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1 Retour En Bref Section du rapport et des études – Délégation au droit européen – Avril 2020 Zoom sur : Cour EDH (cinquième section), Castellani / France, 30 avril 2020, n°43207/16 Le requérant a été interpellé par le GIPN à son domicile, en présence de sa femme et de sa fille, dans le cadre d’une affaire impliquant des menaces de mort et la subornation de témoin. Le requérant allègue que la France a violé l’article 3 de la Convention. La Cour EDH condamne la France pour violation de l’article 3 de la Convention. Elle juge que l’opération policière n’a pas été planifiée ni exécutée de manière à respecter les garanties internes existantes. En l’espèce, le juge d’instruction n’avait pas été informé de l’interpellation du requérant au préalable et le DDSP n’avait pas donné son accord, ce qui est normalement obligatoire pour de telles opérations. La Cour EDH a également jugé que l’usage de la force n’était pas proportionné ni nécessaire pour permettre l’interpellation du requérant. Le requérant a subi de multiples blessures au visage dues à l’intensité de la force physique dont il a été fait usage lors de l’interpellation. L’usage de la force n’était en l’espèce pas justifié par le comportement du requérant. (voir page 42) BJE Edito Ce deuxième bulletin des jurisprudences européennes est encore bien fourni ! L’équipe du BJE vous espère toutes et tous en bonne santé. Prenez soin de vous et de vos proches. Amicales pensées

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Page 1: Ce deuxième bulletin des...Cour EDH (quatrième section), Andreea-Marusia Dumitru/Roumanie, 31 mars 2020, n°9637/16 __26 Cour EDH (cinquième section), Kukhalashvili et autres

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Section du rapport et des eacutetudes ndash Deacuteleacutegation au droit europeacuteen ndash Avril 2020

Zoom sur Cour EDH (cinquiegraveme section) Castellani France 30 avril 2020 ndeg4320716

Le requeacuterant a eacuteteacute interpelleacute par le GIPN agrave son domicile en preacutesence de sa

femme et de sa fille dans le cadre drsquoune affaire impliquant des menaces de

mort et la subornation de teacutemoin Le requeacuterant allegravegue que la France a violeacute

lrsquoarticle 3 de la Convention

La Cour EDH condamne la France pour violation de lrsquoarticle 3 de la

Convention Elle juge que lrsquoopeacuteration policiegravere nrsquoa pas eacuteteacute planifieacutee ni

exeacutecuteacutee de maniegravere agrave respecter les garanties internes existantes En lrsquoespegravece

le juge drsquoinstruction nrsquoavait pas eacuteteacute informeacute de lrsquointerpellation du requeacuterant

au preacutealable et le DDSP nrsquoavait pas donneacute son accord ce qui est

normalement obligatoire pour de telles opeacuterations

La Cour EDH a eacutegalement jugeacute que lrsquousage de la force nrsquoeacutetait pas

proportionneacute ni neacutecessaire pour permettre lrsquointerpellation du requeacuterant Le

requeacuterant a subi de multiples blessures au visage dues agrave lrsquointensiteacute de la force

physique dont il a eacuteteacute fait usage lors de lrsquointerpellation Lrsquousage de la force

nrsquoeacutetait en lrsquoespegravece pas justifieacute par le comportement du requeacuterant (voir page 42)

BJE

Edito

Ce deuxiegraveme bulletin des jurisprudences europeacuteennes est encore bien fourni Lrsquoeacutequipe du BJE vous espegravere toutes et tous en bonne santeacute Prenez soin de vous et de vos proches Amicales penseacutees

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Table des matiegraveres

En bref ______________________________________________________________________________ 4

Partie I - Jurisprudences de la CJUE et de la CEDH _______________________________________ 11

Accegraves agrave un tribunal _____________________________________________________________ 11 Cour EDH (troisiegraveme section) Dos Santos Calado et autres Portugal 31 mars 2020 ndeg5599714 6814316 7884116 et 370617 __________________________________________________________ 11

Aides drsquoEacutetat ___________________________________________________________________ 15 Cour de justice (deuxiegraveme chambre) Nelson Antunes da Cunha Lda Instituto de Financiamento da Agricultura e Pescas IP (IFAP) 30 avril 2020 C-62718 ____________________________________ 15

Droit agrave un procegraves eacutequitable _______________________________________________________ 18 Cour EDH (cinquiegraveme section) Keaney Irlande 30 avril 2020 ndeg7206017 ___________________ 18

Droit agrave la vie ___________________________________________________________________ 21 Cour EDH (deuxiegraveme section) Jeanty Belgique 31 mars 2020 ndeg8228417 ___________________ 21 Cour EDH (quatriegraveme section) Andreea-Marusia DumitruRoumanie 31 mars 2020 ndeg963716 __ 26 Cour EDH (cinquiegraveme section) Kukhalashvili et autres Geacuteorgie 2 avril 2020 ndeg 893807 et 4189107 ___________________________________________________________________________________ 29

Egaliteacute de traitement ____________________________________________________________ 33 Cour de justice (grande chambre) NH Associazione Avvocatura per i diritti LGBTI ndash Rete Lenford 23 avril 2020 C-50718 ________________________________________________________________ 33

Indeacutependance de la justice _______________________________________________________ 35 Ordonnance de la Cour de justice (grande chambre) du 8 avril 2020 dans lrsquoaffaire Reacutepublique de Pologne Commission europeacuteenne C-79119 R ___________________________________________ 35

Interdiction des traitements inhumains ou deacutegradants ________________________________ 39 Cour EDH (troisiegraveme section) Yevgeniy Mikhaylovich Shmelev et autres Russie 9 avril 2020 ndeg 4174317 et 16 autres __________________________________________________________________ 39 Cour EDH (cinquiegraveme section) Castellani France 30 avril 2020 ndeg4320716 _________________ 42

Libre circulation des travailleurs __________________________________________________ 44 Cour de justice (sixiegraveme chambre) Caisse pour lavenir des enfants FV et GW 2 avril 2020 C-80218 ___________________________________________________________________________________ 44 Cour de justice (neuviegraveme chambre) Landkreis Suumldliche WeinstraszligePF ea 2 avril 2020 C-83018 ___________________________________________________________________________________ 48

Non-discrimination _____________________________________________________________ 50 Cour de justice (grande chambre) Ruska Federacija 2 avril 2020 C-89719 PPU ________________ 50 Cour de justice (huitiegraveme chambre) HB et IC Istituto nazionale della previdenza sociale 30 avril 2020 C-16819 et C-16919_____________________________________________________________ 54

Protection de la seacutecuriteacute et de la santeacute des travailleurs ________________________________ 55 Cour de justice (dixiegraveme chambre) UO Keacuteszenleacuteti Rendőrseacuteg 30 avril 2020 C-21119 __________ 55

Protection internationale _________________________________________________________ 58 Cour de justice (troisiegraveme chambre) affaires jointes Commission Pologne Commission Hongrie et Commission Reacutepublique Tchegraveque 2 avril 2020 C-71517 C-71817 et C-71917 _____________ 58

Vie priveacutee et familiale ___________________________________________________________ 62 Cour EDH (quatriegraveme section) Dragan Petrovic Serbie ndeg 7522910 ________________________ 62

Partie II ndash Conclusion des avocats geacuteneacuteraux ______________________________________________ 65

Aides drsquoEtat ___________________________________________________________________ 65 Conclusions de lrsquoAvocat geacuteneacuteral M Szpunar preacutesenteacutees le 2 avril 2020 dans lrsquo affaire Vereniging tot Behoud van Natuurmonumenten in Nederland et autres Vereniging Gelijkberechtiging Grondbezitters et autres C-81718 ______________________________________________________ 65

Coopeacuteration judiciaire en matiegravere civile ____________________________________________ 68

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Conclusions de lrsquoAvocat geacuteneacuteral M Manuel Campos Saacutenchez-Bordona preacutesenteacutees le 2 avril 2020 dans lrsquoaffaire Verein fuumlr KonsumenteninformationVolkswagen AG C-34319 ______________________ 68

Environnement ________________________________________________________________ 71 Conclusions de lrsquoAvocate geacuteneacuterale Mme Eleanor Sharpston preacutesenteacutees le 30 avril 2020 dans lrsquoaffaire CLCE ea (Dispositif drsquoinvalidation sur moteur diesel) C-99318 ____________________________ 71

Liberteacute drsquoeacutetablissement __________________________________________________________ 76 Conclusions de lrsquoAvocat geacuteneacuteral M Bobek preacutesenteacutees le 2 avril 2020 dans les affaires jointes Cali Apartments SCI Procureur geacuteneacuteral pregraves de la cour drsquoappel de Paris Ville de Paris et HX Procureur geacuteneacuteral pregraves de la cour drsquoappel de Paris Ville de Paris C-72418 et C-72718 ___________________ 76

Partie III Questions preacutejudicielles _____________________________________________________ 81

Libre prestation de services ______________________________________________________ 81 Affaire preacutejudicielle 31 janvier 2020 Fluctus et Fluentum C-92019 __________________________ 81

Marcheacute inteacuterieur _______________________________________________________________ 81 Affaire preacutejudicielle 31 janvier 2020 Ministerstwo Sprawiedliwości C-5520 ___________________ 81

Protection des consommateurs ___________________________________________________ 82 Affaire preacutejudicielle 7 feacutevrier 2020 KRONE ndash Verlag Gesellschaft mbH amp Co KG C-6520 _______ 82 Affaire preacutejudicielle 26 feacutevrier 2020 StWL Staumldtische Werke Lauf ad Pegnitz GmbH C-10220 ___ 82

Santeacute publique _________________________________________________________________ 83 Affaire preacutejudicielle 24 feacutevrier 2020 Ordine Nazionale Biologi e a C-9620 ___________________ 83

Partie IV Informations diverses ________________________________________________________ 83

Aides drsquoEacutetat ___________________________________________________________________ 83 Communication de la Commission europeacuteenne Modification de lrsquoencadrement temporaire des mesures drsquoaide drsquoEacutetat visant agrave soutenir lrsquoeacuteconomie dans le contexte actuel de la flambeacutee de COVID-19 3 avril 2020 C(2020) 2215 ______________________________________________________________ 83 Deacutecision de la Commission europeacuteenne COVID-19 Reacutegime cadre temporaire pour le soutien aux entreprises en France 20 avril 2020 C(2020) 2595 __________________________________________ 85

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En bref

Partie I Jurisprudence de la Cour EDH et de la CJUE Accegraves agrave un tribunal Art 35 sect 1 bull Eacutepuisement des voies de recours internes bull Neacutecessiteacute drsquointroduire un recours devant le Tribunal constitutionnel dans toute affaire soulevant une question tireacutee drsquoune inconstitutionnaliteacute ou interpreacutetation normative bull Recours constitutionnel ne soulevant aucune question drsquoinconstitutionnaliteacute sans pertinence pour le calcul du deacutelai de six mois bull Neacutecessiteacute de former une opposition devant un comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel contre la deacutecision sommaire drsquoirrecevabiliteacute drsquoun recours constitutionnel rendue par un juge unique Art 6 sect 1 bull Accegraves agrave un tribunal bull Tribunal constitutionnel ayant fait preuve drsquoun formalisme excessif en deacuteclarant irrecevables des recours constitutionnels pour non-respect des conditions leacutegales bull Irrecevabiliteacute drsquoun recours faute pour le requeacuterant drsquoavoir souleveacute une inconstitutionnaliteacute tireacutee drsquoune interpreacutetation normative ne portant pas atteinte agrave la substance du droit drsquoaccegraves agrave un tribunal Art 6 sect 1 bull Tribunal impartial bull Preacutesence du juge ayant rendu la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute attaqueacutee dans la composition du comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel bull Inapplicabiliteacute des principes de lrsquoimpartialiteacute objective le comiteacute de trois juges nrsquoeacutetant pas une entiteacute agrave part entiegravere et autonome La Cour EDH estime que le Tribunal constitutionnel portugais a priveacute plusieurs requeacuterants de leur droit drsquoaccegraves agrave un tribunal et a ainsi violeacute lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention Dans deux des requecirctes celui-ci a fait preuve drsquoun formalisme excessif dans lrsquoapplication des dispositions leacutegislatives fondant sa compeacutetence agrave connaicirctre des recours introduits devant lui Cour EDH (troisiegraveme section) Dos Santos Calado et autres Portugal 31 mars 2020 ndeg5599714 6814316 7884116 et 370617 (voir page 11)

Aides drsquoEtat Renvoi preacutejudiciel ndash Aides drsquoEacutetat ndash Article 108

TFUE ndash Reacutegime drsquoaides incompatible avec le

marcheacute inteacuterieur ndash Deacutecision de la Commission

europeacuteenne ordonnant la reacutecupeacuteration des

aides illeacutegales ndash Regraveglement (UE) 20151589 ndash

Article 17 paragraphe 1 ndash Deacutelai de prescription

de dix ans ndash Application aux pouvoirs de

reacutecupeacuteration de la Commission ndash Article 16

paragraphes 2 et 3 ndash Reacuteglementation nationale

preacutevoyant un deacutelai de prescription infeacuterieur ndash

Principe drsquoeffectiviteacute

La Cour de justice agrave la suite de questions preacutejudicielles poseacutees

par une juridiction portugaise interpregravete lrsquoarticle 17

paragraphe 1 du regraveglement 20151589 en ce sens que le

deacutelai de prescription de dix ans ne pourra pas ecirctre appliqueacute agrave

la proceacutedure de reacutecupeacuteration drsquoune aide illeacutegale par les

autoriteacutes nationales compeacutetentes Ce deacutelai de prescription de

dix ans ne srsquoapplique qursquoaux rapports entre la Commission

europeacuteenne et lrsquoEtat membre destinataire de la deacutecision de

reacutecupeacuteration Elle estime aussi qursquoun deacutelai de prescription

national ne srsquoappliquera pas srsquoil a expireacute avant lrsquoadoption de

la deacutecision de la Commission europeacuteenne ou srsquoil srsquoest eacutecouleacute en

raison du retard mis par les autoriteacutes nationales pour exeacutecuter

cette deacutecision

Cour de justice (deuxiegraveme chambre) Nelson

Antunes da Cunha Lda Instituto de Financiamento da Agricultura e Pescas IP (IFAP) 30 avril 2020 C-62718

(voir page 15)

Droit agrave un procegraves eacutequitable Art 6 sect 1 bull Deacutelai raisonnable bull Dureacutee excessive de la proceacutedure civile bull Art 13 et 6 sect 1 bull Recours effectif dans le respect drsquoun deacutelai raisonnable des proceacutedures bull Lrsquoefficaciteacute de lrsquoaction en reacuteparation pour violation du droit constitutionnel drsquoecirctre jugeacute dans un deacutelai raisonnable doit encore ecirctre preacuteciseacutee dans la pratique La Cour EDH juge que lrsquoordre juridique irlandais ne comporte pas de recours effectif pour les griefs relatifs agrave la dureacutee excessive drsquoune proceacutedure La Cour EDH a consideacutereacute qursquoil y avait non seulement une violation du droit agrave un procegraves eacutequitable dans un deacutelai raisonnable (article 6 sect 1 de la Convention) du fait de la longueur excessive du recours devant la juridiction suprecircme irlandaise mais aussi une violation au droit agrave un recours effectif (article 13 de la Convention) en ce qursquoelle a du mal agrave admettre que lrsquoaction en reacuteparation pour atteinte au droit constitutionnel agrave ecirctre jugeacute avec diligence soit effectif en theacuteorie et en pratique Cour EDH (cinquiegraveme section) Keaney Irlande 30 avril 2020 ndeg7206017 (voir page 18)

Droit agrave la vie Art 2 (mateacuteriel) bull Obligations positives bull Autoriteacutes peacutenitentiaires intervenues rapidement pour effectivement empecirccher plusieurs tentatives de suicide Art 3 (mateacuteriel et proceacutedural) bull Traitement inhumain et deacutegradant bull Manque de soins psychiatriques prodigueacutes agrave un deacutetenu

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Retour En Bref

preacutesentant des tendances suicidaires bull Placement agrave lrsquoisolement pendant trois jours sans prise en compte de lrsquoeacutetat psychique du requeacuterant bull Absence drsquoenquecircte effective Dans une affaire qui concerne une personne atteinte de

troubles psychiques et ayant tenteacute de se suicider agrave plusieurs

reprises lors de ses placements en deacutetention preacuteventive dans une

prison belge la Cour EDH a estimeacute agrave la majoriteacute qursquoil nrsquoy

a pas eu violation de lrsquoarticle 2 de la Convention car les

mesures prises par les autoriteacutes ont effectivement permis

drsquoempecirccher que le requeacuterant se suicide

Toutefois la Cour EDH juge qursquoil y a eu violation de

lrsquoarticle 3 de la Convention du fait que le requeacuterant a eacuteteacute

soumis agrave une deacutetresse drsquoune intensiteacute ayant exceacutedeacute le niveau

ineacutevitable de souffrance inheacuterent agrave la deacutetention notamment en

raison du manque drsquoencadrement et de suivi meacutedical au cours

de sa deacutetention combineacute avec lrsquoinfliction drsquoune sanction

disciplinaire dans une cellule drsquoisolement Elle relegraveve

eacutegalement que lrsquoenquecircte meneacutee agrave ce propos nrsquoa pas eacuteteacute effective

Cour EDH (deuxiegraveme section) Jeanty Belgique 31 mars 2020 ndeg8228417 (voir page 21)

Art 2 (mateacuteriel) bull Recours agrave la force bull Blessures potentiellement mortelles causeacutees par les tirs de policiers pour arrecircter une tentative de vol bull Reacuteglementation impreacutecise sur lrsquousage des armes agrave feu bull Absence de recommandation sur la preacuteparation et le controcircle des opeacuterations de police bull Deacutefaillance dans la preacuteparation de lrsquointervention malgreacute sa preacutevisibiliteacute bull Absence de formation au maniement des armes agrave balles agrave caoutchouc Art 2 (proceacutedural) bull Enquecircte inefficace sur les circonstances des blessures subies deacutebuteacutee agrave la seule initiative de la victime et plus de huit mois apregraves les eacuteveacutenements bull Gestion non rigoureuse des preuves et de leur conservation bull Expertises pertinentes effectueacutees plus de trois et cinq ans apregraves les faits bull Absence de ceacuteleacuteriteacute de la proceacutedure ayant dureacute plus de neuf ans Dans le cadre drsquoune violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 2 de la Convention sur le droit agrave la vie la Cour EDH a pu juger que dans le contexte drsquoabsence de regraveglementation preacutecise sur lrsquousage des armes agrave feu et de deacutefaillances dans la preacuteparation de lrsquoopeacuteration de police le fonctionnaire de police en cause nrsquoavait pas pris les preacutecautions suffisantes pour preacuteserver la vie des personnes De plus la Cour EDH preacutecise que lrsquoenquecircte meneacutee dans le cadre de la proceacutedure engageacutee relativement agrave une opeacuteration de police ne peut passer pour avoir eacuteteacute rapide et effective lorsque le jugement deacutefinitif qui en deacutecoule est rendu plus de neuf ans et trois mois apregraves les faits Cour EDH (quatriegraveme section) Andreea-Marusia DumitruRoumanie 31 mars 2020 ndeg963716 (voir page 26)

Art 2 (substantiel) bull Usage aveugle et excessif de la force meurtriegravere lors dopeacuterations antieacutemeutes en prison meneacutees de maniegravere incontrocircleacutee et non systeacutematique sans chaicircne de commandement claire Usage de la force meurtriegravere justifieacute par une violence illeacutegale et un risque dinsurrection bull Absence de prise en compte par les autoriteacutes de moyens moins violents ou de la possibiliteacute de neacutegociations bull Mauvaise le traitement et lusage disproportionneacute de la force persistant apregraves la fin de lopeacuteration bull Incapaciteacute des autoriteacutes agrave fournir une assistance meacutedicale adeacutequate bull Incapaciteacute du gouvernement agrave rendre compte de chacun des deacutecegraves pertinents bull la confiance de la Cour dans tous les documents disponibles y compris les rapports des ONG lorsquil est empecirccheacute deacutetablir des faits pour des raisons imputables agrave lEacutetat Art 2 (proceacutedure) bull Enquecircte compromise par un lancement tardif un manque dindeacutependance et dimpartialiteacute une participation insuffisante des proches du deacutefunt et des retards prohibitifs dans la proceacutedure Dans une affaire de reacutepression dune eacutemeute dans une prison geacuteorgienne ayant conduit agrave la mort de plusieurs deacutetenus la Cour EDH conclut que ces derniers ont succombeacute agrave une force meurtriegravere qui bien qursquoayant poursuivi des buts leacutegitimes viseacutes agrave lrsquoarticle 2 de la Convention ne peut ecirctre consideacutereacutee comme ayant eacuteteacute laquo absolument neacutecessaire raquo au sens de cette mecircme disposition En effet lrsquoopeacuteration antieacutemeute nrsquoa pas eacuteteacute meneacutee de maniegravere controcircleacutee et systeacutematique et les agents des services reacutepressifs nrsquoont pas reccedilu drsquoordres ou drsquoinstructions clairs qui auraient viseacute agrave limiter autant que possible le risque qursquoil y ait des victimes Les autoriteacutes nrsquoont pas envisageacute de recourir agrave des moyens moins violents pour faire face agrave un incident de seacutecuriteacute par exemple la neacutegociation pour reacutesoudre la crise Cour EDH (cinquiegraveme section) Kukhalashvili et autres c Geacuteorgie 2 avril 2020 ndeg 893807 et 4189107 (voir page 29)

Egaliteacute de traitement Renvoi preacutejudiciel ndash Eacutegaliteacute de traitement en

matiegravere drsquoemploi et de travail ndash Directive

200078CE ndash Article 3 paragraphe 1 sous a)

article 8 paragraphe 1 et article 9 paragraphe 2

ndash Interdiction des discriminations fondeacutees sur

lrsquoorientation sexuelle ndash Conditions drsquoaccegraves agrave

lrsquoemploi ou au travail ndash Notion ndash Deacuteclarations

publiques excluant le recrutement de personnes

homosexuelles ndash Article 11 paragraphe 1 article

15 paragraphe 1 et article 21 paragraphe 1 de

la charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion

europeacuteenne ndash Deacutefense des droits ndash Sanctions ndash

Personne morale repreacutesentative drsquoun inteacuterecirct

6

Retour En Bref

collectif ndash Qualiteacute pour agir en justice sans agir

au nom drsquoun plaignant deacutetermineacute ou en

lrsquoabsence de personne leacuteseacutee ndash Droit drsquoobtenir

reacuteparation

En reacuteponse agrave des questions preacutejudicielles de la Cour de

cassation italienne la Cour de justice estime drsquoune part que

des deacuteclarations insinuant une politique de recrutement

homophobe relegravevent de la notion de laquo conditions drsquoaccegraves agrave

lrsquoemploi ou au travail raquo degraves lors qursquoil existe un lien non

hypotheacutetique entre ces deacuteclarations et la politique de

recrutement de lrsquoemployeur Drsquoautre part elle a conclu que le

droit national peut preacutevoir qursquoune association a le droit drsquoagir

en justice pour assurer le respect des obligations de la directive

200078 mecircme si aucune personne leacuteseacutee nrsquoest identifiable

Cour de justice (grande chambre) NH Associazione Avvocatura per i diritti LGBTI ndash Rete Lenford 23 avril 2020 C-50718

(voir page 33)

Indeacutependance de la justice Reacutefeacutereacute ndash Article 279 TFUE ndash Demande de

mesures provisoires ndash Article 19 paragraphe 1

second alineacutea TUE ndash Indeacutependance de lrsquoIzba

Dyscyplinarna (chambre disciplinaire) du Sąd

Najwyższy (Cour suprecircme Pologne)

La Commission europeacuteenne a saisi la Cour de justice afin que

celle-ci ordonne la suspension des dispositions de la leacutegislation

nationale qui donne la compeacutetence agrave la chambre disciplinaire

de juger des affaires disciplinaires concernant les juges

polonais La Cour de justice reacutepond positivement agrave la

demande de la Commission europeacuteenne en justifiant que ces

dispositions porteraient atteinte agrave lrsquoindeacutependance de la justice

et ainsi seraient contraires agrave lrsquoEtat de droit et au droit de

lrsquoUnion

Ordonnance de la Cour de justice (grande

chambre) du 8 avril 2020 dans lrsquoaffaire

Reacutepublique de Pologne Commission europeacuteenne C-79119 R

(voir page 35)

Interdiction des traitements inhumains ou deacutegradants Article 3 (interdiction des traitements inhumains ou deacutegradants) Article 13 (droit agrave un recours effectif) La Cour EDH juge que le nouveau recours compensatoire mise en œuvre par les autoriteacutes russes est effectif lorsqursquoaucun autre recours nrsquoest neacutecessaire notamment dans tous les cas ougrave la deacutetention provisoire a pris fin et dans certaines situations ougrave la peine drsquoemprisonnement a eacuteteacute exeacutecuteacutee en violation des dispositions internes La Cour EDH deacuteclare ainsi les griefs des plusieurs requeacuterants irrecevables pour non-eacutepuisement des voies de recours internes En outre la Cour EDH demande aux parties de produire des observations suppleacutementaires afin

de clarifier la question de lrsquoeffectiviteacute des recours compensatoires dans le cas des recours preacuteventifs ouverts afin de permettre agrave ceux qui sont encore incarceacutereacutes de voir srsquoameacuteliorer leurs conditions de deacutetention Cour EDH (troisiegraveme section) Yevgeniy Mikhaylovich Shmelev et autres Russie 9 avril 2020 ndeg 4174317 et 16 autres (voir page 39)

Art 3 (volet mateacuteriel) bull Recours agrave la force bull Irruption drsquoune uniteacute drsquoeacutelite de la police au domicile drsquoun suspect au petit matin pour proceacuteder agrave son arrestation aux fins drsquoaudition dans le cadre drsquoune enquecircte peacutenale bull Neacutecessiteacute de garanties suffisantes face aux risques drsquoabus drsquoautoriteacute et de violation de la digniteacute humaine lors du recours dans un tel contexte aux forces speacuteciales bull Doutes sur lrsquoexistence de preacutecautions suffisantes bull Tribunaux ayant reconnu la leacutegitime deacutefense du requeacuterant qui avait frappeacute un policier cagouleacute en le prenant pour un cambrioleur bull Blessures reacutesultant de lrsquoemploi drsquoune force physique non rendue strictement neacutecessaire par le comportement du suspect La Cour EDH dans une affaire concernant lrsquointerpellation du requeacuterant par le GIPN estime que la France a violeacute lrsquoarticle 3 de la Convention En effet elle juge que lrsquoopeacuteration policiegravere nrsquoa pas eacuteteacute planifieacutee ni exeacutecuteacutee de maniegravere agrave respecter les garanties internes existantes et que lrsquousage de la force nrsquoeacutetait pas proportionneacute ni neacutecessaire pour permettre lrsquointerpellation du requeacuterant et ne se justifiait pas par son comportement Cour EDH (cinquiegraveme section) Castellani France 30 avril 2020 ndeg4320716 (voir page 42)

Libre circulation des travailleurs Renvoi preacutejudiciel ndash Article 45 TFUE ndash Seacutecuriteacute sociale des travailleurs migrants ndash Regraveglement (CE) ndeg8832004 ndash Article 1er sous i) ndash Libre circulation des travailleurs ndash Eacutegaliteacute de traitement ndash Avantages sociaux ndash Directive 200438CE ndash Article 2 point 2 ndash Regraveglement (UE) ndeg4922011 ndash Article 7 paragraphe 2 ndash Allocation familiale ndash Notion de ldquomembres de la famillerdquo ndash Exclusion de lrsquoenfant du conjoint de travailleurs non-reacutesidents ndash Diffeacuterence de traitement avec lrsquoenfant du conjoint de travailleurs reacutesidents ndash Justification Dans une affaire concernant le versement dallocations sociales luxembourgeoises agrave des travailleurs transfrontaliers franccedilais la Cour de justice a jugeacute quen vertu du principe deacutegaliteacute de traitement un Etat membre ne peut refuser de verser une allocation familiale pour lrsquoenfant du conjoint drsquoun travailleur frontalier sans lien de filiation avec celui-ci puisque cette allocation constitue un avantage social et une prestation de seacutecuriteacute sociale

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Retour En Bref

Cour de justice (sixiegraveme chambre) Caisse pour lavenir des enfants FV et GW 2 avril 2020 C-80218 (voir page 44)

Renvoi preacutejudiciel ndash Libre circulation des travailleurs ndash Regraveglement (UE) ndeg4922011 ndash Enfants de travailleurs frontaliers ndash Avantages sociaux ndash Systegraveme de remboursement des frais de transport scolaire ndash Condition de reacutesidence dans un Land ndash Exclusion des enfants scolariseacutes dans ce Land et reacutesidant dans un Eacutetat membre autre que celui de lrsquoeacutetablissement scolaire freacutequenteacute ndash Exclusion des ressortissants nationaux reacutesidant dans les autres Laumlnder Dans une affaire concernant le remboursement des frais de transports scolaires dun eacutelegraveve allemand reacutesidant en France et eacutetudiant en Allemagne la Cour de justice a jugeacute quune mesure permettant agrave un Land de soumettre la prise en charge du transport scolaire agrave une condition de reacutesidence dans ce Land constitue une discrimination indirecte agrave lrsquoencontre des travailleurs frontaliers et de leur famille En effet selon la Cour de justice une condition de reacutesidence ne peut ecirctre justifieacutee par une raison impeacuterieuse drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral tenant agrave lrsquoorganisation du systegraveme scolaire Cour de justice (neuviegraveme chambre) Landkreis Suumldliche WeinstraszligePF ea 2 avril 2020 C-83018 (voir page 48)

Non-discrimination Renvoi preacutejudiciel ndash Proceacutedure preacutejudicielle drsquourgence ndash Accord EEE ndash Non-discrimination ndash Article 36 ndash Libre prestation des services ndash Champ drsquoapplication ndash Accord entre lrsquoUnion europeacuteenne la Reacutepublique drsquoIslande et le Royaume de Norvegravege sur lrsquoassociation de ces deux Eacutetats agrave la mise en œuvre agrave lrsquoapplication et au deacuteveloppement de lrsquoacquis de Schengen ndash Accord relatif agrave la proceacutedure de remise entre les Eacutetats membres de lrsquoUnion europeacuteenne drsquoune part et lrsquoIslande et la Norvegravege drsquoautre part ndash Extradition vers un Eacutetat tiers drsquoun ressortissant islandais ndash Protection des ressortissants drsquoun Eacutetat membre contre lrsquoextradition ndash Absence de protection eacutequivalente des ressortissants drsquoun autre Eacutetat ndash Ressortissant islandais ayant obtenu lrsquoasile en vertu du droit national avant lrsquoacquisition de la citoyenneteacute islandaise ndash Restriction agrave la libre circulation ndash Justification fondeacutee sur la preacutevention de lrsquoimpuniteacute ndash Proportionnaliteacute ndash Veacuterification des garanties preacutevues agrave lrsquoarticle 19 paragraphe 2 de la Charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne Lorsqursquoun Eacutetat membre doit statuer sur une demande drsquoextradition issu drsquoun Eacutetat tiers et concernant un

ressortissant drsquoun Eacutetat de lrsquoAssociation europeacuteenne de libre-eacutechange (AELE) partie agrave lrsquoaccord sur lrsquoEspagne eacuteconomique europeacuteen (EEE) il lui incombe de veacuterifier que ce ressortissant ne sera pas soumis agrave la peine de mort agrave la torture ou agrave des peines ou traitements inhumains ou deacutegradants De plus avant drsquoenvisager drsquoexeacutecuter la demande drsquoextradition la Cour de justice preacutecise que lrsquoEacutetat membre doit en informer lrsquoEacutetat de lrsquoAELE pour permettre agrave celui-ci de solliciter la remise de son ressortissant Cour de justice (grande chambre) Ruska Federacija 2 avril 2020 C-89719 PPU (voir page 50)

Renvoi preacutejudiciel ndash Libre circulation des personnes ndash Article 21 TFUE ndash Principe de non-discrimination en raison de la nationaliteacute ndash Article 18 TFUE ndash Convention preacuteventive de la double imposition ndash Travailleurs du secteur public ndash Pensionneacute reacutesidant dans un Eacutetat membre autre que celui lui versant une pension de retraite et ne posseacutedant pas la nationaliteacute de lrsquoEacutetat membre de reacutesidence ndash Impocirct sur le revenu ndash Preacutetendue perte drsquoavantages fiscaux ndash Preacutetendue entrave agrave la liberteacute de circulation et preacutetendue discrimination La Cour de justice par cet arrecirct a jugeacute que le reacutegime fiscal italien reacutesultant de la convention italo-portugaise contre la double imposition sur les revenus nrsquoenfreint pas les principes de libre circulation et de non-discrimination Les retraiteacutes du secteur priveacute et du secteur public peuvent donc ecirctre soumis agrave des reacuteglementations fiscales nationales diffeacuterentes Cour de justice (huitiegraveme chambre) HB et IC Istituto nazionale della previdenza sociale

30 avril 2020 C-16819 et C-16919

(voir page 54)

Protection de la seacutecuriteacute et de la santeacute des travailleurs Renvoi preacutejudiciel ndash Politique sociale ndash Protection de la seacutecuriteacute et de la santeacute des travailleurs ndash Directive 200388CE ndash Champ drsquoapplication ndash Deacuterogation ndash Article 1er paragraphe 3 ndash Directive 89391CEE ndash Article 2 paragraphe 2 ndash Activiteacutes des forces drsquointervention de la police

Dans une affaire qui concerne lrsquoameacutenagement du temps de

travail drsquoun membre de la police drsquointervention de la Hongrie

la Cour de justice juge que la directive 200388CE sur le

temps de travail srsquoapplique aux agents de la police

drsquointervention hongroise assurant la surveillance des frontiegraveres

exteacuterieures de lrsquoespace Schengen dans le contexte de la crise

migratoire La Cour de justice rappelle que ces activiteacutes

peuvent neacuteanmoins eacutechapper aux regravegles de la directive dans

des circonstances drsquoune graviteacute et drsquoune ampleur

exceptionnelles

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Cour de justice (dixiegraveme chambre) UO Keacuteszenleacuteti Rendőrseacuteg 30 avril 2020 C-21119 (voir page 55)

Protection internationale Manquement drsquoEacutetat ndash Deacutecisions (UE)

20151523 et (UE) 20151601 ndash Article 5

paragraphes 2 et 4 agrave 11 de chacune de ces

deacutecisions ndash Mesures provisoires en matiegravere de

protection internationale au profit de la

Reacutepublique helleacutenique et de la Reacutepublique

italienne ndash Situation drsquourgence caracteacuteriseacutee par

un afflux soudain de ressortissants de pays tiers

sur le territoire de certains Eacutetats membres ndash

Relocalisation de ces ressortissants sur le

territoire des autres Eacutetats membres ndash Proceacutedure

de relocalisation ndash Obligation pour les Eacutetats

membres drsquoindiquer agrave intervalles reacuteguliers et

au moins tous les trois mois le nombre de

demandeurs de protection internationale

pouvant faire rapidement lrsquoobjet drsquoune

relocalisation sur leur territoire ndash Obligations

conseacutecutives conduisant agrave la relocalisation

effective ndash Inteacuterecircts des Eacutetats membres lieacutes agrave la

seacutecuriteacute nationale et agrave lrsquoordre public ndash

Possibiliteacute pour un Eacutetat membre drsquoinvoquer

lrsquoarticle 72 TFUE pour ne pas appliquer des

actes du droit de lrsquoUnion ayant un caractegravere

obligatoire

La Cour de justice a jugeacute que la Pologne la Hongrie et la

Reacutepublique tchegraveque avaient manqueacute aux obligations leur

incombant en vertu des deacutecisions 20151523 et

20151601 Ces Eacutetats membres auraient ducirc relocaliser sur

leurs territoires un nombre approprieacute de demandeurs de

protection internationale

Cour de justice (troisiegraveme chambre) affaires

jointes Commission Pologne Commission Hongrie et Commission Reacutepublique Tchegraveque 2 avril 2020 C-71517 C-71817 et C-

71917

(voir page 58)

Vie priveacutee et familiale Art 8 - Respect de la vie priveacutee - Preacutelegravevement dun eacutechantillon dADN de la salive du demandeur dans le cadre dune enquecircte preacuteliminaire - Approbation du demandeur obtenue par la menace de la force - Absence de preacutevisibiliteacute de la loi - Aucune reacutefeacuterence agrave des dispositions leacutegales speacutecifiques dans lordonnance autorisant la police agrave preacutelever leacutechantillon - Aucune reacutefeacuterence speacutecifique dans la loi au preacutelegravevement dun eacutechantillon dADN - Neacutecessiteacute dune reacuteglementation plus

stricte deacutemontreacutee par des dispositions plus deacutetailleacutees dans la leacutegislation reacutecente - Respect du domicile - Perquisition au domicile du demandeur fondeacutee sur des motifs adeacutequats et suffisants et accompagneacutee de garanties efficaces Dans une affaire concernant la reacutealisation dune perquisition par la police au domicile du requeacuterant et le preacutelegravevement dun eacutechantillon dADN dans le cadre dune enquecircte pour meurtre en Serbie la Cour EDH a jugeacute que ce preacutelegravevement constituait une violation de larticle 8 de la Convention contrairement agrave la perquisition Elle considegravere en effet quil neacutetait pas laquo preacutevu par la loi raquo au sens de larticle 8 Elle preacutecise que la version du code de proceacutedure peacutenale serbe qui eacutetait en vigueur agrave lrsquoeacutepoque des faits disposait que des preacutelegravevements sanguins ou laquo drsquoautres proceacutedures meacutedicales raquo pouvaient ecirctre reacutealiseacutes Cour EDH (quatriegraveme section) Dragan Petrovic Serbie ndeg 7522910 (voir page 62)

Partie II Conclusions des avocats geacuteneacuteraux Aides drsquoEtat Pourvoi ndash Aide drsquoEacutetat ndash Reacutegime drsquoaide relatif agrave

lrsquoacquisition subventionneacutee ou agrave la mise agrave

disposition agrave titre gracieux de zones naturelles

ndash Deacutecision deacuteclarant lrsquoaide compatible avec le

marcheacute inteacuterieur ndash Notion de ldquopartie

inteacuteresseacuteerdquo ndash Difficulteacutes seacuterieuses

LrsquoAvocat geacuteneacuteral propose agrave la Cour de justice de rejeter le moyen des requeacuterantes selon lequel le Tribunal a commis une erreur de droit en consideacuterant comme partie inteacuteresseacutee les requeacuterants au recours formeacute devant le Tribunal En outre lrsquoAvocat geacuteneacuteral estime que la Cour de justice devrait accueillir le second moyen des requeacuterantes puisque le raisonnement du Tribunal relatif agrave lrsquoincompleacutetude de lrsquoexamen par la Commission europeacuteenne de la deacutefinition du SIEG drsquoune part est entacheacute drsquoune erreur de droit et souffre drsquoautre part drsquoune insuffisance de motivation Conclusions de lrsquoAvocat geacuteneacuteral M Szpunar

preacutesenteacutees le 2 avril 2020 dans lrsquo affaire

Vereniging tot Behoud van Natuurmonumenten in Nederland et autres

Vereniging Gelijkberechtiging Grondbezitters et autres C-81718

(voir page 65)

Coopeacuteration judiciaire en matiegravere civile Proceacutedure preacutejudicielle ndash Regraveglement (UE)

ndeg12152012 ndash Compeacutetence judiciaire en

matiegravere de responsabiliteacute deacutelictuelle ou quasi

deacutelictuelle ndash Lieu du fait dommageable ndash

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Manipulation des valeurs drsquoeacutemission de gaz

dans les moteurs de veacutehicules automobiles

LrsquoAvocat geacuteneacuteral Campos Saacutenchez-Bordona estime que les acqueacutereurs de veacutehicules eacutequipeacutes drsquoun moteur Volkswagen sur lesquels ont eacuteteacute installeacutes un logiciel de manipulation relatif aux gaz drsquoeacutechappements ayant pour conseacutequence la diminution de la valeur desdits veacutehiculespeuvent attraire une entreprise devant les juridictions de lrsquoEacutetat dans lequel ces veacutehicules ont eacuteteacute acheteacutes Conclusions de lrsquoAvocat geacuteneacuteral M Manuel Campos Saacutenchez-Bordona preacutesenteacutees le 2 avril 2020 dans lrsquoaffaire Verein fuumlr KonsumenteninformationVolkswagen AG C-34319 (voir page 68)

Environnement Renvoi preacutejudiciel ndash Rapprochement des leacutegislations ndash Regraveglement (CE) ndeg 7152007 ndash Veacutehicules agrave moteur ndash Eacutemissions de polluants ndash Dispositif drsquoinvalidation ndash Programme agissant sur le calculateur de controcircle moteur ndash Technologies et strateacutegies permettant de limiter la production des eacutemissions de polluants ndash Moteur diesel LrsquoAvocate geacuteneacuterale Sharpston est drsquoavis qursquoun dispositif qui influe agrave la hausse lors des tests drsquohomologation des veacutehicules agrave moteur diesel sur le fonctionnement du systegraveme de controcircle des eacutemissions de ces veacutehicules constitue un laquo dispositif drsquoinvalidation raquo prohibeacute par le droit de lrsquoUnion europeacuteenne Plus speacutecifiquement lrsquoobjectif de ralentissement du vieillissement ou de lrsquoencrassement du moteur ne justifie pas le recours agrave un tel dispositif Conclusions de lrsquoAvocate geacuteneacuterale Mme Eleanor Sharpston preacutesenteacutees le 30 avril 2020 dans lrsquoaffaire CLCE ea (Dispositif drsquoinvalidation sur moteur diesel) C-99318 (voir page 71)

Liberteacute drsquoeacutetablissement Renvoi preacutejudiciel ndash Liberteacute drsquoeacutetablissement ndash Directive 2006123CE ndash Champ drsquoapplication ndash Location de biens meubleacutes de maniegravere reacutepeacuteteacutee pour de courtes dureacutees agrave une clientegravele de passage qui nrsquoy eacutelit pas domicile ndash Reacuteglementation nationale et reacuteglementation municipale soumettant une telle location agrave une autorisation preacutealable et agrave compensation ndash Justification ndash Objectif visant agrave garantir une offre suffisante de logements agrave des prix abordables et destineacutes agrave la location de longue dureacuteemdash Proportionnaliteacute LrsquoAvocat geacuteneacuteral srsquoest prononceacute sur des questions preacutejudicielles poseacutees par la Cour de cassation dans un litige opposant des proprieacutetaires de studio agrave Paris agrave la ville de Paris Il propose agrave la Cour de justice de juger que la directive 2006123 srsquoapplique agrave des dispositions nationales et municipales encadrant lrsquoaccegraves agrave un service qui consiste agrave louer

de maniegravere reacutepeacuteteacutee et pour de courtes dureacutees un local agrave usage drsquohabitation agrave une clientegravele de passage Lrsquoobjectif tenant agrave la lutte contre la peacutenurie de logements peut constituer une raison impeacuterieuse drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral qui justifierait le fait que la mesure nationale exige lrsquoobtention drsquoune autorisation Une telle mesure nationale est autoriseacutee par la directive 2006123 si elle reacutepond aux conditions de proportionnaliteacute et de non-discrimination Conclusions de lrsquoAvocat geacuteneacuteral M Bobek preacutesenteacutees le 2 avril 2020 dans les affaires jointes Cali Apartments SCI Procureur geacuteneacuteral pregraves de la cour drsquoappel de Paris Ville de Paris et HX Procureur geacuteneacuteral pregraves de la cour drsquoappel de Paris Ville de Paris C-72418 et C-72718 (voir page 76)

Partie III Questions preacutejudicielles

Libre prestation de services Affaire preacutejudicielle 31 janvier 2020 Fluctus et Fluentum C-92019 Juridiction de renvoi Landesverwaltungsgericht Steiermark (Autriche) (voir page 81)

Marcheacute inteacuterieur Affaire preacutejudicielle 31 janvier 2020 Ministerstwo Sprawiedliwości C-5520 Juridiction de renvoi Sąd Dyscyplinarny Izby Adwokackiej w Warszawie (Pologne) (voir page 81)

Protection des consommateurs Affaire preacutejudicielle 7 feacutevrier 2020 KRONE ndash Verlag Gesellschaft mbH amp Co KG C-6520 Juridiction de renvoi Oberster Gerichtshof (Autriche) (voir page 82)

Affaire preacutejudicielle 26 feacutevrier 2020 StWL Staumldtische Werke Lauf ad Pegnitz GmbH C-10220 Juridiction de renvoi Bundesgerichtshof (Allemagne) (voir page 82)

Santeacute publique Affaire preacutejudicielle 24 feacutevrier 2020 Ordine Nazionale Biologi e a C-9620 Juridiction de renvoi Corte suprema di cassazione (Italie) (voir page 83)

Partie IV Informations diverses Aides drsquoEtat Article 107 paragraphe 3 TFUE

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La Commission europeacuteenne a adopteacute une modification eacutetendant lrsquoencadrement temporaire adopteacute le 19 mars 2020 afin de permettre aux Eacutetats membres drsquoacceacuteleacuterer la recherche la mise agrave lrsquoessai et la fabrication de produits utiles pour combattre le coronavirus de proteacuteger les emplois et de soutenir drsquoavantage lrsquoeacuteconomie dans le contexte du COVID-19 Lrsquoencadrement temporaire modifieacute complegravete les nombreuses possibiliteacutes dont disposent deacutejagrave les Eacutetats membres pour atteacutenuer les reacutepercussions socio-eacuteconomiques de la flambeacutee de COVID-19 conformeacutement aux regravegles de lrsquoUnion europeacuteenne en matiegravere drsquoaides drsquoEacutetat Communication de la Commission europeacuteenne Modification de lrsquoencadrement temporaire des mesures drsquoaide drsquoEacutetat visant agrave soutenir lrsquoeacuteconomie dans le contexte actuel de la flambeacutee de COVID-19 3 avril 2020 C(2020) 2215

(voir page 83)

Article 107 paragraphe 3 TFUE Par sa deacutecision du 20 avril 2020 la Commission europeacuteenne a autoriseacute le reacutegime-cadre franccedilais visant agrave soutenir les PME ainsi que les grandes entreprises toucheacutees par la pandeacutemie de coronavirus Ce reacutegime dun montant de 7 milliards drsquoeuros a eacuteteacute autoriseacute en vertu de lencadrement temporaire des aides dEacutetat adopteacute par la Commission le 19 mars 2020 tel que modifieacute le 3 avril 2020 Deacutecision de la Commission europeacuteenne COVID-19 Reacutegime cadre temporaire pour le soutien aux entreprises en France 20 avril 2020 C(2020) 2595 (voir page 85)

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Partie I - Jurisprudences de la CJUE et de la CEDH

Accegraves agrave un tribunal

Cour EDH (troisiegraveme section) Dos Santos Calado et autres Portugal 31 mars 2020 ndeg5599714 6814316 7884116 et 370617

Reacutesumeacute La Cour EDH estime que le Tribunal constitutionnel portugais a priveacute plusieurs requeacuterants de leur droit drsquoaccegraves agrave un tribunal et a ainsi violeacute lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention Dans deux des requecirctes celui-ci a fait preuve drsquoun formalisme excessif dans lrsquoapplication des dispositions leacutegislatives fondant sa compeacutetence agrave connaicirctre des recours introduits devant lui Les requecirctes concernent toutes lrsquoirrecevabiliteacute de recours introduits par les requeacuterants devant le Tribunal constitutionnel portugais Les requecirctes no 5599714 et 6814316 concernent aussi un deacutefaut alleacutegueacute drsquoimpartialiteacute du comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel Requecircte ndeg 5599714 (Dos Santos Calado) La requeacuterante a contesteacute le montant de sa pension de retraite devant les juridictions administratives qui ont rejeteacute ses preacutetentions par un jugement du tribunal administratif de Lisbonne du 4 mai 2012 confirmeacute par un arrecirct du tribunal central administratif du Sud rendu en 2013 Elle a alors saisi la Cour suprecircme administrative drsquoun pourvoi en cassation mais celui-ci a eacuteteacute deacuteclareacute irrecevable par un arrecirct du 12 septembre 2013 Le 25 septembre 2013 la requeacuterante a formeacute un recours devant le Tribunal constitutionnel En deacutecembre 2013 ce dernier statuant en formation de juge unique a deacuteclareacute irrecevable le recours formeacute par la requeacuterante Par un arrecirct du 12 feacutevrier 2014 un comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel composeacute entre autres du juge JCM a rejeteacute lrsquoopposition formeacute par la requeacuterante contre la deacutecision du Tribunal constitutionnel Requecircte ndeg 6814316 (Amador de Faria e Silva et autres) Les requeacuterants qui eacutetaient des agents de la Direction geacuteneacuterale des routes au moment des faits exerccedilaient de fait les fonctions drsquoinspecteur En octobre 2005 ils ont engageacute devant le tribunal administratif et fiscal une action contre le ministegravere des Finances et le ministegravere de lrsquoInteacuterieur par laquelle ils ont demandeacute la deacuteclaration drsquoune situation drsquoilleacutegaliteacute par omission en raison de lrsquoabsence de reacuteglementation de leurs carriegraveres Par un jugement du 2 octobre 2013 le tribunal a fait droit agrave la demande des requeacuterants et de leurs collegravegues Les ministegraveres deacutefendeurs ont ensuite interjeteacute appel du jugement devant le tribunal central administratif du Nord qui a annuleacute la partie du jugement concernant les requeacuterants Le 11 novembre 2015 la Cour suprecircme administrative a deacuteclareacute irrecevable

Art 35 sect 1 bull Eacutepuisement des voies de recours internes bull Neacutecessiteacute drsquointroduire un recours devant le Tribunal constitutionnel dans toute affaire soulevant une question tireacutee drsquoune inconstitutionnaliteacute ou interpreacutetation normative bull Recours constitutionnel ne soulevant aucune question drsquoinconstitutionnaliteacute sans pertinence pour le calcul du deacutelai de six mois bull Neacutecessiteacute de former une opposition devant un comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel contre la deacutecision sommaire drsquoirrecevabiliteacute drsquoun recours constitutionnel rendue par un juge unique Art 6 sect 1 bull Accegraves agrave un tribunal bull Tribunal constitutionnel ayant fait preuve drsquoun formalisme excessif en deacuteclarant irrecevables des recours constitutionnels pour non-respect des conditions leacutegales bull Irrecevabiliteacute drsquoun recours faute pour le requeacuterant drsquoavoir souleveacute une inconstitutionnaliteacute tireacutee drsquoune interpreacutetation normative ne portant pas atteinte agrave la substance du droit drsquoaccegraves agrave un tribunal Art 6 sect 1 bull Tribunal impartial bull Preacutesence du juge ayant rendu la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute attaqueacutee dans la composition du comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel bull Inapplicabiliteacute des principes de lrsquoimpartialiteacute objective le comiteacute de trois juges nrsquoeacutetant pas une entiteacute agrave part entiegravere et

autonome

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le recours des requeacuterants au motif que lrsquoaffaire ne soulevait pas de question drsquointeacuterecirct juridique ou social drsquoimportance fondamentale Les requeacuterants ont alors introduit un recours devant le Tribunal constitutionnel Par une deacutecision sommaire du 15 mars 2016 rendue par le juge JCM sieacutegeant en formation de juge unique le Tribunal constitutionnel a deacuteclareacute ce recours irrecevable Cette deacutecision a eacuteteacute confirmeacutee par le comiteacute des trois juges dont faisait partie le juge JCM Requecircte ndeg 7884116 (Antunes Cardoso) En juin 2014 le requeacuterant a eacuteteacute condamneacute par tribunal de Tondela pour fraude aggraveacutee Il a ensuite interjeteacute appel contre cette deacutecision devant la cour drsquoappel de Coimbra en se plaignant drsquoune atteinte au principe non bis in idem Le requeacuterant alleacuteguait qursquoil avait eacuteteacute acquitteacute le 27 feacutevrier 2013 par le tribunal de Taacutebua du chef drsquoassociation de malfaiteurs pour certains des faits qui avaient fondeacute sa condamnation pour fraude qualifieacutee par le tribunal de Tondela Par un arrecirct du 9 septembre 2015 la cour drsquoappel a rejeteacute lrsquoappel du requeacuterant car elle a consideacutereacute que les infractions drsquoassociation de malfaiteurs et de fraude qualifieacutee eacutetaient deux infractions distinctes Le requeacuterant a preacutesenteacute alors un recours devant le Tribunal constitutionnel qui a eacuteteacute deacuteclareacute irrecevable au motif qursquoil concernait la condamnation du requeacuterant et non une inconstitutionnaliteacute normative Le 8 juin 2016 le comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel a confirmeacute cette deacutecision Requecircte ndeg 370617 (Da Silva) Par un jugement du 23 octobre 2015 le tribunal de Lisbonne a condamneacute le requeacuterant agrave trois ans et deux mois drsquoemprisonnement avec sursis pour violence domestique Le requeacuterant a interjeteacute appel en contestant entre autres lrsquoeacutetablissement des faits qui avait abouti agrave sa condamnation ainsi que lrsquointerpreacutetation de la loi Il alleacuteguait eacutegalement que lrsquoaction publique ouverte agrave son eacutegard pour les faits de violence domestique eacutetait prescrite et que sa condamnation avait porteacute atteinte au principe de non-reacutetroactiviteacute de la loi peacutenale ainsi qursquoau principe de la preacutesomption drsquoinnocence Cet appel a eacuteteacute rejeteacute et le requeacuterant a ainsi deacuteposeacute un recours devant le Tribunal constitutionnel Par une deacutecision sommaire du 17 juin 2016 le Tribunal constitutionnel sieacutegeant en une formation de juge unique a deacuteclareacute irrecevable le recours constitutionnel introduit par le requeacuterant Ce dernier nrsquoa pas formeacute opposition contre cette deacutecision devant le comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel Par leurs requecirctes introduites devant la Cour EDH le 6 aoucirct 2014 le 2 novembre 2016 et les 7 et 12 deacutecembre 2016 les requeacuterants se plaignaient drsquoune atteinte agrave leur droit drsquoaccegraves agrave un tribunal garanti par lrsquoarticle 6 sect 1 et srsquoagissant des requeacuterants des requecirctes no 5599714 et 6814316 de leur droit agrave un procegraves eacutequitable

1) Sur la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention en raison du manque drsquoaccegraves agrave un tribunal (grief commun agrave toutes les requecirctes)

o Requecircte no 370617 (Da Silva)

Le Gouvernement excipe du non-eacutepuisement des voies de recours internes en ce qui concerne la requecircte no 370617 Il argue que le requeacuterant a omis de former une opposition devant le comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel contre la deacutecision sommaire drsquoirrecevabiliteacute de son recours constitutionnel Le requeacuterant conteste cette exception souleveacutee par le Gouvernement alleacuteguant que la reacuteclamation devant le comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel ne peut ecirctre consideacutereacutee comme une voie de recours effective eacutetant donneacute qursquoil srsquoagit drsquoun recours hieacuterarchique La Cour EDH considegravere que lrsquoopposition devant le comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel contre la deacutecision sommaire litigieuse constituait un recours effectif au sens de lrsquoarticle 35 sect 1 de la Convention pour remeacutedier au grief tireacute du deacutefaut drsquoaccegraves agrave un tribunal souleveacute devant elle Elle note que lrsquoopposition est un moyen de contester les deacutecisions prises par le rapporteur drsquoune formation judiciaire colleacutegiale afin drsquoobtenir une reconsideacuteration de la question et qursquoun tel meacutecanisme aurait permis au requeacuterant de reacuteagir contre la deacutecision litigieuse

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La Cour EDH deacuteclare ainsi la requecircte no 370617 irrecevable pour non-eacutepuisement des voies de recours internes en application de lrsquoarticle 35 sectsect 1 et 4 de la Convention

o Requecircte no 5599714 (Dos Santos Calado c Portugal) La requeacuterante se plaint de lrsquoirrecevabiliteacute de la partie de son recours formeacute devant le Tribunal constitutionnel qui se fondait sur lrsquoilleacutegaliteacute de la norme litigeuse La Cour EDH note que par une deacutecision sommaire du 10 deacutecembre 2013 confirmeacutee par un arrecirct du comiteacute de trois juges du 6 deacutecembre 2014 cette partie de son recours a eacuteteacute deacuteclareacutee irrecevable au motif que dans son meacutemoire de recours la requeacuterante srsquoeacutetait uniquement fondeacutee sur lrsquoalineacutea b) de lrsquoarticle 70 sect 1 de la loi organique sur le tribunal constitutionnel (laquo LOTC raquo) qui preacutevoit le motif de recours tireacute de lrsquoinconstitutionnaliteacute normative alors qursquoelle aurait ducirc se fonder sur lrsquoalineacutea f) de cette disposition La Cour EDH relegraveve que cette restriction appliqueacutee agrave lrsquoaccegraves au Tribunal constitutionnel est leacutegale car elle est preacutevue par la LOTC Elle relegraveve eacutegalement que la restriction poursuivait un but leacutegitime agrave savoir le respect de la preacuteeacuteminence du droit et la bonne administration de la justice constitutionnelle Neacuteanmoins la Cour EDH considegravere que cette restriction nrsquoest pas proportionneacutee au but leacutegitime poursuivi eu eacutegard aux circonstances de lrsquoespegravece Elle note que lrsquoirrecevabiliteacute de la deuxiegraveme partie du recours srsquoest fondeacutee uniquement sur une omission reacutedactionnelle concernant un moyen de recours qui ressortait pourtant de faccedilon claire et eacutevidente du meacutemoire en recours de la requeacuterante La Cour EDH estime qursquoune telle approche est excessivement formaliste en ce qursquoelle a conduit agrave priver la requeacuterante drsquoune voie de recours offerte par le droit interne A titre subsidiaire la Cour EDH note que le Tribunal constitutionnel aurait pu inviter la requeacuterante agrave corriger lrsquoomission comme le preacutevoit la LOTC puisque le moyen ressortait clairement de son meacutemoire Par conseacutequent il y a eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention en raison du deacutefaut drsquoaccegraves de la requeacuterante agrave un tribunal

o Requecircte no 6814316 (Amador de Faria e Silva et autres c Portugal) La Cour EDH note tout drsquoabord que le recours des requeacuterants devant le Tribunal constitutionnel a eacuteteacute deacuteclareacute irrecevable par une deacutecision sommaire de celui-ci le 15 mars 2016 confirmeacutee par un arrecirct du comiteacute de trois juges du 4 mai 2016 au motif que les requeacuterants nrsquoavaient pas souleveacute lrsquoinconstitutionnaliteacute alleacutegueacutee devant le tribunal central administratif du Nord faisant ainsi deacutefaut agrave lrsquoobligation qui leur revenait en vertu des articles 70 et 72 sect 2 de la LOTC Si la Cour EDH admet que cette obligation srsquoexplique par le fait que le Tribunal constitutionnel nrsquointervient qursquoen dernier ressort elle constate toutefois que les requeacuterants ont bien souleveacute une inconstitutionnaliteacute en raison de la diffeacuterence de traitement qui existait entre les agents des reacutegions autonomes de Madegravere et des Accedilores et du continent dans le cadre de leur meacutemoire en reacuteponse aux ministegraveres Neacuteanmoins le tribunal central administratif du Nord nrsquoa pas retenu cette question et a opeacutereacute une distinction entre deux cateacutegories drsquoagents drsquoune part les inspecteurs de carriegraveres et drsquoautre part les agents exerccedilant des fonctions drsquoinspecteur sans inteacutegrer pour autant la carriegravere drsquoinspecteur au sein de lrsquoadministration La Cour EDH est en deacutesaccord avec le raisonnement du Tribunal constitutionnel selon lequel les requeacuterants auraient eacuteteacute en mesure de soulever la question drsquoinconstitutionnaliteacute normative dont ils se plaignaient devant le tribunal central administratif du Nord puisqursquoelle eacutetait deacutejagrave ressortie drsquoun arrecirct rendu par la Cour suprecircme dans une autre affaire Elle relegraveve qursquoil srsquoagissait drsquoune affaire devant la Cour suprecircme qui ne concernait pas les requeacuterants De plus la Cour EDH relegraveve que lrsquoarrecirct en cause avait eacuteteacute rendu quelques mois avant le jugement du tribunal administratif et fiscal de Coimbra qui leur avait eacuteteacute favorable et nrsquoavait en outre fait aucune distinction entre les cateacutegories drsquoagents La Cour EDH conclut que le Tribunal constitutionnel a fait preuve drsquoun formalisme excessif ce qui lrsquoa priveacute de la possibiliteacute drsquoexaminer au fond la question de lrsquoinconstitutionnaliteacute Il y a donc eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention

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o Requecircte no 7884116 (Antunes Cardoso)

La Cour EDH constate que par une deacutecision sommaire du Tribunal constitutionnel du 4 mai 2016 confirmeacutee par un arrecirct du comiteacute de trois juges du 8 juin 2016 le recours constitutionnel du requeacuterant a eacuteteacute deacuteclareacute irrecevable au motif que le requeacuterant nrsquoavait pas souleveacute une inconstitutionnaliteacute normative ou une inconstitutionnaliteacute concernant lrsquointerpreacutetation drsquoune norme La Cour EDH relegraveve que le requeacuterant soulevait une atteinte au principe non bis in idem dans le cadre de son recours devant le Tribunal constitutionnel Elle estime que lrsquointerpreacutetation normative qursquoil deacutenonccedilait se rapportait agrave la maniegravere dont les tribunaux de premiegravere et deuxiegraveme instance avaient appliqueacute les dispositions du code peacutenal sanctionnant les infractions drsquoassociation de malfaiteurs et de fraude qualifieacutee Le recours du requeacuterant portait donc bien essentiellement sur lrsquoexamen des faits qui lui eacutetaient reprocheacutes et aucun critegravere normatif au sens de la jurisprudence du Tribunal constitutionnel nrsquoeacutetait donc mis en cause en lrsquoespegravece La Cour EDH juge ainsi qursquoil nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention

2) Sur la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention en raison du deacutefaut drsquoimpartialiteacute du comiteacute de trois juges du tribunal constitutionnel (grief speacutecifique aux requecirctes no 5599714 et 6814316)

Les requeacuterants des requecirctes no 5599714 et 6814316 se plaignaient du deacutefaut drsquoimpartialiteacute du comiteacute de trois juge du Tribunal constitutionnel en raison de la preacutesence drsquoun juge dans cette instance qui avait deacutejagrave rendu la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute attaqueacutee et eacutetait en outre le juge rapporteur La Cour EDH note que les requeacuterants ne mettent en doute que lrsquoimpartialiteacute objective du comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel Elle estime que les principes tireacutes de sa jurisprudence concernant lrsquoimpartialiteacute objective ne sauraient ecirctre appliqueacutes agrave la preacutesente affaire eacutetant donneacute la nature de lrsquointervention du comiteacute de trois juges dans le cadre drsquoune opposition En effet le comiteacute de trois juges est lrsquoinstance statuant deacutefinitivement sur la question de la recevabiliteacute drsquoun recours constitutionnel La deacutecision sommaire adopteacutee par le juge rapporteur nrsquoest donc qursquoune eacutetape preacutealable qui ne deviendrait deacutefinitive que si lrsquointeacuteresseacute ne forme pas drsquoopposition contre elle La proceacutedure devant le juge rapporteur fait ainsi entiegraverement partie de la proceacutedure drsquoadmissibiliteacute des recours constitutionnels le comiteacute de trois juges nrsquoest donc pas une entiteacute agrave part entiegravere et autonome appeleacutee agrave se prononcer sur la question litigieuse Par conseacutequence la Cour EDH juge que les griefs tireacutes du deacutefaut drsquoimpartialiteacute du comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel sont manifestement mal fondeacutes et qursquoils doivent ecirctre rejeteacutes en application de lrsquoarticle 35 sectsect 3 a) et 4 de la Convention PAR CES MOTIFS LA COUR

1 Deacutecide agrave lrsquounanimiteacute de joindre les requecirctes 2 Deacuteclare agrave lrsquounanimiteacute les requecirctes no 5599714 6814316 et 7884116 recevables et la requecircte

no 370617 irrecevable srsquoagissant du grief tireacute du droit drsquoaccegraves agrave un tribunal 3 Deacuteclare agrave la majoriteacute les requecirctes no 5599714 et 6814314 irrecevables srsquoagissant du grief tireacute

du manque drsquoimpartialiteacute du comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel 4 Dit agrave lrsquounanimiteacute qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention en raison de lrsquoatteinte

au droit drsquoaccegraves des requeacuterants des requecirctes ndeg 5599714 et 6814316 5 Dit agrave lrsquounanimiteacute qursquoil nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention en raison de

lrsquoatteinte au droit drsquoaccegraves du requeacuterant de la requecircte ndeg 7884116 6 Dit agrave lrsquounanimiteacute

a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser agrave chacun des requeacuterants srsquoagissant des requecirctes ndeg 5599714 et 6814316 dans un deacutelai de trois mois agrave compter de la date agrave laquelle lrsquoarrecirct sera devenu deacutefinitif conformeacutement agrave lrsquoarticle 44 sect 2 de la Convention 3 300 EUR (trois mille trois cents euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc sur cette somme agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage

7 Rejette agrave lrsquounanimiteacute le surplus de la demande de satisfaction eacutequitable

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Aides drsquoEacutetat

Cour de justice (deuxiegraveme chambre) Nelson Antunes da Cunha Lda Instituto de Financiamento da Agricultura e Pescas IP (IFAP) 30 avril 2020 C-62718

Reacutesumeacute La Cour de justice agrave la suite de questions preacutejudicielles poseacutees par une juridiction portugaise interpregravete lrsquoarticle 17

paragraphe 1 du regraveglement 20151589 en ce sens que le deacutelai de prescription de dix ans ne pourra pas ecirctre appliqueacute agrave la proceacutedure

de reacutecupeacuteration drsquoune aide illeacutegale par les autoriteacutes nationales compeacutetentes Ce deacutelai de prescription de dix ans ne srsquoapplique qursquoaux

rapports entre la Commission europeacuteenne et lrsquoEtat membre destinataire de la deacutecision de reacutecupeacuteration Elle estime aussi qursquoun deacutelai

de prescription national ne srsquoappliquera pas srsquoil a expireacute avant lrsquoadoption de la deacutecision de la Commission europeacuteenne ou srsquoil srsquoest

eacutecouleacute en raison du retard mis par les autoriteacutes nationales pour exeacutecuter cette deacutecision

Les 8 avril et 7 juillet 1993 Nelson Antunes da Cunha la requeacuterante au principal a conclu avec la Caixa Agricola

Mutuo ndash Coimbra des contrats de creacutedit relatifs agrave une ligne de creacutedit pour la relance des activiteacutes agricoles et

drsquoeacutelevage Un deacutecret du 24 mai 1994 a creacuteeacute un reacutegime drsquooctroi de lignes de creacutedit destineacute agrave favoriser le

deacutesendettement des entreprises du secteur de lrsquoeacutelevage intensif et la relance de lrsquoactiviteacute porcine Ce reacutegime nrsquoa

pas eacuteteacute notifieacute agrave la Commission europeacuteenne contrairement aux exigences de lrsquoarticle 88 paragraphe 3 CE Dans

le cadre de ces contrats de creacutedit le preacutedeacutecesseur de lrsquoIFAP a conformeacutement au deacutecret preacuteciteacute effectueacute des

paiements en faveur de la requeacuterante au titre de bonification du taux drsquointeacuterecirct drsquoun montant global de 7 52690

euros Le 25 novembre 1999 la Commission europeacuteenne a adopteacute la deacutecision 20002000CE relative au reacutegime

drsquoaides mis en œuvre par le Portugal pour le deacutesendettement des entreprises du secteur de lrsquoeacutelevage intensif et la

relance de lrsquoactiviteacute porcine Il ressort de cette deacutecision que le reacutegime drsquooctroi de lignes de creacutedit mis en place par

le deacutecret est un reacutegime drsquoaides incompatible avec le marcheacute commun Le Portugal doit donc supprimer ce reacutegime

drsquoaide et proceacuteder au recouvrement

Le 23 juillet 2002 le preacutedeacutecesseur de lrsquoIFAP demande agrave la requeacuterante le remboursement de lrsquoaide en cause par

une lettre resteacutee sans suite Le 12 aoucirct 2009 lrsquoIFAP a envoyeacute une nouvelle lettre lui demandant de proceacuteder au

remboursement de lrsquoaide dans un deacutelai de dix jours Le 7 juillet 2013 une proceacutedure drsquoexeacutecution fiscale a eacuteteacute

engageacutee par le centre des impocircts de Cantanhede agrave lrsquoencontre de la requeacuterante en vue du recouvrement des

creacuteances de lrsquoIFAP

La requeacuterante a fait opposition agrave cette proceacutedure devant le tribunal administratif et fiscal de Coimbra Elle allegravegue

que lrsquoobligation de rembourser des montants perccedilus srsquoeacuteteint apregraves lrsquoeacutecoulement drsquoun deacutelai de cinq ans agrave compter

de leur perception et que dans la mesure ougrave plus de cinq ans se sont eacutecouleacutes les inteacuterecircts de retard seraient

eacutegalement prescrits Le tribunal relegraveve que les creacuteances de lrsquoIFAP sont soumises au deacutelai ordinaire de prescription

de vingt ans Quant aux inteacuterecircts les juridictions nationales supeacuterieures considegraverent que les inteacuterecircts sont prescrits

apregraves lrsquoeacutecoulement drsquoun deacutelai de cinq ans qui commence agrave courir agrave compter de lrsquoexigibiliteacute de lrsquoobligation Or il

ressort de la jurisprudence constante de la Cour de justice en matiegravere drsquoaides drsquoEtat que lrsquoapplication des

proceacutedures nationales ne doit pas faire obstacle au reacutetablissement drsquoune concurrence effective en empecircchant

lrsquoexeacutecution immeacutediate et effective de la deacutecision de reacutecupeacuteration de la Commission europeacuteenne

Crsquoest dans ce contexte que le tribunal administratif et fiscal de Coimbra a deacutecideacute de surseoir agrave statuer

et de poser agrave la Cour de justice les questions preacutejudicielles suivantes

laquo 1) Le deacutelai de prescription pour lrsquoexercice des pouvoirs [de la Commission] pour la reacutecupeacuteration de lrsquoaide preacutevu agrave lrsquoarticle 17 paragraphe 1 du regraveglement 20151589 srsquoapplique-t-il uniquement aux rapports entre lrsquoUnion et lrsquoEacutetat membre destinataire de la deacutecision de reacutecupeacuteration des aides ou

srsquoapplique-t-il eacutegalement aux rapports entre cet Eacutetat et la partie opposante en tant que beacuteneacuteficiaire de lrsquoaide consideacutereacutee comme eacutetant incompatible avec le marcheacute [inteacuterieur]

Renvoi preacutejudiciel ndash Aides drsquoEacutetat ndash Article 108 TFUE ndash Reacutegime drsquoaides incompatible avec le marcheacute inteacuterieur ndash Deacutecision de la Commission europeacuteenne ordonnant la reacutecupeacuteration des aides illeacutegales ndash Regraveglement (UE) 20151589 ndash Article 17 paragraphe 1 ndash Deacutelai de prescription de dix ans ndash Application aux pouvoirs de reacutecupeacuteration de la Commission ndash Article 16 paragraphes 2 et 3 ndash Reacuteglementation nationale preacutevoyant un deacutelai de prescription infeacuterieur ndash Principe drsquoeffectiviteacute

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2) Dans lrsquohypothegravese ougrave il serait deacutecideacute que le deacutelai en question est applicable aux rapports entre

lrsquoEacutetat membre destinataire de la deacutecision de reacutecupeacuteration des aides et le beacuteneacuteficiaire de lrsquoaide consideacutereacutee comme eacutetant incompatible avec le marcheacute [inteacuterieur] convient-il de consideacuterer que ce deacutelai est uniquement applicable agrave la phase de proceacutedure ou qursquoil est eacutegalement applicable agrave lrsquoexeacutecution de la deacutecision de reacutecupeacuteration

3) Dans lrsquohypothegravese ougrave il serait deacutecideacute que le deacutelai en question est applicable aux rapports entre lrsquoEacutetat membre destinataire de la deacutecision de reacutecupeacuteration des aides et le beacuteneacuteficiaire de lrsquoaide

consideacutereacutee comme eacutetant incompatible avec le marcheacute [inteacuterieur] convient-il de consideacuterer que ce deacutelai est interrompu par tout acte relatif agrave lrsquoaide illeacutegale et eacutemanant de la Commission ou de lrsquoEacutetat membre concerneacute mecircme srsquoil nrsquoa pas eacuteteacute notifieacute au beacuteneacuteficiaire de lrsquoaide devant ecirctre reacutecupeacutereacutee

4) Lrsquoarticle 16 paragraphe 2 du regraveglement 20151589 [] ainsi que les principes [geacuteneacuteraux de droit] de lrsquoUnion notamment le principe drsquoeffectiviteacute et le principe drsquoincompatibiliteacute des aides drsquoEacutetat avec le

marcheacute [inteacuterieur] srsquoopposent-ils agrave lrsquoapplication drsquoun deacutelai de prescription drsquoune dureacutee infeacuterieure agrave celle preacutevue agrave lrsquoarticle 17 [de ce] regraveglement comme le deacutelai preacutevu agrave lrsquoarticle 310 [hellip] sous d) du code civil aux inteacuterecircts qui srsquoajoutent agrave lrsquoaide devant ecirctre reacutecupeacutereacutee raquo

o Sur la premiegravere question

La Cour de justice estime aux points 30 et 31 que lrsquoarticle 17 paragraphe 1 du regraveglement 20151589 qui preacutevoit

un deacutelai de prescription de dix ans vise uniquement les pouvoirs de la Commission europeacuteenne en matiegravere de

reacutecupeacuteration de lrsquoaide Ce deacutelai ne pourrait donc pas ecirctre appliqueacute agrave la proceacutedure de reacutecupeacuteration drsquoune aide

illeacutegale par les autoriteacutes nationales compeacutetentes

Par suite la Cour de justice reacutepond agrave la premiegravere question que lrsquoarticle 17 paragraphe 1 du regraveglement 20151589

doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que le deacutelai de prescription de dix ans ne srsquoapplique qursquoaux rapports entre la

Commission europeacuteenne et lrsquoEtat membre destinataire de la deacutecision de reacutecupeacuteration eacutemanant de cette

institution

o Sur les deuxiegraveme et troisiegraveme questions

Eu eacutegard agrave la reacuteponse apporteacutee agrave la premiegravere question il nrsquoy a pas lieu de reacutepondre aux deuxiegraveme et troisiegraveme

questions

o Sur la quatriegraveme question

Observations liminaires

LrsquoIFAP et le gouvernement portugais contestent lrsquointerpreacutetation de la juridiction de renvoi selon laquelle le deacutelai

de prescription de cinq ans est susceptible de srsquoappliquer au recouvrement des inteacuterecircts affeacuterents agrave lrsquoaide devant

ecirctre reacutecupeacutereacutee et de faire obstacle agrave la reacutecupeacuteration de ces inteacuterecircts La Cour de justice rappelle au point 38 que

lorsqursquoelle est saisie agrave titre preacutejudiciel par une juridiction nationale elle srsquoen tient agrave lrsquointerpreacutetation du droit

national qui lui a eacuteteacute exposeacutee par cette juridiction

Sur la question

La Cour de justice rappelle que le Portugal devait reacutecupeacuterer lrsquoaide viseacutee par la deacutecision de la Commission

europeacuteenne inteacuterecircts compris La reacutecupeacuteration srsquoeffectue conformeacutement aux proceacutedures preacutevues par le droit

national pour autant que ces derniegraveres permettent lrsquoexeacutecution immeacutediate et effective de la deacutecision de la

Commission europeacuteenne Ainsi les regravegles de prescription doivent ecirctre appliqueacutees de maniegravere agrave ne pas rendre

pratiquement impossible la reacutecupeacuteration exigeacutee par le droit de lrsquoUnion et en prenant pleinement en consideacuteration

lrsquointeacuterecirct de lrsquoUnion La Cour de justice rappelle au point 44 sa jurisprudence constante selon laquelle les deacutelais de

prescription remplissent la fonction drsquoassurer la seacutecuriteacute juridique Pour autant comme elle le souligne au point

45 il importe de mettre en balance le respect de cet impeacuteratif de seacutecuriteacute juridique avec lrsquointeacuterecirct public visant agrave

eacuteviter que le fonctionnement du marcheacute ne soit fausseacute par des aides drsquoEtat nuisibles pour la concurrence

En lrsquoespegravece le deacutelai de prescription de cinq ans applicable aux inteacuterecircts affeacuterents agrave lrsquoaide en cause nrsquoa eacuteteacute

interrompu que le 26 juillet 2013 et que tous les inteacuterecircts dus pour la peacuteriode anteacuterieure au 26 juin 2008 sont

prescrits Il en ressort donc que lrsquoapplication de ce deacutelai de prescription ferait obstacle agrave une reacutecupeacuteration drsquoune

partie des inteacuterecircts affeacuterents agrave lrsquoaide en cause et partant agrave une reacutecupeacuteration inteacutegrale de lrsquoaide Comme le relegraveve

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la Cour de justice au point 48 la juridiction de renvoi a releveacute que degraves lors que sont consideacutereacutes comme prescrits

les inteacuterecircts dus pour la peacuteriode anteacuterieure aux cinq ans qui preacutecegravedent lrsquoacte interruptif de prescription la creacuteance

relative aux inteacuterecircts affeacuterents agrave une aide pourrait ecirctre prescrite avant mecircme que le droit de la Commission

europeacuteenne drsquoexiger la reacutecupeacuteration de cette aide ne soit prescrit

En ce qui concerne la prescription drsquoune partie des inteacuterecircts affeacuterents agrave lrsquoaide en cause anteacuterieurement agrave

lrsquoadoption de la deacutecision de la Commission europeacuteenne il convient de relever que lrsquointervention drsquoune telle

prescription rendrait impossible la reacutecupeacuteration inteacutegrale exigeacutee par le droit de lrsquoUnion La Cour de justice estime

au point 50 que la Commission europeacuteenne peut toujours dans le deacutelai de dix ans preacutevu demander la

reacutecupeacuteration drsquoune aide illeacutegale et ce malgreacute lrsquoexpiration eacuteventuelle du deacutelai de prescription applicable dans la

proceacutedure nationale La requeacuterante ne saurait en lrsquoespegravece valablement se preacutevaloir drsquoune confiance leacutegitime dans

la reacutegulariteacute de lrsquoaide en cause La Cour de justice en conclu au point 52 qursquoun deacutelai de prescription national qui

a expireacute avant mecircme lrsquoadoption de la deacutecision de reacutecupeacuteration de la Commission europeacuteenne doit donc ecirctre

laisseacute inappliqueacute par la juridiction de renvoi

En ce qui concerne la prescription drsquoune partie des inteacuterecircts affeacuterents agrave lrsquoaide en cause posteacuterieurement agrave

lrsquoadoption de la deacutecision de la Commission europeacuteenne il convient de relever que lrsquoexeacutecution drsquoune deacutecision de

reacutecupeacuteration de la Commission europeacuteenne doit ecirctre immeacutediate En lrsquoespegravece il ressort du point 54 que la

prescription drsquoune partie des inteacuterecircts affeacuterents agrave lrsquoaide en cause reacutesulte donc principalement du fait que le

preacutedeacutecesseur de lrsquoIFAP et lrsquoIFAP ont tardeacute agrave exeacutecuter la deacutecision de la Commission europeacuteenne Or la Cour de

justice souligne au point 56 qursquoadmettre la prescription des inteacuterecircts affeacuterents agrave une aide illeacutegale au motif que les

autoriteacutes nationales se sont conformeacutees avec retard agrave la deacutecision de reacutecupeacuteration de la Commission europeacuteenne

rendrait la reacutecupeacuteration inteacutegrale pratiquement impossible et la reacuteglementation de lrsquoUnion relative aux aides drsquoEtat

priveacutee de tout effet utile

Dans de telles circonstances le principe de seacutecuriteacute juridique que les deacutelais de prescription visent agrave garantir ne

saurait faire obstacle agrave la reacutecupeacuteration drsquoune aide deacuteclareacutee incompatible avec le marcheacute inteacuterieur

Par suite il convient de reacutepondre agrave la quatriegraveme question que lrsquoarticle 16 paragraphe 2 du regraveglement 20151589

et le principe drsquoeffectiviteacute doivent ecirctre interpreacuteteacutes en ce sens qursquoils srsquoopposent agrave lrsquoapplication drsquoun deacutelai de

prescription national au recouvrement drsquoune aide lorsque ce deacutelai a expireacute avant mecircme lrsquoadoption de la deacutecision

de la Commission europeacuteenne ou lorsque ce deacutelai de prescription srsquoest eacutecouleacute principalement en raison du retard

mis par les autoriteacutes nationales pour exeacutecuter cette deacutecision

Par ces motifs la Cour de justice (deuxiegraveme chambre) dit pour droit

1) Lrsquoarticle 17 paragraphe 1 du regraveglement (UE) 20151589 du Conseil du 13 juillet 2015 portant

modaliteacutes drsquoapplication de lrsquoarticle 108 du traiteacute sur le fonctionnement de lrsquoUnion europeacuteenne doit ecirctre

interpreacuteteacute en ce sens que le deacutelai de prescription de dix ans que preacutevoit cette disposition pour lrsquoexercice

des pouvoirs de la Commission europeacuteenne en matiegravere de reacutecupeacuteration des aides srsquoapplique

uniquement aux rapports entre la Commission et lrsquoEacutetat membre destinataire de la deacutecision de

reacutecupeacuteration eacutemanant de cette institution

2) Lrsquoarticle 16 paragraphe 2 du regraveglement 20151589 selon lequel lrsquoaide agrave reacutecupeacuterer comprend des

inteacuterecircts et le principe drsquoeffectiviteacute viseacute au paragraphe 3 de ce mecircme article doivent ecirctre interpreacuteteacutes en

ce sens qursquoils srsquoopposent agrave lrsquoapplication drsquoun deacutelai de prescription national au recouvrement drsquoune aide

lorsque ce deacutelai a expireacute avant mecircme lrsquoadoption de la deacutecision de la Commission deacuteclarant cette aide

illeacutegale et en ordonnant la reacutecupeacuteration ou lorsque ce deacutelai de prescription srsquoest eacutecouleacute principalement

en raison du retard mis par les autoriteacutes nationales pour exeacutecuter cette deacutecision

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Droit agrave un procegraves eacutequitable

Cour EDH (cinquiegraveme section) Keaney Irlande 30 avril 2020 ndeg7206017

Arrecirct rendu en anglais Mention drsquoune opinion concordante Reacutesumeacute La Cour EDH juge que lrsquoordre juridique irlandais ne comporte pas de recours effectif pour les griefs relatifs agrave la dureacutee excessive drsquoune proceacutedure La Cour EDH a consideacutereacute qursquoil y avait non seulement une violation du droit agrave un procegraves eacutequitable dans un deacutelai raisonnable (article 6 sect 1 de la Convention) du fait de la longueur excessive du recours devant la juridiction suprecircme irlandaise mais aussi une violation au droit agrave un recours effectif (article 13 de la Convention) en ce qursquoelle a du mal agrave admettre que lrsquoaction en reacuteparation pour atteinte au droit constitutionnel agrave ecirctre jugeacute avec diligence soit effectif en theacuteorie et en pratique Le requeacuterant Vincent Keaney est un ressortissant irlandais neacute en 1955 et reacutesidant agrave Cobh (Irlande) En 1996 apregraves avoir gagneacute agrave la loterie nationale le requeacuterant a acheteacute un bacirctiment afin drsquoy faire un bar agrave thegraveme sous le nom de laquo The Titanic Bar and Restaurant raquo Suite agrave des difficulteacutes financiegraveres le requeacuterant srsquoest adresseacute agrave un consultant en finance et gestion afin de trouver des investisseurs potentiels et drsquoobtenir des conseils professionnels Neacuteanmoins le projet commercial eacutechoua En feacutevrier 2006 le requeacuterant entama une proceacutedure civile devant la Haute Cour contre 18 deacutefendeurs pour tromperie fraude fausse deacuteclarations et influence indue deacutecoulant des transactions commerciales reacutealiseacutees entre 2000 et 2003 Devant la Haute Cour le requeacuterant a ducirc modifier sa demande initiale agrave de nombreuses reprises afin qursquoen juillet 2008 lrsquoaffaire puisse ecirctre plaideacutee conformeacutement aux exigences nationales Par jugement du 19 deacutecembre 2008 la Haute Cour eacutecarta toutes les demandes du requeacuterant et le deacutebouta estimant que nombre de ses alleacutegations eacutetaient mal fondeacutees ou abusives Entre 2007 et 2009 le requeacuterant interjeta appel devant la Cour Suprecircme contre les arrecircts de la Haute Cour Entre juillet 2015 et avril 2017 la Cour Suprecircme rendit ses arrecircts en estimant qursquoil nrsquoy avait pas lieu drsquoinfirmer les arrecircts de la Haute Cour Elle preacutecisa que les alleacutegation non eacutetayeacutees du requeacuterant dans ses observations eacutecrites nrsquoeacutetaient laquo rien de moins qursquoun abus de proceacutedure raquo En conseacutequence le requeacuterant saisi la Cour EDH le 2 octobre 2017

- Sur la violation de lrsquoarticle 6 sect1 de la Convention Selon la Cour EDH le caractegravere raisonnable de la dureacutee drsquoune proceacutedure doit ecirctre appreacutecieacute au regard des circonstances de lrsquoespegravece et en fonction des critegraveres suivants (Lupeni c Roumanie [GC] ndeg7694311 sect 143 29 novembre 2016)

- La complexiteacute de lrsquoaffaire - Le comportement du requeacuterant et des autoriteacutes compeacutetentes - Lrsquoenjeu du litige

Lrsquoarticle 6 sect1 de la Convention exige que les affaires soient entendues dans un deacutelai raisonnable afin drsquoadministrer la justice sans retard susceptible de compromettre son efficaciteacute et sa creacutedibiliteacute

Art 6 sect 1 bull Deacutelai raisonnable bull Dureacutee excessive de la proceacutedure civile bull Art 13 et 6 sect 1 bull Recours effectif dans le respect drsquoun deacutelai raisonnable des proceacutedures bull Lrsquoefficaciteacute de lrsquoaction en reacuteparation pour violation du droit constitutionnel drsquoecirctre jugeacute dans un deacutelai raisonnable doit encore ecirctre preacuteciseacutee dans la pratique

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Ainsi il appartient aux Eacutetats contractants drsquoorganiser leur systegraveme judiciaire de telle sorte que leurs tribunaux soient en mesure de garantir agrave chaque justiciable le droit drsquoobtenir une deacutecision deacutefinitive dans un deacutelai raisonnable dans des litiges relatifs aux droits et obligations de caractegravere civil (Frydlender c France [GC] ndeg3097996 sect43 27 juin 2000 Superwood Holdings Plc et autres c Irlande ndeg781204 sect 38 8 septembre 2011 Healy c Irlande ndeg2729116 sect 49 18 janvier 2018) Si la Cour EDH preacutecise qursquoun retard temporaire dans les affaires judiciaires nrsquoentraicircne pas la responsabiliteacute internationale drsquoun Eacutetat contractant srsquoil prend les mesures correctives approprieacutees agrave la ceacuteleacuteriteacute requise une surcharge drsquoaffaires dans le systegraveme interne ne peut justifier une dureacutee excessive des proceacutedures pas plus que le fait que les situations drsquoarrieacutereacute se soient banaliseacutees (sect88) De plus la Cour EDH prend soin de rappeler que dans les proceacutedures civiles la principale obligation de faire avancer la proceacutedure incombe aux parties qui ont le devoir drsquoaccomplir avec diligence les actes de proceacutedure pertinents (Unioacuten Alimentaria Sanders SA c Espagne ndeg1168185 sect 35 7 juillet 1989 Healy c Irlande ndeg2729116 sect 55) Toutefois un principe de droit ou une pratique interne selon lequel les parties agrave une proceacutedure civile sont tenues de prendre lrsquoinitiative srsquoagissant du deacuteroulement de la proceacutedure ne dispense pas lrsquoEacutetat de se conformer agrave lrsquoobligation de traiter les affaires dans un deacutelai raisonnable (sect 90) En lrsquoespegravece la Cour EDH note que la peacuteriode agrave prendre en compte a commenceacute le 8 feacutevrier 2006 lorsque le requeacuterant a entameacute une proceacutedure devant la Haute Cour et srsquoest termineacute le 5 avril 2017 lorsque la Cour Suprecircme a rendu son jugement dans le cadre du recours du requeacuterant contre les arrecircts de la Haute Cour La proceacutedure a donc dureacute plus de onze ans pour ecirctre entendue devant les deux niveau de juridiction La Cour EDH reconnaicirct que le litige du requeacuterant a pris une ampleur dans commune mesure avec la nature du droit sous-jacent Neacuteanmoins elle considegravere que le comportement de ce dernier a eu un impact significatif sur lrsquoeacutevolution de lrsquoaffaire et qursquoil ne peut se preacutevaloir des peacuteriodes pendant lesquelles ses actions ont causeacute le retard (mutatis mutandis Vayiccedil c Turquie ndeg1807802 sect 44 20 juin 2006 et Uysal et Osal c Turquie ndeg120603 sect 30 13 deacutecembre 2007) La Cour EDH conclut donc que malgreacute le comportement du requeacuterant qui a contribueacute au retard devant la Haute Cour et la Cour Suprecircme la dureacutee globale de la proceacutedure eacutetait excessive et ne respectait pas le critegravere du deacutelai raisonnable En conseacutequence la Cour EDH dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention

- Sur la violation de lrsquoarticle 13 de la Convention combineacute agrave lrsquoarticle 6 sect1 de la Convention Lrsquoarticle 13 de la Convention garantir lrsquoexistence au niveau national drsquoun recours permettant drsquoune violation des droits et liberteacutes eacutenonceacutes dans la Convention Srsquoil existe agrave la faveur des Eacutetats contractants une certaine liberteacute quant agrave la maniegravere dont ils se conforment agrave leurs obligations conventionnelles il doit exister un recours interne permettant aux juridictions nationales compeacutetentes de traiter agrave la fois le fond de la demande lieacute agrave la violation drsquoune disposition de la Convention et drsquoaccorder une reacuteparation adeacutequate La Cour EDH rappelle que mecircme si la porteacutee de lrsquoobligation preacutevue agrave article 13 de la Convention varie selon la nature du grief du requeacuterant le recours doit ecirctre effectif en pratique comme en droit en ce que son exercice ne doit pas ecirctre entraveacute de maniegravere injustifieacutee par les actes ou omissions des autoriteacutes de lrsquoEacutetat (De Tommaso c Italie [GC] ndeg4339509 sect 179 23 feacutevrier 2017) Srsquoagissant de lrsquoeffectiviteacute des recours dans un deacutelai raisonnable lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention impose aux Eacutetats contractants le devoir drsquoorganiser leur systegraveme judiciaire de telle sorte que leurs tribunaux puissent statuer dans un deacutelai raisonnable La Cour EDH considegravere que lorsque le systegraveme judiciaire est deacuteficient agrave cet eacutegard un recours visant agrave acceacuteleacuterer la proceacutedure afin drsquoeacuteviter qursquoelle ne devienne excessivement longue est la solution la plus adapteacutee il sera jugeacute effectif dans la mesure ougrave il acceacutelegravere la deacutecision du tribunal concerneacute Toutefois ce genre de recours peut ne pas ecirctre suffisant au regard de proceacutedures deacutejagrave excessivement longues Ainsi la Cour EDH a deacuteclareacute que les Eacutetats pouvaient choisir de combiner le recours visant agrave acceacuteleacuterer la proceacutedure avec un autre visant agrave une indemnisation bien qursquoils puissent eacutegalement choisir drsquointroduire

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qursquoun recours en reacuteparation qans que ce dernier soit consideacutereacute comme inefficace (Fil LLC c Armeacutenie ndeg1852613 sect 47 31 janvier 2019) De plus Cour EDH preacutecise que lrsquoeffectiviteacute drsquoun recours ne deacutepend pas de la certitude drsquoune issue favorable pour le requeacuterant Enfin la Cour EDH estime qursquoune attention particuliegravere doit ecirctre accordeacutee agrave la rapiditeacute de la reacuteparation en elle-mecircme sans qursquoil soit exclu que son caractegravere adeacutequat puisse ecirctre compromis par sa dureacutee excessive (Doran v Ireland ndeg5038999 sectsect 57-58) En lrsquoespegravece la Cour EDH rappelle qursquoelle a deacutejagrave eu lrsquooccasion de souligner les difficulteacutes reacutesultant de lrsquoabsence de recours interne effectif en Irlande (Healy c Irlande ndeg2729116 sect 69) De plus elle rappelle que dans lrsquoaffaire McFarlane c Irlande (ndeg3133306 10 septembre 2010) le Gouvernement irlandais nrsquoavait pas deacutemontreacute qursquoune action en reacuteparation pour violation du droit constitutionnel agrave ecirctre jugeacute dans un deacutelai raisonnable constituait un recours effectif en theacuteorie et en pratique agrave la faveur du requeacuterant Si le Gouvernement irlandais soutient que dans un arrecirct de Cour Suprecircme posteacuterieur agrave lrsquoarrecirct McFarlane (Nash v DPP) une importante clarification est faite quant aux conditions subordonnant lrsquooctroi de la reacuteparation preacutevue par la Constitution pour une dureacutee excessive drsquoune proceacutedure peacutenale la Cour EDH nrsquoest pas convaincue par cet argument En effet la Cour EDH estime tout drsquoabord que la Cour Suprecircme srsquoest abstenue de deacutefinir les conditions drsquoune telle action Ensuite la question de la ceacuteleacuteriteacute du recours en reacuteparation est lui-mecircme remis en cause puisque la Cour EDH observe que dans lrsquoaffaire Nash lrsquoaction en reacuteparation pour deacutelai excessif a dureacute plus de six ans et demi Enfin un autre type de recours lrsquoaction en reacuteparation fondeacutee lrsquoEuropean Convention on Human Rights Act de 2003 ne peut ecirctre exerceacute que lorsqursquoaucune autre action en reacuteparation nrsquoest possible En conseacutequence la Cour EDH conclut agrave la violation de lrsquoarticle 13 de la Convention combineacute agrave lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention Par ces motifs la Cour EDH agrave lrsquounanimiteacute

1 Deacuteclare la demande recevable

2 Dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 6 sect1 de la Convention

3 Dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 13 lu avec lrsquoarticle 6 sect1 de la Convention

4 Dit que la constatation de la violation constitue une satisfaction eacutequitable suffisante pour tout dommage subi par le requeacuterant

5 Dit a Que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans un deacutelai de trois mois agrave compter

de la date agrave laquelle le jugement devient deacutefinitif conformeacutement agrave lrsquoarticle 44 sect2 de la Convention 3 000 EUR (trois mille euros) plus toute taxe qui pourrait ecirctre mise agrave la charge du requeacuterant au titre des frais et deacutepens

b Qursquoagrave compter de lrsquoexpiration des trois mois et jusqursquoau regraveglement des inteacuterecircts simples seront dus sur le montants susmentionneacutes agrave un taux eacutegal au taux de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne pendant la peacuteriode de carence majoreacute de trois points de pourcentage

6 Rejette la demande de satisfaction eacutequitable du requeacuterant

Opinion concordante du Juge OrsquoLeary Le Juge OrsquoLeary souscrit pleinement agrave lrsquoarrecirct rendu par la cinquiegraveme chambre constatant la violation des articles 6 sect 1 et 13 de la Convention en raison de la dureacutee excessive de la proceacutedure civile du requeacuterant et de labsence de recours interne effectif en cas de retard deacuteraisonnable

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Lrsquoopinion concordante preacutecise que lrsquoarrecirct Keaney c Irlande fait partie drsquoune seacuterie longue drsquoaffaires relatives agrave lrsquoarticle 6 sect 1 et 13 de la Convention concernant lrsquoIrlande sur une peacuteriode de pregraves de vingt ans Agrave ce titre le fait que lrsquoarrecirct ait eacuteteacute rendu par une chambre de sept juges plutocirct que par un comiteacute des trois juges souligne lrsquoimportance des questions souleveacutees srsquoagissant des affaires relatives aux retards deacuteraisonnables dans les proceacutedures civiles et peacutenales Srsquoagissant de lrsquoeffectiviteacute drsquoune action en reacuteparation pour violation du droit constitutionnel agrave un procegraves dans un deacutelai raisonnable le juge OrsquoLeary rappelle que lrsquoarrecirct Keaney c Irlande fait suite agrave lrsquoaffaire Nash c DPP rendu par la Cour Suprecircme en 2018 Enfin le juge OrsquoLeary eacutevoque la neacutecessiteacute de remeacutedier au problegraveme systeacutematique de retard excessif dans les proceacutedures Si le Gouvernement irlandais ne cesse de rappeler que la responsabiliteacute premiegravere de lrsquoavancement de la proceacutedure civile incombe aux parties la Cour EDH considegravere qursquoil appartient agrave lrsquoEacutetat drsquoeacuteriger le cadre approprieacute pour soutenir une administration efficace de la justice Le juge OrsquoLeary reconnait que de nombreuses mesures ont eacuteteacute adopteacutees par et pour les tribunaux nationaux irlandais au cours de ces derniegraveres anneacutees mais considegravere que lrsquoarrecirct Keaney reflegravete le fait que lorsquun requeacuterant se plaint dun retard excessif dans le systegraveme juridictionnel geacuteneacuteral le renvoi de ce dernier vers le systegraveme remis en cause a peu pour un recours a peu de chances pour le moment de satisfaire aux exigences des articles 35 sect 1 et 13 de la Convention Dans son opinion concordante le juge OrsquoLeary conclut que lrsquoarticle 6 de la Convention veille agrave ce que les proceacutedures soient traiteacutees dans un deacutelai raisonnable Il considegravere que lrsquoarrecirct Keaney srsquoapparente agrave un jugement de principe identifiant un problegraveme systeacutematique de retard qui en ce qui concerne certains niveaux du systegraveme judiciaire national a pu ecirctre corrigeacute depuis Il sagit eacutegalement dun jugement qui exige de lEacutetat deacutefendeur quil agisse en ce qui concerne loffre dun recours interne effectif en cas de retard Plus largement cette affaire reflegravete la reacutealiteacute quotidienne agrave laquelle sont confronteacutes les tribunaux dans les juridictions ougrave le ratio jugespopulation est faible ougrave le volume des litiges est sensiblement supeacuterieur au nombre de juges mobiliseacutes pour les traiter ougrave les ressources correspondantes font deacutefaut et ougrave les regravegles de proceacutedure peuvent neacutecessiter une reacutevision pour proteacuteger les tribunaux et les autres parties contre ceux qui perdent du temps

Droit agrave la vie

Cour EDH (deuxiegraveme section) Jeanty Belgique 31 mars 2020 ndeg8228417

Mention drsquoune opinion en partie dissidente Reacutesumeacute Dans une affaire qui concerne une personne atteinte de troubles psychiques et ayant tenteacute de se suicider agrave plusieurs reprises lors de ses placements en deacutetention preacuteventive dans une prison belge la Cour EDH a estimeacute agrave la majoriteacute qursquoil nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 2 de la Convention car les mesures prises par les autoriteacutes ont effectivement permis drsquoempecirccher que le requeacuterant se suicide Toutefois la Cour EDH juge qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 3 de la Convention du fait que le requeacuterant a eacuteteacute soumis agrave une deacutetresse drsquoune intensiteacute ayant exceacutedeacute le niveau ineacutevitable de souffrance inheacuterent agrave la deacutetention notamment en raison du manque drsquoencadrement et de suivi meacutedical au cours de sa deacutetention combineacute avec lrsquoinfliction drsquoune sanction disciplinaire dans une cellule drsquoisolement Elle relegraveve eacutegalement que lrsquoenquecircte meneacutee agrave ce propos nrsquoa pas eacuteteacute effective Le requeacuterant Philippe Jeanty est un ressortissant belge La requecircte porte sur les deux peacuteriodes pendant lesquelles il eacutetait deacutetenu agrave la maison drsquoarrecirct drsquoArlon en Belgique entre le 26 juin 2011 et le 12 aoucirct 2011 puis entre le 21

Art 2 (mateacuteriel) bull Obligations positives bull Autoriteacutes peacutenitentiaires intervenues rapidement pour effectivement empecirccher plusieurs tentatives de suicide Art 3 (mateacuteriel et proceacutedural) bull Traitement inhumain et deacutegradant bull Manque de soins psychiatriques prodigueacute s agrave un deacutetenu preacutesentant des tendances suicidaires bull Placement agrave lrsquoisolement pendant trois jours sans prise en compte de lrsquoeacutetat psychique du requeacuterant bull Absence drsquoenquecircte effective

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octobre 2011 et le 2 deacutecembre 2011 Il eacutetait suspecteacute drsquoavoir commis un attentat agrave la pudeur avec violences ou menaces et coups et blessures avec incapaciteacute de travail sur son eacutepouse Les faits ayant eu lieu entre le 26 juin 2011 et 12 aoucirct 2011 La nuit du 25 juin 2011 le requeacuterant a eacuteteacute placeacute en garde-agrave-vue eacutetant suspecteacute drsquoagression sexuelle sur son eacutepouse Lors de son audition par la police M Jeanty a fait valoir sa deacutetresse psychologique et a demandeacute agrave ecirctre interneacute indiquant ses intentions de se suicider Le lendemain le juge drsquoinstruction a ordonneacute le placement en deacutetention du requeacuterant et a informeacute la prison drsquoArlon des tendances suicidaires de lrsquointeacuteresseacute Degraves son arriveacutee agrave la maison drsquoarrecirct le requeacuterant a tenteacute de se suicider agrave trois reprises mais les agents peacutenitentiaires sont intervenus pour lrsquoen empecirccher Il a eacuteteacute placeacute dans une cellule drsquoisolement seacutecuriseacutee sous surveillance speacuteciale pendant quelques jours Il a ensuite eacuteteacute mis en liberteacute sous condition le 12 aoucirct 2011 Les faits ayant eu lieu entre le 21 octobre 2011 et le 2 deacutecembre 2011 En octobre 2011 un second mandat drsquoarrecirct a eacuteteacute deacutelivreacute contre M Jeanty ce dernier nrsquoayant pas respecteacute les conditions de sa libeacuteration conditionnelle Le requeacuterant a ainsi reacuteinteacutegreacute la prison drsquoArlon ougrave il a changeacute de cellule agrave plusieurs reprises apregraves ses plaintes agrave lrsquoencontre de ses codeacutetenus Le 13 novembre 2011 suite au refus de lrsquoassistant peacutenitentiaire chef drsquoeacutequipe de le changer agrave nouveau de cellule le requeacuterant a menaceacute de se suicider et a eacuteteacute placeacute en cellule drsquoisolement sous surveillance speacuteciale Lors drsquoun controcircle le mecircme jour un agent peacutenitentiaire a trouveacute le requeacuterant percheacute sur les barreaux de la porte en train drsquoattacher son pantalon et a reacuteussi de lrsquoarrecircter avant que ce dernier ne se lance dans le vide Sur ordre du meacutedecin il a eacuteteacute deacutecideacute de lui mettre un casque ainsi que des menottes agrave lrsquoavant afin drsquoempecirccher le requeacuterant de se blesser en se tapant la tecircte contre le mur Agrave sa sortie de la cellule drsquoisolement le 15 novembre 2011 le requeacuterant a eacuteteacute auditionneacute par le directeur de la prison qui a deacutecideacute de transformer en sanction disciplinaire le placement en cellule drsquoisolement de trois jours estimant que les menaces de suicide visaient agrave faire pression sur le personnel peacutenitentiaire pour obtenir une mutation de cellule M Jeanty a eacuteteacute remis en liberteacute conditionnelle le 2 deacutecembre 2011 La plainte peacutenale du requeacuterant et la proceacutedure devant les juridictions internes Le 1er avril 2014 le requeacuterant srsquoest constitueacute partie civile contre le directeur de la prison du chef drsquoabstention coupable et traitements inhumains et deacutegradants aupregraves du juge drsquoinstruction de Neufchacircteau Dans la plainte le requeacuterant se plaignait notamment drsquoavoir subi un traitement inhumain et deacutegradant au cours de ses peacuteriodes de deacutetention et du fait qursquoil eacuteteacute placeacute dans les quartiers ordinaires de la prison alors que son eacutetat de santeacute mentale deacutefaillant neacutecessitait un soutien psychologique Cette plainte a deacuteboucheacute sur un non-lieu qui eacutetait ulteacuterieurement confirmeacute en appel Le pourvoi en cassation qui porteacute sur la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 3 de la Convention a eacuteteacute rejeteacute par un arrecirct du 14 juin 2017 La Cour de cassation a estimeacute entre autre qursquoil nrsquoeacutetait pas contradictoire de consideacuterer que les mesures prises par le personnel peacutenitentiaire et les meacutedecins en vue de proteacuteger lrsquointeacutegriteacute physique du requeacuterant ne semblaient pas adeacutequates au regard des exigences de sa jurisprudence mais que neacuteanmoins il nrsquoexistait pas de charges de culpabiliteacute concernant lrsquoabstention de porter secours La proceacutedure peacutenale relative aux faits pour lesquels le requeacuterant a eacuteteacute poursuivi Le 23 avril 2014 le tribunal correctionnel drsquoArlon a condamneacute le requeacuterant agrave une peine de quatre ans drsquoemprisonnement dont la moitieacute avec sursis pour les faits drsquoattentat agrave la pudeur avec violences ou menaces et coups et blessures avec incapaciteacute de travail sur son eacutepouse Le 2 avril 2019 la cour drsquoappel de Liegravege a reacuteformeacute le jugement estimant que le requeacuterant eacutetait au moment des faits et au jour du prononceacute de lrsquoarrecirct atteint drsquoun trouble mental qui abolissait ou alteacuterait gravement sa capaciteacute de discernement ou de controcircle de ses actes Partant la cour drsquoappel a deacuteclareacute le requeacuterant irresponsable de ses actes et a ordonneacute son internement ainsi que son arrestation immeacutediate

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Le requeacuterant a eacuteteacute ensuite placeacute agrave la prison de Namur parfois agrave lrsquoannexe psychiatrique de la prison parfois dans les quartiers ordinaires par manque de place Le requeacuterant indique ne recevoir aucun soin pour son eacutetat de santeacute mentale Le 20 novembre 2017 le requeacuterant a introduit une requecircte devant la Cour EDH invoquant une violation des articles 2 (droit agrave la vie) et 3 (interdiction de la torture des traitements inhumaines ou deacutegradants) de la Convention EDH Il allegravegue une violation de lrsquoarticle 2 de la Convention du fait que les autoriteacutes avaient failli agrave leur obligation de prendre les mesures adeacutequates afin drsquoempecirccher la mateacuterialisation du risque certain et immeacutediat qursquoil attente agrave sa vie De plus il se plaint sous lrsquoangle de lrsquoarticle 3 de la Convention de lrsquoabsence de soins meacutedicaux approprieacutes durant sa deacutetention du traitement subi lors de ses placements en isolement et de lrsquoabsence drsquoune enquecircte effective

1) Sur la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 2 de la Convention o Sur la recevabiliteacute

La Cour EDH examine drsquooffice en lrsquoespegravece lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 2 de la Convention EDH Elle rappelle que la circonstance dans laquelle le requeacuterant nrsquoest pas deacuteceacutedeacute suite agrave ses tentatives de suicide qui font lrsquoobjet du grief nrsquoest pas en soi de nature agrave exclure lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 2 de la Convention eacutetant donneacute que la Cour EDH a reconnu agrave de nombreuses reprises lrsquoapplicabiliteacute de cette disposition mecircme lorsque la personne qui se disait victime drsquoune atteinte agrave son droit agrave la vie nrsquoeacutetait pas deacuteceacutedeacutee (Cour EDH Makaratzis c Gregravece [GC] 20 deacutecembre 2004 no 5038599 et Nicolae Virgiliu Tănase c Roumanie [GC] 25 juin 2019 no 4172013) Par ailleurs la Cour EDH a reconnu lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 2 de la Convention dans des affaires concernant des suicides en deacutetention (Cour EDH Renolde c France 16 octobre 2008 no 560805 et De Donder et De Clippel c Belgique 6 deacutecembre 2011 no 859506) En lrsquoespegravece le requeacuterant a tenteacute agrave plusieurs reprises au cours de sa deacutetention de mettre fin agrave ses jours et crsquoest gracircce agrave lrsquointervention des agents peacutenitentiaires que ces tentatives nrsquoont pas abouti Selon la Cour EDH le fait que le requeacuterant nrsquoait pas subi de blessure potentiellement mortelle nrsquoest pas deacuteterminant dans ce cas En effet la nature mecircme de lrsquoaction du requeacuterant lui faisait courir un risque reacuteel et imminent pour sa vie En conseacutequent la Cour EDH considegravere que lrsquoarticle 2 trouve agrave srsquoappliquer

o Sur le fond La Cour EDH rappelle tout drsquoabord que lrsquoarticle 2 astreint les Eacutetats non seulement agrave srsquoabstenir de provoquer la mort de maniegravere volontaire et irreacuteguliegravere mais aussi agrave prendre les mesures neacutecessaires agrave la protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction (Cour EDH Fernandes de Oliveira c Portugal [GC] 31 janvier 2019 no 7810314) Cette disposition peut dans certaines circonstances bien deacutefinies mettre agrave la charge des autoriteacutes lrsquoobligation positive de prendre des mesures opeacuterationnelles preacuteventives pour proteacuteger un individu contre autrui ou contre lui-mecircme (Cour EDH Renolde preacuteciteacute sect 80 Fernandes de Oliveira preacuteciteacute sect 108 et Nicolae Virgiliu Tănase preacuteciteacute sect 136) Elle a deacutejagrave jugeacute que dans le cas speacutecifique du risque de suicide en prison lrsquoEacutetat nrsquoa une telle obligation positive que lorsque les autoriteacutes savaient ou auraient ducirc savoir qursquoil existait un risque reacuteel et immeacutediat qursquoun individu donneacute attente agrave sa vie (Cour EDH De Donder et De Clippel preacuteciteacute sect 69 et Fernandes de Oliveira preacuteciteacute sect 110) Dans le cas de lrsquoespegravece la Cour EDH a estimeacute opportun drsquoexaminer sous lrsquoangle de lrsquoarticle 2 de la Convention uniquement les mesures prises par les autoriteacutes peacutenitentiaires pour empecirccher que le requeacuterant attente effectivement agrave ses jours La Cour EDH relegraveve que en ce qui concerne toutes les tentatives de suicide du requeacuterant pendant son emprisonnement agrave la maison drsquoarrecirct les autoriteacutes peacutenitentiaires sont intervenues rapidement et ont reacuteussi agrave empecirccher que le requeacuterant mette fin agrave sa vie Il a ensuite fait lrsquoobjet drsquoune surveillance speacuteciale et tous les objets potentiellement dangereux lui ont eacuteteacute retireacutes afin drsquoeacuteviter tout autre tentative Par conseacutequence la Cour EDH estime que dans lrsquoensemble les autoriteacutes ont fait ce que lrsquoon pouvait raisonnablement attendre drsquoelles dans les circonstances de la cause pour empecirccher la mateacuterialisation du risque pour la vie du requeacuterant dans la mesure ougrave elles avaient connaissance du caractegravere certain et immeacutediat de ce risque Les mesures prises ont drsquoailleurs effectivement permis drsquoempecirccher que le requeacuterant se suicide Partant elle juge qursquoil nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 2 de la Convention

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2) Sur la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 3 de la Convention

o Sur le volet mateacuteriel

La Cour EDH rappelle qursquoun traitement doit atteindre un minimum de graviteacute pour tomber sous le coup de lrsquoarticle 3 de la Convention Selon une jurisprudence constante un traitement peut ecirctre qualifieacute de laquo deacutegradant raquo au sens de lrsquoarticle 3 srsquoil humilie ou avilit un individu srsquoil teacutemoigne drsquoun manque de respect pour sa digniteacute ou srsquoil suscite chez lui des sentiments de peur drsquoangoisse ou drsquoinfeacuterioriteacute propres agrave briser sa reacutesistance morale et physique (Cour EDH MSS c Belgique et Gregravece [GC] 21 janvier 2011 no 3069609 sect 220 et El-Masri c lrsquoex-Reacutepublique yougoslave de Maceacutedoine [GC] 13 deacutecembre 2012 no 3963009 sect 202) Elle rappelle eacutegalement que les personnes atteintes drsquoune maladie mentale sont de personnes particuliegraverement vulneacuterables (Cour EDH Renolde preacuteciteacute sect 840) Les autoriteacutes sont ainsi tenues de veiller avec une rigueur particuliegravere agrave ce que les conditions de la deacutetention drsquoune personne atteinte drsquoune maladie mentale reacutepondent aux besoins speacutecifiques deacutecoulant de sa maladie (Cour EDH Fernandes de Oliveira preacuteciteacute sect 113) La Cour EDH constate tout drsquoabord qursquoau cours de ses deux peacuteriodes de deacutetention preacuteventive le requeacuterant a eacuteteacute traiteacute comme un simple deacutetenu placeacute dans un environnement carceacuteral ordinaire Elle considegravere que compte tenu de la fragiliteacute psychologique du requeacuterant de ses troubles comportementaux qui se sont manifesteacutes tout de suite apregraves son placement en deacutetention preacuteventive et qui auraient pu mettre en danger la propre personne de lrsquointeacuteresseacute il appartenait aux autoriteacutes de le faire examiner par un meacutedecin psychiatre afin de deacuteterminer la compatibiliteacute de son eacutetat psychologique avec la deacutetention ainsi que les mesures theacuterapeutiques agrave prendre dans son cas preacutecis (Cour EDH Rupa c Roumanie (no 1) 16 deacutecembre 2008 no 5847800 sect 170) De plus la Cour EDH relegraveve que le deuxiegraveme placement agrave lrsquoisolement a eacuteteacute deacutecideacute agrave titre de mesure provisoire puis confirmeacute comme sanction disciplinaire Cette sanction a eacuteteacute appliqueacutee pendant une dureacutee de trois jours Pendant les premiegraveres 24 heures le requeacuterant resta nu entraveacute par les menottes et casqueacute sans avoir aucune visite Selon la Cour EDH cette mesure a eacuteteacute deacutecideacutee sans prise en compte de lrsquoeacutetat psychique du requeacuterant et sans qursquoil soit proceacutedeacute agrave une reacuteeacutevaluation de la neacutecessiteacute de maintenir les entraves et la nuditeacute du requeacuterant pendant 24 heures En conseacutequent la Cour EDH estime que compte tenu de lrsquoeacutetat de santeacute mentale de M Jeanty le manque drsquoencadrement et de suivi meacutedical au cours de ses deux peacuteriodes de deacutetention combineacute avec lrsquoinfliction drsquoune sanction disciplinaire dans une cellule drsquoisolement pendant trois jours alors qursquoil avait commis plusieurs tentatives de suicide ont constitueacute une eacutepreuve particuliegraverement peacutenible et ont soumis lrsquointeacuteresseacute agrave une deacutetresse ou agrave une eacutepreuve drsquoune intensiteacute ayant exceacutedeacute le niveau ineacutevitable de souffrance inheacuterent agrave la deacutetention Il y a donc eu violation du volet mateacuteriel de lrsquoarticle 3 de la Convention

o Sur le volet proceacutedural

La Cour EDH rappelle que les principes geacuteneacuteraux sont eacutenonceacutes dans les arrecircts El‑Masri ([GC] 13 deacutecembre 2012 no 3963009) Mocanu et autres c Roumanie ([GC] 17 septembre 2014 nos 1086509 et 2 autres) et Bouyid c Belgique ([GC] 28 septembre 2015 no 2338009) En particulier elle rappelle qursquoune enquecircte sur des alleacutegations de traitement inhumain ou deacutegradant doit permettre drsquoidentifier et de sanctionner les responsables Elle doit eacutegalement ecirctre suffisamment vaste pour permettre aux autoriteacutes qui en sont chargeacutees de prendre en consideacuteration non seulement les actes des agents de lrsquoEacutetat qui ont eu directement et illeacutegalement recours agrave la force mais aussi lrsquoensemble des circonstances les ayant entoureacutes Enfin lrsquoenquecircte doit ecirctre approfondie ce qui signifie que les autoriteacutes doivent toujours srsquoefforcer seacuterieusement de deacutecouvrir ce qui srsquoest passeacute et qursquoelles ne doivent pas srsquoappuyer sur des conclusions hacirctives ou mal fondeacutees pour clore lrsquoenquecircte La Cour EDH constate en lrsquoespegravece que plus de huit mois se sont eacutecouleacutes entre le reacutequisitoire de mise agrave lrsquoinstruction du procureur du Roi le 8 juillet 2014 et le moment ougrave le juge drsquoinstruction a reccedilu le dossier le 3 mars 2015 Ce deacutelai pendant lequel lrsquoinstruction nrsquoa pas commenceacute et pour lequel le Gouvernement nrsquoa fourni aucune explication apparaicirct difficilement compreacutehensible et acceptable par la Cour EDH De plus une fois lrsquoinstruction entameacutee en mars 2015 aucune autre devoir agrave part le dossier peacutenitentiaire et le dossier meacutedical du requeacuterant nrsquoa eacuteteacute demandeacutee par le juge drsquoinstruction La Cour EDH relegraveve qursquoaucune des personnes impliqueacutees ou mises en cause nrsquoont eacuteteacute entendues ni les agents peacutenitentiaires ni les meacutedecins ayant vu le requeacuterant ni le requeacuterant lui-mecircme La Cour EDH conclut que lrsquoenquecircte ne peut pas ecirctre consideacutereacutee comme effective Par conseacutequent il y a eu violation du volet proceacutedural de lrsquoarticle 3 de la Convention

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PAR CES MOTIFS LA COUR

1 Deacuteclare agrave lrsquounanimiteacute la requecircte recevable 2 Dit par quatre voix contre trois qursquoil nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 2 de la Convention 3 Dit agrave lrsquounanimiteacute qursquoil y a eu violation du volet mateacuteriel de lrsquoarticle 3 de la Convention 4 Dit agrave lrsquounanimiteacute qursquoil y a eu violation du volet proceacutedural de lrsquoarticle 3 de la Convention 5 Dit agrave lrsquounanimiteacute

1 que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans un deacutelai de trois mois agrave compter de la date agrave laquelle lrsquoarrecirct sera devenu deacutefinitif conformeacutement agrave lrsquoarticle 44 sect 2 de la Convention les sommes suivantes

1 15 000 EUR (quinze mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc sur cette somme agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral

2 8 000 EUR (huit mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc sur cette somme par le requeacuterant agrave titre drsquoimpocirct pour frais et deacutepens

2 qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage

6 Rejette par quatre voix contre trois le surplus de la demande de satisfaction eacutequitable Opinion en partie dissidente commune aux juges Pinto de Albuquerque Serghides et Schembri Orland Les juges Pinto de Albuquerque Serghides et Schembri Orland considegraverent que les faits de la cause reacutevegravelent une violation flagrante du volet mateacuteriel de lrsquoarticle 2 de le Convention ainsi que de son volet proceacutedural En premier lieu ils relegravevent que le juge drsquoinstruction avait connaissance du risque reacuteel et immeacutediat que le requeacuterant attentacirct agrave sa vie ainsi que de la fragiliteacute psychologique de lrsquointeacuteresseacute Pourtant il nrsquoa pas ordonneacute sa mise en observation dans lrsquoannexe psychiatrique drsquoun centre peacutenitentiaire Par conseacutequent ils ont exprimeacute leur deacutesaccord avec lrsquoargument de la majoriteacute des juges selon lequel laquo [l]a Cour rappelle qursquoil ne lui appartient pas de connaicirctre des erreurs de fait ou de droit preacutetendument commises par une juridiction interne sauf si et dans la mesure ougrave elles pourraient avoir porteacute atteinte aux droits et liberteacutes sauvegardeacutes par la Convention () Il nrsquoincombe pas agrave la Cour de deacutecider si le juge drsquoinstruction aurait ducirc prendre une autre deacutecision celui-ci eacutetant mieux placeacute que la Cour pour prendre une deacutecision quant au lieu et aux conditions dans lesquelles la deacutetention du requeacuterant devait avoir lieu compte tenu de son eacutetat de santeacute mentale raquo (sect 104 de lrsquoarrecirct) Selon eux il srsquoagissait preacuteciseacutement drsquoune situation qui appelait pareille mesure exceptionnelle compte tenu de la fragiliteacute du requeacuterant En effet ils considegraverent que la grave erreur de fait commise par le juge drsquoinstruction a menaceacute le droit agrave la vie du requeacuterant En deuxiegraveme lieu les autoriteacutes peacutenitentiaires avaient eacutegalement eacuteteacute informeacutees de ce risque par un message qui leur avait eacuteteacute adresseacute par teacuteleacutecopie par le juge drsquoinstruction lui-mecircme Les juges Pinto de Albuquerque Serghides et Schembri Orland considegraverent qursquoelles nrsquoont pourtant pas pris les mesures de preacutecaution de base qui srsquoimposent en pareille situation comme priver le requeacuterant de sa ceinture et de son slip et allant mecircme jusqursquoagrave laisser un couteau agrave porteacutee de sa main De plus elles nrsquoont mecircme pas informeacute le juge drsquoinstruction des trois tentatives de suicide du requeacuterant alors qursquoelles y eacutetaient expresseacutement tenues par la loi Selon les juges non seulement elles nrsquoont pas pris les mesures preacuteventives qui srsquoimposaient pour atteacutenuer le risque de suicide mais elles ont aussi contribueacute agrave aggraver lrsquoeacutetat de fragiliteacute dans lequel le requeacuterant se trouvait en le placcedilant temporairement en cellule drsquoisolement nu lors de chacune de ses peacuteriodes drsquoincarceacuteration allant mecircme jusqursquoagrave lui infliger une sanction disciplinaire agrave sa sortie de la cellule drsquoisolement lors de sa deuxiegraveme peacuteriode drsquoincarceacuteration Les juges concluent que cette conduite deacutenote une absence totale de compassion agrave lrsquoeacutegard drsquoun deacutetenu particuliegraverement vulneacuterable pour lequel une approche totalement diffeacuterente eacutetait neacutecessaire (Cour EDH Renolde c France 16 octobre 2008 no 560805 sect 83) Finalement les juges relegravevent que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute vu par un psychiatre agrave son arriveacutee au centre de deacutetention Selon le Gouvernement le requeacuterant a eacuteteacute vu par un psychiatre apregraves seulement dix jours de deacutetention Le requeacuterant conteste cette affirmation Neacuteanmoins les juges considegraverent que mecircme si lrsquoaffirmation du gouvernement eacutetait vraie cela ne lrsquoexonegravererait pas de ses obligations qui deacutecoulent de la Convention compte tenu de la ligne jurisprudentielle claire adopteacutee par la Cour EDH Les juges Pinto de Albuquerque Serghides et Schembri Orland relegravevent eacutegalement que au paragraphe 109 la majoriteacute cite lrsquoarrecirct Rupa c Roumanie (ndeg 1) (Cour EDH 16 deacutecembre 2008 no 5847800) qui est ainsi libelleacute en son paragraphe 170 laquo En bref la Cour considegravere que compte tenu des anteacuteceacutedents meacutedicaux du requeacuterant de ses troubles comportementaux qui se sont manifesteacutes tout de suite apregraves

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son placement en deacutetention provisoire et qui auraient pu mettre en danger la propre personne de lrsquointeacuteresseacute il appartenait aux autoriteacutes de le faire aussitocirct examiner par un meacutedecin psychiatre afin de deacuteterminer la compatibiliteacute de son eacutetat psychologique avec la deacutetention ainsi que les mesures theacuterapeutiques agrave prendre dans son cas preacutecis raquo Ils notent que lrsquoadverbe laquo aussitocirct raquo nrsquoapparaicirct pas dans la citation de lrsquoarrecirct Rupa qui figure au paragraphe 109 de lrsquoarrecirct Par conseacutequence ils expriment leur deacutesaccord avec la majoriteacute lorsqursquoelle conclut au paragraphe 76 de lrsquoarrecirct que les autoriteacutes internes avaient certes connaissance des tendances suicidaires du requeacuterant mais qursquoelles ne pouvaient pas mettre en place degraves le deacutebut de sa premiegravere peacuteriode drsquoincarceacuteration des mesures preacuteventives visant agrave eacuteviter tout risque de suicide

Cour EDH (quatriegraveme section) Andreea-Marusia DumitruRoumanie 31 mars 2020 ndeg963716

Reacutesumeacute Dans le cadre drsquoune violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 2 de la Convention sur le droit agrave la vie la Cour EDH a pu juger que dans le contexte drsquoabsence de regraveglementation preacutecise sur lrsquousage des armes agrave feu et de deacutefaillances dans la preacuteparation de lrsquoopeacuteration de police le fonctionnaire de police en cause nrsquoavait pas pris les preacutecautions suffisantes pour preacuteserver la vie des personnes De plus la Cour EDH preacutecise que lrsquoenquecircte meneacutee dans le cadre de la proceacutedure engageacutee relativement agrave une opeacuteration de police ne peut pas ser pour avoir eacuteteacute rapide et effective lorsque le jugement deacutefinitif qui en deacutecoule est rendu plus de neuf ans et trois mois apregraves les faits La requeacuterante Andreea-Marusia Dumitru est une ressortissante roumaine neacutee en 1990 et reacutesidant agrave Bujoru Le 8 novembre 2005 la requeacuterante et sa megravere voulant rentrer chez elles deacutecidegraverent de traverser une gare de trains de marchandises En franchissant la plate-forme drsquoun wagon la requeacuterante a eacuteteacute blesseacutee par un tire drsquoarme agrave feu Le Gouvernement soutient que le jour mecircme les forces de lrsquoordres avaient eacuteteacute informeacutees du fait qursquoun groupe drsquoindividus drsquoorigine rom allaient voler de la ferraille dans un train de fret stationneacute agrave la gare de marchandises Deux fonctionnaires de police se rendirent sur les lieux accompagneacutes par deux gardiens afin de disperser le groupe et reacutetablir lrsquoordre Selon eux plusieurs individus refusegraverent drsquoobeacuteir et commencegraverent agrave jeter des pierres et des objets meacutetalliques dans leur direction Un des agents tira un coup de feu apregraves avoir effectueacute les sommations leacutegales en direction du groupe pour se deacutefendre La requeacuterante a eacuteteacute conduite agrave lrsquohocircpital et fut opeacutereacutee drsquourgence Entre 2006 et 2007 elle fut hospitaliseacutee plusieurs fois des suites de ses blessures et elle garda une invaliditeacute permanente du fait de lrsquoablation partielle de son foie Le 8 novembre 2005 le bureau de police ouvrit une enquecircte visant la requeacuterante des chefs de tentative de vol et drsquoentreacutee illeacutegale dans la zone de seacutecuriteacute des installations ferroviaires Le 2 feacutevrier 2010 la direction reacutegionale de la police des transports mit en accusation la requeacuterante pour ces mecircmes chefs Le 3 juillet 2012 le parquet infirma lrsquoacte drsquoaccusation au motif qursquoaucun eacuteleacutement du dossier ne corroborait la tentative de vol et que mecircme si la requeacuterante avait reconnu avoir traverseacute les voies de chemin de fer dans une zone interdite les faits nrsquoeacutetant pas suffisamment graves pour entraicircner une sanction peacutenale Le 1er aoucirct 2006 la requeacuterante a porteacute plainte du chef de tentative de meurtre Le 4 aoucirct 2009 le parquet pregraves le tribunal de Bucarest a rendu un non-lieu au motif que le policier en cause avait agi en eacutetat de leacutegitime deacutefense Le requeacuterante formula une contestation contre ce non-lieu en deacutenonccedilant le caractegravere superficielle de lrsquoenquecircte Par un arrecirct du 28 juin 2010 la Cour drsquoappel de Bucarest a accueilli la contestation et a ordonneacute la reacuteouverture de lrsquoenquecircte Le 21 juillet 2010 le dossier fut transfeacutereacute au parquet pregraves la Haute Cour de cassation du fait de

Art 2 (mateacuteriel) bull Recours agrave la force bull Blessures potentiellement mortelles causeacutees par les tirs de policiers pour arrecircter une tentative de vol bull Reacuteglementation impreacutecise sur lrsquousage des armes agrave feu bull Absence de recommandation sur la preacuteparation et le controcircle des opeacuterations de police bull Deacutefaillance dans la preacuteparation de lrsquointervention malgreacute sa preacutevisibiliteacute bull Absence de formation au maniement des armes agrave balles agrave caoutchouc Art 2 (proceacutedural) bull Enquecircte inefficace sur les circonstances des blessures subies deacutebuteacutee agrave la seule initiative de la victime et plus de huit mois apregraves les eacuteveacutenements bull Gestion non rigoureuse des preuves et de leur conservation bull Expertises pertinentes effectueacutees plus de trois et cinq ans apregraves les faits bull Absence de ceacuteleacuteriteacute de la proceacutedure ayant dureacute plus de neuf ans

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lrsquoancienneteacute du dossier parce que les suspects sont des fonctionnaires de police et pour eacuteviter des soupccedilons sur lrsquoimpartialiteacute du parquet Par ordonnance du 31 juillet 2014 le parquet pregraves la Haute Cour mit fin agrave lrsquoenquecircte et classa la plainte en estimant que lrsquoagent de police en cause avait fait usage de lrsquoarme agrave feu en eacutetat de leacutegitime deacutefense dans le cadre drsquoune mission de reacutetablissement de lrsquoordre public La requeacuterante forma une contestation contre lrsquoordonnance du parquet pregraves la Haute Cour Par un jugement deacutefinitif du 25 feacutevrier 2015 le tribunal de premiegravere instance de Bucarest rejeta cette contestation En conseacutequence la requeacuterante saisie la Cour EDH le 11 feacutevrier 2016

1 Sur la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 2 de la Convention La requeacuterante srsquoest plainte drsquoune part drsquoavoir eacuteteacute blesseacutee par un fonctionnaire de police dans des circonstances qui ne sont pas compatibles avec les exigences mateacuterielles de lrsquoarticle 2 de la Convention et drsquoautre part que lrsquoenquecircte ouverte nrsquoa pas eacuteteacute conforme aux obligations proceacutedurales de lrsquoEacutetat deacutefendeur au titre du mecircme article

o Sur la recevabiliteacute La Cour EDH rappelle devoir examiner drsquooffice sa compeacutetence ratione materiae srsquoagissant de lrsquoapplication de lrsquoarticle 2 de la Convention La Cour EDH considegravere que la requeacuterante a eacuteteacute victime drsquoun comportement qui a mis sa vie en danger mecircme si elle a finalement surveacutecu De fait lrsquoarticle 2 de la Convention trouve agrave srsquoappliquer en lrsquoespegravece (mutatis mutandis Soare et autres c Roumanie ndeg2432902 sect 109 22 feacutevrier 2011)

o Sur le fond Srsquoagissant du volet mateacuteriel la Cour EDH renvoie aux arrecircts McCann et autres c Royaume-Uni (27 septembre 1995 sectsect 146-150 ndeg1898491) Makaratzis c Gregravece ([GC] ndeg5038599 sectsect 56-60) et Giuliani et Gaggio c Italie ([GC] ndeg2345802 sectsect 174-182) qui exposent lrsquoensemble des principes geacuteneacuteraux deacutegageacutes dans sa jurisprudence sur le recours agrave la force meurtriegravere Si la Cour EDH estime que le recours des policiers agrave la force meurtriegravere peut ecirctre justifieacute dans certaines circonstances le non-encadrement par des regravegles et lrsquoabandon arbitraire de lrsquoaction des agents de lrsquoEacutetat sont incompatibles avec un respect effectif de lrsquoarticle 2 de la Convention Les opeacuterations de police doivent ecirctre reacuteglementeacutees par le droit national dans le cadre drsquoun systegraveme de garanties adeacutequates et effectives contre lrsquoarbitraire et lrsquoabus de la force et mecircme contre les accidents eacutevitables (sect 86) A ce titre la Cour EDH doit prendre en consideacuteration non seulement les actes des agents de lrsquoEacutetat ayant eu recours agrave la force mais eacutegalement lrsquoensemble des circonstances de lrsquoaffaire un cadre juridique et administratif doit deacutefinir les conditions limiteacutees dans lesquelles les agents de lrsquoEacutetat peuvent recourir agrave la force et faire usage drsquoarmes agrave feu (Gheorghe Cobzaru c Roumanie ndeg697808 sect 47 25 juin 2013) Lorsque la force meurtriegravere est employeacutee par les autoriteacutes dans une opeacuteration de police il est difficile de seacuteparer les obligations neacutegatives des obligations positives que fait peser la Convention sur lrsquoEacutetat Ainsi il en revient agrave la Cour EDH drsquoexaminer si les autoriteacutes ont planifieacute et controcircleacute lrsquoopeacuteration de police de maniegravere agrave reacuteduire au minimum le recours agrave la force meurtriegravere et les pertes humaines et si toutes les preacutecautions en leur pouvoir dans le choix des moyens et meacutethodes drsquoune opeacuteration de seacutecuriteacute ont eacuteteacute prises (Finogenov et autres c Russie ndeg1829903 et 2731103 sect 208)

o Cadre leacutegal relatif agrave lrsquousage des armes agrave feu et la preacuteparation de lrsquoopeacuteration de police La Cour EDH a deacutejagrave jugeacute que le cadre leacutegislatif roumain regraveglementant lrsquousage des armes agrave feu et des munitions nrsquoeacutetait pas suffisant pour offrir le niveau de protection du droit agrave la vie laquo par la loi raquo requis dans les socieacuteteacutes deacutemocratiques contemporaines en Europe (Soare et autres c Roumanie ndeg2432902 sect 132 Gheorghe Cobzaru c Roumanie ndeg697808sect 48) Les dispositions internes en cause dans les arrecircts susmentionneacutes toujours en vigueur agrave lrsquoeacutepoque des faits en lrsquoespegravece et nrsquoayant subi de modifications significatives la Cour EDH conclut que la leacutegislation nationale ne

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contenait aucune disposition regraveglementant lrsquousage des armes agrave feu dans le cadre drsquoune opeacuteration de police et qursquoelle ne comportait aucune recommandation concernant la preacuteparation et le controcircle des opeacuterations en cause Ainsi la Cour EDH juge que les autoriteacutes roumaines nrsquoont pas fait tout ce que lrsquoon pouvait raisonnablement attendre drsquoelles pour reacuteduire au minimum le recours agrave la force meurtriegravere et les eacuteventuelles pertes humaines

o Les actions du fonctionnaire de police en cause

La Cour EDH eacutetant confronteacutee agrave des versions divergentes des faits elle rappelle qursquoelle nrsquoest pas lieacutee par les constatations des juridictions internes et demeure libre de se livrer agrave sa propre appreacuteciation agrave la lumiegravere des eacuteleacutements dont elle dispose (Iambor c Roumanie ndeg6453601 sect 166 24 juin 2008) De plus elle rappelle que lorsqursquoil est reprocheacute aux agents de lrsquoEacutetat drsquoavoir fait usage drsquoune force potentiellement meurtriegravere en violation de lrsquoarticle 2 sect2 de la Convention il incombe au gouvernement deacutefendeur drsquoeacutetablir que la force en question nrsquoest pas alleacutee au-delagrave de ce qui eacutetait absolument neacutecessaire et qursquoelle eacutetait strictement proportionneacutee agrave lrsquoun des buts autoriseacutes par cette disposition (sect 106) En lrsquoespegravece la Cour EDH considegravere que les lacunes de lrsquoenquecircte lrsquoempecircchent de porter sur les faits de la cause une appreacuteciation fondeacutee sur les seules constatations opeacutereacutees par les autoriteacutes nationales Les omissions imputables aux autoriteacutes nationales ont conduit la Cour EDH agrave rejeter la thegravese selon laquelle les blessures de la requeacuterante ont eacuteteacute provoqueacutees accidentellement par lrsquoaction en leacutegitime deacutefense du fonctionnaire de police en cause A ce titre la Cour EDH juge que le Gouvernement nrsquoa pas prouveacute que lrsquousage de la force eacutetait absolument neacutecessaire au sens de lrsquoarticle 2 sect2 de la Convention et qursquoil y a eu violation de cette disposition sous son volet mateacuteriel Srsquoagissant du volet proceacutedural la Cour EDH rappelle qursquoau titre de son obligation de proteacuteger le droit agrave la vie lrsquoEacutetat doit srsquoassurer qursquoil dispose dans les cas de deacutecegraves ou de blessures physiques potentiellement mortelles drsquoun systegraveme judiciaire effectif et indeacutependant lui permettant agrave bref deacutelai drsquoeacutetablir les faits de contraindre les responsables agrave rendre des comptes et de fournir aux victimes une reacuteparation adeacutequate (Nicolae Virgiliu Tănase c Roumanie [GC] n04172013 sect 157 25 juin 2019) La Cour EDH preacutecise que dans ces hypothegraveses une enquecircte officielle approprieacutee et effective doit ecirctre meneacutee Il srsquoagit drsquoune obligation de moyen en ce que les autoriteacutes doivent avoir pris les mesures qui leur eacutetaient raisonnablement accessibles afin de recueillir les preuves concernant lrsquoincident Toute carence de lrsquoenquecircte affaiblissant sa capaciteacute agrave conduire agrave lrsquoidentification de la ou des personnes responsables risque de faire conclure agrave son inadeacutequation (Ramsahai et autres c Pays-Bas [GC] ndeg5239199 sect 324) En lrsquoespegravece la Cour EDH juge que les lacunes dans lrsquoadministration des preuves corroboreacutees par la perte drsquoeacuteleacutements de preuve essentiels pour la recherche de la veacuteriteacute ont affecteacute le caractegravere adeacutequat de lrsquoenquecircte Au regard du deacutefaut drsquoindeacutependance et drsquoimpartialiteacute des enquecircteurs alleacutegueacute par la requeacuterante la Cour EDH reacuteitegravere que pour qursquoune enquecircte soit effective il est neacutecessaire que les personnes responsables de lrsquoenquecircte et celles effectuant les investigations soient indeacutependantes de celles impliqueacutees dans les eacutevegravenements (Oumlğur c Turquie [GC] ndeg2195493 sectsect 91-92) En lrsquoespegravece la Cour EDH estime que les investigations conduites sous lrsquoautoriteacute de parquet pregraves la Haute Cour ne posent pas de problegraveme de conformiteacute avec la Convention au regard de lrsquoindeacutependance et lrsquoimpartialiteacute requises Enfin srsquoagissant de la ceacuteleacuteriteacute de la proceacutedure la Cour EDH conclut que lrsquoenquecircte meneacutee ne peut passer pouvoir avoir eacuteteacute rapide et effective puisque plus de neuf ans et trois mois se sont eacutecouleacutes entre les faits survenus le 8 novembre 2005 et le jugement deacutefinitif du 25 feacutevrier 2015 Ainsi la Cour EDH juge qursquoil y a eu une violation de lrsquoarticle 2 de la Convention sous son volet proceacutedural

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2 Sur la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 6 de la Convention

Compte tenu de la reconnaissance de la violation de lrsquoarticle 2 de la Convention dans son volet proceacutedural la Cour EDH estime qursquoaucune question distincte ne se pose au regard de lrsquoarticle 6 sect1 de la Convention (mutatis mutandis Gheorghe Cobzaru c Roumanie ndeg697808sect 82) Par ces motifs la Cour EDH agrave lrsquounanimiteacute

1 Deacuteclare la requecircte recevable quant au grief tireacute de lrsquoarticle 2 de la Convention 2 Dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 2 de la Convention sous ses volets mateacuteriel et proceacutedural 3 Dit qursquoil nrsquoy a pas lieu drsquoexaminer la recevabiliteacute et le fond du grief formuleacute sur le terrain de

lrsquoarticle 6 de la Convention 4 Dit

a Que lrsquoEacutetat deacutefendeur soit verser agrave la requeacuterante dans un deacutelai de trois mois agrave compter de la date agrave laquelle lrsquoarrecirct sera devenu deacutefinitif conformeacutement agrave lrsquoarticle 44 sect2 de la Convention les sommes suivantes agrave convertir dans la monnaie de lrsquoEacutetat deacutefendeur au taux applicable agrave la date du regraveglement i 25 000 EUR (vingt-cinq mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc agrave titre drsquoimpocirct

pour dommage moral ii 3 270 EUR (trois mille deux cent soixante-dix euros) plus tout montant pouvant ecirctre

ducirc par la requeacuterante agrave titre drsquoimpocirct pour frais et deacutepens agrave verser sur le compte bancaire qui sera indiqueacute par son repreacutesentant

b Qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage

5 Rejette la demande de satisfaction eacutequitable pour le surplus

Cour EDH (cinquiegraveme section) Kukhalashvili et autres Geacuteorgie 2 avril 2020 ndeg 893807 et 4189107

Arrecirct rendu en anglais Reacutesumeacute Dans une affaire de reacutepression dune eacutemeute dans une prison geacuteorgienne ayant conduit agrave la mort de plusieurs deacutetenus la Cour EDH conclut que ces derniers ont succombeacute agrave une force meurtriegravere qui bien qursquoayant poursuivi des buts leacutegitimes viseacutes agrave lrsquoarticle 2 de la Convention ne peut ecirctre consideacutereacutee comme ayant eacuteteacute laquo absolument neacutecessaire raquo au sens de cette mecircme disposition En effet lrsquoopeacuteration antieacutemeute nrsquoa pas eacuteteacute meneacutee de maniegravere controcircleacutee et systeacutematique et les agents des services reacutepressifs nrsquoont pas reccedilu drsquoordres ou drsquoinstructions clairs qui auraient viseacute agrave limiter autant que possible le risque qursquoil y ait des victimes Les autoriteacutes nrsquoont pas envisageacute de recourir agrave des moyens moins violents pour faire face agrave un incident de seacutecuriteacute par exemple la neacutegociation pour reacutesoudre la crise

Art 2 (substantiel) bull Usage aveugle et excessif de la force meurtriegravere lors dopeacuterations antibulleacutemeutes en prison meneacutees de maniegravere incontrocircleacutee et non systeacutematique sans chaicircne de commandement claire Usage de la force meurtriegravere justifieacute par une violence illeacutegale et un risque dinsurrection bull Absence de prise en compte par les autoriteacutes de moyens moins violents ou de la possibiliteacute de neacutegociations bull Mauvaise le traitement et lusage disproportionneacute de la force persistant apregraves la fin de lopeacuteration bull Incapaciteacute des autoriteacutes agrave fournir une assistance meacutedicale adeacutequate bull Incapaciteacute du gouvernement agrave rendre compte de chacun des deacutecegraves pertinents bull la confiance de la Cour dans tous les documents disponibles y compris les rapports des ONG lorsquil est empecirccheacute deacutetablir des faits pour des raisons imputables agrave lEacutetat Art 2 (proceacutedure) bull Enquecircte compromise par un lancement tardif un manque dindeacutependance et dimpartialiteacute une participation insuffisante des proches du deacutefunt et des retards prohibitifs dans la proceacutedure

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Les requeacuterantes Sofio Kukhalashvili Marina Gordadze et Rusudan Chitashvili sont trois ressortissantes geacuteorgiennes neacutees respectivement en 1977 en 1956 et en 1938 Elles reacutesident en Geacuteorgie La premiegravere et la deuxiegraveme requeacuterante sont respectivement la sœur et la megravere de ZK et la troisiegraveme requeacuterante est la megravere de AB Les deux hommes ZK et AB eacutetaient deacutetenus agrave la prison ndeg5 de Tbilissi ougrave ils ont trouveacute la mort en mars 2006 lors drsquoune opeacuteration meneacutee par la police antieacutemeute Ils avaient respectivement 23 ans et 29 ans Lrsquoopeacuteration antieacutemeute eut lieu en reacuteaction agrave des troubles ayant eacuteclateacute apregraves que les autoriteacutes avaient extrait drsquoun hocircpital peacutenitentiaire six chefs de gang supposeacutes et leurs proches complices Le but des autoriteacutes avait eacuteteacute de reacuteduire lrsquoinfluence supposeacutee de ces chefs de gang dans le milieu carceacuteral mais lrsquoextraction de ceux-ci par la force avait deacuteclencheacute des troubles dans les prisons n os 1 et 5 proches des lieux Les autoriteacutes eurent recours agrave une brigade antieacutemeute afin drsquoendiguer les troubles particuliegraverement intenses qui reacutegnaient dans la prison ndeg5 Ces incidents causegraverent la mort de sept deacutetenus et firent 24 blesseacutes (22 deacutetenus et deux agents peacutenitentiaires) Par la suite les requeacuterantes obtinrent du parquet des documents relatifs au deacutecegraves de leurs proches indiquant que tous deux avaient eacuteteacute blesseacutes par balles Les procureurs indiquegraverent seacutepareacutement agrave chaque famille que la force meurtriegravere avait eacuteteacute utiliseacutee contre ZK et AB laquo dans un moment drsquoextrecircme urgence raquo Ils refusegraverent drsquoaccorder aux requeacuterantes la qualiteacute de partie civile dans les affaires relatives agrave la mort de leurs proches Les informations que le Gouvernement a soumises agrave la Cour EDH montrent notamment que les autoriteacutes ont meneacute des investigations sur lrsquoeacutemeute et sur lrsquousage de la force par la police Six deacutetenus ndash les preacutetendus chefs de gang et leurs proches complices ndash furent finalement inculpeacutes pour instigation de lrsquoeacutemeute et condamneacutes agrave des peines drsquoemprisonnement La juridiction du fond eacutetablit que des deacutetenus de la prison ndeg5 avaient jeteacute des morceaux de briques et de fer sur des agents peacutenitentiaires et que la brigade antieacutemeute avait riposteacute en utilisant des balles en caoutchouc Des deacutetenus avaient ensuite tireacute agrave lrsquoaide de pistolets Makarov et de pistolets agrave gaz et avaient reacutesisteacute jusqursquoagrave lrsquointervention drsquoagents peacutenitentiaires et des forces antieacutemeute Par ailleurs le parquet ouvrit des dossiers seacutepareacutes concernant drsquoune part un eacuteventuel abus de pouvoir commis par la police et les agents peacutenitentiaires du fait qursquoils avaient ouvert le feu lors de lrsquoeacutemeute et drsquoautre part drsquoeacuteventuels homicides sur les personnes de ZK et de AB Des mesures drsquoenquecircte furent adopteacutees dans la premiegravere affaire mais il nrsquoest pas certain qursquoil en aille de mecircme pour la seconde relative au deacutecegraves de ZK et de AB Invoquant lrsquoarticle 2 (droit agrave la vie) et lrsquoarticle 13 (droit agrave un recours effectif) les requeacuterantes alleacuteguaient que lrsquoEacutetat eacutetait responsable du deacutecegraves de leurs proches et que les autoriteacutes nrsquoavaient pas meneacute une enquecircte effective Les requecirctes ont eacuteteacute introduites aupregraves de la Cour EDH les 26 janvier et 14 aoucirct 2007 Au vu des similariteacutes de celles-ci la Cour EDH a deacutecideacute de les joindre Sur la violation alleacutegueacutee des articles 2 et 13 de la Convention

o Sur le volet proceacutedural de larticle 2 La Cour EDH examine tout drsquoabord les griefs des requeacuterantes du point de vue de lrsquoobligation incombant agrave lrsquoEacutetat de mener une enquecircte effective sur les homicides illeacutegaux ou deacutecegraves suspects (volet proceacutedural de lrsquoarticle 2 obligation denquecircter) et rappelle sa jurisprudence tregraves fournie en la matiegravere (sect129 agrave 131) Selon des informations fournies par le Gouvernement lrsquoenquecircte sur lrsquousage de la force par les services reacutepressifs agrave la prison nrsquoa deacutebuteacute qursquoen juin 2006 soit trois mois apregraves les faits ce qui pour la Cour EDH repreacutesente un deacutelai bien trop long eu eacutegard agrave lrsquoampleur des eacuteveacutenements et au risque qursquoapregraves un si long laps de temps les informations importantes ne puissent plus ecirctre recueillies (sect132) En outre les autoriteacutes ont dans un premier temps refuseacute drsquoouvrir une enquecircte seacutepareacutee sur le recours agrave une force supposeacutement disproportionneacutee estimant que cet aspect eacutetait deacutejagrave couvert par les mesures drsquoenquecircte adopteacutees lors de la proceacutedure peacutenale ayant viseacute les six instigateurs allegravegues de lrsquoeacutemeute Or cette enquecircte a eacuteteacute meneacutee par le service peacutenitentiaire crsquoest-agrave-dire lrsquoorgane mecircme qui avait organiseacute la riposte agrave lrsquoeacutemeute Par ailleurs cette enquecircte nrsquoa pas porteacute sur la planification de lrsquoopeacuteration ni sur lrsquoutilisation de la force physique ou meurtriegravere ayant tueacute ou blesseacute des deacutetenus Mecircme lorsque les autoriteacutes ont ouvert une enquecircte peacutenale distincte sur le recours agrave la force en juin 2006 les requeacuterants nrsquoy ont pas eacuteteacute associeacutes en tant que victimes ce qui les a priveacutes drsquoimportants droits proceacuteduraux La participation des familles de ZK et de AB et le droit de regard du public sur lrsquoenquecircte ont donc eacuteteacute pratiquement inexistants La Cour EDH rappelle dans son paragraphe 134 quun tel deacutelai prohibitif est en soi incompatible avec lobligation de lEtat en vertu de larticle 2 de la Convention de mener une enquecircte efficace sur les deacutecegraves suspects (voir entre autres les arrecircts Merkulovav c Ukraine ndeg2145404 3 mars 2011sect 51 Şandru

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et autres c Roumanie ndeg2246503 8 deacutecembre 2009 sectsect 73 et 77-80 et Mojsiejew c Pologne ndeg 1181802 24 mars 2009 sectsect 57-58) Enfin lrsquoenquecircte nrsquoa toujours pas abouti agrave des constats deacutefinitifs ce qui constitue un retard excessif incompatible avec les obligations qui deacutecoulent de lrsquoarticle 2 La Cour EDH conclut que lrsquoenquecircte peacutenale sur lrsquousage de la force par les services reacutepressifs semble avoir eacuteteacute ineffective eu eacutegard agrave son ouverture tardive agrave son deacutefaut drsquoindeacutependance et drsquoimpartialiteacute au deacutefaut drsquoassociation des proches et aux retards excessifs Il y a donc eu violation de lrsquoarticle 2 de la Convention sous son volet proceacutedural (sect135) Compte tenu de cette conclusion la Cour EDH juge qursquoaucune question distincte ne se pose sur le terrain de lrsquoarticle 13 de la Convention (sect136)

o Sur le volet mateacuteriel de larticle 2

La Cour EDH recherche ensuite si lrsquousage de la force meurtriegravere contre les proches des requeacuterantes eacutetait leacutegitime (volet mateacuteriel de lrsquoarticle 2) En effet en vertu de larticle 2 de la Convention le recours agrave la force meurtriegravere par les forces de seacutecuriteacute peut ecirctre justifieacute dans certaines circonstances Toutefois larticle 2 ne leur donne pas carte blanche Lutilisation des termes laquo absolument neacutecessaire raquo indique que la force utiliseacutee doit ecirctre strictement proportionneacutee aux objectifs mentionneacutes agrave larticle 2 sect 2 a) b) et c) (voir en ce sens Finogenov and Others c Russie ndeg1829903 et 2731103 20 deacutecembre 2011 sect 210 et Guumll c Turquie ndeg2267693 14 deacutecembre 2000 sectsect 77 et 78) (sect144) Nrsquoayant pas drsquoinformations directes sur les faits qui se sont produits agrave la prison la Cour EDH doit se reposer sur les constats opeacutereacutes au niveau interne Or les juridictions nrsquoont pas acheveacute lrsquoexamen de cette question du recours agrave la force et aucune enquecircte parlementaire nrsquoa eacuteteacute meneacutee ce que la Cour EDH juge regrettable compte tenu de lrsquoampleur des eacutevegravenements (sect148) La Cour EDH preacutecise dans ce mecircme paragraphe quil revenait donc au gouvernement deacutefendeur drsquoexpliquer de maniegravere satisfaisante et convaincante le deacuteroulement des faits et de produire des eacuteleacutements de preuve solides afin de reacutefuter les alleacutegations des requeacuterantes relatives agrave lrsquousage drsquoune force meurtriegravere disproportionneacutee par des agents de lrsquoEacutetat Si le Gouvernement nrsquoagit pas il revient la Cour EDH de tirer ses propres conclusions (voir en ce sens larrecirct Mansuroğlu c Turkey ndeg 4344398 26 feacutevrier 2008 sect 80) La Cour EDH rappelle quelle peut eacutegalement se servir de tous les eacuteleacutements dont elle dispose notamment de rapports drsquoorganisations de deacutefense des droits de lrsquohomme tels que ceux eacutetablis par Amnesty International et Human Rights Watch dans cette affaire Les conclusions factuelles auxquelles aboutit la Cour EDH doivent reposer sur le critegravere de la preuve laquo au-delagrave de tout doute raisonnable raquo Au vu des eacuteleacutements qui sont en sa possession la Cour EDH constate que la conduite des deacutetenus qui se sont barricadeacutes dans la prison ndeg5 et ont tireacute en direction des agents des forces de lrsquoordre au moment des troubles faisait penser agrave une tentative de soulegravevement La Cour EDH rappelle quelle est consciente de la violence qui regravegne dans les prisons et du risque que des actes violents se transforment rapidement en reacutesistance active contre les forces de lordre voire en insurrection (voir en ce sens Leyla Alp et autres v Turquie ndeg2967502 10 deacutecembre 2013sect 84 et İsmail Altun c Turquie ndeg2293202 21 septembre 2010 sect 73)Confronteacute agrave une violence illeacutegale et agrave un risque drsquoinsurrection lrsquoEacutetat deacutefendeur eacutetait donc fondeacute agrave recourir agrave des mesures impliquant une force potentiellement meurtriegravere pouvant ecirctre compatible avec les buts eacutenonceacutes agrave lrsquoarticle 2 sect 2 a (laquo pour assurer la deacutefense de toute personne contre la violence illeacutegale raquo et c (laquo pour reacuteprimer conformeacutement agrave la loi une eacutemeute ou une insurrection raquo) de la Convention Se pose toutefois la question de savoir si le recours agrave la force meurtriegravere eacutetait laquo absolument neacutecessaire raquo en particulier agrave la lumiegravere du nombre de personnes qui ont eacuteteacute tueacutees ou blesseacutees (sect152) Pour appreacutecier la proportionnaliteacute du recours agrave la force meurtriegravere la Cour EDH relegraveve que les autoriteacutes connaissaient le risque que les six chefs de gang supposeacutes et leurs complices provoquent des troubles agrave la prison lors de leur extraction Or la brigade antieacutemeute nrsquoavait pas reccedilu drsquoinstructions ou drsquoordres speacutecifiques quant agrave la forme et agrave lrsquointensiteacute drsquoune eacuteventuelle force meurtriegravere qui permettrait de limiter autant que possible le nombre de victimes potentielles Le Gouvernement nrsquoa pas non plus eacutetabli que la brigade antieacutemeute avait agi de maniegravere controcircleacutee et systeacutematique avec une chaine de commandement claire Selon les eacuteleacutements recueillis par Human Rights Watch les autoriteacutes ne savaient mecircme pas exactement qui eacutetait responsable de lrsquoopeacuteration (sect153)

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Selon la Cour EDH les autoriteacutes nrsquoauraient pas non plus penseacute agrave des mesures alternatives comme employer du gaz lacrymogegravene ou des canons agrave eau omission qui reacutesulte semble-t-il drsquoun deacutefaut de planification strateacutegique Par ailleurs la possibiliteacute drsquoatteacutenuer la crise en neacutegociant avec les deacutetenus barricadeacutes nrsquoa pas eacuteteacute suffisamment envisageacutee (voir en ce sens İsmail Altun citeacute sect 73) (sect154) La Cour EDH affirme dans son paragraphe suivant que les autoriteacutes nrsquoont pas fourni une assistance meacutedicale adeacutequate aux deacutetenus de la prison ndeg5 agrave lrsquoissue de lrsquoopeacuteration alors que de telles dispositions auraient ducirc ecirctre prises La Cour EDH relegraveve au mecircme paragraphe lrsquoexistence de comptes rendus fiables recueillis par des observateurs internes mais aussi internationaux (comme Human Rights Watch et Amnesty International) selon lesquels de nombreux deacutetenus se sont vu infliger des mauvais traitements par des agents des forces speacuteciales et se sont mecircme fait tirer dessus dans leurs cellules alors qursquoils nrsquoopposaient plus de reacutesistance Enfin ni les autoriteacutes nationales ni le gouvernement deacutefendeur nrsquoont fourni drsquoinformations sur le sort de ZK et celui de AB qui ont eacuteteacute tueacutes lors de lrsquoopeacuteration (sect156) Selon la Cour EDH ZK et AB ont succombeacute agrave une force meurtriegravere qui bien qursquoayant poursuivi des buts leacutegitimes viseacutes agrave lrsquoarticle 2 de la Convention ne peut ecirctre consideacutereacutee comme ayant eacuteteacute laquo absolument neacutecessaire raquo au sens de cette disposition La Cour EDH conclut ainsi que lrsquoopeacuteration anti-eacutemeute a emporteacute violation de lrsquoarticle 2 de la Convention sous son volet mateacuteriel (sect157) POUR CES RAISONS LA COUR Agrave LUNANIMITEacute

1 Deacutecide de joindre les demandes 2 Joint au fond lobjection du gouvernement concernant le caractegravere preacutematureacute des demandes et deacuteclare les demandes recevables 3 Dit que lexception preacuteciteacutee du Gouvernement doit ecirctre rejeteacutee et quil y a eu violation de larticle 2 de la Convention tant sur le plan de la proceacutedure que sur celui du fond 4 Dit quil ny a pas lieu dexaminer le grief au titre de larticle 13 de la Convention 5 Dit

a) que lEacutetat deacutefendeur doit verser aux requeacuterants dans un deacutelai de trois mois agrave compter de la date agrave laquelle le jugement devient deacutefinitif conformeacutement agrave larticle 44 sect 2 de la Convention les montants suivants agrave convertir dans la monnaie de lEacutetat deacutefendeur au taux applicable agrave la date du regraveglement

i) 40000 EUR (quarante mille euros) aux premier et deuxiegraveme requeacuterants conjointement et 32000 EUR (trente-deux mille euros) au troisiegraveme requeacuterant plus tout impocirct eacuteventuellement exigible au titre du preacutejudice moral ii) 5 400 (cinq mille quatre cents euros) euros pour le premier et deuxiegraveme requeacuterant conjointement et 3 400 (trois mille quatre cents euros) euros pour le troisiegraveme requeacuterant plus toute taxe qui pourrait leur ecirctre imputeacutee au titre des frais et deacutepens

b) quagrave compter de lexpiration des trois mois susmentionneacutes et jusquau regraveglement des inteacuterecircts simples seront dus sur les montants susmentionneacutes agrave un taux eacutegal au taux de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne pendant la peacuteriode de carence majoreacute de trois points de pourcentage

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Egaliteacute de traitement

Cour de justice (grande chambre) NH Associazione Avvocatura per i diritti LGBTI ndash Rete Lenford 23 avril 2020 C-50718

Reacutesumeacute En reacuteponse agrave des questions preacutejudicielles de la Cour de cassation italienne la Cour de justice estime drsquoune part que des

deacuteclarations insinuant une politique de recrutement homophobe relegravevent de la notion de laquo conditions drsquoaccegraves agrave lrsquoemploi ou au travail raquo

degraves lors qursquoil existe un lien non hypotheacutetique entre ces deacuteclarations et la politique de recrutement de lrsquoemployeur Drsquoautre part elle a

conclu que le droit national peut preacutevoir qursquoune association a le droit drsquoagir en justice pour assurer le respect des obligations de la

directive 200078 mecircme si aucune personne leacuteseacutee nrsquoest identifiable

NH est un avocat et lrsquoAssociazione une association drsquoavocats deacutefendant en justice les droits des personnes

LGBTI LrsquoAssociazione a attrait NH en justice en raison du fait qursquoil avait tenu des propos constituant un

comportement discriminatoire fondeacute sur lrsquoorientation sexuelle des travailleurs NH a deacuteclareacute lors drsquoune eacutemission

radiophonique ne pas vouloir recruter ni faire travailler de personnes homosexuelles dans son cabinet drsquoavocats

Le Tribunal de Bergame a condamneacute NH par une ordonnance du 6 aoucirct 2014 La Cour drsquoappel de Brescia a

rejeteacute le recours introduit par NH NH srsquoest pourvu en cassation et allegravegue que lrsquoAssociazione nrsquoa pas la qualiteacute

pour agir et qursquoil a exprimeacute une opinion concernant la profession drsquoavocat non pas en se preacutesentant en qualiteacute

drsquoemployeur mais en tant que simple citoyen et que les deacuteclarations litigieuses eacutetaient deacutetacheacutees de tout contexte

professionnel effectif

La Cour de Cassation a deacutecideacute de surseoir agrave statuer et de poser agrave la Cour de justice les questions preacutejudicielles

suivantes

laquo 1) Lrsquoarticle 9 de la directive [200078] doit-il ecirctre interpreacuteteacute en ce sens qursquoune association composeacutee

drsquoavocats speacutecialiseacutes dans la deacutefense en justice drsquoune cateacutegorie de personnes ayant une orientation

sexuelle diffeacuterente et qui a pour objectif aux termes de ses statuts de promouvoir la culture et le respect

des droits de cette cateacutegorie est automatiquement porteuse drsquoun inteacuterecirct collectif et constitue une

association de tendance ou de conviction sans but lucratif ayant qualiteacute pour agir en justice y compris

en reacuteparation lorsque se produisent des faits jugeacutes discriminatoires contre cette cateacutegorie de personnes

2) Les articles 2 et 3 de la directive [200078] doivent-ils ecirctre interpreacuteteacutes en ce sens que le champ

drsquoapplication du reacutegime de lutte contre la discrimination que preacutevoit cette directive couvre lrsquoexpression

drsquoune opinion contraire agrave la cateacutegorie des personnes homosexuelles faite lors drsquoun entretien dans le

cadre drsquoune eacutemission radiophonique de divertissement dans laquelle la personne interrogeacutee a deacuteclareacute

que jamais elle ne recruterait ni ne ferait travailler ces personnes dans son cabinet [drsquoavocats] alors

mecircme qursquoaucune proceacutedure de recrutement nrsquoaurait eacuteteacute en cours ni nrsquoaurait eacuteteacute programmeacutee par cette

personne raquo

o Sur la seconde question

Il convient drsquoexaminer en premier lieu si les deacuteclarations effectueacutees au cours drsquoune eacutemission audiovisuelle par

NH relegravevent du champ drsquoapplication mateacuteriel de la directive 200078 en ce que celle-ci vise agrave son article 3

paragraphe 1 sous a) les laquo conditions drsquoaccegraves agrave lrsquoemploi [hellip] ou au travail y compris les critegraveres de seacutelection et

les conditions de recrutement raquo

Renvoi preacutejudiciel ndash Eacutegaliteacute de traitement en matiegravere drsquoemploi et de travail ndash Directive 200078CE ndash Article 3 paragraphe 1 sous a) article 8 paragraphe 1 et article 9 paragraphe 2 ndash Interdiction des discriminations fondeacutees sur lrsquoorientation sexuelle ndash Conditions drsquoaccegraves agrave lrsquoemploi ou au travail ndash Notion ndash Deacuteclarations publiques excluant le recrutement de personnes homosexuelles ndash Article 11 paragraphe 1 article 15 paragraphe 1 et article 21 paragraphe 1 de la charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne ndash Deacutefense des droits ndash Sanctions ndash Personne morale repreacutesentative drsquoun inteacuterecirct collectif ndash Qualiteacute pour agir en justice sans agir au nom drsquoun plaignant deacutetermineacute ou en lrsquoabsence de personne leacuteseacutee ndash Droit drsquoobtenir reacuteparation

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La Cour de justice note que cette directive ne renvoie pas au droit des Eacutetats membres pour deacutefinir la notion de

laquo conditions drsquoaccegraves agrave lrsquoemploi [hellip] ou au travail raquo Ces termes doivent donc ecirctre interpreacuteteacutes conformeacutement agrave leur

sens habituel dans le langage courant tout en tenant compte du contexte dans lequel ils sont utiliseacutes et des

objectifs poursuivis par la reacuteglementation dont ils font partie En lrsquoespegravece les termes de lrsquoarticle 3 de la directive

200078 visent des circonstances ou des faits dont lrsquoexistence doit impeacuterativement ecirctre eacutetablie pour qursquoune

personne puisse obtenir un emploi ou un travail donneacute Les termes ne permettant pas agrave eux seuls de deacuteterminer

si les deacuteclarations litigieuses relegravevent du champ drsquoapplication mateacuteriel de cette directive la Cour de justice estime

qursquoil faut srsquointerroger sur le contexte dans lequel srsquoinscrit lrsquoarticle 3 et sur les objectifs de la directive preacuteciteacutee La

directive a eacuteteacute prise sur le fondement de lrsquoarticle 19 paragraphe 1 TFUE lequel confegravere agrave lrsquoUnion une

compeacutetence pour prendre les mesures neacutecessaires en vue de combattre toute discrimination fondeacutee notamment

sur lrsquoorientation sexuelle Lrsquoobjectif de la directive 200078 est drsquoeacutetablir un cadre geacuteneacuteral pour lutter contre la

discrimination fondeacutee sur lrsquoorientation sexuelle en ce qui concerne lrsquoemploi et le travail afin de mettre en œuvre

le principe de lrsquoeacutegaliteacute de traitement dans les Eacutetats membres La Cour de justice rappelle que la directive 200078

concreacutetise ainsi dans le domaine qursquoelle couvre le principe geacuteneacuteral de non-discrimination deacutesormais consacreacute agrave

lrsquoarticle 21 de la Charte europeacuteenne des droits fondamentaux Ainsi la Cour de justice estime que la notion de

laquo conditions drsquoaccegraves agrave lrsquoemploi ou au travail raquo ne saurait faire lrsquoobjet drsquoune interpreacutetation restrictive

Pour que des deacuteclarations relegravevent du champ drsquoapplication mateacuterielle de la directive preacuteciteacutee il faut qursquoelles

puissent ecirctre effectivement rattacheacutees agrave la politique de recrutement drsquoun employeur donneacute ce qui impose que le

lien qursquoelles preacutesentent avec les conditions drsquoaccegraves agrave lrsquoemploi ou au travail aupregraves de cet employeur ne soit pas

hypotheacutetique Afin drsquoappreacutecier lrsquoexistence drsquoun tel lien sont pertinents le statut de lrsquoauteur des deacuteclarations et la

qualiteacute dans laquelle il srsquoest exprimeacute lesquels doivent eacutetablir srsquoil est un employeur potentiel ou capable drsquoexercer

une influence deacuteterminante sur la politique drsquoembauche Sont pertinents deuxiegravemement la nature et le contenu

des deacuteclarations concerneacutees Troisiegravemement doit ecirctre pris en consideacuteration le contexte dans lequel les

deacuteclarations en cause ont eacuteteacute effectueacutees

Finalement la Cour de justice estime que cette interpreacutetation de la directive ne saurait ecirctre infirmeacutee par lrsquoeacuteventuelle

limitation agrave lrsquoexercice de la liberteacute drsquoexpression qursquoelle pourrait entraicircner Elle rappelle que la liberteacute drsquoexpression

est un droit fondamental de lrsquoUnion europeacuteenne mais qursquoelle nrsquoest pas un droit absolu et son exercice peut

comporter des limitations si elles sont preacutevues par la loi et respectent le contenu essentiel de ce droit ainsi que

le principe de proportionnaliteacute Or comme lrsquoavocate geacuteneacuterale lrsquoa releveacute dans ses conclusions tel est le cas en

lrsquooccurrence

Par suite la Cour de justice estime que la notion de laquo conditions drsquoaccegraves agrave lrsquoemploi [hellip] ou au travail raquo doit ecirctre

interpreacuteteacutee en ce sens que relegravevent de cette notion les deacuteclarations litigieuses agrave condition que le lien entre ces

deacuteclarations et les conditions drsquoaccegraves agrave lrsquoemploi ou au travail au sein de cette entreprise ne soit hypotheacutetique

o Sur la premiegravere question

Lrsquoarticle 9 paragraphe 2 de la directive 200078 dispose que les Eacutetats membres veillent agrave ce que les associations

organisations ou les personnes morales qui ont un inteacuterecirct leacutegitime agrave assurer que les dispositions de cette directive

sont respecteacutees puissent engager toute proceacutedure judiciaire et ou administrative preacutevue pour faire respecter les

obligations de la directive Lrsquoarticle 8 paragraphe 1 de la directive 200078 preacutevoit que les Eacutetats membres

peuvent adopter ou maintenir des dispositions plus favorables agrave la protection du principe de lrsquoeacutegaliteacute de traitement

que celles preacutevues dans cette directive Ainsi la Cour de justice a jugeacute que lrsquoarticle 9 de la directive 200078 ne

srsquooppose pas agrave ce qursquoun Eacutetat membre preacutevoie le droit pour les associations ayant un inteacuterecirct leacutegitime agrave faire assurer

le respect de cette directive drsquoengager des proceacutedures juridictionnelles ou administratives visant agrave faire respecter

les obligations deacutecoulant de celle-ci sans agir au nom drsquoun plaignant deacutetermineacute ou en lrsquoabsence de plaignant

identifiable

Par suite la Cour de justice estime que la directive 200078 ne srsquooppose pas agrave une reacuteglementation nationale en

vertu de laquelle une association dont lrsquoobjet consiste agrave deacutefendre en justice les personnes ayant une certaine

orientation sexuelle a automatiquement qualiteacute pour engager une proceacutedure juridictionnelle visant agrave faire

respecter les obligations deacutecoulant de cette directive lorsque se produisent des faits susceptibles de constituer une

discrimination agrave lrsquoencontre de ladite cateacutegorie de personnes et qursquoune personne leacuteseacutee nrsquoest pas identifiable

Par ces motifs la Cour de justice (grande chambre) dit pour droit

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1) La notion de laquo conditions drsquoaccegraves agrave lrsquoemploi [] ou au travail raquo contenue dans lrsquoarticle 3 paragraphe

1 sous a) de la directive 200078CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant creacuteation drsquoun cadre

geacuteneacuteral en faveur de lrsquoeacutegaliteacute de traitement en matiegravere drsquoemploi et de travail doit ecirctre interpreacuteteacutee en ce

sens que relegravevent de cette notion des deacuteclarations effectueacutees par une personne au cours drsquoune eacutemission

audiovisuelle selon lesquelles jamais elle ne recruterait ni ne ferait travailler de personnes drsquoune certaine

orientation sexuelle dans son entreprise et ce alors qursquoaucune proceacutedure de recrutement nrsquoeacutetait en cours

ou programmeacutee agrave condition que le lien entre ces deacuteclarations et les conditions drsquoaccegraves agrave lrsquoemploi ou au

travail au sein de cette entreprise ne soit pas hypotheacutetique

2) La directive 200078 doit ecirctre interpreacuteteacutee en ce sens qursquoelle ne srsquooppose pas agrave une reacuteglementation

nationale en vertu de laquelle une association drsquoavocats dont lrsquoobjet statutaire consiste agrave deacutefendre en

justice les personnes ayant notamment une certaine orientation sexuelle et agrave promouvoir la culture et le

respect des droits de cette cateacutegorie de personnes a du fait de cet objet et indeacutependamment de son but

lucratif eacuteventuel automatiquement qualiteacute pour engager une proceacutedure juridictionnelle visant agrave faire

respecter les obligations deacutecoulant de cette directive et le cas eacutecheacuteant obtenir reacuteparation lorsque se

produisent des faits susceptibles de constituer une discrimination au sens de ladite directive agrave

lrsquoencontre de ladite cateacutegorie de personnes et qursquoune personne leacuteseacutee nrsquoest pas identifiable

Indeacutependance de la justice

Ordonnance de la Cour de justice (grande chambre) du 8 avril 2020 dans lrsquoaffaire Reacutepublique de Pologne Commission europeacuteenne C-79119 R

Reacutesumeacute La Commission europeacuteenne a saisi la Cour de justice afin que celle-ci ordonne la suspension des dispositions de la leacutegislation

nationale qui donne la compeacutetence agrave la chambre disciplinaire de juger des affaires disciplinaires concernant les juges polonais La Cour

de justice reacutepond positivement agrave la demande de la Commission europeacuteenne en justifiant que ces dispositions porteraient atteinte agrave

lrsquoindeacutependance de la justice et ainsi seraient contraires agrave lrsquoEtat de droit et au droit de lrsquoUnion

Estimant que la Reacutepublique de Pologne avait manqueacute en adoptant le nouveau reacutegime disciplinaire des juges de

la Cour suprecircme et des juridictions de droit commun aux obligations lui incombant en vertu du droit de lrsquoUnion

la Commission europeacuteenne a le 3 avril 2019 adresseacute une lettre de mise en demeure agrave cet Eacutetat Dans une lettre

du 1er juin 2019 la Reacutepublique de Pologne a contesteacute toute violation du droit de lrsquoUnion Le 17 juillet 2019 la

Commission europeacuteenne a eacutemis un avis motiveacute dans lequel elle maintenait que le nouveau reacutegime polonais violait

les dispositions du droit de lrsquoUnion Agrave la suite de la reacuteponse de la Reacutepublique de Pologne qui ne lrsquoa pas convaincu

la Commission europeacuteenne a deacutecideacute drsquointroduire un recours en manquement

Par sa demande en reacutefeacutereacute la Commission europeacuteenne demande agrave la Cour de justice drsquoordonner agrave la Reacutepublique

de Pologne dans lrsquoattente de lrsquoarrecirct de la Cour de justice statuant sur le fond de suspendre lrsquoapplication des

dispositions de lrsquoarticle 3 point 5 de lrsquoarticle 27 et de lrsquoarticle 73 paragraphe 1 de la loi sur la Cour suprecircme

constituant le fondement de la compeacutetence de la chambre disciplinaire de la Cour suprecircme polonaise La

Commission europeacuteenne demande eacutegalement que la Reacutepublique de Pologne srsquoabstienne de transmettre les

affaires pendantes devant la chambre disciplinaire agrave une formation de jugement qui ne satisfait pas aux exigences

drsquoindeacutependance

o Sur la recevabiliteacute

La Reacutepublique de Pologne soutient que la demande en reacutefeacutereacute introduite par la Commission europeacuteenne est

manifestement irrecevable En premier lieu la Pologne allegravegue que les mesures provisoires solliciteacutees par la

Commission europeacuteenne sont de nature agrave constituer une ingeacuterence inadmissible dans les structures

constitutionnelle et juridictionnelle polonaises

Reacutefeacutereacute ndash Article 279 TFUE ndash Demande de mesures provisoires ndash Article 19 paragraphe 1 second alineacutea TUE ndash Indeacutependance de lrsquoIzba Dyscyplinarna (chambre disciplinaire) du Sąd Najwyższy (Cour suprecircme Pologne)

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La Commission europeacuteenne soutient que les dispositions nationales dont elle demande la suspension relegravevent du

champ drsquoapplication de lrsquoarticle 19 paragraphe 1 second alineacutea TUE de sorte qursquoelles peuvent faire lrsquoobjet de

mesures provisoires solliciteacutees

La Cour de justice rappelle que bien que chaque Eacutetat membre soit compeacutetent pour lrsquoorganisation de la justice

dans son Eacutetat ils sont tenus de respecter les obligations qui deacutecoulent du droit de lrsquoUnion et en particulier de

lrsquoarticle 19 paragraphe 1 second alineacutea TUE Tous les Etats membres doivent srsquoassurer que les juridictions

relevant de leur systegraveme de voies de recours dans les domaines couverts par le droit de lrsquoUnion satisfont aux

exigences drsquoune protection juridictionnelle effective La Cour de justice rappelle que lrsquoarticle 19 TUE qui

concreacutetise la valeur de lrsquoEacutetat de droit confie aux juridictions nationales et agrave la Cour de justice de garantir la pleine

application du droit de lrsquoUnion ainsi que la protection juridictionnelle que les justiciables tirent de ce droit Afin

que cette protection soit garantie la preacuteservation de lrsquoindeacutependance de ces instances est primordiale La Cour de

justice relegraveve qursquoil incombe agrave tout Eacutetat membre drsquoassurer que le reacutegime disciplinaire applicable aux juges des

juridictions nationales respecte le principe drsquoindeacutependance des juges Ainsi la Cour de justice est compeacutetente

dans le cadre drsquoun recours en manquement tendant agrave contester la compatibiliteacute avec lrsquoarticle 19 paragraphe 1

second alineacutea TUE des dispositions nationales relatives au reacutegime disciplinaire pour ordonner au titre de lrsquoarticle

279 TFUE des mesures provisoires tendant agrave la suspension de lrsquoapplication de telles dispositions

En lrsquoespegravece la Cour de justice note que la chambre disciplinaire srsquoest vu confier par les dispositions nationales

litigieuses la compeacutetence pour statuer dans les affaires disciplinaires concernant les juges de la Cour suprecircme et

des juridictions de droit commun juridictions qui peuvent connaitre de questions lieacutees agrave lrsquoapplication ou agrave

lrsquointerpreacutetation du droit de lrsquoUE

Par suite la Cour de justice est compeacutetente pour adopter des mesures provisoires de la nature de celles solliciteacutees

par la Commission europeacuteenne

En deuxiegraveme lieux la Pologne soutient que les mesures provisoires solliciteacutees par la Commission europeacuteenne

tendent agrave ce que certains juges de la Cour suprecircme agrave savoir ceux de la chambre disciplinaire soient deacutemis de

leurs fonctions Cela violerait le principe drsquoinamovibiliteacute des juges et compromettrait les garanties drsquoindeacutependance

des juges

La Cour de justice estime que les mesures demandeacutees par la Commission europeacuteenne auraient pour effet la

suspension de lrsquoapplication des dispositions nationales litigieuses et non pas la reacutevocation des juges de la chambre

disciplinaire

En troisiegraveme lieu la Reacutepublique de Pologne estime que les mesures provisoires rendraient impossible lrsquoexeacutecution

de lrsquoarrecirct deacutefinitif en cas drsquoaccueil du recours en ce que leur octroi aurait pour effet pratique la dissolution de la

chambre disciplinaire La Cour de justice rejette lrsquoargument de la Pologne

Par suite la Cour de justice conclut que la demande de mesures provisoires est recevable

o Sur le fond

La Cour de justice agrave titre liminaire rappelle qursquoune mesure provisoire ne peut ecirctre accordeacutee par le juge des reacutefeacutereacutes

que srsquoil est eacutetabli que son octroi est justifieacute agrave premiegravere vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qursquoelle est urgente

en ce sens qursquoil est neacutecessaire pour eacuteviter un preacutejudice grave et irreacuteparable aux inteacuterecircts du requeacuterant qursquoelle soit

eacutedicteacutee et produise ses effets degraves avant la deacutecision au fond Le juge des reacutefeacutereacutes procegravede eacutegalement le cas eacutecheacuteant

agrave la mise en balance des inteacuterecircts en preacutesence

Sur le fumus boni juri

Afin que cette condition soit remplie il ressort de la jurisprudence de la Cour de justice qursquoil faut qursquoau moins un

des moyens invoqueacutes par la partie qui sollicite les mesures provisoires agrave lrsquoappui du recours au fond apparaisse agrave

premiegravere vue non deacutepourvu de fondement seacuterieux

A ce titre la Commission europeacuteenne invoque un moyen tireacute de ce que en ne garantissant pas lrsquoindeacutependance et

lrsquoimpartialiteacute de la chambre disciplinaire la Reacutepublique de Pologne a manqueacute aux obligations qui lui incombent

en vertu de lrsquoarticle 19 paragraphe 1 second alineacutea TUE La Commission europeacuteenne relegraveve que lrsquoinstitution de

la chambre disciplinaire a coiumlncideacute avec la modification des regravegles relatives agrave la nomination des membres de la

KRS Cette modification a accru lrsquoinfluence du pouvoir leacutegislatif sur le fonctionnement de cet organe qui participe

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au processus de seacutelection des juges et est chargeacute drsquoassurer lrsquoindeacutependance des juges et des juridictions et par

conseacutequence sur le processus de nomination des juges agrave la chambre disciplinaire La Commission europeacuteenne

relegraveve ensuite que le leacutegislateur national a exclu la possibiliteacute de deacutesigner comme membre de la chambre

disciplinaire un juge deacutejagrave en exercice au sein de la Cour suprecircme de sorte que seuls de nouveaux juges nommeacutes

sur proposition de la KRS ont pu ecirctre nommeacutes pour sieacuteger au sein de cette chambre Finalement la Commission

europeacuteenne souligne que la chambre disciplinaire se caracteacuterise par un degreacute eacuteleveacute drsquoautonomie organisationnelle

et financiegravere

La Commission europeacuteenne souligne que les eacuteleacutements susmentionneacutes et leur introduction simultaneacutee dans le

droit polonais font apparaitre une rupture structurelle qui empecircche drsquoeacutecarter tout doute leacutegitime quant agrave

lrsquoindeacutependance et agrave lrsquoimpartialiteacute de la chambre disciplinaire

La Cour de justice afin de veacuterifier si la condition relative au fumus boni juris est remplie en lrsquooccurrence relegraveve que

le grief porte sur la question de savoir si la chambre disciplinaire satisfait agrave lrsquoexigence drsquoindeacutependance des juges

qui deacutecoule de lrsquoarticle 19 paragraphe 1 second alineacutea TUE La Cour de justice commence par rappeler les regravegles

qui concernent les garanties drsquoindeacutependance et drsquoimpartialiteacute Elle rappelle aussi que conformeacutement au principe

de seacuteparation des pouvoirs qui caracteacuterise le fonctionnement drsquoun Eacutetat de droit lrsquoindeacutependance des juridictions

doit ecirctre garantie agrave lrsquoeacutegard des pouvoirs leacutegislatif et exeacutecutif Les juges doivent donc se trouver agrave lrsquoabri

drsquointerventions ou de pressions exteacuterieures susceptibles de mettre en peacuteril leur indeacutependance Dans lrsquoarrecirct AK

(Cour de justice 19 novembre 2019 affaires jointes C‑58518 C‑62418 et C‑62518) la Cour de justice a eacuteteacute

ameneacutee agrave preacuteciser la porteacutee de ces exigences drsquoindeacutependance et drsquoimpartialiteacute dans le contexte de la creacuteation drsquoune

instance telle que la chambre disciplinaire Elle avait consideacutereacute que lrsquoon pouvait douter de lrsquoindeacutependance de la

KRS qui participe au processus de deacutesignation des juges de la chambre disciplinaire Pour autant la Cour de

justice nrsquoa dans lrsquoarrecirct preacuteciteacute pas constateacute lrsquoabsence de conformiteacute agrave lrsquoarticle 19 paragraphe 1 second alineacutea

TUE des dispositions nationales relatives agrave la chambre disciplinaire et de celles ayant modifieacute les regravegles de

composition de la KRS mais a laisseacute le soin agrave la juridiction de renvoi de proceacuteder aux appreacuteciations requises agrave

cette fin

Par suite il convient de constater que eu eacutegard aux eacuteleacutements de fait mis en avant par la Commission europeacuteenne

ainsi qursquoaux eacuteleacutements drsquointerpreacutetation fournis notamment par lrsquoarrecirct Commission Pologne (Cour de justice 24

juin 2019 C-61918) et par lrsquoarrecirct AK les arguments avanceacutes par la Commission europeacuteenne apparaissent

comme eacutetant non deacutepourvus de fondement seacuterieux Il y a lieu de conclure que la condition relative au fumus boni

juris est remplie en lrsquoespegravece

Sur lrsquourgence

Selon une jurisprudence constante de la Cour de justice la finaliteacute de la proceacutedure de reacutefeacutereacute est de garantir la

pleine efficaciteacute de la future deacutecision deacutefinitive afin drsquoeacuteviter une lacune dans la protection juridique assureacutee par

la Cour de justice Pour atteindre cet objectif lrsquourgence doit srsquoappreacutecier par rapport agrave la neacutecessiteacute qursquoil y a de

statuer provisoirement afin drsquoeacuteviter qursquoun preacutejudice grave et irreacuteparable ne soit occasionneacute agrave la partie qui sollicite

la protection provisoire Le preacutejudice grave et irreacuteparable dont la survenance probable doit ecirctre eacutetablie est celui

qui reacutesulterait le cas eacutecheacuteant du refus drsquoaccorder les mesures provisoires solliciteacutees dans lrsquohypothegravese ougrave le recours

au fond aboutirait par la suite

Il convient ainsi drsquoexaminer si lrsquoapplication des dispositions nationales litigieuses est susceptible de causer un

preacutejudice grave et irreacuteparable au regard du fonctionnement de lrsquoordre juridique de lrsquoUnion La Cour de justice

relegraveve que la garantie drsquoindeacutependance de la chambre disciplinaire en tant que juridiction compeacutetence pour statuer

dans les affaires disciplinaires concernant les juges de la Cour suprecircme et des juridictions de droit commun est

essentielle pour preacuteserver lrsquoindeacutependance de la Cour suprecircme et de ces juridictions Si lrsquoindeacutependance de la

chambre disciplinaire ne peut pas ecirctre garantie alors celle des autres juridictions ne peut lrsquoecirctre non plus Or la

preacuteservation de lrsquoindeacutependance de la Cour suprecircme et des juridictions de droit commun est primordiale afin que

la protection juridictionnelle des droits que les justiciables tirent du droit de lrsquoUnion soit garantie La Cour de

justice a deacutejagrave jugeacute que le fait que lrsquoindeacutependance de la Cour suprecircme puisse ne pas ecirctre garantie est susceptible

drsquoentrainer un grave preacutejudice agrave lrsquoordre juridique de lrsquoUnion et aux droits que les justiciables tirent du droit de

lrsquoUnion Ainsi comme le dit la Cour de justice au point 93 de la preacutesente ordonnance il reacutesulte de ce qui preacutecegravede

que lrsquoapplication des dispositions nationales litigieuses en ce qursquoelles attribuent la compeacutetence pour statuer dans

les affaires disciplinaires relatives aux juges de la Cour suprecircme et des juridictions de droit commun agrave une instance

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en lrsquooccurrence la chambre disciplinaire dont lrsquoindeacutependance pourrait ne pas ecirctre garantie est susceptible de

causer un preacutejudice grave et irreacuteparable agrave lrsquoordre juridique de lrsquoUnion

Par suite il y a lieu de conclure que la condition relative agrave lrsquourgence est eacutetablie en lrsquoespegravece

Sur la mise en balance des inteacuterecircts

Le juge des reacutefeacutereacutes se doit drsquoexaminer si lrsquointeacuterecirct de la partie qui sollicite les mesures provisoires agrave obtenir le sursis

agrave lrsquoexeacutecution preacutevaut sur lrsquointeacuterecirct que preacutesente lrsquoapplication immeacutediate de celles-ci

La Pologne estime que lrsquoapplication des mesures provisoires solliciteacutees aurait pour effets de contraindre les

pouvoirs leacutegislatif et exeacutecutif polonais agrave adopter des mesures dont lrsquoeffet pratique serait la dissolution drsquoun organe

du pouvoir judiciaire qui exerce ses missions structurelles lieacutees agrave lrsquoadministration de la justice de mettre fin agrave une

entiteacute dont le budget est exeacutecuteacute par son Preacutesident et de porter atteinte au droit des justiciables

La Cour de justice rappelle tout drsquoabord que les Eacutetats membres sont tenus de respecter les obligations qui

deacutecoulent pour eux du droit de lrsquoUnion et en particulier de lrsquoarticle 19 paragraphe 1 second alineacutea TUE Elle

rappelle eacutegalement que lrsquooctroi des mesures provisoires solliciteacutees emporterait non pas la dissolution de la

chambre disciplinaire mais la suspension provisoire de son activiteacute Par ailleurs dans la mesure ougrave lrsquooctroi desdites

mesures impliquerait que le traitement des affaires pendantes devant la chambre disciplinaire doive ecirctre suspendu

jusqursquoau prononceacute de lrsquoarrecirct deacutefinitif le preacutejudice reacutesultant de la suspension de ces affaires pour les justiciables

concerneacutes serait moindre que celui reacutesultant de leur examen par une instance agrave savoir la chambre disciplinaire

dont le manque drsquoindeacutependance et drsquoimpartialiteacute ne peut agrave premiegravere vue ecirctre exclu Enfin les difficulteacutes de

nature budgeacutetaire invoqueacutees ne sauraient preacutevaloir sur le risque qursquoil soit porteacute atteinte agrave lrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral de

lrsquoUnion au regard du bon fonctionnement de son ordre juridique

Par suite il y a lieu de conclure que la mise en balance des inteacuterecircts en preacutesence penche en faveur de lrsquooctroi des

mesures provisoires demandeacutees par la Commission europeacuteenne

Par ces motifs la Cour (grande chambre) ordonne

1) La Reacutepublique de Pologne est tenue immeacutediatement et jusqursquoau prononceacute de lrsquoarrecirct qui mettra

fin agrave lrsquoinstance dans lrsquoaffaire C-79119

ndash de suspendre lrsquoapplication des dispositions de lrsquoarticle 3 point 5 de lrsquoarticle 27 et de lrsquoarticle 73

paragraphe 1 de lrsquoustawa o Sądzie Najwyższym (loi sur la Cour suprecircme) du 8 deacutecembre 2017 (Dz U

de 2018 position 5) telle que modifieacutee constituant le fondement de la compeacutetence de lrsquoIzba

Dyscyplinarna (chambre disciplinaire) du Sąd Najwyższy (Cour suprecircme) pour statuer tant en

premiegravere instance qursquoen instance drsquoappel dans les affaires disciplinaires relatives agrave des juges

ndash de srsquoabstenir de transmettre les affaires pendantes devant lrsquoIzba Dyscyplinarna (chambre

disciplinaire) du Sąd Najwyższy (Cour suprecircme) agrave une formation de jugement qui ne satisfait pas aux

exigences drsquoindeacutependance deacutefinies notamment dans lrsquoarrecirct du 19 novembre 2019 A K ea

(Indeacutependance de la chambre disciplinaire de la Cour suprecircme) (C‑58518 C‑62418 et C‑62518

EUC2019982) et

ndash de communiquer agrave la Commission europeacuteenne au plus tard un mois apregraves la notification de

lrsquoordonnance de la Cour ordonnant les mesures provisoires solliciteacutees toutes les mesures qursquoelle aura

adopteacutees afin de se conformer pleinement agrave cette ordonnance

2) Les deacutepens sont reacuteserveacutes

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Interdiction des traitements inhumains ou deacutegradants

Cour EDH (troisiegraveme section) Yevgeniy Mikhaylovich Shmelev et autres Russie 9 avril 2020 ndeg 4174317 et 16 autres

Arrecirct rendu en anglais Reacutesumeacute La Cour EDH juge que le nouveau recours compensatoire mise en œuvre par les autoriteacutes russes est effectif lorsqursquoaucun autre recours nrsquoest neacutecessaire notamment dans tous les cas ougrave la deacutetention provisoire a pris fin et dans certaines situations ougrave la peine drsquoemprisonnement a eacuteteacute exeacutecuteacutee en violation des dispositions internes La Cour EDH deacuteclare ainsi les griefs des plusieurs requeacuterants irrecevables pour non-eacutepuisement des voies de recours internes En outre la Cour EDH demande aux parties de produire des observations suppleacutementaires afin de clarifier la question de lrsquoeffectiviteacute des recours compensatoires dans le cas des recours preacuteventifs ouverts afin de permettre agrave ceux qui sont encore incarceacutereacutes de voir srsquoameacuteliorer leurs conditions de deacutetention Tous les requeacuterants ressortissants russes ont eacuteteacute deacutetenus dans divers centres de deacutetention russes avant ou apregraves leur condamnation dans le cadre dune proceacutedure peacutenale Sept des requeacuterants (requecirctes ndeg 6680617 7580417 7718117 7726517 1929418 3168218 et 3254518) sont ou eacutetaient deacutetenus dans des centres de deacutetention provisoire et les dix autres (requecirctes ndeg 4174317 6018517 7449717 124918 915218 1498818 1799118 1983718 2154218 et 2915518) sont ou ont eacuteteacute deacutetenus dans des colonies peacutenitentiaires apregraves avoir eacuteteacute condamneacutes Le 27 janvier 2020 la loi feacutedeacuterale no 494ndashFZ (dite laquo loi drsquoindemnisation raquo) est entreacutee en vigueur Elle dispose que tout deacutetenu qui allegravegue que ses conditions de deacutetention enfreignent ou ont enfreint les normes nationales ou internationales peut solliciter une indemniteacute aupregraves drsquoun tribunal Le gouvernement russe a soumis des informations sur cette loi et drsquoautres eacutevolutions pertinentes du droit interne visant agrave atteacutenuer les mauvaises conditions de deacutetention Il a demandeacute agrave la Cour EDH de consideacuterer que la nouvelle loi offre un nouveau recours effectif srsquoagissant des conditions de deacutetention A diffeacuterentes dates en 2017 et 2018 les 17 requeacuterants ont saisi la Cour EDH Invoquant lrsquoarticle 3 (interdiction des traitements inhumains ou deacutegradants) lrsquoensemble des 17 requeacuterants se plaignaient de subir ou drsquoavoir subi de mauvaises conditions de deacutetention notamment en raison de la surpopulation Sur le terrain de lrsquoarticle 13 (droit agrave un recours effectif) de la Convention certains drsquoentre eux alleacuteguaient eacutegalement qursquoil nrsquoexistait pas de recours interne effectif permettant de se plaindre de conditions de deacutetention

1) Violation alleacutegueacutee des articles 3 et 13 de la Convention du fait de conditions de deacutetention dans les centres de deacutetention preacuteventive

Les requeacuterants dans les requecirctes ndeg 6680617 1799118 1929418 2154218 3168218 et 3254518 ont fait valoir que les conditions de leur deacutetention provisoire avaient eacuteteacute contraires agrave larticle 3 de la Convention certains dentre eux ont soutenu quils navaient pas disposeacute de recours effectifs contre ces violations comme le preacutevoit larticle 13 En particulier ces requeacuterants se plaignent entre autres davoir eacuteteacute deacutetenus dans des cellules surpeupleacutees Par la preacutesente affaire la Cour EDH examine les deacuteveloppements leacutegislatifs et judiciaires survenus depuis ladoption de larrecirct Ananyev et autres c Russie (Cour EDH 10 janvier 2012 ndeg 4252507 et 6080008) En particulier la Cour EDH examine sil existe deacutesormais des recours internes de nature compensatoire et preacuteventive qui pourraient offrir une reacuteparation effective aux victimes des violations ayant pour origine le surpeuplement et dautres violations des conditions de deacutetention provisoire Elle examine eacutegalement si les requeacuterants dans la preacutesente affaire sont tenus deacutepuiser ces recours La Cour EDH rappelle que apregraves larrecirct Ananyev et autres c Russie elle a constateacute une violation de larticle 3 en raison des conditions inhumaines et deacutegradantes de deacutetention dans les centres de deacutetention provisoire russes

Article 3 (interdiction des traitements inhumains ou deacutegradants) Article 13 (droit agrave un recours effectif)

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dans plus de 100 affaires En mars 2020 plus de 1 450 requecirctes similaires contre la Russie eacutetaient en attente dexamen par la Cour EDH En lrsquoespegravece la Cour EDH reacuteitegravere les orientations quelle a fourni au gouvernement dans laffaire Ananyev et autres en ce qui concerne les caracteacuteristiques quun recours compensatoire doit posseacuteder pour ecirctre consideacutereacute comme effectif En particulier elle rappelle qursquoune indemnisation peacutecuniaire doit ecirctre accessible agrave tout deacutetenu actuel ou ancien ayant subi un traitement inhumain ou deacutegradant et ayant introduit une demande agrave cet effet La constatation que les conditions nont pas satisfait aux exigences de larticle 3 de la Convention donnera lieu agrave une forte preacutesomption quelles ont causeacute un preacutejudice non peacutecuniaire agrave la personne leacuteseacutee et le niveau de la reacuteparation accordeacutee pour le preacutejudice non peacutecuniaire ne doit pas ecirctre deacuteraisonnable par rapport aux montants accordeacutes par la Cour EDH dans des affaires similaires La Cour EDH rappelle ensuite que si lexistence de voies de recours internes effectives sappreacutecie normalement par rapport agrave la date dintroduction de la requecircte cette regravegle est sujette agrave des exceptions si les circonstances de lespegravece le justifient (Cour EDH Muumlduumlr Turgut ea c Turquie 26 mars 2013 ndeg 486009 sect 46) en particulier lorsque le recours en cause a eacuteteacute mis en place en reacuteponse agrave un arrecirct pilote de la Cour (Cour EDH Atanasov et Apostolov c Bulgarie 20 juillet 2017 ndeg 6554016 et 2236817 sect 45) Lorsque de telles voies de recours viennent decirctre mises en place leur appreacuteciation doit neacutecessairement se fonder uniquement sur les dispositions leacutegales qui les reacutegissent et non sur leur fonctionnement en pratique Elle estime donc pouvoir eacutevaluer lefficaciteacute des dispositions leacutegales telles que fixeacutees par la loi dindemnisation apregraves son entreacutee en vigueur et deacutecider en conseacutequence si les requeacuterants sont tenus de les eacutepuiser La Cour EDH juge que la loi drsquoindemnisation est en principe une voie de recours compensatoire adeacutequate et effective dans les cas ougrave les mauvaises conditions de deacutetention concernent une peacuteriode de deacutetention provisoire acheveacutee et dans certaines situations ougrave la peine drsquoemprisonnement a eacuteteacute exeacutecuteacutee en violation des dispositions internes Elle considegravere que les conditions proceacutedurales daccegraves au reacutegime compensatoire sont simples et accessibles et ne font pas peser une charge excessive sur le demandeur ni dans la proceacutedure applicable ni dans lexigence relative aux frais de proceacutedure De plus elle relegraveve que la proceacutedure est doteacutee des garanties proceacutedurales requises telles que lindeacutependance et limpartialiteacute le droit agrave lassistance juridique et dautres garanties lieacutees agrave une proceacutedure judiciaire contradictoire Des mesures de seacutecuriteacute sont preacutevues pour tenir compte de la situation particuliegravere des deacutetenus Selon la Cour EDH il ny a aucune raison de penser que les demandes ne seront pas traiteacutees dans un deacutelai raisonnable ou que lindemnisation ne sera pas verseacutee rapidement La Cour EDH se deacuteclare precircte agrave modifier son approche quant agrave lefficaciteacute du recours en question si la pratique des juridictions internes devait montrer agrave terme que les plaintes sont rejeteacutees pour des raisons formelles que les proceacutedures dindemnisation sont excessivement longues que les indemniteacutes sont insuffisantes ou ne sont pas verseacutees rapidement ou que la jurisprudence interne nest pas conforme aux exigences de la Convention et agrave la jurisprudence de la Cour EDH Tout examen futur de ce type consistera agrave deacuteterminer si les autoriteacutes nationales ont appliqueacute la loi sur lindemnisation dune maniegravere conforme agrave larrecirct pilote et aux normes de la Convention en geacuteneacuteral La Cour EDH conclut que le nouveau recours compensatoire doit ecirctre consideacutereacute comme un recours effectif et deacuteclare irrecevables les requecirctes ndeg 6680617 1929418 3168218 et 3254518 pour non-eacutepuisement des voies de recours internes et les rejette en vertu de larticle 35 sectsect 1 et 4 de la Convention Dans les requecirctes ndeg 7580417 7718117 et 7726517 la Cour EDH estime quelle ne peut pas sur la base du dossier deacuteterminer la recevabiliteacute des plaintes deacuteposeacutees par les requeacuterants dont la deacutetention preacuteventive est en cours Elle invite donc conformeacutement agrave larticle 54 sect 2 c) du regraveglement de la Cour EDH les parties agrave preacutesenter des observations eacutecrites compleacutementaires

2) Violation alleacutegueacutee des articles 3 et 13 de la Convention du fait des conditions de deacutetention dans les eacutetablissements peacutenitentiaires

Les dix requeacuterants dans les requecirctes ndeg 4174317 6018517 7449717 124918 915218 1498818 1799118 1983718 2154218 et 2915518 ont fait valoir que les conditions de leur deacutetention dans les eacutetablissements peacutenitentiaires sont tombeacutees en dessous des normes compatibles avec larticle 3 de la Convention Certains dentre eux ont fait valoir quils ne disposaient pas de recours effectifs contre ces violations en violation de larticle 13

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En particulier les requeacuterants se sont plaints entre autres du fait quils ont eacuteteacute deacutetenus dans des locaux surpeupleacutes Pour certains des requeacuterants la deacutetention avait pris fin au moment de leacutechange dobservations entre les parties La Cour EDH note tout drsquoabord que les dispositions applicables de la leacutegislation russe fixent des normes diffeacuterentes en matiegravere despace personnel pour la deacutetention provisoire (quatre megravetres carreacutes par personne deacutetenue) et la deacutetention correctionnelle pour les hommes condamneacutes dans des colonies ou des prisons (deux megravetres carreacutes et deux megravetres carreacutes et demi) Elle rappelle ainsi que laquo lorsque lespace personnel dont dispose un deacutetenu est infeacuterieur agrave trois megravetres carreacutes de surface au sol [] le manque despace personnel est consideacutereacute comme si grave quil y a forte preacutesomption de violation de larticle 3 raquo (Cour EDH [GC] Muršić c Croatie 20 octobre 2016 ndeg 733413 sect 137) Ainsi pour un nombre consideacuterable de deacutetenus dans les eacutetablissements peacutenitentiaires les mauvaises conditions de deacutetention sont preacutedeacutetermineacutees par les normes eacutetablies par la leacutegislation nationale Afin deacutevaluer lefficaciteacute des recours la Cour EDH distingue entre les cas ougrave les conditions de deacutetention des requeacuterants eacutetaient infeacuterieures aux normes nationales et les cas ougrave lespace minimal disponible eacutetait conforme aux normes nationales mais soulegraveverait neacuteanmoins un problegraveme agrave premiegravere vue au regard de larticle 3

o Les plaintes concernant des conditions de deacutetention infeacuterieures agrave la norme nationale Compte tenu des consideacuterations sur lefficaciteacute de la loi dindemnisation dans les situations ougrave la deacutetention eacutetait acheveacutee et du fait quil ny a pas de contestation entre les parties sur la violation des normes nationales minimales de deacutetention la Cour EDH conclut que ces deux requeacuterants se trouvent dans une situation similaire agrave celle des personnes dont la deacutetention provisoire passeacutee lrsquoavait eacuteteacute en violation des normes nationales applicables Pour les raisons exposeacutees ci-dessus pour eux ainsi que pour dautres personnes se trouvant dans une situation similaire la nouvelle loi compensatoire preacutesente en principe un moyen adeacutequat et efficace dobtenir une reacuteparation compensatoire et offre des perspectives raisonnables de succegraves La Cour EDH estime ainsi que les requecirctes ndeg 1799118 et 2154218 qui soulegravevent des griefs au titre des articles 3 et 13 doivent ecirctre rejeteacutees en vertu de larticle 35 sectsect 1 et 4 de la Convention pour non-eacutepuisement des voies de recours internes

o Cas conformes agrave la norme nationale mais infeacuterieurs agrave la norme minimale de larticle 3 La Cour EDH note que les requeacuterants des requecirctes ndeg 4174317 6018517 et 1498818 ont eacuteteacute deacutetenus dans le passeacute dans des conditions ougrave chacun des requeacuterants avait disposeacute de moins de trois megravetres carreacutes despace personnel Les requeacuterants des requecirctes no 7449717 124918 915218 1983718 et 2915518 eacutetaient toujours deacutetenus dans de telles conditions au moment de leacutechange dobservations En lrsquoespegravece la Cour EDH estime quelle ne dispose pas deacuteleacutements suffisants pour eacutevaluer lefficaciteacute dun tel recours en cas de deacutetention correctionnelle Elle invite donc les parties agrave preacutesenter des observations compleacutementaires conformeacutement agrave larticle 54 sect 2 c) du regraveglement de la Cour afin de clarifier lefficaciteacute de tout recours preacuteventif en cas de deacutetention correctionnelle pendante dans des conditions incompatibles avec larticle 3 de la Convention POUR CES RAISONS LA COUR Agrave LUNANIMITEacute

1 Deacutecide de joindre les requecirctes ndeg 6680617 1799118 1929418 2154218 3168218 et 3254518 et les deacuteclare irrecevables

2 Deacutecide dajourner lexamen des requecirctes ndeg 4174317 6018517 7449717 7580417

7718117 7726517 124918 915218 1498818 1983718 et 2915518

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Cour EDH (cinquiegraveme section) Castellani France 30 avril 2020 ndeg4320716

Reacutesumeacute La Cour EDH dans une affaire concernant lrsquointerpellation du requeacuterant par le GIPN estime que la France a violeacute

lrsquoarticle 3 de la Convention En effet elle juge que lrsquoopeacuteration policiegravere nrsquoa pas eacuteteacute planifieacutee ni exeacutecuteacutee de maniegravere agrave respecter les

garanties internes existantes et que lrsquousage de la force nrsquoeacutetait pas proportionneacute ni neacutecessaire pour permettre lrsquointerpellation du requeacuterant

et ne se justifiait pas par son comportement

Le 6 mai 2002 une information judiciaire fut ouverte contre X pour subornation de teacutemoin et menaces de mort

reacuteiteacutereacutees agrave la suite de la plainte deacuteposeacutee par MA avocat Ce dernier avait teacutemoigneacute dans une affaire de violence

dirigeacutees contre la force publique dans laquelle trois membres de la famille EH avaient eacuteteacute condamneacutes Les

principaux suspects eacutetaient membres de la famille EH famille amie et voisine du requeacuterant Le 18 juin 2002

apregraves identification de certains membres de la famille EH comme auteurs preacutesumeacutes de menaces de mort et de

subornation de teacutemoins les policiers de Nice avec le soutien du GIPN proceacutedegraverent agrave lrsquointerpellation de deux

membres de la famille EH A la demande de la commandante une eacutequipe du GIPN composeacutee de dix

fonctionnaires interpella le requeacuterant mis en cause dans la mecircme affaire et consideacutereacute comme dangereux

Les parties contestent les circonstances de lrsquoopeacuteration policiegravere

Dans la version du requeacuterant il explique que voyant des inconnus entrer chez lui et croyant ecirctre agresseacute agrave son

domicile il se deacutefend agrave lrsquoaide drsquoune barre de fer Il entendit alors crier laquo Police raquo et deacuteposa la barre de fer et se

laissa faire Apregraves avoir confirmeacute son identiteacute il reccedilut un coup sur la tecircte du policier qursquoil avait agresseacute avec la

barre de fer et fut frappeacute agrave coups de poings et de pieds Crsquoest seulement agrave ce moment-lagrave qursquoil sut le motif de son

interpellation Il fut agrave nouveau frappeacute afin qursquoil avoue ougrave se trouvaient les armes puis encore maltraiteacute lors de son

transport au poste de police Selon les policiers du GIPN ils sont entreacutes dans la maison et ont inspecteacute le rez-

de-chausseacutee tout en prononccedilant agrave plusieurs reprises laquo Police raquo Alors qursquoils montaient au premier eacutetage le

premier policier vit surgir le requeacuterant qui lrsquoattendait et qui le frappa drsquoune barre de fer Les fonctionnaires ont

tenteacute de le maitriser alors que celui-ci continuait de porter des coups aux fonctionnaires Ces derniers ont ducirc

lrsquoimmobiliser agrave lrsquoaide de leur force

Placeacute en garde agrave vue le requeacuterant fut examineacute par un meacutedecin qui ne srsquoopposa pas agrave une mesure de garde agrave vue

mais a demandeacute qursquoil soit emmeneacute agrave lrsquohocircpital Il y a eacuteteacute conduit neuf heures apregraves son interpellation Le requeacuterant

preacutesentait de multiples fractures au visage Pour autant sa garde agrave vue a eacuteteacute prolongeacutee

Le 8 juillet 2002 le requeacuterant fut convoqueacute devant le tribunal correctionnel de Nice afin drsquoecirctre jugeacute de chefs de

violences volontaires avec arme agrave lrsquoeacutegard drsquoune personne deacutepositaire de lrsquoautoriteacute publique ayant entraineacute une

incapaciteacute de travail supeacuterieure agrave huit jours ainsi que pour deacutetention sans autorisation drsquoarme ou de munition Le

13 janvier 2009 le tribunal correctionnel le condamna agrave une amende deacutelictuelle avec sursis pour deacutetention drsquoarme

sans autorisation Il fut relaxeacute des chefs de violences volontaires au motif qursquoil srsquoagissait de leacutegitime deacutefense

Le 18 novembre 2002 le requeacuterant deacuteposa plainte avec constitution de partie civile pour non-assistance agrave

personne en peacuteril violences volontaires et actes de barbarie Le juge drsquoinstruction rendit une ordonnance de non-

lieu partiel en ne retenant agrave lrsquoencontre de certains policiers que lrsquoomission de porter secours La cour drsquoappel

annula lrsquoordonnance de non-lieu partiel Une deuxiegraveme ordonnance de non-lieu concernant les faits de violences

volontaires fut rendue le 27 janvier 2006 et le requeacuterant fit appel La cour drsquoappel confirma le non-lieu des chefs

drsquoactes de barbaries mais demanda un suppleacutement drsquoinformation concernant les violences volontaires Quatre

policiers du GIPN furent entendus et mis en examen Le 25 octobre 2007 la chambre drsquoinstruction de la cour

drsquoappel confirma lrsquoordonnance de non-lieu du chef de violences volontaires par deacutepositaires de lrsquoautoriteacute

Art 3 (volet mateacuteriel) bull Recours agrave la force bull Irruption drsquoune uniteacute drsquoeacutelite de la police au domicile drsquoun suspect au petit matin pour proceacuteder agrave son arrestation aux fins drsquoaudition dans le cadre drsquoune enquecircte peacutenale bull Neacutecessiteacute de garanties suffisantes face aux risques drsquoabus drsquoautoriteacute et de violation de la digniteacute humaine lors du recours dans un tel contexte aux forces speacuteciales bull Doutes sur lrsquoexistence de preacutecautions suffisantes bull Tribunaux ayant reconnu la leacutegitime deacutefense du requeacuterant qui avait frappeacute un policier cagouleacute en le prenant pour un cambrioleur bull Blessures reacutesultant de lrsquoemploi drsquoune force physique non rendue strictement neacutecessaire par le comportement du suspect

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publique Le 13 janvier 2009 le tribunal correctionnel de Nice prononccedila la relaxe des deux fonctionnaires de

police renvoyeacutes devant lui des chefs drsquoomission de porter secours

Le 26 juin 2009 le requeacuterant forma une action en responsabiliteacute de lrsquoEtat afin drsquoobtenir une indemnisation du

preacutejudice subi compte tenu des conditions de son interpellation puis de sa garde agrave vue Le tribunal condamna

lrsquoEtat au motif qursquoil avait commis une faute lourde en envoyant le GIPN pour proceacuteder agrave lrsquointerpellation du

requeacuterant Par un arrecirct du 12 avril 2012 la cour drsquoappel drsquoAix-en-Provence confirma la recevabiliteacute de lrsquoaction du

requeacuterant mais infirma le jugement pour le surplus La Cour de cassation cassa lrsquoarrecirct du 12 avril 2012 sauf en ce

qursquoil avait deacuteclareacute recevable lrsquoaction du requeacuterant Le 27 janvier 2015 la cour drsquoappel de Montpellier consideacutera

que la faute lourde engageant la responsabiliteacute de lrsquoEtat nrsquoeacutetait pas deacutemontreacutee srsquoagissant des conditions

drsquointervention du GIPN pour proceacuteder agrave lrsquointerpellation du requeacuterant La cour drsquoappel jugea que lrsquoEtat avait

commis une faute lourde agrave raison du deacutefaut de soins durant la garde agrave vue dont le requeacuterant avait fait lrsquoobjet Par

un arrecirct du 10 feacutevrier 2016 la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requeacuterant

Le requeacuterant saisit la Cour EDH le 19 juillet 2016 drsquoune requecircte dirigeacutee contre la Reacutepublique franccedilaise

Sur la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 3 de la Convention

Le requeacuterant allegravegue avoir eacuteteacute victime de violences lors de son interpellation par la police alors que lrsquointervention

du GIPN comme lrsquousage de la force nrsquoeacutetaient ni neacutecessaires ni proportionneacutes En effet il estime que le GIPN

est connu pour lrsquoefficaciteacute de ses interventions concernant le terrorisme et le grand banditisme Une telle

intervention baseacutee sur une simple plainte teacuteleacutephonique comme cela a eacuteteacute le cas en lrsquoespegravece est une rareteacute

juridique

La Cour EDH rappelle sa jurisprudence concernant le recours agrave la force lors drsquoune interpellation au paragraphe

52 de lrsquoarrecirct Elle estime que lrsquoarticle 3 ne prohibe pas le recours agrave la force par les agents de police lors drsquoune

interpellation mais qursquoelle doit ecirctre proportionneacutee et absolument neacutecessaire au vu des circonstances de lrsquoespegravece

Il importe donc de savoir srsquoil y a lieu de penser que lrsquointeacuteresseacute opposera une reacutesistance tentera de fuir ou de

deacutetruire des preuves

En lrsquoespegravece la Cour EDH relegraveve qursquoau vu des certificats meacutedicaux le requeacuterant souffrait de blessures

importantes Aux souffrances physiques srsquoajoute des souffrances psychiques comme en atteste lrsquoeacutetat de stress

post-traumatique releveacute par les meacutedecins La maniegravere dont srsquoest deacuterouleacutee lrsquointerpellation crsquoest-agrave-dire tregraves tocirct le

matin avec une ouverture forceacutee du portail et de la porte drsquoentreacutee en preacutesence de la femme et de la fille du

requeacuterant a neacutecessairement entraineacute de la peur et de lrsquoangoisse chez le requeacuterant

Dans son raisonnement la Cour EDH srsquointeacuteresse dans un premier temps agrave la planification de lrsquoopeacuteration agrave

savoir si elle a pris en compte lrsquoensemble des circonstances pertinentes et a observeacute des garanties suffisantes En

lrsquoespegravece la Cour EDH observe que lrsquoopeacuteration dans laquelle le GIPN eacutetait principalement impliqueacutee et pour

laquelle son intervention avait eacuteteacute autoriseacutee reacutepondait au but leacutegitime drsquoeffectuer une interpellation et poursuivant

lrsquoobjectif geacuteneacuteral de la reacutepression des infractions Le but de lrsquointervention eacutetait lrsquointerpellation de la famille EH

pour laquelle le DDSP avait donneacute son accord Or le juge drsquoinstruction nrsquoa pas eacuteteacute informeacute et le DDSP nrsquoa pas

donneacute son accord quant agrave lrsquointervention du GIPN pour lrsquointerpellation du requeacuterant La Cour EDH relegraveve donc

que cette opeacuteration nrsquoa pas beacuteneacuteficieacute des garanties internes existantes entourant normalement lrsquointervention de

ce type drsquouniteacutes speacuteciales La Cour EDH remarque que le caractegravere de dangerositeacute du requeacuterant ne reacutesulta que

des deacuteclarations des fonctionnaires de police ayant requis son intervention et nrsquoeacutetait eacutetayeacute par aucun eacuteleacutement

probant Elle observe que certaines juridictions internes ont remis en cause la proportionnaliteacute de lrsquointervention

du GIPN au regard des circonstances de lrsquoespegravece Il ressort eacutegalement du dossier qursquoaucune investigation

preacutealable afin de deacuteterminer si le requeacuterant serait seul au moment de son interpellation nrsquoest alleacutegueacutee Or la Cour

EDH estime que la preacutesence de membres de la famille du suspect sur les lieux de lrsquointerpellation doit ecirctre prise

en compte lors de la planification de lrsquointervention La Cour EDH considegravere que lrsquoopeacuteration policiegravere au domicile

du requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute planifieacutee et exeacutecuteacutee de maniegravere agrave srsquoassurer que les moyens employeacutes soient strictement

neacutecessaires pour atteindre ses buts ultimes

Dans un second temps la Cour EDH doit examiner si la force physique dont il a eacuteteacute fait usage agrave lrsquoencontre du

requeacuterant eacutetait ou non rendue strictement neacutecessaire par son comportement La Cour EDH rappelle que lorsque

des proceacutedures internes ont eacuteteacute meneacutees il ne lui appartient pas de substituer sa propre version des faits agrave celle

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des autoriteacutes internes qui doivent eacutetablir les faits sur la base de preuves recueillies par elles La Cour EDH note

que le tribunal correctionnel a jugeacute que le requeacuterant avait pu leacutegitimement se croire agresseacute agrave son domicile et qursquoil

avait agi en eacutetat de leacutegitime deacutefense Elle constate eacutegalement que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute poursuivi pour des faits

de reacutebellion et que la description du mode drsquoopeacuteration utiliseacute par les policiers ainsi que les constatations des

blessures du requeacuterant attestent de lrsquointensiteacute de la force physique dont il a eacuteteacute fait usage Par suite la Cour EDH

a conclu que les moyens employeacutes nrsquoeacutetaient pas strictement neacutecessaires pour permettre lrsquointerpellation du

requeacuterant et que la force physique dont il a eacuteteacute fait usage agrave son encontre nrsquoa pas eacuteteacute rendue telle par son

comportement

Ainsi la Cour EDH estime qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 3 de la Convention

Par ces motifs la Cour EDH agrave lrsquounanimiteacute

1 Deacuteclare la requecircte recevable

2 Dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 3 de la Convention

3 Dit

a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans un deacutelai de trois mois les sommes suivantes au

taux applicable agrave la date du regraveglement i 2 803 EUR (deux mille huit cent trois euros) plus tout montant

pouvant ecirctre ducirc sur cette somme agrave titre drsquoimpocirct pour dommage mateacuteriel ii 20 000 EUR (vingt mille

euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc sur cette somme agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral

b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces montants seront agrave majorer drsquoun

inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne

applicable pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage

4 Rejette le surplus de la demande de satisfaction eacutequitable

Libre circulation des travailleurs

Cour de justice (sixiegraveme chambre) Caisse pour lavenir des enfants FV et GW 2 avril 2020 C-80218

Reacutesumeacute Dans une affaire concernant le versement dallocations sociales luxembourgeoises agrave des travailleurs transfrontaliers franccedilais la Cour de justice a jugeacute quen vertu du principe deacutegaliteacute de traitement un Etat membre ne peut refuser de verser une allocation familiale pour lrsquoenfant du conjoint drsquoun travailleur frontalier sans lien de filiation avec celui-ci puisque cette allocation constitue un avantage social et une prestation de seacutecuriteacute sociale FV travaille au Luxembourg et reacuteside en France avec son eacutepouse GW Le couple a deux enfants HY neacute en 2000 drsquoune preacuteceacutedente union de GW vit avec FV et GW Celle-ci exerce lrsquoautoriteacute parentale exclusive sur HY Jusqursquoagrave lrsquoentreacutee en vigueur de la loi luxembourgeoise du 23 juillet 2016 le meacutenage beacuteneacuteficiait des allocations familiales luxembourgeoises pour les trois enfants en raison de la qualiteacute de travailleur frontalier de FV Agrave compter de lrsquoentreacutee en vigueur de cette loi qui a modifieacute le code de la seacutecuriteacute sociale en excluant les enfants du conjoint ou du partenaire de la notion de laquo membres de la famille raquo le meacutenage a cesseacute de beacuteneacuteficier de ces allocations pour HY En effet par deacutecision du 8 novembre 2016 la Caisse pour lrsquoavenir des enfants (Luxembourg) a consideacutereacute

Renvoi preacutejudiciel ndash Article 45 TFUE ndash Seacutecuriteacute sociale des travailleurs migrants ndash Regraveglement (CE) ndeg8832004 ndash Article 1er sous i) ndash Libre circulation des travailleurs ndash Eacutegaliteacute de traitement ndash Avantages sociaux ndash Directive 200438CE ndash Article 2 point 2 ndash Regraveglement (UE) ndeg4922011 ndash Article 7 paragraphe 2 ndash Allocation familiale ndash Notion de ldquomembres de la famillerdquo ndash Exclusion de lrsquoenfant du conjoint de travailleurs non-reacutesidents ndash Diffeacuterence de traitement avec lrsquoenfant du conjoint de travailleurs reacutesidents ndash Justification

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que FV nrsquoavait plus droit agrave lrsquoallocation familiale pour HY depuis le 1er aoucirct 2016 Cet enfant ne preacutesentant pas de lien de filiation avec FV la Caisse pour lrsquoavenir des enfants considegravere qursquoil nrsquoa pas la qualiteacute de laquo membre de famille raquo ce qui exclut le droit agrave lrsquoallocation familiale luxembourgeoise FV a saisi le conseil arbitral de la seacutecuriteacute sociale (Luxembourg) pour contester la deacutecision de la Caisse pour lrsquoavenir des enfants et celui-ci a estimeacute que les prestations familiales luxembourgeoises constituent un avantage social au sens du regraveglement sur la libre circulation des travailleurs 1 et qursquoelles se rapportent agrave lrsquoexercice drsquoune activiteacute salarieacutee degraves lors que pour se les voir attribuer FV doit ecirctre un travailleur soumis agrave la leacutegislation luxembourgeoise La Caisse pour lrsquoavenir des enfants a saisi en appel le conseil supeacuterieur de la seacutecuriteacute sociale (Luxembourg) car elle conteste notamment lrsquoassimilation des prestations familiales agrave un avantage social

Dans ces conditions le conseil supeacuterieur de la seacutecuriteacute sociale a deacutecideacute de surseoir agrave statuer et de poser agrave la Cour de justice les questions preacutejudicielles suivantes laquo 1) Lrsquoallocation familiale luxembourgeoise octroyeacutee selon les articles 269 et 270 du [code dans leur version applicable agrave partir du 1er aoucirct 2016] doit-elle ecirctre assimileacutee agrave un avantage social au sens de lrsquoarticle 45 TFUE et de lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement ndeg4922011 2) En cas drsquoassimilation la deacutefinition de membre de la famille applicable en vertu de lrsquoarticle [1er sous i)] du regraveglement ndeg8832004 srsquooppose agrave la deacutefinition plus eacutelargie de membre de la famille de lrsquoarticle 2 point 2 de la directive 200438 alors que cette derniegravere exclut toute autonomie de lrsquoEacutetat membre dans la deacutefinition de membre de la famille contrairement agrave ce qui est consacreacute par le regraveglement de coordination et exclut agrave titre subsidiaire toute notion de charge principale La deacutefinition de membre de la famille au sens de lrsquoarticle 1er [sous i)] du regraveglement ndeg8832004 doit-elle degraves lors preacutevaloir au vu de sa speacutecificiteacute dans le contexte drsquoune coordination des reacutegimes de seacutecuriteacute sociale et surtout lrsquoEacutetat membre garde-t-il compeacutetence pour deacutefinir les membres de la famille qui ouvrent droit agrave lrsquoallocation familiale 3) En cas drsquoapplication de lrsquoarticle 2 point 2 de la directive 200438 aux prestations familiales et plus preacuteciseacutement agrave lrsquoallocation familiale luxembourgeoise lrsquoexclusion de lrsquoenfant du conjoint de la deacutefinition du membre de la famille peut-elle ecirctre consideacutereacutee comme une discrimination indirecte justifieacutee au vu de lrsquoobjectif national de lrsquoEacutetat membre de consacrer le droit personnel de lrsquoenfant et de la neacutecessiteacute de proteacuteger lrsquoadministration de lrsquoEacutetat membre drsquoemploi alors que lrsquoeacutelargissement du champ personnel drsquoapplication constitue une charge deacuteraisonnable pour le systegraveme de prestations familiales luxembourgeois qui exporte notamment presque 48 de ses prestations familiales raquo

o Sur la premiegravere question

La Cour de justice commence par rappeler au point 25 quil reacutesulte de lobjectif deacutegaliteacute de traitement (inscrit agrave larticle 45 TFUE et agrave larticle 7 du regraveglement ndeg4922011 que la notion drsquolaquo avantage social raquo dans le cas des travailleurs ressortissants drsquoautres Eacutetats membres comprend tous les avantages qui lieacutes ou non agrave un contrat drsquoemploi sont geacuteneacuteralement reconnus aux travailleurs nationaux en raison principalement de leur qualiteacute objective de travailleurs ou du simple fait de leur reacutesidence sur le territoire national (voir en ce sens larrecirct Generaacutelny riaditeľ Sociaacutelnej poisťovne Bratislava ea C-44718 18 deacutecembre 2019 point 47) Elle indique ensuite au point 30 que au vu des documents dont elle dispose lrsquoallocation familiale en cause qui constitue un avantage est lieacutee pour un travailleur frontalier tel que FV agrave lrsquoexercice drsquoune activiteacute salarieacutee au Luxembourg Elle nrsquoa eacuteteacute initialement accordeacutee agrave FV que dans la mesure ougrave il eacutetait un travailleur frontalier soumis agrave la leacutegislation luxembourgeoise La Cour de justice en conclut au point 32 qursquoune allocation familiale lieacutee agrave lrsquoexercice par un travailleur frontalier drsquoune activiteacute salarieacutee dans un Eacutetat membre constitue un avantage social au sens de larticle 7 paragraphe 2 du regraveglement ndeg4922011

o Sur la deuxiegraveme et troisiegraveme question

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La Cour de justice estime sans donner plus de preacutecisions quil convient dexaminer les deux questions ensemble Elle preacutecise quil sagit en substance de deacuteterminer si lrsquoarticle 1er sous i) du regraveglement ndeg8832004 lu en combinaison avec lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement ndeg4922011 et avec lrsquoarticle 2 point 2 de la directive 200438 doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens qursquoil srsquooppose agrave des dispositions drsquoun Eacutetat membre en vertu desquelles les travailleurs frontaliers ne peuvent percevoir une allocation familiale lieacutee agrave lrsquoexercice par ceux-ci drsquoune activiteacute salarieacutee dans un Eacutetat membre que pour leurs propres enfants agrave lrsquoexclusion de ceux de leur conjoint avec lesquels ils nrsquoont pas de lien de filiation alors que le droit de percevoir cette allocation existe pour tous les enfants reacutesidant dans ledit Eacutetat membre Sur lapplicabiliteacute du regraveglement ndeg8832004 la Cour de justice observe au point 39 que lrsquoallocation concerneacutee est verseacutee pour tous les enfants reacutesidant au Luxembourg ainsi que pour tous les enfants des travailleurs non-reacutesidents ayant un lien de filiation avec ces derniers Cette prestation est donc octroyeacutee en dehors de toute appreacuteciation individuelle et discreacutetionnaire des besoins personnels sur la base drsquoune situation leacutegalement deacutefinie Elle est donc selon la jurisprudence de la Cour de justice et notamment larrecirct Generaacutelny riaditeľ Sociaacutelnej poisťovne Bratislava ea citeacute point 23 consideacutereacutee comme une prestation sociale En outre la Cour de justice souligne que la prestation en cause repreacutesente une contribution publique au budget familial destineacutee agrave alleacuteger les charges deacutecoulant de lrsquoentretien des enfants (arrecirct Martinez Silva C-44916 21 juin 2017 point 23) Elle en conclut dans son point 41 que cette allocation familiale constitue une prestation de seacutecuriteacute sociale relevant des prestations familiales ce qui deacutetermine lrsquoapplication du regraveglement ndeg8832004 sur la coordination des systegravemes de seacutecuriteacute sociale La Cour de justice indique dans son point suivant que dans le cas drsquoun travailleur frontalier tel que FV le regraveglement ndeg8832004 srsquoapplique puisqursquoil srsquoapplique agrave un ressortissant de lrsquoun des Eacutetats membres reacutesidant dans un Eacutetat membre qui est ou a eacuteteacute soumis agrave la leacutegislation drsquoun ou de plusieurs Eacutetats membres ainsi qursquoaux membres de sa famille et agrave leurs survivants Elle preacutecise quune application combineacutee de ce regraveglement et de larticle 7 paragraphe 2 du regraveglement ndeg4922011 Par ailleurs la Cour de justice rappelle que les membres de la famille drsquoun travailleur migrant sont des beacuteneacuteficiaires indirects de lrsquoeacutegaliteacute de traitement accordeacutee en ce qui concerne les avantages sociaux agrave ce travailleur par le regraveglement sur la libre circulation des travailleurs En outre selon la Cour de justice il y a lieu drsquoentendre par enfant drsquoun travailleur frontalier pouvant beacuteneacuteficier indirectement de ces avantages sociaux non seulement lrsquoenfant qui a un lien de filiation avec ce travailleur mais eacutegalement lrsquoenfant du conjoint ou du partenaire enregistreacute de celui-ci lorsque ce dernier pourvoit agrave lrsquoentretien de cet enfant (point 50) Elle preacutecise dans son point suivant quelle a consideacutereacute que la notion de laquo membre de la famille raquo du travailleur frontalier susceptible de beacuteneacuteficier indirectement de lrsquoeacutegaliteacute de traitement en vertu de lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement ndeg4922011 correspond agrave celle de laquo membre de la famille raquo au sens de lrsquoarticle 2 point 2 de la directive 200438 laquelle comprend le conjoint ou le partenaire avec lequel le citoyen de lrsquoUnion a contracteacute un partenariat enregistreacute les descendants directs qui sont acircgeacutes de moins de 21 ans ou qui sont agrave charge et les descendants directs du conjoint ou du partenaire La Cour de justice a notamment pris en consideacuteration agrave cet eacutegard le consideacuterant 1 lrsquoarticle 1er et lrsquoarticle 2 paragraphe 2 de la directive 201454 (directive relative agrave des mesures facilitant lexercice des droits confeacutereacutes aux travailleurs dans le contexte de la libre circulation des travailleurs ) Voir en ce sens arrecirct Depesme eaMinistegravere de lEnseignement supeacuterieur et de la Recherche C-40115 agrave C-40315 15 deacutecembre 2016 points 52 agrave 54 La Cour de justice indique au point 54 que le principe drsquoeacutegaliteacute de traitement prohibe non seulement les discriminations directes fondeacutees sur la nationaliteacute mais encore toutes formes indirectes de discrimination qui par application drsquoautres critegraveres de distinction aboutissent en fait au mecircme reacutesultat (arrecircts Bressol ea C-7308 point 40 13 avril 2010 ainsi que Aubriet C-4101810 juillet 2019) Il srsquoagit donc au vu des circonstances propres agrave la situation de FV de veacuterifier srsquoil existe une discrimination

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En vertu de la leacutegislation luxembourgeoise applicable tous les enfants reacutesidant au Luxembourg quel que soit leur statut au sein du foyer du travailleur peuvent preacutetendre agrave ladite allocation familiale En revanche les travailleurs non-reacutesidents ne peuvent y preacutetendre que pour leurs propres enfants agrave lrsquoexclusion des enfants de leur conjoint avec lesquels ils nrsquoont pas de lien de filiation La Cour de justice indique dans son point 56 qu laquo une telle distinction fondeacutee sur la reacutesidence qui est susceptible de jouer davantage au deacutetriment des ressortissants drsquoautres Eacutetats membres dans la mesure ougrave les non-reacutesidents sont le plus souvent des non-nationaux constitue une discrimination indirecte fondeacutee sur la nationaliteacute qui ne pourrait ecirctre admise qursquoagrave la condition drsquoecirctre objectivement justifieacutee raquo ce qui nrsquoest pas le cas dans lrsquoaffaire en cause puisquelle ne garantit par la reacutealisation dun objectif leacutegitime (voir en ce sens (arrecirct Aubriet citeacute point 28) La Cour de justice souligne que srsquoil est vrai que les personnes ayant droit aux prestations familiales sont deacutetermineacutees conformeacutement au droit national il nrsquoen demeure pas moins que les Eacutetats membres doivent respecter le droit de lrsquoUnion en lrsquooccurrence les dispositions relatives agrave la libre circulation des travailleurs (point 69) Ainsi dans le domaine speacutecifique de lrsquooctroi drsquoavantages sociaux la regravegle drsquoeacutegaliteacute de traitement srsquooppose agrave des dispositions drsquoun Eacutetat membre en vertu desquelles les travailleurs non-reacutesidents ne peuvent percevoir une allocation telle que lrsquoallocation familiale demandeacutee par FV que pour leurs propres enfants agrave lrsquoexclusion de ceux de leur conjoint avec lesquels ils nrsquoont pas de lien de filiation mais dont ils pourvoient agrave lrsquoentretien alors que tous les enfants reacutesidant dans cet Eacutetat membre ont le droit de percevoir cette allocation

Par ces motifs la Cour (sixiegraveme chambre) dit pour droit

1) Lrsquoarticle 45 TFUE et lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement (UE) ndeg4922011 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 5 avril 2011 relatif agrave la libre circulation des travailleurs agrave lrsquointeacuterieur de lrsquoUnion doivent ecirctre interpreacuteteacutes en ce sens qursquoune allocation familiale lieacutee agrave lrsquoexercice par un travailleur frontalier drsquoune activiteacute salarieacutee dans un Eacutetat membre constitue un avantage social au sens de ces dispositions

2) Lrsquoarticle 1er sous i) et lrsquoarticle 67 du regraveglement (CE) ndeg8832004 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systegravemes de seacutecuriteacute sociale lus en combinaison avec lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement ndeg4922011 et avec lrsquoarticle 2 point 2 de la directive 200438CE du Parlement europeacuteen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de lrsquoUnion et des membres de leurs familles de circuler et de seacutejourner librement sur le territoire des Eacutetats membres modifiant le regraveglement (CEE) ndeg 161268 et abrogeant les directives 64221CEE 68360CEE 72194CEE 73148CEE 7534CEE 7535CEE 90364CEE 90365CEE et 9396CEE doivent ecirctre interpreacuteteacutes en ce sens qursquoils srsquoopposent agrave des dispositions drsquoun Eacutetat membre en vertu desquelles les travailleurs frontaliers ne peuvent percevoir une allocation familiale lieacutee agrave lrsquoexercice par ceux-ci drsquoune activiteacute salarieacutee dans cet Eacutetat membre que pour leurs propres enfants agrave lrsquoexclusion de ceux de leur conjoint avec lesquels ils nrsquoont pas de lien de filiation mais dont ils pourvoient agrave lrsquoentretien alors que tous les enfants reacutesidant dans ledit Eacutetat membre ont le droit de percevoir cette allocation

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Cour de justice (neuviegraveme chambre) Landkreis Suumldliche WeinstraszligePF ea 2 avril 2020 C-83018

Reacutesumeacute Dans une affaire concernant le remboursement des frais de transports scolaires dun eacutelegraveve allemand reacutesidant en France et eacutetudiant en Allemagne la Cour de justice a jugeacute quune mesure permettant agrave un Land de soumettre la prise en charge du transport scolaire agrave une condition de reacutesidence dans ce Land constitue une discrimination indirecte agrave lrsquoencontre des travailleurs frontaliers et de leur famille En effet selon la Cour de justice une condition de reacutesidence ne peut ecirctre justifieacutee par une raison impeacuterieuse d rsquointeacuterecirct geacuteneacuteral tenant agrave lrsquoorganisation du systegraveme scolaire PF de nationaliteacute allemande freacutequente une eacutecole drsquoenseignement secondaire dans le Landkreis (arrondissement) Suumldliche Weinstraszlige du Land de la Rheacutenanie-Palatinat (Allemagne) mais reacuteside en France avec ses parents eacutegalement de nationaliteacute allemande Sa megravere travaille en Allemagne Agrave partir de lrsquoanneacutee scolaire 2015-2016 le Landkreis a refuseacute de prendre en charge les frais de transport scolaire de PF au motif que selon la leacutegislation de la Rheacutenanie-Palatinat il ne serait tenu drsquoorganiser le transport scolaire que pour des eacutelegraveves reacutesidant dans ce Land PF a deacuteposeacute une reacuteclamation contre la deacutecision du Landkreis qui a eacuteteacute rejeteacutee Il a ensuite formeacute un recours contre cette deacutecision de rejet devant le Verwaltungsgericht Neustadt an der Weinstraszlige (tribunal administratif de Neustadt sur Weinstraszlige Allemagne) Ce dernier a accueilli le recours au motif que PF en tant qursquoenfant drsquoun travailleur frontalier avait le droit de beacuteneacuteficier de la prise en charge de ses frais de transport scolaire en vertu de lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement ndeg4922011 Le Landkreis a interjeteacute appel de ce jugement devant la juridiction de renvoi lrsquoOberverwaltungsgericht Rheinland-Pfalz (tribunal administratif supeacuterieur de Rheacutenanie-Palatinat Allemagne) Cette derniegravere a poseacute deux questions preacutejucielles agrave la Cour de justice laquo 1)Lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement [] ndeg4922011 [] doit-il ecirctre interpreacuteteacute en ce sens qursquoest indirectement discriminatoire une disposition du droit national qui reacuteserve le beacuteneacutefice de lrsquoobligation drsquoassurer un service de transport scolaire incombant agrave certaines collectiviteacutes territoriales (Landkreise) agrave la population reacutesidant dans lrsquoEacutetat feacutedeacutereacute dont celles-ci relegravevent mecircme srsquoil ressort des circonstances concregravetes de lrsquoespegravece que en raison de cette condition de reacutesidence ce sont en tregraves grande majoriteacute les habitants du reste du territoire national de lrsquoEacutetat membre concerneacute qui sont exclus du beacuteneacutefice de cette prestation Dans lrsquohypothegravese ougrave il conviendrait de reacutepondre par lrsquoaffirmative agrave la premiegravere question 2) La neacutecessiteacute drsquoassurer lrsquoorganisation efficace du systegraveme scolaire constitue-t-elle une exigence drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral impeacuterative susceptible de justifier une discrimination indirecte raquo

o Sur la premiegravere question preacutejudicielle Pour reacutepondre agrave cette premiegravere question la Cour de justice rappelle en premier lieu que ledit travailleur ayant exerceacute sa liberteacute de circulation il est en droit de se preacutevaloir agrave lrsquoencontre de lrsquoEacutetat membre dont il a la nationaliteacute du regraveglement ndeg4922011 qui vise agrave mettre en œuvre la libre circulation des travailleurs agrave lrsquointeacuterieur de lrsquoUnion et notamment de lrsquoarticle 7 paragraphe 2 de ce regraveglement (point 25) Elle preacutecise au point suivant que les membres de la famille drsquoun travailleur migrant sont des beacuteneacuteficiaires indirects de lrsquoeacutegaliteacute de traitement accordeacutee agrave ce dernier par la mecircme disposition (voir en ce sens arrecirct Giersch ea C-2012 point 40 20 juin 2013) Ensuite la Cour de justice affirme que la prise en charge du transport scolaire drsquoun membre de la famille constitue un avantage social au sens de la disposition citeacutee au point preacuteceacutedent (point 27) La Cour de justice allegravegue au point suivant que lavantage social est eacutegalement soumis au principe drsquoeacutegaliteacute de traitement consacreacute agrave lrsquoarticle 45 TFUE qui prohibe non seulement les discriminations ostensibles fondeacutees sur la nationaliteacute mais encore toutes formes dissimuleacutees de discrimination qui par application drsquoautres critegraveres de distinction aboutissent en fait au mecircme reacutesultat

Renvoi preacutejudiciel ndash Libre circulation des travailleurs ndash Regraveglement (UE) ndeg4922011 ndash Enfants de travailleurs frontaliers ndash Avantages sociaux ndash Systegraveme de remboursement des frais de transport scolaire ndash Condition de reacutesidence dans un Land ndash Exclusion des enfants scolariseacutes dans ce Land et reacutesidant dans un Eacutetat membre autre que celui de lrsquoeacutetablissement scolaire freacutequenteacute ndash Exclusion des ressortissants nationaux reacutesidant dans les autres Laumlnder

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En lespegravece la mesure en cause en ce qursquoelle subordonne le remboursement des frais de transport scolaire agrave une condition de reacutesidence dans le Land est susceptible par sa nature mecircme de deacutefavoriser plus particuliegraverement les travailleurs frontaliers qui reacutesident dans un autre Eacutetat membre Partant la Cour de justice affirme dans son point 32 quelle constitue une discrimination indirecte prohibeacutee agrave lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement ndeg4922011 La Cour de justice preacutecise au point 34 quune telle conclusion ne saurait ecirctre remise en cause par le fait que les travailleurs nationaux qui reacutesident dans les autres Laumlnder pacirctissent eacutegalement de cette mesure nationale En effet pour qursquoune mesure puisse ecirctre qualifieacutee drsquoindirectement discriminatoire il nrsquoest pas neacutecessaire qursquoelle ait pour effet de favoriser lrsquoensemble des ressortissants nationaux ou de ne deacutefavoriser que les seuls travailleurs frontaliers agrave lrsquoexclusion des nationaux (voir en ce sens arrecirct Gemeinsamer Betriebsrat EurothermenResort Bad Schallerbach C-43717 points 31 et 32 13 mars 2019 ) Enfin la Cour de justice souligne que la discrimination en cause dans lrsquoaffaire au principal trouvant sa source dans une condition de reacutesidence sur une partie du territoire drsquoun Eacutetat membre et non pas dans une condition de nationaliteacute il importe peu afin de deacuteterminer lrsquoexistence drsquoune discrimination telle que deacutefinie dans le preacutesent arrecirct que les travailleurs nationaux qui reacutesident dans un autre Land se trouvent eacutegalement discrimineacutes par cette condition de reacutesidence (point 35) La Cour de justice conclut quen tout eacutetat de cause une telle mesure nationale constitue une entrave agrave la libre circulation des travailleurs prohibeacutee agrave lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement ndeg4922011 en ce que mecircme indistinctement applicable elle est susceptible drsquoempecirccher ou de dissuader un ressortissant drsquoun Eacutetat membre de quitter son Eacutetat drsquoorigine pour exercer son droit agrave la libre circulation (voir en ce sens arrecirct Bosman C-41593 point 96 15 deacutecembre 1995) et quil convient donc de reacutepondre agrave la premiegravere question preacutejudicielle poseacutee que lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement ndeg4922011 doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens qursquoune leacutegislation nationale qui subordonne la prise en charge du transport scolaire par un Land agrave une condition de reacutesidence sur le territoire de ce Land constitue une discrimination indirecte en ce qursquoelle est susceptible par sa nature mecircme drsquoaffecter davantage les travailleurs frontaliers que les travailleurs nationaux (points 36 et 37)

o Sur la deuxiegraveme question preacutejudicielle Par sa seconde question la juridiction de renvoi demande en substance si lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement ndeg4922011 doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que la neacutecessiteacute drsquoassurer lrsquoorganisation efficace du systegraveme scolaire constitue une raison impeacuterieuse drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral susceptible de justifier une mesure nationale qualifieacutee de discrimination indirecte La Cour de justice commence par rappeler au point 39 qursquoune discrimination indirecte est en principe prohibeacutee agrave moins qursquoelle ne soit objectivement justifieacutee Pour cela elle doit drsquoune part ecirctre propre agrave garantir la reacutealisation drsquoun objectif leacutegitime et drsquoautre part ne pas aller au-delagrave de ce qui est neacutecessaire pour atteindre cet objectif (arrecircts Giersch ea citeacute point 46 et Aubriet C-41018 point 29 10 juillet 2019) Elle rappelle au point suivant quelle avait jugeacute qursquoune action entreprise par un Eacutetat membre afin drsquoassurer un niveau eacuteleveacute de formation de sa population reacutesidente poursuit un objectif leacutegitime susceptible de justifier une discrimination indirecte et que la poursuite drsquoeacutetudes supeacuterieures constitue un objectif drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral reconnu au niveau de lrsquoUnion (arrecircts Giersch point 53 et Aubriet point 31 citeacutes) Cependant selon la Cour de justice le fait mecircme que si lrsquoeacutetablissement freacutequenteacute est situeacute en dehors du territoire du Land de Rheacutenanie-Palatinat les frais de transport sont pris en charge par le Landkreis ou par la ville non rattacheacutee agrave un Landkreis sur le territoire duquel ou de laquelle lrsquoeacutelegraveve est domicilieacute atteste que lrsquoorganisation du transport scolaire au niveau du Land nrsquoest pas indissociablement lieacutee agrave lrsquoorganisation du systegraveme scolaire au sein de ce Land Par conseacutequent la Cour de justice juge que les dispositions du Land sur le transport scolaire ne preacutesentent pas un lien suffisamment eacutetroit avec lrsquoorganisation du systegraveme scolaire pour qursquoil soit consideacutereacute que ces dispositions poursuivent un objectif leacutegitime En tout eacutetat de cause la condition de reacutesidence opposeacutee agrave PF ne peut ecirctre consideacutereacutee comme indispensable agrave la planification et agrave lrsquoorganisation du transport scolaire degraves lors que comme lrsquoOberverwaltungsgericht Rheinland-Pfalz lrsquoindique drsquoautres mesures pourraient ecirctre envisageacutees En particulier la Cour de justice indique que pour le calcul du montant des frais de transport scolaire devant ecirctre rembourseacutes laquo le point ougrave le trajet agrave vol drsquooiseau entre le lieu de reacutesidence reacuteel et lrsquoeacutetablissement scolaire le plus proche coupe la frontiegravere raquo pourrait ecirctre pris en compte agrave titre de domicile de lrsquoeacutelegraveve

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La Cour de justice conclut donc que les difficulteacutes pratiques lieacutees agrave lrsquoorganisation efficace du transport scolaire au niveau reacutegional ne constituent pas une raison impeacuterieuse drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral susceptible de justifier une mesure nationale qualifieacutee de discrimination indirecte (points 42 agrave 46) Par ces motifs la Cour (neuviegraveme chambre) dit pour droit 1) Lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement (UE) no 4922011 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 5 avril 2011 relatif agrave la libre circulation des travailleurs agrave lrsquointeacuterieur de lrsquoUnion doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens qursquoune leacutegislation nationale qui subordonne la prise en charge du transport scolaire par un Land agrave une condition de reacutesidence sur le territoire de ce Land constitue une discrimination indirecte en ce qursquoelle est susceptible par sa nature mecircme drsquoaffecter davantage les travailleurs frontaliers que les travailleurs nationaux 2) Lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement no 4922011 doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que les difficulteacutes pratiques lieacutees agrave lrsquoorganisation efficace du transport scolaire au sein drsquoun Land ne constituent pas une raison impeacuterieuse drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral susceptible de justifier une mesure nationale qualifieacutee de discrimination indirecte

Non-discrimination

Cour de justice (grande chambre) Ruska Federacija 2 avril 2020 C-89719 PPU

Reacutesumeacute Lorsqursquoun Eacutetat membre doit statuer sur une demande drsquoextradition issu drsquoun Eacutetat tiers et concernant un ressortissant drsquoun Eacutetat de lrsquoAssociation europeacuteenne de libre-eacutechange (AELE) partie agrave lrsquoaccord sur lrsquoEspagne eacuteconomique europeacuteen (EEE) il lui incombe de veacuterifier que ce ressortissant ne sera pas soumis agrave la peine de mort agrave la torture ou agrave des peines ou traitements inhumains ou deacutegradants De plus avant drsquoenvisager drsquoexeacutecuter la demande drsquoextradition la Cour de justice preacutecise que lrsquoEacutetat membre doit en informer lrsquoEacutetat de lrsquoAELE pour permettre agrave celui-ci de solliciter la remise de son ressortissant En mai 2015 le bureau drsquoInterpol de Moscou (Russie) a eacutemis un avis de recherche international contre un ressortissant russe aux fins de son arrestation en raison de poursuites peacutenales engageacutees contre lui Le 30 juin 2019 alors qursquoil tentait drsquoentrer sur le territoire de la Croatie le ressortissant russe muni drsquoun document de voyage islandais pour reacutefugieacutes srsquoest fait arrecircter sur le fondement de cet lrsquoavis de recherche Le ressortissant russe interrogeacute par le juge drsquoinstruction du Županijski sud u Zagrebu (tribunal de comitat de Zagreb Croatie) a deacuteclareacute srsquoopposer agrave son extradition en Russie et a indiqueacute ecirctre agrave la fois citoyen russe et citoyen islandais Lrsquoambassade islandaise a confirmeacute son statut de reacutesident permanent en Islande et a indiqueacute que le gouvernement islandais souhaitait que lrsquoindividu se voit attribuer un sauf-conduit vers lrsquoIslande dans les plus brefs deacutelais Le 6 aoucirct 2019 le tribunal de comitat de Zagreb a reccedilu une demande du ministegravere public geacuteneacuteral de la Feacutedeacuteration de Russie de lrsquoextradition de leur ressortissant vers cet Eacutetat tiers en raison des poursuites peacutenales engageacutees contre

Renvoi preacutejudiciel ndash Proceacutedure preacutejudicielle drsquourgence ndash Accord EEE ndash Non-discrimination ndash Article 36 ndash Libre prestation des services ndash Champ drsquoapplication ndash Accord entre lrsquoUnion europeacuteenne la Reacutepublique drsquoIslande et le Royaume de Norvegravege sur lrsquoassociation de ces deux Eacutetats agrave la mise en œuvre agrave lrsquoapplication et au deacuteveloppement de lrsquoacquis de Schengen ndash Accord relatif agrave la proceacutedure de remise entre les Eacutetats membres de lrsquoUnion europeacuteenne drsquoune part et lrsquoIslande et la Norvegravege drsquoautre part ndash Extradition vers un Eacutetat tiers drsquoun ressortissant islandais ndash Protection des ressortissants drsquoun Eacutetat membre contre lrsquoextradition ndash Absence de protection eacutequivalente des ressortissants drsquoun autre Eacutetat ndash Ressortissant islandais ayant obtenu lrsquoasile en vertu du droit national avant lrsquoacquisition de la citoyenneteacute islandaise ndash Restriction agrave la libre circulation ndash Justification fondeacutee sur la preacutevention de lrsquoimpuniteacute ndash Proportionnaliteacute ndash Veacuterification des garanties preacutevues agrave lrsquoarticle 19 paragraphe 2 de la Charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne

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lui Le ministegravere public geacuteneacuteral a preacuteciseacute que la demande drsquoextradition nrsquoavait pas pour but de poursuivre lrsquoindividu pour des motifs politiques ni en raison de sa race de sa religion de sa nationaliteacute ou de ses opinions que toutes les possibiliteacutes drsquoexercer sa deacutefense y compris lrsquoassistance drsquoun avocat seraient mises agrave sa disposition et qursquoil ne serait pas soumis agrave la torture agrave des traitements cruels ou inhumains ou encore agrave des peines portant atteinte agrave la digniteacute humaine Par ordonnance du 5 septembre 2019 le tribunal de comitat de Zagreb a jugeacute que les conditions leacutegales pour lrsquoextradition du ressortissant russe eacutetaient remplies Le ressortissant russe a interjeteacute appel de cette ordonnance devant le Vrhovni sud (Cour suprecircme) Il a fait valoir qursquoil existait un risque concret seacuterieux et raisonnable qursquoen cas drsquoextradition vers la Russie il y soit soumis agrave la torture et agrave des traitements inhumains et deacutegradants et que le statut de reacutefugieacute lui avait eacuteteacute reconnu en Islande preacuteciseacutement en raison des poursuites effectives dont il faisait lrsquoobjet en Russie En affirmant posseacuteder la citoyenneteacute islandaise il a reprocheacute au tribunal comitat de Zagreb drsquoavoir meacuteconnu lrsquoarrecirct du 6 septembre 2016 Petruhhin (C-18215) Dans ces conditions le Vrhovni sud (Cour suprecircme) a deacutecideacute de surseoir agrave statuer et de poser agrave la Cour de justice les questions preacutejudicielles suivantes 1 Convient-il drsquointerpreacuteter lrsquoarticle 18 TFUE en ce sens qursquoun Eacutetat membre de lrsquoUnion europeacuteenne

qui statue sur lrsquoextradition vers un Eacutetat tiers drsquoun ressortissant drsquoun Eacutetat qui nrsquoest pas membre de lrsquoUnion [] mais qui est membre de lrsquoespace Schengen est tenu drsquoinformer de la demande drsquoextradition lrsquoEacutetat membre de lrsquoespace Schengen dont cette personne a la nationaliteacute

2 Si la question preacuteceacutedente appelle une reacuteponse affirmative et que lrsquoEacutetat membre de lrsquoespace

Schengen a solliciteacute la remise de cette personne afin de mener une proceacutedure pour laquelle lrsquoextradition est demandeacutee convient-il de lui remettre cette personne conformeacutement agrave lrsquoaccord relatif agrave la proceacutedure de remise

Selon la Cour de justice les articles 18 et 21 TFUE doivent ecirctre interpreacuteteacutes en ce sens que lorsqursquoun Eacutetat membre dans lequel un citoyen de lrsquoUnion ressortissant drsquoun autre Eacutetat membre srsquoest deacuteplaceacute se voit adresser une demande drsquoextradition par un Eacutetat tiers avec lequel le premier Eacutetat membre a conclu un accord drsquoextradition il est tenu drsquoinformer lrsquoEacutetat membre dont ledit citoyen a la nationaliteacute et le cas eacutecheacuteant agrave la demande de ce dernier Eacutetat membre de lui remettre ce citoyen conformeacutement aux dispositions de la deacutecision-cadre 2002584JAI du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat drsquoarrecirct europeacuteen et aux proceacutedures de remises entre Eacutetats membres telle que modifieacutee par la deacutecision-cadre 2009299JAI du Conseil du 26 feacutevrier 2009 pourvu que cet Eacutetat membre soit compeacutetent en vertu de son droit national pour poursuivre cette personne pour des faits commis en dehors de son territoire national (arrecirct du 6 septembre 2016 Petruhhin C-18215 point 50) Afin drsquoeacuteviter le risque drsquoimpuniteacute de la personne concerneacutee pour les faits qui lui sont reprocheacutes dans la demande drsquoextradition le mandat drsquoarrecirct europeacuteen eacuteventuellement eacutemis par un Eacutetat membre autre que lrsquoEacutetat membre requis doit porter agrave tout le moins sur les mecircmes faits (arrecirct du 10 avril 2018 Pisciotti C-19116 point 54) La Cour de justice estime qursquoen interdisant laquo toute discrimination exerceacutee en raison de la nationaliteacute raquo lrsquoarticle 18 TFUE exige lrsquoeacutegaliteacute de traitement des personnes se trouvant dans une situation tombant dans le domaine drsquoapplication des traiteacutes Neacuteanmoins cette disposition nrsquoa pas vocation agrave srsquoappliquer dans le cas drsquoune eacuteventuelle diffeacuterence de traitement entre les ressortissants des Eacutetats membres et ceux des Eacutetats tiers (arrecirct du 4 juin 2009 Vatsouras et Koupatantze C-2208 et C-2308 point 52 avis 117 (Accord ECG UE-Canada) du 30 avril 2019 point 169) Srsquoagissant de lrsquoarticle 21 TFUE son paragraphe 1 preacutevoit le droit de tout citoyen de lrsquoUnion de circuler et de seacutejourner librement sur le territoire des Eacutetats membres et srsquoapplique ainsi qursquoil en ressort de lrsquoarticle 20 paragraphe 1 TFUE agrave toute personne ayant la nationaliteacute drsquoun Eacutetat membre de telle sorte qursquoil ne srsquoapplique pas non plus agrave un ressortissant drsquoun Eacutetat tiers Toutefois la Cour de justice rappelle qursquoelle a pour mission drsquointerpreacuteter toutes les dispositions du droit de lrsquoUnion dont les juridictions nationales ont besoin afin de statuer sur les litiges qui leur sont soumis mecircme si ces

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dispositions ne sont pas indiqueacutees expresseacutement dans les questions qui lui sont adresseacutees par ces juridictions (arrecirct du 8 mai 2019 PI C-23018 point 42) Ainsi la Cour de justice juge qursquoil est neacutecessaire de preacuteciser la porteacutee de la protection offerte par lrsquoarticle 19 paragraphe 2 de la Charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne aux termes duquel nul ne peut ecirctre eacuteloigneacute expulseacute ou extradeacute vers un Eacutetat ougrave il existe un risque seacuterieux qursquoil soit soumis agrave la peine de mort la torture ou agrave drsquoautres peines ou traitements inhumains ou deacutegradants

o Sur lrsquoapplicabiliteacute du droit de lrsquoUnion dans le litige principal En lrsquoabsence de convention internationale agrave ce sujet entre lrsquoUnion europeacuteenne et lrsquoEacutetat tiers concerneacute les regravegles en matiegravere drsquoextradition relegravevent de la compeacutetence des Eacutetats membres Neacuteanmoins les Eacutetats membres sont tenus drsquoexercer cette compeacutetence dans le respect du droit de lrsquoUnion (arrecirct du 13 novembre 2018 Raugevicius C-24717 point 45) La Cour de justice preacutecise que lrsquoaccord EEE accord international conclu par lrsquoUnion fait partie inteacutegrante du droit de celle-ci Agrave ce titre des situations relevant du champ drsquoapplication de drsquoun tel accord sont reacutegies par le droit de lrsquoUnion (point 49) Selon la Cour de justice lrsquoaccord EEE reacuteaffirme lrsquoexistence de relations privileacutegieacutees entre lrsquoUnion europeacuteenne ses Eacutetats membres et les Eacutetats de lrsquoAELE agrave la lumiegravere de ces derniegraveres lrsquoaccord viserait agrave ce que le marcheacute inteacuterieur reacutealiseacute sur le territoire de lrsquoUnion soit eacutetendu aux Eacutetats de lrsquoAELE Pour y parvenir certaines stipulations de lrsquoaccord visent agrave garantir une interpreacutetation aussi uniforme que possible de celui-ci sur lrsquoensemble de lrsquoEEE La Cour de justice estime qursquoil lui revient dans ce cadre de veiller agrave ce que les regravegles de lrsquoaccord EEE identiques en substance agrave celles du TFUE soient interpreacuteteacutees de maniegravere uniforme agrave lrsquointeacuterieur des Eacutetats membres (point 50) En lrsquoespegravece lrsquoindividu en cause faisait valoir qursquoil eacutetait entreacute en Croatie pour y passer ses vacances La Cour de justice juge que la liberteacute de prestation de services au sens de lrsquoarticle 56 TFUE inclut la liberteacute des destinataires de service de rendre dans un autre Eacutetat membre pour y beacuteneacuteficier drsquoun service les touristes devant ecirctre consideacutereacutes comme eacutetant des destinataires de services beacuteneacuteficiaires de cette liberteacute Elle preacutecise que la mecircme interpreacutetation srsquoimpose agrave lrsquoeacutegard de la liberteacute de prestation de services garantie agrave lrsquoarticle 36 de lrsquoaccord EEE (points 52 et 52) Ainsi la Cour de justice juge que la situation de lrsquoindividu en cause relegraveve du champ drsquoapplication de lrsquoaccord EEE et du droit de lrsquoUnion du fait de sa qualiteacute de ressortissant islandais (par analogie arrecirct du 6 septembre 2016 Petruhhin C-18215 points 30 et 31) Degraves lors la Croatie est tenue drsquoexercer sa compeacutetence en matiegravere drsquoextradition agrave destination drsquoEacutetats tiers drsquoune maniegravere conforme agrave lrsquoaccord EEE

o Sur la restriction agrave la libre prestation des services et lrsquoeacuteventuelle justification de celle-ci Lrsquoarticle 4 de lrsquoaccord EEE exige lrsquoeacutegaliteacute de traitement des personnes se trouvant dans une situation reacutegie par cet accord en interdisant laquo toute discrimination exerceacutee en raison de la nationaliteacute raquo La Cour de justice explique que les regravegles nationales drsquoextradition telles que celles en cause introduisent une diffeacuterence de traitement selon que la personne concerneacutee soit un ressortissant national ou un ressortissant drsquoun Eacutetat de lrsquoAELE partie agrave lrsquoaccord EEE car elles conduisent agrave ne pas accorder aux ressortissants de ces derniers Eacutetats la protection contre lrsquoextradition dont jouissent les ressortissants nationaux (par analogie arrecirct du 6 septembre 2016 Petruhhin C-18215 point 32) Ainsi de telles regravegles sont susceptibles drsquoaffecter la liberteacute consacreacutee agrave lrsquoarticle 36 de lrsquoaccord EEE La Cour de justice ajoute que la circonstance selon laquelle la personne concerneacutee a la qualiteacute de ressortissant drsquoun Eacutetat de lrsquoAELE partie agrave lrsquoaccord EEE et le fait que cet Eacutetat met en œuvre et applique lrsquoacquis de Schengen rendent la situation de cette personne objectivement comparable agrave celle drsquoun citoyen de lrsquoUnion (point 58)

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Toutefois la Cour de justice preacutecise qursquoune telle restriction ne peut ecirctre justifieacutee que si elle est fondeacutee sur des consideacuterations objectives et proportionneacutee agrave lrsquoobjectif leacutegitimement poursuivi par le droit national (par analogie arrecirct du 6 septembre 2016 Petruhhin C-18215 points 34) En lrsquoespegravece la Cour de justice considegravere que lrsquoobjectif drsquoeacuteviter le risque drsquoimpuniteacute des personnes ayant commis une infraction avanceacute dans la demande de deacutecision preacutejudicielle agrave des fins de justification doit ecirctre perccedilue comme preacutesentant un caractegravere leacutegitime Pour autant des restrictions agrave la liberteacute consacreacutee agrave lrsquoarticle 36 de lrsquoaccord EEE ne peuvent ecirctre justifieacutee par des consideacuterations objectives que si elles sont approprieacutees pour la protection des inteacuterecircts qursquoelles visent agrave garantir et seulement dans la mesure ougrave ces objectifs en peuvent ecirctre atteints par des mesures moins restrictives Agrave ce titre degraves lors que le ressortissant islandais se preacutevaut drsquoun risque seacuterieux de traitement inhumain et deacutegradant en cas drsquoextradition lrsquoEacutetat membre requis doit veacuterifier avant de proceacutedure agrave une eacuteventuelle extradition que cette derniegravere ne portera pas atteinte aux droits viseacutes agrave lrsquoarticle 19 paragraphe 2 de la Charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne Ainsi lrsquoautoriteacute compeacutetente de lrsquoEacutetat membre requis telle que la juridiction de renvoi doit se fonder aux fins de cette veacuterification sur des eacuteleacutements objectifs fiables preacutecis et ducircment actualiseacutes eacuteleacutements pouvant reacutesulter notamment de deacutecisions judiciaires internationales telles que des arrecircts de la Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme de deacutecisions judiciaires de lrsquoEacutetat tiers requeacuterant ainsi que de deacutecisions de rapports et drsquoautres documents eacutetablis par les organes du Conseil de lrsquoEurope ou relevant du systegraveme des Nations unies (arrecirct du 6 septembre 2016 Petruhhin C-18215 points 55 agrave 59 et jurisprudence citeacutee) Si les autoriteacutes de lrsquoEacutetat membre requis estiment que lrsquoarticle 19 paragraphe 2 de la Charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne ne srsquooppose pas agrave lrsquoexeacutecution de cette demande il faudra examiner si la restriction en cause est proportionneacutee agrave lrsquoobjectif de lutte contre lrsquoimpuniteacute drsquoune personne qui aurait commis une infraction peacutenale La Cour de justice souligne que la mise en œuvre des meacutecanismes de coopeacuteration et drsquoassistance mutuelle existant en matiegravere peacutenale en vertu du droit de lrsquoUnion constitue en tout eacutetat de cause une mesure alternative moins attentatoire au droit agrave la libre circulation que lrsquoextradition vers un Eacutetat tiers avec lequel lrsquoUnion nrsquoa pas conclu drsquoaccord drsquoextradition et qui permet drsquoatteindre aussi efficacement cet objectif (point 69) Ainsi il en revient agrave lrsquoautoriteacute compeacutetente de lrsquoEacutetat membre requis drsquoinformer lrsquoEacutetat membre dont lrsquointeacuteresseacute agrave la nationaliteacute et le cas eacutecheacuteant agrave la demande de ce dernier Eacutetat de lui remettre lrsquointeacuteresseacute sur le fondement drsquoun mandat drsquoarrecirct europeacuteen en vertu de la deacutecision-cadre 2002584JAI Or cette deacutecision ne srsquoapplique pas agrave la Reacutepublique drsquoIslande cet Eacutetat a conclu avec lrsquoUnion un accord relatif agrave la proceacutedure de remise entreacute en vigueur le 1er novembre 2019 dont les dispositions sont tregraves semblables aux dispositions correspondantes de la deacutecision Au regard de ce qui preacutecegravede la Cour de justice juge que la solution retenue dans lrsquoarrecirct Petruhhin (C-18215) doit ecirctre appliqueacutee par analogie aux ressortissants islandais qui se trouvent agrave lrsquoeacutegard de lrsquoEacutetat tiers sollicitant leur extradition dans une situation objectivement comparable agrave celle drsquoun citoyen de lrsquoUnion auquel selon lrsquoarticle 3 paragraphe 2 TUE lrsquoUnion offre un espace de liberteacute de seacutecuriteacute et de justice sans frontiegraveres inteacuterieures au sein duquel est assureacutee la libre circulation des personnes Partant lorsqursquoun Eacutetat membre dans lequel un ressortissant de la Reacutepublique drsquoIslande srsquoest deacuteplaceacute se voit adresser une demande drsquoextradition par un Eacutetat tiers avec lequel le premier Eacutetat membre a conclu un accord drsquoextradition il est en principe tenu drsquoinformer la Reacutepublique drsquoIslande et le cas eacutecheacuteant de lui remettre ce ressortissant agrave sa demande conformeacutement aux dispositions de lrsquoaccord relatif agrave la proceacutedure de remise pourvu que la Reacutepublique drsquoIslande soit compeacutetente en vertu de son droit national pour poursuivre cette personne pour des faits commis en dehors de son territoire national (point 76) Par ces motifs la Cour (grande chambre) dit pour droit Le droit de lrsquoUnion en particulier lrsquoarticle 36 de lrsquoaccord sur lrsquoEspace eacuteconomique europeacuteen du 2 mai 1992 et lrsquoarticle 19 paragraphe 2 de la Charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que lorsqursquoun Eacutetat membre dans lequel srsquoest deacuteplaceacute un ressortissant drsquoun Eacutetat membre de lrsquoAssociation europeacuteenne de libre-eacutechange (AELE) partie agrave lrsquoaccord sur lrsquoEspace eacuteconomique europeacuteen et avec lequel lrsquoUnion europeacuteenne a conclu un accord de remise se voit adresser

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une demande drsquoextradition par un Eacutetat tiers en vertu de la convention europeacuteenne drsquoextradition signeacutee agrave Paris le 13 deacutecembre 1957 et lorsque ce ressortissant srsquoeacutetait vu accorder lrsquoasile par cet Eacutetat de lrsquoAELE anteacuterieurement agrave son acquisition de la nationaliteacute dudit Eacutetat preacuteciseacutement en raison des poursuites dont il fait lrsquoobjet dans lrsquoEacutetat ayant eacutemis la demande drsquoextradition il incombe agrave lrsquoautoriteacute compeacutetente de lrsquoEacutetat membre requis de veacuterifier que lrsquoextradition ne portera pas atteinte aux droits viseacutes audit article 19 paragraphe 2 de la Charte des droits fondamentaux lrsquooctroi de lrsquoasile constituant un eacuteleacutement particuliegraverement seacuterieux dans le cadre de cette veacuterification Avant drsquoenvisager drsquoexeacutecuter la demande drsquoextradition lrsquoEacutetat membre requis est en tout eacutetat de cause tenu drsquoinformer ce mecircme Eacutetat de lrsquoAELE et le cas eacutecheacuteant de lui remettre agrave sa demande ledit ressortissant conformeacutement aux dispositions de lrsquoaccord de remise pourvu que ledit Eacutetat de lrsquoAELE soit compeacutetent en vertu de son droit national pour poursuivre ce ressortissant pour des faits commis en dehors de son territoire national

Cour de justice (huitiegraveme chambre) HB et IC Istituto nazionale della previdenza sociale 30 avril 2020 C-16819 et C-16919

Reacutesumeacute La Cour de justice par cet arrecirct a jugeacute que le reacutegime fiscal italien reacutesultant de la convention italo-portugaise contre la double imposition sur les revenus nrsquoenfreint pas les principes de libre circulation et de non-discrimination Les retraiteacutes du secteur priveacute et du secteur public peuvent donc ecirctre soumis agrave des reacuteglementations fiscales nationales diffeacuterentes

HB et IC de nationaliteacute italienne sont drsquoanciens agents du secteur public italien beacuteneacuteficiant drsquoune pension de

retraite verseacutee par lrsquoIstituto Nazionale della Previdenza Sociale (Institut national de la seacutecuriteacute sociale Italie ci-

apregraves laquo INPS raquo) Apregraves avoir transfeacutereacute leur reacutesidence au Portugal ils ont demandeacute en 2015 agrave lrsquoINPS de recevoir

en application de la Convenzione tra la Repubblica italiana e la Repubblica portoghese per evitare le doppie

imposizioni e prevenire lrsquoevasione fiscale in materia di imposte sul reddito (convention italo-portugaise contre les

doubles impositions) le montant brut de leur pension sans preacutelegravevement drsquoimpocirct agrave la source par lrsquoItalie de maniegravere

agrave pouvoir beacuteneacuteficier des avantages fiscaux offerts par le Portugal LrsquoINPS a rejeteacute leurs demandes consideacuterant

que cette reacuteglementation srsquoapplique uniquement aux retraiteacutes italiens du secteur priveacute ayant transfeacutereacute leur

reacutesidence au Portugal ainsi qursquoaux retraiteacutes italiens du secteur public qui en plus drsquoavoir transfeacutereacute leur reacutesidence

au Portugal ont acquis la nationaliteacute portugaise condition que HB et IC ne remplissent pas

HB et IC ont alors saisi la Corte dei conti ndash Sezione Giurisdizionale per la Regione Puglia (Cour des comptes ndash

chambre juridictionnelle pour la reacutegion des Pouilles Italie ci-apregraves laquo Cour des comptes raquo)

Dans ces conditions la Cour des comptes a deacutecideacute de surseoir agrave statuer et de poser agrave la Cour de justice la question

preacutejudicielle suivante libelleacutee de maniegravere identique dans les deux affaires jointes

laquo Les articles 18 et 21 TFUE doivent-ils ecirctre interpreacuteteacutes en ce sens qursquoils srsquoopposent agrave ce que la reacuteglementation drsquoun Eacutetat membre

preacutevoie drsquoimposer les revenus drsquoune personne reacutesidente dans un autre Eacutetat membre qui a acquis inteacutegralement son revenu dans le

premier Eacutetat membre mais qui nrsquoa pas la nationaliteacute du second Eacutetat en ne lui permettant pas de beacuteneacuteficier des avantages fiscaux

offerts par ce dernier raquo

o Sur la question preacutejudicielle

Dans son point 15 la Cour de justice reformule la question preacutejudicielle et affirme que la juridiction de renvoi

demande en substance si les articles 18 et 21 TFUE (principes de non-discrimination et de libre circulation des

citoyens de lUnion) srsquoopposent agrave un reacutegime fiscal reacutesultant drsquoune convention preacuteventive de la double imposition

conclue entre deux Eacutetats membres en vertu de laquelle la compeacutetence fiscale de ces Eacutetats en matiegravere drsquoimposition

Renvoi preacutejudiciel ndash Libre circulation des personnes ndash Article 21 TFUE ndash Principe de non-discrimination en raison de la nationaliteacute ndash Article 18 TFUE ndash Convention preacuteventive de la double imposition ndash Travailleurs du secteur public ndash Pensionneacute reacutesidant dans un Eacutetat membre autre que celui lui versant une pension de retraite et ne posseacutedant pas la nationaliteacute de lrsquoEacutetat membre de reacutesidence ndash Impocirct sur le revenu ndash Preacutetendue perte drsquoavantages fiscaux ndash Preacutetendue entrave agrave la liberteacute de circulation et preacutetendue discrimination

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sur les pensions de retraite est reacutepartie selon que les beacuteneacuteficiaires de celles-ci exerccedilaient un emploi relevant du

secteur priveacute ou du secteur public et dans ce dernier cas selon qursquoils ont ou non la nationaliteacute de lrsquoEacutetat membre

de reacutesidence

Par son arrecirct de ce jour la Cour de justice reacutepond par la neacutegative aux deux questions

La Cour de justice rappelle des points 16 agrave 20 sa jurisprudence (Cour de justice Bukovansky 19 novembre 2015

C-24114 et Gilly 12 mai 1998 C-33696) selon laquelle les Eacutetats membres sont libres dans le cadre de

conventions contre les doubles impositions de fixer les critegraveres de reacutepartition entre eux de la compeacutetence fiscale

de telles conventions nrsquoayant pas pour but de garantir que lrsquoimposition dans un Eacutetat ne soit pas supeacuterieure agrave celle

drsquoun autre Eacutetat

En effet elle relegraveve dans son point 17 qursquoune convention bilateacuterale preacuteventive de la double imposition telle que

cette convention italo-portugaise a pour objet drsquoeacuteviter que le mecircme revenu soit imposeacute dans chacune des deux

parties agrave cette convention et non pas de garantir que lrsquoimposition agrave laquelle est assujetti le contribuable dans une

partie contractante ne soit pas supeacuterieure agrave celle agrave laquelle il serait assujetti dans lrsquoautre partie contractante (arrecirct

Bukovansky citeacute point 44) Elle ajoute au paragraphe suivant quagrave cette fin il nrsquoest pas deacuteraisonnable pour les

Eacutetats membres drsquoutiliser les critegraveres suivis dans la pratique fiscale internationale et en particulier comme lrsquoont

fait la Reacutepublique italienne et la Reacutepublique portugaise le modegravele de convention fiscale concernant le revenu et

la fortune eacutelaboreacute par lrsquoOCDE dont lrsquoarticle 19 paragraphe 2 dans sa version de lrsquoanneacutee 2014 qui preacutevoit des

facteurs de rattachement tels que lrsquoEacutetat payeur et la nationaliteacute (arrecircts Gilly citeacute point 31 et Sauvage et Lejeune

C-60217 24 octobre 2018 point 23)

Dans ce cadre les Eacutetats membres peuvent notamment reacutepartir la compeacutetence fiscale sur la base de critegraveres tels

que lrsquoEacutetat payeur ou la nationaliteacute Or la diffeacuterence de traitement que HB et IC allegraveguent avoir subie deacutecoule de

la reacutepartition du pouvoir drsquoimposition entre lrsquoItalie et le Portugal ainsi que des dispariteacutes existant entre les reacutegimes

fiscaux de ces Eacutetats membres (arrecirct Bukovansky citeacute point 38) La Cour de justice affirme que dans ces conditions

il ne saurait ecirctre question drsquoune discrimination interdite (sect19)

Par ces motifs la Cour de justice (huitiegraveme chambre) dit pour droit

Les articles 18 et 21 TFUE ne srsquoopposent pas agrave un reacutegime fiscal reacutesultant drsquoune convention preacuteventive

de la double imposition conclue entre deux Eacutetats membres en vertu de laquelle la compeacutetence fiscale

de ces Eacutetats en matiegravere drsquoimposition sur les pensions de retraite est reacutepartie selon que les beacuteneacuteficiaires

de celles-ci exerccedilaient un emploi relevant du secteur priveacute ou du secteur public et dans ce dernier cas

selon qursquoils ont ou non la nationaliteacute de lrsquoEacutetat membre de reacutesidence

Protection de la seacutecuriteacute et de la santeacute des travailleurs

Cour de justice (dixiegraveme chambre) UO Keacuteszenleacuteti Rendőrseacuteg 30 avril 2020 C-21119

Reacutesumeacute Dans une affaire qui concerne lrsquoameacutenagement du temps de travail drsquoun membre de la police drsquointervention de la Hongrie

la Cour de justice juge que la directive 200388CE sur le temps de travail srsquoapplique aux agents de la police drsquointervention

hongroise assurant la surveillance des frontiegraveres exteacuterieures de lrsquoespace Schengen dans le contexte de la crise migratoire La Cour de

justice rappelle que ces activiteacutes peuvent neacuteanmoins eacutechapper aux regravegles de la directive dans des circonstances drsquoune graviteacute et drsquoune

ampleur exceptionnelles

La preacutesente demande de deacutecision preacutejudicielle deacuteposeacutee le 6 mars 2019 a eacuteteacute preacutesenteacutee dans le cadre drsquoun litige

Renvoi preacutejudiciel ndash Politique sociale ndash Protection de la seacutecuriteacute et de la santeacute des travailleurs ndash Directive 200388CE ndash Champ drsquoapplication ndash Deacuterogation ndash Article 1er paragraphe 3 ndash Directive 89391CEE ndash Article 2 paragraphe 2 ndash Activiteacutes des forces drsquointervention de la police

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opposant UO au Keacuteszenleacuteti Rendőrseacuteg (police drsquointervention Hongrie) au sujet de la reacutemuneacuteration due pour les services de garde qursquoil a assureacutes Du mois de juillet 2015 au mois drsquoavril 2017 UO qui exerce ses fonctions dans les services de la police drsquointervention srsquoest trouveacute en service drsquoalerte en tant que membre drsquoune compagnie de patrouille La police drsquointervention est un organe speacutecifique du service de police geacuteneacuterale qui dispose de pouvoirs speacuteciaux et exerce des missions particuliegraveres sur lrsquoensemble du territoire hongrois dont la patrouille aux frontiegraveres de la Hongrie avec des Eacutetats ne faisant pas partie de lrsquoespace Schengen Au cours de ladite peacuteriode lrsquoemployeur drsquoUO a ordonneacute dans le cadre des missions effectueacutees agrave la frontiegravere drsquoune part un service drsquoalerte extraordinaire et drsquoautre part un service de garde en dehors du temps de service ordinaire ces deux services devant ecirctre assureacutes en patrouille Pour la police drsquointervention hongroise le temps de garde drsquoUO constituait une peacuteriode de repos UO estime que pendant cette peacuteriode il assurait en reacutealiteacute un service drsquoalerte en dehors du temps de service ordinaire quotidien lequel devait ecirctre qualifieacute de laquo temps de travail raquo pour lequel il devait beacuteneacuteficier non pas drsquoune prime de service de garde mais drsquoune indemniteacute de service drsquoalerte extraordinaire Il a ainsi formeacute un recours contre son employeur devant la juridiction de renvoi en srsquoappuyant sur la loi relative au statut du personnel professionnel des organes chargeacutes du maintien de lrsquoordre qui vise agrave mettre en œuvre la directive 200388 La juridiction de renvoi srsquointerroge sur le point de savoir si les deacutefinitions figurant agrave lrsquoarticle 2 de la directive 200388 peuvent ecirctre appliqueacutees agrave UO en sa qualiteacute de membre de la police drsquointervention eacutetant donneacute que lrsquoactiviteacute concerneacutee se distingue des activiteacutes exerceacutees dans des circonstances ordinaires Agrave cet eacutegard la juridiction de renvoi souhaite savoir si le champ drsquoapplication personnel de la directive 200388 est deacutetermineacute agrave lrsquoarticle 2 de la directive 89391 Dans lrsquoaffirmative elle srsquointerroge sur le point de savoir si lrsquoactiviteacute de membre de la police drsquointervention preacutesente des particulariteacutes inheacuterentes agrave certaines activiteacutes speacutecifiques de la fonction publique qui srsquoopposent de maniegravere contraignante agrave lrsquoapplication de la directive 89391 et de lrsquoarticle 2 de la directive 200388 Dans ces conditions le Miskolci Koumlzigazgataacutesi eacutes Munkauumlgyi Biacuteroacutesaacuteg (tribunal administratif et du travail de Miskolc Hongrie) a deacutecideacute de surseoir agrave statuer et de poser agrave la Cour des justices les questions preacutejudicielles suivantes laquo 1) Faut-il interpreacuteter lrsquoarticle 1er paragraphe 3 de la directive [200388] en ce sens que le champ drsquoapplication personnel de cette directive est deacutetermineacute par lrsquoarticle 2 de la directive [89391] 2) Dans lrsquoaffirmative faut-il interpreacuteter lrsquoarticle 2 paragraphe 2 de la directive [89391] en ce sens que lrsquoarticle 2 points 1 et 2 de la directive [200388] ne doit pas ecirctre appliqueacute en ce qui concerne les agents de police membres du personnel professionnel de la police drsquointervention raquo

o Sur les questions preacutejudicielles La Cour de justice relegraveve tout drsquoabord que lrsquoarticle 1er paragraphe 3 de la directive 200388 deacutefinit le champ drsquoapplication de celle-ci par renvoi agrave lrsquoarticle 2 de la directive 89391 Ainsi aux termes de lrsquoarticle 2 paragraphe 1 de la directive 89391 celle-ci srsquoapplique laquo agrave tous les secteurs drsquoactiviteacutes priveacutes ou publics raquo parmi lesquels figurent les laquo activiteacutes de service raquo Neacuteanmoins la directive nrsquoest pas applicable lorsque des particulariteacutes inheacuterentes agrave certaines activiteacutes speacutecifiques dans la fonction publique notamment dans les forces armeacutees ou la police ou agrave certaines activiteacutes speacutecifiques dans les services de protection civile srsquoy opposent de maniegravere contraignante conformeacutement agrave lrsquoarticle 2 paragraphe 2 premier alineacutea de la directive 89391 Par conseacutequent la Cour de justice cherche agrave deacuteterminer si des fonctions telles que celle en cause au principal sont susceptibles de relever de lrsquoexception preacutevue agrave lrsquoarticle 2 paragraphe 2 premier alineacutea de la directive 89391 laquelle doit recevoir une interpreacutetation qui limite sa porteacutee agrave ce qui est strictement neacutecessaire agrave la sauvegarde des inteacuterecircts qursquoelle permet aux Eacutetats membres de proteacuteger (Cour de justice [GC] Pfeiffer ea 5 octobre 2004

C‑39701 agrave C‑40301 point 54 et Sindicatul Familia Constanţa ea 20 novembre 2018 C‑14717 point 53) En lrsquoespegravece la Cour de justice relegraveve en premier lieu que la surveillance des frontiegraveres exteacuterieures drsquoun Eacutetat membre dans un contexte drsquoafflux de ressortissants de pays tiers constitue une activiteacute qui relegraveve de la fonction publique au sens de lrsquoarticle 2 paragraphe 2 premier alineacutea de la directive 89391 En deuxiegraveme lieu elle relegraveve

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qursquoune telle activiteacute est susceptible de preacutesenter certaines speacutecificiteacutes par rapport agrave drsquoautres activiteacutes relevant de la fonction publique en geacuteneacuteral ou du maintien de lrsquoordre en particulier Finalement la Cour de justice cherche agrave deacuteterminer si des particulariteacutes inheacuterentes agrave cette activiteacute speacutecifique de la fonction publique srsquoopposent de maniegravere contraignante en raison de la neacutecessiteacute absolue de garantir une protection efficace de la collectiviteacute agrave ce que la directive 200388 soit appliqueacutee agrave ladite activiteacute A cet eacutegard la Cour de justice constate que certaines activiteacutes speacutecifiques relevant de la fonction publique ne se precirctent pas par leur nature agrave une planification du temps de travail et qursquoelles peuvent dans la mesure ougrave leur continuiteacute est indispensable pour assurer lrsquoexercice effectif des fonctions essentielles de lrsquoEacutetat eacutechapper au champ drsquoapplication de la directive Toutefois la Cour de justice rappelle que conformeacutement agrave sa jurisprudence cette exigence de continuiteacute doit ecirctre appreacutecieacutee en tenant compte de la nature speacutecifique de lrsquoactiviteacute consideacutereacutee (Cour

de justice [GC] Sindicatul Familia Constanţa ea 20 novembre 2018 C‑14717 point 66) La Cour de justice rappelle que selon une jurisprudence constante lrsquoapplication de lrsquoarticle 2 paragraphe 2 premier alineacutea de la directive 89391 aux services actifs dans le domaine de la santeacute de la seacutecuriteacute et de lrsquoordre publics ne se justifie qursquoen raison drsquoeacuteveacutenements exceptionnels comme des catastrophes naturelles ou technologiques des attentats ou des accidents majeurs dont la graviteacute et lrsquoampleur neacutecessitent lrsquoadoption de mesures indispensables agrave la protection de la vie de la santeacute ainsi que de la seacutecuriteacute de la collectiviteacute et dont la bonne exeacutecution serait compromise si toutes les regravegles eacutenonceacutees par la directive 200388 devaient ecirctre respecteacutees Dans le cas de lrsquoespegravece la Cour de justice relegraveve que les missions de surveillance aux frontiegraveres exteacuterieures de lrsquoespace Schengen lorsqursquoelles sont assureacutees dans des conditions normales par la police drsquointervention hongroise ne preacutesentent pas agrave premiegravere vue des caracteacuteristiques agrave ce point speacutecifiques Elle juge qursquoil appartient agrave la juridiction de renvoi de deacuteterminer si les missions exerceacutees par UO au cours de la peacuteriode litigieuse lrsquoont eacuteteacute dans des circonstances drsquoune graviteacute et drsquoune ampleur exceptionnelles justifiant que leur soit appliqueacutee lrsquoexception preacutevue agrave lrsquoarticle 2 paragraphe 2 premier alineacutea de la directive 89391 Pour cela il lui appartiendra de deacuteterminer si un afflux de ressortissants de pays tiers aux frontiegraveres exteacuterieures de la Hongrie a empecirccheacute que la surveillance desdites frontiegraveres soit effectueacutee tout au long de la peacuteriode litigieuse dans des conditions habituelles conformeacutement agrave la mission impartie agrave la police drsquointervention Finalement la Cour de justice rappelle que dans la situation ougrave la juridiction de renvoi aboutirait agrave la conclusion que les particulariteacutes inheacuterentes aux missions assureacutees par les membres de la police drsquointervention ne se precirctaient pas par leur nature agrave une planification du temps de travail elle devra tenir compte du fait que lrsquoarticle 2 paragraphe 2 second alineacutea de la directive 89391 preacutevoit que mecircme dans ce cas les autoriteacutes compeacutetentes doivent assurer la seacutecuriteacute et la santeacute des travailleurs dans toute la mesure du possible Par ces motifs la Cour (dixiegraveme chambre) dit pour droit Lrsquoarticle 1er paragraphe 3 de la directive 200388CE du Parlement europeacuteen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de lrsquoameacutenagement du temps de travail doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que lrsquoarticle 2 points 1 et 2 de cette directive srsquoapplique aux membres des forces de lrsquoordre qui exercent des fonctions de surveillance aux frontiegraveres exteacuterieures drsquoun Eacutetat membre en cas drsquoafflux de ressortissants de pays tiers auxdites frontiegraveres sauf lorsqursquoil apparaicirct au vu de lrsquoensemble des circonstances pertinentes que les missions exeacutecuteacutees le sont dans le cadre drsquoeacuteveacutenements exceptionnels dont la graviteacute et lrsquoampleur neacutecessitent lrsquoadoption de mesures indispensables agrave la protection de la vie de la santeacute ainsi que de la seacutecuriteacute de la collectiviteacute et dont la bonne exeacutecution serait compromise si lrsquoensemble des regravegles eacutenonceacutees par ladite directive devaient ecirctre respecteacutees ce qursquoil appartient agrave la juridiction de renvoi de veacuterifier

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Protection internationale

Cour de justice (troisiegraveme chambre) affaires jointes Commission Pologne Commission Hongrie et Commission Reacutepublique Tchegraveque 2 avril 2020 C-71517 C-71817 et C-71917

Reacutesumeacute La Cour de justice a jugeacute que la Pologne la Hongrie et la Reacutepublique tchegraveque avaient manqueacute aux obligations leur

incombant en vertu des deacutecisions 20151523 et 20151601 Ces Eacutetats membres auraient ducirc relocaliser sur leurs territoires un

nombre approprieacute de demandeurs de protection internationale

Les deacutecisions 20151523 et 20151601 disposaient que 40 000 personnes ayant besoin drsquoune protection

internationale devaient ecirctre relocaliseacutees de maniegravere temporaire et exceptionnelle depuis lrsquoItalie et la Gregravece vers

drsquoautres Eacutetats membre

Le 16 deacutecembre 2015 la Pologne a indiqueacute un nombre de 100 demandeurs de protection internationale pouvant

faire rapidement lrsquoobjet drsquoune relocalisation sur son territoire La Pologne nrsquoa pas donneacute suite aux demandes de

lrsquoItalie et de la Gregravece et nrsquoa ensuite plus pris aucun engagement de relocalisation

Aucun demandeur de protection internationale nrsquoa eacuteteacute relocaliseacute sur le territoire de la Hongrie au titre des

deacutecisions preacuteciteacutees

Suite agrave une offre de relocaliser 30 personnes 12 demandeurs de protection internationale tous en provenance

de la Gregravece ont eacuteteacute relocaliseacutes sur le territoire de la Reacutepublique Tchegraveque Apregraves le 13 mai 2016 la Reacutepublique

Tchegraveque nrsquoa plus pris aucun engagement de relocalisation

Par lettres du 10 feacutevrier 2016 la Commission europeacuteenne a inviteacute ces trois Eacutetats agrave communiquer au moins tous

les trois mois des indications concernant le nombre de demandeurs de protection internationale pouvant ecirctre

relocaliseacutes sur leur territoire et agrave relocaliser de tels demandeurs agrave intervalles reacuteguliers afin de se conformer agrave leurs

obligations leacutegales Plusieurs lettres ont eacuteteacute adresseacutees par la suite Le 1er mars 2017 la Reacutepublique tchegraveque a

indiqueacute par lettre que sa premiegravere offre de relocaliser 30 personnes eacutetait suffisante

La Commission europeacuteenne a indiqueacute agrave plusieurs reprises qursquoelle se reacuteservait la possibiliteacute drsquoengager des

proceacutedures en manquement contre ces Eacutetats membre si ceux-ci ne se conformaient pas au plus vite agrave leurs

obligations Ainsi par des lettres de mise en demeure du 15 juin 2017 en ce qui concerne la Hongrie et la

Reacutepublique Tchegraveque et du 16 juin 2017 en ce qui concerne la Pologne la Commission europeacuteenne a engageacute une

proceacutedure en manquement au titre de lrsquoarticle 258 paragraphe 1 TFUE contre ces trois Eacutetats membre Par lettre

du 19 septembre 2017 la Commission europeacuteenne a attireacute lrsquoattention des trois Eacutetats sur lrsquoarrecirct Slovaquie et

HongrieConseil (Cour de justice 6 septembre 2017 C-64315 et C-64715) qui a confirmeacute la validiteacute de la deacutecision

20151601 et a inviteacute ces trois Eacutetats membre agrave adopter au plus vite les mesures neacutecessaires afin de prendre des

engagements de relocalisation et de proceacuteder agrave des relocalisations Nrsquoayant pas reccedilu de reacuteponse agrave ces lettres la

Commission europeacuteenne a deacutecideacute drsquointroduire les preacutesents recours

o Sur la recevabiliteacute

Manquement drsquoEacutetat ndash Deacutecisions (UE) 20151523 et (UE) 20151601 ndash Article 5 paragraphes 2 et 4 agrave 11 de chacune de ces deacutecisions ndash Mesures provisoires en matiegravere de protection internationale au profit de la Reacutepublique helleacutenique et de la Reacutepublique italienne ndash Situation drsquourgence caracteacuteriseacutee par un afflux soudain de ressortissants de pays tiers sur le territoire de certains Eacutetats membres ndash Relocalisation de ces ressortissants sur le territoire des autres Eacutetats membres ndash Proceacutedure de relocalisation ndash Obligation pour les Eacutetats membres drsquoindiquer agrave intervalles reacuteguliers et au moins tous les trois mois le nombre de demandeurs de protection internationale pouvant faire rapidement lrsquoobjet drsquoune relocalisation sur leur territoire ndash Obligations conseacutecutives conduisant agrave la relocalisation effective ndash Inteacuterecircts des Eacutetats membres lieacutes agrave la seacutecuriteacute nationale et agrave lrsquoordre public ndash Possibiliteacute pour un Eacutetat membre drsquoinvoquer lrsquoarticle 72 TFUE pour ne pas appliquer des actes du droit de lrsquoUnion ayant un caractegravere obligatoire

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Sur les exceptions drsquoirrecevabiliteacute dans les affaires C-71517 C-71817 et C-71917 tireacutees de ce que les recours sont deacutenueacutes

drsquoobjet et contredisent lrsquoobjectif de la proceacutedure viseacutee agrave lrsquoarticle 258 TFUE

Les trois Eacutetats membre allegraveguent que les recours seraient deacutenueacutes drsquoobjet et ne serviraient pas lrsquoobjectif de la

proceacutedure en manquement En outre srsquoagissant de manquements agrave des obligations reacutesultant drsquoactes de lrsquoUnion

dont la peacuteriode drsquoapplication a deacutefinitivement expireacute et auxquels il ne peut plus ecirctre remeacutedieacute la Commission

europeacuteenne ne pourrait faire valoir un inteacuterecirct suffisant agrave demander que la Cour de justice constate ces

manquements

La Cour de justice rappelle que lrsquoobjectif poursuivi par la proceacutedure preacutevue agrave lrsquoarticle 258 TFUE est la constatation

objective du non-respect par un Eacutetat membre des obligations que lui imposent le TFUE ou un acte de droit

deacuteriveacute et qursquoune telle proceacutedure permet aussi de deacuteterminer si un Eacutetat membre a enfreint le droit de lrsquoUnion dans

un cas drsquoespegravece La Cour de justice note que dans un recours en manquement la Commission europeacuteenne ne

saurait demander agrave la Cour de justice autre chose que la constatation de lrsquoexistence du manquement alleacutegueacute en

vue de la cessation de celui-ci Un recours en manquement est recevable si la Commission europeacuteenne se limite

agrave demander agrave la Cour de justice de constater lrsquoexistence du manquement alleacutegueacute notamment dans une situation

telle que celle de lrsquoespegravece dans laquelle lrsquoacte de droit deacuteriveacute de lrsquoUnion dont la violation est alleacutegueacutee a

deacutefinitivement cesseacute drsquoecirctre applicable apregraves la date drsquoexpiration du deacutelai fixeacute dans lrsquoavis motiveacute Un tel recours

srsquoinscrit dans lrsquoobjectif poursuivi par la proceacutedure preacutevue agrave lrsquoarticle 258 TFUE

En lrsquoespegravece la peacuteriode drsquoapplication des deacutecisions a deacutefinitivement expireacute en septembre 2017 La circonstance

selon laquelle il ne serait plus possible de remeacutedier au manquement alleacutegueacute degraves lors que la peacuteriode drsquoapplication

des deacutecisions a expireacute ne saurait conduire agrave lrsquoirrecevabiliteacute des preacutesents recours En effet les trois Eacutetats membres

en cause se sont vu offrir la possibiliteacute de mettre un terme au manquement avant lrsquoexpiration du deacutelai imparti

dans les avis motiveacutes

La Cour de justice rejette ces exceptions drsquoirrecevabiliteacute

Sur les exceptions drsquoirrecevabiliteacute dans les affaires C-71717 et C71817 tireacutees drsquoune violation du principe drsquoeacutegaliteacute de traitement

La Pologne et la Hongrie soutiennent que les recours en manquement sont irrecevables degraves lors que la

Commission europeacuteenne en se limitant agrave introduire un recours contre les seuls trois Eacutetats membres en cause

alors que la grande majoriteacute des Eacutetats membre nrsquoont pas pleinement respecteacute les obligations leur incombant en

vertu des deacutecisions 20151523 et 20151601 a violeacute le principe drsquoeacutegaliteacute de traitement et a ainsi exceacutedeacute le pouvoir

drsquoappreacuteciation que lui confegravere lrsquoarticle 258 TFUE

La Cour de justice rappelle qursquoelle a deacutejagrave jugeacute que lrsquoabsence de recours en manquement agrave lrsquoencontre drsquoun Eacutetat

membre nrsquoest pas pertinente pour appreacutecier la recevabiliteacute drsquoun recours en manquement introduit agrave lrsquoencontre

drsquoun autre Eacutetat membre La Cour de justice estime que lrsquoaction de la Commission europeacuteenne est ainsi fondeacutee

en lrsquooccurrence sur un critegravere neutre et objectif relatif agrave la graviteacute et agrave la persistance des manquements reprocheacutes

aux trois Eacutetats membre en cause qui au regard de lrsquoobjectif des deacutecisions preacuteciteacutees permet de distinguer la

situation de ces trois Eacutetats membres de celle des autres Eacutetats membre y compris ceux nrsquoayant pas pleinement

respecteacute leurs obligations deacutecoulant de ces deacutecisions

Par suite les exceptions drsquoirrecevabiliteacute tireacutees drsquoune violation du principe drsquoeacutegaliteacute de traitement doivent ecirctre

rejeteacutees

Sur lrsquoexception drsquoirrecevabiliteacute dans lrsquoaffaire C-71817 tireacutee drsquoune violation des droits de la deacutefense au cours de la proceacutedure

preacutecontentieuse

La Hongrie reproche agrave la Commission europeacuteenne de ne pas avoir respecteacute ses droits de la deacutefense dans la

proceacutedure preacutecontentieuse en ce que le deacutelai de reacuteponse de quatre semaines imparti dans la lettre de mise en

demeure et dans lrsquoavis motiveacute a eacuteteacute excessivement court contraire au deacutelai habituel de deux mois et non justifieacute

par une situation drsquourgence leacutegitime Elle fait eacutegalement grief agrave la Commission europeacuteenne de ne pas avoir

indiqueacute au cours de la proceacutedure preacutecontentieuse le manquement qui lui eacutetait reprocheacute

La Cour de justice estime que la raison drsquoentamer la proceacutedure en manquement agrave un stade relativement avanceacute

de la peacuteriode dlsquoapplication de deux ans des deacutecisions reacuteside dans le refus persistant de ces trois Eacutetats membres

de donner suite aux appels reacutepeacuteteacutes de la Commission europeacuteenne tendant agrave ce que ceux-ci se conforment agrave ces

60

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obligations et ne saurait ecirctre imputeacutee agrave une quelconque inertie ou action tardive de la Commission europeacuteenne

La Cour de justice rappelle eacutegalement que les Eacutetats membres avaient pleinement connaissance du point de vue

de la Commission europeacuteenne quant aux manquements qui leurs eacutetaient reprocheacutes Dans ces circonstances le

deacutelai en cause de quatre semaines ne saurait ecirctre consideacutereacutes comme deacuteraisonnablement court

La Cour de justice relegraveve eacutegalement qursquoil nrsquoapparait pas que lrsquoimpreacutecision alleacutegueacutee de certains motifs de la requecircte

ait pu affecter lrsquoexercice par la Hongrie de ses droits de la deacutefense

Lrsquoexception drsquoirrecevabiliteacute souleveacutee par la Hongrie et tireacutee drsquoune violation des droits de la deacutefense au cours de

la proceacutedure preacutecontentieuse doit ecirctre rejeteacutee

Sur lrsquoexception drsquoirrecevabiliteacute dans lrsquoaffaire C-71917 tireacutee du manque de preacutecision drsquoincoheacuterence de la requecircte

La Reacutepublique tchegraveque a contesteacute la recevabiliteacute du recours la concernant au motif que la requecircte nrsquoeacutenonce pas

de maniegravere coheacuterente et preacutecise le manquement qui lui est reprocheacute

La Cour de justice estime que la Reacutepublique tchegraveque ne pouvait raisonnablement se meacuteprendre sur la date preacutecise

du deacutebut du manquement agrave ses obligations que la Commission europeacuteenne lui reprochait et qursquoelle a pu

effectivement exercer ses droits de deacutefense quant agrave ce manquement

Par suite lrsquoexception drsquoirrecevabiliteacute doit ecirctre eacutecarteacutee

o Sur le fond

Sur la mateacuterialiteacute des manquements alleacutegueacutes

La Cour de justice rappelle que dans le cadre drsquoune proceacutedure en manquement il incombe agrave la Commission

europeacuteenne drsquoapporter agrave la Cour de justice les eacuteleacutements neacutecessaires agrave la veacuterification par celle-ci de lrsquoexistence

dudit manquement sans pouvoir se fonder sur une preacutesomption quelconque

Les manquements en cause ne sont pas contestables degraves lors que dans ses diffeacuterents rapports mensuels sur la

relocalisation et la reacuteinstallation la Commission europeacuteenne a assureacute un suivi de lrsquoeacutetat drsquoavancement des

relocalisations et a indiqueacute pour chaque Eacutetat membre le nombre de demandeurs de protection internationale

pour lesquels des engagements de relocalisation avaient eacuteteacute pris ainsi que le nombre de demandeurs de protection

internationale effectivement relocaliseacutes Ces rapports attestent de la reacutealiteacute des manquements alleacutegueacutes par la

Commission europeacuteenne

Par suite la Cour de justice constate que la Commission europeacuteenne a eacutetabli la mateacuterialiteacute des manquements

alleacutegueacutes dans les trois proceacutedures en manquement en cause

Sur les moyens de deacutefense tireacutes par la Reacutepublique de Pologne et la Hongrie de lrsquoarticle 72 TFUE lu conjointement avec lrsquoarticle 4

paragraphe 2 TUE

La Pologne et la Hongrie allegraveguent qursquoelles eacutetaient en droit en vertu de lrsquoarticle 72 TFUE lu conjointement avec

lrsquoarticle 4 paragraphe 2 TUE qui leur reacuteserve la compeacutetence exclusive pour le maintien de lrsquoordre public et la

sauvegarde de la seacutecuriteacute inteacuterieure dans le cadre drsquoactes adopteacutes dans le domaine de lrsquoespace de liberteacute de seacutecuriteacute

et de justice viseacute au titre 5 du TFUE de laisser inappliqueacutees leurs obligations de droit secondaire et donc de rang

infeacuterieur deacutecoulant de la deacutecision 20151523 etou de la deacutecision 20151601 actes pris sur la base de lrsquoarticle

78 paragraphe 3 TFUE et relevant donc dudit titre 5

La Cour de justice rappelle que la deacuterogation preacutevue agrave lrsquoarticle 72 TFUE doit faire lrsquoobjet drsquoune interpreacutetation

stricte Ainsi bien que lrsquoarticle 72 TFUE preacutevoit que le titre 5 du traiteacute ne porte pas atteinte agrave lrsquoexercice des

responsabiliteacutes qui incombent aux Eacutetats membre pour le maintien de lrsquoordre public et la sauvegarde de la seacutecuriteacute

inteacuterieure il ne saurait ecirctre interpreacuteteacute de maniegravere agrave confeacuterer aux Eacutetats membre le pouvoir de deacuteroger aux

dispositions du traiteacute par la seule invocation de ces responsabiliteacutes La porteacutee des exigences tenant au maintien

de lrsquoordre public ou de la seacutecuriteacute nationale ne saurait ainsi ecirctre deacutetermineacutee unilateacuteralement par chaque Eacutetat

membre sans controcircle des institutions de lrsquoUnion Il incombe agrave lrsquoEacutetat membre qui invoque le beacuteneacutefice de lrsquoarticle

72 TFUE de prouver la neacutecessiteacute de recourir agrave la deacuterogation preacutevue agrave cet article aux fins drsquoexercer ses

responsabiliteacutes en matiegravere de maintien de lrsquoordre public et de sauvegarde de la seacutecuriteacute inteacuterieure La Cour de

justice rappelle que dans lrsquoarrecirct Slovaquie et HongrieConseil preacuteciteacute elle avait rejeteacute lrsquoargument selon lequel la

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deacutecision 20151601 serait contraire au principe de proportionnaliteacute degraves lors qursquoelle ne permettrait pas aux Eacutetats

membres drsquoassurer lrsquoexercice effectif des responsabiliteacutes qui leur incombent pour le maintien de lrsquoordre public et

la sauvegarde de la seacutecuriteacute inteacuterieure au titre de lrsquoarticle 72 TFUE La Cour de justice dans le preacutesent arrecirct ajoute

que les articles 5 de chacune des deacutecisions preacutevoient qursquoun Eacutetat membre ne peut deacutecider de ne pas approuver la

relocalisation drsquoun demandeur de protection internationale que srsquoil existe des motifs raisonnables de consideacuterer

que le demandeur en cause repreacutesente un danger pour la seacutecuriteacute nationale ou lrsquoordre public sur son territoire La

Cour de justice estime que les motifs raisonnables laissent clairement une plus large marge drsquoappreacuteciation aux

Eacutetats membre que les motifs seacuterieux mentionneacutes dans la directive 201195 Le libelleacute de lrsquoarticle 5 des deacutecisions

20151523 et 2015601 se distingue eacutegalement de celui de la directive 200438CE Par suite une large marge

drsquoappreacuteciation doit ecirctre reconnue aux autoriteacutes compeacutetentes des Eacutetats membre de relocalisation lorsque celles-ci

deacuteterminent si un ressortissant drsquoun pays tiers appeleacute agrave ecirctre relocaliseacute constitue un danger pour la seacutecuriteacute

nationale ou lrsquoordre public sur leur territoire Ces motifs raisonnables ne peuvent ecirctre invoqueacutes qursquoen preacutesence

drsquoeacuteleacutements concordants objectifs et preacutecis et apregraves une eacutevaluation des faits par les autoriteacutes compeacutetentes

Lrsquoarticle 5 de chacune des deacutecisions preacutecisaient que devait ecirctre effectueacute un examen au cas par cas du danger actuel

ou potentiel que le demandeur de protection internationale concerneacute repreacutesentait Il srsquooppose ainsi agrave ce qursquoun

Eacutetat membre invoque de maniegravere peacuteremptoire aux seules fins de preacutevention geacuteneacuterale et sans eacutetablir de rapport

direct avec un cas individuel lrsquoarticle 72 TFUE pour justifier une suspension voire un arrecirct de la mise en œuvre

des obligations lui incombant en vertu des deacutecisions 20151523 et 20151601 En lrsquoespegravece les Eacutetats membres

de relocalisation ont pu conduire dans certaines conditions des controcircles de seacutecuriteacute suppleacutementaires voire

systeacutematiques par la voie drsquoentretiens ou avec lrsquoassistance drsquoEuropol Lrsquoarticle 5 des directives preacuteciteacutees

impliquaient eacutegalement lrsquoidentification des personnes en cause

La Cour de justice conclut que le meacutecanisme preacutevu agrave lrsquoarticle 5 de chacune desdites deacutecisions y compris dans

son application concregravete telle qursquoelle srsquoest deacuteveloppeacutee en pratique au cours des peacuteriodes drsquoapplication de celles-

ci laissait aux Eacutetats membre de relocalisation de reacuteelles possibiliteacutes pour proteacuteger leurs inteacuterecircts lieacutes agrave lrsquoordre

public et agrave la seacutecuriteacute inteacuterieure dans le cadre de lrsquoexamen de la situation individuelle de chaque demandeur de

protection internationale dont la relocalisation eacutetait proposeacutee sans toutefois porter preacutejudice agrave lrsquoobjectif de ces

mecircmes deacutecisions

Par suite la Cour de justice rejette les moyens de deacutefense tireacutes par la Pologne et la Hongrie de lrsquoarticle 72 TFUE

lu conjointement avec lrsquoarticle 4 paragraphe 2 TUE

Sur le moyen de deacutefense tireacute par la Reacutepublique tchegraveque du dysfonctionnement et du manque drsquoefficaciteacute dont aurait souffert le meacutecanisme

de relocalisation preacutevu par les deacutecisions 20151523 et 20151601 dans son application concregravete

La Reacutepublique tchegraveque se fonde sur des consideacuterations relatives au dysfonctionnement ou au manque drsquoefficaciteacute

dont aurait souffert dans son application concregravete le meacutecanisme de relocalisation preacutevu par les deacutecisions

preacuteciteacutees en tant que justification de sa deacutecision de ne pas mettre en œuvre les obligations de relocalisation qui

lui incombaient en vertu de lrsquoarticle 5 de chacune des deacutecisions

La Cour de justice observe qursquoil ne saurait ecirctre admis qursquoun Eacutetat membre puisse se fonder sans invoquer une

base juridique preacutevue par les traiteacutes sur son appreacuteciation unilateacuterale du manque alleacutegueacute drsquoefficaciteacute voire du

dysfonctionnement du meacutecanisme de relocalisation eacutetabli par les deacutecisions Cette alleacutegation nrsquoa pour autant pas

empecirccheacute drsquoautres Eacutetats membres de prendre agrave intervalles reacuteguliers des engagements de relocalisation et de

proceacuteder agrave des relocalisations effectives La Cour de justice rappelle que des ajustements ont eacuteteacute apporteacutes agrave la

proceacutedure de relocalisation afin de reacutepondre notamment aux problegravemes drsquoordre pratique mentionneacutes par la

Reacutepublique tchegraveque

Par suite le moyen de deacutefense de la Reacutepublique tchegraveque est rejeteacute

Par ces motifs la Cour (troisiegraveme chambre) deacuteclare et arrecircte

1) Les affaires C-71517 C-71817 et C-71917 sont jointes aux fins de lrsquoarrecirct

2) En nrsquoayant pas indiqueacute agrave intervalles reacuteguliers et au moins tous les trois mois un nombre approprieacute

de demandeurs de protection internationale pouvant faire rapidement lrsquoobjet drsquoune relocalisation sur

son territoire la Reacutepublique de Pologne a depuis le 16 mars 2016 manqueacute aux obligations lui

incombant en vertu de lrsquoarticle 5 paragraphe 2 de la deacutecision (UE) 20151523 du Conseil du 14

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septembre 2015 instituant des mesures provisoires en matiegravere de protection internationale au profit de

lrsquoItalie et de la Gregravece et de lrsquoarticle 5 paragraphe 2 de la deacutecision (UE) 20151601 du Conseil du 22

septembre 2015 instituant des mesures provisoires en matiegravere de protection internationale au profit de

lrsquoItalie et de la Gregravece ainsi que par voie de conseacutequence aux obligations ulteacuterieures de relocalisation

lui incombant en vertu de lrsquoarticle 5 paragraphes 4 agrave 11 de chacune de ces deux deacutecisions

3) En nrsquoayant pas indiqueacute agrave intervalles reacuteguliers et au moins tous les trois mois un nombre approprieacute

de demandeurs de protection internationale pouvant faire rapidement lrsquoobjet drsquoune relocalisation sur

son territoire la Hongrie a depuis le 25 deacutecembre 2015 manqueacute aux obligations lui incombant en vertu

de lrsquoarticle 5 paragraphe 2 de la deacutecision 20151601 ainsi que par voie de conseacutequence aux obligations

ulteacuterieures de relocalisation lui incombant en vertu de lrsquoarticle 5 paragraphes 4 agrave 11 de cette deacutecision

4) En nrsquoayant pas indiqueacute agrave intervalles reacuteguliers et au moins tous les trois mois un nombre approprieacute

de demandeurs de protection internationale pouvant faire rapidement lrsquoobjet drsquoune relocalisation sur

son territoire la Reacutepublique tchegraveque a depuis le 13 aoucirct 2016 manqueacute aux obligations lui incombant

en vertu de lrsquoarticle 5 paragraphe 2 de la deacutecision 20151523 et de lrsquoarticle 5 paragraphe 2 de la deacutecision

20151601 ainsi que par voie de conseacutequence aux obligations ulteacuterieures de relocalisation lui

incombant en vertu de lrsquoarticle 5 paragraphes 4 agrave 11 de chacune de ces deux deacutecisions

5) La Reacutepublique de Pologne est condamneacutee agrave supporter outre ses propres deacutepens dans les affaires

C‑71517 C‑71817 et C‑71917 ceux de la Commission europeacuteenne dans lrsquoaffaire C‑71517

6) La Hongrie est condamneacutee agrave supporter outre ses propres deacutepens dans les affaires C‑71517

C‑71817 et C‑71917 ceux de la Commission europeacuteenne dans lrsquoaffaire C‑71817

7) La Reacutepublique tchegraveque est condamneacutee agrave supporter outre ses propres deacutepens dans les affaires

C‑71517 C‑71817 et C‑71917 ceux de la Commission europeacuteenne dans lrsquoaffaire C‑71917

Vie priveacutee et familiale

Cour EDH (quatriegraveme section) Dragan Petrovic Serbie ndeg 7522910

Arrecirct rendu en anglais Mention dune opinion dissidente Reacutesumeacute Dans une affaire concernant la reacutealisation dune perquisition par la police au domicile du requeacuterant et le preacutelegravevement dun eacutechantillon dADN dans le cadre dune enquecircte pour meurtre en Serbie la Cour EDH a jugeacute que ce preacutelegravevement constituait une violation de larticle 8 de la Convention contrairement agrave la perquisition Elle considegravere en effet quil neacutetait pas laquo preacutevu par la loi raquo au sens de larticle 8 Elle preacutecise que la version du code de proceacutedure peacutenale serbe qui eacutetait en vigueur agrave lrsquoeacutepoque des faits disposait que des preacutelegravevements sanguins ou laquo drsquoautres proceacutedures meacutedicales raquo pouvaient ecirctre reacutealiseacutes Le requeacuterant Dragan Petrovic est un ressortissant serbe neacute en 1985 reacutesidant agrave Subotica (Serbie)

Art 8 - Respect de la vie priveacutee - Preacutelegravevement dun eacutechantillon dADN de la salive du demandeur dans le cadre dune enquecircte preacuteliminaire - Approbation du demandeur obtenue par la menace de la force - Absence de preacutevisibiliteacute de la loi - Aucune reacutefeacuterence agrave des dispositions leacutegales speacutecifiques dans lordonnance autorisant la police agrave preacutelever leacutechantillon - Aucune reacutefeacuterence speacutecifique dans la loi au preacutelegravevement dun eacutechantillon dADN - Neacutecessiteacute dune reacuteglementation plus stricte deacutemontreacutee par des dispositions plus deacutetailleacutees dans la leacutegislation reacutecente - Respect du domicile - Perquisition au domicile du demandeur fondeacutee sur des motifs adeacutequats et suffisants et accompagneacutee de garanties efficaces

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En juillet 2008 la police reccedilut des informations qui laissaient penser que le requeacuterant pouvait ecirctre impliqueacute dans le passage agrave tabac et le deacutecegraves drsquoun homme acircgeacute Sur la base de ces informations un juge drsquoinstruction rendit deux deacutecisions par lesquelles il ordonna drsquoune part une perquisition du domicile du requeacuterant et drsquoautre part le preacutelegravevement drsquoun eacutechantillon de salive sur sa personne aux fins drsquoune analyse ADN Dans le cadre de la perquisition la police devait en prioriteacute rechercher des objets que le requeacuterant eacutetait soupccedilonneacute avoir pris apregraves le meurtre notamment une laquo veste en cuir noir raquo ainsi que laquo des chaussures et drsquoautres objets raquo pouvant ecirctre lieacutes au meurtre Elle trouva finalement deux armes de poing dont le requeacuterant deacuteclara ignorer lrsquoexistence Le preacutelegravevement drsquoun eacutechantillon drsquoADN du requeacuterant devait permettre une comparaison avec lrsquoADN retrouveacute sur la scegravene de crime Le juge autorisa la police agrave proceacuteder soit agrave un preacutelegravevement de salive soit agrave un preacutelegravevement sanguin par la force si neacutecessaire avec lrsquoaide de professionnels de santeacute Le requeacuterant consentit en preacutesence de

son avocat agrave un preacutelegravevement de salive Il apparaicirct cependant que la police nrsquoa produit aucun procegraves-verbal de la proceacutedure En aoucirct 2008 la police indiqua au juge drsquoinstruction qursquoelle avait deacutecideacute de poursuivre le requeacuterant pour possession illeacutegale drsquoarmes agrave feu Les autoriteacutes ne trouvegraverent aucune correspondance entre lrsquoeacutechantillon drsquoADN preacuteleveacute sur la personne du requeacuterant et les traces biologiques retrouveacutees sur la scegravene du crime Le 4 aoucirct 2008 le requeacuterant saisit la Cour constitutionnelle pour se plaindre sur le terrain de lrsquoarticle 8 de la Convention et des articles 25 et 40 de la Constitution drsquoune violation de son droit au respect de son domicile et de sa vie priveacutee La Cour constitutionnelle rejeta son recours sur le fond le 14 octobre 2010

1) Sur la violation alleacutegueacutee de larticle 8 de la Convention o Sur la recevabiliteacute de la requecircte

La Cour EDH rejette drsquoembleacutee les exceptions de tardiveteacute et de non-eacutepuisement des voies de recours souleveacutees par le Gouvernement Elle juge en particulier au paragraphe 53 que le recours constitutionnel formeacute par le requeacuterant eacutetait un recours effectif au sens de larticle 35sect1 de la Convention

o Sur le fond Sur le fond de lrsquoaffaire la Cour EDH examine tout drsquoabord la question de la perquisition du domicile du requeacuterant Elle dit que cette mesure srsquoanalyse en une atteinte au droit du requeacuterant au respect de son domicile qursquoelle eacutetait preacutevue par la loi et qursquoelle visait un but leacutegitime (sect74) La question qui se pose donc est celle de savoir si elle eacutetait proportionneacutee crsquoest-agrave-dire si elle eacutetait laquo neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique raquo (voir en ce sens les arrecircts CEDH ndeg2535812 Paradiso et Campanelli c Italy sect 167 24 Janvier 2017 et ndeg4107916 Caruana c Malta sect 26 15 Mai 2018) Elle note dans son paragraphe 76 que le mandat de perquisition a eacuteteacute deacutelivreacute dans le cadre drsquoune enquecircte pour meurtre et qursquoil preacutecisait ce que la police devait chercher agrave savoir une veste en cuir noir des chaussures et drsquoautres objets lieacutes au meurtre Elle ne souscrit donc pas agrave lrsquoargument du requeacuterant selon lequel le mandat de perquisition manquait de preacutecision La Cour EDH considegravere par ailleurs que le requeacuterant jouissait de garanties adeacutequates et effectives propres agrave le preacutemunir contre tout abus au cours de la perquisition Elle note en particulier que le requeacuterant son avocat et le proprieacutetaire de lrsquoappartement eacutetaient preacutesents lors de la perquisition Elle observe en outre au paragraphe 77 que lrsquoavocat de lrsquointeacuteresseacute a signeacute le certificat de saisie et le procegraves-verbal de lrsquoopeacuteration de perquisition et de saisie et qursquoil srsquoest borneacute agrave cette occasion agrave contester la motivation de la deacutecision de perquisition sans soulever drsquoobjections quant agrave la proceacutedure de perquisition elle-mecircme La Cour EDH conclut au paragraphe suivant que lrsquoatteinte en question eacutetait laquo neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique raquo et qursquoil y a donc eu non-violation de lrsquoarticle 8 agrave raison de la perquisition meneacutee par la police au domicile du requeacuterant Se penchant ensuite sur la question du preacutelegravevement drsquoun eacutechantillon drsquoADN la Cour EDH constate que cette mesure srsquoanalyse en une atteinte au droit du requeacuterant au respect de sa vie priveacutee Le fait que lrsquointeacuteresseacute ait consenti agrave la proceacutedure est deacutenueacute de pertinence eacutetant donneacute que ce consentement a eacuteteacute donneacute sous la menace drsquoun preacutelegravevement de sang ou de salive par la force (voir en ce sens larrecirct Caruana c Malte sect29 citeacute) (sect79)

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La Cour EDH note que la deacutecision ordonnant le preacutelegravevement drsquoun eacutechantillon drsquoADN ne faisait mention drsquoaucune disposition leacutegale et que lrsquoarticle pertinent du code proceacutedure peacutenale serbe agrave savoir lrsquoarticle 131 sectsect 2 et 3 disposait uniquement qursquoun tribunal pouvait ordonner le preacutelegravevement drsquoun eacutechantillon de sang ou toute laquo autre proceacutedure meacutedicale raquo jugeacutee neacutecessaire drsquoun point de vue meacutedical agrave lrsquoeacutetablissement de faits laquo importants raquo dans le cadre drsquoune enquecircte peacutenale Par ailleurs il ressort du dossier de lrsquoaffaire que les autoriteacutes meacuteconnaissant lrsquoarticle 239 du code de proceacutedure peacutenale ont omis de reacutediger un procegraves-verbal de la proceacutedure (sect81) La Cour EDH note eacutegalement au paragraphe suivant que lrsquoarticle 131 sectsect 2 et 3 eacutetait deacutepourvu de certaines garanties concernant les preacutelegravevements drsquoADN et que ces garanties furent introduites dans une nouvelle version du code de proceacutedure peacutenale entreacutee en vigueur en 2011 Le nouveau texte faisait speacutecifiquement reacutefeacuterence aux preacutelegravevements drsquoeacutechantillons de salive il disposait que ceux-ci devaient ecirctre reacutealiseacutes par des experts et il preacutecisait dans quels cas une personne pouvait ecirctre soumise agrave pareille proceacutedure sans son consentement La Cour EDH considegravere par conseacutequent qursquoen inseacuterant des dispositions plus deacutetailleacutees dans la version du code de proceacutedure peacutenale entreacutee en vigueur en 2011 lrsquoEacutetat deacutefendeur a lui-mecircme reconnu implicitement que des regravegles plus strictes eacutetaient neacutecessaires dans ce domaine (sect83) La Cour EDH conclut dans son paragraphe 84 que lrsquoatteinte au droit du requeacuterant au respect de sa vie priveacutee que constituait le preacutelegravevement litigieux drsquoADN nrsquoeacutetait pas preacutevue par la loi et qursquoelle a donc emporteacute violation de lrsquoarticle 8 de la Convention

2) Sur la violation alleacutegueacutee de larticle 6 de la Convention Sous lrsquoangle de lrsquoarticle 6 sect 3 a) de la Convention (tout accuseacute a droit agrave ecirctre informeacute dans le plus court deacutelai dans une langue qursquoil comprend et drsquoune maniegravere deacutetailleacutee de la nature et de la cause de lrsquoaccusation porteacutee contre lui ) le requeacuterant soutient qursquoil srsquoest vu refuser le droit drsquoecirctre informeacute dans le plus court deacutelai et drsquoune maniegravere deacutetailleacutee du fait qursquoil eacutetait soupccedilonneacute drsquoavoir commis une infraction peacutenale Admettant que les observations du requeacuterant sur ce point ne se rapportent pas aux griefs souleveacutes sous lrsquoangle de lrsquoarticle 8 de la Convention mais constituent un grief distinct la Cour EDH constate que lrsquointeacuteresseacute nrsquoa jamais formeacute de recours interne agrave cet eacutegard Cette partie de la requecircte est donc ecirctre rejeteacutee pour non-eacutepuisement des voies de recours internes (sect86) POUR CES RAISONS LA COUR

1 Deacuteclare agrave lunanimiteacute que les griefs du requeacuterant au titre de larticle 8 de la Convention sont recevables et que le reste de la requecircte est irrecevable

2 Constate agrave lunanimiteacute quil ny a pas eu violation de larticle 8 de la Convention en ce qui

concerne la perquisition au domicile du requeacuterant

3 Dit par six voix contre une quil y a eu violation de larticle 8 de la Convention en ce qui concerne le preacutelegravevement dun eacutechantillon dADN sur le requeacuterant

4 Dit oui par six voix contre une a) que lEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans un deacutelai de trois mois agrave compter de la date agrave laquelle le jugement devient deacutefinitif conformeacutement agrave larticle 44 sect 2 de la Convention les montants suivants agrave convertir dans la monnaie de lEacutetat deacutefendeur au taux applicable agrave la date de la transaction i) 1 500 (mille cinq cents) euros plus les taxes eacuteventuellement exigibles au titre du preacutejudice moral (ii) 1 200 (mille deux cents) euros plus toute taxe qui pourrait ecirctre mise agrave la charge du demandeur au titre des frais et deacutepens b) quagrave compter de lexpiration des trois mois susmentionneacutes et jusquau regraveglement des inteacuterecircts simples seront dus sur les montants susmentionneacutes agrave un taux eacutegal au taux de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne pendant la peacuteriode de carence majoreacute de trois points de pourcentage 5 La demande de satisfaction eacutequitable du requeacuterant est rejeteacutee agrave lunanimiteacute pour le surplus Opinion dissidente du juge Mourou-Vikstroumlm

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Selon le juge Mourou-Vikstroumlm le preacutelegravevement dun eacutechantillon sur le demandeur aux fins danalyse de son profil ADN eacutetait bien conforme agrave la loi mecircme si celle-ci neacutetait pas laquo preacutevisible raquo Le juge note que la disposition leacutegislative en vigueur agrave leacutepoque en question - larticle 131 paragraphes 2 et 3 du code de proceacutedure peacutenale - preacutevoyait le preacutelegravevement dun eacutechantillon sanguin ou la reacutealisation dautres actes meacutedicaux sous reacuteserve dune autorisation judiciaire si cela eacutetait neacutecessaire pour leacutetablissement de faits importants pour une enquecircte peacutenale Elle preacutecise que la leacutegislation allait plus loin preacutevoyant lapplication forceacutee de ces mesures si la personne concerneacutee ne coopeacuterait pas et que sur la base de cette disposition et de la demande du ministegravere public le juge a ordonneacute le preacutelegravevement dun eacutechantillon de salive ou agrave deacutefaut de sang sur le demandeur par la force si neacutecessaire Le demandeur a consenti agrave un preacutelegravevement buccal en preacutesence de son avocat Elle affirme que le juge a donc agi dans le plein respect de la loi qui agrave son avis eacutetait parfaitement claire et preacutevisible La loi couvrait selon elle sans aucun doute le preacutelegravevement dun eacutechantillon de salive agrave des fins didentification geacuteneacutetique qui repreacutesente une preuve essentielle dans les affaires peacutenales et un outil essentiel pour les enquecircteurs et les juges dinstruction dans leacutetablissement de la veacuteriteacute et les termes laquo autres proceacutedures meacutedicales raquo doivent ecirctre interpreacuteteacutes comme englobant ce type de preuve Elle ajoute que le juge a donneacute la prioriteacute au preacutelegravevement dun eacutechantillon par eacutecouvillonnage buccal et non pas par preacutelegravevement sanguin car cest une meacutethode moins invasive et moins deacutesagreacuteable pour le demandeur Le juge Mourou-Vikstroumlm conclut cet argument en disant que la mesure contesteacutee reacutesulte dune ordonnance rendue par un juge intrinsegravequement indeacutependant et a causeacute aucun deacutesagreacutement au requeacuterant Enfin elle preacutecise que le nouveau code de proceacutedure peacutenale preacutevoit expresseacutement le preacutelegravevement dun eacutechantillon par eacutecouvillonnage buccal sans le consentement de la personne concerneacutee Les conditions dans lesquelles leacutechantillon a eacuteteacute preacuteleveacute en lespegravece sont donc eacutegalement compatibles avec les nouvelles regravegles de droit peacutenal

Partie II ndash Conclusion des avocats geacuteneacuteraux

Aides drsquoEtat

Conclusions de lrsquoAvocat geacuteneacuteral M Szpunar preacutesenteacutees le 2 avril 2020 dans lrsquo affaire Vereniging tot Behoud van Natuurmonumenten in Nederland et autres Vereniging Gelijkberechtiging Grondbezitters et autres C-81718

Reacutesumeacute LrsquoAvocat geacuteneacuteral propose agrave la Cour de justice de rejeter le moyen des requeacuterantes selon lequel le Tribunal a commis une

erreur de droit en consideacuterant comme partie inteacuteresseacutee les requeacuterants au recours formeacute devant le Tribunal En outre lrsquoAvocat geacuteneacuteral

estime que la Cour de justice devrait accueillir le second moyen des requeacuterantes puisque le raisonnement du Tribunal relatif agrave

lrsquoincompleacutetude de lrsquoexamen par la Commission europeacuteenne de la deacutefinition du SIEG drsquoune part est entacheacute drsquoune erreur de droit et

souffre drsquoautre part drsquoune insuffisance de motivation

Les requeacuterantes treize organisations de gestion de terrain sont des associations et fondations non

gouvernementales sans but lucratif ayant pour objet statutaire la conservation et la protection de la nature Elles

exerccedilaient eacutegalement des activiteacutes secondaires de nature eacuteconomique qui geacutenegraverent des recettes agrave leur profit et

constituent une source de financement de leur activiteacute principale

Afin de creacuteer une structure eacutecologique et un reacuteseau laquo Natura 2000 raquo le Royaume des Pays Bas a octroyeacute des

subventions pour lrsquoacquisition de zones naturelles (laquo reacutegime PNB raquo) aux requeacuterantes Le reacutegime PNB a eacuteteacute en

vigueur de 1993 agrave 2012 Le 23 deacutecembre 2008 la Commission europeacuteenne a reccedilu une plainte de deux fondations

priveacutees sans but lucratif de droit neacuteerlandais En 2009 elles ont eacuteteacute remplaceacutees dans le cadre de la proceacutedure

Pourvoi ndash Aide drsquoEacutetat ndash Reacutegime drsquoaide relatif agrave lrsquoacquisition subventionneacutee ou agrave la mise agrave disposition agrave titre gracieux de zones naturelles ndash Deacutecision deacuteclarant lrsquoaide compatible avec le marcheacute inteacuterieur ndash Notion de ldquopartie inteacuteresseacuteerdquo ndash Difficulteacutes seacuterieuses

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administrative en cause par la VGG un organisme dont lrsquoobjet social est drsquoassurer lrsquoeacutegaliteacute des droits de tous les

proprieacutetaires fonciers priveacutes dans le cadre du subventionnement de lrsquoacquisition de terrains

Le 2 septembre 2015 la Commission europeacuteenne a deacuteclareacute le reacutegime PNB compatible avec le marcheacute inteacuterieur

en vertu de lrsquoarticle 106 paragraphe 2 TFUE Le 19 feacutevrier 2016 VGG et autres ont formeacute un recours devant le

Tribunal tendant agrave lrsquoannulation de la deacutecision litigieuse Le Tribunal a deacuteclareacute le recours recevable et a annuleacute la

deacutecision litigieuse

Les requeacuterantes demandent agrave la Cour de justice drsquoannuler lrsquoarrecirct du Tribunal

o Sur la seconde branche du premier moyen

Les requeacuterantes soutenue par la Commission europeacuteenne et le gouvernement neacuteerlandais font valoir que le

Tribunal a commis une erreur de droit en deacuteclarant le recours de VGG et autres recevable degraves lors que celles-ci

ne sauraient ecirctre consideacutereacutees comme laquo parties inteacuteresseacutees raquo au sens de lrsquoarticle 108 paragraphe 2 TFUE et de

lrsquoarticle 1er sous h) du regraveglement ndeg6591999

Sur la notion de laquo partie inteacuteresseacutee raquo

LrsquoAvocat geacuteneacuteral commence par rappeler les deux phases de la proceacutedure de controcircle viseacutee agrave lrsquoarticle 108 TFUE

agrave savoir une phase preacuteliminaire drsquoexamen et une proceacutedure formelle drsquoexamen

En lrsquoespegravece la proceacutedure formelle drsquoexamen nrsquoa pas eacuteteacute ouverte par la Commission europeacuteenne et VGG et autres

ont invoqueacute devant le Tribunal une violation de leurs droits proceacuteduraux La recevabiliteacute du recours deacutepend

degraves lors essentiellement de la question de savoir si VGG et autres ont eacutetabli ecirctre des parties inteacuteresseacutees LrsquoAvocat

geacuteneacuteral rappelle qursquoune partie inteacuteresseacutee est laquo tout Eacutetat membre et toute personne entreprise ou association

drsquoentreprises dont les inteacuterecircts pourraient ecirctre affecteacutes par lrsquooctroi drsquoune aide en particulier le beacuteneacuteficiaire de celle-

ci les entreprises concurrentes et les associations professionnelles raquo La qualiteacute de partie inteacuteresseacutee deacutepend de ce

que les inteacuterecircts de lrsquoentiteacute qui se preacutevaut de cette qualiteacute pourraient ecirctre affecteacutes par lrsquooctroi de la mesure drsquoaide

Il srsquoagit donc de deacuteterminer de quelle faccedilon il peut ecirctre eacutetabli que les inteacuterecircts drsquoune entreprise pourraient ecirctre

affecteacutes par lrsquooctroi drsquoune aide de sorte agrave confeacuterer agrave cette derniegravere la qualiteacute de partie inteacuteresseacutee Selon lrsquoAvocat

geacuteneacuteral il faut distinguer les entreprises concurrentes du beacuteneacuteficiaire de lrsquoaide et les entiteacutes qui ne sont pas

concurrentes du beacuteneacuteficiaire

Pour les premiegraveres selon une jurisprudence constante de la Cour de justice elles figurent incontestablement

parmi les parties inteacuteresseacutees Pour les secondes elles peuvent se voir reconnaitre la qualiteacute de partie inteacuteresseacutees

si elles eacutetablissent que lrsquoaide risque drsquoavoir une incidence concregravete sur leur situation

LrsquoAvocat geacuteneacuteral note que cette distinction est en contradiction avec un courant minoritaire de la jurisprudence

du Tribunal dont fait partie lrsquoarrecirct attaqueacute

Le raisonnement du Tribunal dans lrsquoarrecirct attaqueacute et le courant jurisprudentiel dans lequel il srsquoinscrit

Selon cette jurisprudence du Tribunal il serait exigeacute des entreprises concurrentes des beacuteneacuteficiaires de lrsquoaide de

prouver agrave la fois lrsquoexistence drsquoun rapport de concurrence et lrsquoincidence concregravete de lrsquoaide sur leur situation

LrsquoAvocat geacuteneacuteral est drsquoavis qursquoune telle solution ne saurait ecirctre maintenue Elle serait en contradiction avec le

regraveglement ndeg6591999 qui deacutesigne expresseacutement le concurrent du beacuteneacuteficiaire comme partie inteacuteresseacutee et avec

une jurisprudence pleacutethorique du Tribunal au terme de laquelle la seule preuve de la qualiteacute de concurrent suffit

agrave qualifier lrsquoentreprise de partie inteacuteresseacutee Finalement lrsquoAvocat geacuteneacuteral estime que cette solution pourrait

entrainer une certaine confusion avec la jurisprudence relative agrave la recevabiliteacute du recours Il estime que

contrairement agrave ce qursquoa jugeacute le Tribunal il ne saurait ecirctre exigeacute de VGG et autres de prouver tant lrsquoexistence

drsquoun rapport de concurrence avec les requeacuterantes que lrsquoincidence concregravete de la mesure sur leur situation qui

fausserait ce rapport de concurrence afin de deacutemontrer leur qualiteacute de partie inteacuteresseacutee En jugeant que VGG et

autres devaient ecirctre consideacutereacutees comme des entreprises concurrentes des requeacuterantes le Tribunal pouvait

valablement qualifier VGG et autres de parties inteacuteresseacutees

LrsquoAvocat geacuteneacuteral conclut qursquoune erreur de droit dans lrsquoappreacuteciation de lrsquoincidence concregravete de la mesure sur la

situation de VGG et autres ne saurait conduire agrave lrsquoannulation de lrsquoarrecirct attaqueacute degraves lors que son appreacuteciation

apparait fondeacutee pour drsquoautres motifs de droit

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Consideacuterations subsidiaires sur lrsquoappreacuteciation par le Tribunal du risque drsquoincidence concregravete de la mesure sur la situation de VGG

et autres

LrsquoAvocat geacuteneacuteral examine le point de savoir si le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que la mesure

drsquoaide risquait drsquoavoir une incidence concregravete sur la situation de VGG et autres Pour le cas ougrave la premiegravere branche

du premier moyen devait ecirctre accueillie par laquelle les requeacuterantes contestent la constatation de lrsquoexistence drsquoun

rapport de concurrence entre VGG et elles-mecircmes VGG et autres ne pourraient ecirctre qualifieacutees de parties

inteacuteresseacutees que srsquoil a correctement eacuteteacute jugeacute que la mesure en cause risquait drsquoavoir une incidence concregravete sur leur

situation

Srsquoagissant du critegravere deacutegageacute par le Tribunal pour eacutetablir lrsquoexistence drsquoun risque drsquoune incidence concregravete de lrsquoaide

sur la situation de VGG et autres lrsquoAvocat geacuteneacuteral estime qursquoil est manifestement deacutenueacute de pertinence Le

raisonnement du Tribunal qui procegravede drsquoune confusion dans la lecture de la jurisprudence lui semble entacheacute

drsquoune erreur de droit Pour autant il relegraveve qursquoune telle erreur de droit nrsquoa pas affecteacute le reacutesultat de lrsquoappreacuteciation

meneacutee par le Tribunal Il ressort de la jurisprudence de la Cour de justice qursquoune erreur de droit commise par le

Tribunal nrsquoest pas de nature agrave invalider lrsquoarrecirct attaqueacute si le dispositif de celui-ci apparait fondeacute pour drsquoautres

motifs de droit

LrsquoAvocat geacuteneacuteral conclut que il ne saurait ecirctre reprocheacute au Tribunal drsquoavoir commis une erreur de droit en

consideacuterant que la mesure en cause risquait drsquoavoir une incidence concregravete sur la situation de VGG et autres et

en jugeant que ces derniegraveres devaient degraves lors ecirctre qualifieacutees de parties inteacuteresseacutees

Par suite la seconde branche du moyen est inopeacuterante et partant ne saurait ecirctre accueillie

o Sur la premiegravere branche du second moyen

Les requeacuterantes allegraveguent que le Tribunal a admis agrave tort lrsquoexistence de difficulteacutes seacuterieuses pour appreacutecier la

compatibiliteacute de la mesure drsquoaide en cause avec le marcheacute neacutecessitant lrsquoouverture de la proceacutedure formelle

drsquoexamen preacutevue agrave lrsquoarticle 108 paragraphe 2 TFUE

Sur la preacutetendue constatation par le Tribunal drsquoune contradiction dans la deacutecision litigieuse

LrsquoAvocat geacuteneacuteral estime que lrsquoargument selon lequel le Tribunal aurait statueacute ultra petita en se fondant sur

lrsquoexistence drsquoune contradiction dans le raisonnement de la Commission europeacuteenne dans la deacutecision litigieuse qui

nrsquoavait pas eacuteteacute invoqueacutee par VGG et autres ne saurait prospeacuterer Le Tribunal srsquoest reacutefeacutereacute agrave lrsquoexistence drsquoune

contradiction dans la deacutecision litigieuse entre les conclusions de la Commission europeacuteenne relatives agrave la

qualification des requeacuterantes drsquoentreprises et celles relatives agrave la deacutefinition du SIEG en cause Une telle

contradiction nrsquoa pas eacuteteacute invoqueacutee par les parties en premiegravere instance LrsquoAvocat geacuteneacuteral relegraveve que la solution agrave

laquelle est parvenue le Tribunal selon laquelle la qualification de SIEG global ou atypique des activiteacutes des

requeacuterantes peut constituer un indice de lrsquoexistence de difficulteacutes seacuterieuses nrsquoest degraves lors pas fondeacutee drsquoune

contradiction dans la deacutecision de la Commission europeacuteenne Ainsi quand bien mecircme le Tribunal aurait releveacute

au stade de lrsquoexposeacute des arguments des parties un argument qui nrsquoavait pas eacuteteacute invoqueacute par VGG et autres cela

serait sans incidence sur la solution apporteacutee

Sur le raisonnement du Tribunal relatif agrave lrsquoexistence de difficulteacute seacuterieuse quant agrave la deacutefinition du SIEG

Les requeacuterantes estiment que le Tribunal a commis des erreurs de droit en jugeant que la deacutefinition par la

Commission europeacuteenne du SIEG en tant que SIEG atypique eacutetait un indice de difficulteacutes seacuterieuses

LrsquoAvocat geacuteneacuteral note que le Tribunal a conclu agrave lrsquoexistence de difficulteacutes seacuterieuses quant agrave la deacutefinition du SIEG

dans la deacutecision litigieuse en raison du laquo caractegravere insuffisant ou incomplet de lrsquoexamen meneacute par la Commission

europeacuteenne lors de la proceacutedure preacuteliminaire drsquoexamen raquo qui selon la jurisprudence constitue un indice de

difficulteacutes seacuterieuses Il relegraveve que le raisonnement du Tribunal qui a ameneacute agrave cette conclusion est entacheacute de

plusieurs incoheacuterences Le Tribunal a reprocheacute agrave la Commission europeacuteenne de ne pas avoir deacutemontreacute la

neacutecessiteacute des activiteacutes secondaires pour le fonctionnement du SIEG alors mecircme que ce nrsquoest pas imposeacute agrave la

Commission europeacuteenne Le Tribunal ne pouvait sans commettre drsquoerreur de droit se fonder sur cet eacuteleacutement

pour conclure agrave lrsquoincompleacutetude de lrsquoexamen de la Commission europeacuteenne Quant au constat selon lequel la

Commission europeacuteenne nrsquoaurait pas eacutetabli que les activiteacutes secondaires revecirctaient un inteacuterecirct geacuteneacuteral de sorte

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que lrsquoexamen de la Commission europeacuteenne serait eacutegalement incomplet sur ce point lrsquoAvocat geacuteneacuteral estime

qursquoun tel constat souffre drsquoune insuffisance de motivation

Ainsi le raisonnement du Tribunal relatif agrave lrsquoincompleacutetude de lrsquoexamen par la Commission europeacuteenne de la

deacutefinition du SIEG drsquoune part est entacheacute drsquoune erreur de droit et souffre drsquoautre part drsquoune insuffisance de

motivation

Par suite lrsquoAvocat geacuteneacuteral est drsquoavis qursquoil y a lieu drsquoaccueillir la premiegravere branche du second moyen

o Conclusions

Au vu des consideacuterations qui preacutecegravedent jrsquoestime que la seconde branche du premier moyen doit ecirctre

rejeteacutee comme eacutetant inopeacuterante et que la premiegravere branche du second moyen doit ecirctre accueillie sans

que cela preacutejuge du bien-fondeacute des autres branches des moyens du pourvoi

Coopeacuteration judiciaire en matiegravere civile

Conclusions de lrsquoAvocat geacuteneacuteral M Manuel Campos Saacutenchez-Bordona preacutesenteacutees le 2 avril 2020 dans lrsquoaffaire Verein fuumlr KonsumenteninformationVolkswagen AG C-34319

Reacutesumeacute LrsquoAvocat geacuteneacuteral Campos Saacutenchez-Bordona estime que les acqueacutereurs de veacutehicules eacutequipeacutes drsquoun moteur Volkswagen sur lesquels ont eacuteteacute installeacutes un logiciel de manipulation relatif aux gaz drsquoeacutechappements ayant pour conseacutequence la diminution de la valeur desdits veacutehicules peuvent attraire une entreprise devant les juridictions de lrsquoEacutetat dans lequel ces veacutehicules ont eacuteteacute acheteacutes Le Verein fuumlr Konsumenteninformation (ci-apregraves laquo VKI raquo) est une organisation de consommateurs ayant son siegravege en Autriche Son objet statutaire inclut lrsquoexercice drsquoactions en justice pour la deacutefense des droits des consommateurs que ceux-ci lui cegravedent agrave cette fin Le 6 septembre 2018 VKI a intenteacute devant le Landesgericht Klagenfurt (tribunal reacutegional de Klagenfurt Autriche) une action contre Volkswagen AG ayant son siegravege en Allemagne pays dans lequel celle-ci fabrique des veacutehicules automobiles afin drsquoexercer les droits agrave indemnisation lui ayant eacuteteacute ceacutedeacutes par 574 acheteurs de veacutehicules et pour demander la constations de la responsabiliteacute de la socieacuteteacute pour des dommages futurs qui nrsquoont pas encore eacuteteacute quantifieacutes Ces demandes eacutetaient lieacutees agrave lrsquoinstallation dans les veacutehicules acheteacutes drsquoun dispositif qui a masqueacute lors des essais les valeurs reacuteelles drsquoeacutemissions de gaz drsquoeacutechappement en violation des dispositions du droit de lrsquoUnion VKI affirme que les consommateurs avaient acquis en Autriche aupregraves drsquoun concessionnaire professionnel ou drsquoun particulier des veacutehicules eacutequipeacutes drsquoun moteur Volkswagen et ce avant la reacuteveacutelation au public le 18 septembre 2018 de la manipulation sur les gaz drsquoeacutechappements Dans ce contexte la juridiction de renvoi pose la question preacutejudicielle suivante Lrsquoarticle 7 point 2) du regraveglement (UE) no 12152012 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 12 deacutecembre 2012 concernant la compeacutetence judiciaire la reconnaissance et lrsquoexeacutecution des deacutecisions en matiegravere civile et commerciale doit-il ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que dans des circonstances telles que celles de lrsquoaffaire au principal on peut consideacuterer comme ldquolieu ougrave le fait dommageable srsquoest produitrdquo le lieu situeacute agrave lrsquointeacuterieur drsquoun Eacutetat membre ougrave srsquoest produit le preacutejudice si ce preacutejudice consiste exclusivement en une perte financiegravere qui est la conseacutequence directe drsquoagissements susceptibles drsquoengager la responsabiliteacute deacutelictuelle survenus dans un autre Eacutetat membre LrsquoAvocat geacuteneacuteral considegravere que lrsquoarticle 7 point 2) du regraveglement no 12152012 eacutetablissant en faveur du demandeur un critegravere de compeacutetence alternatif au for geacuteneacuteral est difficile drsquointerpreacutetation notamment en matiegravere

Proceacutedure preacutejudicielle ndash Regraveglement (UE) ndeg12152012 ndash Compeacutetence judiciaire en matiegravere de responsabiliteacute deacutelictuelle ou quasi deacutelictuelle ndash Lieu du fait dommageable ndash Manipulation des valeurs drsquoeacutemission de gaz dans les moteurs de veacutehicules automobiles

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deacutelictuelle ou quasi deacutelictuelle De ce fait il en revient agrave la Cour de justice drsquoadapter et drsquoenrichir agrave lrsquooccasion des questions preacutejudicielles lrsquoexeacutegegravese de cette disposition Srsquoil existe plusieurs critegraveres permettant lrsquointerpreacutetation de cette disposition

- Le principe de la preacutevisibiliteacute des regravegles et de la proximiteacute entre les juridictions compeacutetentes et le litige - La preacuteoccupation de maintenir lrsquoutiliteacute de la regravegle speacuteciale dans le cadre de la reacutepartition des

compeacutetences sans pour autant en autoriser une interpreacutetation extensive (Arrecirct du 5 juin 2014 Coty Germany C-36012 point 45)

- La neutraliteacute de cette regravegle par rapport aux parties Lrsquointerpreacutetation est autonome en ce que les deacutefinitions de laquo fait raquo et de laquo dommage raquo sont indeacutependantes des systegravemes nationaux au mecircme titre que le reacutegime de fond applicable agrave la responsabiliteacute civile (arrecirct Coty Germany C-36012 point 43) LrsquoAvocat geacuteneacuteral preacutecise que lrsquoarticle 7 point 2) du regraveglement no 12152012 preacutesuppose un lien eacutetroit entre la juridiction compeacutetente et le litige Lorsque le comportement illicite et ses conseacutequences sont situeacutes dans des Eacutetats membres diffeacuterents le critegravere de la compeacutetence judicaire se deacutedouble en matiegravere deacutelictuelle car ces deux lieux preacutesentent un lien significatif avec le litige Ainsi le demandeur peut choisir entre les deux juridictions lorsqursquoil introduit son action

1 La nature du dommage initial ou conseacutecutif mateacuteriel ou patrimonial Victimes directes ou indirectes Srsquoagissant de la nature du dommage lrsquoAvocat geacuteneacuteral distingue le domaine des faits geacuteneacuterateurs de celui des preacutejudices qursquoils produisent

- La fabrication drsquoun objet avec ou sans vices relegraveve du domaine des faits geacuteneacuterateurs (arrecirct du 6 juillet 2009 Zuid-Chemie C-18908 point 27)

- Les dommages sont les conseacutequences neacutegatives des faits dans la sphegravere des inteacuterecircts juridiques proteacutegeacutes drsquoun demandeur

Ainsi en lrsquoespegravece le fait geacuteneacuterateur consisterait en lrsquoinstallation au cours du processus de fabrication du veacutehicule du logiciel qui modifie les donneacutees relatives aux eacutemissions de gaz de celui-ci LrsquoAvocat geacuteneacuteral est drsquoavis que dommage reacutesultant de ce fait soit de nature initiale et patrimoniale En lrsquoabsence de tout vice lrsquoacquisition drsquoun objet apporte au patrimoine auquel il srsquointegravegre une valeur au moins eacutequivalente agrave la valeur de ce qui en sort dans le cadre drsquoune vente le prix payeacute pour lrsquoobjet Ainsi lorsque la valeur du veacutehicule est infeacuterieure au prix payeacute au moment de lrsquoachat du fait drsquoun vice drsquoorigine le prix payeacute ne correspond pas agrave la valeur reccedilue De fait la diffeacuterence entre le prix payeacute et la valeur du bien geacutenegravere un deacutesavantage patrimonial concomitant agrave lrsquoacquisition du bien et ce mecircme srsquoil nrsquoest deacutecouvert qursquoa posteriori De plus cette perte se fait initiale car elle deacuterive directement du fait geacuteneacuterateur en lrsquoespegravece la manipulation du moteur et non drsquoun dommage anteacuterieur subi par le demandeur qui trouve son origine dans ce mecircme fait Srsquoagissant de la qualiteacute des victimes lrsquoAvocat geacuteneacuteral considegravere que les personnes ayant acheteacutes les voitures sont des victimes directes au sens de lrsquoarticle 7 point 2) du regraveglement no 12152012 puisque la perte qursquoelles allegraveguent nrsquoest pas une conseacutequence drsquoun preacutejudice anteacuterieur subi par drsquoautres personnes avant elles

2 Le lieu ougrave srsquoest produit le fait agrave lrsquoorigine du dommage LrsquoAvocat geacuteneacuteral estime que conformeacutement agrave la regravegle geacuteneacuterale la socieacuteteacute Volkswagen ayant son siegravege en Allemagne serait soumise aux juridictions de cet Eacutetat membre Toutefois la demande trouvant son origine dans un deacutelai ou un quasi-deacutelit la deacutefenderesse peut eacutegalement ecirctre attraite devant les juridictions de lrsquoEacutetat membre du lieu ougrave le dommage srsquoest mateacuterialiseacute

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3 Le lieu ougrave le dommage se mateacuterialise

o La localisation drsquoun preacutejudice purement eacuteconomique dans la jurisprudence de la Cour de justice

LrsquoAvocat geacuteneacuteral rappel que le lieu de mateacuterialisation du dommage est celui ougrave les conseacutequences neacutegatives drsquoun fait se manifestent concregravetement (arrecirct Zuid-Chemie C-18908 point 47) Lrsquoabsence drsquoatteinte physique rend difficile lrsquoidentification drsquoun lieu et geacutenegravere des incertitudes Agrave ce titre lrsquoAvocat geacuteneacuteral rappelle qursquoil avait eacuteteacute suggeacutereacute agrave la Cour de justice drsquoabandonner lrsquooption entre le lieu du fait dommageable et le lieu du dommage pour les hypothegraveses de dommage uniquement patrimonial (Conclusions de lrsquoAvocat geacuteneacuteral Szpunar dans lrsquoaffaire Universal Music International Holding C-1215 point 38) En effet le deacutedoublement du for nrsquoest pas un impeacuteratif dans lrsquoapplication de la disposition en cause et lrsquooption du laquo lieu ougrave se mateacuterialise le dommage raquo ne devrait peut-ecirctre pas srsquoappliquer dans certaines hypothegraveses

- Lorsque la nature du dommage ne permet pas de deacuteterminer ougrave celui-ci srsquoest produit en appliquant un critegravere simple

- Lorsque la localisation devrait ecirctre eacutetablir en recourant agrave des fictions - Lorsque lrsquoexamen tend agrave aboutir agrave un lieu fortuit ou pouvant ecirctre manipuleacute par le demandeur

LrsquoAvocat geacuteneacuteral rappelle que dans lrsquoarrecirct Bessix du 19 feacutevrier 2002 (C-25600 point 49) la Cour de justice avait exclu lrsquoapplication de lrsquoarticle 5 point 1) de la Convention de Bruxelles (devenu lrsquoarticle 7 point 1) du regraveglement no 12152012) agrave lrsquoeacutegard drsquoune obligation qui laquo nrsquoest susceptible ni drsquoecirctre localiseacutee agrave un endroit preacutecis ni drsquoecirctre rattacheacutee agrave une juridiction qui serait particuliegraverement apte agrave connaicirctre du diffeacuterend relatif agrave cette obligation raquo cette solution pouvant srsquoappliquer eacutegalement au point 2) de lrsquoarticle 7 du regraveglement no 12152012 La Cour de justice a eacutegalement eu lrsquooccasion drsquoassocier au dommage une omission ou un fait causeacutes par lrsquoactiviteacute du deacutefendeur qui preacutecegravedent immeacutediatement et logiquement le preacutejudice et dont la capaciteacute agrave ecirctre appreacutecieacutes par les sens est plus grande notamment lorsque le dommage reacutesulte de quelque qui ne se produit pas (arrecircts du 21 deacutecembre 2016 Concurrence C-61815 point 33 du 5 juillet 2018 flyLAL-Lithuanian Airlines C-2717 points 35 et 36 et du 29 juillet 2019 Tibor-Trans C-45118 points 30 32 et 33) LrsquoAvocat geacuteneacuteral considegravere que la preacutesentation du dommage patrimonial par reacutefeacuterence agrave une activiteacute ou agrave un fait apparents aide agrave le rattacher physiquement agrave un territoire ou directement eacutevite drsquoavoir agrave le faire Selon lui il nrsquoy a aucun obstacle agrave ce que cette meacutethode soit geacuteneacuteraliseacutee (point 53) Parallegravelement il est preacuteciseacute que la Cour de justice a admis la mateacuterialisation de la perte patrimoniale en matiegravere drsquoinvestissements en ce que le preacutejudice se produit sur le compte qui enregistre au niveau comptable la perte eacuteconomique Dans cette jurisprudence qui se reacutesume agrave trois arrecircts Kolassa (28 janvier 2015 C-37513) Universal (16 juin 2016 C-1215) et Loumlber (2 septembre 2018 C-30417) le lieu de mateacuterialisation du dommage identifieacute constitue un point de deacutepart qui doit ecirctre corroboreacute par les autres circonstances particuliegraveres du litige dans une appreacuteciation drsquoensemble (arrecirct Loumlber C-30417 points 31 et 36)

o Porteacutee du critegravere des laquo circonstances particuliegraveres raquo LrsquoAvocat geacuteneacuteral rappelle que la Cour de justice a recours aux laquo circonstances particuliegraveres raquo de lrsquoaffaire pour preacuteciser le critegravere de compeacutetence relatif au laquo lieu du dommage raquo Toutefois il preacutecise que ce critegravere ne permet pas agrave la juridiction saisie du litige de comparer le laquo lieu du fait geacuteneacuterateur raquo et le laquo lieu du dommage raquo et de choisir le plus approprieacute des deux La Cour de justice a rappeleacute qursquoil nrsquoeacutetait pas possible drsquoeacutecarter le reacutesultat auquel conduit lrsquoapplication de lrsquoarticle 7 du regraveglement no 12152012 mecircme srsquoil deacutesigne une juridiction deacutepourvue de lien avec le litige Le deacutefendeur peut ecirctre attrait devant la juridiction du lieu deacutesigneacute par cette disposition mecircme si le for ainsi deacutetermineacute nrsquoest pas celui qui preacutesente le lien le plus eacutetroit avec le litige (arrecirct du 29 juin 1994 Custom Made Commercial C-28892 point 17 lu en combinaison avec les points 16 et 21)

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o Preacutecisions sur les laquo autres circonstances particuliegraveres raquo

LrsquoAvocat geacuteneacuteral explique que les laquo autres circonstances particuliegraveres raquo devant coiumlncider au soutien du lieu de manifestation du dommage lorsque celui-ci est purement eacuteconomique deacutependent de chaque litige mais en termes geacuteneacuteraux il preacutecise que ces circonstances peuvent ecirctre deacutecrites comme

- Les eacuteleacutements pertinents pour la bonne administration de la justice et lrsquoorganisation utile du procegraves

- Les facteurs qui ont pu servir agrave former la conviction des parties quant au lieu de lrsquoaction en justice ou quant agrave celui ougrave elles peuvent eacuteventuellement ecirctre attraites du fait de leurs actes (point 67)

Il peut ecirctre supposeacute que ces eacuteleacutements puissent contribuer agrave la preuve du comportement illicite du dommage et de la relation de causaliteacute entre ceux-ci LrsquoAvocat geacuteneacuteral propose agrave la Cour de justice de reacutepondre au Landesgericht Klagenfurt (tribunal reacutegional de Klagenfurt Autriche) de la maniegravere suivante

1 Lrsquoarticle 7 point 2) du regraveglement (UE) no 12152012 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 12 deacutecembre 2012 concernant la compeacutetence judiciaire la reconnaissance et lrsquoexeacutecution des deacutecisions en matiegravere civile et commerciale doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que lorsqursquoun acte illicite commis dans un Eacutetat membre consiste en la manipulation drsquoun produit dont la reacutealiteacute est dissimuleacutee et qui ne se manifeste que posteacuterieurement agrave lrsquoacquisition de ce produit dans un autre Eacutetat membre agrave un prix supeacuterieur agrave sa valeur reacuteelle - Lrsquoacqueacutereur de ce produit qui le conserve dans son patrimoine lorsque le vice est rendu

public constitue une victime directe - Le lieu ougrave le fait geacuteneacuterateur srsquoest produit est le lieu ougrave srsquoest produit le fait qui a deacuteteacuterioreacute le

produit lui-mecircme et - Le dommage se mateacuterialise au lieu situeacute dans un Eacutetat membre ougrave la victime a acquis le

produit aupregraves drsquoun tiers agrave condition que les autres circonstances corroborent lrsquoattribution de compeacutetence aux juridictions de cet Eacutetat Il est impeacuteratif que parmi ces circonstances il y en ait une ou plusieurs ayant permis au deacutefendeur de preacutevoir raisonnablement qursquoune action en responsabiliteacute civile imputable agrave ses actes pourrait ecirctre intenteacutee contre lui par de futurs acqueacutereurs du produit dans ce lieu

2 Lrsquoarticle 7 point 2) du regraveglement no 12152012 doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens qursquoil nrsquoautorise pas la juridiction du lieu ougrave le dommage srsquoest mateacuterialiseacute agrave eacutetablir ou agrave deacutecliner sa compeacutetence sur la base drsquoune mise en balance des autres circonstances de lrsquoespegravece visant agrave deacuteterminer quelle juridiction ndash agrave savoir cette mecircme juridiction ou la juridiction du lieu du fait geacuteneacuterateur ndash est la mieux placeacutee en termes de proximiteacute et de preacutevisibiliteacute pour statuer sur lrsquoaffaire

Environnement

Conclusions de lrsquoAvocate geacuteneacuterale Mme Eleanor Sharpston preacutesenteacutees le 30 avril 2020 dans lrsquoaffaire CLCE ea (Dispositif drsquoinvalidation sur moteur diesel) C-99318

Reacutesumeacute LrsquoAvocate geacuteneacuterale Sharpston est drsquoavis qursquoun dispositif qui influe agrave la hausse lors des tests drsquohomologation des veacutehicules agrave moteur diesel sur le fonctionnement du systegraveme de controcircle des eacutemissions de ces veacutehicules constitue un laquo dispositif drsquoinvalidation raquo

Renvoi preacutejudiciel ndash Rapprochement des leacutegislations ndash Regraveglement (CE) ndeg 7152007 ndash Veacutehicules agrave moteur ndash Eacutemissions de polluants ndash Dispositif drsquoinvalidation ndash Programme agissant sur le calculateur de controcircle moteur ndash Technologies et strateacutegies permettant de limiter la production des eacutemissions de polluants ndash Moteur diesel

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prohibeacute par le droit de lrsquoUnion europeacuteenne Plus speacutecifiquement lrsquoobjectif de ralentissement du vieillissement ou de lrsquoencrassement du moteur ne justifie pas le recours agrave un tel dispositif La socieacuteteacute X est un constructeur automobile commercialisant des veacutehicules agrave moteur en France Cette derniegravere aurait mis sur le marcheacute des veacutehicules eacutequipeacutes drsquoun logiciel (ci -apregraves le laquo logiciel litigieux raquo) susceptible de fausser les reacutesultats des tests drsquohomologation relatifs aux eacutemissions de gaz polluants tels les oxydes drsquoazote (ci-apregraves laquo NOx raquo) Avant drsquoecirctre mis sur le marcheacute les veacutehicules en cause ont eacuteteacute testeacutes suivant un protocole particulier deacutefini par voie regraveglementaire dans le cadre de la phase drsquohomologation relative aux eacutemissions de gaz polluants afin drsquoeacutetablir que le volume de NOx eacutemis ne deacutepasse pas les limites imposeacutees par le regraveglement ndeg7152007 Ainsi les eacutemissions des veacutehicules mis en cause nrsquoont pas eacuteteacute analyseacutees dans des conditions de conduite reacuteelles Les veacutehicules en cause eacutetaient eacutequipeacutes drsquoune vanne de recirculation des gaz drsquoeacutechappement (ci-apregraves laquo RGE raquo) qui est lrsquoune des technologies utiliseacutees par les constructeurs automobiles afin de controcircler et de reacuteduire les eacutemissions finales de NOx Plus speacutecifiquement il srsquoagit drsquoun systegraveme consistant agrave rediriger une partie des gaz drsquoeacutechappement du moteur vers lrsquoadmission (lrsquoentreacutee drsquoair fourni au moteur) en vue de reacuteduire les eacutemissions finales de NOx En octobre 2015 agrave la suite de publications dans la presse le parquet de Paris (France) a diligenteacute une enquecircte qui a donneacute lieu agrave lrsquoouverture drsquoune information judiciaire en feacutevrier 2016 agrave lrsquoeacutegard de la socieacuteteacute X En effet la socieacuteteacute aurait trompeacute les acqueacutereurs de veacutehicules eacutequipeacutes de moteur diesel sur les qualiteacutes substantielles de ceux-ci et sur les controcircles effectueacutes avant leur mise sur le marcheacute Lrsquoexpertise technique reacutealiseacutee dans le cadre de la proceacutedure drsquoinformation a conclu agrave lrsquoexistence dans les veacutehicules en cause drsquoun dispositif permettant de deacutetecter les phases des tests drsquohomologation et drsquoadapter en conseacutequence le fonctionnement du systegraveme RGE de faccedilon agrave respecter le plafond regraveglementaire en matiegravere drsquoeacutemissions Agrave lrsquoinverse dans des conditions autres que celles des tests drsquohomologation lorsque les veacutehicules circulent en situation normale ce dispositif entraicircne une deacutesactivation partielle du systegraveme RGE et par conseacutequent une augmentation des eacutemissions de NOx Lrsquoexpert prend soin de preacuteciser que si le fonctionnement du systegraveme RGE en circulation reacuteelle avait eacuteteacute conforme agrave celui qui preacutevalait lors de ces tests drsquohomologation ces veacutehicules auraient produit jusqursquoagrave 50 de NOx en moins Toutefois les opeacuterations de maintenance de ces derniers auraient eacuteteacute plus freacutequentes et plus coucircteuses en raison drsquoun encrassement plus rapide du moteur Le magistrat en charge de lrsquoinstruction srsquoest interrogeacute quant agrave la conformiteacute des veacutehicules viseacutes aux exigences du regraveglement ndeg7152007 et en particulier quant agrave la liceacuteiteacute du dispositif eacutevoqueacute ci-dessus En effet le regraveglement interdit expresseacutement lrsquoutilisation de dispositifs drsquoinvalidation qui reacuteduiraient lrsquoefficaciteacute des systegravemes de controcircle des eacutemissions dans des conditions normales drsquoutilisation Au regard de ces eacuteleacutements la juridiction de renvoi a deacutecideacute de saisir la Cour de justice en vue drsquoobtenir des clarifications notamment quant agrave la deacutefinition et agrave la porteacutee des concepts de laquo systegraveme de controcircle des eacutemissions raquo et de laquo dispositif drsquoinvalidation raquo

- Sur la recevabiliteacute des questions preacutejudicielles LrsquoAvocate geacuteneacuterale explique que dans le cadre de la coopeacuteration de la Cour de justice et des juridictions nationales institueacutee par lrsquoarticle 267 TFUE il appartient au seul juge national saisi du litige et assumant la responsabiliteacute de la deacutecision juridictionnelle agrave intervenir drsquoappreacutecier au regard des particulariteacutes de lrsquoaffaire la neacutecessiteacute drsquoune deacutecision preacutejudicielle et la pertinence des questions qursquoil pose agrave la Cour de justice Ainsi degraves lors que les questions poseacutees portent sur lrsquointerpreacutetation du droit de lrsquoUnion europeacuteenne la Cour de justice est en principe tenue de statuer (arrecirct du 4 deacutecembre 2018 Minister for Justice and Equality et Commissioner of An Garda Siacuteochaacutena C-37817 point 26 et jurisprudence citeacutee) Agrave ce titre les questions portant sur le droit de lrsquoUnion beacuteneacuteficient drsquoune preacutesomption de pertinence et le refus de la Cour de justice de statuer sur une telle question nrsquoest possible que srsquoil apparaicirct de maniegravere manifeste que lrsquointerpreacutetation solliciteacute du droit de lrsquoUnion

- Nrsquoa aucun rapport avec la reacutealiteacute ou lrsquoobjet du litige au principal - Lorsque le problegraveme est de nature hypotheacutetique

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- Lorsque la Cour de justice ne dispose pas des eacuteleacutements de fait et de droit neacutecessaires pour reacutepondre de faccedilon utile aux questions qui lui sont poseacutees (arrecirct Minister for Justice and Equality et Commissioner of An Garda Siacuteochaacutena C-37817 point 27)

En lrsquoespegravece lrsquoAvocate geacuteneacuterale est drsquoavis que la recevabiliteacute des questions preacutejudicielles est eacutetablie

- Sur la premiegravere question preacutejudicielle Selon lrsquoAvocate geacuteneacuterale la notion de laquo dispositif drsquoinvalidation raquo viseacutee agrave lrsquoarticle 3 point 10 du regraveglement ndeg7152007 deacutesigne tout eacuteleacutement de conception laquo qui deacutetecte la tempeacuterature la vitesse du veacutehicule le reacutegime du moteur en toursminute la transmission une deacutepression ou tout autre paramegravetre aux fins drsquoactiver de moduler de retarder ou de deacutesactiver le fonctionnement de toute partie du systegraveme de controcircle des eacutemissions qui reacuteduit lrsquoefficaciteacute du systegraveme de controcircle des eacutemissions dans des conditions dont on peut raisonnablement attendre qursquoelles se produisent lors du fonctionnement et de lrsquoutilisation normaux des veacutehicules raquo Cette deacutefinition confegravere une porteacutee large agrave la notion laquo drsquoeacuteleacutement de conception raquo qui peut ecirctre constitueacute aussi bien de piegraveces meacutecaniques que drsquoun logiciel informatique pilotant lrsquoactivation de telles piegraveces degraves lors qursquoil agit sur le fonctionnement du systegraveme de controcircle des eacutemissions et qursquoil en reacuteduit lrsquoefficaciteacute Agrave ce titre lrsquoAvocate geacuteneacuterale preacutecise qursquoil doit drsquoagit drsquoun eacuteleacutement eacutemanant du constructeur du veacutehicule srsquoagissant drsquoun logiciel embarqueacute peu importe qursquoil soit preacuteinstalleacute avant la vente du veacutehicule ou teacuteleacutechargeacute ulteacuterieurement Ne sont donc pas concerneacutes les eacuteleacutements installeacutes agrave lrsquoinitiative du seul proprieacutetaire ou utilisateur du veacutehicule sans lien avec le constructeur

- Sur la deuxiegraveme question preacutejudicielle LrsquoAvocate geacuteneacuterale explique que les constructeurs peuvent optimiser les performances de leurs veacutehicules sur le plan des eacutemissions polluantes par deux cateacutegories de meacutethodes

- Les strateacutegies dites laquo internes au moteur raquo consistant agrave minimiser la formation de gaz polluants dans le moteur lui-mecircme ndash tel le systegraveme RGE

- Les strateacutegies dites laquo post-traitement raquo consistant agrave traiter les eacutemissions apregraves leur formation LrsquoAvocate geacuteneacuterale preacutecise en outre que la notion de laquo systegraveme de controcircle des eacutemissions raquo nrsquoest pas deacutefinie par le regraveglement ndeg7152007 et que pour en eacuteclairer la porteacutee il convient de se reacutefeacuterer aux critegraveres drsquointerpreacutetation consacreacutes par la Cour de justice ( arrecirct du 7 feacutevrier 2018 American Express C-30416 point 54 et jurisprudence citeacutee)

o Interpreacutetation litteacuterale Sur le plan litteacuteral un laquo systegraveme de controcircle des eacutemissions raquo est un composant drsquoun veacutehicule visant agrave controcircler les eacutemissions de celui-ci Ainsi lrsquoAvocate geacuteneacuterale est drsquoavis que le systegraveme RGE peut srsquoinscrire a priori dans le champ drsquoapplication de cette notion puisque sa finaliteacute est de reacuteduire les eacutemissions finales de NOx Elle preacutecise que cette interpreacutetation de la notion de laquo systegraveme de controcircle des eacutemissions raquo nrsquoest ni trop extensive ni de nature agrave englober nrsquoimporte quel composant drsquoun veacutehicule ayant une incidence quelconque sur le volume des eacutemissions polluantes

o Interpreacutetation contextuelle Lrsquoarticle 4 paragraphe 2 du regraveglement ndeg7152007 impose aux constructeurs une obligation de reacutesultat en ce qursquoils doivent veiller agrave ce que les mesures techniques adopteacutees garantissent une limitation effective des eacutemissions au tuyau arriegravere drsquoeacutechappement deacutefini par lrsquoarticle 3 point 6 du mecircme regraveglement comme des eacutemissions de polluants gazeux et de particules Ces articles ne preacutecisent pas agrave quelle eacutetape du fonctionnement du veacutehicule ces eacutemissions doivent ecirctre moduleacutees ou reacuteduites

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Le regraveglement ndeg7152007 apparait donc comme eacutetant technologiquement neutre puisqursquoil nrsquoimpose pas de solution technologique particuliegravere mais fixe un objectif agrave atteindre quant agrave la limitation des eacutemissions ces derniegraveres eacutetant mesureacutees agrave la sortie du tuyau drsquoeacutechappement

o Interpreacutetation teacuteleacuteologique Agrave la lumiegravere des consideacuterants 1 et 5 du regraveglement ndeg7152007 il en ressort que ce dernier vise agrave garantir un niveau eacuteleveacute de protection de lrsquoenvironnement et que la reacutealisation des objectifs de lrsquoUnion europeacuteenne en termes de qualiteacute de lrsquoair exige des efforts continus de reacuteduction des eacutemissions des veacutehicules Le consideacuterant 6 dudit regraveglement preacutecise qursquoil est laquo neacutecessaire de continuer agrave reacuteduire consideacuterablement les eacutemissions [NOx] des veacutehicules diesels pour ameacuteliorer la qualiteacute de lrsquoair et respecter les valeurs limites en termes de pollution raquo De plus lrsquoarticle 4 du regraveglement ndeg7152007 vise agrave assurer une limitation effective des eacutemissions et ce tout au long de la vie normale des veacutehicules dans des conditions drsquoutilisation normales LrsquoAvocate geacuteneacuterale considegravere qursquoil faut confeacuterer une interpreacutetation eacutetendue au concept de laquo systegraveme de controcircle des eacutemissions raquo car en limiter la porteacutee aux meacutethodes de post-traitement des gaz drsquoeacutechappement en excluant les strateacutegies internes au moteur tel le systegraveme RGE priverait le regraveglement ndeg7152007 drsquoune partie de son effet utile

- Sur la troisiegraveme question preacutejudicielle LrsquoAvocate geacuteneacuterale rappelle qursquoun laquo dispositif drsquoinvalidation raquo est un eacuteleacutement de conception qui deacutetecte divers paramegravetres en vue drsquoactiver de moduler de retarder ou de deacutesactiver le fonctionnement de toute partie drsquoun systegraveme de controcircle des eacutemissions et qui reacuteduit lrsquoefficaciteacute de celui-ci dans des conditions dont on peut raisonnablement attendre qursquoelle se produisent lors du fonctionnement normal et de lrsquoutilisation normale drsquoun veacutehicule Sur le plan factuel lrsquoAvocate geacuteneacuterale preacutecise que le systegraveme RGE fonctionne suivant deux modes commandeacutes par le logiciel litigieux Lorsqursquoun cycle caracteacuteristique du test drsquohomologation est deacutetecteacute le systegraveme passe en mode 1 et lorsqursquoil deacutetecte lrsquoabsence des conditions caracteacuteristiques du test le systegraveme opte pour le mode 0 Ainsi il semble manifeste que le dispositif en cause laquo module raquo le fonctionnement drsquoune partie du systegraveme de controcircle des eacutemissions car il fait varier le niveau drsquoeacutemissions en fonction de la deacutetection de divers paramegravetre preacutedeacutefinis en passant drsquoun mode agrave lrsquoautre Sur le plan juridique la deacutesactivation partielle ou complegravete drsquoun systegraveme de controcircle des eacutemissions programmeacutee pour se produite systeacutematiquement en dehors de ce parcours theacuteorique conduit obligatoirement agrave minorer lrsquoefficaciteacute de ce systegraveme dans des consistions drsquoutilisations normales Cette deacutesactivation artificielle abouti agrave une violation de lrsquoarticle 5 paragraphe 2 du regraveglement ndeg7152007 Sur le plan contextuel lrsquoarticle 4 paragraphe 2 du regraveglement ndeg7152007 consacre lrsquoobligation de garantir une limitation effective des eacutemissions au tuyau arriegravere drsquoeacutechappement tout au long de la vie normale des veacutehicules et ce dans des conditions drsquoutilisation normales LrsquoAvocate geacuteneacuterale est drsquoavis que la modulation agrave la hausse du fonctionnement du systegraveme de controcircle des eacutemissions puisse se produire ponctuellement agrave lrsquooccasion de lrsquoutilisation normale du veacutehicule est sans incidence En pratique les chances qursquoune telle coiumlncidence se produise est infiniteacutesimales Le respect par le veacutehicule des limites fixeacutees par le regraveglement en cause doit donc ecirctre la regravegle lors de son utilisation normale et non une exception lieacutee agrave la reacuteunion accidentelle de conditions analogues agrave celles des tests drsquohomologation

- Sur la quatriegraveme question preacutejudicielle Selon lrsquoAvocate geacuteneacuterale il srsquoagit drsquoanalyser lrsquoexception viseacutee de lrsquoarticle 5 paragraphe 2 sous a) du regraveglement ndeg7152007 qui permet de justifier la preacutesence drsquoun dispositif drsquoinvalidation lorsque celui-ci est neacutecessaire afin de proteacuteger le moteur contre des deacutegacircts ou des accidents et afin de garantir le fonctionnement en toute seacutecuriteacute du veacutehicule LrsquoAvocate preacutecise que les exceptions sont drsquointerpreacutetation stricte afin que les regravegles geacuteneacuterales ne soient pas videacutees de leur substance (arrecirct du 22 avril 2010 CommissionRoyaume-Uni C-34608 point 39 et

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jurisprudence citeacutee) Ainsi lrsquointerpreacutetation des exceptions ne peut aller au-delagrave des hypothegraveses envisageacutees de maniegravere explicite par la disposition en cause (arrecirct du 16 mai 2013 Melzer C-22811 point 24 arrecirct du 5 mars 2015 Copydan Baringndkopi C-46312 point 87 et jurisprudence citeacutee) Il importe donc de proceacuteder agrave lrsquointerpreacutetation des termes laquo accident raquo et laquo deacutegacircts raquo Sur le plan litteacuteral le terme laquo accident raquo vise un eacutevegravenement impreacutevu et soudain qui entraicircne des deacutegacircts ou des dangers comme des blessures ou la mort Le terme laquo deacutegacirct raquo deacutesigne un dommage reacutesultant geacuteneacuteralement drsquoune cause violente ou soudaine Or lrsquoAvocate geacuteneacuterale preacutecise que lorsque le libelleacute drsquoune disposition du droit de lrsquoUnion europeacuteenne est clair et preacutecise il convient de srsquoen tenir agrave celui-ci (arrecirct du 8 deacutecembre 2005 BCEAllemagne C-22003 point 31) Ainsi un dispositif drsquoinvalidation ne peut donc se justifier en vertu de lrsquoarticle 5 paragraphe 2 sous a) du regraveglement ndeg7152007 que srsquoil se reacutevegravele neacutecessaire en vue de proteacuteger le moteur contre la survenue de dommages soudains Sur le plan teacuteleacuteologique lrsquoAvocat geacuteneacuterale est drsquoavis qursquoil incombe aux constructeurs de veacutehicules de veiller agrave ce ces derniers observent les limites fixeacutees par la leacutegislation en matiegravere drsquoeacutemissions tout au long de leur fonctionnement normal et agrave ce que ces veacutehicules fonctionnent de faccedilon sure tout en respectant ces limites Si lrsquoon ne peut exclure que le fonctionnement drsquoun systegraveme de controcircle des eacutemissions puisse affecter neacutegativement (agrave long terme) la longeacuteviteacute ou la fiabiliteacute du moteur cette circonstance ne justifie en rien que lrsquoon deacutesactive ledit systegraveme au cours du fonctionnement normal du veacutehicule dans des conditions drsquoutilisation normales dans le seul but de preacutemunir le moteur contre son vieillissement ou son encrassement progressif Ainsi selon lrsquoAvocate geacuteneacuterale seuls les risques immeacutediats de deacutegacircts qui affectent la fiabiliteacute du moteur et qui geacutenegraverent un danger concret lors de la conduite du veacutehicule sont de nature agrave justifier le preacutesence drsquoun dispositif drsquoinvalidation Il en revient donc au juge de renvoi drsquoeacutetablir si le dispositif en cause au principal srsquoinscrit dans le peacuterimegravetre de lrsquoexception analyseacutee ci-dessus (arrecirct du 8 mai 2019 Dodič C-19418 point 45) Toutefois lrsquoAvocate geacuteneacuterale relegraveve que selon le rapport drsquoexpertise le systegraveme RGE laquo nrsquoest pas destructeur pour le moteur raquo Ce systegraveme est neacuteanmoins susceptible de deacutegrafer les performances du moteur agrave lrsquousage et drsquoacceacuteleacuterer son encrassement ce qui peut rendre les opeacuterations de maintenance laquo plus freacutequentes et plus coucircteuses raquo Agrave la lumiegravere de ce constat il me semble que le dispositif drsquoinvalidation mis en cause nrsquoest pas neacutecessairement aux fins de proteacuteger le moteur contre des accidents ou des deacutegacircts et afin drsquoassurer le fonctionnement du veacutehicule en toute seacutecuriteacute LrsquoAvocate geacuteneacuterale propose agrave la Cour de justice de reacutepondre au vice-preacutesident chargeacute de lrsquoinstruction du Tribunal de Grande Instance de Paris (France) de la maniegravere suivante laquo 1) Premiegravere question preacutejudicielle Lrsquoarticle 3 point 10 du regraveglement (CE) ndeg 7152007 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 20 juin 2007 relatif agrave la reacuteception des veacutehicules agrave moteur au regard des eacutemissions des veacutehicules particuliers et utilitaires leacutegers (Euro 5 et Euro 6) et aux informations sur la reacuteparation et lrsquoentretien des veacutehicules doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens qursquoun programme inteacutegreacute dans le calculateur de controcircle moteur ou plus geacuteneacuteralement agissant sur celui-ci peut ecirctre consideacutereacute comme un eacuteleacutement de conception au sens de cette disposition degraves lors qursquoil fait partie inteacutegrante dudit calculateur 2) Deuxiegraveme question preacutejudicielle Lrsquoarticle 3 point 10 du regraveglement ndeg 7152007 doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que le concept de laquo systegraveme de controcircle des eacutemissions raquo inclut tant les technologies strateacutegies et piegraveces meacutecaniques ou informatiques qui permettent de reacuteduire les eacutemissions (en ce compris drsquooxydes drsquoazote) en amont agrave lrsquoinstar drsquoun systegraveme de recirculation des gaz drsquoeacutechappement que celles qui permettent de les traiter et de les reacuteduire en aval apregraves leur formation 3) Troisiegraveme question preacutejudicielle

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Lrsquoarticle 3 point 10 du regraveglement ndeg 7152007 doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens qursquoun dispositif qui deacutetecte tout paramegravetre lieacute au deacuteroulement des proceacutedures drsquohomologation preacutevues par ce mecircme regraveglement aux fins drsquoactiver ou de moduler agrave la hausse au cours de ces proceacutedures le fonctionnement de toute partie du systegraveme de controcircle des eacutemissions et ainsi drsquoobtenir lrsquohomologation du veacutehicule constitue un laquo dispositif drsquoinvalidation raquo au sens de cette disposition mecircme si la modulation agrave la hausse du fonctionnement de ce systegraveme de controcircle des eacutemissions peut aussi se produire de faccedilon ponctuelle lorsque les conditions exactes qui la deacuteclenchent se preacutesentent par hasard dans des conditions drsquoutilisation normales du veacutehicule 4) Quatriegraveme question preacutejudicielle Lrsquoarticle 5 paragraphe 2 sous a) du regraveglement ndeg 7152007 doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que lrsquoobjectif de ralentissement du vieillissement ou de lrsquoencrassement du moteur ne justifie pas le recours agrave un dispositif drsquoinvalidation au sens de cette disposition raquo

Liberteacute drsquoeacutetablissement

Conclusions de lrsquoAvocat geacuteneacuteral M Bobek preacutesenteacutees le 2 avril 2020 dans les affaires jointes Cali Apartments SCI Procureur geacuteneacuteral pregraves de la cour drsquoappel de Paris Ville de Paris et HX Procureur geacuteneacuteral pregraves de la cour drsquoappel de Paris Ville de Paris C-72418 et C-72718

Reacutesumeacute LrsquoAvocat geacuteneacuteral srsquoest prononceacute sur des questions preacutejudicielles poseacutees par la Cour de cassation dans un litige opposant des

proprieacutetaires de studio agrave Paris agrave la ville de Paris Il propose agrave la Cour de justice de juger que la directive 2006123 srsquoapplique agrave

des dispositions nationales et municipales encadrant lrsquoaccegraves agrave un service qui consiste agrave louer de maniegravere reacutepeacuteteacutee et pour de courtes dureacutees

un local agrave usage drsquohabitation agrave une clientegravele de passage Lrsquoobjectif tenant agrave la lutte contre la peacutenurie de logements peut constituer une

raison impeacuterieuse drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral qui justifierait le fait que la mesure nationale exige lrsquoobtention drsquoune autorisation Une telle mesure

nationale est autoriseacutee par la directive 2006123 si elle reacutepond aux conditions de proportionnaliteacute et de non-discrimination

Chacun des requeacuterants est proprieacutetaire drsquoun studio situeacute agrave Paris Ils ont fait lrsquoobjet drsquoune enquecircte afin de

deacuteterminer srsquoils offraient leurs studios agrave la location de courte dureacutee en tant que biens meubleacutes sur la plateforme

Airbnb sans autorisation Selon la leacutegislation nationale lrsquoapprobation du changement drsquousage drsquoun bien constitue

la condition essentielle de lrsquoaccegraves agrave la location meubleacutee de courte dureacutee Agrave la suite de cette enquecircte les requeacuterants

ont eacuteteacute condamneacutes par le tribunal de grande instance de Paris au paiement drsquoune amende et agrave retourner les biens

agrave leur usage drsquohabitation La cour drsquoappel de Paris a confirmeacute par deux arrecircts des 19 mai et 15 juin 2017 que les

studios avaient fait lrsquoobjet de locations de courte dureacutee agrave une clientegravele de passage sans autorisation preacutealable du

maire de Paris ce qui est contraire agrave la leacutegislation nationale Les requeacuterants ont agrave nouveau eacuteteacute condamneacutes Ils ont

formeacute un pourvoi en cassation devant la Cour de cassation Les requeacuterants allegraveguent que les arrecircts rendus par la

cour drsquoappel violent le principe de primauteacute du droit de lrsquoUnion

La juridiction de renvoi pose agrave la Cour de justice les questions preacutejudicielles suivantes

laquo 1) La directive 2006123CE du 12 deacutecembre 2006 eu eacutegard agrave la deacutefinition de son objet et de son champ drsquoapplication par ses articles 1 et 2 srsquoapplique-t-elle agrave la location agrave titre oneacutereux mecircme agrave titre non professionnel de maniegravere reacutepeacuteteacutee et pour de courtes dureacutees drsquoun local meubleacute agrave usage drsquohabitation

Renvoi preacutejudiciel ndash Liberteacute drsquoeacutetablissement ndash Directive 2006123CE ndash Champ drsquoapplication ndash Location de biens meubleacutes de maniegravere reacutepeacuteteacutee pour de courtes dureacutees agrave une clientegravele de passage qui nrsquoy eacutelit pas domicile ndash Reacuteglementation nationale et reacuteglementation municipale soumettant une telle location agrave une autorisation preacutealable et agrave compensation ndash Justification ndash Objectif visant agrave garantir une offre suffisante de logements agrave des prix abordables et destineacutes agrave la location de longue dureacuteemdash Proportionnaliteacute

77

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ne constituant pas la reacutesidence principale du loueur agrave une clientegravele de passage nrsquoy eacutelisant pas domicile

notamment au regard des notions de prestataires et de services

2) En cas de reacuteponse positive agrave la question preacuteceacutedente une reacuteglementation nationale telle que celle

preacutevue par lrsquoarticle L 631‑7 du code de la construction et de lrsquohabitation constitue-t-elle un reacutegime drsquoautorisation de lrsquoactiviteacute susviseacutee au sens des articles 9 agrave 13 de la directive 2006123 ou seulement une

exigence soumise aux dispositions des articles 14 et 15

Dans lrsquohypothegravese ougrave les articles 9 agrave 13 de la directive 2006123CE du 12 deacutecembre 2006 sont applicables

3) Lrsquoarticle 9 sous b) de cette directive doit-il ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que lrsquoobjectif tenant agrave la lutte contre la peacutenurie de logements destineacutes agrave la location constitue une raison impeacuterieuse drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral permettant de justifier une mesure nationale soumettant agrave autorisation dans certaines zones geacuteographiques la location drsquoun local meubleacute destineacute agrave lrsquohabitation de maniegravere reacutepeacuteteacutee pour de courtes

dureacutees agrave une clientegravele de passage qui nrsquoy eacutelit pas domicile

4) Dans lrsquoaffirmative une telle mesure est-elle proportionneacutee agrave lrsquoobjectif poursuivi

5) Lrsquoarticle 10 paragraphe 2 sous d) et e) de la directive srsquooppose‑t-il agrave une mesure nationale qui subordonne agrave autorisation le fait de louer un local meubleacute destineacute agrave lrsquohabitation ldquode maniegravere reacutepeacuteteacuteerdquo ldquopour de courtes dureacuteesrdquo agrave une ldquoclientegravele de passage qui nrsquoy eacutelit pas domicilerdquo

6) Lrsquoarticle 10 paragraphe 2 sous d) agrave g) de la directive srsquooppose‑t‑il agrave un reacutegime drsquoautorisation preacutevoyant que les conditions de deacutelivrance de lrsquoautorisation sont fixeacutees par une deacutelibeacuteration du conseil municipal au regard des objectifs de mixiteacute sociale en fonction notamment des caracteacuteristiques des marcheacutes de locaux drsquohabitation et de la neacutecessiteacute de ne pas aggraver la peacutenurie de logements raquo

LrsquoAvocat geacuteneacuteral preacutecise agrave titre liminaire que lrsquoanalyse doit ecirctre effectueacutee au regard de la reacuteglementation nationale

et de la reacuteglementation municipale de la ville de Paris lues en combinaison

o Lrsquoapplicabiliteacute de la directive 2006123

La question est de savoir si la directive 2016123 srsquoapplique agrave la location agrave titre oneacutereux de maniegravere reacutepeacuteteacutee et

pour de courtes dureacutees drsquoun local meubleacute et agrave usage drsquohabitation ne constituant pas la reacutesidence principale du

loueur agrave une clientegravele de passage nrsquoy eacutelisant pas domicile Les gouvernements allemand et irlandais sont drsquoavis

que la directive nrsquoest pas applicable

Selon lrsquoAvocat geacuteneacuteral lrsquooffre de services de location de courte dureacutee contre reacutemuneacuteration est une prestation de

nature clairement eacuteconomique Lrsquoobtention drsquoun changement drsquousage de locaux drsquohabitation est tout simplement

une exigence qui affecte lrsquoaccegraves agrave la fourniture de ce service particulier Le premier argument des gouvernements

allemand et irlandais est que les activiteacutes en cause sont exclues du champ drsquoapplication de la directive par lrsquoarticle

2 paragraphes 2 et 3 de la directive preacuteciteacutee Pour lrsquoAvocat geacuteneacuteral cette disposition qui exclut les services

sociaux relatifs au logement social et les services drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral non-eacuteconomiques nrsquoest manifestement pas

applicable

Lrsquoautre argument avanceacute par les gouvernements allemande et irlandais se reacutefegravere au consideacuterant 9 de la directive

LrsquoAvocat geacuteneacuteral estime que cet argument nrsquoest pas convaincant Il rappelle tout drsquoabord que le consideacuterant 9

nrsquoest qursquoun consideacuterant et qursquoil ne saurait lui seul et sans disposition correspondante dans le corps de la directive

creacuteer une nouvelle exemption par cateacutegorie qui nrsquoest refleacuteteacutee nulle part ailleurs Il estime que le consideacuterant 9

porte sur un autre objet que celui lieacute agrave lrsquoajout drsquoune exoneacuteration au champ drsquoapplication de la directive dans un

certain domaine Le consideacuterant 9 reacuteaffirme que la directive ne doit pas avoir drsquoincidence sur des regravegles

drsquoapplication geacuteneacuterale qui ne reacutegissent pas speacutecifiquement les services et qui srsquoappliquent agrave tout le monde tant

aux particuliers qursquoaux prestataires de services Le consideacuterant nrsquoa jamais eacuteteacute conccedilu comme visant agrave exclure un

(ou des) domaine(s) speacutecifique(s) du champ drsquoapplication de la directive Ainsi les regravegles reacutegissant lrsquoaccegraves agrave un

service relegravevent du champ drsquoapplication de la directive tandis que les regravegles drsquoapplication geacuteneacuterale ne faisant

aucune distinction entre les prestataires et les autres personnes nrsquoen relegravevent pas Finalement lrsquoAvocat geacuteneacuteral

rappelle que la distinction entre les regravegles relatives agrave la proprieacuteteacute des biens sur laquelle est fondeacute le consideacuterant 9

selon qursquoelles reacuteglementent ou affectent speacutecifiquement lrsquoaccegraves agrave une activiteacute de service ou son exercice a deacutejagrave eacuteteacute

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abordeacutee par la Cour de justice dans lrsquoarrecirct Visser (CJUE 30 janvier 2018 C‑36015 et C‑3116) LrsquoAvocat geacuteneacuteral

constate qursquoil ressort clairement de lrsquoarrecirct Visser que les regravegles relatives agrave lrsquoutilisation drsquoun bien foncier relegravevent

du champ drsquoapplication de la directive 2016123 dans la mesure ougrave elles ont trait agrave des activiteacutes eacuteconomiques et

qursquoelles ont ainsi une incidence sur lrsquoaccegraves au marcheacute des services ou sur lrsquoexercice drsquoune activiteacute de service

Par suite lrsquoAvocat geacuteneacuteral estime que toute reacuteglementation nationale du type de celle en cause relegraveve clairement

du champ drsquoapplication de la directive 2006123

o Les dispositions pertinentes de la directive 2006123

Reacutegime drsquoautorisation ou exigence

La question est de savoir laquelle de la section 1 du chapitre 3 de la directive qui porte sur les reacutegimes

drsquoautorisations et les conditions pertinentes ou de la section 2 sur les exigences interdites ou celles soumises agrave

eacutevaluation est applicable dans lrsquoaffaire au principal

LrsquoAvocat geacuteneacuteral rappelle que les reacutegimes drsquoautorisation et les exigences imposeacutes par les Etats membres eacutetant

supposeacutes retreindre lrsquoaccegraves agrave une activiteacute de service ou son exercice sont en principe interdits par la directive

2006123 LrsquoAvocat geacuteneacuteral note que la reacuteglementation en cause constitue un reacutegime drsquoautorisation et non pas

une exigence En lrsquoespegravece les proprieacutetaires de biens qui souhaiteraient louer leurs locaux meubleacutes pour de courtes

dureacutees doivent se conformer agrave une proceacutedure administrative visant agrave obtenir du maire sous reacuteserve du respect

de certaines conditions une autorisation administrative formelle

Par suite lrsquoAvocat geacuteneacuteral conclut qursquoil y a lieu drsquoexaminer les preacutesentes affaires sous lrsquoangle de la section 1 du

chapitre 3 de la directive et en particulier des articles 9 et 10

Les articles 9 et 10 en tant que cadre drsquoanalyse

LrsquoAvocat geacuteneacuteral est ameneacute agrave se prononcer sur la porteacutee des articles 9 et 10 ainsi que sur le rapport entre eux Il

suggegravere que lrsquoarticle 9 porte sur la question de savoir srsquoil peut en reacutealiteacute y avoir un reacutegime drsquoautorisation pour un

type de service Lrsquoarticle 10 vise un stade suppleacutementaire Une fois que le critegravere de lrsquoarticle 9 est satisfait et que

la neacutecessiteacute drsquoun reacutegime drsquoautorisation a eacuteteacute eacutetablie lrsquoarticle 10 se focalise sur les critegraveres speacutecifiques qursquoun reacutegime

drsquoautorisation concret doit respecter Lrsquoarticle 10 indique clairement qursquoun reacutegime drsquoautorisation devrait ecirctre

conccedilu de maniegravere agrave remplir lrsquoensemble des sept critegraveres eacutenonceacutes dans son paragraphe 2 LrsquoAvocat geacuteneacuteral relegraveve

eacutegalement que la question de lrsquoorigine de la reacuteglementation (nationale reacutegionale ou locale) est sans importance

LrsquoAvocat geacuteneacuteral conclut que la question de la neacutecessiteacute mecircme drsquoun reacutegime drsquoautorisation doit ecirctre examineacutee au

regard des trois conditions eacutenumeacutereacutees agrave lrsquoarticle 9 paragraphe 1 Toutefois les conditions speacutecifiques dans

lesquelles une telle autorisation sera deacutelivreacutee dont notamment la compensation telle que conccedilue par la ville de

Paris doivent ecirctre appreacutecieacutees au regard des critegraveres eacutenonceacutes agrave lrsquoarticle 10 paragraphe 2

o La compatibiliteacute du reacutegime drsquoautorisation avec la directive 2006123

LrsquoAvocat geacuteneacuteral examine dans cette partie des conclusions les raisons impeacuterieuses drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral qui ont eacuteteacute

avanceacutees pour justifier le reacutegime drsquoautorisation la question essentielle de la proportionnaliteacute et les autres

conditions auxquelles doivent reacutepondre les reacutegimes drsquoautorisation au titre de lrsquoarticle 10 paragraphe 2 de la

directive 2006123

LrsquoAvocat geacuteneacuteral rappelle agrave titre liminaire que lrsquoarticle 16 (liberteacute drsquoentreprise) et lrsquoarticle 17 (droit de proprieacuteteacute)

de la Charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne sont particuliegraverement pertinents dans ce contexte

Il insiste sur le fait que ni la liberteacute drsquoentreprise ni le droit de proprieacuteteacute nrsquoont de caractegravere absolu Ils peuvent tous

les deux ecirctre limiteacutes

Raison impeacuterieuse drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral

Les requeacuterants allegraveguent qursquoil nrsquoexiste pas de raison impeacuterieuse drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral susceptible de justifier les

dispositions litigieuses La ville de Paris et le gouvernement franccedilais estiment que les dispositions litigieuses ont

principalement pour objectif de lutter contre la peacutenurie de logements (et agrave cet eacutegard lrsquoaugmentation des prix)

dans certains lieux lesquels sont dus au moins en partie au fait que les proprieacutetaires ont tendance agrave preacutefeacuterer

louer leurs locaux drsquohabitation pour des courtes dureacutees plutocirct que des longues dureacutees

79

Retour En Bref

LrsquoAvocat geacuteneacuteral reconnait que la lutte contre une peacutenurie structurelle de logements drsquoune part et la protection

de lrsquoenvironnement urbain drsquoautre part peuvent effectivement ecirctre avanceacutees pour justifier ensemble ou

seacutepareacutement tant lrsquoinstauration du reacutegime drsquoautorisation au titre de lrsquoarticle 9 paragraphe 1 sous b) que sa forme

concregravete et les conditions qursquoil contient au titre de lrsquoarticle 10 paragraphe 2 sous b) Lrsquoarticle 4 point 8 de la

directive 2006123 reconnait explicitement la protection de lrsquoenvironnement urbain et les objectifs de politique

sociale comme des raisons impeacuterieuses drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral Par suite lutter contre une peacutenurie de logement et

chercher agrave garantir la disponibiliteacute de logements suffisants et abordables ainsi que la protection de

lrsquoenvironnement urbain constituent des justifications valables pour lrsquoeacutetablissement drsquoautorisation en geacuteneacuteral

fondeacutees sur une politique sociale et les critegraveres preacutevus par un reacutegime drsquoautorisation

La proportionnaliteacute

Les requeacuterants allegraveguent que le reacutegime drsquoautorisation en cause nrsquoest pas apte agrave reacutealiser lrsquoobjectif visant agrave lutter

contre la peacutenurie de logements dans la mesure ougrave il ne dissuade pas neacutecessairement les proprieacutetaires drsquooffrir leurs

biens en tant que locations meubleacutees de courte dureacutee

- La proportionnaliteacute de la neacutecessiteacute drsquoobtenir une autorisation au titre de lrsquoarticle 9 paragraphe 1 sous c)

LrsquoAvocat geacuteneacuteral rappelle qursquoun reacutegime drsquoautorisation est geacuteneacuteralement proportionnel lorsque des controcircles a

posteriori ne suffisent pas pour atteindre lrsquoobjectif poursuivi Pour ecirctre proportionnel la deacutetermination de la

neacutecessiteacute drsquoun reacutegime drsquoautorisation devrait ecirctre fondeacutee sur des donneacutees scientifiques concernant le marcheacute du

logement dans les communes ougrave il est envisageacute drsquoinstaurer un tel reacutegime LrsquoAvocat geacuteneacuteral partage le point de

vue de la Commission europeacuteenne selon lequel les reacutegimes nationaux devraient ecirctre fondeacutes sur des eacuteleacutements

speacutecifiques lieacutes agrave la situation du marcheacute du logement Il rappelle eacutegalement que les reacutegimes drsquoautorisation doivent

ecirctre eacutequitables et ouverts agrave tous en termes drsquoaccegraves au marcheacute du logement destineacute agrave la location de courte dureacutee

En lrsquoespegravece si le but est de reacuteglementer ou drsquoempecirccher la sortie du marcheacute les autorisations de sortie ex ante sont

ineacutevitables Lrsquoexistence drsquoun problegraveme est indeacuteniable La France a conccedilu une solution agrave ce problegraveme qui en ce

qui concerne la neacutecessiteacute de soumettre les proprieacutetaires de biens agrave un reacutegime drsquoautorisation a incorporeacute la

proportionnaliteacute dans sa conception Finalement le reacutegime drsquoautorisation est applicable agrave toute personne qui

souhaite offrir une location de courte dureacutee agrave Paris

Bien que drsquoautres solutions pourraient ecirctre envisageacutees lrsquoAvocat geacuteneacuteral est drsquoavis que ces solutions ne pourraient

pas ecirctre plus efficaces qursquoun simple reacutegime drsquoautorisation ex ante

Par suite dans le contexte speacutecifique de la preacutesente affaire lrsquoAvocat geacuteneacuteral ne voit rien qui rendrait un reacutegime

drsquoautorisation disproportionneacute en lui-mecircme

- Proportionnaliteacute de lrsquoobligation de compensation au titre de lrsquoarticle 10 paragraphe 2

LrsquoAvocat geacuteneacuteral estime qursquoil est difficile drsquoappreacutecier concregravetement la proportionnaliteacute du reacutegime drsquoautorisation

speacutecifique en cause et notamment des critegraveres et des conditions sur lesquels repose ce reacutegime au titre de lrsquoarticle

10 paragraphe 2 de la directive 2006123 Il relegraveve que la juridiction de renvoi se focalise sur les dispositions

nationales laissant de cocircteacute le niveau municipal et que la Cour de justice dispose de peu drsquoinformations sur le

fonctionnement des regravegles speacutecifiques de la vielle de Paris Elle est donc mal eacutequipeacutee pour deacuteterminer si les

critegraveres preacutevus agrave lrsquoarticle 10 paragraphe 2 de la directive 2006123 sont remplis Il appartient degraves lors agrave titre

principal agrave la juridiction de renvoi drsquoappreacutecier compte tenu de la reacutepartition des tacircches entre la Cour de justice

et les juridictions nationales la compatibiliteacute des conditions drsquoautorisation preacutevues par le droit national avec

lrsquoarticle 10 preacuteciteacute La Cour de justice peut fournir des indications geacuteneacuterales avec les informations dont elle

dispose

LrsquoAvocat geacuteneacuteral insiste sur lrsquoobligation de compensation qui ressort de la reacuteglementation municipale de la ville

de Paris Lagrave encore il note qursquoil appartiendra agrave la juridiction de renvoi drsquoappreacutecier la compatibiliteacute de cette

obligation avec la directive 2006123 de la maniegravere dont elle a eacuteteacute concregravetement eacutedicteacutee par la ville de Paris Cette

obligation implique qursquoune personne qui cherche agrave louer son appartement meubleacute pour une courte dureacutee doit

acheter des locaux commerciaux drsquoune surface identique agrave celle de lrsquoappartement et les transformer en locaux

destineacutes agrave lrsquohabitation LrsquoAvocat geacuteneacuteral srsquointerroge sur lrsquoefficaciteacute de cette compensation et srsquoil semblerait qursquoelle

soit tregraves efficace il remarque qursquoelle est peut-ecirctre si efficace qursquoelle commence agrave aneacuteantir totalement lrsquoobjectif de

la demande drsquoautorisation elle-mecircme Quant agrave la proportionnaliteacute de la mesure elle semble proportionneacutee pour

80

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les proprieacutetaires de plusieurs immeubles ou pour un promoteur immobilier mais pourrait ecirctre disproportionneacutee

pour un bailleur non-professionnel

Bien que ce soit agrave la juridiction de renvoi drsquoexaminer lrsquoensemble de ces eacuteleacutements lrsquoAvocat geacuteneacuteral relegraveve que srsquoil

est admis que le niveau local peut adopter des regravegles et preacuteciser les conditions drsquoun reacutegime drsquoautorisation la

proportionnaliteacute de ces regravegles deacutependra probablement de la prise en compte des circonstances et speacutecificiteacutes

locales

Le respect drsquoautres critegraveres viseacutes agrave lrsquoarticle 10 paragraphe 2 de la directive 2006123

La juridiction de renvoi demande en substance si les dispositions nationales relatives aux reacutegimes drsquoautorisations

sont conformes aux obligations speacutecifiques de lrsquoarticle 10 paragraphe 2 de la directive 2006123 Les requeacuterants

allegraveguent que les termes employeacutes par la reacuteglementation en cause sont trop impreacutecis et que les conditions

drsquoobtention de lrsquoautorisation ne seraient pas suffisamment claires

LrsquoAvocat geacuteneacuteral estime que la reacuteglementation nationale contient des notions quelque peu vagues mais tout agrave fait

compreacutehensibles compte tenu que les conseils municipaux ont une certaine marge de manœuvre pour preacuteciser

davantage le sens de ces notions

LrsquoAvocat geacuteneacuteral propose agrave la Cour de justice de reacutepondre aux questions poseacutees par la Cour de cassation

(France) de la maniegravere suivante

ndash la directive 2006123CE du Parlement europeacuteen et du Conseil du 12 deacutecembre 2006 relative aux

services dans le marcheacute inteacuterieur est applicable agrave des dispositions nationales et municipales encadrant

lrsquoaccegraves agrave un service qui consiste agrave louer en contrepartie du paiement drsquoun prix mecircme agrave titre non

professionnel de maniegravere reacutepeacuteteacutee et pour de courtes dureacutees un local agrave usage drsquohabitation agrave une clientegravele

de passage nrsquoy eacutelisant pas domicile

ndash si ces dispositions nationales et municipales deacutefinissent une proceacutedure visant agrave obtenir une

deacutecision autorisant lrsquoaccegraves agrave la fourniture de tels services elles constituent un reacutegime drsquoautorisation au

sens des articles 9 agrave 13 de la directive 2006123

ndash lrsquoarticle 9 paragraphe 1 sous b) de la directive 2006123 doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que

lrsquoobjectif tenant agrave la lutte contre la peacutenurie de logements destineacutes agrave la location de longue dureacutee constitue

une raison impeacuterieuse drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral permettant de justifier une mesure nationale soumettant agrave

autorisation dans certaines zones geacuteographiques la location de maniegravere reacutepeacuteteacutee drsquoun local destineacute agrave

lrsquohabitation pour de courtes dureacutees agrave une clientegravele de passage qui nrsquoy eacutelit pas domicile

ndash la directive 2006123 doit ecirctre interpreacuteteacutee en ce sens qursquoelle autorise des dispositions nationales

et municipales qui soumettent agrave autorisation le fait de louer de maniegravere reacutepeacuteteacutee un local meubleacute

destineacute agrave lrsquohabitation pour de courtes dureacutees agrave une clientegravele de passage qui nrsquoy eacutelit pas domicile agrave

condition qursquoelles respectent les exigences preacutevues agrave lrsquoarticle 10 paragraphe 2 de la directive 2006123

notamment les conditions de proportionnaliteacute et de non‑discrimination ce qursquoil appartient agrave la

juridiction nationale de veacuterifier

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Partie III Questions preacutejudicielles

Libre prestation de services

Affaire preacutejudicielle 31 janvier 2020 Fluctus et Fluentum C-92019

Juridiction de renvoi Landesverwaltungsgericht Steiermark (Autriche) La juridiction de renvoi a saisi la Cour de justice des questions suivantes conformeacutement agrave lrsquoarticle 267 TFUE laquo 1 Lrsquoarticle 56 TFUE doit-il ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que lrsquoappreacuteciation des pratiques publicitaires illicites telles qursquoeacutetablies dans la jurisprudence constante de la Cour de justice dans le chef du titulaire drsquoune concession dans le cadre drsquoun monopole drsquoEacutetat sur les jeux de hasard deacutepend du point de savoir si le marcheacute des jeux de hasard a effectivement crucirc de maniegravere geacuteneacuterale au cours de la peacuteriode en cause ou srsquoil suffit deacutejagrave que la publiciteacute vise agrave inciter agrave participer activement aux jeux par exemple en banalisant le jeu en lui confeacuterant une image positive en raison de lrsquoutilisation des recettes aux fins drsquoactiviteacute drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral ou en augmentant son attractiviteacute par des messages publicitaires accrocheurs qui font miroiter des gains importants 2 Par ailleurs lrsquoarticle 56 TFUE doit-il ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que lesdites pratiques publicitaires illicites drsquoun concessionnaire du monopole excluent en tout eacutetat de cause la coheacuterence du reacutegime de monopole ou que en cas de pratiques publicitaires correspondantes drsquoannonceurs priveacutes un titulaire du monopole peut eacutegalement inciter agrave une participation active aux jeux par exemple en bana lisant le jeu en lui confeacuterant une image positive en raison de lrsquoutilisation des recettes aux fins drsquoactiviteacute drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral ou en augmentant son attractiviteacute par des messages publicitaires accrocheurs qui font miroiter des gains importants 3 Une juridiction de lrsquoEacutetat qui dans le cadre de sa compeacutetence doit appliquer lrsquoarticle 56 TFUE est-elle tenue aux fins drsquoassurer le plein effet de ces normes de veiller agrave laisser inappliqueacutee de sa propre autoriteacute une disposition de droit interne qursquoelle juge contraire mecircme si sa conformiteacute au droit de lrsquoUnion a eacuteteacute confirmeacutee dans le cadre drsquoune proceacutedure constitutionnelle raquo

Marcheacute inteacuterieur

Affaire preacutejudicielle 31 janvier 2020 Ministerstwo Sprawiedliwości C-5520

Juridiction de renvoi Sąd Dyscyplinarny Izby Adwokackiej w Warszawie (Pologne) La juridiction de renvoi a saisi la Cour de justice des questions suivantes conformeacutement agrave lrsquoarticle 267 TFUE laquo 1 Le chapitre III de la directive 2006123CE du Parlement europeacuteen et du Conseil du 12 deacutecembre 2006 relative aux services dans le marcheacute inteacuterieur (ci-apregraves la laquo directive services raquo) et notamment son article 10 paragraphe 6 srsquoappliquent-ils agrave une proceacutedure disciplinaire visant les avocats et les avocats eacutetrangers inscrits sur la liste des avocats et permettant notamment drsquoinfliger agrave un avocat une sanction peacutecuniaire la suspension de ses activiteacutes professionnelles voire sa radiation du barreau et agrave un avocat eacutetranger une sanction peacutecuniaire la suspension voire lrsquointerdiction du droit de fournir une assistance juridique en Pologne En cas de reacuteponse positive la charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne (ci-apregraves la laquo Charte raquo) notamment son article 47 est-elle applicable agrave cette proceacutedure meneacutee devant les conseils de discipline du barreau degraves lors que les deacutecisions de ces juridictions ne sont pas susceptibles de recours devant les juridictions nationales ou ne sont susceptibles que drsquoun recours extraordinaire agrave savoir un pourvoi en cassation devant le Sąd Najwyższy (Cour suprecircme Pologne) et est-elle eacutegalement applicable lorsque tous les eacuteleacutements pertinents de lrsquoaffaire se cantonnent agrave lrsquointeacuterieur drsquoun seul Eacutetat membre 2 Lorsque dans une proceacutedure viseacutee agrave la premiegravere question lrsquoinstance qui est compeacutetente en vertu des dispositions nationales applicables pour statuer sur le pourvoi en cassation formeacute contre lrsquoarrecirct ou lrsquoordonnance du conseil de discipline du barreau ou contre la reacuteclamation visant le refus drsquointroduire un tel pourvoi nrsquoest pas conformeacutement agrave la position adopteacutee par le Sąd Najwyższy (Cour suprecircme) dans son arrecirct du 5 deacutecembre 2019 reacutef III PO 718 un tribunal indeacutependant et impartial au sens de lrsquoarticle 47 de la Charte [Or 2] le conseil de discipline du barreau doit-il eacutecarter les dispositions nationales eacutetablissant la compeacutetence de cette instance et transmettre ce pourvoi ou cette reacuteclamation aux instances judiciaires qui auraient eacuteteacute compeacutetentes si les dispositions susmentionneacutees ne srsquoy opposaient pas

82

Retour En Bref

3 Lorsque ndash dans une proceacutedure viseacutee agrave la premiegravere question ndash le conseil de discipline du barreau considegravere que le Prokurator Generalny (procureur geacuteneacuteral) et le Rzecznik Praw Obywatelskich (meacutediateur) ne sont pas habiliteacutes agrave former un pourvoi en cassation contre son arrecirct ou son ordonnance et que sa position est

a) contraire agrave la position exprimeacutee dans la deacutecision du 27 novembre 2019 reacutef II DSI 6718 de la chambre disciplinaire du Sąd Najwyższy (Cour suprecircme) sieacutegeant en formation de sept juges crsquoest-agrave-dire de lrsquoinstance qui conformeacutement aux dispositions nationales en vigueur est compeacutetente pour connaicirctre du recours formeacute contre le refus drsquointroduire un pourvoi en cassation mais qui selon le conseil de discipline du barreau qui se rallie agrave la position adopteacutee par le Sąd Najwyższy (Cour suprecircme) dans son arrecirct du 5 deacutecembre 2019 reacutef III PO 718 nrsquoest pas un tribunal indeacutependant et impartial au sens de lrsquoarticle 47 de la Charte

b) conforme agrave la position exprimeacutee preacuteceacutedemment par la chambre peacutenale du Sąd Najwyższy (Cour suprecircme) crsquoest-agrave-dire lrsquoinstance judiciaire qui serait compeacutetente pour examiner ce recours si les dispositions susmentionneacutees ne srsquoy opposaient pas

Le conseil de discipline du barreau peut-il (ou doit-il) eacutecarter la position exprimeacutee par la chambre disciplinaire du Sąd Najwyższy (Cour suprecircme) 4 Si dans lrsquoaffaire viseacutee agrave la troisiegraveme question le conseil de discipline du barreau est ameneacute agrave examiner un recours du Minister Sprawiedliwości (ministre de la Justice) mais que

a) lrsquoinfluence du pouvoir exeacutecutif notamment celle du Minister Sprawiedliwości (ministre de la Justice) sur la composition de la chambre disciplinaire du Sąd Najwyższy (Cour suprecircme) constitue lrsquoun des facteurs qui selon lrsquoappreacuteciation exprimeacutee par le Sąd Najwyższy (Cour suprecircme) dans son arrecirct du 5 deacutecembre 2019 reacutef III PO 718 appreacuteciation que partage le conseil de discipline du barreau justifient de consideacuterer que cette chambre disciplinaire qui est lrsquoinstance viseacutee agrave la troisiegraveme question sous a) nrsquoest pas un tribunal indeacutependant et impartial au sens de lrsquoarticle 47 de la Charte

b) et que le Minister Sprawiedliwości (ministre de la Justice) exerce lui-mecircme la fonction de Prokurator Generalny (procureur geacuteneacuteral) lequel serait habiliteacute agrave introduire un pourvoi cassation selon la position exprimeacutee par la chambre disciplinaire du Sąd Najwyższy (Cour suprecircme) agrave savoir lrsquoinstance viseacutee agrave la troisiegraveme question sous a) tandis qursquoil nrsquoy est pas selon la position exprimeacutee par la chambre peacutenale du Sąd Najwyższy (Cour suprecircme) agrave savoir lrsquoinstance viseacutee agrave la troisiegraveme question sous b) et selon la position du conseil de discipline du barreau ce conseil de discipline du barreau doit-il srsquoabstenir drsquoexaminer le recours srsquoil srsquoagit de la seule maniegravere drsquoassurer que la proceacutedure respecte lrsquoarticle 47 de la Charte et en particulier drsquoeacuteviter qursquoune instance qui nrsquoest pas un tribunal indeacutependant et impartial au sens de cette disposition nrsquointervienne dans la proceacutedure raquo

Protection des consommateurs

Affaire preacutejudicielle 7 feacutevrier 2020 KRONE ndash Verlag Gesellschaft mbH amp Co KG C-6520

Juridiction de renvoi Oberster Gerichtshof (Autriche) La juridiction de renvoi a saisi la Cour de justice des questions suivantes conformeacutement agrave lrsquoarticle 267 TFUE laquo Lrsquoarticle 2 lu en combinaison avec les articles 1 er et 6 de la directive 85374CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions leacutegislatives reacuteglementaires et administratives des Eacutetats membres en matiegravere de responsabiliteacute du fait des produits deacutefectueux doit-il ecirctre interpreacuteteacute en ce sens qursquoun exemplaire physique drsquoun journal quotidien qui contient un conseil de santeacute techniquement inexact dont le respect cause un dommage agrave la santeacute peut eacutegalement ecirctre consideacutereacute comme un produit (deacutefectueux) raquo

Affaire preacutejudicielle 26 feacutevrier 2020 StWL Staumldtische Werke Lauf ad Pegnitz GmbH C-10220

Juridiction de renvoi Bundesgerichtshof (Allemagne) La juridiction de renvoi a saisi la Cour de justice des questions suivantes conformeacutement agrave lrsquoarticle 267 TFUE

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laquo 1 Les critegraveres de la notion drsquoenvoi au sens de lrsquoarticle 2 deuxiegraveme alineacutea sous h) de la directive 200258 sont-ils remplis lorsqursquoun message nrsquoest pas transmis par un utilisateur drsquoun service de communications eacutelectroniques agrave un autre utilisateur par lrsquointermeacutediaire drsquoune entreprise de services agrave lrsquolaquo adresse raquo eacutelectronique du second utilisateur mais est afficheacute de maniegravere automatiseacutee par des serveurs publicitaires agrave la suite de lrsquoouverture de la page Internet proteacutegeacutee par un mot de passe correspondant agrave un compte de messagerie eacutelectronique dans certains espaces preacutevus agrave cet effet de la boicircte de reacuteception eacutelectronique drsquoun utilisateur seacutelectionneacute de maniegravere aleacuteatoire (publiciteacute dans la boicircte de reacuteception) 2 La reacutecupeacuteration drsquoun message au sens de lrsquoarticle 2 deuxiegraveme alineacutea sous h) de la directive 200258 suppose-t-elle que le destinataire apregraves avoir pris connaissance de la preacutesence drsquoun message deacuteclenche par une demande de reacutecupeacuteration volontaire une transmission des donneacutees du message en vertu drsquoun programme preacuteeacutetabli ou suffit-il que lrsquoapparition du message [Or 3] dans la boicircte de reacuteception drsquoun compte de messagerie eacutelectronique soit deacuteclencheacutee par le fait que lrsquoutilisateur ouvre la page Internet pro teacutegeacutee par un mot de passe correspondant agrave son compte de messagerie eacutelectronique 3 Y a-t-il eacutegalement courrier eacutelectronique au sens de lrsquoarticle 13 paragraphe 1 de la directive 200258 lorsqursquoun message nrsquoest pas envoyeacute agrave un destinataire individuel deacutejagrave concregravetement deacutefini avant la transmission mais est inseacutereacute dans la boicircte de reacuteception drsquoun utilisateur seacutelectionneacute de maniegravere aleacuteatoire 4 Lrsquoutilisation drsquoun courrier eacutelectronique agrave des fins de prospection directe au sens de lrsquoarticle 13 paragraphe 1 de la d irective 200258 nrsquoest-elle caracteacuteriseacutee que lorsqursquoil est constateacute que la charge imposeacutee agrave lrsquoutilisateur va au-delagrave drsquoune gecircne qui lui serait causeacutee 5 La publiciteacute individuelle satisfaisant aux critegraveres de la laquo sollicitation raquo au sens du point 26 premiegravere phrase de lrsquoannexe I de la directive 200529 nrsquoest-elle caracteacuteriseacutee que lorsqursquoun client est contacteacute au moyen drsquoun outil traditionnel de communication individuelle entre un expeacutediteur et un destinataire ou suffit-t-il que comme dans le cas de la publiciteacute en cause en lrsquoespegravece le lien avec un individu soit eacutetabli par lrsquoaffichage de la publiciteacute dans la boicircte de reacuteception drsquoun compte de messagerie eacutelectronique priveacute et donc dans une rubrique ougrave le client srsquoattend agrave recevoir des messages qui lui sont individuellement adresseacutes raquo

Santeacute publique

Affaire preacutejudicielle 24 feacutevrier 2020 Ordine Nazionale Biologi e a C-9620

Juridiction de renvoi Corte suprema di cassazione (Italie) La juridiction de renvoi a saisi la Cour de justice des questions suivantes conformeacutement agrave lrsquoarticle 267 TFUE laquo Lrsquoarticle 9 paragraphe 2 de la directive 200298CE qui eacutetablit des normes de qualiteacute et de seacutecuriteacute pour la collecte le controcircle la transformation la conservation et la distribution du sang humain et des composants sanguins doit-il ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que lorsqursquoil mentionne la possession drsquoun titre acadeacutemique ldquodans le domaine des sciences meacutedicales ou biologiquesrdquo parmi les conditions de qualification minimales requises pour pouvoir acceacuteder agrave la fonction de personne responsable drsquoun eacutetablissement de transfus ion sanguine il confegravere directement aux diplocircmeacutes dans les deux disciplines le droit drsquoexercer la fonction de personne responsable [Or 11] drsquoun eacutetablissement de transfusion sanguine En conseacutequence le droit de lrsquoUnion permet-il au droit national drsquoexclure que ladite fonction de personne responsable drsquoun eacutetablissement de transfusion sanguine puisse ecirctre exerceacutee par les diplocircmeacutes en sciences biologiques ou bien srsquooppose-t-il agrave cette exclusion raquo

Partie IV Informations diverses

Aides drsquoEacutetat

Communication de la Commission europeacuteenne Modification de lrsquoencadrement temporaire des mesures drsquoaide drsquoEacutetat visant agrave soutenir lrsquoeacuteconomie dans le contexte actuel de la flambeacutee de COVID-19 3 avril 2020 C(2020) 2215

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Reacutesumeacute La Commission europeacuteenne a adopteacute une modification eacutetendant lrsquoencadrement temporaire adopteacute le 19 mars 2020 afin de permettre aux Eacutetats membres drsquoacceacuteleacuterer la recherche la mise agrave lrsquoessai et la fabrication de produits utiles pour combattre le coronavirus de proteacuteger les emplois et de soutenir drsquoavantage lrsquoeacuteconomie dans le contexte du COVID-19 Lrsquoencadrement temporaire modifieacute complegravete les nombreuses possibiliteacutes dont disposent deacutejagrave les Eacutetats membres pour atteacutenuer les reacutepercussions socio-eacuteconomiques de la flambeacutee de COVID-19 conformeacutement aux regravegles de lrsquoUnion europeacuteenne en matiegravere drsquoaides drsquoEacutetat Le 19 mars 2020 la Commission europeacuteenne a adopteacute une communication intituleacutee laquo Encadrement temporaire des mesures drsquoaide drsquoEacutetat visant agrave soutenir lrsquoeacuteconomie dans le contexte actuel de la flambeacutee du COVID-19 raquo (C(2020) 1863) Cette derniegravere deacutecrit les possibiliteacutes offertes aux Eacutetats membres par les regravegles de lrsquoUnion pour garantir la liquiditeacute et lrsquoaccegraves au financement des entreprises et en particulier des PME afin de leur permettre de surmonter la situation actuelle La Commission europeacuteenne visait agrave eacutetablir un cadre permettant aux Eacutetats membres de soutenir les entreprises qui connaissent des difficulteacutes lieacutees au COVID-19 et ce tout en preacuteservant lrsquointeacutegriteacute du marcheacute inteacuterieur de lrsquoUnion europeacuteenne par la garantie de conditions eacutegales pour tous Selon la Commission europeacuteenne une application cibleacutee et proportionneacutee du controcircle des aides drsquoEacutetats permettrait que les mesures de soutien nationales aident efficacement les entreprises toucheacutees par la flambeacutee du COVID-19 tout en leur permettant de rebondir au terme de la crise actuelle et en gardant agrave lrsquoesprit lrsquoimportance de mener agrave bien la transition eacutecologique et numeacuterique conformeacutement aux objectifs de lrsquoUnion europeacuteenne Cette nouvelle communication vise agrave eacutenumeacuterer les mesures drsquoaide drsquoEacutetat temporaires suppleacutementaires que la Commission europeacuteenne juge compatibles avec lrsquoarticle 107 paragraphe 3 TFUE dans le contexte de la flambeacutee de COVID-19 Ainsi la modification eacutetend lrsquoencadrement temporaire en preacutevoyant cinq types de mesures drsquoaide suppleacutementaires

- Soutien agrave la recherche et au deacuteveloppement lieacutes au COVID-19 pour faire face agrave la crise eacutepideacutemique les Eacutetats membres peuvent octroyer des aides sous forme de subventions directes drsquoavances remboursables ou drsquoavantages fiscaux en faveur de la recherche et au deacuteveloppement lieacute au COVID-19 et sur drsquoautres eacuteleacutements lieacutes agrave la lutte contre le virus Un suppleacutement drsquoaide peut ecirctre accordeacute aux projets de coopeacuteration transfrontiegravere entre Eacutetats membres

- Soutient agrave la construction et agrave la mise agrave niveau drsquoinstallations drsquoessai les Eacutetats membres ont la

possibiliteacute drsquooctroyer des aides sous forme de subventions directes drsquoavantage fiscaux drsquoavances remboursables et de garanties de couverture de pertes afin de soutenir les investissements permettant la construction ou la mise agrave niveau drsquoinfrastructures neacutecessaires pour mettre au point et tester des produits lieacutes au COVID-19 jusqursquoau premier deacuteploiement industriel Sont concerneacutes

o Les meacutedicaments y compris les vaccins et les traitements o Les dispositifs meacutedicaux et eacutequipements hospitaliers et meacutedicaux y compris les appareils de

ventilation et les vecirctements de protection ainsi que les outils de diagnostic o Les deacutesinfectants o Les outils de collecte et de traitement de donneacutees utiles agrave la lutte contre la propagation du virus

Afin drsquoencourager la coopeacuteration et de soutenir une action rapide les entreprises peuvent beacuteneacuteficier drsquoun suppleacutement drsquoaide lorsque leur investissement est financeacute par plusieurs Eacutetats membres et lorsqursquoil est reacutealiseacute dans un deacutelai de deux mois suivant la date de demande drsquoaide

- Soutien agrave la fabrication de produits utiles agrave la lutte contre la flambeacutee de COVID-19 les Eacutetats

membres peuvent octroyer des aides sous forme de subventions directes drsquoavantages fiscaux drsquoavances remboursables et de garanties de couverture de pertes afin de soutenir les investissements permettant la

Article 107 paragraphe 3 TFUE

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fabrication rapide de produits utiles agrave la lutte contre le coronavirus produits eacutenumeacutereacutes au point preacuteceacutedent Afin drsquoencourager la coopeacuteration et de soutenir une action rapide les entreprises vont beacuteneacuteficier drsquoun suppleacutement drsquoaide lorsque leur investissement est financeacute par plusieurs Eacutetats membres et lorsqursquoil est reacutealiseacute dans un deacutelai de deux mois suivant la date de demande drsquoaide

- Soutien cibleacute sous la forme de reports de paiement des impocircts et des taxes etou de suspensions

de cotisations de seacutecuriteacute sociale afin de reacuteduire les contraintes de liquiditeacute auxquelles les entreprises sont confronteacutees agrave cause du COVID-19 et de proteacuteger les emplois les Eacutetats membres peuvent accorder des reports cibleacutes de paiement des impocircts des taxes et des cotisations de seacutecuriteacute sociale dans les secteurs les reacutegions ou les types drsquoentreprises qui sont particuliegraverement toucheacutes par la pandeacutemie La Commission europeacuteenne considegravere que si de tels reports srsquoappliquent agrave lrsquoensemble de lrsquoeacuteconomie ils ne relegravevent pas du controcircle des aides drsquoEacutetats Toutefois srsquoils confegraverent aux entreprises un avantage seacutelectif degraves lors qursquoils sont limiteacutes agrave certains secteurs (transport tourisme santeacute hellip) agrave certaines reacutegions ou agrave certains types drsquoentreprises ils constituent des aides drsquoEacutetat au sens de lrsquoarticle 107 paragraphe 1 TFUE

- Soutien cibleacute sous la forme de subventions salariales en faveur des salarieacutes afin drsquoaider agrave limiter

les conseacutequences de la crise du coronavirus sur les travailleurs les Eacutetats membres peuvent contribuer aux coucircts salariaux des entreprises de secteurs ou de reacutegion qui ont le plus souffert de la flambeacutee du COVID-19 et qui auraient ducirc licencier du personnel en lrsquoabsence drsquoaide De mecircme que pour les reports envisageacutes au point preacuteceacutedent la Commission est drsquoavis que si ces reacutegimes de soutien srsquoappliquent agrave lrsquoensemble de lrsquoeacuteconomie ils ne relegravevent pas du controcircle des aides drsquoEacutetats Agrave lrsquoinverse srsquoils sont limiteacutes agrave certains secteurs reacutegions ou certains types drsquoentreprises ils constituent des aides au sens de lrsquoarticle 107 paragraphe 1 TFUE

Lrsquoencadrement temporaire modifieacute renforce les types drsquoaide existants que les Eacutetats membres peuvent accorder aux entreprises dans le besoin et sera en place jusqursquoagrave la fin du mois de deacutecembre 2020 La Commission europeacuteenne preacutecise neacuteanmoins qursquoelle pourra prolonger ce deacutelai drsquoapplication srsquoil srsquoavegravere que cela soit neacutecessaire apregraves reacuteeacutevaluation

Deacutecision de la Commission europeacuteenne COVID-19 Reacutegime cadre temporaire pour le soutien aux entreprises en France 20 avril 2020 C(2020) 2595

Reacutesumeacute Par sa deacutecision du 20 avril 2020 la Commission europeacuteenne a autoriseacute le reacutegime-cadre franccedilais visant agrave soutenir les PME

ainsi que les grandes entreprises toucheacutees par la pandeacutemie de coronavirus Ce reacutegime dun montant de 7 milliards drsquoeuros a eacuteteacute

autoriseacute en vertu de lencadrement temporaire des aides dEacutetat adopteacute par la Commission le 19 mars 2020 tel que modifieacute le 3 avril

2020

Le 17 avril 2020 les autoriteacutes franccedilaises ont notifieacute agrave la Commission europeacuteenne le reacutegime cadre temporaire pour

le soutien aux entreprises conformeacutement aux dispositions de lrsquoencadrement temporaire des mesures drsquoaides

drsquoEacutetat visant agrave soutenir lrsquoeacuteconomie dans le contexte actuel de la flambeacutee de COVID-19 adopteacute le 19 mars 2020

(ci-apregraves laquo encadrement temporaire raquo) tel que modifieacute le 3 avril 2020

Ce reacutegime qui seacutetend agrave lensemble du territoire franccedilais et est doteacute dun budget preacutevisionnel de 7 milliards

deuros permet loctroi daides sous les formes suivantes

a) aides dun montant limiteacute sous la forme de subventions directes dapports de fonds propres

davances remboursables et de precircts bonifieacutes jusquagrave un montant nominal maximal de 100 000 euros

pour les entreprises du secteur agricole primaire jusquagrave 120 000 euros pour les entreprises du

secteur de la pecircche et de laquaculture et jusquagrave 800 000 euros pour les entreprises de tous les autres

secteurs

Article 107 paragraphe 3 TFUE

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b) garanties publiques sur des precircts saccompagnant de garde-fous pour les banques qui acheminent les

aides dEacutetat vers leacuteconomie reacuteelle

c) precircts publics octroyeacutes aux entreprises assortis de taux dinteacuterecirct reacuteduits

d) aides sous la forme de garantie ou precircts octroyeacutes via des eacutetablissements de creacutedit ou institutions

financiegraveres Les mesures srsquoappliquent agrave toutes les entreprises - quelle que soit leur localisation et leur taille - de tous secteurs drsquoactiviteacutes y compris les entreprises de production primaire de produits agricoles et du secteur de la pecircche et de lrsquoaquaculture Neacuteanmoins les eacutetablissements de creacutedit les institutions financiegraveres ainsi que les entreprises qui eacutetaient en difficulteacute agrave la date du 31 deacutecembre 2019 ne peuvent pas beacuteneacuteficier du preacutesent reacutegime Les autoriteacutes franccedilaises estiment que les beacuteneacuteficiaires du preacutesent reacutegime drsquoaide devraient deacutepasser les 1000 entreprises La Commission europeacuteenne considegravere que les mesures notifieacutees par la France constituent une aide drsquoEacutetat au sens de lrsquoarticle 107 paragraphe 1 du TFUE Les mesures imputables agrave lrsquoEacutetat franccedilais impliquent lrsquoutilisation de ressources drsquoEacutetat puisqursquoelles ont pour origine (1) les creacutedits drsquointervention de lrsquoEacutetat au niveau central et deacuteconcentreacute (2) les creacutedits drsquointervention des collectiviteacutes territoriales et de leurs groupements (3) les creacutedits des fonds europeacuteens structurels et drsquoinvestissement et (4) les creacutedits drsquointervention des autres organismes publics compeacutetents en vertu de dispositions leacutegislatives ou regraveglementaires De plus les mesures sont seacutelectives puisqursquoelles seront accordeacutees seulement agrave certaines entreprises en excluant les eacutetablissements de creacutedit et les entreprises qui eacutetaient en difficulteacute agrave la date du 31 deacutecembre 2019 Finalement les mesures confegraverent un avantage aux beacuteneacuteficiaires et sont susceptibles drsquoaffecter les eacutechanges entre Eacutetats membres eacutetant donneacute que le reacutegime nrsquoest pas limiteacute aux beacuteneacuteficiaires actifs dans des secteurs ougrave il nrsquoexiste pas de commerce entre les Eacutetats membres Neacuteanmoins la Commission europeacuteenne peut deacuteclarer compatibles avec le marcheacute inteacuterieur les aides destineacutees laquo agrave remeacutedier agrave une perturbation grave de lrsquoeacuteconomie drsquoun Eacutetat membre raquo conformeacutement agrave lrsquoarticle 107 paragraphe 3 point b) du TFUE Dans lrsquoencadrement temporaire du 19 mars 2020 la Commission europeacuteenne preacutecise qursquo laquo une aide drsquoEacutetat est justifieacutee et peut ecirctre deacuteclareacutee compatible avec le marcheacute inteacuterieur sur la base de lrsquoarticle 107 paragraphe 3 point b) du TFUE pour une peacuteriode limiteacutee pour remeacutedier agrave la peacutenurie de liquiditeacutes des entreprises et faire en sorte que les perturbations causeacutee par lrsquoeacutepideacutemie de COVID-19 ne compromettent pas leur viabiliteacute en particulier des petites et moyennes entreprises raquo En lrsquoespegravece la Commission europeacuteenne note que les mesures notifieacutees par la France visent agrave permettre aux entreprises drsquoacceacuteder au financement externe au cours drsquoune peacuteriode ougrave le fonctionnement normal du marcheacute et en particulier de lrsquoaccegraves au creacutedit est gravement perturbeacute par la pandeacutemie de COVID-19 qui affecte lrsquoensemble de lrsquoeacuteconomie reacuteelle De plus elle note que les mesures reacutepondent aux exigences de lrsquoencadrement temporaire et en particulier aux dispositions des sections 31 agrave 34 La Commission europeacuteenne considegravere notamment que les mesures introduisent des assurances concernant lrsquoeacuteventuelle aide indirecte en faveur des eacutetablissements de creacutedit ou drsquoautres eacutetablissements financiers afin de limiter les distorsions de concurrence indues Elle considegravere eacutegalement que les plafonds drsquoaides et plafonds de cumul drsquoaide sous le preacutesent reacutegime sont respecteacutes En particulier les aides octroyeacutes au titre de la section 32 et de la section 33 de lrsquoencadrement temporaire ne peuvent se cumuler si lrsquoaide est octroyeacutee pour le mecircme precirct En conseacutequence la Commission europeacuteenne a autoriseacute les mesures franccedilaises en vertu des regravegles de lUnion en matiegravere daides dEacutetat Elle considegravere que les mesures notifieacutees sont neacutecessaires adeacutequates et proportionnelles pour remeacutedier agrave une perturbation grave de lrsquoeacuteconomie drsquoun Eacutetat membre et remplissent toutes les conditions eacutenonceacutees dans lrsquoencadrement temporaire

Page 2: Ce deuxième bulletin des...Cour EDH (quatrième section), Andreea-Marusia Dumitru/Roumanie, 31 mars 2020, n°9637/16 __26 Cour EDH (cinquième section), Kukhalashvili et autres

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Table des matiegraveres

En bref ______________________________________________________________________________ 4

Partie I - Jurisprudences de la CJUE et de la CEDH _______________________________________ 11

Accegraves agrave un tribunal _____________________________________________________________ 11 Cour EDH (troisiegraveme section) Dos Santos Calado et autres Portugal 31 mars 2020 ndeg5599714 6814316 7884116 et 370617 __________________________________________________________ 11

Aides drsquoEacutetat ___________________________________________________________________ 15 Cour de justice (deuxiegraveme chambre) Nelson Antunes da Cunha Lda Instituto de Financiamento da Agricultura e Pescas IP (IFAP) 30 avril 2020 C-62718 ____________________________________ 15

Droit agrave un procegraves eacutequitable _______________________________________________________ 18 Cour EDH (cinquiegraveme section) Keaney Irlande 30 avril 2020 ndeg7206017 ___________________ 18

Droit agrave la vie ___________________________________________________________________ 21 Cour EDH (deuxiegraveme section) Jeanty Belgique 31 mars 2020 ndeg8228417 ___________________ 21 Cour EDH (quatriegraveme section) Andreea-Marusia DumitruRoumanie 31 mars 2020 ndeg963716 __ 26 Cour EDH (cinquiegraveme section) Kukhalashvili et autres Geacuteorgie 2 avril 2020 ndeg 893807 et 4189107 ___________________________________________________________________________________ 29

Egaliteacute de traitement ____________________________________________________________ 33 Cour de justice (grande chambre) NH Associazione Avvocatura per i diritti LGBTI ndash Rete Lenford 23 avril 2020 C-50718 ________________________________________________________________ 33

Indeacutependance de la justice _______________________________________________________ 35 Ordonnance de la Cour de justice (grande chambre) du 8 avril 2020 dans lrsquoaffaire Reacutepublique de Pologne Commission europeacuteenne C-79119 R ___________________________________________ 35

Interdiction des traitements inhumains ou deacutegradants ________________________________ 39 Cour EDH (troisiegraveme section) Yevgeniy Mikhaylovich Shmelev et autres Russie 9 avril 2020 ndeg 4174317 et 16 autres __________________________________________________________________ 39 Cour EDH (cinquiegraveme section) Castellani France 30 avril 2020 ndeg4320716 _________________ 42

Libre circulation des travailleurs __________________________________________________ 44 Cour de justice (sixiegraveme chambre) Caisse pour lavenir des enfants FV et GW 2 avril 2020 C-80218 ___________________________________________________________________________________ 44 Cour de justice (neuviegraveme chambre) Landkreis Suumldliche WeinstraszligePF ea 2 avril 2020 C-83018 ___________________________________________________________________________________ 48

Non-discrimination _____________________________________________________________ 50 Cour de justice (grande chambre) Ruska Federacija 2 avril 2020 C-89719 PPU ________________ 50 Cour de justice (huitiegraveme chambre) HB et IC Istituto nazionale della previdenza sociale 30 avril 2020 C-16819 et C-16919_____________________________________________________________ 54

Protection de la seacutecuriteacute et de la santeacute des travailleurs ________________________________ 55 Cour de justice (dixiegraveme chambre) UO Keacuteszenleacuteti Rendőrseacuteg 30 avril 2020 C-21119 __________ 55

Protection internationale _________________________________________________________ 58 Cour de justice (troisiegraveme chambre) affaires jointes Commission Pologne Commission Hongrie et Commission Reacutepublique Tchegraveque 2 avril 2020 C-71517 C-71817 et C-71917 _____________ 58

Vie priveacutee et familiale ___________________________________________________________ 62 Cour EDH (quatriegraveme section) Dragan Petrovic Serbie ndeg 7522910 ________________________ 62

Partie II ndash Conclusion des avocats geacuteneacuteraux ______________________________________________ 65

Aides drsquoEtat ___________________________________________________________________ 65 Conclusions de lrsquoAvocat geacuteneacuteral M Szpunar preacutesenteacutees le 2 avril 2020 dans lrsquo affaire Vereniging tot Behoud van Natuurmonumenten in Nederland et autres Vereniging Gelijkberechtiging Grondbezitters et autres C-81718 ______________________________________________________ 65

Coopeacuteration judiciaire en matiegravere civile ____________________________________________ 68

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Conclusions de lrsquoAvocat geacuteneacuteral M Manuel Campos Saacutenchez-Bordona preacutesenteacutees le 2 avril 2020 dans lrsquoaffaire Verein fuumlr KonsumenteninformationVolkswagen AG C-34319 ______________________ 68

Environnement ________________________________________________________________ 71 Conclusions de lrsquoAvocate geacuteneacuterale Mme Eleanor Sharpston preacutesenteacutees le 30 avril 2020 dans lrsquoaffaire CLCE ea (Dispositif drsquoinvalidation sur moteur diesel) C-99318 ____________________________ 71

Liberteacute drsquoeacutetablissement __________________________________________________________ 76 Conclusions de lrsquoAvocat geacuteneacuteral M Bobek preacutesenteacutees le 2 avril 2020 dans les affaires jointes Cali Apartments SCI Procureur geacuteneacuteral pregraves de la cour drsquoappel de Paris Ville de Paris et HX Procureur geacuteneacuteral pregraves de la cour drsquoappel de Paris Ville de Paris C-72418 et C-72718 ___________________ 76

Partie III Questions preacutejudicielles _____________________________________________________ 81

Libre prestation de services ______________________________________________________ 81 Affaire preacutejudicielle 31 janvier 2020 Fluctus et Fluentum C-92019 __________________________ 81

Marcheacute inteacuterieur _______________________________________________________________ 81 Affaire preacutejudicielle 31 janvier 2020 Ministerstwo Sprawiedliwości C-5520 ___________________ 81

Protection des consommateurs ___________________________________________________ 82 Affaire preacutejudicielle 7 feacutevrier 2020 KRONE ndash Verlag Gesellschaft mbH amp Co KG C-6520 _______ 82 Affaire preacutejudicielle 26 feacutevrier 2020 StWL Staumldtische Werke Lauf ad Pegnitz GmbH C-10220 ___ 82

Santeacute publique _________________________________________________________________ 83 Affaire preacutejudicielle 24 feacutevrier 2020 Ordine Nazionale Biologi e a C-9620 ___________________ 83

Partie IV Informations diverses ________________________________________________________ 83

Aides drsquoEacutetat ___________________________________________________________________ 83 Communication de la Commission europeacuteenne Modification de lrsquoencadrement temporaire des mesures drsquoaide drsquoEacutetat visant agrave soutenir lrsquoeacuteconomie dans le contexte actuel de la flambeacutee de COVID-19 3 avril 2020 C(2020) 2215 ______________________________________________________________ 83 Deacutecision de la Commission europeacuteenne COVID-19 Reacutegime cadre temporaire pour le soutien aux entreprises en France 20 avril 2020 C(2020) 2595 __________________________________________ 85

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En bref

Partie I Jurisprudence de la Cour EDH et de la CJUE Accegraves agrave un tribunal Art 35 sect 1 bull Eacutepuisement des voies de recours internes bull Neacutecessiteacute drsquointroduire un recours devant le Tribunal constitutionnel dans toute affaire soulevant une question tireacutee drsquoune inconstitutionnaliteacute ou interpreacutetation normative bull Recours constitutionnel ne soulevant aucune question drsquoinconstitutionnaliteacute sans pertinence pour le calcul du deacutelai de six mois bull Neacutecessiteacute de former une opposition devant un comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel contre la deacutecision sommaire drsquoirrecevabiliteacute drsquoun recours constitutionnel rendue par un juge unique Art 6 sect 1 bull Accegraves agrave un tribunal bull Tribunal constitutionnel ayant fait preuve drsquoun formalisme excessif en deacuteclarant irrecevables des recours constitutionnels pour non-respect des conditions leacutegales bull Irrecevabiliteacute drsquoun recours faute pour le requeacuterant drsquoavoir souleveacute une inconstitutionnaliteacute tireacutee drsquoune interpreacutetation normative ne portant pas atteinte agrave la substance du droit drsquoaccegraves agrave un tribunal Art 6 sect 1 bull Tribunal impartial bull Preacutesence du juge ayant rendu la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute attaqueacutee dans la composition du comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel bull Inapplicabiliteacute des principes de lrsquoimpartialiteacute objective le comiteacute de trois juges nrsquoeacutetant pas une entiteacute agrave part entiegravere et autonome La Cour EDH estime que le Tribunal constitutionnel portugais a priveacute plusieurs requeacuterants de leur droit drsquoaccegraves agrave un tribunal et a ainsi violeacute lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention Dans deux des requecirctes celui-ci a fait preuve drsquoun formalisme excessif dans lrsquoapplication des dispositions leacutegislatives fondant sa compeacutetence agrave connaicirctre des recours introduits devant lui Cour EDH (troisiegraveme section) Dos Santos Calado et autres Portugal 31 mars 2020 ndeg5599714 6814316 7884116 et 370617 (voir page 11)

Aides drsquoEtat Renvoi preacutejudiciel ndash Aides drsquoEacutetat ndash Article 108

TFUE ndash Reacutegime drsquoaides incompatible avec le

marcheacute inteacuterieur ndash Deacutecision de la Commission

europeacuteenne ordonnant la reacutecupeacuteration des

aides illeacutegales ndash Regraveglement (UE) 20151589 ndash

Article 17 paragraphe 1 ndash Deacutelai de prescription

de dix ans ndash Application aux pouvoirs de

reacutecupeacuteration de la Commission ndash Article 16

paragraphes 2 et 3 ndash Reacuteglementation nationale

preacutevoyant un deacutelai de prescription infeacuterieur ndash

Principe drsquoeffectiviteacute

La Cour de justice agrave la suite de questions preacutejudicielles poseacutees

par une juridiction portugaise interpregravete lrsquoarticle 17

paragraphe 1 du regraveglement 20151589 en ce sens que le

deacutelai de prescription de dix ans ne pourra pas ecirctre appliqueacute agrave

la proceacutedure de reacutecupeacuteration drsquoune aide illeacutegale par les

autoriteacutes nationales compeacutetentes Ce deacutelai de prescription de

dix ans ne srsquoapplique qursquoaux rapports entre la Commission

europeacuteenne et lrsquoEtat membre destinataire de la deacutecision de

reacutecupeacuteration Elle estime aussi qursquoun deacutelai de prescription

national ne srsquoappliquera pas srsquoil a expireacute avant lrsquoadoption de

la deacutecision de la Commission europeacuteenne ou srsquoil srsquoest eacutecouleacute en

raison du retard mis par les autoriteacutes nationales pour exeacutecuter

cette deacutecision

Cour de justice (deuxiegraveme chambre) Nelson

Antunes da Cunha Lda Instituto de Financiamento da Agricultura e Pescas IP (IFAP) 30 avril 2020 C-62718

(voir page 15)

Droit agrave un procegraves eacutequitable Art 6 sect 1 bull Deacutelai raisonnable bull Dureacutee excessive de la proceacutedure civile bull Art 13 et 6 sect 1 bull Recours effectif dans le respect drsquoun deacutelai raisonnable des proceacutedures bull Lrsquoefficaciteacute de lrsquoaction en reacuteparation pour violation du droit constitutionnel drsquoecirctre jugeacute dans un deacutelai raisonnable doit encore ecirctre preacuteciseacutee dans la pratique La Cour EDH juge que lrsquoordre juridique irlandais ne comporte pas de recours effectif pour les griefs relatifs agrave la dureacutee excessive drsquoune proceacutedure La Cour EDH a consideacutereacute qursquoil y avait non seulement une violation du droit agrave un procegraves eacutequitable dans un deacutelai raisonnable (article 6 sect 1 de la Convention) du fait de la longueur excessive du recours devant la juridiction suprecircme irlandaise mais aussi une violation au droit agrave un recours effectif (article 13 de la Convention) en ce qursquoelle a du mal agrave admettre que lrsquoaction en reacuteparation pour atteinte au droit constitutionnel agrave ecirctre jugeacute avec diligence soit effectif en theacuteorie et en pratique Cour EDH (cinquiegraveme section) Keaney Irlande 30 avril 2020 ndeg7206017 (voir page 18)

Droit agrave la vie Art 2 (mateacuteriel) bull Obligations positives bull Autoriteacutes peacutenitentiaires intervenues rapidement pour effectivement empecirccher plusieurs tentatives de suicide Art 3 (mateacuteriel et proceacutedural) bull Traitement inhumain et deacutegradant bull Manque de soins psychiatriques prodigueacutes agrave un deacutetenu

5

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preacutesentant des tendances suicidaires bull Placement agrave lrsquoisolement pendant trois jours sans prise en compte de lrsquoeacutetat psychique du requeacuterant bull Absence drsquoenquecircte effective Dans une affaire qui concerne une personne atteinte de

troubles psychiques et ayant tenteacute de se suicider agrave plusieurs

reprises lors de ses placements en deacutetention preacuteventive dans une

prison belge la Cour EDH a estimeacute agrave la majoriteacute qursquoil nrsquoy

a pas eu violation de lrsquoarticle 2 de la Convention car les

mesures prises par les autoriteacutes ont effectivement permis

drsquoempecirccher que le requeacuterant se suicide

Toutefois la Cour EDH juge qursquoil y a eu violation de

lrsquoarticle 3 de la Convention du fait que le requeacuterant a eacuteteacute

soumis agrave une deacutetresse drsquoune intensiteacute ayant exceacutedeacute le niveau

ineacutevitable de souffrance inheacuterent agrave la deacutetention notamment en

raison du manque drsquoencadrement et de suivi meacutedical au cours

de sa deacutetention combineacute avec lrsquoinfliction drsquoune sanction

disciplinaire dans une cellule drsquoisolement Elle relegraveve

eacutegalement que lrsquoenquecircte meneacutee agrave ce propos nrsquoa pas eacuteteacute effective

Cour EDH (deuxiegraveme section) Jeanty Belgique 31 mars 2020 ndeg8228417 (voir page 21)

Art 2 (mateacuteriel) bull Recours agrave la force bull Blessures potentiellement mortelles causeacutees par les tirs de policiers pour arrecircter une tentative de vol bull Reacuteglementation impreacutecise sur lrsquousage des armes agrave feu bull Absence de recommandation sur la preacuteparation et le controcircle des opeacuterations de police bull Deacutefaillance dans la preacuteparation de lrsquointervention malgreacute sa preacutevisibiliteacute bull Absence de formation au maniement des armes agrave balles agrave caoutchouc Art 2 (proceacutedural) bull Enquecircte inefficace sur les circonstances des blessures subies deacutebuteacutee agrave la seule initiative de la victime et plus de huit mois apregraves les eacuteveacutenements bull Gestion non rigoureuse des preuves et de leur conservation bull Expertises pertinentes effectueacutees plus de trois et cinq ans apregraves les faits bull Absence de ceacuteleacuteriteacute de la proceacutedure ayant dureacute plus de neuf ans Dans le cadre drsquoune violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 2 de la Convention sur le droit agrave la vie la Cour EDH a pu juger que dans le contexte drsquoabsence de regraveglementation preacutecise sur lrsquousage des armes agrave feu et de deacutefaillances dans la preacuteparation de lrsquoopeacuteration de police le fonctionnaire de police en cause nrsquoavait pas pris les preacutecautions suffisantes pour preacuteserver la vie des personnes De plus la Cour EDH preacutecise que lrsquoenquecircte meneacutee dans le cadre de la proceacutedure engageacutee relativement agrave une opeacuteration de police ne peut passer pour avoir eacuteteacute rapide et effective lorsque le jugement deacutefinitif qui en deacutecoule est rendu plus de neuf ans et trois mois apregraves les faits Cour EDH (quatriegraveme section) Andreea-Marusia DumitruRoumanie 31 mars 2020 ndeg963716 (voir page 26)

Art 2 (substantiel) bull Usage aveugle et excessif de la force meurtriegravere lors dopeacuterations antieacutemeutes en prison meneacutees de maniegravere incontrocircleacutee et non systeacutematique sans chaicircne de commandement claire Usage de la force meurtriegravere justifieacute par une violence illeacutegale et un risque dinsurrection bull Absence de prise en compte par les autoriteacutes de moyens moins violents ou de la possibiliteacute de neacutegociations bull Mauvaise le traitement et lusage disproportionneacute de la force persistant apregraves la fin de lopeacuteration bull Incapaciteacute des autoriteacutes agrave fournir une assistance meacutedicale adeacutequate bull Incapaciteacute du gouvernement agrave rendre compte de chacun des deacutecegraves pertinents bull la confiance de la Cour dans tous les documents disponibles y compris les rapports des ONG lorsquil est empecirccheacute deacutetablir des faits pour des raisons imputables agrave lEacutetat Art 2 (proceacutedure) bull Enquecircte compromise par un lancement tardif un manque dindeacutependance et dimpartialiteacute une participation insuffisante des proches du deacutefunt et des retards prohibitifs dans la proceacutedure Dans une affaire de reacutepression dune eacutemeute dans une prison geacuteorgienne ayant conduit agrave la mort de plusieurs deacutetenus la Cour EDH conclut que ces derniers ont succombeacute agrave une force meurtriegravere qui bien qursquoayant poursuivi des buts leacutegitimes viseacutes agrave lrsquoarticle 2 de la Convention ne peut ecirctre consideacutereacutee comme ayant eacuteteacute laquo absolument neacutecessaire raquo au sens de cette mecircme disposition En effet lrsquoopeacuteration antieacutemeute nrsquoa pas eacuteteacute meneacutee de maniegravere controcircleacutee et systeacutematique et les agents des services reacutepressifs nrsquoont pas reccedilu drsquoordres ou drsquoinstructions clairs qui auraient viseacute agrave limiter autant que possible le risque qursquoil y ait des victimes Les autoriteacutes nrsquoont pas envisageacute de recourir agrave des moyens moins violents pour faire face agrave un incident de seacutecuriteacute par exemple la neacutegociation pour reacutesoudre la crise Cour EDH (cinquiegraveme section) Kukhalashvili et autres c Geacuteorgie 2 avril 2020 ndeg 893807 et 4189107 (voir page 29)

Egaliteacute de traitement Renvoi preacutejudiciel ndash Eacutegaliteacute de traitement en

matiegravere drsquoemploi et de travail ndash Directive

200078CE ndash Article 3 paragraphe 1 sous a)

article 8 paragraphe 1 et article 9 paragraphe 2

ndash Interdiction des discriminations fondeacutees sur

lrsquoorientation sexuelle ndash Conditions drsquoaccegraves agrave

lrsquoemploi ou au travail ndash Notion ndash Deacuteclarations

publiques excluant le recrutement de personnes

homosexuelles ndash Article 11 paragraphe 1 article

15 paragraphe 1 et article 21 paragraphe 1 de

la charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion

europeacuteenne ndash Deacutefense des droits ndash Sanctions ndash

Personne morale repreacutesentative drsquoun inteacuterecirct

6

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collectif ndash Qualiteacute pour agir en justice sans agir

au nom drsquoun plaignant deacutetermineacute ou en

lrsquoabsence de personne leacuteseacutee ndash Droit drsquoobtenir

reacuteparation

En reacuteponse agrave des questions preacutejudicielles de la Cour de

cassation italienne la Cour de justice estime drsquoune part que

des deacuteclarations insinuant une politique de recrutement

homophobe relegravevent de la notion de laquo conditions drsquoaccegraves agrave

lrsquoemploi ou au travail raquo degraves lors qursquoil existe un lien non

hypotheacutetique entre ces deacuteclarations et la politique de

recrutement de lrsquoemployeur Drsquoautre part elle a conclu que le

droit national peut preacutevoir qursquoune association a le droit drsquoagir

en justice pour assurer le respect des obligations de la directive

200078 mecircme si aucune personne leacuteseacutee nrsquoest identifiable

Cour de justice (grande chambre) NH Associazione Avvocatura per i diritti LGBTI ndash Rete Lenford 23 avril 2020 C-50718

(voir page 33)

Indeacutependance de la justice Reacutefeacutereacute ndash Article 279 TFUE ndash Demande de

mesures provisoires ndash Article 19 paragraphe 1

second alineacutea TUE ndash Indeacutependance de lrsquoIzba

Dyscyplinarna (chambre disciplinaire) du Sąd

Najwyższy (Cour suprecircme Pologne)

La Commission europeacuteenne a saisi la Cour de justice afin que

celle-ci ordonne la suspension des dispositions de la leacutegislation

nationale qui donne la compeacutetence agrave la chambre disciplinaire

de juger des affaires disciplinaires concernant les juges

polonais La Cour de justice reacutepond positivement agrave la

demande de la Commission europeacuteenne en justifiant que ces

dispositions porteraient atteinte agrave lrsquoindeacutependance de la justice

et ainsi seraient contraires agrave lrsquoEtat de droit et au droit de

lrsquoUnion

Ordonnance de la Cour de justice (grande

chambre) du 8 avril 2020 dans lrsquoaffaire

Reacutepublique de Pologne Commission europeacuteenne C-79119 R

(voir page 35)

Interdiction des traitements inhumains ou deacutegradants Article 3 (interdiction des traitements inhumains ou deacutegradants) Article 13 (droit agrave un recours effectif) La Cour EDH juge que le nouveau recours compensatoire mise en œuvre par les autoriteacutes russes est effectif lorsqursquoaucun autre recours nrsquoest neacutecessaire notamment dans tous les cas ougrave la deacutetention provisoire a pris fin et dans certaines situations ougrave la peine drsquoemprisonnement a eacuteteacute exeacutecuteacutee en violation des dispositions internes La Cour EDH deacuteclare ainsi les griefs des plusieurs requeacuterants irrecevables pour non-eacutepuisement des voies de recours internes En outre la Cour EDH demande aux parties de produire des observations suppleacutementaires afin

de clarifier la question de lrsquoeffectiviteacute des recours compensatoires dans le cas des recours preacuteventifs ouverts afin de permettre agrave ceux qui sont encore incarceacutereacutes de voir srsquoameacuteliorer leurs conditions de deacutetention Cour EDH (troisiegraveme section) Yevgeniy Mikhaylovich Shmelev et autres Russie 9 avril 2020 ndeg 4174317 et 16 autres (voir page 39)

Art 3 (volet mateacuteriel) bull Recours agrave la force bull Irruption drsquoune uniteacute drsquoeacutelite de la police au domicile drsquoun suspect au petit matin pour proceacuteder agrave son arrestation aux fins drsquoaudition dans le cadre drsquoune enquecircte peacutenale bull Neacutecessiteacute de garanties suffisantes face aux risques drsquoabus drsquoautoriteacute et de violation de la digniteacute humaine lors du recours dans un tel contexte aux forces speacuteciales bull Doutes sur lrsquoexistence de preacutecautions suffisantes bull Tribunaux ayant reconnu la leacutegitime deacutefense du requeacuterant qui avait frappeacute un policier cagouleacute en le prenant pour un cambrioleur bull Blessures reacutesultant de lrsquoemploi drsquoune force physique non rendue strictement neacutecessaire par le comportement du suspect La Cour EDH dans une affaire concernant lrsquointerpellation du requeacuterant par le GIPN estime que la France a violeacute lrsquoarticle 3 de la Convention En effet elle juge que lrsquoopeacuteration policiegravere nrsquoa pas eacuteteacute planifieacutee ni exeacutecuteacutee de maniegravere agrave respecter les garanties internes existantes et que lrsquousage de la force nrsquoeacutetait pas proportionneacute ni neacutecessaire pour permettre lrsquointerpellation du requeacuterant et ne se justifiait pas par son comportement Cour EDH (cinquiegraveme section) Castellani France 30 avril 2020 ndeg4320716 (voir page 42)

Libre circulation des travailleurs Renvoi preacutejudiciel ndash Article 45 TFUE ndash Seacutecuriteacute sociale des travailleurs migrants ndash Regraveglement (CE) ndeg8832004 ndash Article 1er sous i) ndash Libre circulation des travailleurs ndash Eacutegaliteacute de traitement ndash Avantages sociaux ndash Directive 200438CE ndash Article 2 point 2 ndash Regraveglement (UE) ndeg4922011 ndash Article 7 paragraphe 2 ndash Allocation familiale ndash Notion de ldquomembres de la famillerdquo ndash Exclusion de lrsquoenfant du conjoint de travailleurs non-reacutesidents ndash Diffeacuterence de traitement avec lrsquoenfant du conjoint de travailleurs reacutesidents ndash Justification Dans une affaire concernant le versement dallocations sociales luxembourgeoises agrave des travailleurs transfrontaliers franccedilais la Cour de justice a jugeacute quen vertu du principe deacutegaliteacute de traitement un Etat membre ne peut refuser de verser une allocation familiale pour lrsquoenfant du conjoint drsquoun travailleur frontalier sans lien de filiation avec celui-ci puisque cette allocation constitue un avantage social et une prestation de seacutecuriteacute sociale

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Cour de justice (sixiegraveme chambre) Caisse pour lavenir des enfants FV et GW 2 avril 2020 C-80218 (voir page 44)

Renvoi preacutejudiciel ndash Libre circulation des travailleurs ndash Regraveglement (UE) ndeg4922011 ndash Enfants de travailleurs frontaliers ndash Avantages sociaux ndash Systegraveme de remboursement des frais de transport scolaire ndash Condition de reacutesidence dans un Land ndash Exclusion des enfants scolariseacutes dans ce Land et reacutesidant dans un Eacutetat membre autre que celui de lrsquoeacutetablissement scolaire freacutequenteacute ndash Exclusion des ressortissants nationaux reacutesidant dans les autres Laumlnder Dans une affaire concernant le remboursement des frais de transports scolaires dun eacutelegraveve allemand reacutesidant en France et eacutetudiant en Allemagne la Cour de justice a jugeacute quune mesure permettant agrave un Land de soumettre la prise en charge du transport scolaire agrave une condition de reacutesidence dans ce Land constitue une discrimination indirecte agrave lrsquoencontre des travailleurs frontaliers et de leur famille En effet selon la Cour de justice une condition de reacutesidence ne peut ecirctre justifieacutee par une raison impeacuterieuse drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral tenant agrave lrsquoorganisation du systegraveme scolaire Cour de justice (neuviegraveme chambre) Landkreis Suumldliche WeinstraszligePF ea 2 avril 2020 C-83018 (voir page 48)

Non-discrimination Renvoi preacutejudiciel ndash Proceacutedure preacutejudicielle drsquourgence ndash Accord EEE ndash Non-discrimination ndash Article 36 ndash Libre prestation des services ndash Champ drsquoapplication ndash Accord entre lrsquoUnion europeacuteenne la Reacutepublique drsquoIslande et le Royaume de Norvegravege sur lrsquoassociation de ces deux Eacutetats agrave la mise en œuvre agrave lrsquoapplication et au deacuteveloppement de lrsquoacquis de Schengen ndash Accord relatif agrave la proceacutedure de remise entre les Eacutetats membres de lrsquoUnion europeacuteenne drsquoune part et lrsquoIslande et la Norvegravege drsquoautre part ndash Extradition vers un Eacutetat tiers drsquoun ressortissant islandais ndash Protection des ressortissants drsquoun Eacutetat membre contre lrsquoextradition ndash Absence de protection eacutequivalente des ressortissants drsquoun autre Eacutetat ndash Ressortissant islandais ayant obtenu lrsquoasile en vertu du droit national avant lrsquoacquisition de la citoyenneteacute islandaise ndash Restriction agrave la libre circulation ndash Justification fondeacutee sur la preacutevention de lrsquoimpuniteacute ndash Proportionnaliteacute ndash Veacuterification des garanties preacutevues agrave lrsquoarticle 19 paragraphe 2 de la Charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne Lorsqursquoun Eacutetat membre doit statuer sur une demande drsquoextradition issu drsquoun Eacutetat tiers et concernant un

ressortissant drsquoun Eacutetat de lrsquoAssociation europeacuteenne de libre-eacutechange (AELE) partie agrave lrsquoaccord sur lrsquoEspagne eacuteconomique europeacuteen (EEE) il lui incombe de veacuterifier que ce ressortissant ne sera pas soumis agrave la peine de mort agrave la torture ou agrave des peines ou traitements inhumains ou deacutegradants De plus avant drsquoenvisager drsquoexeacutecuter la demande drsquoextradition la Cour de justice preacutecise que lrsquoEacutetat membre doit en informer lrsquoEacutetat de lrsquoAELE pour permettre agrave celui-ci de solliciter la remise de son ressortissant Cour de justice (grande chambre) Ruska Federacija 2 avril 2020 C-89719 PPU (voir page 50)

Renvoi preacutejudiciel ndash Libre circulation des personnes ndash Article 21 TFUE ndash Principe de non-discrimination en raison de la nationaliteacute ndash Article 18 TFUE ndash Convention preacuteventive de la double imposition ndash Travailleurs du secteur public ndash Pensionneacute reacutesidant dans un Eacutetat membre autre que celui lui versant une pension de retraite et ne posseacutedant pas la nationaliteacute de lrsquoEacutetat membre de reacutesidence ndash Impocirct sur le revenu ndash Preacutetendue perte drsquoavantages fiscaux ndash Preacutetendue entrave agrave la liberteacute de circulation et preacutetendue discrimination La Cour de justice par cet arrecirct a jugeacute que le reacutegime fiscal italien reacutesultant de la convention italo-portugaise contre la double imposition sur les revenus nrsquoenfreint pas les principes de libre circulation et de non-discrimination Les retraiteacutes du secteur priveacute et du secteur public peuvent donc ecirctre soumis agrave des reacuteglementations fiscales nationales diffeacuterentes Cour de justice (huitiegraveme chambre) HB et IC Istituto nazionale della previdenza sociale

30 avril 2020 C-16819 et C-16919

(voir page 54)

Protection de la seacutecuriteacute et de la santeacute des travailleurs Renvoi preacutejudiciel ndash Politique sociale ndash Protection de la seacutecuriteacute et de la santeacute des travailleurs ndash Directive 200388CE ndash Champ drsquoapplication ndash Deacuterogation ndash Article 1er paragraphe 3 ndash Directive 89391CEE ndash Article 2 paragraphe 2 ndash Activiteacutes des forces drsquointervention de la police

Dans une affaire qui concerne lrsquoameacutenagement du temps de

travail drsquoun membre de la police drsquointervention de la Hongrie

la Cour de justice juge que la directive 200388CE sur le

temps de travail srsquoapplique aux agents de la police

drsquointervention hongroise assurant la surveillance des frontiegraveres

exteacuterieures de lrsquoespace Schengen dans le contexte de la crise

migratoire La Cour de justice rappelle que ces activiteacutes

peuvent neacuteanmoins eacutechapper aux regravegles de la directive dans

des circonstances drsquoune graviteacute et drsquoune ampleur

exceptionnelles

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Cour de justice (dixiegraveme chambre) UO Keacuteszenleacuteti Rendőrseacuteg 30 avril 2020 C-21119 (voir page 55)

Protection internationale Manquement drsquoEacutetat ndash Deacutecisions (UE)

20151523 et (UE) 20151601 ndash Article 5

paragraphes 2 et 4 agrave 11 de chacune de ces

deacutecisions ndash Mesures provisoires en matiegravere de

protection internationale au profit de la

Reacutepublique helleacutenique et de la Reacutepublique

italienne ndash Situation drsquourgence caracteacuteriseacutee par

un afflux soudain de ressortissants de pays tiers

sur le territoire de certains Eacutetats membres ndash

Relocalisation de ces ressortissants sur le

territoire des autres Eacutetats membres ndash Proceacutedure

de relocalisation ndash Obligation pour les Eacutetats

membres drsquoindiquer agrave intervalles reacuteguliers et

au moins tous les trois mois le nombre de

demandeurs de protection internationale

pouvant faire rapidement lrsquoobjet drsquoune

relocalisation sur leur territoire ndash Obligations

conseacutecutives conduisant agrave la relocalisation

effective ndash Inteacuterecircts des Eacutetats membres lieacutes agrave la

seacutecuriteacute nationale et agrave lrsquoordre public ndash

Possibiliteacute pour un Eacutetat membre drsquoinvoquer

lrsquoarticle 72 TFUE pour ne pas appliquer des

actes du droit de lrsquoUnion ayant un caractegravere

obligatoire

La Cour de justice a jugeacute que la Pologne la Hongrie et la

Reacutepublique tchegraveque avaient manqueacute aux obligations leur

incombant en vertu des deacutecisions 20151523 et

20151601 Ces Eacutetats membres auraient ducirc relocaliser sur

leurs territoires un nombre approprieacute de demandeurs de

protection internationale

Cour de justice (troisiegraveme chambre) affaires

jointes Commission Pologne Commission Hongrie et Commission Reacutepublique Tchegraveque 2 avril 2020 C-71517 C-71817 et C-

71917

(voir page 58)

Vie priveacutee et familiale Art 8 - Respect de la vie priveacutee - Preacutelegravevement dun eacutechantillon dADN de la salive du demandeur dans le cadre dune enquecircte preacuteliminaire - Approbation du demandeur obtenue par la menace de la force - Absence de preacutevisibiliteacute de la loi - Aucune reacutefeacuterence agrave des dispositions leacutegales speacutecifiques dans lordonnance autorisant la police agrave preacutelever leacutechantillon - Aucune reacutefeacuterence speacutecifique dans la loi au preacutelegravevement dun eacutechantillon dADN - Neacutecessiteacute dune reacuteglementation plus

stricte deacutemontreacutee par des dispositions plus deacutetailleacutees dans la leacutegislation reacutecente - Respect du domicile - Perquisition au domicile du demandeur fondeacutee sur des motifs adeacutequats et suffisants et accompagneacutee de garanties efficaces Dans une affaire concernant la reacutealisation dune perquisition par la police au domicile du requeacuterant et le preacutelegravevement dun eacutechantillon dADN dans le cadre dune enquecircte pour meurtre en Serbie la Cour EDH a jugeacute que ce preacutelegravevement constituait une violation de larticle 8 de la Convention contrairement agrave la perquisition Elle considegravere en effet quil neacutetait pas laquo preacutevu par la loi raquo au sens de larticle 8 Elle preacutecise que la version du code de proceacutedure peacutenale serbe qui eacutetait en vigueur agrave lrsquoeacutepoque des faits disposait que des preacutelegravevements sanguins ou laquo drsquoautres proceacutedures meacutedicales raquo pouvaient ecirctre reacutealiseacutes Cour EDH (quatriegraveme section) Dragan Petrovic Serbie ndeg 7522910 (voir page 62)

Partie II Conclusions des avocats geacuteneacuteraux Aides drsquoEtat Pourvoi ndash Aide drsquoEacutetat ndash Reacutegime drsquoaide relatif agrave

lrsquoacquisition subventionneacutee ou agrave la mise agrave

disposition agrave titre gracieux de zones naturelles

ndash Deacutecision deacuteclarant lrsquoaide compatible avec le

marcheacute inteacuterieur ndash Notion de ldquopartie

inteacuteresseacuteerdquo ndash Difficulteacutes seacuterieuses

LrsquoAvocat geacuteneacuteral propose agrave la Cour de justice de rejeter le moyen des requeacuterantes selon lequel le Tribunal a commis une erreur de droit en consideacuterant comme partie inteacuteresseacutee les requeacuterants au recours formeacute devant le Tribunal En outre lrsquoAvocat geacuteneacuteral estime que la Cour de justice devrait accueillir le second moyen des requeacuterantes puisque le raisonnement du Tribunal relatif agrave lrsquoincompleacutetude de lrsquoexamen par la Commission europeacuteenne de la deacutefinition du SIEG drsquoune part est entacheacute drsquoune erreur de droit et souffre drsquoautre part drsquoune insuffisance de motivation Conclusions de lrsquoAvocat geacuteneacuteral M Szpunar

preacutesenteacutees le 2 avril 2020 dans lrsquo affaire

Vereniging tot Behoud van Natuurmonumenten in Nederland et autres

Vereniging Gelijkberechtiging Grondbezitters et autres C-81718

(voir page 65)

Coopeacuteration judiciaire en matiegravere civile Proceacutedure preacutejudicielle ndash Regraveglement (UE)

ndeg12152012 ndash Compeacutetence judiciaire en

matiegravere de responsabiliteacute deacutelictuelle ou quasi

deacutelictuelle ndash Lieu du fait dommageable ndash

9

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Manipulation des valeurs drsquoeacutemission de gaz

dans les moteurs de veacutehicules automobiles

LrsquoAvocat geacuteneacuteral Campos Saacutenchez-Bordona estime que les acqueacutereurs de veacutehicules eacutequipeacutes drsquoun moteur Volkswagen sur lesquels ont eacuteteacute installeacutes un logiciel de manipulation relatif aux gaz drsquoeacutechappements ayant pour conseacutequence la diminution de la valeur desdits veacutehiculespeuvent attraire une entreprise devant les juridictions de lrsquoEacutetat dans lequel ces veacutehicules ont eacuteteacute acheteacutes Conclusions de lrsquoAvocat geacuteneacuteral M Manuel Campos Saacutenchez-Bordona preacutesenteacutees le 2 avril 2020 dans lrsquoaffaire Verein fuumlr KonsumenteninformationVolkswagen AG C-34319 (voir page 68)

Environnement Renvoi preacutejudiciel ndash Rapprochement des leacutegislations ndash Regraveglement (CE) ndeg 7152007 ndash Veacutehicules agrave moteur ndash Eacutemissions de polluants ndash Dispositif drsquoinvalidation ndash Programme agissant sur le calculateur de controcircle moteur ndash Technologies et strateacutegies permettant de limiter la production des eacutemissions de polluants ndash Moteur diesel LrsquoAvocate geacuteneacuterale Sharpston est drsquoavis qursquoun dispositif qui influe agrave la hausse lors des tests drsquohomologation des veacutehicules agrave moteur diesel sur le fonctionnement du systegraveme de controcircle des eacutemissions de ces veacutehicules constitue un laquo dispositif drsquoinvalidation raquo prohibeacute par le droit de lrsquoUnion europeacuteenne Plus speacutecifiquement lrsquoobjectif de ralentissement du vieillissement ou de lrsquoencrassement du moteur ne justifie pas le recours agrave un tel dispositif Conclusions de lrsquoAvocate geacuteneacuterale Mme Eleanor Sharpston preacutesenteacutees le 30 avril 2020 dans lrsquoaffaire CLCE ea (Dispositif drsquoinvalidation sur moteur diesel) C-99318 (voir page 71)

Liberteacute drsquoeacutetablissement Renvoi preacutejudiciel ndash Liberteacute drsquoeacutetablissement ndash Directive 2006123CE ndash Champ drsquoapplication ndash Location de biens meubleacutes de maniegravere reacutepeacuteteacutee pour de courtes dureacutees agrave une clientegravele de passage qui nrsquoy eacutelit pas domicile ndash Reacuteglementation nationale et reacuteglementation municipale soumettant une telle location agrave une autorisation preacutealable et agrave compensation ndash Justification ndash Objectif visant agrave garantir une offre suffisante de logements agrave des prix abordables et destineacutes agrave la location de longue dureacuteemdash Proportionnaliteacute LrsquoAvocat geacuteneacuteral srsquoest prononceacute sur des questions preacutejudicielles poseacutees par la Cour de cassation dans un litige opposant des proprieacutetaires de studio agrave Paris agrave la ville de Paris Il propose agrave la Cour de justice de juger que la directive 2006123 srsquoapplique agrave des dispositions nationales et municipales encadrant lrsquoaccegraves agrave un service qui consiste agrave louer

de maniegravere reacutepeacuteteacutee et pour de courtes dureacutees un local agrave usage drsquohabitation agrave une clientegravele de passage Lrsquoobjectif tenant agrave la lutte contre la peacutenurie de logements peut constituer une raison impeacuterieuse drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral qui justifierait le fait que la mesure nationale exige lrsquoobtention drsquoune autorisation Une telle mesure nationale est autoriseacutee par la directive 2006123 si elle reacutepond aux conditions de proportionnaliteacute et de non-discrimination Conclusions de lrsquoAvocat geacuteneacuteral M Bobek preacutesenteacutees le 2 avril 2020 dans les affaires jointes Cali Apartments SCI Procureur geacuteneacuteral pregraves de la cour drsquoappel de Paris Ville de Paris et HX Procureur geacuteneacuteral pregraves de la cour drsquoappel de Paris Ville de Paris C-72418 et C-72718 (voir page 76)

Partie III Questions preacutejudicielles

Libre prestation de services Affaire preacutejudicielle 31 janvier 2020 Fluctus et Fluentum C-92019 Juridiction de renvoi Landesverwaltungsgericht Steiermark (Autriche) (voir page 81)

Marcheacute inteacuterieur Affaire preacutejudicielle 31 janvier 2020 Ministerstwo Sprawiedliwości C-5520 Juridiction de renvoi Sąd Dyscyplinarny Izby Adwokackiej w Warszawie (Pologne) (voir page 81)

Protection des consommateurs Affaire preacutejudicielle 7 feacutevrier 2020 KRONE ndash Verlag Gesellschaft mbH amp Co KG C-6520 Juridiction de renvoi Oberster Gerichtshof (Autriche) (voir page 82)

Affaire preacutejudicielle 26 feacutevrier 2020 StWL Staumldtische Werke Lauf ad Pegnitz GmbH C-10220 Juridiction de renvoi Bundesgerichtshof (Allemagne) (voir page 82)

Santeacute publique Affaire preacutejudicielle 24 feacutevrier 2020 Ordine Nazionale Biologi e a C-9620 Juridiction de renvoi Corte suprema di cassazione (Italie) (voir page 83)

Partie IV Informations diverses Aides drsquoEtat Article 107 paragraphe 3 TFUE

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La Commission europeacuteenne a adopteacute une modification eacutetendant lrsquoencadrement temporaire adopteacute le 19 mars 2020 afin de permettre aux Eacutetats membres drsquoacceacuteleacuterer la recherche la mise agrave lrsquoessai et la fabrication de produits utiles pour combattre le coronavirus de proteacuteger les emplois et de soutenir drsquoavantage lrsquoeacuteconomie dans le contexte du COVID-19 Lrsquoencadrement temporaire modifieacute complegravete les nombreuses possibiliteacutes dont disposent deacutejagrave les Eacutetats membres pour atteacutenuer les reacutepercussions socio-eacuteconomiques de la flambeacutee de COVID-19 conformeacutement aux regravegles de lrsquoUnion europeacuteenne en matiegravere drsquoaides drsquoEacutetat Communication de la Commission europeacuteenne Modification de lrsquoencadrement temporaire des mesures drsquoaide drsquoEacutetat visant agrave soutenir lrsquoeacuteconomie dans le contexte actuel de la flambeacutee de COVID-19 3 avril 2020 C(2020) 2215

(voir page 83)

Article 107 paragraphe 3 TFUE Par sa deacutecision du 20 avril 2020 la Commission europeacuteenne a autoriseacute le reacutegime-cadre franccedilais visant agrave soutenir les PME ainsi que les grandes entreprises toucheacutees par la pandeacutemie de coronavirus Ce reacutegime dun montant de 7 milliards drsquoeuros a eacuteteacute autoriseacute en vertu de lencadrement temporaire des aides dEacutetat adopteacute par la Commission le 19 mars 2020 tel que modifieacute le 3 avril 2020 Deacutecision de la Commission europeacuteenne COVID-19 Reacutegime cadre temporaire pour le soutien aux entreprises en France 20 avril 2020 C(2020) 2595 (voir page 85)

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Partie I - Jurisprudences de la CJUE et de la CEDH

Accegraves agrave un tribunal

Cour EDH (troisiegraveme section) Dos Santos Calado et autres Portugal 31 mars 2020 ndeg5599714 6814316 7884116 et 370617

Reacutesumeacute La Cour EDH estime que le Tribunal constitutionnel portugais a priveacute plusieurs requeacuterants de leur droit drsquoaccegraves agrave un tribunal et a ainsi violeacute lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention Dans deux des requecirctes celui-ci a fait preuve drsquoun formalisme excessif dans lrsquoapplication des dispositions leacutegislatives fondant sa compeacutetence agrave connaicirctre des recours introduits devant lui Les requecirctes concernent toutes lrsquoirrecevabiliteacute de recours introduits par les requeacuterants devant le Tribunal constitutionnel portugais Les requecirctes no 5599714 et 6814316 concernent aussi un deacutefaut alleacutegueacute drsquoimpartialiteacute du comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel Requecircte ndeg 5599714 (Dos Santos Calado) La requeacuterante a contesteacute le montant de sa pension de retraite devant les juridictions administratives qui ont rejeteacute ses preacutetentions par un jugement du tribunal administratif de Lisbonne du 4 mai 2012 confirmeacute par un arrecirct du tribunal central administratif du Sud rendu en 2013 Elle a alors saisi la Cour suprecircme administrative drsquoun pourvoi en cassation mais celui-ci a eacuteteacute deacuteclareacute irrecevable par un arrecirct du 12 septembre 2013 Le 25 septembre 2013 la requeacuterante a formeacute un recours devant le Tribunal constitutionnel En deacutecembre 2013 ce dernier statuant en formation de juge unique a deacuteclareacute irrecevable le recours formeacute par la requeacuterante Par un arrecirct du 12 feacutevrier 2014 un comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel composeacute entre autres du juge JCM a rejeteacute lrsquoopposition formeacute par la requeacuterante contre la deacutecision du Tribunal constitutionnel Requecircte ndeg 6814316 (Amador de Faria e Silva et autres) Les requeacuterants qui eacutetaient des agents de la Direction geacuteneacuterale des routes au moment des faits exerccedilaient de fait les fonctions drsquoinspecteur En octobre 2005 ils ont engageacute devant le tribunal administratif et fiscal une action contre le ministegravere des Finances et le ministegravere de lrsquoInteacuterieur par laquelle ils ont demandeacute la deacuteclaration drsquoune situation drsquoilleacutegaliteacute par omission en raison de lrsquoabsence de reacuteglementation de leurs carriegraveres Par un jugement du 2 octobre 2013 le tribunal a fait droit agrave la demande des requeacuterants et de leurs collegravegues Les ministegraveres deacutefendeurs ont ensuite interjeteacute appel du jugement devant le tribunal central administratif du Nord qui a annuleacute la partie du jugement concernant les requeacuterants Le 11 novembre 2015 la Cour suprecircme administrative a deacuteclareacute irrecevable

Art 35 sect 1 bull Eacutepuisement des voies de recours internes bull Neacutecessiteacute drsquointroduire un recours devant le Tribunal constitutionnel dans toute affaire soulevant une question tireacutee drsquoune inconstitutionnaliteacute ou interpreacutetation normative bull Recours constitutionnel ne soulevant aucune question drsquoinconstitutionnaliteacute sans pertinence pour le calcul du deacutelai de six mois bull Neacutecessiteacute de former une opposition devant un comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel contre la deacutecision sommaire drsquoirrecevabiliteacute drsquoun recours constitutionnel rendue par un juge unique Art 6 sect 1 bull Accegraves agrave un tribunal bull Tribunal constitutionnel ayant fait preuve drsquoun formalisme excessif en deacuteclarant irrecevables des recours constitutionnels pour non-respect des conditions leacutegales bull Irrecevabiliteacute drsquoun recours faute pour le requeacuterant drsquoavoir souleveacute une inconstitutionnaliteacute tireacutee drsquoune interpreacutetation normative ne portant pas atteinte agrave la substance du droit drsquoaccegraves agrave un tribunal Art 6 sect 1 bull Tribunal impartial bull Preacutesence du juge ayant rendu la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute attaqueacutee dans la composition du comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel bull Inapplicabiliteacute des principes de lrsquoimpartialiteacute objective le comiteacute de trois juges nrsquoeacutetant pas une entiteacute agrave part entiegravere et

autonome

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le recours des requeacuterants au motif que lrsquoaffaire ne soulevait pas de question drsquointeacuterecirct juridique ou social drsquoimportance fondamentale Les requeacuterants ont alors introduit un recours devant le Tribunal constitutionnel Par une deacutecision sommaire du 15 mars 2016 rendue par le juge JCM sieacutegeant en formation de juge unique le Tribunal constitutionnel a deacuteclareacute ce recours irrecevable Cette deacutecision a eacuteteacute confirmeacutee par le comiteacute des trois juges dont faisait partie le juge JCM Requecircte ndeg 7884116 (Antunes Cardoso) En juin 2014 le requeacuterant a eacuteteacute condamneacute par tribunal de Tondela pour fraude aggraveacutee Il a ensuite interjeteacute appel contre cette deacutecision devant la cour drsquoappel de Coimbra en se plaignant drsquoune atteinte au principe non bis in idem Le requeacuterant alleacuteguait qursquoil avait eacuteteacute acquitteacute le 27 feacutevrier 2013 par le tribunal de Taacutebua du chef drsquoassociation de malfaiteurs pour certains des faits qui avaient fondeacute sa condamnation pour fraude qualifieacutee par le tribunal de Tondela Par un arrecirct du 9 septembre 2015 la cour drsquoappel a rejeteacute lrsquoappel du requeacuterant car elle a consideacutereacute que les infractions drsquoassociation de malfaiteurs et de fraude qualifieacutee eacutetaient deux infractions distinctes Le requeacuterant a preacutesenteacute alors un recours devant le Tribunal constitutionnel qui a eacuteteacute deacuteclareacute irrecevable au motif qursquoil concernait la condamnation du requeacuterant et non une inconstitutionnaliteacute normative Le 8 juin 2016 le comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel a confirmeacute cette deacutecision Requecircte ndeg 370617 (Da Silva) Par un jugement du 23 octobre 2015 le tribunal de Lisbonne a condamneacute le requeacuterant agrave trois ans et deux mois drsquoemprisonnement avec sursis pour violence domestique Le requeacuterant a interjeteacute appel en contestant entre autres lrsquoeacutetablissement des faits qui avait abouti agrave sa condamnation ainsi que lrsquointerpreacutetation de la loi Il alleacuteguait eacutegalement que lrsquoaction publique ouverte agrave son eacutegard pour les faits de violence domestique eacutetait prescrite et que sa condamnation avait porteacute atteinte au principe de non-reacutetroactiviteacute de la loi peacutenale ainsi qursquoau principe de la preacutesomption drsquoinnocence Cet appel a eacuteteacute rejeteacute et le requeacuterant a ainsi deacuteposeacute un recours devant le Tribunal constitutionnel Par une deacutecision sommaire du 17 juin 2016 le Tribunal constitutionnel sieacutegeant en une formation de juge unique a deacuteclareacute irrecevable le recours constitutionnel introduit par le requeacuterant Ce dernier nrsquoa pas formeacute opposition contre cette deacutecision devant le comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel Par leurs requecirctes introduites devant la Cour EDH le 6 aoucirct 2014 le 2 novembre 2016 et les 7 et 12 deacutecembre 2016 les requeacuterants se plaignaient drsquoune atteinte agrave leur droit drsquoaccegraves agrave un tribunal garanti par lrsquoarticle 6 sect 1 et srsquoagissant des requeacuterants des requecirctes no 5599714 et 6814316 de leur droit agrave un procegraves eacutequitable

1) Sur la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention en raison du manque drsquoaccegraves agrave un tribunal (grief commun agrave toutes les requecirctes)

o Requecircte no 370617 (Da Silva)

Le Gouvernement excipe du non-eacutepuisement des voies de recours internes en ce qui concerne la requecircte no 370617 Il argue que le requeacuterant a omis de former une opposition devant le comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel contre la deacutecision sommaire drsquoirrecevabiliteacute de son recours constitutionnel Le requeacuterant conteste cette exception souleveacutee par le Gouvernement alleacuteguant que la reacuteclamation devant le comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel ne peut ecirctre consideacutereacutee comme une voie de recours effective eacutetant donneacute qursquoil srsquoagit drsquoun recours hieacuterarchique La Cour EDH considegravere que lrsquoopposition devant le comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel contre la deacutecision sommaire litigieuse constituait un recours effectif au sens de lrsquoarticle 35 sect 1 de la Convention pour remeacutedier au grief tireacute du deacutefaut drsquoaccegraves agrave un tribunal souleveacute devant elle Elle note que lrsquoopposition est un moyen de contester les deacutecisions prises par le rapporteur drsquoune formation judiciaire colleacutegiale afin drsquoobtenir une reconsideacuteration de la question et qursquoun tel meacutecanisme aurait permis au requeacuterant de reacuteagir contre la deacutecision litigieuse

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La Cour EDH deacuteclare ainsi la requecircte no 370617 irrecevable pour non-eacutepuisement des voies de recours internes en application de lrsquoarticle 35 sectsect 1 et 4 de la Convention

o Requecircte no 5599714 (Dos Santos Calado c Portugal) La requeacuterante se plaint de lrsquoirrecevabiliteacute de la partie de son recours formeacute devant le Tribunal constitutionnel qui se fondait sur lrsquoilleacutegaliteacute de la norme litigeuse La Cour EDH note que par une deacutecision sommaire du 10 deacutecembre 2013 confirmeacutee par un arrecirct du comiteacute de trois juges du 6 deacutecembre 2014 cette partie de son recours a eacuteteacute deacuteclareacutee irrecevable au motif que dans son meacutemoire de recours la requeacuterante srsquoeacutetait uniquement fondeacutee sur lrsquoalineacutea b) de lrsquoarticle 70 sect 1 de la loi organique sur le tribunal constitutionnel (laquo LOTC raquo) qui preacutevoit le motif de recours tireacute de lrsquoinconstitutionnaliteacute normative alors qursquoelle aurait ducirc se fonder sur lrsquoalineacutea f) de cette disposition La Cour EDH relegraveve que cette restriction appliqueacutee agrave lrsquoaccegraves au Tribunal constitutionnel est leacutegale car elle est preacutevue par la LOTC Elle relegraveve eacutegalement que la restriction poursuivait un but leacutegitime agrave savoir le respect de la preacuteeacuteminence du droit et la bonne administration de la justice constitutionnelle Neacuteanmoins la Cour EDH considegravere que cette restriction nrsquoest pas proportionneacutee au but leacutegitime poursuivi eu eacutegard aux circonstances de lrsquoespegravece Elle note que lrsquoirrecevabiliteacute de la deuxiegraveme partie du recours srsquoest fondeacutee uniquement sur une omission reacutedactionnelle concernant un moyen de recours qui ressortait pourtant de faccedilon claire et eacutevidente du meacutemoire en recours de la requeacuterante La Cour EDH estime qursquoune telle approche est excessivement formaliste en ce qursquoelle a conduit agrave priver la requeacuterante drsquoune voie de recours offerte par le droit interne A titre subsidiaire la Cour EDH note que le Tribunal constitutionnel aurait pu inviter la requeacuterante agrave corriger lrsquoomission comme le preacutevoit la LOTC puisque le moyen ressortait clairement de son meacutemoire Par conseacutequent il y a eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention en raison du deacutefaut drsquoaccegraves de la requeacuterante agrave un tribunal

o Requecircte no 6814316 (Amador de Faria e Silva et autres c Portugal) La Cour EDH note tout drsquoabord que le recours des requeacuterants devant le Tribunal constitutionnel a eacuteteacute deacuteclareacute irrecevable par une deacutecision sommaire de celui-ci le 15 mars 2016 confirmeacutee par un arrecirct du comiteacute de trois juges du 4 mai 2016 au motif que les requeacuterants nrsquoavaient pas souleveacute lrsquoinconstitutionnaliteacute alleacutegueacutee devant le tribunal central administratif du Nord faisant ainsi deacutefaut agrave lrsquoobligation qui leur revenait en vertu des articles 70 et 72 sect 2 de la LOTC Si la Cour EDH admet que cette obligation srsquoexplique par le fait que le Tribunal constitutionnel nrsquointervient qursquoen dernier ressort elle constate toutefois que les requeacuterants ont bien souleveacute une inconstitutionnaliteacute en raison de la diffeacuterence de traitement qui existait entre les agents des reacutegions autonomes de Madegravere et des Accedilores et du continent dans le cadre de leur meacutemoire en reacuteponse aux ministegraveres Neacuteanmoins le tribunal central administratif du Nord nrsquoa pas retenu cette question et a opeacutereacute une distinction entre deux cateacutegories drsquoagents drsquoune part les inspecteurs de carriegraveres et drsquoautre part les agents exerccedilant des fonctions drsquoinspecteur sans inteacutegrer pour autant la carriegravere drsquoinspecteur au sein de lrsquoadministration La Cour EDH est en deacutesaccord avec le raisonnement du Tribunal constitutionnel selon lequel les requeacuterants auraient eacuteteacute en mesure de soulever la question drsquoinconstitutionnaliteacute normative dont ils se plaignaient devant le tribunal central administratif du Nord puisqursquoelle eacutetait deacutejagrave ressortie drsquoun arrecirct rendu par la Cour suprecircme dans une autre affaire Elle relegraveve qursquoil srsquoagissait drsquoune affaire devant la Cour suprecircme qui ne concernait pas les requeacuterants De plus la Cour EDH relegraveve que lrsquoarrecirct en cause avait eacuteteacute rendu quelques mois avant le jugement du tribunal administratif et fiscal de Coimbra qui leur avait eacuteteacute favorable et nrsquoavait en outre fait aucune distinction entre les cateacutegories drsquoagents La Cour EDH conclut que le Tribunal constitutionnel a fait preuve drsquoun formalisme excessif ce qui lrsquoa priveacute de la possibiliteacute drsquoexaminer au fond la question de lrsquoinconstitutionnaliteacute Il y a donc eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention

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o Requecircte no 7884116 (Antunes Cardoso)

La Cour EDH constate que par une deacutecision sommaire du Tribunal constitutionnel du 4 mai 2016 confirmeacutee par un arrecirct du comiteacute de trois juges du 8 juin 2016 le recours constitutionnel du requeacuterant a eacuteteacute deacuteclareacute irrecevable au motif que le requeacuterant nrsquoavait pas souleveacute une inconstitutionnaliteacute normative ou une inconstitutionnaliteacute concernant lrsquointerpreacutetation drsquoune norme La Cour EDH relegraveve que le requeacuterant soulevait une atteinte au principe non bis in idem dans le cadre de son recours devant le Tribunal constitutionnel Elle estime que lrsquointerpreacutetation normative qursquoil deacutenonccedilait se rapportait agrave la maniegravere dont les tribunaux de premiegravere et deuxiegraveme instance avaient appliqueacute les dispositions du code peacutenal sanctionnant les infractions drsquoassociation de malfaiteurs et de fraude qualifieacutee Le recours du requeacuterant portait donc bien essentiellement sur lrsquoexamen des faits qui lui eacutetaient reprocheacutes et aucun critegravere normatif au sens de la jurisprudence du Tribunal constitutionnel nrsquoeacutetait donc mis en cause en lrsquoespegravece La Cour EDH juge ainsi qursquoil nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention

2) Sur la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention en raison du deacutefaut drsquoimpartialiteacute du comiteacute de trois juges du tribunal constitutionnel (grief speacutecifique aux requecirctes no 5599714 et 6814316)

Les requeacuterants des requecirctes no 5599714 et 6814316 se plaignaient du deacutefaut drsquoimpartialiteacute du comiteacute de trois juge du Tribunal constitutionnel en raison de la preacutesence drsquoun juge dans cette instance qui avait deacutejagrave rendu la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute attaqueacutee et eacutetait en outre le juge rapporteur La Cour EDH note que les requeacuterants ne mettent en doute que lrsquoimpartialiteacute objective du comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel Elle estime que les principes tireacutes de sa jurisprudence concernant lrsquoimpartialiteacute objective ne sauraient ecirctre appliqueacutes agrave la preacutesente affaire eacutetant donneacute la nature de lrsquointervention du comiteacute de trois juges dans le cadre drsquoune opposition En effet le comiteacute de trois juges est lrsquoinstance statuant deacutefinitivement sur la question de la recevabiliteacute drsquoun recours constitutionnel La deacutecision sommaire adopteacutee par le juge rapporteur nrsquoest donc qursquoune eacutetape preacutealable qui ne deviendrait deacutefinitive que si lrsquointeacuteresseacute ne forme pas drsquoopposition contre elle La proceacutedure devant le juge rapporteur fait ainsi entiegraverement partie de la proceacutedure drsquoadmissibiliteacute des recours constitutionnels le comiteacute de trois juges nrsquoest donc pas une entiteacute agrave part entiegravere et autonome appeleacutee agrave se prononcer sur la question litigieuse Par conseacutequence la Cour EDH juge que les griefs tireacutes du deacutefaut drsquoimpartialiteacute du comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel sont manifestement mal fondeacutes et qursquoils doivent ecirctre rejeteacutes en application de lrsquoarticle 35 sectsect 3 a) et 4 de la Convention PAR CES MOTIFS LA COUR

1 Deacutecide agrave lrsquounanimiteacute de joindre les requecirctes 2 Deacuteclare agrave lrsquounanimiteacute les requecirctes no 5599714 6814316 et 7884116 recevables et la requecircte

no 370617 irrecevable srsquoagissant du grief tireacute du droit drsquoaccegraves agrave un tribunal 3 Deacuteclare agrave la majoriteacute les requecirctes no 5599714 et 6814314 irrecevables srsquoagissant du grief tireacute

du manque drsquoimpartialiteacute du comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel 4 Dit agrave lrsquounanimiteacute qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention en raison de lrsquoatteinte

au droit drsquoaccegraves des requeacuterants des requecirctes ndeg 5599714 et 6814316 5 Dit agrave lrsquounanimiteacute qursquoil nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention en raison de

lrsquoatteinte au droit drsquoaccegraves du requeacuterant de la requecircte ndeg 7884116 6 Dit agrave lrsquounanimiteacute

a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser agrave chacun des requeacuterants srsquoagissant des requecirctes ndeg 5599714 et 6814316 dans un deacutelai de trois mois agrave compter de la date agrave laquelle lrsquoarrecirct sera devenu deacutefinitif conformeacutement agrave lrsquoarticle 44 sect 2 de la Convention 3 300 EUR (trois mille trois cents euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc sur cette somme agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage

7 Rejette agrave lrsquounanimiteacute le surplus de la demande de satisfaction eacutequitable

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Aides drsquoEacutetat

Cour de justice (deuxiegraveme chambre) Nelson Antunes da Cunha Lda Instituto de Financiamento da Agricultura e Pescas IP (IFAP) 30 avril 2020 C-62718

Reacutesumeacute La Cour de justice agrave la suite de questions preacutejudicielles poseacutees par une juridiction portugaise interpregravete lrsquoarticle 17

paragraphe 1 du regraveglement 20151589 en ce sens que le deacutelai de prescription de dix ans ne pourra pas ecirctre appliqueacute agrave la proceacutedure

de reacutecupeacuteration drsquoune aide illeacutegale par les autoriteacutes nationales compeacutetentes Ce deacutelai de prescription de dix ans ne srsquoapplique qursquoaux

rapports entre la Commission europeacuteenne et lrsquoEtat membre destinataire de la deacutecision de reacutecupeacuteration Elle estime aussi qursquoun deacutelai

de prescription national ne srsquoappliquera pas srsquoil a expireacute avant lrsquoadoption de la deacutecision de la Commission europeacuteenne ou srsquoil srsquoest

eacutecouleacute en raison du retard mis par les autoriteacutes nationales pour exeacutecuter cette deacutecision

Les 8 avril et 7 juillet 1993 Nelson Antunes da Cunha la requeacuterante au principal a conclu avec la Caixa Agricola

Mutuo ndash Coimbra des contrats de creacutedit relatifs agrave une ligne de creacutedit pour la relance des activiteacutes agricoles et

drsquoeacutelevage Un deacutecret du 24 mai 1994 a creacuteeacute un reacutegime drsquooctroi de lignes de creacutedit destineacute agrave favoriser le

deacutesendettement des entreprises du secteur de lrsquoeacutelevage intensif et la relance de lrsquoactiviteacute porcine Ce reacutegime nrsquoa

pas eacuteteacute notifieacute agrave la Commission europeacuteenne contrairement aux exigences de lrsquoarticle 88 paragraphe 3 CE Dans

le cadre de ces contrats de creacutedit le preacutedeacutecesseur de lrsquoIFAP a conformeacutement au deacutecret preacuteciteacute effectueacute des

paiements en faveur de la requeacuterante au titre de bonification du taux drsquointeacuterecirct drsquoun montant global de 7 52690

euros Le 25 novembre 1999 la Commission europeacuteenne a adopteacute la deacutecision 20002000CE relative au reacutegime

drsquoaides mis en œuvre par le Portugal pour le deacutesendettement des entreprises du secteur de lrsquoeacutelevage intensif et la

relance de lrsquoactiviteacute porcine Il ressort de cette deacutecision que le reacutegime drsquooctroi de lignes de creacutedit mis en place par

le deacutecret est un reacutegime drsquoaides incompatible avec le marcheacute commun Le Portugal doit donc supprimer ce reacutegime

drsquoaide et proceacuteder au recouvrement

Le 23 juillet 2002 le preacutedeacutecesseur de lrsquoIFAP demande agrave la requeacuterante le remboursement de lrsquoaide en cause par

une lettre resteacutee sans suite Le 12 aoucirct 2009 lrsquoIFAP a envoyeacute une nouvelle lettre lui demandant de proceacuteder au

remboursement de lrsquoaide dans un deacutelai de dix jours Le 7 juillet 2013 une proceacutedure drsquoexeacutecution fiscale a eacuteteacute

engageacutee par le centre des impocircts de Cantanhede agrave lrsquoencontre de la requeacuterante en vue du recouvrement des

creacuteances de lrsquoIFAP

La requeacuterante a fait opposition agrave cette proceacutedure devant le tribunal administratif et fiscal de Coimbra Elle allegravegue

que lrsquoobligation de rembourser des montants perccedilus srsquoeacuteteint apregraves lrsquoeacutecoulement drsquoun deacutelai de cinq ans agrave compter

de leur perception et que dans la mesure ougrave plus de cinq ans se sont eacutecouleacutes les inteacuterecircts de retard seraient

eacutegalement prescrits Le tribunal relegraveve que les creacuteances de lrsquoIFAP sont soumises au deacutelai ordinaire de prescription

de vingt ans Quant aux inteacuterecircts les juridictions nationales supeacuterieures considegraverent que les inteacuterecircts sont prescrits

apregraves lrsquoeacutecoulement drsquoun deacutelai de cinq ans qui commence agrave courir agrave compter de lrsquoexigibiliteacute de lrsquoobligation Or il

ressort de la jurisprudence constante de la Cour de justice en matiegravere drsquoaides drsquoEtat que lrsquoapplication des

proceacutedures nationales ne doit pas faire obstacle au reacutetablissement drsquoune concurrence effective en empecircchant

lrsquoexeacutecution immeacutediate et effective de la deacutecision de reacutecupeacuteration de la Commission europeacuteenne

Crsquoest dans ce contexte que le tribunal administratif et fiscal de Coimbra a deacutecideacute de surseoir agrave statuer

et de poser agrave la Cour de justice les questions preacutejudicielles suivantes

laquo 1) Le deacutelai de prescription pour lrsquoexercice des pouvoirs [de la Commission] pour la reacutecupeacuteration de lrsquoaide preacutevu agrave lrsquoarticle 17 paragraphe 1 du regraveglement 20151589 srsquoapplique-t-il uniquement aux rapports entre lrsquoUnion et lrsquoEacutetat membre destinataire de la deacutecision de reacutecupeacuteration des aides ou

srsquoapplique-t-il eacutegalement aux rapports entre cet Eacutetat et la partie opposante en tant que beacuteneacuteficiaire de lrsquoaide consideacutereacutee comme eacutetant incompatible avec le marcheacute [inteacuterieur]

Renvoi preacutejudiciel ndash Aides drsquoEacutetat ndash Article 108 TFUE ndash Reacutegime drsquoaides incompatible avec le marcheacute inteacuterieur ndash Deacutecision de la Commission europeacuteenne ordonnant la reacutecupeacuteration des aides illeacutegales ndash Regraveglement (UE) 20151589 ndash Article 17 paragraphe 1 ndash Deacutelai de prescription de dix ans ndash Application aux pouvoirs de reacutecupeacuteration de la Commission ndash Article 16 paragraphes 2 et 3 ndash Reacuteglementation nationale preacutevoyant un deacutelai de prescription infeacuterieur ndash Principe drsquoeffectiviteacute

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2) Dans lrsquohypothegravese ougrave il serait deacutecideacute que le deacutelai en question est applicable aux rapports entre

lrsquoEacutetat membre destinataire de la deacutecision de reacutecupeacuteration des aides et le beacuteneacuteficiaire de lrsquoaide consideacutereacutee comme eacutetant incompatible avec le marcheacute [inteacuterieur] convient-il de consideacuterer que ce deacutelai est uniquement applicable agrave la phase de proceacutedure ou qursquoil est eacutegalement applicable agrave lrsquoexeacutecution de la deacutecision de reacutecupeacuteration

3) Dans lrsquohypothegravese ougrave il serait deacutecideacute que le deacutelai en question est applicable aux rapports entre lrsquoEacutetat membre destinataire de la deacutecision de reacutecupeacuteration des aides et le beacuteneacuteficiaire de lrsquoaide

consideacutereacutee comme eacutetant incompatible avec le marcheacute [inteacuterieur] convient-il de consideacuterer que ce deacutelai est interrompu par tout acte relatif agrave lrsquoaide illeacutegale et eacutemanant de la Commission ou de lrsquoEacutetat membre concerneacute mecircme srsquoil nrsquoa pas eacuteteacute notifieacute au beacuteneacuteficiaire de lrsquoaide devant ecirctre reacutecupeacutereacutee

4) Lrsquoarticle 16 paragraphe 2 du regraveglement 20151589 [] ainsi que les principes [geacuteneacuteraux de droit] de lrsquoUnion notamment le principe drsquoeffectiviteacute et le principe drsquoincompatibiliteacute des aides drsquoEacutetat avec le

marcheacute [inteacuterieur] srsquoopposent-ils agrave lrsquoapplication drsquoun deacutelai de prescription drsquoune dureacutee infeacuterieure agrave celle preacutevue agrave lrsquoarticle 17 [de ce] regraveglement comme le deacutelai preacutevu agrave lrsquoarticle 310 [hellip] sous d) du code civil aux inteacuterecircts qui srsquoajoutent agrave lrsquoaide devant ecirctre reacutecupeacutereacutee raquo

o Sur la premiegravere question

La Cour de justice estime aux points 30 et 31 que lrsquoarticle 17 paragraphe 1 du regraveglement 20151589 qui preacutevoit

un deacutelai de prescription de dix ans vise uniquement les pouvoirs de la Commission europeacuteenne en matiegravere de

reacutecupeacuteration de lrsquoaide Ce deacutelai ne pourrait donc pas ecirctre appliqueacute agrave la proceacutedure de reacutecupeacuteration drsquoune aide

illeacutegale par les autoriteacutes nationales compeacutetentes

Par suite la Cour de justice reacutepond agrave la premiegravere question que lrsquoarticle 17 paragraphe 1 du regraveglement 20151589

doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que le deacutelai de prescription de dix ans ne srsquoapplique qursquoaux rapports entre la

Commission europeacuteenne et lrsquoEtat membre destinataire de la deacutecision de reacutecupeacuteration eacutemanant de cette

institution

o Sur les deuxiegraveme et troisiegraveme questions

Eu eacutegard agrave la reacuteponse apporteacutee agrave la premiegravere question il nrsquoy a pas lieu de reacutepondre aux deuxiegraveme et troisiegraveme

questions

o Sur la quatriegraveme question

Observations liminaires

LrsquoIFAP et le gouvernement portugais contestent lrsquointerpreacutetation de la juridiction de renvoi selon laquelle le deacutelai

de prescription de cinq ans est susceptible de srsquoappliquer au recouvrement des inteacuterecircts affeacuterents agrave lrsquoaide devant

ecirctre reacutecupeacutereacutee et de faire obstacle agrave la reacutecupeacuteration de ces inteacuterecircts La Cour de justice rappelle au point 38 que

lorsqursquoelle est saisie agrave titre preacutejudiciel par une juridiction nationale elle srsquoen tient agrave lrsquointerpreacutetation du droit

national qui lui a eacuteteacute exposeacutee par cette juridiction

Sur la question

La Cour de justice rappelle que le Portugal devait reacutecupeacuterer lrsquoaide viseacutee par la deacutecision de la Commission

europeacuteenne inteacuterecircts compris La reacutecupeacuteration srsquoeffectue conformeacutement aux proceacutedures preacutevues par le droit

national pour autant que ces derniegraveres permettent lrsquoexeacutecution immeacutediate et effective de la deacutecision de la

Commission europeacuteenne Ainsi les regravegles de prescription doivent ecirctre appliqueacutees de maniegravere agrave ne pas rendre

pratiquement impossible la reacutecupeacuteration exigeacutee par le droit de lrsquoUnion et en prenant pleinement en consideacuteration

lrsquointeacuterecirct de lrsquoUnion La Cour de justice rappelle au point 44 sa jurisprudence constante selon laquelle les deacutelais de

prescription remplissent la fonction drsquoassurer la seacutecuriteacute juridique Pour autant comme elle le souligne au point

45 il importe de mettre en balance le respect de cet impeacuteratif de seacutecuriteacute juridique avec lrsquointeacuterecirct public visant agrave

eacuteviter que le fonctionnement du marcheacute ne soit fausseacute par des aides drsquoEtat nuisibles pour la concurrence

En lrsquoespegravece le deacutelai de prescription de cinq ans applicable aux inteacuterecircts affeacuterents agrave lrsquoaide en cause nrsquoa eacuteteacute

interrompu que le 26 juillet 2013 et que tous les inteacuterecircts dus pour la peacuteriode anteacuterieure au 26 juin 2008 sont

prescrits Il en ressort donc que lrsquoapplication de ce deacutelai de prescription ferait obstacle agrave une reacutecupeacuteration drsquoune

partie des inteacuterecircts affeacuterents agrave lrsquoaide en cause et partant agrave une reacutecupeacuteration inteacutegrale de lrsquoaide Comme le relegraveve

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la Cour de justice au point 48 la juridiction de renvoi a releveacute que degraves lors que sont consideacutereacutes comme prescrits

les inteacuterecircts dus pour la peacuteriode anteacuterieure aux cinq ans qui preacutecegravedent lrsquoacte interruptif de prescription la creacuteance

relative aux inteacuterecircts affeacuterents agrave une aide pourrait ecirctre prescrite avant mecircme que le droit de la Commission

europeacuteenne drsquoexiger la reacutecupeacuteration de cette aide ne soit prescrit

En ce qui concerne la prescription drsquoune partie des inteacuterecircts affeacuterents agrave lrsquoaide en cause anteacuterieurement agrave

lrsquoadoption de la deacutecision de la Commission europeacuteenne il convient de relever que lrsquointervention drsquoune telle

prescription rendrait impossible la reacutecupeacuteration inteacutegrale exigeacutee par le droit de lrsquoUnion La Cour de justice estime

au point 50 que la Commission europeacuteenne peut toujours dans le deacutelai de dix ans preacutevu demander la

reacutecupeacuteration drsquoune aide illeacutegale et ce malgreacute lrsquoexpiration eacuteventuelle du deacutelai de prescription applicable dans la

proceacutedure nationale La requeacuterante ne saurait en lrsquoespegravece valablement se preacutevaloir drsquoune confiance leacutegitime dans

la reacutegulariteacute de lrsquoaide en cause La Cour de justice en conclu au point 52 qursquoun deacutelai de prescription national qui

a expireacute avant mecircme lrsquoadoption de la deacutecision de reacutecupeacuteration de la Commission europeacuteenne doit donc ecirctre

laisseacute inappliqueacute par la juridiction de renvoi

En ce qui concerne la prescription drsquoune partie des inteacuterecircts affeacuterents agrave lrsquoaide en cause posteacuterieurement agrave

lrsquoadoption de la deacutecision de la Commission europeacuteenne il convient de relever que lrsquoexeacutecution drsquoune deacutecision de

reacutecupeacuteration de la Commission europeacuteenne doit ecirctre immeacutediate En lrsquoespegravece il ressort du point 54 que la

prescription drsquoune partie des inteacuterecircts affeacuterents agrave lrsquoaide en cause reacutesulte donc principalement du fait que le

preacutedeacutecesseur de lrsquoIFAP et lrsquoIFAP ont tardeacute agrave exeacutecuter la deacutecision de la Commission europeacuteenne Or la Cour de

justice souligne au point 56 qursquoadmettre la prescription des inteacuterecircts affeacuterents agrave une aide illeacutegale au motif que les

autoriteacutes nationales se sont conformeacutees avec retard agrave la deacutecision de reacutecupeacuteration de la Commission europeacuteenne

rendrait la reacutecupeacuteration inteacutegrale pratiquement impossible et la reacuteglementation de lrsquoUnion relative aux aides drsquoEtat

priveacutee de tout effet utile

Dans de telles circonstances le principe de seacutecuriteacute juridique que les deacutelais de prescription visent agrave garantir ne

saurait faire obstacle agrave la reacutecupeacuteration drsquoune aide deacuteclareacutee incompatible avec le marcheacute inteacuterieur

Par suite il convient de reacutepondre agrave la quatriegraveme question que lrsquoarticle 16 paragraphe 2 du regraveglement 20151589

et le principe drsquoeffectiviteacute doivent ecirctre interpreacuteteacutes en ce sens qursquoils srsquoopposent agrave lrsquoapplication drsquoun deacutelai de

prescription national au recouvrement drsquoune aide lorsque ce deacutelai a expireacute avant mecircme lrsquoadoption de la deacutecision

de la Commission europeacuteenne ou lorsque ce deacutelai de prescription srsquoest eacutecouleacute principalement en raison du retard

mis par les autoriteacutes nationales pour exeacutecuter cette deacutecision

Par ces motifs la Cour de justice (deuxiegraveme chambre) dit pour droit

1) Lrsquoarticle 17 paragraphe 1 du regraveglement (UE) 20151589 du Conseil du 13 juillet 2015 portant

modaliteacutes drsquoapplication de lrsquoarticle 108 du traiteacute sur le fonctionnement de lrsquoUnion europeacuteenne doit ecirctre

interpreacuteteacute en ce sens que le deacutelai de prescription de dix ans que preacutevoit cette disposition pour lrsquoexercice

des pouvoirs de la Commission europeacuteenne en matiegravere de reacutecupeacuteration des aides srsquoapplique

uniquement aux rapports entre la Commission et lrsquoEacutetat membre destinataire de la deacutecision de

reacutecupeacuteration eacutemanant de cette institution

2) Lrsquoarticle 16 paragraphe 2 du regraveglement 20151589 selon lequel lrsquoaide agrave reacutecupeacuterer comprend des

inteacuterecircts et le principe drsquoeffectiviteacute viseacute au paragraphe 3 de ce mecircme article doivent ecirctre interpreacuteteacutes en

ce sens qursquoils srsquoopposent agrave lrsquoapplication drsquoun deacutelai de prescription national au recouvrement drsquoune aide

lorsque ce deacutelai a expireacute avant mecircme lrsquoadoption de la deacutecision de la Commission deacuteclarant cette aide

illeacutegale et en ordonnant la reacutecupeacuteration ou lorsque ce deacutelai de prescription srsquoest eacutecouleacute principalement

en raison du retard mis par les autoriteacutes nationales pour exeacutecuter cette deacutecision

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Droit agrave un procegraves eacutequitable

Cour EDH (cinquiegraveme section) Keaney Irlande 30 avril 2020 ndeg7206017

Arrecirct rendu en anglais Mention drsquoune opinion concordante Reacutesumeacute La Cour EDH juge que lrsquoordre juridique irlandais ne comporte pas de recours effectif pour les griefs relatifs agrave la dureacutee excessive drsquoune proceacutedure La Cour EDH a consideacutereacute qursquoil y avait non seulement une violation du droit agrave un procegraves eacutequitable dans un deacutelai raisonnable (article 6 sect 1 de la Convention) du fait de la longueur excessive du recours devant la juridiction suprecircme irlandaise mais aussi une violation au droit agrave un recours effectif (article 13 de la Convention) en ce qursquoelle a du mal agrave admettre que lrsquoaction en reacuteparation pour atteinte au droit constitutionnel agrave ecirctre jugeacute avec diligence soit effectif en theacuteorie et en pratique Le requeacuterant Vincent Keaney est un ressortissant irlandais neacute en 1955 et reacutesidant agrave Cobh (Irlande) En 1996 apregraves avoir gagneacute agrave la loterie nationale le requeacuterant a acheteacute un bacirctiment afin drsquoy faire un bar agrave thegraveme sous le nom de laquo The Titanic Bar and Restaurant raquo Suite agrave des difficulteacutes financiegraveres le requeacuterant srsquoest adresseacute agrave un consultant en finance et gestion afin de trouver des investisseurs potentiels et drsquoobtenir des conseils professionnels Neacuteanmoins le projet commercial eacutechoua En feacutevrier 2006 le requeacuterant entama une proceacutedure civile devant la Haute Cour contre 18 deacutefendeurs pour tromperie fraude fausse deacuteclarations et influence indue deacutecoulant des transactions commerciales reacutealiseacutees entre 2000 et 2003 Devant la Haute Cour le requeacuterant a ducirc modifier sa demande initiale agrave de nombreuses reprises afin qursquoen juillet 2008 lrsquoaffaire puisse ecirctre plaideacutee conformeacutement aux exigences nationales Par jugement du 19 deacutecembre 2008 la Haute Cour eacutecarta toutes les demandes du requeacuterant et le deacutebouta estimant que nombre de ses alleacutegations eacutetaient mal fondeacutees ou abusives Entre 2007 et 2009 le requeacuterant interjeta appel devant la Cour Suprecircme contre les arrecircts de la Haute Cour Entre juillet 2015 et avril 2017 la Cour Suprecircme rendit ses arrecircts en estimant qursquoil nrsquoy avait pas lieu drsquoinfirmer les arrecircts de la Haute Cour Elle preacutecisa que les alleacutegation non eacutetayeacutees du requeacuterant dans ses observations eacutecrites nrsquoeacutetaient laquo rien de moins qursquoun abus de proceacutedure raquo En conseacutequence le requeacuterant saisi la Cour EDH le 2 octobre 2017

- Sur la violation de lrsquoarticle 6 sect1 de la Convention Selon la Cour EDH le caractegravere raisonnable de la dureacutee drsquoune proceacutedure doit ecirctre appreacutecieacute au regard des circonstances de lrsquoespegravece et en fonction des critegraveres suivants (Lupeni c Roumanie [GC] ndeg7694311 sect 143 29 novembre 2016)

- La complexiteacute de lrsquoaffaire - Le comportement du requeacuterant et des autoriteacutes compeacutetentes - Lrsquoenjeu du litige

Lrsquoarticle 6 sect1 de la Convention exige que les affaires soient entendues dans un deacutelai raisonnable afin drsquoadministrer la justice sans retard susceptible de compromettre son efficaciteacute et sa creacutedibiliteacute

Art 6 sect 1 bull Deacutelai raisonnable bull Dureacutee excessive de la proceacutedure civile bull Art 13 et 6 sect 1 bull Recours effectif dans le respect drsquoun deacutelai raisonnable des proceacutedures bull Lrsquoefficaciteacute de lrsquoaction en reacuteparation pour violation du droit constitutionnel drsquoecirctre jugeacute dans un deacutelai raisonnable doit encore ecirctre preacuteciseacutee dans la pratique

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Ainsi il appartient aux Eacutetats contractants drsquoorganiser leur systegraveme judiciaire de telle sorte que leurs tribunaux soient en mesure de garantir agrave chaque justiciable le droit drsquoobtenir une deacutecision deacutefinitive dans un deacutelai raisonnable dans des litiges relatifs aux droits et obligations de caractegravere civil (Frydlender c France [GC] ndeg3097996 sect43 27 juin 2000 Superwood Holdings Plc et autres c Irlande ndeg781204 sect 38 8 septembre 2011 Healy c Irlande ndeg2729116 sect 49 18 janvier 2018) Si la Cour EDH preacutecise qursquoun retard temporaire dans les affaires judiciaires nrsquoentraicircne pas la responsabiliteacute internationale drsquoun Eacutetat contractant srsquoil prend les mesures correctives approprieacutees agrave la ceacuteleacuteriteacute requise une surcharge drsquoaffaires dans le systegraveme interne ne peut justifier une dureacutee excessive des proceacutedures pas plus que le fait que les situations drsquoarrieacutereacute se soient banaliseacutees (sect88) De plus la Cour EDH prend soin de rappeler que dans les proceacutedures civiles la principale obligation de faire avancer la proceacutedure incombe aux parties qui ont le devoir drsquoaccomplir avec diligence les actes de proceacutedure pertinents (Unioacuten Alimentaria Sanders SA c Espagne ndeg1168185 sect 35 7 juillet 1989 Healy c Irlande ndeg2729116 sect 55) Toutefois un principe de droit ou une pratique interne selon lequel les parties agrave une proceacutedure civile sont tenues de prendre lrsquoinitiative srsquoagissant du deacuteroulement de la proceacutedure ne dispense pas lrsquoEacutetat de se conformer agrave lrsquoobligation de traiter les affaires dans un deacutelai raisonnable (sect 90) En lrsquoespegravece la Cour EDH note que la peacuteriode agrave prendre en compte a commenceacute le 8 feacutevrier 2006 lorsque le requeacuterant a entameacute une proceacutedure devant la Haute Cour et srsquoest termineacute le 5 avril 2017 lorsque la Cour Suprecircme a rendu son jugement dans le cadre du recours du requeacuterant contre les arrecircts de la Haute Cour La proceacutedure a donc dureacute plus de onze ans pour ecirctre entendue devant les deux niveau de juridiction La Cour EDH reconnaicirct que le litige du requeacuterant a pris une ampleur dans commune mesure avec la nature du droit sous-jacent Neacuteanmoins elle considegravere que le comportement de ce dernier a eu un impact significatif sur lrsquoeacutevolution de lrsquoaffaire et qursquoil ne peut se preacutevaloir des peacuteriodes pendant lesquelles ses actions ont causeacute le retard (mutatis mutandis Vayiccedil c Turquie ndeg1807802 sect 44 20 juin 2006 et Uysal et Osal c Turquie ndeg120603 sect 30 13 deacutecembre 2007) La Cour EDH conclut donc que malgreacute le comportement du requeacuterant qui a contribueacute au retard devant la Haute Cour et la Cour Suprecircme la dureacutee globale de la proceacutedure eacutetait excessive et ne respectait pas le critegravere du deacutelai raisonnable En conseacutequence la Cour EDH dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention

- Sur la violation de lrsquoarticle 13 de la Convention combineacute agrave lrsquoarticle 6 sect1 de la Convention Lrsquoarticle 13 de la Convention garantir lrsquoexistence au niveau national drsquoun recours permettant drsquoune violation des droits et liberteacutes eacutenonceacutes dans la Convention Srsquoil existe agrave la faveur des Eacutetats contractants une certaine liberteacute quant agrave la maniegravere dont ils se conforment agrave leurs obligations conventionnelles il doit exister un recours interne permettant aux juridictions nationales compeacutetentes de traiter agrave la fois le fond de la demande lieacute agrave la violation drsquoune disposition de la Convention et drsquoaccorder une reacuteparation adeacutequate La Cour EDH rappelle que mecircme si la porteacutee de lrsquoobligation preacutevue agrave article 13 de la Convention varie selon la nature du grief du requeacuterant le recours doit ecirctre effectif en pratique comme en droit en ce que son exercice ne doit pas ecirctre entraveacute de maniegravere injustifieacutee par les actes ou omissions des autoriteacutes de lrsquoEacutetat (De Tommaso c Italie [GC] ndeg4339509 sect 179 23 feacutevrier 2017) Srsquoagissant de lrsquoeffectiviteacute des recours dans un deacutelai raisonnable lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention impose aux Eacutetats contractants le devoir drsquoorganiser leur systegraveme judiciaire de telle sorte que leurs tribunaux puissent statuer dans un deacutelai raisonnable La Cour EDH considegravere que lorsque le systegraveme judiciaire est deacuteficient agrave cet eacutegard un recours visant agrave acceacuteleacuterer la proceacutedure afin drsquoeacuteviter qursquoelle ne devienne excessivement longue est la solution la plus adapteacutee il sera jugeacute effectif dans la mesure ougrave il acceacutelegravere la deacutecision du tribunal concerneacute Toutefois ce genre de recours peut ne pas ecirctre suffisant au regard de proceacutedures deacutejagrave excessivement longues Ainsi la Cour EDH a deacuteclareacute que les Eacutetats pouvaient choisir de combiner le recours visant agrave acceacuteleacuterer la proceacutedure avec un autre visant agrave une indemnisation bien qursquoils puissent eacutegalement choisir drsquointroduire

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qursquoun recours en reacuteparation qans que ce dernier soit consideacutereacute comme inefficace (Fil LLC c Armeacutenie ndeg1852613 sect 47 31 janvier 2019) De plus Cour EDH preacutecise que lrsquoeffectiviteacute drsquoun recours ne deacutepend pas de la certitude drsquoune issue favorable pour le requeacuterant Enfin la Cour EDH estime qursquoune attention particuliegravere doit ecirctre accordeacutee agrave la rapiditeacute de la reacuteparation en elle-mecircme sans qursquoil soit exclu que son caractegravere adeacutequat puisse ecirctre compromis par sa dureacutee excessive (Doran v Ireland ndeg5038999 sectsect 57-58) En lrsquoespegravece la Cour EDH rappelle qursquoelle a deacutejagrave eu lrsquooccasion de souligner les difficulteacutes reacutesultant de lrsquoabsence de recours interne effectif en Irlande (Healy c Irlande ndeg2729116 sect 69) De plus elle rappelle que dans lrsquoaffaire McFarlane c Irlande (ndeg3133306 10 septembre 2010) le Gouvernement irlandais nrsquoavait pas deacutemontreacute qursquoune action en reacuteparation pour violation du droit constitutionnel agrave ecirctre jugeacute dans un deacutelai raisonnable constituait un recours effectif en theacuteorie et en pratique agrave la faveur du requeacuterant Si le Gouvernement irlandais soutient que dans un arrecirct de Cour Suprecircme posteacuterieur agrave lrsquoarrecirct McFarlane (Nash v DPP) une importante clarification est faite quant aux conditions subordonnant lrsquooctroi de la reacuteparation preacutevue par la Constitution pour une dureacutee excessive drsquoune proceacutedure peacutenale la Cour EDH nrsquoest pas convaincue par cet argument En effet la Cour EDH estime tout drsquoabord que la Cour Suprecircme srsquoest abstenue de deacutefinir les conditions drsquoune telle action Ensuite la question de la ceacuteleacuteriteacute du recours en reacuteparation est lui-mecircme remis en cause puisque la Cour EDH observe que dans lrsquoaffaire Nash lrsquoaction en reacuteparation pour deacutelai excessif a dureacute plus de six ans et demi Enfin un autre type de recours lrsquoaction en reacuteparation fondeacutee lrsquoEuropean Convention on Human Rights Act de 2003 ne peut ecirctre exerceacute que lorsqursquoaucune autre action en reacuteparation nrsquoest possible En conseacutequence la Cour EDH conclut agrave la violation de lrsquoarticle 13 de la Convention combineacute agrave lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention Par ces motifs la Cour EDH agrave lrsquounanimiteacute

1 Deacuteclare la demande recevable

2 Dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 6 sect1 de la Convention

3 Dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 13 lu avec lrsquoarticle 6 sect1 de la Convention

4 Dit que la constatation de la violation constitue une satisfaction eacutequitable suffisante pour tout dommage subi par le requeacuterant

5 Dit a Que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans un deacutelai de trois mois agrave compter

de la date agrave laquelle le jugement devient deacutefinitif conformeacutement agrave lrsquoarticle 44 sect2 de la Convention 3 000 EUR (trois mille euros) plus toute taxe qui pourrait ecirctre mise agrave la charge du requeacuterant au titre des frais et deacutepens

b Qursquoagrave compter de lrsquoexpiration des trois mois et jusqursquoau regraveglement des inteacuterecircts simples seront dus sur le montants susmentionneacutes agrave un taux eacutegal au taux de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne pendant la peacuteriode de carence majoreacute de trois points de pourcentage

6 Rejette la demande de satisfaction eacutequitable du requeacuterant

Opinion concordante du Juge OrsquoLeary Le Juge OrsquoLeary souscrit pleinement agrave lrsquoarrecirct rendu par la cinquiegraveme chambre constatant la violation des articles 6 sect 1 et 13 de la Convention en raison de la dureacutee excessive de la proceacutedure civile du requeacuterant et de labsence de recours interne effectif en cas de retard deacuteraisonnable

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Lrsquoopinion concordante preacutecise que lrsquoarrecirct Keaney c Irlande fait partie drsquoune seacuterie longue drsquoaffaires relatives agrave lrsquoarticle 6 sect 1 et 13 de la Convention concernant lrsquoIrlande sur une peacuteriode de pregraves de vingt ans Agrave ce titre le fait que lrsquoarrecirct ait eacuteteacute rendu par une chambre de sept juges plutocirct que par un comiteacute des trois juges souligne lrsquoimportance des questions souleveacutees srsquoagissant des affaires relatives aux retards deacuteraisonnables dans les proceacutedures civiles et peacutenales Srsquoagissant de lrsquoeffectiviteacute drsquoune action en reacuteparation pour violation du droit constitutionnel agrave un procegraves dans un deacutelai raisonnable le juge OrsquoLeary rappelle que lrsquoarrecirct Keaney c Irlande fait suite agrave lrsquoaffaire Nash c DPP rendu par la Cour Suprecircme en 2018 Enfin le juge OrsquoLeary eacutevoque la neacutecessiteacute de remeacutedier au problegraveme systeacutematique de retard excessif dans les proceacutedures Si le Gouvernement irlandais ne cesse de rappeler que la responsabiliteacute premiegravere de lrsquoavancement de la proceacutedure civile incombe aux parties la Cour EDH considegravere qursquoil appartient agrave lrsquoEacutetat drsquoeacuteriger le cadre approprieacute pour soutenir une administration efficace de la justice Le juge OrsquoLeary reconnait que de nombreuses mesures ont eacuteteacute adopteacutees par et pour les tribunaux nationaux irlandais au cours de ces derniegraveres anneacutees mais considegravere que lrsquoarrecirct Keaney reflegravete le fait que lorsquun requeacuterant se plaint dun retard excessif dans le systegraveme juridictionnel geacuteneacuteral le renvoi de ce dernier vers le systegraveme remis en cause a peu pour un recours a peu de chances pour le moment de satisfaire aux exigences des articles 35 sect 1 et 13 de la Convention Dans son opinion concordante le juge OrsquoLeary conclut que lrsquoarticle 6 de la Convention veille agrave ce que les proceacutedures soient traiteacutees dans un deacutelai raisonnable Il considegravere que lrsquoarrecirct Keaney srsquoapparente agrave un jugement de principe identifiant un problegraveme systeacutematique de retard qui en ce qui concerne certains niveaux du systegraveme judiciaire national a pu ecirctre corrigeacute depuis Il sagit eacutegalement dun jugement qui exige de lEacutetat deacutefendeur quil agisse en ce qui concerne loffre dun recours interne effectif en cas de retard Plus largement cette affaire reflegravete la reacutealiteacute quotidienne agrave laquelle sont confronteacutes les tribunaux dans les juridictions ougrave le ratio jugespopulation est faible ougrave le volume des litiges est sensiblement supeacuterieur au nombre de juges mobiliseacutes pour les traiter ougrave les ressources correspondantes font deacutefaut et ougrave les regravegles de proceacutedure peuvent neacutecessiter une reacutevision pour proteacuteger les tribunaux et les autres parties contre ceux qui perdent du temps

Droit agrave la vie

Cour EDH (deuxiegraveme section) Jeanty Belgique 31 mars 2020 ndeg8228417

Mention drsquoune opinion en partie dissidente Reacutesumeacute Dans une affaire qui concerne une personne atteinte de troubles psychiques et ayant tenteacute de se suicider agrave plusieurs reprises lors de ses placements en deacutetention preacuteventive dans une prison belge la Cour EDH a estimeacute agrave la majoriteacute qursquoil nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 2 de la Convention car les mesures prises par les autoriteacutes ont effectivement permis drsquoempecirccher que le requeacuterant se suicide Toutefois la Cour EDH juge qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 3 de la Convention du fait que le requeacuterant a eacuteteacute soumis agrave une deacutetresse drsquoune intensiteacute ayant exceacutedeacute le niveau ineacutevitable de souffrance inheacuterent agrave la deacutetention notamment en raison du manque drsquoencadrement et de suivi meacutedical au cours de sa deacutetention combineacute avec lrsquoinfliction drsquoune sanction disciplinaire dans une cellule drsquoisolement Elle relegraveve eacutegalement que lrsquoenquecircte meneacutee agrave ce propos nrsquoa pas eacuteteacute effective Le requeacuterant Philippe Jeanty est un ressortissant belge La requecircte porte sur les deux peacuteriodes pendant lesquelles il eacutetait deacutetenu agrave la maison drsquoarrecirct drsquoArlon en Belgique entre le 26 juin 2011 et le 12 aoucirct 2011 puis entre le 21

Art 2 (mateacuteriel) bull Obligations positives bull Autoriteacutes peacutenitentiaires intervenues rapidement pour effectivement empecirccher plusieurs tentatives de suicide Art 3 (mateacuteriel et proceacutedural) bull Traitement inhumain et deacutegradant bull Manque de soins psychiatriques prodigueacute s agrave un deacutetenu preacutesentant des tendances suicidaires bull Placement agrave lrsquoisolement pendant trois jours sans prise en compte de lrsquoeacutetat psychique du requeacuterant bull Absence drsquoenquecircte effective

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octobre 2011 et le 2 deacutecembre 2011 Il eacutetait suspecteacute drsquoavoir commis un attentat agrave la pudeur avec violences ou menaces et coups et blessures avec incapaciteacute de travail sur son eacutepouse Les faits ayant eu lieu entre le 26 juin 2011 et 12 aoucirct 2011 La nuit du 25 juin 2011 le requeacuterant a eacuteteacute placeacute en garde-agrave-vue eacutetant suspecteacute drsquoagression sexuelle sur son eacutepouse Lors de son audition par la police M Jeanty a fait valoir sa deacutetresse psychologique et a demandeacute agrave ecirctre interneacute indiquant ses intentions de se suicider Le lendemain le juge drsquoinstruction a ordonneacute le placement en deacutetention du requeacuterant et a informeacute la prison drsquoArlon des tendances suicidaires de lrsquointeacuteresseacute Degraves son arriveacutee agrave la maison drsquoarrecirct le requeacuterant a tenteacute de se suicider agrave trois reprises mais les agents peacutenitentiaires sont intervenus pour lrsquoen empecirccher Il a eacuteteacute placeacute dans une cellule drsquoisolement seacutecuriseacutee sous surveillance speacuteciale pendant quelques jours Il a ensuite eacuteteacute mis en liberteacute sous condition le 12 aoucirct 2011 Les faits ayant eu lieu entre le 21 octobre 2011 et le 2 deacutecembre 2011 En octobre 2011 un second mandat drsquoarrecirct a eacuteteacute deacutelivreacute contre M Jeanty ce dernier nrsquoayant pas respecteacute les conditions de sa libeacuteration conditionnelle Le requeacuterant a ainsi reacuteinteacutegreacute la prison drsquoArlon ougrave il a changeacute de cellule agrave plusieurs reprises apregraves ses plaintes agrave lrsquoencontre de ses codeacutetenus Le 13 novembre 2011 suite au refus de lrsquoassistant peacutenitentiaire chef drsquoeacutequipe de le changer agrave nouveau de cellule le requeacuterant a menaceacute de se suicider et a eacuteteacute placeacute en cellule drsquoisolement sous surveillance speacuteciale Lors drsquoun controcircle le mecircme jour un agent peacutenitentiaire a trouveacute le requeacuterant percheacute sur les barreaux de la porte en train drsquoattacher son pantalon et a reacuteussi de lrsquoarrecircter avant que ce dernier ne se lance dans le vide Sur ordre du meacutedecin il a eacuteteacute deacutecideacute de lui mettre un casque ainsi que des menottes agrave lrsquoavant afin drsquoempecirccher le requeacuterant de se blesser en se tapant la tecircte contre le mur Agrave sa sortie de la cellule drsquoisolement le 15 novembre 2011 le requeacuterant a eacuteteacute auditionneacute par le directeur de la prison qui a deacutecideacute de transformer en sanction disciplinaire le placement en cellule drsquoisolement de trois jours estimant que les menaces de suicide visaient agrave faire pression sur le personnel peacutenitentiaire pour obtenir une mutation de cellule M Jeanty a eacuteteacute remis en liberteacute conditionnelle le 2 deacutecembre 2011 La plainte peacutenale du requeacuterant et la proceacutedure devant les juridictions internes Le 1er avril 2014 le requeacuterant srsquoest constitueacute partie civile contre le directeur de la prison du chef drsquoabstention coupable et traitements inhumains et deacutegradants aupregraves du juge drsquoinstruction de Neufchacircteau Dans la plainte le requeacuterant se plaignait notamment drsquoavoir subi un traitement inhumain et deacutegradant au cours de ses peacuteriodes de deacutetention et du fait qursquoil eacuteteacute placeacute dans les quartiers ordinaires de la prison alors que son eacutetat de santeacute mentale deacutefaillant neacutecessitait un soutien psychologique Cette plainte a deacuteboucheacute sur un non-lieu qui eacutetait ulteacuterieurement confirmeacute en appel Le pourvoi en cassation qui porteacute sur la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 3 de la Convention a eacuteteacute rejeteacute par un arrecirct du 14 juin 2017 La Cour de cassation a estimeacute entre autre qursquoil nrsquoeacutetait pas contradictoire de consideacuterer que les mesures prises par le personnel peacutenitentiaire et les meacutedecins en vue de proteacuteger lrsquointeacutegriteacute physique du requeacuterant ne semblaient pas adeacutequates au regard des exigences de sa jurisprudence mais que neacuteanmoins il nrsquoexistait pas de charges de culpabiliteacute concernant lrsquoabstention de porter secours La proceacutedure peacutenale relative aux faits pour lesquels le requeacuterant a eacuteteacute poursuivi Le 23 avril 2014 le tribunal correctionnel drsquoArlon a condamneacute le requeacuterant agrave une peine de quatre ans drsquoemprisonnement dont la moitieacute avec sursis pour les faits drsquoattentat agrave la pudeur avec violences ou menaces et coups et blessures avec incapaciteacute de travail sur son eacutepouse Le 2 avril 2019 la cour drsquoappel de Liegravege a reacuteformeacute le jugement estimant que le requeacuterant eacutetait au moment des faits et au jour du prononceacute de lrsquoarrecirct atteint drsquoun trouble mental qui abolissait ou alteacuterait gravement sa capaciteacute de discernement ou de controcircle de ses actes Partant la cour drsquoappel a deacuteclareacute le requeacuterant irresponsable de ses actes et a ordonneacute son internement ainsi que son arrestation immeacutediate

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Le requeacuterant a eacuteteacute ensuite placeacute agrave la prison de Namur parfois agrave lrsquoannexe psychiatrique de la prison parfois dans les quartiers ordinaires par manque de place Le requeacuterant indique ne recevoir aucun soin pour son eacutetat de santeacute mentale Le 20 novembre 2017 le requeacuterant a introduit une requecircte devant la Cour EDH invoquant une violation des articles 2 (droit agrave la vie) et 3 (interdiction de la torture des traitements inhumaines ou deacutegradants) de la Convention EDH Il allegravegue une violation de lrsquoarticle 2 de la Convention du fait que les autoriteacutes avaient failli agrave leur obligation de prendre les mesures adeacutequates afin drsquoempecirccher la mateacuterialisation du risque certain et immeacutediat qursquoil attente agrave sa vie De plus il se plaint sous lrsquoangle de lrsquoarticle 3 de la Convention de lrsquoabsence de soins meacutedicaux approprieacutes durant sa deacutetention du traitement subi lors de ses placements en isolement et de lrsquoabsence drsquoune enquecircte effective

1) Sur la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 2 de la Convention o Sur la recevabiliteacute

La Cour EDH examine drsquooffice en lrsquoespegravece lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 2 de la Convention EDH Elle rappelle que la circonstance dans laquelle le requeacuterant nrsquoest pas deacuteceacutedeacute suite agrave ses tentatives de suicide qui font lrsquoobjet du grief nrsquoest pas en soi de nature agrave exclure lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 2 de la Convention eacutetant donneacute que la Cour EDH a reconnu agrave de nombreuses reprises lrsquoapplicabiliteacute de cette disposition mecircme lorsque la personne qui se disait victime drsquoune atteinte agrave son droit agrave la vie nrsquoeacutetait pas deacuteceacutedeacutee (Cour EDH Makaratzis c Gregravece [GC] 20 deacutecembre 2004 no 5038599 et Nicolae Virgiliu Tănase c Roumanie [GC] 25 juin 2019 no 4172013) Par ailleurs la Cour EDH a reconnu lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 2 de la Convention dans des affaires concernant des suicides en deacutetention (Cour EDH Renolde c France 16 octobre 2008 no 560805 et De Donder et De Clippel c Belgique 6 deacutecembre 2011 no 859506) En lrsquoespegravece le requeacuterant a tenteacute agrave plusieurs reprises au cours de sa deacutetention de mettre fin agrave ses jours et crsquoest gracircce agrave lrsquointervention des agents peacutenitentiaires que ces tentatives nrsquoont pas abouti Selon la Cour EDH le fait que le requeacuterant nrsquoait pas subi de blessure potentiellement mortelle nrsquoest pas deacuteterminant dans ce cas En effet la nature mecircme de lrsquoaction du requeacuterant lui faisait courir un risque reacuteel et imminent pour sa vie En conseacutequent la Cour EDH considegravere que lrsquoarticle 2 trouve agrave srsquoappliquer

o Sur le fond La Cour EDH rappelle tout drsquoabord que lrsquoarticle 2 astreint les Eacutetats non seulement agrave srsquoabstenir de provoquer la mort de maniegravere volontaire et irreacuteguliegravere mais aussi agrave prendre les mesures neacutecessaires agrave la protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction (Cour EDH Fernandes de Oliveira c Portugal [GC] 31 janvier 2019 no 7810314) Cette disposition peut dans certaines circonstances bien deacutefinies mettre agrave la charge des autoriteacutes lrsquoobligation positive de prendre des mesures opeacuterationnelles preacuteventives pour proteacuteger un individu contre autrui ou contre lui-mecircme (Cour EDH Renolde preacuteciteacute sect 80 Fernandes de Oliveira preacuteciteacute sect 108 et Nicolae Virgiliu Tănase preacuteciteacute sect 136) Elle a deacutejagrave jugeacute que dans le cas speacutecifique du risque de suicide en prison lrsquoEacutetat nrsquoa une telle obligation positive que lorsque les autoriteacutes savaient ou auraient ducirc savoir qursquoil existait un risque reacuteel et immeacutediat qursquoun individu donneacute attente agrave sa vie (Cour EDH De Donder et De Clippel preacuteciteacute sect 69 et Fernandes de Oliveira preacuteciteacute sect 110) Dans le cas de lrsquoespegravece la Cour EDH a estimeacute opportun drsquoexaminer sous lrsquoangle de lrsquoarticle 2 de la Convention uniquement les mesures prises par les autoriteacutes peacutenitentiaires pour empecirccher que le requeacuterant attente effectivement agrave ses jours La Cour EDH relegraveve que en ce qui concerne toutes les tentatives de suicide du requeacuterant pendant son emprisonnement agrave la maison drsquoarrecirct les autoriteacutes peacutenitentiaires sont intervenues rapidement et ont reacuteussi agrave empecirccher que le requeacuterant mette fin agrave sa vie Il a ensuite fait lrsquoobjet drsquoune surveillance speacuteciale et tous les objets potentiellement dangereux lui ont eacuteteacute retireacutes afin drsquoeacuteviter tout autre tentative Par conseacutequence la Cour EDH estime que dans lrsquoensemble les autoriteacutes ont fait ce que lrsquoon pouvait raisonnablement attendre drsquoelles dans les circonstances de la cause pour empecirccher la mateacuterialisation du risque pour la vie du requeacuterant dans la mesure ougrave elles avaient connaissance du caractegravere certain et immeacutediat de ce risque Les mesures prises ont drsquoailleurs effectivement permis drsquoempecirccher que le requeacuterant se suicide Partant elle juge qursquoil nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 2 de la Convention

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2) Sur la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 3 de la Convention

o Sur le volet mateacuteriel

La Cour EDH rappelle qursquoun traitement doit atteindre un minimum de graviteacute pour tomber sous le coup de lrsquoarticle 3 de la Convention Selon une jurisprudence constante un traitement peut ecirctre qualifieacute de laquo deacutegradant raquo au sens de lrsquoarticle 3 srsquoil humilie ou avilit un individu srsquoil teacutemoigne drsquoun manque de respect pour sa digniteacute ou srsquoil suscite chez lui des sentiments de peur drsquoangoisse ou drsquoinfeacuterioriteacute propres agrave briser sa reacutesistance morale et physique (Cour EDH MSS c Belgique et Gregravece [GC] 21 janvier 2011 no 3069609 sect 220 et El-Masri c lrsquoex-Reacutepublique yougoslave de Maceacutedoine [GC] 13 deacutecembre 2012 no 3963009 sect 202) Elle rappelle eacutegalement que les personnes atteintes drsquoune maladie mentale sont de personnes particuliegraverement vulneacuterables (Cour EDH Renolde preacuteciteacute sect 840) Les autoriteacutes sont ainsi tenues de veiller avec une rigueur particuliegravere agrave ce que les conditions de la deacutetention drsquoune personne atteinte drsquoune maladie mentale reacutepondent aux besoins speacutecifiques deacutecoulant de sa maladie (Cour EDH Fernandes de Oliveira preacuteciteacute sect 113) La Cour EDH constate tout drsquoabord qursquoau cours de ses deux peacuteriodes de deacutetention preacuteventive le requeacuterant a eacuteteacute traiteacute comme un simple deacutetenu placeacute dans un environnement carceacuteral ordinaire Elle considegravere que compte tenu de la fragiliteacute psychologique du requeacuterant de ses troubles comportementaux qui se sont manifesteacutes tout de suite apregraves son placement en deacutetention preacuteventive et qui auraient pu mettre en danger la propre personne de lrsquointeacuteresseacute il appartenait aux autoriteacutes de le faire examiner par un meacutedecin psychiatre afin de deacuteterminer la compatibiliteacute de son eacutetat psychologique avec la deacutetention ainsi que les mesures theacuterapeutiques agrave prendre dans son cas preacutecis (Cour EDH Rupa c Roumanie (no 1) 16 deacutecembre 2008 no 5847800 sect 170) De plus la Cour EDH relegraveve que le deuxiegraveme placement agrave lrsquoisolement a eacuteteacute deacutecideacute agrave titre de mesure provisoire puis confirmeacute comme sanction disciplinaire Cette sanction a eacuteteacute appliqueacutee pendant une dureacutee de trois jours Pendant les premiegraveres 24 heures le requeacuterant resta nu entraveacute par les menottes et casqueacute sans avoir aucune visite Selon la Cour EDH cette mesure a eacuteteacute deacutecideacutee sans prise en compte de lrsquoeacutetat psychique du requeacuterant et sans qursquoil soit proceacutedeacute agrave une reacuteeacutevaluation de la neacutecessiteacute de maintenir les entraves et la nuditeacute du requeacuterant pendant 24 heures En conseacutequent la Cour EDH estime que compte tenu de lrsquoeacutetat de santeacute mentale de M Jeanty le manque drsquoencadrement et de suivi meacutedical au cours de ses deux peacuteriodes de deacutetention combineacute avec lrsquoinfliction drsquoune sanction disciplinaire dans une cellule drsquoisolement pendant trois jours alors qursquoil avait commis plusieurs tentatives de suicide ont constitueacute une eacutepreuve particuliegraverement peacutenible et ont soumis lrsquointeacuteresseacute agrave une deacutetresse ou agrave une eacutepreuve drsquoune intensiteacute ayant exceacutedeacute le niveau ineacutevitable de souffrance inheacuterent agrave la deacutetention Il y a donc eu violation du volet mateacuteriel de lrsquoarticle 3 de la Convention

o Sur le volet proceacutedural

La Cour EDH rappelle que les principes geacuteneacuteraux sont eacutenonceacutes dans les arrecircts El‑Masri ([GC] 13 deacutecembre 2012 no 3963009) Mocanu et autres c Roumanie ([GC] 17 septembre 2014 nos 1086509 et 2 autres) et Bouyid c Belgique ([GC] 28 septembre 2015 no 2338009) En particulier elle rappelle qursquoune enquecircte sur des alleacutegations de traitement inhumain ou deacutegradant doit permettre drsquoidentifier et de sanctionner les responsables Elle doit eacutegalement ecirctre suffisamment vaste pour permettre aux autoriteacutes qui en sont chargeacutees de prendre en consideacuteration non seulement les actes des agents de lrsquoEacutetat qui ont eu directement et illeacutegalement recours agrave la force mais aussi lrsquoensemble des circonstances les ayant entoureacutes Enfin lrsquoenquecircte doit ecirctre approfondie ce qui signifie que les autoriteacutes doivent toujours srsquoefforcer seacuterieusement de deacutecouvrir ce qui srsquoest passeacute et qursquoelles ne doivent pas srsquoappuyer sur des conclusions hacirctives ou mal fondeacutees pour clore lrsquoenquecircte La Cour EDH constate en lrsquoespegravece que plus de huit mois se sont eacutecouleacutes entre le reacutequisitoire de mise agrave lrsquoinstruction du procureur du Roi le 8 juillet 2014 et le moment ougrave le juge drsquoinstruction a reccedilu le dossier le 3 mars 2015 Ce deacutelai pendant lequel lrsquoinstruction nrsquoa pas commenceacute et pour lequel le Gouvernement nrsquoa fourni aucune explication apparaicirct difficilement compreacutehensible et acceptable par la Cour EDH De plus une fois lrsquoinstruction entameacutee en mars 2015 aucune autre devoir agrave part le dossier peacutenitentiaire et le dossier meacutedical du requeacuterant nrsquoa eacuteteacute demandeacutee par le juge drsquoinstruction La Cour EDH relegraveve qursquoaucune des personnes impliqueacutees ou mises en cause nrsquoont eacuteteacute entendues ni les agents peacutenitentiaires ni les meacutedecins ayant vu le requeacuterant ni le requeacuterant lui-mecircme La Cour EDH conclut que lrsquoenquecircte ne peut pas ecirctre consideacutereacutee comme effective Par conseacutequent il y a eu violation du volet proceacutedural de lrsquoarticle 3 de la Convention

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PAR CES MOTIFS LA COUR

1 Deacuteclare agrave lrsquounanimiteacute la requecircte recevable 2 Dit par quatre voix contre trois qursquoil nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 2 de la Convention 3 Dit agrave lrsquounanimiteacute qursquoil y a eu violation du volet mateacuteriel de lrsquoarticle 3 de la Convention 4 Dit agrave lrsquounanimiteacute qursquoil y a eu violation du volet proceacutedural de lrsquoarticle 3 de la Convention 5 Dit agrave lrsquounanimiteacute

1 que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans un deacutelai de trois mois agrave compter de la date agrave laquelle lrsquoarrecirct sera devenu deacutefinitif conformeacutement agrave lrsquoarticle 44 sect 2 de la Convention les sommes suivantes

1 15 000 EUR (quinze mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc sur cette somme agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral

2 8 000 EUR (huit mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc sur cette somme par le requeacuterant agrave titre drsquoimpocirct pour frais et deacutepens

2 qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage

6 Rejette par quatre voix contre trois le surplus de la demande de satisfaction eacutequitable Opinion en partie dissidente commune aux juges Pinto de Albuquerque Serghides et Schembri Orland Les juges Pinto de Albuquerque Serghides et Schembri Orland considegraverent que les faits de la cause reacutevegravelent une violation flagrante du volet mateacuteriel de lrsquoarticle 2 de le Convention ainsi que de son volet proceacutedural En premier lieu ils relegravevent que le juge drsquoinstruction avait connaissance du risque reacuteel et immeacutediat que le requeacuterant attentacirct agrave sa vie ainsi que de la fragiliteacute psychologique de lrsquointeacuteresseacute Pourtant il nrsquoa pas ordonneacute sa mise en observation dans lrsquoannexe psychiatrique drsquoun centre peacutenitentiaire Par conseacutequent ils ont exprimeacute leur deacutesaccord avec lrsquoargument de la majoriteacute des juges selon lequel laquo [l]a Cour rappelle qursquoil ne lui appartient pas de connaicirctre des erreurs de fait ou de droit preacutetendument commises par une juridiction interne sauf si et dans la mesure ougrave elles pourraient avoir porteacute atteinte aux droits et liberteacutes sauvegardeacutes par la Convention () Il nrsquoincombe pas agrave la Cour de deacutecider si le juge drsquoinstruction aurait ducirc prendre une autre deacutecision celui-ci eacutetant mieux placeacute que la Cour pour prendre une deacutecision quant au lieu et aux conditions dans lesquelles la deacutetention du requeacuterant devait avoir lieu compte tenu de son eacutetat de santeacute mentale raquo (sect 104 de lrsquoarrecirct) Selon eux il srsquoagissait preacuteciseacutement drsquoune situation qui appelait pareille mesure exceptionnelle compte tenu de la fragiliteacute du requeacuterant En effet ils considegraverent que la grave erreur de fait commise par le juge drsquoinstruction a menaceacute le droit agrave la vie du requeacuterant En deuxiegraveme lieu les autoriteacutes peacutenitentiaires avaient eacutegalement eacuteteacute informeacutees de ce risque par un message qui leur avait eacuteteacute adresseacute par teacuteleacutecopie par le juge drsquoinstruction lui-mecircme Les juges Pinto de Albuquerque Serghides et Schembri Orland considegraverent qursquoelles nrsquoont pourtant pas pris les mesures de preacutecaution de base qui srsquoimposent en pareille situation comme priver le requeacuterant de sa ceinture et de son slip et allant mecircme jusqursquoagrave laisser un couteau agrave porteacutee de sa main De plus elles nrsquoont mecircme pas informeacute le juge drsquoinstruction des trois tentatives de suicide du requeacuterant alors qursquoelles y eacutetaient expresseacutement tenues par la loi Selon les juges non seulement elles nrsquoont pas pris les mesures preacuteventives qui srsquoimposaient pour atteacutenuer le risque de suicide mais elles ont aussi contribueacute agrave aggraver lrsquoeacutetat de fragiliteacute dans lequel le requeacuterant se trouvait en le placcedilant temporairement en cellule drsquoisolement nu lors de chacune de ses peacuteriodes drsquoincarceacuteration allant mecircme jusqursquoagrave lui infliger une sanction disciplinaire agrave sa sortie de la cellule drsquoisolement lors de sa deuxiegraveme peacuteriode drsquoincarceacuteration Les juges concluent que cette conduite deacutenote une absence totale de compassion agrave lrsquoeacutegard drsquoun deacutetenu particuliegraverement vulneacuterable pour lequel une approche totalement diffeacuterente eacutetait neacutecessaire (Cour EDH Renolde c France 16 octobre 2008 no 560805 sect 83) Finalement les juges relegravevent que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute vu par un psychiatre agrave son arriveacutee au centre de deacutetention Selon le Gouvernement le requeacuterant a eacuteteacute vu par un psychiatre apregraves seulement dix jours de deacutetention Le requeacuterant conteste cette affirmation Neacuteanmoins les juges considegraverent que mecircme si lrsquoaffirmation du gouvernement eacutetait vraie cela ne lrsquoexonegravererait pas de ses obligations qui deacutecoulent de la Convention compte tenu de la ligne jurisprudentielle claire adopteacutee par la Cour EDH Les juges Pinto de Albuquerque Serghides et Schembri Orland relegravevent eacutegalement que au paragraphe 109 la majoriteacute cite lrsquoarrecirct Rupa c Roumanie (ndeg 1) (Cour EDH 16 deacutecembre 2008 no 5847800) qui est ainsi libelleacute en son paragraphe 170 laquo En bref la Cour considegravere que compte tenu des anteacuteceacutedents meacutedicaux du requeacuterant de ses troubles comportementaux qui se sont manifesteacutes tout de suite apregraves

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son placement en deacutetention provisoire et qui auraient pu mettre en danger la propre personne de lrsquointeacuteresseacute il appartenait aux autoriteacutes de le faire aussitocirct examiner par un meacutedecin psychiatre afin de deacuteterminer la compatibiliteacute de son eacutetat psychologique avec la deacutetention ainsi que les mesures theacuterapeutiques agrave prendre dans son cas preacutecis raquo Ils notent que lrsquoadverbe laquo aussitocirct raquo nrsquoapparaicirct pas dans la citation de lrsquoarrecirct Rupa qui figure au paragraphe 109 de lrsquoarrecirct Par conseacutequence ils expriment leur deacutesaccord avec la majoriteacute lorsqursquoelle conclut au paragraphe 76 de lrsquoarrecirct que les autoriteacutes internes avaient certes connaissance des tendances suicidaires du requeacuterant mais qursquoelles ne pouvaient pas mettre en place degraves le deacutebut de sa premiegravere peacuteriode drsquoincarceacuteration des mesures preacuteventives visant agrave eacuteviter tout risque de suicide

Cour EDH (quatriegraveme section) Andreea-Marusia DumitruRoumanie 31 mars 2020 ndeg963716

Reacutesumeacute Dans le cadre drsquoune violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 2 de la Convention sur le droit agrave la vie la Cour EDH a pu juger que dans le contexte drsquoabsence de regraveglementation preacutecise sur lrsquousage des armes agrave feu et de deacutefaillances dans la preacuteparation de lrsquoopeacuteration de police le fonctionnaire de police en cause nrsquoavait pas pris les preacutecautions suffisantes pour preacuteserver la vie des personnes De plus la Cour EDH preacutecise que lrsquoenquecircte meneacutee dans le cadre de la proceacutedure engageacutee relativement agrave une opeacuteration de police ne peut pas ser pour avoir eacuteteacute rapide et effective lorsque le jugement deacutefinitif qui en deacutecoule est rendu plus de neuf ans et trois mois apregraves les faits La requeacuterante Andreea-Marusia Dumitru est une ressortissante roumaine neacutee en 1990 et reacutesidant agrave Bujoru Le 8 novembre 2005 la requeacuterante et sa megravere voulant rentrer chez elles deacutecidegraverent de traverser une gare de trains de marchandises En franchissant la plate-forme drsquoun wagon la requeacuterante a eacuteteacute blesseacutee par un tire drsquoarme agrave feu Le Gouvernement soutient que le jour mecircme les forces de lrsquoordres avaient eacuteteacute informeacutees du fait qursquoun groupe drsquoindividus drsquoorigine rom allaient voler de la ferraille dans un train de fret stationneacute agrave la gare de marchandises Deux fonctionnaires de police se rendirent sur les lieux accompagneacutes par deux gardiens afin de disperser le groupe et reacutetablir lrsquoordre Selon eux plusieurs individus refusegraverent drsquoobeacuteir et commencegraverent agrave jeter des pierres et des objets meacutetalliques dans leur direction Un des agents tira un coup de feu apregraves avoir effectueacute les sommations leacutegales en direction du groupe pour se deacutefendre La requeacuterante a eacuteteacute conduite agrave lrsquohocircpital et fut opeacutereacutee drsquourgence Entre 2006 et 2007 elle fut hospitaliseacutee plusieurs fois des suites de ses blessures et elle garda une invaliditeacute permanente du fait de lrsquoablation partielle de son foie Le 8 novembre 2005 le bureau de police ouvrit une enquecircte visant la requeacuterante des chefs de tentative de vol et drsquoentreacutee illeacutegale dans la zone de seacutecuriteacute des installations ferroviaires Le 2 feacutevrier 2010 la direction reacutegionale de la police des transports mit en accusation la requeacuterante pour ces mecircmes chefs Le 3 juillet 2012 le parquet infirma lrsquoacte drsquoaccusation au motif qursquoaucun eacuteleacutement du dossier ne corroborait la tentative de vol et que mecircme si la requeacuterante avait reconnu avoir traverseacute les voies de chemin de fer dans une zone interdite les faits nrsquoeacutetant pas suffisamment graves pour entraicircner une sanction peacutenale Le 1er aoucirct 2006 la requeacuterante a porteacute plainte du chef de tentative de meurtre Le 4 aoucirct 2009 le parquet pregraves le tribunal de Bucarest a rendu un non-lieu au motif que le policier en cause avait agi en eacutetat de leacutegitime deacutefense Le requeacuterante formula une contestation contre ce non-lieu en deacutenonccedilant le caractegravere superficielle de lrsquoenquecircte Par un arrecirct du 28 juin 2010 la Cour drsquoappel de Bucarest a accueilli la contestation et a ordonneacute la reacuteouverture de lrsquoenquecircte Le 21 juillet 2010 le dossier fut transfeacutereacute au parquet pregraves la Haute Cour de cassation du fait de

Art 2 (mateacuteriel) bull Recours agrave la force bull Blessures potentiellement mortelles causeacutees par les tirs de policiers pour arrecircter une tentative de vol bull Reacuteglementation impreacutecise sur lrsquousage des armes agrave feu bull Absence de recommandation sur la preacuteparation et le controcircle des opeacuterations de police bull Deacutefaillance dans la preacuteparation de lrsquointervention malgreacute sa preacutevisibiliteacute bull Absence de formation au maniement des armes agrave balles agrave caoutchouc Art 2 (proceacutedural) bull Enquecircte inefficace sur les circonstances des blessures subies deacutebuteacutee agrave la seule initiative de la victime et plus de huit mois apregraves les eacuteveacutenements bull Gestion non rigoureuse des preuves et de leur conservation bull Expertises pertinentes effectueacutees plus de trois et cinq ans apregraves les faits bull Absence de ceacuteleacuteriteacute de la proceacutedure ayant dureacute plus de neuf ans

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lrsquoancienneteacute du dossier parce que les suspects sont des fonctionnaires de police et pour eacuteviter des soupccedilons sur lrsquoimpartialiteacute du parquet Par ordonnance du 31 juillet 2014 le parquet pregraves la Haute Cour mit fin agrave lrsquoenquecircte et classa la plainte en estimant que lrsquoagent de police en cause avait fait usage de lrsquoarme agrave feu en eacutetat de leacutegitime deacutefense dans le cadre drsquoune mission de reacutetablissement de lrsquoordre public La requeacuterante forma une contestation contre lrsquoordonnance du parquet pregraves la Haute Cour Par un jugement deacutefinitif du 25 feacutevrier 2015 le tribunal de premiegravere instance de Bucarest rejeta cette contestation En conseacutequence la requeacuterante saisie la Cour EDH le 11 feacutevrier 2016

1 Sur la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 2 de la Convention La requeacuterante srsquoest plainte drsquoune part drsquoavoir eacuteteacute blesseacutee par un fonctionnaire de police dans des circonstances qui ne sont pas compatibles avec les exigences mateacuterielles de lrsquoarticle 2 de la Convention et drsquoautre part que lrsquoenquecircte ouverte nrsquoa pas eacuteteacute conforme aux obligations proceacutedurales de lrsquoEacutetat deacutefendeur au titre du mecircme article

o Sur la recevabiliteacute La Cour EDH rappelle devoir examiner drsquooffice sa compeacutetence ratione materiae srsquoagissant de lrsquoapplication de lrsquoarticle 2 de la Convention La Cour EDH considegravere que la requeacuterante a eacuteteacute victime drsquoun comportement qui a mis sa vie en danger mecircme si elle a finalement surveacutecu De fait lrsquoarticle 2 de la Convention trouve agrave srsquoappliquer en lrsquoespegravece (mutatis mutandis Soare et autres c Roumanie ndeg2432902 sect 109 22 feacutevrier 2011)

o Sur le fond Srsquoagissant du volet mateacuteriel la Cour EDH renvoie aux arrecircts McCann et autres c Royaume-Uni (27 septembre 1995 sectsect 146-150 ndeg1898491) Makaratzis c Gregravece ([GC] ndeg5038599 sectsect 56-60) et Giuliani et Gaggio c Italie ([GC] ndeg2345802 sectsect 174-182) qui exposent lrsquoensemble des principes geacuteneacuteraux deacutegageacutes dans sa jurisprudence sur le recours agrave la force meurtriegravere Si la Cour EDH estime que le recours des policiers agrave la force meurtriegravere peut ecirctre justifieacute dans certaines circonstances le non-encadrement par des regravegles et lrsquoabandon arbitraire de lrsquoaction des agents de lrsquoEacutetat sont incompatibles avec un respect effectif de lrsquoarticle 2 de la Convention Les opeacuterations de police doivent ecirctre reacuteglementeacutees par le droit national dans le cadre drsquoun systegraveme de garanties adeacutequates et effectives contre lrsquoarbitraire et lrsquoabus de la force et mecircme contre les accidents eacutevitables (sect 86) A ce titre la Cour EDH doit prendre en consideacuteration non seulement les actes des agents de lrsquoEacutetat ayant eu recours agrave la force mais eacutegalement lrsquoensemble des circonstances de lrsquoaffaire un cadre juridique et administratif doit deacutefinir les conditions limiteacutees dans lesquelles les agents de lrsquoEacutetat peuvent recourir agrave la force et faire usage drsquoarmes agrave feu (Gheorghe Cobzaru c Roumanie ndeg697808 sect 47 25 juin 2013) Lorsque la force meurtriegravere est employeacutee par les autoriteacutes dans une opeacuteration de police il est difficile de seacuteparer les obligations neacutegatives des obligations positives que fait peser la Convention sur lrsquoEacutetat Ainsi il en revient agrave la Cour EDH drsquoexaminer si les autoriteacutes ont planifieacute et controcircleacute lrsquoopeacuteration de police de maniegravere agrave reacuteduire au minimum le recours agrave la force meurtriegravere et les pertes humaines et si toutes les preacutecautions en leur pouvoir dans le choix des moyens et meacutethodes drsquoune opeacuteration de seacutecuriteacute ont eacuteteacute prises (Finogenov et autres c Russie ndeg1829903 et 2731103 sect 208)

o Cadre leacutegal relatif agrave lrsquousage des armes agrave feu et la preacuteparation de lrsquoopeacuteration de police La Cour EDH a deacutejagrave jugeacute que le cadre leacutegislatif roumain regraveglementant lrsquousage des armes agrave feu et des munitions nrsquoeacutetait pas suffisant pour offrir le niveau de protection du droit agrave la vie laquo par la loi raquo requis dans les socieacuteteacutes deacutemocratiques contemporaines en Europe (Soare et autres c Roumanie ndeg2432902 sect 132 Gheorghe Cobzaru c Roumanie ndeg697808sect 48) Les dispositions internes en cause dans les arrecircts susmentionneacutes toujours en vigueur agrave lrsquoeacutepoque des faits en lrsquoespegravece et nrsquoayant subi de modifications significatives la Cour EDH conclut que la leacutegislation nationale ne

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contenait aucune disposition regraveglementant lrsquousage des armes agrave feu dans le cadre drsquoune opeacuteration de police et qursquoelle ne comportait aucune recommandation concernant la preacuteparation et le controcircle des opeacuterations en cause Ainsi la Cour EDH juge que les autoriteacutes roumaines nrsquoont pas fait tout ce que lrsquoon pouvait raisonnablement attendre drsquoelles pour reacuteduire au minimum le recours agrave la force meurtriegravere et les eacuteventuelles pertes humaines

o Les actions du fonctionnaire de police en cause

La Cour EDH eacutetant confronteacutee agrave des versions divergentes des faits elle rappelle qursquoelle nrsquoest pas lieacutee par les constatations des juridictions internes et demeure libre de se livrer agrave sa propre appreacuteciation agrave la lumiegravere des eacuteleacutements dont elle dispose (Iambor c Roumanie ndeg6453601 sect 166 24 juin 2008) De plus elle rappelle que lorsqursquoil est reprocheacute aux agents de lrsquoEacutetat drsquoavoir fait usage drsquoune force potentiellement meurtriegravere en violation de lrsquoarticle 2 sect2 de la Convention il incombe au gouvernement deacutefendeur drsquoeacutetablir que la force en question nrsquoest pas alleacutee au-delagrave de ce qui eacutetait absolument neacutecessaire et qursquoelle eacutetait strictement proportionneacutee agrave lrsquoun des buts autoriseacutes par cette disposition (sect 106) En lrsquoespegravece la Cour EDH considegravere que les lacunes de lrsquoenquecircte lrsquoempecircchent de porter sur les faits de la cause une appreacuteciation fondeacutee sur les seules constatations opeacutereacutees par les autoriteacutes nationales Les omissions imputables aux autoriteacutes nationales ont conduit la Cour EDH agrave rejeter la thegravese selon laquelle les blessures de la requeacuterante ont eacuteteacute provoqueacutees accidentellement par lrsquoaction en leacutegitime deacutefense du fonctionnaire de police en cause A ce titre la Cour EDH juge que le Gouvernement nrsquoa pas prouveacute que lrsquousage de la force eacutetait absolument neacutecessaire au sens de lrsquoarticle 2 sect2 de la Convention et qursquoil y a eu violation de cette disposition sous son volet mateacuteriel Srsquoagissant du volet proceacutedural la Cour EDH rappelle qursquoau titre de son obligation de proteacuteger le droit agrave la vie lrsquoEacutetat doit srsquoassurer qursquoil dispose dans les cas de deacutecegraves ou de blessures physiques potentiellement mortelles drsquoun systegraveme judiciaire effectif et indeacutependant lui permettant agrave bref deacutelai drsquoeacutetablir les faits de contraindre les responsables agrave rendre des comptes et de fournir aux victimes une reacuteparation adeacutequate (Nicolae Virgiliu Tănase c Roumanie [GC] n04172013 sect 157 25 juin 2019) La Cour EDH preacutecise que dans ces hypothegraveses une enquecircte officielle approprieacutee et effective doit ecirctre meneacutee Il srsquoagit drsquoune obligation de moyen en ce que les autoriteacutes doivent avoir pris les mesures qui leur eacutetaient raisonnablement accessibles afin de recueillir les preuves concernant lrsquoincident Toute carence de lrsquoenquecircte affaiblissant sa capaciteacute agrave conduire agrave lrsquoidentification de la ou des personnes responsables risque de faire conclure agrave son inadeacutequation (Ramsahai et autres c Pays-Bas [GC] ndeg5239199 sect 324) En lrsquoespegravece la Cour EDH juge que les lacunes dans lrsquoadministration des preuves corroboreacutees par la perte drsquoeacuteleacutements de preuve essentiels pour la recherche de la veacuteriteacute ont affecteacute le caractegravere adeacutequat de lrsquoenquecircte Au regard du deacutefaut drsquoindeacutependance et drsquoimpartialiteacute des enquecircteurs alleacutegueacute par la requeacuterante la Cour EDH reacuteitegravere que pour qursquoune enquecircte soit effective il est neacutecessaire que les personnes responsables de lrsquoenquecircte et celles effectuant les investigations soient indeacutependantes de celles impliqueacutees dans les eacutevegravenements (Oumlğur c Turquie [GC] ndeg2195493 sectsect 91-92) En lrsquoespegravece la Cour EDH estime que les investigations conduites sous lrsquoautoriteacute de parquet pregraves la Haute Cour ne posent pas de problegraveme de conformiteacute avec la Convention au regard de lrsquoindeacutependance et lrsquoimpartialiteacute requises Enfin srsquoagissant de la ceacuteleacuteriteacute de la proceacutedure la Cour EDH conclut que lrsquoenquecircte meneacutee ne peut passer pouvoir avoir eacuteteacute rapide et effective puisque plus de neuf ans et trois mois se sont eacutecouleacutes entre les faits survenus le 8 novembre 2005 et le jugement deacutefinitif du 25 feacutevrier 2015 Ainsi la Cour EDH juge qursquoil y a eu une violation de lrsquoarticle 2 de la Convention sous son volet proceacutedural

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2 Sur la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 6 de la Convention

Compte tenu de la reconnaissance de la violation de lrsquoarticle 2 de la Convention dans son volet proceacutedural la Cour EDH estime qursquoaucune question distincte ne se pose au regard de lrsquoarticle 6 sect1 de la Convention (mutatis mutandis Gheorghe Cobzaru c Roumanie ndeg697808sect 82) Par ces motifs la Cour EDH agrave lrsquounanimiteacute

1 Deacuteclare la requecircte recevable quant au grief tireacute de lrsquoarticle 2 de la Convention 2 Dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 2 de la Convention sous ses volets mateacuteriel et proceacutedural 3 Dit qursquoil nrsquoy a pas lieu drsquoexaminer la recevabiliteacute et le fond du grief formuleacute sur le terrain de

lrsquoarticle 6 de la Convention 4 Dit

a Que lrsquoEacutetat deacutefendeur soit verser agrave la requeacuterante dans un deacutelai de trois mois agrave compter de la date agrave laquelle lrsquoarrecirct sera devenu deacutefinitif conformeacutement agrave lrsquoarticle 44 sect2 de la Convention les sommes suivantes agrave convertir dans la monnaie de lrsquoEacutetat deacutefendeur au taux applicable agrave la date du regraveglement i 25 000 EUR (vingt-cinq mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc agrave titre drsquoimpocirct

pour dommage moral ii 3 270 EUR (trois mille deux cent soixante-dix euros) plus tout montant pouvant ecirctre

ducirc par la requeacuterante agrave titre drsquoimpocirct pour frais et deacutepens agrave verser sur le compte bancaire qui sera indiqueacute par son repreacutesentant

b Qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage

5 Rejette la demande de satisfaction eacutequitable pour le surplus

Cour EDH (cinquiegraveme section) Kukhalashvili et autres Geacuteorgie 2 avril 2020 ndeg 893807 et 4189107

Arrecirct rendu en anglais Reacutesumeacute Dans une affaire de reacutepression dune eacutemeute dans une prison geacuteorgienne ayant conduit agrave la mort de plusieurs deacutetenus la Cour EDH conclut que ces derniers ont succombeacute agrave une force meurtriegravere qui bien qursquoayant poursuivi des buts leacutegitimes viseacutes agrave lrsquoarticle 2 de la Convention ne peut ecirctre consideacutereacutee comme ayant eacuteteacute laquo absolument neacutecessaire raquo au sens de cette mecircme disposition En effet lrsquoopeacuteration antieacutemeute nrsquoa pas eacuteteacute meneacutee de maniegravere controcircleacutee et systeacutematique et les agents des services reacutepressifs nrsquoont pas reccedilu drsquoordres ou drsquoinstructions clairs qui auraient viseacute agrave limiter autant que possible le risque qursquoil y ait des victimes Les autoriteacutes nrsquoont pas envisageacute de recourir agrave des moyens moins violents pour faire face agrave un incident de seacutecuriteacute par exemple la neacutegociation pour reacutesoudre la crise

Art 2 (substantiel) bull Usage aveugle et excessif de la force meurtriegravere lors dopeacuterations antibulleacutemeutes en prison meneacutees de maniegravere incontrocircleacutee et non systeacutematique sans chaicircne de commandement claire Usage de la force meurtriegravere justifieacute par une violence illeacutegale et un risque dinsurrection bull Absence de prise en compte par les autoriteacutes de moyens moins violents ou de la possibiliteacute de neacutegociations bull Mauvaise le traitement et lusage disproportionneacute de la force persistant apregraves la fin de lopeacuteration bull Incapaciteacute des autoriteacutes agrave fournir une assistance meacutedicale adeacutequate bull Incapaciteacute du gouvernement agrave rendre compte de chacun des deacutecegraves pertinents bull la confiance de la Cour dans tous les documents disponibles y compris les rapports des ONG lorsquil est empecirccheacute deacutetablir des faits pour des raisons imputables agrave lEacutetat Art 2 (proceacutedure) bull Enquecircte compromise par un lancement tardif un manque dindeacutependance et dimpartialiteacute une participation insuffisante des proches du deacutefunt et des retards prohibitifs dans la proceacutedure

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Les requeacuterantes Sofio Kukhalashvili Marina Gordadze et Rusudan Chitashvili sont trois ressortissantes geacuteorgiennes neacutees respectivement en 1977 en 1956 et en 1938 Elles reacutesident en Geacuteorgie La premiegravere et la deuxiegraveme requeacuterante sont respectivement la sœur et la megravere de ZK et la troisiegraveme requeacuterante est la megravere de AB Les deux hommes ZK et AB eacutetaient deacutetenus agrave la prison ndeg5 de Tbilissi ougrave ils ont trouveacute la mort en mars 2006 lors drsquoune opeacuteration meneacutee par la police antieacutemeute Ils avaient respectivement 23 ans et 29 ans Lrsquoopeacuteration antieacutemeute eut lieu en reacuteaction agrave des troubles ayant eacuteclateacute apregraves que les autoriteacutes avaient extrait drsquoun hocircpital peacutenitentiaire six chefs de gang supposeacutes et leurs proches complices Le but des autoriteacutes avait eacuteteacute de reacuteduire lrsquoinfluence supposeacutee de ces chefs de gang dans le milieu carceacuteral mais lrsquoextraction de ceux-ci par la force avait deacuteclencheacute des troubles dans les prisons n os 1 et 5 proches des lieux Les autoriteacutes eurent recours agrave une brigade antieacutemeute afin drsquoendiguer les troubles particuliegraverement intenses qui reacutegnaient dans la prison ndeg5 Ces incidents causegraverent la mort de sept deacutetenus et firent 24 blesseacutes (22 deacutetenus et deux agents peacutenitentiaires) Par la suite les requeacuterantes obtinrent du parquet des documents relatifs au deacutecegraves de leurs proches indiquant que tous deux avaient eacuteteacute blesseacutes par balles Les procureurs indiquegraverent seacutepareacutement agrave chaque famille que la force meurtriegravere avait eacuteteacute utiliseacutee contre ZK et AB laquo dans un moment drsquoextrecircme urgence raquo Ils refusegraverent drsquoaccorder aux requeacuterantes la qualiteacute de partie civile dans les affaires relatives agrave la mort de leurs proches Les informations que le Gouvernement a soumises agrave la Cour EDH montrent notamment que les autoriteacutes ont meneacute des investigations sur lrsquoeacutemeute et sur lrsquousage de la force par la police Six deacutetenus ndash les preacutetendus chefs de gang et leurs proches complices ndash furent finalement inculpeacutes pour instigation de lrsquoeacutemeute et condamneacutes agrave des peines drsquoemprisonnement La juridiction du fond eacutetablit que des deacutetenus de la prison ndeg5 avaient jeteacute des morceaux de briques et de fer sur des agents peacutenitentiaires et que la brigade antieacutemeute avait riposteacute en utilisant des balles en caoutchouc Des deacutetenus avaient ensuite tireacute agrave lrsquoaide de pistolets Makarov et de pistolets agrave gaz et avaient reacutesisteacute jusqursquoagrave lrsquointervention drsquoagents peacutenitentiaires et des forces antieacutemeute Par ailleurs le parquet ouvrit des dossiers seacutepareacutes concernant drsquoune part un eacuteventuel abus de pouvoir commis par la police et les agents peacutenitentiaires du fait qursquoils avaient ouvert le feu lors de lrsquoeacutemeute et drsquoautre part drsquoeacuteventuels homicides sur les personnes de ZK et de AB Des mesures drsquoenquecircte furent adopteacutees dans la premiegravere affaire mais il nrsquoest pas certain qursquoil en aille de mecircme pour la seconde relative au deacutecegraves de ZK et de AB Invoquant lrsquoarticle 2 (droit agrave la vie) et lrsquoarticle 13 (droit agrave un recours effectif) les requeacuterantes alleacuteguaient que lrsquoEacutetat eacutetait responsable du deacutecegraves de leurs proches et que les autoriteacutes nrsquoavaient pas meneacute une enquecircte effective Les requecirctes ont eacuteteacute introduites aupregraves de la Cour EDH les 26 janvier et 14 aoucirct 2007 Au vu des similariteacutes de celles-ci la Cour EDH a deacutecideacute de les joindre Sur la violation alleacutegueacutee des articles 2 et 13 de la Convention

o Sur le volet proceacutedural de larticle 2 La Cour EDH examine tout drsquoabord les griefs des requeacuterantes du point de vue de lrsquoobligation incombant agrave lrsquoEacutetat de mener une enquecircte effective sur les homicides illeacutegaux ou deacutecegraves suspects (volet proceacutedural de lrsquoarticle 2 obligation denquecircter) et rappelle sa jurisprudence tregraves fournie en la matiegravere (sect129 agrave 131) Selon des informations fournies par le Gouvernement lrsquoenquecircte sur lrsquousage de la force par les services reacutepressifs agrave la prison nrsquoa deacutebuteacute qursquoen juin 2006 soit trois mois apregraves les faits ce qui pour la Cour EDH repreacutesente un deacutelai bien trop long eu eacutegard agrave lrsquoampleur des eacuteveacutenements et au risque qursquoapregraves un si long laps de temps les informations importantes ne puissent plus ecirctre recueillies (sect132) En outre les autoriteacutes ont dans un premier temps refuseacute drsquoouvrir une enquecircte seacutepareacutee sur le recours agrave une force supposeacutement disproportionneacutee estimant que cet aspect eacutetait deacutejagrave couvert par les mesures drsquoenquecircte adopteacutees lors de la proceacutedure peacutenale ayant viseacute les six instigateurs allegravegues de lrsquoeacutemeute Or cette enquecircte a eacuteteacute meneacutee par le service peacutenitentiaire crsquoest-agrave-dire lrsquoorgane mecircme qui avait organiseacute la riposte agrave lrsquoeacutemeute Par ailleurs cette enquecircte nrsquoa pas porteacute sur la planification de lrsquoopeacuteration ni sur lrsquoutilisation de la force physique ou meurtriegravere ayant tueacute ou blesseacute des deacutetenus Mecircme lorsque les autoriteacutes ont ouvert une enquecircte peacutenale distincte sur le recours agrave la force en juin 2006 les requeacuterants nrsquoy ont pas eacuteteacute associeacutes en tant que victimes ce qui les a priveacutes drsquoimportants droits proceacuteduraux La participation des familles de ZK et de AB et le droit de regard du public sur lrsquoenquecircte ont donc eacuteteacute pratiquement inexistants La Cour EDH rappelle dans son paragraphe 134 quun tel deacutelai prohibitif est en soi incompatible avec lobligation de lEtat en vertu de larticle 2 de la Convention de mener une enquecircte efficace sur les deacutecegraves suspects (voir entre autres les arrecircts Merkulovav c Ukraine ndeg2145404 3 mars 2011sect 51 Şandru

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et autres c Roumanie ndeg2246503 8 deacutecembre 2009 sectsect 73 et 77-80 et Mojsiejew c Pologne ndeg 1181802 24 mars 2009 sectsect 57-58) Enfin lrsquoenquecircte nrsquoa toujours pas abouti agrave des constats deacutefinitifs ce qui constitue un retard excessif incompatible avec les obligations qui deacutecoulent de lrsquoarticle 2 La Cour EDH conclut que lrsquoenquecircte peacutenale sur lrsquousage de la force par les services reacutepressifs semble avoir eacuteteacute ineffective eu eacutegard agrave son ouverture tardive agrave son deacutefaut drsquoindeacutependance et drsquoimpartialiteacute au deacutefaut drsquoassociation des proches et aux retards excessifs Il y a donc eu violation de lrsquoarticle 2 de la Convention sous son volet proceacutedural (sect135) Compte tenu de cette conclusion la Cour EDH juge qursquoaucune question distincte ne se pose sur le terrain de lrsquoarticle 13 de la Convention (sect136)

o Sur le volet mateacuteriel de larticle 2

La Cour EDH recherche ensuite si lrsquousage de la force meurtriegravere contre les proches des requeacuterantes eacutetait leacutegitime (volet mateacuteriel de lrsquoarticle 2) En effet en vertu de larticle 2 de la Convention le recours agrave la force meurtriegravere par les forces de seacutecuriteacute peut ecirctre justifieacute dans certaines circonstances Toutefois larticle 2 ne leur donne pas carte blanche Lutilisation des termes laquo absolument neacutecessaire raquo indique que la force utiliseacutee doit ecirctre strictement proportionneacutee aux objectifs mentionneacutes agrave larticle 2 sect 2 a) b) et c) (voir en ce sens Finogenov and Others c Russie ndeg1829903 et 2731103 20 deacutecembre 2011 sect 210 et Guumll c Turquie ndeg2267693 14 deacutecembre 2000 sectsect 77 et 78) (sect144) Nrsquoayant pas drsquoinformations directes sur les faits qui se sont produits agrave la prison la Cour EDH doit se reposer sur les constats opeacutereacutes au niveau interne Or les juridictions nrsquoont pas acheveacute lrsquoexamen de cette question du recours agrave la force et aucune enquecircte parlementaire nrsquoa eacuteteacute meneacutee ce que la Cour EDH juge regrettable compte tenu de lrsquoampleur des eacutevegravenements (sect148) La Cour EDH preacutecise dans ce mecircme paragraphe quil revenait donc au gouvernement deacutefendeur drsquoexpliquer de maniegravere satisfaisante et convaincante le deacuteroulement des faits et de produire des eacuteleacutements de preuve solides afin de reacutefuter les alleacutegations des requeacuterantes relatives agrave lrsquousage drsquoune force meurtriegravere disproportionneacutee par des agents de lrsquoEacutetat Si le Gouvernement nrsquoagit pas il revient la Cour EDH de tirer ses propres conclusions (voir en ce sens larrecirct Mansuroğlu c Turkey ndeg 4344398 26 feacutevrier 2008 sect 80) La Cour EDH rappelle quelle peut eacutegalement se servir de tous les eacuteleacutements dont elle dispose notamment de rapports drsquoorganisations de deacutefense des droits de lrsquohomme tels que ceux eacutetablis par Amnesty International et Human Rights Watch dans cette affaire Les conclusions factuelles auxquelles aboutit la Cour EDH doivent reposer sur le critegravere de la preuve laquo au-delagrave de tout doute raisonnable raquo Au vu des eacuteleacutements qui sont en sa possession la Cour EDH constate que la conduite des deacutetenus qui se sont barricadeacutes dans la prison ndeg5 et ont tireacute en direction des agents des forces de lrsquoordre au moment des troubles faisait penser agrave une tentative de soulegravevement La Cour EDH rappelle quelle est consciente de la violence qui regravegne dans les prisons et du risque que des actes violents se transforment rapidement en reacutesistance active contre les forces de lordre voire en insurrection (voir en ce sens Leyla Alp et autres v Turquie ndeg2967502 10 deacutecembre 2013sect 84 et İsmail Altun c Turquie ndeg2293202 21 septembre 2010 sect 73)Confronteacute agrave une violence illeacutegale et agrave un risque drsquoinsurrection lrsquoEacutetat deacutefendeur eacutetait donc fondeacute agrave recourir agrave des mesures impliquant une force potentiellement meurtriegravere pouvant ecirctre compatible avec les buts eacutenonceacutes agrave lrsquoarticle 2 sect 2 a (laquo pour assurer la deacutefense de toute personne contre la violence illeacutegale raquo et c (laquo pour reacuteprimer conformeacutement agrave la loi une eacutemeute ou une insurrection raquo) de la Convention Se pose toutefois la question de savoir si le recours agrave la force meurtriegravere eacutetait laquo absolument neacutecessaire raquo en particulier agrave la lumiegravere du nombre de personnes qui ont eacuteteacute tueacutees ou blesseacutees (sect152) Pour appreacutecier la proportionnaliteacute du recours agrave la force meurtriegravere la Cour EDH relegraveve que les autoriteacutes connaissaient le risque que les six chefs de gang supposeacutes et leurs complices provoquent des troubles agrave la prison lors de leur extraction Or la brigade antieacutemeute nrsquoavait pas reccedilu drsquoinstructions ou drsquoordres speacutecifiques quant agrave la forme et agrave lrsquointensiteacute drsquoune eacuteventuelle force meurtriegravere qui permettrait de limiter autant que possible le nombre de victimes potentielles Le Gouvernement nrsquoa pas non plus eacutetabli que la brigade antieacutemeute avait agi de maniegravere controcircleacutee et systeacutematique avec une chaine de commandement claire Selon les eacuteleacutements recueillis par Human Rights Watch les autoriteacutes ne savaient mecircme pas exactement qui eacutetait responsable de lrsquoopeacuteration (sect153)

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Selon la Cour EDH les autoriteacutes nrsquoauraient pas non plus penseacute agrave des mesures alternatives comme employer du gaz lacrymogegravene ou des canons agrave eau omission qui reacutesulte semble-t-il drsquoun deacutefaut de planification strateacutegique Par ailleurs la possibiliteacute drsquoatteacutenuer la crise en neacutegociant avec les deacutetenus barricadeacutes nrsquoa pas eacuteteacute suffisamment envisageacutee (voir en ce sens İsmail Altun citeacute sect 73) (sect154) La Cour EDH affirme dans son paragraphe suivant que les autoriteacutes nrsquoont pas fourni une assistance meacutedicale adeacutequate aux deacutetenus de la prison ndeg5 agrave lrsquoissue de lrsquoopeacuteration alors que de telles dispositions auraient ducirc ecirctre prises La Cour EDH relegraveve au mecircme paragraphe lrsquoexistence de comptes rendus fiables recueillis par des observateurs internes mais aussi internationaux (comme Human Rights Watch et Amnesty International) selon lesquels de nombreux deacutetenus se sont vu infliger des mauvais traitements par des agents des forces speacuteciales et se sont mecircme fait tirer dessus dans leurs cellules alors qursquoils nrsquoopposaient plus de reacutesistance Enfin ni les autoriteacutes nationales ni le gouvernement deacutefendeur nrsquoont fourni drsquoinformations sur le sort de ZK et celui de AB qui ont eacuteteacute tueacutes lors de lrsquoopeacuteration (sect156) Selon la Cour EDH ZK et AB ont succombeacute agrave une force meurtriegravere qui bien qursquoayant poursuivi des buts leacutegitimes viseacutes agrave lrsquoarticle 2 de la Convention ne peut ecirctre consideacutereacutee comme ayant eacuteteacute laquo absolument neacutecessaire raquo au sens de cette disposition La Cour EDH conclut ainsi que lrsquoopeacuteration anti-eacutemeute a emporteacute violation de lrsquoarticle 2 de la Convention sous son volet mateacuteriel (sect157) POUR CES RAISONS LA COUR Agrave LUNANIMITEacute

1 Deacutecide de joindre les demandes 2 Joint au fond lobjection du gouvernement concernant le caractegravere preacutematureacute des demandes et deacuteclare les demandes recevables 3 Dit que lexception preacuteciteacutee du Gouvernement doit ecirctre rejeteacutee et quil y a eu violation de larticle 2 de la Convention tant sur le plan de la proceacutedure que sur celui du fond 4 Dit quil ny a pas lieu dexaminer le grief au titre de larticle 13 de la Convention 5 Dit

a) que lEacutetat deacutefendeur doit verser aux requeacuterants dans un deacutelai de trois mois agrave compter de la date agrave laquelle le jugement devient deacutefinitif conformeacutement agrave larticle 44 sect 2 de la Convention les montants suivants agrave convertir dans la monnaie de lEacutetat deacutefendeur au taux applicable agrave la date du regraveglement

i) 40000 EUR (quarante mille euros) aux premier et deuxiegraveme requeacuterants conjointement et 32000 EUR (trente-deux mille euros) au troisiegraveme requeacuterant plus tout impocirct eacuteventuellement exigible au titre du preacutejudice moral ii) 5 400 (cinq mille quatre cents euros) euros pour le premier et deuxiegraveme requeacuterant conjointement et 3 400 (trois mille quatre cents euros) euros pour le troisiegraveme requeacuterant plus toute taxe qui pourrait leur ecirctre imputeacutee au titre des frais et deacutepens

b) quagrave compter de lexpiration des trois mois susmentionneacutes et jusquau regraveglement des inteacuterecircts simples seront dus sur les montants susmentionneacutes agrave un taux eacutegal au taux de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne pendant la peacuteriode de carence majoreacute de trois points de pourcentage

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Egaliteacute de traitement

Cour de justice (grande chambre) NH Associazione Avvocatura per i diritti LGBTI ndash Rete Lenford 23 avril 2020 C-50718

Reacutesumeacute En reacuteponse agrave des questions preacutejudicielles de la Cour de cassation italienne la Cour de justice estime drsquoune part que des

deacuteclarations insinuant une politique de recrutement homophobe relegravevent de la notion de laquo conditions drsquoaccegraves agrave lrsquoemploi ou au travail raquo

degraves lors qursquoil existe un lien non hypotheacutetique entre ces deacuteclarations et la politique de recrutement de lrsquoemployeur Drsquoautre part elle a

conclu que le droit national peut preacutevoir qursquoune association a le droit drsquoagir en justice pour assurer le respect des obligations de la

directive 200078 mecircme si aucune personne leacuteseacutee nrsquoest identifiable

NH est un avocat et lrsquoAssociazione une association drsquoavocats deacutefendant en justice les droits des personnes

LGBTI LrsquoAssociazione a attrait NH en justice en raison du fait qursquoil avait tenu des propos constituant un

comportement discriminatoire fondeacute sur lrsquoorientation sexuelle des travailleurs NH a deacuteclareacute lors drsquoune eacutemission

radiophonique ne pas vouloir recruter ni faire travailler de personnes homosexuelles dans son cabinet drsquoavocats

Le Tribunal de Bergame a condamneacute NH par une ordonnance du 6 aoucirct 2014 La Cour drsquoappel de Brescia a

rejeteacute le recours introduit par NH NH srsquoest pourvu en cassation et allegravegue que lrsquoAssociazione nrsquoa pas la qualiteacute

pour agir et qursquoil a exprimeacute une opinion concernant la profession drsquoavocat non pas en se preacutesentant en qualiteacute

drsquoemployeur mais en tant que simple citoyen et que les deacuteclarations litigieuses eacutetaient deacutetacheacutees de tout contexte

professionnel effectif

La Cour de Cassation a deacutecideacute de surseoir agrave statuer et de poser agrave la Cour de justice les questions preacutejudicielles

suivantes

laquo 1) Lrsquoarticle 9 de la directive [200078] doit-il ecirctre interpreacuteteacute en ce sens qursquoune association composeacutee

drsquoavocats speacutecialiseacutes dans la deacutefense en justice drsquoune cateacutegorie de personnes ayant une orientation

sexuelle diffeacuterente et qui a pour objectif aux termes de ses statuts de promouvoir la culture et le respect

des droits de cette cateacutegorie est automatiquement porteuse drsquoun inteacuterecirct collectif et constitue une

association de tendance ou de conviction sans but lucratif ayant qualiteacute pour agir en justice y compris

en reacuteparation lorsque se produisent des faits jugeacutes discriminatoires contre cette cateacutegorie de personnes

2) Les articles 2 et 3 de la directive [200078] doivent-ils ecirctre interpreacuteteacutes en ce sens que le champ

drsquoapplication du reacutegime de lutte contre la discrimination que preacutevoit cette directive couvre lrsquoexpression

drsquoune opinion contraire agrave la cateacutegorie des personnes homosexuelles faite lors drsquoun entretien dans le

cadre drsquoune eacutemission radiophonique de divertissement dans laquelle la personne interrogeacutee a deacuteclareacute

que jamais elle ne recruterait ni ne ferait travailler ces personnes dans son cabinet [drsquoavocats] alors

mecircme qursquoaucune proceacutedure de recrutement nrsquoaurait eacuteteacute en cours ni nrsquoaurait eacuteteacute programmeacutee par cette

personne raquo

o Sur la seconde question

Il convient drsquoexaminer en premier lieu si les deacuteclarations effectueacutees au cours drsquoune eacutemission audiovisuelle par

NH relegravevent du champ drsquoapplication mateacuteriel de la directive 200078 en ce que celle-ci vise agrave son article 3

paragraphe 1 sous a) les laquo conditions drsquoaccegraves agrave lrsquoemploi [hellip] ou au travail y compris les critegraveres de seacutelection et

les conditions de recrutement raquo

Renvoi preacutejudiciel ndash Eacutegaliteacute de traitement en matiegravere drsquoemploi et de travail ndash Directive 200078CE ndash Article 3 paragraphe 1 sous a) article 8 paragraphe 1 et article 9 paragraphe 2 ndash Interdiction des discriminations fondeacutees sur lrsquoorientation sexuelle ndash Conditions drsquoaccegraves agrave lrsquoemploi ou au travail ndash Notion ndash Deacuteclarations publiques excluant le recrutement de personnes homosexuelles ndash Article 11 paragraphe 1 article 15 paragraphe 1 et article 21 paragraphe 1 de la charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne ndash Deacutefense des droits ndash Sanctions ndash Personne morale repreacutesentative drsquoun inteacuterecirct collectif ndash Qualiteacute pour agir en justice sans agir au nom drsquoun plaignant deacutetermineacute ou en lrsquoabsence de personne leacuteseacutee ndash Droit drsquoobtenir reacuteparation

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La Cour de justice note que cette directive ne renvoie pas au droit des Eacutetats membres pour deacutefinir la notion de

laquo conditions drsquoaccegraves agrave lrsquoemploi [hellip] ou au travail raquo Ces termes doivent donc ecirctre interpreacuteteacutes conformeacutement agrave leur

sens habituel dans le langage courant tout en tenant compte du contexte dans lequel ils sont utiliseacutes et des

objectifs poursuivis par la reacuteglementation dont ils font partie En lrsquoespegravece les termes de lrsquoarticle 3 de la directive

200078 visent des circonstances ou des faits dont lrsquoexistence doit impeacuterativement ecirctre eacutetablie pour qursquoune

personne puisse obtenir un emploi ou un travail donneacute Les termes ne permettant pas agrave eux seuls de deacuteterminer

si les deacuteclarations litigieuses relegravevent du champ drsquoapplication mateacuteriel de cette directive la Cour de justice estime

qursquoil faut srsquointerroger sur le contexte dans lequel srsquoinscrit lrsquoarticle 3 et sur les objectifs de la directive preacuteciteacutee La

directive a eacuteteacute prise sur le fondement de lrsquoarticle 19 paragraphe 1 TFUE lequel confegravere agrave lrsquoUnion une

compeacutetence pour prendre les mesures neacutecessaires en vue de combattre toute discrimination fondeacutee notamment

sur lrsquoorientation sexuelle Lrsquoobjectif de la directive 200078 est drsquoeacutetablir un cadre geacuteneacuteral pour lutter contre la

discrimination fondeacutee sur lrsquoorientation sexuelle en ce qui concerne lrsquoemploi et le travail afin de mettre en œuvre

le principe de lrsquoeacutegaliteacute de traitement dans les Eacutetats membres La Cour de justice rappelle que la directive 200078

concreacutetise ainsi dans le domaine qursquoelle couvre le principe geacuteneacuteral de non-discrimination deacutesormais consacreacute agrave

lrsquoarticle 21 de la Charte europeacuteenne des droits fondamentaux Ainsi la Cour de justice estime que la notion de

laquo conditions drsquoaccegraves agrave lrsquoemploi ou au travail raquo ne saurait faire lrsquoobjet drsquoune interpreacutetation restrictive

Pour que des deacuteclarations relegravevent du champ drsquoapplication mateacuterielle de la directive preacuteciteacutee il faut qursquoelles

puissent ecirctre effectivement rattacheacutees agrave la politique de recrutement drsquoun employeur donneacute ce qui impose que le

lien qursquoelles preacutesentent avec les conditions drsquoaccegraves agrave lrsquoemploi ou au travail aupregraves de cet employeur ne soit pas

hypotheacutetique Afin drsquoappreacutecier lrsquoexistence drsquoun tel lien sont pertinents le statut de lrsquoauteur des deacuteclarations et la

qualiteacute dans laquelle il srsquoest exprimeacute lesquels doivent eacutetablir srsquoil est un employeur potentiel ou capable drsquoexercer

une influence deacuteterminante sur la politique drsquoembauche Sont pertinents deuxiegravemement la nature et le contenu

des deacuteclarations concerneacutees Troisiegravemement doit ecirctre pris en consideacuteration le contexte dans lequel les

deacuteclarations en cause ont eacuteteacute effectueacutees

Finalement la Cour de justice estime que cette interpreacutetation de la directive ne saurait ecirctre infirmeacutee par lrsquoeacuteventuelle

limitation agrave lrsquoexercice de la liberteacute drsquoexpression qursquoelle pourrait entraicircner Elle rappelle que la liberteacute drsquoexpression

est un droit fondamental de lrsquoUnion europeacuteenne mais qursquoelle nrsquoest pas un droit absolu et son exercice peut

comporter des limitations si elles sont preacutevues par la loi et respectent le contenu essentiel de ce droit ainsi que

le principe de proportionnaliteacute Or comme lrsquoavocate geacuteneacuterale lrsquoa releveacute dans ses conclusions tel est le cas en

lrsquooccurrence

Par suite la Cour de justice estime que la notion de laquo conditions drsquoaccegraves agrave lrsquoemploi [hellip] ou au travail raquo doit ecirctre

interpreacuteteacutee en ce sens que relegravevent de cette notion les deacuteclarations litigieuses agrave condition que le lien entre ces

deacuteclarations et les conditions drsquoaccegraves agrave lrsquoemploi ou au travail au sein de cette entreprise ne soit hypotheacutetique

o Sur la premiegravere question

Lrsquoarticle 9 paragraphe 2 de la directive 200078 dispose que les Eacutetats membres veillent agrave ce que les associations

organisations ou les personnes morales qui ont un inteacuterecirct leacutegitime agrave assurer que les dispositions de cette directive

sont respecteacutees puissent engager toute proceacutedure judiciaire et ou administrative preacutevue pour faire respecter les

obligations de la directive Lrsquoarticle 8 paragraphe 1 de la directive 200078 preacutevoit que les Eacutetats membres

peuvent adopter ou maintenir des dispositions plus favorables agrave la protection du principe de lrsquoeacutegaliteacute de traitement

que celles preacutevues dans cette directive Ainsi la Cour de justice a jugeacute que lrsquoarticle 9 de la directive 200078 ne

srsquooppose pas agrave ce qursquoun Eacutetat membre preacutevoie le droit pour les associations ayant un inteacuterecirct leacutegitime agrave faire assurer

le respect de cette directive drsquoengager des proceacutedures juridictionnelles ou administratives visant agrave faire respecter

les obligations deacutecoulant de celle-ci sans agir au nom drsquoun plaignant deacutetermineacute ou en lrsquoabsence de plaignant

identifiable

Par suite la Cour de justice estime que la directive 200078 ne srsquooppose pas agrave une reacuteglementation nationale en

vertu de laquelle une association dont lrsquoobjet consiste agrave deacutefendre en justice les personnes ayant une certaine

orientation sexuelle a automatiquement qualiteacute pour engager une proceacutedure juridictionnelle visant agrave faire

respecter les obligations deacutecoulant de cette directive lorsque se produisent des faits susceptibles de constituer une

discrimination agrave lrsquoencontre de ladite cateacutegorie de personnes et qursquoune personne leacuteseacutee nrsquoest pas identifiable

Par ces motifs la Cour de justice (grande chambre) dit pour droit

35

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1) La notion de laquo conditions drsquoaccegraves agrave lrsquoemploi [] ou au travail raquo contenue dans lrsquoarticle 3 paragraphe

1 sous a) de la directive 200078CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant creacuteation drsquoun cadre

geacuteneacuteral en faveur de lrsquoeacutegaliteacute de traitement en matiegravere drsquoemploi et de travail doit ecirctre interpreacuteteacutee en ce

sens que relegravevent de cette notion des deacuteclarations effectueacutees par une personne au cours drsquoune eacutemission

audiovisuelle selon lesquelles jamais elle ne recruterait ni ne ferait travailler de personnes drsquoune certaine

orientation sexuelle dans son entreprise et ce alors qursquoaucune proceacutedure de recrutement nrsquoeacutetait en cours

ou programmeacutee agrave condition que le lien entre ces deacuteclarations et les conditions drsquoaccegraves agrave lrsquoemploi ou au

travail au sein de cette entreprise ne soit pas hypotheacutetique

2) La directive 200078 doit ecirctre interpreacuteteacutee en ce sens qursquoelle ne srsquooppose pas agrave une reacuteglementation

nationale en vertu de laquelle une association drsquoavocats dont lrsquoobjet statutaire consiste agrave deacutefendre en

justice les personnes ayant notamment une certaine orientation sexuelle et agrave promouvoir la culture et le

respect des droits de cette cateacutegorie de personnes a du fait de cet objet et indeacutependamment de son but

lucratif eacuteventuel automatiquement qualiteacute pour engager une proceacutedure juridictionnelle visant agrave faire

respecter les obligations deacutecoulant de cette directive et le cas eacutecheacuteant obtenir reacuteparation lorsque se

produisent des faits susceptibles de constituer une discrimination au sens de ladite directive agrave

lrsquoencontre de ladite cateacutegorie de personnes et qursquoune personne leacuteseacutee nrsquoest pas identifiable

Indeacutependance de la justice

Ordonnance de la Cour de justice (grande chambre) du 8 avril 2020 dans lrsquoaffaire Reacutepublique de Pologne Commission europeacuteenne C-79119 R

Reacutesumeacute La Commission europeacuteenne a saisi la Cour de justice afin que celle-ci ordonne la suspension des dispositions de la leacutegislation

nationale qui donne la compeacutetence agrave la chambre disciplinaire de juger des affaires disciplinaires concernant les juges polonais La Cour

de justice reacutepond positivement agrave la demande de la Commission europeacuteenne en justifiant que ces dispositions porteraient atteinte agrave

lrsquoindeacutependance de la justice et ainsi seraient contraires agrave lrsquoEtat de droit et au droit de lrsquoUnion

Estimant que la Reacutepublique de Pologne avait manqueacute en adoptant le nouveau reacutegime disciplinaire des juges de

la Cour suprecircme et des juridictions de droit commun aux obligations lui incombant en vertu du droit de lrsquoUnion

la Commission europeacuteenne a le 3 avril 2019 adresseacute une lettre de mise en demeure agrave cet Eacutetat Dans une lettre

du 1er juin 2019 la Reacutepublique de Pologne a contesteacute toute violation du droit de lrsquoUnion Le 17 juillet 2019 la

Commission europeacuteenne a eacutemis un avis motiveacute dans lequel elle maintenait que le nouveau reacutegime polonais violait

les dispositions du droit de lrsquoUnion Agrave la suite de la reacuteponse de la Reacutepublique de Pologne qui ne lrsquoa pas convaincu

la Commission europeacuteenne a deacutecideacute drsquointroduire un recours en manquement

Par sa demande en reacutefeacutereacute la Commission europeacuteenne demande agrave la Cour de justice drsquoordonner agrave la Reacutepublique

de Pologne dans lrsquoattente de lrsquoarrecirct de la Cour de justice statuant sur le fond de suspendre lrsquoapplication des

dispositions de lrsquoarticle 3 point 5 de lrsquoarticle 27 et de lrsquoarticle 73 paragraphe 1 de la loi sur la Cour suprecircme

constituant le fondement de la compeacutetence de la chambre disciplinaire de la Cour suprecircme polonaise La

Commission europeacuteenne demande eacutegalement que la Reacutepublique de Pologne srsquoabstienne de transmettre les

affaires pendantes devant la chambre disciplinaire agrave une formation de jugement qui ne satisfait pas aux exigences

drsquoindeacutependance

o Sur la recevabiliteacute

La Reacutepublique de Pologne soutient que la demande en reacutefeacutereacute introduite par la Commission europeacuteenne est

manifestement irrecevable En premier lieu la Pologne allegravegue que les mesures provisoires solliciteacutees par la

Commission europeacuteenne sont de nature agrave constituer une ingeacuterence inadmissible dans les structures

constitutionnelle et juridictionnelle polonaises

Reacutefeacutereacute ndash Article 279 TFUE ndash Demande de mesures provisoires ndash Article 19 paragraphe 1 second alineacutea TUE ndash Indeacutependance de lrsquoIzba Dyscyplinarna (chambre disciplinaire) du Sąd Najwyższy (Cour suprecircme Pologne)

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La Commission europeacuteenne soutient que les dispositions nationales dont elle demande la suspension relegravevent du

champ drsquoapplication de lrsquoarticle 19 paragraphe 1 second alineacutea TUE de sorte qursquoelles peuvent faire lrsquoobjet de

mesures provisoires solliciteacutees

La Cour de justice rappelle que bien que chaque Eacutetat membre soit compeacutetent pour lrsquoorganisation de la justice

dans son Eacutetat ils sont tenus de respecter les obligations qui deacutecoulent du droit de lrsquoUnion et en particulier de

lrsquoarticle 19 paragraphe 1 second alineacutea TUE Tous les Etats membres doivent srsquoassurer que les juridictions

relevant de leur systegraveme de voies de recours dans les domaines couverts par le droit de lrsquoUnion satisfont aux

exigences drsquoune protection juridictionnelle effective La Cour de justice rappelle que lrsquoarticle 19 TUE qui

concreacutetise la valeur de lrsquoEacutetat de droit confie aux juridictions nationales et agrave la Cour de justice de garantir la pleine

application du droit de lrsquoUnion ainsi que la protection juridictionnelle que les justiciables tirent de ce droit Afin

que cette protection soit garantie la preacuteservation de lrsquoindeacutependance de ces instances est primordiale La Cour de

justice relegraveve qursquoil incombe agrave tout Eacutetat membre drsquoassurer que le reacutegime disciplinaire applicable aux juges des

juridictions nationales respecte le principe drsquoindeacutependance des juges Ainsi la Cour de justice est compeacutetente

dans le cadre drsquoun recours en manquement tendant agrave contester la compatibiliteacute avec lrsquoarticle 19 paragraphe 1

second alineacutea TUE des dispositions nationales relatives au reacutegime disciplinaire pour ordonner au titre de lrsquoarticle

279 TFUE des mesures provisoires tendant agrave la suspension de lrsquoapplication de telles dispositions

En lrsquoespegravece la Cour de justice note que la chambre disciplinaire srsquoest vu confier par les dispositions nationales

litigieuses la compeacutetence pour statuer dans les affaires disciplinaires concernant les juges de la Cour suprecircme et

des juridictions de droit commun juridictions qui peuvent connaitre de questions lieacutees agrave lrsquoapplication ou agrave

lrsquointerpreacutetation du droit de lrsquoUE

Par suite la Cour de justice est compeacutetente pour adopter des mesures provisoires de la nature de celles solliciteacutees

par la Commission europeacuteenne

En deuxiegraveme lieux la Pologne soutient que les mesures provisoires solliciteacutees par la Commission europeacuteenne

tendent agrave ce que certains juges de la Cour suprecircme agrave savoir ceux de la chambre disciplinaire soient deacutemis de

leurs fonctions Cela violerait le principe drsquoinamovibiliteacute des juges et compromettrait les garanties drsquoindeacutependance

des juges

La Cour de justice estime que les mesures demandeacutees par la Commission europeacuteenne auraient pour effet la

suspension de lrsquoapplication des dispositions nationales litigieuses et non pas la reacutevocation des juges de la chambre

disciplinaire

En troisiegraveme lieu la Reacutepublique de Pologne estime que les mesures provisoires rendraient impossible lrsquoexeacutecution

de lrsquoarrecirct deacutefinitif en cas drsquoaccueil du recours en ce que leur octroi aurait pour effet pratique la dissolution de la

chambre disciplinaire La Cour de justice rejette lrsquoargument de la Pologne

Par suite la Cour de justice conclut que la demande de mesures provisoires est recevable

o Sur le fond

La Cour de justice agrave titre liminaire rappelle qursquoune mesure provisoire ne peut ecirctre accordeacutee par le juge des reacutefeacutereacutes

que srsquoil est eacutetabli que son octroi est justifieacute agrave premiegravere vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qursquoelle est urgente

en ce sens qursquoil est neacutecessaire pour eacuteviter un preacutejudice grave et irreacuteparable aux inteacuterecircts du requeacuterant qursquoelle soit

eacutedicteacutee et produise ses effets degraves avant la deacutecision au fond Le juge des reacutefeacutereacutes procegravede eacutegalement le cas eacutecheacuteant

agrave la mise en balance des inteacuterecircts en preacutesence

Sur le fumus boni juri

Afin que cette condition soit remplie il ressort de la jurisprudence de la Cour de justice qursquoil faut qursquoau moins un

des moyens invoqueacutes par la partie qui sollicite les mesures provisoires agrave lrsquoappui du recours au fond apparaisse agrave

premiegravere vue non deacutepourvu de fondement seacuterieux

A ce titre la Commission europeacuteenne invoque un moyen tireacute de ce que en ne garantissant pas lrsquoindeacutependance et

lrsquoimpartialiteacute de la chambre disciplinaire la Reacutepublique de Pologne a manqueacute aux obligations qui lui incombent

en vertu de lrsquoarticle 19 paragraphe 1 second alineacutea TUE La Commission europeacuteenne relegraveve que lrsquoinstitution de

la chambre disciplinaire a coiumlncideacute avec la modification des regravegles relatives agrave la nomination des membres de la

KRS Cette modification a accru lrsquoinfluence du pouvoir leacutegislatif sur le fonctionnement de cet organe qui participe

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au processus de seacutelection des juges et est chargeacute drsquoassurer lrsquoindeacutependance des juges et des juridictions et par

conseacutequence sur le processus de nomination des juges agrave la chambre disciplinaire La Commission europeacuteenne

relegraveve ensuite que le leacutegislateur national a exclu la possibiliteacute de deacutesigner comme membre de la chambre

disciplinaire un juge deacutejagrave en exercice au sein de la Cour suprecircme de sorte que seuls de nouveaux juges nommeacutes

sur proposition de la KRS ont pu ecirctre nommeacutes pour sieacuteger au sein de cette chambre Finalement la Commission

europeacuteenne souligne que la chambre disciplinaire se caracteacuterise par un degreacute eacuteleveacute drsquoautonomie organisationnelle

et financiegravere

La Commission europeacuteenne souligne que les eacuteleacutements susmentionneacutes et leur introduction simultaneacutee dans le

droit polonais font apparaitre une rupture structurelle qui empecircche drsquoeacutecarter tout doute leacutegitime quant agrave

lrsquoindeacutependance et agrave lrsquoimpartialiteacute de la chambre disciplinaire

La Cour de justice afin de veacuterifier si la condition relative au fumus boni juris est remplie en lrsquooccurrence relegraveve que

le grief porte sur la question de savoir si la chambre disciplinaire satisfait agrave lrsquoexigence drsquoindeacutependance des juges

qui deacutecoule de lrsquoarticle 19 paragraphe 1 second alineacutea TUE La Cour de justice commence par rappeler les regravegles

qui concernent les garanties drsquoindeacutependance et drsquoimpartialiteacute Elle rappelle aussi que conformeacutement au principe

de seacuteparation des pouvoirs qui caracteacuterise le fonctionnement drsquoun Eacutetat de droit lrsquoindeacutependance des juridictions

doit ecirctre garantie agrave lrsquoeacutegard des pouvoirs leacutegislatif et exeacutecutif Les juges doivent donc se trouver agrave lrsquoabri

drsquointerventions ou de pressions exteacuterieures susceptibles de mettre en peacuteril leur indeacutependance Dans lrsquoarrecirct AK

(Cour de justice 19 novembre 2019 affaires jointes C‑58518 C‑62418 et C‑62518) la Cour de justice a eacuteteacute

ameneacutee agrave preacuteciser la porteacutee de ces exigences drsquoindeacutependance et drsquoimpartialiteacute dans le contexte de la creacuteation drsquoune

instance telle que la chambre disciplinaire Elle avait consideacutereacute que lrsquoon pouvait douter de lrsquoindeacutependance de la

KRS qui participe au processus de deacutesignation des juges de la chambre disciplinaire Pour autant la Cour de

justice nrsquoa dans lrsquoarrecirct preacuteciteacute pas constateacute lrsquoabsence de conformiteacute agrave lrsquoarticle 19 paragraphe 1 second alineacutea

TUE des dispositions nationales relatives agrave la chambre disciplinaire et de celles ayant modifieacute les regravegles de

composition de la KRS mais a laisseacute le soin agrave la juridiction de renvoi de proceacuteder aux appreacuteciations requises agrave

cette fin

Par suite il convient de constater que eu eacutegard aux eacuteleacutements de fait mis en avant par la Commission europeacuteenne

ainsi qursquoaux eacuteleacutements drsquointerpreacutetation fournis notamment par lrsquoarrecirct Commission Pologne (Cour de justice 24

juin 2019 C-61918) et par lrsquoarrecirct AK les arguments avanceacutes par la Commission europeacuteenne apparaissent

comme eacutetant non deacutepourvus de fondement seacuterieux Il y a lieu de conclure que la condition relative au fumus boni

juris est remplie en lrsquoespegravece

Sur lrsquourgence

Selon une jurisprudence constante de la Cour de justice la finaliteacute de la proceacutedure de reacutefeacutereacute est de garantir la

pleine efficaciteacute de la future deacutecision deacutefinitive afin drsquoeacuteviter une lacune dans la protection juridique assureacutee par

la Cour de justice Pour atteindre cet objectif lrsquourgence doit srsquoappreacutecier par rapport agrave la neacutecessiteacute qursquoil y a de

statuer provisoirement afin drsquoeacuteviter qursquoun preacutejudice grave et irreacuteparable ne soit occasionneacute agrave la partie qui sollicite

la protection provisoire Le preacutejudice grave et irreacuteparable dont la survenance probable doit ecirctre eacutetablie est celui

qui reacutesulterait le cas eacutecheacuteant du refus drsquoaccorder les mesures provisoires solliciteacutees dans lrsquohypothegravese ougrave le recours

au fond aboutirait par la suite

Il convient ainsi drsquoexaminer si lrsquoapplication des dispositions nationales litigieuses est susceptible de causer un

preacutejudice grave et irreacuteparable au regard du fonctionnement de lrsquoordre juridique de lrsquoUnion La Cour de justice

relegraveve que la garantie drsquoindeacutependance de la chambre disciplinaire en tant que juridiction compeacutetence pour statuer

dans les affaires disciplinaires concernant les juges de la Cour suprecircme et des juridictions de droit commun est

essentielle pour preacuteserver lrsquoindeacutependance de la Cour suprecircme et de ces juridictions Si lrsquoindeacutependance de la

chambre disciplinaire ne peut pas ecirctre garantie alors celle des autres juridictions ne peut lrsquoecirctre non plus Or la

preacuteservation de lrsquoindeacutependance de la Cour suprecircme et des juridictions de droit commun est primordiale afin que

la protection juridictionnelle des droits que les justiciables tirent du droit de lrsquoUnion soit garantie La Cour de

justice a deacutejagrave jugeacute que le fait que lrsquoindeacutependance de la Cour suprecircme puisse ne pas ecirctre garantie est susceptible

drsquoentrainer un grave preacutejudice agrave lrsquoordre juridique de lrsquoUnion et aux droits que les justiciables tirent du droit de

lrsquoUnion Ainsi comme le dit la Cour de justice au point 93 de la preacutesente ordonnance il reacutesulte de ce qui preacutecegravede

que lrsquoapplication des dispositions nationales litigieuses en ce qursquoelles attribuent la compeacutetence pour statuer dans

les affaires disciplinaires relatives aux juges de la Cour suprecircme et des juridictions de droit commun agrave une instance

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en lrsquooccurrence la chambre disciplinaire dont lrsquoindeacutependance pourrait ne pas ecirctre garantie est susceptible de

causer un preacutejudice grave et irreacuteparable agrave lrsquoordre juridique de lrsquoUnion

Par suite il y a lieu de conclure que la condition relative agrave lrsquourgence est eacutetablie en lrsquoespegravece

Sur la mise en balance des inteacuterecircts

Le juge des reacutefeacutereacutes se doit drsquoexaminer si lrsquointeacuterecirct de la partie qui sollicite les mesures provisoires agrave obtenir le sursis

agrave lrsquoexeacutecution preacutevaut sur lrsquointeacuterecirct que preacutesente lrsquoapplication immeacutediate de celles-ci

La Pologne estime que lrsquoapplication des mesures provisoires solliciteacutees aurait pour effets de contraindre les

pouvoirs leacutegislatif et exeacutecutif polonais agrave adopter des mesures dont lrsquoeffet pratique serait la dissolution drsquoun organe

du pouvoir judiciaire qui exerce ses missions structurelles lieacutees agrave lrsquoadministration de la justice de mettre fin agrave une

entiteacute dont le budget est exeacutecuteacute par son Preacutesident et de porter atteinte au droit des justiciables

La Cour de justice rappelle tout drsquoabord que les Eacutetats membres sont tenus de respecter les obligations qui

deacutecoulent pour eux du droit de lrsquoUnion et en particulier de lrsquoarticle 19 paragraphe 1 second alineacutea TUE Elle

rappelle eacutegalement que lrsquooctroi des mesures provisoires solliciteacutees emporterait non pas la dissolution de la

chambre disciplinaire mais la suspension provisoire de son activiteacute Par ailleurs dans la mesure ougrave lrsquooctroi desdites

mesures impliquerait que le traitement des affaires pendantes devant la chambre disciplinaire doive ecirctre suspendu

jusqursquoau prononceacute de lrsquoarrecirct deacutefinitif le preacutejudice reacutesultant de la suspension de ces affaires pour les justiciables

concerneacutes serait moindre que celui reacutesultant de leur examen par une instance agrave savoir la chambre disciplinaire

dont le manque drsquoindeacutependance et drsquoimpartialiteacute ne peut agrave premiegravere vue ecirctre exclu Enfin les difficulteacutes de

nature budgeacutetaire invoqueacutees ne sauraient preacutevaloir sur le risque qursquoil soit porteacute atteinte agrave lrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral de

lrsquoUnion au regard du bon fonctionnement de son ordre juridique

Par suite il y a lieu de conclure que la mise en balance des inteacuterecircts en preacutesence penche en faveur de lrsquooctroi des

mesures provisoires demandeacutees par la Commission europeacuteenne

Par ces motifs la Cour (grande chambre) ordonne

1) La Reacutepublique de Pologne est tenue immeacutediatement et jusqursquoau prononceacute de lrsquoarrecirct qui mettra

fin agrave lrsquoinstance dans lrsquoaffaire C-79119

ndash de suspendre lrsquoapplication des dispositions de lrsquoarticle 3 point 5 de lrsquoarticle 27 et de lrsquoarticle 73

paragraphe 1 de lrsquoustawa o Sądzie Najwyższym (loi sur la Cour suprecircme) du 8 deacutecembre 2017 (Dz U

de 2018 position 5) telle que modifieacutee constituant le fondement de la compeacutetence de lrsquoIzba

Dyscyplinarna (chambre disciplinaire) du Sąd Najwyższy (Cour suprecircme) pour statuer tant en

premiegravere instance qursquoen instance drsquoappel dans les affaires disciplinaires relatives agrave des juges

ndash de srsquoabstenir de transmettre les affaires pendantes devant lrsquoIzba Dyscyplinarna (chambre

disciplinaire) du Sąd Najwyższy (Cour suprecircme) agrave une formation de jugement qui ne satisfait pas aux

exigences drsquoindeacutependance deacutefinies notamment dans lrsquoarrecirct du 19 novembre 2019 A K ea

(Indeacutependance de la chambre disciplinaire de la Cour suprecircme) (C‑58518 C‑62418 et C‑62518

EUC2019982) et

ndash de communiquer agrave la Commission europeacuteenne au plus tard un mois apregraves la notification de

lrsquoordonnance de la Cour ordonnant les mesures provisoires solliciteacutees toutes les mesures qursquoelle aura

adopteacutees afin de se conformer pleinement agrave cette ordonnance

2) Les deacutepens sont reacuteserveacutes

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Interdiction des traitements inhumains ou deacutegradants

Cour EDH (troisiegraveme section) Yevgeniy Mikhaylovich Shmelev et autres Russie 9 avril 2020 ndeg 4174317 et 16 autres

Arrecirct rendu en anglais Reacutesumeacute La Cour EDH juge que le nouveau recours compensatoire mise en œuvre par les autoriteacutes russes est effectif lorsqursquoaucun autre recours nrsquoest neacutecessaire notamment dans tous les cas ougrave la deacutetention provisoire a pris fin et dans certaines situations ougrave la peine drsquoemprisonnement a eacuteteacute exeacutecuteacutee en violation des dispositions internes La Cour EDH deacuteclare ainsi les griefs des plusieurs requeacuterants irrecevables pour non-eacutepuisement des voies de recours internes En outre la Cour EDH demande aux parties de produire des observations suppleacutementaires afin de clarifier la question de lrsquoeffectiviteacute des recours compensatoires dans le cas des recours preacuteventifs ouverts afin de permettre agrave ceux qui sont encore incarceacutereacutes de voir srsquoameacuteliorer leurs conditions de deacutetention Tous les requeacuterants ressortissants russes ont eacuteteacute deacutetenus dans divers centres de deacutetention russes avant ou apregraves leur condamnation dans le cadre dune proceacutedure peacutenale Sept des requeacuterants (requecirctes ndeg 6680617 7580417 7718117 7726517 1929418 3168218 et 3254518) sont ou eacutetaient deacutetenus dans des centres de deacutetention provisoire et les dix autres (requecirctes ndeg 4174317 6018517 7449717 124918 915218 1498818 1799118 1983718 2154218 et 2915518) sont ou ont eacuteteacute deacutetenus dans des colonies peacutenitentiaires apregraves avoir eacuteteacute condamneacutes Le 27 janvier 2020 la loi feacutedeacuterale no 494ndashFZ (dite laquo loi drsquoindemnisation raquo) est entreacutee en vigueur Elle dispose que tout deacutetenu qui allegravegue que ses conditions de deacutetention enfreignent ou ont enfreint les normes nationales ou internationales peut solliciter une indemniteacute aupregraves drsquoun tribunal Le gouvernement russe a soumis des informations sur cette loi et drsquoautres eacutevolutions pertinentes du droit interne visant agrave atteacutenuer les mauvaises conditions de deacutetention Il a demandeacute agrave la Cour EDH de consideacuterer que la nouvelle loi offre un nouveau recours effectif srsquoagissant des conditions de deacutetention A diffeacuterentes dates en 2017 et 2018 les 17 requeacuterants ont saisi la Cour EDH Invoquant lrsquoarticle 3 (interdiction des traitements inhumains ou deacutegradants) lrsquoensemble des 17 requeacuterants se plaignaient de subir ou drsquoavoir subi de mauvaises conditions de deacutetention notamment en raison de la surpopulation Sur le terrain de lrsquoarticle 13 (droit agrave un recours effectif) de la Convention certains drsquoentre eux alleacuteguaient eacutegalement qursquoil nrsquoexistait pas de recours interne effectif permettant de se plaindre de conditions de deacutetention

1) Violation alleacutegueacutee des articles 3 et 13 de la Convention du fait de conditions de deacutetention dans les centres de deacutetention preacuteventive

Les requeacuterants dans les requecirctes ndeg 6680617 1799118 1929418 2154218 3168218 et 3254518 ont fait valoir que les conditions de leur deacutetention provisoire avaient eacuteteacute contraires agrave larticle 3 de la Convention certains dentre eux ont soutenu quils navaient pas disposeacute de recours effectifs contre ces violations comme le preacutevoit larticle 13 En particulier ces requeacuterants se plaignent entre autres davoir eacuteteacute deacutetenus dans des cellules surpeupleacutees Par la preacutesente affaire la Cour EDH examine les deacuteveloppements leacutegislatifs et judiciaires survenus depuis ladoption de larrecirct Ananyev et autres c Russie (Cour EDH 10 janvier 2012 ndeg 4252507 et 6080008) En particulier la Cour EDH examine sil existe deacutesormais des recours internes de nature compensatoire et preacuteventive qui pourraient offrir une reacuteparation effective aux victimes des violations ayant pour origine le surpeuplement et dautres violations des conditions de deacutetention provisoire Elle examine eacutegalement si les requeacuterants dans la preacutesente affaire sont tenus deacutepuiser ces recours La Cour EDH rappelle que apregraves larrecirct Ananyev et autres c Russie elle a constateacute une violation de larticle 3 en raison des conditions inhumaines et deacutegradantes de deacutetention dans les centres de deacutetention provisoire russes

Article 3 (interdiction des traitements inhumains ou deacutegradants) Article 13 (droit agrave un recours effectif)

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dans plus de 100 affaires En mars 2020 plus de 1 450 requecirctes similaires contre la Russie eacutetaient en attente dexamen par la Cour EDH En lrsquoespegravece la Cour EDH reacuteitegravere les orientations quelle a fourni au gouvernement dans laffaire Ananyev et autres en ce qui concerne les caracteacuteristiques quun recours compensatoire doit posseacuteder pour ecirctre consideacutereacute comme effectif En particulier elle rappelle qursquoune indemnisation peacutecuniaire doit ecirctre accessible agrave tout deacutetenu actuel ou ancien ayant subi un traitement inhumain ou deacutegradant et ayant introduit une demande agrave cet effet La constatation que les conditions nont pas satisfait aux exigences de larticle 3 de la Convention donnera lieu agrave une forte preacutesomption quelles ont causeacute un preacutejudice non peacutecuniaire agrave la personne leacuteseacutee et le niveau de la reacuteparation accordeacutee pour le preacutejudice non peacutecuniaire ne doit pas ecirctre deacuteraisonnable par rapport aux montants accordeacutes par la Cour EDH dans des affaires similaires La Cour EDH rappelle ensuite que si lexistence de voies de recours internes effectives sappreacutecie normalement par rapport agrave la date dintroduction de la requecircte cette regravegle est sujette agrave des exceptions si les circonstances de lespegravece le justifient (Cour EDH Muumlduumlr Turgut ea c Turquie 26 mars 2013 ndeg 486009 sect 46) en particulier lorsque le recours en cause a eacuteteacute mis en place en reacuteponse agrave un arrecirct pilote de la Cour (Cour EDH Atanasov et Apostolov c Bulgarie 20 juillet 2017 ndeg 6554016 et 2236817 sect 45) Lorsque de telles voies de recours viennent decirctre mises en place leur appreacuteciation doit neacutecessairement se fonder uniquement sur les dispositions leacutegales qui les reacutegissent et non sur leur fonctionnement en pratique Elle estime donc pouvoir eacutevaluer lefficaciteacute des dispositions leacutegales telles que fixeacutees par la loi dindemnisation apregraves son entreacutee en vigueur et deacutecider en conseacutequence si les requeacuterants sont tenus de les eacutepuiser La Cour EDH juge que la loi drsquoindemnisation est en principe une voie de recours compensatoire adeacutequate et effective dans les cas ougrave les mauvaises conditions de deacutetention concernent une peacuteriode de deacutetention provisoire acheveacutee et dans certaines situations ougrave la peine drsquoemprisonnement a eacuteteacute exeacutecuteacutee en violation des dispositions internes Elle considegravere que les conditions proceacutedurales daccegraves au reacutegime compensatoire sont simples et accessibles et ne font pas peser une charge excessive sur le demandeur ni dans la proceacutedure applicable ni dans lexigence relative aux frais de proceacutedure De plus elle relegraveve que la proceacutedure est doteacutee des garanties proceacutedurales requises telles que lindeacutependance et limpartialiteacute le droit agrave lassistance juridique et dautres garanties lieacutees agrave une proceacutedure judiciaire contradictoire Des mesures de seacutecuriteacute sont preacutevues pour tenir compte de la situation particuliegravere des deacutetenus Selon la Cour EDH il ny a aucune raison de penser que les demandes ne seront pas traiteacutees dans un deacutelai raisonnable ou que lindemnisation ne sera pas verseacutee rapidement La Cour EDH se deacuteclare precircte agrave modifier son approche quant agrave lefficaciteacute du recours en question si la pratique des juridictions internes devait montrer agrave terme que les plaintes sont rejeteacutees pour des raisons formelles que les proceacutedures dindemnisation sont excessivement longues que les indemniteacutes sont insuffisantes ou ne sont pas verseacutees rapidement ou que la jurisprudence interne nest pas conforme aux exigences de la Convention et agrave la jurisprudence de la Cour EDH Tout examen futur de ce type consistera agrave deacuteterminer si les autoriteacutes nationales ont appliqueacute la loi sur lindemnisation dune maniegravere conforme agrave larrecirct pilote et aux normes de la Convention en geacuteneacuteral La Cour EDH conclut que le nouveau recours compensatoire doit ecirctre consideacutereacute comme un recours effectif et deacuteclare irrecevables les requecirctes ndeg 6680617 1929418 3168218 et 3254518 pour non-eacutepuisement des voies de recours internes et les rejette en vertu de larticle 35 sectsect 1 et 4 de la Convention Dans les requecirctes ndeg 7580417 7718117 et 7726517 la Cour EDH estime quelle ne peut pas sur la base du dossier deacuteterminer la recevabiliteacute des plaintes deacuteposeacutees par les requeacuterants dont la deacutetention preacuteventive est en cours Elle invite donc conformeacutement agrave larticle 54 sect 2 c) du regraveglement de la Cour EDH les parties agrave preacutesenter des observations eacutecrites compleacutementaires

2) Violation alleacutegueacutee des articles 3 et 13 de la Convention du fait des conditions de deacutetention dans les eacutetablissements peacutenitentiaires

Les dix requeacuterants dans les requecirctes ndeg 4174317 6018517 7449717 124918 915218 1498818 1799118 1983718 2154218 et 2915518 ont fait valoir que les conditions de leur deacutetention dans les eacutetablissements peacutenitentiaires sont tombeacutees en dessous des normes compatibles avec larticle 3 de la Convention Certains dentre eux ont fait valoir quils ne disposaient pas de recours effectifs contre ces violations en violation de larticle 13

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En particulier les requeacuterants se sont plaints entre autres du fait quils ont eacuteteacute deacutetenus dans des locaux surpeupleacutes Pour certains des requeacuterants la deacutetention avait pris fin au moment de leacutechange dobservations entre les parties La Cour EDH note tout drsquoabord que les dispositions applicables de la leacutegislation russe fixent des normes diffeacuterentes en matiegravere despace personnel pour la deacutetention provisoire (quatre megravetres carreacutes par personne deacutetenue) et la deacutetention correctionnelle pour les hommes condamneacutes dans des colonies ou des prisons (deux megravetres carreacutes et deux megravetres carreacutes et demi) Elle rappelle ainsi que laquo lorsque lespace personnel dont dispose un deacutetenu est infeacuterieur agrave trois megravetres carreacutes de surface au sol [] le manque despace personnel est consideacutereacute comme si grave quil y a forte preacutesomption de violation de larticle 3 raquo (Cour EDH [GC] Muršić c Croatie 20 octobre 2016 ndeg 733413 sect 137) Ainsi pour un nombre consideacuterable de deacutetenus dans les eacutetablissements peacutenitentiaires les mauvaises conditions de deacutetention sont preacutedeacutetermineacutees par les normes eacutetablies par la leacutegislation nationale Afin deacutevaluer lefficaciteacute des recours la Cour EDH distingue entre les cas ougrave les conditions de deacutetention des requeacuterants eacutetaient infeacuterieures aux normes nationales et les cas ougrave lespace minimal disponible eacutetait conforme aux normes nationales mais soulegraveverait neacuteanmoins un problegraveme agrave premiegravere vue au regard de larticle 3

o Les plaintes concernant des conditions de deacutetention infeacuterieures agrave la norme nationale Compte tenu des consideacuterations sur lefficaciteacute de la loi dindemnisation dans les situations ougrave la deacutetention eacutetait acheveacutee et du fait quil ny a pas de contestation entre les parties sur la violation des normes nationales minimales de deacutetention la Cour EDH conclut que ces deux requeacuterants se trouvent dans une situation similaire agrave celle des personnes dont la deacutetention provisoire passeacutee lrsquoavait eacuteteacute en violation des normes nationales applicables Pour les raisons exposeacutees ci-dessus pour eux ainsi que pour dautres personnes se trouvant dans une situation similaire la nouvelle loi compensatoire preacutesente en principe un moyen adeacutequat et efficace dobtenir une reacuteparation compensatoire et offre des perspectives raisonnables de succegraves La Cour EDH estime ainsi que les requecirctes ndeg 1799118 et 2154218 qui soulegravevent des griefs au titre des articles 3 et 13 doivent ecirctre rejeteacutees en vertu de larticle 35 sectsect 1 et 4 de la Convention pour non-eacutepuisement des voies de recours internes

o Cas conformes agrave la norme nationale mais infeacuterieurs agrave la norme minimale de larticle 3 La Cour EDH note que les requeacuterants des requecirctes ndeg 4174317 6018517 et 1498818 ont eacuteteacute deacutetenus dans le passeacute dans des conditions ougrave chacun des requeacuterants avait disposeacute de moins de trois megravetres carreacutes despace personnel Les requeacuterants des requecirctes no 7449717 124918 915218 1983718 et 2915518 eacutetaient toujours deacutetenus dans de telles conditions au moment de leacutechange dobservations En lrsquoespegravece la Cour EDH estime quelle ne dispose pas deacuteleacutements suffisants pour eacutevaluer lefficaciteacute dun tel recours en cas de deacutetention correctionnelle Elle invite donc les parties agrave preacutesenter des observations compleacutementaires conformeacutement agrave larticle 54 sect 2 c) du regraveglement de la Cour afin de clarifier lefficaciteacute de tout recours preacuteventif en cas de deacutetention correctionnelle pendante dans des conditions incompatibles avec larticle 3 de la Convention POUR CES RAISONS LA COUR Agrave LUNANIMITEacute

1 Deacutecide de joindre les requecirctes ndeg 6680617 1799118 1929418 2154218 3168218 et 3254518 et les deacuteclare irrecevables

2 Deacutecide dajourner lexamen des requecirctes ndeg 4174317 6018517 7449717 7580417

7718117 7726517 124918 915218 1498818 1983718 et 2915518

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Cour EDH (cinquiegraveme section) Castellani France 30 avril 2020 ndeg4320716

Reacutesumeacute La Cour EDH dans une affaire concernant lrsquointerpellation du requeacuterant par le GIPN estime que la France a violeacute

lrsquoarticle 3 de la Convention En effet elle juge que lrsquoopeacuteration policiegravere nrsquoa pas eacuteteacute planifieacutee ni exeacutecuteacutee de maniegravere agrave respecter les

garanties internes existantes et que lrsquousage de la force nrsquoeacutetait pas proportionneacute ni neacutecessaire pour permettre lrsquointerpellation du requeacuterant

et ne se justifiait pas par son comportement

Le 6 mai 2002 une information judiciaire fut ouverte contre X pour subornation de teacutemoin et menaces de mort

reacuteiteacutereacutees agrave la suite de la plainte deacuteposeacutee par MA avocat Ce dernier avait teacutemoigneacute dans une affaire de violence

dirigeacutees contre la force publique dans laquelle trois membres de la famille EH avaient eacuteteacute condamneacutes Les

principaux suspects eacutetaient membres de la famille EH famille amie et voisine du requeacuterant Le 18 juin 2002

apregraves identification de certains membres de la famille EH comme auteurs preacutesumeacutes de menaces de mort et de

subornation de teacutemoins les policiers de Nice avec le soutien du GIPN proceacutedegraverent agrave lrsquointerpellation de deux

membres de la famille EH A la demande de la commandante une eacutequipe du GIPN composeacutee de dix

fonctionnaires interpella le requeacuterant mis en cause dans la mecircme affaire et consideacutereacute comme dangereux

Les parties contestent les circonstances de lrsquoopeacuteration policiegravere

Dans la version du requeacuterant il explique que voyant des inconnus entrer chez lui et croyant ecirctre agresseacute agrave son

domicile il se deacutefend agrave lrsquoaide drsquoune barre de fer Il entendit alors crier laquo Police raquo et deacuteposa la barre de fer et se

laissa faire Apregraves avoir confirmeacute son identiteacute il reccedilut un coup sur la tecircte du policier qursquoil avait agresseacute avec la

barre de fer et fut frappeacute agrave coups de poings et de pieds Crsquoest seulement agrave ce moment-lagrave qursquoil sut le motif de son

interpellation Il fut agrave nouveau frappeacute afin qursquoil avoue ougrave se trouvaient les armes puis encore maltraiteacute lors de son

transport au poste de police Selon les policiers du GIPN ils sont entreacutes dans la maison et ont inspecteacute le rez-

de-chausseacutee tout en prononccedilant agrave plusieurs reprises laquo Police raquo Alors qursquoils montaient au premier eacutetage le

premier policier vit surgir le requeacuterant qui lrsquoattendait et qui le frappa drsquoune barre de fer Les fonctionnaires ont

tenteacute de le maitriser alors que celui-ci continuait de porter des coups aux fonctionnaires Ces derniers ont ducirc

lrsquoimmobiliser agrave lrsquoaide de leur force

Placeacute en garde agrave vue le requeacuterant fut examineacute par un meacutedecin qui ne srsquoopposa pas agrave une mesure de garde agrave vue

mais a demandeacute qursquoil soit emmeneacute agrave lrsquohocircpital Il y a eacuteteacute conduit neuf heures apregraves son interpellation Le requeacuterant

preacutesentait de multiples fractures au visage Pour autant sa garde agrave vue a eacuteteacute prolongeacutee

Le 8 juillet 2002 le requeacuterant fut convoqueacute devant le tribunal correctionnel de Nice afin drsquoecirctre jugeacute de chefs de

violences volontaires avec arme agrave lrsquoeacutegard drsquoune personne deacutepositaire de lrsquoautoriteacute publique ayant entraineacute une

incapaciteacute de travail supeacuterieure agrave huit jours ainsi que pour deacutetention sans autorisation drsquoarme ou de munition Le

13 janvier 2009 le tribunal correctionnel le condamna agrave une amende deacutelictuelle avec sursis pour deacutetention drsquoarme

sans autorisation Il fut relaxeacute des chefs de violences volontaires au motif qursquoil srsquoagissait de leacutegitime deacutefense

Le 18 novembre 2002 le requeacuterant deacuteposa plainte avec constitution de partie civile pour non-assistance agrave

personne en peacuteril violences volontaires et actes de barbarie Le juge drsquoinstruction rendit une ordonnance de non-

lieu partiel en ne retenant agrave lrsquoencontre de certains policiers que lrsquoomission de porter secours La cour drsquoappel

annula lrsquoordonnance de non-lieu partiel Une deuxiegraveme ordonnance de non-lieu concernant les faits de violences

volontaires fut rendue le 27 janvier 2006 et le requeacuterant fit appel La cour drsquoappel confirma le non-lieu des chefs

drsquoactes de barbaries mais demanda un suppleacutement drsquoinformation concernant les violences volontaires Quatre

policiers du GIPN furent entendus et mis en examen Le 25 octobre 2007 la chambre drsquoinstruction de la cour

drsquoappel confirma lrsquoordonnance de non-lieu du chef de violences volontaires par deacutepositaires de lrsquoautoriteacute

Art 3 (volet mateacuteriel) bull Recours agrave la force bull Irruption drsquoune uniteacute drsquoeacutelite de la police au domicile drsquoun suspect au petit matin pour proceacuteder agrave son arrestation aux fins drsquoaudition dans le cadre drsquoune enquecircte peacutenale bull Neacutecessiteacute de garanties suffisantes face aux risques drsquoabus drsquoautoriteacute et de violation de la digniteacute humaine lors du recours dans un tel contexte aux forces speacuteciales bull Doutes sur lrsquoexistence de preacutecautions suffisantes bull Tribunaux ayant reconnu la leacutegitime deacutefense du requeacuterant qui avait frappeacute un policier cagouleacute en le prenant pour un cambrioleur bull Blessures reacutesultant de lrsquoemploi drsquoune force physique non rendue strictement neacutecessaire par le comportement du suspect

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publique Le 13 janvier 2009 le tribunal correctionnel de Nice prononccedila la relaxe des deux fonctionnaires de

police renvoyeacutes devant lui des chefs drsquoomission de porter secours

Le 26 juin 2009 le requeacuterant forma une action en responsabiliteacute de lrsquoEtat afin drsquoobtenir une indemnisation du

preacutejudice subi compte tenu des conditions de son interpellation puis de sa garde agrave vue Le tribunal condamna

lrsquoEtat au motif qursquoil avait commis une faute lourde en envoyant le GIPN pour proceacuteder agrave lrsquointerpellation du

requeacuterant Par un arrecirct du 12 avril 2012 la cour drsquoappel drsquoAix-en-Provence confirma la recevabiliteacute de lrsquoaction du

requeacuterant mais infirma le jugement pour le surplus La Cour de cassation cassa lrsquoarrecirct du 12 avril 2012 sauf en ce

qursquoil avait deacuteclareacute recevable lrsquoaction du requeacuterant Le 27 janvier 2015 la cour drsquoappel de Montpellier consideacutera

que la faute lourde engageant la responsabiliteacute de lrsquoEtat nrsquoeacutetait pas deacutemontreacutee srsquoagissant des conditions

drsquointervention du GIPN pour proceacuteder agrave lrsquointerpellation du requeacuterant La cour drsquoappel jugea que lrsquoEtat avait

commis une faute lourde agrave raison du deacutefaut de soins durant la garde agrave vue dont le requeacuterant avait fait lrsquoobjet Par

un arrecirct du 10 feacutevrier 2016 la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requeacuterant

Le requeacuterant saisit la Cour EDH le 19 juillet 2016 drsquoune requecircte dirigeacutee contre la Reacutepublique franccedilaise

Sur la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 3 de la Convention

Le requeacuterant allegravegue avoir eacuteteacute victime de violences lors de son interpellation par la police alors que lrsquointervention

du GIPN comme lrsquousage de la force nrsquoeacutetaient ni neacutecessaires ni proportionneacutes En effet il estime que le GIPN

est connu pour lrsquoefficaciteacute de ses interventions concernant le terrorisme et le grand banditisme Une telle

intervention baseacutee sur une simple plainte teacuteleacutephonique comme cela a eacuteteacute le cas en lrsquoespegravece est une rareteacute

juridique

La Cour EDH rappelle sa jurisprudence concernant le recours agrave la force lors drsquoune interpellation au paragraphe

52 de lrsquoarrecirct Elle estime que lrsquoarticle 3 ne prohibe pas le recours agrave la force par les agents de police lors drsquoune

interpellation mais qursquoelle doit ecirctre proportionneacutee et absolument neacutecessaire au vu des circonstances de lrsquoespegravece

Il importe donc de savoir srsquoil y a lieu de penser que lrsquointeacuteresseacute opposera une reacutesistance tentera de fuir ou de

deacutetruire des preuves

En lrsquoespegravece la Cour EDH relegraveve qursquoau vu des certificats meacutedicaux le requeacuterant souffrait de blessures

importantes Aux souffrances physiques srsquoajoute des souffrances psychiques comme en atteste lrsquoeacutetat de stress

post-traumatique releveacute par les meacutedecins La maniegravere dont srsquoest deacuterouleacutee lrsquointerpellation crsquoest-agrave-dire tregraves tocirct le

matin avec une ouverture forceacutee du portail et de la porte drsquoentreacutee en preacutesence de la femme et de la fille du

requeacuterant a neacutecessairement entraineacute de la peur et de lrsquoangoisse chez le requeacuterant

Dans son raisonnement la Cour EDH srsquointeacuteresse dans un premier temps agrave la planification de lrsquoopeacuteration agrave

savoir si elle a pris en compte lrsquoensemble des circonstances pertinentes et a observeacute des garanties suffisantes En

lrsquoespegravece la Cour EDH observe que lrsquoopeacuteration dans laquelle le GIPN eacutetait principalement impliqueacutee et pour

laquelle son intervention avait eacuteteacute autoriseacutee reacutepondait au but leacutegitime drsquoeffectuer une interpellation et poursuivant

lrsquoobjectif geacuteneacuteral de la reacutepression des infractions Le but de lrsquointervention eacutetait lrsquointerpellation de la famille EH

pour laquelle le DDSP avait donneacute son accord Or le juge drsquoinstruction nrsquoa pas eacuteteacute informeacute et le DDSP nrsquoa pas

donneacute son accord quant agrave lrsquointervention du GIPN pour lrsquointerpellation du requeacuterant La Cour EDH relegraveve donc

que cette opeacuteration nrsquoa pas beacuteneacuteficieacute des garanties internes existantes entourant normalement lrsquointervention de

ce type drsquouniteacutes speacuteciales La Cour EDH remarque que le caractegravere de dangerositeacute du requeacuterant ne reacutesulta que

des deacuteclarations des fonctionnaires de police ayant requis son intervention et nrsquoeacutetait eacutetayeacute par aucun eacuteleacutement

probant Elle observe que certaines juridictions internes ont remis en cause la proportionnaliteacute de lrsquointervention

du GIPN au regard des circonstances de lrsquoespegravece Il ressort eacutegalement du dossier qursquoaucune investigation

preacutealable afin de deacuteterminer si le requeacuterant serait seul au moment de son interpellation nrsquoest alleacutegueacutee Or la Cour

EDH estime que la preacutesence de membres de la famille du suspect sur les lieux de lrsquointerpellation doit ecirctre prise

en compte lors de la planification de lrsquointervention La Cour EDH considegravere que lrsquoopeacuteration policiegravere au domicile

du requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute planifieacutee et exeacutecuteacutee de maniegravere agrave srsquoassurer que les moyens employeacutes soient strictement

neacutecessaires pour atteindre ses buts ultimes

Dans un second temps la Cour EDH doit examiner si la force physique dont il a eacuteteacute fait usage agrave lrsquoencontre du

requeacuterant eacutetait ou non rendue strictement neacutecessaire par son comportement La Cour EDH rappelle que lorsque

des proceacutedures internes ont eacuteteacute meneacutees il ne lui appartient pas de substituer sa propre version des faits agrave celle

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des autoriteacutes internes qui doivent eacutetablir les faits sur la base de preuves recueillies par elles La Cour EDH note

que le tribunal correctionnel a jugeacute que le requeacuterant avait pu leacutegitimement se croire agresseacute agrave son domicile et qursquoil

avait agi en eacutetat de leacutegitime deacutefense Elle constate eacutegalement que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute poursuivi pour des faits

de reacutebellion et que la description du mode drsquoopeacuteration utiliseacute par les policiers ainsi que les constatations des

blessures du requeacuterant attestent de lrsquointensiteacute de la force physique dont il a eacuteteacute fait usage Par suite la Cour EDH

a conclu que les moyens employeacutes nrsquoeacutetaient pas strictement neacutecessaires pour permettre lrsquointerpellation du

requeacuterant et que la force physique dont il a eacuteteacute fait usage agrave son encontre nrsquoa pas eacuteteacute rendue telle par son

comportement

Ainsi la Cour EDH estime qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 3 de la Convention

Par ces motifs la Cour EDH agrave lrsquounanimiteacute

1 Deacuteclare la requecircte recevable

2 Dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 3 de la Convention

3 Dit

a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans un deacutelai de trois mois les sommes suivantes au

taux applicable agrave la date du regraveglement i 2 803 EUR (deux mille huit cent trois euros) plus tout montant

pouvant ecirctre ducirc sur cette somme agrave titre drsquoimpocirct pour dommage mateacuteriel ii 20 000 EUR (vingt mille

euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc sur cette somme agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral

b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces montants seront agrave majorer drsquoun

inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne

applicable pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage

4 Rejette le surplus de la demande de satisfaction eacutequitable

Libre circulation des travailleurs

Cour de justice (sixiegraveme chambre) Caisse pour lavenir des enfants FV et GW 2 avril 2020 C-80218

Reacutesumeacute Dans une affaire concernant le versement dallocations sociales luxembourgeoises agrave des travailleurs transfrontaliers franccedilais la Cour de justice a jugeacute quen vertu du principe deacutegaliteacute de traitement un Etat membre ne peut refuser de verser une allocation familiale pour lrsquoenfant du conjoint drsquoun travailleur frontalier sans lien de filiation avec celui-ci puisque cette allocation constitue un avantage social et une prestation de seacutecuriteacute sociale FV travaille au Luxembourg et reacuteside en France avec son eacutepouse GW Le couple a deux enfants HY neacute en 2000 drsquoune preacuteceacutedente union de GW vit avec FV et GW Celle-ci exerce lrsquoautoriteacute parentale exclusive sur HY Jusqursquoagrave lrsquoentreacutee en vigueur de la loi luxembourgeoise du 23 juillet 2016 le meacutenage beacuteneacuteficiait des allocations familiales luxembourgeoises pour les trois enfants en raison de la qualiteacute de travailleur frontalier de FV Agrave compter de lrsquoentreacutee en vigueur de cette loi qui a modifieacute le code de la seacutecuriteacute sociale en excluant les enfants du conjoint ou du partenaire de la notion de laquo membres de la famille raquo le meacutenage a cesseacute de beacuteneacuteficier de ces allocations pour HY En effet par deacutecision du 8 novembre 2016 la Caisse pour lrsquoavenir des enfants (Luxembourg) a consideacutereacute

Renvoi preacutejudiciel ndash Article 45 TFUE ndash Seacutecuriteacute sociale des travailleurs migrants ndash Regraveglement (CE) ndeg8832004 ndash Article 1er sous i) ndash Libre circulation des travailleurs ndash Eacutegaliteacute de traitement ndash Avantages sociaux ndash Directive 200438CE ndash Article 2 point 2 ndash Regraveglement (UE) ndeg4922011 ndash Article 7 paragraphe 2 ndash Allocation familiale ndash Notion de ldquomembres de la famillerdquo ndash Exclusion de lrsquoenfant du conjoint de travailleurs non-reacutesidents ndash Diffeacuterence de traitement avec lrsquoenfant du conjoint de travailleurs reacutesidents ndash Justification

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que FV nrsquoavait plus droit agrave lrsquoallocation familiale pour HY depuis le 1er aoucirct 2016 Cet enfant ne preacutesentant pas de lien de filiation avec FV la Caisse pour lrsquoavenir des enfants considegravere qursquoil nrsquoa pas la qualiteacute de laquo membre de famille raquo ce qui exclut le droit agrave lrsquoallocation familiale luxembourgeoise FV a saisi le conseil arbitral de la seacutecuriteacute sociale (Luxembourg) pour contester la deacutecision de la Caisse pour lrsquoavenir des enfants et celui-ci a estimeacute que les prestations familiales luxembourgeoises constituent un avantage social au sens du regraveglement sur la libre circulation des travailleurs 1 et qursquoelles se rapportent agrave lrsquoexercice drsquoune activiteacute salarieacutee degraves lors que pour se les voir attribuer FV doit ecirctre un travailleur soumis agrave la leacutegislation luxembourgeoise La Caisse pour lrsquoavenir des enfants a saisi en appel le conseil supeacuterieur de la seacutecuriteacute sociale (Luxembourg) car elle conteste notamment lrsquoassimilation des prestations familiales agrave un avantage social

Dans ces conditions le conseil supeacuterieur de la seacutecuriteacute sociale a deacutecideacute de surseoir agrave statuer et de poser agrave la Cour de justice les questions preacutejudicielles suivantes laquo 1) Lrsquoallocation familiale luxembourgeoise octroyeacutee selon les articles 269 et 270 du [code dans leur version applicable agrave partir du 1er aoucirct 2016] doit-elle ecirctre assimileacutee agrave un avantage social au sens de lrsquoarticle 45 TFUE et de lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement ndeg4922011 2) En cas drsquoassimilation la deacutefinition de membre de la famille applicable en vertu de lrsquoarticle [1er sous i)] du regraveglement ndeg8832004 srsquooppose agrave la deacutefinition plus eacutelargie de membre de la famille de lrsquoarticle 2 point 2 de la directive 200438 alors que cette derniegravere exclut toute autonomie de lrsquoEacutetat membre dans la deacutefinition de membre de la famille contrairement agrave ce qui est consacreacute par le regraveglement de coordination et exclut agrave titre subsidiaire toute notion de charge principale La deacutefinition de membre de la famille au sens de lrsquoarticle 1er [sous i)] du regraveglement ndeg8832004 doit-elle degraves lors preacutevaloir au vu de sa speacutecificiteacute dans le contexte drsquoune coordination des reacutegimes de seacutecuriteacute sociale et surtout lrsquoEacutetat membre garde-t-il compeacutetence pour deacutefinir les membres de la famille qui ouvrent droit agrave lrsquoallocation familiale 3) En cas drsquoapplication de lrsquoarticle 2 point 2 de la directive 200438 aux prestations familiales et plus preacuteciseacutement agrave lrsquoallocation familiale luxembourgeoise lrsquoexclusion de lrsquoenfant du conjoint de la deacutefinition du membre de la famille peut-elle ecirctre consideacutereacutee comme une discrimination indirecte justifieacutee au vu de lrsquoobjectif national de lrsquoEacutetat membre de consacrer le droit personnel de lrsquoenfant et de la neacutecessiteacute de proteacuteger lrsquoadministration de lrsquoEacutetat membre drsquoemploi alors que lrsquoeacutelargissement du champ personnel drsquoapplication constitue une charge deacuteraisonnable pour le systegraveme de prestations familiales luxembourgeois qui exporte notamment presque 48 de ses prestations familiales raquo

o Sur la premiegravere question

La Cour de justice commence par rappeler au point 25 quil reacutesulte de lobjectif deacutegaliteacute de traitement (inscrit agrave larticle 45 TFUE et agrave larticle 7 du regraveglement ndeg4922011 que la notion drsquolaquo avantage social raquo dans le cas des travailleurs ressortissants drsquoautres Eacutetats membres comprend tous les avantages qui lieacutes ou non agrave un contrat drsquoemploi sont geacuteneacuteralement reconnus aux travailleurs nationaux en raison principalement de leur qualiteacute objective de travailleurs ou du simple fait de leur reacutesidence sur le territoire national (voir en ce sens larrecirct Generaacutelny riaditeľ Sociaacutelnej poisťovne Bratislava ea C-44718 18 deacutecembre 2019 point 47) Elle indique ensuite au point 30 que au vu des documents dont elle dispose lrsquoallocation familiale en cause qui constitue un avantage est lieacutee pour un travailleur frontalier tel que FV agrave lrsquoexercice drsquoune activiteacute salarieacutee au Luxembourg Elle nrsquoa eacuteteacute initialement accordeacutee agrave FV que dans la mesure ougrave il eacutetait un travailleur frontalier soumis agrave la leacutegislation luxembourgeoise La Cour de justice en conclut au point 32 qursquoune allocation familiale lieacutee agrave lrsquoexercice par un travailleur frontalier drsquoune activiteacute salarieacutee dans un Eacutetat membre constitue un avantage social au sens de larticle 7 paragraphe 2 du regraveglement ndeg4922011

o Sur la deuxiegraveme et troisiegraveme question

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La Cour de justice estime sans donner plus de preacutecisions quil convient dexaminer les deux questions ensemble Elle preacutecise quil sagit en substance de deacuteterminer si lrsquoarticle 1er sous i) du regraveglement ndeg8832004 lu en combinaison avec lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement ndeg4922011 et avec lrsquoarticle 2 point 2 de la directive 200438 doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens qursquoil srsquooppose agrave des dispositions drsquoun Eacutetat membre en vertu desquelles les travailleurs frontaliers ne peuvent percevoir une allocation familiale lieacutee agrave lrsquoexercice par ceux-ci drsquoune activiteacute salarieacutee dans un Eacutetat membre que pour leurs propres enfants agrave lrsquoexclusion de ceux de leur conjoint avec lesquels ils nrsquoont pas de lien de filiation alors que le droit de percevoir cette allocation existe pour tous les enfants reacutesidant dans ledit Eacutetat membre Sur lapplicabiliteacute du regraveglement ndeg8832004 la Cour de justice observe au point 39 que lrsquoallocation concerneacutee est verseacutee pour tous les enfants reacutesidant au Luxembourg ainsi que pour tous les enfants des travailleurs non-reacutesidents ayant un lien de filiation avec ces derniers Cette prestation est donc octroyeacutee en dehors de toute appreacuteciation individuelle et discreacutetionnaire des besoins personnels sur la base drsquoune situation leacutegalement deacutefinie Elle est donc selon la jurisprudence de la Cour de justice et notamment larrecirct Generaacutelny riaditeľ Sociaacutelnej poisťovne Bratislava ea citeacute point 23 consideacutereacutee comme une prestation sociale En outre la Cour de justice souligne que la prestation en cause repreacutesente une contribution publique au budget familial destineacutee agrave alleacuteger les charges deacutecoulant de lrsquoentretien des enfants (arrecirct Martinez Silva C-44916 21 juin 2017 point 23) Elle en conclut dans son point 41 que cette allocation familiale constitue une prestation de seacutecuriteacute sociale relevant des prestations familiales ce qui deacutetermine lrsquoapplication du regraveglement ndeg8832004 sur la coordination des systegravemes de seacutecuriteacute sociale La Cour de justice indique dans son point suivant que dans le cas drsquoun travailleur frontalier tel que FV le regraveglement ndeg8832004 srsquoapplique puisqursquoil srsquoapplique agrave un ressortissant de lrsquoun des Eacutetats membres reacutesidant dans un Eacutetat membre qui est ou a eacuteteacute soumis agrave la leacutegislation drsquoun ou de plusieurs Eacutetats membres ainsi qursquoaux membres de sa famille et agrave leurs survivants Elle preacutecise quune application combineacutee de ce regraveglement et de larticle 7 paragraphe 2 du regraveglement ndeg4922011 Par ailleurs la Cour de justice rappelle que les membres de la famille drsquoun travailleur migrant sont des beacuteneacuteficiaires indirects de lrsquoeacutegaliteacute de traitement accordeacutee en ce qui concerne les avantages sociaux agrave ce travailleur par le regraveglement sur la libre circulation des travailleurs En outre selon la Cour de justice il y a lieu drsquoentendre par enfant drsquoun travailleur frontalier pouvant beacuteneacuteficier indirectement de ces avantages sociaux non seulement lrsquoenfant qui a un lien de filiation avec ce travailleur mais eacutegalement lrsquoenfant du conjoint ou du partenaire enregistreacute de celui-ci lorsque ce dernier pourvoit agrave lrsquoentretien de cet enfant (point 50) Elle preacutecise dans son point suivant quelle a consideacutereacute que la notion de laquo membre de la famille raquo du travailleur frontalier susceptible de beacuteneacuteficier indirectement de lrsquoeacutegaliteacute de traitement en vertu de lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement ndeg4922011 correspond agrave celle de laquo membre de la famille raquo au sens de lrsquoarticle 2 point 2 de la directive 200438 laquelle comprend le conjoint ou le partenaire avec lequel le citoyen de lrsquoUnion a contracteacute un partenariat enregistreacute les descendants directs qui sont acircgeacutes de moins de 21 ans ou qui sont agrave charge et les descendants directs du conjoint ou du partenaire La Cour de justice a notamment pris en consideacuteration agrave cet eacutegard le consideacuterant 1 lrsquoarticle 1er et lrsquoarticle 2 paragraphe 2 de la directive 201454 (directive relative agrave des mesures facilitant lexercice des droits confeacutereacutes aux travailleurs dans le contexte de la libre circulation des travailleurs ) Voir en ce sens arrecirct Depesme eaMinistegravere de lEnseignement supeacuterieur et de la Recherche C-40115 agrave C-40315 15 deacutecembre 2016 points 52 agrave 54 La Cour de justice indique au point 54 que le principe drsquoeacutegaliteacute de traitement prohibe non seulement les discriminations directes fondeacutees sur la nationaliteacute mais encore toutes formes indirectes de discrimination qui par application drsquoautres critegraveres de distinction aboutissent en fait au mecircme reacutesultat (arrecircts Bressol ea C-7308 point 40 13 avril 2010 ainsi que Aubriet C-4101810 juillet 2019) Il srsquoagit donc au vu des circonstances propres agrave la situation de FV de veacuterifier srsquoil existe une discrimination

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En vertu de la leacutegislation luxembourgeoise applicable tous les enfants reacutesidant au Luxembourg quel que soit leur statut au sein du foyer du travailleur peuvent preacutetendre agrave ladite allocation familiale En revanche les travailleurs non-reacutesidents ne peuvent y preacutetendre que pour leurs propres enfants agrave lrsquoexclusion des enfants de leur conjoint avec lesquels ils nrsquoont pas de lien de filiation La Cour de justice indique dans son point 56 qu laquo une telle distinction fondeacutee sur la reacutesidence qui est susceptible de jouer davantage au deacutetriment des ressortissants drsquoautres Eacutetats membres dans la mesure ougrave les non-reacutesidents sont le plus souvent des non-nationaux constitue une discrimination indirecte fondeacutee sur la nationaliteacute qui ne pourrait ecirctre admise qursquoagrave la condition drsquoecirctre objectivement justifieacutee raquo ce qui nrsquoest pas le cas dans lrsquoaffaire en cause puisquelle ne garantit par la reacutealisation dun objectif leacutegitime (voir en ce sens (arrecirct Aubriet citeacute point 28) La Cour de justice souligne que srsquoil est vrai que les personnes ayant droit aux prestations familiales sont deacutetermineacutees conformeacutement au droit national il nrsquoen demeure pas moins que les Eacutetats membres doivent respecter le droit de lrsquoUnion en lrsquooccurrence les dispositions relatives agrave la libre circulation des travailleurs (point 69) Ainsi dans le domaine speacutecifique de lrsquooctroi drsquoavantages sociaux la regravegle drsquoeacutegaliteacute de traitement srsquooppose agrave des dispositions drsquoun Eacutetat membre en vertu desquelles les travailleurs non-reacutesidents ne peuvent percevoir une allocation telle que lrsquoallocation familiale demandeacutee par FV que pour leurs propres enfants agrave lrsquoexclusion de ceux de leur conjoint avec lesquels ils nrsquoont pas de lien de filiation mais dont ils pourvoient agrave lrsquoentretien alors que tous les enfants reacutesidant dans cet Eacutetat membre ont le droit de percevoir cette allocation

Par ces motifs la Cour (sixiegraveme chambre) dit pour droit

1) Lrsquoarticle 45 TFUE et lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement (UE) ndeg4922011 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 5 avril 2011 relatif agrave la libre circulation des travailleurs agrave lrsquointeacuterieur de lrsquoUnion doivent ecirctre interpreacuteteacutes en ce sens qursquoune allocation familiale lieacutee agrave lrsquoexercice par un travailleur frontalier drsquoune activiteacute salarieacutee dans un Eacutetat membre constitue un avantage social au sens de ces dispositions

2) Lrsquoarticle 1er sous i) et lrsquoarticle 67 du regraveglement (CE) ndeg8832004 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systegravemes de seacutecuriteacute sociale lus en combinaison avec lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement ndeg4922011 et avec lrsquoarticle 2 point 2 de la directive 200438CE du Parlement europeacuteen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de lrsquoUnion et des membres de leurs familles de circuler et de seacutejourner librement sur le territoire des Eacutetats membres modifiant le regraveglement (CEE) ndeg 161268 et abrogeant les directives 64221CEE 68360CEE 72194CEE 73148CEE 7534CEE 7535CEE 90364CEE 90365CEE et 9396CEE doivent ecirctre interpreacuteteacutes en ce sens qursquoils srsquoopposent agrave des dispositions drsquoun Eacutetat membre en vertu desquelles les travailleurs frontaliers ne peuvent percevoir une allocation familiale lieacutee agrave lrsquoexercice par ceux-ci drsquoune activiteacute salarieacutee dans cet Eacutetat membre que pour leurs propres enfants agrave lrsquoexclusion de ceux de leur conjoint avec lesquels ils nrsquoont pas de lien de filiation mais dont ils pourvoient agrave lrsquoentretien alors que tous les enfants reacutesidant dans ledit Eacutetat membre ont le droit de percevoir cette allocation

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Cour de justice (neuviegraveme chambre) Landkreis Suumldliche WeinstraszligePF ea 2 avril 2020 C-83018

Reacutesumeacute Dans une affaire concernant le remboursement des frais de transports scolaires dun eacutelegraveve allemand reacutesidant en France et eacutetudiant en Allemagne la Cour de justice a jugeacute quune mesure permettant agrave un Land de soumettre la prise en charge du transport scolaire agrave une condition de reacutesidence dans ce Land constitue une discrimination indirecte agrave lrsquoencontre des travailleurs frontaliers et de leur famille En effet selon la Cour de justice une condition de reacutesidence ne peut ecirctre justifieacutee par une raison impeacuterieuse d rsquointeacuterecirct geacuteneacuteral tenant agrave lrsquoorganisation du systegraveme scolaire PF de nationaliteacute allemande freacutequente une eacutecole drsquoenseignement secondaire dans le Landkreis (arrondissement) Suumldliche Weinstraszlige du Land de la Rheacutenanie-Palatinat (Allemagne) mais reacuteside en France avec ses parents eacutegalement de nationaliteacute allemande Sa megravere travaille en Allemagne Agrave partir de lrsquoanneacutee scolaire 2015-2016 le Landkreis a refuseacute de prendre en charge les frais de transport scolaire de PF au motif que selon la leacutegislation de la Rheacutenanie-Palatinat il ne serait tenu drsquoorganiser le transport scolaire que pour des eacutelegraveves reacutesidant dans ce Land PF a deacuteposeacute une reacuteclamation contre la deacutecision du Landkreis qui a eacuteteacute rejeteacutee Il a ensuite formeacute un recours contre cette deacutecision de rejet devant le Verwaltungsgericht Neustadt an der Weinstraszlige (tribunal administratif de Neustadt sur Weinstraszlige Allemagne) Ce dernier a accueilli le recours au motif que PF en tant qursquoenfant drsquoun travailleur frontalier avait le droit de beacuteneacuteficier de la prise en charge de ses frais de transport scolaire en vertu de lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement ndeg4922011 Le Landkreis a interjeteacute appel de ce jugement devant la juridiction de renvoi lrsquoOberverwaltungsgericht Rheinland-Pfalz (tribunal administratif supeacuterieur de Rheacutenanie-Palatinat Allemagne) Cette derniegravere a poseacute deux questions preacutejucielles agrave la Cour de justice laquo 1)Lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement [] ndeg4922011 [] doit-il ecirctre interpreacuteteacute en ce sens qursquoest indirectement discriminatoire une disposition du droit national qui reacuteserve le beacuteneacutefice de lrsquoobligation drsquoassurer un service de transport scolaire incombant agrave certaines collectiviteacutes territoriales (Landkreise) agrave la population reacutesidant dans lrsquoEacutetat feacutedeacutereacute dont celles-ci relegravevent mecircme srsquoil ressort des circonstances concregravetes de lrsquoespegravece que en raison de cette condition de reacutesidence ce sont en tregraves grande majoriteacute les habitants du reste du territoire national de lrsquoEacutetat membre concerneacute qui sont exclus du beacuteneacutefice de cette prestation Dans lrsquohypothegravese ougrave il conviendrait de reacutepondre par lrsquoaffirmative agrave la premiegravere question 2) La neacutecessiteacute drsquoassurer lrsquoorganisation efficace du systegraveme scolaire constitue-t-elle une exigence drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral impeacuterative susceptible de justifier une discrimination indirecte raquo

o Sur la premiegravere question preacutejudicielle Pour reacutepondre agrave cette premiegravere question la Cour de justice rappelle en premier lieu que ledit travailleur ayant exerceacute sa liberteacute de circulation il est en droit de se preacutevaloir agrave lrsquoencontre de lrsquoEacutetat membre dont il a la nationaliteacute du regraveglement ndeg4922011 qui vise agrave mettre en œuvre la libre circulation des travailleurs agrave lrsquointeacuterieur de lrsquoUnion et notamment de lrsquoarticle 7 paragraphe 2 de ce regraveglement (point 25) Elle preacutecise au point suivant que les membres de la famille drsquoun travailleur migrant sont des beacuteneacuteficiaires indirects de lrsquoeacutegaliteacute de traitement accordeacutee agrave ce dernier par la mecircme disposition (voir en ce sens arrecirct Giersch ea C-2012 point 40 20 juin 2013) Ensuite la Cour de justice affirme que la prise en charge du transport scolaire drsquoun membre de la famille constitue un avantage social au sens de la disposition citeacutee au point preacuteceacutedent (point 27) La Cour de justice allegravegue au point suivant que lavantage social est eacutegalement soumis au principe drsquoeacutegaliteacute de traitement consacreacute agrave lrsquoarticle 45 TFUE qui prohibe non seulement les discriminations ostensibles fondeacutees sur la nationaliteacute mais encore toutes formes dissimuleacutees de discrimination qui par application drsquoautres critegraveres de distinction aboutissent en fait au mecircme reacutesultat

Renvoi preacutejudiciel ndash Libre circulation des travailleurs ndash Regraveglement (UE) ndeg4922011 ndash Enfants de travailleurs frontaliers ndash Avantages sociaux ndash Systegraveme de remboursement des frais de transport scolaire ndash Condition de reacutesidence dans un Land ndash Exclusion des enfants scolariseacutes dans ce Land et reacutesidant dans un Eacutetat membre autre que celui de lrsquoeacutetablissement scolaire freacutequenteacute ndash Exclusion des ressortissants nationaux reacutesidant dans les autres Laumlnder

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En lespegravece la mesure en cause en ce qursquoelle subordonne le remboursement des frais de transport scolaire agrave une condition de reacutesidence dans le Land est susceptible par sa nature mecircme de deacutefavoriser plus particuliegraverement les travailleurs frontaliers qui reacutesident dans un autre Eacutetat membre Partant la Cour de justice affirme dans son point 32 quelle constitue une discrimination indirecte prohibeacutee agrave lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement ndeg4922011 La Cour de justice preacutecise au point 34 quune telle conclusion ne saurait ecirctre remise en cause par le fait que les travailleurs nationaux qui reacutesident dans les autres Laumlnder pacirctissent eacutegalement de cette mesure nationale En effet pour qursquoune mesure puisse ecirctre qualifieacutee drsquoindirectement discriminatoire il nrsquoest pas neacutecessaire qursquoelle ait pour effet de favoriser lrsquoensemble des ressortissants nationaux ou de ne deacutefavoriser que les seuls travailleurs frontaliers agrave lrsquoexclusion des nationaux (voir en ce sens arrecirct Gemeinsamer Betriebsrat EurothermenResort Bad Schallerbach C-43717 points 31 et 32 13 mars 2019 ) Enfin la Cour de justice souligne que la discrimination en cause dans lrsquoaffaire au principal trouvant sa source dans une condition de reacutesidence sur une partie du territoire drsquoun Eacutetat membre et non pas dans une condition de nationaliteacute il importe peu afin de deacuteterminer lrsquoexistence drsquoune discrimination telle que deacutefinie dans le preacutesent arrecirct que les travailleurs nationaux qui reacutesident dans un autre Land se trouvent eacutegalement discrimineacutes par cette condition de reacutesidence (point 35) La Cour de justice conclut quen tout eacutetat de cause une telle mesure nationale constitue une entrave agrave la libre circulation des travailleurs prohibeacutee agrave lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement ndeg4922011 en ce que mecircme indistinctement applicable elle est susceptible drsquoempecirccher ou de dissuader un ressortissant drsquoun Eacutetat membre de quitter son Eacutetat drsquoorigine pour exercer son droit agrave la libre circulation (voir en ce sens arrecirct Bosman C-41593 point 96 15 deacutecembre 1995) et quil convient donc de reacutepondre agrave la premiegravere question preacutejudicielle poseacutee que lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement ndeg4922011 doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens qursquoune leacutegislation nationale qui subordonne la prise en charge du transport scolaire par un Land agrave une condition de reacutesidence sur le territoire de ce Land constitue une discrimination indirecte en ce qursquoelle est susceptible par sa nature mecircme drsquoaffecter davantage les travailleurs frontaliers que les travailleurs nationaux (points 36 et 37)

o Sur la deuxiegraveme question preacutejudicielle Par sa seconde question la juridiction de renvoi demande en substance si lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement ndeg4922011 doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que la neacutecessiteacute drsquoassurer lrsquoorganisation efficace du systegraveme scolaire constitue une raison impeacuterieuse drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral susceptible de justifier une mesure nationale qualifieacutee de discrimination indirecte La Cour de justice commence par rappeler au point 39 qursquoune discrimination indirecte est en principe prohibeacutee agrave moins qursquoelle ne soit objectivement justifieacutee Pour cela elle doit drsquoune part ecirctre propre agrave garantir la reacutealisation drsquoun objectif leacutegitime et drsquoautre part ne pas aller au-delagrave de ce qui est neacutecessaire pour atteindre cet objectif (arrecircts Giersch ea citeacute point 46 et Aubriet C-41018 point 29 10 juillet 2019) Elle rappelle au point suivant quelle avait jugeacute qursquoune action entreprise par un Eacutetat membre afin drsquoassurer un niveau eacuteleveacute de formation de sa population reacutesidente poursuit un objectif leacutegitime susceptible de justifier une discrimination indirecte et que la poursuite drsquoeacutetudes supeacuterieures constitue un objectif drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral reconnu au niveau de lrsquoUnion (arrecircts Giersch point 53 et Aubriet point 31 citeacutes) Cependant selon la Cour de justice le fait mecircme que si lrsquoeacutetablissement freacutequenteacute est situeacute en dehors du territoire du Land de Rheacutenanie-Palatinat les frais de transport sont pris en charge par le Landkreis ou par la ville non rattacheacutee agrave un Landkreis sur le territoire duquel ou de laquelle lrsquoeacutelegraveve est domicilieacute atteste que lrsquoorganisation du transport scolaire au niveau du Land nrsquoest pas indissociablement lieacutee agrave lrsquoorganisation du systegraveme scolaire au sein de ce Land Par conseacutequent la Cour de justice juge que les dispositions du Land sur le transport scolaire ne preacutesentent pas un lien suffisamment eacutetroit avec lrsquoorganisation du systegraveme scolaire pour qursquoil soit consideacutereacute que ces dispositions poursuivent un objectif leacutegitime En tout eacutetat de cause la condition de reacutesidence opposeacutee agrave PF ne peut ecirctre consideacutereacutee comme indispensable agrave la planification et agrave lrsquoorganisation du transport scolaire degraves lors que comme lrsquoOberverwaltungsgericht Rheinland-Pfalz lrsquoindique drsquoautres mesures pourraient ecirctre envisageacutees En particulier la Cour de justice indique que pour le calcul du montant des frais de transport scolaire devant ecirctre rembourseacutes laquo le point ougrave le trajet agrave vol drsquooiseau entre le lieu de reacutesidence reacuteel et lrsquoeacutetablissement scolaire le plus proche coupe la frontiegravere raquo pourrait ecirctre pris en compte agrave titre de domicile de lrsquoeacutelegraveve

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La Cour de justice conclut donc que les difficulteacutes pratiques lieacutees agrave lrsquoorganisation efficace du transport scolaire au niveau reacutegional ne constituent pas une raison impeacuterieuse drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral susceptible de justifier une mesure nationale qualifieacutee de discrimination indirecte (points 42 agrave 46) Par ces motifs la Cour (neuviegraveme chambre) dit pour droit 1) Lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement (UE) no 4922011 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 5 avril 2011 relatif agrave la libre circulation des travailleurs agrave lrsquointeacuterieur de lrsquoUnion doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens qursquoune leacutegislation nationale qui subordonne la prise en charge du transport scolaire par un Land agrave une condition de reacutesidence sur le territoire de ce Land constitue une discrimination indirecte en ce qursquoelle est susceptible par sa nature mecircme drsquoaffecter davantage les travailleurs frontaliers que les travailleurs nationaux 2) Lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement no 4922011 doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que les difficulteacutes pratiques lieacutees agrave lrsquoorganisation efficace du transport scolaire au sein drsquoun Land ne constituent pas une raison impeacuterieuse drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral susceptible de justifier une mesure nationale qualifieacutee de discrimination indirecte

Non-discrimination

Cour de justice (grande chambre) Ruska Federacija 2 avril 2020 C-89719 PPU

Reacutesumeacute Lorsqursquoun Eacutetat membre doit statuer sur une demande drsquoextradition issu drsquoun Eacutetat tiers et concernant un ressortissant drsquoun Eacutetat de lrsquoAssociation europeacuteenne de libre-eacutechange (AELE) partie agrave lrsquoaccord sur lrsquoEspagne eacuteconomique europeacuteen (EEE) il lui incombe de veacuterifier que ce ressortissant ne sera pas soumis agrave la peine de mort agrave la torture ou agrave des peines ou traitements inhumains ou deacutegradants De plus avant drsquoenvisager drsquoexeacutecuter la demande drsquoextradition la Cour de justice preacutecise que lrsquoEacutetat membre doit en informer lrsquoEacutetat de lrsquoAELE pour permettre agrave celui-ci de solliciter la remise de son ressortissant En mai 2015 le bureau drsquoInterpol de Moscou (Russie) a eacutemis un avis de recherche international contre un ressortissant russe aux fins de son arrestation en raison de poursuites peacutenales engageacutees contre lui Le 30 juin 2019 alors qursquoil tentait drsquoentrer sur le territoire de la Croatie le ressortissant russe muni drsquoun document de voyage islandais pour reacutefugieacutes srsquoest fait arrecircter sur le fondement de cet lrsquoavis de recherche Le ressortissant russe interrogeacute par le juge drsquoinstruction du Županijski sud u Zagrebu (tribunal de comitat de Zagreb Croatie) a deacuteclareacute srsquoopposer agrave son extradition en Russie et a indiqueacute ecirctre agrave la fois citoyen russe et citoyen islandais Lrsquoambassade islandaise a confirmeacute son statut de reacutesident permanent en Islande et a indiqueacute que le gouvernement islandais souhaitait que lrsquoindividu se voit attribuer un sauf-conduit vers lrsquoIslande dans les plus brefs deacutelais Le 6 aoucirct 2019 le tribunal de comitat de Zagreb a reccedilu une demande du ministegravere public geacuteneacuteral de la Feacutedeacuteration de Russie de lrsquoextradition de leur ressortissant vers cet Eacutetat tiers en raison des poursuites peacutenales engageacutees contre

Renvoi preacutejudiciel ndash Proceacutedure preacutejudicielle drsquourgence ndash Accord EEE ndash Non-discrimination ndash Article 36 ndash Libre prestation des services ndash Champ drsquoapplication ndash Accord entre lrsquoUnion europeacuteenne la Reacutepublique drsquoIslande et le Royaume de Norvegravege sur lrsquoassociation de ces deux Eacutetats agrave la mise en œuvre agrave lrsquoapplication et au deacuteveloppement de lrsquoacquis de Schengen ndash Accord relatif agrave la proceacutedure de remise entre les Eacutetats membres de lrsquoUnion europeacuteenne drsquoune part et lrsquoIslande et la Norvegravege drsquoautre part ndash Extradition vers un Eacutetat tiers drsquoun ressortissant islandais ndash Protection des ressortissants drsquoun Eacutetat membre contre lrsquoextradition ndash Absence de protection eacutequivalente des ressortissants drsquoun autre Eacutetat ndash Ressortissant islandais ayant obtenu lrsquoasile en vertu du droit national avant lrsquoacquisition de la citoyenneteacute islandaise ndash Restriction agrave la libre circulation ndash Justification fondeacutee sur la preacutevention de lrsquoimpuniteacute ndash Proportionnaliteacute ndash Veacuterification des garanties preacutevues agrave lrsquoarticle 19 paragraphe 2 de la Charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne

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lui Le ministegravere public geacuteneacuteral a preacuteciseacute que la demande drsquoextradition nrsquoavait pas pour but de poursuivre lrsquoindividu pour des motifs politiques ni en raison de sa race de sa religion de sa nationaliteacute ou de ses opinions que toutes les possibiliteacutes drsquoexercer sa deacutefense y compris lrsquoassistance drsquoun avocat seraient mises agrave sa disposition et qursquoil ne serait pas soumis agrave la torture agrave des traitements cruels ou inhumains ou encore agrave des peines portant atteinte agrave la digniteacute humaine Par ordonnance du 5 septembre 2019 le tribunal de comitat de Zagreb a jugeacute que les conditions leacutegales pour lrsquoextradition du ressortissant russe eacutetaient remplies Le ressortissant russe a interjeteacute appel de cette ordonnance devant le Vrhovni sud (Cour suprecircme) Il a fait valoir qursquoil existait un risque concret seacuterieux et raisonnable qursquoen cas drsquoextradition vers la Russie il y soit soumis agrave la torture et agrave des traitements inhumains et deacutegradants et que le statut de reacutefugieacute lui avait eacuteteacute reconnu en Islande preacuteciseacutement en raison des poursuites effectives dont il faisait lrsquoobjet en Russie En affirmant posseacuteder la citoyenneteacute islandaise il a reprocheacute au tribunal comitat de Zagreb drsquoavoir meacuteconnu lrsquoarrecirct du 6 septembre 2016 Petruhhin (C-18215) Dans ces conditions le Vrhovni sud (Cour suprecircme) a deacutecideacute de surseoir agrave statuer et de poser agrave la Cour de justice les questions preacutejudicielles suivantes 1 Convient-il drsquointerpreacuteter lrsquoarticle 18 TFUE en ce sens qursquoun Eacutetat membre de lrsquoUnion europeacuteenne

qui statue sur lrsquoextradition vers un Eacutetat tiers drsquoun ressortissant drsquoun Eacutetat qui nrsquoest pas membre de lrsquoUnion [] mais qui est membre de lrsquoespace Schengen est tenu drsquoinformer de la demande drsquoextradition lrsquoEacutetat membre de lrsquoespace Schengen dont cette personne a la nationaliteacute

2 Si la question preacuteceacutedente appelle une reacuteponse affirmative et que lrsquoEacutetat membre de lrsquoespace

Schengen a solliciteacute la remise de cette personne afin de mener une proceacutedure pour laquelle lrsquoextradition est demandeacutee convient-il de lui remettre cette personne conformeacutement agrave lrsquoaccord relatif agrave la proceacutedure de remise

Selon la Cour de justice les articles 18 et 21 TFUE doivent ecirctre interpreacuteteacutes en ce sens que lorsqursquoun Eacutetat membre dans lequel un citoyen de lrsquoUnion ressortissant drsquoun autre Eacutetat membre srsquoest deacuteplaceacute se voit adresser une demande drsquoextradition par un Eacutetat tiers avec lequel le premier Eacutetat membre a conclu un accord drsquoextradition il est tenu drsquoinformer lrsquoEacutetat membre dont ledit citoyen a la nationaliteacute et le cas eacutecheacuteant agrave la demande de ce dernier Eacutetat membre de lui remettre ce citoyen conformeacutement aux dispositions de la deacutecision-cadre 2002584JAI du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat drsquoarrecirct europeacuteen et aux proceacutedures de remises entre Eacutetats membres telle que modifieacutee par la deacutecision-cadre 2009299JAI du Conseil du 26 feacutevrier 2009 pourvu que cet Eacutetat membre soit compeacutetent en vertu de son droit national pour poursuivre cette personne pour des faits commis en dehors de son territoire national (arrecirct du 6 septembre 2016 Petruhhin C-18215 point 50) Afin drsquoeacuteviter le risque drsquoimpuniteacute de la personne concerneacutee pour les faits qui lui sont reprocheacutes dans la demande drsquoextradition le mandat drsquoarrecirct europeacuteen eacuteventuellement eacutemis par un Eacutetat membre autre que lrsquoEacutetat membre requis doit porter agrave tout le moins sur les mecircmes faits (arrecirct du 10 avril 2018 Pisciotti C-19116 point 54) La Cour de justice estime qursquoen interdisant laquo toute discrimination exerceacutee en raison de la nationaliteacute raquo lrsquoarticle 18 TFUE exige lrsquoeacutegaliteacute de traitement des personnes se trouvant dans une situation tombant dans le domaine drsquoapplication des traiteacutes Neacuteanmoins cette disposition nrsquoa pas vocation agrave srsquoappliquer dans le cas drsquoune eacuteventuelle diffeacuterence de traitement entre les ressortissants des Eacutetats membres et ceux des Eacutetats tiers (arrecirct du 4 juin 2009 Vatsouras et Koupatantze C-2208 et C-2308 point 52 avis 117 (Accord ECG UE-Canada) du 30 avril 2019 point 169) Srsquoagissant de lrsquoarticle 21 TFUE son paragraphe 1 preacutevoit le droit de tout citoyen de lrsquoUnion de circuler et de seacutejourner librement sur le territoire des Eacutetats membres et srsquoapplique ainsi qursquoil en ressort de lrsquoarticle 20 paragraphe 1 TFUE agrave toute personne ayant la nationaliteacute drsquoun Eacutetat membre de telle sorte qursquoil ne srsquoapplique pas non plus agrave un ressortissant drsquoun Eacutetat tiers Toutefois la Cour de justice rappelle qursquoelle a pour mission drsquointerpreacuteter toutes les dispositions du droit de lrsquoUnion dont les juridictions nationales ont besoin afin de statuer sur les litiges qui leur sont soumis mecircme si ces

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dispositions ne sont pas indiqueacutees expresseacutement dans les questions qui lui sont adresseacutees par ces juridictions (arrecirct du 8 mai 2019 PI C-23018 point 42) Ainsi la Cour de justice juge qursquoil est neacutecessaire de preacuteciser la porteacutee de la protection offerte par lrsquoarticle 19 paragraphe 2 de la Charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne aux termes duquel nul ne peut ecirctre eacuteloigneacute expulseacute ou extradeacute vers un Eacutetat ougrave il existe un risque seacuterieux qursquoil soit soumis agrave la peine de mort la torture ou agrave drsquoautres peines ou traitements inhumains ou deacutegradants

o Sur lrsquoapplicabiliteacute du droit de lrsquoUnion dans le litige principal En lrsquoabsence de convention internationale agrave ce sujet entre lrsquoUnion europeacuteenne et lrsquoEacutetat tiers concerneacute les regravegles en matiegravere drsquoextradition relegravevent de la compeacutetence des Eacutetats membres Neacuteanmoins les Eacutetats membres sont tenus drsquoexercer cette compeacutetence dans le respect du droit de lrsquoUnion (arrecirct du 13 novembre 2018 Raugevicius C-24717 point 45) La Cour de justice preacutecise que lrsquoaccord EEE accord international conclu par lrsquoUnion fait partie inteacutegrante du droit de celle-ci Agrave ce titre des situations relevant du champ drsquoapplication de drsquoun tel accord sont reacutegies par le droit de lrsquoUnion (point 49) Selon la Cour de justice lrsquoaccord EEE reacuteaffirme lrsquoexistence de relations privileacutegieacutees entre lrsquoUnion europeacuteenne ses Eacutetats membres et les Eacutetats de lrsquoAELE agrave la lumiegravere de ces derniegraveres lrsquoaccord viserait agrave ce que le marcheacute inteacuterieur reacutealiseacute sur le territoire de lrsquoUnion soit eacutetendu aux Eacutetats de lrsquoAELE Pour y parvenir certaines stipulations de lrsquoaccord visent agrave garantir une interpreacutetation aussi uniforme que possible de celui-ci sur lrsquoensemble de lrsquoEEE La Cour de justice estime qursquoil lui revient dans ce cadre de veiller agrave ce que les regravegles de lrsquoaccord EEE identiques en substance agrave celles du TFUE soient interpreacuteteacutees de maniegravere uniforme agrave lrsquointeacuterieur des Eacutetats membres (point 50) En lrsquoespegravece lrsquoindividu en cause faisait valoir qursquoil eacutetait entreacute en Croatie pour y passer ses vacances La Cour de justice juge que la liberteacute de prestation de services au sens de lrsquoarticle 56 TFUE inclut la liberteacute des destinataires de service de rendre dans un autre Eacutetat membre pour y beacuteneacuteficier drsquoun service les touristes devant ecirctre consideacutereacutes comme eacutetant des destinataires de services beacuteneacuteficiaires de cette liberteacute Elle preacutecise que la mecircme interpreacutetation srsquoimpose agrave lrsquoeacutegard de la liberteacute de prestation de services garantie agrave lrsquoarticle 36 de lrsquoaccord EEE (points 52 et 52) Ainsi la Cour de justice juge que la situation de lrsquoindividu en cause relegraveve du champ drsquoapplication de lrsquoaccord EEE et du droit de lrsquoUnion du fait de sa qualiteacute de ressortissant islandais (par analogie arrecirct du 6 septembre 2016 Petruhhin C-18215 points 30 et 31) Degraves lors la Croatie est tenue drsquoexercer sa compeacutetence en matiegravere drsquoextradition agrave destination drsquoEacutetats tiers drsquoune maniegravere conforme agrave lrsquoaccord EEE

o Sur la restriction agrave la libre prestation des services et lrsquoeacuteventuelle justification de celle-ci Lrsquoarticle 4 de lrsquoaccord EEE exige lrsquoeacutegaliteacute de traitement des personnes se trouvant dans une situation reacutegie par cet accord en interdisant laquo toute discrimination exerceacutee en raison de la nationaliteacute raquo La Cour de justice explique que les regravegles nationales drsquoextradition telles que celles en cause introduisent une diffeacuterence de traitement selon que la personne concerneacutee soit un ressortissant national ou un ressortissant drsquoun Eacutetat de lrsquoAELE partie agrave lrsquoaccord EEE car elles conduisent agrave ne pas accorder aux ressortissants de ces derniers Eacutetats la protection contre lrsquoextradition dont jouissent les ressortissants nationaux (par analogie arrecirct du 6 septembre 2016 Petruhhin C-18215 point 32) Ainsi de telles regravegles sont susceptibles drsquoaffecter la liberteacute consacreacutee agrave lrsquoarticle 36 de lrsquoaccord EEE La Cour de justice ajoute que la circonstance selon laquelle la personne concerneacutee a la qualiteacute de ressortissant drsquoun Eacutetat de lrsquoAELE partie agrave lrsquoaccord EEE et le fait que cet Eacutetat met en œuvre et applique lrsquoacquis de Schengen rendent la situation de cette personne objectivement comparable agrave celle drsquoun citoyen de lrsquoUnion (point 58)

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Toutefois la Cour de justice preacutecise qursquoune telle restriction ne peut ecirctre justifieacutee que si elle est fondeacutee sur des consideacuterations objectives et proportionneacutee agrave lrsquoobjectif leacutegitimement poursuivi par le droit national (par analogie arrecirct du 6 septembre 2016 Petruhhin C-18215 points 34) En lrsquoespegravece la Cour de justice considegravere que lrsquoobjectif drsquoeacuteviter le risque drsquoimpuniteacute des personnes ayant commis une infraction avanceacute dans la demande de deacutecision preacutejudicielle agrave des fins de justification doit ecirctre perccedilue comme preacutesentant un caractegravere leacutegitime Pour autant des restrictions agrave la liberteacute consacreacutee agrave lrsquoarticle 36 de lrsquoaccord EEE ne peuvent ecirctre justifieacutee par des consideacuterations objectives que si elles sont approprieacutees pour la protection des inteacuterecircts qursquoelles visent agrave garantir et seulement dans la mesure ougrave ces objectifs en peuvent ecirctre atteints par des mesures moins restrictives Agrave ce titre degraves lors que le ressortissant islandais se preacutevaut drsquoun risque seacuterieux de traitement inhumain et deacutegradant en cas drsquoextradition lrsquoEacutetat membre requis doit veacuterifier avant de proceacutedure agrave une eacuteventuelle extradition que cette derniegravere ne portera pas atteinte aux droits viseacutes agrave lrsquoarticle 19 paragraphe 2 de la Charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne Ainsi lrsquoautoriteacute compeacutetente de lrsquoEacutetat membre requis telle que la juridiction de renvoi doit se fonder aux fins de cette veacuterification sur des eacuteleacutements objectifs fiables preacutecis et ducircment actualiseacutes eacuteleacutements pouvant reacutesulter notamment de deacutecisions judiciaires internationales telles que des arrecircts de la Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme de deacutecisions judiciaires de lrsquoEacutetat tiers requeacuterant ainsi que de deacutecisions de rapports et drsquoautres documents eacutetablis par les organes du Conseil de lrsquoEurope ou relevant du systegraveme des Nations unies (arrecirct du 6 septembre 2016 Petruhhin C-18215 points 55 agrave 59 et jurisprudence citeacutee) Si les autoriteacutes de lrsquoEacutetat membre requis estiment que lrsquoarticle 19 paragraphe 2 de la Charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne ne srsquooppose pas agrave lrsquoexeacutecution de cette demande il faudra examiner si la restriction en cause est proportionneacutee agrave lrsquoobjectif de lutte contre lrsquoimpuniteacute drsquoune personne qui aurait commis une infraction peacutenale La Cour de justice souligne que la mise en œuvre des meacutecanismes de coopeacuteration et drsquoassistance mutuelle existant en matiegravere peacutenale en vertu du droit de lrsquoUnion constitue en tout eacutetat de cause une mesure alternative moins attentatoire au droit agrave la libre circulation que lrsquoextradition vers un Eacutetat tiers avec lequel lrsquoUnion nrsquoa pas conclu drsquoaccord drsquoextradition et qui permet drsquoatteindre aussi efficacement cet objectif (point 69) Ainsi il en revient agrave lrsquoautoriteacute compeacutetente de lrsquoEacutetat membre requis drsquoinformer lrsquoEacutetat membre dont lrsquointeacuteresseacute agrave la nationaliteacute et le cas eacutecheacuteant agrave la demande de ce dernier Eacutetat de lui remettre lrsquointeacuteresseacute sur le fondement drsquoun mandat drsquoarrecirct europeacuteen en vertu de la deacutecision-cadre 2002584JAI Or cette deacutecision ne srsquoapplique pas agrave la Reacutepublique drsquoIslande cet Eacutetat a conclu avec lrsquoUnion un accord relatif agrave la proceacutedure de remise entreacute en vigueur le 1er novembre 2019 dont les dispositions sont tregraves semblables aux dispositions correspondantes de la deacutecision Au regard de ce qui preacutecegravede la Cour de justice juge que la solution retenue dans lrsquoarrecirct Petruhhin (C-18215) doit ecirctre appliqueacutee par analogie aux ressortissants islandais qui se trouvent agrave lrsquoeacutegard de lrsquoEacutetat tiers sollicitant leur extradition dans une situation objectivement comparable agrave celle drsquoun citoyen de lrsquoUnion auquel selon lrsquoarticle 3 paragraphe 2 TUE lrsquoUnion offre un espace de liberteacute de seacutecuriteacute et de justice sans frontiegraveres inteacuterieures au sein duquel est assureacutee la libre circulation des personnes Partant lorsqursquoun Eacutetat membre dans lequel un ressortissant de la Reacutepublique drsquoIslande srsquoest deacuteplaceacute se voit adresser une demande drsquoextradition par un Eacutetat tiers avec lequel le premier Eacutetat membre a conclu un accord drsquoextradition il est en principe tenu drsquoinformer la Reacutepublique drsquoIslande et le cas eacutecheacuteant de lui remettre ce ressortissant agrave sa demande conformeacutement aux dispositions de lrsquoaccord relatif agrave la proceacutedure de remise pourvu que la Reacutepublique drsquoIslande soit compeacutetente en vertu de son droit national pour poursuivre cette personne pour des faits commis en dehors de son territoire national (point 76) Par ces motifs la Cour (grande chambre) dit pour droit Le droit de lrsquoUnion en particulier lrsquoarticle 36 de lrsquoaccord sur lrsquoEspace eacuteconomique europeacuteen du 2 mai 1992 et lrsquoarticle 19 paragraphe 2 de la Charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que lorsqursquoun Eacutetat membre dans lequel srsquoest deacuteplaceacute un ressortissant drsquoun Eacutetat membre de lrsquoAssociation europeacuteenne de libre-eacutechange (AELE) partie agrave lrsquoaccord sur lrsquoEspace eacuteconomique europeacuteen et avec lequel lrsquoUnion europeacuteenne a conclu un accord de remise se voit adresser

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une demande drsquoextradition par un Eacutetat tiers en vertu de la convention europeacuteenne drsquoextradition signeacutee agrave Paris le 13 deacutecembre 1957 et lorsque ce ressortissant srsquoeacutetait vu accorder lrsquoasile par cet Eacutetat de lrsquoAELE anteacuterieurement agrave son acquisition de la nationaliteacute dudit Eacutetat preacuteciseacutement en raison des poursuites dont il fait lrsquoobjet dans lrsquoEacutetat ayant eacutemis la demande drsquoextradition il incombe agrave lrsquoautoriteacute compeacutetente de lrsquoEacutetat membre requis de veacuterifier que lrsquoextradition ne portera pas atteinte aux droits viseacutes audit article 19 paragraphe 2 de la Charte des droits fondamentaux lrsquooctroi de lrsquoasile constituant un eacuteleacutement particuliegraverement seacuterieux dans le cadre de cette veacuterification Avant drsquoenvisager drsquoexeacutecuter la demande drsquoextradition lrsquoEacutetat membre requis est en tout eacutetat de cause tenu drsquoinformer ce mecircme Eacutetat de lrsquoAELE et le cas eacutecheacuteant de lui remettre agrave sa demande ledit ressortissant conformeacutement aux dispositions de lrsquoaccord de remise pourvu que ledit Eacutetat de lrsquoAELE soit compeacutetent en vertu de son droit national pour poursuivre ce ressortissant pour des faits commis en dehors de son territoire national

Cour de justice (huitiegraveme chambre) HB et IC Istituto nazionale della previdenza sociale 30 avril 2020 C-16819 et C-16919

Reacutesumeacute La Cour de justice par cet arrecirct a jugeacute que le reacutegime fiscal italien reacutesultant de la convention italo-portugaise contre la double imposition sur les revenus nrsquoenfreint pas les principes de libre circulation et de non-discrimination Les retraiteacutes du secteur priveacute et du secteur public peuvent donc ecirctre soumis agrave des reacuteglementations fiscales nationales diffeacuterentes

HB et IC de nationaliteacute italienne sont drsquoanciens agents du secteur public italien beacuteneacuteficiant drsquoune pension de

retraite verseacutee par lrsquoIstituto Nazionale della Previdenza Sociale (Institut national de la seacutecuriteacute sociale Italie ci-

apregraves laquo INPS raquo) Apregraves avoir transfeacutereacute leur reacutesidence au Portugal ils ont demandeacute en 2015 agrave lrsquoINPS de recevoir

en application de la Convenzione tra la Repubblica italiana e la Repubblica portoghese per evitare le doppie

imposizioni e prevenire lrsquoevasione fiscale in materia di imposte sul reddito (convention italo-portugaise contre les

doubles impositions) le montant brut de leur pension sans preacutelegravevement drsquoimpocirct agrave la source par lrsquoItalie de maniegravere

agrave pouvoir beacuteneacuteficier des avantages fiscaux offerts par le Portugal LrsquoINPS a rejeteacute leurs demandes consideacuterant

que cette reacuteglementation srsquoapplique uniquement aux retraiteacutes italiens du secteur priveacute ayant transfeacutereacute leur

reacutesidence au Portugal ainsi qursquoaux retraiteacutes italiens du secteur public qui en plus drsquoavoir transfeacutereacute leur reacutesidence

au Portugal ont acquis la nationaliteacute portugaise condition que HB et IC ne remplissent pas

HB et IC ont alors saisi la Corte dei conti ndash Sezione Giurisdizionale per la Regione Puglia (Cour des comptes ndash

chambre juridictionnelle pour la reacutegion des Pouilles Italie ci-apregraves laquo Cour des comptes raquo)

Dans ces conditions la Cour des comptes a deacutecideacute de surseoir agrave statuer et de poser agrave la Cour de justice la question

preacutejudicielle suivante libelleacutee de maniegravere identique dans les deux affaires jointes

laquo Les articles 18 et 21 TFUE doivent-ils ecirctre interpreacuteteacutes en ce sens qursquoils srsquoopposent agrave ce que la reacuteglementation drsquoun Eacutetat membre

preacutevoie drsquoimposer les revenus drsquoune personne reacutesidente dans un autre Eacutetat membre qui a acquis inteacutegralement son revenu dans le

premier Eacutetat membre mais qui nrsquoa pas la nationaliteacute du second Eacutetat en ne lui permettant pas de beacuteneacuteficier des avantages fiscaux

offerts par ce dernier raquo

o Sur la question preacutejudicielle

Dans son point 15 la Cour de justice reformule la question preacutejudicielle et affirme que la juridiction de renvoi

demande en substance si les articles 18 et 21 TFUE (principes de non-discrimination et de libre circulation des

citoyens de lUnion) srsquoopposent agrave un reacutegime fiscal reacutesultant drsquoune convention preacuteventive de la double imposition

conclue entre deux Eacutetats membres en vertu de laquelle la compeacutetence fiscale de ces Eacutetats en matiegravere drsquoimposition

Renvoi preacutejudiciel ndash Libre circulation des personnes ndash Article 21 TFUE ndash Principe de non-discrimination en raison de la nationaliteacute ndash Article 18 TFUE ndash Convention preacuteventive de la double imposition ndash Travailleurs du secteur public ndash Pensionneacute reacutesidant dans un Eacutetat membre autre que celui lui versant une pension de retraite et ne posseacutedant pas la nationaliteacute de lrsquoEacutetat membre de reacutesidence ndash Impocirct sur le revenu ndash Preacutetendue perte drsquoavantages fiscaux ndash Preacutetendue entrave agrave la liberteacute de circulation et preacutetendue discrimination

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sur les pensions de retraite est reacutepartie selon que les beacuteneacuteficiaires de celles-ci exerccedilaient un emploi relevant du

secteur priveacute ou du secteur public et dans ce dernier cas selon qursquoils ont ou non la nationaliteacute de lrsquoEacutetat membre

de reacutesidence

Par son arrecirct de ce jour la Cour de justice reacutepond par la neacutegative aux deux questions

La Cour de justice rappelle des points 16 agrave 20 sa jurisprudence (Cour de justice Bukovansky 19 novembre 2015

C-24114 et Gilly 12 mai 1998 C-33696) selon laquelle les Eacutetats membres sont libres dans le cadre de

conventions contre les doubles impositions de fixer les critegraveres de reacutepartition entre eux de la compeacutetence fiscale

de telles conventions nrsquoayant pas pour but de garantir que lrsquoimposition dans un Eacutetat ne soit pas supeacuterieure agrave celle

drsquoun autre Eacutetat

En effet elle relegraveve dans son point 17 qursquoune convention bilateacuterale preacuteventive de la double imposition telle que

cette convention italo-portugaise a pour objet drsquoeacuteviter que le mecircme revenu soit imposeacute dans chacune des deux

parties agrave cette convention et non pas de garantir que lrsquoimposition agrave laquelle est assujetti le contribuable dans une

partie contractante ne soit pas supeacuterieure agrave celle agrave laquelle il serait assujetti dans lrsquoautre partie contractante (arrecirct

Bukovansky citeacute point 44) Elle ajoute au paragraphe suivant quagrave cette fin il nrsquoest pas deacuteraisonnable pour les

Eacutetats membres drsquoutiliser les critegraveres suivis dans la pratique fiscale internationale et en particulier comme lrsquoont

fait la Reacutepublique italienne et la Reacutepublique portugaise le modegravele de convention fiscale concernant le revenu et

la fortune eacutelaboreacute par lrsquoOCDE dont lrsquoarticle 19 paragraphe 2 dans sa version de lrsquoanneacutee 2014 qui preacutevoit des

facteurs de rattachement tels que lrsquoEacutetat payeur et la nationaliteacute (arrecircts Gilly citeacute point 31 et Sauvage et Lejeune

C-60217 24 octobre 2018 point 23)

Dans ce cadre les Eacutetats membres peuvent notamment reacutepartir la compeacutetence fiscale sur la base de critegraveres tels

que lrsquoEacutetat payeur ou la nationaliteacute Or la diffeacuterence de traitement que HB et IC allegraveguent avoir subie deacutecoule de

la reacutepartition du pouvoir drsquoimposition entre lrsquoItalie et le Portugal ainsi que des dispariteacutes existant entre les reacutegimes

fiscaux de ces Eacutetats membres (arrecirct Bukovansky citeacute point 38) La Cour de justice affirme que dans ces conditions

il ne saurait ecirctre question drsquoune discrimination interdite (sect19)

Par ces motifs la Cour de justice (huitiegraveme chambre) dit pour droit

Les articles 18 et 21 TFUE ne srsquoopposent pas agrave un reacutegime fiscal reacutesultant drsquoune convention preacuteventive

de la double imposition conclue entre deux Eacutetats membres en vertu de laquelle la compeacutetence fiscale

de ces Eacutetats en matiegravere drsquoimposition sur les pensions de retraite est reacutepartie selon que les beacuteneacuteficiaires

de celles-ci exerccedilaient un emploi relevant du secteur priveacute ou du secteur public et dans ce dernier cas

selon qursquoils ont ou non la nationaliteacute de lrsquoEacutetat membre de reacutesidence

Protection de la seacutecuriteacute et de la santeacute des travailleurs

Cour de justice (dixiegraveme chambre) UO Keacuteszenleacuteti Rendőrseacuteg 30 avril 2020 C-21119

Reacutesumeacute Dans une affaire qui concerne lrsquoameacutenagement du temps de travail drsquoun membre de la police drsquointervention de la Hongrie

la Cour de justice juge que la directive 200388CE sur le temps de travail srsquoapplique aux agents de la police drsquointervention

hongroise assurant la surveillance des frontiegraveres exteacuterieures de lrsquoespace Schengen dans le contexte de la crise migratoire La Cour de

justice rappelle que ces activiteacutes peuvent neacuteanmoins eacutechapper aux regravegles de la directive dans des circonstances drsquoune graviteacute et drsquoune

ampleur exceptionnelles

La preacutesente demande de deacutecision preacutejudicielle deacuteposeacutee le 6 mars 2019 a eacuteteacute preacutesenteacutee dans le cadre drsquoun litige

Renvoi preacutejudiciel ndash Politique sociale ndash Protection de la seacutecuriteacute et de la santeacute des travailleurs ndash Directive 200388CE ndash Champ drsquoapplication ndash Deacuterogation ndash Article 1er paragraphe 3 ndash Directive 89391CEE ndash Article 2 paragraphe 2 ndash Activiteacutes des forces drsquointervention de la police

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opposant UO au Keacuteszenleacuteti Rendőrseacuteg (police drsquointervention Hongrie) au sujet de la reacutemuneacuteration due pour les services de garde qursquoil a assureacutes Du mois de juillet 2015 au mois drsquoavril 2017 UO qui exerce ses fonctions dans les services de la police drsquointervention srsquoest trouveacute en service drsquoalerte en tant que membre drsquoune compagnie de patrouille La police drsquointervention est un organe speacutecifique du service de police geacuteneacuterale qui dispose de pouvoirs speacuteciaux et exerce des missions particuliegraveres sur lrsquoensemble du territoire hongrois dont la patrouille aux frontiegraveres de la Hongrie avec des Eacutetats ne faisant pas partie de lrsquoespace Schengen Au cours de ladite peacuteriode lrsquoemployeur drsquoUO a ordonneacute dans le cadre des missions effectueacutees agrave la frontiegravere drsquoune part un service drsquoalerte extraordinaire et drsquoautre part un service de garde en dehors du temps de service ordinaire ces deux services devant ecirctre assureacutes en patrouille Pour la police drsquointervention hongroise le temps de garde drsquoUO constituait une peacuteriode de repos UO estime que pendant cette peacuteriode il assurait en reacutealiteacute un service drsquoalerte en dehors du temps de service ordinaire quotidien lequel devait ecirctre qualifieacute de laquo temps de travail raquo pour lequel il devait beacuteneacuteficier non pas drsquoune prime de service de garde mais drsquoune indemniteacute de service drsquoalerte extraordinaire Il a ainsi formeacute un recours contre son employeur devant la juridiction de renvoi en srsquoappuyant sur la loi relative au statut du personnel professionnel des organes chargeacutes du maintien de lrsquoordre qui vise agrave mettre en œuvre la directive 200388 La juridiction de renvoi srsquointerroge sur le point de savoir si les deacutefinitions figurant agrave lrsquoarticle 2 de la directive 200388 peuvent ecirctre appliqueacutees agrave UO en sa qualiteacute de membre de la police drsquointervention eacutetant donneacute que lrsquoactiviteacute concerneacutee se distingue des activiteacutes exerceacutees dans des circonstances ordinaires Agrave cet eacutegard la juridiction de renvoi souhaite savoir si le champ drsquoapplication personnel de la directive 200388 est deacutetermineacute agrave lrsquoarticle 2 de la directive 89391 Dans lrsquoaffirmative elle srsquointerroge sur le point de savoir si lrsquoactiviteacute de membre de la police drsquointervention preacutesente des particulariteacutes inheacuterentes agrave certaines activiteacutes speacutecifiques de la fonction publique qui srsquoopposent de maniegravere contraignante agrave lrsquoapplication de la directive 89391 et de lrsquoarticle 2 de la directive 200388 Dans ces conditions le Miskolci Koumlzigazgataacutesi eacutes Munkauumlgyi Biacuteroacutesaacuteg (tribunal administratif et du travail de Miskolc Hongrie) a deacutecideacute de surseoir agrave statuer et de poser agrave la Cour des justices les questions preacutejudicielles suivantes laquo 1) Faut-il interpreacuteter lrsquoarticle 1er paragraphe 3 de la directive [200388] en ce sens que le champ drsquoapplication personnel de cette directive est deacutetermineacute par lrsquoarticle 2 de la directive [89391] 2) Dans lrsquoaffirmative faut-il interpreacuteter lrsquoarticle 2 paragraphe 2 de la directive [89391] en ce sens que lrsquoarticle 2 points 1 et 2 de la directive [200388] ne doit pas ecirctre appliqueacute en ce qui concerne les agents de police membres du personnel professionnel de la police drsquointervention raquo

o Sur les questions preacutejudicielles La Cour de justice relegraveve tout drsquoabord que lrsquoarticle 1er paragraphe 3 de la directive 200388 deacutefinit le champ drsquoapplication de celle-ci par renvoi agrave lrsquoarticle 2 de la directive 89391 Ainsi aux termes de lrsquoarticle 2 paragraphe 1 de la directive 89391 celle-ci srsquoapplique laquo agrave tous les secteurs drsquoactiviteacutes priveacutes ou publics raquo parmi lesquels figurent les laquo activiteacutes de service raquo Neacuteanmoins la directive nrsquoest pas applicable lorsque des particulariteacutes inheacuterentes agrave certaines activiteacutes speacutecifiques dans la fonction publique notamment dans les forces armeacutees ou la police ou agrave certaines activiteacutes speacutecifiques dans les services de protection civile srsquoy opposent de maniegravere contraignante conformeacutement agrave lrsquoarticle 2 paragraphe 2 premier alineacutea de la directive 89391 Par conseacutequent la Cour de justice cherche agrave deacuteterminer si des fonctions telles que celle en cause au principal sont susceptibles de relever de lrsquoexception preacutevue agrave lrsquoarticle 2 paragraphe 2 premier alineacutea de la directive 89391 laquelle doit recevoir une interpreacutetation qui limite sa porteacutee agrave ce qui est strictement neacutecessaire agrave la sauvegarde des inteacuterecircts qursquoelle permet aux Eacutetats membres de proteacuteger (Cour de justice [GC] Pfeiffer ea 5 octobre 2004

C‑39701 agrave C‑40301 point 54 et Sindicatul Familia Constanţa ea 20 novembre 2018 C‑14717 point 53) En lrsquoespegravece la Cour de justice relegraveve en premier lieu que la surveillance des frontiegraveres exteacuterieures drsquoun Eacutetat membre dans un contexte drsquoafflux de ressortissants de pays tiers constitue une activiteacute qui relegraveve de la fonction publique au sens de lrsquoarticle 2 paragraphe 2 premier alineacutea de la directive 89391 En deuxiegraveme lieu elle relegraveve

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qursquoune telle activiteacute est susceptible de preacutesenter certaines speacutecificiteacutes par rapport agrave drsquoautres activiteacutes relevant de la fonction publique en geacuteneacuteral ou du maintien de lrsquoordre en particulier Finalement la Cour de justice cherche agrave deacuteterminer si des particulariteacutes inheacuterentes agrave cette activiteacute speacutecifique de la fonction publique srsquoopposent de maniegravere contraignante en raison de la neacutecessiteacute absolue de garantir une protection efficace de la collectiviteacute agrave ce que la directive 200388 soit appliqueacutee agrave ladite activiteacute A cet eacutegard la Cour de justice constate que certaines activiteacutes speacutecifiques relevant de la fonction publique ne se precirctent pas par leur nature agrave une planification du temps de travail et qursquoelles peuvent dans la mesure ougrave leur continuiteacute est indispensable pour assurer lrsquoexercice effectif des fonctions essentielles de lrsquoEacutetat eacutechapper au champ drsquoapplication de la directive Toutefois la Cour de justice rappelle que conformeacutement agrave sa jurisprudence cette exigence de continuiteacute doit ecirctre appreacutecieacutee en tenant compte de la nature speacutecifique de lrsquoactiviteacute consideacutereacutee (Cour

de justice [GC] Sindicatul Familia Constanţa ea 20 novembre 2018 C‑14717 point 66) La Cour de justice rappelle que selon une jurisprudence constante lrsquoapplication de lrsquoarticle 2 paragraphe 2 premier alineacutea de la directive 89391 aux services actifs dans le domaine de la santeacute de la seacutecuriteacute et de lrsquoordre publics ne se justifie qursquoen raison drsquoeacuteveacutenements exceptionnels comme des catastrophes naturelles ou technologiques des attentats ou des accidents majeurs dont la graviteacute et lrsquoampleur neacutecessitent lrsquoadoption de mesures indispensables agrave la protection de la vie de la santeacute ainsi que de la seacutecuriteacute de la collectiviteacute et dont la bonne exeacutecution serait compromise si toutes les regravegles eacutenonceacutees par la directive 200388 devaient ecirctre respecteacutees Dans le cas de lrsquoespegravece la Cour de justice relegraveve que les missions de surveillance aux frontiegraveres exteacuterieures de lrsquoespace Schengen lorsqursquoelles sont assureacutees dans des conditions normales par la police drsquointervention hongroise ne preacutesentent pas agrave premiegravere vue des caracteacuteristiques agrave ce point speacutecifiques Elle juge qursquoil appartient agrave la juridiction de renvoi de deacuteterminer si les missions exerceacutees par UO au cours de la peacuteriode litigieuse lrsquoont eacuteteacute dans des circonstances drsquoune graviteacute et drsquoune ampleur exceptionnelles justifiant que leur soit appliqueacutee lrsquoexception preacutevue agrave lrsquoarticle 2 paragraphe 2 premier alineacutea de la directive 89391 Pour cela il lui appartiendra de deacuteterminer si un afflux de ressortissants de pays tiers aux frontiegraveres exteacuterieures de la Hongrie a empecirccheacute que la surveillance desdites frontiegraveres soit effectueacutee tout au long de la peacuteriode litigieuse dans des conditions habituelles conformeacutement agrave la mission impartie agrave la police drsquointervention Finalement la Cour de justice rappelle que dans la situation ougrave la juridiction de renvoi aboutirait agrave la conclusion que les particulariteacutes inheacuterentes aux missions assureacutees par les membres de la police drsquointervention ne se precirctaient pas par leur nature agrave une planification du temps de travail elle devra tenir compte du fait que lrsquoarticle 2 paragraphe 2 second alineacutea de la directive 89391 preacutevoit que mecircme dans ce cas les autoriteacutes compeacutetentes doivent assurer la seacutecuriteacute et la santeacute des travailleurs dans toute la mesure du possible Par ces motifs la Cour (dixiegraveme chambre) dit pour droit Lrsquoarticle 1er paragraphe 3 de la directive 200388CE du Parlement europeacuteen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de lrsquoameacutenagement du temps de travail doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que lrsquoarticle 2 points 1 et 2 de cette directive srsquoapplique aux membres des forces de lrsquoordre qui exercent des fonctions de surveillance aux frontiegraveres exteacuterieures drsquoun Eacutetat membre en cas drsquoafflux de ressortissants de pays tiers auxdites frontiegraveres sauf lorsqursquoil apparaicirct au vu de lrsquoensemble des circonstances pertinentes que les missions exeacutecuteacutees le sont dans le cadre drsquoeacuteveacutenements exceptionnels dont la graviteacute et lrsquoampleur neacutecessitent lrsquoadoption de mesures indispensables agrave la protection de la vie de la santeacute ainsi que de la seacutecuriteacute de la collectiviteacute et dont la bonne exeacutecution serait compromise si lrsquoensemble des regravegles eacutenonceacutees par ladite directive devaient ecirctre respecteacutees ce qursquoil appartient agrave la juridiction de renvoi de veacuterifier

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Protection internationale

Cour de justice (troisiegraveme chambre) affaires jointes Commission Pologne Commission Hongrie et Commission Reacutepublique Tchegraveque 2 avril 2020 C-71517 C-71817 et C-71917

Reacutesumeacute La Cour de justice a jugeacute que la Pologne la Hongrie et la Reacutepublique tchegraveque avaient manqueacute aux obligations leur

incombant en vertu des deacutecisions 20151523 et 20151601 Ces Eacutetats membres auraient ducirc relocaliser sur leurs territoires un

nombre approprieacute de demandeurs de protection internationale

Les deacutecisions 20151523 et 20151601 disposaient que 40 000 personnes ayant besoin drsquoune protection

internationale devaient ecirctre relocaliseacutees de maniegravere temporaire et exceptionnelle depuis lrsquoItalie et la Gregravece vers

drsquoautres Eacutetats membre

Le 16 deacutecembre 2015 la Pologne a indiqueacute un nombre de 100 demandeurs de protection internationale pouvant

faire rapidement lrsquoobjet drsquoune relocalisation sur son territoire La Pologne nrsquoa pas donneacute suite aux demandes de

lrsquoItalie et de la Gregravece et nrsquoa ensuite plus pris aucun engagement de relocalisation

Aucun demandeur de protection internationale nrsquoa eacuteteacute relocaliseacute sur le territoire de la Hongrie au titre des

deacutecisions preacuteciteacutees

Suite agrave une offre de relocaliser 30 personnes 12 demandeurs de protection internationale tous en provenance

de la Gregravece ont eacuteteacute relocaliseacutes sur le territoire de la Reacutepublique Tchegraveque Apregraves le 13 mai 2016 la Reacutepublique

Tchegraveque nrsquoa plus pris aucun engagement de relocalisation

Par lettres du 10 feacutevrier 2016 la Commission europeacuteenne a inviteacute ces trois Eacutetats agrave communiquer au moins tous

les trois mois des indications concernant le nombre de demandeurs de protection internationale pouvant ecirctre

relocaliseacutes sur leur territoire et agrave relocaliser de tels demandeurs agrave intervalles reacuteguliers afin de se conformer agrave leurs

obligations leacutegales Plusieurs lettres ont eacuteteacute adresseacutees par la suite Le 1er mars 2017 la Reacutepublique tchegraveque a

indiqueacute par lettre que sa premiegravere offre de relocaliser 30 personnes eacutetait suffisante

La Commission europeacuteenne a indiqueacute agrave plusieurs reprises qursquoelle se reacuteservait la possibiliteacute drsquoengager des

proceacutedures en manquement contre ces Eacutetats membre si ceux-ci ne se conformaient pas au plus vite agrave leurs

obligations Ainsi par des lettres de mise en demeure du 15 juin 2017 en ce qui concerne la Hongrie et la

Reacutepublique Tchegraveque et du 16 juin 2017 en ce qui concerne la Pologne la Commission europeacuteenne a engageacute une

proceacutedure en manquement au titre de lrsquoarticle 258 paragraphe 1 TFUE contre ces trois Eacutetats membre Par lettre

du 19 septembre 2017 la Commission europeacuteenne a attireacute lrsquoattention des trois Eacutetats sur lrsquoarrecirct Slovaquie et

HongrieConseil (Cour de justice 6 septembre 2017 C-64315 et C-64715) qui a confirmeacute la validiteacute de la deacutecision

20151601 et a inviteacute ces trois Eacutetats membre agrave adopter au plus vite les mesures neacutecessaires afin de prendre des

engagements de relocalisation et de proceacuteder agrave des relocalisations Nrsquoayant pas reccedilu de reacuteponse agrave ces lettres la

Commission europeacuteenne a deacutecideacute drsquointroduire les preacutesents recours

o Sur la recevabiliteacute

Manquement drsquoEacutetat ndash Deacutecisions (UE) 20151523 et (UE) 20151601 ndash Article 5 paragraphes 2 et 4 agrave 11 de chacune de ces deacutecisions ndash Mesures provisoires en matiegravere de protection internationale au profit de la Reacutepublique helleacutenique et de la Reacutepublique italienne ndash Situation drsquourgence caracteacuteriseacutee par un afflux soudain de ressortissants de pays tiers sur le territoire de certains Eacutetats membres ndash Relocalisation de ces ressortissants sur le territoire des autres Eacutetats membres ndash Proceacutedure de relocalisation ndash Obligation pour les Eacutetats membres drsquoindiquer agrave intervalles reacuteguliers et au moins tous les trois mois le nombre de demandeurs de protection internationale pouvant faire rapidement lrsquoobjet drsquoune relocalisation sur leur territoire ndash Obligations conseacutecutives conduisant agrave la relocalisation effective ndash Inteacuterecircts des Eacutetats membres lieacutes agrave la seacutecuriteacute nationale et agrave lrsquoordre public ndash Possibiliteacute pour un Eacutetat membre drsquoinvoquer lrsquoarticle 72 TFUE pour ne pas appliquer des actes du droit de lrsquoUnion ayant un caractegravere obligatoire

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Sur les exceptions drsquoirrecevabiliteacute dans les affaires C-71517 C-71817 et C-71917 tireacutees de ce que les recours sont deacutenueacutes

drsquoobjet et contredisent lrsquoobjectif de la proceacutedure viseacutee agrave lrsquoarticle 258 TFUE

Les trois Eacutetats membre allegraveguent que les recours seraient deacutenueacutes drsquoobjet et ne serviraient pas lrsquoobjectif de la

proceacutedure en manquement En outre srsquoagissant de manquements agrave des obligations reacutesultant drsquoactes de lrsquoUnion

dont la peacuteriode drsquoapplication a deacutefinitivement expireacute et auxquels il ne peut plus ecirctre remeacutedieacute la Commission

europeacuteenne ne pourrait faire valoir un inteacuterecirct suffisant agrave demander que la Cour de justice constate ces

manquements

La Cour de justice rappelle que lrsquoobjectif poursuivi par la proceacutedure preacutevue agrave lrsquoarticle 258 TFUE est la constatation

objective du non-respect par un Eacutetat membre des obligations que lui imposent le TFUE ou un acte de droit

deacuteriveacute et qursquoune telle proceacutedure permet aussi de deacuteterminer si un Eacutetat membre a enfreint le droit de lrsquoUnion dans

un cas drsquoespegravece La Cour de justice note que dans un recours en manquement la Commission europeacuteenne ne

saurait demander agrave la Cour de justice autre chose que la constatation de lrsquoexistence du manquement alleacutegueacute en

vue de la cessation de celui-ci Un recours en manquement est recevable si la Commission europeacuteenne se limite

agrave demander agrave la Cour de justice de constater lrsquoexistence du manquement alleacutegueacute notamment dans une situation

telle que celle de lrsquoespegravece dans laquelle lrsquoacte de droit deacuteriveacute de lrsquoUnion dont la violation est alleacutegueacutee a

deacutefinitivement cesseacute drsquoecirctre applicable apregraves la date drsquoexpiration du deacutelai fixeacute dans lrsquoavis motiveacute Un tel recours

srsquoinscrit dans lrsquoobjectif poursuivi par la proceacutedure preacutevue agrave lrsquoarticle 258 TFUE

En lrsquoespegravece la peacuteriode drsquoapplication des deacutecisions a deacutefinitivement expireacute en septembre 2017 La circonstance

selon laquelle il ne serait plus possible de remeacutedier au manquement alleacutegueacute degraves lors que la peacuteriode drsquoapplication

des deacutecisions a expireacute ne saurait conduire agrave lrsquoirrecevabiliteacute des preacutesents recours En effet les trois Eacutetats membres

en cause se sont vu offrir la possibiliteacute de mettre un terme au manquement avant lrsquoexpiration du deacutelai imparti

dans les avis motiveacutes

La Cour de justice rejette ces exceptions drsquoirrecevabiliteacute

Sur les exceptions drsquoirrecevabiliteacute dans les affaires C-71717 et C71817 tireacutees drsquoune violation du principe drsquoeacutegaliteacute de traitement

La Pologne et la Hongrie soutiennent que les recours en manquement sont irrecevables degraves lors que la

Commission europeacuteenne en se limitant agrave introduire un recours contre les seuls trois Eacutetats membres en cause

alors que la grande majoriteacute des Eacutetats membre nrsquoont pas pleinement respecteacute les obligations leur incombant en

vertu des deacutecisions 20151523 et 20151601 a violeacute le principe drsquoeacutegaliteacute de traitement et a ainsi exceacutedeacute le pouvoir

drsquoappreacuteciation que lui confegravere lrsquoarticle 258 TFUE

La Cour de justice rappelle qursquoelle a deacutejagrave jugeacute que lrsquoabsence de recours en manquement agrave lrsquoencontre drsquoun Eacutetat

membre nrsquoest pas pertinente pour appreacutecier la recevabiliteacute drsquoun recours en manquement introduit agrave lrsquoencontre

drsquoun autre Eacutetat membre La Cour de justice estime que lrsquoaction de la Commission europeacuteenne est ainsi fondeacutee

en lrsquooccurrence sur un critegravere neutre et objectif relatif agrave la graviteacute et agrave la persistance des manquements reprocheacutes

aux trois Eacutetats membre en cause qui au regard de lrsquoobjectif des deacutecisions preacuteciteacutees permet de distinguer la

situation de ces trois Eacutetats membres de celle des autres Eacutetats membre y compris ceux nrsquoayant pas pleinement

respecteacute leurs obligations deacutecoulant de ces deacutecisions

Par suite les exceptions drsquoirrecevabiliteacute tireacutees drsquoune violation du principe drsquoeacutegaliteacute de traitement doivent ecirctre

rejeteacutees

Sur lrsquoexception drsquoirrecevabiliteacute dans lrsquoaffaire C-71817 tireacutee drsquoune violation des droits de la deacutefense au cours de la proceacutedure

preacutecontentieuse

La Hongrie reproche agrave la Commission europeacuteenne de ne pas avoir respecteacute ses droits de la deacutefense dans la

proceacutedure preacutecontentieuse en ce que le deacutelai de reacuteponse de quatre semaines imparti dans la lettre de mise en

demeure et dans lrsquoavis motiveacute a eacuteteacute excessivement court contraire au deacutelai habituel de deux mois et non justifieacute

par une situation drsquourgence leacutegitime Elle fait eacutegalement grief agrave la Commission europeacuteenne de ne pas avoir

indiqueacute au cours de la proceacutedure preacutecontentieuse le manquement qui lui eacutetait reprocheacute

La Cour de justice estime que la raison drsquoentamer la proceacutedure en manquement agrave un stade relativement avanceacute

de la peacuteriode dlsquoapplication de deux ans des deacutecisions reacuteside dans le refus persistant de ces trois Eacutetats membres

de donner suite aux appels reacutepeacuteteacutes de la Commission europeacuteenne tendant agrave ce que ceux-ci se conforment agrave ces

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obligations et ne saurait ecirctre imputeacutee agrave une quelconque inertie ou action tardive de la Commission europeacuteenne

La Cour de justice rappelle eacutegalement que les Eacutetats membres avaient pleinement connaissance du point de vue

de la Commission europeacuteenne quant aux manquements qui leurs eacutetaient reprocheacutes Dans ces circonstances le

deacutelai en cause de quatre semaines ne saurait ecirctre consideacutereacutes comme deacuteraisonnablement court

La Cour de justice relegraveve eacutegalement qursquoil nrsquoapparait pas que lrsquoimpreacutecision alleacutegueacutee de certains motifs de la requecircte

ait pu affecter lrsquoexercice par la Hongrie de ses droits de la deacutefense

Lrsquoexception drsquoirrecevabiliteacute souleveacutee par la Hongrie et tireacutee drsquoune violation des droits de la deacutefense au cours de

la proceacutedure preacutecontentieuse doit ecirctre rejeteacutee

Sur lrsquoexception drsquoirrecevabiliteacute dans lrsquoaffaire C-71917 tireacutee du manque de preacutecision drsquoincoheacuterence de la requecircte

La Reacutepublique tchegraveque a contesteacute la recevabiliteacute du recours la concernant au motif que la requecircte nrsquoeacutenonce pas

de maniegravere coheacuterente et preacutecise le manquement qui lui est reprocheacute

La Cour de justice estime que la Reacutepublique tchegraveque ne pouvait raisonnablement se meacuteprendre sur la date preacutecise

du deacutebut du manquement agrave ses obligations que la Commission europeacuteenne lui reprochait et qursquoelle a pu

effectivement exercer ses droits de deacutefense quant agrave ce manquement

Par suite lrsquoexception drsquoirrecevabiliteacute doit ecirctre eacutecarteacutee

o Sur le fond

Sur la mateacuterialiteacute des manquements alleacutegueacutes

La Cour de justice rappelle que dans le cadre drsquoune proceacutedure en manquement il incombe agrave la Commission

europeacuteenne drsquoapporter agrave la Cour de justice les eacuteleacutements neacutecessaires agrave la veacuterification par celle-ci de lrsquoexistence

dudit manquement sans pouvoir se fonder sur une preacutesomption quelconque

Les manquements en cause ne sont pas contestables degraves lors que dans ses diffeacuterents rapports mensuels sur la

relocalisation et la reacuteinstallation la Commission europeacuteenne a assureacute un suivi de lrsquoeacutetat drsquoavancement des

relocalisations et a indiqueacute pour chaque Eacutetat membre le nombre de demandeurs de protection internationale

pour lesquels des engagements de relocalisation avaient eacuteteacute pris ainsi que le nombre de demandeurs de protection

internationale effectivement relocaliseacutes Ces rapports attestent de la reacutealiteacute des manquements alleacutegueacutes par la

Commission europeacuteenne

Par suite la Cour de justice constate que la Commission europeacuteenne a eacutetabli la mateacuterialiteacute des manquements

alleacutegueacutes dans les trois proceacutedures en manquement en cause

Sur les moyens de deacutefense tireacutes par la Reacutepublique de Pologne et la Hongrie de lrsquoarticle 72 TFUE lu conjointement avec lrsquoarticle 4

paragraphe 2 TUE

La Pologne et la Hongrie allegraveguent qursquoelles eacutetaient en droit en vertu de lrsquoarticle 72 TFUE lu conjointement avec

lrsquoarticle 4 paragraphe 2 TUE qui leur reacuteserve la compeacutetence exclusive pour le maintien de lrsquoordre public et la

sauvegarde de la seacutecuriteacute inteacuterieure dans le cadre drsquoactes adopteacutes dans le domaine de lrsquoespace de liberteacute de seacutecuriteacute

et de justice viseacute au titre 5 du TFUE de laisser inappliqueacutees leurs obligations de droit secondaire et donc de rang

infeacuterieur deacutecoulant de la deacutecision 20151523 etou de la deacutecision 20151601 actes pris sur la base de lrsquoarticle

78 paragraphe 3 TFUE et relevant donc dudit titre 5

La Cour de justice rappelle que la deacuterogation preacutevue agrave lrsquoarticle 72 TFUE doit faire lrsquoobjet drsquoune interpreacutetation

stricte Ainsi bien que lrsquoarticle 72 TFUE preacutevoit que le titre 5 du traiteacute ne porte pas atteinte agrave lrsquoexercice des

responsabiliteacutes qui incombent aux Eacutetats membre pour le maintien de lrsquoordre public et la sauvegarde de la seacutecuriteacute

inteacuterieure il ne saurait ecirctre interpreacuteteacute de maniegravere agrave confeacuterer aux Eacutetats membre le pouvoir de deacuteroger aux

dispositions du traiteacute par la seule invocation de ces responsabiliteacutes La porteacutee des exigences tenant au maintien

de lrsquoordre public ou de la seacutecuriteacute nationale ne saurait ainsi ecirctre deacutetermineacutee unilateacuteralement par chaque Eacutetat

membre sans controcircle des institutions de lrsquoUnion Il incombe agrave lrsquoEacutetat membre qui invoque le beacuteneacutefice de lrsquoarticle

72 TFUE de prouver la neacutecessiteacute de recourir agrave la deacuterogation preacutevue agrave cet article aux fins drsquoexercer ses

responsabiliteacutes en matiegravere de maintien de lrsquoordre public et de sauvegarde de la seacutecuriteacute inteacuterieure La Cour de

justice rappelle que dans lrsquoarrecirct Slovaquie et HongrieConseil preacuteciteacute elle avait rejeteacute lrsquoargument selon lequel la

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deacutecision 20151601 serait contraire au principe de proportionnaliteacute degraves lors qursquoelle ne permettrait pas aux Eacutetats

membres drsquoassurer lrsquoexercice effectif des responsabiliteacutes qui leur incombent pour le maintien de lrsquoordre public et

la sauvegarde de la seacutecuriteacute inteacuterieure au titre de lrsquoarticle 72 TFUE La Cour de justice dans le preacutesent arrecirct ajoute

que les articles 5 de chacune des deacutecisions preacutevoient qursquoun Eacutetat membre ne peut deacutecider de ne pas approuver la

relocalisation drsquoun demandeur de protection internationale que srsquoil existe des motifs raisonnables de consideacuterer

que le demandeur en cause repreacutesente un danger pour la seacutecuriteacute nationale ou lrsquoordre public sur son territoire La

Cour de justice estime que les motifs raisonnables laissent clairement une plus large marge drsquoappreacuteciation aux

Eacutetats membre que les motifs seacuterieux mentionneacutes dans la directive 201195 Le libelleacute de lrsquoarticle 5 des deacutecisions

20151523 et 2015601 se distingue eacutegalement de celui de la directive 200438CE Par suite une large marge

drsquoappreacuteciation doit ecirctre reconnue aux autoriteacutes compeacutetentes des Eacutetats membre de relocalisation lorsque celles-ci

deacuteterminent si un ressortissant drsquoun pays tiers appeleacute agrave ecirctre relocaliseacute constitue un danger pour la seacutecuriteacute

nationale ou lrsquoordre public sur leur territoire Ces motifs raisonnables ne peuvent ecirctre invoqueacutes qursquoen preacutesence

drsquoeacuteleacutements concordants objectifs et preacutecis et apregraves une eacutevaluation des faits par les autoriteacutes compeacutetentes

Lrsquoarticle 5 de chacune des deacutecisions preacutecisaient que devait ecirctre effectueacute un examen au cas par cas du danger actuel

ou potentiel que le demandeur de protection internationale concerneacute repreacutesentait Il srsquooppose ainsi agrave ce qursquoun

Eacutetat membre invoque de maniegravere peacuteremptoire aux seules fins de preacutevention geacuteneacuterale et sans eacutetablir de rapport

direct avec un cas individuel lrsquoarticle 72 TFUE pour justifier une suspension voire un arrecirct de la mise en œuvre

des obligations lui incombant en vertu des deacutecisions 20151523 et 20151601 En lrsquoespegravece les Eacutetats membres

de relocalisation ont pu conduire dans certaines conditions des controcircles de seacutecuriteacute suppleacutementaires voire

systeacutematiques par la voie drsquoentretiens ou avec lrsquoassistance drsquoEuropol Lrsquoarticle 5 des directives preacuteciteacutees

impliquaient eacutegalement lrsquoidentification des personnes en cause

La Cour de justice conclut que le meacutecanisme preacutevu agrave lrsquoarticle 5 de chacune desdites deacutecisions y compris dans

son application concregravete telle qursquoelle srsquoest deacuteveloppeacutee en pratique au cours des peacuteriodes drsquoapplication de celles-

ci laissait aux Eacutetats membre de relocalisation de reacuteelles possibiliteacutes pour proteacuteger leurs inteacuterecircts lieacutes agrave lrsquoordre

public et agrave la seacutecuriteacute inteacuterieure dans le cadre de lrsquoexamen de la situation individuelle de chaque demandeur de

protection internationale dont la relocalisation eacutetait proposeacutee sans toutefois porter preacutejudice agrave lrsquoobjectif de ces

mecircmes deacutecisions

Par suite la Cour de justice rejette les moyens de deacutefense tireacutes par la Pologne et la Hongrie de lrsquoarticle 72 TFUE

lu conjointement avec lrsquoarticle 4 paragraphe 2 TUE

Sur le moyen de deacutefense tireacute par la Reacutepublique tchegraveque du dysfonctionnement et du manque drsquoefficaciteacute dont aurait souffert le meacutecanisme

de relocalisation preacutevu par les deacutecisions 20151523 et 20151601 dans son application concregravete

La Reacutepublique tchegraveque se fonde sur des consideacuterations relatives au dysfonctionnement ou au manque drsquoefficaciteacute

dont aurait souffert dans son application concregravete le meacutecanisme de relocalisation preacutevu par les deacutecisions

preacuteciteacutees en tant que justification de sa deacutecision de ne pas mettre en œuvre les obligations de relocalisation qui

lui incombaient en vertu de lrsquoarticle 5 de chacune des deacutecisions

La Cour de justice observe qursquoil ne saurait ecirctre admis qursquoun Eacutetat membre puisse se fonder sans invoquer une

base juridique preacutevue par les traiteacutes sur son appreacuteciation unilateacuterale du manque alleacutegueacute drsquoefficaciteacute voire du

dysfonctionnement du meacutecanisme de relocalisation eacutetabli par les deacutecisions Cette alleacutegation nrsquoa pour autant pas

empecirccheacute drsquoautres Eacutetats membres de prendre agrave intervalles reacuteguliers des engagements de relocalisation et de

proceacuteder agrave des relocalisations effectives La Cour de justice rappelle que des ajustements ont eacuteteacute apporteacutes agrave la

proceacutedure de relocalisation afin de reacutepondre notamment aux problegravemes drsquoordre pratique mentionneacutes par la

Reacutepublique tchegraveque

Par suite le moyen de deacutefense de la Reacutepublique tchegraveque est rejeteacute

Par ces motifs la Cour (troisiegraveme chambre) deacuteclare et arrecircte

1) Les affaires C-71517 C-71817 et C-71917 sont jointes aux fins de lrsquoarrecirct

2) En nrsquoayant pas indiqueacute agrave intervalles reacuteguliers et au moins tous les trois mois un nombre approprieacute

de demandeurs de protection internationale pouvant faire rapidement lrsquoobjet drsquoune relocalisation sur

son territoire la Reacutepublique de Pologne a depuis le 16 mars 2016 manqueacute aux obligations lui

incombant en vertu de lrsquoarticle 5 paragraphe 2 de la deacutecision (UE) 20151523 du Conseil du 14

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septembre 2015 instituant des mesures provisoires en matiegravere de protection internationale au profit de

lrsquoItalie et de la Gregravece et de lrsquoarticle 5 paragraphe 2 de la deacutecision (UE) 20151601 du Conseil du 22

septembre 2015 instituant des mesures provisoires en matiegravere de protection internationale au profit de

lrsquoItalie et de la Gregravece ainsi que par voie de conseacutequence aux obligations ulteacuterieures de relocalisation

lui incombant en vertu de lrsquoarticle 5 paragraphes 4 agrave 11 de chacune de ces deux deacutecisions

3) En nrsquoayant pas indiqueacute agrave intervalles reacuteguliers et au moins tous les trois mois un nombre approprieacute

de demandeurs de protection internationale pouvant faire rapidement lrsquoobjet drsquoune relocalisation sur

son territoire la Hongrie a depuis le 25 deacutecembre 2015 manqueacute aux obligations lui incombant en vertu

de lrsquoarticle 5 paragraphe 2 de la deacutecision 20151601 ainsi que par voie de conseacutequence aux obligations

ulteacuterieures de relocalisation lui incombant en vertu de lrsquoarticle 5 paragraphes 4 agrave 11 de cette deacutecision

4) En nrsquoayant pas indiqueacute agrave intervalles reacuteguliers et au moins tous les trois mois un nombre approprieacute

de demandeurs de protection internationale pouvant faire rapidement lrsquoobjet drsquoune relocalisation sur

son territoire la Reacutepublique tchegraveque a depuis le 13 aoucirct 2016 manqueacute aux obligations lui incombant

en vertu de lrsquoarticle 5 paragraphe 2 de la deacutecision 20151523 et de lrsquoarticle 5 paragraphe 2 de la deacutecision

20151601 ainsi que par voie de conseacutequence aux obligations ulteacuterieures de relocalisation lui

incombant en vertu de lrsquoarticle 5 paragraphes 4 agrave 11 de chacune de ces deux deacutecisions

5) La Reacutepublique de Pologne est condamneacutee agrave supporter outre ses propres deacutepens dans les affaires

C‑71517 C‑71817 et C‑71917 ceux de la Commission europeacuteenne dans lrsquoaffaire C‑71517

6) La Hongrie est condamneacutee agrave supporter outre ses propres deacutepens dans les affaires C‑71517

C‑71817 et C‑71917 ceux de la Commission europeacuteenne dans lrsquoaffaire C‑71817

7) La Reacutepublique tchegraveque est condamneacutee agrave supporter outre ses propres deacutepens dans les affaires

C‑71517 C‑71817 et C‑71917 ceux de la Commission europeacuteenne dans lrsquoaffaire C‑71917

Vie priveacutee et familiale

Cour EDH (quatriegraveme section) Dragan Petrovic Serbie ndeg 7522910

Arrecirct rendu en anglais Mention dune opinion dissidente Reacutesumeacute Dans une affaire concernant la reacutealisation dune perquisition par la police au domicile du requeacuterant et le preacutelegravevement dun eacutechantillon dADN dans le cadre dune enquecircte pour meurtre en Serbie la Cour EDH a jugeacute que ce preacutelegravevement constituait une violation de larticle 8 de la Convention contrairement agrave la perquisition Elle considegravere en effet quil neacutetait pas laquo preacutevu par la loi raquo au sens de larticle 8 Elle preacutecise que la version du code de proceacutedure peacutenale serbe qui eacutetait en vigueur agrave lrsquoeacutepoque des faits disposait que des preacutelegravevements sanguins ou laquo drsquoautres proceacutedures meacutedicales raquo pouvaient ecirctre reacutealiseacutes Le requeacuterant Dragan Petrovic est un ressortissant serbe neacute en 1985 reacutesidant agrave Subotica (Serbie)

Art 8 - Respect de la vie priveacutee - Preacutelegravevement dun eacutechantillon dADN de la salive du demandeur dans le cadre dune enquecircte preacuteliminaire - Approbation du demandeur obtenue par la menace de la force - Absence de preacutevisibiliteacute de la loi - Aucune reacutefeacuterence agrave des dispositions leacutegales speacutecifiques dans lordonnance autorisant la police agrave preacutelever leacutechantillon - Aucune reacutefeacuterence speacutecifique dans la loi au preacutelegravevement dun eacutechantillon dADN - Neacutecessiteacute dune reacuteglementation plus stricte deacutemontreacutee par des dispositions plus deacutetailleacutees dans la leacutegislation reacutecente - Respect du domicile - Perquisition au domicile du demandeur fondeacutee sur des motifs adeacutequats et suffisants et accompagneacutee de garanties efficaces

63

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En juillet 2008 la police reccedilut des informations qui laissaient penser que le requeacuterant pouvait ecirctre impliqueacute dans le passage agrave tabac et le deacutecegraves drsquoun homme acircgeacute Sur la base de ces informations un juge drsquoinstruction rendit deux deacutecisions par lesquelles il ordonna drsquoune part une perquisition du domicile du requeacuterant et drsquoautre part le preacutelegravevement drsquoun eacutechantillon de salive sur sa personne aux fins drsquoune analyse ADN Dans le cadre de la perquisition la police devait en prioriteacute rechercher des objets que le requeacuterant eacutetait soupccedilonneacute avoir pris apregraves le meurtre notamment une laquo veste en cuir noir raquo ainsi que laquo des chaussures et drsquoautres objets raquo pouvant ecirctre lieacutes au meurtre Elle trouva finalement deux armes de poing dont le requeacuterant deacuteclara ignorer lrsquoexistence Le preacutelegravevement drsquoun eacutechantillon drsquoADN du requeacuterant devait permettre une comparaison avec lrsquoADN retrouveacute sur la scegravene de crime Le juge autorisa la police agrave proceacuteder soit agrave un preacutelegravevement de salive soit agrave un preacutelegravevement sanguin par la force si neacutecessaire avec lrsquoaide de professionnels de santeacute Le requeacuterant consentit en preacutesence de

son avocat agrave un preacutelegravevement de salive Il apparaicirct cependant que la police nrsquoa produit aucun procegraves-verbal de la proceacutedure En aoucirct 2008 la police indiqua au juge drsquoinstruction qursquoelle avait deacutecideacute de poursuivre le requeacuterant pour possession illeacutegale drsquoarmes agrave feu Les autoriteacutes ne trouvegraverent aucune correspondance entre lrsquoeacutechantillon drsquoADN preacuteleveacute sur la personne du requeacuterant et les traces biologiques retrouveacutees sur la scegravene du crime Le 4 aoucirct 2008 le requeacuterant saisit la Cour constitutionnelle pour se plaindre sur le terrain de lrsquoarticle 8 de la Convention et des articles 25 et 40 de la Constitution drsquoune violation de son droit au respect de son domicile et de sa vie priveacutee La Cour constitutionnelle rejeta son recours sur le fond le 14 octobre 2010

1) Sur la violation alleacutegueacutee de larticle 8 de la Convention o Sur la recevabiliteacute de la requecircte

La Cour EDH rejette drsquoembleacutee les exceptions de tardiveteacute et de non-eacutepuisement des voies de recours souleveacutees par le Gouvernement Elle juge en particulier au paragraphe 53 que le recours constitutionnel formeacute par le requeacuterant eacutetait un recours effectif au sens de larticle 35sect1 de la Convention

o Sur le fond Sur le fond de lrsquoaffaire la Cour EDH examine tout drsquoabord la question de la perquisition du domicile du requeacuterant Elle dit que cette mesure srsquoanalyse en une atteinte au droit du requeacuterant au respect de son domicile qursquoelle eacutetait preacutevue par la loi et qursquoelle visait un but leacutegitime (sect74) La question qui se pose donc est celle de savoir si elle eacutetait proportionneacutee crsquoest-agrave-dire si elle eacutetait laquo neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique raquo (voir en ce sens les arrecircts CEDH ndeg2535812 Paradiso et Campanelli c Italy sect 167 24 Janvier 2017 et ndeg4107916 Caruana c Malta sect 26 15 Mai 2018) Elle note dans son paragraphe 76 que le mandat de perquisition a eacuteteacute deacutelivreacute dans le cadre drsquoune enquecircte pour meurtre et qursquoil preacutecisait ce que la police devait chercher agrave savoir une veste en cuir noir des chaussures et drsquoautres objets lieacutes au meurtre Elle ne souscrit donc pas agrave lrsquoargument du requeacuterant selon lequel le mandat de perquisition manquait de preacutecision La Cour EDH considegravere par ailleurs que le requeacuterant jouissait de garanties adeacutequates et effectives propres agrave le preacutemunir contre tout abus au cours de la perquisition Elle note en particulier que le requeacuterant son avocat et le proprieacutetaire de lrsquoappartement eacutetaient preacutesents lors de la perquisition Elle observe en outre au paragraphe 77 que lrsquoavocat de lrsquointeacuteresseacute a signeacute le certificat de saisie et le procegraves-verbal de lrsquoopeacuteration de perquisition et de saisie et qursquoil srsquoest borneacute agrave cette occasion agrave contester la motivation de la deacutecision de perquisition sans soulever drsquoobjections quant agrave la proceacutedure de perquisition elle-mecircme La Cour EDH conclut au paragraphe suivant que lrsquoatteinte en question eacutetait laquo neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique raquo et qursquoil y a donc eu non-violation de lrsquoarticle 8 agrave raison de la perquisition meneacutee par la police au domicile du requeacuterant Se penchant ensuite sur la question du preacutelegravevement drsquoun eacutechantillon drsquoADN la Cour EDH constate que cette mesure srsquoanalyse en une atteinte au droit du requeacuterant au respect de sa vie priveacutee Le fait que lrsquointeacuteresseacute ait consenti agrave la proceacutedure est deacutenueacute de pertinence eacutetant donneacute que ce consentement a eacuteteacute donneacute sous la menace drsquoun preacutelegravevement de sang ou de salive par la force (voir en ce sens larrecirct Caruana c Malte sect29 citeacute) (sect79)

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La Cour EDH note que la deacutecision ordonnant le preacutelegravevement drsquoun eacutechantillon drsquoADN ne faisait mention drsquoaucune disposition leacutegale et que lrsquoarticle pertinent du code proceacutedure peacutenale serbe agrave savoir lrsquoarticle 131 sectsect 2 et 3 disposait uniquement qursquoun tribunal pouvait ordonner le preacutelegravevement drsquoun eacutechantillon de sang ou toute laquo autre proceacutedure meacutedicale raquo jugeacutee neacutecessaire drsquoun point de vue meacutedical agrave lrsquoeacutetablissement de faits laquo importants raquo dans le cadre drsquoune enquecircte peacutenale Par ailleurs il ressort du dossier de lrsquoaffaire que les autoriteacutes meacuteconnaissant lrsquoarticle 239 du code de proceacutedure peacutenale ont omis de reacutediger un procegraves-verbal de la proceacutedure (sect81) La Cour EDH note eacutegalement au paragraphe suivant que lrsquoarticle 131 sectsect 2 et 3 eacutetait deacutepourvu de certaines garanties concernant les preacutelegravevements drsquoADN et que ces garanties furent introduites dans une nouvelle version du code de proceacutedure peacutenale entreacutee en vigueur en 2011 Le nouveau texte faisait speacutecifiquement reacutefeacuterence aux preacutelegravevements drsquoeacutechantillons de salive il disposait que ceux-ci devaient ecirctre reacutealiseacutes par des experts et il preacutecisait dans quels cas une personne pouvait ecirctre soumise agrave pareille proceacutedure sans son consentement La Cour EDH considegravere par conseacutequent qursquoen inseacuterant des dispositions plus deacutetailleacutees dans la version du code de proceacutedure peacutenale entreacutee en vigueur en 2011 lrsquoEacutetat deacutefendeur a lui-mecircme reconnu implicitement que des regravegles plus strictes eacutetaient neacutecessaires dans ce domaine (sect83) La Cour EDH conclut dans son paragraphe 84 que lrsquoatteinte au droit du requeacuterant au respect de sa vie priveacutee que constituait le preacutelegravevement litigieux drsquoADN nrsquoeacutetait pas preacutevue par la loi et qursquoelle a donc emporteacute violation de lrsquoarticle 8 de la Convention

2) Sur la violation alleacutegueacutee de larticle 6 de la Convention Sous lrsquoangle de lrsquoarticle 6 sect 3 a) de la Convention (tout accuseacute a droit agrave ecirctre informeacute dans le plus court deacutelai dans une langue qursquoil comprend et drsquoune maniegravere deacutetailleacutee de la nature et de la cause de lrsquoaccusation porteacutee contre lui ) le requeacuterant soutient qursquoil srsquoest vu refuser le droit drsquoecirctre informeacute dans le plus court deacutelai et drsquoune maniegravere deacutetailleacutee du fait qursquoil eacutetait soupccedilonneacute drsquoavoir commis une infraction peacutenale Admettant que les observations du requeacuterant sur ce point ne se rapportent pas aux griefs souleveacutes sous lrsquoangle de lrsquoarticle 8 de la Convention mais constituent un grief distinct la Cour EDH constate que lrsquointeacuteresseacute nrsquoa jamais formeacute de recours interne agrave cet eacutegard Cette partie de la requecircte est donc ecirctre rejeteacutee pour non-eacutepuisement des voies de recours internes (sect86) POUR CES RAISONS LA COUR

1 Deacuteclare agrave lunanimiteacute que les griefs du requeacuterant au titre de larticle 8 de la Convention sont recevables et que le reste de la requecircte est irrecevable

2 Constate agrave lunanimiteacute quil ny a pas eu violation de larticle 8 de la Convention en ce qui

concerne la perquisition au domicile du requeacuterant

3 Dit par six voix contre une quil y a eu violation de larticle 8 de la Convention en ce qui concerne le preacutelegravevement dun eacutechantillon dADN sur le requeacuterant

4 Dit oui par six voix contre une a) que lEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans un deacutelai de trois mois agrave compter de la date agrave laquelle le jugement devient deacutefinitif conformeacutement agrave larticle 44 sect 2 de la Convention les montants suivants agrave convertir dans la monnaie de lEacutetat deacutefendeur au taux applicable agrave la date de la transaction i) 1 500 (mille cinq cents) euros plus les taxes eacuteventuellement exigibles au titre du preacutejudice moral (ii) 1 200 (mille deux cents) euros plus toute taxe qui pourrait ecirctre mise agrave la charge du demandeur au titre des frais et deacutepens b) quagrave compter de lexpiration des trois mois susmentionneacutes et jusquau regraveglement des inteacuterecircts simples seront dus sur les montants susmentionneacutes agrave un taux eacutegal au taux de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne pendant la peacuteriode de carence majoreacute de trois points de pourcentage 5 La demande de satisfaction eacutequitable du requeacuterant est rejeteacutee agrave lunanimiteacute pour le surplus Opinion dissidente du juge Mourou-Vikstroumlm

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Selon le juge Mourou-Vikstroumlm le preacutelegravevement dun eacutechantillon sur le demandeur aux fins danalyse de son profil ADN eacutetait bien conforme agrave la loi mecircme si celle-ci neacutetait pas laquo preacutevisible raquo Le juge note que la disposition leacutegislative en vigueur agrave leacutepoque en question - larticle 131 paragraphes 2 et 3 du code de proceacutedure peacutenale - preacutevoyait le preacutelegravevement dun eacutechantillon sanguin ou la reacutealisation dautres actes meacutedicaux sous reacuteserve dune autorisation judiciaire si cela eacutetait neacutecessaire pour leacutetablissement de faits importants pour une enquecircte peacutenale Elle preacutecise que la leacutegislation allait plus loin preacutevoyant lapplication forceacutee de ces mesures si la personne concerneacutee ne coopeacuterait pas et que sur la base de cette disposition et de la demande du ministegravere public le juge a ordonneacute le preacutelegravevement dun eacutechantillon de salive ou agrave deacutefaut de sang sur le demandeur par la force si neacutecessaire Le demandeur a consenti agrave un preacutelegravevement buccal en preacutesence de son avocat Elle affirme que le juge a donc agi dans le plein respect de la loi qui agrave son avis eacutetait parfaitement claire et preacutevisible La loi couvrait selon elle sans aucun doute le preacutelegravevement dun eacutechantillon de salive agrave des fins didentification geacuteneacutetique qui repreacutesente une preuve essentielle dans les affaires peacutenales et un outil essentiel pour les enquecircteurs et les juges dinstruction dans leacutetablissement de la veacuteriteacute et les termes laquo autres proceacutedures meacutedicales raquo doivent ecirctre interpreacuteteacutes comme englobant ce type de preuve Elle ajoute que le juge a donneacute la prioriteacute au preacutelegravevement dun eacutechantillon par eacutecouvillonnage buccal et non pas par preacutelegravevement sanguin car cest une meacutethode moins invasive et moins deacutesagreacuteable pour le demandeur Le juge Mourou-Vikstroumlm conclut cet argument en disant que la mesure contesteacutee reacutesulte dune ordonnance rendue par un juge intrinsegravequement indeacutependant et a causeacute aucun deacutesagreacutement au requeacuterant Enfin elle preacutecise que le nouveau code de proceacutedure peacutenale preacutevoit expresseacutement le preacutelegravevement dun eacutechantillon par eacutecouvillonnage buccal sans le consentement de la personne concerneacutee Les conditions dans lesquelles leacutechantillon a eacuteteacute preacuteleveacute en lespegravece sont donc eacutegalement compatibles avec les nouvelles regravegles de droit peacutenal

Partie II ndash Conclusion des avocats geacuteneacuteraux

Aides drsquoEtat

Conclusions de lrsquoAvocat geacuteneacuteral M Szpunar preacutesenteacutees le 2 avril 2020 dans lrsquo affaire Vereniging tot Behoud van Natuurmonumenten in Nederland et autres Vereniging Gelijkberechtiging Grondbezitters et autres C-81718

Reacutesumeacute LrsquoAvocat geacuteneacuteral propose agrave la Cour de justice de rejeter le moyen des requeacuterantes selon lequel le Tribunal a commis une

erreur de droit en consideacuterant comme partie inteacuteresseacutee les requeacuterants au recours formeacute devant le Tribunal En outre lrsquoAvocat geacuteneacuteral

estime que la Cour de justice devrait accueillir le second moyen des requeacuterantes puisque le raisonnement du Tribunal relatif agrave

lrsquoincompleacutetude de lrsquoexamen par la Commission europeacuteenne de la deacutefinition du SIEG drsquoune part est entacheacute drsquoune erreur de droit et

souffre drsquoautre part drsquoune insuffisance de motivation

Les requeacuterantes treize organisations de gestion de terrain sont des associations et fondations non

gouvernementales sans but lucratif ayant pour objet statutaire la conservation et la protection de la nature Elles

exerccedilaient eacutegalement des activiteacutes secondaires de nature eacuteconomique qui geacutenegraverent des recettes agrave leur profit et

constituent une source de financement de leur activiteacute principale

Afin de creacuteer une structure eacutecologique et un reacuteseau laquo Natura 2000 raquo le Royaume des Pays Bas a octroyeacute des

subventions pour lrsquoacquisition de zones naturelles (laquo reacutegime PNB raquo) aux requeacuterantes Le reacutegime PNB a eacuteteacute en

vigueur de 1993 agrave 2012 Le 23 deacutecembre 2008 la Commission europeacuteenne a reccedilu une plainte de deux fondations

priveacutees sans but lucratif de droit neacuteerlandais En 2009 elles ont eacuteteacute remplaceacutees dans le cadre de la proceacutedure

Pourvoi ndash Aide drsquoEacutetat ndash Reacutegime drsquoaide relatif agrave lrsquoacquisition subventionneacutee ou agrave la mise agrave disposition agrave titre gracieux de zones naturelles ndash Deacutecision deacuteclarant lrsquoaide compatible avec le marcheacute inteacuterieur ndash Notion de ldquopartie inteacuteresseacuteerdquo ndash Difficulteacutes seacuterieuses

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administrative en cause par la VGG un organisme dont lrsquoobjet social est drsquoassurer lrsquoeacutegaliteacute des droits de tous les

proprieacutetaires fonciers priveacutes dans le cadre du subventionnement de lrsquoacquisition de terrains

Le 2 septembre 2015 la Commission europeacuteenne a deacuteclareacute le reacutegime PNB compatible avec le marcheacute inteacuterieur

en vertu de lrsquoarticle 106 paragraphe 2 TFUE Le 19 feacutevrier 2016 VGG et autres ont formeacute un recours devant le

Tribunal tendant agrave lrsquoannulation de la deacutecision litigieuse Le Tribunal a deacuteclareacute le recours recevable et a annuleacute la

deacutecision litigieuse

Les requeacuterantes demandent agrave la Cour de justice drsquoannuler lrsquoarrecirct du Tribunal

o Sur la seconde branche du premier moyen

Les requeacuterantes soutenue par la Commission europeacuteenne et le gouvernement neacuteerlandais font valoir que le

Tribunal a commis une erreur de droit en deacuteclarant le recours de VGG et autres recevable degraves lors que celles-ci

ne sauraient ecirctre consideacutereacutees comme laquo parties inteacuteresseacutees raquo au sens de lrsquoarticle 108 paragraphe 2 TFUE et de

lrsquoarticle 1er sous h) du regraveglement ndeg6591999

Sur la notion de laquo partie inteacuteresseacutee raquo

LrsquoAvocat geacuteneacuteral commence par rappeler les deux phases de la proceacutedure de controcircle viseacutee agrave lrsquoarticle 108 TFUE

agrave savoir une phase preacuteliminaire drsquoexamen et une proceacutedure formelle drsquoexamen

En lrsquoespegravece la proceacutedure formelle drsquoexamen nrsquoa pas eacuteteacute ouverte par la Commission europeacuteenne et VGG et autres

ont invoqueacute devant le Tribunal une violation de leurs droits proceacuteduraux La recevabiliteacute du recours deacutepend

degraves lors essentiellement de la question de savoir si VGG et autres ont eacutetabli ecirctre des parties inteacuteresseacutees LrsquoAvocat

geacuteneacuteral rappelle qursquoune partie inteacuteresseacutee est laquo tout Eacutetat membre et toute personne entreprise ou association

drsquoentreprises dont les inteacuterecircts pourraient ecirctre affecteacutes par lrsquooctroi drsquoune aide en particulier le beacuteneacuteficiaire de celle-

ci les entreprises concurrentes et les associations professionnelles raquo La qualiteacute de partie inteacuteresseacutee deacutepend de ce

que les inteacuterecircts de lrsquoentiteacute qui se preacutevaut de cette qualiteacute pourraient ecirctre affecteacutes par lrsquooctroi de la mesure drsquoaide

Il srsquoagit donc de deacuteterminer de quelle faccedilon il peut ecirctre eacutetabli que les inteacuterecircts drsquoune entreprise pourraient ecirctre

affecteacutes par lrsquooctroi drsquoune aide de sorte agrave confeacuterer agrave cette derniegravere la qualiteacute de partie inteacuteresseacutee Selon lrsquoAvocat

geacuteneacuteral il faut distinguer les entreprises concurrentes du beacuteneacuteficiaire de lrsquoaide et les entiteacutes qui ne sont pas

concurrentes du beacuteneacuteficiaire

Pour les premiegraveres selon une jurisprudence constante de la Cour de justice elles figurent incontestablement

parmi les parties inteacuteresseacutees Pour les secondes elles peuvent se voir reconnaitre la qualiteacute de partie inteacuteresseacutees

si elles eacutetablissent que lrsquoaide risque drsquoavoir une incidence concregravete sur leur situation

LrsquoAvocat geacuteneacuteral note que cette distinction est en contradiction avec un courant minoritaire de la jurisprudence

du Tribunal dont fait partie lrsquoarrecirct attaqueacute

Le raisonnement du Tribunal dans lrsquoarrecirct attaqueacute et le courant jurisprudentiel dans lequel il srsquoinscrit

Selon cette jurisprudence du Tribunal il serait exigeacute des entreprises concurrentes des beacuteneacuteficiaires de lrsquoaide de

prouver agrave la fois lrsquoexistence drsquoun rapport de concurrence et lrsquoincidence concregravete de lrsquoaide sur leur situation

LrsquoAvocat geacuteneacuteral est drsquoavis qursquoune telle solution ne saurait ecirctre maintenue Elle serait en contradiction avec le

regraveglement ndeg6591999 qui deacutesigne expresseacutement le concurrent du beacuteneacuteficiaire comme partie inteacuteresseacutee et avec

une jurisprudence pleacutethorique du Tribunal au terme de laquelle la seule preuve de la qualiteacute de concurrent suffit

agrave qualifier lrsquoentreprise de partie inteacuteresseacutee Finalement lrsquoAvocat geacuteneacuteral estime que cette solution pourrait

entrainer une certaine confusion avec la jurisprudence relative agrave la recevabiliteacute du recours Il estime que

contrairement agrave ce qursquoa jugeacute le Tribunal il ne saurait ecirctre exigeacute de VGG et autres de prouver tant lrsquoexistence

drsquoun rapport de concurrence avec les requeacuterantes que lrsquoincidence concregravete de la mesure sur leur situation qui

fausserait ce rapport de concurrence afin de deacutemontrer leur qualiteacute de partie inteacuteresseacutee En jugeant que VGG et

autres devaient ecirctre consideacutereacutees comme des entreprises concurrentes des requeacuterantes le Tribunal pouvait

valablement qualifier VGG et autres de parties inteacuteresseacutees

LrsquoAvocat geacuteneacuteral conclut qursquoune erreur de droit dans lrsquoappreacuteciation de lrsquoincidence concregravete de la mesure sur la

situation de VGG et autres ne saurait conduire agrave lrsquoannulation de lrsquoarrecirct attaqueacute degraves lors que son appreacuteciation

apparait fondeacutee pour drsquoautres motifs de droit

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Consideacuterations subsidiaires sur lrsquoappreacuteciation par le Tribunal du risque drsquoincidence concregravete de la mesure sur la situation de VGG

et autres

LrsquoAvocat geacuteneacuteral examine le point de savoir si le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que la mesure

drsquoaide risquait drsquoavoir une incidence concregravete sur la situation de VGG et autres Pour le cas ougrave la premiegravere branche

du premier moyen devait ecirctre accueillie par laquelle les requeacuterantes contestent la constatation de lrsquoexistence drsquoun

rapport de concurrence entre VGG et elles-mecircmes VGG et autres ne pourraient ecirctre qualifieacutees de parties

inteacuteresseacutees que srsquoil a correctement eacuteteacute jugeacute que la mesure en cause risquait drsquoavoir une incidence concregravete sur leur

situation

Srsquoagissant du critegravere deacutegageacute par le Tribunal pour eacutetablir lrsquoexistence drsquoun risque drsquoune incidence concregravete de lrsquoaide

sur la situation de VGG et autres lrsquoAvocat geacuteneacuteral estime qursquoil est manifestement deacutenueacute de pertinence Le

raisonnement du Tribunal qui procegravede drsquoune confusion dans la lecture de la jurisprudence lui semble entacheacute

drsquoune erreur de droit Pour autant il relegraveve qursquoune telle erreur de droit nrsquoa pas affecteacute le reacutesultat de lrsquoappreacuteciation

meneacutee par le Tribunal Il ressort de la jurisprudence de la Cour de justice qursquoune erreur de droit commise par le

Tribunal nrsquoest pas de nature agrave invalider lrsquoarrecirct attaqueacute si le dispositif de celui-ci apparait fondeacute pour drsquoautres

motifs de droit

LrsquoAvocat geacuteneacuteral conclut que il ne saurait ecirctre reprocheacute au Tribunal drsquoavoir commis une erreur de droit en

consideacuterant que la mesure en cause risquait drsquoavoir une incidence concregravete sur la situation de VGG et autres et

en jugeant que ces derniegraveres devaient degraves lors ecirctre qualifieacutees de parties inteacuteresseacutees

Par suite la seconde branche du moyen est inopeacuterante et partant ne saurait ecirctre accueillie

o Sur la premiegravere branche du second moyen

Les requeacuterantes allegraveguent que le Tribunal a admis agrave tort lrsquoexistence de difficulteacutes seacuterieuses pour appreacutecier la

compatibiliteacute de la mesure drsquoaide en cause avec le marcheacute neacutecessitant lrsquoouverture de la proceacutedure formelle

drsquoexamen preacutevue agrave lrsquoarticle 108 paragraphe 2 TFUE

Sur la preacutetendue constatation par le Tribunal drsquoune contradiction dans la deacutecision litigieuse

LrsquoAvocat geacuteneacuteral estime que lrsquoargument selon lequel le Tribunal aurait statueacute ultra petita en se fondant sur

lrsquoexistence drsquoune contradiction dans le raisonnement de la Commission europeacuteenne dans la deacutecision litigieuse qui

nrsquoavait pas eacuteteacute invoqueacutee par VGG et autres ne saurait prospeacuterer Le Tribunal srsquoest reacutefeacutereacute agrave lrsquoexistence drsquoune

contradiction dans la deacutecision litigieuse entre les conclusions de la Commission europeacuteenne relatives agrave la

qualification des requeacuterantes drsquoentreprises et celles relatives agrave la deacutefinition du SIEG en cause Une telle

contradiction nrsquoa pas eacuteteacute invoqueacutee par les parties en premiegravere instance LrsquoAvocat geacuteneacuteral relegraveve que la solution agrave

laquelle est parvenue le Tribunal selon laquelle la qualification de SIEG global ou atypique des activiteacutes des

requeacuterantes peut constituer un indice de lrsquoexistence de difficulteacutes seacuterieuses nrsquoest degraves lors pas fondeacutee drsquoune

contradiction dans la deacutecision de la Commission europeacuteenne Ainsi quand bien mecircme le Tribunal aurait releveacute

au stade de lrsquoexposeacute des arguments des parties un argument qui nrsquoavait pas eacuteteacute invoqueacute par VGG et autres cela

serait sans incidence sur la solution apporteacutee

Sur le raisonnement du Tribunal relatif agrave lrsquoexistence de difficulteacute seacuterieuse quant agrave la deacutefinition du SIEG

Les requeacuterantes estiment que le Tribunal a commis des erreurs de droit en jugeant que la deacutefinition par la

Commission europeacuteenne du SIEG en tant que SIEG atypique eacutetait un indice de difficulteacutes seacuterieuses

LrsquoAvocat geacuteneacuteral note que le Tribunal a conclu agrave lrsquoexistence de difficulteacutes seacuterieuses quant agrave la deacutefinition du SIEG

dans la deacutecision litigieuse en raison du laquo caractegravere insuffisant ou incomplet de lrsquoexamen meneacute par la Commission

europeacuteenne lors de la proceacutedure preacuteliminaire drsquoexamen raquo qui selon la jurisprudence constitue un indice de

difficulteacutes seacuterieuses Il relegraveve que le raisonnement du Tribunal qui a ameneacute agrave cette conclusion est entacheacute de

plusieurs incoheacuterences Le Tribunal a reprocheacute agrave la Commission europeacuteenne de ne pas avoir deacutemontreacute la

neacutecessiteacute des activiteacutes secondaires pour le fonctionnement du SIEG alors mecircme que ce nrsquoest pas imposeacute agrave la

Commission europeacuteenne Le Tribunal ne pouvait sans commettre drsquoerreur de droit se fonder sur cet eacuteleacutement

pour conclure agrave lrsquoincompleacutetude de lrsquoexamen de la Commission europeacuteenne Quant au constat selon lequel la

Commission europeacuteenne nrsquoaurait pas eacutetabli que les activiteacutes secondaires revecirctaient un inteacuterecirct geacuteneacuteral de sorte

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que lrsquoexamen de la Commission europeacuteenne serait eacutegalement incomplet sur ce point lrsquoAvocat geacuteneacuteral estime

qursquoun tel constat souffre drsquoune insuffisance de motivation

Ainsi le raisonnement du Tribunal relatif agrave lrsquoincompleacutetude de lrsquoexamen par la Commission europeacuteenne de la

deacutefinition du SIEG drsquoune part est entacheacute drsquoune erreur de droit et souffre drsquoautre part drsquoune insuffisance de

motivation

Par suite lrsquoAvocat geacuteneacuteral est drsquoavis qursquoil y a lieu drsquoaccueillir la premiegravere branche du second moyen

o Conclusions

Au vu des consideacuterations qui preacutecegravedent jrsquoestime que la seconde branche du premier moyen doit ecirctre

rejeteacutee comme eacutetant inopeacuterante et que la premiegravere branche du second moyen doit ecirctre accueillie sans

que cela preacutejuge du bien-fondeacute des autres branches des moyens du pourvoi

Coopeacuteration judiciaire en matiegravere civile

Conclusions de lrsquoAvocat geacuteneacuteral M Manuel Campos Saacutenchez-Bordona preacutesenteacutees le 2 avril 2020 dans lrsquoaffaire Verein fuumlr KonsumenteninformationVolkswagen AG C-34319

Reacutesumeacute LrsquoAvocat geacuteneacuteral Campos Saacutenchez-Bordona estime que les acqueacutereurs de veacutehicules eacutequipeacutes drsquoun moteur Volkswagen sur lesquels ont eacuteteacute installeacutes un logiciel de manipulation relatif aux gaz drsquoeacutechappements ayant pour conseacutequence la diminution de la valeur desdits veacutehicules peuvent attraire une entreprise devant les juridictions de lrsquoEacutetat dans lequel ces veacutehicules ont eacuteteacute acheteacutes Le Verein fuumlr Konsumenteninformation (ci-apregraves laquo VKI raquo) est une organisation de consommateurs ayant son siegravege en Autriche Son objet statutaire inclut lrsquoexercice drsquoactions en justice pour la deacutefense des droits des consommateurs que ceux-ci lui cegravedent agrave cette fin Le 6 septembre 2018 VKI a intenteacute devant le Landesgericht Klagenfurt (tribunal reacutegional de Klagenfurt Autriche) une action contre Volkswagen AG ayant son siegravege en Allemagne pays dans lequel celle-ci fabrique des veacutehicules automobiles afin drsquoexercer les droits agrave indemnisation lui ayant eacuteteacute ceacutedeacutes par 574 acheteurs de veacutehicules et pour demander la constations de la responsabiliteacute de la socieacuteteacute pour des dommages futurs qui nrsquoont pas encore eacuteteacute quantifieacutes Ces demandes eacutetaient lieacutees agrave lrsquoinstallation dans les veacutehicules acheteacutes drsquoun dispositif qui a masqueacute lors des essais les valeurs reacuteelles drsquoeacutemissions de gaz drsquoeacutechappement en violation des dispositions du droit de lrsquoUnion VKI affirme que les consommateurs avaient acquis en Autriche aupregraves drsquoun concessionnaire professionnel ou drsquoun particulier des veacutehicules eacutequipeacutes drsquoun moteur Volkswagen et ce avant la reacuteveacutelation au public le 18 septembre 2018 de la manipulation sur les gaz drsquoeacutechappements Dans ce contexte la juridiction de renvoi pose la question preacutejudicielle suivante Lrsquoarticle 7 point 2) du regraveglement (UE) no 12152012 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 12 deacutecembre 2012 concernant la compeacutetence judiciaire la reconnaissance et lrsquoexeacutecution des deacutecisions en matiegravere civile et commerciale doit-il ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que dans des circonstances telles que celles de lrsquoaffaire au principal on peut consideacuterer comme ldquolieu ougrave le fait dommageable srsquoest produitrdquo le lieu situeacute agrave lrsquointeacuterieur drsquoun Eacutetat membre ougrave srsquoest produit le preacutejudice si ce preacutejudice consiste exclusivement en une perte financiegravere qui est la conseacutequence directe drsquoagissements susceptibles drsquoengager la responsabiliteacute deacutelictuelle survenus dans un autre Eacutetat membre LrsquoAvocat geacuteneacuteral considegravere que lrsquoarticle 7 point 2) du regraveglement no 12152012 eacutetablissant en faveur du demandeur un critegravere de compeacutetence alternatif au for geacuteneacuteral est difficile drsquointerpreacutetation notamment en matiegravere

Proceacutedure preacutejudicielle ndash Regraveglement (UE) ndeg12152012 ndash Compeacutetence judiciaire en matiegravere de responsabiliteacute deacutelictuelle ou quasi deacutelictuelle ndash Lieu du fait dommageable ndash Manipulation des valeurs drsquoeacutemission de gaz dans les moteurs de veacutehicules automobiles

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deacutelictuelle ou quasi deacutelictuelle De ce fait il en revient agrave la Cour de justice drsquoadapter et drsquoenrichir agrave lrsquooccasion des questions preacutejudicielles lrsquoexeacutegegravese de cette disposition Srsquoil existe plusieurs critegraveres permettant lrsquointerpreacutetation de cette disposition

- Le principe de la preacutevisibiliteacute des regravegles et de la proximiteacute entre les juridictions compeacutetentes et le litige - La preacuteoccupation de maintenir lrsquoutiliteacute de la regravegle speacuteciale dans le cadre de la reacutepartition des

compeacutetences sans pour autant en autoriser une interpreacutetation extensive (Arrecirct du 5 juin 2014 Coty Germany C-36012 point 45)

- La neutraliteacute de cette regravegle par rapport aux parties Lrsquointerpreacutetation est autonome en ce que les deacutefinitions de laquo fait raquo et de laquo dommage raquo sont indeacutependantes des systegravemes nationaux au mecircme titre que le reacutegime de fond applicable agrave la responsabiliteacute civile (arrecirct Coty Germany C-36012 point 43) LrsquoAvocat geacuteneacuteral preacutecise que lrsquoarticle 7 point 2) du regraveglement no 12152012 preacutesuppose un lien eacutetroit entre la juridiction compeacutetente et le litige Lorsque le comportement illicite et ses conseacutequences sont situeacutes dans des Eacutetats membres diffeacuterents le critegravere de la compeacutetence judicaire se deacutedouble en matiegravere deacutelictuelle car ces deux lieux preacutesentent un lien significatif avec le litige Ainsi le demandeur peut choisir entre les deux juridictions lorsqursquoil introduit son action

1 La nature du dommage initial ou conseacutecutif mateacuteriel ou patrimonial Victimes directes ou indirectes Srsquoagissant de la nature du dommage lrsquoAvocat geacuteneacuteral distingue le domaine des faits geacuteneacuterateurs de celui des preacutejudices qursquoils produisent

- La fabrication drsquoun objet avec ou sans vices relegraveve du domaine des faits geacuteneacuterateurs (arrecirct du 6 juillet 2009 Zuid-Chemie C-18908 point 27)

- Les dommages sont les conseacutequences neacutegatives des faits dans la sphegravere des inteacuterecircts juridiques proteacutegeacutes drsquoun demandeur

Ainsi en lrsquoespegravece le fait geacuteneacuterateur consisterait en lrsquoinstallation au cours du processus de fabrication du veacutehicule du logiciel qui modifie les donneacutees relatives aux eacutemissions de gaz de celui-ci LrsquoAvocat geacuteneacuteral est drsquoavis que dommage reacutesultant de ce fait soit de nature initiale et patrimoniale En lrsquoabsence de tout vice lrsquoacquisition drsquoun objet apporte au patrimoine auquel il srsquointegravegre une valeur au moins eacutequivalente agrave la valeur de ce qui en sort dans le cadre drsquoune vente le prix payeacute pour lrsquoobjet Ainsi lorsque la valeur du veacutehicule est infeacuterieure au prix payeacute au moment de lrsquoachat du fait drsquoun vice drsquoorigine le prix payeacute ne correspond pas agrave la valeur reccedilue De fait la diffeacuterence entre le prix payeacute et la valeur du bien geacutenegravere un deacutesavantage patrimonial concomitant agrave lrsquoacquisition du bien et ce mecircme srsquoil nrsquoest deacutecouvert qursquoa posteriori De plus cette perte se fait initiale car elle deacuterive directement du fait geacuteneacuterateur en lrsquoespegravece la manipulation du moteur et non drsquoun dommage anteacuterieur subi par le demandeur qui trouve son origine dans ce mecircme fait Srsquoagissant de la qualiteacute des victimes lrsquoAvocat geacuteneacuteral considegravere que les personnes ayant acheteacutes les voitures sont des victimes directes au sens de lrsquoarticle 7 point 2) du regraveglement no 12152012 puisque la perte qursquoelles allegraveguent nrsquoest pas une conseacutequence drsquoun preacutejudice anteacuterieur subi par drsquoautres personnes avant elles

2 Le lieu ougrave srsquoest produit le fait agrave lrsquoorigine du dommage LrsquoAvocat geacuteneacuteral estime que conformeacutement agrave la regravegle geacuteneacuterale la socieacuteteacute Volkswagen ayant son siegravege en Allemagne serait soumise aux juridictions de cet Eacutetat membre Toutefois la demande trouvant son origine dans un deacutelai ou un quasi-deacutelit la deacutefenderesse peut eacutegalement ecirctre attraite devant les juridictions de lrsquoEacutetat membre du lieu ougrave le dommage srsquoest mateacuterialiseacute

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3 Le lieu ougrave le dommage se mateacuterialise

o La localisation drsquoun preacutejudice purement eacuteconomique dans la jurisprudence de la Cour de justice

LrsquoAvocat geacuteneacuteral rappel que le lieu de mateacuterialisation du dommage est celui ougrave les conseacutequences neacutegatives drsquoun fait se manifestent concregravetement (arrecirct Zuid-Chemie C-18908 point 47) Lrsquoabsence drsquoatteinte physique rend difficile lrsquoidentification drsquoun lieu et geacutenegravere des incertitudes Agrave ce titre lrsquoAvocat geacuteneacuteral rappelle qursquoil avait eacuteteacute suggeacutereacute agrave la Cour de justice drsquoabandonner lrsquooption entre le lieu du fait dommageable et le lieu du dommage pour les hypothegraveses de dommage uniquement patrimonial (Conclusions de lrsquoAvocat geacuteneacuteral Szpunar dans lrsquoaffaire Universal Music International Holding C-1215 point 38) En effet le deacutedoublement du for nrsquoest pas un impeacuteratif dans lrsquoapplication de la disposition en cause et lrsquooption du laquo lieu ougrave se mateacuterialise le dommage raquo ne devrait peut-ecirctre pas srsquoappliquer dans certaines hypothegraveses

- Lorsque la nature du dommage ne permet pas de deacuteterminer ougrave celui-ci srsquoest produit en appliquant un critegravere simple

- Lorsque la localisation devrait ecirctre eacutetablir en recourant agrave des fictions - Lorsque lrsquoexamen tend agrave aboutir agrave un lieu fortuit ou pouvant ecirctre manipuleacute par le demandeur

LrsquoAvocat geacuteneacuteral rappelle que dans lrsquoarrecirct Bessix du 19 feacutevrier 2002 (C-25600 point 49) la Cour de justice avait exclu lrsquoapplication de lrsquoarticle 5 point 1) de la Convention de Bruxelles (devenu lrsquoarticle 7 point 1) du regraveglement no 12152012) agrave lrsquoeacutegard drsquoune obligation qui laquo nrsquoest susceptible ni drsquoecirctre localiseacutee agrave un endroit preacutecis ni drsquoecirctre rattacheacutee agrave une juridiction qui serait particuliegraverement apte agrave connaicirctre du diffeacuterend relatif agrave cette obligation raquo cette solution pouvant srsquoappliquer eacutegalement au point 2) de lrsquoarticle 7 du regraveglement no 12152012 La Cour de justice a eacutegalement eu lrsquooccasion drsquoassocier au dommage une omission ou un fait causeacutes par lrsquoactiviteacute du deacutefendeur qui preacutecegravedent immeacutediatement et logiquement le preacutejudice et dont la capaciteacute agrave ecirctre appreacutecieacutes par les sens est plus grande notamment lorsque le dommage reacutesulte de quelque qui ne se produit pas (arrecircts du 21 deacutecembre 2016 Concurrence C-61815 point 33 du 5 juillet 2018 flyLAL-Lithuanian Airlines C-2717 points 35 et 36 et du 29 juillet 2019 Tibor-Trans C-45118 points 30 32 et 33) LrsquoAvocat geacuteneacuteral considegravere que la preacutesentation du dommage patrimonial par reacutefeacuterence agrave une activiteacute ou agrave un fait apparents aide agrave le rattacher physiquement agrave un territoire ou directement eacutevite drsquoavoir agrave le faire Selon lui il nrsquoy a aucun obstacle agrave ce que cette meacutethode soit geacuteneacuteraliseacutee (point 53) Parallegravelement il est preacuteciseacute que la Cour de justice a admis la mateacuterialisation de la perte patrimoniale en matiegravere drsquoinvestissements en ce que le preacutejudice se produit sur le compte qui enregistre au niveau comptable la perte eacuteconomique Dans cette jurisprudence qui se reacutesume agrave trois arrecircts Kolassa (28 janvier 2015 C-37513) Universal (16 juin 2016 C-1215) et Loumlber (2 septembre 2018 C-30417) le lieu de mateacuterialisation du dommage identifieacute constitue un point de deacutepart qui doit ecirctre corroboreacute par les autres circonstances particuliegraveres du litige dans une appreacuteciation drsquoensemble (arrecirct Loumlber C-30417 points 31 et 36)

o Porteacutee du critegravere des laquo circonstances particuliegraveres raquo LrsquoAvocat geacuteneacuteral rappelle que la Cour de justice a recours aux laquo circonstances particuliegraveres raquo de lrsquoaffaire pour preacuteciser le critegravere de compeacutetence relatif au laquo lieu du dommage raquo Toutefois il preacutecise que ce critegravere ne permet pas agrave la juridiction saisie du litige de comparer le laquo lieu du fait geacuteneacuterateur raquo et le laquo lieu du dommage raquo et de choisir le plus approprieacute des deux La Cour de justice a rappeleacute qursquoil nrsquoeacutetait pas possible drsquoeacutecarter le reacutesultat auquel conduit lrsquoapplication de lrsquoarticle 7 du regraveglement no 12152012 mecircme srsquoil deacutesigne une juridiction deacutepourvue de lien avec le litige Le deacutefendeur peut ecirctre attrait devant la juridiction du lieu deacutesigneacute par cette disposition mecircme si le for ainsi deacutetermineacute nrsquoest pas celui qui preacutesente le lien le plus eacutetroit avec le litige (arrecirct du 29 juin 1994 Custom Made Commercial C-28892 point 17 lu en combinaison avec les points 16 et 21)

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o Preacutecisions sur les laquo autres circonstances particuliegraveres raquo

LrsquoAvocat geacuteneacuteral explique que les laquo autres circonstances particuliegraveres raquo devant coiumlncider au soutien du lieu de manifestation du dommage lorsque celui-ci est purement eacuteconomique deacutependent de chaque litige mais en termes geacuteneacuteraux il preacutecise que ces circonstances peuvent ecirctre deacutecrites comme

- Les eacuteleacutements pertinents pour la bonne administration de la justice et lrsquoorganisation utile du procegraves

- Les facteurs qui ont pu servir agrave former la conviction des parties quant au lieu de lrsquoaction en justice ou quant agrave celui ougrave elles peuvent eacuteventuellement ecirctre attraites du fait de leurs actes (point 67)

Il peut ecirctre supposeacute que ces eacuteleacutements puissent contribuer agrave la preuve du comportement illicite du dommage et de la relation de causaliteacute entre ceux-ci LrsquoAvocat geacuteneacuteral propose agrave la Cour de justice de reacutepondre au Landesgericht Klagenfurt (tribunal reacutegional de Klagenfurt Autriche) de la maniegravere suivante

1 Lrsquoarticle 7 point 2) du regraveglement (UE) no 12152012 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 12 deacutecembre 2012 concernant la compeacutetence judiciaire la reconnaissance et lrsquoexeacutecution des deacutecisions en matiegravere civile et commerciale doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que lorsqursquoun acte illicite commis dans un Eacutetat membre consiste en la manipulation drsquoun produit dont la reacutealiteacute est dissimuleacutee et qui ne se manifeste que posteacuterieurement agrave lrsquoacquisition de ce produit dans un autre Eacutetat membre agrave un prix supeacuterieur agrave sa valeur reacuteelle - Lrsquoacqueacutereur de ce produit qui le conserve dans son patrimoine lorsque le vice est rendu

public constitue une victime directe - Le lieu ougrave le fait geacuteneacuterateur srsquoest produit est le lieu ougrave srsquoest produit le fait qui a deacuteteacuterioreacute le

produit lui-mecircme et - Le dommage se mateacuterialise au lieu situeacute dans un Eacutetat membre ougrave la victime a acquis le

produit aupregraves drsquoun tiers agrave condition que les autres circonstances corroborent lrsquoattribution de compeacutetence aux juridictions de cet Eacutetat Il est impeacuteratif que parmi ces circonstances il y en ait une ou plusieurs ayant permis au deacutefendeur de preacutevoir raisonnablement qursquoune action en responsabiliteacute civile imputable agrave ses actes pourrait ecirctre intenteacutee contre lui par de futurs acqueacutereurs du produit dans ce lieu

2 Lrsquoarticle 7 point 2) du regraveglement no 12152012 doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens qursquoil nrsquoautorise pas la juridiction du lieu ougrave le dommage srsquoest mateacuterialiseacute agrave eacutetablir ou agrave deacutecliner sa compeacutetence sur la base drsquoune mise en balance des autres circonstances de lrsquoespegravece visant agrave deacuteterminer quelle juridiction ndash agrave savoir cette mecircme juridiction ou la juridiction du lieu du fait geacuteneacuterateur ndash est la mieux placeacutee en termes de proximiteacute et de preacutevisibiliteacute pour statuer sur lrsquoaffaire

Environnement

Conclusions de lrsquoAvocate geacuteneacuterale Mme Eleanor Sharpston preacutesenteacutees le 30 avril 2020 dans lrsquoaffaire CLCE ea (Dispositif drsquoinvalidation sur moteur diesel) C-99318

Reacutesumeacute LrsquoAvocate geacuteneacuterale Sharpston est drsquoavis qursquoun dispositif qui influe agrave la hausse lors des tests drsquohomologation des veacutehicules agrave moteur diesel sur le fonctionnement du systegraveme de controcircle des eacutemissions de ces veacutehicules constitue un laquo dispositif drsquoinvalidation raquo

Renvoi preacutejudiciel ndash Rapprochement des leacutegislations ndash Regraveglement (CE) ndeg 7152007 ndash Veacutehicules agrave moteur ndash Eacutemissions de polluants ndash Dispositif drsquoinvalidation ndash Programme agissant sur le calculateur de controcircle moteur ndash Technologies et strateacutegies permettant de limiter la production des eacutemissions de polluants ndash Moteur diesel

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prohibeacute par le droit de lrsquoUnion europeacuteenne Plus speacutecifiquement lrsquoobjectif de ralentissement du vieillissement ou de lrsquoencrassement du moteur ne justifie pas le recours agrave un tel dispositif La socieacuteteacute X est un constructeur automobile commercialisant des veacutehicules agrave moteur en France Cette derniegravere aurait mis sur le marcheacute des veacutehicules eacutequipeacutes drsquoun logiciel (ci -apregraves le laquo logiciel litigieux raquo) susceptible de fausser les reacutesultats des tests drsquohomologation relatifs aux eacutemissions de gaz polluants tels les oxydes drsquoazote (ci-apregraves laquo NOx raquo) Avant drsquoecirctre mis sur le marcheacute les veacutehicules en cause ont eacuteteacute testeacutes suivant un protocole particulier deacutefini par voie regraveglementaire dans le cadre de la phase drsquohomologation relative aux eacutemissions de gaz polluants afin drsquoeacutetablir que le volume de NOx eacutemis ne deacutepasse pas les limites imposeacutees par le regraveglement ndeg7152007 Ainsi les eacutemissions des veacutehicules mis en cause nrsquoont pas eacuteteacute analyseacutees dans des conditions de conduite reacuteelles Les veacutehicules en cause eacutetaient eacutequipeacutes drsquoune vanne de recirculation des gaz drsquoeacutechappement (ci-apregraves laquo RGE raquo) qui est lrsquoune des technologies utiliseacutees par les constructeurs automobiles afin de controcircler et de reacuteduire les eacutemissions finales de NOx Plus speacutecifiquement il srsquoagit drsquoun systegraveme consistant agrave rediriger une partie des gaz drsquoeacutechappement du moteur vers lrsquoadmission (lrsquoentreacutee drsquoair fourni au moteur) en vue de reacuteduire les eacutemissions finales de NOx En octobre 2015 agrave la suite de publications dans la presse le parquet de Paris (France) a diligenteacute une enquecircte qui a donneacute lieu agrave lrsquoouverture drsquoune information judiciaire en feacutevrier 2016 agrave lrsquoeacutegard de la socieacuteteacute X En effet la socieacuteteacute aurait trompeacute les acqueacutereurs de veacutehicules eacutequipeacutes de moteur diesel sur les qualiteacutes substantielles de ceux-ci et sur les controcircles effectueacutes avant leur mise sur le marcheacute Lrsquoexpertise technique reacutealiseacutee dans le cadre de la proceacutedure drsquoinformation a conclu agrave lrsquoexistence dans les veacutehicules en cause drsquoun dispositif permettant de deacutetecter les phases des tests drsquohomologation et drsquoadapter en conseacutequence le fonctionnement du systegraveme RGE de faccedilon agrave respecter le plafond regraveglementaire en matiegravere drsquoeacutemissions Agrave lrsquoinverse dans des conditions autres que celles des tests drsquohomologation lorsque les veacutehicules circulent en situation normale ce dispositif entraicircne une deacutesactivation partielle du systegraveme RGE et par conseacutequent une augmentation des eacutemissions de NOx Lrsquoexpert prend soin de preacuteciser que si le fonctionnement du systegraveme RGE en circulation reacuteelle avait eacuteteacute conforme agrave celui qui preacutevalait lors de ces tests drsquohomologation ces veacutehicules auraient produit jusqursquoagrave 50 de NOx en moins Toutefois les opeacuterations de maintenance de ces derniers auraient eacuteteacute plus freacutequentes et plus coucircteuses en raison drsquoun encrassement plus rapide du moteur Le magistrat en charge de lrsquoinstruction srsquoest interrogeacute quant agrave la conformiteacute des veacutehicules viseacutes aux exigences du regraveglement ndeg7152007 et en particulier quant agrave la liceacuteiteacute du dispositif eacutevoqueacute ci-dessus En effet le regraveglement interdit expresseacutement lrsquoutilisation de dispositifs drsquoinvalidation qui reacuteduiraient lrsquoefficaciteacute des systegravemes de controcircle des eacutemissions dans des conditions normales drsquoutilisation Au regard de ces eacuteleacutements la juridiction de renvoi a deacutecideacute de saisir la Cour de justice en vue drsquoobtenir des clarifications notamment quant agrave la deacutefinition et agrave la porteacutee des concepts de laquo systegraveme de controcircle des eacutemissions raquo et de laquo dispositif drsquoinvalidation raquo

- Sur la recevabiliteacute des questions preacutejudicielles LrsquoAvocate geacuteneacuterale explique que dans le cadre de la coopeacuteration de la Cour de justice et des juridictions nationales institueacutee par lrsquoarticle 267 TFUE il appartient au seul juge national saisi du litige et assumant la responsabiliteacute de la deacutecision juridictionnelle agrave intervenir drsquoappreacutecier au regard des particulariteacutes de lrsquoaffaire la neacutecessiteacute drsquoune deacutecision preacutejudicielle et la pertinence des questions qursquoil pose agrave la Cour de justice Ainsi degraves lors que les questions poseacutees portent sur lrsquointerpreacutetation du droit de lrsquoUnion europeacuteenne la Cour de justice est en principe tenue de statuer (arrecirct du 4 deacutecembre 2018 Minister for Justice and Equality et Commissioner of An Garda Siacuteochaacutena C-37817 point 26 et jurisprudence citeacutee) Agrave ce titre les questions portant sur le droit de lrsquoUnion beacuteneacuteficient drsquoune preacutesomption de pertinence et le refus de la Cour de justice de statuer sur une telle question nrsquoest possible que srsquoil apparaicirct de maniegravere manifeste que lrsquointerpreacutetation solliciteacute du droit de lrsquoUnion

- Nrsquoa aucun rapport avec la reacutealiteacute ou lrsquoobjet du litige au principal - Lorsque le problegraveme est de nature hypotheacutetique

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- Lorsque la Cour de justice ne dispose pas des eacuteleacutements de fait et de droit neacutecessaires pour reacutepondre de faccedilon utile aux questions qui lui sont poseacutees (arrecirct Minister for Justice and Equality et Commissioner of An Garda Siacuteochaacutena C-37817 point 27)

En lrsquoespegravece lrsquoAvocate geacuteneacuterale est drsquoavis que la recevabiliteacute des questions preacutejudicielles est eacutetablie

- Sur la premiegravere question preacutejudicielle Selon lrsquoAvocate geacuteneacuterale la notion de laquo dispositif drsquoinvalidation raquo viseacutee agrave lrsquoarticle 3 point 10 du regraveglement ndeg7152007 deacutesigne tout eacuteleacutement de conception laquo qui deacutetecte la tempeacuterature la vitesse du veacutehicule le reacutegime du moteur en toursminute la transmission une deacutepression ou tout autre paramegravetre aux fins drsquoactiver de moduler de retarder ou de deacutesactiver le fonctionnement de toute partie du systegraveme de controcircle des eacutemissions qui reacuteduit lrsquoefficaciteacute du systegraveme de controcircle des eacutemissions dans des conditions dont on peut raisonnablement attendre qursquoelles se produisent lors du fonctionnement et de lrsquoutilisation normaux des veacutehicules raquo Cette deacutefinition confegravere une porteacutee large agrave la notion laquo drsquoeacuteleacutement de conception raquo qui peut ecirctre constitueacute aussi bien de piegraveces meacutecaniques que drsquoun logiciel informatique pilotant lrsquoactivation de telles piegraveces degraves lors qursquoil agit sur le fonctionnement du systegraveme de controcircle des eacutemissions et qursquoil en reacuteduit lrsquoefficaciteacute Agrave ce titre lrsquoAvocate geacuteneacuterale preacutecise qursquoil doit drsquoagit drsquoun eacuteleacutement eacutemanant du constructeur du veacutehicule srsquoagissant drsquoun logiciel embarqueacute peu importe qursquoil soit preacuteinstalleacute avant la vente du veacutehicule ou teacuteleacutechargeacute ulteacuterieurement Ne sont donc pas concerneacutes les eacuteleacutements installeacutes agrave lrsquoinitiative du seul proprieacutetaire ou utilisateur du veacutehicule sans lien avec le constructeur

- Sur la deuxiegraveme question preacutejudicielle LrsquoAvocate geacuteneacuterale explique que les constructeurs peuvent optimiser les performances de leurs veacutehicules sur le plan des eacutemissions polluantes par deux cateacutegories de meacutethodes

- Les strateacutegies dites laquo internes au moteur raquo consistant agrave minimiser la formation de gaz polluants dans le moteur lui-mecircme ndash tel le systegraveme RGE

- Les strateacutegies dites laquo post-traitement raquo consistant agrave traiter les eacutemissions apregraves leur formation LrsquoAvocate geacuteneacuterale preacutecise en outre que la notion de laquo systegraveme de controcircle des eacutemissions raquo nrsquoest pas deacutefinie par le regraveglement ndeg7152007 et que pour en eacuteclairer la porteacutee il convient de se reacutefeacuterer aux critegraveres drsquointerpreacutetation consacreacutes par la Cour de justice ( arrecirct du 7 feacutevrier 2018 American Express C-30416 point 54 et jurisprudence citeacutee)

o Interpreacutetation litteacuterale Sur le plan litteacuteral un laquo systegraveme de controcircle des eacutemissions raquo est un composant drsquoun veacutehicule visant agrave controcircler les eacutemissions de celui-ci Ainsi lrsquoAvocate geacuteneacuterale est drsquoavis que le systegraveme RGE peut srsquoinscrire a priori dans le champ drsquoapplication de cette notion puisque sa finaliteacute est de reacuteduire les eacutemissions finales de NOx Elle preacutecise que cette interpreacutetation de la notion de laquo systegraveme de controcircle des eacutemissions raquo nrsquoest ni trop extensive ni de nature agrave englober nrsquoimporte quel composant drsquoun veacutehicule ayant une incidence quelconque sur le volume des eacutemissions polluantes

o Interpreacutetation contextuelle Lrsquoarticle 4 paragraphe 2 du regraveglement ndeg7152007 impose aux constructeurs une obligation de reacutesultat en ce qursquoils doivent veiller agrave ce que les mesures techniques adopteacutees garantissent une limitation effective des eacutemissions au tuyau arriegravere drsquoeacutechappement deacutefini par lrsquoarticle 3 point 6 du mecircme regraveglement comme des eacutemissions de polluants gazeux et de particules Ces articles ne preacutecisent pas agrave quelle eacutetape du fonctionnement du veacutehicule ces eacutemissions doivent ecirctre moduleacutees ou reacuteduites

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Le regraveglement ndeg7152007 apparait donc comme eacutetant technologiquement neutre puisqursquoil nrsquoimpose pas de solution technologique particuliegravere mais fixe un objectif agrave atteindre quant agrave la limitation des eacutemissions ces derniegraveres eacutetant mesureacutees agrave la sortie du tuyau drsquoeacutechappement

o Interpreacutetation teacuteleacuteologique Agrave la lumiegravere des consideacuterants 1 et 5 du regraveglement ndeg7152007 il en ressort que ce dernier vise agrave garantir un niveau eacuteleveacute de protection de lrsquoenvironnement et que la reacutealisation des objectifs de lrsquoUnion europeacuteenne en termes de qualiteacute de lrsquoair exige des efforts continus de reacuteduction des eacutemissions des veacutehicules Le consideacuterant 6 dudit regraveglement preacutecise qursquoil est laquo neacutecessaire de continuer agrave reacuteduire consideacuterablement les eacutemissions [NOx] des veacutehicules diesels pour ameacuteliorer la qualiteacute de lrsquoair et respecter les valeurs limites en termes de pollution raquo De plus lrsquoarticle 4 du regraveglement ndeg7152007 vise agrave assurer une limitation effective des eacutemissions et ce tout au long de la vie normale des veacutehicules dans des conditions drsquoutilisation normales LrsquoAvocate geacuteneacuterale considegravere qursquoil faut confeacuterer une interpreacutetation eacutetendue au concept de laquo systegraveme de controcircle des eacutemissions raquo car en limiter la porteacutee aux meacutethodes de post-traitement des gaz drsquoeacutechappement en excluant les strateacutegies internes au moteur tel le systegraveme RGE priverait le regraveglement ndeg7152007 drsquoune partie de son effet utile

- Sur la troisiegraveme question preacutejudicielle LrsquoAvocate geacuteneacuterale rappelle qursquoun laquo dispositif drsquoinvalidation raquo est un eacuteleacutement de conception qui deacutetecte divers paramegravetres en vue drsquoactiver de moduler de retarder ou de deacutesactiver le fonctionnement de toute partie drsquoun systegraveme de controcircle des eacutemissions et qui reacuteduit lrsquoefficaciteacute de celui-ci dans des conditions dont on peut raisonnablement attendre qursquoelle se produisent lors du fonctionnement normal et de lrsquoutilisation normale drsquoun veacutehicule Sur le plan factuel lrsquoAvocate geacuteneacuterale preacutecise que le systegraveme RGE fonctionne suivant deux modes commandeacutes par le logiciel litigieux Lorsqursquoun cycle caracteacuteristique du test drsquohomologation est deacutetecteacute le systegraveme passe en mode 1 et lorsqursquoil deacutetecte lrsquoabsence des conditions caracteacuteristiques du test le systegraveme opte pour le mode 0 Ainsi il semble manifeste que le dispositif en cause laquo module raquo le fonctionnement drsquoune partie du systegraveme de controcircle des eacutemissions car il fait varier le niveau drsquoeacutemissions en fonction de la deacutetection de divers paramegravetre preacutedeacutefinis en passant drsquoun mode agrave lrsquoautre Sur le plan juridique la deacutesactivation partielle ou complegravete drsquoun systegraveme de controcircle des eacutemissions programmeacutee pour se produite systeacutematiquement en dehors de ce parcours theacuteorique conduit obligatoirement agrave minorer lrsquoefficaciteacute de ce systegraveme dans des consistions drsquoutilisations normales Cette deacutesactivation artificielle abouti agrave une violation de lrsquoarticle 5 paragraphe 2 du regraveglement ndeg7152007 Sur le plan contextuel lrsquoarticle 4 paragraphe 2 du regraveglement ndeg7152007 consacre lrsquoobligation de garantir une limitation effective des eacutemissions au tuyau arriegravere drsquoeacutechappement tout au long de la vie normale des veacutehicules et ce dans des conditions drsquoutilisation normales LrsquoAvocate geacuteneacuterale est drsquoavis que la modulation agrave la hausse du fonctionnement du systegraveme de controcircle des eacutemissions puisse se produire ponctuellement agrave lrsquooccasion de lrsquoutilisation normale du veacutehicule est sans incidence En pratique les chances qursquoune telle coiumlncidence se produise est infiniteacutesimales Le respect par le veacutehicule des limites fixeacutees par le regraveglement en cause doit donc ecirctre la regravegle lors de son utilisation normale et non une exception lieacutee agrave la reacuteunion accidentelle de conditions analogues agrave celles des tests drsquohomologation

- Sur la quatriegraveme question preacutejudicielle Selon lrsquoAvocate geacuteneacuterale il srsquoagit drsquoanalyser lrsquoexception viseacutee de lrsquoarticle 5 paragraphe 2 sous a) du regraveglement ndeg7152007 qui permet de justifier la preacutesence drsquoun dispositif drsquoinvalidation lorsque celui-ci est neacutecessaire afin de proteacuteger le moteur contre des deacutegacircts ou des accidents et afin de garantir le fonctionnement en toute seacutecuriteacute du veacutehicule LrsquoAvocate preacutecise que les exceptions sont drsquointerpreacutetation stricte afin que les regravegles geacuteneacuterales ne soient pas videacutees de leur substance (arrecirct du 22 avril 2010 CommissionRoyaume-Uni C-34608 point 39 et

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jurisprudence citeacutee) Ainsi lrsquointerpreacutetation des exceptions ne peut aller au-delagrave des hypothegraveses envisageacutees de maniegravere explicite par la disposition en cause (arrecirct du 16 mai 2013 Melzer C-22811 point 24 arrecirct du 5 mars 2015 Copydan Baringndkopi C-46312 point 87 et jurisprudence citeacutee) Il importe donc de proceacuteder agrave lrsquointerpreacutetation des termes laquo accident raquo et laquo deacutegacircts raquo Sur le plan litteacuteral le terme laquo accident raquo vise un eacutevegravenement impreacutevu et soudain qui entraicircne des deacutegacircts ou des dangers comme des blessures ou la mort Le terme laquo deacutegacirct raquo deacutesigne un dommage reacutesultant geacuteneacuteralement drsquoune cause violente ou soudaine Or lrsquoAvocate geacuteneacuterale preacutecise que lorsque le libelleacute drsquoune disposition du droit de lrsquoUnion europeacuteenne est clair et preacutecise il convient de srsquoen tenir agrave celui-ci (arrecirct du 8 deacutecembre 2005 BCEAllemagne C-22003 point 31) Ainsi un dispositif drsquoinvalidation ne peut donc se justifier en vertu de lrsquoarticle 5 paragraphe 2 sous a) du regraveglement ndeg7152007 que srsquoil se reacutevegravele neacutecessaire en vue de proteacuteger le moteur contre la survenue de dommages soudains Sur le plan teacuteleacuteologique lrsquoAvocat geacuteneacuterale est drsquoavis qursquoil incombe aux constructeurs de veacutehicules de veiller agrave ce ces derniers observent les limites fixeacutees par la leacutegislation en matiegravere drsquoeacutemissions tout au long de leur fonctionnement normal et agrave ce que ces veacutehicules fonctionnent de faccedilon sure tout en respectant ces limites Si lrsquoon ne peut exclure que le fonctionnement drsquoun systegraveme de controcircle des eacutemissions puisse affecter neacutegativement (agrave long terme) la longeacuteviteacute ou la fiabiliteacute du moteur cette circonstance ne justifie en rien que lrsquoon deacutesactive ledit systegraveme au cours du fonctionnement normal du veacutehicule dans des conditions drsquoutilisation normales dans le seul but de preacutemunir le moteur contre son vieillissement ou son encrassement progressif Ainsi selon lrsquoAvocate geacuteneacuterale seuls les risques immeacutediats de deacutegacircts qui affectent la fiabiliteacute du moteur et qui geacutenegraverent un danger concret lors de la conduite du veacutehicule sont de nature agrave justifier le preacutesence drsquoun dispositif drsquoinvalidation Il en revient donc au juge de renvoi drsquoeacutetablir si le dispositif en cause au principal srsquoinscrit dans le peacuterimegravetre de lrsquoexception analyseacutee ci-dessus (arrecirct du 8 mai 2019 Dodič C-19418 point 45) Toutefois lrsquoAvocate geacuteneacuterale relegraveve que selon le rapport drsquoexpertise le systegraveme RGE laquo nrsquoest pas destructeur pour le moteur raquo Ce systegraveme est neacuteanmoins susceptible de deacutegrafer les performances du moteur agrave lrsquousage et drsquoacceacuteleacuterer son encrassement ce qui peut rendre les opeacuterations de maintenance laquo plus freacutequentes et plus coucircteuses raquo Agrave la lumiegravere de ce constat il me semble que le dispositif drsquoinvalidation mis en cause nrsquoest pas neacutecessairement aux fins de proteacuteger le moteur contre des accidents ou des deacutegacircts et afin drsquoassurer le fonctionnement du veacutehicule en toute seacutecuriteacute LrsquoAvocate geacuteneacuterale propose agrave la Cour de justice de reacutepondre au vice-preacutesident chargeacute de lrsquoinstruction du Tribunal de Grande Instance de Paris (France) de la maniegravere suivante laquo 1) Premiegravere question preacutejudicielle Lrsquoarticle 3 point 10 du regraveglement (CE) ndeg 7152007 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 20 juin 2007 relatif agrave la reacuteception des veacutehicules agrave moteur au regard des eacutemissions des veacutehicules particuliers et utilitaires leacutegers (Euro 5 et Euro 6) et aux informations sur la reacuteparation et lrsquoentretien des veacutehicules doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens qursquoun programme inteacutegreacute dans le calculateur de controcircle moteur ou plus geacuteneacuteralement agissant sur celui-ci peut ecirctre consideacutereacute comme un eacuteleacutement de conception au sens de cette disposition degraves lors qursquoil fait partie inteacutegrante dudit calculateur 2) Deuxiegraveme question preacutejudicielle Lrsquoarticle 3 point 10 du regraveglement ndeg 7152007 doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que le concept de laquo systegraveme de controcircle des eacutemissions raquo inclut tant les technologies strateacutegies et piegraveces meacutecaniques ou informatiques qui permettent de reacuteduire les eacutemissions (en ce compris drsquooxydes drsquoazote) en amont agrave lrsquoinstar drsquoun systegraveme de recirculation des gaz drsquoeacutechappement que celles qui permettent de les traiter et de les reacuteduire en aval apregraves leur formation 3) Troisiegraveme question preacutejudicielle

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Lrsquoarticle 3 point 10 du regraveglement ndeg 7152007 doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens qursquoun dispositif qui deacutetecte tout paramegravetre lieacute au deacuteroulement des proceacutedures drsquohomologation preacutevues par ce mecircme regraveglement aux fins drsquoactiver ou de moduler agrave la hausse au cours de ces proceacutedures le fonctionnement de toute partie du systegraveme de controcircle des eacutemissions et ainsi drsquoobtenir lrsquohomologation du veacutehicule constitue un laquo dispositif drsquoinvalidation raquo au sens de cette disposition mecircme si la modulation agrave la hausse du fonctionnement de ce systegraveme de controcircle des eacutemissions peut aussi se produire de faccedilon ponctuelle lorsque les conditions exactes qui la deacuteclenchent se preacutesentent par hasard dans des conditions drsquoutilisation normales du veacutehicule 4) Quatriegraveme question preacutejudicielle Lrsquoarticle 5 paragraphe 2 sous a) du regraveglement ndeg 7152007 doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que lrsquoobjectif de ralentissement du vieillissement ou de lrsquoencrassement du moteur ne justifie pas le recours agrave un dispositif drsquoinvalidation au sens de cette disposition raquo

Liberteacute drsquoeacutetablissement

Conclusions de lrsquoAvocat geacuteneacuteral M Bobek preacutesenteacutees le 2 avril 2020 dans les affaires jointes Cali Apartments SCI Procureur geacuteneacuteral pregraves de la cour drsquoappel de Paris Ville de Paris et HX Procureur geacuteneacuteral pregraves de la cour drsquoappel de Paris Ville de Paris C-72418 et C-72718

Reacutesumeacute LrsquoAvocat geacuteneacuteral srsquoest prononceacute sur des questions preacutejudicielles poseacutees par la Cour de cassation dans un litige opposant des

proprieacutetaires de studio agrave Paris agrave la ville de Paris Il propose agrave la Cour de justice de juger que la directive 2006123 srsquoapplique agrave

des dispositions nationales et municipales encadrant lrsquoaccegraves agrave un service qui consiste agrave louer de maniegravere reacutepeacuteteacutee et pour de courtes dureacutees

un local agrave usage drsquohabitation agrave une clientegravele de passage Lrsquoobjectif tenant agrave la lutte contre la peacutenurie de logements peut constituer une

raison impeacuterieuse drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral qui justifierait le fait que la mesure nationale exige lrsquoobtention drsquoune autorisation Une telle mesure

nationale est autoriseacutee par la directive 2006123 si elle reacutepond aux conditions de proportionnaliteacute et de non-discrimination

Chacun des requeacuterants est proprieacutetaire drsquoun studio situeacute agrave Paris Ils ont fait lrsquoobjet drsquoune enquecircte afin de

deacuteterminer srsquoils offraient leurs studios agrave la location de courte dureacutee en tant que biens meubleacutes sur la plateforme

Airbnb sans autorisation Selon la leacutegislation nationale lrsquoapprobation du changement drsquousage drsquoun bien constitue

la condition essentielle de lrsquoaccegraves agrave la location meubleacutee de courte dureacutee Agrave la suite de cette enquecircte les requeacuterants

ont eacuteteacute condamneacutes par le tribunal de grande instance de Paris au paiement drsquoune amende et agrave retourner les biens

agrave leur usage drsquohabitation La cour drsquoappel de Paris a confirmeacute par deux arrecircts des 19 mai et 15 juin 2017 que les

studios avaient fait lrsquoobjet de locations de courte dureacutee agrave une clientegravele de passage sans autorisation preacutealable du

maire de Paris ce qui est contraire agrave la leacutegislation nationale Les requeacuterants ont agrave nouveau eacuteteacute condamneacutes Ils ont

formeacute un pourvoi en cassation devant la Cour de cassation Les requeacuterants allegraveguent que les arrecircts rendus par la

cour drsquoappel violent le principe de primauteacute du droit de lrsquoUnion

La juridiction de renvoi pose agrave la Cour de justice les questions preacutejudicielles suivantes

laquo 1) La directive 2006123CE du 12 deacutecembre 2006 eu eacutegard agrave la deacutefinition de son objet et de son champ drsquoapplication par ses articles 1 et 2 srsquoapplique-t-elle agrave la location agrave titre oneacutereux mecircme agrave titre non professionnel de maniegravere reacutepeacuteteacutee et pour de courtes dureacutees drsquoun local meubleacute agrave usage drsquohabitation

Renvoi preacutejudiciel ndash Liberteacute drsquoeacutetablissement ndash Directive 2006123CE ndash Champ drsquoapplication ndash Location de biens meubleacutes de maniegravere reacutepeacuteteacutee pour de courtes dureacutees agrave une clientegravele de passage qui nrsquoy eacutelit pas domicile ndash Reacuteglementation nationale et reacuteglementation municipale soumettant une telle location agrave une autorisation preacutealable et agrave compensation ndash Justification ndash Objectif visant agrave garantir une offre suffisante de logements agrave des prix abordables et destineacutes agrave la location de longue dureacuteemdash Proportionnaliteacute

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ne constituant pas la reacutesidence principale du loueur agrave une clientegravele de passage nrsquoy eacutelisant pas domicile

notamment au regard des notions de prestataires et de services

2) En cas de reacuteponse positive agrave la question preacuteceacutedente une reacuteglementation nationale telle que celle

preacutevue par lrsquoarticle L 631‑7 du code de la construction et de lrsquohabitation constitue-t-elle un reacutegime drsquoautorisation de lrsquoactiviteacute susviseacutee au sens des articles 9 agrave 13 de la directive 2006123 ou seulement une

exigence soumise aux dispositions des articles 14 et 15

Dans lrsquohypothegravese ougrave les articles 9 agrave 13 de la directive 2006123CE du 12 deacutecembre 2006 sont applicables

3) Lrsquoarticle 9 sous b) de cette directive doit-il ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que lrsquoobjectif tenant agrave la lutte contre la peacutenurie de logements destineacutes agrave la location constitue une raison impeacuterieuse drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral permettant de justifier une mesure nationale soumettant agrave autorisation dans certaines zones geacuteographiques la location drsquoun local meubleacute destineacute agrave lrsquohabitation de maniegravere reacutepeacuteteacutee pour de courtes

dureacutees agrave une clientegravele de passage qui nrsquoy eacutelit pas domicile

4) Dans lrsquoaffirmative une telle mesure est-elle proportionneacutee agrave lrsquoobjectif poursuivi

5) Lrsquoarticle 10 paragraphe 2 sous d) et e) de la directive srsquooppose‑t-il agrave une mesure nationale qui subordonne agrave autorisation le fait de louer un local meubleacute destineacute agrave lrsquohabitation ldquode maniegravere reacutepeacuteteacuteerdquo ldquopour de courtes dureacuteesrdquo agrave une ldquoclientegravele de passage qui nrsquoy eacutelit pas domicilerdquo

6) Lrsquoarticle 10 paragraphe 2 sous d) agrave g) de la directive srsquooppose‑t‑il agrave un reacutegime drsquoautorisation preacutevoyant que les conditions de deacutelivrance de lrsquoautorisation sont fixeacutees par une deacutelibeacuteration du conseil municipal au regard des objectifs de mixiteacute sociale en fonction notamment des caracteacuteristiques des marcheacutes de locaux drsquohabitation et de la neacutecessiteacute de ne pas aggraver la peacutenurie de logements raquo

LrsquoAvocat geacuteneacuteral preacutecise agrave titre liminaire que lrsquoanalyse doit ecirctre effectueacutee au regard de la reacuteglementation nationale

et de la reacuteglementation municipale de la ville de Paris lues en combinaison

o Lrsquoapplicabiliteacute de la directive 2006123

La question est de savoir si la directive 2016123 srsquoapplique agrave la location agrave titre oneacutereux de maniegravere reacutepeacuteteacutee et

pour de courtes dureacutees drsquoun local meubleacute et agrave usage drsquohabitation ne constituant pas la reacutesidence principale du

loueur agrave une clientegravele de passage nrsquoy eacutelisant pas domicile Les gouvernements allemand et irlandais sont drsquoavis

que la directive nrsquoest pas applicable

Selon lrsquoAvocat geacuteneacuteral lrsquooffre de services de location de courte dureacutee contre reacutemuneacuteration est une prestation de

nature clairement eacuteconomique Lrsquoobtention drsquoun changement drsquousage de locaux drsquohabitation est tout simplement

une exigence qui affecte lrsquoaccegraves agrave la fourniture de ce service particulier Le premier argument des gouvernements

allemand et irlandais est que les activiteacutes en cause sont exclues du champ drsquoapplication de la directive par lrsquoarticle

2 paragraphes 2 et 3 de la directive preacuteciteacutee Pour lrsquoAvocat geacuteneacuteral cette disposition qui exclut les services

sociaux relatifs au logement social et les services drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral non-eacuteconomiques nrsquoest manifestement pas

applicable

Lrsquoautre argument avanceacute par les gouvernements allemande et irlandais se reacutefegravere au consideacuterant 9 de la directive

LrsquoAvocat geacuteneacuteral estime que cet argument nrsquoest pas convaincant Il rappelle tout drsquoabord que le consideacuterant 9

nrsquoest qursquoun consideacuterant et qursquoil ne saurait lui seul et sans disposition correspondante dans le corps de la directive

creacuteer une nouvelle exemption par cateacutegorie qui nrsquoest refleacuteteacutee nulle part ailleurs Il estime que le consideacuterant 9

porte sur un autre objet que celui lieacute agrave lrsquoajout drsquoune exoneacuteration au champ drsquoapplication de la directive dans un

certain domaine Le consideacuterant 9 reacuteaffirme que la directive ne doit pas avoir drsquoincidence sur des regravegles

drsquoapplication geacuteneacuterale qui ne reacutegissent pas speacutecifiquement les services et qui srsquoappliquent agrave tout le monde tant

aux particuliers qursquoaux prestataires de services Le consideacuterant nrsquoa jamais eacuteteacute conccedilu comme visant agrave exclure un

(ou des) domaine(s) speacutecifique(s) du champ drsquoapplication de la directive Ainsi les regravegles reacutegissant lrsquoaccegraves agrave un

service relegravevent du champ drsquoapplication de la directive tandis que les regravegles drsquoapplication geacuteneacuterale ne faisant

aucune distinction entre les prestataires et les autres personnes nrsquoen relegravevent pas Finalement lrsquoAvocat geacuteneacuteral

rappelle que la distinction entre les regravegles relatives agrave la proprieacuteteacute des biens sur laquelle est fondeacute le consideacuterant 9

selon qursquoelles reacuteglementent ou affectent speacutecifiquement lrsquoaccegraves agrave une activiteacute de service ou son exercice a deacutejagrave eacuteteacute

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abordeacutee par la Cour de justice dans lrsquoarrecirct Visser (CJUE 30 janvier 2018 C‑36015 et C‑3116) LrsquoAvocat geacuteneacuteral

constate qursquoil ressort clairement de lrsquoarrecirct Visser que les regravegles relatives agrave lrsquoutilisation drsquoun bien foncier relegravevent

du champ drsquoapplication de la directive 2016123 dans la mesure ougrave elles ont trait agrave des activiteacutes eacuteconomiques et

qursquoelles ont ainsi une incidence sur lrsquoaccegraves au marcheacute des services ou sur lrsquoexercice drsquoune activiteacute de service

Par suite lrsquoAvocat geacuteneacuteral estime que toute reacuteglementation nationale du type de celle en cause relegraveve clairement

du champ drsquoapplication de la directive 2006123

o Les dispositions pertinentes de la directive 2006123

Reacutegime drsquoautorisation ou exigence

La question est de savoir laquelle de la section 1 du chapitre 3 de la directive qui porte sur les reacutegimes

drsquoautorisations et les conditions pertinentes ou de la section 2 sur les exigences interdites ou celles soumises agrave

eacutevaluation est applicable dans lrsquoaffaire au principal

LrsquoAvocat geacuteneacuteral rappelle que les reacutegimes drsquoautorisation et les exigences imposeacutes par les Etats membres eacutetant

supposeacutes retreindre lrsquoaccegraves agrave une activiteacute de service ou son exercice sont en principe interdits par la directive

2006123 LrsquoAvocat geacuteneacuteral note que la reacuteglementation en cause constitue un reacutegime drsquoautorisation et non pas

une exigence En lrsquoespegravece les proprieacutetaires de biens qui souhaiteraient louer leurs locaux meubleacutes pour de courtes

dureacutees doivent se conformer agrave une proceacutedure administrative visant agrave obtenir du maire sous reacuteserve du respect

de certaines conditions une autorisation administrative formelle

Par suite lrsquoAvocat geacuteneacuteral conclut qursquoil y a lieu drsquoexaminer les preacutesentes affaires sous lrsquoangle de la section 1 du

chapitre 3 de la directive et en particulier des articles 9 et 10

Les articles 9 et 10 en tant que cadre drsquoanalyse

LrsquoAvocat geacuteneacuteral est ameneacute agrave se prononcer sur la porteacutee des articles 9 et 10 ainsi que sur le rapport entre eux Il

suggegravere que lrsquoarticle 9 porte sur la question de savoir srsquoil peut en reacutealiteacute y avoir un reacutegime drsquoautorisation pour un

type de service Lrsquoarticle 10 vise un stade suppleacutementaire Une fois que le critegravere de lrsquoarticle 9 est satisfait et que

la neacutecessiteacute drsquoun reacutegime drsquoautorisation a eacuteteacute eacutetablie lrsquoarticle 10 se focalise sur les critegraveres speacutecifiques qursquoun reacutegime

drsquoautorisation concret doit respecter Lrsquoarticle 10 indique clairement qursquoun reacutegime drsquoautorisation devrait ecirctre

conccedilu de maniegravere agrave remplir lrsquoensemble des sept critegraveres eacutenonceacutes dans son paragraphe 2 LrsquoAvocat geacuteneacuteral relegraveve

eacutegalement que la question de lrsquoorigine de la reacuteglementation (nationale reacutegionale ou locale) est sans importance

LrsquoAvocat geacuteneacuteral conclut que la question de la neacutecessiteacute mecircme drsquoun reacutegime drsquoautorisation doit ecirctre examineacutee au

regard des trois conditions eacutenumeacutereacutees agrave lrsquoarticle 9 paragraphe 1 Toutefois les conditions speacutecifiques dans

lesquelles une telle autorisation sera deacutelivreacutee dont notamment la compensation telle que conccedilue par la ville de

Paris doivent ecirctre appreacutecieacutees au regard des critegraveres eacutenonceacutes agrave lrsquoarticle 10 paragraphe 2

o La compatibiliteacute du reacutegime drsquoautorisation avec la directive 2006123

LrsquoAvocat geacuteneacuteral examine dans cette partie des conclusions les raisons impeacuterieuses drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral qui ont eacuteteacute

avanceacutees pour justifier le reacutegime drsquoautorisation la question essentielle de la proportionnaliteacute et les autres

conditions auxquelles doivent reacutepondre les reacutegimes drsquoautorisation au titre de lrsquoarticle 10 paragraphe 2 de la

directive 2006123

LrsquoAvocat geacuteneacuteral rappelle agrave titre liminaire que lrsquoarticle 16 (liberteacute drsquoentreprise) et lrsquoarticle 17 (droit de proprieacuteteacute)

de la Charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne sont particuliegraverement pertinents dans ce contexte

Il insiste sur le fait que ni la liberteacute drsquoentreprise ni le droit de proprieacuteteacute nrsquoont de caractegravere absolu Ils peuvent tous

les deux ecirctre limiteacutes

Raison impeacuterieuse drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral

Les requeacuterants allegraveguent qursquoil nrsquoexiste pas de raison impeacuterieuse drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral susceptible de justifier les

dispositions litigieuses La ville de Paris et le gouvernement franccedilais estiment que les dispositions litigieuses ont

principalement pour objectif de lutter contre la peacutenurie de logements (et agrave cet eacutegard lrsquoaugmentation des prix)

dans certains lieux lesquels sont dus au moins en partie au fait que les proprieacutetaires ont tendance agrave preacutefeacuterer

louer leurs locaux drsquohabitation pour des courtes dureacutees plutocirct que des longues dureacutees

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LrsquoAvocat geacuteneacuteral reconnait que la lutte contre une peacutenurie structurelle de logements drsquoune part et la protection

de lrsquoenvironnement urbain drsquoautre part peuvent effectivement ecirctre avanceacutees pour justifier ensemble ou

seacutepareacutement tant lrsquoinstauration du reacutegime drsquoautorisation au titre de lrsquoarticle 9 paragraphe 1 sous b) que sa forme

concregravete et les conditions qursquoil contient au titre de lrsquoarticle 10 paragraphe 2 sous b) Lrsquoarticle 4 point 8 de la

directive 2006123 reconnait explicitement la protection de lrsquoenvironnement urbain et les objectifs de politique

sociale comme des raisons impeacuterieuses drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral Par suite lutter contre une peacutenurie de logement et

chercher agrave garantir la disponibiliteacute de logements suffisants et abordables ainsi que la protection de

lrsquoenvironnement urbain constituent des justifications valables pour lrsquoeacutetablissement drsquoautorisation en geacuteneacuteral

fondeacutees sur une politique sociale et les critegraveres preacutevus par un reacutegime drsquoautorisation

La proportionnaliteacute

Les requeacuterants allegraveguent que le reacutegime drsquoautorisation en cause nrsquoest pas apte agrave reacutealiser lrsquoobjectif visant agrave lutter

contre la peacutenurie de logements dans la mesure ougrave il ne dissuade pas neacutecessairement les proprieacutetaires drsquooffrir leurs

biens en tant que locations meubleacutees de courte dureacutee

- La proportionnaliteacute de la neacutecessiteacute drsquoobtenir une autorisation au titre de lrsquoarticle 9 paragraphe 1 sous c)

LrsquoAvocat geacuteneacuteral rappelle qursquoun reacutegime drsquoautorisation est geacuteneacuteralement proportionnel lorsque des controcircles a

posteriori ne suffisent pas pour atteindre lrsquoobjectif poursuivi Pour ecirctre proportionnel la deacutetermination de la

neacutecessiteacute drsquoun reacutegime drsquoautorisation devrait ecirctre fondeacutee sur des donneacutees scientifiques concernant le marcheacute du

logement dans les communes ougrave il est envisageacute drsquoinstaurer un tel reacutegime LrsquoAvocat geacuteneacuteral partage le point de

vue de la Commission europeacuteenne selon lequel les reacutegimes nationaux devraient ecirctre fondeacutes sur des eacuteleacutements

speacutecifiques lieacutes agrave la situation du marcheacute du logement Il rappelle eacutegalement que les reacutegimes drsquoautorisation doivent

ecirctre eacutequitables et ouverts agrave tous en termes drsquoaccegraves au marcheacute du logement destineacute agrave la location de courte dureacutee

En lrsquoespegravece si le but est de reacuteglementer ou drsquoempecirccher la sortie du marcheacute les autorisations de sortie ex ante sont

ineacutevitables Lrsquoexistence drsquoun problegraveme est indeacuteniable La France a conccedilu une solution agrave ce problegraveme qui en ce

qui concerne la neacutecessiteacute de soumettre les proprieacutetaires de biens agrave un reacutegime drsquoautorisation a incorporeacute la

proportionnaliteacute dans sa conception Finalement le reacutegime drsquoautorisation est applicable agrave toute personne qui

souhaite offrir une location de courte dureacutee agrave Paris

Bien que drsquoautres solutions pourraient ecirctre envisageacutees lrsquoAvocat geacuteneacuteral est drsquoavis que ces solutions ne pourraient

pas ecirctre plus efficaces qursquoun simple reacutegime drsquoautorisation ex ante

Par suite dans le contexte speacutecifique de la preacutesente affaire lrsquoAvocat geacuteneacuteral ne voit rien qui rendrait un reacutegime

drsquoautorisation disproportionneacute en lui-mecircme

- Proportionnaliteacute de lrsquoobligation de compensation au titre de lrsquoarticle 10 paragraphe 2

LrsquoAvocat geacuteneacuteral estime qursquoil est difficile drsquoappreacutecier concregravetement la proportionnaliteacute du reacutegime drsquoautorisation

speacutecifique en cause et notamment des critegraveres et des conditions sur lesquels repose ce reacutegime au titre de lrsquoarticle

10 paragraphe 2 de la directive 2006123 Il relegraveve que la juridiction de renvoi se focalise sur les dispositions

nationales laissant de cocircteacute le niveau municipal et que la Cour de justice dispose de peu drsquoinformations sur le

fonctionnement des regravegles speacutecifiques de la vielle de Paris Elle est donc mal eacutequipeacutee pour deacuteterminer si les

critegraveres preacutevus agrave lrsquoarticle 10 paragraphe 2 de la directive 2006123 sont remplis Il appartient degraves lors agrave titre

principal agrave la juridiction de renvoi drsquoappreacutecier compte tenu de la reacutepartition des tacircches entre la Cour de justice

et les juridictions nationales la compatibiliteacute des conditions drsquoautorisation preacutevues par le droit national avec

lrsquoarticle 10 preacuteciteacute La Cour de justice peut fournir des indications geacuteneacuterales avec les informations dont elle

dispose

LrsquoAvocat geacuteneacuteral insiste sur lrsquoobligation de compensation qui ressort de la reacuteglementation municipale de la ville

de Paris Lagrave encore il note qursquoil appartiendra agrave la juridiction de renvoi drsquoappreacutecier la compatibiliteacute de cette

obligation avec la directive 2006123 de la maniegravere dont elle a eacuteteacute concregravetement eacutedicteacutee par la ville de Paris Cette

obligation implique qursquoune personne qui cherche agrave louer son appartement meubleacute pour une courte dureacutee doit

acheter des locaux commerciaux drsquoune surface identique agrave celle de lrsquoappartement et les transformer en locaux

destineacutes agrave lrsquohabitation LrsquoAvocat geacuteneacuteral srsquointerroge sur lrsquoefficaciteacute de cette compensation et srsquoil semblerait qursquoelle

soit tregraves efficace il remarque qursquoelle est peut-ecirctre si efficace qursquoelle commence agrave aneacuteantir totalement lrsquoobjectif de

la demande drsquoautorisation elle-mecircme Quant agrave la proportionnaliteacute de la mesure elle semble proportionneacutee pour

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les proprieacutetaires de plusieurs immeubles ou pour un promoteur immobilier mais pourrait ecirctre disproportionneacutee

pour un bailleur non-professionnel

Bien que ce soit agrave la juridiction de renvoi drsquoexaminer lrsquoensemble de ces eacuteleacutements lrsquoAvocat geacuteneacuteral relegraveve que srsquoil

est admis que le niveau local peut adopter des regravegles et preacuteciser les conditions drsquoun reacutegime drsquoautorisation la

proportionnaliteacute de ces regravegles deacutependra probablement de la prise en compte des circonstances et speacutecificiteacutes

locales

Le respect drsquoautres critegraveres viseacutes agrave lrsquoarticle 10 paragraphe 2 de la directive 2006123

La juridiction de renvoi demande en substance si les dispositions nationales relatives aux reacutegimes drsquoautorisations

sont conformes aux obligations speacutecifiques de lrsquoarticle 10 paragraphe 2 de la directive 2006123 Les requeacuterants

allegraveguent que les termes employeacutes par la reacuteglementation en cause sont trop impreacutecis et que les conditions

drsquoobtention de lrsquoautorisation ne seraient pas suffisamment claires

LrsquoAvocat geacuteneacuteral estime que la reacuteglementation nationale contient des notions quelque peu vagues mais tout agrave fait

compreacutehensibles compte tenu que les conseils municipaux ont une certaine marge de manœuvre pour preacuteciser

davantage le sens de ces notions

LrsquoAvocat geacuteneacuteral propose agrave la Cour de justice de reacutepondre aux questions poseacutees par la Cour de cassation

(France) de la maniegravere suivante

ndash la directive 2006123CE du Parlement europeacuteen et du Conseil du 12 deacutecembre 2006 relative aux

services dans le marcheacute inteacuterieur est applicable agrave des dispositions nationales et municipales encadrant

lrsquoaccegraves agrave un service qui consiste agrave louer en contrepartie du paiement drsquoun prix mecircme agrave titre non

professionnel de maniegravere reacutepeacuteteacutee et pour de courtes dureacutees un local agrave usage drsquohabitation agrave une clientegravele

de passage nrsquoy eacutelisant pas domicile

ndash si ces dispositions nationales et municipales deacutefinissent une proceacutedure visant agrave obtenir une

deacutecision autorisant lrsquoaccegraves agrave la fourniture de tels services elles constituent un reacutegime drsquoautorisation au

sens des articles 9 agrave 13 de la directive 2006123

ndash lrsquoarticle 9 paragraphe 1 sous b) de la directive 2006123 doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que

lrsquoobjectif tenant agrave la lutte contre la peacutenurie de logements destineacutes agrave la location de longue dureacutee constitue

une raison impeacuterieuse drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral permettant de justifier une mesure nationale soumettant agrave

autorisation dans certaines zones geacuteographiques la location de maniegravere reacutepeacuteteacutee drsquoun local destineacute agrave

lrsquohabitation pour de courtes dureacutees agrave une clientegravele de passage qui nrsquoy eacutelit pas domicile

ndash la directive 2006123 doit ecirctre interpreacuteteacutee en ce sens qursquoelle autorise des dispositions nationales

et municipales qui soumettent agrave autorisation le fait de louer de maniegravere reacutepeacuteteacutee un local meubleacute

destineacute agrave lrsquohabitation pour de courtes dureacutees agrave une clientegravele de passage qui nrsquoy eacutelit pas domicile agrave

condition qursquoelles respectent les exigences preacutevues agrave lrsquoarticle 10 paragraphe 2 de la directive 2006123

notamment les conditions de proportionnaliteacute et de non‑discrimination ce qursquoil appartient agrave la

juridiction nationale de veacuterifier

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Partie III Questions preacutejudicielles

Libre prestation de services

Affaire preacutejudicielle 31 janvier 2020 Fluctus et Fluentum C-92019

Juridiction de renvoi Landesverwaltungsgericht Steiermark (Autriche) La juridiction de renvoi a saisi la Cour de justice des questions suivantes conformeacutement agrave lrsquoarticle 267 TFUE laquo 1 Lrsquoarticle 56 TFUE doit-il ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que lrsquoappreacuteciation des pratiques publicitaires illicites telles qursquoeacutetablies dans la jurisprudence constante de la Cour de justice dans le chef du titulaire drsquoune concession dans le cadre drsquoun monopole drsquoEacutetat sur les jeux de hasard deacutepend du point de savoir si le marcheacute des jeux de hasard a effectivement crucirc de maniegravere geacuteneacuterale au cours de la peacuteriode en cause ou srsquoil suffit deacutejagrave que la publiciteacute vise agrave inciter agrave participer activement aux jeux par exemple en banalisant le jeu en lui confeacuterant une image positive en raison de lrsquoutilisation des recettes aux fins drsquoactiviteacute drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral ou en augmentant son attractiviteacute par des messages publicitaires accrocheurs qui font miroiter des gains importants 2 Par ailleurs lrsquoarticle 56 TFUE doit-il ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que lesdites pratiques publicitaires illicites drsquoun concessionnaire du monopole excluent en tout eacutetat de cause la coheacuterence du reacutegime de monopole ou que en cas de pratiques publicitaires correspondantes drsquoannonceurs priveacutes un titulaire du monopole peut eacutegalement inciter agrave une participation active aux jeux par exemple en bana lisant le jeu en lui confeacuterant une image positive en raison de lrsquoutilisation des recettes aux fins drsquoactiviteacute drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral ou en augmentant son attractiviteacute par des messages publicitaires accrocheurs qui font miroiter des gains importants 3 Une juridiction de lrsquoEacutetat qui dans le cadre de sa compeacutetence doit appliquer lrsquoarticle 56 TFUE est-elle tenue aux fins drsquoassurer le plein effet de ces normes de veiller agrave laisser inappliqueacutee de sa propre autoriteacute une disposition de droit interne qursquoelle juge contraire mecircme si sa conformiteacute au droit de lrsquoUnion a eacuteteacute confirmeacutee dans le cadre drsquoune proceacutedure constitutionnelle raquo

Marcheacute inteacuterieur

Affaire preacutejudicielle 31 janvier 2020 Ministerstwo Sprawiedliwości C-5520

Juridiction de renvoi Sąd Dyscyplinarny Izby Adwokackiej w Warszawie (Pologne) La juridiction de renvoi a saisi la Cour de justice des questions suivantes conformeacutement agrave lrsquoarticle 267 TFUE laquo 1 Le chapitre III de la directive 2006123CE du Parlement europeacuteen et du Conseil du 12 deacutecembre 2006 relative aux services dans le marcheacute inteacuterieur (ci-apregraves la laquo directive services raquo) et notamment son article 10 paragraphe 6 srsquoappliquent-ils agrave une proceacutedure disciplinaire visant les avocats et les avocats eacutetrangers inscrits sur la liste des avocats et permettant notamment drsquoinfliger agrave un avocat une sanction peacutecuniaire la suspension de ses activiteacutes professionnelles voire sa radiation du barreau et agrave un avocat eacutetranger une sanction peacutecuniaire la suspension voire lrsquointerdiction du droit de fournir une assistance juridique en Pologne En cas de reacuteponse positive la charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne (ci-apregraves la laquo Charte raquo) notamment son article 47 est-elle applicable agrave cette proceacutedure meneacutee devant les conseils de discipline du barreau degraves lors que les deacutecisions de ces juridictions ne sont pas susceptibles de recours devant les juridictions nationales ou ne sont susceptibles que drsquoun recours extraordinaire agrave savoir un pourvoi en cassation devant le Sąd Najwyższy (Cour suprecircme Pologne) et est-elle eacutegalement applicable lorsque tous les eacuteleacutements pertinents de lrsquoaffaire se cantonnent agrave lrsquointeacuterieur drsquoun seul Eacutetat membre 2 Lorsque dans une proceacutedure viseacutee agrave la premiegravere question lrsquoinstance qui est compeacutetente en vertu des dispositions nationales applicables pour statuer sur le pourvoi en cassation formeacute contre lrsquoarrecirct ou lrsquoordonnance du conseil de discipline du barreau ou contre la reacuteclamation visant le refus drsquointroduire un tel pourvoi nrsquoest pas conformeacutement agrave la position adopteacutee par le Sąd Najwyższy (Cour suprecircme) dans son arrecirct du 5 deacutecembre 2019 reacutef III PO 718 un tribunal indeacutependant et impartial au sens de lrsquoarticle 47 de la Charte [Or 2] le conseil de discipline du barreau doit-il eacutecarter les dispositions nationales eacutetablissant la compeacutetence de cette instance et transmettre ce pourvoi ou cette reacuteclamation aux instances judiciaires qui auraient eacuteteacute compeacutetentes si les dispositions susmentionneacutees ne srsquoy opposaient pas

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3 Lorsque ndash dans une proceacutedure viseacutee agrave la premiegravere question ndash le conseil de discipline du barreau considegravere que le Prokurator Generalny (procureur geacuteneacuteral) et le Rzecznik Praw Obywatelskich (meacutediateur) ne sont pas habiliteacutes agrave former un pourvoi en cassation contre son arrecirct ou son ordonnance et que sa position est

a) contraire agrave la position exprimeacutee dans la deacutecision du 27 novembre 2019 reacutef II DSI 6718 de la chambre disciplinaire du Sąd Najwyższy (Cour suprecircme) sieacutegeant en formation de sept juges crsquoest-agrave-dire de lrsquoinstance qui conformeacutement aux dispositions nationales en vigueur est compeacutetente pour connaicirctre du recours formeacute contre le refus drsquointroduire un pourvoi en cassation mais qui selon le conseil de discipline du barreau qui se rallie agrave la position adopteacutee par le Sąd Najwyższy (Cour suprecircme) dans son arrecirct du 5 deacutecembre 2019 reacutef III PO 718 nrsquoest pas un tribunal indeacutependant et impartial au sens de lrsquoarticle 47 de la Charte

b) conforme agrave la position exprimeacutee preacuteceacutedemment par la chambre peacutenale du Sąd Najwyższy (Cour suprecircme) crsquoest-agrave-dire lrsquoinstance judiciaire qui serait compeacutetente pour examiner ce recours si les dispositions susmentionneacutees ne srsquoy opposaient pas

Le conseil de discipline du barreau peut-il (ou doit-il) eacutecarter la position exprimeacutee par la chambre disciplinaire du Sąd Najwyższy (Cour suprecircme) 4 Si dans lrsquoaffaire viseacutee agrave la troisiegraveme question le conseil de discipline du barreau est ameneacute agrave examiner un recours du Minister Sprawiedliwości (ministre de la Justice) mais que

a) lrsquoinfluence du pouvoir exeacutecutif notamment celle du Minister Sprawiedliwości (ministre de la Justice) sur la composition de la chambre disciplinaire du Sąd Najwyższy (Cour suprecircme) constitue lrsquoun des facteurs qui selon lrsquoappreacuteciation exprimeacutee par le Sąd Najwyższy (Cour suprecircme) dans son arrecirct du 5 deacutecembre 2019 reacutef III PO 718 appreacuteciation que partage le conseil de discipline du barreau justifient de consideacuterer que cette chambre disciplinaire qui est lrsquoinstance viseacutee agrave la troisiegraveme question sous a) nrsquoest pas un tribunal indeacutependant et impartial au sens de lrsquoarticle 47 de la Charte

b) et que le Minister Sprawiedliwości (ministre de la Justice) exerce lui-mecircme la fonction de Prokurator Generalny (procureur geacuteneacuteral) lequel serait habiliteacute agrave introduire un pourvoi cassation selon la position exprimeacutee par la chambre disciplinaire du Sąd Najwyższy (Cour suprecircme) agrave savoir lrsquoinstance viseacutee agrave la troisiegraveme question sous a) tandis qursquoil nrsquoy est pas selon la position exprimeacutee par la chambre peacutenale du Sąd Najwyższy (Cour suprecircme) agrave savoir lrsquoinstance viseacutee agrave la troisiegraveme question sous b) et selon la position du conseil de discipline du barreau ce conseil de discipline du barreau doit-il srsquoabstenir drsquoexaminer le recours srsquoil srsquoagit de la seule maniegravere drsquoassurer que la proceacutedure respecte lrsquoarticle 47 de la Charte et en particulier drsquoeacuteviter qursquoune instance qui nrsquoest pas un tribunal indeacutependant et impartial au sens de cette disposition nrsquointervienne dans la proceacutedure raquo

Protection des consommateurs

Affaire preacutejudicielle 7 feacutevrier 2020 KRONE ndash Verlag Gesellschaft mbH amp Co KG C-6520

Juridiction de renvoi Oberster Gerichtshof (Autriche) La juridiction de renvoi a saisi la Cour de justice des questions suivantes conformeacutement agrave lrsquoarticle 267 TFUE laquo Lrsquoarticle 2 lu en combinaison avec les articles 1 er et 6 de la directive 85374CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions leacutegislatives reacuteglementaires et administratives des Eacutetats membres en matiegravere de responsabiliteacute du fait des produits deacutefectueux doit-il ecirctre interpreacuteteacute en ce sens qursquoun exemplaire physique drsquoun journal quotidien qui contient un conseil de santeacute techniquement inexact dont le respect cause un dommage agrave la santeacute peut eacutegalement ecirctre consideacutereacute comme un produit (deacutefectueux) raquo

Affaire preacutejudicielle 26 feacutevrier 2020 StWL Staumldtische Werke Lauf ad Pegnitz GmbH C-10220

Juridiction de renvoi Bundesgerichtshof (Allemagne) La juridiction de renvoi a saisi la Cour de justice des questions suivantes conformeacutement agrave lrsquoarticle 267 TFUE

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laquo 1 Les critegraveres de la notion drsquoenvoi au sens de lrsquoarticle 2 deuxiegraveme alineacutea sous h) de la directive 200258 sont-ils remplis lorsqursquoun message nrsquoest pas transmis par un utilisateur drsquoun service de communications eacutelectroniques agrave un autre utilisateur par lrsquointermeacutediaire drsquoune entreprise de services agrave lrsquolaquo adresse raquo eacutelectronique du second utilisateur mais est afficheacute de maniegravere automatiseacutee par des serveurs publicitaires agrave la suite de lrsquoouverture de la page Internet proteacutegeacutee par un mot de passe correspondant agrave un compte de messagerie eacutelectronique dans certains espaces preacutevus agrave cet effet de la boicircte de reacuteception eacutelectronique drsquoun utilisateur seacutelectionneacute de maniegravere aleacuteatoire (publiciteacute dans la boicircte de reacuteception) 2 La reacutecupeacuteration drsquoun message au sens de lrsquoarticle 2 deuxiegraveme alineacutea sous h) de la directive 200258 suppose-t-elle que le destinataire apregraves avoir pris connaissance de la preacutesence drsquoun message deacuteclenche par une demande de reacutecupeacuteration volontaire une transmission des donneacutees du message en vertu drsquoun programme preacuteeacutetabli ou suffit-il que lrsquoapparition du message [Or 3] dans la boicircte de reacuteception drsquoun compte de messagerie eacutelectronique soit deacuteclencheacutee par le fait que lrsquoutilisateur ouvre la page Internet pro teacutegeacutee par un mot de passe correspondant agrave son compte de messagerie eacutelectronique 3 Y a-t-il eacutegalement courrier eacutelectronique au sens de lrsquoarticle 13 paragraphe 1 de la directive 200258 lorsqursquoun message nrsquoest pas envoyeacute agrave un destinataire individuel deacutejagrave concregravetement deacutefini avant la transmission mais est inseacutereacute dans la boicircte de reacuteception drsquoun utilisateur seacutelectionneacute de maniegravere aleacuteatoire 4 Lrsquoutilisation drsquoun courrier eacutelectronique agrave des fins de prospection directe au sens de lrsquoarticle 13 paragraphe 1 de la d irective 200258 nrsquoest-elle caracteacuteriseacutee que lorsqursquoil est constateacute que la charge imposeacutee agrave lrsquoutilisateur va au-delagrave drsquoune gecircne qui lui serait causeacutee 5 La publiciteacute individuelle satisfaisant aux critegraveres de la laquo sollicitation raquo au sens du point 26 premiegravere phrase de lrsquoannexe I de la directive 200529 nrsquoest-elle caracteacuteriseacutee que lorsqursquoun client est contacteacute au moyen drsquoun outil traditionnel de communication individuelle entre un expeacutediteur et un destinataire ou suffit-t-il que comme dans le cas de la publiciteacute en cause en lrsquoespegravece le lien avec un individu soit eacutetabli par lrsquoaffichage de la publiciteacute dans la boicircte de reacuteception drsquoun compte de messagerie eacutelectronique priveacute et donc dans une rubrique ougrave le client srsquoattend agrave recevoir des messages qui lui sont individuellement adresseacutes raquo

Santeacute publique

Affaire preacutejudicielle 24 feacutevrier 2020 Ordine Nazionale Biologi e a C-9620

Juridiction de renvoi Corte suprema di cassazione (Italie) La juridiction de renvoi a saisi la Cour de justice des questions suivantes conformeacutement agrave lrsquoarticle 267 TFUE laquo Lrsquoarticle 9 paragraphe 2 de la directive 200298CE qui eacutetablit des normes de qualiteacute et de seacutecuriteacute pour la collecte le controcircle la transformation la conservation et la distribution du sang humain et des composants sanguins doit-il ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que lorsqursquoil mentionne la possession drsquoun titre acadeacutemique ldquodans le domaine des sciences meacutedicales ou biologiquesrdquo parmi les conditions de qualification minimales requises pour pouvoir acceacuteder agrave la fonction de personne responsable drsquoun eacutetablissement de transfus ion sanguine il confegravere directement aux diplocircmeacutes dans les deux disciplines le droit drsquoexercer la fonction de personne responsable [Or 11] drsquoun eacutetablissement de transfusion sanguine En conseacutequence le droit de lrsquoUnion permet-il au droit national drsquoexclure que ladite fonction de personne responsable drsquoun eacutetablissement de transfusion sanguine puisse ecirctre exerceacutee par les diplocircmeacutes en sciences biologiques ou bien srsquooppose-t-il agrave cette exclusion raquo

Partie IV Informations diverses

Aides drsquoEacutetat

Communication de la Commission europeacuteenne Modification de lrsquoencadrement temporaire des mesures drsquoaide drsquoEacutetat visant agrave soutenir lrsquoeacuteconomie dans le contexte actuel de la flambeacutee de COVID-19 3 avril 2020 C(2020) 2215

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Reacutesumeacute La Commission europeacuteenne a adopteacute une modification eacutetendant lrsquoencadrement temporaire adopteacute le 19 mars 2020 afin de permettre aux Eacutetats membres drsquoacceacuteleacuterer la recherche la mise agrave lrsquoessai et la fabrication de produits utiles pour combattre le coronavirus de proteacuteger les emplois et de soutenir drsquoavantage lrsquoeacuteconomie dans le contexte du COVID-19 Lrsquoencadrement temporaire modifieacute complegravete les nombreuses possibiliteacutes dont disposent deacutejagrave les Eacutetats membres pour atteacutenuer les reacutepercussions socio-eacuteconomiques de la flambeacutee de COVID-19 conformeacutement aux regravegles de lrsquoUnion europeacuteenne en matiegravere drsquoaides drsquoEacutetat Le 19 mars 2020 la Commission europeacuteenne a adopteacute une communication intituleacutee laquo Encadrement temporaire des mesures drsquoaide drsquoEacutetat visant agrave soutenir lrsquoeacuteconomie dans le contexte actuel de la flambeacutee du COVID-19 raquo (C(2020) 1863) Cette derniegravere deacutecrit les possibiliteacutes offertes aux Eacutetats membres par les regravegles de lrsquoUnion pour garantir la liquiditeacute et lrsquoaccegraves au financement des entreprises et en particulier des PME afin de leur permettre de surmonter la situation actuelle La Commission europeacuteenne visait agrave eacutetablir un cadre permettant aux Eacutetats membres de soutenir les entreprises qui connaissent des difficulteacutes lieacutees au COVID-19 et ce tout en preacuteservant lrsquointeacutegriteacute du marcheacute inteacuterieur de lrsquoUnion europeacuteenne par la garantie de conditions eacutegales pour tous Selon la Commission europeacuteenne une application cibleacutee et proportionneacutee du controcircle des aides drsquoEacutetats permettrait que les mesures de soutien nationales aident efficacement les entreprises toucheacutees par la flambeacutee du COVID-19 tout en leur permettant de rebondir au terme de la crise actuelle et en gardant agrave lrsquoesprit lrsquoimportance de mener agrave bien la transition eacutecologique et numeacuterique conformeacutement aux objectifs de lrsquoUnion europeacuteenne Cette nouvelle communication vise agrave eacutenumeacuterer les mesures drsquoaide drsquoEacutetat temporaires suppleacutementaires que la Commission europeacuteenne juge compatibles avec lrsquoarticle 107 paragraphe 3 TFUE dans le contexte de la flambeacutee de COVID-19 Ainsi la modification eacutetend lrsquoencadrement temporaire en preacutevoyant cinq types de mesures drsquoaide suppleacutementaires

- Soutien agrave la recherche et au deacuteveloppement lieacutes au COVID-19 pour faire face agrave la crise eacutepideacutemique les Eacutetats membres peuvent octroyer des aides sous forme de subventions directes drsquoavances remboursables ou drsquoavantages fiscaux en faveur de la recherche et au deacuteveloppement lieacute au COVID-19 et sur drsquoautres eacuteleacutements lieacutes agrave la lutte contre le virus Un suppleacutement drsquoaide peut ecirctre accordeacute aux projets de coopeacuteration transfrontiegravere entre Eacutetats membres

- Soutient agrave la construction et agrave la mise agrave niveau drsquoinstallations drsquoessai les Eacutetats membres ont la

possibiliteacute drsquooctroyer des aides sous forme de subventions directes drsquoavantage fiscaux drsquoavances remboursables et de garanties de couverture de pertes afin de soutenir les investissements permettant la construction ou la mise agrave niveau drsquoinfrastructures neacutecessaires pour mettre au point et tester des produits lieacutes au COVID-19 jusqursquoau premier deacuteploiement industriel Sont concerneacutes

o Les meacutedicaments y compris les vaccins et les traitements o Les dispositifs meacutedicaux et eacutequipements hospitaliers et meacutedicaux y compris les appareils de

ventilation et les vecirctements de protection ainsi que les outils de diagnostic o Les deacutesinfectants o Les outils de collecte et de traitement de donneacutees utiles agrave la lutte contre la propagation du virus

Afin drsquoencourager la coopeacuteration et de soutenir une action rapide les entreprises peuvent beacuteneacuteficier drsquoun suppleacutement drsquoaide lorsque leur investissement est financeacute par plusieurs Eacutetats membres et lorsqursquoil est reacutealiseacute dans un deacutelai de deux mois suivant la date de demande drsquoaide

- Soutien agrave la fabrication de produits utiles agrave la lutte contre la flambeacutee de COVID-19 les Eacutetats

membres peuvent octroyer des aides sous forme de subventions directes drsquoavantages fiscaux drsquoavances remboursables et de garanties de couverture de pertes afin de soutenir les investissements permettant la

Article 107 paragraphe 3 TFUE

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fabrication rapide de produits utiles agrave la lutte contre le coronavirus produits eacutenumeacutereacutes au point preacuteceacutedent Afin drsquoencourager la coopeacuteration et de soutenir une action rapide les entreprises vont beacuteneacuteficier drsquoun suppleacutement drsquoaide lorsque leur investissement est financeacute par plusieurs Eacutetats membres et lorsqursquoil est reacutealiseacute dans un deacutelai de deux mois suivant la date de demande drsquoaide

- Soutien cibleacute sous la forme de reports de paiement des impocircts et des taxes etou de suspensions

de cotisations de seacutecuriteacute sociale afin de reacuteduire les contraintes de liquiditeacute auxquelles les entreprises sont confronteacutees agrave cause du COVID-19 et de proteacuteger les emplois les Eacutetats membres peuvent accorder des reports cibleacutes de paiement des impocircts des taxes et des cotisations de seacutecuriteacute sociale dans les secteurs les reacutegions ou les types drsquoentreprises qui sont particuliegraverement toucheacutes par la pandeacutemie La Commission europeacuteenne considegravere que si de tels reports srsquoappliquent agrave lrsquoensemble de lrsquoeacuteconomie ils ne relegravevent pas du controcircle des aides drsquoEacutetats Toutefois srsquoils confegraverent aux entreprises un avantage seacutelectif degraves lors qursquoils sont limiteacutes agrave certains secteurs (transport tourisme santeacute hellip) agrave certaines reacutegions ou agrave certains types drsquoentreprises ils constituent des aides drsquoEacutetat au sens de lrsquoarticle 107 paragraphe 1 TFUE

- Soutien cibleacute sous la forme de subventions salariales en faveur des salarieacutes afin drsquoaider agrave limiter

les conseacutequences de la crise du coronavirus sur les travailleurs les Eacutetats membres peuvent contribuer aux coucircts salariaux des entreprises de secteurs ou de reacutegion qui ont le plus souffert de la flambeacutee du COVID-19 et qui auraient ducirc licencier du personnel en lrsquoabsence drsquoaide De mecircme que pour les reports envisageacutes au point preacuteceacutedent la Commission est drsquoavis que si ces reacutegimes de soutien srsquoappliquent agrave lrsquoensemble de lrsquoeacuteconomie ils ne relegravevent pas du controcircle des aides drsquoEacutetats Agrave lrsquoinverse srsquoils sont limiteacutes agrave certains secteurs reacutegions ou certains types drsquoentreprises ils constituent des aides au sens de lrsquoarticle 107 paragraphe 1 TFUE

Lrsquoencadrement temporaire modifieacute renforce les types drsquoaide existants que les Eacutetats membres peuvent accorder aux entreprises dans le besoin et sera en place jusqursquoagrave la fin du mois de deacutecembre 2020 La Commission europeacuteenne preacutecise neacuteanmoins qursquoelle pourra prolonger ce deacutelai drsquoapplication srsquoil srsquoavegravere que cela soit neacutecessaire apregraves reacuteeacutevaluation

Deacutecision de la Commission europeacuteenne COVID-19 Reacutegime cadre temporaire pour le soutien aux entreprises en France 20 avril 2020 C(2020) 2595

Reacutesumeacute Par sa deacutecision du 20 avril 2020 la Commission europeacuteenne a autoriseacute le reacutegime-cadre franccedilais visant agrave soutenir les PME

ainsi que les grandes entreprises toucheacutees par la pandeacutemie de coronavirus Ce reacutegime dun montant de 7 milliards drsquoeuros a eacuteteacute

autoriseacute en vertu de lencadrement temporaire des aides dEacutetat adopteacute par la Commission le 19 mars 2020 tel que modifieacute le 3 avril

2020

Le 17 avril 2020 les autoriteacutes franccedilaises ont notifieacute agrave la Commission europeacuteenne le reacutegime cadre temporaire pour

le soutien aux entreprises conformeacutement aux dispositions de lrsquoencadrement temporaire des mesures drsquoaides

drsquoEacutetat visant agrave soutenir lrsquoeacuteconomie dans le contexte actuel de la flambeacutee de COVID-19 adopteacute le 19 mars 2020

(ci-apregraves laquo encadrement temporaire raquo) tel que modifieacute le 3 avril 2020

Ce reacutegime qui seacutetend agrave lensemble du territoire franccedilais et est doteacute dun budget preacutevisionnel de 7 milliards

deuros permet loctroi daides sous les formes suivantes

a) aides dun montant limiteacute sous la forme de subventions directes dapports de fonds propres

davances remboursables et de precircts bonifieacutes jusquagrave un montant nominal maximal de 100 000 euros

pour les entreprises du secteur agricole primaire jusquagrave 120 000 euros pour les entreprises du

secteur de la pecircche et de laquaculture et jusquagrave 800 000 euros pour les entreprises de tous les autres

secteurs

Article 107 paragraphe 3 TFUE

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b) garanties publiques sur des precircts saccompagnant de garde-fous pour les banques qui acheminent les

aides dEacutetat vers leacuteconomie reacuteelle

c) precircts publics octroyeacutes aux entreprises assortis de taux dinteacuterecirct reacuteduits

d) aides sous la forme de garantie ou precircts octroyeacutes via des eacutetablissements de creacutedit ou institutions

financiegraveres Les mesures srsquoappliquent agrave toutes les entreprises - quelle que soit leur localisation et leur taille - de tous secteurs drsquoactiviteacutes y compris les entreprises de production primaire de produits agricoles et du secteur de la pecircche et de lrsquoaquaculture Neacuteanmoins les eacutetablissements de creacutedit les institutions financiegraveres ainsi que les entreprises qui eacutetaient en difficulteacute agrave la date du 31 deacutecembre 2019 ne peuvent pas beacuteneacuteficier du preacutesent reacutegime Les autoriteacutes franccedilaises estiment que les beacuteneacuteficiaires du preacutesent reacutegime drsquoaide devraient deacutepasser les 1000 entreprises La Commission europeacuteenne considegravere que les mesures notifieacutees par la France constituent une aide drsquoEacutetat au sens de lrsquoarticle 107 paragraphe 1 du TFUE Les mesures imputables agrave lrsquoEacutetat franccedilais impliquent lrsquoutilisation de ressources drsquoEacutetat puisqursquoelles ont pour origine (1) les creacutedits drsquointervention de lrsquoEacutetat au niveau central et deacuteconcentreacute (2) les creacutedits drsquointervention des collectiviteacutes territoriales et de leurs groupements (3) les creacutedits des fonds europeacuteens structurels et drsquoinvestissement et (4) les creacutedits drsquointervention des autres organismes publics compeacutetents en vertu de dispositions leacutegislatives ou regraveglementaires De plus les mesures sont seacutelectives puisqursquoelles seront accordeacutees seulement agrave certaines entreprises en excluant les eacutetablissements de creacutedit et les entreprises qui eacutetaient en difficulteacute agrave la date du 31 deacutecembre 2019 Finalement les mesures confegraverent un avantage aux beacuteneacuteficiaires et sont susceptibles drsquoaffecter les eacutechanges entre Eacutetats membres eacutetant donneacute que le reacutegime nrsquoest pas limiteacute aux beacuteneacuteficiaires actifs dans des secteurs ougrave il nrsquoexiste pas de commerce entre les Eacutetats membres Neacuteanmoins la Commission europeacuteenne peut deacuteclarer compatibles avec le marcheacute inteacuterieur les aides destineacutees laquo agrave remeacutedier agrave une perturbation grave de lrsquoeacuteconomie drsquoun Eacutetat membre raquo conformeacutement agrave lrsquoarticle 107 paragraphe 3 point b) du TFUE Dans lrsquoencadrement temporaire du 19 mars 2020 la Commission europeacuteenne preacutecise qursquo laquo une aide drsquoEacutetat est justifieacutee et peut ecirctre deacuteclareacutee compatible avec le marcheacute inteacuterieur sur la base de lrsquoarticle 107 paragraphe 3 point b) du TFUE pour une peacuteriode limiteacutee pour remeacutedier agrave la peacutenurie de liquiditeacutes des entreprises et faire en sorte que les perturbations causeacutee par lrsquoeacutepideacutemie de COVID-19 ne compromettent pas leur viabiliteacute en particulier des petites et moyennes entreprises raquo En lrsquoespegravece la Commission europeacuteenne note que les mesures notifieacutees par la France visent agrave permettre aux entreprises drsquoacceacuteder au financement externe au cours drsquoune peacuteriode ougrave le fonctionnement normal du marcheacute et en particulier de lrsquoaccegraves au creacutedit est gravement perturbeacute par la pandeacutemie de COVID-19 qui affecte lrsquoensemble de lrsquoeacuteconomie reacuteelle De plus elle note que les mesures reacutepondent aux exigences de lrsquoencadrement temporaire et en particulier aux dispositions des sections 31 agrave 34 La Commission europeacuteenne considegravere notamment que les mesures introduisent des assurances concernant lrsquoeacuteventuelle aide indirecte en faveur des eacutetablissements de creacutedit ou drsquoautres eacutetablissements financiers afin de limiter les distorsions de concurrence indues Elle considegravere eacutegalement que les plafonds drsquoaides et plafonds de cumul drsquoaide sous le preacutesent reacutegime sont respecteacutes En particulier les aides octroyeacutes au titre de la section 32 et de la section 33 de lrsquoencadrement temporaire ne peuvent se cumuler si lrsquoaide est octroyeacutee pour le mecircme precirct En conseacutequence la Commission europeacuteenne a autoriseacute les mesures franccedilaises en vertu des regravegles de lUnion en matiegravere daides dEacutetat Elle considegravere que les mesures notifieacutees sont neacutecessaires adeacutequates et proportionnelles pour remeacutedier agrave une perturbation grave de lrsquoeacuteconomie drsquoun Eacutetat membre et remplissent toutes les conditions eacutenonceacutees dans lrsquoencadrement temporaire

Page 3: Ce deuxième bulletin des...Cour EDH (quatrième section), Andreea-Marusia Dumitru/Roumanie, 31 mars 2020, n°9637/16 __26 Cour EDH (cinquième section), Kukhalashvili et autres

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Conclusions de lrsquoAvocat geacuteneacuteral M Manuel Campos Saacutenchez-Bordona preacutesenteacutees le 2 avril 2020 dans lrsquoaffaire Verein fuumlr KonsumenteninformationVolkswagen AG C-34319 ______________________ 68

Environnement ________________________________________________________________ 71 Conclusions de lrsquoAvocate geacuteneacuterale Mme Eleanor Sharpston preacutesenteacutees le 30 avril 2020 dans lrsquoaffaire CLCE ea (Dispositif drsquoinvalidation sur moteur diesel) C-99318 ____________________________ 71

Liberteacute drsquoeacutetablissement __________________________________________________________ 76 Conclusions de lrsquoAvocat geacuteneacuteral M Bobek preacutesenteacutees le 2 avril 2020 dans les affaires jointes Cali Apartments SCI Procureur geacuteneacuteral pregraves de la cour drsquoappel de Paris Ville de Paris et HX Procureur geacuteneacuteral pregraves de la cour drsquoappel de Paris Ville de Paris C-72418 et C-72718 ___________________ 76

Partie III Questions preacutejudicielles _____________________________________________________ 81

Libre prestation de services ______________________________________________________ 81 Affaire preacutejudicielle 31 janvier 2020 Fluctus et Fluentum C-92019 __________________________ 81

Marcheacute inteacuterieur _______________________________________________________________ 81 Affaire preacutejudicielle 31 janvier 2020 Ministerstwo Sprawiedliwości C-5520 ___________________ 81

Protection des consommateurs ___________________________________________________ 82 Affaire preacutejudicielle 7 feacutevrier 2020 KRONE ndash Verlag Gesellschaft mbH amp Co KG C-6520 _______ 82 Affaire preacutejudicielle 26 feacutevrier 2020 StWL Staumldtische Werke Lauf ad Pegnitz GmbH C-10220 ___ 82

Santeacute publique _________________________________________________________________ 83 Affaire preacutejudicielle 24 feacutevrier 2020 Ordine Nazionale Biologi e a C-9620 ___________________ 83

Partie IV Informations diverses ________________________________________________________ 83

Aides drsquoEacutetat ___________________________________________________________________ 83 Communication de la Commission europeacuteenne Modification de lrsquoencadrement temporaire des mesures drsquoaide drsquoEacutetat visant agrave soutenir lrsquoeacuteconomie dans le contexte actuel de la flambeacutee de COVID-19 3 avril 2020 C(2020) 2215 ______________________________________________________________ 83 Deacutecision de la Commission europeacuteenne COVID-19 Reacutegime cadre temporaire pour le soutien aux entreprises en France 20 avril 2020 C(2020) 2595 __________________________________________ 85

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En bref

Partie I Jurisprudence de la Cour EDH et de la CJUE Accegraves agrave un tribunal Art 35 sect 1 bull Eacutepuisement des voies de recours internes bull Neacutecessiteacute drsquointroduire un recours devant le Tribunal constitutionnel dans toute affaire soulevant une question tireacutee drsquoune inconstitutionnaliteacute ou interpreacutetation normative bull Recours constitutionnel ne soulevant aucune question drsquoinconstitutionnaliteacute sans pertinence pour le calcul du deacutelai de six mois bull Neacutecessiteacute de former une opposition devant un comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel contre la deacutecision sommaire drsquoirrecevabiliteacute drsquoun recours constitutionnel rendue par un juge unique Art 6 sect 1 bull Accegraves agrave un tribunal bull Tribunal constitutionnel ayant fait preuve drsquoun formalisme excessif en deacuteclarant irrecevables des recours constitutionnels pour non-respect des conditions leacutegales bull Irrecevabiliteacute drsquoun recours faute pour le requeacuterant drsquoavoir souleveacute une inconstitutionnaliteacute tireacutee drsquoune interpreacutetation normative ne portant pas atteinte agrave la substance du droit drsquoaccegraves agrave un tribunal Art 6 sect 1 bull Tribunal impartial bull Preacutesence du juge ayant rendu la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute attaqueacutee dans la composition du comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel bull Inapplicabiliteacute des principes de lrsquoimpartialiteacute objective le comiteacute de trois juges nrsquoeacutetant pas une entiteacute agrave part entiegravere et autonome La Cour EDH estime que le Tribunal constitutionnel portugais a priveacute plusieurs requeacuterants de leur droit drsquoaccegraves agrave un tribunal et a ainsi violeacute lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention Dans deux des requecirctes celui-ci a fait preuve drsquoun formalisme excessif dans lrsquoapplication des dispositions leacutegislatives fondant sa compeacutetence agrave connaicirctre des recours introduits devant lui Cour EDH (troisiegraveme section) Dos Santos Calado et autres Portugal 31 mars 2020 ndeg5599714 6814316 7884116 et 370617 (voir page 11)

Aides drsquoEtat Renvoi preacutejudiciel ndash Aides drsquoEacutetat ndash Article 108

TFUE ndash Reacutegime drsquoaides incompatible avec le

marcheacute inteacuterieur ndash Deacutecision de la Commission

europeacuteenne ordonnant la reacutecupeacuteration des

aides illeacutegales ndash Regraveglement (UE) 20151589 ndash

Article 17 paragraphe 1 ndash Deacutelai de prescription

de dix ans ndash Application aux pouvoirs de

reacutecupeacuteration de la Commission ndash Article 16

paragraphes 2 et 3 ndash Reacuteglementation nationale

preacutevoyant un deacutelai de prescription infeacuterieur ndash

Principe drsquoeffectiviteacute

La Cour de justice agrave la suite de questions preacutejudicielles poseacutees

par une juridiction portugaise interpregravete lrsquoarticle 17

paragraphe 1 du regraveglement 20151589 en ce sens que le

deacutelai de prescription de dix ans ne pourra pas ecirctre appliqueacute agrave

la proceacutedure de reacutecupeacuteration drsquoune aide illeacutegale par les

autoriteacutes nationales compeacutetentes Ce deacutelai de prescription de

dix ans ne srsquoapplique qursquoaux rapports entre la Commission

europeacuteenne et lrsquoEtat membre destinataire de la deacutecision de

reacutecupeacuteration Elle estime aussi qursquoun deacutelai de prescription

national ne srsquoappliquera pas srsquoil a expireacute avant lrsquoadoption de

la deacutecision de la Commission europeacuteenne ou srsquoil srsquoest eacutecouleacute en

raison du retard mis par les autoriteacutes nationales pour exeacutecuter

cette deacutecision

Cour de justice (deuxiegraveme chambre) Nelson

Antunes da Cunha Lda Instituto de Financiamento da Agricultura e Pescas IP (IFAP) 30 avril 2020 C-62718

(voir page 15)

Droit agrave un procegraves eacutequitable Art 6 sect 1 bull Deacutelai raisonnable bull Dureacutee excessive de la proceacutedure civile bull Art 13 et 6 sect 1 bull Recours effectif dans le respect drsquoun deacutelai raisonnable des proceacutedures bull Lrsquoefficaciteacute de lrsquoaction en reacuteparation pour violation du droit constitutionnel drsquoecirctre jugeacute dans un deacutelai raisonnable doit encore ecirctre preacuteciseacutee dans la pratique La Cour EDH juge que lrsquoordre juridique irlandais ne comporte pas de recours effectif pour les griefs relatifs agrave la dureacutee excessive drsquoune proceacutedure La Cour EDH a consideacutereacute qursquoil y avait non seulement une violation du droit agrave un procegraves eacutequitable dans un deacutelai raisonnable (article 6 sect 1 de la Convention) du fait de la longueur excessive du recours devant la juridiction suprecircme irlandaise mais aussi une violation au droit agrave un recours effectif (article 13 de la Convention) en ce qursquoelle a du mal agrave admettre que lrsquoaction en reacuteparation pour atteinte au droit constitutionnel agrave ecirctre jugeacute avec diligence soit effectif en theacuteorie et en pratique Cour EDH (cinquiegraveme section) Keaney Irlande 30 avril 2020 ndeg7206017 (voir page 18)

Droit agrave la vie Art 2 (mateacuteriel) bull Obligations positives bull Autoriteacutes peacutenitentiaires intervenues rapidement pour effectivement empecirccher plusieurs tentatives de suicide Art 3 (mateacuteriel et proceacutedural) bull Traitement inhumain et deacutegradant bull Manque de soins psychiatriques prodigueacutes agrave un deacutetenu

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preacutesentant des tendances suicidaires bull Placement agrave lrsquoisolement pendant trois jours sans prise en compte de lrsquoeacutetat psychique du requeacuterant bull Absence drsquoenquecircte effective Dans une affaire qui concerne une personne atteinte de

troubles psychiques et ayant tenteacute de se suicider agrave plusieurs

reprises lors de ses placements en deacutetention preacuteventive dans une

prison belge la Cour EDH a estimeacute agrave la majoriteacute qursquoil nrsquoy

a pas eu violation de lrsquoarticle 2 de la Convention car les

mesures prises par les autoriteacutes ont effectivement permis

drsquoempecirccher que le requeacuterant se suicide

Toutefois la Cour EDH juge qursquoil y a eu violation de

lrsquoarticle 3 de la Convention du fait que le requeacuterant a eacuteteacute

soumis agrave une deacutetresse drsquoune intensiteacute ayant exceacutedeacute le niveau

ineacutevitable de souffrance inheacuterent agrave la deacutetention notamment en

raison du manque drsquoencadrement et de suivi meacutedical au cours

de sa deacutetention combineacute avec lrsquoinfliction drsquoune sanction

disciplinaire dans une cellule drsquoisolement Elle relegraveve

eacutegalement que lrsquoenquecircte meneacutee agrave ce propos nrsquoa pas eacuteteacute effective

Cour EDH (deuxiegraveme section) Jeanty Belgique 31 mars 2020 ndeg8228417 (voir page 21)

Art 2 (mateacuteriel) bull Recours agrave la force bull Blessures potentiellement mortelles causeacutees par les tirs de policiers pour arrecircter une tentative de vol bull Reacuteglementation impreacutecise sur lrsquousage des armes agrave feu bull Absence de recommandation sur la preacuteparation et le controcircle des opeacuterations de police bull Deacutefaillance dans la preacuteparation de lrsquointervention malgreacute sa preacutevisibiliteacute bull Absence de formation au maniement des armes agrave balles agrave caoutchouc Art 2 (proceacutedural) bull Enquecircte inefficace sur les circonstances des blessures subies deacutebuteacutee agrave la seule initiative de la victime et plus de huit mois apregraves les eacuteveacutenements bull Gestion non rigoureuse des preuves et de leur conservation bull Expertises pertinentes effectueacutees plus de trois et cinq ans apregraves les faits bull Absence de ceacuteleacuteriteacute de la proceacutedure ayant dureacute plus de neuf ans Dans le cadre drsquoune violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 2 de la Convention sur le droit agrave la vie la Cour EDH a pu juger que dans le contexte drsquoabsence de regraveglementation preacutecise sur lrsquousage des armes agrave feu et de deacutefaillances dans la preacuteparation de lrsquoopeacuteration de police le fonctionnaire de police en cause nrsquoavait pas pris les preacutecautions suffisantes pour preacuteserver la vie des personnes De plus la Cour EDH preacutecise que lrsquoenquecircte meneacutee dans le cadre de la proceacutedure engageacutee relativement agrave une opeacuteration de police ne peut passer pour avoir eacuteteacute rapide et effective lorsque le jugement deacutefinitif qui en deacutecoule est rendu plus de neuf ans et trois mois apregraves les faits Cour EDH (quatriegraveme section) Andreea-Marusia DumitruRoumanie 31 mars 2020 ndeg963716 (voir page 26)

Art 2 (substantiel) bull Usage aveugle et excessif de la force meurtriegravere lors dopeacuterations antieacutemeutes en prison meneacutees de maniegravere incontrocircleacutee et non systeacutematique sans chaicircne de commandement claire Usage de la force meurtriegravere justifieacute par une violence illeacutegale et un risque dinsurrection bull Absence de prise en compte par les autoriteacutes de moyens moins violents ou de la possibiliteacute de neacutegociations bull Mauvaise le traitement et lusage disproportionneacute de la force persistant apregraves la fin de lopeacuteration bull Incapaciteacute des autoriteacutes agrave fournir une assistance meacutedicale adeacutequate bull Incapaciteacute du gouvernement agrave rendre compte de chacun des deacutecegraves pertinents bull la confiance de la Cour dans tous les documents disponibles y compris les rapports des ONG lorsquil est empecirccheacute deacutetablir des faits pour des raisons imputables agrave lEacutetat Art 2 (proceacutedure) bull Enquecircte compromise par un lancement tardif un manque dindeacutependance et dimpartialiteacute une participation insuffisante des proches du deacutefunt et des retards prohibitifs dans la proceacutedure Dans une affaire de reacutepression dune eacutemeute dans une prison geacuteorgienne ayant conduit agrave la mort de plusieurs deacutetenus la Cour EDH conclut que ces derniers ont succombeacute agrave une force meurtriegravere qui bien qursquoayant poursuivi des buts leacutegitimes viseacutes agrave lrsquoarticle 2 de la Convention ne peut ecirctre consideacutereacutee comme ayant eacuteteacute laquo absolument neacutecessaire raquo au sens de cette mecircme disposition En effet lrsquoopeacuteration antieacutemeute nrsquoa pas eacuteteacute meneacutee de maniegravere controcircleacutee et systeacutematique et les agents des services reacutepressifs nrsquoont pas reccedilu drsquoordres ou drsquoinstructions clairs qui auraient viseacute agrave limiter autant que possible le risque qursquoil y ait des victimes Les autoriteacutes nrsquoont pas envisageacute de recourir agrave des moyens moins violents pour faire face agrave un incident de seacutecuriteacute par exemple la neacutegociation pour reacutesoudre la crise Cour EDH (cinquiegraveme section) Kukhalashvili et autres c Geacuteorgie 2 avril 2020 ndeg 893807 et 4189107 (voir page 29)

Egaliteacute de traitement Renvoi preacutejudiciel ndash Eacutegaliteacute de traitement en

matiegravere drsquoemploi et de travail ndash Directive

200078CE ndash Article 3 paragraphe 1 sous a)

article 8 paragraphe 1 et article 9 paragraphe 2

ndash Interdiction des discriminations fondeacutees sur

lrsquoorientation sexuelle ndash Conditions drsquoaccegraves agrave

lrsquoemploi ou au travail ndash Notion ndash Deacuteclarations

publiques excluant le recrutement de personnes

homosexuelles ndash Article 11 paragraphe 1 article

15 paragraphe 1 et article 21 paragraphe 1 de

la charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion

europeacuteenne ndash Deacutefense des droits ndash Sanctions ndash

Personne morale repreacutesentative drsquoun inteacuterecirct

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collectif ndash Qualiteacute pour agir en justice sans agir

au nom drsquoun plaignant deacutetermineacute ou en

lrsquoabsence de personne leacuteseacutee ndash Droit drsquoobtenir

reacuteparation

En reacuteponse agrave des questions preacutejudicielles de la Cour de

cassation italienne la Cour de justice estime drsquoune part que

des deacuteclarations insinuant une politique de recrutement

homophobe relegravevent de la notion de laquo conditions drsquoaccegraves agrave

lrsquoemploi ou au travail raquo degraves lors qursquoil existe un lien non

hypotheacutetique entre ces deacuteclarations et la politique de

recrutement de lrsquoemployeur Drsquoautre part elle a conclu que le

droit national peut preacutevoir qursquoune association a le droit drsquoagir

en justice pour assurer le respect des obligations de la directive

200078 mecircme si aucune personne leacuteseacutee nrsquoest identifiable

Cour de justice (grande chambre) NH Associazione Avvocatura per i diritti LGBTI ndash Rete Lenford 23 avril 2020 C-50718

(voir page 33)

Indeacutependance de la justice Reacutefeacutereacute ndash Article 279 TFUE ndash Demande de

mesures provisoires ndash Article 19 paragraphe 1

second alineacutea TUE ndash Indeacutependance de lrsquoIzba

Dyscyplinarna (chambre disciplinaire) du Sąd

Najwyższy (Cour suprecircme Pologne)

La Commission europeacuteenne a saisi la Cour de justice afin que

celle-ci ordonne la suspension des dispositions de la leacutegislation

nationale qui donne la compeacutetence agrave la chambre disciplinaire

de juger des affaires disciplinaires concernant les juges

polonais La Cour de justice reacutepond positivement agrave la

demande de la Commission europeacuteenne en justifiant que ces

dispositions porteraient atteinte agrave lrsquoindeacutependance de la justice

et ainsi seraient contraires agrave lrsquoEtat de droit et au droit de

lrsquoUnion

Ordonnance de la Cour de justice (grande

chambre) du 8 avril 2020 dans lrsquoaffaire

Reacutepublique de Pologne Commission europeacuteenne C-79119 R

(voir page 35)

Interdiction des traitements inhumains ou deacutegradants Article 3 (interdiction des traitements inhumains ou deacutegradants) Article 13 (droit agrave un recours effectif) La Cour EDH juge que le nouveau recours compensatoire mise en œuvre par les autoriteacutes russes est effectif lorsqursquoaucun autre recours nrsquoest neacutecessaire notamment dans tous les cas ougrave la deacutetention provisoire a pris fin et dans certaines situations ougrave la peine drsquoemprisonnement a eacuteteacute exeacutecuteacutee en violation des dispositions internes La Cour EDH deacuteclare ainsi les griefs des plusieurs requeacuterants irrecevables pour non-eacutepuisement des voies de recours internes En outre la Cour EDH demande aux parties de produire des observations suppleacutementaires afin

de clarifier la question de lrsquoeffectiviteacute des recours compensatoires dans le cas des recours preacuteventifs ouverts afin de permettre agrave ceux qui sont encore incarceacutereacutes de voir srsquoameacuteliorer leurs conditions de deacutetention Cour EDH (troisiegraveme section) Yevgeniy Mikhaylovich Shmelev et autres Russie 9 avril 2020 ndeg 4174317 et 16 autres (voir page 39)

Art 3 (volet mateacuteriel) bull Recours agrave la force bull Irruption drsquoune uniteacute drsquoeacutelite de la police au domicile drsquoun suspect au petit matin pour proceacuteder agrave son arrestation aux fins drsquoaudition dans le cadre drsquoune enquecircte peacutenale bull Neacutecessiteacute de garanties suffisantes face aux risques drsquoabus drsquoautoriteacute et de violation de la digniteacute humaine lors du recours dans un tel contexte aux forces speacuteciales bull Doutes sur lrsquoexistence de preacutecautions suffisantes bull Tribunaux ayant reconnu la leacutegitime deacutefense du requeacuterant qui avait frappeacute un policier cagouleacute en le prenant pour un cambrioleur bull Blessures reacutesultant de lrsquoemploi drsquoune force physique non rendue strictement neacutecessaire par le comportement du suspect La Cour EDH dans une affaire concernant lrsquointerpellation du requeacuterant par le GIPN estime que la France a violeacute lrsquoarticle 3 de la Convention En effet elle juge que lrsquoopeacuteration policiegravere nrsquoa pas eacuteteacute planifieacutee ni exeacutecuteacutee de maniegravere agrave respecter les garanties internes existantes et que lrsquousage de la force nrsquoeacutetait pas proportionneacute ni neacutecessaire pour permettre lrsquointerpellation du requeacuterant et ne se justifiait pas par son comportement Cour EDH (cinquiegraveme section) Castellani France 30 avril 2020 ndeg4320716 (voir page 42)

Libre circulation des travailleurs Renvoi preacutejudiciel ndash Article 45 TFUE ndash Seacutecuriteacute sociale des travailleurs migrants ndash Regraveglement (CE) ndeg8832004 ndash Article 1er sous i) ndash Libre circulation des travailleurs ndash Eacutegaliteacute de traitement ndash Avantages sociaux ndash Directive 200438CE ndash Article 2 point 2 ndash Regraveglement (UE) ndeg4922011 ndash Article 7 paragraphe 2 ndash Allocation familiale ndash Notion de ldquomembres de la famillerdquo ndash Exclusion de lrsquoenfant du conjoint de travailleurs non-reacutesidents ndash Diffeacuterence de traitement avec lrsquoenfant du conjoint de travailleurs reacutesidents ndash Justification Dans une affaire concernant le versement dallocations sociales luxembourgeoises agrave des travailleurs transfrontaliers franccedilais la Cour de justice a jugeacute quen vertu du principe deacutegaliteacute de traitement un Etat membre ne peut refuser de verser une allocation familiale pour lrsquoenfant du conjoint drsquoun travailleur frontalier sans lien de filiation avec celui-ci puisque cette allocation constitue un avantage social et une prestation de seacutecuriteacute sociale

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Cour de justice (sixiegraveme chambre) Caisse pour lavenir des enfants FV et GW 2 avril 2020 C-80218 (voir page 44)

Renvoi preacutejudiciel ndash Libre circulation des travailleurs ndash Regraveglement (UE) ndeg4922011 ndash Enfants de travailleurs frontaliers ndash Avantages sociaux ndash Systegraveme de remboursement des frais de transport scolaire ndash Condition de reacutesidence dans un Land ndash Exclusion des enfants scolariseacutes dans ce Land et reacutesidant dans un Eacutetat membre autre que celui de lrsquoeacutetablissement scolaire freacutequenteacute ndash Exclusion des ressortissants nationaux reacutesidant dans les autres Laumlnder Dans une affaire concernant le remboursement des frais de transports scolaires dun eacutelegraveve allemand reacutesidant en France et eacutetudiant en Allemagne la Cour de justice a jugeacute quune mesure permettant agrave un Land de soumettre la prise en charge du transport scolaire agrave une condition de reacutesidence dans ce Land constitue une discrimination indirecte agrave lrsquoencontre des travailleurs frontaliers et de leur famille En effet selon la Cour de justice une condition de reacutesidence ne peut ecirctre justifieacutee par une raison impeacuterieuse drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral tenant agrave lrsquoorganisation du systegraveme scolaire Cour de justice (neuviegraveme chambre) Landkreis Suumldliche WeinstraszligePF ea 2 avril 2020 C-83018 (voir page 48)

Non-discrimination Renvoi preacutejudiciel ndash Proceacutedure preacutejudicielle drsquourgence ndash Accord EEE ndash Non-discrimination ndash Article 36 ndash Libre prestation des services ndash Champ drsquoapplication ndash Accord entre lrsquoUnion europeacuteenne la Reacutepublique drsquoIslande et le Royaume de Norvegravege sur lrsquoassociation de ces deux Eacutetats agrave la mise en œuvre agrave lrsquoapplication et au deacuteveloppement de lrsquoacquis de Schengen ndash Accord relatif agrave la proceacutedure de remise entre les Eacutetats membres de lrsquoUnion europeacuteenne drsquoune part et lrsquoIslande et la Norvegravege drsquoautre part ndash Extradition vers un Eacutetat tiers drsquoun ressortissant islandais ndash Protection des ressortissants drsquoun Eacutetat membre contre lrsquoextradition ndash Absence de protection eacutequivalente des ressortissants drsquoun autre Eacutetat ndash Ressortissant islandais ayant obtenu lrsquoasile en vertu du droit national avant lrsquoacquisition de la citoyenneteacute islandaise ndash Restriction agrave la libre circulation ndash Justification fondeacutee sur la preacutevention de lrsquoimpuniteacute ndash Proportionnaliteacute ndash Veacuterification des garanties preacutevues agrave lrsquoarticle 19 paragraphe 2 de la Charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne Lorsqursquoun Eacutetat membre doit statuer sur une demande drsquoextradition issu drsquoun Eacutetat tiers et concernant un

ressortissant drsquoun Eacutetat de lrsquoAssociation europeacuteenne de libre-eacutechange (AELE) partie agrave lrsquoaccord sur lrsquoEspagne eacuteconomique europeacuteen (EEE) il lui incombe de veacuterifier que ce ressortissant ne sera pas soumis agrave la peine de mort agrave la torture ou agrave des peines ou traitements inhumains ou deacutegradants De plus avant drsquoenvisager drsquoexeacutecuter la demande drsquoextradition la Cour de justice preacutecise que lrsquoEacutetat membre doit en informer lrsquoEacutetat de lrsquoAELE pour permettre agrave celui-ci de solliciter la remise de son ressortissant Cour de justice (grande chambre) Ruska Federacija 2 avril 2020 C-89719 PPU (voir page 50)

Renvoi preacutejudiciel ndash Libre circulation des personnes ndash Article 21 TFUE ndash Principe de non-discrimination en raison de la nationaliteacute ndash Article 18 TFUE ndash Convention preacuteventive de la double imposition ndash Travailleurs du secteur public ndash Pensionneacute reacutesidant dans un Eacutetat membre autre que celui lui versant une pension de retraite et ne posseacutedant pas la nationaliteacute de lrsquoEacutetat membre de reacutesidence ndash Impocirct sur le revenu ndash Preacutetendue perte drsquoavantages fiscaux ndash Preacutetendue entrave agrave la liberteacute de circulation et preacutetendue discrimination La Cour de justice par cet arrecirct a jugeacute que le reacutegime fiscal italien reacutesultant de la convention italo-portugaise contre la double imposition sur les revenus nrsquoenfreint pas les principes de libre circulation et de non-discrimination Les retraiteacutes du secteur priveacute et du secteur public peuvent donc ecirctre soumis agrave des reacuteglementations fiscales nationales diffeacuterentes Cour de justice (huitiegraveme chambre) HB et IC Istituto nazionale della previdenza sociale

30 avril 2020 C-16819 et C-16919

(voir page 54)

Protection de la seacutecuriteacute et de la santeacute des travailleurs Renvoi preacutejudiciel ndash Politique sociale ndash Protection de la seacutecuriteacute et de la santeacute des travailleurs ndash Directive 200388CE ndash Champ drsquoapplication ndash Deacuterogation ndash Article 1er paragraphe 3 ndash Directive 89391CEE ndash Article 2 paragraphe 2 ndash Activiteacutes des forces drsquointervention de la police

Dans une affaire qui concerne lrsquoameacutenagement du temps de

travail drsquoun membre de la police drsquointervention de la Hongrie

la Cour de justice juge que la directive 200388CE sur le

temps de travail srsquoapplique aux agents de la police

drsquointervention hongroise assurant la surveillance des frontiegraveres

exteacuterieures de lrsquoespace Schengen dans le contexte de la crise

migratoire La Cour de justice rappelle que ces activiteacutes

peuvent neacuteanmoins eacutechapper aux regravegles de la directive dans

des circonstances drsquoune graviteacute et drsquoune ampleur

exceptionnelles

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Cour de justice (dixiegraveme chambre) UO Keacuteszenleacuteti Rendőrseacuteg 30 avril 2020 C-21119 (voir page 55)

Protection internationale Manquement drsquoEacutetat ndash Deacutecisions (UE)

20151523 et (UE) 20151601 ndash Article 5

paragraphes 2 et 4 agrave 11 de chacune de ces

deacutecisions ndash Mesures provisoires en matiegravere de

protection internationale au profit de la

Reacutepublique helleacutenique et de la Reacutepublique

italienne ndash Situation drsquourgence caracteacuteriseacutee par

un afflux soudain de ressortissants de pays tiers

sur le territoire de certains Eacutetats membres ndash

Relocalisation de ces ressortissants sur le

territoire des autres Eacutetats membres ndash Proceacutedure

de relocalisation ndash Obligation pour les Eacutetats

membres drsquoindiquer agrave intervalles reacuteguliers et

au moins tous les trois mois le nombre de

demandeurs de protection internationale

pouvant faire rapidement lrsquoobjet drsquoune

relocalisation sur leur territoire ndash Obligations

conseacutecutives conduisant agrave la relocalisation

effective ndash Inteacuterecircts des Eacutetats membres lieacutes agrave la

seacutecuriteacute nationale et agrave lrsquoordre public ndash

Possibiliteacute pour un Eacutetat membre drsquoinvoquer

lrsquoarticle 72 TFUE pour ne pas appliquer des

actes du droit de lrsquoUnion ayant un caractegravere

obligatoire

La Cour de justice a jugeacute que la Pologne la Hongrie et la

Reacutepublique tchegraveque avaient manqueacute aux obligations leur

incombant en vertu des deacutecisions 20151523 et

20151601 Ces Eacutetats membres auraient ducirc relocaliser sur

leurs territoires un nombre approprieacute de demandeurs de

protection internationale

Cour de justice (troisiegraveme chambre) affaires

jointes Commission Pologne Commission Hongrie et Commission Reacutepublique Tchegraveque 2 avril 2020 C-71517 C-71817 et C-

71917

(voir page 58)

Vie priveacutee et familiale Art 8 - Respect de la vie priveacutee - Preacutelegravevement dun eacutechantillon dADN de la salive du demandeur dans le cadre dune enquecircte preacuteliminaire - Approbation du demandeur obtenue par la menace de la force - Absence de preacutevisibiliteacute de la loi - Aucune reacutefeacuterence agrave des dispositions leacutegales speacutecifiques dans lordonnance autorisant la police agrave preacutelever leacutechantillon - Aucune reacutefeacuterence speacutecifique dans la loi au preacutelegravevement dun eacutechantillon dADN - Neacutecessiteacute dune reacuteglementation plus

stricte deacutemontreacutee par des dispositions plus deacutetailleacutees dans la leacutegislation reacutecente - Respect du domicile - Perquisition au domicile du demandeur fondeacutee sur des motifs adeacutequats et suffisants et accompagneacutee de garanties efficaces Dans une affaire concernant la reacutealisation dune perquisition par la police au domicile du requeacuterant et le preacutelegravevement dun eacutechantillon dADN dans le cadre dune enquecircte pour meurtre en Serbie la Cour EDH a jugeacute que ce preacutelegravevement constituait une violation de larticle 8 de la Convention contrairement agrave la perquisition Elle considegravere en effet quil neacutetait pas laquo preacutevu par la loi raquo au sens de larticle 8 Elle preacutecise que la version du code de proceacutedure peacutenale serbe qui eacutetait en vigueur agrave lrsquoeacutepoque des faits disposait que des preacutelegravevements sanguins ou laquo drsquoautres proceacutedures meacutedicales raquo pouvaient ecirctre reacutealiseacutes Cour EDH (quatriegraveme section) Dragan Petrovic Serbie ndeg 7522910 (voir page 62)

Partie II Conclusions des avocats geacuteneacuteraux Aides drsquoEtat Pourvoi ndash Aide drsquoEacutetat ndash Reacutegime drsquoaide relatif agrave

lrsquoacquisition subventionneacutee ou agrave la mise agrave

disposition agrave titre gracieux de zones naturelles

ndash Deacutecision deacuteclarant lrsquoaide compatible avec le

marcheacute inteacuterieur ndash Notion de ldquopartie

inteacuteresseacuteerdquo ndash Difficulteacutes seacuterieuses

LrsquoAvocat geacuteneacuteral propose agrave la Cour de justice de rejeter le moyen des requeacuterantes selon lequel le Tribunal a commis une erreur de droit en consideacuterant comme partie inteacuteresseacutee les requeacuterants au recours formeacute devant le Tribunal En outre lrsquoAvocat geacuteneacuteral estime que la Cour de justice devrait accueillir le second moyen des requeacuterantes puisque le raisonnement du Tribunal relatif agrave lrsquoincompleacutetude de lrsquoexamen par la Commission europeacuteenne de la deacutefinition du SIEG drsquoune part est entacheacute drsquoune erreur de droit et souffre drsquoautre part drsquoune insuffisance de motivation Conclusions de lrsquoAvocat geacuteneacuteral M Szpunar

preacutesenteacutees le 2 avril 2020 dans lrsquo affaire

Vereniging tot Behoud van Natuurmonumenten in Nederland et autres

Vereniging Gelijkberechtiging Grondbezitters et autres C-81718

(voir page 65)

Coopeacuteration judiciaire en matiegravere civile Proceacutedure preacutejudicielle ndash Regraveglement (UE)

ndeg12152012 ndash Compeacutetence judiciaire en

matiegravere de responsabiliteacute deacutelictuelle ou quasi

deacutelictuelle ndash Lieu du fait dommageable ndash

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Manipulation des valeurs drsquoeacutemission de gaz

dans les moteurs de veacutehicules automobiles

LrsquoAvocat geacuteneacuteral Campos Saacutenchez-Bordona estime que les acqueacutereurs de veacutehicules eacutequipeacutes drsquoun moteur Volkswagen sur lesquels ont eacuteteacute installeacutes un logiciel de manipulation relatif aux gaz drsquoeacutechappements ayant pour conseacutequence la diminution de la valeur desdits veacutehiculespeuvent attraire une entreprise devant les juridictions de lrsquoEacutetat dans lequel ces veacutehicules ont eacuteteacute acheteacutes Conclusions de lrsquoAvocat geacuteneacuteral M Manuel Campos Saacutenchez-Bordona preacutesenteacutees le 2 avril 2020 dans lrsquoaffaire Verein fuumlr KonsumenteninformationVolkswagen AG C-34319 (voir page 68)

Environnement Renvoi preacutejudiciel ndash Rapprochement des leacutegislations ndash Regraveglement (CE) ndeg 7152007 ndash Veacutehicules agrave moteur ndash Eacutemissions de polluants ndash Dispositif drsquoinvalidation ndash Programme agissant sur le calculateur de controcircle moteur ndash Technologies et strateacutegies permettant de limiter la production des eacutemissions de polluants ndash Moteur diesel LrsquoAvocate geacuteneacuterale Sharpston est drsquoavis qursquoun dispositif qui influe agrave la hausse lors des tests drsquohomologation des veacutehicules agrave moteur diesel sur le fonctionnement du systegraveme de controcircle des eacutemissions de ces veacutehicules constitue un laquo dispositif drsquoinvalidation raquo prohibeacute par le droit de lrsquoUnion europeacuteenne Plus speacutecifiquement lrsquoobjectif de ralentissement du vieillissement ou de lrsquoencrassement du moteur ne justifie pas le recours agrave un tel dispositif Conclusions de lrsquoAvocate geacuteneacuterale Mme Eleanor Sharpston preacutesenteacutees le 30 avril 2020 dans lrsquoaffaire CLCE ea (Dispositif drsquoinvalidation sur moteur diesel) C-99318 (voir page 71)

Liberteacute drsquoeacutetablissement Renvoi preacutejudiciel ndash Liberteacute drsquoeacutetablissement ndash Directive 2006123CE ndash Champ drsquoapplication ndash Location de biens meubleacutes de maniegravere reacutepeacuteteacutee pour de courtes dureacutees agrave une clientegravele de passage qui nrsquoy eacutelit pas domicile ndash Reacuteglementation nationale et reacuteglementation municipale soumettant une telle location agrave une autorisation preacutealable et agrave compensation ndash Justification ndash Objectif visant agrave garantir une offre suffisante de logements agrave des prix abordables et destineacutes agrave la location de longue dureacuteemdash Proportionnaliteacute LrsquoAvocat geacuteneacuteral srsquoest prononceacute sur des questions preacutejudicielles poseacutees par la Cour de cassation dans un litige opposant des proprieacutetaires de studio agrave Paris agrave la ville de Paris Il propose agrave la Cour de justice de juger que la directive 2006123 srsquoapplique agrave des dispositions nationales et municipales encadrant lrsquoaccegraves agrave un service qui consiste agrave louer

de maniegravere reacutepeacuteteacutee et pour de courtes dureacutees un local agrave usage drsquohabitation agrave une clientegravele de passage Lrsquoobjectif tenant agrave la lutte contre la peacutenurie de logements peut constituer une raison impeacuterieuse drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral qui justifierait le fait que la mesure nationale exige lrsquoobtention drsquoune autorisation Une telle mesure nationale est autoriseacutee par la directive 2006123 si elle reacutepond aux conditions de proportionnaliteacute et de non-discrimination Conclusions de lrsquoAvocat geacuteneacuteral M Bobek preacutesenteacutees le 2 avril 2020 dans les affaires jointes Cali Apartments SCI Procureur geacuteneacuteral pregraves de la cour drsquoappel de Paris Ville de Paris et HX Procureur geacuteneacuteral pregraves de la cour drsquoappel de Paris Ville de Paris C-72418 et C-72718 (voir page 76)

Partie III Questions preacutejudicielles

Libre prestation de services Affaire preacutejudicielle 31 janvier 2020 Fluctus et Fluentum C-92019 Juridiction de renvoi Landesverwaltungsgericht Steiermark (Autriche) (voir page 81)

Marcheacute inteacuterieur Affaire preacutejudicielle 31 janvier 2020 Ministerstwo Sprawiedliwości C-5520 Juridiction de renvoi Sąd Dyscyplinarny Izby Adwokackiej w Warszawie (Pologne) (voir page 81)

Protection des consommateurs Affaire preacutejudicielle 7 feacutevrier 2020 KRONE ndash Verlag Gesellschaft mbH amp Co KG C-6520 Juridiction de renvoi Oberster Gerichtshof (Autriche) (voir page 82)

Affaire preacutejudicielle 26 feacutevrier 2020 StWL Staumldtische Werke Lauf ad Pegnitz GmbH C-10220 Juridiction de renvoi Bundesgerichtshof (Allemagne) (voir page 82)

Santeacute publique Affaire preacutejudicielle 24 feacutevrier 2020 Ordine Nazionale Biologi e a C-9620 Juridiction de renvoi Corte suprema di cassazione (Italie) (voir page 83)

Partie IV Informations diverses Aides drsquoEtat Article 107 paragraphe 3 TFUE

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La Commission europeacuteenne a adopteacute une modification eacutetendant lrsquoencadrement temporaire adopteacute le 19 mars 2020 afin de permettre aux Eacutetats membres drsquoacceacuteleacuterer la recherche la mise agrave lrsquoessai et la fabrication de produits utiles pour combattre le coronavirus de proteacuteger les emplois et de soutenir drsquoavantage lrsquoeacuteconomie dans le contexte du COVID-19 Lrsquoencadrement temporaire modifieacute complegravete les nombreuses possibiliteacutes dont disposent deacutejagrave les Eacutetats membres pour atteacutenuer les reacutepercussions socio-eacuteconomiques de la flambeacutee de COVID-19 conformeacutement aux regravegles de lrsquoUnion europeacuteenne en matiegravere drsquoaides drsquoEacutetat Communication de la Commission europeacuteenne Modification de lrsquoencadrement temporaire des mesures drsquoaide drsquoEacutetat visant agrave soutenir lrsquoeacuteconomie dans le contexte actuel de la flambeacutee de COVID-19 3 avril 2020 C(2020) 2215

(voir page 83)

Article 107 paragraphe 3 TFUE Par sa deacutecision du 20 avril 2020 la Commission europeacuteenne a autoriseacute le reacutegime-cadre franccedilais visant agrave soutenir les PME ainsi que les grandes entreprises toucheacutees par la pandeacutemie de coronavirus Ce reacutegime dun montant de 7 milliards drsquoeuros a eacuteteacute autoriseacute en vertu de lencadrement temporaire des aides dEacutetat adopteacute par la Commission le 19 mars 2020 tel que modifieacute le 3 avril 2020 Deacutecision de la Commission europeacuteenne COVID-19 Reacutegime cadre temporaire pour le soutien aux entreprises en France 20 avril 2020 C(2020) 2595 (voir page 85)

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Partie I - Jurisprudences de la CJUE et de la CEDH

Accegraves agrave un tribunal

Cour EDH (troisiegraveme section) Dos Santos Calado et autres Portugal 31 mars 2020 ndeg5599714 6814316 7884116 et 370617

Reacutesumeacute La Cour EDH estime que le Tribunal constitutionnel portugais a priveacute plusieurs requeacuterants de leur droit drsquoaccegraves agrave un tribunal et a ainsi violeacute lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention Dans deux des requecirctes celui-ci a fait preuve drsquoun formalisme excessif dans lrsquoapplication des dispositions leacutegislatives fondant sa compeacutetence agrave connaicirctre des recours introduits devant lui Les requecirctes concernent toutes lrsquoirrecevabiliteacute de recours introduits par les requeacuterants devant le Tribunal constitutionnel portugais Les requecirctes no 5599714 et 6814316 concernent aussi un deacutefaut alleacutegueacute drsquoimpartialiteacute du comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel Requecircte ndeg 5599714 (Dos Santos Calado) La requeacuterante a contesteacute le montant de sa pension de retraite devant les juridictions administratives qui ont rejeteacute ses preacutetentions par un jugement du tribunal administratif de Lisbonne du 4 mai 2012 confirmeacute par un arrecirct du tribunal central administratif du Sud rendu en 2013 Elle a alors saisi la Cour suprecircme administrative drsquoun pourvoi en cassation mais celui-ci a eacuteteacute deacuteclareacute irrecevable par un arrecirct du 12 septembre 2013 Le 25 septembre 2013 la requeacuterante a formeacute un recours devant le Tribunal constitutionnel En deacutecembre 2013 ce dernier statuant en formation de juge unique a deacuteclareacute irrecevable le recours formeacute par la requeacuterante Par un arrecirct du 12 feacutevrier 2014 un comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel composeacute entre autres du juge JCM a rejeteacute lrsquoopposition formeacute par la requeacuterante contre la deacutecision du Tribunal constitutionnel Requecircte ndeg 6814316 (Amador de Faria e Silva et autres) Les requeacuterants qui eacutetaient des agents de la Direction geacuteneacuterale des routes au moment des faits exerccedilaient de fait les fonctions drsquoinspecteur En octobre 2005 ils ont engageacute devant le tribunal administratif et fiscal une action contre le ministegravere des Finances et le ministegravere de lrsquoInteacuterieur par laquelle ils ont demandeacute la deacuteclaration drsquoune situation drsquoilleacutegaliteacute par omission en raison de lrsquoabsence de reacuteglementation de leurs carriegraveres Par un jugement du 2 octobre 2013 le tribunal a fait droit agrave la demande des requeacuterants et de leurs collegravegues Les ministegraveres deacutefendeurs ont ensuite interjeteacute appel du jugement devant le tribunal central administratif du Nord qui a annuleacute la partie du jugement concernant les requeacuterants Le 11 novembre 2015 la Cour suprecircme administrative a deacuteclareacute irrecevable

Art 35 sect 1 bull Eacutepuisement des voies de recours internes bull Neacutecessiteacute drsquointroduire un recours devant le Tribunal constitutionnel dans toute affaire soulevant une question tireacutee drsquoune inconstitutionnaliteacute ou interpreacutetation normative bull Recours constitutionnel ne soulevant aucune question drsquoinconstitutionnaliteacute sans pertinence pour le calcul du deacutelai de six mois bull Neacutecessiteacute de former une opposition devant un comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel contre la deacutecision sommaire drsquoirrecevabiliteacute drsquoun recours constitutionnel rendue par un juge unique Art 6 sect 1 bull Accegraves agrave un tribunal bull Tribunal constitutionnel ayant fait preuve drsquoun formalisme excessif en deacuteclarant irrecevables des recours constitutionnels pour non-respect des conditions leacutegales bull Irrecevabiliteacute drsquoun recours faute pour le requeacuterant drsquoavoir souleveacute une inconstitutionnaliteacute tireacutee drsquoune interpreacutetation normative ne portant pas atteinte agrave la substance du droit drsquoaccegraves agrave un tribunal Art 6 sect 1 bull Tribunal impartial bull Preacutesence du juge ayant rendu la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute attaqueacutee dans la composition du comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel bull Inapplicabiliteacute des principes de lrsquoimpartialiteacute objective le comiteacute de trois juges nrsquoeacutetant pas une entiteacute agrave part entiegravere et

autonome

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le recours des requeacuterants au motif que lrsquoaffaire ne soulevait pas de question drsquointeacuterecirct juridique ou social drsquoimportance fondamentale Les requeacuterants ont alors introduit un recours devant le Tribunal constitutionnel Par une deacutecision sommaire du 15 mars 2016 rendue par le juge JCM sieacutegeant en formation de juge unique le Tribunal constitutionnel a deacuteclareacute ce recours irrecevable Cette deacutecision a eacuteteacute confirmeacutee par le comiteacute des trois juges dont faisait partie le juge JCM Requecircte ndeg 7884116 (Antunes Cardoso) En juin 2014 le requeacuterant a eacuteteacute condamneacute par tribunal de Tondela pour fraude aggraveacutee Il a ensuite interjeteacute appel contre cette deacutecision devant la cour drsquoappel de Coimbra en se plaignant drsquoune atteinte au principe non bis in idem Le requeacuterant alleacuteguait qursquoil avait eacuteteacute acquitteacute le 27 feacutevrier 2013 par le tribunal de Taacutebua du chef drsquoassociation de malfaiteurs pour certains des faits qui avaient fondeacute sa condamnation pour fraude qualifieacutee par le tribunal de Tondela Par un arrecirct du 9 septembre 2015 la cour drsquoappel a rejeteacute lrsquoappel du requeacuterant car elle a consideacutereacute que les infractions drsquoassociation de malfaiteurs et de fraude qualifieacutee eacutetaient deux infractions distinctes Le requeacuterant a preacutesenteacute alors un recours devant le Tribunal constitutionnel qui a eacuteteacute deacuteclareacute irrecevable au motif qursquoil concernait la condamnation du requeacuterant et non une inconstitutionnaliteacute normative Le 8 juin 2016 le comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel a confirmeacute cette deacutecision Requecircte ndeg 370617 (Da Silva) Par un jugement du 23 octobre 2015 le tribunal de Lisbonne a condamneacute le requeacuterant agrave trois ans et deux mois drsquoemprisonnement avec sursis pour violence domestique Le requeacuterant a interjeteacute appel en contestant entre autres lrsquoeacutetablissement des faits qui avait abouti agrave sa condamnation ainsi que lrsquointerpreacutetation de la loi Il alleacuteguait eacutegalement que lrsquoaction publique ouverte agrave son eacutegard pour les faits de violence domestique eacutetait prescrite et que sa condamnation avait porteacute atteinte au principe de non-reacutetroactiviteacute de la loi peacutenale ainsi qursquoau principe de la preacutesomption drsquoinnocence Cet appel a eacuteteacute rejeteacute et le requeacuterant a ainsi deacuteposeacute un recours devant le Tribunal constitutionnel Par une deacutecision sommaire du 17 juin 2016 le Tribunal constitutionnel sieacutegeant en une formation de juge unique a deacuteclareacute irrecevable le recours constitutionnel introduit par le requeacuterant Ce dernier nrsquoa pas formeacute opposition contre cette deacutecision devant le comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel Par leurs requecirctes introduites devant la Cour EDH le 6 aoucirct 2014 le 2 novembre 2016 et les 7 et 12 deacutecembre 2016 les requeacuterants se plaignaient drsquoune atteinte agrave leur droit drsquoaccegraves agrave un tribunal garanti par lrsquoarticle 6 sect 1 et srsquoagissant des requeacuterants des requecirctes no 5599714 et 6814316 de leur droit agrave un procegraves eacutequitable

1) Sur la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention en raison du manque drsquoaccegraves agrave un tribunal (grief commun agrave toutes les requecirctes)

o Requecircte no 370617 (Da Silva)

Le Gouvernement excipe du non-eacutepuisement des voies de recours internes en ce qui concerne la requecircte no 370617 Il argue que le requeacuterant a omis de former une opposition devant le comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel contre la deacutecision sommaire drsquoirrecevabiliteacute de son recours constitutionnel Le requeacuterant conteste cette exception souleveacutee par le Gouvernement alleacuteguant que la reacuteclamation devant le comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel ne peut ecirctre consideacutereacutee comme une voie de recours effective eacutetant donneacute qursquoil srsquoagit drsquoun recours hieacuterarchique La Cour EDH considegravere que lrsquoopposition devant le comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel contre la deacutecision sommaire litigieuse constituait un recours effectif au sens de lrsquoarticle 35 sect 1 de la Convention pour remeacutedier au grief tireacute du deacutefaut drsquoaccegraves agrave un tribunal souleveacute devant elle Elle note que lrsquoopposition est un moyen de contester les deacutecisions prises par le rapporteur drsquoune formation judiciaire colleacutegiale afin drsquoobtenir une reconsideacuteration de la question et qursquoun tel meacutecanisme aurait permis au requeacuterant de reacuteagir contre la deacutecision litigieuse

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La Cour EDH deacuteclare ainsi la requecircte no 370617 irrecevable pour non-eacutepuisement des voies de recours internes en application de lrsquoarticle 35 sectsect 1 et 4 de la Convention

o Requecircte no 5599714 (Dos Santos Calado c Portugal) La requeacuterante se plaint de lrsquoirrecevabiliteacute de la partie de son recours formeacute devant le Tribunal constitutionnel qui se fondait sur lrsquoilleacutegaliteacute de la norme litigeuse La Cour EDH note que par une deacutecision sommaire du 10 deacutecembre 2013 confirmeacutee par un arrecirct du comiteacute de trois juges du 6 deacutecembre 2014 cette partie de son recours a eacuteteacute deacuteclareacutee irrecevable au motif que dans son meacutemoire de recours la requeacuterante srsquoeacutetait uniquement fondeacutee sur lrsquoalineacutea b) de lrsquoarticle 70 sect 1 de la loi organique sur le tribunal constitutionnel (laquo LOTC raquo) qui preacutevoit le motif de recours tireacute de lrsquoinconstitutionnaliteacute normative alors qursquoelle aurait ducirc se fonder sur lrsquoalineacutea f) de cette disposition La Cour EDH relegraveve que cette restriction appliqueacutee agrave lrsquoaccegraves au Tribunal constitutionnel est leacutegale car elle est preacutevue par la LOTC Elle relegraveve eacutegalement que la restriction poursuivait un but leacutegitime agrave savoir le respect de la preacuteeacuteminence du droit et la bonne administration de la justice constitutionnelle Neacuteanmoins la Cour EDH considegravere que cette restriction nrsquoest pas proportionneacutee au but leacutegitime poursuivi eu eacutegard aux circonstances de lrsquoespegravece Elle note que lrsquoirrecevabiliteacute de la deuxiegraveme partie du recours srsquoest fondeacutee uniquement sur une omission reacutedactionnelle concernant un moyen de recours qui ressortait pourtant de faccedilon claire et eacutevidente du meacutemoire en recours de la requeacuterante La Cour EDH estime qursquoune telle approche est excessivement formaliste en ce qursquoelle a conduit agrave priver la requeacuterante drsquoune voie de recours offerte par le droit interne A titre subsidiaire la Cour EDH note que le Tribunal constitutionnel aurait pu inviter la requeacuterante agrave corriger lrsquoomission comme le preacutevoit la LOTC puisque le moyen ressortait clairement de son meacutemoire Par conseacutequent il y a eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention en raison du deacutefaut drsquoaccegraves de la requeacuterante agrave un tribunal

o Requecircte no 6814316 (Amador de Faria e Silva et autres c Portugal) La Cour EDH note tout drsquoabord que le recours des requeacuterants devant le Tribunal constitutionnel a eacuteteacute deacuteclareacute irrecevable par une deacutecision sommaire de celui-ci le 15 mars 2016 confirmeacutee par un arrecirct du comiteacute de trois juges du 4 mai 2016 au motif que les requeacuterants nrsquoavaient pas souleveacute lrsquoinconstitutionnaliteacute alleacutegueacutee devant le tribunal central administratif du Nord faisant ainsi deacutefaut agrave lrsquoobligation qui leur revenait en vertu des articles 70 et 72 sect 2 de la LOTC Si la Cour EDH admet que cette obligation srsquoexplique par le fait que le Tribunal constitutionnel nrsquointervient qursquoen dernier ressort elle constate toutefois que les requeacuterants ont bien souleveacute une inconstitutionnaliteacute en raison de la diffeacuterence de traitement qui existait entre les agents des reacutegions autonomes de Madegravere et des Accedilores et du continent dans le cadre de leur meacutemoire en reacuteponse aux ministegraveres Neacuteanmoins le tribunal central administratif du Nord nrsquoa pas retenu cette question et a opeacutereacute une distinction entre deux cateacutegories drsquoagents drsquoune part les inspecteurs de carriegraveres et drsquoautre part les agents exerccedilant des fonctions drsquoinspecteur sans inteacutegrer pour autant la carriegravere drsquoinspecteur au sein de lrsquoadministration La Cour EDH est en deacutesaccord avec le raisonnement du Tribunal constitutionnel selon lequel les requeacuterants auraient eacuteteacute en mesure de soulever la question drsquoinconstitutionnaliteacute normative dont ils se plaignaient devant le tribunal central administratif du Nord puisqursquoelle eacutetait deacutejagrave ressortie drsquoun arrecirct rendu par la Cour suprecircme dans une autre affaire Elle relegraveve qursquoil srsquoagissait drsquoune affaire devant la Cour suprecircme qui ne concernait pas les requeacuterants De plus la Cour EDH relegraveve que lrsquoarrecirct en cause avait eacuteteacute rendu quelques mois avant le jugement du tribunal administratif et fiscal de Coimbra qui leur avait eacuteteacute favorable et nrsquoavait en outre fait aucune distinction entre les cateacutegories drsquoagents La Cour EDH conclut que le Tribunal constitutionnel a fait preuve drsquoun formalisme excessif ce qui lrsquoa priveacute de la possibiliteacute drsquoexaminer au fond la question de lrsquoinconstitutionnaliteacute Il y a donc eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention

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o Requecircte no 7884116 (Antunes Cardoso)

La Cour EDH constate que par une deacutecision sommaire du Tribunal constitutionnel du 4 mai 2016 confirmeacutee par un arrecirct du comiteacute de trois juges du 8 juin 2016 le recours constitutionnel du requeacuterant a eacuteteacute deacuteclareacute irrecevable au motif que le requeacuterant nrsquoavait pas souleveacute une inconstitutionnaliteacute normative ou une inconstitutionnaliteacute concernant lrsquointerpreacutetation drsquoune norme La Cour EDH relegraveve que le requeacuterant soulevait une atteinte au principe non bis in idem dans le cadre de son recours devant le Tribunal constitutionnel Elle estime que lrsquointerpreacutetation normative qursquoil deacutenonccedilait se rapportait agrave la maniegravere dont les tribunaux de premiegravere et deuxiegraveme instance avaient appliqueacute les dispositions du code peacutenal sanctionnant les infractions drsquoassociation de malfaiteurs et de fraude qualifieacutee Le recours du requeacuterant portait donc bien essentiellement sur lrsquoexamen des faits qui lui eacutetaient reprocheacutes et aucun critegravere normatif au sens de la jurisprudence du Tribunal constitutionnel nrsquoeacutetait donc mis en cause en lrsquoespegravece La Cour EDH juge ainsi qursquoil nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention

2) Sur la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention en raison du deacutefaut drsquoimpartialiteacute du comiteacute de trois juges du tribunal constitutionnel (grief speacutecifique aux requecirctes no 5599714 et 6814316)

Les requeacuterants des requecirctes no 5599714 et 6814316 se plaignaient du deacutefaut drsquoimpartialiteacute du comiteacute de trois juge du Tribunal constitutionnel en raison de la preacutesence drsquoun juge dans cette instance qui avait deacutejagrave rendu la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute attaqueacutee et eacutetait en outre le juge rapporteur La Cour EDH note que les requeacuterants ne mettent en doute que lrsquoimpartialiteacute objective du comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel Elle estime que les principes tireacutes de sa jurisprudence concernant lrsquoimpartialiteacute objective ne sauraient ecirctre appliqueacutes agrave la preacutesente affaire eacutetant donneacute la nature de lrsquointervention du comiteacute de trois juges dans le cadre drsquoune opposition En effet le comiteacute de trois juges est lrsquoinstance statuant deacutefinitivement sur la question de la recevabiliteacute drsquoun recours constitutionnel La deacutecision sommaire adopteacutee par le juge rapporteur nrsquoest donc qursquoune eacutetape preacutealable qui ne deviendrait deacutefinitive que si lrsquointeacuteresseacute ne forme pas drsquoopposition contre elle La proceacutedure devant le juge rapporteur fait ainsi entiegraverement partie de la proceacutedure drsquoadmissibiliteacute des recours constitutionnels le comiteacute de trois juges nrsquoest donc pas une entiteacute agrave part entiegravere et autonome appeleacutee agrave se prononcer sur la question litigieuse Par conseacutequence la Cour EDH juge que les griefs tireacutes du deacutefaut drsquoimpartialiteacute du comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel sont manifestement mal fondeacutes et qursquoils doivent ecirctre rejeteacutes en application de lrsquoarticle 35 sectsect 3 a) et 4 de la Convention PAR CES MOTIFS LA COUR

1 Deacutecide agrave lrsquounanimiteacute de joindre les requecirctes 2 Deacuteclare agrave lrsquounanimiteacute les requecirctes no 5599714 6814316 et 7884116 recevables et la requecircte

no 370617 irrecevable srsquoagissant du grief tireacute du droit drsquoaccegraves agrave un tribunal 3 Deacuteclare agrave la majoriteacute les requecirctes no 5599714 et 6814314 irrecevables srsquoagissant du grief tireacute

du manque drsquoimpartialiteacute du comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel 4 Dit agrave lrsquounanimiteacute qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention en raison de lrsquoatteinte

au droit drsquoaccegraves des requeacuterants des requecirctes ndeg 5599714 et 6814316 5 Dit agrave lrsquounanimiteacute qursquoil nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention en raison de

lrsquoatteinte au droit drsquoaccegraves du requeacuterant de la requecircte ndeg 7884116 6 Dit agrave lrsquounanimiteacute

a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser agrave chacun des requeacuterants srsquoagissant des requecirctes ndeg 5599714 et 6814316 dans un deacutelai de trois mois agrave compter de la date agrave laquelle lrsquoarrecirct sera devenu deacutefinitif conformeacutement agrave lrsquoarticle 44 sect 2 de la Convention 3 300 EUR (trois mille trois cents euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc sur cette somme agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage

7 Rejette agrave lrsquounanimiteacute le surplus de la demande de satisfaction eacutequitable

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Aides drsquoEacutetat

Cour de justice (deuxiegraveme chambre) Nelson Antunes da Cunha Lda Instituto de Financiamento da Agricultura e Pescas IP (IFAP) 30 avril 2020 C-62718

Reacutesumeacute La Cour de justice agrave la suite de questions preacutejudicielles poseacutees par une juridiction portugaise interpregravete lrsquoarticle 17

paragraphe 1 du regraveglement 20151589 en ce sens que le deacutelai de prescription de dix ans ne pourra pas ecirctre appliqueacute agrave la proceacutedure

de reacutecupeacuteration drsquoune aide illeacutegale par les autoriteacutes nationales compeacutetentes Ce deacutelai de prescription de dix ans ne srsquoapplique qursquoaux

rapports entre la Commission europeacuteenne et lrsquoEtat membre destinataire de la deacutecision de reacutecupeacuteration Elle estime aussi qursquoun deacutelai

de prescription national ne srsquoappliquera pas srsquoil a expireacute avant lrsquoadoption de la deacutecision de la Commission europeacuteenne ou srsquoil srsquoest

eacutecouleacute en raison du retard mis par les autoriteacutes nationales pour exeacutecuter cette deacutecision

Les 8 avril et 7 juillet 1993 Nelson Antunes da Cunha la requeacuterante au principal a conclu avec la Caixa Agricola

Mutuo ndash Coimbra des contrats de creacutedit relatifs agrave une ligne de creacutedit pour la relance des activiteacutes agricoles et

drsquoeacutelevage Un deacutecret du 24 mai 1994 a creacuteeacute un reacutegime drsquooctroi de lignes de creacutedit destineacute agrave favoriser le

deacutesendettement des entreprises du secteur de lrsquoeacutelevage intensif et la relance de lrsquoactiviteacute porcine Ce reacutegime nrsquoa

pas eacuteteacute notifieacute agrave la Commission europeacuteenne contrairement aux exigences de lrsquoarticle 88 paragraphe 3 CE Dans

le cadre de ces contrats de creacutedit le preacutedeacutecesseur de lrsquoIFAP a conformeacutement au deacutecret preacuteciteacute effectueacute des

paiements en faveur de la requeacuterante au titre de bonification du taux drsquointeacuterecirct drsquoun montant global de 7 52690

euros Le 25 novembre 1999 la Commission europeacuteenne a adopteacute la deacutecision 20002000CE relative au reacutegime

drsquoaides mis en œuvre par le Portugal pour le deacutesendettement des entreprises du secteur de lrsquoeacutelevage intensif et la

relance de lrsquoactiviteacute porcine Il ressort de cette deacutecision que le reacutegime drsquooctroi de lignes de creacutedit mis en place par

le deacutecret est un reacutegime drsquoaides incompatible avec le marcheacute commun Le Portugal doit donc supprimer ce reacutegime

drsquoaide et proceacuteder au recouvrement

Le 23 juillet 2002 le preacutedeacutecesseur de lrsquoIFAP demande agrave la requeacuterante le remboursement de lrsquoaide en cause par

une lettre resteacutee sans suite Le 12 aoucirct 2009 lrsquoIFAP a envoyeacute une nouvelle lettre lui demandant de proceacuteder au

remboursement de lrsquoaide dans un deacutelai de dix jours Le 7 juillet 2013 une proceacutedure drsquoexeacutecution fiscale a eacuteteacute

engageacutee par le centre des impocircts de Cantanhede agrave lrsquoencontre de la requeacuterante en vue du recouvrement des

creacuteances de lrsquoIFAP

La requeacuterante a fait opposition agrave cette proceacutedure devant le tribunal administratif et fiscal de Coimbra Elle allegravegue

que lrsquoobligation de rembourser des montants perccedilus srsquoeacuteteint apregraves lrsquoeacutecoulement drsquoun deacutelai de cinq ans agrave compter

de leur perception et que dans la mesure ougrave plus de cinq ans se sont eacutecouleacutes les inteacuterecircts de retard seraient

eacutegalement prescrits Le tribunal relegraveve que les creacuteances de lrsquoIFAP sont soumises au deacutelai ordinaire de prescription

de vingt ans Quant aux inteacuterecircts les juridictions nationales supeacuterieures considegraverent que les inteacuterecircts sont prescrits

apregraves lrsquoeacutecoulement drsquoun deacutelai de cinq ans qui commence agrave courir agrave compter de lrsquoexigibiliteacute de lrsquoobligation Or il

ressort de la jurisprudence constante de la Cour de justice en matiegravere drsquoaides drsquoEtat que lrsquoapplication des

proceacutedures nationales ne doit pas faire obstacle au reacutetablissement drsquoune concurrence effective en empecircchant

lrsquoexeacutecution immeacutediate et effective de la deacutecision de reacutecupeacuteration de la Commission europeacuteenne

Crsquoest dans ce contexte que le tribunal administratif et fiscal de Coimbra a deacutecideacute de surseoir agrave statuer

et de poser agrave la Cour de justice les questions preacutejudicielles suivantes

laquo 1) Le deacutelai de prescription pour lrsquoexercice des pouvoirs [de la Commission] pour la reacutecupeacuteration de lrsquoaide preacutevu agrave lrsquoarticle 17 paragraphe 1 du regraveglement 20151589 srsquoapplique-t-il uniquement aux rapports entre lrsquoUnion et lrsquoEacutetat membre destinataire de la deacutecision de reacutecupeacuteration des aides ou

srsquoapplique-t-il eacutegalement aux rapports entre cet Eacutetat et la partie opposante en tant que beacuteneacuteficiaire de lrsquoaide consideacutereacutee comme eacutetant incompatible avec le marcheacute [inteacuterieur]

Renvoi preacutejudiciel ndash Aides drsquoEacutetat ndash Article 108 TFUE ndash Reacutegime drsquoaides incompatible avec le marcheacute inteacuterieur ndash Deacutecision de la Commission europeacuteenne ordonnant la reacutecupeacuteration des aides illeacutegales ndash Regraveglement (UE) 20151589 ndash Article 17 paragraphe 1 ndash Deacutelai de prescription de dix ans ndash Application aux pouvoirs de reacutecupeacuteration de la Commission ndash Article 16 paragraphes 2 et 3 ndash Reacuteglementation nationale preacutevoyant un deacutelai de prescription infeacuterieur ndash Principe drsquoeffectiviteacute

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2) Dans lrsquohypothegravese ougrave il serait deacutecideacute que le deacutelai en question est applicable aux rapports entre

lrsquoEacutetat membre destinataire de la deacutecision de reacutecupeacuteration des aides et le beacuteneacuteficiaire de lrsquoaide consideacutereacutee comme eacutetant incompatible avec le marcheacute [inteacuterieur] convient-il de consideacuterer que ce deacutelai est uniquement applicable agrave la phase de proceacutedure ou qursquoil est eacutegalement applicable agrave lrsquoexeacutecution de la deacutecision de reacutecupeacuteration

3) Dans lrsquohypothegravese ougrave il serait deacutecideacute que le deacutelai en question est applicable aux rapports entre lrsquoEacutetat membre destinataire de la deacutecision de reacutecupeacuteration des aides et le beacuteneacuteficiaire de lrsquoaide

consideacutereacutee comme eacutetant incompatible avec le marcheacute [inteacuterieur] convient-il de consideacuterer que ce deacutelai est interrompu par tout acte relatif agrave lrsquoaide illeacutegale et eacutemanant de la Commission ou de lrsquoEacutetat membre concerneacute mecircme srsquoil nrsquoa pas eacuteteacute notifieacute au beacuteneacuteficiaire de lrsquoaide devant ecirctre reacutecupeacutereacutee

4) Lrsquoarticle 16 paragraphe 2 du regraveglement 20151589 [] ainsi que les principes [geacuteneacuteraux de droit] de lrsquoUnion notamment le principe drsquoeffectiviteacute et le principe drsquoincompatibiliteacute des aides drsquoEacutetat avec le

marcheacute [inteacuterieur] srsquoopposent-ils agrave lrsquoapplication drsquoun deacutelai de prescription drsquoune dureacutee infeacuterieure agrave celle preacutevue agrave lrsquoarticle 17 [de ce] regraveglement comme le deacutelai preacutevu agrave lrsquoarticle 310 [hellip] sous d) du code civil aux inteacuterecircts qui srsquoajoutent agrave lrsquoaide devant ecirctre reacutecupeacutereacutee raquo

o Sur la premiegravere question

La Cour de justice estime aux points 30 et 31 que lrsquoarticle 17 paragraphe 1 du regraveglement 20151589 qui preacutevoit

un deacutelai de prescription de dix ans vise uniquement les pouvoirs de la Commission europeacuteenne en matiegravere de

reacutecupeacuteration de lrsquoaide Ce deacutelai ne pourrait donc pas ecirctre appliqueacute agrave la proceacutedure de reacutecupeacuteration drsquoune aide

illeacutegale par les autoriteacutes nationales compeacutetentes

Par suite la Cour de justice reacutepond agrave la premiegravere question que lrsquoarticle 17 paragraphe 1 du regraveglement 20151589

doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que le deacutelai de prescription de dix ans ne srsquoapplique qursquoaux rapports entre la

Commission europeacuteenne et lrsquoEtat membre destinataire de la deacutecision de reacutecupeacuteration eacutemanant de cette

institution

o Sur les deuxiegraveme et troisiegraveme questions

Eu eacutegard agrave la reacuteponse apporteacutee agrave la premiegravere question il nrsquoy a pas lieu de reacutepondre aux deuxiegraveme et troisiegraveme

questions

o Sur la quatriegraveme question

Observations liminaires

LrsquoIFAP et le gouvernement portugais contestent lrsquointerpreacutetation de la juridiction de renvoi selon laquelle le deacutelai

de prescription de cinq ans est susceptible de srsquoappliquer au recouvrement des inteacuterecircts affeacuterents agrave lrsquoaide devant

ecirctre reacutecupeacutereacutee et de faire obstacle agrave la reacutecupeacuteration de ces inteacuterecircts La Cour de justice rappelle au point 38 que

lorsqursquoelle est saisie agrave titre preacutejudiciel par une juridiction nationale elle srsquoen tient agrave lrsquointerpreacutetation du droit

national qui lui a eacuteteacute exposeacutee par cette juridiction

Sur la question

La Cour de justice rappelle que le Portugal devait reacutecupeacuterer lrsquoaide viseacutee par la deacutecision de la Commission

europeacuteenne inteacuterecircts compris La reacutecupeacuteration srsquoeffectue conformeacutement aux proceacutedures preacutevues par le droit

national pour autant que ces derniegraveres permettent lrsquoexeacutecution immeacutediate et effective de la deacutecision de la

Commission europeacuteenne Ainsi les regravegles de prescription doivent ecirctre appliqueacutees de maniegravere agrave ne pas rendre

pratiquement impossible la reacutecupeacuteration exigeacutee par le droit de lrsquoUnion et en prenant pleinement en consideacuteration

lrsquointeacuterecirct de lrsquoUnion La Cour de justice rappelle au point 44 sa jurisprudence constante selon laquelle les deacutelais de

prescription remplissent la fonction drsquoassurer la seacutecuriteacute juridique Pour autant comme elle le souligne au point

45 il importe de mettre en balance le respect de cet impeacuteratif de seacutecuriteacute juridique avec lrsquointeacuterecirct public visant agrave

eacuteviter que le fonctionnement du marcheacute ne soit fausseacute par des aides drsquoEtat nuisibles pour la concurrence

En lrsquoespegravece le deacutelai de prescription de cinq ans applicable aux inteacuterecircts affeacuterents agrave lrsquoaide en cause nrsquoa eacuteteacute

interrompu que le 26 juillet 2013 et que tous les inteacuterecircts dus pour la peacuteriode anteacuterieure au 26 juin 2008 sont

prescrits Il en ressort donc que lrsquoapplication de ce deacutelai de prescription ferait obstacle agrave une reacutecupeacuteration drsquoune

partie des inteacuterecircts affeacuterents agrave lrsquoaide en cause et partant agrave une reacutecupeacuteration inteacutegrale de lrsquoaide Comme le relegraveve

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la Cour de justice au point 48 la juridiction de renvoi a releveacute que degraves lors que sont consideacutereacutes comme prescrits

les inteacuterecircts dus pour la peacuteriode anteacuterieure aux cinq ans qui preacutecegravedent lrsquoacte interruptif de prescription la creacuteance

relative aux inteacuterecircts affeacuterents agrave une aide pourrait ecirctre prescrite avant mecircme que le droit de la Commission

europeacuteenne drsquoexiger la reacutecupeacuteration de cette aide ne soit prescrit

En ce qui concerne la prescription drsquoune partie des inteacuterecircts affeacuterents agrave lrsquoaide en cause anteacuterieurement agrave

lrsquoadoption de la deacutecision de la Commission europeacuteenne il convient de relever que lrsquointervention drsquoune telle

prescription rendrait impossible la reacutecupeacuteration inteacutegrale exigeacutee par le droit de lrsquoUnion La Cour de justice estime

au point 50 que la Commission europeacuteenne peut toujours dans le deacutelai de dix ans preacutevu demander la

reacutecupeacuteration drsquoune aide illeacutegale et ce malgreacute lrsquoexpiration eacuteventuelle du deacutelai de prescription applicable dans la

proceacutedure nationale La requeacuterante ne saurait en lrsquoespegravece valablement se preacutevaloir drsquoune confiance leacutegitime dans

la reacutegulariteacute de lrsquoaide en cause La Cour de justice en conclu au point 52 qursquoun deacutelai de prescription national qui

a expireacute avant mecircme lrsquoadoption de la deacutecision de reacutecupeacuteration de la Commission europeacuteenne doit donc ecirctre

laisseacute inappliqueacute par la juridiction de renvoi

En ce qui concerne la prescription drsquoune partie des inteacuterecircts affeacuterents agrave lrsquoaide en cause posteacuterieurement agrave

lrsquoadoption de la deacutecision de la Commission europeacuteenne il convient de relever que lrsquoexeacutecution drsquoune deacutecision de

reacutecupeacuteration de la Commission europeacuteenne doit ecirctre immeacutediate En lrsquoespegravece il ressort du point 54 que la

prescription drsquoune partie des inteacuterecircts affeacuterents agrave lrsquoaide en cause reacutesulte donc principalement du fait que le

preacutedeacutecesseur de lrsquoIFAP et lrsquoIFAP ont tardeacute agrave exeacutecuter la deacutecision de la Commission europeacuteenne Or la Cour de

justice souligne au point 56 qursquoadmettre la prescription des inteacuterecircts affeacuterents agrave une aide illeacutegale au motif que les

autoriteacutes nationales se sont conformeacutees avec retard agrave la deacutecision de reacutecupeacuteration de la Commission europeacuteenne

rendrait la reacutecupeacuteration inteacutegrale pratiquement impossible et la reacuteglementation de lrsquoUnion relative aux aides drsquoEtat

priveacutee de tout effet utile

Dans de telles circonstances le principe de seacutecuriteacute juridique que les deacutelais de prescription visent agrave garantir ne

saurait faire obstacle agrave la reacutecupeacuteration drsquoune aide deacuteclareacutee incompatible avec le marcheacute inteacuterieur

Par suite il convient de reacutepondre agrave la quatriegraveme question que lrsquoarticle 16 paragraphe 2 du regraveglement 20151589

et le principe drsquoeffectiviteacute doivent ecirctre interpreacuteteacutes en ce sens qursquoils srsquoopposent agrave lrsquoapplication drsquoun deacutelai de

prescription national au recouvrement drsquoune aide lorsque ce deacutelai a expireacute avant mecircme lrsquoadoption de la deacutecision

de la Commission europeacuteenne ou lorsque ce deacutelai de prescription srsquoest eacutecouleacute principalement en raison du retard

mis par les autoriteacutes nationales pour exeacutecuter cette deacutecision

Par ces motifs la Cour de justice (deuxiegraveme chambre) dit pour droit

1) Lrsquoarticle 17 paragraphe 1 du regraveglement (UE) 20151589 du Conseil du 13 juillet 2015 portant

modaliteacutes drsquoapplication de lrsquoarticle 108 du traiteacute sur le fonctionnement de lrsquoUnion europeacuteenne doit ecirctre

interpreacuteteacute en ce sens que le deacutelai de prescription de dix ans que preacutevoit cette disposition pour lrsquoexercice

des pouvoirs de la Commission europeacuteenne en matiegravere de reacutecupeacuteration des aides srsquoapplique

uniquement aux rapports entre la Commission et lrsquoEacutetat membre destinataire de la deacutecision de

reacutecupeacuteration eacutemanant de cette institution

2) Lrsquoarticle 16 paragraphe 2 du regraveglement 20151589 selon lequel lrsquoaide agrave reacutecupeacuterer comprend des

inteacuterecircts et le principe drsquoeffectiviteacute viseacute au paragraphe 3 de ce mecircme article doivent ecirctre interpreacuteteacutes en

ce sens qursquoils srsquoopposent agrave lrsquoapplication drsquoun deacutelai de prescription national au recouvrement drsquoune aide

lorsque ce deacutelai a expireacute avant mecircme lrsquoadoption de la deacutecision de la Commission deacuteclarant cette aide

illeacutegale et en ordonnant la reacutecupeacuteration ou lorsque ce deacutelai de prescription srsquoest eacutecouleacute principalement

en raison du retard mis par les autoriteacutes nationales pour exeacutecuter cette deacutecision

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Droit agrave un procegraves eacutequitable

Cour EDH (cinquiegraveme section) Keaney Irlande 30 avril 2020 ndeg7206017

Arrecirct rendu en anglais Mention drsquoune opinion concordante Reacutesumeacute La Cour EDH juge que lrsquoordre juridique irlandais ne comporte pas de recours effectif pour les griefs relatifs agrave la dureacutee excessive drsquoune proceacutedure La Cour EDH a consideacutereacute qursquoil y avait non seulement une violation du droit agrave un procegraves eacutequitable dans un deacutelai raisonnable (article 6 sect 1 de la Convention) du fait de la longueur excessive du recours devant la juridiction suprecircme irlandaise mais aussi une violation au droit agrave un recours effectif (article 13 de la Convention) en ce qursquoelle a du mal agrave admettre que lrsquoaction en reacuteparation pour atteinte au droit constitutionnel agrave ecirctre jugeacute avec diligence soit effectif en theacuteorie et en pratique Le requeacuterant Vincent Keaney est un ressortissant irlandais neacute en 1955 et reacutesidant agrave Cobh (Irlande) En 1996 apregraves avoir gagneacute agrave la loterie nationale le requeacuterant a acheteacute un bacirctiment afin drsquoy faire un bar agrave thegraveme sous le nom de laquo The Titanic Bar and Restaurant raquo Suite agrave des difficulteacutes financiegraveres le requeacuterant srsquoest adresseacute agrave un consultant en finance et gestion afin de trouver des investisseurs potentiels et drsquoobtenir des conseils professionnels Neacuteanmoins le projet commercial eacutechoua En feacutevrier 2006 le requeacuterant entama une proceacutedure civile devant la Haute Cour contre 18 deacutefendeurs pour tromperie fraude fausse deacuteclarations et influence indue deacutecoulant des transactions commerciales reacutealiseacutees entre 2000 et 2003 Devant la Haute Cour le requeacuterant a ducirc modifier sa demande initiale agrave de nombreuses reprises afin qursquoen juillet 2008 lrsquoaffaire puisse ecirctre plaideacutee conformeacutement aux exigences nationales Par jugement du 19 deacutecembre 2008 la Haute Cour eacutecarta toutes les demandes du requeacuterant et le deacutebouta estimant que nombre de ses alleacutegations eacutetaient mal fondeacutees ou abusives Entre 2007 et 2009 le requeacuterant interjeta appel devant la Cour Suprecircme contre les arrecircts de la Haute Cour Entre juillet 2015 et avril 2017 la Cour Suprecircme rendit ses arrecircts en estimant qursquoil nrsquoy avait pas lieu drsquoinfirmer les arrecircts de la Haute Cour Elle preacutecisa que les alleacutegation non eacutetayeacutees du requeacuterant dans ses observations eacutecrites nrsquoeacutetaient laquo rien de moins qursquoun abus de proceacutedure raquo En conseacutequence le requeacuterant saisi la Cour EDH le 2 octobre 2017

- Sur la violation de lrsquoarticle 6 sect1 de la Convention Selon la Cour EDH le caractegravere raisonnable de la dureacutee drsquoune proceacutedure doit ecirctre appreacutecieacute au regard des circonstances de lrsquoespegravece et en fonction des critegraveres suivants (Lupeni c Roumanie [GC] ndeg7694311 sect 143 29 novembre 2016)

- La complexiteacute de lrsquoaffaire - Le comportement du requeacuterant et des autoriteacutes compeacutetentes - Lrsquoenjeu du litige

Lrsquoarticle 6 sect1 de la Convention exige que les affaires soient entendues dans un deacutelai raisonnable afin drsquoadministrer la justice sans retard susceptible de compromettre son efficaciteacute et sa creacutedibiliteacute

Art 6 sect 1 bull Deacutelai raisonnable bull Dureacutee excessive de la proceacutedure civile bull Art 13 et 6 sect 1 bull Recours effectif dans le respect drsquoun deacutelai raisonnable des proceacutedures bull Lrsquoefficaciteacute de lrsquoaction en reacuteparation pour violation du droit constitutionnel drsquoecirctre jugeacute dans un deacutelai raisonnable doit encore ecirctre preacuteciseacutee dans la pratique

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Ainsi il appartient aux Eacutetats contractants drsquoorganiser leur systegraveme judiciaire de telle sorte que leurs tribunaux soient en mesure de garantir agrave chaque justiciable le droit drsquoobtenir une deacutecision deacutefinitive dans un deacutelai raisonnable dans des litiges relatifs aux droits et obligations de caractegravere civil (Frydlender c France [GC] ndeg3097996 sect43 27 juin 2000 Superwood Holdings Plc et autres c Irlande ndeg781204 sect 38 8 septembre 2011 Healy c Irlande ndeg2729116 sect 49 18 janvier 2018) Si la Cour EDH preacutecise qursquoun retard temporaire dans les affaires judiciaires nrsquoentraicircne pas la responsabiliteacute internationale drsquoun Eacutetat contractant srsquoil prend les mesures correctives approprieacutees agrave la ceacuteleacuteriteacute requise une surcharge drsquoaffaires dans le systegraveme interne ne peut justifier une dureacutee excessive des proceacutedures pas plus que le fait que les situations drsquoarrieacutereacute se soient banaliseacutees (sect88) De plus la Cour EDH prend soin de rappeler que dans les proceacutedures civiles la principale obligation de faire avancer la proceacutedure incombe aux parties qui ont le devoir drsquoaccomplir avec diligence les actes de proceacutedure pertinents (Unioacuten Alimentaria Sanders SA c Espagne ndeg1168185 sect 35 7 juillet 1989 Healy c Irlande ndeg2729116 sect 55) Toutefois un principe de droit ou une pratique interne selon lequel les parties agrave une proceacutedure civile sont tenues de prendre lrsquoinitiative srsquoagissant du deacuteroulement de la proceacutedure ne dispense pas lrsquoEacutetat de se conformer agrave lrsquoobligation de traiter les affaires dans un deacutelai raisonnable (sect 90) En lrsquoespegravece la Cour EDH note que la peacuteriode agrave prendre en compte a commenceacute le 8 feacutevrier 2006 lorsque le requeacuterant a entameacute une proceacutedure devant la Haute Cour et srsquoest termineacute le 5 avril 2017 lorsque la Cour Suprecircme a rendu son jugement dans le cadre du recours du requeacuterant contre les arrecircts de la Haute Cour La proceacutedure a donc dureacute plus de onze ans pour ecirctre entendue devant les deux niveau de juridiction La Cour EDH reconnaicirct que le litige du requeacuterant a pris une ampleur dans commune mesure avec la nature du droit sous-jacent Neacuteanmoins elle considegravere que le comportement de ce dernier a eu un impact significatif sur lrsquoeacutevolution de lrsquoaffaire et qursquoil ne peut se preacutevaloir des peacuteriodes pendant lesquelles ses actions ont causeacute le retard (mutatis mutandis Vayiccedil c Turquie ndeg1807802 sect 44 20 juin 2006 et Uysal et Osal c Turquie ndeg120603 sect 30 13 deacutecembre 2007) La Cour EDH conclut donc que malgreacute le comportement du requeacuterant qui a contribueacute au retard devant la Haute Cour et la Cour Suprecircme la dureacutee globale de la proceacutedure eacutetait excessive et ne respectait pas le critegravere du deacutelai raisonnable En conseacutequence la Cour EDH dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention

- Sur la violation de lrsquoarticle 13 de la Convention combineacute agrave lrsquoarticle 6 sect1 de la Convention Lrsquoarticle 13 de la Convention garantir lrsquoexistence au niveau national drsquoun recours permettant drsquoune violation des droits et liberteacutes eacutenonceacutes dans la Convention Srsquoil existe agrave la faveur des Eacutetats contractants une certaine liberteacute quant agrave la maniegravere dont ils se conforment agrave leurs obligations conventionnelles il doit exister un recours interne permettant aux juridictions nationales compeacutetentes de traiter agrave la fois le fond de la demande lieacute agrave la violation drsquoune disposition de la Convention et drsquoaccorder une reacuteparation adeacutequate La Cour EDH rappelle que mecircme si la porteacutee de lrsquoobligation preacutevue agrave article 13 de la Convention varie selon la nature du grief du requeacuterant le recours doit ecirctre effectif en pratique comme en droit en ce que son exercice ne doit pas ecirctre entraveacute de maniegravere injustifieacutee par les actes ou omissions des autoriteacutes de lrsquoEacutetat (De Tommaso c Italie [GC] ndeg4339509 sect 179 23 feacutevrier 2017) Srsquoagissant de lrsquoeffectiviteacute des recours dans un deacutelai raisonnable lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention impose aux Eacutetats contractants le devoir drsquoorganiser leur systegraveme judiciaire de telle sorte que leurs tribunaux puissent statuer dans un deacutelai raisonnable La Cour EDH considegravere que lorsque le systegraveme judiciaire est deacuteficient agrave cet eacutegard un recours visant agrave acceacuteleacuterer la proceacutedure afin drsquoeacuteviter qursquoelle ne devienne excessivement longue est la solution la plus adapteacutee il sera jugeacute effectif dans la mesure ougrave il acceacutelegravere la deacutecision du tribunal concerneacute Toutefois ce genre de recours peut ne pas ecirctre suffisant au regard de proceacutedures deacutejagrave excessivement longues Ainsi la Cour EDH a deacuteclareacute que les Eacutetats pouvaient choisir de combiner le recours visant agrave acceacuteleacuterer la proceacutedure avec un autre visant agrave une indemnisation bien qursquoils puissent eacutegalement choisir drsquointroduire

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qursquoun recours en reacuteparation qans que ce dernier soit consideacutereacute comme inefficace (Fil LLC c Armeacutenie ndeg1852613 sect 47 31 janvier 2019) De plus Cour EDH preacutecise que lrsquoeffectiviteacute drsquoun recours ne deacutepend pas de la certitude drsquoune issue favorable pour le requeacuterant Enfin la Cour EDH estime qursquoune attention particuliegravere doit ecirctre accordeacutee agrave la rapiditeacute de la reacuteparation en elle-mecircme sans qursquoil soit exclu que son caractegravere adeacutequat puisse ecirctre compromis par sa dureacutee excessive (Doran v Ireland ndeg5038999 sectsect 57-58) En lrsquoespegravece la Cour EDH rappelle qursquoelle a deacutejagrave eu lrsquooccasion de souligner les difficulteacutes reacutesultant de lrsquoabsence de recours interne effectif en Irlande (Healy c Irlande ndeg2729116 sect 69) De plus elle rappelle que dans lrsquoaffaire McFarlane c Irlande (ndeg3133306 10 septembre 2010) le Gouvernement irlandais nrsquoavait pas deacutemontreacute qursquoune action en reacuteparation pour violation du droit constitutionnel agrave ecirctre jugeacute dans un deacutelai raisonnable constituait un recours effectif en theacuteorie et en pratique agrave la faveur du requeacuterant Si le Gouvernement irlandais soutient que dans un arrecirct de Cour Suprecircme posteacuterieur agrave lrsquoarrecirct McFarlane (Nash v DPP) une importante clarification est faite quant aux conditions subordonnant lrsquooctroi de la reacuteparation preacutevue par la Constitution pour une dureacutee excessive drsquoune proceacutedure peacutenale la Cour EDH nrsquoest pas convaincue par cet argument En effet la Cour EDH estime tout drsquoabord que la Cour Suprecircme srsquoest abstenue de deacutefinir les conditions drsquoune telle action Ensuite la question de la ceacuteleacuteriteacute du recours en reacuteparation est lui-mecircme remis en cause puisque la Cour EDH observe que dans lrsquoaffaire Nash lrsquoaction en reacuteparation pour deacutelai excessif a dureacute plus de six ans et demi Enfin un autre type de recours lrsquoaction en reacuteparation fondeacutee lrsquoEuropean Convention on Human Rights Act de 2003 ne peut ecirctre exerceacute que lorsqursquoaucune autre action en reacuteparation nrsquoest possible En conseacutequence la Cour EDH conclut agrave la violation de lrsquoarticle 13 de la Convention combineacute agrave lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention Par ces motifs la Cour EDH agrave lrsquounanimiteacute

1 Deacuteclare la demande recevable

2 Dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 6 sect1 de la Convention

3 Dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 13 lu avec lrsquoarticle 6 sect1 de la Convention

4 Dit que la constatation de la violation constitue une satisfaction eacutequitable suffisante pour tout dommage subi par le requeacuterant

5 Dit a Que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans un deacutelai de trois mois agrave compter

de la date agrave laquelle le jugement devient deacutefinitif conformeacutement agrave lrsquoarticle 44 sect2 de la Convention 3 000 EUR (trois mille euros) plus toute taxe qui pourrait ecirctre mise agrave la charge du requeacuterant au titre des frais et deacutepens

b Qursquoagrave compter de lrsquoexpiration des trois mois et jusqursquoau regraveglement des inteacuterecircts simples seront dus sur le montants susmentionneacutes agrave un taux eacutegal au taux de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne pendant la peacuteriode de carence majoreacute de trois points de pourcentage

6 Rejette la demande de satisfaction eacutequitable du requeacuterant

Opinion concordante du Juge OrsquoLeary Le Juge OrsquoLeary souscrit pleinement agrave lrsquoarrecirct rendu par la cinquiegraveme chambre constatant la violation des articles 6 sect 1 et 13 de la Convention en raison de la dureacutee excessive de la proceacutedure civile du requeacuterant et de labsence de recours interne effectif en cas de retard deacuteraisonnable

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Lrsquoopinion concordante preacutecise que lrsquoarrecirct Keaney c Irlande fait partie drsquoune seacuterie longue drsquoaffaires relatives agrave lrsquoarticle 6 sect 1 et 13 de la Convention concernant lrsquoIrlande sur une peacuteriode de pregraves de vingt ans Agrave ce titre le fait que lrsquoarrecirct ait eacuteteacute rendu par une chambre de sept juges plutocirct que par un comiteacute des trois juges souligne lrsquoimportance des questions souleveacutees srsquoagissant des affaires relatives aux retards deacuteraisonnables dans les proceacutedures civiles et peacutenales Srsquoagissant de lrsquoeffectiviteacute drsquoune action en reacuteparation pour violation du droit constitutionnel agrave un procegraves dans un deacutelai raisonnable le juge OrsquoLeary rappelle que lrsquoarrecirct Keaney c Irlande fait suite agrave lrsquoaffaire Nash c DPP rendu par la Cour Suprecircme en 2018 Enfin le juge OrsquoLeary eacutevoque la neacutecessiteacute de remeacutedier au problegraveme systeacutematique de retard excessif dans les proceacutedures Si le Gouvernement irlandais ne cesse de rappeler que la responsabiliteacute premiegravere de lrsquoavancement de la proceacutedure civile incombe aux parties la Cour EDH considegravere qursquoil appartient agrave lrsquoEacutetat drsquoeacuteriger le cadre approprieacute pour soutenir une administration efficace de la justice Le juge OrsquoLeary reconnait que de nombreuses mesures ont eacuteteacute adopteacutees par et pour les tribunaux nationaux irlandais au cours de ces derniegraveres anneacutees mais considegravere que lrsquoarrecirct Keaney reflegravete le fait que lorsquun requeacuterant se plaint dun retard excessif dans le systegraveme juridictionnel geacuteneacuteral le renvoi de ce dernier vers le systegraveme remis en cause a peu pour un recours a peu de chances pour le moment de satisfaire aux exigences des articles 35 sect 1 et 13 de la Convention Dans son opinion concordante le juge OrsquoLeary conclut que lrsquoarticle 6 de la Convention veille agrave ce que les proceacutedures soient traiteacutees dans un deacutelai raisonnable Il considegravere que lrsquoarrecirct Keaney srsquoapparente agrave un jugement de principe identifiant un problegraveme systeacutematique de retard qui en ce qui concerne certains niveaux du systegraveme judiciaire national a pu ecirctre corrigeacute depuis Il sagit eacutegalement dun jugement qui exige de lEacutetat deacutefendeur quil agisse en ce qui concerne loffre dun recours interne effectif en cas de retard Plus largement cette affaire reflegravete la reacutealiteacute quotidienne agrave laquelle sont confronteacutes les tribunaux dans les juridictions ougrave le ratio jugespopulation est faible ougrave le volume des litiges est sensiblement supeacuterieur au nombre de juges mobiliseacutes pour les traiter ougrave les ressources correspondantes font deacutefaut et ougrave les regravegles de proceacutedure peuvent neacutecessiter une reacutevision pour proteacuteger les tribunaux et les autres parties contre ceux qui perdent du temps

Droit agrave la vie

Cour EDH (deuxiegraveme section) Jeanty Belgique 31 mars 2020 ndeg8228417

Mention drsquoune opinion en partie dissidente Reacutesumeacute Dans une affaire qui concerne une personne atteinte de troubles psychiques et ayant tenteacute de se suicider agrave plusieurs reprises lors de ses placements en deacutetention preacuteventive dans une prison belge la Cour EDH a estimeacute agrave la majoriteacute qursquoil nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 2 de la Convention car les mesures prises par les autoriteacutes ont effectivement permis drsquoempecirccher que le requeacuterant se suicide Toutefois la Cour EDH juge qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 3 de la Convention du fait que le requeacuterant a eacuteteacute soumis agrave une deacutetresse drsquoune intensiteacute ayant exceacutedeacute le niveau ineacutevitable de souffrance inheacuterent agrave la deacutetention notamment en raison du manque drsquoencadrement et de suivi meacutedical au cours de sa deacutetention combineacute avec lrsquoinfliction drsquoune sanction disciplinaire dans une cellule drsquoisolement Elle relegraveve eacutegalement que lrsquoenquecircte meneacutee agrave ce propos nrsquoa pas eacuteteacute effective Le requeacuterant Philippe Jeanty est un ressortissant belge La requecircte porte sur les deux peacuteriodes pendant lesquelles il eacutetait deacutetenu agrave la maison drsquoarrecirct drsquoArlon en Belgique entre le 26 juin 2011 et le 12 aoucirct 2011 puis entre le 21

Art 2 (mateacuteriel) bull Obligations positives bull Autoriteacutes peacutenitentiaires intervenues rapidement pour effectivement empecirccher plusieurs tentatives de suicide Art 3 (mateacuteriel et proceacutedural) bull Traitement inhumain et deacutegradant bull Manque de soins psychiatriques prodigueacute s agrave un deacutetenu preacutesentant des tendances suicidaires bull Placement agrave lrsquoisolement pendant trois jours sans prise en compte de lrsquoeacutetat psychique du requeacuterant bull Absence drsquoenquecircte effective

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octobre 2011 et le 2 deacutecembre 2011 Il eacutetait suspecteacute drsquoavoir commis un attentat agrave la pudeur avec violences ou menaces et coups et blessures avec incapaciteacute de travail sur son eacutepouse Les faits ayant eu lieu entre le 26 juin 2011 et 12 aoucirct 2011 La nuit du 25 juin 2011 le requeacuterant a eacuteteacute placeacute en garde-agrave-vue eacutetant suspecteacute drsquoagression sexuelle sur son eacutepouse Lors de son audition par la police M Jeanty a fait valoir sa deacutetresse psychologique et a demandeacute agrave ecirctre interneacute indiquant ses intentions de se suicider Le lendemain le juge drsquoinstruction a ordonneacute le placement en deacutetention du requeacuterant et a informeacute la prison drsquoArlon des tendances suicidaires de lrsquointeacuteresseacute Degraves son arriveacutee agrave la maison drsquoarrecirct le requeacuterant a tenteacute de se suicider agrave trois reprises mais les agents peacutenitentiaires sont intervenus pour lrsquoen empecirccher Il a eacuteteacute placeacute dans une cellule drsquoisolement seacutecuriseacutee sous surveillance speacuteciale pendant quelques jours Il a ensuite eacuteteacute mis en liberteacute sous condition le 12 aoucirct 2011 Les faits ayant eu lieu entre le 21 octobre 2011 et le 2 deacutecembre 2011 En octobre 2011 un second mandat drsquoarrecirct a eacuteteacute deacutelivreacute contre M Jeanty ce dernier nrsquoayant pas respecteacute les conditions de sa libeacuteration conditionnelle Le requeacuterant a ainsi reacuteinteacutegreacute la prison drsquoArlon ougrave il a changeacute de cellule agrave plusieurs reprises apregraves ses plaintes agrave lrsquoencontre de ses codeacutetenus Le 13 novembre 2011 suite au refus de lrsquoassistant peacutenitentiaire chef drsquoeacutequipe de le changer agrave nouveau de cellule le requeacuterant a menaceacute de se suicider et a eacuteteacute placeacute en cellule drsquoisolement sous surveillance speacuteciale Lors drsquoun controcircle le mecircme jour un agent peacutenitentiaire a trouveacute le requeacuterant percheacute sur les barreaux de la porte en train drsquoattacher son pantalon et a reacuteussi de lrsquoarrecircter avant que ce dernier ne se lance dans le vide Sur ordre du meacutedecin il a eacuteteacute deacutecideacute de lui mettre un casque ainsi que des menottes agrave lrsquoavant afin drsquoempecirccher le requeacuterant de se blesser en se tapant la tecircte contre le mur Agrave sa sortie de la cellule drsquoisolement le 15 novembre 2011 le requeacuterant a eacuteteacute auditionneacute par le directeur de la prison qui a deacutecideacute de transformer en sanction disciplinaire le placement en cellule drsquoisolement de trois jours estimant que les menaces de suicide visaient agrave faire pression sur le personnel peacutenitentiaire pour obtenir une mutation de cellule M Jeanty a eacuteteacute remis en liberteacute conditionnelle le 2 deacutecembre 2011 La plainte peacutenale du requeacuterant et la proceacutedure devant les juridictions internes Le 1er avril 2014 le requeacuterant srsquoest constitueacute partie civile contre le directeur de la prison du chef drsquoabstention coupable et traitements inhumains et deacutegradants aupregraves du juge drsquoinstruction de Neufchacircteau Dans la plainte le requeacuterant se plaignait notamment drsquoavoir subi un traitement inhumain et deacutegradant au cours de ses peacuteriodes de deacutetention et du fait qursquoil eacuteteacute placeacute dans les quartiers ordinaires de la prison alors que son eacutetat de santeacute mentale deacutefaillant neacutecessitait un soutien psychologique Cette plainte a deacuteboucheacute sur un non-lieu qui eacutetait ulteacuterieurement confirmeacute en appel Le pourvoi en cassation qui porteacute sur la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 3 de la Convention a eacuteteacute rejeteacute par un arrecirct du 14 juin 2017 La Cour de cassation a estimeacute entre autre qursquoil nrsquoeacutetait pas contradictoire de consideacuterer que les mesures prises par le personnel peacutenitentiaire et les meacutedecins en vue de proteacuteger lrsquointeacutegriteacute physique du requeacuterant ne semblaient pas adeacutequates au regard des exigences de sa jurisprudence mais que neacuteanmoins il nrsquoexistait pas de charges de culpabiliteacute concernant lrsquoabstention de porter secours La proceacutedure peacutenale relative aux faits pour lesquels le requeacuterant a eacuteteacute poursuivi Le 23 avril 2014 le tribunal correctionnel drsquoArlon a condamneacute le requeacuterant agrave une peine de quatre ans drsquoemprisonnement dont la moitieacute avec sursis pour les faits drsquoattentat agrave la pudeur avec violences ou menaces et coups et blessures avec incapaciteacute de travail sur son eacutepouse Le 2 avril 2019 la cour drsquoappel de Liegravege a reacuteformeacute le jugement estimant que le requeacuterant eacutetait au moment des faits et au jour du prononceacute de lrsquoarrecirct atteint drsquoun trouble mental qui abolissait ou alteacuterait gravement sa capaciteacute de discernement ou de controcircle de ses actes Partant la cour drsquoappel a deacuteclareacute le requeacuterant irresponsable de ses actes et a ordonneacute son internement ainsi que son arrestation immeacutediate

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Le requeacuterant a eacuteteacute ensuite placeacute agrave la prison de Namur parfois agrave lrsquoannexe psychiatrique de la prison parfois dans les quartiers ordinaires par manque de place Le requeacuterant indique ne recevoir aucun soin pour son eacutetat de santeacute mentale Le 20 novembre 2017 le requeacuterant a introduit une requecircte devant la Cour EDH invoquant une violation des articles 2 (droit agrave la vie) et 3 (interdiction de la torture des traitements inhumaines ou deacutegradants) de la Convention EDH Il allegravegue une violation de lrsquoarticle 2 de la Convention du fait que les autoriteacutes avaient failli agrave leur obligation de prendre les mesures adeacutequates afin drsquoempecirccher la mateacuterialisation du risque certain et immeacutediat qursquoil attente agrave sa vie De plus il se plaint sous lrsquoangle de lrsquoarticle 3 de la Convention de lrsquoabsence de soins meacutedicaux approprieacutes durant sa deacutetention du traitement subi lors de ses placements en isolement et de lrsquoabsence drsquoune enquecircte effective

1) Sur la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 2 de la Convention o Sur la recevabiliteacute

La Cour EDH examine drsquooffice en lrsquoespegravece lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 2 de la Convention EDH Elle rappelle que la circonstance dans laquelle le requeacuterant nrsquoest pas deacuteceacutedeacute suite agrave ses tentatives de suicide qui font lrsquoobjet du grief nrsquoest pas en soi de nature agrave exclure lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 2 de la Convention eacutetant donneacute que la Cour EDH a reconnu agrave de nombreuses reprises lrsquoapplicabiliteacute de cette disposition mecircme lorsque la personne qui se disait victime drsquoune atteinte agrave son droit agrave la vie nrsquoeacutetait pas deacuteceacutedeacutee (Cour EDH Makaratzis c Gregravece [GC] 20 deacutecembre 2004 no 5038599 et Nicolae Virgiliu Tănase c Roumanie [GC] 25 juin 2019 no 4172013) Par ailleurs la Cour EDH a reconnu lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 2 de la Convention dans des affaires concernant des suicides en deacutetention (Cour EDH Renolde c France 16 octobre 2008 no 560805 et De Donder et De Clippel c Belgique 6 deacutecembre 2011 no 859506) En lrsquoespegravece le requeacuterant a tenteacute agrave plusieurs reprises au cours de sa deacutetention de mettre fin agrave ses jours et crsquoest gracircce agrave lrsquointervention des agents peacutenitentiaires que ces tentatives nrsquoont pas abouti Selon la Cour EDH le fait que le requeacuterant nrsquoait pas subi de blessure potentiellement mortelle nrsquoest pas deacuteterminant dans ce cas En effet la nature mecircme de lrsquoaction du requeacuterant lui faisait courir un risque reacuteel et imminent pour sa vie En conseacutequent la Cour EDH considegravere que lrsquoarticle 2 trouve agrave srsquoappliquer

o Sur le fond La Cour EDH rappelle tout drsquoabord que lrsquoarticle 2 astreint les Eacutetats non seulement agrave srsquoabstenir de provoquer la mort de maniegravere volontaire et irreacuteguliegravere mais aussi agrave prendre les mesures neacutecessaires agrave la protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction (Cour EDH Fernandes de Oliveira c Portugal [GC] 31 janvier 2019 no 7810314) Cette disposition peut dans certaines circonstances bien deacutefinies mettre agrave la charge des autoriteacutes lrsquoobligation positive de prendre des mesures opeacuterationnelles preacuteventives pour proteacuteger un individu contre autrui ou contre lui-mecircme (Cour EDH Renolde preacuteciteacute sect 80 Fernandes de Oliveira preacuteciteacute sect 108 et Nicolae Virgiliu Tănase preacuteciteacute sect 136) Elle a deacutejagrave jugeacute que dans le cas speacutecifique du risque de suicide en prison lrsquoEacutetat nrsquoa une telle obligation positive que lorsque les autoriteacutes savaient ou auraient ducirc savoir qursquoil existait un risque reacuteel et immeacutediat qursquoun individu donneacute attente agrave sa vie (Cour EDH De Donder et De Clippel preacuteciteacute sect 69 et Fernandes de Oliveira preacuteciteacute sect 110) Dans le cas de lrsquoespegravece la Cour EDH a estimeacute opportun drsquoexaminer sous lrsquoangle de lrsquoarticle 2 de la Convention uniquement les mesures prises par les autoriteacutes peacutenitentiaires pour empecirccher que le requeacuterant attente effectivement agrave ses jours La Cour EDH relegraveve que en ce qui concerne toutes les tentatives de suicide du requeacuterant pendant son emprisonnement agrave la maison drsquoarrecirct les autoriteacutes peacutenitentiaires sont intervenues rapidement et ont reacuteussi agrave empecirccher que le requeacuterant mette fin agrave sa vie Il a ensuite fait lrsquoobjet drsquoune surveillance speacuteciale et tous les objets potentiellement dangereux lui ont eacuteteacute retireacutes afin drsquoeacuteviter tout autre tentative Par conseacutequence la Cour EDH estime que dans lrsquoensemble les autoriteacutes ont fait ce que lrsquoon pouvait raisonnablement attendre drsquoelles dans les circonstances de la cause pour empecirccher la mateacuterialisation du risque pour la vie du requeacuterant dans la mesure ougrave elles avaient connaissance du caractegravere certain et immeacutediat de ce risque Les mesures prises ont drsquoailleurs effectivement permis drsquoempecirccher que le requeacuterant se suicide Partant elle juge qursquoil nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 2 de la Convention

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2) Sur la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 3 de la Convention

o Sur le volet mateacuteriel

La Cour EDH rappelle qursquoun traitement doit atteindre un minimum de graviteacute pour tomber sous le coup de lrsquoarticle 3 de la Convention Selon une jurisprudence constante un traitement peut ecirctre qualifieacute de laquo deacutegradant raquo au sens de lrsquoarticle 3 srsquoil humilie ou avilit un individu srsquoil teacutemoigne drsquoun manque de respect pour sa digniteacute ou srsquoil suscite chez lui des sentiments de peur drsquoangoisse ou drsquoinfeacuterioriteacute propres agrave briser sa reacutesistance morale et physique (Cour EDH MSS c Belgique et Gregravece [GC] 21 janvier 2011 no 3069609 sect 220 et El-Masri c lrsquoex-Reacutepublique yougoslave de Maceacutedoine [GC] 13 deacutecembre 2012 no 3963009 sect 202) Elle rappelle eacutegalement que les personnes atteintes drsquoune maladie mentale sont de personnes particuliegraverement vulneacuterables (Cour EDH Renolde preacuteciteacute sect 840) Les autoriteacutes sont ainsi tenues de veiller avec une rigueur particuliegravere agrave ce que les conditions de la deacutetention drsquoune personne atteinte drsquoune maladie mentale reacutepondent aux besoins speacutecifiques deacutecoulant de sa maladie (Cour EDH Fernandes de Oliveira preacuteciteacute sect 113) La Cour EDH constate tout drsquoabord qursquoau cours de ses deux peacuteriodes de deacutetention preacuteventive le requeacuterant a eacuteteacute traiteacute comme un simple deacutetenu placeacute dans un environnement carceacuteral ordinaire Elle considegravere que compte tenu de la fragiliteacute psychologique du requeacuterant de ses troubles comportementaux qui se sont manifesteacutes tout de suite apregraves son placement en deacutetention preacuteventive et qui auraient pu mettre en danger la propre personne de lrsquointeacuteresseacute il appartenait aux autoriteacutes de le faire examiner par un meacutedecin psychiatre afin de deacuteterminer la compatibiliteacute de son eacutetat psychologique avec la deacutetention ainsi que les mesures theacuterapeutiques agrave prendre dans son cas preacutecis (Cour EDH Rupa c Roumanie (no 1) 16 deacutecembre 2008 no 5847800 sect 170) De plus la Cour EDH relegraveve que le deuxiegraveme placement agrave lrsquoisolement a eacuteteacute deacutecideacute agrave titre de mesure provisoire puis confirmeacute comme sanction disciplinaire Cette sanction a eacuteteacute appliqueacutee pendant une dureacutee de trois jours Pendant les premiegraveres 24 heures le requeacuterant resta nu entraveacute par les menottes et casqueacute sans avoir aucune visite Selon la Cour EDH cette mesure a eacuteteacute deacutecideacutee sans prise en compte de lrsquoeacutetat psychique du requeacuterant et sans qursquoil soit proceacutedeacute agrave une reacuteeacutevaluation de la neacutecessiteacute de maintenir les entraves et la nuditeacute du requeacuterant pendant 24 heures En conseacutequent la Cour EDH estime que compte tenu de lrsquoeacutetat de santeacute mentale de M Jeanty le manque drsquoencadrement et de suivi meacutedical au cours de ses deux peacuteriodes de deacutetention combineacute avec lrsquoinfliction drsquoune sanction disciplinaire dans une cellule drsquoisolement pendant trois jours alors qursquoil avait commis plusieurs tentatives de suicide ont constitueacute une eacutepreuve particuliegraverement peacutenible et ont soumis lrsquointeacuteresseacute agrave une deacutetresse ou agrave une eacutepreuve drsquoune intensiteacute ayant exceacutedeacute le niveau ineacutevitable de souffrance inheacuterent agrave la deacutetention Il y a donc eu violation du volet mateacuteriel de lrsquoarticle 3 de la Convention

o Sur le volet proceacutedural

La Cour EDH rappelle que les principes geacuteneacuteraux sont eacutenonceacutes dans les arrecircts El‑Masri ([GC] 13 deacutecembre 2012 no 3963009) Mocanu et autres c Roumanie ([GC] 17 septembre 2014 nos 1086509 et 2 autres) et Bouyid c Belgique ([GC] 28 septembre 2015 no 2338009) En particulier elle rappelle qursquoune enquecircte sur des alleacutegations de traitement inhumain ou deacutegradant doit permettre drsquoidentifier et de sanctionner les responsables Elle doit eacutegalement ecirctre suffisamment vaste pour permettre aux autoriteacutes qui en sont chargeacutees de prendre en consideacuteration non seulement les actes des agents de lrsquoEacutetat qui ont eu directement et illeacutegalement recours agrave la force mais aussi lrsquoensemble des circonstances les ayant entoureacutes Enfin lrsquoenquecircte doit ecirctre approfondie ce qui signifie que les autoriteacutes doivent toujours srsquoefforcer seacuterieusement de deacutecouvrir ce qui srsquoest passeacute et qursquoelles ne doivent pas srsquoappuyer sur des conclusions hacirctives ou mal fondeacutees pour clore lrsquoenquecircte La Cour EDH constate en lrsquoespegravece que plus de huit mois se sont eacutecouleacutes entre le reacutequisitoire de mise agrave lrsquoinstruction du procureur du Roi le 8 juillet 2014 et le moment ougrave le juge drsquoinstruction a reccedilu le dossier le 3 mars 2015 Ce deacutelai pendant lequel lrsquoinstruction nrsquoa pas commenceacute et pour lequel le Gouvernement nrsquoa fourni aucune explication apparaicirct difficilement compreacutehensible et acceptable par la Cour EDH De plus une fois lrsquoinstruction entameacutee en mars 2015 aucune autre devoir agrave part le dossier peacutenitentiaire et le dossier meacutedical du requeacuterant nrsquoa eacuteteacute demandeacutee par le juge drsquoinstruction La Cour EDH relegraveve qursquoaucune des personnes impliqueacutees ou mises en cause nrsquoont eacuteteacute entendues ni les agents peacutenitentiaires ni les meacutedecins ayant vu le requeacuterant ni le requeacuterant lui-mecircme La Cour EDH conclut que lrsquoenquecircte ne peut pas ecirctre consideacutereacutee comme effective Par conseacutequent il y a eu violation du volet proceacutedural de lrsquoarticle 3 de la Convention

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PAR CES MOTIFS LA COUR

1 Deacuteclare agrave lrsquounanimiteacute la requecircte recevable 2 Dit par quatre voix contre trois qursquoil nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 2 de la Convention 3 Dit agrave lrsquounanimiteacute qursquoil y a eu violation du volet mateacuteriel de lrsquoarticle 3 de la Convention 4 Dit agrave lrsquounanimiteacute qursquoil y a eu violation du volet proceacutedural de lrsquoarticle 3 de la Convention 5 Dit agrave lrsquounanimiteacute

1 que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans un deacutelai de trois mois agrave compter de la date agrave laquelle lrsquoarrecirct sera devenu deacutefinitif conformeacutement agrave lrsquoarticle 44 sect 2 de la Convention les sommes suivantes

1 15 000 EUR (quinze mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc sur cette somme agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral

2 8 000 EUR (huit mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc sur cette somme par le requeacuterant agrave titre drsquoimpocirct pour frais et deacutepens

2 qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage

6 Rejette par quatre voix contre trois le surplus de la demande de satisfaction eacutequitable Opinion en partie dissidente commune aux juges Pinto de Albuquerque Serghides et Schembri Orland Les juges Pinto de Albuquerque Serghides et Schembri Orland considegraverent que les faits de la cause reacutevegravelent une violation flagrante du volet mateacuteriel de lrsquoarticle 2 de le Convention ainsi que de son volet proceacutedural En premier lieu ils relegravevent que le juge drsquoinstruction avait connaissance du risque reacuteel et immeacutediat que le requeacuterant attentacirct agrave sa vie ainsi que de la fragiliteacute psychologique de lrsquointeacuteresseacute Pourtant il nrsquoa pas ordonneacute sa mise en observation dans lrsquoannexe psychiatrique drsquoun centre peacutenitentiaire Par conseacutequent ils ont exprimeacute leur deacutesaccord avec lrsquoargument de la majoriteacute des juges selon lequel laquo [l]a Cour rappelle qursquoil ne lui appartient pas de connaicirctre des erreurs de fait ou de droit preacutetendument commises par une juridiction interne sauf si et dans la mesure ougrave elles pourraient avoir porteacute atteinte aux droits et liberteacutes sauvegardeacutes par la Convention () Il nrsquoincombe pas agrave la Cour de deacutecider si le juge drsquoinstruction aurait ducirc prendre une autre deacutecision celui-ci eacutetant mieux placeacute que la Cour pour prendre une deacutecision quant au lieu et aux conditions dans lesquelles la deacutetention du requeacuterant devait avoir lieu compte tenu de son eacutetat de santeacute mentale raquo (sect 104 de lrsquoarrecirct) Selon eux il srsquoagissait preacuteciseacutement drsquoune situation qui appelait pareille mesure exceptionnelle compte tenu de la fragiliteacute du requeacuterant En effet ils considegraverent que la grave erreur de fait commise par le juge drsquoinstruction a menaceacute le droit agrave la vie du requeacuterant En deuxiegraveme lieu les autoriteacutes peacutenitentiaires avaient eacutegalement eacuteteacute informeacutees de ce risque par un message qui leur avait eacuteteacute adresseacute par teacuteleacutecopie par le juge drsquoinstruction lui-mecircme Les juges Pinto de Albuquerque Serghides et Schembri Orland considegraverent qursquoelles nrsquoont pourtant pas pris les mesures de preacutecaution de base qui srsquoimposent en pareille situation comme priver le requeacuterant de sa ceinture et de son slip et allant mecircme jusqursquoagrave laisser un couteau agrave porteacutee de sa main De plus elles nrsquoont mecircme pas informeacute le juge drsquoinstruction des trois tentatives de suicide du requeacuterant alors qursquoelles y eacutetaient expresseacutement tenues par la loi Selon les juges non seulement elles nrsquoont pas pris les mesures preacuteventives qui srsquoimposaient pour atteacutenuer le risque de suicide mais elles ont aussi contribueacute agrave aggraver lrsquoeacutetat de fragiliteacute dans lequel le requeacuterant se trouvait en le placcedilant temporairement en cellule drsquoisolement nu lors de chacune de ses peacuteriodes drsquoincarceacuteration allant mecircme jusqursquoagrave lui infliger une sanction disciplinaire agrave sa sortie de la cellule drsquoisolement lors de sa deuxiegraveme peacuteriode drsquoincarceacuteration Les juges concluent que cette conduite deacutenote une absence totale de compassion agrave lrsquoeacutegard drsquoun deacutetenu particuliegraverement vulneacuterable pour lequel une approche totalement diffeacuterente eacutetait neacutecessaire (Cour EDH Renolde c France 16 octobre 2008 no 560805 sect 83) Finalement les juges relegravevent que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute vu par un psychiatre agrave son arriveacutee au centre de deacutetention Selon le Gouvernement le requeacuterant a eacuteteacute vu par un psychiatre apregraves seulement dix jours de deacutetention Le requeacuterant conteste cette affirmation Neacuteanmoins les juges considegraverent que mecircme si lrsquoaffirmation du gouvernement eacutetait vraie cela ne lrsquoexonegravererait pas de ses obligations qui deacutecoulent de la Convention compte tenu de la ligne jurisprudentielle claire adopteacutee par la Cour EDH Les juges Pinto de Albuquerque Serghides et Schembri Orland relegravevent eacutegalement que au paragraphe 109 la majoriteacute cite lrsquoarrecirct Rupa c Roumanie (ndeg 1) (Cour EDH 16 deacutecembre 2008 no 5847800) qui est ainsi libelleacute en son paragraphe 170 laquo En bref la Cour considegravere que compte tenu des anteacuteceacutedents meacutedicaux du requeacuterant de ses troubles comportementaux qui se sont manifesteacutes tout de suite apregraves

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son placement en deacutetention provisoire et qui auraient pu mettre en danger la propre personne de lrsquointeacuteresseacute il appartenait aux autoriteacutes de le faire aussitocirct examiner par un meacutedecin psychiatre afin de deacuteterminer la compatibiliteacute de son eacutetat psychologique avec la deacutetention ainsi que les mesures theacuterapeutiques agrave prendre dans son cas preacutecis raquo Ils notent que lrsquoadverbe laquo aussitocirct raquo nrsquoapparaicirct pas dans la citation de lrsquoarrecirct Rupa qui figure au paragraphe 109 de lrsquoarrecirct Par conseacutequence ils expriment leur deacutesaccord avec la majoriteacute lorsqursquoelle conclut au paragraphe 76 de lrsquoarrecirct que les autoriteacutes internes avaient certes connaissance des tendances suicidaires du requeacuterant mais qursquoelles ne pouvaient pas mettre en place degraves le deacutebut de sa premiegravere peacuteriode drsquoincarceacuteration des mesures preacuteventives visant agrave eacuteviter tout risque de suicide

Cour EDH (quatriegraveme section) Andreea-Marusia DumitruRoumanie 31 mars 2020 ndeg963716

Reacutesumeacute Dans le cadre drsquoune violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 2 de la Convention sur le droit agrave la vie la Cour EDH a pu juger que dans le contexte drsquoabsence de regraveglementation preacutecise sur lrsquousage des armes agrave feu et de deacutefaillances dans la preacuteparation de lrsquoopeacuteration de police le fonctionnaire de police en cause nrsquoavait pas pris les preacutecautions suffisantes pour preacuteserver la vie des personnes De plus la Cour EDH preacutecise que lrsquoenquecircte meneacutee dans le cadre de la proceacutedure engageacutee relativement agrave une opeacuteration de police ne peut pas ser pour avoir eacuteteacute rapide et effective lorsque le jugement deacutefinitif qui en deacutecoule est rendu plus de neuf ans et trois mois apregraves les faits La requeacuterante Andreea-Marusia Dumitru est une ressortissante roumaine neacutee en 1990 et reacutesidant agrave Bujoru Le 8 novembre 2005 la requeacuterante et sa megravere voulant rentrer chez elles deacutecidegraverent de traverser une gare de trains de marchandises En franchissant la plate-forme drsquoun wagon la requeacuterante a eacuteteacute blesseacutee par un tire drsquoarme agrave feu Le Gouvernement soutient que le jour mecircme les forces de lrsquoordres avaient eacuteteacute informeacutees du fait qursquoun groupe drsquoindividus drsquoorigine rom allaient voler de la ferraille dans un train de fret stationneacute agrave la gare de marchandises Deux fonctionnaires de police se rendirent sur les lieux accompagneacutes par deux gardiens afin de disperser le groupe et reacutetablir lrsquoordre Selon eux plusieurs individus refusegraverent drsquoobeacuteir et commencegraverent agrave jeter des pierres et des objets meacutetalliques dans leur direction Un des agents tira un coup de feu apregraves avoir effectueacute les sommations leacutegales en direction du groupe pour se deacutefendre La requeacuterante a eacuteteacute conduite agrave lrsquohocircpital et fut opeacutereacutee drsquourgence Entre 2006 et 2007 elle fut hospitaliseacutee plusieurs fois des suites de ses blessures et elle garda une invaliditeacute permanente du fait de lrsquoablation partielle de son foie Le 8 novembre 2005 le bureau de police ouvrit une enquecircte visant la requeacuterante des chefs de tentative de vol et drsquoentreacutee illeacutegale dans la zone de seacutecuriteacute des installations ferroviaires Le 2 feacutevrier 2010 la direction reacutegionale de la police des transports mit en accusation la requeacuterante pour ces mecircmes chefs Le 3 juillet 2012 le parquet infirma lrsquoacte drsquoaccusation au motif qursquoaucun eacuteleacutement du dossier ne corroborait la tentative de vol et que mecircme si la requeacuterante avait reconnu avoir traverseacute les voies de chemin de fer dans une zone interdite les faits nrsquoeacutetant pas suffisamment graves pour entraicircner une sanction peacutenale Le 1er aoucirct 2006 la requeacuterante a porteacute plainte du chef de tentative de meurtre Le 4 aoucirct 2009 le parquet pregraves le tribunal de Bucarest a rendu un non-lieu au motif que le policier en cause avait agi en eacutetat de leacutegitime deacutefense Le requeacuterante formula une contestation contre ce non-lieu en deacutenonccedilant le caractegravere superficielle de lrsquoenquecircte Par un arrecirct du 28 juin 2010 la Cour drsquoappel de Bucarest a accueilli la contestation et a ordonneacute la reacuteouverture de lrsquoenquecircte Le 21 juillet 2010 le dossier fut transfeacutereacute au parquet pregraves la Haute Cour de cassation du fait de

Art 2 (mateacuteriel) bull Recours agrave la force bull Blessures potentiellement mortelles causeacutees par les tirs de policiers pour arrecircter une tentative de vol bull Reacuteglementation impreacutecise sur lrsquousage des armes agrave feu bull Absence de recommandation sur la preacuteparation et le controcircle des opeacuterations de police bull Deacutefaillance dans la preacuteparation de lrsquointervention malgreacute sa preacutevisibiliteacute bull Absence de formation au maniement des armes agrave balles agrave caoutchouc Art 2 (proceacutedural) bull Enquecircte inefficace sur les circonstances des blessures subies deacutebuteacutee agrave la seule initiative de la victime et plus de huit mois apregraves les eacuteveacutenements bull Gestion non rigoureuse des preuves et de leur conservation bull Expertises pertinentes effectueacutees plus de trois et cinq ans apregraves les faits bull Absence de ceacuteleacuteriteacute de la proceacutedure ayant dureacute plus de neuf ans

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lrsquoancienneteacute du dossier parce que les suspects sont des fonctionnaires de police et pour eacuteviter des soupccedilons sur lrsquoimpartialiteacute du parquet Par ordonnance du 31 juillet 2014 le parquet pregraves la Haute Cour mit fin agrave lrsquoenquecircte et classa la plainte en estimant que lrsquoagent de police en cause avait fait usage de lrsquoarme agrave feu en eacutetat de leacutegitime deacutefense dans le cadre drsquoune mission de reacutetablissement de lrsquoordre public La requeacuterante forma une contestation contre lrsquoordonnance du parquet pregraves la Haute Cour Par un jugement deacutefinitif du 25 feacutevrier 2015 le tribunal de premiegravere instance de Bucarest rejeta cette contestation En conseacutequence la requeacuterante saisie la Cour EDH le 11 feacutevrier 2016

1 Sur la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 2 de la Convention La requeacuterante srsquoest plainte drsquoune part drsquoavoir eacuteteacute blesseacutee par un fonctionnaire de police dans des circonstances qui ne sont pas compatibles avec les exigences mateacuterielles de lrsquoarticle 2 de la Convention et drsquoautre part que lrsquoenquecircte ouverte nrsquoa pas eacuteteacute conforme aux obligations proceacutedurales de lrsquoEacutetat deacutefendeur au titre du mecircme article

o Sur la recevabiliteacute La Cour EDH rappelle devoir examiner drsquooffice sa compeacutetence ratione materiae srsquoagissant de lrsquoapplication de lrsquoarticle 2 de la Convention La Cour EDH considegravere que la requeacuterante a eacuteteacute victime drsquoun comportement qui a mis sa vie en danger mecircme si elle a finalement surveacutecu De fait lrsquoarticle 2 de la Convention trouve agrave srsquoappliquer en lrsquoespegravece (mutatis mutandis Soare et autres c Roumanie ndeg2432902 sect 109 22 feacutevrier 2011)

o Sur le fond Srsquoagissant du volet mateacuteriel la Cour EDH renvoie aux arrecircts McCann et autres c Royaume-Uni (27 septembre 1995 sectsect 146-150 ndeg1898491) Makaratzis c Gregravece ([GC] ndeg5038599 sectsect 56-60) et Giuliani et Gaggio c Italie ([GC] ndeg2345802 sectsect 174-182) qui exposent lrsquoensemble des principes geacuteneacuteraux deacutegageacutes dans sa jurisprudence sur le recours agrave la force meurtriegravere Si la Cour EDH estime que le recours des policiers agrave la force meurtriegravere peut ecirctre justifieacute dans certaines circonstances le non-encadrement par des regravegles et lrsquoabandon arbitraire de lrsquoaction des agents de lrsquoEacutetat sont incompatibles avec un respect effectif de lrsquoarticle 2 de la Convention Les opeacuterations de police doivent ecirctre reacuteglementeacutees par le droit national dans le cadre drsquoun systegraveme de garanties adeacutequates et effectives contre lrsquoarbitraire et lrsquoabus de la force et mecircme contre les accidents eacutevitables (sect 86) A ce titre la Cour EDH doit prendre en consideacuteration non seulement les actes des agents de lrsquoEacutetat ayant eu recours agrave la force mais eacutegalement lrsquoensemble des circonstances de lrsquoaffaire un cadre juridique et administratif doit deacutefinir les conditions limiteacutees dans lesquelles les agents de lrsquoEacutetat peuvent recourir agrave la force et faire usage drsquoarmes agrave feu (Gheorghe Cobzaru c Roumanie ndeg697808 sect 47 25 juin 2013) Lorsque la force meurtriegravere est employeacutee par les autoriteacutes dans une opeacuteration de police il est difficile de seacuteparer les obligations neacutegatives des obligations positives que fait peser la Convention sur lrsquoEacutetat Ainsi il en revient agrave la Cour EDH drsquoexaminer si les autoriteacutes ont planifieacute et controcircleacute lrsquoopeacuteration de police de maniegravere agrave reacuteduire au minimum le recours agrave la force meurtriegravere et les pertes humaines et si toutes les preacutecautions en leur pouvoir dans le choix des moyens et meacutethodes drsquoune opeacuteration de seacutecuriteacute ont eacuteteacute prises (Finogenov et autres c Russie ndeg1829903 et 2731103 sect 208)

o Cadre leacutegal relatif agrave lrsquousage des armes agrave feu et la preacuteparation de lrsquoopeacuteration de police La Cour EDH a deacutejagrave jugeacute que le cadre leacutegislatif roumain regraveglementant lrsquousage des armes agrave feu et des munitions nrsquoeacutetait pas suffisant pour offrir le niveau de protection du droit agrave la vie laquo par la loi raquo requis dans les socieacuteteacutes deacutemocratiques contemporaines en Europe (Soare et autres c Roumanie ndeg2432902 sect 132 Gheorghe Cobzaru c Roumanie ndeg697808sect 48) Les dispositions internes en cause dans les arrecircts susmentionneacutes toujours en vigueur agrave lrsquoeacutepoque des faits en lrsquoespegravece et nrsquoayant subi de modifications significatives la Cour EDH conclut que la leacutegislation nationale ne

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contenait aucune disposition regraveglementant lrsquousage des armes agrave feu dans le cadre drsquoune opeacuteration de police et qursquoelle ne comportait aucune recommandation concernant la preacuteparation et le controcircle des opeacuterations en cause Ainsi la Cour EDH juge que les autoriteacutes roumaines nrsquoont pas fait tout ce que lrsquoon pouvait raisonnablement attendre drsquoelles pour reacuteduire au minimum le recours agrave la force meurtriegravere et les eacuteventuelles pertes humaines

o Les actions du fonctionnaire de police en cause

La Cour EDH eacutetant confronteacutee agrave des versions divergentes des faits elle rappelle qursquoelle nrsquoest pas lieacutee par les constatations des juridictions internes et demeure libre de se livrer agrave sa propre appreacuteciation agrave la lumiegravere des eacuteleacutements dont elle dispose (Iambor c Roumanie ndeg6453601 sect 166 24 juin 2008) De plus elle rappelle que lorsqursquoil est reprocheacute aux agents de lrsquoEacutetat drsquoavoir fait usage drsquoune force potentiellement meurtriegravere en violation de lrsquoarticle 2 sect2 de la Convention il incombe au gouvernement deacutefendeur drsquoeacutetablir que la force en question nrsquoest pas alleacutee au-delagrave de ce qui eacutetait absolument neacutecessaire et qursquoelle eacutetait strictement proportionneacutee agrave lrsquoun des buts autoriseacutes par cette disposition (sect 106) En lrsquoespegravece la Cour EDH considegravere que les lacunes de lrsquoenquecircte lrsquoempecircchent de porter sur les faits de la cause une appreacuteciation fondeacutee sur les seules constatations opeacutereacutees par les autoriteacutes nationales Les omissions imputables aux autoriteacutes nationales ont conduit la Cour EDH agrave rejeter la thegravese selon laquelle les blessures de la requeacuterante ont eacuteteacute provoqueacutees accidentellement par lrsquoaction en leacutegitime deacutefense du fonctionnaire de police en cause A ce titre la Cour EDH juge que le Gouvernement nrsquoa pas prouveacute que lrsquousage de la force eacutetait absolument neacutecessaire au sens de lrsquoarticle 2 sect2 de la Convention et qursquoil y a eu violation de cette disposition sous son volet mateacuteriel Srsquoagissant du volet proceacutedural la Cour EDH rappelle qursquoau titre de son obligation de proteacuteger le droit agrave la vie lrsquoEacutetat doit srsquoassurer qursquoil dispose dans les cas de deacutecegraves ou de blessures physiques potentiellement mortelles drsquoun systegraveme judiciaire effectif et indeacutependant lui permettant agrave bref deacutelai drsquoeacutetablir les faits de contraindre les responsables agrave rendre des comptes et de fournir aux victimes une reacuteparation adeacutequate (Nicolae Virgiliu Tănase c Roumanie [GC] n04172013 sect 157 25 juin 2019) La Cour EDH preacutecise que dans ces hypothegraveses une enquecircte officielle approprieacutee et effective doit ecirctre meneacutee Il srsquoagit drsquoune obligation de moyen en ce que les autoriteacutes doivent avoir pris les mesures qui leur eacutetaient raisonnablement accessibles afin de recueillir les preuves concernant lrsquoincident Toute carence de lrsquoenquecircte affaiblissant sa capaciteacute agrave conduire agrave lrsquoidentification de la ou des personnes responsables risque de faire conclure agrave son inadeacutequation (Ramsahai et autres c Pays-Bas [GC] ndeg5239199 sect 324) En lrsquoespegravece la Cour EDH juge que les lacunes dans lrsquoadministration des preuves corroboreacutees par la perte drsquoeacuteleacutements de preuve essentiels pour la recherche de la veacuteriteacute ont affecteacute le caractegravere adeacutequat de lrsquoenquecircte Au regard du deacutefaut drsquoindeacutependance et drsquoimpartialiteacute des enquecircteurs alleacutegueacute par la requeacuterante la Cour EDH reacuteitegravere que pour qursquoune enquecircte soit effective il est neacutecessaire que les personnes responsables de lrsquoenquecircte et celles effectuant les investigations soient indeacutependantes de celles impliqueacutees dans les eacutevegravenements (Oumlğur c Turquie [GC] ndeg2195493 sectsect 91-92) En lrsquoespegravece la Cour EDH estime que les investigations conduites sous lrsquoautoriteacute de parquet pregraves la Haute Cour ne posent pas de problegraveme de conformiteacute avec la Convention au regard de lrsquoindeacutependance et lrsquoimpartialiteacute requises Enfin srsquoagissant de la ceacuteleacuteriteacute de la proceacutedure la Cour EDH conclut que lrsquoenquecircte meneacutee ne peut passer pouvoir avoir eacuteteacute rapide et effective puisque plus de neuf ans et trois mois se sont eacutecouleacutes entre les faits survenus le 8 novembre 2005 et le jugement deacutefinitif du 25 feacutevrier 2015 Ainsi la Cour EDH juge qursquoil y a eu une violation de lrsquoarticle 2 de la Convention sous son volet proceacutedural

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2 Sur la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 6 de la Convention

Compte tenu de la reconnaissance de la violation de lrsquoarticle 2 de la Convention dans son volet proceacutedural la Cour EDH estime qursquoaucune question distincte ne se pose au regard de lrsquoarticle 6 sect1 de la Convention (mutatis mutandis Gheorghe Cobzaru c Roumanie ndeg697808sect 82) Par ces motifs la Cour EDH agrave lrsquounanimiteacute

1 Deacuteclare la requecircte recevable quant au grief tireacute de lrsquoarticle 2 de la Convention 2 Dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 2 de la Convention sous ses volets mateacuteriel et proceacutedural 3 Dit qursquoil nrsquoy a pas lieu drsquoexaminer la recevabiliteacute et le fond du grief formuleacute sur le terrain de

lrsquoarticle 6 de la Convention 4 Dit

a Que lrsquoEacutetat deacutefendeur soit verser agrave la requeacuterante dans un deacutelai de trois mois agrave compter de la date agrave laquelle lrsquoarrecirct sera devenu deacutefinitif conformeacutement agrave lrsquoarticle 44 sect2 de la Convention les sommes suivantes agrave convertir dans la monnaie de lrsquoEacutetat deacutefendeur au taux applicable agrave la date du regraveglement i 25 000 EUR (vingt-cinq mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc agrave titre drsquoimpocirct

pour dommage moral ii 3 270 EUR (trois mille deux cent soixante-dix euros) plus tout montant pouvant ecirctre

ducirc par la requeacuterante agrave titre drsquoimpocirct pour frais et deacutepens agrave verser sur le compte bancaire qui sera indiqueacute par son repreacutesentant

b Qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage

5 Rejette la demande de satisfaction eacutequitable pour le surplus

Cour EDH (cinquiegraveme section) Kukhalashvili et autres Geacuteorgie 2 avril 2020 ndeg 893807 et 4189107

Arrecirct rendu en anglais Reacutesumeacute Dans une affaire de reacutepression dune eacutemeute dans une prison geacuteorgienne ayant conduit agrave la mort de plusieurs deacutetenus la Cour EDH conclut que ces derniers ont succombeacute agrave une force meurtriegravere qui bien qursquoayant poursuivi des buts leacutegitimes viseacutes agrave lrsquoarticle 2 de la Convention ne peut ecirctre consideacutereacutee comme ayant eacuteteacute laquo absolument neacutecessaire raquo au sens de cette mecircme disposition En effet lrsquoopeacuteration antieacutemeute nrsquoa pas eacuteteacute meneacutee de maniegravere controcircleacutee et systeacutematique et les agents des services reacutepressifs nrsquoont pas reccedilu drsquoordres ou drsquoinstructions clairs qui auraient viseacute agrave limiter autant que possible le risque qursquoil y ait des victimes Les autoriteacutes nrsquoont pas envisageacute de recourir agrave des moyens moins violents pour faire face agrave un incident de seacutecuriteacute par exemple la neacutegociation pour reacutesoudre la crise

Art 2 (substantiel) bull Usage aveugle et excessif de la force meurtriegravere lors dopeacuterations antibulleacutemeutes en prison meneacutees de maniegravere incontrocircleacutee et non systeacutematique sans chaicircne de commandement claire Usage de la force meurtriegravere justifieacute par une violence illeacutegale et un risque dinsurrection bull Absence de prise en compte par les autoriteacutes de moyens moins violents ou de la possibiliteacute de neacutegociations bull Mauvaise le traitement et lusage disproportionneacute de la force persistant apregraves la fin de lopeacuteration bull Incapaciteacute des autoriteacutes agrave fournir une assistance meacutedicale adeacutequate bull Incapaciteacute du gouvernement agrave rendre compte de chacun des deacutecegraves pertinents bull la confiance de la Cour dans tous les documents disponibles y compris les rapports des ONG lorsquil est empecirccheacute deacutetablir des faits pour des raisons imputables agrave lEacutetat Art 2 (proceacutedure) bull Enquecircte compromise par un lancement tardif un manque dindeacutependance et dimpartialiteacute une participation insuffisante des proches du deacutefunt et des retards prohibitifs dans la proceacutedure

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Les requeacuterantes Sofio Kukhalashvili Marina Gordadze et Rusudan Chitashvili sont trois ressortissantes geacuteorgiennes neacutees respectivement en 1977 en 1956 et en 1938 Elles reacutesident en Geacuteorgie La premiegravere et la deuxiegraveme requeacuterante sont respectivement la sœur et la megravere de ZK et la troisiegraveme requeacuterante est la megravere de AB Les deux hommes ZK et AB eacutetaient deacutetenus agrave la prison ndeg5 de Tbilissi ougrave ils ont trouveacute la mort en mars 2006 lors drsquoune opeacuteration meneacutee par la police antieacutemeute Ils avaient respectivement 23 ans et 29 ans Lrsquoopeacuteration antieacutemeute eut lieu en reacuteaction agrave des troubles ayant eacuteclateacute apregraves que les autoriteacutes avaient extrait drsquoun hocircpital peacutenitentiaire six chefs de gang supposeacutes et leurs proches complices Le but des autoriteacutes avait eacuteteacute de reacuteduire lrsquoinfluence supposeacutee de ces chefs de gang dans le milieu carceacuteral mais lrsquoextraction de ceux-ci par la force avait deacuteclencheacute des troubles dans les prisons n os 1 et 5 proches des lieux Les autoriteacutes eurent recours agrave une brigade antieacutemeute afin drsquoendiguer les troubles particuliegraverement intenses qui reacutegnaient dans la prison ndeg5 Ces incidents causegraverent la mort de sept deacutetenus et firent 24 blesseacutes (22 deacutetenus et deux agents peacutenitentiaires) Par la suite les requeacuterantes obtinrent du parquet des documents relatifs au deacutecegraves de leurs proches indiquant que tous deux avaient eacuteteacute blesseacutes par balles Les procureurs indiquegraverent seacutepareacutement agrave chaque famille que la force meurtriegravere avait eacuteteacute utiliseacutee contre ZK et AB laquo dans un moment drsquoextrecircme urgence raquo Ils refusegraverent drsquoaccorder aux requeacuterantes la qualiteacute de partie civile dans les affaires relatives agrave la mort de leurs proches Les informations que le Gouvernement a soumises agrave la Cour EDH montrent notamment que les autoriteacutes ont meneacute des investigations sur lrsquoeacutemeute et sur lrsquousage de la force par la police Six deacutetenus ndash les preacutetendus chefs de gang et leurs proches complices ndash furent finalement inculpeacutes pour instigation de lrsquoeacutemeute et condamneacutes agrave des peines drsquoemprisonnement La juridiction du fond eacutetablit que des deacutetenus de la prison ndeg5 avaient jeteacute des morceaux de briques et de fer sur des agents peacutenitentiaires et que la brigade antieacutemeute avait riposteacute en utilisant des balles en caoutchouc Des deacutetenus avaient ensuite tireacute agrave lrsquoaide de pistolets Makarov et de pistolets agrave gaz et avaient reacutesisteacute jusqursquoagrave lrsquointervention drsquoagents peacutenitentiaires et des forces antieacutemeute Par ailleurs le parquet ouvrit des dossiers seacutepareacutes concernant drsquoune part un eacuteventuel abus de pouvoir commis par la police et les agents peacutenitentiaires du fait qursquoils avaient ouvert le feu lors de lrsquoeacutemeute et drsquoautre part drsquoeacuteventuels homicides sur les personnes de ZK et de AB Des mesures drsquoenquecircte furent adopteacutees dans la premiegravere affaire mais il nrsquoest pas certain qursquoil en aille de mecircme pour la seconde relative au deacutecegraves de ZK et de AB Invoquant lrsquoarticle 2 (droit agrave la vie) et lrsquoarticle 13 (droit agrave un recours effectif) les requeacuterantes alleacuteguaient que lrsquoEacutetat eacutetait responsable du deacutecegraves de leurs proches et que les autoriteacutes nrsquoavaient pas meneacute une enquecircte effective Les requecirctes ont eacuteteacute introduites aupregraves de la Cour EDH les 26 janvier et 14 aoucirct 2007 Au vu des similariteacutes de celles-ci la Cour EDH a deacutecideacute de les joindre Sur la violation alleacutegueacutee des articles 2 et 13 de la Convention

o Sur le volet proceacutedural de larticle 2 La Cour EDH examine tout drsquoabord les griefs des requeacuterantes du point de vue de lrsquoobligation incombant agrave lrsquoEacutetat de mener une enquecircte effective sur les homicides illeacutegaux ou deacutecegraves suspects (volet proceacutedural de lrsquoarticle 2 obligation denquecircter) et rappelle sa jurisprudence tregraves fournie en la matiegravere (sect129 agrave 131) Selon des informations fournies par le Gouvernement lrsquoenquecircte sur lrsquousage de la force par les services reacutepressifs agrave la prison nrsquoa deacutebuteacute qursquoen juin 2006 soit trois mois apregraves les faits ce qui pour la Cour EDH repreacutesente un deacutelai bien trop long eu eacutegard agrave lrsquoampleur des eacuteveacutenements et au risque qursquoapregraves un si long laps de temps les informations importantes ne puissent plus ecirctre recueillies (sect132) En outre les autoriteacutes ont dans un premier temps refuseacute drsquoouvrir une enquecircte seacutepareacutee sur le recours agrave une force supposeacutement disproportionneacutee estimant que cet aspect eacutetait deacutejagrave couvert par les mesures drsquoenquecircte adopteacutees lors de la proceacutedure peacutenale ayant viseacute les six instigateurs allegravegues de lrsquoeacutemeute Or cette enquecircte a eacuteteacute meneacutee par le service peacutenitentiaire crsquoest-agrave-dire lrsquoorgane mecircme qui avait organiseacute la riposte agrave lrsquoeacutemeute Par ailleurs cette enquecircte nrsquoa pas porteacute sur la planification de lrsquoopeacuteration ni sur lrsquoutilisation de la force physique ou meurtriegravere ayant tueacute ou blesseacute des deacutetenus Mecircme lorsque les autoriteacutes ont ouvert une enquecircte peacutenale distincte sur le recours agrave la force en juin 2006 les requeacuterants nrsquoy ont pas eacuteteacute associeacutes en tant que victimes ce qui les a priveacutes drsquoimportants droits proceacuteduraux La participation des familles de ZK et de AB et le droit de regard du public sur lrsquoenquecircte ont donc eacuteteacute pratiquement inexistants La Cour EDH rappelle dans son paragraphe 134 quun tel deacutelai prohibitif est en soi incompatible avec lobligation de lEtat en vertu de larticle 2 de la Convention de mener une enquecircte efficace sur les deacutecegraves suspects (voir entre autres les arrecircts Merkulovav c Ukraine ndeg2145404 3 mars 2011sect 51 Şandru

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et autres c Roumanie ndeg2246503 8 deacutecembre 2009 sectsect 73 et 77-80 et Mojsiejew c Pologne ndeg 1181802 24 mars 2009 sectsect 57-58) Enfin lrsquoenquecircte nrsquoa toujours pas abouti agrave des constats deacutefinitifs ce qui constitue un retard excessif incompatible avec les obligations qui deacutecoulent de lrsquoarticle 2 La Cour EDH conclut que lrsquoenquecircte peacutenale sur lrsquousage de la force par les services reacutepressifs semble avoir eacuteteacute ineffective eu eacutegard agrave son ouverture tardive agrave son deacutefaut drsquoindeacutependance et drsquoimpartialiteacute au deacutefaut drsquoassociation des proches et aux retards excessifs Il y a donc eu violation de lrsquoarticle 2 de la Convention sous son volet proceacutedural (sect135) Compte tenu de cette conclusion la Cour EDH juge qursquoaucune question distincte ne se pose sur le terrain de lrsquoarticle 13 de la Convention (sect136)

o Sur le volet mateacuteriel de larticle 2

La Cour EDH recherche ensuite si lrsquousage de la force meurtriegravere contre les proches des requeacuterantes eacutetait leacutegitime (volet mateacuteriel de lrsquoarticle 2) En effet en vertu de larticle 2 de la Convention le recours agrave la force meurtriegravere par les forces de seacutecuriteacute peut ecirctre justifieacute dans certaines circonstances Toutefois larticle 2 ne leur donne pas carte blanche Lutilisation des termes laquo absolument neacutecessaire raquo indique que la force utiliseacutee doit ecirctre strictement proportionneacutee aux objectifs mentionneacutes agrave larticle 2 sect 2 a) b) et c) (voir en ce sens Finogenov and Others c Russie ndeg1829903 et 2731103 20 deacutecembre 2011 sect 210 et Guumll c Turquie ndeg2267693 14 deacutecembre 2000 sectsect 77 et 78) (sect144) Nrsquoayant pas drsquoinformations directes sur les faits qui se sont produits agrave la prison la Cour EDH doit se reposer sur les constats opeacutereacutes au niveau interne Or les juridictions nrsquoont pas acheveacute lrsquoexamen de cette question du recours agrave la force et aucune enquecircte parlementaire nrsquoa eacuteteacute meneacutee ce que la Cour EDH juge regrettable compte tenu de lrsquoampleur des eacutevegravenements (sect148) La Cour EDH preacutecise dans ce mecircme paragraphe quil revenait donc au gouvernement deacutefendeur drsquoexpliquer de maniegravere satisfaisante et convaincante le deacuteroulement des faits et de produire des eacuteleacutements de preuve solides afin de reacutefuter les alleacutegations des requeacuterantes relatives agrave lrsquousage drsquoune force meurtriegravere disproportionneacutee par des agents de lrsquoEacutetat Si le Gouvernement nrsquoagit pas il revient la Cour EDH de tirer ses propres conclusions (voir en ce sens larrecirct Mansuroğlu c Turkey ndeg 4344398 26 feacutevrier 2008 sect 80) La Cour EDH rappelle quelle peut eacutegalement se servir de tous les eacuteleacutements dont elle dispose notamment de rapports drsquoorganisations de deacutefense des droits de lrsquohomme tels que ceux eacutetablis par Amnesty International et Human Rights Watch dans cette affaire Les conclusions factuelles auxquelles aboutit la Cour EDH doivent reposer sur le critegravere de la preuve laquo au-delagrave de tout doute raisonnable raquo Au vu des eacuteleacutements qui sont en sa possession la Cour EDH constate que la conduite des deacutetenus qui se sont barricadeacutes dans la prison ndeg5 et ont tireacute en direction des agents des forces de lrsquoordre au moment des troubles faisait penser agrave une tentative de soulegravevement La Cour EDH rappelle quelle est consciente de la violence qui regravegne dans les prisons et du risque que des actes violents se transforment rapidement en reacutesistance active contre les forces de lordre voire en insurrection (voir en ce sens Leyla Alp et autres v Turquie ndeg2967502 10 deacutecembre 2013sect 84 et İsmail Altun c Turquie ndeg2293202 21 septembre 2010 sect 73)Confronteacute agrave une violence illeacutegale et agrave un risque drsquoinsurrection lrsquoEacutetat deacutefendeur eacutetait donc fondeacute agrave recourir agrave des mesures impliquant une force potentiellement meurtriegravere pouvant ecirctre compatible avec les buts eacutenonceacutes agrave lrsquoarticle 2 sect 2 a (laquo pour assurer la deacutefense de toute personne contre la violence illeacutegale raquo et c (laquo pour reacuteprimer conformeacutement agrave la loi une eacutemeute ou une insurrection raquo) de la Convention Se pose toutefois la question de savoir si le recours agrave la force meurtriegravere eacutetait laquo absolument neacutecessaire raquo en particulier agrave la lumiegravere du nombre de personnes qui ont eacuteteacute tueacutees ou blesseacutees (sect152) Pour appreacutecier la proportionnaliteacute du recours agrave la force meurtriegravere la Cour EDH relegraveve que les autoriteacutes connaissaient le risque que les six chefs de gang supposeacutes et leurs complices provoquent des troubles agrave la prison lors de leur extraction Or la brigade antieacutemeute nrsquoavait pas reccedilu drsquoinstructions ou drsquoordres speacutecifiques quant agrave la forme et agrave lrsquointensiteacute drsquoune eacuteventuelle force meurtriegravere qui permettrait de limiter autant que possible le nombre de victimes potentielles Le Gouvernement nrsquoa pas non plus eacutetabli que la brigade antieacutemeute avait agi de maniegravere controcircleacutee et systeacutematique avec une chaine de commandement claire Selon les eacuteleacutements recueillis par Human Rights Watch les autoriteacutes ne savaient mecircme pas exactement qui eacutetait responsable de lrsquoopeacuteration (sect153)

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Selon la Cour EDH les autoriteacutes nrsquoauraient pas non plus penseacute agrave des mesures alternatives comme employer du gaz lacrymogegravene ou des canons agrave eau omission qui reacutesulte semble-t-il drsquoun deacutefaut de planification strateacutegique Par ailleurs la possibiliteacute drsquoatteacutenuer la crise en neacutegociant avec les deacutetenus barricadeacutes nrsquoa pas eacuteteacute suffisamment envisageacutee (voir en ce sens İsmail Altun citeacute sect 73) (sect154) La Cour EDH affirme dans son paragraphe suivant que les autoriteacutes nrsquoont pas fourni une assistance meacutedicale adeacutequate aux deacutetenus de la prison ndeg5 agrave lrsquoissue de lrsquoopeacuteration alors que de telles dispositions auraient ducirc ecirctre prises La Cour EDH relegraveve au mecircme paragraphe lrsquoexistence de comptes rendus fiables recueillis par des observateurs internes mais aussi internationaux (comme Human Rights Watch et Amnesty International) selon lesquels de nombreux deacutetenus se sont vu infliger des mauvais traitements par des agents des forces speacuteciales et se sont mecircme fait tirer dessus dans leurs cellules alors qursquoils nrsquoopposaient plus de reacutesistance Enfin ni les autoriteacutes nationales ni le gouvernement deacutefendeur nrsquoont fourni drsquoinformations sur le sort de ZK et celui de AB qui ont eacuteteacute tueacutes lors de lrsquoopeacuteration (sect156) Selon la Cour EDH ZK et AB ont succombeacute agrave une force meurtriegravere qui bien qursquoayant poursuivi des buts leacutegitimes viseacutes agrave lrsquoarticle 2 de la Convention ne peut ecirctre consideacutereacutee comme ayant eacuteteacute laquo absolument neacutecessaire raquo au sens de cette disposition La Cour EDH conclut ainsi que lrsquoopeacuteration anti-eacutemeute a emporteacute violation de lrsquoarticle 2 de la Convention sous son volet mateacuteriel (sect157) POUR CES RAISONS LA COUR Agrave LUNANIMITEacute

1 Deacutecide de joindre les demandes 2 Joint au fond lobjection du gouvernement concernant le caractegravere preacutematureacute des demandes et deacuteclare les demandes recevables 3 Dit que lexception preacuteciteacutee du Gouvernement doit ecirctre rejeteacutee et quil y a eu violation de larticle 2 de la Convention tant sur le plan de la proceacutedure que sur celui du fond 4 Dit quil ny a pas lieu dexaminer le grief au titre de larticle 13 de la Convention 5 Dit

a) que lEacutetat deacutefendeur doit verser aux requeacuterants dans un deacutelai de trois mois agrave compter de la date agrave laquelle le jugement devient deacutefinitif conformeacutement agrave larticle 44 sect 2 de la Convention les montants suivants agrave convertir dans la monnaie de lEacutetat deacutefendeur au taux applicable agrave la date du regraveglement

i) 40000 EUR (quarante mille euros) aux premier et deuxiegraveme requeacuterants conjointement et 32000 EUR (trente-deux mille euros) au troisiegraveme requeacuterant plus tout impocirct eacuteventuellement exigible au titre du preacutejudice moral ii) 5 400 (cinq mille quatre cents euros) euros pour le premier et deuxiegraveme requeacuterant conjointement et 3 400 (trois mille quatre cents euros) euros pour le troisiegraveme requeacuterant plus toute taxe qui pourrait leur ecirctre imputeacutee au titre des frais et deacutepens

b) quagrave compter de lexpiration des trois mois susmentionneacutes et jusquau regraveglement des inteacuterecircts simples seront dus sur les montants susmentionneacutes agrave un taux eacutegal au taux de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne pendant la peacuteriode de carence majoreacute de trois points de pourcentage

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Egaliteacute de traitement

Cour de justice (grande chambre) NH Associazione Avvocatura per i diritti LGBTI ndash Rete Lenford 23 avril 2020 C-50718

Reacutesumeacute En reacuteponse agrave des questions preacutejudicielles de la Cour de cassation italienne la Cour de justice estime drsquoune part que des

deacuteclarations insinuant une politique de recrutement homophobe relegravevent de la notion de laquo conditions drsquoaccegraves agrave lrsquoemploi ou au travail raquo

degraves lors qursquoil existe un lien non hypotheacutetique entre ces deacuteclarations et la politique de recrutement de lrsquoemployeur Drsquoautre part elle a

conclu que le droit national peut preacutevoir qursquoune association a le droit drsquoagir en justice pour assurer le respect des obligations de la

directive 200078 mecircme si aucune personne leacuteseacutee nrsquoest identifiable

NH est un avocat et lrsquoAssociazione une association drsquoavocats deacutefendant en justice les droits des personnes

LGBTI LrsquoAssociazione a attrait NH en justice en raison du fait qursquoil avait tenu des propos constituant un

comportement discriminatoire fondeacute sur lrsquoorientation sexuelle des travailleurs NH a deacuteclareacute lors drsquoune eacutemission

radiophonique ne pas vouloir recruter ni faire travailler de personnes homosexuelles dans son cabinet drsquoavocats

Le Tribunal de Bergame a condamneacute NH par une ordonnance du 6 aoucirct 2014 La Cour drsquoappel de Brescia a

rejeteacute le recours introduit par NH NH srsquoest pourvu en cassation et allegravegue que lrsquoAssociazione nrsquoa pas la qualiteacute

pour agir et qursquoil a exprimeacute une opinion concernant la profession drsquoavocat non pas en se preacutesentant en qualiteacute

drsquoemployeur mais en tant que simple citoyen et que les deacuteclarations litigieuses eacutetaient deacutetacheacutees de tout contexte

professionnel effectif

La Cour de Cassation a deacutecideacute de surseoir agrave statuer et de poser agrave la Cour de justice les questions preacutejudicielles

suivantes

laquo 1) Lrsquoarticle 9 de la directive [200078] doit-il ecirctre interpreacuteteacute en ce sens qursquoune association composeacutee

drsquoavocats speacutecialiseacutes dans la deacutefense en justice drsquoune cateacutegorie de personnes ayant une orientation

sexuelle diffeacuterente et qui a pour objectif aux termes de ses statuts de promouvoir la culture et le respect

des droits de cette cateacutegorie est automatiquement porteuse drsquoun inteacuterecirct collectif et constitue une

association de tendance ou de conviction sans but lucratif ayant qualiteacute pour agir en justice y compris

en reacuteparation lorsque se produisent des faits jugeacutes discriminatoires contre cette cateacutegorie de personnes

2) Les articles 2 et 3 de la directive [200078] doivent-ils ecirctre interpreacuteteacutes en ce sens que le champ

drsquoapplication du reacutegime de lutte contre la discrimination que preacutevoit cette directive couvre lrsquoexpression

drsquoune opinion contraire agrave la cateacutegorie des personnes homosexuelles faite lors drsquoun entretien dans le

cadre drsquoune eacutemission radiophonique de divertissement dans laquelle la personne interrogeacutee a deacuteclareacute

que jamais elle ne recruterait ni ne ferait travailler ces personnes dans son cabinet [drsquoavocats] alors

mecircme qursquoaucune proceacutedure de recrutement nrsquoaurait eacuteteacute en cours ni nrsquoaurait eacuteteacute programmeacutee par cette

personne raquo

o Sur la seconde question

Il convient drsquoexaminer en premier lieu si les deacuteclarations effectueacutees au cours drsquoune eacutemission audiovisuelle par

NH relegravevent du champ drsquoapplication mateacuteriel de la directive 200078 en ce que celle-ci vise agrave son article 3

paragraphe 1 sous a) les laquo conditions drsquoaccegraves agrave lrsquoemploi [hellip] ou au travail y compris les critegraveres de seacutelection et

les conditions de recrutement raquo

Renvoi preacutejudiciel ndash Eacutegaliteacute de traitement en matiegravere drsquoemploi et de travail ndash Directive 200078CE ndash Article 3 paragraphe 1 sous a) article 8 paragraphe 1 et article 9 paragraphe 2 ndash Interdiction des discriminations fondeacutees sur lrsquoorientation sexuelle ndash Conditions drsquoaccegraves agrave lrsquoemploi ou au travail ndash Notion ndash Deacuteclarations publiques excluant le recrutement de personnes homosexuelles ndash Article 11 paragraphe 1 article 15 paragraphe 1 et article 21 paragraphe 1 de la charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne ndash Deacutefense des droits ndash Sanctions ndash Personne morale repreacutesentative drsquoun inteacuterecirct collectif ndash Qualiteacute pour agir en justice sans agir au nom drsquoun plaignant deacutetermineacute ou en lrsquoabsence de personne leacuteseacutee ndash Droit drsquoobtenir reacuteparation

34

Retour En Bref

La Cour de justice note que cette directive ne renvoie pas au droit des Eacutetats membres pour deacutefinir la notion de

laquo conditions drsquoaccegraves agrave lrsquoemploi [hellip] ou au travail raquo Ces termes doivent donc ecirctre interpreacuteteacutes conformeacutement agrave leur

sens habituel dans le langage courant tout en tenant compte du contexte dans lequel ils sont utiliseacutes et des

objectifs poursuivis par la reacuteglementation dont ils font partie En lrsquoespegravece les termes de lrsquoarticle 3 de la directive

200078 visent des circonstances ou des faits dont lrsquoexistence doit impeacuterativement ecirctre eacutetablie pour qursquoune

personne puisse obtenir un emploi ou un travail donneacute Les termes ne permettant pas agrave eux seuls de deacuteterminer

si les deacuteclarations litigieuses relegravevent du champ drsquoapplication mateacuteriel de cette directive la Cour de justice estime

qursquoil faut srsquointerroger sur le contexte dans lequel srsquoinscrit lrsquoarticle 3 et sur les objectifs de la directive preacuteciteacutee La

directive a eacuteteacute prise sur le fondement de lrsquoarticle 19 paragraphe 1 TFUE lequel confegravere agrave lrsquoUnion une

compeacutetence pour prendre les mesures neacutecessaires en vue de combattre toute discrimination fondeacutee notamment

sur lrsquoorientation sexuelle Lrsquoobjectif de la directive 200078 est drsquoeacutetablir un cadre geacuteneacuteral pour lutter contre la

discrimination fondeacutee sur lrsquoorientation sexuelle en ce qui concerne lrsquoemploi et le travail afin de mettre en œuvre

le principe de lrsquoeacutegaliteacute de traitement dans les Eacutetats membres La Cour de justice rappelle que la directive 200078

concreacutetise ainsi dans le domaine qursquoelle couvre le principe geacuteneacuteral de non-discrimination deacutesormais consacreacute agrave

lrsquoarticle 21 de la Charte europeacuteenne des droits fondamentaux Ainsi la Cour de justice estime que la notion de

laquo conditions drsquoaccegraves agrave lrsquoemploi ou au travail raquo ne saurait faire lrsquoobjet drsquoune interpreacutetation restrictive

Pour que des deacuteclarations relegravevent du champ drsquoapplication mateacuterielle de la directive preacuteciteacutee il faut qursquoelles

puissent ecirctre effectivement rattacheacutees agrave la politique de recrutement drsquoun employeur donneacute ce qui impose que le

lien qursquoelles preacutesentent avec les conditions drsquoaccegraves agrave lrsquoemploi ou au travail aupregraves de cet employeur ne soit pas

hypotheacutetique Afin drsquoappreacutecier lrsquoexistence drsquoun tel lien sont pertinents le statut de lrsquoauteur des deacuteclarations et la

qualiteacute dans laquelle il srsquoest exprimeacute lesquels doivent eacutetablir srsquoil est un employeur potentiel ou capable drsquoexercer

une influence deacuteterminante sur la politique drsquoembauche Sont pertinents deuxiegravemement la nature et le contenu

des deacuteclarations concerneacutees Troisiegravemement doit ecirctre pris en consideacuteration le contexte dans lequel les

deacuteclarations en cause ont eacuteteacute effectueacutees

Finalement la Cour de justice estime que cette interpreacutetation de la directive ne saurait ecirctre infirmeacutee par lrsquoeacuteventuelle

limitation agrave lrsquoexercice de la liberteacute drsquoexpression qursquoelle pourrait entraicircner Elle rappelle que la liberteacute drsquoexpression

est un droit fondamental de lrsquoUnion europeacuteenne mais qursquoelle nrsquoest pas un droit absolu et son exercice peut

comporter des limitations si elles sont preacutevues par la loi et respectent le contenu essentiel de ce droit ainsi que

le principe de proportionnaliteacute Or comme lrsquoavocate geacuteneacuterale lrsquoa releveacute dans ses conclusions tel est le cas en

lrsquooccurrence

Par suite la Cour de justice estime que la notion de laquo conditions drsquoaccegraves agrave lrsquoemploi [hellip] ou au travail raquo doit ecirctre

interpreacuteteacutee en ce sens que relegravevent de cette notion les deacuteclarations litigieuses agrave condition que le lien entre ces

deacuteclarations et les conditions drsquoaccegraves agrave lrsquoemploi ou au travail au sein de cette entreprise ne soit hypotheacutetique

o Sur la premiegravere question

Lrsquoarticle 9 paragraphe 2 de la directive 200078 dispose que les Eacutetats membres veillent agrave ce que les associations

organisations ou les personnes morales qui ont un inteacuterecirct leacutegitime agrave assurer que les dispositions de cette directive

sont respecteacutees puissent engager toute proceacutedure judiciaire et ou administrative preacutevue pour faire respecter les

obligations de la directive Lrsquoarticle 8 paragraphe 1 de la directive 200078 preacutevoit que les Eacutetats membres

peuvent adopter ou maintenir des dispositions plus favorables agrave la protection du principe de lrsquoeacutegaliteacute de traitement

que celles preacutevues dans cette directive Ainsi la Cour de justice a jugeacute que lrsquoarticle 9 de la directive 200078 ne

srsquooppose pas agrave ce qursquoun Eacutetat membre preacutevoie le droit pour les associations ayant un inteacuterecirct leacutegitime agrave faire assurer

le respect de cette directive drsquoengager des proceacutedures juridictionnelles ou administratives visant agrave faire respecter

les obligations deacutecoulant de celle-ci sans agir au nom drsquoun plaignant deacutetermineacute ou en lrsquoabsence de plaignant

identifiable

Par suite la Cour de justice estime que la directive 200078 ne srsquooppose pas agrave une reacuteglementation nationale en

vertu de laquelle une association dont lrsquoobjet consiste agrave deacutefendre en justice les personnes ayant une certaine

orientation sexuelle a automatiquement qualiteacute pour engager une proceacutedure juridictionnelle visant agrave faire

respecter les obligations deacutecoulant de cette directive lorsque se produisent des faits susceptibles de constituer une

discrimination agrave lrsquoencontre de ladite cateacutegorie de personnes et qursquoune personne leacuteseacutee nrsquoest pas identifiable

Par ces motifs la Cour de justice (grande chambre) dit pour droit

35

Retour En Bref

1) La notion de laquo conditions drsquoaccegraves agrave lrsquoemploi [] ou au travail raquo contenue dans lrsquoarticle 3 paragraphe

1 sous a) de la directive 200078CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant creacuteation drsquoun cadre

geacuteneacuteral en faveur de lrsquoeacutegaliteacute de traitement en matiegravere drsquoemploi et de travail doit ecirctre interpreacuteteacutee en ce

sens que relegravevent de cette notion des deacuteclarations effectueacutees par une personne au cours drsquoune eacutemission

audiovisuelle selon lesquelles jamais elle ne recruterait ni ne ferait travailler de personnes drsquoune certaine

orientation sexuelle dans son entreprise et ce alors qursquoaucune proceacutedure de recrutement nrsquoeacutetait en cours

ou programmeacutee agrave condition que le lien entre ces deacuteclarations et les conditions drsquoaccegraves agrave lrsquoemploi ou au

travail au sein de cette entreprise ne soit pas hypotheacutetique

2) La directive 200078 doit ecirctre interpreacuteteacutee en ce sens qursquoelle ne srsquooppose pas agrave une reacuteglementation

nationale en vertu de laquelle une association drsquoavocats dont lrsquoobjet statutaire consiste agrave deacutefendre en

justice les personnes ayant notamment une certaine orientation sexuelle et agrave promouvoir la culture et le

respect des droits de cette cateacutegorie de personnes a du fait de cet objet et indeacutependamment de son but

lucratif eacuteventuel automatiquement qualiteacute pour engager une proceacutedure juridictionnelle visant agrave faire

respecter les obligations deacutecoulant de cette directive et le cas eacutecheacuteant obtenir reacuteparation lorsque se

produisent des faits susceptibles de constituer une discrimination au sens de ladite directive agrave

lrsquoencontre de ladite cateacutegorie de personnes et qursquoune personne leacuteseacutee nrsquoest pas identifiable

Indeacutependance de la justice

Ordonnance de la Cour de justice (grande chambre) du 8 avril 2020 dans lrsquoaffaire Reacutepublique de Pologne Commission europeacuteenne C-79119 R

Reacutesumeacute La Commission europeacuteenne a saisi la Cour de justice afin que celle-ci ordonne la suspension des dispositions de la leacutegislation

nationale qui donne la compeacutetence agrave la chambre disciplinaire de juger des affaires disciplinaires concernant les juges polonais La Cour

de justice reacutepond positivement agrave la demande de la Commission europeacuteenne en justifiant que ces dispositions porteraient atteinte agrave

lrsquoindeacutependance de la justice et ainsi seraient contraires agrave lrsquoEtat de droit et au droit de lrsquoUnion

Estimant que la Reacutepublique de Pologne avait manqueacute en adoptant le nouveau reacutegime disciplinaire des juges de

la Cour suprecircme et des juridictions de droit commun aux obligations lui incombant en vertu du droit de lrsquoUnion

la Commission europeacuteenne a le 3 avril 2019 adresseacute une lettre de mise en demeure agrave cet Eacutetat Dans une lettre

du 1er juin 2019 la Reacutepublique de Pologne a contesteacute toute violation du droit de lrsquoUnion Le 17 juillet 2019 la

Commission europeacuteenne a eacutemis un avis motiveacute dans lequel elle maintenait que le nouveau reacutegime polonais violait

les dispositions du droit de lrsquoUnion Agrave la suite de la reacuteponse de la Reacutepublique de Pologne qui ne lrsquoa pas convaincu

la Commission europeacuteenne a deacutecideacute drsquointroduire un recours en manquement

Par sa demande en reacutefeacutereacute la Commission europeacuteenne demande agrave la Cour de justice drsquoordonner agrave la Reacutepublique

de Pologne dans lrsquoattente de lrsquoarrecirct de la Cour de justice statuant sur le fond de suspendre lrsquoapplication des

dispositions de lrsquoarticle 3 point 5 de lrsquoarticle 27 et de lrsquoarticle 73 paragraphe 1 de la loi sur la Cour suprecircme

constituant le fondement de la compeacutetence de la chambre disciplinaire de la Cour suprecircme polonaise La

Commission europeacuteenne demande eacutegalement que la Reacutepublique de Pologne srsquoabstienne de transmettre les

affaires pendantes devant la chambre disciplinaire agrave une formation de jugement qui ne satisfait pas aux exigences

drsquoindeacutependance

o Sur la recevabiliteacute

La Reacutepublique de Pologne soutient que la demande en reacutefeacutereacute introduite par la Commission europeacuteenne est

manifestement irrecevable En premier lieu la Pologne allegravegue que les mesures provisoires solliciteacutees par la

Commission europeacuteenne sont de nature agrave constituer une ingeacuterence inadmissible dans les structures

constitutionnelle et juridictionnelle polonaises

Reacutefeacutereacute ndash Article 279 TFUE ndash Demande de mesures provisoires ndash Article 19 paragraphe 1 second alineacutea TUE ndash Indeacutependance de lrsquoIzba Dyscyplinarna (chambre disciplinaire) du Sąd Najwyższy (Cour suprecircme Pologne)

36

Retour En Bref

La Commission europeacuteenne soutient que les dispositions nationales dont elle demande la suspension relegravevent du

champ drsquoapplication de lrsquoarticle 19 paragraphe 1 second alineacutea TUE de sorte qursquoelles peuvent faire lrsquoobjet de

mesures provisoires solliciteacutees

La Cour de justice rappelle que bien que chaque Eacutetat membre soit compeacutetent pour lrsquoorganisation de la justice

dans son Eacutetat ils sont tenus de respecter les obligations qui deacutecoulent du droit de lrsquoUnion et en particulier de

lrsquoarticle 19 paragraphe 1 second alineacutea TUE Tous les Etats membres doivent srsquoassurer que les juridictions

relevant de leur systegraveme de voies de recours dans les domaines couverts par le droit de lrsquoUnion satisfont aux

exigences drsquoune protection juridictionnelle effective La Cour de justice rappelle que lrsquoarticle 19 TUE qui

concreacutetise la valeur de lrsquoEacutetat de droit confie aux juridictions nationales et agrave la Cour de justice de garantir la pleine

application du droit de lrsquoUnion ainsi que la protection juridictionnelle que les justiciables tirent de ce droit Afin

que cette protection soit garantie la preacuteservation de lrsquoindeacutependance de ces instances est primordiale La Cour de

justice relegraveve qursquoil incombe agrave tout Eacutetat membre drsquoassurer que le reacutegime disciplinaire applicable aux juges des

juridictions nationales respecte le principe drsquoindeacutependance des juges Ainsi la Cour de justice est compeacutetente

dans le cadre drsquoun recours en manquement tendant agrave contester la compatibiliteacute avec lrsquoarticle 19 paragraphe 1

second alineacutea TUE des dispositions nationales relatives au reacutegime disciplinaire pour ordonner au titre de lrsquoarticle

279 TFUE des mesures provisoires tendant agrave la suspension de lrsquoapplication de telles dispositions

En lrsquoespegravece la Cour de justice note que la chambre disciplinaire srsquoest vu confier par les dispositions nationales

litigieuses la compeacutetence pour statuer dans les affaires disciplinaires concernant les juges de la Cour suprecircme et

des juridictions de droit commun juridictions qui peuvent connaitre de questions lieacutees agrave lrsquoapplication ou agrave

lrsquointerpreacutetation du droit de lrsquoUE

Par suite la Cour de justice est compeacutetente pour adopter des mesures provisoires de la nature de celles solliciteacutees

par la Commission europeacuteenne

En deuxiegraveme lieux la Pologne soutient que les mesures provisoires solliciteacutees par la Commission europeacuteenne

tendent agrave ce que certains juges de la Cour suprecircme agrave savoir ceux de la chambre disciplinaire soient deacutemis de

leurs fonctions Cela violerait le principe drsquoinamovibiliteacute des juges et compromettrait les garanties drsquoindeacutependance

des juges

La Cour de justice estime que les mesures demandeacutees par la Commission europeacuteenne auraient pour effet la

suspension de lrsquoapplication des dispositions nationales litigieuses et non pas la reacutevocation des juges de la chambre

disciplinaire

En troisiegraveme lieu la Reacutepublique de Pologne estime que les mesures provisoires rendraient impossible lrsquoexeacutecution

de lrsquoarrecirct deacutefinitif en cas drsquoaccueil du recours en ce que leur octroi aurait pour effet pratique la dissolution de la

chambre disciplinaire La Cour de justice rejette lrsquoargument de la Pologne

Par suite la Cour de justice conclut que la demande de mesures provisoires est recevable

o Sur le fond

La Cour de justice agrave titre liminaire rappelle qursquoune mesure provisoire ne peut ecirctre accordeacutee par le juge des reacutefeacutereacutes

que srsquoil est eacutetabli que son octroi est justifieacute agrave premiegravere vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qursquoelle est urgente

en ce sens qursquoil est neacutecessaire pour eacuteviter un preacutejudice grave et irreacuteparable aux inteacuterecircts du requeacuterant qursquoelle soit

eacutedicteacutee et produise ses effets degraves avant la deacutecision au fond Le juge des reacutefeacutereacutes procegravede eacutegalement le cas eacutecheacuteant

agrave la mise en balance des inteacuterecircts en preacutesence

Sur le fumus boni juri

Afin que cette condition soit remplie il ressort de la jurisprudence de la Cour de justice qursquoil faut qursquoau moins un

des moyens invoqueacutes par la partie qui sollicite les mesures provisoires agrave lrsquoappui du recours au fond apparaisse agrave

premiegravere vue non deacutepourvu de fondement seacuterieux

A ce titre la Commission europeacuteenne invoque un moyen tireacute de ce que en ne garantissant pas lrsquoindeacutependance et

lrsquoimpartialiteacute de la chambre disciplinaire la Reacutepublique de Pologne a manqueacute aux obligations qui lui incombent

en vertu de lrsquoarticle 19 paragraphe 1 second alineacutea TUE La Commission europeacuteenne relegraveve que lrsquoinstitution de

la chambre disciplinaire a coiumlncideacute avec la modification des regravegles relatives agrave la nomination des membres de la

KRS Cette modification a accru lrsquoinfluence du pouvoir leacutegislatif sur le fonctionnement de cet organe qui participe

37

Retour En Bref

au processus de seacutelection des juges et est chargeacute drsquoassurer lrsquoindeacutependance des juges et des juridictions et par

conseacutequence sur le processus de nomination des juges agrave la chambre disciplinaire La Commission europeacuteenne

relegraveve ensuite que le leacutegislateur national a exclu la possibiliteacute de deacutesigner comme membre de la chambre

disciplinaire un juge deacutejagrave en exercice au sein de la Cour suprecircme de sorte que seuls de nouveaux juges nommeacutes

sur proposition de la KRS ont pu ecirctre nommeacutes pour sieacuteger au sein de cette chambre Finalement la Commission

europeacuteenne souligne que la chambre disciplinaire se caracteacuterise par un degreacute eacuteleveacute drsquoautonomie organisationnelle

et financiegravere

La Commission europeacuteenne souligne que les eacuteleacutements susmentionneacutes et leur introduction simultaneacutee dans le

droit polonais font apparaitre une rupture structurelle qui empecircche drsquoeacutecarter tout doute leacutegitime quant agrave

lrsquoindeacutependance et agrave lrsquoimpartialiteacute de la chambre disciplinaire

La Cour de justice afin de veacuterifier si la condition relative au fumus boni juris est remplie en lrsquooccurrence relegraveve que

le grief porte sur la question de savoir si la chambre disciplinaire satisfait agrave lrsquoexigence drsquoindeacutependance des juges

qui deacutecoule de lrsquoarticle 19 paragraphe 1 second alineacutea TUE La Cour de justice commence par rappeler les regravegles

qui concernent les garanties drsquoindeacutependance et drsquoimpartialiteacute Elle rappelle aussi que conformeacutement au principe

de seacuteparation des pouvoirs qui caracteacuterise le fonctionnement drsquoun Eacutetat de droit lrsquoindeacutependance des juridictions

doit ecirctre garantie agrave lrsquoeacutegard des pouvoirs leacutegislatif et exeacutecutif Les juges doivent donc se trouver agrave lrsquoabri

drsquointerventions ou de pressions exteacuterieures susceptibles de mettre en peacuteril leur indeacutependance Dans lrsquoarrecirct AK

(Cour de justice 19 novembre 2019 affaires jointes C‑58518 C‑62418 et C‑62518) la Cour de justice a eacuteteacute

ameneacutee agrave preacuteciser la porteacutee de ces exigences drsquoindeacutependance et drsquoimpartialiteacute dans le contexte de la creacuteation drsquoune

instance telle que la chambre disciplinaire Elle avait consideacutereacute que lrsquoon pouvait douter de lrsquoindeacutependance de la

KRS qui participe au processus de deacutesignation des juges de la chambre disciplinaire Pour autant la Cour de

justice nrsquoa dans lrsquoarrecirct preacuteciteacute pas constateacute lrsquoabsence de conformiteacute agrave lrsquoarticle 19 paragraphe 1 second alineacutea

TUE des dispositions nationales relatives agrave la chambre disciplinaire et de celles ayant modifieacute les regravegles de

composition de la KRS mais a laisseacute le soin agrave la juridiction de renvoi de proceacuteder aux appreacuteciations requises agrave

cette fin

Par suite il convient de constater que eu eacutegard aux eacuteleacutements de fait mis en avant par la Commission europeacuteenne

ainsi qursquoaux eacuteleacutements drsquointerpreacutetation fournis notamment par lrsquoarrecirct Commission Pologne (Cour de justice 24

juin 2019 C-61918) et par lrsquoarrecirct AK les arguments avanceacutes par la Commission europeacuteenne apparaissent

comme eacutetant non deacutepourvus de fondement seacuterieux Il y a lieu de conclure que la condition relative au fumus boni

juris est remplie en lrsquoespegravece

Sur lrsquourgence

Selon une jurisprudence constante de la Cour de justice la finaliteacute de la proceacutedure de reacutefeacutereacute est de garantir la

pleine efficaciteacute de la future deacutecision deacutefinitive afin drsquoeacuteviter une lacune dans la protection juridique assureacutee par

la Cour de justice Pour atteindre cet objectif lrsquourgence doit srsquoappreacutecier par rapport agrave la neacutecessiteacute qursquoil y a de

statuer provisoirement afin drsquoeacuteviter qursquoun preacutejudice grave et irreacuteparable ne soit occasionneacute agrave la partie qui sollicite

la protection provisoire Le preacutejudice grave et irreacuteparable dont la survenance probable doit ecirctre eacutetablie est celui

qui reacutesulterait le cas eacutecheacuteant du refus drsquoaccorder les mesures provisoires solliciteacutees dans lrsquohypothegravese ougrave le recours

au fond aboutirait par la suite

Il convient ainsi drsquoexaminer si lrsquoapplication des dispositions nationales litigieuses est susceptible de causer un

preacutejudice grave et irreacuteparable au regard du fonctionnement de lrsquoordre juridique de lrsquoUnion La Cour de justice

relegraveve que la garantie drsquoindeacutependance de la chambre disciplinaire en tant que juridiction compeacutetence pour statuer

dans les affaires disciplinaires concernant les juges de la Cour suprecircme et des juridictions de droit commun est

essentielle pour preacuteserver lrsquoindeacutependance de la Cour suprecircme et de ces juridictions Si lrsquoindeacutependance de la

chambre disciplinaire ne peut pas ecirctre garantie alors celle des autres juridictions ne peut lrsquoecirctre non plus Or la

preacuteservation de lrsquoindeacutependance de la Cour suprecircme et des juridictions de droit commun est primordiale afin que

la protection juridictionnelle des droits que les justiciables tirent du droit de lrsquoUnion soit garantie La Cour de

justice a deacutejagrave jugeacute que le fait que lrsquoindeacutependance de la Cour suprecircme puisse ne pas ecirctre garantie est susceptible

drsquoentrainer un grave preacutejudice agrave lrsquoordre juridique de lrsquoUnion et aux droits que les justiciables tirent du droit de

lrsquoUnion Ainsi comme le dit la Cour de justice au point 93 de la preacutesente ordonnance il reacutesulte de ce qui preacutecegravede

que lrsquoapplication des dispositions nationales litigieuses en ce qursquoelles attribuent la compeacutetence pour statuer dans

les affaires disciplinaires relatives aux juges de la Cour suprecircme et des juridictions de droit commun agrave une instance

38

Retour En Bref

en lrsquooccurrence la chambre disciplinaire dont lrsquoindeacutependance pourrait ne pas ecirctre garantie est susceptible de

causer un preacutejudice grave et irreacuteparable agrave lrsquoordre juridique de lrsquoUnion

Par suite il y a lieu de conclure que la condition relative agrave lrsquourgence est eacutetablie en lrsquoespegravece

Sur la mise en balance des inteacuterecircts

Le juge des reacutefeacutereacutes se doit drsquoexaminer si lrsquointeacuterecirct de la partie qui sollicite les mesures provisoires agrave obtenir le sursis

agrave lrsquoexeacutecution preacutevaut sur lrsquointeacuterecirct que preacutesente lrsquoapplication immeacutediate de celles-ci

La Pologne estime que lrsquoapplication des mesures provisoires solliciteacutees aurait pour effets de contraindre les

pouvoirs leacutegislatif et exeacutecutif polonais agrave adopter des mesures dont lrsquoeffet pratique serait la dissolution drsquoun organe

du pouvoir judiciaire qui exerce ses missions structurelles lieacutees agrave lrsquoadministration de la justice de mettre fin agrave une

entiteacute dont le budget est exeacutecuteacute par son Preacutesident et de porter atteinte au droit des justiciables

La Cour de justice rappelle tout drsquoabord que les Eacutetats membres sont tenus de respecter les obligations qui

deacutecoulent pour eux du droit de lrsquoUnion et en particulier de lrsquoarticle 19 paragraphe 1 second alineacutea TUE Elle

rappelle eacutegalement que lrsquooctroi des mesures provisoires solliciteacutees emporterait non pas la dissolution de la

chambre disciplinaire mais la suspension provisoire de son activiteacute Par ailleurs dans la mesure ougrave lrsquooctroi desdites

mesures impliquerait que le traitement des affaires pendantes devant la chambre disciplinaire doive ecirctre suspendu

jusqursquoau prononceacute de lrsquoarrecirct deacutefinitif le preacutejudice reacutesultant de la suspension de ces affaires pour les justiciables

concerneacutes serait moindre que celui reacutesultant de leur examen par une instance agrave savoir la chambre disciplinaire

dont le manque drsquoindeacutependance et drsquoimpartialiteacute ne peut agrave premiegravere vue ecirctre exclu Enfin les difficulteacutes de

nature budgeacutetaire invoqueacutees ne sauraient preacutevaloir sur le risque qursquoil soit porteacute atteinte agrave lrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral de

lrsquoUnion au regard du bon fonctionnement de son ordre juridique

Par suite il y a lieu de conclure que la mise en balance des inteacuterecircts en preacutesence penche en faveur de lrsquooctroi des

mesures provisoires demandeacutees par la Commission europeacuteenne

Par ces motifs la Cour (grande chambre) ordonne

1) La Reacutepublique de Pologne est tenue immeacutediatement et jusqursquoau prononceacute de lrsquoarrecirct qui mettra

fin agrave lrsquoinstance dans lrsquoaffaire C-79119

ndash de suspendre lrsquoapplication des dispositions de lrsquoarticle 3 point 5 de lrsquoarticle 27 et de lrsquoarticle 73

paragraphe 1 de lrsquoustawa o Sądzie Najwyższym (loi sur la Cour suprecircme) du 8 deacutecembre 2017 (Dz U

de 2018 position 5) telle que modifieacutee constituant le fondement de la compeacutetence de lrsquoIzba

Dyscyplinarna (chambre disciplinaire) du Sąd Najwyższy (Cour suprecircme) pour statuer tant en

premiegravere instance qursquoen instance drsquoappel dans les affaires disciplinaires relatives agrave des juges

ndash de srsquoabstenir de transmettre les affaires pendantes devant lrsquoIzba Dyscyplinarna (chambre

disciplinaire) du Sąd Najwyższy (Cour suprecircme) agrave une formation de jugement qui ne satisfait pas aux

exigences drsquoindeacutependance deacutefinies notamment dans lrsquoarrecirct du 19 novembre 2019 A K ea

(Indeacutependance de la chambre disciplinaire de la Cour suprecircme) (C‑58518 C‑62418 et C‑62518

EUC2019982) et

ndash de communiquer agrave la Commission europeacuteenne au plus tard un mois apregraves la notification de

lrsquoordonnance de la Cour ordonnant les mesures provisoires solliciteacutees toutes les mesures qursquoelle aura

adopteacutees afin de se conformer pleinement agrave cette ordonnance

2) Les deacutepens sont reacuteserveacutes

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Interdiction des traitements inhumains ou deacutegradants

Cour EDH (troisiegraveme section) Yevgeniy Mikhaylovich Shmelev et autres Russie 9 avril 2020 ndeg 4174317 et 16 autres

Arrecirct rendu en anglais Reacutesumeacute La Cour EDH juge que le nouveau recours compensatoire mise en œuvre par les autoriteacutes russes est effectif lorsqursquoaucun autre recours nrsquoest neacutecessaire notamment dans tous les cas ougrave la deacutetention provisoire a pris fin et dans certaines situations ougrave la peine drsquoemprisonnement a eacuteteacute exeacutecuteacutee en violation des dispositions internes La Cour EDH deacuteclare ainsi les griefs des plusieurs requeacuterants irrecevables pour non-eacutepuisement des voies de recours internes En outre la Cour EDH demande aux parties de produire des observations suppleacutementaires afin de clarifier la question de lrsquoeffectiviteacute des recours compensatoires dans le cas des recours preacuteventifs ouverts afin de permettre agrave ceux qui sont encore incarceacutereacutes de voir srsquoameacuteliorer leurs conditions de deacutetention Tous les requeacuterants ressortissants russes ont eacuteteacute deacutetenus dans divers centres de deacutetention russes avant ou apregraves leur condamnation dans le cadre dune proceacutedure peacutenale Sept des requeacuterants (requecirctes ndeg 6680617 7580417 7718117 7726517 1929418 3168218 et 3254518) sont ou eacutetaient deacutetenus dans des centres de deacutetention provisoire et les dix autres (requecirctes ndeg 4174317 6018517 7449717 124918 915218 1498818 1799118 1983718 2154218 et 2915518) sont ou ont eacuteteacute deacutetenus dans des colonies peacutenitentiaires apregraves avoir eacuteteacute condamneacutes Le 27 janvier 2020 la loi feacutedeacuterale no 494ndashFZ (dite laquo loi drsquoindemnisation raquo) est entreacutee en vigueur Elle dispose que tout deacutetenu qui allegravegue que ses conditions de deacutetention enfreignent ou ont enfreint les normes nationales ou internationales peut solliciter une indemniteacute aupregraves drsquoun tribunal Le gouvernement russe a soumis des informations sur cette loi et drsquoautres eacutevolutions pertinentes du droit interne visant agrave atteacutenuer les mauvaises conditions de deacutetention Il a demandeacute agrave la Cour EDH de consideacuterer que la nouvelle loi offre un nouveau recours effectif srsquoagissant des conditions de deacutetention A diffeacuterentes dates en 2017 et 2018 les 17 requeacuterants ont saisi la Cour EDH Invoquant lrsquoarticle 3 (interdiction des traitements inhumains ou deacutegradants) lrsquoensemble des 17 requeacuterants se plaignaient de subir ou drsquoavoir subi de mauvaises conditions de deacutetention notamment en raison de la surpopulation Sur le terrain de lrsquoarticle 13 (droit agrave un recours effectif) de la Convention certains drsquoentre eux alleacuteguaient eacutegalement qursquoil nrsquoexistait pas de recours interne effectif permettant de se plaindre de conditions de deacutetention

1) Violation alleacutegueacutee des articles 3 et 13 de la Convention du fait de conditions de deacutetention dans les centres de deacutetention preacuteventive

Les requeacuterants dans les requecirctes ndeg 6680617 1799118 1929418 2154218 3168218 et 3254518 ont fait valoir que les conditions de leur deacutetention provisoire avaient eacuteteacute contraires agrave larticle 3 de la Convention certains dentre eux ont soutenu quils navaient pas disposeacute de recours effectifs contre ces violations comme le preacutevoit larticle 13 En particulier ces requeacuterants se plaignent entre autres davoir eacuteteacute deacutetenus dans des cellules surpeupleacutees Par la preacutesente affaire la Cour EDH examine les deacuteveloppements leacutegislatifs et judiciaires survenus depuis ladoption de larrecirct Ananyev et autres c Russie (Cour EDH 10 janvier 2012 ndeg 4252507 et 6080008) En particulier la Cour EDH examine sil existe deacutesormais des recours internes de nature compensatoire et preacuteventive qui pourraient offrir une reacuteparation effective aux victimes des violations ayant pour origine le surpeuplement et dautres violations des conditions de deacutetention provisoire Elle examine eacutegalement si les requeacuterants dans la preacutesente affaire sont tenus deacutepuiser ces recours La Cour EDH rappelle que apregraves larrecirct Ananyev et autres c Russie elle a constateacute une violation de larticle 3 en raison des conditions inhumaines et deacutegradantes de deacutetention dans les centres de deacutetention provisoire russes

Article 3 (interdiction des traitements inhumains ou deacutegradants) Article 13 (droit agrave un recours effectif)

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dans plus de 100 affaires En mars 2020 plus de 1 450 requecirctes similaires contre la Russie eacutetaient en attente dexamen par la Cour EDH En lrsquoespegravece la Cour EDH reacuteitegravere les orientations quelle a fourni au gouvernement dans laffaire Ananyev et autres en ce qui concerne les caracteacuteristiques quun recours compensatoire doit posseacuteder pour ecirctre consideacutereacute comme effectif En particulier elle rappelle qursquoune indemnisation peacutecuniaire doit ecirctre accessible agrave tout deacutetenu actuel ou ancien ayant subi un traitement inhumain ou deacutegradant et ayant introduit une demande agrave cet effet La constatation que les conditions nont pas satisfait aux exigences de larticle 3 de la Convention donnera lieu agrave une forte preacutesomption quelles ont causeacute un preacutejudice non peacutecuniaire agrave la personne leacuteseacutee et le niveau de la reacuteparation accordeacutee pour le preacutejudice non peacutecuniaire ne doit pas ecirctre deacuteraisonnable par rapport aux montants accordeacutes par la Cour EDH dans des affaires similaires La Cour EDH rappelle ensuite que si lexistence de voies de recours internes effectives sappreacutecie normalement par rapport agrave la date dintroduction de la requecircte cette regravegle est sujette agrave des exceptions si les circonstances de lespegravece le justifient (Cour EDH Muumlduumlr Turgut ea c Turquie 26 mars 2013 ndeg 486009 sect 46) en particulier lorsque le recours en cause a eacuteteacute mis en place en reacuteponse agrave un arrecirct pilote de la Cour (Cour EDH Atanasov et Apostolov c Bulgarie 20 juillet 2017 ndeg 6554016 et 2236817 sect 45) Lorsque de telles voies de recours viennent decirctre mises en place leur appreacuteciation doit neacutecessairement se fonder uniquement sur les dispositions leacutegales qui les reacutegissent et non sur leur fonctionnement en pratique Elle estime donc pouvoir eacutevaluer lefficaciteacute des dispositions leacutegales telles que fixeacutees par la loi dindemnisation apregraves son entreacutee en vigueur et deacutecider en conseacutequence si les requeacuterants sont tenus de les eacutepuiser La Cour EDH juge que la loi drsquoindemnisation est en principe une voie de recours compensatoire adeacutequate et effective dans les cas ougrave les mauvaises conditions de deacutetention concernent une peacuteriode de deacutetention provisoire acheveacutee et dans certaines situations ougrave la peine drsquoemprisonnement a eacuteteacute exeacutecuteacutee en violation des dispositions internes Elle considegravere que les conditions proceacutedurales daccegraves au reacutegime compensatoire sont simples et accessibles et ne font pas peser une charge excessive sur le demandeur ni dans la proceacutedure applicable ni dans lexigence relative aux frais de proceacutedure De plus elle relegraveve que la proceacutedure est doteacutee des garanties proceacutedurales requises telles que lindeacutependance et limpartialiteacute le droit agrave lassistance juridique et dautres garanties lieacutees agrave une proceacutedure judiciaire contradictoire Des mesures de seacutecuriteacute sont preacutevues pour tenir compte de la situation particuliegravere des deacutetenus Selon la Cour EDH il ny a aucune raison de penser que les demandes ne seront pas traiteacutees dans un deacutelai raisonnable ou que lindemnisation ne sera pas verseacutee rapidement La Cour EDH se deacuteclare precircte agrave modifier son approche quant agrave lefficaciteacute du recours en question si la pratique des juridictions internes devait montrer agrave terme que les plaintes sont rejeteacutees pour des raisons formelles que les proceacutedures dindemnisation sont excessivement longues que les indemniteacutes sont insuffisantes ou ne sont pas verseacutees rapidement ou que la jurisprudence interne nest pas conforme aux exigences de la Convention et agrave la jurisprudence de la Cour EDH Tout examen futur de ce type consistera agrave deacuteterminer si les autoriteacutes nationales ont appliqueacute la loi sur lindemnisation dune maniegravere conforme agrave larrecirct pilote et aux normes de la Convention en geacuteneacuteral La Cour EDH conclut que le nouveau recours compensatoire doit ecirctre consideacutereacute comme un recours effectif et deacuteclare irrecevables les requecirctes ndeg 6680617 1929418 3168218 et 3254518 pour non-eacutepuisement des voies de recours internes et les rejette en vertu de larticle 35 sectsect 1 et 4 de la Convention Dans les requecirctes ndeg 7580417 7718117 et 7726517 la Cour EDH estime quelle ne peut pas sur la base du dossier deacuteterminer la recevabiliteacute des plaintes deacuteposeacutees par les requeacuterants dont la deacutetention preacuteventive est en cours Elle invite donc conformeacutement agrave larticle 54 sect 2 c) du regraveglement de la Cour EDH les parties agrave preacutesenter des observations eacutecrites compleacutementaires

2) Violation alleacutegueacutee des articles 3 et 13 de la Convention du fait des conditions de deacutetention dans les eacutetablissements peacutenitentiaires

Les dix requeacuterants dans les requecirctes ndeg 4174317 6018517 7449717 124918 915218 1498818 1799118 1983718 2154218 et 2915518 ont fait valoir que les conditions de leur deacutetention dans les eacutetablissements peacutenitentiaires sont tombeacutees en dessous des normes compatibles avec larticle 3 de la Convention Certains dentre eux ont fait valoir quils ne disposaient pas de recours effectifs contre ces violations en violation de larticle 13

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En particulier les requeacuterants se sont plaints entre autres du fait quils ont eacuteteacute deacutetenus dans des locaux surpeupleacutes Pour certains des requeacuterants la deacutetention avait pris fin au moment de leacutechange dobservations entre les parties La Cour EDH note tout drsquoabord que les dispositions applicables de la leacutegislation russe fixent des normes diffeacuterentes en matiegravere despace personnel pour la deacutetention provisoire (quatre megravetres carreacutes par personne deacutetenue) et la deacutetention correctionnelle pour les hommes condamneacutes dans des colonies ou des prisons (deux megravetres carreacutes et deux megravetres carreacutes et demi) Elle rappelle ainsi que laquo lorsque lespace personnel dont dispose un deacutetenu est infeacuterieur agrave trois megravetres carreacutes de surface au sol [] le manque despace personnel est consideacutereacute comme si grave quil y a forte preacutesomption de violation de larticle 3 raquo (Cour EDH [GC] Muršić c Croatie 20 octobre 2016 ndeg 733413 sect 137) Ainsi pour un nombre consideacuterable de deacutetenus dans les eacutetablissements peacutenitentiaires les mauvaises conditions de deacutetention sont preacutedeacutetermineacutees par les normes eacutetablies par la leacutegislation nationale Afin deacutevaluer lefficaciteacute des recours la Cour EDH distingue entre les cas ougrave les conditions de deacutetention des requeacuterants eacutetaient infeacuterieures aux normes nationales et les cas ougrave lespace minimal disponible eacutetait conforme aux normes nationales mais soulegraveverait neacuteanmoins un problegraveme agrave premiegravere vue au regard de larticle 3

o Les plaintes concernant des conditions de deacutetention infeacuterieures agrave la norme nationale Compte tenu des consideacuterations sur lefficaciteacute de la loi dindemnisation dans les situations ougrave la deacutetention eacutetait acheveacutee et du fait quil ny a pas de contestation entre les parties sur la violation des normes nationales minimales de deacutetention la Cour EDH conclut que ces deux requeacuterants se trouvent dans une situation similaire agrave celle des personnes dont la deacutetention provisoire passeacutee lrsquoavait eacuteteacute en violation des normes nationales applicables Pour les raisons exposeacutees ci-dessus pour eux ainsi que pour dautres personnes se trouvant dans une situation similaire la nouvelle loi compensatoire preacutesente en principe un moyen adeacutequat et efficace dobtenir une reacuteparation compensatoire et offre des perspectives raisonnables de succegraves La Cour EDH estime ainsi que les requecirctes ndeg 1799118 et 2154218 qui soulegravevent des griefs au titre des articles 3 et 13 doivent ecirctre rejeteacutees en vertu de larticle 35 sectsect 1 et 4 de la Convention pour non-eacutepuisement des voies de recours internes

o Cas conformes agrave la norme nationale mais infeacuterieurs agrave la norme minimale de larticle 3 La Cour EDH note que les requeacuterants des requecirctes ndeg 4174317 6018517 et 1498818 ont eacuteteacute deacutetenus dans le passeacute dans des conditions ougrave chacun des requeacuterants avait disposeacute de moins de trois megravetres carreacutes despace personnel Les requeacuterants des requecirctes no 7449717 124918 915218 1983718 et 2915518 eacutetaient toujours deacutetenus dans de telles conditions au moment de leacutechange dobservations En lrsquoespegravece la Cour EDH estime quelle ne dispose pas deacuteleacutements suffisants pour eacutevaluer lefficaciteacute dun tel recours en cas de deacutetention correctionnelle Elle invite donc les parties agrave preacutesenter des observations compleacutementaires conformeacutement agrave larticle 54 sect 2 c) du regraveglement de la Cour afin de clarifier lefficaciteacute de tout recours preacuteventif en cas de deacutetention correctionnelle pendante dans des conditions incompatibles avec larticle 3 de la Convention POUR CES RAISONS LA COUR Agrave LUNANIMITEacute

1 Deacutecide de joindre les requecirctes ndeg 6680617 1799118 1929418 2154218 3168218 et 3254518 et les deacuteclare irrecevables

2 Deacutecide dajourner lexamen des requecirctes ndeg 4174317 6018517 7449717 7580417

7718117 7726517 124918 915218 1498818 1983718 et 2915518

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Cour EDH (cinquiegraveme section) Castellani France 30 avril 2020 ndeg4320716

Reacutesumeacute La Cour EDH dans une affaire concernant lrsquointerpellation du requeacuterant par le GIPN estime que la France a violeacute

lrsquoarticle 3 de la Convention En effet elle juge que lrsquoopeacuteration policiegravere nrsquoa pas eacuteteacute planifieacutee ni exeacutecuteacutee de maniegravere agrave respecter les

garanties internes existantes et que lrsquousage de la force nrsquoeacutetait pas proportionneacute ni neacutecessaire pour permettre lrsquointerpellation du requeacuterant

et ne se justifiait pas par son comportement

Le 6 mai 2002 une information judiciaire fut ouverte contre X pour subornation de teacutemoin et menaces de mort

reacuteiteacutereacutees agrave la suite de la plainte deacuteposeacutee par MA avocat Ce dernier avait teacutemoigneacute dans une affaire de violence

dirigeacutees contre la force publique dans laquelle trois membres de la famille EH avaient eacuteteacute condamneacutes Les

principaux suspects eacutetaient membres de la famille EH famille amie et voisine du requeacuterant Le 18 juin 2002

apregraves identification de certains membres de la famille EH comme auteurs preacutesumeacutes de menaces de mort et de

subornation de teacutemoins les policiers de Nice avec le soutien du GIPN proceacutedegraverent agrave lrsquointerpellation de deux

membres de la famille EH A la demande de la commandante une eacutequipe du GIPN composeacutee de dix

fonctionnaires interpella le requeacuterant mis en cause dans la mecircme affaire et consideacutereacute comme dangereux

Les parties contestent les circonstances de lrsquoopeacuteration policiegravere

Dans la version du requeacuterant il explique que voyant des inconnus entrer chez lui et croyant ecirctre agresseacute agrave son

domicile il se deacutefend agrave lrsquoaide drsquoune barre de fer Il entendit alors crier laquo Police raquo et deacuteposa la barre de fer et se

laissa faire Apregraves avoir confirmeacute son identiteacute il reccedilut un coup sur la tecircte du policier qursquoil avait agresseacute avec la

barre de fer et fut frappeacute agrave coups de poings et de pieds Crsquoest seulement agrave ce moment-lagrave qursquoil sut le motif de son

interpellation Il fut agrave nouveau frappeacute afin qursquoil avoue ougrave se trouvaient les armes puis encore maltraiteacute lors de son

transport au poste de police Selon les policiers du GIPN ils sont entreacutes dans la maison et ont inspecteacute le rez-

de-chausseacutee tout en prononccedilant agrave plusieurs reprises laquo Police raquo Alors qursquoils montaient au premier eacutetage le

premier policier vit surgir le requeacuterant qui lrsquoattendait et qui le frappa drsquoune barre de fer Les fonctionnaires ont

tenteacute de le maitriser alors que celui-ci continuait de porter des coups aux fonctionnaires Ces derniers ont ducirc

lrsquoimmobiliser agrave lrsquoaide de leur force

Placeacute en garde agrave vue le requeacuterant fut examineacute par un meacutedecin qui ne srsquoopposa pas agrave une mesure de garde agrave vue

mais a demandeacute qursquoil soit emmeneacute agrave lrsquohocircpital Il y a eacuteteacute conduit neuf heures apregraves son interpellation Le requeacuterant

preacutesentait de multiples fractures au visage Pour autant sa garde agrave vue a eacuteteacute prolongeacutee

Le 8 juillet 2002 le requeacuterant fut convoqueacute devant le tribunal correctionnel de Nice afin drsquoecirctre jugeacute de chefs de

violences volontaires avec arme agrave lrsquoeacutegard drsquoune personne deacutepositaire de lrsquoautoriteacute publique ayant entraineacute une

incapaciteacute de travail supeacuterieure agrave huit jours ainsi que pour deacutetention sans autorisation drsquoarme ou de munition Le

13 janvier 2009 le tribunal correctionnel le condamna agrave une amende deacutelictuelle avec sursis pour deacutetention drsquoarme

sans autorisation Il fut relaxeacute des chefs de violences volontaires au motif qursquoil srsquoagissait de leacutegitime deacutefense

Le 18 novembre 2002 le requeacuterant deacuteposa plainte avec constitution de partie civile pour non-assistance agrave

personne en peacuteril violences volontaires et actes de barbarie Le juge drsquoinstruction rendit une ordonnance de non-

lieu partiel en ne retenant agrave lrsquoencontre de certains policiers que lrsquoomission de porter secours La cour drsquoappel

annula lrsquoordonnance de non-lieu partiel Une deuxiegraveme ordonnance de non-lieu concernant les faits de violences

volontaires fut rendue le 27 janvier 2006 et le requeacuterant fit appel La cour drsquoappel confirma le non-lieu des chefs

drsquoactes de barbaries mais demanda un suppleacutement drsquoinformation concernant les violences volontaires Quatre

policiers du GIPN furent entendus et mis en examen Le 25 octobre 2007 la chambre drsquoinstruction de la cour

drsquoappel confirma lrsquoordonnance de non-lieu du chef de violences volontaires par deacutepositaires de lrsquoautoriteacute

Art 3 (volet mateacuteriel) bull Recours agrave la force bull Irruption drsquoune uniteacute drsquoeacutelite de la police au domicile drsquoun suspect au petit matin pour proceacuteder agrave son arrestation aux fins drsquoaudition dans le cadre drsquoune enquecircte peacutenale bull Neacutecessiteacute de garanties suffisantes face aux risques drsquoabus drsquoautoriteacute et de violation de la digniteacute humaine lors du recours dans un tel contexte aux forces speacuteciales bull Doutes sur lrsquoexistence de preacutecautions suffisantes bull Tribunaux ayant reconnu la leacutegitime deacutefense du requeacuterant qui avait frappeacute un policier cagouleacute en le prenant pour un cambrioleur bull Blessures reacutesultant de lrsquoemploi drsquoune force physique non rendue strictement neacutecessaire par le comportement du suspect

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publique Le 13 janvier 2009 le tribunal correctionnel de Nice prononccedila la relaxe des deux fonctionnaires de

police renvoyeacutes devant lui des chefs drsquoomission de porter secours

Le 26 juin 2009 le requeacuterant forma une action en responsabiliteacute de lrsquoEtat afin drsquoobtenir une indemnisation du

preacutejudice subi compte tenu des conditions de son interpellation puis de sa garde agrave vue Le tribunal condamna

lrsquoEtat au motif qursquoil avait commis une faute lourde en envoyant le GIPN pour proceacuteder agrave lrsquointerpellation du

requeacuterant Par un arrecirct du 12 avril 2012 la cour drsquoappel drsquoAix-en-Provence confirma la recevabiliteacute de lrsquoaction du

requeacuterant mais infirma le jugement pour le surplus La Cour de cassation cassa lrsquoarrecirct du 12 avril 2012 sauf en ce

qursquoil avait deacuteclareacute recevable lrsquoaction du requeacuterant Le 27 janvier 2015 la cour drsquoappel de Montpellier consideacutera

que la faute lourde engageant la responsabiliteacute de lrsquoEtat nrsquoeacutetait pas deacutemontreacutee srsquoagissant des conditions

drsquointervention du GIPN pour proceacuteder agrave lrsquointerpellation du requeacuterant La cour drsquoappel jugea que lrsquoEtat avait

commis une faute lourde agrave raison du deacutefaut de soins durant la garde agrave vue dont le requeacuterant avait fait lrsquoobjet Par

un arrecirct du 10 feacutevrier 2016 la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requeacuterant

Le requeacuterant saisit la Cour EDH le 19 juillet 2016 drsquoune requecircte dirigeacutee contre la Reacutepublique franccedilaise

Sur la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 3 de la Convention

Le requeacuterant allegravegue avoir eacuteteacute victime de violences lors de son interpellation par la police alors que lrsquointervention

du GIPN comme lrsquousage de la force nrsquoeacutetaient ni neacutecessaires ni proportionneacutes En effet il estime que le GIPN

est connu pour lrsquoefficaciteacute de ses interventions concernant le terrorisme et le grand banditisme Une telle

intervention baseacutee sur une simple plainte teacuteleacutephonique comme cela a eacuteteacute le cas en lrsquoespegravece est une rareteacute

juridique

La Cour EDH rappelle sa jurisprudence concernant le recours agrave la force lors drsquoune interpellation au paragraphe

52 de lrsquoarrecirct Elle estime que lrsquoarticle 3 ne prohibe pas le recours agrave la force par les agents de police lors drsquoune

interpellation mais qursquoelle doit ecirctre proportionneacutee et absolument neacutecessaire au vu des circonstances de lrsquoespegravece

Il importe donc de savoir srsquoil y a lieu de penser que lrsquointeacuteresseacute opposera une reacutesistance tentera de fuir ou de

deacutetruire des preuves

En lrsquoespegravece la Cour EDH relegraveve qursquoau vu des certificats meacutedicaux le requeacuterant souffrait de blessures

importantes Aux souffrances physiques srsquoajoute des souffrances psychiques comme en atteste lrsquoeacutetat de stress

post-traumatique releveacute par les meacutedecins La maniegravere dont srsquoest deacuterouleacutee lrsquointerpellation crsquoest-agrave-dire tregraves tocirct le

matin avec une ouverture forceacutee du portail et de la porte drsquoentreacutee en preacutesence de la femme et de la fille du

requeacuterant a neacutecessairement entraineacute de la peur et de lrsquoangoisse chez le requeacuterant

Dans son raisonnement la Cour EDH srsquointeacuteresse dans un premier temps agrave la planification de lrsquoopeacuteration agrave

savoir si elle a pris en compte lrsquoensemble des circonstances pertinentes et a observeacute des garanties suffisantes En

lrsquoespegravece la Cour EDH observe que lrsquoopeacuteration dans laquelle le GIPN eacutetait principalement impliqueacutee et pour

laquelle son intervention avait eacuteteacute autoriseacutee reacutepondait au but leacutegitime drsquoeffectuer une interpellation et poursuivant

lrsquoobjectif geacuteneacuteral de la reacutepression des infractions Le but de lrsquointervention eacutetait lrsquointerpellation de la famille EH

pour laquelle le DDSP avait donneacute son accord Or le juge drsquoinstruction nrsquoa pas eacuteteacute informeacute et le DDSP nrsquoa pas

donneacute son accord quant agrave lrsquointervention du GIPN pour lrsquointerpellation du requeacuterant La Cour EDH relegraveve donc

que cette opeacuteration nrsquoa pas beacuteneacuteficieacute des garanties internes existantes entourant normalement lrsquointervention de

ce type drsquouniteacutes speacuteciales La Cour EDH remarque que le caractegravere de dangerositeacute du requeacuterant ne reacutesulta que

des deacuteclarations des fonctionnaires de police ayant requis son intervention et nrsquoeacutetait eacutetayeacute par aucun eacuteleacutement

probant Elle observe que certaines juridictions internes ont remis en cause la proportionnaliteacute de lrsquointervention

du GIPN au regard des circonstances de lrsquoespegravece Il ressort eacutegalement du dossier qursquoaucune investigation

preacutealable afin de deacuteterminer si le requeacuterant serait seul au moment de son interpellation nrsquoest alleacutegueacutee Or la Cour

EDH estime que la preacutesence de membres de la famille du suspect sur les lieux de lrsquointerpellation doit ecirctre prise

en compte lors de la planification de lrsquointervention La Cour EDH considegravere que lrsquoopeacuteration policiegravere au domicile

du requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute planifieacutee et exeacutecuteacutee de maniegravere agrave srsquoassurer que les moyens employeacutes soient strictement

neacutecessaires pour atteindre ses buts ultimes

Dans un second temps la Cour EDH doit examiner si la force physique dont il a eacuteteacute fait usage agrave lrsquoencontre du

requeacuterant eacutetait ou non rendue strictement neacutecessaire par son comportement La Cour EDH rappelle que lorsque

des proceacutedures internes ont eacuteteacute meneacutees il ne lui appartient pas de substituer sa propre version des faits agrave celle

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des autoriteacutes internes qui doivent eacutetablir les faits sur la base de preuves recueillies par elles La Cour EDH note

que le tribunal correctionnel a jugeacute que le requeacuterant avait pu leacutegitimement se croire agresseacute agrave son domicile et qursquoil

avait agi en eacutetat de leacutegitime deacutefense Elle constate eacutegalement que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute poursuivi pour des faits

de reacutebellion et que la description du mode drsquoopeacuteration utiliseacute par les policiers ainsi que les constatations des

blessures du requeacuterant attestent de lrsquointensiteacute de la force physique dont il a eacuteteacute fait usage Par suite la Cour EDH

a conclu que les moyens employeacutes nrsquoeacutetaient pas strictement neacutecessaires pour permettre lrsquointerpellation du

requeacuterant et que la force physique dont il a eacuteteacute fait usage agrave son encontre nrsquoa pas eacuteteacute rendue telle par son

comportement

Ainsi la Cour EDH estime qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 3 de la Convention

Par ces motifs la Cour EDH agrave lrsquounanimiteacute

1 Deacuteclare la requecircte recevable

2 Dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 3 de la Convention

3 Dit

a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans un deacutelai de trois mois les sommes suivantes au

taux applicable agrave la date du regraveglement i 2 803 EUR (deux mille huit cent trois euros) plus tout montant

pouvant ecirctre ducirc sur cette somme agrave titre drsquoimpocirct pour dommage mateacuteriel ii 20 000 EUR (vingt mille

euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc sur cette somme agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral

b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces montants seront agrave majorer drsquoun

inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne

applicable pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage

4 Rejette le surplus de la demande de satisfaction eacutequitable

Libre circulation des travailleurs

Cour de justice (sixiegraveme chambre) Caisse pour lavenir des enfants FV et GW 2 avril 2020 C-80218

Reacutesumeacute Dans une affaire concernant le versement dallocations sociales luxembourgeoises agrave des travailleurs transfrontaliers franccedilais la Cour de justice a jugeacute quen vertu du principe deacutegaliteacute de traitement un Etat membre ne peut refuser de verser une allocation familiale pour lrsquoenfant du conjoint drsquoun travailleur frontalier sans lien de filiation avec celui-ci puisque cette allocation constitue un avantage social et une prestation de seacutecuriteacute sociale FV travaille au Luxembourg et reacuteside en France avec son eacutepouse GW Le couple a deux enfants HY neacute en 2000 drsquoune preacuteceacutedente union de GW vit avec FV et GW Celle-ci exerce lrsquoautoriteacute parentale exclusive sur HY Jusqursquoagrave lrsquoentreacutee en vigueur de la loi luxembourgeoise du 23 juillet 2016 le meacutenage beacuteneacuteficiait des allocations familiales luxembourgeoises pour les trois enfants en raison de la qualiteacute de travailleur frontalier de FV Agrave compter de lrsquoentreacutee en vigueur de cette loi qui a modifieacute le code de la seacutecuriteacute sociale en excluant les enfants du conjoint ou du partenaire de la notion de laquo membres de la famille raquo le meacutenage a cesseacute de beacuteneacuteficier de ces allocations pour HY En effet par deacutecision du 8 novembre 2016 la Caisse pour lrsquoavenir des enfants (Luxembourg) a consideacutereacute

Renvoi preacutejudiciel ndash Article 45 TFUE ndash Seacutecuriteacute sociale des travailleurs migrants ndash Regraveglement (CE) ndeg8832004 ndash Article 1er sous i) ndash Libre circulation des travailleurs ndash Eacutegaliteacute de traitement ndash Avantages sociaux ndash Directive 200438CE ndash Article 2 point 2 ndash Regraveglement (UE) ndeg4922011 ndash Article 7 paragraphe 2 ndash Allocation familiale ndash Notion de ldquomembres de la famillerdquo ndash Exclusion de lrsquoenfant du conjoint de travailleurs non-reacutesidents ndash Diffeacuterence de traitement avec lrsquoenfant du conjoint de travailleurs reacutesidents ndash Justification

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que FV nrsquoavait plus droit agrave lrsquoallocation familiale pour HY depuis le 1er aoucirct 2016 Cet enfant ne preacutesentant pas de lien de filiation avec FV la Caisse pour lrsquoavenir des enfants considegravere qursquoil nrsquoa pas la qualiteacute de laquo membre de famille raquo ce qui exclut le droit agrave lrsquoallocation familiale luxembourgeoise FV a saisi le conseil arbitral de la seacutecuriteacute sociale (Luxembourg) pour contester la deacutecision de la Caisse pour lrsquoavenir des enfants et celui-ci a estimeacute que les prestations familiales luxembourgeoises constituent un avantage social au sens du regraveglement sur la libre circulation des travailleurs 1 et qursquoelles se rapportent agrave lrsquoexercice drsquoune activiteacute salarieacutee degraves lors que pour se les voir attribuer FV doit ecirctre un travailleur soumis agrave la leacutegislation luxembourgeoise La Caisse pour lrsquoavenir des enfants a saisi en appel le conseil supeacuterieur de la seacutecuriteacute sociale (Luxembourg) car elle conteste notamment lrsquoassimilation des prestations familiales agrave un avantage social

Dans ces conditions le conseil supeacuterieur de la seacutecuriteacute sociale a deacutecideacute de surseoir agrave statuer et de poser agrave la Cour de justice les questions preacutejudicielles suivantes laquo 1) Lrsquoallocation familiale luxembourgeoise octroyeacutee selon les articles 269 et 270 du [code dans leur version applicable agrave partir du 1er aoucirct 2016] doit-elle ecirctre assimileacutee agrave un avantage social au sens de lrsquoarticle 45 TFUE et de lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement ndeg4922011 2) En cas drsquoassimilation la deacutefinition de membre de la famille applicable en vertu de lrsquoarticle [1er sous i)] du regraveglement ndeg8832004 srsquooppose agrave la deacutefinition plus eacutelargie de membre de la famille de lrsquoarticle 2 point 2 de la directive 200438 alors que cette derniegravere exclut toute autonomie de lrsquoEacutetat membre dans la deacutefinition de membre de la famille contrairement agrave ce qui est consacreacute par le regraveglement de coordination et exclut agrave titre subsidiaire toute notion de charge principale La deacutefinition de membre de la famille au sens de lrsquoarticle 1er [sous i)] du regraveglement ndeg8832004 doit-elle degraves lors preacutevaloir au vu de sa speacutecificiteacute dans le contexte drsquoune coordination des reacutegimes de seacutecuriteacute sociale et surtout lrsquoEacutetat membre garde-t-il compeacutetence pour deacutefinir les membres de la famille qui ouvrent droit agrave lrsquoallocation familiale 3) En cas drsquoapplication de lrsquoarticle 2 point 2 de la directive 200438 aux prestations familiales et plus preacuteciseacutement agrave lrsquoallocation familiale luxembourgeoise lrsquoexclusion de lrsquoenfant du conjoint de la deacutefinition du membre de la famille peut-elle ecirctre consideacutereacutee comme une discrimination indirecte justifieacutee au vu de lrsquoobjectif national de lrsquoEacutetat membre de consacrer le droit personnel de lrsquoenfant et de la neacutecessiteacute de proteacuteger lrsquoadministration de lrsquoEacutetat membre drsquoemploi alors que lrsquoeacutelargissement du champ personnel drsquoapplication constitue une charge deacuteraisonnable pour le systegraveme de prestations familiales luxembourgeois qui exporte notamment presque 48 de ses prestations familiales raquo

o Sur la premiegravere question

La Cour de justice commence par rappeler au point 25 quil reacutesulte de lobjectif deacutegaliteacute de traitement (inscrit agrave larticle 45 TFUE et agrave larticle 7 du regraveglement ndeg4922011 que la notion drsquolaquo avantage social raquo dans le cas des travailleurs ressortissants drsquoautres Eacutetats membres comprend tous les avantages qui lieacutes ou non agrave un contrat drsquoemploi sont geacuteneacuteralement reconnus aux travailleurs nationaux en raison principalement de leur qualiteacute objective de travailleurs ou du simple fait de leur reacutesidence sur le territoire national (voir en ce sens larrecirct Generaacutelny riaditeľ Sociaacutelnej poisťovne Bratislava ea C-44718 18 deacutecembre 2019 point 47) Elle indique ensuite au point 30 que au vu des documents dont elle dispose lrsquoallocation familiale en cause qui constitue un avantage est lieacutee pour un travailleur frontalier tel que FV agrave lrsquoexercice drsquoune activiteacute salarieacutee au Luxembourg Elle nrsquoa eacuteteacute initialement accordeacutee agrave FV que dans la mesure ougrave il eacutetait un travailleur frontalier soumis agrave la leacutegislation luxembourgeoise La Cour de justice en conclut au point 32 qursquoune allocation familiale lieacutee agrave lrsquoexercice par un travailleur frontalier drsquoune activiteacute salarieacutee dans un Eacutetat membre constitue un avantage social au sens de larticle 7 paragraphe 2 du regraveglement ndeg4922011

o Sur la deuxiegraveme et troisiegraveme question

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La Cour de justice estime sans donner plus de preacutecisions quil convient dexaminer les deux questions ensemble Elle preacutecise quil sagit en substance de deacuteterminer si lrsquoarticle 1er sous i) du regraveglement ndeg8832004 lu en combinaison avec lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement ndeg4922011 et avec lrsquoarticle 2 point 2 de la directive 200438 doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens qursquoil srsquooppose agrave des dispositions drsquoun Eacutetat membre en vertu desquelles les travailleurs frontaliers ne peuvent percevoir une allocation familiale lieacutee agrave lrsquoexercice par ceux-ci drsquoune activiteacute salarieacutee dans un Eacutetat membre que pour leurs propres enfants agrave lrsquoexclusion de ceux de leur conjoint avec lesquels ils nrsquoont pas de lien de filiation alors que le droit de percevoir cette allocation existe pour tous les enfants reacutesidant dans ledit Eacutetat membre Sur lapplicabiliteacute du regraveglement ndeg8832004 la Cour de justice observe au point 39 que lrsquoallocation concerneacutee est verseacutee pour tous les enfants reacutesidant au Luxembourg ainsi que pour tous les enfants des travailleurs non-reacutesidents ayant un lien de filiation avec ces derniers Cette prestation est donc octroyeacutee en dehors de toute appreacuteciation individuelle et discreacutetionnaire des besoins personnels sur la base drsquoune situation leacutegalement deacutefinie Elle est donc selon la jurisprudence de la Cour de justice et notamment larrecirct Generaacutelny riaditeľ Sociaacutelnej poisťovne Bratislava ea citeacute point 23 consideacutereacutee comme une prestation sociale En outre la Cour de justice souligne que la prestation en cause repreacutesente une contribution publique au budget familial destineacutee agrave alleacuteger les charges deacutecoulant de lrsquoentretien des enfants (arrecirct Martinez Silva C-44916 21 juin 2017 point 23) Elle en conclut dans son point 41 que cette allocation familiale constitue une prestation de seacutecuriteacute sociale relevant des prestations familiales ce qui deacutetermine lrsquoapplication du regraveglement ndeg8832004 sur la coordination des systegravemes de seacutecuriteacute sociale La Cour de justice indique dans son point suivant que dans le cas drsquoun travailleur frontalier tel que FV le regraveglement ndeg8832004 srsquoapplique puisqursquoil srsquoapplique agrave un ressortissant de lrsquoun des Eacutetats membres reacutesidant dans un Eacutetat membre qui est ou a eacuteteacute soumis agrave la leacutegislation drsquoun ou de plusieurs Eacutetats membres ainsi qursquoaux membres de sa famille et agrave leurs survivants Elle preacutecise quune application combineacutee de ce regraveglement et de larticle 7 paragraphe 2 du regraveglement ndeg4922011 Par ailleurs la Cour de justice rappelle que les membres de la famille drsquoun travailleur migrant sont des beacuteneacuteficiaires indirects de lrsquoeacutegaliteacute de traitement accordeacutee en ce qui concerne les avantages sociaux agrave ce travailleur par le regraveglement sur la libre circulation des travailleurs En outre selon la Cour de justice il y a lieu drsquoentendre par enfant drsquoun travailleur frontalier pouvant beacuteneacuteficier indirectement de ces avantages sociaux non seulement lrsquoenfant qui a un lien de filiation avec ce travailleur mais eacutegalement lrsquoenfant du conjoint ou du partenaire enregistreacute de celui-ci lorsque ce dernier pourvoit agrave lrsquoentretien de cet enfant (point 50) Elle preacutecise dans son point suivant quelle a consideacutereacute que la notion de laquo membre de la famille raquo du travailleur frontalier susceptible de beacuteneacuteficier indirectement de lrsquoeacutegaliteacute de traitement en vertu de lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement ndeg4922011 correspond agrave celle de laquo membre de la famille raquo au sens de lrsquoarticle 2 point 2 de la directive 200438 laquelle comprend le conjoint ou le partenaire avec lequel le citoyen de lrsquoUnion a contracteacute un partenariat enregistreacute les descendants directs qui sont acircgeacutes de moins de 21 ans ou qui sont agrave charge et les descendants directs du conjoint ou du partenaire La Cour de justice a notamment pris en consideacuteration agrave cet eacutegard le consideacuterant 1 lrsquoarticle 1er et lrsquoarticle 2 paragraphe 2 de la directive 201454 (directive relative agrave des mesures facilitant lexercice des droits confeacutereacutes aux travailleurs dans le contexte de la libre circulation des travailleurs ) Voir en ce sens arrecirct Depesme eaMinistegravere de lEnseignement supeacuterieur et de la Recherche C-40115 agrave C-40315 15 deacutecembre 2016 points 52 agrave 54 La Cour de justice indique au point 54 que le principe drsquoeacutegaliteacute de traitement prohibe non seulement les discriminations directes fondeacutees sur la nationaliteacute mais encore toutes formes indirectes de discrimination qui par application drsquoautres critegraveres de distinction aboutissent en fait au mecircme reacutesultat (arrecircts Bressol ea C-7308 point 40 13 avril 2010 ainsi que Aubriet C-4101810 juillet 2019) Il srsquoagit donc au vu des circonstances propres agrave la situation de FV de veacuterifier srsquoil existe une discrimination

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En vertu de la leacutegislation luxembourgeoise applicable tous les enfants reacutesidant au Luxembourg quel que soit leur statut au sein du foyer du travailleur peuvent preacutetendre agrave ladite allocation familiale En revanche les travailleurs non-reacutesidents ne peuvent y preacutetendre que pour leurs propres enfants agrave lrsquoexclusion des enfants de leur conjoint avec lesquels ils nrsquoont pas de lien de filiation La Cour de justice indique dans son point 56 qu laquo une telle distinction fondeacutee sur la reacutesidence qui est susceptible de jouer davantage au deacutetriment des ressortissants drsquoautres Eacutetats membres dans la mesure ougrave les non-reacutesidents sont le plus souvent des non-nationaux constitue une discrimination indirecte fondeacutee sur la nationaliteacute qui ne pourrait ecirctre admise qursquoagrave la condition drsquoecirctre objectivement justifieacutee raquo ce qui nrsquoest pas le cas dans lrsquoaffaire en cause puisquelle ne garantit par la reacutealisation dun objectif leacutegitime (voir en ce sens (arrecirct Aubriet citeacute point 28) La Cour de justice souligne que srsquoil est vrai que les personnes ayant droit aux prestations familiales sont deacutetermineacutees conformeacutement au droit national il nrsquoen demeure pas moins que les Eacutetats membres doivent respecter le droit de lrsquoUnion en lrsquooccurrence les dispositions relatives agrave la libre circulation des travailleurs (point 69) Ainsi dans le domaine speacutecifique de lrsquooctroi drsquoavantages sociaux la regravegle drsquoeacutegaliteacute de traitement srsquooppose agrave des dispositions drsquoun Eacutetat membre en vertu desquelles les travailleurs non-reacutesidents ne peuvent percevoir une allocation telle que lrsquoallocation familiale demandeacutee par FV que pour leurs propres enfants agrave lrsquoexclusion de ceux de leur conjoint avec lesquels ils nrsquoont pas de lien de filiation mais dont ils pourvoient agrave lrsquoentretien alors que tous les enfants reacutesidant dans cet Eacutetat membre ont le droit de percevoir cette allocation

Par ces motifs la Cour (sixiegraveme chambre) dit pour droit

1) Lrsquoarticle 45 TFUE et lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement (UE) ndeg4922011 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 5 avril 2011 relatif agrave la libre circulation des travailleurs agrave lrsquointeacuterieur de lrsquoUnion doivent ecirctre interpreacuteteacutes en ce sens qursquoune allocation familiale lieacutee agrave lrsquoexercice par un travailleur frontalier drsquoune activiteacute salarieacutee dans un Eacutetat membre constitue un avantage social au sens de ces dispositions

2) Lrsquoarticle 1er sous i) et lrsquoarticle 67 du regraveglement (CE) ndeg8832004 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systegravemes de seacutecuriteacute sociale lus en combinaison avec lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement ndeg4922011 et avec lrsquoarticle 2 point 2 de la directive 200438CE du Parlement europeacuteen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de lrsquoUnion et des membres de leurs familles de circuler et de seacutejourner librement sur le territoire des Eacutetats membres modifiant le regraveglement (CEE) ndeg 161268 et abrogeant les directives 64221CEE 68360CEE 72194CEE 73148CEE 7534CEE 7535CEE 90364CEE 90365CEE et 9396CEE doivent ecirctre interpreacuteteacutes en ce sens qursquoils srsquoopposent agrave des dispositions drsquoun Eacutetat membre en vertu desquelles les travailleurs frontaliers ne peuvent percevoir une allocation familiale lieacutee agrave lrsquoexercice par ceux-ci drsquoune activiteacute salarieacutee dans cet Eacutetat membre que pour leurs propres enfants agrave lrsquoexclusion de ceux de leur conjoint avec lesquels ils nrsquoont pas de lien de filiation mais dont ils pourvoient agrave lrsquoentretien alors que tous les enfants reacutesidant dans ledit Eacutetat membre ont le droit de percevoir cette allocation

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Cour de justice (neuviegraveme chambre) Landkreis Suumldliche WeinstraszligePF ea 2 avril 2020 C-83018

Reacutesumeacute Dans une affaire concernant le remboursement des frais de transports scolaires dun eacutelegraveve allemand reacutesidant en France et eacutetudiant en Allemagne la Cour de justice a jugeacute quune mesure permettant agrave un Land de soumettre la prise en charge du transport scolaire agrave une condition de reacutesidence dans ce Land constitue une discrimination indirecte agrave lrsquoencontre des travailleurs frontaliers et de leur famille En effet selon la Cour de justice une condition de reacutesidence ne peut ecirctre justifieacutee par une raison impeacuterieuse d rsquointeacuterecirct geacuteneacuteral tenant agrave lrsquoorganisation du systegraveme scolaire PF de nationaliteacute allemande freacutequente une eacutecole drsquoenseignement secondaire dans le Landkreis (arrondissement) Suumldliche Weinstraszlige du Land de la Rheacutenanie-Palatinat (Allemagne) mais reacuteside en France avec ses parents eacutegalement de nationaliteacute allemande Sa megravere travaille en Allemagne Agrave partir de lrsquoanneacutee scolaire 2015-2016 le Landkreis a refuseacute de prendre en charge les frais de transport scolaire de PF au motif que selon la leacutegislation de la Rheacutenanie-Palatinat il ne serait tenu drsquoorganiser le transport scolaire que pour des eacutelegraveves reacutesidant dans ce Land PF a deacuteposeacute une reacuteclamation contre la deacutecision du Landkreis qui a eacuteteacute rejeteacutee Il a ensuite formeacute un recours contre cette deacutecision de rejet devant le Verwaltungsgericht Neustadt an der Weinstraszlige (tribunal administratif de Neustadt sur Weinstraszlige Allemagne) Ce dernier a accueilli le recours au motif que PF en tant qursquoenfant drsquoun travailleur frontalier avait le droit de beacuteneacuteficier de la prise en charge de ses frais de transport scolaire en vertu de lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement ndeg4922011 Le Landkreis a interjeteacute appel de ce jugement devant la juridiction de renvoi lrsquoOberverwaltungsgericht Rheinland-Pfalz (tribunal administratif supeacuterieur de Rheacutenanie-Palatinat Allemagne) Cette derniegravere a poseacute deux questions preacutejucielles agrave la Cour de justice laquo 1)Lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement [] ndeg4922011 [] doit-il ecirctre interpreacuteteacute en ce sens qursquoest indirectement discriminatoire une disposition du droit national qui reacuteserve le beacuteneacutefice de lrsquoobligation drsquoassurer un service de transport scolaire incombant agrave certaines collectiviteacutes territoriales (Landkreise) agrave la population reacutesidant dans lrsquoEacutetat feacutedeacutereacute dont celles-ci relegravevent mecircme srsquoil ressort des circonstances concregravetes de lrsquoespegravece que en raison de cette condition de reacutesidence ce sont en tregraves grande majoriteacute les habitants du reste du territoire national de lrsquoEacutetat membre concerneacute qui sont exclus du beacuteneacutefice de cette prestation Dans lrsquohypothegravese ougrave il conviendrait de reacutepondre par lrsquoaffirmative agrave la premiegravere question 2) La neacutecessiteacute drsquoassurer lrsquoorganisation efficace du systegraveme scolaire constitue-t-elle une exigence drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral impeacuterative susceptible de justifier une discrimination indirecte raquo

o Sur la premiegravere question preacutejudicielle Pour reacutepondre agrave cette premiegravere question la Cour de justice rappelle en premier lieu que ledit travailleur ayant exerceacute sa liberteacute de circulation il est en droit de se preacutevaloir agrave lrsquoencontre de lrsquoEacutetat membre dont il a la nationaliteacute du regraveglement ndeg4922011 qui vise agrave mettre en œuvre la libre circulation des travailleurs agrave lrsquointeacuterieur de lrsquoUnion et notamment de lrsquoarticle 7 paragraphe 2 de ce regraveglement (point 25) Elle preacutecise au point suivant que les membres de la famille drsquoun travailleur migrant sont des beacuteneacuteficiaires indirects de lrsquoeacutegaliteacute de traitement accordeacutee agrave ce dernier par la mecircme disposition (voir en ce sens arrecirct Giersch ea C-2012 point 40 20 juin 2013) Ensuite la Cour de justice affirme que la prise en charge du transport scolaire drsquoun membre de la famille constitue un avantage social au sens de la disposition citeacutee au point preacuteceacutedent (point 27) La Cour de justice allegravegue au point suivant que lavantage social est eacutegalement soumis au principe drsquoeacutegaliteacute de traitement consacreacute agrave lrsquoarticle 45 TFUE qui prohibe non seulement les discriminations ostensibles fondeacutees sur la nationaliteacute mais encore toutes formes dissimuleacutees de discrimination qui par application drsquoautres critegraveres de distinction aboutissent en fait au mecircme reacutesultat

Renvoi preacutejudiciel ndash Libre circulation des travailleurs ndash Regraveglement (UE) ndeg4922011 ndash Enfants de travailleurs frontaliers ndash Avantages sociaux ndash Systegraveme de remboursement des frais de transport scolaire ndash Condition de reacutesidence dans un Land ndash Exclusion des enfants scolariseacutes dans ce Land et reacutesidant dans un Eacutetat membre autre que celui de lrsquoeacutetablissement scolaire freacutequenteacute ndash Exclusion des ressortissants nationaux reacutesidant dans les autres Laumlnder

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En lespegravece la mesure en cause en ce qursquoelle subordonne le remboursement des frais de transport scolaire agrave une condition de reacutesidence dans le Land est susceptible par sa nature mecircme de deacutefavoriser plus particuliegraverement les travailleurs frontaliers qui reacutesident dans un autre Eacutetat membre Partant la Cour de justice affirme dans son point 32 quelle constitue une discrimination indirecte prohibeacutee agrave lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement ndeg4922011 La Cour de justice preacutecise au point 34 quune telle conclusion ne saurait ecirctre remise en cause par le fait que les travailleurs nationaux qui reacutesident dans les autres Laumlnder pacirctissent eacutegalement de cette mesure nationale En effet pour qursquoune mesure puisse ecirctre qualifieacutee drsquoindirectement discriminatoire il nrsquoest pas neacutecessaire qursquoelle ait pour effet de favoriser lrsquoensemble des ressortissants nationaux ou de ne deacutefavoriser que les seuls travailleurs frontaliers agrave lrsquoexclusion des nationaux (voir en ce sens arrecirct Gemeinsamer Betriebsrat EurothermenResort Bad Schallerbach C-43717 points 31 et 32 13 mars 2019 ) Enfin la Cour de justice souligne que la discrimination en cause dans lrsquoaffaire au principal trouvant sa source dans une condition de reacutesidence sur une partie du territoire drsquoun Eacutetat membre et non pas dans une condition de nationaliteacute il importe peu afin de deacuteterminer lrsquoexistence drsquoune discrimination telle que deacutefinie dans le preacutesent arrecirct que les travailleurs nationaux qui reacutesident dans un autre Land se trouvent eacutegalement discrimineacutes par cette condition de reacutesidence (point 35) La Cour de justice conclut quen tout eacutetat de cause une telle mesure nationale constitue une entrave agrave la libre circulation des travailleurs prohibeacutee agrave lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement ndeg4922011 en ce que mecircme indistinctement applicable elle est susceptible drsquoempecirccher ou de dissuader un ressortissant drsquoun Eacutetat membre de quitter son Eacutetat drsquoorigine pour exercer son droit agrave la libre circulation (voir en ce sens arrecirct Bosman C-41593 point 96 15 deacutecembre 1995) et quil convient donc de reacutepondre agrave la premiegravere question preacutejudicielle poseacutee que lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement ndeg4922011 doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens qursquoune leacutegislation nationale qui subordonne la prise en charge du transport scolaire par un Land agrave une condition de reacutesidence sur le territoire de ce Land constitue une discrimination indirecte en ce qursquoelle est susceptible par sa nature mecircme drsquoaffecter davantage les travailleurs frontaliers que les travailleurs nationaux (points 36 et 37)

o Sur la deuxiegraveme question preacutejudicielle Par sa seconde question la juridiction de renvoi demande en substance si lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement ndeg4922011 doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que la neacutecessiteacute drsquoassurer lrsquoorganisation efficace du systegraveme scolaire constitue une raison impeacuterieuse drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral susceptible de justifier une mesure nationale qualifieacutee de discrimination indirecte La Cour de justice commence par rappeler au point 39 qursquoune discrimination indirecte est en principe prohibeacutee agrave moins qursquoelle ne soit objectivement justifieacutee Pour cela elle doit drsquoune part ecirctre propre agrave garantir la reacutealisation drsquoun objectif leacutegitime et drsquoautre part ne pas aller au-delagrave de ce qui est neacutecessaire pour atteindre cet objectif (arrecircts Giersch ea citeacute point 46 et Aubriet C-41018 point 29 10 juillet 2019) Elle rappelle au point suivant quelle avait jugeacute qursquoune action entreprise par un Eacutetat membre afin drsquoassurer un niveau eacuteleveacute de formation de sa population reacutesidente poursuit un objectif leacutegitime susceptible de justifier une discrimination indirecte et que la poursuite drsquoeacutetudes supeacuterieures constitue un objectif drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral reconnu au niveau de lrsquoUnion (arrecircts Giersch point 53 et Aubriet point 31 citeacutes) Cependant selon la Cour de justice le fait mecircme que si lrsquoeacutetablissement freacutequenteacute est situeacute en dehors du territoire du Land de Rheacutenanie-Palatinat les frais de transport sont pris en charge par le Landkreis ou par la ville non rattacheacutee agrave un Landkreis sur le territoire duquel ou de laquelle lrsquoeacutelegraveve est domicilieacute atteste que lrsquoorganisation du transport scolaire au niveau du Land nrsquoest pas indissociablement lieacutee agrave lrsquoorganisation du systegraveme scolaire au sein de ce Land Par conseacutequent la Cour de justice juge que les dispositions du Land sur le transport scolaire ne preacutesentent pas un lien suffisamment eacutetroit avec lrsquoorganisation du systegraveme scolaire pour qursquoil soit consideacutereacute que ces dispositions poursuivent un objectif leacutegitime En tout eacutetat de cause la condition de reacutesidence opposeacutee agrave PF ne peut ecirctre consideacutereacutee comme indispensable agrave la planification et agrave lrsquoorganisation du transport scolaire degraves lors que comme lrsquoOberverwaltungsgericht Rheinland-Pfalz lrsquoindique drsquoautres mesures pourraient ecirctre envisageacutees En particulier la Cour de justice indique que pour le calcul du montant des frais de transport scolaire devant ecirctre rembourseacutes laquo le point ougrave le trajet agrave vol drsquooiseau entre le lieu de reacutesidence reacuteel et lrsquoeacutetablissement scolaire le plus proche coupe la frontiegravere raquo pourrait ecirctre pris en compte agrave titre de domicile de lrsquoeacutelegraveve

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La Cour de justice conclut donc que les difficulteacutes pratiques lieacutees agrave lrsquoorganisation efficace du transport scolaire au niveau reacutegional ne constituent pas une raison impeacuterieuse drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral susceptible de justifier une mesure nationale qualifieacutee de discrimination indirecte (points 42 agrave 46) Par ces motifs la Cour (neuviegraveme chambre) dit pour droit 1) Lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement (UE) no 4922011 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 5 avril 2011 relatif agrave la libre circulation des travailleurs agrave lrsquointeacuterieur de lrsquoUnion doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens qursquoune leacutegislation nationale qui subordonne la prise en charge du transport scolaire par un Land agrave une condition de reacutesidence sur le territoire de ce Land constitue une discrimination indirecte en ce qursquoelle est susceptible par sa nature mecircme drsquoaffecter davantage les travailleurs frontaliers que les travailleurs nationaux 2) Lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement no 4922011 doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que les difficulteacutes pratiques lieacutees agrave lrsquoorganisation efficace du transport scolaire au sein drsquoun Land ne constituent pas une raison impeacuterieuse drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral susceptible de justifier une mesure nationale qualifieacutee de discrimination indirecte

Non-discrimination

Cour de justice (grande chambre) Ruska Federacija 2 avril 2020 C-89719 PPU

Reacutesumeacute Lorsqursquoun Eacutetat membre doit statuer sur une demande drsquoextradition issu drsquoun Eacutetat tiers et concernant un ressortissant drsquoun Eacutetat de lrsquoAssociation europeacuteenne de libre-eacutechange (AELE) partie agrave lrsquoaccord sur lrsquoEspagne eacuteconomique europeacuteen (EEE) il lui incombe de veacuterifier que ce ressortissant ne sera pas soumis agrave la peine de mort agrave la torture ou agrave des peines ou traitements inhumains ou deacutegradants De plus avant drsquoenvisager drsquoexeacutecuter la demande drsquoextradition la Cour de justice preacutecise que lrsquoEacutetat membre doit en informer lrsquoEacutetat de lrsquoAELE pour permettre agrave celui-ci de solliciter la remise de son ressortissant En mai 2015 le bureau drsquoInterpol de Moscou (Russie) a eacutemis un avis de recherche international contre un ressortissant russe aux fins de son arrestation en raison de poursuites peacutenales engageacutees contre lui Le 30 juin 2019 alors qursquoil tentait drsquoentrer sur le territoire de la Croatie le ressortissant russe muni drsquoun document de voyage islandais pour reacutefugieacutes srsquoest fait arrecircter sur le fondement de cet lrsquoavis de recherche Le ressortissant russe interrogeacute par le juge drsquoinstruction du Županijski sud u Zagrebu (tribunal de comitat de Zagreb Croatie) a deacuteclareacute srsquoopposer agrave son extradition en Russie et a indiqueacute ecirctre agrave la fois citoyen russe et citoyen islandais Lrsquoambassade islandaise a confirmeacute son statut de reacutesident permanent en Islande et a indiqueacute que le gouvernement islandais souhaitait que lrsquoindividu se voit attribuer un sauf-conduit vers lrsquoIslande dans les plus brefs deacutelais Le 6 aoucirct 2019 le tribunal de comitat de Zagreb a reccedilu une demande du ministegravere public geacuteneacuteral de la Feacutedeacuteration de Russie de lrsquoextradition de leur ressortissant vers cet Eacutetat tiers en raison des poursuites peacutenales engageacutees contre

Renvoi preacutejudiciel ndash Proceacutedure preacutejudicielle drsquourgence ndash Accord EEE ndash Non-discrimination ndash Article 36 ndash Libre prestation des services ndash Champ drsquoapplication ndash Accord entre lrsquoUnion europeacuteenne la Reacutepublique drsquoIslande et le Royaume de Norvegravege sur lrsquoassociation de ces deux Eacutetats agrave la mise en œuvre agrave lrsquoapplication et au deacuteveloppement de lrsquoacquis de Schengen ndash Accord relatif agrave la proceacutedure de remise entre les Eacutetats membres de lrsquoUnion europeacuteenne drsquoune part et lrsquoIslande et la Norvegravege drsquoautre part ndash Extradition vers un Eacutetat tiers drsquoun ressortissant islandais ndash Protection des ressortissants drsquoun Eacutetat membre contre lrsquoextradition ndash Absence de protection eacutequivalente des ressortissants drsquoun autre Eacutetat ndash Ressortissant islandais ayant obtenu lrsquoasile en vertu du droit national avant lrsquoacquisition de la citoyenneteacute islandaise ndash Restriction agrave la libre circulation ndash Justification fondeacutee sur la preacutevention de lrsquoimpuniteacute ndash Proportionnaliteacute ndash Veacuterification des garanties preacutevues agrave lrsquoarticle 19 paragraphe 2 de la Charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne

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lui Le ministegravere public geacuteneacuteral a preacuteciseacute que la demande drsquoextradition nrsquoavait pas pour but de poursuivre lrsquoindividu pour des motifs politiques ni en raison de sa race de sa religion de sa nationaliteacute ou de ses opinions que toutes les possibiliteacutes drsquoexercer sa deacutefense y compris lrsquoassistance drsquoun avocat seraient mises agrave sa disposition et qursquoil ne serait pas soumis agrave la torture agrave des traitements cruels ou inhumains ou encore agrave des peines portant atteinte agrave la digniteacute humaine Par ordonnance du 5 septembre 2019 le tribunal de comitat de Zagreb a jugeacute que les conditions leacutegales pour lrsquoextradition du ressortissant russe eacutetaient remplies Le ressortissant russe a interjeteacute appel de cette ordonnance devant le Vrhovni sud (Cour suprecircme) Il a fait valoir qursquoil existait un risque concret seacuterieux et raisonnable qursquoen cas drsquoextradition vers la Russie il y soit soumis agrave la torture et agrave des traitements inhumains et deacutegradants et que le statut de reacutefugieacute lui avait eacuteteacute reconnu en Islande preacuteciseacutement en raison des poursuites effectives dont il faisait lrsquoobjet en Russie En affirmant posseacuteder la citoyenneteacute islandaise il a reprocheacute au tribunal comitat de Zagreb drsquoavoir meacuteconnu lrsquoarrecirct du 6 septembre 2016 Petruhhin (C-18215) Dans ces conditions le Vrhovni sud (Cour suprecircme) a deacutecideacute de surseoir agrave statuer et de poser agrave la Cour de justice les questions preacutejudicielles suivantes 1 Convient-il drsquointerpreacuteter lrsquoarticle 18 TFUE en ce sens qursquoun Eacutetat membre de lrsquoUnion europeacuteenne

qui statue sur lrsquoextradition vers un Eacutetat tiers drsquoun ressortissant drsquoun Eacutetat qui nrsquoest pas membre de lrsquoUnion [] mais qui est membre de lrsquoespace Schengen est tenu drsquoinformer de la demande drsquoextradition lrsquoEacutetat membre de lrsquoespace Schengen dont cette personne a la nationaliteacute

2 Si la question preacuteceacutedente appelle une reacuteponse affirmative et que lrsquoEacutetat membre de lrsquoespace

Schengen a solliciteacute la remise de cette personne afin de mener une proceacutedure pour laquelle lrsquoextradition est demandeacutee convient-il de lui remettre cette personne conformeacutement agrave lrsquoaccord relatif agrave la proceacutedure de remise

Selon la Cour de justice les articles 18 et 21 TFUE doivent ecirctre interpreacuteteacutes en ce sens que lorsqursquoun Eacutetat membre dans lequel un citoyen de lrsquoUnion ressortissant drsquoun autre Eacutetat membre srsquoest deacuteplaceacute se voit adresser une demande drsquoextradition par un Eacutetat tiers avec lequel le premier Eacutetat membre a conclu un accord drsquoextradition il est tenu drsquoinformer lrsquoEacutetat membre dont ledit citoyen a la nationaliteacute et le cas eacutecheacuteant agrave la demande de ce dernier Eacutetat membre de lui remettre ce citoyen conformeacutement aux dispositions de la deacutecision-cadre 2002584JAI du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat drsquoarrecirct europeacuteen et aux proceacutedures de remises entre Eacutetats membres telle que modifieacutee par la deacutecision-cadre 2009299JAI du Conseil du 26 feacutevrier 2009 pourvu que cet Eacutetat membre soit compeacutetent en vertu de son droit national pour poursuivre cette personne pour des faits commis en dehors de son territoire national (arrecirct du 6 septembre 2016 Petruhhin C-18215 point 50) Afin drsquoeacuteviter le risque drsquoimpuniteacute de la personne concerneacutee pour les faits qui lui sont reprocheacutes dans la demande drsquoextradition le mandat drsquoarrecirct europeacuteen eacuteventuellement eacutemis par un Eacutetat membre autre que lrsquoEacutetat membre requis doit porter agrave tout le moins sur les mecircmes faits (arrecirct du 10 avril 2018 Pisciotti C-19116 point 54) La Cour de justice estime qursquoen interdisant laquo toute discrimination exerceacutee en raison de la nationaliteacute raquo lrsquoarticle 18 TFUE exige lrsquoeacutegaliteacute de traitement des personnes se trouvant dans une situation tombant dans le domaine drsquoapplication des traiteacutes Neacuteanmoins cette disposition nrsquoa pas vocation agrave srsquoappliquer dans le cas drsquoune eacuteventuelle diffeacuterence de traitement entre les ressortissants des Eacutetats membres et ceux des Eacutetats tiers (arrecirct du 4 juin 2009 Vatsouras et Koupatantze C-2208 et C-2308 point 52 avis 117 (Accord ECG UE-Canada) du 30 avril 2019 point 169) Srsquoagissant de lrsquoarticle 21 TFUE son paragraphe 1 preacutevoit le droit de tout citoyen de lrsquoUnion de circuler et de seacutejourner librement sur le territoire des Eacutetats membres et srsquoapplique ainsi qursquoil en ressort de lrsquoarticle 20 paragraphe 1 TFUE agrave toute personne ayant la nationaliteacute drsquoun Eacutetat membre de telle sorte qursquoil ne srsquoapplique pas non plus agrave un ressortissant drsquoun Eacutetat tiers Toutefois la Cour de justice rappelle qursquoelle a pour mission drsquointerpreacuteter toutes les dispositions du droit de lrsquoUnion dont les juridictions nationales ont besoin afin de statuer sur les litiges qui leur sont soumis mecircme si ces

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dispositions ne sont pas indiqueacutees expresseacutement dans les questions qui lui sont adresseacutees par ces juridictions (arrecirct du 8 mai 2019 PI C-23018 point 42) Ainsi la Cour de justice juge qursquoil est neacutecessaire de preacuteciser la porteacutee de la protection offerte par lrsquoarticle 19 paragraphe 2 de la Charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne aux termes duquel nul ne peut ecirctre eacuteloigneacute expulseacute ou extradeacute vers un Eacutetat ougrave il existe un risque seacuterieux qursquoil soit soumis agrave la peine de mort la torture ou agrave drsquoautres peines ou traitements inhumains ou deacutegradants

o Sur lrsquoapplicabiliteacute du droit de lrsquoUnion dans le litige principal En lrsquoabsence de convention internationale agrave ce sujet entre lrsquoUnion europeacuteenne et lrsquoEacutetat tiers concerneacute les regravegles en matiegravere drsquoextradition relegravevent de la compeacutetence des Eacutetats membres Neacuteanmoins les Eacutetats membres sont tenus drsquoexercer cette compeacutetence dans le respect du droit de lrsquoUnion (arrecirct du 13 novembre 2018 Raugevicius C-24717 point 45) La Cour de justice preacutecise que lrsquoaccord EEE accord international conclu par lrsquoUnion fait partie inteacutegrante du droit de celle-ci Agrave ce titre des situations relevant du champ drsquoapplication de drsquoun tel accord sont reacutegies par le droit de lrsquoUnion (point 49) Selon la Cour de justice lrsquoaccord EEE reacuteaffirme lrsquoexistence de relations privileacutegieacutees entre lrsquoUnion europeacuteenne ses Eacutetats membres et les Eacutetats de lrsquoAELE agrave la lumiegravere de ces derniegraveres lrsquoaccord viserait agrave ce que le marcheacute inteacuterieur reacutealiseacute sur le territoire de lrsquoUnion soit eacutetendu aux Eacutetats de lrsquoAELE Pour y parvenir certaines stipulations de lrsquoaccord visent agrave garantir une interpreacutetation aussi uniforme que possible de celui-ci sur lrsquoensemble de lrsquoEEE La Cour de justice estime qursquoil lui revient dans ce cadre de veiller agrave ce que les regravegles de lrsquoaccord EEE identiques en substance agrave celles du TFUE soient interpreacuteteacutees de maniegravere uniforme agrave lrsquointeacuterieur des Eacutetats membres (point 50) En lrsquoespegravece lrsquoindividu en cause faisait valoir qursquoil eacutetait entreacute en Croatie pour y passer ses vacances La Cour de justice juge que la liberteacute de prestation de services au sens de lrsquoarticle 56 TFUE inclut la liberteacute des destinataires de service de rendre dans un autre Eacutetat membre pour y beacuteneacuteficier drsquoun service les touristes devant ecirctre consideacutereacutes comme eacutetant des destinataires de services beacuteneacuteficiaires de cette liberteacute Elle preacutecise que la mecircme interpreacutetation srsquoimpose agrave lrsquoeacutegard de la liberteacute de prestation de services garantie agrave lrsquoarticle 36 de lrsquoaccord EEE (points 52 et 52) Ainsi la Cour de justice juge que la situation de lrsquoindividu en cause relegraveve du champ drsquoapplication de lrsquoaccord EEE et du droit de lrsquoUnion du fait de sa qualiteacute de ressortissant islandais (par analogie arrecirct du 6 septembre 2016 Petruhhin C-18215 points 30 et 31) Degraves lors la Croatie est tenue drsquoexercer sa compeacutetence en matiegravere drsquoextradition agrave destination drsquoEacutetats tiers drsquoune maniegravere conforme agrave lrsquoaccord EEE

o Sur la restriction agrave la libre prestation des services et lrsquoeacuteventuelle justification de celle-ci Lrsquoarticle 4 de lrsquoaccord EEE exige lrsquoeacutegaliteacute de traitement des personnes se trouvant dans une situation reacutegie par cet accord en interdisant laquo toute discrimination exerceacutee en raison de la nationaliteacute raquo La Cour de justice explique que les regravegles nationales drsquoextradition telles que celles en cause introduisent une diffeacuterence de traitement selon que la personne concerneacutee soit un ressortissant national ou un ressortissant drsquoun Eacutetat de lrsquoAELE partie agrave lrsquoaccord EEE car elles conduisent agrave ne pas accorder aux ressortissants de ces derniers Eacutetats la protection contre lrsquoextradition dont jouissent les ressortissants nationaux (par analogie arrecirct du 6 septembre 2016 Petruhhin C-18215 point 32) Ainsi de telles regravegles sont susceptibles drsquoaffecter la liberteacute consacreacutee agrave lrsquoarticle 36 de lrsquoaccord EEE La Cour de justice ajoute que la circonstance selon laquelle la personne concerneacutee a la qualiteacute de ressortissant drsquoun Eacutetat de lrsquoAELE partie agrave lrsquoaccord EEE et le fait que cet Eacutetat met en œuvre et applique lrsquoacquis de Schengen rendent la situation de cette personne objectivement comparable agrave celle drsquoun citoyen de lrsquoUnion (point 58)

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Toutefois la Cour de justice preacutecise qursquoune telle restriction ne peut ecirctre justifieacutee que si elle est fondeacutee sur des consideacuterations objectives et proportionneacutee agrave lrsquoobjectif leacutegitimement poursuivi par le droit national (par analogie arrecirct du 6 septembre 2016 Petruhhin C-18215 points 34) En lrsquoespegravece la Cour de justice considegravere que lrsquoobjectif drsquoeacuteviter le risque drsquoimpuniteacute des personnes ayant commis une infraction avanceacute dans la demande de deacutecision preacutejudicielle agrave des fins de justification doit ecirctre perccedilue comme preacutesentant un caractegravere leacutegitime Pour autant des restrictions agrave la liberteacute consacreacutee agrave lrsquoarticle 36 de lrsquoaccord EEE ne peuvent ecirctre justifieacutee par des consideacuterations objectives que si elles sont approprieacutees pour la protection des inteacuterecircts qursquoelles visent agrave garantir et seulement dans la mesure ougrave ces objectifs en peuvent ecirctre atteints par des mesures moins restrictives Agrave ce titre degraves lors que le ressortissant islandais se preacutevaut drsquoun risque seacuterieux de traitement inhumain et deacutegradant en cas drsquoextradition lrsquoEacutetat membre requis doit veacuterifier avant de proceacutedure agrave une eacuteventuelle extradition que cette derniegravere ne portera pas atteinte aux droits viseacutes agrave lrsquoarticle 19 paragraphe 2 de la Charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne Ainsi lrsquoautoriteacute compeacutetente de lrsquoEacutetat membre requis telle que la juridiction de renvoi doit se fonder aux fins de cette veacuterification sur des eacuteleacutements objectifs fiables preacutecis et ducircment actualiseacutes eacuteleacutements pouvant reacutesulter notamment de deacutecisions judiciaires internationales telles que des arrecircts de la Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme de deacutecisions judiciaires de lrsquoEacutetat tiers requeacuterant ainsi que de deacutecisions de rapports et drsquoautres documents eacutetablis par les organes du Conseil de lrsquoEurope ou relevant du systegraveme des Nations unies (arrecirct du 6 septembre 2016 Petruhhin C-18215 points 55 agrave 59 et jurisprudence citeacutee) Si les autoriteacutes de lrsquoEacutetat membre requis estiment que lrsquoarticle 19 paragraphe 2 de la Charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne ne srsquooppose pas agrave lrsquoexeacutecution de cette demande il faudra examiner si la restriction en cause est proportionneacutee agrave lrsquoobjectif de lutte contre lrsquoimpuniteacute drsquoune personne qui aurait commis une infraction peacutenale La Cour de justice souligne que la mise en œuvre des meacutecanismes de coopeacuteration et drsquoassistance mutuelle existant en matiegravere peacutenale en vertu du droit de lrsquoUnion constitue en tout eacutetat de cause une mesure alternative moins attentatoire au droit agrave la libre circulation que lrsquoextradition vers un Eacutetat tiers avec lequel lrsquoUnion nrsquoa pas conclu drsquoaccord drsquoextradition et qui permet drsquoatteindre aussi efficacement cet objectif (point 69) Ainsi il en revient agrave lrsquoautoriteacute compeacutetente de lrsquoEacutetat membre requis drsquoinformer lrsquoEacutetat membre dont lrsquointeacuteresseacute agrave la nationaliteacute et le cas eacutecheacuteant agrave la demande de ce dernier Eacutetat de lui remettre lrsquointeacuteresseacute sur le fondement drsquoun mandat drsquoarrecirct europeacuteen en vertu de la deacutecision-cadre 2002584JAI Or cette deacutecision ne srsquoapplique pas agrave la Reacutepublique drsquoIslande cet Eacutetat a conclu avec lrsquoUnion un accord relatif agrave la proceacutedure de remise entreacute en vigueur le 1er novembre 2019 dont les dispositions sont tregraves semblables aux dispositions correspondantes de la deacutecision Au regard de ce qui preacutecegravede la Cour de justice juge que la solution retenue dans lrsquoarrecirct Petruhhin (C-18215) doit ecirctre appliqueacutee par analogie aux ressortissants islandais qui se trouvent agrave lrsquoeacutegard de lrsquoEacutetat tiers sollicitant leur extradition dans une situation objectivement comparable agrave celle drsquoun citoyen de lrsquoUnion auquel selon lrsquoarticle 3 paragraphe 2 TUE lrsquoUnion offre un espace de liberteacute de seacutecuriteacute et de justice sans frontiegraveres inteacuterieures au sein duquel est assureacutee la libre circulation des personnes Partant lorsqursquoun Eacutetat membre dans lequel un ressortissant de la Reacutepublique drsquoIslande srsquoest deacuteplaceacute se voit adresser une demande drsquoextradition par un Eacutetat tiers avec lequel le premier Eacutetat membre a conclu un accord drsquoextradition il est en principe tenu drsquoinformer la Reacutepublique drsquoIslande et le cas eacutecheacuteant de lui remettre ce ressortissant agrave sa demande conformeacutement aux dispositions de lrsquoaccord relatif agrave la proceacutedure de remise pourvu que la Reacutepublique drsquoIslande soit compeacutetente en vertu de son droit national pour poursuivre cette personne pour des faits commis en dehors de son territoire national (point 76) Par ces motifs la Cour (grande chambre) dit pour droit Le droit de lrsquoUnion en particulier lrsquoarticle 36 de lrsquoaccord sur lrsquoEspace eacuteconomique europeacuteen du 2 mai 1992 et lrsquoarticle 19 paragraphe 2 de la Charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que lorsqursquoun Eacutetat membre dans lequel srsquoest deacuteplaceacute un ressortissant drsquoun Eacutetat membre de lrsquoAssociation europeacuteenne de libre-eacutechange (AELE) partie agrave lrsquoaccord sur lrsquoEspace eacuteconomique europeacuteen et avec lequel lrsquoUnion europeacuteenne a conclu un accord de remise se voit adresser

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une demande drsquoextradition par un Eacutetat tiers en vertu de la convention europeacuteenne drsquoextradition signeacutee agrave Paris le 13 deacutecembre 1957 et lorsque ce ressortissant srsquoeacutetait vu accorder lrsquoasile par cet Eacutetat de lrsquoAELE anteacuterieurement agrave son acquisition de la nationaliteacute dudit Eacutetat preacuteciseacutement en raison des poursuites dont il fait lrsquoobjet dans lrsquoEacutetat ayant eacutemis la demande drsquoextradition il incombe agrave lrsquoautoriteacute compeacutetente de lrsquoEacutetat membre requis de veacuterifier que lrsquoextradition ne portera pas atteinte aux droits viseacutes audit article 19 paragraphe 2 de la Charte des droits fondamentaux lrsquooctroi de lrsquoasile constituant un eacuteleacutement particuliegraverement seacuterieux dans le cadre de cette veacuterification Avant drsquoenvisager drsquoexeacutecuter la demande drsquoextradition lrsquoEacutetat membre requis est en tout eacutetat de cause tenu drsquoinformer ce mecircme Eacutetat de lrsquoAELE et le cas eacutecheacuteant de lui remettre agrave sa demande ledit ressortissant conformeacutement aux dispositions de lrsquoaccord de remise pourvu que ledit Eacutetat de lrsquoAELE soit compeacutetent en vertu de son droit national pour poursuivre ce ressortissant pour des faits commis en dehors de son territoire national

Cour de justice (huitiegraveme chambre) HB et IC Istituto nazionale della previdenza sociale 30 avril 2020 C-16819 et C-16919

Reacutesumeacute La Cour de justice par cet arrecirct a jugeacute que le reacutegime fiscal italien reacutesultant de la convention italo-portugaise contre la double imposition sur les revenus nrsquoenfreint pas les principes de libre circulation et de non-discrimination Les retraiteacutes du secteur priveacute et du secteur public peuvent donc ecirctre soumis agrave des reacuteglementations fiscales nationales diffeacuterentes

HB et IC de nationaliteacute italienne sont drsquoanciens agents du secteur public italien beacuteneacuteficiant drsquoune pension de

retraite verseacutee par lrsquoIstituto Nazionale della Previdenza Sociale (Institut national de la seacutecuriteacute sociale Italie ci-

apregraves laquo INPS raquo) Apregraves avoir transfeacutereacute leur reacutesidence au Portugal ils ont demandeacute en 2015 agrave lrsquoINPS de recevoir

en application de la Convenzione tra la Repubblica italiana e la Repubblica portoghese per evitare le doppie

imposizioni e prevenire lrsquoevasione fiscale in materia di imposte sul reddito (convention italo-portugaise contre les

doubles impositions) le montant brut de leur pension sans preacutelegravevement drsquoimpocirct agrave la source par lrsquoItalie de maniegravere

agrave pouvoir beacuteneacuteficier des avantages fiscaux offerts par le Portugal LrsquoINPS a rejeteacute leurs demandes consideacuterant

que cette reacuteglementation srsquoapplique uniquement aux retraiteacutes italiens du secteur priveacute ayant transfeacutereacute leur

reacutesidence au Portugal ainsi qursquoaux retraiteacutes italiens du secteur public qui en plus drsquoavoir transfeacutereacute leur reacutesidence

au Portugal ont acquis la nationaliteacute portugaise condition que HB et IC ne remplissent pas

HB et IC ont alors saisi la Corte dei conti ndash Sezione Giurisdizionale per la Regione Puglia (Cour des comptes ndash

chambre juridictionnelle pour la reacutegion des Pouilles Italie ci-apregraves laquo Cour des comptes raquo)

Dans ces conditions la Cour des comptes a deacutecideacute de surseoir agrave statuer et de poser agrave la Cour de justice la question

preacutejudicielle suivante libelleacutee de maniegravere identique dans les deux affaires jointes

laquo Les articles 18 et 21 TFUE doivent-ils ecirctre interpreacuteteacutes en ce sens qursquoils srsquoopposent agrave ce que la reacuteglementation drsquoun Eacutetat membre

preacutevoie drsquoimposer les revenus drsquoune personne reacutesidente dans un autre Eacutetat membre qui a acquis inteacutegralement son revenu dans le

premier Eacutetat membre mais qui nrsquoa pas la nationaliteacute du second Eacutetat en ne lui permettant pas de beacuteneacuteficier des avantages fiscaux

offerts par ce dernier raquo

o Sur la question preacutejudicielle

Dans son point 15 la Cour de justice reformule la question preacutejudicielle et affirme que la juridiction de renvoi

demande en substance si les articles 18 et 21 TFUE (principes de non-discrimination et de libre circulation des

citoyens de lUnion) srsquoopposent agrave un reacutegime fiscal reacutesultant drsquoune convention preacuteventive de la double imposition

conclue entre deux Eacutetats membres en vertu de laquelle la compeacutetence fiscale de ces Eacutetats en matiegravere drsquoimposition

Renvoi preacutejudiciel ndash Libre circulation des personnes ndash Article 21 TFUE ndash Principe de non-discrimination en raison de la nationaliteacute ndash Article 18 TFUE ndash Convention preacuteventive de la double imposition ndash Travailleurs du secteur public ndash Pensionneacute reacutesidant dans un Eacutetat membre autre que celui lui versant une pension de retraite et ne posseacutedant pas la nationaliteacute de lrsquoEacutetat membre de reacutesidence ndash Impocirct sur le revenu ndash Preacutetendue perte drsquoavantages fiscaux ndash Preacutetendue entrave agrave la liberteacute de circulation et preacutetendue discrimination

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sur les pensions de retraite est reacutepartie selon que les beacuteneacuteficiaires de celles-ci exerccedilaient un emploi relevant du

secteur priveacute ou du secteur public et dans ce dernier cas selon qursquoils ont ou non la nationaliteacute de lrsquoEacutetat membre

de reacutesidence

Par son arrecirct de ce jour la Cour de justice reacutepond par la neacutegative aux deux questions

La Cour de justice rappelle des points 16 agrave 20 sa jurisprudence (Cour de justice Bukovansky 19 novembre 2015

C-24114 et Gilly 12 mai 1998 C-33696) selon laquelle les Eacutetats membres sont libres dans le cadre de

conventions contre les doubles impositions de fixer les critegraveres de reacutepartition entre eux de la compeacutetence fiscale

de telles conventions nrsquoayant pas pour but de garantir que lrsquoimposition dans un Eacutetat ne soit pas supeacuterieure agrave celle

drsquoun autre Eacutetat

En effet elle relegraveve dans son point 17 qursquoune convention bilateacuterale preacuteventive de la double imposition telle que

cette convention italo-portugaise a pour objet drsquoeacuteviter que le mecircme revenu soit imposeacute dans chacune des deux

parties agrave cette convention et non pas de garantir que lrsquoimposition agrave laquelle est assujetti le contribuable dans une

partie contractante ne soit pas supeacuterieure agrave celle agrave laquelle il serait assujetti dans lrsquoautre partie contractante (arrecirct

Bukovansky citeacute point 44) Elle ajoute au paragraphe suivant quagrave cette fin il nrsquoest pas deacuteraisonnable pour les

Eacutetats membres drsquoutiliser les critegraveres suivis dans la pratique fiscale internationale et en particulier comme lrsquoont

fait la Reacutepublique italienne et la Reacutepublique portugaise le modegravele de convention fiscale concernant le revenu et

la fortune eacutelaboreacute par lrsquoOCDE dont lrsquoarticle 19 paragraphe 2 dans sa version de lrsquoanneacutee 2014 qui preacutevoit des

facteurs de rattachement tels que lrsquoEacutetat payeur et la nationaliteacute (arrecircts Gilly citeacute point 31 et Sauvage et Lejeune

C-60217 24 octobre 2018 point 23)

Dans ce cadre les Eacutetats membres peuvent notamment reacutepartir la compeacutetence fiscale sur la base de critegraveres tels

que lrsquoEacutetat payeur ou la nationaliteacute Or la diffeacuterence de traitement que HB et IC allegraveguent avoir subie deacutecoule de

la reacutepartition du pouvoir drsquoimposition entre lrsquoItalie et le Portugal ainsi que des dispariteacutes existant entre les reacutegimes

fiscaux de ces Eacutetats membres (arrecirct Bukovansky citeacute point 38) La Cour de justice affirme que dans ces conditions

il ne saurait ecirctre question drsquoune discrimination interdite (sect19)

Par ces motifs la Cour de justice (huitiegraveme chambre) dit pour droit

Les articles 18 et 21 TFUE ne srsquoopposent pas agrave un reacutegime fiscal reacutesultant drsquoune convention preacuteventive

de la double imposition conclue entre deux Eacutetats membres en vertu de laquelle la compeacutetence fiscale

de ces Eacutetats en matiegravere drsquoimposition sur les pensions de retraite est reacutepartie selon que les beacuteneacuteficiaires

de celles-ci exerccedilaient un emploi relevant du secteur priveacute ou du secteur public et dans ce dernier cas

selon qursquoils ont ou non la nationaliteacute de lrsquoEacutetat membre de reacutesidence

Protection de la seacutecuriteacute et de la santeacute des travailleurs

Cour de justice (dixiegraveme chambre) UO Keacuteszenleacuteti Rendőrseacuteg 30 avril 2020 C-21119

Reacutesumeacute Dans une affaire qui concerne lrsquoameacutenagement du temps de travail drsquoun membre de la police drsquointervention de la Hongrie

la Cour de justice juge que la directive 200388CE sur le temps de travail srsquoapplique aux agents de la police drsquointervention

hongroise assurant la surveillance des frontiegraveres exteacuterieures de lrsquoespace Schengen dans le contexte de la crise migratoire La Cour de

justice rappelle que ces activiteacutes peuvent neacuteanmoins eacutechapper aux regravegles de la directive dans des circonstances drsquoune graviteacute et drsquoune

ampleur exceptionnelles

La preacutesente demande de deacutecision preacutejudicielle deacuteposeacutee le 6 mars 2019 a eacuteteacute preacutesenteacutee dans le cadre drsquoun litige

Renvoi preacutejudiciel ndash Politique sociale ndash Protection de la seacutecuriteacute et de la santeacute des travailleurs ndash Directive 200388CE ndash Champ drsquoapplication ndash Deacuterogation ndash Article 1er paragraphe 3 ndash Directive 89391CEE ndash Article 2 paragraphe 2 ndash Activiteacutes des forces drsquointervention de la police

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opposant UO au Keacuteszenleacuteti Rendőrseacuteg (police drsquointervention Hongrie) au sujet de la reacutemuneacuteration due pour les services de garde qursquoil a assureacutes Du mois de juillet 2015 au mois drsquoavril 2017 UO qui exerce ses fonctions dans les services de la police drsquointervention srsquoest trouveacute en service drsquoalerte en tant que membre drsquoune compagnie de patrouille La police drsquointervention est un organe speacutecifique du service de police geacuteneacuterale qui dispose de pouvoirs speacuteciaux et exerce des missions particuliegraveres sur lrsquoensemble du territoire hongrois dont la patrouille aux frontiegraveres de la Hongrie avec des Eacutetats ne faisant pas partie de lrsquoespace Schengen Au cours de ladite peacuteriode lrsquoemployeur drsquoUO a ordonneacute dans le cadre des missions effectueacutees agrave la frontiegravere drsquoune part un service drsquoalerte extraordinaire et drsquoautre part un service de garde en dehors du temps de service ordinaire ces deux services devant ecirctre assureacutes en patrouille Pour la police drsquointervention hongroise le temps de garde drsquoUO constituait une peacuteriode de repos UO estime que pendant cette peacuteriode il assurait en reacutealiteacute un service drsquoalerte en dehors du temps de service ordinaire quotidien lequel devait ecirctre qualifieacute de laquo temps de travail raquo pour lequel il devait beacuteneacuteficier non pas drsquoune prime de service de garde mais drsquoune indemniteacute de service drsquoalerte extraordinaire Il a ainsi formeacute un recours contre son employeur devant la juridiction de renvoi en srsquoappuyant sur la loi relative au statut du personnel professionnel des organes chargeacutes du maintien de lrsquoordre qui vise agrave mettre en œuvre la directive 200388 La juridiction de renvoi srsquointerroge sur le point de savoir si les deacutefinitions figurant agrave lrsquoarticle 2 de la directive 200388 peuvent ecirctre appliqueacutees agrave UO en sa qualiteacute de membre de la police drsquointervention eacutetant donneacute que lrsquoactiviteacute concerneacutee se distingue des activiteacutes exerceacutees dans des circonstances ordinaires Agrave cet eacutegard la juridiction de renvoi souhaite savoir si le champ drsquoapplication personnel de la directive 200388 est deacutetermineacute agrave lrsquoarticle 2 de la directive 89391 Dans lrsquoaffirmative elle srsquointerroge sur le point de savoir si lrsquoactiviteacute de membre de la police drsquointervention preacutesente des particulariteacutes inheacuterentes agrave certaines activiteacutes speacutecifiques de la fonction publique qui srsquoopposent de maniegravere contraignante agrave lrsquoapplication de la directive 89391 et de lrsquoarticle 2 de la directive 200388 Dans ces conditions le Miskolci Koumlzigazgataacutesi eacutes Munkauumlgyi Biacuteroacutesaacuteg (tribunal administratif et du travail de Miskolc Hongrie) a deacutecideacute de surseoir agrave statuer et de poser agrave la Cour des justices les questions preacutejudicielles suivantes laquo 1) Faut-il interpreacuteter lrsquoarticle 1er paragraphe 3 de la directive [200388] en ce sens que le champ drsquoapplication personnel de cette directive est deacutetermineacute par lrsquoarticle 2 de la directive [89391] 2) Dans lrsquoaffirmative faut-il interpreacuteter lrsquoarticle 2 paragraphe 2 de la directive [89391] en ce sens que lrsquoarticle 2 points 1 et 2 de la directive [200388] ne doit pas ecirctre appliqueacute en ce qui concerne les agents de police membres du personnel professionnel de la police drsquointervention raquo

o Sur les questions preacutejudicielles La Cour de justice relegraveve tout drsquoabord que lrsquoarticle 1er paragraphe 3 de la directive 200388 deacutefinit le champ drsquoapplication de celle-ci par renvoi agrave lrsquoarticle 2 de la directive 89391 Ainsi aux termes de lrsquoarticle 2 paragraphe 1 de la directive 89391 celle-ci srsquoapplique laquo agrave tous les secteurs drsquoactiviteacutes priveacutes ou publics raquo parmi lesquels figurent les laquo activiteacutes de service raquo Neacuteanmoins la directive nrsquoest pas applicable lorsque des particulariteacutes inheacuterentes agrave certaines activiteacutes speacutecifiques dans la fonction publique notamment dans les forces armeacutees ou la police ou agrave certaines activiteacutes speacutecifiques dans les services de protection civile srsquoy opposent de maniegravere contraignante conformeacutement agrave lrsquoarticle 2 paragraphe 2 premier alineacutea de la directive 89391 Par conseacutequent la Cour de justice cherche agrave deacuteterminer si des fonctions telles que celle en cause au principal sont susceptibles de relever de lrsquoexception preacutevue agrave lrsquoarticle 2 paragraphe 2 premier alineacutea de la directive 89391 laquelle doit recevoir une interpreacutetation qui limite sa porteacutee agrave ce qui est strictement neacutecessaire agrave la sauvegarde des inteacuterecircts qursquoelle permet aux Eacutetats membres de proteacuteger (Cour de justice [GC] Pfeiffer ea 5 octobre 2004

C‑39701 agrave C‑40301 point 54 et Sindicatul Familia Constanţa ea 20 novembre 2018 C‑14717 point 53) En lrsquoespegravece la Cour de justice relegraveve en premier lieu que la surveillance des frontiegraveres exteacuterieures drsquoun Eacutetat membre dans un contexte drsquoafflux de ressortissants de pays tiers constitue une activiteacute qui relegraveve de la fonction publique au sens de lrsquoarticle 2 paragraphe 2 premier alineacutea de la directive 89391 En deuxiegraveme lieu elle relegraveve

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qursquoune telle activiteacute est susceptible de preacutesenter certaines speacutecificiteacutes par rapport agrave drsquoautres activiteacutes relevant de la fonction publique en geacuteneacuteral ou du maintien de lrsquoordre en particulier Finalement la Cour de justice cherche agrave deacuteterminer si des particulariteacutes inheacuterentes agrave cette activiteacute speacutecifique de la fonction publique srsquoopposent de maniegravere contraignante en raison de la neacutecessiteacute absolue de garantir une protection efficace de la collectiviteacute agrave ce que la directive 200388 soit appliqueacutee agrave ladite activiteacute A cet eacutegard la Cour de justice constate que certaines activiteacutes speacutecifiques relevant de la fonction publique ne se precirctent pas par leur nature agrave une planification du temps de travail et qursquoelles peuvent dans la mesure ougrave leur continuiteacute est indispensable pour assurer lrsquoexercice effectif des fonctions essentielles de lrsquoEacutetat eacutechapper au champ drsquoapplication de la directive Toutefois la Cour de justice rappelle que conformeacutement agrave sa jurisprudence cette exigence de continuiteacute doit ecirctre appreacutecieacutee en tenant compte de la nature speacutecifique de lrsquoactiviteacute consideacutereacutee (Cour

de justice [GC] Sindicatul Familia Constanţa ea 20 novembre 2018 C‑14717 point 66) La Cour de justice rappelle que selon une jurisprudence constante lrsquoapplication de lrsquoarticle 2 paragraphe 2 premier alineacutea de la directive 89391 aux services actifs dans le domaine de la santeacute de la seacutecuriteacute et de lrsquoordre publics ne se justifie qursquoen raison drsquoeacuteveacutenements exceptionnels comme des catastrophes naturelles ou technologiques des attentats ou des accidents majeurs dont la graviteacute et lrsquoampleur neacutecessitent lrsquoadoption de mesures indispensables agrave la protection de la vie de la santeacute ainsi que de la seacutecuriteacute de la collectiviteacute et dont la bonne exeacutecution serait compromise si toutes les regravegles eacutenonceacutees par la directive 200388 devaient ecirctre respecteacutees Dans le cas de lrsquoespegravece la Cour de justice relegraveve que les missions de surveillance aux frontiegraveres exteacuterieures de lrsquoespace Schengen lorsqursquoelles sont assureacutees dans des conditions normales par la police drsquointervention hongroise ne preacutesentent pas agrave premiegravere vue des caracteacuteristiques agrave ce point speacutecifiques Elle juge qursquoil appartient agrave la juridiction de renvoi de deacuteterminer si les missions exerceacutees par UO au cours de la peacuteriode litigieuse lrsquoont eacuteteacute dans des circonstances drsquoune graviteacute et drsquoune ampleur exceptionnelles justifiant que leur soit appliqueacutee lrsquoexception preacutevue agrave lrsquoarticle 2 paragraphe 2 premier alineacutea de la directive 89391 Pour cela il lui appartiendra de deacuteterminer si un afflux de ressortissants de pays tiers aux frontiegraveres exteacuterieures de la Hongrie a empecirccheacute que la surveillance desdites frontiegraveres soit effectueacutee tout au long de la peacuteriode litigieuse dans des conditions habituelles conformeacutement agrave la mission impartie agrave la police drsquointervention Finalement la Cour de justice rappelle que dans la situation ougrave la juridiction de renvoi aboutirait agrave la conclusion que les particulariteacutes inheacuterentes aux missions assureacutees par les membres de la police drsquointervention ne se precirctaient pas par leur nature agrave une planification du temps de travail elle devra tenir compte du fait que lrsquoarticle 2 paragraphe 2 second alineacutea de la directive 89391 preacutevoit que mecircme dans ce cas les autoriteacutes compeacutetentes doivent assurer la seacutecuriteacute et la santeacute des travailleurs dans toute la mesure du possible Par ces motifs la Cour (dixiegraveme chambre) dit pour droit Lrsquoarticle 1er paragraphe 3 de la directive 200388CE du Parlement europeacuteen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de lrsquoameacutenagement du temps de travail doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que lrsquoarticle 2 points 1 et 2 de cette directive srsquoapplique aux membres des forces de lrsquoordre qui exercent des fonctions de surveillance aux frontiegraveres exteacuterieures drsquoun Eacutetat membre en cas drsquoafflux de ressortissants de pays tiers auxdites frontiegraveres sauf lorsqursquoil apparaicirct au vu de lrsquoensemble des circonstances pertinentes que les missions exeacutecuteacutees le sont dans le cadre drsquoeacuteveacutenements exceptionnels dont la graviteacute et lrsquoampleur neacutecessitent lrsquoadoption de mesures indispensables agrave la protection de la vie de la santeacute ainsi que de la seacutecuriteacute de la collectiviteacute et dont la bonne exeacutecution serait compromise si lrsquoensemble des regravegles eacutenonceacutees par ladite directive devaient ecirctre respecteacutees ce qursquoil appartient agrave la juridiction de renvoi de veacuterifier

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Protection internationale

Cour de justice (troisiegraveme chambre) affaires jointes Commission Pologne Commission Hongrie et Commission Reacutepublique Tchegraveque 2 avril 2020 C-71517 C-71817 et C-71917

Reacutesumeacute La Cour de justice a jugeacute que la Pologne la Hongrie et la Reacutepublique tchegraveque avaient manqueacute aux obligations leur

incombant en vertu des deacutecisions 20151523 et 20151601 Ces Eacutetats membres auraient ducirc relocaliser sur leurs territoires un

nombre approprieacute de demandeurs de protection internationale

Les deacutecisions 20151523 et 20151601 disposaient que 40 000 personnes ayant besoin drsquoune protection

internationale devaient ecirctre relocaliseacutees de maniegravere temporaire et exceptionnelle depuis lrsquoItalie et la Gregravece vers

drsquoautres Eacutetats membre

Le 16 deacutecembre 2015 la Pologne a indiqueacute un nombre de 100 demandeurs de protection internationale pouvant

faire rapidement lrsquoobjet drsquoune relocalisation sur son territoire La Pologne nrsquoa pas donneacute suite aux demandes de

lrsquoItalie et de la Gregravece et nrsquoa ensuite plus pris aucun engagement de relocalisation

Aucun demandeur de protection internationale nrsquoa eacuteteacute relocaliseacute sur le territoire de la Hongrie au titre des

deacutecisions preacuteciteacutees

Suite agrave une offre de relocaliser 30 personnes 12 demandeurs de protection internationale tous en provenance

de la Gregravece ont eacuteteacute relocaliseacutes sur le territoire de la Reacutepublique Tchegraveque Apregraves le 13 mai 2016 la Reacutepublique

Tchegraveque nrsquoa plus pris aucun engagement de relocalisation

Par lettres du 10 feacutevrier 2016 la Commission europeacuteenne a inviteacute ces trois Eacutetats agrave communiquer au moins tous

les trois mois des indications concernant le nombre de demandeurs de protection internationale pouvant ecirctre

relocaliseacutes sur leur territoire et agrave relocaliser de tels demandeurs agrave intervalles reacuteguliers afin de se conformer agrave leurs

obligations leacutegales Plusieurs lettres ont eacuteteacute adresseacutees par la suite Le 1er mars 2017 la Reacutepublique tchegraveque a

indiqueacute par lettre que sa premiegravere offre de relocaliser 30 personnes eacutetait suffisante

La Commission europeacuteenne a indiqueacute agrave plusieurs reprises qursquoelle se reacuteservait la possibiliteacute drsquoengager des

proceacutedures en manquement contre ces Eacutetats membre si ceux-ci ne se conformaient pas au plus vite agrave leurs

obligations Ainsi par des lettres de mise en demeure du 15 juin 2017 en ce qui concerne la Hongrie et la

Reacutepublique Tchegraveque et du 16 juin 2017 en ce qui concerne la Pologne la Commission europeacuteenne a engageacute une

proceacutedure en manquement au titre de lrsquoarticle 258 paragraphe 1 TFUE contre ces trois Eacutetats membre Par lettre

du 19 septembre 2017 la Commission europeacuteenne a attireacute lrsquoattention des trois Eacutetats sur lrsquoarrecirct Slovaquie et

HongrieConseil (Cour de justice 6 septembre 2017 C-64315 et C-64715) qui a confirmeacute la validiteacute de la deacutecision

20151601 et a inviteacute ces trois Eacutetats membre agrave adopter au plus vite les mesures neacutecessaires afin de prendre des

engagements de relocalisation et de proceacuteder agrave des relocalisations Nrsquoayant pas reccedilu de reacuteponse agrave ces lettres la

Commission europeacuteenne a deacutecideacute drsquointroduire les preacutesents recours

o Sur la recevabiliteacute

Manquement drsquoEacutetat ndash Deacutecisions (UE) 20151523 et (UE) 20151601 ndash Article 5 paragraphes 2 et 4 agrave 11 de chacune de ces deacutecisions ndash Mesures provisoires en matiegravere de protection internationale au profit de la Reacutepublique helleacutenique et de la Reacutepublique italienne ndash Situation drsquourgence caracteacuteriseacutee par un afflux soudain de ressortissants de pays tiers sur le territoire de certains Eacutetats membres ndash Relocalisation de ces ressortissants sur le territoire des autres Eacutetats membres ndash Proceacutedure de relocalisation ndash Obligation pour les Eacutetats membres drsquoindiquer agrave intervalles reacuteguliers et au moins tous les trois mois le nombre de demandeurs de protection internationale pouvant faire rapidement lrsquoobjet drsquoune relocalisation sur leur territoire ndash Obligations conseacutecutives conduisant agrave la relocalisation effective ndash Inteacuterecircts des Eacutetats membres lieacutes agrave la seacutecuriteacute nationale et agrave lrsquoordre public ndash Possibiliteacute pour un Eacutetat membre drsquoinvoquer lrsquoarticle 72 TFUE pour ne pas appliquer des actes du droit de lrsquoUnion ayant un caractegravere obligatoire

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Sur les exceptions drsquoirrecevabiliteacute dans les affaires C-71517 C-71817 et C-71917 tireacutees de ce que les recours sont deacutenueacutes

drsquoobjet et contredisent lrsquoobjectif de la proceacutedure viseacutee agrave lrsquoarticle 258 TFUE

Les trois Eacutetats membre allegraveguent que les recours seraient deacutenueacutes drsquoobjet et ne serviraient pas lrsquoobjectif de la

proceacutedure en manquement En outre srsquoagissant de manquements agrave des obligations reacutesultant drsquoactes de lrsquoUnion

dont la peacuteriode drsquoapplication a deacutefinitivement expireacute et auxquels il ne peut plus ecirctre remeacutedieacute la Commission

europeacuteenne ne pourrait faire valoir un inteacuterecirct suffisant agrave demander que la Cour de justice constate ces

manquements

La Cour de justice rappelle que lrsquoobjectif poursuivi par la proceacutedure preacutevue agrave lrsquoarticle 258 TFUE est la constatation

objective du non-respect par un Eacutetat membre des obligations que lui imposent le TFUE ou un acte de droit

deacuteriveacute et qursquoune telle proceacutedure permet aussi de deacuteterminer si un Eacutetat membre a enfreint le droit de lrsquoUnion dans

un cas drsquoespegravece La Cour de justice note que dans un recours en manquement la Commission europeacuteenne ne

saurait demander agrave la Cour de justice autre chose que la constatation de lrsquoexistence du manquement alleacutegueacute en

vue de la cessation de celui-ci Un recours en manquement est recevable si la Commission europeacuteenne se limite

agrave demander agrave la Cour de justice de constater lrsquoexistence du manquement alleacutegueacute notamment dans une situation

telle que celle de lrsquoespegravece dans laquelle lrsquoacte de droit deacuteriveacute de lrsquoUnion dont la violation est alleacutegueacutee a

deacutefinitivement cesseacute drsquoecirctre applicable apregraves la date drsquoexpiration du deacutelai fixeacute dans lrsquoavis motiveacute Un tel recours

srsquoinscrit dans lrsquoobjectif poursuivi par la proceacutedure preacutevue agrave lrsquoarticle 258 TFUE

En lrsquoespegravece la peacuteriode drsquoapplication des deacutecisions a deacutefinitivement expireacute en septembre 2017 La circonstance

selon laquelle il ne serait plus possible de remeacutedier au manquement alleacutegueacute degraves lors que la peacuteriode drsquoapplication

des deacutecisions a expireacute ne saurait conduire agrave lrsquoirrecevabiliteacute des preacutesents recours En effet les trois Eacutetats membres

en cause se sont vu offrir la possibiliteacute de mettre un terme au manquement avant lrsquoexpiration du deacutelai imparti

dans les avis motiveacutes

La Cour de justice rejette ces exceptions drsquoirrecevabiliteacute

Sur les exceptions drsquoirrecevabiliteacute dans les affaires C-71717 et C71817 tireacutees drsquoune violation du principe drsquoeacutegaliteacute de traitement

La Pologne et la Hongrie soutiennent que les recours en manquement sont irrecevables degraves lors que la

Commission europeacuteenne en se limitant agrave introduire un recours contre les seuls trois Eacutetats membres en cause

alors que la grande majoriteacute des Eacutetats membre nrsquoont pas pleinement respecteacute les obligations leur incombant en

vertu des deacutecisions 20151523 et 20151601 a violeacute le principe drsquoeacutegaliteacute de traitement et a ainsi exceacutedeacute le pouvoir

drsquoappreacuteciation que lui confegravere lrsquoarticle 258 TFUE

La Cour de justice rappelle qursquoelle a deacutejagrave jugeacute que lrsquoabsence de recours en manquement agrave lrsquoencontre drsquoun Eacutetat

membre nrsquoest pas pertinente pour appreacutecier la recevabiliteacute drsquoun recours en manquement introduit agrave lrsquoencontre

drsquoun autre Eacutetat membre La Cour de justice estime que lrsquoaction de la Commission europeacuteenne est ainsi fondeacutee

en lrsquooccurrence sur un critegravere neutre et objectif relatif agrave la graviteacute et agrave la persistance des manquements reprocheacutes

aux trois Eacutetats membre en cause qui au regard de lrsquoobjectif des deacutecisions preacuteciteacutees permet de distinguer la

situation de ces trois Eacutetats membres de celle des autres Eacutetats membre y compris ceux nrsquoayant pas pleinement

respecteacute leurs obligations deacutecoulant de ces deacutecisions

Par suite les exceptions drsquoirrecevabiliteacute tireacutees drsquoune violation du principe drsquoeacutegaliteacute de traitement doivent ecirctre

rejeteacutees

Sur lrsquoexception drsquoirrecevabiliteacute dans lrsquoaffaire C-71817 tireacutee drsquoune violation des droits de la deacutefense au cours de la proceacutedure

preacutecontentieuse

La Hongrie reproche agrave la Commission europeacuteenne de ne pas avoir respecteacute ses droits de la deacutefense dans la

proceacutedure preacutecontentieuse en ce que le deacutelai de reacuteponse de quatre semaines imparti dans la lettre de mise en

demeure et dans lrsquoavis motiveacute a eacuteteacute excessivement court contraire au deacutelai habituel de deux mois et non justifieacute

par une situation drsquourgence leacutegitime Elle fait eacutegalement grief agrave la Commission europeacuteenne de ne pas avoir

indiqueacute au cours de la proceacutedure preacutecontentieuse le manquement qui lui eacutetait reprocheacute

La Cour de justice estime que la raison drsquoentamer la proceacutedure en manquement agrave un stade relativement avanceacute

de la peacuteriode dlsquoapplication de deux ans des deacutecisions reacuteside dans le refus persistant de ces trois Eacutetats membres

de donner suite aux appels reacutepeacuteteacutes de la Commission europeacuteenne tendant agrave ce que ceux-ci se conforment agrave ces

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obligations et ne saurait ecirctre imputeacutee agrave une quelconque inertie ou action tardive de la Commission europeacuteenne

La Cour de justice rappelle eacutegalement que les Eacutetats membres avaient pleinement connaissance du point de vue

de la Commission europeacuteenne quant aux manquements qui leurs eacutetaient reprocheacutes Dans ces circonstances le

deacutelai en cause de quatre semaines ne saurait ecirctre consideacutereacutes comme deacuteraisonnablement court

La Cour de justice relegraveve eacutegalement qursquoil nrsquoapparait pas que lrsquoimpreacutecision alleacutegueacutee de certains motifs de la requecircte

ait pu affecter lrsquoexercice par la Hongrie de ses droits de la deacutefense

Lrsquoexception drsquoirrecevabiliteacute souleveacutee par la Hongrie et tireacutee drsquoune violation des droits de la deacutefense au cours de

la proceacutedure preacutecontentieuse doit ecirctre rejeteacutee

Sur lrsquoexception drsquoirrecevabiliteacute dans lrsquoaffaire C-71917 tireacutee du manque de preacutecision drsquoincoheacuterence de la requecircte

La Reacutepublique tchegraveque a contesteacute la recevabiliteacute du recours la concernant au motif que la requecircte nrsquoeacutenonce pas

de maniegravere coheacuterente et preacutecise le manquement qui lui est reprocheacute

La Cour de justice estime que la Reacutepublique tchegraveque ne pouvait raisonnablement se meacuteprendre sur la date preacutecise

du deacutebut du manquement agrave ses obligations que la Commission europeacuteenne lui reprochait et qursquoelle a pu

effectivement exercer ses droits de deacutefense quant agrave ce manquement

Par suite lrsquoexception drsquoirrecevabiliteacute doit ecirctre eacutecarteacutee

o Sur le fond

Sur la mateacuterialiteacute des manquements alleacutegueacutes

La Cour de justice rappelle que dans le cadre drsquoune proceacutedure en manquement il incombe agrave la Commission

europeacuteenne drsquoapporter agrave la Cour de justice les eacuteleacutements neacutecessaires agrave la veacuterification par celle-ci de lrsquoexistence

dudit manquement sans pouvoir se fonder sur une preacutesomption quelconque

Les manquements en cause ne sont pas contestables degraves lors que dans ses diffeacuterents rapports mensuels sur la

relocalisation et la reacuteinstallation la Commission europeacuteenne a assureacute un suivi de lrsquoeacutetat drsquoavancement des

relocalisations et a indiqueacute pour chaque Eacutetat membre le nombre de demandeurs de protection internationale

pour lesquels des engagements de relocalisation avaient eacuteteacute pris ainsi que le nombre de demandeurs de protection

internationale effectivement relocaliseacutes Ces rapports attestent de la reacutealiteacute des manquements alleacutegueacutes par la

Commission europeacuteenne

Par suite la Cour de justice constate que la Commission europeacuteenne a eacutetabli la mateacuterialiteacute des manquements

alleacutegueacutes dans les trois proceacutedures en manquement en cause

Sur les moyens de deacutefense tireacutes par la Reacutepublique de Pologne et la Hongrie de lrsquoarticle 72 TFUE lu conjointement avec lrsquoarticle 4

paragraphe 2 TUE

La Pologne et la Hongrie allegraveguent qursquoelles eacutetaient en droit en vertu de lrsquoarticle 72 TFUE lu conjointement avec

lrsquoarticle 4 paragraphe 2 TUE qui leur reacuteserve la compeacutetence exclusive pour le maintien de lrsquoordre public et la

sauvegarde de la seacutecuriteacute inteacuterieure dans le cadre drsquoactes adopteacutes dans le domaine de lrsquoespace de liberteacute de seacutecuriteacute

et de justice viseacute au titre 5 du TFUE de laisser inappliqueacutees leurs obligations de droit secondaire et donc de rang

infeacuterieur deacutecoulant de la deacutecision 20151523 etou de la deacutecision 20151601 actes pris sur la base de lrsquoarticle

78 paragraphe 3 TFUE et relevant donc dudit titre 5

La Cour de justice rappelle que la deacuterogation preacutevue agrave lrsquoarticle 72 TFUE doit faire lrsquoobjet drsquoune interpreacutetation

stricte Ainsi bien que lrsquoarticle 72 TFUE preacutevoit que le titre 5 du traiteacute ne porte pas atteinte agrave lrsquoexercice des

responsabiliteacutes qui incombent aux Eacutetats membre pour le maintien de lrsquoordre public et la sauvegarde de la seacutecuriteacute

inteacuterieure il ne saurait ecirctre interpreacuteteacute de maniegravere agrave confeacuterer aux Eacutetats membre le pouvoir de deacuteroger aux

dispositions du traiteacute par la seule invocation de ces responsabiliteacutes La porteacutee des exigences tenant au maintien

de lrsquoordre public ou de la seacutecuriteacute nationale ne saurait ainsi ecirctre deacutetermineacutee unilateacuteralement par chaque Eacutetat

membre sans controcircle des institutions de lrsquoUnion Il incombe agrave lrsquoEacutetat membre qui invoque le beacuteneacutefice de lrsquoarticle

72 TFUE de prouver la neacutecessiteacute de recourir agrave la deacuterogation preacutevue agrave cet article aux fins drsquoexercer ses

responsabiliteacutes en matiegravere de maintien de lrsquoordre public et de sauvegarde de la seacutecuriteacute inteacuterieure La Cour de

justice rappelle que dans lrsquoarrecirct Slovaquie et HongrieConseil preacuteciteacute elle avait rejeteacute lrsquoargument selon lequel la

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deacutecision 20151601 serait contraire au principe de proportionnaliteacute degraves lors qursquoelle ne permettrait pas aux Eacutetats

membres drsquoassurer lrsquoexercice effectif des responsabiliteacutes qui leur incombent pour le maintien de lrsquoordre public et

la sauvegarde de la seacutecuriteacute inteacuterieure au titre de lrsquoarticle 72 TFUE La Cour de justice dans le preacutesent arrecirct ajoute

que les articles 5 de chacune des deacutecisions preacutevoient qursquoun Eacutetat membre ne peut deacutecider de ne pas approuver la

relocalisation drsquoun demandeur de protection internationale que srsquoil existe des motifs raisonnables de consideacuterer

que le demandeur en cause repreacutesente un danger pour la seacutecuriteacute nationale ou lrsquoordre public sur son territoire La

Cour de justice estime que les motifs raisonnables laissent clairement une plus large marge drsquoappreacuteciation aux

Eacutetats membre que les motifs seacuterieux mentionneacutes dans la directive 201195 Le libelleacute de lrsquoarticle 5 des deacutecisions

20151523 et 2015601 se distingue eacutegalement de celui de la directive 200438CE Par suite une large marge

drsquoappreacuteciation doit ecirctre reconnue aux autoriteacutes compeacutetentes des Eacutetats membre de relocalisation lorsque celles-ci

deacuteterminent si un ressortissant drsquoun pays tiers appeleacute agrave ecirctre relocaliseacute constitue un danger pour la seacutecuriteacute

nationale ou lrsquoordre public sur leur territoire Ces motifs raisonnables ne peuvent ecirctre invoqueacutes qursquoen preacutesence

drsquoeacuteleacutements concordants objectifs et preacutecis et apregraves une eacutevaluation des faits par les autoriteacutes compeacutetentes

Lrsquoarticle 5 de chacune des deacutecisions preacutecisaient que devait ecirctre effectueacute un examen au cas par cas du danger actuel

ou potentiel que le demandeur de protection internationale concerneacute repreacutesentait Il srsquooppose ainsi agrave ce qursquoun

Eacutetat membre invoque de maniegravere peacuteremptoire aux seules fins de preacutevention geacuteneacuterale et sans eacutetablir de rapport

direct avec un cas individuel lrsquoarticle 72 TFUE pour justifier une suspension voire un arrecirct de la mise en œuvre

des obligations lui incombant en vertu des deacutecisions 20151523 et 20151601 En lrsquoespegravece les Eacutetats membres

de relocalisation ont pu conduire dans certaines conditions des controcircles de seacutecuriteacute suppleacutementaires voire

systeacutematiques par la voie drsquoentretiens ou avec lrsquoassistance drsquoEuropol Lrsquoarticle 5 des directives preacuteciteacutees

impliquaient eacutegalement lrsquoidentification des personnes en cause

La Cour de justice conclut que le meacutecanisme preacutevu agrave lrsquoarticle 5 de chacune desdites deacutecisions y compris dans

son application concregravete telle qursquoelle srsquoest deacuteveloppeacutee en pratique au cours des peacuteriodes drsquoapplication de celles-

ci laissait aux Eacutetats membre de relocalisation de reacuteelles possibiliteacutes pour proteacuteger leurs inteacuterecircts lieacutes agrave lrsquoordre

public et agrave la seacutecuriteacute inteacuterieure dans le cadre de lrsquoexamen de la situation individuelle de chaque demandeur de

protection internationale dont la relocalisation eacutetait proposeacutee sans toutefois porter preacutejudice agrave lrsquoobjectif de ces

mecircmes deacutecisions

Par suite la Cour de justice rejette les moyens de deacutefense tireacutes par la Pologne et la Hongrie de lrsquoarticle 72 TFUE

lu conjointement avec lrsquoarticle 4 paragraphe 2 TUE

Sur le moyen de deacutefense tireacute par la Reacutepublique tchegraveque du dysfonctionnement et du manque drsquoefficaciteacute dont aurait souffert le meacutecanisme

de relocalisation preacutevu par les deacutecisions 20151523 et 20151601 dans son application concregravete

La Reacutepublique tchegraveque se fonde sur des consideacuterations relatives au dysfonctionnement ou au manque drsquoefficaciteacute

dont aurait souffert dans son application concregravete le meacutecanisme de relocalisation preacutevu par les deacutecisions

preacuteciteacutees en tant que justification de sa deacutecision de ne pas mettre en œuvre les obligations de relocalisation qui

lui incombaient en vertu de lrsquoarticle 5 de chacune des deacutecisions

La Cour de justice observe qursquoil ne saurait ecirctre admis qursquoun Eacutetat membre puisse se fonder sans invoquer une

base juridique preacutevue par les traiteacutes sur son appreacuteciation unilateacuterale du manque alleacutegueacute drsquoefficaciteacute voire du

dysfonctionnement du meacutecanisme de relocalisation eacutetabli par les deacutecisions Cette alleacutegation nrsquoa pour autant pas

empecirccheacute drsquoautres Eacutetats membres de prendre agrave intervalles reacuteguliers des engagements de relocalisation et de

proceacuteder agrave des relocalisations effectives La Cour de justice rappelle que des ajustements ont eacuteteacute apporteacutes agrave la

proceacutedure de relocalisation afin de reacutepondre notamment aux problegravemes drsquoordre pratique mentionneacutes par la

Reacutepublique tchegraveque

Par suite le moyen de deacutefense de la Reacutepublique tchegraveque est rejeteacute

Par ces motifs la Cour (troisiegraveme chambre) deacuteclare et arrecircte

1) Les affaires C-71517 C-71817 et C-71917 sont jointes aux fins de lrsquoarrecirct

2) En nrsquoayant pas indiqueacute agrave intervalles reacuteguliers et au moins tous les trois mois un nombre approprieacute

de demandeurs de protection internationale pouvant faire rapidement lrsquoobjet drsquoune relocalisation sur

son territoire la Reacutepublique de Pologne a depuis le 16 mars 2016 manqueacute aux obligations lui

incombant en vertu de lrsquoarticle 5 paragraphe 2 de la deacutecision (UE) 20151523 du Conseil du 14

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septembre 2015 instituant des mesures provisoires en matiegravere de protection internationale au profit de

lrsquoItalie et de la Gregravece et de lrsquoarticle 5 paragraphe 2 de la deacutecision (UE) 20151601 du Conseil du 22

septembre 2015 instituant des mesures provisoires en matiegravere de protection internationale au profit de

lrsquoItalie et de la Gregravece ainsi que par voie de conseacutequence aux obligations ulteacuterieures de relocalisation

lui incombant en vertu de lrsquoarticle 5 paragraphes 4 agrave 11 de chacune de ces deux deacutecisions

3) En nrsquoayant pas indiqueacute agrave intervalles reacuteguliers et au moins tous les trois mois un nombre approprieacute

de demandeurs de protection internationale pouvant faire rapidement lrsquoobjet drsquoune relocalisation sur

son territoire la Hongrie a depuis le 25 deacutecembre 2015 manqueacute aux obligations lui incombant en vertu

de lrsquoarticle 5 paragraphe 2 de la deacutecision 20151601 ainsi que par voie de conseacutequence aux obligations

ulteacuterieures de relocalisation lui incombant en vertu de lrsquoarticle 5 paragraphes 4 agrave 11 de cette deacutecision

4) En nrsquoayant pas indiqueacute agrave intervalles reacuteguliers et au moins tous les trois mois un nombre approprieacute

de demandeurs de protection internationale pouvant faire rapidement lrsquoobjet drsquoune relocalisation sur

son territoire la Reacutepublique tchegraveque a depuis le 13 aoucirct 2016 manqueacute aux obligations lui incombant

en vertu de lrsquoarticle 5 paragraphe 2 de la deacutecision 20151523 et de lrsquoarticle 5 paragraphe 2 de la deacutecision

20151601 ainsi que par voie de conseacutequence aux obligations ulteacuterieures de relocalisation lui

incombant en vertu de lrsquoarticle 5 paragraphes 4 agrave 11 de chacune de ces deux deacutecisions

5) La Reacutepublique de Pologne est condamneacutee agrave supporter outre ses propres deacutepens dans les affaires

C‑71517 C‑71817 et C‑71917 ceux de la Commission europeacuteenne dans lrsquoaffaire C‑71517

6) La Hongrie est condamneacutee agrave supporter outre ses propres deacutepens dans les affaires C‑71517

C‑71817 et C‑71917 ceux de la Commission europeacuteenne dans lrsquoaffaire C‑71817

7) La Reacutepublique tchegraveque est condamneacutee agrave supporter outre ses propres deacutepens dans les affaires

C‑71517 C‑71817 et C‑71917 ceux de la Commission europeacuteenne dans lrsquoaffaire C‑71917

Vie priveacutee et familiale

Cour EDH (quatriegraveme section) Dragan Petrovic Serbie ndeg 7522910

Arrecirct rendu en anglais Mention dune opinion dissidente Reacutesumeacute Dans une affaire concernant la reacutealisation dune perquisition par la police au domicile du requeacuterant et le preacutelegravevement dun eacutechantillon dADN dans le cadre dune enquecircte pour meurtre en Serbie la Cour EDH a jugeacute que ce preacutelegravevement constituait une violation de larticle 8 de la Convention contrairement agrave la perquisition Elle considegravere en effet quil neacutetait pas laquo preacutevu par la loi raquo au sens de larticle 8 Elle preacutecise que la version du code de proceacutedure peacutenale serbe qui eacutetait en vigueur agrave lrsquoeacutepoque des faits disposait que des preacutelegravevements sanguins ou laquo drsquoautres proceacutedures meacutedicales raquo pouvaient ecirctre reacutealiseacutes Le requeacuterant Dragan Petrovic est un ressortissant serbe neacute en 1985 reacutesidant agrave Subotica (Serbie)

Art 8 - Respect de la vie priveacutee - Preacutelegravevement dun eacutechantillon dADN de la salive du demandeur dans le cadre dune enquecircte preacuteliminaire - Approbation du demandeur obtenue par la menace de la force - Absence de preacutevisibiliteacute de la loi - Aucune reacutefeacuterence agrave des dispositions leacutegales speacutecifiques dans lordonnance autorisant la police agrave preacutelever leacutechantillon - Aucune reacutefeacuterence speacutecifique dans la loi au preacutelegravevement dun eacutechantillon dADN - Neacutecessiteacute dune reacuteglementation plus stricte deacutemontreacutee par des dispositions plus deacutetailleacutees dans la leacutegislation reacutecente - Respect du domicile - Perquisition au domicile du demandeur fondeacutee sur des motifs adeacutequats et suffisants et accompagneacutee de garanties efficaces

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En juillet 2008 la police reccedilut des informations qui laissaient penser que le requeacuterant pouvait ecirctre impliqueacute dans le passage agrave tabac et le deacutecegraves drsquoun homme acircgeacute Sur la base de ces informations un juge drsquoinstruction rendit deux deacutecisions par lesquelles il ordonna drsquoune part une perquisition du domicile du requeacuterant et drsquoautre part le preacutelegravevement drsquoun eacutechantillon de salive sur sa personne aux fins drsquoune analyse ADN Dans le cadre de la perquisition la police devait en prioriteacute rechercher des objets que le requeacuterant eacutetait soupccedilonneacute avoir pris apregraves le meurtre notamment une laquo veste en cuir noir raquo ainsi que laquo des chaussures et drsquoautres objets raquo pouvant ecirctre lieacutes au meurtre Elle trouva finalement deux armes de poing dont le requeacuterant deacuteclara ignorer lrsquoexistence Le preacutelegravevement drsquoun eacutechantillon drsquoADN du requeacuterant devait permettre une comparaison avec lrsquoADN retrouveacute sur la scegravene de crime Le juge autorisa la police agrave proceacuteder soit agrave un preacutelegravevement de salive soit agrave un preacutelegravevement sanguin par la force si neacutecessaire avec lrsquoaide de professionnels de santeacute Le requeacuterant consentit en preacutesence de

son avocat agrave un preacutelegravevement de salive Il apparaicirct cependant que la police nrsquoa produit aucun procegraves-verbal de la proceacutedure En aoucirct 2008 la police indiqua au juge drsquoinstruction qursquoelle avait deacutecideacute de poursuivre le requeacuterant pour possession illeacutegale drsquoarmes agrave feu Les autoriteacutes ne trouvegraverent aucune correspondance entre lrsquoeacutechantillon drsquoADN preacuteleveacute sur la personne du requeacuterant et les traces biologiques retrouveacutees sur la scegravene du crime Le 4 aoucirct 2008 le requeacuterant saisit la Cour constitutionnelle pour se plaindre sur le terrain de lrsquoarticle 8 de la Convention et des articles 25 et 40 de la Constitution drsquoune violation de son droit au respect de son domicile et de sa vie priveacutee La Cour constitutionnelle rejeta son recours sur le fond le 14 octobre 2010

1) Sur la violation alleacutegueacutee de larticle 8 de la Convention o Sur la recevabiliteacute de la requecircte

La Cour EDH rejette drsquoembleacutee les exceptions de tardiveteacute et de non-eacutepuisement des voies de recours souleveacutees par le Gouvernement Elle juge en particulier au paragraphe 53 que le recours constitutionnel formeacute par le requeacuterant eacutetait un recours effectif au sens de larticle 35sect1 de la Convention

o Sur le fond Sur le fond de lrsquoaffaire la Cour EDH examine tout drsquoabord la question de la perquisition du domicile du requeacuterant Elle dit que cette mesure srsquoanalyse en une atteinte au droit du requeacuterant au respect de son domicile qursquoelle eacutetait preacutevue par la loi et qursquoelle visait un but leacutegitime (sect74) La question qui se pose donc est celle de savoir si elle eacutetait proportionneacutee crsquoest-agrave-dire si elle eacutetait laquo neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique raquo (voir en ce sens les arrecircts CEDH ndeg2535812 Paradiso et Campanelli c Italy sect 167 24 Janvier 2017 et ndeg4107916 Caruana c Malta sect 26 15 Mai 2018) Elle note dans son paragraphe 76 que le mandat de perquisition a eacuteteacute deacutelivreacute dans le cadre drsquoune enquecircte pour meurtre et qursquoil preacutecisait ce que la police devait chercher agrave savoir une veste en cuir noir des chaussures et drsquoautres objets lieacutes au meurtre Elle ne souscrit donc pas agrave lrsquoargument du requeacuterant selon lequel le mandat de perquisition manquait de preacutecision La Cour EDH considegravere par ailleurs que le requeacuterant jouissait de garanties adeacutequates et effectives propres agrave le preacutemunir contre tout abus au cours de la perquisition Elle note en particulier que le requeacuterant son avocat et le proprieacutetaire de lrsquoappartement eacutetaient preacutesents lors de la perquisition Elle observe en outre au paragraphe 77 que lrsquoavocat de lrsquointeacuteresseacute a signeacute le certificat de saisie et le procegraves-verbal de lrsquoopeacuteration de perquisition et de saisie et qursquoil srsquoest borneacute agrave cette occasion agrave contester la motivation de la deacutecision de perquisition sans soulever drsquoobjections quant agrave la proceacutedure de perquisition elle-mecircme La Cour EDH conclut au paragraphe suivant que lrsquoatteinte en question eacutetait laquo neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique raquo et qursquoil y a donc eu non-violation de lrsquoarticle 8 agrave raison de la perquisition meneacutee par la police au domicile du requeacuterant Se penchant ensuite sur la question du preacutelegravevement drsquoun eacutechantillon drsquoADN la Cour EDH constate que cette mesure srsquoanalyse en une atteinte au droit du requeacuterant au respect de sa vie priveacutee Le fait que lrsquointeacuteresseacute ait consenti agrave la proceacutedure est deacutenueacute de pertinence eacutetant donneacute que ce consentement a eacuteteacute donneacute sous la menace drsquoun preacutelegravevement de sang ou de salive par la force (voir en ce sens larrecirct Caruana c Malte sect29 citeacute) (sect79)

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La Cour EDH note que la deacutecision ordonnant le preacutelegravevement drsquoun eacutechantillon drsquoADN ne faisait mention drsquoaucune disposition leacutegale et que lrsquoarticle pertinent du code proceacutedure peacutenale serbe agrave savoir lrsquoarticle 131 sectsect 2 et 3 disposait uniquement qursquoun tribunal pouvait ordonner le preacutelegravevement drsquoun eacutechantillon de sang ou toute laquo autre proceacutedure meacutedicale raquo jugeacutee neacutecessaire drsquoun point de vue meacutedical agrave lrsquoeacutetablissement de faits laquo importants raquo dans le cadre drsquoune enquecircte peacutenale Par ailleurs il ressort du dossier de lrsquoaffaire que les autoriteacutes meacuteconnaissant lrsquoarticle 239 du code de proceacutedure peacutenale ont omis de reacutediger un procegraves-verbal de la proceacutedure (sect81) La Cour EDH note eacutegalement au paragraphe suivant que lrsquoarticle 131 sectsect 2 et 3 eacutetait deacutepourvu de certaines garanties concernant les preacutelegravevements drsquoADN et que ces garanties furent introduites dans une nouvelle version du code de proceacutedure peacutenale entreacutee en vigueur en 2011 Le nouveau texte faisait speacutecifiquement reacutefeacuterence aux preacutelegravevements drsquoeacutechantillons de salive il disposait que ceux-ci devaient ecirctre reacutealiseacutes par des experts et il preacutecisait dans quels cas une personne pouvait ecirctre soumise agrave pareille proceacutedure sans son consentement La Cour EDH considegravere par conseacutequent qursquoen inseacuterant des dispositions plus deacutetailleacutees dans la version du code de proceacutedure peacutenale entreacutee en vigueur en 2011 lrsquoEacutetat deacutefendeur a lui-mecircme reconnu implicitement que des regravegles plus strictes eacutetaient neacutecessaires dans ce domaine (sect83) La Cour EDH conclut dans son paragraphe 84 que lrsquoatteinte au droit du requeacuterant au respect de sa vie priveacutee que constituait le preacutelegravevement litigieux drsquoADN nrsquoeacutetait pas preacutevue par la loi et qursquoelle a donc emporteacute violation de lrsquoarticle 8 de la Convention

2) Sur la violation alleacutegueacutee de larticle 6 de la Convention Sous lrsquoangle de lrsquoarticle 6 sect 3 a) de la Convention (tout accuseacute a droit agrave ecirctre informeacute dans le plus court deacutelai dans une langue qursquoil comprend et drsquoune maniegravere deacutetailleacutee de la nature et de la cause de lrsquoaccusation porteacutee contre lui ) le requeacuterant soutient qursquoil srsquoest vu refuser le droit drsquoecirctre informeacute dans le plus court deacutelai et drsquoune maniegravere deacutetailleacutee du fait qursquoil eacutetait soupccedilonneacute drsquoavoir commis une infraction peacutenale Admettant que les observations du requeacuterant sur ce point ne se rapportent pas aux griefs souleveacutes sous lrsquoangle de lrsquoarticle 8 de la Convention mais constituent un grief distinct la Cour EDH constate que lrsquointeacuteresseacute nrsquoa jamais formeacute de recours interne agrave cet eacutegard Cette partie de la requecircte est donc ecirctre rejeteacutee pour non-eacutepuisement des voies de recours internes (sect86) POUR CES RAISONS LA COUR

1 Deacuteclare agrave lunanimiteacute que les griefs du requeacuterant au titre de larticle 8 de la Convention sont recevables et que le reste de la requecircte est irrecevable

2 Constate agrave lunanimiteacute quil ny a pas eu violation de larticle 8 de la Convention en ce qui

concerne la perquisition au domicile du requeacuterant

3 Dit par six voix contre une quil y a eu violation de larticle 8 de la Convention en ce qui concerne le preacutelegravevement dun eacutechantillon dADN sur le requeacuterant

4 Dit oui par six voix contre une a) que lEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans un deacutelai de trois mois agrave compter de la date agrave laquelle le jugement devient deacutefinitif conformeacutement agrave larticle 44 sect 2 de la Convention les montants suivants agrave convertir dans la monnaie de lEacutetat deacutefendeur au taux applicable agrave la date de la transaction i) 1 500 (mille cinq cents) euros plus les taxes eacuteventuellement exigibles au titre du preacutejudice moral (ii) 1 200 (mille deux cents) euros plus toute taxe qui pourrait ecirctre mise agrave la charge du demandeur au titre des frais et deacutepens b) quagrave compter de lexpiration des trois mois susmentionneacutes et jusquau regraveglement des inteacuterecircts simples seront dus sur les montants susmentionneacutes agrave un taux eacutegal au taux de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne pendant la peacuteriode de carence majoreacute de trois points de pourcentage 5 La demande de satisfaction eacutequitable du requeacuterant est rejeteacutee agrave lunanimiteacute pour le surplus Opinion dissidente du juge Mourou-Vikstroumlm

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Selon le juge Mourou-Vikstroumlm le preacutelegravevement dun eacutechantillon sur le demandeur aux fins danalyse de son profil ADN eacutetait bien conforme agrave la loi mecircme si celle-ci neacutetait pas laquo preacutevisible raquo Le juge note que la disposition leacutegislative en vigueur agrave leacutepoque en question - larticle 131 paragraphes 2 et 3 du code de proceacutedure peacutenale - preacutevoyait le preacutelegravevement dun eacutechantillon sanguin ou la reacutealisation dautres actes meacutedicaux sous reacuteserve dune autorisation judiciaire si cela eacutetait neacutecessaire pour leacutetablissement de faits importants pour une enquecircte peacutenale Elle preacutecise que la leacutegislation allait plus loin preacutevoyant lapplication forceacutee de ces mesures si la personne concerneacutee ne coopeacuterait pas et que sur la base de cette disposition et de la demande du ministegravere public le juge a ordonneacute le preacutelegravevement dun eacutechantillon de salive ou agrave deacutefaut de sang sur le demandeur par la force si neacutecessaire Le demandeur a consenti agrave un preacutelegravevement buccal en preacutesence de son avocat Elle affirme que le juge a donc agi dans le plein respect de la loi qui agrave son avis eacutetait parfaitement claire et preacutevisible La loi couvrait selon elle sans aucun doute le preacutelegravevement dun eacutechantillon de salive agrave des fins didentification geacuteneacutetique qui repreacutesente une preuve essentielle dans les affaires peacutenales et un outil essentiel pour les enquecircteurs et les juges dinstruction dans leacutetablissement de la veacuteriteacute et les termes laquo autres proceacutedures meacutedicales raquo doivent ecirctre interpreacuteteacutes comme englobant ce type de preuve Elle ajoute que le juge a donneacute la prioriteacute au preacutelegravevement dun eacutechantillon par eacutecouvillonnage buccal et non pas par preacutelegravevement sanguin car cest une meacutethode moins invasive et moins deacutesagreacuteable pour le demandeur Le juge Mourou-Vikstroumlm conclut cet argument en disant que la mesure contesteacutee reacutesulte dune ordonnance rendue par un juge intrinsegravequement indeacutependant et a causeacute aucun deacutesagreacutement au requeacuterant Enfin elle preacutecise que le nouveau code de proceacutedure peacutenale preacutevoit expresseacutement le preacutelegravevement dun eacutechantillon par eacutecouvillonnage buccal sans le consentement de la personne concerneacutee Les conditions dans lesquelles leacutechantillon a eacuteteacute preacuteleveacute en lespegravece sont donc eacutegalement compatibles avec les nouvelles regravegles de droit peacutenal

Partie II ndash Conclusion des avocats geacuteneacuteraux

Aides drsquoEtat

Conclusions de lrsquoAvocat geacuteneacuteral M Szpunar preacutesenteacutees le 2 avril 2020 dans lrsquo affaire Vereniging tot Behoud van Natuurmonumenten in Nederland et autres Vereniging Gelijkberechtiging Grondbezitters et autres C-81718

Reacutesumeacute LrsquoAvocat geacuteneacuteral propose agrave la Cour de justice de rejeter le moyen des requeacuterantes selon lequel le Tribunal a commis une

erreur de droit en consideacuterant comme partie inteacuteresseacutee les requeacuterants au recours formeacute devant le Tribunal En outre lrsquoAvocat geacuteneacuteral

estime que la Cour de justice devrait accueillir le second moyen des requeacuterantes puisque le raisonnement du Tribunal relatif agrave

lrsquoincompleacutetude de lrsquoexamen par la Commission europeacuteenne de la deacutefinition du SIEG drsquoune part est entacheacute drsquoune erreur de droit et

souffre drsquoautre part drsquoune insuffisance de motivation

Les requeacuterantes treize organisations de gestion de terrain sont des associations et fondations non

gouvernementales sans but lucratif ayant pour objet statutaire la conservation et la protection de la nature Elles

exerccedilaient eacutegalement des activiteacutes secondaires de nature eacuteconomique qui geacutenegraverent des recettes agrave leur profit et

constituent une source de financement de leur activiteacute principale

Afin de creacuteer une structure eacutecologique et un reacuteseau laquo Natura 2000 raquo le Royaume des Pays Bas a octroyeacute des

subventions pour lrsquoacquisition de zones naturelles (laquo reacutegime PNB raquo) aux requeacuterantes Le reacutegime PNB a eacuteteacute en

vigueur de 1993 agrave 2012 Le 23 deacutecembre 2008 la Commission europeacuteenne a reccedilu une plainte de deux fondations

priveacutees sans but lucratif de droit neacuteerlandais En 2009 elles ont eacuteteacute remplaceacutees dans le cadre de la proceacutedure

Pourvoi ndash Aide drsquoEacutetat ndash Reacutegime drsquoaide relatif agrave lrsquoacquisition subventionneacutee ou agrave la mise agrave disposition agrave titre gracieux de zones naturelles ndash Deacutecision deacuteclarant lrsquoaide compatible avec le marcheacute inteacuterieur ndash Notion de ldquopartie inteacuteresseacuteerdquo ndash Difficulteacutes seacuterieuses

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administrative en cause par la VGG un organisme dont lrsquoobjet social est drsquoassurer lrsquoeacutegaliteacute des droits de tous les

proprieacutetaires fonciers priveacutes dans le cadre du subventionnement de lrsquoacquisition de terrains

Le 2 septembre 2015 la Commission europeacuteenne a deacuteclareacute le reacutegime PNB compatible avec le marcheacute inteacuterieur

en vertu de lrsquoarticle 106 paragraphe 2 TFUE Le 19 feacutevrier 2016 VGG et autres ont formeacute un recours devant le

Tribunal tendant agrave lrsquoannulation de la deacutecision litigieuse Le Tribunal a deacuteclareacute le recours recevable et a annuleacute la

deacutecision litigieuse

Les requeacuterantes demandent agrave la Cour de justice drsquoannuler lrsquoarrecirct du Tribunal

o Sur la seconde branche du premier moyen

Les requeacuterantes soutenue par la Commission europeacuteenne et le gouvernement neacuteerlandais font valoir que le

Tribunal a commis une erreur de droit en deacuteclarant le recours de VGG et autres recevable degraves lors que celles-ci

ne sauraient ecirctre consideacutereacutees comme laquo parties inteacuteresseacutees raquo au sens de lrsquoarticle 108 paragraphe 2 TFUE et de

lrsquoarticle 1er sous h) du regraveglement ndeg6591999

Sur la notion de laquo partie inteacuteresseacutee raquo

LrsquoAvocat geacuteneacuteral commence par rappeler les deux phases de la proceacutedure de controcircle viseacutee agrave lrsquoarticle 108 TFUE

agrave savoir une phase preacuteliminaire drsquoexamen et une proceacutedure formelle drsquoexamen

En lrsquoespegravece la proceacutedure formelle drsquoexamen nrsquoa pas eacuteteacute ouverte par la Commission europeacuteenne et VGG et autres

ont invoqueacute devant le Tribunal une violation de leurs droits proceacuteduraux La recevabiliteacute du recours deacutepend

degraves lors essentiellement de la question de savoir si VGG et autres ont eacutetabli ecirctre des parties inteacuteresseacutees LrsquoAvocat

geacuteneacuteral rappelle qursquoune partie inteacuteresseacutee est laquo tout Eacutetat membre et toute personne entreprise ou association

drsquoentreprises dont les inteacuterecircts pourraient ecirctre affecteacutes par lrsquooctroi drsquoune aide en particulier le beacuteneacuteficiaire de celle-

ci les entreprises concurrentes et les associations professionnelles raquo La qualiteacute de partie inteacuteresseacutee deacutepend de ce

que les inteacuterecircts de lrsquoentiteacute qui se preacutevaut de cette qualiteacute pourraient ecirctre affecteacutes par lrsquooctroi de la mesure drsquoaide

Il srsquoagit donc de deacuteterminer de quelle faccedilon il peut ecirctre eacutetabli que les inteacuterecircts drsquoune entreprise pourraient ecirctre

affecteacutes par lrsquooctroi drsquoune aide de sorte agrave confeacuterer agrave cette derniegravere la qualiteacute de partie inteacuteresseacutee Selon lrsquoAvocat

geacuteneacuteral il faut distinguer les entreprises concurrentes du beacuteneacuteficiaire de lrsquoaide et les entiteacutes qui ne sont pas

concurrentes du beacuteneacuteficiaire

Pour les premiegraveres selon une jurisprudence constante de la Cour de justice elles figurent incontestablement

parmi les parties inteacuteresseacutees Pour les secondes elles peuvent se voir reconnaitre la qualiteacute de partie inteacuteresseacutees

si elles eacutetablissent que lrsquoaide risque drsquoavoir une incidence concregravete sur leur situation

LrsquoAvocat geacuteneacuteral note que cette distinction est en contradiction avec un courant minoritaire de la jurisprudence

du Tribunal dont fait partie lrsquoarrecirct attaqueacute

Le raisonnement du Tribunal dans lrsquoarrecirct attaqueacute et le courant jurisprudentiel dans lequel il srsquoinscrit

Selon cette jurisprudence du Tribunal il serait exigeacute des entreprises concurrentes des beacuteneacuteficiaires de lrsquoaide de

prouver agrave la fois lrsquoexistence drsquoun rapport de concurrence et lrsquoincidence concregravete de lrsquoaide sur leur situation

LrsquoAvocat geacuteneacuteral est drsquoavis qursquoune telle solution ne saurait ecirctre maintenue Elle serait en contradiction avec le

regraveglement ndeg6591999 qui deacutesigne expresseacutement le concurrent du beacuteneacuteficiaire comme partie inteacuteresseacutee et avec

une jurisprudence pleacutethorique du Tribunal au terme de laquelle la seule preuve de la qualiteacute de concurrent suffit

agrave qualifier lrsquoentreprise de partie inteacuteresseacutee Finalement lrsquoAvocat geacuteneacuteral estime que cette solution pourrait

entrainer une certaine confusion avec la jurisprudence relative agrave la recevabiliteacute du recours Il estime que

contrairement agrave ce qursquoa jugeacute le Tribunal il ne saurait ecirctre exigeacute de VGG et autres de prouver tant lrsquoexistence

drsquoun rapport de concurrence avec les requeacuterantes que lrsquoincidence concregravete de la mesure sur leur situation qui

fausserait ce rapport de concurrence afin de deacutemontrer leur qualiteacute de partie inteacuteresseacutee En jugeant que VGG et

autres devaient ecirctre consideacutereacutees comme des entreprises concurrentes des requeacuterantes le Tribunal pouvait

valablement qualifier VGG et autres de parties inteacuteresseacutees

LrsquoAvocat geacuteneacuteral conclut qursquoune erreur de droit dans lrsquoappreacuteciation de lrsquoincidence concregravete de la mesure sur la

situation de VGG et autres ne saurait conduire agrave lrsquoannulation de lrsquoarrecirct attaqueacute degraves lors que son appreacuteciation

apparait fondeacutee pour drsquoautres motifs de droit

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Consideacuterations subsidiaires sur lrsquoappreacuteciation par le Tribunal du risque drsquoincidence concregravete de la mesure sur la situation de VGG

et autres

LrsquoAvocat geacuteneacuteral examine le point de savoir si le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que la mesure

drsquoaide risquait drsquoavoir une incidence concregravete sur la situation de VGG et autres Pour le cas ougrave la premiegravere branche

du premier moyen devait ecirctre accueillie par laquelle les requeacuterantes contestent la constatation de lrsquoexistence drsquoun

rapport de concurrence entre VGG et elles-mecircmes VGG et autres ne pourraient ecirctre qualifieacutees de parties

inteacuteresseacutees que srsquoil a correctement eacuteteacute jugeacute que la mesure en cause risquait drsquoavoir une incidence concregravete sur leur

situation

Srsquoagissant du critegravere deacutegageacute par le Tribunal pour eacutetablir lrsquoexistence drsquoun risque drsquoune incidence concregravete de lrsquoaide

sur la situation de VGG et autres lrsquoAvocat geacuteneacuteral estime qursquoil est manifestement deacutenueacute de pertinence Le

raisonnement du Tribunal qui procegravede drsquoune confusion dans la lecture de la jurisprudence lui semble entacheacute

drsquoune erreur de droit Pour autant il relegraveve qursquoune telle erreur de droit nrsquoa pas affecteacute le reacutesultat de lrsquoappreacuteciation

meneacutee par le Tribunal Il ressort de la jurisprudence de la Cour de justice qursquoune erreur de droit commise par le

Tribunal nrsquoest pas de nature agrave invalider lrsquoarrecirct attaqueacute si le dispositif de celui-ci apparait fondeacute pour drsquoautres

motifs de droit

LrsquoAvocat geacuteneacuteral conclut que il ne saurait ecirctre reprocheacute au Tribunal drsquoavoir commis une erreur de droit en

consideacuterant que la mesure en cause risquait drsquoavoir une incidence concregravete sur la situation de VGG et autres et

en jugeant que ces derniegraveres devaient degraves lors ecirctre qualifieacutees de parties inteacuteresseacutees

Par suite la seconde branche du moyen est inopeacuterante et partant ne saurait ecirctre accueillie

o Sur la premiegravere branche du second moyen

Les requeacuterantes allegraveguent que le Tribunal a admis agrave tort lrsquoexistence de difficulteacutes seacuterieuses pour appreacutecier la

compatibiliteacute de la mesure drsquoaide en cause avec le marcheacute neacutecessitant lrsquoouverture de la proceacutedure formelle

drsquoexamen preacutevue agrave lrsquoarticle 108 paragraphe 2 TFUE

Sur la preacutetendue constatation par le Tribunal drsquoune contradiction dans la deacutecision litigieuse

LrsquoAvocat geacuteneacuteral estime que lrsquoargument selon lequel le Tribunal aurait statueacute ultra petita en se fondant sur

lrsquoexistence drsquoune contradiction dans le raisonnement de la Commission europeacuteenne dans la deacutecision litigieuse qui

nrsquoavait pas eacuteteacute invoqueacutee par VGG et autres ne saurait prospeacuterer Le Tribunal srsquoest reacutefeacutereacute agrave lrsquoexistence drsquoune

contradiction dans la deacutecision litigieuse entre les conclusions de la Commission europeacuteenne relatives agrave la

qualification des requeacuterantes drsquoentreprises et celles relatives agrave la deacutefinition du SIEG en cause Une telle

contradiction nrsquoa pas eacuteteacute invoqueacutee par les parties en premiegravere instance LrsquoAvocat geacuteneacuteral relegraveve que la solution agrave

laquelle est parvenue le Tribunal selon laquelle la qualification de SIEG global ou atypique des activiteacutes des

requeacuterantes peut constituer un indice de lrsquoexistence de difficulteacutes seacuterieuses nrsquoest degraves lors pas fondeacutee drsquoune

contradiction dans la deacutecision de la Commission europeacuteenne Ainsi quand bien mecircme le Tribunal aurait releveacute

au stade de lrsquoexposeacute des arguments des parties un argument qui nrsquoavait pas eacuteteacute invoqueacute par VGG et autres cela

serait sans incidence sur la solution apporteacutee

Sur le raisonnement du Tribunal relatif agrave lrsquoexistence de difficulteacute seacuterieuse quant agrave la deacutefinition du SIEG

Les requeacuterantes estiment que le Tribunal a commis des erreurs de droit en jugeant que la deacutefinition par la

Commission europeacuteenne du SIEG en tant que SIEG atypique eacutetait un indice de difficulteacutes seacuterieuses

LrsquoAvocat geacuteneacuteral note que le Tribunal a conclu agrave lrsquoexistence de difficulteacutes seacuterieuses quant agrave la deacutefinition du SIEG

dans la deacutecision litigieuse en raison du laquo caractegravere insuffisant ou incomplet de lrsquoexamen meneacute par la Commission

europeacuteenne lors de la proceacutedure preacuteliminaire drsquoexamen raquo qui selon la jurisprudence constitue un indice de

difficulteacutes seacuterieuses Il relegraveve que le raisonnement du Tribunal qui a ameneacute agrave cette conclusion est entacheacute de

plusieurs incoheacuterences Le Tribunal a reprocheacute agrave la Commission europeacuteenne de ne pas avoir deacutemontreacute la

neacutecessiteacute des activiteacutes secondaires pour le fonctionnement du SIEG alors mecircme que ce nrsquoest pas imposeacute agrave la

Commission europeacuteenne Le Tribunal ne pouvait sans commettre drsquoerreur de droit se fonder sur cet eacuteleacutement

pour conclure agrave lrsquoincompleacutetude de lrsquoexamen de la Commission europeacuteenne Quant au constat selon lequel la

Commission europeacuteenne nrsquoaurait pas eacutetabli que les activiteacutes secondaires revecirctaient un inteacuterecirct geacuteneacuteral de sorte

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que lrsquoexamen de la Commission europeacuteenne serait eacutegalement incomplet sur ce point lrsquoAvocat geacuteneacuteral estime

qursquoun tel constat souffre drsquoune insuffisance de motivation

Ainsi le raisonnement du Tribunal relatif agrave lrsquoincompleacutetude de lrsquoexamen par la Commission europeacuteenne de la

deacutefinition du SIEG drsquoune part est entacheacute drsquoune erreur de droit et souffre drsquoautre part drsquoune insuffisance de

motivation

Par suite lrsquoAvocat geacuteneacuteral est drsquoavis qursquoil y a lieu drsquoaccueillir la premiegravere branche du second moyen

o Conclusions

Au vu des consideacuterations qui preacutecegravedent jrsquoestime que la seconde branche du premier moyen doit ecirctre

rejeteacutee comme eacutetant inopeacuterante et que la premiegravere branche du second moyen doit ecirctre accueillie sans

que cela preacutejuge du bien-fondeacute des autres branches des moyens du pourvoi

Coopeacuteration judiciaire en matiegravere civile

Conclusions de lrsquoAvocat geacuteneacuteral M Manuel Campos Saacutenchez-Bordona preacutesenteacutees le 2 avril 2020 dans lrsquoaffaire Verein fuumlr KonsumenteninformationVolkswagen AG C-34319

Reacutesumeacute LrsquoAvocat geacuteneacuteral Campos Saacutenchez-Bordona estime que les acqueacutereurs de veacutehicules eacutequipeacutes drsquoun moteur Volkswagen sur lesquels ont eacuteteacute installeacutes un logiciel de manipulation relatif aux gaz drsquoeacutechappements ayant pour conseacutequence la diminution de la valeur desdits veacutehicules peuvent attraire une entreprise devant les juridictions de lrsquoEacutetat dans lequel ces veacutehicules ont eacuteteacute acheteacutes Le Verein fuumlr Konsumenteninformation (ci-apregraves laquo VKI raquo) est une organisation de consommateurs ayant son siegravege en Autriche Son objet statutaire inclut lrsquoexercice drsquoactions en justice pour la deacutefense des droits des consommateurs que ceux-ci lui cegravedent agrave cette fin Le 6 septembre 2018 VKI a intenteacute devant le Landesgericht Klagenfurt (tribunal reacutegional de Klagenfurt Autriche) une action contre Volkswagen AG ayant son siegravege en Allemagne pays dans lequel celle-ci fabrique des veacutehicules automobiles afin drsquoexercer les droits agrave indemnisation lui ayant eacuteteacute ceacutedeacutes par 574 acheteurs de veacutehicules et pour demander la constations de la responsabiliteacute de la socieacuteteacute pour des dommages futurs qui nrsquoont pas encore eacuteteacute quantifieacutes Ces demandes eacutetaient lieacutees agrave lrsquoinstallation dans les veacutehicules acheteacutes drsquoun dispositif qui a masqueacute lors des essais les valeurs reacuteelles drsquoeacutemissions de gaz drsquoeacutechappement en violation des dispositions du droit de lrsquoUnion VKI affirme que les consommateurs avaient acquis en Autriche aupregraves drsquoun concessionnaire professionnel ou drsquoun particulier des veacutehicules eacutequipeacutes drsquoun moteur Volkswagen et ce avant la reacuteveacutelation au public le 18 septembre 2018 de la manipulation sur les gaz drsquoeacutechappements Dans ce contexte la juridiction de renvoi pose la question preacutejudicielle suivante Lrsquoarticle 7 point 2) du regraveglement (UE) no 12152012 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 12 deacutecembre 2012 concernant la compeacutetence judiciaire la reconnaissance et lrsquoexeacutecution des deacutecisions en matiegravere civile et commerciale doit-il ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que dans des circonstances telles que celles de lrsquoaffaire au principal on peut consideacuterer comme ldquolieu ougrave le fait dommageable srsquoest produitrdquo le lieu situeacute agrave lrsquointeacuterieur drsquoun Eacutetat membre ougrave srsquoest produit le preacutejudice si ce preacutejudice consiste exclusivement en une perte financiegravere qui est la conseacutequence directe drsquoagissements susceptibles drsquoengager la responsabiliteacute deacutelictuelle survenus dans un autre Eacutetat membre LrsquoAvocat geacuteneacuteral considegravere que lrsquoarticle 7 point 2) du regraveglement no 12152012 eacutetablissant en faveur du demandeur un critegravere de compeacutetence alternatif au for geacuteneacuteral est difficile drsquointerpreacutetation notamment en matiegravere

Proceacutedure preacutejudicielle ndash Regraveglement (UE) ndeg12152012 ndash Compeacutetence judiciaire en matiegravere de responsabiliteacute deacutelictuelle ou quasi deacutelictuelle ndash Lieu du fait dommageable ndash Manipulation des valeurs drsquoeacutemission de gaz dans les moteurs de veacutehicules automobiles

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deacutelictuelle ou quasi deacutelictuelle De ce fait il en revient agrave la Cour de justice drsquoadapter et drsquoenrichir agrave lrsquooccasion des questions preacutejudicielles lrsquoexeacutegegravese de cette disposition Srsquoil existe plusieurs critegraveres permettant lrsquointerpreacutetation de cette disposition

- Le principe de la preacutevisibiliteacute des regravegles et de la proximiteacute entre les juridictions compeacutetentes et le litige - La preacuteoccupation de maintenir lrsquoutiliteacute de la regravegle speacuteciale dans le cadre de la reacutepartition des

compeacutetences sans pour autant en autoriser une interpreacutetation extensive (Arrecirct du 5 juin 2014 Coty Germany C-36012 point 45)

- La neutraliteacute de cette regravegle par rapport aux parties Lrsquointerpreacutetation est autonome en ce que les deacutefinitions de laquo fait raquo et de laquo dommage raquo sont indeacutependantes des systegravemes nationaux au mecircme titre que le reacutegime de fond applicable agrave la responsabiliteacute civile (arrecirct Coty Germany C-36012 point 43) LrsquoAvocat geacuteneacuteral preacutecise que lrsquoarticle 7 point 2) du regraveglement no 12152012 preacutesuppose un lien eacutetroit entre la juridiction compeacutetente et le litige Lorsque le comportement illicite et ses conseacutequences sont situeacutes dans des Eacutetats membres diffeacuterents le critegravere de la compeacutetence judicaire se deacutedouble en matiegravere deacutelictuelle car ces deux lieux preacutesentent un lien significatif avec le litige Ainsi le demandeur peut choisir entre les deux juridictions lorsqursquoil introduit son action

1 La nature du dommage initial ou conseacutecutif mateacuteriel ou patrimonial Victimes directes ou indirectes Srsquoagissant de la nature du dommage lrsquoAvocat geacuteneacuteral distingue le domaine des faits geacuteneacuterateurs de celui des preacutejudices qursquoils produisent

- La fabrication drsquoun objet avec ou sans vices relegraveve du domaine des faits geacuteneacuterateurs (arrecirct du 6 juillet 2009 Zuid-Chemie C-18908 point 27)

- Les dommages sont les conseacutequences neacutegatives des faits dans la sphegravere des inteacuterecircts juridiques proteacutegeacutes drsquoun demandeur

Ainsi en lrsquoespegravece le fait geacuteneacuterateur consisterait en lrsquoinstallation au cours du processus de fabrication du veacutehicule du logiciel qui modifie les donneacutees relatives aux eacutemissions de gaz de celui-ci LrsquoAvocat geacuteneacuteral est drsquoavis que dommage reacutesultant de ce fait soit de nature initiale et patrimoniale En lrsquoabsence de tout vice lrsquoacquisition drsquoun objet apporte au patrimoine auquel il srsquointegravegre une valeur au moins eacutequivalente agrave la valeur de ce qui en sort dans le cadre drsquoune vente le prix payeacute pour lrsquoobjet Ainsi lorsque la valeur du veacutehicule est infeacuterieure au prix payeacute au moment de lrsquoachat du fait drsquoun vice drsquoorigine le prix payeacute ne correspond pas agrave la valeur reccedilue De fait la diffeacuterence entre le prix payeacute et la valeur du bien geacutenegravere un deacutesavantage patrimonial concomitant agrave lrsquoacquisition du bien et ce mecircme srsquoil nrsquoest deacutecouvert qursquoa posteriori De plus cette perte se fait initiale car elle deacuterive directement du fait geacuteneacuterateur en lrsquoespegravece la manipulation du moteur et non drsquoun dommage anteacuterieur subi par le demandeur qui trouve son origine dans ce mecircme fait Srsquoagissant de la qualiteacute des victimes lrsquoAvocat geacuteneacuteral considegravere que les personnes ayant acheteacutes les voitures sont des victimes directes au sens de lrsquoarticle 7 point 2) du regraveglement no 12152012 puisque la perte qursquoelles allegraveguent nrsquoest pas une conseacutequence drsquoun preacutejudice anteacuterieur subi par drsquoautres personnes avant elles

2 Le lieu ougrave srsquoest produit le fait agrave lrsquoorigine du dommage LrsquoAvocat geacuteneacuteral estime que conformeacutement agrave la regravegle geacuteneacuterale la socieacuteteacute Volkswagen ayant son siegravege en Allemagne serait soumise aux juridictions de cet Eacutetat membre Toutefois la demande trouvant son origine dans un deacutelai ou un quasi-deacutelit la deacutefenderesse peut eacutegalement ecirctre attraite devant les juridictions de lrsquoEacutetat membre du lieu ougrave le dommage srsquoest mateacuterialiseacute

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3 Le lieu ougrave le dommage se mateacuterialise

o La localisation drsquoun preacutejudice purement eacuteconomique dans la jurisprudence de la Cour de justice

LrsquoAvocat geacuteneacuteral rappel que le lieu de mateacuterialisation du dommage est celui ougrave les conseacutequences neacutegatives drsquoun fait se manifestent concregravetement (arrecirct Zuid-Chemie C-18908 point 47) Lrsquoabsence drsquoatteinte physique rend difficile lrsquoidentification drsquoun lieu et geacutenegravere des incertitudes Agrave ce titre lrsquoAvocat geacuteneacuteral rappelle qursquoil avait eacuteteacute suggeacutereacute agrave la Cour de justice drsquoabandonner lrsquooption entre le lieu du fait dommageable et le lieu du dommage pour les hypothegraveses de dommage uniquement patrimonial (Conclusions de lrsquoAvocat geacuteneacuteral Szpunar dans lrsquoaffaire Universal Music International Holding C-1215 point 38) En effet le deacutedoublement du for nrsquoest pas un impeacuteratif dans lrsquoapplication de la disposition en cause et lrsquooption du laquo lieu ougrave se mateacuterialise le dommage raquo ne devrait peut-ecirctre pas srsquoappliquer dans certaines hypothegraveses

- Lorsque la nature du dommage ne permet pas de deacuteterminer ougrave celui-ci srsquoest produit en appliquant un critegravere simple

- Lorsque la localisation devrait ecirctre eacutetablir en recourant agrave des fictions - Lorsque lrsquoexamen tend agrave aboutir agrave un lieu fortuit ou pouvant ecirctre manipuleacute par le demandeur

LrsquoAvocat geacuteneacuteral rappelle que dans lrsquoarrecirct Bessix du 19 feacutevrier 2002 (C-25600 point 49) la Cour de justice avait exclu lrsquoapplication de lrsquoarticle 5 point 1) de la Convention de Bruxelles (devenu lrsquoarticle 7 point 1) du regraveglement no 12152012) agrave lrsquoeacutegard drsquoune obligation qui laquo nrsquoest susceptible ni drsquoecirctre localiseacutee agrave un endroit preacutecis ni drsquoecirctre rattacheacutee agrave une juridiction qui serait particuliegraverement apte agrave connaicirctre du diffeacuterend relatif agrave cette obligation raquo cette solution pouvant srsquoappliquer eacutegalement au point 2) de lrsquoarticle 7 du regraveglement no 12152012 La Cour de justice a eacutegalement eu lrsquooccasion drsquoassocier au dommage une omission ou un fait causeacutes par lrsquoactiviteacute du deacutefendeur qui preacutecegravedent immeacutediatement et logiquement le preacutejudice et dont la capaciteacute agrave ecirctre appreacutecieacutes par les sens est plus grande notamment lorsque le dommage reacutesulte de quelque qui ne se produit pas (arrecircts du 21 deacutecembre 2016 Concurrence C-61815 point 33 du 5 juillet 2018 flyLAL-Lithuanian Airlines C-2717 points 35 et 36 et du 29 juillet 2019 Tibor-Trans C-45118 points 30 32 et 33) LrsquoAvocat geacuteneacuteral considegravere que la preacutesentation du dommage patrimonial par reacutefeacuterence agrave une activiteacute ou agrave un fait apparents aide agrave le rattacher physiquement agrave un territoire ou directement eacutevite drsquoavoir agrave le faire Selon lui il nrsquoy a aucun obstacle agrave ce que cette meacutethode soit geacuteneacuteraliseacutee (point 53) Parallegravelement il est preacuteciseacute que la Cour de justice a admis la mateacuterialisation de la perte patrimoniale en matiegravere drsquoinvestissements en ce que le preacutejudice se produit sur le compte qui enregistre au niveau comptable la perte eacuteconomique Dans cette jurisprudence qui se reacutesume agrave trois arrecircts Kolassa (28 janvier 2015 C-37513) Universal (16 juin 2016 C-1215) et Loumlber (2 septembre 2018 C-30417) le lieu de mateacuterialisation du dommage identifieacute constitue un point de deacutepart qui doit ecirctre corroboreacute par les autres circonstances particuliegraveres du litige dans une appreacuteciation drsquoensemble (arrecirct Loumlber C-30417 points 31 et 36)

o Porteacutee du critegravere des laquo circonstances particuliegraveres raquo LrsquoAvocat geacuteneacuteral rappelle que la Cour de justice a recours aux laquo circonstances particuliegraveres raquo de lrsquoaffaire pour preacuteciser le critegravere de compeacutetence relatif au laquo lieu du dommage raquo Toutefois il preacutecise que ce critegravere ne permet pas agrave la juridiction saisie du litige de comparer le laquo lieu du fait geacuteneacuterateur raquo et le laquo lieu du dommage raquo et de choisir le plus approprieacute des deux La Cour de justice a rappeleacute qursquoil nrsquoeacutetait pas possible drsquoeacutecarter le reacutesultat auquel conduit lrsquoapplication de lrsquoarticle 7 du regraveglement no 12152012 mecircme srsquoil deacutesigne une juridiction deacutepourvue de lien avec le litige Le deacutefendeur peut ecirctre attrait devant la juridiction du lieu deacutesigneacute par cette disposition mecircme si le for ainsi deacutetermineacute nrsquoest pas celui qui preacutesente le lien le plus eacutetroit avec le litige (arrecirct du 29 juin 1994 Custom Made Commercial C-28892 point 17 lu en combinaison avec les points 16 et 21)

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o Preacutecisions sur les laquo autres circonstances particuliegraveres raquo

LrsquoAvocat geacuteneacuteral explique que les laquo autres circonstances particuliegraveres raquo devant coiumlncider au soutien du lieu de manifestation du dommage lorsque celui-ci est purement eacuteconomique deacutependent de chaque litige mais en termes geacuteneacuteraux il preacutecise que ces circonstances peuvent ecirctre deacutecrites comme

- Les eacuteleacutements pertinents pour la bonne administration de la justice et lrsquoorganisation utile du procegraves

- Les facteurs qui ont pu servir agrave former la conviction des parties quant au lieu de lrsquoaction en justice ou quant agrave celui ougrave elles peuvent eacuteventuellement ecirctre attraites du fait de leurs actes (point 67)

Il peut ecirctre supposeacute que ces eacuteleacutements puissent contribuer agrave la preuve du comportement illicite du dommage et de la relation de causaliteacute entre ceux-ci LrsquoAvocat geacuteneacuteral propose agrave la Cour de justice de reacutepondre au Landesgericht Klagenfurt (tribunal reacutegional de Klagenfurt Autriche) de la maniegravere suivante

1 Lrsquoarticle 7 point 2) du regraveglement (UE) no 12152012 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 12 deacutecembre 2012 concernant la compeacutetence judiciaire la reconnaissance et lrsquoexeacutecution des deacutecisions en matiegravere civile et commerciale doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que lorsqursquoun acte illicite commis dans un Eacutetat membre consiste en la manipulation drsquoun produit dont la reacutealiteacute est dissimuleacutee et qui ne se manifeste que posteacuterieurement agrave lrsquoacquisition de ce produit dans un autre Eacutetat membre agrave un prix supeacuterieur agrave sa valeur reacuteelle - Lrsquoacqueacutereur de ce produit qui le conserve dans son patrimoine lorsque le vice est rendu

public constitue une victime directe - Le lieu ougrave le fait geacuteneacuterateur srsquoest produit est le lieu ougrave srsquoest produit le fait qui a deacuteteacuterioreacute le

produit lui-mecircme et - Le dommage se mateacuterialise au lieu situeacute dans un Eacutetat membre ougrave la victime a acquis le

produit aupregraves drsquoun tiers agrave condition que les autres circonstances corroborent lrsquoattribution de compeacutetence aux juridictions de cet Eacutetat Il est impeacuteratif que parmi ces circonstances il y en ait une ou plusieurs ayant permis au deacutefendeur de preacutevoir raisonnablement qursquoune action en responsabiliteacute civile imputable agrave ses actes pourrait ecirctre intenteacutee contre lui par de futurs acqueacutereurs du produit dans ce lieu

2 Lrsquoarticle 7 point 2) du regraveglement no 12152012 doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens qursquoil nrsquoautorise pas la juridiction du lieu ougrave le dommage srsquoest mateacuterialiseacute agrave eacutetablir ou agrave deacutecliner sa compeacutetence sur la base drsquoune mise en balance des autres circonstances de lrsquoespegravece visant agrave deacuteterminer quelle juridiction ndash agrave savoir cette mecircme juridiction ou la juridiction du lieu du fait geacuteneacuterateur ndash est la mieux placeacutee en termes de proximiteacute et de preacutevisibiliteacute pour statuer sur lrsquoaffaire

Environnement

Conclusions de lrsquoAvocate geacuteneacuterale Mme Eleanor Sharpston preacutesenteacutees le 30 avril 2020 dans lrsquoaffaire CLCE ea (Dispositif drsquoinvalidation sur moteur diesel) C-99318

Reacutesumeacute LrsquoAvocate geacuteneacuterale Sharpston est drsquoavis qursquoun dispositif qui influe agrave la hausse lors des tests drsquohomologation des veacutehicules agrave moteur diesel sur le fonctionnement du systegraveme de controcircle des eacutemissions de ces veacutehicules constitue un laquo dispositif drsquoinvalidation raquo

Renvoi preacutejudiciel ndash Rapprochement des leacutegislations ndash Regraveglement (CE) ndeg 7152007 ndash Veacutehicules agrave moteur ndash Eacutemissions de polluants ndash Dispositif drsquoinvalidation ndash Programme agissant sur le calculateur de controcircle moteur ndash Technologies et strateacutegies permettant de limiter la production des eacutemissions de polluants ndash Moteur diesel

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prohibeacute par le droit de lrsquoUnion europeacuteenne Plus speacutecifiquement lrsquoobjectif de ralentissement du vieillissement ou de lrsquoencrassement du moteur ne justifie pas le recours agrave un tel dispositif La socieacuteteacute X est un constructeur automobile commercialisant des veacutehicules agrave moteur en France Cette derniegravere aurait mis sur le marcheacute des veacutehicules eacutequipeacutes drsquoun logiciel (ci -apregraves le laquo logiciel litigieux raquo) susceptible de fausser les reacutesultats des tests drsquohomologation relatifs aux eacutemissions de gaz polluants tels les oxydes drsquoazote (ci-apregraves laquo NOx raquo) Avant drsquoecirctre mis sur le marcheacute les veacutehicules en cause ont eacuteteacute testeacutes suivant un protocole particulier deacutefini par voie regraveglementaire dans le cadre de la phase drsquohomologation relative aux eacutemissions de gaz polluants afin drsquoeacutetablir que le volume de NOx eacutemis ne deacutepasse pas les limites imposeacutees par le regraveglement ndeg7152007 Ainsi les eacutemissions des veacutehicules mis en cause nrsquoont pas eacuteteacute analyseacutees dans des conditions de conduite reacuteelles Les veacutehicules en cause eacutetaient eacutequipeacutes drsquoune vanne de recirculation des gaz drsquoeacutechappement (ci-apregraves laquo RGE raquo) qui est lrsquoune des technologies utiliseacutees par les constructeurs automobiles afin de controcircler et de reacuteduire les eacutemissions finales de NOx Plus speacutecifiquement il srsquoagit drsquoun systegraveme consistant agrave rediriger une partie des gaz drsquoeacutechappement du moteur vers lrsquoadmission (lrsquoentreacutee drsquoair fourni au moteur) en vue de reacuteduire les eacutemissions finales de NOx En octobre 2015 agrave la suite de publications dans la presse le parquet de Paris (France) a diligenteacute une enquecircte qui a donneacute lieu agrave lrsquoouverture drsquoune information judiciaire en feacutevrier 2016 agrave lrsquoeacutegard de la socieacuteteacute X En effet la socieacuteteacute aurait trompeacute les acqueacutereurs de veacutehicules eacutequipeacutes de moteur diesel sur les qualiteacutes substantielles de ceux-ci et sur les controcircles effectueacutes avant leur mise sur le marcheacute Lrsquoexpertise technique reacutealiseacutee dans le cadre de la proceacutedure drsquoinformation a conclu agrave lrsquoexistence dans les veacutehicules en cause drsquoun dispositif permettant de deacutetecter les phases des tests drsquohomologation et drsquoadapter en conseacutequence le fonctionnement du systegraveme RGE de faccedilon agrave respecter le plafond regraveglementaire en matiegravere drsquoeacutemissions Agrave lrsquoinverse dans des conditions autres que celles des tests drsquohomologation lorsque les veacutehicules circulent en situation normale ce dispositif entraicircne une deacutesactivation partielle du systegraveme RGE et par conseacutequent une augmentation des eacutemissions de NOx Lrsquoexpert prend soin de preacuteciser que si le fonctionnement du systegraveme RGE en circulation reacuteelle avait eacuteteacute conforme agrave celui qui preacutevalait lors de ces tests drsquohomologation ces veacutehicules auraient produit jusqursquoagrave 50 de NOx en moins Toutefois les opeacuterations de maintenance de ces derniers auraient eacuteteacute plus freacutequentes et plus coucircteuses en raison drsquoun encrassement plus rapide du moteur Le magistrat en charge de lrsquoinstruction srsquoest interrogeacute quant agrave la conformiteacute des veacutehicules viseacutes aux exigences du regraveglement ndeg7152007 et en particulier quant agrave la liceacuteiteacute du dispositif eacutevoqueacute ci-dessus En effet le regraveglement interdit expresseacutement lrsquoutilisation de dispositifs drsquoinvalidation qui reacuteduiraient lrsquoefficaciteacute des systegravemes de controcircle des eacutemissions dans des conditions normales drsquoutilisation Au regard de ces eacuteleacutements la juridiction de renvoi a deacutecideacute de saisir la Cour de justice en vue drsquoobtenir des clarifications notamment quant agrave la deacutefinition et agrave la porteacutee des concepts de laquo systegraveme de controcircle des eacutemissions raquo et de laquo dispositif drsquoinvalidation raquo

- Sur la recevabiliteacute des questions preacutejudicielles LrsquoAvocate geacuteneacuterale explique que dans le cadre de la coopeacuteration de la Cour de justice et des juridictions nationales institueacutee par lrsquoarticle 267 TFUE il appartient au seul juge national saisi du litige et assumant la responsabiliteacute de la deacutecision juridictionnelle agrave intervenir drsquoappreacutecier au regard des particulariteacutes de lrsquoaffaire la neacutecessiteacute drsquoune deacutecision preacutejudicielle et la pertinence des questions qursquoil pose agrave la Cour de justice Ainsi degraves lors que les questions poseacutees portent sur lrsquointerpreacutetation du droit de lrsquoUnion europeacuteenne la Cour de justice est en principe tenue de statuer (arrecirct du 4 deacutecembre 2018 Minister for Justice and Equality et Commissioner of An Garda Siacuteochaacutena C-37817 point 26 et jurisprudence citeacutee) Agrave ce titre les questions portant sur le droit de lrsquoUnion beacuteneacuteficient drsquoune preacutesomption de pertinence et le refus de la Cour de justice de statuer sur une telle question nrsquoest possible que srsquoil apparaicirct de maniegravere manifeste que lrsquointerpreacutetation solliciteacute du droit de lrsquoUnion

- Nrsquoa aucun rapport avec la reacutealiteacute ou lrsquoobjet du litige au principal - Lorsque le problegraveme est de nature hypotheacutetique

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- Lorsque la Cour de justice ne dispose pas des eacuteleacutements de fait et de droit neacutecessaires pour reacutepondre de faccedilon utile aux questions qui lui sont poseacutees (arrecirct Minister for Justice and Equality et Commissioner of An Garda Siacuteochaacutena C-37817 point 27)

En lrsquoespegravece lrsquoAvocate geacuteneacuterale est drsquoavis que la recevabiliteacute des questions preacutejudicielles est eacutetablie

- Sur la premiegravere question preacutejudicielle Selon lrsquoAvocate geacuteneacuterale la notion de laquo dispositif drsquoinvalidation raquo viseacutee agrave lrsquoarticle 3 point 10 du regraveglement ndeg7152007 deacutesigne tout eacuteleacutement de conception laquo qui deacutetecte la tempeacuterature la vitesse du veacutehicule le reacutegime du moteur en toursminute la transmission une deacutepression ou tout autre paramegravetre aux fins drsquoactiver de moduler de retarder ou de deacutesactiver le fonctionnement de toute partie du systegraveme de controcircle des eacutemissions qui reacuteduit lrsquoefficaciteacute du systegraveme de controcircle des eacutemissions dans des conditions dont on peut raisonnablement attendre qursquoelles se produisent lors du fonctionnement et de lrsquoutilisation normaux des veacutehicules raquo Cette deacutefinition confegravere une porteacutee large agrave la notion laquo drsquoeacuteleacutement de conception raquo qui peut ecirctre constitueacute aussi bien de piegraveces meacutecaniques que drsquoun logiciel informatique pilotant lrsquoactivation de telles piegraveces degraves lors qursquoil agit sur le fonctionnement du systegraveme de controcircle des eacutemissions et qursquoil en reacuteduit lrsquoefficaciteacute Agrave ce titre lrsquoAvocate geacuteneacuterale preacutecise qursquoil doit drsquoagit drsquoun eacuteleacutement eacutemanant du constructeur du veacutehicule srsquoagissant drsquoun logiciel embarqueacute peu importe qursquoil soit preacuteinstalleacute avant la vente du veacutehicule ou teacuteleacutechargeacute ulteacuterieurement Ne sont donc pas concerneacutes les eacuteleacutements installeacutes agrave lrsquoinitiative du seul proprieacutetaire ou utilisateur du veacutehicule sans lien avec le constructeur

- Sur la deuxiegraveme question preacutejudicielle LrsquoAvocate geacuteneacuterale explique que les constructeurs peuvent optimiser les performances de leurs veacutehicules sur le plan des eacutemissions polluantes par deux cateacutegories de meacutethodes

- Les strateacutegies dites laquo internes au moteur raquo consistant agrave minimiser la formation de gaz polluants dans le moteur lui-mecircme ndash tel le systegraveme RGE

- Les strateacutegies dites laquo post-traitement raquo consistant agrave traiter les eacutemissions apregraves leur formation LrsquoAvocate geacuteneacuterale preacutecise en outre que la notion de laquo systegraveme de controcircle des eacutemissions raquo nrsquoest pas deacutefinie par le regraveglement ndeg7152007 et que pour en eacuteclairer la porteacutee il convient de se reacutefeacuterer aux critegraveres drsquointerpreacutetation consacreacutes par la Cour de justice ( arrecirct du 7 feacutevrier 2018 American Express C-30416 point 54 et jurisprudence citeacutee)

o Interpreacutetation litteacuterale Sur le plan litteacuteral un laquo systegraveme de controcircle des eacutemissions raquo est un composant drsquoun veacutehicule visant agrave controcircler les eacutemissions de celui-ci Ainsi lrsquoAvocate geacuteneacuterale est drsquoavis que le systegraveme RGE peut srsquoinscrire a priori dans le champ drsquoapplication de cette notion puisque sa finaliteacute est de reacuteduire les eacutemissions finales de NOx Elle preacutecise que cette interpreacutetation de la notion de laquo systegraveme de controcircle des eacutemissions raquo nrsquoest ni trop extensive ni de nature agrave englober nrsquoimporte quel composant drsquoun veacutehicule ayant une incidence quelconque sur le volume des eacutemissions polluantes

o Interpreacutetation contextuelle Lrsquoarticle 4 paragraphe 2 du regraveglement ndeg7152007 impose aux constructeurs une obligation de reacutesultat en ce qursquoils doivent veiller agrave ce que les mesures techniques adopteacutees garantissent une limitation effective des eacutemissions au tuyau arriegravere drsquoeacutechappement deacutefini par lrsquoarticle 3 point 6 du mecircme regraveglement comme des eacutemissions de polluants gazeux et de particules Ces articles ne preacutecisent pas agrave quelle eacutetape du fonctionnement du veacutehicule ces eacutemissions doivent ecirctre moduleacutees ou reacuteduites

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Le regraveglement ndeg7152007 apparait donc comme eacutetant technologiquement neutre puisqursquoil nrsquoimpose pas de solution technologique particuliegravere mais fixe un objectif agrave atteindre quant agrave la limitation des eacutemissions ces derniegraveres eacutetant mesureacutees agrave la sortie du tuyau drsquoeacutechappement

o Interpreacutetation teacuteleacuteologique Agrave la lumiegravere des consideacuterants 1 et 5 du regraveglement ndeg7152007 il en ressort que ce dernier vise agrave garantir un niveau eacuteleveacute de protection de lrsquoenvironnement et que la reacutealisation des objectifs de lrsquoUnion europeacuteenne en termes de qualiteacute de lrsquoair exige des efforts continus de reacuteduction des eacutemissions des veacutehicules Le consideacuterant 6 dudit regraveglement preacutecise qursquoil est laquo neacutecessaire de continuer agrave reacuteduire consideacuterablement les eacutemissions [NOx] des veacutehicules diesels pour ameacuteliorer la qualiteacute de lrsquoair et respecter les valeurs limites en termes de pollution raquo De plus lrsquoarticle 4 du regraveglement ndeg7152007 vise agrave assurer une limitation effective des eacutemissions et ce tout au long de la vie normale des veacutehicules dans des conditions drsquoutilisation normales LrsquoAvocate geacuteneacuterale considegravere qursquoil faut confeacuterer une interpreacutetation eacutetendue au concept de laquo systegraveme de controcircle des eacutemissions raquo car en limiter la porteacutee aux meacutethodes de post-traitement des gaz drsquoeacutechappement en excluant les strateacutegies internes au moteur tel le systegraveme RGE priverait le regraveglement ndeg7152007 drsquoune partie de son effet utile

- Sur la troisiegraveme question preacutejudicielle LrsquoAvocate geacuteneacuterale rappelle qursquoun laquo dispositif drsquoinvalidation raquo est un eacuteleacutement de conception qui deacutetecte divers paramegravetres en vue drsquoactiver de moduler de retarder ou de deacutesactiver le fonctionnement de toute partie drsquoun systegraveme de controcircle des eacutemissions et qui reacuteduit lrsquoefficaciteacute de celui-ci dans des conditions dont on peut raisonnablement attendre qursquoelle se produisent lors du fonctionnement normal et de lrsquoutilisation normale drsquoun veacutehicule Sur le plan factuel lrsquoAvocate geacuteneacuterale preacutecise que le systegraveme RGE fonctionne suivant deux modes commandeacutes par le logiciel litigieux Lorsqursquoun cycle caracteacuteristique du test drsquohomologation est deacutetecteacute le systegraveme passe en mode 1 et lorsqursquoil deacutetecte lrsquoabsence des conditions caracteacuteristiques du test le systegraveme opte pour le mode 0 Ainsi il semble manifeste que le dispositif en cause laquo module raquo le fonctionnement drsquoune partie du systegraveme de controcircle des eacutemissions car il fait varier le niveau drsquoeacutemissions en fonction de la deacutetection de divers paramegravetre preacutedeacutefinis en passant drsquoun mode agrave lrsquoautre Sur le plan juridique la deacutesactivation partielle ou complegravete drsquoun systegraveme de controcircle des eacutemissions programmeacutee pour se produite systeacutematiquement en dehors de ce parcours theacuteorique conduit obligatoirement agrave minorer lrsquoefficaciteacute de ce systegraveme dans des consistions drsquoutilisations normales Cette deacutesactivation artificielle abouti agrave une violation de lrsquoarticle 5 paragraphe 2 du regraveglement ndeg7152007 Sur le plan contextuel lrsquoarticle 4 paragraphe 2 du regraveglement ndeg7152007 consacre lrsquoobligation de garantir une limitation effective des eacutemissions au tuyau arriegravere drsquoeacutechappement tout au long de la vie normale des veacutehicules et ce dans des conditions drsquoutilisation normales LrsquoAvocate geacuteneacuterale est drsquoavis que la modulation agrave la hausse du fonctionnement du systegraveme de controcircle des eacutemissions puisse se produire ponctuellement agrave lrsquooccasion de lrsquoutilisation normale du veacutehicule est sans incidence En pratique les chances qursquoune telle coiumlncidence se produise est infiniteacutesimales Le respect par le veacutehicule des limites fixeacutees par le regraveglement en cause doit donc ecirctre la regravegle lors de son utilisation normale et non une exception lieacutee agrave la reacuteunion accidentelle de conditions analogues agrave celles des tests drsquohomologation

- Sur la quatriegraveme question preacutejudicielle Selon lrsquoAvocate geacuteneacuterale il srsquoagit drsquoanalyser lrsquoexception viseacutee de lrsquoarticle 5 paragraphe 2 sous a) du regraveglement ndeg7152007 qui permet de justifier la preacutesence drsquoun dispositif drsquoinvalidation lorsque celui-ci est neacutecessaire afin de proteacuteger le moteur contre des deacutegacircts ou des accidents et afin de garantir le fonctionnement en toute seacutecuriteacute du veacutehicule LrsquoAvocate preacutecise que les exceptions sont drsquointerpreacutetation stricte afin que les regravegles geacuteneacuterales ne soient pas videacutees de leur substance (arrecirct du 22 avril 2010 CommissionRoyaume-Uni C-34608 point 39 et

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jurisprudence citeacutee) Ainsi lrsquointerpreacutetation des exceptions ne peut aller au-delagrave des hypothegraveses envisageacutees de maniegravere explicite par la disposition en cause (arrecirct du 16 mai 2013 Melzer C-22811 point 24 arrecirct du 5 mars 2015 Copydan Baringndkopi C-46312 point 87 et jurisprudence citeacutee) Il importe donc de proceacuteder agrave lrsquointerpreacutetation des termes laquo accident raquo et laquo deacutegacircts raquo Sur le plan litteacuteral le terme laquo accident raquo vise un eacutevegravenement impreacutevu et soudain qui entraicircne des deacutegacircts ou des dangers comme des blessures ou la mort Le terme laquo deacutegacirct raquo deacutesigne un dommage reacutesultant geacuteneacuteralement drsquoune cause violente ou soudaine Or lrsquoAvocate geacuteneacuterale preacutecise que lorsque le libelleacute drsquoune disposition du droit de lrsquoUnion europeacuteenne est clair et preacutecise il convient de srsquoen tenir agrave celui-ci (arrecirct du 8 deacutecembre 2005 BCEAllemagne C-22003 point 31) Ainsi un dispositif drsquoinvalidation ne peut donc se justifier en vertu de lrsquoarticle 5 paragraphe 2 sous a) du regraveglement ndeg7152007 que srsquoil se reacutevegravele neacutecessaire en vue de proteacuteger le moteur contre la survenue de dommages soudains Sur le plan teacuteleacuteologique lrsquoAvocat geacuteneacuterale est drsquoavis qursquoil incombe aux constructeurs de veacutehicules de veiller agrave ce ces derniers observent les limites fixeacutees par la leacutegislation en matiegravere drsquoeacutemissions tout au long de leur fonctionnement normal et agrave ce que ces veacutehicules fonctionnent de faccedilon sure tout en respectant ces limites Si lrsquoon ne peut exclure que le fonctionnement drsquoun systegraveme de controcircle des eacutemissions puisse affecter neacutegativement (agrave long terme) la longeacuteviteacute ou la fiabiliteacute du moteur cette circonstance ne justifie en rien que lrsquoon deacutesactive ledit systegraveme au cours du fonctionnement normal du veacutehicule dans des conditions drsquoutilisation normales dans le seul but de preacutemunir le moteur contre son vieillissement ou son encrassement progressif Ainsi selon lrsquoAvocate geacuteneacuterale seuls les risques immeacutediats de deacutegacircts qui affectent la fiabiliteacute du moteur et qui geacutenegraverent un danger concret lors de la conduite du veacutehicule sont de nature agrave justifier le preacutesence drsquoun dispositif drsquoinvalidation Il en revient donc au juge de renvoi drsquoeacutetablir si le dispositif en cause au principal srsquoinscrit dans le peacuterimegravetre de lrsquoexception analyseacutee ci-dessus (arrecirct du 8 mai 2019 Dodič C-19418 point 45) Toutefois lrsquoAvocate geacuteneacuterale relegraveve que selon le rapport drsquoexpertise le systegraveme RGE laquo nrsquoest pas destructeur pour le moteur raquo Ce systegraveme est neacuteanmoins susceptible de deacutegrafer les performances du moteur agrave lrsquousage et drsquoacceacuteleacuterer son encrassement ce qui peut rendre les opeacuterations de maintenance laquo plus freacutequentes et plus coucircteuses raquo Agrave la lumiegravere de ce constat il me semble que le dispositif drsquoinvalidation mis en cause nrsquoest pas neacutecessairement aux fins de proteacuteger le moteur contre des accidents ou des deacutegacircts et afin drsquoassurer le fonctionnement du veacutehicule en toute seacutecuriteacute LrsquoAvocate geacuteneacuterale propose agrave la Cour de justice de reacutepondre au vice-preacutesident chargeacute de lrsquoinstruction du Tribunal de Grande Instance de Paris (France) de la maniegravere suivante laquo 1) Premiegravere question preacutejudicielle Lrsquoarticle 3 point 10 du regraveglement (CE) ndeg 7152007 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 20 juin 2007 relatif agrave la reacuteception des veacutehicules agrave moteur au regard des eacutemissions des veacutehicules particuliers et utilitaires leacutegers (Euro 5 et Euro 6) et aux informations sur la reacuteparation et lrsquoentretien des veacutehicules doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens qursquoun programme inteacutegreacute dans le calculateur de controcircle moteur ou plus geacuteneacuteralement agissant sur celui-ci peut ecirctre consideacutereacute comme un eacuteleacutement de conception au sens de cette disposition degraves lors qursquoil fait partie inteacutegrante dudit calculateur 2) Deuxiegraveme question preacutejudicielle Lrsquoarticle 3 point 10 du regraveglement ndeg 7152007 doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que le concept de laquo systegraveme de controcircle des eacutemissions raquo inclut tant les technologies strateacutegies et piegraveces meacutecaniques ou informatiques qui permettent de reacuteduire les eacutemissions (en ce compris drsquooxydes drsquoazote) en amont agrave lrsquoinstar drsquoun systegraveme de recirculation des gaz drsquoeacutechappement que celles qui permettent de les traiter et de les reacuteduire en aval apregraves leur formation 3) Troisiegraveme question preacutejudicielle

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Lrsquoarticle 3 point 10 du regraveglement ndeg 7152007 doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens qursquoun dispositif qui deacutetecte tout paramegravetre lieacute au deacuteroulement des proceacutedures drsquohomologation preacutevues par ce mecircme regraveglement aux fins drsquoactiver ou de moduler agrave la hausse au cours de ces proceacutedures le fonctionnement de toute partie du systegraveme de controcircle des eacutemissions et ainsi drsquoobtenir lrsquohomologation du veacutehicule constitue un laquo dispositif drsquoinvalidation raquo au sens de cette disposition mecircme si la modulation agrave la hausse du fonctionnement de ce systegraveme de controcircle des eacutemissions peut aussi se produire de faccedilon ponctuelle lorsque les conditions exactes qui la deacuteclenchent se preacutesentent par hasard dans des conditions drsquoutilisation normales du veacutehicule 4) Quatriegraveme question preacutejudicielle Lrsquoarticle 5 paragraphe 2 sous a) du regraveglement ndeg 7152007 doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que lrsquoobjectif de ralentissement du vieillissement ou de lrsquoencrassement du moteur ne justifie pas le recours agrave un dispositif drsquoinvalidation au sens de cette disposition raquo

Liberteacute drsquoeacutetablissement

Conclusions de lrsquoAvocat geacuteneacuteral M Bobek preacutesenteacutees le 2 avril 2020 dans les affaires jointes Cali Apartments SCI Procureur geacuteneacuteral pregraves de la cour drsquoappel de Paris Ville de Paris et HX Procureur geacuteneacuteral pregraves de la cour drsquoappel de Paris Ville de Paris C-72418 et C-72718

Reacutesumeacute LrsquoAvocat geacuteneacuteral srsquoest prononceacute sur des questions preacutejudicielles poseacutees par la Cour de cassation dans un litige opposant des

proprieacutetaires de studio agrave Paris agrave la ville de Paris Il propose agrave la Cour de justice de juger que la directive 2006123 srsquoapplique agrave

des dispositions nationales et municipales encadrant lrsquoaccegraves agrave un service qui consiste agrave louer de maniegravere reacutepeacuteteacutee et pour de courtes dureacutees

un local agrave usage drsquohabitation agrave une clientegravele de passage Lrsquoobjectif tenant agrave la lutte contre la peacutenurie de logements peut constituer une

raison impeacuterieuse drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral qui justifierait le fait que la mesure nationale exige lrsquoobtention drsquoune autorisation Une telle mesure

nationale est autoriseacutee par la directive 2006123 si elle reacutepond aux conditions de proportionnaliteacute et de non-discrimination

Chacun des requeacuterants est proprieacutetaire drsquoun studio situeacute agrave Paris Ils ont fait lrsquoobjet drsquoune enquecircte afin de

deacuteterminer srsquoils offraient leurs studios agrave la location de courte dureacutee en tant que biens meubleacutes sur la plateforme

Airbnb sans autorisation Selon la leacutegislation nationale lrsquoapprobation du changement drsquousage drsquoun bien constitue

la condition essentielle de lrsquoaccegraves agrave la location meubleacutee de courte dureacutee Agrave la suite de cette enquecircte les requeacuterants

ont eacuteteacute condamneacutes par le tribunal de grande instance de Paris au paiement drsquoune amende et agrave retourner les biens

agrave leur usage drsquohabitation La cour drsquoappel de Paris a confirmeacute par deux arrecircts des 19 mai et 15 juin 2017 que les

studios avaient fait lrsquoobjet de locations de courte dureacutee agrave une clientegravele de passage sans autorisation preacutealable du

maire de Paris ce qui est contraire agrave la leacutegislation nationale Les requeacuterants ont agrave nouveau eacuteteacute condamneacutes Ils ont

formeacute un pourvoi en cassation devant la Cour de cassation Les requeacuterants allegraveguent que les arrecircts rendus par la

cour drsquoappel violent le principe de primauteacute du droit de lrsquoUnion

La juridiction de renvoi pose agrave la Cour de justice les questions preacutejudicielles suivantes

laquo 1) La directive 2006123CE du 12 deacutecembre 2006 eu eacutegard agrave la deacutefinition de son objet et de son champ drsquoapplication par ses articles 1 et 2 srsquoapplique-t-elle agrave la location agrave titre oneacutereux mecircme agrave titre non professionnel de maniegravere reacutepeacuteteacutee et pour de courtes dureacutees drsquoun local meubleacute agrave usage drsquohabitation

Renvoi preacutejudiciel ndash Liberteacute drsquoeacutetablissement ndash Directive 2006123CE ndash Champ drsquoapplication ndash Location de biens meubleacutes de maniegravere reacutepeacuteteacutee pour de courtes dureacutees agrave une clientegravele de passage qui nrsquoy eacutelit pas domicile ndash Reacuteglementation nationale et reacuteglementation municipale soumettant une telle location agrave une autorisation preacutealable et agrave compensation ndash Justification ndash Objectif visant agrave garantir une offre suffisante de logements agrave des prix abordables et destineacutes agrave la location de longue dureacuteemdash Proportionnaliteacute

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ne constituant pas la reacutesidence principale du loueur agrave une clientegravele de passage nrsquoy eacutelisant pas domicile

notamment au regard des notions de prestataires et de services

2) En cas de reacuteponse positive agrave la question preacuteceacutedente une reacuteglementation nationale telle que celle

preacutevue par lrsquoarticle L 631‑7 du code de la construction et de lrsquohabitation constitue-t-elle un reacutegime drsquoautorisation de lrsquoactiviteacute susviseacutee au sens des articles 9 agrave 13 de la directive 2006123 ou seulement une

exigence soumise aux dispositions des articles 14 et 15

Dans lrsquohypothegravese ougrave les articles 9 agrave 13 de la directive 2006123CE du 12 deacutecembre 2006 sont applicables

3) Lrsquoarticle 9 sous b) de cette directive doit-il ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que lrsquoobjectif tenant agrave la lutte contre la peacutenurie de logements destineacutes agrave la location constitue une raison impeacuterieuse drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral permettant de justifier une mesure nationale soumettant agrave autorisation dans certaines zones geacuteographiques la location drsquoun local meubleacute destineacute agrave lrsquohabitation de maniegravere reacutepeacuteteacutee pour de courtes

dureacutees agrave une clientegravele de passage qui nrsquoy eacutelit pas domicile

4) Dans lrsquoaffirmative une telle mesure est-elle proportionneacutee agrave lrsquoobjectif poursuivi

5) Lrsquoarticle 10 paragraphe 2 sous d) et e) de la directive srsquooppose‑t-il agrave une mesure nationale qui subordonne agrave autorisation le fait de louer un local meubleacute destineacute agrave lrsquohabitation ldquode maniegravere reacutepeacuteteacuteerdquo ldquopour de courtes dureacuteesrdquo agrave une ldquoclientegravele de passage qui nrsquoy eacutelit pas domicilerdquo

6) Lrsquoarticle 10 paragraphe 2 sous d) agrave g) de la directive srsquooppose‑t‑il agrave un reacutegime drsquoautorisation preacutevoyant que les conditions de deacutelivrance de lrsquoautorisation sont fixeacutees par une deacutelibeacuteration du conseil municipal au regard des objectifs de mixiteacute sociale en fonction notamment des caracteacuteristiques des marcheacutes de locaux drsquohabitation et de la neacutecessiteacute de ne pas aggraver la peacutenurie de logements raquo

LrsquoAvocat geacuteneacuteral preacutecise agrave titre liminaire que lrsquoanalyse doit ecirctre effectueacutee au regard de la reacuteglementation nationale

et de la reacuteglementation municipale de la ville de Paris lues en combinaison

o Lrsquoapplicabiliteacute de la directive 2006123

La question est de savoir si la directive 2016123 srsquoapplique agrave la location agrave titre oneacutereux de maniegravere reacutepeacuteteacutee et

pour de courtes dureacutees drsquoun local meubleacute et agrave usage drsquohabitation ne constituant pas la reacutesidence principale du

loueur agrave une clientegravele de passage nrsquoy eacutelisant pas domicile Les gouvernements allemand et irlandais sont drsquoavis

que la directive nrsquoest pas applicable

Selon lrsquoAvocat geacuteneacuteral lrsquooffre de services de location de courte dureacutee contre reacutemuneacuteration est une prestation de

nature clairement eacuteconomique Lrsquoobtention drsquoun changement drsquousage de locaux drsquohabitation est tout simplement

une exigence qui affecte lrsquoaccegraves agrave la fourniture de ce service particulier Le premier argument des gouvernements

allemand et irlandais est que les activiteacutes en cause sont exclues du champ drsquoapplication de la directive par lrsquoarticle

2 paragraphes 2 et 3 de la directive preacuteciteacutee Pour lrsquoAvocat geacuteneacuteral cette disposition qui exclut les services

sociaux relatifs au logement social et les services drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral non-eacuteconomiques nrsquoest manifestement pas

applicable

Lrsquoautre argument avanceacute par les gouvernements allemande et irlandais se reacutefegravere au consideacuterant 9 de la directive

LrsquoAvocat geacuteneacuteral estime que cet argument nrsquoest pas convaincant Il rappelle tout drsquoabord que le consideacuterant 9

nrsquoest qursquoun consideacuterant et qursquoil ne saurait lui seul et sans disposition correspondante dans le corps de la directive

creacuteer une nouvelle exemption par cateacutegorie qui nrsquoest refleacuteteacutee nulle part ailleurs Il estime que le consideacuterant 9

porte sur un autre objet que celui lieacute agrave lrsquoajout drsquoune exoneacuteration au champ drsquoapplication de la directive dans un

certain domaine Le consideacuterant 9 reacuteaffirme que la directive ne doit pas avoir drsquoincidence sur des regravegles

drsquoapplication geacuteneacuterale qui ne reacutegissent pas speacutecifiquement les services et qui srsquoappliquent agrave tout le monde tant

aux particuliers qursquoaux prestataires de services Le consideacuterant nrsquoa jamais eacuteteacute conccedilu comme visant agrave exclure un

(ou des) domaine(s) speacutecifique(s) du champ drsquoapplication de la directive Ainsi les regravegles reacutegissant lrsquoaccegraves agrave un

service relegravevent du champ drsquoapplication de la directive tandis que les regravegles drsquoapplication geacuteneacuterale ne faisant

aucune distinction entre les prestataires et les autres personnes nrsquoen relegravevent pas Finalement lrsquoAvocat geacuteneacuteral

rappelle que la distinction entre les regravegles relatives agrave la proprieacuteteacute des biens sur laquelle est fondeacute le consideacuterant 9

selon qursquoelles reacuteglementent ou affectent speacutecifiquement lrsquoaccegraves agrave une activiteacute de service ou son exercice a deacutejagrave eacuteteacute

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abordeacutee par la Cour de justice dans lrsquoarrecirct Visser (CJUE 30 janvier 2018 C‑36015 et C‑3116) LrsquoAvocat geacuteneacuteral

constate qursquoil ressort clairement de lrsquoarrecirct Visser que les regravegles relatives agrave lrsquoutilisation drsquoun bien foncier relegravevent

du champ drsquoapplication de la directive 2016123 dans la mesure ougrave elles ont trait agrave des activiteacutes eacuteconomiques et

qursquoelles ont ainsi une incidence sur lrsquoaccegraves au marcheacute des services ou sur lrsquoexercice drsquoune activiteacute de service

Par suite lrsquoAvocat geacuteneacuteral estime que toute reacuteglementation nationale du type de celle en cause relegraveve clairement

du champ drsquoapplication de la directive 2006123

o Les dispositions pertinentes de la directive 2006123

Reacutegime drsquoautorisation ou exigence

La question est de savoir laquelle de la section 1 du chapitre 3 de la directive qui porte sur les reacutegimes

drsquoautorisations et les conditions pertinentes ou de la section 2 sur les exigences interdites ou celles soumises agrave

eacutevaluation est applicable dans lrsquoaffaire au principal

LrsquoAvocat geacuteneacuteral rappelle que les reacutegimes drsquoautorisation et les exigences imposeacutes par les Etats membres eacutetant

supposeacutes retreindre lrsquoaccegraves agrave une activiteacute de service ou son exercice sont en principe interdits par la directive

2006123 LrsquoAvocat geacuteneacuteral note que la reacuteglementation en cause constitue un reacutegime drsquoautorisation et non pas

une exigence En lrsquoespegravece les proprieacutetaires de biens qui souhaiteraient louer leurs locaux meubleacutes pour de courtes

dureacutees doivent se conformer agrave une proceacutedure administrative visant agrave obtenir du maire sous reacuteserve du respect

de certaines conditions une autorisation administrative formelle

Par suite lrsquoAvocat geacuteneacuteral conclut qursquoil y a lieu drsquoexaminer les preacutesentes affaires sous lrsquoangle de la section 1 du

chapitre 3 de la directive et en particulier des articles 9 et 10

Les articles 9 et 10 en tant que cadre drsquoanalyse

LrsquoAvocat geacuteneacuteral est ameneacute agrave se prononcer sur la porteacutee des articles 9 et 10 ainsi que sur le rapport entre eux Il

suggegravere que lrsquoarticle 9 porte sur la question de savoir srsquoil peut en reacutealiteacute y avoir un reacutegime drsquoautorisation pour un

type de service Lrsquoarticle 10 vise un stade suppleacutementaire Une fois que le critegravere de lrsquoarticle 9 est satisfait et que

la neacutecessiteacute drsquoun reacutegime drsquoautorisation a eacuteteacute eacutetablie lrsquoarticle 10 se focalise sur les critegraveres speacutecifiques qursquoun reacutegime

drsquoautorisation concret doit respecter Lrsquoarticle 10 indique clairement qursquoun reacutegime drsquoautorisation devrait ecirctre

conccedilu de maniegravere agrave remplir lrsquoensemble des sept critegraveres eacutenonceacutes dans son paragraphe 2 LrsquoAvocat geacuteneacuteral relegraveve

eacutegalement que la question de lrsquoorigine de la reacuteglementation (nationale reacutegionale ou locale) est sans importance

LrsquoAvocat geacuteneacuteral conclut que la question de la neacutecessiteacute mecircme drsquoun reacutegime drsquoautorisation doit ecirctre examineacutee au

regard des trois conditions eacutenumeacutereacutees agrave lrsquoarticle 9 paragraphe 1 Toutefois les conditions speacutecifiques dans

lesquelles une telle autorisation sera deacutelivreacutee dont notamment la compensation telle que conccedilue par la ville de

Paris doivent ecirctre appreacutecieacutees au regard des critegraveres eacutenonceacutes agrave lrsquoarticle 10 paragraphe 2

o La compatibiliteacute du reacutegime drsquoautorisation avec la directive 2006123

LrsquoAvocat geacuteneacuteral examine dans cette partie des conclusions les raisons impeacuterieuses drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral qui ont eacuteteacute

avanceacutees pour justifier le reacutegime drsquoautorisation la question essentielle de la proportionnaliteacute et les autres

conditions auxquelles doivent reacutepondre les reacutegimes drsquoautorisation au titre de lrsquoarticle 10 paragraphe 2 de la

directive 2006123

LrsquoAvocat geacuteneacuteral rappelle agrave titre liminaire que lrsquoarticle 16 (liberteacute drsquoentreprise) et lrsquoarticle 17 (droit de proprieacuteteacute)

de la Charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne sont particuliegraverement pertinents dans ce contexte

Il insiste sur le fait que ni la liberteacute drsquoentreprise ni le droit de proprieacuteteacute nrsquoont de caractegravere absolu Ils peuvent tous

les deux ecirctre limiteacutes

Raison impeacuterieuse drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral

Les requeacuterants allegraveguent qursquoil nrsquoexiste pas de raison impeacuterieuse drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral susceptible de justifier les

dispositions litigieuses La ville de Paris et le gouvernement franccedilais estiment que les dispositions litigieuses ont

principalement pour objectif de lutter contre la peacutenurie de logements (et agrave cet eacutegard lrsquoaugmentation des prix)

dans certains lieux lesquels sont dus au moins en partie au fait que les proprieacutetaires ont tendance agrave preacutefeacuterer

louer leurs locaux drsquohabitation pour des courtes dureacutees plutocirct que des longues dureacutees

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LrsquoAvocat geacuteneacuteral reconnait que la lutte contre une peacutenurie structurelle de logements drsquoune part et la protection

de lrsquoenvironnement urbain drsquoautre part peuvent effectivement ecirctre avanceacutees pour justifier ensemble ou

seacutepareacutement tant lrsquoinstauration du reacutegime drsquoautorisation au titre de lrsquoarticle 9 paragraphe 1 sous b) que sa forme

concregravete et les conditions qursquoil contient au titre de lrsquoarticle 10 paragraphe 2 sous b) Lrsquoarticle 4 point 8 de la

directive 2006123 reconnait explicitement la protection de lrsquoenvironnement urbain et les objectifs de politique

sociale comme des raisons impeacuterieuses drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral Par suite lutter contre une peacutenurie de logement et

chercher agrave garantir la disponibiliteacute de logements suffisants et abordables ainsi que la protection de

lrsquoenvironnement urbain constituent des justifications valables pour lrsquoeacutetablissement drsquoautorisation en geacuteneacuteral

fondeacutees sur une politique sociale et les critegraveres preacutevus par un reacutegime drsquoautorisation

La proportionnaliteacute

Les requeacuterants allegraveguent que le reacutegime drsquoautorisation en cause nrsquoest pas apte agrave reacutealiser lrsquoobjectif visant agrave lutter

contre la peacutenurie de logements dans la mesure ougrave il ne dissuade pas neacutecessairement les proprieacutetaires drsquooffrir leurs

biens en tant que locations meubleacutees de courte dureacutee

- La proportionnaliteacute de la neacutecessiteacute drsquoobtenir une autorisation au titre de lrsquoarticle 9 paragraphe 1 sous c)

LrsquoAvocat geacuteneacuteral rappelle qursquoun reacutegime drsquoautorisation est geacuteneacuteralement proportionnel lorsque des controcircles a

posteriori ne suffisent pas pour atteindre lrsquoobjectif poursuivi Pour ecirctre proportionnel la deacutetermination de la

neacutecessiteacute drsquoun reacutegime drsquoautorisation devrait ecirctre fondeacutee sur des donneacutees scientifiques concernant le marcheacute du

logement dans les communes ougrave il est envisageacute drsquoinstaurer un tel reacutegime LrsquoAvocat geacuteneacuteral partage le point de

vue de la Commission europeacuteenne selon lequel les reacutegimes nationaux devraient ecirctre fondeacutes sur des eacuteleacutements

speacutecifiques lieacutes agrave la situation du marcheacute du logement Il rappelle eacutegalement que les reacutegimes drsquoautorisation doivent

ecirctre eacutequitables et ouverts agrave tous en termes drsquoaccegraves au marcheacute du logement destineacute agrave la location de courte dureacutee

En lrsquoespegravece si le but est de reacuteglementer ou drsquoempecirccher la sortie du marcheacute les autorisations de sortie ex ante sont

ineacutevitables Lrsquoexistence drsquoun problegraveme est indeacuteniable La France a conccedilu une solution agrave ce problegraveme qui en ce

qui concerne la neacutecessiteacute de soumettre les proprieacutetaires de biens agrave un reacutegime drsquoautorisation a incorporeacute la

proportionnaliteacute dans sa conception Finalement le reacutegime drsquoautorisation est applicable agrave toute personne qui

souhaite offrir une location de courte dureacutee agrave Paris

Bien que drsquoautres solutions pourraient ecirctre envisageacutees lrsquoAvocat geacuteneacuteral est drsquoavis que ces solutions ne pourraient

pas ecirctre plus efficaces qursquoun simple reacutegime drsquoautorisation ex ante

Par suite dans le contexte speacutecifique de la preacutesente affaire lrsquoAvocat geacuteneacuteral ne voit rien qui rendrait un reacutegime

drsquoautorisation disproportionneacute en lui-mecircme

- Proportionnaliteacute de lrsquoobligation de compensation au titre de lrsquoarticle 10 paragraphe 2

LrsquoAvocat geacuteneacuteral estime qursquoil est difficile drsquoappreacutecier concregravetement la proportionnaliteacute du reacutegime drsquoautorisation

speacutecifique en cause et notamment des critegraveres et des conditions sur lesquels repose ce reacutegime au titre de lrsquoarticle

10 paragraphe 2 de la directive 2006123 Il relegraveve que la juridiction de renvoi se focalise sur les dispositions

nationales laissant de cocircteacute le niveau municipal et que la Cour de justice dispose de peu drsquoinformations sur le

fonctionnement des regravegles speacutecifiques de la vielle de Paris Elle est donc mal eacutequipeacutee pour deacuteterminer si les

critegraveres preacutevus agrave lrsquoarticle 10 paragraphe 2 de la directive 2006123 sont remplis Il appartient degraves lors agrave titre

principal agrave la juridiction de renvoi drsquoappreacutecier compte tenu de la reacutepartition des tacircches entre la Cour de justice

et les juridictions nationales la compatibiliteacute des conditions drsquoautorisation preacutevues par le droit national avec

lrsquoarticle 10 preacuteciteacute La Cour de justice peut fournir des indications geacuteneacuterales avec les informations dont elle

dispose

LrsquoAvocat geacuteneacuteral insiste sur lrsquoobligation de compensation qui ressort de la reacuteglementation municipale de la ville

de Paris Lagrave encore il note qursquoil appartiendra agrave la juridiction de renvoi drsquoappreacutecier la compatibiliteacute de cette

obligation avec la directive 2006123 de la maniegravere dont elle a eacuteteacute concregravetement eacutedicteacutee par la ville de Paris Cette

obligation implique qursquoune personne qui cherche agrave louer son appartement meubleacute pour une courte dureacutee doit

acheter des locaux commerciaux drsquoune surface identique agrave celle de lrsquoappartement et les transformer en locaux

destineacutes agrave lrsquohabitation LrsquoAvocat geacuteneacuteral srsquointerroge sur lrsquoefficaciteacute de cette compensation et srsquoil semblerait qursquoelle

soit tregraves efficace il remarque qursquoelle est peut-ecirctre si efficace qursquoelle commence agrave aneacuteantir totalement lrsquoobjectif de

la demande drsquoautorisation elle-mecircme Quant agrave la proportionnaliteacute de la mesure elle semble proportionneacutee pour

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les proprieacutetaires de plusieurs immeubles ou pour un promoteur immobilier mais pourrait ecirctre disproportionneacutee

pour un bailleur non-professionnel

Bien que ce soit agrave la juridiction de renvoi drsquoexaminer lrsquoensemble de ces eacuteleacutements lrsquoAvocat geacuteneacuteral relegraveve que srsquoil

est admis que le niveau local peut adopter des regravegles et preacuteciser les conditions drsquoun reacutegime drsquoautorisation la

proportionnaliteacute de ces regravegles deacutependra probablement de la prise en compte des circonstances et speacutecificiteacutes

locales

Le respect drsquoautres critegraveres viseacutes agrave lrsquoarticle 10 paragraphe 2 de la directive 2006123

La juridiction de renvoi demande en substance si les dispositions nationales relatives aux reacutegimes drsquoautorisations

sont conformes aux obligations speacutecifiques de lrsquoarticle 10 paragraphe 2 de la directive 2006123 Les requeacuterants

allegraveguent que les termes employeacutes par la reacuteglementation en cause sont trop impreacutecis et que les conditions

drsquoobtention de lrsquoautorisation ne seraient pas suffisamment claires

LrsquoAvocat geacuteneacuteral estime que la reacuteglementation nationale contient des notions quelque peu vagues mais tout agrave fait

compreacutehensibles compte tenu que les conseils municipaux ont une certaine marge de manœuvre pour preacuteciser

davantage le sens de ces notions

LrsquoAvocat geacuteneacuteral propose agrave la Cour de justice de reacutepondre aux questions poseacutees par la Cour de cassation

(France) de la maniegravere suivante

ndash la directive 2006123CE du Parlement europeacuteen et du Conseil du 12 deacutecembre 2006 relative aux

services dans le marcheacute inteacuterieur est applicable agrave des dispositions nationales et municipales encadrant

lrsquoaccegraves agrave un service qui consiste agrave louer en contrepartie du paiement drsquoun prix mecircme agrave titre non

professionnel de maniegravere reacutepeacuteteacutee et pour de courtes dureacutees un local agrave usage drsquohabitation agrave une clientegravele

de passage nrsquoy eacutelisant pas domicile

ndash si ces dispositions nationales et municipales deacutefinissent une proceacutedure visant agrave obtenir une

deacutecision autorisant lrsquoaccegraves agrave la fourniture de tels services elles constituent un reacutegime drsquoautorisation au

sens des articles 9 agrave 13 de la directive 2006123

ndash lrsquoarticle 9 paragraphe 1 sous b) de la directive 2006123 doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que

lrsquoobjectif tenant agrave la lutte contre la peacutenurie de logements destineacutes agrave la location de longue dureacutee constitue

une raison impeacuterieuse drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral permettant de justifier une mesure nationale soumettant agrave

autorisation dans certaines zones geacuteographiques la location de maniegravere reacutepeacuteteacutee drsquoun local destineacute agrave

lrsquohabitation pour de courtes dureacutees agrave une clientegravele de passage qui nrsquoy eacutelit pas domicile

ndash la directive 2006123 doit ecirctre interpreacuteteacutee en ce sens qursquoelle autorise des dispositions nationales

et municipales qui soumettent agrave autorisation le fait de louer de maniegravere reacutepeacuteteacutee un local meubleacute

destineacute agrave lrsquohabitation pour de courtes dureacutees agrave une clientegravele de passage qui nrsquoy eacutelit pas domicile agrave

condition qursquoelles respectent les exigences preacutevues agrave lrsquoarticle 10 paragraphe 2 de la directive 2006123

notamment les conditions de proportionnaliteacute et de non‑discrimination ce qursquoil appartient agrave la

juridiction nationale de veacuterifier

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Partie III Questions preacutejudicielles

Libre prestation de services

Affaire preacutejudicielle 31 janvier 2020 Fluctus et Fluentum C-92019

Juridiction de renvoi Landesverwaltungsgericht Steiermark (Autriche) La juridiction de renvoi a saisi la Cour de justice des questions suivantes conformeacutement agrave lrsquoarticle 267 TFUE laquo 1 Lrsquoarticle 56 TFUE doit-il ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que lrsquoappreacuteciation des pratiques publicitaires illicites telles qursquoeacutetablies dans la jurisprudence constante de la Cour de justice dans le chef du titulaire drsquoune concession dans le cadre drsquoun monopole drsquoEacutetat sur les jeux de hasard deacutepend du point de savoir si le marcheacute des jeux de hasard a effectivement crucirc de maniegravere geacuteneacuterale au cours de la peacuteriode en cause ou srsquoil suffit deacutejagrave que la publiciteacute vise agrave inciter agrave participer activement aux jeux par exemple en banalisant le jeu en lui confeacuterant une image positive en raison de lrsquoutilisation des recettes aux fins drsquoactiviteacute drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral ou en augmentant son attractiviteacute par des messages publicitaires accrocheurs qui font miroiter des gains importants 2 Par ailleurs lrsquoarticle 56 TFUE doit-il ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que lesdites pratiques publicitaires illicites drsquoun concessionnaire du monopole excluent en tout eacutetat de cause la coheacuterence du reacutegime de monopole ou que en cas de pratiques publicitaires correspondantes drsquoannonceurs priveacutes un titulaire du monopole peut eacutegalement inciter agrave une participation active aux jeux par exemple en bana lisant le jeu en lui confeacuterant une image positive en raison de lrsquoutilisation des recettes aux fins drsquoactiviteacute drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral ou en augmentant son attractiviteacute par des messages publicitaires accrocheurs qui font miroiter des gains importants 3 Une juridiction de lrsquoEacutetat qui dans le cadre de sa compeacutetence doit appliquer lrsquoarticle 56 TFUE est-elle tenue aux fins drsquoassurer le plein effet de ces normes de veiller agrave laisser inappliqueacutee de sa propre autoriteacute une disposition de droit interne qursquoelle juge contraire mecircme si sa conformiteacute au droit de lrsquoUnion a eacuteteacute confirmeacutee dans le cadre drsquoune proceacutedure constitutionnelle raquo

Marcheacute inteacuterieur

Affaire preacutejudicielle 31 janvier 2020 Ministerstwo Sprawiedliwości C-5520

Juridiction de renvoi Sąd Dyscyplinarny Izby Adwokackiej w Warszawie (Pologne) La juridiction de renvoi a saisi la Cour de justice des questions suivantes conformeacutement agrave lrsquoarticle 267 TFUE laquo 1 Le chapitre III de la directive 2006123CE du Parlement europeacuteen et du Conseil du 12 deacutecembre 2006 relative aux services dans le marcheacute inteacuterieur (ci-apregraves la laquo directive services raquo) et notamment son article 10 paragraphe 6 srsquoappliquent-ils agrave une proceacutedure disciplinaire visant les avocats et les avocats eacutetrangers inscrits sur la liste des avocats et permettant notamment drsquoinfliger agrave un avocat une sanction peacutecuniaire la suspension de ses activiteacutes professionnelles voire sa radiation du barreau et agrave un avocat eacutetranger une sanction peacutecuniaire la suspension voire lrsquointerdiction du droit de fournir une assistance juridique en Pologne En cas de reacuteponse positive la charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne (ci-apregraves la laquo Charte raquo) notamment son article 47 est-elle applicable agrave cette proceacutedure meneacutee devant les conseils de discipline du barreau degraves lors que les deacutecisions de ces juridictions ne sont pas susceptibles de recours devant les juridictions nationales ou ne sont susceptibles que drsquoun recours extraordinaire agrave savoir un pourvoi en cassation devant le Sąd Najwyższy (Cour suprecircme Pologne) et est-elle eacutegalement applicable lorsque tous les eacuteleacutements pertinents de lrsquoaffaire se cantonnent agrave lrsquointeacuterieur drsquoun seul Eacutetat membre 2 Lorsque dans une proceacutedure viseacutee agrave la premiegravere question lrsquoinstance qui est compeacutetente en vertu des dispositions nationales applicables pour statuer sur le pourvoi en cassation formeacute contre lrsquoarrecirct ou lrsquoordonnance du conseil de discipline du barreau ou contre la reacuteclamation visant le refus drsquointroduire un tel pourvoi nrsquoest pas conformeacutement agrave la position adopteacutee par le Sąd Najwyższy (Cour suprecircme) dans son arrecirct du 5 deacutecembre 2019 reacutef III PO 718 un tribunal indeacutependant et impartial au sens de lrsquoarticle 47 de la Charte [Or 2] le conseil de discipline du barreau doit-il eacutecarter les dispositions nationales eacutetablissant la compeacutetence de cette instance et transmettre ce pourvoi ou cette reacuteclamation aux instances judiciaires qui auraient eacuteteacute compeacutetentes si les dispositions susmentionneacutees ne srsquoy opposaient pas

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3 Lorsque ndash dans une proceacutedure viseacutee agrave la premiegravere question ndash le conseil de discipline du barreau considegravere que le Prokurator Generalny (procureur geacuteneacuteral) et le Rzecznik Praw Obywatelskich (meacutediateur) ne sont pas habiliteacutes agrave former un pourvoi en cassation contre son arrecirct ou son ordonnance et que sa position est

a) contraire agrave la position exprimeacutee dans la deacutecision du 27 novembre 2019 reacutef II DSI 6718 de la chambre disciplinaire du Sąd Najwyższy (Cour suprecircme) sieacutegeant en formation de sept juges crsquoest-agrave-dire de lrsquoinstance qui conformeacutement aux dispositions nationales en vigueur est compeacutetente pour connaicirctre du recours formeacute contre le refus drsquointroduire un pourvoi en cassation mais qui selon le conseil de discipline du barreau qui se rallie agrave la position adopteacutee par le Sąd Najwyższy (Cour suprecircme) dans son arrecirct du 5 deacutecembre 2019 reacutef III PO 718 nrsquoest pas un tribunal indeacutependant et impartial au sens de lrsquoarticle 47 de la Charte

b) conforme agrave la position exprimeacutee preacuteceacutedemment par la chambre peacutenale du Sąd Najwyższy (Cour suprecircme) crsquoest-agrave-dire lrsquoinstance judiciaire qui serait compeacutetente pour examiner ce recours si les dispositions susmentionneacutees ne srsquoy opposaient pas

Le conseil de discipline du barreau peut-il (ou doit-il) eacutecarter la position exprimeacutee par la chambre disciplinaire du Sąd Najwyższy (Cour suprecircme) 4 Si dans lrsquoaffaire viseacutee agrave la troisiegraveme question le conseil de discipline du barreau est ameneacute agrave examiner un recours du Minister Sprawiedliwości (ministre de la Justice) mais que

a) lrsquoinfluence du pouvoir exeacutecutif notamment celle du Minister Sprawiedliwości (ministre de la Justice) sur la composition de la chambre disciplinaire du Sąd Najwyższy (Cour suprecircme) constitue lrsquoun des facteurs qui selon lrsquoappreacuteciation exprimeacutee par le Sąd Najwyższy (Cour suprecircme) dans son arrecirct du 5 deacutecembre 2019 reacutef III PO 718 appreacuteciation que partage le conseil de discipline du barreau justifient de consideacuterer que cette chambre disciplinaire qui est lrsquoinstance viseacutee agrave la troisiegraveme question sous a) nrsquoest pas un tribunal indeacutependant et impartial au sens de lrsquoarticle 47 de la Charte

b) et que le Minister Sprawiedliwości (ministre de la Justice) exerce lui-mecircme la fonction de Prokurator Generalny (procureur geacuteneacuteral) lequel serait habiliteacute agrave introduire un pourvoi cassation selon la position exprimeacutee par la chambre disciplinaire du Sąd Najwyższy (Cour suprecircme) agrave savoir lrsquoinstance viseacutee agrave la troisiegraveme question sous a) tandis qursquoil nrsquoy est pas selon la position exprimeacutee par la chambre peacutenale du Sąd Najwyższy (Cour suprecircme) agrave savoir lrsquoinstance viseacutee agrave la troisiegraveme question sous b) et selon la position du conseil de discipline du barreau ce conseil de discipline du barreau doit-il srsquoabstenir drsquoexaminer le recours srsquoil srsquoagit de la seule maniegravere drsquoassurer que la proceacutedure respecte lrsquoarticle 47 de la Charte et en particulier drsquoeacuteviter qursquoune instance qui nrsquoest pas un tribunal indeacutependant et impartial au sens de cette disposition nrsquointervienne dans la proceacutedure raquo

Protection des consommateurs

Affaire preacutejudicielle 7 feacutevrier 2020 KRONE ndash Verlag Gesellschaft mbH amp Co KG C-6520

Juridiction de renvoi Oberster Gerichtshof (Autriche) La juridiction de renvoi a saisi la Cour de justice des questions suivantes conformeacutement agrave lrsquoarticle 267 TFUE laquo Lrsquoarticle 2 lu en combinaison avec les articles 1 er et 6 de la directive 85374CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions leacutegislatives reacuteglementaires et administratives des Eacutetats membres en matiegravere de responsabiliteacute du fait des produits deacutefectueux doit-il ecirctre interpreacuteteacute en ce sens qursquoun exemplaire physique drsquoun journal quotidien qui contient un conseil de santeacute techniquement inexact dont le respect cause un dommage agrave la santeacute peut eacutegalement ecirctre consideacutereacute comme un produit (deacutefectueux) raquo

Affaire preacutejudicielle 26 feacutevrier 2020 StWL Staumldtische Werke Lauf ad Pegnitz GmbH C-10220

Juridiction de renvoi Bundesgerichtshof (Allemagne) La juridiction de renvoi a saisi la Cour de justice des questions suivantes conformeacutement agrave lrsquoarticle 267 TFUE

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laquo 1 Les critegraveres de la notion drsquoenvoi au sens de lrsquoarticle 2 deuxiegraveme alineacutea sous h) de la directive 200258 sont-ils remplis lorsqursquoun message nrsquoest pas transmis par un utilisateur drsquoun service de communications eacutelectroniques agrave un autre utilisateur par lrsquointermeacutediaire drsquoune entreprise de services agrave lrsquolaquo adresse raquo eacutelectronique du second utilisateur mais est afficheacute de maniegravere automatiseacutee par des serveurs publicitaires agrave la suite de lrsquoouverture de la page Internet proteacutegeacutee par un mot de passe correspondant agrave un compte de messagerie eacutelectronique dans certains espaces preacutevus agrave cet effet de la boicircte de reacuteception eacutelectronique drsquoun utilisateur seacutelectionneacute de maniegravere aleacuteatoire (publiciteacute dans la boicircte de reacuteception) 2 La reacutecupeacuteration drsquoun message au sens de lrsquoarticle 2 deuxiegraveme alineacutea sous h) de la directive 200258 suppose-t-elle que le destinataire apregraves avoir pris connaissance de la preacutesence drsquoun message deacuteclenche par une demande de reacutecupeacuteration volontaire une transmission des donneacutees du message en vertu drsquoun programme preacuteeacutetabli ou suffit-il que lrsquoapparition du message [Or 3] dans la boicircte de reacuteception drsquoun compte de messagerie eacutelectronique soit deacuteclencheacutee par le fait que lrsquoutilisateur ouvre la page Internet pro teacutegeacutee par un mot de passe correspondant agrave son compte de messagerie eacutelectronique 3 Y a-t-il eacutegalement courrier eacutelectronique au sens de lrsquoarticle 13 paragraphe 1 de la directive 200258 lorsqursquoun message nrsquoest pas envoyeacute agrave un destinataire individuel deacutejagrave concregravetement deacutefini avant la transmission mais est inseacutereacute dans la boicircte de reacuteception drsquoun utilisateur seacutelectionneacute de maniegravere aleacuteatoire 4 Lrsquoutilisation drsquoun courrier eacutelectronique agrave des fins de prospection directe au sens de lrsquoarticle 13 paragraphe 1 de la d irective 200258 nrsquoest-elle caracteacuteriseacutee que lorsqursquoil est constateacute que la charge imposeacutee agrave lrsquoutilisateur va au-delagrave drsquoune gecircne qui lui serait causeacutee 5 La publiciteacute individuelle satisfaisant aux critegraveres de la laquo sollicitation raquo au sens du point 26 premiegravere phrase de lrsquoannexe I de la directive 200529 nrsquoest-elle caracteacuteriseacutee que lorsqursquoun client est contacteacute au moyen drsquoun outil traditionnel de communication individuelle entre un expeacutediteur et un destinataire ou suffit-t-il que comme dans le cas de la publiciteacute en cause en lrsquoespegravece le lien avec un individu soit eacutetabli par lrsquoaffichage de la publiciteacute dans la boicircte de reacuteception drsquoun compte de messagerie eacutelectronique priveacute et donc dans une rubrique ougrave le client srsquoattend agrave recevoir des messages qui lui sont individuellement adresseacutes raquo

Santeacute publique

Affaire preacutejudicielle 24 feacutevrier 2020 Ordine Nazionale Biologi e a C-9620

Juridiction de renvoi Corte suprema di cassazione (Italie) La juridiction de renvoi a saisi la Cour de justice des questions suivantes conformeacutement agrave lrsquoarticle 267 TFUE laquo Lrsquoarticle 9 paragraphe 2 de la directive 200298CE qui eacutetablit des normes de qualiteacute et de seacutecuriteacute pour la collecte le controcircle la transformation la conservation et la distribution du sang humain et des composants sanguins doit-il ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que lorsqursquoil mentionne la possession drsquoun titre acadeacutemique ldquodans le domaine des sciences meacutedicales ou biologiquesrdquo parmi les conditions de qualification minimales requises pour pouvoir acceacuteder agrave la fonction de personne responsable drsquoun eacutetablissement de transfus ion sanguine il confegravere directement aux diplocircmeacutes dans les deux disciplines le droit drsquoexercer la fonction de personne responsable [Or 11] drsquoun eacutetablissement de transfusion sanguine En conseacutequence le droit de lrsquoUnion permet-il au droit national drsquoexclure que ladite fonction de personne responsable drsquoun eacutetablissement de transfusion sanguine puisse ecirctre exerceacutee par les diplocircmeacutes en sciences biologiques ou bien srsquooppose-t-il agrave cette exclusion raquo

Partie IV Informations diverses

Aides drsquoEacutetat

Communication de la Commission europeacuteenne Modification de lrsquoencadrement temporaire des mesures drsquoaide drsquoEacutetat visant agrave soutenir lrsquoeacuteconomie dans le contexte actuel de la flambeacutee de COVID-19 3 avril 2020 C(2020) 2215

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Reacutesumeacute La Commission europeacuteenne a adopteacute une modification eacutetendant lrsquoencadrement temporaire adopteacute le 19 mars 2020 afin de permettre aux Eacutetats membres drsquoacceacuteleacuterer la recherche la mise agrave lrsquoessai et la fabrication de produits utiles pour combattre le coronavirus de proteacuteger les emplois et de soutenir drsquoavantage lrsquoeacuteconomie dans le contexte du COVID-19 Lrsquoencadrement temporaire modifieacute complegravete les nombreuses possibiliteacutes dont disposent deacutejagrave les Eacutetats membres pour atteacutenuer les reacutepercussions socio-eacuteconomiques de la flambeacutee de COVID-19 conformeacutement aux regravegles de lrsquoUnion europeacuteenne en matiegravere drsquoaides drsquoEacutetat Le 19 mars 2020 la Commission europeacuteenne a adopteacute une communication intituleacutee laquo Encadrement temporaire des mesures drsquoaide drsquoEacutetat visant agrave soutenir lrsquoeacuteconomie dans le contexte actuel de la flambeacutee du COVID-19 raquo (C(2020) 1863) Cette derniegravere deacutecrit les possibiliteacutes offertes aux Eacutetats membres par les regravegles de lrsquoUnion pour garantir la liquiditeacute et lrsquoaccegraves au financement des entreprises et en particulier des PME afin de leur permettre de surmonter la situation actuelle La Commission europeacuteenne visait agrave eacutetablir un cadre permettant aux Eacutetats membres de soutenir les entreprises qui connaissent des difficulteacutes lieacutees au COVID-19 et ce tout en preacuteservant lrsquointeacutegriteacute du marcheacute inteacuterieur de lrsquoUnion europeacuteenne par la garantie de conditions eacutegales pour tous Selon la Commission europeacuteenne une application cibleacutee et proportionneacutee du controcircle des aides drsquoEacutetats permettrait que les mesures de soutien nationales aident efficacement les entreprises toucheacutees par la flambeacutee du COVID-19 tout en leur permettant de rebondir au terme de la crise actuelle et en gardant agrave lrsquoesprit lrsquoimportance de mener agrave bien la transition eacutecologique et numeacuterique conformeacutement aux objectifs de lrsquoUnion europeacuteenne Cette nouvelle communication vise agrave eacutenumeacuterer les mesures drsquoaide drsquoEacutetat temporaires suppleacutementaires que la Commission europeacuteenne juge compatibles avec lrsquoarticle 107 paragraphe 3 TFUE dans le contexte de la flambeacutee de COVID-19 Ainsi la modification eacutetend lrsquoencadrement temporaire en preacutevoyant cinq types de mesures drsquoaide suppleacutementaires

- Soutien agrave la recherche et au deacuteveloppement lieacutes au COVID-19 pour faire face agrave la crise eacutepideacutemique les Eacutetats membres peuvent octroyer des aides sous forme de subventions directes drsquoavances remboursables ou drsquoavantages fiscaux en faveur de la recherche et au deacuteveloppement lieacute au COVID-19 et sur drsquoautres eacuteleacutements lieacutes agrave la lutte contre le virus Un suppleacutement drsquoaide peut ecirctre accordeacute aux projets de coopeacuteration transfrontiegravere entre Eacutetats membres

- Soutient agrave la construction et agrave la mise agrave niveau drsquoinstallations drsquoessai les Eacutetats membres ont la

possibiliteacute drsquooctroyer des aides sous forme de subventions directes drsquoavantage fiscaux drsquoavances remboursables et de garanties de couverture de pertes afin de soutenir les investissements permettant la construction ou la mise agrave niveau drsquoinfrastructures neacutecessaires pour mettre au point et tester des produits lieacutes au COVID-19 jusqursquoau premier deacuteploiement industriel Sont concerneacutes

o Les meacutedicaments y compris les vaccins et les traitements o Les dispositifs meacutedicaux et eacutequipements hospitaliers et meacutedicaux y compris les appareils de

ventilation et les vecirctements de protection ainsi que les outils de diagnostic o Les deacutesinfectants o Les outils de collecte et de traitement de donneacutees utiles agrave la lutte contre la propagation du virus

Afin drsquoencourager la coopeacuteration et de soutenir une action rapide les entreprises peuvent beacuteneacuteficier drsquoun suppleacutement drsquoaide lorsque leur investissement est financeacute par plusieurs Eacutetats membres et lorsqursquoil est reacutealiseacute dans un deacutelai de deux mois suivant la date de demande drsquoaide

- Soutien agrave la fabrication de produits utiles agrave la lutte contre la flambeacutee de COVID-19 les Eacutetats

membres peuvent octroyer des aides sous forme de subventions directes drsquoavantages fiscaux drsquoavances remboursables et de garanties de couverture de pertes afin de soutenir les investissements permettant la

Article 107 paragraphe 3 TFUE

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fabrication rapide de produits utiles agrave la lutte contre le coronavirus produits eacutenumeacutereacutes au point preacuteceacutedent Afin drsquoencourager la coopeacuteration et de soutenir une action rapide les entreprises vont beacuteneacuteficier drsquoun suppleacutement drsquoaide lorsque leur investissement est financeacute par plusieurs Eacutetats membres et lorsqursquoil est reacutealiseacute dans un deacutelai de deux mois suivant la date de demande drsquoaide

- Soutien cibleacute sous la forme de reports de paiement des impocircts et des taxes etou de suspensions

de cotisations de seacutecuriteacute sociale afin de reacuteduire les contraintes de liquiditeacute auxquelles les entreprises sont confronteacutees agrave cause du COVID-19 et de proteacuteger les emplois les Eacutetats membres peuvent accorder des reports cibleacutes de paiement des impocircts des taxes et des cotisations de seacutecuriteacute sociale dans les secteurs les reacutegions ou les types drsquoentreprises qui sont particuliegraverement toucheacutes par la pandeacutemie La Commission europeacuteenne considegravere que si de tels reports srsquoappliquent agrave lrsquoensemble de lrsquoeacuteconomie ils ne relegravevent pas du controcircle des aides drsquoEacutetats Toutefois srsquoils confegraverent aux entreprises un avantage seacutelectif degraves lors qursquoils sont limiteacutes agrave certains secteurs (transport tourisme santeacute hellip) agrave certaines reacutegions ou agrave certains types drsquoentreprises ils constituent des aides drsquoEacutetat au sens de lrsquoarticle 107 paragraphe 1 TFUE

- Soutien cibleacute sous la forme de subventions salariales en faveur des salarieacutes afin drsquoaider agrave limiter

les conseacutequences de la crise du coronavirus sur les travailleurs les Eacutetats membres peuvent contribuer aux coucircts salariaux des entreprises de secteurs ou de reacutegion qui ont le plus souffert de la flambeacutee du COVID-19 et qui auraient ducirc licencier du personnel en lrsquoabsence drsquoaide De mecircme que pour les reports envisageacutes au point preacuteceacutedent la Commission est drsquoavis que si ces reacutegimes de soutien srsquoappliquent agrave lrsquoensemble de lrsquoeacuteconomie ils ne relegravevent pas du controcircle des aides drsquoEacutetats Agrave lrsquoinverse srsquoils sont limiteacutes agrave certains secteurs reacutegions ou certains types drsquoentreprises ils constituent des aides au sens de lrsquoarticle 107 paragraphe 1 TFUE

Lrsquoencadrement temporaire modifieacute renforce les types drsquoaide existants que les Eacutetats membres peuvent accorder aux entreprises dans le besoin et sera en place jusqursquoagrave la fin du mois de deacutecembre 2020 La Commission europeacuteenne preacutecise neacuteanmoins qursquoelle pourra prolonger ce deacutelai drsquoapplication srsquoil srsquoavegravere que cela soit neacutecessaire apregraves reacuteeacutevaluation

Deacutecision de la Commission europeacuteenne COVID-19 Reacutegime cadre temporaire pour le soutien aux entreprises en France 20 avril 2020 C(2020) 2595

Reacutesumeacute Par sa deacutecision du 20 avril 2020 la Commission europeacuteenne a autoriseacute le reacutegime-cadre franccedilais visant agrave soutenir les PME

ainsi que les grandes entreprises toucheacutees par la pandeacutemie de coronavirus Ce reacutegime dun montant de 7 milliards drsquoeuros a eacuteteacute

autoriseacute en vertu de lencadrement temporaire des aides dEacutetat adopteacute par la Commission le 19 mars 2020 tel que modifieacute le 3 avril

2020

Le 17 avril 2020 les autoriteacutes franccedilaises ont notifieacute agrave la Commission europeacuteenne le reacutegime cadre temporaire pour

le soutien aux entreprises conformeacutement aux dispositions de lrsquoencadrement temporaire des mesures drsquoaides

drsquoEacutetat visant agrave soutenir lrsquoeacuteconomie dans le contexte actuel de la flambeacutee de COVID-19 adopteacute le 19 mars 2020

(ci-apregraves laquo encadrement temporaire raquo) tel que modifieacute le 3 avril 2020

Ce reacutegime qui seacutetend agrave lensemble du territoire franccedilais et est doteacute dun budget preacutevisionnel de 7 milliards

deuros permet loctroi daides sous les formes suivantes

a) aides dun montant limiteacute sous la forme de subventions directes dapports de fonds propres

davances remboursables et de precircts bonifieacutes jusquagrave un montant nominal maximal de 100 000 euros

pour les entreprises du secteur agricole primaire jusquagrave 120 000 euros pour les entreprises du

secteur de la pecircche et de laquaculture et jusquagrave 800 000 euros pour les entreprises de tous les autres

secteurs

Article 107 paragraphe 3 TFUE

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b) garanties publiques sur des precircts saccompagnant de garde-fous pour les banques qui acheminent les

aides dEacutetat vers leacuteconomie reacuteelle

c) precircts publics octroyeacutes aux entreprises assortis de taux dinteacuterecirct reacuteduits

d) aides sous la forme de garantie ou precircts octroyeacutes via des eacutetablissements de creacutedit ou institutions

financiegraveres Les mesures srsquoappliquent agrave toutes les entreprises - quelle que soit leur localisation et leur taille - de tous secteurs drsquoactiviteacutes y compris les entreprises de production primaire de produits agricoles et du secteur de la pecircche et de lrsquoaquaculture Neacuteanmoins les eacutetablissements de creacutedit les institutions financiegraveres ainsi que les entreprises qui eacutetaient en difficulteacute agrave la date du 31 deacutecembre 2019 ne peuvent pas beacuteneacuteficier du preacutesent reacutegime Les autoriteacutes franccedilaises estiment que les beacuteneacuteficiaires du preacutesent reacutegime drsquoaide devraient deacutepasser les 1000 entreprises La Commission europeacuteenne considegravere que les mesures notifieacutees par la France constituent une aide drsquoEacutetat au sens de lrsquoarticle 107 paragraphe 1 du TFUE Les mesures imputables agrave lrsquoEacutetat franccedilais impliquent lrsquoutilisation de ressources drsquoEacutetat puisqursquoelles ont pour origine (1) les creacutedits drsquointervention de lrsquoEacutetat au niveau central et deacuteconcentreacute (2) les creacutedits drsquointervention des collectiviteacutes territoriales et de leurs groupements (3) les creacutedits des fonds europeacuteens structurels et drsquoinvestissement et (4) les creacutedits drsquointervention des autres organismes publics compeacutetents en vertu de dispositions leacutegislatives ou regraveglementaires De plus les mesures sont seacutelectives puisqursquoelles seront accordeacutees seulement agrave certaines entreprises en excluant les eacutetablissements de creacutedit et les entreprises qui eacutetaient en difficulteacute agrave la date du 31 deacutecembre 2019 Finalement les mesures confegraverent un avantage aux beacuteneacuteficiaires et sont susceptibles drsquoaffecter les eacutechanges entre Eacutetats membres eacutetant donneacute que le reacutegime nrsquoest pas limiteacute aux beacuteneacuteficiaires actifs dans des secteurs ougrave il nrsquoexiste pas de commerce entre les Eacutetats membres Neacuteanmoins la Commission europeacuteenne peut deacuteclarer compatibles avec le marcheacute inteacuterieur les aides destineacutees laquo agrave remeacutedier agrave une perturbation grave de lrsquoeacuteconomie drsquoun Eacutetat membre raquo conformeacutement agrave lrsquoarticle 107 paragraphe 3 point b) du TFUE Dans lrsquoencadrement temporaire du 19 mars 2020 la Commission europeacuteenne preacutecise qursquo laquo une aide drsquoEacutetat est justifieacutee et peut ecirctre deacuteclareacutee compatible avec le marcheacute inteacuterieur sur la base de lrsquoarticle 107 paragraphe 3 point b) du TFUE pour une peacuteriode limiteacutee pour remeacutedier agrave la peacutenurie de liquiditeacutes des entreprises et faire en sorte que les perturbations causeacutee par lrsquoeacutepideacutemie de COVID-19 ne compromettent pas leur viabiliteacute en particulier des petites et moyennes entreprises raquo En lrsquoespegravece la Commission europeacuteenne note que les mesures notifieacutees par la France visent agrave permettre aux entreprises drsquoacceacuteder au financement externe au cours drsquoune peacuteriode ougrave le fonctionnement normal du marcheacute et en particulier de lrsquoaccegraves au creacutedit est gravement perturbeacute par la pandeacutemie de COVID-19 qui affecte lrsquoensemble de lrsquoeacuteconomie reacuteelle De plus elle note que les mesures reacutepondent aux exigences de lrsquoencadrement temporaire et en particulier aux dispositions des sections 31 agrave 34 La Commission europeacuteenne considegravere notamment que les mesures introduisent des assurances concernant lrsquoeacuteventuelle aide indirecte en faveur des eacutetablissements de creacutedit ou drsquoautres eacutetablissements financiers afin de limiter les distorsions de concurrence indues Elle considegravere eacutegalement que les plafonds drsquoaides et plafonds de cumul drsquoaide sous le preacutesent reacutegime sont respecteacutes En particulier les aides octroyeacutes au titre de la section 32 et de la section 33 de lrsquoencadrement temporaire ne peuvent se cumuler si lrsquoaide est octroyeacutee pour le mecircme precirct En conseacutequence la Commission europeacuteenne a autoriseacute les mesures franccedilaises en vertu des regravegles de lUnion en matiegravere daides dEacutetat Elle considegravere que les mesures notifieacutees sont neacutecessaires adeacutequates et proportionnelles pour remeacutedier agrave une perturbation grave de lrsquoeacuteconomie drsquoun Eacutetat membre et remplissent toutes les conditions eacutenonceacutees dans lrsquoencadrement temporaire

Page 4: Ce deuxième bulletin des...Cour EDH (quatrième section), Andreea-Marusia Dumitru/Roumanie, 31 mars 2020, n°9637/16 __26 Cour EDH (cinquième section), Kukhalashvili et autres

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En bref

Partie I Jurisprudence de la Cour EDH et de la CJUE Accegraves agrave un tribunal Art 35 sect 1 bull Eacutepuisement des voies de recours internes bull Neacutecessiteacute drsquointroduire un recours devant le Tribunal constitutionnel dans toute affaire soulevant une question tireacutee drsquoune inconstitutionnaliteacute ou interpreacutetation normative bull Recours constitutionnel ne soulevant aucune question drsquoinconstitutionnaliteacute sans pertinence pour le calcul du deacutelai de six mois bull Neacutecessiteacute de former une opposition devant un comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel contre la deacutecision sommaire drsquoirrecevabiliteacute drsquoun recours constitutionnel rendue par un juge unique Art 6 sect 1 bull Accegraves agrave un tribunal bull Tribunal constitutionnel ayant fait preuve drsquoun formalisme excessif en deacuteclarant irrecevables des recours constitutionnels pour non-respect des conditions leacutegales bull Irrecevabiliteacute drsquoun recours faute pour le requeacuterant drsquoavoir souleveacute une inconstitutionnaliteacute tireacutee drsquoune interpreacutetation normative ne portant pas atteinte agrave la substance du droit drsquoaccegraves agrave un tribunal Art 6 sect 1 bull Tribunal impartial bull Preacutesence du juge ayant rendu la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute attaqueacutee dans la composition du comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel bull Inapplicabiliteacute des principes de lrsquoimpartialiteacute objective le comiteacute de trois juges nrsquoeacutetant pas une entiteacute agrave part entiegravere et autonome La Cour EDH estime que le Tribunal constitutionnel portugais a priveacute plusieurs requeacuterants de leur droit drsquoaccegraves agrave un tribunal et a ainsi violeacute lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention Dans deux des requecirctes celui-ci a fait preuve drsquoun formalisme excessif dans lrsquoapplication des dispositions leacutegislatives fondant sa compeacutetence agrave connaicirctre des recours introduits devant lui Cour EDH (troisiegraveme section) Dos Santos Calado et autres Portugal 31 mars 2020 ndeg5599714 6814316 7884116 et 370617 (voir page 11)

Aides drsquoEtat Renvoi preacutejudiciel ndash Aides drsquoEacutetat ndash Article 108

TFUE ndash Reacutegime drsquoaides incompatible avec le

marcheacute inteacuterieur ndash Deacutecision de la Commission

europeacuteenne ordonnant la reacutecupeacuteration des

aides illeacutegales ndash Regraveglement (UE) 20151589 ndash

Article 17 paragraphe 1 ndash Deacutelai de prescription

de dix ans ndash Application aux pouvoirs de

reacutecupeacuteration de la Commission ndash Article 16

paragraphes 2 et 3 ndash Reacuteglementation nationale

preacutevoyant un deacutelai de prescription infeacuterieur ndash

Principe drsquoeffectiviteacute

La Cour de justice agrave la suite de questions preacutejudicielles poseacutees

par une juridiction portugaise interpregravete lrsquoarticle 17

paragraphe 1 du regraveglement 20151589 en ce sens que le

deacutelai de prescription de dix ans ne pourra pas ecirctre appliqueacute agrave

la proceacutedure de reacutecupeacuteration drsquoune aide illeacutegale par les

autoriteacutes nationales compeacutetentes Ce deacutelai de prescription de

dix ans ne srsquoapplique qursquoaux rapports entre la Commission

europeacuteenne et lrsquoEtat membre destinataire de la deacutecision de

reacutecupeacuteration Elle estime aussi qursquoun deacutelai de prescription

national ne srsquoappliquera pas srsquoil a expireacute avant lrsquoadoption de

la deacutecision de la Commission europeacuteenne ou srsquoil srsquoest eacutecouleacute en

raison du retard mis par les autoriteacutes nationales pour exeacutecuter

cette deacutecision

Cour de justice (deuxiegraveme chambre) Nelson

Antunes da Cunha Lda Instituto de Financiamento da Agricultura e Pescas IP (IFAP) 30 avril 2020 C-62718

(voir page 15)

Droit agrave un procegraves eacutequitable Art 6 sect 1 bull Deacutelai raisonnable bull Dureacutee excessive de la proceacutedure civile bull Art 13 et 6 sect 1 bull Recours effectif dans le respect drsquoun deacutelai raisonnable des proceacutedures bull Lrsquoefficaciteacute de lrsquoaction en reacuteparation pour violation du droit constitutionnel drsquoecirctre jugeacute dans un deacutelai raisonnable doit encore ecirctre preacuteciseacutee dans la pratique La Cour EDH juge que lrsquoordre juridique irlandais ne comporte pas de recours effectif pour les griefs relatifs agrave la dureacutee excessive drsquoune proceacutedure La Cour EDH a consideacutereacute qursquoil y avait non seulement une violation du droit agrave un procegraves eacutequitable dans un deacutelai raisonnable (article 6 sect 1 de la Convention) du fait de la longueur excessive du recours devant la juridiction suprecircme irlandaise mais aussi une violation au droit agrave un recours effectif (article 13 de la Convention) en ce qursquoelle a du mal agrave admettre que lrsquoaction en reacuteparation pour atteinte au droit constitutionnel agrave ecirctre jugeacute avec diligence soit effectif en theacuteorie et en pratique Cour EDH (cinquiegraveme section) Keaney Irlande 30 avril 2020 ndeg7206017 (voir page 18)

Droit agrave la vie Art 2 (mateacuteriel) bull Obligations positives bull Autoriteacutes peacutenitentiaires intervenues rapidement pour effectivement empecirccher plusieurs tentatives de suicide Art 3 (mateacuteriel et proceacutedural) bull Traitement inhumain et deacutegradant bull Manque de soins psychiatriques prodigueacutes agrave un deacutetenu

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preacutesentant des tendances suicidaires bull Placement agrave lrsquoisolement pendant trois jours sans prise en compte de lrsquoeacutetat psychique du requeacuterant bull Absence drsquoenquecircte effective Dans une affaire qui concerne une personne atteinte de

troubles psychiques et ayant tenteacute de se suicider agrave plusieurs

reprises lors de ses placements en deacutetention preacuteventive dans une

prison belge la Cour EDH a estimeacute agrave la majoriteacute qursquoil nrsquoy

a pas eu violation de lrsquoarticle 2 de la Convention car les

mesures prises par les autoriteacutes ont effectivement permis

drsquoempecirccher que le requeacuterant se suicide

Toutefois la Cour EDH juge qursquoil y a eu violation de

lrsquoarticle 3 de la Convention du fait que le requeacuterant a eacuteteacute

soumis agrave une deacutetresse drsquoune intensiteacute ayant exceacutedeacute le niveau

ineacutevitable de souffrance inheacuterent agrave la deacutetention notamment en

raison du manque drsquoencadrement et de suivi meacutedical au cours

de sa deacutetention combineacute avec lrsquoinfliction drsquoune sanction

disciplinaire dans une cellule drsquoisolement Elle relegraveve

eacutegalement que lrsquoenquecircte meneacutee agrave ce propos nrsquoa pas eacuteteacute effective

Cour EDH (deuxiegraveme section) Jeanty Belgique 31 mars 2020 ndeg8228417 (voir page 21)

Art 2 (mateacuteriel) bull Recours agrave la force bull Blessures potentiellement mortelles causeacutees par les tirs de policiers pour arrecircter une tentative de vol bull Reacuteglementation impreacutecise sur lrsquousage des armes agrave feu bull Absence de recommandation sur la preacuteparation et le controcircle des opeacuterations de police bull Deacutefaillance dans la preacuteparation de lrsquointervention malgreacute sa preacutevisibiliteacute bull Absence de formation au maniement des armes agrave balles agrave caoutchouc Art 2 (proceacutedural) bull Enquecircte inefficace sur les circonstances des blessures subies deacutebuteacutee agrave la seule initiative de la victime et plus de huit mois apregraves les eacuteveacutenements bull Gestion non rigoureuse des preuves et de leur conservation bull Expertises pertinentes effectueacutees plus de trois et cinq ans apregraves les faits bull Absence de ceacuteleacuteriteacute de la proceacutedure ayant dureacute plus de neuf ans Dans le cadre drsquoune violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 2 de la Convention sur le droit agrave la vie la Cour EDH a pu juger que dans le contexte drsquoabsence de regraveglementation preacutecise sur lrsquousage des armes agrave feu et de deacutefaillances dans la preacuteparation de lrsquoopeacuteration de police le fonctionnaire de police en cause nrsquoavait pas pris les preacutecautions suffisantes pour preacuteserver la vie des personnes De plus la Cour EDH preacutecise que lrsquoenquecircte meneacutee dans le cadre de la proceacutedure engageacutee relativement agrave une opeacuteration de police ne peut passer pour avoir eacuteteacute rapide et effective lorsque le jugement deacutefinitif qui en deacutecoule est rendu plus de neuf ans et trois mois apregraves les faits Cour EDH (quatriegraveme section) Andreea-Marusia DumitruRoumanie 31 mars 2020 ndeg963716 (voir page 26)

Art 2 (substantiel) bull Usage aveugle et excessif de la force meurtriegravere lors dopeacuterations antieacutemeutes en prison meneacutees de maniegravere incontrocircleacutee et non systeacutematique sans chaicircne de commandement claire Usage de la force meurtriegravere justifieacute par une violence illeacutegale et un risque dinsurrection bull Absence de prise en compte par les autoriteacutes de moyens moins violents ou de la possibiliteacute de neacutegociations bull Mauvaise le traitement et lusage disproportionneacute de la force persistant apregraves la fin de lopeacuteration bull Incapaciteacute des autoriteacutes agrave fournir une assistance meacutedicale adeacutequate bull Incapaciteacute du gouvernement agrave rendre compte de chacun des deacutecegraves pertinents bull la confiance de la Cour dans tous les documents disponibles y compris les rapports des ONG lorsquil est empecirccheacute deacutetablir des faits pour des raisons imputables agrave lEacutetat Art 2 (proceacutedure) bull Enquecircte compromise par un lancement tardif un manque dindeacutependance et dimpartialiteacute une participation insuffisante des proches du deacutefunt et des retards prohibitifs dans la proceacutedure Dans une affaire de reacutepression dune eacutemeute dans une prison geacuteorgienne ayant conduit agrave la mort de plusieurs deacutetenus la Cour EDH conclut que ces derniers ont succombeacute agrave une force meurtriegravere qui bien qursquoayant poursuivi des buts leacutegitimes viseacutes agrave lrsquoarticle 2 de la Convention ne peut ecirctre consideacutereacutee comme ayant eacuteteacute laquo absolument neacutecessaire raquo au sens de cette mecircme disposition En effet lrsquoopeacuteration antieacutemeute nrsquoa pas eacuteteacute meneacutee de maniegravere controcircleacutee et systeacutematique et les agents des services reacutepressifs nrsquoont pas reccedilu drsquoordres ou drsquoinstructions clairs qui auraient viseacute agrave limiter autant que possible le risque qursquoil y ait des victimes Les autoriteacutes nrsquoont pas envisageacute de recourir agrave des moyens moins violents pour faire face agrave un incident de seacutecuriteacute par exemple la neacutegociation pour reacutesoudre la crise Cour EDH (cinquiegraveme section) Kukhalashvili et autres c Geacuteorgie 2 avril 2020 ndeg 893807 et 4189107 (voir page 29)

Egaliteacute de traitement Renvoi preacutejudiciel ndash Eacutegaliteacute de traitement en

matiegravere drsquoemploi et de travail ndash Directive

200078CE ndash Article 3 paragraphe 1 sous a)

article 8 paragraphe 1 et article 9 paragraphe 2

ndash Interdiction des discriminations fondeacutees sur

lrsquoorientation sexuelle ndash Conditions drsquoaccegraves agrave

lrsquoemploi ou au travail ndash Notion ndash Deacuteclarations

publiques excluant le recrutement de personnes

homosexuelles ndash Article 11 paragraphe 1 article

15 paragraphe 1 et article 21 paragraphe 1 de

la charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion

europeacuteenne ndash Deacutefense des droits ndash Sanctions ndash

Personne morale repreacutesentative drsquoun inteacuterecirct

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collectif ndash Qualiteacute pour agir en justice sans agir

au nom drsquoun plaignant deacutetermineacute ou en

lrsquoabsence de personne leacuteseacutee ndash Droit drsquoobtenir

reacuteparation

En reacuteponse agrave des questions preacutejudicielles de la Cour de

cassation italienne la Cour de justice estime drsquoune part que

des deacuteclarations insinuant une politique de recrutement

homophobe relegravevent de la notion de laquo conditions drsquoaccegraves agrave

lrsquoemploi ou au travail raquo degraves lors qursquoil existe un lien non

hypotheacutetique entre ces deacuteclarations et la politique de

recrutement de lrsquoemployeur Drsquoautre part elle a conclu que le

droit national peut preacutevoir qursquoune association a le droit drsquoagir

en justice pour assurer le respect des obligations de la directive

200078 mecircme si aucune personne leacuteseacutee nrsquoest identifiable

Cour de justice (grande chambre) NH Associazione Avvocatura per i diritti LGBTI ndash Rete Lenford 23 avril 2020 C-50718

(voir page 33)

Indeacutependance de la justice Reacutefeacutereacute ndash Article 279 TFUE ndash Demande de

mesures provisoires ndash Article 19 paragraphe 1

second alineacutea TUE ndash Indeacutependance de lrsquoIzba

Dyscyplinarna (chambre disciplinaire) du Sąd

Najwyższy (Cour suprecircme Pologne)

La Commission europeacuteenne a saisi la Cour de justice afin que

celle-ci ordonne la suspension des dispositions de la leacutegislation

nationale qui donne la compeacutetence agrave la chambre disciplinaire

de juger des affaires disciplinaires concernant les juges

polonais La Cour de justice reacutepond positivement agrave la

demande de la Commission europeacuteenne en justifiant que ces

dispositions porteraient atteinte agrave lrsquoindeacutependance de la justice

et ainsi seraient contraires agrave lrsquoEtat de droit et au droit de

lrsquoUnion

Ordonnance de la Cour de justice (grande

chambre) du 8 avril 2020 dans lrsquoaffaire

Reacutepublique de Pologne Commission europeacuteenne C-79119 R

(voir page 35)

Interdiction des traitements inhumains ou deacutegradants Article 3 (interdiction des traitements inhumains ou deacutegradants) Article 13 (droit agrave un recours effectif) La Cour EDH juge que le nouveau recours compensatoire mise en œuvre par les autoriteacutes russes est effectif lorsqursquoaucun autre recours nrsquoest neacutecessaire notamment dans tous les cas ougrave la deacutetention provisoire a pris fin et dans certaines situations ougrave la peine drsquoemprisonnement a eacuteteacute exeacutecuteacutee en violation des dispositions internes La Cour EDH deacuteclare ainsi les griefs des plusieurs requeacuterants irrecevables pour non-eacutepuisement des voies de recours internes En outre la Cour EDH demande aux parties de produire des observations suppleacutementaires afin

de clarifier la question de lrsquoeffectiviteacute des recours compensatoires dans le cas des recours preacuteventifs ouverts afin de permettre agrave ceux qui sont encore incarceacutereacutes de voir srsquoameacuteliorer leurs conditions de deacutetention Cour EDH (troisiegraveme section) Yevgeniy Mikhaylovich Shmelev et autres Russie 9 avril 2020 ndeg 4174317 et 16 autres (voir page 39)

Art 3 (volet mateacuteriel) bull Recours agrave la force bull Irruption drsquoune uniteacute drsquoeacutelite de la police au domicile drsquoun suspect au petit matin pour proceacuteder agrave son arrestation aux fins drsquoaudition dans le cadre drsquoune enquecircte peacutenale bull Neacutecessiteacute de garanties suffisantes face aux risques drsquoabus drsquoautoriteacute et de violation de la digniteacute humaine lors du recours dans un tel contexte aux forces speacuteciales bull Doutes sur lrsquoexistence de preacutecautions suffisantes bull Tribunaux ayant reconnu la leacutegitime deacutefense du requeacuterant qui avait frappeacute un policier cagouleacute en le prenant pour un cambrioleur bull Blessures reacutesultant de lrsquoemploi drsquoune force physique non rendue strictement neacutecessaire par le comportement du suspect La Cour EDH dans une affaire concernant lrsquointerpellation du requeacuterant par le GIPN estime que la France a violeacute lrsquoarticle 3 de la Convention En effet elle juge que lrsquoopeacuteration policiegravere nrsquoa pas eacuteteacute planifieacutee ni exeacutecuteacutee de maniegravere agrave respecter les garanties internes existantes et que lrsquousage de la force nrsquoeacutetait pas proportionneacute ni neacutecessaire pour permettre lrsquointerpellation du requeacuterant et ne se justifiait pas par son comportement Cour EDH (cinquiegraveme section) Castellani France 30 avril 2020 ndeg4320716 (voir page 42)

Libre circulation des travailleurs Renvoi preacutejudiciel ndash Article 45 TFUE ndash Seacutecuriteacute sociale des travailleurs migrants ndash Regraveglement (CE) ndeg8832004 ndash Article 1er sous i) ndash Libre circulation des travailleurs ndash Eacutegaliteacute de traitement ndash Avantages sociaux ndash Directive 200438CE ndash Article 2 point 2 ndash Regraveglement (UE) ndeg4922011 ndash Article 7 paragraphe 2 ndash Allocation familiale ndash Notion de ldquomembres de la famillerdquo ndash Exclusion de lrsquoenfant du conjoint de travailleurs non-reacutesidents ndash Diffeacuterence de traitement avec lrsquoenfant du conjoint de travailleurs reacutesidents ndash Justification Dans une affaire concernant le versement dallocations sociales luxembourgeoises agrave des travailleurs transfrontaliers franccedilais la Cour de justice a jugeacute quen vertu du principe deacutegaliteacute de traitement un Etat membre ne peut refuser de verser une allocation familiale pour lrsquoenfant du conjoint drsquoun travailleur frontalier sans lien de filiation avec celui-ci puisque cette allocation constitue un avantage social et une prestation de seacutecuriteacute sociale

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Cour de justice (sixiegraveme chambre) Caisse pour lavenir des enfants FV et GW 2 avril 2020 C-80218 (voir page 44)

Renvoi preacutejudiciel ndash Libre circulation des travailleurs ndash Regraveglement (UE) ndeg4922011 ndash Enfants de travailleurs frontaliers ndash Avantages sociaux ndash Systegraveme de remboursement des frais de transport scolaire ndash Condition de reacutesidence dans un Land ndash Exclusion des enfants scolariseacutes dans ce Land et reacutesidant dans un Eacutetat membre autre que celui de lrsquoeacutetablissement scolaire freacutequenteacute ndash Exclusion des ressortissants nationaux reacutesidant dans les autres Laumlnder Dans une affaire concernant le remboursement des frais de transports scolaires dun eacutelegraveve allemand reacutesidant en France et eacutetudiant en Allemagne la Cour de justice a jugeacute quune mesure permettant agrave un Land de soumettre la prise en charge du transport scolaire agrave une condition de reacutesidence dans ce Land constitue une discrimination indirecte agrave lrsquoencontre des travailleurs frontaliers et de leur famille En effet selon la Cour de justice une condition de reacutesidence ne peut ecirctre justifieacutee par une raison impeacuterieuse drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral tenant agrave lrsquoorganisation du systegraveme scolaire Cour de justice (neuviegraveme chambre) Landkreis Suumldliche WeinstraszligePF ea 2 avril 2020 C-83018 (voir page 48)

Non-discrimination Renvoi preacutejudiciel ndash Proceacutedure preacutejudicielle drsquourgence ndash Accord EEE ndash Non-discrimination ndash Article 36 ndash Libre prestation des services ndash Champ drsquoapplication ndash Accord entre lrsquoUnion europeacuteenne la Reacutepublique drsquoIslande et le Royaume de Norvegravege sur lrsquoassociation de ces deux Eacutetats agrave la mise en œuvre agrave lrsquoapplication et au deacuteveloppement de lrsquoacquis de Schengen ndash Accord relatif agrave la proceacutedure de remise entre les Eacutetats membres de lrsquoUnion europeacuteenne drsquoune part et lrsquoIslande et la Norvegravege drsquoautre part ndash Extradition vers un Eacutetat tiers drsquoun ressortissant islandais ndash Protection des ressortissants drsquoun Eacutetat membre contre lrsquoextradition ndash Absence de protection eacutequivalente des ressortissants drsquoun autre Eacutetat ndash Ressortissant islandais ayant obtenu lrsquoasile en vertu du droit national avant lrsquoacquisition de la citoyenneteacute islandaise ndash Restriction agrave la libre circulation ndash Justification fondeacutee sur la preacutevention de lrsquoimpuniteacute ndash Proportionnaliteacute ndash Veacuterification des garanties preacutevues agrave lrsquoarticle 19 paragraphe 2 de la Charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne Lorsqursquoun Eacutetat membre doit statuer sur une demande drsquoextradition issu drsquoun Eacutetat tiers et concernant un

ressortissant drsquoun Eacutetat de lrsquoAssociation europeacuteenne de libre-eacutechange (AELE) partie agrave lrsquoaccord sur lrsquoEspagne eacuteconomique europeacuteen (EEE) il lui incombe de veacuterifier que ce ressortissant ne sera pas soumis agrave la peine de mort agrave la torture ou agrave des peines ou traitements inhumains ou deacutegradants De plus avant drsquoenvisager drsquoexeacutecuter la demande drsquoextradition la Cour de justice preacutecise que lrsquoEacutetat membre doit en informer lrsquoEacutetat de lrsquoAELE pour permettre agrave celui-ci de solliciter la remise de son ressortissant Cour de justice (grande chambre) Ruska Federacija 2 avril 2020 C-89719 PPU (voir page 50)

Renvoi preacutejudiciel ndash Libre circulation des personnes ndash Article 21 TFUE ndash Principe de non-discrimination en raison de la nationaliteacute ndash Article 18 TFUE ndash Convention preacuteventive de la double imposition ndash Travailleurs du secteur public ndash Pensionneacute reacutesidant dans un Eacutetat membre autre que celui lui versant une pension de retraite et ne posseacutedant pas la nationaliteacute de lrsquoEacutetat membre de reacutesidence ndash Impocirct sur le revenu ndash Preacutetendue perte drsquoavantages fiscaux ndash Preacutetendue entrave agrave la liberteacute de circulation et preacutetendue discrimination La Cour de justice par cet arrecirct a jugeacute que le reacutegime fiscal italien reacutesultant de la convention italo-portugaise contre la double imposition sur les revenus nrsquoenfreint pas les principes de libre circulation et de non-discrimination Les retraiteacutes du secteur priveacute et du secteur public peuvent donc ecirctre soumis agrave des reacuteglementations fiscales nationales diffeacuterentes Cour de justice (huitiegraveme chambre) HB et IC Istituto nazionale della previdenza sociale

30 avril 2020 C-16819 et C-16919

(voir page 54)

Protection de la seacutecuriteacute et de la santeacute des travailleurs Renvoi preacutejudiciel ndash Politique sociale ndash Protection de la seacutecuriteacute et de la santeacute des travailleurs ndash Directive 200388CE ndash Champ drsquoapplication ndash Deacuterogation ndash Article 1er paragraphe 3 ndash Directive 89391CEE ndash Article 2 paragraphe 2 ndash Activiteacutes des forces drsquointervention de la police

Dans une affaire qui concerne lrsquoameacutenagement du temps de

travail drsquoun membre de la police drsquointervention de la Hongrie

la Cour de justice juge que la directive 200388CE sur le

temps de travail srsquoapplique aux agents de la police

drsquointervention hongroise assurant la surveillance des frontiegraveres

exteacuterieures de lrsquoespace Schengen dans le contexte de la crise

migratoire La Cour de justice rappelle que ces activiteacutes

peuvent neacuteanmoins eacutechapper aux regravegles de la directive dans

des circonstances drsquoune graviteacute et drsquoune ampleur

exceptionnelles

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Cour de justice (dixiegraveme chambre) UO Keacuteszenleacuteti Rendőrseacuteg 30 avril 2020 C-21119 (voir page 55)

Protection internationale Manquement drsquoEacutetat ndash Deacutecisions (UE)

20151523 et (UE) 20151601 ndash Article 5

paragraphes 2 et 4 agrave 11 de chacune de ces

deacutecisions ndash Mesures provisoires en matiegravere de

protection internationale au profit de la

Reacutepublique helleacutenique et de la Reacutepublique

italienne ndash Situation drsquourgence caracteacuteriseacutee par

un afflux soudain de ressortissants de pays tiers

sur le territoire de certains Eacutetats membres ndash

Relocalisation de ces ressortissants sur le

territoire des autres Eacutetats membres ndash Proceacutedure

de relocalisation ndash Obligation pour les Eacutetats

membres drsquoindiquer agrave intervalles reacuteguliers et

au moins tous les trois mois le nombre de

demandeurs de protection internationale

pouvant faire rapidement lrsquoobjet drsquoune

relocalisation sur leur territoire ndash Obligations

conseacutecutives conduisant agrave la relocalisation

effective ndash Inteacuterecircts des Eacutetats membres lieacutes agrave la

seacutecuriteacute nationale et agrave lrsquoordre public ndash

Possibiliteacute pour un Eacutetat membre drsquoinvoquer

lrsquoarticle 72 TFUE pour ne pas appliquer des

actes du droit de lrsquoUnion ayant un caractegravere

obligatoire

La Cour de justice a jugeacute que la Pologne la Hongrie et la

Reacutepublique tchegraveque avaient manqueacute aux obligations leur

incombant en vertu des deacutecisions 20151523 et

20151601 Ces Eacutetats membres auraient ducirc relocaliser sur

leurs territoires un nombre approprieacute de demandeurs de

protection internationale

Cour de justice (troisiegraveme chambre) affaires

jointes Commission Pologne Commission Hongrie et Commission Reacutepublique Tchegraveque 2 avril 2020 C-71517 C-71817 et C-

71917

(voir page 58)

Vie priveacutee et familiale Art 8 - Respect de la vie priveacutee - Preacutelegravevement dun eacutechantillon dADN de la salive du demandeur dans le cadre dune enquecircte preacuteliminaire - Approbation du demandeur obtenue par la menace de la force - Absence de preacutevisibiliteacute de la loi - Aucune reacutefeacuterence agrave des dispositions leacutegales speacutecifiques dans lordonnance autorisant la police agrave preacutelever leacutechantillon - Aucune reacutefeacuterence speacutecifique dans la loi au preacutelegravevement dun eacutechantillon dADN - Neacutecessiteacute dune reacuteglementation plus

stricte deacutemontreacutee par des dispositions plus deacutetailleacutees dans la leacutegislation reacutecente - Respect du domicile - Perquisition au domicile du demandeur fondeacutee sur des motifs adeacutequats et suffisants et accompagneacutee de garanties efficaces Dans une affaire concernant la reacutealisation dune perquisition par la police au domicile du requeacuterant et le preacutelegravevement dun eacutechantillon dADN dans le cadre dune enquecircte pour meurtre en Serbie la Cour EDH a jugeacute que ce preacutelegravevement constituait une violation de larticle 8 de la Convention contrairement agrave la perquisition Elle considegravere en effet quil neacutetait pas laquo preacutevu par la loi raquo au sens de larticle 8 Elle preacutecise que la version du code de proceacutedure peacutenale serbe qui eacutetait en vigueur agrave lrsquoeacutepoque des faits disposait que des preacutelegravevements sanguins ou laquo drsquoautres proceacutedures meacutedicales raquo pouvaient ecirctre reacutealiseacutes Cour EDH (quatriegraveme section) Dragan Petrovic Serbie ndeg 7522910 (voir page 62)

Partie II Conclusions des avocats geacuteneacuteraux Aides drsquoEtat Pourvoi ndash Aide drsquoEacutetat ndash Reacutegime drsquoaide relatif agrave

lrsquoacquisition subventionneacutee ou agrave la mise agrave

disposition agrave titre gracieux de zones naturelles

ndash Deacutecision deacuteclarant lrsquoaide compatible avec le

marcheacute inteacuterieur ndash Notion de ldquopartie

inteacuteresseacuteerdquo ndash Difficulteacutes seacuterieuses

LrsquoAvocat geacuteneacuteral propose agrave la Cour de justice de rejeter le moyen des requeacuterantes selon lequel le Tribunal a commis une erreur de droit en consideacuterant comme partie inteacuteresseacutee les requeacuterants au recours formeacute devant le Tribunal En outre lrsquoAvocat geacuteneacuteral estime que la Cour de justice devrait accueillir le second moyen des requeacuterantes puisque le raisonnement du Tribunal relatif agrave lrsquoincompleacutetude de lrsquoexamen par la Commission europeacuteenne de la deacutefinition du SIEG drsquoune part est entacheacute drsquoune erreur de droit et souffre drsquoautre part drsquoune insuffisance de motivation Conclusions de lrsquoAvocat geacuteneacuteral M Szpunar

preacutesenteacutees le 2 avril 2020 dans lrsquo affaire

Vereniging tot Behoud van Natuurmonumenten in Nederland et autres

Vereniging Gelijkberechtiging Grondbezitters et autres C-81718

(voir page 65)

Coopeacuteration judiciaire en matiegravere civile Proceacutedure preacutejudicielle ndash Regraveglement (UE)

ndeg12152012 ndash Compeacutetence judiciaire en

matiegravere de responsabiliteacute deacutelictuelle ou quasi

deacutelictuelle ndash Lieu du fait dommageable ndash

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Manipulation des valeurs drsquoeacutemission de gaz

dans les moteurs de veacutehicules automobiles

LrsquoAvocat geacuteneacuteral Campos Saacutenchez-Bordona estime que les acqueacutereurs de veacutehicules eacutequipeacutes drsquoun moteur Volkswagen sur lesquels ont eacuteteacute installeacutes un logiciel de manipulation relatif aux gaz drsquoeacutechappements ayant pour conseacutequence la diminution de la valeur desdits veacutehiculespeuvent attraire une entreprise devant les juridictions de lrsquoEacutetat dans lequel ces veacutehicules ont eacuteteacute acheteacutes Conclusions de lrsquoAvocat geacuteneacuteral M Manuel Campos Saacutenchez-Bordona preacutesenteacutees le 2 avril 2020 dans lrsquoaffaire Verein fuumlr KonsumenteninformationVolkswagen AG C-34319 (voir page 68)

Environnement Renvoi preacutejudiciel ndash Rapprochement des leacutegislations ndash Regraveglement (CE) ndeg 7152007 ndash Veacutehicules agrave moteur ndash Eacutemissions de polluants ndash Dispositif drsquoinvalidation ndash Programme agissant sur le calculateur de controcircle moteur ndash Technologies et strateacutegies permettant de limiter la production des eacutemissions de polluants ndash Moteur diesel LrsquoAvocate geacuteneacuterale Sharpston est drsquoavis qursquoun dispositif qui influe agrave la hausse lors des tests drsquohomologation des veacutehicules agrave moteur diesel sur le fonctionnement du systegraveme de controcircle des eacutemissions de ces veacutehicules constitue un laquo dispositif drsquoinvalidation raquo prohibeacute par le droit de lrsquoUnion europeacuteenne Plus speacutecifiquement lrsquoobjectif de ralentissement du vieillissement ou de lrsquoencrassement du moteur ne justifie pas le recours agrave un tel dispositif Conclusions de lrsquoAvocate geacuteneacuterale Mme Eleanor Sharpston preacutesenteacutees le 30 avril 2020 dans lrsquoaffaire CLCE ea (Dispositif drsquoinvalidation sur moteur diesel) C-99318 (voir page 71)

Liberteacute drsquoeacutetablissement Renvoi preacutejudiciel ndash Liberteacute drsquoeacutetablissement ndash Directive 2006123CE ndash Champ drsquoapplication ndash Location de biens meubleacutes de maniegravere reacutepeacuteteacutee pour de courtes dureacutees agrave une clientegravele de passage qui nrsquoy eacutelit pas domicile ndash Reacuteglementation nationale et reacuteglementation municipale soumettant une telle location agrave une autorisation preacutealable et agrave compensation ndash Justification ndash Objectif visant agrave garantir une offre suffisante de logements agrave des prix abordables et destineacutes agrave la location de longue dureacuteemdash Proportionnaliteacute LrsquoAvocat geacuteneacuteral srsquoest prononceacute sur des questions preacutejudicielles poseacutees par la Cour de cassation dans un litige opposant des proprieacutetaires de studio agrave Paris agrave la ville de Paris Il propose agrave la Cour de justice de juger que la directive 2006123 srsquoapplique agrave des dispositions nationales et municipales encadrant lrsquoaccegraves agrave un service qui consiste agrave louer

de maniegravere reacutepeacuteteacutee et pour de courtes dureacutees un local agrave usage drsquohabitation agrave une clientegravele de passage Lrsquoobjectif tenant agrave la lutte contre la peacutenurie de logements peut constituer une raison impeacuterieuse drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral qui justifierait le fait que la mesure nationale exige lrsquoobtention drsquoune autorisation Une telle mesure nationale est autoriseacutee par la directive 2006123 si elle reacutepond aux conditions de proportionnaliteacute et de non-discrimination Conclusions de lrsquoAvocat geacuteneacuteral M Bobek preacutesenteacutees le 2 avril 2020 dans les affaires jointes Cali Apartments SCI Procureur geacuteneacuteral pregraves de la cour drsquoappel de Paris Ville de Paris et HX Procureur geacuteneacuteral pregraves de la cour drsquoappel de Paris Ville de Paris C-72418 et C-72718 (voir page 76)

Partie III Questions preacutejudicielles

Libre prestation de services Affaire preacutejudicielle 31 janvier 2020 Fluctus et Fluentum C-92019 Juridiction de renvoi Landesverwaltungsgericht Steiermark (Autriche) (voir page 81)

Marcheacute inteacuterieur Affaire preacutejudicielle 31 janvier 2020 Ministerstwo Sprawiedliwości C-5520 Juridiction de renvoi Sąd Dyscyplinarny Izby Adwokackiej w Warszawie (Pologne) (voir page 81)

Protection des consommateurs Affaire preacutejudicielle 7 feacutevrier 2020 KRONE ndash Verlag Gesellschaft mbH amp Co KG C-6520 Juridiction de renvoi Oberster Gerichtshof (Autriche) (voir page 82)

Affaire preacutejudicielle 26 feacutevrier 2020 StWL Staumldtische Werke Lauf ad Pegnitz GmbH C-10220 Juridiction de renvoi Bundesgerichtshof (Allemagne) (voir page 82)

Santeacute publique Affaire preacutejudicielle 24 feacutevrier 2020 Ordine Nazionale Biologi e a C-9620 Juridiction de renvoi Corte suprema di cassazione (Italie) (voir page 83)

Partie IV Informations diverses Aides drsquoEtat Article 107 paragraphe 3 TFUE

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La Commission europeacuteenne a adopteacute une modification eacutetendant lrsquoencadrement temporaire adopteacute le 19 mars 2020 afin de permettre aux Eacutetats membres drsquoacceacuteleacuterer la recherche la mise agrave lrsquoessai et la fabrication de produits utiles pour combattre le coronavirus de proteacuteger les emplois et de soutenir drsquoavantage lrsquoeacuteconomie dans le contexte du COVID-19 Lrsquoencadrement temporaire modifieacute complegravete les nombreuses possibiliteacutes dont disposent deacutejagrave les Eacutetats membres pour atteacutenuer les reacutepercussions socio-eacuteconomiques de la flambeacutee de COVID-19 conformeacutement aux regravegles de lrsquoUnion europeacuteenne en matiegravere drsquoaides drsquoEacutetat Communication de la Commission europeacuteenne Modification de lrsquoencadrement temporaire des mesures drsquoaide drsquoEacutetat visant agrave soutenir lrsquoeacuteconomie dans le contexte actuel de la flambeacutee de COVID-19 3 avril 2020 C(2020) 2215

(voir page 83)

Article 107 paragraphe 3 TFUE Par sa deacutecision du 20 avril 2020 la Commission europeacuteenne a autoriseacute le reacutegime-cadre franccedilais visant agrave soutenir les PME ainsi que les grandes entreprises toucheacutees par la pandeacutemie de coronavirus Ce reacutegime dun montant de 7 milliards drsquoeuros a eacuteteacute autoriseacute en vertu de lencadrement temporaire des aides dEacutetat adopteacute par la Commission le 19 mars 2020 tel que modifieacute le 3 avril 2020 Deacutecision de la Commission europeacuteenne COVID-19 Reacutegime cadre temporaire pour le soutien aux entreprises en France 20 avril 2020 C(2020) 2595 (voir page 85)

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Partie I - Jurisprudences de la CJUE et de la CEDH

Accegraves agrave un tribunal

Cour EDH (troisiegraveme section) Dos Santos Calado et autres Portugal 31 mars 2020 ndeg5599714 6814316 7884116 et 370617

Reacutesumeacute La Cour EDH estime que le Tribunal constitutionnel portugais a priveacute plusieurs requeacuterants de leur droit drsquoaccegraves agrave un tribunal et a ainsi violeacute lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention Dans deux des requecirctes celui-ci a fait preuve drsquoun formalisme excessif dans lrsquoapplication des dispositions leacutegislatives fondant sa compeacutetence agrave connaicirctre des recours introduits devant lui Les requecirctes concernent toutes lrsquoirrecevabiliteacute de recours introduits par les requeacuterants devant le Tribunal constitutionnel portugais Les requecirctes no 5599714 et 6814316 concernent aussi un deacutefaut alleacutegueacute drsquoimpartialiteacute du comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel Requecircte ndeg 5599714 (Dos Santos Calado) La requeacuterante a contesteacute le montant de sa pension de retraite devant les juridictions administratives qui ont rejeteacute ses preacutetentions par un jugement du tribunal administratif de Lisbonne du 4 mai 2012 confirmeacute par un arrecirct du tribunal central administratif du Sud rendu en 2013 Elle a alors saisi la Cour suprecircme administrative drsquoun pourvoi en cassation mais celui-ci a eacuteteacute deacuteclareacute irrecevable par un arrecirct du 12 septembre 2013 Le 25 septembre 2013 la requeacuterante a formeacute un recours devant le Tribunal constitutionnel En deacutecembre 2013 ce dernier statuant en formation de juge unique a deacuteclareacute irrecevable le recours formeacute par la requeacuterante Par un arrecirct du 12 feacutevrier 2014 un comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel composeacute entre autres du juge JCM a rejeteacute lrsquoopposition formeacute par la requeacuterante contre la deacutecision du Tribunal constitutionnel Requecircte ndeg 6814316 (Amador de Faria e Silva et autres) Les requeacuterants qui eacutetaient des agents de la Direction geacuteneacuterale des routes au moment des faits exerccedilaient de fait les fonctions drsquoinspecteur En octobre 2005 ils ont engageacute devant le tribunal administratif et fiscal une action contre le ministegravere des Finances et le ministegravere de lrsquoInteacuterieur par laquelle ils ont demandeacute la deacuteclaration drsquoune situation drsquoilleacutegaliteacute par omission en raison de lrsquoabsence de reacuteglementation de leurs carriegraveres Par un jugement du 2 octobre 2013 le tribunal a fait droit agrave la demande des requeacuterants et de leurs collegravegues Les ministegraveres deacutefendeurs ont ensuite interjeteacute appel du jugement devant le tribunal central administratif du Nord qui a annuleacute la partie du jugement concernant les requeacuterants Le 11 novembre 2015 la Cour suprecircme administrative a deacuteclareacute irrecevable

Art 35 sect 1 bull Eacutepuisement des voies de recours internes bull Neacutecessiteacute drsquointroduire un recours devant le Tribunal constitutionnel dans toute affaire soulevant une question tireacutee drsquoune inconstitutionnaliteacute ou interpreacutetation normative bull Recours constitutionnel ne soulevant aucune question drsquoinconstitutionnaliteacute sans pertinence pour le calcul du deacutelai de six mois bull Neacutecessiteacute de former une opposition devant un comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel contre la deacutecision sommaire drsquoirrecevabiliteacute drsquoun recours constitutionnel rendue par un juge unique Art 6 sect 1 bull Accegraves agrave un tribunal bull Tribunal constitutionnel ayant fait preuve drsquoun formalisme excessif en deacuteclarant irrecevables des recours constitutionnels pour non-respect des conditions leacutegales bull Irrecevabiliteacute drsquoun recours faute pour le requeacuterant drsquoavoir souleveacute une inconstitutionnaliteacute tireacutee drsquoune interpreacutetation normative ne portant pas atteinte agrave la substance du droit drsquoaccegraves agrave un tribunal Art 6 sect 1 bull Tribunal impartial bull Preacutesence du juge ayant rendu la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute attaqueacutee dans la composition du comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel bull Inapplicabiliteacute des principes de lrsquoimpartialiteacute objective le comiteacute de trois juges nrsquoeacutetant pas une entiteacute agrave part entiegravere et

autonome

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le recours des requeacuterants au motif que lrsquoaffaire ne soulevait pas de question drsquointeacuterecirct juridique ou social drsquoimportance fondamentale Les requeacuterants ont alors introduit un recours devant le Tribunal constitutionnel Par une deacutecision sommaire du 15 mars 2016 rendue par le juge JCM sieacutegeant en formation de juge unique le Tribunal constitutionnel a deacuteclareacute ce recours irrecevable Cette deacutecision a eacuteteacute confirmeacutee par le comiteacute des trois juges dont faisait partie le juge JCM Requecircte ndeg 7884116 (Antunes Cardoso) En juin 2014 le requeacuterant a eacuteteacute condamneacute par tribunal de Tondela pour fraude aggraveacutee Il a ensuite interjeteacute appel contre cette deacutecision devant la cour drsquoappel de Coimbra en se plaignant drsquoune atteinte au principe non bis in idem Le requeacuterant alleacuteguait qursquoil avait eacuteteacute acquitteacute le 27 feacutevrier 2013 par le tribunal de Taacutebua du chef drsquoassociation de malfaiteurs pour certains des faits qui avaient fondeacute sa condamnation pour fraude qualifieacutee par le tribunal de Tondela Par un arrecirct du 9 septembre 2015 la cour drsquoappel a rejeteacute lrsquoappel du requeacuterant car elle a consideacutereacute que les infractions drsquoassociation de malfaiteurs et de fraude qualifieacutee eacutetaient deux infractions distinctes Le requeacuterant a preacutesenteacute alors un recours devant le Tribunal constitutionnel qui a eacuteteacute deacuteclareacute irrecevable au motif qursquoil concernait la condamnation du requeacuterant et non une inconstitutionnaliteacute normative Le 8 juin 2016 le comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel a confirmeacute cette deacutecision Requecircte ndeg 370617 (Da Silva) Par un jugement du 23 octobre 2015 le tribunal de Lisbonne a condamneacute le requeacuterant agrave trois ans et deux mois drsquoemprisonnement avec sursis pour violence domestique Le requeacuterant a interjeteacute appel en contestant entre autres lrsquoeacutetablissement des faits qui avait abouti agrave sa condamnation ainsi que lrsquointerpreacutetation de la loi Il alleacuteguait eacutegalement que lrsquoaction publique ouverte agrave son eacutegard pour les faits de violence domestique eacutetait prescrite et que sa condamnation avait porteacute atteinte au principe de non-reacutetroactiviteacute de la loi peacutenale ainsi qursquoau principe de la preacutesomption drsquoinnocence Cet appel a eacuteteacute rejeteacute et le requeacuterant a ainsi deacuteposeacute un recours devant le Tribunal constitutionnel Par une deacutecision sommaire du 17 juin 2016 le Tribunal constitutionnel sieacutegeant en une formation de juge unique a deacuteclareacute irrecevable le recours constitutionnel introduit par le requeacuterant Ce dernier nrsquoa pas formeacute opposition contre cette deacutecision devant le comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel Par leurs requecirctes introduites devant la Cour EDH le 6 aoucirct 2014 le 2 novembre 2016 et les 7 et 12 deacutecembre 2016 les requeacuterants se plaignaient drsquoune atteinte agrave leur droit drsquoaccegraves agrave un tribunal garanti par lrsquoarticle 6 sect 1 et srsquoagissant des requeacuterants des requecirctes no 5599714 et 6814316 de leur droit agrave un procegraves eacutequitable

1) Sur la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention en raison du manque drsquoaccegraves agrave un tribunal (grief commun agrave toutes les requecirctes)

o Requecircte no 370617 (Da Silva)

Le Gouvernement excipe du non-eacutepuisement des voies de recours internes en ce qui concerne la requecircte no 370617 Il argue que le requeacuterant a omis de former une opposition devant le comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel contre la deacutecision sommaire drsquoirrecevabiliteacute de son recours constitutionnel Le requeacuterant conteste cette exception souleveacutee par le Gouvernement alleacuteguant que la reacuteclamation devant le comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel ne peut ecirctre consideacutereacutee comme une voie de recours effective eacutetant donneacute qursquoil srsquoagit drsquoun recours hieacuterarchique La Cour EDH considegravere que lrsquoopposition devant le comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel contre la deacutecision sommaire litigieuse constituait un recours effectif au sens de lrsquoarticle 35 sect 1 de la Convention pour remeacutedier au grief tireacute du deacutefaut drsquoaccegraves agrave un tribunal souleveacute devant elle Elle note que lrsquoopposition est un moyen de contester les deacutecisions prises par le rapporteur drsquoune formation judiciaire colleacutegiale afin drsquoobtenir une reconsideacuteration de la question et qursquoun tel meacutecanisme aurait permis au requeacuterant de reacuteagir contre la deacutecision litigieuse

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La Cour EDH deacuteclare ainsi la requecircte no 370617 irrecevable pour non-eacutepuisement des voies de recours internes en application de lrsquoarticle 35 sectsect 1 et 4 de la Convention

o Requecircte no 5599714 (Dos Santos Calado c Portugal) La requeacuterante se plaint de lrsquoirrecevabiliteacute de la partie de son recours formeacute devant le Tribunal constitutionnel qui se fondait sur lrsquoilleacutegaliteacute de la norme litigeuse La Cour EDH note que par une deacutecision sommaire du 10 deacutecembre 2013 confirmeacutee par un arrecirct du comiteacute de trois juges du 6 deacutecembre 2014 cette partie de son recours a eacuteteacute deacuteclareacutee irrecevable au motif que dans son meacutemoire de recours la requeacuterante srsquoeacutetait uniquement fondeacutee sur lrsquoalineacutea b) de lrsquoarticle 70 sect 1 de la loi organique sur le tribunal constitutionnel (laquo LOTC raquo) qui preacutevoit le motif de recours tireacute de lrsquoinconstitutionnaliteacute normative alors qursquoelle aurait ducirc se fonder sur lrsquoalineacutea f) de cette disposition La Cour EDH relegraveve que cette restriction appliqueacutee agrave lrsquoaccegraves au Tribunal constitutionnel est leacutegale car elle est preacutevue par la LOTC Elle relegraveve eacutegalement que la restriction poursuivait un but leacutegitime agrave savoir le respect de la preacuteeacuteminence du droit et la bonne administration de la justice constitutionnelle Neacuteanmoins la Cour EDH considegravere que cette restriction nrsquoest pas proportionneacutee au but leacutegitime poursuivi eu eacutegard aux circonstances de lrsquoespegravece Elle note que lrsquoirrecevabiliteacute de la deuxiegraveme partie du recours srsquoest fondeacutee uniquement sur une omission reacutedactionnelle concernant un moyen de recours qui ressortait pourtant de faccedilon claire et eacutevidente du meacutemoire en recours de la requeacuterante La Cour EDH estime qursquoune telle approche est excessivement formaliste en ce qursquoelle a conduit agrave priver la requeacuterante drsquoune voie de recours offerte par le droit interne A titre subsidiaire la Cour EDH note que le Tribunal constitutionnel aurait pu inviter la requeacuterante agrave corriger lrsquoomission comme le preacutevoit la LOTC puisque le moyen ressortait clairement de son meacutemoire Par conseacutequent il y a eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention en raison du deacutefaut drsquoaccegraves de la requeacuterante agrave un tribunal

o Requecircte no 6814316 (Amador de Faria e Silva et autres c Portugal) La Cour EDH note tout drsquoabord que le recours des requeacuterants devant le Tribunal constitutionnel a eacuteteacute deacuteclareacute irrecevable par une deacutecision sommaire de celui-ci le 15 mars 2016 confirmeacutee par un arrecirct du comiteacute de trois juges du 4 mai 2016 au motif que les requeacuterants nrsquoavaient pas souleveacute lrsquoinconstitutionnaliteacute alleacutegueacutee devant le tribunal central administratif du Nord faisant ainsi deacutefaut agrave lrsquoobligation qui leur revenait en vertu des articles 70 et 72 sect 2 de la LOTC Si la Cour EDH admet que cette obligation srsquoexplique par le fait que le Tribunal constitutionnel nrsquointervient qursquoen dernier ressort elle constate toutefois que les requeacuterants ont bien souleveacute une inconstitutionnaliteacute en raison de la diffeacuterence de traitement qui existait entre les agents des reacutegions autonomes de Madegravere et des Accedilores et du continent dans le cadre de leur meacutemoire en reacuteponse aux ministegraveres Neacuteanmoins le tribunal central administratif du Nord nrsquoa pas retenu cette question et a opeacutereacute une distinction entre deux cateacutegories drsquoagents drsquoune part les inspecteurs de carriegraveres et drsquoautre part les agents exerccedilant des fonctions drsquoinspecteur sans inteacutegrer pour autant la carriegravere drsquoinspecteur au sein de lrsquoadministration La Cour EDH est en deacutesaccord avec le raisonnement du Tribunal constitutionnel selon lequel les requeacuterants auraient eacuteteacute en mesure de soulever la question drsquoinconstitutionnaliteacute normative dont ils se plaignaient devant le tribunal central administratif du Nord puisqursquoelle eacutetait deacutejagrave ressortie drsquoun arrecirct rendu par la Cour suprecircme dans une autre affaire Elle relegraveve qursquoil srsquoagissait drsquoune affaire devant la Cour suprecircme qui ne concernait pas les requeacuterants De plus la Cour EDH relegraveve que lrsquoarrecirct en cause avait eacuteteacute rendu quelques mois avant le jugement du tribunal administratif et fiscal de Coimbra qui leur avait eacuteteacute favorable et nrsquoavait en outre fait aucune distinction entre les cateacutegories drsquoagents La Cour EDH conclut que le Tribunal constitutionnel a fait preuve drsquoun formalisme excessif ce qui lrsquoa priveacute de la possibiliteacute drsquoexaminer au fond la question de lrsquoinconstitutionnaliteacute Il y a donc eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention

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o Requecircte no 7884116 (Antunes Cardoso)

La Cour EDH constate que par une deacutecision sommaire du Tribunal constitutionnel du 4 mai 2016 confirmeacutee par un arrecirct du comiteacute de trois juges du 8 juin 2016 le recours constitutionnel du requeacuterant a eacuteteacute deacuteclareacute irrecevable au motif que le requeacuterant nrsquoavait pas souleveacute une inconstitutionnaliteacute normative ou une inconstitutionnaliteacute concernant lrsquointerpreacutetation drsquoune norme La Cour EDH relegraveve que le requeacuterant soulevait une atteinte au principe non bis in idem dans le cadre de son recours devant le Tribunal constitutionnel Elle estime que lrsquointerpreacutetation normative qursquoil deacutenonccedilait se rapportait agrave la maniegravere dont les tribunaux de premiegravere et deuxiegraveme instance avaient appliqueacute les dispositions du code peacutenal sanctionnant les infractions drsquoassociation de malfaiteurs et de fraude qualifieacutee Le recours du requeacuterant portait donc bien essentiellement sur lrsquoexamen des faits qui lui eacutetaient reprocheacutes et aucun critegravere normatif au sens de la jurisprudence du Tribunal constitutionnel nrsquoeacutetait donc mis en cause en lrsquoespegravece La Cour EDH juge ainsi qursquoil nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention

2) Sur la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention en raison du deacutefaut drsquoimpartialiteacute du comiteacute de trois juges du tribunal constitutionnel (grief speacutecifique aux requecirctes no 5599714 et 6814316)

Les requeacuterants des requecirctes no 5599714 et 6814316 se plaignaient du deacutefaut drsquoimpartialiteacute du comiteacute de trois juge du Tribunal constitutionnel en raison de la preacutesence drsquoun juge dans cette instance qui avait deacutejagrave rendu la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute attaqueacutee et eacutetait en outre le juge rapporteur La Cour EDH note que les requeacuterants ne mettent en doute que lrsquoimpartialiteacute objective du comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel Elle estime que les principes tireacutes de sa jurisprudence concernant lrsquoimpartialiteacute objective ne sauraient ecirctre appliqueacutes agrave la preacutesente affaire eacutetant donneacute la nature de lrsquointervention du comiteacute de trois juges dans le cadre drsquoune opposition En effet le comiteacute de trois juges est lrsquoinstance statuant deacutefinitivement sur la question de la recevabiliteacute drsquoun recours constitutionnel La deacutecision sommaire adopteacutee par le juge rapporteur nrsquoest donc qursquoune eacutetape preacutealable qui ne deviendrait deacutefinitive que si lrsquointeacuteresseacute ne forme pas drsquoopposition contre elle La proceacutedure devant le juge rapporteur fait ainsi entiegraverement partie de la proceacutedure drsquoadmissibiliteacute des recours constitutionnels le comiteacute de trois juges nrsquoest donc pas une entiteacute agrave part entiegravere et autonome appeleacutee agrave se prononcer sur la question litigieuse Par conseacutequence la Cour EDH juge que les griefs tireacutes du deacutefaut drsquoimpartialiteacute du comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel sont manifestement mal fondeacutes et qursquoils doivent ecirctre rejeteacutes en application de lrsquoarticle 35 sectsect 3 a) et 4 de la Convention PAR CES MOTIFS LA COUR

1 Deacutecide agrave lrsquounanimiteacute de joindre les requecirctes 2 Deacuteclare agrave lrsquounanimiteacute les requecirctes no 5599714 6814316 et 7884116 recevables et la requecircte

no 370617 irrecevable srsquoagissant du grief tireacute du droit drsquoaccegraves agrave un tribunal 3 Deacuteclare agrave la majoriteacute les requecirctes no 5599714 et 6814314 irrecevables srsquoagissant du grief tireacute

du manque drsquoimpartialiteacute du comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel 4 Dit agrave lrsquounanimiteacute qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention en raison de lrsquoatteinte

au droit drsquoaccegraves des requeacuterants des requecirctes ndeg 5599714 et 6814316 5 Dit agrave lrsquounanimiteacute qursquoil nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention en raison de

lrsquoatteinte au droit drsquoaccegraves du requeacuterant de la requecircte ndeg 7884116 6 Dit agrave lrsquounanimiteacute

a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser agrave chacun des requeacuterants srsquoagissant des requecirctes ndeg 5599714 et 6814316 dans un deacutelai de trois mois agrave compter de la date agrave laquelle lrsquoarrecirct sera devenu deacutefinitif conformeacutement agrave lrsquoarticle 44 sect 2 de la Convention 3 300 EUR (trois mille trois cents euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc sur cette somme agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage

7 Rejette agrave lrsquounanimiteacute le surplus de la demande de satisfaction eacutequitable

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Aides drsquoEacutetat

Cour de justice (deuxiegraveme chambre) Nelson Antunes da Cunha Lda Instituto de Financiamento da Agricultura e Pescas IP (IFAP) 30 avril 2020 C-62718

Reacutesumeacute La Cour de justice agrave la suite de questions preacutejudicielles poseacutees par une juridiction portugaise interpregravete lrsquoarticle 17

paragraphe 1 du regraveglement 20151589 en ce sens que le deacutelai de prescription de dix ans ne pourra pas ecirctre appliqueacute agrave la proceacutedure

de reacutecupeacuteration drsquoune aide illeacutegale par les autoriteacutes nationales compeacutetentes Ce deacutelai de prescription de dix ans ne srsquoapplique qursquoaux

rapports entre la Commission europeacuteenne et lrsquoEtat membre destinataire de la deacutecision de reacutecupeacuteration Elle estime aussi qursquoun deacutelai

de prescription national ne srsquoappliquera pas srsquoil a expireacute avant lrsquoadoption de la deacutecision de la Commission europeacuteenne ou srsquoil srsquoest

eacutecouleacute en raison du retard mis par les autoriteacutes nationales pour exeacutecuter cette deacutecision

Les 8 avril et 7 juillet 1993 Nelson Antunes da Cunha la requeacuterante au principal a conclu avec la Caixa Agricola

Mutuo ndash Coimbra des contrats de creacutedit relatifs agrave une ligne de creacutedit pour la relance des activiteacutes agricoles et

drsquoeacutelevage Un deacutecret du 24 mai 1994 a creacuteeacute un reacutegime drsquooctroi de lignes de creacutedit destineacute agrave favoriser le

deacutesendettement des entreprises du secteur de lrsquoeacutelevage intensif et la relance de lrsquoactiviteacute porcine Ce reacutegime nrsquoa

pas eacuteteacute notifieacute agrave la Commission europeacuteenne contrairement aux exigences de lrsquoarticle 88 paragraphe 3 CE Dans

le cadre de ces contrats de creacutedit le preacutedeacutecesseur de lrsquoIFAP a conformeacutement au deacutecret preacuteciteacute effectueacute des

paiements en faveur de la requeacuterante au titre de bonification du taux drsquointeacuterecirct drsquoun montant global de 7 52690

euros Le 25 novembre 1999 la Commission europeacuteenne a adopteacute la deacutecision 20002000CE relative au reacutegime

drsquoaides mis en œuvre par le Portugal pour le deacutesendettement des entreprises du secteur de lrsquoeacutelevage intensif et la

relance de lrsquoactiviteacute porcine Il ressort de cette deacutecision que le reacutegime drsquooctroi de lignes de creacutedit mis en place par

le deacutecret est un reacutegime drsquoaides incompatible avec le marcheacute commun Le Portugal doit donc supprimer ce reacutegime

drsquoaide et proceacuteder au recouvrement

Le 23 juillet 2002 le preacutedeacutecesseur de lrsquoIFAP demande agrave la requeacuterante le remboursement de lrsquoaide en cause par

une lettre resteacutee sans suite Le 12 aoucirct 2009 lrsquoIFAP a envoyeacute une nouvelle lettre lui demandant de proceacuteder au

remboursement de lrsquoaide dans un deacutelai de dix jours Le 7 juillet 2013 une proceacutedure drsquoexeacutecution fiscale a eacuteteacute

engageacutee par le centre des impocircts de Cantanhede agrave lrsquoencontre de la requeacuterante en vue du recouvrement des

creacuteances de lrsquoIFAP

La requeacuterante a fait opposition agrave cette proceacutedure devant le tribunal administratif et fiscal de Coimbra Elle allegravegue

que lrsquoobligation de rembourser des montants perccedilus srsquoeacuteteint apregraves lrsquoeacutecoulement drsquoun deacutelai de cinq ans agrave compter

de leur perception et que dans la mesure ougrave plus de cinq ans se sont eacutecouleacutes les inteacuterecircts de retard seraient

eacutegalement prescrits Le tribunal relegraveve que les creacuteances de lrsquoIFAP sont soumises au deacutelai ordinaire de prescription

de vingt ans Quant aux inteacuterecircts les juridictions nationales supeacuterieures considegraverent que les inteacuterecircts sont prescrits

apregraves lrsquoeacutecoulement drsquoun deacutelai de cinq ans qui commence agrave courir agrave compter de lrsquoexigibiliteacute de lrsquoobligation Or il

ressort de la jurisprudence constante de la Cour de justice en matiegravere drsquoaides drsquoEtat que lrsquoapplication des

proceacutedures nationales ne doit pas faire obstacle au reacutetablissement drsquoune concurrence effective en empecircchant

lrsquoexeacutecution immeacutediate et effective de la deacutecision de reacutecupeacuteration de la Commission europeacuteenne

Crsquoest dans ce contexte que le tribunal administratif et fiscal de Coimbra a deacutecideacute de surseoir agrave statuer

et de poser agrave la Cour de justice les questions preacutejudicielles suivantes

laquo 1) Le deacutelai de prescription pour lrsquoexercice des pouvoirs [de la Commission] pour la reacutecupeacuteration de lrsquoaide preacutevu agrave lrsquoarticle 17 paragraphe 1 du regraveglement 20151589 srsquoapplique-t-il uniquement aux rapports entre lrsquoUnion et lrsquoEacutetat membre destinataire de la deacutecision de reacutecupeacuteration des aides ou

srsquoapplique-t-il eacutegalement aux rapports entre cet Eacutetat et la partie opposante en tant que beacuteneacuteficiaire de lrsquoaide consideacutereacutee comme eacutetant incompatible avec le marcheacute [inteacuterieur]

Renvoi preacutejudiciel ndash Aides drsquoEacutetat ndash Article 108 TFUE ndash Reacutegime drsquoaides incompatible avec le marcheacute inteacuterieur ndash Deacutecision de la Commission europeacuteenne ordonnant la reacutecupeacuteration des aides illeacutegales ndash Regraveglement (UE) 20151589 ndash Article 17 paragraphe 1 ndash Deacutelai de prescription de dix ans ndash Application aux pouvoirs de reacutecupeacuteration de la Commission ndash Article 16 paragraphes 2 et 3 ndash Reacuteglementation nationale preacutevoyant un deacutelai de prescription infeacuterieur ndash Principe drsquoeffectiviteacute

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2) Dans lrsquohypothegravese ougrave il serait deacutecideacute que le deacutelai en question est applicable aux rapports entre

lrsquoEacutetat membre destinataire de la deacutecision de reacutecupeacuteration des aides et le beacuteneacuteficiaire de lrsquoaide consideacutereacutee comme eacutetant incompatible avec le marcheacute [inteacuterieur] convient-il de consideacuterer que ce deacutelai est uniquement applicable agrave la phase de proceacutedure ou qursquoil est eacutegalement applicable agrave lrsquoexeacutecution de la deacutecision de reacutecupeacuteration

3) Dans lrsquohypothegravese ougrave il serait deacutecideacute que le deacutelai en question est applicable aux rapports entre lrsquoEacutetat membre destinataire de la deacutecision de reacutecupeacuteration des aides et le beacuteneacuteficiaire de lrsquoaide

consideacutereacutee comme eacutetant incompatible avec le marcheacute [inteacuterieur] convient-il de consideacuterer que ce deacutelai est interrompu par tout acte relatif agrave lrsquoaide illeacutegale et eacutemanant de la Commission ou de lrsquoEacutetat membre concerneacute mecircme srsquoil nrsquoa pas eacuteteacute notifieacute au beacuteneacuteficiaire de lrsquoaide devant ecirctre reacutecupeacutereacutee

4) Lrsquoarticle 16 paragraphe 2 du regraveglement 20151589 [] ainsi que les principes [geacuteneacuteraux de droit] de lrsquoUnion notamment le principe drsquoeffectiviteacute et le principe drsquoincompatibiliteacute des aides drsquoEacutetat avec le

marcheacute [inteacuterieur] srsquoopposent-ils agrave lrsquoapplication drsquoun deacutelai de prescription drsquoune dureacutee infeacuterieure agrave celle preacutevue agrave lrsquoarticle 17 [de ce] regraveglement comme le deacutelai preacutevu agrave lrsquoarticle 310 [hellip] sous d) du code civil aux inteacuterecircts qui srsquoajoutent agrave lrsquoaide devant ecirctre reacutecupeacutereacutee raquo

o Sur la premiegravere question

La Cour de justice estime aux points 30 et 31 que lrsquoarticle 17 paragraphe 1 du regraveglement 20151589 qui preacutevoit

un deacutelai de prescription de dix ans vise uniquement les pouvoirs de la Commission europeacuteenne en matiegravere de

reacutecupeacuteration de lrsquoaide Ce deacutelai ne pourrait donc pas ecirctre appliqueacute agrave la proceacutedure de reacutecupeacuteration drsquoune aide

illeacutegale par les autoriteacutes nationales compeacutetentes

Par suite la Cour de justice reacutepond agrave la premiegravere question que lrsquoarticle 17 paragraphe 1 du regraveglement 20151589

doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que le deacutelai de prescription de dix ans ne srsquoapplique qursquoaux rapports entre la

Commission europeacuteenne et lrsquoEtat membre destinataire de la deacutecision de reacutecupeacuteration eacutemanant de cette

institution

o Sur les deuxiegraveme et troisiegraveme questions

Eu eacutegard agrave la reacuteponse apporteacutee agrave la premiegravere question il nrsquoy a pas lieu de reacutepondre aux deuxiegraveme et troisiegraveme

questions

o Sur la quatriegraveme question

Observations liminaires

LrsquoIFAP et le gouvernement portugais contestent lrsquointerpreacutetation de la juridiction de renvoi selon laquelle le deacutelai

de prescription de cinq ans est susceptible de srsquoappliquer au recouvrement des inteacuterecircts affeacuterents agrave lrsquoaide devant

ecirctre reacutecupeacutereacutee et de faire obstacle agrave la reacutecupeacuteration de ces inteacuterecircts La Cour de justice rappelle au point 38 que

lorsqursquoelle est saisie agrave titre preacutejudiciel par une juridiction nationale elle srsquoen tient agrave lrsquointerpreacutetation du droit

national qui lui a eacuteteacute exposeacutee par cette juridiction

Sur la question

La Cour de justice rappelle que le Portugal devait reacutecupeacuterer lrsquoaide viseacutee par la deacutecision de la Commission

europeacuteenne inteacuterecircts compris La reacutecupeacuteration srsquoeffectue conformeacutement aux proceacutedures preacutevues par le droit

national pour autant que ces derniegraveres permettent lrsquoexeacutecution immeacutediate et effective de la deacutecision de la

Commission europeacuteenne Ainsi les regravegles de prescription doivent ecirctre appliqueacutees de maniegravere agrave ne pas rendre

pratiquement impossible la reacutecupeacuteration exigeacutee par le droit de lrsquoUnion et en prenant pleinement en consideacuteration

lrsquointeacuterecirct de lrsquoUnion La Cour de justice rappelle au point 44 sa jurisprudence constante selon laquelle les deacutelais de

prescription remplissent la fonction drsquoassurer la seacutecuriteacute juridique Pour autant comme elle le souligne au point

45 il importe de mettre en balance le respect de cet impeacuteratif de seacutecuriteacute juridique avec lrsquointeacuterecirct public visant agrave

eacuteviter que le fonctionnement du marcheacute ne soit fausseacute par des aides drsquoEtat nuisibles pour la concurrence

En lrsquoespegravece le deacutelai de prescription de cinq ans applicable aux inteacuterecircts affeacuterents agrave lrsquoaide en cause nrsquoa eacuteteacute

interrompu que le 26 juillet 2013 et que tous les inteacuterecircts dus pour la peacuteriode anteacuterieure au 26 juin 2008 sont

prescrits Il en ressort donc que lrsquoapplication de ce deacutelai de prescription ferait obstacle agrave une reacutecupeacuteration drsquoune

partie des inteacuterecircts affeacuterents agrave lrsquoaide en cause et partant agrave une reacutecupeacuteration inteacutegrale de lrsquoaide Comme le relegraveve

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la Cour de justice au point 48 la juridiction de renvoi a releveacute que degraves lors que sont consideacutereacutes comme prescrits

les inteacuterecircts dus pour la peacuteriode anteacuterieure aux cinq ans qui preacutecegravedent lrsquoacte interruptif de prescription la creacuteance

relative aux inteacuterecircts affeacuterents agrave une aide pourrait ecirctre prescrite avant mecircme que le droit de la Commission

europeacuteenne drsquoexiger la reacutecupeacuteration de cette aide ne soit prescrit

En ce qui concerne la prescription drsquoune partie des inteacuterecircts affeacuterents agrave lrsquoaide en cause anteacuterieurement agrave

lrsquoadoption de la deacutecision de la Commission europeacuteenne il convient de relever que lrsquointervention drsquoune telle

prescription rendrait impossible la reacutecupeacuteration inteacutegrale exigeacutee par le droit de lrsquoUnion La Cour de justice estime

au point 50 que la Commission europeacuteenne peut toujours dans le deacutelai de dix ans preacutevu demander la

reacutecupeacuteration drsquoune aide illeacutegale et ce malgreacute lrsquoexpiration eacuteventuelle du deacutelai de prescription applicable dans la

proceacutedure nationale La requeacuterante ne saurait en lrsquoespegravece valablement se preacutevaloir drsquoune confiance leacutegitime dans

la reacutegulariteacute de lrsquoaide en cause La Cour de justice en conclu au point 52 qursquoun deacutelai de prescription national qui

a expireacute avant mecircme lrsquoadoption de la deacutecision de reacutecupeacuteration de la Commission europeacuteenne doit donc ecirctre

laisseacute inappliqueacute par la juridiction de renvoi

En ce qui concerne la prescription drsquoune partie des inteacuterecircts affeacuterents agrave lrsquoaide en cause posteacuterieurement agrave

lrsquoadoption de la deacutecision de la Commission europeacuteenne il convient de relever que lrsquoexeacutecution drsquoune deacutecision de

reacutecupeacuteration de la Commission europeacuteenne doit ecirctre immeacutediate En lrsquoespegravece il ressort du point 54 que la

prescription drsquoune partie des inteacuterecircts affeacuterents agrave lrsquoaide en cause reacutesulte donc principalement du fait que le

preacutedeacutecesseur de lrsquoIFAP et lrsquoIFAP ont tardeacute agrave exeacutecuter la deacutecision de la Commission europeacuteenne Or la Cour de

justice souligne au point 56 qursquoadmettre la prescription des inteacuterecircts affeacuterents agrave une aide illeacutegale au motif que les

autoriteacutes nationales se sont conformeacutees avec retard agrave la deacutecision de reacutecupeacuteration de la Commission europeacuteenne

rendrait la reacutecupeacuteration inteacutegrale pratiquement impossible et la reacuteglementation de lrsquoUnion relative aux aides drsquoEtat

priveacutee de tout effet utile

Dans de telles circonstances le principe de seacutecuriteacute juridique que les deacutelais de prescription visent agrave garantir ne

saurait faire obstacle agrave la reacutecupeacuteration drsquoune aide deacuteclareacutee incompatible avec le marcheacute inteacuterieur

Par suite il convient de reacutepondre agrave la quatriegraveme question que lrsquoarticle 16 paragraphe 2 du regraveglement 20151589

et le principe drsquoeffectiviteacute doivent ecirctre interpreacuteteacutes en ce sens qursquoils srsquoopposent agrave lrsquoapplication drsquoun deacutelai de

prescription national au recouvrement drsquoune aide lorsque ce deacutelai a expireacute avant mecircme lrsquoadoption de la deacutecision

de la Commission europeacuteenne ou lorsque ce deacutelai de prescription srsquoest eacutecouleacute principalement en raison du retard

mis par les autoriteacutes nationales pour exeacutecuter cette deacutecision

Par ces motifs la Cour de justice (deuxiegraveme chambre) dit pour droit

1) Lrsquoarticle 17 paragraphe 1 du regraveglement (UE) 20151589 du Conseil du 13 juillet 2015 portant

modaliteacutes drsquoapplication de lrsquoarticle 108 du traiteacute sur le fonctionnement de lrsquoUnion europeacuteenne doit ecirctre

interpreacuteteacute en ce sens que le deacutelai de prescription de dix ans que preacutevoit cette disposition pour lrsquoexercice

des pouvoirs de la Commission europeacuteenne en matiegravere de reacutecupeacuteration des aides srsquoapplique

uniquement aux rapports entre la Commission et lrsquoEacutetat membre destinataire de la deacutecision de

reacutecupeacuteration eacutemanant de cette institution

2) Lrsquoarticle 16 paragraphe 2 du regraveglement 20151589 selon lequel lrsquoaide agrave reacutecupeacuterer comprend des

inteacuterecircts et le principe drsquoeffectiviteacute viseacute au paragraphe 3 de ce mecircme article doivent ecirctre interpreacuteteacutes en

ce sens qursquoils srsquoopposent agrave lrsquoapplication drsquoun deacutelai de prescription national au recouvrement drsquoune aide

lorsque ce deacutelai a expireacute avant mecircme lrsquoadoption de la deacutecision de la Commission deacuteclarant cette aide

illeacutegale et en ordonnant la reacutecupeacuteration ou lorsque ce deacutelai de prescription srsquoest eacutecouleacute principalement

en raison du retard mis par les autoriteacutes nationales pour exeacutecuter cette deacutecision

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Droit agrave un procegraves eacutequitable

Cour EDH (cinquiegraveme section) Keaney Irlande 30 avril 2020 ndeg7206017

Arrecirct rendu en anglais Mention drsquoune opinion concordante Reacutesumeacute La Cour EDH juge que lrsquoordre juridique irlandais ne comporte pas de recours effectif pour les griefs relatifs agrave la dureacutee excessive drsquoune proceacutedure La Cour EDH a consideacutereacute qursquoil y avait non seulement une violation du droit agrave un procegraves eacutequitable dans un deacutelai raisonnable (article 6 sect 1 de la Convention) du fait de la longueur excessive du recours devant la juridiction suprecircme irlandaise mais aussi une violation au droit agrave un recours effectif (article 13 de la Convention) en ce qursquoelle a du mal agrave admettre que lrsquoaction en reacuteparation pour atteinte au droit constitutionnel agrave ecirctre jugeacute avec diligence soit effectif en theacuteorie et en pratique Le requeacuterant Vincent Keaney est un ressortissant irlandais neacute en 1955 et reacutesidant agrave Cobh (Irlande) En 1996 apregraves avoir gagneacute agrave la loterie nationale le requeacuterant a acheteacute un bacirctiment afin drsquoy faire un bar agrave thegraveme sous le nom de laquo The Titanic Bar and Restaurant raquo Suite agrave des difficulteacutes financiegraveres le requeacuterant srsquoest adresseacute agrave un consultant en finance et gestion afin de trouver des investisseurs potentiels et drsquoobtenir des conseils professionnels Neacuteanmoins le projet commercial eacutechoua En feacutevrier 2006 le requeacuterant entama une proceacutedure civile devant la Haute Cour contre 18 deacutefendeurs pour tromperie fraude fausse deacuteclarations et influence indue deacutecoulant des transactions commerciales reacutealiseacutees entre 2000 et 2003 Devant la Haute Cour le requeacuterant a ducirc modifier sa demande initiale agrave de nombreuses reprises afin qursquoen juillet 2008 lrsquoaffaire puisse ecirctre plaideacutee conformeacutement aux exigences nationales Par jugement du 19 deacutecembre 2008 la Haute Cour eacutecarta toutes les demandes du requeacuterant et le deacutebouta estimant que nombre de ses alleacutegations eacutetaient mal fondeacutees ou abusives Entre 2007 et 2009 le requeacuterant interjeta appel devant la Cour Suprecircme contre les arrecircts de la Haute Cour Entre juillet 2015 et avril 2017 la Cour Suprecircme rendit ses arrecircts en estimant qursquoil nrsquoy avait pas lieu drsquoinfirmer les arrecircts de la Haute Cour Elle preacutecisa que les alleacutegation non eacutetayeacutees du requeacuterant dans ses observations eacutecrites nrsquoeacutetaient laquo rien de moins qursquoun abus de proceacutedure raquo En conseacutequence le requeacuterant saisi la Cour EDH le 2 octobre 2017

- Sur la violation de lrsquoarticle 6 sect1 de la Convention Selon la Cour EDH le caractegravere raisonnable de la dureacutee drsquoune proceacutedure doit ecirctre appreacutecieacute au regard des circonstances de lrsquoespegravece et en fonction des critegraveres suivants (Lupeni c Roumanie [GC] ndeg7694311 sect 143 29 novembre 2016)

- La complexiteacute de lrsquoaffaire - Le comportement du requeacuterant et des autoriteacutes compeacutetentes - Lrsquoenjeu du litige

Lrsquoarticle 6 sect1 de la Convention exige que les affaires soient entendues dans un deacutelai raisonnable afin drsquoadministrer la justice sans retard susceptible de compromettre son efficaciteacute et sa creacutedibiliteacute

Art 6 sect 1 bull Deacutelai raisonnable bull Dureacutee excessive de la proceacutedure civile bull Art 13 et 6 sect 1 bull Recours effectif dans le respect drsquoun deacutelai raisonnable des proceacutedures bull Lrsquoefficaciteacute de lrsquoaction en reacuteparation pour violation du droit constitutionnel drsquoecirctre jugeacute dans un deacutelai raisonnable doit encore ecirctre preacuteciseacutee dans la pratique

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Ainsi il appartient aux Eacutetats contractants drsquoorganiser leur systegraveme judiciaire de telle sorte que leurs tribunaux soient en mesure de garantir agrave chaque justiciable le droit drsquoobtenir une deacutecision deacutefinitive dans un deacutelai raisonnable dans des litiges relatifs aux droits et obligations de caractegravere civil (Frydlender c France [GC] ndeg3097996 sect43 27 juin 2000 Superwood Holdings Plc et autres c Irlande ndeg781204 sect 38 8 septembre 2011 Healy c Irlande ndeg2729116 sect 49 18 janvier 2018) Si la Cour EDH preacutecise qursquoun retard temporaire dans les affaires judiciaires nrsquoentraicircne pas la responsabiliteacute internationale drsquoun Eacutetat contractant srsquoil prend les mesures correctives approprieacutees agrave la ceacuteleacuteriteacute requise une surcharge drsquoaffaires dans le systegraveme interne ne peut justifier une dureacutee excessive des proceacutedures pas plus que le fait que les situations drsquoarrieacutereacute se soient banaliseacutees (sect88) De plus la Cour EDH prend soin de rappeler que dans les proceacutedures civiles la principale obligation de faire avancer la proceacutedure incombe aux parties qui ont le devoir drsquoaccomplir avec diligence les actes de proceacutedure pertinents (Unioacuten Alimentaria Sanders SA c Espagne ndeg1168185 sect 35 7 juillet 1989 Healy c Irlande ndeg2729116 sect 55) Toutefois un principe de droit ou une pratique interne selon lequel les parties agrave une proceacutedure civile sont tenues de prendre lrsquoinitiative srsquoagissant du deacuteroulement de la proceacutedure ne dispense pas lrsquoEacutetat de se conformer agrave lrsquoobligation de traiter les affaires dans un deacutelai raisonnable (sect 90) En lrsquoespegravece la Cour EDH note que la peacuteriode agrave prendre en compte a commenceacute le 8 feacutevrier 2006 lorsque le requeacuterant a entameacute une proceacutedure devant la Haute Cour et srsquoest termineacute le 5 avril 2017 lorsque la Cour Suprecircme a rendu son jugement dans le cadre du recours du requeacuterant contre les arrecircts de la Haute Cour La proceacutedure a donc dureacute plus de onze ans pour ecirctre entendue devant les deux niveau de juridiction La Cour EDH reconnaicirct que le litige du requeacuterant a pris une ampleur dans commune mesure avec la nature du droit sous-jacent Neacuteanmoins elle considegravere que le comportement de ce dernier a eu un impact significatif sur lrsquoeacutevolution de lrsquoaffaire et qursquoil ne peut se preacutevaloir des peacuteriodes pendant lesquelles ses actions ont causeacute le retard (mutatis mutandis Vayiccedil c Turquie ndeg1807802 sect 44 20 juin 2006 et Uysal et Osal c Turquie ndeg120603 sect 30 13 deacutecembre 2007) La Cour EDH conclut donc que malgreacute le comportement du requeacuterant qui a contribueacute au retard devant la Haute Cour et la Cour Suprecircme la dureacutee globale de la proceacutedure eacutetait excessive et ne respectait pas le critegravere du deacutelai raisonnable En conseacutequence la Cour EDH dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention

- Sur la violation de lrsquoarticle 13 de la Convention combineacute agrave lrsquoarticle 6 sect1 de la Convention Lrsquoarticle 13 de la Convention garantir lrsquoexistence au niveau national drsquoun recours permettant drsquoune violation des droits et liberteacutes eacutenonceacutes dans la Convention Srsquoil existe agrave la faveur des Eacutetats contractants une certaine liberteacute quant agrave la maniegravere dont ils se conforment agrave leurs obligations conventionnelles il doit exister un recours interne permettant aux juridictions nationales compeacutetentes de traiter agrave la fois le fond de la demande lieacute agrave la violation drsquoune disposition de la Convention et drsquoaccorder une reacuteparation adeacutequate La Cour EDH rappelle que mecircme si la porteacutee de lrsquoobligation preacutevue agrave article 13 de la Convention varie selon la nature du grief du requeacuterant le recours doit ecirctre effectif en pratique comme en droit en ce que son exercice ne doit pas ecirctre entraveacute de maniegravere injustifieacutee par les actes ou omissions des autoriteacutes de lrsquoEacutetat (De Tommaso c Italie [GC] ndeg4339509 sect 179 23 feacutevrier 2017) Srsquoagissant de lrsquoeffectiviteacute des recours dans un deacutelai raisonnable lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention impose aux Eacutetats contractants le devoir drsquoorganiser leur systegraveme judiciaire de telle sorte que leurs tribunaux puissent statuer dans un deacutelai raisonnable La Cour EDH considegravere que lorsque le systegraveme judiciaire est deacuteficient agrave cet eacutegard un recours visant agrave acceacuteleacuterer la proceacutedure afin drsquoeacuteviter qursquoelle ne devienne excessivement longue est la solution la plus adapteacutee il sera jugeacute effectif dans la mesure ougrave il acceacutelegravere la deacutecision du tribunal concerneacute Toutefois ce genre de recours peut ne pas ecirctre suffisant au regard de proceacutedures deacutejagrave excessivement longues Ainsi la Cour EDH a deacuteclareacute que les Eacutetats pouvaient choisir de combiner le recours visant agrave acceacuteleacuterer la proceacutedure avec un autre visant agrave une indemnisation bien qursquoils puissent eacutegalement choisir drsquointroduire

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qursquoun recours en reacuteparation qans que ce dernier soit consideacutereacute comme inefficace (Fil LLC c Armeacutenie ndeg1852613 sect 47 31 janvier 2019) De plus Cour EDH preacutecise que lrsquoeffectiviteacute drsquoun recours ne deacutepend pas de la certitude drsquoune issue favorable pour le requeacuterant Enfin la Cour EDH estime qursquoune attention particuliegravere doit ecirctre accordeacutee agrave la rapiditeacute de la reacuteparation en elle-mecircme sans qursquoil soit exclu que son caractegravere adeacutequat puisse ecirctre compromis par sa dureacutee excessive (Doran v Ireland ndeg5038999 sectsect 57-58) En lrsquoespegravece la Cour EDH rappelle qursquoelle a deacutejagrave eu lrsquooccasion de souligner les difficulteacutes reacutesultant de lrsquoabsence de recours interne effectif en Irlande (Healy c Irlande ndeg2729116 sect 69) De plus elle rappelle que dans lrsquoaffaire McFarlane c Irlande (ndeg3133306 10 septembre 2010) le Gouvernement irlandais nrsquoavait pas deacutemontreacute qursquoune action en reacuteparation pour violation du droit constitutionnel agrave ecirctre jugeacute dans un deacutelai raisonnable constituait un recours effectif en theacuteorie et en pratique agrave la faveur du requeacuterant Si le Gouvernement irlandais soutient que dans un arrecirct de Cour Suprecircme posteacuterieur agrave lrsquoarrecirct McFarlane (Nash v DPP) une importante clarification est faite quant aux conditions subordonnant lrsquooctroi de la reacuteparation preacutevue par la Constitution pour une dureacutee excessive drsquoune proceacutedure peacutenale la Cour EDH nrsquoest pas convaincue par cet argument En effet la Cour EDH estime tout drsquoabord que la Cour Suprecircme srsquoest abstenue de deacutefinir les conditions drsquoune telle action Ensuite la question de la ceacuteleacuteriteacute du recours en reacuteparation est lui-mecircme remis en cause puisque la Cour EDH observe que dans lrsquoaffaire Nash lrsquoaction en reacuteparation pour deacutelai excessif a dureacute plus de six ans et demi Enfin un autre type de recours lrsquoaction en reacuteparation fondeacutee lrsquoEuropean Convention on Human Rights Act de 2003 ne peut ecirctre exerceacute que lorsqursquoaucune autre action en reacuteparation nrsquoest possible En conseacutequence la Cour EDH conclut agrave la violation de lrsquoarticle 13 de la Convention combineacute agrave lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention Par ces motifs la Cour EDH agrave lrsquounanimiteacute

1 Deacuteclare la demande recevable

2 Dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 6 sect1 de la Convention

3 Dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 13 lu avec lrsquoarticle 6 sect1 de la Convention

4 Dit que la constatation de la violation constitue une satisfaction eacutequitable suffisante pour tout dommage subi par le requeacuterant

5 Dit a Que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans un deacutelai de trois mois agrave compter

de la date agrave laquelle le jugement devient deacutefinitif conformeacutement agrave lrsquoarticle 44 sect2 de la Convention 3 000 EUR (trois mille euros) plus toute taxe qui pourrait ecirctre mise agrave la charge du requeacuterant au titre des frais et deacutepens

b Qursquoagrave compter de lrsquoexpiration des trois mois et jusqursquoau regraveglement des inteacuterecircts simples seront dus sur le montants susmentionneacutes agrave un taux eacutegal au taux de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne pendant la peacuteriode de carence majoreacute de trois points de pourcentage

6 Rejette la demande de satisfaction eacutequitable du requeacuterant

Opinion concordante du Juge OrsquoLeary Le Juge OrsquoLeary souscrit pleinement agrave lrsquoarrecirct rendu par la cinquiegraveme chambre constatant la violation des articles 6 sect 1 et 13 de la Convention en raison de la dureacutee excessive de la proceacutedure civile du requeacuterant et de labsence de recours interne effectif en cas de retard deacuteraisonnable

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Lrsquoopinion concordante preacutecise que lrsquoarrecirct Keaney c Irlande fait partie drsquoune seacuterie longue drsquoaffaires relatives agrave lrsquoarticle 6 sect 1 et 13 de la Convention concernant lrsquoIrlande sur une peacuteriode de pregraves de vingt ans Agrave ce titre le fait que lrsquoarrecirct ait eacuteteacute rendu par une chambre de sept juges plutocirct que par un comiteacute des trois juges souligne lrsquoimportance des questions souleveacutees srsquoagissant des affaires relatives aux retards deacuteraisonnables dans les proceacutedures civiles et peacutenales Srsquoagissant de lrsquoeffectiviteacute drsquoune action en reacuteparation pour violation du droit constitutionnel agrave un procegraves dans un deacutelai raisonnable le juge OrsquoLeary rappelle que lrsquoarrecirct Keaney c Irlande fait suite agrave lrsquoaffaire Nash c DPP rendu par la Cour Suprecircme en 2018 Enfin le juge OrsquoLeary eacutevoque la neacutecessiteacute de remeacutedier au problegraveme systeacutematique de retard excessif dans les proceacutedures Si le Gouvernement irlandais ne cesse de rappeler que la responsabiliteacute premiegravere de lrsquoavancement de la proceacutedure civile incombe aux parties la Cour EDH considegravere qursquoil appartient agrave lrsquoEacutetat drsquoeacuteriger le cadre approprieacute pour soutenir une administration efficace de la justice Le juge OrsquoLeary reconnait que de nombreuses mesures ont eacuteteacute adopteacutees par et pour les tribunaux nationaux irlandais au cours de ces derniegraveres anneacutees mais considegravere que lrsquoarrecirct Keaney reflegravete le fait que lorsquun requeacuterant se plaint dun retard excessif dans le systegraveme juridictionnel geacuteneacuteral le renvoi de ce dernier vers le systegraveme remis en cause a peu pour un recours a peu de chances pour le moment de satisfaire aux exigences des articles 35 sect 1 et 13 de la Convention Dans son opinion concordante le juge OrsquoLeary conclut que lrsquoarticle 6 de la Convention veille agrave ce que les proceacutedures soient traiteacutees dans un deacutelai raisonnable Il considegravere que lrsquoarrecirct Keaney srsquoapparente agrave un jugement de principe identifiant un problegraveme systeacutematique de retard qui en ce qui concerne certains niveaux du systegraveme judiciaire national a pu ecirctre corrigeacute depuis Il sagit eacutegalement dun jugement qui exige de lEacutetat deacutefendeur quil agisse en ce qui concerne loffre dun recours interne effectif en cas de retard Plus largement cette affaire reflegravete la reacutealiteacute quotidienne agrave laquelle sont confronteacutes les tribunaux dans les juridictions ougrave le ratio jugespopulation est faible ougrave le volume des litiges est sensiblement supeacuterieur au nombre de juges mobiliseacutes pour les traiter ougrave les ressources correspondantes font deacutefaut et ougrave les regravegles de proceacutedure peuvent neacutecessiter une reacutevision pour proteacuteger les tribunaux et les autres parties contre ceux qui perdent du temps

Droit agrave la vie

Cour EDH (deuxiegraveme section) Jeanty Belgique 31 mars 2020 ndeg8228417

Mention drsquoune opinion en partie dissidente Reacutesumeacute Dans une affaire qui concerne une personne atteinte de troubles psychiques et ayant tenteacute de se suicider agrave plusieurs reprises lors de ses placements en deacutetention preacuteventive dans une prison belge la Cour EDH a estimeacute agrave la majoriteacute qursquoil nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 2 de la Convention car les mesures prises par les autoriteacutes ont effectivement permis drsquoempecirccher que le requeacuterant se suicide Toutefois la Cour EDH juge qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 3 de la Convention du fait que le requeacuterant a eacuteteacute soumis agrave une deacutetresse drsquoune intensiteacute ayant exceacutedeacute le niveau ineacutevitable de souffrance inheacuterent agrave la deacutetention notamment en raison du manque drsquoencadrement et de suivi meacutedical au cours de sa deacutetention combineacute avec lrsquoinfliction drsquoune sanction disciplinaire dans une cellule drsquoisolement Elle relegraveve eacutegalement que lrsquoenquecircte meneacutee agrave ce propos nrsquoa pas eacuteteacute effective Le requeacuterant Philippe Jeanty est un ressortissant belge La requecircte porte sur les deux peacuteriodes pendant lesquelles il eacutetait deacutetenu agrave la maison drsquoarrecirct drsquoArlon en Belgique entre le 26 juin 2011 et le 12 aoucirct 2011 puis entre le 21

Art 2 (mateacuteriel) bull Obligations positives bull Autoriteacutes peacutenitentiaires intervenues rapidement pour effectivement empecirccher plusieurs tentatives de suicide Art 3 (mateacuteriel et proceacutedural) bull Traitement inhumain et deacutegradant bull Manque de soins psychiatriques prodigueacute s agrave un deacutetenu preacutesentant des tendances suicidaires bull Placement agrave lrsquoisolement pendant trois jours sans prise en compte de lrsquoeacutetat psychique du requeacuterant bull Absence drsquoenquecircte effective

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octobre 2011 et le 2 deacutecembre 2011 Il eacutetait suspecteacute drsquoavoir commis un attentat agrave la pudeur avec violences ou menaces et coups et blessures avec incapaciteacute de travail sur son eacutepouse Les faits ayant eu lieu entre le 26 juin 2011 et 12 aoucirct 2011 La nuit du 25 juin 2011 le requeacuterant a eacuteteacute placeacute en garde-agrave-vue eacutetant suspecteacute drsquoagression sexuelle sur son eacutepouse Lors de son audition par la police M Jeanty a fait valoir sa deacutetresse psychologique et a demandeacute agrave ecirctre interneacute indiquant ses intentions de se suicider Le lendemain le juge drsquoinstruction a ordonneacute le placement en deacutetention du requeacuterant et a informeacute la prison drsquoArlon des tendances suicidaires de lrsquointeacuteresseacute Degraves son arriveacutee agrave la maison drsquoarrecirct le requeacuterant a tenteacute de se suicider agrave trois reprises mais les agents peacutenitentiaires sont intervenus pour lrsquoen empecirccher Il a eacuteteacute placeacute dans une cellule drsquoisolement seacutecuriseacutee sous surveillance speacuteciale pendant quelques jours Il a ensuite eacuteteacute mis en liberteacute sous condition le 12 aoucirct 2011 Les faits ayant eu lieu entre le 21 octobre 2011 et le 2 deacutecembre 2011 En octobre 2011 un second mandat drsquoarrecirct a eacuteteacute deacutelivreacute contre M Jeanty ce dernier nrsquoayant pas respecteacute les conditions de sa libeacuteration conditionnelle Le requeacuterant a ainsi reacuteinteacutegreacute la prison drsquoArlon ougrave il a changeacute de cellule agrave plusieurs reprises apregraves ses plaintes agrave lrsquoencontre de ses codeacutetenus Le 13 novembre 2011 suite au refus de lrsquoassistant peacutenitentiaire chef drsquoeacutequipe de le changer agrave nouveau de cellule le requeacuterant a menaceacute de se suicider et a eacuteteacute placeacute en cellule drsquoisolement sous surveillance speacuteciale Lors drsquoun controcircle le mecircme jour un agent peacutenitentiaire a trouveacute le requeacuterant percheacute sur les barreaux de la porte en train drsquoattacher son pantalon et a reacuteussi de lrsquoarrecircter avant que ce dernier ne se lance dans le vide Sur ordre du meacutedecin il a eacuteteacute deacutecideacute de lui mettre un casque ainsi que des menottes agrave lrsquoavant afin drsquoempecirccher le requeacuterant de se blesser en se tapant la tecircte contre le mur Agrave sa sortie de la cellule drsquoisolement le 15 novembre 2011 le requeacuterant a eacuteteacute auditionneacute par le directeur de la prison qui a deacutecideacute de transformer en sanction disciplinaire le placement en cellule drsquoisolement de trois jours estimant que les menaces de suicide visaient agrave faire pression sur le personnel peacutenitentiaire pour obtenir une mutation de cellule M Jeanty a eacuteteacute remis en liberteacute conditionnelle le 2 deacutecembre 2011 La plainte peacutenale du requeacuterant et la proceacutedure devant les juridictions internes Le 1er avril 2014 le requeacuterant srsquoest constitueacute partie civile contre le directeur de la prison du chef drsquoabstention coupable et traitements inhumains et deacutegradants aupregraves du juge drsquoinstruction de Neufchacircteau Dans la plainte le requeacuterant se plaignait notamment drsquoavoir subi un traitement inhumain et deacutegradant au cours de ses peacuteriodes de deacutetention et du fait qursquoil eacuteteacute placeacute dans les quartiers ordinaires de la prison alors que son eacutetat de santeacute mentale deacutefaillant neacutecessitait un soutien psychologique Cette plainte a deacuteboucheacute sur un non-lieu qui eacutetait ulteacuterieurement confirmeacute en appel Le pourvoi en cassation qui porteacute sur la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 3 de la Convention a eacuteteacute rejeteacute par un arrecirct du 14 juin 2017 La Cour de cassation a estimeacute entre autre qursquoil nrsquoeacutetait pas contradictoire de consideacuterer que les mesures prises par le personnel peacutenitentiaire et les meacutedecins en vue de proteacuteger lrsquointeacutegriteacute physique du requeacuterant ne semblaient pas adeacutequates au regard des exigences de sa jurisprudence mais que neacuteanmoins il nrsquoexistait pas de charges de culpabiliteacute concernant lrsquoabstention de porter secours La proceacutedure peacutenale relative aux faits pour lesquels le requeacuterant a eacuteteacute poursuivi Le 23 avril 2014 le tribunal correctionnel drsquoArlon a condamneacute le requeacuterant agrave une peine de quatre ans drsquoemprisonnement dont la moitieacute avec sursis pour les faits drsquoattentat agrave la pudeur avec violences ou menaces et coups et blessures avec incapaciteacute de travail sur son eacutepouse Le 2 avril 2019 la cour drsquoappel de Liegravege a reacuteformeacute le jugement estimant que le requeacuterant eacutetait au moment des faits et au jour du prononceacute de lrsquoarrecirct atteint drsquoun trouble mental qui abolissait ou alteacuterait gravement sa capaciteacute de discernement ou de controcircle de ses actes Partant la cour drsquoappel a deacuteclareacute le requeacuterant irresponsable de ses actes et a ordonneacute son internement ainsi que son arrestation immeacutediate

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Le requeacuterant a eacuteteacute ensuite placeacute agrave la prison de Namur parfois agrave lrsquoannexe psychiatrique de la prison parfois dans les quartiers ordinaires par manque de place Le requeacuterant indique ne recevoir aucun soin pour son eacutetat de santeacute mentale Le 20 novembre 2017 le requeacuterant a introduit une requecircte devant la Cour EDH invoquant une violation des articles 2 (droit agrave la vie) et 3 (interdiction de la torture des traitements inhumaines ou deacutegradants) de la Convention EDH Il allegravegue une violation de lrsquoarticle 2 de la Convention du fait que les autoriteacutes avaient failli agrave leur obligation de prendre les mesures adeacutequates afin drsquoempecirccher la mateacuterialisation du risque certain et immeacutediat qursquoil attente agrave sa vie De plus il se plaint sous lrsquoangle de lrsquoarticle 3 de la Convention de lrsquoabsence de soins meacutedicaux approprieacutes durant sa deacutetention du traitement subi lors de ses placements en isolement et de lrsquoabsence drsquoune enquecircte effective

1) Sur la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 2 de la Convention o Sur la recevabiliteacute

La Cour EDH examine drsquooffice en lrsquoespegravece lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 2 de la Convention EDH Elle rappelle que la circonstance dans laquelle le requeacuterant nrsquoest pas deacuteceacutedeacute suite agrave ses tentatives de suicide qui font lrsquoobjet du grief nrsquoest pas en soi de nature agrave exclure lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 2 de la Convention eacutetant donneacute que la Cour EDH a reconnu agrave de nombreuses reprises lrsquoapplicabiliteacute de cette disposition mecircme lorsque la personne qui se disait victime drsquoune atteinte agrave son droit agrave la vie nrsquoeacutetait pas deacuteceacutedeacutee (Cour EDH Makaratzis c Gregravece [GC] 20 deacutecembre 2004 no 5038599 et Nicolae Virgiliu Tănase c Roumanie [GC] 25 juin 2019 no 4172013) Par ailleurs la Cour EDH a reconnu lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 2 de la Convention dans des affaires concernant des suicides en deacutetention (Cour EDH Renolde c France 16 octobre 2008 no 560805 et De Donder et De Clippel c Belgique 6 deacutecembre 2011 no 859506) En lrsquoespegravece le requeacuterant a tenteacute agrave plusieurs reprises au cours de sa deacutetention de mettre fin agrave ses jours et crsquoest gracircce agrave lrsquointervention des agents peacutenitentiaires que ces tentatives nrsquoont pas abouti Selon la Cour EDH le fait que le requeacuterant nrsquoait pas subi de blessure potentiellement mortelle nrsquoest pas deacuteterminant dans ce cas En effet la nature mecircme de lrsquoaction du requeacuterant lui faisait courir un risque reacuteel et imminent pour sa vie En conseacutequent la Cour EDH considegravere que lrsquoarticle 2 trouve agrave srsquoappliquer

o Sur le fond La Cour EDH rappelle tout drsquoabord que lrsquoarticle 2 astreint les Eacutetats non seulement agrave srsquoabstenir de provoquer la mort de maniegravere volontaire et irreacuteguliegravere mais aussi agrave prendre les mesures neacutecessaires agrave la protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction (Cour EDH Fernandes de Oliveira c Portugal [GC] 31 janvier 2019 no 7810314) Cette disposition peut dans certaines circonstances bien deacutefinies mettre agrave la charge des autoriteacutes lrsquoobligation positive de prendre des mesures opeacuterationnelles preacuteventives pour proteacuteger un individu contre autrui ou contre lui-mecircme (Cour EDH Renolde preacuteciteacute sect 80 Fernandes de Oliveira preacuteciteacute sect 108 et Nicolae Virgiliu Tănase preacuteciteacute sect 136) Elle a deacutejagrave jugeacute que dans le cas speacutecifique du risque de suicide en prison lrsquoEacutetat nrsquoa une telle obligation positive que lorsque les autoriteacutes savaient ou auraient ducirc savoir qursquoil existait un risque reacuteel et immeacutediat qursquoun individu donneacute attente agrave sa vie (Cour EDH De Donder et De Clippel preacuteciteacute sect 69 et Fernandes de Oliveira preacuteciteacute sect 110) Dans le cas de lrsquoespegravece la Cour EDH a estimeacute opportun drsquoexaminer sous lrsquoangle de lrsquoarticle 2 de la Convention uniquement les mesures prises par les autoriteacutes peacutenitentiaires pour empecirccher que le requeacuterant attente effectivement agrave ses jours La Cour EDH relegraveve que en ce qui concerne toutes les tentatives de suicide du requeacuterant pendant son emprisonnement agrave la maison drsquoarrecirct les autoriteacutes peacutenitentiaires sont intervenues rapidement et ont reacuteussi agrave empecirccher que le requeacuterant mette fin agrave sa vie Il a ensuite fait lrsquoobjet drsquoune surveillance speacuteciale et tous les objets potentiellement dangereux lui ont eacuteteacute retireacutes afin drsquoeacuteviter tout autre tentative Par conseacutequence la Cour EDH estime que dans lrsquoensemble les autoriteacutes ont fait ce que lrsquoon pouvait raisonnablement attendre drsquoelles dans les circonstances de la cause pour empecirccher la mateacuterialisation du risque pour la vie du requeacuterant dans la mesure ougrave elles avaient connaissance du caractegravere certain et immeacutediat de ce risque Les mesures prises ont drsquoailleurs effectivement permis drsquoempecirccher que le requeacuterant se suicide Partant elle juge qursquoil nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 2 de la Convention

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2) Sur la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 3 de la Convention

o Sur le volet mateacuteriel

La Cour EDH rappelle qursquoun traitement doit atteindre un minimum de graviteacute pour tomber sous le coup de lrsquoarticle 3 de la Convention Selon une jurisprudence constante un traitement peut ecirctre qualifieacute de laquo deacutegradant raquo au sens de lrsquoarticle 3 srsquoil humilie ou avilit un individu srsquoil teacutemoigne drsquoun manque de respect pour sa digniteacute ou srsquoil suscite chez lui des sentiments de peur drsquoangoisse ou drsquoinfeacuterioriteacute propres agrave briser sa reacutesistance morale et physique (Cour EDH MSS c Belgique et Gregravece [GC] 21 janvier 2011 no 3069609 sect 220 et El-Masri c lrsquoex-Reacutepublique yougoslave de Maceacutedoine [GC] 13 deacutecembre 2012 no 3963009 sect 202) Elle rappelle eacutegalement que les personnes atteintes drsquoune maladie mentale sont de personnes particuliegraverement vulneacuterables (Cour EDH Renolde preacuteciteacute sect 840) Les autoriteacutes sont ainsi tenues de veiller avec une rigueur particuliegravere agrave ce que les conditions de la deacutetention drsquoune personne atteinte drsquoune maladie mentale reacutepondent aux besoins speacutecifiques deacutecoulant de sa maladie (Cour EDH Fernandes de Oliveira preacuteciteacute sect 113) La Cour EDH constate tout drsquoabord qursquoau cours de ses deux peacuteriodes de deacutetention preacuteventive le requeacuterant a eacuteteacute traiteacute comme un simple deacutetenu placeacute dans un environnement carceacuteral ordinaire Elle considegravere que compte tenu de la fragiliteacute psychologique du requeacuterant de ses troubles comportementaux qui se sont manifesteacutes tout de suite apregraves son placement en deacutetention preacuteventive et qui auraient pu mettre en danger la propre personne de lrsquointeacuteresseacute il appartenait aux autoriteacutes de le faire examiner par un meacutedecin psychiatre afin de deacuteterminer la compatibiliteacute de son eacutetat psychologique avec la deacutetention ainsi que les mesures theacuterapeutiques agrave prendre dans son cas preacutecis (Cour EDH Rupa c Roumanie (no 1) 16 deacutecembre 2008 no 5847800 sect 170) De plus la Cour EDH relegraveve que le deuxiegraveme placement agrave lrsquoisolement a eacuteteacute deacutecideacute agrave titre de mesure provisoire puis confirmeacute comme sanction disciplinaire Cette sanction a eacuteteacute appliqueacutee pendant une dureacutee de trois jours Pendant les premiegraveres 24 heures le requeacuterant resta nu entraveacute par les menottes et casqueacute sans avoir aucune visite Selon la Cour EDH cette mesure a eacuteteacute deacutecideacutee sans prise en compte de lrsquoeacutetat psychique du requeacuterant et sans qursquoil soit proceacutedeacute agrave une reacuteeacutevaluation de la neacutecessiteacute de maintenir les entraves et la nuditeacute du requeacuterant pendant 24 heures En conseacutequent la Cour EDH estime que compte tenu de lrsquoeacutetat de santeacute mentale de M Jeanty le manque drsquoencadrement et de suivi meacutedical au cours de ses deux peacuteriodes de deacutetention combineacute avec lrsquoinfliction drsquoune sanction disciplinaire dans une cellule drsquoisolement pendant trois jours alors qursquoil avait commis plusieurs tentatives de suicide ont constitueacute une eacutepreuve particuliegraverement peacutenible et ont soumis lrsquointeacuteresseacute agrave une deacutetresse ou agrave une eacutepreuve drsquoune intensiteacute ayant exceacutedeacute le niveau ineacutevitable de souffrance inheacuterent agrave la deacutetention Il y a donc eu violation du volet mateacuteriel de lrsquoarticle 3 de la Convention

o Sur le volet proceacutedural

La Cour EDH rappelle que les principes geacuteneacuteraux sont eacutenonceacutes dans les arrecircts El‑Masri ([GC] 13 deacutecembre 2012 no 3963009) Mocanu et autres c Roumanie ([GC] 17 septembre 2014 nos 1086509 et 2 autres) et Bouyid c Belgique ([GC] 28 septembre 2015 no 2338009) En particulier elle rappelle qursquoune enquecircte sur des alleacutegations de traitement inhumain ou deacutegradant doit permettre drsquoidentifier et de sanctionner les responsables Elle doit eacutegalement ecirctre suffisamment vaste pour permettre aux autoriteacutes qui en sont chargeacutees de prendre en consideacuteration non seulement les actes des agents de lrsquoEacutetat qui ont eu directement et illeacutegalement recours agrave la force mais aussi lrsquoensemble des circonstances les ayant entoureacutes Enfin lrsquoenquecircte doit ecirctre approfondie ce qui signifie que les autoriteacutes doivent toujours srsquoefforcer seacuterieusement de deacutecouvrir ce qui srsquoest passeacute et qursquoelles ne doivent pas srsquoappuyer sur des conclusions hacirctives ou mal fondeacutees pour clore lrsquoenquecircte La Cour EDH constate en lrsquoespegravece que plus de huit mois se sont eacutecouleacutes entre le reacutequisitoire de mise agrave lrsquoinstruction du procureur du Roi le 8 juillet 2014 et le moment ougrave le juge drsquoinstruction a reccedilu le dossier le 3 mars 2015 Ce deacutelai pendant lequel lrsquoinstruction nrsquoa pas commenceacute et pour lequel le Gouvernement nrsquoa fourni aucune explication apparaicirct difficilement compreacutehensible et acceptable par la Cour EDH De plus une fois lrsquoinstruction entameacutee en mars 2015 aucune autre devoir agrave part le dossier peacutenitentiaire et le dossier meacutedical du requeacuterant nrsquoa eacuteteacute demandeacutee par le juge drsquoinstruction La Cour EDH relegraveve qursquoaucune des personnes impliqueacutees ou mises en cause nrsquoont eacuteteacute entendues ni les agents peacutenitentiaires ni les meacutedecins ayant vu le requeacuterant ni le requeacuterant lui-mecircme La Cour EDH conclut que lrsquoenquecircte ne peut pas ecirctre consideacutereacutee comme effective Par conseacutequent il y a eu violation du volet proceacutedural de lrsquoarticle 3 de la Convention

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PAR CES MOTIFS LA COUR

1 Deacuteclare agrave lrsquounanimiteacute la requecircte recevable 2 Dit par quatre voix contre trois qursquoil nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 2 de la Convention 3 Dit agrave lrsquounanimiteacute qursquoil y a eu violation du volet mateacuteriel de lrsquoarticle 3 de la Convention 4 Dit agrave lrsquounanimiteacute qursquoil y a eu violation du volet proceacutedural de lrsquoarticle 3 de la Convention 5 Dit agrave lrsquounanimiteacute

1 que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans un deacutelai de trois mois agrave compter de la date agrave laquelle lrsquoarrecirct sera devenu deacutefinitif conformeacutement agrave lrsquoarticle 44 sect 2 de la Convention les sommes suivantes

1 15 000 EUR (quinze mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc sur cette somme agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral

2 8 000 EUR (huit mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc sur cette somme par le requeacuterant agrave titre drsquoimpocirct pour frais et deacutepens

2 qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage

6 Rejette par quatre voix contre trois le surplus de la demande de satisfaction eacutequitable Opinion en partie dissidente commune aux juges Pinto de Albuquerque Serghides et Schembri Orland Les juges Pinto de Albuquerque Serghides et Schembri Orland considegraverent que les faits de la cause reacutevegravelent une violation flagrante du volet mateacuteriel de lrsquoarticle 2 de le Convention ainsi que de son volet proceacutedural En premier lieu ils relegravevent que le juge drsquoinstruction avait connaissance du risque reacuteel et immeacutediat que le requeacuterant attentacirct agrave sa vie ainsi que de la fragiliteacute psychologique de lrsquointeacuteresseacute Pourtant il nrsquoa pas ordonneacute sa mise en observation dans lrsquoannexe psychiatrique drsquoun centre peacutenitentiaire Par conseacutequent ils ont exprimeacute leur deacutesaccord avec lrsquoargument de la majoriteacute des juges selon lequel laquo [l]a Cour rappelle qursquoil ne lui appartient pas de connaicirctre des erreurs de fait ou de droit preacutetendument commises par une juridiction interne sauf si et dans la mesure ougrave elles pourraient avoir porteacute atteinte aux droits et liberteacutes sauvegardeacutes par la Convention () Il nrsquoincombe pas agrave la Cour de deacutecider si le juge drsquoinstruction aurait ducirc prendre une autre deacutecision celui-ci eacutetant mieux placeacute que la Cour pour prendre une deacutecision quant au lieu et aux conditions dans lesquelles la deacutetention du requeacuterant devait avoir lieu compte tenu de son eacutetat de santeacute mentale raquo (sect 104 de lrsquoarrecirct) Selon eux il srsquoagissait preacuteciseacutement drsquoune situation qui appelait pareille mesure exceptionnelle compte tenu de la fragiliteacute du requeacuterant En effet ils considegraverent que la grave erreur de fait commise par le juge drsquoinstruction a menaceacute le droit agrave la vie du requeacuterant En deuxiegraveme lieu les autoriteacutes peacutenitentiaires avaient eacutegalement eacuteteacute informeacutees de ce risque par un message qui leur avait eacuteteacute adresseacute par teacuteleacutecopie par le juge drsquoinstruction lui-mecircme Les juges Pinto de Albuquerque Serghides et Schembri Orland considegraverent qursquoelles nrsquoont pourtant pas pris les mesures de preacutecaution de base qui srsquoimposent en pareille situation comme priver le requeacuterant de sa ceinture et de son slip et allant mecircme jusqursquoagrave laisser un couteau agrave porteacutee de sa main De plus elles nrsquoont mecircme pas informeacute le juge drsquoinstruction des trois tentatives de suicide du requeacuterant alors qursquoelles y eacutetaient expresseacutement tenues par la loi Selon les juges non seulement elles nrsquoont pas pris les mesures preacuteventives qui srsquoimposaient pour atteacutenuer le risque de suicide mais elles ont aussi contribueacute agrave aggraver lrsquoeacutetat de fragiliteacute dans lequel le requeacuterant se trouvait en le placcedilant temporairement en cellule drsquoisolement nu lors de chacune de ses peacuteriodes drsquoincarceacuteration allant mecircme jusqursquoagrave lui infliger une sanction disciplinaire agrave sa sortie de la cellule drsquoisolement lors de sa deuxiegraveme peacuteriode drsquoincarceacuteration Les juges concluent que cette conduite deacutenote une absence totale de compassion agrave lrsquoeacutegard drsquoun deacutetenu particuliegraverement vulneacuterable pour lequel une approche totalement diffeacuterente eacutetait neacutecessaire (Cour EDH Renolde c France 16 octobre 2008 no 560805 sect 83) Finalement les juges relegravevent que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute vu par un psychiatre agrave son arriveacutee au centre de deacutetention Selon le Gouvernement le requeacuterant a eacuteteacute vu par un psychiatre apregraves seulement dix jours de deacutetention Le requeacuterant conteste cette affirmation Neacuteanmoins les juges considegraverent que mecircme si lrsquoaffirmation du gouvernement eacutetait vraie cela ne lrsquoexonegravererait pas de ses obligations qui deacutecoulent de la Convention compte tenu de la ligne jurisprudentielle claire adopteacutee par la Cour EDH Les juges Pinto de Albuquerque Serghides et Schembri Orland relegravevent eacutegalement que au paragraphe 109 la majoriteacute cite lrsquoarrecirct Rupa c Roumanie (ndeg 1) (Cour EDH 16 deacutecembre 2008 no 5847800) qui est ainsi libelleacute en son paragraphe 170 laquo En bref la Cour considegravere que compte tenu des anteacuteceacutedents meacutedicaux du requeacuterant de ses troubles comportementaux qui se sont manifesteacutes tout de suite apregraves

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son placement en deacutetention provisoire et qui auraient pu mettre en danger la propre personne de lrsquointeacuteresseacute il appartenait aux autoriteacutes de le faire aussitocirct examiner par un meacutedecin psychiatre afin de deacuteterminer la compatibiliteacute de son eacutetat psychologique avec la deacutetention ainsi que les mesures theacuterapeutiques agrave prendre dans son cas preacutecis raquo Ils notent que lrsquoadverbe laquo aussitocirct raquo nrsquoapparaicirct pas dans la citation de lrsquoarrecirct Rupa qui figure au paragraphe 109 de lrsquoarrecirct Par conseacutequence ils expriment leur deacutesaccord avec la majoriteacute lorsqursquoelle conclut au paragraphe 76 de lrsquoarrecirct que les autoriteacutes internes avaient certes connaissance des tendances suicidaires du requeacuterant mais qursquoelles ne pouvaient pas mettre en place degraves le deacutebut de sa premiegravere peacuteriode drsquoincarceacuteration des mesures preacuteventives visant agrave eacuteviter tout risque de suicide

Cour EDH (quatriegraveme section) Andreea-Marusia DumitruRoumanie 31 mars 2020 ndeg963716

Reacutesumeacute Dans le cadre drsquoune violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 2 de la Convention sur le droit agrave la vie la Cour EDH a pu juger que dans le contexte drsquoabsence de regraveglementation preacutecise sur lrsquousage des armes agrave feu et de deacutefaillances dans la preacuteparation de lrsquoopeacuteration de police le fonctionnaire de police en cause nrsquoavait pas pris les preacutecautions suffisantes pour preacuteserver la vie des personnes De plus la Cour EDH preacutecise que lrsquoenquecircte meneacutee dans le cadre de la proceacutedure engageacutee relativement agrave une opeacuteration de police ne peut pas ser pour avoir eacuteteacute rapide et effective lorsque le jugement deacutefinitif qui en deacutecoule est rendu plus de neuf ans et trois mois apregraves les faits La requeacuterante Andreea-Marusia Dumitru est une ressortissante roumaine neacutee en 1990 et reacutesidant agrave Bujoru Le 8 novembre 2005 la requeacuterante et sa megravere voulant rentrer chez elles deacutecidegraverent de traverser une gare de trains de marchandises En franchissant la plate-forme drsquoun wagon la requeacuterante a eacuteteacute blesseacutee par un tire drsquoarme agrave feu Le Gouvernement soutient que le jour mecircme les forces de lrsquoordres avaient eacuteteacute informeacutees du fait qursquoun groupe drsquoindividus drsquoorigine rom allaient voler de la ferraille dans un train de fret stationneacute agrave la gare de marchandises Deux fonctionnaires de police se rendirent sur les lieux accompagneacutes par deux gardiens afin de disperser le groupe et reacutetablir lrsquoordre Selon eux plusieurs individus refusegraverent drsquoobeacuteir et commencegraverent agrave jeter des pierres et des objets meacutetalliques dans leur direction Un des agents tira un coup de feu apregraves avoir effectueacute les sommations leacutegales en direction du groupe pour se deacutefendre La requeacuterante a eacuteteacute conduite agrave lrsquohocircpital et fut opeacutereacutee drsquourgence Entre 2006 et 2007 elle fut hospitaliseacutee plusieurs fois des suites de ses blessures et elle garda une invaliditeacute permanente du fait de lrsquoablation partielle de son foie Le 8 novembre 2005 le bureau de police ouvrit une enquecircte visant la requeacuterante des chefs de tentative de vol et drsquoentreacutee illeacutegale dans la zone de seacutecuriteacute des installations ferroviaires Le 2 feacutevrier 2010 la direction reacutegionale de la police des transports mit en accusation la requeacuterante pour ces mecircmes chefs Le 3 juillet 2012 le parquet infirma lrsquoacte drsquoaccusation au motif qursquoaucun eacuteleacutement du dossier ne corroborait la tentative de vol et que mecircme si la requeacuterante avait reconnu avoir traverseacute les voies de chemin de fer dans une zone interdite les faits nrsquoeacutetant pas suffisamment graves pour entraicircner une sanction peacutenale Le 1er aoucirct 2006 la requeacuterante a porteacute plainte du chef de tentative de meurtre Le 4 aoucirct 2009 le parquet pregraves le tribunal de Bucarest a rendu un non-lieu au motif que le policier en cause avait agi en eacutetat de leacutegitime deacutefense Le requeacuterante formula une contestation contre ce non-lieu en deacutenonccedilant le caractegravere superficielle de lrsquoenquecircte Par un arrecirct du 28 juin 2010 la Cour drsquoappel de Bucarest a accueilli la contestation et a ordonneacute la reacuteouverture de lrsquoenquecircte Le 21 juillet 2010 le dossier fut transfeacutereacute au parquet pregraves la Haute Cour de cassation du fait de

Art 2 (mateacuteriel) bull Recours agrave la force bull Blessures potentiellement mortelles causeacutees par les tirs de policiers pour arrecircter une tentative de vol bull Reacuteglementation impreacutecise sur lrsquousage des armes agrave feu bull Absence de recommandation sur la preacuteparation et le controcircle des opeacuterations de police bull Deacutefaillance dans la preacuteparation de lrsquointervention malgreacute sa preacutevisibiliteacute bull Absence de formation au maniement des armes agrave balles agrave caoutchouc Art 2 (proceacutedural) bull Enquecircte inefficace sur les circonstances des blessures subies deacutebuteacutee agrave la seule initiative de la victime et plus de huit mois apregraves les eacuteveacutenements bull Gestion non rigoureuse des preuves et de leur conservation bull Expertises pertinentes effectueacutees plus de trois et cinq ans apregraves les faits bull Absence de ceacuteleacuteriteacute de la proceacutedure ayant dureacute plus de neuf ans

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lrsquoancienneteacute du dossier parce que les suspects sont des fonctionnaires de police et pour eacuteviter des soupccedilons sur lrsquoimpartialiteacute du parquet Par ordonnance du 31 juillet 2014 le parquet pregraves la Haute Cour mit fin agrave lrsquoenquecircte et classa la plainte en estimant que lrsquoagent de police en cause avait fait usage de lrsquoarme agrave feu en eacutetat de leacutegitime deacutefense dans le cadre drsquoune mission de reacutetablissement de lrsquoordre public La requeacuterante forma une contestation contre lrsquoordonnance du parquet pregraves la Haute Cour Par un jugement deacutefinitif du 25 feacutevrier 2015 le tribunal de premiegravere instance de Bucarest rejeta cette contestation En conseacutequence la requeacuterante saisie la Cour EDH le 11 feacutevrier 2016

1 Sur la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 2 de la Convention La requeacuterante srsquoest plainte drsquoune part drsquoavoir eacuteteacute blesseacutee par un fonctionnaire de police dans des circonstances qui ne sont pas compatibles avec les exigences mateacuterielles de lrsquoarticle 2 de la Convention et drsquoautre part que lrsquoenquecircte ouverte nrsquoa pas eacuteteacute conforme aux obligations proceacutedurales de lrsquoEacutetat deacutefendeur au titre du mecircme article

o Sur la recevabiliteacute La Cour EDH rappelle devoir examiner drsquooffice sa compeacutetence ratione materiae srsquoagissant de lrsquoapplication de lrsquoarticle 2 de la Convention La Cour EDH considegravere que la requeacuterante a eacuteteacute victime drsquoun comportement qui a mis sa vie en danger mecircme si elle a finalement surveacutecu De fait lrsquoarticle 2 de la Convention trouve agrave srsquoappliquer en lrsquoespegravece (mutatis mutandis Soare et autres c Roumanie ndeg2432902 sect 109 22 feacutevrier 2011)

o Sur le fond Srsquoagissant du volet mateacuteriel la Cour EDH renvoie aux arrecircts McCann et autres c Royaume-Uni (27 septembre 1995 sectsect 146-150 ndeg1898491) Makaratzis c Gregravece ([GC] ndeg5038599 sectsect 56-60) et Giuliani et Gaggio c Italie ([GC] ndeg2345802 sectsect 174-182) qui exposent lrsquoensemble des principes geacuteneacuteraux deacutegageacutes dans sa jurisprudence sur le recours agrave la force meurtriegravere Si la Cour EDH estime que le recours des policiers agrave la force meurtriegravere peut ecirctre justifieacute dans certaines circonstances le non-encadrement par des regravegles et lrsquoabandon arbitraire de lrsquoaction des agents de lrsquoEacutetat sont incompatibles avec un respect effectif de lrsquoarticle 2 de la Convention Les opeacuterations de police doivent ecirctre reacuteglementeacutees par le droit national dans le cadre drsquoun systegraveme de garanties adeacutequates et effectives contre lrsquoarbitraire et lrsquoabus de la force et mecircme contre les accidents eacutevitables (sect 86) A ce titre la Cour EDH doit prendre en consideacuteration non seulement les actes des agents de lrsquoEacutetat ayant eu recours agrave la force mais eacutegalement lrsquoensemble des circonstances de lrsquoaffaire un cadre juridique et administratif doit deacutefinir les conditions limiteacutees dans lesquelles les agents de lrsquoEacutetat peuvent recourir agrave la force et faire usage drsquoarmes agrave feu (Gheorghe Cobzaru c Roumanie ndeg697808 sect 47 25 juin 2013) Lorsque la force meurtriegravere est employeacutee par les autoriteacutes dans une opeacuteration de police il est difficile de seacuteparer les obligations neacutegatives des obligations positives que fait peser la Convention sur lrsquoEacutetat Ainsi il en revient agrave la Cour EDH drsquoexaminer si les autoriteacutes ont planifieacute et controcircleacute lrsquoopeacuteration de police de maniegravere agrave reacuteduire au minimum le recours agrave la force meurtriegravere et les pertes humaines et si toutes les preacutecautions en leur pouvoir dans le choix des moyens et meacutethodes drsquoune opeacuteration de seacutecuriteacute ont eacuteteacute prises (Finogenov et autres c Russie ndeg1829903 et 2731103 sect 208)

o Cadre leacutegal relatif agrave lrsquousage des armes agrave feu et la preacuteparation de lrsquoopeacuteration de police La Cour EDH a deacutejagrave jugeacute que le cadre leacutegislatif roumain regraveglementant lrsquousage des armes agrave feu et des munitions nrsquoeacutetait pas suffisant pour offrir le niveau de protection du droit agrave la vie laquo par la loi raquo requis dans les socieacuteteacutes deacutemocratiques contemporaines en Europe (Soare et autres c Roumanie ndeg2432902 sect 132 Gheorghe Cobzaru c Roumanie ndeg697808sect 48) Les dispositions internes en cause dans les arrecircts susmentionneacutes toujours en vigueur agrave lrsquoeacutepoque des faits en lrsquoespegravece et nrsquoayant subi de modifications significatives la Cour EDH conclut que la leacutegislation nationale ne

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contenait aucune disposition regraveglementant lrsquousage des armes agrave feu dans le cadre drsquoune opeacuteration de police et qursquoelle ne comportait aucune recommandation concernant la preacuteparation et le controcircle des opeacuterations en cause Ainsi la Cour EDH juge que les autoriteacutes roumaines nrsquoont pas fait tout ce que lrsquoon pouvait raisonnablement attendre drsquoelles pour reacuteduire au minimum le recours agrave la force meurtriegravere et les eacuteventuelles pertes humaines

o Les actions du fonctionnaire de police en cause

La Cour EDH eacutetant confronteacutee agrave des versions divergentes des faits elle rappelle qursquoelle nrsquoest pas lieacutee par les constatations des juridictions internes et demeure libre de se livrer agrave sa propre appreacuteciation agrave la lumiegravere des eacuteleacutements dont elle dispose (Iambor c Roumanie ndeg6453601 sect 166 24 juin 2008) De plus elle rappelle que lorsqursquoil est reprocheacute aux agents de lrsquoEacutetat drsquoavoir fait usage drsquoune force potentiellement meurtriegravere en violation de lrsquoarticle 2 sect2 de la Convention il incombe au gouvernement deacutefendeur drsquoeacutetablir que la force en question nrsquoest pas alleacutee au-delagrave de ce qui eacutetait absolument neacutecessaire et qursquoelle eacutetait strictement proportionneacutee agrave lrsquoun des buts autoriseacutes par cette disposition (sect 106) En lrsquoespegravece la Cour EDH considegravere que les lacunes de lrsquoenquecircte lrsquoempecircchent de porter sur les faits de la cause une appreacuteciation fondeacutee sur les seules constatations opeacutereacutees par les autoriteacutes nationales Les omissions imputables aux autoriteacutes nationales ont conduit la Cour EDH agrave rejeter la thegravese selon laquelle les blessures de la requeacuterante ont eacuteteacute provoqueacutees accidentellement par lrsquoaction en leacutegitime deacutefense du fonctionnaire de police en cause A ce titre la Cour EDH juge que le Gouvernement nrsquoa pas prouveacute que lrsquousage de la force eacutetait absolument neacutecessaire au sens de lrsquoarticle 2 sect2 de la Convention et qursquoil y a eu violation de cette disposition sous son volet mateacuteriel Srsquoagissant du volet proceacutedural la Cour EDH rappelle qursquoau titre de son obligation de proteacuteger le droit agrave la vie lrsquoEacutetat doit srsquoassurer qursquoil dispose dans les cas de deacutecegraves ou de blessures physiques potentiellement mortelles drsquoun systegraveme judiciaire effectif et indeacutependant lui permettant agrave bref deacutelai drsquoeacutetablir les faits de contraindre les responsables agrave rendre des comptes et de fournir aux victimes une reacuteparation adeacutequate (Nicolae Virgiliu Tănase c Roumanie [GC] n04172013 sect 157 25 juin 2019) La Cour EDH preacutecise que dans ces hypothegraveses une enquecircte officielle approprieacutee et effective doit ecirctre meneacutee Il srsquoagit drsquoune obligation de moyen en ce que les autoriteacutes doivent avoir pris les mesures qui leur eacutetaient raisonnablement accessibles afin de recueillir les preuves concernant lrsquoincident Toute carence de lrsquoenquecircte affaiblissant sa capaciteacute agrave conduire agrave lrsquoidentification de la ou des personnes responsables risque de faire conclure agrave son inadeacutequation (Ramsahai et autres c Pays-Bas [GC] ndeg5239199 sect 324) En lrsquoespegravece la Cour EDH juge que les lacunes dans lrsquoadministration des preuves corroboreacutees par la perte drsquoeacuteleacutements de preuve essentiels pour la recherche de la veacuteriteacute ont affecteacute le caractegravere adeacutequat de lrsquoenquecircte Au regard du deacutefaut drsquoindeacutependance et drsquoimpartialiteacute des enquecircteurs alleacutegueacute par la requeacuterante la Cour EDH reacuteitegravere que pour qursquoune enquecircte soit effective il est neacutecessaire que les personnes responsables de lrsquoenquecircte et celles effectuant les investigations soient indeacutependantes de celles impliqueacutees dans les eacutevegravenements (Oumlğur c Turquie [GC] ndeg2195493 sectsect 91-92) En lrsquoespegravece la Cour EDH estime que les investigations conduites sous lrsquoautoriteacute de parquet pregraves la Haute Cour ne posent pas de problegraveme de conformiteacute avec la Convention au regard de lrsquoindeacutependance et lrsquoimpartialiteacute requises Enfin srsquoagissant de la ceacuteleacuteriteacute de la proceacutedure la Cour EDH conclut que lrsquoenquecircte meneacutee ne peut passer pouvoir avoir eacuteteacute rapide et effective puisque plus de neuf ans et trois mois se sont eacutecouleacutes entre les faits survenus le 8 novembre 2005 et le jugement deacutefinitif du 25 feacutevrier 2015 Ainsi la Cour EDH juge qursquoil y a eu une violation de lrsquoarticle 2 de la Convention sous son volet proceacutedural

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2 Sur la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 6 de la Convention

Compte tenu de la reconnaissance de la violation de lrsquoarticle 2 de la Convention dans son volet proceacutedural la Cour EDH estime qursquoaucune question distincte ne se pose au regard de lrsquoarticle 6 sect1 de la Convention (mutatis mutandis Gheorghe Cobzaru c Roumanie ndeg697808sect 82) Par ces motifs la Cour EDH agrave lrsquounanimiteacute

1 Deacuteclare la requecircte recevable quant au grief tireacute de lrsquoarticle 2 de la Convention 2 Dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 2 de la Convention sous ses volets mateacuteriel et proceacutedural 3 Dit qursquoil nrsquoy a pas lieu drsquoexaminer la recevabiliteacute et le fond du grief formuleacute sur le terrain de

lrsquoarticle 6 de la Convention 4 Dit

a Que lrsquoEacutetat deacutefendeur soit verser agrave la requeacuterante dans un deacutelai de trois mois agrave compter de la date agrave laquelle lrsquoarrecirct sera devenu deacutefinitif conformeacutement agrave lrsquoarticle 44 sect2 de la Convention les sommes suivantes agrave convertir dans la monnaie de lrsquoEacutetat deacutefendeur au taux applicable agrave la date du regraveglement i 25 000 EUR (vingt-cinq mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc agrave titre drsquoimpocirct

pour dommage moral ii 3 270 EUR (trois mille deux cent soixante-dix euros) plus tout montant pouvant ecirctre

ducirc par la requeacuterante agrave titre drsquoimpocirct pour frais et deacutepens agrave verser sur le compte bancaire qui sera indiqueacute par son repreacutesentant

b Qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage

5 Rejette la demande de satisfaction eacutequitable pour le surplus

Cour EDH (cinquiegraveme section) Kukhalashvili et autres Geacuteorgie 2 avril 2020 ndeg 893807 et 4189107

Arrecirct rendu en anglais Reacutesumeacute Dans une affaire de reacutepression dune eacutemeute dans une prison geacuteorgienne ayant conduit agrave la mort de plusieurs deacutetenus la Cour EDH conclut que ces derniers ont succombeacute agrave une force meurtriegravere qui bien qursquoayant poursuivi des buts leacutegitimes viseacutes agrave lrsquoarticle 2 de la Convention ne peut ecirctre consideacutereacutee comme ayant eacuteteacute laquo absolument neacutecessaire raquo au sens de cette mecircme disposition En effet lrsquoopeacuteration antieacutemeute nrsquoa pas eacuteteacute meneacutee de maniegravere controcircleacutee et systeacutematique et les agents des services reacutepressifs nrsquoont pas reccedilu drsquoordres ou drsquoinstructions clairs qui auraient viseacute agrave limiter autant que possible le risque qursquoil y ait des victimes Les autoriteacutes nrsquoont pas envisageacute de recourir agrave des moyens moins violents pour faire face agrave un incident de seacutecuriteacute par exemple la neacutegociation pour reacutesoudre la crise

Art 2 (substantiel) bull Usage aveugle et excessif de la force meurtriegravere lors dopeacuterations antibulleacutemeutes en prison meneacutees de maniegravere incontrocircleacutee et non systeacutematique sans chaicircne de commandement claire Usage de la force meurtriegravere justifieacute par une violence illeacutegale et un risque dinsurrection bull Absence de prise en compte par les autoriteacutes de moyens moins violents ou de la possibiliteacute de neacutegociations bull Mauvaise le traitement et lusage disproportionneacute de la force persistant apregraves la fin de lopeacuteration bull Incapaciteacute des autoriteacutes agrave fournir une assistance meacutedicale adeacutequate bull Incapaciteacute du gouvernement agrave rendre compte de chacun des deacutecegraves pertinents bull la confiance de la Cour dans tous les documents disponibles y compris les rapports des ONG lorsquil est empecirccheacute deacutetablir des faits pour des raisons imputables agrave lEacutetat Art 2 (proceacutedure) bull Enquecircte compromise par un lancement tardif un manque dindeacutependance et dimpartialiteacute une participation insuffisante des proches du deacutefunt et des retards prohibitifs dans la proceacutedure

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Les requeacuterantes Sofio Kukhalashvili Marina Gordadze et Rusudan Chitashvili sont trois ressortissantes geacuteorgiennes neacutees respectivement en 1977 en 1956 et en 1938 Elles reacutesident en Geacuteorgie La premiegravere et la deuxiegraveme requeacuterante sont respectivement la sœur et la megravere de ZK et la troisiegraveme requeacuterante est la megravere de AB Les deux hommes ZK et AB eacutetaient deacutetenus agrave la prison ndeg5 de Tbilissi ougrave ils ont trouveacute la mort en mars 2006 lors drsquoune opeacuteration meneacutee par la police antieacutemeute Ils avaient respectivement 23 ans et 29 ans Lrsquoopeacuteration antieacutemeute eut lieu en reacuteaction agrave des troubles ayant eacuteclateacute apregraves que les autoriteacutes avaient extrait drsquoun hocircpital peacutenitentiaire six chefs de gang supposeacutes et leurs proches complices Le but des autoriteacutes avait eacuteteacute de reacuteduire lrsquoinfluence supposeacutee de ces chefs de gang dans le milieu carceacuteral mais lrsquoextraction de ceux-ci par la force avait deacuteclencheacute des troubles dans les prisons n os 1 et 5 proches des lieux Les autoriteacutes eurent recours agrave une brigade antieacutemeute afin drsquoendiguer les troubles particuliegraverement intenses qui reacutegnaient dans la prison ndeg5 Ces incidents causegraverent la mort de sept deacutetenus et firent 24 blesseacutes (22 deacutetenus et deux agents peacutenitentiaires) Par la suite les requeacuterantes obtinrent du parquet des documents relatifs au deacutecegraves de leurs proches indiquant que tous deux avaient eacuteteacute blesseacutes par balles Les procureurs indiquegraverent seacutepareacutement agrave chaque famille que la force meurtriegravere avait eacuteteacute utiliseacutee contre ZK et AB laquo dans un moment drsquoextrecircme urgence raquo Ils refusegraverent drsquoaccorder aux requeacuterantes la qualiteacute de partie civile dans les affaires relatives agrave la mort de leurs proches Les informations que le Gouvernement a soumises agrave la Cour EDH montrent notamment que les autoriteacutes ont meneacute des investigations sur lrsquoeacutemeute et sur lrsquousage de la force par la police Six deacutetenus ndash les preacutetendus chefs de gang et leurs proches complices ndash furent finalement inculpeacutes pour instigation de lrsquoeacutemeute et condamneacutes agrave des peines drsquoemprisonnement La juridiction du fond eacutetablit que des deacutetenus de la prison ndeg5 avaient jeteacute des morceaux de briques et de fer sur des agents peacutenitentiaires et que la brigade antieacutemeute avait riposteacute en utilisant des balles en caoutchouc Des deacutetenus avaient ensuite tireacute agrave lrsquoaide de pistolets Makarov et de pistolets agrave gaz et avaient reacutesisteacute jusqursquoagrave lrsquointervention drsquoagents peacutenitentiaires et des forces antieacutemeute Par ailleurs le parquet ouvrit des dossiers seacutepareacutes concernant drsquoune part un eacuteventuel abus de pouvoir commis par la police et les agents peacutenitentiaires du fait qursquoils avaient ouvert le feu lors de lrsquoeacutemeute et drsquoautre part drsquoeacuteventuels homicides sur les personnes de ZK et de AB Des mesures drsquoenquecircte furent adopteacutees dans la premiegravere affaire mais il nrsquoest pas certain qursquoil en aille de mecircme pour la seconde relative au deacutecegraves de ZK et de AB Invoquant lrsquoarticle 2 (droit agrave la vie) et lrsquoarticle 13 (droit agrave un recours effectif) les requeacuterantes alleacuteguaient que lrsquoEacutetat eacutetait responsable du deacutecegraves de leurs proches et que les autoriteacutes nrsquoavaient pas meneacute une enquecircte effective Les requecirctes ont eacuteteacute introduites aupregraves de la Cour EDH les 26 janvier et 14 aoucirct 2007 Au vu des similariteacutes de celles-ci la Cour EDH a deacutecideacute de les joindre Sur la violation alleacutegueacutee des articles 2 et 13 de la Convention

o Sur le volet proceacutedural de larticle 2 La Cour EDH examine tout drsquoabord les griefs des requeacuterantes du point de vue de lrsquoobligation incombant agrave lrsquoEacutetat de mener une enquecircte effective sur les homicides illeacutegaux ou deacutecegraves suspects (volet proceacutedural de lrsquoarticle 2 obligation denquecircter) et rappelle sa jurisprudence tregraves fournie en la matiegravere (sect129 agrave 131) Selon des informations fournies par le Gouvernement lrsquoenquecircte sur lrsquousage de la force par les services reacutepressifs agrave la prison nrsquoa deacutebuteacute qursquoen juin 2006 soit trois mois apregraves les faits ce qui pour la Cour EDH repreacutesente un deacutelai bien trop long eu eacutegard agrave lrsquoampleur des eacuteveacutenements et au risque qursquoapregraves un si long laps de temps les informations importantes ne puissent plus ecirctre recueillies (sect132) En outre les autoriteacutes ont dans un premier temps refuseacute drsquoouvrir une enquecircte seacutepareacutee sur le recours agrave une force supposeacutement disproportionneacutee estimant que cet aspect eacutetait deacutejagrave couvert par les mesures drsquoenquecircte adopteacutees lors de la proceacutedure peacutenale ayant viseacute les six instigateurs allegravegues de lrsquoeacutemeute Or cette enquecircte a eacuteteacute meneacutee par le service peacutenitentiaire crsquoest-agrave-dire lrsquoorgane mecircme qui avait organiseacute la riposte agrave lrsquoeacutemeute Par ailleurs cette enquecircte nrsquoa pas porteacute sur la planification de lrsquoopeacuteration ni sur lrsquoutilisation de la force physique ou meurtriegravere ayant tueacute ou blesseacute des deacutetenus Mecircme lorsque les autoriteacutes ont ouvert une enquecircte peacutenale distincte sur le recours agrave la force en juin 2006 les requeacuterants nrsquoy ont pas eacuteteacute associeacutes en tant que victimes ce qui les a priveacutes drsquoimportants droits proceacuteduraux La participation des familles de ZK et de AB et le droit de regard du public sur lrsquoenquecircte ont donc eacuteteacute pratiquement inexistants La Cour EDH rappelle dans son paragraphe 134 quun tel deacutelai prohibitif est en soi incompatible avec lobligation de lEtat en vertu de larticle 2 de la Convention de mener une enquecircte efficace sur les deacutecegraves suspects (voir entre autres les arrecircts Merkulovav c Ukraine ndeg2145404 3 mars 2011sect 51 Şandru

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et autres c Roumanie ndeg2246503 8 deacutecembre 2009 sectsect 73 et 77-80 et Mojsiejew c Pologne ndeg 1181802 24 mars 2009 sectsect 57-58) Enfin lrsquoenquecircte nrsquoa toujours pas abouti agrave des constats deacutefinitifs ce qui constitue un retard excessif incompatible avec les obligations qui deacutecoulent de lrsquoarticle 2 La Cour EDH conclut que lrsquoenquecircte peacutenale sur lrsquousage de la force par les services reacutepressifs semble avoir eacuteteacute ineffective eu eacutegard agrave son ouverture tardive agrave son deacutefaut drsquoindeacutependance et drsquoimpartialiteacute au deacutefaut drsquoassociation des proches et aux retards excessifs Il y a donc eu violation de lrsquoarticle 2 de la Convention sous son volet proceacutedural (sect135) Compte tenu de cette conclusion la Cour EDH juge qursquoaucune question distincte ne se pose sur le terrain de lrsquoarticle 13 de la Convention (sect136)

o Sur le volet mateacuteriel de larticle 2

La Cour EDH recherche ensuite si lrsquousage de la force meurtriegravere contre les proches des requeacuterantes eacutetait leacutegitime (volet mateacuteriel de lrsquoarticle 2) En effet en vertu de larticle 2 de la Convention le recours agrave la force meurtriegravere par les forces de seacutecuriteacute peut ecirctre justifieacute dans certaines circonstances Toutefois larticle 2 ne leur donne pas carte blanche Lutilisation des termes laquo absolument neacutecessaire raquo indique que la force utiliseacutee doit ecirctre strictement proportionneacutee aux objectifs mentionneacutes agrave larticle 2 sect 2 a) b) et c) (voir en ce sens Finogenov and Others c Russie ndeg1829903 et 2731103 20 deacutecembre 2011 sect 210 et Guumll c Turquie ndeg2267693 14 deacutecembre 2000 sectsect 77 et 78) (sect144) Nrsquoayant pas drsquoinformations directes sur les faits qui se sont produits agrave la prison la Cour EDH doit se reposer sur les constats opeacutereacutes au niveau interne Or les juridictions nrsquoont pas acheveacute lrsquoexamen de cette question du recours agrave la force et aucune enquecircte parlementaire nrsquoa eacuteteacute meneacutee ce que la Cour EDH juge regrettable compte tenu de lrsquoampleur des eacutevegravenements (sect148) La Cour EDH preacutecise dans ce mecircme paragraphe quil revenait donc au gouvernement deacutefendeur drsquoexpliquer de maniegravere satisfaisante et convaincante le deacuteroulement des faits et de produire des eacuteleacutements de preuve solides afin de reacutefuter les alleacutegations des requeacuterantes relatives agrave lrsquousage drsquoune force meurtriegravere disproportionneacutee par des agents de lrsquoEacutetat Si le Gouvernement nrsquoagit pas il revient la Cour EDH de tirer ses propres conclusions (voir en ce sens larrecirct Mansuroğlu c Turkey ndeg 4344398 26 feacutevrier 2008 sect 80) La Cour EDH rappelle quelle peut eacutegalement se servir de tous les eacuteleacutements dont elle dispose notamment de rapports drsquoorganisations de deacutefense des droits de lrsquohomme tels que ceux eacutetablis par Amnesty International et Human Rights Watch dans cette affaire Les conclusions factuelles auxquelles aboutit la Cour EDH doivent reposer sur le critegravere de la preuve laquo au-delagrave de tout doute raisonnable raquo Au vu des eacuteleacutements qui sont en sa possession la Cour EDH constate que la conduite des deacutetenus qui se sont barricadeacutes dans la prison ndeg5 et ont tireacute en direction des agents des forces de lrsquoordre au moment des troubles faisait penser agrave une tentative de soulegravevement La Cour EDH rappelle quelle est consciente de la violence qui regravegne dans les prisons et du risque que des actes violents se transforment rapidement en reacutesistance active contre les forces de lordre voire en insurrection (voir en ce sens Leyla Alp et autres v Turquie ndeg2967502 10 deacutecembre 2013sect 84 et İsmail Altun c Turquie ndeg2293202 21 septembre 2010 sect 73)Confronteacute agrave une violence illeacutegale et agrave un risque drsquoinsurrection lrsquoEacutetat deacutefendeur eacutetait donc fondeacute agrave recourir agrave des mesures impliquant une force potentiellement meurtriegravere pouvant ecirctre compatible avec les buts eacutenonceacutes agrave lrsquoarticle 2 sect 2 a (laquo pour assurer la deacutefense de toute personne contre la violence illeacutegale raquo et c (laquo pour reacuteprimer conformeacutement agrave la loi une eacutemeute ou une insurrection raquo) de la Convention Se pose toutefois la question de savoir si le recours agrave la force meurtriegravere eacutetait laquo absolument neacutecessaire raquo en particulier agrave la lumiegravere du nombre de personnes qui ont eacuteteacute tueacutees ou blesseacutees (sect152) Pour appreacutecier la proportionnaliteacute du recours agrave la force meurtriegravere la Cour EDH relegraveve que les autoriteacutes connaissaient le risque que les six chefs de gang supposeacutes et leurs complices provoquent des troubles agrave la prison lors de leur extraction Or la brigade antieacutemeute nrsquoavait pas reccedilu drsquoinstructions ou drsquoordres speacutecifiques quant agrave la forme et agrave lrsquointensiteacute drsquoune eacuteventuelle force meurtriegravere qui permettrait de limiter autant que possible le nombre de victimes potentielles Le Gouvernement nrsquoa pas non plus eacutetabli que la brigade antieacutemeute avait agi de maniegravere controcircleacutee et systeacutematique avec une chaine de commandement claire Selon les eacuteleacutements recueillis par Human Rights Watch les autoriteacutes ne savaient mecircme pas exactement qui eacutetait responsable de lrsquoopeacuteration (sect153)

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Selon la Cour EDH les autoriteacutes nrsquoauraient pas non plus penseacute agrave des mesures alternatives comme employer du gaz lacrymogegravene ou des canons agrave eau omission qui reacutesulte semble-t-il drsquoun deacutefaut de planification strateacutegique Par ailleurs la possibiliteacute drsquoatteacutenuer la crise en neacutegociant avec les deacutetenus barricadeacutes nrsquoa pas eacuteteacute suffisamment envisageacutee (voir en ce sens İsmail Altun citeacute sect 73) (sect154) La Cour EDH affirme dans son paragraphe suivant que les autoriteacutes nrsquoont pas fourni une assistance meacutedicale adeacutequate aux deacutetenus de la prison ndeg5 agrave lrsquoissue de lrsquoopeacuteration alors que de telles dispositions auraient ducirc ecirctre prises La Cour EDH relegraveve au mecircme paragraphe lrsquoexistence de comptes rendus fiables recueillis par des observateurs internes mais aussi internationaux (comme Human Rights Watch et Amnesty International) selon lesquels de nombreux deacutetenus se sont vu infliger des mauvais traitements par des agents des forces speacuteciales et se sont mecircme fait tirer dessus dans leurs cellules alors qursquoils nrsquoopposaient plus de reacutesistance Enfin ni les autoriteacutes nationales ni le gouvernement deacutefendeur nrsquoont fourni drsquoinformations sur le sort de ZK et celui de AB qui ont eacuteteacute tueacutes lors de lrsquoopeacuteration (sect156) Selon la Cour EDH ZK et AB ont succombeacute agrave une force meurtriegravere qui bien qursquoayant poursuivi des buts leacutegitimes viseacutes agrave lrsquoarticle 2 de la Convention ne peut ecirctre consideacutereacutee comme ayant eacuteteacute laquo absolument neacutecessaire raquo au sens de cette disposition La Cour EDH conclut ainsi que lrsquoopeacuteration anti-eacutemeute a emporteacute violation de lrsquoarticle 2 de la Convention sous son volet mateacuteriel (sect157) POUR CES RAISONS LA COUR Agrave LUNANIMITEacute

1 Deacutecide de joindre les demandes 2 Joint au fond lobjection du gouvernement concernant le caractegravere preacutematureacute des demandes et deacuteclare les demandes recevables 3 Dit que lexception preacuteciteacutee du Gouvernement doit ecirctre rejeteacutee et quil y a eu violation de larticle 2 de la Convention tant sur le plan de la proceacutedure que sur celui du fond 4 Dit quil ny a pas lieu dexaminer le grief au titre de larticle 13 de la Convention 5 Dit

a) que lEacutetat deacutefendeur doit verser aux requeacuterants dans un deacutelai de trois mois agrave compter de la date agrave laquelle le jugement devient deacutefinitif conformeacutement agrave larticle 44 sect 2 de la Convention les montants suivants agrave convertir dans la monnaie de lEacutetat deacutefendeur au taux applicable agrave la date du regraveglement

i) 40000 EUR (quarante mille euros) aux premier et deuxiegraveme requeacuterants conjointement et 32000 EUR (trente-deux mille euros) au troisiegraveme requeacuterant plus tout impocirct eacuteventuellement exigible au titre du preacutejudice moral ii) 5 400 (cinq mille quatre cents euros) euros pour le premier et deuxiegraveme requeacuterant conjointement et 3 400 (trois mille quatre cents euros) euros pour le troisiegraveme requeacuterant plus toute taxe qui pourrait leur ecirctre imputeacutee au titre des frais et deacutepens

b) quagrave compter de lexpiration des trois mois susmentionneacutes et jusquau regraveglement des inteacuterecircts simples seront dus sur les montants susmentionneacutes agrave un taux eacutegal au taux de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne pendant la peacuteriode de carence majoreacute de trois points de pourcentage

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Egaliteacute de traitement

Cour de justice (grande chambre) NH Associazione Avvocatura per i diritti LGBTI ndash Rete Lenford 23 avril 2020 C-50718

Reacutesumeacute En reacuteponse agrave des questions preacutejudicielles de la Cour de cassation italienne la Cour de justice estime drsquoune part que des

deacuteclarations insinuant une politique de recrutement homophobe relegravevent de la notion de laquo conditions drsquoaccegraves agrave lrsquoemploi ou au travail raquo

degraves lors qursquoil existe un lien non hypotheacutetique entre ces deacuteclarations et la politique de recrutement de lrsquoemployeur Drsquoautre part elle a

conclu que le droit national peut preacutevoir qursquoune association a le droit drsquoagir en justice pour assurer le respect des obligations de la

directive 200078 mecircme si aucune personne leacuteseacutee nrsquoest identifiable

NH est un avocat et lrsquoAssociazione une association drsquoavocats deacutefendant en justice les droits des personnes

LGBTI LrsquoAssociazione a attrait NH en justice en raison du fait qursquoil avait tenu des propos constituant un

comportement discriminatoire fondeacute sur lrsquoorientation sexuelle des travailleurs NH a deacuteclareacute lors drsquoune eacutemission

radiophonique ne pas vouloir recruter ni faire travailler de personnes homosexuelles dans son cabinet drsquoavocats

Le Tribunal de Bergame a condamneacute NH par une ordonnance du 6 aoucirct 2014 La Cour drsquoappel de Brescia a

rejeteacute le recours introduit par NH NH srsquoest pourvu en cassation et allegravegue que lrsquoAssociazione nrsquoa pas la qualiteacute

pour agir et qursquoil a exprimeacute une opinion concernant la profession drsquoavocat non pas en se preacutesentant en qualiteacute

drsquoemployeur mais en tant que simple citoyen et que les deacuteclarations litigieuses eacutetaient deacutetacheacutees de tout contexte

professionnel effectif

La Cour de Cassation a deacutecideacute de surseoir agrave statuer et de poser agrave la Cour de justice les questions preacutejudicielles

suivantes

laquo 1) Lrsquoarticle 9 de la directive [200078] doit-il ecirctre interpreacuteteacute en ce sens qursquoune association composeacutee

drsquoavocats speacutecialiseacutes dans la deacutefense en justice drsquoune cateacutegorie de personnes ayant une orientation

sexuelle diffeacuterente et qui a pour objectif aux termes de ses statuts de promouvoir la culture et le respect

des droits de cette cateacutegorie est automatiquement porteuse drsquoun inteacuterecirct collectif et constitue une

association de tendance ou de conviction sans but lucratif ayant qualiteacute pour agir en justice y compris

en reacuteparation lorsque se produisent des faits jugeacutes discriminatoires contre cette cateacutegorie de personnes

2) Les articles 2 et 3 de la directive [200078] doivent-ils ecirctre interpreacuteteacutes en ce sens que le champ

drsquoapplication du reacutegime de lutte contre la discrimination que preacutevoit cette directive couvre lrsquoexpression

drsquoune opinion contraire agrave la cateacutegorie des personnes homosexuelles faite lors drsquoun entretien dans le

cadre drsquoune eacutemission radiophonique de divertissement dans laquelle la personne interrogeacutee a deacuteclareacute

que jamais elle ne recruterait ni ne ferait travailler ces personnes dans son cabinet [drsquoavocats] alors

mecircme qursquoaucune proceacutedure de recrutement nrsquoaurait eacuteteacute en cours ni nrsquoaurait eacuteteacute programmeacutee par cette

personne raquo

o Sur la seconde question

Il convient drsquoexaminer en premier lieu si les deacuteclarations effectueacutees au cours drsquoune eacutemission audiovisuelle par

NH relegravevent du champ drsquoapplication mateacuteriel de la directive 200078 en ce que celle-ci vise agrave son article 3

paragraphe 1 sous a) les laquo conditions drsquoaccegraves agrave lrsquoemploi [hellip] ou au travail y compris les critegraveres de seacutelection et

les conditions de recrutement raquo

Renvoi preacutejudiciel ndash Eacutegaliteacute de traitement en matiegravere drsquoemploi et de travail ndash Directive 200078CE ndash Article 3 paragraphe 1 sous a) article 8 paragraphe 1 et article 9 paragraphe 2 ndash Interdiction des discriminations fondeacutees sur lrsquoorientation sexuelle ndash Conditions drsquoaccegraves agrave lrsquoemploi ou au travail ndash Notion ndash Deacuteclarations publiques excluant le recrutement de personnes homosexuelles ndash Article 11 paragraphe 1 article 15 paragraphe 1 et article 21 paragraphe 1 de la charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne ndash Deacutefense des droits ndash Sanctions ndash Personne morale repreacutesentative drsquoun inteacuterecirct collectif ndash Qualiteacute pour agir en justice sans agir au nom drsquoun plaignant deacutetermineacute ou en lrsquoabsence de personne leacuteseacutee ndash Droit drsquoobtenir reacuteparation

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La Cour de justice note que cette directive ne renvoie pas au droit des Eacutetats membres pour deacutefinir la notion de

laquo conditions drsquoaccegraves agrave lrsquoemploi [hellip] ou au travail raquo Ces termes doivent donc ecirctre interpreacuteteacutes conformeacutement agrave leur

sens habituel dans le langage courant tout en tenant compte du contexte dans lequel ils sont utiliseacutes et des

objectifs poursuivis par la reacuteglementation dont ils font partie En lrsquoespegravece les termes de lrsquoarticle 3 de la directive

200078 visent des circonstances ou des faits dont lrsquoexistence doit impeacuterativement ecirctre eacutetablie pour qursquoune

personne puisse obtenir un emploi ou un travail donneacute Les termes ne permettant pas agrave eux seuls de deacuteterminer

si les deacuteclarations litigieuses relegravevent du champ drsquoapplication mateacuteriel de cette directive la Cour de justice estime

qursquoil faut srsquointerroger sur le contexte dans lequel srsquoinscrit lrsquoarticle 3 et sur les objectifs de la directive preacuteciteacutee La

directive a eacuteteacute prise sur le fondement de lrsquoarticle 19 paragraphe 1 TFUE lequel confegravere agrave lrsquoUnion une

compeacutetence pour prendre les mesures neacutecessaires en vue de combattre toute discrimination fondeacutee notamment

sur lrsquoorientation sexuelle Lrsquoobjectif de la directive 200078 est drsquoeacutetablir un cadre geacuteneacuteral pour lutter contre la

discrimination fondeacutee sur lrsquoorientation sexuelle en ce qui concerne lrsquoemploi et le travail afin de mettre en œuvre

le principe de lrsquoeacutegaliteacute de traitement dans les Eacutetats membres La Cour de justice rappelle que la directive 200078

concreacutetise ainsi dans le domaine qursquoelle couvre le principe geacuteneacuteral de non-discrimination deacutesormais consacreacute agrave

lrsquoarticle 21 de la Charte europeacuteenne des droits fondamentaux Ainsi la Cour de justice estime que la notion de

laquo conditions drsquoaccegraves agrave lrsquoemploi ou au travail raquo ne saurait faire lrsquoobjet drsquoune interpreacutetation restrictive

Pour que des deacuteclarations relegravevent du champ drsquoapplication mateacuterielle de la directive preacuteciteacutee il faut qursquoelles

puissent ecirctre effectivement rattacheacutees agrave la politique de recrutement drsquoun employeur donneacute ce qui impose que le

lien qursquoelles preacutesentent avec les conditions drsquoaccegraves agrave lrsquoemploi ou au travail aupregraves de cet employeur ne soit pas

hypotheacutetique Afin drsquoappreacutecier lrsquoexistence drsquoun tel lien sont pertinents le statut de lrsquoauteur des deacuteclarations et la

qualiteacute dans laquelle il srsquoest exprimeacute lesquels doivent eacutetablir srsquoil est un employeur potentiel ou capable drsquoexercer

une influence deacuteterminante sur la politique drsquoembauche Sont pertinents deuxiegravemement la nature et le contenu

des deacuteclarations concerneacutees Troisiegravemement doit ecirctre pris en consideacuteration le contexte dans lequel les

deacuteclarations en cause ont eacuteteacute effectueacutees

Finalement la Cour de justice estime que cette interpreacutetation de la directive ne saurait ecirctre infirmeacutee par lrsquoeacuteventuelle

limitation agrave lrsquoexercice de la liberteacute drsquoexpression qursquoelle pourrait entraicircner Elle rappelle que la liberteacute drsquoexpression

est un droit fondamental de lrsquoUnion europeacuteenne mais qursquoelle nrsquoest pas un droit absolu et son exercice peut

comporter des limitations si elles sont preacutevues par la loi et respectent le contenu essentiel de ce droit ainsi que

le principe de proportionnaliteacute Or comme lrsquoavocate geacuteneacuterale lrsquoa releveacute dans ses conclusions tel est le cas en

lrsquooccurrence

Par suite la Cour de justice estime que la notion de laquo conditions drsquoaccegraves agrave lrsquoemploi [hellip] ou au travail raquo doit ecirctre

interpreacuteteacutee en ce sens que relegravevent de cette notion les deacuteclarations litigieuses agrave condition que le lien entre ces

deacuteclarations et les conditions drsquoaccegraves agrave lrsquoemploi ou au travail au sein de cette entreprise ne soit hypotheacutetique

o Sur la premiegravere question

Lrsquoarticle 9 paragraphe 2 de la directive 200078 dispose que les Eacutetats membres veillent agrave ce que les associations

organisations ou les personnes morales qui ont un inteacuterecirct leacutegitime agrave assurer que les dispositions de cette directive

sont respecteacutees puissent engager toute proceacutedure judiciaire et ou administrative preacutevue pour faire respecter les

obligations de la directive Lrsquoarticle 8 paragraphe 1 de la directive 200078 preacutevoit que les Eacutetats membres

peuvent adopter ou maintenir des dispositions plus favorables agrave la protection du principe de lrsquoeacutegaliteacute de traitement

que celles preacutevues dans cette directive Ainsi la Cour de justice a jugeacute que lrsquoarticle 9 de la directive 200078 ne

srsquooppose pas agrave ce qursquoun Eacutetat membre preacutevoie le droit pour les associations ayant un inteacuterecirct leacutegitime agrave faire assurer

le respect de cette directive drsquoengager des proceacutedures juridictionnelles ou administratives visant agrave faire respecter

les obligations deacutecoulant de celle-ci sans agir au nom drsquoun plaignant deacutetermineacute ou en lrsquoabsence de plaignant

identifiable

Par suite la Cour de justice estime que la directive 200078 ne srsquooppose pas agrave une reacuteglementation nationale en

vertu de laquelle une association dont lrsquoobjet consiste agrave deacutefendre en justice les personnes ayant une certaine

orientation sexuelle a automatiquement qualiteacute pour engager une proceacutedure juridictionnelle visant agrave faire

respecter les obligations deacutecoulant de cette directive lorsque se produisent des faits susceptibles de constituer une

discrimination agrave lrsquoencontre de ladite cateacutegorie de personnes et qursquoune personne leacuteseacutee nrsquoest pas identifiable

Par ces motifs la Cour de justice (grande chambre) dit pour droit

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1) La notion de laquo conditions drsquoaccegraves agrave lrsquoemploi [] ou au travail raquo contenue dans lrsquoarticle 3 paragraphe

1 sous a) de la directive 200078CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant creacuteation drsquoun cadre

geacuteneacuteral en faveur de lrsquoeacutegaliteacute de traitement en matiegravere drsquoemploi et de travail doit ecirctre interpreacuteteacutee en ce

sens que relegravevent de cette notion des deacuteclarations effectueacutees par une personne au cours drsquoune eacutemission

audiovisuelle selon lesquelles jamais elle ne recruterait ni ne ferait travailler de personnes drsquoune certaine

orientation sexuelle dans son entreprise et ce alors qursquoaucune proceacutedure de recrutement nrsquoeacutetait en cours

ou programmeacutee agrave condition que le lien entre ces deacuteclarations et les conditions drsquoaccegraves agrave lrsquoemploi ou au

travail au sein de cette entreprise ne soit pas hypotheacutetique

2) La directive 200078 doit ecirctre interpreacuteteacutee en ce sens qursquoelle ne srsquooppose pas agrave une reacuteglementation

nationale en vertu de laquelle une association drsquoavocats dont lrsquoobjet statutaire consiste agrave deacutefendre en

justice les personnes ayant notamment une certaine orientation sexuelle et agrave promouvoir la culture et le

respect des droits de cette cateacutegorie de personnes a du fait de cet objet et indeacutependamment de son but

lucratif eacuteventuel automatiquement qualiteacute pour engager une proceacutedure juridictionnelle visant agrave faire

respecter les obligations deacutecoulant de cette directive et le cas eacutecheacuteant obtenir reacuteparation lorsque se

produisent des faits susceptibles de constituer une discrimination au sens de ladite directive agrave

lrsquoencontre de ladite cateacutegorie de personnes et qursquoune personne leacuteseacutee nrsquoest pas identifiable

Indeacutependance de la justice

Ordonnance de la Cour de justice (grande chambre) du 8 avril 2020 dans lrsquoaffaire Reacutepublique de Pologne Commission europeacuteenne C-79119 R

Reacutesumeacute La Commission europeacuteenne a saisi la Cour de justice afin que celle-ci ordonne la suspension des dispositions de la leacutegislation

nationale qui donne la compeacutetence agrave la chambre disciplinaire de juger des affaires disciplinaires concernant les juges polonais La Cour

de justice reacutepond positivement agrave la demande de la Commission europeacuteenne en justifiant que ces dispositions porteraient atteinte agrave

lrsquoindeacutependance de la justice et ainsi seraient contraires agrave lrsquoEtat de droit et au droit de lrsquoUnion

Estimant que la Reacutepublique de Pologne avait manqueacute en adoptant le nouveau reacutegime disciplinaire des juges de

la Cour suprecircme et des juridictions de droit commun aux obligations lui incombant en vertu du droit de lrsquoUnion

la Commission europeacuteenne a le 3 avril 2019 adresseacute une lettre de mise en demeure agrave cet Eacutetat Dans une lettre

du 1er juin 2019 la Reacutepublique de Pologne a contesteacute toute violation du droit de lrsquoUnion Le 17 juillet 2019 la

Commission europeacuteenne a eacutemis un avis motiveacute dans lequel elle maintenait que le nouveau reacutegime polonais violait

les dispositions du droit de lrsquoUnion Agrave la suite de la reacuteponse de la Reacutepublique de Pologne qui ne lrsquoa pas convaincu

la Commission europeacuteenne a deacutecideacute drsquointroduire un recours en manquement

Par sa demande en reacutefeacutereacute la Commission europeacuteenne demande agrave la Cour de justice drsquoordonner agrave la Reacutepublique

de Pologne dans lrsquoattente de lrsquoarrecirct de la Cour de justice statuant sur le fond de suspendre lrsquoapplication des

dispositions de lrsquoarticle 3 point 5 de lrsquoarticle 27 et de lrsquoarticle 73 paragraphe 1 de la loi sur la Cour suprecircme

constituant le fondement de la compeacutetence de la chambre disciplinaire de la Cour suprecircme polonaise La

Commission europeacuteenne demande eacutegalement que la Reacutepublique de Pologne srsquoabstienne de transmettre les

affaires pendantes devant la chambre disciplinaire agrave une formation de jugement qui ne satisfait pas aux exigences

drsquoindeacutependance

o Sur la recevabiliteacute

La Reacutepublique de Pologne soutient que la demande en reacutefeacutereacute introduite par la Commission europeacuteenne est

manifestement irrecevable En premier lieu la Pologne allegravegue que les mesures provisoires solliciteacutees par la

Commission europeacuteenne sont de nature agrave constituer une ingeacuterence inadmissible dans les structures

constitutionnelle et juridictionnelle polonaises

Reacutefeacutereacute ndash Article 279 TFUE ndash Demande de mesures provisoires ndash Article 19 paragraphe 1 second alineacutea TUE ndash Indeacutependance de lrsquoIzba Dyscyplinarna (chambre disciplinaire) du Sąd Najwyższy (Cour suprecircme Pologne)

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La Commission europeacuteenne soutient que les dispositions nationales dont elle demande la suspension relegravevent du

champ drsquoapplication de lrsquoarticle 19 paragraphe 1 second alineacutea TUE de sorte qursquoelles peuvent faire lrsquoobjet de

mesures provisoires solliciteacutees

La Cour de justice rappelle que bien que chaque Eacutetat membre soit compeacutetent pour lrsquoorganisation de la justice

dans son Eacutetat ils sont tenus de respecter les obligations qui deacutecoulent du droit de lrsquoUnion et en particulier de

lrsquoarticle 19 paragraphe 1 second alineacutea TUE Tous les Etats membres doivent srsquoassurer que les juridictions

relevant de leur systegraveme de voies de recours dans les domaines couverts par le droit de lrsquoUnion satisfont aux

exigences drsquoune protection juridictionnelle effective La Cour de justice rappelle que lrsquoarticle 19 TUE qui

concreacutetise la valeur de lrsquoEacutetat de droit confie aux juridictions nationales et agrave la Cour de justice de garantir la pleine

application du droit de lrsquoUnion ainsi que la protection juridictionnelle que les justiciables tirent de ce droit Afin

que cette protection soit garantie la preacuteservation de lrsquoindeacutependance de ces instances est primordiale La Cour de

justice relegraveve qursquoil incombe agrave tout Eacutetat membre drsquoassurer que le reacutegime disciplinaire applicable aux juges des

juridictions nationales respecte le principe drsquoindeacutependance des juges Ainsi la Cour de justice est compeacutetente

dans le cadre drsquoun recours en manquement tendant agrave contester la compatibiliteacute avec lrsquoarticle 19 paragraphe 1

second alineacutea TUE des dispositions nationales relatives au reacutegime disciplinaire pour ordonner au titre de lrsquoarticle

279 TFUE des mesures provisoires tendant agrave la suspension de lrsquoapplication de telles dispositions

En lrsquoespegravece la Cour de justice note que la chambre disciplinaire srsquoest vu confier par les dispositions nationales

litigieuses la compeacutetence pour statuer dans les affaires disciplinaires concernant les juges de la Cour suprecircme et

des juridictions de droit commun juridictions qui peuvent connaitre de questions lieacutees agrave lrsquoapplication ou agrave

lrsquointerpreacutetation du droit de lrsquoUE

Par suite la Cour de justice est compeacutetente pour adopter des mesures provisoires de la nature de celles solliciteacutees

par la Commission europeacuteenne

En deuxiegraveme lieux la Pologne soutient que les mesures provisoires solliciteacutees par la Commission europeacuteenne

tendent agrave ce que certains juges de la Cour suprecircme agrave savoir ceux de la chambre disciplinaire soient deacutemis de

leurs fonctions Cela violerait le principe drsquoinamovibiliteacute des juges et compromettrait les garanties drsquoindeacutependance

des juges

La Cour de justice estime que les mesures demandeacutees par la Commission europeacuteenne auraient pour effet la

suspension de lrsquoapplication des dispositions nationales litigieuses et non pas la reacutevocation des juges de la chambre

disciplinaire

En troisiegraveme lieu la Reacutepublique de Pologne estime que les mesures provisoires rendraient impossible lrsquoexeacutecution

de lrsquoarrecirct deacutefinitif en cas drsquoaccueil du recours en ce que leur octroi aurait pour effet pratique la dissolution de la

chambre disciplinaire La Cour de justice rejette lrsquoargument de la Pologne

Par suite la Cour de justice conclut que la demande de mesures provisoires est recevable

o Sur le fond

La Cour de justice agrave titre liminaire rappelle qursquoune mesure provisoire ne peut ecirctre accordeacutee par le juge des reacutefeacutereacutes

que srsquoil est eacutetabli que son octroi est justifieacute agrave premiegravere vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qursquoelle est urgente

en ce sens qursquoil est neacutecessaire pour eacuteviter un preacutejudice grave et irreacuteparable aux inteacuterecircts du requeacuterant qursquoelle soit

eacutedicteacutee et produise ses effets degraves avant la deacutecision au fond Le juge des reacutefeacutereacutes procegravede eacutegalement le cas eacutecheacuteant

agrave la mise en balance des inteacuterecircts en preacutesence

Sur le fumus boni juri

Afin que cette condition soit remplie il ressort de la jurisprudence de la Cour de justice qursquoil faut qursquoau moins un

des moyens invoqueacutes par la partie qui sollicite les mesures provisoires agrave lrsquoappui du recours au fond apparaisse agrave

premiegravere vue non deacutepourvu de fondement seacuterieux

A ce titre la Commission europeacuteenne invoque un moyen tireacute de ce que en ne garantissant pas lrsquoindeacutependance et

lrsquoimpartialiteacute de la chambre disciplinaire la Reacutepublique de Pologne a manqueacute aux obligations qui lui incombent

en vertu de lrsquoarticle 19 paragraphe 1 second alineacutea TUE La Commission europeacuteenne relegraveve que lrsquoinstitution de

la chambre disciplinaire a coiumlncideacute avec la modification des regravegles relatives agrave la nomination des membres de la

KRS Cette modification a accru lrsquoinfluence du pouvoir leacutegislatif sur le fonctionnement de cet organe qui participe

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au processus de seacutelection des juges et est chargeacute drsquoassurer lrsquoindeacutependance des juges et des juridictions et par

conseacutequence sur le processus de nomination des juges agrave la chambre disciplinaire La Commission europeacuteenne

relegraveve ensuite que le leacutegislateur national a exclu la possibiliteacute de deacutesigner comme membre de la chambre

disciplinaire un juge deacutejagrave en exercice au sein de la Cour suprecircme de sorte que seuls de nouveaux juges nommeacutes

sur proposition de la KRS ont pu ecirctre nommeacutes pour sieacuteger au sein de cette chambre Finalement la Commission

europeacuteenne souligne que la chambre disciplinaire se caracteacuterise par un degreacute eacuteleveacute drsquoautonomie organisationnelle

et financiegravere

La Commission europeacuteenne souligne que les eacuteleacutements susmentionneacutes et leur introduction simultaneacutee dans le

droit polonais font apparaitre une rupture structurelle qui empecircche drsquoeacutecarter tout doute leacutegitime quant agrave

lrsquoindeacutependance et agrave lrsquoimpartialiteacute de la chambre disciplinaire

La Cour de justice afin de veacuterifier si la condition relative au fumus boni juris est remplie en lrsquooccurrence relegraveve que

le grief porte sur la question de savoir si la chambre disciplinaire satisfait agrave lrsquoexigence drsquoindeacutependance des juges

qui deacutecoule de lrsquoarticle 19 paragraphe 1 second alineacutea TUE La Cour de justice commence par rappeler les regravegles

qui concernent les garanties drsquoindeacutependance et drsquoimpartialiteacute Elle rappelle aussi que conformeacutement au principe

de seacuteparation des pouvoirs qui caracteacuterise le fonctionnement drsquoun Eacutetat de droit lrsquoindeacutependance des juridictions

doit ecirctre garantie agrave lrsquoeacutegard des pouvoirs leacutegislatif et exeacutecutif Les juges doivent donc se trouver agrave lrsquoabri

drsquointerventions ou de pressions exteacuterieures susceptibles de mettre en peacuteril leur indeacutependance Dans lrsquoarrecirct AK

(Cour de justice 19 novembre 2019 affaires jointes C‑58518 C‑62418 et C‑62518) la Cour de justice a eacuteteacute

ameneacutee agrave preacuteciser la porteacutee de ces exigences drsquoindeacutependance et drsquoimpartialiteacute dans le contexte de la creacuteation drsquoune

instance telle que la chambre disciplinaire Elle avait consideacutereacute que lrsquoon pouvait douter de lrsquoindeacutependance de la

KRS qui participe au processus de deacutesignation des juges de la chambre disciplinaire Pour autant la Cour de

justice nrsquoa dans lrsquoarrecirct preacuteciteacute pas constateacute lrsquoabsence de conformiteacute agrave lrsquoarticle 19 paragraphe 1 second alineacutea

TUE des dispositions nationales relatives agrave la chambre disciplinaire et de celles ayant modifieacute les regravegles de

composition de la KRS mais a laisseacute le soin agrave la juridiction de renvoi de proceacuteder aux appreacuteciations requises agrave

cette fin

Par suite il convient de constater que eu eacutegard aux eacuteleacutements de fait mis en avant par la Commission europeacuteenne

ainsi qursquoaux eacuteleacutements drsquointerpreacutetation fournis notamment par lrsquoarrecirct Commission Pologne (Cour de justice 24

juin 2019 C-61918) et par lrsquoarrecirct AK les arguments avanceacutes par la Commission europeacuteenne apparaissent

comme eacutetant non deacutepourvus de fondement seacuterieux Il y a lieu de conclure que la condition relative au fumus boni

juris est remplie en lrsquoespegravece

Sur lrsquourgence

Selon une jurisprudence constante de la Cour de justice la finaliteacute de la proceacutedure de reacutefeacutereacute est de garantir la

pleine efficaciteacute de la future deacutecision deacutefinitive afin drsquoeacuteviter une lacune dans la protection juridique assureacutee par

la Cour de justice Pour atteindre cet objectif lrsquourgence doit srsquoappreacutecier par rapport agrave la neacutecessiteacute qursquoil y a de

statuer provisoirement afin drsquoeacuteviter qursquoun preacutejudice grave et irreacuteparable ne soit occasionneacute agrave la partie qui sollicite

la protection provisoire Le preacutejudice grave et irreacuteparable dont la survenance probable doit ecirctre eacutetablie est celui

qui reacutesulterait le cas eacutecheacuteant du refus drsquoaccorder les mesures provisoires solliciteacutees dans lrsquohypothegravese ougrave le recours

au fond aboutirait par la suite

Il convient ainsi drsquoexaminer si lrsquoapplication des dispositions nationales litigieuses est susceptible de causer un

preacutejudice grave et irreacuteparable au regard du fonctionnement de lrsquoordre juridique de lrsquoUnion La Cour de justice

relegraveve que la garantie drsquoindeacutependance de la chambre disciplinaire en tant que juridiction compeacutetence pour statuer

dans les affaires disciplinaires concernant les juges de la Cour suprecircme et des juridictions de droit commun est

essentielle pour preacuteserver lrsquoindeacutependance de la Cour suprecircme et de ces juridictions Si lrsquoindeacutependance de la

chambre disciplinaire ne peut pas ecirctre garantie alors celle des autres juridictions ne peut lrsquoecirctre non plus Or la

preacuteservation de lrsquoindeacutependance de la Cour suprecircme et des juridictions de droit commun est primordiale afin que

la protection juridictionnelle des droits que les justiciables tirent du droit de lrsquoUnion soit garantie La Cour de

justice a deacutejagrave jugeacute que le fait que lrsquoindeacutependance de la Cour suprecircme puisse ne pas ecirctre garantie est susceptible

drsquoentrainer un grave preacutejudice agrave lrsquoordre juridique de lrsquoUnion et aux droits que les justiciables tirent du droit de

lrsquoUnion Ainsi comme le dit la Cour de justice au point 93 de la preacutesente ordonnance il reacutesulte de ce qui preacutecegravede

que lrsquoapplication des dispositions nationales litigieuses en ce qursquoelles attribuent la compeacutetence pour statuer dans

les affaires disciplinaires relatives aux juges de la Cour suprecircme et des juridictions de droit commun agrave une instance

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en lrsquooccurrence la chambre disciplinaire dont lrsquoindeacutependance pourrait ne pas ecirctre garantie est susceptible de

causer un preacutejudice grave et irreacuteparable agrave lrsquoordre juridique de lrsquoUnion

Par suite il y a lieu de conclure que la condition relative agrave lrsquourgence est eacutetablie en lrsquoespegravece

Sur la mise en balance des inteacuterecircts

Le juge des reacutefeacutereacutes se doit drsquoexaminer si lrsquointeacuterecirct de la partie qui sollicite les mesures provisoires agrave obtenir le sursis

agrave lrsquoexeacutecution preacutevaut sur lrsquointeacuterecirct que preacutesente lrsquoapplication immeacutediate de celles-ci

La Pologne estime que lrsquoapplication des mesures provisoires solliciteacutees aurait pour effets de contraindre les

pouvoirs leacutegislatif et exeacutecutif polonais agrave adopter des mesures dont lrsquoeffet pratique serait la dissolution drsquoun organe

du pouvoir judiciaire qui exerce ses missions structurelles lieacutees agrave lrsquoadministration de la justice de mettre fin agrave une

entiteacute dont le budget est exeacutecuteacute par son Preacutesident et de porter atteinte au droit des justiciables

La Cour de justice rappelle tout drsquoabord que les Eacutetats membres sont tenus de respecter les obligations qui

deacutecoulent pour eux du droit de lrsquoUnion et en particulier de lrsquoarticle 19 paragraphe 1 second alineacutea TUE Elle

rappelle eacutegalement que lrsquooctroi des mesures provisoires solliciteacutees emporterait non pas la dissolution de la

chambre disciplinaire mais la suspension provisoire de son activiteacute Par ailleurs dans la mesure ougrave lrsquooctroi desdites

mesures impliquerait que le traitement des affaires pendantes devant la chambre disciplinaire doive ecirctre suspendu

jusqursquoau prononceacute de lrsquoarrecirct deacutefinitif le preacutejudice reacutesultant de la suspension de ces affaires pour les justiciables

concerneacutes serait moindre que celui reacutesultant de leur examen par une instance agrave savoir la chambre disciplinaire

dont le manque drsquoindeacutependance et drsquoimpartialiteacute ne peut agrave premiegravere vue ecirctre exclu Enfin les difficulteacutes de

nature budgeacutetaire invoqueacutees ne sauraient preacutevaloir sur le risque qursquoil soit porteacute atteinte agrave lrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral de

lrsquoUnion au regard du bon fonctionnement de son ordre juridique

Par suite il y a lieu de conclure que la mise en balance des inteacuterecircts en preacutesence penche en faveur de lrsquooctroi des

mesures provisoires demandeacutees par la Commission europeacuteenne

Par ces motifs la Cour (grande chambre) ordonne

1) La Reacutepublique de Pologne est tenue immeacutediatement et jusqursquoau prononceacute de lrsquoarrecirct qui mettra

fin agrave lrsquoinstance dans lrsquoaffaire C-79119

ndash de suspendre lrsquoapplication des dispositions de lrsquoarticle 3 point 5 de lrsquoarticle 27 et de lrsquoarticle 73

paragraphe 1 de lrsquoustawa o Sądzie Najwyższym (loi sur la Cour suprecircme) du 8 deacutecembre 2017 (Dz U

de 2018 position 5) telle que modifieacutee constituant le fondement de la compeacutetence de lrsquoIzba

Dyscyplinarna (chambre disciplinaire) du Sąd Najwyższy (Cour suprecircme) pour statuer tant en

premiegravere instance qursquoen instance drsquoappel dans les affaires disciplinaires relatives agrave des juges

ndash de srsquoabstenir de transmettre les affaires pendantes devant lrsquoIzba Dyscyplinarna (chambre

disciplinaire) du Sąd Najwyższy (Cour suprecircme) agrave une formation de jugement qui ne satisfait pas aux

exigences drsquoindeacutependance deacutefinies notamment dans lrsquoarrecirct du 19 novembre 2019 A K ea

(Indeacutependance de la chambre disciplinaire de la Cour suprecircme) (C‑58518 C‑62418 et C‑62518

EUC2019982) et

ndash de communiquer agrave la Commission europeacuteenne au plus tard un mois apregraves la notification de

lrsquoordonnance de la Cour ordonnant les mesures provisoires solliciteacutees toutes les mesures qursquoelle aura

adopteacutees afin de se conformer pleinement agrave cette ordonnance

2) Les deacutepens sont reacuteserveacutes

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Interdiction des traitements inhumains ou deacutegradants

Cour EDH (troisiegraveme section) Yevgeniy Mikhaylovich Shmelev et autres Russie 9 avril 2020 ndeg 4174317 et 16 autres

Arrecirct rendu en anglais Reacutesumeacute La Cour EDH juge que le nouveau recours compensatoire mise en œuvre par les autoriteacutes russes est effectif lorsqursquoaucun autre recours nrsquoest neacutecessaire notamment dans tous les cas ougrave la deacutetention provisoire a pris fin et dans certaines situations ougrave la peine drsquoemprisonnement a eacuteteacute exeacutecuteacutee en violation des dispositions internes La Cour EDH deacuteclare ainsi les griefs des plusieurs requeacuterants irrecevables pour non-eacutepuisement des voies de recours internes En outre la Cour EDH demande aux parties de produire des observations suppleacutementaires afin de clarifier la question de lrsquoeffectiviteacute des recours compensatoires dans le cas des recours preacuteventifs ouverts afin de permettre agrave ceux qui sont encore incarceacutereacutes de voir srsquoameacuteliorer leurs conditions de deacutetention Tous les requeacuterants ressortissants russes ont eacuteteacute deacutetenus dans divers centres de deacutetention russes avant ou apregraves leur condamnation dans le cadre dune proceacutedure peacutenale Sept des requeacuterants (requecirctes ndeg 6680617 7580417 7718117 7726517 1929418 3168218 et 3254518) sont ou eacutetaient deacutetenus dans des centres de deacutetention provisoire et les dix autres (requecirctes ndeg 4174317 6018517 7449717 124918 915218 1498818 1799118 1983718 2154218 et 2915518) sont ou ont eacuteteacute deacutetenus dans des colonies peacutenitentiaires apregraves avoir eacuteteacute condamneacutes Le 27 janvier 2020 la loi feacutedeacuterale no 494ndashFZ (dite laquo loi drsquoindemnisation raquo) est entreacutee en vigueur Elle dispose que tout deacutetenu qui allegravegue que ses conditions de deacutetention enfreignent ou ont enfreint les normes nationales ou internationales peut solliciter une indemniteacute aupregraves drsquoun tribunal Le gouvernement russe a soumis des informations sur cette loi et drsquoautres eacutevolutions pertinentes du droit interne visant agrave atteacutenuer les mauvaises conditions de deacutetention Il a demandeacute agrave la Cour EDH de consideacuterer que la nouvelle loi offre un nouveau recours effectif srsquoagissant des conditions de deacutetention A diffeacuterentes dates en 2017 et 2018 les 17 requeacuterants ont saisi la Cour EDH Invoquant lrsquoarticle 3 (interdiction des traitements inhumains ou deacutegradants) lrsquoensemble des 17 requeacuterants se plaignaient de subir ou drsquoavoir subi de mauvaises conditions de deacutetention notamment en raison de la surpopulation Sur le terrain de lrsquoarticle 13 (droit agrave un recours effectif) de la Convention certains drsquoentre eux alleacuteguaient eacutegalement qursquoil nrsquoexistait pas de recours interne effectif permettant de se plaindre de conditions de deacutetention

1) Violation alleacutegueacutee des articles 3 et 13 de la Convention du fait de conditions de deacutetention dans les centres de deacutetention preacuteventive

Les requeacuterants dans les requecirctes ndeg 6680617 1799118 1929418 2154218 3168218 et 3254518 ont fait valoir que les conditions de leur deacutetention provisoire avaient eacuteteacute contraires agrave larticle 3 de la Convention certains dentre eux ont soutenu quils navaient pas disposeacute de recours effectifs contre ces violations comme le preacutevoit larticle 13 En particulier ces requeacuterants se plaignent entre autres davoir eacuteteacute deacutetenus dans des cellules surpeupleacutees Par la preacutesente affaire la Cour EDH examine les deacuteveloppements leacutegislatifs et judiciaires survenus depuis ladoption de larrecirct Ananyev et autres c Russie (Cour EDH 10 janvier 2012 ndeg 4252507 et 6080008) En particulier la Cour EDH examine sil existe deacutesormais des recours internes de nature compensatoire et preacuteventive qui pourraient offrir une reacuteparation effective aux victimes des violations ayant pour origine le surpeuplement et dautres violations des conditions de deacutetention provisoire Elle examine eacutegalement si les requeacuterants dans la preacutesente affaire sont tenus deacutepuiser ces recours La Cour EDH rappelle que apregraves larrecirct Ananyev et autres c Russie elle a constateacute une violation de larticle 3 en raison des conditions inhumaines et deacutegradantes de deacutetention dans les centres de deacutetention provisoire russes

Article 3 (interdiction des traitements inhumains ou deacutegradants) Article 13 (droit agrave un recours effectif)

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dans plus de 100 affaires En mars 2020 plus de 1 450 requecirctes similaires contre la Russie eacutetaient en attente dexamen par la Cour EDH En lrsquoespegravece la Cour EDH reacuteitegravere les orientations quelle a fourni au gouvernement dans laffaire Ananyev et autres en ce qui concerne les caracteacuteristiques quun recours compensatoire doit posseacuteder pour ecirctre consideacutereacute comme effectif En particulier elle rappelle qursquoune indemnisation peacutecuniaire doit ecirctre accessible agrave tout deacutetenu actuel ou ancien ayant subi un traitement inhumain ou deacutegradant et ayant introduit une demande agrave cet effet La constatation que les conditions nont pas satisfait aux exigences de larticle 3 de la Convention donnera lieu agrave une forte preacutesomption quelles ont causeacute un preacutejudice non peacutecuniaire agrave la personne leacuteseacutee et le niveau de la reacuteparation accordeacutee pour le preacutejudice non peacutecuniaire ne doit pas ecirctre deacuteraisonnable par rapport aux montants accordeacutes par la Cour EDH dans des affaires similaires La Cour EDH rappelle ensuite que si lexistence de voies de recours internes effectives sappreacutecie normalement par rapport agrave la date dintroduction de la requecircte cette regravegle est sujette agrave des exceptions si les circonstances de lespegravece le justifient (Cour EDH Muumlduumlr Turgut ea c Turquie 26 mars 2013 ndeg 486009 sect 46) en particulier lorsque le recours en cause a eacuteteacute mis en place en reacuteponse agrave un arrecirct pilote de la Cour (Cour EDH Atanasov et Apostolov c Bulgarie 20 juillet 2017 ndeg 6554016 et 2236817 sect 45) Lorsque de telles voies de recours viennent decirctre mises en place leur appreacuteciation doit neacutecessairement se fonder uniquement sur les dispositions leacutegales qui les reacutegissent et non sur leur fonctionnement en pratique Elle estime donc pouvoir eacutevaluer lefficaciteacute des dispositions leacutegales telles que fixeacutees par la loi dindemnisation apregraves son entreacutee en vigueur et deacutecider en conseacutequence si les requeacuterants sont tenus de les eacutepuiser La Cour EDH juge que la loi drsquoindemnisation est en principe une voie de recours compensatoire adeacutequate et effective dans les cas ougrave les mauvaises conditions de deacutetention concernent une peacuteriode de deacutetention provisoire acheveacutee et dans certaines situations ougrave la peine drsquoemprisonnement a eacuteteacute exeacutecuteacutee en violation des dispositions internes Elle considegravere que les conditions proceacutedurales daccegraves au reacutegime compensatoire sont simples et accessibles et ne font pas peser une charge excessive sur le demandeur ni dans la proceacutedure applicable ni dans lexigence relative aux frais de proceacutedure De plus elle relegraveve que la proceacutedure est doteacutee des garanties proceacutedurales requises telles que lindeacutependance et limpartialiteacute le droit agrave lassistance juridique et dautres garanties lieacutees agrave une proceacutedure judiciaire contradictoire Des mesures de seacutecuriteacute sont preacutevues pour tenir compte de la situation particuliegravere des deacutetenus Selon la Cour EDH il ny a aucune raison de penser que les demandes ne seront pas traiteacutees dans un deacutelai raisonnable ou que lindemnisation ne sera pas verseacutee rapidement La Cour EDH se deacuteclare precircte agrave modifier son approche quant agrave lefficaciteacute du recours en question si la pratique des juridictions internes devait montrer agrave terme que les plaintes sont rejeteacutees pour des raisons formelles que les proceacutedures dindemnisation sont excessivement longues que les indemniteacutes sont insuffisantes ou ne sont pas verseacutees rapidement ou que la jurisprudence interne nest pas conforme aux exigences de la Convention et agrave la jurisprudence de la Cour EDH Tout examen futur de ce type consistera agrave deacuteterminer si les autoriteacutes nationales ont appliqueacute la loi sur lindemnisation dune maniegravere conforme agrave larrecirct pilote et aux normes de la Convention en geacuteneacuteral La Cour EDH conclut que le nouveau recours compensatoire doit ecirctre consideacutereacute comme un recours effectif et deacuteclare irrecevables les requecirctes ndeg 6680617 1929418 3168218 et 3254518 pour non-eacutepuisement des voies de recours internes et les rejette en vertu de larticle 35 sectsect 1 et 4 de la Convention Dans les requecirctes ndeg 7580417 7718117 et 7726517 la Cour EDH estime quelle ne peut pas sur la base du dossier deacuteterminer la recevabiliteacute des plaintes deacuteposeacutees par les requeacuterants dont la deacutetention preacuteventive est en cours Elle invite donc conformeacutement agrave larticle 54 sect 2 c) du regraveglement de la Cour EDH les parties agrave preacutesenter des observations eacutecrites compleacutementaires

2) Violation alleacutegueacutee des articles 3 et 13 de la Convention du fait des conditions de deacutetention dans les eacutetablissements peacutenitentiaires

Les dix requeacuterants dans les requecirctes ndeg 4174317 6018517 7449717 124918 915218 1498818 1799118 1983718 2154218 et 2915518 ont fait valoir que les conditions de leur deacutetention dans les eacutetablissements peacutenitentiaires sont tombeacutees en dessous des normes compatibles avec larticle 3 de la Convention Certains dentre eux ont fait valoir quils ne disposaient pas de recours effectifs contre ces violations en violation de larticle 13

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En particulier les requeacuterants se sont plaints entre autres du fait quils ont eacuteteacute deacutetenus dans des locaux surpeupleacutes Pour certains des requeacuterants la deacutetention avait pris fin au moment de leacutechange dobservations entre les parties La Cour EDH note tout drsquoabord que les dispositions applicables de la leacutegislation russe fixent des normes diffeacuterentes en matiegravere despace personnel pour la deacutetention provisoire (quatre megravetres carreacutes par personne deacutetenue) et la deacutetention correctionnelle pour les hommes condamneacutes dans des colonies ou des prisons (deux megravetres carreacutes et deux megravetres carreacutes et demi) Elle rappelle ainsi que laquo lorsque lespace personnel dont dispose un deacutetenu est infeacuterieur agrave trois megravetres carreacutes de surface au sol [] le manque despace personnel est consideacutereacute comme si grave quil y a forte preacutesomption de violation de larticle 3 raquo (Cour EDH [GC] Muršić c Croatie 20 octobre 2016 ndeg 733413 sect 137) Ainsi pour un nombre consideacuterable de deacutetenus dans les eacutetablissements peacutenitentiaires les mauvaises conditions de deacutetention sont preacutedeacutetermineacutees par les normes eacutetablies par la leacutegislation nationale Afin deacutevaluer lefficaciteacute des recours la Cour EDH distingue entre les cas ougrave les conditions de deacutetention des requeacuterants eacutetaient infeacuterieures aux normes nationales et les cas ougrave lespace minimal disponible eacutetait conforme aux normes nationales mais soulegraveverait neacuteanmoins un problegraveme agrave premiegravere vue au regard de larticle 3

o Les plaintes concernant des conditions de deacutetention infeacuterieures agrave la norme nationale Compte tenu des consideacuterations sur lefficaciteacute de la loi dindemnisation dans les situations ougrave la deacutetention eacutetait acheveacutee et du fait quil ny a pas de contestation entre les parties sur la violation des normes nationales minimales de deacutetention la Cour EDH conclut que ces deux requeacuterants se trouvent dans une situation similaire agrave celle des personnes dont la deacutetention provisoire passeacutee lrsquoavait eacuteteacute en violation des normes nationales applicables Pour les raisons exposeacutees ci-dessus pour eux ainsi que pour dautres personnes se trouvant dans une situation similaire la nouvelle loi compensatoire preacutesente en principe un moyen adeacutequat et efficace dobtenir une reacuteparation compensatoire et offre des perspectives raisonnables de succegraves La Cour EDH estime ainsi que les requecirctes ndeg 1799118 et 2154218 qui soulegravevent des griefs au titre des articles 3 et 13 doivent ecirctre rejeteacutees en vertu de larticle 35 sectsect 1 et 4 de la Convention pour non-eacutepuisement des voies de recours internes

o Cas conformes agrave la norme nationale mais infeacuterieurs agrave la norme minimale de larticle 3 La Cour EDH note que les requeacuterants des requecirctes ndeg 4174317 6018517 et 1498818 ont eacuteteacute deacutetenus dans le passeacute dans des conditions ougrave chacun des requeacuterants avait disposeacute de moins de trois megravetres carreacutes despace personnel Les requeacuterants des requecirctes no 7449717 124918 915218 1983718 et 2915518 eacutetaient toujours deacutetenus dans de telles conditions au moment de leacutechange dobservations En lrsquoespegravece la Cour EDH estime quelle ne dispose pas deacuteleacutements suffisants pour eacutevaluer lefficaciteacute dun tel recours en cas de deacutetention correctionnelle Elle invite donc les parties agrave preacutesenter des observations compleacutementaires conformeacutement agrave larticle 54 sect 2 c) du regraveglement de la Cour afin de clarifier lefficaciteacute de tout recours preacuteventif en cas de deacutetention correctionnelle pendante dans des conditions incompatibles avec larticle 3 de la Convention POUR CES RAISONS LA COUR Agrave LUNANIMITEacute

1 Deacutecide de joindre les requecirctes ndeg 6680617 1799118 1929418 2154218 3168218 et 3254518 et les deacuteclare irrecevables

2 Deacutecide dajourner lexamen des requecirctes ndeg 4174317 6018517 7449717 7580417

7718117 7726517 124918 915218 1498818 1983718 et 2915518

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Cour EDH (cinquiegraveme section) Castellani France 30 avril 2020 ndeg4320716

Reacutesumeacute La Cour EDH dans une affaire concernant lrsquointerpellation du requeacuterant par le GIPN estime que la France a violeacute

lrsquoarticle 3 de la Convention En effet elle juge que lrsquoopeacuteration policiegravere nrsquoa pas eacuteteacute planifieacutee ni exeacutecuteacutee de maniegravere agrave respecter les

garanties internes existantes et que lrsquousage de la force nrsquoeacutetait pas proportionneacute ni neacutecessaire pour permettre lrsquointerpellation du requeacuterant

et ne se justifiait pas par son comportement

Le 6 mai 2002 une information judiciaire fut ouverte contre X pour subornation de teacutemoin et menaces de mort

reacuteiteacutereacutees agrave la suite de la plainte deacuteposeacutee par MA avocat Ce dernier avait teacutemoigneacute dans une affaire de violence

dirigeacutees contre la force publique dans laquelle trois membres de la famille EH avaient eacuteteacute condamneacutes Les

principaux suspects eacutetaient membres de la famille EH famille amie et voisine du requeacuterant Le 18 juin 2002

apregraves identification de certains membres de la famille EH comme auteurs preacutesumeacutes de menaces de mort et de

subornation de teacutemoins les policiers de Nice avec le soutien du GIPN proceacutedegraverent agrave lrsquointerpellation de deux

membres de la famille EH A la demande de la commandante une eacutequipe du GIPN composeacutee de dix

fonctionnaires interpella le requeacuterant mis en cause dans la mecircme affaire et consideacutereacute comme dangereux

Les parties contestent les circonstances de lrsquoopeacuteration policiegravere

Dans la version du requeacuterant il explique que voyant des inconnus entrer chez lui et croyant ecirctre agresseacute agrave son

domicile il se deacutefend agrave lrsquoaide drsquoune barre de fer Il entendit alors crier laquo Police raquo et deacuteposa la barre de fer et se

laissa faire Apregraves avoir confirmeacute son identiteacute il reccedilut un coup sur la tecircte du policier qursquoil avait agresseacute avec la

barre de fer et fut frappeacute agrave coups de poings et de pieds Crsquoest seulement agrave ce moment-lagrave qursquoil sut le motif de son

interpellation Il fut agrave nouveau frappeacute afin qursquoil avoue ougrave se trouvaient les armes puis encore maltraiteacute lors de son

transport au poste de police Selon les policiers du GIPN ils sont entreacutes dans la maison et ont inspecteacute le rez-

de-chausseacutee tout en prononccedilant agrave plusieurs reprises laquo Police raquo Alors qursquoils montaient au premier eacutetage le

premier policier vit surgir le requeacuterant qui lrsquoattendait et qui le frappa drsquoune barre de fer Les fonctionnaires ont

tenteacute de le maitriser alors que celui-ci continuait de porter des coups aux fonctionnaires Ces derniers ont ducirc

lrsquoimmobiliser agrave lrsquoaide de leur force

Placeacute en garde agrave vue le requeacuterant fut examineacute par un meacutedecin qui ne srsquoopposa pas agrave une mesure de garde agrave vue

mais a demandeacute qursquoil soit emmeneacute agrave lrsquohocircpital Il y a eacuteteacute conduit neuf heures apregraves son interpellation Le requeacuterant

preacutesentait de multiples fractures au visage Pour autant sa garde agrave vue a eacuteteacute prolongeacutee

Le 8 juillet 2002 le requeacuterant fut convoqueacute devant le tribunal correctionnel de Nice afin drsquoecirctre jugeacute de chefs de

violences volontaires avec arme agrave lrsquoeacutegard drsquoune personne deacutepositaire de lrsquoautoriteacute publique ayant entraineacute une

incapaciteacute de travail supeacuterieure agrave huit jours ainsi que pour deacutetention sans autorisation drsquoarme ou de munition Le

13 janvier 2009 le tribunal correctionnel le condamna agrave une amende deacutelictuelle avec sursis pour deacutetention drsquoarme

sans autorisation Il fut relaxeacute des chefs de violences volontaires au motif qursquoil srsquoagissait de leacutegitime deacutefense

Le 18 novembre 2002 le requeacuterant deacuteposa plainte avec constitution de partie civile pour non-assistance agrave

personne en peacuteril violences volontaires et actes de barbarie Le juge drsquoinstruction rendit une ordonnance de non-

lieu partiel en ne retenant agrave lrsquoencontre de certains policiers que lrsquoomission de porter secours La cour drsquoappel

annula lrsquoordonnance de non-lieu partiel Une deuxiegraveme ordonnance de non-lieu concernant les faits de violences

volontaires fut rendue le 27 janvier 2006 et le requeacuterant fit appel La cour drsquoappel confirma le non-lieu des chefs

drsquoactes de barbaries mais demanda un suppleacutement drsquoinformation concernant les violences volontaires Quatre

policiers du GIPN furent entendus et mis en examen Le 25 octobre 2007 la chambre drsquoinstruction de la cour

drsquoappel confirma lrsquoordonnance de non-lieu du chef de violences volontaires par deacutepositaires de lrsquoautoriteacute

Art 3 (volet mateacuteriel) bull Recours agrave la force bull Irruption drsquoune uniteacute drsquoeacutelite de la police au domicile drsquoun suspect au petit matin pour proceacuteder agrave son arrestation aux fins drsquoaudition dans le cadre drsquoune enquecircte peacutenale bull Neacutecessiteacute de garanties suffisantes face aux risques drsquoabus drsquoautoriteacute et de violation de la digniteacute humaine lors du recours dans un tel contexte aux forces speacuteciales bull Doutes sur lrsquoexistence de preacutecautions suffisantes bull Tribunaux ayant reconnu la leacutegitime deacutefense du requeacuterant qui avait frappeacute un policier cagouleacute en le prenant pour un cambrioleur bull Blessures reacutesultant de lrsquoemploi drsquoune force physique non rendue strictement neacutecessaire par le comportement du suspect

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publique Le 13 janvier 2009 le tribunal correctionnel de Nice prononccedila la relaxe des deux fonctionnaires de

police renvoyeacutes devant lui des chefs drsquoomission de porter secours

Le 26 juin 2009 le requeacuterant forma une action en responsabiliteacute de lrsquoEtat afin drsquoobtenir une indemnisation du

preacutejudice subi compte tenu des conditions de son interpellation puis de sa garde agrave vue Le tribunal condamna

lrsquoEtat au motif qursquoil avait commis une faute lourde en envoyant le GIPN pour proceacuteder agrave lrsquointerpellation du

requeacuterant Par un arrecirct du 12 avril 2012 la cour drsquoappel drsquoAix-en-Provence confirma la recevabiliteacute de lrsquoaction du

requeacuterant mais infirma le jugement pour le surplus La Cour de cassation cassa lrsquoarrecirct du 12 avril 2012 sauf en ce

qursquoil avait deacuteclareacute recevable lrsquoaction du requeacuterant Le 27 janvier 2015 la cour drsquoappel de Montpellier consideacutera

que la faute lourde engageant la responsabiliteacute de lrsquoEtat nrsquoeacutetait pas deacutemontreacutee srsquoagissant des conditions

drsquointervention du GIPN pour proceacuteder agrave lrsquointerpellation du requeacuterant La cour drsquoappel jugea que lrsquoEtat avait

commis une faute lourde agrave raison du deacutefaut de soins durant la garde agrave vue dont le requeacuterant avait fait lrsquoobjet Par

un arrecirct du 10 feacutevrier 2016 la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requeacuterant

Le requeacuterant saisit la Cour EDH le 19 juillet 2016 drsquoune requecircte dirigeacutee contre la Reacutepublique franccedilaise

Sur la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 3 de la Convention

Le requeacuterant allegravegue avoir eacuteteacute victime de violences lors de son interpellation par la police alors que lrsquointervention

du GIPN comme lrsquousage de la force nrsquoeacutetaient ni neacutecessaires ni proportionneacutes En effet il estime que le GIPN

est connu pour lrsquoefficaciteacute de ses interventions concernant le terrorisme et le grand banditisme Une telle

intervention baseacutee sur une simple plainte teacuteleacutephonique comme cela a eacuteteacute le cas en lrsquoespegravece est une rareteacute

juridique

La Cour EDH rappelle sa jurisprudence concernant le recours agrave la force lors drsquoune interpellation au paragraphe

52 de lrsquoarrecirct Elle estime que lrsquoarticle 3 ne prohibe pas le recours agrave la force par les agents de police lors drsquoune

interpellation mais qursquoelle doit ecirctre proportionneacutee et absolument neacutecessaire au vu des circonstances de lrsquoespegravece

Il importe donc de savoir srsquoil y a lieu de penser que lrsquointeacuteresseacute opposera une reacutesistance tentera de fuir ou de

deacutetruire des preuves

En lrsquoespegravece la Cour EDH relegraveve qursquoau vu des certificats meacutedicaux le requeacuterant souffrait de blessures

importantes Aux souffrances physiques srsquoajoute des souffrances psychiques comme en atteste lrsquoeacutetat de stress

post-traumatique releveacute par les meacutedecins La maniegravere dont srsquoest deacuterouleacutee lrsquointerpellation crsquoest-agrave-dire tregraves tocirct le

matin avec une ouverture forceacutee du portail et de la porte drsquoentreacutee en preacutesence de la femme et de la fille du

requeacuterant a neacutecessairement entraineacute de la peur et de lrsquoangoisse chez le requeacuterant

Dans son raisonnement la Cour EDH srsquointeacuteresse dans un premier temps agrave la planification de lrsquoopeacuteration agrave

savoir si elle a pris en compte lrsquoensemble des circonstances pertinentes et a observeacute des garanties suffisantes En

lrsquoespegravece la Cour EDH observe que lrsquoopeacuteration dans laquelle le GIPN eacutetait principalement impliqueacutee et pour

laquelle son intervention avait eacuteteacute autoriseacutee reacutepondait au but leacutegitime drsquoeffectuer une interpellation et poursuivant

lrsquoobjectif geacuteneacuteral de la reacutepression des infractions Le but de lrsquointervention eacutetait lrsquointerpellation de la famille EH

pour laquelle le DDSP avait donneacute son accord Or le juge drsquoinstruction nrsquoa pas eacuteteacute informeacute et le DDSP nrsquoa pas

donneacute son accord quant agrave lrsquointervention du GIPN pour lrsquointerpellation du requeacuterant La Cour EDH relegraveve donc

que cette opeacuteration nrsquoa pas beacuteneacuteficieacute des garanties internes existantes entourant normalement lrsquointervention de

ce type drsquouniteacutes speacuteciales La Cour EDH remarque que le caractegravere de dangerositeacute du requeacuterant ne reacutesulta que

des deacuteclarations des fonctionnaires de police ayant requis son intervention et nrsquoeacutetait eacutetayeacute par aucun eacuteleacutement

probant Elle observe que certaines juridictions internes ont remis en cause la proportionnaliteacute de lrsquointervention

du GIPN au regard des circonstances de lrsquoespegravece Il ressort eacutegalement du dossier qursquoaucune investigation

preacutealable afin de deacuteterminer si le requeacuterant serait seul au moment de son interpellation nrsquoest alleacutegueacutee Or la Cour

EDH estime que la preacutesence de membres de la famille du suspect sur les lieux de lrsquointerpellation doit ecirctre prise

en compte lors de la planification de lrsquointervention La Cour EDH considegravere que lrsquoopeacuteration policiegravere au domicile

du requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute planifieacutee et exeacutecuteacutee de maniegravere agrave srsquoassurer que les moyens employeacutes soient strictement

neacutecessaires pour atteindre ses buts ultimes

Dans un second temps la Cour EDH doit examiner si la force physique dont il a eacuteteacute fait usage agrave lrsquoencontre du

requeacuterant eacutetait ou non rendue strictement neacutecessaire par son comportement La Cour EDH rappelle que lorsque

des proceacutedures internes ont eacuteteacute meneacutees il ne lui appartient pas de substituer sa propre version des faits agrave celle

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des autoriteacutes internes qui doivent eacutetablir les faits sur la base de preuves recueillies par elles La Cour EDH note

que le tribunal correctionnel a jugeacute que le requeacuterant avait pu leacutegitimement se croire agresseacute agrave son domicile et qursquoil

avait agi en eacutetat de leacutegitime deacutefense Elle constate eacutegalement que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute poursuivi pour des faits

de reacutebellion et que la description du mode drsquoopeacuteration utiliseacute par les policiers ainsi que les constatations des

blessures du requeacuterant attestent de lrsquointensiteacute de la force physique dont il a eacuteteacute fait usage Par suite la Cour EDH

a conclu que les moyens employeacutes nrsquoeacutetaient pas strictement neacutecessaires pour permettre lrsquointerpellation du

requeacuterant et que la force physique dont il a eacuteteacute fait usage agrave son encontre nrsquoa pas eacuteteacute rendue telle par son

comportement

Ainsi la Cour EDH estime qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 3 de la Convention

Par ces motifs la Cour EDH agrave lrsquounanimiteacute

1 Deacuteclare la requecircte recevable

2 Dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 3 de la Convention

3 Dit

a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans un deacutelai de trois mois les sommes suivantes au

taux applicable agrave la date du regraveglement i 2 803 EUR (deux mille huit cent trois euros) plus tout montant

pouvant ecirctre ducirc sur cette somme agrave titre drsquoimpocirct pour dommage mateacuteriel ii 20 000 EUR (vingt mille

euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc sur cette somme agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral

b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces montants seront agrave majorer drsquoun

inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne

applicable pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage

4 Rejette le surplus de la demande de satisfaction eacutequitable

Libre circulation des travailleurs

Cour de justice (sixiegraveme chambre) Caisse pour lavenir des enfants FV et GW 2 avril 2020 C-80218

Reacutesumeacute Dans une affaire concernant le versement dallocations sociales luxembourgeoises agrave des travailleurs transfrontaliers franccedilais la Cour de justice a jugeacute quen vertu du principe deacutegaliteacute de traitement un Etat membre ne peut refuser de verser une allocation familiale pour lrsquoenfant du conjoint drsquoun travailleur frontalier sans lien de filiation avec celui-ci puisque cette allocation constitue un avantage social et une prestation de seacutecuriteacute sociale FV travaille au Luxembourg et reacuteside en France avec son eacutepouse GW Le couple a deux enfants HY neacute en 2000 drsquoune preacuteceacutedente union de GW vit avec FV et GW Celle-ci exerce lrsquoautoriteacute parentale exclusive sur HY Jusqursquoagrave lrsquoentreacutee en vigueur de la loi luxembourgeoise du 23 juillet 2016 le meacutenage beacuteneacuteficiait des allocations familiales luxembourgeoises pour les trois enfants en raison de la qualiteacute de travailleur frontalier de FV Agrave compter de lrsquoentreacutee en vigueur de cette loi qui a modifieacute le code de la seacutecuriteacute sociale en excluant les enfants du conjoint ou du partenaire de la notion de laquo membres de la famille raquo le meacutenage a cesseacute de beacuteneacuteficier de ces allocations pour HY En effet par deacutecision du 8 novembre 2016 la Caisse pour lrsquoavenir des enfants (Luxembourg) a consideacutereacute

Renvoi preacutejudiciel ndash Article 45 TFUE ndash Seacutecuriteacute sociale des travailleurs migrants ndash Regraveglement (CE) ndeg8832004 ndash Article 1er sous i) ndash Libre circulation des travailleurs ndash Eacutegaliteacute de traitement ndash Avantages sociaux ndash Directive 200438CE ndash Article 2 point 2 ndash Regraveglement (UE) ndeg4922011 ndash Article 7 paragraphe 2 ndash Allocation familiale ndash Notion de ldquomembres de la famillerdquo ndash Exclusion de lrsquoenfant du conjoint de travailleurs non-reacutesidents ndash Diffeacuterence de traitement avec lrsquoenfant du conjoint de travailleurs reacutesidents ndash Justification

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que FV nrsquoavait plus droit agrave lrsquoallocation familiale pour HY depuis le 1er aoucirct 2016 Cet enfant ne preacutesentant pas de lien de filiation avec FV la Caisse pour lrsquoavenir des enfants considegravere qursquoil nrsquoa pas la qualiteacute de laquo membre de famille raquo ce qui exclut le droit agrave lrsquoallocation familiale luxembourgeoise FV a saisi le conseil arbitral de la seacutecuriteacute sociale (Luxembourg) pour contester la deacutecision de la Caisse pour lrsquoavenir des enfants et celui-ci a estimeacute que les prestations familiales luxembourgeoises constituent un avantage social au sens du regraveglement sur la libre circulation des travailleurs 1 et qursquoelles se rapportent agrave lrsquoexercice drsquoune activiteacute salarieacutee degraves lors que pour se les voir attribuer FV doit ecirctre un travailleur soumis agrave la leacutegislation luxembourgeoise La Caisse pour lrsquoavenir des enfants a saisi en appel le conseil supeacuterieur de la seacutecuriteacute sociale (Luxembourg) car elle conteste notamment lrsquoassimilation des prestations familiales agrave un avantage social

Dans ces conditions le conseil supeacuterieur de la seacutecuriteacute sociale a deacutecideacute de surseoir agrave statuer et de poser agrave la Cour de justice les questions preacutejudicielles suivantes laquo 1) Lrsquoallocation familiale luxembourgeoise octroyeacutee selon les articles 269 et 270 du [code dans leur version applicable agrave partir du 1er aoucirct 2016] doit-elle ecirctre assimileacutee agrave un avantage social au sens de lrsquoarticle 45 TFUE et de lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement ndeg4922011 2) En cas drsquoassimilation la deacutefinition de membre de la famille applicable en vertu de lrsquoarticle [1er sous i)] du regraveglement ndeg8832004 srsquooppose agrave la deacutefinition plus eacutelargie de membre de la famille de lrsquoarticle 2 point 2 de la directive 200438 alors que cette derniegravere exclut toute autonomie de lrsquoEacutetat membre dans la deacutefinition de membre de la famille contrairement agrave ce qui est consacreacute par le regraveglement de coordination et exclut agrave titre subsidiaire toute notion de charge principale La deacutefinition de membre de la famille au sens de lrsquoarticle 1er [sous i)] du regraveglement ndeg8832004 doit-elle degraves lors preacutevaloir au vu de sa speacutecificiteacute dans le contexte drsquoune coordination des reacutegimes de seacutecuriteacute sociale et surtout lrsquoEacutetat membre garde-t-il compeacutetence pour deacutefinir les membres de la famille qui ouvrent droit agrave lrsquoallocation familiale 3) En cas drsquoapplication de lrsquoarticle 2 point 2 de la directive 200438 aux prestations familiales et plus preacuteciseacutement agrave lrsquoallocation familiale luxembourgeoise lrsquoexclusion de lrsquoenfant du conjoint de la deacutefinition du membre de la famille peut-elle ecirctre consideacutereacutee comme une discrimination indirecte justifieacutee au vu de lrsquoobjectif national de lrsquoEacutetat membre de consacrer le droit personnel de lrsquoenfant et de la neacutecessiteacute de proteacuteger lrsquoadministration de lrsquoEacutetat membre drsquoemploi alors que lrsquoeacutelargissement du champ personnel drsquoapplication constitue une charge deacuteraisonnable pour le systegraveme de prestations familiales luxembourgeois qui exporte notamment presque 48 de ses prestations familiales raquo

o Sur la premiegravere question

La Cour de justice commence par rappeler au point 25 quil reacutesulte de lobjectif deacutegaliteacute de traitement (inscrit agrave larticle 45 TFUE et agrave larticle 7 du regraveglement ndeg4922011 que la notion drsquolaquo avantage social raquo dans le cas des travailleurs ressortissants drsquoautres Eacutetats membres comprend tous les avantages qui lieacutes ou non agrave un contrat drsquoemploi sont geacuteneacuteralement reconnus aux travailleurs nationaux en raison principalement de leur qualiteacute objective de travailleurs ou du simple fait de leur reacutesidence sur le territoire national (voir en ce sens larrecirct Generaacutelny riaditeľ Sociaacutelnej poisťovne Bratislava ea C-44718 18 deacutecembre 2019 point 47) Elle indique ensuite au point 30 que au vu des documents dont elle dispose lrsquoallocation familiale en cause qui constitue un avantage est lieacutee pour un travailleur frontalier tel que FV agrave lrsquoexercice drsquoune activiteacute salarieacutee au Luxembourg Elle nrsquoa eacuteteacute initialement accordeacutee agrave FV que dans la mesure ougrave il eacutetait un travailleur frontalier soumis agrave la leacutegislation luxembourgeoise La Cour de justice en conclut au point 32 qursquoune allocation familiale lieacutee agrave lrsquoexercice par un travailleur frontalier drsquoune activiteacute salarieacutee dans un Eacutetat membre constitue un avantage social au sens de larticle 7 paragraphe 2 du regraveglement ndeg4922011

o Sur la deuxiegraveme et troisiegraveme question

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La Cour de justice estime sans donner plus de preacutecisions quil convient dexaminer les deux questions ensemble Elle preacutecise quil sagit en substance de deacuteterminer si lrsquoarticle 1er sous i) du regraveglement ndeg8832004 lu en combinaison avec lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement ndeg4922011 et avec lrsquoarticle 2 point 2 de la directive 200438 doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens qursquoil srsquooppose agrave des dispositions drsquoun Eacutetat membre en vertu desquelles les travailleurs frontaliers ne peuvent percevoir une allocation familiale lieacutee agrave lrsquoexercice par ceux-ci drsquoune activiteacute salarieacutee dans un Eacutetat membre que pour leurs propres enfants agrave lrsquoexclusion de ceux de leur conjoint avec lesquels ils nrsquoont pas de lien de filiation alors que le droit de percevoir cette allocation existe pour tous les enfants reacutesidant dans ledit Eacutetat membre Sur lapplicabiliteacute du regraveglement ndeg8832004 la Cour de justice observe au point 39 que lrsquoallocation concerneacutee est verseacutee pour tous les enfants reacutesidant au Luxembourg ainsi que pour tous les enfants des travailleurs non-reacutesidents ayant un lien de filiation avec ces derniers Cette prestation est donc octroyeacutee en dehors de toute appreacuteciation individuelle et discreacutetionnaire des besoins personnels sur la base drsquoune situation leacutegalement deacutefinie Elle est donc selon la jurisprudence de la Cour de justice et notamment larrecirct Generaacutelny riaditeľ Sociaacutelnej poisťovne Bratislava ea citeacute point 23 consideacutereacutee comme une prestation sociale En outre la Cour de justice souligne que la prestation en cause repreacutesente une contribution publique au budget familial destineacutee agrave alleacuteger les charges deacutecoulant de lrsquoentretien des enfants (arrecirct Martinez Silva C-44916 21 juin 2017 point 23) Elle en conclut dans son point 41 que cette allocation familiale constitue une prestation de seacutecuriteacute sociale relevant des prestations familiales ce qui deacutetermine lrsquoapplication du regraveglement ndeg8832004 sur la coordination des systegravemes de seacutecuriteacute sociale La Cour de justice indique dans son point suivant que dans le cas drsquoun travailleur frontalier tel que FV le regraveglement ndeg8832004 srsquoapplique puisqursquoil srsquoapplique agrave un ressortissant de lrsquoun des Eacutetats membres reacutesidant dans un Eacutetat membre qui est ou a eacuteteacute soumis agrave la leacutegislation drsquoun ou de plusieurs Eacutetats membres ainsi qursquoaux membres de sa famille et agrave leurs survivants Elle preacutecise quune application combineacutee de ce regraveglement et de larticle 7 paragraphe 2 du regraveglement ndeg4922011 Par ailleurs la Cour de justice rappelle que les membres de la famille drsquoun travailleur migrant sont des beacuteneacuteficiaires indirects de lrsquoeacutegaliteacute de traitement accordeacutee en ce qui concerne les avantages sociaux agrave ce travailleur par le regraveglement sur la libre circulation des travailleurs En outre selon la Cour de justice il y a lieu drsquoentendre par enfant drsquoun travailleur frontalier pouvant beacuteneacuteficier indirectement de ces avantages sociaux non seulement lrsquoenfant qui a un lien de filiation avec ce travailleur mais eacutegalement lrsquoenfant du conjoint ou du partenaire enregistreacute de celui-ci lorsque ce dernier pourvoit agrave lrsquoentretien de cet enfant (point 50) Elle preacutecise dans son point suivant quelle a consideacutereacute que la notion de laquo membre de la famille raquo du travailleur frontalier susceptible de beacuteneacuteficier indirectement de lrsquoeacutegaliteacute de traitement en vertu de lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement ndeg4922011 correspond agrave celle de laquo membre de la famille raquo au sens de lrsquoarticle 2 point 2 de la directive 200438 laquelle comprend le conjoint ou le partenaire avec lequel le citoyen de lrsquoUnion a contracteacute un partenariat enregistreacute les descendants directs qui sont acircgeacutes de moins de 21 ans ou qui sont agrave charge et les descendants directs du conjoint ou du partenaire La Cour de justice a notamment pris en consideacuteration agrave cet eacutegard le consideacuterant 1 lrsquoarticle 1er et lrsquoarticle 2 paragraphe 2 de la directive 201454 (directive relative agrave des mesures facilitant lexercice des droits confeacutereacutes aux travailleurs dans le contexte de la libre circulation des travailleurs ) Voir en ce sens arrecirct Depesme eaMinistegravere de lEnseignement supeacuterieur et de la Recherche C-40115 agrave C-40315 15 deacutecembre 2016 points 52 agrave 54 La Cour de justice indique au point 54 que le principe drsquoeacutegaliteacute de traitement prohibe non seulement les discriminations directes fondeacutees sur la nationaliteacute mais encore toutes formes indirectes de discrimination qui par application drsquoautres critegraveres de distinction aboutissent en fait au mecircme reacutesultat (arrecircts Bressol ea C-7308 point 40 13 avril 2010 ainsi que Aubriet C-4101810 juillet 2019) Il srsquoagit donc au vu des circonstances propres agrave la situation de FV de veacuterifier srsquoil existe une discrimination

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En vertu de la leacutegislation luxembourgeoise applicable tous les enfants reacutesidant au Luxembourg quel que soit leur statut au sein du foyer du travailleur peuvent preacutetendre agrave ladite allocation familiale En revanche les travailleurs non-reacutesidents ne peuvent y preacutetendre que pour leurs propres enfants agrave lrsquoexclusion des enfants de leur conjoint avec lesquels ils nrsquoont pas de lien de filiation La Cour de justice indique dans son point 56 qu laquo une telle distinction fondeacutee sur la reacutesidence qui est susceptible de jouer davantage au deacutetriment des ressortissants drsquoautres Eacutetats membres dans la mesure ougrave les non-reacutesidents sont le plus souvent des non-nationaux constitue une discrimination indirecte fondeacutee sur la nationaliteacute qui ne pourrait ecirctre admise qursquoagrave la condition drsquoecirctre objectivement justifieacutee raquo ce qui nrsquoest pas le cas dans lrsquoaffaire en cause puisquelle ne garantit par la reacutealisation dun objectif leacutegitime (voir en ce sens (arrecirct Aubriet citeacute point 28) La Cour de justice souligne que srsquoil est vrai que les personnes ayant droit aux prestations familiales sont deacutetermineacutees conformeacutement au droit national il nrsquoen demeure pas moins que les Eacutetats membres doivent respecter le droit de lrsquoUnion en lrsquooccurrence les dispositions relatives agrave la libre circulation des travailleurs (point 69) Ainsi dans le domaine speacutecifique de lrsquooctroi drsquoavantages sociaux la regravegle drsquoeacutegaliteacute de traitement srsquooppose agrave des dispositions drsquoun Eacutetat membre en vertu desquelles les travailleurs non-reacutesidents ne peuvent percevoir une allocation telle que lrsquoallocation familiale demandeacutee par FV que pour leurs propres enfants agrave lrsquoexclusion de ceux de leur conjoint avec lesquels ils nrsquoont pas de lien de filiation mais dont ils pourvoient agrave lrsquoentretien alors que tous les enfants reacutesidant dans cet Eacutetat membre ont le droit de percevoir cette allocation

Par ces motifs la Cour (sixiegraveme chambre) dit pour droit

1) Lrsquoarticle 45 TFUE et lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement (UE) ndeg4922011 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 5 avril 2011 relatif agrave la libre circulation des travailleurs agrave lrsquointeacuterieur de lrsquoUnion doivent ecirctre interpreacuteteacutes en ce sens qursquoune allocation familiale lieacutee agrave lrsquoexercice par un travailleur frontalier drsquoune activiteacute salarieacutee dans un Eacutetat membre constitue un avantage social au sens de ces dispositions

2) Lrsquoarticle 1er sous i) et lrsquoarticle 67 du regraveglement (CE) ndeg8832004 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systegravemes de seacutecuriteacute sociale lus en combinaison avec lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement ndeg4922011 et avec lrsquoarticle 2 point 2 de la directive 200438CE du Parlement europeacuteen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de lrsquoUnion et des membres de leurs familles de circuler et de seacutejourner librement sur le territoire des Eacutetats membres modifiant le regraveglement (CEE) ndeg 161268 et abrogeant les directives 64221CEE 68360CEE 72194CEE 73148CEE 7534CEE 7535CEE 90364CEE 90365CEE et 9396CEE doivent ecirctre interpreacuteteacutes en ce sens qursquoils srsquoopposent agrave des dispositions drsquoun Eacutetat membre en vertu desquelles les travailleurs frontaliers ne peuvent percevoir une allocation familiale lieacutee agrave lrsquoexercice par ceux-ci drsquoune activiteacute salarieacutee dans cet Eacutetat membre que pour leurs propres enfants agrave lrsquoexclusion de ceux de leur conjoint avec lesquels ils nrsquoont pas de lien de filiation mais dont ils pourvoient agrave lrsquoentretien alors que tous les enfants reacutesidant dans ledit Eacutetat membre ont le droit de percevoir cette allocation

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Cour de justice (neuviegraveme chambre) Landkreis Suumldliche WeinstraszligePF ea 2 avril 2020 C-83018

Reacutesumeacute Dans une affaire concernant le remboursement des frais de transports scolaires dun eacutelegraveve allemand reacutesidant en France et eacutetudiant en Allemagne la Cour de justice a jugeacute quune mesure permettant agrave un Land de soumettre la prise en charge du transport scolaire agrave une condition de reacutesidence dans ce Land constitue une discrimination indirecte agrave lrsquoencontre des travailleurs frontaliers et de leur famille En effet selon la Cour de justice une condition de reacutesidence ne peut ecirctre justifieacutee par une raison impeacuterieuse d rsquointeacuterecirct geacuteneacuteral tenant agrave lrsquoorganisation du systegraveme scolaire PF de nationaliteacute allemande freacutequente une eacutecole drsquoenseignement secondaire dans le Landkreis (arrondissement) Suumldliche Weinstraszlige du Land de la Rheacutenanie-Palatinat (Allemagne) mais reacuteside en France avec ses parents eacutegalement de nationaliteacute allemande Sa megravere travaille en Allemagne Agrave partir de lrsquoanneacutee scolaire 2015-2016 le Landkreis a refuseacute de prendre en charge les frais de transport scolaire de PF au motif que selon la leacutegislation de la Rheacutenanie-Palatinat il ne serait tenu drsquoorganiser le transport scolaire que pour des eacutelegraveves reacutesidant dans ce Land PF a deacuteposeacute une reacuteclamation contre la deacutecision du Landkreis qui a eacuteteacute rejeteacutee Il a ensuite formeacute un recours contre cette deacutecision de rejet devant le Verwaltungsgericht Neustadt an der Weinstraszlige (tribunal administratif de Neustadt sur Weinstraszlige Allemagne) Ce dernier a accueilli le recours au motif que PF en tant qursquoenfant drsquoun travailleur frontalier avait le droit de beacuteneacuteficier de la prise en charge de ses frais de transport scolaire en vertu de lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement ndeg4922011 Le Landkreis a interjeteacute appel de ce jugement devant la juridiction de renvoi lrsquoOberverwaltungsgericht Rheinland-Pfalz (tribunal administratif supeacuterieur de Rheacutenanie-Palatinat Allemagne) Cette derniegravere a poseacute deux questions preacutejucielles agrave la Cour de justice laquo 1)Lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement [] ndeg4922011 [] doit-il ecirctre interpreacuteteacute en ce sens qursquoest indirectement discriminatoire une disposition du droit national qui reacuteserve le beacuteneacutefice de lrsquoobligation drsquoassurer un service de transport scolaire incombant agrave certaines collectiviteacutes territoriales (Landkreise) agrave la population reacutesidant dans lrsquoEacutetat feacutedeacutereacute dont celles-ci relegravevent mecircme srsquoil ressort des circonstances concregravetes de lrsquoespegravece que en raison de cette condition de reacutesidence ce sont en tregraves grande majoriteacute les habitants du reste du territoire national de lrsquoEacutetat membre concerneacute qui sont exclus du beacuteneacutefice de cette prestation Dans lrsquohypothegravese ougrave il conviendrait de reacutepondre par lrsquoaffirmative agrave la premiegravere question 2) La neacutecessiteacute drsquoassurer lrsquoorganisation efficace du systegraveme scolaire constitue-t-elle une exigence drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral impeacuterative susceptible de justifier une discrimination indirecte raquo

o Sur la premiegravere question preacutejudicielle Pour reacutepondre agrave cette premiegravere question la Cour de justice rappelle en premier lieu que ledit travailleur ayant exerceacute sa liberteacute de circulation il est en droit de se preacutevaloir agrave lrsquoencontre de lrsquoEacutetat membre dont il a la nationaliteacute du regraveglement ndeg4922011 qui vise agrave mettre en œuvre la libre circulation des travailleurs agrave lrsquointeacuterieur de lrsquoUnion et notamment de lrsquoarticle 7 paragraphe 2 de ce regraveglement (point 25) Elle preacutecise au point suivant que les membres de la famille drsquoun travailleur migrant sont des beacuteneacuteficiaires indirects de lrsquoeacutegaliteacute de traitement accordeacutee agrave ce dernier par la mecircme disposition (voir en ce sens arrecirct Giersch ea C-2012 point 40 20 juin 2013) Ensuite la Cour de justice affirme que la prise en charge du transport scolaire drsquoun membre de la famille constitue un avantage social au sens de la disposition citeacutee au point preacuteceacutedent (point 27) La Cour de justice allegravegue au point suivant que lavantage social est eacutegalement soumis au principe drsquoeacutegaliteacute de traitement consacreacute agrave lrsquoarticle 45 TFUE qui prohibe non seulement les discriminations ostensibles fondeacutees sur la nationaliteacute mais encore toutes formes dissimuleacutees de discrimination qui par application drsquoautres critegraveres de distinction aboutissent en fait au mecircme reacutesultat

Renvoi preacutejudiciel ndash Libre circulation des travailleurs ndash Regraveglement (UE) ndeg4922011 ndash Enfants de travailleurs frontaliers ndash Avantages sociaux ndash Systegraveme de remboursement des frais de transport scolaire ndash Condition de reacutesidence dans un Land ndash Exclusion des enfants scolariseacutes dans ce Land et reacutesidant dans un Eacutetat membre autre que celui de lrsquoeacutetablissement scolaire freacutequenteacute ndash Exclusion des ressortissants nationaux reacutesidant dans les autres Laumlnder

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En lespegravece la mesure en cause en ce qursquoelle subordonne le remboursement des frais de transport scolaire agrave une condition de reacutesidence dans le Land est susceptible par sa nature mecircme de deacutefavoriser plus particuliegraverement les travailleurs frontaliers qui reacutesident dans un autre Eacutetat membre Partant la Cour de justice affirme dans son point 32 quelle constitue une discrimination indirecte prohibeacutee agrave lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement ndeg4922011 La Cour de justice preacutecise au point 34 quune telle conclusion ne saurait ecirctre remise en cause par le fait que les travailleurs nationaux qui reacutesident dans les autres Laumlnder pacirctissent eacutegalement de cette mesure nationale En effet pour qursquoune mesure puisse ecirctre qualifieacutee drsquoindirectement discriminatoire il nrsquoest pas neacutecessaire qursquoelle ait pour effet de favoriser lrsquoensemble des ressortissants nationaux ou de ne deacutefavoriser que les seuls travailleurs frontaliers agrave lrsquoexclusion des nationaux (voir en ce sens arrecirct Gemeinsamer Betriebsrat EurothermenResort Bad Schallerbach C-43717 points 31 et 32 13 mars 2019 ) Enfin la Cour de justice souligne que la discrimination en cause dans lrsquoaffaire au principal trouvant sa source dans une condition de reacutesidence sur une partie du territoire drsquoun Eacutetat membre et non pas dans une condition de nationaliteacute il importe peu afin de deacuteterminer lrsquoexistence drsquoune discrimination telle que deacutefinie dans le preacutesent arrecirct que les travailleurs nationaux qui reacutesident dans un autre Land se trouvent eacutegalement discrimineacutes par cette condition de reacutesidence (point 35) La Cour de justice conclut quen tout eacutetat de cause une telle mesure nationale constitue une entrave agrave la libre circulation des travailleurs prohibeacutee agrave lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement ndeg4922011 en ce que mecircme indistinctement applicable elle est susceptible drsquoempecirccher ou de dissuader un ressortissant drsquoun Eacutetat membre de quitter son Eacutetat drsquoorigine pour exercer son droit agrave la libre circulation (voir en ce sens arrecirct Bosman C-41593 point 96 15 deacutecembre 1995) et quil convient donc de reacutepondre agrave la premiegravere question preacutejudicielle poseacutee que lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement ndeg4922011 doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens qursquoune leacutegislation nationale qui subordonne la prise en charge du transport scolaire par un Land agrave une condition de reacutesidence sur le territoire de ce Land constitue une discrimination indirecte en ce qursquoelle est susceptible par sa nature mecircme drsquoaffecter davantage les travailleurs frontaliers que les travailleurs nationaux (points 36 et 37)

o Sur la deuxiegraveme question preacutejudicielle Par sa seconde question la juridiction de renvoi demande en substance si lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement ndeg4922011 doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que la neacutecessiteacute drsquoassurer lrsquoorganisation efficace du systegraveme scolaire constitue une raison impeacuterieuse drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral susceptible de justifier une mesure nationale qualifieacutee de discrimination indirecte La Cour de justice commence par rappeler au point 39 qursquoune discrimination indirecte est en principe prohibeacutee agrave moins qursquoelle ne soit objectivement justifieacutee Pour cela elle doit drsquoune part ecirctre propre agrave garantir la reacutealisation drsquoun objectif leacutegitime et drsquoautre part ne pas aller au-delagrave de ce qui est neacutecessaire pour atteindre cet objectif (arrecircts Giersch ea citeacute point 46 et Aubriet C-41018 point 29 10 juillet 2019) Elle rappelle au point suivant quelle avait jugeacute qursquoune action entreprise par un Eacutetat membre afin drsquoassurer un niveau eacuteleveacute de formation de sa population reacutesidente poursuit un objectif leacutegitime susceptible de justifier une discrimination indirecte et que la poursuite drsquoeacutetudes supeacuterieures constitue un objectif drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral reconnu au niveau de lrsquoUnion (arrecircts Giersch point 53 et Aubriet point 31 citeacutes) Cependant selon la Cour de justice le fait mecircme que si lrsquoeacutetablissement freacutequenteacute est situeacute en dehors du territoire du Land de Rheacutenanie-Palatinat les frais de transport sont pris en charge par le Landkreis ou par la ville non rattacheacutee agrave un Landkreis sur le territoire duquel ou de laquelle lrsquoeacutelegraveve est domicilieacute atteste que lrsquoorganisation du transport scolaire au niveau du Land nrsquoest pas indissociablement lieacutee agrave lrsquoorganisation du systegraveme scolaire au sein de ce Land Par conseacutequent la Cour de justice juge que les dispositions du Land sur le transport scolaire ne preacutesentent pas un lien suffisamment eacutetroit avec lrsquoorganisation du systegraveme scolaire pour qursquoil soit consideacutereacute que ces dispositions poursuivent un objectif leacutegitime En tout eacutetat de cause la condition de reacutesidence opposeacutee agrave PF ne peut ecirctre consideacutereacutee comme indispensable agrave la planification et agrave lrsquoorganisation du transport scolaire degraves lors que comme lrsquoOberverwaltungsgericht Rheinland-Pfalz lrsquoindique drsquoautres mesures pourraient ecirctre envisageacutees En particulier la Cour de justice indique que pour le calcul du montant des frais de transport scolaire devant ecirctre rembourseacutes laquo le point ougrave le trajet agrave vol drsquooiseau entre le lieu de reacutesidence reacuteel et lrsquoeacutetablissement scolaire le plus proche coupe la frontiegravere raquo pourrait ecirctre pris en compte agrave titre de domicile de lrsquoeacutelegraveve

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La Cour de justice conclut donc que les difficulteacutes pratiques lieacutees agrave lrsquoorganisation efficace du transport scolaire au niveau reacutegional ne constituent pas une raison impeacuterieuse drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral susceptible de justifier une mesure nationale qualifieacutee de discrimination indirecte (points 42 agrave 46) Par ces motifs la Cour (neuviegraveme chambre) dit pour droit 1) Lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement (UE) no 4922011 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 5 avril 2011 relatif agrave la libre circulation des travailleurs agrave lrsquointeacuterieur de lrsquoUnion doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens qursquoune leacutegislation nationale qui subordonne la prise en charge du transport scolaire par un Land agrave une condition de reacutesidence sur le territoire de ce Land constitue une discrimination indirecte en ce qursquoelle est susceptible par sa nature mecircme drsquoaffecter davantage les travailleurs frontaliers que les travailleurs nationaux 2) Lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement no 4922011 doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que les difficulteacutes pratiques lieacutees agrave lrsquoorganisation efficace du transport scolaire au sein drsquoun Land ne constituent pas une raison impeacuterieuse drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral susceptible de justifier une mesure nationale qualifieacutee de discrimination indirecte

Non-discrimination

Cour de justice (grande chambre) Ruska Federacija 2 avril 2020 C-89719 PPU

Reacutesumeacute Lorsqursquoun Eacutetat membre doit statuer sur une demande drsquoextradition issu drsquoun Eacutetat tiers et concernant un ressortissant drsquoun Eacutetat de lrsquoAssociation europeacuteenne de libre-eacutechange (AELE) partie agrave lrsquoaccord sur lrsquoEspagne eacuteconomique europeacuteen (EEE) il lui incombe de veacuterifier que ce ressortissant ne sera pas soumis agrave la peine de mort agrave la torture ou agrave des peines ou traitements inhumains ou deacutegradants De plus avant drsquoenvisager drsquoexeacutecuter la demande drsquoextradition la Cour de justice preacutecise que lrsquoEacutetat membre doit en informer lrsquoEacutetat de lrsquoAELE pour permettre agrave celui-ci de solliciter la remise de son ressortissant En mai 2015 le bureau drsquoInterpol de Moscou (Russie) a eacutemis un avis de recherche international contre un ressortissant russe aux fins de son arrestation en raison de poursuites peacutenales engageacutees contre lui Le 30 juin 2019 alors qursquoil tentait drsquoentrer sur le territoire de la Croatie le ressortissant russe muni drsquoun document de voyage islandais pour reacutefugieacutes srsquoest fait arrecircter sur le fondement de cet lrsquoavis de recherche Le ressortissant russe interrogeacute par le juge drsquoinstruction du Županijski sud u Zagrebu (tribunal de comitat de Zagreb Croatie) a deacuteclareacute srsquoopposer agrave son extradition en Russie et a indiqueacute ecirctre agrave la fois citoyen russe et citoyen islandais Lrsquoambassade islandaise a confirmeacute son statut de reacutesident permanent en Islande et a indiqueacute que le gouvernement islandais souhaitait que lrsquoindividu se voit attribuer un sauf-conduit vers lrsquoIslande dans les plus brefs deacutelais Le 6 aoucirct 2019 le tribunal de comitat de Zagreb a reccedilu une demande du ministegravere public geacuteneacuteral de la Feacutedeacuteration de Russie de lrsquoextradition de leur ressortissant vers cet Eacutetat tiers en raison des poursuites peacutenales engageacutees contre

Renvoi preacutejudiciel ndash Proceacutedure preacutejudicielle drsquourgence ndash Accord EEE ndash Non-discrimination ndash Article 36 ndash Libre prestation des services ndash Champ drsquoapplication ndash Accord entre lrsquoUnion europeacuteenne la Reacutepublique drsquoIslande et le Royaume de Norvegravege sur lrsquoassociation de ces deux Eacutetats agrave la mise en œuvre agrave lrsquoapplication et au deacuteveloppement de lrsquoacquis de Schengen ndash Accord relatif agrave la proceacutedure de remise entre les Eacutetats membres de lrsquoUnion europeacuteenne drsquoune part et lrsquoIslande et la Norvegravege drsquoautre part ndash Extradition vers un Eacutetat tiers drsquoun ressortissant islandais ndash Protection des ressortissants drsquoun Eacutetat membre contre lrsquoextradition ndash Absence de protection eacutequivalente des ressortissants drsquoun autre Eacutetat ndash Ressortissant islandais ayant obtenu lrsquoasile en vertu du droit national avant lrsquoacquisition de la citoyenneteacute islandaise ndash Restriction agrave la libre circulation ndash Justification fondeacutee sur la preacutevention de lrsquoimpuniteacute ndash Proportionnaliteacute ndash Veacuterification des garanties preacutevues agrave lrsquoarticle 19 paragraphe 2 de la Charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne

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lui Le ministegravere public geacuteneacuteral a preacuteciseacute que la demande drsquoextradition nrsquoavait pas pour but de poursuivre lrsquoindividu pour des motifs politiques ni en raison de sa race de sa religion de sa nationaliteacute ou de ses opinions que toutes les possibiliteacutes drsquoexercer sa deacutefense y compris lrsquoassistance drsquoun avocat seraient mises agrave sa disposition et qursquoil ne serait pas soumis agrave la torture agrave des traitements cruels ou inhumains ou encore agrave des peines portant atteinte agrave la digniteacute humaine Par ordonnance du 5 septembre 2019 le tribunal de comitat de Zagreb a jugeacute que les conditions leacutegales pour lrsquoextradition du ressortissant russe eacutetaient remplies Le ressortissant russe a interjeteacute appel de cette ordonnance devant le Vrhovni sud (Cour suprecircme) Il a fait valoir qursquoil existait un risque concret seacuterieux et raisonnable qursquoen cas drsquoextradition vers la Russie il y soit soumis agrave la torture et agrave des traitements inhumains et deacutegradants et que le statut de reacutefugieacute lui avait eacuteteacute reconnu en Islande preacuteciseacutement en raison des poursuites effectives dont il faisait lrsquoobjet en Russie En affirmant posseacuteder la citoyenneteacute islandaise il a reprocheacute au tribunal comitat de Zagreb drsquoavoir meacuteconnu lrsquoarrecirct du 6 septembre 2016 Petruhhin (C-18215) Dans ces conditions le Vrhovni sud (Cour suprecircme) a deacutecideacute de surseoir agrave statuer et de poser agrave la Cour de justice les questions preacutejudicielles suivantes 1 Convient-il drsquointerpreacuteter lrsquoarticle 18 TFUE en ce sens qursquoun Eacutetat membre de lrsquoUnion europeacuteenne

qui statue sur lrsquoextradition vers un Eacutetat tiers drsquoun ressortissant drsquoun Eacutetat qui nrsquoest pas membre de lrsquoUnion [] mais qui est membre de lrsquoespace Schengen est tenu drsquoinformer de la demande drsquoextradition lrsquoEacutetat membre de lrsquoespace Schengen dont cette personne a la nationaliteacute

2 Si la question preacuteceacutedente appelle une reacuteponse affirmative et que lrsquoEacutetat membre de lrsquoespace

Schengen a solliciteacute la remise de cette personne afin de mener une proceacutedure pour laquelle lrsquoextradition est demandeacutee convient-il de lui remettre cette personne conformeacutement agrave lrsquoaccord relatif agrave la proceacutedure de remise

Selon la Cour de justice les articles 18 et 21 TFUE doivent ecirctre interpreacuteteacutes en ce sens que lorsqursquoun Eacutetat membre dans lequel un citoyen de lrsquoUnion ressortissant drsquoun autre Eacutetat membre srsquoest deacuteplaceacute se voit adresser une demande drsquoextradition par un Eacutetat tiers avec lequel le premier Eacutetat membre a conclu un accord drsquoextradition il est tenu drsquoinformer lrsquoEacutetat membre dont ledit citoyen a la nationaliteacute et le cas eacutecheacuteant agrave la demande de ce dernier Eacutetat membre de lui remettre ce citoyen conformeacutement aux dispositions de la deacutecision-cadre 2002584JAI du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat drsquoarrecirct europeacuteen et aux proceacutedures de remises entre Eacutetats membres telle que modifieacutee par la deacutecision-cadre 2009299JAI du Conseil du 26 feacutevrier 2009 pourvu que cet Eacutetat membre soit compeacutetent en vertu de son droit national pour poursuivre cette personne pour des faits commis en dehors de son territoire national (arrecirct du 6 septembre 2016 Petruhhin C-18215 point 50) Afin drsquoeacuteviter le risque drsquoimpuniteacute de la personne concerneacutee pour les faits qui lui sont reprocheacutes dans la demande drsquoextradition le mandat drsquoarrecirct europeacuteen eacuteventuellement eacutemis par un Eacutetat membre autre que lrsquoEacutetat membre requis doit porter agrave tout le moins sur les mecircmes faits (arrecirct du 10 avril 2018 Pisciotti C-19116 point 54) La Cour de justice estime qursquoen interdisant laquo toute discrimination exerceacutee en raison de la nationaliteacute raquo lrsquoarticle 18 TFUE exige lrsquoeacutegaliteacute de traitement des personnes se trouvant dans une situation tombant dans le domaine drsquoapplication des traiteacutes Neacuteanmoins cette disposition nrsquoa pas vocation agrave srsquoappliquer dans le cas drsquoune eacuteventuelle diffeacuterence de traitement entre les ressortissants des Eacutetats membres et ceux des Eacutetats tiers (arrecirct du 4 juin 2009 Vatsouras et Koupatantze C-2208 et C-2308 point 52 avis 117 (Accord ECG UE-Canada) du 30 avril 2019 point 169) Srsquoagissant de lrsquoarticle 21 TFUE son paragraphe 1 preacutevoit le droit de tout citoyen de lrsquoUnion de circuler et de seacutejourner librement sur le territoire des Eacutetats membres et srsquoapplique ainsi qursquoil en ressort de lrsquoarticle 20 paragraphe 1 TFUE agrave toute personne ayant la nationaliteacute drsquoun Eacutetat membre de telle sorte qursquoil ne srsquoapplique pas non plus agrave un ressortissant drsquoun Eacutetat tiers Toutefois la Cour de justice rappelle qursquoelle a pour mission drsquointerpreacuteter toutes les dispositions du droit de lrsquoUnion dont les juridictions nationales ont besoin afin de statuer sur les litiges qui leur sont soumis mecircme si ces

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dispositions ne sont pas indiqueacutees expresseacutement dans les questions qui lui sont adresseacutees par ces juridictions (arrecirct du 8 mai 2019 PI C-23018 point 42) Ainsi la Cour de justice juge qursquoil est neacutecessaire de preacuteciser la porteacutee de la protection offerte par lrsquoarticle 19 paragraphe 2 de la Charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne aux termes duquel nul ne peut ecirctre eacuteloigneacute expulseacute ou extradeacute vers un Eacutetat ougrave il existe un risque seacuterieux qursquoil soit soumis agrave la peine de mort la torture ou agrave drsquoautres peines ou traitements inhumains ou deacutegradants

o Sur lrsquoapplicabiliteacute du droit de lrsquoUnion dans le litige principal En lrsquoabsence de convention internationale agrave ce sujet entre lrsquoUnion europeacuteenne et lrsquoEacutetat tiers concerneacute les regravegles en matiegravere drsquoextradition relegravevent de la compeacutetence des Eacutetats membres Neacuteanmoins les Eacutetats membres sont tenus drsquoexercer cette compeacutetence dans le respect du droit de lrsquoUnion (arrecirct du 13 novembre 2018 Raugevicius C-24717 point 45) La Cour de justice preacutecise que lrsquoaccord EEE accord international conclu par lrsquoUnion fait partie inteacutegrante du droit de celle-ci Agrave ce titre des situations relevant du champ drsquoapplication de drsquoun tel accord sont reacutegies par le droit de lrsquoUnion (point 49) Selon la Cour de justice lrsquoaccord EEE reacuteaffirme lrsquoexistence de relations privileacutegieacutees entre lrsquoUnion europeacuteenne ses Eacutetats membres et les Eacutetats de lrsquoAELE agrave la lumiegravere de ces derniegraveres lrsquoaccord viserait agrave ce que le marcheacute inteacuterieur reacutealiseacute sur le territoire de lrsquoUnion soit eacutetendu aux Eacutetats de lrsquoAELE Pour y parvenir certaines stipulations de lrsquoaccord visent agrave garantir une interpreacutetation aussi uniforme que possible de celui-ci sur lrsquoensemble de lrsquoEEE La Cour de justice estime qursquoil lui revient dans ce cadre de veiller agrave ce que les regravegles de lrsquoaccord EEE identiques en substance agrave celles du TFUE soient interpreacuteteacutees de maniegravere uniforme agrave lrsquointeacuterieur des Eacutetats membres (point 50) En lrsquoespegravece lrsquoindividu en cause faisait valoir qursquoil eacutetait entreacute en Croatie pour y passer ses vacances La Cour de justice juge que la liberteacute de prestation de services au sens de lrsquoarticle 56 TFUE inclut la liberteacute des destinataires de service de rendre dans un autre Eacutetat membre pour y beacuteneacuteficier drsquoun service les touristes devant ecirctre consideacutereacutes comme eacutetant des destinataires de services beacuteneacuteficiaires de cette liberteacute Elle preacutecise que la mecircme interpreacutetation srsquoimpose agrave lrsquoeacutegard de la liberteacute de prestation de services garantie agrave lrsquoarticle 36 de lrsquoaccord EEE (points 52 et 52) Ainsi la Cour de justice juge que la situation de lrsquoindividu en cause relegraveve du champ drsquoapplication de lrsquoaccord EEE et du droit de lrsquoUnion du fait de sa qualiteacute de ressortissant islandais (par analogie arrecirct du 6 septembre 2016 Petruhhin C-18215 points 30 et 31) Degraves lors la Croatie est tenue drsquoexercer sa compeacutetence en matiegravere drsquoextradition agrave destination drsquoEacutetats tiers drsquoune maniegravere conforme agrave lrsquoaccord EEE

o Sur la restriction agrave la libre prestation des services et lrsquoeacuteventuelle justification de celle-ci Lrsquoarticle 4 de lrsquoaccord EEE exige lrsquoeacutegaliteacute de traitement des personnes se trouvant dans une situation reacutegie par cet accord en interdisant laquo toute discrimination exerceacutee en raison de la nationaliteacute raquo La Cour de justice explique que les regravegles nationales drsquoextradition telles que celles en cause introduisent une diffeacuterence de traitement selon que la personne concerneacutee soit un ressortissant national ou un ressortissant drsquoun Eacutetat de lrsquoAELE partie agrave lrsquoaccord EEE car elles conduisent agrave ne pas accorder aux ressortissants de ces derniers Eacutetats la protection contre lrsquoextradition dont jouissent les ressortissants nationaux (par analogie arrecirct du 6 septembre 2016 Petruhhin C-18215 point 32) Ainsi de telles regravegles sont susceptibles drsquoaffecter la liberteacute consacreacutee agrave lrsquoarticle 36 de lrsquoaccord EEE La Cour de justice ajoute que la circonstance selon laquelle la personne concerneacutee a la qualiteacute de ressortissant drsquoun Eacutetat de lrsquoAELE partie agrave lrsquoaccord EEE et le fait que cet Eacutetat met en œuvre et applique lrsquoacquis de Schengen rendent la situation de cette personne objectivement comparable agrave celle drsquoun citoyen de lrsquoUnion (point 58)

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Toutefois la Cour de justice preacutecise qursquoune telle restriction ne peut ecirctre justifieacutee que si elle est fondeacutee sur des consideacuterations objectives et proportionneacutee agrave lrsquoobjectif leacutegitimement poursuivi par le droit national (par analogie arrecirct du 6 septembre 2016 Petruhhin C-18215 points 34) En lrsquoespegravece la Cour de justice considegravere que lrsquoobjectif drsquoeacuteviter le risque drsquoimpuniteacute des personnes ayant commis une infraction avanceacute dans la demande de deacutecision preacutejudicielle agrave des fins de justification doit ecirctre perccedilue comme preacutesentant un caractegravere leacutegitime Pour autant des restrictions agrave la liberteacute consacreacutee agrave lrsquoarticle 36 de lrsquoaccord EEE ne peuvent ecirctre justifieacutee par des consideacuterations objectives que si elles sont approprieacutees pour la protection des inteacuterecircts qursquoelles visent agrave garantir et seulement dans la mesure ougrave ces objectifs en peuvent ecirctre atteints par des mesures moins restrictives Agrave ce titre degraves lors que le ressortissant islandais se preacutevaut drsquoun risque seacuterieux de traitement inhumain et deacutegradant en cas drsquoextradition lrsquoEacutetat membre requis doit veacuterifier avant de proceacutedure agrave une eacuteventuelle extradition que cette derniegravere ne portera pas atteinte aux droits viseacutes agrave lrsquoarticle 19 paragraphe 2 de la Charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne Ainsi lrsquoautoriteacute compeacutetente de lrsquoEacutetat membre requis telle que la juridiction de renvoi doit se fonder aux fins de cette veacuterification sur des eacuteleacutements objectifs fiables preacutecis et ducircment actualiseacutes eacuteleacutements pouvant reacutesulter notamment de deacutecisions judiciaires internationales telles que des arrecircts de la Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme de deacutecisions judiciaires de lrsquoEacutetat tiers requeacuterant ainsi que de deacutecisions de rapports et drsquoautres documents eacutetablis par les organes du Conseil de lrsquoEurope ou relevant du systegraveme des Nations unies (arrecirct du 6 septembre 2016 Petruhhin C-18215 points 55 agrave 59 et jurisprudence citeacutee) Si les autoriteacutes de lrsquoEacutetat membre requis estiment que lrsquoarticle 19 paragraphe 2 de la Charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne ne srsquooppose pas agrave lrsquoexeacutecution de cette demande il faudra examiner si la restriction en cause est proportionneacutee agrave lrsquoobjectif de lutte contre lrsquoimpuniteacute drsquoune personne qui aurait commis une infraction peacutenale La Cour de justice souligne que la mise en œuvre des meacutecanismes de coopeacuteration et drsquoassistance mutuelle existant en matiegravere peacutenale en vertu du droit de lrsquoUnion constitue en tout eacutetat de cause une mesure alternative moins attentatoire au droit agrave la libre circulation que lrsquoextradition vers un Eacutetat tiers avec lequel lrsquoUnion nrsquoa pas conclu drsquoaccord drsquoextradition et qui permet drsquoatteindre aussi efficacement cet objectif (point 69) Ainsi il en revient agrave lrsquoautoriteacute compeacutetente de lrsquoEacutetat membre requis drsquoinformer lrsquoEacutetat membre dont lrsquointeacuteresseacute agrave la nationaliteacute et le cas eacutecheacuteant agrave la demande de ce dernier Eacutetat de lui remettre lrsquointeacuteresseacute sur le fondement drsquoun mandat drsquoarrecirct europeacuteen en vertu de la deacutecision-cadre 2002584JAI Or cette deacutecision ne srsquoapplique pas agrave la Reacutepublique drsquoIslande cet Eacutetat a conclu avec lrsquoUnion un accord relatif agrave la proceacutedure de remise entreacute en vigueur le 1er novembre 2019 dont les dispositions sont tregraves semblables aux dispositions correspondantes de la deacutecision Au regard de ce qui preacutecegravede la Cour de justice juge que la solution retenue dans lrsquoarrecirct Petruhhin (C-18215) doit ecirctre appliqueacutee par analogie aux ressortissants islandais qui se trouvent agrave lrsquoeacutegard de lrsquoEacutetat tiers sollicitant leur extradition dans une situation objectivement comparable agrave celle drsquoun citoyen de lrsquoUnion auquel selon lrsquoarticle 3 paragraphe 2 TUE lrsquoUnion offre un espace de liberteacute de seacutecuriteacute et de justice sans frontiegraveres inteacuterieures au sein duquel est assureacutee la libre circulation des personnes Partant lorsqursquoun Eacutetat membre dans lequel un ressortissant de la Reacutepublique drsquoIslande srsquoest deacuteplaceacute se voit adresser une demande drsquoextradition par un Eacutetat tiers avec lequel le premier Eacutetat membre a conclu un accord drsquoextradition il est en principe tenu drsquoinformer la Reacutepublique drsquoIslande et le cas eacutecheacuteant de lui remettre ce ressortissant agrave sa demande conformeacutement aux dispositions de lrsquoaccord relatif agrave la proceacutedure de remise pourvu que la Reacutepublique drsquoIslande soit compeacutetente en vertu de son droit national pour poursuivre cette personne pour des faits commis en dehors de son territoire national (point 76) Par ces motifs la Cour (grande chambre) dit pour droit Le droit de lrsquoUnion en particulier lrsquoarticle 36 de lrsquoaccord sur lrsquoEspace eacuteconomique europeacuteen du 2 mai 1992 et lrsquoarticle 19 paragraphe 2 de la Charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que lorsqursquoun Eacutetat membre dans lequel srsquoest deacuteplaceacute un ressortissant drsquoun Eacutetat membre de lrsquoAssociation europeacuteenne de libre-eacutechange (AELE) partie agrave lrsquoaccord sur lrsquoEspace eacuteconomique europeacuteen et avec lequel lrsquoUnion europeacuteenne a conclu un accord de remise se voit adresser

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une demande drsquoextradition par un Eacutetat tiers en vertu de la convention europeacuteenne drsquoextradition signeacutee agrave Paris le 13 deacutecembre 1957 et lorsque ce ressortissant srsquoeacutetait vu accorder lrsquoasile par cet Eacutetat de lrsquoAELE anteacuterieurement agrave son acquisition de la nationaliteacute dudit Eacutetat preacuteciseacutement en raison des poursuites dont il fait lrsquoobjet dans lrsquoEacutetat ayant eacutemis la demande drsquoextradition il incombe agrave lrsquoautoriteacute compeacutetente de lrsquoEacutetat membre requis de veacuterifier que lrsquoextradition ne portera pas atteinte aux droits viseacutes audit article 19 paragraphe 2 de la Charte des droits fondamentaux lrsquooctroi de lrsquoasile constituant un eacuteleacutement particuliegraverement seacuterieux dans le cadre de cette veacuterification Avant drsquoenvisager drsquoexeacutecuter la demande drsquoextradition lrsquoEacutetat membre requis est en tout eacutetat de cause tenu drsquoinformer ce mecircme Eacutetat de lrsquoAELE et le cas eacutecheacuteant de lui remettre agrave sa demande ledit ressortissant conformeacutement aux dispositions de lrsquoaccord de remise pourvu que ledit Eacutetat de lrsquoAELE soit compeacutetent en vertu de son droit national pour poursuivre ce ressortissant pour des faits commis en dehors de son territoire national

Cour de justice (huitiegraveme chambre) HB et IC Istituto nazionale della previdenza sociale 30 avril 2020 C-16819 et C-16919

Reacutesumeacute La Cour de justice par cet arrecirct a jugeacute que le reacutegime fiscal italien reacutesultant de la convention italo-portugaise contre la double imposition sur les revenus nrsquoenfreint pas les principes de libre circulation et de non-discrimination Les retraiteacutes du secteur priveacute et du secteur public peuvent donc ecirctre soumis agrave des reacuteglementations fiscales nationales diffeacuterentes

HB et IC de nationaliteacute italienne sont drsquoanciens agents du secteur public italien beacuteneacuteficiant drsquoune pension de

retraite verseacutee par lrsquoIstituto Nazionale della Previdenza Sociale (Institut national de la seacutecuriteacute sociale Italie ci-

apregraves laquo INPS raquo) Apregraves avoir transfeacutereacute leur reacutesidence au Portugal ils ont demandeacute en 2015 agrave lrsquoINPS de recevoir

en application de la Convenzione tra la Repubblica italiana e la Repubblica portoghese per evitare le doppie

imposizioni e prevenire lrsquoevasione fiscale in materia di imposte sul reddito (convention italo-portugaise contre les

doubles impositions) le montant brut de leur pension sans preacutelegravevement drsquoimpocirct agrave la source par lrsquoItalie de maniegravere

agrave pouvoir beacuteneacuteficier des avantages fiscaux offerts par le Portugal LrsquoINPS a rejeteacute leurs demandes consideacuterant

que cette reacuteglementation srsquoapplique uniquement aux retraiteacutes italiens du secteur priveacute ayant transfeacutereacute leur

reacutesidence au Portugal ainsi qursquoaux retraiteacutes italiens du secteur public qui en plus drsquoavoir transfeacutereacute leur reacutesidence

au Portugal ont acquis la nationaliteacute portugaise condition que HB et IC ne remplissent pas

HB et IC ont alors saisi la Corte dei conti ndash Sezione Giurisdizionale per la Regione Puglia (Cour des comptes ndash

chambre juridictionnelle pour la reacutegion des Pouilles Italie ci-apregraves laquo Cour des comptes raquo)

Dans ces conditions la Cour des comptes a deacutecideacute de surseoir agrave statuer et de poser agrave la Cour de justice la question

preacutejudicielle suivante libelleacutee de maniegravere identique dans les deux affaires jointes

laquo Les articles 18 et 21 TFUE doivent-ils ecirctre interpreacuteteacutes en ce sens qursquoils srsquoopposent agrave ce que la reacuteglementation drsquoun Eacutetat membre

preacutevoie drsquoimposer les revenus drsquoune personne reacutesidente dans un autre Eacutetat membre qui a acquis inteacutegralement son revenu dans le

premier Eacutetat membre mais qui nrsquoa pas la nationaliteacute du second Eacutetat en ne lui permettant pas de beacuteneacuteficier des avantages fiscaux

offerts par ce dernier raquo

o Sur la question preacutejudicielle

Dans son point 15 la Cour de justice reformule la question preacutejudicielle et affirme que la juridiction de renvoi

demande en substance si les articles 18 et 21 TFUE (principes de non-discrimination et de libre circulation des

citoyens de lUnion) srsquoopposent agrave un reacutegime fiscal reacutesultant drsquoune convention preacuteventive de la double imposition

conclue entre deux Eacutetats membres en vertu de laquelle la compeacutetence fiscale de ces Eacutetats en matiegravere drsquoimposition

Renvoi preacutejudiciel ndash Libre circulation des personnes ndash Article 21 TFUE ndash Principe de non-discrimination en raison de la nationaliteacute ndash Article 18 TFUE ndash Convention preacuteventive de la double imposition ndash Travailleurs du secteur public ndash Pensionneacute reacutesidant dans un Eacutetat membre autre que celui lui versant une pension de retraite et ne posseacutedant pas la nationaliteacute de lrsquoEacutetat membre de reacutesidence ndash Impocirct sur le revenu ndash Preacutetendue perte drsquoavantages fiscaux ndash Preacutetendue entrave agrave la liberteacute de circulation et preacutetendue discrimination

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sur les pensions de retraite est reacutepartie selon que les beacuteneacuteficiaires de celles-ci exerccedilaient un emploi relevant du

secteur priveacute ou du secteur public et dans ce dernier cas selon qursquoils ont ou non la nationaliteacute de lrsquoEacutetat membre

de reacutesidence

Par son arrecirct de ce jour la Cour de justice reacutepond par la neacutegative aux deux questions

La Cour de justice rappelle des points 16 agrave 20 sa jurisprudence (Cour de justice Bukovansky 19 novembre 2015

C-24114 et Gilly 12 mai 1998 C-33696) selon laquelle les Eacutetats membres sont libres dans le cadre de

conventions contre les doubles impositions de fixer les critegraveres de reacutepartition entre eux de la compeacutetence fiscale

de telles conventions nrsquoayant pas pour but de garantir que lrsquoimposition dans un Eacutetat ne soit pas supeacuterieure agrave celle

drsquoun autre Eacutetat

En effet elle relegraveve dans son point 17 qursquoune convention bilateacuterale preacuteventive de la double imposition telle que

cette convention italo-portugaise a pour objet drsquoeacuteviter que le mecircme revenu soit imposeacute dans chacune des deux

parties agrave cette convention et non pas de garantir que lrsquoimposition agrave laquelle est assujetti le contribuable dans une

partie contractante ne soit pas supeacuterieure agrave celle agrave laquelle il serait assujetti dans lrsquoautre partie contractante (arrecirct

Bukovansky citeacute point 44) Elle ajoute au paragraphe suivant quagrave cette fin il nrsquoest pas deacuteraisonnable pour les

Eacutetats membres drsquoutiliser les critegraveres suivis dans la pratique fiscale internationale et en particulier comme lrsquoont

fait la Reacutepublique italienne et la Reacutepublique portugaise le modegravele de convention fiscale concernant le revenu et

la fortune eacutelaboreacute par lrsquoOCDE dont lrsquoarticle 19 paragraphe 2 dans sa version de lrsquoanneacutee 2014 qui preacutevoit des

facteurs de rattachement tels que lrsquoEacutetat payeur et la nationaliteacute (arrecircts Gilly citeacute point 31 et Sauvage et Lejeune

C-60217 24 octobre 2018 point 23)

Dans ce cadre les Eacutetats membres peuvent notamment reacutepartir la compeacutetence fiscale sur la base de critegraveres tels

que lrsquoEacutetat payeur ou la nationaliteacute Or la diffeacuterence de traitement que HB et IC allegraveguent avoir subie deacutecoule de

la reacutepartition du pouvoir drsquoimposition entre lrsquoItalie et le Portugal ainsi que des dispariteacutes existant entre les reacutegimes

fiscaux de ces Eacutetats membres (arrecirct Bukovansky citeacute point 38) La Cour de justice affirme que dans ces conditions

il ne saurait ecirctre question drsquoune discrimination interdite (sect19)

Par ces motifs la Cour de justice (huitiegraveme chambre) dit pour droit

Les articles 18 et 21 TFUE ne srsquoopposent pas agrave un reacutegime fiscal reacutesultant drsquoune convention preacuteventive

de la double imposition conclue entre deux Eacutetats membres en vertu de laquelle la compeacutetence fiscale

de ces Eacutetats en matiegravere drsquoimposition sur les pensions de retraite est reacutepartie selon que les beacuteneacuteficiaires

de celles-ci exerccedilaient un emploi relevant du secteur priveacute ou du secteur public et dans ce dernier cas

selon qursquoils ont ou non la nationaliteacute de lrsquoEacutetat membre de reacutesidence

Protection de la seacutecuriteacute et de la santeacute des travailleurs

Cour de justice (dixiegraveme chambre) UO Keacuteszenleacuteti Rendőrseacuteg 30 avril 2020 C-21119

Reacutesumeacute Dans une affaire qui concerne lrsquoameacutenagement du temps de travail drsquoun membre de la police drsquointervention de la Hongrie

la Cour de justice juge que la directive 200388CE sur le temps de travail srsquoapplique aux agents de la police drsquointervention

hongroise assurant la surveillance des frontiegraveres exteacuterieures de lrsquoespace Schengen dans le contexte de la crise migratoire La Cour de

justice rappelle que ces activiteacutes peuvent neacuteanmoins eacutechapper aux regravegles de la directive dans des circonstances drsquoune graviteacute et drsquoune

ampleur exceptionnelles

La preacutesente demande de deacutecision preacutejudicielle deacuteposeacutee le 6 mars 2019 a eacuteteacute preacutesenteacutee dans le cadre drsquoun litige

Renvoi preacutejudiciel ndash Politique sociale ndash Protection de la seacutecuriteacute et de la santeacute des travailleurs ndash Directive 200388CE ndash Champ drsquoapplication ndash Deacuterogation ndash Article 1er paragraphe 3 ndash Directive 89391CEE ndash Article 2 paragraphe 2 ndash Activiteacutes des forces drsquointervention de la police

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opposant UO au Keacuteszenleacuteti Rendőrseacuteg (police drsquointervention Hongrie) au sujet de la reacutemuneacuteration due pour les services de garde qursquoil a assureacutes Du mois de juillet 2015 au mois drsquoavril 2017 UO qui exerce ses fonctions dans les services de la police drsquointervention srsquoest trouveacute en service drsquoalerte en tant que membre drsquoune compagnie de patrouille La police drsquointervention est un organe speacutecifique du service de police geacuteneacuterale qui dispose de pouvoirs speacuteciaux et exerce des missions particuliegraveres sur lrsquoensemble du territoire hongrois dont la patrouille aux frontiegraveres de la Hongrie avec des Eacutetats ne faisant pas partie de lrsquoespace Schengen Au cours de ladite peacuteriode lrsquoemployeur drsquoUO a ordonneacute dans le cadre des missions effectueacutees agrave la frontiegravere drsquoune part un service drsquoalerte extraordinaire et drsquoautre part un service de garde en dehors du temps de service ordinaire ces deux services devant ecirctre assureacutes en patrouille Pour la police drsquointervention hongroise le temps de garde drsquoUO constituait une peacuteriode de repos UO estime que pendant cette peacuteriode il assurait en reacutealiteacute un service drsquoalerte en dehors du temps de service ordinaire quotidien lequel devait ecirctre qualifieacute de laquo temps de travail raquo pour lequel il devait beacuteneacuteficier non pas drsquoune prime de service de garde mais drsquoune indemniteacute de service drsquoalerte extraordinaire Il a ainsi formeacute un recours contre son employeur devant la juridiction de renvoi en srsquoappuyant sur la loi relative au statut du personnel professionnel des organes chargeacutes du maintien de lrsquoordre qui vise agrave mettre en œuvre la directive 200388 La juridiction de renvoi srsquointerroge sur le point de savoir si les deacutefinitions figurant agrave lrsquoarticle 2 de la directive 200388 peuvent ecirctre appliqueacutees agrave UO en sa qualiteacute de membre de la police drsquointervention eacutetant donneacute que lrsquoactiviteacute concerneacutee se distingue des activiteacutes exerceacutees dans des circonstances ordinaires Agrave cet eacutegard la juridiction de renvoi souhaite savoir si le champ drsquoapplication personnel de la directive 200388 est deacutetermineacute agrave lrsquoarticle 2 de la directive 89391 Dans lrsquoaffirmative elle srsquointerroge sur le point de savoir si lrsquoactiviteacute de membre de la police drsquointervention preacutesente des particulariteacutes inheacuterentes agrave certaines activiteacutes speacutecifiques de la fonction publique qui srsquoopposent de maniegravere contraignante agrave lrsquoapplication de la directive 89391 et de lrsquoarticle 2 de la directive 200388 Dans ces conditions le Miskolci Koumlzigazgataacutesi eacutes Munkauumlgyi Biacuteroacutesaacuteg (tribunal administratif et du travail de Miskolc Hongrie) a deacutecideacute de surseoir agrave statuer et de poser agrave la Cour des justices les questions preacutejudicielles suivantes laquo 1) Faut-il interpreacuteter lrsquoarticle 1er paragraphe 3 de la directive [200388] en ce sens que le champ drsquoapplication personnel de cette directive est deacutetermineacute par lrsquoarticle 2 de la directive [89391] 2) Dans lrsquoaffirmative faut-il interpreacuteter lrsquoarticle 2 paragraphe 2 de la directive [89391] en ce sens que lrsquoarticle 2 points 1 et 2 de la directive [200388] ne doit pas ecirctre appliqueacute en ce qui concerne les agents de police membres du personnel professionnel de la police drsquointervention raquo

o Sur les questions preacutejudicielles La Cour de justice relegraveve tout drsquoabord que lrsquoarticle 1er paragraphe 3 de la directive 200388 deacutefinit le champ drsquoapplication de celle-ci par renvoi agrave lrsquoarticle 2 de la directive 89391 Ainsi aux termes de lrsquoarticle 2 paragraphe 1 de la directive 89391 celle-ci srsquoapplique laquo agrave tous les secteurs drsquoactiviteacutes priveacutes ou publics raquo parmi lesquels figurent les laquo activiteacutes de service raquo Neacuteanmoins la directive nrsquoest pas applicable lorsque des particulariteacutes inheacuterentes agrave certaines activiteacutes speacutecifiques dans la fonction publique notamment dans les forces armeacutees ou la police ou agrave certaines activiteacutes speacutecifiques dans les services de protection civile srsquoy opposent de maniegravere contraignante conformeacutement agrave lrsquoarticle 2 paragraphe 2 premier alineacutea de la directive 89391 Par conseacutequent la Cour de justice cherche agrave deacuteterminer si des fonctions telles que celle en cause au principal sont susceptibles de relever de lrsquoexception preacutevue agrave lrsquoarticle 2 paragraphe 2 premier alineacutea de la directive 89391 laquelle doit recevoir une interpreacutetation qui limite sa porteacutee agrave ce qui est strictement neacutecessaire agrave la sauvegarde des inteacuterecircts qursquoelle permet aux Eacutetats membres de proteacuteger (Cour de justice [GC] Pfeiffer ea 5 octobre 2004

C‑39701 agrave C‑40301 point 54 et Sindicatul Familia Constanţa ea 20 novembre 2018 C‑14717 point 53) En lrsquoespegravece la Cour de justice relegraveve en premier lieu que la surveillance des frontiegraveres exteacuterieures drsquoun Eacutetat membre dans un contexte drsquoafflux de ressortissants de pays tiers constitue une activiteacute qui relegraveve de la fonction publique au sens de lrsquoarticle 2 paragraphe 2 premier alineacutea de la directive 89391 En deuxiegraveme lieu elle relegraveve

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qursquoune telle activiteacute est susceptible de preacutesenter certaines speacutecificiteacutes par rapport agrave drsquoautres activiteacutes relevant de la fonction publique en geacuteneacuteral ou du maintien de lrsquoordre en particulier Finalement la Cour de justice cherche agrave deacuteterminer si des particulariteacutes inheacuterentes agrave cette activiteacute speacutecifique de la fonction publique srsquoopposent de maniegravere contraignante en raison de la neacutecessiteacute absolue de garantir une protection efficace de la collectiviteacute agrave ce que la directive 200388 soit appliqueacutee agrave ladite activiteacute A cet eacutegard la Cour de justice constate que certaines activiteacutes speacutecifiques relevant de la fonction publique ne se precirctent pas par leur nature agrave une planification du temps de travail et qursquoelles peuvent dans la mesure ougrave leur continuiteacute est indispensable pour assurer lrsquoexercice effectif des fonctions essentielles de lrsquoEacutetat eacutechapper au champ drsquoapplication de la directive Toutefois la Cour de justice rappelle que conformeacutement agrave sa jurisprudence cette exigence de continuiteacute doit ecirctre appreacutecieacutee en tenant compte de la nature speacutecifique de lrsquoactiviteacute consideacutereacutee (Cour

de justice [GC] Sindicatul Familia Constanţa ea 20 novembre 2018 C‑14717 point 66) La Cour de justice rappelle que selon une jurisprudence constante lrsquoapplication de lrsquoarticle 2 paragraphe 2 premier alineacutea de la directive 89391 aux services actifs dans le domaine de la santeacute de la seacutecuriteacute et de lrsquoordre publics ne se justifie qursquoen raison drsquoeacuteveacutenements exceptionnels comme des catastrophes naturelles ou technologiques des attentats ou des accidents majeurs dont la graviteacute et lrsquoampleur neacutecessitent lrsquoadoption de mesures indispensables agrave la protection de la vie de la santeacute ainsi que de la seacutecuriteacute de la collectiviteacute et dont la bonne exeacutecution serait compromise si toutes les regravegles eacutenonceacutees par la directive 200388 devaient ecirctre respecteacutees Dans le cas de lrsquoespegravece la Cour de justice relegraveve que les missions de surveillance aux frontiegraveres exteacuterieures de lrsquoespace Schengen lorsqursquoelles sont assureacutees dans des conditions normales par la police drsquointervention hongroise ne preacutesentent pas agrave premiegravere vue des caracteacuteristiques agrave ce point speacutecifiques Elle juge qursquoil appartient agrave la juridiction de renvoi de deacuteterminer si les missions exerceacutees par UO au cours de la peacuteriode litigieuse lrsquoont eacuteteacute dans des circonstances drsquoune graviteacute et drsquoune ampleur exceptionnelles justifiant que leur soit appliqueacutee lrsquoexception preacutevue agrave lrsquoarticle 2 paragraphe 2 premier alineacutea de la directive 89391 Pour cela il lui appartiendra de deacuteterminer si un afflux de ressortissants de pays tiers aux frontiegraveres exteacuterieures de la Hongrie a empecirccheacute que la surveillance desdites frontiegraveres soit effectueacutee tout au long de la peacuteriode litigieuse dans des conditions habituelles conformeacutement agrave la mission impartie agrave la police drsquointervention Finalement la Cour de justice rappelle que dans la situation ougrave la juridiction de renvoi aboutirait agrave la conclusion que les particulariteacutes inheacuterentes aux missions assureacutees par les membres de la police drsquointervention ne se precirctaient pas par leur nature agrave une planification du temps de travail elle devra tenir compte du fait que lrsquoarticle 2 paragraphe 2 second alineacutea de la directive 89391 preacutevoit que mecircme dans ce cas les autoriteacutes compeacutetentes doivent assurer la seacutecuriteacute et la santeacute des travailleurs dans toute la mesure du possible Par ces motifs la Cour (dixiegraveme chambre) dit pour droit Lrsquoarticle 1er paragraphe 3 de la directive 200388CE du Parlement europeacuteen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de lrsquoameacutenagement du temps de travail doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que lrsquoarticle 2 points 1 et 2 de cette directive srsquoapplique aux membres des forces de lrsquoordre qui exercent des fonctions de surveillance aux frontiegraveres exteacuterieures drsquoun Eacutetat membre en cas drsquoafflux de ressortissants de pays tiers auxdites frontiegraveres sauf lorsqursquoil apparaicirct au vu de lrsquoensemble des circonstances pertinentes que les missions exeacutecuteacutees le sont dans le cadre drsquoeacuteveacutenements exceptionnels dont la graviteacute et lrsquoampleur neacutecessitent lrsquoadoption de mesures indispensables agrave la protection de la vie de la santeacute ainsi que de la seacutecuriteacute de la collectiviteacute et dont la bonne exeacutecution serait compromise si lrsquoensemble des regravegles eacutenonceacutees par ladite directive devaient ecirctre respecteacutees ce qursquoil appartient agrave la juridiction de renvoi de veacuterifier

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Protection internationale

Cour de justice (troisiegraveme chambre) affaires jointes Commission Pologne Commission Hongrie et Commission Reacutepublique Tchegraveque 2 avril 2020 C-71517 C-71817 et C-71917

Reacutesumeacute La Cour de justice a jugeacute que la Pologne la Hongrie et la Reacutepublique tchegraveque avaient manqueacute aux obligations leur

incombant en vertu des deacutecisions 20151523 et 20151601 Ces Eacutetats membres auraient ducirc relocaliser sur leurs territoires un

nombre approprieacute de demandeurs de protection internationale

Les deacutecisions 20151523 et 20151601 disposaient que 40 000 personnes ayant besoin drsquoune protection

internationale devaient ecirctre relocaliseacutees de maniegravere temporaire et exceptionnelle depuis lrsquoItalie et la Gregravece vers

drsquoautres Eacutetats membre

Le 16 deacutecembre 2015 la Pologne a indiqueacute un nombre de 100 demandeurs de protection internationale pouvant

faire rapidement lrsquoobjet drsquoune relocalisation sur son territoire La Pologne nrsquoa pas donneacute suite aux demandes de

lrsquoItalie et de la Gregravece et nrsquoa ensuite plus pris aucun engagement de relocalisation

Aucun demandeur de protection internationale nrsquoa eacuteteacute relocaliseacute sur le territoire de la Hongrie au titre des

deacutecisions preacuteciteacutees

Suite agrave une offre de relocaliser 30 personnes 12 demandeurs de protection internationale tous en provenance

de la Gregravece ont eacuteteacute relocaliseacutes sur le territoire de la Reacutepublique Tchegraveque Apregraves le 13 mai 2016 la Reacutepublique

Tchegraveque nrsquoa plus pris aucun engagement de relocalisation

Par lettres du 10 feacutevrier 2016 la Commission europeacuteenne a inviteacute ces trois Eacutetats agrave communiquer au moins tous

les trois mois des indications concernant le nombre de demandeurs de protection internationale pouvant ecirctre

relocaliseacutes sur leur territoire et agrave relocaliser de tels demandeurs agrave intervalles reacuteguliers afin de se conformer agrave leurs

obligations leacutegales Plusieurs lettres ont eacuteteacute adresseacutees par la suite Le 1er mars 2017 la Reacutepublique tchegraveque a

indiqueacute par lettre que sa premiegravere offre de relocaliser 30 personnes eacutetait suffisante

La Commission europeacuteenne a indiqueacute agrave plusieurs reprises qursquoelle se reacuteservait la possibiliteacute drsquoengager des

proceacutedures en manquement contre ces Eacutetats membre si ceux-ci ne se conformaient pas au plus vite agrave leurs

obligations Ainsi par des lettres de mise en demeure du 15 juin 2017 en ce qui concerne la Hongrie et la

Reacutepublique Tchegraveque et du 16 juin 2017 en ce qui concerne la Pologne la Commission europeacuteenne a engageacute une

proceacutedure en manquement au titre de lrsquoarticle 258 paragraphe 1 TFUE contre ces trois Eacutetats membre Par lettre

du 19 septembre 2017 la Commission europeacuteenne a attireacute lrsquoattention des trois Eacutetats sur lrsquoarrecirct Slovaquie et

HongrieConseil (Cour de justice 6 septembre 2017 C-64315 et C-64715) qui a confirmeacute la validiteacute de la deacutecision

20151601 et a inviteacute ces trois Eacutetats membre agrave adopter au plus vite les mesures neacutecessaires afin de prendre des

engagements de relocalisation et de proceacuteder agrave des relocalisations Nrsquoayant pas reccedilu de reacuteponse agrave ces lettres la

Commission europeacuteenne a deacutecideacute drsquointroduire les preacutesents recours

o Sur la recevabiliteacute

Manquement drsquoEacutetat ndash Deacutecisions (UE) 20151523 et (UE) 20151601 ndash Article 5 paragraphes 2 et 4 agrave 11 de chacune de ces deacutecisions ndash Mesures provisoires en matiegravere de protection internationale au profit de la Reacutepublique helleacutenique et de la Reacutepublique italienne ndash Situation drsquourgence caracteacuteriseacutee par un afflux soudain de ressortissants de pays tiers sur le territoire de certains Eacutetats membres ndash Relocalisation de ces ressortissants sur le territoire des autres Eacutetats membres ndash Proceacutedure de relocalisation ndash Obligation pour les Eacutetats membres drsquoindiquer agrave intervalles reacuteguliers et au moins tous les trois mois le nombre de demandeurs de protection internationale pouvant faire rapidement lrsquoobjet drsquoune relocalisation sur leur territoire ndash Obligations conseacutecutives conduisant agrave la relocalisation effective ndash Inteacuterecircts des Eacutetats membres lieacutes agrave la seacutecuriteacute nationale et agrave lrsquoordre public ndash Possibiliteacute pour un Eacutetat membre drsquoinvoquer lrsquoarticle 72 TFUE pour ne pas appliquer des actes du droit de lrsquoUnion ayant un caractegravere obligatoire

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Sur les exceptions drsquoirrecevabiliteacute dans les affaires C-71517 C-71817 et C-71917 tireacutees de ce que les recours sont deacutenueacutes

drsquoobjet et contredisent lrsquoobjectif de la proceacutedure viseacutee agrave lrsquoarticle 258 TFUE

Les trois Eacutetats membre allegraveguent que les recours seraient deacutenueacutes drsquoobjet et ne serviraient pas lrsquoobjectif de la

proceacutedure en manquement En outre srsquoagissant de manquements agrave des obligations reacutesultant drsquoactes de lrsquoUnion

dont la peacuteriode drsquoapplication a deacutefinitivement expireacute et auxquels il ne peut plus ecirctre remeacutedieacute la Commission

europeacuteenne ne pourrait faire valoir un inteacuterecirct suffisant agrave demander que la Cour de justice constate ces

manquements

La Cour de justice rappelle que lrsquoobjectif poursuivi par la proceacutedure preacutevue agrave lrsquoarticle 258 TFUE est la constatation

objective du non-respect par un Eacutetat membre des obligations que lui imposent le TFUE ou un acte de droit

deacuteriveacute et qursquoune telle proceacutedure permet aussi de deacuteterminer si un Eacutetat membre a enfreint le droit de lrsquoUnion dans

un cas drsquoespegravece La Cour de justice note que dans un recours en manquement la Commission europeacuteenne ne

saurait demander agrave la Cour de justice autre chose que la constatation de lrsquoexistence du manquement alleacutegueacute en

vue de la cessation de celui-ci Un recours en manquement est recevable si la Commission europeacuteenne se limite

agrave demander agrave la Cour de justice de constater lrsquoexistence du manquement alleacutegueacute notamment dans une situation

telle que celle de lrsquoespegravece dans laquelle lrsquoacte de droit deacuteriveacute de lrsquoUnion dont la violation est alleacutegueacutee a

deacutefinitivement cesseacute drsquoecirctre applicable apregraves la date drsquoexpiration du deacutelai fixeacute dans lrsquoavis motiveacute Un tel recours

srsquoinscrit dans lrsquoobjectif poursuivi par la proceacutedure preacutevue agrave lrsquoarticle 258 TFUE

En lrsquoespegravece la peacuteriode drsquoapplication des deacutecisions a deacutefinitivement expireacute en septembre 2017 La circonstance

selon laquelle il ne serait plus possible de remeacutedier au manquement alleacutegueacute degraves lors que la peacuteriode drsquoapplication

des deacutecisions a expireacute ne saurait conduire agrave lrsquoirrecevabiliteacute des preacutesents recours En effet les trois Eacutetats membres

en cause se sont vu offrir la possibiliteacute de mettre un terme au manquement avant lrsquoexpiration du deacutelai imparti

dans les avis motiveacutes

La Cour de justice rejette ces exceptions drsquoirrecevabiliteacute

Sur les exceptions drsquoirrecevabiliteacute dans les affaires C-71717 et C71817 tireacutees drsquoune violation du principe drsquoeacutegaliteacute de traitement

La Pologne et la Hongrie soutiennent que les recours en manquement sont irrecevables degraves lors que la

Commission europeacuteenne en se limitant agrave introduire un recours contre les seuls trois Eacutetats membres en cause

alors que la grande majoriteacute des Eacutetats membre nrsquoont pas pleinement respecteacute les obligations leur incombant en

vertu des deacutecisions 20151523 et 20151601 a violeacute le principe drsquoeacutegaliteacute de traitement et a ainsi exceacutedeacute le pouvoir

drsquoappreacuteciation que lui confegravere lrsquoarticle 258 TFUE

La Cour de justice rappelle qursquoelle a deacutejagrave jugeacute que lrsquoabsence de recours en manquement agrave lrsquoencontre drsquoun Eacutetat

membre nrsquoest pas pertinente pour appreacutecier la recevabiliteacute drsquoun recours en manquement introduit agrave lrsquoencontre

drsquoun autre Eacutetat membre La Cour de justice estime que lrsquoaction de la Commission europeacuteenne est ainsi fondeacutee

en lrsquooccurrence sur un critegravere neutre et objectif relatif agrave la graviteacute et agrave la persistance des manquements reprocheacutes

aux trois Eacutetats membre en cause qui au regard de lrsquoobjectif des deacutecisions preacuteciteacutees permet de distinguer la

situation de ces trois Eacutetats membres de celle des autres Eacutetats membre y compris ceux nrsquoayant pas pleinement

respecteacute leurs obligations deacutecoulant de ces deacutecisions

Par suite les exceptions drsquoirrecevabiliteacute tireacutees drsquoune violation du principe drsquoeacutegaliteacute de traitement doivent ecirctre

rejeteacutees

Sur lrsquoexception drsquoirrecevabiliteacute dans lrsquoaffaire C-71817 tireacutee drsquoune violation des droits de la deacutefense au cours de la proceacutedure

preacutecontentieuse

La Hongrie reproche agrave la Commission europeacuteenne de ne pas avoir respecteacute ses droits de la deacutefense dans la

proceacutedure preacutecontentieuse en ce que le deacutelai de reacuteponse de quatre semaines imparti dans la lettre de mise en

demeure et dans lrsquoavis motiveacute a eacuteteacute excessivement court contraire au deacutelai habituel de deux mois et non justifieacute

par une situation drsquourgence leacutegitime Elle fait eacutegalement grief agrave la Commission europeacuteenne de ne pas avoir

indiqueacute au cours de la proceacutedure preacutecontentieuse le manquement qui lui eacutetait reprocheacute

La Cour de justice estime que la raison drsquoentamer la proceacutedure en manquement agrave un stade relativement avanceacute

de la peacuteriode dlsquoapplication de deux ans des deacutecisions reacuteside dans le refus persistant de ces trois Eacutetats membres

de donner suite aux appels reacutepeacuteteacutes de la Commission europeacuteenne tendant agrave ce que ceux-ci se conforment agrave ces

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obligations et ne saurait ecirctre imputeacutee agrave une quelconque inertie ou action tardive de la Commission europeacuteenne

La Cour de justice rappelle eacutegalement que les Eacutetats membres avaient pleinement connaissance du point de vue

de la Commission europeacuteenne quant aux manquements qui leurs eacutetaient reprocheacutes Dans ces circonstances le

deacutelai en cause de quatre semaines ne saurait ecirctre consideacutereacutes comme deacuteraisonnablement court

La Cour de justice relegraveve eacutegalement qursquoil nrsquoapparait pas que lrsquoimpreacutecision alleacutegueacutee de certains motifs de la requecircte

ait pu affecter lrsquoexercice par la Hongrie de ses droits de la deacutefense

Lrsquoexception drsquoirrecevabiliteacute souleveacutee par la Hongrie et tireacutee drsquoune violation des droits de la deacutefense au cours de

la proceacutedure preacutecontentieuse doit ecirctre rejeteacutee

Sur lrsquoexception drsquoirrecevabiliteacute dans lrsquoaffaire C-71917 tireacutee du manque de preacutecision drsquoincoheacuterence de la requecircte

La Reacutepublique tchegraveque a contesteacute la recevabiliteacute du recours la concernant au motif que la requecircte nrsquoeacutenonce pas

de maniegravere coheacuterente et preacutecise le manquement qui lui est reprocheacute

La Cour de justice estime que la Reacutepublique tchegraveque ne pouvait raisonnablement se meacuteprendre sur la date preacutecise

du deacutebut du manquement agrave ses obligations que la Commission europeacuteenne lui reprochait et qursquoelle a pu

effectivement exercer ses droits de deacutefense quant agrave ce manquement

Par suite lrsquoexception drsquoirrecevabiliteacute doit ecirctre eacutecarteacutee

o Sur le fond

Sur la mateacuterialiteacute des manquements alleacutegueacutes

La Cour de justice rappelle que dans le cadre drsquoune proceacutedure en manquement il incombe agrave la Commission

europeacuteenne drsquoapporter agrave la Cour de justice les eacuteleacutements neacutecessaires agrave la veacuterification par celle-ci de lrsquoexistence

dudit manquement sans pouvoir se fonder sur une preacutesomption quelconque

Les manquements en cause ne sont pas contestables degraves lors que dans ses diffeacuterents rapports mensuels sur la

relocalisation et la reacuteinstallation la Commission europeacuteenne a assureacute un suivi de lrsquoeacutetat drsquoavancement des

relocalisations et a indiqueacute pour chaque Eacutetat membre le nombre de demandeurs de protection internationale

pour lesquels des engagements de relocalisation avaient eacuteteacute pris ainsi que le nombre de demandeurs de protection

internationale effectivement relocaliseacutes Ces rapports attestent de la reacutealiteacute des manquements alleacutegueacutes par la

Commission europeacuteenne

Par suite la Cour de justice constate que la Commission europeacuteenne a eacutetabli la mateacuterialiteacute des manquements

alleacutegueacutes dans les trois proceacutedures en manquement en cause

Sur les moyens de deacutefense tireacutes par la Reacutepublique de Pologne et la Hongrie de lrsquoarticle 72 TFUE lu conjointement avec lrsquoarticle 4

paragraphe 2 TUE

La Pologne et la Hongrie allegraveguent qursquoelles eacutetaient en droit en vertu de lrsquoarticle 72 TFUE lu conjointement avec

lrsquoarticle 4 paragraphe 2 TUE qui leur reacuteserve la compeacutetence exclusive pour le maintien de lrsquoordre public et la

sauvegarde de la seacutecuriteacute inteacuterieure dans le cadre drsquoactes adopteacutes dans le domaine de lrsquoespace de liberteacute de seacutecuriteacute

et de justice viseacute au titre 5 du TFUE de laisser inappliqueacutees leurs obligations de droit secondaire et donc de rang

infeacuterieur deacutecoulant de la deacutecision 20151523 etou de la deacutecision 20151601 actes pris sur la base de lrsquoarticle

78 paragraphe 3 TFUE et relevant donc dudit titre 5

La Cour de justice rappelle que la deacuterogation preacutevue agrave lrsquoarticle 72 TFUE doit faire lrsquoobjet drsquoune interpreacutetation

stricte Ainsi bien que lrsquoarticle 72 TFUE preacutevoit que le titre 5 du traiteacute ne porte pas atteinte agrave lrsquoexercice des

responsabiliteacutes qui incombent aux Eacutetats membre pour le maintien de lrsquoordre public et la sauvegarde de la seacutecuriteacute

inteacuterieure il ne saurait ecirctre interpreacuteteacute de maniegravere agrave confeacuterer aux Eacutetats membre le pouvoir de deacuteroger aux

dispositions du traiteacute par la seule invocation de ces responsabiliteacutes La porteacutee des exigences tenant au maintien

de lrsquoordre public ou de la seacutecuriteacute nationale ne saurait ainsi ecirctre deacutetermineacutee unilateacuteralement par chaque Eacutetat

membre sans controcircle des institutions de lrsquoUnion Il incombe agrave lrsquoEacutetat membre qui invoque le beacuteneacutefice de lrsquoarticle

72 TFUE de prouver la neacutecessiteacute de recourir agrave la deacuterogation preacutevue agrave cet article aux fins drsquoexercer ses

responsabiliteacutes en matiegravere de maintien de lrsquoordre public et de sauvegarde de la seacutecuriteacute inteacuterieure La Cour de

justice rappelle que dans lrsquoarrecirct Slovaquie et HongrieConseil preacuteciteacute elle avait rejeteacute lrsquoargument selon lequel la

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deacutecision 20151601 serait contraire au principe de proportionnaliteacute degraves lors qursquoelle ne permettrait pas aux Eacutetats

membres drsquoassurer lrsquoexercice effectif des responsabiliteacutes qui leur incombent pour le maintien de lrsquoordre public et

la sauvegarde de la seacutecuriteacute inteacuterieure au titre de lrsquoarticle 72 TFUE La Cour de justice dans le preacutesent arrecirct ajoute

que les articles 5 de chacune des deacutecisions preacutevoient qursquoun Eacutetat membre ne peut deacutecider de ne pas approuver la

relocalisation drsquoun demandeur de protection internationale que srsquoil existe des motifs raisonnables de consideacuterer

que le demandeur en cause repreacutesente un danger pour la seacutecuriteacute nationale ou lrsquoordre public sur son territoire La

Cour de justice estime que les motifs raisonnables laissent clairement une plus large marge drsquoappreacuteciation aux

Eacutetats membre que les motifs seacuterieux mentionneacutes dans la directive 201195 Le libelleacute de lrsquoarticle 5 des deacutecisions

20151523 et 2015601 se distingue eacutegalement de celui de la directive 200438CE Par suite une large marge

drsquoappreacuteciation doit ecirctre reconnue aux autoriteacutes compeacutetentes des Eacutetats membre de relocalisation lorsque celles-ci

deacuteterminent si un ressortissant drsquoun pays tiers appeleacute agrave ecirctre relocaliseacute constitue un danger pour la seacutecuriteacute

nationale ou lrsquoordre public sur leur territoire Ces motifs raisonnables ne peuvent ecirctre invoqueacutes qursquoen preacutesence

drsquoeacuteleacutements concordants objectifs et preacutecis et apregraves une eacutevaluation des faits par les autoriteacutes compeacutetentes

Lrsquoarticle 5 de chacune des deacutecisions preacutecisaient que devait ecirctre effectueacute un examen au cas par cas du danger actuel

ou potentiel que le demandeur de protection internationale concerneacute repreacutesentait Il srsquooppose ainsi agrave ce qursquoun

Eacutetat membre invoque de maniegravere peacuteremptoire aux seules fins de preacutevention geacuteneacuterale et sans eacutetablir de rapport

direct avec un cas individuel lrsquoarticle 72 TFUE pour justifier une suspension voire un arrecirct de la mise en œuvre

des obligations lui incombant en vertu des deacutecisions 20151523 et 20151601 En lrsquoespegravece les Eacutetats membres

de relocalisation ont pu conduire dans certaines conditions des controcircles de seacutecuriteacute suppleacutementaires voire

systeacutematiques par la voie drsquoentretiens ou avec lrsquoassistance drsquoEuropol Lrsquoarticle 5 des directives preacuteciteacutees

impliquaient eacutegalement lrsquoidentification des personnes en cause

La Cour de justice conclut que le meacutecanisme preacutevu agrave lrsquoarticle 5 de chacune desdites deacutecisions y compris dans

son application concregravete telle qursquoelle srsquoest deacuteveloppeacutee en pratique au cours des peacuteriodes drsquoapplication de celles-

ci laissait aux Eacutetats membre de relocalisation de reacuteelles possibiliteacutes pour proteacuteger leurs inteacuterecircts lieacutes agrave lrsquoordre

public et agrave la seacutecuriteacute inteacuterieure dans le cadre de lrsquoexamen de la situation individuelle de chaque demandeur de

protection internationale dont la relocalisation eacutetait proposeacutee sans toutefois porter preacutejudice agrave lrsquoobjectif de ces

mecircmes deacutecisions

Par suite la Cour de justice rejette les moyens de deacutefense tireacutes par la Pologne et la Hongrie de lrsquoarticle 72 TFUE

lu conjointement avec lrsquoarticle 4 paragraphe 2 TUE

Sur le moyen de deacutefense tireacute par la Reacutepublique tchegraveque du dysfonctionnement et du manque drsquoefficaciteacute dont aurait souffert le meacutecanisme

de relocalisation preacutevu par les deacutecisions 20151523 et 20151601 dans son application concregravete

La Reacutepublique tchegraveque se fonde sur des consideacuterations relatives au dysfonctionnement ou au manque drsquoefficaciteacute

dont aurait souffert dans son application concregravete le meacutecanisme de relocalisation preacutevu par les deacutecisions

preacuteciteacutees en tant que justification de sa deacutecision de ne pas mettre en œuvre les obligations de relocalisation qui

lui incombaient en vertu de lrsquoarticle 5 de chacune des deacutecisions

La Cour de justice observe qursquoil ne saurait ecirctre admis qursquoun Eacutetat membre puisse se fonder sans invoquer une

base juridique preacutevue par les traiteacutes sur son appreacuteciation unilateacuterale du manque alleacutegueacute drsquoefficaciteacute voire du

dysfonctionnement du meacutecanisme de relocalisation eacutetabli par les deacutecisions Cette alleacutegation nrsquoa pour autant pas

empecirccheacute drsquoautres Eacutetats membres de prendre agrave intervalles reacuteguliers des engagements de relocalisation et de

proceacuteder agrave des relocalisations effectives La Cour de justice rappelle que des ajustements ont eacuteteacute apporteacutes agrave la

proceacutedure de relocalisation afin de reacutepondre notamment aux problegravemes drsquoordre pratique mentionneacutes par la

Reacutepublique tchegraveque

Par suite le moyen de deacutefense de la Reacutepublique tchegraveque est rejeteacute

Par ces motifs la Cour (troisiegraveme chambre) deacuteclare et arrecircte

1) Les affaires C-71517 C-71817 et C-71917 sont jointes aux fins de lrsquoarrecirct

2) En nrsquoayant pas indiqueacute agrave intervalles reacuteguliers et au moins tous les trois mois un nombre approprieacute

de demandeurs de protection internationale pouvant faire rapidement lrsquoobjet drsquoune relocalisation sur

son territoire la Reacutepublique de Pologne a depuis le 16 mars 2016 manqueacute aux obligations lui

incombant en vertu de lrsquoarticle 5 paragraphe 2 de la deacutecision (UE) 20151523 du Conseil du 14

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septembre 2015 instituant des mesures provisoires en matiegravere de protection internationale au profit de

lrsquoItalie et de la Gregravece et de lrsquoarticle 5 paragraphe 2 de la deacutecision (UE) 20151601 du Conseil du 22

septembre 2015 instituant des mesures provisoires en matiegravere de protection internationale au profit de

lrsquoItalie et de la Gregravece ainsi que par voie de conseacutequence aux obligations ulteacuterieures de relocalisation

lui incombant en vertu de lrsquoarticle 5 paragraphes 4 agrave 11 de chacune de ces deux deacutecisions

3) En nrsquoayant pas indiqueacute agrave intervalles reacuteguliers et au moins tous les trois mois un nombre approprieacute

de demandeurs de protection internationale pouvant faire rapidement lrsquoobjet drsquoune relocalisation sur

son territoire la Hongrie a depuis le 25 deacutecembre 2015 manqueacute aux obligations lui incombant en vertu

de lrsquoarticle 5 paragraphe 2 de la deacutecision 20151601 ainsi que par voie de conseacutequence aux obligations

ulteacuterieures de relocalisation lui incombant en vertu de lrsquoarticle 5 paragraphes 4 agrave 11 de cette deacutecision

4) En nrsquoayant pas indiqueacute agrave intervalles reacuteguliers et au moins tous les trois mois un nombre approprieacute

de demandeurs de protection internationale pouvant faire rapidement lrsquoobjet drsquoune relocalisation sur

son territoire la Reacutepublique tchegraveque a depuis le 13 aoucirct 2016 manqueacute aux obligations lui incombant

en vertu de lrsquoarticle 5 paragraphe 2 de la deacutecision 20151523 et de lrsquoarticle 5 paragraphe 2 de la deacutecision

20151601 ainsi que par voie de conseacutequence aux obligations ulteacuterieures de relocalisation lui

incombant en vertu de lrsquoarticle 5 paragraphes 4 agrave 11 de chacune de ces deux deacutecisions

5) La Reacutepublique de Pologne est condamneacutee agrave supporter outre ses propres deacutepens dans les affaires

C‑71517 C‑71817 et C‑71917 ceux de la Commission europeacuteenne dans lrsquoaffaire C‑71517

6) La Hongrie est condamneacutee agrave supporter outre ses propres deacutepens dans les affaires C‑71517

C‑71817 et C‑71917 ceux de la Commission europeacuteenne dans lrsquoaffaire C‑71817

7) La Reacutepublique tchegraveque est condamneacutee agrave supporter outre ses propres deacutepens dans les affaires

C‑71517 C‑71817 et C‑71917 ceux de la Commission europeacuteenne dans lrsquoaffaire C‑71917

Vie priveacutee et familiale

Cour EDH (quatriegraveme section) Dragan Petrovic Serbie ndeg 7522910

Arrecirct rendu en anglais Mention dune opinion dissidente Reacutesumeacute Dans une affaire concernant la reacutealisation dune perquisition par la police au domicile du requeacuterant et le preacutelegravevement dun eacutechantillon dADN dans le cadre dune enquecircte pour meurtre en Serbie la Cour EDH a jugeacute que ce preacutelegravevement constituait une violation de larticle 8 de la Convention contrairement agrave la perquisition Elle considegravere en effet quil neacutetait pas laquo preacutevu par la loi raquo au sens de larticle 8 Elle preacutecise que la version du code de proceacutedure peacutenale serbe qui eacutetait en vigueur agrave lrsquoeacutepoque des faits disposait que des preacutelegravevements sanguins ou laquo drsquoautres proceacutedures meacutedicales raquo pouvaient ecirctre reacutealiseacutes Le requeacuterant Dragan Petrovic est un ressortissant serbe neacute en 1985 reacutesidant agrave Subotica (Serbie)

Art 8 - Respect de la vie priveacutee - Preacutelegravevement dun eacutechantillon dADN de la salive du demandeur dans le cadre dune enquecircte preacuteliminaire - Approbation du demandeur obtenue par la menace de la force - Absence de preacutevisibiliteacute de la loi - Aucune reacutefeacuterence agrave des dispositions leacutegales speacutecifiques dans lordonnance autorisant la police agrave preacutelever leacutechantillon - Aucune reacutefeacuterence speacutecifique dans la loi au preacutelegravevement dun eacutechantillon dADN - Neacutecessiteacute dune reacuteglementation plus stricte deacutemontreacutee par des dispositions plus deacutetailleacutees dans la leacutegislation reacutecente - Respect du domicile - Perquisition au domicile du demandeur fondeacutee sur des motifs adeacutequats et suffisants et accompagneacutee de garanties efficaces

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En juillet 2008 la police reccedilut des informations qui laissaient penser que le requeacuterant pouvait ecirctre impliqueacute dans le passage agrave tabac et le deacutecegraves drsquoun homme acircgeacute Sur la base de ces informations un juge drsquoinstruction rendit deux deacutecisions par lesquelles il ordonna drsquoune part une perquisition du domicile du requeacuterant et drsquoautre part le preacutelegravevement drsquoun eacutechantillon de salive sur sa personne aux fins drsquoune analyse ADN Dans le cadre de la perquisition la police devait en prioriteacute rechercher des objets que le requeacuterant eacutetait soupccedilonneacute avoir pris apregraves le meurtre notamment une laquo veste en cuir noir raquo ainsi que laquo des chaussures et drsquoautres objets raquo pouvant ecirctre lieacutes au meurtre Elle trouva finalement deux armes de poing dont le requeacuterant deacuteclara ignorer lrsquoexistence Le preacutelegravevement drsquoun eacutechantillon drsquoADN du requeacuterant devait permettre une comparaison avec lrsquoADN retrouveacute sur la scegravene de crime Le juge autorisa la police agrave proceacuteder soit agrave un preacutelegravevement de salive soit agrave un preacutelegravevement sanguin par la force si neacutecessaire avec lrsquoaide de professionnels de santeacute Le requeacuterant consentit en preacutesence de

son avocat agrave un preacutelegravevement de salive Il apparaicirct cependant que la police nrsquoa produit aucun procegraves-verbal de la proceacutedure En aoucirct 2008 la police indiqua au juge drsquoinstruction qursquoelle avait deacutecideacute de poursuivre le requeacuterant pour possession illeacutegale drsquoarmes agrave feu Les autoriteacutes ne trouvegraverent aucune correspondance entre lrsquoeacutechantillon drsquoADN preacuteleveacute sur la personne du requeacuterant et les traces biologiques retrouveacutees sur la scegravene du crime Le 4 aoucirct 2008 le requeacuterant saisit la Cour constitutionnelle pour se plaindre sur le terrain de lrsquoarticle 8 de la Convention et des articles 25 et 40 de la Constitution drsquoune violation de son droit au respect de son domicile et de sa vie priveacutee La Cour constitutionnelle rejeta son recours sur le fond le 14 octobre 2010

1) Sur la violation alleacutegueacutee de larticle 8 de la Convention o Sur la recevabiliteacute de la requecircte

La Cour EDH rejette drsquoembleacutee les exceptions de tardiveteacute et de non-eacutepuisement des voies de recours souleveacutees par le Gouvernement Elle juge en particulier au paragraphe 53 que le recours constitutionnel formeacute par le requeacuterant eacutetait un recours effectif au sens de larticle 35sect1 de la Convention

o Sur le fond Sur le fond de lrsquoaffaire la Cour EDH examine tout drsquoabord la question de la perquisition du domicile du requeacuterant Elle dit que cette mesure srsquoanalyse en une atteinte au droit du requeacuterant au respect de son domicile qursquoelle eacutetait preacutevue par la loi et qursquoelle visait un but leacutegitime (sect74) La question qui se pose donc est celle de savoir si elle eacutetait proportionneacutee crsquoest-agrave-dire si elle eacutetait laquo neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique raquo (voir en ce sens les arrecircts CEDH ndeg2535812 Paradiso et Campanelli c Italy sect 167 24 Janvier 2017 et ndeg4107916 Caruana c Malta sect 26 15 Mai 2018) Elle note dans son paragraphe 76 que le mandat de perquisition a eacuteteacute deacutelivreacute dans le cadre drsquoune enquecircte pour meurtre et qursquoil preacutecisait ce que la police devait chercher agrave savoir une veste en cuir noir des chaussures et drsquoautres objets lieacutes au meurtre Elle ne souscrit donc pas agrave lrsquoargument du requeacuterant selon lequel le mandat de perquisition manquait de preacutecision La Cour EDH considegravere par ailleurs que le requeacuterant jouissait de garanties adeacutequates et effectives propres agrave le preacutemunir contre tout abus au cours de la perquisition Elle note en particulier que le requeacuterant son avocat et le proprieacutetaire de lrsquoappartement eacutetaient preacutesents lors de la perquisition Elle observe en outre au paragraphe 77 que lrsquoavocat de lrsquointeacuteresseacute a signeacute le certificat de saisie et le procegraves-verbal de lrsquoopeacuteration de perquisition et de saisie et qursquoil srsquoest borneacute agrave cette occasion agrave contester la motivation de la deacutecision de perquisition sans soulever drsquoobjections quant agrave la proceacutedure de perquisition elle-mecircme La Cour EDH conclut au paragraphe suivant que lrsquoatteinte en question eacutetait laquo neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique raquo et qursquoil y a donc eu non-violation de lrsquoarticle 8 agrave raison de la perquisition meneacutee par la police au domicile du requeacuterant Se penchant ensuite sur la question du preacutelegravevement drsquoun eacutechantillon drsquoADN la Cour EDH constate que cette mesure srsquoanalyse en une atteinte au droit du requeacuterant au respect de sa vie priveacutee Le fait que lrsquointeacuteresseacute ait consenti agrave la proceacutedure est deacutenueacute de pertinence eacutetant donneacute que ce consentement a eacuteteacute donneacute sous la menace drsquoun preacutelegravevement de sang ou de salive par la force (voir en ce sens larrecirct Caruana c Malte sect29 citeacute) (sect79)

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La Cour EDH note que la deacutecision ordonnant le preacutelegravevement drsquoun eacutechantillon drsquoADN ne faisait mention drsquoaucune disposition leacutegale et que lrsquoarticle pertinent du code proceacutedure peacutenale serbe agrave savoir lrsquoarticle 131 sectsect 2 et 3 disposait uniquement qursquoun tribunal pouvait ordonner le preacutelegravevement drsquoun eacutechantillon de sang ou toute laquo autre proceacutedure meacutedicale raquo jugeacutee neacutecessaire drsquoun point de vue meacutedical agrave lrsquoeacutetablissement de faits laquo importants raquo dans le cadre drsquoune enquecircte peacutenale Par ailleurs il ressort du dossier de lrsquoaffaire que les autoriteacutes meacuteconnaissant lrsquoarticle 239 du code de proceacutedure peacutenale ont omis de reacutediger un procegraves-verbal de la proceacutedure (sect81) La Cour EDH note eacutegalement au paragraphe suivant que lrsquoarticle 131 sectsect 2 et 3 eacutetait deacutepourvu de certaines garanties concernant les preacutelegravevements drsquoADN et que ces garanties furent introduites dans une nouvelle version du code de proceacutedure peacutenale entreacutee en vigueur en 2011 Le nouveau texte faisait speacutecifiquement reacutefeacuterence aux preacutelegravevements drsquoeacutechantillons de salive il disposait que ceux-ci devaient ecirctre reacutealiseacutes par des experts et il preacutecisait dans quels cas une personne pouvait ecirctre soumise agrave pareille proceacutedure sans son consentement La Cour EDH considegravere par conseacutequent qursquoen inseacuterant des dispositions plus deacutetailleacutees dans la version du code de proceacutedure peacutenale entreacutee en vigueur en 2011 lrsquoEacutetat deacutefendeur a lui-mecircme reconnu implicitement que des regravegles plus strictes eacutetaient neacutecessaires dans ce domaine (sect83) La Cour EDH conclut dans son paragraphe 84 que lrsquoatteinte au droit du requeacuterant au respect de sa vie priveacutee que constituait le preacutelegravevement litigieux drsquoADN nrsquoeacutetait pas preacutevue par la loi et qursquoelle a donc emporteacute violation de lrsquoarticle 8 de la Convention

2) Sur la violation alleacutegueacutee de larticle 6 de la Convention Sous lrsquoangle de lrsquoarticle 6 sect 3 a) de la Convention (tout accuseacute a droit agrave ecirctre informeacute dans le plus court deacutelai dans une langue qursquoil comprend et drsquoune maniegravere deacutetailleacutee de la nature et de la cause de lrsquoaccusation porteacutee contre lui ) le requeacuterant soutient qursquoil srsquoest vu refuser le droit drsquoecirctre informeacute dans le plus court deacutelai et drsquoune maniegravere deacutetailleacutee du fait qursquoil eacutetait soupccedilonneacute drsquoavoir commis une infraction peacutenale Admettant que les observations du requeacuterant sur ce point ne se rapportent pas aux griefs souleveacutes sous lrsquoangle de lrsquoarticle 8 de la Convention mais constituent un grief distinct la Cour EDH constate que lrsquointeacuteresseacute nrsquoa jamais formeacute de recours interne agrave cet eacutegard Cette partie de la requecircte est donc ecirctre rejeteacutee pour non-eacutepuisement des voies de recours internes (sect86) POUR CES RAISONS LA COUR

1 Deacuteclare agrave lunanimiteacute que les griefs du requeacuterant au titre de larticle 8 de la Convention sont recevables et que le reste de la requecircte est irrecevable

2 Constate agrave lunanimiteacute quil ny a pas eu violation de larticle 8 de la Convention en ce qui

concerne la perquisition au domicile du requeacuterant

3 Dit par six voix contre une quil y a eu violation de larticle 8 de la Convention en ce qui concerne le preacutelegravevement dun eacutechantillon dADN sur le requeacuterant

4 Dit oui par six voix contre une a) que lEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans un deacutelai de trois mois agrave compter de la date agrave laquelle le jugement devient deacutefinitif conformeacutement agrave larticle 44 sect 2 de la Convention les montants suivants agrave convertir dans la monnaie de lEacutetat deacutefendeur au taux applicable agrave la date de la transaction i) 1 500 (mille cinq cents) euros plus les taxes eacuteventuellement exigibles au titre du preacutejudice moral (ii) 1 200 (mille deux cents) euros plus toute taxe qui pourrait ecirctre mise agrave la charge du demandeur au titre des frais et deacutepens b) quagrave compter de lexpiration des trois mois susmentionneacutes et jusquau regraveglement des inteacuterecircts simples seront dus sur les montants susmentionneacutes agrave un taux eacutegal au taux de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne pendant la peacuteriode de carence majoreacute de trois points de pourcentage 5 La demande de satisfaction eacutequitable du requeacuterant est rejeteacutee agrave lunanimiteacute pour le surplus Opinion dissidente du juge Mourou-Vikstroumlm

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Selon le juge Mourou-Vikstroumlm le preacutelegravevement dun eacutechantillon sur le demandeur aux fins danalyse de son profil ADN eacutetait bien conforme agrave la loi mecircme si celle-ci neacutetait pas laquo preacutevisible raquo Le juge note que la disposition leacutegislative en vigueur agrave leacutepoque en question - larticle 131 paragraphes 2 et 3 du code de proceacutedure peacutenale - preacutevoyait le preacutelegravevement dun eacutechantillon sanguin ou la reacutealisation dautres actes meacutedicaux sous reacuteserve dune autorisation judiciaire si cela eacutetait neacutecessaire pour leacutetablissement de faits importants pour une enquecircte peacutenale Elle preacutecise que la leacutegislation allait plus loin preacutevoyant lapplication forceacutee de ces mesures si la personne concerneacutee ne coopeacuterait pas et que sur la base de cette disposition et de la demande du ministegravere public le juge a ordonneacute le preacutelegravevement dun eacutechantillon de salive ou agrave deacutefaut de sang sur le demandeur par la force si neacutecessaire Le demandeur a consenti agrave un preacutelegravevement buccal en preacutesence de son avocat Elle affirme que le juge a donc agi dans le plein respect de la loi qui agrave son avis eacutetait parfaitement claire et preacutevisible La loi couvrait selon elle sans aucun doute le preacutelegravevement dun eacutechantillon de salive agrave des fins didentification geacuteneacutetique qui repreacutesente une preuve essentielle dans les affaires peacutenales et un outil essentiel pour les enquecircteurs et les juges dinstruction dans leacutetablissement de la veacuteriteacute et les termes laquo autres proceacutedures meacutedicales raquo doivent ecirctre interpreacuteteacutes comme englobant ce type de preuve Elle ajoute que le juge a donneacute la prioriteacute au preacutelegravevement dun eacutechantillon par eacutecouvillonnage buccal et non pas par preacutelegravevement sanguin car cest une meacutethode moins invasive et moins deacutesagreacuteable pour le demandeur Le juge Mourou-Vikstroumlm conclut cet argument en disant que la mesure contesteacutee reacutesulte dune ordonnance rendue par un juge intrinsegravequement indeacutependant et a causeacute aucun deacutesagreacutement au requeacuterant Enfin elle preacutecise que le nouveau code de proceacutedure peacutenale preacutevoit expresseacutement le preacutelegravevement dun eacutechantillon par eacutecouvillonnage buccal sans le consentement de la personne concerneacutee Les conditions dans lesquelles leacutechantillon a eacuteteacute preacuteleveacute en lespegravece sont donc eacutegalement compatibles avec les nouvelles regravegles de droit peacutenal

Partie II ndash Conclusion des avocats geacuteneacuteraux

Aides drsquoEtat

Conclusions de lrsquoAvocat geacuteneacuteral M Szpunar preacutesenteacutees le 2 avril 2020 dans lrsquo affaire Vereniging tot Behoud van Natuurmonumenten in Nederland et autres Vereniging Gelijkberechtiging Grondbezitters et autres C-81718

Reacutesumeacute LrsquoAvocat geacuteneacuteral propose agrave la Cour de justice de rejeter le moyen des requeacuterantes selon lequel le Tribunal a commis une

erreur de droit en consideacuterant comme partie inteacuteresseacutee les requeacuterants au recours formeacute devant le Tribunal En outre lrsquoAvocat geacuteneacuteral

estime que la Cour de justice devrait accueillir le second moyen des requeacuterantes puisque le raisonnement du Tribunal relatif agrave

lrsquoincompleacutetude de lrsquoexamen par la Commission europeacuteenne de la deacutefinition du SIEG drsquoune part est entacheacute drsquoune erreur de droit et

souffre drsquoautre part drsquoune insuffisance de motivation

Les requeacuterantes treize organisations de gestion de terrain sont des associations et fondations non

gouvernementales sans but lucratif ayant pour objet statutaire la conservation et la protection de la nature Elles

exerccedilaient eacutegalement des activiteacutes secondaires de nature eacuteconomique qui geacutenegraverent des recettes agrave leur profit et

constituent une source de financement de leur activiteacute principale

Afin de creacuteer une structure eacutecologique et un reacuteseau laquo Natura 2000 raquo le Royaume des Pays Bas a octroyeacute des

subventions pour lrsquoacquisition de zones naturelles (laquo reacutegime PNB raquo) aux requeacuterantes Le reacutegime PNB a eacuteteacute en

vigueur de 1993 agrave 2012 Le 23 deacutecembre 2008 la Commission europeacuteenne a reccedilu une plainte de deux fondations

priveacutees sans but lucratif de droit neacuteerlandais En 2009 elles ont eacuteteacute remplaceacutees dans le cadre de la proceacutedure

Pourvoi ndash Aide drsquoEacutetat ndash Reacutegime drsquoaide relatif agrave lrsquoacquisition subventionneacutee ou agrave la mise agrave disposition agrave titre gracieux de zones naturelles ndash Deacutecision deacuteclarant lrsquoaide compatible avec le marcheacute inteacuterieur ndash Notion de ldquopartie inteacuteresseacuteerdquo ndash Difficulteacutes seacuterieuses

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administrative en cause par la VGG un organisme dont lrsquoobjet social est drsquoassurer lrsquoeacutegaliteacute des droits de tous les

proprieacutetaires fonciers priveacutes dans le cadre du subventionnement de lrsquoacquisition de terrains

Le 2 septembre 2015 la Commission europeacuteenne a deacuteclareacute le reacutegime PNB compatible avec le marcheacute inteacuterieur

en vertu de lrsquoarticle 106 paragraphe 2 TFUE Le 19 feacutevrier 2016 VGG et autres ont formeacute un recours devant le

Tribunal tendant agrave lrsquoannulation de la deacutecision litigieuse Le Tribunal a deacuteclareacute le recours recevable et a annuleacute la

deacutecision litigieuse

Les requeacuterantes demandent agrave la Cour de justice drsquoannuler lrsquoarrecirct du Tribunal

o Sur la seconde branche du premier moyen

Les requeacuterantes soutenue par la Commission europeacuteenne et le gouvernement neacuteerlandais font valoir que le

Tribunal a commis une erreur de droit en deacuteclarant le recours de VGG et autres recevable degraves lors que celles-ci

ne sauraient ecirctre consideacutereacutees comme laquo parties inteacuteresseacutees raquo au sens de lrsquoarticle 108 paragraphe 2 TFUE et de

lrsquoarticle 1er sous h) du regraveglement ndeg6591999

Sur la notion de laquo partie inteacuteresseacutee raquo

LrsquoAvocat geacuteneacuteral commence par rappeler les deux phases de la proceacutedure de controcircle viseacutee agrave lrsquoarticle 108 TFUE

agrave savoir une phase preacuteliminaire drsquoexamen et une proceacutedure formelle drsquoexamen

En lrsquoespegravece la proceacutedure formelle drsquoexamen nrsquoa pas eacuteteacute ouverte par la Commission europeacuteenne et VGG et autres

ont invoqueacute devant le Tribunal une violation de leurs droits proceacuteduraux La recevabiliteacute du recours deacutepend

degraves lors essentiellement de la question de savoir si VGG et autres ont eacutetabli ecirctre des parties inteacuteresseacutees LrsquoAvocat

geacuteneacuteral rappelle qursquoune partie inteacuteresseacutee est laquo tout Eacutetat membre et toute personne entreprise ou association

drsquoentreprises dont les inteacuterecircts pourraient ecirctre affecteacutes par lrsquooctroi drsquoune aide en particulier le beacuteneacuteficiaire de celle-

ci les entreprises concurrentes et les associations professionnelles raquo La qualiteacute de partie inteacuteresseacutee deacutepend de ce

que les inteacuterecircts de lrsquoentiteacute qui se preacutevaut de cette qualiteacute pourraient ecirctre affecteacutes par lrsquooctroi de la mesure drsquoaide

Il srsquoagit donc de deacuteterminer de quelle faccedilon il peut ecirctre eacutetabli que les inteacuterecircts drsquoune entreprise pourraient ecirctre

affecteacutes par lrsquooctroi drsquoune aide de sorte agrave confeacuterer agrave cette derniegravere la qualiteacute de partie inteacuteresseacutee Selon lrsquoAvocat

geacuteneacuteral il faut distinguer les entreprises concurrentes du beacuteneacuteficiaire de lrsquoaide et les entiteacutes qui ne sont pas

concurrentes du beacuteneacuteficiaire

Pour les premiegraveres selon une jurisprudence constante de la Cour de justice elles figurent incontestablement

parmi les parties inteacuteresseacutees Pour les secondes elles peuvent se voir reconnaitre la qualiteacute de partie inteacuteresseacutees

si elles eacutetablissent que lrsquoaide risque drsquoavoir une incidence concregravete sur leur situation

LrsquoAvocat geacuteneacuteral note que cette distinction est en contradiction avec un courant minoritaire de la jurisprudence

du Tribunal dont fait partie lrsquoarrecirct attaqueacute

Le raisonnement du Tribunal dans lrsquoarrecirct attaqueacute et le courant jurisprudentiel dans lequel il srsquoinscrit

Selon cette jurisprudence du Tribunal il serait exigeacute des entreprises concurrentes des beacuteneacuteficiaires de lrsquoaide de

prouver agrave la fois lrsquoexistence drsquoun rapport de concurrence et lrsquoincidence concregravete de lrsquoaide sur leur situation

LrsquoAvocat geacuteneacuteral est drsquoavis qursquoune telle solution ne saurait ecirctre maintenue Elle serait en contradiction avec le

regraveglement ndeg6591999 qui deacutesigne expresseacutement le concurrent du beacuteneacuteficiaire comme partie inteacuteresseacutee et avec

une jurisprudence pleacutethorique du Tribunal au terme de laquelle la seule preuve de la qualiteacute de concurrent suffit

agrave qualifier lrsquoentreprise de partie inteacuteresseacutee Finalement lrsquoAvocat geacuteneacuteral estime que cette solution pourrait

entrainer une certaine confusion avec la jurisprudence relative agrave la recevabiliteacute du recours Il estime que

contrairement agrave ce qursquoa jugeacute le Tribunal il ne saurait ecirctre exigeacute de VGG et autres de prouver tant lrsquoexistence

drsquoun rapport de concurrence avec les requeacuterantes que lrsquoincidence concregravete de la mesure sur leur situation qui

fausserait ce rapport de concurrence afin de deacutemontrer leur qualiteacute de partie inteacuteresseacutee En jugeant que VGG et

autres devaient ecirctre consideacutereacutees comme des entreprises concurrentes des requeacuterantes le Tribunal pouvait

valablement qualifier VGG et autres de parties inteacuteresseacutees

LrsquoAvocat geacuteneacuteral conclut qursquoune erreur de droit dans lrsquoappreacuteciation de lrsquoincidence concregravete de la mesure sur la

situation de VGG et autres ne saurait conduire agrave lrsquoannulation de lrsquoarrecirct attaqueacute degraves lors que son appreacuteciation

apparait fondeacutee pour drsquoautres motifs de droit

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Consideacuterations subsidiaires sur lrsquoappreacuteciation par le Tribunal du risque drsquoincidence concregravete de la mesure sur la situation de VGG

et autres

LrsquoAvocat geacuteneacuteral examine le point de savoir si le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que la mesure

drsquoaide risquait drsquoavoir une incidence concregravete sur la situation de VGG et autres Pour le cas ougrave la premiegravere branche

du premier moyen devait ecirctre accueillie par laquelle les requeacuterantes contestent la constatation de lrsquoexistence drsquoun

rapport de concurrence entre VGG et elles-mecircmes VGG et autres ne pourraient ecirctre qualifieacutees de parties

inteacuteresseacutees que srsquoil a correctement eacuteteacute jugeacute que la mesure en cause risquait drsquoavoir une incidence concregravete sur leur

situation

Srsquoagissant du critegravere deacutegageacute par le Tribunal pour eacutetablir lrsquoexistence drsquoun risque drsquoune incidence concregravete de lrsquoaide

sur la situation de VGG et autres lrsquoAvocat geacuteneacuteral estime qursquoil est manifestement deacutenueacute de pertinence Le

raisonnement du Tribunal qui procegravede drsquoune confusion dans la lecture de la jurisprudence lui semble entacheacute

drsquoune erreur de droit Pour autant il relegraveve qursquoune telle erreur de droit nrsquoa pas affecteacute le reacutesultat de lrsquoappreacuteciation

meneacutee par le Tribunal Il ressort de la jurisprudence de la Cour de justice qursquoune erreur de droit commise par le

Tribunal nrsquoest pas de nature agrave invalider lrsquoarrecirct attaqueacute si le dispositif de celui-ci apparait fondeacute pour drsquoautres

motifs de droit

LrsquoAvocat geacuteneacuteral conclut que il ne saurait ecirctre reprocheacute au Tribunal drsquoavoir commis une erreur de droit en

consideacuterant que la mesure en cause risquait drsquoavoir une incidence concregravete sur la situation de VGG et autres et

en jugeant que ces derniegraveres devaient degraves lors ecirctre qualifieacutees de parties inteacuteresseacutees

Par suite la seconde branche du moyen est inopeacuterante et partant ne saurait ecirctre accueillie

o Sur la premiegravere branche du second moyen

Les requeacuterantes allegraveguent que le Tribunal a admis agrave tort lrsquoexistence de difficulteacutes seacuterieuses pour appreacutecier la

compatibiliteacute de la mesure drsquoaide en cause avec le marcheacute neacutecessitant lrsquoouverture de la proceacutedure formelle

drsquoexamen preacutevue agrave lrsquoarticle 108 paragraphe 2 TFUE

Sur la preacutetendue constatation par le Tribunal drsquoune contradiction dans la deacutecision litigieuse

LrsquoAvocat geacuteneacuteral estime que lrsquoargument selon lequel le Tribunal aurait statueacute ultra petita en se fondant sur

lrsquoexistence drsquoune contradiction dans le raisonnement de la Commission europeacuteenne dans la deacutecision litigieuse qui

nrsquoavait pas eacuteteacute invoqueacutee par VGG et autres ne saurait prospeacuterer Le Tribunal srsquoest reacutefeacutereacute agrave lrsquoexistence drsquoune

contradiction dans la deacutecision litigieuse entre les conclusions de la Commission europeacuteenne relatives agrave la

qualification des requeacuterantes drsquoentreprises et celles relatives agrave la deacutefinition du SIEG en cause Une telle

contradiction nrsquoa pas eacuteteacute invoqueacutee par les parties en premiegravere instance LrsquoAvocat geacuteneacuteral relegraveve que la solution agrave

laquelle est parvenue le Tribunal selon laquelle la qualification de SIEG global ou atypique des activiteacutes des

requeacuterantes peut constituer un indice de lrsquoexistence de difficulteacutes seacuterieuses nrsquoest degraves lors pas fondeacutee drsquoune

contradiction dans la deacutecision de la Commission europeacuteenne Ainsi quand bien mecircme le Tribunal aurait releveacute

au stade de lrsquoexposeacute des arguments des parties un argument qui nrsquoavait pas eacuteteacute invoqueacute par VGG et autres cela

serait sans incidence sur la solution apporteacutee

Sur le raisonnement du Tribunal relatif agrave lrsquoexistence de difficulteacute seacuterieuse quant agrave la deacutefinition du SIEG

Les requeacuterantes estiment que le Tribunal a commis des erreurs de droit en jugeant que la deacutefinition par la

Commission europeacuteenne du SIEG en tant que SIEG atypique eacutetait un indice de difficulteacutes seacuterieuses

LrsquoAvocat geacuteneacuteral note que le Tribunal a conclu agrave lrsquoexistence de difficulteacutes seacuterieuses quant agrave la deacutefinition du SIEG

dans la deacutecision litigieuse en raison du laquo caractegravere insuffisant ou incomplet de lrsquoexamen meneacute par la Commission

europeacuteenne lors de la proceacutedure preacuteliminaire drsquoexamen raquo qui selon la jurisprudence constitue un indice de

difficulteacutes seacuterieuses Il relegraveve que le raisonnement du Tribunal qui a ameneacute agrave cette conclusion est entacheacute de

plusieurs incoheacuterences Le Tribunal a reprocheacute agrave la Commission europeacuteenne de ne pas avoir deacutemontreacute la

neacutecessiteacute des activiteacutes secondaires pour le fonctionnement du SIEG alors mecircme que ce nrsquoest pas imposeacute agrave la

Commission europeacuteenne Le Tribunal ne pouvait sans commettre drsquoerreur de droit se fonder sur cet eacuteleacutement

pour conclure agrave lrsquoincompleacutetude de lrsquoexamen de la Commission europeacuteenne Quant au constat selon lequel la

Commission europeacuteenne nrsquoaurait pas eacutetabli que les activiteacutes secondaires revecirctaient un inteacuterecirct geacuteneacuteral de sorte

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que lrsquoexamen de la Commission europeacuteenne serait eacutegalement incomplet sur ce point lrsquoAvocat geacuteneacuteral estime

qursquoun tel constat souffre drsquoune insuffisance de motivation

Ainsi le raisonnement du Tribunal relatif agrave lrsquoincompleacutetude de lrsquoexamen par la Commission europeacuteenne de la

deacutefinition du SIEG drsquoune part est entacheacute drsquoune erreur de droit et souffre drsquoautre part drsquoune insuffisance de

motivation

Par suite lrsquoAvocat geacuteneacuteral est drsquoavis qursquoil y a lieu drsquoaccueillir la premiegravere branche du second moyen

o Conclusions

Au vu des consideacuterations qui preacutecegravedent jrsquoestime que la seconde branche du premier moyen doit ecirctre

rejeteacutee comme eacutetant inopeacuterante et que la premiegravere branche du second moyen doit ecirctre accueillie sans

que cela preacutejuge du bien-fondeacute des autres branches des moyens du pourvoi

Coopeacuteration judiciaire en matiegravere civile

Conclusions de lrsquoAvocat geacuteneacuteral M Manuel Campos Saacutenchez-Bordona preacutesenteacutees le 2 avril 2020 dans lrsquoaffaire Verein fuumlr KonsumenteninformationVolkswagen AG C-34319

Reacutesumeacute LrsquoAvocat geacuteneacuteral Campos Saacutenchez-Bordona estime que les acqueacutereurs de veacutehicules eacutequipeacutes drsquoun moteur Volkswagen sur lesquels ont eacuteteacute installeacutes un logiciel de manipulation relatif aux gaz drsquoeacutechappements ayant pour conseacutequence la diminution de la valeur desdits veacutehicules peuvent attraire une entreprise devant les juridictions de lrsquoEacutetat dans lequel ces veacutehicules ont eacuteteacute acheteacutes Le Verein fuumlr Konsumenteninformation (ci-apregraves laquo VKI raquo) est une organisation de consommateurs ayant son siegravege en Autriche Son objet statutaire inclut lrsquoexercice drsquoactions en justice pour la deacutefense des droits des consommateurs que ceux-ci lui cegravedent agrave cette fin Le 6 septembre 2018 VKI a intenteacute devant le Landesgericht Klagenfurt (tribunal reacutegional de Klagenfurt Autriche) une action contre Volkswagen AG ayant son siegravege en Allemagne pays dans lequel celle-ci fabrique des veacutehicules automobiles afin drsquoexercer les droits agrave indemnisation lui ayant eacuteteacute ceacutedeacutes par 574 acheteurs de veacutehicules et pour demander la constations de la responsabiliteacute de la socieacuteteacute pour des dommages futurs qui nrsquoont pas encore eacuteteacute quantifieacutes Ces demandes eacutetaient lieacutees agrave lrsquoinstallation dans les veacutehicules acheteacutes drsquoun dispositif qui a masqueacute lors des essais les valeurs reacuteelles drsquoeacutemissions de gaz drsquoeacutechappement en violation des dispositions du droit de lrsquoUnion VKI affirme que les consommateurs avaient acquis en Autriche aupregraves drsquoun concessionnaire professionnel ou drsquoun particulier des veacutehicules eacutequipeacutes drsquoun moteur Volkswagen et ce avant la reacuteveacutelation au public le 18 septembre 2018 de la manipulation sur les gaz drsquoeacutechappements Dans ce contexte la juridiction de renvoi pose la question preacutejudicielle suivante Lrsquoarticle 7 point 2) du regraveglement (UE) no 12152012 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 12 deacutecembre 2012 concernant la compeacutetence judiciaire la reconnaissance et lrsquoexeacutecution des deacutecisions en matiegravere civile et commerciale doit-il ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que dans des circonstances telles que celles de lrsquoaffaire au principal on peut consideacuterer comme ldquolieu ougrave le fait dommageable srsquoest produitrdquo le lieu situeacute agrave lrsquointeacuterieur drsquoun Eacutetat membre ougrave srsquoest produit le preacutejudice si ce preacutejudice consiste exclusivement en une perte financiegravere qui est la conseacutequence directe drsquoagissements susceptibles drsquoengager la responsabiliteacute deacutelictuelle survenus dans un autre Eacutetat membre LrsquoAvocat geacuteneacuteral considegravere que lrsquoarticle 7 point 2) du regraveglement no 12152012 eacutetablissant en faveur du demandeur un critegravere de compeacutetence alternatif au for geacuteneacuteral est difficile drsquointerpreacutetation notamment en matiegravere

Proceacutedure preacutejudicielle ndash Regraveglement (UE) ndeg12152012 ndash Compeacutetence judiciaire en matiegravere de responsabiliteacute deacutelictuelle ou quasi deacutelictuelle ndash Lieu du fait dommageable ndash Manipulation des valeurs drsquoeacutemission de gaz dans les moteurs de veacutehicules automobiles

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deacutelictuelle ou quasi deacutelictuelle De ce fait il en revient agrave la Cour de justice drsquoadapter et drsquoenrichir agrave lrsquooccasion des questions preacutejudicielles lrsquoexeacutegegravese de cette disposition Srsquoil existe plusieurs critegraveres permettant lrsquointerpreacutetation de cette disposition

- Le principe de la preacutevisibiliteacute des regravegles et de la proximiteacute entre les juridictions compeacutetentes et le litige - La preacuteoccupation de maintenir lrsquoutiliteacute de la regravegle speacuteciale dans le cadre de la reacutepartition des

compeacutetences sans pour autant en autoriser une interpreacutetation extensive (Arrecirct du 5 juin 2014 Coty Germany C-36012 point 45)

- La neutraliteacute de cette regravegle par rapport aux parties Lrsquointerpreacutetation est autonome en ce que les deacutefinitions de laquo fait raquo et de laquo dommage raquo sont indeacutependantes des systegravemes nationaux au mecircme titre que le reacutegime de fond applicable agrave la responsabiliteacute civile (arrecirct Coty Germany C-36012 point 43) LrsquoAvocat geacuteneacuteral preacutecise que lrsquoarticle 7 point 2) du regraveglement no 12152012 preacutesuppose un lien eacutetroit entre la juridiction compeacutetente et le litige Lorsque le comportement illicite et ses conseacutequences sont situeacutes dans des Eacutetats membres diffeacuterents le critegravere de la compeacutetence judicaire se deacutedouble en matiegravere deacutelictuelle car ces deux lieux preacutesentent un lien significatif avec le litige Ainsi le demandeur peut choisir entre les deux juridictions lorsqursquoil introduit son action

1 La nature du dommage initial ou conseacutecutif mateacuteriel ou patrimonial Victimes directes ou indirectes Srsquoagissant de la nature du dommage lrsquoAvocat geacuteneacuteral distingue le domaine des faits geacuteneacuterateurs de celui des preacutejudices qursquoils produisent

- La fabrication drsquoun objet avec ou sans vices relegraveve du domaine des faits geacuteneacuterateurs (arrecirct du 6 juillet 2009 Zuid-Chemie C-18908 point 27)

- Les dommages sont les conseacutequences neacutegatives des faits dans la sphegravere des inteacuterecircts juridiques proteacutegeacutes drsquoun demandeur

Ainsi en lrsquoespegravece le fait geacuteneacuterateur consisterait en lrsquoinstallation au cours du processus de fabrication du veacutehicule du logiciel qui modifie les donneacutees relatives aux eacutemissions de gaz de celui-ci LrsquoAvocat geacuteneacuteral est drsquoavis que dommage reacutesultant de ce fait soit de nature initiale et patrimoniale En lrsquoabsence de tout vice lrsquoacquisition drsquoun objet apporte au patrimoine auquel il srsquointegravegre une valeur au moins eacutequivalente agrave la valeur de ce qui en sort dans le cadre drsquoune vente le prix payeacute pour lrsquoobjet Ainsi lorsque la valeur du veacutehicule est infeacuterieure au prix payeacute au moment de lrsquoachat du fait drsquoun vice drsquoorigine le prix payeacute ne correspond pas agrave la valeur reccedilue De fait la diffeacuterence entre le prix payeacute et la valeur du bien geacutenegravere un deacutesavantage patrimonial concomitant agrave lrsquoacquisition du bien et ce mecircme srsquoil nrsquoest deacutecouvert qursquoa posteriori De plus cette perte se fait initiale car elle deacuterive directement du fait geacuteneacuterateur en lrsquoespegravece la manipulation du moteur et non drsquoun dommage anteacuterieur subi par le demandeur qui trouve son origine dans ce mecircme fait Srsquoagissant de la qualiteacute des victimes lrsquoAvocat geacuteneacuteral considegravere que les personnes ayant acheteacutes les voitures sont des victimes directes au sens de lrsquoarticle 7 point 2) du regraveglement no 12152012 puisque la perte qursquoelles allegraveguent nrsquoest pas une conseacutequence drsquoun preacutejudice anteacuterieur subi par drsquoautres personnes avant elles

2 Le lieu ougrave srsquoest produit le fait agrave lrsquoorigine du dommage LrsquoAvocat geacuteneacuteral estime que conformeacutement agrave la regravegle geacuteneacuterale la socieacuteteacute Volkswagen ayant son siegravege en Allemagne serait soumise aux juridictions de cet Eacutetat membre Toutefois la demande trouvant son origine dans un deacutelai ou un quasi-deacutelit la deacutefenderesse peut eacutegalement ecirctre attraite devant les juridictions de lrsquoEacutetat membre du lieu ougrave le dommage srsquoest mateacuterialiseacute

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3 Le lieu ougrave le dommage se mateacuterialise

o La localisation drsquoun preacutejudice purement eacuteconomique dans la jurisprudence de la Cour de justice

LrsquoAvocat geacuteneacuteral rappel que le lieu de mateacuterialisation du dommage est celui ougrave les conseacutequences neacutegatives drsquoun fait se manifestent concregravetement (arrecirct Zuid-Chemie C-18908 point 47) Lrsquoabsence drsquoatteinte physique rend difficile lrsquoidentification drsquoun lieu et geacutenegravere des incertitudes Agrave ce titre lrsquoAvocat geacuteneacuteral rappelle qursquoil avait eacuteteacute suggeacutereacute agrave la Cour de justice drsquoabandonner lrsquooption entre le lieu du fait dommageable et le lieu du dommage pour les hypothegraveses de dommage uniquement patrimonial (Conclusions de lrsquoAvocat geacuteneacuteral Szpunar dans lrsquoaffaire Universal Music International Holding C-1215 point 38) En effet le deacutedoublement du for nrsquoest pas un impeacuteratif dans lrsquoapplication de la disposition en cause et lrsquooption du laquo lieu ougrave se mateacuterialise le dommage raquo ne devrait peut-ecirctre pas srsquoappliquer dans certaines hypothegraveses

- Lorsque la nature du dommage ne permet pas de deacuteterminer ougrave celui-ci srsquoest produit en appliquant un critegravere simple

- Lorsque la localisation devrait ecirctre eacutetablir en recourant agrave des fictions - Lorsque lrsquoexamen tend agrave aboutir agrave un lieu fortuit ou pouvant ecirctre manipuleacute par le demandeur

LrsquoAvocat geacuteneacuteral rappelle que dans lrsquoarrecirct Bessix du 19 feacutevrier 2002 (C-25600 point 49) la Cour de justice avait exclu lrsquoapplication de lrsquoarticle 5 point 1) de la Convention de Bruxelles (devenu lrsquoarticle 7 point 1) du regraveglement no 12152012) agrave lrsquoeacutegard drsquoune obligation qui laquo nrsquoest susceptible ni drsquoecirctre localiseacutee agrave un endroit preacutecis ni drsquoecirctre rattacheacutee agrave une juridiction qui serait particuliegraverement apte agrave connaicirctre du diffeacuterend relatif agrave cette obligation raquo cette solution pouvant srsquoappliquer eacutegalement au point 2) de lrsquoarticle 7 du regraveglement no 12152012 La Cour de justice a eacutegalement eu lrsquooccasion drsquoassocier au dommage une omission ou un fait causeacutes par lrsquoactiviteacute du deacutefendeur qui preacutecegravedent immeacutediatement et logiquement le preacutejudice et dont la capaciteacute agrave ecirctre appreacutecieacutes par les sens est plus grande notamment lorsque le dommage reacutesulte de quelque qui ne se produit pas (arrecircts du 21 deacutecembre 2016 Concurrence C-61815 point 33 du 5 juillet 2018 flyLAL-Lithuanian Airlines C-2717 points 35 et 36 et du 29 juillet 2019 Tibor-Trans C-45118 points 30 32 et 33) LrsquoAvocat geacuteneacuteral considegravere que la preacutesentation du dommage patrimonial par reacutefeacuterence agrave une activiteacute ou agrave un fait apparents aide agrave le rattacher physiquement agrave un territoire ou directement eacutevite drsquoavoir agrave le faire Selon lui il nrsquoy a aucun obstacle agrave ce que cette meacutethode soit geacuteneacuteraliseacutee (point 53) Parallegravelement il est preacuteciseacute que la Cour de justice a admis la mateacuterialisation de la perte patrimoniale en matiegravere drsquoinvestissements en ce que le preacutejudice se produit sur le compte qui enregistre au niveau comptable la perte eacuteconomique Dans cette jurisprudence qui se reacutesume agrave trois arrecircts Kolassa (28 janvier 2015 C-37513) Universal (16 juin 2016 C-1215) et Loumlber (2 septembre 2018 C-30417) le lieu de mateacuterialisation du dommage identifieacute constitue un point de deacutepart qui doit ecirctre corroboreacute par les autres circonstances particuliegraveres du litige dans une appreacuteciation drsquoensemble (arrecirct Loumlber C-30417 points 31 et 36)

o Porteacutee du critegravere des laquo circonstances particuliegraveres raquo LrsquoAvocat geacuteneacuteral rappelle que la Cour de justice a recours aux laquo circonstances particuliegraveres raquo de lrsquoaffaire pour preacuteciser le critegravere de compeacutetence relatif au laquo lieu du dommage raquo Toutefois il preacutecise que ce critegravere ne permet pas agrave la juridiction saisie du litige de comparer le laquo lieu du fait geacuteneacuterateur raquo et le laquo lieu du dommage raquo et de choisir le plus approprieacute des deux La Cour de justice a rappeleacute qursquoil nrsquoeacutetait pas possible drsquoeacutecarter le reacutesultat auquel conduit lrsquoapplication de lrsquoarticle 7 du regraveglement no 12152012 mecircme srsquoil deacutesigne une juridiction deacutepourvue de lien avec le litige Le deacutefendeur peut ecirctre attrait devant la juridiction du lieu deacutesigneacute par cette disposition mecircme si le for ainsi deacutetermineacute nrsquoest pas celui qui preacutesente le lien le plus eacutetroit avec le litige (arrecirct du 29 juin 1994 Custom Made Commercial C-28892 point 17 lu en combinaison avec les points 16 et 21)

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o Preacutecisions sur les laquo autres circonstances particuliegraveres raquo

LrsquoAvocat geacuteneacuteral explique que les laquo autres circonstances particuliegraveres raquo devant coiumlncider au soutien du lieu de manifestation du dommage lorsque celui-ci est purement eacuteconomique deacutependent de chaque litige mais en termes geacuteneacuteraux il preacutecise que ces circonstances peuvent ecirctre deacutecrites comme

- Les eacuteleacutements pertinents pour la bonne administration de la justice et lrsquoorganisation utile du procegraves

- Les facteurs qui ont pu servir agrave former la conviction des parties quant au lieu de lrsquoaction en justice ou quant agrave celui ougrave elles peuvent eacuteventuellement ecirctre attraites du fait de leurs actes (point 67)

Il peut ecirctre supposeacute que ces eacuteleacutements puissent contribuer agrave la preuve du comportement illicite du dommage et de la relation de causaliteacute entre ceux-ci LrsquoAvocat geacuteneacuteral propose agrave la Cour de justice de reacutepondre au Landesgericht Klagenfurt (tribunal reacutegional de Klagenfurt Autriche) de la maniegravere suivante

1 Lrsquoarticle 7 point 2) du regraveglement (UE) no 12152012 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 12 deacutecembre 2012 concernant la compeacutetence judiciaire la reconnaissance et lrsquoexeacutecution des deacutecisions en matiegravere civile et commerciale doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que lorsqursquoun acte illicite commis dans un Eacutetat membre consiste en la manipulation drsquoun produit dont la reacutealiteacute est dissimuleacutee et qui ne se manifeste que posteacuterieurement agrave lrsquoacquisition de ce produit dans un autre Eacutetat membre agrave un prix supeacuterieur agrave sa valeur reacuteelle - Lrsquoacqueacutereur de ce produit qui le conserve dans son patrimoine lorsque le vice est rendu

public constitue une victime directe - Le lieu ougrave le fait geacuteneacuterateur srsquoest produit est le lieu ougrave srsquoest produit le fait qui a deacuteteacuterioreacute le

produit lui-mecircme et - Le dommage se mateacuterialise au lieu situeacute dans un Eacutetat membre ougrave la victime a acquis le

produit aupregraves drsquoun tiers agrave condition que les autres circonstances corroborent lrsquoattribution de compeacutetence aux juridictions de cet Eacutetat Il est impeacuteratif que parmi ces circonstances il y en ait une ou plusieurs ayant permis au deacutefendeur de preacutevoir raisonnablement qursquoune action en responsabiliteacute civile imputable agrave ses actes pourrait ecirctre intenteacutee contre lui par de futurs acqueacutereurs du produit dans ce lieu

2 Lrsquoarticle 7 point 2) du regraveglement no 12152012 doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens qursquoil nrsquoautorise pas la juridiction du lieu ougrave le dommage srsquoest mateacuterialiseacute agrave eacutetablir ou agrave deacutecliner sa compeacutetence sur la base drsquoune mise en balance des autres circonstances de lrsquoespegravece visant agrave deacuteterminer quelle juridiction ndash agrave savoir cette mecircme juridiction ou la juridiction du lieu du fait geacuteneacuterateur ndash est la mieux placeacutee en termes de proximiteacute et de preacutevisibiliteacute pour statuer sur lrsquoaffaire

Environnement

Conclusions de lrsquoAvocate geacuteneacuterale Mme Eleanor Sharpston preacutesenteacutees le 30 avril 2020 dans lrsquoaffaire CLCE ea (Dispositif drsquoinvalidation sur moteur diesel) C-99318

Reacutesumeacute LrsquoAvocate geacuteneacuterale Sharpston est drsquoavis qursquoun dispositif qui influe agrave la hausse lors des tests drsquohomologation des veacutehicules agrave moteur diesel sur le fonctionnement du systegraveme de controcircle des eacutemissions de ces veacutehicules constitue un laquo dispositif drsquoinvalidation raquo

Renvoi preacutejudiciel ndash Rapprochement des leacutegislations ndash Regraveglement (CE) ndeg 7152007 ndash Veacutehicules agrave moteur ndash Eacutemissions de polluants ndash Dispositif drsquoinvalidation ndash Programme agissant sur le calculateur de controcircle moteur ndash Technologies et strateacutegies permettant de limiter la production des eacutemissions de polluants ndash Moteur diesel

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prohibeacute par le droit de lrsquoUnion europeacuteenne Plus speacutecifiquement lrsquoobjectif de ralentissement du vieillissement ou de lrsquoencrassement du moteur ne justifie pas le recours agrave un tel dispositif La socieacuteteacute X est un constructeur automobile commercialisant des veacutehicules agrave moteur en France Cette derniegravere aurait mis sur le marcheacute des veacutehicules eacutequipeacutes drsquoun logiciel (ci -apregraves le laquo logiciel litigieux raquo) susceptible de fausser les reacutesultats des tests drsquohomologation relatifs aux eacutemissions de gaz polluants tels les oxydes drsquoazote (ci-apregraves laquo NOx raquo) Avant drsquoecirctre mis sur le marcheacute les veacutehicules en cause ont eacuteteacute testeacutes suivant un protocole particulier deacutefini par voie regraveglementaire dans le cadre de la phase drsquohomologation relative aux eacutemissions de gaz polluants afin drsquoeacutetablir que le volume de NOx eacutemis ne deacutepasse pas les limites imposeacutees par le regraveglement ndeg7152007 Ainsi les eacutemissions des veacutehicules mis en cause nrsquoont pas eacuteteacute analyseacutees dans des conditions de conduite reacuteelles Les veacutehicules en cause eacutetaient eacutequipeacutes drsquoune vanne de recirculation des gaz drsquoeacutechappement (ci-apregraves laquo RGE raquo) qui est lrsquoune des technologies utiliseacutees par les constructeurs automobiles afin de controcircler et de reacuteduire les eacutemissions finales de NOx Plus speacutecifiquement il srsquoagit drsquoun systegraveme consistant agrave rediriger une partie des gaz drsquoeacutechappement du moteur vers lrsquoadmission (lrsquoentreacutee drsquoair fourni au moteur) en vue de reacuteduire les eacutemissions finales de NOx En octobre 2015 agrave la suite de publications dans la presse le parquet de Paris (France) a diligenteacute une enquecircte qui a donneacute lieu agrave lrsquoouverture drsquoune information judiciaire en feacutevrier 2016 agrave lrsquoeacutegard de la socieacuteteacute X En effet la socieacuteteacute aurait trompeacute les acqueacutereurs de veacutehicules eacutequipeacutes de moteur diesel sur les qualiteacutes substantielles de ceux-ci et sur les controcircles effectueacutes avant leur mise sur le marcheacute Lrsquoexpertise technique reacutealiseacutee dans le cadre de la proceacutedure drsquoinformation a conclu agrave lrsquoexistence dans les veacutehicules en cause drsquoun dispositif permettant de deacutetecter les phases des tests drsquohomologation et drsquoadapter en conseacutequence le fonctionnement du systegraveme RGE de faccedilon agrave respecter le plafond regraveglementaire en matiegravere drsquoeacutemissions Agrave lrsquoinverse dans des conditions autres que celles des tests drsquohomologation lorsque les veacutehicules circulent en situation normale ce dispositif entraicircne une deacutesactivation partielle du systegraveme RGE et par conseacutequent une augmentation des eacutemissions de NOx Lrsquoexpert prend soin de preacuteciser que si le fonctionnement du systegraveme RGE en circulation reacuteelle avait eacuteteacute conforme agrave celui qui preacutevalait lors de ces tests drsquohomologation ces veacutehicules auraient produit jusqursquoagrave 50 de NOx en moins Toutefois les opeacuterations de maintenance de ces derniers auraient eacuteteacute plus freacutequentes et plus coucircteuses en raison drsquoun encrassement plus rapide du moteur Le magistrat en charge de lrsquoinstruction srsquoest interrogeacute quant agrave la conformiteacute des veacutehicules viseacutes aux exigences du regraveglement ndeg7152007 et en particulier quant agrave la liceacuteiteacute du dispositif eacutevoqueacute ci-dessus En effet le regraveglement interdit expresseacutement lrsquoutilisation de dispositifs drsquoinvalidation qui reacuteduiraient lrsquoefficaciteacute des systegravemes de controcircle des eacutemissions dans des conditions normales drsquoutilisation Au regard de ces eacuteleacutements la juridiction de renvoi a deacutecideacute de saisir la Cour de justice en vue drsquoobtenir des clarifications notamment quant agrave la deacutefinition et agrave la porteacutee des concepts de laquo systegraveme de controcircle des eacutemissions raquo et de laquo dispositif drsquoinvalidation raquo

- Sur la recevabiliteacute des questions preacutejudicielles LrsquoAvocate geacuteneacuterale explique que dans le cadre de la coopeacuteration de la Cour de justice et des juridictions nationales institueacutee par lrsquoarticle 267 TFUE il appartient au seul juge national saisi du litige et assumant la responsabiliteacute de la deacutecision juridictionnelle agrave intervenir drsquoappreacutecier au regard des particulariteacutes de lrsquoaffaire la neacutecessiteacute drsquoune deacutecision preacutejudicielle et la pertinence des questions qursquoil pose agrave la Cour de justice Ainsi degraves lors que les questions poseacutees portent sur lrsquointerpreacutetation du droit de lrsquoUnion europeacuteenne la Cour de justice est en principe tenue de statuer (arrecirct du 4 deacutecembre 2018 Minister for Justice and Equality et Commissioner of An Garda Siacuteochaacutena C-37817 point 26 et jurisprudence citeacutee) Agrave ce titre les questions portant sur le droit de lrsquoUnion beacuteneacuteficient drsquoune preacutesomption de pertinence et le refus de la Cour de justice de statuer sur une telle question nrsquoest possible que srsquoil apparaicirct de maniegravere manifeste que lrsquointerpreacutetation solliciteacute du droit de lrsquoUnion

- Nrsquoa aucun rapport avec la reacutealiteacute ou lrsquoobjet du litige au principal - Lorsque le problegraveme est de nature hypotheacutetique

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- Lorsque la Cour de justice ne dispose pas des eacuteleacutements de fait et de droit neacutecessaires pour reacutepondre de faccedilon utile aux questions qui lui sont poseacutees (arrecirct Minister for Justice and Equality et Commissioner of An Garda Siacuteochaacutena C-37817 point 27)

En lrsquoespegravece lrsquoAvocate geacuteneacuterale est drsquoavis que la recevabiliteacute des questions preacutejudicielles est eacutetablie

- Sur la premiegravere question preacutejudicielle Selon lrsquoAvocate geacuteneacuterale la notion de laquo dispositif drsquoinvalidation raquo viseacutee agrave lrsquoarticle 3 point 10 du regraveglement ndeg7152007 deacutesigne tout eacuteleacutement de conception laquo qui deacutetecte la tempeacuterature la vitesse du veacutehicule le reacutegime du moteur en toursminute la transmission une deacutepression ou tout autre paramegravetre aux fins drsquoactiver de moduler de retarder ou de deacutesactiver le fonctionnement de toute partie du systegraveme de controcircle des eacutemissions qui reacuteduit lrsquoefficaciteacute du systegraveme de controcircle des eacutemissions dans des conditions dont on peut raisonnablement attendre qursquoelles se produisent lors du fonctionnement et de lrsquoutilisation normaux des veacutehicules raquo Cette deacutefinition confegravere une porteacutee large agrave la notion laquo drsquoeacuteleacutement de conception raquo qui peut ecirctre constitueacute aussi bien de piegraveces meacutecaniques que drsquoun logiciel informatique pilotant lrsquoactivation de telles piegraveces degraves lors qursquoil agit sur le fonctionnement du systegraveme de controcircle des eacutemissions et qursquoil en reacuteduit lrsquoefficaciteacute Agrave ce titre lrsquoAvocate geacuteneacuterale preacutecise qursquoil doit drsquoagit drsquoun eacuteleacutement eacutemanant du constructeur du veacutehicule srsquoagissant drsquoun logiciel embarqueacute peu importe qursquoil soit preacuteinstalleacute avant la vente du veacutehicule ou teacuteleacutechargeacute ulteacuterieurement Ne sont donc pas concerneacutes les eacuteleacutements installeacutes agrave lrsquoinitiative du seul proprieacutetaire ou utilisateur du veacutehicule sans lien avec le constructeur

- Sur la deuxiegraveme question preacutejudicielle LrsquoAvocate geacuteneacuterale explique que les constructeurs peuvent optimiser les performances de leurs veacutehicules sur le plan des eacutemissions polluantes par deux cateacutegories de meacutethodes

- Les strateacutegies dites laquo internes au moteur raquo consistant agrave minimiser la formation de gaz polluants dans le moteur lui-mecircme ndash tel le systegraveme RGE

- Les strateacutegies dites laquo post-traitement raquo consistant agrave traiter les eacutemissions apregraves leur formation LrsquoAvocate geacuteneacuterale preacutecise en outre que la notion de laquo systegraveme de controcircle des eacutemissions raquo nrsquoest pas deacutefinie par le regraveglement ndeg7152007 et que pour en eacuteclairer la porteacutee il convient de se reacutefeacuterer aux critegraveres drsquointerpreacutetation consacreacutes par la Cour de justice ( arrecirct du 7 feacutevrier 2018 American Express C-30416 point 54 et jurisprudence citeacutee)

o Interpreacutetation litteacuterale Sur le plan litteacuteral un laquo systegraveme de controcircle des eacutemissions raquo est un composant drsquoun veacutehicule visant agrave controcircler les eacutemissions de celui-ci Ainsi lrsquoAvocate geacuteneacuterale est drsquoavis que le systegraveme RGE peut srsquoinscrire a priori dans le champ drsquoapplication de cette notion puisque sa finaliteacute est de reacuteduire les eacutemissions finales de NOx Elle preacutecise que cette interpreacutetation de la notion de laquo systegraveme de controcircle des eacutemissions raquo nrsquoest ni trop extensive ni de nature agrave englober nrsquoimporte quel composant drsquoun veacutehicule ayant une incidence quelconque sur le volume des eacutemissions polluantes

o Interpreacutetation contextuelle Lrsquoarticle 4 paragraphe 2 du regraveglement ndeg7152007 impose aux constructeurs une obligation de reacutesultat en ce qursquoils doivent veiller agrave ce que les mesures techniques adopteacutees garantissent une limitation effective des eacutemissions au tuyau arriegravere drsquoeacutechappement deacutefini par lrsquoarticle 3 point 6 du mecircme regraveglement comme des eacutemissions de polluants gazeux et de particules Ces articles ne preacutecisent pas agrave quelle eacutetape du fonctionnement du veacutehicule ces eacutemissions doivent ecirctre moduleacutees ou reacuteduites

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Le regraveglement ndeg7152007 apparait donc comme eacutetant technologiquement neutre puisqursquoil nrsquoimpose pas de solution technologique particuliegravere mais fixe un objectif agrave atteindre quant agrave la limitation des eacutemissions ces derniegraveres eacutetant mesureacutees agrave la sortie du tuyau drsquoeacutechappement

o Interpreacutetation teacuteleacuteologique Agrave la lumiegravere des consideacuterants 1 et 5 du regraveglement ndeg7152007 il en ressort que ce dernier vise agrave garantir un niveau eacuteleveacute de protection de lrsquoenvironnement et que la reacutealisation des objectifs de lrsquoUnion europeacuteenne en termes de qualiteacute de lrsquoair exige des efforts continus de reacuteduction des eacutemissions des veacutehicules Le consideacuterant 6 dudit regraveglement preacutecise qursquoil est laquo neacutecessaire de continuer agrave reacuteduire consideacuterablement les eacutemissions [NOx] des veacutehicules diesels pour ameacuteliorer la qualiteacute de lrsquoair et respecter les valeurs limites en termes de pollution raquo De plus lrsquoarticle 4 du regraveglement ndeg7152007 vise agrave assurer une limitation effective des eacutemissions et ce tout au long de la vie normale des veacutehicules dans des conditions drsquoutilisation normales LrsquoAvocate geacuteneacuterale considegravere qursquoil faut confeacuterer une interpreacutetation eacutetendue au concept de laquo systegraveme de controcircle des eacutemissions raquo car en limiter la porteacutee aux meacutethodes de post-traitement des gaz drsquoeacutechappement en excluant les strateacutegies internes au moteur tel le systegraveme RGE priverait le regraveglement ndeg7152007 drsquoune partie de son effet utile

- Sur la troisiegraveme question preacutejudicielle LrsquoAvocate geacuteneacuterale rappelle qursquoun laquo dispositif drsquoinvalidation raquo est un eacuteleacutement de conception qui deacutetecte divers paramegravetres en vue drsquoactiver de moduler de retarder ou de deacutesactiver le fonctionnement de toute partie drsquoun systegraveme de controcircle des eacutemissions et qui reacuteduit lrsquoefficaciteacute de celui-ci dans des conditions dont on peut raisonnablement attendre qursquoelle se produisent lors du fonctionnement normal et de lrsquoutilisation normale drsquoun veacutehicule Sur le plan factuel lrsquoAvocate geacuteneacuterale preacutecise que le systegraveme RGE fonctionne suivant deux modes commandeacutes par le logiciel litigieux Lorsqursquoun cycle caracteacuteristique du test drsquohomologation est deacutetecteacute le systegraveme passe en mode 1 et lorsqursquoil deacutetecte lrsquoabsence des conditions caracteacuteristiques du test le systegraveme opte pour le mode 0 Ainsi il semble manifeste que le dispositif en cause laquo module raquo le fonctionnement drsquoune partie du systegraveme de controcircle des eacutemissions car il fait varier le niveau drsquoeacutemissions en fonction de la deacutetection de divers paramegravetre preacutedeacutefinis en passant drsquoun mode agrave lrsquoautre Sur le plan juridique la deacutesactivation partielle ou complegravete drsquoun systegraveme de controcircle des eacutemissions programmeacutee pour se produite systeacutematiquement en dehors de ce parcours theacuteorique conduit obligatoirement agrave minorer lrsquoefficaciteacute de ce systegraveme dans des consistions drsquoutilisations normales Cette deacutesactivation artificielle abouti agrave une violation de lrsquoarticle 5 paragraphe 2 du regraveglement ndeg7152007 Sur le plan contextuel lrsquoarticle 4 paragraphe 2 du regraveglement ndeg7152007 consacre lrsquoobligation de garantir une limitation effective des eacutemissions au tuyau arriegravere drsquoeacutechappement tout au long de la vie normale des veacutehicules et ce dans des conditions drsquoutilisation normales LrsquoAvocate geacuteneacuterale est drsquoavis que la modulation agrave la hausse du fonctionnement du systegraveme de controcircle des eacutemissions puisse se produire ponctuellement agrave lrsquooccasion de lrsquoutilisation normale du veacutehicule est sans incidence En pratique les chances qursquoune telle coiumlncidence se produise est infiniteacutesimales Le respect par le veacutehicule des limites fixeacutees par le regraveglement en cause doit donc ecirctre la regravegle lors de son utilisation normale et non une exception lieacutee agrave la reacuteunion accidentelle de conditions analogues agrave celles des tests drsquohomologation

- Sur la quatriegraveme question preacutejudicielle Selon lrsquoAvocate geacuteneacuterale il srsquoagit drsquoanalyser lrsquoexception viseacutee de lrsquoarticle 5 paragraphe 2 sous a) du regraveglement ndeg7152007 qui permet de justifier la preacutesence drsquoun dispositif drsquoinvalidation lorsque celui-ci est neacutecessaire afin de proteacuteger le moteur contre des deacutegacircts ou des accidents et afin de garantir le fonctionnement en toute seacutecuriteacute du veacutehicule LrsquoAvocate preacutecise que les exceptions sont drsquointerpreacutetation stricte afin que les regravegles geacuteneacuterales ne soient pas videacutees de leur substance (arrecirct du 22 avril 2010 CommissionRoyaume-Uni C-34608 point 39 et

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jurisprudence citeacutee) Ainsi lrsquointerpreacutetation des exceptions ne peut aller au-delagrave des hypothegraveses envisageacutees de maniegravere explicite par la disposition en cause (arrecirct du 16 mai 2013 Melzer C-22811 point 24 arrecirct du 5 mars 2015 Copydan Baringndkopi C-46312 point 87 et jurisprudence citeacutee) Il importe donc de proceacuteder agrave lrsquointerpreacutetation des termes laquo accident raquo et laquo deacutegacircts raquo Sur le plan litteacuteral le terme laquo accident raquo vise un eacutevegravenement impreacutevu et soudain qui entraicircne des deacutegacircts ou des dangers comme des blessures ou la mort Le terme laquo deacutegacirct raquo deacutesigne un dommage reacutesultant geacuteneacuteralement drsquoune cause violente ou soudaine Or lrsquoAvocate geacuteneacuterale preacutecise que lorsque le libelleacute drsquoune disposition du droit de lrsquoUnion europeacuteenne est clair et preacutecise il convient de srsquoen tenir agrave celui-ci (arrecirct du 8 deacutecembre 2005 BCEAllemagne C-22003 point 31) Ainsi un dispositif drsquoinvalidation ne peut donc se justifier en vertu de lrsquoarticle 5 paragraphe 2 sous a) du regraveglement ndeg7152007 que srsquoil se reacutevegravele neacutecessaire en vue de proteacuteger le moteur contre la survenue de dommages soudains Sur le plan teacuteleacuteologique lrsquoAvocat geacuteneacuterale est drsquoavis qursquoil incombe aux constructeurs de veacutehicules de veiller agrave ce ces derniers observent les limites fixeacutees par la leacutegislation en matiegravere drsquoeacutemissions tout au long de leur fonctionnement normal et agrave ce que ces veacutehicules fonctionnent de faccedilon sure tout en respectant ces limites Si lrsquoon ne peut exclure que le fonctionnement drsquoun systegraveme de controcircle des eacutemissions puisse affecter neacutegativement (agrave long terme) la longeacuteviteacute ou la fiabiliteacute du moteur cette circonstance ne justifie en rien que lrsquoon deacutesactive ledit systegraveme au cours du fonctionnement normal du veacutehicule dans des conditions drsquoutilisation normales dans le seul but de preacutemunir le moteur contre son vieillissement ou son encrassement progressif Ainsi selon lrsquoAvocate geacuteneacuterale seuls les risques immeacutediats de deacutegacircts qui affectent la fiabiliteacute du moteur et qui geacutenegraverent un danger concret lors de la conduite du veacutehicule sont de nature agrave justifier le preacutesence drsquoun dispositif drsquoinvalidation Il en revient donc au juge de renvoi drsquoeacutetablir si le dispositif en cause au principal srsquoinscrit dans le peacuterimegravetre de lrsquoexception analyseacutee ci-dessus (arrecirct du 8 mai 2019 Dodič C-19418 point 45) Toutefois lrsquoAvocate geacuteneacuterale relegraveve que selon le rapport drsquoexpertise le systegraveme RGE laquo nrsquoest pas destructeur pour le moteur raquo Ce systegraveme est neacuteanmoins susceptible de deacutegrafer les performances du moteur agrave lrsquousage et drsquoacceacuteleacuterer son encrassement ce qui peut rendre les opeacuterations de maintenance laquo plus freacutequentes et plus coucircteuses raquo Agrave la lumiegravere de ce constat il me semble que le dispositif drsquoinvalidation mis en cause nrsquoest pas neacutecessairement aux fins de proteacuteger le moteur contre des accidents ou des deacutegacircts et afin drsquoassurer le fonctionnement du veacutehicule en toute seacutecuriteacute LrsquoAvocate geacuteneacuterale propose agrave la Cour de justice de reacutepondre au vice-preacutesident chargeacute de lrsquoinstruction du Tribunal de Grande Instance de Paris (France) de la maniegravere suivante laquo 1) Premiegravere question preacutejudicielle Lrsquoarticle 3 point 10 du regraveglement (CE) ndeg 7152007 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 20 juin 2007 relatif agrave la reacuteception des veacutehicules agrave moteur au regard des eacutemissions des veacutehicules particuliers et utilitaires leacutegers (Euro 5 et Euro 6) et aux informations sur la reacuteparation et lrsquoentretien des veacutehicules doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens qursquoun programme inteacutegreacute dans le calculateur de controcircle moteur ou plus geacuteneacuteralement agissant sur celui-ci peut ecirctre consideacutereacute comme un eacuteleacutement de conception au sens de cette disposition degraves lors qursquoil fait partie inteacutegrante dudit calculateur 2) Deuxiegraveme question preacutejudicielle Lrsquoarticle 3 point 10 du regraveglement ndeg 7152007 doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que le concept de laquo systegraveme de controcircle des eacutemissions raquo inclut tant les technologies strateacutegies et piegraveces meacutecaniques ou informatiques qui permettent de reacuteduire les eacutemissions (en ce compris drsquooxydes drsquoazote) en amont agrave lrsquoinstar drsquoun systegraveme de recirculation des gaz drsquoeacutechappement que celles qui permettent de les traiter et de les reacuteduire en aval apregraves leur formation 3) Troisiegraveme question preacutejudicielle

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Lrsquoarticle 3 point 10 du regraveglement ndeg 7152007 doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens qursquoun dispositif qui deacutetecte tout paramegravetre lieacute au deacuteroulement des proceacutedures drsquohomologation preacutevues par ce mecircme regraveglement aux fins drsquoactiver ou de moduler agrave la hausse au cours de ces proceacutedures le fonctionnement de toute partie du systegraveme de controcircle des eacutemissions et ainsi drsquoobtenir lrsquohomologation du veacutehicule constitue un laquo dispositif drsquoinvalidation raquo au sens de cette disposition mecircme si la modulation agrave la hausse du fonctionnement de ce systegraveme de controcircle des eacutemissions peut aussi se produire de faccedilon ponctuelle lorsque les conditions exactes qui la deacuteclenchent se preacutesentent par hasard dans des conditions drsquoutilisation normales du veacutehicule 4) Quatriegraveme question preacutejudicielle Lrsquoarticle 5 paragraphe 2 sous a) du regraveglement ndeg 7152007 doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que lrsquoobjectif de ralentissement du vieillissement ou de lrsquoencrassement du moteur ne justifie pas le recours agrave un dispositif drsquoinvalidation au sens de cette disposition raquo

Liberteacute drsquoeacutetablissement

Conclusions de lrsquoAvocat geacuteneacuteral M Bobek preacutesenteacutees le 2 avril 2020 dans les affaires jointes Cali Apartments SCI Procureur geacuteneacuteral pregraves de la cour drsquoappel de Paris Ville de Paris et HX Procureur geacuteneacuteral pregraves de la cour drsquoappel de Paris Ville de Paris C-72418 et C-72718

Reacutesumeacute LrsquoAvocat geacuteneacuteral srsquoest prononceacute sur des questions preacutejudicielles poseacutees par la Cour de cassation dans un litige opposant des

proprieacutetaires de studio agrave Paris agrave la ville de Paris Il propose agrave la Cour de justice de juger que la directive 2006123 srsquoapplique agrave

des dispositions nationales et municipales encadrant lrsquoaccegraves agrave un service qui consiste agrave louer de maniegravere reacutepeacuteteacutee et pour de courtes dureacutees

un local agrave usage drsquohabitation agrave une clientegravele de passage Lrsquoobjectif tenant agrave la lutte contre la peacutenurie de logements peut constituer une

raison impeacuterieuse drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral qui justifierait le fait que la mesure nationale exige lrsquoobtention drsquoune autorisation Une telle mesure

nationale est autoriseacutee par la directive 2006123 si elle reacutepond aux conditions de proportionnaliteacute et de non-discrimination

Chacun des requeacuterants est proprieacutetaire drsquoun studio situeacute agrave Paris Ils ont fait lrsquoobjet drsquoune enquecircte afin de

deacuteterminer srsquoils offraient leurs studios agrave la location de courte dureacutee en tant que biens meubleacutes sur la plateforme

Airbnb sans autorisation Selon la leacutegislation nationale lrsquoapprobation du changement drsquousage drsquoun bien constitue

la condition essentielle de lrsquoaccegraves agrave la location meubleacutee de courte dureacutee Agrave la suite de cette enquecircte les requeacuterants

ont eacuteteacute condamneacutes par le tribunal de grande instance de Paris au paiement drsquoune amende et agrave retourner les biens

agrave leur usage drsquohabitation La cour drsquoappel de Paris a confirmeacute par deux arrecircts des 19 mai et 15 juin 2017 que les

studios avaient fait lrsquoobjet de locations de courte dureacutee agrave une clientegravele de passage sans autorisation preacutealable du

maire de Paris ce qui est contraire agrave la leacutegislation nationale Les requeacuterants ont agrave nouveau eacuteteacute condamneacutes Ils ont

formeacute un pourvoi en cassation devant la Cour de cassation Les requeacuterants allegraveguent que les arrecircts rendus par la

cour drsquoappel violent le principe de primauteacute du droit de lrsquoUnion

La juridiction de renvoi pose agrave la Cour de justice les questions preacutejudicielles suivantes

laquo 1) La directive 2006123CE du 12 deacutecembre 2006 eu eacutegard agrave la deacutefinition de son objet et de son champ drsquoapplication par ses articles 1 et 2 srsquoapplique-t-elle agrave la location agrave titre oneacutereux mecircme agrave titre non professionnel de maniegravere reacutepeacuteteacutee et pour de courtes dureacutees drsquoun local meubleacute agrave usage drsquohabitation

Renvoi preacutejudiciel ndash Liberteacute drsquoeacutetablissement ndash Directive 2006123CE ndash Champ drsquoapplication ndash Location de biens meubleacutes de maniegravere reacutepeacuteteacutee pour de courtes dureacutees agrave une clientegravele de passage qui nrsquoy eacutelit pas domicile ndash Reacuteglementation nationale et reacuteglementation municipale soumettant une telle location agrave une autorisation preacutealable et agrave compensation ndash Justification ndash Objectif visant agrave garantir une offre suffisante de logements agrave des prix abordables et destineacutes agrave la location de longue dureacuteemdash Proportionnaliteacute

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ne constituant pas la reacutesidence principale du loueur agrave une clientegravele de passage nrsquoy eacutelisant pas domicile

notamment au regard des notions de prestataires et de services

2) En cas de reacuteponse positive agrave la question preacuteceacutedente une reacuteglementation nationale telle que celle

preacutevue par lrsquoarticle L 631‑7 du code de la construction et de lrsquohabitation constitue-t-elle un reacutegime drsquoautorisation de lrsquoactiviteacute susviseacutee au sens des articles 9 agrave 13 de la directive 2006123 ou seulement une

exigence soumise aux dispositions des articles 14 et 15

Dans lrsquohypothegravese ougrave les articles 9 agrave 13 de la directive 2006123CE du 12 deacutecembre 2006 sont applicables

3) Lrsquoarticle 9 sous b) de cette directive doit-il ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que lrsquoobjectif tenant agrave la lutte contre la peacutenurie de logements destineacutes agrave la location constitue une raison impeacuterieuse drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral permettant de justifier une mesure nationale soumettant agrave autorisation dans certaines zones geacuteographiques la location drsquoun local meubleacute destineacute agrave lrsquohabitation de maniegravere reacutepeacuteteacutee pour de courtes

dureacutees agrave une clientegravele de passage qui nrsquoy eacutelit pas domicile

4) Dans lrsquoaffirmative une telle mesure est-elle proportionneacutee agrave lrsquoobjectif poursuivi

5) Lrsquoarticle 10 paragraphe 2 sous d) et e) de la directive srsquooppose‑t-il agrave une mesure nationale qui subordonne agrave autorisation le fait de louer un local meubleacute destineacute agrave lrsquohabitation ldquode maniegravere reacutepeacuteteacuteerdquo ldquopour de courtes dureacuteesrdquo agrave une ldquoclientegravele de passage qui nrsquoy eacutelit pas domicilerdquo

6) Lrsquoarticle 10 paragraphe 2 sous d) agrave g) de la directive srsquooppose‑t‑il agrave un reacutegime drsquoautorisation preacutevoyant que les conditions de deacutelivrance de lrsquoautorisation sont fixeacutees par une deacutelibeacuteration du conseil municipal au regard des objectifs de mixiteacute sociale en fonction notamment des caracteacuteristiques des marcheacutes de locaux drsquohabitation et de la neacutecessiteacute de ne pas aggraver la peacutenurie de logements raquo

LrsquoAvocat geacuteneacuteral preacutecise agrave titre liminaire que lrsquoanalyse doit ecirctre effectueacutee au regard de la reacuteglementation nationale

et de la reacuteglementation municipale de la ville de Paris lues en combinaison

o Lrsquoapplicabiliteacute de la directive 2006123

La question est de savoir si la directive 2016123 srsquoapplique agrave la location agrave titre oneacutereux de maniegravere reacutepeacuteteacutee et

pour de courtes dureacutees drsquoun local meubleacute et agrave usage drsquohabitation ne constituant pas la reacutesidence principale du

loueur agrave une clientegravele de passage nrsquoy eacutelisant pas domicile Les gouvernements allemand et irlandais sont drsquoavis

que la directive nrsquoest pas applicable

Selon lrsquoAvocat geacuteneacuteral lrsquooffre de services de location de courte dureacutee contre reacutemuneacuteration est une prestation de

nature clairement eacuteconomique Lrsquoobtention drsquoun changement drsquousage de locaux drsquohabitation est tout simplement

une exigence qui affecte lrsquoaccegraves agrave la fourniture de ce service particulier Le premier argument des gouvernements

allemand et irlandais est que les activiteacutes en cause sont exclues du champ drsquoapplication de la directive par lrsquoarticle

2 paragraphes 2 et 3 de la directive preacuteciteacutee Pour lrsquoAvocat geacuteneacuteral cette disposition qui exclut les services

sociaux relatifs au logement social et les services drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral non-eacuteconomiques nrsquoest manifestement pas

applicable

Lrsquoautre argument avanceacute par les gouvernements allemande et irlandais se reacutefegravere au consideacuterant 9 de la directive

LrsquoAvocat geacuteneacuteral estime que cet argument nrsquoest pas convaincant Il rappelle tout drsquoabord que le consideacuterant 9

nrsquoest qursquoun consideacuterant et qursquoil ne saurait lui seul et sans disposition correspondante dans le corps de la directive

creacuteer une nouvelle exemption par cateacutegorie qui nrsquoest refleacuteteacutee nulle part ailleurs Il estime que le consideacuterant 9

porte sur un autre objet que celui lieacute agrave lrsquoajout drsquoune exoneacuteration au champ drsquoapplication de la directive dans un

certain domaine Le consideacuterant 9 reacuteaffirme que la directive ne doit pas avoir drsquoincidence sur des regravegles

drsquoapplication geacuteneacuterale qui ne reacutegissent pas speacutecifiquement les services et qui srsquoappliquent agrave tout le monde tant

aux particuliers qursquoaux prestataires de services Le consideacuterant nrsquoa jamais eacuteteacute conccedilu comme visant agrave exclure un

(ou des) domaine(s) speacutecifique(s) du champ drsquoapplication de la directive Ainsi les regravegles reacutegissant lrsquoaccegraves agrave un

service relegravevent du champ drsquoapplication de la directive tandis que les regravegles drsquoapplication geacuteneacuterale ne faisant

aucune distinction entre les prestataires et les autres personnes nrsquoen relegravevent pas Finalement lrsquoAvocat geacuteneacuteral

rappelle que la distinction entre les regravegles relatives agrave la proprieacuteteacute des biens sur laquelle est fondeacute le consideacuterant 9

selon qursquoelles reacuteglementent ou affectent speacutecifiquement lrsquoaccegraves agrave une activiteacute de service ou son exercice a deacutejagrave eacuteteacute

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abordeacutee par la Cour de justice dans lrsquoarrecirct Visser (CJUE 30 janvier 2018 C‑36015 et C‑3116) LrsquoAvocat geacuteneacuteral

constate qursquoil ressort clairement de lrsquoarrecirct Visser que les regravegles relatives agrave lrsquoutilisation drsquoun bien foncier relegravevent

du champ drsquoapplication de la directive 2016123 dans la mesure ougrave elles ont trait agrave des activiteacutes eacuteconomiques et

qursquoelles ont ainsi une incidence sur lrsquoaccegraves au marcheacute des services ou sur lrsquoexercice drsquoune activiteacute de service

Par suite lrsquoAvocat geacuteneacuteral estime que toute reacuteglementation nationale du type de celle en cause relegraveve clairement

du champ drsquoapplication de la directive 2006123

o Les dispositions pertinentes de la directive 2006123

Reacutegime drsquoautorisation ou exigence

La question est de savoir laquelle de la section 1 du chapitre 3 de la directive qui porte sur les reacutegimes

drsquoautorisations et les conditions pertinentes ou de la section 2 sur les exigences interdites ou celles soumises agrave

eacutevaluation est applicable dans lrsquoaffaire au principal

LrsquoAvocat geacuteneacuteral rappelle que les reacutegimes drsquoautorisation et les exigences imposeacutes par les Etats membres eacutetant

supposeacutes retreindre lrsquoaccegraves agrave une activiteacute de service ou son exercice sont en principe interdits par la directive

2006123 LrsquoAvocat geacuteneacuteral note que la reacuteglementation en cause constitue un reacutegime drsquoautorisation et non pas

une exigence En lrsquoespegravece les proprieacutetaires de biens qui souhaiteraient louer leurs locaux meubleacutes pour de courtes

dureacutees doivent se conformer agrave une proceacutedure administrative visant agrave obtenir du maire sous reacuteserve du respect

de certaines conditions une autorisation administrative formelle

Par suite lrsquoAvocat geacuteneacuteral conclut qursquoil y a lieu drsquoexaminer les preacutesentes affaires sous lrsquoangle de la section 1 du

chapitre 3 de la directive et en particulier des articles 9 et 10

Les articles 9 et 10 en tant que cadre drsquoanalyse

LrsquoAvocat geacuteneacuteral est ameneacute agrave se prononcer sur la porteacutee des articles 9 et 10 ainsi que sur le rapport entre eux Il

suggegravere que lrsquoarticle 9 porte sur la question de savoir srsquoil peut en reacutealiteacute y avoir un reacutegime drsquoautorisation pour un

type de service Lrsquoarticle 10 vise un stade suppleacutementaire Une fois que le critegravere de lrsquoarticle 9 est satisfait et que

la neacutecessiteacute drsquoun reacutegime drsquoautorisation a eacuteteacute eacutetablie lrsquoarticle 10 se focalise sur les critegraveres speacutecifiques qursquoun reacutegime

drsquoautorisation concret doit respecter Lrsquoarticle 10 indique clairement qursquoun reacutegime drsquoautorisation devrait ecirctre

conccedilu de maniegravere agrave remplir lrsquoensemble des sept critegraveres eacutenonceacutes dans son paragraphe 2 LrsquoAvocat geacuteneacuteral relegraveve

eacutegalement que la question de lrsquoorigine de la reacuteglementation (nationale reacutegionale ou locale) est sans importance

LrsquoAvocat geacuteneacuteral conclut que la question de la neacutecessiteacute mecircme drsquoun reacutegime drsquoautorisation doit ecirctre examineacutee au

regard des trois conditions eacutenumeacutereacutees agrave lrsquoarticle 9 paragraphe 1 Toutefois les conditions speacutecifiques dans

lesquelles une telle autorisation sera deacutelivreacutee dont notamment la compensation telle que conccedilue par la ville de

Paris doivent ecirctre appreacutecieacutees au regard des critegraveres eacutenonceacutes agrave lrsquoarticle 10 paragraphe 2

o La compatibiliteacute du reacutegime drsquoautorisation avec la directive 2006123

LrsquoAvocat geacuteneacuteral examine dans cette partie des conclusions les raisons impeacuterieuses drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral qui ont eacuteteacute

avanceacutees pour justifier le reacutegime drsquoautorisation la question essentielle de la proportionnaliteacute et les autres

conditions auxquelles doivent reacutepondre les reacutegimes drsquoautorisation au titre de lrsquoarticle 10 paragraphe 2 de la

directive 2006123

LrsquoAvocat geacuteneacuteral rappelle agrave titre liminaire que lrsquoarticle 16 (liberteacute drsquoentreprise) et lrsquoarticle 17 (droit de proprieacuteteacute)

de la Charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne sont particuliegraverement pertinents dans ce contexte

Il insiste sur le fait que ni la liberteacute drsquoentreprise ni le droit de proprieacuteteacute nrsquoont de caractegravere absolu Ils peuvent tous

les deux ecirctre limiteacutes

Raison impeacuterieuse drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral

Les requeacuterants allegraveguent qursquoil nrsquoexiste pas de raison impeacuterieuse drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral susceptible de justifier les

dispositions litigieuses La ville de Paris et le gouvernement franccedilais estiment que les dispositions litigieuses ont

principalement pour objectif de lutter contre la peacutenurie de logements (et agrave cet eacutegard lrsquoaugmentation des prix)

dans certains lieux lesquels sont dus au moins en partie au fait que les proprieacutetaires ont tendance agrave preacutefeacuterer

louer leurs locaux drsquohabitation pour des courtes dureacutees plutocirct que des longues dureacutees

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LrsquoAvocat geacuteneacuteral reconnait que la lutte contre une peacutenurie structurelle de logements drsquoune part et la protection

de lrsquoenvironnement urbain drsquoautre part peuvent effectivement ecirctre avanceacutees pour justifier ensemble ou

seacutepareacutement tant lrsquoinstauration du reacutegime drsquoautorisation au titre de lrsquoarticle 9 paragraphe 1 sous b) que sa forme

concregravete et les conditions qursquoil contient au titre de lrsquoarticle 10 paragraphe 2 sous b) Lrsquoarticle 4 point 8 de la

directive 2006123 reconnait explicitement la protection de lrsquoenvironnement urbain et les objectifs de politique

sociale comme des raisons impeacuterieuses drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral Par suite lutter contre une peacutenurie de logement et

chercher agrave garantir la disponibiliteacute de logements suffisants et abordables ainsi que la protection de

lrsquoenvironnement urbain constituent des justifications valables pour lrsquoeacutetablissement drsquoautorisation en geacuteneacuteral

fondeacutees sur une politique sociale et les critegraveres preacutevus par un reacutegime drsquoautorisation

La proportionnaliteacute

Les requeacuterants allegraveguent que le reacutegime drsquoautorisation en cause nrsquoest pas apte agrave reacutealiser lrsquoobjectif visant agrave lutter

contre la peacutenurie de logements dans la mesure ougrave il ne dissuade pas neacutecessairement les proprieacutetaires drsquooffrir leurs

biens en tant que locations meubleacutees de courte dureacutee

- La proportionnaliteacute de la neacutecessiteacute drsquoobtenir une autorisation au titre de lrsquoarticle 9 paragraphe 1 sous c)

LrsquoAvocat geacuteneacuteral rappelle qursquoun reacutegime drsquoautorisation est geacuteneacuteralement proportionnel lorsque des controcircles a

posteriori ne suffisent pas pour atteindre lrsquoobjectif poursuivi Pour ecirctre proportionnel la deacutetermination de la

neacutecessiteacute drsquoun reacutegime drsquoautorisation devrait ecirctre fondeacutee sur des donneacutees scientifiques concernant le marcheacute du

logement dans les communes ougrave il est envisageacute drsquoinstaurer un tel reacutegime LrsquoAvocat geacuteneacuteral partage le point de

vue de la Commission europeacuteenne selon lequel les reacutegimes nationaux devraient ecirctre fondeacutes sur des eacuteleacutements

speacutecifiques lieacutes agrave la situation du marcheacute du logement Il rappelle eacutegalement que les reacutegimes drsquoautorisation doivent

ecirctre eacutequitables et ouverts agrave tous en termes drsquoaccegraves au marcheacute du logement destineacute agrave la location de courte dureacutee

En lrsquoespegravece si le but est de reacuteglementer ou drsquoempecirccher la sortie du marcheacute les autorisations de sortie ex ante sont

ineacutevitables Lrsquoexistence drsquoun problegraveme est indeacuteniable La France a conccedilu une solution agrave ce problegraveme qui en ce

qui concerne la neacutecessiteacute de soumettre les proprieacutetaires de biens agrave un reacutegime drsquoautorisation a incorporeacute la

proportionnaliteacute dans sa conception Finalement le reacutegime drsquoautorisation est applicable agrave toute personne qui

souhaite offrir une location de courte dureacutee agrave Paris

Bien que drsquoautres solutions pourraient ecirctre envisageacutees lrsquoAvocat geacuteneacuteral est drsquoavis que ces solutions ne pourraient

pas ecirctre plus efficaces qursquoun simple reacutegime drsquoautorisation ex ante

Par suite dans le contexte speacutecifique de la preacutesente affaire lrsquoAvocat geacuteneacuteral ne voit rien qui rendrait un reacutegime

drsquoautorisation disproportionneacute en lui-mecircme

- Proportionnaliteacute de lrsquoobligation de compensation au titre de lrsquoarticle 10 paragraphe 2

LrsquoAvocat geacuteneacuteral estime qursquoil est difficile drsquoappreacutecier concregravetement la proportionnaliteacute du reacutegime drsquoautorisation

speacutecifique en cause et notamment des critegraveres et des conditions sur lesquels repose ce reacutegime au titre de lrsquoarticle

10 paragraphe 2 de la directive 2006123 Il relegraveve que la juridiction de renvoi se focalise sur les dispositions

nationales laissant de cocircteacute le niveau municipal et que la Cour de justice dispose de peu drsquoinformations sur le

fonctionnement des regravegles speacutecifiques de la vielle de Paris Elle est donc mal eacutequipeacutee pour deacuteterminer si les

critegraveres preacutevus agrave lrsquoarticle 10 paragraphe 2 de la directive 2006123 sont remplis Il appartient degraves lors agrave titre

principal agrave la juridiction de renvoi drsquoappreacutecier compte tenu de la reacutepartition des tacircches entre la Cour de justice

et les juridictions nationales la compatibiliteacute des conditions drsquoautorisation preacutevues par le droit national avec

lrsquoarticle 10 preacuteciteacute La Cour de justice peut fournir des indications geacuteneacuterales avec les informations dont elle

dispose

LrsquoAvocat geacuteneacuteral insiste sur lrsquoobligation de compensation qui ressort de la reacuteglementation municipale de la ville

de Paris Lagrave encore il note qursquoil appartiendra agrave la juridiction de renvoi drsquoappreacutecier la compatibiliteacute de cette

obligation avec la directive 2006123 de la maniegravere dont elle a eacuteteacute concregravetement eacutedicteacutee par la ville de Paris Cette

obligation implique qursquoune personne qui cherche agrave louer son appartement meubleacute pour une courte dureacutee doit

acheter des locaux commerciaux drsquoune surface identique agrave celle de lrsquoappartement et les transformer en locaux

destineacutes agrave lrsquohabitation LrsquoAvocat geacuteneacuteral srsquointerroge sur lrsquoefficaciteacute de cette compensation et srsquoil semblerait qursquoelle

soit tregraves efficace il remarque qursquoelle est peut-ecirctre si efficace qursquoelle commence agrave aneacuteantir totalement lrsquoobjectif de

la demande drsquoautorisation elle-mecircme Quant agrave la proportionnaliteacute de la mesure elle semble proportionneacutee pour

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les proprieacutetaires de plusieurs immeubles ou pour un promoteur immobilier mais pourrait ecirctre disproportionneacutee

pour un bailleur non-professionnel

Bien que ce soit agrave la juridiction de renvoi drsquoexaminer lrsquoensemble de ces eacuteleacutements lrsquoAvocat geacuteneacuteral relegraveve que srsquoil

est admis que le niveau local peut adopter des regravegles et preacuteciser les conditions drsquoun reacutegime drsquoautorisation la

proportionnaliteacute de ces regravegles deacutependra probablement de la prise en compte des circonstances et speacutecificiteacutes

locales

Le respect drsquoautres critegraveres viseacutes agrave lrsquoarticle 10 paragraphe 2 de la directive 2006123

La juridiction de renvoi demande en substance si les dispositions nationales relatives aux reacutegimes drsquoautorisations

sont conformes aux obligations speacutecifiques de lrsquoarticle 10 paragraphe 2 de la directive 2006123 Les requeacuterants

allegraveguent que les termes employeacutes par la reacuteglementation en cause sont trop impreacutecis et que les conditions

drsquoobtention de lrsquoautorisation ne seraient pas suffisamment claires

LrsquoAvocat geacuteneacuteral estime que la reacuteglementation nationale contient des notions quelque peu vagues mais tout agrave fait

compreacutehensibles compte tenu que les conseils municipaux ont une certaine marge de manœuvre pour preacuteciser

davantage le sens de ces notions

LrsquoAvocat geacuteneacuteral propose agrave la Cour de justice de reacutepondre aux questions poseacutees par la Cour de cassation

(France) de la maniegravere suivante

ndash la directive 2006123CE du Parlement europeacuteen et du Conseil du 12 deacutecembre 2006 relative aux

services dans le marcheacute inteacuterieur est applicable agrave des dispositions nationales et municipales encadrant

lrsquoaccegraves agrave un service qui consiste agrave louer en contrepartie du paiement drsquoun prix mecircme agrave titre non

professionnel de maniegravere reacutepeacuteteacutee et pour de courtes dureacutees un local agrave usage drsquohabitation agrave une clientegravele

de passage nrsquoy eacutelisant pas domicile

ndash si ces dispositions nationales et municipales deacutefinissent une proceacutedure visant agrave obtenir une

deacutecision autorisant lrsquoaccegraves agrave la fourniture de tels services elles constituent un reacutegime drsquoautorisation au

sens des articles 9 agrave 13 de la directive 2006123

ndash lrsquoarticle 9 paragraphe 1 sous b) de la directive 2006123 doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que

lrsquoobjectif tenant agrave la lutte contre la peacutenurie de logements destineacutes agrave la location de longue dureacutee constitue

une raison impeacuterieuse drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral permettant de justifier une mesure nationale soumettant agrave

autorisation dans certaines zones geacuteographiques la location de maniegravere reacutepeacuteteacutee drsquoun local destineacute agrave

lrsquohabitation pour de courtes dureacutees agrave une clientegravele de passage qui nrsquoy eacutelit pas domicile

ndash la directive 2006123 doit ecirctre interpreacuteteacutee en ce sens qursquoelle autorise des dispositions nationales

et municipales qui soumettent agrave autorisation le fait de louer de maniegravere reacutepeacuteteacutee un local meubleacute

destineacute agrave lrsquohabitation pour de courtes dureacutees agrave une clientegravele de passage qui nrsquoy eacutelit pas domicile agrave

condition qursquoelles respectent les exigences preacutevues agrave lrsquoarticle 10 paragraphe 2 de la directive 2006123

notamment les conditions de proportionnaliteacute et de non‑discrimination ce qursquoil appartient agrave la

juridiction nationale de veacuterifier

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Partie III Questions preacutejudicielles

Libre prestation de services

Affaire preacutejudicielle 31 janvier 2020 Fluctus et Fluentum C-92019

Juridiction de renvoi Landesverwaltungsgericht Steiermark (Autriche) La juridiction de renvoi a saisi la Cour de justice des questions suivantes conformeacutement agrave lrsquoarticle 267 TFUE laquo 1 Lrsquoarticle 56 TFUE doit-il ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que lrsquoappreacuteciation des pratiques publicitaires illicites telles qursquoeacutetablies dans la jurisprudence constante de la Cour de justice dans le chef du titulaire drsquoune concession dans le cadre drsquoun monopole drsquoEacutetat sur les jeux de hasard deacutepend du point de savoir si le marcheacute des jeux de hasard a effectivement crucirc de maniegravere geacuteneacuterale au cours de la peacuteriode en cause ou srsquoil suffit deacutejagrave que la publiciteacute vise agrave inciter agrave participer activement aux jeux par exemple en banalisant le jeu en lui confeacuterant une image positive en raison de lrsquoutilisation des recettes aux fins drsquoactiviteacute drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral ou en augmentant son attractiviteacute par des messages publicitaires accrocheurs qui font miroiter des gains importants 2 Par ailleurs lrsquoarticle 56 TFUE doit-il ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que lesdites pratiques publicitaires illicites drsquoun concessionnaire du monopole excluent en tout eacutetat de cause la coheacuterence du reacutegime de monopole ou que en cas de pratiques publicitaires correspondantes drsquoannonceurs priveacutes un titulaire du monopole peut eacutegalement inciter agrave une participation active aux jeux par exemple en bana lisant le jeu en lui confeacuterant une image positive en raison de lrsquoutilisation des recettes aux fins drsquoactiviteacute drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral ou en augmentant son attractiviteacute par des messages publicitaires accrocheurs qui font miroiter des gains importants 3 Une juridiction de lrsquoEacutetat qui dans le cadre de sa compeacutetence doit appliquer lrsquoarticle 56 TFUE est-elle tenue aux fins drsquoassurer le plein effet de ces normes de veiller agrave laisser inappliqueacutee de sa propre autoriteacute une disposition de droit interne qursquoelle juge contraire mecircme si sa conformiteacute au droit de lrsquoUnion a eacuteteacute confirmeacutee dans le cadre drsquoune proceacutedure constitutionnelle raquo

Marcheacute inteacuterieur

Affaire preacutejudicielle 31 janvier 2020 Ministerstwo Sprawiedliwości C-5520

Juridiction de renvoi Sąd Dyscyplinarny Izby Adwokackiej w Warszawie (Pologne) La juridiction de renvoi a saisi la Cour de justice des questions suivantes conformeacutement agrave lrsquoarticle 267 TFUE laquo 1 Le chapitre III de la directive 2006123CE du Parlement europeacuteen et du Conseil du 12 deacutecembre 2006 relative aux services dans le marcheacute inteacuterieur (ci-apregraves la laquo directive services raquo) et notamment son article 10 paragraphe 6 srsquoappliquent-ils agrave une proceacutedure disciplinaire visant les avocats et les avocats eacutetrangers inscrits sur la liste des avocats et permettant notamment drsquoinfliger agrave un avocat une sanction peacutecuniaire la suspension de ses activiteacutes professionnelles voire sa radiation du barreau et agrave un avocat eacutetranger une sanction peacutecuniaire la suspension voire lrsquointerdiction du droit de fournir une assistance juridique en Pologne En cas de reacuteponse positive la charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne (ci-apregraves la laquo Charte raquo) notamment son article 47 est-elle applicable agrave cette proceacutedure meneacutee devant les conseils de discipline du barreau degraves lors que les deacutecisions de ces juridictions ne sont pas susceptibles de recours devant les juridictions nationales ou ne sont susceptibles que drsquoun recours extraordinaire agrave savoir un pourvoi en cassation devant le Sąd Najwyższy (Cour suprecircme Pologne) et est-elle eacutegalement applicable lorsque tous les eacuteleacutements pertinents de lrsquoaffaire se cantonnent agrave lrsquointeacuterieur drsquoun seul Eacutetat membre 2 Lorsque dans une proceacutedure viseacutee agrave la premiegravere question lrsquoinstance qui est compeacutetente en vertu des dispositions nationales applicables pour statuer sur le pourvoi en cassation formeacute contre lrsquoarrecirct ou lrsquoordonnance du conseil de discipline du barreau ou contre la reacuteclamation visant le refus drsquointroduire un tel pourvoi nrsquoest pas conformeacutement agrave la position adopteacutee par le Sąd Najwyższy (Cour suprecircme) dans son arrecirct du 5 deacutecembre 2019 reacutef III PO 718 un tribunal indeacutependant et impartial au sens de lrsquoarticle 47 de la Charte [Or 2] le conseil de discipline du barreau doit-il eacutecarter les dispositions nationales eacutetablissant la compeacutetence de cette instance et transmettre ce pourvoi ou cette reacuteclamation aux instances judiciaires qui auraient eacuteteacute compeacutetentes si les dispositions susmentionneacutees ne srsquoy opposaient pas

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3 Lorsque ndash dans une proceacutedure viseacutee agrave la premiegravere question ndash le conseil de discipline du barreau considegravere que le Prokurator Generalny (procureur geacuteneacuteral) et le Rzecznik Praw Obywatelskich (meacutediateur) ne sont pas habiliteacutes agrave former un pourvoi en cassation contre son arrecirct ou son ordonnance et que sa position est

a) contraire agrave la position exprimeacutee dans la deacutecision du 27 novembre 2019 reacutef II DSI 6718 de la chambre disciplinaire du Sąd Najwyższy (Cour suprecircme) sieacutegeant en formation de sept juges crsquoest-agrave-dire de lrsquoinstance qui conformeacutement aux dispositions nationales en vigueur est compeacutetente pour connaicirctre du recours formeacute contre le refus drsquointroduire un pourvoi en cassation mais qui selon le conseil de discipline du barreau qui se rallie agrave la position adopteacutee par le Sąd Najwyższy (Cour suprecircme) dans son arrecirct du 5 deacutecembre 2019 reacutef III PO 718 nrsquoest pas un tribunal indeacutependant et impartial au sens de lrsquoarticle 47 de la Charte

b) conforme agrave la position exprimeacutee preacuteceacutedemment par la chambre peacutenale du Sąd Najwyższy (Cour suprecircme) crsquoest-agrave-dire lrsquoinstance judiciaire qui serait compeacutetente pour examiner ce recours si les dispositions susmentionneacutees ne srsquoy opposaient pas

Le conseil de discipline du barreau peut-il (ou doit-il) eacutecarter la position exprimeacutee par la chambre disciplinaire du Sąd Najwyższy (Cour suprecircme) 4 Si dans lrsquoaffaire viseacutee agrave la troisiegraveme question le conseil de discipline du barreau est ameneacute agrave examiner un recours du Minister Sprawiedliwości (ministre de la Justice) mais que

a) lrsquoinfluence du pouvoir exeacutecutif notamment celle du Minister Sprawiedliwości (ministre de la Justice) sur la composition de la chambre disciplinaire du Sąd Najwyższy (Cour suprecircme) constitue lrsquoun des facteurs qui selon lrsquoappreacuteciation exprimeacutee par le Sąd Najwyższy (Cour suprecircme) dans son arrecirct du 5 deacutecembre 2019 reacutef III PO 718 appreacuteciation que partage le conseil de discipline du barreau justifient de consideacuterer que cette chambre disciplinaire qui est lrsquoinstance viseacutee agrave la troisiegraveme question sous a) nrsquoest pas un tribunal indeacutependant et impartial au sens de lrsquoarticle 47 de la Charte

b) et que le Minister Sprawiedliwości (ministre de la Justice) exerce lui-mecircme la fonction de Prokurator Generalny (procureur geacuteneacuteral) lequel serait habiliteacute agrave introduire un pourvoi cassation selon la position exprimeacutee par la chambre disciplinaire du Sąd Najwyższy (Cour suprecircme) agrave savoir lrsquoinstance viseacutee agrave la troisiegraveme question sous a) tandis qursquoil nrsquoy est pas selon la position exprimeacutee par la chambre peacutenale du Sąd Najwyższy (Cour suprecircme) agrave savoir lrsquoinstance viseacutee agrave la troisiegraveme question sous b) et selon la position du conseil de discipline du barreau ce conseil de discipline du barreau doit-il srsquoabstenir drsquoexaminer le recours srsquoil srsquoagit de la seule maniegravere drsquoassurer que la proceacutedure respecte lrsquoarticle 47 de la Charte et en particulier drsquoeacuteviter qursquoune instance qui nrsquoest pas un tribunal indeacutependant et impartial au sens de cette disposition nrsquointervienne dans la proceacutedure raquo

Protection des consommateurs

Affaire preacutejudicielle 7 feacutevrier 2020 KRONE ndash Verlag Gesellschaft mbH amp Co KG C-6520

Juridiction de renvoi Oberster Gerichtshof (Autriche) La juridiction de renvoi a saisi la Cour de justice des questions suivantes conformeacutement agrave lrsquoarticle 267 TFUE laquo Lrsquoarticle 2 lu en combinaison avec les articles 1 er et 6 de la directive 85374CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions leacutegislatives reacuteglementaires et administratives des Eacutetats membres en matiegravere de responsabiliteacute du fait des produits deacutefectueux doit-il ecirctre interpreacuteteacute en ce sens qursquoun exemplaire physique drsquoun journal quotidien qui contient un conseil de santeacute techniquement inexact dont le respect cause un dommage agrave la santeacute peut eacutegalement ecirctre consideacutereacute comme un produit (deacutefectueux) raquo

Affaire preacutejudicielle 26 feacutevrier 2020 StWL Staumldtische Werke Lauf ad Pegnitz GmbH C-10220

Juridiction de renvoi Bundesgerichtshof (Allemagne) La juridiction de renvoi a saisi la Cour de justice des questions suivantes conformeacutement agrave lrsquoarticle 267 TFUE

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laquo 1 Les critegraveres de la notion drsquoenvoi au sens de lrsquoarticle 2 deuxiegraveme alineacutea sous h) de la directive 200258 sont-ils remplis lorsqursquoun message nrsquoest pas transmis par un utilisateur drsquoun service de communications eacutelectroniques agrave un autre utilisateur par lrsquointermeacutediaire drsquoune entreprise de services agrave lrsquolaquo adresse raquo eacutelectronique du second utilisateur mais est afficheacute de maniegravere automatiseacutee par des serveurs publicitaires agrave la suite de lrsquoouverture de la page Internet proteacutegeacutee par un mot de passe correspondant agrave un compte de messagerie eacutelectronique dans certains espaces preacutevus agrave cet effet de la boicircte de reacuteception eacutelectronique drsquoun utilisateur seacutelectionneacute de maniegravere aleacuteatoire (publiciteacute dans la boicircte de reacuteception) 2 La reacutecupeacuteration drsquoun message au sens de lrsquoarticle 2 deuxiegraveme alineacutea sous h) de la directive 200258 suppose-t-elle que le destinataire apregraves avoir pris connaissance de la preacutesence drsquoun message deacuteclenche par une demande de reacutecupeacuteration volontaire une transmission des donneacutees du message en vertu drsquoun programme preacuteeacutetabli ou suffit-il que lrsquoapparition du message [Or 3] dans la boicircte de reacuteception drsquoun compte de messagerie eacutelectronique soit deacuteclencheacutee par le fait que lrsquoutilisateur ouvre la page Internet pro teacutegeacutee par un mot de passe correspondant agrave son compte de messagerie eacutelectronique 3 Y a-t-il eacutegalement courrier eacutelectronique au sens de lrsquoarticle 13 paragraphe 1 de la directive 200258 lorsqursquoun message nrsquoest pas envoyeacute agrave un destinataire individuel deacutejagrave concregravetement deacutefini avant la transmission mais est inseacutereacute dans la boicircte de reacuteception drsquoun utilisateur seacutelectionneacute de maniegravere aleacuteatoire 4 Lrsquoutilisation drsquoun courrier eacutelectronique agrave des fins de prospection directe au sens de lrsquoarticle 13 paragraphe 1 de la d irective 200258 nrsquoest-elle caracteacuteriseacutee que lorsqursquoil est constateacute que la charge imposeacutee agrave lrsquoutilisateur va au-delagrave drsquoune gecircne qui lui serait causeacutee 5 La publiciteacute individuelle satisfaisant aux critegraveres de la laquo sollicitation raquo au sens du point 26 premiegravere phrase de lrsquoannexe I de la directive 200529 nrsquoest-elle caracteacuteriseacutee que lorsqursquoun client est contacteacute au moyen drsquoun outil traditionnel de communication individuelle entre un expeacutediteur et un destinataire ou suffit-t-il que comme dans le cas de la publiciteacute en cause en lrsquoespegravece le lien avec un individu soit eacutetabli par lrsquoaffichage de la publiciteacute dans la boicircte de reacuteception drsquoun compte de messagerie eacutelectronique priveacute et donc dans une rubrique ougrave le client srsquoattend agrave recevoir des messages qui lui sont individuellement adresseacutes raquo

Santeacute publique

Affaire preacutejudicielle 24 feacutevrier 2020 Ordine Nazionale Biologi e a C-9620

Juridiction de renvoi Corte suprema di cassazione (Italie) La juridiction de renvoi a saisi la Cour de justice des questions suivantes conformeacutement agrave lrsquoarticle 267 TFUE laquo Lrsquoarticle 9 paragraphe 2 de la directive 200298CE qui eacutetablit des normes de qualiteacute et de seacutecuriteacute pour la collecte le controcircle la transformation la conservation et la distribution du sang humain et des composants sanguins doit-il ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que lorsqursquoil mentionne la possession drsquoun titre acadeacutemique ldquodans le domaine des sciences meacutedicales ou biologiquesrdquo parmi les conditions de qualification minimales requises pour pouvoir acceacuteder agrave la fonction de personne responsable drsquoun eacutetablissement de transfus ion sanguine il confegravere directement aux diplocircmeacutes dans les deux disciplines le droit drsquoexercer la fonction de personne responsable [Or 11] drsquoun eacutetablissement de transfusion sanguine En conseacutequence le droit de lrsquoUnion permet-il au droit national drsquoexclure que ladite fonction de personne responsable drsquoun eacutetablissement de transfusion sanguine puisse ecirctre exerceacutee par les diplocircmeacutes en sciences biologiques ou bien srsquooppose-t-il agrave cette exclusion raquo

Partie IV Informations diverses

Aides drsquoEacutetat

Communication de la Commission europeacuteenne Modification de lrsquoencadrement temporaire des mesures drsquoaide drsquoEacutetat visant agrave soutenir lrsquoeacuteconomie dans le contexte actuel de la flambeacutee de COVID-19 3 avril 2020 C(2020) 2215

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Reacutesumeacute La Commission europeacuteenne a adopteacute une modification eacutetendant lrsquoencadrement temporaire adopteacute le 19 mars 2020 afin de permettre aux Eacutetats membres drsquoacceacuteleacuterer la recherche la mise agrave lrsquoessai et la fabrication de produits utiles pour combattre le coronavirus de proteacuteger les emplois et de soutenir drsquoavantage lrsquoeacuteconomie dans le contexte du COVID-19 Lrsquoencadrement temporaire modifieacute complegravete les nombreuses possibiliteacutes dont disposent deacutejagrave les Eacutetats membres pour atteacutenuer les reacutepercussions socio-eacuteconomiques de la flambeacutee de COVID-19 conformeacutement aux regravegles de lrsquoUnion europeacuteenne en matiegravere drsquoaides drsquoEacutetat Le 19 mars 2020 la Commission europeacuteenne a adopteacute une communication intituleacutee laquo Encadrement temporaire des mesures drsquoaide drsquoEacutetat visant agrave soutenir lrsquoeacuteconomie dans le contexte actuel de la flambeacutee du COVID-19 raquo (C(2020) 1863) Cette derniegravere deacutecrit les possibiliteacutes offertes aux Eacutetats membres par les regravegles de lrsquoUnion pour garantir la liquiditeacute et lrsquoaccegraves au financement des entreprises et en particulier des PME afin de leur permettre de surmonter la situation actuelle La Commission europeacuteenne visait agrave eacutetablir un cadre permettant aux Eacutetats membres de soutenir les entreprises qui connaissent des difficulteacutes lieacutees au COVID-19 et ce tout en preacuteservant lrsquointeacutegriteacute du marcheacute inteacuterieur de lrsquoUnion europeacuteenne par la garantie de conditions eacutegales pour tous Selon la Commission europeacuteenne une application cibleacutee et proportionneacutee du controcircle des aides drsquoEacutetats permettrait que les mesures de soutien nationales aident efficacement les entreprises toucheacutees par la flambeacutee du COVID-19 tout en leur permettant de rebondir au terme de la crise actuelle et en gardant agrave lrsquoesprit lrsquoimportance de mener agrave bien la transition eacutecologique et numeacuterique conformeacutement aux objectifs de lrsquoUnion europeacuteenne Cette nouvelle communication vise agrave eacutenumeacuterer les mesures drsquoaide drsquoEacutetat temporaires suppleacutementaires que la Commission europeacuteenne juge compatibles avec lrsquoarticle 107 paragraphe 3 TFUE dans le contexte de la flambeacutee de COVID-19 Ainsi la modification eacutetend lrsquoencadrement temporaire en preacutevoyant cinq types de mesures drsquoaide suppleacutementaires

- Soutien agrave la recherche et au deacuteveloppement lieacutes au COVID-19 pour faire face agrave la crise eacutepideacutemique les Eacutetats membres peuvent octroyer des aides sous forme de subventions directes drsquoavances remboursables ou drsquoavantages fiscaux en faveur de la recherche et au deacuteveloppement lieacute au COVID-19 et sur drsquoautres eacuteleacutements lieacutes agrave la lutte contre le virus Un suppleacutement drsquoaide peut ecirctre accordeacute aux projets de coopeacuteration transfrontiegravere entre Eacutetats membres

- Soutient agrave la construction et agrave la mise agrave niveau drsquoinstallations drsquoessai les Eacutetats membres ont la

possibiliteacute drsquooctroyer des aides sous forme de subventions directes drsquoavantage fiscaux drsquoavances remboursables et de garanties de couverture de pertes afin de soutenir les investissements permettant la construction ou la mise agrave niveau drsquoinfrastructures neacutecessaires pour mettre au point et tester des produits lieacutes au COVID-19 jusqursquoau premier deacuteploiement industriel Sont concerneacutes

o Les meacutedicaments y compris les vaccins et les traitements o Les dispositifs meacutedicaux et eacutequipements hospitaliers et meacutedicaux y compris les appareils de

ventilation et les vecirctements de protection ainsi que les outils de diagnostic o Les deacutesinfectants o Les outils de collecte et de traitement de donneacutees utiles agrave la lutte contre la propagation du virus

Afin drsquoencourager la coopeacuteration et de soutenir une action rapide les entreprises peuvent beacuteneacuteficier drsquoun suppleacutement drsquoaide lorsque leur investissement est financeacute par plusieurs Eacutetats membres et lorsqursquoil est reacutealiseacute dans un deacutelai de deux mois suivant la date de demande drsquoaide

- Soutien agrave la fabrication de produits utiles agrave la lutte contre la flambeacutee de COVID-19 les Eacutetats

membres peuvent octroyer des aides sous forme de subventions directes drsquoavantages fiscaux drsquoavances remboursables et de garanties de couverture de pertes afin de soutenir les investissements permettant la

Article 107 paragraphe 3 TFUE

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fabrication rapide de produits utiles agrave la lutte contre le coronavirus produits eacutenumeacutereacutes au point preacuteceacutedent Afin drsquoencourager la coopeacuteration et de soutenir une action rapide les entreprises vont beacuteneacuteficier drsquoun suppleacutement drsquoaide lorsque leur investissement est financeacute par plusieurs Eacutetats membres et lorsqursquoil est reacutealiseacute dans un deacutelai de deux mois suivant la date de demande drsquoaide

- Soutien cibleacute sous la forme de reports de paiement des impocircts et des taxes etou de suspensions

de cotisations de seacutecuriteacute sociale afin de reacuteduire les contraintes de liquiditeacute auxquelles les entreprises sont confronteacutees agrave cause du COVID-19 et de proteacuteger les emplois les Eacutetats membres peuvent accorder des reports cibleacutes de paiement des impocircts des taxes et des cotisations de seacutecuriteacute sociale dans les secteurs les reacutegions ou les types drsquoentreprises qui sont particuliegraverement toucheacutes par la pandeacutemie La Commission europeacuteenne considegravere que si de tels reports srsquoappliquent agrave lrsquoensemble de lrsquoeacuteconomie ils ne relegravevent pas du controcircle des aides drsquoEacutetats Toutefois srsquoils confegraverent aux entreprises un avantage seacutelectif degraves lors qursquoils sont limiteacutes agrave certains secteurs (transport tourisme santeacute hellip) agrave certaines reacutegions ou agrave certains types drsquoentreprises ils constituent des aides drsquoEacutetat au sens de lrsquoarticle 107 paragraphe 1 TFUE

- Soutien cibleacute sous la forme de subventions salariales en faveur des salarieacutes afin drsquoaider agrave limiter

les conseacutequences de la crise du coronavirus sur les travailleurs les Eacutetats membres peuvent contribuer aux coucircts salariaux des entreprises de secteurs ou de reacutegion qui ont le plus souffert de la flambeacutee du COVID-19 et qui auraient ducirc licencier du personnel en lrsquoabsence drsquoaide De mecircme que pour les reports envisageacutes au point preacuteceacutedent la Commission est drsquoavis que si ces reacutegimes de soutien srsquoappliquent agrave lrsquoensemble de lrsquoeacuteconomie ils ne relegravevent pas du controcircle des aides drsquoEacutetats Agrave lrsquoinverse srsquoils sont limiteacutes agrave certains secteurs reacutegions ou certains types drsquoentreprises ils constituent des aides au sens de lrsquoarticle 107 paragraphe 1 TFUE

Lrsquoencadrement temporaire modifieacute renforce les types drsquoaide existants que les Eacutetats membres peuvent accorder aux entreprises dans le besoin et sera en place jusqursquoagrave la fin du mois de deacutecembre 2020 La Commission europeacuteenne preacutecise neacuteanmoins qursquoelle pourra prolonger ce deacutelai drsquoapplication srsquoil srsquoavegravere que cela soit neacutecessaire apregraves reacuteeacutevaluation

Deacutecision de la Commission europeacuteenne COVID-19 Reacutegime cadre temporaire pour le soutien aux entreprises en France 20 avril 2020 C(2020) 2595

Reacutesumeacute Par sa deacutecision du 20 avril 2020 la Commission europeacuteenne a autoriseacute le reacutegime-cadre franccedilais visant agrave soutenir les PME

ainsi que les grandes entreprises toucheacutees par la pandeacutemie de coronavirus Ce reacutegime dun montant de 7 milliards drsquoeuros a eacuteteacute

autoriseacute en vertu de lencadrement temporaire des aides dEacutetat adopteacute par la Commission le 19 mars 2020 tel que modifieacute le 3 avril

2020

Le 17 avril 2020 les autoriteacutes franccedilaises ont notifieacute agrave la Commission europeacuteenne le reacutegime cadre temporaire pour

le soutien aux entreprises conformeacutement aux dispositions de lrsquoencadrement temporaire des mesures drsquoaides

drsquoEacutetat visant agrave soutenir lrsquoeacuteconomie dans le contexte actuel de la flambeacutee de COVID-19 adopteacute le 19 mars 2020

(ci-apregraves laquo encadrement temporaire raquo) tel que modifieacute le 3 avril 2020

Ce reacutegime qui seacutetend agrave lensemble du territoire franccedilais et est doteacute dun budget preacutevisionnel de 7 milliards

deuros permet loctroi daides sous les formes suivantes

a) aides dun montant limiteacute sous la forme de subventions directes dapports de fonds propres

davances remboursables et de precircts bonifieacutes jusquagrave un montant nominal maximal de 100 000 euros

pour les entreprises du secteur agricole primaire jusquagrave 120 000 euros pour les entreprises du

secteur de la pecircche et de laquaculture et jusquagrave 800 000 euros pour les entreprises de tous les autres

secteurs

Article 107 paragraphe 3 TFUE

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b) garanties publiques sur des precircts saccompagnant de garde-fous pour les banques qui acheminent les

aides dEacutetat vers leacuteconomie reacuteelle

c) precircts publics octroyeacutes aux entreprises assortis de taux dinteacuterecirct reacuteduits

d) aides sous la forme de garantie ou precircts octroyeacutes via des eacutetablissements de creacutedit ou institutions

financiegraveres Les mesures srsquoappliquent agrave toutes les entreprises - quelle que soit leur localisation et leur taille - de tous secteurs drsquoactiviteacutes y compris les entreprises de production primaire de produits agricoles et du secteur de la pecircche et de lrsquoaquaculture Neacuteanmoins les eacutetablissements de creacutedit les institutions financiegraveres ainsi que les entreprises qui eacutetaient en difficulteacute agrave la date du 31 deacutecembre 2019 ne peuvent pas beacuteneacuteficier du preacutesent reacutegime Les autoriteacutes franccedilaises estiment que les beacuteneacuteficiaires du preacutesent reacutegime drsquoaide devraient deacutepasser les 1000 entreprises La Commission europeacuteenne considegravere que les mesures notifieacutees par la France constituent une aide drsquoEacutetat au sens de lrsquoarticle 107 paragraphe 1 du TFUE Les mesures imputables agrave lrsquoEacutetat franccedilais impliquent lrsquoutilisation de ressources drsquoEacutetat puisqursquoelles ont pour origine (1) les creacutedits drsquointervention de lrsquoEacutetat au niveau central et deacuteconcentreacute (2) les creacutedits drsquointervention des collectiviteacutes territoriales et de leurs groupements (3) les creacutedits des fonds europeacuteens structurels et drsquoinvestissement et (4) les creacutedits drsquointervention des autres organismes publics compeacutetents en vertu de dispositions leacutegislatives ou regraveglementaires De plus les mesures sont seacutelectives puisqursquoelles seront accordeacutees seulement agrave certaines entreprises en excluant les eacutetablissements de creacutedit et les entreprises qui eacutetaient en difficulteacute agrave la date du 31 deacutecembre 2019 Finalement les mesures confegraverent un avantage aux beacuteneacuteficiaires et sont susceptibles drsquoaffecter les eacutechanges entre Eacutetats membres eacutetant donneacute que le reacutegime nrsquoest pas limiteacute aux beacuteneacuteficiaires actifs dans des secteurs ougrave il nrsquoexiste pas de commerce entre les Eacutetats membres Neacuteanmoins la Commission europeacuteenne peut deacuteclarer compatibles avec le marcheacute inteacuterieur les aides destineacutees laquo agrave remeacutedier agrave une perturbation grave de lrsquoeacuteconomie drsquoun Eacutetat membre raquo conformeacutement agrave lrsquoarticle 107 paragraphe 3 point b) du TFUE Dans lrsquoencadrement temporaire du 19 mars 2020 la Commission europeacuteenne preacutecise qursquo laquo une aide drsquoEacutetat est justifieacutee et peut ecirctre deacuteclareacutee compatible avec le marcheacute inteacuterieur sur la base de lrsquoarticle 107 paragraphe 3 point b) du TFUE pour une peacuteriode limiteacutee pour remeacutedier agrave la peacutenurie de liquiditeacutes des entreprises et faire en sorte que les perturbations causeacutee par lrsquoeacutepideacutemie de COVID-19 ne compromettent pas leur viabiliteacute en particulier des petites et moyennes entreprises raquo En lrsquoespegravece la Commission europeacuteenne note que les mesures notifieacutees par la France visent agrave permettre aux entreprises drsquoacceacuteder au financement externe au cours drsquoune peacuteriode ougrave le fonctionnement normal du marcheacute et en particulier de lrsquoaccegraves au creacutedit est gravement perturbeacute par la pandeacutemie de COVID-19 qui affecte lrsquoensemble de lrsquoeacuteconomie reacuteelle De plus elle note que les mesures reacutepondent aux exigences de lrsquoencadrement temporaire et en particulier aux dispositions des sections 31 agrave 34 La Commission europeacuteenne considegravere notamment que les mesures introduisent des assurances concernant lrsquoeacuteventuelle aide indirecte en faveur des eacutetablissements de creacutedit ou drsquoautres eacutetablissements financiers afin de limiter les distorsions de concurrence indues Elle considegravere eacutegalement que les plafonds drsquoaides et plafonds de cumul drsquoaide sous le preacutesent reacutegime sont respecteacutes En particulier les aides octroyeacutes au titre de la section 32 et de la section 33 de lrsquoencadrement temporaire ne peuvent se cumuler si lrsquoaide est octroyeacutee pour le mecircme precirct En conseacutequence la Commission europeacuteenne a autoriseacute les mesures franccedilaises en vertu des regravegles de lUnion en matiegravere daides dEacutetat Elle considegravere que les mesures notifieacutees sont neacutecessaires adeacutequates et proportionnelles pour remeacutedier agrave une perturbation grave de lrsquoeacuteconomie drsquoun Eacutetat membre et remplissent toutes les conditions eacutenonceacutees dans lrsquoencadrement temporaire

Page 5: Ce deuxième bulletin des...Cour EDH (quatrième section), Andreea-Marusia Dumitru/Roumanie, 31 mars 2020, n°9637/16 __26 Cour EDH (cinquième section), Kukhalashvili et autres

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preacutesentant des tendances suicidaires bull Placement agrave lrsquoisolement pendant trois jours sans prise en compte de lrsquoeacutetat psychique du requeacuterant bull Absence drsquoenquecircte effective Dans une affaire qui concerne une personne atteinte de

troubles psychiques et ayant tenteacute de se suicider agrave plusieurs

reprises lors de ses placements en deacutetention preacuteventive dans une

prison belge la Cour EDH a estimeacute agrave la majoriteacute qursquoil nrsquoy

a pas eu violation de lrsquoarticle 2 de la Convention car les

mesures prises par les autoriteacutes ont effectivement permis

drsquoempecirccher que le requeacuterant se suicide

Toutefois la Cour EDH juge qursquoil y a eu violation de

lrsquoarticle 3 de la Convention du fait que le requeacuterant a eacuteteacute

soumis agrave une deacutetresse drsquoune intensiteacute ayant exceacutedeacute le niveau

ineacutevitable de souffrance inheacuterent agrave la deacutetention notamment en

raison du manque drsquoencadrement et de suivi meacutedical au cours

de sa deacutetention combineacute avec lrsquoinfliction drsquoune sanction

disciplinaire dans une cellule drsquoisolement Elle relegraveve

eacutegalement que lrsquoenquecircte meneacutee agrave ce propos nrsquoa pas eacuteteacute effective

Cour EDH (deuxiegraveme section) Jeanty Belgique 31 mars 2020 ndeg8228417 (voir page 21)

Art 2 (mateacuteriel) bull Recours agrave la force bull Blessures potentiellement mortelles causeacutees par les tirs de policiers pour arrecircter une tentative de vol bull Reacuteglementation impreacutecise sur lrsquousage des armes agrave feu bull Absence de recommandation sur la preacuteparation et le controcircle des opeacuterations de police bull Deacutefaillance dans la preacuteparation de lrsquointervention malgreacute sa preacutevisibiliteacute bull Absence de formation au maniement des armes agrave balles agrave caoutchouc Art 2 (proceacutedural) bull Enquecircte inefficace sur les circonstances des blessures subies deacutebuteacutee agrave la seule initiative de la victime et plus de huit mois apregraves les eacuteveacutenements bull Gestion non rigoureuse des preuves et de leur conservation bull Expertises pertinentes effectueacutees plus de trois et cinq ans apregraves les faits bull Absence de ceacuteleacuteriteacute de la proceacutedure ayant dureacute plus de neuf ans Dans le cadre drsquoune violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 2 de la Convention sur le droit agrave la vie la Cour EDH a pu juger que dans le contexte drsquoabsence de regraveglementation preacutecise sur lrsquousage des armes agrave feu et de deacutefaillances dans la preacuteparation de lrsquoopeacuteration de police le fonctionnaire de police en cause nrsquoavait pas pris les preacutecautions suffisantes pour preacuteserver la vie des personnes De plus la Cour EDH preacutecise que lrsquoenquecircte meneacutee dans le cadre de la proceacutedure engageacutee relativement agrave une opeacuteration de police ne peut passer pour avoir eacuteteacute rapide et effective lorsque le jugement deacutefinitif qui en deacutecoule est rendu plus de neuf ans et trois mois apregraves les faits Cour EDH (quatriegraveme section) Andreea-Marusia DumitruRoumanie 31 mars 2020 ndeg963716 (voir page 26)

Art 2 (substantiel) bull Usage aveugle et excessif de la force meurtriegravere lors dopeacuterations antieacutemeutes en prison meneacutees de maniegravere incontrocircleacutee et non systeacutematique sans chaicircne de commandement claire Usage de la force meurtriegravere justifieacute par une violence illeacutegale et un risque dinsurrection bull Absence de prise en compte par les autoriteacutes de moyens moins violents ou de la possibiliteacute de neacutegociations bull Mauvaise le traitement et lusage disproportionneacute de la force persistant apregraves la fin de lopeacuteration bull Incapaciteacute des autoriteacutes agrave fournir une assistance meacutedicale adeacutequate bull Incapaciteacute du gouvernement agrave rendre compte de chacun des deacutecegraves pertinents bull la confiance de la Cour dans tous les documents disponibles y compris les rapports des ONG lorsquil est empecirccheacute deacutetablir des faits pour des raisons imputables agrave lEacutetat Art 2 (proceacutedure) bull Enquecircte compromise par un lancement tardif un manque dindeacutependance et dimpartialiteacute une participation insuffisante des proches du deacutefunt et des retards prohibitifs dans la proceacutedure Dans une affaire de reacutepression dune eacutemeute dans une prison geacuteorgienne ayant conduit agrave la mort de plusieurs deacutetenus la Cour EDH conclut que ces derniers ont succombeacute agrave une force meurtriegravere qui bien qursquoayant poursuivi des buts leacutegitimes viseacutes agrave lrsquoarticle 2 de la Convention ne peut ecirctre consideacutereacutee comme ayant eacuteteacute laquo absolument neacutecessaire raquo au sens de cette mecircme disposition En effet lrsquoopeacuteration antieacutemeute nrsquoa pas eacuteteacute meneacutee de maniegravere controcircleacutee et systeacutematique et les agents des services reacutepressifs nrsquoont pas reccedilu drsquoordres ou drsquoinstructions clairs qui auraient viseacute agrave limiter autant que possible le risque qursquoil y ait des victimes Les autoriteacutes nrsquoont pas envisageacute de recourir agrave des moyens moins violents pour faire face agrave un incident de seacutecuriteacute par exemple la neacutegociation pour reacutesoudre la crise Cour EDH (cinquiegraveme section) Kukhalashvili et autres c Geacuteorgie 2 avril 2020 ndeg 893807 et 4189107 (voir page 29)

Egaliteacute de traitement Renvoi preacutejudiciel ndash Eacutegaliteacute de traitement en

matiegravere drsquoemploi et de travail ndash Directive

200078CE ndash Article 3 paragraphe 1 sous a)

article 8 paragraphe 1 et article 9 paragraphe 2

ndash Interdiction des discriminations fondeacutees sur

lrsquoorientation sexuelle ndash Conditions drsquoaccegraves agrave

lrsquoemploi ou au travail ndash Notion ndash Deacuteclarations

publiques excluant le recrutement de personnes

homosexuelles ndash Article 11 paragraphe 1 article

15 paragraphe 1 et article 21 paragraphe 1 de

la charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion

europeacuteenne ndash Deacutefense des droits ndash Sanctions ndash

Personne morale repreacutesentative drsquoun inteacuterecirct

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collectif ndash Qualiteacute pour agir en justice sans agir

au nom drsquoun plaignant deacutetermineacute ou en

lrsquoabsence de personne leacuteseacutee ndash Droit drsquoobtenir

reacuteparation

En reacuteponse agrave des questions preacutejudicielles de la Cour de

cassation italienne la Cour de justice estime drsquoune part que

des deacuteclarations insinuant une politique de recrutement

homophobe relegravevent de la notion de laquo conditions drsquoaccegraves agrave

lrsquoemploi ou au travail raquo degraves lors qursquoil existe un lien non

hypotheacutetique entre ces deacuteclarations et la politique de

recrutement de lrsquoemployeur Drsquoautre part elle a conclu que le

droit national peut preacutevoir qursquoune association a le droit drsquoagir

en justice pour assurer le respect des obligations de la directive

200078 mecircme si aucune personne leacuteseacutee nrsquoest identifiable

Cour de justice (grande chambre) NH Associazione Avvocatura per i diritti LGBTI ndash Rete Lenford 23 avril 2020 C-50718

(voir page 33)

Indeacutependance de la justice Reacutefeacutereacute ndash Article 279 TFUE ndash Demande de

mesures provisoires ndash Article 19 paragraphe 1

second alineacutea TUE ndash Indeacutependance de lrsquoIzba

Dyscyplinarna (chambre disciplinaire) du Sąd

Najwyższy (Cour suprecircme Pologne)

La Commission europeacuteenne a saisi la Cour de justice afin que

celle-ci ordonne la suspension des dispositions de la leacutegislation

nationale qui donne la compeacutetence agrave la chambre disciplinaire

de juger des affaires disciplinaires concernant les juges

polonais La Cour de justice reacutepond positivement agrave la

demande de la Commission europeacuteenne en justifiant que ces

dispositions porteraient atteinte agrave lrsquoindeacutependance de la justice

et ainsi seraient contraires agrave lrsquoEtat de droit et au droit de

lrsquoUnion

Ordonnance de la Cour de justice (grande

chambre) du 8 avril 2020 dans lrsquoaffaire

Reacutepublique de Pologne Commission europeacuteenne C-79119 R

(voir page 35)

Interdiction des traitements inhumains ou deacutegradants Article 3 (interdiction des traitements inhumains ou deacutegradants) Article 13 (droit agrave un recours effectif) La Cour EDH juge que le nouveau recours compensatoire mise en œuvre par les autoriteacutes russes est effectif lorsqursquoaucun autre recours nrsquoest neacutecessaire notamment dans tous les cas ougrave la deacutetention provisoire a pris fin et dans certaines situations ougrave la peine drsquoemprisonnement a eacuteteacute exeacutecuteacutee en violation des dispositions internes La Cour EDH deacuteclare ainsi les griefs des plusieurs requeacuterants irrecevables pour non-eacutepuisement des voies de recours internes En outre la Cour EDH demande aux parties de produire des observations suppleacutementaires afin

de clarifier la question de lrsquoeffectiviteacute des recours compensatoires dans le cas des recours preacuteventifs ouverts afin de permettre agrave ceux qui sont encore incarceacutereacutes de voir srsquoameacuteliorer leurs conditions de deacutetention Cour EDH (troisiegraveme section) Yevgeniy Mikhaylovich Shmelev et autres Russie 9 avril 2020 ndeg 4174317 et 16 autres (voir page 39)

Art 3 (volet mateacuteriel) bull Recours agrave la force bull Irruption drsquoune uniteacute drsquoeacutelite de la police au domicile drsquoun suspect au petit matin pour proceacuteder agrave son arrestation aux fins drsquoaudition dans le cadre drsquoune enquecircte peacutenale bull Neacutecessiteacute de garanties suffisantes face aux risques drsquoabus drsquoautoriteacute et de violation de la digniteacute humaine lors du recours dans un tel contexte aux forces speacuteciales bull Doutes sur lrsquoexistence de preacutecautions suffisantes bull Tribunaux ayant reconnu la leacutegitime deacutefense du requeacuterant qui avait frappeacute un policier cagouleacute en le prenant pour un cambrioleur bull Blessures reacutesultant de lrsquoemploi drsquoune force physique non rendue strictement neacutecessaire par le comportement du suspect La Cour EDH dans une affaire concernant lrsquointerpellation du requeacuterant par le GIPN estime que la France a violeacute lrsquoarticle 3 de la Convention En effet elle juge que lrsquoopeacuteration policiegravere nrsquoa pas eacuteteacute planifieacutee ni exeacutecuteacutee de maniegravere agrave respecter les garanties internes existantes et que lrsquousage de la force nrsquoeacutetait pas proportionneacute ni neacutecessaire pour permettre lrsquointerpellation du requeacuterant et ne se justifiait pas par son comportement Cour EDH (cinquiegraveme section) Castellani France 30 avril 2020 ndeg4320716 (voir page 42)

Libre circulation des travailleurs Renvoi preacutejudiciel ndash Article 45 TFUE ndash Seacutecuriteacute sociale des travailleurs migrants ndash Regraveglement (CE) ndeg8832004 ndash Article 1er sous i) ndash Libre circulation des travailleurs ndash Eacutegaliteacute de traitement ndash Avantages sociaux ndash Directive 200438CE ndash Article 2 point 2 ndash Regraveglement (UE) ndeg4922011 ndash Article 7 paragraphe 2 ndash Allocation familiale ndash Notion de ldquomembres de la famillerdquo ndash Exclusion de lrsquoenfant du conjoint de travailleurs non-reacutesidents ndash Diffeacuterence de traitement avec lrsquoenfant du conjoint de travailleurs reacutesidents ndash Justification Dans une affaire concernant le versement dallocations sociales luxembourgeoises agrave des travailleurs transfrontaliers franccedilais la Cour de justice a jugeacute quen vertu du principe deacutegaliteacute de traitement un Etat membre ne peut refuser de verser une allocation familiale pour lrsquoenfant du conjoint drsquoun travailleur frontalier sans lien de filiation avec celui-ci puisque cette allocation constitue un avantage social et une prestation de seacutecuriteacute sociale

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Cour de justice (sixiegraveme chambre) Caisse pour lavenir des enfants FV et GW 2 avril 2020 C-80218 (voir page 44)

Renvoi preacutejudiciel ndash Libre circulation des travailleurs ndash Regraveglement (UE) ndeg4922011 ndash Enfants de travailleurs frontaliers ndash Avantages sociaux ndash Systegraveme de remboursement des frais de transport scolaire ndash Condition de reacutesidence dans un Land ndash Exclusion des enfants scolariseacutes dans ce Land et reacutesidant dans un Eacutetat membre autre que celui de lrsquoeacutetablissement scolaire freacutequenteacute ndash Exclusion des ressortissants nationaux reacutesidant dans les autres Laumlnder Dans une affaire concernant le remboursement des frais de transports scolaires dun eacutelegraveve allemand reacutesidant en France et eacutetudiant en Allemagne la Cour de justice a jugeacute quune mesure permettant agrave un Land de soumettre la prise en charge du transport scolaire agrave une condition de reacutesidence dans ce Land constitue une discrimination indirecte agrave lrsquoencontre des travailleurs frontaliers et de leur famille En effet selon la Cour de justice une condition de reacutesidence ne peut ecirctre justifieacutee par une raison impeacuterieuse drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral tenant agrave lrsquoorganisation du systegraveme scolaire Cour de justice (neuviegraveme chambre) Landkreis Suumldliche WeinstraszligePF ea 2 avril 2020 C-83018 (voir page 48)

Non-discrimination Renvoi preacutejudiciel ndash Proceacutedure preacutejudicielle drsquourgence ndash Accord EEE ndash Non-discrimination ndash Article 36 ndash Libre prestation des services ndash Champ drsquoapplication ndash Accord entre lrsquoUnion europeacuteenne la Reacutepublique drsquoIslande et le Royaume de Norvegravege sur lrsquoassociation de ces deux Eacutetats agrave la mise en œuvre agrave lrsquoapplication et au deacuteveloppement de lrsquoacquis de Schengen ndash Accord relatif agrave la proceacutedure de remise entre les Eacutetats membres de lrsquoUnion europeacuteenne drsquoune part et lrsquoIslande et la Norvegravege drsquoautre part ndash Extradition vers un Eacutetat tiers drsquoun ressortissant islandais ndash Protection des ressortissants drsquoun Eacutetat membre contre lrsquoextradition ndash Absence de protection eacutequivalente des ressortissants drsquoun autre Eacutetat ndash Ressortissant islandais ayant obtenu lrsquoasile en vertu du droit national avant lrsquoacquisition de la citoyenneteacute islandaise ndash Restriction agrave la libre circulation ndash Justification fondeacutee sur la preacutevention de lrsquoimpuniteacute ndash Proportionnaliteacute ndash Veacuterification des garanties preacutevues agrave lrsquoarticle 19 paragraphe 2 de la Charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne Lorsqursquoun Eacutetat membre doit statuer sur une demande drsquoextradition issu drsquoun Eacutetat tiers et concernant un

ressortissant drsquoun Eacutetat de lrsquoAssociation europeacuteenne de libre-eacutechange (AELE) partie agrave lrsquoaccord sur lrsquoEspagne eacuteconomique europeacuteen (EEE) il lui incombe de veacuterifier que ce ressortissant ne sera pas soumis agrave la peine de mort agrave la torture ou agrave des peines ou traitements inhumains ou deacutegradants De plus avant drsquoenvisager drsquoexeacutecuter la demande drsquoextradition la Cour de justice preacutecise que lrsquoEacutetat membre doit en informer lrsquoEacutetat de lrsquoAELE pour permettre agrave celui-ci de solliciter la remise de son ressortissant Cour de justice (grande chambre) Ruska Federacija 2 avril 2020 C-89719 PPU (voir page 50)

Renvoi preacutejudiciel ndash Libre circulation des personnes ndash Article 21 TFUE ndash Principe de non-discrimination en raison de la nationaliteacute ndash Article 18 TFUE ndash Convention preacuteventive de la double imposition ndash Travailleurs du secteur public ndash Pensionneacute reacutesidant dans un Eacutetat membre autre que celui lui versant une pension de retraite et ne posseacutedant pas la nationaliteacute de lrsquoEacutetat membre de reacutesidence ndash Impocirct sur le revenu ndash Preacutetendue perte drsquoavantages fiscaux ndash Preacutetendue entrave agrave la liberteacute de circulation et preacutetendue discrimination La Cour de justice par cet arrecirct a jugeacute que le reacutegime fiscal italien reacutesultant de la convention italo-portugaise contre la double imposition sur les revenus nrsquoenfreint pas les principes de libre circulation et de non-discrimination Les retraiteacutes du secteur priveacute et du secteur public peuvent donc ecirctre soumis agrave des reacuteglementations fiscales nationales diffeacuterentes Cour de justice (huitiegraveme chambre) HB et IC Istituto nazionale della previdenza sociale

30 avril 2020 C-16819 et C-16919

(voir page 54)

Protection de la seacutecuriteacute et de la santeacute des travailleurs Renvoi preacutejudiciel ndash Politique sociale ndash Protection de la seacutecuriteacute et de la santeacute des travailleurs ndash Directive 200388CE ndash Champ drsquoapplication ndash Deacuterogation ndash Article 1er paragraphe 3 ndash Directive 89391CEE ndash Article 2 paragraphe 2 ndash Activiteacutes des forces drsquointervention de la police

Dans une affaire qui concerne lrsquoameacutenagement du temps de

travail drsquoun membre de la police drsquointervention de la Hongrie

la Cour de justice juge que la directive 200388CE sur le

temps de travail srsquoapplique aux agents de la police

drsquointervention hongroise assurant la surveillance des frontiegraveres

exteacuterieures de lrsquoespace Schengen dans le contexte de la crise

migratoire La Cour de justice rappelle que ces activiteacutes

peuvent neacuteanmoins eacutechapper aux regravegles de la directive dans

des circonstances drsquoune graviteacute et drsquoune ampleur

exceptionnelles

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Cour de justice (dixiegraveme chambre) UO Keacuteszenleacuteti Rendőrseacuteg 30 avril 2020 C-21119 (voir page 55)

Protection internationale Manquement drsquoEacutetat ndash Deacutecisions (UE)

20151523 et (UE) 20151601 ndash Article 5

paragraphes 2 et 4 agrave 11 de chacune de ces

deacutecisions ndash Mesures provisoires en matiegravere de

protection internationale au profit de la

Reacutepublique helleacutenique et de la Reacutepublique

italienne ndash Situation drsquourgence caracteacuteriseacutee par

un afflux soudain de ressortissants de pays tiers

sur le territoire de certains Eacutetats membres ndash

Relocalisation de ces ressortissants sur le

territoire des autres Eacutetats membres ndash Proceacutedure

de relocalisation ndash Obligation pour les Eacutetats

membres drsquoindiquer agrave intervalles reacuteguliers et

au moins tous les trois mois le nombre de

demandeurs de protection internationale

pouvant faire rapidement lrsquoobjet drsquoune

relocalisation sur leur territoire ndash Obligations

conseacutecutives conduisant agrave la relocalisation

effective ndash Inteacuterecircts des Eacutetats membres lieacutes agrave la

seacutecuriteacute nationale et agrave lrsquoordre public ndash

Possibiliteacute pour un Eacutetat membre drsquoinvoquer

lrsquoarticle 72 TFUE pour ne pas appliquer des

actes du droit de lrsquoUnion ayant un caractegravere

obligatoire

La Cour de justice a jugeacute que la Pologne la Hongrie et la

Reacutepublique tchegraveque avaient manqueacute aux obligations leur

incombant en vertu des deacutecisions 20151523 et

20151601 Ces Eacutetats membres auraient ducirc relocaliser sur

leurs territoires un nombre approprieacute de demandeurs de

protection internationale

Cour de justice (troisiegraveme chambre) affaires

jointes Commission Pologne Commission Hongrie et Commission Reacutepublique Tchegraveque 2 avril 2020 C-71517 C-71817 et C-

71917

(voir page 58)

Vie priveacutee et familiale Art 8 - Respect de la vie priveacutee - Preacutelegravevement dun eacutechantillon dADN de la salive du demandeur dans le cadre dune enquecircte preacuteliminaire - Approbation du demandeur obtenue par la menace de la force - Absence de preacutevisibiliteacute de la loi - Aucune reacutefeacuterence agrave des dispositions leacutegales speacutecifiques dans lordonnance autorisant la police agrave preacutelever leacutechantillon - Aucune reacutefeacuterence speacutecifique dans la loi au preacutelegravevement dun eacutechantillon dADN - Neacutecessiteacute dune reacuteglementation plus

stricte deacutemontreacutee par des dispositions plus deacutetailleacutees dans la leacutegislation reacutecente - Respect du domicile - Perquisition au domicile du demandeur fondeacutee sur des motifs adeacutequats et suffisants et accompagneacutee de garanties efficaces Dans une affaire concernant la reacutealisation dune perquisition par la police au domicile du requeacuterant et le preacutelegravevement dun eacutechantillon dADN dans le cadre dune enquecircte pour meurtre en Serbie la Cour EDH a jugeacute que ce preacutelegravevement constituait une violation de larticle 8 de la Convention contrairement agrave la perquisition Elle considegravere en effet quil neacutetait pas laquo preacutevu par la loi raquo au sens de larticle 8 Elle preacutecise que la version du code de proceacutedure peacutenale serbe qui eacutetait en vigueur agrave lrsquoeacutepoque des faits disposait que des preacutelegravevements sanguins ou laquo drsquoautres proceacutedures meacutedicales raquo pouvaient ecirctre reacutealiseacutes Cour EDH (quatriegraveme section) Dragan Petrovic Serbie ndeg 7522910 (voir page 62)

Partie II Conclusions des avocats geacuteneacuteraux Aides drsquoEtat Pourvoi ndash Aide drsquoEacutetat ndash Reacutegime drsquoaide relatif agrave

lrsquoacquisition subventionneacutee ou agrave la mise agrave

disposition agrave titre gracieux de zones naturelles

ndash Deacutecision deacuteclarant lrsquoaide compatible avec le

marcheacute inteacuterieur ndash Notion de ldquopartie

inteacuteresseacuteerdquo ndash Difficulteacutes seacuterieuses

LrsquoAvocat geacuteneacuteral propose agrave la Cour de justice de rejeter le moyen des requeacuterantes selon lequel le Tribunal a commis une erreur de droit en consideacuterant comme partie inteacuteresseacutee les requeacuterants au recours formeacute devant le Tribunal En outre lrsquoAvocat geacuteneacuteral estime que la Cour de justice devrait accueillir le second moyen des requeacuterantes puisque le raisonnement du Tribunal relatif agrave lrsquoincompleacutetude de lrsquoexamen par la Commission europeacuteenne de la deacutefinition du SIEG drsquoune part est entacheacute drsquoune erreur de droit et souffre drsquoautre part drsquoune insuffisance de motivation Conclusions de lrsquoAvocat geacuteneacuteral M Szpunar

preacutesenteacutees le 2 avril 2020 dans lrsquo affaire

Vereniging tot Behoud van Natuurmonumenten in Nederland et autres

Vereniging Gelijkberechtiging Grondbezitters et autres C-81718

(voir page 65)

Coopeacuteration judiciaire en matiegravere civile Proceacutedure preacutejudicielle ndash Regraveglement (UE)

ndeg12152012 ndash Compeacutetence judiciaire en

matiegravere de responsabiliteacute deacutelictuelle ou quasi

deacutelictuelle ndash Lieu du fait dommageable ndash

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Manipulation des valeurs drsquoeacutemission de gaz

dans les moteurs de veacutehicules automobiles

LrsquoAvocat geacuteneacuteral Campos Saacutenchez-Bordona estime que les acqueacutereurs de veacutehicules eacutequipeacutes drsquoun moteur Volkswagen sur lesquels ont eacuteteacute installeacutes un logiciel de manipulation relatif aux gaz drsquoeacutechappements ayant pour conseacutequence la diminution de la valeur desdits veacutehiculespeuvent attraire une entreprise devant les juridictions de lrsquoEacutetat dans lequel ces veacutehicules ont eacuteteacute acheteacutes Conclusions de lrsquoAvocat geacuteneacuteral M Manuel Campos Saacutenchez-Bordona preacutesenteacutees le 2 avril 2020 dans lrsquoaffaire Verein fuumlr KonsumenteninformationVolkswagen AG C-34319 (voir page 68)

Environnement Renvoi preacutejudiciel ndash Rapprochement des leacutegislations ndash Regraveglement (CE) ndeg 7152007 ndash Veacutehicules agrave moteur ndash Eacutemissions de polluants ndash Dispositif drsquoinvalidation ndash Programme agissant sur le calculateur de controcircle moteur ndash Technologies et strateacutegies permettant de limiter la production des eacutemissions de polluants ndash Moteur diesel LrsquoAvocate geacuteneacuterale Sharpston est drsquoavis qursquoun dispositif qui influe agrave la hausse lors des tests drsquohomologation des veacutehicules agrave moteur diesel sur le fonctionnement du systegraveme de controcircle des eacutemissions de ces veacutehicules constitue un laquo dispositif drsquoinvalidation raquo prohibeacute par le droit de lrsquoUnion europeacuteenne Plus speacutecifiquement lrsquoobjectif de ralentissement du vieillissement ou de lrsquoencrassement du moteur ne justifie pas le recours agrave un tel dispositif Conclusions de lrsquoAvocate geacuteneacuterale Mme Eleanor Sharpston preacutesenteacutees le 30 avril 2020 dans lrsquoaffaire CLCE ea (Dispositif drsquoinvalidation sur moteur diesel) C-99318 (voir page 71)

Liberteacute drsquoeacutetablissement Renvoi preacutejudiciel ndash Liberteacute drsquoeacutetablissement ndash Directive 2006123CE ndash Champ drsquoapplication ndash Location de biens meubleacutes de maniegravere reacutepeacuteteacutee pour de courtes dureacutees agrave une clientegravele de passage qui nrsquoy eacutelit pas domicile ndash Reacuteglementation nationale et reacuteglementation municipale soumettant une telle location agrave une autorisation preacutealable et agrave compensation ndash Justification ndash Objectif visant agrave garantir une offre suffisante de logements agrave des prix abordables et destineacutes agrave la location de longue dureacuteemdash Proportionnaliteacute LrsquoAvocat geacuteneacuteral srsquoest prononceacute sur des questions preacutejudicielles poseacutees par la Cour de cassation dans un litige opposant des proprieacutetaires de studio agrave Paris agrave la ville de Paris Il propose agrave la Cour de justice de juger que la directive 2006123 srsquoapplique agrave des dispositions nationales et municipales encadrant lrsquoaccegraves agrave un service qui consiste agrave louer

de maniegravere reacutepeacuteteacutee et pour de courtes dureacutees un local agrave usage drsquohabitation agrave une clientegravele de passage Lrsquoobjectif tenant agrave la lutte contre la peacutenurie de logements peut constituer une raison impeacuterieuse drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral qui justifierait le fait que la mesure nationale exige lrsquoobtention drsquoune autorisation Une telle mesure nationale est autoriseacutee par la directive 2006123 si elle reacutepond aux conditions de proportionnaliteacute et de non-discrimination Conclusions de lrsquoAvocat geacuteneacuteral M Bobek preacutesenteacutees le 2 avril 2020 dans les affaires jointes Cali Apartments SCI Procureur geacuteneacuteral pregraves de la cour drsquoappel de Paris Ville de Paris et HX Procureur geacuteneacuteral pregraves de la cour drsquoappel de Paris Ville de Paris C-72418 et C-72718 (voir page 76)

Partie III Questions preacutejudicielles

Libre prestation de services Affaire preacutejudicielle 31 janvier 2020 Fluctus et Fluentum C-92019 Juridiction de renvoi Landesverwaltungsgericht Steiermark (Autriche) (voir page 81)

Marcheacute inteacuterieur Affaire preacutejudicielle 31 janvier 2020 Ministerstwo Sprawiedliwości C-5520 Juridiction de renvoi Sąd Dyscyplinarny Izby Adwokackiej w Warszawie (Pologne) (voir page 81)

Protection des consommateurs Affaire preacutejudicielle 7 feacutevrier 2020 KRONE ndash Verlag Gesellschaft mbH amp Co KG C-6520 Juridiction de renvoi Oberster Gerichtshof (Autriche) (voir page 82)

Affaire preacutejudicielle 26 feacutevrier 2020 StWL Staumldtische Werke Lauf ad Pegnitz GmbH C-10220 Juridiction de renvoi Bundesgerichtshof (Allemagne) (voir page 82)

Santeacute publique Affaire preacutejudicielle 24 feacutevrier 2020 Ordine Nazionale Biologi e a C-9620 Juridiction de renvoi Corte suprema di cassazione (Italie) (voir page 83)

Partie IV Informations diverses Aides drsquoEtat Article 107 paragraphe 3 TFUE

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La Commission europeacuteenne a adopteacute une modification eacutetendant lrsquoencadrement temporaire adopteacute le 19 mars 2020 afin de permettre aux Eacutetats membres drsquoacceacuteleacuterer la recherche la mise agrave lrsquoessai et la fabrication de produits utiles pour combattre le coronavirus de proteacuteger les emplois et de soutenir drsquoavantage lrsquoeacuteconomie dans le contexte du COVID-19 Lrsquoencadrement temporaire modifieacute complegravete les nombreuses possibiliteacutes dont disposent deacutejagrave les Eacutetats membres pour atteacutenuer les reacutepercussions socio-eacuteconomiques de la flambeacutee de COVID-19 conformeacutement aux regravegles de lrsquoUnion europeacuteenne en matiegravere drsquoaides drsquoEacutetat Communication de la Commission europeacuteenne Modification de lrsquoencadrement temporaire des mesures drsquoaide drsquoEacutetat visant agrave soutenir lrsquoeacuteconomie dans le contexte actuel de la flambeacutee de COVID-19 3 avril 2020 C(2020) 2215

(voir page 83)

Article 107 paragraphe 3 TFUE Par sa deacutecision du 20 avril 2020 la Commission europeacuteenne a autoriseacute le reacutegime-cadre franccedilais visant agrave soutenir les PME ainsi que les grandes entreprises toucheacutees par la pandeacutemie de coronavirus Ce reacutegime dun montant de 7 milliards drsquoeuros a eacuteteacute autoriseacute en vertu de lencadrement temporaire des aides dEacutetat adopteacute par la Commission le 19 mars 2020 tel que modifieacute le 3 avril 2020 Deacutecision de la Commission europeacuteenne COVID-19 Reacutegime cadre temporaire pour le soutien aux entreprises en France 20 avril 2020 C(2020) 2595 (voir page 85)

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Partie I - Jurisprudences de la CJUE et de la CEDH

Accegraves agrave un tribunal

Cour EDH (troisiegraveme section) Dos Santos Calado et autres Portugal 31 mars 2020 ndeg5599714 6814316 7884116 et 370617

Reacutesumeacute La Cour EDH estime que le Tribunal constitutionnel portugais a priveacute plusieurs requeacuterants de leur droit drsquoaccegraves agrave un tribunal et a ainsi violeacute lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention Dans deux des requecirctes celui-ci a fait preuve drsquoun formalisme excessif dans lrsquoapplication des dispositions leacutegislatives fondant sa compeacutetence agrave connaicirctre des recours introduits devant lui Les requecirctes concernent toutes lrsquoirrecevabiliteacute de recours introduits par les requeacuterants devant le Tribunal constitutionnel portugais Les requecirctes no 5599714 et 6814316 concernent aussi un deacutefaut alleacutegueacute drsquoimpartialiteacute du comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel Requecircte ndeg 5599714 (Dos Santos Calado) La requeacuterante a contesteacute le montant de sa pension de retraite devant les juridictions administratives qui ont rejeteacute ses preacutetentions par un jugement du tribunal administratif de Lisbonne du 4 mai 2012 confirmeacute par un arrecirct du tribunal central administratif du Sud rendu en 2013 Elle a alors saisi la Cour suprecircme administrative drsquoun pourvoi en cassation mais celui-ci a eacuteteacute deacuteclareacute irrecevable par un arrecirct du 12 septembre 2013 Le 25 septembre 2013 la requeacuterante a formeacute un recours devant le Tribunal constitutionnel En deacutecembre 2013 ce dernier statuant en formation de juge unique a deacuteclareacute irrecevable le recours formeacute par la requeacuterante Par un arrecirct du 12 feacutevrier 2014 un comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel composeacute entre autres du juge JCM a rejeteacute lrsquoopposition formeacute par la requeacuterante contre la deacutecision du Tribunal constitutionnel Requecircte ndeg 6814316 (Amador de Faria e Silva et autres) Les requeacuterants qui eacutetaient des agents de la Direction geacuteneacuterale des routes au moment des faits exerccedilaient de fait les fonctions drsquoinspecteur En octobre 2005 ils ont engageacute devant le tribunal administratif et fiscal une action contre le ministegravere des Finances et le ministegravere de lrsquoInteacuterieur par laquelle ils ont demandeacute la deacuteclaration drsquoune situation drsquoilleacutegaliteacute par omission en raison de lrsquoabsence de reacuteglementation de leurs carriegraveres Par un jugement du 2 octobre 2013 le tribunal a fait droit agrave la demande des requeacuterants et de leurs collegravegues Les ministegraveres deacutefendeurs ont ensuite interjeteacute appel du jugement devant le tribunal central administratif du Nord qui a annuleacute la partie du jugement concernant les requeacuterants Le 11 novembre 2015 la Cour suprecircme administrative a deacuteclareacute irrecevable

Art 35 sect 1 bull Eacutepuisement des voies de recours internes bull Neacutecessiteacute drsquointroduire un recours devant le Tribunal constitutionnel dans toute affaire soulevant une question tireacutee drsquoune inconstitutionnaliteacute ou interpreacutetation normative bull Recours constitutionnel ne soulevant aucune question drsquoinconstitutionnaliteacute sans pertinence pour le calcul du deacutelai de six mois bull Neacutecessiteacute de former une opposition devant un comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel contre la deacutecision sommaire drsquoirrecevabiliteacute drsquoun recours constitutionnel rendue par un juge unique Art 6 sect 1 bull Accegraves agrave un tribunal bull Tribunal constitutionnel ayant fait preuve drsquoun formalisme excessif en deacuteclarant irrecevables des recours constitutionnels pour non-respect des conditions leacutegales bull Irrecevabiliteacute drsquoun recours faute pour le requeacuterant drsquoavoir souleveacute une inconstitutionnaliteacute tireacutee drsquoune interpreacutetation normative ne portant pas atteinte agrave la substance du droit drsquoaccegraves agrave un tribunal Art 6 sect 1 bull Tribunal impartial bull Preacutesence du juge ayant rendu la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute attaqueacutee dans la composition du comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel bull Inapplicabiliteacute des principes de lrsquoimpartialiteacute objective le comiteacute de trois juges nrsquoeacutetant pas une entiteacute agrave part entiegravere et

autonome

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le recours des requeacuterants au motif que lrsquoaffaire ne soulevait pas de question drsquointeacuterecirct juridique ou social drsquoimportance fondamentale Les requeacuterants ont alors introduit un recours devant le Tribunal constitutionnel Par une deacutecision sommaire du 15 mars 2016 rendue par le juge JCM sieacutegeant en formation de juge unique le Tribunal constitutionnel a deacuteclareacute ce recours irrecevable Cette deacutecision a eacuteteacute confirmeacutee par le comiteacute des trois juges dont faisait partie le juge JCM Requecircte ndeg 7884116 (Antunes Cardoso) En juin 2014 le requeacuterant a eacuteteacute condamneacute par tribunal de Tondela pour fraude aggraveacutee Il a ensuite interjeteacute appel contre cette deacutecision devant la cour drsquoappel de Coimbra en se plaignant drsquoune atteinte au principe non bis in idem Le requeacuterant alleacuteguait qursquoil avait eacuteteacute acquitteacute le 27 feacutevrier 2013 par le tribunal de Taacutebua du chef drsquoassociation de malfaiteurs pour certains des faits qui avaient fondeacute sa condamnation pour fraude qualifieacutee par le tribunal de Tondela Par un arrecirct du 9 septembre 2015 la cour drsquoappel a rejeteacute lrsquoappel du requeacuterant car elle a consideacutereacute que les infractions drsquoassociation de malfaiteurs et de fraude qualifieacutee eacutetaient deux infractions distinctes Le requeacuterant a preacutesenteacute alors un recours devant le Tribunal constitutionnel qui a eacuteteacute deacuteclareacute irrecevable au motif qursquoil concernait la condamnation du requeacuterant et non une inconstitutionnaliteacute normative Le 8 juin 2016 le comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel a confirmeacute cette deacutecision Requecircte ndeg 370617 (Da Silva) Par un jugement du 23 octobre 2015 le tribunal de Lisbonne a condamneacute le requeacuterant agrave trois ans et deux mois drsquoemprisonnement avec sursis pour violence domestique Le requeacuterant a interjeteacute appel en contestant entre autres lrsquoeacutetablissement des faits qui avait abouti agrave sa condamnation ainsi que lrsquointerpreacutetation de la loi Il alleacuteguait eacutegalement que lrsquoaction publique ouverte agrave son eacutegard pour les faits de violence domestique eacutetait prescrite et que sa condamnation avait porteacute atteinte au principe de non-reacutetroactiviteacute de la loi peacutenale ainsi qursquoau principe de la preacutesomption drsquoinnocence Cet appel a eacuteteacute rejeteacute et le requeacuterant a ainsi deacuteposeacute un recours devant le Tribunal constitutionnel Par une deacutecision sommaire du 17 juin 2016 le Tribunal constitutionnel sieacutegeant en une formation de juge unique a deacuteclareacute irrecevable le recours constitutionnel introduit par le requeacuterant Ce dernier nrsquoa pas formeacute opposition contre cette deacutecision devant le comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel Par leurs requecirctes introduites devant la Cour EDH le 6 aoucirct 2014 le 2 novembre 2016 et les 7 et 12 deacutecembre 2016 les requeacuterants se plaignaient drsquoune atteinte agrave leur droit drsquoaccegraves agrave un tribunal garanti par lrsquoarticle 6 sect 1 et srsquoagissant des requeacuterants des requecirctes no 5599714 et 6814316 de leur droit agrave un procegraves eacutequitable

1) Sur la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention en raison du manque drsquoaccegraves agrave un tribunal (grief commun agrave toutes les requecirctes)

o Requecircte no 370617 (Da Silva)

Le Gouvernement excipe du non-eacutepuisement des voies de recours internes en ce qui concerne la requecircte no 370617 Il argue que le requeacuterant a omis de former une opposition devant le comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel contre la deacutecision sommaire drsquoirrecevabiliteacute de son recours constitutionnel Le requeacuterant conteste cette exception souleveacutee par le Gouvernement alleacuteguant que la reacuteclamation devant le comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel ne peut ecirctre consideacutereacutee comme une voie de recours effective eacutetant donneacute qursquoil srsquoagit drsquoun recours hieacuterarchique La Cour EDH considegravere que lrsquoopposition devant le comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel contre la deacutecision sommaire litigieuse constituait un recours effectif au sens de lrsquoarticle 35 sect 1 de la Convention pour remeacutedier au grief tireacute du deacutefaut drsquoaccegraves agrave un tribunal souleveacute devant elle Elle note que lrsquoopposition est un moyen de contester les deacutecisions prises par le rapporteur drsquoune formation judiciaire colleacutegiale afin drsquoobtenir une reconsideacuteration de la question et qursquoun tel meacutecanisme aurait permis au requeacuterant de reacuteagir contre la deacutecision litigieuse

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La Cour EDH deacuteclare ainsi la requecircte no 370617 irrecevable pour non-eacutepuisement des voies de recours internes en application de lrsquoarticle 35 sectsect 1 et 4 de la Convention

o Requecircte no 5599714 (Dos Santos Calado c Portugal) La requeacuterante se plaint de lrsquoirrecevabiliteacute de la partie de son recours formeacute devant le Tribunal constitutionnel qui se fondait sur lrsquoilleacutegaliteacute de la norme litigeuse La Cour EDH note que par une deacutecision sommaire du 10 deacutecembre 2013 confirmeacutee par un arrecirct du comiteacute de trois juges du 6 deacutecembre 2014 cette partie de son recours a eacuteteacute deacuteclareacutee irrecevable au motif que dans son meacutemoire de recours la requeacuterante srsquoeacutetait uniquement fondeacutee sur lrsquoalineacutea b) de lrsquoarticle 70 sect 1 de la loi organique sur le tribunal constitutionnel (laquo LOTC raquo) qui preacutevoit le motif de recours tireacute de lrsquoinconstitutionnaliteacute normative alors qursquoelle aurait ducirc se fonder sur lrsquoalineacutea f) de cette disposition La Cour EDH relegraveve que cette restriction appliqueacutee agrave lrsquoaccegraves au Tribunal constitutionnel est leacutegale car elle est preacutevue par la LOTC Elle relegraveve eacutegalement que la restriction poursuivait un but leacutegitime agrave savoir le respect de la preacuteeacuteminence du droit et la bonne administration de la justice constitutionnelle Neacuteanmoins la Cour EDH considegravere que cette restriction nrsquoest pas proportionneacutee au but leacutegitime poursuivi eu eacutegard aux circonstances de lrsquoespegravece Elle note que lrsquoirrecevabiliteacute de la deuxiegraveme partie du recours srsquoest fondeacutee uniquement sur une omission reacutedactionnelle concernant un moyen de recours qui ressortait pourtant de faccedilon claire et eacutevidente du meacutemoire en recours de la requeacuterante La Cour EDH estime qursquoune telle approche est excessivement formaliste en ce qursquoelle a conduit agrave priver la requeacuterante drsquoune voie de recours offerte par le droit interne A titre subsidiaire la Cour EDH note que le Tribunal constitutionnel aurait pu inviter la requeacuterante agrave corriger lrsquoomission comme le preacutevoit la LOTC puisque le moyen ressortait clairement de son meacutemoire Par conseacutequent il y a eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention en raison du deacutefaut drsquoaccegraves de la requeacuterante agrave un tribunal

o Requecircte no 6814316 (Amador de Faria e Silva et autres c Portugal) La Cour EDH note tout drsquoabord que le recours des requeacuterants devant le Tribunal constitutionnel a eacuteteacute deacuteclareacute irrecevable par une deacutecision sommaire de celui-ci le 15 mars 2016 confirmeacutee par un arrecirct du comiteacute de trois juges du 4 mai 2016 au motif que les requeacuterants nrsquoavaient pas souleveacute lrsquoinconstitutionnaliteacute alleacutegueacutee devant le tribunal central administratif du Nord faisant ainsi deacutefaut agrave lrsquoobligation qui leur revenait en vertu des articles 70 et 72 sect 2 de la LOTC Si la Cour EDH admet que cette obligation srsquoexplique par le fait que le Tribunal constitutionnel nrsquointervient qursquoen dernier ressort elle constate toutefois que les requeacuterants ont bien souleveacute une inconstitutionnaliteacute en raison de la diffeacuterence de traitement qui existait entre les agents des reacutegions autonomes de Madegravere et des Accedilores et du continent dans le cadre de leur meacutemoire en reacuteponse aux ministegraveres Neacuteanmoins le tribunal central administratif du Nord nrsquoa pas retenu cette question et a opeacutereacute une distinction entre deux cateacutegories drsquoagents drsquoune part les inspecteurs de carriegraveres et drsquoautre part les agents exerccedilant des fonctions drsquoinspecteur sans inteacutegrer pour autant la carriegravere drsquoinspecteur au sein de lrsquoadministration La Cour EDH est en deacutesaccord avec le raisonnement du Tribunal constitutionnel selon lequel les requeacuterants auraient eacuteteacute en mesure de soulever la question drsquoinconstitutionnaliteacute normative dont ils se plaignaient devant le tribunal central administratif du Nord puisqursquoelle eacutetait deacutejagrave ressortie drsquoun arrecirct rendu par la Cour suprecircme dans une autre affaire Elle relegraveve qursquoil srsquoagissait drsquoune affaire devant la Cour suprecircme qui ne concernait pas les requeacuterants De plus la Cour EDH relegraveve que lrsquoarrecirct en cause avait eacuteteacute rendu quelques mois avant le jugement du tribunal administratif et fiscal de Coimbra qui leur avait eacuteteacute favorable et nrsquoavait en outre fait aucune distinction entre les cateacutegories drsquoagents La Cour EDH conclut que le Tribunal constitutionnel a fait preuve drsquoun formalisme excessif ce qui lrsquoa priveacute de la possibiliteacute drsquoexaminer au fond la question de lrsquoinconstitutionnaliteacute Il y a donc eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention

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o Requecircte no 7884116 (Antunes Cardoso)

La Cour EDH constate que par une deacutecision sommaire du Tribunal constitutionnel du 4 mai 2016 confirmeacutee par un arrecirct du comiteacute de trois juges du 8 juin 2016 le recours constitutionnel du requeacuterant a eacuteteacute deacuteclareacute irrecevable au motif que le requeacuterant nrsquoavait pas souleveacute une inconstitutionnaliteacute normative ou une inconstitutionnaliteacute concernant lrsquointerpreacutetation drsquoune norme La Cour EDH relegraveve que le requeacuterant soulevait une atteinte au principe non bis in idem dans le cadre de son recours devant le Tribunal constitutionnel Elle estime que lrsquointerpreacutetation normative qursquoil deacutenonccedilait se rapportait agrave la maniegravere dont les tribunaux de premiegravere et deuxiegraveme instance avaient appliqueacute les dispositions du code peacutenal sanctionnant les infractions drsquoassociation de malfaiteurs et de fraude qualifieacutee Le recours du requeacuterant portait donc bien essentiellement sur lrsquoexamen des faits qui lui eacutetaient reprocheacutes et aucun critegravere normatif au sens de la jurisprudence du Tribunal constitutionnel nrsquoeacutetait donc mis en cause en lrsquoespegravece La Cour EDH juge ainsi qursquoil nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention

2) Sur la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention en raison du deacutefaut drsquoimpartialiteacute du comiteacute de trois juges du tribunal constitutionnel (grief speacutecifique aux requecirctes no 5599714 et 6814316)

Les requeacuterants des requecirctes no 5599714 et 6814316 se plaignaient du deacutefaut drsquoimpartialiteacute du comiteacute de trois juge du Tribunal constitutionnel en raison de la preacutesence drsquoun juge dans cette instance qui avait deacutejagrave rendu la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute attaqueacutee et eacutetait en outre le juge rapporteur La Cour EDH note que les requeacuterants ne mettent en doute que lrsquoimpartialiteacute objective du comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel Elle estime que les principes tireacutes de sa jurisprudence concernant lrsquoimpartialiteacute objective ne sauraient ecirctre appliqueacutes agrave la preacutesente affaire eacutetant donneacute la nature de lrsquointervention du comiteacute de trois juges dans le cadre drsquoune opposition En effet le comiteacute de trois juges est lrsquoinstance statuant deacutefinitivement sur la question de la recevabiliteacute drsquoun recours constitutionnel La deacutecision sommaire adopteacutee par le juge rapporteur nrsquoest donc qursquoune eacutetape preacutealable qui ne deviendrait deacutefinitive que si lrsquointeacuteresseacute ne forme pas drsquoopposition contre elle La proceacutedure devant le juge rapporteur fait ainsi entiegraverement partie de la proceacutedure drsquoadmissibiliteacute des recours constitutionnels le comiteacute de trois juges nrsquoest donc pas une entiteacute agrave part entiegravere et autonome appeleacutee agrave se prononcer sur la question litigieuse Par conseacutequence la Cour EDH juge que les griefs tireacutes du deacutefaut drsquoimpartialiteacute du comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel sont manifestement mal fondeacutes et qursquoils doivent ecirctre rejeteacutes en application de lrsquoarticle 35 sectsect 3 a) et 4 de la Convention PAR CES MOTIFS LA COUR

1 Deacutecide agrave lrsquounanimiteacute de joindre les requecirctes 2 Deacuteclare agrave lrsquounanimiteacute les requecirctes no 5599714 6814316 et 7884116 recevables et la requecircte

no 370617 irrecevable srsquoagissant du grief tireacute du droit drsquoaccegraves agrave un tribunal 3 Deacuteclare agrave la majoriteacute les requecirctes no 5599714 et 6814314 irrecevables srsquoagissant du grief tireacute

du manque drsquoimpartialiteacute du comiteacute de trois juges du Tribunal constitutionnel 4 Dit agrave lrsquounanimiteacute qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention en raison de lrsquoatteinte

au droit drsquoaccegraves des requeacuterants des requecirctes ndeg 5599714 et 6814316 5 Dit agrave lrsquounanimiteacute qursquoil nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention en raison de

lrsquoatteinte au droit drsquoaccegraves du requeacuterant de la requecircte ndeg 7884116 6 Dit agrave lrsquounanimiteacute

a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser agrave chacun des requeacuterants srsquoagissant des requecirctes ndeg 5599714 et 6814316 dans un deacutelai de trois mois agrave compter de la date agrave laquelle lrsquoarrecirct sera devenu deacutefinitif conformeacutement agrave lrsquoarticle 44 sect 2 de la Convention 3 300 EUR (trois mille trois cents euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc sur cette somme agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage

7 Rejette agrave lrsquounanimiteacute le surplus de la demande de satisfaction eacutequitable

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Aides drsquoEacutetat

Cour de justice (deuxiegraveme chambre) Nelson Antunes da Cunha Lda Instituto de Financiamento da Agricultura e Pescas IP (IFAP) 30 avril 2020 C-62718

Reacutesumeacute La Cour de justice agrave la suite de questions preacutejudicielles poseacutees par une juridiction portugaise interpregravete lrsquoarticle 17

paragraphe 1 du regraveglement 20151589 en ce sens que le deacutelai de prescription de dix ans ne pourra pas ecirctre appliqueacute agrave la proceacutedure

de reacutecupeacuteration drsquoune aide illeacutegale par les autoriteacutes nationales compeacutetentes Ce deacutelai de prescription de dix ans ne srsquoapplique qursquoaux

rapports entre la Commission europeacuteenne et lrsquoEtat membre destinataire de la deacutecision de reacutecupeacuteration Elle estime aussi qursquoun deacutelai

de prescription national ne srsquoappliquera pas srsquoil a expireacute avant lrsquoadoption de la deacutecision de la Commission europeacuteenne ou srsquoil srsquoest

eacutecouleacute en raison du retard mis par les autoriteacutes nationales pour exeacutecuter cette deacutecision

Les 8 avril et 7 juillet 1993 Nelson Antunes da Cunha la requeacuterante au principal a conclu avec la Caixa Agricola

Mutuo ndash Coimbra des contrats de creacutedit relatifs agrave une ligne de creacutedit pour la relance des activiteacutes agricoles et

drsquoeacutelevage Un deacutecret du 24 mai 1994 a creacuteeacute un reacutegime drsquooctroi de lignes de creacutedit destineacute agrave favoriser le

deacutesendettement des entreprises du secteur de lrsquoeacutelevage intensif et la relance de lrsquoactiviteacute porcine Ce reacutegime nrsquoa

pas eacuteteacute notifieacute agrave la Commission europeacuteenne contrairement aux exigences de lrsquoarticle 88 paragraphe 3 CE Dans

le cadre de ces contrats de creacutedit le preacutedeacutecesseur de lrsquoIFAP a conformeacutement au deacutecret preacuteciteacute effectueacute des

paiements en faveur de la requeacuterante au titre de bonification du taux drsquointeacuterecirct drsquoun montant global de 7 52690

euros Le 25 novembre 1999 la Commission europeacuteenne a adopteacute la deacutecision 20002000CE relative au reacutegime

drsquoaides mis en œuvre par le Portugal pour le deacutesendettement des entreprises du secteur de lrsquoeacutelevage intensif et la

relance de lrsquoactiviteacute porcine Il ressort de cette deacutecision que le reacutegime drsquooctroi de lignes de creacutedit mis en place par

le deacutecret est un reacutegime drsquoaides incompatible avec le marcheacute commun Le Portugal doit donc supprimer ce reacutegime

drsquoaide et proceacuteder au recouvrement

Le 23 juillet 2002 le preacutedeacutecesseur de lrsquoIFAP demande agrave la requeacuterante le remboursement de lrsquoaide en cause par

une lettre resteacutee sans suite Le 12 aoucirct 2009 lrsquoIFAP a envoyeacute une nouvelle lettre lui demandant de proceacuteder au

remboursement de lrsquoaide dans un deacutelai de dix jours Le 7 juillet 2013 une proceacutedure drsquoexeacutecution fiscale a eacuteteacute

engageacutee par le centre des impocircts de Cantanhede agrave lrsquoencontre de la requeacuterante en vue du recouvrement des

creacuteances de lrsquoIFAP

La requeacuterante a fait opposition agrave cette proceacutedure devant le tribunal administratif et fiscal de Coimbra Elle allegravegue

que lrsquoobligation de rembourser des montants perccedilus srsquoeacuteteint apregraves lrsquoeacutecoulement drsquoun deacutelai de cinq ans agrave compter

de leur perception et que dans la mesure ougrave plus de cinq ans se sont eacutecouleacutes les inteacuterecircts de retard seraient

eacutegalement prescrits Le tribunal relegraveve que les creacuteances de lrsquoIFAP sont soumises au deacutelai ordinaire de prescription

de vingt ans Quant aux inteacuterecircts les juridictions nationales supeacuterieures considegraverent que les inteacuterecircts sont prescrits

apregraves lrsquoeacutecoulement drsquoun deacutelai de cinq ans qui commence agrave courir agrave compter de lrsquoexigibiliteacute de lrsquoobligation Or il

ressort de la jurisprudence constante de la Cour de justice en matiegravere drsquoaides drsquoEtat que lrsquoapplication des

proceacutedures nationales ne doit pas faire obstacle au reacutetablissement drsquoune concurrence effective en empecircchant

lrsquoexeacutecution immeacutediate et effective de la deacutecision de reacutecupeacuteration de la Commission europeacuteenne

Crsquoest dans ce contexte que le tribunal administratif et fiscal de Coimbra a deacutecideacute de surseoir agrave statuer

et de poser agrave la Cour de justice les questions preacutejudicielles suivantes

laquo 1) Le deacutelai de prescription pour lrsquoexercice des pouvoirs [de la Commission] pour la reacutecupeacuteration de lrsquoaide preacutevu agrave lrsquoarticle 17 paragraphe 1 du regraveglement 20151589 srsquoapplique-t-il uniquement aux rapports entre lrsquoUnion et lrsquoEacutetat membre destinataire de la deacutecision de reacutecupeacuteration des aides ou

srsquoapplique-t-il eacutegalement aux rapports entre cet Eacutetat et la partie opposante en tant que beacuteneacuteficiaire de lrsquoaide consideacutereacutee comme eacutetant incompatible avec le marcheacute [inteacuterieur]

Renvoi preacutejudiciel ndash Aides drsquoEacutetat ndash Article 108 TFUE ndash Reacutegime drsquoaides incompatible avec le marcheacute inteacuterieur ndash Deacutecision de la Commission europeacuteenne ordonnant la reacutecupeacuteration des aides illeacutegales ndash Regraveglement (UE) 20151589 ndash Article 17 paragraphe 1 ndash Deacutelai de prescription de dix ans ndash Application aux pouvoirs de reacutecupeacuteration de la Commission ndash Article 16 paragraphes 2 et 3 ndash Reacuteglementation nationale preacutevoyant un deacutelai de prescription infeacuterieur ndash Principe drsquoeffectiviteacute

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2) Dans lrsquohypothegravese ougrave il serait deacutecideacute que le deacutelai en question est applicable aux rapports entre

lrsquoEacutetat membre destinataire de la deacutecision de reacutecupeacuteration des aides et le beacuteneacuteficiaire de lrsquoaide consideacutereacutee comme eacutetant incompatible avec le marcheacute [inteacuterieur] convient-il de consideacuterer que ce deacutelai est uniquement applicable agrave la phase de proceacutedure ou qursquoil est eacutegalement applicable agrave lrsquoexeacutecution de la deacutecision de reacutecupeacuteration

3) Dans lrsquohypothegravese ougrave il serait deacutecideacute que le deacutelai en question est applicable aux rapports entre lrsquoEacutetat membre destinataire de la deacutecision de reacutecupeacuteration des aides et le beacuteneacuteficiaire de lrsquoaide

consideacutereacutee comme eacutetant incompatible avec le marcheacute [inteacuterieur] convient-il de consideacuterer que ce deacutelai est interrompu par tout acte relatif agrave lrsquoaide illeacutegale et eacutemanant de la Commission ou de lrsquoEacutetat membre concerneacute mecircme srsquoil nrsquoa pas eacuteteacute notifieacute au beacuteneacuteficiaire de lrsquoaide devant ecirctre reacutecupeacutereacutee

4) Lrsquoarticle 16 paragraphe 2 du regraveglement 20151589 [] ainsi que les principes [geacuteneacuteraux de droit] de lrsquoUnion notamment le principe drsquoeffectiviteacute et le principe drsquoincompatibiliteacute des aides drsquoEacutetat avec le

marcheacute [inteacuterieur] srsquoopposent-ils agrave lrsquoapplication drsquoun deacutelai de prescription drsquoune dureacutee infeacuterieure agrave celle preacutevue agrave lrsquoarticle 17 [de ce] regraveglement comme le deacutelai preacutevu agrave lrsquoarticle 310 [hellip] sous d) du code civil aux inteacuterecircts qui srsquoajoutent agrave lrsquoaide devant ecirctre reacutecupeacutereacutee raquo

o Sur la premiegravere question

La Cour de justice estime aux points 30 et 31 que lrsquoarticle 17 paragraphe 1 du regraveglement 20151589 qui preacutevoit

un deacutelai de prescription de dix ans vise uniquement les pouvoirs de la Commission europeacuteenne en matiegravere de

reacutecupeacuteration de lrsquoaide Ce deacutelai ne pourrait donc pas ecirctre appliqueacute agrave la proceacutedure de reacutecupeacuteration drsquoune aide

illeacutegale par les autoriteacutes nationales compeacutetentes

Par suite la Cour de justice reacutepond agrave la premiegravere question que lrsquoarticle 17 paragraphe 1 du regraveglement 20151589

doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que le deacutelai de prescription de dix ans ne srsquoapplique qursquoaux rapports entre la

Commission europeacuteenne et lrsquoEtat membre destinataire de la deacutecision de reacutecupeacuteration eacutemanant de cette

institution

o Sur les deuxiegraveme et troisiegraveme questions

Eu eacutegard agrave la reacuteponse apporteacutee agrave la premiegravere question il nrsquoy a pas lieu de reacutepondre aux deuxiegraveme et troisiegraveme

questions

o Sur la quatriegraveme question

Observations liminaires

LrsquoIFAP et le gouvernement portugais contestent lrsquointerpreacutetation de la juridiction de renvoi selon laquelle le deacutelai

de prescription de cinq ans est susceptible de srsquoappliquer au recouvrement des inteacuterecircts affeacuterents agrave lrsquoaide devant

ecirctre reacutecupeacutereacutee et de faire obstacle agrave la reacutecupeacuteration de ces inteacuterecircts La Cour de justice rappelle au point 38 que

lorsqursquoelle est saisie agrave titre preacutejudiciel par une juridiction nationale elle srsquoen tient agrave lrsquointerpreacutetation du droit

national qui lui a eacuteteacute exposeacutee par cette juridiction

Sur la question

La Cour de justice rappelle que le Portugal devait reacutecupeacuterer lrsquoaide viseacutee par la deacutecision de la Commission

europeacuteenne inteacuterecircts compris La reacutecupeacuteration srsquoeffectue conformeacutement aux proceacutedures preacutevues par le droit

national pour autant que ces derniegraveres permettent lrsquoexeacutecution immeacutediate et effective de la deacutecision de la

Commission europeacuteenne Ainsi les regravegles de prescription doivent ecirctre appliqueacutees de maniegravere agrave ne pas rendre

pratiquement impossible la reacutecupeacuteration exigeacutee par le droit de lrsquoUnion et en prenant pleinement en consideacuteration

lrsquointeacuterecirct de lrsquoUnion La Cour de justice rappelle au point 44 sa jurisprudence constante selon laquelle les deacutelais de

prescription remplissent la fonction drsquoassurer la seacutecuriteacute juridique Pour autant comme elle le souligne au point

45 il importe de mettre en balance le respect de cet impeacuteratif de seacutecuriteacute juridique avec lrsquointeacuterecirct public visant agrave

eacuteviter que le fonctionnement du marcheacute ne soit fausseacute par des aides drsquoEtat nuisibles pour la concurrence

En lrsquoespegravece le deacutelai de prescription de cinq ans applicable aux inteacuterecircts affeacuterents agrave lrsquoaide en cause nrsquoa eacuteteacute

interrompu que le 26 juillet 2013 et que tous les inteacuterecircts dus pour la peacuteriode anteacuterieure au 26 juin 2008 sont

prescrits Il en ressort donc que lrsquoapplication de ce deacutelai de prescription ferait obstacle agrave une reacutecupeacuteration drsquoune

partie des inteacuterecircts affeacuterents agrave lrsquoaide en cause et partant agrave une reacutecupeacuteration inteacutegrale de lrsquoaide Comme le relegraveve

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la Cour de justice au point 48 la juridiction de renvoi a releveacute que degraves lors que sont consideacutereacutes comme prescrits

les inteacuterecircts dus pour la peacuteriode anteacuterieure aux cinq ans qui preacutecegravedent lrsquoacte interruptif de prescription la creacuteance

relative aux inteacuterecircts affeacuterents agrave une aide pourrait ecirctre prescrite avant mecircme que le droit de la Commission

europeacuteenne drsquoexiger la reacutecupeacuteration de cette aide ne soit prescrit

En ce qui concerne la prescription drsquoune partie des inteacuterecircts affeacuterents agrave lrsquoaide en cause anteacuterieurement agrave

lrsquoadoption de la deacutecision de la Commission europeacuteenne il convient de relever que lrsquointervention drsquoune telle

prescription rendrait impossible la reacutecupeacuteration inteacutegrale exigeacutee par le droit de lrsquoUnion La Cour de justice estime

au point 50 que la Commission europeacuteenne peut toujours dans le deacutelai de dix ans preacutevu demander la

reacutecupeacuteration drsquoune aide illeacutegale et ce malgreacute lrsquoexpiration eacuteventuelle du deacutelai de prescription applicable dans la

proceacutedure nationale La requeacuterante ne saurait en lrsquoespegravece valablement se preacutevaloir drsquoune confiance leacutegitime dans

la reacutegulariteacute de lrsquoaide en cause La Cour de justice en conclu au point 52 qursquoun deacutelai de prescription national qui

a expireacute avant mecircme lrsquoadoption de la deacutecision de reacutecupeacuteration de la Commission europeacuteenne doit donc ecirctre

laisseacute inappliqueacute par la juridiction de renvoi

En ce qui concerne la prescription drsquoune partie des inteacuterecircts affeacuterents agrave lrsquoaide en cause posteacuterieurement agrave

lrsquoadoption de la deacutecision de la Commission europeacuteenne il convient de relever que lrsquoexeacutecution drsquoune deacutecision de

reacutecupeacuteration de la Commission europeacuteenne doit ecirctre immeacutediate En lrsquoespegravece il ressort du point 54 que la

prescription drsquoune partie des inteacuterecircts affeacuterents agrave lrsquoaide en cause reacutesulte donc principalement du fait que le

preacutedeacutecesseur de lrsquoIFAP et lrsquoIFAP ont tardeacute agrave exeacutecuter la deacutecision de la Commission europeacuteenne Or la Cour de

justice souligne au point 56 qursquoadmettre la prescription des inteacuterecircts affeacuterents agrave une aide illeacutegale au motif que les

autoriteacutes nationales se sont conformeacutees avec retard agrave la deacutecision de reacutecupeacuteration de la Commission europeacuteenne

rendrait la reacutecupeacuteration inteacutegrale pratiquement impossible et la reacuteglementation de lrsquoUnion relative aux aides drsquoEtat

priveacutee de tout effet utile

Dans de telles circonstances le principe de seacutecuriteacute juridique que les deacutelais de prescription visent agrave garantir ne

saurait faire obstacle agrave la reacutecupeacuteration drsquoune aide deacuteclareacutee incompatible avec le marcheacute inteacuterieur

Par suite il convient de reacutepondre agrave la quatriegraveme question que lrsquoarticle 16 paragraphe 2 du regraveglement 20151589

et le principe drsquoeffectiviteacute doivent ecirctre interpreacuteteacutes en ce sens qursquoils srsquoopposent agrave lrsquoapplication drsquoun deacutelai de

prescription national au recouvrement drsquoune aide lorsque ce deacutelai a expireacute avant mecircme lrsquoadoption de la deacutecision

de la Commission europeacuteenne ou lorsque ce deacutelai de prescription srsquoest eacutecouleacute principalement en raison du retard

mis par les autoriteacutes nationales pour exeacutecuter cette deacutecision

Par ces motifs la Cour de justice (deuxiegraveme chambre) dit pour droit

1) Lrsquoarticle 17 paragraphe 1 du regraveglement (UE) 20151589 du Conseil du 13 juillet 2015 portant

modaliteacutes drsquoapplication de lrsquoarticle 108 du traiteacute sur le fonctionnement de lrsquoUnion europeacuteenne doit ecirctre

interpreacuteteacute en ce sens que le deacutelai de prescription de dix ans que preacutevoit cette disposition pour lrsquoexercice

des pouvoirs de la Commission europeacuteenne en matiegravere de reacutecupeacuteration des aides srsquoapplique

uniquement aux rapports entre la Commission et lrsquoEacutetat membre destinataire de la deacutecision de

reacutecupeacuteration eacutemanant de cette institution

2) Lrsquoarticle 16 paragraphe 2 du regraveglement 20151589 selon lequel lrsquoaide agrave reacutecupeacuterer comprend des

inteacuterecircts et le principe drsquoeffectiviteacute viseacute au paragraphe 3 de ce mecircme article doivent ecirctre interpreacuteteacutes en

ce sens qursquoils srsquoopposent agrave lrsquoapplication drsquoun deacutelai de prescription national au recouvrement drsquoune aide

lorsque ce deacutelai a expireacute avant mecircme lrsquoadoption de la deacutecision de la Commission deacuteclarant cette aide

illeacutegale et en ordonnant la reacutecupeacuteration ou lorsque ce deacutelai de prescription srsquoest eacutecouleacute principalement

en raison du retard mis par les autoriteacutes nationales pour exeacutecuter cette deacutecision

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Droit agrave un procegraves eacutequitable

Cour EDH (cinquiegraveme section) Keaney Irlande 30 avril 2020 ndeg7206017

Arrecirct rendu en anglais Mention drsquoune opinion concordante Reacutesumeacute La Cour EDH juge que lrsquoordre juridique irlandais ne comporte pas de recours effectif pour les griefs relatifs agrave la dureacutee excessive drsquoune proceacutedure La Cour EDH a consideacutereacute qursquoil y avait non seulement une violation du droit agrave un procegraves eacutequitable dans un deacutelai raisonnable (article 6 sect 1 de la Convention) du fait de la longueur excessive du recours devant la juridiction suprecircme irlandaise mais aussi une violation au droit agrave un recours effectif (article 13 de la Convention) en ce qursquoelle a du mal agrave admettre que lrsquoaction en reacuteparation pour atteinte au droit constitutionnel agrave ecirctre jugeacute avec diligence soit effectif en theacuteorie et en pratique Le requeacuterant Vincent Keaney est un ressortissant irlandais neacute en 1955 et reacutesidant agrave Cobh (Irlande) En 1996 apregraves avoir gagneacute agrave la loterie nationale le requeacuterant a acheteacute un bacirctiment afin drsquoy faire un bar agrave thegraveme sous le nom de laquo The Titanic Bar and Restaurant raquo Suite agrave des difficulteacutes financiegraveres le requeacuterant srsquoest adresseacute agrave un consultant en finance et gestion afin de trouver des investisseurs potentiels et drsquoobtenir des conseils professionnels Neacuteanmoins le projet commercial eacutechoua En feacutevrier 2006 le requeacuterant entama une proceacutedure civile devant la Haute Cour contre 18 deacutefendeurs pour tromperie fraude fausse deacuteclarations et influence indue deacutecoulant des transactions commerciales reacutealiseacutees entre 2000 et 2003 Devant la Haute Cour le requeacuterant a ducirc modifier sa demande initiale agrave de nombreuses reprises afin qursquoen juillet 2008 lrsquoaffaire puisse ecirctre plaideacutee conformeacutement aux exigences nationales Par jugement du 19 deacutecembre 2008 la Haute Cour eacutecarta toutes les demandes du requeacuterant et le deacutebouta estimant que nombre de ses alleacutegations eacutetaient mal fondeacutees ou abusives Entre 2007 et 2009 le requeacuterant interjeta appel devant la Cour Suprecircme contre les arrecircts de la Haute Cour Entre juillet 2015 et avril 2017 la Cour Suprecircme rendit ses arrecircts en estimant qursquoil nrsquoy avait pas lieu drsquoinfirmer les arrecircts de la Haute Cour Elle preacutecisa que les alleacutegation non eacutetayeacutees du requeacuterant dans ses observations eacutecrites nrsquoeacutetaient laquo rien de moins qursquoun abus de proceacutedure raquo En conseacutequence le requeacuterant saisi la Cour EDH le 2 octobre 2017

- Sur la violation de lrsquoarticle 6 sect1 de la Convention Selon la Cour EDH le caractegravere raisonnable de la dureacutee drsquoune proceacutedure doit ecirctre appreacutecieacute au regard des circonstances de lrsquoespegravece et en fonction des critegraveres suivants (Lupeni c Roumanie [GC] ndeg7694311 sect 143 29 novembre 2016)

- La complexiteacute de lrsquoaffaire - Le comportement du requeacuterant et des autoriteacutes compeacutetentes - Lrsquoenjeu du litige

Lrsquoarticle 6 sect1 de la Convention exige que les affaires soient entendues dans un deacutelai raisonnable afin drsquoadministrer la justice sans retard susceptible de compromettre son efficaciteacute et sa creacutedibiliteacute

Art 6 sect 1 bull Deacutelai raisonnable bull Dureacutee excessive de la proceacutedure civile bull Art 13 et 6 sect 1 bull Recours effectif dans le respect drsquoun deacutelai raisonnable des proceacutedures bull Lrsquoefficaciteacute de lrsquoaction en reacuteparation pour violation du droit constitutionnel drsquoecirctre jugeacute dans un deacutelai raisonnable doit encore ecirctre preacuteciseacutee dans la pratique

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Ainsi il appartient aux Eacutetats contractants drsquoorganiser leur systegraveme judiciaire de telle sorte que leurs tribunaux soient en mesure de garantir agrave chaque justiciable le droit drsquoobtenir une deacutecision deacutefinitive dans un deacutelai raisonnable dans des litiges relatifs aux droits et obligations de caractegravere civil (Frydlender c France [GC] ndeg3097996 sect43 27 juin 2000 Superwood Holdings Plc et autres c Irlande ndeg781204 sect 38 8 septembre 2011 Healy c Irlande ndeg2729116 sect 49 18 janvier 2018) Si la Cour EDH preacutecise qursquoun retard temporaire dans les affaires judiciaires nrsquoentraicircne pas la responsabiliteacute internationale drsquoun Eacutetat contractant srsquoil prend les mesures correctives approprieacutees agrave la ceacuteleacuteriteacute requise une surcharge drsquoaffaires dans le systegraveme interne ne peut justifier une dureacutee excessive des proceacutedures pas plus que le fait que les situations drsquoarrieacutereacute se soient banaliseacutees (sect88) De plus la Cour EDH prend soin de rappeler que dans les proceacutedures civiles la principale obligation de faire avancer la proceacutedure incombe aux parties qui ont le devoir drsquoaccomplir avec diligence les actes de proceacutedure pertinents (Unioacuten Alimentaria Sanders SA c Espagne ndeg1168185 sect 35 7 juillet 1989 Healy c Irlande ndeg2729116 sect 55) Toutefois un principe de droit ou une pratique interne selon lequel les parties agrave une proceacutedure civile sont tenues de prendre lrsquoinitiative srsquoagissant du deacuteroulement de la proceacutedure ne dispense pas lrsquoEacutetat de se conformer agrave lrsquoobligation de traiter les affaires dans un deacutelai raisonnable (sect 90) En lrsquoespegravece la Cour EDH note que la peacuteriode agrave prendre en compte a commenceacute le 8 feacutevrier 2006 lorsque le requeacuterant a entameacute une proceacutedure devant la Haute Cour et srsquoest termineacute le 5 avril 2017 lorsque la Cour Suprecircme a rendu son jugement dans le cadre du recours du requeacuterant contre les arrecircts de la Haute Cour La proceacutedure a donc dureacute plus de onze ans pour ecirctre entendue devant les deux niveau de juridiction La Cour EDH reconnaicirct que le litige du requeacuterant a pris une ampleur dans commune mesure avec la nature du droit sous-jacent Neacuteanmoins elle considegravere que le comportement de ce dernier a eu un impact significatif sur lrsquoeacutevolution de lrsquoaffaire et qursquoil ne peut se preacutevaloir des peacuteriodes pendant lesquelles ses actions ont causeacute le retard (mutatis mutandis Vayiccedil c Turquie ndeg1807802 sect 44 20 juin 2006 et Uysal et Osal c Turquie ndeg120603 sect 30 13 deacutecembre 2007) La Cour EDH conclut donc que malgreacute le comportement du requeacuterant qui a contribueacute au retard devant la Haute Cour et la Cour Suprecircme la dureacutee globale de la proceacutedure eacutetait excessive et ne respectait pas le critegravere du deacutelai raisonnable En conseacutequence la Cour EDH dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention

- Sur la violation de lrsquoarticle 13 de la Convention combineacute agrave lrsquoarticle 6 sect1 de la Convention Lrsquoarticle 13 de la Convention garantir lrsquoexistence au niveau national drsquoun recours permettant drsquoune violation des droits et liberteacutes eacutenonceacutes dans la Convention Srsquoil existe agrave la faveur des Eacutetats contractants une certaine liberteacute quant agrave la maniegravere dont ils se conforment agrave leurs obligations conventionnelles il doit exister un recours interne permettant aux juridictions nationales compeacutetentes de traiter agrave la fois le fond de la demande lieacute agrave la violation drsquoune disposition de la Convention et drsquoaccorder une reacuteparation adeacutequate La Cour EDH rappelle que mecircme si la porteacutee de lrsquoobligation preacutevue agrave article 13 de la Convention varie selon la nature du grief du requeacuterant le recours doit ecirctre effectif en pratique comme en droit en ce que son exercice ne doit pas ecirctre entraveacute de maniegravere injustifieacutee par les actes ou omissions des autoriteacutes de lrsquoEacutetat (De Tommaso c Italie [GC] ndeg4339509 sect 179 23 feacutevrier 2017) Srsquoagissant de lrsquoeffectiviteacute des recours dans un deacutelai raisonnable lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention impose aux Eacutetats contractants le devoir drsquoorganiser leur systegraveme judiciaire de telle sorte que leurs tribunaux puissent statuer dans un deacutelai raisonnable La Cour EDH considegravere que lorsque le systegraveme judiciaire est deacuteficient agrave cet eacutegard un recours visant agrave acceacuteleacuterer la proceacutedure afin drsquoeacuteviter qursquoelle ne devienne excessivement longue est la solution la plus adapteacutee il sera jugeacute effectif dans la mesure ougrave il acceacutelegravere la deacutecision du tribunal concerneacute Toutefois ce genre de recours peut ne pas ecirctre suffisant au regard de proceacutedures deacutejagrave excessivement longues Ainsi la Cour EDH a deacuteclareacute que les Eacutetats pouvaient choisir de combiner le recours visant agrave acceacuteleacuterer la proceacutedure avec un autre visant agrave une indemnisation bien qursquoils puissent eacutegalement choisir drsquointroduire

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qursquoun recours en reacuteparation qans que ce dernier soit consideacutereacute comme inefficace (Fil LLC c Armeacutenie ndeg1852613 sect 47 31 janvier 2019) De plus Cour EDH preacutecise que lrsquoeffectiviteacute drsquoun recours ne deacutepend pas de la certitude drsquoune issue favorable pour le requeacuterant Enfin la Cour EDH estime qursquoune attention particuliegravere doit ecirctre accordeacutee agrave la rapiditeacute de la reacuteparation en elle-mecircme sans qursquoil soit exclu que son caractegravere adeacutequat puisse ecirctre compromis par sa dureacutee excessive (Doran v Ireland ndeg5038999 sectsect 57-58) En lrsquoespegravece la Cour EDH rappelle qursquoelle a deacutejagrave eu lrsquooccasion de souligner les difficulteacutes reacutesultant de lrsquoabsence de recours interne effectif en Irlande (Healy c Irlande ndeg2729116 sect 69) De plus elle rappelle que dans lrsquoaffaire McFarlane c Irlande (ndeg3133306 10 septembre 2010) le Gouvernement irlandais nrsquoavait pas deacutemontreacute qursquoune action en reacuteparation pour violation du droit constitutionnel agrave ecirctre jugeacute dans un deacutelai raisonnable constituait un recours effectif en theacuteorie et en pratique agrave la faveur du requeacuterant Si le Gouvernement irlandais soutient que dans un arrecirct de Cour Suprecircme posteacuterieur agrave lrsquoarrecirct McFarlane (Nash v DPP) une importante clarification est faite quant aux conditions subordonnant lrsquooctroi de la reacuteparation preacutevue par la Constitution pour une dureacutee excessive drsquoune proceacutedure peacutenale la Cour EDH nrsquoest pas convaincue par cet argument En effet la Cour EDH estime tout drsquoabord que la Cour Suprecircme srsquoest abstenue de deacutefinir les conditions drsquoune telle action Ensuite la question de la ceacuteleacuteriteacute du recours en reacuteparation est lui-mecircme remis en cause puisque la Cour EDH observe que dans lrsquoaffaire Nash lrsquoaction en reacuteparation pour deacutelai excessif a dureacute plus de six ans et demi Enfin un autre type de recours lrsquoaction en reacuteparation fondeacutee lrsquoEuropean Convention on Human Rights Act de 2003 ne peut ecirctre exerceacute que lorsqursquoaucune autre action en reacuteparation nrsquoest possible En conseacutequence la Cour EDH conclut agrave la violation de lrsquoarticle 13 de la Convention combineacute agrave lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention Par ces motifs la Cour EDH agrave lrsquounanimiteacute

1 Deacuteclare la demande recevable

2 Dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 6 sect1 de la Convention

3 Dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 13 lu avec lrsquoarticle 6 sect1 de la Convention

4 Dit que la constatation de la violation constitue une satisfaction eacutequitable suffisante pour tout dommage subi par le requeacuterant

5 Dit a Que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans un deacutelai de trois mois agrave compter

de la date agrave laquelle le jugement devient deacutefinitif conformeacutement agrave lrsquoarticle 44 sect2 de la Convention 3 000 EUR (trois mille euros) plus toute taxe qui pourrait ecirctre mise agrave la charge du requeacuterant au titre des frais et deacutepens

b Qursquoagrave compter de lrsquoexpiration des trois mois et jusqursquoau regraveglement des inteacuterecircts simples seront dus sur le montants susmentionneacutes agrave un taux eacutegal au taux de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne pendant la peacuteriode de carence majoreacute de trois points de pourcentage

6 Rejette la demande de satisfaction eacutequitable du requeacuterant

Opinion concordante du Juge OrsquoLeary Le Juge OrsquoLeary souscrit pleinement agrave lrsquoarrecirct rendu par la cinquiegraveme chambre constatant la violation des articles 6 sect 1 et 13 de la Convention en raison de la dureacutee excessive de la proceacutedure civile du requeacuterant et de labsence de recours interne effectif en cas de retard deacuteraisonnable

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Lrsquoopinion concordante preacutecise que lrsquoarrecirct Keaney c Irlande fait partie drsquoune seacuterie longue drsquoaffaires relatives agrave lrsquoarticle 6 sect 1 et 13 de la Convention concernant lrsquoIrlande sur une peacuteriode de pregraves de vingt ans Agrave ce titre le fait que lrsquoarrecirct ait eacuteteacute rendu par une chambre de sept juges plutocirct que par un comiteacute des trois juges souligne lrsquoimportance des questions souleveacutees srsquoagissant des affaires relatives aux retards deacuteraisonnables dans les proceacutedures civiles et peacutenales Srsquoagissant de lrsquoeffectiviteacute drsquoune action en reacuteparation pour violation du droit constitutionnel agrave un procegraves dans un deacutelai raisonnable le juge OrsquoLeary rappelle que lrsquoarrecirct Keaney c Irlande fait suite agrave lrsquoaffaire Nash c DPP rendu par la Cour Suprecircme en 2018 Enfin le juge OrsquoLeary eacutevoque la neacutecessiteacute de remeacutedier au problegraveme systeacutematique de retard excessif dans les proceacutedures Si le Gouvernement irlandais ne cesse de rappeler que la responsabiliteacute premiegravere de lrsquoavancement de la proceacutedure civile incombe aux parties la Cour EDH considegravere qursquoil appartient agrave lrsquoEacutetat drsquoeacuteriger le cadre approprieacute pour soutenir une administration efficace de la justice Le juge OrsquoLeary reconnait que de nombreuses mesures ont eacuteteacute adopteacutees par et pour les tribunaux nationaux irlandais au cours de ces derniegraveres anneacutees mais considegravere que lrsquoarrecirct Keaney reflegravete le fait que lorsquun requeacuterant se plaint dun retard excessif dans le systegraveme juridictionnel geacuteneacuteral le renvoi de ce dernier vers le systegraveme remis en cause a peu pour un recours a peu de chances pour le moment de satisfaire aux exigences des articles 35 sect 1 et 13 de la Convention Dans son opinion concordante le juge OrsquoLeary conclut que lrsquoarticle 6 de la Convention veille agrave ce que les proceacutedures soient traiteacutees dans un deacutelai raisonnable Il considegravere que lrsquoarrecirct Keaney srsquoapparente agrave un jugement de principe identifiant un problegraveme systeacutematique de retard qui en ce qui concerne certains niveaux du systegraveme judiciaire national a pu ecirctre corrigeacute depuis Il sagit eacutegalement dun jugement qui exige de lEacutetat deacutefendeur quil agisse en ce qui concerne loffre dun recours interne effectif en cas de retard Plus largement cette affaire reflegravete la reacutealiteacute quotidienne agrave laquelle sont confronteacutes les tribunaux dans les juridictions ougrave le ratio jugespopulation est faible ougrave le volume des litiges est sensiblement supeacuterieur au nombre de juges mobiliseacutes pour les traiter ougrave les ressources correspondantes font deacutefaut et ougrave les regravegles de proceacutedure peuvent neacutecessiter une reacutevision pour proteacuteger les tribunaux et les autres parties contre ceux qui perdent du temps

Droit agrave la vie

Cour EDH (deuxiegraveme section) Jeanty Belgique 31 mars 2020 ndeg8228417

Mention drsquoune opinion en partie dissidente Reacutesumeacute Dans une affaire qui concerne une personne atteinte de troubles psychiques et ayant tenteacute de se suicider agrave plusieurs reprises lors de ses placements en deacutetention preacuteventive dans une prison belge la Cour EDH a estimeacute agrave la majoriteacute qursquoil nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 2 de la Convention car les mesures prises par les autoriteacutes ont effectivement permis drsquoempecirccher que le requeacuterant se suicide Toutefois la Cour EDH juge qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 3 de la Convention du fait que le requeacuterant a eacuteteacute soumis agrave une deacutetresse drsquoune intensiteacute ayant exceacutedeacute le niveau ineacutevitable de souffrance inheacuterent agrave la deacutetention notamment en raison du manque drsquoencadrement et de suivi meacutedical au cours de sa deacutetention combineacute avec lrsquoinfliction drsquoune sanction disciplinaire dans une cellule drsquoisolement Elle relegraveve eacutegalement que lrsquoenquecircte meneacutee agrave ce propos nrsquoa pas eacuteteacute effective Le requeacuterant Philippe Jeanty est un ressortissant belge La requecircte porte sur les deux peacuteriodes pendant lesquelles il eacutetait deacutetenu agrave la maison drsquoarrecirct drsquoArlon en Belgique entre le 26 juin 2011 et le 12 aoucirct 2011 puis entre le 21

Art 2 (mateacuteriel) bull Obligations positives bull Autoriteacutes peacutenitentiaires intervenues rapidement pour effectivement empecirccher plusieurs tentatives de suicide Art 3 (mateacuteriel et proceacutedural) bull Traitement inhumain et deacutegradant bull Manque de soins psychiatriques prodigueacute s agrave un deacutetenu preacutesentant des tendances suicidaires bull Placement agrave lrsquoisolement pendant trois jours sans prise en compte de lrsquoeacutetat psychique du requeacuterant bull Absence drsquoenquecircte effective

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octobre 2011 et le 2 deacutecembre 2011 Il eacutetait suspecteacute drsquoavoir commis un attentat agrave la pudeur avec violences ou menaces et coups et blessures avec incapaciteacute de travail sur son eacutepouse Les faits ayant eu lieu entre le 26 juin 2011 et 12 aoucirct 2011 La nuit du 25 juin 2011 le requeacuterant a eacuteteacute placeacute en garde-agrave-vue eacutetant suspecteacute drsquoagression sexuelle sur son eacutepouse Lors de son audition par la police M Jeanty a fait valoir sa deacutetresse psychologique et a demandeacute agrave ecirctre interneacute indiquant ses intentions de se suicider Le lendemain le juge drsquoinstruction a ordonneacute le placement en deacutetention du requeacuterant et a informeacute la prison drsquoArlon des tendances suicidaires de lrsquointeacuteresseacute Degraves son arriveacutee agrave la maison drsquoarrecirct le requeacuterant a tenteacute de se suicider agrave trois reprises mais les agents peacutenitentiaires sont intervenus pour lrsquoen empecirccher Il a eacuteteacute placeacute dans une cellule drsquoisolement seacutecuriseacutee sous surveillance speacuteciale pendant quelques jours Il a ensuite eacuteteacute mis en liberteacute sous condition le 12 aoucirct 2011 Les faits ayant eu lieu entre le 21 octobre 2011 et le 2 deacutecembre 2011 En octobre 2011 un second mandat drsquoarrecirct a eacuteteacute deacutelivreacute contre M Jeanty ce dernier nrsquoayant pas respecteacute les conditions de sa libeacuteration conditionnelle Le requeacuterant a ainsi reacuteinteacutegreacute la prison drsquoArlon ougrave il a changeacute de cellule agrave plusieurs reprises apregraves ses plaintes agrave lrsquoencontre de ses codeacutetenus Le 13 novembre 2011 suite au refus de lrsquoassistant peacutenitentiaire chef drsquoeacutequipe de le changer agrave nouveau de cellule le requeacuterant a menaceacute de se suicider et a eacuteteacute placeacute en cellule drsquoisolement sous surveillance speacuteciale Lors drsquoun controcircle le mecircme jour un agent peacutenitentiaire a trouveacute le requeacuterant percheacute sur les barreaux de la porte en train drsquoattacher son pantalon et a reacuteussi de lrsquoarrecircter avant que ce dernier ne se lance dans le vide Sur ordre du meacutedecin il a eacuteteacute deacutecideacute de lui mettre un casque ainsi que des menottes agrave lrsquoavant afin drsquoempecirccher le requeacuterant de se blesser en se tapant la tecircte contre le mur Agrave sa sortie de la cellule drsquoisolement le 15 novembre 2011 le requeacuterant a eacuteteacute auditionneacute par le directeur de la prison qui a deacutecideacute de transformer en sanction disciplinaire le placement en cellule drsquoisolement de trois jours estimant que les menaces de suicide visaient agrave faire pression sur le personnel peacutenitentiaire pour obtenir une mutation de cellule M Jeanty a eacuteteacute remis en liberteacute conditionnelle le 2 deacutecembre 2011 La plainte peacutenale du requeacuterant et la proceacutedure devant les juridictions internes Le 1er avril 2014 le requeacuterant srsquoest constitueacute partie civile contre le directeur de la prison du chef drsquoabstention coupable et traitements inhumains et deacutegradants aupregraves du juge drsquoinstruction de Neufchacircteau Dans la plainte le requeacuterant se plaignait notamment drsquoavoir subi un traitement inhumain et deacutegradant au cours de ses peacuteriodes de deacutetention et du fait qursquoil eacuteteacute placeacute dans les quartiers ordinaires de la prison alors que son eacutetat de santeacute mentale deacutefaillant neacutecessitait un soutien psychologique Cette plainte a deacuteboucheacute sur un non-lieu qui eacutetait ulteacuterieurement confirmeacute en appel Le pourvoi en cassation qui porteacute sur la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 3 de la Convention a eacuteteacute rejeteacute par un arrecirct du 14 juin 2017 La Cour de cassation a estimeacute entre autre qursquoil nrsquoeacutetait pas contradictoire de consideacuterer que les mesures prises par le personnel peacutenitentiaire et les meacutedecins en vue de proteacuteger lrsquointeacutegriteacute physique du requeacuterant ne semblaient pas adeacutequates au regard des exigences de sa jurisprudence mais que neacuteanmoins il nrsquoexistait pas de charges de culpabiliteacute concernant lrsquoabstention de porter secours La proceacutedure peacutenale relative aux faits pour lesquels le requeacuterant a eacuteteacute poursuivi Le 23 avril 2014 le tribunal correctionnel drsquoArlon a condamneacute le requeacuterant agrave une peine de quatre ans drsquoemprisonnement dont la moitieacute avec sursis pour les faits drsquoattentat agrave la pudeur avec violences ou menaces et coups et blessures avec incapaciteacute de travail sur son eacutepouse Le 2 avril 2019 la cour drsquoappel de Liegravege a reacuteformeacute le jugement estimant que le requeacuterant eacutetait au moment des faits et au jour du prononceacute de lrsquoarrecirct atteint drsquoun trouble mental qui abolissait ou alteacuterait gravement sa capaciteacute de discernement ou de controcircle de ses actes Partant la cour drsquoappel a deacuteclareacute le requeacuterant irresponsable de ses actes et a ordonneacute son internement ainsi que son arrestation immeacutediate

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Le requeacuterant a eacuteteacute ensuite placeacute agrave la prison de Namur parfois agrave lrsquoannexe psychiatrique de la prison parfois dans les quartiers ordinaires par manque de place Le requeacuterant indique ne recevoir aucun soin pour son eacutetat de santeacute mentale Le 20 novembre 2017 le requeacuterant a introduit une requecircte devant la Cour EDH invoquant une violation des articles 2 (droit agrave la vie) et 3 (interdiction de la torture des traitements inhumaines ou deacutegradants) de la Convention EDH Il allegravegue une violation de lrsquoarticle 2 de la Convention du fait que les autoriteacutes avaient failli agrave leur obligation de prendre les mesures adeacutequates afin drsquoempecirccher la mateacuterialisation du risque certain et immeacutediat qursquoil attente agrave sa vie De plus il se plaint sous lrsquoangle de lrsquoarticle 3 de la Convention de lrsquoabsence de soins meacutedicaux approprieacutes durant sa deacutetention du traitement subi lors de ses placements en isolement et de lrsquoabsence drsquoune enquecircte effective

1) Sur la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 2 de la Convention o Sur la recevabiliteacute

La Cour EDH examine drsquooffice en lrsquoespegravece lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 2 de la Convention EDH Elle rappelle que la circonstance dans laquelle le requeacuterant nrsquoest pas deacuteceacutedeacute suite agrave ses tentatives de suicide qui font lrsquoobjet du grief nrsquoest pas en soi de nature agrave exclure lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 2 de la Convention eacutetant donneacute que la Cour EDH a reconnu agrave de nombreuses reprises lrsquoapplicabiliteacute de cette disposition mecircme lorsque la personne qui se disait victime drsquoune atteinte agrave son droit agrave la vie nrsquoeacutetait pas deacuteceacutedeacutee (Cour EDH Makaratzis c Gregravece [GC] 20 deacutecembre 2004 no 5038599 et Nicolae Virgiliu Tănase c Roumanie [GC] 25 juin 2019 no 4172013) Par ailleurs la Cour EDH a reconnu lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 2 de la Convention dans des affaires concernant des suicides en deacutetention (Cour EDH Renolde c France 16 octobre 2008 no 560805 et De Donder et De Clippel c Belgique 6 deacutecembre 2011 no 859506) En lrsquoespegravece le requeacuterant a tenteacute agrave plusieurs reprises au cours de sa deacutetention de mettre fin agrave ses jours et crsquoest gracircce agrave lrsquointervention des agents peacutenitentiaires que ces tentatives nrsquoont pas abouti Selon la Cour EDH le fait que le requeacuterant nrsquoait pas subi de blessure potentiellement mortelle nrsquoest pas deacuteterminant dans ce cas En effet la nature mecircme de lrsquoaction du requeacuterant lui faisait courir un risque reacuteel et imminent pour sa vie En conseacutequent la Cour EDH considegravere que lrsquoarticle 2 trouve agrave srsquoappliquer

o Sur le fond La Cour EDH rappelle tout drsquoabord que lrsquoarticle 2 astreint les Eacutetats non seulement agrave srsquoabstenir de provoquer la mort de maniegravere volontaire et irreacuteguliegravere mais aussi agrave prendre les mesures neacutecessaires agrave la protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction (Cour EDH Fernandes de Oliveira c Portugal [GC] 31 janvier 2019 no 7810314) Cette disposition peut dans certaines circonstances bien deacutefinies mettre agrave la charge des autoriteacutes lrsquoobligation positive de prendre des mesures opeacuterationnelles preacuteventives pour proteacuteger un individu contre autrui ou contre lui-mecircme (Cour EDH Renolde preacuteciteacute sect 80 Fernandes de Oliveira preacuteciteacute sect 108 et Nicolae Virgiliu Tănase preacuteciteacute sect 136) Elle a deacutejagrave jugeacute que dans le cas speacutecifique du risque de suicide en prison lrsquoEacutetat nrsquoa une telle obligation positive que lorsque les autoriteacutes savaient ou auraient ducirc savoir qursquoil existait un risque reacuteel et immeacutediat qursquoun individu donneacute attente agrave sa vie (Cour EDH De Donder et De Clippel preacuteciteacute sect 69 et Fernandes de Oliveira preacuteciteacute sect 110) Dans le cas de lrsquoespegravece la Cour EDH a estimeacute opportun drsquoexaminer sous lrsquoangle de lrsquoarticle 2 de la Convention uniquement les mesures prises par les autoriteacutes peacutenitentiaires pour empecirccher que le requeacuterant attente effectivement agrave ses jours La Cour EDH relegraveve que en ce qui concerne toutes les tentatives de suicide du requeacuterant pendant son emprisonnement agrave la maison drsquoarrecirct les autoriteacutes peacutenitentiaires sont intervenues rapidement et ont reacuteussi agrave empecirccher que le requeacuterant mette fin agrave sa vie Il a ensuite fait lrsquoobjet drsquoune surveillance speacuteciale et tous les objets potentiellement dangereux lui ont eacuteteacute retireacutes afin drsquoeacuteviter tout autre tentative Par conseacutequence la Cour EDH estime que dans lrsquoensemble les autoriteacutes ont fait ce que lrsquoon pouvait raisonnablement attendre drsquoelles dans les circonstances de la cause pour empecirccher la mateacuterialisation du risque pour la vie du requeacuterant dans la mesure ougrave elles avaient connaissance du caractegravere certain et immeacutediat de ce risque Les mesures prises ont drsquoailleurs effectivement permis drsquoempecirccher que le requeacuterant se suicide Partant elle juge qursquoil nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 2 de la Convention

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2) Sur la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 3 de la Convention

o Sur le volet mateacuteriel

La Cour EDH rappelle qursquoun traitement doit atteindre un minimum de graviteacute pour tomber sous le coup de lrsquoarticle 3 de la Convention Selon une jurisprudence constante un traitement peut ecirctre qualifieacute de laquo deacutegradant raquo au sens de lrsquoarticle 3 srsquoil humilie ou avilit un individu srsquoil teacutemoigne drsquoun manque de respect pour sa digniteacute ou srsquoil suscite chez lui des sentiments de peur drsquoangoisse ou drsquoinfeacuterioriteacute propres agrave briser sa reacutesistance morale et physique (Cour EDH MSS c Belgique et Gregravece [GC] 21 janvier 2011 no 3069609 sect 220 et El-Masri c lrsquoex-Reacutepublique yougoslave de Maceacutedoine [GC] 13 deacutecembre 2012 no 3963009 sect 202) Elle rappelle eacutegalement que les personnes atteintes drsquoune maladie mentale sont de personnes particuliegraverement vulneacuterables (Cour EDH Renolde preacuteciteacute sect 840) Les autoriteacutes sont ainsi tenues de veiller avec une rigueur particuliegravere agrave ce que les conditions de la deacutetention drsquoune personne atteinte drsquoune maladie mentale reacutepondent aux besoins speacutecifiques deacutecoulant de sa maladie (Cour EDH Fernandes de Oliveira preacuteciteacute sect 113) La Cour EDH constate tout drsquoabord qursquoau cours de ses deux peacuteriodes de deacutetention preacuteventive le requeacuterant a eacuteteacute traiteacute comme un simple deacutetenu placeacute dans un environnement carceacuteral ordinaire Elle considegravere que compte tenu de la fragiliteacute psychologique du requeacuterant de ses troubles comportementaux qui se sont manifesteacutes tout de suite apregraves son placement en deacutetention preacuteventive et qui auraient pu mettre en danger la propre personne de lrsquointeacuteresseacute il appartenait aux autoriteacutes de le faire examiner par un meacutedecin psychiatre afin de deacuteterminer la compatibiliteacute de son eacutetat psychologique avec la deacutetention ainsi que les mesures theacuterapeutiques agrave prendre dans son cas preacutecis (Cour EDH Rupa c Roumanie (no 1) 16 deacutecembre 2008 no 5847800 sect 170) De plus la Cour EDH relegraveve que le deuxiegraveme placement agrave lrsquoisolement a eacuteteacute deacutecideacute agrave titre de mesure provisoire puis confirmeacute comme sanction disciplinaire Cette sanction a eacuteteacute appliqueacutee pendant une dureacutee de trois jours Pendant les premiegraveres 24 heures le requeacuterant resta nu entraveacute par les menottes et casqueacute sans avoir aucune visite Selon la Cour EDH cette mesure a eacuteteacute deacutecideacutee sans prise en compte de lrsquoeacutetat psychique du requeacuterant et sans qursquoil soit proceacutedeacute agrave une reacuteeacutevaluation de la neacutecessiteacute de maintenir les entraves et la nuditeacute du requeacuterant pendant 24 heures En conseacutequent la Cour EDH estime que compte tenu de lrsquoeacutetat de santeacute mentale de M Jeanty le manque drsquoencadrement et de suivi meacutedical au cours de ses deux peacuteriodes de deacutetention combineacute avec lrsquoinfliction drsquoune sanction disciplinaire dans une cellule drsquoisolement pendant trois jours alors qursquoil avait commis plusieurs tentatives de suicide ont constitueacute une eacutepreuve particuliegraverement peacutenible et ont soumis lrsquointeacuteresseacute agrave une deacutetresse ou agrave une eacutepreuve drsquoune intensiteacute ayant exceacutedeacute le niveau ineacutevitable de souffrance inheacuterent agrave la deacutetention Il y a donc eu violation du volet mateacuteriel de lrsquoarticle 3 de la Convention

o Sur le volet proceacutedural

La Cour EDH rappelle que les principes geacuteneacuteraux sont eacutenonceacutes dans les arrecircts El‑Masri ([GC] 13 deacutecembre 2012 no 3963009) Mocanu et autres c Roumanie ([GC] 17 septembre 2014 nos 1086509 et 2 autres) et Bouyid c Belgique ([GC] 28 septembre 2015 no 2338009) En particulier elle rappelle qursquoune enquecircte sur des alleacutegations de traitement inhumain ou deacutegradant doit permettre drsquoidentifier et de sanctionner les responsables Elle doit eacutegalement ecirctre suffisamment vaste pour permettre aux autoriteacutes qui en sont chargeacutees de prendre en consideacuteration non seulement les actes des agents de lrsquoEacutetat qui ont eu directement et illeacutegalement recours agrave la force mais aussi lrsquoensemble des circonstances les ayant entoureacutes Enfin lrsquoenquecircte doit ecirctre approfondie ce qui signifie que les autoriteacutes doivent toujours srsquoefforcer seacuterieusement de deacutecouvrir ce qui srsquoest passeacute et qursquoelles ne doivent pas srsquoappuyer sur des conclusions hacirctives ou mal fondeacutees pour clore lrsquoenquecircte La Cour EDH constate en lrsquoespegravece que plus de huit mois se sont eacutecouleacutes entre le reacutequisitoire de mise agrave lrsquoinstruction du procureur du Roi le 8 juillet 2014 et le moment ougrave le juge drsquoinstruction a reccedilu le dossier le 3 mars 2015 Ce deacutelai pendant lequel lrsquoinstruction nrsquoa pas commenceacute et pour lequel le Gouvernement nrsquoa fourni aucune explication apparaicirct difficilement compreacutehensible et acceptable par la Cour EDH De plus une fois lrsquoinstruction entameacutee en mars 2015 aucune autre devoir agrave part le dossier peacutenitentiaire et le dossier meacutedical du requeacuterant nrsquoa eacuteteacute demandeacutee par le juge drsquoinstruction La Cour EDH relegraveve qursquoaucune des personnes impliqueacutees ou mises en cause nrsquoont eacuteteacute entendues ni les agents peacutenitentiaires ni les meacutedecins ayant vu le requeacuterant ni le requeacuterant lui-mecircme La Cour EDH conclut que lrsquoenquecircte ne peut pas ecirctre consideacutereacutee comme effective Par conseacutequent il y a eu violation du volet proceacutedural de lrsquoarticle 3 de la Convention

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PAR CES MOTIFS LA COUR

1 Deacuteclare agrave lrsquounanimiteacute la requecircte recevable 2 Dit par quatre voix contre trois qursquoil nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 2 de la Convention 3 Dit agrave lrsquounanimiteacute qursquoil y a eu violation du volet mateacuteriel de lrsquoarticle 3 de la Convention 4 Dit agrave lrsquounanimiteacute qursquoil y a eu violation du volet proceacutedural de lrsquoarticle 3 de la Convention 5 Dit agrave lrsquounanimiteacute

1 que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans un deacutelai de trois mois agrave compter de la date agrave laquelle lrsquoarrecirct sera devenu deacutefinitif conformeacutement agrave lrsquoarticle 44 sect 2 de la Convention les sommes suivantes

1 15 000 EUR (quinze mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc sur cette somme agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral

2 8 000 EUR (huit mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc sur cette somme par le requeacuterant agrave titre drsquoimpocirct pour frais et deacutepens

2 qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage

6 Rejette par quatre voix contre trois le surplus de la demande de satisfaction eacutequitable Opinion en partie dissidente commune aux juges Pinto de Albuquerque Serghides et Schembri Orland Les juges Pinto de Albuquerque Serghides et Schembri Orland considegraverent que les faits de la cause reacutevegravelent une violation flagrante du volet mateacuteriel de lrsquoarticle 2 de le Convention ainsi que de son volet proceacutedural En premier lieu ils relegravevent que le juge drsquoinstruction avait connaissance du risque reacuteel et immeacutediat que le requeacuterant attentacirct agrave sa vie ainsi que de la fragiliteacute psychologique de lrsquointeacuteresseacute Pourtant il nrsquoa pas ordonneacute sa mise en observation dans lrsquoannexe psychiatrique drsquoun centre peacutenitentiaire Par conseacutequent ils ont exprimeacute leur deacutesaccord avec lrsquoargument de la majoriteacute des juges selon lequel laquo [l]a Cour rappelle qursquoil ne lui appartient pas de connaicirctre des erreurs de fait ou de droit preacutetendument commises par une juridiction interne sauf si et dans la mesure ougrave elles pourraient avoir porteacute atteinte aux droits et liberteacutes sauvegardeacutes par la Convention () Il nrsquoincombe pas agrave la Cour de deacutecider si le juge drsquoinstruction aurait ducirc prendre une autre deacutecision celui-ci eacutetant mieux placeacute que la Cour pour prendre une deacutecision quant au lieu et aux conditions dans lesquelles la deacutetention du requeacuterant devait avoir lieu compte tenu de son eacutetat de santeacute mentale raquo (sect 104 de lrsquoarrecirct) Selon eux il srsquoagissait preacuteciseacutement drsquoune situation qui appelait pareille mesure exceptionnelle compte tenu de la fragiliteacute du requeacuterant En effet ils considegraverent que la grave erreur de fait commise par le juge drsquoinstruction a menaceacute le droit agrave la vie du requeacuterant En deuxiegraveme lieu les autoriteacutes peacutenitentiaires avaient eacutegalement eacuteteacute informeacutees de ce risque par un message qui leur avait eacuteteacute adresseacute par teacuteleacutecopie par le juge drsquoinstruction lui-mecircme Les juges Pinto de Albuquerque Serghides et Schembri Orland considegraverent qursquoelles nrsquoont pourtant pas pris les mesures de preacutecaution de base qui srsquoimposent en pareille situation comme priver le requeacuterant de sa ceinture et de son slip et allant mecircme jusqursquoagrave laisser un couteau agrave porteacutee de sa main De plus elles nrsquoont mecircme pas informeacute le juge drsquoinstruction des trois tentatives de suicide du requeacuterant alors qursquoelles y eacutetaient expresseacutement tenues par la loi Selon les juges non seulement elles nrsquoont pas pris les mesures preacuteventives qui srsquoimposaient pour atteacutenuer le risque de suicide mais elles ont aussi contribueacute agrave aggraver lrsquoeacutetat de fragiliteacute dans lequel le requeacuterant se trouvait en le placcedilant temporairement en cellule drsquoisolement nu lors de chacune de ses peacuteriodes drsquoincarceacuteration allant mecircme jusqursquoagrave lui infliger une sanction disciplinaire agrave sa sortie de la cellule drsquoisolement lors de sa deuxiegraveme peacuteriode drsquoincarceacuteration Les juges concluent que cette conduite deacutenote une absence totale de compassion agrave lrsquoeacutegard drsquoun deacutetenu particuliegraverement vulneacuterable pour lequel une approche totalement diffeacuterente eacutetait neacutecessaire (Cour EDH Renolde c France 16 octobre 2008 no 560805 sect 83) Finalement les juges relegravevent que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute vu par un psychiatre agrave son arriveacutee au centre de deacutetention Selon le Gouvernement le requeacuterant a eacuteteacute vu par un psychiatre apregraves seulement dix jours de deacutetention Le requeacuterant conteste cette affirmation Neacuteanmoins les juges considegraverent que mecircme si lrsquoaffirmation du gouvernement eacutetait vraie cela ne lrsquoexonegravererait pas de ses obligations qui deacutecoulent de la Convention compte tenu de la ligne jurisprudentielle claire adopteacutee par la Cour EDH Les juges Pinto de Albuquerque Serghides et Schembri Orland relegravevent eacutegalement que au paragraphe 109 la majoriteacute cite lrsquoarrecirct Rupa c Roumanie (ndeg 1) (Cour EDH 16 deacutecembre 2008 no 5847800) qui est ainsi libelleacute en son paragraphe 170 laquo En bref la Cour considegravere que compte tenu des anteacuteceacutedents meacutedicaux du requeacuterant de ses troubles comportementaux qui se sont manifesteacutes tout de suite apregraves

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son placement en deacutetention provisoire et qui auraient pu mettre en danger la propre personne de lrsquointeacuteresseacute il appartenait aux autoriteacutes de le faire aussitocirct examiner par un meacutedecin psychiatre afin de deacuteterminer la compatibiliteacute de son eacutetat psychologique avec la deacutetention ainsi que les mesures theacuterapeutiques agrave prendre dans son cas preacutecis raquo Ils notent que lrsquoadverbe laquo aussitocirct raquo nrsquoapparaicirct pas dans la citation de lrsquoarrecirct Rupa qui figure au paragraphe 109 de lrsquoarrecirct Par conseacutequence ils expriment leur deacutesaccord avec la majoriteacute lorsqursquoelle conclut au paragraphe 76 de lrsquoarrecirct que les autoriteacutes internes avaient certes connaissance des tendances suicidaires du requeacuterant mais qursquoelles ne pouvaient pas mettre en place degraves le deacutebut de sa premiegravere peacuteriode drsquoincarceacuteration des mesures preacuteventives visant agrave eacuteviter tout risque de suicide

Cour EDH (quatriegraveme section) Andreea-Marusia DumitruRoumanie 31 mars 2020 ndeg963716

Reacutesumeacute Dans le cadre drsquoune violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 2 de la Convention sur le droit agrave la vie la Cour EDH a pu juger que dans le contexte drsquoabsence de regraveglementation preacutecise sur lrsquousage des armes agrave feu et de deacutefaillances dans la preacuteparation de lrsquoopeacuteration de police le fonctionnaire de police en cause nrsquoavait pas pris les preacutecautions suffisantes pour preacuteserver la vie des personnes De plus la Cour EDH preacutecise que lrsquoenquecircte meneacutee dans le cadre de la proceacutedure engageacutee relativement agrave une opeacuteration de police ne peut pas ser pour avoir eacuteteacute rapide et effective lorsque le jugement deacutefinitif qui en deacutecoule est rendu plus de neuf ans et trois mois apregraves les faits La requeacuterante Andreea-Marusia Dumitru est une ressortissante roumaine neacutee en 1990 et reacutesidant agrave Bujoru Le 8 novembre 2005 la requeacuterante et sa megravere voulant rentrer chez elles deacutecidegraverent de traverser une gare de trains de marchandises En franchissant la plate-forme drsquoun wagon la requeacuterante a eacuteteacute blesseacutee par un tire drsquoarme agrave feu Le Gouvernement soutient que le jour mecircme les forces de lrsquoordres avaient eacuteteacute informeacutees du fait qursquoun groupe drsquoindividus drsquoorigine rom allaient voler de la ferraille dans un train de fret stationneacute agrave la gare de marchandises Deux fonctionnaires de police se rendirent sur les lieux accompagneacutes par deux gardiens afin de disperser le groupe et reacutetablir lrsquoordre Selon eux plusieurs individus refusegraverent drsquoobeacuteir et commencegraverent agrave jeter des pierres et des objets meacutetalliques dans leur direction Un des agents tira un coup de feu apregraves avoir effectueacute les sommations leacutegales en direction du groupe pour se deacutefendre La requeacuterante a eacuteteacute conduite agrave lrsquohocircpital et fut opeacutereacutee drsquourgence Entre 2006 et 2007 elle fut hospitaliseacutee plusieurs fois des suites de ses blessures et elle garda une invaliditeacute permanente du fait de lrsquoablation partielle de son foie Le 8 novembre 2005 le bureau de police ouvrit une enquecircte visant la requeacuterante des chefs de tentative de vol et drsquoentreacutee illeacutegale dans la zone de seacutecuriteacute des installations ferroviaires Le 2 feacutevrier 2010 la direction reacutegionale de la police des transports mit en accusation la requeacuterante pour ces mecircmes chefs Le 3 juillet 2012 le parquet infirma lrsquoacte drsquoaccusation au motif qursquoaucun eacuteleacutement du dossier ne corroborait la tentative de vol et que mecircme si la requeacuterante avait reconnu avoir traverseacute les voies de chemin de fer dans une zone interdite les faits nrsquoeacutetant pas suffisamment graves pour entraicircner une sanction peacutenale Le 1er aoucirct 2006 la requeacuterante a porteacute plainte du chef de tentative de meurtre Le 4 aoucirct 2009 le parquet pregraves le tribunal de Bucarest a rendu un non-lieu au motif que le policier en cause avait agi en eacutetat de leacutegitime deacutefense Le requeacuterante formula une contestation contre ce non-lieu en deacutenonccedilant le caractegravere superficielle de lrsquoenquecircte Par un arrecirct du 28 juin 2010 la Cour drsquoappel de Bucarest a accueilli la contestation et a ordonneacute la reacuteouverture de lrsquoenquecircte Le 21 juillet 2010 le dossier fut transfeacutereacute au parquet pregraves la Haute Cour de cassation du fait de

Art 2 (mateacuteriel) bull Recours agrave la force bull Blessures potentiellement mortelles causeacutees par les tirs de policiers pour arrecircter une tentative de vol bull Reacuteglementation impreacutecise sur lrsquousage des armes agrave feu bull Absence de recommandation sur la preacuteparation et le controcircle des opeacuterations de police bull Deacutefaillance dans la preacuteparation de lrsquointervention malgreacute sa preacutevisibiliteacute bull Absence de formation au maniement des armes agrave balles agrave caoutchouc Art 2 (proceacutedural) bull Enquecircte inefficace sur les circonstances des blessures subies deacutebuteacutee agrave la seule initiative de la victime et plus de huit mois apregraves les eacuteveacutenements bull Gestion non rigoureuse des preuves et de leur conservation bull Expertises pertinentes effectueacutees plus de trois et cinq ans apregraves les faits bull Absence de ceacuteleacuteriteacute de la proceacutedure ayant dureacute plus de neuf ans

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lrsquoancienneteacute du dossier parce que les suspects sont des fonctionnaires de police et pour eacuteviter des soupccedilons sur lrsquoimpartialiteacute du parquet Par ordonnance du 31 juillet 2014 le parquet pregraves la Haute Cour mit fin agrave lrsquoenquecircte et classa la plainte en estimant que lrsquoagent de police en cause avait fait usage de lrsquoarme agrave feu en eacutetat de leacutegitime deacutefense dans le cadre drsquoune mission de reacutetablissement de lrsquoordre public La requeacuterante forma une contestation contre lrsquoordonnance du parquet pregraves la Haute Cour Par un jugement deacutefinitif du 25 feacutevrier 2015 le tribunal de premiegravere instance de Bucarest rejeta cette contestation En conseacutequence la requeacuterante saisie la Cour EDH le 11 feacutevrier 2016

1 Sur la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 2 de la Convention La requeacuterante srsquoest plainte drsquoune part drsquoavoir eacuteteacute blesseacutee par un fonctionnaire de police dans des circonstances qui ne sont pas compatibles avec les exigences mateacuterielles de lrsquoarticle 2 de la Convention et drsquoautre part que lrsquoenquecircte ouverte nrsquoa pas eacuteteacute conforme aux obligations proceacutedurales de lrsquoEacutetat deacutefendeur au titre du mecircme article

o Sur la recevabiliteacute La Cour EDH rappelle devoir examiner drsquooffice sa compeacutetence ratione materiae srsquoagissant de lrsquoapplication de lrsquoarticle 2 de la Convention La Cour EDH considegravere que la requeacuterante a eacuteteacute victime drsquoun comportement qui a mis sa vie en danger mecircme si elle a finalement surveacutecu De fait lrsquoarticle 2 de la Convention trouve agrave srsquoappliquer en lrsquoespegravece (mutatis mutandis Soare et autres c Roumanie ndeg2432902 sect 109 22 feacutevrier 2011)

o Sur le fond Srsquoagissant du volet mateacuteriel la Cour EDH renvoie aux arrecircts McCann et autres c Royaume-Uni (27 septembre 1995 sectsect 146-150 ndeg1898491) Makaratzis c Gregravece ([GC] ndeg5038599 sectsect 56-60) et Giuliani et Gaggio c Italie ([GC] ndeg2345802 sectsect 174-182) qui exposent lrsquoensemble des principes geacuteneacuteraux deacutegageacutes dans sa jurisprudence sur le recours agrave la force meurtriegravere Si la Cour EDH estime que le recours des policiers agrave la force meurtriegravere peut ecirctre justifieacute dans certaines circonstances le non-encadrement par des regravegles et lrsquoabandon arbitraire de lrsquoaction des agents de lrsquoEacutetat sont incompatibles avec un respect effectif de lrsquoarticle 2 de la Convention Les opeacuterations de police doivent ecirctre reacuteglementeacutees par le droit national dans le cadre drsquoun systegraveme de garanties adeacutequates et effectives contre lrsquoarbitraire et lrsquoabus de la force et mecircme contre les accidents eacutevitables (sect 86) A ce titre la Cour EDH doit prendre en consideacuteration non seulement les actes des agents de lrsquoEacutetat ayant eu recours agrave la force mais eacutegalement lrsquoensemble des circonstances de lrsquoaffaire un cadre juridique et administratif doit deacutefinir les conditions limiteacutees dans lesquelles les agents de lrsquoEacutetat peuvent recourir agrave la force et faire usage drsquoarmes agrave feu (Gheorghe Cobzaru c Roumanie ndeg697808 sect 47 25 juin 2013) Lorsque la force meurtriegravere est employeacutee par les autoriteacutes dans une opeacuteration de police il est difficile de seacuteparer les obligations neacutegatives des obligations positives que fait peser la Convention sur lrsquoEacutetat Ainsi il en revient agrave la Cour EDH drsquoexaminer si les autoriteacutes ont planifieacute et controcircleacute lrsquoopeacuteration de police de maniegravere agrave reacuteduire au minimum le recours agrave la force meurtriegravere et les pertes humaines et si toutes les preacutecautions en leur pouvoir dans le choix des moyens et meacutethodes drsquoune opeacuteration de seacutecuriteacute ont eacuteteacute prises (Finogenov et autres c Russie ndeg1829903 et 2731103 sect 208)

o Cadre leacutegal relatif agrave lrsquousage des armes agrave feu et la preacuteparation de lrsquoopeacuteration de police La Cour EDH a deacutejagrave jugeacute que le cadre leacutegislatif roumain regraveglementant lrsquousage des armes agrave feu et des munitions nrsquoeacutetait pas suffisant pour offrir le niveau de protection du droit agrave la vie laquo par la loi raquo requis dans les socieacuteteacutes deacutemocratiques contemporaines en Europe (Soare et autres c Roumanie ndeg2432902 sect 132 Gheorghe Cobzaru c Roumanie ndeg697808sect 48) Les dispositions internes en cause dans les arrecircts susmentionneacutes toujours en vigueur agrave lrsquoeacutepoque des faits en lrsquoespegravece et nrsquoayant subi de modifications significatives la Cour EDH conclut que la leacutegislation nationale ne

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contenait aucune disposition regraveglementant lrsquousage des armes agrave feu dans le cadre drsquoune opeacuteration de police et qursquoelle ne comportait aucune recommandation concernant la preacuteparation et le controcircle des opeacuterations en cause Ainsi la Cour EDH juge que les autoriteacutes roumaines nrsquoont pas fait tout ce que lrsquoon pouvait raisonnablement attendre drsquoelles pour reacuteduire au minimum le recours agrave la force meurtriegravere et les eacuteventuelles pertes humaines

o Les actions du fonctionnaire de police en cause

La Cour EDH eacutetant confronteacutee agrave des versions divergentes des faits elle rappelle qursquoelle nrsquoest pas lieacutee par les constatations des juridictions internes et demeure libre de se livrer agrave sa propre appreacuteciation agrave la lumiegravere des eacuteleacutements dont elle dispose (Iambor c Roumanie ndeg6453601 sect 166 24 juin 2008) De plus elle rappelle que lorsqursquoil est reprocheacute aux agents de lrsquoEacutetat drsquoavoir fait usage drsquoune force potentiellement meurtriegravere en violation de lrsquoarticle 2 sect2 de la Convention il incombe au gouvernement deacutefendeur drsquoeacutetablir que la force en question nrsquoest pas alleacutee au-delagrave de ce qui eacutetait absolument neacutecessaire et qursquoelle eacutetait strictement proportionneacutee agrave lrsquoun des buts autoriseacutes par cette disposition (sect 106) En lrsquoespegravece la Cour EDH considegravere que les lacunes de lrsquoenquecircte lrsquoempecircchent de porter sur les faits de la cause une appreacuteciation fondeacutee sur les seules constatations opeacutereacutees par les autoriteacutes nationales Les omissions imputables aux autoriteacutes nationales ont conduit la Cour EDH agrave rejeter la thegravese selon laquelle les blessures de la requeacuterante ont eacuteteacute provoqueacutees accidentellement par lrsquoaction en leacutegitime deacutefense du fonctionnaire de police en cause A ce titre la Cour EDH juge que le Gouvernement nrsquoa pas prouveacute que lrsquousage de la force eacutetait absolument neacutecessaire au sens de lrsquoarticle 2 sect2 de la Convention et qursquoil y a eu violation de cette disposition sous son volet mateacuteriel Srsquoagissant du volet proceacutedural la Cour EDH rappelle qursquoau titre de son obligation de proteacuteger le droit agrave la vie lrsquoEacutetat doit srsquoassurer qursquoil dispose dans les cas de deacutecegraves ou de blessures physiques potentiellement mortelles drsquoun systegraveme judiciaire effectif et indeacutependant lui permettant agrave bref deacutelai drsquoeacutetablir les faits de contraindre les responsables agrave rendre des comptes et de fournir aux victimes une reacuteparation adeacutequate (Nicolae Virgiliu Tănase c Roumanie [GC] n04172013 sect 157 25 juin 2019) La Cour EDH preacutecise que dans ces hypothegraveses une enquecircte officielle approprieacutee et effective doit ecirctre meneacutee Il srsquoagit drsquoune obligation de moyen en ce que les autoriteacutes doivent avoir pris les mesures qui leur eacutetaient raisonnablement accessibles afin de recueillir les preuves concernant lrsquoincident Toute carence de lrsquoenquecircte affaiblissant sa capaciteacute agrave conduire agrave lrsquoidentification de la ou des personnes responsables risque de faire conclure agrave son inadeacutequation (Ramsahai et autres c Pays-Bas [GC] ndeg5239199 sect 324) En lrsquoespegravece la Cour EDH juge que les lacunes dans lrsquoadministration des preuves corroboreacutees par la perte drsquoeacuteleacutements de preuve essentiels pour la recherche de la veacuteriteacute ont affecteacute le caractegravere adeacutequat de lrsquoenquecircte Au regard du deacutefaut drsquoindeacutependance et drsquoimpartialiteacute des enquecircteurs alleacutegueacute par la requeacuterante la Cour EDH reacuteitegravere que pour qursquoune enquecircte soit effective il est neacutecessaire que les personnes responsables de lrsquoenquecircte et celles effectuant les investigations soient indeacutependantes de celles impliqueacutees dans les eacutevegravenements (Oumlğur c Turquie [GC] ndeg2195493 sectsect 91-92) En lrsquoespegravece la Cour EDH estime que les investigations conduites sous lrsquoautoriteacute de parquet pregraves la Haute Cour ne posent pas de problegraveme de conformiteacute avec la Convention au regard de lrsquoindeacutependance et lrsquoimpartialiteacute requises Enfin srsquoagissant de la ceacuteleacuteriteacute de la proceacutedure la Cour EDH conclut que lrsquoenquecircte meneacutee ne peut passer pouvoir avoir eacuteteacute rapide et effective puisque plus de neuf ans et trois mois se sont eacutecouleacutes entre les faits survenus le 8 novembre 2005 et le jugement deacutefinitif du 25 feacutevrier 2015 Ainsi la Cour EDH juge qursquoil y a eu une violation de lrsquoarticle 2 de la Convention sous son volet proceacutedural

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2 Sur la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 6 de la Convention

Compte tenu de la reconnaissance de la violation de lrsquoarticle 2 de la Convention dans son volet proceacutedural la Cour EDH estime qursquoaucune question distincte ne se pose au regard de lrsquoarticle 6 sect1 de la Convention (mutatis mutandis Gheorghe Cobzaru c Roumanie ndeg697808sect 82) Par ces motifs la Cour EDH agrave lrsquounanimiteacute

1 Deacuteclare la requecircte recevable quant au grief tireacute de lrsquoarticle 2 de la Convention 2 Dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 2 de la Convention sous ses volets mateacuteriel et proceacutedural 3 Dit qursquoil nrsquoy a pas lieu drsquoexaminer la recevabiliteacute et le fond du grief formuleacute sur le terrain de

lrsquoarticle 6 de la Convention 4 Dit

a Que lrsquoEacutetat deacutefendeur soit verser agrave la requeacuterante dans un deacutelai de trois mois agrave compter de la date agrave laquelle lrsquoarrecirct sera devenu deacutefinitif conformeacutement agrave lrsquoarticle 44 sect2 de la Convention les sommes suivantes agrave convertir dans la monnaie de lrsquoEacutetat deacutefendeur au taux applicable agrave la date du regraveglement i 25 000 EUR (vingt-cinq mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc agrave titre drsquoimpocirct

pour dommage moral ii 3 270 EUR (trois mille deux cent soixante-dix euros) plus tout montant pouvant ecirctre

ducirc par la requeacuterante agrave titre drsquoimpocirct pour frais et deacutepens agrave verser sur le compte bancaire qui sera indiqueacute par son repreacutesentant

b Qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage

5 Rejette la demande de satisfaction eacutequitable pour le surplus

Cour EDH (cinquiegraveme section) Kukhalashvili et autres Geacuteorgie 2 avril 2020 ndeg 893807 et 4189107

Arrecirct rendu en anglais Reacutesumeacute Dans une affaire de reacutepression dune eacutemeute dans une prison geacuteorgienne ayant conduit agrave la mort de plusieurs deacutetenus la Cour EDH conclut que ces derniers ont succombeacute agrave une force meurtriegravere qui bien qursquoayant poursuivi des buts leacutegitimes viseacutes agrave lrsquoarticle 2 de la Convention ne peut ecirctre consideacutereacutee comme ayant eacuteteacute laquo absolument neacutecessaire raquo au sens de cette mecircme disposition En effet lrsquoopeacuteration antieacutemeute nrsquoa pas eacuteteacute meneacutee de maniegravere controcircleacutee et systeacutematique et les agents des services reacutepressifs nrsquoont pas reccedilu drsquoordres ou drsquoinstructions clairs qui auraient viseacute agrave limiter autant que possible le risque qursquoil y ait des victimes Les autoriteacutes nrsquoont pas envisageacute de recourir agrave des moyens moins violents pour faire face agrave un incident de seacutecuriteacute par exemple la neacutegociation pour reacutesoudre la crise

Art 2 (substantiel) bull Usage aveugle et excessif de la force meurtriegravere lors dopeacuterations antibulleacutemeutes en prison meneacutees de maniegravere incontrocircleacutee et non systeacutematique sans chaicircne de commandement claire Usage de la force meurtriegravere justifieacute par une violence illeacutegale et un risque dinsurrection bull Absence de prise en compte par les autoriteacutes de moyens moins violents ou de la possibiliteacute de neacutegociations bull Mauvaise le traitement et lusage disproportionneacute de la force persistant apregraves la fin de lopeacuteration bull Incapaciteacute des autoriteacutes agrave fournir une assistance meacutedicale adeacutequate bull Incapaciteacute du gouvernement agrave rendre compte de chacun des deacutecegraves pertinents bull la confiance de la Cour dans tous les documents disponibles y compris les rapports des ONG lorsquil est empecirccheacute deacutetablir des faits pour des raisons imputables agrave lEacutetat Art 2 (proceacutedure) bull Enquecircte compromise par un lancement tardif un manque dindeacutependance et dimpartialiteacute une participation insuffisante des proches du deacutefunt et des retards prohibitifs dans la proceacutedure

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Les requeacuterantes Sofio Kukhalashvili Marina Gordadze et Rusudan Chitashvili sont trois ressortissantes geacuteorgiennes neacutees respectivement en 1977 en 1956 et en 1938 Elles reacutesident en Geacuteorgie La premiegravere et la deuxiegraveme requeacuterante sont respectivement la sœur et la megravere de ZK et la troisiegraveme requeacuterante est la megravere de AB Les deux hommes ZK et AB eacutetaient deacutetenus agrave la prison ndeg5 de Tbilissi ougrave ils ont trouveacute la mort en mars 2006 lors drsquoune opeacuteration meneacutee par la police antieacutemeute Ils avaient respectivement 23 ans et 29 ans Lrsquoopeacuteration antieacutemeute eut lieu en reacuteaction agrave des troubles ayant eacuteclateacute apregraves que les autoriteacutes avaient extrait drsquoun hocircpital peacutenitentiaire six chefs de gang supposeacutes et leurs proches complices Le but des autoriteacutes avait eacuteteacute de reacuteduire lrsquoinfluence supposeacutee de ces chefs de gang dans le milieu carceacuteral mais lrsquoextraction de ceux-ci par la force avait deacuteclencheacute des troubles dans les prisons n os 1 et 5 proches des lieux Les autoriteacutes eurent recours agrave une brigade antieacutemeute afin drsquoendiguer les troubles particuliegraverement intenses qui reacutegnaient dans la prison ndeg5 Ces incidents causegraverent la mort de sept deacutetenus et firent 24 blesseacutes (22 deacutetenus et deux agents peacutenitentiaires) Par la suite les requeacuterantes obtinrent du parquet des documents relatifs au deacutecegraves de leurs proches indiquant que tous deux avaient eacuteteacute blesseacutes par balles Les procureurs indiquegraverent seacutepareacutement agrave chaque famille que la force meurtriegravere avait eacuteteacute utiliseacutee contre ZK et AB laquo dans un moment drsquoextrecircme urgence raquo Ils refusegraverent drsquoaccorder aux requeacuterantes la qualiteacute de partie civile dans les affaires relatives agrave la mort de leurs proches Les informations que le Gouvernement a soumises agrave la Cour EDH montrent notamment que les autoriteacutes ont meneacute des investigations sur lrsquoeacutemeute et sur lrsquousage de la force par la police Six deacutetenus ndash les preacutetendus chefs de gang et leurs proches complices ndash furent finalement inculpeacutes pour instigation de lrsquoeacutemeute et condamneacutes agrave des peines drsquoemprisonnement La juridiction du fond eacutetablit que des deacutetenus de la prison ndeg5 avaient jeteacute des morceaux de briques et de fer sur des agents peacutenitentiaires et que la brigade antieacutemeute avait riposteacute en utilisant des balles en caoutchouc Des deacutetenus avaient ensuite tireacute agrave lrsquoaide de pistolets Makarov et de pistolets agrave gaz et avaient reacutesisteacute jusqursquoagrave lrsquointervention drsquoagents peacutenitentiaires et des forces antieacutemeute Par ailleurs le parquet ouvrit des dossiers seacutepareacutes concernant drsquoune part un eacuteventuel abus de pouvoir commis par la police et les agents peacutenitentiaires du fait qursquoils avaient ouvert le feu lors de lrsquoeacutemeute et drsquoautre part drsquoeacuteventuels homicides sur les personnes de ZK et de AB Des mesures drsquoenquecircte furent adopteacutees dans la premiegravere affaire mais il nrsquoest pas certain qursquoil en aille de mecircme pour la seconde relative au deacutecegraves de ZK et de AB Invoquant lrsquoarticle 2 (droit agrave la vie) et lrsquoarticle 13 (droit agrave un recours effectif) les requeacuterantes alleacuteguaient que lrsquoEacutetat eacutetait responsable du deacutecegraves de leurs proches et que les autoriteacutes nrsquoavaient pas meneacute une enquecircte effective Les requecirctes ont eacuteteacute introduites aupregraves de la Cour EDH les 26 janvier et 14 aoucirct 2007 Au vu des similariteacutes de celles-ci la Cour EDH a deacutecideacute de les joindre Sur la violation alleacutegueacutee des articles 2 et 13 de la Convention

o Sur le volet proceacutedural de larticle 2 La Cour EDH examine tout drsquoabord les griefs des requeacuterantes du point de vue de lrsquoobligation incombant agrave lrsquoEacutetat de mener une enquecircte effective sur les homicides illeacutegaux ou deacutecegraves suspects (volet proceacutedural de lrsquoarticle 2 obligation denquecircter) et rappelle sa jurisprudence tregraves fournie en la matiegravere (sect129 agrave 131) Selon des informations fournies par le Gouvernement lrsquoenquecircte sur lrsquousage de la force par les services reacutepressifs agrave la prison nrsquoa deacutebuteacute qursquoen juin 2006 soit trois mois apregraves les faits ce qui pour la Cour EDH repreacutesente un deacutelai bien trop long eu eacutegard agrave lrsquoampleur des eacuteveacutenements et au risque qursquoapregraves un si long laps de temps les informations importantes ne puissent plus ecirctre recueillies (sect132) En outre les autoriteacutes ont dans un premier temps refuseacute drsquoouvrir une enquecircte seacutepareacutee sur le recours agrave une force supposeacutement disproportionneacutee estimant que cet aspect eacutetait deacutejagrave couvert par les mesures drsquoenquecircte adopteacutees lors de la proceacutedure peacutenale ayant viseacute les six instigateurs allegravegues de lrsquoeacutemeute Or cette enquecircte a eacuteteacute meneacutee par le service peacutenitentiaire crsquoest-agrave-dire lrsquoorgane mecircme qui avait organiseacute la riposte agrave lrsquoeacutemeute Par ailleurs cette enquecircte nrsquoa pas porteacute sur la planification de lrsquoopeacuteration ni sur lrsquoutilisation de la force physique ou meurtriegravere ayant tueacute ou blesseacute des deacutetenus Mecircme lorsque les autoriteacutes ont ouvert une enquecircte peacutenale distincte sur le recours agrave la force en juin 2006 les requeacuterants nrsquoy ont pas eacuteteacute associeacutes en tant que victimes ce qui les a priveacutes drsquoimportants droits proceacuteduraux La participation des familles de ZK et de AB et le droit de regard du public sur lrsquoenquecircte ont donc eacuteteacute pratiquement inexistants La Cour EDH rappelle dans son paragraphe 134 quun tel deacutelai prohibitif est en soi incompatible avec lobligation de lEtat en vertu de larticle 2 de la Convention de mener une enquecircte efficace sur les deacutecegraves suspects (voir entre autres les arrecircts Merkulovav c Ukraine ndeg2145404 3 mars 2011sect 51 Şandru

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et autres c Roumanie ndeg2246503 8 deacutecembre 2009 sectsect 73 et 77-80 et Mojsiejew c Pologne ndeg 1181802 24 mars 2009 sectsect 57-58) Enfin lrsquoenquecircte nrsquoa toujours pas abouti agrave des constats deacutefinitifs ce qui constitue un retard excessif incompatible avec les obligations qui deacutecoulent de lrsquoarticle 2 La Cour EDH conclut que lrsquoenquecircte peacutenale sur lrsquousage de la force par les services reacutepressifs semble avoir eacuteteacute ineffective eu eacutegard agrave son ouverture tardive agrave son deacutefaut drsquoindeacutependance et drsquoimpartialiteacute au deacutefaut drsquoassociation des proches et aux retards excessifs Il y a donc eu violation de lrsquoarticle 2 de la Convention sous son volet proceacutedural (sect135) Compte tenu de cette conclusion la Cour EDH juge qursquoaucune question distincte ne se pose sur le terrain de lrsquoarticle 13 de la Convention (sect136)

o Sur le volet mateacuteriel de larticle 2

La Cour EDH recherche ensuite si lrsquousage de la force meurtriegravere contre les proches des requeacuterantes eacutetait leacutegitime (volet mateacuteriel de lrsquoarticle 2) En effet en vertu de larticle 2 de la Convention le recours agrave la force meurtriegravere par les forces de seacutecuriteacute peut ecirctre justifieacute dans certaines circonstances Toutefois larticle 2 ne leur donne pas carte blanche Lutilisation des termes laquo absolument neacutecessaire raquo indique que la force utiliseacutee doit ecirctre strictement proportionneacutee aux objectifs mentionneacutes agrave larticle 2 sect 2 a) b) et c) (voir en ce sens Finogenov and Others c Russie ndeg1829903 et 2731103 20 deacutecembre 2011 sect 210 et Guumll c Turquie ndeg2267693 14 deacutecembre 2000 sectsect 77 et 78) (sect144) Nrsquoayant pas drsquoinformations directes sur les faits qui se sont produits agrave la prison la Cour EDH doit se reposer sur les constats opeacutereacutes au niveau interne Or les juridictions nrsquoont pas acheveacute lrsquoexamen de cette question du recours agrave la force et aucune enquecircte parlementaire nrsquoa eacuteteacute meneacutee ce que la Cour EDH juge regrettable compte tenu de lrsquoampleur des eacutevegravenements (sect148) La Cour EDH preacutecise dans ce mecircme paragraphe quil revenait donc au gouvernement deacutefendeur drsquoexpliquer de maniegravere satisfaisante et convaincante le deacuteroulement des faits et de produire des eacuteleacutements de preuve solides afin de reacutefuter les alleacutegations des requeacuterantes relatives agrave lrsquousage drsquoune force meurtriegravere disproportionneacutee par des agents de lrsquoEacutetat Si le Gouvernement nrsquoagit pas il revient la Cour EDH de tirer ses propres conclusions (voir en ce sens larrecirct Mansuroğlu c Turkey ndeg 4344398 26 feacutevrier 2008 sect 80) La Cour EDH rappelle quelle peut eacutegalement se servir de tous les eacuteleacutements dont elle dispose notamment de rapports drsquoorganisations de deacutefense des droits de lrsquohomme tels que ceux eacutetablis par Amnesty International et Human Rights Watch dans cette affaire Les conclusions factuelles auxquelles aboutit la Cour EDH doivent reposer sur le critegravere de la preuve laquo au-delagrave de tout doute raisonnable raquo Au vu des eacuteleacutements qui sont en sa possession la Cour EDH constate que la conduite des deacutetenus qui se sont barricadeacutes dans la prison ndeg5 et ont tireacute en direction des agents des forces de lrsquoordre au moment des troubles faisait penser agrave une tentative de soulegravevement La Cour EDH rappelle quelle est consciente de la violence qui regravegne dans les prisons et du risque que des actes violents se transforment rapidement en reacutesistance active contre les forces de lordre voire en insurrection (voir en ce sens Leyla Alp et autres v Turquie ndeg2967502 10 deacutecembre 2013sect 84 et İsmail Altun c Turquie ndeg2293202 21 septembre 2010 sect 73)Confronteacute agrave une violence illeacutegale et agrave un risque drsquoinsurrection lrsquoEacutetat deacutefendeur eacutetait donc fondeacute agrave recourir agrave des mesures impliquant une force potentiellement meurtriegravere pouvant ecirctre compatible avec les buts eacutenonceacutes agrave lrsquoarticle 2 sect 2 a (laquo pour assurer la deacutefense de toute personne contre la violence illeacutegale raquo et c (laquo pour reacuteprimer conformeacutement agrave la loi une eacutemeute ou une insurrection raquo) de la Convention Se pose toutefois la question de savoir si le recours agrave la force meurtriegravere eacutetait laquo absolument neacutecessaire raquo en particulier agrave la lumiegravere du nombre de personnes qui ont eacuteteacute tueacutees ou blesseacutees (sect152) Pour appreacutecier la proportionnaliteacute du recours agrave la force meurtriegravere la Cour EDH relegraveve que les autoriteacutes connaissaient le risque que les six chefs de gang supposeacutes et leurs complices provoquent des troubles agrave la prison lors de leur extraction Or la brigade antieacutemeute nrsquoavait pas reccedilu drsquoinstructions ou drsquoordres speacutecifiques quant agrave la forme et agrave lrsquointensiteacute drsquoune eacuteventuelle force meurtriegravere qui permettrait de limiter autant que possible le nombre de victimes potentielles Le Gouvernement nrsquoa pas non plus eacutetabli que la brigade antieacutemeute avait agi de maniegravere controcircleacutee et systeacutematique avec une chaine de commandement claire Selon les eacuteleacutements recueillis par Human Rights Watch les autoriteacutes ne savaient mecircme pas exactement qui eacutetait responsable de lrsquoopeacuteration (sect153)

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Selon la Cour EDH les autoriteacutes nrsquoauraient pas non plus penseacute agrave des mesures alternatives comme employer du gaz lacrymogegravene ou des canons agrave eau omission qui reacutesulte semble-t-il drsquoun deacutefaut de planification strateacutegique Par ailleurs la possibiliteacute drsquoatteacutenuer la crise en neacutegociant avec les deacutetenus barricadeacutes nrsquoa pas eacuteteacute suffisamment envisageacutee (voir en ce sens İsmail Altun citeacute sect 73) (sect154) La Cour EDH affirme dans son paragraphe suivant que les autoriteacutes nrsquoont pas fourni une assistance meacutedicale adeacutequate aux deacutetenus de la prison ndeg5 agrave lrsquoissue de lrsquoopeacuteration alors que de telles dispositions auraient ducirc ecirctre prises La Cour EDH relegraveve au mecircme paragraphe lrsquoexistence de comptes rendus fiables recueillis par des observateurs internes mais aussi internationaux (comme Human Rights Watch et Amnesty International) selon lesquels de nombreux deacutetenus se sont vu infliger des mauvais traitements par des agents des forces speacuteciales et se sont mecircme fait tirer dessus dans leurs cellules alors qursquoils nrsquoopposaient plus de reacutesistance Enfin ni les autoriteacutes nationales ni le gouvernement deacutefendeur nrsquoont fourni drsquoinformations sur le sort de ZK et celui de AB qui ont eacuteteacute tueacutes lors de lrsquoopeacuteration (sect156) Selon la Cour EDH ZK et AB ont succombeacute agrave une force meurtriegravere qui bien qursquoayant poursuivi des buts leacutegitimes viseacutes agrave lrsquoarticle 2 de la Convention ne peut ecirctre consideacutereacutee comme ayant eacuteteacute laquo absolument neacutecessaire raquo au sens de cette disposition La Cour EDH conclut ainsi que lrsquoopeacuteration anti-eacutemeute a emporteacute violation de lrsquoarticle 2 de la Convention sous son volet mateacuteriel (sect157) POUR CES RAISONS LA COUR Agrave LUNANIMITEacute

1 Deacutecide de joindre les demandes 2 Joint au fond lobjection du gouvernement concernant le caractegravere preacutematureacute des demandes et deacuteclare les demandes recevables 3 Dit que lexception preacuteciteacutee du Gouvernement doit ecirctre rejeteacutee et quil y a eu violation de larticle 2 de la Convention tant sur le plan de la proceacutedure que sur celui du fond 4 Dit quil ny a pas lieu dexaminer le grief au titre de larticle 13 de la Convention 5 Dit

a) que lEacutetat deacutefendeur doit verser aux requeacuterants dans un deacutelai de trois mois agrave compter de la date agrave laquelle le jugement devient deacutefinitif conformeacutement agrave larticle 44 sect 2 de la Convention les montants suivants agrave convertir dans la monnaie de lEacutetat deacutefendeur au taux applicable agrave la date du regraveglement

i) 40000 EUR (quarante mille euros) aux premier et deuxiegraveme requeacuterants conjointement et 32000 EUR (trente-deux mille euros) au troisiegraveme requeacuterant plus tout impocirct eacuteventuellement exigible au titre du preacutejudice moral ii) 5 400 (cinq mille quatre cents euros) euros pour le premier et deuxiegraveme requeacuterant conjointement et 3 400 (trois mille quatre cents euros) euros pour le troisiegraveme requeacuterant plus toute taxe qui pourrait leur ecirctre imputeacutee au titre des frais et deacutepens

b) quagrave compter de lexpiration des trois mois susmentionneacutes et jusquau regraveglement des inteacuterecircts simples seront dus sur les montants susmentionneacutes agrave un taux eacutegal au taux de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne pendant la peacuteriode de carence majoreacute de trois points de pourcentage

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Egaliteacute de traitement

Cour de justice (grande chambre) NH Associazione Avvocatura per i diritti LGBTI ndash Rete Lenford 23 avril 2020 C-50718

Reacutesumeacute En reacuteponse agrave des questions preacutejudicielles de la Cour de cassation italienne la Cour de justice estime drsquoune part que des

deacuteclarations insinuant une politique de recrutement homophobe relegravevent de la notion de laquo conditions drsquoaccegraves agrave lrsquoemploi ou au travail raquo

degraves lors qursquoil existe un lien non hypotheacutetique entre ces deacuteclarations et la politique de recrutement de lrsquoemployeur Drsquoautre part elle a

conclu que le droit national peut preacutevoir qursquoune association a le droit drsquoagir en justice pour assurer le respect des obligations de la

directive 200078 mecircme si aucune personne leacuteseacutee nrsquoest identifiable

NH est un avocat et lrsquoAssociazione une association drsquoavocats deacutefendant en justice les droits des personnes

LGBTI LrsquoAssociazione a attrait NH en justice en raison du fait qursquoil avait tenu des propos constituant un

comportement discriminatoire fondeacute sur lrsquoorientation sexuelle des travailleurs NH a deacuteclareacute lors drsquoune eacutemission

radiophonique ne pas vouloir recruter ni faire travailler de personnes homosexuelles dans son cabinet drsquoavocats

Le Tribunal de Bergame a condamneacute NH par une ordonnance du 6 aoucirct 2014 La Cour drsquoappel de Brescia a

rejeteacute le recours introduit par NH NH srsquoest pourvu en cassation et allegravegue que lrsquoAssociazione nrsquoa pas la qualiteacute

pour agir et qursquoil a exprimeacute une opinion concernant la profession drsquoavocat non pas en se preacutesentant en qualiteacute

drsquoemployeur mais en tant que simple citoyen et que les deacuteclarations litigieuses eacutetaient deacutetacheacutees de tout contexte

professionnel effectif

La Cour de Cassation a deacutecideacute de surseoir agrave statuer et de poser agrave la Cour de justice les questions preacutejudicielles

suivantes

laquo 1) Lrsquoarticle 9 de la directive [200078] doit-il ecirctre interpreacuteteacute en ce sens qursquoune association composeacutee

drsquoavocats speacutecialiseacutes dans la deacutefense en justice drsquoune cateacutegorie de personnes ayant une orientation

sexuelle diffeacuterente et qui a pour objectif aux termes de ses statuts de promouvoir la culture et le respect

des droits de cette cateacutegorie est automatiquement porteuse drsquoun inteacuterecirct collectif et constitue une

association de tendance ou de conviction sans but lucratif ayant qualiteacute pour agir en justice y compris

en reacuteparation lorsque se produisent des faits jugeacutes discriminatoires contre cette cateacutegorie de personnes

2) Les articles 2 et 3 de la directive [200078] doivent-ils ecirctre interpreacuteteacutes en ce sens que le champ

drsquoapplication du reacutegime de lutte contre la discrimination que preacutevoit cette directive couvre lrsquoexpression

drsquoune opinion contraire agrave la cateacutegorie des personnes homosexuelles faite lors drsquoun entretien dans le

cadre drsquoune eacutemission radiophonique de divertissement dans laquelle la personne interrogeacutee a deacuteclareacute

que jamais elle ne recruterait ni ne ferait travailler ces personnes dans son cabinet [drsquoavocats] alors

mecircme qursquoaucune proceacutedure de recrutement nrsquoaurait eacuteteacute en cours ni nrsquoaurait eacuteteacute programmeacutee par cette

personne raquo

o Sur la seconde question

Il convient drsquoexaminer en premier lieu si les deacuteclarations effectueacutees au cours drsquoune eacutemission audiovisuelle par

NH relegravevent du champ drsquoapplication mateacuteriel de la directive 200078 en ce que celle-ci vise agrave son article 3

paragraphe 1 sous a) les laquo conditions drsquoaccegraves agrave lrsquoemploi [hellip] ou au travail y compris les critegraveres de seacutelection et

les conditions de recrutement raquo

Renvoi preacutejudiciel ndash Eacutegaliteacute de traitement en matiegravere drsquoemploi et de travail ndash Directive 200078CE ndash Article 3 paragraphe 1 sous a) article 8 paragraphe 1 et article 9 paragraphe 2 ndash Interdiction des discriminations fondeacutees sur lrsquoorientation sexuelle ndash Conditions drsquoaccegraves agrave lrsquoemploi ou au travail ndash Notion ndash Deacuteclarations publiques excluant le recrutement de personnes homosexuelles ndash Article 11 paragraphe 1 article 15 paragraphe 1 et article 21 paragraphe 1 de la charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne ndash Deacutefense des droits ndash Sanctions ndash Personne morale repreacutesentative drsquoun inteacuterecirct collectif ndash Qualiteacute pour agir en justice sans agir au nom drsquoun plaignant deacutetermineacute ou en lrsquoabsence de personne leacuteseacutee ndash Droit drsquoobtenir reacuteparation

34

Retour En Bref

La Cour de justice note que cette directive ne renvoie pas au droit des Eacutetats membres pour deacutefinir la notion de

laquo conditions drsquoaccegraves agrave lrsquoemploi [hellip] ou au travail raquo Ces termes doivent donc ecirctre interpreacuteteacutes conformeacutement agrave leur

sens habituel dans le langage courant tout en tenant compte du contexte dans lequel ils sont utiliseacutes et des

objectifs poursuivis par la reacuteglementation dont ils font partie En lrsquoespegravece les termes de lrsquoarticle 3 de la directive

200078 visent des circonstances ou des faits dont lrsquoexistence doit impeacuterativement ecirctre eacutetablie pour qursquoune

personne puisse obtenir un emploi ou un travail donneacute Les termes ne permettant pas agrave eux seuls de deacuteterminer

si les deacuteclarations litigieuses relegravevent du champ drsquoapplication mateacuteriel de cette directive la Cour de justice estime

qursquoil faut srsquointerroger sur le contexte dans lequel srsquoinscrit lrsquoarticle 3 et sur les objectifs de la directive preacuteciteacutee La

directive a eacuteteacute prise sur le fondement de lrsquoarticle 19 paragraphe 1 TFUE lequel confegravere agrave lrsquoUnion une

compeacutetence pour prendre les mesures neacutecessaires en vue de combattre toute discrimination fondeacutee notamment

sur lrsquoorientation sexuelle Lrsquoobjectif de la directive 200078 est drsquoeacutetablir un cadre geacuteneacuteral pour lutter contre la

discrimination fondeacutee sur lrsquoorientation sexuelle en ce qui concerne lrsquoemploi et le travail afin de mettre en œuvre

le principe de lrsquoeacutegaliteacute de traitement dans les Eacutetats membres La Cour de justice rappelle que la directive 200078

concreacutetise ainsi dans le domaine qursquoelle couvre le principe geacuteneacuteral de non-discrimination deacutesormais consacreacute agrave

lrsquoarticle 21 de la Charte europeacuteenne des droits fondamentaux Ainsi la Cour de justice estime que la notion de

laquo conditions drsquoaccegraves agrave lrsquoemploi ou au travail raquo ne saurait faire lrsquoobjet drsquoune interpreacutetation restrictive

Pour que des deacuteclarations relegravevent du champ drsquoapplication mateacuterielle de la directive preacuteciteacutee il faut qursquoelles

puissent ecirctre effectivement rattacheacutees agrave la politique de recrutement drsquoun employeur donneacute ce qui impose que le

lien qursquoelles preacutesentent avec les conditions drsquoaccegraves agrave lrsquoemploi ou au travail aupregraves de cet employeur ne soit pas

hypotheacutetique Afin drsquoappreacutecier lrsquoexistence drsquoun tel lien sont pertinents le statut de lrsquoauteur des deacuteclarations et la

qualiteacute dans laquelle il srsquoest exprimeacute lesquels doivent eacutetablir srsquoil est un employeur potentiel ou capable drsquoexercer

une influence deacuteterminante sur la politique drsquoembauche Sont pertinents deuxiegravemement la nature et le contenu

des deacuteclarations concerneacutees Troisiegravemement doit ecirctre pris en consideacuteration le contexte dans lequel les

deacuteclarations en cause ont eacuteteacute effectueacutees

Finalement la Cour de justice estime que cette interpreacutetation de la directive ne saurait ecirctre infirmeacutee par lrsquoeacuteventuelle

limitation agrave lrsquoexercice de la liberteacute drsquoexpression qursquoelle pourrait entraicircner Elle rappelle que la liberteacute drsquoexpression

est un droit fondamental de lrsquoUnion europeacuteenne mais qursquoelle nrsquoest pas un droit absolu et son exercice peut

comporter des limitations si elles sont preacutevues par la loi et respectent le contenu essentiel de ce droit ainsi que

le principe de proportionnaliteacute Or comme lrsquoavocate geacuteneacuterale lrsquoa releveacute dans ses conclusions tel est le cas en

lrsquooccurrence

Par suite la Cour de justice estime que la notion de laquo conditions drsquoaccegraves agrave lrsquoemploi [hellip] ou au travail raquo doit ecirctre

interpreacuteteacutee en ce sens que relegravevent de cette notion les deacuteclarations litigieuses agrave condition que le lien entre ces

deacuteclarations et les conditions drsquoaccegraves agrave lrsquoemploi ou au travail au sein de cette entreprise ne soit hypotheacutetique

o Sur la premiegravere question

Lrsquoarticle 9 paragraphe 2 de la directive 200078 dispose que les Eacutetats membres veillent agrave ce que les associations

organisations ou les personnes morales qui ont un inteacuterecirct leacutegitime agrave assurer que les dispositions de cette directive

sont respecteacutees puissent engager toute proceacutedure judiciaire et ou administrative preacutevue pour faire respecter les

obligations de la directive Lrsquoarticle 8 paragraphe 1 de la directive 200078 preacutevoit que les Eacutetats membres

peuvent adopter ou maintenir des dispositions plus favorables agrave la protection du principe de lrsquoeacutegaliteacute de traitement

que celles preacutevues dans cette directive Ainsi la Cour de justice a jugeacute que lrsquoarticle 9 de la directive 200078 ne

srsquooppose pas agrave ce qursquoun Eacutetat membre preacutevoie le droit pour les associations ayant un inteacuterecirct leacutegitime agrave faire assurer

le respect de cette directive drsquoengager des proceacutedures juridictionnelles ou administratives visant agrave faire respecter

les obligations deacutecoulant de celle-ci sans agir au nom drsquoun plaignant deacutetermineacute ou en lrsquoabsence de plaignant

identifiable

Par suite la Cour de justice estime que la directive 200078 ne srsquooppose pas agrave une reacuteglementation nationale en

vertu de laquelle une association dont lrsquoobjet consiste agrave deacutefendre en justice les personnes ayant une certaine

orientation sexuelle a automatiquement qualiteacute pour engager une proceacutedure juridictionnelle visant agrave faire

respecter les obligations deacutecoulant de cette directive lorsque se produisent des faits susceptibles de constituer une

discrimination agrave lrsquoencontre de ladite cateacutegorie de personnes et qursquoune personne leacuteseacutee nrsquoest pas identifiable

Par ces motifs la Cour de justice (grande chambre) dit pour droit

35

Retour En Bref

1) La notion de laquo conditions drsquoaccegraves agrave lrsquoemploi [] ou au travail raquo contenue dans lrsquoarticle 3 paragraphe

1 sous a) de la directive 200078CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant creacuteation drsquoun cadre

geacuteneacuteral en faveur de lrsquoeacutegaliteacute de traitement en matiegravere drsquoemploi et de travail doit ecirctre interpreacuteteacutee en ce

sens que relegravevent de cette notion des deacuteclarations effectueacutees par une personne au cours drsquoune eacutemission

audiovisuelle selon lesquelles jamais elle ne recruterait ni ne ferait travailler de personnes drsquoune certaine

orientation sexuelle dans son entreprise et ce alors qursquoaucune proceacutedure de recrutement nrsquoeacutetait en cours

ou programmeacutee agrave condition que le lien entre ces deacuteclarations et les conditions drsquoaccegraves agrave lrsquoemploi ou au

travail au sein de cette entreprise ne soit pas hypotheacutetique

2) La directive 200078 doit ecirctre interpreacuteteacutee en ce sens qursquoelle ne srsquooppose pas agrave une reacuteglementation

nationale en vertu de laquelle une association drsquoavocats dont lrsquoobjet statutaire consiste agrave deacutefendre en

justice les personnes ayant notamment une certaine orientation sexuelle et agrave promouvoir la culture et le

respect des droits de cette cateacutegorie de personnes a du fait de cet objet et indeacutependamment de son but

lucratif eacuteventuel automatiquement qualiteacute pour engager une proceacutedure juridictionnelle visant agrave faire

respecter les obligations deacutecoulant de cette directive et le cas eacutecheacuteant obtenir reacuteparation lorsque se

produisent des faits susceptibles de constituer une discrimination au sens de ladite directive agrave

lrsquoencontre de ladite cateacutegorie de personnes et qursquoune personne leacuteseacutee nrsquoest pas identifiable

Indeacutependance de la justice

Ordonnance de la Cour de justice (grande chambre) du 8 avril 2020 dans lrsquoaffaire Reacutepublique de Pologne Commission europeacuteenne C-79119 R

Reacutesumeacute La Commission europeacuteenne a saisi la Cour de justice afin que celle-ci ordonne la suspension des dispositions de la leacutegislation

nationale qui donne la compeacutetence agrave la chambre disciplinaire de juger des affaires disciplinaires concernant les juges polonais La Cour

de justice reacutepond positivement agrave la demande de la Commission europeacuteenne en justifiant que ces dispositions porteraient atteinte agrave

lrsquoindeacutependance de la justice et ainsi seraient contraires agrave lrsquoEtat de droit et au droit de lrsquoUnion

Estimant que la Reacutepublique de Pologne avait manqueacute en adoptant le nouveau reacutegime disciplinaire des juges de

la Cour suprecircme et des juridictions de droit commun aux obligations lui incombant en vertu du droit de lrsquoUnion

la Commission europeacuteenne a le 3 avril 2019 adresseacute une lettre de mise en demeure agrave cet Eacutetat Dans une lettre

du 1er juin 2019 la Reacutepublique de Pologne a contesteacute toute violation du droit de lrsquoUnion Le 17 juillet 2019 la

Commission europeacuteenne a eacutemis un avis motiveacute dans lequel elle maintenait que le nouveau reacutegime polonais violait

les dispositions du droit de lrsquoUnion Agrave la suite de la reacuteponse de la Reacutepublique de Pologne qui ne lrsquoa pas convaincu

la Commission europeacuteenne a deacutecideacute drsquointroduire un recours en manquement

Par sa demande en reacutefeacutereacute la Commission europeacuteenne demande agrave la Cour de justice drsquoordonner agrave la Reacutepublique

de Pologne dans lrsquoattente de lrsquoarrecirct de la Cour de justice statuant sur le fond de suspendre lrsquoapplication des

dispositions de lrsquoarticle 3 point 5 de lrsquoarticle 27 et de lrsquoarticle 73 paragraphe 1 de la loi sur la Cour suprecircme

constituant le fondement de la compeacutetence de la chambre disciplinaire de la Cour suprecircme polonaise La

Commission europeacuteenne demande eacutegalement que la Reacutepublique de Pologne srsquoabstienne de transmettre les

affaires pendantes devant la chambre disciplinaire agrave une formation de jugement qui ne satisfait pas aux exigences

drsquoindeacutependance

o Sur la recevabiliteacute

La Reacutepublique de Pologne soutient que la demande en reacutefeacutereacute introduite par la Commission europeacuteenne est

manifestement irrecevable En premier lieu la Pologne allegravegue que les mesures provisoires solliciteacutees par la

Commission europeacuteenne sont de nature agrave constituer une ingeacuterence inadmissible dans les structures

constitutionnelle et juridictionnelle polonaises

Reacutefeacutereacute ndash Article 279 TFUE ndash Demande de mesures provisoires ndash Article 19 paragraphe 1 second alineacutea TUE ndash Indeacutependance de lrsquoIzba Dyscyplinarna (chambre disciplinaire) du Sąd Najwyższy (Cour suprecircme Pologne)

36

Retour En Bref

La Commission europeacuteenne soutient que les dispositions nationales dont elle demande la suspension relegravevent du

champ drsquoapplication de lrsquoarticle 19 paragraphe 1 second alineacutea TUE de sorte qursquoelles peuvent faire lrsquoobjet de

mesures provisoires solliciteacutees

La Cour de justice rappelle que bien que chaque Eacutetat membre soit compeacutetent pour lrsquoorganisation de la justice

dans son Eacutetat ils sont tenus de respecter les obligations qui deacutecoulent du droit de lrsquoUnion et en particulier de

lrsquoarticle 19 paragraphe 1 second alineacutea TUE Tous les Etats membres doivent srsquoassurer que les juridictions

relevant de leur systegraveme de voies de recours dans les domaines couverts par le droit de lrsquoUnion satisfont aux

exigences drsquoune protection juridictionnelle effective La Cour de justice rappelle que lrsquoarticle 19 TUE qui

concreacutetise la valeur de lrsquoEacutetat de droit confie aux juridictions nationales et agrave la Cour de justice de garantir la pleine

application du droit de lrsquoUnion ainsi que la protection juridictionnelle que les justiciables tirent de ce droit Afin

que cette protection soit garantie la preacuteservation de lrsquoindeacutependance de ces instances est primordiale La Cour de

justice relegraveve qursquoil incombe agrave tout Eacutetat membre drsquoassurer que le reacutegime disciplinaire applicable aux juges des

juridictions nationales respecte le principe drsquoindeacutependance des juges Ainsi la Cour de justice est compeacutetente

dans le cadre drsquoun recours en manquement tendant agrave contester la compatibiliteacute avec lrsquoarticle 19 paragraphe 1

second alineacutea TUE des dispositions nationales relatives au reacutegime disciplinaire pour ordonner au titre de lrsquoarticle

279 TFUE des mesures provisoires tendant agrave la suspension de lrsquoapplication de telles dispositions

En lrsquoespegravece la Cour de justice note que la chambre disciplinaire srsquoest vu confier par les dispositions nationales

litigieuses la compeacutetence pour statuer dans les affaires disciplinaires concernant les juges de la Cour suprecircme et

des juridictions de droit commun juridictions qui peuvent connaitre de questions lieacutees agrave lrsquoapplication ou agrave

lrsquointerpreacutetation du droit de lrsquoUE

Par suite la Cour de justice est compeacutetente pour adopter des mesures provisoires de la nature de celles solliciteacutees

par la Commission europeacuteenne

En deuxiegraveme lieux la Pologne soutient que les mesures provisoires solliciteacutees par la Commission europeacuteenne

tendent agrave ce que certains juges de la Cour suprecircme agrave savoir ceux de la chambre disciplinaire soient deacutemis de

leurs fonctions Cela violerait le principe drsquoinamovibiliteacute des juges et compromettrait les garanties drsquoindeacutependance

des juges

La Cour de justice estime que les mesures demandeacutees par la Commission europeacuteenne auraient pour effet la

suspension de lrsquoapplication des dispositions nationales litigieuses et non pas la reacutevocation des juges de la chambre

disciplinaire

En troisiegraveme lieu la Reacutepublique de Pologne estime que les mesures provisoires rendraient impossible lrsquoexeacutecution

de lrsquoarrecirct deacutefinitif en cas drsquoaccueil du recours en ce que leur octroi aurait pour effet pratique la dissolution de la

chambre disciplinaire La Cour de justice rejette lrsquoargument de la Pologne

Par suite la Cour de justice conclut que la demande de mesures provisoires est recevable

o Sur le fond

La Cour de justice agrave titre liminaire rappelle qursquoune mesure provisoire ne peut ecirctre accordeacutee par le juge des reacutefeacutereacutes

que srsquoil est eacutetabli que son octroi est justifieacute agrave premiegravere vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qursquoelle est urgente

en ce sens qursquoil est neacutecessaire pour eacuteviter un preacutejudice grave et irreacuteparable aux inteacuterecircts du requeacuterant qursquoelle soit

eacutedicteacutee et produise ses effets degraves avant la deacutecision au fond Le juge des reacutefeacutereacutes procegravede eacutegalement le cas eacutecheacuteant

agrave la mise en balance des inteacuterecircts en preacutesence

Sur le fumus boni juri

Afin que cette condition soit remplie il ressort de la jurisprudence de la Cour de justice qursquoil faut qursquoau moins un

des moyens invoqueacutes par la partie qui sollicite les mesures provisoires agrave lrsquoappui du recours au fond apparaisse agrave

premiegravere vue non deacutepourvu de fondement seacuterieux

A ce titre la Commission europeacuteenne invoque un moyen tireacute de ce que en ne garantissant pas lrsquoindeacutependance et

lrsquoimpartialiteacute de la chambre disciplinaire la Reacutepublique de Pologne a manqueacute aux obligations qui lui incombent

en vertu de lrsquoarticle 19 paragraphe 1 second alineacutea TUE La Commission europeacuteenne relegraveve que lrsquoinstitution de

la chambre disciplinaire a coiumlncideacute avec la modification des regravegles relatives agrave la nomination des membres de la

KRS Cette modification a accru lrsquoinfluence du pouvoir leacutegislatif sur le fonctionnement de cet organe qui participe

37

Retour En Bref

au processus de seacutelection des juges et est chargeacute drsquoassurer lrsquoindeacutependance des juges et des juridictions et par

conseacutequence sur le processus de nomination des juges agrave la chambre disciplinaire La Commission europeacuteenne

relegraveve ensuite que le leacutegislateur national a exclu la possibiliteacute de deacutesigner comme membre de la chambre

disciplinaire un juge deacutejagrave en exercice au sein de la Cour suprecircme de sorte que seuls de nouveaux juges nommeacutes

sur proposition de la KRS ont pu ecirctre nommeacutes pour sieacuteger au sein de cette chambre Finalement la Commission

europeacuteenne souligne que la chambre disciplinaire se caracteacuterise par un degreacute eacuteleveacute drsquoautonomie organisationnelle

et financiegravere

La Commission europeacuteenne souligne que les eacuteleacutements susmentionneacutes et leur introduction simultaneacutee dans le

droit polonais font apparaitre une rupture structurelle qui empecircche drsquoeacutecarter tout doute leacutegitime quant agrave

lrsquoindeacutependance et agrave lrsquoimpartialiteacute de la chambre disciplinaire

La Cour de justice afin de veacuterifier si la condition relative au fumus boni juris est remplie en lrsquooccurrence relegraveve que

le grief porte sur la question de savoir si la chambre disciplinaire satisfait agrave lrsquoexigence drsquoindeacutependance des juges

qui deacutecoule de lrsquoarticle 19 paragraphe 1 second alineacutea TUE La Cour de justice commence par rappeler les regravegles

qui concernent les garanties drsquoindeacutependance et drsquoimpartialiteacute Elle rappelle aussi que conformeacutement au principe

de seacuteparation des pouvoirs qui caracteacuterise le fonctionnement drsquoun Eacutetat de droit lrsquoindeacutependance des juridictions

doit ecirctre garantie agrave lrsquoeacutegard des pouvoirs leacutegislatif et exeacutecutif Les juges doivent donc se trouver agrave lrsquoabri

drsquointerventions ou de pressions exteacuterieures susceptibles de mettre en peacuteril leur indeacutependance Dans lrsquoarrecirct AK

(Cour de justice 19 novembre 2019 affaires jointes C‑58518 C‑62418 et C‑62518) la Cour de justice a eacuteteacute

ameneacutee agrave preacuteciser la porteacutee de ces exigences drsquoindeacutependance et drsquoimpartialiteacute dans le contexte de la creacuteation drsquoune

instance telle que la chambre disciplinaire Elle avait consideacutereacute que lrsquoon pouvait douter de lrsquoindeacutependance de la

KRS qui participe au processus de deacutesignation des juges de la chambre disciplinaire Pour autant la Cour de

justice nrsquoa dans lrsquoarrecirct preacuteciteacute pas constateacute lrsquoabsence de conformiteacute agrave lrsquoarticle 19 paragraphe 1 second alineacutea

TUE des dispositions nationales relatives agrave la chambre disciplinaire et de celles ayant modifieacute les regravegles de

composition de la KRS mais a laisseacute le soin agrave la juridiction de renvoi de proceacuteder aux appreacuteciations requises agrave

cette fin

Par suite il convient de constater que eu eacutegard aux eacuteleacutements de fait mis en avant par la Commission europeacuteenne

ainsi qursquoaux eacuteleacutements drsquointerpreacutetation fournis notamment par lrsquoarrecirct Commission Pologne (Cour de justice 24

juin 2019 C-61918) et par lrsquoarrecirct AK les arguments avanceacutes par la Commission europeacuteenne apparaissent

comme eacutetant non deacutepourvus de fondement seacuterieux Il y a lieu de conclure que la condition relative au fumus boni

juris est remplie en lrsquoespegravece

Sur lrsquourgence

Selon une jurisprudence constante de la Cour de justice la finaliteacute de la proceacutedure de reacutefeacutereacute est de garantir la

pleine efficaciteacute de la future deacutecision deacutefinitive afin drsquoeacuteviter une lacune dans la protection juridique assureacutee par

la Cour de justice Pour atteindre cet objectif lrsquourgence doit srsquoappreacutecier par rapport agrave la neacutecessiteacute qursquoil y a de

statuer provisoirement afin drsquoeacuteviter qursquoun preacutejudice grave et irreacuteparable ne soit occasionneacute agrave la partie qui sollicite

la protection provisoire Le preacutejudice grave et irreacuteparable dont la survenance probable doit ecirctre eacutetablie est celui

qui reacutesulterait le cas eacutecheacuteant du refus drsquoaccorder les mesures provisoires solliciteacutees dans lrsquohypothegravese ougrave le recours

au fond aboutirait par la suite

Il convient ainsi drsquoexaminer si lrsquoapplication des dispositions nationales litigieuses est susceptible de causer un

preacutejudice grave et irreacuteparable au regard du fonctionnement de lrsquoordre juridique de lrsquoUnion La Cour de justice

relegraveve que la garantie drsquoindeacutependance de la chambre disciplinaire en tant que juridiction compeacutetence pour statuer

dans les affaires disciplinaires concernant les juges de la Cour suprecircme et des juridictions de droit commun est

essentielle pour preacuteserver lrsquoindeacutependance de la Cour suprecircme et de ces juridictions Si lrsquoindeacutependance de la

chambre disciplinaire ne peut pas ecirctre garantie alors celle des autres juridictions ne peut lrsquoecirctre non plus Or la

preacuteservation de lrsquoindeacutependance de la Cour suprecircme et des juridictions de droit commun est primordiale afin que

la protection juridictionnelle des droits que les justiciables tirent du droit de lrsquoUnion soit garantie La Cour de

justice a deacutejagrave jugeacute que le fait que lrsquoindeacutependance de la Cour suprecircme puisse ne pas ecirctre garantie est susceptible

drsquoentrainer un grave preacutejudice agrave lrsquoordre juridique de lrsquoUnion et aux droits que les justiciables tirent du droit de

lrsquoUnion Ainsi comme le dit la Cour de justice au point 93 de la preacutesente ordonnance il reacutesulte de ce qui preacutecegravede

que lrsquoapplication des dispositions nationales litigieuses en ce qursquoelles attribuent la compeacutetence pour statuer dans

les affaires disciplinaires relatives aux juges de la Cour suprecircme et des juridictions de droit commun agrave une instance

38

Retour En Bref

en lrsquooccurrence la chambre disciplinaire dont lrsquoindeacutependance pourrait ne pas ecirctre garantie est susceptible de

causer un preacutejudice grave et irreacuteparable agrave lrsquoordre juridique de lrsquoUnion

Par suite il y a lieu de conclure que la condition relative agrave lrsquourgence est eacutetablie en lrsquoespegravece

Sur la mise en balance des inteacuterecircts

Le juge des reacutefeacutereacutes se doit drsquoexaminer si lrsquointeacuterecirct de la partie qui sollicite les mesures provisoires agrave obtenir le sursis

agrave lrsquoexeacutecution preacutevaut sur lrsquointeacuterecirct que preacutesente lrsquoapplication immeacutediate de celles-ci

La Pologne estime que lrsquoapplication des mesures provisoires solliciteacutees aurait pour effets de contraindre les

pouvoirs leacutegislatif et exeacutecutif polonais agrave adopter des mesures dont lrsquoeffet pratique serait la dissolution drsquoun organe

du pouvoir judiciaire qui exerce ses missions structurelles lieacutees agrave lrsquoadministration de la justice de mettre fin agrave une

entiteacute dont le budget est exeacutecuteacute par son Preacutesident et de porter atteinte au droit des justiciables

La Cour de justice rappelle tout drsquoabord que les Eacutetats membres sont tenus de respecter les obligations qui

deacutecoulent pour eux du droit de lrsquoUnion et en particulier de lrsquoarticle 19 paragraphe 1 second alineacutea TUE Elle

rappelle eacutegalement que lrsquooctroi des mesures provisoires solliciteacutees emporterait non pas la dissolution de la

chambre disciplinaire mais la suspension provisoire de son activiteacute Par ailleurs dans la mesure ougrave lrsquooctroi desdites

mesures impliquerait que le traitement des affaires pendantes devant la chambre disciplinaire doive ecirctre suspendu

jusqursquoau prononceacute de lrsquoarrecirct deacutefinitif le preacutejudice reacutesultant de la suspension de ces affaires pour les justiciables

concerneacutes serait moindre que celui reacutesultant de leur examen par une instance agrave savoir la chambre disciplinaire

dont le manque drsquoindeacutependance et drsquoimpartialiteacute ne peut agrave premiegravere vue ecirctre exclu Enfin les difficulteacutes de

nature budgeacutetaire invoqueacutees ne sauraient preacutevaloir sur le risque qursquoil soit porteacute atteinte agrave lrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral de

lrsquoUnion au regard du bon fonctionnement de son ordre juridique

Par suite il y a lieu de conclure que la mise en balance des inteacuterecircts en preacutesence penche en faveur de lrsquooctroi des

mesures provisoires demandeacutees par la Commission europeacuteenne

Par ces motifs la Cour (grande chambre) ordonne

1) La Reacutepublique de Pologne est tenue immeacutediatement et jusqursquoau prononceacute de lrsquoarrecirct qui mettra

fin agrave lrsquoinstance dans lrsquoaffaire C-79119

ndash de suspendre lrsquoapplication des dispositions de lrsquoarticle 3 point 5 de lrsquoarticle 27 et de lrsquoarticle 73

paragraphe 1 de lrsquoustawa o Sądzie Najwyższym (loi sur la Cour suprecircme) du 8 deacutecembre 2017 (Dz U

de 2018 position 5) telle que modifieacutee constituant le fondement de la compeacutetence de lrsquoIzba

Dyscyplinarna (chambre disciplinaire) du Sąd Najwyższy (Cour suprecircme) pour statuer tant en

premiegravere instance qursquoen instance drsquoappel dans les affaires disciplinaires relatives agrave des juges

ndash de srsquoabstenir de transmettre les affaires pendantes devant lrsquoIzba Dyscyplinarna (chambre

disciplinaire) du Sąd Najwyższy (Cour suprecircme) agrave une formation de jugement qui ne satisfait pas aux

exigences drsquoindeacutependance deacutefinies notamment dans lrsquoarrecirct du 19 novembre 2019 A K ea

(Indeacutependance de la chambre disciplinaire de la Cour suprecircme) (C‑58518 C‑62418 et C‑62518

EUC2019982) et

ndash de communiquer agrave la Commission europeacuteenne au plus tard un mois apregraves la notification de

lrsquoordonnance de la Cour ordonnant les mesures provisoires solliciteacutees toutes les mesures qursquoelle aura

adopteacutees afin de se conformer pleinement agrave cette ordonnance

2) Les deacutepens sont reacuteserveacutes

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Interdiction des traitements inhumains ou deacutegradants

Cour EDH (troisiegraveme section) Yevgeniy Mikhaylovich Shmelev et autres Russie 9 avril 2020 ndeg 4174317 et 16 autres

Arrecirct rendu en anglais Reacutesumeacute La Cour EDH juge que le nouveau recours compensatoire mise en œuvre par les autoriteacutes russes est effectif lorsqursquoaucun autre recours nrsquoest neacutecessaire notamment dans tous les cas ougrave la deacutetention provisoire a pris fin et dans certaines situations ougrave la peine drsquoemprisonnement a eacuteteacute exeacutecuteacutee en violation des dispositions internes La Cour EDH deacuteclare ainsi les griefs des plusieurs requeacuterants irrecevables pour non-eacutepuisement des voies de recours internes En outre la Cour EDH demande aux parties de produire des observations suppleacutementaires afin de clarifier la question de lrsquoeffectiviteacute des recours compensatoires dans le cas des recours preacuteventifs ouverts afin de permettre agrave ceux qui sont encore incarceacutereacutes de voir srsquoameacuteliorer leurs conditions de deacutetention Tous les requeacuterants ressortissants russes ont eacuteteacute deacutetenus dans divers centres de deacutetention russes avant ou apregraves leur condamnation dans le cadre dune proceacutedure peacutenale Sept des requeacuterants (requecirctes ndeg 6680617 7580417 7718117 7726517 1929418 3168218 et 3254518) sont ou eacutetaient deacutetenus dans des centres de deacutetention provisoire et les dix autres (requecirctes ndeg 4174317 6018517 7449717 124918 915218 1498818 1799118 1983718 2154218 et 2915518) sont ou ont eacuteteacute deacutetenus dans des colonies peacutenitentiaires apregraves avoir eacuteteacute condamneacutes Le 27 janvier 2020 la loi feacutedeacuterale no 494ndashFZ (dite laquo loi drsquoindemnisation raquo) est entreacutee en vigueur Elle dispose que tout deacutetenu qui allegravegue que ses conditions de deacutetention enfreignent ou ont enfreint les normes nationales ou internationales peut solliciter une indemniteacute aupregraves drsquoun tribunal Le gouvernement russe a soumis des informations sur cette loi et drsquoautres eacutevolutions pertinentes du droit interne visant agrave atteacutenuer les mauvaises conditions de deacutetention Il a demandeacute agrave la Cour EDH de consideacuterer que la nouvelle loi offre un nouveau recours effectif srsquoagissant des conditions de deacutetention A diffeacuterentes dates en 2017 et 2018 les 17 requeacuterants ont saisi la Cour EDH Invoquant lrsquoarticle 3 (interdiction des traitements inhumains ou deacutegradants) lrsquoensemble des 17 requeacuterants se plaignaient de subir ou drsquoavoir subi de mauvaises conditions de deacutetention notamment en raison de la surpopulation Sur le terrain de lrsquoarticle 13 (droit agrave un recours effectif) de la Convention certains drsquoentre eux alleacuteguaient eacutegalement qursquoil nrsquoexistait pas de recours interne effectif permettant de se plaindre de conditions de deacutetention

1) Violation alleacutegueacutee des articles 3 et 13 de la Convention du fait de conditions de deacutetention dans les centres de deacutetention preacuteventive

Les requeacuterants dans les requecirctes ndeg 6680617 1799118 1929418 2154218 3168218 et 3254518 ont fait valoir que les conditions de leur deacutetention provisoire avaient eacuteteacute contraires agrave larticle 3 de la Convention certains dentre eux ont soutenu quils navaient pas disposeacute de recours effectifs contre ces violations comme le preacutevoit larticle 13 En particulier ces requeacuterants se plaignent entre autres davoir eacuteteacute deacutetenus dans des cellules surpeupleacutees Par la preacutesente affaire la Cour EDH examine les deacuteveloppements leacutegislatifs et judiciaires survenus depuis ladoption de larrecirct Ananyev et autres c Russie (Cour EDH 10 janvier 2012 ndeg 4252507 et 6080008) En particulier la Cour EDH examine sil existe deacutesormais des recours internes de nature compensatoire et preacuteventive qui pourraient offrir une reacuteparation effective aux victimes des violations ayant pour origine le surpeuplement et dautres violations des conditions de deacutetention provisoire Elle examine eacutegalement si les requeacuterants dans la preacutesente affaire sont tenus deacutepuiser ces recours La Cour EDH rappelle que apregraves larrecirct Ananyev et autres c Russie elle a constateacute une violation de larticle 3 en raison des conditions inhumaines et deacutegradantes de deacutetention dans les centres de deacutetention provisoire russes

Article 3 (interdiction des traitements inhumains ou deacutegradants) Article 13 (droit agrave un recours effectif)

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dans plus de 100 affaires En mars 2020 plus de 1 450 requecirctes similaires contre la Russie eacutetaient en attente dexamen par la Cour EDH En lrsquoespegravece la Cour EDH reacuteitegravere les orientations quelle a fourni au gouvernement dans laffaire Ananyev et autres en ce qui concerne les caracteacuteristiques quun recours compensatoire doit posseacuteder pour ecirctre consideacutereacute comme effectif En particulier elle rappelle qursquoune indemnisation peacutecuniaire doit ecirctre accessible agrave tout deacutetenu actuel ou ancien ayant subi un traitement inhumain ou deacutegradant et ayant introduit une demande agrave cet effet La constatation que les conditions nont pas satisfait aux exigences de larticle 3 de la Convention donnera lieu agrave une forte preacutesomption quelles ont causeacute un preacutejudice non peacutecuniaire agrave la personne leacuteseacutee et le niveau de la reacuteparation accordeacutee pour le preacutejudice non peacutecuniaire ne doit pas ecirctre deacuteraisonnable par rapport aux montants accordeacutes par la Cour EDH dans des affaires similaires La Cour EDH rappelle ensuite que si lexistence de voies de recours internes effectives sappreacutecie normalement par rapport agrave la date dintroduction de la requecircte cette regravegle est sujette agrave des exceptions si les circonstances de lespegravece le justifient (Cour EDH Muumlduumlr Turgut ea c Turquie 26 mars 2013 ndeg 486009 sect 46) en particulier lorsque le recours en cause a eacuteteacute mis en place en reacuteponse agrave un arrecirct pilote de la Cour (Cour EDH Atanasov et Apostolov c Bulgarie 20 juillet 2017 ndeg 6554016 et 2236817 sect 45) Lorsque de telles voies de recours viennent decirctre mises en place leur appreacuteciation doit neacutecessairement se fonder uniquement sur les dispositions leacutegales qui les reacutegissent et non sur leur fonctionnement en pratique Elle estime donc pouvoir eacutevaluer lefficaciteacute des dispositions leacutegales telles que fixeacutees par la loi dindemnisation apregraves son entreacutee en vigueur et deacutecider en conseacutequence si les requeacuterants sont tenus de les eacutepuiser La Cour EDH juge que la loi drsquoindemnisation est en principe une voie de recours compensatoire adeacutequate et effective dans les cas ougrave les mauvaises conditions de deacutetention concernent une peacuteriode de deacutetention provisoire acheveacutee et dans certaines situations ougrave la peine drsquoemprisonnement a eacuteteacute exeacutecuteacutee en violation des dispositions internes Elle considegravere que les conditions proceacutedurales daccegraves au reacutegime compensatoire sont simples et accessibles et ne font pas peser une charge excessive sur le demandeur ni dans la proceacutedure applicable ni dans lexigence relative aux frais de proceacutedure De plus elle relegraveve que la proceacutedure est doteacutee des garanties proceacutedurales requises telles que lindeacutependance et limpartialiteacute le droit agrave lassistance juridique et dautres garanties lieacutees agrave une proceacutedure judiciaire contradictoire Des mesures de seacutecuriteacute sont preacutevues pour tenir compte de la situation particuliegravere des deacutetenus Selon la Cour EDH il ny a aucune raison de penser que les demandes ne seront pas traiteacutees dans un deacutelai raisonnable ou que lindemnisation ne sera pas verseacutee rapidement La Cour EDH se deacuteclare precircte agrave modifier son approche quant agrave lefficaciteacute du recours en question si la pratique des juridictions internes devait montrer agrave terme que les plaintes sont rejeteacutees pour des raisons formelles que les proceacutedures dindemnisation sont excessivement longues que les indemniteacutes sont insuffisantes ou ne sont pas verseacutees rapidement ou que la jurisprudence interne nest pas conforme aux exigences de la Convention et agrave la jurisprudence de la Cour EDH Tout examen futur de ce type consistera agrave deacuteterminer si les autoriteacutes nationales ont appliqueacute la loi sur lindemnisation dune maniegravere conforme agrave larrecirct pilote et aux normes de la Convention en geacuteneacuteral La Cour EDH conclut que le nouveau recours compensatoire doit ecirctre consideacutereacute comme un recours effectif et deacuteclare irrecevables les requecirctes ndeg 6680617 1929418 3168218 et 3254518 pour non-eacutepuisement des voies de recours internes et les rejette en vertu de larticle 35 sectsect 1 et 4 de la Convention Dans les requecirctes ndeg 7580417 7718117 et 7726517 la Cour EDH estime quelle ne peut pas sur la base du dossier deacuteterminer la recevabiliteacute des plaintes deacuteposeacutees par les requeacuterants dont la deacutetention preacuteventive est en cours Elle invite donc conformeacutement agrave larticle 54 sect 2 c) du regraveglement de la Cour EDH les parties agrave preacutesenter des observations eacutecrites compleacutementaires

2) Violation alleacutegueacutee des articles 3 et 13 de la Convention du fait des conditions de deacutetention dans les eacutetablissements peacutenitentiaires

Les dix requeacuterants dans les requecirctes ndeg 4174317 6018517 7449717 124918 915218 1498818 1799118 1983718 2154218 et 2915518 ont fait valoir que les conditions de leur deacutetention dans les eacutetablissements peacutenitentiaires sont tombeacutees en dessous des normes compatibles avec larticle 3 de la Convention Certains dentre eux ont fait valoir quils ne disposaient pas de recours effectifs contre ces violations en violation de larticle 13

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En particulier les requeacuterants se sont plaints entre autres du fait quils ont eacuteteacute deacutetenus dans des locaux surpeupleacutes Pour certains des requeacuterants la deacutetention avait pris fin au moment de leacutechange dobservations entre les parties La Cour EDH note tout drsquoabord que les dispositions applicables de la leacutegislation russe fixent des normes diffeacuterentes en matiegravere despace personnel pour la deacutetention provisoire (quatre megravetres carreacutes par personne deacutetenue) et la deacutetention correctionnelle pour les hommes condamneacutes dans des colonies ou des prisons (deux megravetres carreacutes et deux megravetres carreacutes et demi) Elle rappelle ainsi que laquo lorsque lespace personnel dont dispose un deacutetenu est infeacuterieur agrave trois megravetres carreacutes de surface au sol [] le manque despace personnel est consideacutereacute comme si grave quil y a forte preacutesomption de violation de larticle 3 raquo (Cour EDH [GC] Muršić c Croatie 20 octobre 2016 ndeg 733413 sect 137) Ainsi pour un nombre consideacuterable de deacutetenus dans les eacutetablissements peacutenitentiaires les mauvaises conditions de deacutetention sont preacutedeacutetermineacutees par les normes eacutetablies par la leacutegislation nationale Afin deacutevaluer lefficaciteacute des recours la Cour EDH distingue entre les cas ougrave les conditions de deacutetention des requeacuterants eacutetaient infeacuterieures aux normes nationales et les cas ougrave lespace minimal disponible eacutetait conforme aux normes nationales mais soulegraveverait neacuteanmoins un problegraveme agrave premiegravere vue au regard de larticle 3

o Les plaintes concernant des conditions de deacutetention infeacuterieures agrave la norme nationale Compte tenu des consideacuterations sur lefficaciteacute de la loi dindemnisation dans les situations ougrave la deacutetention eacutetait acheveacutee et du fait quil ny a pas de contestation entre les parties sur la violation des normes nationales minimales de deacutetention la Cour EDH conclut que ces deux requeacuterants se trouvent dans une situation similaire agrave celle des personnes dont la deacutetention provisoire passeacutee lrsquoavait eacuteteacute en violation des normes nationales applicables Pour les raisons exposeacutees ci-dessus pour eux ainsi que pour dautres personnes se trouvant dans une situation similaire la nouvelle loi compensatoire preacutesente en principe un moyen adeacutequat et efficace dobtenir une reacuteparation compensatoire et offre des perspectives raisonnables de succegraves La Cour EDH estime ainsi que les requecirctes ndeg 1799118 et 2154218 qui soulegravevent des griefs au titre des articles 3 et 13 doivent ecirctre rejeteacutees en vertu de larticle 35 sectsect 1 et 4 de la Convention pour non-eacutepuisement des voies de recours internes

o Cas conformes agrave la norme nationale mais infeacuterieurs agrave la norme minimale de larticle 3 La Cour EDH note que les requeacuterants des requecirctes ndeg 4174317 6018517 et 1498818 ont eacuteteacute deacutetenus dans le passeacute dans des conditions ougrave chacun des requeacuterants avait disposeacute de moins de trois megravetres carreacutes despace personnel Les requeacuterants des requecirctes no 7449717 124918 915218 1983718 et 2915518 eacutetaient toujours deacutetenus dans de telles conditions au moment de leacutechange dobservations En lrsquoespegravece la Cour EDH estime quelle ne dispose pas deacuteleacutements suffisants pour eacutevaluer lefficaciteacute dun tel recours en cas de deacutetention correctionnelle Elle invite donc les parties agrave preacutesenter des observations compleacutementaires conformeacutement agrave larticle 54 sect 2 c) du regraveglement de la Cour afin de clarifier lefficaciteacute de tout recours preacuteventif en cas de deacutetention correctionnelle pendante dans des conditions incompatibles avec larticle 3 de la Convention POUR CES RAISONS LA COUR Agrave LUNANIMITEacute

1 Deacutecide de joindre les requecirctes ndeg 6680617 1799118 1929418 2154218 3168218 et 3254518 et les deacuteclare irrecevables

2 Deacutecide dajourner lexamen des requecirctes ndeg 4174317 6018517 7449717 7580417

7718117 7726517 124918 915218 1498818 1983718 et 2915518

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Cour EDH (cinquiegraveme section) Castellani France 30 avril 2020 ndeg4320716

Reacutesumeacute La Cour EDH dans une affaire concernant lrsquointerpellation du requeacuterant par le GIPN estime que la France a violeacute

lrsquoarticle 3 de la Convention En effet elle juge que lrsquoopeacuteration policiegravere nrsquoa pas eacuteteacute planifieacutee ni exeacutecuteacutee de maniegravere agrave respecter les

garanties internes existantes et que lrsquousage de la force nrsquoeacutetait pas proportionneacute ni neacutecessaire pour permettre lrsquointerpellation du requeacuterant

et ne se justifiait pas par son comportement

Le 6 mai 2002 une information judiciaire fut ouverte contre X pour subornation de teacutemoin et menaces de mort

reacuteiteacutereacutees agrave la suite de la plainte deacuteposeacutee par MA avocat Ce dernier avait teacutemoigneacute dans une affaire de violence

dirigeacutees contre la force publique dans laquelle trois membres de la famille EH avaient eacuteteacute condamneacutes Les

principaux suspects eacutetaient membres de la famille EH famille amie et voisine du requeacuterant Le 18 juin 2002

apregraves identification de certains membres de la famille EH comme auteurs preacutesumeacutes de menaces de mort et de

subornation de teacutemoins les policiers de Nice avec le soutien du GIPN proceacutedegraverent agrave lrsquointerpellation de deux

membres de la famille EH A la demande de la commandante une eacutequipe du GIPN composeacutee de dix

fonctionnaires interpella le requeacuterant mis en cause dans la mecircme affaire et consideacutereacute comme dangereux

Les parties contestent les circonstances de lrsquoopeacuteration policiegravere

Dans la version du requeacuterant il explique que voyant des inconnus entrer chez lui et croyant ecirctre agresseacute agrave son

domicile il se deacutefend agrave lrsquoaide drsquoune barre de fer Il entendit alors crier laquo Police raquo et deacuteposa la barre de fer et se

laissa faire Apregraves avoir confirmeacute son identiteacute il reccedilut un coup sur la tecircte du policier qursquoil avait agresseacute avec la

barre de fer et fut frappeacute agrave coups de poings et de pieds Crsquoest seulement agrave ce moment-lagrave qursquoil sut le motif de son

interpellation Il fut agrave nouveau frappeacute afin qursquoil avoue ougrave se trouvaient les armes puis encore maltraiteacute lors de son

transport au poste de police Selon les policiers du GIPN ils sont entreacutes dans la maison et ont inspecteacute le rez-

de-chausseacutee tout en prononccedilant agrave plusieurs reprises laquo Police raquo Alors qursquoils montaient au premier eacutetage le

premier policier vit surgir le requeacuterant qui lrsquoattendait et qui le frappa drsquoune barre de fer Les fonctionnaires ont

tenteacute de le maitriser alors que celui-ci continuait de porter des coups aux fonctionnaires Ces derniers ont ducirc

lrsquoimmobiliser agrave lrsquoaide de leur force

Placeacute en garde agrave vue le requeacuterant fut examineacute par un meacutedecin qui ne srsquoopposa pas agrave une mesure de garde agrave vue

mais a demandeacute qursquoil soit emmeneacute agrave lrsquohocircpital Il y a eacuteteacute conduit neuf heures apregraves son interpellation Le requeacuterant

preacutesentait de multiples fractures au visage Pour autant sa garde agrave vue a eacuteteacute prolongeacutee

Le 8 juillet 2002 le requeacuterant fut convoqueacute devant le tribunal correctionnel de Nice afin drsquoecirctre jugeacute de chefs de

violences volontaires avec arme agrave lrsquoeacutegard drsquoune personne deacutepositaire de lrsquoautoriteacute publique ayant entraineacute une

incapaciteacute de travail supeacuterieure agrave huit jours ainsi que pour deacutetention sans autorisation drsquoarme ou de munition Le

13 janvier 2009 le tribunal correctionnel le condamna agrave une amende deacutelictuelle avec sursis pour deacutetention drsquoarme

sans autorisation Il fut relaxeacute des chefs de violences volontaires au motif qursquoil srsquoagissait de leacutegitime deacutefense

Le 18 novembre 2002 le requeacuterant deacuteposa plainte avec constitution de partie civile pour non-assistance agrave

personne en peacuteril violences volontaires et actes de barbarie Le juge drsquoinstruction rendit une ordonnance de non-

lieu partiel en ne retenant agrave lrsquoencontre de certains policiers que lrsquoomission de porter secours La cour drsquoappel

annula lrsquoordonnance de non-lieu partiel Une deuxiegraveme ordonnance de non-lieu concernant les faits de violences

volontaires fut rendue le 27 janvier 2006 et le requeacuterant fit appel La cour drsquoappel confirma le non-lieu des chefs

drsquoactes de barbaries mais demanda un suppleacutement drsquoinformation concernant les violences volontaires Quatre

policiers du GIPN furent entendus et mis en examen Le 25 octobre 2007 la chambre drsquoinstruction de la cour

drsquoappel confirma lrsquoordonnance de non-lieu du chef de violences volontaires par deacutepositaires de lrsquoautoriteacute

Art 3 (volet mateacuteriel) bull Recours agrave la force bull Irruption drsquoune uniteacute drsquoeacutelite de la police au domicile drsquoun suspect au petit matin pour proceacuteder agrave son arrestation aux fins drsquoaudition dans le cadre drsquoune enquecircte peacutenale bull Neacutecessiteacute de garanties suffisantes face aux risques drsquoabus drsquoautoriteacute et de violation de la digniteacute humaine lors du recours dans un tel contexte aux forces speacuteciales bull Doutes sur lrsquoexistence de preacutecautions suffisantes bull Tribunaux ayant reconnu la leacutegitime deacutefense du requeacuterant qui avait frappeacute un policier cagouleacute en le prenant pour un cambrioleur bull Blessures reacutesultant de lrsquoemploi drsquoune force physique non rendue strictement neacutecessaire par le comportement du suspect

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publique Le 13 janvier 2009 le tribunal correctionnel de Nice prononccedila la relaxe des deux fonctionnaires de

police renvoyeacutes devant lui des chefs drsquoomission de porter secours

Le 26 juin 2009 le requeacuterant forma une action en responsabiliteacute de lrsquoEtat afin drsquoobtenir une indemnisation du

preacutejudice subi compte tenu des conditions de son interpellation puis de sa garde agrave vue Le tribunal condamna

lrsquoEtat au motif qursquoil avait commis une faute lourde en envoyant le GIPN pour proceacuteder agrave lrsquointerpellation du

requeacuterant Par un arrecirct du 12 avril 2012 la cour drsquoappel drsquoAix-en-Provence confirma la recevabiliteacute de lrsquoaction du

requeacuterant mais infirma le jugement pour le surplus La Cour de cassation cassa lrsquoarrecirct du 12 avril 2012 sauf en ce

qursquoil avait deacuteclareacute recevable lrsquoaction du requeacuterant Le 27 janvier 2015 la cour drsquoappel de Montpellier consideacutera

que la faute lourde engageant la responsabiliteacute de lrsquoEtat nrsquoeacutetait pas deacutemontreacutee srsquoagissant des conditions

drsquointervention du GIPN pour proceacuteder agrave lrsquointerpellation du requeacuterant La cour drsquoappel jugea que lrsquoEtat avait

commis une faute lourde agrave raison du deacutefaut de soins durant la garde agrave vue dont le requeacuterant avait fait lrsquoobjet Par

un arrecirct du 10 feacutevrier 2016 la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requeacuterant

Le requeacuterant saisit la Cour EDH le 19 juillet 2016 drsquoune requecircte dirigeacutee contre la Reacutepublique franccedilaise

Sur la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 3 de la Convention

Le requeacuterant allegravegue avoir eacuteteacute victime de violences lors de son interpellation par la police alors que lrsquointervention

du GIPN comme lrsquousage de la force nrsquoeacutetaient ni neacutecessaires ni proportionneacutes En effet il estime que le GIPN

est connu pour lrsquoefficaciteacute de ses interventions concernant le terrorisme et le grand banditisme Une telle

intervention baseacutee sur une simple plainte teacuteleacutephonique comme cela a eacuteteacute le cas en lrsquoespegravece est une rareteacute

juridique

La Cour EDH rappelle sa jurisprudence concernant le recours agrave la force lors drsquoune interpellation au paragraphe

52 de lrsquoarrecirct Elle estime que lrsquoarticle 3 ne prohibe pas le recours agrave la force par les agents de police lors drsquoune

interpellation mais qursquoelle doit ecirctre proportionneacutee et absolument neacutecessaire au vu des circonstances de lrsquoespegravece

Il importe donc de savoir srsquoil y a lieu de penser que lrsquointeacuteresseacute opposera une reacutesistance tentera de fuir ou de

deacutetruire des preuves

En lrsquoespegravece la Cour EDH relegraveve qursquoau vu des certificats meacutedicaux le requeacuterant souffrait de blessures

importantes Aux souffrances physiques srsquoajoute des souffrances psychiques comme en atteste lrsquoeacutetat de stress

post-traumatique releveacute par les meacutedecins La maniegravere dont srsquoest deacuterouleacutee lrsquointerpellation crsquoest-agrave-dire tregraves tocirct le

matin avec une ouverture forceacutee du portail et de la porte drsquoentreacutee en preacutesence de la femme et de la fille du

requeacuterant a neacutecessairement entraineacute de la peur et de lrsquoangoisse chez le requeacuterant

Dans son raisonnement la Cour EDH srsquointeacuteresse dans un premier temps agrave la planification de lrsquoopeacuteration agrave

savoir si elle a pris en compte lrsquoensemble des circonstances pertinentes et a observeacute des garanties suffisantes En

lrsquoespegravece la Cour EDH observe que lrsquoopeacuteration dans laquelle le GIPN eacutetait principalement impliqueacutee et pour

laquelle son intervention avait eacuteteacute autoriseacutee reacutepondait au but leacutegitime drsquoeffectuer une interpellation et poursuivant

lrsquoobjectif geacuteneacuteral de la reacutepression des infractions Le but de lrsquointervention eacutetait lrsquointerpellation de la famille EH

pour laquelle le DDSP avait donneacute son accord Or le juge drsquoinstruction nrsquoa pas eacuteteacute informeacute et le DDSP nrsquoa pas

donneacute son accord quant agrave lrsquointervention du GIPN pour lrsquointerpellation du requeacuterant La Cour EDH relegraveve donc

que cette opeacuteration nrsquoa pas beacuteneacuteficieacute des garanties internes existantes entourant normalement lrsquointervention de

ce type drsquouniteacutes speacuteciales La Cour EDH remarque que le caractegravere de dangerositeacute du requeacuterant ne reacutesulta que

des deacuteclarations des fonctionnaires de police ayant requis son intervention et nrsquoeacutetait eacutetayeacute par aucun eacuteleacutement

probant Elle observe que certaines juridictions internes ont remis en cause la proportionnaliteacute de lrsquointervention

du GIPN au regard des circonstances de lrsquoespegravece Il ressort eacutegalement du dossier qursquoaucune investigation

preacutealable afin de deacuteterminer si le requeacuterant serait seul au moment de son interpellation nrsquoest alleacutegueacutee Or la Cour

EDH estime que la preacutesence de membres de la famille du suspect sur les lieux de lrsquointerpellation doit ecirctre prise

en compte lors de la planification de lrsquointervention La Cour EDH considegravere que lrsquoopeacuteration policiegravere au domicile

du requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute planifieacutee et exeacutecuteacutee de maniegravere agrave srsquoassurer que les moyens employeacutes soient strictement

neacutecessaires pour atteindre ses buts ultimes

Dans un second temps la Cour EDH doit examiner si la force physique dont il a eacuteteacute fait usage agrave lrsquoencontre du

requeacuterant eacutetait ou non rendue strictement neacutecessaire par son comportement La Cour EDH rappelle que lorsque

des proceacutedures internes ont eacuteteacute meneacutees il ne lui appartient pas de substituer sa propre version des faits agrave celle

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des autoriteacutes internes qui doivent eacutetablir les faits sur la base de preuves recueillies par elles La Cour EDH note

que le tribunal correctionnel a jugeacute que le requeacuterant avait pu leacutegitimement se croire agresseacute agrave son domicile et qursquoil

avait agi en eacutetat de leacutegitime deacutefense Elle constate eacutegalement que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute poursuivi pour des faits

de reacutebellion et que la description du mode drsquoopeacuteration utiliseacute par les policiers ainsi que les constatations des

blessures du requeacuterant attestent de lrsquointensiteacute de la force physique dont il a eacuteteacute fait usage Par suite la Cour EDH

a conclu que les moyens employeacutes nrsquoeacutetaient pas strictement neacutecessaires pour permettre lrsquointerpellation du

requeacuterant et que la force physique dont il a eacuteteacute fait usage agrave son encontre nrsquoa pas eacuteteacute rendue telle par son

comportement

Ainsi la Cour EDH estime qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 3 de la Convention

Par ces motifs la Cour EDH agrave lrsquounanimiteacute

1 Deacuteclare la requecircte recevable

2 Dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 3 de la Convention

3 Dit

a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans un deacutelai de trois mois les sommes suivantes au

taux applicable agrave la date du regraveglement i 2 803 EUR (deux mille huit cent trois euros) plus tout montant

pouvant ecirctre ducirc sur cette somme agrave titre drsquoimpocirct pour dommage mateacuteriel ii 20 000 EUR (vingt mille

euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc sur cette somme agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral

b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces montants seront agrave majorer drsquoun

inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne

applicable pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage

4 Rejette le surplus de la demande de satisfaction eacutequitable

Libre circulation des travailleurs

Cour de justice (sixiegraveme chambre) Caisse pour lavenir des enfants FV et GW 2 avril 2020 C-80218

Reacutesumeacute Dans une affaire concernant le versement dallocations sociales luxembourgeoises agrave des travailleurs transfrontaliers franccedilais la Cour de justice a jugeacute quen vertu du principe deacutegaliteacute de traitement un Etat membre ne peut refuser de verser une allocation familiale pour lrsquoenfant du conjoint drsquoun travailleur frontalier sans lien de filiation avec celui-ci puisque cette allocation constitue un avantage social et une prestation de seacutecuriteacute sociale FV travaille au Luxembourg et reacuteside en France avec son eacutepouse GW Le couple a deux enfants HY neacute en 2000 drsquoune preacuteceacutedente union de GW vit avec FV et GW Celle-ci exerce lrsquoautoriteacute parentale exclusive sur HY Jusqursquoagrave lrsquoentreacutee en vigueur de la loi luxembourgeoise du 23 juillet 2016 le meacutenage beacuteneacuteficiait des allocations familiales luxembourgeoises pour les trois enfants en raison de la qualiteacute de travailleur frontalier de FV Agrave compter de lrsquoentreacutee en vigueur de cette loi qui a modifieacute le code de la seacutecuriteacute sociale en excluant les enfants du conjoint ou du partenaire de la notion de laquo membres de la famille raquo le meacutenage a cesseacute de beacuteneacuteficier de ces allocations pour HY En effet par deacutecision du 8 novembre 2016 la Caisse pour lrsquoavenir des enfants (Luxembourg) a consideacutereacute

Renvoi preacutejudiciel ndash Article 45 TFUE ndash Seacutecuriteacute sociale des travailleurs migrants ndash Regraveglement (CE) ndeg8832004 ndash Article 1er sous i) ndash Libre circulation des travailleurs ndash Eacutegaliteacute de traitement ndash Avantages sociaux ndash Directive 200438CE ndash Article 2 point 2 ndash Regraveglement (UE) ndeg4922011 ndash Article 7 paragraphe 2 ndash Allocation familiale ndash Notion de ldquomembres de la famillerdquo ndash Exclusion de lrsquoenfant du conjoint de travailleurs non-reacutesidents ndash Diffeacuterence de traitement avec lrsquoenfant du conjoint de travailleurs reacutesidents ndash Justification

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que FV nrsquoavait plus droit agrave lrsquoallocation familiale pour HY depuis le 1er aoucirct 2016 Cet enfant ne preacutesentant pas de lien de filiation avec FV la Caisse pour lrsquoavenir des enfants considegravere qursquoil nrsquoa pas la qualiteacute de laquo membre de famille raquo ce qui exclut le droit agrave lrsquoallocation familiale luxembourgeoise FV a saisi le conseil arbitral de la seacutecuriteacute sociale (Luxembourg) pour contester la deacutecision de la Caisse pour lrsquoavenir des enfants et celui-ci a estimeacute que les prestations familiales luxembourgeoises constituent un avantage social au sens du regraveglement sur la libre circulation des travailleurs 1 et qursquoelles se rapportent agrave lrsquoexercice drsquoune activiteacute salarieacutee degraves lors que pour se les voir attribuer FV doit ecirctre un travailleur soumis agrave la leacutegislation luxembourgeoise La Caisse pour lrsquoavenir des enfants a saisi en appel le conseil supeacuterieur de la seacutecuriteacute sociale (Luxembourg) car elle conteste notamment lrsquoassimilation des prestations familiales agrave un avantage social

Dans ces conditions le conseil supeacuterieur de la seacutecuriteacute sociale a deacutecideacute de surseoir agrave statuer et de poser agrave la Cour de justice les questions preacutejudicielles suivantes laquo 1) Lrsquoallocation familiale luxembourgeoise octroyeacutee selon les articles 269 et 270 du [code dans leur version applicable agrave partir du 1er aoucirct 2016] doit-elle ecirctre assimileacutee agrave un avantage social au sens de lrsquoarticle 45 TFUE et de lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement ndeg4922011 2) En cas drsquoassimilation la deacutefinition de membre de la famille applicable en vertu de lrsquoarticle [1er sous i)] du regraveglement ndeg8832004 srsquooppose agrave la deacutefinition plus eacutelargie de membre de la famille de lrsquoarticle 2 point 2 de la directive 200438 alors que cette derniegravere exclut toute autonomie de lrsquoEacutetat membre dans la deacutefinition de membre de la famille contrairement agrave ce qui est consacreacute par le regraveglement de coordination et exclut agrave titre subsidiaire toute notion de charge principale La deacutefinition de membre de la famille au sens de lrsquoarticle 1er [sous i)] du regraveglement ndeg8832004 doit-elle degraves lors preacutevaloir au vu de sa speacutecificiteacute dans le contexte drsquoune coordination des reacutegimes de seacutecuriteacute sociale et surtout lrsquoEacutetat membre garde-t-il compeacutetence pour deacutefinir les membres de la famille qui ouvrent droit agrave lrsquoallocation familiale 3) En cas drsquoapplication de lrsquoarticle 2 point 2 de la directive 200438 aux prestations familiales et plus preacuteciseacutement agrave lrsquoallocation familiale luxembourgeoise lrsquoexclusion de lrsquoenfant du conjoint de la deacutefinition du membre de la famille peut-elle ecirctre consideacutereacutee comme une discrimination indirecte justifieacutee au vu de lrsquoobjectif national de lrsquoEacutetat membre de consacrer le droit personnel de lrsquoenfant et de la neacutecessiteacute de proteacuteger lrsquoadministration de lrsquoEacutetat membre drsquoemploi alors que lrsquoeacutelargissement du champ personnel drsquoapplication constitue une charge deacuteraisonnable pour le systegraveme de prestations familiales luxembourgeois qui exporte notamment presque 48 de ses prestations familiales raquo

o Sur la premiegravere question

La Cour de justice commence par rappeler au point 25 quil reacutesulte de lobjectif deacutegaliteacute de traitement (inscrit agrave larticle 45 TFUE et agrave larticle 7 du regraveglement ndeg4922011 que la notion drsquolaquo avantage social raquo dans le cas des travailleurs ressortissants drsquoautres Eacutetats membres comprend tous les avantages qui lieacutes ou non agrave un contrat drsquoemploi sont geacuteneacuteralement reconnus aux travailleurs nationaux en raison principalement de leur qualiteacute objective de travailleurs ou du simple fait de leur reacutesidence sur le territoire national (voir en ce sens larrecirct Generaacutelny riaditeľ Sociaacutelnej poisťovne Bratislava ea C-44718 18 deacutecembre 2019 point 47) Elle indique ensuite au point 30 que au vu des documents dont elle dispose lrsquoallocation familiale en cause qui constitue un avantage est lieacutee pour un travailleur frontalier tel que FV agrave lrsquoexercice drsquoune activiteacute salarieacutee au Luxembourg Elle nrsquoa eacuteteacute initialement accordeacutee agrave FV que dans la mesure ougrave il eacutetait un travailleur frontalier soumis agrave la leacutegislation luxembourgeoise La Cour de justice en conclut au point 32 qursquoune allocation familiale lieacutee agrave lrsquoexercice par un travailleur frontalier drsquoune activiteacute salarieacutee dans un Eacutetat membre constitue un avantage social au sens de larticle 7 paragraphe 2 du regraveglement ndeg4922011

o Sur la deuxiegraveme et troisiegraveme question

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La Cour de justice estime sans donner plus de preacutecisions quil convient dexaminer les deux questions ensemble Elle preacutecise quil sagit en substance de deacuteterminer si lrsquoarticle 1er sous i) du regraveglement ndeg8832004 lu en combinaison avec lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement ndeg4922011 et avec lrsquoarticle 2 point 2 de la directive 200438 doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens qursquoil srsquooppose agrave des dispositions drsquoun Eacutetat membre en vertu desquelles les travailleurs frontaliers ne peuvent percevoir une allocation familiale lieacutee agrave lrsquoexercice par ceux-ci drsquoune activiteacute salarieacutee dans un Eacutetat membre que pour leurs propres enfants agrave lrsquoexclusion de ceux de leur conjoint avec lesquels ils nrsquoont pas de lien de filiation alors que le droit de percevoir cette allocation existe pour tous les enfants reacutesidant dans ledit Eacutetat membre Sur lapplicabiliteacute du regraveglement ndeg8832004 la Cour de justice observe au point 39 que lrsquoallocation concerneacutee est verseacutee pour tous les enfants reacutesidant au Luxembourg ainsi que pour tous les enfants des travailleurs non-reacutesidents ayant un lien de filiation avec ces derniers Cette prestation est donc octroyeacutee en dehors de toute appreacuteciation individuelle et discreacutetionnaire des besoins personnels sur la base drsquoune situation leacutegalement deacutefinie Elle est donc selon la jurisprudence de la Cour de justice et notamment larrecirct Generaacutelny riaditeľ Sociaacutelnej poisťovne Bratislava ea citeacute point 23 consideacutereacutee comme une prestation sociale En outre la Cour de justice souligne que la prestation en cause repreacutesente une contribution publique au budget familial destineacutee agrave alleacuteger les charges deacutecoulant de lrsquoentretien des enfants (arrecirct Martinez Silva C-44916 21 juin 2017 point 23) Elle en conclut dans son point 41 que cette allocation familiale constitue une prestation de seacutecuriteacute sociale relevant des prestations familiales ce qui deacutetermine lrsquoapplication du regraveglement ndeg8832004 sur la coordination des systegravemes de seacutecuriteacute sociale La Cour de justice indique dans son point suivant que dans le cas drsquoun travailleur frontalier tel que FV le regraveglement ndeg8832004 srsquoapplique puisqursquoil srsquoapplique agrave un ressortissant de lrsquoun des Eacutetats membres reacutesidant dans un Eacutetat membre qui est ou a eacuteteacute soumis agrave la leacutegislation drsquoun ou de plusieurs Eacutetats membres ainsi qursquoaux membres de sa famille et agrave leurs survivants Elle preacutecise quune application combineacutee de ce regraveglement et de larticle 7 paragraphe 2 du regraveglement ndeg4922011 Par ailleurs la Cour de justice rappelle que les membres de la famille drsquoun travailleur migrant sont des beacuteneacuteficiaires indirects de lrsquoeacutegaliteacute de traitement accordeacutee en ce qui concerne les avantages sociaux agrave ce travailleur par le regraveglement sur la libre circulation des travailleurs En outre selon la Cour de justice il y a lieu drsquoentendre par enfant drsquoun travailleur frontalier pouvant beacuteneacuteficier indirectement de ces avantages sociaux non seulement lrsquoenfant qui a un lien de filiation avec ce travailleur mais eacutegalement lrsquoenfant du conjoint ou du partenaire enregistreacute de celui-ci lorsque ce dernier pourvoit agrave lrsquoentretien de cet enfant (point 50) Elle preacutecise dans son point suivant quelle a consideacutereacute que la notion de laquo membre de la famille raquo du travailleur frontalier susceptible de beacuteneacuteficier indirectement de lrsquoeacutegaliteacute de traitement en vertu de lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement ndeg4922011 correspond agrave celle de laquo membre de la famille raquo au sens de lrsquoarticle 2 point 2 de la directive 200438 laquelle comprend le conjoint ou le partenaire avec lequel le citoyen de lrsquoUnion a contracteacute un partenariat enregistreacute les descendants directs qui sont acircgeacutes de moins de 21 ans ou qui sont agrave charge et les descendants directs du conjoint ou du partenaire La Cour de justice a notamment pris en consideacuteration agrave cet eacutegard le consideacuterant 1 lrsquoarticle 1er et lrsquoarticle 2 paragraphe 2 de la directive 201454 (directive relative agrave des mesures facilitant lexercice des droits confeacutereacutes aux travailleurs dans le contexte de la libre circulation des travailleurs ) Voir en ce sens arrecirct Depesme eaMinistegravere de lEnseignement supeacuterieur et de la Recherche C-40115 agrave C-40315 15 deacutecembre 2016 points 52 agrave 54 La Cour de justice indique au point 54 que le principe drsquoeacutegaliteacute de traitement prohibe non seulement les discriminations directes fondeacutees sur la nationaliteacute mais encore toutes formes indirectes de discrimination qui par application drsquoautres critegraveres de distinction aboutissent en fait au mecircme reacutesultat (arrecircts Bressol ea C-7308 point 40 13 avril 2010 ainsi que Aubriet C-4101810 juillet 2019) Il srsquoagit donc au vu des circonstances propres agrave la situation de FV de veacuterifier srsquoil existe une discrimination

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En vertu de la leacutegislation luxembourgeoise applicable tous les enfants reacutesidant au Luxembourg quel que soit leur statut au sein du foyer du travailleur peuvent preacutetendre agrave ladite allocation familiale En revanche les travailleurs non-reacutesidents ne peuvent y preacutetendre que pour leurs propres enfants agrave lrsquoexclusion des enfants de leur conjoint avec lesquels ils nrsquoont pas de lien de filiation La Cour de justice indique dans son point 56 qu laquo une telle distinction fondeacutee sur la reacutesidence qui est susceptible de jouer davantage au deacutetriment des ressortissants drsquoautres Eacutetats membres dans la mesure ougrave les non-reacutesidents sont le plus souvent des non-nationaux constitue une discrimination indirecte fondeacutee sur la nationaliteacute qui ne pourrait ecirctre admise qursquoagrave la condition drsquoecirctre objectivement justifieacutee raquo ce qui nrsquoest pas le cas dans lrsquoaffaire en cause puisquelle ne garantit par la reacutealisation dun objectif leacutegitime (voir en ce sens (arrecirct Aubriet citeacute point 28) La Cour de justice souligne que srsquoil est vrai que les personnes ayant droit aux prestations familiales sont deacutetermineacutees conformeacutement au droit national il nrsquoen demeure pas moins que les Eacutetats membres doivent respecter le droit de lrsquoUnion en lrsquooccurrence les dispositions relatives agrave la libre circulation des travailleurs (point 69) Ainsi dans le domaine speacutecifique de lrsquooctroi drsquoavantages sociaux la regravegle drsquoeacutegaliteacute de traitement srsquooppose agrave des dispositions drsquoun Eacutetat membre en vertu desquelles les travailleurs non-reacutesidents ne peuvent percevoir une allocation telle que lrsquoallocation familiale demandeacutee par FV que pour leurs propres enfants agrave lrsquoexclusion de ceux de leur conjoint avec lesquels ils nrsquoont pas de lien de filiation mais dont ils pourvoient agrave lrsquoentretien alors que tous les enfants reacutesidant dans cet Eacutetat membre ont le droit de percevoir cette allocation

Par ces motifs la Cour (sixiegraveme chambre) dit pour droit

1) Lrsquoarticle 45 TFUE et lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement (UE) ndeg4922011 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 5 avril 2011 relatif agrave la libre circulation des travailleurs agrave lrsquointeacuterieur de lrsquoUnion doivent ecirctre interpreacuteteacutes en ce sens qursquoune allocation familiale lieacutee agrave lrsquoexercice par un travailleur frontalier drsquoune activiteacute salarieacutee dans un Eacutetat membre constitue un avantage social au sens de ces dispositions

2) Lrsquoarticle 1er sous i) et lrsquoarticle 67 du regraveglement (CE) ndeg8832004 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systegravemes de seacutecuriteacute sociale lus en combinaison avec lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement ndeg4922011 et avec lrsquoarticle 2 point 2 de la directive 200438CE du Parlement europeacuteen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de lrsquoUnion et des membres de leurs familles de circuler et de seacutejourner librement sur le territoire des Eacutetats membres modifiant le regraveglement (CEE) ndeg 161268 et abrogeant les directives 64221CEE 68360CEE 72194CEE 73148CEE 7534CEE 7535CEE 90364CEE 90365CEE et 9396CEE doivent ecirctre interpreacuteteacutes en ce sens qursquoils srsquoopposent agrave des dispositions drsquoun Eacutetat membre en vertu desquelles les travailleurs frontaliers ne peuvent percevoir une allocation familiale lieacutee agrave lrsquoexercice par ceux-ci drsquoune activiteacute salarieacutee dans cet Eacutetat membre que pour leurs propres enfants agrave lrsquoexclusion de ceux de leur conjoint avec lesquels ils nrsquoont pas de lien de filiation mais dont ils pourvoient agrave lrsquoentretien alors que tous les enfants reacutesidant dans ledit Eacutetat membre ont le droit de percevoir cette allocation

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Cour de justice (neuviegraveme chambre) Landkreis Suumldliche WeinstraszligePF ea 2 avril 2020 C-83018

Reacutesumeacute Dans une affaire concernant le remboursement des frais de transports scolaires dun eacutelegraveve allemand reacutesidant en France et eacutetudiant en Allemagne la Cour de justice a jugeacute quune mesure permettant agrave un Land de soumettre la prise en charge du transport scolaire agrave une condition de reacutesidence dans ce Land constitue une discrimination indirecte agrave lrsquoencontre des travailleurs frontaliers et de leur famille En effet selon la Cour de justice une condition de reacutesidence ne peut ecirctre justifieacutee par une raison impeacuterieuse d rsquointeacuterecirct geacuteneacuteral tenant agrave lrsquoorganisation du systegraveme scolaire PF de nationaliteacute allemande freacutequente une eacutecole drsquoenseignement secondaire dans le Landkreis (arrondissement) Suumldliche Weinstraszlige du Land de la Rheacutenanie-Palatinat (Allemagne) mais reacuteside en France avec ses parents eacutegalement de nationaliteacute allemande Sa megravere travaille en Allemagne Agrave partir de lrsquoanneacutee scolaire 2015-2016 le Landkreis a refuseacute de prendre en charge les frais de transport scolaire de PF au motif que selon la leacutegislation de la Rheacutenanie-Palatinat il ne serait tenu drsquoorganiser le transport scolaire que pour des eacutelegraveves reacutesidant dans ce Land PF a deacuteposeacute une reacuteclamation contre la deacutecision du Landkreis qui a eacuteteacute rejeteacutee Il a ensuite formeacute un recours contre cette deacutecision de rejet devant le Verwaltungsgericht Neustadt an der Weinstraszlige (tribunal administratif de Neustadt sur Weinstraszlige Allemagne) Ce dernier a accueilli le recours au motif que PF en tant qursquoenfant drsquoun travailleur frontalier avait le droit de beacuteneacuteficier de la prise en charge de ses frais de transport scolaire en vertu de lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement ndeg4922011 Le Landkreis a interjeteacute appel de ce jugement devant la juridiction de renvoi lrsquoOberverwaltungsgericht Rheinland-Pfalz (tribunal administratif supeacuterieur de Rheacutenanie-Palatinat Allemagne) Cette derniegravere a poseacute deux questions preacutejucielles agrave la Cour de justice laquo 1)Lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement [] ndeg4922011 [] doit-il ecirctre interpreacuteteacute en ce sens qursquoest indirectement discriminatoire une disposition du droit national qui reacuteserve le beacuteneacutefice de lrsquoobligation drsquoassurer un service de transport scolaire incombant agrave certaines collectiviteacutes territoriales (Landkreise) agrave la population reacutesidant dans lrsquoEacutetat feacutedeacutereacute dont celles-ci relegravevent mecircme srsquoil ressort des circonstances concregravetes de lrsquoespegravece que en raison de cette condition de reacutesidence ce sont en tregraves grande majoriteacute les habitants du reste du territoire national de lrsquoEacutetat membre concerneacute qui sont exclus du beacuteneacutefice de cette prestation Dans lrsquohypothegravese ougrave il conviendrait de reacutepondre par lrsquoaffirmative agrave la premiegravere question 2) La neacutecessiteacute drsquoassurer lrsquoorganisation efficace du systegraveme scolaire constitue-t-elle une exigence drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral impeacuterative susceptible de justifier une discrimination indirecte raquo

o Sur la premiegravere question preacutejudicielle Pour reacutepondre agrave cette premiegravere question la Cour de justice rappelle en premier lieu que ledit travailleur ayant exerceacute sa liberteacute de circulation il est en droit de se preacutevaloir agrave lrsquoencontre de lrsquoEacutetat membre dont il a la nationaliteacute du regraveglement ndeg4922011 qui vise agrave mettre en œuvre la libre circulation des travailleurs agrave lrsquointeacuterieur de lrsquoUnion et notamment de lrsquoarticle 7 paragraphe 2 de ce regraveglement (point 25) Elle preacutecise au point suivant que les membres de la famille drsquoun travailleur migrant sont des beacuteneacuteficiaires indirects de lrsquoeacutegaliteacute de traitement accordeacutee agrave ce dernier par la mecircme disposition (voir en ce sens arrecirct Giersch ea C-2012 point 40 20 juin 2013) Ensuite la Cour de justice affirme que la prise en charge du transport scolaire drsquoun membre de la famille constitue un avantage social au sens de la disposition citeacutee au point preacuteceacutedent (point 27) La Cour de justice allegravegue au point suivant que lavantage social est eacutegalement soumis au principe drsquoeacutegaliteacute de traitement consacreacute agrave lrsquoarticle 45 TFUE qui prohibe non seulement les discriminations ostensibles fondeacutees sur la nationaliteacute mais encore toutes formes dissimuleacutees de discrimination qui par application drsquoautres critegraveres de distinction aboutissent en fait au mecircme reacutesultat

Renvoi preacutejudiciel ndash Libre circulation des travailleurs ndash Regraveglement (UE) ndeg4922011 ndash Enfants de travailleurs frontaliers ndash Avantages sociaux ndash Systegraveme de remboursement des frais de transport scolaire ndash Condition de reacutesidence dans un Land ndash Exclusion des enfants scolariseacutes dans ce Land et reacutesidant dans un Eacutetat membre autre que celui de lrsquoeacutetablissement scolaire freacutequenteacute ndash Exclusion des ressortissants nationaux reacutesidant dans les autres Laumlnder

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En lespegravece la mesure en cause en ce qursquoelle subordonne le remboursement des frais de transport scolaire agrave une condition de reacutesidence dans le Land est susceptible par sa nature mecircme de deacutefavoriser plus particuliegraverement les travailleurs frontaliers qui reacutesident dans un autre Eacutetat membre Partant la Cour de justice affirme dans son point 32 quelle constitue une discrimination indirecte prohibeacutee agrave lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement ndeg4922011 La Cour de justice preacutecise au point 34 quune telle conclusion ne saurait ecirctre remise en cause par le fait que les travailleurs nationaux qui reacutesident dans les autres Laumlnder pacirctissent eacutegalement de cette mesure nationale En effet pour qursquoune mesure puisse ecirctre qualifieacutee drsquoindirectement discriminatoire il nrsquoest pas neacutecessaire qursquoelle ait pour effet de favoriser lrsquoensemble des ressortissants nationaux ou de ne deacutefavoriser que les seuls travailleurs frontaliers agrave lrsquoexclusion des nationaux (voir en ce sens arrecirct Gemeinsamer Betriebsrat EurothermenResort Bad Schallerbach C-43717 points 31 et 32 13 mars 2019 ) Enfin la Cour de justice souligne que la discrimination en cause dans lrsquoaffaire au principal trouvant sa source dans une condition de reacutesidence sur une partie du territoire drsquoun Eacutetat membre et non pas dans une condition de nationaliteacute il importe peu afin de deacuteterminer lrsquoexistence drsquoune discrimination telle que deacutefinie dans le preacutesent arrecirct que les travailleurs nationaux qui reacutesident dans un autre Land se trouvent eacutegalement discrimineacutes par cette condition de reacutesidence (point 35) La Cour de justice conclut quen tout eacutetat de cause une telle mesure nationale constitue une entrave agrave la libre circulation des travailleurs prohibeacutee agrave lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement ndeg4922011 en ce que mecircme indistinctement applicable elle est susceptible drsquoempecirccher ou de dissuader un ressortissant drsquoun Eacutetat membre de quitter son Eacutetat drsquoorigine pour exercer son droit agrave la libre circulation (voir en ce sens arrecirct Bosman C-41593 point 96 15 deacutecembre 1995) et quil convient donc de reacutepondre agrave la premiegravere question preacutejudicielle poseacutee que lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement ndeg4922011 doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens qursquoune leacutegislation nationale qui subordonne la prise en charge du transport scolaire par un Land agrave une condition de reacutesidence sur le territoire de ce Land constitue une discrimination indirecte en ce qursquoelle est susceptible par sa nature mecircme drsquoaffecter davantage les travailleurs frontaliers que les travailleurs nationaux (points 36 et 37)

o Sur la deuxiegraveme question preacutejudicielle Par sa seconde question la juridiction de renvoi demande en substance si lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement ndeg4922011 doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que la neacutecessiteacute drsquoassurer lrsquoorganisation efficace du systegraveme scolaire constitue une raison impeacuterieuse drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral susceptible de justifier une mesure nationale qualifieacutee de discrimination indirecte La Cour de justice commence par rappeler au point 39 qursquoune discrimination indirecte est en principe prohibeacutee agrave moins qursquoelle ne soit objectivement justifieacutee Pour cela elle doit drsquoune part ecirctre propre agrave garantir la reacutealisation drsquoun objectif leacutegitime et drsquoautre part ne pas aller au-delagrave de ce qui est neacutecessaire pour atteindre cet objectif (arrecircts Giersch ea citeacute point 46 et Aubriet C-41018 point 29 10 juillet 2019) Elle rappelle au point suivant quelle avait jugeacute qursquoune action entreprise par un Eacutetat membre afin drsquoassurer un niveau eacuteleveacute de formation de sa population reacutesidente poursuit un objectif leacutegitime susceptible de justifier une discrimination indirecte et que la poursuite drsquoeacutetudes supeacuterieures constitue un objectif drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral reconnu au niveau de lrsquoUnion (arrecircts Giersch point 53 et Aubriet point 31 citeacutes) Cependant selon la Cour de justice le fait mecircme que si lrsquoeacutetablissement freacutequenteacute est situeacute en dehors du territoire du Land de Rheacutenanie-Palatinat les frais de transport sont pris en charge par le Landkreis ou par la ville non rattacheacutee agrave un Landkreis sur le territoire duquel ou de laquelle lrsquoeacutelegraveve est domicilieacute atteste que lrsquoorganisation du transport scolaire au niveau du Land nrsquoest pas indissociablement lieacutee agrave lrsquoorganisation du systegraveme scolaire au sein de ce Land Par conseacutequent la Cour de justice juge que les dispositions du Land sur le transport scolaire ne preacutesentent pas un lien suffisamment eacutetroit avec lrsquoorganisation du systegraveme scolaire pour qursquoil soit consideacutereacute que ces dispositions poursuivent un objectif leacutegitime En tout eacutetat de cause la condition de reacutesidence opposeacutee agrave PF ne peut ecirctre consideacutereacutee comme indispensable agrave la planification et agrave lrsquoorganisation du transport scolaire degraves lors que comme lrsquoOberverwaltungsgericht Rheinland-Pfalz lrsquoindique drsquoautres mesures pourraient ecirctre envisageacutees En particulier la Cour de justice indique que pour le calcul du montant des frais de transport scolaire devant ecirctre rembourseacutes laquo le point ougrave le trajet agrave vol drsquooiseau entre le lieu de reacutesidence reacuteel et lrsquoeacutetablissement scolaire le plus proche coupe la frontiegravere raquo pourrait ecirctre pris en compte agrave titre de domicile de lrsquoeacutelegraveve

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La Cour de justice conclut donc que les difficulteacutes pratiques lieacutees agrave lrsquoorganisation efficace du transport scolaire au niveau reacutegional ne constituent pas une raison impeacuterieuse drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral susceptible de justifier une mesure nationale qualifieacutee de discrimination indirecte (points 42 agrave 46) Par ces motifs la Cour (neuviegraveme chambre) dit pour droit 1) Lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement (UE) no 4922011 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 5 avril 2011 relatif agrave la libre circulation des travailleurs agrave lrsquointeacuterieur de lrsquoUnion doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens qursquoune leacutegislation nationale qui subordonne la prise en charge du transport scolaire par un Land agrave une condition de reacutesidence sur le territoire de ce Land constitue une discrimination indirecte en ce qursquoelle est susceptible par sa nature mecircme drsquoaffecter davantage les travailleurs frontaliers que les travailleurs nationaux 2) Lrsquoarticle 7 paragraphe 2 du regraveglement no 4922011 doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que les difficulteacutes pratiques lieacutees agrave lrsquoorganisation efficace du transport scolaire au sein drsquoun Land ne constituent pas une raison impeacuterieuse drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral susceptible de justifier une mesure nationale qualifieacutee de discrimination indirecte

Non-discrimination

Cour de justice (grande chambre) Ruska Federacija 2 avril 2020 C-89719 PPU

Reacutesumeacute Lorsqursquoun Eacutetat membre doit statuer sur une demande drsquoextradition issu drsquoun Eacutetat tiers et concernant un ressortissant drsquoun Eacutetat de lrsquoAssociation europeacuteenne de libre-eacutechange (AELE) partie agrave lrsquoaccord sur lrsquoEspagne eacuteconomique europeacuteen (EEE) il lui incombe de veacuterifier que ce ressortissant ne sera pas soumis agrave la peine de mort agrave la torture ou agrave des peines ou traitements inhumains ou deacutegradants De plus avant drsquoenvisager drsquoexeacutecuter la demande drsquoextradition la Cour de justice preacutecise que lrsquoEacutetat membre doit en informer lrsquoEacutetat de lrsquoAELE pour permettre agrave celui-ci de solliciter la remise de son ressortissant En mai 2015 le bureau drsquoInterpol de Moscou (Russie) a eacutemis un avis de recherche international contre un ressortissant russe aux fins de son arrestation en raison de poursuites peacutenales engageacutees contre lui Le 30 juin 2019 alors qursquoil tentait drsquoentrer sur le territoire de la Croatie le ressortissant russe muni drsquoun document de voyage islandais pour reacutefugieacutes srsquoest fait arrecircter sur le fondement de cet lrsquoavis de recherche Le ressortissant russe interrogeacute par le juge drsquoinstruction du Županijski sud u Zagrebu (tribunal de comitat de Zagreb Croatie) a deacuteclareacute srsquoopposer agrave son extradition en Russie et a indiqueacute ecirctre agrave la fois citoyen russe et citoyen islandais Lrsquoambassade islandaise a confirmeacute son statut de reacutesident permanent en Islande et a indiqueacute que le gouvernement islandais souhaitait que lrsquoindividu se voit attribuer un sauf-conduit vers lrsquoIslande dans les plus brefs deacutelais Le 6 aoucirct 2019 le tribunal de comitat de Zagreb a reccedilu une demande du ministegravere public geacuteneacuteral de la Feacutedeacuteration de Russie de lrsquoextradition de leur ressortissant vers cet Eacutetat tiers en raison des poursuites peacutenales engageacutees contre

Renvoi preacutejudiciel ndash Proceacutedure preacutejudicielle drsquourgence ndash Accord EEE ndash Non-discrimination ndash Article 36 ndash Libre prestation des services ndash Champ drsquoapplication ndash Accord entre lrsquoUnion europeacuteenne la Reacutepublique drsquoIslande et le Royaume de Norvegravege sur lrsquoassociation de ces deux Eacutetats agrave la mise en œuvre agrave lrsquoapplication et au deacuteveloppement de lrsquoacquis de Schengen ndash Accord relatif agrave la proceacutedure de remise entre les Eacutetats membres de lrsquoUnion europeacuteenne drsquoune part et lrsquoIslande et la Norvegravege drsquoautre part ndash Extradition vers un Eacutetat tiers drsquoun ressortissant islandais ndash Protection des ressortissants drsquoun Eacutetat membre contre lrsquoextradition ndash Absence de protection eacutequivalente des ressortissants drsquoun autre Eacutetat ndash Ressortissant islandais ayant obtenu lrsquoasile en vertu du droit national avant lrsquoacquisition de la citoyenneteacute islandaise ndash Restriction agrave la libre circulation ndash Justification fondeacutee sur la preacutevention de lrsquoimpuniteacute ndash Proportionnaliteacute ndash Veacuterification des garanties preacutevues agrave lrsquoarticle 19 paragraphe 2 de la Charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne

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lui Le ministegravere public geacuteneacuteral a preacuteciseacute que la demande drsquoextradition nrsquoavait pas pour but de poursuivre lrsquoindividu pour des motifs politiques ni en raison de sa race de sa religion de sa nationaliteacute ou de ses opinions que toutes les possibiliteacutes drsquoexercer sa deacutefense y compris lrsquoassistance drsquoun avocat seraient mises agrave sa disposition et qursquoil ne serait pas soumis agrave la torture agrave des traitements cruels ou inhumains ou encore agrave des peines portant atteinte agrave la digniteacute humaine Par ordonnance du 5 septembre 2019 le tribunal de comitat de Zagreb a jugeacute que les conditions leacutegales pour lrsquoextradition du ressortissant russe eacutetaient remplies Le ressortissant russe a interjeteacute appel de cette ordonnance devant le Vrhovni sud (Cour suprecircme) Il a fait valoir qursquoil existait un risque concret seacuterieux et raisonnable qursquoen cas drsquoextradition vers la Russie il y soit soumis agrave la torture et agrave des traitements inhumains et deacutegradants et que le statut de reacutefugieacute lui avait eacuteteacute reconnu en Islande preacuteciseacutement en raison des poursuites effectives dont il faisait lrsquoobjet en Russie En affirmant posseacuteder la citoyenneteacute islandaise il a reprocheacute au tribunal comitat de Zagreb drsquoavoir meacuteconnu lrsquoarrecirct du 6 septembre 2016 Petruhhin (C-18215) Dans ces conditions le Vrhovni sud (Cour suprecircme) a deacutecideacute de surseoir agrave statuer et de poser agrave la Cour de justice les questions preacutejudicielles suivantes 1 Convient-il drsquointerpreacuteter lrsquoarticle 18 TFUE en ce sens qursquoun Eacutetat membre de lrsquoUnion europeacuteenne

qui statue sur lrsquoextradition vers un Eacutetat tiers drsquoun ressortissant drsquoun Eacutetat qui nrsquoest pas membre de lrsquoUnion [] mais qui est membre de lrsquoespace Schengen est tenu drsquoinformer de la demande drsquoextradition lrsquoEacutetat membre de lrsquoespace Schengen dont cette personne a la nationaliteacute

2 Si la question preacuteceacutedente appelle une reacuteponse affirmative et que lrsquoEacutetat membre de lrsquoespace

Schengen a solliciteacute la remise de cette personne afin de mener une proceacutedure pour laquelle lrsquoextradition est demandeacutee convient-il de lui remettre cette personne conformeacutement agrave lrsquoaccord relatif agrave la proceacutedure de remise

Selon la Cour de justice les articles 18 et 21 TFUE doivent ecirctre interpreacuteteacutes en ce sens que lorsqursquoun Eacutetat membre dans lequel un citoyen de lrsquoUnion ressortissant drsquoun autre Eacutetat membre srsquoest deacuteplaceacute se voit adresser une demande drsquoextradition par un Eacutetat tiers avec lequel le premier Eacutetat membre a conclu un accord drsquoextradition il est tenu drsquoinformer lrsquoEacutetat membre dont ledit citoyen a la nationaliteacute et le cas eacutecheacuteant agrave la demande de ce dernier Eacutetat membre de lui remettre ce citoyen conformeacutement aux dispositions de la deacutecision-cadre 2002584JAI du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat drsquoarrecirct europeacuteen et aux proceacutedures de remises entre Eacutetats membres telle que modifieacutee par la deacutecision-cadre 2009299JAI du Conseil du 26 feacutevrier 2009 pourvu que cet Eacutetat membre soit compeacutetent en vertu de son droit national pour poursuivre cette personne pour des faits commis en dehors de son territoire national (arrecirct du 6 septembre 2016 Petruhhin C-18215 point 50) Afin drsquoeacuteviter le risque drsquoimpuniteacute de la personne concerneacutee pour les faits qui lui sont reprocheacutes dans la demande drsquoextradition le mandat drsquoarrecirct europeacuteen eacuteventuellement eacutemis par un Eacutetat membre autre que lrsquoEacutetat membre requis doit porter agrave tout le moins sur les mecircmes faits (arrecirct du 10 avril 2018 Pisciotti C-19116 point 54) La Cour de justice estime qursquoen interdisant laquo toute discrimination exerceacutee en raison de la nationaliteacute raquo lrsquoarticle 18 TFUE exige lrsquoeacutegaliteacute de traitement des personnes se trouvant dans une situation tombant dans le domaine drsquoapplication des traiteacutes Neacuteanmoins cette disposition nrsquoa pas vocation agrave srsquoappliquer dans le cas drsquoune eacuteventuelle diffeacuterence de traitement entre les ressortissants des Eacutetats membres et ceux des Eacutetats tiers (arrecirct du 4 juin 2009 Vatsouras et Koupatantze C-2208 et C-2308 point 52 avis 117 (Accord ECG UE-Canada) du 30 avril 2019 point 169) Srsquoagissant de lrsquoarticle 21 TFUE son paragraphe 1 preacutevoit le droit de tout citoyen de lrsquoUnion de circuler et de seacutejourner librement sur le territoire des Eacutetats membres et srsquoapplique ainsi qursquoil en ressort de lrsquoarticle 20 paragraphe 1 TFUE agrave toute personne ayant la nationaliteacute drsquoun Eacutetat membre de telle sorte qursquoil ne srsquoapplique pas non plus agrave un ressortissant drsquoun Eacutetat tiers Toutefois la Cour de justice rappelle qursquoelle a pour mission drsquointerpreacuteter toutes les dispositions du droit de lrsquoUnion dont les juridictions nationales ont besoin afin de statuer sur les litiges qui leur sont soumis mecircme si ces

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dispositions ne sont pas indiqueacutees expresseacutement dans les questions qui lui sont adresseacutees par ces juridictions (arrecirct du 8 mai 2019 PI C-23018 point 42) Ainsi la Cour de justice juge qursquoil est neacutecessaire de preacuteciser la porteacutee de la protection offerte par lrsquoarticle 19 paragraphe 2 de la Charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne aux termes duquel nul ne peut ecirctre eacuteloigneacute expulseacute ou extradeacute vers un Eacutetat ougrave il existe un risque seacuterieux qursquoil soit soumis agrave la peine de mort la torture ou agrave drsquoautres peines ou traitements inhumains ou deacutegradants

o Sur lrsquoapplicabiliteacute du droit de lrsquoUnion dans le litige principal En lrsquoabsence de convention internationale agrave ce sujet entre lrsquoUnion europeacuteenne et lrsquoEacutetat tiers concerneacute les regravegles en matiegravere drsquoextradition relegravevent de la compeacutetence des Eacutetats membres Neacuteanmoins les Eacutetats membres sont tenus drsquoexercer cette compeacutetence dans le respect du droit de lrsquoUnion (arrecirct du 13 novembre 2018 Raugevicius C-24717 point 45) La Cour de justice preacutecise que lrsquoaccord EEE accord international conclu par lrsquoUnion fait partie inteacutegrante du droit de celle-ci Agrave ce titre des situations relevant du champ drsquoapplication de drsquoun tel accord sont reacutegies par le droit de lrsquoUnion (point 49) Selon la Cour de justice lrsquoaccord EEE reacuteaffirme lrsquoexistence de relations privileacutegieacutees entre lrsquoUnion europeacuteenne ses Eacutetats membres et les Eacutetats de lrsquoAELE agrave la lumiegravere de ces derniegraveres lrsquoaccord viserait agrave ce que le marcheacute inteacuterieur reacutealiseacute sur le territoire de lrsquoUnion soit eacutetendu aux Eacutetats de lrsquoAELE Pour y parvenir certaines stipulations de lrsquoaccord visent agrave garantir une interpreacutetation aussi uniforme que possible de celui-ci sur lrsquoensemble de lrsquoEEE La Cour de justice estime qursquoil lui revient dans ce cadre de veiller agrave ce que les regravegles de lrsquoaccord EEE identiques en substance agrave celles du TFUE soient interpreacuteteacutees de maniegravere uniforme agrave lrsquointeacuterieur des Eacutetats membres (point 50) En lrsquoespegravece lrsquoindividu en cause faisait valoir qursquoil eacutetait entreacute en Croatie pour y passer ses vacances La Cour de justice juge que la liberteacute de prestation de services au sens de lrsquoarticle 56 TFUE inclut la liberteacute des destinataires de service de rendre dans un autre Eacutetat membre pour y beacuteneacuteficier drsquoun service les touristes devant ecirctre consideacutereacutes comme eacutetant des destinataires de services beacuteneacuteficiaires de cette liberteacute Elle preacutecise que la mecircme interpreacutetation srsquoimpose agrave lrsquoeacutegard de la liberteacute de prestation de services garantie agrave lrsquoarticle 36 de lrsquoaccord EEE (points 52 et 52) Ainsi la Cour de justice juge que la situation de lrsquoindividu en cause relegraveve du champ drsquoapplication de lrsquoaccord EEE et du droit de lrsquoUnion du fait de sa qualiteacute de ressortissant islandais (par analogie arrecirct du 6 septembre 2016 Petruhhin C-18215 points 30 et 31) Degraves lors la Croatie est tenue drsquoexercer sa compeacutetence en matiegravere drsquoextradition agrave destination drsquoEacutetats tiers drsquoune maniegravere conforme agrave lrsquoaccord EEE

o Sur la restriction agrave la libre prestation des services et lrsquoeacuteventuelle justification de celle-ci Lrsquoarticle 4 de lrsquoaccord EEE exige lrsquoeacutegaliteacute de traitement des personnes se trouvant dans une situation reacutegie par cet accord en interdisant laquo toute discrimination exerceacutee en raison de la nationaliteacute raquo La Cour de justice explique que les regravegles nationales drsquoextradition telles que celles en cause introduisent une diffeacuterence de traitement selon que la personne concerneacutee soit un ressortissant national ou un ressortissant drsquoun Eacutetat de lrsquoAELE partie agrave lrsquoaccord EEE car elles conduisent agrave ne pas accorder aux ressortissants de ces derniers Eacutetats la protection contre lrsquoextradition dont jouissent les ressortissants nationaux (par analogie arrecirct du 6 septembre 2016 Petruhhin C-18215 point 32) Ainsi de telles regravegles sont susceptibles drsquoaffecter la liberteacute consacreacutee agrave lrsquoarticle 36 de lrsquoaccord EEE La Cour de justice ajoute que la circonstance selon laquelle la personne concerneacutee a la qualiteacute de ressortissant drsquoun Eacutetat de lrsquoAELE partie agrave lrsquoaccord EEE et le fait que cet Eacutetat met en œuvre et applique lrsquoacquis de Schengen rendent la situation de cette personne objectivement comparable agrave celle drsquoun citoyen de lrsquoUnion (point 58)

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Toutefois la Cour de justice preacutecise qursquoune telle restriction ne peut ecirctre justifieacutee que si elle est fondeacutee sur des consideacuterations objectives et proportionneacutee agrave lrsquoobjectif leacutegitimement poursuivi par le droit national (par analogie arrecirct du 6 septembre 2016 Petruhhin C-18215 points 34) En lrsquoespegravece la Cour de justice considegravere que lrsquoobjectif drsquoeacuteviter le risque drsquoimpuniteacute des personnes ayant commis une infraction avanceacute dans la demande de deacutecision preacutejudicielle agrave des fins de justification doit ecirctre perccedilue comme preacutesentant un caractegravere leacutegitime Pour autant des restrictions agrave la liberteacute consacreacutee agrave lrsquoarticle 36 de lrsquoaccord EEE ne peuvent ecirctre justifieacutee par des consideacuterations objectives que si elles sont approprieacutees pour la protection des inteacuterecircts qursquoelles visent agrave garantir et seulement dans la mesure ougrave ces objectifs en peuvent ecirctre atteints par des mesures moins restrictives Agrave ce titre degraves lors que le ressortissant islandais se preacutevaut drsquoun risque seacuterieux de traitement inhumain et deacutegradant en cas drsquoextradition lrsquoEacutetat membre requis doit veacuterifier avant de proceacutedure agrave une eacuteventuelle extradition que cette derniegravere ne portera pas atteinte aux droits viseacutes agrave lrsquoarticle 19 paragraphe 2 de la Charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne Ainsi lrsquoautoriteacute compeacutetente de lrsquoEacutetat membre requis telle que la juridiction de renvoi doit se fonder aux fins de cette veacuterification sur des eacuteleacutements objectifs fiables preacutecis et ducircment actualiseacutes eacuteleacutements pouvant reacutesulter notamment de deacutecisions judiciaires internationales telles que des arrecircts de la Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme de deacutecisions judiciaires de lrsquoEacutetat tiers requeacuterant ainsi que de deacutecisions de rapports et drsquoautres documents eacutetablis par les organes du Conseil de lrsquoEurope ou relevant du systegraveme des Nations unies (arrecirct du 6 septembre 2016 Petruhhin C-18215 points 55 agrave 59 et jurisprudence citeacutee) Si les autoriteacutes de lrsquoEacutetat membre requis estiment que lrsquoarticle 19 paragraphe 2 de la Charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne ne srsquooppose pas agrave lrsquoexeacutecution de cette demande il faudra examiner si la restriction en cause est proportionneacutee agrave lrsquoobjectif de lutte contre lrsquoimpuniteacute drsquoune personne qui aurait commis une infraction peacutenale La Cour de justice souligne que la mise en œuvre des meacutecanismes de coopeacuteration et drsquoassistance mutuelle existant en matiegravere peacutenale en vertu du droit de lrsquoUnion constitue en tout eacutetat de cause une mesure alternative moins attentatoire au droit agrave la libre circulation que lrsquoextradition vers un Eacutetat tiers avec lequel lrsquoUnion nrsquoa pas conclu drsquoaccord drsquoextradition et qui permet drsquoatteindre aussi efficacement cet objectif (point 69) Ainsi il en revient agrave lrsquoautoriteacute compeacutetente de lrsquoEacutetat membre requis drsquoinformer lrsquoEacutetat membre dont lrsquointeacuteresseacute agrave la nationaliteacute et le cas eacutecheacuteant agrave la demande de ce dernier Eacutetat de lui remettre lrsquointeacuteresseacute sur le fondement drsquoun mandat drsquoarrecirct europeacuteen en vertu de la deacutecision-cadre 2002584JAI Or cette deacutecision ne srsquoapplique pas agrave la Reacutepublique drsquoIslande cet Eacutetat a conclu avec lrsquoUnion un accord relatif agrave la proceacutedure de remise entreacute en vigueur le 1er novembre 2019 dont les dispositions sont tregraves semblables aux dispositions correspondantes de la deacutecision Au regard de ce qui preacutecegravede la Cour de justice juge que la solution retenue dans lrsquoarrecirct Petruhhin (C-18215) doit ecirctre appliqueacutee par analogie aux ressortissants islandais qui se trouvent agrave lrsquoeacutegard de lrsquoEacutetat tiers sollicitant leur extradition dans une situation objectivement comparable agrave celle drsquoun citoyen de lrsquoUnion auquel selon lrsquoarticle 3 paragraphe 2 TUE lrsquoUnion offre un espace de liberteacute de seacutecuriteacute et de justice sans frontiegraveres inteacuterieures au sein duquel est assureacutee la libre circulation des personnes Partant lorsqursquoun Eacutetat membre dans lequel un ressortissant de la Reacutepublique drsquoIslande srsquoest deacuteplaceacute se voit adresser une demande drsquoextradition par un Eacutetat tiers avec lequel le premier Eacutetat membre a conclu un accord drsquoextradition il est en principe tenu drsquoinformer la Reacutepublique drsquoIslande et le cas eacutecheacuteant de lui remettre ce ressortissant agrave sa demande conformeacutement aux dispositions de lrsquoaccord relatif agrave la proceacutedure de remise pourvu que la Reacutepublique drsquoIslande soit compeacutetente en vertu de son droit national pour poursuivre cette personne pour des faits commis en dehors de son territoire national (point 76) Par ces motifs la Cour (grande chambre) dit pour droit Le droit de lrsquoUnion en particulier lrsquoarticle 36 de lrsquoaccord sur lrsquoEspace eacuteconomique europeacuteen du 2 mai 1992 et lrsquoarticle 19 paragraphe 2 de la Charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que lorsqursquoun Eacutetat membre dans lequel srsquoest deacuteplaceacute un ressortissant drsquoun Eacutetat membre de lrsquoAssociation europeacuteenne de libre-eacutechange (AELE) partie agrave lrsquoaccord sur lrsquoEspace eacuteconomique europeacuteen et avec lequel lrsquoUnion europeacuteenne a conclu un accord de remise se voit adresser

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une demande drsquoextradition par un Eacutetat tiers en vertu de la convention europeacuteenne drsquoextradition signeacutee agrave Paris le 13 deacutecembre 1957 et lorsque ce ressortissant srsquoeacutetait vu accorder lrsquoasile par cet Eacutetat de lrsquoAELE anteacuterieurement agrave son acquisition de la nationaliteacute dudit Eacutetat preacuteciseacutement en raison des poursuites dont il fait lrsquoobjet dans lrsquoEacutetat ayant eacutemis la demande drsquoextradition il incombe agrave lrsquoautoriteacute compeacutetente de lrsquoEacutetat membre requis de veacuterifier que lrsquoextradition ne portera pas atteinte aux droits viseacutes audit article 19 paragraphe 2 de la Charte des droits fondamentaux lrsquooctroi de lrsquoasile constituant un eacuteleacutement particuliegraverement seacuterieux dans le cadre de cette veacuterification Avant drsquoenvisager drsquoexeacutecuter la demande drsquoextradition lrsquoEacutetat membre requis est en tout eacutetat de cause tenu drsquoinformer ce mecircme Eacutetat de lrsquoAELE et le cas eacutecheacuteant de lui remettre agrave sa demande ledit ressortissant conformeacutement aux dispositions de lrsquoaccord de remise pourvu que ledit Eacutetat de lrsquoAELE soit compeacutetent en vertu de son droit national pour poursuivre ce ressortissant pour des faits commis en dehors de son territoire national

Cour de justice (huitiegraveme chambre) HB et IC Istituto nazionale della previdenza sociale 30 avril 2020 C-16819 et C-16919

Reacutesumeacute La Cour de justice par cet arrecirct a jugeacute que le reacutegime fiscal italien reacutesultant de la convention italo-portugaise contre la double imposition sur les revenus nrsquoenfreint pas les principes de libre circulation et de non-discrimination Les retraiteacutes du secteur priveacute et du secteur public peuvent donc ecirctre soumis agrave des reacuteglementations fiscales nationales diffeacuterentes

HB et IC de nationaliteacute italienne sont drsquoanciens agents du secteur public italien beacuteneacuteficiant drsquoune pension de

retraite verseacutee par lrsquoIstituto Nazionale della Previdenza Sociale (Institut national de la seacutecuriteacute sociale Italie ci-

apregraves laquo INPS raquo) Apregraves avoir transfeacutereacute leur reacutesidence au Portugal ils ont demandeacute en 2015 agrave lrsquoINPS de recevoir

en application de la Convenzione tra la Repubblica italiana e la Repubblica portoghese per evitare le doppie

imposizioni e prevenire lrsquoevasione fiscale in materia di imposte sul reddito (convention italo-portugaise contre les

doubles impositions) le montant brut de leur pension sans preacutelegravevement drsquoimpocirct agrave la source par lrsquoItalie de maniegravere

agrave pouvoir beacuteneacuteficier des avantages fiscaux offerts par le Portugal LrsquoINPS a rejeteacute leurs demandes consideacuterant

que cette reacuteglementation srsquoapplique uniquement aux retraiteacutes italiens du secteur priveacute ayant transfeacutereacute leur

reacutesidence au Portugal ainsi qursquoaux retraiteacutes italiens du secteur public qui en plus drsquoavoir transfeacutereacute leur reacutesidence

au Portugal ont acquis la nationaliteacute portugaise condition que HB et IC ne remplissent pas

HB et IC ont alors saisi la Corte dei conti ndash Sezione Giurisdizionale per la Regione Puglia (Cour des comptes ndash

chambre juridictionnelle pour la reacutegion des Pouilles Italie ci-apregraves laquo Cour des comptes raquo)

Dans ces conditions la Cour des comptes a deacutecideacute de surseoir agrave statuer et de poser agrave la Cour de justice la question

preacutejudicielle suivante libelleacutee de maniegravere identique dans les deux affaires jointes

laquo Les articles 18 et 21 TFUE doivent-ils ecirctre interpreacuteteacutes en ce sens qursquoils srsquoopposent agrave ce que la reacuteglementation drsquoun Eacutetat membre

preacutevoie drsquoimposer les revenus drsquoune personne reacutesidente dans un autre Eacutetat membre qui a acquis inteacutegralement son revenu dans le

premier Eacutetat membre mais qui nrsquoa pas la nationaliteacute du second Eacutetat en ne lui permettant pas de beacuteneacuteficier des avantages fiscaux

offerts par ce dernier raquo

o Sur la question preacutejudicielle

Dans son point 15 la Cour de justice reformule la question preacutejudicielle et affirme que la juridiction de renvoi

demande en substance si les articles 18 et 21 TFUE (principes de non-discrimination et de libre circulation des

citoyens de lUnion) srsquoopposent agrave un reacutegime fiscal reacutesultant drsquoune convention preacuteventive de la double imposition

conclue entre deux Eacutetats membres en vertu de laquelle la compeacutetence fiscale de ces Eacutetats en matiegravere drsquoimposition

Renvoi preacutejudiciel ndash Libre circulation des personnes ndash Article 21 TFUE ndash Principe de non-discrimination en raison de la nationaliteacute ndash Article 18 TFUE ndash Convention preacuteventive de la double imposition ndash Travailleurs du secteur public ndash Pensionneacute reacutesidant dans un Eacutetat membre autre que celui lui versant une pension de retraite et ne posseacutedant pas la nationaliteacute de lrsquoEacutetat membre de reacutesidence ndash Impocirct sur le revenu ndash Preacutetendue perte drsquoavantages fiscaux ndash Preacutetendue entrave agrave la liberteacute de circulation et preacutetendue discrimination

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sur les pensions de retraite est reacutepartie selon que les beacuteneacuteficiaires de celles-ci exerccedilaient un emploi relevant du

secteur priveacute ou du secteur public et dans ce dernier cas selon qursquoils ont ou non la nationaliteacute de lrsquoEacutetat membre

de reacutesidence

Par son arrecirct de ce jour la Cour de justice reacutepond par la neacutegative aux deux questions

La Cour de justice rappelle des points 16 agrave 20 sa jurisprudence (Cour de justice Bukovansky 19 novembre 2015

C-24114 et Gilly 12 mai 1998 C-33696) selon laquelle les Eacutetats membres sont libres dans le cadre de

conventions contre les doubles impositions de fixer les critegraveres de reacutepartition entre eux de la compeacutetence fiscale

de telles conventions nrsquoayant pas pour but de garantir que lrsquoimposition dans un Eacutetat ne soit pas supeacuterieure agrave celle

drsquoun autre Eacutetat

En effet elle relegraveve dans son point 17 qursquoune convention bilateacuterale preacuteventive de la double imposition telle que

cette convention italo-portugaise a pour objet drsquoeacuteviter que le mecircme revenu soit imposeacute dans chacune des deux

parties agrave cette convention et non pas de garantir que lrsquoimposition agrave laquelle est assujetti le contribuable dans une

partie contractante ne soit pas supeacuterieure agrave celle agrave laquelle il serait assujetti dans lrsquoautre partie contractante (arrecirct

Bukovansky citeacute point 44) Elle ajoute au paragraphe suivant quagrave cette fin il nrsquoest pas deacuteraisonnable pour les

Eacutetats membres drsquoutiliser les critegraveres suivis dans la pratique fiscale internationale et en particulier comme lrsquoont

fait la Reacutepublique italienne et la Reacutepublique portugaise le modegravele de convention fiscale concernant le revenu et

la fortune eacutelaboreacute par lrsquoOCDE dont lrsquoarticle 19 paragraphe 2 dans sa version de lrsquoanneacutee 2014 qui preacutevoit des

facteurs de rattachement tels que lrsquoEacutetat payeur et la nationaliteacute (arrecircts Gilly citeacute point 31 et Sauvage et Lejeune

C-60217 24 octobre 2018 point 23)

Dans ce cadre les Eacutetats membres peuvent notamment reacutepartir la compeacutetence fiscale sur la base de critegraveres tels

que lrsquoEacutetat payeur ou la nationaliteacute Or la diffeacuterence de traitement que HB et IC allegraveguent avoir subie deacutecoule de

la reacutepartition du pouvoir drsquoimposition entre lrsquoItalie et le Portugal ainsi que des dispariteacutes existant entre les reacutegimes

fiscaux de ces Eacutetats membres (arrecirct Bukovansky citeacute point 38) La Cour de justice affirme que dans ces conditions

il ne saurait ecirctre question drsquoune discrimination interdite (sect19)

Par ces motifs la Cour de justice (huitiegraveme chambre) dit pour droit

Les articles 18 et 21 TFUE ne srsquoopposent pas agrave un reacutegime fiscal reacutesultant drsquoune convention preacuteventive

de la double imposition conclue entre deux Eacutetats membres en vertu de laquelle la compeacutetence fiscale

de ces Eacutetats en matiegravere drsquoimposition sur les pensions de retraite est reacutepartie selon que les beacuteneacuteficiaires

de celles-ci exerccedilaient un emploi relevant du secteur priveacute ou du secteur public et dans ce dernier cas

selon qursquoils ont ou non la nationaliteacute de lrsquoEacutetat membre de reacutesidence

Protection de la seacutecuriteacute et de la santeacute des travailleurs

Cour de justice (dixiegraveme chambre) UO Keacuteszenleacuteti Rendőrseacuteg 30 avril 2020 C-21119

Reacutesumeacute Dans une affaire qui concerne lrsquoameacutenagement du temps de travail drsquoun membre de la police drsquointervention de la Hongrie

la Cour de justice juge que la directive 200388CE sur le temps de travail srsquoapplique aux agents de la police drsquointervention

hongroise assurant la surveillance des frontiegraveres exteacuterieures de lrsquoespace Schengen dans le contexte de la crise migratoire La Cour de

justice rappelle que ces activiteacutes peuvent neacuteanmoins eacutechapper aux regravegles de la directive dans des circonstances drsquoune graviteacute et drsquoune

ampleur exceptionnelles

La preacutesente demande de deacutecision preacutejudicielle deacuteposeacutee le 6 mars 2019 a eacuteteacute preacutesenteacutee dans le cadre drsquoun litige

Renvoi preacutejudiciel ndash Politique sociale ndash Protection de la seacutecuriteacute et de la santeacute des travailleurs ndash Directive 200388CE ndash Champ drsquoapplication ndash Deacuterogation ndash Article 1er paragraphe 3 ndash Directive 89391CEE ndash Article 2 paragraphe 2 ndash Activiteacutes des forces drsquointervention de la police

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opposant UO au Keacuteszenleacuteti Rendőrseacuteg (police drsquointervention Hongrie) au sujet de la reacutemuneacuteration due pour les services de garde qursquoil a assureacutes Du mois de juillet 2015 au mois drsquoavril 2017 UO qui exerce ses fonctions dans les services de la police drsquointervention srsquoest trouveacute en service drsquoalerte en tant que membre drsquoune compagnie de patrouille La police drsquointervention est un organe speacutecifique du service de police geacuteneacuterale qui dispose de pouvoirs speacuteciaux et exerce des missions particuliegraveres sur lrsquoensemble du territoire hongrois dont la patrouille aux frontiegraveres de la Hongrie avec des Eacutetats ne faisant pas partie de lrsquoespace Schengen Au cours de ladite peacuteriode lrsquoemployeur drsquoUO a ordonneacute dans le cadre des missions effectueacutees agrave la frontiegravere drsquoune part un service drsquoalerte extraordinaire et drsquoautre part un service de garde en dehors du temps de service ordinaire ces deux services devant ecirctre assureacutes en patrouille Pour la police drsquointervention hongroise le temps de garde drsquoUO constituait une peacuteriode de repos UO estime que pendant cette peacuteriode il assurait en reacutealiteacute un service drsquoalerte en dehors du temps de service ordinaire quotidien lequel devait ecirctre qualifieacute de laquo temps de travail raquo pour lequel il devait beacuteneacuteficier non pas drsquoune prime de service de garde mais drsquoune indemniteacute de service drsquoalerte extraordinaire Il a ainsi formeacute un recours contre son employeur devant la juridiction de renvoi en srsquoappuyant sur la loi relative au statut du personnel professionnel des organes chargeacutes du maintien de lrsquoordre qui vise agrave mettre en œuvre la directive 200388 La juridiction de renvoi srsquointerroge sur le point de savoir si les deacutefinitions figurant agrave lrsquoarticle 2 de la directive 200388 peuvent ecirctre appliqueacutees agrave UO en sa qualiteacute de membre de la police drsquointervention eacutetant donneacute que lrsquoactiviteacute concerneacutee se distingue des activiteacutes exerceacutees dans des circonstances ordinaires Agrave cet eacutegard la juridiction de renvoi souhaite savoir si le champ drsquoapplication personnel de la directive 200388 est deacutetermineacute agrave lrsquoarticle 2 de la directive 89391 Dans lrsquoaffirmative elle srsquointerroge sur le point de savoir si lrsquoactiviteacute de membre de la police drsquointervention preacutesente des particulariteacutes inheacuterentes agrave certaines activiteacutes speacutecifiques de la fonction publique qui srsquoopposent de maniegravere contraignante agrave lrsquoapplication de la directive 89391 et de lrsquoarticle 2 de la directive 200388 Dans ces conditions le Miskolci Koumlzigazgataacutesi eacutes Munkauumlgyi Biacuteroacutesaacuteg (tribunal administratif et du travail de Miskolc Hongrie) a deacutecideacute de surseoir agrave statuer et de poser agrave la Cour des justices les questions preacutejudicielles suivantes laquo 1) Faut-il interpreacuteter lrsquoarticle 1er paragraphe 3 de la directive [200388] en ce sens que le champ drsquoapplication personnel de cette directive est deacutetermineacute par lrsquoarticle 2 de la directive [89391] 2) Dans lrsquoaffirmative faut-il interpreacuteter lrsquoarticle 2 paragraphe 2 de la directive [89391] en ce sens que lrsquoarticle 2 points 1 et 2 de la directive [200388] ne doit pas ecirctre appliqueacute en ce qui concerne les agents de police membres du personnel professionnel de la police drsquointervention raquo

o Sur les questions preacutejudicielles La Cour de justice relegraveve tout drsquoabord que lrsquoarticle 1er paragraphe 3 de la directive 200388 deacutefinit le champ drsquoapplication de celle-ci par renvoi agrave lrsquoarticle 2 de la directive 89391 Ainsi aux termes de lrsquoarticle 2 paragraphe 1 de la directive 89391 celle-ci srsquoapplique laquo agrave tous les secteurs drsquoactiviteacutes priveacutes ou publics raquo parmi lesquels figurent les laquo activiteacutes de service raquo Neacuteanmoins la directive nrsquoest pas applicable lorsque des particulariteacutes inheacuterentes agrave certaines activiteacutes speacutecifiques dans la fonction publique notamment dans les forces armeacutees ou la police ou agrave certaines activiteacutes speacutecifiques dans les services de protection civile srsquoy opposent de maniegravere contraignante conformeacutement agrave lrsquoarticle 2 paragraphe 2 premier alineacutea de la directive 89391 Par conseacutequent la Cour de justice cherche agrave deacuteterminer si des fonctions telles que celle en cause au principal sont susceptibles de relever de lrsquoexception preacutevue agrave lrsquoarticle 2 paragraphe 2 premier alineacutea de la directive 89391 laquelle doit recevoir une interpreacutetation qui limite sa porteacutee agrave ce qui est strictement neacutecessaire agrave la sauvegarde des inteacuterecircts qursquoelle permet aux Eacutetats membres de proteacuteger (Cour de justice [GC] Pfeiffer ea 5 octobre 2004

C‑39701 agrave C‑40301 point 54 et Sindicatul Familia Constanţa ea 20 novembre 2018 C‑14717 point 53) En lrsquoespegravece la Cour de justice relegraveve en premier lieu que la surveillance des frontiegraveres exteacuterieures drsquoun Eacutetat membre dans un contexte drsquoafflux de ressortissants de pays tiers constitue une activiteacute qui relegraveve de la fonction publique au sens de lrsquoarticle 2 paragraphe 2 premier alineacutea de la directive 89391 En deuxiegraveme lieu elle relegraveve

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qursquoune telle activiteacute est susceptible de preacutesenter certaines speacutecificiteacutes par rapport agrave drsquoautres activiteacutes relevant de la fonction publique en geacuteneacuteral ou du maintien de lrsquoordre en particulier Finalement la Cour de justice cherche agrave deacuteterminer si des particulariteacutes inheacuterentes agrave cette activiteacute speacutecifique de la fonction publique srsquoopposent de maniegravere contraignante en raison de la neacutecessiteacute absolue de garantir une protection efficace de la collectiviteacute agrave ce que la directive 200388 soit appliqueacutee agrave ladite activiteacute A cet eacutegard la Cour de justice constate que certaines activiteacutes speacutecifiques relevant de la fonction publique ne se precirctent pas par leur nature agrave une planification du temps de travail et qursquoelles peuvent dans la mesure ougrave leur continuiteacute est indispensable pour assurer lrsquoexercice effectif des fonctions essentielles de lrsquoEacutetat eacutechapper au champ drsquoapplication de la directive Toutefois la Cour de justice rappelle que conformeacutement agrave sa jurisprudence cette exigence de continuiteacute doit ecirctre appreacutecieacutee en tenant compte de la nature speacutecifique de lrsquoactiviteacute consideacutereacutee (Cour

de justice [GC] Sindicatul Familia Constanţa ea 20 novembre 2018 C‑14717 point 66) La Cour de justice rappelle que selon une jurisprudence constante lrsquoapplication de lrsquoarticle 2 paragraphe 2 premier alineacutea de la directive 89391 aux services actifs dans le domaine de la santeacute de la seacutecuriteacute et de lrsquoordre publics ne se justifie qursquoen raison drsquoeacuteveacutenements exceptionnels comme des catastrophes naturelles ou technologiques des attentats ou des accidents majeurs dont la graviteacute et lrsquoampleur neacutecessitent lrsquoadoption de mesures indispensables agrave la protection de la vie de la santeacute ainsi que de la seacutecuriteacute de la collectiviteacute et dont la bonne exeacutecution serait compromise si toutes les regravegles eacutenonceacutees par la directive 200388 devaient ecirctre respecteacutees Dans le cas de lrsquoespegravece la Cour de justice relegraveve que les missions de surveillance aux frontiegraveres exteacuterieures de lrsquoespace Schengen lorsqursquoelles sont assureacutees dans des conditions normales par la police drsquointervention hongroise ne preacutesentent pas agrave premiegravere vue des caracteacuteristiques agrave ce point speacutecifiques Elle juge qursquoil appartient agrave la juridiction de renvoi de deacuteterminer si les missions exerceacutees par UO au cours de la peacuteriode litigieuse lrsquoont eacuteteacute dans des circonstances drsquoune graviteacute et drsquoune ampleur exceptionnelles justifiant que leur soit appliqueacutee lrsquoexception preacutevue agrave lrsquoarticle 2 paragraphe 2 premier alineacutea de la directive 89391 Pour cela il lui appartiendra de deacuteterminer si un afflux de ressortissants de pays tiers aux frontiegraveres exteacuterieures de la Hongrie a empecirccheacute que la surveillance desdites frontiegraveres soit effectueacutee tout au long de la peacuteriode litigieuse dans des conditions habituelles conformeacutement agrave la mission impartie agrave la police drsquointervention Finalement la Cour de justice rappelle que dans la situation ougrave la juridiction de renvoi aboutirait agrave la conclusion que les particulariteacutes inheacuterentes aux missions assureacutees par les membres de la police drsquointervention ne se precirctaient pas par leur nature agrave une planification du temps de travail elle devra tenir compte du fait que lrsquoarticle 2 paragraphe 2 second alineacutea de la directive 89391 preacutevoit que mecircme dans ce cas les autoriteacutes compeacutetentes doivent assurer la seacutecuriteacute et la santeacute des travailleurs dans toute la mesure du possible Par ces motifs la Cour (dixiegraveme chambre) dit pour droit Lrsquoarticle 1er paragraphe 3 de la directive 200388CE du Parlement europeacuteen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de lrsquoameacutenagement du temps de travail doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que lrsquoarticle 2 points 1 et 2 de cette directive srsquoapplique aux membres des forces de lrsquoordre qui exercent des fonctions de surveillance aux frontiegraveres exteacuterieures drsquoun Eacutetat membre en cas drsquoafflux de ressortissants de pays tiers auxdites frontiegraveres sauf lorsqursquoil apparaicirct au vu de lrsquoensemble des circonstances pertinentes que les missions exeacutecuteacutees le sont dans le cadre drsquoeacuteveacutenements exceptionnels dont la graviteacute et lrsquoampleur neacutecessitent lrsquoadoption de mesures indispensables agrave la protection de la vie de la santeacute ainsi que de la seacutecuriteacute de la collectiviteacute et dont la bonne exeacutecution serait compromise si lrsquoensemble des regravegles eacutenonceacutees par ladite directive devaient ecirctre respecteacutees ce qursquoil appartient agrave la juridiction de renvoi de veacuterifier

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Protection internationale

Cour de justice (troisiegraveme chambre) affaires jointes Commission Pologne Commission Hongrie et Commission Reacutepublique Tchegraveque 2 avril 2020 C-71517 C-71817 et C-71917

Reacutesumeacute La Cour de justice a jugeacute que la Pologne la Hongrie et la Reacutepublique tchegraveque avaient manqueacute aux obligations leur

incombant en vertu des deacutecisions 20151523 et 20151601 Ces Eacutetats membres auraient ducirc relocaliser sur leurs territoires un

nombre approprieacute de demandeurs de protection internationale

Les deacutecisions 20151523 et 20151601 disposaient que 40 000 personnes ayant besoin drsquoune protection

internationale devaient ecirctre relocaliseacutees de maniegravere temporaire et exceptionnelle depuis lrsquoItalie et la Gregravece vers

drsquoautres Eacutetats membre

Le 16 deacutecembre 2015 la Pologne a indiqueacute un nombre de 100 demandeurs de protection internationale pouvant

faire rapidement lrsquoobjet drsquoune relocalisation sur son territoire La Pologne nrsquoa pas donneacute suite aux demandes de

lrsquoItalie et de la Gregravece et nrsquoa ensuite plus pris aucun engagement de relocalisation

Aucun demandeur de protection internationale nrsquoa eacuteteacute relocaliseacute sur le territoire de la Hongrie au titre des

deacutecisions preacuteciteacutees

Suite agrave une offre de relocaliser 30 personnes 12 demandeurs de protection internationale tous en provenance

de la Gregravece ont eacuteteacute relocaliseacutes sur le territoire de la Reacutepublique Tchegraveque Apregraves le 13 mai 2016 la Reacutepublique

Tchegraveque nrsquoa plus pris aucun engagement de relocalisation

Par lettres du 10 feacutevrier 2016 la Commission europeacuteenne a inviteacute ces trois Eacutetats agrave communiquer au moins tous

les trois mois des indications concernant le nombre de demandeurs de protection internationale pouvant ecirctre

relocaliseacutes sur leur territoire et agrave relocaliser de tels demandeurs agrave intervalles reacuteguliers afin de se conformer agrave leurs

obligations leacutegales Plusieurs lettres ont eacuteteacute adresseacutees par la suite Le 1er mars 2017 la Reacutepublique tchegraveque a

indiqueacute par lettre que sa premiegravere offre de relocaliser 30 personnes eacutetait suffisante

La Commission europeacuteenne a indiqueacute agrave plusieurs reprises qursquoelle se reacuteservait la possibiliteacute drsquoengager des

proceacutedures en manquement contre ces Eacutetats membre si ceux-ci ne se conformaient pas au plus vite agrave leurs

obligations Ainsi par des lettres de mise en demeure du 15 juin 2017 en ce qui concerne la Hongrie et la

Reacutepublique Tchegraveque et du 16 juin 2017 en ce qui concerne la Pologne la Commission europeacuteenne a engageacute une

proceacutedure en manquement au titre de lrsquoarticle 258 paragraphe 1 TFUE contre ces trois Eacutetats membre Par lettre

du 19 septembre 2017 la Commission europeacuteenne a attireacute lrsquoattention des trois Eacutetats sur lrsquoarrecirct Slovaquie et

HongrieConseil (Cour de justice 6 septembre 2017 C-64315 et C-64715) qui a confirmeacute la validiteacute de la deacutecision

20151601 et a inviteacute ces trois Eacutetats membre agrave adopter au plus vite les mesures neacutecessaires afin de prendre des

engagements de relocalisation et de proceacuteder agrave des relocalisations Nrsquoayant pas reccedilu de reacuteponse agrave ces lettres la

Commission europeacuteenne a deacutecideacute drsquointroduire les preacutesents recours

o Sur la recevabiliteacute

Manquement drsquoEacutetat ndash Deacutecisions (UE) 20151523 et (UE) 20151601 ndash Article 5 paragraphes 2 et 4 agrave 11 de chacune de ces deacutecisions ndash Mesures provisoires en matiegravere de protection internationale au profit de la Reacutepublique helleacutenique et de la Reacutepublique italienne ndash Situation drsquourgence caracteacuteriseacutee par un afflux soudain de ressortissants de pays tiers sur le territoire de certains Eacutetats membres ndash Relocalisation de ces ressortissants sur le territoire des autres Eacutetats membres ndash Proceacutedure de relocalisation ndash Obligation pour les Eacutetats membres drsquoindiquer agrave intervalles reacuteguliers et au moins tous les trois mois le nombre de demandeurs de protection internationale pouvant faire rapidement lrsquoobjet drsquoune relocalisation sur leur territoire ndash Obligations conseacutecutives conduisant agrave la relocalisation effective ndash Inteacuterecircts des Eacutetats membres lieacutes agrave la seacutecuriteacute nationale et agrave lrsquoordre public ndash Possibiliteacute pour un Eacutetat membre drsquoinvoquer lrsquoarticle 72 TFUE pour ne pas appliquer des actes du droit de lrsquoUnion ayant un caractegravere obligatoire

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Sur les exceptions drsquoirrecevabiliteacute dans les affaires C-71517 C-71817 et C-71917 tireacutees de ce que les recours sont deacutenueacutes

drsquoobjet et contredisent lrsquoobjectif de la proceacutedure viseacutee agrave lrsquoarticle 258 TFUE

Les trois Eacutetats membre allegraveguent que les recours seraient deacutenueacutes drsquoobjet et ne serviraient pas lrsquoobjectif de la

proceacutedure en manquement En outre srsquoagissant de manquements agrave des obligations reacutesultant drsquoactes de lrsquoUnion

dont la peacuteriode drsquoapplication a deacutefinitivement expireacute et auxquels il ne peut plus ecirctre remeacutedieacute la Commission

europeacuteenne ne pourrait faire valoir un inteacuterecirct suffisant agrave demander que la Cour de justice constate ces

manquements

La Cour de justice rappelle que lrsquoobjectif poursuivi par la proceacutedure preacutevue agrave lrsquoarticle 258 TFUE est la constatation

objective du non-respect par un Eacutetat membre des obligations que lui imposent le TFUE ou un acte de droit

deacuteriveacute et qursquoune telle proceacutedure permet aussi de deacuteterminer si un Eacutetat membre a enfreint le droit de lrsquoUnion dans

un cas drsquoespegravece La Cour de justice note que dans un recours en manquement la Commission europeacuteenne ne

saurait demander agrave la Cour de justice autre chose que la constatation de lrsquoexistence du manquement alleacutegueacute en

vue de la cessation de celui-ci Un recours en manquement est recevable si la Commission europeacuteenne se limite

agrave demander agrave la Cour de justice de constater lrsquoexistence du manquement alleacutegueacute notamment dans une situation

telle que celle de lrsquoespegravece dans laquelle lrsquoacte de droit deacuteriveacute de lrsquoUnion dont la violation est alleacutegueacutee a

deacutefinitivement cesseacute drsquoecirctre applicable apregraves la date drsquoexpiration du deacutelai fixeacute dans lrsquoavis motiveacute Un tel recours

srsquoinscrit dans lrsquoobjectif poursuivi par la proceacutedure preacutevue agrave lrsquoarticle 258 TFUE

En lrsquoespegravece la peacuteriode drsquoapplication des deacutecisions a deacutefinitivement expireacute en septembre 2017 La circonstance

selon laquelle il ne serait plus possible de remeacutedier au manquement alleacutegueacute degraves lors que la peacuteriode drsquoapplication

des deacutecisions a expireacute ne saurait conduire agrave lrsquoirrecevabiliteacute des preacutesents recours En effet les trois Eacutetats membres

en cause se sont vu offrir la possibiliteacute de mettre un terme au manquement avant lrsquoexpiration du deacutelai imparti

dans les avis motiveacutes

La Cour de justice rejette ces exceptions drsquoirrecevabiliteacute

Sur les exceptions drsquoirrecevabiliteacute dans les affaires C-71717 et C71817 tireacutees drsquoune violation du principe drsquoeacutegaliteacute de traitement

La Pologne et la Hongrie soutiennent que les recours en manquement sont irrecevables degraves lors que la

Commission europeacuteenne en se limitant agrave introduire un recours contre les seuls trois Eacutetats membres en cause

alors que la grande majoriteacute des Eacutetats membre nrsquoont pas pleinement respecteacute les obligations leur incombant en

vertu des deacutecisions 20151523 et 20151601 a violeacute le principe drsquoeacutegaliteacute de traitement et a ainsi exceacutedeacute le pouvoir

drsquoappreacuteciation que lui confegravere lrsquoarticle 258 TFUE

La Cour de justice rappelle qursquoelle a deacutejagrave jugeacute que lrsquoabsence de recours en manquement agrave lrsquoencontre drsquoun Eacutetat

membre nrsquoest pas pertinente pour appreacutecier la recevabiliteacute drsquoun recours en manquement introduit agrave lrsquoencontre

drsquoun autre Eacutetat membre La Cour de justice estime que lrsquoaction de la Commission europeacuteenne est ainsi fondeacutee

en lrsquooccurrence sur un critegravere neutre et objectif relatif agrave la graviteacute et agrave la persistance des manquements reprocheacutes

aux trois Eacutetats membre en cause qui au regard de lrsquoobjectif des deacutecisions preacuteciteacutees permet de distinguer la

situation de ces trois Eacutetats membres de celle des autres Eacutetats membre y compris ceux nrsquoayant pas pleinement

respecteacute leurs obligations deacutecoulant de ces deacutecisions

Par suite les exceptions drsquoirrecevabiliteacute tireacutees drsquoune violation du principe drsquoeacutegaliteacute de traitement doivent ecirctre

rejeteacutees

Sur lrsquoexception drsquoirrecevabiliteacute dans lrsquoaffaire C-71817 tireacutee drsquoune violation des droits de la deacutefense au cours de la proceacutedure

preacutecontentieuse

La Hongrie reproche agrave la Commission europeacuteenne de ne pas avoir respecteacute ses droits de la deacutefense dans la

proceacutedure preacutecontentieuse en ce que le deacutelai de reacuteponse de quatre semaines imparti dans la lettre de mise en

demeure et dans lrsquoavis motiveacute a eacuteteacute excessivement court contraire au deacutelai habituel de deux mois et non justifieacute

par une situation drsquourgence leacutegitime Elle fait eacutegalement grief agrave la Commission europeacuteenne de ne pas avoir

indiqueacute au cours de la proceacutedure preacutecontentieuse le manquement qui lui eacutetait reprocheacute

La Cour de justice estime que la raison drsquoentamer la proceacutedure en manquement agrave un stade relativement avanceacute

de la peacuteriode dlsquoapplication de deux ans des deacutecisions reacuteside dans le refus persistant de ces trois Eacutetats membres

de donner suite aux appels reacutepeacuteteacutes de la Commission europeacuteenne tendant agrave ce que ceux-ci se conforment agrave ces

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obligations et ne saurait ecirctre imputeacutee agrave une quelconque inertie ou action tardive de la Commission europeacuteenne

La Cour de justice rappelle eacutegalement que les Eacutetats membres avaient pleinement connaissance du point de vue

de la Commission europeacuteenne quant aux manquements qui leurs eacutetaient reprocheacutes Dans ces circonstances le

deacutelai en cause de quatre semaines ne saurait ecirctre consideacutereacutes comme deacuteraisonnablement court

La Cour de justice relegraveve eacutegalement qursquoil nrsquoapparait pas que lrsquoimpreacutecision alleacutegueacutee de certains motifs de la requecircte

ait pu affecter lrsquoexercice par la Hongrie de ses droits de la deacutefense

Lrsquoexception drsquoirrecevabiliteacute souleveacutee par la Hongrie et tireacutee drsquoune violation des droits de la deacutefense au cours de

la proceacutedure preacutecontentieuse doit ecirctre rejeteacutee

Sur lrsquoexception drsquoirrecevabiliteacute dans lrsquoaffaire C-71917 tireacutee du manque de preacutecision drsquoincoheacuterence de la requecircte

La Reacutepublique tchegraveque a contesteacute la recevabiliteacute du recours la concernant au motif que la requecircte nrsquoeacutenonce pas

de maniegravere coheacuterente et preacutecise le manquement qui lui est reprocheacute

La Cour de justice estime que la Reacutepublique tchegraveque ne pouvait raisonnablement se meacuteprendre sur la date preacutecise

du deacutebut du manquement agrave ses obligations que la Commission europeacuteenne lui reprochait et qursquoelle a pu

effectivement exercer ses droits de deacutefense quant agrave ce manquement

Par suite lrsquoexception drsquoirrecevabiliteacute doit ecirctre eacutecarteacutee

o Sur le fond

Sur la mateacuterialiteacute des manquements alleacutegueacutes

La Cour de justice rappelle que dans le cadre drsquoune proceacutedure en manquement il incombe agrave la Commission

europeacuteenne drsquoapporter agrave la Cour de justice les eacuteleacutements neacutecessaires agrave la veacuterification par celle-ci de lrsquoexistence

dudit manquement sans pouvoir se fonder sur une preacutesomption quelconque

Les manquements en cause ne sont pas contestables degraves lors que dans ses diffeacuterents rapports mensuels sur la

relocalisation et la reacuteinstallation la Commission europeacuteenne a assureacute un suivi de lrsquoeacutetat drsquoavancement des

relocalisations et a indiqueacute pour chaque Eacutetat membre le nombre de demandeurs de protection internationale

pour lesquels des engagements de relocalisation avaient eacuteteacute pris ainsi que le nombre de demandeurs de protection

internationale effectivement relocaliseacutes Ces rapports attestent de la reacutealiteacute des manquements alleacutegueacutes par la

Commission europeacuteenne

Par suite la Cour de justice constate que la Commission europeacuteenne a eacutetabli la mateacuterialiteacute des manquements

alleacutegueacutes dans les trois proceacutedures en manquement en cause

Sur les moyens de deacutefense tireacutes par la Reacutepublique de Pologne et la Hongrie de lrsquoarticle 72 TFUE lu conjointement avec lrsquoarticle 4

paragraphe 2 TUE

La Pologne et la Hongrie allegraveguent qursquoelles eacutetaient en droit en vertu de lrsquoarticle 72 TFUE lu conjointement avec

lrsquoarticle 4 paragraphe 2 TUE qui leur reacuteserve la compeacutetence exclusive pour le maintien de lrsquoordre public et la

sauvegarde de la seacutecuriteacute inteacuterieure dans le cadre drsquoactes adopteacutes dans le domaine de lrsquoespace de liberteacute de seacutecuriteacute

et de justice viseacute au titre 5 du TFUE de laisser inappliqueacutees leurs obligations de droit secondaire et donc de rang

infeacuterieur deacutecoulant de la deacutecision 20151523 etou de la deacutecision 20151601 actes pris sur la base de lrsquoarticle

78 paragraphe 3 TFUE et relevant donc dudit titre 5

La Cour de justice rappelle que la deacuterogation preacutevue agrave lrsquoarticle 72 TFUE doit faire lrsquoobjet drsquoune interpreacutetation

stricte Ainsi bien que lrsquoarticle 72 TFUE preacutevoit que le titre 5 du traiteacute ne porte pas atteinte agrave lrsquoexercice des

responsabiliteacutes qui incombent aux Eacutetats membre pour le maintien de lrsquoordre public et la sauvegarde de la seacutecuriteacute

inteacuterieure il ne saurait ecirctre interpreacuteteacute de maniegravere agrave confeacuterer aux Eacutetats membre le pouvoir de deacuteroger aux

dispositions du traiteacute par la seule invocation de ces responsabiliteacutes La porteacutee des exigences tenant au maintien

de lrsquoordre public ou de la seacutecuriteacute nationale ne saurait ainsi ecirctre deacutetermineacutee unilateacuteralement par chaque Eacutetat

membre sans controcircle des institutions de lrsquoUnion Il incombe agrave lrsquoEacutetat membre qui invoque le beacuteneacutefice de lrsquoarticle

72 TFUE de prouver la neacutecessiteacute de recourir agrave la deacuterogation preacutevue agrave cet article aux fins drsquoexercer ses

responsabiliteacutes en matiegravere de maintien de lrsquoordre public et de sauvegarde de la seacutecuriteacute inteacuterieure La Cour de

justice rappelle que dans lrsquoarrecirct Slovaquie et HongrieConseil preacuteciteacute elle avait rejeteacute lrsquoargument selon lequel la

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deacutecision 20151601 serait contraire au principe de proportionnaliteacute degraves lors qursquoelle ne permettrait pas aux Eacutetats

membres drsquoassurer lrsquoexercice effectif des responsabiliteacutes qui leur incombent pour le maintien de lrsquoordre public et

la sauvegarde de la seacutecuriteacute inteacuterieure au titre de lrsquoarticle 72 TFUE La Cour de justice dans le preacutesent arrecirct ajoute

que les articles 5 de chacune des deacutecisions preacutevoient qursquoun Eacutetat membre ne peut deacutecider de ne pas approuver la

relocalisation drsquoun demandeur de protection internationale que srsquoil existe des motifs raisonnables de consideacuterer

que le demandeur en cause repreacutesente un danger pour la seacutecuriteacute nationale ou lrsquoordre public sur son territoire La

Cour de justice estime que les motifs raisonnables laissent clairement une plus large marge drsquoappreacuteciation aux

Eacutetats membre que les motifs seacuterieux mentionneacutes dans la directive 201195 Le libelleacute de lrsquoarticle 5 des deacutecisions

20151523 et 2015601 se distingue eacutegalement de celui de la directive 200438CE Par suite une large marge

drsquoappreacuteciation doit ecirctre reconnue aux autoriteacutes compeacutetentes des Eacutetats membre de relocalisation lorsque celles-ci

deacuteterminent si un ressortissant drsquoun pays tiers appeleacute agrave ecirctre relocaliseacute constitue un danger pour la seacutecuriteacute

nationale ou lrsquoordre public sur leur territoire Ces motifs raisonnables ne peuvent ecirctre invoqueacutes qursquoen preacutesence

drsquoeacuteleacutements concordants objectifs et preacutecis et apregraves une eacutevaluation des faits par les autoriteacutes compeacutetentes

Lrsquoarticle 5 de chacune des deacutecisions preacutecisaient que devait ecirctre effectueacute un examen au cas par cas du danger actuel

ou potentiel que le demandeur de protection internationale concerneacute repreacutesentait Il srsquooppose ainsi agrave ce qursquoun

Eacutetat membre invoque de maniegravere peacuteremptoire aux seules fins de preacutevention geacuteneacuterale et sans eacutetablir de rapport

direct avec un cas individuel lrsquoarticle 72 TFUE pour justifier une suspension voire un arrecirct de la mise en œuvre

des obligations lui incombant en vertu des deacutecisions 20151523 et 20151601 En lrsquoespegravece les Eacutetats membres

de relocalisation ont pu conduire dans certaines conditions des controcircles de seacutecuriteacute suppleacutementaires voire

systeacutematiques par la voie drsquoentretiens ou avec lrsquoassistance drsquoEuropol Lrsquoarticle 5 des directives preacuteciteacutees

impliquaient eacutegalement lrsquoidentification des personnes en cause

La Cour de justice conclut que le meacutecanisme preacutevu agrave lrsquoarticle 5 de chacune desdites deacutecisions y compris dans

son application concregravete telle qursquoelle srsquoest deacuteveloppeacutee en pratique au cours des peacuteriodes drsquoapplication de celles-

ci laissait aux Eacutetats membre de relocalisation de reacuteelles possibiliteacutes pour proteacuteger leurs inteacuterecircts lieacutes agrave lrsquoordre

public et agrave la seacutecuriteacute inteacuterieure dans le cadre de lrsquoexamen de la situation individuelle de chaque demandeur de

protection internationale dont la relocalisation eacutetait proposeacutee sans toutefois porter preacutejudice agrave lrsquoobjectif de ces

mecircmes deacutecisions

Par suite la Cour de justice rejette les moyens de deacutefense tireacutes par la Pologne et la Hongrie de lrsquoarticle 72 TFUE

lu conjointement avec lrsquoarticle 4 paragraphe 2 TUE

Sur le moyen de deacutefense tireacute par la Reacutepublique tchegraveque du dysfonctionnement et du manque drsquoefficaciteacute dont aurait souffert le meacutecanisme

de relocalisation preacutevu par les deacutecisions 20151523 et 20151601 dans son application concregravete

La Reacutepublique tchegraveque se fonde sur des consideacuterations relatives au dysfonctionnement ou au manque drsquoefficaciteacute

dont aurait souffert dans son application concregravete le meacutecanisme de relocalisation preacutevu par les deacutecisions

preacuteciteacutees en tant que justification de sa deacutecision de ne pas mettre en œuvre les obligations de relocalisation qui

lui incombaient en vertu de lrsquoarticle 5 de chacune des deacutecisions

La Cour de justice observe qursquoil ne saurait ecirctre admis qursquoun Eacutetat membre puisse se fonder sans invoquer une

base juridique preacutevue par les traiteacutes sur son appreacuteciation unilateacuterale du manque alleacutegueacute drsquoefficaciteacute voire du

dysfonctionnement du meacutecanisme de relocalisation eacutetabli par les deacutecisions Cette alleacutegation nrsquoa pour autant pas

empecirccheacute drsquoautres Eacutetats membres de prendre agrave intervalles reacuteguliers des engagements de relocalisation et de

proceacuteder agrave des relocalisations effectives La Cour de justice rappelle que des ajustements ont eacuteteacute apporteacutes agrave la

proceacutedure de relocalisation afin de reacutepondre notamment aux problegravemes drsquoordre pratique mentionneacutes par la

Reacutepublique tchegraveque

Par suite le moyen de deacutefense de la Reacutepublique tchegraveque est rejeteacute

Par ces motifs la Cour (troisiegraveme chambre) deacuteclare et arrecircte

1) Les affaires C-71517 C-71817 et C-71917 sont jointes aux fins de lrsquoarrecirct

2) En nrsquoayant pas indiqueacute agrave intervalles reacuteguliers et au moins tous les trois mois un nombre approprieacute

de demandeurs de protection internationale pouvant faire rapidement lrsquoobjet drsquoune relocalisation sur

son territoire la Reacutepublique de Pologne a depuis le 16 mars 2016 manqueacute aux obligations lui

incombant en vertu de lrsquoarticle 5 paragraphe 2 de la deacutecision (UE) 20151523 du Conseil du 14

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septembre 2015 instituant des mesures provisoires en matiegravere de protection internationale au profit de

lrsquoItalie et de la Gregravece et de lrsquoarticle 5 paragraphe 2 de la deacutecision (UE) 20151601 du Conseil du 22

septembre 2015 instituant des mesures provisoires en matiegravere de protection internationale au profit de

lrsquoItalie et de la Gregravece ainsi que par voie de conseacutequence aux obligations ulteacuterieures de relocalisation

lui incombant en vertu de lrsquoarticle 5 paragraphes 4 agrave 11 de chacune de ces deux deacutecisions

3) En nrsquoayant pas indiqueacute agrave intervalles reacuteguliers et au moins tous les trois mois un nombre approprieacute

de demandeurs de protection internationale pouvant faire rapidement lrsquoobjet drsquoune relocalisation sur

son territoire la Hongrie a depuis le 25 deacutecembre 2015 manqueacute aux obligations lui incombant en vertu

de lrsquoarticle 5 paragraphe 2 de la deacutecision 20151601 ainsi que par voie de conseacutequence aux obligations

ulteacuterieures de relocalisation lui incombant en vertu de lrsquoarticle 5 paragraphes 4 agrave 11 de cette deacutecision

4) En nrsquoayant pas indiqueacute agrave intervalles reacuteguliers et au moins tous les trois mois un nombre approprieacute

de demandeurs de protection internationale pouvant faire rapidement lrsquoobjet drsquoune relocalisation sur

son territoire la Reacutepublique tchegraveque a depuis le 13 aoucirct 2016 manqueacute aux obligations lui incombant

en vertu de lrsquoarticle 5 paragraphe 2 de la deacutecision 20151523 et de lrsquoarticle 5 paragraphe 2 de la deacutecision

20151601 ainsi que par voie de conseacutequence aux obligations ulteacuterieures de relocalisation lui

incombant en vertu de lrsquoarticle 5 paragraphes 4 agrave 11 de chacune de ces deux deacutecisions

5) La Reacutepublique de Pologne est condamneacutee agrave supporter outre ses propres deacutepens dans les affaires

C‑71517 C‑71817 et C‑71917 ceux de la Commission europeacuteenne dans lrsquoaffaire C‑71517

6) La Hongrie est condamneacutee agrave supporter outre ses propres deacutepens dans les affaires C‑71517

C‑71817 et C‑71917 ceux de la Commission europeacuteenne dans lrsquoaffaire C‑71817

7) La Reacutepublique tchegraveque est condamneacutee agrave supporter outre ses propres deacutepens dans les affaires

C‑71517 C‑71817 et C‑71917 ceux de la Commission europeacuteenne dans lrsquoaffaire C‑71917

Vie priveacutee et familiale

Cour EDH (quatriegraveme section) Dragan Petrovic Serbie ndeg 7522910

Arrecirct rendu en anglais Mention dune opinion dissidente Reacutesumeacute Dans une affaire concernant la reacutealisation dune perquisition par la police au domicile du requeacuterant et le preacutelegravevement dun eacutechantillon dADN dans le cadre dune enquecircte pour meurtre en Serbie la Cour EDH a jugeacute que ce preacutelegravevement constituait une violation de larticle 8 de la Convention contrairement agrave la perquisition Elle considegravere en effet quil neacutetait pas laquo preacutevu par la loi raquo au sens de larticle 8 Elle preacutecise que la version du code de proceacutedure peacutenale serbe qui eacutetait en vigueur agrave lrsquoeacutepoque des faits disposait que des preacutelegravevements sanguins ou laquo drsquoautres proceacutedures meacutedicales raquo pouvaient ecirctre reacutealiseacutes Le requeacuterant Dragan Petrovic est un ressortissant serbe neacute en 1985 reacutesidant agrave Subotica (Serbie)

Art 8 - Respect de la vie priveacutee - Preacutelegravevement dun eacutechantillon dADN de la salive du demandeur dans le cadre dune enquecircte preacuteliminaire - Approbation du demandeur obtenue par la menace de la force - Absence de preacutevisibiliteacute de la loi - Aucune reacutefeacuterence agrave des dispositions leacutegales speacutecifiques dans lordonnance autorisant la police agrave preacutelever leacutechantillon - Aucune reacutefeacuterence speacutecifique dans la loi au preacutelegravevement dun eacutechantillon dADN - Neacutecessiteacute dune reacuteglementation plus stricte deacutemontreacutee par des dispositions plus deacutetailleacutees dans la leacutegislation reacutecente - Respect du domicile - Perquisition au domicile du demandeur fondeacutee sur des motifs adeacutequats et suffisants et accompagneacutee de garanties efficaces

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En juillet 2008 la police reccedilut des informations qui laissaient penser que le requeacuterant pouvait ecirctre impliqueacute dans le passage agrave tabac et le deacutecegraves drsquoun homme acircgeacute Sur la base de ces informations un juge drsquoinstruction rendit deux deacutecisions par lesquelles il ordonna drsquoune part une perquisition du domicile du requeacuterant et drsquoautre part le preacutelegravevement drsquoun eacutechantillon de salive sur sa personne aux fins drsquoune analyse ADN Dans le cadre de la perquisition la police devait en prioriteacute rechercher des objets que le requeacuterant eacutetait soupccedilonneacute avoir pris apregraves le meurtre notamment une laquo veste en cuir noir raquo ainsi que laquo des chaussures et drsquoautres objets raquo pouvant ecirctre lieacutes au meurtre Elle trouva finalement deux armes de poing dont le requeacuterant deacuteclara ignorer lrsquoexistence Le preacutelegravevement drsquoun eacutechantillon drsquoADN du requeacuterant devait permettre une comparaison avec lrsquoADN retrouveacute sur la scegravene de crime Le juge autorisa la police agrave proceacuteder soit agrave un preacutelegravevement de salive soit agrave un preacutelegravevement sanguin par la force si neacutecessaire avec lrsquoaide de professionnels de santeacute Le requeacuterant consentit en preacutesence de

son avocat agrave un preacutelegravevement de salive Il apparaicirct cependant que la police nrsquoa produit aucun procegraves-verbal de la proceacutedure En aoucirct 2008 la police indiqua au juge drsquoinstruction qursquoelle avait deacutecideacute de poursuivre le requeacuterant pour possession illeacutegale drsquoarmes agrave feu Les autoriteacutes ne trouvegraverent aucune correspondance entre lrsquoeacutechantillon drsquoADN preacuteleveacute sur la personne du requeacuterant et les traces biologiques retrouveacutees sur la scegravene du crime Le 4 aoucirct 2008 le requeacuterant saisit la Cour constitutionnelle pour se plaindre sur le terrain de lrsquoarticle 8 de la Convention et des articles 25 et 40 de la Constitution drsquoune violation de son droit au respect de son domicile et de sa vie priveacutee La Cour constitutionnelle rejeta son recours sur le fond le 14 octobre 2010

1) Sur la violation alleacutegueacutee de larticle 8 de la Convention o Sur la recevabiliteacute de la requecircte

La Cour EDH rejette drsquoembleacutee les exceptions de tardiveteacute et de non-eacutepuisement des voies de recours souleveacutees par le Gouvernement Elle juge en particulier au paragraphe 53 que le recours constitutionnel formeacute par le requeacuterant eacutetait un recours effectif au sens de larticle 35sect1 de la Convention

o Sur le fond Sur le fond de lrsquoaffaire la Cour EDH examine tout drsquoabord la question de la perquisition du domicile du requeacuterant Elle dit que cette mesure srsquoanalyse en une atteinte au droit du requeacuterant au respect de son domicile qursquoelle eacutetait preacutevue par la loi et qursquoelle visait un but leacutegitime (sect74) La question qui se pose donc est celle de savoir si elle eacutetait proportionneacutee crsquoest-agrave-dire si elle eacutetait laquo neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique raquo (voir en ce sens les arrecircts CEDH ndeg2535812 Paradiso et Campanelli c Italy sect 167 24 Janvier 2017 et ndeg4107916 Caruana c Malta sect 26 15 Mai 2018) Elle note dans son paragraphe 76 que le mandat de perquisition a eacuteteacute deacutelivreacute dans le cadre drsquoune enquecircte pour meurtre et qursquoil preacutecisait ce que la police devait chercher agrave savoir une veste en cuir noir des chaussures et drsquoautres objets lieacutes au meurtre Elle ne souscrit donc pas agrave lrsquoargument du requeacuterant selon lequel le mandat de perquisition manquait de preacutecision La Cour EDH considegravere par ailleurs que le requeacuterant jouissait de garanties adeacutequates et effectives propres agrave le preacutemunir contre tout abus au cours de la perquisition Elle note en particulier que le requeacuterant son avocat et le proprieacutetaire de lrsquoappartement eacutetaient preacutesents lors de la perquisition Elle observe en outre au paragraphe 77 que lrsquoavocat de lrsquointeacuteresseacute a signeacute le certificat de saisie et le procegraves-verbal de lrsquoopeacuteration de perquisition et de saisie et qursquoil srsquoest borneacute agrave cette occasion agrave contester la motivation de la deacutecision de perquisition sans soulever drsquoobjections quant agrave la proceacutedure de perquisition elle-mecircme La Cour EDH conclut au paragraphe suivant que lrsquoatteinte en question eacutetait laquo neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique raquo et qursquoil y a donc eu non-violation de lrsquoarticle 8 agrave raison de la perquisition meneacutee par la police au domicile du requeacuterant Se penchant ensuite sur la question du preacutelegravevement drsquoun eacutechantillon drsquoADN la Cour EDH constate que cette mesure srsquoanalyse en une atteinte au droit du requeacuterant au respect de sa vie priveacutee Le fait que lrsquointeacuteresseacute ait consenti agrave la proceacutedure est deacutenueacute de pertinence eacutetant donneacute que ce consentement a eacuteteacute donneacute sous la menace drsquoun preacutelegravevement de sang ou de salive par la force (voir en ce sens larrecirct Caruana c Malte sect29 citeacute) (sect79)

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La Cour EDH note que la deacutecision ordonnant le preacutelegravevement drsquoun eacutechantillon drsquoADN ne faisait mention drsquoaucune disposition leacutegale et que lrsquoarticle pertinent du code proceacutedure peacutenale serbe agrave savoir lrsquoarticle 131 sectsect 2 et 3 disposait uniquement qursquoun tribunal pouvait ordonner le preacutelegravevement drsquoun eacutechantillon de sang ou toute laquo autre proceacutedure meacutedicale raquo jugeacutee neacutecessaire drsquoun point de vue meacutedical agrave lrsquoeacutetablissement de faits laquo importants raquo dans le cadre drsquoune enquecircte peacutenale Par ailleurs il ressort du dossier de lrsquoaffaire que les autoriteacutes meacuteconnaissant lrsquoarticle 239 du code de proceacutedure peacutenale ont omis de reacutediger un procegraves-verbal de la proceacutedure (sect81) La Cour EDH note eacutegalement au paragraphe suivant que lrsquoarticle 131 sectsect 2 et 3 eacutetait deacutepourvu de certaines garanties concernant les preacutelegravevements drsquoADN et que ces garanties furent introduites dans une nouvelle version du code de proceacutedure peacutenale entreacutee en vigueur en 2011 Le nouveau texte faisait speacutecifiquement reacutefeacuterence aux preacutelegravevements drsquoeacutechantillons de salive il disposait que ceux-ci devaient ecirctre reacutealiseacutes par des experts et il preacutecisait dans quels cas une personne pouvait ecirctre soumise agrave pareille proceacutedure sans son consentement La Cour EDH considegravere par conseacutequent qursquoen inseacuterant des dispositions plus deacutetailleacutees dans la version du code de proceacutedure peacutenale entreacutee en vigueur en 2011 lrsquoEacutetat deacutefendeur a lui-mecircme reconnu implicitement que des regravegles plus strictes eacutetaient neacutecessaires dans ce domaine (sect83) La Cour EDH conclut dans son paragraphe 84 que lrsquoatteinte au droit du requeacuterant au respect de sa vie priveacutee que constituait le preacutelegravevement litigieux drsquoADN nrsquoeacutetait pas preacutevue par la loi et qursquoelle a donc emporteacute violation de lrsquoarticle 8 de la Convention

2) Sur la violation alleacutegueacutee de larticle 6 de la Convention Sous lrsquoangle de lrsquoarticle 6 sect 3 a) de la Convention (tout accuseacute a droit agrave ecirctre informeacute dans le plus court deacutelai dans une langue qursquoil comprend et drsquoune maniegravere deacutetailleacutee de la nature et de la cause de lrsquoaccusation porteacutee contre lui ) le requeacuterant soutient qursquoil srsquoest vu refuser le droit drsquoecirctre informeacute dans le plus court deacutelai et drsquoune maniegravere deacutetailleacutee du fait qursquoil eacutetait soupccedilonneacute drsquoavoir commis une infraction peacutenale Admettant que les observations du requeacuterant sur ce point ne se rapportent pas aux griefs souleveacutes sous lrsquoangle de lrsquoarticle 8 de la Convention mais constituent un grief distinct la Cour EDH constate que lrsquointeacuteresseacute nrsquoa jamais formeacute de recours interne agrave cet eacutegard Cette partie de la requecircte est donc ecirctre rejeteacutee pour non-eacutepuisement des voies de recours internes (sect86) POUR CES RAISONS LA COUR

1 Deacuteclare agrave lunanimiteacute que les griefs du requeacuterant au titre de larticle 8 de la Convention sont recevables et que le reste de la requecircte est irrecevable

2 Constate agrave lunanimiteacute quil ny a pas eu violation de larticle 8 de la Convention en ce qui

concerne la perquisition au domicile du requeacuterant

3 Dit par six voix contre une quil y a eu violation de larticle 8 de la Convention en ce qui concerne le preacutelegravevement dun eacutechantillon dADN sur le requeacuterant

4 Dit oui par six voix contre une a) que lEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans un deacutelai de trois mois agrave compter de la date agrave laquelle le jugement devient deacutefinitif conformeacutement agrave larticle 44 sect 2 de la Convention les montants suivants agrave convertir dans la monnaie de lEacutetat deacutefendeur au taux applicable agrave la date de la transaction i) 1 500 (mille cinq cents) euros plus les taxes eacuteventuellement exigibles au titre du preacutejudice moral (ii) 1 200 (mille deux cents) euros plus toute taxe qui pourrait ecirctre mise agrave la charge du demandeur au titre des frais et deacutepens b) quagrave compter de lexpiration des trois mois susmentionneacutes et jusquau regraveglement des inteacuterecircts simples seront dus sur les montants susmentionneacutes agrave un taux eacutegal au taux de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne pendant la peacuteriode de carence majoreacute de trois points de pourcentage 5 La demande de satisfaction eacutequitable du requeacuterant est rejeteacutee agrave lunanimiteacute pour le surplus Opinion dissidente du juge Mourou-Vikstroumlm

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Selon le juge Mourou-Vikstroumlm le preacutelegravevement dun eacutechantillon sur le demandeur aux fins danalyse de son profil ADN eacutetait bien conforme agrave la loi mecircme si celle-ci neacutetait pas laquo preacutevisible raquo Le juge note que la disposition leacutegislative en vigueur agrave leacutepoque en question - larticle 131 paragraphes 2 et 3 du code de proceacutedure peacutenale - preacutevoyait le preacutelegravevement dun eacutechantillon sanguin ou la reacutealisation dautres actes meacutedicaux sous reacuteserve dune autorisation judiciaire si cela eacutetait neacutecessaire pour leacutetablissement de faits importants pour une enquecircte peacutenale Elle preacutecise que la leacutegislation allait plus loin preacutevoyant lapplication forceacutee de ces mesures si la personne concerneacutee ne coopeacuterait pas et que sur la base de cette disposition et de la demande du ministegravere public le juge a ordonneacute le preacutelegravevement dun eacutechantillon de salive ou agrave deacutefaut de sang sur le demandeur par la force si neacutecessaire Le demandeur a consenti agrave un preacutelegravevement buccal en preacutesence de son avocat Elle affirme que le juge a donc agi dans le plein respect de la loi qui agrave son avis eacutetait parfaitement claire et preacutevisible La loi couvrait selon elle sans aucun doute le preacutelegravevement dun eacutechantillon de salive agrave des fins didentification geacuteneacutetique qui repreacutesente une preuve essentielle dans les affaires peacutenales et un outil essentiel pour les enquecircteurs et les juges dinstruction dans leacutetablissement de la veacuteriteacute et les termes laquo autres proceacutedures meacutedicales raquo doivent ecirctre interpreacuteteacutes comme englobant ce type de preuve Elle ajoute que le juge a donneacute la prioriteacute au preacutelegravevement dun eacutechantillon par eacutecouvillonnage buccal et non pas par preacutelegravevement sanguin car cest une meacutethode moins invasive et moins deacutesagreacuteable pour le demandeur Le juge Mourou-Vikstroumlm conclut cet argument en disant que la mesure contesteacutee reacutesulte dune ordonnance rendue par un juge intrinsegravequement indeacutependant et a causeacute aucun deacutesagreacutement au requeacuterant Enfin elle preacutecise que le nouveau code de proceacutedure peacutenale preacutevoit expresseacutement le preacutelegravevement dun eacutechantillon par eacutecouvillonnage buccal sans le consentement de la personne concerneacutee Les conditions dans lesquelles leacutechantillon a eacuteteacute preacuteleveacute en lespegravece sont donc eacutegalement compatibles avec les nouvelles regravegles de droit peacutenal

Partie II ndash Conclusion des avocats geacuteneacuteraux

Aides drsquoEtat

Conclusions de lrsquoAvocat geacuteneacuteral M Szpunar preacutesenteacutees le 2 avril 2020 dans lrsquo affaire Vereniging tot Behoud van Natuurmonumenten in Nederland et autres Vereniging Gelijkberechtiging Grondbezitters et autres C-81718

Reacutesumeacute LrsquoAvocat geacuteneacuteral propose agrave la Cour de justice de rejeter le moyen des requeacuterantes selon lequel le Tribunal a commis une

erreur de droit en consideacuterant comme partie inteacuteresseacutee les requeacuterants au recours formeacute devant le Tribunal En outre lrsquoAvocat geacuteneacuteral

estime que la Cour de justice devrait accueillir le second moyen des requeacuterantes puisque le raisonnement du Tribunal relatif agrave

lrsquoincompleacutetude de lrsquoexamen par la Commission europeacuteenne de la deacutefinition du SIEG drsquoune part est entacheacute drsquoune erreur de droit et

souffre drsquoautre part drsquoune insuffisance de motivation

Les requeacuterantes treize organisations de gestion de terrain sont des associations et fondations non

gouvernementales sans but lucratif ayant pour objet statutaire la conservation et la protection de la nature Elles

exerccedilaient eacutegalement des activiteacutes secondaires de nature eacuteconomique qui geacutenegraverent des recettes agrave leur profit et

constituent une source de financement de leur activiteacute principale

Afin de creacuteer une structure eacutecologique et un reacuteseau laquo Natura 2000 raquo le Royaume des Pays Bas a octroyeacute des

subventions pour lrsquoacquisition de zones naturelles (laquo reacutegime PNB raquo) aux requeacuterantes Le reacutegime PNB a eacuteteacute en

vigueur de 1993 agrave 2012 Le 23 deacutecembre 2008 la Commission europeacuteenne a reccedilu une plainte de deux fondations

priveacutees sans but lucratif de droit neacuteerlandais En 2009 elles ont eacuteteacute remplaceacutees dans le cadre de la proceacutedure

Pourvoi ndash Aide drsquoEacutetat ndash Reacutegime drsquoaide relatif agrave lrsquoacquisition subventionneacutee ou agrave la mise agrave disposition agrave titre gracieux de zones naturelles ndash Deacutecision deacuteclarant lrsquoaide compatible avec le marcheacute inteacuterieur ndash Notion de ldquopartie inteacuteresseacuteerdquo ndash Difficulteacutes seacuterieuses

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administrative en cause par la VGG un organisme dont lrsquoobjet social est drsquoassurer lrsquoeacutegaliteacute des droits de tous les

proprieacutetaires fonciers priveacutes dans le cadre du subventionnement de lrsquoacquisition de terrains

Le 2 septembre 2015 la Commission europeacuteenne a deacuteclareacute le reacutegime PNB compatible avec le marcheacute inteacuterieur

en vertu de lrsquoarticle 106 paragraphe 2 TFUE Le 19 feacutevrier 2016 VGG et autres ont formeacute un recours devant le

Tribunal tendant agrave lrsquoannulation de la deacutecision litigieuse Le Tribunal a deacuteclareacute le recours recevable et a annuleacute la

deacutecision litigieuse

Les requeacuterantes demandent agrave la Cour de justice drsquoannuler lrsquoarrecirct du Tribunal

o Sur la seconde branche du premier moyen

Les requeacuterantes soutenue par la Commission europeacuteenne et le gouvernement neacuteerlandais font valoir que le

Tribunal a commis une erreur de droit en deacuteclarant le recours de VGG et autres recevable degraves lors que celles-ci

ne sauraient ecirctre consideacutereacutees comme laquo parties inteacuteresseacutees raquo au sens de lrsquoarticle 108 paragraphe 2 TFUE et de

lrsquoarticle 1er sous h) du regraveglement ndeg6591999

Sur la notion de laquo partie inteacuteresseacutee raquo

LrsquoAvocat geacuteneacuteral commence par rappeler les deux phases de la proceacutedure de controcircle viseacutee agrave lrsquoarticle 108 TFUE

agrave savoir une phase preacuteliminaire drsquoexamen et une proceacutedure formelle drsquoexamen

En lrsquoespegravece la proceacutedure formelle drsquoexamen nrsquoa pas eacuteteacute ouverte par la Commission europeacuteenne et VGG et autres

ont invoqueacute devant le Tribunal une violation de leurs droits proceacuteduraux La recevabiliteacute du recours deacutepend

degraves lors essentiellement de la question de savoir si VGG et autres ont eacutetabli ecirctre des parties inteacuteresseacutees LrsquoAvocat

geacuteneacuteral rappelle qursquoune partie inteacuteresseacutee est laquo tout Eacutetat membre et toute personne entreprise ou association

drsquoentreprises dont les inteacuterecircts pourraient ecirctre affecteacutes par lrsquooctroi drsquoune aide en particulier le beacuteneacuteficiaire de celle-

ci les entreprises concurrentes et les associations professionnelles raquo La qualiteacute de partie inteacuteresseacutee deacutepend de ce

que les inteacuterecircts de lrsquoentiteacute qui se preacutevaut de cette qualiteacute pourraient ecirctre affecteacutes par lrsquooctroi de la mesure drsquoaide

Il srsquoagit donc de deacuteterminer de quelle faccedilon il peut ecirctre eacutetabli que les inteacuterecircts drsquoune entreprise pourraient ecirctre

affecteacutes par lrsquooctroi drsquoune aide de sorte agrave confeacuterer agrave cette derniegravere la qualiteacute de partie inteacuteresseacutee Selon lrsquoAvocat

geacuteneacuteral il faut distinguer les entreprises concurrentes du beacuteneacuteficiaire de lrsquoaide et les entiteacutes qui ne sont pas

concurrentes du beacuteneacuteficiaire

Pour les premiegraveres selon une jurisprudence constante de la Cour de justice elles figurent incontestablement

parmi les parties inteacuteresseacutees Pour les secondes elles peuvent se voir reconnaitre la qualiteacute de partie inteacuteresseacutees

si elles eacutetablissent que lrsquoaide risque drsquoavoir une incidence concregravete sur leur situation

LrsquoAvocat geacuteneacuteral note que cette distinction est en contradiction avec un courant minoritaire de la jurisprudence

du Tribunal dont fait partie lrsquoarrecirct attaqueacute

Le raisonnement du Tribunal dans lrsquoarrecirct attaqueacute et le courant jurisprudentiel dans lequel il srsquoinscrit

Selon cette jurisprudence du Tribunal il serait exigeacute des entreprises concurrentes des beacuteneacuteficiaires de lrsquoaide de

prouver agrave la fois lrsquoexistence drsquoun rapport de concurrence et lrsquoincidence concregravete de lrsquoaide sur leur situation

LrsquoAvocat geacuteneacuteral est drsquoavis qursquoune telle solution ne saurait ecirctre maintenue Elle serait en contradiction avec le

regraveglement ndeg6591999 qui deacutesigne expresseacutement le concurrent du beacuteneacuteficiaire comme partie inteacuteresseacutee et avec

une jurisprudence pleacutethorique du Tribunal au terme de laquelle la seule preuve de la qualiteacute de concurrent suffit

agrave qualifier lrsquoentreprise de partie inteacuteresseacutee Finalement lrsquoAvocat geacuteneacuteral estime que cette solution pourrait

entrainer une certaine confusion avec la jurisprudence relative agrave la recevabiliteacute du recours Il estime que

contrairement agrave ce qursquoa jugeacute le Tribunal il ne saurait ecirctre exigeacute de VGG et autres de prouver tant lrsquoexistence

drsquoun rapport de concurrence avec les requeacuterantes que lrsquoincidence concregravete de la mesure sur leur situation qui

fausserait ce rapport de concurrence afin de deacutemontrer leur qualiteacute de partie inteacuteresseacutee En jugeant que VGG et

autres devaient ecirctre consideacutereacutees comme des entreprises concurrentes des requeacuterantes le Tribunal pouvait

valablement qualifier VGG et autres de parties inteacuteresseacutees

LrsquoAvocat geacuteneacuteral conclut qursquoune erreur de droit dans lrsquoappreacuteciation de lrsquoincidence concregravete de la mesure sur la

situation de VGG et autres ne saurait conduire agrave lrsquoannulation de lrsquoarrecirct attaqueacute degraves lors que son appreacuteciation

apparait fondeacutee pour drsquoautres motifs de droit

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Consideacuterations subsidiaires sur lrsquoappreacuteciation par le Tribunal du risque drsquoincidence concregravete de la mesure sur la situation de VGG

et autres

LrsquoAvocat geacuteneacuteral examine le point de savoir si le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que la mesure

drsquoaide risquait drsquoavoir une incidence concregravete sur la situation de VGG et autres Pour le cas ougrave la premiegravere branche

du premier moyen devait ecirctre accueillie par laquelle les requeacuterantes contestent la constatation de lrsquoexistence drsquoun

rapport de concurrence entre VGG et elles-mecircmes VGG et autres ne pourraient ecirctre qualifieacutees de parties

inteacuteresseacutees que srsquoil a correctement eacuteteacute jugeacute que la mesure en cause risquait drsquoavoir une incidence concregravete sur leur

situation

Srsquoagissant du critegravere deacutegageacute par le Tribunal pour eacutetablir lrsquoexistence drsquoun risque drsquoune incidence concregravete de lrsquoaide

sur la situation de VGG et autres lrsquoAvocat geacuteneacuteral estime qursquoil est manifestement deacutenueacute de pertinence Le

raisonnement du Tribunal qui procegravede drsquoune confusion dans la lecture de la jurisprudence lui semble entacheacute

drsquoune erreur de droit Pour autant il relegraveve qursquoune telle erreur de droit nrsquoa pas affecteacute le reacutesultat de lrsquoappreacuteciation

meneacutee par le Tribunal Il ressort de la jurisprudence de la Cour de justice qursquoune erreur de droit commise par le

Tribunal nrsquoest pas de nature agrave invalider lrsquoarrecirct attaqueacute si le dispositif de celui-ci apparait fondeacute pour drsquoautres

motifs de droit

LrsquoAvocat geacuteneacuteral conclut que il ne saurait ecirctre reprocheacute au Tribunal drsquoavoir commis une erreur de droit en

consideacuterant que la mesure en cause risquait drsquoavoir une incidence concregravete sur la situation de VGG et autres et

en jugeant que ces derniegraveres devaient degraves lors ecirctre qualifieacutees de parties inteacuteresseacutees

Par suite la seconde branche du moyen est inopeacuterante et partant ne saurait ecirctre accueillie

o Sur la premiegravere branche du second moyen

Les requeacuterantes allegraveguent que le Tribunal a admis agrave tort lrsquoexistence de difficulteacutes seacuterieuses pour appreacutecier la

compatibiliteacute de la mesure drsquoaide en cause avec le marcheacute neacutecessitant lrsquoouverture de la proceacutedure formelle

drsquoexamen preacutevue agrave lrsquoarticle 108 paragraphe 2 TFUE

Sur la preacutetendue constatation par le Tribunal drsquoune contradiction dans la deacutecision litigieuse

LrsquoAvocat geacuteneacuteral estime que lrsquoargument selon lequel le Tribunal aurait statueacute ultra petita en se fondant sur

lrsquoexistence drsquoune contradiction dans le raisonnement de la Commission europeacuteenne dans la deacutecision litigieuse qui

nrsquoavait pas eacuteteacute invoqueacutee par VGG et autres ne saurait prospeacuterer Le Tribunal srsquoest reacutefeacutereacute agrave lrsquoexistence drsquoune

contradiction dans la deacutecision litigieuse entre les conclusions de la Commission europeacuteenne relatives agrave la

qualification des requeacuterantes drsquoentreprises et celles relatives agrave la deacutefinition du SIEG en cause Une telle

contradiction nrsquoa pas eacuteteacute invoqueacutee par les parties en premiegravere instance LrsquoAvocat geacuteneacuteral relegraveve que la solution agrave

laquelle est parvenue le Tribunal selon laquelle la qualification de SIEG global ou atypique des activiteacutes des

requeacuterantes peut constituer un indice de lrsquoexistence de difficulteacutes seacuterieuses nrsquoest degraves lors pas fondeacutee drsquoune

contradiction dans la deacutecision de la Commission europeacuteenne Ainsi quand bien mecircme le Tribunal aurait releveacute

au stade de lrsquoexposeacute des arguments des parties un argument qui nrsquoavait pas eacuteteacute invoqueacute par VGG et autres cela

serait sans incidence sur la solution apporteacutee

Sur le raisonnement du Tribunal relatif agrave lrsquoexistence de difficulteacute seacuterieuse quant agrave la deacutefinition du SIEG

Les requeacuterantes estiment que le Tribunal a commis des erreurs de droit en jugeant que la deacutefinition par la

Commission europeacuteenne du SIEG en tant que SIEG atypique eacutetait un indice de difficulteacutes seacuterieuses

LrsquoAvocat geacuteneacuteral note que le Tribunal a conclu agrave lrsquoexistence de difficulteacutes seacuterieuses quant agrave la deacutefinition du SIEG

dans la deacutecision litigieuse en raison du laquo caractegravere insuffisant ou incomplet de lrsquoexamen meneacute par la Commission

europeacuteenne lors de la proceacutedure preacuteliminaire drsquoexamen raquo qui selon la jurisprudence constitue un indice de

difficulteacutes seacuterieuses Il relegraveve que le raisonnement du Tribunal qui a ameneacute agrave cette conclusion est entacheacute de

plusieurs incoheacuterences Le Tribunal a reprocheacute agrave la Commission europeacuteenne de ne pas avoir deacutemontreacute la

neacutecessiteacute des activiteacutes secondaires pour le fonctionnement du SIEG alors mecircme que ce nrsquoest pas imposeacute agrave la

Commission europeacuteenne Le Tribunal ne pouvait sans commettre drsquoerreur de droit se fonder sur cet eacuteleacutement

pour conclure agrave lrsquoincompleacutetude de lrsquoexamen de la Commission europeacuteenne Quant au constat selon lequel la

Commission europeacuteenne nrsquoaurait pas eacutetabli que les activiteacutes secondaires revecirctaient un inteacuterecirct geacuteneacuteral de sorte

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que lrsquoexamen de la Commission europeacuteenne serait eacutegalement incomplet sur ce point lrsquoAvocat geacuteneacuteral estime

qursquoun tel constat souffre drsquoune insuffisance de motivation

Ainsi le raisonnement du Tribunal relatif agrave lrsquoincompleacutetude de lrsquoexamen par la Commission europeacuteenne de la

deacutefinition du SIEG drsquoune part est entacheacute drsquoune erreur de droit et souffre drsquoautre part drsquoune insuffisance de

motivation

Par suite lrsquoAvocat geacuteneacuteral est drsquoavis qursquoil y a lieu drsquoaccueillir la premiegravere branche du second moyen

o Conclusions

Au vu des consideacuterations qui preacutecegravedent jrsquoestime que la seconde branche du premier moyen doit ecirctre

rejeteacutee comme eacutetant inopeacuterante et que la premiegravere branche du second moyen doit ecirctre accueillie sans

que cela preacutejuge du bien-fondeacute des autres branches des moyens du pourvoi

Coopeacuteration judiciaire en matiegravere civile

Conclusions de lrsquoAvocat geacuteneacuteral M Manuel Campos Saacutenchez-Bordona preacutesenteacutees le 2 avril 2020 dans lrsquoaffaire Verein fuumlr KonsumenteninformationVolkswagen AG C-34319

Reacutesumeacute LrsquoAvocat geacuteneacuteral Campos Saacutenchez-Bordona estime que les acqueacutereurs de veacutehicules eacutequipeacutes drsquoun moteur Volkswagen sur lesquels ont eacuteteacute installeacutes un logiciel de manipulation relatif aux gaz drsquoeacutechappements ayant pour conseacutequence la diminution de la valeur desdits veacutehicules peuvent attraire une entreprise devant les juridictions de lrsquoEacutetat dans lequel ces veacutehicules ont eacuteteacute acheteacutes Le Verein fuumlr Konsumenteninformation (ci-apregraves laquo VKI raquo) est une organisation de consommateurs ayant son siegravege en Autriche Son objet statutaire inclut lrsquoexercice drsquoactions en justice pour la deacutefense des droits des consommateurs que ceux-ci lui cegravedent agrave cette fin Le 6 septembre 2018 VKI a intenteacute devant le Landesgericht Klagenfurt (tribunal reacutegional de Klagenfurt Autriche) une action contre Volkswagen AG ayant son siegravege en Allemagne pays dans lequel celle-ci fabrique des veacutehicules automobiles afin drsquoexercer les droits agrave indemnisation lui ayant eacuteteacute ceacutedeacutes par 574 acheteurs de veacutehicules et pour demander la constations de la responsabiliteacute de la socieacuteteacute pour des dommages futurs qui nrsquoont pas encore eacuteteacute quantifieacutes Ces demandes eacutetaient lieacutees agrave lrsquoinstallation dans les veacutehicules acheteacutes drsquoun dispositif qui a masqueacute lors des essais les valeurs reacuteelles drsquoeacutemissions de gaz drsquoeacutechappement en violation des dispositions du droit de lrsquoUnion VKI affirme que les consommateurs avaient acquis en Autriche aupregraves drsquoun concessionnaire professionnel ou drsquoun particulier des veacutehicules eacutequipeacutes drsquoun moteur Volkswagen et ce avant la reacuteveacutelation au public le 18 septembre 2018 de la manipulation sur les gaz drsquoeacutechappements Dans ce contexte la juridiction de renvoi pose la question preacutejudicielle suivante Lrsquoarticle 7 point 2) du regraveglement (UE) no 12152012 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 12 deacutecembre 2012 concernant la compeacutetence judiciaire la reconnaissance et lrsquoexeacutecution des deacutecisions en matiegravere civile et commerciale doit-il ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que dans des circonstances telles que celles de lrsquoaffaire au principal on peut consideacuterer comme ldquolieu ougrave le fait dommageable srsquoest produitrdquo le lieu situeacute agrave lrsquointeacuterieur drsquoun Eacutetat membre ougrave srsquoest produit le preacutejudice si ce preacutejudice consiste exclusivement en une perte financiegravere qui est la conseacutequence directe drsquoagissements susceptibles drsquoengager la responsabiliteacute deacutelictuelle survenus dans un autre Eacutetat membre LrsquoAvocat geacuteneacuteral considegravere que lrsquoarticle 7 point 2) du regraveglement no 12152012 eacutetablissant en faveur du demandeur un critegravere de compeacutetence alternatif au for geacuteneacuteral est difficile drsquointerpreacutetation notamment en matiegravere

Proceacutedure preacutejudicielle ndash Regraveglement (UE) ndeg12152012 ndash Compeacutetence judiciaire en matiegravere de responsabiliteacute deacutelictuelle ou quasi deacutelictuelle ndash Lieu du fait dommageable ndash Manipulation des valeurs drsquoeacutemission de gaz dans les moteurs de veacutehicules automobiles

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deacutelictuelle ou quasi deacutelictuelle De ce fait il en revient agrave la Cour de justice drsquoadapter et drsquoenrichir agrave lrsquooccasion des questions preacutejudicielles lrsquoexeacutegegravese de cette disposition Srsquoil existe plusieurs critegraveres permettant lrsquointerpreacutetation de cette disposition

- Le principe de la preacutevisibiliteacute des regravegles et de la proximiteacute entre les juridictions compeacutetentes et le litige - La preacuteoccupation de maintenir lrsquoutiliteacute de la regravegle speacuteciale dans le cadre de la reacutepartition des

compeacutetences sans pour autant en autoriser une interpreacutetation extensive (Arrecirct du 5 juin 2014 Coty Germany C-36012 point 45)

- La neutraliteacute de cette regravegle par rapport aux parties Lrsquointerpreacutetation est autonome en ce que les deacutefinitions de laquo fait raquo et de laquo dommage raquo sont indeacutependantes des systegravemes nationaux au mecircme titre que le reacutegime de fond applicable agrave la responsabiliteacute civile (arrecirct Coty Germany C-36012 point 43) LrsquoAvocat geacuteneacuteral preacutecise que lrsquoarticle 7 point 2) du regraveglement no 12152012 preacutesuppose un lien eacutetroit entre la juridiction compeacutetente et le litige Lorsque le comportement illicite et ses conseacutequences sont situeacutes dans des Eacutetats membres diffeacuterents le critegravere de la compeacutetence judicaire se deacutedouble en matiegravere deacutelictuelle car ces deux lieux preacutesentent un lien significatif avec le litige Ainsi le demandeur peut choisir entre les deux juridictions lorsqursquoil introduit son action

1 La nature du dommage initial ou conseacutecutif mateacuteriel ou patrimonial Victimes directes ou indirectes Srsquoagissant de la nature du dommage lrsquoAvocat geacuteneacuteral distingue le domaine des faits geacuteneacuterateurs de celui des preacutejudices qursquoils produisent

- La fabrication drsquoun objet avec ou sans vices relegraveve du domaine des faits geacuteneacuterateurs (arrecirct du 6 juillet 2009 Zuid-Chemie C-18908 point 27)

- Les dommages sont les conseacutequences neacutegatives des faits dans la sphegravere des inteacuterecircts juridiques proteacutegeacutes drsquoun demandeur

Ainsi en lrsquoespegravece le fait geacuteneacuterateur consisterait en lrsquoinstallation au cours du processus de fabrication du veacutehicule du logiciel qui modifie les donneacutees relatives aux eacutemissions de gaz de celui-ci LrsquoAvocat geacuteneacuteral est drsquoavis que dommage reacutesultant de ce fait soit de nature initiale et patrimoniale En lrsquoabsence de tout vice lrsquoacquisition drsquoun objet apporte au patrimoine auquel il srsquointegravegre une valeur au moins eacutequivalente agrave la valeur de ce qui en sort dans le cadre drsquoune vente le prix payeacute pour lrsquoobjet Ainsi lorsque la valeur du veacutehicule est infeacuterieure au prix payeacute au moment de lrsquoachat du fait drsquoun vice drsquoorigine le prix payeacute ne correspond pas agrave la valeur reccedilue De fait la diffeacuterence entre le prix payeacute et la valeur du bien geacutenegravere un deacutesavantage patrimonial concomitant agrave lrsquoacquisition du bien et ce mecircme srsquoil nrsquoest deacutecouvert qursquoa posteriori De plus cette perte se fait initiale car elle deacuterive directement du fait geacuteneacuterateur en lrsquoespegravece la manipulation du moteur et non drsquoun dommage anteacuterieur subi par le demandeur qui trouve son origine dans ce mecircme fait Srsquoagissant de la qualiteacute des victimes lrsquoAvocat geacuteneacuteral considegravere que les personnes ayant acheteacutes les voitures sont des victimes directes au sens de lrsquoarticle 7 point 2) du regraveglement no 12152012 puisque la perte qursquoelles allegraveguent nrsquoest pas une conseacutequence drsquoun preacutejudice anteacuterieur subi par drsquoautres personnes avant elles

2 Le lieu ougrave srsquoest produit le fait agrave lrsquoorigine du dommage LrsquoAvocat geacuteneacuteral estime que conformeacutement agrave la regravegle geacuteneacuterale la socieacuteteacute Volkswagen ayant son siegravege en Allemagne serait soumise aux juridictions de cet Eacutetat membre Toutefois la demande trouvant son origine dans un deacutelai ou un quasi-deacutelit la deacutefenderesse peut eacutegalement ecirctre attraite devant les juridictions de lrsquoEacutetat membre du lieu ougrave le dommage srsquoest mateacuterialiseacute

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3 Le lieu ougrave le dommage se mateacuterialise

o La localisation drsquoun preacutejudice purement eacuteconomique dans la jurisprudence de la Cour de justice

LrsquoAvocat geacuteneacuteral rappel que le lieu de mateacuterialisation du dommage est celui ougrave les conseacutequences neacutegatives drsquoun fait se manifestent concregravetement (arrecirct Zuid-Chemie C-18908 point 47) Lrsquoabsence drsquoatteinte physique rend difficile lrsquoidentification drsquoun lieu et geacutenegravere des incertitudes Agrave ce titre lrsquoAvocat geacuteneacuteral rappelle qursquoil avait eacuteteacute suggeacutereacute agrave la Cour de justice drsquoabandonner lrsquooption entre le lieu du fait dommageable et le lieu du dommage pour les hypothegraveses de dommage uniquement patrimonial (Conclusions de lrsquoAvocat geacuteneacuteral Szpunar dans lrsquoaffaire Universal Music International Holding C-1215 point 38) En effet le deacutedoublement du for nrsquoest pas un impeacuteratif dans lrsquoapplication de la disposition en cause et lrsquooption du laquo lieu ougrave se mateacuterialise le dommage raquo ne devrait peut-ecirctre pas srsquoappliquer dans certaines hypothegraveses

- Lorsque la nature du dommage ne permet pas de deacuteterminer ougrave celui-ci srsquoest produit en appliquant un critegravere simple

- Lorsque la localisation devrait ecirctre eacutetablir en recourant agrave des fictions - Lorsque lrsquoexamen tend agrave aboutir agrave un lieu fortuit ou pouvant ecirctre manipuleacute par le demandeur

LrsquoAvocat geacuteneacuteral rappelle que dans lrsquoarrecirct Bessix du 19 feacutevrier 2002 (C-25600 point 49) la Cour de justice avait exclu lrsquoapplication de lrsquoarticle 5 point 1) de la Convention de Bruxelles (devenu lrsquoarticle 7 point 1) du regraveglement no 12152012) agrave lrsquoeacutegard drsquoune obligation qui laquo nrsquoest susceptible ni drsquoecirctre localiseacutee agrave un endroit preacutecis ni drsquoecirctre rattacheacutee agrave une juridiction qui serait particuliegraverement apte agrave connaicirctre du diffeacuterend relatif agrave cette obligation raquo cette solution pouvant srsquoappliquer eacutegalement au point 2) de lrsquoarticle 7 du regraveglement no 12152012 La Cour de justice a eacutegalement eu lrsquooccasion drsquoassocier au dommage une omission ou un fait causeacutes par lrsquoactiviteacute du deacutefendeur qui preacutecegravedent immeacutediatement et logiquement le preacutejudice et dont la capaciteacute agrave ecirctre appreacutecieacutes par les sens est plus grande notamment lorsque le dommage reacutesulte de quelque qui ne se produit pas (arrecircts du 21 deacutecembre 2016 Concurrence C-61815 point 33 du 5 juillet 2018 flyLAL-Lithuanian Airlines C-2717 points 35 et 36 et du 29 juillet 2019 Tibor-Trans C-45118 points 30 32 et 33) LrsquoAvocat geacuteneacuteral considegravere que la preacutesentation du dommage patrimonial par reacutefeacuterence agrave une activiteacute ou agrave un fait apparents aide agrave le rattacher physiquement agrave un territoire ou directement eacutevite drsquoavoir agrave le faire Selon lui il nrsquoy a aucun obstacle agrave ce que cette meacutethode soit geacuteneacuteraliseacutee (point 53) Parallegravelement il est preacuteciseacute que la Cour de justice a admis la mateacuterialisation de la perte patrimoniale en matiegravere drsquoinvestissements en ce que le preacutejudice se produit sur le compte qui enregistre au niveau comptable la perte eacuteconomique Dans cette jurisprudence qui se reacutesume agrave trois arrecircts Kolassa (28 janvier 2015 C-37513) Universal (16 juin 2016 C-1215) et Loumlber (2 septembre 2018 C-30417) le lieu de mateacuterialisation du dommage identifieacute constitue un point de deacutepart qui doit ecirctre corroboreacute par les autres circonstances particuliegraveres du litige dans une appreacuteciation drsquoensemble (arrecirct Loumlber C-30417 points 31 et 36)

o Porteacutee du critegravere des laquo circonstances particuliegraveres raquo LrsquoAvocat geacuteneacuteral rappelle que la Cour de justice a recours aux laquo circonstances particuliegraveres raquo de lrsquoaffaire pour preacuteciser le critegravere de compeacutetence relatif au laquo lieu du dommage raquo Toutefois il preacutecise que ce critegravere ne permet pas agrave la juridiction saisie du litige de comparer le laquo lieu du fait geacuteneacuterateur raquo et le laquo lieu du dommage raquo et de choisir le plus approprieacute des deux La Cour de justice a rappeleacute qursquoil nrsquoeacutetait pas possible drsquoeacutecarter le reacutesultat auquel conduit lrsquoapplication de lrsquoarticle 7 du regraveglement no 12152012 mecircme srsquoil deacutesigne une juridiction deacutepourvue de lien avec le litige Le deacutefendeur peut ecirctre attrait devant la juridiction du lieu deacutesigneacute par cette disposition mecircme si le for ainsi deacutetermineacute nrsquoest pas celui qui preacutesente le lien le plus eacutetroit avec le litige (arrecirct du 29 juin 1994 Custom Made Commercial C-28892 point 17 lu en combinaison avec les points 16 et 21)

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o Preacutecisions sur les laquo autres circonstances particuliegraveres raquo

LrsquoAvocat geacuteneacuteral explique que les laquo autres circonstances particuliegraveres raquo devant coiumlncider au soutien du lieu de manifestation du dommage lorsque celui-ci est purement eacuteconomique deacutependent de chaque litige mais en termes geacuteneacuteraux il preacutecise que ces circonstances peuvent ecirctre deacutecrites comme

- Les eacuteleacutements pertinents pour la bonne administration de la justice et lrsquoorganisation utile du procegraves

- Les facteurs qui ont pu servir agrave former la conviction des parties quant au lieu de lrsquoaction en justice ou quant agrave celui ougrave elles peuvent eacuteventuellement ecirctre attraites du fait de leurs actes (point 67)

Il peut ecirctre supposeacute que ces eacuteleacutements puissent contribuer agrave la preuve du comportement illicite du dommage et de la relation de causaliteacute entre ceux-ci LrsquoAvocat geacuteneacuteral propose agrave la Cour de justice de reacutepondre au Landesgericht Klagenfurt (tribunal reacutegional de Klagenfurt Autriche) de la maniegravere suivante

1 Lrsquoarticle 7 point 2) du regraveglement (UE) no 12152012 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 12 deacutecembre 2012 concernant la compeacutetence judiciaire la reconnaissance et lrsquoexeacutecution des deacutecisions en matiegravere civile et commerciale doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que lorsqursquoun acte illicite commis dans un Eacutetat membre consiste en la manipulation drsquoun produit dont la reacutealiteacute est dissimuleacutee et qui ne se manifeste que posteacuterieurement agrave lrsquoacquisition de ce produit dans un autre Eacutetat membre agrave un prix supeacuterieur agrave sa valeur reacuteelle - Lrsquoacqueacutereur de ce produit qui le conserve dans son patrimoine lorsque le vice est rendu

public constitue une victime directe - Le lieu ougrave le fait geacuteneacuterateur srsquoest produit est le lieu ougrave srsquoest produit le fait qui a deacuteteacuterioreacute le

produit lui-mecircme et - Le dommage se mateacuterialise au lieu situeacute dans un Eacutetat membre ougrave la victime a acquis le

produit aupregraves drsquoun tiers agrave condition que les autres circonstances corroborent lrsquoattribution de compeacutetence aux juridictions de cet Eacutetat Il est impeacuteratif que parmi ces circonstances il y en ait une ou plusieurs ayant permis au deacutefendeur de preacutevoir raisonnablement qursquoune action en responsabiliteacute civile imputable agrave ses actes pourrait ecirctre intenteacutee contre lui par de futurs acqueacutereurs du produit dans ce lieu

2 Lrsquoarticle 7 point 2) du regraveglement no 12152012 doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens qursquoil nrsquoautorise pas la juridiction du lieu ougrave le dommage srsquoest mateacuterialiseacute agrave eacutetablir ou agrave deacutecliner sa compeacutetence sur la base drsquoune mise en balance des autres circonstances de lrsquoespegravece visant agrave deacuteterminer quelle juridiction ndash agrave savoir cette mecircme juridiction ou la juridiction du lieu du fait geacuteneacuterateur ndash est la mieux placeacutee en termes de proximiteacute et de preacutevisibiliteacute pour statuer sur lrsquoaffaire

Environnement

Conclusions de lrsquoAvocate geacuteneacuterale Mme Eleanor Sharpston preacutesenteacutees le 30 avril 2020 dans lrsquoaffaire CLCE ea (Dispositif drsquoinvalidation sur moteur diesel) C-99318

Reacutesumeacute LrsquoAvocate geacuteneacuterale Sharpston est drsquoavis qursquoun dispositif qui influe agrave la hausse lors des tests drsquohomologation des veacutehicules agrave moteur diesel sur le fonctionnement du systegraveme de controcircle des eacutemissions de ces veacutehicules constitue un laquo dispositif drsquoinvalidation raquo

Renvoi preacutejudiciel ndash Rapprochement des leacutegislations ndash Regraveglement (CE) ndeg 7152007 ndash Veacutehicules agrave moteur ndash Eacutemissions de polluants ndash Dispositif drsquoinvalidation ndash Programme agissant sur le calculateur de controcircle moteur ndash Technologies et strateacutegies permettant de limiter la production des eacutemissions de polluants ndash Moteur diesel

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prohibeacute par le droit de lrsquoUnion europeacuteenne Plus speacutecifiquement lrsquoobjectif de ralentissement du vieillissement ou de lrsquoencrassement du moteur ne justifie pas le recours agrave un tel dispositif La socieacuteteacute X est un constructeur automobile commercialisant des veacutehicules agrave moteur en France Cette derniegravere aurait mis sur le marcheacute des veacutehicules eacutequipeacutes drsquoun logiciel (ci -apregraves le laquo logiciel litigieux raquo) susceptible de fausser les reacutesultats des tests drsquohomologation relatifs aux eacutemissions de gaz polluants tels les oxydes drsquoazote (ci-apregraves laquo NOx raquo) Avant drsquoecirctre mis sur le marcheacute les veacutehicules en cause ont eacuteteacute testeacutes suivant un protocole particulier deacutefini par voie regraveglementaire dans le cadre de la phase drsquohomologation relative aux eacutemissions de gaz polluants afin drsquoeacutetablir que le volume de NOx eacutemis ne deacutepasse pas les limites imposeacutees par le regraveglement ndeg7152007 Ainsi les eacutemissions des veacutehicules mis en cause nrsquoont pas eacuteteacute analyseacutees dans des conditions de conduite reacuteelles Les veacutehicules en cause eacutetaient eacutequipeacutes drsquoune vanne de recirculation des gaz drsquoeacutechappement (ci-apregraves laquo RGE raquo) qui est lrsquoune des technologies utiliseacutees par les constructeurs automobiles afin de controcircler et de reacuteduire les eacutemissions finales de NOx Plus speacutecifiquement il srsquoagit drsquoun systegraveme consistant agrave rediriger une partie des gaz drsquoeacutechappement du moteur vers lrsquoadmission (lrsquoentreacutee drsquoair fourni au moteur) en vue de reacuteduire les eacutemissions finales de NOx En octobre 2015 agrave la suite de publications dans la presse le parquet de Paris (France) a diligenteacute une enquecircte qui a donneacute lieu agrave lrsquoouverture drsquoune information judiciaire en feacutevrier 2016 agrave lrsquoeacutegard de la socieacuteteacute X En effet la socieacuteteacute aurait trompeacute les acqueacutereurs de veacutehicules eacutequipeacutes de moteur diesel sur les qualiteacutes substantielles de ceux-ci et sur les controcircles effectueacutes avant leur mise sur le marcheacute Lrsquoexpertise technique reacutealiseacutee dans le cadre de la proceacutedure drsquoinformation a conclu agrave lrsquoexistence dans les veacutehicules en cause drsquoun dispositif permettant de deacutetecter les phases des tests drsquohomologation et drsquoadapter en conseacutequence le fonctionnement du systegraveme RGE de faccedilon agrave respecter le plafond regraveglementaire en matiegravere drsquoeacutemissions Agrave lrsquoinverse dans des conditions autres que celles des tests drsquohomologation lorsque les veacutehicules circulent en situation normale ce dispositif entraicircne une deacutesactivation partielle du systegraveme RGE et par conseacutequent une augmentation des eacutemissions de NOx Lrsquoexpert prend soin de preacuteciser que si le fonctionnement du systegraveme RGE en circulation reacuteelle avait eacuteteacute conforme agrave celui qui preacutevalait lors de ces tests drsquohomologation ces veacutehicules auraient produit jusqursquoagrave 50 de NOx en moins Toutefois les opeacuterations de maintenance de ces derniers auraient eacuteteacute plus freacutequentes et plus coucircteuses en raison drsquoun encrassement plus rapide du moteur Le magistrat en charge de lrsquoinstruction srsquoest interrogeacute quant agrave la conformiteacute des veacutehicules viseacutes aux exigences du regraveglement ndeg7152007 et en particulier quant agrave la liceacuteiteacute du dispositif eacutevoqueacute ci-dessus En effet le regraveglement interdit expresseacutement lrsquoutilisation de dispositifs drsquoinvalidation qui reacuteduiraient lrsquoefficaciteacute des systegravemes de controcircle des eacutemissions dans des conditions normales drsquoutilisation Au regard de ces eacuteleacutements la juridiction de renvoi a deacutecideacute de saisir la Cour de justice en vue drsquoobtenir des clarifications notamment quant agrave la deacutefinition et agrave la porteacutee des concepts de laquo systegraveme de controcircle des eacutemissions raquo et de laquo dispositif drsquoinvalidation raquo

- Sur la recevabiliteacute des questions preacutejudicielles LrsquoAvocate geacuteneacuterale explique que dans le cadre de la coopeacuteration de la Cour de justice et des juridictions nationales institueacutee par lrsquoarticle 267 TFUE il appartient au seul juge national saisi du litige et assumant la responsabiliteacute de la deacutecision juridictionnelle agrave intervenir drsquoappreacutecier au regard des particulariteacutes de lrsquoaffaire la neacutecessiteacute drsquoune deacutecision preacutejudicielle et la pertinence des questions qursquoil pose agrave la Cour de justice Ainsi degraves lors que les questions poseacutees portent sur lrsquointerpreacutetation du droit de lrsquoUnion europeacuteenne la Cour de justice est en principe tenue de statuer (arrecirct du 4 deacutecembre 2018 Minister for Justice and Equality et Commissioner of An Garda Siacuteochaacutena C-37817 point 26 et jurisprudence citeacutee) Agrave ce titre les questions portant sur le droit de lrsquoUnion beacuteneacuteficient drsquoune preacutesomption de pertinence et le refus de la Cour de justice de statuer sur une telle question nrsquoest possible que srsquoil apparaicirct de maniegravere manifeste que lrsquointerpreacutetation solliciteacute du droit de lrsquoUnion

- Nrsquoa aucun rapport avec la reacutealiteacute ou lrsquoobjet du litige au principal - Lorsque le problegraveme est de nature hypotheacutetique

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- Lorsque la Cour de justice ne dispose pas des eacuteleacutements de fait et de droit neacutecessaires pour reacutepondre de faccedilon utile aux questions qui lui sont poseacutees (arrecirct Minister for Justice and Equality et Commissioner of An Garda Siacuteochaacutena C-37817 point 27)

En lrsquoespegravece lrsquoAvocate geacuteneacuterale est drsquoavis que la recevabiliteacute des questions preacutejudicielles est eacutetablie

- Sur la premiegravere question preacutejudicielle Selon lrsquoAvocate geacuteneacuterale la notion de laquo dispositif drsquoinvalidation raquo viseacutee agrave lrsquoarticle 3 point 10 du regraveglement ndeg7152007 deacutesigne tout eacuteleacutement de conception laquo qui deacutetecte la tempeacuterature la vitesse du veacutehicule le reacutegime du moteur en toursminute la transmission une deacutepression ou tout autre paramegravetre aux fins drsquoactiver de moduler de retarder ou de deacutesactiver le fonctionnement de toute partie du systegraveme de controcircle des eacutemissions qui reacuteduit lrsquoefficaciteacute du systegraveme de controcircle des eacutemissions dans des conditions dont on peut raisonnablement attendre qursquoelles se produisent lors du fonctionnement et de lrsquoutilisation normaux des veacutehicules raquo Cette deacutefinition confegravere une porteacutee large agrave la notion laquo drsquoeacuteleacutement de conception raquo qui peut ecirctre constitueacute aussi bien de piegraveces meacutecaniques que drsquoun logiciel informatique pilotant lrsquoactivation de telles piegraveces degraves lors qursquoil agit sur le fonctionnement du systegraveme de controcircle des eacutemissions et qursquoil en reacuteduit lrsquoefficaciteacute Agrave ce titre lrsquoAvocate geacuteneacuterale preacutecise qursquoil doit drsquoagit drsquoun eacuteleacutement eacutemanant du constructeur du veacutehicule srsquoagissant drsquoun logiciel embarqueacute peu importe qursquoil soit preacuteinstalleacute avant la vente du veacutehicule ou teacuteleacutechargeacute ulteacuterieurement Ne sont donc pas concerneacutes les eacuteleacutements installeacutes agrave lrsquoinitiative du seul proprieacutetaire ou utilisateur du veacutehicule sans lien avec le constructeur

- Sur la deuxiegraveme question preacutejudicielle LrsquoAvocate geacuteneacuterale explique que les constructeurs peuvent optimiser les performances de leurs veacutehicules sur le plan des eacutemissions polluantes par deux cateacutegories de meacutethodes

- Les strateacutegies dites laquo internes au moteur raquo consistant agrave minimiser la formation de gaz polluants dans le moteur lui-mecircme ndash tel le systegraveme RGE

- Les strateacutegies dites laquo post-traitement raquo consistant agrave traiter les eacutemissions apregraves leur formation LrsquoAvocate geacuteneacuterale preacutecise en outre que la notion de laquo systegraveme de controcircle des eacutemissions raquo nrsquoest pas deacutefinie par le regraveglement ndeg7152007 et que pour en eacuteclairer la porteacutee il convient de se reacutefeacuterer aux critegraveres drsquointerpreacutetation consacreacutes par la Cour de justice ( arrecirct du 7 feacutevrier 2018 American Express C-30416 point 54 et jurisprudence citeacutee)

o Interpreacutetation litteacuterale Sur le plan litteacuteral un laquo systegraveme de controcircle des eacutemissions raquo est un composant drsquoun veacutehicule visant agrave controcircler les eacutemissions de celui-ci Ainsi lrsquoAvocate geacuteneacuterale est drsquoavis que le systegraveme RGE peut srsquoinscrire a priori dans le champ drsquoapplication de cette notion puisque sa finaliteacute est de reacuteduire les eacutemissions finales de NOx Elle preacutecise que cette interpreacutetation de la notion de laquo systegraveme de controcircle des eacutemissions raquo nrsquoest ni trop extensive ni de nature agrave englober nrsquoimporte quel composant drsquoun veacutehicule ayant une incidence quelconque sur le volume des eacutemissions polluantes

o Interpreacutetation contextuelle Lrsquoarticle 4 paragraphe 2 du regraveglement ndeg7152007 impose aux constructeurs une obligation de reacutesultat en ce qursquoils doivent veiller agrave ce que les mesures techniques adopteacutees garantissent une limitation effective des eacutemissions au tuyau arriegravere drsquoeacutechappement deacutefini par lrsquoarticle 3 point 6 du mecircme regraveglement comme des eacutemissions de polluants gazeux et de particules Ces articles ne preacutecisent pas agrave quelle eacutetape du fonctionnement du veacutehicule ces eacutemissions doivent ecirctre moduleacutees ou reacuteduites

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Le regraveglement ndeg7152007 apparait donc comme eacutetant technologiquement neutre puisqursquoil nrsquoimpose pas de solution technologique particuliegravere mais fixe un objectif agrave atteindre quant agrave la limitation des eacutemissions ces derniegraveres eacutetant mesureacutees agrave la sortie du tuyau drsquoeacutechappement

o Interpreacutetation teacuteleacuteologique Agrave la lumiegravere des consideacuterants 1 et 5 du regraveglement ndeg7152007 il en ressort que ce dernier vise agrave garantir un niveau eacuteleveacute de protection de lrsquoenvironnement et que la reacutealisation des objectifs de lrsquoUnion europeacuteenne en termes de qualiteacute de lrsquoair exige des efforts continus de reacuteduction des eacutemissions des veacutehicules Le consideacuterant 6 dudit regraveglement preacutecise qursquoil est laquo neacutecessaire de continuer agrave reacuteduire consideacuterablement les eacutemissions [NOx] des veacutehicules diesels pour ameacuteliorer la qualiteacute de lrsquoair et respecter les valeurs limites en termes de pollution raquo De plus lrsquoarticle 4 du regraveglement ndeg7152007 vise agrave assurer une limitation effective des eacutemissions et ce tout au long de la vie normale des veacutehicules dans des conditions drsquoutilisation normales LrsquoAvocate geacuteneacuterale considegravere qursquoil faut confeacuterer une interpreacutetation eacutetendue au concept de laquo systegraveme de controcircle des eacutemissions raquo car en limiter la porteacutee aux meacutethodes de post-traitement des gaz drsquoeacutechappement en excluant les strateacutegies internes au moteur tel le systegraveme RGE priverait le regraveglement ndeg7152007 drsquoune partie de son effet utile

- Sur la troisiegraveme question preacutejudicielle LrsquoAvocate geacuteneacuterale rappelle qursquoun laquo dispositif drsquoinvalidation raquo est un eacuteleacutement de conception qui deacutetecte divers paramegravetres en vue drsquoactiver de moduler de retarder ou de deacutesactiver le fonctionnement de toute partie drsquoun systegraveme de controcircle des eacutemissions et qui reacuteduit lrsquoefficaciteacute de celui-ci dans des conditions dont on peut raisonnablement attendre qursquoelle se produisent lors du fonctionnement normal et de lrsquoutilisation normale drsquoun veacutehicule Sur le plan factuel lrsquoAvocate geacuteneacuterale preacutecise que le systegraveme RGE fonctionne suivant deux modes commandeacutes par le logiciel litigieux Lorsqursquoun cycle caracteacuteristique du test drsquohomologation est deacutetecteacute le systegraveme passe en mode 1 et lorsqursquoil deacutetecte lrsquoabsence des conditions caracteacuteristiques du test le systegraveme opte pour le mode 0 Ainsi il semble manifeste que le dispositif en cause laquo module raquo le fonctionnement drsquoune partie du systegraveme de controcircle des eacutemissions car il fait varier le niveau drsquoeacutemissions en fonction de la deacutetection de divers paramegravetre preacutedeacutefinis en passant drsquoun mode agrave lrsquoautre Sur le plan juridique la deacutesactivation partielle ou complegravete drsquoun systegraveme de controcircle des eacutemissions programmeacutee pour se produite systeacutematiquement en dehors de ce parcours theacuteorique conduit obligatoirement agrave minorer lrsquoefficaciteacute de ce systegraveme dans des consistions drsquoutilisations normales Cette deacutesactivation artificielle abouti agrave une violation de lrsquoarticle 5 paragraphe 2 du regraveglement ndeg7152007 Sur le plan contextuel lrsquoarticle 4 paragraphe 2 du regraveglement ndeg7152007 consacre lrsquoobligation de garantir une limitation effective des eacutemissions au tuyau arriegravere drsquoeacutechappement tout au long de la vie normale des veacutehicules et ce dans des conditions drsquoutilisation normales LrsquoAvocate geacuteneacuterale est drsquoavis que la modulation agrave la hausse du fonctionnement du systegraveme de controcircle des eacutemissions puisse se produire ponctuellement agrave lrsquooccasion de lrsquoutilisation normale du veacutehicule est sans incidence En pratique les chances qursquoune telle coiumlncidence se produise est infiniteacutesimales Le respect par le veacutehicule des limites fixeacutees par le regraveglement en cause doit donc ecirctre la regravegle lors de son utilisation normale et non une exception lieacutee agrave la reacuteunion accidentelle de conditions analogues agrave celles des tests drsquohomologation

- Sur la quatriegraveme question preacutejudicielle Selon lrsquoAvocate geacuteneacuterale il srsquoagit drsquoanalyser lrsquoexception viseacutee de lrsquoarticle 5 paragraphe 2 sous a) du regraveglement ndeg7152007 qui permet de justifier la preacutesence drsquoun dispositif drsquoinvalidation lorsque celui-ci est neacutecessaire afin de proteacuteger le moteur contre des deacutegacircts ou des accidents et afin de garantir le fonctionnement en toute seacutecuriteacute du veacutehicule LrsquoAvocate preacutecise que les exceptions sont drsquointerpreacutetation stricte afin que les regravegles geacuteneacuterales ne soient pas videacutees de leur substance (arrecirct du 22 avril 2010 CommissionRoyaume-Uni C-34608 point 39 et

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jurisprudence citeacutee) Ainsi lrsquointerpreacutetation des exceptions ne peut aller au-delagrave des hypothegraveses envisageacutees de maniegravere explicite par la disposition en cause (arrecirct du 16 mai 2013 Melzer C-22811 point 24 arrecirct du 5 mars 2015 Copydan Baringndkopi C-46312 point 87 et jurisprudence citeacutee) Il importe donc de proceacuteder agrave lrsquointerpreacutetation des termes laquo accident raquo et laquo deacutegacircts raquo Sur le plan litteacuteral le terme laquo accident raquo vise un eacutevegravenement impreacutevu et soudain qui entraicircne des deacutegacircts ou des dangers comme des blessures ou la mort Le terme laquo deacutegacirct raquo deacutesigne un dommage reacutesultant geacuteneacuteralement drsquoune cause violente ou soudaine Or lrsquoAvocate geacuteneacuterale preacutecise que lorsque le libelleacute drsquoune disposition du droit de lrsquoUnion europeacuteenne est clair et preacutecise il convient de srsquoen tenir agrave celui-ci (arrecirct du 8 deacutecembre 2005 BCEAllemagne C-22003 point 31) Ainsi un dispositif drsquoinvalidation ne peut donc se justifier en vertu de lrsquoarticle 5 paragraphe 2 sous a) du regraveglement ndeg7152007 que srsquoil se reacutevegravele neacutecessaire en vue de proteacuteger le moteur contre la survenue de dommages soudains Sur le plan teacuteleacuteologique lrsquoAvocat geacuteneacuterale est drsquoavis qursquoil incombe aux constructeurs de veacutehicules de veiller agrave ce ces derniers observent les limites fixeacutees par la leacutegislation en matiegravere drsquoeacutemissions tout au long de leur fonctionnement normal et agrave ce que ces veacutehicules fonctionnent de faccedilon sure tout en respectant ces limites Si lrsquoon ne peut exclure que le fonctionnement drsquoun systegraveme de controcircle des eacutemissions puisse affecter neacutegativement (agrave long terme) la longeacuteviteacute ou la fiabiliteacute du moteur cette circonstance ne justifie en rien que lrsquoon deacutesactive ledit systegraveme au cours du fonctionnement normal du veacutehicule dans des conditions drsquoutilisation normales dans le seul but de preacutemunir le moteur contre son vieillissement ou son encrassement progressif Ainsi selon lrsquoAvocate geacuteneacuterale seuls les risques immeacutediats de deacutegacircts qui affectent la fiabiliteacute du moteur et qui geacutenegraverent un danger concret lors de la conduite du veacutehicule sont de nature agrave justifier le preacutesence drsquoun dispositif drsquoinvalidation Il en revient donc au juge de renvoi drsquoeacutetablir si le dispositif en cause au principal srsquoinscrit dans le peacuterimegravetre de lrsquoexception analyseacutee ci-dessus (arrecirct du 8 mai 2019 Dodič C-19418 point 45) Toutefois lrsquoAvocate geacuteneacuterale relegraveve que selon le rapport drsquoexpertise le systegraveme RGE laquo nrsquoest pas destructeur pour le moteur raquo Ce systegraveme est neacuteanmoins susceptible de deacutegrafer les performances du moteur agrave lrsquousage et drsquoacceacuteleacuterer son encrassement ce qui peut rendre les opeacuterations de maintenance laquo plus freacutequentes et plus coucircteuses raquo Agrave la lumiegravere de ce constat il me semble que le dispositif drsquoinvalidation mis en cause nrsquoest pas neacutecessairement aux fins de proteacuteger le moteur contre des accidents ou des deacutegacircts et afin drsquoassurer le fonctionnement du veacutehicule en toute seacutecuriteacute LrsquoAvocate geacuteneacuterale propose agrave la Cour de justice de reacutepondre au vice-preacutesident chargeacute de lrsquoinstruction du Tribunal de Grande Instance de Paris (France) de la maniegravere suivante laquo 1) Premiegravere question preacutejudicielle Lrsquoarticle 3 point 10 du regraveglement (CE) ndeg 7152007 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 20 juin 2007 relatif agrave la reacuteception des veacutehicules agrave moteur au regard des eacutemissions des veacutehicules particuliers et utilitaires leacutegers (Euro 5 et Euro 6) et aux informations sur la reacuteparation et lrsquoentretien des veacutehicules doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens qursquoun programme inteacutegreacute dans le calculateur de controcircle moteur ou plus geacuteneacuteralement agissant sur celui-ci peut ecirctre consideacutereacute comme un eacuteleacutement de conception au sens de cette disposition degraves lors qursquoil fait partie inteacutegrante dudit calculateur 2) Deuxiegraveme question preacutejudicielle Lrsquoarticle 3 point 10 du regraveglement ndeg 7152007 doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que le concept de laquo systegraveme de controcircle des eacutemissions raquo inclut tant les technologies strateacutegies et piegraveces meacutecaniques ou informatiques qui permettent de reacuteduire les eacutemissions (en ce compris drsquooxydes drsquoazote) en amont agrave lrsquoinstar drsquoun systegraveme de recirculation des gaz drsquoeacutechappement que celles qui permettent de les traiter et de les reacuteduire en aval apregraves leur formation 3) Troisiegraveme question preacutejudicielle

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Lrsquoarticle 3 point 10 du regraveglement ndeg 7152007 doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens qursquoun dispositif qui deacutetecte tout paramegravetre lieacute au deacuteroulement des proceacutedures drsquohomologation preacutevues par ce mecircme regraveglement aux fins drsquoactiver ou de moduler agrave la hausse au cours de ces proceacutedures le fonctionnement de toute partie du systegraveme de controcircle des eacutemissions et ainsi drsquoobtenir lrsquohomologation du veacutehicule constitue un laquo dispositif drsquoinvalidation raquo au sens de cette disposition mecircme si la modulation agrave la hausse du fonctionnement de ce systegraveme de controcircle des eacutemissions peut aussi se produire de faccedilon ponctuelle lorsque les conditions exactes qui la deacuteclenchent se preacutesentent par hasard dans des conditions drsquoutilisation normales du veacutehicule 4) Quatriegraveme question preacutejudicielle Lrsquoarticle 5 paragraphe 2 sous a) du regraveglement ndeg 7152007 doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que lrsquoobjectif de ralentissement du vieillissement ou de lrsquoencrassement du moteur ne justifie pas le recours agrave un dispositif drsquoinvalidation au sens de cette disposition raquo

Liberteacute drsquoeacutetablissement

Conclusions de lrsquoAvocat geacuteneacuteral M Bobek preacutesenteacutees le 2 avril 2020 dans les affaires jointes Cali Apartments SCI Procureur geacuteneacuteral pregraves de la cour drsquoappel de Paris Ville de Paris et HX Procureur geacuteneacuteral pregraves de la cour drsquoappel de Paris Ville de Paris C-72418 et C-72718

Reacutesumeacute LrsquoAvocat geacuteneacuteral srsquoest prononceacute sur des questions preacutejudicielles poseacutees par la Cour de cassation dans un litige opposant des

proprieacutetaires de studio agrave Paris agrave la ville de Paris Il propose agrave la Cour de justice de juger que la directive 2006123 srsquoapplique agrave

des dispositions nationales et municipales encadrant lrsquoaccegraves agrave un service qui consiste agrave louer de maniegravere reacutepeacuteteacutee et pour de courtes dureacutees

un local agrave usage drsquohabitation agrave une clientegravele de passage Lrsquoobjectif tenant agrave la lutte contre la peacutenurie de logements peut constituer une

raison impeacuterieuse drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral qui justifierait le fait que la mesure nationale exige lrsquoobtention drsquoune autorisation Une telle mesure

nationale est autoriseacutee par la directive 2006123 si elle reacutepond aux conditions de proportionnaliteacute et de non-discrimination

Chacun des requeacuterants est proprieacutetaire drsquoun studio situeacute agrave Paris Ils ont fait lrsquoobjet drsquoune enquecircte afin de

deacuteterminer srsquoils offraient leurs studios agrave la location de courte dureacutee en tant que biens meubleacutes sur la plateforme

Airbnb sans autorisation Selon la leacutegislation nationale lrsquoapprobation du changement drsquousage drsquoun bien constitue

la condition essentielle de lrsquoaccegraves agrave la location meubleacutee de courte dureacutee Agrave la suite de cette enquecircte les requeacuterants

ont eacuteteacute condamneacutes par le tribunal de grande instance de Paris au paiement drsquoune amende et agrave retourner les biens

agrave leur usage drsquohabitation La cour drsquoappel de Paris a confirmeacute par deux arrecircts des 19 mai et 15 juin 2017 que les

studios avaient fait lrsquoobjet de locations de courte dureacutee agrave une clientegravele de passage sans autorisation preacutealable du

maire de Paris ce qui est contraire agrave la leacutegislation nationale Les requeacuterants ont agrave nouveau eacuteteacute condamneacutes Ils ont

formeacute un pourvoi en cassation devant la Cour de cassation Les requeacuterants allegraveguent que les arrecircts rendus par la

cour drsquoappel violent le principe de primauteacute du droit de lrsquoUnion

La juridiction de renvoi pose agrave la Cour de justice les questions preacutejudicielles suivantes

laquo 1) La directive 2006123CE du 12 deacutecembre 2006 eu eacutegard agrave la deacutefinition de son objet et de son champ drsquoapplication par ses articles 1 et 2 srsquoapplique-t-elle agrave la location agrave titre oneacutereux mecircme agrave titre non professionnel de maniegravere reacutepeacuteteacutee et pour de courtes dureacutees drsquoun local meubleacute agrave usage drsquohabitation

Renvoi preacutejudiciel ndash Liberteacute drsquoeacutetablissement ndash Directive 2006123CE ndash Champ drsquoapplication ndash Location de biens meubleacutes de maniegravere reacutepeacuteteacutee pour de courtes dureacutees agrave une clientegravele de passage qui nrsquoy eacutelit pas domicile ndash Reacuteglementation nationale et reacuteglementation municipale soumettant une telle location agrave une autorisation preacutealable et agrave compensation ndash Justification ndash Objectif visant agrave garantir une offre suffisante de logements agrave des prix abordables et destineacutes agrave la location de longue dureacuteemdash Proportionnaliteacute

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ne constituant pas la reacutesidence principale du loueur agrave une clientegravele de passage nrsquoy eacutelisant pas domicile

notamment au regard des notions de prestataires et de services

2) En cas de reacuteponse positive agrave la question preacuteceacutedente une reacuteglementation nationale telle que celle

preacutevue par lrsquoarticle L 631‑7 du code de la construction et de lrsquohabitation constitue-t-elle un reacutegime drsquoautorisation de lrsquoactiviteacute susviseacutee au sens des articles 9 agrave 13 de la directive 2006123 ou seulement une

exigence soumise aux dispositions des articles 14 et 15

Dans lrsquohypothegravese ougrave les articles 9 agrave 13 de la directive 2006123CE du 12 deacutecembre 2006 sont applicables

3) Lrsquoarticle 9 sous b) de cette directive doit-il ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que lrsquoobjectif tenant agrave la lutte contre la peacutenurie de logements destineacutes agrave la location constitue une raison impeacuterieuse drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral permettant de justifier une mesure nationale soumettant agrave autorisation dans certaines zones geacuteographiques la location drsquoun local meubleacute destineacute agrave lrsquohabitation de maniegravere reacutepeacuteteacutee pour de courtes

dureacutees agrave une clientegravele de passage qui nrsquoy eacutelit pas domicile

4) Dans lrsquoaffirmative une telle mesure est-elle proportionneacutee agrave lrsquoobjectif poursuivi

5) Lrsquoarticle 10 paragraphe 2 sous d) et e) de la directive srsquooppose‑t-il agrave une mesure nationale qui subordonne agrave autorisation le fait de louer un local meubleacute destineacute agrave lrsquohabitation ldquode maniegravere reacutepeacuteteacuteerdquo ldquopour de courtes dureacuteesrdquo agrave une ldquoclientegravele de passage qui nrsquoy eacutelit pas domicilerdquo

6) Lrsquoarticle 10 paragraphe 2 sous d) agrave g) de la directive srsquooppose‑t‑il agrave un reacutegime drsquoautorisation preacutevoyant que les conditions de deacutelivrance de lrsquoautorisation sont fixeacutees par une deacutelibeacuteration du conseil municipal au regard des objectifs de mixiteacute sociale en fonction notamment des caracteacuteristiques des marcheacutes de locaux drsquohabitation et de la neacutecessiteacute de ne pas aggraver la peacutenurie de logements raquo

LrsquoAvocat geacuteneacuteral preacutecise agrave titre liminaire que lrsquoanalyse doit ecirctre effectueacutee au regard de la reacuteglementation nationale

et de la reacuteglementation municipale de la ville de Paris lues en combinaison

o Lrsquoapplicabiliteacute de la directive 2006123

La question est de savoir si la directive 2016123 srsquoapplique agrave la location agrave titre oneacutereux de maniegravere reacutepeacuteteacutee et

pour de courtes dureacutees drsquoun local meubleacute et agrave usage drsquohabitation ne constituant pas la reacutesidence principale du

loueur agrave une clientegravele de passage nrsquoy eacutelisant pas domicile Les gouvernements allemand et irlandais sont drsquoavis

que la directive nrsquoest pas applicable

Selon lrsquoAvocat geacuteneacuteral lrsquooffre de services de location de courte dureacutee contre reacutemuneacuteration est une prestation de

nature clairement eacuteconomique Lrsquoobtention drsquoun changement drsquousage de locaux drsquohabitation est tout simplement

une exigence qui affecte lrsquoaccegraves agrave la fourniture de ce service particulier Le premier argument des gouvernements

allemand et irlandais est que les activiteacutes en cause sont exclues du champ drsquoapplication de la directive par lrsquoarticle

2 paragraphes 2 et 3 de la directive preacuteciteacutee Pour lrsquoAvocat geacuteneacuteral cette disposition qui exclut les services

sociaux relatifs au logement social et les services drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral non-eacuteconomiques nrsquoest manifestement pas

applicable

Lrsquoautre argument avanceacute par les gouvernements allemande et irlandais se reacutefegravere au consideacuterant 9 de la directive

LrsquoAvocat geacuteneacuteral estime que cet argument nrsquoest pas convaincant Il rappelle tout drsquoabord que le consideacuterant 9

nrsquoest qursquoun consideacuterant et qursquoil ne saurait lui seul et sans disposition correspondante dans le corps de la directive

creacuteer une nouvelle exemption par cateacutegorie qui nrsquoest refleacuteteacutee nulle part ailleurs Il estime que le consideacuterant 9

porte sur un autre objet que celui lieacute agrave lrsquoajout drsquoune exoneacuteration au champ drsquoapplication de la directive dans un

certain domaine Le consideacuterant 9 reacuteaffirme que la directive ne doit pas avoir drsquoincidence sur des regravegles

drsquoapplication geacuteneacuterale qui ne reacutegissent pas speacutecifiquement les services et qui srsquoappliquent agrave tout le monde tant

aux particuliers qursquoaux prestataires de services Le consideacuterant nrsquoa jamais eacuteteacute conccedilu comme visant agrave exclure un

(ou des) domaine(s) speacutecifique(s) du champ drsquoapplication de la directive Ainsi les regravegles reacutegissant lrsquoaccegraves agrave un

service relegravevent du champ drsquoapplication de la directive tandis que les regravegles drsquoapplication geacuteneacuterale ne faisant

aucune distinction entre les prestataires et les autres personnes nrsquoen relegravevent pas Finalement lrsquoAvocat geacuteneacuteral

rappelle que la distinction entre les regravegles relatives agrave la proprieacuteteacute des biens sur laquelle est fondeacute le consideacuterant 9

selon qursquoelles reacuteglementent ou affectent speacutecifiquement lrsquoaccegraves agrave une activiteacute de service ou son exercice a deacutejagrave eacuteteacute

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abordeacutee par la Cour de justice dans lrsquoarrecirct Visser (CJUE 30 janvier 2018 C‑36015 et C‑3116) LrsquoAvocat geacuteneacuteral

constate qursquoil ressort clairement de lrsquoarrecirct Visser que les regravegles relatives agrave lrsquoutilisation drsquoun bien foncier relegravevent

du champ drsquoapplication de la directive 2016123 dans la mesure ougrave elles ont trait agrave des activiteacutes eacuteconomiques et

qursquoelles ont ainsi une incidence sur lrsquoaccegraves au marcheacute des services ou sur lrsquoexercice drsquoune activiteacute de service

Par suite lrsquoAvocat geacuteneacuteral estime que toute reacuteglementation nationale du type de celle en cause relegraveve clairement

du champ drsquoapplication de la directive 2006123

o Les dispositions pertinentes de la directive 2006123

Reacutegime drsquoautorisation ou exigence

La question est de savoir laquelle de la section 1 du chapitre 3 de la directive qui porte sur les reacutegimes

drsquoautorisations et les conditions pertinentes ou de la section 2 sur les exigences interdites ou celles soumises agrave

eacutevaluation est applicable dans lrsquoaffaire au principal

LrsquoAvocat geacuteneacuteral rappelle que les reacutegimes drsquoautorisation et les exigences imposeacutes par les Etats membres eacutetant

supposeacutes retreindre lrsquoaccegraves agrave une activiteacute de service ou son exercice sont en principe interdits par la directive

2006123 LrsquoAvocat geacuteneacuteral note que la reacuteglementation en cause constitue un reacutegime drsquoautorisation et non pas

une exigence En lrsquoespegravece les proprieacutetaires de biens qui souhaiteraient louer leurs locaux meubleacutes pour de courtes

dureacutees doivent se conformer agrave une proceacutedure administrative visant agrave obtenir du maire sous reacuteserve du respect

de certaines conditions une autorisation administrative formelle

Par suite lrsquoAvocat geacuteneacuteral conclut qursquoil y a lieu drsquoexaminer les preacutesentes affaires sous lrsquoangle de la section 1 du

chapitre 3 de la directive et en particulier des articles 9 et 10

Les articles 9 et 10 en tant que cadre drsquoanalyse

LrsquoAvocat geacuteneacuteral est ameneacute agrave se prononcer sur la porteacutee des articles 9 et 10 ainsi que sur le rapport entre eux Il

suggegravere que lrsquoarticle 9 porte sur la question de savoir srsquoil peut en reacutealiteacute y avoir un reacutegime drsquoautorisation pour un

type de service Lrsquoarticle 10 vise un stade suppleacutementaire Une fois que le critegravere de lrsquoarticle 9 est satisfait et que

la neacutecessiteacute drsquoun reacutegime drsquoautorisation a eacuteteacute eacutetablie lrsquoarticle 10 se focalise sur les critegraveres speacutecifiques qursquoun reacutegime

drsquoautorisation concret doit respecter Lrsquoarticle 10 indique clairement qursquoun reacutegime drsquoautorisation devrait ecirctre

conccedilu de maniegravere agrave remplir lrsquoensemble des sept critegraveres eacutenonceacutes dans son paragraphe 2 LrsquoAvocat geacuteneacuteral relegraveve

eacutegalement que la question de lrsquoorigine de la reacuteglementation (nationale reacutegionale ou locale) est sans importance

LrsquoAvocat geacuteneacuteral conclut que la question de la neacutecessiteacute mecircme drsquoun reacutegime drsquoautorisation doit ecirctre examineacutee au

regard des trois conditions eacutenumeacutereacutees agrave lrsquoarticle 9 paragraphe 1 Toutefois les conditions speacutecifiques dans

lesquelles une telle autorisation sera deacutelivreacutee dont notamment la compensation telle que conccedilue par la ville de

Paris doivent ecirctre appreacutecieacutees au regard des critegraveres eacutenonceacutes agrave lrsquoarticle 10 paragraphe 2

o La compatibiliteacute du reacutegime drsquoautorisation avec la directive 2006123

LrsquoAvocat geacuteneacuteral examine dans cette partie des conclusions les raisons impeacuterieuses drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral qui ont eacuteteacute

avanceacutees pour justifier le reacutegime drsquoautorisation la question essentielle de la proportionnaliteacute et les autres

conditions auxquelles doivent reacutepondre les reacutegimes drsquoautorisation au titre de lrsquoarticle 10 paragraphe 2 de la

directive 2006123

LrsquoAvocat geacuteneacuteral rappelle agrave titre liminaire que lrsquoarticle 16 (liberteacute drsquoentreprise) et lrsquoarticle 17 (droit de proprieacuteteacute)

de la Charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne sont particuliegraverement pertinents dans ce contexte

Il insiste sur le fait que ni la liberteacute drsquoentreprise ni le droit de proprieacuteteacute nrsquoont de caractegravere absolu Ils peuvent tous

les deux ecirctre limiteacutes

Raison impeacuterieuse drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral

Les requeacuterants allegraveguent qursquoil nrsquoexiste pas de raison impeacuterieuse drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral susceptible de justifier les

dispositions litigieuses La ville de Paris et le gouvernement franccedilais estiment que les dispositions litigieuses ont

principalement pour objectif de lutter contre la peacutenurie de logements (et agrave cet eacutegard lrsquoaugmentation des prix)

dans certains lieux lesquels sont dus au moins en partie au fait que les proprieacutetaires ont tendance agrave preacutefeacuterer

louer leurs locaux drsquohabitation pour des courtes dureacutees plutocirct que des longues dureacutees

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LrsquoAvocat geacuteneacuteral reconnait que la lutte contre une peacutenurie structurelle de logements drsquoune part et la protection

de lrsquoenvironnement urbain drsquoautre part peuvent effectivement ecirctre avanceacutees pour justifier ensemble ou

seacutepareacutement tant lrsquoinstauration du reacutegime drsquoautorisation au titre de lrsquoarticle 9 paragraphe 1 sous b) que sa forme

concregravete et les conditions qursquoil contient au titre de lrsquoarticle 10 paragraphe 2 sous b) Lrsquoarticle 4 point 8 de la

directive 2006123 reconnait explicitement la protection de lrsquoenvironnement urbain et les objectifs de politique

sociale comme des raisons impeacuterieuses drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral Par suite lutter contre une peacutenurie de logement et

chercher agrave garantir la disponibiliteacute de logements suffisants et abordables ainsi que la protection de

lrsquoenvironnement urbain constituent des justifications valables pour lrsquoeacutetablissement drsquoautorisation en geacuteneacuteral

fondeacutees sur une politique sociale et les critegraveres preacutevus par un reacutegime drsquoautorisation

La proportionnaliteacute

Les requeacuterants allegraveguent que le reacutegime drsquoautorisation en cause nrsquoest pas apte agrave reacutealiser lrsquoobjectif visant agrave lutter

contre la peacutenurie de logements dans la mesure ougrave il ne dissuade pas neacutecessairement les proprieacutetaires drsquooffrir leurs

biens en tant que locations meubleacutees de courte dureacutee

- La proportionnaliteacute de la neacutecessiteacute drsquoobtenir une autorisation au titre de lrsquoarticle 9 paragraphe 1 sous c)

LrsquoAvocat geacuteneacuteral rappelle qursquoun reacutegime drsquoautorisation est geacuteneacuteralement proportionnel lorsque des controcircles a

posteriori ne suffisent pas pour atteindre lrsquoobjectif poursuivi Pour ecirctre proportionnel la deacutetermination de la

neacutecessiteacute drsquoun reacutegime drsquoautorisation devrait ecirctre fondeacutee sur des donneacutees scientifiques concernant le marcheacute du

logement dans les communes ougrave il est envisageacute drsquoinstaurer un tel reacutegime LrsquoAvocat geacuteneacuteral partage le point de

vue de la Commission europeacuteenne selon lequel les reacutegimes nationaux devraient ecirctre fondeacutes sur des eacuteleacutements

speacutecifiques lieacutes agrave la situation du marcheacute du logement Il rappelle eacutegalement que les reacutegimes drsquoautorisation doivent

ecirctre eacutequitables et ouverts agrave tous en termes drsquoaccegraves au marcheacute du logement destineacute agrave la location de courte dureacutee

En lrsquoespegravece si le but est de reacuteglementer ou drsquoempecirccher la sortie du marcheacute les autorisations de sortie ex ante sont

ineacutevitables Lrsquoexistence drsquoun problegraveme est indeacuteniable La France a conccedilu une solution agrave ce problegraveme qui en ce

qui concerne la neacutecessiteacute de soumettre les proprieacutetaires de biens agrave un reacutegime drsquoautorisation a incorporeacute la

proportionnaliteacute dans sa conception Finalement le reacutegime drsquoautorisation est applicable agrave toute personne qui

souhaite offrir une location de courte dureacutee agrave Paris

Bien que drsquoautres solutions pourraient ecirctre envisageacutees lrsquoAvocat geacuteneacuteral est drsquoavis que ces solutions ne pourraient

pas ecirctre plus efficaces qursquoun simple reacutegime drsquoautorisation ex ante

Par suite dans le contexte speacutecifique de la preacutesente affaire lrsquoAvocat geacuteneacuteral ne voit rien qui rendrait un reacutegime

drsquoautorisation disproportionneacute en lui-mecircme

- Proportionnaliteacute de lrsquoobligation de compensation au titre de lrsquoarticle 10 paragraphe 2

LrsquoAvocat geacuteneacuteral estime qursquoil est difficile drsquoappreacutecier concregravetement la proportionnaliteacute du reacutegime drsquoautorisation

speacutecifique en cause et notamment des critegraveres et des conditions sur lesquels repose ce reacutegime au titre de lrsquoarticle

10 paragraphe 2 de la directive 2006123 Il relegraveve que la juridiction de renvoi se focalise sur les dispositions

nationales laissant de cocircteacute le niveau municipal et que la Cour de justice dispose de peu drsquoinformations sur le

fonctionnement des regravegles speacutecifiques de la vielle de Paris Elle est donc mal eacutequipeacutee pour deacuteterminer si les

critegraveres preacutevus agrave lrsquoarticle 10 paragraphe 2 de la directive 2006123 sont remplis Il appartient degraves lors agrave titre

principal agrave la juridiction de renvoi drsquoappreacutecier compte tenu de la reacutepartition des tacircches entre la Cour de justice

et les juridictions nationales la compatibiliteacute des conditions drsquoautorisation preacutevues par le droit national avec

lrsquoarticle 10 preacuteciteacute La Cour de justice peut fournir des indications geacuteneacuterales avec les informations dont elle

dispose

LrsquoAvocat geacuteneacuteral insiste sur lrsquoobligation de compensation qui ressort de la reacuteglementation municipale de la ville

de Paris Lagrave encore il note qursquoil appartiendra agrave la juridiction de renvoi drsquoappreacutecier la compatibiliteacute de cette

obligation avec la directive 2006123 de la maniegravere dont elle a eacuteteacute concregravetement eacutedicteacutee par la ville de Paris Cette

obligation implique qursquoune personne qui cherche agrave louer son appartement meubleacute pour une courte dureacutee doit

acheter des locaux commerciaux drsquoune surface identique agrave celle de lrsquoappartement et les transformer en locaux

destineacutes agrave lrsquohabitation LrsquoAvocat geacuteneacuteral srsquointerroge sur lrsquoefficaciteacute de cette compensation et srsquoil semblerait qursquoelle

soit tregraves efficace il remarque qursquoelle est peut-ecirctre si efficace qursquoelle commence agrave aneacuteantir totalement lrsquoobjectif de

la demande drsquoautorisation elle-mecircme Quant agrave la proportionnaliteacute de la mesure elle semble proportionneacutee pour

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les proprieacutetaires de plusieurs immeubles ou pour un promoteur immobilier mais pourrait ecirctre disproportionneacutee

pour un bailleur non-professionnel

Bien que ce soit agrave la juridiction de renvoi drsquoexaminer lrsquoensemble de ces eacuteleacutements lrsquoAvocat geacuteneacuteral relegraveve que srsquoil

est admis que le niveau local peut adopter des regravegles et preacuteciser les conditions drsquoun reacutegime drsquoautorisation la

proportionnaliteacute de ces regravegles deacutependra probablement de la prise en compte des circonstances et speacutecificiteacutes

locales

Le respect drsquoautres critegraveres viseacutes agrave lrsquoarticle 10 paragraphe 2 de la directive 2006123

La juridiction de renvoi demande en substance si les dispositions nationales relatives aux reacutegimes drsquoautorisations

sont conformes aux obligations speacutecifiques de lrsquoarticle 10 paragraphe 2 de la directive 2006123 Les requeacuterants

allegraveguent que les termes employeacutes par la reacuteglementation en cause sont trop impreacutecis et que les conditions

drsquoobtention de lrsquoautorisation ne seraient pas suffisamment claires

LrsquoAvocat geacuteneacuteral estime que la reacuteglementation nationale contient des notions quelque peu vagues mais tout agrave fait

compreacutehensibles compte tenu que les conseils municipaux ont une certaine marge de manœuvre pour preacuteciser

davantage le sens de ces notions

LrsquoAvocat geacuteneacuteral propose agrave la Cour de justice de reacutepondre aux questions poseacutees par la Cour de cassation

(France) de la maniegravere suivante

ndash la directive 2006123CE du Parlement europeacuteen et du Conseil du 12 deacutecembre 2006 relative aux

services dans le marcheacute inteacuterieur est applicable agrave des dispositions nationales et municipales encadrant

lrsquoaccegraves agrave un service qui consiste agrave louer en contrepartie du paiement drsquoun prix mecircme agrave titre non

professionnel de maniegravere reacutepeacuteteacutee et pour de courtes dureacutees un local agrave usage drsquohabitation agrave une clientegravele

de passage nrsquoy eacutelisant pas domicile

ndash si ces dispositions nationales et municipales deacutefinissent une proceacutedure visant agrave obtenir une

deacutecision autorisant lrsquoaccegraves agrave la fourniture de tels services elles constituent un reacutegime drsquoautorisation au

sens des articles 9 agrave 13 de la directive 2006123

ndash lrsquoarticle 9 paragraphe 1 sous b) de la directive 2006123 doit ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que

lrsquoobjectif tenant agrave la lutte contre la peacutenurie de logements destineacutes agrave la location de longue dureacutee constitue

une raison impeacuterieuse drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral permettant de justifier une mesure nationale soumettant agrave

autorisation dans certaines zones geacuteographiques la location de maniegravere reacutepeacuteteacutee drsquoun local destineacute agrave

lrsquohabitation pour de courtes dureacutees agrave une clientegravele de passage qui nrsquoy eacutelit pas domicile

ndash la directive 2006123 doit ecirctre interpreacuteteacutee en ce sens qursquoelle autorise des dispositions nationales

et municipales qui soumettent agrave autorisation le fait de louer de maniegravere reacutepeacuteteacutee un local meubleacute

destineacute agrave lrsquohabitation pour de courtes dureacutees agrave une clientegravele de passage qui nrsquoy eacutelit pas domicile agrave

condition qursquoelles respectent les exigences preacutevues agrave lrsquoarticle 10 paragraphe 2 de la directive 2006123

notamment les conditions de proportionnaliteacute et de non‑discrimination ce qursquoil appartient agrave la

juridiction nationale de veacuterifier

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Partie III Questions preacutejudicielles

Libre prestation de services

Affaire preacutejudicielle 31 janvier 2020 Fluctus et Fluentum C-92019

Juridiction de renvoi Landesverwaltungsgericht Steiermark (Autriche) La juridiction de renvoi a saisi la Cour de justice des questions suivantes conformeacutement agrave lrsquoarticle 267 TFUE laquo 1 Lrsquoarticle 56 TFUE doit-il ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que lrsquoappreacuteciation des pratiques publicitaires illicites telles qursquoeacutetablies dans la jurisprudence constante de la Cour de justice dans le chef du titulaire drsquoune concession dans le cadre drsquoun monopole drsquoEacutetat sur les jeux de hasard deacutepend du point de savoir si le marcheacute des jeux de hasard a effectivement crucirc de maniegravere geacuteneacuterale au cours de la peacuteriode en cause ou srsquoil suffit deacutejagrave que la publiciteacute vise agrave inciter agrave participer activement aux jeux par exemple en banalisant le jeu en lui confeacuterant une image positive en raison de lrsquoutilisation des recettes aux fins drsquoactiviteacute drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral ou en augmentant son attractiviteacute par des messages publicitaires accrocheurs qui font miroiter des gains importants 2 Par ailleurs lrsquoarticle 56 TFUE doit-il ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que lesdites pratiques publicitaires illicites drsquoun concessionnaire du monopole excluent en tout eacutetat de cause la coheacuterence du reacutegime de monopole ou que en cas de pratiques publicitaires correspondantes drsquoannonceurs priveacutes un titulaire du monopole peut eacutegalement inciter agrave une participation active aux jeux par exemple en bana lisant le jeu en lui confeacuterant une image positive en raison de lrsquoutilisation des recettes aux fins drsquoactiviteacute drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral ou en augmentant son attractiviteacute par des messages publicitaires accrocheurs qui font miroiter des gains importants 3 Une juridiction de lrsquoEacutetat qui dans le cadre de sa compeacutetence doit appliquer lrsquoarticle 56 TFUE est-elle tenue aux fins drsquoassurer le plein effet de ces normes de veiller agrave laisser inappliqueacutee de sa propre autoriteacute une disposition de droit interne qursquoelle juge contraire mecircme si sa conformiteacute au droit de lrsquoUnion a eacuteteacute confirmeacutee dans le cadre drsquoune proceacutedure constitutionnelle raquo

Marcheacute inteacuterieur

Affaire preacutejudicielle 31 janvier 2020 Ministerstwo Sprawiedliwości C-5520

Juridiction de renvoi Sąd Dyscyplinarny Izby Adwokackiej w Warszawie (Pologne) La juridiction de renvoi a saisi la Cour de justice des questions suivantes conformeacutement agrave lrsquoarticle 267 TFUE laquo 1 Le chapitre III de la directive 2006123CE du Parlement europeacuteen et du Conseil du 12 deacutecembre 2006 relative aux services dans le marcheacute inteacuterieur (ci-apregraves la laquo directive services raquo) et notamment son article 10 paragraphe 6 srsquoappliquent-ils agrave une proceacutedure disciplinaire visant les avocats et les avocats eacutetrangers inscrits sur la liste des avocats et permettant notamment drsquoinfliger agrave un avocat une sanction peacutecuniaire la suspension de ses activiteacutes professionnelles voire sa radiation du barreau et agrave un avocat eacutetranger une sanction peacutecuniaire la suspension voire lrsquointerdiction du droit de fournir une assistance juridique en Pologne En cas de reacuteponse positive la charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne (ci-apregraves la laquo Charte raquo) notamment son article 47 est-elle applicable agrave cette proceacutedure meneacutee devant les conseils de discipline du barreau degraves lors que les deacutecisions de ces juridictions ne sont pas susceptibles de recours devant les juridictions nationales ou ne sont susceptibles que drsquoun recours extraordinaire agrave savoir un pourvoi en cassation devant le Sąd Najwyższy (Cour suprecircme Pologne) et est-elle eacutegalement applicable lorsque tous les eacuteleacutements pertinents de lrsquoaffaire se cantonnent agrave lrsquointeacuterieur drsquoun seul Eacutetat membre 2 Lorsque dans une proceacutedure viseacutee agrave la premiegravere question lrsquoinstance qui est compeacutetente en vertu des dispositions nationales applicables pour statuer sur le pourvoi en cassation formeacute contre lrsquoarrecirct ou lrsquoordonnance du conseil de discipline du barreau ou contre la reacuteclamation visant le refus drsquointroduire un tel pourvoi nrsquoest pas conformeacutement agrave la position adopteacutee par le Sąd Najwyższy (Cour suprecircme) dans son arrecirct du 5 deacutecembre 2019 reacutef III PO 718 un tribunal indeacutependant et impartial au sens de lrsquoarticle 47 de la Charte [Or 2] le conseil de discipline du barreau doit-il eacutecarter les dispositions nationales eacutetablissant la compeacutetence de cette instance et transmettre ce pourvoi ou cette reacuteclamation aux instances judiciaires qui auraient eacuteteacute compeacutetentes si les dispositions susmentionneacutees ne srsquoy opposaient pas

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3 Lorsque ndash dans une proceacutedure viseacutee agrave la premiegravere question ndash le conseil de discipline du barreau considegravere que le Prokurator Generalny (procureur geacuteneacuteral) et le Rzecznik Praw Obywatelskich (meacutediateur) ne sont pas habiliteacutes agrave former un pourvoi en cassation contre son arrecirct ou son ordonnance et que sa position est

a) contraire agrave la position exprimeacutee dans la deacutecision du 27 novembre 2019 reacutef II DSI 6718 de la chambre disciplinaire du Sąd Najwyższy (Cour suprecircme) sieacutegeant en formation de sept juges crsquoest-agrave-dire de lrsquoinstance qui conformeacutement aux dispositions nationales en vigueur est compeacutetente pour connaicirctre du recours formeacute contre le refus drsquointroduire un pourvoi en cassation mais qui selon le conseil de discipline du barreau qui se rallie agrave la position adopteacutee par le Sąd Najwyższy (Cour suprecircme) dans son arrecirct du 5 deacutecembre 2019 reacutef III PO 718 nrsquoest pas un tribunal indeacutependant et impartial au sens de lrsquoarticle 47 de la Charte

b) conforme agrave la position exprimeacutee preacuteceacutedemment par la chambre peacutenale du Sąd Najwyższy (Cour suprecircme) crsquoest-agrave-dire lrsquoinstance judiciaire qui serait compeacutetente pour examiner ce recours si les dispositions susmentionneacutees ne srsquoy opposaient pas

Le conseil de discipline du barreau peut-il (ou doit-il) eacutecarter la position exprimeacutee par la chambre disciplinaire du Sąd Najwyższy (Cour suprecircme) 4 Si dans lrsquoaffaire viseacutee agrave la troisiegraveme question le conseil de discipline du barreau est ameneacute agrave examiner un recours du Minister Sprawiedliwości (ministre de la Justice) mais que

a) lrsquoinfluence du pouvoir exeacutecutif notamment celle du Minister Sprawiedliwości (ministre de la Justice) sur la composition de la chambre disciplinaire du Sąd Najwyższy (Cour suprecircme) constitue lrsquoun des facteurs qui selon lrsquoappreacuteciation exprimeacutee par le Sąd Najwyższy (Cour suprecircme) dans son arrecirct du 5 deacutecembre 2019 reacutef III PO 718 appreacuteciation que partage le conseil de discipline du barreau justifient de consideacuterer que cette chambre disciplinaire qui est lrsquoinstance viseacutee agrave la troisiegraveme question sous a) nrsquoest pas un tribunal indeacutependant et impartial au sens de lrsquoarticle 47 de la Charte

b) et que le Minister Sprawiedliwości (ministre de la Justice) exerce lui-mecircme la fonction de Prokurator Generalny (procureur geacuteneacuteral) lequel serait habiliteacute agrave introduire un pourvoi cassation selon la position exprimeacutee par la chambre disciplinaire du Sąd Najwyższy (Cour suprecircme) agrave savoir lrsquoinstance viseacutee agrave la troisiegraveme question sous a) tandis qursquoil nrsquoy est pas selon la position exprimeacutee par la chambre peacutenale du Sąd Najwyższy (Cour suprecircme) agrave savoir lrsquoinstance viseacutee agrave la troisiegraveme question sous b) et selon la position du conseil de discipline du barreau ce conseil de discipline du barreau doit-il srsquoabstenir drsquoexaminer le recours srsquoil srsquoagit de la seule maniegravere drsquoassurer que la proceacutedure respecte lrsquoarticle 47 de la Charte et en particulier drsquoeacuteviter qursquoune instance qui nrsquoest pas un tribunal indeacutependant et impartial au sens de cette disposition nrsquointervienne dans la proceacutedure raquo

Protection des consommateurs

Affaire preacutejudicielle 7 feacutevrier 2020 KRONE ndash Verlag Gesellschaft mbH amp Co KG C-6520

Juridiction de renvoi Oberster Gerichtshof (Autriche) La juridiction de renvoi a saisi la Cour de justice des questions suivantes conformeacutement agrave lrsquoarticle 267 TFUE laquo Lrsquoarticle 2 lu en combinaison avec les articles 1 er et 6 de la directive 85374CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions leacutegislatives reacuteglementaires et administratives des Eacutetats membres en matiegravere de responsabiliteacute du fait des produits deacutefectueux doit-il ecirctre interpreacuteteacute en ce sens qursquoun exemplaire physique drsquoun journal quotidien qui contient un conseil de santeacute techniquement inexact dont le respect cause un dommage agrave la santeacute peut eacutegalement ecirctre consideacutereacute comme un produit (deacutefectueux) raquo

Affaire preacutejudicielle 26 feacutevrier 2020 StWL Staumldtische Werke Lauf ad Pegnitz GmbH C-10220

Juridiction de renvoi Bundesgerichtshof (Allemagne) La juridiction de renvoi a saisi la Cour de justice des questions suivantes conformeacutement agrave lrsquoarticle 267 TFUE

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laquo 1 Les critegraveres de la notion drsquoenvoi au sens de lrsquoarticle 2 deuxiegraveme alineacutea sous h) de la directive 200258 sont-ils remplis lorsqursquoun message nrsquoest pas transmis par un utilisateur drsquoun service de communications eacutelectroniques agrave un autre utilisateur par lrsquointermeacutediaire drsquoune entreprise de services agrave lrsquolaquo adresse raquo eacutelectronique du second utilisateur mais est afficheacute de maniegravere automatiseacutee par des serveurs publicitaires agrave la suite de lrsquoouverture de la page Internet proteacutegeacutee par un mot de passe correspondant agrave un compte de messagerie eacutelectronique dans certains espaces preacutevus agrave cet effet de la boicircte de reacuteception eacutelectronique drsquoun utilisateur seacutelectionneacute de maniegravere aleacuteatoire (publiciteacute dans la boicircte de reacuteception) 2 La reacutecupeacuteration drsquoun message au sens de lrsquoarticle 2 deuxiegraveme alineacutea sous h) de la directive 200258 suppose-t-elle que le destinataire apregraves avoir pris connaissance de la preacutesence drsquoun message deacuteclenche par une demande de reacutecupeacuteration volontaire une transmission des donneacutees du message en vertu drsquoun programme preacuteeacutetabli ou suffit-il que lrsquoapparition du message [Or 3] dans la boicircte de reacuteception drsquoun compte de messagerie eacutelectronique soit deacuteclencheacutee par le fait que lrsquoutilisateur ouvre la page Internet pro teacutegeacutee par un mot de passe correspondant agrave son compte de messagerie eacutelectronique 3 Y a-t-il eacutegalement courrier eacutelectronique au sens de lrsquoarticle 13 paragraphe 1 de la directive 200258 lorsqursquoun message nrsquoest pas envoyeacute agrave un destinataire individuel deacutejagrave concregravetement deacutefini avant la transmission mais est inseacutereacute dans la boicircte de reacuteception drsquoun utilisateur seacutelectionneacute de maniegravere aleacuteatoire 4 Lrsquoutilisation drsquoun courrier eacutelectronique agrave des fins de prospection directe au sens de lrsquoarticle 13 paragraphe 1 de la d irective 200258 nrsquoest-elle caracteacuteriseacutee que lorsqursquoil est constateacute que la charge imposeacutee agrave lrsquoutilisateur va au-delagrave drsquoune gecircne qui lui serait causeacutee 5 La publiciteacute individuelle satisfaisant aux critegraveres de la laquo sollicitation raquo au sens du point 26 premiegravere phrase de lrsquoannexe I de la directive 200529 nrsquoest-elle caracteacuteriseacutee que lorsqursquoun client est contacteacute au moyen drsquoun outil traditionnel de communication individuelle entre un expeacutediteur et un destinataire ou suffit-t-il que comme dans le cas de la publiciteacute en cause en lrsquoespegravece le lien avec un individu soit eacutetabli par lrsquoaffichage de la publiciteacute dans la boicircte de reacuteception drsquoun compte de messagerie eacutelectronique priveacute et donc dans une rubrique ougrave le client srsquoattend agrave recevoir des messages qui lui sont individuellement adresseacutes raquo

Santeacute publique

Affaire preacutejudicielle 24 feacutevrier 2020 Ordine Nazionale Biologi e a C-9620

Juridiction de renvoi Corte suprema di cassazione (Italie) La juridiction de renvoi a saisi la Cour de justice des questions suivantes conformeacutement agrave lrsquoarticle 267 TFUE laquo Lrsquoarticle 9 paragraphe 2 de la directive 200298CE qui eacutetablit des normes de qualiteacute et de seacutecuriteacute pour la collecte le controcircle la transformation la conservation et la distribution du sang humain et des composants sanguins doit-il ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que lorsqursquoil mentionne la possession drsquoun titre acadeacutemique ldquodans le domaine des sciences meacutedicales ou biologiquesrdquo parmi les conditions de qualification minimales requises pour pouvoir acceacuteder agrave la fonction de personne responsable drsquoun eacutetablissement de transfus ion sanguine il confegravere directement aux diplocircmeacutes dans les deux disciplines le droit drsquoexercer la fonction de personne responsable [Or 11] drsquoun eacutetablissement de transfusion sanguine En conseacutequence le droit de lrsquoUnion permet-il au droit national drsquoexclure que ladite fonction de personne responsable drsquoun eacutetablissement de transfusion sanguine puisse ecirctre exerceacutee par les diplocircmeacutes en sciences biologiques ou bien srsquooppose-t-il agrave cette exclusion raquo

Partie IV Informations diverses

Aides drsquoEacutetat

Communication de la Commission europeacuteenne Modification de lrsquoencadrement temporaire des mesures drsquoaide drsquoEacutetat visant agrave soutenir lrsquoeacuteconomie dans le contexte actuel de la flambeacutee de COVID-19 3 avril 2020 C(2020) 2215

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Reacutesumeacute La Commission europeacuteenne a adopteacute une modification eacutetendant lrsquoencadrement temporaire adopteacute le 19 mars 2020 afin de permettre aux Eacutetats membres drsquoacceacuteleacuterer la recherche la mise agrave lrsquoessai et la fabrication de produits utiles pour combattre le coronavirus de proteacuteger les emplois et de soutenir drsquoavantage lrsquoeacuteconomie dans le contexte du COVID-19 Lrsquoencadrement temporaire modifieacute complegravete les nombreuses possibiliteacutes dont disposent deacutejagrave les Eacutetats membres pour atteacutenuer les reacutepercussions socio-eacuteconomiques de la flambeacutee de COVID-19 conformeacutement aux regravegles de lrsquoUnion europeacuteenne en matiegravere drsquoaides drsquoEacutetat Le 19 mars 2020 la Commission europeacuteenne a adopteacute une communication intituleacutee laquo Encadrement temporaire des mesures drsquoaide drsquoEacutetat visant agrave soutenir lrsquoeacuteconomie dans le contexte actuel de la flambeacutee du COVID-19 raquo (C(2020) 1863) Cette derniegravere deacutecrit les possibiliteacutes offertes aux Eacutetats membres par les regravegles de lrsquoUnion pour garantir la liquiditeacute et lrsquoaccegraves au financement des entreprises et en particulier des PME afin de leur permettre de surmonter la situation actuelle La Commission europeacuteenne visait agrave eacutetablir un cadre permettant aux Eacutetats membres de soutenir les entreprises qui connaissent des difficulteacutes lieacutees au COVID-19 et ce tout en preacuteservant lrsquointeacutegriteacute du marcheacute inteacuterieur de lrsquoUnion europeacuteenne par la garantie de conditions eacutegales pour tous Selon la Commission europeacuteenne une application cibleacutee et proportionneacutee du controcircle des aides drsquoEacutetats permettrait que les mesures de soutien nationales aident efficacement les entreprises toucheacutees par la flambeacutee du COVID-19 tout en leur permettant de rebondir au terme de la crise actuelle et en gardant agrave lrsquoesprit lrsquoimportance de mener agrave bien la transition eacutecologique et numeacuterique conformeacutement aux objectifs de lrsquoUnion europeacuteenne Cette nouvelle communication vise agrave eacutenumeacuterer les mesures drsquoaide drsquoEacutetat temporaires suppleacutementaires que la Commission europeacuteenne juge compatibles avec lrsquoarticle 107 paragraphe 3 TFUE dans le contexte de la flambeacutee de COVID-19 Ainsi la modification eacutetend lrsquoencadrement temporaire en preacutevoyant cinq types de mesures drsquoaide suppleacutementaires

- Soutien agrave la recherche et au deacuteveloppement lieacutes au COVID-19 pour faire face agrave la crise eacutepideacutemique les Eacutetats membres peuvent octroyer des aides sous forme de subventions directes drsquoavances remboursables ou drsquoavantages fiscaux en faveur de la recherche et au deacuteveloppement lieacute au COVID-19 et sur drsquoautres eacuteleacutements lieacutes agrave la lutte contre le virus Un suppleacutement drsquoaide peut ecirctre accordeacute aux projets de coopeacuteration transfrontiegravere entre Eacutetats membres

- Soutient agrave la construction et agrave la mise agrave niveau drsquoinstallations drsquoessai les Eacutetats membres ont la

possibiliteacute drsquooctroyer des aides sous forme de subventions directes drsquoavantage fiscaux drsquoavances remboursables et de garanties de couverture de pertes afin de soutenir les investissements permettant la construction ou la mise agrave niveau drsquoinfrastructures neacutecessaires pour mettre au point et tester des produits lieacutes au COVID-19 jusqursquoau premier deacuteploiement industriel Sont concerneacutes

o Les meacutedicaments y compris les vaccins et les traitements o Les dispositifs meacutedicaux et eacutequipements hospitaliers et meacutedicaux y compris les appareils de

ventilation et les vecirctements de protection ainsi que les outils de diagnostic o Les deacutesinfectants o Les outils de collecte et de traitement de donneacutees utiles agrave la lutte contre la propagation du virus

Afin drsquoencourager la coopeacuteration et de soutenir une action rapide les entreprises peuvent beacuteneacuteficier drsquoun suppleacutement drsquoaide lorsque leur investissement est financeacute par plusieurs Eacutetats membres et lorsqursquoil est reacutealiseacute dans un deacutelai de deux mois suivant la date de demande drsquoaide

- Soutien agrave la fabrication de produits utiles agrave la lutte contre la flambeacutee de COVID-19 les Eacutetats

membres peuvent octroyer des aides sous forme de subventions directes drsquoavantages fiscaux drsquoavances remboursables et de garanties de couverture de pertes afin de soutenir les investissements permettant la

Article 107 paragraphe 3 TFUE

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fabrication rapide de produits utiles agrave la lutte contre le coronavirus produits eacutenumeacutereacutes au point preacuteceacutedent Afin drsquoencourager la coopeacuteration et de soutenir une action rapide les entreprises vont beacuteneacuteficier drsquoun suppleacutement drsquoaide lorsque leur investissement est financeacute par plusieurs Eacutetats membres et lorsqursquoil est reacutealiseacute dans un deacutelai de deux mois suivant la date de demande drsquoaide

- Soutien cibleacute sous la forme de reports de paiement des impocircts et des taxes etou de suspensions

de cotisations de seacutecuriteacute sociale afin de reacuteduire les contraintes de liquiditeacute auxquelles les entreprises sont confronteacutees agrave cause du COVID-19 et de proteacuteger les emplois les Eacutetats membres peuvent accorder des reports cibleacutes de paiement des impocircts des taxes et des cotisations de seacutecuriteacute sociale dans les secteurs les reacutegions ou les types drsquoentreprises qui sont particuliegraverement toucheacutes par la pandeacutemie La Commission europeacuteenne considegravere que si de tels reports srsquoappliquent agrave lrsquoensemble de lrsquoeacuteconomie ils ne relegravevent pas du controcircle des aides drsquoEacutetats Toutefois srsquoils confegraverent aux entreprises un avantage seacutelectif degraves lors qursquoils sont limiteacutes agrave certains secteurs (transport tourisme santeacute hellip) agrave certaines reacutegions ou agrave certains types drsquoentreprises ils constituent des aides drsquoEacutetat au sens de lrsquoarticle 107 paragraphe 1 TFUE

- Soutien cibleacute sous la forme de subventions salariales en faveur des salarieacutes afin drsquoaider agrave limiter

les conseacutequences de la crise du coronavirus sur les travailleurs les Eacutetats membres peuvent contribuer aux coucircts salariaux des entreprises de secteurs ou de reacutegion qui ont le plus souffert de la flambeacutee du COVID-19 et qui auraient ducirc licencier du personnel en lrsquoabsence drsquoaide De mecircme que pour les reports envisageacutes au point preacuteceacutedent la Commission est drsquoavis que si ces reacutegimes de soutien srsquoappliquent agrave lrsquoensemble de lrsquoeacuteconomie ils ne relegravevent pas du controcircle des aides drsquoEacutetats Agrave lrsquoinverse srsquoils sont limiteacutes agrave certains secteurs reacutegions ou certains types drsquoentreprises ils constituent des aides au sens de lrsquoarticle 107 paragraphe 1 TFUE

Lrsquoencadrement temporaire modifieacute renforce les types drsquoaide existants que les Eacutetats membres peuvent accorder aux entreprises dans le besoin et sera en place jusqursquoagrave la fin du mois de deacutecembre 2020 La Commission europeacuteenne preacutecise neacuteanmoins qursquoelle pourra prolonger ce deacutelai drsquoapplication srsquoil srsquoavegravere que cela soit neacutecessaire apregraves reacuteeacutevaluation

Deacutecision de la Commission europeacuteenne COVID-19 Reacutegime cadre temporaire pour le soutien aux entreprises en France 20 avril 2020 C(2020) 2595

Reacutesumeacute Par sa deacutecision du 20 avril 2020 la Commission europeacuteenne a autoriseacute le reacutegime-cadre franccedilais visant agrave soutenir les PME

ainsi que les grandes entreprises toucheacutees par la pandeacutemie de coronavirus Ce reacutegime dun montant de 7 milliards drsquoeuros a eacuteteacute

autoriseacute en vertu de lencadrement temporaire des aides dEacutetat adopteacute par la Commission le 19 mars 2020 tel que modifieacute le 3 avril

2020

Le 17 avril 2020 les autoriteacutes franccedilaises ont notifieacute agrave la Commission europeacuteenne le reacutegime cadre temporaire pour

le soutien aux entreprises conformeacutement aux dispositions de lrsquoencadrement temporaire des mesures drsquoaides

drsquoEacutetat visant agrave soutenir lrsquoeacuteconomie dans le contexte actuel de la flambeacutee de COVID-19 adopteacute le 19 mars 2020

(ci-apregraves laquo encadrement temporaire raquo) tel que modifieacute le 3 avril 2020

Ce reacutegime qui seacutetend agrave lensemble du territoire franccedilais et est doteacute dun budget preacutevisionnel de 7 milliards

deuros permet loctroi daides sous les formes suivantes

a) aides dun montant limiteacute sous la forme de subventions directes dapports de fonds propres

davances remboursables et de precircts bonifieacutes jusquagrave un montant nominal maximal de 100 000 euros

pour les entreprises du secteur agricole primaire jusquagrave 120 000 euros pour les entreprises du

secteur de la pecircche et de laquaculture et jusquagrave 800 000 euros pour les entreprises de tous les autres

secteurs

Article 107 paragraphe 3 TFUE

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b) garanties publiques sur des precircts saccompagnant de garde-fous pour les banques qui acheminent les

aides dEacutetat vers leacuteconomie reacuteelle

c) precircts publics octroyeacutes aux entreprises assortis de taux dinteacuterecirct reacuteduits

d) aides sous la forme de garantie ou precircts octroyeacutes via des eacutetablissements de creacutedit ou institutions

financiegraveres Les mesures srsquoappliquent agrave toutes les entreprises - quelle que soit leur localisation et leur taille - de tous secteurs drsquoactiviteacutes y compris les entreprises de production primaire de produits agricoles et du secteur de la pecircche et de lrsquoaquaculture Neacuteanmoins les eacutetablissements de creacutedit les institutions financiegraveres ainsi que les entreprises qui eacutetaient en difficulteacute agrave la date du 31 deacutecembre 2019 ne peuvent pas beacuteneacuteficier du preacutesent reacutegime Les autoriteacutes franccedilaises estiment que les beacuteneacuteficiaires du preacutesent reacutegime drsquoaide devraient deacutepasser les 1000 entreprises La Commission europeacuteenne considegravere que les mesures notifieacutees par la France constituent une aide drsquoEacutetat au sens de lrsquoarticle 107 paragraphe 1 du TFUE Les mesures imputables agrave lrsquoEacutetat franccedilais impliquent lrsquoutilisation de ressources drsquoEacutetat puisqursquoelles ont pour origine (1) les creacutedits drsquointervention de lrsquoEacutetat au niveau central et deacuteconcentreacute (2) les creacutedits drsquointervention des collectiviteacutes territoriales et de leurs groupements (3) les creacutedits des fonds europeacuteens structurels et drsquoinvestissement et (4) les creacutedits drsquointervention des autres organismes publics compeacutetents en vertu de dispositions leacutegislatives ou regraveglementaires De plus les mesures sont seacutelectives puisqursquoelles seront accordeacutees seulement agrave certaines entreprises en excluant les eacutetablissements de creacutedit et les entreprises qui eacutetaient en difficulteacute agrave la date du 31 deacutecembre 2019 Finalement les mesures confegraverent un avantage aux beacuteneacuteficiaires et sont susceptibles drsquoaffecter les eacutechanges entre Eacutetats membres eacutetant donneacute que le reacutegime nrsquoest pas limiteacute aux beacuteneacuteficiaires actifs dans des secteurs ougrave il nrsquoexiste pas de commerce entre les Eacutetats membres Neacuteanmoins la Commission europeacuteenne peut deacuteclarer compatibles avec le marcheacute inteacuterieur les aides destineacutees laquo agrave remeacutedier agrave une perturbation grave de lrsquoeacuteconomie drsquoun Eacutetat membre raquo conformeacutement agrave lrsquoarticle 107 paragraphe 3 point b) du TFUE Dans lrsquoencadrement temporaire du 19 mars 2020 la Commission europeacuteenne preacutecise qursquo laquo une aide drsquoEacutetat est justifieacutee et peut ecirctre deacuteclareacutee compatible avec le marcheacute inteacuterieur sur la base de lrsquoarticle 107 paragraphe 3 point b) du TFUE pour une peacuteriode limiteacutee pour remeacutedier agrave la peacutenurie de liquiditeacutes des entreprises et faire en sorte que les perturbations causeacutee par lrsquoeacutepideacutemie de COVID-19 ne compromettent pas leur viabiliteacute en particulier des petites et moyennes entreprises raquo En lrsquoespegravece la Commission europeacuteenne note que les mesures notifieacutees par la France visent agrave permettre aux entreprises drsquoacceacuteder au financement externe au cours drsquoune peacuteriode ougrave le fonctionnement normal du marcheacute et en particulier de lrsquoaccegraves au creacutedit est gravement perturbeacute par la pandeacutemie de COVID-19 qui affecte lrsquoensemble de lrsquoeacuteconomie reacuteelle De plus elle note que les mesures reacutepondent aux exigences de lrsquoencadrement temporaire et en particulier aux dispositions des sections 31 agrave 34 La Commission europeacuteenne considegravere notamment que les mesures introduisent des assurances concernant lrsquoeacuteventuelle aide indirecte en faveur des eacutetablissements de creacutedit ou drsquoautres eacutetablissements financiers afin de limiter les distorsions de concurrence indues Elle considegravere eacutegalement que les plafonds drsquoaides et plafonds de cumul drsquoaide sous le preacutesent reacutegime sont respecteacutes En particulier les aides octroyeacutes au titre de la section 32 et de la section 33 de lrsquoencadrement temporaire ne peuvent se cumuler si lrsquoaide est octroyeacutee pour le mecircme precirct En conseacutequence la Commission europeacuteenne a autoriseacute les mesures franccedilaises en vertu des regravegles de lUnion en matiegravere daides dEacutetat Elle considegravere que les mesures notifieacutees sont neacutecessaires adeacutequates et proportionnelles pour remeacutedier agrave une perturbation grave de lrsquoeacuteconomie drsquoun Eacutetat membre et remplissent toutes les conditions eacutenonceacutees dans lrsquoencadrement temporaire

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