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Chapitre 1 Inscrire son projet de recherche dans un cadre épistémologique Marie-José AVENIER (laboratoire CERAG – UMR CNRS, université Pierre Mendès-France, Grenoble) et Marie-Laure GAVARD-PERRET (université Pierre Mendès-France, Grenoble ; laboratoire CERAG – UMR CNRS ; vice-présidente du C.A. de l'UPMF) « Dans la vie scientifique, les problèmes ne se posent pas d'eux- mêmes. C'est précisément ce sens du problème qui donne la marque du véritable esprit scientifique. Pour un scientifique toute connais- sance est une réponse à une question. S'il n'y a pas eu de question, il ne peut y avoir de connaissance scientifique. Rien ne va de soi, rien n'est donné. Tout est construit. » Bachelard G., La formation de l’esprit scientifique, Vrin, 1938, p. 14 ans ce chapitre, c’est l’épistémologie de la recherche en sciences de gestion qui nous intéresse au premier chef. Ces sciences, comme d’autres « nouvelles sciences » qui ont émergé dans le courant du XX e siècle, rencontrent encore des difficultés à identifier ce qui les fonde et les légitime en tant que sciences. Toutefois, une discussion d’ordre épistémologique n’a de sens que dans le contexte scientifique historique général : par exemple, la phrénolo- gie – étude des bosses du crâne pour identifier leur correspondance avec le « comportement moral du sujet » et ainsi pouvoir repérer les délinquants non récupérables – fut longtemps considérée comme une discipline scienti- fique. Il est donc indispensable de commencer par brosser un tableau plus large. Les développements de diverses sciences au siècle dernier – anciennes ou nouvelles – telles que la physique quantique, la biologie et l’informatique, ont suscité un certain renouvellement de la réflexion épistémologique. De nouvelles conceptions ont été proposées, restaurant bien souvent dans les cultures contemporaines des conceptions anciennes qui étaient tombées dans l’oubli. Certaines de ces conceptions, tel le paradigme des scien- ces de l’artificiel, ont peiné à faire leur chemin jusque dans les ouvrages de méthodologie de la recherche en sciences D Au sommaire de ce chapitre Définir ce qu’est un cadre épistémolo- gique Comprendre ce que l’on entend par questionnement épistémologique, paradigme épistémologique, travail épistémique Choisir le paradigme épistémologique dans lequel inscrire son projet de recherche Connaître les conséquences et implica- tions du choix épistémologique sur les choix méthodologiques

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Chapitre 1

Inscrire son projet de recherche dans un cadre épistémologique

Marie-José AVENIER (laboratoire CERAG – UMR CNRS, universitéPierre Mendès-France, Grenoble) et Marie-Laure GAVARD-PERRET

(université Pierre Mendès-France, Grenoble ; laboratoire CERAG –UMR CNRS ; vice-présidente du C.A. de l'UPMF)

« Dans la vie scientifique, les problèmes ne se posent pas d'eux-mêmes. C'est précisément ce sens du problème qui donne la marquedu véritable esprit scientifique. Pour un scientifique toute connais-sance est une réponse à une question. S'il n'y a pas eu de question, ilne peut y avoir de connaissance scientifique. Rien ne va de soi, rienn'est donné. Tout est construit. »

Bachelard G., La formation de l’esprit scientifique,Vrin, 1938, p. 14

ans ce chapitre, c’est l’épistémologie de la rechercheen sciences de gestion qui nous intéresse au premier

chef. Ces sciences, comme d’autres « nouvelles sciences »qui ont émergé dans le courant du XXe siècle, rencontrentencore des difficultés à identifier ce qui les fonde et leslégitime en tant que sciences. Toutefois, une discussiond’ordre épistémologique n’a de sens que dans le contextescientifique historique général : par exemple, la phrénolo-gie – étude des bosses du crâne pour identifier leurcorrespondance avec le « comportement moral du sujet »et ainsi pouvoir repérer les délinquants non récupérables– fut longtemps considérée comme une discipline scienti-fique. Il est donc indispensable de commencer par brosserun tableau plus large.

Les développements de diverses sciences au siècledernier – anciennes ou nouvelles – telles que la physiquequantique, la biologie et l’informatique, ont suscité uncertain renouvellement de la réflexion épistémologique.De nouvelles conceptions ont été proposées, restaurantbien souvent dans les cultures contemporaines desconceptions anciennes qui étaient tombées dans l’oubli.Certaines de ces conceptions, tel le paradigme des scien-ces de l’artificiel, ont peiné à faire leur chemin jusque dansles ouvrages de méthodologie de la recherche en sciences

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Au sommaire de ce chapitre

• Définir ce qu’est un cadre épistémolo-gique

• Comprendre ce que l’on entend par questionnement épistémologique, paradigme épistémologique, travail épistémique

• Choisir le paradigme épistémologique dans lequel inscrire son projet de recherche

• Connaître les conséquences et implica-tions du choix épistémologique sur les choix méthodologiques

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sociales. D’autres, telles que les perspectives constructivistes, devenues en quelque sorteà la mode dans la dernière décennie du XXe siècle, sont mobilisées avec des significationstrès différentes, ce qui crée une grande confusion.

Cette impression de désordre est encore renforcée en sciences de gestion. En effet, cessciences encore jeunes sont tiraillées entre diverses forces : par exemple, adopter un posi-tionnement positiviste et une quantification « objective », souvent exagérément réduc-trice au regard de la complexité des organisations et de leurs acteurs (peut-être due àl’influence forte de l’économie sur la gestion à ses débuts ?) ou, au contraire, théoriserparfois un peu trop vite, interpréter avec une certaine légèreté, faire de l’abstraction pourl’abstraction, voire tomber dans un certain scientisme. Ces travers, difficilement compa-tibles avec une science de l’action, rebutent ou agacent souvent les décideurs et mana-gers, mais parfois aussi les étudiants et chercheurs eux-mêmes. Ces positions extrêmesconstituent sans doute des péchés de jeunesse de la discipline.

Le présent ouvrage de méthodologie de la recherche en sciences de gestion s’adresse auxchercheurs du XXIe siècle et a pour ambition de mettre le propos de ce chapitre en phaseavec les développements contemporains des sciences. Par conséquent, plutôt que de nouslimiter à présenter les apports largement exposés dans les ouvrages antérieurs traitantdes méthodes de recherche en sciences sociales (voir notamment Grawitz, 2004), nousferons une place importante aux apports capitaux d’épistémologues du XXe siècle, telsBachelard et Piaget. En effet, leurs travaux, malgré leur caractère visionnaire au XXe siècleet leur actualité au XXIe siècle, connaissent une diffusion encore trop rare et confiden-tielle dans les ouvrages de méthodologie de la recherche. Pour deux raisons majeuresprobablement : s’exprimant en langue française et peu traduits en langue anglaise, cesauteurs n’ont pas réussi à atteindre le rayonnement que leurs travaux auraient mérités ;et peut-être surtout à cause de leur caractère visionnaire précisément, en décalage parrapport au paradigme conventionnel qui occupe une place dominante depuis troissiècles.

Corrélativement, nous présenterons de façon assez détaillée le paradigme des sciences del’artificiel, qui restaurent dans les cultures contemporaines ce qui était appelé sciences dugénie aux XVe-XVIe siècles et arts mécaniques aux XIIe-XIIIe siècles. Malgré les perspectivesprometteuses que ce paradigme offre pour les sciences de gestion, il tarde à se diffuser.Une raison tient probablement à ce qu’il n’est jamais exposé dans les ouvrages de métho-dologie de recherche. Ceux-ci se réfèrent de manière implicite exclusivement au para-digme des sciences naturelles, c'est-à-dire essentiellement la physique classique et labiologie. Ce paradigme, dans lequel il est pourtant difficile de représenter et de rendrecompte des phénomènes étudiés dans de nombreuses sciences naturelles « nouvelles »telles que la physique quantique, l’écologie scientifique ou la cosmologie1, est encoresouvent considéré aujourd’hui comme le seul et unique garant formel de la scientificité.Un des objectifs de ce chapitre est de remédier à cette déficience des ouvrages de métho-dologie de la recherche, actuellement disponibles.

Nous nous efforcerons aussi de clarifier certaines confusions autour du paradigme épis-témologique constructiviste. Celui-ci connaît une diffusion croissante mais quelque peuanarchique depuis une quinzaine d’années, ce qui nuit à son implantation correcte dansla recherche en sciences de gestion.

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1. Qu’est-ce que l’épistémologie ? Selon Piaget (1967, p. 6)2, l’épistémologie est l’étude de la constitution des connaissancesvalables. Elle s’intéresse principalement aux questions suivantes : Qu’est-ce que laconnaissance ? Comment est-elle élaborée ? Quelle est sa valeur ?

Le terme épistémologie est apparu au début du XXe siècle pour désigner une branche dela philosophie spécialisée dans l’étude des théories de la connaissance. Il est peu à peudevenu synonyme de philosophie des sciences. Dans la mesure où la finalité d’unerecherche est d’élaborer des connaissances, il est crucial pour un chercheur de s’interro-ger sur ce qu’est la connaissance, sur les hypothèses fondamentales sur lesquelles saconception de la connaissance repose, sur ce qui fonde la valeur des connaissances qu’ildéveloppe. Il ne lui suffit pas de réfléchir à la pertinence et à la validité du processusd’élaboration des connaissances mis en œuvre au regard de l’objectif poursuivi, c'est-à-dire à ce qui est couramment appelé méthodologie. Piaget notamment présente laméthodologie comme un aspect de l’épistémologie, distinct de celle-ci, qui s’insère entrela logique et l’épistémologie. Nous verrons plus loin (voir section 6.1) que la non distinc-tion de ces deux notions est une source de confusions importantes dans les discussionsd’ordre méthodologique.

La méthodologie est l’étude des méthodes permettant de constituer des connaissances.Dans la définition de l’épistémologie retenue dans cet ouvrage, la connaissance valablene se limite pas à la connaissance validée selon la méthode scientifique classique. Cettedéfinition présente l’intérêt d’enrichir et de dépasser la conception de la connaissancereconnue comme valable par le paradigme positiviste. Dans la recherche en sciences degestion, la valeur des connaissances peut être appréciée d’au moins deux points de vue :l’épistémique, qui concerne leur valeur pour le développement de la connaissance géné-rale en sciences de gestion ; et le pragmatique, qui s’intéresse à leur valeur pour la pratiquegestionnaire.

Un paradigme désigne une constellation de croyances, valeurs, techniques, etc. partagéespar une communauté donnée (Kuhn, 1962, p. 175)3. Tout chercheur en sciences degestion et, plus largement en sciences humaines et sociales, en particulier lors d’untravail doctoral, doit être conscient qu’il peut donner du phénomène qu’il étudie desreprésentations très diverses selon le paradigme dans lequel il inscrit sa recherche. Demême, ses choix épistémologiques détermineront des pratiques de recherche, énoncés,critères de validité des résultats, etc. reconnus comme acceptables ou non selon laposture épistémologique adoptée. Ainsi, Girin (1981)4 explique qu’on peut donnerd’une situation complexe plusieurs représentations différentes, toutes aussi cohérentesles unes que les autres, en fonction des principes et paradigmes scientifiques retenus. Lequestionnement épistémologique est donc partie intégrante de la construction d’unprojet de recherche.

1.1. Le questionnement épistémologique comme partie intégrante de la recherche

En 1967, Piaget5 présente un constat6 d’importance capitale pour comprendre l’évolu-tion de la pratique scientifique au XXe siècle : le questionnement épistémologique estdevenu indissociable de la pratique de la recherche scientifique dans le domaine des

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mathématiques, de la physique, de la biologie et de diverses sciences sociales établies. Cemouvement s’est engagé en sciences de gestion à partir des années 1980, avec des travauxprécurseurs7, comme : Berry, 1981 ; Berry et alii, 1978 ; Girin, 1981, 1986 ; Le Moigne1979, 1983, 1986, 1989 ; Marchesnay, 1985 ; Savall, 1985. Désormais, dans la plupart desdisciplines des sciences de gestion, l’exigence d’un questionnement épistémologique audémarrage de toute recherche (voir encadré 1.1) semble incontournable, comme dansn’importe quelle autre science (Burrell et Morgan, 19798 ; Weick, 19899 ; Martinet,199010, pour qui « la réflexion épistémologique est consubstantielle à la recherche quis’opère » (p. 8)11 ; Le Moigne, 2001, 2002, 200312 ; Tsoukas, 200513 ; Yanow et Schwartz-Shea, 200614).

Ce questionnement épistémologique, qui ne se limite pas à une réflexion méthodologi-que, vise à clarifier la conception de la connaissance sur laquelle le travail de recherche repo-sera et la valeur attendue des connaissances qui seront élaborées. Ceci afin de définir, encohérence avec la conception de la connaissance sous-jacente à la recherche : l’objectif dela recherche, la stratégie de recherche, ainsi que les méthodes et les techniques mobilisées(voir encadré 1.1). La spécification du positionnement épistémologique adopté et lesjustifications apportées par le chercheur sont fondamentales pour permettre à ce dernierde conférer une légitimité à son travail et aux choix qui le sous-tendent (notammentméthodologiques). Les propos de Wacheux (1996)15 illustrent ce besoin : « Dans le quotidiendu chercheur, c’est simplement pouvoir à tout moment légitimer sa recherche sur le phéno-mène étudié ».

Un chercheur ne construit pas sa propre conception de la connaissance isolément ni exnihilo. Cette dernière est influencée par les grands courants de pensée auxquels se réfèrentles chercheurs de la communauté à laquelle il appartient, appelés paradigmes épistémo-logiques. Il est donc important de comprendre les fondements des réflexions et de laconstruction des connaissances qui ont eu lieu au fil du temps et de présenter les principauxparadigmes épistémologiques auxquels les chercheurs en sciences de gestion se réfèrent.Les prochaines sections fourniront des repères permettant à un chercheur d’apporter desréponses argumentées à son questionnement épistémologique (voir encadré 1.1).

Enca

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1.1 Le questionnement épistémologique : exemples de questions à se poser

• En quoi le projet de recherche que j’envisage pourra-t-il être tenu pour un projet derecherche scientifique ?

• Quels objectifs de recherche puis-je revendiquer ?

• Qu’est-ce qui me permet d’argumenter cela ?

• Quels sont les éléments qui me donnent la possibilité de considérer que je serai enposition d’extériorité et de neutralité face à ce que je vais étudier, d’en resterdétaché et distant ?

• Dans quelles conditions suis-je autorisé à affirmer tel résultat ?

• Quelles précautions dois-je prendre dans la présentation de mes résultats et ledéveloppement de mes conclusions ?

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1.2. L’épistémologie au fil du tempsNous éclairerons plus particulièrement la contribution majeure de Popper16, car elles’inscrit dans le paradigme scientifique qui a dominé ces trois derniers siècles, ainsi quecelles de Bachelard17 puis de Piaget18 car elles offrent des conceptions ainsi que des lecturesdes sciences et de leur évolution au XXe siècle qui sortent du paradigme scientifiqueconventionnel.

Toutefois, avant de focaliser notre attention sur ces auteurs majeurs, commençons parretracer rapidement la façon dont l’épistémologie de la science moderne (voir égalementle site compagnon, complément 1) s’est développée au travers des époques. Cela permettrade mieux mettre en perspective les travaux des quelques auteurs plus particulièrementmis en avant.

Exemple d’un projet qui vise à développer des savoirs sur l’engagement dans letravail

• Dans quel paradigme épistémologique inscrire la recherche ?

• Quelle sera la finalité :

– Mettre à l’épreuve une théorie particulière ?

– Identifier l’influence d’un type particulier de changement organisationnel (parexemple le passage aux 35 heures) sur l’engagement organisationnel ?

– Comprendre comment l’engagement et le désengagement peuvent se développerau sein d’une organisation en fonction du type de management mis en place ?

– Développer des savoirs « actionnables » destinés à apporter des éclairages à desmanagers sur les comportements et procédures susceptibles de favoriser ledéveloppement d’engagement dans le travail au sein de leur organisation ?

• Quels référents théoriques mobiliser ?

• Quelle stratégie de collecte d’informations :

– Enquête par voie de questionnaires dans diverses organisations de taille compa-rable ou d’un même secteur ?

– Ou, au contraire, focalisation sur une entreprise particulière en conduisant desobservations et des entretiens approfondis dans différents sites ?

Bien souvent la justification apportée est d’ordre méthodologique : « Je pose des hypo-thèses en référence à certaines théories que je souhaite tester. Je vais les tester de telle ettelle manière. » Le questionnement épistémologique va plus loin. Sur quelles hypo-thèses de base concernant la possibilité de connaître le réel le chercheur s’appuie-t-il ?Quel est son modèle scientifique de référence ? Celui de la physique classique ? Un autre,alors lequel ?

La référence, souvent implicite au modèle de la physique classique, c'est-à-dire à celuidu paradigme des sciences naturelles qualifiées aussi de sciences « exactes », n’est pasforcément la plus pertinente en sciences sociales, notamment en sciences de gestion.

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1.1

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Il convient tout d’abord de comprendre que deux courants majeurs ont traversé l’histoiredes sciences. Le premier considère le raisonnement analytique et la raison comme lesocle de toute connaissance scientifique. On donnera donc à ce courant le qualificatif derationalisme. De Pythagore à Platon en passant par Kant ou Descartes, les défenseursde cette approche de la science estiment que la connaissance scientifique ne peut décou-ler que de la raison et que, par voie de conséquence, le cheminement scientifique devrapartir de l’abstrait, des idées, des concepts (le « général ») pour aller, par un raisonne-ment déductif, vers des conclusions concrètes (le « particulier »). Ainsi, transposé au casdes sciences de gestion, si un raisonnement logique conduit à considérer que toutes lesentreprises comptent un organe de direction, alors, par déduction, il est possible, pour lecas particulier d’une organisation donnée, de conclure que, puisque c’est une entreprise,elle compte donc forcément un organe de direction.

Il existe cependant des degrés dans le rationalisme, allant du rationalisme dogmatique leplus intransigeant pour lequel « sans raison déductive point de vérité » à un rationalismeplus tempéré, voire critique, souvent qualifié de rationalisme moderne. Si pour lestenants du rationalisme dogmatique, la raison déductive représente la seule et uniquesource de connaissance, elle n’est considérée par les autres que comme une source prin-cipale du savoir. Ces derniers s’attachent plutôt à faire valoir le bien-fondé de principesrationnels, principes qui peuvent intervenir dans le cadre de méthodes différentes.

De même, s’il est possible de considérer que le rationalisme a traversé les siècles, dePlaton ou Socrate à Descartes ou Spinoza, autour d’une position commune selonlaquelle la connaissance scientifique du monde est rendue possible par la raison, il estcependant généralement admis que le rationalisme reflète surtout le courant philosophi-que et scientifique du XVIIee siècle, spécialement incarné par Descartes, et qui induiraensuite des réflexions plus critiques, de la part de Kant par exemple avec sa « critique dela raison pure ».

Le second courant, a contrario, qualifié d’empirisme, fonde la validité des conclusionsscientifiques sur la vérification dans un grand nombre de cas, au moyen de l’expérienceet notamment de l’expérimentation, d’une hypothèse, approche qui permet, par l’induc-tion, de passer de ces cas particuliers à une règle générale. Plus le nombre de vérificationsfaites sur des situations singulières sera élevé, plus forte sera la probabilité que cettehypothèse soit vraie et, donc, d’en faire une « loi » générale. Pour les tenants de cetteapproche, la connaissance ne peut se construire dans l’abstraction seule et nécessite lepassage par des « expériences sensibles et singulières ». Alors que dans le courant ratio-naliste c’était la raison qui constituait la pierre angulaire de toute démarche scientifique,dans le courant empirique, c’est l’expérience qui est posée en clé de voûte de tout l’édificescientifique. Même si les racines d’un tel mode de fonctionnement scientifique sont loin-taines, – Aristote déjà y faisait référence –, c’est avec des auteurs comme Bacon, Locke ouMill que ce courant s’est affirmé, à partir du XVIe siècle et, encore plus, au XVIIe.

Les sciences, à la fin du XIXe et jusque dans les années 1970, ont largement été dominéespar un « empirisme logique », fondé, comme dit précédemment, sur la propositiond’énoncés vérifiés empiriquement et à partir desquels on induit des « lois générales ». Lefameux Cercle de Vienne, particulièrement représenté par Carnap, se fera l’écho desthèses liées à l’empirisme logique, souvent qualifié aussi de positivisme logique. Le prin-cipe de vérification est érigé en pierre angulaire de ce mode de pensée scientifique.

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L’observation consciente de faits mesurables, et leurs corollaires, les données empiriques,se voient ainsi conférer leurs lettres de noblesse.

Pourtant, les approches inductives comme bases de constitution de « lois générales » ontprovoqué bien des débats entre philosophes comme entre scientifiques. Ainsi, Hume19,philosophe du XVIIIe siècle, pose la question de savoir dans quelle mesure l’inductiond’une conclusion générale (s’appliquant donc à des situations à venir similaires) à partir deconstats empiriques faits sur des situations individuelles passées est justifiée. Les exemplesdes corbeaux noirs ou des cygnes blancs sont souvent donnés pour illustrer ce problème delogique liée à l’induction. Ce n’est pas parce qu’on a vérifié des milliers de fois que lescorbeaux étaient noirs et les cygnes blancs qu’on a ainsi la certitude scientifique (et qu’onpeut donc en construire une loi générale) selon laquelle le prochain corbeau rencontrésera forcément noir et le cygne blanc et qu’on est, par conséquent, autorisé à tirer la loigénérale selon laquelle tous les corbeaux sont noirs et tous les cygnes blancs.

C’est dans cet esprit que Popper inscrira ses travaux (voir la section suivante et lecomplément 2 du site compagnon), dans la mesure où une seule observation d’un corbeauqui n’est pas noir ou d’un cygne qui n’est pas blanc vient réfuter la théorie générale(principe de la réfutation).

1.3. La conception scientifique dominante au XXe sièclePopper, considéré comme un des philosophes et théoriciens particulièrement influent duXXe siècle, a notamment eu à cœur de montrer que l’induction, consistant à tirer desrègles générales à partir de l’observation du monde, pouvait conduire à des conclusionsscientifiques erronées et que les théories scientifiques, quel qu’en soit le domaine, nepouvaient pas véritablement être vérifiées, mais pouvaient seulement être réfutées.Distinguant sur cette base les sciences des « non-sciences » ou « pseudosciences »,Popper introduit l’idée qu’une hypothèse est scientifique dès lors qu’elle peut être réfutéepar l’expérience (les termes « réfutation » et « réfutabilité » sont nettement préférablesaux anglicismes « falsification » et « falsifiabilité » parfois employés). Il rejette donc l’idéede vérification des hypothèses. Il en résulte qu’une théorie est considérée comme vraietant qu’aucune preuve ne vient la réfuter. Ceci a pour conséquence qu’on peut, par laréfutation, apporter la preuve certaine qu’une théorie est fausse, mais qu’en revanche onne peut apporter la preuve certaine qu’une théorie est vraie. Ce qui fait dire à Popperque : « Le jeu de la Science est en principe sans fin. Celui-là se retire du jeu qui décide un jourque les énoncés scientifiques ne requièrent pas de tests ultérieurs et peuvent être considéréscomme définitivement vérifiés. »

Cependant, Popper argumente que le processus de réfutation de théories conduitprogressivement vers des « théories vraies ». En effet, à l’idée bien connue de réfutation,Popper ajoute l’idée de « corroboration ». Il est nécessaire du point de vue scientifique dechercher à corroborer une théorie par des tentatives multiples de réfutation de cettedernière. Ainsi, prenons un exemple de proposition scientifique en gestion : la flexibilitédes entreprises de petite taille. Si de multiples recherches tentent, sans succès, de réfutercette hypothèse et ne trouvent donc pas de cas d’entreprise de petite taille qui ne soit pasflexible, on aura corroboré la « loi générale », non par l’accumulation de cas d’entreprises depetite taille flexibles, mais par l’impossibilité de découvrir, malgré des tentatives de réfu-tation nombreuses et répétées, une entreprise de petite taille qui ne soit pas flexible.

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Certains auteurs, toutefois, comme Kuhn (1972)20, considèrent que, progresser vers unethéorie vraie par la réfutation suppose de pouvoir comparer les anciennes théories réfu-tées aux plus récentes. Or, Kuhn soulève la question de la confrontation théorique dèslors que de profonds bouleversements conceptuels ont eu lieu, du fait de la réfutation desthéories antérieures. Ainsi, comment et sur quoi comparer des théories aussi différentes,conceptuellement parlant, que la physique classique, par exemple, avec la physiquequantique ? Kuhn introduit à ce sujet l’idée d’incommensurabilité, autrement dit lesconcepts sur lesquels il conviendrait de comparer les théories ne partagent aucunemesure commune possible : ils sont incommensurables.

De plus, si les sciences de la Nature se prêtent particulièrement bien à une approchePoppérienne, nombreux sont les auteurs à considérer que cette approche n’est pascompatible avec les spécificités des sciences sociales et humaines. Pour Popper, toutefois,les discussions relatives aux sciences humaines et sociales au regard de la conceptionPoppérienne des sciences sont essentiellement dues à une mauvaise connaissance etinterprétation des approches et méthodes des sciences naturelles. Il s’intéresse d’ailleursspécifiquement aux sciences sociales dans divers ouvrages, critiquant notamment« l’historicisme » de ces dernières qui se fait au détriment d’un rationalisme critique. Ildénonce ainsi l’ambition, selon lui inatteignable, de prédiction historique que se sontassignées certaines sciences sociales. Popper considère que sciences naturelles et scienceshumaines et sociales peuvent être rapprochées autour d’une « même méthode hypothé-tico-critique » et « que les différences touchant la complexité de leur objet, l’utilisation desméthodes quantitatives, l’interaction du sujet et de l’objet, la variation des conditions expé-rimentales, etc. sont des différences de degrés dans l’applicabilité de la méthode critiqueplutôt que des différences de nature qui requerraient pour les sciences sociales l’élaborationd’une méthodologie différente. »21

Divers chercheurs, comme Martinet, Le Moigne ou Morin par exemple, doutent cepen-dant de la pertinence de telles approches pour les sciences de gestion ou sciences sociales.Ceci conduit Martinet à déclarer22 que les sciences de gestion ont cru obtenir une légiti-mité et une reconnaissance scientifiques en adhérant à des principes épistémologiques etméthodologiques forgés pour la mécanique rationnelle. Or, elles gagneraient aucontraire à être à plus ouvertes et plus créatrices dès lors que ces méthodes risquent decompromettre l'objet de la recherche. Ces chercheurs et d’autres évoquent notammentles forts effets de contexte qui existent en sciences de gestion et plus largement en scien-ces humaines et sociales. De plus, chaque situation y est singulière, empreinte de variabi-lité, évolutive, se transforme et cette évolution même, tout comme la complexité desphénomènes étudiés, compromettent une approche par la réfutation qui suppose unesimplification et une réduction difficiles, voire peu appropriées, dans ce cadre.

1.4. Le « nouvel esprit scientifique »

Méditant sur l’histoire des sciences traditionnelles comme la physique, les mathématiques ouencore la chimie, son domaine de recherche initial, Bachelard23 (1934) se déclare frappépar le fait que l’unité de la science, pourtant si souvent alléguée, ne correspond jamais à unétat stable et que, par conséquent, il est dangereux de postuler une épistémologie unitaire.Quelques trente ans avant Kuhn24 (1962), il constate que l’histoire des sciences estmarquée par une alternance de continu et de discontinu, de rationalisme et d’empirisme,

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etc. (voir le complément 4 du site compagnon). Il observe aussi que, non seulement lapsychologie du scientifique oscille, au quotidien, entre l’identité des règles et la diversitédes choses, mais encore que la pensée scientifique se divise en droit et en fait sur chaquethème, une rectification empirique étant toujours jointe à une précision théorique. Lapreuve scientifique s’affirme aussi bien dans l’expérience (contact avec le réel) que dansle raisonnement (référence à la raison). « Quel que soit le point de départ de l’activitéscientifique, cette activité ne peut pleinement convaincre qu’en quittant le domaine de base :si elle expérimente, il faut raisonner ; si elle raisonne, il faut expérimenter. »25

Pour Bachelard, même lorsqu’il y a conciliation, celle-ci n’efface pas le jeu dialogique26

de la pensée scientifique qui lui paraît être inscrit dans l’histoire même de la science, dans lamesure où jouer sur les deux pôles opposés d’une dialogique constitue une sourceinépuisable de renouvellements. L’épistémologie cartésienne étant toute entière appuyée surla référence aux idées simples, elle ne peut donc suffire à caractériser une pensée scienti-fique qui repose sur une dualité et un dialogue. Ceci le conduit à la conclusion que desprincipes épistémologiques vraiment nouveaux doivent être introduits dans la philo-sophie scientifique. Parmi ceux-ci, l’idée que les caractères complémentaires doiventêtre inscrits dans l’essence de l’être, rompant ainsi avec la croyance tacite selonlaquelle l’être est toujours le signe d’une unité monolithique. Plus généralement,l’être ne pouvant être saisi en un bloc, ni par l’expérience ni par la raison seules, cette épis-témologie nouvelle devrait rendre compte de la synthèse plus ou moins mobile de la raisonet de l’expérience. Cette conception dialogique qui lui paraît consacrer la nouveauté del’esprit scientifique au début du XXe siècle, constitue les premiers jalons de l’épistémolo-gie non-cartésienne qu’il développe. Une force de son argumentation tient dans l’illus-tration de son propos par deux dualités puisées dans des disciplines scientifiquestraditionnelles : géométrie euclidienne – géométrie non euclidienne, et physique des XVIIIe etXIXe siècles – physique du XXe siècle.

Il conçoit l’épistémologie non-cartésienne comme une extension de l’épistémologiecartésienne (qu’elle soit positiviste, réaliste ou naturaliste, voir section 1.3) permettantde l’absorber, tout comme la géométrie non euclidienne permet d’absorber la géométrieeuclidienne. L’objectivité y est prise comme une tâche pédagogique difficile et non pluscomme une donnée primitive : « Dès qu’on passe de l’observation à l’expérimentation,(…) il faut que le phénomène soit trié, filtré, épuré, coulé dans le moule des instruments,produit sur le plan des instruments. Or les instruments ne sont que des théories matérialisées.Il en sort des phénomènes qui portent de toutes parts la marque théorique. »27

Au-delà de cette conception épistémologique avant-coureuse des paradigmes épistémo-logiques constructivistes présentés à la section 3.2, la vision de Bachelard offre aussi deséléments précurseurs du paradigme des sciences de l’artificiel (Simon 1969)28 présenté àla section 2.2.

2. Deux grands paradigmes scientifiques contemporainsUn paradigme scientifique est un système de croyances relatives à ce qu’est une science, àce qu’elle étudie et à la manière dont elle l’étudie.

Il y aura un certain déséquilibre dans la présentation des deux paradigmes scientifiques,car l’un d’eux, celui des sciences naturelles, est beaucoup plus connu, répandu et installé

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que l’autre (depuis plus de trois siècles en ce qui concerne la physique et près de deuxsiècles en sciences sociales). L’autre, malgré des origines qui remontent à l’Antiquité, n’aété conceptualisé dans sa forme contemporaine qu’à partir de 1969 et est assez peu connuet mentionné par les chercheurs en sciences de gestion, encore souvent très influencés parle paradigme des sciences naturelles, en particulier en finance et marketing.

2.1. Le paradigme scientifique des sciences naturelles

Le paradigme des sciences naturelles (ou « exactes ») s’est longtemps imposé comme leseul et unique modèle pour toute pratique scientifique, inspiré notamment par la physi-que et la mécanique. La première tendance a donc été de chercher à appliquer les princi-pes et méthodes des sciences naturelles à toutes les autres sciences, même humaines.Comte (voir le complément 5 du site compagnon) ira ainsi jusqu’à concevoir la sociolo-gie comme une « physique sociale ». De ce fait, les champs d’étude auxquels le paradigmedes sciences naturelles ne pouvait servir de référence ont longtemps été considéréscomme ne pouvant pas être des sciences ou, au mieux, à être des « pseudosciences » ou« présciences ».

À la base de ce paradigme scientifique repose le postulat selon lequel une connaissancescientifique est une connaissance vérifiée au travers du recours à la méthode expérimen-tale. Dans le cadre de ce paradigme, la recherche, qui porte sur des « objets naturels », apour ambition de révéler des relations, en particulier causales, susceptibles d’expliquerles mécanismes sous-jacents aux divers phénomènes naturels étudiés et, plus large-ment, au fonctionnement de la Nature. C’est à partir du constat empirique objectif deces relations que le chercheur établit des « lois générales ». Seule cette méthode estjugée valable car vue comme l’unique approche capable d’établir la vérité scientifique. Leparadigme scientifique des sciences de la Nature établit par conséquent les règles d’une« bonne » science et dicte les règles d’une science « normale » selon l’expression de Kuhn(1972)29.

Le paradigme scientifique des sciences naturelles constitue très vite le mètre étalon de lapratique scientifique. En conséquence, la déduction, la méthode expérimentale et lesstatistiques deviennent ainsi les gages d’une science évoluée (voir aussi le site, complé-ment 5). Les autres sciences seront évaluées comme étant plus ou moins développées àl’aune de ces critères, notamment leur degré de quantification possible et leur capa-cité à donner lieu à des formalisations. La psychologie expérimentale, grâce à sesbatteries de tests, obtiendra, dans une certaine mesure, ses lettres de noblesse. Demême, on peut penser qu’une partie des sciences de gestion, celle qui se prête bien à laformalisation d’hypothèses et à la quantification, entre assez aisément dans ce cadreparadigmatique.

Mais, d’une manière générale, les sciences humaines et sociales ne peuvent s’appuyerle plus souvent que sur des quasi-paradigmes, moins reconnus et moins puissants que leparadigme des sciences naturelles. La multiplicité des principes épistémologiques etméthodologiques possibles pour ces « autres » sciences, ainsi que la difficulté d’unevérification jugée pourtant indispensable au regard des sciences naturelles, font qu’elles nepeuvent revendiquer un paradigme scientifique unifié et unificateur, fait de croyanceset principes clairs et forts sur ce qu’est la science en question et la façon dont elle doit

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se développer. Comme aucun paradigme scientifique ne prévaut, les chercheurs de cesdomaines ont du mal à s’accorder sur des conventions épistémologiques et méthodo-logiques ainsi que sur des bases théoriques indiscutables. Dans ce contexte,l’influence du paradigme scientifique des sciences naturelles a été, et est encoreaujourd’hui, très grande dans les sciences humaines et sociales, en particulier dans lessciences de gestion.

2.2. Le paradigme scientifique des sciences de l’artificiel

Ainsi que nous l’avons précisé précédemment, la question d’un paradigme de référencepour les sciences humaines et sociales (et plus largement pour les disciplines de recher-che et sciences autres que celles de la Nature) pose problème. De longs débats ont animéles communautés de chercheurs de ces « autres » sciences, afin d’essayer de déterminer laconduite à tenir entre un rejet total des paradigmes des sciences naturelles imposés auxautres champs de recherche, et un suivisme complet, malgré des difficultés récurrentes àappliquer certaines règles et certains principes dans un contexte humain et social. Ausein même des sciences de gestion, les chercheurs sont encore partagés, d’ailleurs souventen fonction de leur spécialité : il est peut-être plus facile, en finance, de se placer dans uncadre épistémologique proche de celui des sciences naturelles. En revanche, dès que ladimension humaine, le contexte, les relations entre le chercheur et son sujet deviennentdes éléments d’importance, le strict respect du paradigme des sciences de la Naturedevient difficile, voire impossible. Diverses propositions ont ainsi été faites par des cher-cheurs en sciences humaines et sociales, et diverses positions adoptées sans que soitdégagé, cependant, un consensus plein et entier sur cette question. Dans ce cadre encoreun peu flou et mouvant, une approche s’est toutefois affirmée petit à petit, même si ellen’est pas encore connue et reconnue par le plus grand nombre. Elle nous semble pour-tant être digne d’intérêt et apporter des développements pertinents sur la manièred’envisager une démarche scientifique dans un contexte de sciences étudiant des phéno-mènes perçus non pas comme complètement « naturels », mais comme partiellementfaçonnés par l’homme, autrement dit « artificiels », d’où leur appellation « sciences del’artificiel ». Distinguer les sciences naturelles des sciences de l’artificiel permet de dépas-ser un certain nombre de clivages révélés par des intitulés qui portent en eux-mêmes unjugement de valeur : « sciences dures ou exactes » versus « sciences molles » ; « sciencesfondamentales » versus « sciences appliquées » ; « sciences » versus « humanités », parexemple. Dans toutes ces appellations, les « vraies » sciences s’opposent aux autres sur labase de la référence constante – le plus souvent implicite – à un seul et même paradigmescientifique, celui des sciences naturelles. Or, celui-ci, comme argumenté précédem-ment, s’avère plus ou moins adéquat selon le domaine d’étude considéré. Le paradigmedes sciences de l’artificiel présente donc l’intérêt d’offrir un autre modèle de science, bienadapté là où le paradigme des sciences naturelles s’avère inadapté.

La conceptualisation des sciences de l’artificiel part de l’argument selon lequel pratique-ment tous les éléments de notre environnement donnent des témoignages de l’artificehumain. Le monde dans lequel nous vivons peut davantage être considéré commefaçonné par l’homme, c'est-à-dire « artificiel », que comme naturel. Artificiel étant alorspris dans le sens donné par Simon 199630 (voir encadré 1.2) : « [les phénomènes artificiels,

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ou artefacts,] sont comme ils sont parce qu’un système est façonné par ses buts ou par sesintentions, de manière à s’adapter à l’environnement dans lequel il vit. »

Simon (complément 6, site compagnon) note que, dans le paradigme des sciences natu-relles classiques – essentiellement la physique et la biologie – il est difficile de représenteret de rendre compte des phénomènes artificiels, essentiellement pour deux raisons :d’une part, la contingence de ces phénomènes à leur environnement ; et, d’autre part,leur caractère téléologique (c'est-à-dire leur capacité à s’auto-définir des buts qui orien-teront leur fonctionnement) qui rend difficile de démêler ce qui relève de la prescriptionde ce qui relève de la description.

Plus précisément, Simon (1996)31 écrit : « Cette contingence des phénomènes artificiels atoujours fait planer des doutes sur la possibilité de les considérer comme relevant du domainede la science. Le problème essentiel est de montrer comment des propositions empiriquespeuvent effectivement être élaborées sur des systèmes qui, dans des circonstances différentes,peuvent être autres que ce qu’ils sont.

L’ingénierie, la médecine, l’architecture ne sont pas concernées d’abord par le nécessaire maispar le contingent – non pas par la façon dont les choses sont, mais par la façon dont ellespourraient être –, en bref par la conception. »

La préoccupation centrale des sciences de l’artificiel est alors de développer des moyenspour comprendre l’enchevêtrement de multiples projets humains évolutifs, leurs interre-lations et leurs rapports avec des régulations perçues comme naturelles, en vue de laconception d’artefacts (objets artificiels) évolutifs destinés à fonctionner dans des envi-ronnements eux-mêmes susceptibles d’évoluer (voir encadré 1.3).

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1.2 Herbert Alexander Simon et les sciences de l’artificiel

Herbert A. Simon (1916-2001) est l’un des rares penseurs et scientifiques du XXe sièclequi ait excellé dans autant de domaines différents. Ses contributions à l’avancement deplusieurs sciences lui ont valu les plus hautes distinctions : notamment, Prix Turing eninformatique (1975), Prix Nobel d’économie (1978), Fellow de l’Academy of Manage-ment (1983), Médaille nationale de la Science aux USA (1986), Prix John von Neumanen recherche opérationnelle (1988)...

Parmi ses innombrables apports transdisciplinaires, sa conceptualisation des sciencesde l’artificiel* n’a pas encore reçu toute l’attention qu’elle mérite malgré le potentiel dedéveloppement qu’elle offre à de nombreuses sciences, en particulier aux sciencesde gestion. Probablement, l’appellation insolite « sciences de l’artificiel » n’a pas aidé àla diffusion de cette conceptualisation « révolutionnaire » (au sens de Kuhn, 1972). Eneffet, le terme « artificiel » semble contraire à la notion de science, il a une résonnancepéjorative, et il évoque des artefacts physiques ou encore l’intelligence artificielleplutôt que des organisations humaines.

* Cette conceptualisation a été diffusée initialement dans un ouvrage au titre éponyme en 1969. Celui-ci a rapidement été traduit dans de nombreuses langues. Deux éditions complémentaires de cet

ouvrage (1981 et 1996) développent plus avant certains aspects de cette conceptualisation.

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L’expression sciences de l’artificiel est donc générique pour désigner un paradigmescientifique différent de celui des sciences naturelles classiques, sans préjuger dudomaine particulier (tel que le management, le marketing, l’économie, l’éducation,l’informatique, le langage, etc.) dans lequel ce paradigme peut être mobilisé.

Simon indique qu’une science de l’artificiel est étroitement apparentée à une scienced’ingénierie (science of engineering), tout en étant très différente de ce que l’on placecouramment sous l’appellation « science pour l’ingénieur » (engineering science).Lorsqu’il explicite ce qu’il place sous l’appellation science d’ingénierie, il introduit uneautre notion, celle de science de conception32 (science of design), qui met en relief la diffé-rence de posture associée aux deux paradigmes scientifiques : essentiellement uneposture d’analyse dans les sciences naturelles classiques, et une posture de conception/synthèse dans les sciences de l’artificiel, qui, sans exclure l’analyse, ne se réduit pas à cettedernière. Les connaissances développées dans les sciences de l’artificiel pourront ainsiêtre de deux types : les propositions de type conceptuel principalement destinées au

Les organisations : des artefacts humains et sociaux

Les organisations sociales telles que les entreprises, les administrations, les associationsà but non lucratif peuvent être considérées comme des artefacts au sens de Simon. Eneffet, une entreprise n’émerge pas comme un phénomène naturel, comme un objetcréé par la Nature, à l’instar des planètes ou des montagnes. Lorsqu’une organisationde type entreprise ou administration se crée, c’est sous l’impulsion d’un certainnombre d’individus, pour certains buts, dans un certain contexte qui impose uncertain nombre de contraintes sur le fonctionnement de cette organisation. Ainsi, uneorganisation n’est pas séparée de la nature : rien ne la dispense de respecter les « lois dela nature » telles que les besoins physiologiques de ses employés et les contraintesphysiques dans ses activités de production et de distribution.

En outre, en tant qu’artefacts, les organisations ont des propriétés spécifiques liées aufait qu’elles impliquent des êtres humains qui ne sont pas des objets inertes et passifs.« Au sein des organisations les individus ne sont pas seulement des processeurs d’informa-tion intéressés seulement par eux-mêmes ; ils ont aussi des liens tangibles, des attaches, desaffiliations à des communautés, ce sont des êtres émotionnels, et, oui, ils ont un corps. »(Tsoukas, 2005). D’autres caractéristiques attribuées aux individus, telles que cons-cience, réflexivité (Weick, 1999), créativité, désirs, capacité de se donner des buts, decommuniquer, d’interpréter, de partager et de contester des interprétations (Yanow etSchwartz-Shea, 2006), etc., jouent un rôle crucial dans les phénomènes étudiés par lessciences de gestion.

Il en résulte que les phénomènes organisationnels sont façonnés, au sens d’influencésplutôt que déterminés, par les actions d’êtres humains capables de concevoir desactions intelligentes pour tenter d’atteindre leurs objectifs.

Sources : Tsoukas H., Complex knowledge, Oxford University Press, 2005, p. 380 ; Weick K. E., « TheoryConstruction as Disciplined Reflexivity : Tradeoffs in the 90’s », Academy of Management Review, 24/4,

1999, p. 797-806 ; Yanow D., Schwartz-Shea P. (éd.), Interpretation and method. Empirical researchmethods and the interpretive turn, London, Sharpe, 2006.

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1.3

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monde académique, et les propositions de type opératoire plus orientées vers le mondede la pratique, sans pour autant être dénuées d’intérêt académique.

Quatre indices distinguent l’artificiel du naturel33 :

1. « Les objets artificiels sont synthétisés par les êtres humains (bien que ce ne soit pastoujours ni même habituellement avec une claire vision anticipatrice).

2. Les objets artificiels peuvent imiter les apparences des objets naturels, bien qu’il leurmanque, sous un ou plusieurs aspects, la réalité de l’objet naturel.

3. Les objets artificiels peuvent être caractérisés en termes de fonctions, de buts, d’adaptation.

4. Les objets artificiels sont souvent considérés, en particulier lors de leur conception, entermes d’impératifs tout autant qu’en termes descriptifs. »

Par conséquent, alors que les sciences naturelles sont concernées par l’étude de phéno-mènes naturels, tel le mouvement des planètes de l’univers, les sciences de l’artificiel sontconcernées par l’étude de projets conceptuels, à savoir, les projets enchevêtrés de multi-ples êtres humains qui interviennent dans la construction et les évolutions de l’artefactétudié (voir encadré 1.3). Les sciences de l’artificiel ont pour but à la fois de faireprogresser la compréhension du fonctionnement et de l’évolution des artefacts dans leurenvironnement et de développer des connaissances pertinentes pour la conception et lamise en œuvre d’artefacts évolutifs ayant des propriétés désirées, tels que, par exemple,un outil de gestion nouveau – comme un ERP –, qui possèderait des caractéristiquessusceptibles de favoriser son appropriation et son usage effectif par les membres del’organisation. À titre d’illustration, et non de modèle à adopter dans toute recherchemenée dans le paradigme des sciences de l’artificiel, l’encadré 1.4 offre un exemple derecherche menée dans le cadre de ce paradigme.

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1.4 Exemple d’une recherche explicitement conduite dans le paradigme

des sciences de l’artificiel

Cette recherche, dont le canevas est détaillé à l’encadré 1.7, vise à identifier des conditionsfacilitant la formation de stratégies de développement durable dans des groupes multina-tionaux. Comme il existait peu de connaissances sur ce sujet à son début en 2004, cetterecherche a mené en interaction étroite une revue de la littérature et une étude empiriquedestinée à comprendre les modes de fonctionnement mis en place dans divers groupesmultinationaux déclarant mener des stratégies globales de développement durable.

L’étude empirique cherchait donc à comprendre le fonctionnement d’artefacts exis-tants (voir encadré 1.3). Dans chaque cas, les chercheurs ont étudié les processus misen œuvre, les acteurs internes impliqués, les principales parties prenantes externes, lesprojets respectifs et les attentes mutuelles de toutes ces catégories d’acteurs, leursmoyens d’action, etc.

Les informations mobilisées pour cette recherche (voir encadré 1.7) proviennent dedocuments (internes et externes) concernant les actions de ces groupes et des partiesprenantes considérées.

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Les autres informations ont été récoltées par le biais d’observations et d’entretiens avecdes responsables de ces groupes au niveau du siège et dans les filiales, ainsi qu’auprèsd’experts internationaux actifs dans les débats sur le développement durable : membresd’ONG, universitaires travaillant sur le sujet, représentants gouvernementaux, et consul-tants internationaux. Le but était d’identifier et comprendre les différentes catégories departies prenantes actives dans les conversations sur le développement durable, leurs fina-lités, leurs projets, leurs rôles, leurs contextes et modes d’action et d’interaction, etc.

Une grille d’analyse des expériences de tels groupes a ensuite été élaborée à partir desréférents théoriques que le travail empirique a fait émerger comme pertinents : parexemple, des notions centrales à la coordination et au contrôle de la relation siège/filia-les dans les groupes multinationaux tels que l’expatriation et le transfert de personnelsou la justice procédurale, ainsi que des notions centrales pour l’incorporation de lathématique du développement durable dans les stratégies d’entreprises, comme cellesde gouvernance soucieuse de développement durable, d’apprentissage organisationnelen matière de développement durable, ou encore d’éthique d’entreprise.

À partir de la compréhension ainsi développée, et en s’appuyant à la fois sur unecomparaison des fonctionnements à l’œuvre dans les différents groupes étudiés et surles connaissances déjà disponibles dans ce domaine, les chercheurs ont développé unsystème de propositions de deux niveaux différents : conceptuel et opératoire.

Ainsi que l’explique Barin Cruz (2007), les propositions de niveau conceptuel résument lesaspects théoriques du système propositionnel proposé. Dans cette recherche elles concer-nent notamment la gouvernance d’entreprise et l’apprentissage organisationnel. Exemplede proposition conceptuelle : « Les groupes multinationaux gagnent à instaurer des espaces dedialogue sur le développement durable d’une part avec les parties prenantes internationales etlocales et d’autre part entre le siège et les filiales, de façon à favoriser les échanges d’information,l’appropriation, l’amendement, la légitimation et l’évolution des projets. »

Les propositions de niveau opératoire sont principalement destinées à éclairer etstimuler l’action de managers. Dans cette recherche, elles concernent diverses actionssusceptibles de favoriser la mise en œuvre de stratégies de développement durable.Exemple de proposition opératoire : « Les groupes multinationaux gagnent à créer undépartement de développement durable au siège et dans chaque filiale, en leur attribuantdes fonctions de recueil, mémorisation et communication d’informations, ainsi que deformulation et de mise en œuvre des projets liés au développement durable. »

Lors de la présentation du système propositionnel, Barin Cruz rend précisémentcompte de la manière dont il a construit les diverses propositions via un travail deconception, qu’il qualifie de « saut inventif du chercheur », sur la base des matériauxthéoriques et empiriques mobilisés. Il rend également compte des inférences qu’il aeffectuées au fil de cette construction et met en évidence la manière dont les diversespropositions se relient les unes aux autres, ainsi que leur cohérence mutuelle.

Source : extraits de Barin Cruz L., Avila Pedrozo E., Chebbi H., « Le processus de formation d’unestratégie intégrée dans développement durable entre siège et filiales : cas de deux groupes français dela grande distribution », Management International, 12/2, 2008, p. 81-95 ; Barin Cruz L., Le processus de

formation des stratégies de développement durable de groupes multinationaux, thèse de doctorat,université Jean Moulin Lyon 3, 2007.

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1.4

(sui

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Enfin, Simon observe que les sciences de l’artificiel sont des sciences fondamentales, à lafois tout autant et autrement que le sont les sciences naturelles classiques. Ceci le conduità proposer d’inclure dans les programmes des écoles d’ingénieur les fondamentaux dessciences de l’artificiel au même titre que ceux des sciences naturelles.

3. Les paradigmes épistémologiques contemporains

Un paradigme épistémologique est un système d’hypothèses relatives aux questionsqu’étudie l’épistémologie. Ces hypothèses concernent donc ce qui est considéré commeconnaissable, ce qu’est la connaissance, et comment se constitue la connaissance.

3.1. Le foisonnement confus des paradigmes épistémologiques

Avant de focaliser notre attention sur les deux familles de paradigmes épistémologiquesqui, d’une part, ont leurs hypothèses fondatrices clairement explicitées et reconnues, et,d’autre part, reçoivent un certain assentiment et une reconnaissance de la part des cher-cheurs en sciences de gestion – la famille des paradigmes épistémologiques positivistes etla famille des paradigmes épistémologiques constructivistes –, nous présenterons rapide-ment d’autres paradigmes mentionnés dans la littérature existante. En effet, la consulta-tion de différents ouvrages et travaux en sciences de gestion, et plus largement ensciences sociales, souligne la grande confusion qui existe dans la classification des para-digmes épistémologiques et leur définition.

Ainsi, et pour n’en citer que quelques-uns, si Wacheux (s’inspirant des travaux de DeBruyne) décrit en 199634 quatre paradigmes épistémologiques : positiviste, sociologiecompréhensive, fonctionnaliste, constructiviste35, Usunier et alii (1993)36 opposent, eux, leparadigme positiviste au paradigme phénoménologique. Dans l’ouvrage de Thiétart et alii(1999)37, Girod-Séville et Perret différencient le positivisme, l’interprétativisme et le cons-tructivisme quand Le Moigne (1990)38 distingue le positivisme et le constructivisme et queBurrell et Morgan (1979)39 dénombrent quatre paradigmes : le paradigme interprétatif,le paradigme fonctionnaliste, le paradigme structuraliste radical et le paradigme huma-niste radical (incluant la théorie critique). Enfin, Mucchielli (2006)40 considère, lui, quele constructivisme est « une nouvelle position épistémologique » (…) « à côté du positi-visme et du subjectivisme ».

Ajoutant encore un peu plus de confusion à l’ensemble, certains sociologues canadiens41

parlent de paradigmes postmoderne, réaliste/néopositiviste et concordataire, sans oublierGephart (1999)42 qui distingue le positivisme de l’interprétativisme et de la théorie critique/postmodernisme43. Ce dernier met d’ailleurs dans une même catégorie interprétativisme etconstructionnisme, parlant même de « constructionnisme interprétatif » et semble assimi-ler plus ou moins constructionnisme et constructivisme, alors que Mucchielli affirme aucontraire que le constructionnisme correspond à « une construction sociale de la réalitésociale par les acteurs sociaux » et non à la posture épistémologique constructiviste, dontles bases sont une connaissance construite et imparfaite. Il considère, par conséquent, quele mot « constructivisme » a été dévoyé de son sens premier.

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Il apparaît cependant que les paradigmes positiviste/post-positiviste sont souventprésentés de manière associée, alors que le paradigme interprétativiste est soit assimiléou associé au paradigme constructiviste (par exemple par Guba et Lincoln, 198944), soitprésenté comme un troisième paradigme épistémologique (par exemple, par Girod-Séville et Perret, 1999445), même si, pour ces dernières, le constructivisme et l’interpréta-tivisme partagent des hypothèses communes sur le « statut de la connaissance » (subjec-tive et contextuelle) et la nature de la « réalité » (hypothèse phénoménologique). C’est sur lamanière dont la connaissance est engendrée, par construction pour l’un et par interpré-tation pour l’autre, que les deux paradigmes sont dissociés et, par voie de conséquence,sur les critères de validité qui fondent la valeur de la connaissance obtenue. Cette posi-tion est aussi celle adoptée par Giordano (2003)46. Charreire et Huault (2001)47 préci-sent, d’ailleurs, au sujet du paradigme constructiviste qu’il « révèle une grande diversité, senourrissant de courants disciplinaires et philosophiques nombreux », alors que Corcuff(1995)48 avait déjà noté que « il y aurait davantage une ‘galaxie constructiviste’ qu’une‘école’ bien identifiée ».

Pourtant, si l’on se réfère à la distinction entre épistémologie et méthodologie présentéeà la section 1, le paradigme interprétativiste serait plutôt à considérer comme un para-digme méthodologique et non épistémologique. Comme nous le verrons dans l’encadré1.8 avec Yanow (2006)49, le paradigme interprétativiste présente en outre la particularitéde reposer sur des hypothèses fondatrices communes ou cohérentes avec celles des para-digmes épistémologiques constructivistes.

Pour ces différentes raisons, nous allons présenter plus précisément les paradigmes posi-tivistes/post-positivistes et ensuite les paradigmes constructivistes. Il y aura un certaindéséquilibre dans la présentation des deux familles dans la mesure où la positiviste estbeaucoup plus connue et a fait l’objet de nombreux développements dans les ouvragesde méthodologie de la recherche en sciences sociales (comme Grawitz, 200150 par exem-ple). En outre, la famille des paradigmes épistémologiques constructivistes, moinsconnue, est également plus compliquée à présenter car, comme indiqué plus haut, ilexiste de multiples courants de pensée dont les dénominations se recouvrent, tout enayant parfois des contenus différents (voir section 3.3 pour un exemple détaillé). Parailleurs, comme nous le verrons à la section 6.4, d’autres confusions naissent du fait quesous l’appellation perspective constructiviste se retrouvent des théories qui ne sont pastoujours compatibles entre elles avec des portées très différentes, allant des théories dusocial à des théories fondamentales de la connaissance.

3.2. Les hypothèses fondatrices des paradigmes épistémologiques positivistes et post-positivistes

Certains auteurs comme Guba, Lincoln (1989) et Le Moigne (1995, 2007) associent aunoyau dur des hypothèses fondatrices des paradigmes épistémologiques positivistescelles du réalisme scientifique. Au-delà de l’argument qu’il développe pour légitimercette association positivisme-réalisme51, Le Moigne note que, pour Comte, « le mot positifdésigne le réel ».

Le paradigme positiviste (voir le site compagnon, complément 7) repose sur des hypo-thèses fortes qui constituent pour les tenants de ce courant épistémologique les canons

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22 Méthodologie de la recherche

d’une « bonne » science. Après les avoir présentées, nous préciserons comment ces hypo-thèses ont été quelque peu rendues moins contraignantes par les post-positivistes.

La première hypothèse, qualifiée d’ontologie52 réaliste, postule l’existence d’un réelindépendant de l’intérêt et de l’attention que peut lui porter un chercheur. Il existe donc,pour les positivistes, un réel objectif, unique, connaissable, et le chercheur sera capable,non seulement de l’étudier et de le cerner, mais de le comprendre en toute neutralitépuisque ce réel est indépendant de lui. Dans cette perspective paradigmatique, la vérité(qui correspond à la validité interne) repose sur l’isomorphisme des énoncés établis parle chercheur avec le réel. Elle est obtenue par l’observation.

La deuxième hypothèse, dite de détermination naturelle, pose que le réel existentiel estdéterminé par une quelconque forme de détermination naturelle. Une approche scienti-fique positiviste permet, en observant les faits de manière empirique, en éclairant lescausalités et en construisant des règles, de découvrir et comprendre ces formes de déter-mination. Autrement dit, il est postulé que le réel est régi par des lois naturelles immua-bles, dont beaucoup prennent la forme de relations de cause à effet, observables etmesurables scientifiquement. On reconnaît dans cette hypothèse certains éléments ducélèbre Discours de la méthode de Descartes (voir complément 8 du site).

La troisième hypothèse, dite d’épistémologie objectiviste dualiste, postule que le cher-cheur doit et peut se placer en position d’extériorité par rapport au phénomène étudié,puisque l’observateur et l’objet étudié sont deux entités clairement séparées d’une partet, d’autre part, grâce aux précautions prises par le chercheur pour rester détaché etdistant de son objet d’étude (un état fréquemment appelé dualisme objet-sujet). Faisantpreuve d’objectivité, de neutralité et travaillant dans des conditions contrôlées (en parti-culier dans un cadre expérimental), le chercheur est en mesure d’exclure toutes considé-rations de valeur susceptibles de l’influencer. De même, le postulat d’indépendance entrel’observateur et son objet d’étude permet de considérer que, sous certaines conditions, lechercheur n’influence pas l’objet étudié.

Outre ces hypothèses, les paradigmes épistémologiques positivistes et réalistes préconi-sent deux principes méthodologiques. Le premier est le principe cartésien de divisionou décomposition analytique « en autant de parcelles qu’il se pourrait pour mieux résoudre[chacune des difficultés] », et de « réduction du problème à sa plus simple expression ». Lamise en œuvre de ce principe suppose que le réel connaissable soit décomposable enparties, et que ces parties soient également connaissables.

Le second principe méthodologique privilégié est parfaitement adapté à l’hypothèsecausaliste de détermination naturelle présentée ci-avant. Il s’agit du principe de raisonsuffisante (Leibniz, 1710), selon lequel « rien n’arrive jamais sans qu’il y ait une cause oudu moins une raison déterminante ». L’adoption de ce principe fort et contraignant ajouteune hypothèse implicite elle-même forte sur le caractère naturel de la logique formelledéductive et donc des raisonnements de type syllogistique.

Le syllogisme est le mode de raisonnement logique déductif formel de type « si… alors »formalisé par Aristote. Il compte trois propositions ayant des statuts différents : uneprémisse majeure, une prémisse mineure et une conclusion. Dans ce mode de raisonne-ment, lorsque les deux prémisses sont supposées vraies alors la conclusion est formelle-ment vraie. Le syllogisme est classiquement illustré par l’exemple suivant : « Tous les

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Chapitre 1 – Inscrire son projet de recherche dans un cadre épistémologique 23

hommes sont mortels. » (majeure), or « Les Grecs sont des hommes. » (mineure), donc« Les Grecs sont mortels. »

Autrement dit, la logique déductive est non seulement utilisée pour ordonner les énon-cés décrivant le réel dégagés à l’aide du principe de décomposition analytique et deréduction, mais elle est aussi censée rendre indiscutablement compte de l’ordonnance-ment du réel lui-même. Ce qui n’est pas sans poser problème parfois en sciences degestion, où il peut être difficile de déterminer l’ordre exact des éléments qui intervien-nent dans l’apparition d’un phénomène, et la séquence causale la plus pertinente. Ainsi,doit-on se contenter de penser que la satisfaction au travail est la cause de la fidélité dessalariés, ou a-t-on à faire à une relation plus complexe dont il est délicat de déterminerl’ordre précis, avec par exemple des enchaînements multiples et des interactions/interre-lations, la fidélité étant susceptible d’agir sur la satisfaction qui en retour agirait elle-mêmesur la satisfaction, etc. ?

Par ailleurs, l’objet d’étude est isolé de son contexte – susceptible d’introduire desperturbations –, de façon que l’étude puisse converger vers la vérité et expliquer le réeltel qu’il est et fonctionne « réellement », condition indispensable pour pouvoir ensuitele contrôler et prédire son comportement futur. Une telle approche suppose implicite-ment que l’objet d’étude est isolable de son contexte et n’interagit pas avec le chercheur.Cette condition semble réalisable dans certains cas (notamment lorsque le projet derecherche se prête à une approche expérimentale contrôlée atemporelle) mais pas dansd’autres. Par exemple, lorsque l’intérêt du projet de recherche et la richesse de lacompréhension apportée résident précisément dans la prise en compte des relationsque l’objet entretient avec son contexte, ou bien encore quand la relation entre le cher-cheur et le sujet/objet de la recherche est indispensable et bénéfique au développementdu projet de recherche.

L’évolution du positivisme s’est faite pour tenir compte des critiques et limites évoquéespar de nombreux chercheurs, notamment dans le domaine des sciences humaines etsociales. Ainsi, pour les post-positivistes, il n’est pas toujours possible de saisir pleine-ment et parfaitement la réalité dans sa globalité. Le chercheur doit alors se contenter del’approcher « au plus près », en particulier en multipliant les méthodes. De même, lespost-positivistes estiment que le chercheur doit tout mettre en œuvre pour tendre versune objectivité maximale et, notamment, contrôler le plus précisément possible lesconditions dans lesquelles il réalise sa recherche, et spécialement sa collecte de données,de manière à s’assurer le plus possible de l’objectivité de son travail. De ce point devue, alors que les positivistes n’envisagent pas d’autres approches que la méthodeexpérimentale et la vérification d’hypothèses par les tests statistiques, les post-positi-vistes acceptent (et même s’efforcent de construire) d’autres modes de collecte dedonnées et s’attachent plutôt à réfuter des hypothèses qu’à les vérifier. Ils cherchent àadoucir les règles positivistes afin d’être mieux à même de saisir des phénomènessociaux complexes.

Après cette présentation du noyau dur des paradigmes positivistes/réalistes et post-positivistes, examinons maintenant les paradigmes épistémologiques constructi-vistes.

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24 Méthodologie de la recherche

3.3. Les hypothèses fondatrices des paradigmes épistémologiques constructivistes

Dans la littérature de sciences sociales, il y a essentiellement deux paradigmes épistémo-logiques constructivistes dont les hypothèses fondatrices sont explicitées et tenues pourplausibles. L’un a principalement été conceptualisé par des chercheurs issus du champdes sciences de l'éducation, comme Guba et Lincoln (1989). L’autre, fruit de la concep-tualisation par une équipe interdisciplinaire53 se plaçant dans le prolongement destravaux pionniers de Piaget, a été qualifié de radical par Glasersfeld (198854, 200555).Nous verrons dans le tableau 1.1, qui résume et met en perspective les hypothèses majeuresde ces deux paradigmes constructivistes, que tous deux reposent sur l’hypothèse de non-séparabilité entre l’observateur et le phénomène observé.

Pour définir leur conception du paradigme épistémologique constructiviste, Guba etLincoln (1989)56 introduisent trois niveaux ou ordres de questionnement : ontologique,épistémologique et méthodologique. Ils font alors observer qu’il n’y a pas, pour ces ques-tions, de réponse unique ou dont on peut faire la preuve, et qu’un paradigme constituejustement un ensemble de réponses à ces questions. Ils considèrent que si le paradigmepositiviste a dominé au cours des siècles derniers, le paradigme constructiviste, – identi-fié avec les paradigmes naturaliste, herméneutique ou interprétatif (avec de très légèresnuances qui ne sont pas précisées) –, a émergé comme un concurrent sérieux et succes-seur logique du paradigme positiviste. La conception du paradigme épistémologiqueconstructiviste qu’ils défendent repose sur trois hypothèses fondatrices57 (tableau 1.1)relevant des trois niveaux mis en exergue plus haut.

Au sujet du paradigme épistémologique constructiviste radical, Glasersfeld58 expli-que, en 1988, que : « Le constructivisme radical est radical parce qu’il rompt avec laconvention, et développe une théorie de la connaissance dans laquelle la connaissance nereflète pas une réalité ontologique ‘objective’, mais concerne exclusivement la miseen ordre et l’organisation d’un monde constitué par notre expérience. »59 Pour cetauteur, la connaissance ne prétend pas refléter un réel ontologique « objectif » parcequ’aucun humain ne sait si un tel réel existe, ni, s’il existe, s’il est alors connaissable.En 2005, il précise avoir utilisé l’épithète « radical » comme James (1912/1976)60

dans l’expression « empirisme radical » pour signifier « allant aux racines », « intran-sigeant »61.

On peut d’ores et déjà souligner le fondement principal de ce courant de pensée construc-tiviste radical : si l’existence d’un réel « tel qu’il est ou pourrait être en lui-même », indé-pendamment de toute perception par un être humain, n’est pas niée, la posture adoptéese veut agnostique62 pour reprendre les termes de Riegler (2001)63, dans le sens où cecourant ne se prononce pas sur l’existence ou la non-existence d’un réel unique. Autre-ment dit, il pose que nul être humain ne dispose de critères absolus permettant de savoiravec certitude s'il existe un réel et un seul, et, dans le cas où un tel réel existe, si celui-ciest semblable aux perceptions qu’il induit. Ce n’est donc pas l’existence d’un réel qui estcontestée, mais l’impossibilité de le connaître indépendamment des perceptions qu’ilinduit.

Ce point de vue conduit les tenants de ce paradigme à n’émettre aucune affirmationontologique sur ce qui est connu, ce qui, selon Glasersfeld (2001)64, est difficile à accepter :« De mon point de vue, le problème est que la plupart des critiques semblent ne pas vouloir

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26 Méthodologie de la recherche

accepter la conception explicite, programmatique que le constructivisme est une théorie de laconnaissance, et non pas une théorie de ce qui est. »

Les hypothèses fondatrices – « allant aux racines » – du paradigme épistémologiqueconstructiviste radical sont présentées dans le tableau 1.1 et mises en parallèle avec cellesdu paradigme constructiviste selon Guba et Lincoln.

Le tableau 1.1 met en évidence que le paradigme épistémologique constructiviste radicalest plus « ouvert » que le paradigme épistémologique constructiviste selon Guba etLincoln, puisqu’il ne pose aucune hypothèse fondatrice limitative sur la nature du réel(parce que de telles hypothèses sont invérifiables compte-tenu de l’hypothèse épistémo-logique de ces paradigmes). En particulier, les connaissances développées dans ce para-digme valent aussi bien s’il se trouve exister de multiples réels socialement construits ques’il existe un réel unique tel qu’il est en lui-même.

Deux points importants sont à retenir des éléments qui viennent d’être présentés. D’unepart, les paradigmes qualifiés d’interprétativiste et de constructiviste « modéré » sont trèsproches du paradigme épistémologique constructiviste radical tel que conceptualisé etdéveloppé par Glasersfeld, Le Moigne, et Riegler, présenté ci-avant. D’autre part, ce para-digme épistémologique constructiviste radical est profondément différent du constructi-visme également qualifié de « radical » par Girod-Séville et Perret, puisque ce dernierrepose sur l’hypothèse selon laquelle « l’essence de l’objet n’existe pas » (Girod-Séville etPerret, 1999, tableau 1.1, p. 14).

Par ailleurs, comme cela est argumenté dans le complément 9 du site compagnon, leparadigme épistémologique constructiviste radical, qui constitue un paradigme épisté-mologique explicitement fondé, alternatif aux paradigmes épistémologiques positivis-tes, soutient épistémologiquement le paradigme des sciences de l’artificiel, qui quant àlui, comme nous l’avons vu à la section 2, constitue un paradigme scientifique alternatifà celui des sciences naturelles classiques. Voir également le complément 11 du sitecompagnon pour les liens de filiation qui apparaissent entre les travaux de Bachelard etceux de Simon.

Enfin, cette présentation des hypothèses fondatrices des paradigmes épistémologi-ques montre que la spécification du paradigme épistémologique dans lequel un cher-cheur inscrit sa recherche est un acte fondateur et fondamental, qui a desconséquences sur toute la suite et notamment sur la validation/légitimation des résultatsde sa recherche.

4. Les notions de validation et de légitimation La question de comment établir la validité de théories peut être considérée comme régléedans les paradigmes épistémologiques positivistes depuis la contribution décisive dePopper (1959)65 (section 4.1). Le terme de validation ayant une forte connotation dansun contexte scientifique, nous verrons ensuite que dans les paradigmes épistémologiquesconstructivistes le terme de légitimation lui est préféré pour exprimer la valeur dessavoirs élaborés (section 4.2). À nouveau, nous détaillerons davantage la question de lalégitimation que celle de la validation qui a déjà fait l’objet de développementsnombreux.

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Chapitre 1 – Inscrire son projet de recherche dans un cadre épistémologique 27

4.1. La validation dans le paradigme épistémologique positiviste

Le chercheur positiviste ou post-positiviste va tout d’abord vérifier deux formes de vali-dité : la validité interne et la validité externe, pour déterminer la qualité et la valeur desconnaissances qu’il élabore, puisque c’est la validité de sa recherche qui constitue uneindication de la valeur scientifique des connaissances.

La validité interne correspond au fait de s’assurer que le chercheur, par le biais des instru-ments de mesure retenus et de la méthode mise en œuvre, a bien été capable de mesurer cequ’il souhaitait mesurer. La validité interne concerne donc l’isomorphisme des résultatsavec la réalité étudiée. Il s’agit d’être certain qu’on a correctement procédé aux mesures,sans introduire de biais, et qu’on a bien saisi le phénomène étudié et pas un autre, etqu’on l’a saisi dans sa totalité. Dans le cas d’une relation causale, si la validité interne dela recherche est élevée, alors le chercheur peut avancer avec une grande certitude qu’il y abien une relation de cause à effet entre les variables considérées. Les éléments suscepti-bles d’influencer négativement la validité interne d’une recherche sont nombreux, maisparmi les principaux, citons : des facteurs liés à un mauvais contrôle de la situation decollecte des données (notamment de l’expérimentation) ; des facteurs liés à un mauvaiscontrôle d’effets de biais (dans la sélection des sujets par exemple) ; des facteurs liés à desbiais de confusion dans l’analyse des données.

L’autre forme de validité que le chercheur va rechercher est la validité externe quiconcerne la généralisation des résultats le plus largement possible. L’objectif est d’être enmesure de généraliser les résultats obtenus dans les situations étudiées à l’ensemble dessituations comparables. Cela soulève donc la question de la qualité des échantillons.

Un autre critère, celui de la fiabilité (« reliability »), renvoie à la question de la stabilité desrésultats. Celle-ci suppose de s’assurer que les instruments de mesure utilisés sont constantsdans la façon dont ils rapportent des données, autrement dit que la technique ou l’instru-ment employé sera capable de recueillir les mêmes données d’une fois sur l’autre.

4.2. La légitimation dans le paradigme épistémologique constructiviste

Dans les paradigmes épistémologiques constructivistes, l’élaboration de connaissance estvue comme un processus intentionnel de construction de représentations éprouvées parl’expérience. Ces représentations sont censées être fonctionnellement adaptées au butpour lequel elles ont été élaborées. Elles ne prétendent pas être des miroirs fidèles desphénomènes qu’elles sont censées représenter. Dès lors, la validation des connaissancesen vigueur dans le paradigme épistémologique académiquement accepté depuis Popper(1959)66 ne fait pas sens.

Cela doit-il signifier pour autant que, dans un paradigme épistémologique constructi-viste, « tous les coups sont permis » (« anything goes ») selon la formule célèbre de Feye-rabend (1979)67 ? Si, en accord avec cet auteur, toute méthode de recherche est a prioriconsidérée comme admissible (voir encadré 1.8), le chercheur est néanmoins tenu enpermanence de s’assurer de l’adéquation de la méthode qu’il mobilise avec le projet derecherche qu’il poursuit, de veiller à la rigueur du travail effectué, et d’expliciter finementle processus suivi. Plutôt que de validation, on parlera alors de légitimation.

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28 Méthodologie de la recherche

Des savoirs seront considérés comme légitimés lorsqu'ils auront résisté, non plus auxassauts de multiples tests empiriques comme dans les épistémologies positivistes, mais,comme le suggérait Piaget dès 1967, aux assauts d'une critique épistémologique rigoureusesur les processus d'élaboration de ces savoirs, réalisée tout au long de la recherche par lechercheur lui-même ainsi que, possiblement, ex post par toute personne s'intéressant auxsavoirs ainsi élaborés, quel que soit son statut professionnel : chercheur ou praticien.

Cet effort de légitimation, ou « travail épistémique » selon l’expression de Martinet(2000)68, s’effectue donc par critique épistémologique interne du processus de recherche etdes produits de ce processus, à savoir :

• expliciter les hypothèses de base du paradigme épistémologique spécifique danslequel le développement de connaissances est effectué ;

• expliciter la manière dont sont argumentées dans ce référentiel les multiples déci-sions d’ordres épistémique, méthodologique et technique prises au cours de larecherche ;

• justifier les inférences effectuées sur la base à la fois des connaissances préalables et dumatériau empirique mobilisés.

Le travail épistémique est le travail qu’accomplit le chercheur en vue de légitimer les savoirsqu’il élabore. Le travail épistémique s’effectue par critique épistémologique interne, c'est-à-dire par « critique rétroactive des concepts, méthodes ou principes utilisés jusque-là demanière à déterminer leur valeur épistémologique elle-même » (Piaget, 1967)69.

Le travail épistémique ne se résume donc pas à un travail de validation au sens que ceterme a dans un paradigme épistémologique positiviste.

Dans les paradigmes constructivistes, la connaissance a le statut d’hypothèses plausibles,adaptées à l’expérience des sujets qui l’élaborent. La connaissance ne s’exprime pas sousla forme de théories prédictives ni de règles normatives à suivre impérativement. Elle estplutôt à utiliser comme un guide heuristique pour encourager la réflexion, éclairer dessituations problématiques, et/ou stimuler l’action créative en donnant à voir des voiesplausibles pour atteindre certains buts.

Étant donné la manière dont les connaissances élaborées sont légitimées et le statut deces connaissances, les recherches menées dans un paradigme constructiviste peuventintégrer des connaissances développées dans un paradigme positiviste, alors que la réci-proque ne tient pas.

5. La conception du plan ou canevas de la recherche Comme nous l’avons vu dans la section 3, la spécification du référentiel épistémologiquedans lequel le chercheur inscrira sa recherche est un acte fondateur, qui portera à consé-quence sur l’ensemble de la recherche : notamment sur le déroulement du processus, surla nature des savoirs élaborés au cours de la recherche et sur le statut qui leur sera attribué.La première étape dans la définition du projet de recherche est donc systématiquement laspécification du référentiel épistémologique. Il ne suffit pas de nommer le paradigmeépistémologique adopté. Du fait de la diversité des interprétations possibles des diffé-rents paradigmes (en particulier constructivistes), il est nécessaire d’indiquer explicite-

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Chapitre 1 – Inscrire son projet de recherche dans un cadre épistémologique 29

ment les hypothèses de base du paradigme épistémologique sur lesquelles l’ensemble dela recherche prendra appui.

Ensuite vient la définition du plan (terme généralement adopté par les positivistes etpost-positivistes) ou canevas de la recherche (expression généralement utilisée par lesconstructivistes)70. Celui-ci spécifie l’objet de la recherche (voir chapitre 2) et la questioncentrale qu’elle vise à étudier, les références théoriques majeures susceptibles d’êtremobilisées, la méthode de recherche et le type de contexte dans lequel sera effectué letravail empirique, la tactique de collecte des informations (les chapitres 3, 4, et 5 présen-tent différentes possibilités qui peuvent être combinées) et les stratégies de traitementqui leur seront associées (voir chapitres 6, 7 et 8).

La formulation de la question de recherche dépend du caractère déductif, inductif ouabductif de la recherche envisagée.

Dans une approche déductive, plus souvent qualifiée d’hypothético-déductive, il s’agitde tester, par le biais d’hypothèses, une théorie ou de mettre à l’épreuve dans des situa-tions particulières un certain nombre de connaissances développées préalablement (voirencadré 1.5).

Exemple de canevas pour une recherche hypothético-déductive

• Questions de la recherche : « vérifier que les stock-options constituent une incita-tion pour les dirigeants à agir dans l’intérêt des actionnaires » ; « étudier l’influenceexercée par les options, d’une part, sur l’évolution des décisions financières des diri-geants en tant que leviers d’action influençant la valeur de l’entreprise, d’autre part,sur la performance de la firme envisagée sous l’angle de la création de valeur action-nariale ».

• Méthode de recherche : « étude longitudinale (…), de nature hypothético-déductive »basée sur « l’observation d’un échantillon d’entreprises françaises cotées ».

• Cadre conceptuel : « le cadre conceptuel de l’étude est fourni par la théorie de l’agenceet la théorie des incitations ».

• Formulation d’hypothèses :

– « Hypothèse 1 : l’adoption de plans de stock-options incite les dirigeants bénéficiairesà prendre des décisions financières conformes aux intérêts des actionnaires. »

– « Hypothèse 1.1 : l’adoption de plans de stock-options est associée à unaccroissement des investissements. »

– « Hypothèse 1.2 : l’adoption de plans de stock-options est associée à uneaugmentation du financement par endettement. »

– « Hypothèse 1.3 : l’adoption de plans de stock-options est associée à unediminution de la distribution de dividendes. »

– « Hypothèse 2 : l’adoption de plans de stock-options est associée à un accroissement dela création de valeur actionnariale. »

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1.5

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30 Méthodologie de la recherche

Une recherche inductive vise à construire des connaissances nouvelles à partir de l’étudede situations empiriques (voir encadré 1.6).

Une recherche abductive procède par allers-retours successifs entre le travail empiri-que effectué et les théories et concepts mobilisés pour appréhender les situationsempiriques étudiées, et en construire des représentations intelligibles, en vue de laconstruction progressive de connaissances en relation avec des savoirs déjà admis.Dans une telle recherche, le canevas de la recherche peut évoluer tout au long dutravail : adaptation des guides d’entretien, affinement, adaptation ou même redéfi-nition de la question centrale de la recherche, changement de cadre théorique pouren adopter un autre plus congruent avec le matériau empirique recueilli, etc. (voirencadré 1.7).

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1.5

(sui

te) • Collecte des données :

– Enquête par questionnaire sur un échantillon de 61 entreprises françaises cotéesau 31 décembre 1996.

– Collecte d’informations sur un échantillon d’entreprises ayant les mêmescaractéristiques et dont « le rapport d’activité précisait, de manière non ambi-guë, la date de mise en œuvre du premier plan d’options destiné aux dirigeantssociaux ».

– « Les informations boursières ont été collectées dans la revue L’année boursière surla période 1986-1996, l’utilisation simultanée de plusieurs sources a été renduenécessaire par l’exigence de précision et d’homogénéité de l’information économi-que et comptable. Des rapports d’activité ont été obtenus auprès des directionsfinancières et des directions de la communication d’un certain nombre de sociétésde l’échantillon. Pour les données manquantes, les bases de données Diane etWorldscope, qui regroupent les informations économiques et financières de trèsnombreuses sociétés en France et dans le monde sur un large champ temporel, ontété utilisées. Enfin, il a fallu recourir aux avis publiés dans le Bulletin des AnnoncesLégales Obligatoires pour les données indisponibles dans ces bases, en particulierpour les plus anciennes d’entre elles. »

• Analyse des données :

– « Compte tenu de la taille de l’échantillon et, surtout, de la nature des données àtraiter, c’est la statistique non paramétrique qui s’est imposée, car elle permetd’étudier des distributions de variables ordinales, nominales ou d’intervalles sansfaire d’hypothèses sur leur forme ou leur nature. »

– « Afin de mesurer l’impact des options et des différentes variables explicativessur la création de valeur actionnariale, des régressions Logit ont été mises enœuvre. »

Source : extraits de Poulain-Rehm T., « Stock-options, décisions financières des dirigeants et création de valeur de l’entreprise : le cas français », Finance Contrôle Stratégie, 2003, p. 6, 3, 79-116.

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Chapitre 1 – Inscrire son projet de recherche dans un cadre épistémologique 31

Exemple de canevas pour une recherche inductive

• Objet de la recherche : « Étudier les liens qui existent entre l’environnement externed’une organisation et ses processus d’innovation. »

• Paradigme épistémologique non précisé

• Méthode de recherche : S’appuyant sur les constats de Zaltman, Duncan etHolbeck (1973) selon lesquels « une étude de l’innovation reposant sur l’analyse derésultats quantitatifs n’est pas appropriée car elle tend à négliger l’articulation deschoix stratégiques qui conduit à un produit nouveau », Xuereb fait le choix d’unerecherche qualitative et inductive.

• Collecte des données : « Immersion dans une entreprise de haute technologie. »Quinze processus d’innovation sont étudiés. Des entretiens en profondeur (100)sont réalisés avec des cadres de l’entreprise impliqués dans l’un des 15 processusd’innovation étudiés. D’autres entretiens (30) sont effectués auprès de cadres desservices fonctionnels. Des documents internes relatifs aux processus d’innovationsont également réunis. Cette procédure permet « la création de données exhaustivessur le développement des processus d’innovation ».

• 1re phase d’analyse des données : Les données collectées font l’objet d’une« procédure de recoupage » (sic), « ensuite systématiquement appliquée, parprocessus d’innovation, entre les différents entretiens réalisés et les documentsinternes étudiés ». Au final, 15 cas d’innovations ont ainsi pu être rédigés.

• Validation : Chaque cas a ensuite été soumis, accompagné d’un questionnaire, àdeux cadres gestionnaires du processus d’innovation explicité dans le cas. Le ques-tionnaire leur permettait de porter un jugement sur les faits rapportés (réalisme,omissions, etc.) et sur les éléments de réussite/échec du projet. La partie du ques-tionnaire relative aux éléments de réussite ou d’échec du projet a également étéenvoyée à des cadres des services fonctionnels afin d’obtenir un « avis plus neutre ».L’analyse des réponses a permis de valider « le caractère d’échec ou de succèscommercial de chaque processus étudié ».

• 2nde phase d’analyse des données : Après cette phase de validation, « une analysecomparative du développement des processus d’innovation étudiés » a permis de« déterminer des régularités de comportement des acteurs et des organisations etd’analyser l’environnement interne et externe de développement d’un processusd’innovation ». Cette analyse comparative s’organise sur la base d’une « doublegrille liée à la nature du processus d’innovation (autonome ou inscrit) et à son carac-tère d’échec ou de réussite » qui permet « la détermination des caractéristiquescommunes des processus d’innovation, en fonction de leur nature et de leur résultat »et, « l’analyse des différences constatées dans le développement des quatre classes deprocessus d’innovation ».

• Construction de connaissances nouvelles : « À partir de cette analyse, un certainnombre de concepts ont pu être développés. »

Sources : Extraits de Xuereb J.M., « Stratégies d’innovation dans les secteurs de haute technologie – Le Piège dumarché virtuel », Recherche et Applications en Marketing, 1993, p. 8, 2, 23-44.

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1.6

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32 Méthodologie de la recherche

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1.7 Exemple de canevas d’une recherche abductive

• Objet de la recherche : « Construction d’une grille d’analyse qui aide les managers degroupes multinationaux dans leur prise de décision » relative à la formation d’une stra-tégie intégrée de développement durable entre le siège et les filiales.

• Paradigme épistémologique non explicitement indiqué, mais inscription explicite dansune « posture de conception » fondée sur « l’acceptation de l’influence du chercheur dansle phénomène étudié » et sur « une démarche abductive, c'est-à-dire que tout au long de larecherche nous avons cherché à réaliser des allers-retours entre la théorie et le champ empi-rique, en visant constamment à s’approprier leur complémentarité ».

• Méthode de recherche : « Cette posture de conception a été suivie au cours des trois volets dela recherche : recherche théorique, entretiens avec les experts et études de cas… Pendant toutela recherche nous sommes retournés au référentiel théorique pour ajouter de nouveauxéléments qui ont émergé du champ empirique… Les deux axes théoriques qui ont guidé cetterecherche (stratégie d’entreprise et développement durable) ont été construits lentement, àmesure de l’avancée dans l’analyse des entretiens avec les experts et dans l’analyse des infor-mations relatives aux entreprises étudiées. »

• Collecte des informations : Effectuée en deux temps.

D’abord, « entretiens avec 22 experts brésiliens et européens du développement dura-ble. L’objectif était d’identifier certaines thématiques considérées importantes selon laperception de ces experts ». Une analyse de contenu thématique de ces informations(Bardin, 2000) effectuée en deux temps : les 8 thématiques initialement dégagéesont été consolidées en 3 thématiques. Ces 3 thématiques ont guidé la poursuite de larevue de la littérature dans le domaine du développement durable et la collected’informations dans les études de cas.

Ensuite étude de cas dans deux groupes. Collecte d’informations par « observationsdans les magasins des deux groupes, analyse de documents et entretiens auprès de certainsmanagers » dans un but de triangulation des informations recueillies. Le traitement desinformations a conduit à un nouvel approfondissement théorique de certaines idéesayant émergé dans les études de cas, tel que le niveau d’incorporation de la notion dedéveloppement durable dans leurs stratégies (Payne et Raiborn 2001).

• Conception d’une grille de lecture organisée autour des 3 thématiques progressive-ment dégagées : structure de gouvernance pour le développement durable, comporte-ment éthique dans le groupe, apprentissage par rapport au développement durable.

• Conception de propositions de type conceptuel et de type opératoire tels que parexemple (voir aussi encadré 1.8) : « Les groupes multinationaux gagnent à préserverdes objectifs de développement durable construits et périodiquement améliorés à partirdes échanges entre leurs intentions d’action et les demandes des parties prenantes inter-nationales et locales. » (Proposition de type conceptuel) ; « Les groupes multinatio-naux gagnent, en transparence et légitimité, à publier annuellement comment se faitl’évolution du partage de résultats financiers avec les différentes parties prenantes, tantau niveau international qu'au niveau local dans chaque filiale. » (Proposition de typeopératoire.)

Sources : extraits de Barin Cruz L., Avila Pedrozo E., Chebbi H., « Le processus de formation d’une stratégie intégrée dans développement durable entre siège et filiales : cas de deux groupes

français de la grande distribution », Management International, 12/2, 2008, p. 81-95. ;voir aussi complément 10 du site compagnon).

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Chapitre 1 – Inscrire son projet de recherche dans un cadre épistémologique 33

Lors de la construction du canevas, pour appréhender les relations récursives entre sesdifférents aspects, il est judicieux de les aborder conjointement en veillant à expliciter aufur et à mesure les raisons sous-jacentes aux choix effectués tout en s'assurant de leurcohérence et pertinence mutuelles. Le chercheur a aussi à réfléchir, non seulement àl’admissibilité de la méthode envisagée en fonction du paradigme épistémologique danslequel la recherche est inscrite (voir sections 5.1 et 5.2), mais aussi à son caractère prati-cable, c'est-à-dire à la capacité que le chercheur aura à la mettre en œuvre effectivement.Souvent, par exemple, nombre d’informations pertinentes pour la recherche sont confi-dentielles. Ainsi, si le projet est de comprendre les processus stratégiques effectivement àl’œuvre dans une entreprise selon la « perspective de la pratique en stratégie »71, il estindispensable que le chercheur puisse assister à diverses réunions considérées commestratégiques (et donc confidentielles) par des acteurs de l’entreprise considérée.La plupart du temps, dans les études de cas dites contemplatives (Savall et Zardet,2004)72, le chercheur n’est pas autorisé à participer à ce type de réunions, ni à étudier dedocuments relatifs à la stratégie de l’entreprise ou à ses activités de veille stratégique. Unemanière de contourner cette difficulté est de mener une recherche dite transformative(Savall et Zardet, 2004)73 dans cette entreprise, par exemple une recherche-interventionportant sur la conception/mise en place de processus favorisant l’intégration d’idéesémergentes dans le déploiement de la stratégie d'une entreprise : le chercheur étantdirectement impliqué dans la conception/mise en place de ces processus, il est de factohabilité à participer à toutes les réunions correspondantes et a accès à un grand nombrede documents jugés confidentiels par les acteurs de l’entreprise. Mais une telle approchene va pas sans soulever d’autres difficultés, en particulier celle de réussir à « vendre » unerecherche transformative à une entreprise. Évidemment, il faut aussi veiller à ce que cetteméthode soit compatible avec le paradigme épistémologique de référence.

5.1. Dans un paradigme épistémologique positiviste : inadmissibilité de certaines méthodes

Dans un paradigme épistémologique positiviste, la spécification du plan de recherche estmoins ouverte que dans un paradigme épistémologique constructiviste. Les méthodes derecherche ne sont pas toutes mobilisables : les méthodes dites transformatives, c'est-à-dire principalement les différentes formes de recherche-action et de recherche-interven-tion, sont par nature incompatibles avec la neutralité du chercheur qu’appelle un posi-tionnement positiviste. Outre l’expérimentation, seules des méthodes contemplatives,telles que l’étude de cas ou l’enquête par voie de questionnaires (éventuellement combi-nées), sont a priori acceptables, sachant que, même dans les méthodes dites contemplati-ves, l’objectivité qu’appelle un positionnement positiviste est considérée par nombre dechercheurs comme inatteignable (Grawitz 2001)74. En effet, il est désormais assez géné-ralement accepté que deux observateurs ne voient pas forcément les mêmes choses face àune même situation. Le chercheur peut donc, au mieux, essayer de tendre vers l’objecti-vité et la neutralité en prenant un certain nombre de précautions lors de la conception deses instruments de mesure et lors de la collecte des données, de manière à éviter le pluspossible d’introduire des biais (voir chapitre 3).

Afin de pouvoir justifier la validité interne d’une recherche déductive, inscrite dansun paradigme épistémologique positiviste, visant à tester des hypothèses (démarche

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34 Méthodologie de la recherche

hypothético-déductive), le plan de recherche doit être figé avant le démarrage de lacollecte d’informations. Toutefois, il est envisageable, même dans un paradigme épisté-mologique positiviste/post-positiviste, de conduire une recherche abductive et d’enchaî-ner plusieurs étapes de collecte avec des retours à la théorie entre les différentes phases, etle recours, si besoin, à des méthodes différentes.

5.2. Dans un paradigme épistémologique constructiviste radical : admissibilité de toutes les méthodes, à condition de...

Contrairement à une idée reçue, les paradigmes épistémologiques constructivistes auto-risent la légitimation de connaissances élaborées par interprétation et traitement d’infor-mations recueillies par le biais de n’importe quelle méthode de recherche, technique demodélisation, technique de collecte et de traitement d’information, et en mobilisanttoute connaissance déjà établie – c'est-à-dire toute connaissance dont le chercheur saitde quelle manière elle a été légitimée –, ceci à condition que soient respectées desconditions de transparence, éthique, et rigueur du travail épistémique et empirique.

L’exigence de transparence appelle la fourniture par le chercheur d’un rapport détaillérendant compte du travail épistémique et empirique effectué. Ce rapport doit expliciterla manière dont le chercheur légitime ses multiples décisions d’ordre méthodologique,ainsi que les inférences qu’il a effectuées sur la base des connaissances préalables et dumatériau empirique mobilisés. Par ailleurs, étant donné les hypothèses de base du para-digme épistémologique constructiviste dans lequel il inscrit son projet de recherche,quelles que soient les techniques de collecte et de traitement des informations qu’il autilisées, il est tenu d’assumer le caractère interprétatif des traitements effectués et,comme indiqué à la section 4.2, de considérer que les connaissances qu’il a élaborées ontle statut d’hypothèses plausibles, légitimées de la manière décrite dans le rapport détailléfourni (voir encadré 1.8).

Les modalités et les résultats de recherches menées dans un paradigme épistémologiqueconstructiviste peuvent être de natures très différentes selon la ou les méthodes derecherche mobilisées : enquête par voie de questionnaires (chapitre 3), étude de cas(chapitre 4), recherche-action (Wacheux, 199675 ; Allard-Poesi et Perret, 200376), recher-che-intervention (David, 2000)77, etc. En particulier, les connaissances élaborées ne sontpas nécessairement co-construites stricto sensu avec des acteurs des organisationsétudiées : même si le chercheur fonde en partie son travail de conceptualisation sur desinformations collectées auprès de membres d’organisations, bien souvent ceux-ci parti-cipent assez peu au travail de conceptualisation proprement dit.

Dans une étude de cas contemplative, tout comme dans certaines recherches-actionsau cours desquelles le chercheur intervient seulement comme facilitateur, l’élaborationde connaissances peut s’effectuer de manière inductive ou abductive. Le projet derecherche peut aussi viser à utiliser les situations empiriques examinées dans l’étude decas, ou suscitées dans la recherche-action, pour questionner ou mettre à l’épreuve uncertain nombre de notions théoriques préexistantes. Les connaissances élaboréespeuvent alors consister en des raffinements ou amendements des notions théoriquesexaminées.

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Chapitre 1 – Inscrire son projet de recherche dans un cadre épistémologique 35

Paradigme épistémologique constructiviste et paradigme méthodologique interprétatif : quelles relations ?

Pour Yanow (2006, p. 7) : le paradigme méthodologique interprétatif se présentecomme une « sorte de parapluie englobant plusieurs écoles de pensée différentes, y inclutcelles puisant, explicitement ou implicitement, dans la phénoménologie, l’herméneutique,(quelques-unes) des théories critiques de l’École de Frankfort, l’interactionnisme symboli-que et l’ethnométhodologie, parmi d’autres ». Dans ce paradigme méthodologique, lavisée des recherches est essentiellement compréhensive : comprendre les phénomènesétudiés, tant du point de vue du chercheur que de celui du sens que les différentsacteurs concernés leur donnent, particulièrement lorsqu’il n’y a pas congruence entrece qu’ils disent du phénomène considéré et leur manière effective d’agir en référence àce phénomène.

Yanow s’est attachée à dégager les principales « présuppositions philosophiques » duparadigme méthodologique interprétatif. Celles-ci se rattachent à la phénoménologieet à l’herméneutique, et s’avèrent donc cohérentes avec les hypothèses fondatrices desparadigmes épistémologiques constructivistes rappelées à la section 3.2. Ceci a lesconséquences suivantes. D’une part, le processus de légitimation de connaissancesélaborées dans le cadre des méthodologies interprétatives suit pour l’essentiel la mêmevoie que celle, décrite plus haut, en vigueur dans les paradigmes épistémologiquesconstructivistes. D’autre part, comme dans les méthodes interprétatives, les connais-sances élaborées dans un paradigme épistémologique constructiviste reposent fonda-mentalement sur une quête de compréhension des phénomènes étudiés qui ne se limitepas à la recherche de relations causales linéaires.

Toutefois, contrairement à une idée reçue, les possibilités d’élaboration de connaissan-ces dans un paradigme épistémologique constructiviste ne se limitent pas à un usageexclusif des méthodes dites qualitatives ou interprétatives* (Roussel et Wacheux, 2005).Par ailleurs, les recherches s’inscrivant dans un paradigme épistémologique constructi-viste peuvent avoir d’autres « produits » que la seule compréhension de phénomènes.Dans ces recherches, il peut en effet s’agir de « comprendre suffisamment [le monde] pourdonner aux acteurs des moyens accrus de le changer de façon plus efficace, efficiente etlucide » (Martinet, 1990, p. 21) ou encore de « comprendre pour faire autant que de fairepour comprendre » (Le Moigne, 2007, p. 226).

Sources : Yanow D., « Thinking interpretively : philosophical presuppositions and the human sciences »,in Yanow D., Schwartz-Shea P. (éd.), op. cit, p. 5-26 , Roussel P., Wacheux F., Management des ressourceshumaines, Méthodes de recherche en sciences humaines et sociales, de Boeck, Bruxelles, 2005 ; Martinet

A.C. (coord.), Épistémologie et Sciences de Gestion, Paris, Economica, 1990 ; Le Moigne J.-L.,« Comprendre, c’est conjoindre », Chemins de formation, n° 10-11, 2007, p. 223-231.

* Par exemple, une méthode de type hypothético-déductif peut être mobilisée dès lors que lesdifférents tests effectués peuvent légitimement être tenus pour réalisés toutes choses égales par

ailleurs. Les résultats obtenus en termes de corroboration ou non-corroboration des connaissancesmises à l'épreuve sont alors considérés comme des inférences heuristiques interprétables de la manière

suivante. La corroboration des connaissances mises à l'épreuve par cette méthode procure deséléments complémentaires de légitimation de ces connaissances. Leur non-corroboration fournit des

éléments complémentaires pour nourrir une réflexion sur les raisons pour lesquelles ces connaissancesn’ont pas été corroborées. Autrement dit, la non-corroboration des connaissances stimule un retour

réflexif sur la méthode mobilisée ainsi que sur les connaissances mises à l'épreuve.

Enca

dré

1.8

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36 Méthodologie de la recherche

Dans le cas de recherches-interventions ou de recherches ingénieriques (Chanal et alii1997)78, le chercheur conçoit un dispositif ou un outil pour répondre à une problémati-que managériale ou gestionnaire particulière, le construit, et agit à la fois comme anima-teur et évaluateur de sa mise en œuvre. Les connaissances élaborées peuvent alors portersur des aspects génériques de l’expérience dégagée de la mise en œuvre du dispositifconçu dans le cadre de la recherche. Elles peuvent aussi porter sur des raffinements ouamendements des notions théoriques en référence desquelles le dispositif ou l’outil a étéconçu.

6. Les principales confusions sur le sujet de l’épistémologie

Dans ce chapitre, nous nous sommes efforcés de clarifier, au fur et à mesure des dévelop-pements, un certain nombre d’ambiguïtés et de lever ainsi certaines zones d’ombre. Auterme de ce chapitre, il paraît important d’insister sur les principales confusions rencontréesdans le domaine de l’épistémologie.

6.1. Confusion entre épistémologie et méthodologie Il a été souligné que la méthodologie ne représente qu’un aspect de l’épistémologie. Lequestionnement épistémologique ne se réduit donc pas au questionnement méthodolo-gique, même si celui-ci occupe une place importante. La connaissance et la compréhensionde cette distinction peut aider les chercheurs, lors de la conception du plan ou du canevasde leur recherche, à mieux distinguer ce qui relève de l’épistémologie de ce qui relève dela méthodologie. Et, par là, à mieux assurer leur réflexion d’ordre méthodologique.

Exemples de confusions :

• Considérer que l’on ne peut pas mener de recherches de type abductif dans un paradigmeépistémologique positiviste. Ce point a été clarifié à la section 5.1.

• Considérer que seules les recherches de type recherche-intervention peuvents’inscrire dans un paradigme épistémologique constructiviste, et que les recherchesmenées par études de cas contemplatives relèveraient d’un autre paradigme épisté-mologique, qualifié d’interprétativiste. Dans la section 5.2 nous avons souligné queles paradigmes interprétativistes ont les mêmes hypothèses épistémologiquesfondatrices que les paradigmes épistémologiques constructivistes.

• Considérer que dans toutes les recherches inscrites dans un paradigme épistémolo-gique constructiviste, les connaissances sont nécessairement co-construites aveccertains des « acteurs de terrain » impliqués dans le travail empirique. Si effective-ment les faits mis en forme et les savoirs locaux élaborés sur la base des informationsrecueillies, notamment par entretiens, peuvent être considérés comme des co-cons-tructions entre le chercheur et certains des acteurs interrogés, il n’en va pas de mêmedes conceptualisations à partir de ces faits mis en forme et de ces savoirs locaux. Engénéral, le travail de conceptualisation est effectué principalement par les chercheurssur la base d’informations récoltées dans diverses situations empiriques, et en liaisonavec divers référents théoriques et connaissances déjà admises, comme nous l’avonsvu dans l’exemple décrit dans l’encadré 1.4. Dans ce travail de conceptualisation, la

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Chapitre 1 – Inscrire son projet de recherche dans un cadre épistémologique 37

collaboration avec les praticiens se limite en général à deux types d’action (Avenier,2008)79 : revenir sur certains points qui n’ont pas été examinés de manière suffisam-ment détaillée – ou pas examinés du tout – lors de l’élaboration de savoirs locaux ;discuter les savoirs conceptualisés par le chercheur, avec les quelques praticiens inté-ressés par ce travail réflexif souvent fort éloigné de leurs préoccupations directes.

6.2. Confusion entre techniques de traitement et paradigme épistémologique

Dans le prolongement de ce qui vient d’être évoqué, une confusion courante est d’asso-cier des techniques de recueil et/ou de traitement d’informations à un paradigme épisté-mologique, comme dans l’assertion « l’enquête par questionnaire est un outil positiviste ».Ou, plus généralement, d’associer d’une part les techniques de recueil et de traitementd’informations quantitatives avec les paradigmes épistémologiques positivistes ; et,d’autre part, les techniques de recueil et de traitement d’informations qualitatives avecles paradigmes épistémologiques constructivistes.

Comme signalé plus haut (section 5.2), il n’y a aucune contre-indication à mobiliser desinformations quantitatives et des techniques de traitement quantitatives telles que cellesdécrites dans le chapitre 8, au sein d’une recherche inscrite dans un paradigme épistémo-logique constructiviste. La légitimation des savoirs élaborés à l’aide de ces techniquessera conditionnée par la transparence du travail épistémique effectué concernant notam-ment les conditions épistémiques, éthiques et techniques dans lesquelles les informa-tions ont été recueillies et traitées. De même, dans une recherche d’orientationpositiviste ou post-positiviste, il est souvent utile de recourir à une méthode qualitativeen amont d’une méthode quantitative, ou, plus rarement, en aval de cette dernière. Parexemple, pour construire une échelle de mesure, le chercheur a préalablement besoin depasser par une phase de collecte qualitative pour pouvoir comprendre ce que le conceptà mesurer recouvre exactement, et pour recueillir le langage véritablement utilisé par lessujets à propos de ce concept. Dans le second cas, il fait suivre une phase d’enquête parquestionnaire, traité à l’aide d’analyses quantitatives, par une étape de collecte qualita-tive, par exemple à l’aide d’entretiens en profondeur, afin de comprendre plus finementle sens de certaines réponses obtenues dans les questionnaires, et d’affiner ainsi sesconnaissances pour mieux cerner certains mécanismes propres aux sujets concernés.

6.3. Confusion entre statut de la connaissance visé et statut effectif de la connaissance

Sur un tout autre registre, il y a parfois confusion entre, d’une part, le statut visé pourla connaissance élaborée au cours d’une recherche et, d’autre part, le statut effectif de laconnaissance ainsi élaborée. Ceci vaut particulièrement pour les recherches menées dansun paradigme positiviste, qui visent donc à atteindre le réel « objectif », tel qu’il estsupposé être en lui-même. La réflexion épistémologique telle que développée à la section3, conduit à prendre conscience de ce que l’existence d’un réel « objectif » unique, telqu’il est en lui-même indépendamment de tout observateur, est une hypothèse ontologi-que forte. Et aussi, comme l’évoque Grawitz (2001, p. 489)80 à travers la formule-choc

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« l’illusion de neutralité », si un tel réel « objectif » existe effectivement, il n’est pas possiblede prouver que les techniques mobilisées permettent de le mettre au jour.

Autrement dit, si l’intention d’objectivité est un fil conducteur puissant favorisant laréduction de l’arbitraire et l’élimination des jugements d’autorité dans le développementde projets de recherche menés dans un paradigme épistémologique positiviste, il estnéanmoins impossible d’assurer que les résultats obtenus reflètent fidèlement le réelétudié. Il est seulement possible d’affirmer que, comme elle répond à une intention demise au jour de lois supposées régir de manière immuable et acontextuelle le réel étudié,qui est lui-même supposé isolable des chercheurs qui l’étudient, la connaissance élaboréedans un paradigme épistémologique positiviste vise à être objective et acontextuelle.

6.4. Confusion liée à l’utilisation du qualificatif constructiviste dans des sens différents

Enfin pour terminer, nous tenterons d’apporter quelques éclaircissements sur la confu-sion autour des multiples « perspectives constructivistes » qui se sont développées dans lechamp des sciences sociales, confusion que nous avons soulignée dans la section 3.1, etqui nuit au développement des paradigmes épistémologiques constructivistes.

En effet, au-delà des deux grands paradigmes épistémologiques constructivistes présen-tés à la section 3 qui, déjà, n’ont pas exactement les mêmes hypothèses fondatrices, sesont développées des méthodes de recherche dites « constructivistes ». Par exemple, uneconception constructiviste de la méthode de la théorie enracinée de Glaser et Strauss estapparue (Charmaz 2003), alors même que toute méthode de recherche est a priori mobi-lisable dans un paradigme épistémologique constructiviste.

Par ailleurs, en même temps que l’expression « épistémologies constructivistes » est appa-rue dans un ouvrage traitant de connaissance scientifique (Piaget, 1967)81, une théorieconstructiviste sociale a été publiée par Berger et Luckmann (1967)82. Cette théorie de laconstruction sociale de certains phénomènes tel que, par exemple, le classement desrevues scientifiques en sciences de gestion, est parfois désignée par l’expression construc-tionisme social (Gergen, 2001)83. Enfin, diverses théories relatives aux dynamiquessociales sont aussi parfois qualifiées de constructivistes. Par exemple, la théorie de lastructuration de Giddens (1984)84 qui considère les propriétés structurelles des systèmessociaux à la fois comme le résultat des activités accomplies par les agents intervenantdans ces systèmes et comme les conditions rendant possible ces activités.

Par conséquent, sous l’appellation « perspective constructiviste », se retrouvent des théo-ries pas toujours compatibles entre elles et ayant des portées très différentes, allant dethéories fondamentales de la connaissance, à des théories relatives aux dynamiquessociales.

Pour ajouter à la confusion, la vision exprimée par le constructivisme radical selonlaquelle il n’est pas possible de connaître rationnellement un monde réel au-delà del’expérience que l’on en a (Glasersfeld 2001)85 a parfois été interprétée comme un dénide l’existence d’un monde réel, indépendant de l’esprit humain. Or, comme nous l’avonsobservé à la section 3.2, la théorie constructiviste radicale de la connaissance est agnosti-que : elle ne nie, ni ne fait l’hypothèse d’existence d’un réel ayant une essence uniqueindépendante de tout humain.

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En raison de la grande diversité de ce qui est placé sous l’appellation « perspectives cons-tructivistes », il semble donc essentiel que les chercheurs désireux d’inscrire leurs travauxdans une théorie constructiviste de la connaissance, explicitent systématiquement leshypothèses fondatrices de la perspective spécifique à laquelle ils se réfèrent. Dans uneorientation positiviste ou post-positiviste, cette phase d’apport de précisions paradigma-tiques n’est généralement pas effectuée, dans la mesure où les postulats et principes duparadigme concerné sont supposés connus de tous et stabilisés. Cependant, il ne seraitpas inutile que, dans ce cas aussi, les hypothèses fondatrices du paradigme concernésoient brièvement rappelées au démarrage de la recherche afin de permettre au question-nement épistémologique indispensable à toute recherche en sciences de gestion de repo-ser sur des bases clairement explicitées plutôt qu’implicites.

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Activités

1. Menez un travail réflexif sur un projet de recherche en cours ou dont vous êtes entrain d’élaborer le canevas, en répondant aux questions suivantes :

• Sur quelles hypothèses d’ordre ontologique repose-t-il ?

– Quelles sont ses hypothèses fondatrices concernant l’existence, ou la non-existence, d’un réel unique tel qu’il est en lui-même ?

– D’autres hypothèses relatives au réel sont-elles postulées ?

• Sur quelles hypothèses d’ordre épistémologique repose-t-il ?

Quelles sont ses hypothèses fondatrices concernant le caractère connaissable, ounon-connaissable, du réel – ou de l’expérience du réel – postulé dans la premièrequestion ?

• Quelle est la question centrale de la recherche ?

– Quelle est la problématique ?

– Que vise précisément la recherche ?

– Pourquoi et pour qui, est-ce intéressant d’étudier cela ? En particulier, y aura til un apport pour la pratique ? Si oui, pour quels types d’acteurs organisation-nels ?

• Quelles sont les références théoriques majeures – voire le cadre théorique – mobi-lisées ?

– Quels sont les savoirs déjà là sur lesquels je prends appui ?

– Est-ce pour les affiner, les questionner, les mettre à l’épreuve ?

• Quelle méthode de recherche (voir chapitre 2) ?

– Pourquoi ?

– Est-elle bien pertinente pour répondre à la question centrale de la recherche ?

– Est-elle compatible avec le paradigme épistémologique de référence ?

– Quelles situations empiriques seront étudiées ?

– Est-elle praticable, c'est-à-dire aurai-je la capacité de la mettre en œuvre effec-tivement ? (question à se poser lorsque le questionnement est mené aumoment de la définition du canevas d’une recherche [voir section 5])

• Dans quelles situations empiriques ?

– Pourquoi ?

– En quoi permettent-elles le recueil d’informations pertinentes pour la questionde recherche ?

• Quelle tactique de recueil d’informations (voir chapitres 3, 4 et 5) ?

– Quelles bases de données sont exploitées ? Pour quoi faire ? Est-ce pertinent ?

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Activités 41

– Quelles personnes sont interviewées ? Dans quel ordre ? Pourquoi, et pour-quoi celles-ci et pas d’autres ? Cela permet-il d’obtenir les éclairages de toutesles catégories d’acteurs concernés par la question étudiée ? Sur quelles bases ai-je construit mon guide d’entretien ? Pourquoi ? Le guide d’entretien est-il restéidentique ou a-t-il évolué au fil de la recherche ? Pourquoi ?

– Quelles observations sont effectuées ? Dans quel but ? Est-ce bien pertinent parrapport à la question étudiée ? Pourquoi cela suffit-il ?

– Quels documents sont étudiés ? Dans quel but ? Pourquoi cela suffit-il ?

• Quelles techniques de traitement des informations recueillies (voir chapitres 6, 7 et 8) ?

– Les conditions d’utilisation de ces techniques sont-elles bien remplies ?

– Les informations recueillies sont-elles suffisantes pour utiliser ces techniques etplus généralement pour instruire la question de recherche ? Y a-t-il des infor-mations complémentaires à collecter ? La question de recherche initiale negagnerait-elle pas à être reformulée ?

– Les informations recueillies sont-elles cohérentes avec les éléments théoriquesmobilisés initialement ? D’autres perspectives théoriques ne seraient-elles pasmieux adaptées ?

Ce questionnement reprend l’essentiel des questions associées au travail épistémique aufil d’une recherche, sachant qu’il n’est évidemment pas possible de construire une listeexhaustive de l’ensemble de ces questions. Le travail épistémique ne s’achève pas avecl’obtention des résultats visés dans le projet de recherche. Il doit être poursuivi lors de laformulation des résultats et au cours de la communication de ces résultats. La rigueurexigée tout au long du processus de recherche reste de mise lors de la rédaction de textesdestinés à communiquer les résultats de la recherche (voir chapitre 9).

2. Cherchez l’erreur et proposez des manières d’améliorer les phrases suivantes :

a. Le constructivisme constitue une méthodologie, qui est quelque chose de distinctd’une méthode. En effet, une méthodologie peut être vue comme un ensembleimbriqué d’hypothèses ontologiques et épistémologiques sur lesquelles un cher-cheur prend appui dans sa recherche.

b. Le choix d’un positionnement épistémologique et méthodologique est condi-tionné par la finalité de la recherche et les possibilités d’accès au réel ; il s’inspirenotamment des recherches antérieures traitant de problématiques proches.

c. Nous avons choisi d’adopter un positionnement constructiviste et qualitatifplutôt que d’être dans une logique positiviste et quantitative. Ce choix ayant étédicté par l’objet et le contexte particulier de notre recherche.

d. Les méthodes quantitatives s'appuient sur une approche hypothético-déductiveoù des hypothèses prédéfinies sont statistiquement testées.

e. Dans cette recherche nous avons adopté une posture d’inspiration constructiviste.

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Notes et références1. Branche de l’astronomie qui étudie l’univers en totalité, ses origines, son évolution, sa structure et son

avenir.2. Piaget J., Logique et Connaissance Scientifique, Paris, Gallimard, 1967.3. Kuhn T., The Structure of Scientific Revolutions, University of Chicago Press, 1962.4. Girin J., « Quel paradigme pour la recherche en gestion ? », Économies et Sociétés, XV, 10-11-12, série

Sciences de Gestion, N° 2, décembre 1981, p. 1871-1889.5. Dans l’introduction, longue et dense, du volume de l’Encyclopédie de la Pléiade publié en 1967 sous sa

direction sous le titre Logique et Connaissance Scientifique, Piaget discute la nature, la variété et les approchesde l’épistémologie dans différentes sciences.

6. « Tous les courants vivants de l’épistémologie contemporaine font aujourd’hui corps avec les sciences elles-mêmes, en ce sens que les transformations si imprévues et souvent si rapides des diverses disciplines ontentraîné des crises et des réorganisations obligeant les savants à examiner les conditions mêmes de leur savoir,donc en fait à construire des épistémologies. En d’autres termes, le problème des ‘fondements’ n’est plusréservé à une discipline extérieure à la science comme telle, ainsi que ce pouvait être le cas à une époque où lapérennité supposée des principes entretenait une douce quiétude et rendait inutile cet effort constantd’analyse rétroactive et de réflexion épistémologique auquel les créateurs scientifiques sont aujourd’huiconduits de façon irréversible par le mouvement même de leur recherche proactive et de leurs découvertes. »(Piaget, 1967, p. X).

7. Les travaux cités de Jean-Louis Le Moigne ont été repris dans Le Constructivisme. Tomes 1-2, L’Harmat-tan, 2001-2002. Berry M., Moisdon J.-C., Riveline C., Qu'est-ce que la recherche en gestion ? , publicationdu Centre de Recherche en Gestion de l'École Polytechnique et du Centre de Gestion Scientifique del'École de Mines de Paris, 1978 ; Berry M., Le point de vue et les méthodes de la recherche en gestion, Anna-les des Mines, 1981, p. 19-29 ; Girin J., « Quel paradigme pour la recherche en gestion ? », Économies etSociétés, XV, 10-11-12, série Sciences de Gestion, 2, 1871-1889, 1981 ; Girin J., « L'objectivation desdonnées subjectives. Éléments pour une théorie du dispositif dans la recherche interactive », Actes ducolloque FNEGE-ISEOR des 18 et 19 novembre 1986 sur le thème : Qualité des informations scientifi-ques en gestion. Méthodologies fondamentales en gestion, actes publiés par l'ISEOR, 1986, p. 170-186 ;Marchesnay M., « Quelques propositions méthodologiques appropriées aux sciences de gestion », actesdu colloque FNEGE-ISEOR des 13 et 14 novembre 1985 ; « Méthodologies fondamentales en gestion.L'implicite et le normatif dans les modèles », actes publiés par l'ISEOR, p. 53-61 ; Savall H., « Où va larecherche en Sciences de Gestion ? », Revue Française de Gestion, 1985, p. 53-54 et 242-253.

8. Burrell G., Morgan G., Sociological Paradigms and Organisational Analysis, London, Heinemann, 1979.9. Weick K. E., « Theory Construction as Disciplined Imagination », Academy of Management Review,

14/4,1989, p. 516- 531.10. Martinet A.C. (coord.), Épistémologie et Sciences de Gestion, Paris, Economica, 1990.11. Ibidem.12. Le Moigne J.-L., Le Constructivisme. Tomes 1-2-3, L’Harmattan, 2001-2002-2003.13. Tsoukas H., Complex knowledge, Oxford University Press, 2005.14. Yanow D., Schwartz-Shea P. (éd.), Interpretation and method. Empirical research methods and the inter-

pretive turn, London, Sharpe, 2006.15. Wacheux F., Méthodes qualitatives et recherche en gestion, Économica, Paris, 1996, p. 38.16. Popper K. R., The logic of scientific discovery, New York, Harper and Row, 1959. Cet ouvrage a initiale-

ment été publié en allemand en 1934, puis traduit en anglais (1959) et en français en 1970.17. Bachelard G., Le nouvel esprit scientifique, Paris, PUF, 1934.18. Piaget J., op. cit.19. Cité par Esfeld M., Philosophie des sciences. Une introduction, Presses polytechniques et universitaires

romandes, Lausanne, 2006.20. Kuhn T. S., La structure des révolutions scientifiques, Flammarion, Paris, 1972.21. Malherbe J.F., La philosophie de Karl Popper et le positivisme logique, Presses Universitaires de Namur,

Presses Universitaires de France, 1979, p. 138-139.22. Le lecteur intéressé peut consulter dans le complément 3 du site compagnon de cet ouvrage une citation

extraite d’une note de lecture que Martinet a rédigée en 2003 à propos de l’ouvrage de Morin E. et Le

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Activités 43

Moigne J.-L., L'Intelligence de la Complexité, L'Harmattan, 1999 (voir http://mcxapc.org/cahier.php?a=display&ID=331).

23. Bachelard G., op.cit.24. Kuhn T., The Structure of Scientific Revolutions, University of Chicago Press, 1962.25. Bachelard G., op. cit, p. 7.26. En 1934, Bachelard n’utilise pas le terme « dialogique ». Il emploie celui de « dialectique », mais au sens

du terme « dialogique » que Morin forgera quelque cinquante ans plus tard (dans Science avec conscience,Paris, Fayard, 1982). Cette notion, qui est désormais au centre de la méthode de pensée de Morin, dési-gne l’union de deux ou plusieurs « logiques » ou « principes » au sein d’une même unité sans que ladualité se perde dans cette unité.

27. Ibid. p. 1628. Simon H.A., The Sciences of the Artificial, MIT Press, Cambridge, 1969. 29. Kuhn T. S., op.cit. 30. Simon H.A., The Sciences of the Artificial, 3e éd., Cambridge, MIT Press, 1996, p. XI.31. Ibid. p. XI-XII.32. En maintenant l’ambiguïté entre science de conception – posture de recherche – et science de la concep-

tion – domaine scientifique qui prendrait les processus de conception comme sujet d’étude (voir LeMoigne 2006 pour une discussion approfondie de cette distinction).

33. Simon H.A., 1996, op. cit., p. 5.34. Wacheux F., Méthodes qualitatives et recherche en gestion, Économica, Paris, 1996.35. Ce dernier paradigme est qualifié de cette manière par F. Wacheux mais correspond pour lui au « struc-

turalisme » de De Bruyne.36. Usunier J.C., Easterby-Smith M. et Thorpe R., Introduction à la recherche en gestion, Économica, Paris,

1993.37. Thiétart R.A. et al., Méthodes de recherche en management, Dunod, 1999.38. Le Moigne J.-L., « Épistémologies constructivistes et sciences de l’organisation », in Martinet A.C., op.

cit, p. 81-140.39. Burrell G. et Morgan G., Sociological Paradigms and Organizational Analysis: Elements of the sociology of

corporate life, Heinemann, London, 1979, p. 1-37.40. Mucchielli A., Mesure S. et Savidan P., « Le constructivisme », in Le dictionnaire des sciences humaines,

PUF, Paris, 2006.41. Duchastel J. et Laberge D., « La recherche comme espace de médiation interdisciplinaire », Sociologie et

sociétés, vol. XXXI, n° 1, 1999.42. Gephart R., « Paradigms and Research Methods », Research Methods Forum, 4, 1999.43. Ce dernier étant aussi nommé postmodernisme critique par Gephart.44. Guba E.G., Lincoln Y.S., Fourth Generation Evaluation, Sage, London 1989.45. Girod-Séville M., Perret V., « Fondements épistémologiques de la recherche », in R.A. Thiétart et coll.,

Méthodes de recherche en management, Dunod, Paris, 1999, p. 13-33.46. Giordano Y., Conduire un projet de recherche. Une perspective qualitative, Éditions EMS, Paris, 2003.47. Charreire S. et Huault I., « Le constructivisme dans la pratique de recherche : une évaluation à partir de

seize thèses de doctorat », Finance Contrôle Stratégie, 4, 3, 31-55, 2001, p. 34.48. Corcuff P., Les nouvelles sociologies : constructions de la réalité sociale, Nathan, Paris, 1995. 49. Yanow D., « Thinking interpretively : philosophical presuppositions and the human sciences », in Yanow

D., Schwartz-Shea P. (éd.), Interpretation and method, Sharpe, London, 2006, p. 5-26.50. Grawitz M., Méthodes des sciences sociales, 11e éd., Dalloz, Paris, 2001.51. Selon Le Moigne (2007), l’unique différence importante entre les paradigmes épistémologiques positi-

vistes et réalistes tient dans le précepte suivant du Discours de la méthode, que récusent les réalistes etqu’approuvent les positivistes : « Le troisième, (Causalisme) de conduire par ordre mes pensées en commen-çant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu comme par degrésjusque à la connaissance des plus composés, et supposant même de l’ordre entre ceux qui ne se précèdentpoint naturellement les uns les autres. »

52. L’ontologie est l’étude de l’être en tant qu’être, l’étude de ce qui est. Les prémisses ontologiques relativesaux paradigmes ont donc trait à la nature de la réalité.

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44 Méthodologie de la recherche

53. Cette équipe comprenait des chercheurs issus d’horizons très divers et parfois multiples comme Glasersfeld(linguistique, philosophie, psychologie cognitive, cybernétique), notamment Watzlawick, (psychiatrie),Foerster (physique, cybernétique), Bateson (anthropologie, psychologie), Maturana et Varela (neuro-biologie). Une partie des travaux de ce groupe a été publiée sous la direction de Watzlawick initialementen allemand en 1981, puis dans une traduction en anglais en 1984 et enfin en français en 1988 sous letitre L’invention de la réalité - Contributions au constructivisme.

54. von Glasersfeld E., « Introduction à un constructivisme radical », in P. Watzlawick (éd.), L’invention de laréalité. Contributions au constructivisme, Seuil, Paris, 1988, p. 19-43.

55. von Glasersfeld E., « Thirty years radical constructivism », Constructivist Foundations 1/1, 2005, p. 9-12.56. Guba E.G., Lincoln Y.S., op. cit.57. La présentation de ces hypothèses est une traduction mot à mot de la présentation que les auteurs offrent

p. 83-84.58. von Glasersfeld E., op. cit.59. Guillemets dans l’original, ibid. p. 27.60. James W., Essays in radical empirism, Harvard University Press, Cambridge, 1912/1976. 61. « Meaning ‘going to the roots’ or ‘uncompromising’: I chose it because at the time many developmental

psychologists were mentioning Piaget’s constructivism but without going into its epistemological implica-tions. What they called construction seemed to refer to the fact that children acquire adult knowledge not allat once, but in small pieces. I did not think that this was a revelation and therefore called their approach‘trivial constructivism’. » (Glasersfeld, 2005 : 10, guillemets dans l’original, dans une réflexion sur sestrente ans d’investigation dans le domaine du constructivisme radical).

62. Pour l’agnostique, la vérité sur l’existence de Dieu est inconnaissable alors que pour l’athée Dieu n’existepas.

63. Riegler A., « Towards a radical constructivist understanding of science », Foundations of Science, specialissue on impact of radical constructivism on science, 6/1-31-30, 2001.

64. Ibid., p. 10.65. Popper K. R., The logic of scientific discovery, Harper and Row, New York, 1959.66. Ibid.67. Feyerabend P., Contre la Méthode, Paris, Seuil, 1979.68. Martinet A.C., « Épistémologie de la connaissance praticable : exigences et vertus de l’indiscipline », in

David A., Hatchuel A., Laufer R., Les nouvelles fondations des sciences de gestion, Vuibert, Paris, 2000,p. 111-124.

69. Piaget J., op. cit., p. 51.70. Alors que la littérature anglophone n’utilise qu’un même terme dans les deux cas : « research design ».71. Traduction de l’expression anglaise Strategy-as-Practice (voir notamment Johnson G., Langley A., Melin L.,

Whittington R., Strategy as Practice, Cambridge University Press, 2007) utilisée dans la Revue Françaisede Gestion, n° 174, mai 2007.

72. Savall H., Zardet V., Recherche en Sciences de Gestion : approche Qualimétrique, Économica, 2004. Unerecherche est qualifiée de contemplative lorsque le recueil d’informations s’effectue avec la volonté de nepas délibérément perturber le phénomène étudié.

73. Une recherche est qualifiée de transformative lorsque le chercheur introduit intentionnellement desperturbations dans le phénomène qu’il étudie, précisément dans le but de recueillir des informations surce phénomène.

74. Grawitz M., op. cit. 75. Wacheux F., op.cit.76. Allard-Poesi F., Perret V., « La recherche-action » in Y. Giordano (coord.), Conduire un projet de recher-

che. Une perspective qualitative, Éditions EMS, Paris, 2003, p. 85-132.77. David A., « La recherche-intervention, cadre général pour la recherche en management ? », in A. David,

A. Hatchuel, R. Laufer, Les nouvelles fondations des sciences de gestion, Vuibert, Paris, 2000, p. 193-213.78. Chanal V., Lesca H., Martinet A.C., « Vers une ingénierie de la recherche en sciences de gestion », Revue

Française de Gestion, n° 116, novembre-décembre 1997, p. 41-51.79. Avenier M.-J., « A methodological framework for constructing generic actionable knowledge » in O.

Eikeland and B. Brogger (eds), Turning to Practice with Action Research, Sage, Londres, 2008.80. Grawitz M., op. cit.

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Activités 45

81. Piaget J., op. cit.82. Berger P. L., Luckmann T., The social construction of reality : A treatise in the sociology of knowledge,

Doubleday, New York, 1966. 83. Gergen Kenneth G., Le constructionnisme social. Une introduction, Deschaux et Niestlé, Paris, 2001.84. Giddens A., The constitution of society: Outline of the theory of structuration. UC Press, Berkeley, 1984.85. von Glasersfeld E., « The radical constructivist view of science », Foundations of Science, special issue on

Impact of Radical Constructivism on Science, 6/1-3, 2001, p. 31-43.

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