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Chapitre 4 Les émotions Objectifs 1. Distinguer les émotions, les affects et les humeurs. 2. Développer les différents aspects des émotions. 3. Identifier les sources des émotions et des humeurs. 4. Décrire les contraintes externes sur les émotions. 5. Présenter l’impact du travail émotion- nel sur les employés. 6. Clarifier les arguments du débat autour de la notion d’intelligence émotionnelle. 7. Appliquer ces concepts aux problé- matiques de comportement organi- sationnel. A u rebours de nos fantasmes et de nos idées reçues, beaucoup de P.-D.G. osent l’émotion, sans abandon- ner le culte de la raison qui les a menés à leur poste. Et ce sont les plus performants. Xavier Hochet, tête pensante et agissante de Capgemini Consulting, est l’un des chantres de la révolution obligée des entreprises. En bon commu- nicant, au service du grand manager qu’il est, il n’hésite pas à appeler Alice (celle de Lewis Carroll…) pour étayer sa démonstration. Ne vous a-t-elle pas, dans sa traversée du miroir, invité à voir les choses autrement ? Et de citer pour exemple contemporain l’avance de Toyota et de sa voiture hybride face à General Motors croyant encore, il y a quelques mois, à l’avenir de son Hummer, simplement parce que Hollywood s’en était entiché. Nul besoin de mieux connaître Xavier Hochet pour le cataloguer plus D.G. QE que D.G. QI 1 . Gilles Pélisson, président du direc- toire d’Accor, déclare : « Moi, je suis quelqu’un qui prend les choses à cœur, donc je ne fais rien sans émotion ! » Philippe Houzé, président du groupe Galeries Lafayette dit avoir un QE élevé. Il ajoute : « Je maîtrise mes émotions, mais je m’en sers plus que je ne les combats 2 . » Le slogan à la mode dans les quartiers d’affaires américains est lapidaire : « IQ gets you hired, but EW gets you promoted. » (On vous embauche sur votre QI mais c’est votre QE qui fait votre carrière 3 .) Daniel Goleman, celui qui a propulsé le concept de QE sur le devant de la scène et qui l’a fait entrer dans les entreprises, raconte que l’un de ses amis, directeur du Bell Labs, le centre de recherche d’AT&T , lui a avoué un jour que « les ingénieurs les plus performants de son groupe n’étaient pas les champions du QI, mais ceux dont les e-mails recevaient une réponse 4 ». Ils étaient plus popu- laires, plus entreprenants, plus entraînants que leurs col- lègues. Comme l’attestent ces grands dirigeants, en dépit du rôle indiscutable que jouent les émotions dans notre vie de tous les jours, ce sujet a suscité peu d’attention dans le domaine du comportement organisationnel jusqu’aux années 1990 5 . Il y a deux explications possibles à cela. La © 2011 Pearson Education France – Comportements organisationnels, 14e éd. – Stephen Robbins, Timothy Judge

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Objectifs

1. Xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx

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Chapitre 4Les émotions

Objectifs

1. Distinguer les émotions, les affects et les humeurs.

2. Développer les différents aspects des émotions.

3. Identifi er les sources des émotions et des humeurs.

4. Décrire les contraintes externes sur les émotions.

5. Présenter l’impact du travail émotion-nel sur les employés.

6. Clarifi er les arguments du débat autour de la notion d’intelligence émotionnelle.

7. Appliquer ces concepts aux problé-matiques de comportement organi-sationnel.

Au rebours de nos fantasmes et de nos idées reçues, beaucoup de P.-D.G. osent l’émotion, sans abandon-

ner le culte de la raison qui les a menés à leur poste. Et ce sont les plus performants. Xavier Hochet, tête pensante et agissante de Capgemini Consulting, est l’un des chantres de la révolution obligée des entreprises. En bon commu-nicant, au service du grand manager qu’il est, il n’hésite pas à appeler Alice (celle de Lewis Carroll…) pour étayer sa démonstration. Ne vous a-t-elle pas, dans sa traversée du miroir, invité à voir les choses autrement ? Et de citer pour exemple contemporain l’avance de Toyota et de sa voiture hybride face à General Motors croyant encore, il y a quelques mois, à l’avenir de son Hummer, simplement parce que Hollywood s’en était entiché. Nul besoin de mieux connaître Xavier Hochet pour le cataloguer plus D.G. QE que D.G. QI1. Gilles Pélisson, président du direc-toire d’Accor, déclare : « Moi, je suis quelqu’un qui prend les choses à cœur, donc je ne fais rien sans émotion ! » Philippe Houzé, président du groupe Galeries Lafayette dit avoir un QE élevé. Il ajoute : « Je maîtrise mes émotions, mais je m’en sers plus que je ne les combats2. » Le slogan à la mode dans les quartiers d’affaires américains est lapidaire : « IQ gets you hired, but EW gets you promoted. » (On vous embauche sur votre QI mais c’est votre QE qui fait votre carrière3.) Daniel Goleman, celui qui a propulsé le concept de QE sur le devant de la scène et qui l’a fait entrer dans les entreprises, raconte que l’un de ses amis, directeur du Bell Labs, le centre de recherche d’AT&T , lui a avoué un jour que « les ingénieurs les plus performants de son groupe n’étaient pas les champions du QI, mais ceux dont les e-mails recevaient une réponse4 ». Ils étaient plus popu-laires, plus entreprenants, plus entraînants que leurs col-lègues. Comme l’attestent ces grands dirigeants, en dépit du rôle indiscutable que jouent les émotions dans notre vie de tous les jours, ce sujet a suscité peu d’attention dans le domaine du comportement organisationnel jusqu’aux années 19905. Il y a deux explications possibles à cela. La

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première renvoie au mythe de la rationalité 6. Depuis le XIXe siècle fi nissant et la révolution scienti-fi que, les organisations se sont employées à faire tout leur possible pour contrôler les émotions. Une organisation bien gérée se targuait ainsi d’être parvenue à éliminer frustration, peur, colère, amour, haine, joie, chagrin et autres émotions du même acabit. La pensée dominante considérait de tels emportements comme l’antithèse de la rationalité. Aussi, alors que chercheurs et managers étaient conscients que les émotions étaient inhérentes à la vie de tout un chacun, ils s’évertuèrent à les éradiquer des organisations. Ce qui, bien sûr, était voué à l’échec7.

Le second facteur qui contribua à maintenir les émotions hors du champ du comportement organisationnel était la croyance que toute émotion, quelle qu’elle soit, est perturbatrice8. Dès que le mot « émotion » était prononcé venait instantanément à l’esprit une forte émotion négative, en particulier la colère, interférant avec la capacité des employés à travailler effi ca-cement. On appréhendait rarement les émotions comme constructives ou contribuant à une performance accrue.

Il est évident que certaines émotions, en particulier lorsqu’elles se manifestent à des moments peu opportuns, peuvent infl uer négativement sur la performance. Mais cela ne change en rien le fait que les employés apportent leur bagage émotionnel au travail et qu’aucune étude de comportement organisationnel ne peut aboutir sans prendre en considération le rôle des émotions dans le comportement, en particulier dans la sphère professionnelle.

1. Émotion ou humeur ?

Avant de poursuivre notre analyse, nous devons clarifi er trois termes souvent confondus, car étroitement liés : l’affect, les émotions et l’humeur.

L’affect est un terme générique qui englobe un vaste champ de sentiments vécus. On y retrouve les deux notions d’émotion et d’humeur9. L’émotion est un sentiment intense généré par un événement ou une interaction avec quelqu’un, puis dirigé vers ce quelque chose ou ce quelqu’un. Enfi n, l’humeur est un sentiment généralement moins intense que l’émotion et dénué de tout stimulus contextuel.

Affect — Ensemble, au sens large, des sentiments qu’un individu éprouve.

Émotion — Sentiment intense généré puis dirigé vers quelque chose ou quelqu’un.

Humeur — Sentiment généralement moins intense que l’émotion et dénué de stimulus contextuel.

Les émotions sont plus éphémères que les humeurs. Si, par exemple, quelqu’un se montre grossier envers vous, vous ressentirez de la colère. Ce sentiment intense survient et disparaît sans doute rapidement, peut-être même en quelques secondes seulement. Par contre, vous pouvez être de mauvaise humeur pendant plusieurs heures.

Les émotions surviennent en réaction à une personne (voir un ami au travail peut vous rendre heureux) ou à un événement (discuter avec un client grossier peut vous mettre en colère). Quelqu’un qui est « content de quelque chose, en colère après une autre personne, effrayé par un événement » exprime une émotion10. L’humeur, en revanche, n’a pas de cause directe. Mais les émotions peuvent se transformer en humeur lorsqu’elles dépassent l’événement ou le fait

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qui les a déclenchées. Par exemple, lorsqu’un collègue critique notre façon de nous adresser à un client, nous pouvons ressentir et exprimer une émotion (colère) dirigée vers un objet spé-cifi que (notre collègue). Mais, lorsque l’émotion spécifi que s’est dissipée, nous pouvons nous sentir découragés, sans pour autant pouvoir attribuer ce sentiment à un événement particulier. Nous ne sommes simplement pas au mieux de notre forme. Vous pouvez alors réagir de façon excessive à d’autres événements. Cet état correspond à une humeur. Le document 4.1 illustre la relation entre l’affect, l’émotion et l’humeur.

Ce document montre d’abord que l’affect est un terme vague qui englobe les émotions et l’humeur. Ensuite, il précise que des différences existent entre les émotions et l’humeur. Nous en avons déjà évoqué certaines, comme le fait que les émotions sont plus souvent causées par un événement spécifi que et sont de ce fait plus passagères que l’humeur. D’autres différences sont plus subtiles. Contrairement à l’humeur par exemple, les émotions s’accompagnent d’expressions spécifi ques du visage11. Les chercheurs estiment également qu’elles entraînent plus souvent une action immédiate tandis que l’humeur est plus cognitive, autrement dit qu’elle nous pousse à réfl échir ou à ruminer pendant un certain temps12.

Enfi n, ce document montre que les émotions et l’humeur peuvent s’infl uencer mutuellement. Une émotion suffi samment intense peut par exemple devenir une humeur. Obtenir le tra-vail dont nous rêvions peut engendrer chez nous une émotion de joie mais peut également nous mettre de bonne humeur pour plusieurs jours. De la même façon, si nous sommes de bonne ou de mauvaise humeur, nos émotions peuvent être beaucoup plus excessives qu’elles ne le seraient normalement. Si nous sommes de mauvaise humeur par exemple, nous pouvons « éclater » en réaction aux réfl exions d’un collègue qui normalement ne nous auraient fait réa-gir que modérément. Comme les émotions et l’humeur peuvent s’infl uencer mutuellement, de nombreux points dans ce chapitre aborderont des cas où les deux sont intimement liés.

Document 4.1 – Affect, émotion et humeur

Émotion

• Causées par un événement spécifique• D'une durée très brève (quelques secondes ou minutes)• Nombreuses formes spécifiques (colère, peur, tristesse, gaieté, dégoût, surprise)• Habituellement accompagnées d'expressions du visage• Entraînent par nature une action

Humeur

• Cause générale et souvent peu claire• D'une durée plus longue que les émotions (plusieurs heures voire plusieurs jours)• Plus générale (deux dimensions principales, l'affect positif et l'affect négatif qui regroupent chacune plusieurs émotions)• Ne s'accompagne généralement pas de signes extérieurs distinctifs• De nature cognitive

Affect

Englobe un vaste champ de sentiments vécusL'affect peut être ressenti comme une émotion ou une humeur

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Bien que l’affect, les émotions et l’humeur soient facilement identifi ables en théorie, la dis-tinction n’est pas toujours aussi claire dans la pratique. En fait, certains chercheurs étudient davantage les émotions ou l’humeur selon les cas. C’est pourquoi vous trouverez dans ce chapitre davantage d’informations sur les émotions dans certaines parties et davantage sur l’humeur dans d’autres. Nous ne faisons ici que résumer l’état des recherches actuelles.

1.1. Les émotions de base

Combien existe-t-il d’émotions ? Quelles sont les variations possibles ? Les émotions se comptent par dizaines : de la colère à la tristesse, en passant par le mépris, l’enthousiasme, l’envie, la peur, la frustration, la déception, l’embarras, le dégoût, la gaieté, la haine, l’es-poir, la jalousie, la joie, l’amour, la fi erté, la surprise. Bon nombre de recherches se sont évertuées à rassembler et à redéfi nir toutes ces émotions en un ensemble fondamental restreint13. Mais certains chercheurs affi rment que considérer les émotions comme un ensemble restreint n’a aucun sens, car même les émotions les plus rares, comme la stu-péfaction, peuvent avoir un effet très puissant sur nous. D’autres chercheurs, et même certains philosophes, pensent qu’il existe des émotions universelles communes à tous les êtres humains. René Descartes, qui est souvent considéré comme le père de la philosophie moderne, distingue « six passions simples et primitives » – l’émerveillement, l’amour, la haine, le désir, la joie et la tristesse – et déclare que « toutes les autres sont composées de l’une ou l’autre de ces six émotions ou en sont des dérivés14 ». D’autres philosophes, tels que Hume, Hobbes, ou Spinoza, identifi ent leurs propres catégories d’émotions. Bien que les écrits de ces philosophes puissent être utiles, la recherche moderne doit, quant à elle, tenter de fournir la preuve que les émotions peuvent se réduire à un ensemble identifi able et restreint.

À travers les recherches contemporaines, les psychologues ont tenté d’identifi er les émotions de base par l’étude des expressions du visage. Un des inconvénients de cette méthode tient au fait que certaines émotions sont trop complexes pour être facilement exprimées par le visage. Prenez l’amour par exemple. Beaucoup se représentent l’amour comme l’émotion la plus universelle. Et pourtant, il n’est pas aisé d’exprimer une émotion amoureuse uniquement par les expressions de son visage. De plus, les différentes normes culturelles infl uent sur la représentation des émotions, si bien que le ressenti d’une émo-tion n’est pas toujours le même que son expression. De nos jours, beaucoup d’entreprises mènent des programmes de gestion de la colère qui enseignent à contenir, voire à masquer ses sentiments profonds.

Il est fort probable que les psychologues et les philosophes ne s’entendent jamais complè-tement sur un ensemble d’émotions restreint, ou que cette notion même ait un sens. Pour-tant, suffi samment de chercheurs s’accordent à penser que les émotions universelles sont au nombre de six – la colère, la peur, la tristesse, la joie, le dégoût et la surprise – et que la plupart des autres émotions entrent dans l’une ou l’autre de ces catégories. Certains cher-cheurs placent même ces émotions sur un continuum : joie-surprise-peur-tristesse-colère-dégoût15. Plus deux émotions sont proches sur ce continuum et plus nous aurons tendance à les confondre. Nous confondons parfois la joie et la surprise par exemple, mais nous confon-dons rarement la joie et le dégoût. De plus, comme nous le verrons plus tard, des facteurs culturels peuvent également infl uencer les interprétations.

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1.2. L’humeur, l’affect positif et l’affect négatif

On peut classer les émotions en s’appuyant sur leur aspect positif ou négatif16. Les émotions positives (comme la joie ou la fi erté) expriment une évaluation ou un sentiment favorable. Les émotions négatives (comme la colère ou la culpabilité) expriment le contraire. Souvenez-vous que les émotions ne peuvent pas être neutres. La neutralité indique l’absence d’émotion17.

Lorsque les émotions sont divisées en catégories positives ou négatives, elles deviennent des états d’humeur, car nous les considérons alors de façon plus générale plutôt qu’en isolant l’une ou l’autre en particulier. Dans le document 4.2, la surexcitation constitue un affect positif élevé, tandis que l’ennui représente un affect positif faible. De la même manière, être nerveux apparaît comme un affect négatif élevé, tandis qu’être détendu constitue un affect négatif faible. Enfi n, certaines émotions, comme la satisfaction (un mélange d’affect positif élevé et d’affect négatif faible) ou la tristesse (un mélange d’affect positif faible et d’affect négatif élevé), se trouvent à mi-chemin. Vous pouvez constater que ce schéma ne contient pas toutes les émotions, et cela pour deux raisons. D’une part, nous aurions pu placer d’autres émotions comme l’enthousiasme ou la dépression dans ce schéma, mais cela prendrait beaucoup trop de place ; d’autre part, certaines émotions comme la surprise ne sont pas clairement positives ou négatives.

Nous pouvons donc considérer l’affect positif comme une dimension de l’humeur com-posée d’émotions positives telles que la surexcitation, la confi ance en soi et la gaieté, à une extrémité et de l’ennui, de l’apathie et de la fatigue, à l’autre extrémité. L’affect négatif est une dimension de l’humeur comprenant la nervosité, le stress et l’anxiété à une extrémité et la relaxation, la tranquillité et le sang-froid à l’autre extrémité. (Notez que les affects positifs et négatifs sont chacun une humeur. Nous utilisons ces termes, et non les termes d’humeur positive ou négative, car c’est de cette manière que les chercheurs les désignent.)

Affect positif — Dimension de l’humeur comprenant les émotions positives. Les émotions les plus élevées de cette catégorie sont la surexcitation, la confi ance en soi et la gaieté et les émotions les plus faibles sont l’ennui, l’apathie et la fatigue.

Affect négatif — Dimension de l’humeur comprenant les émotions négatives. Les émotions les plus élevées de cette catégorie sont la nervosité, le stress et l’anxiété et les émotions les plus faibles sont la relaxation, la tranquillité et le sang-froid.

L’affect positif et l’affect négatif jouent un rôle au travail (et en dehors, évidemment) dans le sens où ils infl uent sur notre perception qui peut devenir une réalité. Récemment, un steward de la compagnie américaine Jet Blue a brusquement quitté l’avion par le toboggan d’évacuation, excédé par le comportement d’un passager18. Il est clair que si un steward est de mauvaise humeur, cela va infl uencer sa vision des passagers et donc son comportement envers ces derniers.

Les émotions négatives ont davantage de chances de devenir une humeur négative. Nous pensons en effet cinq fois plus longtemps aux événements qui génèrent des émotions négatives qu’à ceux qui créent des émotions positives19. De même, nous nous souvenons généralement mieux des expériences négatives que des positives, peut-être parce qu’il s’agit également des expériences les moins fréquentes pour la plupart d’entre nous. En effet, lorsque rien de spécial ne se produit, nous sommes en général dans une humeur légère-ment positive. La majorité des êtres humains sont donc plus souvent d’humeur positive

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que négative. Cette tendance semble aussi exister dans le monde professionnel. Par exemple, une étude auprès de chargés de SAV dans un centre d’appel britannique (travail où il est certainement plutôt diffi cile de se sentir bien) a montré que les gens déclaraient être de bonne humeur 58 % du temps20.

Document 4.2 – La structure de l’humeur

Affect négatifélevé

Affect positif élevé

Affect négatif faible

Affect négatif faible

tendu vigilant

surexcité

rempli d'allégresse

heureux

content

serein

détendu

calme fatigué

ennuyé

déprimé

triste

contrarié

stressé

nerveux

1.3. La fonction des émotions

Les émotions nous rendent-elles irrationnels ?

Vous assez sans doute déjà entendu quelqu’un dire : « Tu es trop émotif. » Vous pouvez même vous être senti offensé. Le célèbre astronome Carl Sagan écrivit : « Lorsque nous éprouvons des émotions fortes, nous sommes susceptibles de nous tromper nous-mêmes. » Cette obser-vation suggère que le rationalisme et les émotions sont confl ictuels et que, si nous exprimons une émotion, nous risquons alors d’agir de façon irrationnelle. Cependant, les recherches sont en complet désaccord avec cette idée et démontrent de plus en plus que les émotions sont en réalité nécessaires pour une pensée rationnelle21. En fait, les preuves de ce lien sont anciennes.

Prenons l’exemple de Phineas Gage, un employé du chemin de fer dans le Vermont. Un jour de septembre 1848, alors qu’il faisait exploser une charge d’explosifs, une barre de fer d’une quinzaine de centimètres fut propulsée et vint se planter dans sa mâchoire infé-rieure gauche pour ressortir au sommet de son crâne. Gage survécut à cet accident. Il était toujours capable de lire et d’écrire et obtenait des résultats largement supérieurs à la moyenne aux tests cognitifs. Cependant, il avait visiblement perdu toute possibilité de

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ressentir des émotions. Il restait impassible même dans les circonstances les plus tristes ou les plus joyeuses. Son incapacité à ressentir des émotions fi nit par lui faire perdre la raison. Il commença à faire des choix irrationnels, à se comporter de façon erratique et à aller à l’encontre de ses propres intérêts. Bien qu’il fût intelligent et que ses capacités intellectuelles fussent intactes, Gage changeait sans cesse d’emploi et fi nit par s’engager dans un cirque. Un expert nota à son propos : « La raison peut ne pas être aussi pure que la plupart d’entre nous le pensent ou le souhaitent… Les émotions et les sentiments peu-vent ne pas être des intrus dans le bastion de la raison mais lui être liés, pour le meilleur et pour le pire. »

L’exemple de Phineas Gage ainsi que les études menées sur d’autres victimes d’accidents neurologiques montrent à quel point les émotions sont importantes pour la raison. Nous devons avoir la possibilité de ressentir des émotions pour être rationnels, car elles nous four-nissent d’importantes informations propres à améliorer la compréhension du monde qui nous entoure. Même si nous pouvons considérer qu’un ordinateur nous est intellectuelle-ment supérieur, un humain aussi vide d’émotions que l’est un ordinateur ne pourrait pas « fonctionner ». Pensez au manager qui doit décider de renvoyer un employé. Aimeriez-vous réellement que ce manager prenne sa décision sans prendre en compte les émotions de l’em-ployé ? Le meilleur moyen de prendre de bonnes décisions est d’utiliser le raisonnement et les émotions.

1.4. D’où viennent les émotions ?

Vous êtes-vous déjà entendu dire : « Je me suis levé du pied gauche ce matin » ? Avez-vous déjà été cassant avec un collègue ou un membre de votre famille sans raison particulière ? Si c’est le cas, vous vous êtes probablement demandé d’où proviennent les émotions et l’humeur.

La personnalité

Criez-vous devant votre poste de télévision lorsque votre équipe favorite perd un match important tandis que votre amie semble beaucoup moins se soucier du fait que son équipe n’a aucune chance de gagner ? Examinons une autre situation. Noël et Joël sont collègues. Noël a tendance à se mettre en colère lorsqu’un collègue critique ses idées dans une réunion. Joël, en revanche, est assez calme et détendu et considère ces critiques comme une occasion de s’améliorer. Comment expliquer ces réactions différentes ? Notre personnalité nous prédispose à ressentir certaines émotion s et à être d’une cer-taine humeur. Certaines personnes, par exemple, se sentent plus facilement coupables ou sont plus facilement en colère que d’autres. D’autres restent calmes et détendues quelle que soit la situation. En d’autres termes, l’humeur et les émotions dépendent des traits de personnalité si bien que certaines personnes ressentiront plus facilement certaines émotions ou seront plus fréquemment dans une humeur particulière que d’autres. Pre-nons l’exemple de l’ex-entraîneur de football d’Auxerre, Guy Roux. Il est resté célèbre pour ses enthousiasmes autant que pour ses « coups de gueule » envers les joueurs, les officiels, le public et les médias. Il apparaît comme quelqu’un naturellement sujet à res-sentir de la colère. Dans un genre très différent, Bill Gates, le P.-D.G. de Microsoft, est en revanche connu pour être distant, analytique et dépourvu d’émotions. Il manifeste rarement de la colère.

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Guy Roux et Bill Gates ont donc tendance à ressentir des émotions particulières. Il existe des différences d’intensité entre les individus dans la façon dont ils ressentent des émotions. Mais comme nous l’avons mentionné plus tôt, certaines personnes ont une prédisposition à ressentir n’importe quelle émotion plus intensément. Autrement dit, l’intensité de l’affect de ces personnes est très développée22. Tandis que la majorité d’entre nous sera légèrement triste ou légèrement amusée par un fi lm, une personne dont l’intensité de l’affect est éle-vée pleurera à chaudes larmes devant un fi lm triste et rira sans s’arrêter en regardant une comédie.

Intensité de l’affect — Différence d’intensité avec laquelle chaque individu ressent des émotions.

Les événements positifs ont également plus d’influence sur la bonne humeur et les émo-tions positives des personnes extraver ties, tandis que les événements négatifs ont un impact plus important sur la mauvaise humeur et les émotions négatives des personnes qui ont une faible stabilité émotionnelle. Pour illustrer cela, imaginons deux amis, Paul et Alexandre, qui travaillent ensemble. Au contraire d’Alexandre, Paul est très extraverti et a une stabilité émotionnelle très élevée. Un jour, Paul et Alexandre apprennent qu’ils vont recevoir une commission sur une vente que leur groupe de travail a réalisée. Plus tard dans la même journée, leur patron leur fait des reproches sans raison apparente. Dans cette situation, il est évident que l’affect positif de Paul augmentera plus rapide-ment que celui d’Alexandre car Paul est plus extraverti et prête plus d’importance aux bonnes nouvelles. À l’inverse, l’affect négatif d’Alexandre augmentera plus que celui de Paul car sa stabilité émotionnelle est faible si bien qu’il s’attarde plus sur les événements négatifs.

Le jour et l’heure…

Nous sommes pour la plupart à l’école ou au travail du lundi au vendredi. Le week-end est donc un moment de relaxation et de loisir. Cela signifi e-t-il que nous sommes de meilleure humeur le week-end ? Oui, c’est le cas. Comme le montre le document 4.3, notre humeur est la plus mauvaise (affect négatif le plus élevé et affect positif le plus faible) les premiers jours de la semaine et la meilleure (affect positif le plus élevé et affect négatif le plus faible) les derniers jours de la semaine23.

Qu’en est-il de l’heure de la journée ? Quand sommes-nous de meilleure humeur ? Et quand sommes-nous d’humeur massacrante ? On considère souvent que cela dépend des personnes, selon qu’elles sont « du matin » ou « du soir ». Cependant, la grande majorité d’entre nous suit le même modèle. Nous sommes généralement de mauvaise humeur tôt le matin. Notre humeur s’améliore pendant la journée avant de diminuer le soir, comme l’illustre le document 4.4. Il est intéressant de constater que, quelle que soit l’heure à laquelle nous nous couchons ou à laquelle nous nous levons, l’affect positif le plus élevé se situe à égale distance de ces deux moments. L’affect négatif en revanche fl uctue peu au cours de la journée.

Il semble que les personnes qui se décrivent comme matinales sont plus alertes le matin. Cependant, l’humeur de ces personnes matinales est à peine meilleure (affect positif plus élevé) le matin que celle des personnes qui se considèrent comme des personnes du soir (et vice versa).

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117 Chapitre 4 – Les émotions

Document 4.3 – Notre humeur dépend du jour de la semaine

L'humeur est mauvaise le dimancheet le lundi puis s'améliore au cours de la semaine.

L'humeur est la meilleureà la fin de la semaine.

Dimanche Lundi Mardi Mercredi Jeudi Vendredi Samedi

Jour de la semaine

Hu

meu

r

Bonne

Mauvaise

Moyenne

Affect positif Affect négatif

Source : Watson D., Mood and Temperament, New York, Guilford, 2000.

Document 4.4 – Notre humeur dépend de l’heure

9h midi 15h 18h 21h minuit

Bonne

Mauvaise

Moyenne

L'humeur est la meilleureà la mi-journée.

L'humeur négative variepeu au cours de la journée.

Heure de la journée

Hu

meu

r

Affect positif Affect négatif

Source : Watson D., Mood and Temperament, New York, Guilford, 2000.

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118 Partie II – L’individu

L’infl uence de la météo

Quand pensez-vous que votre humeur est la meilleure ? Lorsque le temps est ensoleillé et que la température est de 20 °C ou lorsque le temps est maussade, pluvieux et la température basse ? Beaucoup pensent que leur humeur est liée au temps. Il est pourtant prouvé que le temps n’a que peu d’infl uence24. Selon un expert : « Contrairement au point de vue commu-nément admis, ces données indiquent que nous ne sommes pas de meilleure humeur lorsque le temps est splendide (ou, à l’inverse, que nous sommes de plus mauvaise humeur les jours de pluie). » L’expression corrélation illusoire désigne la tendance que nous avons à penser qu’une belle journée infl uence notre humeur. La corrélation illusoire se produit lorsque nous associons deux événements qui n’ont en fait aucune relation entre eux.

Corrélation illusoire — Tendance à associer deux événements qui n’ont aucun lien réel.

À une époque, on associait la longueur des jupes des femmes avec l’indice du Standard & Poor’s 500. Lorsque les jupes se sont raccourcies, le S&P 500 se portait mieux. Pouvons-nous en conclure que si nous convainquions les femmes de raccourcir leurs jupes, le marché bour-sier connaîtrait une embellie ? Bien sûr que non. Il existe beaucoup de corrélations de la sorte qui n’ont aucun rapport entre elles. L’imaginaire populaire trouve souvent des relations de cause à effet entre des événements qui n’ont aucun lien entre eux. Il semble que cela soit le cas pour le temps et l’humeur.

Le stress

Comme vous pouvez l’imaginer, le stress affecte les émotions et l’humeur. Par exemple, les étu-diants éprouvent de la peur à un plus haut degré avant leurs examens, mais cette peur se dissipe une fois les examens terminés. Au travail, les événements journaliers stressants (un e-mail désa-gréable, une date limite diffi cile à respecter, une vente importante qui échoue, un supérieur qui fait des reproches, et ainsi de suite) ont un impact négatif sur l’humeur des employés. Les effets du stress augmentent dans le temps. Comme les auteurs d’une étude l’ont noté : « Une suite d’événements un peu stressants peut potentiellement entraîner une augmentation graduelle de la pression sur les employés25. » Notre humeur peut être dégradée par l’augmentation du stress et de la pression professionnelle si bien que nous éprouvons alors des émotions de plus en plus négatives. Examinons la déclaration suivante d’un employé sur son blog : « Je suis d’une humeur à bavarder aujourd’hui… Pourtant, physiquement, je ne me sens pas bien et le temps qu’il fait plus le nombre de choses que j’ai à faire sur un plan personnel et professionnel me rendent plus maussade. » Même si nous nous épanouissons parfois dans ces situations, pour la plupart d’entre nous, le stress tend à saper notre humeur.

Les activités sociales

Êtes-vous plus heureux lorsque vous participez à un barbecue avec des amis ou que vous sortez au restaurant pour fêter l’anniversaire d’un membre de votre famille ? En général, la vie en société augmente l’humeur positive et n’a que peu d’infl uence sur l’humeur négative. Mais les personnes de bonne humeur cherchent-elles à mener une vie sociale ou est-ce la vie sociale qui met de bonne humeur ? Il semble que les deux propositions soient vraies26. De plus, le type d’activité social compte. Les recherches montrent que les activités physiques (skier ou faire une excursion avec un ami), informelles (aller à une fête) ou épicuriennes (manger en groupe) mettent plus facilement de bonne humeur que les activités offi cielles (assister à une réunion) ou sédentaires (regarder la télévision avec des amis)27.

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119 Chapitre 4 – Les émotions

« Les gens ne peuvent pas prévoir leurs propres émotions avec précision »

Cette affi rmation est foncièrement exacte. Lorsqu’ils cherchent à prédire leurs senti-ments face à un événement donné, les gens s’en sortent le plus souvent assez mal. Les recherches sur le sujet – on parle de « prévision affective » – révèlent les deux formes possibles de cet échec.

On a tendance d’une part à surestimer le plaisir qu’un événement positif futur va nous apporter. On pense qu’une nouvelle voiture nous rendra plus heureux que ce n’est fi na-lement le cas, que posséder notre propre logement nous inspirera une joie plus grande qu’on n’en éprouve une fois l’achat effectué, et même que le mariage nous offrira plus de bonheur qu’il n’en apporte effectivement. On surestime à la fois l’intensité des événe-ments positifs futurs (l’ampleur du bonheur qu’on va ressentir) et leur durée (combien de temps ce bonheur va se prolonger). Par ailleurs, nos piètres capacités de prédiction s’appliquent également aux événements négatifs. De même que les événements positifs ont tendance à ne pas nous réjouir autant qu’on le penserait, les événements négatifs ne nous déçoivent pas autant qu’on pourrait s’y attendre.

De nombreuses études sont venues corroborer la médiocrité de nos capacités de prévi-sion affective : les étudiants surestiment la joie ou la déception qu’ils éprouveront s’ils sont affectés à un bon ou à un mauvais dortoir, les gens surestiment le chagrin qu’ils ressentiront deux mois après leur rupture, les professeurs non titulaires surestiment le bonheur qu’ils auront à être titularisés, et les femmes surestiment l’impact émotionnel d’un test de grossesse contraire à leurs attentes28.

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On peut donc tirer de tout cela à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle, car s’il est vrai que nos réjouissances ne sont pas aussi vives qu’on le pense, nos abattements ne sont pas aussi profonds qu’on le craint.

Le sommeil

Selon un sondage récent, près d’un quart des salariés interrogés (23 %) au niveau mondial ne dorment pas la nuit en raison du stress généré directement par leur activité professionnelle. Les Luxembourgeois, les Belges, les Français et les Finlandais se situent sur ce point nette-ment au-dessus de la moyenne mondiale, avec un tiers des salariés (32 % à 35 %) éprouvant de l’anxiété à cause de leur travail. Il existe aussi une véritable « angoisse du lundi matin » : 78 % des personnes interrogées disent avoir un sommeil perturbé à l’idée d’entamer une nouvelle semaine de travail29.

Comme vous pouvez l’imaginer, la qualité du sommeil joue un rôle important sur l’hu-meur. Les lycéens et les travailleurs adultes qui dorment peu se sentent plus fatigués, se mettent plus facilement en colère et montrent davantage d’hostilité. Le manque de som-meil ou sa mauvaise qualité mettent de mauvaise humeur car ils faussent le pouvoir de décision et rendent plus difficile le contrôle des émotions . Une étude récente a montré que mal dormir diminuait également la satisfaction professionnelle le lendemain, prin-cipalement parce que nous nous sentons fatigués, irrités et que nous sommes moins en état d’alerte30.

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120 Partie II – L’individu

L’exercice physique

Vous avez sans doute déjà entendu dire que certaines personnes devraient faire de l’exercice pour être de meilleure humeur. Mais cette « thérapie douce » fonctionne-t-elle vraiment ? Il semble que ce soit le cas, puisque les recherches montrent que l’exercice physique augmente l’humeur positive31. Les effets thérapeutiques de l’exercice physique sont plus importants sur les personnes déprimées. Même si les effets de l’exercice physique sont indéniables, ils ne sont pas terriblement effi caces. Ainsi, même si l’exercice physique peut vous aider à être de meilleure humeur, n’en attendez pas des miracles.

L’âge

Pensez-vous que les personnes jeunes ressentent des émotions plus intenses et plus positives (ce qu’on pourrait traduire par « l’exubérance de la jeunesse ») que les personnes plus âgées ? Si vous pensez cela, vous avez tort. Une étude sur des personnes âgées de 18 à 94 ans a établi que les personnes les plus âgées éprouvent moins d’émotions négatives, que la durée de leurs émotions positives est supérieure tandis que leurs émotions négatives s’estompent plus rapi-dement32. Ces résultats montrent que l’expérience émotionnelle s’améliore avec l’âge, si bien qu’en vieillissant nous ressentons moins d’émotions négatives.

Le sexe

Il est d’usage d’affi rmer que les femmes sont plus « en contact » avec leurs sentiments que les hommes, qu’elles manifestent davantage leurs émotions et qu’elles sont plus habiles à déchif-frer les émotions ressenties par autrui. Qu’y a-t-il de vrai dans ces postulats ?

Des études scientifi ques confi rment le fait que les femmes sont plus émotionnellement expressives que les hommes, qu’elles vivent leurs émotions plus intensément et qu’elles manifestent plus fréquemment des émotions à la fois positives et négatives, à l’exception de la colère. Il y a donc bel et bien une différence d’expression émotionnelle entre hommes et femmes. Dans quelle mesure une même expression émotionnelle émanant soit d’un homme soit d’une femme a un impact identique sur autrui.

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l’au

tre Reconnaître les émotions : un trait culturel ?

Les premières recherches menées sur notre compréhension des émotions basée sur l’ex-pression des autres considéraient que tous les individus pouvaient identifi er la même émotion, indépendamment de leur culture. Par exemple, un froncement de sourcil indi-querait la tristesse, quelle que soit l’origine de la personne qui le verrait. Cependant, les recherches les plus récentes indiquent que cette approche universelle de l’étude des émotions est incorrecte car il existe des différences subtiles dans la capacité qu’un être humain possède à identifi er l’émotion ressentie par une personne de culture différente en se basant sur ses mimiques.

Une étude a examiné la vitesse et l’exactitude avec lesquelles nous sommes capables de comprendre les expressions du visage des personnes issues de milieux culturels différents. Bien que les individus reconnaissent tout d’abord plus rapidement des personnes de la même culture qu’eux, lorsqu’ils vivent dans une autre culture, la vitesse et l’exactitude avec

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121 Chapitre 4 – Les émotions

lesquelles ils sont alors capables d’identifi er les émotions des autres augmentent parallè-lement à leur connaissance accrue de cette culture. Par exemple, comme les Chinois qui résident aux États-Unis se sont adaptés à leur environnement, ils deviennent capables d’identifi er les émotions des Américains plus rapidement. En fait, les étrangers reconnais-sent plus facilement les émotions des citoyens du pays dans lequel ils se trouvent que ne le font les natifs eux-mêmes.

Il est intéressant de noter que ces effets se produisent relativement rapidement. Par exemple, les étudiants chinois qui vivent aux États-Unis depuis 2,4 ans en moyenne identifi ent plus facilement les expressions du visage des Américains que celles des habitants de la Chine. Pourquoi est-ce le cas ? Les auteurs de cette étude expliquent qu’ils se concentrent peut-être plus sur les formes de communications gestuelles pour compenser leur méconnaissance de la langue anglaise. Quelles sont les conséquences pour la recherche en CO ? Lorsque nous devons travailler à l’étranger, la capacité à interpréter correctement les émotions permet d’interagir plus facilement avec les autres et de réduire les erreurs de communication.

Sources : D’après Tracy J. L. et Robins R. W., « The Nonverbal Expression of Pride: Evidence for Cross-Cultu-ral Recognition », Journal of Personality and Social Psychology, 94, 2008, p. 516-530 ; Elfenbein H. A. et Ambady N., « When Familiarity Breeds Accuracy: Cultural Exposure and Facial Emotion Recognition », Journal of Personality and Social Psychology, août 2003, p. 276-290.

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2. Le travail émotionnel

Quiconque a travaillé comme vendeur ou serveur dans un restaurant sait combien il est important d’avoir une attitude serviable et de sourire. Même si certains jours, nous n’avons pas l’esprit joyeux, nous savons que la direction attend que nous nous montrions sous notre meilleur jour vis-à-vis des clients. Aussi devons-nous feindre. Toute mise en œuvre des capacités physiques et cognitives exige un effort physique et un effort mental de la part des employés. Mais s’ajoute à ces deux composantes bien connues un troisième type d’effor t : le travail émotionnel. Ce terme renvoie à l’ensemble des expressions émotionnelles prescrites par l’entreprise, que les employés sont censés affi cher au cours de transactions interperson-nelles dans le contexte de leur travail.

Travail émotionnel — Situation dans laquelle un employé exprime des émotions prescrites par l’entreprise au cours de transactions interpersonnelles au travail.

Le concept de travail émotionnel a initialement été développé dans le cadre des emplois de service33. C’est ainsi que les hôtesses de l’air doivent affi cher de la gaieté, les employés des pompes funèbres de la gravité et de la compassion et les médecins de la neutralité. Aujourd’hui cependant, ce concept a investi quasiment tous les postes. On attend par exemple d’un employé qu’il se montre courtois avec ses collègues. Le véritable défi se pose lorsqu’un individu se doit d’exprimer régulièrement une émotion dans le cadre de son travail alors qu’il en ressent une autre34. Cela engendre une dissonance émotionnelle, qui peut mettre

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l’employé à rude épreuve. Lorsqu’on n’y fait rien, les sentiments étouffés de frustration, de colère et de ressentiment, peuvent conduire à l’épuisement émotionnel, où l’employé se sent littéralement « au bout du rouleau »35.

Dissonance émotionnelle — Incohérence entre les émotions ressenties et celles que nous projetons.

Comme nous allons le voir, c’est parce que le travail émotionnel est reconnu comme l’un des facteurs essentiels de la performance que les émotions sont aujourd’hui une composante à part entière dans l’étude du comportement organisationnel.

2.1. Émotions ressenties ou émotions exprimées ?

Le travail émotionnel est source de dilemme pour les employés dont le poste exige qu’ils expriment des émotions en désaccord avec leurs vrais sentiments. Et cette situation est loin d’être rare. Un employé peut ainsi être amené à collaborer avec un collègue envers lequel il lui est difficile de se montrer amical. Soit qu’il le trouve mordant, soit qu’il ait eu vent de paroles malveillantes prononcées dans son dos. Mais comme, d’une manière ou d’une autre, il est régulièrement en contact avec cette personne, il faut bien feindre de la sympathie.

On saisit mieux ce phénomène lorsqu’on sépare les émotions en émotions ressenties et en émotions exprimées36. Les émotions ressenties correspondent aux émotions réelles. À l’inverse, les émotions exprimées sont exigées de l’organisation et appropriées au poste occupé. Celles-ci ne sont pas innées, mais apprises. Ainsi, le sourire rituel des (par défi nition, nombreuses) perdantes lors de l’élection de la nouvelle Miss France illustre bien cette règle tacite qui veut que les perdants masquent leur déception au profi t d’une expression de joie pour le gagnant. De la même façon, l’usage veut généralement que nous nous montrions tristes à un enterrement, que le décès de la personne soit ou non une perte pour nous ; et de paraître joyeux à un mariage, même si nous n’avons pas l’es-prit à la fête. Les managers effi caces ont ainsi appris à se montrer sévères lorsqu’ils annon-cent ses mauvaises performances à un employé et à ravaler leur ressentiment lorsqu’un autre leur passe devant pour une promotion. Le vendeur qui n’a pas appris à sourire et paraître amical coûte que coûte ne fait pas long feu dans ce domaine d’activités.

Émotions ressenties — Émotions réelles vécues intérieurement par un individu.

Émotions exprimées — Émotions inhérentes au travail et appropriées à un poste donné.

Le point fondamental réside dans la fréquente différence qui existe entre émotions ressen-ties et émotions exprimées. De fait, de nombreuses personnes peinent à collaborer avec leurs collègues pour la simple raison qu’elles pensent naïvement que les émotions que les autres manifestent sont celles qu’ils ressentent effectivement. C’est particulièrement vrai dans les organisations, où les rôles à endosser et les situations exigent souvent des individus qu’ils expriment des émotions autres que celles qu’ils ressentent. De surcroît, les postes amènent à de plus en plus d’interactions avec les clients. Et ceux-ci ne sont pas toujours faciles. Ils se plaignent souvent, se comportent avec rudesse, et ont des exigences irréalistes. Dans de telles circonstances, l’employé peut être amené à masquer ce qu’il res-sent vraiment. Les individus qui ne parviennent pas à adopter une attitude sympathique

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et serviable dans de telles situations ont toutes les chances de perdre leurs clients et de se montrer ineffi caces.

Pourtant, affi cher des expressions fausses nécessite de masquer ses émotions réelles (ne pas montrer de colère envers un client par exemple). En d’autres termes, chaque individu doit « jouer un rôle » pour conserver son emploi. Ce jeu de surface (surface acting) consiste à masquer ses sentiments véritables et à exprimer des émotions en fonction des normes en vigueur. Par exemple, lorsqu’un employé sourit à un client alors qu’il n’en a absolu-ment pas envie, il utilise le jeu de surface. Le jeu en profondeur (deep acting) essaie, lui, de modifi er les sentiments réels en fonction des normes en vigueur. Lorsqu’un médecin essaie de ressentir une plus grande empathie envers ses patients, il cherche à utiliser le jeu en profondeur. Le jeu de surface concerne les émotions affi chées tandis que le jeu en pro-fondeur concerne les émotions ressenties. Les recherches montrent que le jeu de surface est un plus grand facteur de stress pour les employés car il implique de feindre et de masquer ses vraies émotions37.

Les normes de la culture occidentale veulent que les employés des entreprises de services se montrent à la fois souriants et amicaux avec les clients. Mais ces normes de comporte-ment ne prévalent pas dans tous les pays. En France, et en particulier à Paris, il est probable que les garçons de café ne souffrent guère d’un trop-plein de dissonance émotionnelle vu le peu d’efforts qu’ils mettent à masquer leurs vrais sentiments38… Les personnels de restauration français semblent d’ailleurs réputés dans le monde entier pour leur peu de sollicitude envers les clients.

Étonnamment, il semble que les professions qui sont exigeantes émotionnellement (les professions qui imposent ou nécessitent de conserver une certaine contenance dans toutes les situations) soient moins bien rémunérées que les professions exigeantes sur le plan des connaissances (celles qui nécessitent beaucoup de réfl exion et de compétences).

Une étude récente s’est penchée sur cette question et a examiné de nombreuses profes-sions différentes. Ses auteurs ont découvert que les professions qui demandent de grandes compétences sont souvent les mieux rétribuées, tandis que celles qui sont exigeantes sur le plan émotionnel ne le sont pas. Les exigences émotionnelles n’entrent en ligne de compte que dans les professions qui requièrent des compétences élevées (les avocats ou les infi rmières par exemple). Par exemple, les professions d’assistante maternelle ou de serveur (qui sont assez exigeantes sur le plan émotionnel mais qui ne demandent que peu de connaissances) reçoivent peu de compensation au regard des exigences émotionnelles qu’elles nécessitent39.

Le document 4.5 illustre la relation entre exigences cognitives, exigences émotionnelles et salaire. Dans les professions où les exigences émotionnelles s’ajoutent à des exigences élevées sur le plan cognitif, le salaire est alors meilleur. En revanche, dans les profes-sions qui demandent peu de connaissances, l’augmentation des exigences émotionnelles entraîne une moins bonne rétribution. Cet état de fait ne semble pas équitable. Après tout, pourquoi les exigences émotionnelles ne devraient-elles être récompensées que dans les professions exigeant des compétences élevées ? La diffi culté à trouver des personnes qua-lifi ées qui acceptent ou sont capables de travailler dans de telles conditions peut expliquer ces résultats.

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124 Partie II – L’individu

Document 4.5 – La relation entre exigences cognitives, exigences émotionnelles et salaire

Faibles

15,57 $

9,93 $

19,26 $

5,57 $

Physiciens

Astronomes

Statisticiens Managers

Hommes de loi

Infirmières conventionnées

Caissiers

Préposé au

recouvrement

des amendes

Assistants à l'enfance

Éboueurs

Charpentiers

Commis à la saisie des données

Élevée

21 $

19 $

17 $

15 $

13 $

11 $

9 $

7 $

5 $

Exigences émotionnelles et professions

Exigence cognitive faible Exigence cognitive élevée

Source : D’après Glomb T. M., Kammeyer-Mueller J. D. et Rotundo M., « Emotional Labor Demands and Compensating Wage Differentials », Journal of Applied Psychology, 89, n° 4, août 2004, p. 700-714.

3. La théorie des événements affectifs

Comme nous l’avons vu, les émotions et l’humeur sont des composantes importantes de notre vie, et particulièrement de notre vie professionnelle. Mais comment nos émotions et notre humeur infl uencent-elles nos performances et notre satisfaction professionnelles ? La théorie des événements affectifs apporte beaucoup d’éclaircissement aux praticiens du management sur le sujet. Elle montre que les employés répondent par des émotions aux évé-nements qui surviennent dans le cadre de leur travail et que cela infl ue sur leur performance et leur satisfaction40.

Théorie des événements affectifs — Théorie qui montre que les événements qui surviennent sur le lieu de travail entraînent des réactions émotionnelles de la part des employés, ce qui infl ue sur leur attitude et leur satisfaction professionnelle.

Un schéma d’ensemble de cette théorie est présenté au document 4.6. Elle commence par admettre que les émotions sont une réponse à un événement survenu dans l’environne-ment professionnel d’un individu. Ce contexte inclut tout ce qui touche au travail, depuis les caractéristiques de l’emploi, telles que la variété des tâches, le degré d’autonomie et les exi-gences de l’emploi, jusqu’aux impératifs du travail émotionnel. Cet environnement génère des événements qui peuvent être sources de tracas ou d’encouragement, voire les deux. Si

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un collègue ne s’acquitte pas de toutes les tâches qui lui sont assignées, ou bien des ordres contradictoires de différents managers, ou encore des délais impartis trop courts, ce sont autant de causes de contrariétés. Atteindre un objectif, obtenir de l’aide d’un collègue, rece-voir des félicitations sont à l’inverse des événements réjouissants. Ces épisodes déclenchent, selon les cas, des réactions émotionnelles positives ou négatives. Mais le lien entre l’événe-ment et l’émotion suscitée est modulé par la personnalité et l’humeur de l’individu. La per-sonnalité prédispose les gens à répondre avec plus ou moins d’intensité à ce qui leur arrive. Les personnes relativement instables émotionnellement, par exemple, sont plus enclines à réagir violemment à des événements négatifs. Quant à l’humeur de chacun, elle nous ren-voie à cette réalité qui est que notre cycle affectif global connaît des fl uctuations. De sorte que la réponse émotionnelle d’une personne à un événement donné peut changer selon son humeur. Dernier point enfi n, les émotions infl uencent un certain nombre de variables de performance et de satisfaction, comme le comportement de citoyenneté organisationnelle, l’engagement vis-à-vis de l’organisation, l’intention de quitter son poste, le degré d’effort et les comportements déviants.

Document 4.6 – La théorie des événements affectifs

• Caractéristiques

de l’emploi

• Exigences de l’emploi

• Exigences d’effort

émotionnel

Environnement professionnel

Évènements survenant

sur le lieu de travail

• Tracas quotidiens

• Encouragements

quotidiens

Réactions émotionnelles

• Positives

• Négatives

Satisfaction au travail

Performance au travail

Dispositions personnelles

• Personnalité

• Humeur

Source : D’après Glomb T. M., Kammeyer-Mueller J. D. et Rotundo M., « Emotional Labor Demands and Compensating Wage Differentials », Journal of Applied Psychology, 89, n° 4, août 2004, p. 700-714.

La mise à l’épreuve de la théorie des événements affectifs nous conduit aux conclusions suivantes :

(1) Un épisode émotionnel est en réalité une suite d’expériences émotionnelles précipitée par un événement unique. Il est le refl et d’éléments relevant à la fois des émotions et de l’humeur.

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126 Partie II – L’individu

(2) Si, à tout instant, la satisfaction au travail est sous l’infl uence des émotions du moment, les émotions passées interviennent également.

(3) Dans la mesure où l’humeur et les émotions fl uctuent au cours du temps, leur impact sur la performance est lui aussi changeant.

(4) Les comportements dictés par les émotions sont généralement de courte durée et très variables.

(5) Les émotions étant le plus souvent incompatibles avec les comportements exigés au tra-vail, elles exercent typiquement une infl uence néfaste sur la performance (même dans le cas d’émotions positives comme la gaieté et la joie)41.

Mais illustrons cette théorie des événements affectifs par un exemple. Prenons le cas d’un ingé-nieur aéronautique travaillant chez un grand constructeur mondial. Les commandes d’avions commerciaux ayant chuté, il vient d’apprendre que la société envisage de licencier quelque 10 000 employés, dont il fait partie. Cet événement a toutes les chances de provoquer une réac-tion émotionnelle négative : il craint de perdre son emploi ainsi que sa principale source de reve-nus. Et comme, de surcroît, cet ingénieur est de nature anxieuse, son sentiment d’insécurité s’en trouve exacerbé. Cet événement engendre aussi une série de sous-événements qui créent un épi-sode : il va voir son patron, qui lui assure que son poste ne craint rien ; à côté de cela, la rumeur court que son département est en tête de la liste des premiers à être éliminés ; notre ingénieur rencontre ensuite un collègue remercié six mois auparavant et qui n’a toujours pas retrouvé d’emploi. Toutes ces agitations engendrent, en retour, des hauts et des bas émotionnels. Un jour notre ingénieur est d’humeur optimiste et pressent qu’il résistera au dégraissage ; le lendemain, il se retrouve déprimé et anxieux, convaincu que son département sera fermé. Ces balancements émotionnels le détournent de son travail, avec pour résultat une baisse de sa performance et de sa satisfaction. Sa réponse émotionnelle est encore amplifi ée par le fait que c’est le quatrième grand plan social mis en place chez ce grand constructeur en seulement trois ans.

En résumé, la théorie des événements affectifs propose deux messages importants. Le premier message est que l’étude des émotions jette une lumière nouvelle sur le comportement des employés. Le modèle démontre combien les tracas et encouragements quotidiens infl uent sur la performance et la satisfaction. Le second message est qu’une organisation ne saurait ignorer les émotions et les événements qui en sont la cause, même s’ils semblent mineurs. Cela pour la bonne raison qu’ils s’accumulent. Ce n’est pas tant l’intensité des tracas et des encouragements qui induisent les réactions émotionnelles, mais plutôt la fréquence avec laquelle ils surviennent.

4. L’intelligence émotionnelle

Diane occupe un poste de chef de bureau dans une grande entreprise. Elle a une conscience quasiment nulle de ses propres émotions ainsi que de celles des autres. De nature luna-tique, elle n’excelle guère à générer l’enthousiasme ni même seulement l’intérêt parmi ses employés. Elle ne comprend pas non plus pourquoi ces derniers sont excédés par son comportement. Elle réagit souvent de façon démesurée lorsqu’un problème survient et choisit les solutions les plus ineffi caces pour gérer les situations émotionnelles42. On peut dire de Diane que son intelligence émotionnelle est peu développée.

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127 Chapitre 4 – Les émotions

Les gens qui ont conscience de leurs propres émotions et qui savent décrypter celles des autres sont souvent plus effi caces dans leur travail. C’est cet aspect qui sous-tend les récentes études menées sur le thème de l’intelligence émotionnelle43.

L’intelligence émotionnelle (IE) désigne l’ensemble de facultés, d’aptitudes et de compé-tences indiquant la capacité d’un individu à déceler et à comprendre les indices émotionnels et à gérer l’information qu’ils véhiculent. Cette capacité a un impact important sur la façon qu’a l’individu de répondre aux besoins et aux pressions de son environnement. L’intelli-gence émotionnelle se compose de cinq dimensions :

• La conscience de soi-même (self-awareness). Avoir conscience de ses propres sentiments ; être apte à reconnaître ses propres états d’âme, émotions, motivations ainsi que leurs effets sur les autres.

• La maîtrise de soi (self-management). La capacité à maîtriser, canaliser et gérer ses propres émotions et impulsions.

• La motivation (self-motivation). La capacité à persévérer après un revers ou un échec ; passion de l’action pour des raisons allant au-delà de l’argent et du statut.

• L’empathie (empathy). La capacité à éprouver ce que ressent autrui ; aptitude à traiter avec les autres en fonction de leurs réactions et de leurs émotions.

• L’aptitude pour les relations sociales (social skills). La capacité à gérer les relations avec les autres et à établir des liens ; aptitude à trouver des terrains d’entente et à construire des relations.

Intelligence émotionnelle (IE) — Capacité à détecter et à gérer les informations et les signaux émotionnels.

Diverses études suggèrent que l’intelligence émotionnelle joue un rôle décisif sur la perfor-mance . On s’est, par exemple, intéressé aux caractéristiques des ingénieurs de Lucent Tech-nologies considérés comme des « stars » par leurs collègues. Il ressortit de cette étude que ces ingénieurs devaient leur vedettariat à leur facilité relationnelle avec les autres. Ainsi, c’était leur quotient émotionnel, bien plutôt que leur QI, qui rendait ces employés plus performants.

4.1. L’IE en débat : le pour

L’intelligence émotionnelle est un sujet controversé, avec ses partisans et ses détracteurs. Nous allons passer successivement en revue les arguments en faveur puis les arguments en défaveur de la viabilité de l’intelligence émotionnelle en matière de comportement organisationnel.

La pertinence intuitive

Le concept d’intelligence émotionnelle repose beaucoup sur une intuition de départ, celle de sa réalité et de son importance. Presque tout le monde s’accorde à penser qu’il est bon de posséder une intelligence sociale. Il est généralement admis que les personnes capables de détecter les émotions des autres, de contrôler leurs propres émotions et de bien gérer les rapports sociaux auront de fortes chances de succès dans le monde des affaires. Un seul exemple : les associés d’une multinationale spécialisée en consulting pour lesquels on avait mesuré un taux d’intelligence émotionnelle supérieur à la moyenne ont rapporté à cette société un million d’euros de chiffre d’affaires de plus que les autres associés44.

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L’IE a valeur prédictive

Certains indices semblent prouver qu’une personne ayant une intelligence émotionnelle éle-vée aura de bonnes performances professionnelles. Une étude a découvert que l’intelligence émotionnelle permettait de prévoir la performance des employés d’une fabrique de cigarettes en Chine45. Une autre étude a montré que les personnes capables à la fois de reconnaître les émotions des autres à travers leurs mimiques et de percevoir les signaux émotionnels les moins manifestes allaient avoir une grande valeur pour leur société46. Enfi n, un examen por-tant sur 59 études indique qu’en général l’intelligence émotionnelle a une relation avec les performances professionnelles47.

L’IE a des bases biologiques

Une étude a montré que les personnes qui ont subi des accidents neurologiques dans la partie du cerveau qui gouverne les émotions (des lésions dans la partie frontale du cor-tex) obtenaient des résultats assez bas lors des tests d’intelligence émotionnelle. Bien que ces personnes n’aient pas de résultats moins bons que les autres lors des tests standard qui mesurent l’intelligence, leur capacité à prendre des décisions est altérée. Une expérience fut menée, dans laquelle des personnes jouaient aux cartes. Selon le choix des cartes effectué, le joueur recevait une récompense (de l’argent) ou une punition (une perte d’argent). Les par-ticipants dont le cerveau n’avait aucune lésion apprirent à gagner à ce jeu tandis que les per-sonnes ayant connu un accident neurologique jouaient plus mal à chaque partie. Cette étude indique que l’intelligence émotionnelle est neurologique mais différente des autres standards qui mesurent l’intelligence, et que les personnes ayant subi un accident neurologique obtien-nent de moins bons résultats en intelligence émotionnelle et prennent de moins bonnes décisions que les autres48. Enfi n, il serait prouvé que l’IE est infl uencée par la génétique , cela corroborant l’idée que l’on mesure aussi un facteur sous-jacent de nature biologique49.

4.2. L’IE en débat : le contre

Comme nous l’avons dit, l’intelligence émotionnelle compte autant de détracteurs que de défenseurs. Voici leurs arguments.

L’IE est un concept vague

Pour beaucoup de chercheurs, la notion d’intelligence émotionnelle reste peu claire. Est-ce une forme d’intelligence ? Pour la plupart d’entre nous, avoir une conscience de soi-même, de la motivation ou ressentir de l’empathie est lié à l’intellect. Donc, l’intelligence émotion-nelle est-elle une erreur d’appellation ? De plus, les différents chercheurs se concentrent bien souvent sur des compétences différentes, ce qui rend diffi cile une défi nition exacte de l’intelligence émotionnelle. Un chercheur peut étudier l’autodiscipline, un autre l’empathie, un troisième la conscience de soi-même et ainsi de suite. Comme l’a dit un critique : « Le concept d’intelligence émotionnelle est devenu si vaste et ses composants si variés… que ce n’est même plus un concept intelligible.50 »

L’IE ne peut pas être mesurée

Beaucoup de critiques ont soulevé la question de la mesure de l’intelligence émotionnelle. Comme l’intelligence émotionnelle est une forme d’intelligence, par exemple, il devrait être possible de mener des tests comportant des réponses justes et fausses. Effectivement, certains

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tests comportent ce genre de questions, bien que la validité de certaines sur les évaluations puisse être remise en question. Par exemple, une des questions demande quels sentiments particuliers sont associés à différentes couleurs, comme si le violet avait toujours un effet apaisant. D’autres questions se suffi sent à elles-mêmes, ce qui signifi e qu’il n’y a ni bonne ni mauvaise réponse. Par exemple une question d’un test d’intelligence émotionnelle peut consister à réagir à l’affi rmation : « Je juge très bien les autres. » En général, les évaluations de l’intelligence émotionnelle sont si variées que les chercheurs ne les considèrent pas aussi rigoureuses que l’évaluation de la personnalité ou de l’intelligence en général51.

La validité de l’IE reste sujette à caution

Certains critiques affi rment que l’intelligence émotionnelle est trop étroitement liée à l’intelli-gence et à la personnalité. De ce fait, une fois que vous contrôlez ces deux facteurs, le concept d’intelligence émotionnelle n’apporte en lui-même rien de particulier. Cet argument est fondé. L’intelligence émotionnelle semble en effet très liée à la personnalité et plus particulièrement à la stabilité émotionnelle52. Mais le nombre de recherches n’est pas suffi sant pour indiquer si l’intelligence émotionnelle ajoute quoi que ce soit à l’évaluation de la personnalité et de l’intel-ligence en général, afi n de nous permettre de mieux comprendre les performances profession-nelles. Pourtant, l’intelligence émotionnelle est toujours très populaire dans les entreprises de conseils et dans les journaux. Par exemple, la campagne de publicité d’une entreprise vantant les mérites de son évaluation de l’intelligence émotionnelle affi rmait : « L’intelligence émotion-nelle compte pour 85 % des meilleures performances réalisées par les leaders les plus élevés dans la hiérarchie53. » Mais il demeure pour le moins diffi cile de reconnaître la validité de cette affi rmation en se basant sur les seules recherches menées jusqu’à présent.

En pesant le pour et le contre de l’IE, on peut conclure qu’il est encore trop tôt pour savoir si ce concept est utile. En revanche, on est sûr qu’il ne va pas disparaître de si tôt.

5. Applications organisationnelles

Nous allons conclure cette présentation des problématiques liées aux émotions et à l’hu-meur avec quelques applications spécifi ques, correspondant à différents champs d’action du comportement organisationnel. Nous allons voir comment la compréhension des émotions et des humeurs aide à améliorer notre capacité à expliquer et à prédire le processus de sélec-tion dans les organisations, la prise de décision , la créativité, la motivation, le leadership, le confl it interpersonnel, le service clientèle, l’attitude face au travail ainsi que les comporte-ments déviants sur le lieu de travail. Nous nous interrogerons également sur la manière dont les managers peuvent infl uencer l’humeur de leurs collaborateurs.

5.1. La sélection

Les preuves apportées jusqu’à présent à l’existence de l’IE impliquent que les employeurs en tiennent compte lorsqu’ils engagent des employés, en particulier dans les secteurs qui exigent un niveau élevé de rapports sociaux. En fait, de plus en plus d’employeurs utilisent les tests d’intelligence émotionnelle pour sélectionner leurs nouveaux employés. Une étude menée sur des recruteurs de l’US Air Force a montré que les recruteurs les plus performants

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130 Partie II – L’individu

étaient ceux ayant le degré d’intelligence émotionnelle le plus élevé. Cette découverte a incité l’armée de l’air américaine à reconsidérer ses critères de sélection. Des études plus poussées ont montré que les futures recrues qui avaient une grande intelligence émotionnelle réus-sissaient 2,6 fois mieux que les autres. Intégrer l’intelligence émotionnelle dans les critères de sélection a permis à l’armée de l’air de réduire la rotation de personnel parmi les nou-veaux recruteurs de plus de 90 % en un an et d’économiser près de 3 millions de dollars de coût d’embauche et de formation. De même, chez L’Oréal, les vendeurs sélectionnés en fonction de leur intelligence émotionnelle réalisent de meilleures performances que ceux engagés selon les critères précédents. Sur une année, les ventes réalisées par les vendeurs sélectionnés en fonction de leur compétence émotionnelle sont supérieures de 68 980 euros aux ventes réalisées par leurs collègues, ce qui représente une augmentation nette du revenu de 1 931 420 euros54.

5.2. La prise de décision

Comme nous l’avons vu au chapitre 6, les organisations ont traditionnellement bâti leurs processus de prise de décision sur des bases prônant la rationalité . Et pourtant, les résultats empiriques trouvés par les chercheurs en CO confi rment chaque jour davantage l’impact des émotions sur la prise de décision55.

Un article fréquemment cité indique que le jugement des personnes dépressives (les per-sonnes qui sont souvent de mauvaise humeur ou ressentent des émotions négatives) est sou-vent meilleur que celui des personnes non dépressives. Cette constatation conduit certains chercheurs à affi rmer que le principe « triste mais vrai » est exact. Cependant, des indices plus récents suggèrent au contraire que les personnes dépressives prennent de plus mau-vaises décisions que les personnes heureuses, car elles analysent les informations moins rapi-dement et considèrent toutes les options possibles plutôt que de choisir celles qui semblent les meilleures56. Bien qu’évaluer toutes les options possibles soit a priori une bonne méthode, le problème tient au fait que les personnes dépressives cherchent la solution idéale, ce qui n’existe quasiment jamais.

À l’inverse, les émotions et les humeurs positives semblent aider la prise de décision57. Elles peuvent optimiser les capacités à résoudre les problèmes et faciliter la compréhension et l’analyse de l’information. Les personnes de bonne humeur ou celles qui ressentent des émo-tions positives ont plus tendance à utiliser des méthodes heuristiques pour prendre rapide-ment une décision.

5.3. La créativité

Les personnes de bonne humeur ont tendance à être plus créatives que les personnes de mauvaise humeur58, Elles ont davantage d’idées (et les autres trouvent ces idées plus ori-ginales), et elles trouvent plus d’options créatives à un problème donné. Il semble que les personnes de bonne humeur ou dont les émotions sont positives ont un raisonnement plus fl exible et ouvert, ce qui peut expliquer leur plus grande créativité. Les supérieurs hiérar-chiques doivent faire tout leur possible pour que les employés soient heureux et de bonne humeur (les employés apprécient que leurs supérieurs les encouragent et les félicitent pour un travail bien fait) car ils seront alors plus créatifs.

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Certains chercheurs en revanche ne pensent pas que les émotions positives augmentent la créa-tivité. Selon eux, les personnes de bonne humeur peuvent se relâcher (« si je suis de bonne humeur, les choses doivent bien aller, et il est donc inutile que je cherche de nouvelles idées ») et ne pas entamer le processus de réfl exion indispensable à la créativité. Cependant, pour résoudre ce débat il faut plutôt penser au degré d’activation et s’orienter donc vers l’effet d’af-fects porteurs d’énergie (tels que la colère, la peur, l’exaltation) et le comparer à celui d’affects à bas niveau d’activation (tels que la dépression ou la sérénité). Car ces humeurs « énergisantes », qu’elles soient positives ou négatives, semblent bien être des vecteurs de créativité59.

5.4. La motivation

Plusieurs études ont mis en évidence l’importance qu’ont l’humeur et les émotions sur la motivation. Dans l’une d’elles, deux groupes de personnes devaient résoudre des casse-tête de mots. Un des groupes visionna une vidéo comique destinée à mettre le groupe de bonne humeur avant de commencer à résoudre les casse-tête. L’autre groupe commença immédia-tement sans voir la vidéo. Les résultats montrèrent que le groupe de bonne humeur pensait être plus capable de résoudre le problème, il travailla plus dur sur les énigmes et par consé-quent en résolut effectivement un plus grand nombre.

Une deuxième étude découvrit que donner une estimation – vraie ou fausse – sur les per-formances des participants infl ue sur leur humeur, qui elle-même infl uence leur créativité. Il existe ainsi toute une chaîne de cause à effet : les émotions positives poussent les partici-pants à être plus créatifs, ce qui entraîne un feed-back positif de la part des personnes qui les observent, ce qui renforce la bonne humeur des participants, ce qui augmente encore leurs performances, et ainsi de suite.

Une troisième étude s’est penchée sur l’humeur d’agents d’assurance à Taïwan. Les agents d’humeur positive non seulement ont tendance à être plus solidaires de leurs collègues mais ont aussi un meilleur sentiment d’eux-mêmes. Ces facteurs contribuent ensuite à une per-formance supérieure à la moyenne, qui se traduit par plus de ventes confi rmées et par une évaluation positive de la part de leurs supérieurs hiérarchiques60.

5.5. Le leadership

Les leaders effi caces usent de l’expression des sentiments pour véhiculer un message61. De fait, l’émotion qui enveloppe un discours est souvent l’élément décisif qui verra le message du leader accepté ou rejeté. Les leaders dynamisent d’autant plus leurs subordonnés et les incitent à l’effi cacité, la compétence, l’optimisme et au plaisir, qu’on les sent à leur tour exal-tés, enthousiastes et énergiques62. Les hommes et femmes politiques offrent en la matière un exemple de choix, surtout lorsqu’ils arborent cet enthousiasme pour évoquer leurs chances de gagner les élections… alors même que les sondages les situent au plus bas.

Les dirigeants connaissent l’importance du contenu émotionnel pour faire adhérer les employés à leur vision de l’avenir de la société et leur faire accepter les changements63. Consentir à ces changements inhérents à une nouvelle orientation est souvent diffi cile, et ce d’autant plus que les objectif s sont vagues ou se projettent dans un avenir lointain. Aussi les leaders qui souhai-tent mettre en place des changements signifi catifs optimisent-ils leur effi cacité en s’en remet-tant à l’évocation, à l’encadrement et à la mobilisation des émotions64. En laissant émerger les

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émotions et les connectant à une vision attrayante, les leaders augmentent leurs chances de voir les managers aussi bien que les employés accepter les changements65.

5.6. La négociation

La négociation est un processus émotionnel66. Pourtant, un bon négociateur est souvent vu comme un joueur de poker. Pour Crispin Nieboer, le fondateur de la chaîne britannique Poker Channel, « [le poker] est un jeu de bluff. Voir qui sera capable de bluffer l’autre crée une émotion et une tension incroyable »67. De même, plusieurs études ont montré que les négociateurs qui simulent la colère ont un avantage sur la partie adverse, car cette dernière pense que le négociateur a concédé tout ce qu’il pouvait, si bien qu’il accepte alors les termes de la négociation68.

Affi cher une émotion négative (comme la colère) peut être effi cace, mais éprouver réelle-ment une mauvaise impression face à sa performance semble être préjudiciable pour les négociations futures69. Les négociateurs qui ressentent des émotions négatives ont une vision négative de la partie adverse et sont réticents à partager des informations ou à se montrer coopératifs par la suite. Il est intéressant de constater que, alors que les émotions et l’humeur représentent un avantage au travail, elles semblent altérer les performances du négociateur, à moins que celui-ci ne simule, ne feigne d’être en colère. En fait, une étude de 2005 a montré que les personnes dont la partie du cerveau gouvernant les émotions a été endommagée (et qui souffrent de lésions neurologiques situées au même endroit que celles de Phineas Gage, évoqué précédemment) sont peut-être les meilleurs négociateurs, car ils n’essaient pas de corriger les émotions négatives qui les assaillent70.

5.7. Le service au client

Dans de nombreux emplois, l’état émotionnel de l’employé a un impact sur le service clien-tèle qui, en retour, infl ue sur la fi délité des clients et leur degré de satisfaction71. Créer un ser-vice clientèle de qualité exige beaucoup des employés, ce qui génère souvent une dissonance émotionnelle. Si cette tension perdure, cela peut aller jusqu’au surmenage, le déclin de la performance et de la satisfaction au travail72.

En outre, les émotions des employés peuvent également être transférées au client ; les études indiquent un effet de concordance entre les émotions des employés et les émotions des clients, effet que les chercheurs désignent sous le terme de contagion émotionnelle , autre-ment dit « attraper » les émotions des autres73. La contagion émotionnelle se produit par exemple lorsque quelqu’un qui ressent des émotions positives rit et nous sourit et que nous adoptons son comportement. Donc, quand les employés manifestent des émotions positives, les clients ont tendance à réagir positivement. La contagion émotionnelle est importante car lorsque les clients adoptent la bonne humeur ou les émotions positives des employés, leurs courses durent plus longtemps. Les émotions négatives et la mauvaise humeur sont également contagieuses. Quand un employé a un comportement excentrique ou agressif, ces émotions négatives tendent à avoir un effet négatif sur l’attitude du client74.

Contagion émotionnelle — Processus dans lequel les émotions d’une personne sont causées par les émotions d’une autre personne.

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5.8. Les attitudes face au travail

Avez-vous déjà entendu le conseil suivant : « N’emportez jamais votre travail à la maison », qui signifi e que nous devons oublier notre profession lorsque nous rentrons chez nous ? Ce conseil est plus simple à donner qu’à respecter. Plusieurs études ont montré que les per-sonnes qui ont eu une bonne journée de travail sont de meilleure humeur le soir et que celles qui ont eu une mauvaise journée ont tendance à être de mauvaise humeur une fois rentrées chez elles75. Il est également prouvé que les personnes qui ont eu une journée stressante ont du mal à se détendre après avoir quitté leur travail76.

Des couples se sont portés volontaires pour participer à une étude sur les effets de l’humeur, en répondant à intervalles réguliers à un questionnaire sur leur téléphone portable. Comme les lecteurs mariés pourront s’en douter, si l’un des époux avait été de mauvaise humeur pendant la journée, il la transmettait le soir à son conjoint77. En résumé, si votre journée n’a pas été bonne, c’est la soirée de votre conjoint qui a toutes les chances d’être mauvaise. Mais heureusement, bien que nous emportions du travail à la maison, sur le plan émotionnel tout au moins, l’effet ne dure généralement jamais jusqu’au lendemain78.

5.9. Les comportements professionnels déviants

Les émotions peuvent être à l’origine d’un certain nombre de comportements déviants sur le lieu de travail.

Quiconque a l’expérience de l’univers des organisations a pu se rendre compte que les gens violent souvent, et consciemment, les normes établies par des actes qui mettent en danger l’organisation ou ses membres, voire les deux. Comme nous l’avons vu au chapitre 1, ces actes sont rassemblés sous le terme de comportement professionnel déviant et sont souvent dus aux émotions négatives. La jalousie ou l’envie, par exemple, sont des émotions qui survien-nent lorsqu’on en veut à quelqu’un d’avoir quelque chose que l’on n’a pas soi-même et que l’on désire ardemment, comme un meilleur statut, un bureau plus vaste ou un salaire plus important79. Cette jalousie peut conduire à un comportement déviant. On a ainsi montré que la jalousie, pour conserver cet exemple, pouvait se traduire par de l’hostilité, des coups bas et autres manifestations comportementales, dénaturant ainsi le succès des autres tout en valori-sant, à son avantage, ses propres accomplissements. Les personnes qui ressentent des émotions négatives, en particulier celles qui éprouvent de la colère ou de l’hostilité, s’engagent plus faci-lement dans un comportement déviant que les personnes qui n’en ressentent pas80.

Les relations sentimentales au travail

De nombreux couples se sont rencontrés la première fois sur leur lieu de travail. En 2005, une étude a montré que 58 % de tous les employés ont une liaison sentimentale avec un ou une collègue. Étant donné le nombre d’heures passées au travail, ces résultats ne sont pas tellement surprenants. Et pourtant les liaisons sentimentales au sein d’une entreprise posent un problème éthique pour les organisations et pour les employés. De quels droits et de quelles responsabilités les organisations disposent-elles pour contrôler la vie senti-mentale de leurs employés ? Q

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que Prenons le cas de l’ex P-DG de General Electric , Jack Welch , et de Suzy Wetlaufer. Ils se

sont rencontrés lorsque Wetlaufer interviewait Welch pour le Harvard Business Review, alors que Welch était toujours marié. Une fois leur relation connue, certaines personnes accusèrent Wetlaufer d’avoir manqué d’éthique en ne dévoilant pas leur relation alors qu’elle travaillait sur son article. Elle fi nit par quitter son journal. D’autres accusèrent Welch de mélanger sa vie personnelle avec les intérêts de General Electric et de ses actionnaires. Certains rejetèrent même la faute sur ce scandale pour expliquer la baisse des actions de GE.

Jack et Suzy ne travaillaient même pas pour la même entreprise. Qu’en est-il lorsque deux personnes travaillent ensemble dans la même unité de travail ? Tasha, par exemple, responsable du service comptable d’une entreprise de Chicago, commença à fréquenter Kevin, un de ses supérieurs. Leur relation amicale se transforma vite en relation senti-mentale. Kevin et Tasha étaient en concurrence au sein de l’entreprise. Au cours de cer-taines réunions, Kevin sous-entendait que Tasha et lui partageaient la même opinion sur certains sujets, même lorsque ce n’était pas le cas. En réaction, le patron de Tasha com-mença à l’écarter de certains projets clés. Tasha mit un terme à sa relation avec Kevin, qui essaya alors de la faire renvoyer. Tasha a indiqué : « Je me souviens de périodes où je passais mes nuits au bureau à photocopier des centaines de pages de mon travail pour prouver que les allégations [de Kevin sur son incompétence] étaient non fondées. Cela devint embarrassant parce que cela remettait en cause mon jugement professionnel. »

Ces exemples montrent que si les liaisons sentimentales relèvent des affaires privées, il est diffi cile d’empêcher qu’elles n’interfèrent avec les complexités politiques de la vie organisationnelle.

Sources : « Cupid in the Cubicle, Says New Vault Survey », Vault, Inc. (www.vault.com) ; Shellenbarger S., « The Nasty Downside of Offi ce Romances », The Wall Street Journal (www.wsj.com), 2005 ; Amber J., « Offi ce Romance » (www.yourpurelife.com).

5.10. Comment les managers peuvent-ils infl uencer l’humeur de leurs employés ?

En règle générale, dans le cadre familial ou amical, vous pouvez améliorer l’humeur des per-sonnes que vous côtoyez en leur projetant une vidéo amusante, en leur donnant un petit sac de sucreries ou même en leur faisant goûter un breuvage agréable81… Mais que peuvent faire les entreprises pour améliorer l’humeur de leurs employés ?

Les managers peuvent bien sûr utiliser l’humour ou donner aux employés des preuves de leur satisfaction lorsque leur travail est bien fait. Les recherches indiquent également que lorsque les leaders sont de bonne humeur, les membres sous leur responsabilité sont plus positifs et par conséquent coopèrent davantage82.

Enfi n, sélectionner dans une équipe des membres dont l’humeur est positive peut aussi avoir un effet contagieux sur les autres membres de l’équipe. En Grande-Bretagne, une étude

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menée sur une équipe professionnelle de cricket a mis en évidence que la bonne humeur des joueurs se communiquait aux membres de l’équipe et avait également une infl uence positive sur leurs performances83. Il devient alors évident que les managers ont tout intérêt à consti-tuer une équipe dont les membres ont une prédisposition naturelle à être de bonne humeur.

6. Perspectives internationales

L’intensité avec laquelle les émotions sont ressenties varie-t-elle selon la culture ? L’interpré-tation des émotions diffère-t-elle d’une culture à l’autre ? Enfi n, l’expression des émotions répond-elle aux mêmes normes dans toutes les cultures ? Nous allons voir ces trois questions l’une après l’autre.

6.1. L’intensité avec laquelle les émotions sont ressenties varie-t-elle selon la culture ?

La réponse est oui. Les Chinois, par exemple, disent éprouver moins d’émotions positives et négatives que les autres et ressentent ces émotions avec moins d’intensité. Comparativement à la Chine continentale, la façon dont les Taïwanais ressentent les émotions se rapproche plus de celle des Américains : ils éprouvent en moyenne plus d’émotions positives et moins d’émotions négatives que leurs homologues continentaux84. Les gens semblent ressentir des émotions positives et négatives dans la plupart des cultures, mais la fréquence et l’intensité de ces émotions varient selon la culture des personnes concernées85.

6.2. L’interprétation des émotions diffère-t-elle d’une culture à l’autre ?

Partout dans le monde, les êtres humains interprètent les émotions négatives et positives de façon quasiment identique. Nous considérons tous les émotions négatives telles que la haine, la terreur et la rage, comme dangereuses et destructrices. Et nous désirons tous connaître des émotions positives comme la joie, l’amour et le bonheur. Cependant, certaines cultures accordent plus d’importance à certaines émotions que d’autres. Les Américains attribuent ainsi une grande valeur à l’enthousiasme, tandis que les Chinois jugent les émotions néga-tives plus utiles et constructives que les Américains. La fi erté est généralement considérée comme une émotion positive dans les pays occidentaux individualistes comme les États-Unis, alors qu’elle est considérée comme indésirable dans les pays orientaux comme la Chine ou le Japon86.

6.3. L’expression des émotions répond-elle aux mêmes normes dans toutes les cultures ?

Pas du tout. Aux États-Unis comme au Moyen-Orient, les gens perçoivent le sourire comme un indicateur de bonheur. Mais au Moyen-Orient, ce sourire risque davantage d’être consi-déré comme un signe d’attirance sexuelle, si bien que les femmes ont appris à ne pas sourire aux hommes87. Dans les pays collectivistes, les individus croient plus volontiers que l’expres-sion d’une émotion se rapporte aux relations qu’ils entretiennent avec autrui, tandis que les habitants des pays individualistes ne pensent pas que l’émotion exprimée par quelqu’un

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136 Partie II – L’individu

puisse leur être adressée. Aux États-Unis, certaines préventions s’opposent à l’expression des émotions, surtout pour celles qui sont le plus intensément négatives. Les vendeurs français ont au contraire la triste réputation de se montrer désagréables envers les clients (ce qu’un rapport offi ciel a effectivement confi rmé). De froids acheteurs allemands se sont, quant à eux, déclarés rebutés par l’amabilité des agents d’accueil et la prévenance du personnel de Wal-Mart88.

En règle générale, et sans grande surprise, il est plus facile d’identifi er avec exactitude les émotions des gens issus de notre propre culture que celles des autres. Un homme d’affaires chinois comprendra ainsi plus facilement les expressions faciales d’un collègue de son pays que celles d’un collègue américain89.

Certaines cultures n’ont pas de mots pour désigner des émotions standard telles que l’an-xiété, la dépression ou la culpabilité. Le terme de tristesse, par exemple, n’a pas d’équivalent direct chez les Tahitiens ; lorsqu’un Tahitien est triste, son entourage attribue aussitôt son état à un trouble physique90.

Cet exposé illustre bien l’infl uence des facteurs culturels sur ce que les managers considè-rent comme émotionnellement approprié91. Ce qu’on accepte dans une culture peut sembler totalement incongru, voire anormal dans une autre. Si les managers veulent éviter d’émettre des signaux erronés ou de mal interpréter les réactions d’autrui, ils doivent donc connaître les normes émotionnelles de chacune des cultures avec lesquelles ils traitent. Un manager américain en visite au Japon devra savoir, par exemple, que si les Américains considèrent le sourire de façon positive, les Japonais estiment en revanche que sa répétition trop fréquente trahit un manque d’intelligence92.

Résumé

Les émotions et l’humeur sont similaires dans le sens où toutes deux sont des phénomènes affectifs. Mais ils présentent également des différences : l’humeur est plus générale et moins liée au contexte que les émotions. Les événements jouent également un rôle primordial. L’heure de la journée et le jour de la semaine, les événements stressants, les rapports sociaux et le sommeil sont tous des facteurs qui infl uent sur les émotions et l’humeur.

Les managers peuvent-ils contrôler les émotions de leurs collègues et de leurs employés ? La réponse est non. Les émotions font partie intégrante d’un individu. Ceux qui ignorent les composantes émotionnelles dans le comportement organisationnel et présument que ce comportement ne repose que sur des variables rationnelles se trompent lourdement. En d’autres termes, on ne peut dissocier les émotions du lieu de travail parce qu’on ne peut dis-socier les émotions des gens. Les managers qui ont compris toute l’importance des émotions améliorent grandement leur pouvoir de compréhension et de prédiction du comportement des individus.

Les émotions affectent-elles la performance au travail ? Oui. Elles peuvent y faire obstacle, en particulier si elles sont de nature négative. C’est sans doute la raison pour laquelle les organisations s’attachent à chasser les émotions du lieu de travail. Mais les émotions peuvent aussi dynamiser la performance, et cela de deux façons. Elles peuvent tout d’abord accroître

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le degré d’enthousiasme, et motiver ainsi les employés en vue d’une performance accrue. Ensuite, le travail émotionnel atteste que les sentiments peuvent directement relever du com-portement exigé au poste concerné. Ainsi, par exemple, la capacité à gérer positivement les émotions dans des postes de leadership, de ventes, ou impliquant des interactions avec la clientèle, apparaît-elle comme décisive pour réussir dans ces tâches. En même temps, les organisations qui cherchent à éviter les manifestations d’émotions positives, ou qui encou-ragent leurs employés à supprimer leurs émotions négatives peuvent constater que ces deux attitudes ont des répercussions sur leur main-d’œuvre.

Qu’est-ce qui différencie les émotions fonctionnelles des émotions dysfonctionnelles ? Bien qu’il n’existe pas de réponse univoque à cette question, il semble que la variable critique soit la complexité de la tâche de l’employé. Plus cette tâche est complexe, plus le degré d’excita-tion tolérable doit être bas, au risque de nuire à la performance. Bien qu’un certain niveau de stimulus soit probablement une condition sine qua non à une bonne performance, un niveau trop élevé altère les capacités de l’individu, ce d’autant plus que la tâche requiert des processus cognitifs réfl échis et précis. La tendance actuelle voulant que les emplois soient de plus en plus complexes, on comprend mieux pourquoi les organisations s’emploient à décourager toute expression manifeste des émotions, en particulier les émotions intenses, sur le lieu de travail.

Pour en savoir plusAndré C. et Lelord F., La Force des émotions, Odile Jacob, 2003, Paris.

Carter P. et Russell K., Tests de personnalité, Éditions d’Organisation, 2003, Paris, 2 tomes.

Cyrulnik B., Un merveilleux malheur, Éditions Odile Jacob, coll. « Poche », 2002, Paris.

Dantzer R., Les Émotions, PUF, coll. « Que sais-je ? », 3e édition, 2002, Paris.

Decker J.-F., Mieux connaître sa personnalité, Éditions d’Organisation, 2003, Paris.

Dubois N., La Psychologie du contrôle, Presses universitaires de Grenoble, 1987, Grenoble.

Gardner H., Les Formes de l’intelligence, Éditions Odile Jacob, 1997, Paris.

Goleman D., L’Intelligence émotionnelle 2. Cultiver ses émotions pour s’épanouir dans son travail, J’ai lu, 2003, Paris.

Kotsou I., Intelligence émotionnelle et management : Comprendre et utiliser la force des émotions, De Boeck Université, 2008, Bruxelles.

Lévy-Leboyer C., La Personnalité, Éditions d’Organisation, 2005, Paris.

Nuttin J., La Structure de la personnalité, PUF, 1985, 6e édition, Paris.

Sander D. et Scherer K. R., Traité de psychologie des émotions, Dunod, 2009, Paris.

Saunder L., L’Énergie des émotions – Comprendre les émotions pour mieux les utiliser en entreprise, Eyrolles, 2007, Paris.

Van Rillaer J., La Psychologie du quotidien, Odile Jacob, 2004, Paris.

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Activités

Débat

Les avantages et les inconvénients des règles d’affi chage émotionnel

Pour

Les organisations réalisent que des affaires fl orissantes impliquent de satisfaire un client par la qualité des service s offerts. Après tout, qui souhaiterait fi nir ses courses chez un épicier renfrogné ? Les recherches prouvent clairement que les organismes qui fournissent un bon service à la clientèle réalisent de meilleurs profi ts. Une grande partie de la formation des vendeurs consiste à défi nir les conduites à adopter en face des clients, pour que les employés se comportent avec les clients d’une manière amicale, utile, professionnelle.

Comme un directeur des cafés Starbucks le dit : « C’est notre passion pour ce que nous faisons qui rend Starbucks différent. Nous essayons de faire vivre aux gens une grande expé-rience, à travers un grand produit. C’est tout ce qui compte pour nous. » Le café de Star-bucks est peut-être bon, mais une grande partie de la croissance de l’entreprise s’explique également par la satisfaction des clients. Par exemple, les caissiers sont amicaux et fi nissent par connaître votre nom lorsque vous êtes un client régulier. Demander aux employés d’être amicaux est également une bonne chose pour eux. Les « forcer » à sourire peut réellement les aider à se sentir mieux. De plus, si quelqu’un estime qu’être forcé de sourire est mauvais, il n’a tout simplement pas sa place dans le secteur tertiaire.

Contre

Les organisations n’ont pas à essayer de contrôler les émotions de leurs employés. Les entre-prises ne doivent pas se comporter comme une « police de pensée » et forcer les employés à se sentir et à agir d’une façon qui serve uniquement les besoins de l’organisation. Les employés ayant un contact avec la clientèle doivent certes se montrer professionnels et courtois mais beaucoup d’entreprises leur demandent aussi de ne pas réagir face aux insultes, ce qui est aberrant. Comme l’a écrit Jean-Paul Sartre, nous avons la responsabilité d’être authentique envers nous-même. Les organisations n’ont aucun droit de nous demander d’être différents, à condition bien sûr de rester dans des limites raisonnables.

Les entreprises de service n’ont aucun intérêt à enseigner à leurs employés à servir de punching-ball. La plupart des clients pourraient même préférer que les employés soient eux-mêmes. Il est évident que les employés ne devraient pas être ouvertement méchants ou hos-tiles mais qui apprécie un sourire faux ? Pensez au vendeur de vêtements qui lorsque vous essayez un costume dans son magasin affi rme automatiquement que vous êtes « absolument magnifi que », alors que vous savez que ce n’est pas le cas et vous sentez que le vendeur ment. La plupart des clients préféreraient avoir affaire à une « vraie » personne qu’à quelqu’un de

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totalement asservi aux règles de bienséance de l’organisation pour laquelle il travaille. En outre, lorsqu’un employé ne voit pas l’intérêt d’arborer un sourire artifi ciel, le forcer à le faire est le meilleur moyen pour créer à terme un confl it entre lui et son employeur.

En conclusion, les recherches prouvent que défi nir des règles de conduite pour les employés représente un lourd tribut émotionnel. Personne ne peut sourire tout le temps ou accepter sans réagir les insultes proférées par des clients ou ses collègues. Les organisations peuvent améliorer la santé psychologique de leurs employés en les encourageant à être eux-mêmes, à condition bien sûr que certaines limites ne soient pas dépassées.

Questions de révision 1. Quelles diff érences et quels points communs notez-vous entre les émotions et l’hu-

meur ? Quelles sont les émotions de base et les dimensions fondamentales de l’humeur ? 2. Les émotions et les humeurs sont-elles rationnelles ? Quelles fonctions assurent-elles ? 3. Quelles sont les principales sources des émotions et des humeurs ? 4. Qu’est-ce que le travail émotionnel, et en quoi ce concept est-il important pour com-

prendre le comportement organisationnel ? 5. Qu’est-ce que la théorie des événements aff ectifs ? De quelle manière contribue-t-elle à

la compréhension des émotions ? 6. Qu’est-ce que l’intelligence émotionnelle, et quels sont les arguments qui attestent ou

qui contestent son importance ? 7. Quel eff et les émotions et les humeurs exercent-elles sur les diff érentes problématiques

liées au CO ? Si vous étiez manager, quelles mesures adopteriez-vous pour améliorer l’humeur de vos employés ?

8. L’intensité avec laquelle les émotions sont ressenties varie-t-elle selon la culture ? Leur interprétation diff ère-t-elle d’une culture à l’autre, et leur expression répond-elle aux mêmes normes dans toutes les cultures ?

Exercice de groupe

Trouvez les menteurs !

Nous avons discuté dans ce chapitre de la possibilité de déterminer les émotions à travers les expressions du visage. Plusieurs recherches ont entrepris de déterminer qu’il était possible de déceler un menteur à partir de ses expressions faciales. Voyons si vous pouvez en faire autant.

Formez des équipes (7 à 10 personnes) et suivez ces instructions :

1. Choisissez au hasard celui qui sera l’animateur. Demandez-lui d’écrire – sur plusieurs bouts de papier – soit la lettre « V » (pour vérité) soit la lettre « M » (pour mensonge). Dans le cas

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d’un groupe de 6 personnes (hors organisateur), six papiers devront être tirés au sort. Il est bien sûr essentiel que chaque membre de l’équipe garde le secret sur son tirage.

2. Chaque membre de l’équipe doit alors préparer une courte histoire le concernant, vraie ou fausse, selon ce qui est inscrit sur sa feuille. Il faut bien sûr essayer de trouver des affi rma-tions à la fois vraisemblables et étonnantes.

3. L’animateur demande alors à chaque participant de donner son récit. Pendant ce temps, les autres membres de l’équipe doivent le regarder très attentivement afi n de tenter de déter-miner s’il ment ou s’il dit la vérité. Une fois que chacun a raconté son récit, l’animateur fait procéder à un vote et synthétise les résultats.

4. Chacun des participants déclare alors si son histoire était vraie ou fausse.

5. Le groupe a-t-il pu démasquer les menteurs ? Certains ont-ils été de bons menteurs ? Qu’avez-vous essayé de repérer pour voir s’ils mentaient ?

Dilemme éthique

Y a-t-il un double standard émotionnel pour les hommes et les femmes au travail ?

Bien que nous ressentions tous des émotions, les normes modèrent leur expression en entreprise. On pourrait se demander si ces normes s’appliquent plus à un sexe que l’autre. S’opposent-elles à ce que les hommes montrent des émotions dites féminines comme la compassion, et les femmes sont-elles découragées de montrer des émotions dites masculines telles que l’hostilité, la colère ou la bravade ? En termes de manifestations émotionnelles et de décryptage des émotions chez les autres, femmes et hommes ne sont pas à égalité. Les femmes s’autocensurent moins que les hommes pour exprimer leurs émotions. Elles éprou-vent moins de gêne que ces derniers à laisser libre cours à leurs sentiments. Enfi n, elles les surpassent lorsqu’il s’agit de déchiffrer les indices non verbaux et paralinguistiques.

En réalité, et malgré ces apparentes qualités féminines, il y a bel et bien un double standard émotionnel. Des études démontrent de façon constante que l’expression de la colère ne fait qu’augmenter le statut des hommes alors qu’elle fait baisser celui des femmes. Une étude en particulier a mis en exergue le fait que les femmes managers qui montrent de la colère sont perçues comme ayant une personnalité hostile (« C’est une sorcière », « Elle ne se maîtrise pas »), alors que la colère des hommes est attribuée à des circonstances extérieures (« Il est sous pression », « C’est le comportement de son collègue qui a provoqué sa colère »).

Qu’en est-il du fait de pleurer au travail ? Les stéréotypes suggéreraient que cela ternirait davantage l’image des hommes que des femmes alors, qu’en réalité, il semble que ce ne soit pas le cas. Une étude réalisée à la Pennsylvania State University a démontré que pleurer à son travail est plus dommageable aux femmes qu’aux hommes.

D’une certaine manière, les femmes se retrouvent dans une situation de perdantes. D’une part, on attend d’elles qu’elles soient plus émotionnelles que les hommes, mais quand elles montrent ces émotions, elles sont pénalisées.

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Questions 1. Nancy Albertini, présidente d’un cabinet de chasseur de têtes, déclare  : « Les larmes

n’ont pas leur place sur le lieu du travail.  » Par ailleurs, Tory Johnson, P.-D.G. d’un cabinet de recrutement new-yorkais, pense que pleurer au travail est quelque chose de normal et que les gens doivent être eux-mêmes. Elle dit à ce sujet : « Il faut que les gens sachent qu’ils peuvent réagir naturellement à une situation. » Lequel de ces points de vue vous semble-t-il le plus exact ?

2. Si l’un(e) de vos collaborateurs (-trices) se mettait à pleurer en réunion, cela infl uence-rait-il votre jugement à son sujet ? Quels sont les facteurs que vous prendriez en compte pour faire son évaluation ?

3. Si vous étiez directement concerné(e) par une possible impasse en ce qui concerne les femmes montrant leurs émotions au travail, quelles actions spécifi ques mettriez-vous en œuvre pour changer la culture autour de vous, si vous étiez aux commandes ?

Sources : Brescoll V. L. et Uhlmann E. L., « Can an Angry woman get ahead ? », Psychological Science, 19, 3, 2008, p. 268-275 ; Warner L. R. et Shields S. A., « The perception of crying in women and men : Angry tears, sad tears, and the “right way” to cry », in Hess U. et Philppot P. (eds.), Group dynamics and emotional expression, New York, Cambridge University Press, 2007, p. 92-117.

Étude de cas n° 1

La colère de Laure

Un chercheur menant une étude sur les émotions dans les organisations a interviewé Laure, 22 ans, une représentante du service clientèle dans une grande entreprise. Voici un résumé de cet entretien (certaines questions paraphrasent les questions de l’intervieweur) :

Question : Comment décririez-vous votre lieu de travail ?

Réponse : Très froid, non productif, une atmosphère et un environnement, hum, très froids.

Question : Quels types d’émotions dominent dans votre organisation ?

Réponse : La colère, la haine envers les autres, envers les collègues.

Question : Il semble donc que les managers utilisent une tactique de la peur ?

Réponse : Ouais. La phrase favorite du directeur général, c’est « personne n’est indispensable ». Alors on pense : « Si je fais ça, je suis virée. »

Question : Comment survivez-vous dans cette situation ?

Réponse : Vous devez adapter vos émotions à la situation, en fait à chaque situation particu-lière… parce que dans un environnement aussi hostile, c’est la seule manière de survivre.

Question : Y a-t-il des émotions que vous devez cacher ?

Réponse : Les managers n’aiment pas qu’on montre ses émotions… Ils n’aiment pas qu’on montre que quelque chose va mal ou que quelque chose déclenche une émotion dans l’environ-nement professionnel.

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Question : Comment faites-vous pour supporter cela ?

Réponse : Je crois que je fais semblant d’agir… parce que si je montrais mes vraies émotions, surtout envers mes managers [Laure nomme deux de ses cadres supérieurs], ce serait parfois de la haine. Mais vous ne pouvez pas vous permettre de le faire parce que c’est votre travail et vous avez besoin d’argent.

Question : Vous rebellez-vous parfois contre ce système ?

Réponse : J’arbore un visage heureux juste pour ennuyer les managers. Je constate qu’ils n’ai-ment pas que l’on soit heureux, alors vous les gênez juste en étant heureux. Alors, ouais. Ça me fait rire. On fait juste « semblant », juste parce qu’on sait que ça les ennuie (le management). C’est assez vindicatif et manipulateur mais on a besoin de le faire.

Question : Est-ce que cela vous touche parfois ?

Réponse : Je me suis inquiétée au début et je pense que je me suis juste créé encore plus d’ennuis. Alors, maintenant, je me dis juste : « Je m’en moque. » Si vous vous dites quelque chose pendant assez longtemps, vous fi nissez par le croire. À un tel point que maintenant je dis juste « Ah, bien. »

Question : Avez-vous l’intention de continuer à travailler ici ?

Réponse : Mon contrat est presque fi ni. Alors chaque fois que je viens travailler je me rapproche de mon départ. Je me dis : « Une semaine de tirée, une semaine de moins avant que je ne m’en aille. » Mais si je n’avais pas ce but , je ne sais pas si je pourrais le supporter, ou même si je serais là maintenant.

Question : Travailler ici vous a-t-il apporté quoi que ce soit ?

Réponse : Je suis bien meilleure qu’avant pour rembarrer des personnes maintenant. Je peux remettre des gens à leur place en trois phrases à peu près. Avant, je serais partie d’ici. Mais maintenant je m’accroche et je me bats… Je ne sais pas si c’est une bonne chose ou une mauvaise chose.

Source : Perrone J. et Vickers M. H., « Emotions as Strategic Game in a Hostile Workplace: An Exemplar Case », Employee Responsibilities and Rights Journal, 16, no 3, 2004, p. 167-178.

Questions 1. Pensez-vous que les réponses de Laure sur la culture de son organisation sont justifi ées ?

Pourquoi ? 2. Pensez-vous que la stratégie que Laure utilise pour masquer et manifester ses émotions

serve à la protéger ? 3. À supposer que la description que donne Laure soit exacte, comment réagiriez-vous,

vous, à la culture de cette organisation ? 4. Les recherches prouvent que les émotions négatives des employés sont plus causées

par les actes de leurs collègues (37 %) et du management (22 %) que par les actes des clients (7 %). Qu’est-ce que l’entreprise de Laure pourrait faire pour changer son climat émotionnel ?

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Étude de cas n° 2

Apprendre à décoder les expressions faciales

Comme nous l’avons déjà mentionné, certains chercheurs – le psychologue Paul Ekman étant le plus connu de tous – se sont demandé si les expressions faciales traduisaient des émotions réelles. Ils ont notamment distingué les vrais sourires (dits « de Duchenne », d’après le nom du médecin français Guillaume Duchenne) et les sourires « feints ». Duchenne avait éta-bli que les sourires authentiques relevaient non seulement les commissures des lèvres (ce qu’on pouvait facilement simuler) mais qu’ils contractaient également les muscles des joues et des yeux (beaucoup plus diffi cile à contrefaire). Pour déterminer si une personne était véritablement joyeuse ou amusée, l’un des moyens possibles consistait donc à observer les mouvements des muscles autour des paupières et des pommettes – si les yeux du sujet se plissent et pétillent, son sourire est authentique. Ekman et ses collègues ont élaboré des tech-niques similaires pour déceler d’autres émotions comme la colère, le dégoût ou la détresse. Ils ont baptisé leur méthode du nom de Facial Action Coding System (FACS). Pour identifi er des émotions réelles, la clé consiste selon Ekman à se concentrer sur les micro-expressions, autrement dit sur ces muscles du visage qu’il nous est impossible de manipuler facilement.

Dan Hill s’est servi du FACS pour étudier les expressions faciales de plusieurs P.-D.G. et a constaté des différences radicales non seulement dans leurs sourires de Duchenne mais aussi dans le ratio entre les expressions positives et négatives qu’ils pouvaient affi cher. Il a analysé de la sorte les expressions faciales de quelques grands patrons :

Jeff Bezos, Amazon 51 % de positives

Warren Buffet, Berkshire Hathaway 69 % de positives

Michael Dell, Dell Computers 47 % de positives

Larry Ellison, Oracle 0 % de positives

Bill Gates, Microsoft 73 % de positives

Steve Jobs, Apple 48 % de positives

Phil Knight, Nike 67 % de positives

Donald Trump, The Trump Organization 16 % de positives

Questions

1. La plupart des recherches indiquent que nous ne sommes pas très doués pour détecter le mensonge alors que nous pensons l’être ! Croyez-vous que le FACS puisse améliorer votre capacité à détecter les mensonges d’autrui ?

2. Pensez-vous que les informations présentées dans cette étude de cas pourraient vous aider à déterminer l’authenticité d’un sourire ?

3. Votre sentiment vis-à-vis des expressions faciales des huit grands patrons correspond-il aux constatations du chercheur ? Dans le cas contraire, comment expliquez-vous l’écart entre vos impressions et ses observations ?

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4. Une étude a montré que la manière dont les gens évaluaient l’aff ect positif exprimé par le visage d’un P.-D.G. ne présentait guère de corrélation avec les profi ts de son entre-prise. Cela vous incite-t-il à penser que l’analyse de Hill n’aurait aucune importance ?

5. En supposant que vous puissiez apprendre à mieux détecter les véritables émotions révélées par les expressions faciales, pensez-vous que ce serait profi table pour votre car-rière ? Pourquoi ?

Sources : D’après Ekman P., Telling Lies: Clues to Deceit in the Marketplace, Politics, and Marriage, New York, W. W. Norton & Co, 2009 ; Jones D., « It’s Written All Over Their Faces », USA Today, 25 février 2008, p. 1B-2B ; Rule N. O. et Ambady N., « The Face of Success », Psychological Science, vol. 19, no 2, 2008, p. 109-111.

Fiche-outil : s’entraîner à décoder les émotions

Saisir les émotions ressenties par autrui est loin d’être facile. Mais l’on peut néanmoins apprendre à les déchiffrer. Il faut, pour ce faire, s’attacher aux signaux verbaux, non verbaux et paralinguistiques.

1. Demander quelles émotions ressentent les individus. Le chemin le plus court pour savoir ce qu’une personne ressent est de le lui demander. Une question du genre « Allez-vous bien  ? Quel est le problème  ?  » apporte souvent suffi samment d’informations pour apprécier l’état émotionnel d’un individu. Mais une réponse purement verbale a deux inconvénients. Tout d’abord, nous sommes très souvent peu enclins à dévoiler des traits de ce qui relève de l’intimité et préférons répondre selon les attentes sociales. De sorte que nous sommes réticents à manifester nos sentiments réels. Ensuite, quand bien même nous voudrions faire état verbalement de nos vrais sentiments, nous pourrions en être incapables. Certaines personnes ont en eff et de telles diffi cultés à comprendre leurs propres émotions qu’elles sont incapables de les exprimer. Aussi les réponses ver-bales ne fournissent-elles, au mieux, que des informations partielles.

2. Chercher les signaux non verbaux. Tout en discutant avec un collègue, observez sa ges-tuelle : la rigidité de son corps, les dents serrées et les muscles faciaux tendus vous en disent sûrement long sur son état émotionnel. Les expressions faciales, les gestes, les mouvements du corps et la distance physique sont autant d’indices non verbaux riches d’informations sur les émotions ressenties. Observez les diff érences dans les singula-rités faciales  : la hauteur des joues, les sourcils levés ou rabaissés, l’inclinaison de la bouche, la position des lèvres, les muscles entourant les yeux. Même une attitude aussi subtile que la distance que met la personne entre elle et vous renseigne sur ses senti-ments, ou l’absence de sentiment, d’intimité, d’agressivité, de répulsion ou de retrait.

3. Observer la façon dont les choses sont dites. Alors que vous êtes en train de discuter avec un collègue, vous remarquez un changement soudain dans le ton de sa voix et sa vitesse d’élocution. C’est la troisième source d’informations sur les émotions : le paralangage. C’est une forme de communication qui va au-delà des seuls mots prononcés. Elle inclut le ton, l’amplitude, la vitesse et la qualité de l’élocution. Le paralinguisme rappelle que l’on véhicule nos sentiments non seulement par ce que l’on dit, mais aussi par la façon dont on le dit.

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