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  • Document gnr le 25 avr. 2018 19:31

    Vie des arts

    Chefs-doeuvre de la tapisserie du XIVe au XVIe sicle: Paris, New-York

    Roland Sanfaon

    Volume 18, numro 74, printemps 1974

    URI : id.erudit.org/iderudit/57750ac

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    diteur(s)

    La Socit La Vie des Arts

    ISSN 0042-5435 (imprim)

    1923-3183 (numrique)

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    Citer cet article

    Sanfaon, R. (1974). Chefs-doeuvre de la tapisserie du XIVe auXVIe sicle : Paris, New-York. Vie des arts, 18(74), 1821.

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    Tous droits rservs La Socit La Vie des Arts, 1974

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  • CHEFS-D'OEUVRE DE LA TAPISSERIE DU XlVe AU XVIe SICLE A PARIS, A NEW-YORK ROLAND SANFAON

    Une entente rcemment conclue entre les Muses Nationaux de France et le Metropolitan Museum de New-York ouvre des perspectives nouvelles dans la vie de l'art une chelle go-graphique de plus en plus vaste. La premire manifestation de cette entente est dj en cours. Une exposition, au Grand-Palais, Pa-ris, rassemble de nombreux Chefs-d'oeuvre de la tapisserie du XlVe au XVIe sicle; elle se transportera ensuite au Metropolitan Museum de New-York'. Les muses d'Europe, de l'An-gleterre et de l'URSS l'Espagne et l'Italie, ceux d'Amrique, de Boston Honolulu, ont t mis contribution, en plus des grands centres de conservation de la tapisserie en France, en Belgique et New-York. Cette expo-sition gayera toute la priode des ftes de Nol et du Nouvel an, Paris, celles de Pques, New-York. Une telle association de la tapisserie avec la fte, civile ou religieuse, est fort heureuse. Elle est l'origine mme de cet art.

    Comme les Occidentaux, les Chinois et les Japonais ont pratiqu l'illustration des tissus, mais le makmono ou le kakmono sont tou-jours d'une discrtion tonnante de taille et de dessin. Dans l'espace des salles assez res-treintes objectivement, mais motivement vas-tes et dgages, on est amen dambuler, s'approcher pour regarder un instant. La grande tapisserie occidentale est bien diff-rente. Elle est aussi fascinante de loin que de prs. Elle a jou, la fin du Moyen ge, un rle tout aussi important que le vitrail aux Xlle et Xllle sicles. Elle a permis aux hommes d'Oc-cident de s'intgrer et d'voluer en toute con-fiance dans des espaces qu'ils avaient voulu considrables, mais qui eussent paru, sans la couleur, trop vides et trop effrayants.

    Pour l'homme du haut moyen ge, les choses concrtes taient moins valables en elles-mmes que par ce qu'elles manifestaient. Dans le vitrail, cette faon de voir tait littralement sublime. La paroi vitreuse comptait moins que la lumire colore qui s'en dgageait et qui remplissait l'glise d'une prsence, divine ou royale. De la mme faon, les lignes des piliers et des nervures des votes comptaient moins en elles-mmes que par l'espace qu'elles sug-graient, soit, par exemple, l'espace longitu-dinal et vertical des grandes nefs de Chartres

    ou de Reims. Puis, autour de 1260 et de saint Thomas d'Aquin, les hommes ont eu la vellit de tabler essentiellement sur leur raison, sur les relations qu'ils pourraient tablir entre les choses, eux-mmes et avec l'aide de Dieu. Cela les mettait au centre de tout, libre dans l'es-pace qui spare les objets et dans le temps qu'il faut pour les rejoindre et les relier. Cela est devenu insupportable. On a cherch un refuge dans les choses elles-mmes. Tous les lments de l'architecture flamboyante sont de-venus fascinants en eux-mmes: les motifs contourns des fentres, les moulurations pris-matiques des piliers et des portails. Et, pour viter la nudit des parois, pour varier l'attrait des surfaces, on les a rehausses l'occasion de tapisseries tout couvrantes. La chaleur de la laine, la sduction des matires riches, des fils d'or et de soie, amenaient le spectateur se sentir trs prs de la tapisserie, y adhrer comme physiquement.

    En fait, la plupart des tapisseries de la fin du Moyen ge suggrent un certain jeu spatial, un jeu trs complexe. Il ne s'agit pas d'une perspective en avant, comme dans les mosa-ques byzantines o les personnages se dta-chent en direction des spectateurs sur des fonds uniformment bleus ou dors. Il ne s'agit pas des perspectives qu'on inventait alors dans les premiers ges de la Renaissance ita-lienne et qui permettaient au spectateur de s'enfoncer derrire la surface d'une toile dans un tableau. Dans la tapisserie, plus que dans tout autre forme d'art, la suggestion spatiale est intermdiaire. Des personnages ou des choses paraissent se dtacher un peu de la paroi laineuse grce leurs contours prcis, presque gomtriques et statiques (la licorne, dans la scne de la Rsistance de la licorne dans la Chasse la licorne du Muse des Clotres de New-York, s'arc-boute trs ron-dement la manire d'un cheval de bois pour enfant ou pour mange mcanique), leurs couleurs bien tendues contrastant avec l'miettement color des fonds (on pense bien des Mille fleurs, aux personnages peu nombreux de chaque scne de VApocalypse d'Angers). Ailleurs, quelques superpositions de personnages ou d'objets, des lignes de fuite plus ou moins contradictoires, des adoucisse-ments dans la couleur permettent de s'enfon-

    cer dans le tissu. Pourtant, ces mouvements sont des plus lgers, d'abord parce que les avances et les enfoncements se contredisent mutuellement, surtout parce qu'on a maintenu un centre perceptif majeur sur la surface mme du tissu, une surface poreuse et accueillante.

    Cette prdominance de la surface plane vient d'abord de la couleur. Celle-ci ne peut pas tre varie volont l'aide de mlanges comme dans la peinture l'huile. Pour assurer les transitions, on juxtaposait des laines diffrentes en crant trs souvent des zones de hachures partout analogues. Comme on se contentait d'un nombre de couleurs assez restreint, les mmes teintes refaisaient surface de mul-tiples endroits, selon des dispositions souvent trs tudies et trs vivantes. Il y aussi ces fonds uniformes qui couvrent de larges ten-dues, ces personnages, ces animaux ou ces plantes dont la taille est tout aussi gale ou fantaisistement variable d'un bout l'autre de la tapisserie, ces choses qui sont rendues avec un mme souci du dtail concret. Tout cela contredit quelques-uns des points fondamen-taux de la perception en perspective de l'oeil humain normal. Et l'on utilise plus systmati-quement que jamais l'habitude bien mdi-vale des inscriptions pour identifier les per-sonnages ou l'action des panneaux, pour rap-peler les mcnes, pour mieux aussi faire sai-sir la tapisserie comme un simple support de l'criture, valable dans sa matrialit mme.

    La tapisserie a trouv dans la socit une place des plus tonnantes. Pour sa fabrication, elle a impliqu des hommes trs nombreux. Ce sont des clercs ou des princes qui passent des commandes spciales, comme le duc de Bour-gogne qui veut clbrer sa victoire dans la Bataille de Roozebeke, une tapisserie perdue qui, d'un seul tenant, dpassait les 39 mtres (130 pieds). Ailleurs, des commerants ont couru des risques considrables en faisant excuter dans les ateliers les plus divers des tapisseries luxueuses et en se chargeant en-suite de les vendre aux princes, aux villes et aux glises de tout l'Occident. Cela peut res-sembler une certaine production industrielle et, pourtant, on n'y voit gure l'atmosphre d'une entreprise capitaliste actuelle o les hommes sont tous rassembls sous un mme patron et travaillent autant la rputation de l'entreprise qu' la qualit des produits. Les initiatives venaient de partout, les hommes se recrutaient partout. Les initiateurs principaux ont bien t les princes, les glises ou ces gros entrepreneurs commerants. Ils ont d, pour les tapisseries les plus originales et les plus soignes, trouver un bon peintre pour dessiner la composition d'ensemble. Un cartonnier a transpos ces projets la dimension monu-mentale de la tapisserie, section par section. Les excutants, les lissiers comme on les appe-lait, devaient interprter ces cartons tout au long du tissage, trs fidlement lorsqu'il s'agis-sait de basse-lisse o la tapisserie tait ex-cute l'horizontal avec les cartons eux-mmes, assez librement lorsqu'il s'agissait de haute-lisse, o la tapisserie en chantier tait dispose verticalement entre des rouleaux pla-cs au sol et au plafond de l'atelier et o les cartons devaient tre redessins au trait sur la trame, ces fils robustes du fond des tissus re-couverts par les laines. Dans bien des cas, les ateliers prenaient eux-mmes l'initiative de la production avant de la vendre au mieux. On utilisait alors au maximum, pour viter les frais, les cartons dj disponibles pour tel person-nage, pour telle scne. On les inversait au besoin, on juxtaposait volontiers des person-nages de dimensions variables. Des couleurs

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  • LES ARTS DE LA LAINE

    adroitement rparties, des fonds de fleurs tout couvrants permettaient d'arriver aux rsultats es plus convaincants avec les moyens les plus simples. A plusieurs gards, cette pro-duction occupait des collectivits nombreuses.

    Dans ce contexte, l'origine des tapisseries est bien difficile tablir. On peut imaginer un cas t