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cinquième édition des journées du patrimoine de casablanca casamémoire le mag numéro zéro / avril 2013

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Casamémoire le mag est une publication de l'association Casamémoire. Véritable outil de sensibilisation, cette revue aborde des thématiques liées à l’actualité du patrimoine architectural au Maroc.

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cinquième éditiondes journées

du patrimoine de casablanca

casamémoire le magn u m é r o z é r o / a v r i l 2 0 1 3

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AVEC LA REVUE VMF, TOUS LES DEUX MOIS VOUS AVEZ RENDEZ-VOUS AVEC LE PATRIMOINE

UNE LECTURE VIVANTE ET ENGAGÉE DU PATRIMOINE EN FRANCE ET À L’ÉTRANGER

POUR ACHETER LA REVUE OU VOUS ABONNER : www.vmfpatrimoine.org

La revue VMF est éditée par les Éditions de l’Esplanade, 93 rue de l’Université – 75007 Paris . Tél. 00 33 (1) 40 62 61 71

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Depuis dix-huit ans déjà, Casamémoire,

association à but non lucratif, milite

pour la préservation et la réhabilitation

du patrimoine architectural du XXe

siècle au Maroc, particulièrement à

Casablanca.

Ce combat se décline à plusieurs

niveaux. Au départ, i l s’agissait

d’organiser une sorte de veille

permanente afin d’alerter les autorités

et le public – via les médias – dès qu’un

bâtiment remarquable était menacé

de destruction et/ou, le cas échéant,

de dénoncer sa destruction.

Bien que nécessaires, ces actions à

caractère d’urgence trouvent leurs

limites dans l’absence d’un cadre

juridique. C’est pourquoi, une des

principales actions de l’association

réside, aujourd’hui, en la recherche et

la collecte des diverses informations

(nom et biographie de l’architecte, date

de construction, certificat de propriété,

description technique et esthétiques,…)

nécessaires à la constitution des

dossiers adressés par l’association à

la Direction du patrimoine du ministère

de la Culture, en vue d’inscriptions à

l’inventaire des monuments historiques.

Au vu de la richesse et de l’ampleur du

patrimoine architectural casablancais,

on imagine aisément la longue et

fastidieuse tâche que cela implique.

Les membres de l’association ne s’en

plaignent pas. Ils vont au charbon.

Encouragés, en cela, par l’espoir – pas

si fou – que le résultat de ce travail

de fourmi constituera le substrat du

dossier de demande de l’inscription

de Casablanca à la liste des sites

classés au patrimoine mondial de

l’humanité. Un tel espoir est plus que

légitime. Les spécialistes du monde

entier l’attestent : Casablanca présente

un exemple unique au monde d’une

aussi riche concentration des différents

styles architecturaux nés au XXe

siècle. Oui, répétons-le, la métropole

marocaine a constitué un laboratoire

à ciel ouvert des expériences urbaines

et architecturales du siècle passé.

Seulement, une telle demande ne

peut provenir que de l’État. Celui-ci

devrait au préalable se doter d’une

législation adéquate. Il semblerait que

ses représentants soient moins sourds

à la question qu’auparavant. Il y a de

l’espoir dans l’air.

Enfin, une des missions – et pas

des moindres – que s’est donnée

Casamémoire est la sensibilisation du

grand public à la qualité, à la variété et à

la richesse de cet héritage-là. D’où ces

de l’espoir dans l’air

é d i t o r i a l

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Journées du patrimoine de Casablanca

qui en sont aujourd’hui à leur cinquième

édition. Avec une affluence dépassant

les 10 000 visiteurs en trois jours, leur

succès n’est plus à démontrer. Les

Casablancais, mais aussi les touristes,

aiment à (re)découvrir les mille et une

beautés de leur cité, cachées par

un environnement et des nuisances

quotidiens pour le moins aveuglants.

Dans ce numéro zéro de Casamémoire

le mag – que nous espérons semestriel

– nous parlons de cette expérience

à travers plusieurs prismes et autres

focus. Un intérêt particulier a été

donné à l’ancienne médina dont le

projet de réhabilitation voulu par le

Souverain, devrait constituer « le point

de départ de la restructuration de la

ville nouvelle » (voir éditorial de Rachid

Andaloussi, page 8).

Se voulant résolument optimistes, nous

avons sciemment privilégiés, dans ce

numéro, les expériences réussies et

gratifiantes en matière de préservation

et de réhabilitation du patrimoine, aussi

bien public que privé. En effet, il ne s’agit

pas pour nous d’entamer un chant de

lamentations, mais plutôt de convaincre,

par l’exemple, de la pertinence de

notre crédo : le développement de

Casablanca passera forcément par

une réhabilitation à grande échelle de

son patrimoine architectural. Le passé

est une richesse – au sens économique

du terme – non un poids

jamal boushaba, rédacteur en chef

en couverture : un des clochers de l’église du sacré-cœur. photographie de raphaël liais du rocher

rédaction en chef et direction artistiquejamal boushaba

relecture et conseil éditorialjacqueline alluchonsecrétariat de rédactionélodie durieuxcoordinationsakina choukri

contributions abdoul hadir aïdaraabdelmajid arrifghislaine meffreflorence michel-guilluybernard toulier

crédit photobernard delgadoalexandre dupeyronraphaël liais du rocherfabien lolleynawal slaoui© adapg© casamémoire© vmf

réalisation graphiquegraphely, rabatimpressionimprimerie toumi - avril 2013

casamémoire, le mag est une publication de casamémoire(association de sauvegarde du patrimoine architectural du XXe siècle au maroc), éditée par revue maure

contactscasamémoire14-18 avenue hassan seghir,20 000 casablanca.www.casamemoire.org.tél : +212(0) 526 515 829+212(0) 522 543 663revue mauretél :+212(0) 649 457 091,e-mail : [email protected]

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En 1983, l’Unesco lance le principe de l’ouverture au public des monuments et des sites d’une ville. Cet évènement est célébré chaque année, au mois d’avril, dans plusieurs pays.Au Maroc, cette manifestation est créée pour la première fois à Casablanca, le 18 avril 2009, à l’initiative de la Villa des arts (Fondation Ona), de l’Institut français de Casablanca et de Casamémoire.

En collaboration avec la Ville, le ministère de la Culture et le Conseil régional du tourisme, dix sites ont été ouverts durant une journée : la Villa des arts, l’église du Sacré-cœur, l’école des Beaux-arts et l’ensemble des bâtiments administratifs de la place Mohammed-V. À l’intérieur de ceux-ci, une vingtaine de guides volontaires, formés par Casamémoire, accueillait le public. Avec surprise,

cinq ans déjàprogressivement, les journées du patrimoine de casablanca sont devenues l ’act ion phare de casamémoire en matière de sensibilisation. petit récapitulatif d’un succès qui n’était pas annoncé.

journées du patrimoine

© casamémoire

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organisateurs et guides ont vu plus de 3000 visiteurs parcourir dans tous les sens, souvent pour la première fois, les halls, galeries, bureaux et autres jardins, écoutant avec une grande attention les explications qui leur étaient fournies.Forte de ce succès, la deuxième édition a étendu ses ambitions en programmant, sur deux journées, l’accès à vingt-trois sites, mobilisant pour cela soixante-quinze volontaires. Un séminaire, organisé par Casamémoire, a rassemblé des experts internationaux venus débattre des potentialités économiques et touristiques offertes par le patrimoine casablancais. Avec près de 10 000 visiteurs, les organisateurs sont alors confortés sur le bien-fondé de cette manifestation. En 2011, sont proposées à la visite deux autres sites : l’ancienne médina et le quartier des Habous. L’affluence y est telle que les guides sont vite débordés. Mieux : en collaboration avec le ministère de l’Éducation nationale, une troisième journée, le vendredi, est dédiée à l’accueil des classes accompagnées de leurs enseignants. Désormais, diverses manifestations – expositions, performances, spectacles et conférences – vont venir se greffer autour de ces journées, dont le succès est accompagné par de nombreux partenaires et est largement couvert par les médias. En 2012, 120 guides-médiateurs sont formés pour animer le centre-ville, l’ancienne médina, les Habous, auxquels s’ajoutent le quartier de Hay Mohammadi, en partant des anciens abattoirs. En élargissant ainsi son aire, l’évènement tend à éclairer les divers aspects de laboratoire architectural et urbain à ciel ouvert que constitue Casablanca.Les 4, 5 et 6 avril 2013, la cinquième édition coïncide avec l’avènement du tramway : en requalifiant l’espace public, ce nouveau moyen de transport contribue à mettre en valeur le patrimoine, en particulier au centre-ville, tout comme il permet un accès plus facile aux quartiers périphériques où la richesse des réalisations des années 1950 reste encore à découvrir

pour beaucoup d’amateurs. Pour illustrer les avantages de cet équipement urbain majeur et attendu, Casamémoire s’est associée avec Casa-transport et l’A.M.H. (association marocaine des handicapés) pour offrir des visites guidées à un certain nombre de personnes à mobilité réduite. Autre spécificité – et pas des moindres –de cette nouvelle édition : les villes de Tétouan et d’El Jadida inaugurent leurs propres Journées. Une tradition nationale est née. florence michel-guilluy

Ci-dessus : les Journées sont accompagnées d’animations culturelles et ludiques. Ici, un « géant » au sein du patio de Dar el-Makhzen, dans la médina.Page de gauche : une classe d’écoliers, au pied de la grande poste, écoutant studieusement le laïus d’une guide bénévole.

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un would el-hay engagé et engageantils sont plus d’une centaine de guides bénévoles sur lesquels reposent le succès des journées. lahbib moumni, étudiant en architecture, nous explique ses motivations.

journées du patrimoine

C’est en 2011 que Lahbib Moumni, vingt-deux ans, étudiant à l’École d’architecture de Casablanca, entend parler des Journées du patrimoine de Casablanca. Curieux, il suit les séances de formation que propose Casamémoire à tous ceux (étudiants, enseignants, retraités et autres amoureux de la ville) désireux d’accueillir et de guider les pas de leurs concitoyens dans l’un des sites proposés à la visite, lors de ces trois journées annuelles consacrées à la (re)découverte du patrimoine.Chaque bénévole est libre de choisir le site qui lui convient le mieux. Pourquoi Lahbib Moumni porte-t-il son choix premier sur la Wilaya ? « Dans mon enfance et dans mon adolescence, ce bâtiment imposant m’apparaissait comme totalement inaccessible ». Une douce revanche, donc.Attentif, attentionné, toujours souriant, l’étudiant accueille ses premiers groupes de visiteurs, dont une classe d’écoliers à laquelle il est tout heureux de livrer, dans une darija châtiée, ses connaissances fraîchement acquises. Lahbib est fier de constater l’affluence de ces étrangers admiratifs de sa ville. Mais pourquoi si peu de Casablancais de « souche » ? Il voudrait que plus de jeunes comme lui « s’approprient leur cité ».L’année d’après, lors d’un séminaire international organisé par son école, Lahbib suit une visite guidée, conduite par des membres de Casamémoire, consacrée au logement social dans les quartiers périphériques de Casablanca. Il est tout aussi étonné que ravi de constater que Hay Mohammadi – son hay natal – est un objet d’étude pour de nombreux étudiants, historiens et chercheurs, venus d’ailleurs.

Il apprend que l’ex-quartier des Carrières centrales a connu au début des années cinquante, sous la direction du grand urbaniste, Michel Écochard(1), une expérience de relogement des bidonvilles à très grande échelle, considérée – à l’époque comme aujourd’hui – comme modèle. Lahbib tient son sujet. Dorénavant, il étudiera avec application les différents aspects de ce patrimoine casablancais moins connu – car moins spectaculaire –

Ci-contre : Lahbib Moumni (au centre) racontant à des étudiants étrangers le bâtiment abritant la wilaya. Un lieu qui, plus jeune, lui apparaissait comme « totalement inaccessible ».

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(1) Michel Écochard (1905-1985). Directeur des services de l’urbanisme au Maroc de 1947 à 1952. On lui doit la fameuse trame 8 x 8 mètres appliquée dans le cadre du relo-gement des bidonvilles des Car-rières centrales, aujourd’hui Hay Mohammadi.

(2) Les habitants du Hay sont connus pour avoir livré un lourd tribu dans les soulèvements populaires tant contre le système colonial que du-rant les années de plomb.

du public, mais qui intéresse au plus haut point les spécialistes de la question.C’est donc naturellement que celui qui se définit lui-même comme un would el-Hay, décide de faire visiter son quartier aux nombreux curieux attirés par l’édition 2012 des Journées. Lahbib Moumni se dit « heureux de contribuer à faire connaître l’histoire architecturale mais aussi politique et sociale du Hay(2), en particulier à ses habitants ».

Toujours disponible, n’hésitant pas à

empiéter sur son temps d’études, Lahbib

répond souvent présent lorsqu’il s’agit de

faire le guide auprès des nombreuses

délégations étrangères qui font appel

à l’association tout au long de l’année.

« C’est souvent l’occasion de riches

rencontres qui me permettent parfois de

perfectionner mon anglais », conclut-il.

jacqueline alluchon

© casamémoire

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Le 17 août 2012, Sa Majesté le Roi Mohammed VI faisait sa première visite officielle

dans l’ancienne médina de Casablanca, donnant ainsi un signal fort pour le

lancement du projet de réhabilitation du noyau historique de la métropole. Un

comité de pilotage – réunissant des représentants des pouvoirs publics et de

la société civile – a été mis en place sur l’ordre du Souverain. Son objectif : la

restructuration de la ville avec comme point de départ l’ancienne médina.

Depuis, les choses ont sensiblement avancé. D’importantes sommes d’argent ont

été investies dans les travaux d’assainissement et de voirie de la médina. Mais

nous savons tous que celle-ci souffre d’une effroyable densité, concentrée dans

des centaines de bâtiments menaçant – littéralement – ruine. L’unique solution

pour résorber cette population dépend de la libération – malheureusement encore

hypothétique – des réserves foncières occupées par les casernes de la Marine

royale. C’est le seul et unique prolongement naturel du quartier.

En retour, les citoyens vont devoir accepter les règles de la vie en commun

impliquant des contraintes parfois sévères. Les trottoirs sont fait pour les piétons,

pas pour les cafés ni les marchands ambulants. Les espaces verts sont des aires de

repos et de jeux, pas des dépotoirs. Certes, il faut un travail pédagogique dans ce

sens – il pourrait passer par le biais d’associations de quartier – mais il faudra aussi

user de grande fermeté. Nous aspirons à un état de droit : ni répressif, ni laxiste.

Puisque nous évoquons les droits et les devoirs des Casablancais, j’aimerais

rappeler, encore une fois, un constat que je trouve particulièrement désolant. Il

s’agit de l’extrême et flagrante ingratitude dont fait preuve la grande bourgeoisie

casablancaise vis-à-vis de cette cité qui lui a tout donné. Casablanca a été et

reste le creuset de l’économie marocaine moderne.

C’est dans cette ville, et nulle part ailleurs, que se sont constituées les plus grandes

fortunes nationales. Avec son port, ses infrastructures, sa main-d’œuvre corvéable

à merci, son dynamisme intrinsèque, Casablanca a été plus que généreuse vis-

à-vis de nombre de familles d’origine fassie, soussie ou autre. Imaginons que

chacune de ces familles ait au moins pris la peine de restaurer sa demeure

principale – dans l’ancienne médina, aux habous ou dans les quartiers résidentiels

: nous n’en serions pas là. Sans parler des fondations, musées, centres culturels ou

socio-éducatifs, que chaque entreprise prospère se doit – à titre de « smig » civique

– de développer. Je me répète : les familles ayant fait fortune à Casablanca se

doivent de faire un geste, aussi modeste soit-il. Restaurer et entretenir un square

n’est pas la mer à boire !

rachid benbrahim andaloussi, architecte, président de casamémoire, membre

du comité de pilotage pour la réhabilitation de l’ancienne médina

au commencement, la médina

é d i t o r i a l

nawal slaoui

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Entre les VIIIe et XIVe siècles, la cité d’Anfa connaît un passé aussi riche que heurté (1). En 1469, elle est complètement rasée par les Portugais. Après une éclipse de trois siècles, le chef-lieu, rebaptisé Dar El Beïda, renaît sous l’impulsion du sultan Sidi Mohammed Ben Abdallah, dans le cadre de sa politique de fortification des ports de la côte atlantique. Le sultan relève la

muraille d’enceinte, fait construire une mosquée, une medersa, un hammam, des fours et des moulins. Il fait venir de Meknès une centaine de soldats Boukharis et installe un contingent de Berbères Hahha venus du Souss. En 1830, Moulay Abderrahmane ouvre le port au commerce extérieur. L’avènement de la navigation à vapeur favorise les exportations de

une médina pas si ancienne que ça*reconstruite à la fin du XVIIIe siècle, ouverte au commerce extérieur dès 1830, d’une facture architecturale métissée, l’ancienne médina de casablanca constitue le noyaude la ville nouvelle.

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journées du patrimoine

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11© casamémoire

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blé et de laine et les importations de produits manufacturés.En 1907, date du débarquement des militaires français, Casablanca est une cité d’une cinquantaine d’hectares, entourée d’une ceinture de remparts et comptant quelque 20 000 habitants. Elle est divisée en trois quartiers : le Tnaker, au nord-ouest, occupé par les ruraux vivant dans les noualat (huttes de roseaux) ; le Mellah, au sud-ouest, aux constructions modestes, réservé à la population israélite, dans le périmètre défini par le sultan Moulay Slimane au début du XIXe siècle ; enfin, la partie la plus structurée de la cité, le long du port et sur la rive sud-est de la muraille où s’ouvre la porte Bab Souk vers l’intérieur du pays. C’est là que se concentrent les bâtiments occupés par les étrangers (consulats, agences bancaires, hôtels et pensions), les maisons édifiées par les négociants marocains ainsi que les équipements publics.Rapidement, la ville administrée par les militaires français et espagnols se densifie. Les nouvelles mosquées et kissariat, les maisons des riches Marocains, les écoles – dont celles des Franciscains espagnols et de l’Alliance israélite universelle – , le cercle et l’église espagnols, le club international d’Anfa, les synagogues, les quinze consulats – dont les plus importants sont ceux d’Espagne, d’Angleterre, d’Allemagne et de France – , témoignent du mélange des cultures dans cette médina, à la population métissée et entreprenante.Cette médina se distingue des cités anciennes, préservées et volontairement séparées des villes nouvelles érigées par les services de l’urbanisme du protectorat. Avec ses rues, ses places, l’esthétique de ses constructions, elle ressemble aux villes côtières, comme Tanger ou Essaouira, ouvertes au commerce extér ieur, où se sont installés

les étrangers dès le XIXe siècle. Contrairement aux constructions aveugles des médinas de l’intérieur du pays, ici, la plupart des façades présentent des fenêtres, porte-fenêtres et balcons ouvragés, tandis que les intérieurs conservent souvent des accents plus conformes à la tradition, avec patios, salons marocains et lambris d’azulejos. On y retrouve les éléments mélangés des styles du début du siècle : le néo-mauresque,

Page 10 : façade d’immeuble au décor caractéristique de l’architecture néo-classique du début du XXe siècle (moulures, médaillons, ferronneries néo-gothique, etc.).

Page 11 : vue sur la koubba de Sidi Allal Al Kaïraouani à partir de la plateforme de la Sqala.

Ci-contre : remarquables exemples d’esthétiques métissées (encorbellement soutenu de bois typique des médinas anciennes, façade ornée d’éléments sculptés, tuile verte et panneaux d’azulejos encadrant les portes-fenêtres).

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le néo-classique, l’art-nouveau et l’art-déco qui seront utilisés à plus grande échelle dans la ville nouvelle. La médina se videra peu à peu des grandes familles marocaines et des étrangers qui participent à l’essor de la ville nouvelle. La densité étouffante du Tnaker va provoquer son extension à l’extérieur, à l’ouest, tandis que les habitants du Mellah, en partie démoli en 1930, vont occuper le quartier Lusitania, proche.

Depuis les années 2000, sur la façade longeant le port, quelques aménagements à vocation touristique ont vu le jour, tels les restaurants la Sqala et le Rick’s café. La majorité des habitants, environ 50 000, souffrent de l’insalubrité et du manque d’équipements de cette médina qui constitue toujours le point de chute des migrants ruraux : ils y trouvent leurs premiers emplois à travers des réseaux constitués(2).

(*) Ce texte est extrait du Guide des architectures du XXe siècle de Casablanca. Casamémoire. Éd. Revue maure, 2011.

(1) Lire Histoire de Casablanca, des origines jusqu’à 1914. André Adam. Faculté des lettres d’Aix-en-Provence. Éditions Orphys, 1968.

(2) Lire éditorial de Rachid Anda-loussi p.6

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Parmi la remarquable palette de bâtiments au style néo-marocain enserrant la principale place de Casablanca, l’agence Bank Al-Maghrib(1) est non seulement l’un des plus aboutis en termes d’architecture pure, mais aussi celui dont l’aménagement intérieur est le plus riche et le plus raffiné. Surtout, rien ou presque n’y a bougé. Ce chef-d’œuvre signé Édmond Brion(2), datant de 1937, a été miraculeusement préservé en l’état. Et ce, malgré une importante extension, opérée en 1997 (voir p.18).Rendons grâce pour cet état des choses

aux générations s’étant succédées à la tête de cette vénérable institution publique – ex-Banque d’État du Maroc – créée dès 1911. À la tête d’un des patrimoines architecturaux du XXe siècle le plus riche et le mieux conservé du pays, Bank Al-Maghrib possède par ailleurs la plus belle collection numismatique d’Afrique, visible au musée de sa Fondation installé au sein de son agence de Rabat, rue Allal-Benabdallah.Nous publions, ici, un texte de Gislhaine Meffre(3) décrivant les mille et un détails de ce monument essentiel de Casablanca. j.b.

un monument modèle de conservationentre tous les lieux ouverts au public lors des journées du patrimoine, l’agence casablancaise de bank al-maghrib est indubitablement le plus admirablement préservé.

Ci-dessus : entièrement lambrissée, la salle d’attente est éclairée par des panneaux de verre sablé gravé de scènes portuaires. Le mobilier est d’époque.

Page de droite : la façade principale avec son remarquable tapis en marbre sculpté reprenant le motif traditionnel dit darj.

bernard delgado

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gros plan

bernard delgado

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un art-déco almohadecette agence ne peut pas seulement être classée « parmi les œuvres d’architecture d’adaptation dite néo-marocaine(4) ». Tout comme l’hôtel de la Wilaya qui lui fait face, ce bâtiment explore certes le potentiel de l’artisanat marocain, mais il le revalorise en l’associant avec les techniques nouvelles du travail du métal et du verre.La structuration et l’animation de cet édifice au caractère imposant, principal monument de l’alignement du boulevard de Paris qui doit se conformer à l’obligation des portiques, sont en partie obtenues par le couronnement de sa façade : une large corniche et une frise géométrique dont un segment se prolonge pour border le haut de l’aile latérale.Le portique de l’entrée repose sur quatre solides piliers octogonaux en granit de Trieste, dont la robustesse contraste avec la finesse du tapis décoratif en marbre sculpté qui le surplombe et s’harmonise avec le modèle complexe de la frise. Ce tapis a été exécuté par des artisans marocains avec des modèles de losange stylisés mais qui peuvent être considérés comme un hommage aux décors d’entrelacs en darj des minarets almohades.L’aile latérale, avenue Hassan-II, est traitée en pans coupés, comme la façade postérieure de la rue Labas, alignant trois travées en brique de verre. La cour de service « dévoile une architecture tout à fait différente, excellent morceau participant nettement à l’école moderne, et révélant par là que l’expression de l’utile, dans sa logique et sa rigueur est loin de laisser insensible notre estimé confrère (Brion)(5) ».Au sous-sol, la conception de la salle des coffres du public, particulièrement soignée, était à l’époque innovante. Agencée avec élégance, deux vasques, au sommet decolonnes en marbre noir, l’éclairent. Les coffres-forts sont encastrés tout autour de la salle et deux isoloirs permettent aux clients d’effectuer leurs opérations en toute tranquillité. Le soubassement des portiques est en marbre de l’oued Akrech et de

Benslimane, et les piliers sont en granit de Trieste. Le pourtour en laiton de la porte monumentale contraste avec le fer forgé à dessins géométriques et l’encadrement en granit noir de Belgique. Le vaste hall du public est couvert par une verrière de conception audacieuse, la plus grande jamais construite en Afrique avant 1940, donnant l’impression d’une véritable dentelle de fer.L’escalier d’honneur qui mène au premier étage se développe en courbes majestueuses et présente des définitions raffinées, alliant le marbre, la ferronnerie, le laiton et le cuivre qui participent d’un art-déco dépouillé. Il débouche sur une salle d’attente qui est l’une des pièces les plus abouties de l’édifice. Elle est entièrement lambrissée en chêne, travaillé en damier à fibre de bois contrarié. Les angles et les cimaises forment une corniche et sont en chêne sculpté du même motif que la corniche lumineuse du plafond ajouré en noyer. Ce plafond, traité en verrière, est un des ouvrages les plus délicats de l’édifice. La porte de la salle du conseil, en sycomore, avec son encadrement décoré de motifs géométriques en bois incrustés (sycomore, bubenga et palissandre) est fastueuse pour un édifice à vocation administrative, tout comme la grande baie de la salle d’attente. En acier et en cuivre, cette dernière est divisée en trois parties dans lesquelles s’inscrivent des scènes maritimes, gravées dans le verre sablé, qui symbolisent l’activité portuaire de Casablanca.La salle du conseil est également conçue d’une manière somptueuse. On remarquera le bahut en sycomore gris à gonds semi-apparents simulés en tube d’argent et portes à panneaux de sycomore blanc, ornés au centre de cuir doré aux petits fers, véritable travail d’orfèvre, qui agrémentent également la porte d’entrée.À la place de l’aile latérale droite actuelle, en bordure de la rue Poincaré, se situait l’habitation du directeur, dont l’entrée se trouvait à l’angle de la rue Driss-Lahrizi. Sa

Ci-dessus : porte d’ascenseur encadré de cuivre rouge puis, détail de l’escalier en marbre avec sa rampe en laiton.

Page de droite : cheminée et porte de la salle du conseil en bois précieux. Le motif berbère marqueté autour de la porte se retrouve dans les ferronneries et le zellij du hall central.

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façade, d’une austère distinction, rappelait le style Bauhaus. Elle a été détruite pour permettre la réalisation de l’extension (voir page suivante). Cet édifice, dont le chantier a duré cinq ans, se caractérise par une finition de l’exécution extrêmement minutieuse. La noblesse de sa conception, qui allie solidité et élégance, justifie que cette agence soit devenue une référence dans la symbolique de Bank-Al-Maghrib. gislhaine meffre

(1) Bank Al-Maghrib. 1937. Boulevard de Paris, Casablanca.

(2) Édmond Brion (1885-1973). Il est, entre autres, l’auteur, avec Aguste Cadet (1881-1956), de la Cité des Habous à Casablanca, de celle de Diour Jamaâ à Rabat, ainsi que des principales agences de Bank Al-Maghrib (Marrakech, Rabat, El Jadida, etc.).

(3) Gislhaine Meffre est l’auteure du livre Architecture du Maroc du XXe siècle (éd. Senso-Unico, 2009), une double monographie consacrée à Édmond Brion et son complice Auguste Cadet. Elle a également signé Le Patrimoine architectural de Bank Al-Maghrib (éd. Bank Al-Maghrib, 2009). Sa dernière parution s’intitule Un Urbanisme expérimental, les villes nouvelles au Maroc (éd. Senso-Unico, 2012). Les trois ouvrages, essentiels pour l’histoire de l’architecture moderne au Maroc, sont illustrés des photographies de Bernard Delgado.

(4) et (5) Maurice Sorin in Réalisations, vol. III, n°4. 1938.

bernard delgado

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L’extension de la succursale de Casablanca avait été prévue au moment de sa construction. À l’époque, le problème à résoudre était délicat et complexe : il fallait à la fois occuper la totalité du terrain afin de ne pas laisser un vide au cœur de la ville, réaliser un immeuble correspondant aux besoins de l’époque et réserver toutes facilités pour une extension future. Brion va donc compléter la partie du rez-de-chaussée de la banque où s’érigera plus tard l’extension, par le logement du directeur, qui occupera l’angle des rues Poincaré et Idriss-Lahrizi, des garages et un atelier accessibles par la cour donnant sur la rue Labas. Ainsi était préservée la possibilité d’une continuité en prolongeant à l’identique le portique de circulation du boulevard de Paris et de l’avenue Hassan-II. L’extension et la rénovation de la banque, entreprises en 1997 par l’équipe d’Élie Azagury, ont permis à l’édifice d’être revalorisé, de trouver en quelque sorte son véritable achèvement et « l’équilibre » souhaité par Sori : « de plus, il faut dire que ce morceau perd beaucoup de son équilibre par l’absence de l’aile secondaire de la rue Galliéni, actuelle rue Idriss-Lahrizi, et qui fait partie du plan d’extension(2) ».L’extension a été conçue pour respecter la conception initiale ainsi que l’esprit de la place administrative, dont la banque fait partie intégrante. Cette continuité a été recherchée dans les choix des matériaux. Ainsi deux carrières inexploitées depuis longtemps ont été remises en service pour

en extraire le marbre de Zayane, qui avait été utilisé pour les mosaïques intérieures, et la pierre de Shoul bouchardée, pour les soubassements.Grâce à la double dalle prévue à chaque étage pour aménager un niveau technique à hauteur d’homme, le travail de remise en conformité avec les nouvelles normes techniques et de sécurité a été grandement facilité. Le seul ajout, dans l’agence d’origine, est l’installation d’une sculpture de César dans le hall des guichets, hommage à Eiffel. Elle a en effet été réalisée en fonte avec des morceaux de la tour Eiffel que l’artiste avait récupéré, à l’occasion d’un allègement du monument. Quant à l’extension du bâtiment, les architectes se sont référés aux plans initiaux réalisés par Brion. Omar Alaoui, l’un des architectes impliqués dans ce chantier se souvient de la réaction du gouverneur lors de l’inauguration, à la fin des travaux. Elle représente pour lui le plus grand des compliments. Le gouverneur, monsieur Mohammed Seqqat, s’est en effet exclamé : « mais vous n’avez refait que les peintures ? Rien n’a changé ». g.m.

(1) Élie Azagury (1918-2008) a été le premier architecte

marocain diplômé. Il fut le président de l’Ordre des

architectes de 1958 à 1971. Auteur de l’ensemble

balnéaire de Cabo Negro, son œuvre est marqué par

le style néo-brutaliste. À l’époque de cette extension,

il œuvrait dans le cadre de l’agence Quadra, en

association avec Messod Benasuly, Abdelhamid

Berrada et Omar Alaoui.

(2) Maurice Sorin in Réalisations, vol. III, n°4. 1938.

une extension indétectable

Ci-dessus : détail de la verrière du hall.

Page de droite : le hall public éclairé par la verrière à la portée et au travail exceptionnels. Au centre, la sculpture de César . Composée de fragments de la Tour Eiffel, elle fut installée lors de l’extension.

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Dans cette exposition intitulée Conversations de chaises et autres propos architecturaux(1), Raphaël Liais du Rocher nous donne à voir sa vision de Casablanca. Une vision fragmentaire, certes, mais combien cohérente car tellement personnelle.Les chaises en question sont – à quelques rares exceptions – des sièges de gardiens d’immeuble que le photographe ne fait que légèrement déplacer – lumière exige – sans jamais toucher à leur invraisemblable harnachement. Chaque chaise est un petit conte, une nouvelle, un récit.Les vues architecturales – beaucoup de plans serrés, peu de vues d’ensemble – relèvent, quant à elles, d’une démarche aussi artistique que militante, de la part de ce Bidaoui qui s’est donné pour mission de « garder des traces de cet héritage unique, si riche mais si fragile ». Il voudrait « aller aussi vite que les destructions », même s’il sait pertinemment que c’est « une course perdue d’avance ».On notera, en passant, le net penchant de notre photographe pour une certaine architecture casablancaise monumentale,

géométrique et brutaliste, plus apte à un traitement graphique, tendant vers l’abstraction, que les mignardises néo-classique et/ou orientalistes qui font ordinairement le bonheur des amateurs de la ville blanche.Les photographies urbaines de Raphaël Liais du Rocher sont, donc, tout sauf documentaires. Elles sont éminemment picturales par le rendu de la matière et la maîtrise chromatique remarquables dont elles font preuve. Elles sont également des accents cinématographiques par ce souci quasi obsessionnel du cadrage et de la composition qui les caractérisent.Pour qualifier une telle acuité du regard, une vieille expression de notre jargon me revient à l’esprit : « avoir le compas dans l’œil ». Incontestablement, Raphaël Liais du Rocher à ce compas-là. j.b.

(1) Conversations de chaises et autres propos

architecturaux. Photographies de Raphaël Liais du

Rocher. Commissaire d’exposition, Jamal Boushaba.

Du 4 au 30 avril 2013, Villa Delaporte, rue du Parc,

Casablanca.

u n c o m p a s d a n s l ’ œ i len marge des journées du patrimoine, raphaël liais du rocher expose, à la villa delaporte, les photographies, aussi picturales qu’architecturales, que lui inspire sa ville natale.

Ci-dessus : détails de l’église du Sacré-Cœur. Arêtes vives et rondeurs, brutalité et douceur du béton chaulé.

Page de droite et pages 24, 25 et 26 : différentes chaises de gardiens d’immeubles. Customisées par leur propriétaire, chacune d’entre elles est un récit de vie.

Pages 22 et 23 : les différentes vues de ces anciens silos aux Roches-Noires témoignent de l’élégance spectaculaire de cette architecture industrielle casablancaise en voie de disparition.

Page 27 : paysage mural d’une étonnante qualité picturale.

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une transformationaussi respectueuse que créativeentre la destruction et la muséification, il y a un juste milieu. le réaménagement de cette villa d’ewerth par jacqueline alluchon est un bel exemple d’humilitéet de doigté.

« C’est un bonheur rare pour une architecte amoureuse du patrimoine de se voir confier un tel chantier par des maîtres d’ouvrage aussi éclairés », confie Jacqueline Alluchon(1). De leur côté, Khalid Bennis et Miryem Bennani affichent clairement leur

satisfaction : « Nous sommes plus que contents du résultat. C’est exactement la maison dont nous rêvions ».Au départ, il s’agit d’une villa modeste, située sur une petite parcelle au fond d’une impasse du quartier du C.I.L.. Sauf que

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Page de gauche : le patio principal avec son bassin haricot si caractéristique de cette esthétique des années cinquante.

Ci-contre : Les ombres portées par les grilles horizontales dessinent un décor changeant selon la course du soleil.

Page 30 : en haut, vue du séjour donnant sur le patio. Au fond, un des murs de claustras divisant le jardin en multiples patios. En bas, la cour protégée faisant office de salle à manger extérieure.

Page 31 : vue de la cheminée d’origine.

Page 32 : le mur de pierre prolongé, à l’identique, lors de la surélévation.

Page 33 : on accède à la villa par une galerie. Des tapis de granito ponctuent le sol en restinga.

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pour modeste qu’elle soit, la maison n’en est pas moins signée Wolfgang Ewerth(2), celui-là même auquel on doit, entre autres, la célébrissime villa du Docteur B., plus communément appelée « villa camembert », sur le boulevard du Lido.Construite en 1954, la petite maison a pas mal été malmenée, au fil des habitants, lorsqu’elle est acquise par les Bennis, au tout début des années 2000. Néanmoins les plans initiaux sont retrouvés, ainsi que des vues photographiques publiées dans le numéro de décembre 1955 de la revue française de référence, Maisons et jardins. Des photos témoignent « d’une sorte d’icône de la maison hédoniste et joueuse des années 1950, une maison à la Spirou, mais adaptée au climat casablancais, avec un mur à claustras, brise-soleil protégeant les patios et le bassin haricot », comme le décrit si bien Monique Eleb(3) dans un numéro de la revue française VMF (4), comprenant un dossier sur le patrimoine architectural de Casablanca, datant de décembre 2007. Jacqueline Alluchon débarrasse le rez-de-chaussée des cloisons ajoutées entre-temps, libérant le volume pour une grande réception largement ouverte via des baies vitrées sur, d’un côté le jardin, de l’autre une cour intérieure. Elle recouvre le sol d’un beau granito noir et vert bouteille, dans la plus pure tradition. On entre dans la maison par une longue galerie menant à un petit hall distribuant, outre la réception, l’escalier menant à l’étage, ainsi que la cuisine donnant sur la cour. De l’autre côté du rez-de-chaussée, sont alignées les deux chambres d’enfants – chacune munie d’une salle de bain et d’un accès direct au jardin – ainsi qu’une petite chambre d’amis. Sous forme de « L » renversé, le jardin est constitué d’une série de patios séparés les uns des autres par des murs à claustras que l’architecte a dupliqué selon un modèle existant. Les grilles en fines lamelles métalliques faisant office de brise-soleil autant que de treille, le long et étroit auvent posé sur de fins poteaux, la bassin haricot avec ses pas japonais comme flottant sur

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l’eau, le sol en restinga, le pan de mur en pierre calcaire taillée, autant d’éléments d’un vocabulaire so fifties qui seront restaurés dans le plus grand respect. Seule infidélité au passé : la couleur. Une palette d’ocres, de verts et de gris, reliant par de savants rappels l’intérieur et l’extérieur, vient exalter le jeu des perspectives, des pleins et des transparences, des ombres et des lumières, donnant ainsi de la profondeur et du mystère à un jardin aux proportions en réalité fort modestes – l’ensemble rappelant irrésistiblement certaines réalisation latino-américaines contemporaines.Nous entendons, d’ici, les grincements de dents des puristes, adeptes du tout-blanc inhérent à l’identité de la métropole. Qu’ils se rassurent ; nichée au fond de son impasse, noyée dans son exubérante végétation, la

maison, absolument invisible de l’extérieur ne déroge à aucune réglementation. Quant à l’étage partiel rajouté pour abriter l’appartement parental, on jurerait qu’il a toujours existé. En prolongeant, à l’identique, le pan de mur en pierre, en dupliquant les moindres détails architectoniques, Jacqueline Alluchon a finement justifié sa surélévation.La villa Bennis est un des rares exemples heureux d’une réhabilitation-extension d’une villa casablancaise de caractère. En répondant avec humilité, talent et doigté, à la question de comment adapter à de nouvelles conditions de vie une architecture affirmée, sans trahir ni l’esprit ni même le vocabulaire, Jacqueline Alluchon nous a livré plus qu’un exercice de style, une jolie leçon. j.b.

(1) Jacqueline Alluchon est co-fon-datrice de Casamémoire. Née à Casablanca en 1943, elle y exerce depuis 1976.

(2) Wolfgang Ewerth (1905- ?). Cet architecte d’origine allemande a exercé à Casablanca de 1954 à 1975. Outre la villa du Docteur B. (1962), sa réalisation la plus célé-brée reste la villa Varsano à Sidi Maârouf (1954).

(3) Historienne de l’architecture, Monique Eleb a publié plusieurs ouvrages dont l’indispensable Ca-sablanca, mythes et figures d’une aventure urbaine (éd. Hazan), coécrit avec Jean-Louis Cohen.

(4) Voir note p. 44

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Le boulevard Mohammed-V offre un paysage de guerre. Le soir ce sentiment est rendu encore plus vif par un éclairage pâlot, d’une tristesse innommable, ne laissant entrevoir que les ombres des piétons qui s’aventurent sur ses trottoirs et traversent tels des fantômes ses passages. Un sentiment d’insécurité vous saisit, malgré vous. On dirait qu’un projet démoniaque a organisé le déclassement et la dégradation de ce centre historique de la modernité délaissé pour une centralité concurrente faite d’architecture de verre et de verticalité prétentieuse, néanmoins modeste. Les terrasses des immeubles sont bidonvillisées, les ascenseurs arrêtés dans leur envol, des pans entiers d’immeubles détruits, des cinémas fermés devenus décharge publique, des façades chaulées à la couleur de la pollution ambiante

boulevard mohammed-V,un déclassement programmé*dans un ouvrage collectif consacré à la métropole, récemment édité chez le fennec sous le titre de casablanca, œuvre ouverte(1) et comprenant pas moins de vingt contributions, le chercheur abdelmajid arrif(2), livre la sombre réflexion que lui inspire la décadence de l’ex-boulevard de la gare. extraits.

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abandonnant le blanc au negra de la Casa. Des bas de murs ont le teint de l’urine et en dégagent les effluves.(…) On dirait un projet d’abandon d’un pan entier de la ville qui vit sa vie ordinaire et de ses usures sans intervention réparatrice aucune et sans acte d’entretien et d’aménagement(3). Une insulte aux habitants qui n’accèdent à cet espace – naguère signe de distinction, de modernité et d’opulence – que ramené à son degré zéro d’urbanité. Le vide politique l’a rendu propice à toutes les appropriations et réappropriations réservées aux espaces de la relégation et de l’exclusion : bidonvilles, périphéries populaires et laborieuses. Loin d’être gentrifié, le centre-ville historique est devenu populaire et animé des mobilités qui ramènent à ses cafés, bars, cabarets, trottoirs-étals… ceux qui n’ont pas les moyens des plaisirs de la côte ou des quartiers huppés à la sociabilité privative de l’entre-soi social. Le sombre de sa nuit est devenu un théâtre urbain propice au vol, à la délinquance et à la prostitution, à l’errance des enfants de rue, aux petites filles et aux petits garçons farouches armés de Kleenex et de chewing-gum…Seuls quelques chauffeurs de taxi vous rappellent, en nostalgiques, le passé antérieur de ce centre-ville et de son boulevard de la Gare devenu boulevard Mohammed-V. Territoire de lumière, de propreté, d’urbanité qui impose sa personnalité et son standing à son visiteur. Il fallait, dit le chauffeur, s’habiller pour la circonstance, cirer ses chaussures avant de le fouler des pieds, le mériter en quelque sorte et en être à la hauteur pour pouvoir s’y pavaner, parcourir ses vitrines, pénétrer ses salles obscures, s’attabler à ses terrasses. Tel un seuil donnant accès à une demeure respectable nécessitant de s’essuyer les pieds avant de le franchir. Ces paroles dénotent tout à la fois le sentiment de n’être pas chez soi, dans son espace familier, sentiment que l’ordre colonial a forgé chez l’« indigène » ; mais aussi un statut de visiteur d’un terroir digne de respect, voire d’admiration. Le macadam était lavé

le matin et son architecture imposait le respect. Le plus grand musée à ciel ouvert de l’architecture art-déco, paraît-il. Un trésor de guerre laissé en héritage, arraché au colonisateur, et dilapidé par une ignorance crasse et surtout par mépris au bénéfice de tours de verre et d’immeubles à la laideur ordinaire, d’une modernité de pacotille. Une grammaire du bâti et de l’urbain oubliée dans l’incapacité d’y substituer une autre qui ferait œuvre et trace si ce n’est de la laideur du temps présent.(…) On dirait la programmation de la fabrication d’une friche urbaine pour en cueillir, plus tard, le fruit mûrement abîmé en bonification immobilière. Le ‘roubi servira alors de repoussoir utile. Le projet de patrimonialisation de l’architecture coloniale, jusque-là non intégré dans les plans de valorisation du centre-ville, sera investi, peut-être. La culture, la mémoire, l’histoire seront encore oublieuses du présent et des injonctions de la citoyenneté urbaine pour l’exclure des espaces d’exposition de dignité et de légitimité urbaine. La gentrification sera alors précédée de ses oiseaux… qui en réinventeront la grammaire et doteront ses consommateurs de la valisette à éléments de langage nécessaire. Dans l’attente de ce scénario politico-urbain, la friche est en marche et l’esthétique de la laideur du temps et de ses maîtres est à l’œuvre. abdelmajid arrif

(*) Titre de la rédaction. Le texte complet a pour titre original Une esthétique de la laideur.

(1) Casablanca, œuvre ouverte. Deux tomes réunis en un coffret : Casablanca, fragments d’imaginaire, suivi de Casablanca, poème urbain. Collectif. Editions Le Fennec et l’Institut français du Maroc. 168 et 137 pages. 145 dirhams. Parmi les vingt auteurs ayant contribué à l’ouvrage, citons Mohammed Bennis, Abdellatif Laâbi, Tito Topin, Abdallah Zrika, Youssef Fadel, etc.

(2) Abdelmajid Arrif est ethnologue à la Maison médi-terranéenne des sciences de l’homme, Université de Provence, Aix-en-Provence. Il travaille et écrit entre autres sur les questions du patrimoine urbain et imma-tériel à Marrakech, Casablanca et Marseille.

(3) Il nous apparaît juste de signaler que ce texte a été rédigé avant la fin des travaux du tramway. Depuis, le boulevard a subi un véritable « lifting ».

Page 34 : une des nombreuses plaques oxydées parsemant le boulevard.

Page 35 : vue du boulevard, au débouché de la place des Nations-unies, là où se concentrent quelques-uns des plus beaux immeubles de la ville, réclamant d’urgence, un ravalement de façade en bonne et due forme.

Page de droite : le Marché central. Cet important lieu de mémoire connaît actuellement des travaux de consolidation.

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une villa pionnièredatant de 1931, la villa savoye, signée le corbusier, est le premier bâtiment domestique moderne à avoir été classé en france.

Les premiers « objets » à caractère non archéologique à avoir été classés monuments historiques en France sont des « lieux de mémoire » relatifs à la Première Guerre mondiale : champs de bataille, ligne Maginot et autres tranchées où furent ensevelis, aux côtés de leurs baïonnettes, ces hommes « tombés pour la patrie ». C’était en 1920. Historiquement parlant, le premier édifice du XXe siècle (1913) à être classé au titre de la loi sur les monuments historiques, le 11 décembre 1957, est le Théâtre des Champs-Élysées à Paris. Seulement, bien que mis en œuvre par les Frères Perret(1)

selon les procédés révolutionnaires de béton armé dont ils étaient précurseurs, ce vaste et beau temple dédié au spectacle n’en présente pas moins, d’un point de vue esthétique, les arguments du monument au sens traditionnel du terme. C’est pourquoi, beaucoup d’historiens de l’art préfèrent situer, d’un point de vue symbolique, la

naissance de la notion de patrimoine moderne au moment du classement de la désormais cultissime villa Savoye(2)

(prononcez Savoie), en 1965. Menacé de destruction en 1958, ce véritable manifeste de la pensée du Corbusier(3) (rendu en 1931), fut sauvé in extremis par l’activisme de lobbyistes américains – ayant déjà sévit chez eux au profit d’une œuvre de Frank Lloyd Wright(4) – mais surtout grâce au volontarisme d’un certain André Malraux, alors ministre des Affaires culturelles. Une action d’autant plus méritante que le grand public français des années soixante était encore peu sensible à l’esthétique de l’architecture moderne.Dans un extrait de son ouvrage de référence, Architecture et patrimoine du XXe siècle en France, Bernard Toulier(5) nous propose une visite guidée de cette villa pionnière à plus d’un titre. j.b.

Ci-dessus : sur la façade, on peut lire directement « les cinq points d’une architecture moderne », selon Le Corbusier (les pilotis, le toit, le jardin, le plan libre, la fenêtre en longueur).

Page de droite : la rampe extérieure menant au toit-solarium.

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une boîte suspendue« Posée au milieu de l’herbe comme un objet(6) », la villa, baptisée « Les Heures claires » par son propriétaire Pierre Savoye, est la parfaite démonstration des principes essentiels de l’architecture corbuséenne, « les cinq points d’une architecture moderne(7) » : les pilotis, le toit, le jardin, le plan libre, la fenêtre en longueur (qui court sur les quatre façades) et la façade libre. Le programme est centré sur le jardin suspendu et la rampe d’accès, pour la contemplation du site, de l’intérieur vers l’extérieur, à partir d’un observatoire cadrant les vues proches ou lointaines et les échappées du paysage à partir de cette clairière située au bout de la forêt de Saint-Germain. Cette communion avec la nature est l’aboutissement d’un parcours architectural. Peu habitée en raison notamment de défauts d’étanchéité, endommagée par la Seconde Guerre mondiale, la villa est menacée de démolition en 1958. À la suite d’une mobilisation internationale, la villa devient propriété de l’État en 1962, classée au titre de la loi sur les monuments historiques en 1965, et gérée aujourd’hui par la Caisse

nationale des monuments historiques et des sites. Elle a bénéficié de deux campagnes de restauration : une première fois, dès 1963-1967, et une seconde qui s’est achevée en 1997. « La maison est une boîte en l’air, percée tout le tour, sans interruption d’une fenêtre en longueur. Sous la boîte, passant à travers les pilotis, arrive un chemin de voitures faisant aller et retour en épingle à cheveux dont la boucle enferme, précisément sous le pilotis, l’entrée de la maison. De l’intérieur du vestibule, une rampe douce conduit, sans que l’on s’en aperçoive presque, au premier étage où se déploie la vie de l’habitant : réception, chambres, etc. Du jardin suspendu, la rampe, devenue extérieure, conduit sur le toit, au solarium. Celui-ci, protégé des vents par un mur écran aux formes courbes, est percé d’un trou dans le mur. Placé dans l’axe de la rampe d’accès, il marque le point ultime de la promenade architecturale et cadre le paysage sur les méandres de la vallée de la Seine(8)». bernard toulier

(1) Auguste et Gustave Perret, tous deux architectes et ingénieurs, se sont illustrés, avec une virtuosité alors inégalée, dans la construc-tion en béton armé. On doit à Auguste, outre un nombre impres-sionnant d’ouvrages d’art et de monuments, la reconstruction de la ville du Havre, entièrement dé-truite durant la Deuxième Guerre mondiale. Cette ville nouvelle est aujourd’hui classée au patrimoine mondial. En 1918, les frères Perret ont construit, à Casablanca, le bâ-timent des Magasins marocains, place Maréchal, détruit dans les années 1970, en même temps que le cinéma Vox de Marius Boyer.

(2) Villa Savoye. 1931. Poissy, Yve-lines, France. Architectes : Le Cor-busier et Pierre Jeanneret (cousin et associé du premier).

(3) Le Corbusier (1887-1965). Ini-tiateur des CIAM (Congrès Inter-national d’Architecture Moderne), cet architecte théoricien, à la pensée radicale pour ne pas dire totalitaire, est considéré dans l’his-toire de l’architecture comme une des figures cultes du mouvement moderne, au même titre que son prédécesseur l’Autrichien Adolphe Loos et de son contemporain amé-ricain Frank Lloyd Wright.

(4) Frank Lloyd Wright (1867-1959). Certainement le plus célèbre ar-chitecte américain du XXe siècle. Comme Le Corbusier, il a influencé des générations d’architectes de par le monde.

(5) Architecture et patrimoine du XXe siècle en France. Bernard Tou-lier. Editions du patrimoine. 1999. France. L’auteur est directeur du Patrimoine au ministère français de la Culture.

(6), (7) et (8) Dixit Le Corbusier.

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« Venise noire », « Perle d’Afrique » : les qualificatifs ne manquent pas pour désigner cette cité ayant connu une brillante civilisation. L’île représente un ensemble urbain, architectural, historique et culturel parmi les plus remarquables de l’Afrique de l’Ouest. C’est un des exemples de ville coloniale – ancien comptoir commercial

et plaque tournante de la traite négrière – développée à partir d’un port. Le tracé orthogonal de la trame viaire implanté à partir du port est caractéristique du plan des villes nouvelles coloniales conçues par les officiers du génie.On y trouve une architecture de type méditerranéen, adaptée dès la première

splendeur, décadence et espérance d’une cité africaine*fondée par des colons au XVIIIe siècle, saint-louis du sénégal, jadis capitale de l’afrique-occidentale française, est inscrite, depuis l’an 2000, au patrimoine mondial de l’unesco.

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Page de gauche : vue d’un bâtiment rénové. Sur fond de murs chaulés ocre-rose, le vert souligne les balcons de fer forgé et les volets des portes-fenêtres.

Ci-contre : on remarque sur ce bâtiment semi-délabré, les traces des supports en bois et des auvents disparus.

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moitié du XIXe siècle au climat tropical et au milieu colonial : maisons basses autour d’une cour, répartissant lumière et fraîcheur. Près de la moitié d’entre elles sont au rez-de-chaussée. Un tiers, construites en briques, portent des toitures de tuile mécanique à deux versants, le reste étant couvert en terrasse avec acrotères dont les avancées forment des pare-soleil. L’entrée s’effectue par la cour centrale, accessible par un porche. Également en briques, les maisons à étage s’organisent aussi autour d’une cour. Les logements de l’étage sont distribués par une coursive et disposent, côté rue, de portes-fenêtres symétriques donnant sur un balcon généralement protégé par un auvent recouvert de tuile mécanique. Les plus vieilles balustrades sont en bois, quelques-unes en fer forgé. Les plus récentes ou les plus restaurées sont en ciment. La plupart des rez-de-chaussée de ce type de maison étaient à usage commercial et les plus anciennes s’ouvraient dans des arcades en plein cintre. Les enduits de ces maisons anciennes sont colorés en ocre ou en rose, et les entrées sont soulignées par des encadrements moulurés et peints. Au XXe siècle, la perte par la ville de son pouvoir économique et administratif – au profit de Dakar érigée en capitale du pays à l’indépendance – a entraîné la dégradation ou la disparition de bâtiments remarquables. La confrontation entre l’état actuel et la couverture aérienne de 1972 est alarmante : beaucoup d’édifices civils ont été rasés ou sont en ruine, de nombreuses baraques en bois et plusieurs entrepôts ont été rayés de la carte. De 10 à 20 % des constructions nécessitent de grosses réparations. Les rares restaurations effectuées ne respectent pas les détails des façades.La cité connaît aujourd’hui un développement touristique important. La perspective d’une agglomération de 50 000 habitants, à l’horizon 2025, sur une zone humide aussi précieuse que le delta, pose des problèmes quant à la gestion du cadre de vie et à l’amélioration de la qualité paysagère.

Il ne s’agit naturellement pas de muséifier l’île de Saint-Louis, mais de lui octroyer le rôle qui est le sien dans une perspective qui allie patrimoine et développement durable. Son classement au patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco, en décembre 2000, s’est accompagné d’un engagement des collectivités locales et des administrations nationales dans une politique de sauvegarde et de mise en valeur du site. Dès novembre 2000, l’adoption par le conseil municipal d’un règlement provisoire d’architecture pour la sauvegarde de l’île témoignait d’une prise de conscience. Des décrets présidentiels ont été promulgués pour mettre en œuvre un plan de sauvegarde et de mise en valeur et pour l’établissement d’un inventaire du patrimoine sur l’ensemble du pays, dans le cadre de la coopération décentralisée impliquant, entre autres, Lille Métropole Communauté (LULM), la ville de Toulouse et Wallonie, Bruxelles International.Comment conserver le cadre urbain et architectural ancien, tout en permettant leur évolution heureuse au regard de fonctions contemporaines ? Aucune action ne saurait connaître le succès dans la durée sans une définition claire de la vocation que l’on veut conférer à l’île. abdoul hadir aïdara

(*) Cet article est extrait d’un dossier publié sur le sujet dans un numéro de VMF datant de septembre 2010. L’auteur, ancien directeur du Centre de recherches et de documentation du Sénégal (CRDS), a dirigé le co-mité de pilotage du dossier de demande d’inscription de l’île Saint-Louis sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco. Il est l’auteur de Saint-Louis du Sénégal d’hier à aujourd’hui (éd. Grandvaux, 2005).Fondée en 1958, la revue patrimoniale VMF (Vieilles maisons françaises) est partenaire de Casamé-

moire, le mag.

Page 42 : en haut, un bâtiment édifié en 1902 pour abriter l’Ecole des fils de chefs. Sa façade est agrémentée de faïences importées de France. En bas, vue d’une maison au toit recouvert de tuiles mécaniques, aujourd’hui transformée en ateliers d’art.

Page 43 : en haut, cette église est représentative de cette architecture méditerranéenne, adaptée au climat tropical, caractéristique de l’île. En bas : détail d’une construction soigneuse restaurée (encadrements des ouvertures soulignés de blanc sur fond ocre et balcon de ferronnerie au dessin délicat).

Page de droite : cette maison fait partie des 10 à 20 % des constructions nécessitant de grosses réparations. Des différences de couleur de l’enduit laissent voir les emplacements des éléments disparus (moulures de la porte d’entrée, balcon et autre auvent).

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