chapitre 2-3-savoir savant

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Thèse de doctorat/Philippe de Carlos/3-11-2015 - II /Chapitre 3 129 DEUXIÈME PARTIE : L’OBJET D’ÉTUDE Chapitre 3 Le savoir savant actuel : synthèse des données scientifiques sur la Préhistoire Introduction Après avoir fait un point sur les représentations historiques de la Préhistoire, il nous a semblé pertinent de faire une présentation succincte des connaissances actuelles pour pouvoir aborder, dans le chapitre suivant, la question du savoir à enseigner à travers l’analyse des manuels scolaires. 1 L’évolution humaine La question de la classification phylogénétique humaine est très complexe et constitue pour les enseignantes que nous avons rencontrées lors de nos passations, un véritable casse-tête au point qu’elles disent toutes qu’elles sont totalement perdues. À leur décharge, cette question est réellement épineuse et surtout l’objet d’un renouvellement permanent de la part de la recherche, ce qui nécessite une mise à jour continue. En témoigne un nouvel article, au moment où nous écrivons ces lignes sur la découverte d’outils qui seraient vieux de 3,4 millions d’années, ce qui recule la date des premiers objets fabriqués et les rendent contemporains, non plus d’Homo habilis, mais d’australopithèques. Une telle infirmation peut paraître anecdotique, mais en arrière-plan, c’est toute la question de ce qui caractérise le premier « Homme » qui doit se redéfinir. Cette question est un enjeu central en Préhistoire, car elle permet de nous penser en tant qu’humains et donc par rapport au reste du monde animal, mais aussi de préciser à partir de quel moment, il est possible de parler d’humains dans cette longue histoire de l’évolution. Deux approches complémentaires sont nécessaires. La première consiste à discuter sur ce qui caractérise l’Homme. Plusieurs critères sont possibles : - La bipédie : au vu des recherches actuelles et contrairement à ce qui peut être encore véhiculé, la marche à quatre pattes des singes actuels est une évolution particulière de leur branche. Nos ancêtres communs devaient vraisemblablement posséder la locomotion bipède

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Thèse de doctorat/Philippe de Carlos/3-11-2015 - II /Chapitre 3   129  

DEUXIÈME PARTIE : L’OBJET D’ÉTUDE

Chapitre 3

Le savoir savant actuel : synthèse des données scientifiques sur la

Préhistoire

Introduction

Après avoir fait un point sur les représentations historiques de la Préhistoire, il nous a semblé

pertinent de faire une présentation succincte des connaissances actuelles pour pouvoir aborder, dans

le chapitre suivant, la question du savoir à enseigner à travers l’analyse des manuels scolaires.

 

1 L’évolution humaine

La question de la classification phylogénétique humaine est très complexe et constitue pour les

enseignantes que nous avons rencontrées lors de nos passations, un véritable casse-tête au point

qu’elles disent toutes qu’elles sont totalement perdues.

À leur décharge, cette question est réellement épineuse et surtout l’objet d’un renouvellement

permanent de la part de la recherche, ce qui nécessite une mise à jour continue. En témoigne un

nouvel article, au moment où nous écrivons ces lignes sur la découverte d’outils qui seraient vieux

de 3,4 millions d’années, ce qui recule la date des premiers objets fabriqués et les rendent

contemporains, non plus d’Homo habilis, mais d’australopithèques. Une telle infirmation peut

paraître anecdotique, mais en arrière-plan, c’est toute la question de ce qui caractérise le premier

« Homme » qui doit se redéfinir. Cette question est un enjeu central en Préhistoire, car elle permet

de nous penser en tant qu’humains et donc par rapport au reste du monde animal, mais aussi de

préciser à partir de quel moment, il est possible de parler d’humains dans cette longue histoire de

l’évolution. Deux approches complémentaires sont nécessaires.

La première consiste à discuter sur ce qui caractérise l’Homme. Plusieurs critères sont possibles :

- La bipédie : au vu des recherches actuelles et contrairement à ce qui peut être encore

véhiculé, la marche à quatre pattes des singes actuels est une évolution particulière de leur

branche. Nos ancêtres communs devaient vraisemblablement posséder la locomotion bipède

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et le plus vieil exemple connu remonte à 7 millions d’années avec Sahelanthropus (Toumaî).

En d’autres termes, la lignée humaine a évolué vers la marche bipède verticale et d’autres

vers la marche à quatre pattes. Mais le problème est qu’aucun de nos prédécesseurs ne

possède une bipédie exclusive (totale) qui permettrait d’en faire un critère indiscutable pour

faire débuter le genre Homo.

- Les outils : les premiers exemples dataient d‘environ 2,6 millions d’années1 avec plusieurs

candidats comme l’australopithèque, le paranthrope et les premiers Homo puisqu’ils en

auraient tous produits.

- La tradition technique : les premières chaînes opératoires correspondraient à l’Homo

ergaster vers 2 millions d’années.

- Le langage : les empreintes cérébrales ne sont pas suffisantes pour affirmer que tel ou tel

individu possédait ou pas le langage. Les connexions et les organisations cérébrales devaient

être très différentes, ce qui n’a pourtant pas empêché nos prédécesseurs de se transmettre

des techniques donc, des savoirs. Soit nous considérons que l’existence d’un apprentissage

sous-tend un langage quelconque, soit nous estimons que la seule preuve tangible reste la

présence d’un os hyoïde, à condition de le retrouver.

- Le cerveau : la taille du cerveau n’est pas liée à l’intelligence et il nous est impossible de

déterminer un palier pour affirmer qu’à tel moment, nous avons affaire à un Homme et plus

à un pré-humain.

Ces éléments ont l’intérêt de pouvoir constituer la matière première d’une problématisation au sens

où Cariou et Doussot l’entendent.

La seconde approche réside dans la discussion de la classification phylogénétique humaine

proposée par Guillaume Lecointre (2006) du Muséum national d’histoire naturelle de Paris. La

révision proposée par ce chercheur consiste à prendre en compte le degré de parenté entre les

espèces et s’oppose à l’ancienne classification. Elle est normalement au programme en cycle 3 et

dans le secondaire, mais concernant la lignée humaine, elle est sujette à discussion dans le monde

de la recherche (Barriel)2. Toujours est-il que pour l’homme, on ne parle plus de descendance, mais

                                                                                                               1 Au moment où nous écrivons ces lignes, une découverte en Afrique situe les premiers outils à 3,3 millions d’années, c’est-à-dire à l’époque des australopithèques. L’outil ne serait donc plus le propre du genre Homo (article en ligne consulté le 20 mai 2015) : http://www.sciencesetavenir.fr/archeo-paleo/20150415.OBS7280/on-aurait-decouvert-les-plus-anciens-outils-au-monde.html 2 Véronique Barriel, Hominoïdés, Hominidés, Homininés et les autres (article en ligne consulté le 12 avril 2015) : http://www.snv.jussieu.fr/vie/dossiers/evolution/ligneehumaine/homo.htm#biblio

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de parenté, ce qui implique que les arbres qui sont proposés ne sont pas généalogiques, mais qu’ils

reflètent des proximités en fonction de leurs caractères (voir figure 17) 3.

Les membres de la lignée humaine se composent, pour le moment de six espèces différentes

d’australopithèques4, trois espèces de paranthropes et les Homo… dont nous sommes les seuls

survivants.

Les australopithèques (entre 4,2 et 2,9 millions d’années) ont une faible capacité crânienne (350 à

450 cc) et conservent de nombreux caractères primitifs avec toutefois une organisation du cortex

cérébral qui se rapproche plus de l’Homme que du chimpanzé et une station bipéde plus nette que

chez les singes actuels. Lucy est un australopithèque connu.

Les paranthropes (entre 2,5 et 1 million d’années) ont une capacité crânienne plus importante que

celle des australopithèques (550 à 600 cc). Ils sont caractérisés par une mâchoire robuste, de très

grosses molaires et prémolaires et d’importantes arcades zygomatiques, ce qui montre qu’ils

devaient beaucoup mastiquer. Ils ont dû alterner bipédie et arboricolisme comme les

australopithèques.

                                                                                                               3 Nous renvoyons au site de l’ENS Lyon où Pascal Picq et Monique Dupuis présentent en détail cette question avec de nombreux documents et outils didactiques : http://acces.ens-lyon.fr/evolution/evolution/enseignement-de-levolution/syntheses-mises-au-point/lignee-humaine/la-lignee-humaine#genre (consulté le 19 avril 2015). 4 Si l’on compte Australopithecus deyrimeda découvert le 25 mai 2015.

Figure 17 - Phylogénie humaine

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Homo habilis est le premier du genre Homo (entre 2,5 et 1,5 millions d’années). Sa capacité

crânienne est plus importante (plus de 600 cc), un crâne plus arrondi, des mâchoires plus fines et

une bipédie presque exclusive. Il est l’inventeur des outils classés sous le nom de culture

Oldowayenne. Avec Homo habilis, on trouve Homo rudolfensis dont la bipédie serait plus évoluée

qu’Habilis. Les deux ont été contemporains ainsi que des paranthropes comme Homo ergaster qui

apparaît sur la scène du monde lorsque les autres sont sur leur déclin vers 1,6 millions d’années.

Ergaster est plus proche de l’homme moderne : environ 1,70 mètres, bipédie exclusive (il n’est plus

arboricole), capacité crânienne très importante (plus de 800 cc), taille d’outils complexe (première

chaîne opératoire5). Il quitte l’Afrique vers 1,8 million d’années et se répand vers l’Asie et vers

l’Europe. En chemin, il donne vraisemblablement Homo erectus (pour l’Asie) et Homo

heidelbergensis (pour l’Europe). Heidelbergensis est un pré-néandertalien (et pas un erectus comme

cela est mentionné dans les manuels scolaires pour Tautavel) et donne naissance à Homo

neanderthalensis (100 000 / 30 000 ans). Tandis que des erectus ont dû faire retour arrière vers

l’Afrique…un nouvel Homo apparaît et sort d’Afrique : Homo sapiens vraisemblablement issu de

l’évolution d’Ergaster. Il colonise le monde entier, rencontre Néandertal, se mélange partiellement

… puis reste le seul représentant Homo6 sur la planète, puisque Néandertal disparaît vers 30 000

ans.

La lignée humaine s’est aussi enrichie deux nouveaux arrivants antérieurs aux australopithèques :

Sahelanthropus tchadensis (7 millions d’années) qui s’appelle aussi ToumaÏ et Orrorin tugenensis

(6 millions d’années). Les deux seraient partiellement bipèdes.

Au regard de cette courte présentation, il est possible de comprendre que le fait d’enseigner des

dates et des faits préhistoriques7, doit être soigneusement pensé en termes didactiques, car c’est

prendre le risque de proposer aux élèves un savoir biodégradable, souvent inexact, avec une date de

péremption très courte. Plusieurs concepts nécessitent une clarification :

- La différence entre un « ancêtre » et un « intermédiaire » ce qui permet d’aborder la

conception de « chaînon manquant » et la notion de « caractères » partagés pour parler de

parenté. L’utilisation des documents adéquats en classe permet d’aborder cette question de

façon adaptée à l’âge des enfants.

                                                                                                               5 Il s’agit de la succession des gestes techniques qui permettent de réaliser un objet. 6 Étant donné que les Homo sapiens se sont mélangés aux Homo neanderthalensis, certains chercheurs considèrent les représentants actuels du genre Homo comme des Homo sapiens sapiens. Ce terme correspondrait donc à la version Homo sapiens depuis la disparition de Néandertal. 7 Nous entendons par « fait préhistorique » les périodes, les hommes, les événements et les objets présents dans les frises des manuels.

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- La notion de « généalogie » au regard de celle d’« ancêtre » et donc de « phylogénie ». Les

données scientifiques et la classification ne permettent pas de définir qui descend de qui. Il

n’existe donc pas de généalogie et donc d’ancêtres. Il ne s’agit pas de présenter qui descend

de qui, mais qui est le plus proche de qui.

- Qu’est-ce un arbre phylogénétique ? Les manuels scolaires en élémentaire ne proposent

aucun arbre de cette sorte, mais des généalogies. Construire un arbre phylogénétique avec

ses élèves permettrait de prendre de la distance par rapport aux représentations des manuels,

de construire une problématisation, d’introduire à la démarche scientifique, d’impliquer les

élèves dans une expérience de recherche avec un travail en équipe (socioconstructivisme),

de manipuler concrètement des concepts, d’illustrer des notions théoriques en les rendant

accessibles et compréhensibles.

Comme nous le constaterons dans le chapitre suivant, l’évolution humaine est présentée sous la

forme de filiations, avec par ailleurs un nombre de représentants de la lignée humaine, qui frise la

portion congrue (Chapitre 4, Étude 1b, p.13-21).

2 Le temps

La chronologie de la Préhistoire articule plusieurs critères : des périodes chronologiques (des dates),

des périodes climatiques (isotopiques), des cultures techniques, des types d’hommes (évolution

humaine), des innovations (des événements préhistoriques) :

- Paléolithique archaïque (3 millions d’années – 1,6 million d’années) : il concerne

essentiellement l’Afrique et débute avec la culture oldowayenne.

- Paléolithique inférieur (1,6 million d’années – 300 millions d’années) : il concerne l’Europe.

Une période avec des climats glaciaires en alternance avec des phases tempérées. C’est

l’arrivée de populations venues d’Afrique et d’Asie et l’époque de Tautavel. La culture

technique principale est l’Acheuléen (mais il y a aussi le Clactonien, le Tayacien et le

Colombanien) et c’est le moment de la découverte du feu (Terra Amata).

- Paléolithique moyen (300 000 – 35 000) : c’est une alternance entre une période

interglaciaire et glaciaire. Il correspond en Europe à l’homme de Néandertal. C’est

l’apparition des premières sépultures. La culture technique est le Moustérien (mais il y a

aussi le Micoquien et le Pontinien).

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- Paléolithique récent (35 000 – 12 000) : c’est la fin de la dernière période glaciaire, la

disparition de Néandertal et l’arrivée d’Homo sapiens dit « Cro-Magnon ». De nombreuses

innovations apparaissent, techniques et artistiques mais aussi dans la façon de vivre (social)

ou en matière de croyances. Le Paléolithique récent correspond à de nombreuses cultures

techniques qui constituent elles-mêmes des sous-périodes : Proto-Aurignacien (elle serait la

première culture d’Homo sapiens), Aurignacien, Gravettien, Solutréen, Badegoulien et

Magdalénien. Chaque culture, chaque technique a ses fossiles directeurs. Des typologies

permettent d’identifier et de dater les objets

- Épipaléolithique - Mésolithique (12 000 – 7 000 en France) : c’est une sorte de Paléolithique

final qui coïncide avec l’Holocène, c’est-à-dire l’interglaciaire qui perdure aujourd’hui. Ce

sont les prémisses du Néolithique.

- Néolithique (7 000 – 2 100) : cette période est radicalement différente des périodes

précédentes avec l’apparition et la généralisation d’un mode de vie nouveau fondé sur la

sédentarisation, l’agriculture, l’élevage. L’origine de ces transformations se situe au Proche-

Orient avec une explosion démographique et l’expansion de groupes humains via le Danube

(vers 5 500) et via la Méditerranée (entre 5 900 et 5 600).

- La protohistoire : le Néolithique disparaît en 2 100 avec l’apparition de la métallurgie du

cuivre (Chalcolithique : 2 500-1 800) et surtout de l’Âge du Bronze puis du Fer. Ce sont

aussi des changements radicaux dans les modes de vie et de même que l’on parle souvent de

« révolution néolithique », nous pourrions parler de « révolution métallurgique ».

En cycle 3, et en particulière CE2, la question du temps est très compliquée car les élèves ne

disposent pas encore de tous les outils psychologiques pour appréhender et conceptualiser la durée,

surtout sur de grandes durées. C’est l’âge des opérations concrètes pour Piaget et le stade catégoriel

pour Vygotski. Il est important que les élèves puissent appréhender le temps étape par étape en

commençant par l’expérimenter physiquement. Selon Piaget, « le temps psychologique, subjectif et

intuitif de la perception immédiate suppose d’être objectivité en un temps physique et intellectuel »

(Cariou, 2012, p. 138) ; c’est pourquoi il est nécessaire d’envisager des dispositifs qui permettraient

une lecture diachronique et synchronique, de travailler la simultanéité des faits, de figurer les cycles

et les régressions, d’assimiler ce qu’est une échelle et surtout de comprendre les critères qui

permettent d’établir une périodisation.

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3 Le climat

Le climat préhistorique est constitué d’une succession de périodes froides dites glaciaires et de

réchauffements dits interglaciaires et interstades. La dernière grande période glaciaire est le Würm

III qui démarre entre 11 0000 et 70 000 BP8 et s’achève vers 18 000 BP (Djindjian et al., 2009).

L’inlandsis (calotte glaciaire) est en Europe et l’on trouve sur le nord de la France à sa périphérie

des zones de toundra9 puis de taïga10 et de sols gelés (pergélisols) comme de nos jours en Russie et

au Canada, avec une faune froide dans le nord des Pyrénées et des Alpes (renne, mammouth,

rhinocéros laineux, auroch, bison, cheval de Przewalski, antilope Saïga). À partir de 18 000 BP

(Tardiglaciaire), le climat se réchauffe progressivement et la steppe laisse place peu à peu à des

forêts clairsemées de feuillus. Cette période est entrecoupée de brefs retours au froid sec (les

Dryas I à III). Toutefois les changements sont lents et, entre 18 000 et 13 000 BP, le climat reste de

type glaciaire et la végétation steppique. C’est l’époque de Lascaux (17 000 BP). Le climat actuel

commence vers 10 000 BP avec la période du Préboréal : c’est la fin du Pléistocène et le début de

l’Holocène. Le Paléolithique supérieur (35 000-10 000 BP) est la période de la Préhistoire qui

correspond à l’arrivée en Europe de l’Homme anatomiquement moderne, appelé aussi Cro-Magnon.

Le début du Paléolithique supérieur est une période de cohabitation et de mélange avec l’homme de

Néandertal qui disparait vers 30 000 BP11.

4 L’alimentation

Les préhistoriques de cette époque sont des chasseurs-cueilleurs semi-nomades. Ils ne sont pas dans

une économie de survie, mais au contraire dans une économie d’abondance. Les hommes doivent

vraisemblablement chasser quelques heures par jour (ce qui correspond à environ 30 % de l’apport

alimentaire du groupe) tandis que les femmes, en plus de s’occuper des enfants (avec les

« anciens »), exercent de nombreuses activités (certaines sont sans doute partagées avec les

hommes) dont la collecte du reste de la nourriture (cueillette, chasse de petits animaux,

charognage), et les activités « artisanales » (taille du silex, feu, tressage des fibres végétales,

peinture, etc.). Contrairement à ce que l’on peut imaginer, ces hommes sont bien portants et certains

                                                                                                               8 BP (Before Present) est utilisé pour compter les années à partir de 1950, année de référence pour les essais de datation au carbone 14. 9 Terrain dépourvu d'arbres et couvert de lichens et mousses. 10 Forêt peu épaisse constituée de pins et de bouleaux nains. 11 Dans un article du 21/08/2014 de Sciences et Avenir, Néandertal aurait plutôt disparu entre – 39 000 et – 41 000 ans. Cette question est encore en débat. http://www.sciencesetavenir.fr/decryptage/20140821.OBS6884/neandertal-a-disparu-plus-tot-que-prevu.html (Consulté le 17 avril 2015).

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problèmes de santé contemporains comme le cancer, la tuberculose ou la carence

nutritionnelle n’existent pas.

L’examen des témoins osseux sur les différents sites préhistoriques français montre que le renne est

en Europe occidentale l’animal qui domine très clairement l’ensemble des restes de faune, suivi du

cheval au Magdalénien12 (Bignon, 2007 et 2008). L’art pariétal ne reflète pas le régime alimentaire

des préhistoriques puisque le renne est sous représenté au profit d’animaux moins consommés

comme le bison très présent ou d’autres comme le mammouth (concentré dans certaines grottes

comme Rouffignac), le bouquetin, le cerf... Le cheval, par contre, est le premier animal à figurer

dans l’art (Fritz et Tosello, 2001 ; Pozzi 2004 ; Azéma, 2006) tout en étant très consommé. L’art

pariétal est avant tout une représentation sociale et culturelle de groupes humains, appuyée sur une

parfaite connaissance des caractéristiques physiques des animaux dessinés. Les types d’animaux

chassés ont dû aussi varier en fonction du groupe et de son environnement. À l’exception du

poisson, qui a été très consommé à partir du Magdalénien (présence de harpons), nous possédons

peu d’information sur d’autres types d’aliments comme les oiseaux, les œufs, les insectes et bien

sûr les plantes. Les apports en glucides étaient limités, car les produits sucrés n’existaient pas, à part

le miel qu’ils ont certainement collecté (Delluc, 1997).

5 Les actions

5.1 Les actions de l’homme et de la femme de Cro-Magnon : la femme au cœur de la

représentation de l’Homme.

Pour les périodes préhistoriques, il est difficile de dire quel a pu être le rôle joué par l’un ou l’autre

sexe étant donné la minceur des données scientifiques.

La plus ancienne femme fossile retrouvée, Lucy, n’est pas une femme, car les restes (40 % du

squelette) ne permettent pas de déterminer le sexe de l’individu qui a vécu il y a environ 3 millions

d’années dans l’Est africain. Les critères sur lesquels se fondent les préhistoriens sont le

dimorphisme sexuel (notamment la forme du bassin) et la gracilité des os, ce qui n’est pas possible

chez Lucy. Son nom a été attribué par les chercheurs à l’époque où sortait la célèbre chanson des

Beatles et cette notoriété, ajoutée au fait qu’il s’agissait du plus ancien ancêtre retrouvé, a contribué

a forger le mythe de la mère de l’Humanité en faisant de Lucy la mère primitive et originelle : une

Ève scientifique en surimpression de l’Ève biblique. À Lucy s’est ensuite rajoutée l’« Ève

mitochondriale » (1987), une abstraction génétique qui est le nom donné à l’ancêtre le plus récent

                                                                                                               12 Époque de Cro-Magnon et de Lascaux.

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par lignée maternelle de tous les êtres humains actuels13. Lucy comme l’Ève mitochondriale révèle

à quel point, en matière de femme préhistorique, le poids du mythe est important même quand il

s’agit de science !

Plus récemment, avec le site de la Caune de l’Arago à Tautavel (vers 450 000 ans en France) et de

la Sima de los Huesos à Atapuerca (vers 350 000 ans en Espagne), la découverte de nombreux

squelettes, dans ce de ce qui sont vraisemblablement des lieux de vie d’anténéandertaliens, nous

renseigne un peu plus. Le dimorphisme sexuel14 s’est largement atténué, ce qui laisse supposer une

diminution de l’importance de la force physique et une complexification de la structure

familiale/sociale et des rôles que l’on peut relier à l’utilisation du feu, la pratique de la chasse

organisée, le développement des techniques de taille et l’augmentation du volume crânien.

Du côté de Néandertal (125 000 – 30 000 environ), les données restent insuffisantes pour permettre

une identification sexuée des rôles. Nous savons simplement qu’il s’agit d’une société très élaborée,

au même titre que la société des hommes modernes, et qu’à travers les rites funéraires une attention

particulière était portée aux individus, quel que soit leur sexe ou leur âge.

C’est au Paléolithique supérieur (35 000 – 10 000 BP), avec l’Homme moderne (dit « Cro-

Magnon ») que l’on trouve de très nombreuses représentations féminines, dans l’art comme dans la

sculpture et la gravure. Le thème et la qualité des images et des symboles varient selon le matériau :

silhouettes, vulves, triangles pubiens, mais aussi de petites statuettes15, les « vénus » stéatopyges ,

caractérisées par une mise en valeur particulièrement exagérée du sexe, des fesses, des seins et de la

poitrine. Ces célèbres représentations féminines, caractéristiques d’une des périodes de la

Préhistoire, le gravettien, se distinguent par l’homogénéité du style et la grande répartition

géographique qui couvre toute l’Europe de l’Atlantique à la Sibérie, ce qui témoigne de l’existence

d’un système idéologique partagé par de nombreux groupes humains. Certains y ont vu la

représentation d’une déesse mère et d’un culte à la fertilité (en rapport avec les signes féminins de

l’art pariétal), ce qui rappelle la théorie matriarcale du XIXe siècle (Bachofen, 1861). Cependant,

Claudine Cohen (2003) remet en cause l’image de la femme qui allaite pendant que l’homme va

chasser. Comme Lewis Binford (1962)16, elle souligne le fait que la chasse est une activité qui a pu

                                                                                                               13 L’étude génétique a donné lieu à de vives critiques méthodologiques : dans l’échantillon, les populations africaines étaient représentées par des afro-américaines et la question de « l’horloge moléculaire » a été plusieurs fois révisée. 14 Chez les primates, la différence de stature entre mâle et femelle est liée à la dominance mâle. 15 Certaines sont sculptées (Laussel, Roc-aux-Sorciers) ou gravées (Cussac). 16 Lewis Binford (1931-2011) est un archéologue américain. C’est l’un des fondateurs de la New Archaeology dans les années 60 et l’un des initiateurs de l’ethnoarchéologie.

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apparaître tardivement au profit du charronnage et de la cueillette, ce que pouvaient pratiquer

indistinctement les deux sexes. Rien n’indique non plus que la femme n’ait pas été l’artisane-

tailleuse de silex ou l’artiste-peintre des grottes ornées. Des traces de pas dans les grottes

préhistoriques prouvent qu’elles ont été visitées par des hommes, mais aussi par des femmes et des

enfants. La différenciation sexuelle a dû très tôt conduire à une répartition des tâches sans pour

autant conduire, au Paléolithique, à une division cloisonnée en fonction du genre.

Avec le Néolithique puis l’apparition du métal, les choses changent radicalement. La période du

Néolithique est caractérisée par la sédentarisation, le développement de l’agriculture et de l’élevage,

mais aussi l’expression d’un art géographiquement et quantitativement important avec une

abondance de représentations humaines dont féminines17, comme les statues-menhirs. Cette société

commence à devenir inégalitaire (Demoule, 2012) et porte en elle le germe de la guerre. Il n’existe

tout au plus une douzaine de preuves de marques de blessures concernant Néandertal et Cro-

Magnon au Paléolithique supérieur mais aucune ne permet d’attester si elles proviennent de conflits

entre personnes 18 . Pour cette période, il n’existe aucune preuve de conflits intra- ou

intercommunautaires. Il semble même que les relations étaient basées sur des comportements

coopératifs : la population de l’Europe est évaluée à quelques milliers d’individus, sans doute

répartis en petits groupes, pour lesquels des comportements collaboratifs étaient en terme

d’adaptation plus favorables à leur survie, qu’une stratégie basée sur la violence19. À la charnière

entre le Paléolithique et le Néolithique, les traces de violence sont plus abondantes, puis les conflits

intercommunautaires deviennent manifestes à partir du Néolithique (vers 5 500 ans) et fréquents

avec l’apparition du métal20 ; à l’Âge du Bronze , la guerre est institutionnalisée21. L’apparition de

la guerre n’est donc pas intrinsèque à la nature humaine ni une fatalité mais bien le résultat de

nombreux changements : « environnementaux (réchauffement climatique), sociaux (segmentation

                                                                                                               17 On ne peut pas présupposer de l’importance de la femme dans une société simplement sur la quantité des représentations la figurant. Si des archéologues du futur devaient se baser uniquement sur la quantité de représentations féminines du XXe siècle (en particulier les revues féminines et les images érotiques), ils en déduiraient sûrement que la femme a eu un rôle central dans notre société contemporaine… L’archéologue travaille à partir de traces, celles qui sont restées… 18 Certaines peuvent être des blessures de chasse, des actions post-mortem comme des scènes d’endocannibalisme (Erectus à Tautavel, Néandertal à Krapina, en Croatie), de cannibalisme alimentaire (Moula-Guercy, en Ardèche ou El Sidron en Espagne), des rites sacrificiels ou des rites funéraires. 19 La concentration des populations au Néolithique a engendré l’apparition de hiérarchies sociales et a affaibli la capacité de contrôle de la communauté sur ceux qui détenaient le pouvoir. La division du travail et une plus grande spécialisation ont favorisé le contrôle du groupe par une minorité. 20 L’apparition du métal est une révolution tout aussi importante que celle du Néolithique : les sociétés deviennent profondément inégalitaires et hiérarchisées avec la suprématie de la force physique et la concentration, dans les mains ceux qui la détienne, du pouvoir économique et politique. 21 L’abri de San Juan Ante Portam Latinam, à Laguardia, en Espagne, Roaix dans le Vaucluse ou Schwerin-Demmin, au nord de Berlin sont des exemples attestés par l’archéologie de massacres collectifs.

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Thèse de doctorat/Philippe de Carlos/3-11-2015 - II /Chapitre 3   139  

du groupe22, explosion démographique, apparition du patriarcat (Cai Hua, 1997)23, des castes et

d’une élite), économiques (quête de nouveaux territoires, domestication des plantes puis des

animaux, surplus et stockage de denrées, augmentation du commerce de bien de prestige » (Patou-

Mathis, 2013). Pour de nombreux chercheurs, le changement d’économie a eu des conséquences

sociales importantes. Les groupes de chasseurs-cueilleurs ne vivaient pas dans une « économie de

survie » mais au contraire dans une économie d’abondance. Leur qualité de nomades limitait

toutefois la quantité des biens matériels possédés. À partir du Néolithique et avec l’âge des métaux,

il y a apparition de surplus et donc stockage, modification des relations sociales et de la division du

travail, accroissement des inégalités, ascendance de certains sur d’autres et apparition d’une élite

qui défend ses intérêts, entretient une force armée (grâce à la richesse accumulée) et l’utilise pour

dominer les autres. C’est l’apparition de la caste des guerriers et du chef militaire : celui qui

commande. C’est une société de grands travaux qui mobilise au profit d’un petit nombre une main-

d’œuvre importante pour créer les fameux alignements de Carnac (le mégalithisme) ou qui voit le

fleurissement de tombes princières. À partir de l’âge du Bronze, la femme semble perdre le statut

important qui lui était dévolu24 pour être reléguée à un rôle secondaire jusqu’au XXe siècle. On

observera que les activités violentes ont rarement été pratiquées par les femmes.

5.2 Le poids de l’Histoire dans la représentation des rôles de l’homme et de la femme

préhistorique

Qui commande, qui chasse, qui taille le silex ou qui peint, qui s’occupe des enfants à la

Préhistoire ? La façon dont on appréhende la relation homme-femme à la Préhistoire est empreinte

d’un fort imaginaire et le terrain d’exercice de nombreux stéréotypes et de fantasmes, passés et

présents, non fondés scientifiquement. « Nos représentations de la préhistoire impliquent souvent la

projection de nos valeurs, de nos préoccupations et de nos rêves » (Cohen, 2003).

La représentation de l’homme et de la femme préhistorique puise ses origines dans l’image biblique

à travers Ève et Marie, la première femme-originelle et pécheresse, la seconde, la Sainte Vierge,

femme-mère descendante d’Adam mais exempte des péchés de l’humanité qui s’inscrit dans la

lignée de Demeter, la déesse maternelle de la Terre et de la fécondité. Cette image est liée aux                                                                                                                22 Pour Kelly (2000), ce n’est pas la sédentarisation mais la segmentation du groupe qui est la cause déterminante de l’apparition de la guerre. Une étude récente (Vanhaeren et d’Errico, 2001). L’émergence du corps paré : objets de parure paléolithiques, Civilisations, 59-2, p. 59-86) que les sociétés du Paléolithique supérieur magdaléniennes, qui sont des sociétés d’abondance, auraient déjà mis en place une hiérarchisation sociale poussée. Il est possible qu’en l’absence de stock important dû à leur condition de semi-nomades, ce soit le cumul de richesses comme les parures (par exemple, les canines de rennes sont rares et ont donc de la valeur), qui ait pu être un facteur de modification de l’organisation sociale et ait porté en lui le germe de la segmentation sociale. D’après Boris Valentin (2010, p. 49), il ne semble pas encore y avoir de segmentation dans la société du Paléolithique. 23 L’anthropologue Cai Hua confirme l’existence de sociétés matriarcales. 24 On note l’apparition de dieux masculins qui supplantent les représentations féminines et l’apparition du patriarcat.

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différentes conceptions de l’origine de l’Humanité (théorie du déluge et malédiction de Cham) et

donc à celle de l’origine de l’Homme. À la Renaissance, l’imaginaire occidental se construit à

travers les récits des navigateurs à propos des « sauvages » découverts en Amérique, en Afrique

puis en Océanie. Le XVIIe siècle est l’époque de la classification et les naturalistes construisent des

hiérarchisations comme « l’Échelle des Êtres » avec le sauvage tout en bas. La femme est associée

au sauvage, c’est-à-dire à celui qui n’est pas un adulte, blanc, masculin et bourgeois. Elle est

confinée au rôle de mère (Une famille à l’âge de pierre, Bayard, 1870). La famille est monogame et

la femme s’occupe des enfants et des tâches ménagères, au fond ou devant la grotte. À cette époque,

le thème de Préhistoire fait sensation et cette période de l’histoire de l’humanité devient le reflet des

représentations de la société européenne de l’époque sur elle-même. La femme est avant tout une

épouse et une mère. C’est à ce moment que nait la théorie du matriarcat primitif (Bachofen, 1861)

mais dans l’idée que ce stade n’est que transitoire et que l’ordre naturel des choses est de laisser

place au patriarcat. La femme est dominée par l’homme qui la capture pour en faire sa femme (Le

rapt, à l'âge de la pierre, Jamin, peinture sur toile, 1888). Pour Lombroso (1893) la femme est « un

homme arrêté dans son développement » qu’il faut, comme le sauvage, civiliser. L’alibi scientifique

sert l’idéologie antiféministe. « Les discours positivistes du XIXe siècle (Gobineau, 1853-1855)25

sur les races ont conduit au refus de l’Autre (le Sauvage et la Femme), refus qui est encore

clairement perceptible aujourd’hui » (Patou-Mathis, 2001). La femme préhistorique est ainsi

représentée soit comme une victime sexuelle26 sans défense, le « sexe faible », soit au sein d’une

famille nucléaire et monogame. Cette vision perdure au début du XXe siècle avec des romans

comme Rama, la fée des cavernes de Léon Lambry (1928) ou Ève, proie des hommes d’Henri-

Jacques Proumen (1934). C’est ainsi que se transmet l’image populaire des « âges farouches », de

l’ordre du fantasme, où l’homme armé d’un gourdin tire sa femme au fond de la grotte par les

cheveux pour s’occuper d’elle. Ce n’est qu’à partir de la seconde moitié du XXe siècle que l’image

de la femme se modifie, avec la remise en cause du pouvoir de l’homme dans les sociétés

occidentales. L’évolution unilinéaire et progressive des techniques est contestée au profit d’une

approche des cultures matérielles, des comportements sociaux et des symboliques. L’acceptation et

l’étude de l’art préhistorique constituent un tournant dans la représentation du préhistorique entre

une Préhistoire du XIXe siècle basée sur une vision évolutionniste et une Préhistoire du XXe

construite sur le concept de « cultures » dont des auteurs comme Lévy-Bruhl avaient jeté les bases

en travaillant sur la « mentalité primitive » (1922). Largement influencé par le structuralisme,

André Leroi-Gourhan (1965) va proposer une interprétation symbolique de l’art pariétal occidental

                                                                                                               25 Classement des humains en différentes races selon la couleur et création du mythe aryen. 26 Dans Les Origines (J.-H. Rosny-Ainé, 1895), l’auteur écrit « s’il lui arrivait de rencontrer un mâle… la malheureuse était fécondée sur place ».

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dans lequel s’inscrit la représentation féminine. À la théorie de l’Homme chasseur (« Man the

Hunter »)27 développée par des anthropologues américains en 1950, répondent dans les années 60

les études ethnologiques et dans les années 70 les mouvements féministes. L’homme chasseur serait

un préhistorique « viril, engagé dans d’épiques parties de chasse, poursuivant le gros gibier

(mammouth, taureau, bison…) » (Cohen, 2003, p. 156) comme proposé au XIXe siècle. Toutefois,

des travaux ethnologiques ont montré que chez les bochimans la part du gibier rapportée par les

hommes ne représentait que 30 % de l’apport en nourriture et que le travail des femmes était

fondamental à la subsistance du groupe. Dans les années 70, plusieurs femmes anthropologues,

dans la lignée du féminisme américain, proposent un modèle contradictoire, et un peu extrême, de

la femme collectrice (« Women the Gatherer ») arguant du fait que la chasse n’a pu apparaître que

très tardivement dans l’histoire de l’Humanité. En 1981, l’anthropologue américain Owen Lovejoy

(1980) propose en réaction, une vision des débuts de l’humanité fondée sur des couples monogames

et des femmes passives et sédentaires, entourées de leur progéniture, attendant au fond de la caverne

le retour du mâle parti en quête de subsistance » (Cohen, 2003, p. 160). Bien que non étayée

scientifiquement, cette représentation entre en résonnance avec la tradition issue du XIXe siècle, et

reste présente dans de nombreux ouvrages, y compris les manuels scolaires des élèves du XXIe (voir

Chapitre 4, Étude 1b : Hachette, 2004 ; Hatier, 2002, 2006, 2009, 2014 ; Belin, 2013). Avec la New

Archeology, les études ethnographiques, les approches structuraliste, sociale et culturelle de

l’archéologie moderne, les recherches de la fin du XXe et du début du XXIe siècle consistent

désormais à réévaluer le rôle et l’importance des activités productrices et artisanales de la femme

préhistorique. C’est ainsi que des activités comme le tissage, la couture, la préparation des peaux, la

cueillette, la fabrication des outils et même la peinture sont interrogées dans le cadre d’une

redistribution du travail en fonction du genre. La taille du silex ne nécessite pas de la force, mais

une adresse et une précision du geste. Cette activité, comme toutes les autres, n’est pas dangereuse,

n’exige pas une grande mobilité et peut être interrompue à tout moment, ce qui répond aux critères

d’une femme « au foyer » qui s’occupe de ses enfants, tout en ayant un statut d’importance au sein

de la cellule familiale : elle pourvoit à la subsistance du groupe et, pourquoi pas, innove et invente

des techniques et des objets comme l’art du tissage (la coiffe de la Dame à la capuche de la Dame

de Brassempouy ou la ceinture des Vénus de Kostienki), fabrique des outils pour son usage

quotidien (Gero, 1991) ou peint (traces de mains ou de pas féminins dans les grottes).

Enfin, même si les vieilles représentations ont la vie dure dans les différents médias, on trouve des

romans préhistoriques à contre-courant comme le best-seller de la romancière Jean Auel, Les

enfants de la Terre qui a pour héroïne, Ayala, une jeune fille sapiens, au moment de la cohabitation

                                                                                                               27 Richard et Devore, 1968.

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avec Néandertal. Ce dernier, cet « Autre », longtemps relégué au rang du gorille et de sous-homme,

se trouve réhabilité au XXIe siècle, depuis notamment que l’on sait que le génome actuel des

eurasiatiques comporte entre 1 et 4 % de leurs gènes.

6 Les attitudes

On trouve les premières traces des Homo sapiens vers -200 000 ans en Afrique et -100 000 au

Proche-Orient. Ils atteignent l’Europe vers -40 000 ans où ils rencontrent Néandertal. Ces Homo

sapiens qu’on appelle aussi Cro-Magnon sont des humains anatomiquement modernes et quasiment

rien ne les différencie de l’homme contemporain. L’humain anatomiquement moderne se tient droit,

n’est pas plus poilu que nous et nous lui ressemblons. Les conditions climatiques étant rudes, il

portait des habits, vraisemblablement du type « Indiens d’Amérique » ou « esquimaux », ce qui

veut dire qu’il devait exister toute une gamme de vêtements, allant de la chaussure à la coiffe en

passant par des gants en peau. Les hommes et peut-être davantage les femmes n’étaient pas dénués

d’habileté au regard des nombreux objets retrouvés (feuilles de Laurier, aiguilles à chas en os,

peintures, sculptures, etc.). Ces individus ont su faire preuve d’inventivité et s’adapter à des

environnements nouveaux tout au long de leurs migrations ainsi qu’aux changements climatiques.

Ils ont inventé de nombreuses techniques. On peut dire qu’à ce titre, ils ont fait preuve

d’intelligence et aussi de courage. Ils n’étaient donc pas idiots, courbés ou nus. Il est possible qu’ils

aient été violents, mais cette violence était ponctuelle et n’avait rien à voir avec le type de violence

que l’on appelle la guerre (et rien à voir avec les comportements incivils dont fait mention la

RATP28). La période de cohabitation entre Cro-Magnon et Néandertal témoigne, a priori, de cet état

de fait puisque ces deux groupes humains ont su cohabiter et même partager leurs gènes. En dehors

de ces considérations qui demeurent générales, l’archéologie ne permet pas de se prononcer sur le

caractère de nos ancêtres.

7 Les objets

Pendant longtemps, les objets ont été la principale source d’information des archéologues, en

particulier une catégorie : le matériel lithique, puisque ce sont les objets en pierre ou en silex qui ont

le plus perduré à travers le temps. Au fil des années, la discipline archéologique s’est enrichie de

nouvelles possibilités d’investigations grâce notamment à l’usage de techniques issues des sciences

physiques et naturelles. Des spécialités sont apparues et ont apporté de nouvelles données sans

                                                                                                               28 « L’Australopithèque n’est pas un voyou du métro » : http://www.liberation.fr/tribune/2006/11/20/l-australopitheque-n-est-pas-un-voyou-du-metro_57742 (Schlanger, 2006).

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lesquelles il est désormais impensable d’envisager une étude de terrain comme la palynologie, la

malacologie, la xylologie, etc. En plus des objets lithiques, de nombreux restes en os, en bois (de

l’arbre ou en bois de cervidés) ont été récupérés au cours du temps dont des propulseurs, des

aiguilles à chas, des flûtes. Ce type de document préhistorique demeure quantitativement moins

important à cause de la dégradation que les matières organiques subissent dans les sols au cours du

temps.

Les objets préhistoriques apportent trois types d’informations :

- Du point de vue technique : ils nous renseignent sur le savoir faire des hommes du passé, sur

leur capacité à maîtriser une procédure et donc sur l’existence ou pas de chaînes opératoires

structurées. La permanence dans le temps d’un objet fortement stéréotypé sera le témoin d’une

transmission et de la stabilité d’un système technique. On parlera alors de tradition technique.

Les premiers objets fortement stéréotypés sont le fait d’Homo ergaster.

- Du point de vue chronologique : parce qu’ils sont associés à des fossiles d’homininés29, les

objets servent de marqueurs chronologiques mais aussi culturels. Il a donc été possible de

constituer des typologies et de parler de cultures matérielles.

- Du point de vue environnemental : le type de matériau, sa provenance, ses qualités intrinsèques

permettent de comprendre l’interaction entre les hommes du passés et leur biotope : la gestion

des ressources et du territoire (d’un point de vue géographique et spatial), l’adaptation au

climat, la saisonnalité des campements, etc.

Dès lors, aborder en classe les objets préhistoriques, c’est aborder la Préhistoire en construisant le

temps préhistorique à travers une approche qui permet de saisir comme l’exprime Cariou (2012,

p. 137-156) les durées, la succession des événements, leur simultanéité, leur répétitivité, la relation

entre chronologie et chronosophie et la périodisation. C’est la possibilité d’utiliser les typologies

pour mettre en place un raisonnement analogique contrôlé et d’aller à l’encontre d’une vision

linéaire du temps puisque les paléolithiciens ont désormais établi qu’il fallait penser le temps de la

Préhistoire sous la forme d’une « cyclicité dans les transformations techniques et économiques »

(Valentin, 2010, p. 118).

                                                                                                               29 Les homininés regroupent Homo et la lignée humaine. Avec les Paninés (chimpanzés et bonobos) et les Gorillinés (gorille), ils forment la famille des Hominidés. Il existe différentes classifications et nous renvoyons à un article complet où la question de la phylogénie humaine est discutée : http://www.snv.jussieu.fr/vie/dossiers/evolution/ligneehumaine/homo.htm

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8 Le Néolithique

Le Néolithique coïncide avec un changement climatique apparu vers 12 000 ans avant notre ère,

mais la sédentarité ou la poterie ne sont pas nécessairement synonyme de « néolithique »

(contrairement à ce qui est véhiculé dans les manuels scolaires) puisque l’on connaît des habitats

fixes au Paléolithique en Ukraine (Kostienski) datés de 25 000 ans ou au Japon vers 13 000 avec la

civilisation de Jomon qui fabrique la plus ancienne poterie connue. C’est à partir de 9 000 ans que

l’on passe d’un néolithique PPNA (Pre-Pottery Neolithic A) à un néolithique PPNB, c’est-à-dire où

« la domestication des plantes et des animaux est totalement avérée » (Demoule, 2008, p. 27). Nous

assistons au passage de maisons circulaires à rectangulaires, une complexité des rites funéraires et à

la multiplication des représentations humaines (ce qui est rare au Paléolithique). Vers 7 000 ans, le

Néolithique est en plein essor et les premiers systèmes de défense apparaissent. C’est l’invention de

la poterie, mais on observe aussi un phénomène d’éclatement (les grands villages disparaissent) et

de dispersion dans les régions avoisinantes. Le Néolithique n’est pas apparu partout au même

moment et n’est pas le résultat inéluctable d’une évolution sociétale. « La culture et l’élevage n’ont

été inventés que dans une demi-douzaine de régions » (Demoule, 2008, p. 39) et le phénomène n’a

pas été linéaire. Certaines sociétés néolithiques se sont effondrées et sont retournées à un mode de

vie de chasseurs-cueilleurs (culture Frémont dans l’Utah). Il existe trois conditions pour favoriser

l’apparition du Néolithique (Demoule, 2008, p. 44-48) : environnementales, techniques et

culturelles.

- Du point de vue environnemental, il a fallu un milieu où la ressource alimentaire soit plus

synonyme de pénurie que d’abondance, mais où en même temps les conditions soient favorables à

la mise en œuvre de l’agriculture et de la domestication. Des sociétés, comme la civilisation Jomon

qui bénéficiait d’un environnement favorable, ont développé un mode de vie sédentaire sans passer

à l’élevage et à l’agriculture, parce qu’elles bénéficiaient d’une variété de ressources qu’elles ont su

très largement exploiter.

- En ce qui concerne la technique, c’est l’invention du silo (Natoufien) qui a permis la conservation

et donc le développement de l’agriculture. Les outils que l’on trouve de façon récurrente dans les

manuels scolaires (sans le silo) comme la faucille en silex et la meule ont été inventées en même

temps.

- Enfin, il fallut que la néolithisation soit aussi le résultat d’un choix culturel. Les mêmes conditions

techniques et environnementales n’ont pas forcément abouti au Néolithique dans d’autres endroits

du monde.

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Thèse de doctorat/Philippe de Carlos/3-11-2015 - II /Chapitre 3   145  

Quoi qu’il en soit, le passage du Paléolithique au Néolithique n’a pas forcément été un gain pour les

sociétés humaines qui s’y sont engagées. Le Néolithique implique un temps de travail beaucoup

plus long que dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs, que l’on peut qualifier de sociétés

d’abondance30. Le Néolithique a même favorisé les sociétés inégalitaires et hiérarchisées basées sur

le pouvoir d’une minorité, un pouvoir idéologique qui se traduit par la production d’objets

symboliques associés aux dirigeants (dolmens, haches en jadéite, objets en or) et qui s’exprime

fortement à partir de 4 500 ans avant notre ère en Europe (le mégalithisme). C’est l’époque où la

guerre apparaît et se généralise. Contrairement au Proche-Orient où les sociétés néolithiques

débouchent très vite sur la constitution d’États (Mésopotamie, Égypte), l’Europe ne suit pas le

même chemin31. L’archéologie constate que le pouvoir central s’effrite (c’est l’apparition de

nombreux tumulus vers 2 000 ans comme si la société s’était démocratisée) et la société semble

retourner à une forme de vie communautaire de taille plus modeste. Il est intéressant d’ailleurs de

noter que l’écriture est systématiquement associée à l’apparition de l’État et d’un pouvoir central

fort. C’est vraisemblablement pour des raisons environnementales qu’en Europe, l’État tardera à

apparaître, car il est plus difficile de maintenir sous le joug une société qui dispose de ressources

naturelles abondantes que des populations qui vivent dans des conditions plus contraignantes,

favorables à l’organisation et la hiérarchisation. Les premiers États européens n’apparaîtront que

très tardivement (épisode créto-mycénien) puis surtout plus tard en Grèce (Hellénisme), en Italie

(Étrusques et Romains) et en Espagne (Ibères). Il s’imposera avec l’Empire romain.

                                                                                                               30 Au sens où le ratio énergie investie/résultats est très largement supérieur : les chasseurs-cueilleurs ne devaient travailler que trois à quatre heures par jour soit une vingtaine d’heures hebdomadaires, ce qui est bien loin des 35 heures actuelles. 31 C’est le Néolithique anatolien qui se répandra en Europe par les Balkans et le Danube (culture du Rubané) et par le long de la Méditerranée (culture du cardial).

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9 Conclusion du chapitre

Les représentations sur la Préhistoire et l’évolution humaine ont beaucoup changé (voir figure 8)

dans le monde scientifique, mais ces changements ne sont pas partagés par tous, y compris dans la

société civile des pays « évolutionnistes » comme la France, pour des questions d’ordre politique,

philosophique ou religieux.

Figure 18 : les conceptions du XXIe siècle sur la Préhistoire et l’évolution humaine

 Les mouvements comme l’Intelligent Design (ou néo-créationnisme) est un exemple manifeste de

ces résistances qui puisent leurs racines dans l’Histoire. C’est pourquoi le travail sur les

représentations sociales historiques est plus que nécessaire dans le cadre d’un enseignement sur la

Préhistoire.

10 Conclusion de la seconde partie : universalité, interdisciplinarité, relativité et

historicité

La Préhistoire, à la différence des périodes suivantes, contient en elle un certain nombre de

caractéristiques fondamentales qu’il est important de souligner notamment pour leur intérêt

pédagogique.

D’abord, une universalité qui se matérialise à travers une recherche scientifique fondée sur des

collaborations internationales très poussées (Maury, 2003) et des questionnements communs sur

nos origines qui interrogent tous les hommes et les femmes, quelles que soient leurs différences.

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Universalité également, parce que les « préhistoriques » ne possèdent aucune nationalité : leur

histoire est celle de l’Humanité.

Ensuite, une interdisciplinarité puisque la Préhistoire utilise pour les besoins de l’archéologie, les

avancées des différentes disciplines scientifiques que ce soit dans les sciences humaines et sociales,

les sciences de la nature ou les sciences formelles. Enfin, une relativité au sens où, ce qu’elle nous

enseigne, c’est la modestie face au renouvellement régulier des connaissances qui sont produites et

qui nous permettent de nous représenter le passé de l’humanité. Or cette représentation s’inscrit

dans une historicité qu’il est important de mesurer si l’on souhaite analyser les représentations des

enfants sur cette question. Il importe d’appréhender l’état présent d’une représentation au regard de

son état passé (Rouquette et Guimelli, 1994 ; Tavani, et al., 2014), car les processus à l’œuvre sont

à la fois marqués par l’actualité de la société (actuellement le débat évolutionniste vs créationniste-

intelligent design) et par son histoire (Roussieau et Bonardi, 2002). La représentation sociale (RS)

de « Cro-Magnon » s’inscrit dans un contexte historique. Elle est le résultat et le moment de notre

histoire passée et en devenir. Elle s’ancre dans un imaginaire collectif qui prend ses racines au

début des années 1830 (Rudwick, 1992). Depuis cette époque, l’image de la Préhistoire (et des

préhistoriques) reste prisonnière des contextes qu’elle traverse au cours du temps et donc des

arrières plans culturels et idéologiques (« Vénus et Caïn », 2003) : l’Europe du XIXe siècle se

représente elle-même à travers la Préhistoire et l’utilise pour justifier sa position dominante dans le

monde et la supériorité des classes bourgeoises sur les classes ouvrières. Elle sert aussi à véhiculer,

la plupart du temps inconsciemment, les différentes conceptions du moment comme le rapport

homme/femme, la bête et l’humanité, la supériorité de l’homme « technique » (industrialisation),

l’évolutionnisme et la lutte des classes. Si l’on suit le schéma organisateur de la pensée sociale

proposé par Flament et Rouquette (2003) de l’idéologie découleraient les RS, des RS les attitudes et

des attitudes les opinions. L’idéologie est de l’ordre de la longue durée et particulièrement stable.

Elle est composée de normes, de croyances générales et de thêmata souvent bipolaires. Depuis le

XIXe siècle, des thêmata comme Homme/Femme, Civilisé/Sauvage, Pénurie/Abondance ou

Sécurité/Insécurité sont à l’œuvre en ce qui concerne la Préhistoire.

Au XXe siècle, on observe sur les représentations le rôle différencié des médias (littérature, bande

dessinée, télévision, cinéma) et l’impact de certains événements particuliers avec une relation de

quasi-cause à effet entre une représentation de la Préhistoire et une situation historique qu’elle soit

politique (la Guerre Froide, l’action d’hommes politiques comme Mitterrand ou Lang...),

économique/social (l’exode rural, la société de consommation et l’électroménager, les seniors),

écologique (la protection de l’ours, la déforestation, le réchauffement climatique) ou encore

scientifique (la dendrochronologie, la découverte de Lucy). Selon Semonsut (2009), l’arrivée de

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l’archéologie dans les manuels scolaires coïnciderait avec le début des classes APAC initiées par

Jack Lang, de même que l’image de l’ours (des cavernes) par exemple disparaitrait à partir des

années 60, époque qui coïncide avec sa protection officielle (1962) ; l’apparition à la télévision de

« Nounours » dans l’émission « Bonne nuit les petits » et l’interdiction de chasser cet animal en

1964. La représentation de la Préhistoire et de l’homme préhistorique s’inscrit donc totalement dans

une historicité. Elle a une histoire et elle est retransmise. Il s’agit bien d’un phénomène social

évolutif constitué d’événements « impliquant » (Rouquette et Guimelli, 1994) ponctuels, le fait ou

le temps court, qui interagit avec l’objet social, l’infléchit et le transforme avec des effets variables

dans le temps, la tendance ou la « longue durée » (Braudel, 1958). En témoigne, plus près de nous,

l’influence régulière d’Yves Coppens sur l’Éducation nationale depuis sa découverte de Lucy en

1974, en passant par sa théorie de l’East Side Story dans les années 80 et tout récemment, de 2002 à

2007, à travers une trilogie télévisuelle, l’Odyssée de l’espèce, Homo Sapiens et Le Sacre de

l’homme. Les élèves, comme les enseignants, sont donc empreints d’une mémoire individuelle et

collective qui influence leurs comportements et leur pensée. En somme, l’histoire appropriée par les

élèves est composée de plusieurs histoires dont il faut trouver les traces : une archéologie sociale.

Par rapport à l’enseignement de l’histoire en tant que discipline, la théorie des représentations

sociales nous semble donc particulièrement adaptée, car elle permet d’analyser les savoirs des

élèves au sein d’une pensée sociale qui se manifeste dans le cadre de la construction sociale du

passé et qui permet de saisir l’influence du passé sur la construction des significations attribuées à

un objet du présent (Rouquette, 2003).  

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École Anthony, CM1, q. 2