ce que la science sait de la mort

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Radiographie d’un patient en soins intensifs dans un hôpital. NOVEMBRE 2011 - SCIENCES ET AVENIR 57 DOSSIER 56 SCIENCES ET AVENIR - NOVEMBRE 2011 Ce que la science sait de la mort Cet instant où tout bascule p. 58 Le vivant en perpétuel renouvellement p. 64 Des rituels à la mesure de nos démesures p. 68 Insaisissable, la mort défie les scientifiques. Pour la comprendre, ils explorent les mécanismes du vivant, de la cellule à l’individu en passant par cœur et cerveau. Dossier réalisé par Sylvie Riou-Milliot, Hervé Ratel, Rachel Mulot, Bernadette Arnaud, Azar Khalatbari et Sylvie Rouat. CAPUSLAMUNDI ROSSET/SPL/PHANIE BSIP BSIP

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Dossier novembre 2011

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Page 1: Ce que la science sait de la mort

Radiographie d’un patient en soins intensifs dans un hôpital.

novembre 2011 - ScienceS et Avenir 57

dossier

56 ScienceS et Avenir - novembre 2011

Ce que la science sait de la

mortCet instant où tout bascule p. 58

Le vivant en perpétuel renouvellement p. 64

Des rituels à la mesure de nos démesures p. 68

Insaisissable, la mort défie les scientifiques. Pour la comprendre, ils explorent les mécanismes du vivant, de la cellule à l’individu en passant par cœur et cerveau. Dossier réalisé par Sylvie Riou-Milliot, Hervé Ratel, Rachel Mulot, Bernadette Arnaud, Azar Khalatbari et Sylvie Rouat.

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58 ScienceS et Avenir - novembre 2011

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A partir de quand constate-t-on un décès ? Si la loi définit des critères stricts, la définition de la mort ne cesse d’évoluer au sein même du corps médical. Car plus qu’un événement, elle est un processus.

Cet instant insaisissable où tout bascule

« Mort : qui a cessé de vivre », dit le diction-naire. Mais la réalité est bien plus com-plexe. Pendant des millénaires, il a suffi que le cœur s’arrête de battre pour que le décès soit déclaré. Une simplicité qui allait de pair avec des moyens diagnostiques plus que ru-dimentaires : croquer un orteil, attendre que la buée se dépose sur un miroir posé près de la bouche du mourant… Mais au-jourd’hui, quand est-on déclaré mort ? Tou-jours lorsqu’un médecin, souvent un réani-mateur, le constate selon une somme de critères bien définis par la loi (1) : absence totale de conscience et d’activité motrice spontanée, abolition de tous les réflexes du tronc cérébral, absence de ventilation spontanée. En 2011, 75 % des décès ont eu lieu à l’hôpital. Mais quel que soit le scéna-rio, les premiers rôles sont toujours tenus par les mêmes acteurs incontournables : le duo cœur-poumon et le cerveau. Et tout dé-pend de celui qui « flanche » en premier. Petit rappel de physiologie. D’un côté, la pompe cardiaque reliée aux poumons assure la circulation du sang dans tous les organes du corps, cerveau compris. De l’autre, le cerveau contrôle en partie le cœur par le biais du tronc cérébral, une structure reliant les deux hémisphères à la moelle épinière et présidant au fonc-tionnement de certaines fonctions vitales : battements cardiaques, respiration, tension artérielle, mais encore mobilité des yeux, déglutition. « Le cerveau est  l’organe  le 

plus sensible au manque d’oxygène. On  estime  qu’en  moyenne,  ses  cellules  ne  supportent  pas  plus  de  trois  minutes d’anoxie sans souffrir de lésions irréver-sibles. Un délai qui peut s’allonger en cas de froid extrême, de noyade, de prises de substances toxiques », précise le Dr Jean-Christophe Tortosa, réanimateur à l’hôpital Saint-Camille, à Bry-sur-Marne (Val-de-Marne). L’ensemble cœur-poumons peut « lâcher » en premier, en cas d’infarctus, de troubles du rythme cardiaque, de détresse respira-toire aiguë, etc. La situation est alors tou-jours la suivante : le pouls s’arrête, la per-sonne perd conscience, ne respire plus et ne réagit plus. C’est là que les urgentistes, les yeux rivés sur des écrans, massent, intu-bent, défibrillent… Des manipulations, qui à partir du moment où les efforts de réani-mation sont entrepris, durent au moins trente minutes. Si elles échouent, le constat de décès est prononcé et signé par le méde-cin. Si un don d’organe est envisagé, cinq minutes supplémentaires sont requises, pendant lesquelles aucun geste thérapeu-tique n’est effectué avant que les équipes de transplantation interviennent. Toutefois, selon l’âge de la victime, son état général et, bien sûr, la rapidité d’intervention des secours, les réanimateurs sont souvent confrontés à des cas où le cœur repart après quarante, soixante, quatre-vingt-dix minutes de massage cardiaque, voire plus.

« Jusqu’où aller, quand arrêter… autant de questions auxquelles il faut répondre rapidement, et souvent seul », note le Pr Sadek Beloucif, responsable du service de réanimation à l’hôpital Avicenne, à Bobi-gny, et ancien président du conseil d’orien-tation de l’Agence de la biomédecine. Un isolement qui peut parfois se révéler délé-tère… Un fait divers tout à fait exception-nel a ainsi été rapporté par le journal brési-lien El Globo en septembre. Un diagnostic erroné de décès avait été porté sur une femme de 60 ans, qui a séjourné deux heures dans un sac mortuaire avant que sa

« Si tu veux pouvoir supporter la vie, sois prêt à accepter la mort. » Sigmund Freud

fille, venue se recueillir auprès d’elle, constate qu’elle respirait encore ! Le méde-cin à l’origine de l’erreur a démissionné…Parfois, c’est le cerveau qui « lâche » en pre-mier, comme dans le cas d’un traumatisme crânien grave ou d’un accident vasculaire cérébral étendu. Dans ce cas, l’examen cli-nique mais aussi le scanner et l’imagerie par résonance magnétique (IRM) attestent de l’étendue des lésions cérébrales. Si celles-ci sont massives, le pronostic neurologique s’assombrit, annulant tout espoir de récu-pération. Quand la circulation cérébrale est totalement interrompue, on parle de « mort

encéphalique » ou de « mort cérébrale », un terme utilisé depuis moins de cin-quante ans. Or, les discussions qui ont conduit à sa définition officielle – la perte irréversible des fonctions du cerveau – ont très exactement coïncidé avec l’avènement

des techniques de réanimation et le début des greffes à la fin des années 1960. Un té-lescopage qui, aujourd’hui encore, n’en finit pas d’être commenté. « Ce contexte de la transplantation  a  incontestablement brouillé  le débat. Sans  lui, se serait-on posé la question de savoir si les patients étaient morts ou vivants ? Probablement pas ! », s’interroge le Dr Laura Bossi, neu-rologue et historienne des sciences. Or, un corps tout juste mort peut, sous certaines conditions encadrées en France par l’Agence de la biomédecine – et toujours après accord des familles –, devenir

Cœur, poumons et cerveau sont les acteurs incontournables

Les progrès des techniques de réanimation (ici dans un service d’urgence) repoussent toujours plus loin les limites de la vie.

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un donneur potentiel d’organes. Car dans ce cas précis où le cerveau est irrémé-diablement lésé, le cœur, lui, continue de battre encore spontanément quelques heures, assurant une bonne perfusion de l’ensemble des organes et laissant la porte ouverte à une transplantation. « C’est bien pourquoi les familles confrontées à des cadavres encore chauds dont le cœur bat ont  souvent  du  mal  à  penser  le  corps mort », soulève le Dr Guy Freys, réanima-teur aux Hôpitaux universitaires de Stras-bourg. Tout commence en 1959 avec les travaux de deux neurologues français, Pierre Mol-laret et Maurice Goulon, qui décrivent les premiers états de coma dépassé. Dix ans

plus tard, en 1968 aux Etats-Unis, un panel de dix médecins, un historien, un théolo-gien et un juriste (le Ad hoc Committee de la faculté de médecine Harvard) rédige un texte (2) qui fait toujours référence et défi-nit la mort encéphalique comme un coma irréversible. Quand ce comité se réunit, les premiers appareils de respiration artifi-cielle ont fait leur apparition dans les salles de réanimation, et la première greffe de cœur vient d’être réalisée (1967). Les

rédacteurs ne cachent pas à l’époque leurs intentions, formulant clairement leurs objectifs : désengorger les hôpitaux en débranchant les respirateurs artificiels et faciliter les transplantations. « La destruc-tion irréversible des fonctions cérébrales, inaccessible aux techniques de réanima-tion, est alors devenue le nouveau para-digme », résume le Pr Beloucif. En France, il faudra attendre vingt-huit ans pour qu’un décret fixe des critères neurologiques lé-gaux (1996). Ce texte, toujours en vigueur, impose un examen clinique au cours du-quel le médecin doit rechercher et consta-ter sans ambiguïté plusieurs éléments : la non-réactivité des pupilles face à une lu-mière brillante, l’absence de contraction

Les expériences de mort imminente font l’objet d’une étude pilotedes paupières quand il effleure la cornée, etc. D’autre part, il contraint à la réalisa-tion de deux types d’examen au choix : soit deux électroencéphalogrammes (EEG) à quatre heures d’intervalle, qui doivent être tous deux plats et aréactifs, soit une arté-riographie cérébrale (radiologie des ar-tères du cerveau) prouvant l’interruption du flux sanguin. « Cette assimilation lé-gale de la mort cérébrale à la mort est ré-gulièrement débattue en raison de sa lo-gique  utilitariste.  Elle  a  aussi  été interprétée différemment selon les pays », observe David Rodriguez-Arias, éthicien et enseignant en philosophie à l’université de Salamanque (Espagne). Ainsi, de l’autre côté des Pyrénées, un seul EEG suffit. « On peut être déclaré mort à 17 heures à Ma-drid mais seulement à 22 heures à Pa-ris », remarque le Dr Guy Freys. Autre curiosité : en Grande-Bretagne et en Inde, seuls des tests cliniques sont utilisés. Pourtant, cet état de mort encéphalique est bien distinct d’un état végétatif (lire l’enca-dré p. 62) où le patient conserve une respi-ration spontanée, ouvre les yeux, émet des sons, à l’inverse d’une personne encéphali-quement morte. D’ailleurs, les résultats de l’enquête Inconfuse (3) menée par David Rodriguez-Arias (2002) auprès de méde-cins français, espagnols et américains, sont à la fois surprenants et édifiants : ils montrent que pour les professionnels eux-mêmes, les limites ne sont pas toujours nettes ! Ainsi, une partie du panel interrogé persiste à croire qu’un donneur en état de mort cérébrale ne meurt… qu’après prélè-vement de son cœur ! Et plus de la moitié déclarent « vivants » des patients en mort cérébrale. Ce travail a aussi pointé que quatre méde-cins sur dix acceptent un pluralisme quant à la définition de la mort, cette détermina-tion du moment où une personne est vi-vante ou morte ne dépendant pas seule-ment de faits objectifs mais aussi de jugements de valeur où se mêlent philoso-phie et religion. Cette situation de mort encéphalique reste toutefois rare. Moins de 2 % des décès. Et elle n’augmente pas, en raison de la baisse régulière des accidents de la route et de la meilleure prise en charge des accidents vasculaires céré-braux (AVC). En revanche, la mort par arrêt cardio-respiratoire reste plus fré-quente. Soit 50 000 cas par an en France. Des situations qui, malgré les techniques les plus modernes de réanimation, ont une issue souvent fatale, « les taux de survie étant inférieurs à 5 % si l’arrêt survient à domicile et de 20 % à l’hôpital », rappelle le Dr Tortosa. Mais alors, « si on ne meurt qu’une fois, quand précisément ? », interrogeait,

Mortalité et espérance de vie dans le monde

En France, trois grandes causes de décès

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76ans

48ans

Cancers

161 000

Maladies cardio-vasculaires

149 000

Accidents

25 000

1 s1,9

24 h158 857

Chaque pays exige des examens différents pour constater le décès

« Nous mourrons un jour et c’est là notre chance. » Richard Dawkins, biologiste

Sierra Leone

dans le monde

En Europe

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50

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51 % 49 %

21 grammes

n 58 millions de décès dans le monde par an (dont plus de 7 % d’enfants de moins de 5 ans)

n Proportions et principales causes de décès (par sexe)

n 500 000morts chaque année, dont 25 % avant 65 ans.

n L’arrêt cardio-respiratoire est responsable de 50 000 décès par an, soit près de 200 décès par jour

n Causes les plus fréquentes (par an)

n Nombre de décès dans le monde (par seconde et par jour)

1re cause de mortalité : les maladies cardio-vasculaires

n Espérance de vie

moyenne (EDV).

Dans certains pays

d’Afrique, très touchés

par le sida ou les conflits,

l’EDV est beaucoup plus

courte.

C’est la perte de poids corporel observée par le Dr Duncan MacDougall, médecin américain, chez des mourvants en 1907. Et le New York Times de titrer alors « l’âme a un poids ». L’explication est plus certainement à chercher du côté du relâchement musculaire, de la perte de sueur.

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99 % des décès des enfants de moins de 5 ans surviennent dans les pays à revenu faible ou intermédiaire.

1 Cancers2 Maladies cardio- vasculaires 3 Accidents

1 Maladies cardio- vasculaires 2 Cancers 3 Accidents

ne lles » fascinent. « Elles », ce sont les EMI, expériences de mort imminente (Near Death

Experience). Autrement dit, ces visions de « lumière blanche » au bout d’un tunnel, ces impressions de « sortir » de son corps, etc. Autant de sensations rapportées par une partie de ceux qui ont frôlé la mort, cru qu’ils allaient mourir, bref, ceux qui « en sont revenus ». Selon une étude néerlandaise (1), environ 12 % des personnes réanimées à la suite d’un arrêt cardio-respiratoire auraient vécu une EMI, des épisodes fréquemment relayés sur Internet par des sites spécialisés. En France, le Dr Jean-Pierre Jourdan, généraliste, a recueilli de nombreux témoignages (2). « Mais contrairement à ce que l’on dit, les EMI ne sont pas toujours paradisiaques ! Les patients rapportent aussi des visions de flammes et de démons, très angoissantes », souligne le Dr Jean-Pierre Postel, anesthésiste réanimateur à l’hôpital de Sarlat. Ce médecin, qui a vécu par empathie une expérience de ce type alors qu’il se tenait aux côtés de son père mourant, est l’un des rares à s’intéresser scientifiquement à ces phénomènes. Depuis deux ans, il mène dans son service une étude pilote pour le moins originale : il a disposé des enveloppes scellées contenant des images, seules connues d’un huissier de justice, dans la salle de réveil. Un patient les verra-t-il un jour lors d’une EMI ? Afin de limiter les biais possibles, une version électronique a été développée. Les images défilent de manière aléatoire sur un écran

d’ordinateur contenu dans une boîte scellée et emballée comme un paquet cadeau, volontairement incongrue dans un tel lieu. Chaque patient est systématiquement interrogé à son réveil. En vain pour l’instant… L’anesthésiste a aussi ouvert depuis un an une consultation gratuite sur ce thème. Une vingtaine de personnes venues de toute la France, souvent très angoissées, lui ont ainsi raconté leur expérience et leur difficulté face à l’incompréhension générale. « On commence tout juste à admettre, pas à expliquer », résume le Dr Postel. Il a également créé un groupe de travail, en collaboration avec l’unité de soins palliatifs de l’hôpital de la Timone à Marseille, des physiciens, un psychiatre, un psychologue, des éthiciens et un anthropologue. L’objectif est d’établir un protocole de lecture à distance, non plus pour des patients au réveil de l’anesthésie, mais pour des volontaires pratiquant la méditation. Pour certains neuroscientifiques, ces phénomènes pourraient tout à fait s’expliquer par un dysfonctionnement cérébral. Des expériences ont en effet démontré qu’une stimulation de certaines zones du cerveau, les aires visuelles, la privation d’oxygène ou encore la prise de certaines drogues utilisées en anesthésie (kétamine) pouvaient mimer des EMI. Des explications qui ne satisfont évidemment pas ceux qui pensent qu’il existerait une forme de survivance après la mort. S. R.-M.(1) The Lancet 2001, 358, 2039-2045.(2) Deadline. Dernière limite, éditions Pocket.

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dossier La science et la mort

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Le perfectionnement des techniques de réanimation a eu une conséquence

inattendue : la recrudescence de patients d’un genre nouveau, vivants mais peu ou pas conscients. Quatre états sont désormais identifiés : le coma (absence d’éveil et de conscience), l’état végétatif EV (pas de réponse à la commande ni de signes extérieurs de conscience), l’état de conscience minimale ECM (éveil et conscience fluctuante) et le locked-in syndrom (éveil et conscience mais absence quasi-totale de mouvement). C’est à ces patients que le Coma Science Group de l’université de Liège, dirigé par le neurologue Steven Laureys, consacre toutes ses recherches (lire S. et A. n° 759, mai 2010). Avec des avancées pionnières. « Nous avons démontré que l’EV et l’ECM, souvent confondus, sont bel et bien distincts », affirme Steven Laureys. Primordial, car « au contraire d’un EV, un patient en ECM ressent des émotions et perçoit

la douleur, ce qui implique des traitements antalgiques puissants et une rééducation. Nous avons même révélé en 2010 qu’ils pouvaient communiquer via l’imagerie cérébrale en activant préférentiellement une zone de leur cerveau. » Surtout, le pronostic de l’ECM est meilleur « avec des chances réelles de

récupération » alors que le tableau s’assombrit dans le cas d’un EV. Les chances d’émerger d’un état végétatif sont quasi nulles au bout d’un an après un traumatisme crânien, au bout de trois mois lorsqu’il y a eu un manque d’oxygène. Les individus entrent alors en « état végétatif permanent », et se pose la question de la fin de vie.

Poser le bon diagnostic est donc crucial. Pour ce faire, l’équipe belge utilise, entre autres, « l’échelle de récupération du coma », un protocole rigoureux d’examens. Il était temps. Selon une étude réalisée sur 103 patients en 2009, 41 % des individus diagnostiqués en EV étaient en réalité en ECM. « Nos recherches ne sont pas bien accueillies par tous, affirme pourtant le Pr Laureys. On nous accuse d’avoir pour objectif caché d’accélérer la fin de vie pour augmenter les dons d’organes. Or, notre seule vraie préoccupation est de bien documenter le diagnostic, le pronostic et les possibilités de traitement. » Dans ses cours, Steven Laureys enseigne la définition d’une « belle mort » : « Ne pas souffrir, garder le contrôle, savoir à quoi s’attendre et planifier en fonction. Mais aussi avoir du temps pour son développement spirituel, laisser quelque chose derrière soi et donner ainsi un sens à sa vie. » Elena Sender

Coma : vers une meilleure connaissance des états limitesun rien provocateur, le Dr Freys,

lors de son intervention aux Deuxièmes Journées internationales d’éthique en 2007. Si la question semble simple, les réponses le sont donc beaucoup moins. « Cette zone grise de l’agonie demeure très mal connue. Face à un arrêt cardiaque réfractaire à la réanimation, le décès survient en quelques minutes. Deux, trois ou cinq minutes ? On ne le sait pas exactement », précise le Dr Tortosa. De fait, en règle générale, le mo-ment exact de la mort importe finalement peu… sauf, toujours, en cas de prélève-ment en vue d’une transplantation. Là, il faut faire vite, parfois moins de deux heures, ce qui ne laisse pas à la mort le temps de s’installer.« En fait, la mort n’est pas un événement, résume le Pr Beloucif. Mais plutôt un pro-cessus, constitué de plusieurs étapes. » Qui poursuit : « La question centrale est de sa-voir à partir de quand un arrêt cardiaque peut être considéré comme irréversible. » Et le spécialiste de citer les travaux d’une collègue américaine, Gail Van Norman, anesthésiste à Seattle (Etats-Unis). « Pen-dant environ les deux premières minutes d’une réanimation, les fonctions cardio-respiratoires et neurologiques d’un indi-vidu sont probablement réversibles. Puis, jusqu’à  trente  minutes  environ,  ces mêmes fonctions deviennent progressive-ment irréversibles. » Soit au total moins de quarante-cinq minutes pour passer de vie à trépas. Mais, aujourd’hui, de nouveaux ou-tils de réanimation, les dispositifs d’assis-tance cardio-respiratoire extracorporelle

« La mort est intimement liée au développement de l’intelligence chez les êtres vivants. Toute sa vie, l’homme – comme toutes les espèces – la combat. Cette lutte nous pousse à avancer, à nous défendre, à développer des stratégies pour tenter d’y échapper. Cela permet l’évolution. C’est toute notre différence avec les particules élémentaires, qui, elles, ne meurent jamais. Les étoiles, elles aussi, naissent, vivent et meurent, et leur fin est riche de promesses. Toute leur vie, elles forgent en effet en leur cœur des éléments plus lourds que les seuls hydrogène et hélium présents après le Big Bang, il y a 13,7 milliards d’années. En mourant, elles expulsent alors des lambeaux de matière dans le milieu interstellaire, enrichissant ainsi l’Univers de nouveaux éléments qui permettront de fonder une génération stellaire plus complexe. Parce qu’elle est forgée à partir

d’éléments métalliques, cette deuxième génération d’étoiles a permis la formation de planètes et, au moins sur la Terre, l’éclosion de la vie. Chaque nouvelle génération stellaire apporte ainsi de la complexité au monde. De plus, la mort explosive de certaines étoiles est souvent le déclencheur de naissances : notre système solaire serait ainsi né grâce à l’onde de choc d’une supernova* voisine, qui aurait perturbé le nuage primordial. Ainsi, tout évolue selon des cycles, à toutes les échelles du cosmos. L’Univers lui-même va voir son énergie s’épuiser dans plusieurs milliards d’années. Il deviendra de plus en plus froid ; les étoiles s’éteindront une à une. La fin de l’énergie, c’est la mort de l’Univers : sans énergie, il n’y aura plus de vie. » Propos recueillis par Sylvie Rouat

* Explosion d’une étoile massive en fin de vie.

Trinh Xuan Thuan Astrophysicien à l’université de Virginie à Charlottesville, Etats-Unis.

« Elle développe notre intelligence »

La MorT vue par

(Extra Corporal Life Support, ECLS) – une sorte de « cœur-machine » – pourraient changer la donne. Ces techniques com-plexes de soutien au cœur défaillant ont fait une entrée très remarquée dans les salles de réanimation et les camions des urgentistes ces dernières années. Leur ma-niement reste réservé aux équipes très spé-cialisées mais elles pourraient bien trans-former le pronostic de l’arrêt cardiaque. Or, le sujet se révèle lui aussi très sensible car l’usage des ECLS pourrait interférer avec une pratique en plein développement en France : celle du prélèvement après dé-cès suivant un arrêt cardiaque (dit aussi à cœur arrêté (PCA) et survenant en dehors de l’hôpital. Il s’agit d’une possibilité de pré-lever des organes (toujours après discus-

sion avec les familles) non plus chez les seules personnes en état de mort encépha-lique mais aussi chez celles décédées par arrêt cardiaque réfractaire à la réanimation Un discret décret (2005) autorise cette pra-tique dans une dizaine de centres pilotes. Epineux problèmes éthiques en prévi-sion… «  La  science  va  plus  vite  que l’éthique et la réflexion », analyse le Pr Dan Longrois, responsable du service d’anesthé-sie-réanimation à l’hôpital Bichat (Paris). Au final, la mort n’est donc plus tout à fait ce qu’elle était. Comme l’écrivait le philo-sophe français Gabriel Marcel (1889-1973), « la mort était un mystère, elle est désor-mais un problème ».  Sylvie Riou-Milliot

(1) En cas d’arrêt cardio-respiratoire persistant, ces trois critères simultanés sont requis selon l’article R1232-1 du code de santé publique. (2) JAMA. 1968 Aug 5;205(6):337-40.(3) Inconfuse Investigation sur le concept de mort employé par les professionnels en France, USA et Espagne.A lire : Mâle mort, Philippe Charlier, Fayard, 2009. Le Roman des morts secrètes de l’histoire, Philippe Charlier, éditions du Rocher, 2011.

« La vie est l’ensemble des fonctions capables d’utiliser la mort. » Henri Atlan, médecin et philosophe

Les progrès techniques permettent davantage de transplantations

Grâce à l’imagerie fonctionnelle comme le Pet-scan, il est possible de visualiser les différents états du cerveau. Etat végétatif ; état de conscience minimale ; locked-in-syndrom ; coma.

Service de réanimation de la polyclinique des Cèdres, à Mérignac (Gironde).

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dossier La science et la mort

novembre 2011 - ScienceS et Avenir 65

Au cœur de notre organisme, les cellules sont programmées pour disparaître tout au long de notre vie. Un recyclage vital.

Le vivant en perpétuel renouvellement

L e désordre et la mort sont-ils inscrits dans les lois physiques qui

régissent le vivant ? C’est l’étonnante question que pose le physicien Erwin Schrödinger (1887-1961), un des pères de la mécanique quantique – et du célèbre chat de Schrödinger – dans son ouvrage Qu’est ce que la vie ?* Pour un système isolé, l’entropie – que l’on pourrait donc grosso modo traduire par le désordre – augmente en effet nécessairement au cours du temps. Ainsi

sommes-nous à peu près sûrs que l’Univers connaîtra un jour une « mort thermique », lorsque les contrastes de température qui traduisent l’existence de galaxies, d’étoiles et de planètes n’existeront plus. Régnera alors une température homogène. En est-il de même pour l’homme ? Pas du tout ! Au cours du temps, nos cellules ne montrent en effet aucune tendance à devenir uniformes. Bien au contraire : elles se différencient, les organes

se forment et sont dédiés à une fonction particulière… Schrödinger soutient même que la néguentropie – nom qu’il donne à cet ordre et cette organisation croissant au cours du temps – est le propre de la vie. Comment expliquer un tel paradoxe ? Tout simplement parce que l’homme et le vivant en général ne sont pas des systèmes isolés, contrairement à l’Univers. Azar Khalatbari

* What is Life ? McMillan, 1946 ; Qu’est-ce que la vie ? Points-Sciences, Seuil, 1993.

L’Univers promis à une mort thermique

Question d’échelle. Que se passe-t-il au ni-veau microscopique quand une personne décède ? Les cellules qui la constituent ces-sent-elles également toute activité lorsque l’un de ses organes vitaux s’arrête ? Non. Et c’est là tout le paradoxe : la mort d’un indi-vidu n’est pas forcément celle de ses cel-lules. Dans certains cas – le cancer étant l’exemple le plus emblématique –, la mala-die est même la conséquence d’un « trop-plein de vie » ! Devenues pratiquement im-mortelles, les cellules cancéreuses adoptent un comportement anarchique : elles se mul-tiplient en dehors de tout contrôle physiolo-gique et envahissent, dans des métastases délétères, des zones qu’elles n’auraient ja-mais dû occuper si le programme cellulaire qui les régissait n’avait failli. Quantité de re-

cherches s’intéressent aux mécanismes conduisant à cette émancipation rebelle et s’ingénient à comprendre comment on peut ainsi échapper à un contrôle génétique. Car, normalement, dès sa naissance, chaque cel-lule porte en son sein les instructions de sa mort prochaine. De « ses » morts, devrait-on dire, car une cellule a différentes façons de mourir. La plus étudiée porte le joli nom d’« apoptose » (voir le schéma p. 66), un terme utilisé en grec ancien pour décrire la chute des feuilles en automne et celles des pétales de fleurs fanées. Observé pour la première fois en 1885 dans l’œilleton de son microscope par l’Allemand Walther Flemming, le phénomène sera élucidé près d’un siècle plus tard par le Britannique John Sulston et les Américains Sydney Brenner

et Bob Horvitz, ce qui leur vaudra le prix Nobel de médecine en 2002. Depuis, les travaux sur l’apoptose et les liens que le processus entretient avec le déclenche-ment des cancers ne cessent de mobiliser la recherche. Plusieurs molécules, permet-tant de restaurer le « programme de sui-cide » déficient chez les cellules cancé-reuses, sont à l’étude. De l’avis de tous, la plus prometteuse serait ABT 263, des labo-ratoires américains Abbott, actuellement en étude de phase I (phase préclinique sur l’homme). « Si son action sur les tumeurs solides n’est pas avérée, elle pourrait don-ner des résultats très intéressants, seule ou en combinaison avec l’arsenal classique de la chimiothérapie et de la radiothérapie, sur des cancers hématologiques comme les myélomes ou les leucémies », affirme Mar-tine Amiot (Inserm, université de Nantes). Les premiers résultats ne devraient pas tar-der puisqu’un essai clinique sur le myélome devrait débuter dans moins d’un an. Mais attention à bien viser ! Comme le souligne Bernard Mignotte, du laboratoire de l’uni-versité de Versailles Saint-Quentin-en-Yve-lines, « induire l’apoptose préférentielle-ment sur les cellules cancéreuses est très délicat. » Il ne s’agirait pas de provoquer des dégâts collatéraux sur les cellules saines…Paradoxalement donc, l’apoptose est essentielle à la vie, et ce dès ses débuts. Mieux ! tout organisme en développement ne saurait se construire de façon viable si chacune de ses cellules constituantes était privée de ce programme d’autodestruction. Par sélection et élimination progressive, le suicide cellulaire est la « sculpture du vi-vant », selon la formule du biologiste Jean-Claude Ameisen et qu’il a donnée comme titre à son splendide ouvrage sur la ques-tion (1). « Par vagues successives, la mort cellulaire sculpte nos bras et nos jambes à

partir de leurs ébauches, à mesure qu’elles grandissent, de leur base vers leur extré-mité », y écrit-il. Ainsi, nos mains ressem-bleraient à des moufles s’il n’y avait l’apop-tose pour éliminer les tissus entre les doigts de l’embryon. Et nous serions dotés d’une queue comme celle des singes si le pro-gramme contenu dans nos gènes ne faisait pas disparaître ce vestige de l’évolution. De même, lors des premiers jours et de la mise en place des immenses réseaux inextri-cables du système nerveux, ce sont de 50 % à 90 % des neurones qui sont éliminés. Même chose pour notre système immuni-taire, où la distinction entre le « soi » et le « non-soi » ne saurait s’édifier sans les coups de ciseau programmés qui taillent et éliminent dans l’énorme masse de nos lym-phocytes T, chargés de notre défense : cha-cun d’entre nous ne conserve ainsi que les plus efficaces et ne présentant aucun dan-ger pour l’organisme, soit moins de 5 % de la diversité initiale. Mais cette élimination de masse ne s’arrête pas à la fin de l’em-

bryogenèse, ce processus de développe-ment de l’embryon ! Elle reste active jusqu’à notre dernier souffle. Un millier de nos cel-lules disparaissent ainsi à chaque seconde pour être remplacées par un millier d’autres, toutes neuves. Sans que nous en ayons conscience, nous sommes en renou-vellement constant. D’une année sur l’autre, nous changeons totalement de peau, de sang, de foie, de poumons, etc. La mort par nécrose est une autre façon de disparaître pour la cellule (voir le schéma p. 66). Celle-ci n’est pas génétiquement pro-grammée mais survient à la suite d’un trau-matisme, d’une exposition à un produit chimique, d’une blessure ou d’une infection. C’est une mort pathologique dont le dérou-lement est beaucoup plus dangereux que celui de l’apoptose. Alors que pour cette dernière, les débris cellulaires se retrouvent proprement emballés dans des petits « sacs » apoptotiques rapidement digérés par les cellules éboueurs – les macro-phages –, la nécrose s’achève par la

Increvables méduses

L ’immortalité existerait bel et bien ! Elle serait promise à certains hydrozoaires, des

animaux aquatiques qui ont trouvé une astuce pour contourner la mort : remonter le temps. Ainsi, parvenue à l’âge adulte, la méduse Turritopsis nutricula (photo ci-dessous) retourne à sa forme juvénile de polype. Et elle peut accomplir ce tour de force plus d’une fois ! Cette méduse emploie une astuce (« trans-différenciation ») en métamorphosant ses cellules en d’autres types de cellules. « Ce phénomène est bien

connu chez le triton, explique Brigitte Galliot (université de

Genève). Si vous lui ôtez le cristallin, les cellules épithéliales de

sa rétine en reforment un. Mais à l’échelle d’un organisme entier, c’est exceptionnel. » A ce jour, seuls deux autres organismes partagent cette caractéristique, Turritopsis dohrnii et une autre espèce de méduse, Laodicea undulata, ainsi qu’une cousine éloignée, l’hydre, selon un processus différent. Mais l’immortalité n’est jamais un dû éternel ! Il suffit d’augmenter la température de l’eau par exemple pour que le polype se mette à vieillir brutalement pour mourir en trois mois… Certains arbres, datés au carbone 14, remonteraient aussi à plusieurs milliers d’années et auraient l’immortalité en champ de mire. En fait, ils finissent par mourir uniquement en raison de la pression physique exercée par la part d’organisme mort sur la part d’organisme vivant. Littéralement écrasée par le poids des ans… H. R.

« La mort ne m’aura pas vivant. » Jean Cocteau, écrivain et cinéaste

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Leucocyte en phase

d’apoptose, vu au microscope électronique.

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66 ScienceS et Avenir - novembre 2011

dossier La science et la mort

novembre 2011 - ScienceS et Avenir 67

rupture de la membrane. Explosant telle une grenade à fragmentation, la cellule nécrotique répand son contenu dans l’envi-ronnement tissulaire et déclenche une réac-tion inflammatoire. On imagine les dégâts que peut ainsi occasionner la désintégration de cellules très toxiques, comme les neutro-philes, ces cellules sanguines constituant 70 % du leucocyte (globule blanc) sanguin. « Ces “patrouilleuses”, chargées de nous défendre contre les germes, sont équipées d’armes redoutables, décrit Véronique Witko-Sarsat, de l’Institut Cochin (Paris). Elles sont ainsi les seules à fabriquer de l’eau de Javel grâce à une enzyme spécia-lisée ! » On comprend mieux la nécessité qu’elles soient, elles aussi, munies d’une gâ-chette d’autodestruction fiable qui leur as-sure une mort « propre ». Pas question pour le neutrophile de prendre le risque de vieillir ! Il n’a que six heures à vivre dans la circulation sanguine avant de se « suici-der ». Dix milliards d’entre eux le font chaque jour ! Quand l’apoptose « déraille » chez les neutrophiles, l’individu est exposé à des maladies inflammatoires ou auto-im-munes très graves. Mais aussi au cancer. Une voie de recherche récente suggère en effet que les neutrophiles pourraient modu-ler la croissance tumorale et seraient par conséquent impliqués dans les métastases en cas d’apoptose défectueuse.La troisième mort cellulaire est, une fois en-core, porteuse de paradoxe, car il s’agit d’un mécanisme… de survie. L’autophagie (« se manger soi-même ») n’est ni plus ni moins que de l’auto-cannibalisme, la cellule dégra-dant elle-même certains de ses composants non essentiels pour les recycler et s’en nourrir. L’équivalent de se manger un bras pour survivre ! C’est, d’ailleurs ce qui se passe après l’accouchement. « Au moment de sa naissance, le nouveau-né est privé de l’alimentation maternelle à la suite de la rupture du cordon ombilical. L’autophagie lui permet de survivre par l’activation d’une “autodigestion” dans les tissus comme le cœur et le diaphragme… Cela lui permet d’attendre sans dommages une source d’alimentation extérieure consti-tuée par le lait maternel », explique Patrice Codogno (Inserm, université Paris-Sud-XI). L’autophagie nous rend service notre vie du-rant, faisant le ménage dans les cellules qui accumulent au fil du temps de dangereux dérivés réactifs de l’oxygène. Mais l’arme est à double tranchant : si le processus est exa-cerbé, la cellule… se dévore entièrement ! A l’inverse, en cas de déficience, les agrégats s’accumulent, pouvant conduire à des at-teintes neurodégénératives graves comme la maladie de Huntington ou celle d’Alzheimer. De plus, ses liens avec l’obésité et le diabète de type II commencent à se faire jour. Un ar-

ticle dans le numéro d’août de Cell Metabo-lism – relatant une expérience réalisée sur la souris – montre l’importance de ce phéno-mène d’autodigestion dans la régulation de la prise alimentaire par le système nerveux central. Ce qui expliquerait pourquoi les ré-gimes sont inefficaces : soumis à une diète, certains neurones s’autodévoreraient, dé-clenchant alors chez l’individu… un signal de faim irrésistible ! Ce n’est pas tout. Soup-çonnée d’entretenir des liens étroits avec l’apoptose, l’autophagie jouerait un rôle non négligeable dans le développement des can-cers. « On s’est aperçu assez récemment que les cellules cancéreuses dépendaient de l’autophagie pour maintenir leur métabo-

lisme, poursuit Patrice Codogno. Ce méca-nisme pourrait constituer leur talon d’Achille. » En effet, si l’on parvenait à blo-quer leur autophagie, on pourrait espérer les affaiblir. Au grand dam du chercheur, ce phénomène ne mobilise pas autant la re-cherche que l’apoptose. Mais il est convain-cu qu’à terme, la connaissance et la maîtrise du dialogue entretenu entre ces deux morts cellulaires pourraient constituer une ap-proche thérapeutique pertinente. Une évi-dence, à en juger par le large cortège de ma-ladies concernées. Hervé Ratel

* La Sculpture du vivant, Jean-Claude Ameisen, Seuil, 1999.

« Le problème le plus passionnant est bien celui de l’origine de la mort. » Edgar Morin, philosophe

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Les trois morts de la cellule

n Suite au vieillissement de la cellule ou à une agression extérieure (infection, brûlure…), la cellule et ses différents organites (reticulum endoplasmique, mitochondries) se mettent à gonfler.

n Sous la pression, la membrane cellulaire éclate et déverse dans le milieu tissulaire son contenu, notamment des lysosomes remplis d’enzymes très corrosives, provoquant une réaction inflammatoire.

n La cellule active son programme de « suicide ». Le noyau cellulaire et le cytoplasme se segmentent en petits lobes, les corps apoptotiques.

n Les débris cellulaires « propres » sont absorbés et digérés par des cellules éboueurs convoquées sur place par des signaux qu’émet la cellule apoptotique.

n Dans les cas extrêmes, ce mécanisme de survie conduit à l’élimination totale de la cellule qui sera absorbée par un macrophage.

n Les vésicules fusionnent avec des lysosomes qui déversent leur contenu enzymatique corrosif à l’intérieur et le dissolvent en fragments pour recyclage.

n En cas de carence en nutriments, la cellule autodigère certains de ses constituants qu’elle englobe dans de petites vésicules.

Apoptose

AUtopHAgIeNécRose

Au départ, la science ne connaissait comme destin final à la cellule que la nécrose. Une mort pathologique et « sale », responsable d’inflammation. Il a fallu nombre d’avancées pour convaincre les chercheurs que d’autres morts cellulaires survenaient dans un organisme vivant, l’apoptose et l’autophagie.

Des morts d’autant plus fascinantes qu’elles étaient programmées dans nos gènes et répondaient à une série d’instructions précises. Et d’autant plus essentielles à étudier qu’elles sont impliquées dans un grand nombre de pathologies, du cancer à Alzheimer, en passant par l’obésité, le diabète de type II et la maladie de Crohn.

« Je m’interroge tous les jours sur la mort, dans la relation professionnelle et personnelle que j’entretiens avec les cadavres humains, et que je nourris aussi dans le cadre d’une thèse d’éthique sur le statut du “corps mort”. Pour moi, la mort n’est pas un anéantissement mais le passage d’un état à un autre. Quand l’âme – au sens de ce qui anime et fait bouger – quitte le corps et qu’il ne reste plus qu’une enveloppe charnelle, celle-ci est encore chargée d’énormément de signes qui témoignent à la fois de la vie de l’individu et de son activité. De son agonie aussi, des causes de son décès et de ce qui est advenu juste après cet instant. En tant que médecin légiste, si la mort est un passage, s’il y a perte de souffle, perte de vie, perte d’étincelle, il n’y a en revanche pas perte d’informations. Car l’information se transforme, et c’est à nous, médecins légistes, de la révéler dans le cadre de notre activité. Un cadavre parle beaucoup… Par ailleurs, et ce que j’espère eu égard aux corps dont j’ai pu m’occuper, la mort est un état dans lequel l’individu ne souffre plus, dans lequel il trouve vraiment le repos éternel. Cet état d’ataraxie décrit par les bouddhistes – une religion que je connais bien car mon épouse est d’origine chinoise –, pour qui la mort n’est pas l’anéantissement de

toute chose mais la fin des douleurs. Ainsi, pour avoir observé nombre de visages de cadavres, je dirais qu’ils sont sereins généralement. Et je vous surprendrai sans doute, en vous disant que la plupart sourient. Un sourire de paix. J’espère que cela n’est pas que physiologique, mais que c’est aussi réaliste et moral. Enfin, je considère que le corps mort possède un caractère sacré. Non d’un point de vue religieux, mais cette sacralité évite les errances et les excès. Voilà pourquoi j’utilise toujours le terme de patient pour parler d’un corps. Ce terme est garant de l’intégrité corporelle, du respect dû au défunt jusqu’à l’état de cadavre. Y compris pour les corps morcelés. Cela dit, il n’y a pas non plus à avoir de sensiblerie vis-à-vis du défunt, la déférence suffit. Un médecin légiste ne doit pas, à mon goût, avoir de compassion ni de pathos vis-à-vis du corps sur lequel il va passer plusieurs heures à travailler : cela fausserait son regard et l’objectivité de son jugement. Il n’empêche, légistes ou pas, nous n’en sommes pas moins hommes, et donc sensibles. » propos recueillis par Bernadette Arnaud

* CHU de Garches (AP-HP/UVSQ) et université Paris-Descartes.

PhiLiPPe CharLier Médecin légiste et anthropologue*

« Le passage d’un état à un autre »

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Page 7: Ce que la science sait de la mort

EcologiquEs Une capsule en amidon (à g.) accueille le corps du défunt placé en position fœtale. Un arbre est planté au-dessus. Le but : transformer les cimetières en forêts. A droite, un cimetière sous-marin : coulées dans du béton, les cendres des disparus sont immergées sur un récif corallien.

68 ScienceS et Avenir - novembre 2011

dossiEr la science et la mort

novembre 2011 - ScienceS et Avenir 69

des rituels à la mesure de nos démesures

« les Français souhaitent un rite funéraire moins ostentatoire plus centré sur l’in-time », analyse Fanette Recours, cher-cheuse au Crédoc (Centre de recherches pour l’étude et l’observation des conditions de vie) (1). Résultat : une montée en flèche de la crémation (1 % des cérémonies en 1979, 28 % en 2007, 44 % des intentions fu-tures), une diminution de la pratique reli-gieuse, mais surtout une place de plus en plus importante accordée aux nouvelles formes de rituels : « Les attentes sont fortes sur les services proposés, comme un lieu accueillant ou une musique et des textes appropriés, mais on note aussi une pro-fonde recherche de sens dans le choix des produits. » « Les nouveaux rites devien-nent des sortes d’odes à l’individualité du

défunt », complète la sociologue cana-dienne Céline Lafontaine. Avec, pour consé-quence, une professionnalisation « révéla-trice d’une culture néolibérale de la mort », comme l’explique le sociologue Jean- Hugues Déchaux, de l’université Lumière-Lyon-II. Ainsi, les métiers de « célébrant » ou de « conducteur de funérailles », courants aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, se développent en France. « De plus en plus souvent, c’est le défunt lui-même qui pré-pare sa sortie et imagine des rituels sur mesure », raconte le célébrant laïque Pierre–Henri Thérond. La mort devient alors l’occa-sion d’affirmer son originalité… voire de garder le contrôle bien au-delà de la cérémo-nie. Dans une certaine limite. En France, nul ne fait ce qu’il veut au moment de son der-

nier tour de piste : la législation est contrai-gnante et les volontés du défunt passent parfois après… l’intérêt économique.

l’incinération « verte » en débatIl en va ainsi du souhait, de plus en plus par-tagé selon Fanette Recours, de voir son corps « retourner à la terre de la manière la plus naturelle possible ». Or, il est stric-tement interdit en France de se faire enter-rer dans un linceul, comme cela se pratique outre-Manche. Cercueil obligatoire pour tout le monde ! « Pour cet achat, le premier critère chez les Français de plus de 40 ans est le respect de l’environnement », détaille la chercheuse. Pourtant, ces bonnes inten-tions restent vaines. Certes, le marché des pompes funèbres s’est adapté en lançant

Se transformer en diamant, être expédié en orbite... De nouveaux rites, parfois très surprenants, se développent. Des pratiques peu admises, voire interdites en France.

des « cercueils verts », en bois « éco-certi-fié », garantis sans solvant ni colle de syn-thèse et doublés d’un capiton à base d’ami-don de maïs ou de cellulose de pin. Mais les professionnels rechignent à commerciali-ser des cercueils en papier, en bois recyclé, en bambou, en rotin ou en amidon de maïs qui séduisent pourtant de plus en plus Eu-ropéens ou Américains. La fantaisie n’est permise que pour les urnes. « Les pompes funèbres bloquent l’arrivée de ces produits car elles ne pourraient pas les vendre aus-si cher que les autres », juge Michel Kaw-nik, président de l’Association française d’information funéraire (AFIF) (2), un orga-nisme indépendant. Comment, en effet, faire payer un cercueil en carton au prix du chêne massif ? A 399 € pièce, ils peinent donc à trouver un débouché en dépit de leur homologation (1998) et d’une forte de-mande. Un vif débat s’est d’ailleurs engagé sur leur intérêt écologique. « Leur temps

« Y a-t-il une vie avant la mort ? » Stanley Elkin, écrivain

virtuEls Comment entretenir la mémoire des morts sur Internet ? A gauche, des funérailles organisées sur Second Life : des avatars d’internautes rendent un dernier hommage à un disparu. A droite, la tombe virtuelle de Peter Falk, alias inspecteur Columbo, que l’on peut fleurir.

Très demandés,

ces cercueils en amidon de maïs ne sont pas

commercialisés en France. Motif : trop

bon marché pour les pompes funèbres !

d’incinération (90 minutes) est deux fois plus court que celui d’un cercueil en bois », assure Brigitte Sabatier, d’AB crémation, seule entreprise à les commercialiser en France depuis 2009. Mais les services funé-raires de la ville de Paris objectent que « le bois du cercueil participe à l’apport calo-rifique nécessaire à la crémation pendant au moins 60 % du temps ». Remplacer le bois par du carton, ce serait utiliser plus de gaz et donc… aggraver l’effet de serre ! Quant aux crématoriums – gérés pour la plupart par les grandes entreprises de pompes funèbres –, ils refusent le carton dans 44 départements, prétextant qu’il flamberait trop vite ou que la cellulose bou-cherait les filtres. Un comble, selon Michel Kawnik : « Seuls sept crématoriums fran-çais sur 141 sont équipés de filtres qui ne seront obligatoires qu’en 2018 ! C’est une exception en Europe et un scandale sani-taire : les crémations dégagent des émana-

tions toxiques, notamment des émissions de mercure, issues des amalgames den-taires. » Pis ! lors de l’incinération, les pro-duits formolés employés pour la conserva-tion chimique du corps produisent des dioxines, ces molécules aux effets délé-tères sur la santé. Le problème est d’ailleurs le même lors d’une inhumation, ces pro-duits toxiques se diffusant dans les sols. L’Union européenne envisage une régle-mentation plus stricte, mais, là encore, les professionnels font de la résistance. A défaut de partir en fumée dans une boîte en carton, on peut toujours répandre des cendres en pleine nature. Il n’est pas pos-sible, en revanche, de les inhumer dans un cimetière privé, à l’image de ces 200 lieux « verts » qui ont fleuri en Grande-Bretagne et où un arbre tient lieu de pierre tombale. Un seul parc du genre a vu le jour en 2004 près d’Angers. Depuis, une loi de 2008 inter-dit de conserver une urne en dehors d’un cimetière municipal ou d’un lieu contigu à un crématorium. Cette même législation interdit ainsi le développement de « cime-tières coralliens » tel celui proposé par la société Eternal Reefs (récifs éternels) aux Etats-Unis. Cette dernière coule les cendres des disparus dans un moule de béton, qui est ensuite immergé sur un récif corallien artificiel dans l’Atlantique, le golfe du Mexique ou le Pacifique. De quoi aider au repeuplement des océans. Pour découvrir ce qu’est un véritable enter-rement écologique, il faut donc quitter la France. En Ecosse, une start-up a mis au point une alternative, la « résomation » (hy-drolyse alcaline des corps). « Cette

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mégalomanEs A défaut de décrocher la Lune, on peut y envoyer ses cendres, comme ici à gauche où une fusée mortuaire s’apprête à décoller au Nouveau-Mexique. A droite, à l’Institut de cryogénisation du Michigan, un chercheur teste les produits qui serviront ensuite à la congélation des corps jusqu’à -196 °C.

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dossiEr la science et la mort

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méthode de liquéfaction produit trois fois moins de gaz à effets de serre en utilisant seulement 1/7 de l’énergie re-quise par la crémation, explique le biochi-miste Randy Sullivan, fondateur de Reso-mation Limited. Elle permet la séparation complète des plombages ou des broches. » Les tissus humains sont ensuite dissous dans une solution d’hydroxyde de potas-sium, mise sous pression et chauffée, et le liquide obtenu est évacué par… les égouts. Des tests préliminaires prouveraient que les effluents sont « stériles et ne contien-nent pas d’ADN ». La méthode, déjà approuvée par l’Etat de l’Ohio (Etats-Unis) est entrée en service en septembre dans une chambre funéraire de Floride. Son pro-moteur espère obtenir des autorisations en Europe. En Suède, la biologiste Susanne Wiigh-Mäsak a développé depuis 2001 une méthode de cristallisation et pulvérisation, la « promession ». Le corps, plongé dans une cuve d’azote liquide à -196 °C, devient fragile comme du verre. Il est alors soumis à une vibration intense qui le réduit en fines particules. Cette poudre, déshydratée et nettoyée – notamment du mercure – peut être inhumée. Le système, d’un coût égal à celui d’une crémation, pourrait être auto-risé d’ici douze à quinze mois en Suède et en Grande-Bretagne. Mais il n’est pas près de faire son apparition en France.

un gramme dans l’espacePour ne pas finir comme tout le monde, on peut aussi expédier ses cendres sur la Lune (et même au-delà !), les placer en orbite ter-restre, voire leur offrir un vol en microgra-vité. C’est la spécialité de la firme texane

Celestis dont les vols sont facturés de 1000 à 16 000 €. A 3000 € le gramme (poids maximum autorisé par personne), un peu des cendres de plus de 300 disparus venus de 18 pays devrait ainsi prendre place à bord de la prochaine Earth Orbit mission. Le vol, prévu pour décembre ou janvier, af-fiche déjà complet au départ de cap Cana-veral (Floride). « Beaucoup de nos clients sont liés au milieu spatial, comme Gene Roddenberry, le créateur de Star Trek ou le découvreur de comètes Eugene Shoema-ker », précise Charles Chaffer, l’un des cofondateurs de Celestis.

Autre façon de briller : transformer ses cendres en diamant. C’est la spécialité de la société américaine LifeGem qui a ouvert en 2006 une succursale aux Pays-Bas. Son pro-cédé ? Chauffer l’équivalent d’une cuiller à soupe de cendres dans un creuset d’acier, jusqu’à les transformer en graphite. Le car-bone ainsi purifié est placé dans une presse qui reproduit les forces terrestres – pres-sion et température – donnant naturelle-ment naissance aux diamants bruts. Sa croissance est ensuite plus ou moins lon-guement stimulée dans une chambre à forme d’octaèdre. Le prix dépend de la cou-leur et du poids (comptez 2275 € pour un diamant de 0,1 carat). Mais ces excentricités spatiales ou diaman-tifères sont, là encore, interdites aux Fran-çais, une loi de 2008 interdisant de « morce-ler » les cendres après crémation. Seule solution : passer la douane avec une urne dûment scellée, pour gagner un pays aux

lois différentes. D’autres rituels exi-gent d’aller mourir directement

dans le pays concerné. Ainsi, pour se faire cryogéniser, un ul-time voyage aux Etats-Unis s’impose. Ce procédé (lire S. et A. n° 687, mai 2004), facturé 28 000 dollars (21 100 €), consiste à congeler un corps im-médiatement après le décès,

jusqu’à -196 °C, dans l’espoir que les progrès scientifiques permet-

tront un jour son… retour à la vie. Le physicien Robert Ettinger, père du mouve-ment cryogénique, a ainsi rejoint en juillet, à l’âge de 92 ans, les 106 autres corps de son institut du Michigan. « Un jour viendra où

nos amis du futur pourront nous faire revivre et nous soigner », écrivait-il en 1964, confiant dans la générosité des géné-rations futures.

vers des testaments numériques Peut-on faire son deuil online ? En 2010, la France comptait 36,7 millions d’inter-nautes, dont 20,3 millions inscrits sur un ré-seau communautaire, selon l’Observatoire des usages Internet (OUI) de l’institut Mé-diamétrie. Un bloggeur, Tristan Mendès-France (3), a observé les nouveaux rites funéraires apparus sur Internet. Selon lui, les pionniers sont sans doute les amis vir-tuels d’une participante de World of War-craft – un jeu de rôles en ligne multijoueur comptant 12 millions d’adeptes dans le monde –, décédée en 2005. Pour saluer sa mémoire, une « mobilisation éclair » (flash-mob) a été décrétée, tous les internautes concernés se retrouvant en même temps dans un même un lieu virtuel. Ces rites ont également fait leur apparition sur « Second Life » (seconde vie), cet uni-vers virtuel parallèle où un million d’inter-nautes se déplacent sous la forme d’un « avatar » (double virtuel) : on peut péné-trer dans des églises ou déambuler dans des cimetières dont l’Asagao Memorial Park, dédié aux membres du réseau qui se sont… suicidés. Certains services funé-raires sont payants. Un « jour du souvenir » a même été créé, dans l’esprit des parades funéraires jazzy de la Nouvelle-Orléans. Le réseau social Myspace (33 millions de membres américains) a créé Mydeath-space, un site nécrologique qui recense les décès de ses jeunes membres : photo, nom, âge, biographie, etc. « Peu à peu cet espace est devenu un lieu de recueillement vir-tuel », témoigne Tristan Mendès-France. Des groupes « hommage » « souvenir » ou « RIP » (Rest in Peace, « repose en paix ») fleurissent aussi sur Facebook, cet autre ré-seau où 500 millions d’internautes ont la possibilité de créer des pages aux noms de disparus, célèbres ou anonymes. En dehors de ces réseaux sociaux, les cimetières 2.0 se sont multipliés sur la toile (4). Certaines pages sont consacrées à des personnalités, d’autres à des inconnus. On peut y poster des photos, des vidéos, des messages au dé-funt. On peut aussi y acheter des fleurs, des stèles virtuelles… payables en monnaie bien réelle, via une carte de crédit. Sur cer-tains sites, seuls de tels achats évitent que la page du « cher disparu » ne s’orne de bannières de publicité. Mais un autre enjeu, très concret celui-là, se fait jour. Que deviennent les traces numé-riques (e-mail, photos, vidéos, sites, blogs…) laissées sur le Web après le décès de leur propriétaire ? Sur ce point, la loi

« Dans certains de ces univers, je suis mort. Dans d’autres, j’ai une moustache verte. » David Deutsch, physicien

un éclat étErnEl Finir en bijou, c’est possible : une firme

néerlandaise propose aujourd’hui de

transformer les cendres en diamant.

française reste muette… Et c’est donc la jungle. Informés du décès, certains héber-geurs offrent un CD-Rom des traces numé-riques du disparu à la famille, d’autres désactivent le site et transmettent les don-nées uniquement sur injonction judiciaire, d’autres enfin détruisent les contenus ou, au contraire, les laissent en ligne. C’est ainsi que l’on peut soudain recevoir un message d’un ami décédé dont le compte Facebook est toujours actif ! Pour éviter ces désagré-ments, la solution consiste à établir un « tes-tament numérique » en désignant un exécu-teur testamentaire qui recevra les codes d’accès en cas de décès. Plusieurs « croque-morts virtuels » (5) proposent ainsi de prendre en charge (moyennant finances) « l’e-réputation » post-mortem. On peut

même enregistrer des messages qui ne se-ront diffusés aux proches qu’après la mort… Ultime question : peut-on annoncer le décès d’un proche sur Twitter, cette plate-forme de messagerie courte très en vogue ? « Un éloge funèbre de 140 signes, c’est un peu pingre ! », convient Tristan Mendès-France. Qui sait ? Ce sera peut-être la norme demain : « Ces pratiques étranges, déran-geantes, sont de vrais ballons d’essai. » Rachel Mulot

(1) Enquête CSNAF-crédoc, 2009, en cours de réactualisation(2) www.afif.asso.fr/(3) http://egoblog.net/(4) www.lecimetiere.net/ ou www.i-tomb.net/ ou en-core www.memoiredesvies.com/(5) www.edeneo.fr ou www.laviedapres.com

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« La mort n’est pas vécue et affrontée de la même façon selon les sociétés et les époques. On ne meurt pas de la même manière. On ne vit pas la même mort. Dans l’Antiquité grecque, la « belle » mort est celle glorieuse du guerrier au combat. En mourant en pleine jeunesse au service de la cité, les corps peuvent être comparés aux figures des dieux, contrairement aux morts de vieillesse ordinaire, proches du visage hideux de la Gorgone. Dans l’Inde brahmanique des premiers temps, avant l’apparition du bouddhisme, on passe son temps à se défaire de la mémoire des disparus. Le cycle au-delà de la mort est pris en charge par les divinités avec un système de réincarnations. Tout être vivant est la réincarnation de quelqu’un, et tout être décédé est un prochain être vivant. La grande question demeure : une réincarnation sous quelle forme ? Un humain, un animal ? Dans une même caste ? Autre point à noter, la croyance universellement partagée que la mort n’est pas la fin de la vie. Chez les chrétiens, la vie n’est qu’une préparation à cette étape, seuil à franchir pour parvenir à la vie éternelle. Chez les Chinois, en revanche, il est plus difficile de parler

d’une conception unique de la mort, en raison de la présence des trois religions fondamentales que sont le taoïsme, le bouddhisme, et le confucianisme. Pragmatiques, les Chinois ont inventé les moyens d’assurer à l’âme de leurs proches la meilleure des fins possibles, grâce à la piété filiale. Quant aux anciens Baruya, en Nouvelle-Guinée, aujourd’hui christianisés pour la plupart, les âmes des défunts démarrent une autre vie dans des villages semblables à ceux quittés, qui, selon les clans, sont situés dans le monde souterrain ou les étoiles. Dans plusieurs sociétés, un destin différent dans le traitement est donné aux hommes et aux femmes. Quant aux derniers moments de la vie, si nous sommes assez bien documentés sur les comportements autour de l’agonie et l’accompagnement ou non des agonisants, du point de vue ethnologique, sur l’agonie elle-même, on sait fort peu de chose. » Propos recueillis par Bernadette Arnaud

*Directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, ancien directeur du Dépar-tement des sciences de l’homme et de la socié-té au CNRS, ancien directeur scientifique du Quai-Branly, médaille d’or du CNRS (2001).

mauricE godEliEr Ethnologue*

« Nulle part, elle n’est la fin de la vie »

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