camus par sartre

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  • 7/29/2019 Camus Par Sartre

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    Camus par Sartre

    Cr le 11-01-2012Le Nouvel Observateurhttp://bibliobs.nouvelobs.com/essais/20120111.OBS8521/camus-par-sartre.html

    Alors que Michel Onfray lui consacre un livre, l'Obsrepublie l'hommage qu'avait rendu Sartre, aulendemain de la mort de Camus, l'ami avec lequel iltait brouill.

    A l'occasion de la sortie du livre que consacre Michel Onfray Albert Camus, "l'Ordrelibertaire. La vie philosophique d'Albert Camus" (Flammarion, 600 p., 22,50), l'Obsrepublie le texte qu'avait crit Jean-Paul Sartre, au lendemain de la mort de Camus, pour"France Observateur". (LIDO/SIPA)

    Il y a six mois, hier encore, on se demandait: Que va-t-il faire? Provisoirement,dchir par des contradictions qu'il faut respecter, il avait choisi le silence. Mais il taitde ces hommes rares, qu'on peut bien attendre parce qu'ils choisissent lentement etrestent fidles leur choix. Un jour, il parlerait. Nous n'aurions pas mme os risquerune conjecture sur ce qu'il dirait. Mais nous pensions qu'il changeait avec le mondecomme chacun de nous: cela suffisait pour que sa prsence demeurt vivante.

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    Nous tions brouills, lui et moi: une brouille, ce n'est rien - dt-on ne jamais se revoir -, tout juste une autre manire de vivre ensemble et sans se perdre de vue dans le petitmonde troit qui nous est donn. Cela ne m'empchait pas de penser lui, sentir sonregard sur la page du livre, sur le journal qu'il lisait et de me dire: Qu'en dit-il? Qu'endit-il EN CE MOMENT?

    Son silence que, selon les vnements et mon humeur, je jugeais parfois trop prudent etparfois douloureux, c'tait une qualit de chaque journe, comme la chaleur ou lalumire, mais humaine. On vivait avec ou contre sa pense, telle que nous la rvlaientses livres - la Chute, surtout, le plus beau peut-tre et le moins compris - maistoujours travers elle. C'tait une aventure singulire de notre culture, un mouvementdont on essayait de deviner les phases et le terme final.

    Il reprsentait en ce sicle, et contre l'Histoire, l'hritier actuel de cette longue ligne demoralistes dont les oeuvres constituent peut-tre ce qu'il y a de plus original dans leslettres franaises. Son humanisme ttu, troit et pur, austre et sensuel, livrait un combat

    douloureux contre les vnements massifs et difformes de ce temps. Mais, inversement,par l'opinitret de ses refus, il raffirmait, au coeur de notre poque, contre lesmachiavliens, contre le veau d'or du ralisme, l'existence du fait moral.

    Il taitpour ainsi dire cette inbranlable affirmation. Pour peu qu'on lt ou qu'onrflcht, on se heurtait aux valeurs humaines qu'il gardait dans son poing serr: ilmettait l'acte politique en question. Il fallait le tourner ou le combattre: indispensable enun mot, cette tension qui fait la vie de l'esprit. Son silence mme, ces dernires annes,avait un aspect positif: ce cartsien de l'absurde refusait de quitter le sr terrain de lamoralit et de s'engager dans les chemins incertains de la pratique. Nous le devinions etnous devinions aussi les conflits qu'il taisait: car la morale, la prendre seule, exige lafois la rvolte et la condamne.

    Nous attendions, il fallait attendre, il fallait savoir:quoi qu'il et pu faire ou dcider par la suite, Camusn'et jamais cess d'tre une des forces principales denotre champ culturel, ni de reprsenter sa manirel'histoire de la France et de ce sicle. Mais nouseussions su peut-tre et compris son itinraire. Il avaittout fait - toute une oeuvre - et, comme toujours, toutrestait faire. Il le disait: Mon oeuvre est devant

    moi. C'est fini. Le scandale particulier de cette mort,c'est l'abolition de l'ordre des hommes parl'inhumain.[...] Rarement, les caractres d'une oeuvre

    et les conditions du moment historique ont exig si clairement qu'un crivain vive.

    L'accident qui a tu Camus, je l'appelle scandale parce qu'il fait paratre au coeur dumonde humain l'absurdit de nos exigences les plus profondes. Camus, 20 ans,brusquement frapp d'un mal qui bouleversait sa vie, a dcouvert l'absurde, imbcilengation de l'homme. Il s'y est fait, il apensson insupportable condition, il s'est tird'affaire. Et l'on croirait pourtant que ses premires oeuvres seules disent la vrit de savie, puisque ce malade guri est cras par une mort imprvisible et venue d'ailleurs.

    L'absurde, ce serait cette question que nul ne lui pose plus, qu'il ne pose plus personne, ce silence qui n'est mme plus un silence, qui n'est absolument plus rien.

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    Je ne le crois pas. Ds qu'il se manifeste, l'humain devient partie de l'humain. Toute viearrte mme celle d'un homme si jeune -, c'est la fois un disque qu'on casse et une viecomplte. Pour tous ceux qui l'ont aim, il y a dans cette mort une absurditinsupportable. Mais il faudra apprendre voir cette oeuvre mutile comme une oeuvretotale.

    Dans la mesure mme o l'humanisme de Camus contient une attitude humaine enversla mort qui devait le surprendre, dans la mesure o sa recherche orgueilleuse et pure dubonheur impliquait et rclamait la ncessit inhumaine de mourir, nous reconnatronsdans cette oeuvre et dans la vie qui n'en est pas sparable la tentative pure et victorieused'un homme pour reconqurir chaque instant de son existence sur sa mort future.

    Jean-Paul Sartre

    (Texte publi le 7 janvier 1960 dans France Observateur .)

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