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Chapitre I

Dans sa villa de Malabo, proche du triste bâtiment entourée d’immenses murs jaunes de l’Ambassade de Corée du Nord, Fiodor Dikhaïlovitch donnait une grande réception. Il n’avait pas choisi ce site au hasard. La ville, située en bord de mer, est littéralement coupée en deux. Du côté mer, entourant la baie, de luxueuses résidences, des ambassades et des hôtels isolent ce petit paradis et le soustrait aux regards des badauds ou des touristes. On ne peut donc y accéder que par la mer.

Lorsque vous circulez en ville, vous apercevez dans le lointain la couleur de l’océan, l’odeur de l’océan, le bruit de l’océan. Vous ne pouvez l’atteindre et partant vous y baigner.

Le touriste ou le badaud voient arriver et repartir les somptueux yachts battant pavillon panaméen qui, après avoir jeté l’ancre, déposent les hardis navigateurs, leur cargaison, ainsi que les bagages. De petites vedettes privées font d’incessants aller et retour. Le tout au grand jour, sans aucune discrétion.

Dans ce nouveau paradis on se reçoit entre millionnaires, mais la politesse exige que l’on ne se

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préoccupa point des affaires des autres. « Faîtes aux autres ce que l’on souhaiterait que l’on vous fit » est une maxime respectée et cultivée par tous, un peu comme un dogme ou une bulle papale bien qu’elle ne fut ni apostolique ni romaine.

Tout ce beau monde se côtoyait donc, entre gens du même milieu. Personne n’aurait eu l’idée saugrenue d’imaginer que la fortune de ces résidents secondaires de l’île fut d’origine frauduleuse.

Pourtant, en grattant bien ! Seulement voilà, encore faut-il avoir le désir de se gratter. Et, nul ne l’ignore, on ne se gratte pas le nez en public, sauf si l’on est accro à la coce et qu’on la sniffe.

D’ailleurs, les occasions de se faire les ongles ne manquent pas. Ce petit coin perdu était en fait un véritable enfer. Il est en particulier recommandé de ne pas sortir en ville à la tombée de la nuit car de nombreuses agressions ont eu lieu à Malabo ces derniers mois. Il fallait donc se tripoter le crâne pour savoir où aller.

Comme il ne fallait pas y aller, on n’y allait pas. Conclusion : on restait chez soi entre amis. C’est pourquoi, on ne ratait aucune occasion de faire la fête. La deuxième raison de se récurer la couenne est celle occasionnée par la bestiole piqueuse dont il semblait bien que, pour elle aussi, la seule et unique distraction consistait à rendre visite à tous les hôtes de ces lieux.

Dès la nuit tombée, des ombres casquées, voilettées, gantées, bottées, vêtues de peaux de bêtes pour les femmes et de cottes de maille pour les hommes se croisaient, se serraient les mains dans des gants de velours et/ou de fer et trouvaient quand même le moyen de rigoler.

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C’est qu’il fallait profiter de tous ces bons moments (n’est-il pas ?) avant d’attraper la fièvre jaune, la diphtérie, le tétanos, la poliomyélite et l’hépatite A ou B, quand ce n’était pas la S ou le SIDA. Le traitement anti-paludéen1 était enfin aussi et/ou également et/ou fortement recommandé.

Mon Dieu que la vie était donc belle dans ce petit coin de Guinée équatoriale ! À condition – cela va sans dire – d’échapper à la tourista si douloureuse lorsque, gambadant dans la prairie, une envie soudaine vous tord les tripes.

Il y en a dont le désir d’exonérer est si fort que, malgré des sphincters fonctionnels solidement verrouillés, ils ne peuvent se retenir et dégazent en plein air, ce qui fait très mauvais genre dans une réception mondaine.

Quant aux autres plaisirs de la vie, il était interdit de se baigner dans les eaux stagnantes – qui d’abord en aurait l’idée ! Il ne fallait boire que de l’eau en bouteilles (décapsulées devant soi, précise le guide qui se veut rassurant) ou stérilisée. Il ne fallait pas manger d’aliments crus ou mal cuits (viandes, poissons, légumes, fruits… Bon !). Il fallait se laver souvent les mains (avec du savon ajoute le commentateur, des fois que l’on soit tenté par du kérosène ou tout autre substance plus ou moins liquide). Quand aux pieds !

Si par malheur, malgré toutes ces précautions, il arrive que l’on soit malade, il ne faut pas compter sur l’autochtone pour s’occuper de vous car il n’y a aucune infrastructure hospitalière correctement équipée. Il faut donc prévoir l’évacuation sur Douala – ce qui n’est pas la porte à côté.

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À moins de posséder un truc « perso » qui vole, on n’est pas sûr d’arriver vivant dans ce havre de soin qu’est l’hôpital. C’est d’ailleurs pour cette raison officielle que chaque communauté s’est équipée d’un petit avion qui peut atterrir sur un terrain privé appartenant au groupe « à la disposicion de usted ».

Cela crée des liens entre ceux qui restent et ceux qui sont emportés par le vent… des hélices ou des réacteurs.

Votre journée passée à tuer le temps – car il n’y a rien d’autre à faire – vient enfin le moment tant attendu où dans la chambre éclairée de pâles rayons de lune dont le disque blafard est à peine voilée par une brume épaisse due à quatre vingt quinze pour cent d’humidité, le compagnon souhaite à sa partenaire vêtue de peaux de bêtes prouver l’ardeur qu’elle lui inspire. C’est pas gagné.

* * *

Revenons à Fiodor. La fête était superbe. Il y avait les blondes carénées et lustrées comme des Riva, de pulpeuses rousses aux yeux inévitablement verts dont le gaillard d’avant siliconé à souhait évoquait les dirigeables de l’ancien temps et de farouches andalouses brunes aux yeux ardents dont les fesses étaient aussi rondes et rebondies que des ballons de foot à cette différence près que les vessies caoutchoutées ne portent pas de culottes moulantes.

Toutes ces demoiselles arboraient fièrement le dernier monocul-nu à la mode, quelques milligrammes de dentelle si dentellée qu’elle cachait

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à peine le délicat mont de vénus, épilé comme le mont chauve ; ce qui était une sublime et illicite invitation à y passer la nuit. Et les amateurs de cette musique là étaient nombreux !

Parmi ces ondines pourtant, aucune ne pouvait rivaliser avec Yelyz. La jeune femme était l’invitée spéciale de Fiodor. Depuis la dernière réception dans sa datcha2 où celui-ci avait été quasiment hypnotisé par la ravissante demoiselle au charme inégalable, il n’avait d’attention que pour elle, la suivait comme son ombre et n’avait de cesse de la présenter aux uns et aux autres comme s’il s’agissait de sa future compagne. Elle faisait semblant de jouer le jeu sans ignorer toutefois les risques qu’elle prenait. Avec naturel, elle se laissait admirer et courtiser, mais lorsque Fiodor lui paraissait aller trop loin elle le repoussait d’un sourire angélique et d’un geste naturel apaisait sa frustration.

* * *

En fait, elle était en service commandé, ce dont elle avait l’habitude3. Elle avait accepté de participer à l’enquête sur Fiodor, à ce duel où la mort risquait « in fine » d’être la seule gagnante. Mais à une seule condition : Jacques devait faire partie de l’aventure. L’amour les avait plus sûrement rapproché que la limaille de fer un aimant. De son côté Jacques avait insisté pour l’accompagner. C’est pourquoi, il avait demandé l’autorisation de faire partie du groupe d’intervention – en cas de besoin.

Pour cela, il avait participé à un stage intensif de commando au camp d’entraînement du G.I.G.N.

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La seule condition était que cette autorisation lui serait refusée s’il échouait. Pendant un mois donc, il suivit les hommes en noir et leur dure formation. Le soir, fourbu, il se jetait sur le lit, mais au premier appel il exécutait, comme les autres membres du groupe, les marches forcées avec tout le paquetage. On lui apprit le maniement d’armes de toutes sortes. Il utilisa l’arme blanche et les règles du close-combat. Ceci lui fut d’autant plus facile qu’il avait eu dans sa jeunesse 4 une formation prolongée dans la pratique des arts martiaux.

Il ne faudrait pas croire pour autant qu’un civil ait le droit d’entrer ainsi dans ce milieu très fermé d’hommes triés sur le volet des unités d’élites de l’armée française. Certes, le garçon au cours de sa période militaire, avait eu d’excellents états de service et il était suffisamment jeune pour supporter la rigueur de l’entraînement.

Et puis, la ministre de la défense avait fait jouer son célèbre sourire devant lequel n’importe quel individu de sexe mâle a du mal à résister. Toutefois, le commandant n’était pas n’importe quel mâle et avait émis de sérieuses réserves. Il avait fallu toute la persuasion de madame le ministre pour qu’il accepte de le prendre à l’épreuve. Enfin, ses réserves avaient été définitivement levées lorsqu’il avait rencontré Jacques et sa compagne.

À la fin du stage, il attendit le verdict avec impatience. Lorsque le commandant Frédéric Gallois l’accueillit avec un grand sourire, il sut qu’il avait gagné l’honneur de faire partie de cette prestigieuse unité.

Elle savait donc que des yeux et des oreilles amis ne la quittaient pas une minute. Car, à l’ambassade de France, on avait installé une antenne spéciale dont la seule mission était de protéger la belle espionne.

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* * *

Afin d’essayer de gagner la confiance et de diminuer du même coup la méfiance du malfrat, l’Ambassadeur de France avait multiplié les contacts avec tous les privilégiés de cette petite enclave insulaire. On n’irait pas, cependant, jusqu’à dire que les deux ambassadeurs étaient devenus des amis… Encore que le net rapprochement des dirigeants des deux pays ait fini par déteindre sur cette communauté de nantis.

Monsieur l’ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire notamment avait donné une magnifique réception à l’occasion de la visite de deux plénipotentiaires français. Outre leur mission officielle, ils avaient pris des contact discrets avec les attachés économiques des différentes ambassades et notamment celle des Russes.

Pour ne pas être en reste, échange de bons procédés oblige, l’ambassadeur de Russie avait invité tous les V.I.P du bord de mer dont notre ami Fiodor et inévitablement Yelyz. Vodka, Champagne, Whisky, Malamba5, ainsi que toutes sortes de jus de fruits pressés qui, après avoir été lavés à l’eau d’Evian en présence du buveur, descendaient dans les gosiers asséchés. Les hommes transpiraient. De larges cernes de sueur apparaissaient sous les aisselles.

De superbes gaillards ébènes en grande tenue rayée de noir et de jaune passaient les rafraîchissements à ces messieurs ainsi qu’à ces mesdames. Certaines, allongées mollement sur des fauteuils recouverts de coussins moelleux, exposaient aux ardeurs du soleil, aux bords de la piscine et aux

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regards concupiscents de certains mâles leur anatomie fleurant bon la citronnelle, cependant que d’autres ondines barbotaient dans la piscine aux eaux limpides, se déplaçant avec des grâces de nageurs de combat.

Certaines se faisaient des niches dénouant d’un geste preste les minuscules liens qui maintenaient nichons et postérieurs, juste au moment où un homme fumant un gros cigare et le teint rougeaud s’en venait à passer. Avec des airs faussement effarouchés, la naïade nue prêtait avec un évident plaisir son anatomie côté pile puis face afin qu’il recouvrit ce que sa coquine copine venait de découvrir. Il n’était pas rare que les deux s’éclipsassent un temps variable, fonction de l’impossibilité sexuelle de l’habilleur et/ou de l’habileté manuelle de la déshabillée. En fait, tout le monde s’en foutait.

L’un des serveurs ébène était aux petits soins pour Yelyz. Il guettait ses moindres gestes d’une façon si discrète qu’il eut fallu beaucoup de perspicacité pour s’en apercevoir. Et il eut été indispensable d’avoir l’œil de l’aigle pour intercepter les signes de connivence échangés entre les deux protagonistes de ce jeu.

À supposer que cela se fit, encore eut-il été nécessaire que l’on interprétasse leur signification. N’était-il pas en effet anodin de se passer la main sur le sein gauche comme pour en chasser un diptère ? Il eut encore fallu se demander pourquoi cette damnée bestiole choisissait exactement le moment où le serveur en question projetait son ombre sur la belle, comme pour la protéger de l’ardeur du soleil, en lui demandant ce qu’elle désirait boire. Il devenait tout à fait clair qu’il devait y avoir un nombre considérable

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d’indésirables insectes parfaitement programmés, à moins que ce ne fut le parfum délicat du serveur qui entraîna toutes sortes de trucs volants dans son sillage. Allez savoir ce qui se passe dans la tête d’un des ses petits machins qui piquent6. Cet intermède fut brusquement interrompu lorsque Fiodor proposa à la jeune femme de l’emmener sur son yacht.

– Ma chère, je vous propose de faire une balade en mer. Le temps est beau et l’on m’a fait savoir qu’un banc de thon était à proximité des cotes. Cela vous ferait-il plaisir ? Sans même se donner la peine d’attendre sa réponse, il l’entraîna en la prenant fermement par le bras. Certains hommes ont de ces délicatesses7 !

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Chapitre II

Au nord de ce qui restait de l’antique Mésopotamie, ayant précipitamment quitté Cangiri, Sofian Bilgili1, le directeur scientifique décida de se réfugier chez son oncle à la mégapole de Kharamanmaras dont la famille était originaire. Arrivé à quelques kilomètres de Kirikkale, il descendit, enclencha sa balise qu’il régla sur quelques minutes et se dirigea tranquillement vers la ville. Une voiture qui passait le déposa devant une agence de location.

Au volant de sa nouvelle voiture, il prit la direction de Kahramanmaras cernée de montagnes. Son oncle y possédait une petite maison, rue mazman dans le quartier de Kurtulus, non loin du Bd Ataturk. Il avait gardé d’excellentes relations avec l’homme de bien qui lui parlait souvent de sa ville et des projets que la municipalité avait mis sur pied, sous la houlette de Mustafa Öyraz. On était bien loin de la Germanica romaine. Il lui racontait ses longues promenades et il attendait avec satisfaction et une certaine impatience la sortie de terre du grand parc culturel dont le dessin avait été proposé par l’architecte Ozgur Bingol et son équipe.

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Il ne l’avait pas revu depuis plusieurs années et il se demandait si le bonhomme le reconnaîtrait. Celui-ci, ancien professeur à la retraite, ayant remarqué ses capacités intellectuelles exceptionnelles, l’avait poussé à faire des études et lui avait donné – comme lui – le goût de la chimie. Il avait été un merveilleux mentor. Il ne pouvait oublier les flâneries tranquilles qu’ils faisaient ensemble chaque vendredi déambulant dans les rues, visitant par exemple le nouveau musée créé dans une ancienne « Tas Metrese »2. Il écoutait avec attention les commentaires passionnés de son guide pour les œuvres en pierre et les objets en bronze de leurs ancêtres Hittites3 qui, comme chacun le sait, marièrent plusieurs épouses au grand roi des rois, Salomon. Ensuite, ils allaient se recueillir quelques instants à la mosquée.

Il l ’avait d’abord fait inscrire à l’université Sütçü Imam. Puis, dès sa sortie, il avait fait un stage pendant l’été – en tant qu’auditeur libre – chez le plus célèbre professeur d’agronomie – père de l’actuel spécialiste.

Ils avaient notamment travaillé sur le projet de construction des barrages dans le sud-est du pays, mais par amour de leur terre ils avaient refusé de s’associer à des projets qui feraient disparaître les plus prestigieux vestiges de leur passé.

L’idée même que le barrage d’Ilisu puisse être envisagée, noyant le site millénaire d’Hasankeyf leur était odieuse. Ils donnèrent leur démission dès que des compagnies étrangères se proposèrent de financer le projet. Ceci leur valut d’être mis à la retraite anticipée. Ici, comme ailleurs, il valait mieux ne pas déplaire au pouvoir en place.

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Aujourd’hui toutefois, ils devaient se réjouir de la décision de ces mêmes compagnies de se retirer du projet. Mais pour combien de temps ? Ils n’avaient pas oublié le barrage d’Assouan voulu par Gamal Abdel Nasser et son financement par les Russes.

Heureusement que, grâce à l’intervention efficace et persévérante, d’une archéologue4 française spécialiste de l’Egypte et de réputation mondiale, quelques monuments, parmi les plus beaux, avaient pu être sauvés.

Il devait ce privilège à l’amitié qui liait les scientifiques. Les deux hommes s’étaient connus par hasard. L’un s’intéressait aux plantes et l’autre à leurs composants. Ils s’étaient d’abord côtoyés puis avaient travaillé en étroite liaison sur des projets d’irrigation des terres.

Ayant parcouru plus de 400 kilomètres, malgré la peur qui le tenaillait, il décida de faire une pause. Il lui fallait également faire le plein d’essence et d’huile, la voiture en consommant presque autant. Il avait volontairement choisi un vieux tacot afin de passer inaperçu dans ces contrées sauvages et de ne pas être la proie de quelque misérables énervés poussés par la misère à détrousser les touristes et les autochtones. Comme dit faussement le proverbe : faute de grive5…

Parvenu à Sivas, il prit le Bd Barbaros et se dirigea vers le centre de la ville. Il résista à la tentation de faire une halte à la Medressa Gök, car son esprit de scientifique l’en empêcha. Il n’allait tout de même pas – comme un petit enfant – chercher refuge auprès d’Allah, ou de n’importe quelle divinité d’ailleurs. Il le regretta presque aussitôt – non pas pour ce que l’on

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y enseigne – mais parce qu’il s’agissait d’un havre de paix propice à la réflexion.

Et, réfléchir, il en avait besoin. On avait dû découvrir la voiture de la belle Yelyz ou ce qui en restait. À cette évocation, une espèce de torsion de la bouche que l’on aurait pu assimiler de très loin à un sourire, crispa son visage. C’est à cause d’elle qu’il avait tout perdu. Le fait de savoir qu’elle aussi souffrait de la mort de son ami – sur son ordre – ne l’apaisa pas pour autant. Il l’imaginait rentrant seule chez elle.

Combien de fois s’était-il masturbé devant la photo de la belle jeune femme, faisant toujours le même rêve en se caressant. Il était dans la force de l’âge et son sexe répondait à la sollicitation presque immédiatement. Il regrettait de ne pouvoir la pénétrer. Il avait espéré qu’après la mort de Jacques, ses attentions finiraient par vaincre ses réticences qu’il appelait « hésitations ». S’il avait su !

Yelyz détestait physiquement et moralement ce type d’homme. Sans être franchement hideux, il n’était même pas moche. Au moins, elle aurait pu mettre une étiquette sur la répulsion qu’il lui inspirait. Il n’était même pas moche donc, mais – comme disait le poète – il n’avait rien qui put, de près comme de loin, inspirer l’amour. Insipide, voilà ce qu’il était sans odeur ni goût. Il ne sentait même pas mauvais. Il n’avait juste aucune odeur. Par contre, Sofian imaginait le parfum de ses belles cuisses fuselées à l’endroit où elles se rejoignaient. Lorsqu’il pensait à sa chatte, à son cul et à son anus, ses mains se crispaient sur son sexe, il fermait les yeux et, quasi instantanément, une longue giclée de sperme inondait son bas-ventre. Il était aussi un éjaculateur précoce !

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Mais cela, la tête pleine d’orgueil de Sofian ne pouvait même pas l’envisager. Il regretta de l’avoir fait tuer. Lui, ce fils du peuple qui s’était élevé par sa seule intelligence, son acharnement au travail, sa volonté farouche d’être partout le meilleur, ne pouvait imaginer qu’il fut fade ! Il rêvait et se régalait à l’idée de sa mort probable, bien que rien ne le confirma. Comme il n’était sûr de rien, il se plut à l’imaginer pleurant, perdant l’appétit, passant des nuits blanches, n’ayant de goût à rien. Il en bavait d’excitation malsaine.

Il la voyait presque physiquement la belle Yelyz devenue vieille, efflanquée, sèche comme une vieille haridelle, le teint blafard, perdant sa magnifique chevelure et ses belles dents cariées tombant une à une défigurant son éblouissant sourire, les os saillants, le sexe ratatiné râpeux comme un brandon et son cul dont l’anus plombé d’hémorroïdes était plus ridé qu’une vieille pomme. Ah ! comment avait-il pu s’amouracher d’une telle mochetée.

Il se mit à parler tout haut et ne vit pas déboucher à sa droite, un petit bonhomme monté sur son ânon. Le choc ne laissa aucune chance à l’enfant. Semblant se réveiller, il jura, engueula l’âne qui gisait et poussait des cris de scie mal graissée. Il invectiva tous les Saints et les 20 000 vierges du paradis. Ayant pris soin de laisser tourner le moteur, il regarda à droite et à gauche. Comme personne ne se montrait, il descendit pour constater que l’enfant était bien mort. Il gisait complètement désarticulé. Un joli sourire éclairant son visage laissait à penser qu’il n’avait pas eu le temps de se rendre compte.

Il donna quelques coups de pied au petit corps, régla son compte à la bête qui brayait encore en

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écrasant sa tête avec une grosse pierre. Remontant en voiture, il continua son chemin sans un regard en arrière. Un minuscule turc misérable de plus ou de moins n’empêcherait pas la terre de tourner alors que lui, Sofian, régnait sur l’empire de la drogue et était responsable de la mort de centaines de millions de personnes ! Il se prit même à sourire !

À peine arrivé en ville, il s’arrêta dans un café ouvert près de la Gare. Quelques consommateurs matinaux ne firent même pas attention à sa tenue ni à son visage mal rasé. Ce qui est bien banal dans ce pays. La barbe témoigne de la force de l’homme et lorsqu’elle est longue et blanche elle force à la vénération. Mais si elle n’a que quelques poils, il n’y avait aucune raison de le respecter. Tout le monde reprit donc ses brèves de comptoir avec indifférence.

Tout en sirotant le café brûlant affreusement sucré, ayant lentement recouvré ses esprits, il se demanda s’il était bien raisonnable de se conformer à sa première idée. S’il retournait chez l’oncle, il risquait de se trouver face à face avec la police pour deux raisons. Elle ne tarderait pas à retrouver la trace de la voiture et donc du conducteur, et elle connaissait ses attaches avec le vieil homme. Il se souvenait en effet qu’il avait dû remplir un questionnaire au moment de son premier emploi. Il savait ce qui se passerait s’il se faisait prendre. Il fallait se réfugier ailleurs et il était encore temps de changer d’itinéraire… et de voiture.

Quelles possibilités avait-il ? Il ne pouvait se réfugier en Russie ni demeurer en Turquie. Il ne pouvait aller vers l’Ouest. De ce côté, la taupe l’avait renseigné sur les échanges entre les polices et les relations de plus en plus étroites et cordiales avec l’Europe et notamment la France. Les relations entre

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la Turquie et les pays du sud s’étaient par contre considérablement dégradées depuis la décision du gouvernement de construire ces vingt deux barrages sur le Tigre et l’Euphrate – dont celui d’Ilisu. Il ne lui restait donc que l’est. Il pouvait aller en Iran par exemple.

Il écarta cette tentation en raison des positions de son Président Mahmoud Ahmadinejad6. Ce n’était pas parce qu’il ne partageait point ses points de vue – la politique ne l’intéressait pas – c’était parce que ses déclarations de guerre, sa violence envers Israël – dont il n’avait personnellement rien à faire – sa volonté de poursuivre ses essais nucléaires risquaient à tout moment d’entraîner une réponse de la communauté internationale. De nombreuses voies s’étaient élevées un peu partout dans le monde dont celle de la France à l’occasion d’un entretien entre Nicolas Sarkozy7 et Manouchehr Mottaki8 ou celles de tous les représentants présents lors de son discours l’O.N.U. Enfin, malgré les dénégations d’Avigdor Lieberman 9, personne ne pouvait douter de la réaction d’Israël en cas d’attaque nucléaire.

Pourtant ce pays lui plaisait bien. Le fanatisme, par définition, se nourrit de toutes sortes de moyens pour parvenir à ses fins. Encore faut-il envisager et calculer les risques que peuvent faire encourir les moyens choisis. Il n’est pas indifférent de peser le pour et le contre entre les diverses propositions des Mollahs. Il y a une grande différence (bien que le résultat soit le même) entre celle alléchante10– bien qu’un tantinet prétentieuse – de satisfaire vingt mille vierges11 et les 500.000 enfants12 envoyés sur la ligne de front pour déminer les sols. 36.000 gamins périrent. Comme ils n’étaient pas en âge de baiser,

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on a dû compenser. Entre la bite qui ouvre le con – porte divine – et la clef qui ouvre la porte du céleste empire – Il n’y a point de différence. Dans les deux cas il s’agit de celles qui mènent au paradis d’Allah, le grand, le compatissant, le miséricordieux ! Il décida donc de poursuivre encore plus vers l’est.

Pour aller où ? Il opta pour l’Afghanistan. Pourquoi avoir choisi ce pays en proie à une guerre civile depuis des décennies, où les Talibans tentent de reprendre le pouvoir, où des charias de toutes sortes sèment la terreur partout sur leur passage. Il y a aussi des radicaux forcenés chez les Talibans ! En fait, il y avait là bas, un certain mec qui avait réussi ce tour de force de se jouer du fils et du père – il est vrai sans qu’il puisse toucher au Saint-Esprit, ou grâce à lui diront les perfides. Il courait toujours en compagnie d’un mollah rondellifère. Oussama Ben Laden était à la tête d’Al-Qaïda. On disait qu’il vivait aussi au Pakistan, entouré de partisans dévoués à sa cause. Cela lui plaisait bien. Il se sentirait protégé.

Quelle était donc la différence entre les deux pays ? En fait, il n’y en avait aucune. Tout simplement et très prosaïquement parce que « de deux maux, il faut choisir le moindre ».

L’Iran, en effet, est sous les feux des projecteurs de l’actualité12 et le risque encouru ne valait pas la peine qu’il s’expose lui, Sofian Bilgili. Son destin l’attendait ailleurs. On dirait plus simplement que pour Sofian, le jeu n’en valait pas la chandelle. Par contre, bien que les Talibans aient eu leur heure de gloire, bien qu’ils soient en train de disparaître – probabilité hasardeuse – il se disait que, tel le phénix, ils renaîtraient peut-être de leurs cendres et ce serait lui, Sofian qui les mènerait à la victoire.