cerveaupsychoseptembreoctobre2015

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    MART.:8,25,

    N.

    CAL.:1170CFP,

    POL.

    FR.:1170CFP,

    Port.

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    5,

    Run.:

    8,2

    5,

    Suisse:15FS

    oCCeerrvveeaauu Psych

    n71 - Bimestriel septembre - octobre 2015

    Peut-on lire dans les penses avec lIRM ?

    oPsych

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    Multitasking :stratgie perdantepour le cerveau

    criture :la main, meilleureque le clavier

    Peut-on vaincrela phobiescolaire ?

    Les succs de

    la psychologiepositive

    Heureuxau travail

    Testez votre

    bien-treprofessionnel

    page 54

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    En librairie et sur www.deboecksuperieur.com

    LARFRENCEENNEUROSCIENCES

    D. Purves, G. J. Augustine, D. Fitzpatrick,

    W. Hall, A.-S. Lamantia, J. O. McNamara

    et L. White

    Prfaces : Marc Jeannerodet Andrea Volterra

    Traduction :J.-M. Coquery, Ph. Gailly

    et N. Tajeddine

    5edition 2015 864 pages

    9782807300026 75

    Toutes les notions de baseetlensemble des

    nouvelles avances,en particulier dans le do-

    maine du dveloppement du systme nerveux

    1000 illustrations, schmas et tableauxen couleur

    31 chapitresmultipliant les approches et les niveaux

    danalyse : molculaire, cellulaire, physiologique, compa-

    re, humaine, clinique, cognitive et comportementale

    Glossaire visuel

    Version numrique

    1000 quiz, animationset exercices interactifs

    + Atlas interactif de neuroanatomie humaine puissantet fonctionnel, vritable outil dexploration et dtude

    du systme nerveux humain

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    Cerveau &Psycho - n71 septembre - octobre 2015 3

    Au moment de terminer ce numro,jai comme un doute.Une de ces interrogations perturbantes qui vous font regar-der autour de vous dun air effar : Est-ce que cest moi quirve, ou bien nous allons vers de gros problmes ?

    - La NSA espionne tout le monde et la diplomatie ne senremettra pas (page 12)

    - Microsoft est en train de fabriquer des gnrations dedcrbrs en nous assurant que cest gnial (page 19)

    - Nous avons tellement peur de la mondialisation quenous nous comparons des abeilles terrorises par le frelonasiatique (page 16)

    - Les enfants perdent leurs souvenirs joyeux lge de10 ans et seraient de plus en plus phobiques de lcole(pages 22 et 62)

    - Les gens ne font pas la diffrence entre une robe bleue et

    noire, et une robe blanche et dore (page 35)- Nous ne saurons bientt plus crire cause des claviers

    et des traitements de texte (page 66)- Dans chaque bureau sommeille un psychopathe qui, en

    prime, est aussi narcissique et manipulateur (page 38)

    De deux choses lune. Soit je sombre dans la parano, soitjessaie de positiver. Et l, vous ne me croirez jamais : la prin-cipale source despoir dans ce numro est le travail. Com-ment sestimer motiv, utile, autonome Comment sesentir bien dans sa vie professionnelle, cest le sujet de notredossier (page 46), avec les meilleures dcouvertes de la psy-

    chologie positive pour avoir au moins une bonne raison deretourner au bureau. Bonne rentre !

    Suis-je parano ?

    ditorialSbastien BOHLERCerveau Psycho

    Pour la Science8 rue Frou, 75278 Paris cedex 06

    Standard : Tel.01 55 42 84 00

    www.cerveauetpsycho.fr

    Directrice des rdactions :

    Ccile Lestienne

    Cerveau & PsychoLEssentiel Cerveau & PsychoRdacteur en chef adjoint :

    Sbastien BohlerRdactrice en chef adjointe :

    Bndicte Salthun-LassalleRdacteur :

    Guillaume JacquemontDirectrice artistique :

    Cline LapertMaquette :

    Pauline Bilbault, Raphal Queruel, Ingrid Leroy,Nathalie Ravier (stagiaire)Correction et assistante administrative :Maud BruguireDveloppement numrique :

    Philippe Ribeau-Gsippe,Dylan Beiner (stagiaire)

    Marketing :

    lise Abib, Ophlie Maillet,Hlose Clment (stagiaire)Direction financire et du personnel :

    Marc LaumetFabrication :

    Marianne Sigogne, assiste dOlivier LacamPresse et communication :

    Susan MackieDirectrice de la publication et Grante :

    Sylvie MarcAnciens directeurs de la rdaction :Franoise Ptry et Philippe BoulangerOnt galement particip ce numro :Bettina Deb, Hans Geisemann, Oriane Dioux, Jean-Jacques Perrier

    Publicit FranceDirecteur de la publicit :

    Jean-Franois Guillotin([email protected])Tl. : 01 55 42 84 28 ou 01 55 42 84 97Service abonnements

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    Diffusion de Cerveau & Psycho :

    Contact kiosques : juste titres ; Pascale DeliferTel : 04 88 15 12 48Canada : Edipresse : 945, avenue Beaumont, Montral, Qubec,H3N 1W3 Canada.Suisse : Servidis : Chemin des chlets, 1979 Chavannes - 2 - BogisBelgique : La Caravelle : 303, rue du Pr-aux-oies - 1130 BruxellesAutres pays : ditions Belin : 8, rue Frou - 75278 Paris Cedex 06Toutes les demandes dautorisation de reproduire, pour le publicfranais ou francophone, les textes, les photos, les dessins ou lesdocuments contenus dans la revue Cerveau & Psycho , doiventtre adresses par crit Pour la Science S.A.R.L. ,8, rue Frou, 75278 Paris Cedex 06. Pour la Science S.A.R.L.Tous droits de reproduction, de traduction, dadaptation et de repr-sentation rservs pour tous les pays. Certainsarticles de ce numro sont publis en accordavec la revue Spektrum der Wissenschaft (Spektrum der Wissenschaft Verlagsgesellschaft,mbHD-69126, Heidelberg). En application de laloi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduireintgralement ou partiellement la prsente revuesans autorisation de lditeur ou du Centre fran-ais de lexploitation du droit de copie (20, ruedes Grands-Augustins - 75006 Paris).

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    Lquipe de Cerveau & Psycho

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    4 Cerveau &Psycho - n71 septembre - octobre 2015

    Cerveau Psychon 71septembre - octobre 2015

    Cinma : Dcryptage psychologique22Vice-Versa :les motions

    aux commandesVoir ou revoir ce film, pour comprendre endtail comment fonctionne le cerveau dunenfant, ses souvenirs, ses peines et ses joies.

    Serge Tisseron

    Vu sur le Net

    33La robequi cre le buzzMais qua donc cette robe de si particulier,qui trompe notre vision ?

    Stephen Macknik et Susana Martinez-Conde

    Psychologie

    28Quand les secrets

    psent trop lourdLes secrets trop pesants nuisent notresant. Savoir les partager est alors crucial.

    Sarah Zimmermann

    Regard sur lactualit

    12Lespion qui maimaitLes psychologues analysent la rupturede confiance lie aux coutes de la NSA.

    Florian CovaHeureuxau travail

    46Se sentir bien au travailLa psychologie positive rvle les bonnespratiques qui rduisent le stresset redonnent du sens au travail.

    Christophe Andr

    56Les cls de la motivationPour se motiver durablement, il fautdvelopper son autodtermination, en sedonnant la possibilit dengager soi-mmeles tches et de les contrler.

    Fabien Fenouillet

    61Interview : les managersdoivent montrer lexemplePourquoi lexemplarit dcuple la facultdengagement des collaborateurs.

    Tessa Melkonian

    RomoloTavani/Shutterstock.com

    Dossier

    Psychiatrie

    36De sombrespersonnalitsIls sont narcissiques, machiavliqueset psychopathes. Quand on les repre,une seule chose faire : sloigner.

    Frieder Wolfsberger

    Testezvotrebien-treprofessionnel

    page54

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    Ce numro comporte un encart dabonnement Cerveau & Psycho, jet en cahierintrieur de toute la diffusion kiosque et pos sur toute la diffusion abonn. Deuxoffres dabonnement exceptionnelles sont proposes galement en page 18 et 95.

    ditorial 3Lactualit des sciences cognitives 6

    La confiance, vitale et faillible Les enfants justiciersMais o donc ai-je vu cette personne ?

    Et bien dautres sujets...

    Lil du PsyLabeille, miroir de nos angoisses 16

    Christophe Andr

    Point de vue

    La supercherie du multitasking 19Stphane Amato

    Analyses de livres 96

    Tribune des lecteurs 97

    Neuro-BD 98

    En

    couverture:RomoloTavani/Shutterstock.com

    Neurosciences74Dchiffrer le codedu cerveau

    Des capteurs permettent dextraireles courants crbraux et didentifiercertaines penses.

    Larry Greenemeier

    Neurosciences affectives

    80Animaux de compagnie :pourquoi tant damourNotre cerveau serait cbl pour aimerles animaux, presque comme des enfants.

    Daisy Yuhas

    Apprentissage

    68Faut-il encore crire la main ?Richesse de vocabulaire, moindres risques dedyslexie, meilleure prise de notes : lavantagedcrire la main, et non au clavier !

    Brandon Keim

    Troubles du comportement

    64Pour en finir avecla phobie scolaireSueurs froides, boule au ventre, refus dalleren classe : cest la phobie scolaire.Un fardeau qui nest pas insurmontable.

    Oriane Dioux

    Neurosciences et littrature

    88Gulliver:quand le mondeparat tout petitGrandir ou rapetisser artificiellement credes illusions amusantes, tudies en laboratoire.

    Sebastian Dieguez

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    Sbastien BOHLER

    Psychologie sociale

    Les enfants justiciersIl y a toujours un justicier dans une

    cour dcole. Et cela commence tt. luniversit de Leipzig, le psycho-logue et thologue Michael Tomasello

    a tudi les tout premiers compor-tements de justice restaurative (dtecter une iniquit et obtenirrparation pour la victime) chez desenfants de 3 5 ans. Pour cela, il ademand des enfants de ragir face des situations o un personnage(reprsent par une figurine) se faitvoler ses petits gteaux par un autre.Chacun la possibilit de manipulerpar des cordes un plateau tournantpour faire revenir les biscuits vers la

    figurine lse. La moiti des enfants

    nhsitent pas. Leursang ne fait quun tour,et le plateau aussi.Chez les enfants de

    5 ans, les redresseursde torts sont encoreplus nombreux : 70 %interviennent. Des proportions voi-sines de celles observes quand unenfant doit obtenir rparation pourlui-mme.

    Dj rparateurs , les enfantsde cet ge ne sont pas encore puni-tifs : cest seulement vers 7 ans quilsconsidrent que loffenseur doit enoutre payer pour son mfait. Ce qui fait

    penser que la justice restaurative ,

    fonde sur lempa-thie avec la vic-time, prexiste lajustice rtributive.

    En tout cas, cettefacult proprementhumaine (les singes

    tudis par Tomasello ont le sensde linjustice pour eux-mmes, maispas pour un congnre ls) pour-rait constituer le socle des systmesde justice fonds sur linterventiondun tiers, et non plus sur la vengancepersonnelle.

    K. Riedlet al.,Restorative justice in children,

    inCurrent Biology,vol. 25, pp. 145, 2015.

    correct et je ne suis pas trs sr de mon coup . Oubien : les scampis grills doivent tre dlicieux etaussi a, jen suis sr .

    Ces deux dimensions du jugement, apprciationet confiance dans lapprciation, vont de pair. MalLebreton, Mathias Pessiglione et leurs collguesont dcouvert que la mme rgion du cerveau lecortex prfrontal ventromdian cre la fois lejugement et la conf iance dans ce mme jugement,ce qui explique probablement pourquoi plus lappr-ciation est intense (les scampis sont dlicieux) plus

    la confiance est leve (jen suis sr). Une erreur quinous fait accorder plus de confiance aux jugementsextrmes.

    Ceci explique le biais doptimisme, un dfaut cogni-tif fcheux qui amne par exemple 85 % des gens secroire meilleurs conducteurs que les autres. Le cortexprfrontal ventromdian pourrait en tre la cause caril cre la fois lestimation de sa propre habilet deconducteur (je me dbrouille bien) et la confiance dansce jugement (jen suis certain). Cette zone crbralesemble incapable de dissocier les deux, cest--direde penser quelque chose comme : Je suis trs bon

    conducteur mais je nen suis pas trs certain.

    Un autre exemple est l effet halo , une confianceexcessive que nous inspirent les personnes intres-santes, brillantes, belles ou attirantes. Notre appr-ciation immdiate de ces personnes tant positive,nous avons du mal la remettre en question. Dans ledomaine de lconomie, les investissements hautrisque en bourse, du fait quils reprsentent des optionstrs dsirables, sont accompagns dune confianceexcessive. On connat les consquences

    Laspect inconscient des processus de confiance lesrend particulirement difficiles matriser. Il peut tre alors

    profitable de les rendre plus conscients , par exempleen y rflchissant haute voix ou en communiquant notresentiment de relative certitude auprs de notre entourage.En 2010, des chercheurs anglais et danois avaient ainsidcouvert que deux personnes devant valuer ensemblelintensit et le contraste dun stimulus visuel (il sagissaitde lignes noires sur un fond gris) livraient une meilleureestimation ensemble quinviduellement. Mais cela ne fonc-tionnait qu une condition : quelles se communiquent leurdegr de confiance en leur propre jugement.

    M. Lebreton et al.,Automatic integration of confidence in the

    brain valuation signal,inNature Neuroscience, paratre.

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    NLShop

    /Shutterstock.com

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    Neurosciences cognitives

    Mais o donc ai-je vu cette personne ?

    Meunierd/Shutterstock.com

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    Le cri, un signal dalarmeLa reprsentation du cri par Edvard Munch illustre la distorsion sonore etlimpact profond que le cri exerce sur notre psychisme. Des scientifiquesgenevois et new-yorkais ont visualis cet impact. Luc Arnal et ses coll-gues rvlent que les cris humains ont une structure sonore unique.

    Quand nous avons trs peur, ou que nous dbordons de colre, noscordes vocales produisent une vibration dun genre particulier. Alors quenotre voix parle produit des variations dintensit sonore au rythme de 5oscillations par seconde environ, la voix crie produit deux types de varia-tions dintensit : lune un rythme de 30 oscillations par seconde, lautre un rythme de 150 oscillations par seconde. Ces deux oscillateurs dans une

    mme voix confrent au cri un rgime sonore que les scientifiques quali-fient de rugueux : do ce timbre si particulier, instable et dchirant.Le cerveau humain est trs sensible aux cris, comme lont constat les

    neuroscientifiques. En faisant couter des enregistrements de cris desvolontaires installs dans une IRM, ils ont observ une activation instanta-ne de lamygdale, une partie du cerveau spcialise dans la dtection des dangers et la peur. Enfin, ils ont dcou-vert que la structure sonore des sirnes dalarme est exactement semblable celle des cris, par la prsence de deuxoscillateurs sonores simultans. Les bleus et les rouges du tableau semblent faire cho, dans le domaine visuel, ces deux oscillateurs aux frquences si clairement distinctes.

    L. H. Arnal et al., in Current Biology, vol. 25, pp. 1-6, 2015.

    Neurobiologie

    www.osteomag.fr

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    DR

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    10 Cerveau &Psycho - n71 septembre - octobre 2015

    En BrefCondamn mort pour son facis

    Avoir une mauvaise tte peut coter la vie, rvleune tude mene par deux psychologues auprs

    de 742 condamns pour meurtre dans ltat de Floride.John Paul Wilson et Nicholas O. Rule ont prsent desphotographies de prvenus, dont la moiti avaient tcondamns mort et lautre perptuit, un chantillonmixte de 208 observateurs. Ces derniers devaient valuersur une chelle de 1 8 le degr de conance que

    les prvenus leur inspiraient. Les condamns mort ontobtenu en moyenne une note infrieure aux condamns perptuit. Pire : les personnes victimes derreurs judiciaires(condamnes mort puis innocentes) ont reu les mmesnotes que les condamns mort. Signe que la peine capitale

    est parfois prononce pour un dlit de facis.

    Bonobos : quatre traits

    de personnalit

    Quelle est la structure psychique dun bonobo ?

    Des thologues cossais, japonais et belges ontanalys les comportements de 154 bonobos dansdes situations aussi bien sociales que pratiques

    (recherche de nourriture, exploration, prise de risque)

    et en ont infr quatre grands traits psychologiques

    sous-jacents : lagrabilit, la mticulosit, louvertureaux expriences et lasser tivit, capacit dfendre sesdroits sans empiter sur ceux des autres. Chez lhumain,on retrouve lagrabilit, la mticulosit et louvertureaux expriences, mais il faut y ajouter lextraversion etla stabilit motionnelle. La structure de la personnalit,similaire mais pas identique entre nos deux espces,

    pourrait avoir t modele au l de lvolution.

    Neurosciences comportementales

    Ces moments o lon se jettesur la nourriture

    Il y a des moments o cest plus fort que vous.Cette barre de chocolat, il vous la faut. Et pasquestion de la dguster posment : en quelquesbouches, la voil dj au fond de votre esto-mac. Dailleurs, il y en a dautres dans le pla-card. Les gestes senchanent, machinaux. Une

    minute aprs, cest un sentiment devide. Que sest-il pass ? Pourquoi avez-vous mang tout cela ? Sans pouvoirvous arrter

    Vous avez vcu un moment deperte de contrle. Un contrle qui na

    plus t exerc par la partie la plusraisonnable de votre cerveau : votrecortex prfrontal dorsolatral.Normalement, ce cortex prfrontal dor-solatral surveille nos comportementset tempre nos impulsions ou enviessoudaines en intgrant des impratifs long terme. Cest lui qui nous retient dedpenser tout notre argent en achatsde chaussures, en gardant lesprit nosobjectifs dpargne. Dans la bataille quise livre en nous entre raison et plaisir,

    la raison, cest lui. Mais certaines situa-tions ou motions peuvent dconnec-ter la raison. Cest le cas du stress. Lestress, ont dcouvert des chercheurs de

    luniversit de Zurich, a un effet catastrophiquesur notre tour de contrle comportementale. Lecortisol quil produit se fixe sur certains rcep-teurs dans le cortex prfrontal dorsolatral etparalyse leur fonctionnement.

    Dans un test o des personnes devaient choi-sir entre manger un morceau de chou-fleur etun hamburger, une situation de stress pralableleur faisait ainsi prfrer le hamburger et dcon-nectait le cortex prfrontal dorsolatral deszones internes du plaisir, comme lamygdale, lestriatum et le cortex prfrontal ventromdian.

    Ds lors, ces censeurs du plaisir devenaient lesseuls matres bord et les sujets se jetaient surle hamburger, oubliant toute raison.

    Pour viter ces moments de perte de contrle,sachons dabord reprer les instants o lon sesent stress, puis agir sur les causes du stress,quelles soient dues un conflit humain, unsouci administratif ou une deadlinetrop serre.Relativiser les enjeux, ventuellement recourir des techniques de relaxation ou de mditation,peut aider. Car les consquences dune perte decontrle, outre les crises de boulimie, peuvent

    aussi se traduire par des achats impulsifs oudes conduites agressives.

    S. U. Maier et al.,inNeuron, vol. 87, pp. 1-11, 2015.Dirima/Shutte

    rstock.com

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    Cerveau &Psycho - n71 septembre - octobre 2015 11

    Neurosciences

    Livresse de la vitesse a quelque chose dirrsistible. Pour

    sen convaincre, il suffit dobserver le chiffre daffaires desentreprises qui commercialisent des dtecteurs de radarsdautoroute. Notre cerveau serait-il donc prcbl pouraimer la vitesse ?

    Selon une dcouverte rcente, il contiendrait des neu-rones expressment sensibles notre vitesse. Ces neu-rones viennent dtre localiss chez le rat. Des scienti-fiques ont implant des lectrodes dans une partie ducerveau de ces animaux, le cortex entorhinal mdian, et ontmesur lactivit de ces neurones quand le rat tait amen se dplacer diffrentes vitesses prdfinies (grce un systme de tapis roulant). Rsultat : 15 % des neuronesde cette rgion mettent des courants lectriques dont lafrquence augmente avec la vitesse. Ils codent, par leursdcharges lectriques, la vitesse de lanimal. Plus lanimalva vite, plus les neurones mettent de signaux lectriques.

    Sentir sa propre vitesse avec la meilleure prcisionpossible est crucial pour se reprer. Imaginez que vousrouliez bord dune voiture sur une autoroute, maisque cette voiture dispose uniquement dun compteurde vitesse, et non dun compteur kilomtrique. Pourconnatre la distance parcourue, vous mesureriez votrevitesse et la multiplieriez par le temps coul. Cest ceque fait le cerveau du rat. Il utilise les donnes fourniespar les neurones de vitesse et les convertit en distancesqui sont reportes sur une carte interne, reprsente pardes neurones dun autre type appels neurones de grille(car ils quadrillent lenvironnement de lanimal) et qui

    ont valu le prix Nobel cette anne leurs dcouvreurs.

    La vitesse serait alors, pour notre cerveau, la mesure delespace. La perception que nous avons de notre rayondaction nous serait en grande partie livre par nos neu-rones de vitesse. Est-ce la raison pour laquelle celle-ci nousattire ? Cest bien possible, car en nous dplaant plus vite,nous avons le sentiment de matriser davantage le mondequi nous entoure.

    E. Kropff et al., inNature, vol. 523, p. 419, 2015.

    Innis du cerveau

    Si vous mesuriez un millionime de millimtre

    et pntriez dans un cerveau, que verriez-vous ?

    Les images de cette aventure ont t obtenuespar huit universits amricaines. Dans un cube de12 micromtres de ct, on trouve 1600 neurones,1700 synapses reliant principalement des renements

    daxones (varicosits) et des pines dendritiques

    (protubrances sur les dendrites). Dans chaque

    renement, environ 700 vsicules synaptiques conte-nant chacune 10 000 molcules de neurotransmetteur.Il y aurait donc 1,4 millions de milliards de synapsesdans notre cerveau, et le petit bonhomme qui

    voudrait les connecter au rythme dune par secondeserait tout juste en train de terminer son travail sillavait commenc lpoque des derniers dinosaures !

    65%dinvestissements risqus en plus

    chez des traders ayant reu un comprim

    de cortisol (hormone du stress)

    Source : Scientific Reports, vol. 5, p. 11206, 2015.

    Sbastien Bohlerest rdacteur en chef adjoint Cerveau & Psycho.

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    de Cerveau & Psycho.

    Toujours plus vite !

    BlurAZ/Shu

    tterstock.com

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    12 Cerveau &Psycho - n71 septembre - octobre 2015

    Lespionnage en tant que tel ne semblepas nous choquer outre mesure :nombre de films daction mettent enscne des espions talentueux dontnous partageons avec plaisir les aven-

    tures, et nous jugerions probablement absurdeet utopique la proposition de dissoudre lesservices secrets franais. Alors que la menace

    terroriste na jamais t aussi leve, lespion-nage parat constituer une ncessit et un outilindispensable.

    Ce nest donc pas le fait de lespionnage entant que tel qui a choqu le public quand celui-ci a dcouvert que la NSAavait intercept lescommunications des prsidents franais deJacques Chirac Franois Hollande en passantpar Nicolas Sarkozy. Cest plutt le fait queles tats-Unis, et donc par extension la NSA,taient supposs tre nos allis. Espionner passeencore, mais espionner un alli constitue unedouble rupture de confiance.

    La tentation de surveiller

    En effet, les scientifiques (et en particu-lier les psychologues) qui travaillent sur laconfiance divisent celle-ci en deux composantesdistinctes : la confiance pistmique dun ct,et la confiance sociale de lautre. Ladjectif pis-tmique renvoyant au mot grec qui signifie connaissance , la confiance pistmiquedsigne le degr de confiance que nous avonsdans le tmoignage dune certaine personne.

    Lhomme tant un tre social, la plupart de nosconnaissances ne sont pas acquises directementmais travers le tmoignage dautrui. Pour nepas tomber dans lerreur, il faut distinguer lesindividus dont le tmoignage nest pas fiable(soit quils se trompent, soit quils mentent)de ceux dont le tmoignage est fiable. Cettedistinction, les jeunes enfants apprennent lafaire trs tt. Des tudes rcentes montrent que,ds lge de 3 ans, les enfants manifestent uneprfrence pour les individus fiables et sontcapables de baser cette prfrence tant sur leurs

    observations personnelles (comme le nombre

    Regardsur lactualit

    Ralf-Finn Hestoft / Corbis

    Lespion

    qui maimaitPeut-on sespionner entre allis ?Les thories psychologiques

    de la confiance montrentquil y a plus y perdre

    qu y gagner.

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    Cerveau &Psycho - n71 septembre - octobre 2015 13

    Florian Cova

    est chercheur post-doctorant enphilosophie et psychologie au Centreinterfacultaire en sciences affectives deluniversit de Genve.de fois o ils ont vu un informateur livrer de fausses indications

    auparavant) que sur des informations fournies par dautres sources(telle la rputation morale de linformateur).

    Mais le mensonge et la dissimulation impliqus par lespionnagedun alli ne constituent pas seulement une trahison pistmique :ils constituent aussi une trahison sociale. En effet, les tres humainsne se contentent pas de partager de linformation : ils agissent aussiet cooprent dans le but damliorer leur situation. Seulement, la

    coopration est un pari risqu : dans de nombreuses situations, ilpeut tre avantageux pour vos associs de vous poignarder dans ledos afin de remporter tous les bnfices de la coopration, tandis quevous en souffrirez tous les inconvnients. Le philosophe Jean-JacquesRousseau illustrait dj ce problme au moyen de lanecdote suivante(qui a depuis t reprise par les thoriciens des jeux) : imaginez quedeux chasseurs partent la chasse au cerf. Cest une entreprise quiconsomme beaucoup de temps et ncessite deux personnes, mais quirapporte de quoi nourrir chaque chasseur pendant trois jours. Alorsquil attend, embusqu, le passage du gibier, chaque chasseur voit passerdevant lui un livre, plus facile attraper. Chaque chasseur a ainsi lechoix de quitter son poste et dabandonner la chasse au cerf pour unercompense plus immdiate qui lui demandera moins deffort. Maissil agit de cette manire, lautre chasseur, qui reste embusqu, auraperdu son temps pour rien. Faire confiance, au sens social du terme,consiste alors agir en supposant que nos allis rsisteront aux sirnesde la tentation (le livre) et continueront investir leurs ressources etleurs efforts dans le projet commun (la chasse au cerf).

    Quand la confiance srode

    La dynamique de la confiance sociale a fait lobjet de nombreusestudes dans le domaine de lconomie exprimentale, qui tudie lescomportements des participants dans le cadre de situations arti-ficielles simplifies appeles jeux conomiques . Un de ces jeux

    conomiques est justement le jeu de la confiance , dans lequel unparticipant reoit initialement une certaine somme dargent (disons10 euros). Il peut donner tout ou partie de cet argent un secondparticipant, sachant que largent donn sera alors multipli (parexemple, tripl) lors du transfert. Ainsi, si le premier participantdonne 10 euros au second, le second se retrouvera avec 30 euros. Lesecond participant a alors la possibilit de rendre tout ou partie delargent au premier participant. Dans un monde idal, la stratgieconsisterait pour le premier participant donner tout son argentau second, et au second rendre la moiti de largent gagn aupremier. Le premier participant se retrouverait ainsi avec 15 eurosau lieu de 10. Mais le problme est que le premier participant peut

    aussi se retrouver sans rien, si le second participant dcide de ne

    Lactualit

    En juin 2015, cinq rapportsde la NSA rvlent que lesprsidents Chirac, Sarkozyet Hollande ont t espion-

    ns par les services de renseignementamricains entre 2006 et 2012. Cetteaffaire porte au grand jour par le siteWikiLeaks fait suite celle des coutesdu portable de la chancelire allemandeAngela Merkel en 2013. Suite ces rv-lations, le prsident Obama aurait assurque ces pratiques ont cess.

    La scienceLes tudes scientiques

    sur la conance rvlent

    que les situations de cetype nuisent gravement et

    durablement aux accords de coopration, ensuscitant un ressentiment profond et tenace.

    LincertitudeLe fonctionnement dessystmes diplomatiques etdes traits internationaux

    nest pas forcment simi-laire celui qui prvaut entre personnes.En dautres termes, les tats pourraienttre dnus dmotions et dun sens delquit, ce qui limiterait limpact de cestrahisons sans tre pour autant trsrassurant.

    ?

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    rien lui rendre. Il faut donc que le premierparticipant fasse confiance au second pour investir son argent.

    Les rsultats montrent que les premiers

    participants dcident gnralement din-vestir une partie de largent, mais rarement la

    totalit, rvlant ainsi une confiance partielle.Mais les conomistes exprimentaux se sonttout particulirement intresss ce qui seproduit lorsque le second participant trahitla confiance du premier, en refusant derendre largent. Sans surprise, un effet directde cette trahison est une perte de confiance :un participant qui a t trahi ninvestira plusson argent, privant le second participant detout gain futur. Mais ce nest pas tout : cesmmes expriences montrent que le partici-pant trahi est aussi prt dpenser une partiede largent qui lui reste (et donc augmenterses pertes) dans le seul but de faire perdre autratre largent gagn (quand cela est autorispar le jeu). Autrement dit : trahir la confiancede quelquun ne fait pas que le dissuaderde cooprer avec vous, il le transforme enennemi mortel. Et cest sans compter quecela a le mme effet (bien que plus faible)sur dventuels spectateurs impartiaux,qui seront tout aussi prts user de leursressources pour sassurer que votre trahison

    ne reste pas impunie. De plus, dans les deuxcas, le dsir de punir le tratre semble tremotiv par des motions violentes commela colre et lindignation, ce qui rend lesbourreaux insensibles des considrationsrationnelles, comme le fait quils ne tirerontaucun bnfice de la punition.

    Il est certes possible de regagner laconfiance de ses anciens allis, en senmontrant digne lors dinteractions ult-rieures. Mais cela prend du temps : unerputation est plus vite perdue que gagne,

    de sorte que trahir la confiance de ses allis

    reprsente un risque majeur pour quiconquea besoin de leur coopration. Dans le casparticulier de lespionnage, le fait de rega-gner la confiance dun alli est rendu encore

    plus difficile par le fait quespionner nerevient pas seulement trahir la confiancede son alli, mais montre aussi quon navaitpas soi-mme confiance en cet alli. Or,faire preuve de dfiance envers un alli mineencore davantage sa confiance, et rend plusdifficile toute future coopration. Ainsi, dansles jeux conomiques, la possibilit de punirles tratres permet de sassurer la cooprationde tous, mais diminue la confiance des parti-cipants les uns envers les autres. De mme,la psychologie des entreprises a tudi leffet

    de la surveillance du travail des employssur leur motivation et a observ que cettesurveillance a des effets dltres (baisse dela motivation, perception plus ngative desrelations au sein de lentreprise) quand lesemploys linterprtent comme manifes-tant un manque de confiance de la part desemployeurs.

    Petites trahisons entre amis

    Lespionnage envers un alli sembledonc tre une terrible erreur. Cependant, ilconvient de noter que tous les effets dl-tres mentionns ci-dessus (colre, volontde punir) dpendent du contexte. Ils satt-nuent quand les participants sattendent tre trahis ou quand les rgles taciteschangent. Ainsi, les participants cooprentmoins quand le jeu de la confiance leur est prsent sous le nom de jeu deWall Street et plus quand celui-ci leurest prsent sous le nom de jeu de lacommunaut , et leurs attentes envers leursallis varient en circonstances. Du coup,

    espionner ses allis nest une mauvaise dci-sion que sil est admis quil est interdit dele faire : mais peut-tre les lois de la diplo-matie internationale ne sont-elles pas cellesdes individus et autorisent implicitementlespionnage entre allis. Et les tats ne sontpas des tres humains dots dmotions etde sens moral. Savoir dans quelle mesurele ressentiment de la trahison vcu par lesindividus stend la prise de dcision poli-tique est un sujet de recherche ensoi, pour lequel on manque encore

    de rsultats.

    Regardsur lactualit

    Bibliographie

    S. Arnaud et al.,Will monitoringsystems kill intrinsicmotivation ?An empirical study,in Revue deGestion desRessources Humaines,vol. 90(4), pp. 35-53,2013.G. Origgi,Quest-ce que laconfiance ?CheminsPhilosophiques, Vrin,2008.L. Mulder et al.,Undermining trustand cooperation :The paradox ofsanctioning systemsin social dilem-

    mas, inJournal ofExperimental SocialPsychology, vol.42(2),pp. 147-162, 2006.V. Liberman,The name of thegame : Predictivepower of reputationsversus situationallabels in determiningprisoners dilemmagame moves, inPersonality and SocialPsychology Bulletin,vol. 30(9), pp. 1175-

    1185, 2004.

    Ces pratiques sont anormalesentre pays dmocratiques

    allis de longue date. Manuel Valls, le 24 juin 2015

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    Qui a dit : Si labeillevenait disparatre dela surface du globe,lhumanit naurait plusque quatre ans vivre.

    Plus dabeilles, plus de pollinisation,plus de plantes, plus danimaux, plusdhommes ? La prophtie est attri-bue Albert Einstein. Et mme siune enqute minutieuse a montrquil navait jamais prononc cettephrase, elle a fait le tour du monde etreste largement reprise. Et chaquefois que sont voques des menacespesant sur les abeilles, les humainstremblent pour leur propre sort. Ilest vrai quentre ces deux espces, lesliens sont anciens et troits

    La ruche humaine

    Depuis toujours, nous portons

    sur les abeilles un regard attentif, etparfois subjectif, marqu par deuxmcanismes connus en psychologie :lidentification et la projection.

    Lidentification est le processus,parfois inconscient, par lequel onintriorise et on sattribue des carac-tristiques propres autrui, engnral valorises ; on peut siden-tifier un hros humain ou sur-humain, mais aussi des animauxdont on admire la force ou lintel-

    ligence ; cela a t longtemps le

    cas dans lhistoire avec lours, lelion, laigle, souvent diviniss,choisis comme totems, protecteurs,symboles, etc. Et bien sr, avec lesabeilles. Non que les humains aienteu envie de ressembler aux abeilles entant quindividus, mais plutt parceque leur fonctionnement social estadmir depuis la nuit des temps.

    Un livre rcent, Labeille (et le)Philosophe, retrace lhistoire desparallles que les penseurs ont tablisentre les abeilles et les hommes. Ainsi,Fontenelle crit dans une de ses fables,en 1686 : Il y a dans une plante,que je ne vous nommerai pas encore,des habitants trs vifs, trs laborieux,trs adroits. Ils sont entre eux duneintelligence parfaite, travaillant sanscesse de concert et avec zle au biende ltat, et surtout leur chastet estincomparable. De fait, quelle que

    soit lpoque, chaquesocit a pu voirdans lorganisa-tion de la ruchede quoi inspirerou justifier sonpropre fonction-nement. LAncienRgime apprciaitbien videmmentune organisationo chacun reste sa

    place en fonction de

    son rang de naissance et o personnene se rvolte contre le pouvoir enplace. Mais les rgimes rvolution-naires et rpublicains ont eux aussichant les louanges des abeilles,en les comparant notamment auxgupes et aux frelons, par exemple auXIXesicle dans la clbre Paraboledes abeilles et des frelons oppo-sant les frelons parasites (assimilsaux dirigeants de ltat et du clerg,nobles, rentiers, courtisans, etc.) auxabeilles industrieuses (savants, arti-sans, cultivateurs, ngociants, etc.) :si ces abeilles productives venaient disparatre du pays, ce dernier sef-fondrerait, tandis que la suppressiondes frelons parasites ne lui feraitaucun mal, et peut-tre mme aucontraire le plus grand bien

    Dautres ont admir le caractreradicalement social de linsecte :

    une abeille isole, mmeb ien t ra i t e e t

    Labeille, miroir de nos angoissesInquiets face aux bouleversements climatiqueset la mondialisation, nous aurions tendance transfrer nos angoisses sur les abeilles.Deux processus nous y prdisposent :lidentification et la projection.

    Lil du Psy

    Christophe Andr

    Dani Vincek / Shutterstock.com

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    bien nourrie, meurt immanquable-ment, incarnant au plus haut point lanotion dinterdpendance chre auxpenseurs bouddhistes, selon laquellele tout nest rien sans ses parties,mais aucune partie nest rien sansle tout Comme le remarquait en1793 lcrivain (largement oubli)Dorat-Cubires, dans son ouvrage Les

    Abeilles, ou lheureux gouvernement: Les abeilles ont t pour nous ce quesont les nuages ; chacun y a vu ce quila dsir dy voir.

    Tout ceci peut expliquer pour-quoi, dans notre vocabulaire quoti-dien, nous utilisons souvent destermes faisant rfrence au mondedes abeilles : faire le buzz rappelle lebruit du bourdonnement, en anglais ;se faire enfumer par des mdias oudes politiques voque la manuvrede lapiculteur pour endormir unessaim ; une ambiance de ruche se dit propos de lieux o chacun sactiveavec prcision et animation ; le verbeessaimer suggre une vaste diffu-sion dides ou dattitudes nouvelles,etc. Il est aussi significatif que, dsla Renaissance, le premier animalsuscitant un intrt scientifiquejusqu tre officiellement observ aumicroscope ait t une abeille, dontles dessins reprsentant lanatomiedtaille furent publis ds 1623.

    Frelonsde la mondialisation

    Nous aimons donc bien nous iden-tifier, en tant quespce, aux abeillesindustrieuses et solidaires, mais unsecond mcanisme psychologiqueentre en jeu dans notre rapport elles : la projection, ce processus quinous pousse attribuer dautresdes ressentis ou des intentions qui,

    en vrit, nous appartiennent. Nous

    jugeons ains i cert ains an imaux mchants ou nuisibles , proje-tant sur eux des modes de fonction-nement ou de jugement qui noussont propres et nont rien voir avecleur univers. Nos projections sur lesabeilles sont en gnral favorables(nous admirons leur intelligence,

    leur caractre solidaire et indus-trieux) mais elles peuvent aussi treempreintes dinquitude. Il en estainsi du regard que nous portons

    sur tous les dangers qui les menacentactuellement, et qui ont conduit unediminution importante de leur popu-lation dans de nombreux endroits duglobe : la contamination des ruchespar un petit acarien parasite venudAsie (le varroa) tout comme leurprdation par le frelon asiatique,toutes ces menaces sur les abeillesne font-elles pas cho nos propresangoisses vis--vis de la puissancemontante de lOrient par rapport

    un Occident peut-tre en dclin ?

    Et laffaiblissement de lespce parlusage immodr de pesticides etautres polluants chimiques ne nousrenvoie-t-il pas nos inquitudes surnotre propre sant face aux mmessubstances ?

    Do notre adhsion immdiate la (fausse) prophtie dEinstein quenous citions en dbut de chapitre : la

    fragilit soudainement rvle de cepetit insecte si troitement li notrepropre espce, et son risque de dispa-rition, nous fait soudain prendreconscience de notre propre fragilit.

    Alors, les tourments endursaujourdhui par lespceApis Mellificanous ouvriront-ils les yeux, et lesabeilles sauveront-elles lhumaniten la motivant des changementscologiques profonds ? Ou bien nau-ront-elles fait que nous prcder danslabme ? Dans les deux cas, lhistoirese continue : morts ou vifs, humainset abeilles resteront troitementlis, pour lternit !

    Cerveau &Psycho - n71 septembre - octobre 2015 17

    Christophe ANDRest mdecin psychiatre lhpital Sainte-Anne, Paris.

    Bibliographie

    T. Seeley,Honeybee democracy,Princeton University Press, 2010.V. Tardieu,Ltrange silencedes abeilles, Enqute sur un dclininquitant, Belin, 2009.E. Bonnabeau et al.,Lintelligenceen essaim, in Pour la Science,

    n271, pp. 66-73, 2000.

    Labeille est perue comme une sorte de miroir magique, qui dtiendraitla triple facult de reflter, de modifier et de prdire la vie des hommes.

    Pierre-Henri et Franois Tavoillot, LAbeille (et le) Philosophe

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    Nous aimons croire les nouvelles gnrations mutantes , capables de traiter plusdinformations la fois. Non seulementcest inexact, mais ce type de fonctionnement

    mental aggrave les erreurs de jugement.

    Daprs une rcente tudede Microsoft au Canada,nous ne serions capablesde nous concentrer quependant huit secondes,

    alors que cette dure tait de dix se-condes il y a une quinzaine dannes.Les responsables en cause : les smart-phones et autres crans connects.Heureusement, nous serine lentre-prise de Bill Gates, nous dveloppe-rions de nouvelles capacits, commecelle de faire plusieurs choses en mmetemps. Et cette propension au multi-tche concernerait surtout les jeunes.Tout serait finalement pour le mieuxdans le meilleur des mondes ; vive lestablettes et autres smartphones quidcuplent nos facults cognitives !

    Mutants ? Voire !

    Aujourdhui, il est devenu courant

    de considrer les nouvelles gn-rations comme tant nes avec unetablette ou autre objet numriqueentre les mains. Qui na jamais vu,dans son entourage, un de ces Z faire ses devoirs tout en surfant surInternet et en rpondant touteallure aux SMSde ses amis ? Cettesituation semble en fait deveniraujourdhui la norme.

    Certains commentateurs, leurpropos, avancent des arguments

    lis la plasticit crbrale : ces

    jeunes seraient en quelque sorte desmutants et leur cerveau sadapteraitaux volutions technologiques. Ilsseraient alors en mesure dajusterleurs usages, et leur jugement ne setrouverait pas altr par la surchargeinformationnelle. Dautres avis,peut-tre plus circonspects, prfrentla mthode qui a fait ses preuves : lancienne et une chose la fois.Les jeunes ne devraient pas se laisserenvahir par les diffrents flux de leur

    environnement numrique pendantquils se livrent des activits impor-tantes. Travail et distraction neferaient pas bon mnage. Quen dit lascience ?

    Le psychologue social FabienGirandola, dans un livre sur la

    psychologie de la persuasion,livre une synthse des principalesrecherches publies sur leffet de ladistraction, en situation dinfluence.Dans certains cas, un contextedistrayant nous rendrait plus vuln-rables aux tentatives de persuasion :par exemple, si vous tes en train defaire plusieurs choses la fois, il estplus facile une autre personne devous faire changer davis sur la valeurdun objet quil veut vous vendre,votre esprit tant moins disponiblepour rflchir en profondeur aux

    Junpinzon/Shutterstock.com

    La supercheriedu multitasking

    Point de vue

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    arguments pour ou contre. La distrac-tion constituerait une sorte de frein la contre-argumentation implicite.

    Par exemple, il a t dmontrexprimentalement que si lonexpose des individus des infor-mations, ils sont plus enclins lesaccepter sils sont en train de mangerun plat agrable en mme temps,plutt que sils nont rien dautre faire (do lintrt de faire multi-tasker votre partenaire en affairesautour dun bon repas au momentde lui proposer un march). Et lonest encore bien loin des situationso il faut sadapter un environne-ment nouveau et digital ! En pour-suivant dans cette voie, dautreschercheurs ont montr que ce nesont pas les attitudes qui sont direc-tement influences lorsque noussommes distraits, mais plutt notrecomprhension des informations.Pourquoi en serait-il autrement avecdes distracteurs numriques, mme

    pour la nouvelle gnration ?

    Cerveaux saturs

    Nous avons voulu en avoir lecur net. Un des effets du multi-tche est de surcharger le cerveauen informations. Nous avonsdonc examin si de jeunes utili-sateurs dInternet soumis unesurcharge dinformation taientvictimes de biais cognitifs. Dans

    cette exprience, la surcharge

    informationnelle tait cre endemandant des tudiants deparcourir 24 sites Internet en moinsde dix minutes pour dcider quellesmthodes de sevrage tabagiquetaient, selon eux, les plus efficaces.

    Nous avons constat quen situa-tion de surcharge informationnelleun effet de primaut particuli-rement prononc apparaissait : lesjeunes uti lisateurs de notre exp-rience avaient tendance mieuxmmoriser les contenus des pagesInternet apparues en tte de listedes rsultats livrs par le moteurde recherche Google, et les consi-drer volontiers comme plus perti-nentes. Un miroir dformant quiconstitue un vritable biais cognitifdu jugement.

    Les fameux digital natives, parconsquent, ne sont pas du tout labri de dysfonctionnementsmentaux lis au fait de consulterlinformation rapidement et en

    alternant dun support lautre.Leur cerveau se fait piger parun principe trs simple et bienconnu, leffet de primaut, et il enexiste srement bien dautres. Toutse passe comme si le fait de vouloirtraiter linformation de manirerapide, massive et parallle rendaitplus vulnrable aux biais cognitifs,indpendamment du fait dtrejeune, acclimat aux outils num-riques ou mutant , comme on

    lentend parfois dire.

    Les 18-24 ans sont aujourdhuideux fois plus nombreux que lesplus de 65 ans reconnatre utiliserdes crans numriques alors quilsregardent la tlvision. Dansune telle situation, nous devonsnous demander comment notrecerveau fait face cette surchargede donnes, et quelles erreursil est sujet dans ces situations.En se demandant galement si lesentiment de matrise, voire depleine puissance, li aux nouveauxoutils ne relve pas de lillusion, oude lidologie. n

    Stphane Amato est chercheurau laboratoire IRSIC, EA 4262, luniversit dAix-Marseille.

    Eric Boutin est professeur desuniversits, chercheur au laboratoireI3M, prsident de luniversitde Toulon.

    Bibliographie

    S. Amato et al.,tude des effetsdordre dans la recherchedinformation sur le Web : le casdune exprimentation sur lestechniques de sevrage tabagique,ESSACHESS, inJ. for Com. Stud.,vol. 6, n1 (11), 2013.D. Kahneman,Systme 1,Systme 2 Les deux vitessesde la pense, Flammarion, 2012.F. Girandola,Psychologie de lapersuasion et de lengagement, Presses

    universitaires de Franche-Comt, 2003.

    Des bugs crbraux la chane

    En psychologie cognitive, il arrive que lon compare le

    fonctionnement du cerveau celui dordinateurs. Siceux-ci ont lair de fonctionner en multitche, excutantde faon uide et simultane les ordres que nous leur

    donnons, ils ne le sont pas rellement pour autant. Certainsne font que donner cette illusion en alternant trs rapide-ment les diffrents processus prsents en mmoire. Il peutainsi arriver que la gestion de certaines tches simultanesfasse tout simplement planter un ordinateur.

    Mais notre cerveau, peut-il lui aussi planter lamanire dun ordinateur ? Pas vraiment, mais il est plus

    vulnrable des biais cognitifs, sortes de raccourcis

    mentaux aux consquences parfois fcheuses. Il peutainsi avoir tendance quitter un mode de pense objectifet rationnel en faveur dun mode intuitif, motionnel etsource derreurs (deux modes de traitement de linfor-mation rendus clbres par les travaux du psychologue etprix Nobel dconomie Daniel Kahneman). Or, les situa-tions o il nous faut traiter de nombreuses informations defront ont tendance favoriser ce basculement et, donc, altrer la abilit des prises de dcision. En faisant une

    chose la fois, on limite les risques derreur.

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    mathieuvidard

    la tte au carr14:05 - 15:00

    t dela scienceDans l

    RCSRadioFrance:326-094-47100017-Crditphoto:Christ

    opheAbramowitz/RF

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    22 Cerveau &Psycho n71 septembre octobre 2015

    Cinma :dcryptage psychologique

    Vice-Versa :les motions

    aux commandes

    Pixar-Disney-2015

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    Cerveau &Psycho - n71 septembre - octobre 2015 23

    Serge TISSERON

    est psychiatre, docteur en psychologieet psychanalyste, habilit diriger lesrecherches luniversit Paris-Diderot.www.sergetisseron.com

    Lorsque la petite Riley vient aumonde, les motions se bousculentdj dans sa tte : joie, tristesse,peur, colre et dgot. Elles sontfigures chacune sous la forme

    dun petit personnage : jaune pour la joie,bleu pour la tristesse, vert (comme les bro-colis !) pour le dgot, gris pour la peur, etbien entendu rouge pour la colre. Les cinqsont runis devant une sorte de pupitre decommande ou tour de contrle do ils ob-servent le monde travers le regard de len-fant, et dirigent ses motions. Nous seronsainsi tout au long de ce film la fois dansla tte de Riley et dans sa vie, do le titreoriginal anglais, mieux adapt que le titrefranais : Inside Out, autrement dit dedansdehors . Suivent plusieurs pisodes relati-vement complexes dont les enfants risquentsurtout de retenir que le cerveau ressemble un gigantesque parc thme dans lequelon peut courir dune attraction lautre ety dcouvrir des choses toujours plus surpre-nantes. Mais pour ceux qui auraient enviedapporter des claircissements leurs reje-

    tons, voici quelques points de repre sur lesliens entre ce que ce film met en scne et ceque nous savons du cerveau.

    Vice-Versanous montre dabord quau-cune des cinq motions principales quiguident notre vie affective nest bonneou mauvaise ensoi. La peur peutparalyser et emp-cher laction, maisnous prserve desdangers ; la colrep e u t e m p o r t e ret provoquer descatastrophes,mais elle sassure aussi que la justice rgne ;le dgot peut gner les relations, mais ilempche aussi de se faire empoisonner la vie,au sens propre comme au figur ; quant latristesse, elle va peu peu apparatre au coursdu film comme un lment rgulateur depremier plan de notre vie intrieure, jusquformer avec la joie un couple insparable.

    La seconde leon de Vice-Versaest quenos motions nont pas pour seule fonctionde nous permettre de rpondre aux stimu-lations extrieures. Elles participent aussi la construction des souvenirs qui sont

    figurs dans le film sous la forme de petitessphres semblables des boules de bowling.Sans motions, pas de pense ni de vie

    Que se passe-t-il dans la tte dun enfant qui grandit ?Cest ce que nous montre Vice-Versa travers uneplonge dans le cerveau dune petite fille. O lonrencontre de charmants petits personnages qui ne sontautres que ses motions, dont le pouvoir est immense

    En Bref Vice-versaillustre de nombreuses

    fonctions des motions, notammentcelle de colorer les souvenirs.Ces derniers peuvent ainsi servirde briques pour construire les grandsdices psychiques que sont

    la famille, la justice, lamiti

    Nous avons tous un thermostat motionnel qui sassure que toutexcs de joie est ensuite compenspar de la tristesse et vice versa.Ce point dquilibre varie dunepersonne lautre.

    Lorsque nous revivons un pisodeheureux de notre pass, son souvenirfait jaillir la joie associe lvnement,mais aussi la tristesse lie au fait quilnexiste plus. Cette tristesse seraitncessaire pour tourner la page

    et construire lavenir.

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    psychique, nous ont appris depuis plus devingt ans les travaux du neurologue amri-cain Antonio Damasiomais pas de souve-nirs non plus ! Chaque souvenir est teint dela couleur de lmotion dominante qui lui at initialement associe. Ainsi la mmoirede Riley emmagasine-t-elle des boules jaunes comme le bonheur, bleues commela tristesse, rouges comme la colre, vertescomme le dgot et grises comme la peur.Ces souvenirs sont ensuite stocks dans devastes tours semblables des silos grain etqui constituent la mmoire long terme.

    Certains dentre eux sont plus facile-ment disponibles et peuvent tre ractivsde faon ressusciter lmotion qui les aaccompagns : nous sourions en nous rappe-

    lant un vnement qui nous a fait sourire,nous tremblons au souvenir de ce qui nousa fait peur et nous ressentons la colre enpensant ce qui nous a nervs. linverse,

    les souvenirs qui ne sont pas ractivs sontdtruits afin de laisser la place dautres.

    Un cerveau instable

    Troisime leon de ce film : deuxmotions peuvent tre associes un mmevnement et donc un mme souvenir.Il en est ainsi du souvenir dun match dehockey dans lequel Riley a marqu contreson propre camp. Elle a prouv une grandetristesse, ses parents lont console, puistous ses camarades lont souleve en laircomme une championne pour lui tmoi-gner leur affection et leur confiance. Dans lefilm, nous ne voyons dabord que la secondepartie du souvenir et elle est videmment

    associe une grande joie. Mais la suite nousmontrera, grce a Tristesse, que la mmesituation a t initialement associe unegrande dtresse de la petite fille.

    Enfin, ces souvenirs alimen-tent de grandes constructionsqui figurent les centres dintrtmajeurs de Riley. Ce sont enquelque sorte les piliers de sa viepsychique. Ils ont pour nomsfamille, honntet, rigolade,amiti, et hockey sur glace,

    puisque beaucoup dexcellents

    Cinma :dcryptage psychologique

    Pixar Disney-2015

    Dans notre systme motionnel,un accs de joie suscite toujours

    une action quilibrantede la tristesse, et vice versa.

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    souvenirs de Riley sont associs cette activit laquelle ses parents lont initie, puis accom-pagne avec tendresse.

    On aurait pourtant tort de croire que le

    psychisme est une construction aussi stableque le laissent supposer ces premires images.La preuve en est rapidement donne locca-sion dun dmnagement qui va gravementperturber Riley. Alors quelle a toujours vcudans ltat du Minnesota, un changementprofessionnel de son pre la propulse SanFrancisco. Ainsi passe-t-elle brutalement delenvironnement rural o elle a grandi et otout lui tait familier une maison troite aufond dune ruelle sombre. Et pour comble demalheur, le camion de dmnagement qui

    devait apporter les meubles de la famille accu-mule les retards. Riley, oblige de dormir dans

    un duvet mme le sol, dans une chambresans meuble, est confronte la journe unnouvel environnement scolaire peu accueil-lant. Interroge par la matresse pour direquelques mots de la rgion do elle vient, elle

    ne peut sempcher de fondre en larmes. Toutsest transform autour delle, et se transformeaussi en elle, tel point que Colre, Dgot,Peur et Tristesse menacent de tout envahir.Les efforts de Joie qui se dmne inlassable-ment dans le but de ractiver des souvenirsheureux anciens ny font rien. Ils provoquentmme une vritable catastrophe psychique.Sous leffet de la pression que vit Riley, Joieest expulse hors de la tour de contrle. Et,sans que lon comprenne trs bien commentni pourquoi tout va trs vite dans cette

    squence , Tristesse est expulse avec elle.

    Pour revenir au quartier gnral, Joie etTristesse vont devoir trouver leur chemin travers le cerveau. Aprs avoir traverssuccessivement le pays de la mmoire long

    terme, puis la zone de labstraction qui faitbasculer leur apparence de la 3D la 2D,jusqu la rduire un simple trait, ellesemprunteront un train volant qui circule,telle la pense, entre les rgions de lesprit, etdcouvriront les studios o sont tourns lesfilms qui peuplent nos nuits, et elles serontfinalement menaces de disparatre dansla valle de loubli o les souvenirs perdenttoute couleur et se dsagrgent lentement

    En mme temps, mesure de leur progres-sion, Joie et Tristesse assistent leffondre-

    ment des grandes constructions thmatiquescorrespondant aux grandes zones dintrt de

    Riley. Rien dtonnant cela. Ces construc-tions ne sont plus alimentes par de nouveauxsouvenirs car rien, dans ce que vit maintenantRiley, ne peut plus tre reli son pass.

    Le thermostat motionnel

    Ces constructions disparaissent doncles unes aprs les autres. Bien sr, la suitemontrera que cela permettra de nouvellesconstructions dadvenir, mesure queRiley tablira de nouvelles relations avecde nouveaux camarades, et engrangera denouveaux souvenirs associs son nouveaumode de vie. Mais avant den arriver l,nous aurons dcouvert une facette essen-tielle de notre vie psychique : joie et tris-

    tesse sont insparables.

    Vice-Versa :les motions aux commandes

    Pixar Disney-2015

    Peur, tristesse,joie, dgot

    ou colre : quellecouleur motionnelle

    prendra le souvenirrenferm dans cettesphre translucide ?

    Les tudes enpsychologie rvlent

    que plusieurs motionspeuvent coexister

    au sein dun mmesouvenir.

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    Cinma :dcryptage psychologique

    Mme si des vnements brutaux etimprvus bouleversent provisoirement notrequilibre interne, lvolution nous a faonnspour que nous ne soyons jamais trop (nitrop longtemps) heureux ou malheureux. Labiologie de nos motions est comparable unsystme daration qui maintient la temp-rature constante, aussi bien en cas de vaguede chaleur que de tempte de neige. Bien sr,les vnements peuvent changer momen-tanment notre temprature motionnelle,mais notre thermostat la ramne toujours peu prs au mme point. Nous connais-sons tous des personnes qui sont relative-ment joyeuses quoi quil arrive, et dautresqui sont dternels ronchons, indpendam-ment des bonnes surprises que le sort leurrserve. Les premires sont domines par Joieet les secondes par Tristesse. Mais les unes

    et les autres ont un point commun : aprsun vnement qui bouleverse leur quilibre,elles reviennent toujours peu prs au mmepoint. Un vnement malheureux ne rendpas plus triste long terme un opti-miste, et un vnement heureux ne rendpas moins triste un pessimiste. Secousun instant, nous retrouvons vite notrepoint fixe. Autrement dit, linterventionde Joie suscite toujours une action qui-librante de Tristesse, et vice versa.

    Mais do vient que sur une chelle

    de 1 10, certains semblent avoir une

    humeur qui oscille toujours entre 6 et 10pour se stabiliser le plus souvent 8, alorsque dautres oscillent entre 3 et 7 pour sestabiliser 5 ? La loterie de la gntique et

    de la biochimie y joue bien entendu sonrle, mais aussi, comme le montre bien Vice-Versa, la quantit de souvenirs agrablesengrangs dans la petite enfance. Ce sonteux qui permettent de trouver lintrieurde soi les ressources pour percevoir les situa-tions dadversit de manire moins drama-tique et garder confiance dans la capacit deles surmonter.

    Avec laide de la tristesse

    Confront la dtresse de Riley, Joie vadonc chercher activer les souvenirs heureuxde son pass. Elle en a recueilli quatre dansle silo de la mmoire long terme et elle lesgarde prcieusement avec elle afin de lesinjecter dans la conscience de Riley aussittquelle sera de retour au poste de comman-dement. Cest, croit-elle, le seul moyen derendre le sourire Riley. Mais la tour decontrle est si loinComment trouver lechemin ? Une crature rencontre par hasardpeut laider. Cest le compagnon imagi-naire que Riley stait fabriqu dans sa petiteenfance : une crature bizarre qui associe uncorps en barbe papa, une trompe dlphantet une queue de chat. Hlas, sil connat bienle chemin, il na gure envie de le montrer Joie et Tristesse. Il est en effet dsespr lide que Riley, qui va sur ses 11 ans, pensede moins en moins lui. Il en ressent dail-leurs leffet puisquil est en train de seffacerprogressivement, un peu comme le chatdAlice au pays des merveilles, mais sans quilnen reste rien, mme pas le sourire. Il sassoitet pleure des larmes de bonbons car ce sont

    les seules dont limagination de Riley enfantla pourvu et il refuse daller plus loin. quoi bon ? Joie tente de le convaincre querien nest jamais perdu et quil est important

    InsparablesTout au long de leur

    priple dans le cerveau,Joie et Tristesse restentproches lune de lautre.

    Comme dans nos viesde tous les jours.

    Pixar Disney - 2015

    Quand les souvenirs joyeux dautrefoisne suscitent plus que tristesse,

    pleurer sur le pass perdupermet de se tourner vers lavenir.

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    nl

    Bibliographie

    S. Tisseron,Vritset mensonges de nos

    motions,Livre dePoche, 2007.

    A. Damasio,LErreurde Descartes, la raison

    des motions,OdileJacob, 1995.

    M. Klein,Envie etgratitude et autresessais,Gallimard,

    1978.

    de retrouver le bonheur en se plongeant dansles souvenirs heureux. Mais cela ne sert rien.Tristesse, alors, sassoit ct de lui et lui diten pleurant que cest un grand malheur : lacrature imaginaire de Riley pleure aussi,essuie ses larmes, et consent montrer Joie et Tristesse le chemin par lequel ellespourront rejoindre la tour de contrle. Comment as-tu fait ? demande Joie Tristesse. Et celle-ci de rpondre : Je ne saispas, je lai cout parler, cest tout.

    La remmoration dun mme souveniragrable peut en effet susciter deux motionsbien diffrentes : une joie semblable cellequi a accompagn la situation lorigine dusouvenir, mais aussi la tristesse si on penseque ce moment heureux ne reviendra jamais.Et cest comme cela que lon grandit. Cest cequon appelle le travail du deuil. Les premierspsychanalystes qui ont travaill sur cettequestion ont dsign ce moment comme lepassage dune position dite schizo-para-node une autre dite dpressive . Dansla position schizo-paranode, il sagit de

    susciter toujours de nouvelles situations exal-tantes, comme si le temps nexistait pas et querien ntait jamais perdu. Dans la positiondpressive, il sagit au contraire daccepterque le temps change la signification que nousattribuons nos souvenirs. Ce qui pouvaitnous apparatre joyeux par le pass, commedes comptines enfantines qui nous merveil-laient ou des peluches qui taient nos meil-leurs compagnons, suscite maintenant la tris-tesse dun temps pass qui ne reviendra plus,mais aussi la conscience des opportunits

    nouvelles qui adviennent.

    Aide par Tristesse, Joie comprend alorsquelle faisait fausse route en cherchant ractiver sans cesse les souvenirs heureuxde Riley. Cela ne peut plus rendre la pra-dolescente heureuse parce que tout a changpour elle : son corps, le lieu ou elle habite,ses camarades, ses espaces de jeux. Alors,Joie confie Tristesse les quatre souvenirsheureux de la toute petite enfance de Rileypar lesquels elle pensait dabord remonter lemoral de celle-ci. Tristesse hsite, puis poseses mains sur eux. Or Tristesse a un privilgequaucune autre motion ne partage. Il suffitquelle touche un souvenir heureux pourquimmdiatement celui-ci devienne triste.Car un peu de tristesse dans un souvenirheureux fait perdre de vue tout ce quil a debon pour ne plus laisser exister que la peinequi lui est associe. Les quatre sphres jaunesdeviennent bleues. Les souvenirs joyeux dupass ne suscitent plus que la tristesse. Rileypeut pleurer sur un pass dfinitivementperdu et se tourner vers son avenir. Plus tard,ces souvenirs heureux pourront toutefois

    revenir peupler ses penses et lui donner laforce de surmonter certaines preuves. Maisdabord ce deuil est ncessaire, et ces souve-nirs seront dornavant toujours empreintsde nostalgie.

    Dautres preuves surviendront, et lesnouvelles constructions psychiques que Rileydifiera pourront seffondrer leur tour. Maiselle sera arme pour les affronter parce quelleaura compris que Joie et Tristesse sont ins-parables, et que notre vie psychiqueest condamne osciller sans cesse

    entre lune et lautre.

    Vice-Versa :les motions aux commandes

    Vois ces lotsmerveilleux ! semble dire Joie Tristesse. Ce sont

    les grands dicespsychiques de la

    petite Riley : famille ,justice, sport, etc. Des

    constructions btiessur des souvenirs

    Joie en a slectionnquatre quelle emporte

    dans son priple.

    Pixar Disney - 2015

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    N

    ick Leeson est un homme dont la vie a t mine parle secret. Entre 1992 et 1995, ce trader de la banquebritannique Barings a tent de rattraper ses perteslies des investissements hasardeux, se trouvant

    pris dans une spirale de spculation qui engloutit ledouble des capitaux de sa banque. Tout au long de cette priode, ilparvint cacher cette chute ses suprieurs au prix defforts surhu-mains, une descente aux enfers restitue dans le film Trader(1999).Arrt, il dveloppera en prison un cancer du clon. ce propos,il dclarera : Mon style de vie comme trader a probablement jouun rle. Les trois ans pendant lesquels jai cach mes agissementsont t trs stressants. Je supprimais tout, je compartimentais mavie professionnelle et personnelle, de sorte que ma femme ne sacherien. Certains secrets psent trs lourd. Lexemple de Nick Lee-son est extrme, mais chacun peut tre aux prises avec un secretqui, quoique de moindre importance, devient parfois pesant,voire cause des ennuis de sant. Que faire dans cette situation ?

    Les mfaits du silence

    De la mme manire quun tre humain apprend marcherau cours de sa petite enfance, il apprend au fil de la vie quilvaut mieux garder certaines penses pour soi ou ne les partagerquavec des personnes bien choisies. Il peut sagir de pensespositives, joyeuses, voire excitantes, comme une surprise quonrserve un ami pour son anniversaire, ou mme la recette dugteau au fromage de grand-mre ! Les scientifiques y voient des secrets mineurs dont limpact est anecdotique sur notre vieou notre bien-tre. Les secrets majeurs , en revanche, auraient

    des consquences srieuses sils clataient au grand jour.

    En BrefGarder des secrets peut avoir des consquences ngatives

    pour la sant mentale et physique.

    On parvient vivre avec condition de communiquer librementsur les autres sujets, et si le secret n'envahit pas nos penses.

    Dans le cas contraire, trouver un condent able et expert

    dans le domaine concern est gnralement bnque.

    Sarah Zimmermannest journaliste scientique base

    Wrzburg, en Allemagne.

    Alphaspirit/Shutterstock.com

    Psychologie

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    Devoir garder un secret a parfois de lourdes

    consquences pour la sant et le psychisme.Afin de ne pas le traner comme un fardeau,le choix dun bon confident est crucial.

    Quand les secretspsent trop lourd

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    Informations encombrantes qui tourmententles personnes qui les gardent. Adultre, viol,addiction secrte, maladie

    Ainsi, pour la psychologue Anita Kellyde luniversit Notre-Dame aux tats-Unis, leffet dun secret est en grande partiedtermin par lnergie que la personnedoit dpenser pour le conserver. Une ciga-

    rette fume en cachette ne fait pas courir degrand risque certains, mais ferait perdreleur emploi dautres. Leffort cognitifconsenti pour le garder par devers soiaugmente. La tension qui en rsulte sousforme de stress semble avoir des rper-cussions sur le fonctionnement de lorga-nisme tout entier. Au point que, selon denombreuses tudes, les secrets majeurs provoqueraient de graves troubles de santphysique et psychique.

    Se taire en tre maladeJames Pennebaker et Carol Chew, psycho-

    logues luniversit du Texas Austin, ontt parmi les premiers sintresser au sujet.Ds 1985, aprs avoir demand un groupede volontaires de garder une certaine infor-mation secrte, ils observent chez eux desmodifications physiologiques tel un excsde sudation, rvlateur dun tat de tension.Garder sciemment le silence constitue en soiun stress, et si cet tat se prolonge, les cons-quences ne se font pas attendre.

    Cest ainsi quen 1996, le psychiatreSteve Cole et ses collgues de luniversit deCalifornie Los Angeles ont constat que deshommes homosexuels sropositifs ne parlantpas de leur infection prsentaient des valeurstrs basses dun certain type de globulesblancs (lymphocytes-EDT) et dcdaient plustt que des sujets divulguant leur maladie.Plus tard, en suivant 222 personnes homo-sexuelles, ils notrent que celles qui cachaientleur orientation sexuelle leur entourage(familial, professionnel, social) tombaient

    plus souvent malades, souffrant de cancers,

    bronchites ou tuberculose, ind-pendamment de lattention quellesportaient un mode de vie sain.

    Plus rcemment, les psycholo-

    gues Tom Frijns, de luniversitdUtrecht et Catrin Finkenauer, deluniversit libre dAmsterdam ontmontr en 2012 que, ds ladoles-

    cence, le fait de garder des secrets augmentele risque de dpression ou de difficultsrelationnelles. Dans cette tude, les sujetsavaient dabord indiqu sils gardaientactuellement un secret important, puisrenseign un questionnaire sur leur tat desant. Six mois aprs, ceux qui avaient confileur secret se sentaient moins dprims

    quau dbut de ltude. La peur de divul-guer une information sensible isolerait sonporteur des autres, de crainte de commettreun faux pas.

    Mais leffort cognitif rpt pourrait favo-riser la dpression par un autre mcanisme.Julie Lane et Daniel Wegner, de luniversitde Virginie Charlottesville, dcrivent uneffet paradoxal : plus on essaie de supprimerune pense, plus elle est prsente de sorteque les porteurs de secrets pensent encoreplus intensment un sujet qui leur pse.Selon ces psychologues, cette contraintementale permanente peut conduire ladpression et des troubles de stress post-traumatique.

    Quest-ce quun bon secret ?

    Parler serait alors une thrapie. Maisil faut nuancer, en mentionnant

    des situations o un secretpeut tre inoffensif, et

    mme bnfique ! Cestce que suggrent les

    travaux

    Psychologie

    Bill Clinton, EdwardSnowden mais aussi

    Romo et Juliette onttour tour vu leur viemarque par le secret.

    La premire qualit dun confident est lafiabilit. Nous ne cherchons pas un ami, mais

    une personne capable de tenir sa langue.

    DR

    Joseph Sohm / Shutterstock.com

  • 7/25/2019 CerveauPsychoSeptembreOctobre2015

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    dAnita Kelly, professeure de psychologie luniversit Notre-Dame de lIndiana. En2006, en collaboration avec son collgueJonathan Yip, elle a compar deux groupes

    dindividus86 au total : les uns, naturelle-ment secrets, sexprimaient trs peu proposde leur vie personnelle ; les autres communi-quaient librement tout en conservant poureux certaines informations sensibles. Dessecrets cibls , en quelque sorte.

    En mesurant, neuf mois plus tard, le degrde bien-tre de ces deux groupes, les scienti-fiques ont constat que ceux ayant des secretscibls allaient beaucoup mieux que les indi-vidus ne rvlant rien deux. Moins danxit,de dpression ou de douleurs physiques

    Parfois, ils se portaient mme mieux que laplupart des gens.Alors, quest-ce qui dtermine une

    personne maintenir cach un aspect parti-culier de sa vie ? Selon Anita Kelly, cestsouvent le dsir de se protger dventuellesractions ngatives, voire dune stigmati-sation. Certaines personnesdissimulent ainsi leur maladiepour viter den subir lesconsquences sur un planprofessionnel (on connat lasituation difficile de ce pointde vue, des patients atteintsde cancer qui retournentsur leur lieu de travail aprsune gurison). Elles peuventcontinuer daller bien si ellesne sisolent pas entirement.En 2011, Joyce Maas et ses collgues de luni-versit Radboud Nimgue aux Pays-Bas

    lont observ auprs dun chantillon de287 sujets sropositifs, qui il tait demandsils parlaient ouvertement de leur maladie.La plupart des participants gardaient leur

    maladie secrte envers au moins une personnede leur entourage. Cependant, leur bien-tre ntait pas affect sils continuaient decommuniquer librement sur la majorit desautres sujets avec leur entourage et vitaientde penser en permanence leur maladie. Lacl serait donc dviter que le secret contaminelensemble des comportements et des penses.

    Les besoins vitaux menacs

    Si les secrets peuvent avoir des cons-

    quences aussi profondes, cest quil arrivequils empchent leur dtenteur de satis-faire certains de ses besoins fondamentaux.Cest lanalyse dAhmet Uysal, psycho-logue luniversit de Houston, qui serfre la thorie dite de lautodtermina-tion. Cette dernire considre que tout tre

    humain doit satisfaire troisbesoins : autonomie, comp-tence, intgration sociale.Autrement dit, il doit avoirle sentiment dagir de sapropre initiative, de pouvoirsacquitter au mieux de sestches et dappartenir unecommunaut. Et le problmevient du fait que certainssecrets nuiraient gravement ces besoins fondamentaux.

    lappui de cette hypothse, Ahmet Uysalet son quipe ont men en 2010 une tudedont les participants devaient consigner surun carnet, pendant seize jours, leur niveaude satisfaction de ces trois besoins fonda-mentaux. Il sest avr que les personnes

    dvoilant peu leurs sentiments et pensesse plaignaient galement dtre socialementexclues, moins capables et moins autonomes

    en un mot, leurs trois besoins fondamen-taux taient peu satisfaits.

    On devine le lien : redoutant de se confier,les sujets introduiraient une distance entreeux-mmes et les autres ; les limites quilsimposent leurs paroles et leurs actes lesempcheraient du mme coup de se raliseraux yeux de lentourage, rduisant leursentiment de valeur personnelle et, naturel-

    lement, leur sentiment dautonomie.

    Quand les secrets psent trop lourd

    Plus on essaie de supprimerune pense, plus elle est

    prsente. Les porteursde secrets pensent alorsdautant plus fort

    ce sujet qui leur pse.

    Rena Schild / Shutterstock.com

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    Toutes ces thories nexpliquent cependantpas pourquoi les personnes dvoilent parfoisle secret le mieux gard, bien que cela puisseleur faire du tort. Pourquoi un meurtriernon dmasqu avoue-t-il son crime plusieursannes aprs ? Pourquoi un homme confesse-t-il ses pchs de jeunesse sur son lit de mort ?Anita Kelly voit deux raisons potentielles un tel comportement. Le fait de formulerla pense secrte permettrait, dans certainscas, dy rflchir de faon plus constructiveet de la considrer sous un jour nouveau, aubesoin par le dialogue avec son confident.Deuximement, il arrive que sexprimer libre-ment sur ses sentiments ngatifs fasse parfoisdu bien et conduise une sorte de catharsis, savoir la rsolution de tensions internes etdmotions ngatives.

    Parler pour comprendre

    Afin de tester ces hypothses, 137 tudiantsont d se rappeler qui ils avaient confiun secret important par le pass, et valuerdans quelle mesure cette confession les avaitamens comprendre diffremment la teneurde leur secret, ou les avait soulags. Les rsul-tats ont montr quils se sentaient mieuxuniquement lorsque la rvlation leur appor-tait une nouvelle comprhension de leursituation. Le meilleur moyen dy parvenir taitde se confier un expert plutt qu une

    personne de confiance . Le dsir de se faire

    une ide plus prcise et plus complte delinformation tenue secrte serait alors lepremier objectif dans la recherche dunconfident.

    Trouver le bon confident

    Lorsquon sest rsolu parler, restela tche difficile de savoir qui. Des

    travaux mens par le psychologue AldertVrij et son quipe de luniversit dePortsmouth en 2002 ont livr plusieursenseignements cet gard. Tout dabord,la personne laquelle est confi le secretne ragit pas toujours avec compr-

    hension ou soutien. Linformation peut laperturber, lui faire honte ou provoquer chezelle des motions dsagrables. la limite,elle mettra des commentaires peu construc-tifs. En outre, linformation reue la met dansune position de pouvoir dont elle pourraitabuser. Tous ces effets ngatifs potentielsdoivent tre pess avant de prendre la dci-sion de parler ou non.

    Le contexte de la rvlation est gale-ment trs important : Netta Weinstein et sonquipe de luniversit de Rochester ont tudien 2012 des situations o des hommes et desfemmes homo- et bisexuels faisaient leurcoming out. Dans quelle mesure se sentaient-ils soutenus par leur famille, leur cercledamis, leur communaut religieuse ou leurscollgues de travail ? L encore, la rvlationdu secret sest avre bnfique unique-

    ment dans les cas o elle ne menaait pasles besoins fondamentaux dautonomie etdappartenance de lindividu. Les personnesqui, ayant fait leur coming out, conservaientleur libert et leurs liens avec leurs prochesse sentaient globalement mieux. Une condi-tion plus souvent remplie avec des amisproches quauprs dune communautplus large (professionnelle, notamment).Pour les autres, le rsultat est plus mitig.Finalement, il revient chacun de peser lepour et le contre dune rvlation dont les

    consquences seront dcisives. n

    Psychologie

    Sais-tu quil y aura un plan delicenciement ? Garder pour soi certaines

    informations peut crer une distancevis--vis des autres qui nuit gravement au

    bien-tre et au sentiment dappartenance.

    Bibliographie

    C. Amiot andB. Bastian, Towarda Psychologyof Human-AnimalRelations, inPsychological Bulletin,vol. 141, pp. 6-47,

    2015.H. Herzog,Biology,Culture and theOrigins of Pet-Keeping,in Animal Behaviorand Cognition, vol. 1,pp. 269-308, 2014.J. Serpell etE. Paul,Pets in theFamily : An Evolutio-nary Perspective,OxfordHandbook of Evolutio-nary Family Psychology,Ed.T. Shackelford etcoll.,Oxford University

    Press, 2011.

    DR

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    Au mois de fvrier dernier, une image acr le buzz sur Internet et les rseaux so-ciaux : celle de la robe quune Amricainevoulait porter au mariage de sa fille. Toutse complique quand elle dcide de parta-

    ger la photo de la robe avec les futurs maris. Surprise : ilsne voient pas lhabit de la mme couleur La fille la voitblanche et dore, le fianc la voit bleue et noire. Un amide la marie poste limage de la robe sur Tumblr. Les fol-lowers la repostent sur Twitter, et elle devient virale. Larobe , comme on lappellera, divise ds lors des super-stars aux tats-Unis Dans la famille Kardashian, Kimet Kanye ne sont pas daccord ! Le clich sera visionn desmillions de fois sur les rseaux sociaux, jusqu formerdeux camps : ceux qui la voient bleue et noire, et ceuxpour qui elle est blanche et dore. Inexplicable.

    Si inexplicable que les neuroscientifiques sont pris partie par des mdias avides de rponses. Un temps flattsde voir le grand public solliciter leurs comptences, ils

    doivent vite dchanter, les pistes savrant aussi diversesquincompltes. Le problme est que les gens voient cethabit diffremment, mme sur un support et dans desconditions dillumination identiques. Pas de doute, noussommes face un nouveau type de phnomne perceptif,jusque-l inconnu des scientifiques !

    Stephen Macknik et Susana Martinez-Condesont professeurs dophtalmologie au centre mdical

    Suny Downstate Brooklyn, New York.

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    Est-elle bleue et noire ? Ou blancheet dore ? Les internautes se sontdchirs ces derniers mois proposde cette robe. Les neuroscientifiques

    essaient de comprendre pourquoi.

    La robequi cre le buzz

    TumblrSwiked

    Quelles couleurs voyez-vous ?Des neuroscientiques de luniversit de Californie du Sud,Bosco Tjan et ses collgues, ont demand des tudiantsquelles teintes de dor et de bleu correspondaient le mieux,selon eux, aux couleurs de la robe. Les tons dsigns ontt trs variables, rvlant que chacun voit les couleurs samanire. Mais sil sagit de nommer les couleurs de la robe, lespersonnes interroges rpondent soit bleue et noire , soit blanche et dore . Une tude du mme type, ralise au MITpar Rosa Lafer-Sousa, Katherine Hermann et un membre denotre groupe (Bevil Conway), auprs de plus de 1 000 sujets, arvl que les perceptions se rpartissent en trois catgories :

    blanc-dor, bleu-noir et bleu-marron.

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    Ces bandes sont-elles noires et bleues ? Le crateur dillusionsAkiyoshi Kitaoka de luniversit Ritsumeikan de Kyoto a imagin un motifvisuel bandes horizontales dont les couleurs sont celles de la photode la robe ( gauche). Dans la ralit, la robe est bleue et noire

    Il ne serait donc pas absurde que vous perceviez ces bandes commebleues et noires galement. Si ce nest pas le cas, plissez les yeux, regardezlimage sous une lumire tamise ou rduisez la luminosit de votrecran. Les conditions de visionnage sont dterminantes pourla perception visuelle des objets.

    La mme robe semble diffrenteau soleil et lombre : selon le neuro-

    scientique Benvil Conway, notre systmevisuel traite les images diffremment si

    la source lumineuse principale estle soleil (femme en plein soleil)ou le ciel

    bleu (femme lombre). Reste savoirpourquoi certaines personnes ont

    un cerveau qui a tendance supposerune source lumineuse solaire etdautres une source lumineuse cleste .

    Une question dclairageLes neuroscientiques Anya Hurlbertet ses collgues Bradley Pearceet Stacey Aston de luniversitde Newcastle en Angleterre,

    et de manire indpendante RosaLafer-Sousa du MIT, ontcombin deux sources lumineusespour photographier la robe :une lumire bleute diffuse et unelumire chaude et dore. La photorsultante (2) est perue par certainscomme blanche et dore, et pardautres comme bleue et noire.Tout dpend de lillumination quefavorise le cerveau de lobservateur.En revanche, sous une lumire blanche(1), limage est clairement bleue

    et noire pour tous.

    B.PearceetA.HurlbertNewcastleUniversity

    2) Ambigu lumiresbleue et dore superposes

    1) Non ambigulumire blanche

    R

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    Toutes sortes dexplications seront avan-ces. Certaines lies la structure internede lil qui varierait dune personne lautre comme la distribution et le fonc-tionnement des btonnets et des cnes dela rtine. Dautres voquent des propritsde filtrage de la lumire lintrieur duglobe oculaire, galement variables selonles individus. Et nous voil au point o lonsuspecterait carrment les mcanismes detraitement des couleurs dans le cerveau lui-mme. Ceux-ci pourraient diffrer dunepersonne lautre et dpendre de nos exp-riences passes et de nos croyances .

    En substance, cette thse propose quenotre cerveau aurait tendance faire dessuppositions sur la nature des sourceslumineuses. Il considrerait ainsi que cessources peuvent tre de deux types : soit la

    lumire du soleil lorsquon y est directementexpos, soit celle diffracte par latmos-phre ( dominante bleue), lorsquon nestpas directement au soleil. Une alternativequi dcoulerai