Aristote et son contenu implique l’existenced’une demande préalable192. L’exemple plus net concerne les honneurs votés à Cha-brias pour sa victoire à Naxos c. 376/5. Démosthène mentionne les mérites de cedernier et fait lire une première fois un document rapportant les actions de Chabriaspuis le décret proprement dit. D’où provient le premier document ? S’agit-il d’unécrit officiel ? Il importe d’analyser la formule qui introduit le document193. LorsqueDémosthène entend faire intervenir un document privé, il le lit lui-même. Lorsqu’ils’agit d’un document officiel, il ordonne au greffier de lire, comme c’est le cas ici. Ils’agit donc d’une archive dont la provenance ne fait guère de doute, il s’agit du“mémoire détaillé des ‘actions de Chabrias’, qui avait accompagné et justifié lademande officielle des honneurs”194. Cela évoque la liste composée par Képhiso-dôros. Le décret ne retenant que certains aspects, voire les résumant à grands traits,il était nécessaire à Démosthène de lire les deux, l’un complétant l’autre. Selon toutevraisemblance, le document est conservé depuis 376/5 et parfaitement consultableau moment du Contre Leptine en 355/4.

En raison des pratiques judiciaires athéniennes, la demande devait être conservéecar elle permettait de rappeler les motivations de l’auteur de la proposition et les rai-sons qui avaient amené la cité à voter les megistai timai195. Le plus souvent absentede la stèle, l’aitèsis est pourtant à l’origine de l’anagraphè. Lorsque la cité gravait ledécret honorifique, elle ne cherchait donc pas à exposer aux yeux de tous les méritesprécis d’un individu mais seulement faire savoir qu’elle l’honorait. La stèle est unhonneur en soit196. Était-il recherché ? Au niveau financier, il s’agit d’un des hon-

266 LA COMMUNICATION ÉCRITE PUBLIQUE

190 Cf. GAUTHIER, Les cités grecques.191 AR., Cav., 573-576 avec après une reprise du chœur des Cavaliers. Voir le commentaire de Ibid.,p. 95-96.192 ARSTT, Rhet., 2.23.5.1397b.35-37.193 GAUTHIER, Les cités grecques, p. 99-102.194 Ibid., p. 100.195 À partir des années 330, les lois athéniennes définiraient les catégories qui donnaient droit aux hon-neurs et l’âge minimal pour pouvoir faire la demande, 60 ans (Ibid., p. 103-112). Cf. cependant le com-mentaire de P. BRUN, L’orateur Démade, Bordeaux, 2000, p. 82-83.196 Certains aspects de cette question ont été étudiés par D.T. ENGEN, Athenian Trade Policy, 415-307B.C. : Honors and Privileges for Trade-Related Services, Ann Arbor, 1996, p. 304-309. P. VEYNE, Le painet le cirque, Paris, 1976, surtout p. 267-268 développe la thèse selon laquelle la gravure serait l’honneurle plus important. “Mais il se pourrait que, de tous les honneurs, celui qui allait le plus au cœur desévergètes ait été moins l’honneur lui-même que la gravure du décret qui le leur décerne et que la pos-térité pourra lire” (p. 267). Le dernier élément de cette phrase, la lecture de l’inscription, doit être tenuavec beaucoup de prudence. Car la dimension monumentale laisse penser que la stèle devait être vueplutôt que lue. Du reste, le contenu était loin parfois d’être suffisamment explicite pour que l’individu

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neurs les moins onéreux pour la cité, lorsque cette dernière accepte de financer lagravure, ce qu’elle refusa vraisemblablement peu197. Cela ne doit pas nous entraînerà négliger l’honneur que représentait la gravure. Rappelons que cette dernière n’étaitpas automatique et qu’elle était approuvée par l’assemblée198. Pour l’honoré, l’hon-neur d’une stèle est avant tout symbolique, i. e. le fait d’avoir sa place au sein de l’es-pace public de la cité. Parfois, mais il s’agit d’une situation rare et discutée par lesépigraphistes, un même décret honorifique est gravé deux fois, une fois par la cité etl’autre par l’individu à ses propres frais, signe de l’intérêt que portait ce dernier à l’ex-position sur la pierre de l’honneur rendu par la polis199.

Outre les décrets honorifiques et les obituaires publics, d’autres documents affi-chés témoignaient des honneurs que rendait la cité à ses citoyens, morts ou vivantsselon les cas, par le biais de la gravure. Une liste de vainqueurs aux Dionysies a étégravée vers 346 et elle remonte au moins à 473/2200. La gravure du nom des indi-vidus honorés intervient donc à un moment particulier, même si par ailleurs il n’y apas lieu de douter de la conservation de ces informations sur d’autres supports. Cettehypothèse doit être mise en relation avec le décret voté dans le troisième quart du Ve

siècle qui dresse la liste des invités au Prytanée et dans laquelle figurent les vain-queurs aux quatre jeux panhelléniques201. La cité archivait donc ces noms, avant par-fois de les transcrire sur pierre plus tard avec une volonté d’honorer ces individus.

Par contraste, l’intérêt que les Athéniens portaient aux stèles inscrites peut êtreperçu à travers les inscriptions de noms au titre d’un quelconque déshonneur202. Unindividu qui subissait un tel sort était appelé sthl$thw203. Les Stelai Attikai témoi-gnent de l’importance de la gravure du déshonneur et la volonté de garder enmémoire la condamnation et la profanation par le maintien de ces stèles bien après415204.

Dans le domaine financier, la cité n’hésitait pas à afficher les noms de ses débi-teurs sur un tableau érigé à cet effet sur l’Acropole. Le Contre Théocrinès évoque àplusieurs reprises cette procédure205. Les débiteurs sont qualifiés d’§n ékropÒleigegramm°noi206. Le remboursement entraîne un effacement. “Ce n’est, en tout cas,que lorsque tout espoir de recouvrer la créance était éteint que la pierre prenait lerelais des archives du trésor conservées dans le coffre des comptables et que la honte

LES ÉCRITS PUBLICS AFFICHÉS À ATHÈNES 267

honoré pût se contenter de l’exposition de sa philotimia ou de ses euergésiai aux côtés de celles d’autrespersonnes honorées (voir supra). 197 LAWTON, op. cit., p. 23 n. 95 remarque à juste titre que la gravure des décrets de proxénie en notrepossession est le plus souvent financée par la cité et non pas par les individus honorés.198 Voir supra.199 Cf. IG I3, n° 174-175 avec le commentaire de WHITEHEAD, op. cit. ; voir aussi IG II2, n° 479-480avec AUSTIN, op. cit., p. 54. Les cas d’IG II2, n° 344 et n° 368, l. 1-18 ont été contestés (en dernier lieu,SCHWENK, op. cit., p. 177-181 n° 33 et p. 401-407 n° 82).200 IG II2, n° 2318.201 IG I3, n° 131.202 BERTRAND, Écriture, p. 157 : “Les Athéniens ont, semble-t-il, beaucoup utilisé le pouvoir dénoncia-teur de l’écriture publique”. ID., De l’usage de l’épigraphie, p. 40-41 en fournit de nombreux exemples.203 BERTRAND, Écriture, p. 155-156.204 Voir infra.205 DÉM., Theocr., 58.19-21 et 48-52.206 DÉM., Theocr., 58.48. Voir aussi DÉM., Aristog. I, 25.4 et 99 et Everg., 47.21-22.

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du mauvais payeur devenait publique”207. De même, si un citoyen s’engageait àverser une somme au titre d’une contribution extraordinaire et qu’il ne s’exécutaitpas, son nom était affiché comme l’indique un passage d’Isée : “Encore les promit-il, mais il ne les versa point, et on afficha son nom sur un tableau d’infamie, devantles statues des Héros Éponymes ; on y lisait : ‘liste de ceux qui après avoir promis defournir une contribution volontaire pour la défense de la cité ont manqué à leur pro-messe’”208. “Quant à ce “tableau d’infamie”, il était probablement fait de bois blanchi(leukôma), support privilégié pour les affichages temporaires. Cette pratique n’a pasd’antécédents dans nos sources ni de postérité209. Il s’agit sans doute d’une décisionexceptionnelle prise en raison de la gravité estimée de la situation. Elle n’en demeurepas moins significative sur l’importance accordée à la gravure d’un nom sur unestèle.

C. L’INSCRIPTION COMME SOURCE D’INFORMATION. LISTES, COMPTES ET INVEN-TAIRES

Si l’inscription est un honneur ou un déshonneur, elle est aussi une source d’in-formation. De ce point de vue, les documents financiers, les comptes et les inven-taires, et plus généralement les listes, constituent un dossier épigraphique central210.Mais, les Athéniens n’ont jamais cherché à mettre sur pierre de façon systématiqueleurs principaux documents financiers211. Une étude de cette question permet doncégalement d’envisager la sélection que les Athéniens appliquaient à la publication surpierre de telle ou telle information. Sans disposer de sources épigraphiques, noussavons ainsi que les trésoriers d’Athéna conservaient des documents sur supportpérissable pour la remise des comptes212. Seuls certains aspects de leur responsabilitéétaient gravés, les prêts à la cité, parfois les inventaires des objets possédés par ladéesse, sans toutefois intégrer la totalité des possessions213. En revanche, à notreconnaissance, d’autres magistratures financières comme les hellénotames ou les res-ponsables du dèmosion ne publièrent jamais leurs comptes sur pierre. Plus générale-ment, le décret de Callias prouve que la cité est loin de mettre sur pierre l’ensemblede ses dettes214. L’incertitude sur la valeur du contenu de la stèle constitue un élé-

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207 BERTRAND, Écriture, p. 161.208 ISÉE, Dik., 5.38 (trad. CUF) : Ka‹ toËto §p°dvken, oÈk efisÆnegken, éll' §p' afisx$stƒ§pigrãmmati §jet°yh aÁtoË toÎnoma ¶mprosyen t«n §pvnÊmvn, ˜ti$$ o·de efiw svthr$an t∞wpÒlevw ÍposxÒmenoi t“ dÆmƒ efiso$sein xrÆmata §yelonta‹ oÈk efisÆnegkan. Il s’agit d’unecontribution levée en 392 pour une expédition à Léchaion (port de Corinthe) et la réparation d’un murque les Spartiates avaient détruit.209 L. MIGEOTTE, Les souscriptions publiques dans les cités grecques, Genève-Québec, 1992, p. 323-325.210 Pour la distinction entre comptes et inventaires, L.J. SAMONS, The ‘Kallias Decrees’ (IG, I3, 52) andthe Inventories of Athena’s Treasure in the Parthenon, CQ 46, 1996, p. 98-101.211 SAMONS, Empire of the Owl, p. 313.212 IG I3, n° 52A, l. 24-29 (cité et commenté chapitre 4), PS-ARSTT, Ath. pol., 54.2. Ces aspects ont étédéveloppés par J.K. DAVIES, Accounts and Accountability in Classical Athens, in OSBORNE et HORN-BLOWER (éd.), op. cit., p. 202-203.213 Pour des exemples de prêts faits à la cité, IG I3, n° 363, 370, 375. Pour une liste des différents typesde documents publiés sur pierre, voir DAVIES, op. cit., p. 207.214 IG I3, n° 52A, l. 9-13. Cf. Chapitre 4.

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ment complémentaire d’interrogation. Pourquoi alors inscrire tel document et pastel autre ? Plusieurs hypothèses ont été avancées sans toutefois parvenir à emporterl’adhésion des historiens215. Quelles relations entre la procédure de remise de compteet l’inscription qui la rapporte ? Qui décide du contenu de cette inscription et selonquels critères ? Quel rapport avec les supports périssables d’écriture mentionnés parles sources littéraires ? Et enfin, l’inscription de la stèle correspond-elle à un actefonctionnel ou procède-t-elle plutôt d’un souci de symbolique ?

a) La stèle est-elle une archive ?

La relation entre les archives et les inscriptions est au centre d’une polémique quitrouve périodiquement de nouveaux rebondissements216. De prime abord, ellesemble être une distinction classique en épigraphie. L’enregistrement d’un documentconstituerait une étape en soi, au même titre que son exposition217. Différents typesde supports seraient utilisés selon les étapes ; périssables pour les archives et durablespour les inscriptions. Une autre façon de distinguer ces deux opérations consiste àparler d’original et de copie. D’un côté, il y aurait l’original inscrit sur bois ou surpapyrus, déposé dans un bâtiment destiné à cette fonction. De l’autre, des inscrip-tions, sur pierre le plus souvent, accueilleraient la copie des originaux archivés. Leurfonction spécifique consisterait en une exposition publique d’un document admi-nistratif et leur contenu ne serait pas nécessairement le même que celui des origi-naux218.

Cela revient à considérer que l’archivage était une pratique courante. A. Wilhelmfut le premier à soutenir cette idée qu’il déduisait de l’absence de clauses d’enregis-trement dans les documents219. Ce dernier point fut critiqué par G. Klaffenbach quia montré que de nombreuses inscriptions contenaient des informations sur le dépôten archive220. Les formules sont aujourd’hui bien connues221. En outre, il considéraitque l’archivage n’avait rien d’automatique. Il remarquait que souvent les documentsinscrits sur pierre étaient cités comme des références. La distinction entre copie etarchive serait un anachronisme. R. Thomas se situe en continuité avec cette dernièreapproche222. Elle cite à l’appui de sa thèse un certain nombre d’inscriptions et de

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215 T. LINDERS, Inscriptions and Orality, SO 57, 1992, p. 27-40, DAVIES, op. cit., dont nous reprenonsen partie le questionnement (p. 201-202) et plus récemment SAMONS, Empire of the Owl, p. 312-317.216 Hormis la réflexion générale de BOFFO, op. cit., les historiens participent à ce débat avec des contri-butions partielles.217 Cf. par exemple M. GUARDUCCI, Epigrafia greca II, p. 1-4 et ID., L’epigrafia greca dalle origini al tardoimpero, Rome, 1987, p. 89-90.218 Une formulation classique de cette thèse se trouve chez E. POSNER, Archives in the Ancient World,Cambridge (Mass.), 1972, p. 99 : “The thousands of steles that we possess, therefore, are not archivaldocuments ; they are rather copies, frequently abreviated, of original records deposited in the cityarchives”.219 WILHELM, op. cit., p. 229-299, en particulier p. 250-257 et p. 284-290 ne néglige pas pour autant laquestion de l’exposition des documents publics. Voir aussi GAUTHIER, Symbola, p. 103-104 sur le peude symbola gravés.220 G. KLAFFENBACH, Bemerkunden zum griechischen Urkundenwesen, Sitzungberichte der deutschenAkademie der Wissenschaften zu Berlin, Klasse fur Sprachen, Literatur und Kunst 6, 1960, p. 5-42.221 St. GEORGOUDI, Manières d’archivages et archives de cités, in M. DETIENNE (dir.), Les savoirs del’écriture, Lille, 1992, p. 224-225 propose une analyse des différentes expressions.222 THOMAS, Oral Tradition, particulièrement p. 45-60.

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sources littéraires qui toutes iraient dans le même sens : la stèle est l’archive. À vraidire, la notion original/copie n’aurait pas de valeur reconnue en Grèce classique ;l’archive n’aurait pas plus de valeur que l’inscription, et seule cette dernière ferait enréalité autorité. Lorsque des documents sont conservés dans les archives, leur utili-sation repose de toute façon sur l’oralité. L’inscription doit être vue comme unmémorial, un monument remplissant une fonction propre. L’écrit vient s’ajouter àla transmission orale sous la forme de documents nouveaux et familiers à un nombrerestreint d’Athéniens et dont le contenu n’était pas le plus souvent compréhensiblesans un accompagnement oral. Quelques années plus tard, J. Sickinger intervintdans ce débat et redonna de la vigueur à la position d’A. Wilhelm223. En reprenantles analyses de R. Thomas sur certaines inscriptions, il montra que les inscriptionsprésentes à l’intérieur du Bouleutérion et du Métrôon ne sont pas des archives.

Dans la perspective de la problématique archives/inscriptions, la démarche la pluscomplète a été menée par L. Boffo224. Son mérite essentiel consiste à refuser de sesituer dans une perspective préalable. L’historienne pense le texte écrit/inscritcomme le résultat d’un processus politique, institutionnel et social225. Dès lors, ilfaut réfléchir à la relation que le texte entretient avec son support, sans réduire pourautant la réflexion à une simple analyse des lettres, des décorations, de la couleur…Il est ensuite possible de comprendre le lien qui existe entre l’original et le texteexposé, “pour toujours”. Quel sens, quelle valeur (légale ?) avait pour les Grecs ledocument ? Comment comprendre leur relative et variable indifférence à la précisionavec laquelle l’inscription reproduisait un texte ? Cette enquête manie une docu-mentation vaste, qui provient de l’ensemble du monde grec et de toutes les époques.Les inscriptions sont étudiées selon leur nature, en suivant la classification deM. Guarducci. Chaque catégorie de documents requiert une analyse particulière etdonne lieu à des conclusions proches sans être semblables. C’est pourtant l’unité dudossier qui frappe226. L’inscription n’est pas l’archive mais le rapport que l’une entre-tient avec l’autre est variable et ne saurait correspondre à une théorie générale.

Sans avoir la prétention d’analyser la totalité du corpus épigraphique athénienpour l’époque classique, nous tenterons de comprendre comment archive et inscrip-tion se combinaient et si la seconde se substituait parfois à la première.

1. Stèles et archives des temples

D. Harris résume dans une formule la double dimension des inventaires destemples mis sur pierre. “They may be transcribed as ‘texts’ and studied as monu-ments”227. Ces documents permettent de poser deux questions. Qui produisait cesstèles ? Comment les Athéniens les utilisaient-ils ? Cette double interrogation est

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223 Il a longuement développé cette question dans sa thèse (SICKINGER, The State Archive, p. 36-68) puisdans un article (ID., Inscriptions and Archives in Classical Athens, Historia 43, 1994, p. 286-296).224 BOFFO, op. cit. Cf. également M.L. LAZZARINI, La scrittura nella città : iscrizioni, archivi e alfabe-tizzazione, I Greci II 2, Turin, 1997, p. 742-748.225 BOFFO, op. cit., p. 92. Cf. aussi SICKINGER, op. cit., 1994, p. 294-295 sur l’élaboration d’un décret àAthènes.226 BOFFO, op. cit., p. 96.227 HARRIS, Freedom of Information, p. 213. Ce jugement s’applique à l’ensemble des inscriptions quenous connaissons.

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marquée par un constat simple. Certains groupes d’objets figurent une année, sont“oubliés” l’année suivante et apparaissent de nouveau la troisième année, sans qu’ilsoit possible d’invoquer des modifications factuelles ou temporaires228. Un autre élé-ment rend difficiles les comparaisons entre les différentes années, les fréquents chan-gements d’ordre des séries d’objets. Pour comprendre ces éléments, il faut cesser deleur prêter une fonction qu’ils n’ont pas. “The stelai were erected more as symbolsthan as records”229. Mais alors pourquoi donner autant de détails si les inscriptionsn’étaient pas destinées à être lues ? En fait, l’inscription doit être vue comme unedédicace dont le prix n’est pas négligeable230. Le coût serait la raison de l’absenced’inventaires dans la plupart des sanctuaires. À Délos, il est estimé à 165drachmes231. Le cas athénien est mieux connu aujourd’hui232. En 408/7, le travailpréparatoire, la gravure et l’érection de la stèle portant les comptes des épistates d’É-leusis coûtaient 62 drachmes, sans compter la taille de la stèle et son transport de lacarrière au sanctuaire233. La gravure du décret ordonnant l’§jetasmÒw de la Chalco-thèque a un coût plus faible, 30 drachmes, qu’il faut rapprocher du prix habituel dela mise sur pierre des décrets234. Outre le prix, la question se nourrit du contenu deces textes qui ne variait guère d’une année sur l’autre. On voit mal qui les aurait luschaque année. Dès lors, il n’est pas possible de considérer ces stèles comme desimples documents d’archives. “The inscriptions thus record not so much book-kee-ping as the way the administration worked, which was by means of personal encoun-ters and oral communications […] They are therefore, to my mind, monuments ofactions performed, not records to be consulted”235. Pour autant, doit-on avec T. Lin-ders postuler que les archives des temples, lorsqu’elles existent, ne sont guère consul-tées voire que des procédures orales suffisent ?

Elle fonde sa démonstration sur un inventaire du temple d’Héra de Samos, plusprécisément un §jetasmÒw, daté de 346/5 qui contient un passage concernant unrouleau scellé236 :

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228 LINDERS, op. cit., p. 30.229 Ibid., p. 31 qui se réfère à la thèse non publiée de J. Tréheux. Voir infra.230 Ibid., p. 36 et n. 27. Cet aspect de la démonstration de T. Linders est repris par HARRIS, Freedom ofInformation, p. 216 : “The accountability factor is only a small part of the publication of these specialdocuments on stone : the papyri or whitened boards in the city archive serve that function, while thestelai serve as insurance of the gods’ favour upon the action described in the text”.231 HARRIS, Freedom of Information, p. 215.232 Cf. supra.233 LOOMIS, op. cit., p. 121 n° 1 avec n. 5.234 IG II2, n° 120, l. 20-22, traduit et commenté infra. L’§jetasmÒw est un inventaire extraordinaire quidresse la liste de tous les objets sis à l’intérieur du bâtiment, le plus souvent classés au moyen de leurposition à l’intérieur. Il est souvent, sinon toujours, mené par une commission ou un autre corps, par-fois la Boulè elle-même.235 LINDERS, op. cit., p. 36.236 MICHEL n° 832, l. 38-40 (avec les commentaires de LINDERS, op. cit., p. 37-39). GEORGOUDI, op.cit., p. 235 n. 40 préfère parler d’un livre. Particulièrement dans ce cas, l’expression paraît impropre.Concernant la traduction du verbe énagignÒskv nous avons opté pour le verbe “vérifier” qui combinela double dimension de “connaître” et de “lire” (sur les différents sens de ce verbe, voir en dernier lieuD.T. STEINER, The Tyrant’s Writ. Myths and Images of Writing in Ancient Greece, Princeton, 1994, p. 26-29). Quoi qu’il en soit, rien n’indique ici que Philostratos ait lu à haute voix comme le comprend LIN-DERS, op. cit., p. 38.

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ÉEn t«i nei«i ˜sa §n [t]o[›]w m°resin éneg$gnvsken §k toË bibl$ou toËseshmasm°nou, ka‹ ı flerÚw t∞w yeoË PelÊsiow ép°fainen ˆnta plØnt«n[d]e, t«n §n°leipen.

“Dans le Grand Temple, [Philostratos] a vérifié tous les objets dans les différentescatégories d’après le rouleau scellé et Pélusios l’esclave sacré de la déesse les a mon-trés, à l’exception de ceux qui suivent, manquants”.

Sur la stèle ne figurent donc que les objets manquants et non les présents. PourT. Linders, c’est un signe que l’inspection orale suffit. Cet exemple expliquerait leserreurs constatées dans les nombreux inventaires parvenus jusqu’à nous ; les tréso-riers entrant en charge ne possèdent comme information que l’inventaire précédentlu à haute voix. Même si un catalogue des entrées existe, il n’est pas sûr qu’il soitconsulté. Lorsqu’un objet est perdu comme à Samos, on préfère l’oralité, la lectureà haute voix du catalogue. Pourtant, l’§jetasmÒw de Samos dit à peu de chose prèsl’inverse. En effet, il montre qu’en l’occurrence, c’est un registre qui fait foi. Danscette situation particulière, imposant un inventaire extraordinaire, les trésoriers dutemple n’ont pas eu d’autre solution que d’ouvrir le rouleau scellé, autrement dit deconsulter l’original. Cela fait, il ne restait plus qu’à sceller de nouveau le rouleau età établir un nouveau document de référence, ou bien de le corriger. La stèle, quiattestait la régularité de la procédure, un §jetasmÒw, portait trace des correctionsauxquelles elle avait donné lieu et non de la liste complète des objets dans le temple.Cette inscription ne prouve donc pas que les inspections orales suffisaient. Elleconstitue au contraire une preuve de l’existence d’archives des inventaires d’untemple. Sa consultation ne permettait pas en outre de réaliser un nouvel§jetasmÒw237.

Cet inventaire étant réalisé au moment de la présence athénienne, il faut sedemander si ce recours à des archives dans les temples était une pratique athénienne.“The evidence therefore suggests what we should expect anyway, viz. that the basicprimary working documents for the Athenian state, its committees, and its officialswere whiteboards, and that our extant accounts cut on stone are transcriptions orselections from that primary format”238. Pourtant, plusieurs inventaires laissentpenser à l’existence d’une stèle de référence. J. Tréheux analyse ainsi un §jetasmÒwde l’Asklèpieion de 349/8239. Ce dernier “localise bien les offrandes (…) et signalebien celles qui manquent sous la rubrique tãde t«n §n t∞i stÆlhi (celle de 353/2)é[nagegramm°nvn …w Ípãrxonta §n t∞i XalkoyÆkhi oÈx] hÍr°(yh) ˆnta §nt∞i Xa[lkoy]Ækhi”240. En revanche, il ne mentionne aucune date de consécration,ni ne cite le nom de donateurs. Pour S. B. Aleshire, ce texte est un §jetasmÒw com-plémentaire de celui de 353/2241. Mais J. Tréheux, du fait de la différence formelle,affirme que l’§jetasmÒw de 349/8 se réfère “à un registre (ou stèle) des entrées où

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237 Une conclusion analogue peut être tirée de l’exemple des hiéropes de Délos, cf. Cl. VIAL, Délos indé-pendante (314-167 a.C.), Paris, 1984, p. 216-232.238 DAVIES, op. cit., p. 207.239 Bull. ép., 1990, p. 502-503 n° 379 à propos de IG II2, n° 1440.240 Ibid., p. 502 ; J. Tréheux rappelle à ce propos les restitutions faites par lui.241 S.B. ALESHIRE, The Athenian Asklepieion, The People, their Dedications and the Inventories,Amsterdam, 1989, p. 105.

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l’autorité chargée du contrôle a pu trouver tous les éléments de son enquête, y com-pris la date des offrandes et le nom des donateurs, et déduire par comparaison la listedes objets manquants”242. La référence à la stèle s’explique ici aisément. C’est ledocument servant de référence, ayant eu l’accord de tous. La pierre valide la procé-dure de la remise de compte, ce qui n’en fait pas une archive. Du reste, certainsinventaires ne sont mis sur pierre que tous les quatre ans243.

La série des inventaires du Brauron a également amené plusieurs épigraphistes àenvisager l’existence d’une stèle de référence, autrement dit d’uneinscription/archive244. Ces documents ont été trouvés à Athènes et informent sur lepatrimoine du Brauronion de Brauron ; ils étaient exposés sur l’Acropole, au Brau-ronion245. Certains d’entre eux portent la mention suivante : “ne sont pas sur lastèle”246. T. Linders pensait que cette expression renvoyait à la copie sur supportpérissable que les épistates utilisaient pour la réalisation de leur parãdosiw247. Lesoffrandes auraient été oubliées, volontairement ou involontairement. J. Tréheuxconsidère que la stèle désignée est le registre des entrées, “une stèle de référence oùles épistates consignent en principe les offrandes dédiées à Artémis Brauronia au furet à mesure de leur consécration”248. Les offrandes mentionnées comme absentessont tout simplement postérieures à la gravure de la stèle. Bien évidemment, les épi-states ne lisaient pas la stèle pour faire leur vérification mais ils utilisaient une copiede celle-ci249. Ce dernier point est surprenant car il implique que ces magistrats tra-vaillaient avec des documents écrits sur papyrus ou des tablettes mais que le sanc-tuaire fonctionnait avec une stèle. N’y avait-il donc pas une comptabilité précise desoffrandes, indépendantes de la gravure de la stèle, que les épistates auraient puconsulter au lieu de travailler avec un document qui pouvait être incomplet ? L’hy-pothèse proposée par E. L. Brulotte paraît résoudre le problème250. À la fin del’année, la prétresse transmettait au lapicide qui réalisait la stèle une liste des objetsreçus. Les épistates utilisaient une copie de celle-ci pour la vérification251. Ils consta-taient alors les éventuelles erreurs. Cette deuxième liste était envoyée à Athènes, au

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242 Bull. ép., 1990, p. 503.243 Cf. supra.244 IG II2, n° 1514-1525, n° 1528-1531 ; IG I3, n° 403-404 et A.M. WOODWARD, Financial Documentsfrom the Athenian Agora, Hesperia 32, 1963, p. 170-181 n° 8-10.245 E.L. BRULOTTE, The Placement of Votive Offerings and Dedications in the Peloponnesian Sanctuaries ofArtemis, Ann Arbor, 1994, p. 337-338.246 IG II2, n° 1518, l. 63-64, n° 1524, l. 173-174 et avec quelques différences n° 1524, l. 98-99.247 T. LINDERS, Studies in the Treasure Records of Artemis Brauronia Found in Athens, Stockholm, 1972,p. 42-43 et n. 59. La parãdosiw enregistre la transmission des biens en charge d’un magistrat ou d’uncollège de magistrats à son ou à ses successeur(s), intégrant les nouveaux objets acquis dans l’année. Lesarticles de cet inventaire sont classés par lieux de conservation ou par matériau.248 J. TRÉHEUX, Observations sur les inventaires du Brauronion de l’Acropole d’Athènes, in KNOEPFLER

D. (éd.), Comptes et inventaires dans la cité grecque. Actes du colloque international d’épigraphie tenu àNeuchâtel du 23 au 26 septembre 1986 en l’honneur de Jacques Tréheux, Neuchâtel-Genève, 1988, p. 348.249 Ibid., p. 354 et ID., Pourquoi le Parthénon ?, REG 98, 1985, p. 237-238 n. 32 au sujet des trésoriersd’Athéna.250 BRULOTTE, op. cit., p. 337-343, en particulier p. 343.251 Il ne s’agissait pas de simples copies d’une année sur l’autre puisque d’une année sur l’autre les des-criptions de certains articles sont modifiées, Ibid., p. 343 n. 1144.

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Brauronion de l’Acropole. Une stèle était réalisée et affichée avec une rubrique“objets ne figurant pas sur la stèle”252.

La complexité des opérations apparaît avec le décret relatif à la Chalcothèque de353/2 ordonnant un §jetasmÒw253 :

Par-[e›]na[i d¢ ka‹ toÁw tam$aw] t∞w yeoË ˜soi §tam$eusan ép-[Ú M]Ò[l]v[now êrxontow. é]neip™n d¢ ka‹ tÚg kÆru[k]a t∞w bou-[l∞]w par[e›nai tå]w érxåw taÊtaw efiw tØn ≤m°ran ∂n í[n] pr-[o]grãcv[sin ofl] prutãneiw. paragge›lai d¢ toÁw prutãn-[e]i[w] ka‹ E[Èkl]e› t«i dhmos$vi ¥kein efiw ékrÒpolin gra-[cÒm]enon t[å] §n t∞i xalkoy∞kei. ka‹ §peidån tÚ o‡khma é-[noi]xy™i §jetãzen katå ¶ynow ßkasta ka‹ §pigrãfen t-[Ún] ériymÚn, éntigrãfesyai d¢ tÚg grammat°a tÚg katå [pr]utane$an ka‹ toÁw êllouw grammat<te>°aw toÁw §p‹ to›-[w d]hmos$oiw grãmmasin: §peidån d¢ §jetasy∞i pãnta k-[a‹] énagraf∞i, tÚg grammat°a t∞w boul∞w énagrãcanta [§n] stÆlhi liy$nhi st∞sai ¶mprosyen t∞w xalkoy∞kh[w]. [§w] d¢ tØn énagrafØn t∞w stÆlhw doËnai toÁw tam$aw [t∞]-[w] boul∞w DDD [dr]axmåw §k t«g katå chf$smata énal[is]-[ko]m°nvn t∞i boul∞i: poiÆsasyai d¢ tÚg grammat°a t[∞w] [b]oul∞w ént$grafa §k t«n stÆlvn tå énagegramm°na [pe]-r‹ t«n §n t∞i xalkoyÆkei, §peidån d¢ taËta parask[eua]-syei, to[Á]w prutãne[i]w progrãcai per‹ toÊtvn [§]n [boule]-[u]thr$vi, ˜t[a]n oÂÒn te ∑i, ékoÊsasan [d¢ tØn] bou[lØ]n [é]nta-[n]agignvskom°nvn t[«n énagegramm°nvn §n t∞i] xalko[y]-[Æk]ei prÚw tå énagegr[amm°na §n ta›w stÆlaiw §]ãn t[ino]-[w] d°hi probouleÊsas[an §jenegken efiw tÚn d]∞mon, ˆ[pvw] [í]n ékoÊsaw ı d∞mow bou[leÊshtai p«w plhr]vyÆset[ai tå][§]lle$ponta, ˜[p]v[w] í[n] ¶x[hi kãllista ka‹ e]Èseb°st[ata t]-[å p]rÚw tØn yeÒn.

“…que tous les trésoriers de la Déesse ayant exercé leur charge à partir de l’ar-chontat de Molôn soient présents aussi. Que le héraut du Conseil proclame le jour,fixé par les prytanes, auquel ces magistrats devront être présents.

274 LA COMMUNICATION ÉCRITE PUBLIQUE

252 Rappelons que le mot “stèle” dans le contexte des inventaires et des comptes ne renvoie pas toujoursà l’objet mais au texte qu’il accueille (TRÉHEUX, Observations, p. 351 et n. 16). Cela est vrai aussi pourd’autres contextes, par exemple le décret d’Aristotélès (OSBORNE & RHODES, n° 123, l. 31-34 avec lecommentaire de G.-J.-M.-J. TE RIEL, Une nouvelle loi sacrée en Arcadie, BCH 102, 1978, p. 328 n. 7).253 IG II2, n° 120. La date de cette inscription a été déterminée par un fragment d’un inventaire des tré-soriers d’Athéna (IG II2, 1438 avec E. SCHWEIGERT, Inscriptions from the North Slope of the Acro-polis, Hesperia 7, 1938, p. 281-289 n° 16 avec particulièrement p. 286 pour la datation) ; RHODES,Athenian Boule, p. 92-93 ; SICKINGER, The State Archive, p. 90-91. Sur les traces archéologiques du bâti-ment, on consultera L. LA FOLLETTE, The Chalkotheke on the Athenian Acropolis, Hesperia 55, 1986,p. 76-77 plus particulièrement sur l’inscription.

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Que les prytanes ordonnent aussi à Euclès, l’esclave public, d’être sur l’Acropolepour mettre par écrit la liste de ce qui est à l’intérieur de la Chalcothèque. Et,lorsque la pièce sera ouverte, qu’il classe chacun des articles selon leur nature etqu’il en note le nombre. Que le secrétaire et les autres secrétaires en charge desarchives en fassent faire une copie.Lorsque tout sera classé et mis par écrit, que le secrétaire fasse inscrire la liste surune stèle de marbre et qu’il la place devant la Chalcothèque. Que les trésoriers duConseil versent pour l’inscription de la stèle 30 drachmes sur les fonds attribués auConseil pour les dépenses selon les décrets.Que le secrétaire fasse des copies des stèles gravées à propos de l’inventaire de laChalcothèque. Lorsque cela aura été fait, que les prytanes fassent savoir par un pla-card au sujet de l’inventaire dans le Bouleutérion que le Conseil a entendu la col-lation de la version des objets inscrits dans la Chalcothèque et de ce qui est inscritsur les stèles et que l’un des conseillers émette un avis si le besoin s’en faisait sentir.Qu’on transmette alors l’affaire au peuple afin, qu’ayant écouté l’affaire, il décidede la correction à apporter pour que les documents soient les plus justes et les pluspieux au regard de la Déesse. Ces objets qui sont dans la Chalcothèque… (suit l’in-ventaire)”.

Plusieurs acteurs interviennent dans cette vérification du contenu de la Chalco-thèque. Le premier est le Conseil, à travers les prytanes et le secrétaire. Le deuxièmeest un esclave public, Euclès, qui est connu par d’autres documents254. Enfin, deuxgroupes de personnages agissent dans cette vérification : les secrétaires en charge desarchives et les trésoriers d’Athéna. Ces derniers récoltaient les objets en bronze ; ilsavaient donc une responsabilité importante dans cette affaire, une responsabilité degestionnaire.

La méthode utilisée témoigne d’une technique avancée dans les écriturespubliques. L’esclave public Euclès dresse la liste des objets présents dans la Chalco-thèque. Le secrétaire fait une copie de ce document, puis fait transcrire ces informa-tions sur une stèle. Une comparaison est enfin menée au sein du Conseil afin de véri-fier que l’inscription correspond bien à l’inventaire d’Euclès. La présence desecrétaires en charge des archives indique qu’un exemplaire était déposé au Métrôon.Les inscriptions doivent ici correspondre aux originaux. Toutefois, cela ne signifiepas que la stèle est une copie conforme de l’inventaire mais simplement que soncontenu doit être en accord avec le travail d’Euclès dont l’original est archivé. Cestatut particulier du document réalisé par le dèmosios explique peut-être pourquoi lastèle semble constituer une référence. La consultation des originaux était soumise àde nombreuses restrictions et n’était menée qu’en dernier recours. C’est pour cetteraison que ce décret mentionne aussi souvent la réalisation de copies.

LES ÉCRITS PUBLICS AFFICHÉS À ATHÈNES 275

254 Chapitre 3.

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2. Stèles et inventaires navals

Une inscription concernant le recouvrement d’une dette au cours de l’eispraxis de345/4 à 342/1 porte une mention intéressante sur la fonction éventuelle d’archivesde la stèle255 :

EÈyÊmaxow E[---], tam$aw genÒ[menow] §w tå ne≈ria [§p‹ Ye]mistokl°ou[wérxon]t«n skeu«n, [Œn] ¶labe parå [t«n] trihrãrxvn, [ka‹ oÈk] efisÆnenkegrã[caw] §n t∞i stÆlhi, érgur$ou, m¢n ép[od°dvke TT H ktl.

“Euthymachos fils d’E[…] qui était trésorier pour les néôria sous l’archontat deThémistoclès [347/6] avait reçu des agrès des triérarques et ne les avait pas rendusaux entrepôts bien que gravés sur la stèle, il remboursa en argent 2 talents et 4600drachmes et rendit les agrès suivants [suit une liste]”.

La situation est claire. Le trésorier a commis un faux en écriture. Il fit inscrire surla stèle des retours d’agrès qu’il n’effectua pas256. Lorsqu’on lui demanda de rem-bourser, il restitua une partie des agrès et compensa le reste par le versement d’unesomme d’argent. La question qui se pose alors concerne la vérification. L’hypothèsela plus simple est de considérer que les successeurs d’Euthymachos possédaientd’autres documents que la seule pierre. Sinon, ils auraient conclu à une perte d’agrèset non pas à une fraude. Dans un plaidoyer de Démosthène, les deux types de docu-ments écrits apparaissent lorsqu’il s’agit de débiteurs d’agrès : “Tous deux étaient ins-crits sur la stèle comme débiteurs : les magistrats, à qui leurs prédecesseurs avaienttransmis la liste, nous en chargèrent conformément à la loi et aux décrets”257. Un peuplus loin, le texte rapporte une rencontre avec Théophèmos, l’ancien triérarque.L’objet de sa visite est simple, la restitution des agrès manquants258 : “Quand parutThéophèmos, que la servante était allé chercher, je lui réclamai l’inventaire des agrèsen lui indiquant que j’allais prendre la mer”. Celui-ci possède donc chez lui, après sasortie de charge, un document officiel, tÚ diãgramma t«n skeu«n, sur lequel figu-rent les agrès259. Il n’est pas question de stèle. Dans un discours de Lysias, le plaideurobtient de consulter les comptes d’un triérarque, à son domicile, après la sortie decharge (le triérarque est décédé et c’est son frère qui transmet le document)260. Tou-

276 LA COMMUNICATION ÉCRITE PUBLIQUE

255 IG II2, n° 1622, l. 444-454 ; voir les commentaires de V. GABRIELSEN, IG, II2, 1609 and EisphoraPayments in Kind ?, ZPE 79, 1989, p. 95-96 et ID., Contributions of Ship’s Equipment in the Athe-nian Naval Records, ZPE 98, 1993, p. 175-183 en particulier p. 178-180 que nous suivons ici (contraJ.-M. SCHMITT, Quelle est l’interprétation convenable de l’inscription IG, II2, 1609 ?, in P. GOUKOWSKI

et Cl. BRIXHE (dir.), Hellènika Symmikta. Histoire, archéologie, épigraphie. Études d’archéologie classique7, Nancy, 1991, p. 133-141).256 Pour un problème identique, IG II2, n° 1609, l. 410-415. IG II2, n° 1629 présente un problème dif-férent puisque dans ce cas le dépôt d’agrès n’a pas été inscrit. Ces situations ont été commentées parGABRIELSEN, op. cit., 1989, p. 94-95.257 DÉM., Everg., 47.22 : Gegramm°nouw oÔn aÈtoÁw émfot°rouw §n tª stÆl˙ Ùfe$lontaw tåskeuØ tª pÒlei ≤ érxØ paralaboËsa parå t∞w prot°raw érx∞w, ≤m›n par°dvken katã te tÚnnÒmon ka‹ tå chs$smata (trad. CUF). Le verbe paralambãnv est également utilisé pour désignerun échange de documents écrits (IG I3, n° 104, l. 5-7).258 DÉM., Everg. 47.36 : ÑVw d¢ éfikne›tai ı YeÒfhmow meteltoÊshw aÈtÚn t∞w ényr≈pou,épπtoun aÈtÚn tÚ diãgramma t«n skeu«n, l°gvn ˜ti ≥de per‹ énagvgØn e‡hn (trad. CUF).259 GABRIELSEN, Financing, p. 136.260 LYS., Diog., 32.26.

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tefois, dans le passage qui nous intéresse, l’extrait de l’inscription, c’est bien à la stèlequ’il est fait référence. N’est-ce pas le signe que la gravure de celle-ci intervient dansla procédure de remises des comptes ?

b) Stèles et remises des comptes : la stèle marque-t-elle la fin de la procédure de laremise des comptes ?

1. Les trésoriers d’Athéna

L’érection de la stèle portant l’inventaire pourrait constituer l’aboutissement de laremise des comptes des trésoriers261. À ce titre, elle s’inscrirait dans la logique de ladémocratie athénienne postérieure aux années 460262. Dans sa comparaison entreAthènes et le Proche-Orient, D. Harris propose la distinction suivante : “Adminis-trative machinery was hidden from public view in the ancient Near East ; in Greece,however, such information was shared through dhmÒsia grãmmata”263. Mais ellemet sur le même plan la stèle et les dhmÒsia grãmmata. Or, la pierre n’est ni unecopie, ni un original. Plus généralement, l’association entre démocratie et inscriptionn’est pas automatique et les cités oligarchiques ont également mis sur pierre un cer-tain nombre d’informations264. Cela ne dispense pas de chercher à comprendre lavaleur des inventaires pour les Athéniens, dans le cadre de la procédure de remise decomptes, par une étude préalable de leur contenu.

Dans le cas particulier athénien, sinon le point de départ, du moins l’histoire prin-cipale commence en 433, même si des inventaires antérieurs sont connus. En 485/4,les trésoriers doivent inventorier par écrit certains objets en bronze265. Selon le mêmetexte, l’inscription de l’Hékatompédon, une vérification est faite trois fois par mois266.Les inventaires sont une partie intégrante du calendrier sacré depuis longtemps. Tou-tefois, la mise sur pierre systématique des inventaires du trésor d’Athéna remonte à434/3267. Beaucoup ont voulu voir dans cette date une conséquence du deuxièmedécret de Callias268. Mais L. J. Samons a montré qu’il n’en était rien269. Dès lors, l’hy-

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261 Cette thèse a été soutenue par HARRIS, Freedom of Information, p. 218-219.262 Ce point a été noté par de nombreux historiens. Voir par exemple LEWIS, Temple Inventories, p. 41 :“Inventories as such start in the fifth century and are surely to be connected, like many other kinds ofpublication which start then, with a spread of democratic institutions and the concept that officialswere responsible to the people”. HARRIS, Freedom of Information, p. 215 soutient la même opinion :“Only in a democracy that places value on the sharing of public information is there publication oftemple inventory lists”.263 Ibid., p. 224. J. TRÉHEUX, Études sur les inventaires attiques, Études d’archéologie classique 3, 1965,p. 13 proposait une interprétation encore plus radicale en comparant la stèle à un procès-verbal : “Il nefaut pas perdre de vue […] que l’inventaire d’une collection tient lieu à la fois de procès-verbal de priseen charge pour le collège entrant et de décharge pour le collège sortant”.264 Cf. PÉBARTHE, Inscriptions et régime politique, p. 169-182.265 Voir IG I3, n° 4B, l. 1-4 ; l’inscription est fortement mutilée et elle pose des problèmes de compré-hension.266 IG I3, n° 4B, l. 18-19.267 À partir de cette date, nous possédons une série qui couvre à peu près cent trente ans.268 Par commodité, nous nommons IG I3, n° 52B décret de Callias même si rien ne permet d’affirmerque le nom de l’orateur de ce deuxième décret soit identique à celui d’IG I3, n° 52A.269 SAMONS, The ‘Kallias Decrees’, et ID., A Note on the Parthenon Inventories and the Date of IG, I3,52B, ZPE 118, 1997, p. 179-182. Son argumentation est reprise et amplifiée dans SAMONS, Empire ofthe Owl.

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pothèse de D. M. Lewis selon laquelle en 433 les inventaires sont inscrits au momentoù les dédicaces cessent d’être perçues comme des objets et deviennent un trésor deguerre, i. e. un capital permettant à Athènes de mener son combat contre Sparte et sesalliés, ne saurait être retenue270.

Les stèles que nous possédons témoignent d’un souci visuel qui tranche avec cer-tains autres documents épigraphiques. Les plus anciennes enregistrent plusieursannées avec des espaces vides pour séparer les années entre elles. La première ins-cription de l’Hékatompédon appelle une remarque intéressante. Huit années y sontenregistrées et une barre sépare 434/3 de 433/2271. “The two years were inscribedwithout vacat lines between, in the same hand, and it seems that the mason cor-rected his error once he realized that the two years were supposed to be separateparagraphs”272. L’inscription correspond donc à un souci d’informer le lecteur. Enmême temps, les huit années précédentes étaient archivées et ne résultent pas d’uneffort de mémoire. En parallèle à la pierre, il y a donc un inventaire fait annuelle-ment, sans aucun doute depuis longtemps.

La comparaison entre certains inventaires et un passage de Thucydide permet demieux percevoir la signification de la stèle273. Lors d’un discours rapporté par l’his-torien de la guerre du Péloponnèse, Périclès fait la liste des ressources athéniennes.Il cite l’or et l’argent non monnayés figurant dans les offrandes publiques et pri-vées, les objets sacrés. Tout comme les inscriptions, il oublie les objets de moindrevaleur. Parmi les absents, on peut citer le vin et l’huile destinés aux fêtes. En fait,la stèle a au moins deux objectifs. D’abord, elle rend visible la richesse de la déesse— et donc aussi celle de la cité — et elle prouve la bonne gestion des trésorierssortis de charge.

Au cours du IVe siècle, les changements épigraphiques qui affectent ce dossiersemblent tous aller dans le même sens, la réduction de la taille des stèles. On cesseainsi de graver trois stèles pour l’inventaire du temple d’Athéna appelé ultérieure-ment le Parthénon, à partir de 385. Le contenu tend à se réduire ainsi que la tailledes lettres274. Après la guerre du Péloponnèse, le nombre d’objets diminue et c’estbien la tendance générale tout au long du IVe siècle, à l’exception de temps deréformes comme celles entreprises par Lycurgue entre 338/7 et 326/5275. On devinealors une influence politique nette. Un autre élément pouvait intervenir, la publicitéqu’une stèle faisait a pu entraîner des modifications dans leur présentation. Après laguerre, elles enregistrent les noms des dédicants pour remercier publiquement ceuxqui reconstituent la fortune de la cité.

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270 LEWIS, Temple Inventories, p. 40-50.271 IG I3, n° 317-324.272 HARRIS, Inventory Lists, p. 178, appréciation qui repose sur une connaissance visuelle des pierres(Ibid.p. 3).273 Cf. D. HARRIS, Gold and Silver on the Athenian Acropolis : Thucydides 2.13.4 and the InventoryLists, Horos 8-9, 1990, p. 75-82 sur THC 2.13.4.274 LEWIS, Temple Inventories, p. 41.275 IG II2, n° 333, l. 11 mentionne une loi concernant les §jetasmo$ sans qu’il soit possible d’en direplus. Le décret suivant (IG II2, n° 333, l. 13s.) est proposé par Lycurgue. Voir SCHWENK, op. cit., p. 108-126 n° 21.

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La grande variété des moyens d’identification des objets ne constitue plus alors desurprise : description précise en cas de doute possible276, nom du dédicant277, lieu defabrication278, nom du dieu destinataire de l’offrande279, le nom de l’archonte quidispense de la description280. Dans un document du Ve siècle, on précise que desobjets proviennent de capture281. Parfois, une marque était faite sur l’objet directe-ment, ce que la stèle précise282. Une étiquette avec une lettre a pu aussi être ins-tallée283. Vraisemblablement, les archives des temples étaient très précises tandis quela stèle ne représentait qu’un tri parmi les informations archivées que les trésoriersdécidaient lors de la gravure sans pour autant que nous puissions déterminer leurscritères de sélection. Ce changement ne révèle en rien des modifications dans lesarchives. Il ne saurait être mis sur le même plan284.

La production de ce type de documents connaît certes une évolution importanteà la fin du IVe siècle. Avant l’époque de Lycurgue, nous possédons une série conve-nable d’inventaires285. À son époque, nous disposons d’une loi et deux ensembles decomptes couvrant différents objets286. En revanche, nous ne possédons pas d’inven-taires contemporains de Lycurgue, seuls des inventaires postérieurs sont parvenusjusqu’à nous et ils sont de lecture difficile287. Il semble que les trésoriers des autresdieux aient disparu à la fin des années 340 et que Lycurgue ait promu une nouvellefaçon d’identifier les objets. W. S. Ferguson alla plus loin et suggéra que les inven-taires n’existaient tout simplement pas288. Les différents objets auraient été inscritssur une stèle en bronze qui n’aurait pas survécu. En 321/0, la réalisation d’inven-taires sur pierre reprenant, on se serait contenté de renvoyer aux objets déjà inscritssur cette stèle289. Cette interprétation ne paraît pas acceptable tant les traces d’ar-chives des temples sont nettes pour toute la période. Il n’en demeure pas moins qu’àla fin du IVe siècle les trésoriers d’Athéna cessent de publier sur pierre leurs inven-taires290. À la même époque, ceux d’Éleusis, du temple d’Artémis Brauronia ainsi queles actions des polètes cessent d’être gravés. Est-ce à dire que la remise des comptesdes magistrats disparaît ? Non pas. Il n’est donc pas possible d’associer trop directe-ment les stèles portant des inventaires avec cette procédure démocratique. Mais, le

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276 IG II2, n° 1433, l. 10-13.277 IG II2, n° 1436, l. 41-45278 IG II2, n° 1434, l. 13 et n° 1394, l. 18.279 IG II2, n° 1436, l. 46-48.280 IG II2, l. 1436, l. 15281 IG I3, n° 350, l. 82-83.282 IG II2, n° 1474, l. 8-22.283 IG II2, n° 1492, l. 32-35.284 Pour une description des changements des formes des stèles, HARRIS, Inventory Lists, p. 184-220.285 IG II2, n° 1370-1462.286 Respectivement SCHWENK, op. cit., p. 108-126 n° 21 (le texte de la loi est fragmentaire et ne permetpas vraiment une analyse de la réforme) et D.M. LEWIS, The Last Inventories of the Treasurers ofAthena, in D. KNOEPFLER (éd.), Comptes et inventaires dans la cité grecque. Actes du colloque interna-tional d’épigraphie tenu à Neuchâtel du 23 au 26 septembre 1986 en l’honneur de Jacques Tréheux, Neu-châtel-Genève, 1988, p. 297 qui donne les références des comptes sus-cités.287 IG II2, n° 1456-1492, le jugement est de LEWIS, op. cit., p. 297.288 W.S. FERGUSON, The Treasurers of Athena, Harvard, 1932, p. 162-166.289 Cette interprétation provient d’une restitution d’IG II2, n° 1468, l. 4-5 qui demeure discutable.290 Sur les derniers inventaires des trésoriers d’Athéna, LEWIS, op. cit.

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souci de clarté, la citation d’informations provenant des stèles constituent autantd’éléments qui attestent l’importance de ces inscriptions dans la remise des comptes,sans que celle-ci impliquât à tout coup une gravure.

2. Le cas des polètes

Un corps de magistrats constitue un cas particulier, les polètes. En effet, il est àl’origine d’une production épigraphique remarquable par sa quantité et par sa diver-sité, à la mesure de ses responsabilités. La fonction de ces documents reste à élucidercar elle n’apparaît pas dans la description des attributions des polètes faite dans laConstitution des Athéniens alors même que l’importance des documents écrits sursupport périssable y est soulignée291.

Le premier dossier qui émane de ces magistrats concerne la confiscation des biensdes Hermocopides. Leur contenu a été étudié avec précision par D. M. Lewis292. Àla différence de la presque totalité des autres inscriptions des polètes, celles-ci ren-dent compte d’une confiscation très importante des biens d’un seul groupe de per-sonnes293. Cet ensemble permet d’apprécier comment les Athéniens organisaient untexte qui couvrait plusieurs stèles, dix au total. Une seule stèle (n°7) possède un inti-tulé préservé, sans doute sur toute la longueur de la pierre, au-dessus des deuxcolonnes. Deux ou trois stèles semblent commencer par la liste et non par un inti-tulé. “The beginnings of these stelai will not have made sense in isolation, and thereader will have to have been guided to them from another stele by their relativepositions. It is therefore disappointing to find that apparently none of the stones hasany trace on its edge to indicate that it made a close fit with another stone either toleft or to right”294. Seule la stèle 7 possèderait une telle indication295. Cette réflexionde D. M. Lewis perd de sa pertinence si l’on admet le fait que ces inscriptionsn’étaient pas destinées en priorité à la lecture, comme lui-même semble le recon-naître : “In fact, it is hard to see how anyone can have done any accounting from ourtexts”296. Nous reviendrons sur ce point.

Pour bien comprendre le rôle de l’inscription dans la procédure, il convient de lareconstruire297. D’abord, les biens de cinquante personnes au moins sont concernés.Leurs possessions étaient variées, biens meubles et immeubles, à Athènes, dans l’At-tique ou dans l’empire ; leurs esclaves pouvaient également avoir des biens quidevaient être mis en vente comme le reste. Les stèles montrent que les ventes desbiens d’une seule personne n’avaient pas lieu le même jour (des biens d’un Hermo-copide, Axiokos le fils d’Adeimantos, apparaissent à neuf reprises dans des contextesdifférents). La vente totale aurait pris dix-huit mois. Or, il n’est pas possible d’envi-sager une conservation orale de ces informations pendant une période aussi longuejusqu’à la réalisation de la stèle. La Constitution des Athéniens est explicite sur ce

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291 PS-ARSTT, Ath. pol., 47.2-3 et chapitre 4.292 LEWIS, Profanation.293 Nous ne possédons qu’un seul ensemble épigraphique comparable mais dont le texte est fragmen-taire, les biens confisqués eux Trente et aux Onze (LANGDON, Poletai, P. 70-74 P2).294 LEWIS, Profanation, p. 161.295 Ibid., p. 161-162.296 Ibid., p. 171.297 Nous suivons ici Ibid., p. 164-171.

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sujet : “Ils [les polètes] dressent la liste des terrains et maisons qui ont été revendi-qués au profit de la cité et vendus par jugement”298. L’anagraphè renvoie ici à unemise en archive et non à la gravure d’une stèle qui du reste a été abandonnée à la findu IVe siècle sans que la magistrature disparaisse. De plus, la suite du passage indiqueque le paiement est échelonné sur plusieurs années, ce qui cadre mal avec une stèle-archive. Enfin, et cela nous semble déterminant, le nom des acheteurs n’apparaîtjamais.

Le deuxième dossier concerne les inscriptions les plus nombreuses, les locationsde mines ou diagrafa$299. La série que nous possédons ne couvre que les deux tiersdu IVe siècle, de 367/6 à c. 300. L’absence de stèles pour les périodes précédente etsuivante constitue une source d’étonnements. Il n’est en effet pas possible de sou-tenir une absence de locations avant 367/6. Plusieurs sources indiquent que les pro-priétaires d’esclaves louaient ces derniers à des ateliers miniers300. Un passage d’Aris-tophane suggère pour le dernier tiers du Ve siècle au moins un système de locationidentique à celui que nous connaissons pour le IVe siècle301. Si changement il y a, ilest préférable de l’envisager au IIe plutôt qu’au IVe siècle302. Au IIIe siècle, les acti-vités minières connaissent un indéniable déclin mais le IIe siècle est une période derenouveau. Cette nouvelle époque de forte activité ne s’accompagne pas d’une misesur pierre. Une possibilité est de considérer que les polètes ne changent pas d’habi-tude et qu’ils poursuivent leurs pratiques anciennes. Dès lors, les années 360 à 300apparaissent comme une période d’innovations dans l’affichage de certains actes despolètes303. La seule explication de cette absence d’inscriptions doit donc être trouvéedu côté des archives, de la mise par écrit sur des supports périssables comme lestablettes de bois. La gravure des diagrafa$ est donc distincte de la remise descomptes puisque cette dernière existait avant et après la première. Cela suffit-il pouraffirmer que les deux sont sans relation ? Aucun élément ne permet de répondre parla négative. Cependant, il semble possible de considérer la stèle comme la dernièreétape de la remise des comptes pendant un certain temps. Elle donnait publicité nonpas à de quelconques montants mais à la régularité dont avaient fait preuve lespolètes de l’année x. Elle enregistrait la bonne marche de l’administration.

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298 PS-ARSTT, Ath. pol., 47.3 (trad. CUF) : ÉAnagrãfousin d¢ ka‹ tå xvr$a ka‹ tåw ofik$aw tépo-graf°nta ka‹ pray°nta §n t“ dikasthr$ƒ.299 OSBORNE, Demos, p. 111-126 et en dernier lieu LANGDON, Poletai, P. 60-62.300 XÉN., Poroi, 4.14, PLUT., Nic., 4.2 pour Nicias ; pour Diocleidès, voir AND., Myst., 1.38.301 M. CROSBY, The Leases of the Laureion Mines, Hesperia 19, 1950, p. 191 n. 5 note que l’expression»nÆsomai m°talla qui figure dans AR., Cav., 362 indique que les locations existaient au moinsdepuis 424.302 Rappelons que l’existence de cette magistrature s’est prolongée tardivement, bien après le IVe siècle,sans doute jusqu’en 103/2 voire 86/5. Son origine est plus discutée. Si l’on en croit PS-ARSTT, Ath. pol.,7.3., cette magistrature existait dès l’époque de Solon mais nous ne disposons pas d’autres sources quil’attestent. Voir LANGDON, Poletai, P. 67-69 pour une histoire des polètes.303 Ibid., p. 61 cite cette hypothèse tout en faisant remarquer qu’elle ne peut être vérifiée. Toutefois, ellenous semble préférable à celle qu’il soutient ensuite. En effet, il lui semble préférable d’envisager denouvelles méthodes de gestion des mines. Les monnaies du IIe siècle contiennent des groupes de lettresqui renverraient à des abréviations de noms de mines du sud de l’Attique. “That the state was takingsuch care to record the exact sources of the silver used in each issue suggests that the government itselfwas now working the mines and using all the recovered ore for coinage. The mines were not beingleased to individuals, and so the poletai had no leases to administer and no records to keep”.

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c) Stèles et communication publique

T. Linders a proposé de voir dans les inventaires des symboles des communica-tions orales entre les magistrats304. Les stèles seraient des dédicaces. Cette thèse nedoit toutefois pas amener à négliger les textes des inscriptions dont le contenu estparfois précis305 ; les corrections ou les ajouts en sont la preuve. Si l’on prendl’exemple des obituaires publics, le souci d’exactitude surprend et il ne peut s’expli-quer que par une volonté d’informer306. Tous les documents financiers publiés surpierre appartiennent aux affaires sacrées et publiques ; ils sont le plus souvent posté-rieurs à 432307. Le contexte de guerre a pu intervenir, d’autant plus que les financesont joué un rôle non négligeable dans ce conflit. Périclès en fait un argument cen-tral de son discours selon Thucydide tout comme Archidamos le roi spartiate308.Toutefois, les autres trésors, comme le dèmosion ou celui des hellénotames, n’ont paspublié leurs comptes alors qu’ils servaient à financer la guerre309. “In fact, it seemsthat increased publication of ‘financial’ records in fifth-century Athens depended tosome degree both on the ‘sacral connections’ of particular documents and on themilitary exigencies of the period”310. Les Athéniens affichent leur piété à l’encontred’Athéna en publiant ces documents qui rappellent la richesse de la cité, propriétédes dieux qui n’hésitent pas à prêter leur fortune pour aider Athènes. Enfin, l’absencede publicité donnée à la fortune monétaire de la cité permettait peut-être de taire unélément qui aurait pu mécontenter les alliés/sujets.

Un autre élément important concerne la recherche d’une relative facilité de lec-ture311. Socrate établit une différence entre les petites lettres et les grandes et il estprobable qu’il a à l’esprit les inscriptions qui seules permettent des variations de cetype312 :

áAn efi pros°taj° tiw grãmmata smikrå pÒrrvyen énagn«nai mØ pãnu ÙjÁbl°pousin, ¶peitã tiw §nenÒhsen, ˜ti tå aÈtå grãmmata ¶sti pou ka‹êlloyi me$zv te ka‹ §n me$zoni, ßrmaion ín §fãnh o‰mai §ke›na pr«tonénagnÒntaw oÏtvw §piskope›n tå §lãttv, efi tå aÈtå ˆnta tugxãnei.

“Si l’on donnait à lire de loin à des gens qui ont la vue basse des lettres écrites enpetits caractères, et que l’un d’eux s’avisa que les mêmes lettres se trouvent écritesailleurs en caractère plus gros sur un tableau plus grand, ce leur serait, je présume,une bonne chance de commencer par lire les grosses lettres et d’examiner ensuiteles petites pour voir si ce sont les mêmes”.

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304 LINDERS, Studies in the Treasure Records of Artemis Brauronia. STEINER, op. cit., p. 64-71 développeune argumentation proche.305 Cette remarque a été faite par SAMONS, Empire of the Owl, P. 315 ; voir aussi ID., A Note on the Par-thenon Inventories, p. 179-180 n. 5.306 Voir supra.307 Cf. la liste dans les IG I3, donnée par SAMONS, Empire of the Owl, P. 316.308 Respectivement THC 2.13.3-5 et 1.80.3-4 (avec notre commentaire, Chr. PÉBARTHE, Fiscalité,empire athénien et écriture : retour sur les causes de la guerre du Péloponnèse, ZPE 129, 2000, p. 47).309 SAMONS, Empire of the Owl, P. 313.310 Ibid., p. 316.311 En dernier lieu, BERTRAND, Écriture, p. 114-124.312 PLAT., Rep., 368d (trad. CUF).

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Les Athéniens avaient une claire conscience des problèmes que pouvait poser lalecture d’une stèle. Il n’en demeure pas moins que certaines d’entre elles, justementpar la taille des lettres, combinée avec la hauteur du monument, permettent dedouter que les inscriptions étaient lues, voire même qu’elles étaient érigées pour cela.Les listes du soixantième du tribut en fournissent un exemple concluant. Les quinzepremières années figurent sur une stèle de 3,66 mètres de haut et 1,11 mètre delarge313. Il est impossible de déchiffrer les informations placées aux extrémités verti-cales. Certes, dans d’autres cas, la peinture rendait plus aisée le déchiffrement desinscriptions voire leur lecture314. Un problème demeurait important, l’éclairage. Laforte luminosité rend très difficile la lecture pendant la plus grande partie de lajournée, sinon la totalité, phénomène que la peinture ne faisait que compenser. Rienne permet donc de conclure à une lecture systématique des inscriptions315.

En somme, dans les affaires financières, l’inscription est un outil de communica-tion publique, non pas tant par le contenu que le citoyen ne vérifiait pas le plus sou-vent, en tout cas pas sur ce type de support, que par son érection dans l’espace publicde la cité. “The accountability factor is only a small part of the publication of thesespecial documents on stone : the papyri or whitened boards in the city archive servethat function, while the stelai serve as insurance of the gods’ favour upon the actiondescribed in the text”316. La stèle exprime la piété des citoyens, la permanence desdécisions prises et, au moins dans certains cas, l’honnêteté des magistrats. Ses fonc-tions sont multiples et variaient selon les documents et selon l’évolution chronolo-gique. Les Stelai Attikai exprimaient d’abord le châtiment qui avait frappé les Her-mocopides ; au IIIe siècle, elles étaient une mémoire de ces événements historiqueset portaient également témoignage des punitions que recevaient les auteurs de sacri-lèges317. Ces considérations peuvent-elles être appliquées aux autres inscriptions ?Pour répondre à cette question, nous nous intéresserons aux amendements et à lamise sur pierre de faux.

d) Décrets, stèles et amendements

Le cas des décrets est particulièrement éclairant sur les relations entre le contenude la décision et la stèle318. En effet, ce type de documents est dès le départ, c’est-à-dire depuis la proposition, une affaire d’écriture319. Selon Eschine, Démosthèneaurait écrit de sa main un décret et souhaitait le proposer aux proèdres320. Toutefois,les sources ne permettent pas d’établir une relation précise entre ces différentes

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313 Nous reprenons les mesures de MEIGGS & LEWIS, n° 39, p. 84.314 Sur la peinture des inscriptions, TRACY, Lettering, p. 119-120. Cf. également L. ROBERT, Recherchesépigraphiques, REA 62, 1960, p. 334 n. 6.315 Il est certain que la multiplication des stèles en ville ne facilitait pas la tâche des lecteurs éventuels(BERTRAND, Écriture, p. 121-122).316 HARRIS, Freedom of Information, p. 216.317 LEWIS, Profanation, p. 172.318 Nous intéresserons ici aux décrets relatifs aux affaires politiques de la cité en dehors des décretshonorifiques traités supra. Voir les commentaires de OSBORNE, Inscribing Performance, etP.J. RHODES, Public Documents in the Greek State : Archives and Inscriptions, G&R 48, 2001, p. 37-40.319 AR., Nuées, 1429, Thesm., 383-432 particulièrement 431-432.320 ESCHN., Amb., 2.68. Voir aussi DÉM., Cour., 18.83 et 223.

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étapes, ni même celles qui requièrent une mise par écrit et les autres. Il est seulementpossible d’affirmer que les Athéniens étaient sensibles aux différentes natures destextes qu’ils gravaient. Plusieurs documents distinguent explicitement les sermentsdes conventions, ce qui laisse supposer que les Athéniens optaient parfois pour lagravure de l’un ou de l’autre321 :

Tåw d¢ xsu-ny°kaw tã[sde ka‹] tÚn` [hÒrkon kata]y™nai ÉAyena$ow m¢-n §m pÒle`[i énagrã]fs[antaw §st°lei] liy$nei ka‹ tå Ùn-[Ò]m`at`a t?n [pÒleon] t?[n Bottia$on t]?n xsuntiyem°non t¢n fil$a`[n ka‹ t¢n xsummax$an, ka]‹ §pigrãfsai §n t[™]-i st°lei t? ê[rxontow tÚ ˆnoma §f' äo] §g°nonto afl xs[u]n[y]-™kai:

“Les ayant transcrits sur une stèle de pierre, que les Athéniens installent sur l’Acro-pole ces conventions et le serment ainsi que le nom des cités des Bottiaioi qui ontdécidé l’amitié et l’alliance et qu’ils ajoutent sur la stèle le nom de l’archonte souslequel les conventions ont été conclues”.

Les décisions prises concernant Sélymbria contiennent de même d’abord la déci-sion de graver les conventions puis un amendement intègre la gravure du décret pro-prement dit322.

Une situation particulière, l’adoption d’un amendement, éclaire en partie ce rap-port323. Cette proposition complémentaire n’est pas toujours intégrée dans le décret.Ainsi dans un décret en l’honneur des fils de Leukôn, le troisième fils du souveraindu Bosphore, Apollonios, ne reçoit une couronne que par un amendement324. Or, letitre de l’inscription comporte les trois noms et le relief de la stèle trois personnages ;deux sont assis, vraisemblablement Spartacos II et Pairisadès I, le troisième, Apollo-nios qui ne règne pas, se tient debout325. Les trois décrets en l’honneur des Samiensprésentent une situation différente et à certains égards étonnante. Le deuxièmedécret comporte un amendement qui semble reprendre des éléments déjà présentsdans le décret proprement dit, à savoir l’affirmation de la validité des décisions prisesen faveur des Samiens et l’invitation au Prytanée326. Le décret comme l’amendementsont proposés par le même homme, Képhisophôn. L’explication la plus logiquerevient à considérer qu’un troisième document manque, qui devait être une propo-sition honorant les Samiens d’une manière ou d’une autre devant le Conseil. Aucours de la discussion, Képhisophôn a proposé l’amendement qui figure sur la pierre.Puis, devant l’assemblée, il a fait une proposition intégrant son amendement quiavait été retenu par le Conseil, tå m¢n êlla kayãper t∞i bol∞i, qui a été votée

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321 IG I3, n° 76, l. 21-27.322 IG I3, n° 118, l. 26-31 et 33-36. Voir aussi IG I3, n° 40.323 OSBORNE, Inscribing Performance, offre une discussion approfondie du rapport entre amendementet décret.324 OSBORNE & RHODES, n° 64. La citation concerne les lignes 65-68.325 LAWTON, op. cit., p. 98 n° 35 avec une bibliographie récente et planche 18.326 OSBORNE & RHODES, n° 2.

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par le peuple, ¶dojen t∞i boul∞i ka‹ t«i dÆmvi327. Le troisième décret comporteun amendement dont le contenu est repris dans le décret328. Il est possible qu’uneexplication analogue rende compte de cette répétition.

L’exemple le plus intéressant est représenté par l’inscription en l’honneur d’Héra-cleidès de Salamine, qui ne présente pas moins de cinq documents, quatre probou-leumata et un décret attestant à chaque fois des réécritures successives329. La premièredécision est prise par le peuple sur la proposition de Télémachos. Elle requiert duConseil un probouleuma en vue d’honorer Héracleidès (l. 46-50). La deuxième, leprobouleuma proprement dit, est proposée par Képhisodotos et demande à l’assem-blée de rendre certains honneurs à Héracleidès. La troisième émane du peuple, surproposition de Télémachos, ordonne les honneurs sus-dits sans citer le deuxièmedécret. La quatrième, proposition de Phyleus, provient du Conseil. Elle cite diffé-rentes actions favorables à Athènes entreprises par Héracleidès, celles qui lui avaientvalu déjà la première décision et d’autres, et demande à l’assemblée de décréter deshonneurs qui en tiennent compte. Enfin, la cinquième est un décret de l’Ecclesiaproposé par Démosthène qui sans citer la proposition de Phyleus intègre dans sesconsidérants l’ensemble des actions d’Héracleidès mentionnées jusque là. La clausede publication demande une gravure de tous les éloges obtenus : énagrãcai d¢tÒde tÚ cÆfisma tÚn grammat°a tÚn katå prutane$an ka‹ toÁw êllouw§pa$nouw toÁw gegenhm°mouw aÈt«i §n stÆlhi liy$nei ktl.330. Cette précision neva pas sans surprendre car le décret de Démosthène suffisait pour l’information descitoyens. Pourtant, la décision est prise de rendre public l’ensemble de la procédure.Pourquoi ? Certainement pas pour mettre en archive les différentes étapes car on necomprendrait pas ce qui amènerait cette seule fois les Athéniens à les graver. Au vrai,il est difficile de proposer une explication. Il n’en demeure pas moins que cette ins-cription atteste la différence fondamentale entre les écrits sur support périssable,multiples, qui sont à l’origine d’une décision et la stèle qui en résulte parfois.

e) Faux et usage de faux épigraphiques331

Au IVe siècle, les orateurs attiques évoquent un certain nombre de documents quiconcernent les guerres médiques et dont certains sont considérés comme des fauxdès l’Antiquité, par Théopompe332. Démosthène déclarait à propos d’Eschine333 :

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327 RHODES, Athenian Boule, p. 65 traduit cette formule ainsi, “introduces the rider to a probouleuma”. 328 OSBORNE & RHODES, n° 2, l. 56-75.329 OSBORNE & RHODES, n° 95 avec les commentaires de RHODES, Athenian Boule, p. 66-67, P.J.RHODES et D.M. LEWIS, The Decrees of the Greek States, Oxford, 1997, p. 24-25 et OSBORNE, Inscri-bing Performance, p. 352-353.330 OSBORNE & RHODES, n° 95, l. 21-24.331 BERTRAND, Écriture, p. 120-121 et p. 193-195 pour une étude générale de l’usage de fausses ins-criptions (cf. aussi ID., Inscriptions dites fausses et histoire en Grèce ancienne, Revista de Historiografia3, 2005, p. 78-85). Sur le cas athénien, voir N.D. ROBERTSON, False Documents at Athens : Fifth-Cen-tury History and Fourth-Century Publicists, Historical Reflections 3, 1976, p. 3-25.332 THÉOPOMPE, FGrHist 115 F 154.333 DÉM., Amb., 19.303 (trad. CUF) : T$w ı toÁw makroÁw ka‹ kaloÁw lÒgouw §ke$nouw dhmhgor«nka‹ tÚ Miltiãdou ka‹ <tÚ> Yemistocl°ouw cÆfism' énagign≈skvn ka‹ tÚn §n t“ t∞wÉAglaÊrou t«n §fÆbvn ˜rkon ;

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“Qui donc faisait au peuple ces longs et beaux discours, et lisait le décret de Miltiade,celui de Thémistocle et le serment des éphèbes dans le sanctuaire d’Aglauros ?” Pourcertains documents, le problème se complique en raison de découvertes épigra-phiques et de mentions multiples dans les sources littéraires. Le serment des éphèbesfigure sur une stèle découverte à Acharnes334. Il est également cité ou évoqué parLycurgue, Cicéron, Plutarque, Stobée et Pollux335. Pour M. Nouhaud, “On a un peul’impression que c’était là des morceaux composés sur demande à l’usage des orateurspolitiques […] Il est possible que ces textes soient une production des cercles poli-tiques dont les orateurs sont les porte-parole, ces derniers utilisant le document s’ilest prêt ou, à la limite, contribuant à la créer”336. Dès lors, il convient de comprendreles raisons qui ont poussé les Athéniens à publier des faux documents337. L’inconvé-nient de ce questionnement est qu’il ignore — ou plutôt qu’il pourrait amener ànégliger — l’importance du contrôle de l’espace graphique qui demeure la préroga-tive de la cité. Il place au second plan l’aspect institutionnel et pratique de la rédac-tion, de la gravure et de l’érection de tels documents. Or, puisque les orateurs n’ontpas fait graver eux-mêmes les textes en question, il faut au moins envisager un accordde l’assemblée ou d’une institution importante comme le Conseil. Dans cette hypo-thèse, il convient alors de déterminer qui a rédigé le faux et qui a décidé de sa misesur stèle338. Deux documents nous intéresseront ici, la Paix de Callias et le décret quihonore Zeus Éleuthérios et qui fonde les Éleuthéria.

Pour le premier, N. Robertson propose 375 comme date sa rédaction339. SelonDiodore, le Grand Roi demanda le renouvellement de la paix de 386, ce que les citésgrecques acceptèrent à l’exception de Thèbes340. Plutarque aurait du reste confondules deux événements : “Dans la collection des décrets rassemblés par Cratère, figureà sa place une copie du traité, comme ayant été réellement conclu. On dit que lesAthéniens élevèrent un autel de la Paix à l’occasion de cet accord et qu’ils décernè-rent des honneurs exceptionnels à leur ambassadeur Callias”341. Une statue a étéérigée, nous le savons par Pausanias, mais elle daterait de 375/4. Cette confusions’expliquerait par la proximité entre les deux événements. “With understable pridethe Athenians of 375 chose to regard the treaty as a renewal of the never-to-be for-gotten imperial peace that reigned over the Aegean during the later fifth century”342.

286 LA COMMUNICATION ÉCRITE PUBLIQUE

334 Sur l’inscription proprement dite, voir en dernier lieu G. DAUX, Sur quelques inscriptions, BCH 84,1971, p. 370-383 avec une photographie de la stèle (planche II) et BERTRAND, op. cit., 79-81 avec tra-duction et commentaire. Pour une présentation critique des sources sur le serment de Platées, cf.R. ÉTIENNE et M. PIÉRART, Un décret du Koinon des Hellènes à Platées, BCH 99, 1975, p. 63-67.335 Respectivement LYC., Leocr., 1.76, CIC., Rep., 3.9, PLUT., Alc., 15.7-8. Pollux et Stobée en donnentune version intégrale citée par G. DAUX, op. cit., p. 373.336 M. NOUHAUD, L’utilisation de l’histoire par les orateurs attiques, Paris, 1982, p. 126. Voir aussi lesremarques de BOFFO, op. cit., p. 130 n. 182.337 ROBERTSON, op. cit., p. 9 : “If the documents are forgeries, we need to identify the motives and thecircumstances that called them forth”.338 Concernant le serment des éphèbes, cf. en dernier lieu BERTRAND, op. cit.339 Ibid., p. 13-16.340 D.S. 15.38.2.341 PLUT., Cim., 13.5 (trad. CUF).342 ROBERTSON, op. cit., p. 15.

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Pour le deuxième document, il retient une date plus haute, la création de la SecondeConfédération athénienne, avec une argumentation analogue343.

Ces deux documents forgés à Athènes étaient destinés non pas tant aux Athéniensqu’aux cités grecques qu’il fallait convaincre d’entrer dans l’alliance de 378, puis plustard de se battre contre Philippe344. Si l’on en croit Démosthène, Eschine les auraitainsi fait lire pendant sa mission d’ambassade345. Théopompe confirme indirecte-ment l’affirmation de l’orateur lorsqu’il accuse les Athéniens de diffuser des fauxdocuments comme le serment de Platées ou la Paix de Callias346 :

Parå d¢ YeopÒmpou §k t∞w p°mpthw ka‹ efikost∞w t«n Filippik«n, ˆtiÑEllhnikÚw ˜rkow kataceÊdetai, ˘n ÉAyhna›o$ fasin ÙmÒsai toÁwÜEllhnaw prÚ t∞w mãxhw t∞w §n Plataia›w prÚw toÁw barbãrouw, ka‹ aflprÚw basil°a Dare›on ÉAyhna$vn prÚw ÜEllhnaw suny∞kai: ˜ti d¢ ka‹ tØn§n Maray«ni mãxhn oÈx‹ ëma pãntew ÍmnoËsi gegenhm°nhn, ‘ka‹ ˜sa êlla,fhs$n, ≤ ÉAyhna$vn pÒliw élazoneÊetai ka‹ parakroÊetai toÁwÜEllhnaw’.

“Chez Théopompe, au livre vingt-cinquième des Philippiques, l’affirmation que leserment entre Grecs que, selon les Athéniens, les Grecs auraient prêté avant labataille de Platées contre les Barbares n’a pas existé, ni non plus les accords concluspar les Athéniens avec des Grecs contre le Grand Roi Darius ; et le fait que tous nes’accordent pas pour célébrer la bataille livrée à Marathon ; ‘et tous ces autres faits,dit-il, dont Athènes se vante et sur lesquels elle trompe les Grecs’”.

Le parallèle avec Démosthène est frappant. On sait par ailleurs que les ambassadesdonnaient lieu à des évocations des bienfaits passés prodigués par la cité dont étaitoriginaire l’ambassadeur. Il est donc vraisemblable qu’Eschine fit ces rappels histo-riques pour décider les Grecs de s’allier avec Athènes.

Si cette argumentation est séduisante, elle ne rend toutefois pas compte de la gra-vure de ces documents347. En effet, leur évocation, qui plus est à l’extérieurd’Athènes, n’impliquait pas leur mise sur stèle. Sensible à ce problème, N. Robertsonpropose l’hypothèse suivante concernant la “fabrication” de la Paix de Callias. “Letus then imagine what happened after the Assembly ratified the Peace of 375. Toexpress the continuity of Athens’ high vocation the earlier fifth-century peace had tobe given concrete form and displayed beside the new treaty. So the Secretary obli-ginly produced, as if from the archives of the Council House, a decree of the fore-fathers ratifying the terms of the Peace of Callias, and this decree was now publishedon stone”348. Dans sa conclusion, il précise : “The process which I envisage is not acalculated distorsion of history”349. Il semble s’orienter vers l’idée d’un arrangement

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343 Ibid., p. 16-19.344 Ibid., p. 19.345 DÉM., Amb., 19.303-307, voir supra.346 THÉOPOMPE, FGrHist 115 F 153 apud ÆLIUS THÉON, Progymnasmata, 2.67.23-30 (trad. CUF).347 La même remarque peut être faite concernant l’analyse de BERTRAND, Écriture, p. 193-195 selonlaquelle le faux, par l’intermédiaire de l’écriture, affirme la permanence de la cité et de ses institutions.348 ROBERTSON, op. cit., p. 15.349 Ibid., p. 23-24.

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très libre avec le passé350. Or, si l’argument de Théopompe peut être retenu, la gra-vure en ionien, il n’en demeure pas moins que rien ne permet d’envisager une tellemanipulation dans les archives351. Si nouveau texte il y a, il a toutes les chances des’inspirer — ou plutôt d’actualiser — d’un original plus ancien352. De plus, le dia-lecte utilisé n’est pas un élément de datation sûr. Le décret de Phasélis est gravé enionien sans qu’il soit possible de douter de l’authenticité de ce document353. Dans lecas de Paix de Callias, la gravure en ionien est loin de constituer une preuve décisive.

** *

Nombreuses sont les inscriptions qui laissent supposer l’existence de lecteurspotentiels, les fausses comme les vraies. Mais les considérer comme de simples docu-ments, équivalents ou non aux originaux archivés, constituerait une erreur fonda-mentale. Les stèles sont aussi, parfois avant tout, un monument qui communiquepar sa seule présence dans l’espace de la cité. À ce titre, elles constituent un moyenprivilégié de communication publique. Bien plus, il apparaît que les inscriptionsparticipent à la définition d’un espace public. L’utilisation d’un tel concept peut sur-prendre tant il est familier surtout des époques moderne et contemporaine. De fait,l’expression “sphère publique” apparaît tardivement, au XVIIIe siècle p.C., maisselon J. Habermas, elle prend appui sur une réalité ancienne354. “Dans la cité grecqueparvenue à son apogée, la sphère de la polis (pÒliw), la chose commune (ko$n˙) àtous les citoyens libres, est strictement séparée de la sphère de l’oïkos (o‰kow) qui estpropre (fid$&) à chaque individu. La vie publique, b$ow politikÒw, se déroule sur laplace du marché, l’Agora, mais elle n’est pas en quelque sorte dépendante de ce lieu :la sphère publique se constitue au sein du dialogue (l°jiw), qui peut égalementrevêtir la forme d’une consultation ou d’un tribunal, tout comme au sein de l’actionmenée en commun (prçjiw), qu’il s’agisse alors de la conduite de la guerre ou dejeux guerriers”355. Cependant, pour J. Habermas, la sphère publique hellénique del’Antiquité se résume à un cadre dans lequel des égaux échangent entre eux tout encherchant à exceller.

288 LA COMMUNICATION ÉCRITE PUBLIQUE

350 Ibid., p. 24 établit un parallèle avec les hommes des IXe et Xe siècles ap. J.-C.351 THÉOPOMPE, FGrHist 115 F 154 : HARP., sv ÉAttiko›w grãmmasin : ... YeÒpompow d' §n t∞i ke't«n Filippik«n §skeuvr∞syai l°gei tåw prÚw tÚn bãrbaron sunyÆkaw, ìw oÈ to›w ÉAttiko›wgrãmmasin §sthliteËsyai, éllå to›w t«n ÉI≈nvn. On pense par exemple à la révision des lois (cha-pitre 3) ou pour l’époque médiévale aux faux de l’abbaye de Saint-Denis au Moyen-Âge(Chr. PÉBARTHE, Clisthène a-t-il été archonte en 525/4 ? Mémoire et histoire des Athéniens à l’époqueclassique, RBPh 83, 2005, p. 29-31).352 C’était l’hypothèse avancée par CHR. HABICHT, Falsche Urkunden zur Geschichte Athens im Zei-talter der Perserkriege, Hermes 89, 1961, p. 1-35. C.B. WELLES, Isocrates’ View of History, in L. WAL-LACH (éd.), The Classical Tradition, Literary and Historical Studies in Honor of Henry Kaplan, Ithaque(NY), 1966, p. 9-10 penchait pour une volonté de dramatiser les événements historiques au moyen detextes “officiels” que les orateurs considéraient comme vrais. Cela ne dit rien du processus qui mène àleur fabrication.353 IG I3, n° 10.354 J. HABERMAS, L’espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la sociétébourgeoise, Paris, 1978, p. 13-17.355 Ibid., p. 15.

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Cette définition apparaît restrictive et elle découle d’une méconnaissance des réa-lités antiques, notamment du recours aux écrits affichés. Tout d’abord, une inscrip-tion peut servir à délimiter l’espace physique de la délibération. L’Agora est parexemple un espace borné dont la fréquentation est soumise à condition, en particu-lier la citoyenneté. Mais surtout, par les informations qu’elles portent, les stèlesconstituent un élément moteur de l’émergence de ce qu’il convient d’appeler uneopinion publique, c’est-à-dire la possibilité de débattre d’un sujet à l’aide d’argu-ments reconnus comme valables par l’ensemble des participants356. L’un des person-nages d’Aristophane l’exprime sans détour lorsqu’il propose à son interlocuteur, etpar son intermédiaire à l’ensemble des spectateurs, le calcul suivant : “Et d’abord cal-cule simplement, non avec des cailloux, mais sur tes doigts, le tribut qui nous revientau total des cités alliées ; puis compte, en outre et à part les taxes et les nombreuxcentièmes, les consignations, mines, marchés, ports, rentes, confiscations. En tout,cela nous fait environ deux mille talents”357. Le personnage en déduit alors que lescitoyens ne profitent pas de ce revenu358. Le jugement importe peu ici. L’essentielconsiste dans l’origine de cette information. Comment Aristophane connaît-il ceschiffres ? La tonalité du passage indique que si débat il y a, il ne doit pas concernerle montant mais l’attribution de la somme. La connaissance de celle-ci procède-t-elled’écrits affichés ? Nous ne pouvons l’affirmer mais il n’en demeure pas moins que cetype d’informations placées es meson par la cité, afin que chacun puisse en prendreconnaissance, ne pouvait laisser indifférents les citoyens359. À Athènes, espace et opi-nion publics sont donc façonnés par l’écriture. Quant à la stèle, elle communiqueaussi bien par le contenu (d’où les efforts d’actualisation ou le souci d’exactitude)que par son existence même. Les gravures au IVe siècle de documents plus ancienss’intègrent dans une volonté de diffuser des messages de propagande aux Athénienset aux visiteurs, sans pour autant qu’il faille déduire une pratique courante de la lec-ture des inscriptions. Rien ne l’interdisait mais dans l’ensemble, les documents écritsdestinés à être lus étaient placés sur des supports plus pratiques tel que le papyrus oules tablettes.

LES ÉCRITS PUBLICS AFFICHÉS À ATHÈNES 289

356 Nous suivons ici l’analyse du concept d’opinion publique de M. OZOUF, Le concept d’opinionpublique, in M. OZOUF, L’homme régénéré. Essais sur la Révolution française, Paris, 1989, p. 21-53. Tellequelle, nous pensons qu’il est possible d’en tenir compte pour l’Antiquité même si nous partageons laméfiance de L. BLONDIAUX, La fabrique de l’opinion. Une histoire sociale des sondages, Paris, 1998, p. 31-32 avec n. 2. Cf. Chr. PÉBARTHE, La circulation de l’information dans la cité et l’adoption d’un décretà Athènes : le cas des décisions économiques et financières à l’époque de Périclès, in L. CAPDETREY etJ. NELIS-CLÉMENT (éd.), Pouvoir et information dans l’Antiquité, Bordeaux (à paraître).357 AR., Guêpes, 655-660 : ÉAkrÒasa$ nun, Œ papp$dion, xalãsaw Ùl$gon tÚ m°tvpon. /Ka‹pr«ton m¢n lÒgisai faÊlvw, mØ cÆfoiw, éll' épÚ xeirÒw, / tÚn fÒron ≤m›n épÚ t«n pÒlevnsullÆbdhn tÚn prosiÒnta:/ kêjv toÊtou tå t°lh xvr‹w ka‹ tåw pollåw •katostãw, / pru-tane›a, m°tall', égorãw, lim°naw, misy≈seiw, dhmiÒprata:/ toÊtvn plÆrvma tãlant' §ggÁwdisx$lia g$gnetai ≤m›n (trad. CUF).358 Il n’ y a pas lieu de douter de la véracité des informations contenues dans ce texte (cf. notre com-mentaire, PÉBARTHE, op. cit., 2000, p. 48-49).359 Cf. PÉBARTHE, Inscriptions et régime politique, p. 169-182 et ID., La circulation de l’informationdans la cité et l’adoption d’un décret à Athènes, in L. CAPDETREY et J. NELIS-CLÉMENT (éd.), op. cit.

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CHAPITRE VI

COMMUNICATION ÉCRITE, PRATIQUES DOCUMENTAIRES

ET FONCTIONNEMENT DES INSTITUTIONS

Si les sources directes ont disparu, il est néanmoins possible de décrire la commu-nication écrite publique sur support périssable. Quatre aspects seront développés.

Le premier concerne les correspondances officielles de la cité. Il s’agit de déterminerdans quelle mesure le fonctionnement de la démocratie athénienne suppose deséchanges de documents écrits, entre les magistrats et les institutions centrales d’unepart et entre cités dans le cadre des relations diplomatiques d’autre part. Le deuxièmethème concerne spécifiquement le Ve siècle et l’empire athénien. Les relations entrece dernier et l’utilisation de documents écrits n’ont pas toujours reçu l’attentionqu’elles méritaient1. Pourtant, plusieurs sources, notamment épigraphiques, souli-gnent l’importance de l’écriture dans le fonctionnement de l’empire athénien. Il estmême permis d’aller plus loin. La domination d’Athènes sur les cités alliées pouvait-elle exister sans l’utilisation massive de documents écrits ? Si la réponse est négative,la chronologie traditionnelle est mise à mal car il n’est plus possible de considérerque l’empire a accompagné la progression de l’utilisation de l’écrit. Au contraire, celasignifierait que cette dernière précédait la ligue de Délos. Dans un troisième temps,nous étudierons deux modes particuliers de communication écrite entre la cité et lescitoyens, l’ostracisme et les lamelles d’identification en bronze ou pinakia. Enfin,dans une quatrième partie, nous reviendrons sur la question de l’utilisation desdocuments dans le fonctionnement de la justice athénienne.

1. Les communications écrites officielles de la cité

A. AVEC SES MAGISTRATS2

Lors des expéditions à l’extérieur, au cours des guerres, les stratèges athénienscommuniquaient par écrit avec les autorités de la cité. Plusieurs exemples peuvent

1 R. THOMAS, Literacy and the City-State in Archaic and Classical Greece, in A.K. BOWMAN etGr. WOOLF (éd.), Literacy & Power in the Ancient World, Cambridge, 1994, p. 43 ; dans un ouvrage pré-cédent (ID., Literacy, p. 148), cette historienne avait nié la nécessité d’un recours à l’écrit pour assurerle fonctionnement de l’empire. Voir toutefois les remarques de HARRIS, Ancient Literacy, p. 75,K. ROBB, Literacy and Paideia in Ancient Greece, Oxford, 1994, p. 138 et D.T. STEINER, The Tyrant’sWrit. Myths and Images of Writing in Ancient Greece, Princeton, 1994, p. 240-241.2 Les sources ont été commodément rassemblées par W.K. PRITCHETT, The Greek State at War. Part II,Berkeley-Los-Angeles-Londres, 1974, p. 45-56. Voir aussi les remarques de S. LEWIS, News and Societyin the Greek Polis, Londres, 1996, p. 142-152 et C. COULET, Communiquer en Grèce ancienne. Écrits,discours, information, voyages…, Paris, 1996, p. 165-175.

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être invoqués afin de saisir le contenu, la fonction et donc l’importance de cette cor-respondance.

Dans une lettre envoyée au Conseil et au peuple, Cléon les informe de la capturede Pylos en 4253. Nous n’en savons pas plus sur le contenu mais il importe pour leprincipe que ce fait soit cité simplement pour affirmer que le stratège athénien futle premier à recourir à la formule chairein dans une correspondance. Aucun com-mentaire n’est fait sur l’échange de courriers entre un magistrat et la cité, signe de labanalité de l’acte4. Le contenu n’est pas indiqué mais il est possible de déduire ducontexte que Cléon notifiait simplement la nouvelle, tout comme Charès informa lacité de la chute de Kersobleptès et de la prise du Mont sacré par Philippe de Macé-doine dont il donnait la date5.

Autre exemple, Nicias a semble-t-il beaucoup écrit pendant l’expédition de Sicile6.Thucydide ne cite le contenu que d’une seule missive7. Par ce biais, Nicias indiqueà la cité les difficultés qu’il rencontre et lui demande quelle action il doit engager,c’est-à-dire ordonner le retrait des troupes ou envoyer des renforts et de l’argent. Ilne s’agit pas d’un simple rapport donnant des informations à la cité. Il est intéres-sant de remarquer que le stratège athénien opte volontairement pour le message écritcar il craint une déformation s’il recourait à un messager, même si ce dernier pou-vait être interrogé et apporter des compléments d’information. Le document forma-lise la demande de Nicias. Le cas échéant, il lui permettait de rappeler qu’il avaitattiré l’attention de la cité sur les risques encourus. Cela n’exclut pas que l’Assembléeait envie d’avoir des renseignements supplémentaires8. C’est un gain de temps depermettre au messager de répondre directement plutôt que de répondre par écritpour demander des renseignements complémentaires.

Le cas des Arginuses révèle une situation plus complexe9. Selon Xénophon, l’undes accusateurs des stratèges, Théramène, produisit une lettre que les magistratsavaient envoyée à Athènes dans laquelle ils rendaient responsable la tempête ; lesmauvaises conditions climatiques les auraient empêchés de porter secours aux nau-fragés athéniens. En analysant un passage de Diodore se rapportant à la mêmeaffaire, A. Andrewes a pu montrer que le témoignage de Xénophon était incom-plet10. Cette première lettre envoyée était un rapport ordinaire qui devait être rédigéet transmis à Athènes après la bataille ; elle informait la cité de la victoire mais indi-

292 LA COMMUNICATION ÉCRITE PUBLIQUE

3 EUPOLIS frag. 331 K-A, LUCIEN, Pro Lapsu, 3 et scholie à AR., Pl., 322.4 LEWIS, op. cit., p. 150.5 ESCHN., Amb., 2.90.6 THC 7.11.1, §n êllaiw polla›w §pistola›w. Toutefois, l’epistolè ne renvoie pas toujours à une cor-respondance écrite, il faut donc tenir compte du contexte.7 THC 7.10-15 avec les commentaires de J.-M. BERTRAND, Formes de discours politiques : Décrets descités grecques et correspondance des rois hellénistiques, Cahiers du Centre Glotz 1, 1990, p. 110, PRIT-CHETT, op. cit., p. 46 et LEWIS, op. cit., p. 151.8 Dans une autre situation, postérieure, Démosthène rapporte qu’il avait cherché à envoyer une lettreà la cité pour l’informer des actions, condamnables selon lui, que l’ambassade à laquelle il participaitaccomplissait (DÉM., Amb., 19.174). Mais ses collègues ont refusé que ce courrier accompagnât leurrapport écrit.9 XÉN., Hell., 1.7.1-7 et 17 avec les analyses de LEWIS, op. cit., p. 151-152.10 D.S. 13.100-103 et le commentaire d’A. ANDREWES, The Arginusai Trial, Phoenix 28, 1974, p. 112-122.

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quait que rien n’avait pu être fait pour les naufragés. Ce document collégial résultaitd’un accord entre les différents stratèges qui avaient finalement opté pour une ver-sion qui innocentait Théramène et Thrasybule, en réalité chargés du sauvetage avecquarante-sept trières11. Suite aux accusations, ils firent parvenir un deuxième rapportdans lequel ils donnaient une nouvelle version. Outre que cela montre l’importancedes documents écrits dans les procédures judiciaires, il illustre à quel point les stra-tèges devaient recourir à la rédaction de rapports, textes conservés qui pouvaientensuite servir de preuves devant un tribunal, notamment au moment de la remisedes comptes. Il n’ y a donc pas lieu d’y voir une pratique peu courante12. Une autreraison motivait l’envoi d’un message écrit, informer la cité qu’un individu, citoyenou non, se comportait comme un bienfaiteur. Ce document servait alors dans ledébat éventuel concernant l’inscription de cet homme comme évergète13.

À l’intérieur même de la cité, les magistrats communiquaient par écrit avec les ins-titutions centrales, notamment le Conseil. Le cas des polètes a déjà été examiné dansun chapitre précédent mais il convient ici de rappeler que le témoignage de la Consti-tution des Athéniens ne permet pas le doute : “Quant aux fermes des impôts qui sontvendues pour une année, ils inscrivent sur des tablettes blanchies le nom de l’ache-teur avec le montant du prix et les remettent au Conseil”14. Quelques lignes plusloin, le texte évoque un nouvel échange d’informations écrites, à propos des docu-ments attestant les versements à faire au cours de chaque prytanie : Efisf°retai m¢noÔn efiw tØn boulØn tå grammate›a katå tåw katabolåw énagegramm°na,thre› d' ı dhmÒsiow “On porte donc au Conseil les bordereaux dressés suivant leséchéances ; ils sont sous la garde de l’esclave public”15. Les grammateia en questionont été réalisés par les polètes et sont indispensables au bon fonctionnement desfinances publiques. D’autres magistrats devaient correspondre également avec laBoulè, les démarques. La constitution du katalogos imposait de recourir au registre

COMMUNICATION ÉCRITE, PRATIQUES DOCUMENTAIRES 293

11 Ce document est évoqué par XÉN., Hell., 1.7.17.12 Plusieurs passages des orateurs du IVe siècle évoquent des échanges de correspondance entre un stra-tège et la cité, sans toutefois donner les textes de ces correspondances (DÉM., Arist., 23.151 et 183,Lettres, 6.1 ; ISOCR., Areop., 7.81 ; ESCHN., Amb., 2.90). De plus, quatre inscriptions évoquent des cor-respondances écrites entre des stratèges et la cité (OSBORNE & RHODES, n° 38 ; IG II2, n° 187, 213 et408). Enfin, plusieurs extraits de sources laissent entrevoir l’envoi de messages par des stratèges ou parla cité, sans qu’il soit possible à chaque fois d’être certain du média retenu (PRITCHETT, op. cit., p. 47-55). Les passages suivants peuvent être cités : THC 2.70.4, les Athéniens reprochent aux stratèges de nepas les avoir informés du sort de Potidée ; THC 3.28.1, le stratège Pachès n’a pas le pouvoir de conclurela paix avec les Mytiléniens, l’assemblée est seule à même de prendre une décision ce qui suppose qu’ellesoit informée ; THC 4.46 les Corcyréens oligarques fugitifs acceptent de capituler à la condition queleur sort soit décidé par le peuple et non par les stratèges auxquels ils acceptent de se rendre ; THC

7.48.2, Nicias évoque les ordres qu’il doit recevoir de la cité ; XÉN., Hell., 4.8.25-30 et LYS., Erg., l’ex-pédition de Thrasybule demeure en permanence sous le contrôle de la cité. Cela laisse donc devinerune forme de communication écrite (PRITCHETT, op. cit., p. 50-52) ; XÉN., Hell., 5.4.66, Corcyre376/5, Timothée ne cesse de demander de l’argent à la cité pour pouvoir poursuivre la guerre contreles Spartiates ; D.S. 16.57.2-3, Iphicrate en 347/6 capture des trières sacrées contenant des statues enmétaux précieux, il demande à la cité ce qu’il doit faire ; XÉN., Hell., 6.4.1-2, les Athéniens envoientdes ordres à Iphicrate après avoir conclu une alliance avec Sparte.13 Cf. chap. 5.14 PS- ARSTT, Ath. pol., 47.2 (trad. CUF), cf. chap. 4.15 PS- ARSTT, Ath. pol., 47.5 (trad. CUF).

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de dème16. Un dernier exemple de correspondance écrite entre une magistrature etle Conseil apparaît dans la Constitution des Athéniens, lorsqu’il est question des cava-liers17 :

ToÁw d' flpp°aw katal°gousi m¢n ofl kataloge›w, oÓw ín ı d∞mow xeirotonÆs˙d°ka êndraw: oÓw d' ín katal°jvsi paradidÒasi to›w flppãrxoiw ka‹fulãrxoiw, otoi d¢ paralabÒntew efisf°rousi tÚn katãlogon efiw tØnboulÆn, ka‹ tÚn p$nak' éno$jantew, §n ⁄ kataseshmasm°na tå ÙnÒmatat«n flpp°vn §st$, toÁw m¢n §jomnum°nouw t«n prÒteron §ggegramm°nvn mØdunatoÁw e‰nai to›w s≈masin flppeÊein §jale$fousin, toÁw d¢kateilegm°nouw kaloËsi, kín m°n tiw §jomÒshtai mØ dÊnasyai t« s≈matiflppeÊein µ tª oÈs$&, toËton éfiçsin, tÚn d¢ mØ §jomnÊmenon diaxeiroto-noËsin ofl bouleuta‹ pÒteron §pitÆdeiÒw §sti flppeÊein µ oÈ kín m¢n xeiro-tonÆsvsin, §ggrãfousin efiw tÚn p$naka, efi d¢ mÆ, ka‹ toËton éfiçsin.

“Les officiers recenseurs, que le peuple aura élus à main levée au nombre de dix,dressent la liste des cavaliers et la remettent aux hipparques et aux phylarques.L’ayant reçue, ces derniers la transmettent au Conseil. Les membres du Conseilouvrent le registre dans lequel les noms des cavaliers sont scellés. Ils effacent de laliste les noms de ceux qui, parmi les cavaliers inscrits auparavant, allèguent sousserment leur incapacité physique à servir. Ils appellent les nouveaux inscrits. Si l’und’entre eux allègue sous serment son incapacité physique ou financière à servir, ilsle renvoient. Les membres du Conseil votent ensuite à main levée pour décider quiparmi les autres doit être cavalier. Ceux qui sont élus sont inscrits dans le registre,les autres sont renvoyés”.

La procédure est relativement complexe. La première opération consiste en unrecensement écrit des personnes aptes à être cavaliers par une magistrature ad hoc, oflkataloge›w. Un registre est alors réalisé et il est transmis à deux autres corps demagistrats, les hipparques et les phylarques18. Ces derniers présentent alors la listeaux bouleutes. La deuxième opération est du ressort du Conseil. Ses membres doi-vent d’abord corriger la liste remise et effacer les noms de ceux qui n’ont plus à êtrerecrutés comme cavalier en raison de leur état physique. Puis, à l’aide du documentexpurgé, ils réalisent un nouveau registre dans lequel ils inscrivent les noms de ceuxqui sont retenus définitivement comme cavaliers19. Les autres sont renvoyés ; leursnoms n’apparaissaient donc que dans le premier document.

Pour les périodes plus hautes, les sources donnent moins de renseignements20. Leséchanges de documents écrits entre des magistrats et les institutions centrales du

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16 Cf. chapitre 4.17 PS- ARSTT, Ath. pol., 49.2 avec le commentaire de RHODES, Commentary, p. 566-568.18 Nous avons opté pour “registre” au lieu de “tablette” pour traduire p$naj car la taille de ce documentinvite à supposer un support adéquat. Un parallèle peut être établi avec les lexiarchika grammateia.19 L’idée d’un nouveau registre est contesté par RHODES, Commentary, p. 566-567. Elle nous paraîtcependant tenir compte du contenu du texte lui-même.20 L’évocation des phylarques au moment de la restauration de la démocratie dans une procédure d’éta-blissement de la liste des cavaliers permet de penser que la procédure décrite par la Constitution desAthéniens peut aussi correspondre à une période plus ancienne (LYS., Mant., 16.6). Cf. chap. 4.

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moment prennent une importance capitale au moment des tentatives de change-ment de régime. À chaque fois en effet, en 411, en 404 et en 317, il faut établir unenouvelle liste de citoyens. Dans la défense de Polystratos, l’un des Quatre Cents,celui-ci précise le rôle de son père : “Vous aviez décrété que le gouvernement seraitconfié à cinq mille citoyens : chargé de dresser la liste, il y porta neuf mille noms ; ilvoulait ne se mettre mal avec aucun autre membre de son dème et inscrire qui ledésirait”21. En dépit de la formulation retenue, il n’y a pas lieu de douter que la res-ponsabilité était partagée et qu’une magistrature ad hoc avait été créée. La désigna-tion des membres de cette dernière devait respecter d’une manière ou d’une autre lescirconscriptions territoriales. Cela permet de comprendre pourquoi le père de Poly-stratos s’empressa surtout d’inscrire ceux de son dème.

Au cours de la brève domination des Trente, plusieurs passages décrivent des pro-cédures qui impliquaient un échange de documents écrits. Tout d’abord, noussavons par la Constitution des Athéniens qu’une liste des citoyens fut réalisée en tenantcompte des nouveaux critères22. Un extrait du discours de Critias au moment duprocès de Théramène apporte un éclairage sur le problème des modifications ducontenu de la liste : “Il est stipulé dans les lois nouvelles que personne parmi les TroisMille ne peut être mis à mort sans un vote de vous, tandis que ceux qui ne sont passur cette liste, les Trente ont plein pouvoir pour les faire exécuter. Eh bien, moi —ce furent ses paroles — j’efface de la liste Théramène que voici”23. Dans le même

temps, les Trente firent réaliser une liste de proscription24. Nous ignorons les moda-lités pratiques qui permirent de constituer de tels documents écrits, mais en raisonde la fonction des dèmes dans la démocratie il n’est pas absurde de penser qu’un sys-tème analogue a été mis en place, reposant donc sur un échange écrit entre des cir-conscriptions régionales, qui étaient confiées chacune à un homme de confiance, etle centre, en l’occurrence les Trente, comme pour la liste des cavaliers25.

B. AVEC DES ÉTATS ÉTRANGERS26

Les sources directes de correspondance entre Athènes et les autres cités ont toutesdisparu mais certains passages des sources littéraires les mentionnent. Une autretrace apparaît dans des inscriptions lorsque ces dernières rendent compte à Athènesd’une décision prise dans une autre cité ou bien lorsqu’un décret athénien est gravédans une autre cité27.

COMMUNICATION ÉCRITE, PRATIQUES DOCUMENTAIRES 295

21 LYS., Pol., 20.13 (trad. CUF) : Ím«n chfisam°nvn pentakisxil$oiw paradoËnai tå prãgmatakatalogeÁw Ãn §nakisxil$ouw kat°lejen, ·na mhde‹w aÈt“ diãforow e‡h t«n dhmot«n, éll'·na tÚn m¢n boulÒmenow grãfoi.22 PS- ARSTT, Ath. pol., 36.2 avec RHODES, Commentary, p. 449.23 XÉN., Hell., 2.3.51 (trad. CUF) : ÖEsti d¢ §n to›w kaino›w nÒmoiw t«n m¢n §n to›w trisxil$oiwˆntvn mhd°na époynπskein êneu t∞w Ímet°raw cÆfou, t«n d' ¶jv toË katalÒgou kur$ouwe‰nai toÁw triãkonta yanatoËn. ÉEg∆ oÔn, ¶fh, Yhram°nhn touton‹ §jale$fv §k toËkatalÒgou.24 Voir LYS., Pour un citoyen…, 25.16, ISOCR., C. Call., 18.16 et Euth., 21.2.25 Voir LYS., Ev., 26.10 et Mant. 16.6.26 Les documents relatifs à l’empire athénien sont traités infra.27 Pour l’époque hellénistique, cf. par exemple IG II2, n° 1126-1137 et B.D. MERITT, Greek Inscrip-tions, Hesperia 30, 1961, p. 222-223 n° 19 (IIe siècle) qui publie des fragments d’une inscription en

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À plusieurs reprises, Démosthène et Eschine évoquent des correspondances diplo-matiques, notamment des lettres de Philippe28. Dans un cas, le souverain macédo-nien informe le peuple athénien de ses actions et tente de prévenir une riposte29.Dans un autre, il indique qu’il prend une décision favorable aux Athéniens, en l’oc-currence libérer leurs navires30. Une troisième lettre de Philippe apparaît comme uneréponse à une lettre officielle athénienne, trace de correspondance écrite soutenue31.Les procès opposant Eschine à Démosthène sont aussi l’occasion de débattre ducontenu et de l’esprit de certaines lettres, l’un accusant l’autre de l’avoir écrite et faitenvoyer par le souverain mécédonien32. On voit par là que ces échanges épistolairesn’ont rien de formel et qu’ils constituent au contraire un aspect essentiel des procé-dures diplomatiques en cours33. Un décret honorant Denys de Syracuse et sesenfants (368) en fournit une bonne illustration34. Des envoyés du tyran ont portéun message écrit et ce dernier constitue l’essentiel du débat à venir sur la recons-truction du temple de Delphes détruit par un tremblement de terre et sur la paix. Lasuite du décret montre que les envoyés sont reçus et sans doute interrogés. Leur mis-sion principale consistait néanmoins dans le port de la lettre35. La discussion quis’ouvrait prenait appui sur cette dernière36.

Les sources sont moins nombreuses pour le Ve siècle mais elles n’en révèlent pasmoins l’importance des échanges épistoliers. À l’occasion d’une opération sur leStrymon, en 425/4, les Athéniens interceptent Artaphernès qui portait une lettre enaraméen ( ?) aux Lacédémoniens. “[Artaphernès] fut conduit à Athènes, où, aprèsavoir traduit sa lettre de l’assyrien, on en prit connaissance”37. Thucydide n’en ditpas plus mais il est probable que les Athéniens disposaient de traducteurs disponiblesà tout moment pour pouvoir prendre connaissance d’une correspondance avec unÉtat non grec. En toute logique, certains dèmosioi barbares devaient avoir une tellecharge.

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dorien. Les décrets athéniens prévoyant explicitement une copie dans une autre cité ne sont pas cou-rants (IG I3, n° 75-76 ; IG II2, n° 40, 44, 102, 687, TOD, n° 72).28 Il y a lieu de douter de la véracité de ces documents, au moins de certains d’entre eux. Ils n’en demeu-rent pas moins intéressants dans notre perspective.29 DÉM., Cour., 18.39.30 DÉM., Cour., 18.77.31 DÉM., Cour., 18.166.32 DÉM., Amb., 19.38 et ESCHN., Amb., 2.124-125.33 Pour d’autres exemples, voir DÉM., Amb., 19.40, 51, 161 et 187 ; 2.7 ; 4.37 ; 7.1, 33 ; 8 ; 11 ; 12.22 ;Cour., 18.221 ; ESCHN., Amb., 2.45, 50, 128.34 OSBORNE & RHODES, n° 33, l. 6-17.35 Dans le cas de la correspondance privée, une évocation des relations qui existaient entre le texte écritet le messager figure dans l’Iphigénie en Tauride d’Euripide (EUR., I.T., 759-765 avec chapitre 2).36 Le décret de Carthéa pour Aristarcos, fils de Thérôn (A. BRESSON, Rhodes et Kéos, in L.G. MEN-DONI et A.I. MAZARIKIS (éd.), Kea-Kythnos : History and Archeology. Proceedings of an International Sym-posium, Kea-Kythnos, 22-25 June 1994, Athènes, p. 644 n° 3), décrit avec précision les habitudes enmatière de communication diplomatique. Il n’y a pas lieu de douter qu’il en allait autrement dans letexte cité supra.37 THC 4.50.2 (trad. CUF) : Ka‹ aÈtoË komisy°ntow ofl ÉAyhna›oi tåw m¢n §pistolåw meta-gracãmenoi §k t«n ÉAssur$vn grammãtvn én°gnvsan. Les commentateurs ont dans l’ensembleconsidéré que l’assyrien désignait de l’araméen (en dernier lieu S. HORNBLOWER, A Commentary onThucydides. Volume II : Books IV-V.24, Oxford, 1996, p. 207).

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Une autre source indirecte d’échanges écrits entre Athènes et des cités est consti-tuée par un traité conclu entre Athènes, Élis, Argos et Mantinée en 421 : “Lesconventions relatives au traité, aux serments et à l’alliance seront gravées sur unestèle de marbre placée, pour Athènes sur l’Acropole, pour Argos, dans le sanctuaired’Apollon à l’Agora, pour Mantinée, dans le sanctuaire de Zeus à l’Agora. Une stèlede bronze sera également installée en commun à Olympie, aux jeux olympiques decette année. S’il paraît souhaitable aux cités mentionnées d’ajouter quelque choseaux conventions, les décisions prises dans une délibération commune par elles toutesauront valeur exécutoire”38. Le sanctuaire a ici une double valeur. D’abord, il estsitué sur le territoire des Éléens, ce qui les dispense d’ériger une stèle. Ensuite, letexte est le même pour tous, alors que Thucydide précise qu’il était possible à chaquecité d’ajouter des éléments. Enfin, la stèle est érigée à un moment précis, les jeux, cequi donne à cette entente un caractère religieux particulier. Derrière cette clause depublications multiples, on devine un échange de documents écrits sur support péris-sable permettant à chacune des cités de posséder une version de référence39.

Le problème essentiel posé par ces échanges de documents consistait en l’assu-rance que le contenu n’avait pas été modifié. Le sceau est en grande partie à l’originedu respect attaché au document40. Il est évoqué dans des documents à partir du IVe

siècle et certains en ont déduit que jusque là les Athéniens ne disposaient pas d’unedemosia sphragis41. D. M. Lewis n’a pas eu de mal à montrer les insuffisances de cettehypothèse42. Un sceau public est mentionné dans un inventaire de l’Hécatompédonde 39743. Enfin, D. Olson a utilisé un passage d’Aristophane pour prouver que lacité en possédait dans les années 42044. Dans la seconde moitié du IVe siècle, il estsous la garde de l’épistate, au même titre que les clefs des archives publiques45.

Les aspects concrets de l’utilisation d’un sceau sont mal connus car les inscriptionsne donnent pas de détails précis. Plusieurs cas de figure sont possibles. Le sceau peutêtre apposé sur un élément adhésif qui est ensuite attaché au document. Il peut êtreutilisé pour sceller une tablette afin que celle-ci ne soit pas ouverte sans trace maté-rielle. Ces deux techniques ne sont pas exclusives l’une de l’autre46. Dans l’ensemble,

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38 THC 5.47.11-12 (trad. CUF) : Tåw d¢ junyÆkaw tåw per‹ t«n spond«n ka› t«n ˜rkvn ka‹ t∞wjummax$aw énagrãcai §n stÆl˙ liy$n˙ ÉAyhna$ouw m¢n §n pÒlei, ÉArge$ouw d¢ §n égorò §n toËÉApÒllvnow t“ fler“, Mantin°aw d¢ §n toË DiÚw t“ fler“ §n tª égorò: katay°ntvn d¢ ka‹ÉOlump$asi stÆlhn xalk∞n koinª ÉOlump$oiw to›w nun$. ÉEãn d° ti dokª êmeinon e‰nai ta›wpÒlesi taÊtaiw prosye›nai prÚw to›w jugkeim°noiw, ˜ ti [d'] ín dÒj˙ ta›w pÒlesin èpãsaiwkoinª bouleuom°naiw, toËto kÊrion e‰nai.39 Les questions de dialectes ne posaient pas de réels problèmes dans ces affaires (G.V. LALONDE, ThePublication and Transmission of Greek Diplomatic Documents, Ann Arbor, 1971, p. 188-214).40 D.S. 17.117.3 ; XÉN., Hell., 5.1.30, 7.1.39.41 Les premiers documents à l’évoquer sont IG II2, n° 1408 et IG II2, n° 204. Cette thèse a été défenduepar W.P. WALLACE, The Public Seal of Athens, Phœnix 3, 1949, p. 70-73.42 D.M. LEWIS, The Public Seal of Athens, Phœnix 9, 1955, p. 32-34.43 IG II2, l. 1408.12-13 avec le commentaire de Ibid., p. 33. Dans une note qui suit cet article,W.P. Wallace admet cette démonstration.44 AR., Cav., 947-959 avec le commentaire de S.D. OLSON, Aristophanes, Equites 947-59 and the Athe-nian Public Seal, ZPE 113, 1996, p. 253-254.45 PS- ARSTT, Ath. pol., 44.1 (cité chapitre 3) et RHODES, Commentary, p. 532. Dans la plupart des cités,le magistrat qui en a la garde occupe un rang important (LALONDE, op. cit., p. 88 et 236 n. 22).46 HDT 2.38 et AR., Lys., 1195-1198. Cet aspect est repris infra.

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les historiens distinguent le sceau intérieur du sceau extérieur47. Ces derniersn’étaient pas utilisés indifféremment. Le premier devait être utilisé pour les docu-ments qui étaient destinés à être consultés48. Mais dans le cas des correspondancesdiplomatiques, il importait avant tout de garantir leur provenance et de montrer unecopie scellée. On privilégiait donc le sceau extérieur. L’autre danger, lorsqu’il s’agitd’une correspondance publique, est qu’elle échappe à la polis et qu’un particulierdevienne possesseur d’une information capitale pour le dèmos. C’est ce que dénonceEschine49. La lettre peut mettre en danger la démocratie, ne serait-ce que par uneutilisation frauduleuse, signe une fois encore de son importance50. S’ajoutent à celales risques d’interception à des fins militaires51.

Pour tenter de pallier à ces risques, on recourait à divers moyens comme la cryp-tographie certes rudimentaire52. Bien évidemment, le scellement de documentsn’empêche pas les fraudes, ni les faux53. G. V. Lalonde conclut à une fraude facile54.Mais l’existence de fraudeurs n’est en rien le signe d’une facilité, comme l’époquecontemporaine le montre si souvent. Elle atteste seulement la valeur des documentsécrits au cours de l’époque classique.

Un problème connexe consistait en l’identification des ambassadeurs. Recourait-on pour ce faire à des documents écrits ? Les Grecs utilisent le mot symbolon55. Plu-sieurs réalités se cachent derrière ce mot. La mieux connue concerne le sÊmbolontetmÆmenon qui consiste en une pièce de terre-cuite cassée en deux qu’il faut ensuiterejoindre comme signe d’identification56. Mais le terme s’applique à tous les moyensd’identification et non seulement à celui-ci57. Le symbolon remplit deux fonctions,une fonction de passeport et une fonction de visa. Un exemple de passeport valableentre deux États figure dans le décret pour Straton de Sidon (c. 378-c. 376 ?)58 :

Poihsãsyv d¢ ka‹ sÊmbola ≤ bolØ prÚw tÚn basil°a tÚn Sidvn$vn, ˜pvwín ı d∞mow ı ÉAyhna$vn efid∞i §ãn ti p°mphi ı Sidvn$vn basileÁw deÒmenow

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47 R.J. BONNER, The Use and Effect of Attic Seals, CPh 3, 1908, p. 399-407 avec les précisions deLALONDE, op. cit., p. 85-87.48 Par exemple, DÉM., Cour., 18.250. Ses comptes portent l’empreinte du sceau, ce qui signifie qu’ilsont été approuvés.49 ESCHN., Ctes., 3.249-250.50 Voir DÉM., Cour., 18.225-226 et Amb., 19.39-40.51 Outre l’exemple de THC 4.50.1-2 cité supra, voir DÉM., Let. Phil., 12.2 et XÉN., Hell., 1.1.23.52 D’autres moyens sont connus comme l’écriture d’un message sur le crâne rasé d’un esclave (HDT

5.35) ou la scytale des Spartiates.53 Par exemple, AR., Thesm., 425 et THC 1.132. PLAT., Lois, 12.941a prévoit la punition d’ambassa-deurs qui useraient de faux documents. PLUT., Nic., 14.5-7 donne un exemple différent. Au cours del’expédition de Sicile, les Athéniens s’emparent d’un navire syracusain qui transportait la liste des indi-vidus mobilisables.54 LALONDE, op. cit., p. 90-91.55 GAUTHIER, Symbola, p. 76-85.56 Pour un exemple archéologique athénien, H.A. THOMPSON, Excavations in the Athenian Agora :1950, Hesperia 20, 1951, p. 51-52.57 Par exemple LYS., Arist., 19.25 mentionne une phiale donnée par le Grand Roi qui lui permet d’êtrereconnue.58 OSBORNE & RHODES, n° 21, l. 18-25.

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t∞w pÒlevw ka‹ ı basileÁw ı Sidvn$vn efid∞i ˜tan p°mphi tinå …w aÈtÚn ıd∞mow ı ÉAyhna$vn ktl.

“Que le Conseil fasse aussi des symbola pour le roi de Sidon afin que le peuple desAthéniens — si, ayant besoin de la cité, le roi de Sidon envoie quelqu’un — puissel’identifier et que le roi de Sidon, lorsque les Athéniens envoient quelqu’un auprèsde lui, puisse également l’identifier”.

Comment reconnaître l’ambassadeur d’une cité ou d’un royaume avec lequelAthènes a conclu un traité d’amitié ? On imagine aisément les conséquences d’éven-tuelles négligences dans ce domaine. La diplomatie n’autorisait pas ce genre d’incer-titudes. La procédure est bien décrite dans le texte, même si la nature matérielle deces documents est inconnue. De même, nous ne savons pas si une inscription figu-rait sur ces objets. Il est question de symbola faits par le Conseil athénien que lesambassadeurs en provenance de Sidon doivent présenter. Pour Ph. Gauthier, la pro-cédure est simple, “Le fragment de la tablette apporté par l’envoyé de Sidon seraconfronté avec le fragment complémentaire, conservé probablement dans lesarchives du Conseil”59. Il s’agirait donc d’un sÊmbolon tetmÆmenon. Cependant,rien dans le texte ne permet de proposer une description si précise des modalités dereconnaissance des envoyés. Bien plus, celle-ci ne rend pas compte de l’aspect pra-tique. Il est précisé que le Conseil doit faire des symbola. Comment alors retrouver lebon ? Il est toujours possible d’envisager un seul exemplaire de jetons d’identificationque l’ambassadeur rendait à son retour60. Le pluriel n’est donc pas un argumentdécisif.

La question de l’identification se posait pourtant dès l’entrée dans la cité, à l’ar-rivée au port le plus souvent. Les étrangers devaient recevoir l’autorisation d’entrersur le territoire et pour cela les magistrats qui gardaient l’entrée devaient apposer leursceau. Aristophane décrit la procédure61. Lorsqu’Iris s’introduit dans les murs deCoucou-les-Nuées, Pisthétairos l’arrête et lui demande d’abord si elle a le sceau(sphragis) des cigognes, vraisemblablement les gardiennes du murs. Puis, il fait réfé-rence à un deuxième magistrat qui aurait pu ou dû apposer un symbolon, qu’il esttentant de traduire par sceau même si cela amène à traduire deux mots différents parun seul mot français. Toutefois, la réalité matérielle de la sphragis et du symbolon dif-férait. Il n’en demeure pas moins que la possession de cette marque conditionnait lalibre circulation. Sinon, le contrevenant risquait la mort62. On ne peut pas consi-dérer que le problème de l’identification était différé jusqu’à un examen du Conseil.

Dans le cas du décret en l’honneur de Straton, la reconnaissance était immédiate,à la simple vision du symbolon. Il faut donc imaginer autre chose, sans doute la pré-sence du sceau de la cité. L’envoyé du roi de Sidon emporterait donc avec lui ces sym-bola porteurs de signes athéniens. Sa chancellerie est semble-t-il bien moins impor-tante que celle des rois hellénistiques, si ce n’est inexistante. Qu’en est-il alors avec

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59 GAUTHIER, Symbola, p. 82. L’hypothèse est reprise par OSBORNE & RHODES, p. 91.60 Ibid., p. 82 : “Il n’est pas nécessaire en l’occurrence d’imaginer plusieurs exemplaires. Un seul suffit,puisqu’il est destiné aux ambassades et peut donc être réutilisé”.61 AR., Ois., 1210-1215.62 AR., Ois., 1222-1223.

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les autres cités grecques ? La procédure normale consiste à porter des grãmmata afind’être identifié ambassadeur de telle cité63. Dans des cas particuliers, ici celui del’amitié avec le roi de Sidon, il fallait bien trouver une procédure qui mette les Athé-niens à l’abri d’usurpations. Remettre des symbola au roi est apparu comme lameilleure solution. Il est possible que les deux mots reflètent, outre des utilisationsdifférentes, des matériaux particuliers : papyrus pour les grammata et céramique oubronze pour les symbola.

Quoi qu’il en soit, la vie diplomatique recourait fréquemment aux documentsécrits sur support périssable et nos sources laissent deviner une chancellerie athé-nienne organisée. À ce titre, elle ne se distingue guère des autres cités grecques64. Enrevanche, une spécificité apparaît lorsqu’Athènes se trouve en situation de domina-tion, à la tête d’un empire au Ve siècle. Il y a alors lieu d’étudier le fonctionnementde la diplomatie dans ce contexte particulier et, auparavant, le rôle que l’écrit pou-vait jouer dans le maintien de la domination.

2. Communication écrite et empire athénien65

A. ÉCRITURE ET TRIBUT

Le décret de Cleinias, dont la datation est incertaine, décrit avec précision la per-ception du tribut dont la procédure recourt à chaque étape à l’écriture66 :

Yeo$:| ¶doxsen t™i bol[™i ka‹ t?i] d°|moi, Ofine‹w §pru`[tãneue, Sp]ou|d$aw§grammãte[ue, . . . 6 . . . ]on §pestãte, Klen$[aw e‰pe: t¢]m b|ol¢n ka‹ tÚwêrx[ontaw §n] t™s|i pÒlesi ka‹ tÚw [§piskÒ]pow §|pim°lesyai hÒp[ow ínxs]ull°|getai ho fÒrow k[atå tÚ ¶]tow h°kaston ka‹ épã[getai] ÉAy°naze:xsÊmbola d¢ p[oi°sa]syai p|rÚw tåw pÒlew hÒ[pow í]m m¢ §xs|™i édik™n to›wé[pãgo]si tÚm f|Òron: grãfsasa d[¢ he] pÒliw §w | grammate›on tÚ[m fÒ]ronhÒntin' ín épop°mpei seme|nam°ne t?i sumb[Òlo]i épopemp°to ÉAy°naze:tÚw d¢ épãgontaw épod[?nai] tÚ grammate›on §n t™i bol™i é|nagn?naihÒtam[pe]r` tÚm fÒron épodid?si: hoi d¢ pr|utãnew metå Dio[nÊ]sia§kkles$an poiesãnton to›|w hellenotam$a[si é]pode›xsai ÉAyena$oiw t?mpÒl|eon tåw épodÒsa[w tÚm fÒron §]ntel™ ka‹ tåw §llipÒ|saw xor‹w hÒsai[ên tinew äosin: ÉAy]ena$ow d¢ helom°|now êndraw t°tt[araw épop°mpen §p‹]tåw pÒlew ént|igrafsom°now t[Úm fÒron tÚn épodoy°nta ka]‹épai|t°sontaw tÚm m¢` [épodoy°nta parå t?n §llipos]?n, t|Ú m¢n dÊo pl™n

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63 Le traité d’isopolitie entre Xanthos et Myra (c. 150) mentionne que “tous ceux des Xanthiens quivoudront se faire inscrire à Myra dans le corps civique apporteront une lettre (grammata) émanant desmagistrats de Xanthos et destinée aux magistrats de Myra” (trad J. BOUSQUET et Ph. GAUTHIER, Ins-criptions du Létôon de Xanthos, REG 107, 1994, p. 322). Ce document permettait l’identification duXanthien comme citoyen de plein droit (Ibid., p. 333-334).64 LALONDE, op. cit., sur l’ensemble de ces questions.65 Nous avons exposé une partie des idées défendues ici dans Chr. PÉBARTHE, Fiscalité, empire athénienet écriture : retour sur les causes de la guerre du Péloponnèse, ZPE 129, 2000, en particulier p. 58-64.66 IG I3, n° 34. Nous reprenons notre traduction (Ibid., p. 58-59).

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§p`[‹ tåw §p‹ N°son ka‹ §p' ÉIon$aw §p‹] t|ri°row taxe$aw [tÚ d¢ dÊo §p‹ tåw§f' ÑEllespÒnto ka]‹ §p‹ Yrãikew: §[sãgen d¢ taËta tÚw prutãnew §w t¢m] |bol¢n ka‹ §w tÚ[n d™mon eÈyÁw metå Dionus$a ka‹ bo]|leÊesyai per‹ t[oÊtonxsunex?w h°ow ín diapraxy]|™i: §ån d° tiw ÉAy[ena›ow ® xsÊmmaxow édik™iper‹ tÚ]|n fÒron hÚn de› [tåw pÒlew grafsãsaw §w grammate›]|on to›wépãgos`[in épop°mpen ÉAy°naze, ¶sto aÈtÚn g]|rãfesyai prÚw [tÚwprutãnew t?i b]olom°no[i ÉAyena]|$on ka‹ t?n xs[ummãkon: hoi d¢prutã]new §sag[Ònton] | §w t¢m bol¢n [t¢n graf¢n h°n ti]w íg grãfseta[i ®eÈy]|un°syo dÒro[n mur$aisi draxm]™`s[i h]°kastow: [h? d' ín] | katagn?ih[e bol°, m¢ timçn aÈt]?`i ku`r$a ¶sto [éll' §s]|fer°to §w t[¢n •lia$aneÈyÊ]w: ˜t`an d¢ dÒxsei [édik™]|n gnÒmaw po[i°syon hoi pru]t`ãn`ew hÒ ti índok[™i aÈt]|Úm pay™n ® é[pote›sai: ktl.

“Dieux.Il a plu au Conseil et au Peuple, la tribu Oineïs exerçait la prytanie, Spoudias étaitsecrétaire, (…) était épistate, Kleinias a fait la proposition.Que le Conseil, les magistrats des cité et les épiscopoi veillent à ce que le tribut soitcollecté chaque année et soit convoyé à Athènes.Que soient faits des symbola pour les cités afin qu’il ne soit pas possible auxconvoyeurs du tribut de frauder.Chaque cité ayant déclaré par écrit sur une tablette le montant du tribut qu’elleenvoie, qu’elle la scelle avec le symbolon et qu’elle fasse apporter le tout à Athènes.Que les convoyeurs présentent la tablette au Conseil pour qu’on lise le montant dutribut qu’ils remettent.Que les prytanes, ayant réuni l’Assemblée après les Dionysies, signalent aux hellé-notames les cités qui ont remis le tribut dans sa totalité en les séparant de celles quine l’ont pas fait, afin qu’elles y soient toutes.Que les Athéniens désignent quatre hommes pour donner un reçu du versementdu tribut et pour le réclamer de nouveau à celles qui ne l’ont pas versé ; deux navi-gueront dans les Îles et en Ionie sur des trières rapides et deux dans l’Hellespont eten Thrace.Que les prytanes introduisent cette question immédiatement après les Dionysiesdevant le Conseil et devant le Peuple et qu’ils délibèrent sans interruption jusqu’àce que la décision soit prise.Si un Athénien ou un allié commet une illégalité à propos du tribut que les citésont fait remettre à Athènes après en avoir fait une déclaration écrite sur tablette,qu’il soit traduit devant les prytanes par tout Athénien ou allié qui le voudra ; queles prytanes transmettent l’acte d’accusation devant le Conseil ou bien qu’ils soientchacun condamnés à verser dix mille drachmes pour corruption. Pour l’affaire qu’ilinstruit, que le Conseil ne soit pas maître de fixer les peines mais qu’il transmettel’affaire immédiatement devant l’Héliée. S’il considère qu’il y a infraction, que lesprytanes fassent des propositions sur la peine que les prévenus doivent subir ou surl’amende à verser”.

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L’utilisation des tablettes constitue l’un des éléments essentiels de la procédure.Elle sert à contrôler aussi bien le versement effectué par les cités que l’honnêteté desconvoyeurs. Chaque allié signalait le montant du phoros qu’il avait acquitté et cetteinformation était confrontée à la somme que rapportaient les envoyés athéniens67.Cela réduisait de beaucoup les possibilités de fraude. En outre, la régularité du ver-sement était signalée à la cité contributrice par l’intermédiaire d’un reçu, épop°mpen§p‹] tåw pÒlew ént|igrafsom°now t[Úm fÒron tÚn épodoy°nta.

Un autre élément paraît avoir joué un rôle essentiel, les symbola. Mais leur réalitématérielle se laisse mal appréhender68. Il ne semble pas possible de les identifier à dessÊmbola tetmÆmena, i. e. à des plaques d’argiles cassées en deux69. La procédureserait alors particulièrement complexe. Il faudrait envoyer l’une des deux plaques àchaque cité avant l’arrivée du convoyeur nanti de la deuxième, en veillant bien à luidonner celle qui correspond ; les risques d’erreur seraient considérables. Plus généra-lement cette reconstruction ignore les moyens utilisés pour l’identification desambassadeurs et autres envoyés, des documents écrits certifiés, des grammata portantle sceau officiel de la cité qui les envoyait70. Il n’y a pas lieu de douter que lesconvoyeurs du tribut possédaient de tels documents. Ces derniers donnaient l’assu-rance à la cité alliée qu’elle remettait l’argent à un officiel athénien et non à un quel-conque fraudeur. Mais les Athéniens veillaient à éviter une deuxième catégorie defraudes qui porterait sur le montant du phoros exigé et/ou remis. Le symbolon devaitdonc contenir, d’une manière ou d’une autre, le montant71. La décision, xsÊmbolad¢ p[oi°sa]syai prÚw tåw pÒlew, doit donc être comprise comme la demande deréalisation d’un symbolon particulier à chaque cité, seul à même de rendre difficileune illégalité, hÒ[pow í]m m¢ §xs™i édik™n to›w é[pãgo]si tÚm fÒron. En scellantle grammateion et le symbolon, la cité reconnaissait avoir pris connaissance de ce der-nier et déclarait avoir versé telle somme72. Le sceau utilisé était bien sûr celui de l’alliécar les convoyeurs auraient eu tout le temps de contrefaire un sceau fourni parAthènes pendant le trajet. “Ainsi, si les xsÊmbola sont différents, c’est parce que,outre le sceau officiel d’Athènes, ils portent le montant du tribut à payer pour cha-cune des cités […] Ils étaient considérés comme des documents infalsifiables”73.

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67 Par cet acte, la cité alliée acceptait le tribut (Ibid., p. 59 et n. 102.).68 Depuis LEWIS, op. cit., l’hypothèse selon laquelle le symbolon en question est un sceau, a été aban-donnée.69 Voir supra. Cette hypothèse avait été défendue par LEWIS, op. cit., et GAUTHIER, Symbola, en parti-culier p. 84-85.70 Cf. supra.71 L’aspect pratique ne peut être reconstitué mais un passage d’Hérodote (HDT 2.38) permet d’en avoirune idée. L’historien décrit l’examen des animaux destinés au sacrifice. “Quand un sujet est exempt detoutes ces particularités, il le marque avec une bande de papyrus qu’il enroule autour de ses cornes, metdessus de la terre sigillaire et y appose son cachet” (trad. CUF). Il ne s’agit pas de “special seals [… ]made ad hoc” comme le voulait WALLACE, op. cit., p. 71.72 Le verbe utilisé dans l’inscription, sémainô, mériterait un commentaire. Il ne s’agit pas nécessairementd’un scellement comme les commentaires sur la loi sur le commerce du vin de Thasos l’ont souligné(IG XII, suppl. 347 avec Fr. SALVIAT, Le vin de Thasos. Amphores, vin et sources écrites, in J.-Y. EMPE-REUR et Y. GARLAN (éd.), Recherches sur les amphores grecques. BCH Suppl. 13, Athènes, 1986, p. 147-148 et J.G. VINOGRADOV, AN TOS SHMHNTAI. IG, XII, 347, in EMPEREUR et GARLAN (éd)., op. cit.,p. 197-200).73 PÉBARTHE, op. cit., p. 60.

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Le décret de Thodippos contient également des éléments qui montrent que la per-ception du tribut était une affaire d’écriture74 :

P°mfsai k°rukaw] §`k t?n` [misyot?n hÚw] ín xero]ton°sei he bol¢ §w tå]-w pÒlew dÊo [m¢n §p' ÉIon$an ka‹ Kar$an] dÊo d¢ §[p‹ Yrãiken dÊo d]¢ §p‹N[°sow dÊo d¢ §f' ÑEll°sp]-onton: hoËt[oi d¢ éneipÒnton §n t?i] koin?i h[ekãstew t™w pÒl]e`owpa[r™nai pr°sbew t? Mai]-makteri?n[ow menÒw: kuareËsai d¢ §]sagog°a[w triãkonta: toÊt]ow d¢[hel°syai ka‹ gramma]-t°a ka‹ xsu[ggrammat°a §x sf?n aÈt]?n ktl.

“Que des hérauts (?) qui auront été désignés par le Conseil soient envoyés vers lescités, deux en Ionie et en Carie, deux en Thrace, deux dans les Îles et deux dansl’Hellespont. Qu’ils annoncent au peuple de chacune des cités d’envoyer des ambas-sadeurs au mois de Maimactérion. Que soient désignés par le sort trente eisagogeis.Que ces derniers choisissent un secrétaire et un assistant secrétaire en leur sein”.

Ces eisagogeis sont chargés d’instruire les affaires relatives aux contestationsconcernant le tribut. Leur tâche requiert de manier et de constituer des documentsd’archives, d’où l’appointement d’un secrétaire et d’un secrétaire assistant. Il n’y aguère de doute que le dossier qu’il fallait constituer contenait des documents écrits.La cité alliée produisait par exemple des tablettes en cas de problème sur le montantdu tribut, tandis qu’Athènes citait celui qu’elle avait imposé. L. J. Samons se montresensible à la constitution progressive d’une administration complexe pour gérer lephoros75. En 442, un secrétaire est placé auprès des hellénotames et il reste en placela deuxième année. Cela laisse deviner une réorganisation interne puisque les mon-tants du phoros changent peu. Il est assisté par un certain Anticlès toujours en fonc-tion l’année suivante dans la liste de 44276. La continuité administrative autant quel’habitude du maniement des documents rendent compte de cette stabilité. Mais lerecours à l’écriture n’est-il pas à la base de l’empire ?

Lors de la formation de la Ligue de Délos, les Athéniens et leurs alliés fixèrentla contribution de chacun, le tribut77. D’après la Constitution des Athéniens, il futcalculé sous l’archontat de Tisaménos78. Plutarque s’appuie sur une autre tradi-tion79. Aristide aurait examiné la terre et les revenus des cités afin de déterminer le

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74 IG I3, n° 71, l. 4-8, avec en dernier lieu la traduction et le commentaire de SAMONS, Empire of theOwl, p. 173-183.75 Par exemple Ibid., p. 183. THOMAS, Literacy and the City-State, p. 45 se montre moins affirmativeet s’en tient à une interrogation : “Was there not an explosion in the number of other types of docu-mentation in the fifth century as a response to the growing complexity of democracy and empire ?”76 Il est aussi peut-être assistant des épimélètes du Parthénon (IG I3, n° 440 et n° 446-448),cf. R. MEIGGS, The Athenian Empire, Oxford, 1972, p. 244 et n. 1. Mais cela peut s’expliquer par destâches administratives particulières pour cette année-là (Ibid., p. 245).77 Sur la fondation et l’organisation de la Ligue de Délos, voir MEIGGS, op. cit., p. 42-49.78 PS- ARSTT, Ath. pol., 23.5 avec les commentaires de Ibid., p. 58-61. Le travail d’estimation aurait étéfait par Aristide assisté par des représentants des alliés à Délos, entre mars et juillet 477.79 PLUT., Arist., 24.

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montant de la contribution de chacun. “If this procedure was adopted the workcannot possibly have been completed in 477, and the result of the first assessmentmight not have been known for several years”80. R. Meiggs doute de la véracité dePlutarque. Ce dernier rapporte en effet qu’Aristide a fait un voyage assez long. A-t-il fait pour autant le tour des cités alliées ? Pour certaines cités, Aristide pouvaitutiliser un précédent, la contribution versée aux Perses81. Mais alors que ces der-niers ne prêtaient pas attention au commerce selon les dires d’Hérodote (1.153.1-3), les Athéniens élargirent l’assiette de la contribution qui changea de nom, ledasmos devient phoros82. Un rapport direct avec la population ne peut être établi,de même avec la superficie du territoire83. En revanche, la richesse des produits dela terre est à prendre en compte comme critère de même que celle de la mer. Iasosétait connue pour ses eaux riches en poissons84. Certaines cités possédaient un sous-sol procurant de forts revenus : Thasos avait des mines d’or et d’argent, Paros dumarbre… Le revenu apporté par les taxes portuaires n’a pas été ignoré. “À notreavis, la clé est le concept de ressources, un terme souple qui rend compte de toutesles possibilités que nous avons passées en revue”85. N’est-ce pas la base du calculd’Aristide ?86 D’ailleurs le décret de Thoudippos, de 425, lorsqu’il se propose d’es-timer de nouveau le tribut, exclut de la hausse générale les cités pouvant invoquer“la pauvreté du territoire”87.

La collecte de toutes ces informations nécessitait du temps et il est possibled’envisager dans cette opération un recours à des échanges de documents écritset non simplement une enquête menée par Aristide dans toutes les cités. Enoutre, nous savons que des magistrats athéniens étaient présents chez les alliéspour les surveiller. Les sources mentionnent les phrourarchoi et les episkopoi88.Harpocration définissait ainsi les attributions de ces derniers, §o$kasin§kp°mpesya$ tinew ÍpÚ ÉAyhna$vn efiw tåw ÍphkÒouw pÒleiw §piskeptÒmenoitå par' •kãstoiw. Cette surveillance n’intégrait-elle pas les données écono-miques de chaque cité ? Sinon, est-il envisageable que les cités alliées, d’elles-mêmes, informaient leur hégèmôn de l’augmentation de leurs ressources ? Cettedernière hypothèse paraît peu probable.

304 LA COMMUNICATION ÉCRITE PUBLIQUE

80 MEIGGS, op. cit., p. 59.81 L. NIXON et S. PRICE, La dimension et les ressources des cités grecques, in O. MURRAY et S. PRICE

(éd.), La cité grecque d’Homère à Alexandre, Paris, 1992, p. 173, n. 8.82 Ibid., p. 173.83 E. RUSCHENBUSCH, Tribut und Bürgerzahl im ersten athenischen Seebund, ZPE 53, 1983, p. 125-143 établit toutefois une équivalence : 1 talent = 800 citoyens.84 STR. 14.2.21.C658.85 NIXON et PRICE, op. cit., p. 177.86 PLUT., Arist., 24.87 IG I3, n° 71, l. 22.88 Sur les episkopoi, MEIGGS, op. cit., p. 212-213 et p. 583-587.

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B. ÉCRITURE, THALASSOCRATIE ET CONTRÔLE DES ÉCHANGES

Plusieurs documents nous renseignent sur le contrôle athénien des échanges,contrôle qui recourait à l’écrit comme cela apparaît parfois explicitement89. Lesdécrets pour Méthoné contiennent des informations très nettes sur ce point90 :

M[eyona$|oiw] e‰n[ai §x]sa[go]g¢n §g Buzant$o s$to m°x[ri . . . . a|kisx]il$onmed$mnon t? §niaut' •kãsto, hoi [d¢ •lle|sp]ontofÊlakew m°te aÈto‹koluÒnton §xsãgen m[°t|e êl]lon §Ònton kolÊen, ® eÈyun°syon mur$aisidr[ax|m™is]in ßkastow: grafsam°now d¢ prÚw tÚw •llesp[on|to]fÊlakaw§xsãge[n] m°xri t? tetagm°no: éz°miow [d¢ | ¶s]to ka‹ • naËw • §xsãgosaktl.

“Qu’il y ait une licence d’exportation à Byzance pour les Méthonéens jusqu’àconcurrence de ( ?) médimnes de blé pour chaque année. Que les hellespontophy-laques ne les empêchent pas d’importer, ni ne laissent quelqu’un d’autre le faire, oubien que chacun d’eux soit redressé d’une amende de 10 000 drachmes. Après avoirfait une déclaration écrite auprès des hellespontophylaques, qu’ils importent [leblé] sans dépasser la quantité fixée. Que le navire importateur soit exempté detaxes”.

Un décret honorant Lycôn, un Achéen, ne laisse guère de doute sur un nécessairerecours aux documents écrits, même si cela n’est pas explicite91. Après l’avoir inscritproxène et évergète, les Athéniens précisent la liberté de circulation dont il dispose :

TØn d¢ na|Ën ∂n d™tai §kkomisãsyai | §j ÉAxai$ >aw §kkomisçsyv k|a‹ §j™naiaÈt«i pl™n ka‹ x|rÆmata §sãgen ˜shw ÉAyhna|›oi krat?si, ka‹ §w tåÉAyhn|[a]$vn frÒria: §w d¢ tÚn kÒlp|[on m]Ø §j™[nai] ktl.

“Qu’il convoie le bateau qu’il a besoin de convoyer depuis l’Achaïe et qu’il lui soitpermis de naviguer et d’importer des biens partout dans l’ensemble de la zone queles Athéniens contrôlent et dans les garnisons athéniennes”.

Pour prouver le privilège reçu, Lycôn n’a d’autres moyens que de montrer unpapier officiel, portant le sceau de la cité, au moindre magistrat qui effectuerait unevérification92. Toute possibilité d’inter-connaissance est ici à abandonner. Les mêmesremarques s’appliquent à l’inviolabilité décidée pour Pythophanès93. Nous avonsémis l’hypothèse que ce type de document devait appartenir à la catégorie des sym-bola contenant la nature des privilèges obtenus et la marque de la dèmosia sphragis94.

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89 A. BRESSON, L’attentat d’Hiéron et le commerce grec, in J. ANDREAU, P. BRIANT et R. DESCAT (éd.),Les échanges dans l’Antiquité : le rôle de l’État. Entretiens d’Archéologie et d’Histoire, Saint-Bertrand-de-Comminges, 1994 développe un exemple de ce type de contrôle pour le IVe siècle.90 IG I3, n° 61, l. 34-41 (trad. PÉBARTHE, op. cit., p. 62-63). La décision citée ici a été prise en 426/5.91 IG I3, n° 174, l. 11-18 (trad. Ibid., p. 63).92 Les vérifications pouvaient être faites en mer (AR., Ach., 541-543) ou bien au port (AR., Ach., 362-363 avec le commentaire de Ibid., p. 56-57).93 IG I3, n° 98 citée infra.94 PÉBARTHE, op. cit., p. 63.

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Tous ces documents rapportent des décisions prises pendant la guerre du Pélo-ponnèse. Que peut-on dire pour la période précédente ? La source la plus intéres-sante pour répondre à cette question est une clause contenue dans le décret deChalcis95. Celle-ci concerne les étrangers résidents à Chalcis et évoque une atéliedonnée par les Athéniens, des taxes qu’il faut verser et d’autres qu’il ne faut pas96 :

TÚw d¢ xs°now tÚw §n Xalk$di, hÒsoi ofikoËntew m¢ tel?sin ÉAy°naze, ka‹ e‡toi d°dotai hupÚ t? d°mo t? ÉAyena$on ét°leia, tÚw d¢ êllow tel™n §wXalk$da kayãper hoi êlloi Xalkid°ew.

“Concernant les étrangers à Chalcis, tous les résidents qui ne paient pas versAthènes, si une atélie leur a été donnée par le peuple athénien, ceux-là paient alorsvers Chalcis comme les autres Chalcidiens”

Selon nous, la fiscalité dont il est question ici est de nature commerciale97. Pourl’essentiel, notre démonstration s’appuie sur la formulation employée, tel™n §w oubien tel™n ÉAy°naze, derrière lesquelles on peut voir une idée de direction, i.e. detaxes pour des marchandises vers Athènes ou vers Chalcis, en l’occurrence des dia-gogai. Si l’on admet cette hypothèse, alors il faut supposer que les étrangers résidentspouvaient être capables de prouver qu’ils détenaient une atélie par un documentécrit, ou bien encore que les Athéniens contrôlaient la perception de certaines taxesindirectes en dehors de leur cité, ce qui impliquait également un recours à l’écrit98.

Le contrôle était-il confié à des magistrats athéniens ? La présence de percepteursathéniens ou fermiers étrangers à Chalcis est attestée par le décret d’Histiée qui men-tionne un péage dont le montant varie selon la destination et le lieu de départ99.Après leur victoire contre Thasos, les Athéniens se sont emparés des revenus desemporia thraces et y ont installé des douaniers100. Mais le cas de Chalcis n’est pasidentique à celui de Thasos. Comme toute cité installée à un point stratégique,Chalcis percevait depuis longtemps une taxe de transit sur les marchandises101. Suiteà la paix de Trente ans (446), elle voit confirmer son autonomie de la part des Athé-niens, c’est-à-dire entre autres la maîtrise de ses revenus et en particulier l’autoritésur la perception des taxes102. La décision athénienne concerne donc la douanequ’elle y avait installée. L’amendement proposé par Anticlès décide que les résidentspossesseurs d’une atélie donnée par les Athéniens à titre individuel ne peuvent s’enprévaloir devant les douaniers chalcidiens et qu’ils doivent payer kayãper hoiêlloi Xalkid°ew. Ainsi, la cité eubéenne ne perd pas tous ses revenus — elle a sans

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95 Nous renvoyons ici à Chr. PÉBARTHE, La perception des droits de passage à Chalcis (IG, I3, 40, 446),Historia 54, 2005, p. 84-92 dont nous reprenons les principales conclusions.96 IG I3, n° 40, l. 52-57 (trad. Ibid., p. 90).97 Chr. PÉBARTHE, Thasos, l’empire d’Athènes et les emporia de Thrace, ZPE 126, 1999, p. 142-145.98 Plusieurs exemples attestent la perception de taxes par les Athéniens dans des cités situées dans desrégions stratégiques : XÉN., Hell., 1.1.22 et 4.8.27 ; AR., Gren., 362-363 ; IG I3, n° 61, l. 40-41.99 IG I3, n° 41, l. 67-76.100 Cf. PÉBARTHE, op. cit.101 La dernière décision prise par les Athéniens dans le décret de Chalcis concerne la garde de cetterégion dont la responsabilité incombe aux stratèges (IG I3, n° 40, l. 76-79).102 PÉBARTHE, op. cit., 2000, p. 49-57.

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doute négocié avec son vainqueur le montant futur de la fiscalité — et Athènes a pri-vilégié son emporion en limitant le coût de ses importations.

Dès lors, cette clause du décret de Chalcis révèle une organisation douanièreimposante, à l’échelle de l’empire athénien. Chaque commerçant devait pouvoirprouver en toute occasion qu’il ne transportait pas de marchandises interdites et qu’ilavait lui-même le droit de circuler103. Le cas échéant, il présentait un symbolon pourtémoigner de privilèges qu’il avait reçus de la part des Athéniens. Athènes confiaitnaturellement la surveillance des échanges à ceux qui percevaient les diagogai,comme les attributions des hellespontophylaques l’attestent, et il est probable que lespercepteurs chalcidiens avaient une responsabilité en matière de contrôle104. Par lerecours permanent aux documents écrits, Athènes contrôlait la mer et avait la possi-bilité d’en interdire l’accès.

C. DOCUMENTS ÉCRITS ET TRANSMISSION DES DÉCISIONS ATHÉNIENNES AUX

ALLIÉS

Des sources d’époque hellénistique, notamment épigraphiques, décrivent, parfoisavec précision, les modalités de transmission à d’autres cités des décisions prises.Cela constitue autant de parallèles intéressants105. Pour l’époque classique et pour lapériode de l’empire en particulier, les sources directes ont bien entendu toutes dis-paru et le plus souvent, le processus doit être reconstruit à l’aide de la simple indi-cation qu’une stèle doit être inscrite dans une autre cité106. Lorsqu’Athènes voulaitfaire graver un texte dans une cité alliée, elle envoyait une copie sur matériau péris-sable et chargeait cette dernière de la gravure. On peut citer le décret de Chalcis107 :

TÚ d¢ fs°fisma tÒde ka‹ tÚn hÒrkon énagrãfsai, ÉAy°nesi m¢n tÚngramm[a]t°a t™w bol™w §st°lei liy$nei ka‹ katay™nai §w pÒlin t°lesi to›wXalkid°on, §n d¢ Xalk$di §n t?i hier?i t?i DiÚw t? ÉOlump$o he bol¢Xalkid°on énagrãfsasa katay°to ktl.

“Que ce décret et ce serment soient transcrits, à Athènes sur une stèle de pierre parle secrétaire du Conseil et que celle-ci soit placée sur l’Acropole aux frais des Chal-cidiens et à Chalcis, que le Conseil des Chalcidiens l’ayant transcrit le place dansle sanctuaire de Zeus Olympien”.

Cependant, il fallait tenir compte de l’autorité de la cité alliée qui demeuraitmaître de son espace graphique, au moins en théorie108. Une inscription sur les

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103 L’exemple de l’attentat d’Hiéron analysé par BRESSON, op. cit. montre que cela ne fut pas une spé-cificité de l’empire athénien.104 IG I3, n° 61, l. 40-41 pour les attributions fiscales des hellespontophylaques avec en dernier lieu A.RUBEL, Hellespontophylakes. Zöllner am Bosporos ? Überkegungen zur Fiskalpolitik des attischen See-bundes (IG, I3, 61), Klio 83, 2001, p. 39-51.105 LALONDE, op. cit., p. 76-151.106 Pour des époques plus tardives, il arrive que la lettre demandant l’inscription soit transcrite sur lapierre.107 IG I3, n° 40, l. 57-63. Voir aussi IG I3, n° 10 (Phasélis, voir infra) ; IG I3, n° 37, l. 37-43 (cf. infra) ;et IG I3, n° 101, l. 44-45.108 Cette question est traitée par LALONDE, op. cit., p. 159-169.

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colons de Colophon (447/6) en donnerait une illustration, mais le passage est res-titué109 :

Kolof?ni d¢ taËta ka‹ tÚn ˜rk]-[on] énagrãcan[tew §st°lei liy$nei ofl §w Kolof?na]ofikista‹ kata[y°nton §n tÒpoi ˜toi tãttei Kolof]-on$on ı nÒmow: ktl.

Les Athéniens ordonnaient l’affichage de leurs décisions. Avec une tonalitécomique évidente, dans les Oiseaux, Aristophane décrit la procédure que les Athé-niens imposaient. Après avoir mis en scène un episcopos porteur d’un ordre de mis-sion110, l’auteur comique fait apparaître sur la scène un curieux personnage, lechfismatop≈lhw, le vendeur de décrets, qui lit à haute voix un texte, à la manièred’un héraut. Il s’adresse à l’ensemble des habitants, en particulier à Pisthétairos111 :

Chfismatop≈lhw. ‘ÉEån d' ı NefelokokkugieÁw tÚn ÉAyhna›on édikª...’Pi. Tout‹ t$ §stin aÔ kakÒn, tÚ bibl$on;Ch. Chfismatop≈lhw efimi ka‹ nÒmouw n°ouw¥kv par' Ímçw deËro pvlÆsvn.Pi. TÚ t$;Ch. ‘Xr∞syai Nefelokokkugiçw to›w aÈto›w m°troisika‹ staymo›si ka‹ chf$smati kayãper ÉOlofÊjioi’.

“Légis. - ‘Et si le citoyen de Coucouville-les-nuées nuit à un Athénien…’

Pi. - Qu’est-ce que c’est encore que ce poison-là, avec ses paperasses !

Légis. - Je fais du légiscolportage ! Lois et décrets bien frais ! Me voici dans vos murspour vous en vendre !

Pi. - Par exemple !

Légis. - ‘Que les citoyens de Coucouville-les-Nuées utilisent le même système depoids et mesures et les mêmes monnaies que les Hurluberlus.’”.

Cette dernière tirade rend l’allusion à l’empire on ne peut plus claire. L’analyse dece passage n’en est pas moins délicate. Comment comprendre la vente de décrets ?Th. J. Figueira propose une interprétation originale de ce personnage. “He is not justselling copies of decrees — that is inconceivable as they are not inscriptions — butproposing that he gains their passage. On one level, the Decree-seller can be viewedas a demagogue who has temporarily made his way overseas, to the discomfiture of

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109 IG I3, n° 37, l. 40-43. MEIGGS & LEWIS, n° 47 ne retiennent pas cette restitution. Parmi les pro-blèmes qu’elle pose, notons la présence d’une clause similaire juste avant et la formule Kolof?ni éna-grãcantew qui cadre mal avec la gravure d’une stèle, comme le cas de Phasélis le montre (cf. infra).110 Voir supra.111 AR., Nuées, 1035-1041 (trad. Debidour). Ce passage bénéficie désormais du commentaire appro-fondi de Th.J. FIGUEIRA, The Power of Money. Coinage and Politics in the Athenian Empire, Philadelphie,1998, p. 203-216.

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the Athenian émigrés”112. L’inconvénient est qu’alors il faut prendre au sérieux lavolonté de vendre des décrets. Or, comme le fait remarquer D. M. McDowell, lesmesures en question ont déjà été adoptées par les Athéniens et Athènes traite Cou-couville-les-nuées comme une cité sous domination113. Outre le tribut, chaque citéacceptait donc un certain nombre de dispositions écrites qu’elle devait ensuite mettresur pierre.

Une mention dans le décret relatif à Phasélis laisse entrevoir une situation ana-logue114. La première décision consiste en une anagraphè, to›]w Fashl$taiw tÚc[Æf]i[sma én]agrãcai115. La formulation utilisée étonne si cela concerne la misesur pierre. On attendrait plutôt §n to›w Fashl$taiw. L’absence de précision sur lanature du support surprend également car la dernière clause est, elle, précise, t[Ú d¢cÆfis]ma tÒ[de] énagracã[tv ı gramm]ateÁw ı t∞w bol∞w [§stÆlhi liy$]nhika‹ katay[°tv §m pÒlei t]°lesi to›w t«[n Fashlit«n]116. Les frais de la gravureà Athènes sont donc payés par les Phasélitains — le recours à l’alphabet ionien en estune preuve —, ce qui n’a rien d’étonnant dans le cadre de l’empire117. La premièreclause ordonne-t-elle la mise sur pierre à Phasélis sans autre précision ? Il ne noussemble pas. Pour la comprendre, il convient de reprendre la procédure et la questionde la ratification. Certains historiens ont cru déduire d’un passage de Démosthèneque la loi athénienne prévoyait qu’une convention entrait en fonction lorsque celle-ci avait été ratifiée par le tribunal118. Mais le décret relatif à Phasélis ne fonde pas dessymbola nouveaux entre les deux cités, il décide une modification119. L’anagraphè enquestion dans la première clause paraît signifier que les Athéniens ordonnaient lakyrôsis de l’amendement, en accord avec les négociateurs phasélitains sur place, sansattendre la décision de la cité ; ou simplement, qu’ils considéraient que la ratificationne poserait pas de problème. Elle suppose une inscription dans les archives, au côtéde la convention. La mise sur stèle de ce décret à Phasélis n’est pas le souci des Athé-niens120. Il y a lieu de penser que les envoyés phasélitains, après avoir fait graver lastèle à Athènes, sont retournés dans leur cité, nantis d’un antigraphon du décret121.La cité de Phasélis inscrivit alors cette décision dans ses archives, c’est-à-dire dans le

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112 Ibid., p. 208.113 D.M. MCDOWELL, Aristophanes and Athens, Oxford, 1995, p. 211-212 avec n. 21.114 IG I3, n° 10.115 IG I3, n° 10, l. 5-6.116 IG I3, n° 10, l. 22.27.117 Voir IG I3, n° 37, 66, 101 et 118. Au IVe siècle, à Athènes, lorsqu’un accord est passé avec une autrecité, la règle est qu’Athènes paie les frais de gravure de la stèle qu’elle place chez elle et réciproquement(OSBORNE & RHODES, n° 34, n° 44, n° 48 et IG II2, n° 148).118 DÉM., Hal., 7.9-13 avec GAUTHIER, Symbola, p. 191-192 n. 46.119 R.J. HOPPER, Interstate Juridical Agreements in the Athenian Empire, JHS 63, 1943, p. 43, H.Th.WADE-GERY, Essays in Greek History, Oxford, 1958, p. 180 et C.W. FORNARA, The Phaselis Decree,CQ 29, 1979, p. 50.120 Les Phasélitains ont du reste dû mettre sur pierre le décret. Les Athéniens les laissaient maîtres d’agirselon leurs habitudes. L’indépendance de la cité qui doit accueillir un décret se manifeste par la dési-gnation du lieu (IG II2, n° 1130, l. 3, pour d’autres exemples dans d’autres cités, voir LALONDE, op. cit.,p. 246 n. 6). Parfois, Athènes n’hésite pas à imposer un lieu de publication particulier : IG I3, n° 40,l. 61-63.121 Nous le supposons à la lumière de la procédure connue par des sources plus tardives (LALONDE, op.cit., p. 77-84).

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cas présent l’inclut dans le texte de l’accord déjà conclu, et probablement fit réaliserune stèle ou au moins ajouta la modification sur la stèle portant la première conven-tion122.

3. Communication écrite, citoyens et démocratie

A. L’OSTRACISME

Les citoyens ont utilisé les tessons d’ostracisme pour communiquer avec le pou-voir, sans qu’il soit possible de déterminer avec précision l’identité du destinataire. Iln’est donc pas inutile de rappeler les caractéristiques de ces ostraka ainsi que leurcontenu qui variait selon les scripteurs, allant d’un nom simple à une phrase versi-fiée123.

Les manières d’écrire varient selon les tessons. Certains scripteurs recourent à lapeinture (six cas seulement), d’autres à une pointe métallique, d’autres encore à desstylets moins efficaces. L’un des ostraka peint est le produit d’un professionnel à n’enpas douter124. L’inscription peinte a en effet été cuite. En revanche, l’écriture desautres ostraka peints est d’une facture ordinaire. La présentation est variable. Cer-tains sont centrés, d’autres partent d’une extrémité du tesson, d’autres encore sontboustrophedon ou rétrogrades, voire même écrits verticalement ou en suivant uncercle125. Parfois, le nom est écrit deux fois, le deuxième corrigeant l’orthographe dupremier.

Sur cette céramique commune, figure toujours un nom mais ces documents révè-lent que les votants avaient des conceptions différentes de la nomination. La formulela plus courante demeure l’association du nom et du patronyme, rarement le démo-tique. Un cas singulier est à signaler, celui de Ménon, mais il s’agit d’un Thessalienà qui les Athéniens ont conféré la citoyenneté en raison de l’aide qu’il avait apportéeau moment d’Eion. Il était sans doute plus naturel d’évoquer son dème que le nomde son père qui n’était pas connu. Le cas des ostraka de Thémistocle n’en est que plusremarquable car nous possédons de très nombreux tessons portant son démotique126.Cela reflète peut-être l’idéologie de Thémistocle qui se ferait appeler le Phréarienafin de plaire au peuple127. Il arrive que le scripteur rajoute une appréciation après lenom : ito pour “pars !”. L’un adopte un ton ironique : “cet ostrakon est en l’honneurde Thémistocle le Phréarien”. D’autres constituent de véritables poèmes, comme par

310 LA COMMUNICATION ÉCRITE PUBLIQUE

122 Le fait qu’il s’agisse d’une modification explique peut-être pourquoi le décret ne fournit aucune indi-cation sur la réalisation pratique de la stèle. Les Athéniens laissaient le choix aux Phasélitains. De plus,ils n’avaient pas le pouvoir de décider de la gravure d’une nouvelle pierre portant la convention modi-fiée.123 Cf. chapitre 1.124 Cet ostrakon a été publié par G.A. STAMIRES et E. VANDERPOOL, Kallixenos the Alkmeonid, Hesperia19, 1950, p. 377 pour une description, p. 389 n° 29 avec texte et fac-similé, et fig. 112 pour une pho-tographie.125 La plupart du temps, le sens de l’écriture est traditionnel, de la gauche vers la droite. Mais il arriveque l’inscription soit rétrograde (Cf. E. VANDERPOOL, Ostracism at Athens, Cincinnati, 1970, p. 10).126 M.L. LANG, Ostraka. The Athenian Agora 25, Princeton, 1990 publie 385 tessons (n°664-1049).127 L’hypothèse est émise par VANDERPOOL, op. cit., p. 8 et reprise par LANG, op. cit., p. 9.

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exemple l’ostrakon versifié contre Xanthippe128. On connaît des malédictions, parexemple “[exclamation], vengeance contre Hippocratès”129. En outre, certainsostraka offrent des dessins, le plus souvent des visages, sans doute celui de Kal-lixénos130.

De façon générale, les tessons révèlent l’action de la propagande qui sévissait àAthènes entre le moment où la décision d’organiser une ostrakophoria était prise etlorsque celle-ci se déroulait, propagande qui s’épanouissait dans le cadre privilégiéque la comédie lui offrait131. Par exemple, un tesson accuse Mégaclès d’adultère,accusion fréquente dans les comédies132. Deux autres qualifient le même personnagede “nouvelle coiffure” ce qui peut être également une référence à l’adultère133. Unautre tesson vise Cimon (“Cimon fils de Miltiade, prend Elpinikè et pars !”) etévoque peut-être à mot couvert la relation incestueuse supposée avec sa sœur Elpi-nikè134. Les sources littéraires et l’ostrakon montrent que la sœur de Cimon était unpersonnage connu et qu’elle pouvait donc très bien apparaître dans une comédie. Unautre encore accuse Thémistocle de sodomie passive135. Les reproches sur la moralitédes hommes en vue étaient les meilleurs moyens d’atteindre la figure irréprochablequ’ils tentaient d’incarner. Il est particulièrement intéressant que certains éprou-vaient l’envie de faire savoir leur opinion sur tel ou tel personage par l’intermédiairede l’écriture et des tessons. Parfois, il s’agissait de griefs personnels. On accuse un telde diffamation (baskanos), tel autre de perte de propriété. Il s’agit là au mieux debasses insinuations au pire de rumeurs sans fondement. Dernier élément à souligner,les ostraka permettaient également l’expression de mécontentements généraux,comme par exemple “je chasse la faim” ton limon ostrakido136.

Lus par les archontes à haute voix au moment du dépouillement, ces apprécia-tions constituaient une expression forte des opinions des citoyens137. De ce fait, lescommentaires que certains d’entre eux portaient sur le tesson s’adressaient à la citétoute entière. L’entendait-elle vraiment ?

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128 LANG, op. cit., p. 134 n° 1065 avec le commentaire de Th. J. FIGUEIRA, Xanthippos, Father of Per-ikles, and the Prutaneis of the Naukraroi, Historia 35, 1986, p. 257-279.129 Cet ostrakon inspire le commentaire suivant à VANDERPOOL, op. cit., p. 9 : “I like to think of thewriter of this ostrakon as an old bearded peasant from the back country of Attica who had a grungeagainst Hippokrates and who came to town on Ostracism Day to have his revenge”. La mauvaise qua-lité de l’écriture de ce tesson est à l’origine de ce jugement.130 Voir LANG, op. cit., p. 88 n° 590 pour ce qui semble être le portrait de Kallixénos. Sur la présence deportraits sur les ostraka, voir l’étude générale de St. BRENNE, Portraits auf Ostraka, AM 107, 1992,p. 161-185.131 Voir les analyses de BRENNE, Ostraka, sur le sujet et que nous reprenons en partie.132 Voir Ibid., p. 13 avec fig. 1-2 qui publie cet ostrakon trouvé au Céramique.133 Voir AR., Ach., 849 et pour les ostraka, voir BRENNE, Portraits auf Ostraka, p. 170-171 en particu-lier.134 Outre un tesson du Céramique publié par BRENNE, Ostraka, p. 14 et fig. 3-4, voir PLUT., Cim., 4.7et 15.3 et PS-AND., C. Alc., 4.33 apud ATHÉNÉE 13.589e.135 BRENNE, Ostraka, p. 14 fig. 5-6. L’injure est attestée dans les graffiti de l’Agora comme chez AR.,Ach., 79 ou Gren., 687.136 Ibid., p. 21.137 Sur le dépouillement, cf. chapitre 1.

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B. IDENTITÉ ET TIRAGE AU SORT : LES LAMELLES D’IDENTIFICATION EN BRONZE138

Le recours aux lamelles de bronze pour l’opération de désignation par le sort desdicastes est évoqué dans deux passages qui sont à l’origine des gloses ou scholies pos-térieures139. La Constitution des Athéniens fournit le témoignage le plus complet. Ildécrit l’ensemble de la procédure140. Concernant les pinakia proprement dits, l’au-teur écrit : “Chaque juré avait un pinakion en bois qui portait inscrit son nom, sonpatronyme, le nom de son dème et une lettre de l’alphabet pouvant aller jusqu’àkappa. En effet, les jurés de chaque tribu sont divisés en dix sections, à peu près lemême nombre sous chaque lettre”141. Une machine servait ensuite à désigner par lesort les jurés142. Ceux qui étaient désignés ne reprenaient leur pinakion qu’à la fin dela journée avec l’indemnité tandis que les autres le recevaient immédiatement à la finde la procédure.

Un plaidoyer de Démosthène évoque également celle-ci mais les différences avecle premier passage ne sont pas négligeables143. Cette fois-ci, les pinakia dont il estquestion sont en bronze. En outre, ils ne servent pas uniquement à la désignationdes dicastes. Dans ce plaidoyer, Mantithéos essaie d’obtenir que son demi-frère, quise trouve avoir même nom, même patronyme et même démotique que lui, soitobligé de changer de nom. Il évoque le problème d’identité qui serait posé entreautres en cas de tirage au sort144 :

Efi d¢ kritØw kalo›to Mant$yeow Mant$ou Yor$kiow, t$ ín poio›men; µbad$zoimen ín êmfv; t“ går ¶stai d∞lon pÒteron s¢ k°klhken µ §m°; prÚwDiÒw, ín d' érxØn ≤ntinoËn ≤ pÒliw klhro›, oÂon boul∞w, yesmoy°tou, t«nêllvn, t“ d∞low ı lax∆n ≤m«n ¶stai; plØn efi shme›on, Àsper <ín> êllƒtin$, t“ xalk$ƒ pros°stai: ka‹ oÈd¢ toËy' ıpot°rou §st‹n ofl pollo‹gn≈sontai. OÈkoËn ı m¢n •autÒn, §g∆ d' §mautÚn fÆsv tÚn efilhxÒt' e‰nai.

“Supposons que Mantithéos, fils de Mantias, du dème de Thoricos, soit convoquécomme juge dans un concours, que ferons-nous ? Nous présenterons-nous tous lesdeux ? Comment reconnaître celui qui a été convoqué ? Et par Zeus, si une chargepublique est attribuée par le sort, celle de membre du Conseil, de thesmothète ou

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138 J.H. KROLL, Athenian Bronze Allotment Plates, Cambridge (Mass.), 1972 demeure la référence surcette question en ajoutant ID., More Athenian Bronze Allotment Plates, in K.J. RIGSBY (éd.), StudiesPresented to Sterling Dow on his Eightieth Birthday, Durham, p. 165-171 pour la publication de nou-veaux documents et plus récemment M.L. LANG, Pinakia, in A.L. BOEGEHOLD (éd.), The Lawcourts atAthens, Sites, Buildings, Equipment, Procedure and Testimonia. The Athenian Agora 28, Princeton, 1995,p. 59-64.139 Sur les sources littéraires, KROLL, op. cit., p. 1-7.140 PS- ARSTT, Ath. pol., 63-65.141 PS- ARSTT, Ath. pol., 63.4 : ÖExei d' ßkastow dikastØw tÚ pinãkion pÊjinon, §pigegramm°nontÚ ˆnoma tÚ •autoË patrÒyen ka‹ toË dÆmou ka‹ grãmma ©n t«n stoixe$vn m°xri toË k:nen°mhntai går katå fulåw d°ka m°rh ofl dikasta$, paraplhs$vw ‡soi §n •kãst“ t“ grãm-mati.142 Sur la machine, J.D. BISHOP, The Cleroterium, JHS 90, 1970, p. 1-14.143 DÉM., Bœot. I, 39.10-12.144 DÉM., Bœot. I, 39.10 (trad. CUF modifiée). Il commence d’abord par évoquer la situation de la dési-gnation à une liturgie, une symmorie ou pour la mobilisation militaire (39.7-9).

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toute autre, à quoi reconnaître celui de nous qui sera désigné ? Il faudra unemarque sur le bronze, comme on en mettrait sur un autre objet, et encore la plu-part des gens ne sauront-ils pas à qui elle appartient : et chacun de nous deux diraque c’est lui qui est désigné”.

De plus, le fait d’avoir deux pinakia pour être tiré au sort s’apparente à une fraudepunie de mort. Les cas qu’il envisage concernent les fonctions les plus importantes,bouleutes et thesmothètes, et non les dicastes. Pourtant, les commentateurs ontconsidéré que cela s’appliquait quand même à ces derniers en dépit de la différencede matériaux. “The passage requires that by about 348 B.C. all Athenian citizens, orat least all citizens who were qualified and disposed to participate in the annual allot-ments for the state magistracies, had bronze pinakia, whether they were enrolled asdiskatai or not”145. Or, tous les citoyens athéniens ne pouvaient pas être dicastes ; ilfallait prêter serment chaque année, comme le faisaient les nomothètes146. Rien nepermet de penser que les citoyens qui n’avaient pas prêté serment étaient exclus desautres tirages au sort147. Dès lors, il faut envisager la possibilité que les pinakian’étaient pas tous destinés à la désignation des dicastes148.

Les divergences entre ces deux sources révèlent des modifications dans le déroule-ment de la procédure dont il faut dès lors déterminer la chronologie. Plusieurs pas-sages d’Aristophane évoquent le tirage au sort. Les dicastes chercheraient à être ins-crits plusieurs fois au tirage au sort afin d’être sûr de percevoir le triobole149. Chaquecandidat était associé à une lettre et le tirage au sort de celle-ci valait désignation150 :

Bl. Tå d¢ klhrvt˙ria po› tr°ceiw;Pr. Efiw tØn égorån katayÆsv:küta stÆsasa par' ÑArmod$ƒ klhr≈sv pãntaw, ßvw ínefid∆w ı lax∆n ép$˙ xa$rvn §n ıpo$ƒ grãmmati deipne›.Ka‹ khrÊjei toÁw §k toË b∞t' §p‹ tØn stoiån ékolouye›ntØn Bas$leion deipnÆsontaw: tÚ d¢ y∞t' efiw tØn parå taÊthn,toÁw d' §k toË kãpp' efiw tØn stoiån xvre›n tØn élfitÒpvlin.[...]Bl. ÜOtƒ d¢ tÚ grãmmamØ ‘jelkusyª kay' ˘ deipnÆsei, toÊtouw épel«sin ëpantew;

“Où mettras-tu les kleroteria ?

Je les installerai sur l’Agora. Puis, ayant placé tout le monde près d’Harmodios, jeles tirerai au sort, et chacun s’en ira gaiement, sachant à quelle heure il dînera. Le

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145 KROLL, op. cit., p. 3.146 Respectivement ISOCR., Ech., 15.21 d’une part et DÉM., Timocr., 24.22 et 27 d’autre part.147 À l’époque hellénistique, cette procédure de tirage au sort s’est étendue à d’autres institutions (parexemple les proédries) mais pour le IVe siècle elle semble n’avoir été utilisée que pour les dikasteria etles magistratures.148 C’est la démonstration faite par KROLL, op. cit., surtout p. 51-68, par l’étude des sources matérielles.LANG, op. cit.149 AR., Pl., 1166-1167 ; 972 et 277-278 qui mentionne le tirage au sort d’une lettre comme moyen dedésignation des dicastes.150 AR., Eccl., 681-688 (trad. CUF modifiée).

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héraut dira à ceux du bêta d’aller dîner au portique Basileion, au thêta de se rendreau portique voisin ; à ceux du kappa, au portique du marché aux céréales.

[…]

Mais ceux pour qui il n’aura pas été tiré de lettre donnant droit au dîner, ceux-làles repoussera-t-on tous ?”

Le système de désignation ne paraît pas aussi abouti qu’à la fin du IVe siècle avecune procédure non encore individualisée. Dans le Ploutos, le support est nommé,xymbolon, sans que le matériau, bronze ou bois, soit précisé151. En revanche, vers350, un passage d’Isocrate ainsi qu’un fragment d’Euboulos laisse penser que le sys-tème est en place152. L’année 378/7 est généralement présentée comme une année deréformes qui conviendrait donc pour celle des désignations des dicastes153.

Outre les sources littéraires, nous disposons également des sources matérielles,c’est-à-dire des pinakia eux-mêmes154. À l’exception de cinq ou six, ces lamelles debronze ont été trouvées dans la tombe de leurs derniers possesseurs155. Réutilisésdans la grande majorité des cas, il est cependant difficile de voir dans la présence despinakia dans les sépultures un symbole du métier de citoyen. Une forme type peutêtre dégagée : nom, patronyme, une lettre comprise entre les dix premières de l’al-phabet ionien-attique et une marque de sceau (chouette, tête d’Athéna ou une Gor-gone). Toutefois, les pinakia sont très différents entre eux. Certains portent entreune et quatre empreintes de sceaux, d’autres aucune156.

La très grande majorité des pinakia portent une lettre entre A et K, en conformitéavec le témoignage de la Constitution des Athéniens. Ces lettres ne sont que très rare-ment érasées, ce qui laisserait penser que l’individu tirait au sort un pinakion et quecelui-ci lui donnait sa lettre. Cela ne fut éventuellement vrai que lorsque la lettreétait frappée. Une modification survient avec la gravure de la lettre car alors celle-ciest gravée en même temps que le nom, ce qui indique que le choix était définitive-ment fait. L’inscription se faisait sur la base de la tribu, même si la cité fournissait lebronze157. Lorsqu’un pinakion était rendu, il ne restait pas propriété de la tribu maisla cité le récupérait afin de les graver de nouveau. C’est pour cela que les réutilisa-tions ne concernent que rarement des hommes d’une même tribu et encore moinsd’un même dème158.

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151 AR., Pl., 278.152 ISOCR., Areop., 7.54 et EUBOULOS apud ATHÉNÉE 10.450b.153 G.M. CALHOUN, Oral and Written Pleadings in Athenian Courts, TAPhA 50, 1919, p. 177-193.KROLL, op. cit., p. 7 et 69-90 adopte cette datation et complète la démonstration.154 KROLL, op. cit., p. 8-50 et ID., More Athenian Bronze Allotment Plates, in K.J. RIGSBY (éd.), StudiesPresented to Sterling Dow on his Eightieth Birthday, Durham (Caroline du Nord), 1984, p. 165-171. Surla technique de la gravure du bronze, voir ID., Athenian Bronze, p. 24-26.155 Ibid., p. 9-11.156 Cette deuxième catégorie laisse penser qu’à l’origine les pinakia ne portaient pas de sceaux. Ces dif-férences semblent être chronologiques. Voir infra.157 PS- ARSTT, Ath. pol., 63.4 cité supra.158 KROLL, op. cit., p. 34-36 considère que la réutilisation n’était pas immédiate et intervenait au moinsun an après.

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Les sceaux sont sans conteste l’élément le plus mystérieux car les sources littérairesne fournissent aucun renseignement. Deux interprétations principales ont été pro-posées159. Certains ont pensé qu’un sceau était mis à chaque fois que le juré prenaitplace dans le dicastérion. D’autres ont établi un lien entre les sceaux et les magistra-tures exercées. La découverte des sceaux premiers a eu plusieurs implications sur cedébat160. Dans ce cas, la marque donne légitimité au bronze. L’association a été faiteentre les “trois oboles” et les pinakia portant cette marque car nous savons qu’autourde 424 la rétribution des dicastes se fixa à ce montant pour n’en plus bouger au coursdu IVe siècle ; Aristophane parle de phratries des trois oboles161.

Il est probable que certains pinakia servaient pour le tirage au sort de magis-trats162. On constate ainsi le rôle que l’écriture joue dans la désignation des magis-tratures et des postes de dicastes. Autrement dit, une procédure déterminante de ladémocratie athénienne ne fonctionnait que par l’utilisation de documents écrits,échangés entre le centre et les citoyens, certes rudimentaires par leur contenu, maisindispensables. En outre, et ce n’est pas le point le moins important, le souci de l’au-thentification du pinakion témoigne de l’autorité du document écrit. Si l’on en croitKroll, celui qui ne fournirait pas son pinakion ne pourrait pas cette année-là parti-ciper au tirage au sort. Des individus auraient donc cherché à s’introduire dans lesdicastèria alors qu’ils n’en avaient pas le droit163. Qui sont-ils ? Certainement pas leshommes âgés de moins de trente ans ou les atimoi car il n’y avait pas de vérificationpréalable164. Sans doute, n’y avait-il qu’un nombre restreint de dicastes choisis et lesrefusés pour quelque raison que ce soit pouvaient toujours chercher à obtenir parl’argent ou par la persuasion ce que la chance ne leur avait pas donné165. Quoi qu’ilen soit, ces citoyens se rendaient coupables du délit de faux et usage de faux en écri-ture.

4. Justice et écriture. De la valeur des documents écrits

Les développements précédents ont montré l’importance du recours aux docu-ments, dans le fonctionnement des institutions de la cité. Cependant, les historiensconsidèrent dans l’ensemble que la justice athénienne demeure attachée à l’oralitédans le fonctionnement des procédures comme pendant les procès. Nombreux sontpourtant les documents cités par les orateurs qui se trouvent être de ce fait un corpusprécieux sur les différents types d’écrit utilisés et conservés par les Athéniens166. N’a-

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159 Ibid., p. 51.160 Par sceaux premiers, il faut entendre le fait que certains pinakia recevaient la marque d’un sceauavant tout autre signe écrit.161 AR., Cav., 255.162 Cf. le débat entre KROLL, op. cit., et LANG, op. cit., p. 60-61.163 PS- ARSTT, Ath. pol., 62.1 justifie les modifications du système de désignation par le fait que lesdèmes avaient commencé à vendre certaines fonctions.164 Les sources évoquent des cas d’inscriptions en dépit de causes d’invalidation : DÉM., Mid., 21.182sur un cas particulier et DÉM., Timocr., 24.123 et PS-ARSTT, Ath. pol., 63.3 sur le cas général. AR., Pl.,1164-1167 décrit des tentatives de fraude, en l’occurrence des inscriptions dans plusieurs sections.165 KROLL, op. cit., p. 80.166 Cf. chapitre 2.

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t-on pas jusque là sous-estimé la nature et l’importance du recours aux preuvesécrites dans les procédures judiciaires athéniennes ?167 En effet, c’est à cette seuleaune qu’il sera possible d’estimer l’ampleur réelle de l’usage de l’écrit par la cité etpar voie de conséquence par les citoyens. En outre, devant la cour, lorsqu’il est uti-lisé, le document est discuté, critiqué voire rejeté ce qui amène à réfléchir à sa valeur ;en bref à poser la question de confiance pour reprendre l’expression deT. M. Lentz168. Auparavant, il convient de rappeler le rôle général que jouait l’écri-ture dans les différentes procédures judiciaires que connaissait le droit attique.

A. ÉCRITURE ET PROCÉDURES JUDICIAIRES

a) Écriture et ouverture d’une procédure au Ve siècle

Les sources concernent presque exclusivement le IVe siècle. Toutefois, deux pas-sages d’Aristophane montrent qu’on aurait tort de considérer que la part croissantede l’écriture dans la procédure judiciaire daterait de ce seul siècle169. Le phénomèneest plus ancien et il concerne au moins la seconde moitié du Ve siècle170. Dans l’und’eux, on parle d’un secrétaire chargé des procès171. Ses fonctions ne sont pas préci-sées mais on peut émettre l’hypothèse qu’au minimum il lisait les documents offi-ciels. Le deuxième est beaucoup plus explicite et concerne le dépôt d’une plainte.Socrate interroge Strepsiade sur le moyen qu’il utiliserait pour annuler un procès decinq talents. Ce dernier lui répond172 :

St. ÖHdh parå to›si farmakop≈laiw tØn l$yon taÊthn •Òrakaw, tØnkalÆn, tØn diafan∞, éf' ∏w tÚ pËr ëptousi; Sv. TØn Ïalon l°geiw;St. ÖEgvge. Efi taÊthn lab≈n, ıpÒte grãfoito tØn d$khn ı grammateÊw,épvt°rv ståw œde prÚw tÚn ¥lion tå grãmmat' §ktÆjaimi t∞w §m∞w d$khw;

“Strep. — Tu as déjà vu chez les droguistes cette pierre, la belle, la diaphane, aveclaquelle on allume le feu ?

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167 Il existe une étude complète de la question de la preuve devant les tribunaux athéniens, BONNER,Evidence. Bien qu’ancienne, elle demeure la référence principale sur le sujet. Elle a éré complétée parA. SOUBIE, Les preuves dans les plaidoyers des orateurs attiques, RIDA 20, 1973, p. 171-253 qui abordece dossier en juriste. Pour une présentation rapide, voir HARRISON, Law of Athens II, p. 133-154 ;D.M. MCDOWELL, The Law in Classical Athens, Ithaque (NY), 1978, p. 242-247 ; et T.M. LENTZ, Ora-lity and Literacy in Hellenic Greece, Carbondale-Edwardsville, 1989, p. 71-89. D. COHEN, Writing,Law, and Legal Practice in the Athenian Courts, in H. YUNIS (éd.), Written Texts and the Rise of Lite-rate Culture in Ancient Greece, Cambridge, 2003, p. 78-96 a analysé trois situations, l’établissement dustatut de citoyen, les successions et les transactions commerciales.168 C’est ainsi qu’il intitule son chapitre sur les preuves devant les tribunaux athéniens (cité supra).169 AR., Nuées, 759-774 et Cav., 1256. Dans l’ensemble, A.L. BOEGEHOLD, The Lawcourts at Athens,Sites, Buildings, Equipment, Procedure and Testimonia. The Athenian Agora 28, Princeton, 1995, p. 23-30 envisage un recours important à l’écriture pendant la période 460-410. Cf. également AR.,fr. 226 K.-A.170 CALHOUN, op. cit. parvient à la même conclusion.171 AR., Cav., 1256.172 AR., Nuées, 766-772 (trad. CUF modifiée). Sur la fragilité de la cire, voir aussi DÉM., Steph. II,46.11.

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Socr. — Le cristal, tu veux dire ?Strep. — Oui. Eh bien, que penses-tu de mon idée, si prenant cette pierre aumoment où le secrétaire écrirait la plainte, et me tenant à distance, comme ceci,je faisais fondre au soleil le texte de mon accusation ?”

b) Arbitrage

Avant de saisir un magistrat, il était possible de rechercher une conciliation devantun arbitre. Si les deux parties ne s’entendent pas, alors un dossier d’instruction estréalisé, selon une procédure décrite par la Constitution des Athéniens173 :

Ofl d¢ paralabÒntew, [§]ån mØ dÊnvntai dialËsai, gign≈skousi, kín m¢némfot°roiw ér°sk˙ tå gnvsy°nta ka‹ §mm°nvsin, ¶xei t°low ≤ d$kh. áAn d'ı ßterow §fª t«n éntid$kvn efiw tÚ dikastÆrion, §mbalÒntew tåw martur$awka‹ tåw proklÆseiw ka‹ toÁw nÒmouw efiw §x$nouw, xvr‹w m¢n tåw toËdi≈kontow, xvr‹w d¢ tåw toË feÊgontow, ka‹ toÊtouw katashmhnãmenoi, ka‹tØn gn«sin toË diaithtoË gegramm°nhn §n grammate$ƒ prosartÆsantew,paradidÒasi to[›]w d' to›w tØn fulØn toË feÊgontow dikãzousin. Ofl d¢paralabÒntew efisãgousin efiw tÚ dikastÆrion, tå m¢n §ntÚw xil$vn efiw ßnaka‹ diakos$ouw, tå d' Íp¢r xil$aw efiw ßna ka‹ tetrakos$ouw. oÈk ¶jesti d'oÎte nÒmoiw oÎte proklÆsesi oÎte martur$aiw éll' µ ta›w parå toË diai-thtoË xr∞syai ta›w efiw toÁw §x$nouw §mbeblhm°naiw.

“[Les arbitres], une fois saisis, rendent une décision dans le cas où ils ne réussissentpas à concilier les parties. Si les deux plaideurs l’acceptent et s’y tiennent, le procèsest terminé. Mais si l’un des deux adversaires fait appel au tribunal, l’arbitre metdans deux boîtes séparées — l’une au nom du demandeur, l’autre au nom dudéfendeur — les témoignages, sommations et textes de loi invoqués par l’un et parl’autre ; il y appose son cachet, y attache la sentence arbitrale transcrite sur unetablette et remet le tout aux quatre juges de la tribu du défendeur. Ceux-ci, aprèsavoir reçu le dossier, introduisent l’affaire devant un tribunal composé de deux centun membres, si la demande est au-dessous de mille drachmes, et de quatre cent un,si elle est au-dessus. Il n’est pas permis aux parties d’invoquer aucun autre texte deloi, sommation ou témoignage que ceux qui viennent de l’arbitre et qui ont été misdans les boîtes”.

Dans la deuxième moitié du IVe siècle, l’arbitrage se conçoit comme une procé-dure reposant sur l’écriture qui permet la constitution d’un véritable dossier, com-posé de documents privés multiples. On peut citer des comptes de tutelle et un écritfixant les conditions dans lesquelles un esclave devait être torturé174. Les témoignagesoraux étaient de même mis par écrit devant l’arbitre ou auparavant175, et si l’affairese poursuivait devant le tribunal, les témoins n’y assistaient pas toujours, leur dépo-

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173 PS- ARSTT, Ath. pol., 53.2-3 (trad. CUF) et le commentaire de RHODES, Commentary, p. 589-591.174 Respectivement DÉM., Aphob. I, 27.50 et Steph. I, 45.61.175 DÉM., Steph. II, 46.11 distingue les deux types de témoignages écrits. Il semble que l’arbitre ou unmagistrat pouvait intervenir selon les cas dans le texte de la version qui est mise par écrit.

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sition faisant office de témoignage176. Si le témoin ne résidait pas à Athènes, une dis-position législative permettait de recueillir sa version des faits177. “This new proce-dure tells of a time when men had come to desiderate the fixity and precisions of awritten text, as compared with the fluidity of speech. They recognized, therefore,that there was such a thing as a true text, a text, that is, that could be agreed uponto form the basis of arguments on both sides”178.

L’importance de l’urne est telle que son scellement constitue parfois un momentclef de la procédure179. Boethos aurait aimé ajouter que son adversaire avait été citéen justice pour abandon de poste mais “les urnes étaient scellées quand le fait s’estproduit, autrement j’aurais produit des témoins”180. La tentation était grande defaire disparaître par un moyen ou un autre la pièce importante sur laquelle l’adver-saire fondait son argumentation. Apollodôros rapporte ainsi sa mésaventure181 :

TØn går martur$an ∂n ‘mhn e‰nai ka‹ di' ∏w ∑n ı ple›stow ¶legxÒw moi,taÊthn oÈx hron §noËsan §n t“ §x$nƒ. TÒte m¢n dØ t“ kak“ plhge‹w oÈd¢nêll' e‰xon poi∞sai plØn Ípolambãnein tØn érxØn ±dikhk°nai me ka‹ tÚn§x›non kekinhk°nai. VËn d' éf' œn Ïsteron p°pusmai, prÚw aÈt“ t“diaithtª St°fanon touton‹ aÈtØn Íf˙rhm°non eÈr$skv, prÚw martur$antin' ·n' §jork≈saimi énastãntow §moË.

“Le témoignage que je croyais avoir et qui était ma preuve la plus décisive, je nel’ai pas trouvé dans l’urne. À ce moment, sous le coup du malheur, je ne pouvaisque soupçonner le magistrat de m’avoir fait tort et d’avoir touché au dossier ; mais,d’après mes renseignements, c’est Stéphanos qui a détourné cette pièce au tribunalde l’arbitre, alors que j’avais quitté la salle pour faire jurer un témoin”.

Une autre technique consiste à ne pas verser des pièces réclamées par l’adver-saire182. Dans le même ordre d’idée, le lancement d’une nouvelle procédure par unesommation constituait un bon moyen pour empêcher le scellement des urnes183.Sans doute la manœuvre la plus simple consistait-elle à combiner plusieurs tech-niques, à savoir gagner du temps, détourner l’attention en abordant des sujets qui ne

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176 Voir infra.177 ISÉE, Pyrr., 3.19-27.178 BOEGEHOLD, op. cit., p. 35.179 Ibid., p. 79-81 et p. 288-305. Nous ne suivons pas P.J. RHODES, Judicial Procedures in Fourth-Cen-tury Athens. Improvements or Simply Change ?, in W. EDER (éd.), Die Athenische Demokratie im 4.Jahrhundert v. Chr., Stuttgart, 1995, p. 310 qui doute du fait qu’il n’était pas possible d’introduire denouveaux documents au cours du procès après l’instruction. L’exemple qui suit invite à penser quel’echinos renfermait l’ensemble des écrits qui allaient être utilisés devant l’arbitre d’abord, devant le tri-bunal ensuite. L’acceptation de l’hypothèse de R.W. WALLACE, Diamarturia in late fourth-centuryAthens : notes on a “cheese pot” (SEG 36, 1986, n° 296), in E. CANTARELLA et G. THÜR (éd.), Vorträgezur griechischen und hellenistischen Rechtsgeschichte, Cologne, 2001, p. 89-101 selon laquelle les docu-ments étaient scellés pour un procès ne modifie pas notre conclusion.180 DÉM., Bœot. I, 39.17 (trad. CUF) : TaËta d' efi mØ seshmasm°nvn ≥dh sun°bh t«n §x$nvn, kínmãrturaw Ím›n paresxÒmhn. Voir aussi DÉM., Everg., 47.16.181 DÉM., Steph. I, 45.57-58 (trad. CUF).182 DÉM., Tim., 49.19.183 DÉM., Con., 54.27.

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concernent pas l’affaire voire plus simplement à déposer des témoignages écrits sansintérêt184 :

àA to$nun, ˜y' ≤ d$aita §g$gneto, §po$oun, boÊlomai prÚw Ímçw efipe›n: ka‹går §k toÊtvn tØn és°lgeian yeãsesy' aÈt«n. ÉEpo$hsan m¢n går ¶jvm°svn nukt«n tØn Àran, oÎte tåw martur$aw énagign≈skein §y°lontew oÎt'ént$grafa didÒnai, t«n te parÒntvn ≤m›n kay' ßn' oÍtvs‹ prÚw tÚn l$yonêgontew ka‹ §jorkoËntew, ka‹ grãfontew martur$aw oÈd¢n prÚw tÚ prçgma.

“Je veux maintenant vous dire ce qu’ils ont fait lors de l’arbitrage : vous verrezd’après cela leur impudence. Ils prolongèrent la séance au-delà de minuit ; ils serefusaient à donner lecture ou copie des témoignages ; ils menaient auprès de lapierre et faisait jurer un à un, sans raison, ceux qui nous assistaient ; ils rédigeaientdes témoignages sans rapport avec l’affaire”.

c) Egklèma185

Pour intenter une action contre un tiers, il fallait déposer une demande, egklèma,devant le magistrat compétent. Démosthène insiste sur l’importance de ce docu-ment et sur la précision de rédaction qu’il requiert186 :

ÉEg∆ gãr, Œ êndrew dikasta$, tØn d$khn ¶laxon toÊtƒ t∞w §pitrop∞w oÈx ©nt$mhma sunye$w, Àsper ín e‡ tiw sukofante›n §pixeir«n, éll' ßkaston§ggrãcaw ka‹ pÒyen lab∆n ka‹ pÒson tÚ pl∞yow ka‹ parå toË, ka‹ oÈdamoËtÚn MilÊan par°grac' …w efidÒta ti toÊtvn. ¶stin oÔn toË m¢n §gklÆmatowérxÆ ‘tãd' §gkale› Dhmosy°nhw ÉAfÒbƒ: ¶xei mou xrÆmat' ÖAfobow ép'§pitrop∞w §xÒmena, ÙgdoÆkonta m¢n mnçw, ∂n ¶laben pro›ka t∞w mhtrÚwkatå tØn diayÆkhn toË patrÒw'.

“Quand j’ai intenté contre Aphobos, juges, mon action de tutelle, je ne me suis pascontenté d’une estimation globale, comme quelqu’un qui ferait un méchantprocès : j’ai inscrit chaque article à part, en indiquant à quel titre il avait reçu tellesomme, le montant de cette somme, celui qui la lui avait remise, et pas une fois jen’ai mentionné Milyas comme étant au courant. Voici le début de ma demande :‘Démosthène contre Aphobos. Griefs : Aphobos détient des valeurs qui m’appar-tiennent, à la suite de la tutelle qu’il a exercée. Soit : 80 mines, montant de la dotde ma mère qu’il a reçue conformément au testament de mon père…’”

Elle se concluait sans doute toujours par l’epigramma, c’est-à-dire le montant del’amende proposée187.

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184 DÉM., Con., 54.26 (trad. CUF).185 Voir HARRISON, Law of Athens II, p. 88.186 DÉM., Aphob. III, 29.30-31 (trad. CUF). Voir aussi DÉM., Pant., 37.22, 25, 26, 28, 29 et 32 (lademande est lue de façon progressive afin de la discuter point par point, voir infra).187 DÉM., Naus., 38.2.

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d) Phasis188

Ce terme désigne un type d’actes écrits de dénonciation remis aux magistratscompétents. Il nomme également le document qui porte l’accusation. Un plaidoyerdu corpus démosthénien décrit la procédure de la phasis. Théocrinès accuse Micond’avoir transporté du blé dans une autre place qu’Athènes189 :

TaÊthn tØn fãsin, Œ êndrew dikasta$, ¶dvken m¢n oÍtos‹ proskalesã-menow tÚn M$kvna, ¶laben d¢ ı grammateÁw ı t«n toË §mpor$ou §pimelht«n,EÈyÊfhmow. ÉEj°keito d¢ polÁn xrÒnon ¶mprosyen toË sunedr$ou ≤ fãsiw,ßvw lab∆n érgÊrion otow e‡ase diagraf∞nai kaloÊntvn aÈtÚn efiw tØnénãkrisin t«n érxÒntvn.

“Cette dénonciation a été déposée par [Théocrinès] après citation à Micon ; elle aété reçue par le secrétaire des épimélètes de l’emporion, Euthyphèmos ; elle estrestée longtemps affichée devant le bureau des épimélètes : finalement, Théocrinès,ayant reçu de l’argent, l’a laissé effacer au moment où les magistrats le convo-quaient pour l’instruction”.

Cet exemple illustre le rôle que tient l’écriture dans la justice ainsi que l’interac-tion avec l’oralité. Le point de départ consiste dans une rédaction de la dénoncia-tion, puis elle est lue à l’accusé par l’accusateur, elle est ensuite déposée auprès desmagistrats compétents. Nous ne savons pas si une copie est réalisée — avec l’éven-tualité d’une malveillance, cela nous semble probable — ou si l’original est affichédirectement190. Quoi qu’il en soit, la suppression de cette procédure implique doncla disparition de l’acte écrit, l’effacement191.

e) Proklèsis192

La sommation ou proklèsis c’est-à-dire la demande faite à l’adversaire de se pré-senter devant le magistrat compétent un jour donné, suppose une mise par écrit.Nous ne connaissons qu’un seul exemple de texte complet, dans le Contre Nééra :“Apollodôros fait sommation à Stéphanos ainsi qu’il suit, au sujet de l’accusationqu’il a intentée contre Nééra d’être l’épouse d’un Athénien, étant étrangère”. Il citeensuite les noms des esclaves qu’il souhaite voir mises à la torture pour prouver sonbon droit. Si ce n’était pas le cas, “Apollodôros se déclare prêt à se désister du procèscontre Nééra et à payer tous les dommages que les esclaves auraient subis du fait dela torture”193. Une fois rédigé, l’original était remis à l’arbitre ou au magistrat com-

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188 HARRISON, Law of Athens II, p. 218-221.189 DÉM., Theocr., 58.8 (trad. CUF modifiée).190 Le cas présent est original. Il semble que le lieu d’exposition traditionnel soit le monument des héroséponymes sur l’Agora (DÉM., Mid., 21.103). Les sommations pouvaient être affichées dans une autrecité. Dans le Contre Dionysodôros (DÉM., Dion., 56.18), elle est affichée à Rhodes, sans doute pouravertir les autres commerçants du comportement de Dionysodôros et donc pour porter un coup à saréputation, donc à ses affaires, afin de l’amener à rembourser.191 Pour un autre exemple, DÉM., Olymp., 48.26.192 Sur la sommation, voir BONNER, Evidence, p. 67-69 et HARRISON, Law of Athens II, p. 85-88.193 DÉM., Nééra., 59.124 (trad. CUF) : Tãde proÈkale›to ÉApollÒdvrow St°fanon per‹ œn tØngrafØn g°graptai N°airan, j°nhn oÔsan ést“ sunoike›n […] ka‹ e‡ ti §k t«n basãnvn

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pétent194. Mais des copies étaient réalisées afin que les deux parties possèdent unexemplaire195. Lorsque ce n’est pas le cas, l’auteur de la sommation peut être soup-çonné de fraudes196. Bien évidemment, la procédure requiert la lecture du texte àcelui à qui elle est adressée, ce dernier apposant son sceau en signe d’accord197. Letout se déroule avec des témoins plus ou moins nombreux de façon à ce que l’exis-tence de la sommation ne soit pas par la suite remise en cause198.

f ) Paragraphè199

L’exception est une procédure particulière qui vise à en interrompre une autre encours, au titre d’une impossibilité juridique. Par exemple, — ce fut l’objet d’une loiproposée par Archinos en 403/2 — un citoyen qui tenterait une action contre unindividu au motif de sa participation au moment des Trente se verrait opposer parcelui-ci une paragraphè en raison de l’amnistie. Plus généralement, “les lois permet-tent d’opposer l’exception quand ce ne sont pas les magistrats compétents qui sontsaisis” rappelle Nicoboulos200. Après avoir fait lire la loi en question, il précise201 :

ToËto to$nun §moË paragegramm°nou prÚw tª êll˙ paragrafª, ‘ka‹ oÈkˆntvn efisagvg°vn t«n yesmoyet«n Íp¢r œn lagxãnei Panta$netow,’ §jalÆ-liptai ka‹ oÈ prÒsesti tª paragrafª. TÚ d' ˜pvw, Íme›w skope›te: §mo‹ m¢ngãr, ßvw ín ¶xv tÚn nÒmon aÈtÚn deiknÊnai, oÈd' ıtioËn diaf°rei: oÈ gårtÚ gign≈skein ka‹ suni°nai tå d$kai' Ím«n §jale›cai dunÆsetai.

“J’ai donc ajouté ce motif d’exception dans mon texte : ‘les thesmothètes n’étantpas compétents pour les griefs invoqués par Panténètos’. Cet article a été effacé etne figure pas dans la formule de l’exception. Comment cela ? C’est à vous de lerechercher. Moi, cela m’est égal, du moment que je puis produire le texte de la loi.Car ce que mon adversaire ne pourra pas effacer en vous c’est la notion et l’intelli-gence du droit”.

La rédaction de l’exception était du ressort de celui qui souhaitait entamer unetelle procédure. Concernant l’effacement, cela est plutôt étonnant et il y a lieu de sedemander si Nicoboulos n’a pas oublié ce point de droit et tente par la suite de com-pléter son argumentation. Quoi qu’il en soit, il semble que la paragraphè reposait sur

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blafye$hsan afl ênyrvpoi, épot$nein ˜ ti blabe$hsan. Outre les passages cités infra, voir aussiANT., sur le choreute 6.21, DÉM., Steph. I, 45.8, Phorm., 34.28 et Olymp., 48.50.194 Par exemple DÉM., Aphob. III, 29.20.195 DÉM., Aphob. III, 29.51, la copie de la sommation d’Aphobos est conservée par un esclave. DÉM.,Onet. I 30.36 offre un cas étrange car l’orateur semble avoir été en possession de l’original de la som-mation.196 DÉM., Pant., 37.42.197 DÉM., Pant., 37.40 et 42.198 DÉM., Steph. II, 46.11.199 Voir HARRISON, Law of Athens II, p. 106-124, S. ISAGER et M.H. HANSEN, Aspects of Athenian Societyin the Fourth Century B.C., Odense, 1975, p. 123-131 et MCDOWELL, op. cit., p. 214-217.200 DÉM., Pant., 37.33 (trad. CUF) : Ofl d¢ nÒmoi ka‹ toÊtvn didÒasi tåw paragrafåw énti-lagxãnein, per‹ œn oÈk efis‹n efisagvge›w.201 DÉM., Pant., 37.34 (trad. CUF).

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le texte rédigé et qu’il n’était pas possible d’ajouter de nouvelles dispositions202. Dureste, on comprendrait mal sinon pourquoi l’adversaire chercherait à effacer unaspect qui serait évoqué de toute façon au moment du procès.

g) Anacrisis et diamartyria203

L’anacrisis est une procédure d’enquête au cours de laquelle un magistrat décides’il est compétent ou non pour traiter l’affaire qui lui est présentée. Elle peut égale-ment se dérouler devant l’arbitre public. Chaque protagoniste produit autant depreuves qu’il peut. Au cours de cette procédure, l’un des acteurs peut arrêter l’ins-truction en avançant l’idée qu’un des arguments majeurs de son adversaire n’est pasrecevable, ce qui correspond à la diamartyria204. Dans le Contre Léocharès, elle estrédigée par l’accusateur et déposée auprès de l’archonte205. A. Boegehold a publié lecouvercle d’un echinos qui renfermait des documents relatifs à une telle procédure206.On y lit distinctement : d]iamartur$a : §j énakr$sevw. On suppose qu’y figuraitégalement le contenu des pièces qui composaient le dossier et le nom des magistratset des plaignants207.

Selon A. Boegehold, cette procédure est antérieure à Démosthène208. Il évoquedeux idées209. D’abord, les Grecs sont conscients depuis longtemps qu’il est possiblede jouer sur les mots pour un serment et n’ont donc pas une foi aveugle en ces der-niers210. Ensuite, la diamartyria suppose un jugement sur le serment au mot prèsquelques jours ou semaines plus tard. Sa mise par écrit était une mesure de bon sens.Aristophane mentionne du reste un echinos dans un contexte judiciaire211.

h) L’antidosis212

La procédure d’échange consistait en une dénonciation d’un citoyen par un autrecitoyen astreint à une liturgie au motif qu’il posséderait une fortune supérieure. Samise en œuvre suppose un inventaire des biens respectifs de chacun, demandeur etdéfendeur213. Le Contre Phénippos constitue la source principale214 : “Phénippos [l’ac-

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202 Cf. supra sur l’arbitrage.203 Respectivement HARRISON, Law of Athens II, p. 94-105 et MCDOWELL, op. cit., p. 211-214 et 217-218 ; et HARRISON, Law of Athens II, p. 124-131 et ISAGER et HANSEN, op. cit., p. 132-137.204 Selon L. Gernet in Plaidoyers civils II, p. 129, cette procédure “consiste à faire opposition à unedemande en produisant des témoins qui attestent qu’il n’y a pas lieu à action en justice”, le plus sou-vent dans les affaires de succession.205 DÉM., Leo., 44.42.206 A.L. BOEGEHOLD, A Lid with Dipinto, in Studies Presented to Eugene Vanderpool. Hesperia Suppl. 19,Princeton, 1992, p. 1-6, ID., The Lawcourts at Athens, p. 80-81 E1 et p. 225-226 n° 305.207 Sur ce document, cf. en dernier lieu WALLACE, op. cit. Il discute les restitutions proposées et l’asso-ciation entre l’echinos et la diamartyria.208 Il suit L. GERNET, Sur les actions commerciales en droit athénien, in ID., Droit et société dans la Grèceancienne, Paris, 1955, p. 173-200 et MCDOWELL, op. cit., p. 213-214.209 BOEGEHOLD, The Lawcourts at Athens, p. 79-81.210 Par exemple, Od., 9.396, Hymne à Hermès, 368-384, HDT 4.201 et THC 3.34.3.211 AR., Gren., 1435-1437 et l’analyse de Ibid., p. 80.212 Voir HARRISON, Law of Athens II, p. 236-238.213 L’inventaire était également indispensable dans les affaires de confiscation (ISÉE, Dik., 5.3 et LYS.,Conf., 17.4, 17.7 et 17.9 : dans les deux cas, des inventaires écrits ont été réalisés par les accusateurs etsont produits devant le tribunal).

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cusé] devait fournir sa déclaration de biens dans les trois jours qui suivaient le ser-ment — délai légal — ou, à son gré, le 6 de la dernière décade de Boèdromion —terme qu’il avait demandé, qu’il avait fixé, pour lequel il s’était engagé”215. Il n’en faitrien216 :

ÉAll' §g∆ m¢n §peidØ toËton •≈rvn oÈ pros°xontã moi tÚn noËn oÈd¢ to›wnÒmoiw, efiw tÚ stratÆgion ¶dvka tØn épÒfasin, otow d°, ˜per ka‹ mikr“prÒteron e‰pon, pr–hn ¶dvk° moi bibl$on, oÈd¢n êllo boulÒmenow µ doke›nm¢n dedvk°nai tØn épÒfasin, mØ ¶xein d° me to›w §n aÈt“ gegramm°noiw ˜ tixrÆsomai.

“Moi, voyant qu’il n’avait égard ni à sa promesse ni aux lois, j’ai déposé ma décla-ration au bureau des stratèges ; lui, comme je le disais tout à l’heure, c’est seule-ment avant-hier qu’il m’a remis cet acte : tout ce qu’il voulait, c’était pouvoir direque je l’avais reçue, en me laissant dans l’impossibilité d’en user”.

Au total, les sources révèlent la place importante de l’écriture dès la fin du Ve siècleavec un accroissement au IVe siècle. Un certain nombre de procédures ne peuventêtre lancées qu’au moyen de la production de documents écrits. Il s’agit d’un signeindéniable de la valeur accordée à ces derniers par les instances judiciaires athéniens.Un deuxième élément consiste dans la fréquence des références à des écrits devantles tribunaux.

B. LES DIFFÉRENTS TYPES DE DOCUMENTS ÉCRITS CITÉS DEVANT LA JUSTICE217

a) Les stèles

Il arrive à certains orateurs d’évoquer des stèles voire de les citer comme élémentsimportants de leur argumentation218. Dans le Contre Théocrinès, l’orateur demandeau greffier de lire la stèle qui porte le décret qui fixa une amende de dix talents auxMéliens en raison de l’accueil donné à des pirates219. La formulation est étonnantecar elle laisse entendre que la pierre se dressait là où le tribunal se réunit. Dans l’igno-rance où nous sommes du lieu de réunion, cette hypothèse paraît envisageable. Onreconnaîtra alors que cette situation ne pouvait qu’être exceptionnelle. Mais, uneautre lecture de stèle — du moins c’est ainsi que le texte en grec décrit le docu-ment — montre que la formulation est rhétorique. Lorsque Démosthène fait lire augreffier la condamnation d’Arthémios de Zéléia vers 457-455, il dit : “Prends ceci,greffier, et lis”. Le texte précise ensuite “Stèle”220. L’orateur ne saurait désigner une

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214 Le contenu du plaidoyer d’Isocrate (Ech.) dépasse de beaucoup la simple procédure.215 DÉM., Phen., 42.1 (trad. CUF) : ént‹ m¢n toË tri«n ≤mer«n éf' ∏w mose tØn épÒfasin doËna$moi t∞w oÈs$aw t∞w aÍtoË katå tÚn nÒmon, µ efi mØ tÒt' §boÊleto, tª g' ßkt˙ <fy$nontow> doËnaitoË bohdromi«now mhnÒw, ∂n dehye$w mou ¶yeto.216 DÉM., Phen., 42.14 (trad. CUF).217 Pour un catalogue des différents documents à l’exception des stèles, BONNER, Evidence, p. 58-66demeure le travail de référence.218 Isée ne fait jamais référence à une stèle et Hypéride n’y recourt qu’une seule fois.219 DÉM., Theocr., 58.56.220 DÉM., Amb., 19.270 (trad. CUF) : Taut‹ lab∆n énagnvy$, grammateË. STHLH.

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stèle qu’il tendrait au greffier. Il communique à ce dernier une transcription réaliséepeut-être à partir de l’inscription sur pierre221. Dans le Contre Leptine, à propos del’immunité accordée aux descendants des tyrannicides, Démosthène est explicite :“Prends-moi d’abord la copie de la stèle”222. Il s’agit alors d’une disposition trèsancienne dont l’original a disparu ou n’est pas consultable.

La référence aux stèles traduit surtout une volonté rhétorique d’insister sur l’im-portance d’une décision prise, comme un passage du Contre Évergos et Mnésiboulosen donne l’impression223 :

BoÊlomai d' Ím›n, Œ êndrew dikasta$, ka‹ tØn d$khn dihgÆsasyai, ˜yen§g°netÒ moi prÚw YeÒfhmon, ·na efid∞te ˜ti oÈ mÒnon §moË éd$kvw katedikã-sato, §japatÆsaw toÁw dikastãw, éllå ka‹ t∞w boul∞w ëma t«n pen-takos$vn tª aÈtª cÆfƒ, ka‹ êkura m¢n §po$hsen tå dikastÆria tåÍm°tera, êkura d¢ tå chf$smata ka‹ toÁw nÒmouw, ép$stouw d¢ tåw érxåwkat°sthsen Ím›n ka‹ tå grãmmata tå §n ta›w stÆlaiw.

“Je veux maintenant, juges, vous exposer l’origine de mes démêlés avec Théo-phèmos : vous saurez ainsi que ce n’est pas seulement moi qu’il a fait condamnerinjustement en trompant les juges, mais, en même temps et par le même vote, leConseil des Cinq-Cents ; qu’il a fait frapper d’invalidité le jugement de vos tribu-naux, les décrets et les lois ; qu’il a enlevé toute autorité aux magistratures et aucontenu des stèles”.

Les lois et décrets sont distingués des stèles qui en portent pourtant les textes224.À travers la stèle, l’orateur entend insister sur la permanence qu’elle manifeste, sur samonumentalité225. La même conclusion peut être tirée de l’évocation des tombes oudes stèles funéraires pour prouver une parenté226.

b) Les autres documents officiels

Les orateurs citent de très nombreux documents officiels autres que les stèles.Mais plus que la quantité, c’est leur diversité qui frappe. Si l’on excepte les lois et lesdécrets, les écrits les plus cités sont ceux qui proviennent de procédures judiciaires,soit celle qui est en cours, soit d’autres plus anciennes227. Certaines archives offi-

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221 Un autre exemple invite à la prudence. La lecture d’une inscription sur le trépied de Delphesconsacré à Apollon après les batailles de Platées et de Salamine peut tout aussi bien provenir de Thu-cydide qui en rapporte le texte (DÉM., Nééra, 59.97 et THC 1.132.2). LYS., Erat., 1.30 mentionne unelecture de la stèle de l’Aréopage, ce qui désigne bien sûr une copie. Pour d’autres exemples apparentsde lecture de stèles, voir DÉM., Lept., 20.69.222 DÉM., Lept., 20.127 (trad. CUF) Lab° moi pr«ton m¢n t∞w stÆlhw tént$grafa.223 DÉM., Everg., 47.18 (trad. CUF modifiée).224 Voir aussi DÉM., Lept., 20.36 sur le décret qui donne l’atélie à Leucon.225 Cf. chapitre 5.226 Par exemple DÉM., Macart., 43.79-80 et Leo., 44.18.227 Comme documents judiciaires lus devant un tribunal, on peut citer les demandes (DÉM., Pant.37.22, Naus., 38.14-15, P. Phorm., 36.21), les sommations (DÉM., Pant., 37.27), les témoignages pro-venant d’une autre procédure (ISÉE, Pyrr., 3.7 et 11 DÉM., Steph. I, 45.7-8), les actes d’opposition(DÉM., Steph. I, 45.46), les diamartyriai (DÉM., Leo., 44.45)… Cf. infra.

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cielles paraissent pouvoir être consultées. Pour prouver la non extranéité de sa mère,Euxithéos avance l’argument suivant contre l’accusation d’Euboulidès : “Si elle étaitétrangère, on n’aurait qu’à consulter les registres d’impôts du marché, pour voir sielle a payé la taxe des étrangers et pour montrer d’où elle est originaire”228. Pourprouver que Phormion n’a pas chargé la marchandise qu’il devait au titre du contraten qualité et en quantité, Chrysippe cite la déclaration faite auprès des pentècosto-logues229. Un cas plus étonnant est constitué par un passage du Contre Zénothémisqui évoque la possibilité de citer un document officiel d’une autre cité, en l’occur-rence Syracuse230. De même, le registre des commissaires du port au Bosphoreconstitue une preuve éventuelle231.

En revanche, dans nos sources, les registres de dème ne sont jamais utilisés pourprouver la citoyenneté d’un individu232. Cela pourrait constituer un élément décisifdans l’appréciation de l’importance quantitative des écrits cités en justice. Si l’onconsidère les plaidoyers qui sont parvenus jusqu’à nous et qui concernent des contes-tations de citoyenneté, un autre tableau se présente à nous. Dans le Contre Eubou-lidès, l’inscription dans le registre résulte d’un délit, ce document est donc inutili-sable233. Dans le Contre Léocharès, l’accusé cherche à vivre comme un citoyen dansle dème afin d’être inscrit dans le registre, puis il réussit à falsifier ce dernier avecl’aide du démarque234. Dans les deux cas, la même conclusion s’impose. Rien n’in-dique avec certitude que le lexiarchikon grammateion ne servait pas à prouver defaçon définitive la citoyenneté. Dans d’autres, il s’agit de femmes qui ne figurent passur ce type de registre235. Dans d’autres enfin, il faut prouver la citoyenneté deparents défunts, selon toute vraisemblance effacés des registres236.

c) Les documents privés

De nombreux documents privés sont également cités devant les tribunaux athé-niens. Outre les écrits que nous avons déjà été amenés à mentionner au chapitre 2,on peut citer des contrats237, un bail de banque238, des documents financiers239, des

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228 DÉM., Eub., 57.34 (trad. CUF) : éll' efi m¢n j°nh ∑n, tå t°lh §jetãsantaw tå §n tª égorò, efijenikå §t°lei, ka‹ podapØ ∑n §pideiknÊntaw.229 DÉM., Phorm. 34.7. Si l’on croit le Contre Leptine, les registres des sitophylaques étaient égalementaccessibles (DÉM., Lept., 20.32). Dans l’ensemble, il semble que les registres douaniers pouvaient êtreconsultés par les marchands sans entrave particulière et avec la possibilité d’en faire copie.230 DÉM., Zen., 32.18.231 DÉM., Phorm., 34.34.232 DÉM., Naus., 38.6 évoque les registres mais ne les cite pas. Cf. COHEN, op. cit., p.80-90 et A.C. SCA-FURO, Witnessing and False Witnessing : Proving Citizenship and Kin Identity in Fourth-Century Athens,in A.L. BOEGEHOLD et A.C. SCAFURO (éd.), Athenian Identity and Civic Ideology, Baltimore, 1994, p.156-198 qui a étudié les moyens utilisés dans les plaidoyers pour prouver la citoyenneté ou la parenté.233 DÉM., Eub. avec chapitre 4. ID., 57.46 convoque des témoins pour attester l’introduction d’Euxi-théos dans une phratrie et de son inscription parmi les démotes. Rien de plus normal car personne neconteste ce fait : pour être rayé, encore fallait-il être inscrit.234 DÉM., Leo., 44. Cf. chapitre 4.235 Par exemple, ISÉE, Philok., 6.64-65.236 Cf. DÉM., Eub., 57.17s. sur la citoyenneté du père d’Euxithéos.237 Par exemple, DÉM., P. Phorm., 36.4, Call., 52.31, LYC., Leocr., 1.24…238 DÉM., Steph. I, 45.31.239 DÉM., Aphob. II, 28.6, Pol., 50.10, Nicostr. 53.14…

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inventaires de patrimoine240, des comptabilités personnelles241… Parfois, le plai-gnant n’hésite pas à réaliser lui-même un document pour renforcer son argumenta-tion. Un ami d’Apollodôros rédige la liste des liturgies que ce dernier a accomplieset des sommes qu’il a reçues242. Dans une procédure d’échange, le plaignant rédigeune apographè qui contenait vraisemblablement l’ensemble de ses griefs à l’encontrede son adversaire243. Plus généralement, un orateur pouvait éprouver le besoin d’undocument particulier, un tableau, avec comme impératif que celui-ci soit visible partous les juges244 :

TÚ m¢n oÔn pr«ton dienoÆyhn, Œ êndrew dikasta$, grãcaw §n p$nakiëpantaw toÁw suggene›w toÁw ÑAgn$ou, oÏtvw §pideiknÊein Ím›n kay'ßkaston: §peidØ d¢ §dÒkei oÈk <ín> e‰nai §j ‡sou ≤ yevr$a ëpasi to›wdikasta›w, éll' ofl pÒrrv kayÆmenoi épole$pesyai, énagka›on ‡svw §st‹nt“ lÒgƒ didãskein Ímçw: toËto går ëpasi koinÒn §stin.

“J’avais d’abord eu l’idée d’inscrire sur un tableau toute la parenté d’Hagnias pourque vous puissiez la suivre dans le détail ; mais il m’a paru que le tableau ne seraitpas également visible pour tous les juges et que ceux des derniers rangs ne pour-raient l’apercevoir : je suis donc obligé pratiquement de recourir à la parole qui,elle, n’échappe à personne”.

S’il est intéressant par sa diversité, ce petit catalogue peine à démontrer l’impor-tance des écrits pour les Athéniens car il ne dit rien du statut réel des documents.Pour cela, il convient de distinguer les originaux des copies.

d) Copies et originaux : la question des sceaux

Cette distinction est en effet essentielle pour comprendre le rapport aux docu-ments écrits des Athéniens. Elle concerne avant tout deux types d’écrits, les contratset les testaments. Ces derniers ont déjà été partiellement abordés à propos des der-nières volontés de Démosthène, le père de l’orateur. La succession peut être consi-dérée comme intestat en raison du non scellement du document écrit qui est qua-lifié quand même de testament245. Le problème posé par cette affaire résulteégalement de l’absence de copies, qui limitent les risques de disparition du précieuxdocument et qui en facilite la consultation246. Dans la défense de Phormion contre

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240 LYS., Conf., 17.9241 DÉM., Pol., 50.30 : Apollodôros propose à Polyclès de lui donner la liste des sommes complémen-taires qu’il a dépensées pendant les quatre mois de triérarchie supplémentaire. Il l’évoque ensuitecomme document destiné au tribunal (DÉM., Pol., 50.65).242 DÉM., P. Phorm., 36.40. Une partie des informations semble provenir d’archives judiciaires citéesauparavant (DÉM., P. Phorm., 36.21). Voir aussi DÉM., Theocr., 58.17-18 cité infra.243 DÉM., Phen., 42.16 avec le commentaire de L. Gernet dans Plaidoyers civils II, p. 83 n. 1.244 DÉM., Macart., 43.18 (trad. CUF). THOMAS, Oral Tradition, p. 128 y voit une ruse de l’orateur.Mais rien n’autorise une telle affirmation.245 Cf. chapitre 3.246 DÉM., Steph. II, 46.28 ment lorsqu’il affirme que des copies de testament ne sont pas réalisées, voirpar exemple LYS., Diog., 32.7.

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Apollodôros, l’original n’est ainsi pas fourni : “Prends-moi la copie du testament, lasommation et les témoignages de ceux qui sont dépositaires du testament”247. Lacopie permet de connaître le contenu et les témoignages des dépositaires attestentl’existence de l’original. Mais est-on bien sûr que le contenu de l’un et celui de l’autresoient conformes, d’autant que les dispositions des testaments ne sont pas connuesdes dépositaires ? Cela faisait l’objet de contestations248. Un certain nombre de per-sonnes “témoignent qu’ils étaient présents devant l’arbitre Tisias d’Acharnes, lorsquePhormion adressa une sommation à Apollodôros, demandant que s’il ne reconnais-sait pas comme une copie du testament de son père Pasion l’écrit versé par Phormionau dossier, on ouvrît l’original qu’Amphias, beau-frère de Képhisophon, présentaitdevant l’arbitre ; qu’Apollodôros a refusé, et que voici la copie du testament dePasion”249. Le refus est mis en avant ici car il introduit un doute sur l’honnêteté dufils du banquier250. Le plus simple consistait à déposer l’original devant l’arbitre :“Mes adversaires ont déclaré que l’acte a été présenté par Amphias devant l’arbitre :s’ils disaient vrai, c’est l’acte lui-même qui aurait dû être versé au dossier, et celui quile présentait aurait dû fournir son témoignage ; ainsi, les juges pouvaient se fondersur l’évidence, sur la constatation des sceaux”251. Ce document ne devait donc pasêtre ouvert, les sceaux étaient une preuve qu’il s’agissait de l’original252.

Le corollaire est qu’il était dès lors difficile de consulter ces derniers puisque briserles sceaux équivalait à faire disparaître la qualité d’original ou du moins à la mettreen péril. Le Contre Spoudias offre un exemple de la procédure qui était mise enœuvre. Elle ne concerne pas un testament mais un ensemble documentaire intéres-sant une succession253 : “Les sceaux ayant été reconnus en notre présence par safemme et par la mienne, nous les avons ouverts et nous en avons pris copie ; puisnous les avons scellés à nouveau et déposés chez Aristogénès”. Les témoins attestentqu’il s’agit de l’original — les sceaux sont reconnus —, que les copies sont conformeset que le scellement concerne bien l’original qui n’a pas été modifié. Une procédureéquivalente était nécessaire pour les contrats : “Je lui ai fait une sommation, le requé-rant de me suivre chez Androcleidès le dépositaire, afin qu’ayant pris copie ensemblede la convention qui serait ensuite scellée à nouveau, nous déposions la copie dans

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247 DÉM., P. Phorm., 36.7 (trad. CUF) : Lab¢ t∞w diayÆkhw tÚ ént$grafon ka‹ tØn prÒklhsintauthn‹ ka‹ tåw martur$aw tautas$, par' oÂw afl diay∞kai ke›ntai.248 DÉM., Steph. II, 46.2.249 DÉM., Steph. I, 45.8 (trad. CUF) : marturËsi pare›nai prÚw t“ diathtª Teis$& ÉAxarne› ˜teproÈkale›to Form$vn ÉApollÒdvron, efi mÆ fhsin ént$grafa e‰nai t«n diayhk«n t«nPas$vnow tÚ grammate›on ˘ §nebãleto Form$vn efiw tÚn §x›non, éno$gein tåw diayÆkaw tåwPas$vnow, ìw pare›xe prÚw tÚn diathtØn ÉAmf$aw ı Khfisof«ntow khdestÆw: ÉApollÒdvrond¢ oÈk §y°lein éno$gein: e‰nai d¢ tãde ént$grafa t«n diayhk«n t«n Pas$vnow.250 DÉM., Steph. I, 45.13 y insiste.251 DÉM., Steph. I, 45.17 (trad. CUF) : memarturÆkasi d' otoi par°xein tÚ grammate›on ÉAmf$anprÚw tÚn diaithtÆn. OÈkoËn e‡per élhy¢w ∑n, §xr∞n aÈtÚ tÚ grammate›on efiw tÚn §x›non§mbale›n ka‹ tÚn par°xonta marture›n, ·n' §k t∞w élhye$aw ka‹ toË tå shme›' fide›n ofl m¢ndikasta‹ tÚ prçgm' ¶gnvsan.252 On recourait aussi au scellement des bâtiments dans la procédure d’échange afin d’empêcher queleur contenu disparaisse : voir DÉM., Phen., 42.2, 8, 19…253 DÉM., Spoud., 41.21 (trad. CUF) : ımologoum°nvn d¢ t«n shme$vn ka‹ parå t∞w toÊtougunaikÚw ka‹ parå t∞w §m∞w, émfÒteroi parÒntew éno$jantew ént$grafa t' §lãbomen, kéke›napãlin katashmhnãmenoi par' ÉAristog°nei katey°meta.

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l’urne”254. Dans cet exemple, le refus d’Olympiodôros bloque la procédure. Il restealors une possibilité extrême255 :

Ka‹ éji“ sugxvre›n aÈtÚn ka‹ §g∆ sugxvr“ énoixy∞nai tåw sunyÆkaw§ntauy‹ §p‹ toË dikasthr$ou, ka‹ ékoËsai Ímçw, ka‹ pãlin shmany∞nai§nant$on Ím«n. ÉAndrokle$dhw d¢ oÍtos‹ pãrestin. §g∆ går aÈt“ §pÆggeila¥kein ¶xonti tåw sunyÆkaw. ka‹ sugxvr“, Œ êndrew dikasta$, §n t“ toÊtoulÒgƒ µ §n t“ prot°rƒ µ §n t“ Íst°rƒ énoixy∞nai: oÈd¢n gãr moi diaf°rei.Ímçw d¢ boÊlomai ékoËsai tåw sunyÆkaw ka‹ toÁw ˜rkouw, oÓw “mÒsamenéllÆloiw §g∆ ka‹ ÉOlumpiÒdvrow oÍtos$. Ka‹ efi m¢n sugxvre›, ¶stv taËta,ka‹ Íme›w ékoÊete, §peidån toÊtƒ dokª: §ån d¢ mØ ‘y°l˙ taËta poie›n, oÈk≥dh katafanØw ¶stai, Œ êndrew dikasta$, ˜ti énaisxuntÒtatÒw §stinényr≈pvn èpãntvn, ka‹ dika$vw oÈd' ín ıtioËn épod°xoisye toÊtou …wÍgi°w ti l°gontow;

“Je demande qu’il accepte, comme j’accepte moi-même, que l’acte soit ouvert ici,devant le tribunal, que vous en entendiez lecture et qu’il soit scellé à nouveau envotre présence. Androcleidès est ici présent, car je l’ai requis d’apporter la conven-tion. Et je consens, juges, à ce que l’ouverture se fasse pendant la plaidoiried’Olympiodôros — pendant sa défense ou sa réplique, cela m’est égal ; mais je veuxque vous ayez connaissance de la convention et des serments que nous noussommes prêtés, Olympiodôros et moi. S’il accepte, qu’il en soit ainsi ; et vous,écoutez la lecture dès lors qu’il aura consenti. S’il refuse, ne sera-t-il pas alors mani-feste, juges, qu’il est l’homme le plus impudent de la terre et qu’en toute justicevous ne pouvez tenir pour valable aucun de ses arguments ?”

L’original a ici une valeur probatoire indubitable et il est évident que la forcemême de ce document impliquait de le manier avec la plus grande prudence. Unemaladresse en la matière faisait disparaître une preuve importante et rendait beau-coup plus difficile la citation de copies qui avaient perdu leur référent256. Si le dépo-sitaire refusait de produire l’écrit qui lui était demandé, le plaignant entamait unaction particulière, une d$kh efiw §mfan«n katãstasin257. Les documents écritsconstituaient donc des éléments essentiels dans le déroulement des procédures judi-ciaires. Mais il en allait de même des témoins. Avant d’estimer la part respective dechacun, il convient de discuter de la question plus générale du témoignage devantles tribunaux et de leur rapport avec l’écriture.

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254 DÉM., Olymp., 48.48 (trad. CUF) : ÉEg∆ går toËton proÈkalesãmhn ka‹ ±j$vsa ékolouy∞sai…w ÉAndrokle$dhn, par' ⁄ ke›ntai afl suny∞kai, ka‹ koinª §kgracam°nouw ≤mçw tåw sunyÆkawpãlin shmÆnasyai, tå d¢ ént$grafa §mbal°syai efiw tÚn §x›non.255 DÉM., Olymp., 48.50-51 (trad. CUF).256 Contra BONNER, Evidence, p. 64 qui parle de “the small importance attached to the production oforiginal documents”.257 DÉM., Apat., 33.38. Pour une description approfondie de cette procédure, voir A.R.W. HARRISON,The Laws of Athens, I, The Family and Property, Oxford, 1968, p. 207-210.

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e) Témoignages et écriture

Au cours du premier quart du IVe siècle, le système judiciaire connaît plusieursmodifications importantes qui vont toutes dans le sens d’un recours plus importantà l’écriture258. Un extrait du corpus démosthénien (c. 350) indique que seuls destémoignages écrits sont admis devant le tribunal259. Les dernières attestations de laprésence de témoins ne sont pas postérieures à 390260. À la fin du IVe siècle, leCynique de Théophraste se présente devant un tribunal les mains chargées depapiers divers261. De quand date le changement ? Les avis divergent et les sources nepermettent pas de trancher262. Cependant, la valeur du testament au Ve siècle devantune juridiction athénienne laisse penser que l’évolution a commencé avant le IVe

siècle263.À partir du troisième quart du IVe siècle au plus tard, l’ensemble des témoignages

présentés devant un tribunal doit être mis par écrit. De ce fait, il ne paraît pas pos-sible de considérer que les documents comptent moins que les témoignages des indi-vidus comme de nombreux historiens l’ont affirmé264. Du reste, les sources indi-quent le contraire265 :

ÜOtan d' éfan$saw tiw tékrib¢w lÒgƒ §japatçn peirçtai p«w ín dika$vwpisteÊoite; éllå nØ D$a (tÚ =òston to›w édike›n ka‹ sukofante›npro˙rhm°noiw) marturÆsei tiw aÈt“ kat' §moË. ÉEån oÔn §piskÆcvmaiaÈt“, pÒyen tØn épÒdeijin poiÆsetai toË élhy∞ marture›n; §k t«nsunyhk«n; toËto to$nun mØ énaball°syv, éll' ≥dh fer°tv ı ¶xvn tåwsunyÆkaw. Efi d' épolvl°nai fhs$n, pÒyen lãbv §g∆ tÚn ¶legxon kataceu-domarturhye$w;

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258 RHODES, Judicial Procedures in Fourth-Century Athens, p. 309 parle de “growing emphasis onwritten documents in the judicial process”.259 DÉM., Steph. I, 45.44-45. Voir aussi DÉM., Stroph I., 45.48. ID., Con., 54.37 mentionne des fauxtémoignages sur tablettes, signe que la mise par écrit des témoignages est devenue banale.260 LYS., Mant., 16.8 (c. 390) ; voir aussi AND., Myst., 1.14, LYS., C. Erat., 12.24-25 et AR., Guêpes, 962-966.261 THÉOPHRASTE, Carac., 6.8, cité infra.262 BONNER, Evidence, et St.C. TODD, The Purpose of Evidence in Athenian Courts, in P. CARTLEDGE,P. MILLET et St.C. TODD (éd.), Nomos. Essays in Athenian Law, Politics and Society, Cambridge, 1992,p. 29 n. 15 sont favorables aux années 380. CALHOUN, op. cit. défend la thèse d’une réforme impor-tante en 378/7 obligeant les témoins et les demandeurs à mettre par écrit leurs déclarations.E. RUSCHENBUSCH, Drei Beiträge zur öffentlichen Diaitia in Athen, in F.J. FERNÁNDEZ NIETO (éd.),Symposion 1982. Vorträge zur griechischen und hellenistischen Rechtsgeschichte (Santander 1-4 September1982), Cologne-Vienne, 1989, p. 34-35 insiste sur le contraste entre LYS., Mant., 16.8 et ISÉE, Dik.,5.2 ; il considère que la réforme s’est produite dans les années 370 sans plus de précisions. RHODES,Judicial Procedures in Fourth-Century Athens, p. 310-311 pense qu’il n’est pas possible de donner unedate et envisage une période de transition au cours de laquelle les témoignages écrits auraient été admismais non obligatoire.263 AR., Guêpes., 583-586, cité infra.264 Par exemple, BONNER, Evidence, p. 39. Des historiens plus récents ont dressé le même constat, parexemple S. HUMPHREYS, Social Relations on Stage : Witnesses in Classical Athens, History and Anthro-pology 1, 1985, p. 322, TODD, op. cit., p. 29 n. 15 et COHEN, op. cit.265 DÉM., Apat., 33.36-37 (trad. CUF).

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“Mais, quand on a supprimé le document qui a fait foi et qu’on prétend égarer lesjuges par des paroles en l’air, quelle créance mérite-t-on ? Sans doute, quelquetémoin — ressource commode quand on a pris le parti d’être un malhonnêtehomme et un sycophante — viendra déposer pour lui contre moi. Soit, mais si j’at-taque ce témoin, comment prouvera-t-il l’exactitude de son témoignage ? Se fon-dera-t-il sur l’acte ? Alors qu’il n’attende pas et que le détenteur de cette pièce l’ap-porte tout de suite. Dira-t-il qu’elle a été perdue ? Mais comment pourrais-jediscuter le faux témoignage ?”.

La mise par écrit des témoignages est l’assurance d’une exactitude plus grande266.“La loi impose de témoigner sur une tablette afin qu’il ne soit pas possible d’ajouterou d’enlever quoi que ce soit du texte”267. Cela impliquait de respecter un certainnombre de prescriptions pour recueillir des témoignages d’impotents ou de per-sonnes absentes d’Athènes268 :

Parå d¢ t«n ésyenoÊntvn µ t«n épodhme›n mellÒntvn ˜tan tiw§kmartur$an poi∞tai, toÁw §pieikestãtouw t«n polit«n ka‹ toÁw ≤m›ngnvrimvtãtouw ßkastow ≤m«n parakale› mãlista, ka‹ oÈ mey' •nÚw oÈd¢metå duo›n, éll' …w ín metå ple$stvn dun≈meya tåw §kmartur$aw pãntewpoioÊmeya, ·na t“ te §kmarturÆsanti mØ §jª Ïsteron §jãrnƒ gen°syai tØnmartur$an, Íme›w te pollo›w ka‹ kalo›w kégayo›w taÈtå marturoËsi pis-teÊhte mçllon.

“Lorsqu’il s’agit d’un malade ou d’un homme prêt à partir en voyage dont on veutrecueillir la déposition, chacun de nous convoque les citoyens les plus respectables,ceux qu’il connaît le mieux ; on ne se contente pas d’un ou deux témoins ; maisc’est devant le plus grand nombre de témoins possible qu’on recueille la dépositionafin que le déposant n’ait pas la latitude de revenir plus tard sur sa déposition etque, devant le témoignage unanime de tant d’honnêtes gens, votre conviction soitmieux établie”.

La dernière partie de ce passage montre que la réalisation d’un document et saproduction devant un tribunal ne suffit pas nécessairement et que les témoins consti-tuent un appoint parfois décisif269. Pour apprécier l’interaction entre l’écriture et

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266 DÉM., Aphob. III, 29.11 et 17 : il s’agit d’un témoignage rédigé par un esclave que Démosthène pro-pose de mettre à la torture pour qu’il confirme le contenu de l’écrit. L’orateur ajoute : oÈd¢n Íf' ≤m«nkeleusye‹w kakotexne›n, oÈd¢ tÚ m¢n grãfein, tÚ d' éfaire›n œn otow efirÆkei per‹ toÊtvn,éll' èpl«w Íp¢r toË pãnta télhy∞ ka‹ tå toÊtƒ =hy°nta grãcai “Nous ne lui avions pas com-mandé un acte frauduleux, ni de faire un compte rendu incomplet des déclarations d’Aphobos ; nousvoulions simplement que tout fût rapporté avec exactitude, y compris ces déclarations” (11, trad.CUF).267 DÉM., Steph. I, 45.44 : ı nÒmow marture›n §n grammate$ƒ keleÊei, ·na mÆt' éfele›n §jª mÆteprosye›nai to›w gegramm°noiw mhd°n. Voir aussi DÉM., Steph. II, 46.6. Ensuite, devant les juges, iln’était plus possible de revenir sur son témoignage (DÉM., Steph. I, 45.87).268 ISÉE, Pyrr., 3.20-21 (trad. CUF). Voir aussi DÉM., Steph. II, 46.7 et ESCHN., Amb., 2.19.269 À la suite de HUMPHREYS, op. cit., TODD, op. cit., montre que les témoins ne viennent pas dire lavérité mais viennent supporter un proche. Leur fonction ne doit donc pas être confondue avec celle destémoins à l’époque contemporaine.

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l’oralité en la matière, il conviendrait de faire le compte des différentes lectures etconvocations de personnes devant les juridictions athéniennes. A priori, il suffit deprendre les plaidoyers les uns après les autres et de distinguer les témoins des témoi-gnages. Mais le problème est plus complexe. Les martyriai cités peuvent tout aussibien être des documents écrits privés que des mises par écrit de témoignages oraux.Il est parfois difficile de trancher270. Certains passages sont cependant sans ambi-guïté. Eschine affirme qu’il va produire comme témoignages (martyriai) des décretsarchivés271. Dans les plaidoyers, en l’absence de précisions complémentaires, cetteexpression peut aussi bien désigner des documents écrits que des personnes citées àcomparaître272. Il paraît donc nécessaire de reconstituer l’argumentation de certainsplaidoyers afin d’établir la place accordée aux documents écrits par rapport à uneparole délivrée ou mise par écrit.

C. PROUVER LA CULPABILITÉ OU L’INNOCENCE : ENTRE ÉCRITURE ET ORALITÉ ?

Dans l’ensemble, la faible importance quantitative des documents écrits devant lajustice athénienne tiendrait dans l’absence de personnalisation des documents sinonpar les sceaux273. Le recours aux témoins aurait été décisif274. Outre que l’importancedu scellement est loin d’être négligeable car cette pratique garantit l’originalité d’unécrit, deux passages extraits du corpus démosthénien montrent que l’écriture étaitsuffisamment individualisée pour être reconnue275. Démosthène propose de livrerun esclave afin de le mettre à la torture pour qu’il reconnaisse la validité du docu-ment qu’il a rédigé, en l’occurrence le témoignage d’un des tuteurs276. Certes, celasignifie que l’esclave se souvenait de la rédaction. Mais les deux éléments se combi-nent277 : “Il pouvait reconnaître son écriture et il se rappelait parfaitementqu’Aphobos avait fait cet aveu”. Dans le deuxième cas, un esclave serait égalementcapable d’identifier une convention par la reconnaissance de son écriture278. Unetroisième citation peut être ajoutée à ce modeste dossier279. Pollux rapporte qu’Hy-péride dans son discours Contre Lycophon affirme qu’“il n’était pas possible de renier

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270 Voir par exemple DÉM., Aphob. I, 27.39 qui cite des témoignages concernant les comptes de tutellerendus par ses tuteurs (voir supra), plus précisément les entrées et les sorties. Les martyriai en questionsont-elles autre chose que le document remis par les tuteurs ? DÉM., Aphob. II, 28.5 considère que letestament est une martyria.271 ESCHN., Amb., 2.32.272 Nous ne pouvons donc retenir les calculs faits par TODD, op. cit., p. 27, 31-32 et 39 avec un tableaurécapitulatif en annexe.273 THOMAS, Oral Tradition, p. 41.274 ARSTT, Rhet., 1.15.1375b.26-1376b.29 développe longuement l’importance des témoins (voir lecommentaire de CHR. CAREY, ’Artless’ Proofs in Aristotle and the Orators, BICS 39, 1994, p. 95-106et de M. GAGARIN, The Nature of Proofs in Antiphon, CPh 85, 1990, p. 23-26).275 Ces deux passages sont cités par THOMAS, Oral Tradition, p. 42 n. 88 mais ils ne sont pas com-mentés.276 DÉM., Aphob. III, 29.11, 17 et 55.277 DÉM., Aphob. III, 29.21 (trad. CUF) : ˘w tã te grãmmat' ¶mellen gn≈sesyai tå •autoË ka‹toËton §mnhmÒneuen ékrib«w marturÆsanta taËta.278 DÉM., Apat., 33.17.279 Elle ne semble connue que de SOUBIE, op. cit., p. 217-218.

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sa propre main”280. Dans certaines situations, la personnalisation des écrits était doncpossible et pratiquée.

Dès lors, il est envisageable que le système de preuves utilisés dans les plaidoyersfavorise l’oralité uniquement quand les documents écrits ne permettaient pas del’emporter. Bien entendu, l’intérêt de conserver les plaidoyers dans lesquels l’écritétait une preuve décisive comme modèle d’éloquence était moins grand et pourraitexpliquer leur absence. Enfin, les doutes sur la validité des documents devant les tri-bunaux, souvent invoqués par les historiens modernes pour nier leur valeur proba-toire, doivent être mis en parallèle avec les commentaires dubitatifs des orateurs surles serments ou sur les témoins281. Tout est affaire de confiance et de probité. Lorsquele Contre Conon offre un portrait moral des amis de jeunesse de Conon et à traverseux de ce dernier, l’orateur insiste sur la valeur relative de leur parole282 :

ÉAkoÊv gãr, Œ êndrew dikasta$, BãkxiÒn t° tina, ˘w par' Ím›n ép°yane, ka‹ÉAristokrãthn tÚn toÁw ÙfyalmoÁw diefyarm°non ka‹ toioÊtouw •t°rouwka‹ KÒnvna touton‹ •ta$rouw e‰nai meirãki' ˆntaw ka‹ TriballoÁw§pvnum$an ¶xein: toÊtouw tã y' ÑEkata›a [katesy$ein,] ka‹ toÁw ˆrxeiw toÁw§k t«n xo$rvn, oÂw kaya$rousin ˜tan efisi°nai m°llvsin, sull°gontaw•kãstote sundeipne›n éllÆloiw, ka‹ =òon ÙmnÊnai ka‹ §piorke›n µ ıtioËn.OÈ dØ KÒnvn ı toioËtow pistÒw §stin ÙmnÊvn, oÈd¢ polloË de›, éll' ı mhd'eÎorkon <•k∆n> mhd¢n ín ÙmÒsaw, katå d¢ dØ pa$dvn œn mØ nom$zete mhd'ín mellÆsaw, éllå kín ıtioËn pay∆n prÒteron, efi d' êr' énagka›on,ÙmnÊvn …w nÒmimon, <kat' §jvle$aw aÍtoË ka‹ g°nouw ka‹ ofik$aw>, éjio-pistÒterow toË katå t«n pa$dvn ÙmnÊontow ka‹ diå toË purÒw.

“J’ai donc appris, juges, qu’un certain Bacchios, que vous avez condamné à mort,Aristocratès, celui qui a perdu la vue, et d’autres de même espèce étaient les com-pagnons de jeunesse de Conon. Ils avaient pris le surnom de Triballes ; ils dévo-raient les offrandes à Hécate, ils faisaient la rafle des testicules des porcs qui serventà la purification au moment de l’entrée en charge des magistrats, et ils s’en réga-laient entre eux : jurer et se parjurer leur coûtait aussi peu que rien. Les sermentsd’un homme comme celui-là ne sont donc pas dignes de foi : il s’en faut du tout.En revanche, celui qui n’aime pas à prêter même un serment véridique, celui quine voudrait jamais jurer sur la tête de ses enfants, chose contraire à nos usages, quiaimerait souffrir n’importe quoi, et qui en cas de nécessité, prêterait tout au plusle serment légal, celui-là mérite plus de confiance que celui qui jure sur la tête deses enfants à travers la flamme de l’autel”.

Oralité et écriture sont deux modes de communication que les Athéniens n’hési-tent pas à critiquer le cas échéant. Ils n’avaient pas une foi a priori dans les docu-ments, tout comme dans les récits d’un témoin. Du reste, les lois interdisent lestémoignages par ouï-dire283. Pour eux, l’un comme l’autre étaient des témoignages,

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280 POLL., Onom., 2.152 : OÎte går tØn •autoË xe›ra dunatÚn érnÆsasyai.281 DÉM., Apat., 33.36 remarque qu’on trouve toujours un témoin favorable lorsqu’il n’existe pas d’actesécrits.282 DÉM., Con., 54.39-40 (trad. CUF).283 Voir par exemple ISÉE, Philok., 6.53, DÉM., Eub., 57.4 et Steph. II, 46.7. L’ensemble de la questionest discutée par BONNER, Evidence, p. 20-25.

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mis par écrit du reste, et de ce fait soumis à la discussion et à la contestation pen-dant les procédures. Cela ne tient pas à une méfiance vis à vis de tel médium de com-munication mais bien à un mode de raisonnement spécifique, propre à l’organisa-tion politique athénienne, à la cité284. La spécificité de la procédure athénienne tientassurément dans son absence de “hiérarchie légale des preuves”285.

La Rhétorique d’Aristote ne reconnaît du reste aucune distinction en terme d’effi-cacité devant les tribunaux. Elle distingue simplement les preuves extra-techniques,c’est-à-dire celles “qui n’ont pas été fournies par nos moyens personnels, mais étaientpréalablement données, par exemple, les témoignages, les aveux sous la torture, lesécrits, et autres du même genre ; par technique, celles qui peuvent être fournies parla méthode et nos moyens personnels ; il faut par conséquent utiliser les premières etinventer les secondes”286. Même si Aristote tend à mettre en avant les secondes,l’étude des méthodes d’argumentation utilisées dans les plaidoyers montre que lesorateurs prêtent une grande attention à l’utilisation des premières287. Lorsque le plai-deur possède un document majeur, il n’hésite pas à construire son discours autourde fréquentes citations pour faciliter la compréhension de l’affaire par les juges288. Àl’inverse, la destruction d’écrits et le recours à de faux documents pour tenter d’in-fléchir le tribunal impliquent la valeur probatoire des documents écrits devant la jus-tice289.

a) Le rôle des documents judiciaires

Les documents judiciaires sont fréquemment cités dans les plaidoyers. Ils sontversés au dossier au même titre que les autres écrits290. Ils constituent aussi parfoisun élément central du débat. Une véritable mise en scène de l’écrit est organisée. Lalecture est fractionnée et chacun des éléments est commenté291. Les procéduresd’échange donnaient lieu à de véritables discussions pointues sur les documents292.Chaque argument était entrecoupé d’un L°g' ßteron “lis cet autre article”,ÉEp$skew “arrête”, L°ge d' §nteuyen$ “lis à partir d’ici”. Le souci de la présentationpeut aller jusqu’à placer un signe sur le document afin que le greffier puisse s’inter-rompre facilement293. L’orateur n’hésitait pas à attirer l’attention des juges sur une

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284 Nous reprenons ici l’expression de G.E.R. LLOYD, Pour en finir avec les mentalités, Paris, 1993,p. 218 qu’il préfère à celle de mentalité.285 SOUBIE, op. cit., p. 220.286 ARSTT, Rhet., 1.2.1355b35s. (trad. CUF).287 Voir CAREY, op. cit., en particulier p. 106.288 Voir ISÉE, Kiron et DEN. HAL., Isée, 14. Nous citons d’autres exemples infra.289 Sur l’usage de faux devant la justice, voir G.M. CALHOUN, Documentary Frauds in Litigation atAthens, CPh 9, 1914, p. 134-144.290 DÉM., Tim., 49.65 : la sommation est placée dans l’urne du dossier devant l’arbitre. Une copie pou-vait être conservée par son auteur et par celui à qui elle s’adressait (DÉM., Aphob. III, 29.51, Onet. I,30.36, Pant., 37.40 et 42).291 Voir par exemple DÉM., Pant., 37.22-26 qui cite une demande, DÉM., Leo., 44.45-55 une diamar-tyria…292 DÉM., Phen., 42.25-29.293 ISOCR., Ech., 15.59 (trad. CUF) : érjãmenow épÚ t∞w paragraf∞w énãgnvyi “lis à partir dusigne mis en marge”.

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nuance contenue dans une phrase. Apollodôros analyse ainsi le témoignage de Sté-phanos294 :

ÖEti to$nun, Œ êndrew ÉAyhna›oi, …w g°grapta$ tiw ín §jetãsaw tØnmartur$an gno$h pantel«w toËto memhxanhm°nouw aÈtoÊw, ˜pvw dika$vwka‹ éd$kvw dÒjei taËy' ı patØr oÍmÚw diay°syai. lab¢ d' aÈtØn tØnmartur$an, ka‹ l°g' §pisx∆n o ên se keleÊv, ·n' §j aÈt∞w deiknÊv. MARTURIA. MarturoËsi pare›nai prÚw t“ diaithtª Teis$&, ˜te proÈkale›to Form$vnÉApollÒdvron, efi mÆ fhsin ént$grafa e‰nai t«n diayhk«n t«nPas$vnow^ÉEp$sxew. §nyume›sy' ˜ti ‘t«n diayhk«n’ g°graptai t«n Pas$vnow.

“Si l’on examine maintenant comment le témoignage a été rédigé, on verra bienque tout a été calculé pour vous faire croire à tout prix que mon père avait fait cetestament. Prends-moi le texte du témoignage, et lis-le en t’arrêtant où je te dirai :je veux en tirer argument.TÉMOIGNAGE… témoignent qu’ils étaient présents devant l’arbitre Tisias d’Acharnes, lorsquePhormion adressa une sommation à Apollodôros, demandant que, s’il ne recon-naissait pas comme une copie du testament de Pasion…Arrête. Remarquez les mots : ‘du testament de Pasion’”.

Or justement, l’affaire porte sur le testament. Formuler ainsi revient à mentir,selon Apollodôros, puisque le texte de la sommation supposait acquise l’existence dece document. La rédaction devait donc être mûrement réfléchie car le camp adverseépluchait les textes ligne à ligne295. Ce dernier recourait parfois à des documentsjudiciaires anciens, qui provenaient de procédures précédentes296 :

BoÊlomai to$nun ka‹ ˜lvw ceudom°nouw aÈtoÁw ˜lon tÚ prçgm' §pide›jai.otoi går gegrãfasin efiw ˘ nËn ¶gklhma di≈kousin, Ùfe$lein ≤mçw tÚ érgÊ-

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294 DÉM., Steph. I, 45.24-25 (trad. CUF). Voir aussi DÉM., Steph. I, 45.26 qui poursuit le raisonne-ment.295 Voir DÉM., Aphob. III, 29.30-31 cité supra.296 DÉM., Naus., 38.14-15 (trad. CUF). Pour d’autres exemples, DÉM., Phen., 42.23 cite une somma-tion passée ; DÉM., Steph. I, 45.7-8 un témoignage d’une affaire précédente, DÉM., P. Phorm., 36.21une action de dommage, DÉM., Phorm., 34.16 la demande de l’année dernière, DÉM., Phorm., 34.17l’acte d’exception de l’année dernière… Leur provenance n’est jamais mentionnée mais l’hypothèse laplus probable est la conservation par les individus (U.E. PAOLI, Sull’esistenza di archivi giudiziari inAtene, in Studi in onore di Emilio Betti III, Milan, 1962, p. 3-13). Parfois, le document a été perdu etne peut donc être utilisé, signe que l’institution judiciaire en tant que telle ne gardait pas trace des pro-cédures qu’elles traitaient (DÉM., Macart. 43.31, Nicostr., 53.22-25 constituent deux exemples de som-mation non conservées).

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rion komisam°nou toË patrÚw ka‹ paradÒntow aÈto›w toËto tÚ xr°vw §n t“lÒgƒ t∞w §pitrop∞w ÙfeilÒmenon. ka$ moi l°g' aÈtÚ tÚ ¶gklhma lab≈n. EGKLHMA. ÉAkoÊete gegramm°non §n t“ §gklÆmati ‘paradÒntow §mo‹ toË ÉArista$xmoutÚ xr°vw §n t“ lÒgƒ t∞w §pitrop∞w’. ÜOte to$nun §lãgxanon t“ patr‹ t∞w§pitrop∞w, ténant$' §grãcanto toÊtvn: …w går oÈk épodÒnti lÒgon tÒt'§gkaloËntew fa$nontai. l°g' aÈtÚ tÚ ¶gklhma, ˘ tÒt' ¶laxon t“ patr$.

“Je vais prouver maintenant qu’ils mentent sur toute l’affaire d’un bout à l’autre.La formule de leur demande dans le présent procès porte que la somme leur estdue comme ayant été touchée par notre père et comme figurant au crédit dans lecompte de tutelle qu’il leur a remis. Lis-moi la demande elle-même.DEMANDEVous entendez les termes de la demande : ‘ladite créance figurant dans le comptede tutelle que nous a remis Aristaichmos’. Or, au moment où ils intentaient l’ac-tion de tutelle contre notre père, ils ont écrit tout le contraire : on va voir, en effet,qu’ils lui faisaient grief, à ce moment, de n’avoir pas remis de compte. Lis-moi lademande qu’ils ont formulée contre notre père [suit la lecture de la deuxièmedemande]”.

À chaque fois, les documents judiciaires sont indispensables à l’argumentation desorateurs. Le maniement de ce type d’écrit apparaît même comme une véritable spé-cialité lorsqu’ils les comparent avec d’autres documents. La conclusion partielled’Apollodôros en constitue une démonstration éclairante297 : “Il y a donc contradic-tion entre l’exception et le témoignage, comme il y avait contradiction entre le bailqu’on vient de lire et le testament : et il n’apparaît là-dedans aucune logique, aucuneunité, aucune cohérence”.

b) Les affaires de succession : le testament et le compte de tutelle comme preuves

L’une des mentions les plus importantes, notamment en matière de chronologie,figure dans une pièce d’Aristophane, les Guêpes298 :

Kín époynπskvn ı patÆr tƒ d“ katale$pvn pa›d' §p$klhron,kla$ein ≤me›w makrå tØn kefalØn efipÒntew tª diayÆk˙ka‹ tª kÒgx˙ tª pãnu semn«w to›w shme$oisin §poÊs˙,¶domen taÊthn ˜stiw ín ≤mçw éntibolÆsaw énape$s˙.

“Et si un père à l’article de la mort désigne un de ses proches pour lui laisser enmariage une fille, son unique héritière, nous envoyons paître bien loin le testa-ment, et la capsule qui en protège dûment et religieusement les scellés, et nousdonnons la fille à celui qui a su gagner notre suffrage par ses supplications”.

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297 DÉM., Steph. I, 45.42 (trad. CUF) : OÈkoËn §nant$a m¢n ≤ paragrafØ pçsi to›w memar-turhm°noiw, §nant$a d' ∂n én°gnvn Ím›n êrti m$syvsin, tªde tª diayÆk˙: oÈd¢n d¢ t«npepragm°nvn oÎt' eÎlogon oÎy' èploËn oÎy' ımologoÊmenon aÈtÚ •aut“ fa$netai.298 AR., Guêpes, 583-586 (trad. V.-H. Debibour).

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L’original du testament, d’où la présence du sceau, constitue la pièce décisive dansles procès en succession c. 425. L’exagération comique ajoutée à la critique sociale setraduit par un mépris du juré à l’encontre de l’écrit. Toutefois, la fraude consiste àne pas retenir le document, à en nier l’existence et non à contester la valeur de soncontenu. S’il était produit — n’en doutons pas, c’était la situation normale à partirdu moment où les dernières volontés avaient été rédigées puis scellées, il témoignaitde façon décisive du souhait du défunt qui devait s’imposer à tous. L’existence deprocédures de contestation d’un document ne prouve que la contestation des frau-deurs et non la faible valeur de l’écrit, ce que les plaidoyers du IVe siècle confirment.

Dans le Contre Aphobos, Démosthène insiste sur la disparition du testament quiaurait dénoncé les agissements des tuteurs299. Un autre plaidoyer discute du contenude la copie et de l’original. Il est clair alors que l’écrit est au centre de la procédureet que celle-ci se déroule en partie en raison des soupçons que tel ou tel fait peser surle document300. Le Contre Macartatos décrit les péripéties rencontrées par des faus-saires en matière de testament301 :

DiayÆkaw d¢ ceude›w ∏kon kataskeuãsantew GlaËkÒw te ı §j O‡ou ka‹GlaÊkvn ı édelfÚw aÈtoË. ka‹ YeÒpompow ı toutou‹ patØr Makartãtou§ke$noiw sugkateskeÊazen ëpanta taËta ka‹ §martÊrei tåw ple$stawmartur$aw. afl d¢ diay∞kai, ìw tÒte par°sxonto, §jhl°gxyhsan ceude›woÔsai: ka‹ oÈ mÒnon ≤ttÆyhsan, éllå ka‹ ponhrÒtatoi dÒjantew e‰naiéphllãttonto épÚ toË dikasthr$ou.

“Glaucos du dème d’Œon, et son frère Glaucon se présentèrent avec un faux tes-tament qu’ils avaient forgé. Théopompe, père de Macartatos ici présent, avait par-ticipé à toute cette machination, et ce fut le principal témoin. Mais le testamentqu’ils avaient produit fut reconnu faux : non seulement ils perdirent leur procès,mais ils quittèrent le tribunal avec la réputation de francs coquins”.

Le testament faisait foi dans les affaires de succession302. Le fait que deux plai-doyers d’Isée, La succession de Nicostratos et la succession d’Astyphilos insistent sur lafragilité des testaments et sur la difficulté à garantir leur authenticité ne prouverien303. Mais il ne suffisait sans doute pas, notamment en raison des dettes qui pou-vaient avoir été contractées par le défunt. Plusieurs mentionnent l’existence de gram-mata à côté du testament proprement dit304.

336 LA COMMUNICATION ÉCRITE PUBLIQUE

299 DÉM., Aphob. I, 27.64 : les tuteurs font disparaître le testament qui les aurait dénoncés (voir aussiDÉM., Aphob. I, 27.40 cité supra, Aphob. I, 27.48, Aphob. II, 28.9). Précisons que cette remarque nesignifie pas qu’effectivement le testament aurait donné raison à Démosthène ; l’argumentation seulenous intéresse ici. Cf. aussi LYS., Diog., 32.300 DÉM., Steph. II, 46.2-3.301 DÉM., Macart., 43.4 (trad. CUF). Cf. CALHOUN, op. cit., p. 135-137.302 Cf. aussi DÉM., Leo., 44.65 : un testament n’aurait pas autorisé une contestation.303 Contra COHEN, op. cit., p. 90-92.304 Cf. aussi DÉM., P. Phorm., 36.18 dans lequel la défense d’Apollodôros argue de la disparition dedocuments (grammata) qui auraient pu constituer des preuves décisives alors même que le testament aété produit (DÉM., P. Phorm., 36.33-34).

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Les successions devenaient plus ardues lorsque le défunt n’avait pas exprimé parécrit ses dernières volontés ou que les sceaux n’avaient pas été apposés à temps305.Toutefois, on ne cessait pas pour autant de faire référence à des écrits. Le ContreAphobos offre ainsi une discussion précise par Démosthène du compte de tutelleremis par ses tuteurs. L’orateur compare le témoignage oral d’Aphobos à ses écrits306.Ses derniers sont discutés point à point, les erreurs dans le compte sont soulignéesavec précision : absence de recettes provenant de l’atelier de meubles qui faisait partiede la succession et disparition du fer et de l’ivoire possédés par le père307. Desremarques similaires sont faites à propos d’un document remis par Démophon, unautre tuteur308. Le raisonnement de Démosthène est simple, il veut prouver les mal-versations de ses tuteurs par les comptes qu’ils lui ont remis à sa majorité. À unmoment, il interpelle Aphobos309 : “C’est toi qui a relaté la chose dans ton compte,les témoins n’ont fait que la confirmer”.

Ainsi, dans les affaires de succession, la discussion des documents écrits, particu-lièrement du testament, constituait le moment fort de la procédure. Est-ce à dire quel’oralité n’intervient jamais ? Non pas. Lorsqu’il s’agit de prouver une parenté, on faitappel à des témoins310. On ne recourt pas au registre de phratrie, et le registre dedème ne prouve en réalité que la citoyenneté311.

c) Les affaires commerciales et financières : le contrat comme preuve

Une bonne partie de ce débat trouve son point de départ dans une loi athéniennedont la traduction pose problème. Elle est citée dans trois plaidoyers, la version laplus proche du texte législatif figurant dans le Contre Zénothémis312. Le point impor-tant de cette disposition concerne les actes écrits. La loi évoque explicitement les syn-graphai en direction d’Athènes et depuis Athènes, t«n ÉAyÆnaze ka‹ t«n ÉAyÆn-hyen sumbola$vn, ka‹ per‹ œn ín Œsi suggrafa$. Mais il y a un débat sur lesens de cette phrase. L’une des traductions proposées est la suivante : “pour lesconventions au sujet desquelles il y a des actes écrits”. Mais alors “le subjonctif avecên ne se comprend pas très bien, et le ka‹ ne se comprend pas du tout”313. Pour tenircompte de cette objection, on a proposé “relativement aux points sur lesquels l’actedu contrat est explicite”314. L. Gernet ne la retient pas et propose de disjoindre le pre-mier élément du deuxième et opte pour la traduction suivante : “et pour tous les

COMMUNICATION ÉCRITE, PRATIQUES DOCUMENTAIRES 337

305 C’est le cas de l’affaire de la succession de Démosthène.306 DÉM., Aphob. I, 27.20. Ce type d’opposition intervient plusieurs fois : DÉM., Aphob. II, 28.9-10.307 Voir respectivement DÉM., Aphob. I, 27.24 et Aphob. I, 27.30. Voir aussi DÉM., Aphob. I, 27.34-37.308 DÉM., Aphob. I, 27.39.309 DÉM., Aphob. III, 29.37 (trad. CUF) : §n t“ lÒgƒ toËt' ¶gracaw sÊ, katemartÊrhsand' oflmãrturew.310 Voir par exemple DÉM., Macart., 43.35-37 et 42-46.311 Cf. supra et chapitre 4.312 Voir DÉM., Phorm., 34.42, Apat., 33.1 et Zen., 32.1.313 L. GERNET, Sur les actions commerciales en droit athénien, in ID., Droit et société dans la Grèceancienne, Paris, 1955, p. 187.314 L. BEAUCHET, Histoire du droit privé de la république athénienne. IV : Le droit des obligations, Paris,1897, p. 94.

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objets à propos desquels il y a un acte écrit”315. La loi prévoirait deux cas, avec docu-ment et sans document.

Cette interprétation paraît contestable sur plusieurs points. D’abord, si sur le plande la grammaire la mise en parallèle de deux propositions — une parataxe — aumoyen de la coordination ka$ n’aurait rien de surprenant, il peut tout aussi biens’agir d’une coordination simple. Cette impression se trouve renforcée par la propo-sition relative introduite par per‹ œn ; l’antécédent du pronom relatif est sum-bola$vn. La particule ên marque un éventuel dans le présent, signifiant une condi-tion. Nous proposons donc de comprendre cette loi comme une dispositionautorisant les procédures judiciaires pour les seules conventions écrites entre mar-chands, conformément à l’interprétation traditionnelle316. Du reste, un passage duContre Phormion montre le lien profond qui existait entre les deux termes317 : tØngår suggrafØn énelÒmenow épÆllajo ín toË sumbola$ou “Tu te faisaisremettre le contrat pour le détruire, et, du coup, tu étais libéré de ton obligation”.

Ensuite, les plaidoyers en notre possession ne concernent pas des symbolaia orauxou du moins ceux-ci ne fondent jamais la procédure318. Au contraire, à chaque fois,le contrat est déterminant et son contenu structure le discours de l’orateur. Lors-qu’Androclès dénonce les agissements d’Artémon et de son frère Lacritos, il le fait aunom des engagements écrits qui les liaient319 :

ÉEpeidØ d¢ tãxista §gkrate›w §g°nonto toË érgur$ou, toËto m¢ndiene$manto ka‹ §xr«nto ˜ ti §dÒkei toÊtoiw, katå d¢ tØn suggrafØn tØnnautikÆn, kay' ∂n ¶labon tå xrÆmata, oÎte m°ga oÎte mikrÚn ¶pratton, …w

338 LA COMMUNICATION ÉCRITE PUBLIQUE

315 GERNET, op. cit., p. 187.316 Nous ne souscrivons pas à l’affirmation de Ibid., p. 189 : “S’il n’y pas d’acte écrit, on ira devant unautre tribunal, et voilà tout”.317 DÉM., Phorm., 34.31 (trad. CUF). ISOCR., Trap., 17.19-23 illustre également la souplesse du voca-bulaire en la matière désignant un contrat écrit aussi bien par son support (grammateion) que par l’en-gagement qu’il instaurait (symbolaion, synthekai et ta syggegrammena). Voir aussi ISOCR., C. Call., 18.27-28.318 Aucun passage ne permet même d’être sûr que les symbolaia évoqués n’avaient pas été mis par écrit :— LYS., Sim., 3.22. Simon aurait établi une convention avec Théodote pour 300 drachmes. Mais enapparence, il n’y en a pas trace. Lysias semble évoquer la loi sur les conventions. Puis dans le passagesuivant, 3.26, les synthékai sont nommés symbolaia. Rien ne permet de penser que ce type d’engage-ment n’était pas mis par écrit.— LYS., Call., 5.1, LYS., C. Erat., 12.98, LYS., Nicom., 30.8 et ISÉE, Dik., 5.33 : le sens de symbolaia estclairement celui de conventions, qui peuvent être mises par écrit (voir supra).— LYS., Conf., 17.3, prêt fait par Ératon auprès du grand-père de l’orateur, d’une somme de deuxtalents. Le petit-fils ne possède pas le document, ce qui pourrait être le signe d’une convention orale.Mais cela n’est pas certain. Quoi qu’il en soit, un inventaire écrit des biens d’Ératon en vue de la saisieest réalisé.— LYS., frag. 37.2 il est question de dettes d’un symbolaion dont rien permet de préjuger la nature oraleou écrite.— ISÉE, Nik., 4.12 le testament, document écrit donc, est considéré comme un symbolaion.319 DÉM., Lacr., 35.17 (trad. CUF). Voir aussi DÉM., Lacr., 35.25 (trad. CUF) : oÈd¢ mikrÚnprose›xon to›w grãmmasi to›w gegramm°noiw §n tª suggrafª, éll' ≤goËnto e‰nai tØn sug-grafØn êllvw Ïylon ka‹ fluar$an “Ce qui était écrit dans le contrat n’a compté pour rien à leursyeux, ils n’y ont vu que bavardage et lettre morte”. DÉM., Lacr., 35.50 affirme que le contrat est legarant de son honnêteté. Cf. COHEN, op. cit., p. 92-96.

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aÈtÚ tÚ ¶rgon §dÆlvsen. OÍtos‹ d¢ Lãkritow èpãntvn ∑n toÊtvn ı§jhghtÆw. kay' ßkaston d¢ t«n gegramm°nvn §n tª suggrafª §pide$jv toÊ-touw oÈd' ıtioËn pepoihkÒtaw Ígi°w.

“Mais, dès qu’ils eurent l’argent en main, ils se le partagèrent et l’employèrent àleur fantaisie ; quant au contrat maritime, d’après lequel ils avaient reçu les fonds,ils ne l’exécutèrent ni peu ni prou : les faits sont là qui en témoignent ; et tout celase fit sur les instructions de Lacritos. En reprenant un à un les articles du contrat,je vais montrer que ces gens-là n’ont pas rempli une seule de leurs obligations”.

Si un individu entend s’emparer des terres d’un de ses voisins, il produit des docu-ments écrits et n’évoque pas un quelconque engagement oral320. L’orateur du ContreDionysodôros le dit explicitement321 : oÈd' §st‹n ≤m›n oÈd¢n kuri≈teron t∞w sug-graf∞w “Rien pour nous ne doit prévaloir sur le contrat” ; éll' §p‹ tØn sug-grafØn énagãget' aÈtÚn ka‹ tå §k t∞w suggraf∞w d$kaia “ramenez-le au textedu contrat, aux obligations qui en dérivent”. Les adversaires discutent de l’obligationqui leur était faite de payer les intérêts pour la course dans sa totalité, le plaignantriposte en faisant remarquer que rien de tout ceci n’apparaît dans le contrat322.Aucun autre témoignage que les syngraphai n’est produit323.

De même, Zénothémis et Hégestratos, avant de couler leur navire, rédigent uncontrat : “Avant qu’Hégestratos se soit mis une voie d’eau, lui et Zénothémis ontdéposé un contrat écrit entre les mains d’un passager”. La suite confirme l’intérêtd’une telle démarche, du moins si l’on en croit le plaignant : “Pourtant, si tu lui avaisremis des fonds sur parole, pourquoi prenais-tu une sûreté avant le crime ?”324. Cedocument permettait à Zénothémis de revendiquer la cargaison au titre du prêtconclu sur le bateau, alors qu’elle devait être propriété des créanciers. Sans ce contrat,il ne pouvait se délier de l’engagement qui découlait du prêt, autrement dit du pre-mier contrat, selon le plaignant325. De plus, mais ce point n’a pas réellement étécommenté, Zénothémis a contesté la valeur du contrat que l’un des créanciers,Protos, a présenté. Il l’a accusé de soustraction de documents écrits et d’avoir brisé

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320 DÉM., Call., 2.31 (trad. CUF) : Ka‹ går ka‹ prÒteron pe$saw tÚn éneciÚn émfisbhte›n moi toËxvr$ou, sunyÆkaw oÈ genom°naw épÆnegken “Auparavant déjà, quand il décida son cousin à reven-diquer mes terres, il a produit de prétendus contrats”.321 DÉM., Dion., 56.26 et 31 (trad. CUF).322 DÉM., Dion., 56.46.323 SOUBIE, op. cit., p. 223-224. D’autres passages confortent ce point : DÉM., Apat., 33.12 (suppressiond’un contrat, avec remise de quittance, synallagma) ; DÉM., Phorm., 34.3-4 (l’exécution de toutes lesclauses d’un contrat met un terme à sa validité ; il y a une loi) ; DÉM., Lacr., 35.27 (une fois écrit, il n’ya plus qu’à respecter le contrat) ; DÉM., Lacr., 35.39 (rien n’est au-dessus du contrat) ; DÉM., Nicostr.,53.10 (un engagement écrit (suggraphai) lie les étrangers qui avaient acheté Nicostratos et ce dernier. Ildoit payer la rançon sous trente jours, sinon elle est doublée. Cela montre que le document écrit l’en-gage au delà de sa propre cité) ; DÉM., Dion., 56.46 (ce que les adversaires de Darios, le plaignant, met-tent en avant n’a pas été écrit dans le contrat, leur argumentation est donc sans valeur).324 DÉM., Zen., 32.16 (trad. CUF) : PrÚ går toË diakÒptein §pixeir∞sai tØn naËn, t$yentai prÒwtina t«n sumpleÒntvn otow ka‹ ı ÑHg°stratow suggrafÆn. ka$toi efi m¢n efiw p$stin ¶dvkaw, t$prÚ toË kakourgÆmatow ín tå b°bai' §poioË; Il semble qu’ensuite Protos ait cherché à faire dispa-raître le contrat en question (Dém. Zenoth. 32.27).325 Voir DÉM., Zen., 32.4-5.

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les sceaux, donc sans aucun doute d’avoir modifié le contenu du texte. Dès lors, laproduction d’un autre contrat lui permettait de faire valoir ses droits326. En mêmetemps, cela lui permettait de tenir un discours général sur le désordre qui résulteraitd’une situation dans laquelle la cité ne défendrait plus la valeur des contrats327.

Plus généralement, lorsqu’il s’agit de payer des dettes ou de ne pas les payer, undocument écrit vient toujours justifier l’action choisie. Dans les affaires d’héritage, ilfaut pouvoir prouver que les dettes remboursées par le ou les tuteurs ont pour ori-gine un prêt contracté par le défunt, ce que ne semble pas pouvoir faire Aphobos328 :

ÉEtÒlma to$nun prÚw t“ diaithtª l°gein, …w épÚ t«n xrhmãtvn xr°a te pãm-poll' §kt°teiken Íp¢r §moË Dhmof«nti ka‹ Yhripp$d˙ to›w sunepitrÒpoiw,ka‹ …w pollå t«n §m«n lãboien, oÈd°ter' ¶xvn §pideiknÊnai toÊtvn. OÎtegår …w Ùfe$lontã me kat°lipen ı patØr §n to›w grãmmasin ép°fhnen, oÈd'oÂw épodedvk°nai taËt' ¶fh par°sxhtai mãrturaw.

“Devant l’arbitre, il a osé dire qu’il avait acquitté, sur les fonds, des dettes que j’au-rais eues envers Démophon et Thérippidès ses cotuteurs, et que ceux-ci avaientreçu de fortes sommes provenant de mon patrimoine. Mais il serait bien empêchéde prouver l’un et l’autre point. Car il n’a pas établi, pièces en main, que mon pèrem’ait laissé des dettes, et il ne produit pas le témoignage des prétendus créanciersqui auraient été payés”.

Ce dernier point semble introduire une nuance et pourrait signifier qu’en matièrede créance un témoin suffisait. Or, d’une part, dans ce cas précis, Aphobos en a pro-duit sans grand résultat329 et d’autre part ce passage ne dit rien d’une éventuelle dif-férence qualitative entre les deux types de témoignages. Un autre plaidoyer montrequ’en la matière un témoin venait conforter une argumentation330. Cependant, lessources confirment dans l’ensemble que le remboursement se faisait sur productionde documents écrits, au moins pour les sommes importantes. Deux exemples peu-vent être cités. Apollodôros s’est fait rembourser de nombreuses fois en produisantles archives de son père. Sans cela, il n’aurait pas été remboursé331. Plus décisif est lecas décrit dans le Contre Athénogénès d’Hypéride. Le contrat écrit est ici le moyend’amener un dénommé Épicrate à accepter des conditions extrêmes pour racheter unesclave, Midas, et ses deux enfants. Pris de passion pour l’un de ces derniers, le plai-gnant finit par accepter de les racheter tous les trois à leur maître, Athénogénès, ainsique la parfumerie dans laquelle le père travaillait. L’achat de la boutique impliquaitcelui des dettes que le propriétaire avait pu contracter. Mais Épicrate ne se méfiepas332 :

340 LA COMMUNICATION ÉCRITE PUBLIQUE

326 Nous ne cherchons pas ici à déterminer l’identité des coupables.327 Cela constituait peut-être un lieu commun des plaidoyers : DÉM., Lacr., 35.54, Phorm., 34.51-52 etDion., 56.48-50 qui propose une véritable ode aux contrats.328 DÉM., Aphob. I, 27.49 (trad. CUF).329 DÉM., Aphob. I, 27.51.330 DÉM., Phen., 42.29 : lecture de deux témoins qui reconnaissent avoir été remboursés ce qui permetde prouver que l’accusé se prévaut de fausses dettes.331 DÉM., P. Phorm., 36.20-21 et 36.332 HYP. C. Athén. 4.8-9 (trad. CUF modifiée).

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ÑVw g`år efipÒntow aÈtoË taËta §g∆ prosvmolÒghsa, eÈyÁw §k t«n gonãtvn`l`ab∆n [t`«]n aÍtoË grammate›Òn t`[i tÚ §g]gegramm`°non éneg$gnvsk[en:∑san d¢ atai suny∞kai prÚw §m°: œn §g∆ énagignvskom°nvn m¢n ≥kouon,¶speudon m°ntoi §f' ˘ ∏kon toËto dioikÆs`asyai. Ka‹ shma$netai tåwsuny`Ækaw eÈyÁw §n tª [a]È`[t`]ª ofik$&, ·na mhde[‹]w t«n eÔ fronoÊntvn[é]k`oÊsai tå §ggegramm°na, proseggrãcaw met' §moË N$kvna tÚnKhfis<i>°a. ÉElyÒntew d' §p‹ tÚ murop≈lion tÚ m¢n grammate›on tiy°meyaparå Lusikle› Leukonoe›.

“À peine ses propositions ainsi formulées, y avais-je donné mon acquiescement,que, tout de suite, il tirait de dessus ses genoux une tablette rédigée au préalable etla lisait. C’était la convention à conclure avec moi ; mais j’avais hâte d’avoir réglél’affaire pour laquelle j’étais venu. Alors, il scelle le contrat en y apposant soncachet, à l’instant, dans [cette maison même], pour qu’aucun homme de bon sensn’entende parler des clauses qui s’y trouvaient inscrites, et non sans y avoir, par sur-croît, fait figurer avec moi le nom de Nicon de Céphisia. Après être passés par laparfumerie, nous déposons la tablette chez Lysiclès de Leuconoé”.

Très bientôt, les premiers créanciers se présentent devant le nouveau propriétaireet réclament le remboursement de dettes. Pour certaines d’entre elles, Épicrateconvient avoir lu trop rapidement le contrat333. L’une des clauses était cependantvolontairement vague : “et telle autre dette de Midas, s’il en a”. Il tente alors de négo-cier avec Athénogénès qui argue du document334 : “Il nous répondit qu’il ne connais-sait pas les dettes dont nous parlions, qu’il ne se souciait pas de nous, et que du resteil possédait un acte conclu avec moi pour trancher ces questions”. Épicrate neconteste du reste pas le document, il accuse Athénogénès de dissimulation. Selontoute vraisemblance, jusqu’au dénouement de cette affaire, le plaignant a été obligéde payer les créanciers qui n’ont pu obtenir gain de cause sans présenter un docu-ment attestant leur créance. Les banquiers se contentent de fournir leur livre quipossède une valeur probatoire335.

Le dernier élément qui renforce l’impression selon laquelle seuls les écrits consti-tuent des preuves réelles dans les affaires commerciales et financières au IVe siècleconcerne la question des faux336. Il semble qu’il y ait en la matière une hiérarchielégale. Pourquoi fabriquer de faux documents si ces derniers ont une faible impor-tance dans les tribunaux ? Les sources apportent une réponse sans ambiguïté. Aprèsavoir détourné une forte somme d’argent, les tuteurs de Démosthène font dispa-raître les actes de prêt maritime qui pourraient en témoigner et falsifient d’autresdocuments337. De même, pour tenter de s’innocenter, Zénothémis accuse un troi-sième individu impliqué dans l’affaire, Protos, d’avoir volé des documents et brisé

COMMUNICATION ÉCRITE, PRATIQUES DOCUMENTAIRES 341

333 Hyp. C. Athén. 4.9-10 (trad. CUF) : ka‹ e‡ tvi êllvi Ùfe$lei ti M$daw.334 Hyp. C. Athén. 4.11 (trad. CUF) : ÑO d' épekr$nato ≤m›n …w oÎte tå xr°a gign≈skoi ì l°gomen,oÎte pros°xoi ≤m[›n] tÚn noËn, grammate›Òn t' e‡h aÈt“ ke$menon prÚw §m¢ per‹ toÊtvn.335 Dans le Contre Timothée, l’objet de la procédure n’est pas la preuve de la dette, l’inscription dans leregistre fait foi (voir DÉM., Tim., 49.43-44 et 47). Le débat porte sur le remboursement, l’identité réellede l’emprunteur (le mandataire ou le mandant ?)…Voir supra.336 Cf. CALHOUN, op. cit.337 DÉM., Aphob. III, 29.36 cité supra.

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des sceaux338. Enfin, l’accusation principale qui pèse sur Apatourios concerne la dis-parition volontaire de la convention conclue entre les différents protagonistes quipermettrait de trancher l’affaire339.

Ainsi donc, la loi évoquée par le corpus démosthénien comporte bien une res-triction aux seuls actes écrits. La procédure est recevable à deux conditions néces-saires, si la convention conclue concerne Athènes comme lieu de départ ou d’arrivéeet si celle-ci a donné lieu à un acte écrit. “L’utilité considérable de l’écrit en la matièreest facile à comprendre : l’étranger, qui se livre au négoce, est éloigné de sa proprecité, il ne peut inspirer confiance par sa seule personne, ni trouver aisément destémoins assez connus sur la place d’Athènes ; aussi doit-il se munir d’un acte sous-crit par le contractant pour faire la preuve de ses droits”340.

** *

Athènes utilisait donc de façon courante la correspondance avec ses magistrats enmission à l’extérieur ainsi qu’avec les autres cités dans le cadre normal des échangesdiplomatiques. À l’intérieur même de la cité, le Conseil éprouvait le besoin de com-muniquer avec les magistrats. Plus généralement, le fonctionnement quotidien de ladémocratie imposait de tels échanges de documents. L’étude de l’ostracisme amontré que les citoyens utilisaient l’écriture pour faire connaître leur opinion, le plussouvent en mentionnant un nom mais parfois en y adjoignant des commentaires. Demême, les lamelles d’identification en bronze, réalisées par la cité et données auxcitoyens candidats à une magistrature, constituaient un moyen considéré comme sûrde désigner les magistrats. Le cas de l’empire athénien est encore plus net. Sans uti-lisation de l’écrit, la perception du tribut aurait été beaucoup plus difficile. Bienplus, les écrits athéniens et ceux des alliés constituaient autant de moyens simples etcourants d’assurer l’effectivité de la domination341. Le décret fermant les ports del’empire et les agorai de l’Attique aux Mégariens ne pouvait être voté que si danschacun de ces lieux un magistrat était à même de contrôler les marchandises voirel’identité des marchands qui tentaient d’y entrer.

C’est sans conteste le fonctionnement de la justice et l’importance des preuvesécrites qui sont le plus riches d’enseignement. Dans le chapitre 2, nous avons montréqu’au moins depuis la deuxième moitié du Ve siècle, les Athéniens utilisaient etconservaient des ensembles documentaires variés. Le soin particulier qu’ils portaientà l’élaboration de leur testament ou bien au scellement d’une convention ne se com-prend qu’en raison du caractère bien souvent décisif que représentait la productionde ces grammata devant les juridictions athéniennes. La description du Cynique pro-posée par Théophraste semble donc correspondre à la réalité du fonctionnement de

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338 DÉM., Zen., 32.27.339 DÉM., Apat., 33.16 et 18 et 30.340 A. SOUBIE, op. cit., p. 224.341 Il est curieux que HARRIS, Ancient Literacy, p. 335 affirme que l’écriture est indispensable à la domi-nation (“At all events the empires of Greek and Roman antiquity all depended heavily on writing anddocuments”) alors qu’il ne cesse de chercher à prouver la faible importance qualitative et quantitativedu recours à l’écrit dans l’antiquité.

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la justice athénienne au IVe siècle et antérieurement au cours de la deuxième moitiédu Ve siècle342 au moins :

ÑIkanÚw d¢ ka‹ d$kaw tåw m¢n feÊgein, tåw d¢ di≈kein, tåw d¢ §jÒmnusyai,ta›w d¢ pare›nai ¶xvn §x›non §n t“ prokolp$ƒ ka‹ ırmayoÁw grammatid$vn§n ta›w xers$n.

“Il est homme à mener à la fois plusieurs procès, soit comme défendeur, soitcomme demandeur ; de l’un il se débarrasse par un déclinatoire, et dans l’autre ilcomparaît, portant dans le pli de sa tunique une boîte pleine de dossiers, et en sesmains toute une liasse de paperasses enfilées”.

Il n’est pas anodin de rappeler qu’un siècle et demi plus tôt un fragment d’Aris-tophane livre une description identique, des paniers remplis de procès et de tas dedécrets343. Il est de ce fait bien improbable que les documents écrits ne deviennentindispensables dans les affaires de justice à Athènes qu’au milieu du IVe siècle344.

COMMUNICATION ÉCRITE, PRATIQUES DOCUMENTAIRES 343

342 THÉOPHRASTE, Carac., 6.8.343 AR., fr. 226 K.-A.344 F. PRINGSHEIM, The Transition from Witnessed to Written Transactions in Athens, in Aequitas undBona Fides. Festgabe zum 70. Geburtstag von A. Simonius, Basel, 1955, p. 287-297 concluait ainsi ausujet des contrats, conclusion reprise par COHEN, op. cit.

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Conclusion

L’élaboration d’une histoire du rapport qu’Athènes entretient avec l’écriture,autrement dit de l’alphabétisation (literacy) athénienne à l’époque classique,

pose préalablement la question de la place quantitative et qualitative du recours àl’écrit1. Au vu des sources disponibles et des impasses auxquelles a abouti la tentativede W. V. Harris, il est apparu nécessaire d’élaborer une méthode d’estimation2. L’en-semble des critères pris en compte permet d’affirmer que la société athéniennerecourait de façon importante à l’écriture dès l’époque archaïque. Est-ce à dire quetous les habitants de l’Attique possédaient au moins des rudiments de lecture ?Certes non, mais une bonne majorité se débrouillait avec ce mode de communica-tion et certains étaient de très fins lettrés. Les citoyens devaient être capables d’ac-complir leur “métier”, c’est-à-dire participer à l’ostracisme (écrire un nom), exercerdes magistratures (qui exigeaient de manier des documents) ou bien encore parti-ciper à l’élaboration des décisions (écrire un décret). La partie analphabète de lapopulation n’en ignorait pas pour autant l’existence des documents écrits et les occa-sions de se confronter avec ces derniers ne manquaient pas, ne serait-ce qu’à traversl’omniprésence des inscriptions. Il semble que les analphabètes n’étaient pas majori-taires à l’époque classique, si on fait abstraction des esclaves travaillant dans lesmines.

Si les sources ne permettent pas d’estimer la nature du recours aux écriturespubliques avant le début du Ve siècle, il est en revanche possible d’affirmer que lacité utilise massivement l’écriture pour assurer son bon fonctionnement après 5103.L’institutionnalisation des dèmes supposait la création d’un registre qui conservât lenom des citoyens. Par ce biais, la cité contrôlait l’accès à un certain nombre de pri-vilèges afférents à la citoyenneté. La mise en place d’un Conseil de cinq centsmembres renforça l’écriture quotidienne du pouvoir, le Bouleutérion constituant lespremières archives officielles de la cité. Ce bâtiment continue du reste d’accueillir desdocuments au IVe siècle. Il n’y a donc pas de centralisation autour du Métrôon dansla dernière décennie du Ve siècle.

L’événement majeur dans cette histoire de la conservation des documents sedéroule cependant au cours de cette période, la révision des lois. En 410, les Athé-niens décident l’élaboration d’un code de lois, afin que seules les dispositions rete-nues par les anagrapheis aient désormais force de loi dans la cité4. En même temps,

1 Chapitres 1 et 2.2 HARRIS, Ancient Literacy.3 Chapitres 3 et 4.4 Les autres sont qualifiées d’agraphoi nomoi.

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sans que ces deux faits soient corrélés, le Métrôon devient le bâtiment qui abrite lesarchives de la cité. Une grande variété de documents officiels y sont conservés sousla surveillance d’un personnel nombreux et divers, magistrats ou non du reste. Devéritables professionnels dont les attributions nous échappent, au premier rang des-quels Eschine, conservent, classent et recherchent à l’occasion les écrits dont lescitoyens peuvent avoir besoin. Il convient de rester prudent sur ce dernier point, carnous manquons d’éléments sur les modalités pratiques de consultation des docu-ments par les citoyens. Les plaidoyers judiciaires montrent toutefois qu’il n’y avaitpas d’impossibilité en la matière.

Ces archives civiques ne doivent pas faire oublier la conservation de documentspar d’autres institutions, qualifiées ici de périphériques5. Le terme de périphérie ren-voie à l’articulation institutionnelle avec le centre politique de la cité et non à unemoindre importance. Le cas du dème l’illustre. Les archives de cette institution n’as-surent rien moins que l’accès à la citoyenneté ou l’exercice des droits et des obliga-tions des citoyens (participation aux sacrifices des Panathénées, mobilisations mili-taires et fiscalité). Le démarque disposait ainsi de responsabilités très importantes. Lacommunication avec le centre, en l’occurrence la Boulè, était assurée notamment parle ou les bouleutes du dème. De ce fait, il faut conclure à l’effectivité de la centrali-sation de certaines informations, comme la constitution d’un katalogos permanentou bien encore la réalisation de cadastres, qu’aucune impossibilité pratique ne venaitempêcher. Plus généralement, les magistrats de la cité conservaient aussi des docu-ments dans l’exercice de leurs attributions et pour la remise des comptes. Les templesconstituent la dernière institution périphérique que nous avons étudiée. Dès le VIe

siècle, leurs activités imposaient la tenue d’inventaires précis, à laquelle fut associépar la suite le Conseil.

L’histoire des archives athéniennes n’épuise cependant pas l’histoire de l’alphabé-tisation d’Athènes. Il convenait alors de poser la question de la place de la commu-nication écrite et de l’utilisation des documents. Une attention particulière a étéaccordée aux inscriptions6. Même si l’abondance de l’épigraphie athénienne n’est enrien une conséquence de la nature démocratique du régime, Athènes a utilisé defaçon particulière ce mode de communication. Il est frappant de constater la plura-lité de ses finalités. Selon les cas, l’inscription publique fournit une information, parson contenu ou par sa seule érection. Mais elle s’inscrit dans un processus institu-tionnel plus vaste. Elle peut constituer le cas échéant une marque particulière d’hon-neur ou de déshonneur. Toutefois, à chaque fois, elle participe de la constructiond’un espace public, d’un lieu de débat que sa présence contribue à délimiter, consti-tuant ainsi un élément des valeurs partagées par les citoyens7. À ce titre, les inscrip-tions sont indissociables de la cité athénienne telle que nous la connaissons, ce quin’implique pas que la cité ne puisse pas vivre sans écriture affichée.

Les sources montrent sans équivoque que le fonctionnement de la cité reposait surde nombreux échanges de documents8. Les magistrats communiquaient par ce biais

346 CITÉ, DÉMOCRATIE ET ÉCRITURE

5 Chapitre 4.6 Chapitre 5.7 Cf. notre conclusion dans Chr. PÉBARTHE, Inscriptions et régime politique : le cas athénien, in A.BRESSON, A.-M. COCULA et Chr. PÉBARTHE (éd.), L’écriture publique du pouvoir, Bordeaux, 2005,p. 181.

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avec les institutions centrales, tout comme avec les États étrangers. Bien plus, la cir-culation d’écrits permit à Athènes d’asseoir une domination durable sur ses alliés dela Ligue de Délos9. Elle pouvait communiquer à ces derniers les ordres qu’elle sou-haitait voir appliquer, elle pouvait contrôler l’accès aux ports de l’empire, et par làfermer les mers, et garantissait la perception du tribut. La communication écriteaffectait enfin la relation que les citoyens entretenaient avec leur régime politique.Les tessons d’ostracisme leur fournissaient l’occasion d’exprimer leur opinion sur telpersonnage important, les lamelles d’identification de bronze, distribuées auxcitoyens, rendaient possible un contrôle par la cité des différents tirages au sort. Au-delà de la communication écrite, le fonctionnement de la justice à Athènes recourtde façon massive et permanente aux documents, de l’ouverture d’une procédure àl’élaboration de la conviction des juges, en particulier dans les affaires de successionet les affaires commerciales. Bien souvent, devant les juges, c’est l’écrit qui fait foi etnon le serment.

Peut-on alors véritablement qualifier la société athénienne de société orale et tra-quer l’émergence d’une mentalité lettrée (document minded) au cours du IVe siècle ?Les réformes de Clisthène interviennent alors que l’alphabétisation a déjà une his-toire ancienne à Athènes10. Elles ne développent pas le recours à l’écriture, elles enprennent acte et pensent la cité en termes de communication écrite11. Les périphé-ries, autrement dit les dèmes, se voient déléguer des responsabilités politiques parcequ’elles sont à même d’y faire face, c’est-à-dire parce qu’elles hébergent des indivi-dualités capables de tenir à jour un registre indispensable pour enregistrer la citoyen-neté, mobiliser le contingent et percevoir la fiscalité. De leur côté, les citoyens reçoi-vent le droit d’exprimer leur opinion sur les grands personnages qui les dirigent parl’intermédiaire d’une procédure originale, l’ostracisme. Chaque année, les Athénienspeuvent désormais inscrire le nom d’une personne en vue de l’exiler temporairementet, à cette occasion, émettre un jugement acerbe. Tout naturellement, lorsque les évé-nements placent Athènes en situation de domination, celle-ci édifie progressivementun empire dont l’efficacité repose sur la circulation de documents écrits et sur laconfiance qui leur est accordée. Au cours de la deuxième moitié du Ve siècle demanière certaine, et peut-être avant, certains documents privés ont valeur probatoiredevant les juges ; il est probable qu’une partie de la procédure supposait déjà l’utili-sation de l’écriture.

Dès lors, le IVe siècle apparaît moins comme une période de rupture que commeune étape particulière de l’histoire de l’alphabétisation au cours de laquelle le sys-tème politique aussi bien que la culture ne sont plus dissociables du recours à l’écri-ture. Sur l’Agora, un complexe Bouleutérion/Métrôon est installé afin de permettrela conservation des documents publics, sans doute dans le souci de rationaliser lesarchives, mais certainement pas de les centraliser. L’articulation centre/périphérie

CONCLUSION 347

8 Chapitre 6.9 Chapitre 6.10 Que les réformes soient toutes l’œuvre de Clisthène ou résultent d’une série de décisions prises jus-qu’au lendemain de Marathon ne modifie en rien l’analyse que nous proposons.11 Cf. nos remarques sur les logiques de conservation et d’exposition d’écrit au VIe siècle dans Chr.PÉBARTHE, Inscriptions et régime politique : le cas athénien, in A. BRESSON, A.-M. COCULA et Chr.PÉBARTHE (éd.), L’écriture publique du pouvoir, Bordeaux, 2005, p. 173-175.

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fonctionne comme par le passé avec, peut-être, une plus grande efficacité. De leurcôté, les individus continuent de posséder et d’utiliser des documents, qu’ils pro-duisent le cas échéant lors des procès auxquels ils participent. La plupart du temps,ces pièces permettent d’obtenir gain de cause. Enfin, une véritable culture lettrée semet en place qui triomphe avec Aristote12.

Cette histoire de l’alphabétisation d’Athènes se décline en réalité en plusieursétapes13. Aucune d’entre elles ne semble vraiment correspondre au modèle historiqueretenu par R. Thomas dans ses travaux, celui de l’Angleterre médiévale établi parM. T. Clanchy14. Si un modèle doit être cherché, il est préférable de s’orienter versl’époque moderne qui, en dépit du développement de l’imprimerie, semble offrir desconcepts à même de décrire la réalité athénienne15. Le premier élément de compa-raison consiste dans l’omniprésence de l’écriture quand bien même une partie nonnégligeable de la société n’est pas alphabétisée. A. Farge rapporte ainsi que les sui-cidés qui se jetaient dans la Seine, analphabètes pour la plupart d’entre eux, n’en por-taient pas moins des documents16. Le deuxième concerne les degrés extrêmes d’al-

348 CITÉ, DÉMOCRATIE ET ÉCRITURE

12 Isocrate et avant lui, dans une moindre mesure, Thucydide s’inscrivent dans un monde qui connaîtl’écriture et publient avant tout pour des lecteurs anonymes.13 Les pratiques épigraphiques semblent connaître une évolution propre, avec une véritable explosiondes écritures publiques après 460 qui ne traduit en rien un quelconque progrès de la litéracie athé-nienne. De même, le troisième quart du Ve siècle marque un coup d’arrêt brutal dans la production destèles funéraires sans qu’il soit possible de l’expliquer de manière satisfaisante (Chr.W. CLAIRMONT,Classical Attic Tombstones. Introductory Volume, Klichberg, 1993, p. 2).14 Essentiellement THOMAS, Oral Tradition, p. 15-94 et ID., Literacy, p. 15-28. Voir les remarques dansnotre introduction. Quelques années après Clanchy, un autre médiéviste, Br. STOCK, The Implications ofLiteracy. Written Language and Models of Interpretation in the Eleventh and Twelth Centuries, Princeton,1983, a étudié plus généralement les conséquences de l’introduction et du développement de l’écriture àpartir du XIe siècle. La réflexion de ces deux historiens permet certes de comprendre le changement quis’est opéré dans la nature et la quantité des documents écrits, et par là même peuvent constituer des élé-ments de comparaison pour l’Antiquité. Pour autant, rien n’indique que le point de départ de cette évo-lution ait été une culture orale. En effet, les documents écrits étaient plus nombreux pour l’Angleterredes Xe-XIe siècle que l’on pense habituellement. Beaucoup d’écrits ont été détruits car il était jugé inutilede les conserver. Certaines époques utilisaient fortement l’écriture sans pour autant qu’il nous en restegrandes traces. R. MCKITTERICK, The Carolingians and the Written Word, Cambridge, 1989 et ID. (éd.),The Uses of Literacy in Early Mediaeval Europe, Cambridge, 1990 ont montré l’importance du recours àl’écriture au cours de l’époque carolingienne. Dernièrement M. INNES, State and Society in the EarlyMiddle Ages. The Middle Rhine Valley 400-1000, Cambridge, 2000, en particulier p. 111-118 a décrit lesutilisations des documents écrits antérieurs au VIIIe siècle dans les régions rhénanes. Dans la deuxièmeédition de son ouvrage, M. T. Clanchy est revenu sur certaines de ses conclusions.15 E.L. EISENSTEIN, La révolution de l’imprimé dans l’Europe des premiers temps modernes, Paris, 1991 aanalysé en détail les conséquences de l’imprimerie sur la vie intellectuelle de la Renaissance. Toutefois,R. CHARTIER, Culture écrite et littérature à l’âge moderne, AHSS 56, juillet-octobre 2001, p. 801-802rappelle que Gutenberg n’a pas tué les copistes et que des pratiques traditionnelles ont pu survivre pen-dant une période relativement longue.16 A. FARGE, La chambre à deux lits et le cordonnier de Tel-Aviv, Paris, 2000, p. 31 : “Des lettres inondéesd’eau sont là, conservées, racontant des bribes d’existence : on y lit des quittances et des comptes, desbillets d’amour échoué, d’étranges confessions, des petits mots où gît l’inquiétude de mourir en voyageet de n’être point reconnu une fois mort […] Qui disait donc que l’écrit est chose si rare dans les popu-lations illettrées ? […] Or, les voici analphabètes et quasi illettrés mais porteurs d’une multiplicité depapiers écrits pour eux, par eux ou au moyen d’un écrivain public”.

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phabétisation. Dans la société athénienne comme dans les sociétés modernes, coexis-tent le fin lettré et le citoyen incapable de remplir son tesson d’ostracisme sans l’aided’un passant avec entre les deux toute une gamme de scripteurs maladroits, de bra-déôs graphontes. Le troisième élément de comparaison tient dans la variété des usages,aucune activité humaine n’ignorant l’écriture. En revanche, la nature très différentedes États, tant par leur taille que par l’autorité qu’ils exercent, ne permet pas de réelsrapprochements17.

Au total, il est donc vain de partir à la recherche d’une civilisation orale ou d’unecivilisation écrite à Athènes au cours des périodes archaïque et classique, tout autantque de tenter d’y situer la transition de l’une à l’autre. Comme les réflexions desanthropologues et des historiens l’ont montré, l’histoire de l’alphabétisation athé-nienne oscille entre écriture et oralité. Il convient en effet de ne pas négliger tousceux qui demeuraient en marge d’une culture écrite, en l’occurrence d’une maîtriseconvenable de la lecture et de la rédaction de textes courts, sur le modèle des lettrestrouvées dans les fouilles de l’Agora ou sur certaines tablettes de défixion. La singu-larité de l’Antiquité en général et d’Athènes en particulier en matière d’écriturespubliques affichées invite toutefois à ne pas sous-évaluer le rôle joué par l’écrituredans la définition même de la cité. Selon l’hypothèse émise par J. Ober, celle-ci estune communauté d’interprétation18. L’instance souveraine fixe les termes du débatauxquels participent les membres de la communauté. Or, les inscriptions, si ellesdélimitent, au sens propre du terme, un espace public — les bornes notamment —, fournissent aussi les informations indispensables au fonctionnement de la cité, ellesportent le cas échéant les règles constitutionnelles, elles véhiculent le souvenir del’histoire civique (liste des archontes ou obituaires publics) et, enfin, elles exprimentun certain nombre de pratiques sociales. Si l’on retient la définition de la politeiadonnée par le même J. Ober — “Ergo the term politeia embraces not only theconstitution (legal arrangement of governmental institutions), but the ideology (thesystem of beliefs by which actions are organized) and social practices promoted bythe dominant sub-society within the polis”19 — alors la cité, comprise aussi biencomme une entité politique que comme une somme d’individualités, ne sauraitexister sans ses écritures affichées et conservées.

Bien évidemment, on risque ainsi de tomber dans une nouvelle forme de détermi-nisme. L’éviter suppose d’inscrire cette histoire des pratiques d’écriture à Athènes dansune perspective plus large, historique d’une part, avec une prise en considération desparticularités de la communication dans les sociétés anciennes et systémique, d’autrepart, en intégrant dans la réflexion l’oralité et les échanges non verbaux20.

CONCLUSION 349

17 La contribution de M.T. CLANCHY, Literacy, Law, and the Power of the State, in Culture et Idéologiedans la genèse de l’État moderne. Actes de la table ronde organisée par le Centre National de la RechercheScientifique et l’École française de Rome. Rome, 15-17 octobre 1984, Rome, 1984, p. 25-34 sur laconstruction de l’État à l’époque du royaume d’Angleterre (XIIe siècle) fournit un parallèle intéressant,notamment par la distance prise par rapport aux effets attendus de l’écriture sur la construction d’unÉtat (en particulier p. 33-34).18 J. OBER, The Polis as a Society. Aristotle, John Rawls and the Athenian Social Contract, inM.H. HANSEN (éd.), The Ancient Greek City-State, Copenhague, 1993, en particulier p. 131.19 Ibid., p. 131.20 Il convient de citer ici le livre de A.L. BOEGEHOLD, When a Gesture was Expected : A Selection ofExamples from Archaic and Classical Greek Literature, Princeton, 1999 sur la gestuelle.

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ÆLIUS THÉON, Progymnasmata2.67.23-30 : 287

AND.

C. Alc.4.33 : 311 n. 134

Myst.1.14 : 329 n. 2601.38 : 281 n. 3001.43 : 118 n. 411.51 : 264 n. 1791.71-89 : 129 n. 1081.73-76 : 232 n. 3961.75-76 : 233 n. 4001.76 : 144-145, 234 n. 4031.77 : 160 n. 3081.77-79 : 126 n. 92, 232 n. 397, 232-

2341.79 : 144 n. 205, 1451.82 : 264 n. 1791.82-85 : 134-1351.83 : 124 n. 82, 246 n. 291.84 : 139 n. 172, 246 n. 29, 264 n. 1791.85 : 129 n. 106, 135 n. 141, 142-1431.87 : 142 n. 1971.89 : 142 n. 197, 264 n. 1791.95 : 135 n. 1421.96 : 135 n. 142, 135 n. 143, 137

n. 161, 138 n. 1631.99 : 135 n. 1421.103 : 262 n. 162

PS-AND.Retour

2.23 : 128 n. 100, 146 n. 213, 169n. 384

ANDROTION

324 F 6 : 63 n. 242

324 F 36 : 178 n. 32324 F 38 : 121 n. 54324 F 52 : 180 n. 58, 196 n. 162

Anecdota Bekker1.259.21 : 203 n. 1981.285.12 : 80 n. 76

Anthologie Palatine11.78 : 49 n. 127

ANT.

Accusation1.29-30 : 89 n. 139

Sur le choreute6.21 : 321 n. 1936.40 : 115 n. 166.49 : 236 n. 410

Sur le meurtre d'Hérode5.53-54 : 86 n. 117

ARISTOMÉNÈS

fr. 9 K-A : 73 n. 34

AR.fr. 205-255 K-A : 49 n. 122fr. 226 K-A : 316 n. 169, 343 n. 343

Ach.79 : 311 n. 135362-363 : 305 n. 92541-543 : 305 n. 92849 : 311 n. 133

Cav.128s. : 50 n. 133186-189 : 52 n. 148188-189 : 49 n. 126255 : 315 n. 161362 : 281 n. 301

INDEX

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573-576 : 266 n. 191947-948 : 228947-959 : 297 n. 44959 : 2281000 : 160 n. 3021030s. : 49 n. 1271256 : 316 n. 169, 316 n. 171

Eccl.681-688 : 313-314

Gren.52s. : 73 n. 3452-54 : 51 n. 136, 72 n. 24362-363 : 306 n. 98578 : 202 n. 194687 : 311 n. 135848 : 124 n. 81939-944 : 74 n. 431113 : 51 n. 1361114 : 72 n. 241407-1410 : 75 n. 441435-1437 : 322 n. 2111504-1514 : 130 n. 110

Guêpes583 : 90 n. 147, 95 n. 175583-586 : 329 n. 263, 335655-660 : 289715-718 : 195 n. 159959-961 : 49 n. 126, 50 n. 129962-966 : 329 n. 260

Lys.1195-1198 : 297 n. 46

Nuées18-20 : 57 n. 182, 95 n. 17321-23 : 102 n. 21530-31 : 102 n. 21643-45 : 57 n. 185608-610 : 84 n. 100658s. : 73 n. 35759-774 : 316-317889-1104 : 49 n. 123, 49 n. 1241009-1018 : 50 n. 1351022 : 51 n. 1361035-1041 : 308-3091088-1094 : 51 n. 1361429 : 283 n. 319

Ois.1035s. : 129 n. 1031210-1215 : 299 n. 611222-1223 : 299 n. 621286-1289 : 52 n. 148, 129 n. 1041660-1670 : 188 n. 111, 188 n. 115

Paix201 : 124 n. 791180-1190 : 209-210

Pl.277-278 : 313 n. 149278 : 314 n. 151972 : 313 n. 1491164-1167 : 315 n. 1641166-1167 : 313 n. 149

Thesm.383-432 : 283 n. 319425 : 298 n. 53431-432 : 165 n. 343931 : 124 n. 78940 : 124 n. 781124 : 124 n. 781165 : 124 n. 78

ARRIEN, Périple9 : 114 n. 8

ARSTT

frag. 134 Rose : 73 n. 32

Mét.1003b : 71 n. 13

Pol.1.2.22.1255b : 62 n. 2313.2.3.1275b : 181 n. 635.8.10.1308a-b : 220 n. 3057.14.18-21.1333b : 39 n. 487.17.1336b : 71 n. 118.3.1337b : 71 n. 118.3.7.1338a : 60 n. 211, 71 n. 12

Rhet.1.2.1355b : 333 n. 2861.4.1359b : 51 n. 1371.15.1375b-1376b : 331 n. 2742.23.5.1397b : 266 n. 192

PS-ARSTT

Ath. pol.3.4 : 163 n. 3274.2 : 222 n. 3267.3 : 223 n. 331, 281 n. 3027.4 : 175 n. 108.1 : 223 n. 3318.3 : 177 n. 28, 177-178, 179 n. 488.4-5 : 223 n. 33113.5 : 175 n. 11, 181 n. 61, 181 n. 6414.3 : 244 n. 1216.2 : 244 n. 1220.1 : 181 n. 67

374 INDEX

MEP_Cité, démocratie… 26/07/06 10:08 Page 374

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21.2 : 182 n. 6921.3 : 182 n. 7621.4 : 176 n. 25, 182 n. 7021.5 : 176 n. 23, 180 n. 56, 182 n. 7521.6 : 175 n. 15, 184 n. 8922.1 : 64 n. 24323.5 : 303 n. 7826.4 : 193 n. 14529 : 171 n. 39829-33 : 129 n. 10829.3 : 136 n. 15232.1 : 161 n. 31735.2 : 136 n. 154, 26136.2 : 295 n. 2242 : 188 n. 11042.1 : 203 n. 19842.1-2 : 199 n. 174, 200 n. 182, 201-

20242.2 : 158 n. 28943.1 : 167 n. 36943.5 : 63 n. 23644.1 : 162, 180 n. 54, 228 n. 361, 297

n. 4545.1 : 170 n. 39647.1 : 175 n. 10, 223 n. 331, 226 n. 34847.2 : 249 n. 42, 29347.2-3 : 159 n. 297, 234-235, 280

n. 29147.3 : 280-28147.4 : 23647.5 : 157-158, 159 n. 298, 160 n. 305,

166 n. 360, 29348.3 : 227 n. 35548.4 : 231 n. 38249.1 : 238 n. 428, 238 n. 43149.1-3 : 217 n. 28649.2 : 125 n. 86, 29450.2-51.3 : 216 n. 28053.2 : 126 n. 9153.2-3 : 31753.4 : 158 n. 289, 184 n. 87, 20954.2 : 156 n. 274, 227 n. 355, 268

n. 21254.3 : 161-16254.4 : 184 n. 9054.4-5 : 16554.7 : 184 n. 9054.8 : 216 n. 28059.4 : 203 n. 19760.1 : 225 n. 33961.1 : 121 n. 5762.1 : 315 n. 16363-65 : 312 n. 140

63.3 : 315 n. 16463.4 : 312, 314 n. 157

Ec.1.5.1344a : 62 n. 2322.2.5.1347a : 219

ARISTOXÉNOS

fr. 131 Wehrli : 74 n. 40

ATHÉNÉE

6.262b-c : 62 n. 2319.407b-c : 116 n. 24, 157 n. 28513.589e : 311 n. 134

CIC.

Brutus12.46 : 50 n. 134

Div.1.43.95 : 40 n. 59

Rep.3.9 : 286 n. 335

CLEIDÉMOS FGrHist 323F 1 : 148 n. 223F 8 : 177 n. 27

CRATINOS LE JEUNE

frag. 9 K-A : 211-212

DÉM.

Amb.19.13-16 : 158 n. 29019.38 : 296 n. 3219.39-40 : 298 n. 5019.40 : 296 n. 3319.40-41 : 158 n. 29219.51 : 296 n. 3319.70 : 161 n. 31219.129 : 146 n. 213, 152 n. 252, 162

n. 321, 166 n. 35519.150-177 : 158 n. 29019.161 : 296 n. 3319.174 : 292 n. 819.187 : 296 n. 3319.197 : 157 n. 28219.237 : 161 n. 31219.249 : 161 n. 312, 236 n. 41419.270 : 323 n. 22019.303 : 208 n. 232, 285-28619.303-307 : 287 n. 345

Andr.22.38 : 167 n. 366

SOURCES LITTÉRAIRES 375

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22.70 : 167 n. 366

Aphob. I27.4-5 : 92 n. 15627.5 : 92 n. 155, 202 n. 19327.9-11 : 102 n. 21827.14 : 103 n. 22327.16 : 103 n. 22327.20 : 337 n. 30627.24 : 337 n. 30727.30 : 337 n. 30727.34-37 : 337 n. 30727.35-36 : 103 n. 22527.39 : 331 n. 270, 337 n. 30827.40 : 90 n. 142, 93 n. 162, 336 n. 29927.42 : 90 n. 14327.43 : 93 n. 16227.47 : 103 n. 22327.48 : 90 n. 142, 336 n. 29927.49 : 102 n. 221, 34027.50 : 317 n. 17427.51 : 340 n. 32927.55 : 60 n. 210, 218 n. 29127.57 : 218 n. 29127.64 : 90 n. 142, 336 n. 29927.66 : 218 n. 291

Aphob. II28.5 : 90 n. 144, 217, 331 n. 27028.6 : 101 n. 210, 102 n. 219, 107

n. 252, 325 n. 23928.8 : 216, 218 n. 29128.9 : 103 n. 226, 336 n. 29928.9-10 : 337 n. 30628.10-11 : 216-21728.14 : 107 n. 25228.14-15 : 90 n. 14528.15-16 : 92 n. 155

Aphob. III29.11 : 61 n. 225, 330 n. 266, 331

n. 27629.17 : 61 n. 225, 330 n. 266, 331

n. 27629.20 : 321 n. 19429.21 : 34 n. 12, 105 n. 239, 33129.30-31 : 319, 334 n. 29529.36 : 101, 109 n. 264, 341 n. 33729.37 : 337 n. 30929.42 : 90 n. 14329.51 : 321 n. 195, 333 n. 29029.55 : 61 n. 225, 331 n. 27629.59 : 218 n. 291

Apat.33.1 : 162 n. 325, 337 n. 312

33.12 : 97 n. 186, 100 n. 204, 339n. 323

33.14-16 : 97 n. 18233.15 : 146 n. 21033.16 : 342 n. 33933.17 : 34 n. 12, 61 n. 225, 99 n. 198,

105 n. 239, 331 n. 27833.18 : 342 n. 33933.19 : 97 n. 18333.30 : 97 n. 185, 342 n. 33933.36 : 332 n. 28133.36-37 : 329-33033.38 : 328 n. 257

Arist.23.22 : 143 n. 20023.151 : 293 n. 1223.183 : 293 n. 12

Aristog. I25.4 : 267 n. 20625.57 : 214 n. 26625.61 : 160 n. 30225.69-70 : 145-14625.70 : 124 n. 8025.98 : 169 n. 38125.98-99 : 15125.99 : 267 n. 206

Bœot. I39.5 : 203 n. 19839.7-9 : 312 n. 14439.8 : 222 n. 32239.10 : 312-31339.10-12 : 312 n. 14339.17 : 318 n. 18039.30-31 : 188 n. 116

Call.52.3 : 105 n. 23752.4 : 103 n. 23152.5-6 : 106 n. 25052.6 : 104 n. 23252.19 : 107 n. 25152.24 : 105 n. 24052.27 : 108 n. 26152.29 : 108 n. 26152.31 : 325 n. 237, 339 n. 32052.43-44 : 108 n. 260

Con.54.26 : 31954.27 : 318 n. 18354.37 : 329 n. 25954.39-40 : 332

Cour.18.39 : 296 n. 29

376 INDEX

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18.55 : 151 n. 24518.77 : 296 n. 3018.83 : 283 n. 32018.103 : 220 n. 30718.166 : 296 n. 3118.221 : 296 n. 3318.223 : 283 n. 32018.225-226 : 298 n. 5018.250 : 298 n. 4818.258 : 71 n. 1418.259-260 : 148 n. 22218.261 : 203 n. 198

Dion.56.1 : 98 n. 194, 107 n. 25156.2 : 96 n. 17856.6-7 : 99 n. 19556.8 : 87 n. 12256.10 : 87 n. 12256.14-15 : 100 n. 20556.15 : 100 n.20156.18 : 320 n. 19056.26 : 33956.31 : 33956.46 : 339 n. 322, 339 n. 32356.48-50 : 340 n. 327

Eub.57, ÍpÒyesiw 1 : 196-19757.4 : 333 n. 28357.7 : 197-19857.8 : 199 n. 17757.9-11 : 197-19857.10 : 198 n. 17057.13 : 197-19857.26 : 199 n. 173, 199 n. 176, 20057.34 : 32557.46 : 325 n. 23357.49 : 197 n. 16457.51 : 20657.55-56 : 20557.56 : 20357.59 : 20657.60 : 190 n. 128, 199 n. 173, 20057.61 : 203 n. 19857.63 : 199 n. 17657.69 : 190 n. 123

Everg.47.16 : 318 n. 18047.18 : 32447.21-22 : 267 n. 20647.22 : 27647.36 : 27647.56 : 62 n. 22947.57 : 60 n. 210

47.77 : 96 n. 178

Hal.7.9-13 : 309 n. 1187.33 : 158 n. 292

Lacr.35.10 : 257 n. 11635.10-13 : 98 n. 19135.13 : 98 n. 19235.14 : 100 n. 200, 146 n. 21035.15 : 99 n. 19735.17 : 338-33935.25 : 338 n. 31935.27 : 339 n. 32335.39 : 339 n. 32335.50 : 338 n. 31935.54 : 340 n. 327

Leo.44.18 : 324 n. 22644.35 : 203-20444.35-39 : 203 n. 19844.36 : 204 n. 20744.37 : 204 n. 205, 204, 206 n. 217,

207 n. 22644.38 : 188 n. 11644.41 : 185-186, 188 n. 11644.42 : 322 n. 20544.45 : 324 n. 22744.45-55 : 333 n. 29144.65 : 336 n. 302

Lept.20.29 : 119 n. 4620.32 : 325 n. 22920.36 : 257, 324 n. 22420.42 : 118 n. 4220.64 : 26220.69 : 324 n. 22120.94 : 139 n. 175, 166 n. 35120.127 : 324 n. 22220.147 : 231 n. 383

Lettres6.1 : 293 n. 12

Let. Phil.12.2 : 298 n. 51

Macart.43.4 : 33643.7 : 96 n. 18043.11 : 188 n. 115, 188 n. 11643.13-15 : 188 n. 11643.18 : 32643.31 : 334 n. 29643.35-37 : 337 n. 310

SOURCES LITTÉRAIRES 377

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43.42-46 : 337 n. 31043.58-59 : 207 n. 22943.79-80 : 324 n. 22643.81 : 188 n. 116

Mid.21.52 : 157 n. 28221.103 : 139 n. 175, 320 n. 19021.154 : 208 n. 23721.182 : 315 n. 164

Naus.38.2 : 319 n. 18738.6 : 325 n. 23238.12 : 88 n. 124, 105 n. 24138.14-15 : 324 n. 227, 334-33538.14-16 : 103 n. 224

Nééra59.7 : 144 n. 20459.59 : 188 n. 11659.60 : 188 n. 11259.76 : 143 n. 20059.97 : 324 n. 22159.104 : 187 n. 10659.124 : 320

Nicostr.53.6 : 86 n. 11653.10 : 339 n. 32353.14 : 325 n. 23953.22-25 : 334 n. 296

Olymp.48.11 : 96 n. 179, 146 n. 21048.26 : 320 n. 19148.32 : 97 n. 18448.38 : 97 n. 18448.46 : 97 n. 18648.48 : 327-32848.50 : 321 n. 19348.50-51 : 328

Onet. I30.15 : 103 n. 22430.36 : 321 n. 195, 333 n. 290

Onet. II31.3-4 : 80 n. 77

Pant.37.5 : 98 n. 19137.22 : 319 n. 186, 324 n. 22737.22-26 : 333 n. 29137.25 : 319 n. 18637.26 : 319 n. 18637.27 : 324 n. 22737.28 : 319 n. 18637.29 : 319 n. 186

37.32 : 319 n. 18637.33 : 321 n. 20037.34 : 32137.40 : 321 n. 197, 333 n. 29037.42 : 321 n. 196, 321 n. 197, 333

n. 290

Phen.42.1 : 322-32342.2 : 327 n. 25242.3 : 220 n. 30742.5 : 80 n. 80, 218 n. 29642.8 : 327 n. 25242.12 : 96 n. 17842.14 : 93 n. 163, 32342.16 : 326 n. 24342.19 : 327 n. 25242.23 : 218 n. 294, 334 n. 29642.25-29 : 333 n. 29242.28 : 80 n. 8142.29 : 340 n. 33042.32 : 220 n. 307

Phorm.34.3-4 : 339 n. 32334.5-6 : 99 n. 19634.6 : 100 n. 20134.7 : 169 n. 386, 325 n. 22934.8 : 87 n. 11834.9 : 101 n. 21134.16 : 334 n. 29634.17 : 334 n. 29634.28 : 87 n. 119, 87 n. 121, 321 n. 19334.29 : 87 n. 12134.30 : 99 n. 197, 105 n. 24234.31 : 100 n. 202, 101 n. 207, 102

n. 222, 33834.32 : 87 n. 12134.34 : 325 n. 23134.42 : 162 n. 325, 337 n. 31234.51-52 : 340 n. 327

P. Phorm.36.4 : 101 n. 213, 325 n. 23736.7 : 32736.8 : 92 n. 15436.15 : 98 n. 18736.16-17 : 98 n. 18836.18 : 336 n. 30436.18-19 : 100 n. 19936.19 : 90 n. 14636.20 : 103 n. 22436.20-21 : 102 n. 221, 106 n. 246, 340

n. 33136.21 : 324 n. 227, 326 n. 242, 334

n. 296

378 INDEX

MEP_Cité, démocratie… 26/07/06 10:08 Page 378

Page 379: Christophe PÉBARTHE_Cité, Démocratie et écriture_HISTOIRE DE L’ALPHABÉTISATION D’ATHÈNES À L’ÉPOQUE CLASSIQUE

36.33-34 : 336 n. 30436.34 : 90 n. 14636.36 : 100 n. 199, 102 n. 221, 106

n. 247, 340 n. 33136.40 : 326 n. 24236.52 : 92 n. 157

Pol.50.6 : 20850.7 : 208 n. 23550.8 : 211 n. 250, 21550.8-9 : 216 n. 28050.10 : 325 n. 23950.16 : 209 n. 23850.18 : 88 n. 12350.30 : 326 n. 24150.58-61 : 86 n. 11350.62 : 86 n. 11350.65 : 326 n. 241

Spoud.41.5-6 : 99 n. 19941.6 : 89 n. 136, 90 n. 14041.7 : 89 n. 13441.9-10 : 60 n. 21641.10 : 89 n. 13641.16 : 89 n. 13241.20-21 : 102 n. 21441.21 : 60 n. 216, 89 n. 137, 32741.24 : 89 n. 137

Steph. I45.7-8 : 324 n. 227, 334 n. 29645.8 : 93 n. 162, 321 n. 193, 32745.13 : 327 n. 25045.17 : 32745.19-21 : 94 n. 16845.24-25 : 33445.26 : 334 n. 29445.31 : 325 n. 23845.33 : 103 n. 22845.41 : 101 n. 20645.42 : 33545.44 : 33045.44-45 : 329 n. 25945.46 : 324 n. 22745.48 : 329 n. 25945.57-58 : 31845.61 : 98 n. 189, 317 n. 17445.72 : 46 n. 104, 109 n. 26845.87 : 330 n. 267

Steph. II46.2 : 327 n. 24846.2-3 : 336 n. 30046.6 : 330 n. 267

46.7 : 330 n. 268, 333 n. 28346.11 : 316 n. 172, 317 n. 175, 321

n. 19846.14 : 89 n. 129, 89 n. 13146.28 : 326 n. 246

Sym.14.30 : 220 n. 303

Theocr.58.8 : 32058.17-18 : 326 n. 24258.18 : 105 n. 24358.19-21 : 267 n. 20558.48 : 267 n. 20658.48-52 : 267 n. 20558.56 : 323 n. 219

Tim.49.2 : 108 n. 26349.5 : 104 n. 234, 109 n. 27049.7 : 109 n. 26949.8 : 107 n. 25549.12 : 80 n. 7949.13 : 86 n. 11549.19 : 318 n. 18249.30 : 108 n. 25649.42 : 102 n. 222, 108 n. 262, 109

n. 26749.43 : 106 n. 24849.43-44 : 341 n. 33549.44 : 104 n. 235, 108 n. 25849.47 : 341 n. 33549.59 : 106 n. 249, 108 n. 25949.65 : 333 n. 290

Timocr.24.18 : 139 n. 17524.22 : 313 n. 14624.23 : 139 n. 17524.24 : 160 n. 30624.27 : 313 n. 14624.42 : 129 n. 108, 133-134, 160 n. 30724.94 : 165 n. 34624.123 : 315 n. 164

Zen.32.1 : 162 n. 325, 337 n. 31232.4-5 : 339 n. 32532.16 : 100 n. 200, 33932.18 : 169 n. 386, 325 n. 23032.19 : 100 n. 20032.27 : 100 n. 204, 339 n. 324, 342

n. 338

SOURCES LITTÉRAIRES 379

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DEN. HAL.

Dem.5.52.2-4 : 53 n. 152

Dinarque11 : 196 n. 162

Isée14 : 333 n. 28817 : 196 n. 162

DIN.

Dem.1.86 : 128 n. 98, 152

DIO. L.2.40 : 157 n. 2843.46 : 71 n. 164.2 : 71 n. 169.52 : 73 n. 38

Protagoras9.52 : 73 n. 389.54 : 73 n. 35

DION CHRYSOSTOME

Sur la beauté21.3 : 140 n. 183

Sur l'esclavage et la liberté II15.15 : 61 n. 218

D.S.1.77.5 : 17411.55 : 63 n. 236, 63 n. 24313.69.2 : 235 n. 407, 261 n. 15613.100-103 : 292 n. 1015.38.2 : 286 n. 34016.57.2-3 : 293 n. 1217.117.3 : 297 n. 4020.46.1-2 : 245 n. 18

ÉPHORE FGrHist 70F 118 : 39 n. 48,

ESCHN.

Amb.2.14-15 : 166 n. 3582.19 : 330 n. 2682.32 : 155, 217 n. 284, 331 n. 2712.45 : 296 n. 332.50 : 296 n. 332.58-59 : 158 n. 2902.59 : 1582.68 : 283 n. 320

2.89 : 160-161, 163 n. 3282.89-92 : 158 n. 2902.90 : 292 n. 5, 293 n. 122.92 : 158-159, 161 n. 3132.124-125 : 296 n. 322.128 : 296 n. 332.182 : 196 n. 162

Ctes.3.14-15 : 1563.15 : 232 n. 3923.21 : 223 n. 3323.24 : 158 n. 2913.25 : 167 n. 366, 167 n. 3693.37 : 126 n. 893.39 : 124 n. 83, 139 n. 1753.41-42 : 123 n. 733.50 : 151 n. 2463.73-75 : 158 n. 2913.100 : 166 n. 3513.187 : 115 n. 17, 116 n. 22, 1543.200-201 : 125 n. 873.249-250 : 298 n. 49

Tim.1.9-11 : 44 n. 971.39 scholie à : 193-1941.77-78 : 196 n. 1621.86 : 196 n. 1621.111-112 : 64 n. 2461.114 : 196 n. 1621.138 : 62 n. 2301.161 : 96 n. 1811.165 : 96 n. 181

EUBOULOS

apud ATHÉNÉE 10.450b : 314 n. 152

EUPOLIS

frag. 293 K-A : 238 n. 433frag. 327 K-A : 73 n. 30frag. 331 K-A : 292 n. 3

EUR.

Alceste967 : 124 n. 79

Erech.fr. 21 CUF : 73 n. 34

Hipp.856-865 : 84 n. 106856-881 : 59 n. 200858-859 : 95 n. 1751311-1312 : 84 n. 106

380 INDEX

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I. T.582-587 : 59 n. 200727s : 84 n. 104759-765 : 296 n. 35

Oreste1221 : 124 n. 78

Palamèdefr. 3 CUF : 90 n. 147

Théséefr. 2 CUF : 57 n. 186

FAVORINUS

apud DIO. L. 5.77 : 245 n. 18

HARP.s.v. éntigrafeÁw t∞w boul∞w : 163

n. 329s.v. ÉAttiko›w grãmmasin : 288 n. 351s.v. dÆmarxow : 220 n. 311s. v. §piskÒpoiw : 304s.v. katãstasiw : 238 n. 433, 238

n. 434s.v. meto¤kion : 214 n. 265

HÉSIODE

Les travaux et les jours699 : 59 n. 208

HDT

1.59 : 179 n. 41, 244 n. 121.153.1-3 : 3042.20 : 78 n. 612.38 : 297 n. 46, 302 n. 712.123 : 77 n. 572.135 : 78 n. 592.177 : 1744.78 : 59 n. 2054.201 : 322 n. 2105.29 : 179 n. 415.35 : 298 n. 525.66 : 173 n. 65.69 : 173 n. 6, 182 n. 725.71.2 : 177 n. 28, 178 n. 385.78 : 42 n. 775.90.2-5.91.1 : 40 n. 59,5.92 : 179 n. 416.57.2-4 : 40 n. 59,6.109 : 78 n. 606.110 : 180 n. 507.33 : 124 n. 787.158 : 179 n. 417.226 : 78 n. 60

9.120 : 124 n. 178

HÉSYCHIOS

s.v. naÊkraroi : 177 n. 31

HYP.

Pour Euxénippe3.3 : 205 N. 210

C. Athén.4.7-8 : 99 n. 1964.8-9 : 340-3414.9-10 : 3414.11 : 3414.19 : 102 n. 220

ISÉE

Apol.7.1 : 93 n. 1627.1-2 : 91 n. 1537.2 : 93 n. 1607.16-17 : 186-1877.27 : 187-188, 188 n. 116, 191 n. 130,

207 n. 2277.27-28 : 203 n. 1987.39 : 218 n. 2937.40 : 218 n. 295

Arist.10.9 : 92 n. 15310.10 : 89 n. 128

Ast.9.8 : 91 n. 1539.12 : 92 n. 158, 92 n. 159

Dik.5.2 : 329 n. 2625.3 : 322 n. 2135.5-6 : 90 n. 1495.17 : 162 n. 3245.33 : 338 n. 3185.38 : 268

Euphil.12.11 : 199 n. 180

Hag.11.8-9 : 95 n. 15311.10 : 162 n. 32411.43 : 60 n. 210

Kiron8.18 : 188 n. 115, 189 n. 1208.18-20 : 190 n. 1248.20 : 190 n. 1248.31 : 90 n. 142

SOURCES LITTÉRAIRES 381

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Page 382: Christophe PÉBARTHE_Cité, Démocratie et écriture_HISTOIRE DE L’ALPHABÉTISATION D’ATHÈNES À L’ÉPOQUE CLASSIQUE

Kleo.1.14-15 : 93 n. 1631.25 : 93 n. 165, 94 n. 167

Mén.2.44 : 91 n. 153

Nik.4.8 : 91 n. 1534.12 : 338 n. 3184.13 : 93 n. 160

Philok.6.5 : 91 n. 1536.7 : 93 n. 160, 93 n. 1626.10 : 188 n. 1156.21-23 : 188 n. 1156.27 : 93 n. 1626.28 : 89 n. 1296.29 : 94 n. 1676.31-32 : 93 n. 1666.53 : 333 n. 2836.60 : 215 n. 271, 215 n. 275, 220

n. 3076.64-65 : 325 n. 235

Pyrr.3.7 : 324 n. 2273.11 : 324 n. 2273.19-27 : 318 n. 1773.20-21 : 3303.56 : 93 n. 1603.60 : 91 n. 1533.68 : 89 n. 1293.73 : 188 n. 1153.76 : 189 n. 118

ISOCR.

Areop.7.54 : 314 n. 1527.81 : 293 n. 12

C. Call.18.16 : 295 n. 2418.19-20 : 170 n. 38818.27-28 : 338 n. 31718.48 : 218 n. 29518.61 : 139 n. 175

Ech.15.21 : 313 n. 14615.45-46 : 70 n. 815.59 : 333 n. 29315.237-238 : 126 n. 8815.259-261 : 70 n. 515.266-267 : 70 n. 515.267 : 51 n. 142

15.296-297 : 70 n. 9

Euth.21.2 : 295 n. 24

Myt.8.88 : 187 n. 108, 207 n. 229

Panath.12.1-2 : 70 n. 812.209 : 42 n. 8012.249-259 : 39 n. 50,12.250-251 : 42 n. 80,

Trap.17.2 : 108 n. 26317.7-8 : 109 n. 26517.19-23 : 338 n. 31717.20 : 96 n. 17717.52 : 87 n.120, 170 n. 388

LIB., Disc.23.36 : 152 n. 249

LUCIEN, Pro Lapsu3 : 292 n. 3

LYC., Leocr.1.23.4 : 146 n. 2101.24 : 325 n. 2371.63-68 : 169 n. 3821.66 : 150,1.76 : 203 n. 198, 286 n. 3351.129 : 40 n.54,

LYS.frg. 28 : 89 n. 131frg. 37.2 : 338 n. 318

Agor.13.12 : 131 n. 12113.37 : 115 n. 16

Alc. II15.5 : 210 n. 247

And.6.10 : 142 n. 196

Arist.19.25 : 298 n. 5719.39 : 89 n. 13619.39-40 : 92 n. 15619.41 : 89 n. 131, 89 n. 138

Call.5.1 : 338 n. 318

C. Erat.12.24-25 : 329 n. 26012.98 : 338 n. 318

382 INDEX

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Conf.17.3 : 338 n. 31817.4 : 322 n. 21317.7 : 322 n. 21317.9 : 322 n. 213, 326 n. 240

Déf.21.1 : 202 n. 19321.10 : 208 n. 237

Diog.32.5 : 92 n. 158, 93 n. 16232.5-7 : 90 n. 147, 90 n. 14932.6 : 102 n. 21732.7 : 91 n. 150, 93 n. 161, 326 n. 24632.9 : 202 n. 19332.14-15 : 59 n. 200, 60 n. 21032.25 : 220 n. 30832.26 : 232 n. 394, 276 n. 260

Erat.1.6 : 60 n. 210, 143 n. 2001.30 : 324 n. 221

Ev.26.10 : 295 n. 2526.21 : 202 n. 193

Mant.16.6 : 238 n. 433, 294 n. 20, 295 n. 2516.6-7 : 125 n. 8416.7 : 125 n. 8516.8 : 329 n. 260

Nicom.30.1 : 130 n. 11230.2 : 130 n. 111, 135 n. 147, 135

n. 14830.2-3 : 130-13130.3 : 136 n. 14930.3-5 : 137 n. 15730.4 : 130 n. 111, 137 n. 16030.5 : 135 n. 14830.8 : 338 n. 31830.7 : 130 n. 11230.10-11 : 131 n. 12130.11 : 130 n. 11030.17 : 130 n. 111, 139 n. 16730.19-21 : 138 n. 16230.27 : 136 n. 150

Pol.20.13 : 29520.13-14 : 168 n. 37720.27 : 85 n. 110

Pour un citoyen…25.10 : 125 n. 8425.16 : 295 n. 25

Sim.3.22 : 338 n. 318

Theom. I10.17 : 133 n. 13010.31 : 202 n. 193

Theom. II11.2 : 202 n. 193

MÉN.frag. 476 K-A : 60 n. 215

NICOPHON

fr. 10.4 K-A : 73 n. 34

PAUS.1.3.5 : 114 N. 81.29.4 : 259-2605.12.8 : 262-263 n. 163

PHILOCHOROS FGrHist 328F 30 : 63 n. 236, 63 n. 238, 64 n. 243F 35 : 175 n. 12, 187 n. 104, 191 n. 134F 46 : 220 n. 303F 119 : 194F 122 : 258 n. 131

PHOT.s.v. Mhtr“on : 152 n. 250s.v. naÊkraroi : 177 n. 31

PLAT. COM.fr. 189.1-3 K-A : 73 n. 34

PLAT.

Alc.122b : 44 n. 96

Ap.26.d-e : 73 n. 31

Charm.159c : 51 n. 142

Clit.407b-c : 51 n. 142

Cratyle431e-432a : 71 n. 13

Criton50d : 44 n. 9251a : 44 n. 9551c : 44 n. 95

Euth.276c : 51 n. 141279e : 51 n. 141

SOURCES LITTÉRAIRES 383

MEP_Cité, démocratie… 26/07/06 10:08 Page 383

Page 384: Christophe PÉBARTHE_Cité, Démocratie et écriture_HISTOIRE DE L’ALPHABÉTISATION D’ATHÈNES À L’ÉPOQUE CLASSIQUE

Hip. min.363a-b : 69 n. 4

Lois4.720b : 61 n. 2246.785a : 202 n. 1956.785a-b : 220 n. 3097.804e : 71 n. 177.809e-810a : 71 n. 117.810b : 71 n. 119.857c-d : 61 n. 22412.941a : 298 n. 53

Lysis208c : 61 n. 224

Men.235e : 59 n. 202

Phèdre264b : 77 n. 55277e-278b : 70 n. 10278d-e : 77 n. 54

Philèbe17b : 71 n. 13

Polit.277e : 69 n. 3277e-278c : 71 n. 13285c-d : 71 n. 13

Prot.312a-b : 51 n. 141, 51 n. 142325e : 49 n. 126,325e-326b : 51 n. 142, 69 n. 4325e-326a : 69-70326c-d : 69 n. 2326d : 51 n.141339a : 69 n. 4

Rép.368d : 282-283532a-b : 71 n.11563b : 61 n. 227

Sophiste253a-b : 71 n. 13

Théèt.143a : 76 n. 49143b-c : 61 n. 224

Tim.23a : 35 n. 16

PLIN., Hist. nat.36.17 : 114 n. 8

PLIN., Ep.7.27.13 : 62 n. 233

PLUT.

Alc.7.1 : 70 n. 515.7-8 : 286 n. 33533.3 : 235 n. 407

Arist.7 : 63 n. 2367.5 : 64 n. 2487.5-6 : 57 n. 1867.7-8 : 64 n. 24924 : 303 n. 79, 304 n. 86

Cat. anc.21.7 : 61 n. 220

Cim.4.7 : 311 n. 13413.5 : 28615.3 : 311 n. 134

Dem.10-12 : 245 n. 18

Lyc.1.2 : 170 n. 3936.7 : 39 n. 53,13.3-4 : 39 n. 51,16.10 : 41 n. 69,

Lys.30.4 : 39 n. 47,

M.237a : 41 n. 68, 41 n. 69,1116f : 40 n. 59,1131b : 71 n. 13

Nic.4.2 : 281 n. 30014.5 : 210 n. 24314.5-7 : 298 n. 53

Per.30.1 : 263 n. 16432.4 : 231 n. 38437.4 : 194-195

Sol.10.4 : 133 n. 130

Them.10.5 : 43 n. 89

PS-PLUT.

Antiphon834A : 221 n. 313

Lyc.841F : 157 n. 280843D : 197 n. 165

384 INDEX

MEP_Cité, démocratie… 26/07/06 10:08 Page 384

Page 385: Christophe PÉBARTHE_Cité, Démocratie et écriture_HISTOIRE DE L’ALPHABÉTISATION D’ATHÈNES À L’ÉPOQUE CLASSIQUE

POLL., Onom.2.152 : 331-3323.55 : 214 n. 2653.59 : 265 n. 1838.19-20 : 63 n. 2368.98 : 163 n. 3298.104 : 184 n. 868.107 : 190 n. 1268.108 : 177 n. 31

POL.3.22-24 : 170 n. 38912.62.6-7 : 220 n.302

POSEIDONIOS

apud ATHÉNÉE 5.53.214d-e : 153 n. 258

QUINT., Inst. or.1.1.27 : 53 n. 15210.2.2 : 53 n. 152

SEXT. EMP.Math,. 9.56 : 74 n. 39

SOLON

fr. 36.3-7 West : 149 n. 232fr. 76a Ruschenbusch : 176 n. 19

SOPH.

Ant.453-457 : 141

Trach.161-163 : 90 n. 147

STR.8.5.5.C366 : 39 n. 48, 40 n. 59,14.2.21.C658 : 304 n. 84

THÉOPHRASTE

fr. 662 Fortenbaugh : 60 n. 211

apud STOBÉE 4.193.31 Meineke : 60 n. 215

Carac.6.8 : 329 n. 261, 34321.11 : 149 n. 231

THÉOPOMPE DE CHIOS FGrHist 115F 153 : 118 n. 37, 170 n. 389, 287F 154 : 118 n. 37, 170 n. 389, 285

n. 332, 288 n. 350

THC

1.1.1 : 78 n. 64

1.21-22 : 72 n. 231.22.4 : 72 n. 23, 78 n. 651.31.2 : 143 n. 1981.40.2 : 143 n. 1981.57.6 : 121 n. 561.80.3-4 : 282 n. 3081.84-1.85.1 : 42 n. 761.100.2 : 179 n. 421.126.8 : 1781.131.1 : 41 n. 70,1.132 : 298 n. 531.132.2 : 324 n. 2211.138.6 : 141 n. 1942.2.1 : 41 n. 65,2.13.3-5 : 282 n. 3082.13.4 : 278 n. 2732.34.3 : 259 n. 1442.37.3 : 1422.63.2 : 79 n. 722.64.3-4 : 79 n. 712.65.8-10 : 52 n. 1432.70.4 : 293 n. 123.28.1 : 293 n. 123.34.3 : 322 n. 2104.46 : 293 n. 124.50.1-2 : 298 n. 514.50.2 : 296 n. 374.118-119 : 78 n. 665.18-19 : 78 n. 665.19.1-2 : 41 n. 70,5.23-24 : 78 n. 665.24.1 : 41 n. 70,5.47.1 : 264 n. 1795.47.11 : 264 n. 1795.47.11-12 : 2975.57-75 : 262 n. 1635.77 : 78 n. 665.79 : 78 n. 666.26.2 : 210 n. 2466.31.3 : 210 n. 2466.54.6 : 244 n. 126.55.1-2 : 78 n. 66, 245 n. 137.10 : 166 n. 3527.10-15 : 292 n. 77.11.1 : 292 n. 67.18.2 : 41 n. 64,7.48.2 : 293 n. 128.18 : 78 n. 668.37 : 78 n. 668.45-98 : 129 n. 1088.58 : 78 n. 668.66 : 205 n. 212

SOURCES LITTÉRAIRES 385

MEP_Cité, démocratie… 26/07/06 10:08 Page 385

Page 386: Christophe PÉBARTHE_Cité, Démocratie et écriture_HISTOIRE DE L’ALPHABÉTISATION D’ATHÈNES À L’ÉPOQUE CLASSIQUE

SALLUSTE, B.C.8.3-4 : 118 n. 36

SOUDA

s.v. dÆmarxoi : 206 n. 219, 220 n. 311s.v. ¶kleiciw ka‹ §j°lipen : 203 n. 198s.v. §kfullofore›n : 64 n. 246s.v. ÖIstrow : 62 N. 231

STR.8.5.5.C366 : 39 n. 47,14.2.21.C658 : 304 n. 84

XÉN.

Cyn.13.1-8 : 70 n. 6

Cyr.1.2.6 : 43 n. 90

Ec.7.5 : 59 n. 2007.36 : 60 n. 209,9.10 : 57 n. 186, 59 n. 200, 22410.1 : 59 n. 20711.22-24 : 73 n. 33

Hell.1.1.22 : 306 n. 981.1.23 : 298 n. 511.7.1-7 : 292 n. 91.7.17 : 292 n. 9, 293 n. 111.7.22 : 141 n. 1942.3.2 : 140 n. 1832.3.9-10 : 41 n. 65,2.3.11 : 140 n. 183, 142 n. 195

2.3.51 : 140 n. 183, 295 n. 232.50 : 117 n. 283.3.9-11 : 41 n. 72,3.3.10-11 : 42 n. 804.8.25-30 : 293 n. 124.8.27 : 306 n. 985.1.30 : 297 n. 405.4.66 : 293 n. 126.4.1-2 : 293 n. 127.1.39 : 297 n. 40

Hipp.1.23 : 238 n. 4331.25 : 238 n. 4289.5 : 238 n. 433

Lac.1.10 : 51 n. 1422.1 : 43 n. 90,15.5 : 40 n. 59,

Mem.1.2.31 : 140 n. 183, 261 n. 1553.6.5-6 : 51 n. 1384.2.1 : 69 n. 44.2.20 : 35 n. 16,

Poroi4.14 : 281 n. 300

Symp.4.27 : 51 n. 141

PS- XÉN, Ath. pol.1.10-12 : 61 n. 227

386 INDEX

MEP_Cité, démocratie… 26/07/06 10:08 Page 386

Page 387: Christophe PÉBARTHE_Cité, Démocratie et écriture_HISTOIRE DE L’ALPHABÉTISATION D’ATHÈNES À L’ÉPOQUE CLASSIQUE

A. BIELMAN, Retour à la liberté. Libération et sau-vetage des prisonniers en Grèce ancienne, Lau-sanne, 1994, p. 3-7 n°1 : 119 n. 43

DURRBACH

n°50 : 124 n. 75

FD3 2, n°89 : 264 n. 1803 2, n°216 : 254 n. 85

M.I. FINLEY, Studies in Land and Credit inAncient Athens, 500-200 B.C. The Horos Ins-criptions, New Brunswick, 1952.

n°6 p. 121 : 80 n. 78n°17 p. 125 : 80 n. 78n°171 p. 168 : 80 n. 78

IDn°339A : 229 n. 368n°442A : 229 n. 368n°461A : 229 n. 368n°509 : 123 n. 74

IG, I3

n°1 : 253 n. 81n°4 : 133 n. 129, 180 n. 51, 180 n. 52,

253 n. 82, 277 n. 265-266n°5 : 225 n. 341n°6 : 225 n. 341n°7 : 249 n. 44n°10 : 288 n. 353, 307 n. 107, 309n°11 : 249 n. 44n°12 : 255 n. 102n°23 : 249 n. 43n°27 : 124 n. 75n°30 : 195 n. 157n°32 : 231 n. 391n°34 : 300-302n°37 : 307 n. 107, 308, 309 n. 117n°40 : 284 n. 322, 306-307, 309 n. 120n°41 : 306 n. 99n°52 : 224 n. 334, 227-229, 268 n. 212,

268 n. 214, 277 n. 268n°56 : 124 n. 75n°61 : 127 n. 94, 129 n. 102, 256

n. 108, 305, 306 n. 98, 307 n. 104n°66 : 309 n. 117n°68 : 122 n. 63, 123 n. 70, 257 n. 121-

122n°70 : 264 n. 175

n°71 : 122 n. 64, 303, 304 n. 87n°72 : 256 n. 107n°75 : 296 n. 27n°76 : 284, 296 n. 27n°78 : 127-129, 178 n. 37, 250 n. 51,

256 n. 110n°80 : 249 n. 48n°82 : 264 n. 175n°84 : 139 n. 174, 236 n. 417-419, 249

n. 48, 263 n. 165n°98 : 256 n. 107, 305 n. 93n°101 : 164 n. 338, 307 n. 107, 309

n. 117n°104 : 129 n. 108, 132 n. 124, 276

n. 257n°105 : 129 n. 108, 133 n. 128, 170

n. 397n°106 : 139 n. 338, 228 n. 366n°110 : 249 n. 48, 263 n. 167n°118 : 165 n. 342, 264 n. 174, 284

n. 322, 309 n. 117n°119 : 264 n. 174n°125 : 119 n. 43n°127 : 143-144, 164 n. 341n°131 : 267 n. 201n°133 : 231 n. 387n°138 : 178 n. 37, 183 n. 79, 211

n. 252, 212 n. 257n°155 : 123 n. 68n°163 : 263 n. 170n°165 : 127 n. 95, 255 n. 101n°174 : 267 n. 199, 305n°175 : 267 n. 199n°227 : 120 n. 47, 261 n. 154n°228 : 120 n. 47, 261 n. 154n°229 : 120 n. 47, 261 n. 152n°236 : 133 n. 134n°248 : 228 n. 359n°315 : 224 n. 332n°317-324 : 278 n. 271n°350 : 279 n. 281n°363 : 268 n. 213n°369 : 228 n. 357n°370 : 268 n. 213n°375 : 268 n. 213n°377 : 161 n. 316n°378 : 161 n. 316n°386 : 251 n. 64n°403-404 : 273 n. 244n°425 : 221 n. 314

2. Sources épigraphiques

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n°430 : 161 n. 316n°440 : 303 n. 76n°446-448 : 303 n. 76n°474 : 157 n. 277, 232 n. 393n°476 : 127 n. 93n°477 : 157 n. 277n°507 : 55 n. 171n°508 : 225 n. 338n°509 : 225 n. 338n°510 : 55 n. 171, 223,n°589 : 55 n. 171n°590 : 55 n. 171n°1031 : 137 n. 156, 230 n. 379n°1049-1086bis : 257-258 n. 123n°1087-1090 : 259 n. 137n°1087-1100 : 257-258 n. 123n°1101-1115 : 257-258 n. 123n°1109-1110 : 259 n. 139n°1111-1113 : 259 n. 138n°1115 : 259 n.137n°1116 : 257-258 n. 123n°1117-1131 : 257-258 n. 123, 259n. 136n°1144 : 260 n. 150n°1147 : 260 n. 150n°1150 : 260 n. 150n°1162 : 260 n. 149n°1168 : 260 n. 150n°1177 : 260 n. 150n°1184 : 260 n. 150-151

IG, II2

n°4 : 249 n. 48n°6 : 120, 264 n. 177n°13 : 120 n. 47n°17 : 120 n. 47, 255 n. 99n°31 : 250 n. 55n°33 : 250 n. 49n°40 : 120 n. 51, 121 n. 53, 164 n. 339,

250 n. 55, 296 n. 27n°44 : 296 n. 27n°49 : 120 n. 47, 261 n. 154n°52 : 120 n. 47n°63 : 120 n. 47, 261 n. 154n°66 : 261 n. 152n°77 : 120 n. 47, 261 n. 154n°95 : 120 n. 47, 261 n. 154n°102 : 296 n. 27n°106 : 251 n. 61n°109 : 164 n. 334, 248 n. 40n°120 : 157 n. 278, 163 n. 329, 164

n. 336, 164 n. 337, 166 n. 354, 166n. 356, 167 n. 367, 236 n. 413, 271n. 234, 274-275

n°125 : 256 n. 110n°130 : 257 n. 118n°138 : 164 n. 337n°139 : 164 n. 337n°140 : 115 n. 19, 255 n. 98n°148 : 257 n. 119, 309 n. 117n°173 : 251 n. 60n°187 : 293 n. 12n°195 : 153 n. 254, 248 n. 36n°196 : 252 n. 68n°204 : 297 n. 41n°213 : 293 n. 12n°222 : 248 n. 39n°223c : 165 n. 348n°240 : 250 n. 57n°274 : 257 n. 118n°333 : 278 n. 275n°344 : 267 n. 199n°354 : 250 n. 57n°368 : 267 n. 199n°408 : 293 n. 12n°415 : 168 n. 372n°448 : 255 n. 105, 256 n. 107, 256

n. 110n°463 : 166 n. 358n°479 : 267 n. 199n°480 : 267 n. 199n°558 : 250 n. 57n°575 : 167 n. 368n°583 : 153, 166 n. 357, 248 n. 36, 256

n. 107n°643 : 255 n. 103n°648 : 256 n. 109n°674 : 223 n. 330n°687 : 296 n. 27n°839 : 154 n. 264, 166 n. 356n°840 : 155 n. 268, 166 n. 356n°844 : 257 n. 120n°903 : 162-163n°956 : 155 n. 272n°958 : 155 n. 272n°971 : 153 n. 256, 169 n. 383, 217

n. 287n°1006 : 255 n. 100n°1008 : 255 n. 100n°1009 : 255 n. 100n°1013 : 155 n. 270n°1126-1137 : 295 n. 27n°1130 : 309 n. 120n°1132 : 154 n. 264n°1165 : 237 n. 421n°1174 : 160 n. 303n°1185 : 214 n. 263

388 INDEX

MEP_Cité, démocratie… 26/07/06 10:08 Page 388

Page 389: Christophe PÉBARTHE_Cité, Démocratie et écriture_HISTOIRE DE L’ALPHABÉTISATION D’ATHÈNES À L’ÉPOQUE CLASSIQUE

n°1186 : 214 n. 263n°1187 : 46 n. 103, 216 n. 280n°1204 : 216 n. 280n°1214 : 207 n. 228, 216 n. 280, 218

n. 290n°1237 : 188 n. 113, 192-193n°1377 : 224 n. 332n°1378 : 224 n. 332n°1388 : 224 n. 332n°1394 : 279 n. 278n°1408 : 297 n. 41, 297 n. 43n°1433 : 279 n. 276n°1434 : 279 n. 278n°1436 : 279 n. 277, 279 n. 279-280n°1438 : 274 n. 253n°1440 : 272 n. 239n°1468 : 279 n. 289n°1474 : 279 n. 282n°1492 : 279 n. 283n°1514-1525 : 273 n. 244n°1518 : 273 n. 246n°1524 : 273 n. 246n°1528-1531n°1534 : 155 n. 267n°1609 : 276 n. 256n°1622 : 276n°1629 : 231 n. 386, 276 n. 256n°1669 : 167 n. 364n°1700 : 167 n. 370n°2318 : 230 n. 378, 267 n. 200n°2318-2323 : 170 n. 394n°2501 : 191 n. 131n°2617-2633 : 257-258 n. 123n°2724 : 80 n. 78n°2725 : 80 n. 78n°2726 : 80 n. 78n°2727 : 80 n. 78n°2741 : 80 n. 78n°2758 : 80 n. 78n°2759 : 80 n. 78n°2768 : 80 n. 78n°2769 : 80 n. 78n°3130 : 237 n. 423n°4595 : 149 n. 231n°6288 : 148 n. 223

IG, V1, n°4-5 : 40 n. 55

IG, XI2, n°161A : 252 n. 69

IG, XIIsuppl. 347 : 302 n. 72

Inschr. Kymen°4 : 265 n. 188n°5 : 265 n. 188n°9 : 265 n. 188n°10 : 265 n. 188

Inschr. Prienen°113 : 137 n. 155n°114 : 137 n. 155

BR. LE GUEN, Les associations de technites diony-siaques à l'époque hellénistique I. Corpus docu-mentaire, Nancy, p. 57-61 n°2 : 154 n. 264

MEIGGS & LEWIS

n°21 : 65 n. 252n°23 : 183 n. 83, 208 n. 233, 214

n. 264n°39 : 283 n. 313n°45 : 164 n. 339, 165 n. 342n°47 : 308 n. 109n°48 : 260 n. 149n°73 : 127-129n°89 : 164 n. 338n°94 : 120 n. 50

MICHEL

n°372 : 163 n. 328n°832 : 271-272

OSBORNE & RHODES

n°2 : 164 n. 340, 284 n. 326, 285n. 328

n°20 : 255 n. 104n°21 : 214 n. 269, 250 n. 49, 257

n. 118, 298-299n°22 : 251 n. 60, 263 n. 166n°25 : 116 n. 23, 135 n. 145, 147-148

n. 221, 164 n. 339, 249 n. 45, 255n. 98

n°33 : 296 n. 34n°34 : 309 n. 117n°37 : 190 n. 128n°38 : 164 n. 334, 293 n. 12n°39 : 164 n. 341n°44 : 309 n. 117n°48 : 309 n. 117n°63 : 231 n. 390n°64 : 197 n. 166, 284 n. 324n°79 : 255 n. 98n°80 : 170 n. 393n°81 : 207n°95 : 285 n. 329-330n°123 : 274 n. 252

SOURCES ÉPIGRAPHIQUES 389

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PEEK, GVIn°1 : 259 n. 141

SEG2, 1924, n°7 : 190-19114, 1957, n°40 : 261 n. 15219, 1963, n°129 : 164 n. 33721, 1965, n°357 : 237 n. 42321, 1965, n°525 : 237 n. 423, 238

n. 42928, 1979, n°103 : 200 n. 18333, 1984, n°1177 : 166 n. 36136, 1986, n°296 : 318 n. 179

Syll3n°158 : 164 n. 334n°975 : 123 n. 74n°1011 : 123 n. 71n°1259 : 82 n. 94, 82 n. 95, 84 n. 100

Tituli Camirensesn°110 : 137 n. 155

TOD

n°72 : 296 n. 27n° 98 : 261 n. 152

390 INDEX

MEP_Cité, démocratie… 26/07/06 10:08 Page 390

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Acropole, 65, 95, 96, 123, 124, 127, 128, 143n. 200, 146, 149, 155, 180, 222, 223, 224,225, 226, 228 n. 359, 229, 234, 254, 255,256, 267, 273, 275, 284, 297, 307

Agora, 21, 50, 54, 63, 64, 65 n. 252, 66, 72, 73,83, 114, 117, 133, 147, 148, 149, 150, 184,198, 232, 237, 254, 255, 256, 257, 259,273, 288, 289, 297, 298, 310, 311, 312,313, 316, 320, 347, 349

Alcibiade, 44, 116, 157, 235 n. 407, 257, 261

anagraphè, 131, 136, 142 n. 197, 143, 249, 253,263, 264, 266, 281, 309

Andocide, 124, 128, 129, 134, 142, 143, 144,145, 169, 228, 232, 234, 262

antigrapheus, 163 n. 329, 167

aphanès ousia, 218-220

archonte, 78, 94, 132, 139, 143, 157, 161, 163,171, 185, 187, 209, 234, 235, 236, 251,263, 279, 284, 288, 322

Aristide, 57, 65, 303-304

Aristote, 51, 60, 71, 141, 152, 153, 166, 170,176, 181, 195, 219, 220, 266, 333, 348

Aspasie, 59 n. 202, 71

bradéôs graphon, 35-37, 349

Boulè, 64, 113, 114, 116-117, 122-129, 133,137, 146, 152, 159, 171, 180, 203, 271,293, 346

Bouleutérion, 22, 114-118, 122-129, 146, 148,149, 154, 155, 157, 158, 159, 161, 166,171, 173, 209, 211, 217, 256, 270, 275,345, 347

Cimon, 259, 311

Clisthène, 63, 64, 66, 78, 133, 136, 152, 171,173, 175, 176, 177, 180, 181-183, 184, 185,208, 213, 223, 245, 258, 288, 340, 347

Conseil, 64, 114-118, 122-129, 130, 132, 133,134, 135, 138, 144, 145, 149, 153, 155,158, 159, 160, 162, 164, 165, 166, 167,170, 171, 173, 182, 188, 199, 200, 202,203, 208, 211, 212, 217, 218, 220, 226,227, 233, 235, 238, 245, 246, 249, 256,274, 275, 284, 285, 286, 292, 293, 294,299, 301, 303, 307, 312, 324, 342, 345, 346

contrat, 80-81, 94-101, 102, 103, 109, 152, 191,249, 252, 325, 337-342

démarque, 178, 183, 191, 195, 199, 200, 204,205, 206-222, 239, 325, 346

dème, 57, 128, 160, 173, 174, 178, 182, 183,184, 185, 186, 187, 188, 190, 191, 196-222,231, 239, 245, 258, 259, 260, 294, 295,310, 312, 314, 325, 336, 337, 346

dèmosion, 146, 150, 216, 268, 282

dèmosios, 158, 166, 252, 275, 296

Démosthène, 60, 62, 71, 73, 89, 90, 92, 101,102, 103, 107, 109, 118, 119, 133, 143,145, 151, 152, 156, 160, 162, 165, 166,169, 196, 199, 205, 206, 216, 217, 218,220, 222, 229, 231, 236, 257, 262, 266,276, 283, 285, 287, 292, 296, 309, 312,319, 322, 323, 326, 330, 331, 336, 337, 341

document minded, 19, 33, 69, 347

dokimasie, 184, 202, 203, 223 n. 332, 238

Dracon, 44, 113, 129 n. 108, 130, 132, 134,136, 140, 152, 176, 222, 236

Ecclesia, 64, 164, 244, 285

echinos, 318, 322

eisphora, 177, 211, 214-222

enktètikon, 215, 218

épistate, 138, 160, 162, 228, 297, 301

Eschine, 19, 44, 46, 62, 71, 115, 124, 125, 151,152, 154, 155, 158, 159, 160, 169, 183,185, 208, 232, 236, 283, 285, 287, 296,298, 331, 346

Euripide, 51 n. 136, 73-75, 84-85

esclave, 45, 59 n. 203, 60-62, 83-84, 86 n. 116,87, 98 n. 189, 99 n. 198, 102 n. 220, 105n. 239, 153, 158, 162, 166, 169, 236, 272,275, 293, 298, 317, 321 n. 195, 330 n. 266,331, 340

Euclès, 166, 167, 275

génos, 168, 175, 186, 187, 188, 190, 192, 212

grammata, 36, 42, 44, 46, 49-52, 57, 71, 88, 89,101, 103 n. 228, 105, 107 n. 251, 108, 125,150, 168, 300, 302, 336, 342

Hérodote, 59, 75, 77-78, 173, 174, 178, 180,181, 182, 302, 304

hipparques, 237-238, 294

Hymette, 33, 56 n. 172

3. Index général

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hypogrammateus, 132, 136, 236

hypomnèmata, 101 n. 210, 102, 107-108

katalogos, 208-211, 259, 293-294, 346

kibôtos, 160, 161

Isocrate, 42, 70 n. 5, 71, 73, 78 n. 63, 95, 126,127, 169, 187, 207, 314, 322, 348 n. 12

leukôma, 268

Lycurgue l'orateur athénien, 150, 157, 169, 197n. 165, 278 n. 275, 279, 286

Lycurgue législateur de Sparte, 39-40

métoikion, 214

Métrôon, 21-22, 113, 114-118, 122, 146, 147-171, 173, 211, 217, 255, 270, 275, 345,346, 347

mousikè, 49-52, 71

naucrares, 176-180, 226, 230

naucraries, 175-180, 182, 185, 214

Nicias, 78, 281 n. 300, 292, 293 n. 12

Nicomachos, 129-141

nomothètes, 124, 134-135, 165, 246, 249, 313

orgéons, 187, 191 n. 134

Périclès, 42, 52 n. 143, 79, 121, 142, 171, 193-196, 231, 245, 262, 278, 282, 289

phanéra ousia, 216 n. 278, 218-220

phratrie, 173, 175-180, 185-193, 202, 211, 212,325, 337

phylarques, 125, 238, 294

Platon, 38, 44, 46, 48, 51, 60 n. 215, 61, 70, 71,73, 74, 76, 77, 129

remise des comptes, 95, 125, 127, 230, 231-232,237, 238, 239, 246 n. 30, 268, 277-281,293, 346

restricted literacy, 17-18, 19 n. 28, 33, 67

sanis ou sãniw, 122-127

secrétaire, 37, 45, 115, 120, 122, 127, 128, 131,132, 134, 135, 138, 144, 153, 156, 161-166,167, 168, 169, 222-226, 231-232, 236, 249,250, 254, 255, 256, 257, 275, 301, 303,307, 316, 317, 320

sphragis, 297, 299, 305

Socrate, 44, 49, 59, 72, 76, 77, 157, 282, 316

Solon, 44, 67, 88, 113, 130, 131, 132, 133, 134,135, 136, 149, 152, 174-175, 177, 181, 261

stratège, 46, 106, 292, 293

symbola, 237, 299, 301, 302, 305, 309

symbolon, 298-300, 301, 302, 307

symmories, 177, 178, 209, 215, 222

testament, 85, 88-94, 95, 99 n. 199, 102, 103,107 n. 252, 157, 217, 218, 319, 326, 327,329, 331, 334, 335-337, 342

thesmothètes, 126, 127, 163, 203, 226, 233,313, 321

Thucydide, 42, 72, 76, 77-79, 121, 166, 170,178, 179, 259, 278, 282, 292, 296, 297,324, 348 n. 12

Trente, 117, 119-120, 125, 128, 130, 136, 137,140, 142, 169, 221, 232, 235, 245, 248,261, 264, 280, 295, 306, 321

392 INDEX

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Table des matières

AVANT-PROPOS ............................................................................................................................................................................................5

ABRÉVIATIONS..............................................................................................................................................................................................7

1. Sources littéraires ...........................................................................................................................................................................7

2. Sources épigraphiques ..........................................................................................................................................................11

3. Sources iconographiques ...................................................................................................................................................11

4. Travaux modernes.....................................................................................................................................................................12

INTRODUCTIONPOUR UNE HISTOIRE DE L’ALPHABÉTISATIONDE LA GRÈCE ANCIENNE .............15

1. Les termes du débat ................................................................................................................................................................16A. Oralité et écriture : essai de définition.......................................................................................................16B. L’alphabétisation (literacy, restricted literacy, document minded)...................................17C. Archives et documents..................................................................................................................................................20

2. Les acquis de l’anthropologie de l’écriture .................................................................................................22

PREMIÈRE PARTIELIRE ET ÉCRIRE À ATHÈNES

À L’ÉPOQUE CLASSIQUE

CHAPITRE IMESURER L’ALPHABÉTISATION À ATHÈNES...................................................33

1. Définir l’alphabétisation....................................................................................................................................................33

2. Le contrepoint spartiate .....................................................................................................................................................38

3. Approche méthodologique de la mesure de l’alphabétisation à Athènes ..............42

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A. L’école à Athènes..................................................................................................................................................................42B. Les inscriptions athéniennes à l’époque archaïque.......................................................................53C. Recours à l’écriture, stratification sociale et division sexuelle.........................................56D. Procédures démocratiques et alphabétisation : le cas de l’ostracisme...................63

CHAPITRE IILES DIFFÉRENTS DEGRÉS D’ALPHABÉTISATION

DANS L’ATHÈNES CLASSIQUE .....................................................................69

1. L’éducation à Athènes : comment devenir un lettré. ....................................................................69A. De l’enseignement des lettres à la celui de la littérature........................................................69B. Livres et lecteurs à Athènes......................................................................................................................................71

2. Le lettré au travail. Aperçu de la culture lettrée à Athènes ....................................................76A. La composition écrite des œuvres : philosophes et logographes..................................76B. Le cas des historiens .........................................................................................................................................................77

3. Les usages privés de l’écriture à Athènes :à la recherche des écritures quotidiennes .....................................................................................................79A. Le recours privé aux inscriptions : le cas des bornes hypothécaires.........................79B. Les communications écrites privées...............................................................................................................81

a) Les sources épigraphiques.........................................................................................................................................811. Les lettres sur tesson de céramique ..................................................................................................812. Les lettres sur plomb.........................................................................................................................................82

b) Les sources littéraires ....................................................................................................................................................841. Les lettres dans les tragédies d’Euripide......................................................................................842. Les correspondances dans les plaidoyers....................................................................................85

C. Archives privées des Athéniens ...........................................................................................................................88a) Les testaments ......................................................................................................................................................................88b) Documents privés économiques.........................................................................................................................94

1. Les contrats : synthèkai, symbolaia et syngraphai ...............................................................942. Les archives des banquiers ......................................................................................................................103

DEUXIÈME PARTIELES ARCHIVES

DANS L’ATHÈNES CLASSIQUE

CHAPITRE IIIARCHIVES CIVIQUES.............................................................................113

1. Archives, Bouleutérion et Boulè au Ve siècle .......................................................................................114A. Bouleutérion, Métrôon et archéologie....................................................................................................114

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B. Le Conseil et la conservation des documents officiels athéniens ............................118a) Des documents du Ve siècle archivés .......................................................................................................118b) Bouleutérion et archives civiques ................................................................................................................122

2. La révision des lois de 410-399 et les archives civiques athéniennes ....................129A. Nicomachos, anagrapheus ......................................................................................................................................130

a) 410-404................................................................................................................................................................................130b) 403-399................................................................................................................................................................................137

B. Révision des lois et lois non écrites ............................................................................................................141C. Révision des lois et centralisation des archives athéniennes .........................................143

3. Le Métrôon, bâtiment d’archives de la cité ...........................................................................................147A. Les documents conservés dans le Métrôon.......................................................................................150

a) Les lois .....................................................................................................................................................................................150b) Les décrets ............................................................................................................................................................................152c) Les documents diplomatiques ..........................................................................................................................154d) Les inventaires de sanctuaires.........................................................................................................................155e) Les remises de comptes .............................................................................................................................................155f) Autres documents ..........................................................................................................................................................157

B. La gestion des archives du Métrôon..........................................................................................................159a) Les manières d’archivage .....................................................................................................................................159b) Le personnel du Métrôon ....................................................................................................................................161

1. Les secrétaires.........................................................................................................................................................1612. L’esclave public.....................................................................................................................................................1663. Les autres magistrats ......................................................................................................................................167

C. La consultation des documents du Métrôon .................................................................................169

CHAPITRE IVARCHIVES OFFICIELLES PÉRIPHÉRIQUES ...................................................173

1. Les réformes clisthéniennes et le recours aux documents écrits...................................175A. Phratries et naucraries avant les réformes clisthéniennes..................................................175B. Réforme clisthénienne et révision de la liste des citoyens (diapsèphismos) ....180C. Le registre de dème.......................................................................................................................................................183

2. Archives périphériques et citoyenneté ..........................................................................................................185A. Enregistrement et définition de la citoyenneté.............................................................................185

a) Les registres des phratries et la citoyenneté ........................................................................................185b) Les révisions des listes de citoyens ................................................................................................................193

1. Les procédures de révision au Ve siècle....................................................................................1932. Les révisions des registres de dèmes au IVe siècle ........................................................196

B. Archives et exercice de la citoyenneté ......................................................................................................206a) Archives, démarques et participation aux sacrifices des Panathénées....................206b) Archives périphériques et mobilisations militaires ....................................................................208c) Archives périphériques et fiscalité ................................................................................................................211

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1. Inscription dans le registre et paiement de taxes..........................................................2112. Démarques, archives et eisphora .......................................................................................................214

3. Archives des temples athéniens et finances de la cité ................................................................222A. Trésoriers, secrétaires et archives ....................................................................................................................222B. Le premier décret de Callias ...............................................................................................................................227

4. Les archives des magistrats .........................................................................................................................................230A. Secrétaires des magistrats et remise des comptes........................................................................231B. Le décret de Patrocleidès et la destruction des archivesdes magistrats..............232C. Les magistrats et leurs archives........................................................................................................................234

a) Les polètes ............................................................................................................................................................................234b) L’archonte-roi..................................................................................................................................................................236c) Les hipparques .................................................................................................................................................................237

TROISIÈME PARTIELA COMMUNICATION ÉCRITE PUBLIQUE :

ÉCHANGES DE DOCUMENTSET FONCTIONNEMENT DE LA CITÉ

CHAPITRE VLES ÉCRITS PUBLICS AFFICHÉS À ATHÈNES

FORMATION D’UN ESPACE PUBLIC ..........................................................243

1. Inscriptions et démocratie ...........................................................................................................................................244

2. Les aspects pratiques ..........................................................................................................................................................247A. La réalisation des stèles .............................................................................................................................................247B. La localisation des stèles ..........................................................................................................................................254

3. Finalités des inscriptions publiques .................................................................................................................261A. Érasures et destructions de stèles...................................................................................................................261B. Inscriptions, entre honneur et déshonneur.......................................................................................263C. L’inscription comme source d’information. Listes, comptes et inventaires....268

a) La stèle est-elle une archive ? ...........................................................................................................................2691. Stèles et archives des temples...............................................................................................................2702. Stèles et inventaires navals ......................................................................................................................276

b) Stèles et remises des comptes :la stèle marque-t-elle la fin de la procédure de la remise des comptes ?..............2771. Les trésoriers d’Athéna................................................................................................................................2772. Le cas des polètes...............................................................................................................................................280

c) Stèles et communication publique ..............................................................................................................282d) Décrets, stèles et amendements .......................................................................................................................283

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e) Faux et usage de faux épigraphiques .......................................................................................................285

CHAPITRE VICOMMUNICATION ÉCRITE, PRATIQUES DOCUMENTAIRES

ET FONCTIONNEMENT DES INSTITUTIONS...............................................291

1. Les communications écrites officielles de la cité .............................................................................291A. Avec ses magistrats .........................................................................................................................................................291B. Avec des États étrangers ...........................................................................................................................................295

2. Communication écrite et empire athénien.............................................................................................300A. Écriture et tribut...............................................................................................................................................................300B. Écriture, thalassocratie et contrôle des échanges ........................................................................305C. Documents écrits et transmission des décisions athéniennes aux alliés ..........307

3. Communication écrite, citoyens et démocratie ................................................................................310A. L’ostracisme.............................................................................................................................................................................310B. Identité et tirage au sort : les lamelles d’identification en bronze ..........................312

4. Justice et écriture. De la valeur des documents écrits ..............................................................315A. Écriture et procédures judiciaires..................................................................................................................316

a) Écriture et ouverture d’une procédure au Ve siècle ...................................................................316b) Arbitrage ..............................................................................................................................................................................317c) Egklèma ................................................................................................................................................................................319d) Phasis ......................................................................................................................................................................................320e) Proklèsis................................................................................................................................................................................320f) Paragraphè..........................................................................................................................................................................321g) Anacrisis et diamartyria ......................................................................................................................................322h) L’antidosis .........................................................................................................................................................................322

B. Les différents types de documents écrits cités devant la justice ................................323a) Les stèles .................................................................................................................................................................................323b) Les autres documents officiels..........................................................................................................................324c) Les documents privés .................................................................................................................................................325d) Copies et originaux : la question des sceaux....................................................................................326e) Témoignages et écriture .........................................................................................................................................329

C. Prouver la culpabilité ou l’innocence : entre écriture et oralité ?............................331a) Le rôle des documents judiciaires................................................................................................................333b) Les affaires de succession :

le testament et le compte de tutelle comme preuves..................................................................335c) Les affaires commerciales et financières : le contrat comme preuve .........................337

CONCLUSION.........................................................................................................................................................................................345

BIBLIOGRAPHIE ....................................................................................................................................................................................351

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INDEX.............................................................................................................................................................................................................373

1. Sources littéraires....................................................................................................................................................................373

2. Sources épigraphiques.......................................................................................................................................................387

3. Index général................................................................................................................................................................................391

TABLE DES MATIÈRES.....................................................................................................................................................................393

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