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CHAPITRE 6 : L’union franco- indienne menacée

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CHAPITRE 6 :

L’union franco- indienne menacée

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Georges Léopold Delamare, né le 7 juillet 1881 à

Besançon, commence sa carrière en tant que journaliste. Il est

fondateur du journalisme parlé par radio et Directeur de Radio

Tour Eiffel. Membre de la Société des Auteurs Dramatiques et

de la Société des Gens de Lettres, Georges Delamare est un

écrivain qui a essayé presque tous les genres. Il est à la fois

poète, romancier, historien et traducteur.

Le Roi de Minuit, Le Feu de joie, l’Empire oublié, Dans Le Roi de Minuit, Le Feu de joie, l’Empire oublié, Dans Le Roi de Minuit, Le Feu de joie, l’Empire oublié, Dans Le Roi de Minuit, Le Feu de joie, l’Empire oublié, Dans

l’ombre de Mayerling, Concino Concini, Désordres à l’ombre de Mayerling, Concino Concini, Désordres à l’ombre de Mayerling, Concino Concini, Désordres à l’ombre de Mayerling, Concino Concini, Désordres à PondichéryPondichéryPondichéryPondichéry

sont ses principales œuvres. Officier de la Légion d’Honneur,

on lui décerne aussi la médaille d’or des Arts, Sciences et

Lettres pour sa contribution à la littérature française.

Son roman, Désordres à PondichéryDésordres à PondichéryDésordres à PondichéryDésordres à Pondichéry, se déroule à

Pondichéry au début des années trente. Fidèle à son métier de

journaliste, il y donne plus d’importance aux faits et aux idées

qu’au décor. Ceci peut s’expliquer par le fait que l’auteur veut

faire de son ouvrage un roman colonial plus qu’un roman

exotique.

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Le Pondichéry que nous dépeint l’auteur est loin d’être le

Pondichéry exotique. La Ville Blanche présente une image

plutôt sombre, complètement privée d’exotisme. Jadis, la

capitale de ce qui a failli être l’empire français de l’Inde,

Pondichéry de Georges Delamare a perdu toute sa grandeur et

semble être totalement abandonné par la métropole :

« Parallèlement à la mer, la ville blanche s’étend, avec

ses demeures élégantes aux toits inégaux, avec ses belles

lignes d’une régularité grandiose, cité bâtie dans l’ivresse de la

victoire, en l’honneur de Louis le Bien-Aimé, mais dont la

splendeur n’est qu’un fantôme. » 94

Encore pire, il n’y a aucune vie dans ce comptoir français.

Le silence y règne. Cette ville qui, deux siècles auparavant

était le symbole de la grandeur française en Inde, est devenue

une ville oubliée et abandonnée. Il ne peut plus être comparé

aux autres grandes villes du monde.

94 DELAMARE, Georges, Désordres à Pondichéry, édition Kailash, Pondichéry,

1997, p.14.

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Georges Delamare fait ressortir le contraste entre la Ville

Blanche et la Ville Noire. Mais ce contraste n’est pas le même

que celui que Dominique Marny a évoqué. D’une part, la

description que nous donne Georges Delamare de la Ville

Blanche révèle deux choses essentielles de cette ancienne

capitale française, l’abandon et le manque de vie :

« Mais, bien plus encore qu’une impression de déclin et

d’abandon, ce qui frappe, en cette capitale oubliée, c’est le

silence, la tristesse des rues presque désertes, trop spacieuses

pour une population clairsemée. » 95

Ainsi d’après Mme La Verdière, Pondichéry est ennuyeux,

‘sans mouvement mondain, sans relations’96, et elle ne va à

Villenour que pour tuer le temps.

L’auteur, en évoquant le passé glorieux de Pondichéry et

l’indifférence de la France vis-à-vis la politique de Dupleix,

donne les causes de cet échec français à Pondichéry. Il faut

également noter que c’est avec nostalgie et regret que l’auteur

95 Ibid., p.14.

96 Ibid., p.55.

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retrace les grandes étapes de l’histoire de Pondichéry sous

Dupleix. Celui-ci qui, chaque jour, gagnait du terrain sur le sol

et dans les cœurs indiens, a été délaissé par la France ‘qui

tardait bien à lui envoyer des renforts’97. Dans ce début du

XXe siècle, cette nostalgie était aussi le sentiment que

ressentait les Français quand ils revisitaient l’apogée et la

splendeur de ce comptoir sous Dupleix.

En défendant l’entreprise coloniale des premiers Français,

surtout la politique de Dupleix et sa mission civilisatrice, à

travers le personnage de Morel, Georges Delamare accentue

ce sentiment de regret :

« _ La France est venue, la première, lier amitié avec les

nababs, continue Morel, arbitrer leurs différends, les exhorter

à déposer les armes. Elle leur a révélé les valeurs, jusque-là

méconnues, de l’union, de la solidarité. »98

Ce qui évoquait la grandeur de l’entreprise coloniale de

Dupleix, en ce début du XXe siècle, n’est que les maisons du

XVIIIe siècle : 97

Ibid., p.25. 98

Ibid., p.48.

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« …les belles maisons qu’on voit dans l’Inde des

estampes, sont les dernières preuves d’une fabuleuse

entreprise. » 99

Bref, la Ville Blanche de Pondichéry reflète l’échec colonial

de la France en Inde et rappelle les erreurs du gouvernement

français en ce qui concerne ses comptoirs indiens.

D’autre part, la Ville Noire présente une image plus

vivante et animée. Il y règne une atmosphère heureuse et

gaie :

« Derrière les logis à terrasses, Gourdieu aperçoit, çà et

là, un jardin éclatant d’où fusent des rires et des musiques,

tout comme dans un conte oriental. »100

Ce qui étonne, c’est que la misère et la détresse sont

absentes de la Ville Noire. Les gens qui y vivent, contrairement

à ceux du Nord de l’Inde, paraissent plutôt heureux :

99

Ibid., p.21-22. 100

Ibid., p.41-42.

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« La foule…montre, en revanche, plus de bonhomie et de

joyeuse nonchalance. On y voit peu de ces faces hagardes, où

semblent inscrits des millénaires de détresse. » 101

Avec ses fleurs qui la remplissent de parfums et la

musique dans ses jardins, la Ville Noire de Georges Delamare

n’est pas moins qu’un lieu merveilleux.

La fusion franco-indienne est visible dans l’architecture de

la Ville Noire. Dans ce domaine, la France semble avoir

réussie :

« Une façade classique, qui ferait bonne figure boulevard

de la Reine, une façade à hautes fenêtres sous une architrave

couronnée de balustres, surmonte un auvent rustique porté

par des piliers de bois à peine équarris. » 102

Là, il faut préciser que l’image de la société franco-

indienne que donne l’auteur ne se conforme pas à la situation

réelle de Pondichéry des années trente. Il y régnait déjà un

101

Ibid., p.42. 102

Ibid., p.40-41.

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désordre qui était le résultat de la politique assimilatrice de la

IIIe République.

En opposant délibérément la Ville Blanche qui est oubliée

par le gouvernement français à la Ville Noire qui témoigne

d’une synthèse franco-indienne, l’auteur souligne que la

métropole avait tort d’oublier ses comptoirs indiens.

Georges Delamare, à travers son protagoniste Morel,

montre que l’union franco-indienne serait la plus idéale et

l’ennemi commun pour les Indiens autant que pour les

Français était l’Angleterre.

Hubert Morel, descendant d’une très ancienne famille de

Pondichéry, est un indigotier très estimé. Le personnage de

Morel est le symbole même de la France. C’est aussi ce que

témoigne le portrait de Morel :

« M. Hubert Morel est grand et noueux. Il a le visage

tout en profil, le nez légèrement busqué sur une moustache

grise qui, avec la mouche au menton, confère à la physionomie

un certain cachet mousquetaire. Mais les yeux, d’un bleu

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innocent, atténuent ce caractère héroïque, et le sourire, tout

de suite amical, est d’un homme sans défense. »103

L’alliance de Morel avec l’Inde provient de son mariage

avec une Chrétienne de race Télinga. Le résultat de cette

union est Françoise, une jeune fille, ‘très jolie, de teint doré,

avec de beaux yeux profonds’104.

Ainsi pour le romancier, l’union franco-indienne donnerait

toujours des produits magnifiques.

Cette union idéale est soulignée davantage par la

sympathie qui existe entre Morel et le Tambiram ou

administrateur du temple de Villenour, Ashoka.

D’une part, Morel éprouve un grand respect vis-à-vis ce

dernier :

103

Ibid., p.33. 104

Ibid., p.37.

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« Tout de suite, l’indigotier s’excuse, s’empresse, salue

respectueusement en langue tamoul le Tambiram

impassible »105

Morel ne s’est pas arrêté avec un simple respect.

Plusieurs fois, il a également aidé le Tambiram, utilisant son

influence. Contrairement à Mme La Verdière et Gourdieu, il

témoigne un grand respect pour la civilisation indienne

D’autre part, Ashoka semble avoir une certaine affection

pour les Français :

« Mais ils ne sont point cruels ; ils goûtent l’indulgence ;

l’ambition ne les mène jamais jusqu’à la tyrannie. Dans les

pays qu’ils prétendent asservir, tu l’as bien vu, vieil Asoka. Ils

ne sont pas longtemps les maîtres réels. »106

C’est non seulement cette affection, mais nous

remarquons aussi la sagesse du vieil homme qui va sauver la

famille de Morel. Obéissant à sa conscience, il ne refuserait en 105

Ibid., p.165. 106

Ibid., p.97-98.

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aucun cas de faire son devoir qui est de remettre la lettre de

Gourdieu à Morel. En faisant ainsi, il sauve la famille de Morel

et sa réputation.

Morel avait démontré son amour pour l’Inde en épousant

même une Indienne. Son amour pour les Indiens est

nettement visible tout au long du roman. Parlant de ses

employés indigènes, il remarque :

« Les Hindous ? mais je vous le répète, ils sont honnêtes,

serviables, patients… »107

Ceci dit, il y a également des gens qui éprouvent un

grand mépris à l’égard des indigènes, comme Mme La

Verdière. ‘Et ces stupides indigènes qui ne comprennent

rien !’108, remarque-t-elle en se référant à la population

indigène. À travers elle, le romancier dénonce l’incapacité de

certains Français d’admirer la grandeur de l’Inde.

107

Ibid., p.45. 108

Ibid., p.56.

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L’amour et l’aide mutuelle qui existaient entre les colons

français et les indigènes en ce début du XXe siècle sont

menacés par les Britanniques. Tout au long du roman, les

colons anglais sont vivement critiqués.

Le protagoniste Morel est très attaché à sa patrie. On ne

peut trouver un homme plus patriotique que celui-ci dans le

comptoir de Pondichéry. D’après le romancier, il est aussi ‘le

pivot de l’influence française’109.

« _ Oui, la France, dont je prétends être ici l’un des

serviteurs et des gardiens ! Serviteur de sa générosité, de son

idéal, gardien de son droit. »110

Son sentiment patriotique s’éclate en une colère

véhémente lorsque Gourdieu lui dénonce le colonialisme et

défend le communisme.

Il est également le plus anglophobe des Pondichériens

français et qualifie l’entreprise coloniale anglaise comme étant 109

Ibid., p.81. 110

Ibid., p.188.

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sans âme. Il n’a qu’un ennemi, le gouvernement anglais qui,

selon lui, ridiculise les droits et la dignité de la France.

L’auteur, à travers celui-ci, dénonce l’orgueil des Britanniques:

« Tandis que l’Anglais ne connaît point d’égaux, hors les

Anglais » 111

Pour Morel, porte-parole de l’auteur, les Français ainsi

que les Indigènes souffrent de la politique tyrannique des

Anglais. Ils sont victimes de nombreuses mesures

administratives des Anglais dont le seul but est de rendre les

choses difficiles aux Français dans ses comptoirs :

« Les indigènes et les colons des établissements de l’Inde

française ne sont-ils pas en butte aux tracasseries de la

bureaucratie britannique… Rien de surprenant à ce que

l’Angleterre en ressente quelque agacement et s’évertue à

nous lasser, nous dégoûter par tous les moyens

administratifs. » 112

111

Ibid., p.114. 112

Ibid., p.46.

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Ironiquement, la fille de Morel, Françoise, est amoureuse

d’un Anglais, Reginald Iggins. Alors que Françoise montre une

grande sincérité à cette relation, Iggins, lui, n’a que le désir de

posséder la fille du plus anglophobe :

« Françoise y apporte une sincérité ardente et Reginald,

une amitié tiède réchauffée de désir. »113

D’après le romancier, Iggins présente toutes les

caractéristiques d’un Anglais. Il a promis à Françoise qu’il

l’épouserait mais, en réalité, ‘la visite au pasteur est au dernier

plan de ses préoccupations’114. Comme ses compatriotes

anglais, il fait preuve d’une grande froideur. Sportif, il voit

dans l’enlèvement de Françoise ‘du bon sport’ :

« Il est très amusé, au fond, par l’idée d’enlever lui,

Anglais, la fille de ce vieux réfractaire de Morel…, mais il tient

l’enlèvement de Françoise pour du bon sport. »115

113

Ibid., p.50. 114

Ibid., p.159. 115

Ibid., p.160.

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Françoise, toute naïve comme son père, se laisse

décevoir par Iggins. Mais, à la fin, elle a fait le bon choix.

L’invective de Gourdieu et les paroles que murmure son père

lui permettent de se rendre compte du crime qu’elle va

commettre :

« Le Devoir, la Race, Morel a dit cela d’une manière si

vigoureuse, si convaincue, que Françoise en est brusquement

illuminée…La claire notion de la conscience, la notion de

transgresser les lois de celle-ci frappent Françoise en même

temps. »116

La souffrance de son père la touche d’une manière si

forte qu’elle décide de perdre son amant, Iggins. Elle préfère

abandonner son amour que de nuire à la renommée de la

famille Morel et de voir son père mourir à cause d’elle. À la fin,

le devoir remporte sur l’amour, typiquement comme dans une

pièce cornélienne :

« Mais il y a, en bas, un vieil homme éperdu, il y a le

devoir plus fort que l’amour dans un cœur haut placé. » 117

116

Ibid., p.205-206. 117

Ibid., p.207.

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La lettre destinée à Iggins est ‘déchirée en deux, en

quatre’118, et avec cette lettre, tous les plans des Anglais qui

veulent détruire le respect des Français sont écartés, au moins

dans ce roman.

L’autre ennemi qui menace de semer du désordre à

Pondichéry est le personnage de Gourdieu, l’incarnation du

communisme. En fait, Désordres à PondichéryDésordres à PondichéryDésordres à PondichéryDésordres à Pondichéry de Georges

Delamare est un roman anti-communiste. Les idées

communistes y sont fortement critiquées.

Gourdieu est arrivé à Pondichéry dans le seul but d’y

créer du chaos. Il avait pour mission de semer les idées

communistes auprès du prolétariat du comptoir et de faire

éclater ainsi un soulèvement ouvrier. C’est dans ce cadre qu’il

fonde, avec l’aide d’un certain Nehrunu, la Ligue d’Évolution

hindoue.

Gourdieu a été envoyé à Pondichéry par Richelot, un

agent de l’URPA, l’Union des Revendications Panasiatiques.

L’objectif de cette union est de mettre fin aux abus de la

colonisation en encourageant les colonisés, en particulier les 118

Ibid., p.206.

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ouvriers, à s’émanciper. Ne pouvant pas aller lui-même en

Inde, Richelot avait trouvé en Gourdieu un remplaçant idéal. Il

avait ordonné à ce dernier de rencontrer l’indigotier Morel afin

de réussir dans sa mission :

« Si l’indigotier Morel adhère à l’U.R.P.A, tout le

prolétariat pondichérien suivra. »119

Mais, en vérité, Gourdieu comme Richelot, loin de se

soucier de la situation des ouvriers des colonies, ne cherche

qu’à faire fortune.

Gourdieu a tous les défauts. D’une part, c’est un traître

par excellence. Il ne cherche que du mal à Morel qui l’estime

beaucoup. Sans lui, il n’aurait pu s'installer à Pondichéry. Mais

oubliant cette aide, il ne pense qu’à lui faire du mal. C’est un

hypocrite qui a gagné la confiance de Morel pour le nuire.

« Misérable menteur, qui avez apporté la trahison parmi

des cœurs sincères ! »120

119

Ibid., p.19. 120

Ibid., p.187.

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Ainsi, avec Gourdieu, le romancier rejette la cause

communiste dont il se réclamait.

D’autre part, il n’a que le désir de posséder. C’est ce que

révèle le scandale qu’il a crée en touchant la danseuse du

temple de Villenour.

À travers Morel, Delamare dénonce ouvertement le

système communiste et la République soviétique, qui:

« _...n’a exploité, jusqu’à présent, que les instincts, non

les principes. C’est un système qui ne peut, en aucun cas,

engendrer de grands exemples. Et, sans grands exemples, pas

de morale. »121

Morel et sa fille, Françoise, font preuve d’une grande

naïveté. Alors que la naïveté du premier a facilité à Gourdieu

de semer le trouble dans ce comptoir français, celle de

Françoise a failli apporter le déshonneur à la famille Morel.

121

Ibid., p.189.

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Pour le romancier, c’est la même naïveté face à ses

ennemis qui est l’une des causes du déclin de la puissance

française dans le sous-continent indien.

Il ne peut y avoir un roman sur l’Inde et Pondichéry sans

y faire référence au système des castes. Désordres à Désordres à Désordres à Désordres à

PondichéryPondichéryPondichéryPondichéry n’en est pas une exception bien que l’auteur ne

semble donner qu’une importance secondaire à ce thème.

Il est intéressant de noter que le système des castes est

traité d’un point de vue très différent dans Désordres à Désordres à Désordres à Désordres à

PondichéryPondichéryPondichéryPondichéry. L’auteur y insiste sur la tolérance des Français à

l’égard des traditions indigènes.

La France semble avoir bien compris l’esprit indigène.

Selon M. La Verdière, le trésorier-payeur, ‘ ce que l’Inde n’a

jamais toléré, ne tolérera jamais, c’est une atteinte à ses

dogmes’122.

122

Ibid., p.62.

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Dans un pays comme l’Inde qui est prête à perdre même

ses territoires et ses biens pour sauver sa foi, le devoir de la

France, d’après Morel, est d’éviter tout trouble :

« Je pense que les Français, chez les peuples auxquels ils

ont promis paix et protection, ont le devoir d’éloigner le

moindre risque de trouble, de lutter contre l’esprit de désordre

et de fureur. »123

Tout en faisant éloge de la tolérance religieuse et

culturelle de Dupleix, Morel déclare que la France porterait

atteinte à son œuvre, si elle bouleversait les traditions

indigènes. Morel y fait preuve de la même prudence que la

France.

Dans ce début du XXe siècle, c’est seulement la tolérance

et la politique indigène de la France qui semble avoir réussi

dans ses comptoirs. L’atmosphère de la Ville Noire en est un

très bon exemple. C’est aussi ce qui différencie la générosité

des colons français d’une colonisation sans âme des Anglais.

123

Ibid., p.47.

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Georges Delamare justifie le système des castes en

attribuant un sens indigène au terme ‘caste’. Ainsi, M. La

Verdière défend ce système à Gourdieu de la manière

suivante :

« _Non, car vous entendez le mot caste au figuré ; vous

lui attribuez, ce qui m’étonne, puisque vous avez déjà pratiqué

l’Asie, un sens tout européen, je dirai même

démagogique. »124

Pour le romancier, le système des castes, loin d’être une

injustice sociale, est destiné ‘à maintenir la dignité, la beauté

morale de ceux qui en font partie’125. Une armature sociale, les

castes ont été mises en place pour se défendre contre les

menaces venant de l’extérieur.

Alors que beaucoup d’écrivains européens voyaient dans

le système des castes une grande injustice sociale et un

traitement inhumain d’une partie de la société, Georges

Delamare, tout en admettant l’inégalité sociale, défend la caste

comme étant un outil de défense pour l’Inde contre les

menaces d’absorption.

124

Ibid., p.62-63. 125

Ibid., p.63.

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La politique d’assimilation de la France est aussi, en

quelque sorte, remise en cause par l’auteur.

Le personnage de Nehrunu, un produit de l’éducation

française, éprouve une grande haine à l’égard les Français.

Gourdieu en a profité en nommant celui-ci secrétaire général

de la Ligue d’Évolution hindoue. Comme Gourdieu, Nehrunu

est un traître, trahissant le pays qui l’avait élevé et le pays qui

l’avait éduqué.

La France et son système éducatif, en poursuivant la

tendance d’assimilation, s’est créée des ennemis. Nehrunu en

est un très bon exemple :

« …il existe des floppées de mécontents, notamment des

jeunes qui, ayant, à grands frais, passé leur licence,

s’indignent de ne pas trouver tout de suite une situation en

vue » 126

Pour l’auteur, l’objectif de toute colonisation ne doit pas

être la fusion des cultures. Au contraire, elle doit chercher à

mettre en place un respect mutuel.

126

Ibid., p.80.

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Tout en évoquant son admiration à l’égard de l’union

franco-indienne, l’auteur regrette la position de la métropole

vis-à-vis ses comptoirs indiens, dans les années menant à

l’Indépendance de ses derniers. La France semble plus

éloignée que jamais de sa colonie.

Mais, il faut noter que le romancier termine son roman de

manière positive, écartant les différentes menaces auxquelles

faisaient face les comptoirs français de l’Inde, et ainsi, il refuse

d’accepter la réalité.