camps et homes d’accueil valaisans · de chandoline et dix-neuf à celles du mont-chemin. ainsi,...

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Pendant la Deuxième Guerre mon- diale, la Suisse hébergea un peu moins de 296 000 étrangers en quête d’asile sur son ter- ritoire. Parmi le contingent de réfugiés accueillis, la catégorie des militaires internés, prisonniers de guerre évadés, déserteurs et hospitalisés fut la plus considérable 1 . En Valais, plus de trente communes, situées aussi bien en plaine que dans des régions d’altitude, ont été confrontées au refuge. Il y eut non seulement des réfugiés logeant dans des homes d’accueil, mais égale- ment des réfugiés civils et des internés mili- taires établis dans des camps qui participèrent à divers travaux en plein air. Le refuge de civils et les camps de travail ont déjà été analysés dans plusieurs études régio- nales (Jura, Vaud, Fribourg, Genève, Grisons, Schaffhouse et actuellement Tessin). L’histoire de ces camps, bien que présente dans la mémoire collective, est aujourd’hui mal connue par David Michielan Camps et homes d’accueil valaisans 69 Panorama, travaux et rencontres 1 La Confédération hébergea 6000 émigrants déjà présents avant les hostilités. A cela s’ajoute un peu moins de 60 000 réfugiés, 60 000 enfants, 66 000 voisins immédiats et 104 000 militaires. L ASSERRE 1995, p. 357.

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Page 1: Camps et homes d’accueil valaisans · de Chandoline et dix-neuf à celles du Mont-Chemin. Ainsi, sur 1027 internés militaires du secteur Rhône, 710 étaient placés en Valais

Pendant la Deuxième Guerre mon-diale, la Suisse hébergea un peu moins de296 000 étrangers en quête d’asile sur son ter-ritoire. Parmi le contingent de réfugiés accueillis,la catégorie des militaires internés, prisonniersde guerre évadés, déserteurs et hospitalisés futla plus considérable1. En Valais, plus de trentecommunes, situées aussi bien en plaine que dansdes régions d’altitude, ont été confrontées aurefuge. Il y eut non seulement des réfugiés

logeant dans des homes d’accueil, mais égale-ment des réfugiés civils et des internés mili-taires établis dans des camps qui participèrentà divers travaux en plein air. Le refuge de civils et les camps de travail ontdéjà été analysés dans plusieurs études régio-nales (Jura, Vaud, Fribourg, Genève, Grisons,Schaffhouse et actuellement Tessin). L’histoirede ces camps, bien que présente dans lamémoire collective, est aujourd’hui mal connue

p a r D a v i dM i c h i e l a n

Camps et homesd’accueilvalaisans

69

P a n o r a m a , t r av a u x e t r e n c o n t r e s

�1 La Con fédé ra t ion hébe rgea 6000

émig ran t s dé jà p résen t s avan t l e s hos t i l i t é s . A ce la s ’a jou te unpeu mo ins de 60 000 ré fug iés ,60 000 en fan t s , 66 000 vo i s insimméd ia t s e t 104 000 mi l i t a i r es .L A S S E R R E 1995, p . 357.

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de la population valaisanne qui n’en mesuresans doute pas l’ampleur. Une fois passé lafrontière et les premiers écueils administratifs,les réfugiés se trouvaient dans un havre depaix. La guerre restait certes en filigrane, maisleur quotidien allait être bouleversé. Leursjournées pouvaient s’écouler de façon très dif-férente selon le rythme du camp ou du homeet celui des saisons. Certes les événementsextérieurs gardaient leur emprise et détermi-naient aussi la durée de séjour des internés etdes réfugiés. Toutefois, leur existence quoti-dienne allait être influencée par la vie locale,souvent en porte-à-faux avec les événementstragiques extérieurs à la Suisse. Comme des archéologues des temps modernes,nous chercherons à découvrir les lieux valai-sans dans lesquels ces internés et ces réfugiésont logé et participé à l’effort national de guerresur le territoire cantonal. Dans un deuxièmetemps, nous analyserons les relations entrete-nues ou tolérées avec la population locale2.

P A N O R A M A C A N T O N A L

Etablie à l’aide des sources disponibles auxArchives fédérales et cantonales ainsi que dequelques indications éparses récoltées au seindes archives communales et dans la presse, laliste des camps situés sur le territoire valaisanentre 1940 et 1945 permet de distinguer deuxgrande catégories : d’une part les camps de tra-vail réservés aux internés civils régis par laZentralleitung (ZL) et le Département fédé-ral de justice et police (DFJP), exceptionnel-lement par le Ministère public fédéral (MPF);d’autre part les camps d’internés militairesrégis par le Commissariat fédéral à l’interne-ment et à l’hospitalisation (CFIH) dépendantdu Département militaire fédéral (DMF). Si dans le Jura et dans d’autres cantons, les campsmilitaires se sont multipliés dès 1943, leursimplantations en Valais se sont opérées avanttout de septembre 1940 jusqu’en automne1943. Les camps civils, quant à eux, sont appa-rus à partir de 1942, car l’afflux massif de réfu-giés provenant principalement de France, de

Hollande et de Belgique a nécessité une réor-ganisation du refuge. La première phase del’accueil fut alors modifiée. Les réfugiés civilsétaient dirigés dans les camps d’accueil aprèsle passage en camp de triage et de quaran-taine. La deuxième phase fut aussi développéeen plaçant les réfugiés hommes (entre 16 et 60ans) dans des camps de travail alors que lesvieillards, les hommes inaptes au travail, lesfemmes et les enfants étaient répartis dans deshomes ou chez des particuliers. On peut relever qu’une majorité de campsfurent établis dans la plaine du Rhône. Cechoix s’inscrivait dans le sens d’une des fonc-tions des camps de travail, à savoir pallier lemanque de main-d’œuvre nécessaire à l’extensiondes cultures et faire contribuer les réfugiés à l’ef-fort national d’autosuffisance alimentaire 3. Enmars 1941, un camp d’émigrants allemands,le premier à être établi en Valais dans le cadredu plan Wahlen, était situé au cœur du domainede Savora sur le territoire de la commune deVouvry4. Quelques mois plus tard, au printemps1941, lorsqu’on organisa les travaux en pleinair pour les internés militaires, on divisa laSuisse en sept secteurs : Argovie, Grisons, Reuss,Rhône, Seeland, Thur et Tessin. Le secteurd’internement Rhône, dont les frontières admi-nistratives évoluaient régulièrement, et qui nese limitait pas au seul canton, a été dirigé parle lieutenant-colonel Jacquat jusqu’en octobre1942, puis par le colonel Perret jusqu’à la findes hostilités5. Bien que le secteur Rhône étaiten partie situé sur le territoire valaisan, lescamps militaires ne dépendaient pas des auto-rités cantonales, mais du Commissariat fédé-ral à l’internement et à l’hospitalisation. Au sec-teur Rhône, le poste de contrôle a été établidans un premier temps à l’hôtel Beau-Site àAigle avant d’être transféré à Vevey6. Lors desa mise en place, le secteur ne comportaitqu’un camp d’officiers polonais à Henniez,un camp d’internés à Illarsaz et deux déta-chements de travail, ceux du Mont-Cheminau-dessus de Martigny et de Chandoline prèsde Sion7. Chaque camp de base était composéd’un commandant suisse, habituellement un

�2 Une é tude comp lè te de

la ques t ion se ra réa l i séep rocha inement dans l e cad re de mon mémoi re de l i cence àl ’Un ive r s i té de F r ibou rg po r tan tsu r Les camps e t homes d ’accue i len Va la i s pendant l a Deux ièmeGuer re mond ia le .

3 LA S S E R R E 1995, p . 239.4 CONF, 31 mars 1941,

Monthey e t l e p lan Wah len , A .F. 5 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 651.6 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 674,

Rappor t de l ’ i n spec t ion du sec teu rRhône pa r l e CF IH da tan t du 17 décembre 1941.

7 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 777.

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capitaine, d’un fourrier et d’un ou deux offi-ciers d’ordonnance. La cuisine, les ateliers deréparations ou d’autres travaux pour le campétaient confiés aux internés. Chaque secteur étaitcomposé d’une dizaine de camps de base et deplusieurs détachements de travail. Ceux-ci par-ticipaient notamment à la construction deroutes, à des travaux d’écorçage ou de déboi-sement. Les hommes regagnaient en principeleur camp de base après la fin des travaux oulors de l’arrivée des premières neiges. En Suisse,il n’existait pas seulement des camps de travail,des camps universitaires ou des camps d’offi-ciers, mais également des camps disciplinaires,

dont le plus connu demeure celui deWauwilermoos. Les internés devaient y subirleur peine de prison en cas de refus d’ordre,de rixes, de tentatives d’évasion ou de rentréestardives. En juin 1940, la défaite française a imposé àla Suisse l’accueil de l’armée du général Daille,en pleine déroute, qui était composée en par-tie de soldats polonais. Selon la Conventionde La Haye, prévoyant l’internement des uni-tés militaires, il fallut désarmer, transporter,nourrir et loger à l’improviste les 29 000Français, les 12 000 chasseurs à pied polonaisde la division du général Prugar-Ketling, de

71

Car te du sec teu r Rhône dess inée pa r un in te r né po lona i s e t rep résen tan t l e s camps d ’ in te r nés mi l i t a i r es po lona i s d ’aoû t 1940 à oc tob re 1943(Arch i ves p r i vées de la fami l l e Pe r re t )�

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même que certains détachements anglais et belges,sans parler d’un important matériel, de véhi-cules et de chevaux. Deux jours après le fran-chissement de la frontière, le colonel divi-sionnaire de Muralt a été nommé commissairefédéral à l’internement. Dans l’improvisation,un vaste camp fut alors ouvert à Büren dansle canton de Berne. On y rassembla 7000hommes, dont 1000 internés disciplinaires. Cettepremière phase de l’internement se révéla undésastre. Se sentant mal encadrés par leursofficiers, désœuvrés, démoralisés, assimilésaux hommes punis, les internés suscitèrentde tels incidents que la garde suisse dut faireusage de ses armes pour rétablir l’ordre. Dèsqu’on eut du travail à leur fournir, on les dis-persa au sein de camps bien plus modestesdans l’ensemble du pays8. Ainsi, à partir de septembre 1940, les premiersinternés polonais du secteur Seeland ont ététransférés aux mines de Chandoline. Ce déta-chement comprenait à ses débuts un lieutenant,douze sous-officiers et trente-trois soldats. Unan plus tard, vingt internés polonais furenttransférés d’un camp de la région de Coiredans les Grisons aux mines du Mont-Chemin9.A la même période, des internés polonaistravaillaient également au barrage d’Illsee, cul-minant à 2350 m d’altitude et situé entre lavallée de Tourtemagne et le val d’Anniviers10.A Illarsaz, le premier camp de base d’internéspolonais fut établi en novembre 1941. Endécembre 1941, le camp de Châteauneuf étaiten formation11. De mars à mai 1942, les campsde Saillon et de Granges (dont les internésprovenaient de Mattsingen) ont été construitset le secteur Rhône s’était déjà passablementagrandi12. En septembre 1942, sur les cinqcamps établis dans le secteur Rhône, quatre setrouvaient en Valais. A ceux-ci s’ajoutaientencore trois détachements de travail : à Crans,à Chandoline et au Mont-Chemin. Le secteurRhône comprenait alors 981 internés, dont915 Polonais (108 officiers, 183 sous-officierset 624 soldats)13.En février 1943, dix camps d’internementfiguraient dans le secteur Rhône, dont six en

Valais. Le camp d’Illarsaz constituait le plus grandcamp valaisan avec 190 occupants, suivi deChâteauneuf (180), de Granges-Lens (128) etde Saillon (103). Deux détachements de tra-vail occupaient encore nonante internés aux minesde Chandoline et dix-neuf à celles du Mont-Chemin. Ainsi, sur 1027 internés militairesdu secteur Rhône, 710 étaient placés en Valais.Mis à part le plan Wahlen et le travail dans lesmines, les internés polonais ont réalisé d’autrestypes de tâches : à Montana, des travaux de ter-rassement pour le nouveau tronçon du ski liftdu Mont-Lachaux; d’autres au barrage d’Illsee,pour son réhaussement; à Wiler et Blatten,des travaux pour le compte des autorités com-munales, à la suite à des dégâts provoqués parune tempête en août 1944. Un chemin tracéprès de Blatten par les internés polonais, appeléPolenstutz par les habitants du lieu, est demeurédans la mémoire collective. Composé uniquement de soldats polonais jus-qu’en juin 1943, l’effectif des internés militairesen Valais est complété par la suite de soldatsitaliens et de prisonniers soviétiques. Ces der-niers, capturés lors de l’avancée allemande de1942, ont travaillé dans des camps en Allemagneet en Italie avant de fuir pour gagner la Suisse14.Les prisonniers accueillis dans le campd’Andelfingen furent transférés dans celui deRarogne le 19 juin 1943 à la suite d’une grèvede la faim accompagnée d’un refus de tra-vailler15. Le camp de Rarogne a été fermé le10 décembre 1943 et les occupants ont ététransférés au camp du Chaluet dans le Jurabernois16. A Illarsaz, les prisonniers de guerresoviétiques sont arrivés en 1945 et y sontdemeurés jusqu’à leur rapatriement. A la suite des événements survenus en Italieen septembre et en octobre 1943, 20 000 sol-dats et civils ont franchi en différents endroitsles frontières italo-suisse et franco-suisse17. Lesarrivées se sont succédées : une cinquantainede soldats italiens ont atteint Arolla après avoireffectué une pénible marche en montagne; àChampex, un groupe de soldats et de doua-niers a été récupéré puis amené à Monthey oùla colonie italienne leur a réservé un accueil cor-

�8 LA S S E R R E 1995, pp . 150 -153. 9 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 596,

Le t t re da tée du 27 sep tembre1941 du commissa i re fédé ra l à l ’ i n te r nement e t àl ’hosp i ta l i sa t ion au commandantdu sec teu r G r i sons conce rnan t l e dé tachement du Mont -Chemin .

10 AF, E5791 ( - ) -/1, vo l . 746,Inspec t ion du ma jo r F rey, che f du camp de Bü ren du 31 oc tob re 1941.

11 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 651,Rappor t da té du 29 décembre1941 conce rnan t l a réo rgan i sa t ionin te rne e t admin i s t ra t i ve dessec teu r s .

12 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 777,Rappor t san i ta i re de ju in 1942.

13 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 666,Rappor t mensue l du sec teu r Rhônede sep tembre 1942.

14 AF, E 4800.1 ( - ) , 1967/111,vo l . 74, ma i 1950.

15 AF, E 4800.1 ( - ) , 1967/111,vo l . 74, Rappor t d ’aud i t i on duDépar tement mi l i t a i r e fédé ra l pa rl e p remie r b r igad ie r Eugs te r da tédu 19 oc tob re 1943.

16 AF, E 4800.1, ( - ) , 1967/111,vo l . 74, résumé de l ’ac t i v i t é dudé légué du C ICR d ’av r i l 1943 àoc tob re 1944.

17 RH, 28 sep tembre 1943, Ré fug iési ta l i ens en Su i s se .

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dial18; à Martigny, le 14 septembre, une tren-taine d’Alpini, déjà désarmés, sont arrivés deHaute-Savoie par les montagnes du Buet19.Après le passage de la frontière, les soldatsétaient désarmés et internés20. Parmi ces réfu-giés, certains ont été directement emmenésvers d’autres cantons. Ainsi, soixante Alpini etCarabinieri stationnés à Viège furent dirigés deBrigue à Ins le 20 septembre 1943. D’autres,en revanche, restèrent en Valais, leur arrivée mas-sive donnait la possibilité de créer des déta-chements de travail dans le Haut-Valais21 : àReckingen, à Rarogne et à Tourtemagne, de mêmequ’à Ulrichen et à Münster afin d’effectuerdes travaux pour le compte de l’armée22.D’autres détachements réalisèrent des travauxd’abattage et de roulage, comme à La Crétazvers Salvan ou à La Douey près d’Orsières en1943.

Des réfugiés civils travaillaient également àl’assainissement de la plaine du Rhône. Jusqu’en1938, les fugitifs arrivés d’Allemagne oud’Europe centrale n’avaient que le droit detransiter par la Suisse. Par contre, à partir dumois de juillet 1942, les réfugiés admis enSuisse étaient autorisés à y rester jusqu’à la finde la guerre. Au début de l’année 1940, les pre-miers permis de travail furent créés par lesautorités fédérales, mais l’internement collec-tif a pris toute son ampleur à partir de l’été 1942.Dès lors, tous les civils entrés en Suisse étaientinternés dès leur arrivée dans des camps d’ac-cueil sous contrôle militaire, avant d’être diri-gés, après une visite médicale, dans des campsde travail civils23. En Valais, deux camps d’ac-cueil ont été constitués : à Martigny dans unancien théâtre scout et à Brigue dans l’an-cienne fabrique de pâtes del Oro. En prin-

�18 NF, 15 sep tembre 1943, Ce qu i

se vo i t à l a f ron t iè re i ta lo - su i s se . 19 RH, 14 sep tembre 1943, So lda t s

i ta l i ens en Va la i s .20 AF, E 5471( -) - /1, vo l . 623,

Lac No i r, Rappor t du 26 décembre1944 su r l a s i tua t ion desfo rmat ions pa r t i sanesga r iba ld iennes au Lac No i r.

21 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 666,Rappor t mensue l du commandantdu sec teu r Rhône da té d ’oc tob re1943.

22 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 777,Rappor t san i ta i re d ’oc tob re 1943.

23 NA R B E L 2003, p . 152.

73

Vue géné ra le du camp de Sa i l l on , appe lé Tob ruk pa r l e s i n te r nés e t l e s v i l l ageo i s(A r ch i ves p r i vées de la fami l l e Pe r re t )�

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cipe, les réfugiés ne devaient effectuer qu’unbref passage dans les camps d’accueil à régimemilitaire. Ils étaient censés y séjourner troissemaines, une quarantaine médicale et poli-tique qui permettait de jauger les nouveaux arri-vants 24. Ensuite, on les dirigeait vers leur lieude résidence : camps de travail civils, homes,familles d’accueil ou pensions. Les camps de travail de réfugiés ont été éta-blis dans le Valais central et dans le Haut-Valais, principalement dans les localités de laplaine (Châteauneuf, Granges, Pont-de-la-Morge, Sierre, Chalais, Gampel, Rarogne,Salgesch et Viège) à l’exception des camps deHaute-Nendaz et de Montana. Parmi ces camps,seuls ceux de Rarogne et de Sierre étaient com-posés exclusivement de Juifs de différentes

nationalités. Les quelque deux cents réfugiésisraélites étrangers du camp de Sierre placés sousle contrôle de l’Agence juive avaient pour tâchede défricher vingt hectares de terrains, situéssur la rive droite du Rhône entre Chippis etSierre, mis en location par la bourgeoisie deSierre à la communauté juive de Zurich pourdix ans25. En 1942 et 1943, les réfugiés avaientdû assurer des travaux de drainage dans lesprés marécageux et creuser des tranchées d’as-sèchement. En hiver, les réfugiés devaient entre-tenir les berges du Rhône et piocher la terregelée26. On a essayé d’y cultiver des plantes detabac sous la direction du réfugié belgeWeitzmann, ingénieur agronome, de mêmequ’un vignoble du côté de Salgesch27. Enfin,un détachement d’une vingtaine d’étudiants a

�24 HAY M A N N 1984, p . 122.25 CONF, 24 av r i l 1943, Un des p lus

beaux doma ines de Su i s se , G . A . ;ce doma ine n ’es t pas à con fond reavec l e doma ine du bo i s de F inges(320 hec ta res) .

26 RE G A R D 2002, pp . 96 -97.27 Les t ravaux pou r p répa re r l a te r re

pou r l e s v ignob les é ta ien t t rèsdu r s , ma i s u t i l e s […] I l fa i sa i tt r ès chaud , nous t rava i l l i ons tou te la jou rnée , y compr i s l e sap rès -m id i de g rosse cha leu r.A lo r s nous avons p ro tes té e t fa i tg rève , FR A E N K E L Bo r i s , pp . 57 -58.Bor i s F raenke l , né à Dantz ig en1921, es t un révo lu t ionna i ret ro t sk i s te devenu connu en 1995lo r squ’ i l f u t ques t ion du passét ro t sk i s te de L ione l Josp in . Pou rdécouv r i r son i t i né ra i re pe r sonne le t sa t ra jec to i re po l i t i que seré fé re r à l ’ouv rage c i té c i - dessus .

74

Camps de base

Détachements

Illarsaz

Juin 40 1941 Juin 41 1943 Juin 44 1944Juin 43 1942 Juin 42 1946Juin 45 1945

Granges

Châteauneuf

Saillon

Glis

Chandoline

Illsee

Mt-Chemin

Collonges

Crettaz

Ulrichen

Viège

Internement militaire polonais en Valais

31.08.1945

13.07.1943 31.04.1944

17.11.1941

15 avril 1942

24 juin 1942

28.05.1942 Fév. 1944

Oct. 1944 20.4.1945

Sept. 1940 Oct. 1943

7 septembre 1942 8 juin 1942

30.09.1941 Avril 1942

Mai 1943 30.07.43 Mai 44 Août 1944

Nov. 1943 1.08.1943

Oct. 1943 Nov. 1943

Déc. 44 14.5.45

Montana

Wiler-Blatten 19.9.1944

25 juin 1942 12.11.1942

Nov. 1944

Reckingen 1.10.1943 Nov. 1943

Ouverture et dislocation des principaux camps de base et détachements de travail des internés militaires polonais

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participé aux vendanges sur les hauteurs deNiouc pour les besoins propres du camp. Sile camp de Sierre était composé de réfugiés israé-lites, les autres camps étaient, par contre, com-posés de personnes aux aspirations religieuseset origines diverses. Le camp de Granges com-prenait trente réfugiés grecs et cent septantefrançais en 1942. Les nationalités des résidantschangeaient avec le temps. Dans le camp dePont-de-la-Morge, des réfugiés français, dontune majorité d’alsaciens, furent remplacés pardes réfugiés italiens, à la suite des événementsdu val d’Ossola. Par leur labeur, ils ont trans-formé une terre alluviale en un domaine propreaux cultures. Dans ce camp, une vingtaine deréfugiés ont travaillé chez des paysans, desvignerons ou pour l’Ecole d’agriculture voisinede Châteauneuf28. A Lalden, des Polonais ducamp de Viège ont effectué divers travaux d’as-sainissement. A noter encore la présence àGranges d’un camp disciplinaire pour réfu-giés civils. Les pensionnaires du camp logeaientdans la colonie pénitentiaire valaisanne aumême titre que les prisonniers suisses. Durantleur journée, ils étaient soumis à des travauxde défrichement29. Comme on peut le constater par ce panorama,le camp de travail, avec ses annexes, formaitle pilier principal du système. Le quotidiendes réfugiés civils et celui des internés militairescomportait de nombreuses similitudes. Cesdeux types d’internement reposaient en effetsur des principes où se mêlaient tradition d’ac-cueil helvétique, pragmatisme, improvisationmanifeste face aux circonstances continuelle-ment nouvelles et une volonté évidente de rac-courcir le séjour des internés. Certes, les condi-tions matérielles d’internement différaientselon les camps de travail, mais sans grande nuanceentre les civils et les militaires : mêmes bara-quements précaires en bois, installations sani-taires rudimentaires et tensions liées à la pro-miscuité. Les types de travaux physiques effectuésse ressemblaient également : drainages, construc-tion de routes, défrichages pour accroître leszones cultivables, extraction de tourbe pour rem-placer le charbon, terrassements et mises en cul-

ture. Malgré toutes ces similitudes, la compa-raison entre le traitement réservé aux civils etaux militaires internés tourne le plus souventà l’avantage des seconds, car pour ces derniers,comme le souligne Claude Hauser, les droitsétaient réglementés par les conventions interna-tionales, et le vécu quotidien en Suisse était parconséquent susceptible d’être plus facilement sou-mis au regard de l’extérieur 30.D’une manière générale, l’installation de campsde travail dans les régions valaisannes ne semblepas avoir posé de problèmes particuliers. Aucundocument ne fait allusion à la position officielledu canton du Valais face à leur implantation.Par contre, à l’échelle locale, la plupart descommunes se sont montrées réceptives auxdemandes de la Direction centrale des camps.Seuls la population de Tourtemagne et sonprésident furent réticents. En effet, peu aprèsl’ouverture, en octobre 1943, d’un camp de réfu-giés italiens, situé à proximité du village, lapopulation de Tourtemagne aurait exercé unerésistance passive vis-à-vis des internés italiens etdes troupes suisses à disposition de l’Internement 31.Malgré tout, le camp fut maintenu.Comme dans les cantons du Jura ou de Fribourg,cette faible contestation quant à l’établisse-ment de camps s’explique par leur implanta-tion dans des endroits isolés et par les règlesstrictes, en particulier pour les sorties et lescongés, imposées aux internés. De plus, lescommunes choisies bénéficiaient de l’assai-nissement et de la mise en culture de terrains,jusqu’ici en friche, à moindre frais, grâce auxsubsides de la Confédération32. Par contre, plusieurs stations touristiquesfurent moins bien disposées à transformerleurs hôtels en homes d’accueil. A la suite dela réorganisation du refuge en 1943, leshommes inaptes au travail, âgés de 16 à 60ans, n’étaient pas soumis dans les diverscamps à des travaux manuels en plein air; ilsétaient hébergés dans des homes d’interne-ment, tout comme les femmes placées dansdes homes particuliers, et chargées de travauxde repassage, de lessive ou de couture33. Pourréduire ou supprimer les coûts, l’administration

�28 AF, E 4800.1. ( - ) , /1967/111,

vo l . 14, Rappor t su r l a v i s i t e descamps en Va la i s fa i te l e 5 aoû t1944 pa r l a sec t ion du t rava i l duCF IH.

29 AF, E 4800.1. , 1967/111, vo l .34, Le t t re inconnue ad ressée àSchü r ch da tée du 12 ju in 1944.

30 HA U S E R 1999, p . 68.31 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 674,

Rappor t de v i s i t e du l i eu tenantHube r, o f f i c i e r de maté r i e l ,conce rnan t l e camp des in te r nési ta l i ens de Tou r temagne (25 e t26 oc tob re 1943).

32 HA U S E R 1999, p . 69.33 NA R B E L 2003, p . 152.

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aurait souhaité loger chez des particuliersceux qui, politiquement sûrs, ne pouvaientpas être assignés à des camps de travail.L’afflux obligea cependant à se résoudre àdes placements collectifs. En suivant les ins-tructions de décembre 1942 et l’arrêté du12 mars 1943, la Confédération a recouru àdes pensions ou à des hôtels désaffectés qui,compte tenu des circonstances, ne man-quaient pas. Mais, il n’était pas toujours facilede persuader cantons ou communes d’ac-cepter ces hôtes forcés et démunis dans deslieux de villégiatures34. En novembre 1944,les communes de Saas-Fee, de Loèche et deZermatt reçurent l’ordre de réquisitionnercertains hôtels. Selon la Confédération,Zermatt devait accueillir 1500 réfugiés, Saas-Fee 450 et Loèche 700. Dans une lettre adres-sée au conseiller d’Etat Troillet, l’Associationhôtelière valaisanne demandait d’intervenirauprès de l’autorité fédérale compétente pourla rendre attentive au préjudice qu’allaient éprou-ver les régions touchées. Au pire des cas, cesstations demandaient que les réfugiés lesaient quittés à la fin mai 1945 au plus tard,afin de préparer la saison d’été et de sauve-garder les intérêts des stations menacées35. Il fautdire qu’à Loèche-les-Bains, par exemple, l’hô-tellerie connaissait une progression économiqueintéressante. Depuis les années vingt, la sta-tion s’était efforcée de moderniser ses hôtelset ses bains. Grâce aux efforts entrepris, elleavait atteint, en terme de fréquentation, letroisième rang des stations de cure suisses.L’ordre de réquisition touchait la Société deshôtels et des bains qui possédait à elle seulecinq hôtels et 350 lits et qui, depuis le débutdes années trente, jouissait d’une vogue consi-dérable. Selon son Conseil d’administration :la réquisition [des] établissements va condam-ner cette saison en privant un grand nombrede malades suisses de leur cure et va compro-mettre, en outre, pour plusieurs années, l’acti-vité de [la] Société et de la station 36. En com-pensation, Loèche-les-Bains proposait tout demême d’aménager deux autres hôtels. Commeon peut le constater, le refus était motivé par

des enjeux économiques. Si aucun homed’accueil n’a été ouvert dans ces trois desti-nations touristiques, plusieurs stations valai-sannes se montrèrent plus accueillantes,comme Champéry ou Morgins. Certainshomes ont même été ouverts dans le Réduitnational, comme à Montana, à Finhaut, à Täsch, à Randa ou à Saint-Nicolas.Devant l’afflux de réfugiés en 1943/1944, ontenta de regrouper des populations homogènespar leur nationalité ou par leur appartenancereligieuse. Ainsi, les personnes attachées à la pra-tique du judaïsme, déterminées par l’expressionjuifs suivant le rituel dans les rapports desArchives fédérales, furent dirigées vers le centred’accueil de Morgins (où plus de 300 réfugiésétaient établis). Le home d’accueil de Champéry,sous contrôle de l’autorité militaire, fut de loinle plus peuplé de Suisse avec 650 résidants enjuin 194437 (283 femmes, 277 hommes et 90enfants), dont 571 étaient de religion juive enjuin 1944. Parmi ceux-ci, 168 étaient prati-quants38. Le camp comptait également des pro-testants qui assistaient au culte à Monthey etdes orthodoxes qui le suivaient à Territet39. Lesréfugiés provenaient de toute l’Europe : prin-cipalement d’Allemagne, mais également dePologne, d’Italie, de Yougoslavie, de France,de Tchécoslovaquie, de Belgique, de Grèce, deHongrie ou de Roumanie. Certains avaientune origine plus lointaine comme la Russie, laLituanie, la Palestine, voire l’Amérique latine(Argentine). De nombreux apatrides, sans douted’Allemagne ou d’Autriche, vivaient égalementdans le camp. Pour loger ces ressortissants cos-mopolites, le camp d’accueil se composait deneuf pensions et d’hôtels différents, dont deuxétablissements étaient réservés à des enfantsrépartis selon leur âge. Si le commandant et leshauts responsables du camp étaient suisses, laplupart des tâches étaient réalisées par les inter-nés eux-mêmes. Un service sanitaire était prisen charge par un médecin suisse épaulé parquatre médecins internés et un dentiste. Pourles enfants, les soins étaient apportés par leurpropre mère ou par un personnel spécialisé,tandis que l’enseignement scolaire leur était

�34 LA S S E R R E 1995, p . 245. 35 AEV, 3510.4, vo l . 20, Le t t re du

24 novembre 1944 del ’Assoc ia t ion hô te l i è re du Va la i sad ressée au conse i l l e r d ’E ta tTro i l l e t , che f du Dépa r tement del ’ i n té r i eu r.

36 AEV, 3510.4, vo l . 20, Le t t reda tan t du 16 novembre 1944 duConse i l d ’admin i s t ra t ion deLoèche - l e s -Ba ins ad ressée au che fdu Dépa r tement mi l i t a i r e fédé ra l .

37 AF, E 4001 (C) , vo l . 19, Rappor tdu CF IH du 9 mars 1943. Lenombre de ré fug iés va r ia i tcons tamment . Pa r exemp le , enmars 1943, l e home d ’accue i l enlogea i t 339 a lo r s qu ’en novembre1943, i l n ’en accue i l l a i t que 207.

38 AF, E 4800.1. ( - ) , 1967/111,vo l . 14, p rog ramme dé ta i l l é de lasema ine cu l tu re l l e se dé rou lan t du1er au 7 aoû t 1944 à Champér y.

39 NA R B E L 2003, p . 154.

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donné par des enseignants choisis parmi lesinternés. Comme on peut le constater, ces réfu-giés vivaient pratiquement en autarcie – la plu-part des tâches essentielles à la vie intérieure etextérieure du camp étant remplies par les inter-nés eux-mêmes. Ces derniers travaillaient huitheures par jour et étaient encore responsablesde la cuisine, des combustibles, du chauffage,de la lessive, de la menuiserie, de la lumière,de l’eau et du repassage. Des ateliers étaientégalement mis sur pied, comme pour la cou-ture, les travaux de cordonnerie, ou de reliure.Maxime Gay-des-Combes, un habitant deFinhaut, a gardé le souvenir de ces activités : Les r é fug i é s é ta i en t o c cupé s à de s co r vée s .Ils travaillaient à la coupe du bois ou allaientchercher l e la i t à la gare de Finhaut chaquematin. Le la i t provenai t de la Centra le deVernayaz e t é ta i t acheminé en t ra in ju squ’àFinhaut . Ce la i t ne s e r vai t qu’aux ré fugié s .L’hiver, i l s u t i l i sa i ent une grande luge pourremonter la boi l l e tous l e s mat ins depui s lagare. Les provisions pour les réfugiés venaientéga lement d’a i l l eur s . Je ne sa i s pa s d’où40.Le village de Finhaut a connu plusieurs vaguesde réfugiés. Logés dans les deux plus grands hôtelsde la station pouvant accueillir une centainede réfugiés chacun, les premiers sont arrivés endécembre 1942 et provenaient essentiellementde France, d’Italie ou d’Allemagne. En 1943,de nouveaux arrivants principalement ukrainienset polonais furent placés à la Croix-Fédérale età la Villa Viktoria. Certains restèrent jusqu’enautomne 1945, d’autres décidèrent de rentrerplus vite en franchissant clandestinement lafrontière française à proximité du village, sibien qu’à la fin de la guerre, il n’y avait prati-quement plus de réfugiés dans la station. Alorsarrivèrent des soldats tuberculeux allemands,dont le séjour fut contesté par l’opinion publiquelocale et Le Confédéré. A Täsch, à Randa ou à Montana, des homespour femmes et enfants ont été mis sur pied.A Montana, environ 150 réfugiées majoritai-rement israélites logeaient à l’Hôtel Viktoriaaccompagnées de leurs enfants. A Täsch, unhôtel réquisitionné servait, en l’absence de

touristes, de camp de travail pour jeunes femmesjuives non pratiquantes, principalement d’ori-gines italienne, tchèque, polonaise et française.Les conditions de logement paraissaient excel-lentes pour l’époque, puisque les réfugiéesavaient une chambre pour quatre avec unetoilette commune41. A Täsch, les enfants étaientconfiés à une personne chargée de la garderiependant que les mères s’occupaient de l’entretiende l’hôtel. Selon le règlement des centres d’ac-cueil, les femmes n’avaient pas le droit derendre visite à leurs enfants à la garderie pen-dant la journée. Elie Zwissig, président de la ville de Sierre, aretracé l’activité du Secours aux enfants depuisle début de la Guerre mondiale dans un rap-port annuel et en a profité pour établir unbilan du refuge en Valais jusqu’en 1949. Selonlui, dans les huit homes d’accueil (Täsch, Saint-Nicolas, Randa, Rarogne, Finhaut, Montana,Morgins et Champéry), quinze nations et huitreligions différentes furent représentées, sanscompter les 166 enfants sortis de ces camps etrépartis dans les familles.

L E S I N T E R N É S P O L O N A I S :D E S M I N E S A U B A R R A G E

Les charbons indigènes contribuèrent dansune mesure appréciable à l’approvisionnementdu pays en combustible. La pénurie de matièrespremières imposa, comme lors de la PremièreGuerre mondiale, l’exploitation des réservesminérales et fossiles. Aussi de nombreusespetites entreprises surgirent au début de laDeuxième Guerre mondiale pour extraire del’anthracite, du lignite, de la houille schisteusevoire du minerai42.En Valais, l’unique mine d’anthracite qui sub-sistait encore avant la Seconde Guerre mon-diale était celle de Grône I. C’est alors quel’on réactiva la mine de Chandoline près de Sion43,une des anciennes du canton. En 1937, alorsque la mine avait été abandonnée depuis 1921,l’entrepreneur montheysan bien connu JosephDionisotti avait entrepris des sondages afind’alimenter les fours de sa fabrique de chaux

�40 I n te r v iew de Max ime Gay -des -Combes

réa l i sé l e 11 août 2004 à F inhau t .41 RE G A R D 2002, p . 95.42 AF, E 7393, vo l . 173, Le t t re envoyée

le 20 fév r i e r 1941 pa r l eDépa r tement fédé ra l de l ’économiepub l i c aux gouve rnements can tonaux .

43 Que lques mo i s p lus ta rd , l e t rava i lava i t rep r i s aux mines de Fe rden , deBramo is , de Ve rnayaz , de Haute -Nendaz , de Do rénaz e t de G rône I I , s ib ien qu ’en 1941 dé jà , tou tes l e smines d ’an th rac i te exp lo i tées en t re1914 e t 1918 é ta ien t de nouveau enp le ine ac t i v i t é , i n L’économie degue r re en Su i s se , 1939/1948,Rappor t du Dépa r tement fédé ra l del ’économie pub l i que , pub l i é pa r l aCen t ra le fédé ra le de l ’économie degue r re , Be rne , 1951, p . 860.

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�44 AF, E 7393 ( - ) , / -1 , vo l . 177,

Le t t re de Joseph D ion i se t t i àl ’O f f i ce de gue r re pou r l ’ i ndus t r i ee t l e t rava i l da tée du 26 fév r i e r1945.

45 AEV, 6100-6/86, séance duConse i l d ’E ta t du 29 novembre1938.

46 AF, E 5791, ( - ) , -/1, vo l . 600,Le t t re du 27 août 1940 ducommissa i re fédé ra l àl ’ i n te r nement de Mura l t ad resséeà Joseph D ion i so t t i .

47 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 596,Le t t re du 27 sep tembre 1941 duCF IH ad ressée au commandant dusec teu r G r i sons conce rnan t l edé tachement du Mont -Chemin .

48 AF, E5791 ( - ) -/1, vo l . 746,inspec t ion du sec teu r du 31oc tob re 1941 pa r l e ma jo r F rey,médec in - che f de Bü ren .

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à Monthey44. Le Conseil d’Etat du Valais luiaccorda la concession en novembre 193845.Toutefois, il n’avait pas encore atteint les filonsexploitables au début de l’année 1940 et les fraisde prospection atteignaient le million de francs.Loin de se décourager, Joseph Dionisotti per-sévéra et commença finalement l’exploitationau printemps 1940. Pour intensifier l’exploitation des mines deChandoline, Joseph Dionisotti a demandé àla Confédération, en août 1940, une douzained’ingénieurs, de techniciens et de contremaîtresspécialistes des mines de charbon; si la main-d’œuvre valaisanne existait, les cadres spécia-lisés faisaient défaut. Le commissaire fédéral àl’internement de Muralt accepta de détacherdes hommes choisis parmi les internés polo-nais, car écrit-il, l’extraction du charbon enSuisse est d’intérêt national et la mine de Chandolineserait, aux dires des intéressés, d’un grand ren-dement qualitatif et quantitatif 46. Dans la lettreenvoyée à Joseph Dionisotti, de Muralt exigeaitencore que ces internés reçoivent un salairerelativement élevé, soient bien nourris, bien logéset surveillés par la gendarmerie valaisanne. Le 27 septembre 1940 déjà, les premiers inter-nés militaires polonais arrivèrent aux minesde Chandoline. Le lieutenant polonais Raspondekétait responsable des quarante-cinq internés.Il fut d’une aide précieuse pour l’entrepreneurmontheysan, grâce à sa grande expérienceacquise aux mines de Kattowitz. La plupart desinternés polonais étaient également mineurs demétier. Un an plus tard, vingt internés polo-nais ont été transférés depuis un camp de larégion de Coire pour travailler aux mines duMont-Chemin au-dessus de Martigny47. Toujoursen automne 1941, des internés polonais ontégalement travaillé au barrage d’Illsee. Les tra-vaux consistaient à rehausser le barrage de septmètres pour en augmenter la capacité d’accu-mulation. Quant à l’organisation du détache-ment, il fut, comme à Chandoline, sous les ordresd’un lieutenant. Le lieutenant Janicki étaitgéomètre de métier et avait sous ses ordresneuf sous-officiers et vingt-neuf soldats. Dela même manière, le détachement de Mont-

Chemin dépendait d’un commandant polonais,le premier lieutenant Lubienski, qui avait cin-quante-deux hommes sous ses ordres. Si lesPolonais logeaient dans des baraquements àChandoline ou à Illsee, aux mines du Mont-Chemin les internés habitaient au troisième étagede l’Hôtel du Mont-Vélan, qui était un can-tonnement idéal bien que le chauffage ne sem-blait pas suffisant pour l’hiver48. A Chandoline, les travaux de construction deslogements furent achevés en août 1940. Selonle rapport du service d’hygiène, l’établissementdu camp était exemplaire. Il s’agissait d’unbaraquement spacieux et solide, bâti sur deuxétages avec deux dortoirs de trente lits. Chaqueinterné avait une place réservée et bien déli-mitée. Il possédait un petit buffet particulierpour les objets et les habits personnels, demême qu’une couchette avec matelas et deux

I n te r nés po lona i s so r tan t de la mine de Chando l ine(Fondat ion A r ch i vum He lve to -Po lon i cum, F r ibou rg)�

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couvertures. Au rez-de-chaussée, mis à part ledortoir, il y avait les douches et les toilettes,tandis qu’au deuxième, se trouvaient la chambreet le bureau du lieutenant Raspondek. Le can-tonnement était relativement moderne, avaitune cuisine, un frigo et même un chauffage cen-tral. Globalement, les internés étaient satis-faits, dans un premier temps, de leur loge-ment, de leur nourriture et de leurs salaires49. A Illsee, les internés logeaient dans deux bara-quements chauffés électriquement. Les doucheset les toilettes étaient en nombre suffisant. Deplus, lors des repas, l’équipe polonaise et lesouvriers suisses mangeaient dans une cantinecommune. Quant aux relations entre les inter-nés et les différentes entreprises, elles furent,

selon les rapports sanitaires, excellentes. Du reste,non seulement à Illsee, mais également àChandoline, il n’y a pas eu à déplorer d’éva-sion, ce qui prouvait bien la bonne entente quirégnait entre l’entrepreneur et les internés50. Seulsau Mont-Chemin, dix Polonais s’étaient éva-dés en octobre 1941 pour tenter de rejoindrela frontière française. Deux jours après leurévasion, quatre d’entre eux furent arrêtés parla police à Martigny et envoyés dans le campde punition de Wauwilermoos. Si les logements paraissaient bien adaptés, lesconditions de travail à Chandoline étaient parcontre très difficiles pendant les premiers moisaussi bien pour les mineurs indigènes que pourles internés. Contrairement à la plupart des

�49 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 777,

Rappor t san i ta i re de janv ie r1942.

50 AF, E5791 -/1, vo l . 746,inspec t ion du médec in che f deBüren , l e ma jo r F rey, du 31oc tob re 1941.

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Mineurs poussan t des wagonnets(Fondat ion A r ch i vum He lve to -Po lon i cum, F r ibou rg)�

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autres métiers, il n’y avait ni organisation patro-nale, ni organisation ouvrière pour les mineurs.Beaucoup de travailleurs se plaignaient notam-ment de mesures d’hygiène insuffisantes, d’unetrop longue durée de travail ou de salaires tropbas51. En décembre 1940, un conflit éclata entreJoseph Dionisotti, directeur des mines deChandoline, et les vingt-quatre ouvriers polo-nais engagés dans l’entreprise. L’incident por-tait sur le nombre d’heures de travail. Commeaucune entente n’avait pu aboutir dans un pre-mier temps, Joseph Dionisotti décida de congé-dier son personnel étranger, avant de se rétrac-ter52. Malgré certaines améliorations, les chefsd’entreprises minières se comportèrent un peucomme des colons en terre vierge, puisqu’il n’exis-tait dans cette profession aucune tradition oudisposition légale. En ce qui concerne les mineursvalaisans, les salaires furent calqués sur ceux trèsbas des ouvriers du bâtiment. On travaillaittous les jours de la semaine, y compris ledimanche, avec un horaire hebdomadaire de72 à 80 heures. Les femmes occupées au triagedu charbon peinaient, à ciel ouvert, sans aucunabri contre le vent, la pluie, le froid. En mars1941, Le Nouvelliste décrit, dans un article defond, le travail des mineurs et demande que lesautorités soient appuyées par l’opinion publiqueafin d’assurer aux travailleurs le minimum vitalet des conditions de travail conformes aux lois53.En juin 1941, le chef du Département des tra-vaux publics a mené une enquête sur l’exploi-tation des mines. Dans un compte rendu parudans Le Nouvelliste, il souligne que les installa-tions sanitaires laissaient beaucoup à désirer54. Leconseiller d’Etat ne fut pas le seul à se plaindrede l’hygiène. En effet, les contrôles sanitaires effec-tués par les médecins dénonçaient les mêmeslacunes :L’eau servant pour le s douches me paraît trè ssu spec t e , car on ut i l i s e l ’ eau captée dans l e stunne l s où l e s eaux pourra i ent b i en avo i rété soui l l ée s par le s latr ines . Cela n’e s t peut-ê t re pas é t ranger à l ’ in fec t ion f réquente de spe t i t e s p la ie s . L’ eau potable devrai t ê t re demême vér i f i é e e t analy s é e bac t ér io log ique-ment55.

Au Mont-Chemin, on se plaignait non pasdes éventuels risques de pollution de l’eau,mais de son manque aussi bien dans la mineque pour faire la toilette. Malgré les efforts dela direction de la mine, il ne fut pas possibled’en obtenir davantage jusqu’au départ desinternés. Dans son rapport, le Dr Sierro, responsable dudétachement de Chandoline, met égalementen évidence le fait que la question de la silicosedevrait être envisagée à Chandoline, puisquela mine de charbon était tout autant une minede silice et souligne que les autres mesuresdemandées, comme l’obligation du port dumasque, n’étaient pas appliquées56. Malgré les efforts entrepris, tous les problèmesd’hygiène n’étaient pas encore résolus en février1942. L’infirmier polonais devait notammenttravailler dans des conditions défectueuses,puisqu’une infirmerie faisait toujours défaut etle commandant du secteur Rhône, dans unelettre de recommandation à la Direction desmines, se fit plus menaçant à l’égard de l’en-trepreneur montheysan qui a dû prendre lesmesures adéquates57. Si les conditions d’hygiène ont beaucoup évo-lué durant l’année 1942, les conditions de tra-vail demeuraient par contre rudes. Dans cecontexte relativement difficile, le mouvementchrétien et corporatif intervint tout d’aborden faveur des ouvriers valaisans via un projetde contrat collectif de travail. Il provoqua uneassemblée de tous les concessionnaires le 31janvier 1942. Ce fut le point de départ del’Association des producteurs d’anthracite duValais (APAVAL) qui signa, avec le nouveausyndicat, le contrat collectif de la Corporationdes mines d’anthracite du Valais le 7 avril194258. Une Convention entra en vigueur le1er juillet 1942 en abrogeant toutes celles quiprécédaient. La vie des internés en fut amé-liorée59. D’un point de vue administratif, lesinternés ne dépendaient plus disciplinaire-ment de la police cantonale, mais d’un com-mandant suisse, formant ainsi un camp à partentière. Enfin, les internés, tout comme à Illseeet au Mont-Chemin, étaient nourris et rétri-

�51 NF, 5 mars 1942, Dans l es mines

d ’an th rac i te . 52 NF, 4 janv ie r 1941, Un con f l i t

aux mines de Chando l ine .F ina lement , à l a su i te de ce t teg rève , un nouveau règ lement ducamp fu t é tab l i . Les in te r nésoccupés à la mine t rava i l l a i en tdès lo r s en t ro i s équ ipes de 8 à10 heu res pa r j ou r e t l ’o rd re dujou r fu t f i xé pa r l a D i rec t ion desmines . Comme au Mont -Chemin ,les in te r nés receva ien t un sa la i rede 0 f r.40 f ranc pa r heu re .

53 NF, 30 mars 1941, Aux mines decha rbon , A . E .

54 NF, 5 ju in 1941, L’enquête su rl ’exp lo i ta t ion de nos mines ,a r t i c l e s igné pa r l e che f duDépar tement des t ravaux pub l i c s(An thamat ten) .

55 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 777,Rappor t san i ta i re de janv ie r1942.

56 I b idem.57 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 777,

Rappor t san i ta i re de fév r i e r 1942.58 Le con t ra t en t ra en v igueu r

l e 15 av r i l 1942. NF, Le con t ra tco l l e c t i f dans l e s mines , R . Jacquod, 26 août 1944.

59 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 674,inspec t ion du sec teu r Rhône pa r l eco lone l B lanc , commissa i re desgue r res au CF IH da tan t du 8sep tembre 1942.Pa r l a Convent ion s ignée en t re l eCF IH e t Joseph D ion i so t t i enju i l l e t 1942, l e règ lement ducamp du 14 fév r i e r 1941 fu tmod i f i é . Le t rava i l de l ’ i n te r né fu tdo rénavant l im i té à hu i t heu respa r j ou r. S ’ i l t rava i l l a i t p lus , i lr e ceva i t une indemni té pou r l e sheu res supp lémenta i res . En ou t re ,pou r s t imu le r l e t rava i l desin te r nés , l ’ en t rep reneu rs ’engagea i t à l eu r paye rd i rec tement une p r ime en espècese lon leu r rendement .

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bués par les entreprises, si bien que les ques-tions administratives étaient réduites pour laConfédération à leurs plus simples expres-sions, puisque que les contrats établis pré-voyaient que les versements devaient se fairedirectement au Quartier général du secteur60.Le travail des mineurs a encore été amélioréen juillet 1943, lorsque le Conseil fédéralédicta un arrêté de vingt-six articles conte-nant des dispositions sur la prévention desaccidents, la protection de la santé, les rapportsjuridiques et la durée du travail61. Une conven-tion a également été introduite au Mont-Chemin en raison d’un conflit entre l’entre-preneur et les internés polonais. Dès lors, il n’ya plus eu de tensions entre les deux parties62. A Illsee, les problèmes furent d’un autre ordre.En effet, les internés polonais qui travaillaientavec un concasseur étaient menacés de pneu-moconiose. A Illsee, l’effectif a passablementévolué. Comme l’entreprise Illsee-Turtman A-G. était contente des travailleurs polonais,trente internés supplémentaires arrivèrent en1942 et s’intégrèrent aux trois cents vingtouvriers suisses63. Selon les souhaits de l’entreprise,le contingent devait atteindre une centained’internés. Mais en juin 1942, les événementsse sont gâtés. Tout d’abord, un infirmier fai-sait défaut. Par la suite, il n’y a plus eu demédecin polonais. Mais, le manque d’infir-miers n’était pas le seul problème : les internés, ayant été envoyés au camp d’Illseeà 2340 m à côté de la vallée de Tourtemagne,se sont p laint s de ne pouvoir suppor ter l ’a l -t i tude e t l e t ravai l du camp64.En effet, le pourcentage des soldats envoyés àBüren et présentant un physique faible était impor-tant. De plus, outre sept internés désirant par-tir, car inaptes au travail, il y avait encore dessoldats récemment opérés, ou ayant été récem-ment en traitement dans des hôpitaux ou desinfirmeries. Ainsi, plus de la moitié des inter-nés envoyés à Illsee n’étaient pas prêts à réali-ser les tâches demandées par l’entreprise. On a envoyé dans un camp i so l é à 2340 md’al t i tude, des so ldats peu aptes aux travauxde mines, des malades, des opérés, des faibles.

Je c ro i s qu’on ne s’ e s t pa s rendu compte dutravail demandé. […] Il y aurait lieu à l’ave-nir de t r i e r l e s interné s qu’on y enverra , e tne pa s envoye r de s inap t e s à c e s g ro s t ra -vaux65.En juin 1942, l’hygiène laissait encore à dési-rer. L’eau était trop calcaire, il n’y avait tou-jours pas de douche et les toilettes étaient pri-mitives. En août 1942, les internés ne supportaientplus les conditions de travail : Ce camp e s t s i tué à 2300 m d’a l t i tude ; p lu-s i eur s interné s ne suppor tent pas c e t t e a l t i -tude , spéc ia l ement ceux qui sont p lu s âgé s .On note une lassitude, de la tachychardie, etc.Plus i eur s ont dû ê t re rede s cendus , c e campsera di s sous sous peu66.Malgré ces rapports accablants, le détache-ment d’Illsee fut maintenu jusqu’au 4 sep-tembre 1942, les travaux ayant pris fin. Au Mont-Chemin, les problèmes et les récla-mations liés aux internés furent moindres; lesalaire et les conditions de travail donnaientsatisfaction, même si le service d’hygiène déplo-rait tout de même certaines imperfections.Les rapports sanitaires permettent égalementde dresser le bilan des accidents de travail. Laplupart des accidents se sont produits pen-dant leur travail. De septembre 1940 à octobre1943, il y a eu au moins treize accidents graves

�60 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 666,

Le t t re du co lone l Jacqua t ,commandant sec teu r Rhône, auCF IH, 17 ju i l l e t 1942.

61 RH, 27 ju i l l e t 1943.62 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 666,

Rappor t mensue l du co lone lPe r re t , commandant du sec teu rRhône, d ’oc tob re 1942.

63 AF, E5791 -/1, vo l . 746,inspec t ion du sec teu r Rhône pa r l emédec in - che f du camp de Bü ren ,du 31 oc tob re 1941.

64 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 777,co r respondances en t re l e cap i ta ineAd r ien Jo ly, médec in - che f dusec teu r Rhône, e t l e médec in che fde l ’ i n te r nement , de ju in 1942.

65 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 777,co r respondances conce rnan t l esec teu r Rhône, de ju in 1942.

66 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 777,Rappor t san i ta i re d ’aoû t 1942.

81

Mineur po lona i s au t rava i l(A r ch i ves p r i vées de la fami l l e Pe r re t )�

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impliquant onze hospitalisations. Deux inter-nés polonais sont décédés des suites de leursblessures. Il s’agit de soldats travaillant auxmines de Chandoline: de Jean Niedziela (décédéle 21 février 1941) et de Francisek Okupski(décédé le 19 janvier 1943) écrasés par desblocs de pierre détachés des galeries à l’inté-rieur de la mine67. L’opinion publique a été tou-chée par ces décès, comme en témoigne un articledu Nouvelliste. Hélas ! la mor t e s t venue chercher sa pro ieau fond d’une noire galerie de mine. L’hommequi , pour obé ir aux lo i s du t ravai l , s’ en se -velis sait chaque jour, n’est pas ressorti vivantdes entrail les de la terre. Et ses yeux de chairn e r e v e r r o n t p l u s t a n t d ’ ê t r e s a i m é s a u xr i vag e s b én i s du pay s na ta l . […] Commetous s e s camarade s de combat , c e t enfant dela malheureuse Pologne gardait sans doute aufond du cœur l’espoir de revoir un jour le visageaimé de sa patr i e […]68.Les expériences de la Première Guerre mondialeont montré les difficultés d’exploitation desgisements d’anthracite du Valais. Il faut dire quel’anthracite valaisan était de qualité nettementinférieure aux combustibles étrangers de lamême catégorie. La teneur en cendres des pre-miers variait entre 20 % et 40 %; celle desdeuxièmes dépassait rarement 8 %. Les pre-miers avaient un pouvoir calorifique comprisentre seulement 4000 et 6000 calories, tandisque les deuxièmes dégageaient 8000 calories.De plus, les anthracites valaisans avaient unecombustion lente, qui demandait finesse etpatience dans l’emploi, alors que les charbonsétrangers brûlaient facilement69. Ainsi, pouréviter que des capitaux soient engagés de façoninconsidérée, la Confédération a adjoint unexpert en industrie minière à l’Office de guerrepour l’industrie et le travail en la personne del’ingénieur H. Fehlmann qui avait dirigé pen-dant la Première Guerre mondiale le bureau desmines. Sa tâche consistait à favoriser, dans lamesure où elle intéressait l’économie de guerreet se justifiait du point de vue économique, touteactivité tendant à mettre en valeur les ressourcesminières de la Suisse. L’objectif de cet organisme

consultatif avait pour but de prévenir d’im-prudents placements de capitaux, tout en sti-mulant la mise en valeur des gisements miniersqui valaient la peine d’être exploités dans lesconjonctures des années 4070. Les gisements exploi-tés avec succès pendant la Première Guerremondiale ont d’abord été remis en activité.C’est en 1941, finalement, que l’extraction ducharbon a véritablement commencé71. La minede Chandoline fut la première à donner des résul-tats très encourageants. D’autres suivirent :Dorénaz, Collonges, Ferden, Grône I et II,Bramois, Nendaz, Isérables, Chippis-Réchy,Salins, Les Arpalles, etc. Certains gîtes se révé-lèrent trop pauvres pour que l’exploitation ensoit rentable et durent être bientôt abandonnés72.Selon la Convention de juillet 1942, le CFIHs’était engagé à mettre à disposition de l’entre-preneur de cinquante à cent internés pour l’ex-ploitation des mines de charbon de Chandoline.Si en août 1940, il y avait quarante-six inter-nés, leur nombre ne cessa d’augmenter jusqu’enjuillet 1943 pour atteindre 114 Polonais. Lesmineurs valaisans ont connu la même progres-sion, de 150 au début à plus de 350 par la suite,voire même à 500 en novembre 194273. LesValaisans furent engagés de préférence et occu-paient les emplois de manœuvres ou de mineurssecondés dans leur tâche par des ouvriers spé-cialisés suisses et polonais74. L’extraction ducharbon feuilleté connut la même progressionque le nombre d’ouvriers et monta en flèche àpartir de 1941 pour atteindre en 1943 son ren-dement mensuel maximum. L’autorité fédéraleavait donné l’ordre d’intensifier autant que pos-sible la production, et la plupart des entreprisess’y était conformée75. En mai 1943, la Commissionde gestion du Conseil national visita les mines.Lors de cette journée officielle, le conseillerd’Etat Anthamatten, chef du Département del’intérieur et des travaux publics, était très opti-miste quant à l’avenir des mines : Actue l l ement , la mine de Chandol ine à e l l eseule, donne le 50 % de la production totale,so i t l ’année dernière 55 000 tonnes environsu r un t o t a l d e 107 000 t onne s e x t ra i t e sdan s no t re can ton . Ce t t e année nou s p r é -

�67 Arch i ves p r i vées , commune de

Sa l ins .68 NF, 1er mars 1941, La mor t du

pe t i t so lda t po lona i s .69 NF, 2 ju i l l e t 1943, Le p rob lème

min ie r va la i san , B r. Campana, D rès - s c iences , géo logue .

70 AF, E 7393, vo l . 173, Le t t re du20 fév r i e r 1941 envoyée pa r l eDépa r tement fédé ra l del ’économie pub l i que (S tampf ly)aux gouve rnements can tonaux .

71 AF, E 7393 ( - ) , / -1 , vo l . 177,Le t t re de Joseph D ion i se t t i àl ’O f f i ce de gue r re pou r l ’ i ndus t r i ee t l e t rava i l , du 26 fév r i e r 1945.

72 AF, E 7393 ( - ) , / -1 , vo l . 177,Rappor t d ’E l i e Gagneb in su r l e sg i sements d ’an th rac i te va la i sanse t l e Bu reau fédé ra l des mines ,du 16 mars 1945.

73 NF, 12 novembre 1942, Les minesen Va la i s , R . Jacquod.

74 NF, An th rac i te va la i san , l ep rod ig ieux e f fo r t des mines deChando l ine -S ion .

75 AF, E 7393 ( - ) , / -1 , vo l . 177,Rappor t de 1951 du Dépa r tementfédé ra l de l ’économie pub l i quepub l i é pa r l a Cen t ra le fédé ra le del ’économie de gue r re , p . 860.

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Menu i s ie r s po lona i s cons t r u i san t un écha faud du ba r rage d ’ I l l see(Fondat ion A r ch i vum He lve to -Po lon i cum, F r ibou rg)�

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voyons que la produc t ion to ta l e de s mine sdu Valai s s e ra d’ environ 150 000 tonnes76.Mais en août 1943, une crise liée au contin-gentement des charbons indigènes et à la capi-tulation de l’armée italienne frappa les mines.Des stocks souvent considérables restèrent surle carreau77. Chandoline ne fut pas épargnéeet la mine a dû cesser le travail. En août 1943,la moitié de l’effectif des mineurs de Chandolinea été retirée, sur la demande de la Directiondes mines, pour manque de travail78. Dès lors,le détachement de travail de Chandoline a étésupprimé. En octobre 1943, les derniers inter-nés quittèrent la mine79. Quant aux 1700mineurs valaisans ayant travaillé dans les minesdu canton durant la période faste, il n’en res-tait plus que 200 environ en novembre 194380.(La totalité de la production de Chandolinede 1941 à 1943, soit en trois ans, s’élevait à116 000 tonnes; alors que durant son exploi-tation de 1914 à 1921, soit en sept ans, ellene se montait qu’à 25 000 tonnes !)Pendant presque une année et demie, soit demars 1943 à novembre 1944, une crise aiguëa frappé l’œuvre minière nationale. Durantcette période, l’entreprise a maintenu en étattoutes les installations, les pompages, les gale-ries de roulage en pure perte et au prix delourds sacrifices81.On sait que l’autorité fédérale, à cette occasion,ne put venir en aide aux exploitants d’unefaçon suffisamment efficace. Elle était en grandepartie responsable, par les ordres formels qu’elleavait donnés, de l’intense développement desexploitations et de l’accroissement de la pro-duction. Elle ne fut pas en mesure de proté-ger les exploitants contre les conséquences éco-nomiques de ses ordres. En décembre 1943,la presse suisse, y compris les grands quotidiens,s’inquiéta de la situation précaire des mines decharbon en Valais comme ailleurs82. Pourtant, dès l’automne 1944, les circons-tances ont permis à la plupart des grandesexploitations de se remettre à l’œuvre. Mais dèslors le Bureau des mines, créé pour favoriserl’exploitation des richesses minérales du pays,a semblé au contraire multiplier les mesures propres

à l’entraver83. L’exploitation de la mine a toutde même repris en 1945. En 1946, diverses cor-respondances de la Société des mines deChandoline-Sion font état de la crise que tra-versaient à nouveau les mines valaisannes quin’avaient plus de commandes de charbon. Les résultats de l’exploitation du fer en Valaisfurent également peu heureux. En 1938, auMont-Chemin, des relevés magnétométriqueset, plus tard, une coupe transversale décelèrentl’existence d’un filon jusqu’alors inconnu. Audébut de 1940, la valeur du minerai extrait étaittout à fait exceptionnelle en raison de sonpourcentage en fer et l’exploitation a débuté.Au cours de l’automne 1940 déjà, une premièredébâcle financière réduisit l’activité de la mine84.Après avoir congédié une partie du personnelen mai 1943, l’entreprise se poursuivit malgrétout jusque dans les derniers mois de 194385,pour s’effondrer alors définitivement en entraî-nant dans sa débâcle les sociétés affiliées. Ainsi, en Valais, aussi bien la mine de fer duMont-Chemin que la mine d’anthracite deChandoline connurent de graves difficultés.En conséquence, les internés polonais ont dûêtre transférés pour effectuer des travaux d’unautre type.

L A B A T A I L L E D E L’ A G R I C U L T U R E

Pendant leur séjour en Suisse, les réfugiés ontété engagés pour la plupart dans la bataille del’agriculture 86. Des entreprises, tant privéesque publiques, ont adressé des demandes àl’Office cantonal du travail qui les a trans-mises au préposé à la création d’occasions detravail du CFIH. Si le travail dans les mines aété uniquement réalisé par des internés polo-nais, les travaux dans le cadre du plan Wahlenont été effectués par différentes catégories deréfugiés. Tout d’abord, il y avait des internésmilitaires, provenant de trois nations : d’Italie,de Russie et majoritairement de Pologne. LesPolonais étaient répartis dans plusieurs campsde base : Illarsaz, Saillon, Châteauneuf, Granges,Sierre et Viège. Les Russes logeaient dans un

�76 AEV 6100-6/34, ma i 1943.77 AF, E 7393 ( - ) , / -1 , vo l . 177,

Rappor t du 16 mars 1945 d ’E l i eGagneb in e t du Bu reau fédé ra l desmines conce rnan t l e s g i sementsd ’an th rac i te du Va la i s .

78 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 666,Rappor t mensue l du co lone lPe r re t , commandant du sec teu rRhône, da tan t d ’aoû t 1943.

79 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 777,Rappor t san i ta i re du CF IH,d ’oc tob re 1943.

80 NF, 12 novembre 1943, Les minesen Va la i s , R . Jacquod.

81 AF, E 7393 ( - ) , / -1 , vo l . 177,Rappor t de 1951 du Dépa r tementfédé ra l de l ’économie pub l i quepub l i é pa r l a Cen t ra le fédé ra le del ’économie de gue r re , Be rne , pp .11 -13.

82 RH, 17 décembre 1943, C r i se desmines de cha rbon .

83 AF, E 7393 ( - ) , / -1 , vo l . 177,Rappor t de 1951 du Dépa r tementfédé ra l de l ’économie pub l i quepub l i é pa r l a Cen t ra le fédé ra le del ’économie de gue r re , Be rne , pp .5 -6 .

84 AF, E 7393 ( - ) , / -1 , vo l . 177,Rappor t de 1951 du Dépa r tementfédé ra l de l ’économie pub l i quepub l i é pa r l a Cen t ra le fédé ra le del ’économie de gue r re , Be rne , p .861.

85 RH, 21 ma i 1943, A p ropos desmines de fe r du Va la i s , Gs A t .

86 FAM, 28 fév r i e r 1941, Lesin te r nés po lona i s au se r v i ce del ’ag r i cu l tu re .

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camp à proximité du village de Rarogne, tan-dis que les Italiens travaillaient pour la plupartdans le Haut-Valais. De plus, mis à part ceuxdes internés militaires, plusieurs camps de tra-vail pour réfugiés ont été ouverts dans la plainedu Rhône pour effectuer des travaux de ter-rassement. Collombey-Muraz fut la première communeà mettre sur pied une sorte de plan quin-quennal pour valoriser les terrains en frichequ’elle possédait dans la plaine du Rhône87.Depuis la guerre, en exécution du plan Wahlen,l’aide de la Confédération et des cantons per-mit à Bernard de Lavallaz, président deCollombey-Muraz, d’envisager la mise en cul-ture d’importantes surfaces incultes. Dès1941, une étude complète des travaux à réa-liser fut adoptée par les pouvoirs publics. Ceprojet portait sur une mise en valeur de 1500hectares environ. Les sites de défrichementconcernés étaient : Les Barges, Savora, Savolar,Grande-Ile, Les Paquais, Tabacs et Les Ronziers,terrains situés sur le territoire des communesde Vouvry, Vionnaz et Collombey-Muraz.En mars 1941, un camp d’émigrants alle-mands était déjà constitué sur le territoire dela commune de Vouvry. Ce camp a été éta-bli au début de l’année 1941 sur la base dedécisions des autorités fédérales88. A Illarsaz,le premier camp de base d’internés polonaisfut établi en novembre 194189. Des contratsentre le CFIH et certaines communes valai-sannes ont été conclus en avril 1942. Ilsconcernaient des travaux de drainage pourl’ouverture de canaux, puis de remblayage oualors des travaux de défrichement. Ces contrats,contrairement au camp d’émigrés allemandsde Vouvry, concernaient exclusivement desinternés militaires polonais. Dans le Bas-Valais, des contrats ont été passés avec lescommunes de Vionnaz, de Collombey-Murazet avec une entreprise privée pour la mise àdisposition de cinquante à cent internés. Dansle Valais central, des contrats ont égalementété signés avec les communes de Granges, deSaint-Léonard, d’Uvrier, de Saillon, deChâteauneuf et de Conthey. Il s’agissait de

contrats de location de terrains pour unedurée de 5 à 10 ans. Si l’internement prenaitfin avant la date fixée, le CFIH avait la pos-sibilité de résilier le contrat. Pour effectuer ces travaux, le CFIH a établi dansun premier temps quatre camps de base enValais : à Illarsaz, à Granges-Lens, à Saillon età Châteauneuf. La direction technique des tra-vaux était du ressort des chefs de cultures.Dans le cadre du plan Wahlen, étant donnéles conditions difficiles du ravitaillement, lescommunes de montagne, moins privilégiées quecelles de la plaine quant à la nature du sol età son exploitation rationnelle, ont dû ellesaussi participer à l’extension des cultures. Ainsi,des internés polonais ont oeuvré sur le Plateaude Montana dans de vastes champs de pommesde terre près du lac de la Moubra à mi-che-min entre la station de Montana et de Crans.Tout comme les terrains de Sierre, ces der-niers ont été loués par un consortium de la villede Zurich90. Outre les internés militaires, des réfugiés civilsont également travaillé à l’assainissement de laplaine du Rhône. En effet, des camps de tra-vail de réfugiés ont été établis en Valais cen-tral et dans le Haut-Valais (Granges, Pont-de-la-Morge, Sierre, Chalais, Gampel, Rarogne,Salgesch et Viège). A Lalden, des réfugiés d’ori-gine polonaise du camp de Viège ont effectuédes travaux d’assainissement. Chaque jour, les chefs de culture indiquaientau commandant du camp le nombre d’hommesnécessaires pour le lendemain. Ils ordonnaient,dirigeaient les travaux et fixaient les salaires desinternés. Ceux-ci oscillaient entre 1 fr. 25 et1 fr.75 par jour de travail, argent de pochenon compris91. Ce dernier montant ne pou-vait pas être dépassé pour une journée de tra-vail normale de 8 heures. Au cas où le travailde certains internés était absolument insuffi-sant, le salaire pouvait être réduit ou même tota-lement supprimé. La durée du travail étaitadaptée à la saison92. L’objectif de ces travaux n’était pas d’exploi-ter avec les internés des entreprises d’agricul-ture, mais plutôt de gagner de nouveaux ter-

�87 CONF, 30 av r i l 1943, Ex tens ion

des cu l tu res dans la va l l ée duRhône , G . A .

88 CONF, 31 mars 1941, Monthey e tl e p lan Wah len , A . F.

89 PARVEX 1984, p . 133.90 FAM, 7 aoû t 1942, Le p lan

Wah len en montagne , R . A .91 PA RV E X 1984, p . 136. Au camp

d’ I l l a r saz , Sa lzmann au ra i t i n s i s tépou r que le sa la i re des in te r nésso i t doub lé . I l au ra i t eu ga in decause e t l e sa la i re au ra i t é téaugmenté de 100 %, so i t à 4f rancs pa r j ou r.

92 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 666,Le t t re du 17 av r i l 1942 ducommandant du sec teu r Rhône aucommandant des camps d ’ I l l a r saz ,de G ranges - Lens , de Sa i l l on e t deChâteauneuf .

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rains par l’exécution de travaux de défriche-ment et d’amélioration foncière. Les internésétaient à même de fournir avec succès des tra-vaux techniques de routes, préparations de champscultivables jusqu’au et y compris le premier labou-rage 93. Pour préparer les internés, plusieurs séances eurentlieu entre les dirigeants suisses et les officierspolonais. En juillet 1942, le commandant dusecteur Rhône, le lieutenant-colonel Jacquat,présenta un rapport sur les travaux à exécuterdevant des officiers internés. Ce rapport expli-quait, entre autres, le rendement des cultures,l’exploitation des mines ou les salaires desinternés. A la même période, pour galvaniserses troupes, le général de la division des chas-seurs à pied, Prugar-Ketling, a transmis un

discours, intitulé La bataille du blé, adresséaux soldats internés au sujet de leur participationaux travaux d’extension des cultures :La nat ion sui s s e , qui nous a donné tant depreuves de sympathie, s’adres se avec un appelà nous soldats internés de lui prêter notre aidedans l ’ac t ion v i sant à l ’accro i s s ement de laproduction des produits agricoles. A cet appel,c omme au t re f o i s à l ’ a pp e l « aux a r me s » , doi t r épondre chacun de nous , sans égard àson grade , âge n i capac i t é […] C’e s t à c et ravai l , d i c t é par la ra i son e t par l e s ent i -ment , que j e vous appe l l e , so ldat s po lonai s ,au nom du bien commun de la Pologne e t dela Sui s s e94.En juillet 1942 déjà, la plaine du Rhône entreCollombey et Vouvry avait connu une évolu-

�93 AF, E5791 ( - ) -/1, vo l . 685,

pas de da te , anonyme. Ap rès uneana lyse du document , i l s ’ag i t du rappo r t du co lone l S ieg r i s t ,rappo r t devant ê t re pub l i é ennovembre 1942. Ce rappo r tpo r ta i t su r l ’ i n té rê t ou non depoursu i v re l e s t ravaux desin te r nés en Va la i s .

94 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 596,p la in tes , du 2 ma i 1942.

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Travaux de n i ve l l ement à Sa i l l on(A r ch i ves p r i vées de la fami l l e Pe r re t )�

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tion des plus réjouissantes. Le travail fut, selonLe Confédéré, titanesque. Toujours selon lemême journal, le problème de la main-d’œuvren’aurait probablement pas pu être résolu sansl’intervention du CFIH qui mit à la dispositionde la Société 300 internés polonais. Le résultatfut saisissant. Des capitaux ont permis deconvertir ces friches. Le Confédéré décrit cechangement avec lyrisme.A la p lace de s marécage s sans poé s i e e t de st r i s t e s ta i l l i s de verne s , c e sont par tout de sé t e n d u e s c u l t i v é e s : c h a m p s d e t a b a c , d epommes de terre, cultures maraîchères, céréalesqui ondulent à per t e de vue sous l e souf f l ede la br i s e . On e s t sa i s i devant l e r é su l ta tde l ’ e f for t dép loyé pour rendre à la cu l tureces espaces infinis , jusqu’ici domaine des gre-noui l l e s e t autre s occupant s de s mare s s tag-nante s […] Aux ro s eaux qui r égnaient enmaître s ont succédé l e s pommes de t e rre , l eb l é , l e s e ig l e , l e s har i co t s , choux-rave s . Desbe t t e rave s à sucre vont b ientô t t enir com-pagnie à ce s l égumes e t à ce s c éréa l e s95.En avril 1943, environ 1400 hectares avaientainsi été améliorés en partie grâce aux inter-nés après avoir été défrichés, défoncés et nive-lés. Ces terrains furent déjà mis en cultures àla fin de l’année 194396. Pour la bataille del’agriculture, on constate que les camps de tra-vail étaient situés majoritairement dans laplaine du Rhône. Comparativement, au Tessin,les internés ont notamment collaboré au défri-chement de la région de Magadino, alors quedans le canton du Jura, ils ont été en grandepartie affectés à l’assainissement des sols tour-beux des Franches-Montagnes. Dès le début, le CFIH a remis en question laviabilité des contrats, malgré les résultats encou-rageants, à cause du déficit qu’ils engendraient.Ce souci fut permanent et étendu à toute la Suisse.Déjà en juillet 1942, dans une enquête, le lieu-tenant-colonel Jacquat, commandant du secteurRhône, a réétudié les contrats signés avec les com-munes. Selon lui, l’expert de l’Office fédéral deguerre pour l’alimentation, (le major Groschupf),a été trop optimiste dans l’établissement des devis.Par exemple, pour Illarsaz, un contrat pour 60

hectares fut basé sur un prix de drainage de1800 fr. par hectare et sur 850 fr. comme prixde défrichement. Or ces chiffres demeuraientfantaisistes, puisque le projet-devis définitif dejuillet 1942 donnait 2790 fr. à l’hectare pourle drainage et 2140 fr. pour le défrichement. Lecolonel Jacquat ne voulait accuser personne,mais donnait un avertissement pour les erreurs quiont été commises dans l’élaboration de ces contrats97.Son principal souci résidait dans le fait que lescoûts ou les déficits ne devaient pas être uni-quement du ressort de l’internement, mais assu-rés également par un autre organe : l’Officefédéral de guerre pour l’alimentation98. Finalement,la décision concernant la continuité des tra-vaux de défrichement et le maintien des campsde Granges, Saint-Léonard et Saillon fut repous-sée au début du mois de novembre 1942. Ainsi, malgré les constatations faites par lelieutenant-colonel Jacquat, les travaux se sontpoursuivis pendant l’été 1942. En juillet 1942,le major Groschupf souhaitait même aug-menter les camps de travail en Valais pourpouvoir occuper le personnel polonais durantl’automne et l’hiver. Il a réalisé une enquêtepour voir si le terrain à défricher ne pouvaitêtre augmenté de 300 à 400 hectares. Cettedemande était renforcée par le fait que le planWahlen prévoyait une extension des culturesen Suisse de 100 000 hectares en 194399. Enréalité, à la fin de l’été 1942, seul le campd’Illarsaz se portait bien. Du reste, en novembre1942, le camp d’Illarsaz a entrepris un nou-veau drainage sur le territoire de la communede Collombey-Muraz. Par contre, pour lesautres camps, notamment Granges et Saillon,une décision était toujours en suspens. Un document non daté et non signé fait partde la décision d’arrêter la plupart des travauxen Valais. Après analyse du document, il s’agitdu rapport du colonel Siegrist. On peut ledater à fin novembre, début décembre 1942.Dans son rapport, le colonel affirme :j’ a i l ’ in t en t i on , ba s é su r l e s c i r c on s tanc e sa f f e c t ive s au canton du Valai s , de l iquiderl e c amp de Grange s , Sa in t -Léonard e t d eSai l lon100. Pour Grange s , l e co lone l Siegr i s t

�95 CONF, 6 ju i l l e t 1942,

La t rans fo rmat ion de la p la ine duRhône dans l e d i s t r i c t deMonthey .

96 CONF, 30 ma i 1943, Ex tens iondes cu l tu res dans la va l l ée duRhône , G . A .

97 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 666,Rappor t de ju i l l e t 1942 ducommandant du sec teu r Rhône,l i eu tenant - co lone l Jacqua t , re la t i faux con t ra t s conc lus avec l e scommunes conce rnan t l e s t ravauxd’assa in i s sement de la p la ine duRhône.

98 I b idem.99 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 664,

Rappor t du sec teu r Rhône, deju i l l e t 1942.

100 AF, E5791 ( - ) -/1, vo l . 685,Rappor t du co lone l S ieg r i s t denovembre 1942.

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e s t d ’av i s que l e s t ravaux d ’amé l i o ra t i on sfonc ière s ne sont pas à cont inuer avant quele s conditions d’écoulement des canali sationssoient réglées . Cela doit être fait par l ’Officecantonal d’améliorations foncières et ne se feraprobab l ement (pa s exé cuté ) dans un dé la iut i l e . De ce fa i t , j’a i l ’ in tent ion de l iqui-d e r l e c amp d e Grang e s p ou r p ouvo i r l e smet t re au t ravai l à une autre p lace . Pour Saint-Léonard et Saillon, Siegrist pro-pose de finir le travail de nivellement de laparcelle en cours et de ne pas commencerd’autres travaux101.A la suite de cette décision, les effectifs ont étéréduits. En janvier 1943 par exemple, comme

un nouveau camp a été ouvert à Chavannes-de-Bogis, cent internés du camp de Saillon yont été transférés102, si bien qu’il ne restait dèslors que vingt-cinq internés103. Autre exemple,les internés du camp de Granges furent trans-férés en juin 1943 à la Forclaz sur le Sépey età Saint-Cergue. Ils furent dès lors occupés àla construction de chemins forestiers sur lademande du Département de l’agriculture ducanton de Vaud104. La fin des travaux à Grangesne laissa pas indifférente la commune qui cri-tiqua de façon virulente l’ensemble des trac-tations avec l’Etat. En effet, dans une lettre envoyéeà la Confédération, les autorités communalesreprochaient la lenteur de l’administration

�101 AF, E5791 ( - ) -/1, vo l . 685,

Rappor t du co lone l S ieg r i s t denovembre 1942.

102 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 666,Rappor t mensue l du commandantPe r re t , de décembre 1942.

103 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 666,Rappor t mensue l du commandantPe r re t , de janv ie r 1943.

104 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 666,Rappor t mensue l du commandantPe r re t , de ju in 1943.

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I n te r nés po lona i s du camp d ’ I l l a r saz à l ’appe l(Fondat ion A r ch i vum He lve to -Po lon i cum, F r ibou rg)�

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Les in te r nés po lona i s du camp de Châ teauneuf pa r t i c i pan t à l a cons t r uc t ion d ’un cana l(A r ch i ves p r i vées de la fami l l e Pe r re t )�

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fédérale, de même que ses hésitations et ses pour-parlers qui traînèrent pendant près de dix mois.De plus, la commune de Granges a trouvéinadmissible le fait que le CFIH, prétextant unrisque pécuniaire, revenait sur sa décision etliquidait le camp situé sur son territoire:Comme é tab l i s s ement de l ’Eta t du Va la i s ,nous souhait ions fa ire ce t ravai l d’amél io-ration notamment à titre d’exemple pour st i-mu l e r dan s l a popu la t i on de l a r é g i on l avo lonté d’accro î t re l e s sur face s cu l t ivable s .Nous regrettons de n’avoir pas trouvé dans lesmilieux responsables de l’internement le mêmeespri t d’émulation et , di sons le franchement,l e même dés ir de travai l l er que commandentl e s c i rcons tance s . […] Nous avons en touscas été frappés par l’ impression unanimementfâcheuse qu’a lai s s ée l ’ internement dans l e smilieux gouvernementaux de notre canton105.En 1943, les travaux ont repris une dernièrefois à Granges, Châteauneuf et Saillon afin determiner les travaux prévus par les contrats. Ona commencé à mieux organiser les tâches. Parexemple, pour activer les travaux, les com-mandants de camps ont sélectionné les inter-nés de façon à obtenir un rendement supérieur.En mars 1943, l’expérience a démontré que leprincipe de travail donné à la tâche était leplus avantageux pour l’internement. De plus,à cette même époque, on constatait qu’eninformant les internés, le rendement devenaitbien supérieur, comme au camp d’Illarsaz, oùles internés travaillant pour une entreprise pri-vée étaient bien renseignés sur le travail qu’ilseffectuaient106. En juillet 1943, le détachement de Chandolineet les camps de Châteauneuf et de Saillon tra-vaillaient comme précédemment. Par contre,globalement, le secteur avait changé de phy-sionomie. En effet, le camp de Granges avaitété dissous et les internés envoyés dans unautre secteur. A Illarsaz, à cause du retour del’été, de nombreux internés avaient été envoyésprovisoirement dans des détachements de tra-vail : à Collonges et à La Crettaz en directionde Salvan dans la vallée du Trient. Les autresdétachements ne concernaient pas directement

le Valais : un changement stratégique s’étaitopéré107. En effet, la quasi totalité des campsmilitaires avaient disparu de la carte valaisanneentre septembre et octobre 1943, pour les unsles travaux étant terminés, pour d’autres, commeaux mines de Chandoline, la crise économiqueminière en avait sonné le glas. Dès lors, ausein du secteur Rhône, la majorité des campsmilitaires se sont situés en dehors du canton.Deux camps ont malgré tout subsisté en mars1944 : à savoir celui d’Illarsaz (160 occupants)et celui de Châteauneuf (170 internés). Unmois plus tard, il ne restait plus qu’un seulcamp en Valais, celui d’Illarsaz, alors qu’unequinzaine de camps étaient toujours établisdans le secteur Rhône. Il n’y avait plus que 160Polonais en Valais parmi les 2355 internésétrangers de différentes nationalités qui com-posaient le secteur. En août 1944, deux campsd’internés polonais ont encore été ouverts dansle Lötschental (travaux pour les autorités com-munales de Wiler et de Blatten) et à Glis(construction d’une route militaire).Dès leur arrivée, les prisonniers de guerre éva-dés soviétiques furent parmi ceux qui causè-rent le plus de difficultés aux responsables del’internement. Ils avaient de la peine à com-prendre leur internement, car ils partaient duprincipe qu’ils avaient lutté contre le fascisme,et par là même aussi pour la Suisse et qu’ilsauraient par conséquent mérité un autre trai-tement. A cause du profond fossé culturel etde la méfiance des autorités, les relations étaientmauvaises dans les camps; des interventions demilieux politiques suisses envenimaient encoreun climat déjà tendu. Le nombre des internésrusses resta réduit jusqu’au printemps 1945.En Valais, les Russes ont été internés dansdeux camps : à Rarogne et à Illarsaz108.Dans plusieurs camps, et à différentes époques,il fallut prendre des mesures disciplinaires à l’en-contre des Russes (consignation, etc.), soitpour refus de travailler, soit pour faute de dis-cipline. Après une grève de la faim accompa-gnée du refus de travailler, les internés russesdu camp d’Andelfingen furent transférés au campde Rarogne le 19 juin 1943109.

�105 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 666,

Rappor t mensue l du commandantPe r re t , de mars 1943.

106 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 666,Rappor t mensue l du commandantPe r re t , de fév r i e r 1943.

107 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 777,Rappor t san i ta i re du sec teu rRhône de ju i l l e t 1943.

108 LA S S E R R E 1995, pp . 343 -344.109 AF, E 4800.1. , vo l . 74, Rappor t

d ’aud i t i on du p remie r b r igad ie rEugs te r du Dépa r tement mi l i t a i r efédé ra l , du 19 oc tob re 1943.

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Le camp de Rarogne fut choisi car l’endroit étaitassez éloigné des grands centres pour décou-rager les agitateurs extérieurs110. Les ressortis-sants russes étaient répartis dans huit bara-quements. Les couchettes étaient munies de paille,même si les sacs de couchage manquaient audébut. Des douches froides furent installées dansle camp. Les ressortissants soviétiques avaientreconnu qu’ils se sentaient mieux qu’àAndelfingen, même s’ils se plaignaient de nepas avoir trois jours de congé par mois. LeCICR avait du reste appuyé cette requêteauprès des autorités suisses111. Un mois aprèsl’ouverture du camp, un membre du CICR,Edmond Martin, et un délégué du CICR ontvisité le camp de Rarogne. Selon eux, l’effec-tif était trop considérable et les évadés sovié-tiques, sous l’influence de certains d’entre eux,obéissaient difficilement aux ordres. Le CICRest alors intervenu auprès des autorités suissespour attirer leur attention sur l’urgence qu’ily aurait à séparer certains évadés, afin d’éviterle renouvellement d’incidents regrettablescomme celui d’Andelfingen112. Mais quelquesjours après, l’atmosphère ne tarda pas à segâter. Lorsqu’à la suite d’une infraction le chefde camp voulut faire arrêter deux hommes parla police valaisanne, les autres s’interposèrent.Appelés à la rescousse, vingt gendarmes mili-taires se heurtèrent à une véritable émeute.L’ordre finit par se rétablir et trente et unmeneurs furent dispersés dans divers péniten-ciers en attendant leur jugement. L’affaire ensoi n’avait pas une gravité exceptionnelle etles peines furent légères : des arrêts discipli-naires de vingt jours pour les agitateurs. Pourfinir, les trente et un meneurs se retrouverontdans le camp spécial de Wauwilermoos (Lucerne).La mission soviétique reconnut elle-même en1945 que les autorités suisses avaient fait preuvede générosité et distribué des punitions moinssévères que si les coupables avaient été suisses.Par la suite, le camp de Rarogne ne fit pastrop parler de lui, même si les rapports à l’in-terne étaient parfois tendus. Un rapport du CFIHtémoigne bien du problème de cellules au seindes internés russes :

Cer ta in s Ru s s e s o r gan i s en t une r é s i s t an c epa s s i v e au po in t d e vue du rendement d et ravai l e t e s sa i ent de c r é e r l e mécontente -ment parmi les internés. Il est probable qu’uncer tain nombre d’entre eux sera trans féré aucamp pén i t en t ia i re a f in d ’ épure r Rarognede s é l ément s nui s ib l e s113.De plus, certains groupuscules terrorisaientles autres : Le commandant du camp e s t exc édé de lacondui te de cer ta ins Rus s e s , qui t e rror i s entun cer ta in groupe qu’ i l s t ra i t ent de vendus ,parce qu’ils travaillent bien, ne réclament rien,e t ne demandent qu’à v ivre en paix114. Du reste, certains Russes ont même souhaitéleur transfert dans un autre camp, de peur dereprésailles. Finalement, un modus vivendifragile a fini par s’établir entre Suisses etSoviétiques115. Le camp de Rarogne a été ferméle 10 décembre 1943. Les ressortissants russesont été transférés au camp du Chaluet dans leJura bernois116.La mission militaire soviétique a été chargéede l’enquête sur les camps d’internés russes(visite des camps, conditions de logement, denourriture,…) et du rapatriement de ces inter-nés. La délégation russe a été favorablementimpressionnée par ce qu’elle a vu au cours de sonenquête117. En avril 1945, le Nouvelliste affir-mera : Si, dans tel ou tel cas, quelque chose n’apas joué, si quelques très regrettables incidents iso-lés se sont produits – comme dans tous les camps– cela n’autorise personne à parler de mauvaistraitements infligés aux réfugiés russes118. La délé-gation suisse a communiqué que les citoyenssoviétiques réfugiés en Suisse étaient soumis auxmêmes prescriptions et règles que les autres réfu-giés, notamment en ce qui concerne la qua-rantaine, le logement, la surveillance, l’ali-mentation, les soins médicaux, le travail et larétribution119.

T R A V A U X D I V E R S

Les internés ont été également soumis à d’autrestypes de labeurs que ceux dans les mines oudans le cadre du plan Wahlen. Ils ont notam-

�110 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 730,

Rappor t du dé légué du C ICRDessonnaz su r sa v i s i t e au campdes évadés r usses de Ra rogne ,du 21 oc tob re 1943.

111 AF, E 4800.1, 1967/111, vo l .74, 1010, 332, Rappor t du 24ju i l l e t 1943 f igu ran t dans l erésumé de l ’ac t i v i t é du dé léguédu C ICR d ’av r i l 1943 à oc tob re1944.

112 AF, E 4800.1, 1967/111, vo l .74, Rappor t du 3 aoû t 1943f igu ran t dans l e résumé del ’ac t i v i t é du dé légué du C ICRd’av r i l 1943 à oc tob re 1944.

113 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 730,Rappor t du dé légué du C ICRDessonnaz su r sa v i s i t e au campdes évadés r usses de Ra rogne ,du 21 oc tob re 1943.

114 I b idem.115 LA S S E R R E 1995, p . 344.116 AF, E 4800.1, 1967/111, vo l .

74, Rappor t du 23 novembre1943 f igu ran t dans l e résuméde l ’ac t i v i t é du dé légué du C ICRd’av r i l 1943 à oc tob re 1944.

117 RH, 10 août 1945, La dé léga t ion mi l i t a i r e r usse .

118 NF, 20 av r i l 1945, Les boba rdssu r l e s ré fug iés sov ié t i ques enSu i s se .

119 NF, 30 sep tembre 1945, Lep rocès - ve rba l su r l e t ra i tementdes in te r nés r usses : fau tesreconnues , reg re t s réc ip roques .Pa r rappo r t à l ’ i n te r nement e tau t rag ique des t in desp r i sonn ie r s de gue r re évadéssov ié t i ques , se ré fé re rno tamment à l ’ouv rage deRE I C H E L , 1982, pp . 77 -90.

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ment participé à des travaux d’armée, à la miseen stères de bûches de bois ou à la construc-tion de chemins.En septembre 1943, après les événementsd’Italie, 20 000 soldats et civils ont traversé endifférents endroits la frontière italo-suisse et lafrontière franco-suisse120. Ce nouveau fluxd’Italiens a donné la possibilité de créer troisnouveaux camps et détachements de travaildans le Haut-Valais à Reckingen, Ulrichen etMünster121.Dans les deux dernières localités, les Italiensont effectué des travaux pour le compte del’armée. A Ulrichen, comme la plupart desinternés italiens étaient maçons ou manœuvres,ils supportaient facilement le travail demandé,si bien que l’ambiance au camp était bonne.Par contre, dans plusieurs camps, les travauxfurent difficiles à entreprendre. Par exemple, àMünster, alors que les internés travaillaient surl’aérodrome militaire, une grève éclata en octobre1943. Les internés se sont plaints de la diffi-culté des tâches à accomplir. Suite à ce mou-vement, le lieutenant-colonel Perret, com-mandant du secteur Rhône, s’est rendu aucamp, où vingt-cinq douaniers et sept étudiantsse sont présentés à lui122. Parmi ces trente-deux personnes consultées, certaines se sen-taient trop faibles et ne pouvaient faire le tra-vail demandé, alors que d’autres avaient contractéla malaria avant leur arrivée en Suisse. Les inter-nés reconnaissaient ouvertement qu’ils allaientbien, mais avouaient qu’ils ne pouvaient sup-porter le travail exigé. En effet, en tant qu’an-ciens douaniers, ils n’étaient pas habitués à cegenre de chantiers123. Selon le médecin suissedu camp, la grève était inévitable, car l’officiersuisse de 23 ans avait trop peu d’autorité pourmaintenir ses hommes en place. De plus, iln’avait pas été opportun de disloquer les groupesitaliens, dont la plupart provenait du sud et ducentre de l’Italie, pour les envoyer à 1400 md’altitude dans des conditions difficiles. Enconclusion, le rapport affirme que ces gensétaient prêts sans autre à exécuter des travauxagricoles, mais non pas à effectuer des tâchespénibles sur l’aérodrome. Le comportement

de la population civile qui n’avait pas unegrande sympathie pour les internés italiens ren-dait encore plus difficile le climat du camp,quand bien même les Suisses avaient besoinde main-d’œuvre pour avancer les travaux. Uneréorganisation s’en suivit124. Finalement, ennovembre 1943, les camps du Haut-Valais ontété supprimés; si bien qu’il ne restait alors plusque le camp de Tourtemagne pour les internésitaliens125. Pendant la Deuxième Guerre mon-diale, il y eut six camps d’internés militaires ita-liens en Valais : à savoir à Gampelen, Glis,Münster, Rarogne, Tourtemagne et Ulrichen126. Un autre labeur pour le compte de l’armée aété réalisé par les internés polonais du campde Glis. Ils ont construit une route militaired’un kilomètre de long. La route partait de larue de Napoléon en direction du lieu dit Holzji.Elle avait pour objectif de relier la route mili-taire de Holzji au Nanztal, en passant par lecol du Bistinen, avant de rejoindre le col duSimplon127. Les étudiants internés devaient également par-ticiper à divers travaux pendant les vacancesinter semestrielles universitaires. En Valais, cesjeunes ont été engagés en tant que bûcherons.Pour mieux comprendre leur mode de vie etleur travail quotidien, nous allons mettre enparallèle ce type de travail effectué dans deuxendroits différents pendant l’été 1944. AFinhaut, trente et un étudiants en théologie del’université de Fribourg ont participé à l’abat-tage de bois de la fin juillet 1944 jusqu’à la finoctobre 1944. La coupe de bois servait à l’ap-provisionnement du home pour réfugiés deFinhaut128. De même, à Champéry, des inter-nés sans ressources ont effectué des travaux debûcherons du côté de la Dent-Blanche. Cebois, une fois réduit en bûches, servait à ali-menter les chaudières de l’Hôtel des Dents-du-Midi, hôtel réquisitionné pour loger princi-palement des internés juifs de toutesnationalités129. D’un point de vue organisationnel, les sémi-naristes français relevaient de la direction duhome de Finhaut, alors que les réfugiés sansressources de Champéry dépendaient de la

�120 RH, 28 sep tembre 1943, Ré fug iés

i ta l i ens en Su i s se .121 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 666,

Rappor t mensue l du commandantPe r re t , d ’oc tob re 1943.

122 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 777, Le t t re du 24 oc tob re 1943 de lacommune de Müns te r ad ressée aucap i ta ine Ad r ien Jo ly, médec in - che fdu sec teu r Rhône.

123 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 777,Rappor t san i ta i re d ’oc tob re 1943.

124 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 777, Le t t redu cap i ta ine Ad r ien Jo ly au médec in -che f de l ’ i n te r nement en Su i s seconce rnan t l e dé tachement i ta l i en àMüns te r, du 26 oc tob re 1943.

125 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 777,Rappor t san i ta i re de novembre1943.

126 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 621, L i s tea lphabé t ique des loca l i t é s su i s sesdans l e sque l l e s on t sé jou rné lesmi l i t a i r es i ta l i ens in te r nés en Su i s sede 1940 à 1946, du 26 ma i 1975.

127 Le bu t p remie r de ce t te rou te é ta i tde pouvo i r a t te ind re l e sommet duco l en passan t pa r une au t re vo ieque ce l l e emprun tée hab i tue l l ementpou r f ranch i r l a f ron t i è re , a f in dep rend re un éven tue l ennemi àreve r s . In te r v iew de Théodor Wyder,16 sep tembre 2004. Theodor Wyder a éc r i t p lus ieu r souv rages su r sa commune. Le de rn ie ra pou r t i t r e : Do r f s cha f ten , G l i s ,Gamsen e t B r ige rbad . Ac tue l l ement ,une r ue de G l i s po r te l e nom dePo lens t rasse , en souven i r dest ravaux e f fec tués pa r l e s i n te r nésmi l i t a i r es pendant l e s hos t i l i t é s .

128 AF, E 4800.1. , 1967/111, vo l . 34,Le t t re d ’Edoua rd von S te ige r auconse i l l e r na t iona l An to ine Fav re(doss ie r n° 155) du 16 novembre1944.

129 P I E D Miche l , 10 aoû t 1944. Leré fug ié Miche l P ied a tenu un ca rne tde bo rd pendant l a Deux ième Gue r remond ia le . Ce document , de pa rl ’exac t i tude des ac t i v i t és déc r i t e s ,es t une sou r ce p réc ieuse pou rcomprend re l e re fuge au quo t id ien .Tou tes l e s ac t i v i t és ment ionnées c i - ap rès se passen t du 10 août au 15 sep tembre 1944.

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direction de l’Hôtel des Dents-du-Midi. Mêmesi ces deux groupes de réfugiés travaillaientdirectement pour leur home d’accueil, ils for-maient un groupe spécial, dirigé par un cheftechnique adjoint. A Champéry, le chef decamp organisait le travail d’équipe au forfaitpour encourager les étudiants. Ces deux jeuneséquipes logeaient dans un chalet loué dans lesenvirons du camp. A Finhaut, celui-ci étaitsitué à deux heures de marche du village, alorsqu’à Champéry, il se trouvait au lieu dit Boutchie,soit à une heure trente de marche de l’hôtel.Selon le témoignage de Michel Pied, le chaletétaitperdu dans l e s a lpage s , en marge d’une forê td e s ap in s . Ap r è s l e s oup e r, nou s p ou s s on sque lques pas ver s l e co l de Coux. Nous mar-chons dans la ne ige e t prè s d ’un pe t i t bara-quement de s douanier s f rançai s en uni formenous saluent, car, sans s’en rendre compte, nousavons mi s p ied sur so l f rançai s… A médi ters’ i l nous v ient envie de qui t t e r la Sui s s e endouce .Les étudiants travaillaient un maximum decinquante heures par semaine (y compris la duréedes trajets entre le camp et le lieu de travail).A Champéry, les horaires variaient quelquepeu : les réfugiés se levaient à cinq heures dumatin et le rythme de vie se résumait à troisjours à la montagne, puis deux jours à l’Hôtelde Champéry. Au début, le travail était difficile, car les jeunesn’avaient pas l’habitude d’élaguer les branchesde troncs d’arbres abattus. Mais très vite, lesréfugiés s’y sont habitués, ce d’autant plusqu’ils ont rapidement obtenu des gants de toilegrossière d’une bonne protection. Le réfugiéMichel Pied raconte leur travail quotidien :Nou s c ha r g e on s e t e n t ra în on s un éno r me« Schl i t t » [ sor te de luge] qui g l i s s e par de schemins étroit s en pente raide jusqu’au pointde dépar t d’une sor t e de t reui l . Du sommetde la paroi qui tombe à p ic dans la va l l é e ,nou s a s s emb l on s un s t è re d e bo i s e t l ’ en -voyons en contrebas, glisser le long d’un câblede p lus d’un ki lomètre . Le tout f i l e à toutev i t e s s e pour at t err i r sur un énorme cous s in

de branche s de sapins enta s s ée s pour amor-t i r l e choc . De là , d ’autre s in terné s char-g e n t u n c a m i o n q u i t ra n s p o r t e c e b o i s àl ’Hôte l de Champér y.Leur travail, malgré une nourriture abondanteà Boutchie, est perçu comme un pénible labeurpar les réfugiés. Michel Pied a décri, du reste,son équipe de travail comme des corvéables àmerci. Au début septembre 1944, l’arrivée précoce despremières neiges a apporté en montagne un froidguère agréable, d’autant plus que les réfugiésn’ont pas reçu immédiatement les vêtementsnécessaires pour y faire face :Le f ro id apparai s sant , nous devons augmen-ter la cadence de s coupe s . Le s chaudière s del ’hôte l deviennent p lus ex igeante s . Après une semaine de travail intensif, les ordresd’augmentation de production étaient tels queles réfugiés ont décidé vainement de saboterle système d’expédition du bois par le câble versla vallée. L’engouement au travail s’est dès lorsdétérioré et la lassitude a gagné les esprits àpartir de la mi-septembre : Vers l e 15 du mois , une trè s net te détér iora-t ion du temps nous re lègue à l ’abri dans lacabane. On écr i t , on l i t , on joue aux car te s .Je sui s sans nouvel l e s depui s longtemps , r iende Belg ique, de Neuchâte l , d’Aubonne. Uneal t ernance d’ac t iv i t é s à la montagne e t derepos à l ’hôte l s’ é terni se avec monotonie .Cette monotonie est alors renforcée par les évé-nements extérieurs à la Suisse. En effet, l’opi-nion publique sentait la fin proche de la guerre,et le travail est devenu alors peu motivant.Ce week-end on retourne au chalet. Beaucoupd ’ i n t e r n é s j u i f s n o u s q u i t t e n t , c e l a s e n tl ’abandon. Un re lâchement to ta l de s ordre s ,un la i s s e r -a l l e r généra l c rée une ambiancebizarre . Nous t ravai l lons toujour s de même,mais avec un cer tain re lâchement . Pourquois tocker tant de boi s , pui sque tout l e mondeaura peut-ê t re d i sparu ! […]Enfin, le 19 octobre 1944, les réfugiés ontregagné la plaine pour se rendre dans leursfamilles en Suisse, chez des amis ou dans leursrésidences suisses. La corvée est terminée.

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H Y G I È N E E T S U B S I S T A N C E D A N S L E S C A M P S D E B A S ED U S E C T E U R R H Ô N E

Le service de santé dans le secteur Rhône étaitdirigé par un médecin-chef, le capitaine AdrienJoly. Les médecins commandés par le Servicede santé de l’armée assuraient le service dansles divers camps. Ils étaient soumis à l’Ordregénéral de janvier 1942 pour le service desanté de l’internement. Selon les possibilités,des médecins polonais pouvaient être attri-bués à certains camps; ils étaient placés sousla surveillance des médecins suisses, qui seulsétaient responsables du service sanitaire des camps.Ainsi, le service des malades était assuré dansles infirmeries par le personnel des troupesinternées, sous le contrôle des médecinssuisses130.En mai 1942, lors d’une inspection du méde-cin-chef dans les camps du Valais, plusieurs cri-tiques concernant des mesures d’hygiène ontété soulevées. On avait ouvertement critiquéla construction de certaines toilettes et avaitordonné la transformation de plusieurs131. A Grange s , l e s to i l e t t e s sont dé f ec tueuse s ; i le s t regre t table qu’on n’ai t pas ins ta l l é l e s y s -tème à la turque. Il y a un e space entre ce t tep lanche e t la paroi du fond, de sor t e qu’onsa l i t l a p lanche de devant e t l a paro i dufond. Le s to i l e t t e s n’ont pas d’ eau e t s ententmauvais . Il y a beaucoup de mouches , ce quie s t une p la ie de Grange s132. Le constat était à peu près semblable à Montanaet Saillon133. Dès lors, les mesures préventivesont été appliquées. En août 1942, les camps avaientdéjà opéré les principales modifications hygié-niques et les toilettes étaient dès lors propres etbien entretenues134. En octobre 1942, le campde Granges, est décrit de façon élogieuse : Très bon camp, en ordre . Le s cui s ine s fonc-t i onnen t b i en , l a nour r i tu re y e s t bonne .L’eau potable , l e s W.C. sont en ordre , i l y ades douches , l e camp e s t t rè s bien ins ta l l é135. A côté des W.C., les douches ont longtemps étéun problème dans les camps. Par exemple, lesinternés du camp de Saillon devaient se laver dans

le canal, où l’eau était très froide. Pire, à Montana,en août 1942, les douches faisaient carrémentdéfaut. Partout où cela a été possible, des douchesont été établies par la suite. Selon les divers rap-ports, aucune plainte n’a été formulée concer-nant le manque d’hygiène des internés. L’eau potable n’a pas toujours été facile à obte-nir. A Granges, elle était bonne et en suffi-sance. A Châteauneuf, l’eau était potable, maispas assez abondante pour les nettoyages au jet,le débit de la pompe n’étant pas suffisant136. Parcontre, à Illarsaz, il n’y avait pas de canalisation,de sorte que l’eau potable était amenée dans desbidons137. Pour remédier à ces problèmes, degrands progrès furent réalisés en quelques mois.En effet, en septembre 1942, l’hygiène étaitbonne dans les camps et des douches furent ins-tallées partout. Il ne manquait plus qu’à effec-tuer, avant la saison froide, certaines réfectionsaux baraquements afin de rendre les canton-nements supportables pour l’hiver138. En fait, à l’automne 1942, seul le camp deSaillon n’était pas encore au même niveau, aupoint que le CFIH a même hésité à le main-tenir. Finalement, la décision a été prise, en février 1943, de démonter le camp et de lereconstruire139. En mai 1943, les modifica-tions nécessaires avaient été apportées à l’en-semble des camps du secteur, les infirmeries éta-blies, et souvent, un foyer du soldat créé,comme en témoigne un rapport de mai 1943 :J’ai fait une tournée dans les camps de Saillon,Granges et Chandoline. Tout fonctionne nor-malement . Il y a maintenant une in f i rme-r i e à Sai l lon, e l l e n’ e s t pa s encore complè te -ment équipée. Les infirmeries sont propres etb ien t enue s . En généra l toute s l e s baraquessont propres et en ordre. Dans certains campsi l y a de s foyer s du so ldat , qui sont d’unegrande ut i l i t é .La nourr i ture e s t bonne e t b i en préparée ;l e s a l iments sont as sez abondants . Les inter-né s sont content s . Nos Po lonai s ont donnéun conc e r t vo ca l e t p iano dan s l a g randesa l l e du Col l ège [à Sion] ; i l s ont é t é cha-l eureusement applaudi s . Tout va bien dansl e s e c t eur Rhône140.

�130 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 777,

sec teu r Rhône, o rd re s igné pa rle co lone l Pe r re t e t l e cap i ta ineAd r ien Jo ly, 1944.

131 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 777,Le t t re du cap i ta ine Ad r ien Jo lyau médec in - che f del ’ i n te r nement , du 9 ju in 1944.

132 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 777,Rappor t de ma i 1942.

133 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 777,Le t t re du cap i ta ine Ad r ien Jo lyau médec in - che f del ’ i n te r nement , du 9 ju in 1944.

134 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 777,Rappor t d ’aoû t 1942.

135 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 777,Rappor t d ’oc tob re 1942.

136 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 777,Rappor t d ’aoû t 1942.

137 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 777,Rappor t de janv ie r 1942

138 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 666,Rappor t mensue l du sec teu rRhône, de sep tembre 1942.

139 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 777,Rappor t de fév r i e r 1943.

140 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 777,Rappor t de ju i l l e t 1943.

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Au début, il a fallu remédier à une trop faiblequantité de nourriture attribuée aux internés.Par exemple, les internés avaient droit à une rationquotidienne limitée à 450 grammes de pain alorsqu’ils travaillaient huit heures par jour. La rationaccordée à Illarsaz n’était au début que de 350grammes de pain pour un travail de neuf heures.Les hommes se sont plaints du manque denourriture et ont obtenu une augmentation141.D’une manière générale et ce malgré les restrictions,la subsistance a été bonne, selon le rapportd’Adrien Joly. Ce dernier rapporte :Il est inévitable que souvent il y a des mécon-t en t s . Nou s s omme s ob l i g é s d e f a i re c om-prendre aux internés que nous nous trouvonsdans une s i tuat ion tout ce qu’ i l y a de spé-cial . Il e s t naturel que l ’homme qui doit tra-vai l l e r re ço ive une nourr i ture lu i permet -tant de refaire ses forces, mais certains officiersPolonais re sponsable s n’[ont] pas [compris] ,ou n’[ont pas voulu] comprendre , la s i tua-

tion dans laquel le notre Patrie se [trouvait] .En fait, les internés furent en principe satis-faits, à l’exception des camps d’internés italiens,où l’on jugeait que la nourriture n’était pasassez abondante. Après analyse, le CFIH a puprouver qu’ils recevaient les mêmes rationsque la population suisse, et que celles-ci n’avaientpu être augmentées142. De façon générale, il n’ya eu que très peu de réclamations à enregis-trer, grâce à la collaboration entre les organessuisses et polonais notamment143. Tous lesgrands camps comptaient un médecin interné.Ils ont donné entière satisfaction, toujoursselon le rapport du médecin Adrien Joly.

L A Q U E S T I O N D E S É V A S I O N S

Des évasions d’internés polonais se produi-saient chaque semaine. Elles étaient souvent faci-litées par les complicités que les internés trou-vaient auprès de personnes civiles établies en

�141 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 674,

Rappor t du CF IH, du 17décembre 1941.

142 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 777,Rappor t du médec in - che f dusec teu r Rhône, l e cap i ta ineAd r ien Jo ly, du 23 août 1945.

143 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 666,Rappor t mensue l du sec teu rRhône, de sep tembre 1942

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C imet iè re de Co l lombey, tombe du se rgen t po lona i s Joze f Ch remeta ,décédé le 4 ma i 1942 au -dessus de V ionnaz lo r s d ’une ten ta t i ved ’évas ion(Fondat ion A r ch i vum He lve to -Po lon i cum, F r ibou rg)�

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�144 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 593,

Le t t re du l i eu tenant - co lone lHenr i au Dépa r tement fédé ra ldes a f fa i res é t rangè res da tan tdu 12 ju in 1941.

145 I b idem.146 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 674,

Rappor t de l ’ i n spec t ion dusec teu r Rhône pa r l e CF IH, du17 décembre 1941.

147 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 675,Le t t re du CF IH au commandantdu sec teu r Rhône, du 3 fév r i e r1942.

148 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 596,Le t t re du l i eu tenant - co lone lJacqua t au CF IH, du 14 av r i l1942.

149 I b idem.150 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 777,

Rappor t du cap i ta ine Ad r ien Jo lyréd igé à A ig le l e 23 août 1945.

151 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 777,Rappor t san i ta i re de sep tembre1944.

152 I b idem.153 AF, E 5791 ( - )/ -1 , vo l . 666,

Rappor t mensue l de décembre1943.

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Suisse. C’est pourquoi, la Gendarmerie d’ar-mée (GA) s’est efforcée de découvrir les orga-nisations clandestines qui se livraient à ce genred’opérations et elle a effectué plusieurs arres-tations. D’après les constatations faites, ilsemble que certaines puissances belligérantesavaient intérêt à récupérer les cadres de laDivision polonaise internée en Suisse. Pourempêcher les évasions, cinq bataillons d’in-fanterie ont été mis sur pied; ils étaient uni-quement occupés à la garde des internés. Deplus, l’armée disposait encore, indépendammentde la Gendarmerie d’armée, de la collabora-tion active du corps des gardes-frontière et destroupes-frontière, ainsi que du service territo-rial, pour les contrôles à faire dans les gares.Certaines évasions, quelque temps après l’ar-rivée des réfugiés, concernaient déjà la régiondu Bas-Valais144. Grâce aux mesures prises parla Confédération, plus de la moitié des évadésavaient été retrouvés à fin mai 1941, à savoir,846 internés polonais et 12 officiers sur un totalde 1631 évadés145.Au début de la création du secteur, le campd’Illarsaz était également confronté à un cer-tain nombre d’évasions de la part des internéspolonais désirant retourner en France. En effet,de nombreux Polonais inclus dans la deuxièmedivision des chasseurs à pied ont habité enFrance avant la guerre. Or, étant donné laproximité du camp de la frontière française etla facilité avec laquelle on pouvait se rendre enFrance, non occupée, par de petits cols demontagne dont l’altitude ne dépassait pas 2000mètres, la tentation était grande146. En raison de ces évasions, le CFIH a exigéqu’un officier suisse soit immédiatement dési-gné pour surveiller les quatre détachementsdu Valais, surtout celui d’Illarsaz. Pourtant,aucun officier n’avait encore été engagé, lors-qu’on projeta en février 1942 d’accueillir àIllarsaz 250 internés polonais147.Le 8 avr i l 1942 s on t a r r iv é s à A ig l e pourl e c amp d ’ I l l a r s az 141 in t e rné s . Dan s c edé ta chement , c on t ra i rement à c e qu i ava i tété convenu, se trouvaient 92 Polonais domi-c i l i é s en France .

La proximité de la f rontière a une inf luencemalheureu s e su r c e s hommes . Au s s i dan s l anui t du 12 au 13, s ept interné s , tous domi-c i l i é s e n Fra n c e , o n t c h e r c h é à s’ é v a d e r ;dan s l a nu i t su ivant e , c e l l e du 13 au 14 ,c inq nouve l l e s éva s i on s on t eu l i eu . I l e s tà craindre que ce t t e maladie de l ’ évas ion necon t inue parmi c e s in t e rné s p rovenant deFrance 148.A la mi-avril 1942, dix internés avaient déjàété repris. Malgré tout, pour rendre les évasionsplus difficiles, un ordre fut donné de transfé-rer à Granges tous les internés polonais arri-vés de Matzingen qui étaient domiciliés enFrance149. Lors de son évasion, le 4 mai 1942,un sergent polonais a trouvé la mort dans lesmontagnes au-dessus de Vionnaz. Son corpsne fut retrouvé que le 29 juin 1942150.A la fin de l’année 1942, le nombre d’évasionsfut moins élevé que précédemment; une par-tie des internés ayant leur famille en France avaientdéjà quitté le pays et l’armée suisse ne man-quait pas de propager les mauvaises nouvellesvenues de l’Hexagone. De plus, certaines filièresfurent démantelées. En 1944, plusieurs évasionseurent lieu dans les différents camps polo-nais151. Ce phénomène touche l’ensemble desinternés polonais, du soldat au médecin, commeen témoigne ce rapport :Le s méde c in s po l ona i s s’ é vaden t ave c l eurp e r s o n n e l s a n i t a i r e ; a p r è s l e l i e u t e n a n tBernacinski qui a qui t t é la Givr ine pour s erendre en France , c’ e s t maintenant l e l i eu-tenant Wysokinski qui a qui t t é Dom Hugonavec son sani ta ire152. L’hypothèse de l’attirance du maquis français,situé à proximité de la frontière suisse en zonefrançaise, a influencé beaucoup de soldats polo-nais qui désiraient reprendre de l’action vers lafin de la guerre153. Cette attirance pour le maquisfrançais, dénoncée par les autorités allemandes,est fondée. Du reste, en établissant une statis-tique à partir des rapports mensuels du secteurRhône, on constate que cette hypothèse est plusque justifiée. En 1943, on dénombrait seulement95 évasions pour l’ensemble du secteur, alors qu’en1944, il n’y pas moins de 397 évasions d’internés

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polonais pour 546 évasions au total (54 Italiens,1 Yougoslave, 55 Américains, 73 Anglais et3 Français). En 1945, les évasions seront encorenombreuses. De janvier à octobre 1945, on necomptait pas moins de 424 évasions, dont192 Polonais, 198 Italiens, 47 Américains et 1Russe154.

L E C A S D E L’ H Ô P I T A L D EM O N T A N A : E N T R E E S P O I R SE T D É S I L L U S I O N S

Pendant la Deuxième Guerre mondiale, unordre général fut établi en avril 1941, prévoyantune réorganisation de l’internement et de l’hos-pitalisation en créant trois secteurs d’hospita-lisation en Suisse. Pour les Grisons, il s’agissaitdu secteur Davos, pour le canton de Vaud, dusecteur Montreux (comprenant Montreux, Vevey,Caux, Leysin); quant au Valais, il devait êtreconfiné dans le secteur Montana. Pendant la Première Guerre mondiale, la sta-tion de Montana avait accueilli plus de deuxmille internés militaires malades de diverses natio-nalités. Pendant la Deuxième Guerre mon-diale, le Dr Stéphani, en poste déjà en 1914-18, fut également responsable des relationsentre la Confédération et la station de Montanapour l’hospitalisation de tuberculeux militaires. Après la réorganisation de l’hospitalisation, lastation de Montana se prépara à héberger unepartie des internés tuberculeux, français en l’oc-currence. Une liste des pensions pouvant rece-voir ces hospitalisés fut établie et transmise auCFIH. Alors que plusieurs établissements avaientdéjà pris leurs dispositions et commencé lespréparatifs nécessaires, la Confédération renonçafinalement à l’hospitalisation d’internés dans lastation touristique, car Montana était prévue pourles cours d’instruction des troupes de l’arméesuisse. C’est ainsi que les tuberculeux françaisont été orientés sur l’hôpital de Leysin.Cette décision fut mal acceptée et jugée para-doxale par la station valaisanne. La Société dedéveloppement écrivit alors à l’Etat-major del’armée et fit part de son étonnement : d’un côtéle CFIH lui demandait d’accepter des hospi-

talisés et de l’autre l’Etat-major de l’arméedécidait de ne pas donner une suite favorableau projet. La réponse de la Confédération à lastation climatérique fut sans équivoque : Les néces s i té s mili taires au tout premier chefentrent en cons idérat ion pour l e choix d’unelocalité . Le fait de vouloir tenir compte dansla mesure du po s s ib l e de s intérê t s c iv i l s de slocalités considérées ne doit cependant pas nousamener à prendre de s mesure s i r rat ionne l l e sou même dé favorable s du point de vue mil i -ta i re155.Une année plus tard, soit en juin 1942, le CFIHrecherchait à nouveau la possibilité d’hospita-liser un certain nombre d’internés militairesétrangers, dont l’hospitalisation éventuelle de tuber-culeux ayant combattu dans les rangs de l’ar-mée finlandaise. Pour cette question, l’Etat-major de l’armée ne s’opposait pas à l’utilisationplus large des ressources de Leysin et prévoyaitmême l’extension de la formule à d’autres sta-tions, comme celle de Montana. Pour ce faire,le colonel Henry, chef du Service fédéral del’internement, s’était rendu à Montana où ilavait pris contact avec le Syndicat des proprié-taires de sanatoriums. De cette rencontre, il res-sortait deux éléments importants : d’une part,Montana pouvait être utilisée pour l’hospitali-sation, à l’exception des baraquements mili-taires, et d’autre part, les propriétaires étaientdisposés à accueillir de sept cents à mille tuber-culeux aux conditions qui étaient alors en vigueurà Leysin. De plus, la Banque cantonale du Valaismettait même à disposition ses bâtiments et lesautorités du canton du Valais insistèrent pourque Montana devienne un centre d’hospitali-sation de soldats étrangers et elles adressèrenten ce sens une lettre destinée au colonel Henry.En nous permet tant de soul igner l e c l imatexceptionnel dont jouit la station de Montanaet en re l evant d’autre par t que la c r i s e danslaquelle se débat l’hôtellerie valaisanne depuisun certain nombre d’années s’est encore accen-tuée depui s la guerre , nous ne voudrions pasmanquer de vous recommander l e s requête squi vous ont é t é adre s s é e s à ce su je t par l e sintére s s é s156.

�154 AF, E 5791 ( - )/ -1 , vo l . 666,

Rappor t mensue l du sec teu rRhône.

155 AF, E 5791 ( - )/ -1 , vo l . 729,Le t t re du 4 ju in 1941 du che fde l ’E ta t -ma jo r géné ra l del ’a rmée à la Soc ié té dedéve loppement de Montana .

156 AF, E 5791 ( - )/ -1 , vo l . 729,Le t t re du 26 ju in 1942 duConse i l d ’E ta t s ignée pa rTro i l l e t , p rés iden t du Conse i ld ’E ta t , e t ad ressée au co lone lHenr y, che f du Se r v i ce fédé ra lde l ’ i n te r nement .

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Finalement, en août 1943, soit une année plustard, le lieutenant-colonel Chauvet, chef del’Etat-major, refusait d’accorder à Montanaquelques tuberculeux.Malheureusement , pour de s ra i sons d’ordreéconomique et financier, le choix de Montanan’a pu ê t re maintenu, e t l e Conse i l Fédéra ls e vo i t contraint de renoncer à ce t t e s ta t ionc l imatér ique157.Malgré cela, en automne 1943, le colonelGirard, médecin-chef de l’internement, a décidéde diriger un petit nombre de soldats italiensinternés tuberculeux vers Montana. Dès lors,le Dr Stephani s’est occupé, une nouvelle fois,des démarches auprès des différentes pensionsà Montana et à Crans.Cependant, pour un nombre si faible de pen-sionnaires, peu d’établissements se montraientréceptifs. L’Hôtel Bellevue du Dr Stéphani parexemple, ne pouvait être rentable avec moinsde deux cents malades et le Grand HôtelVictoria accueillait déjà plus de cent cinquantefemmes et enfants réfugiés, à l’instar de nom-breux autres, à l’exception de la Pension de Preuxet de la Pension Helvetia. Le propriétaire alors de la Pension Helvetia etdu Chalet les Sapins s’appelait Louis Rey. Pendantles années 1930, la Pension Helvetia et le Chaletles Sapins accueillaient encore des malades. Laclientèle était constituée majoritairement deGenevois dont le séjour était financé par lesassurances. Mais, avec la guerre, cette clientèleavait diminué. C’est pourquoi, pour lutter contrela crise, Louis Rey avait décidé d’accueillir desréfugiés tuberculeux, payés par la Confédération.Même si la Confédération finançait moins queles assurances, les propriétaires avaient l’avan-tage de pouvoir héberger deux réfugiés parchambre, alors que les assurances exigeaient unseul malade par chambre. Les premiers tuber-culeux italiens sont arrivés en octobre 1943.Etant peu nombreux au début, ils faisaient presquepartie de la famille, selon les dires de Rose Simon,fille de Louis Rey158. Pendant la journée, lestuberculeux prenaient des bains de soleil surdes chaises longues disposées sur le balcon. Engénéral, ils restaient dans l’établissement : Il n’y

avait rien à lire, ni rien à faire. Ils se reposaient.Parmi les réfugiés, les gradés avaient quelquesavantages : une chambre individuelle au rez duChalet les Sapins, une table pour deux auxheures du repas et une solde de 2 francs par jour.Quant aux soldats, ils étaient deux par chambre,mangeaient à des tables de dix et recevaient unesolde de 40 centimes par jour, soit le prix d’unpaquet de cigarettes. Le Dr Stéphani était res-ponsable des soins sur le territoire de la com-mune de Montana159. Quelques mois après l’arrivée des Italiens, desréfugiés yougoslaves sont venus renforcer l’ef-fectif. Enfin, une troisième vague de tubercu-leux cypriotes sont arrivés quelques mois plustard. D’une façon générale, les soldats repré-sentaient toutes les classes sociales, il y avaitdes gens instruits, des gens de la noblesse oud’autres pas du tout habitués à la modernité 160.A peine quelques mois après leur arrivée, laConfédération a décidé de transférer les maladesde Montana à Leysin pour le 30 septembre 1944.Les motifs invoqués étaient une insuffisancedans la surveillance exercée par le Dr Stéphaniet des installations techniques mal adaptéesaux soins. Mis à part ces reproches, une autre raisond’ordre économique influença l’Etat-major enfaveur de ce transfert. En mai 1944, l e Gouvernement de Vichy adéc idé de suppr imer l e c entre ho spi ta l i e r deLeys in, e t n’y enverra plus de Français . Pet i tà pe t i t , l e s ho sp i ta l i s é s f rança i s de Ley s invont donc nous quit ter e t ne s eront pas rem-placé s . La s tat ion de Leys in r i sque for t de s et rouver a ins i dans une s i tuat ion f inancièredangereuse . C’e s t pourquoi on a prié le co lo-nel Blanc d’envisager le transfert des maladesde Montana à Ley s in161.Ainsi, l’hôpital de Montana aura fonctionné àpeine une année durant la Deuxième Guerre mon-diale et il n’aura accueilli qu’une centaine demalades italiens, yougoslaves, russes et cypriotes.Il s’agissait d’internés militaires et de prison-niers de guerre évadés. Pour des raisons militaires,économiques, disciplinaires et sanitaires, la sta-tion de Leysin a été préférée à celle de Montana

�157 AF, E 5791 ( - )/ -1 , vo l . 729,

Le t t re du 10 août 1943 dul i eu tenant - co lone l Chauve t , che fde l ’E ta t -ma jo r, ad ressée aucommandant de l ’a rmée, Se r v i cete r r i to r i a l .

158 I n te r v iew de Rose S imon à sondomic i l e , 31 août 2004.

159 A cô té du D r S téphan i , Lou i se Rey, femme au foye r,s ’occupa i t tou te la jou rnée desma lades . E l l e é ta i t tou jou r s àl ’écou te des gens . Se lon RoseS imon, sa mère é ta i t auss i unpeu leu r maman, l eu rcon f iden te , l eu r psycho logue .Quant au t rava i l de Rose S imonà la Pens ion , i l é ta i t mu l t i p le .E l l e con t rô la i t r égu l i è rementl ’o rd re dans l e s chambres , l ava i tl e l i nge une fo i s pa r sema ine ,é ta i t r esponsab le de donne r dus i rop une fo i s pa r j ou r auxin te rnés e t de l eu r se r v i r l e srepas .

160 I n te r v iew de Rose S imon à sondomic i l e , 31 août 2004.

161 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 777,Le t t re du 26 ma i 1944 dup remie r l i eu tenant Dumou l in ,o f f i c i e r d ’E ta t -ma jo r ad jo in t , auco lone l Vu i choud.

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pour l’accueil de tuberculeux durant la DeuxièmeGuerre mondiale, malgré les efforts du DrStéphani, de la Société de développement deMontana-Vermala et des autorités cantonales.Les derniers pensionnaires ont quitté la stationclimatérique en octobre 1944.

D E U X C A M P S S I N G U L I E R S

Peu avant la fin de la guerre, la cité de Monthey,si calme à l’accoutumée, a connu durant quelquesmois une certaine animation grâce à des hôtes

forcés162. Des réfugiés espagnols ont été logésdans des locaux aménagés et des baraque-ments construits à La Verrerie pour l’hospi-talisation. Ces derniers sont arrivés en juillet1945. L’effectif du camp était de 380 hommes,14 femmes et 4 enfants et fut placé sous lasurveillance du capitaine Pernollet assisté d’ungroupe de militaires. Il s’agissait de réfugiésqui se trouvaient dans le convoi attaqué engare de Chambéry et qui furent ensuite refou-lés à Genève avant d’être transférés à Monthey.A leur arrivée, les réfugiés faisaient bonne

�162 FAM, 30 novembre 1945, Les

in te r nés espagno l s son t pa r t i s ,A . F.

99

Le p lan Wah len a auss i m i s l a ma in su r l e s s ta t ions c l imat iques . A C rans -Montana , 12 hec ta res , s i tués su r l e te r ra in du go l f , on t é té mis en cu l tu re(A r ch i ves p r i vées de la fami l l e Pe r re t )�

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impression. Leur tenue n’avait en tout cas riende l’aspect tragique sous lequel se sont présen-tées tant de victimes des terribles exodes nés del’affreuse guerre. Les cantonnements ont pré-parés dans les grands magasins de la vieille indus-trie montheysanne. Ils étaient confortableset bien agencés par les artisans locaux sous ladirection de l’architecte René Bréganti163.Ces réfugiés ont quitté le camp de La Verrerieen novembre 1945 pour être acheminés versGênes via Chiasso avant d’embarquer sur unnavire espagnol. Selon la Feuille d’Avis deMonthey, il y avait un peu de tout parmi cesinternés : des êtres charmants, de ceux quil’étaient moins et d’autres, enfin, bien peurecommandables. Bref un monde en miniatureavec ses lumières, et ses ombres, ses bons et sesmauvais sujets164. Avant la guerre, la station de Finhaut accueillaitprincipalement des touristes anglais. Les inter-nés allemands qui ont séjourné dans la sta-tion de Finhaut étaient d’anciens officiers qui,lors de la fin des hostilités, faisaient partie d’unconvoi de blessés traversant la Suisse pour êtredirigés sur l’Allemagne. Le convoi, à la suitede la débâcle du Reich, ne pouvant plus quit-ter la Suisse, les quarante-quatre Allemandsfurent soignés dans un hôpital et ensuite inter-nés au home de Wersen par les soins du CFIH.Ce dernier ayant été supprimé, ils furent démo-bilisés et soumis au régime des réfugiés165. Ilsfurent alors transférés à Finhaut en mai 1946et ont résidé à l’Hôtel Beau-Séjour. Pendantleur internement, ils étaient vêtus en civil. Surles quarante-quatre réfugiés, vingt-cinq enmoyenne étaient occupés pendant 48 heurespar semaine à des écritures pour le compte dela Croix-Rouge, d’entente avec l’Agence cen-trale des prisonniers de guerre (recherche dessoldats de l’ancienne Wehrmacht). Les autresassuraient le service du home (ménage, cuisine,ordre en chambre). Ces réfugiés recevaient lamême solde que d’autres réfugiés. Pendantleur séjour, s’ils devaient rester à l’hôtel pen-dant la journée, ils étaient libres depuis le repasdu soir jusqu’à 23 heures (le samedi et ledimanche jusqu’à minuit). A cause d’incidents

au Chalet de La Léchère, où des Allemandrejoignaient des femmes et où la morale étaitinexistante 166 l’opinion publique s’inquiéta durefuge à Finhaut, notamment par les révélationsparues dans La Voie Ouvrière, accusant les jour-naux valaisans de se cantonner dans un pru-dent silence, au lieu de dénoncer à son tour lescandale 167. Dès lors, les internés ont été per-çus comme insolents et noceurs, et toujours prêtsà abuser d’une liberté excessive168. Le Confédéré,par la plume d’André Marcel, a été fortementréfractaire quand à l’accueil de ces hôtes :Qu’ils soient polis , le fait nous a été confirmépar tous ceux que nous avons interrogés . […]Est- i l jus te , e s t - i l normal , e s t - i l décent , quedes of f ic ier s al lemands jouis sent d’une vie detouristes en pleine station de montagne ? […]Il faut que ce s Mes s ieurs quit tent la contrée .Pas au printemps comme ont l ’a ir de l e sou-haiter cer tains hôte l ier s , tout de suite . Nousdemandons le départ immédiat des Allemandsde Finhaut . Qu’ i l s a i l l ent prendre l eur bainau so le i l sous d’autre s c ieux !169

Selon plusieurs témoignages, la population deFinhaut les appelait les SS. Ces hôtes contro-versés sont demeurés dans la station jusqu’enautomne 1946.

D E S R I X E S A U X M A R I A G E S : L E S C O N T A C T S A V E C L AP O P U L A T I O N L O C A L E

Dans les camps de base militaires, diversesactivités ont été progressivement organiséespar les autorités suisses et les internés. A Illarsaz,un foyer du soldat a été aménagé quelquetemps après la création du camp dans un bara-quement. A l’intérieur, les internés ont com-mencé à rédiger et à publier des communiquésde guerre avec les informations les plus récentes.Le commandant du camp a mis en place rapi-dement une riche bibliothèque du camp. Grâceà son intervention auprès des autorités, ungroupe de cinéma de l’armée suisse visitait lecamp une semaine sur deux pour présenteraux internés certains films. De plus, de tempsen temps, le théâtre de la Division présentait

�163 FAM, 27 ju i l l e t 1945, Des

ré fug iés espagno l s a r r i ven t àMonthey , A . F.

164 FAM, 30 novembre 1945, Lesin te r nés espagno l s son t pa r t i s ,A . F.

165 CONF, 20 sep tembre 1946,F inhaut a peu t -ê t re to r t…, A . M.

166 I b idem.167 CONF, 11 sep tembre 1946, Les

in te r nés a l l emands à F inhau t , A . M.

168 I b idem.169 CONF, 18 sep tembre 1946, Les

A l l emands von t - i l s en f in qu i t te rF inhau t ?, A . M.

100

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ses spectacles aux internés du camp. Pendantles longs mois d’hiver, le foyer du soldat seremplissait de soldats qui participaient à lalecture à vive voix des extraits de la littératurepolonaise170. En août 1942, un foyer du sol-dat a également vu le jour à Montana grâce àl’initiative du major Voûte et de la Croix-Rouge. Il donnait l’occasion de passer agréa-blement le temps libre au lieu de fréquenterles cafés171. A Illsee, pour le confort des inter-nés, comme il n’y avait pas de bibliothèque dansle détachement, l’entreprise organisait àMäretschi-Alp des projections cinématogra-phiques en guise de compensations, de mêmeque des conférences. Enfin, une fois par semaine,

un prêtre montait jusqu’au barrage pour célé-brer la messe172. Le travail des aumôniers dansles camps était relativement complexe. Cesprêtres permettaient d’offrir un soutien spiri-tuel aux internés, d’organiser des cultes, des lec-tures, des études, des conférences mais ausside les faire bénéficier d’une aide sociale etadministrative, et d’assurer par exemple la cor-respondance avec les autorités militaires etciviles ou avec les comités de secours. Ainsi,les aumôniers s’efforçaient d’apporter aux inter-nés ce qui leur manquait tant sur le plan spi-rituel qu’intellectuel ou social. Secondés éga-lement par des personnes bénévoles, ils ontpu réaliser là un travail très important173.

�170 PA RV E X 1984, pp . 133 -136.171 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 777,

Rappor t du médec in - che f dusec teu r Rhône Ad r ien Jo ly,d ’aoû t 1942.

172 AF, E5791 -/1, vo l . 746,inspec t ion du 31 oc tob re 1941du ma jo r F rey, médec in - che f deBüren .

173 NA R B E L 2003, pp . 152 -153.

101

I n te r nés po lona i s so r tan t de l ’ég l i se de V ionnaz(A r ch i ves p r i vées)�

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Au cours des mois d’été, les internés ont éga-lement visité plusieurs villes et divers endroitstouristiques pendant leur période de congé. Cesvisites étaient très appréciées par les internés.En août 1942, par exemple, alors que les inter-nés du camp d’Illarsaz faisaient une excursionen bateau jusqu’à Pully174, les internés du campde Saillon et de Granges se rendaient auGornergrat. Quant aux internés des mines deChandoline, ils visitaient le Comptoir suisseà Lausanne. Dans les homes d’accueil, l’organisation desloisirs dépendait d’un responsable qui se trou-vait à la tête d’un comité composé de repré-sentants des différents groupes d’internés. AChampéry, par exemple, de multiples coursfurent organisés. Au programme, il y avait descours d’hébreux, d’anglais, de russe et d’alle-mand. Pour ceux qui avaient l’âme artistique,l’interné italien Manfredo d’Urbino donnaitdes cours de dessin. Seize élèves pouvaient aussisuivre des cours de sténographie ou de dac-tylographie. De plus, il existait deux cerclesd’études, le premier avait pour but de faireconnaître la littérature et l’histoire juives, ledeuxième était l’œuvre de quelques univer-sitaires du camp décidés à créer un cercled’études scientifiques. Celui-ci était composéde médecins, d’avocats, d’ingénieurs, decroyants et d’anciens employés de bureau.Ce cercle d’études leur offrait la possibilité deconserver le savoir acquis dans leur branchespécifique et de se tenir au courant des avan-cées et des progrès scientifiques par l’inter-médiaire de la littérature ou de la lecture demanuscrits. De plus, ce dernier groupe étaitchargé également d’organiser des conférencespour les résidants du camp. Outre les nom-breux cours cités ci-dessus, des leçons dechant et de musique étaient mis sur pied aucamp d’accueil de Champéry. Du reste, desartistes doués y donnaient périodiquementdes concerts qui comptaient beaucoup pourles résidants. Parmi ces artistes, on peut nom-mer Frederico Pinto, virtuose du violon,Vittorio Bassevi, violoncelliste, Leonore Kroch,chanteuse d’opéra et de concerts, Dora Luria,

pianiste, Gualtiero Morpurgo, virtuose duviolon, Eleonore Schreiber, pianiste très douée,alors à peine âgée de dix ans. Dans les homes d’accueil de Täsch ou deRanda, il y avait peu d’activités culturellesproposées, à cause sans doute de la compo-sition sociologique du camp : des femmesjeunes dont les préoccupations immédiatesconcernaient plutôt leur famille, et des enfantsen bas âge. De plus, l’entretien de l’hôtel lesoccupait à plein temps. Il ne restait dès lorsque peu de disponibilités pour organiserd’autres activités175. Dans certains camps d’internés, des cours ontaussi été organisés. A Illarsaz, un cours-radioa été mis sur pied, pendant lequel environquarante soldats ont été formés en tant que spé-cialistes dans la radio-télégraphique militaire176.A Champéry, des formations professionnellesont été élaborées à travers divers ateliers.L’ouvroir avait pour objectif de préparer lesréfugiés pour les temps difficiles de l’après-guerre. En effet, un grand nombre de réfugiésétaient sans métier, car beaucoup d’entre euxerraient depuis des années et n’avaient plusl’habitude d’un travail suivi. Ce problème dereclassement touchait surtout les Juifs chassésdes différents pays d’Europe depuis le débutdes années 1930 : I l f a u t s e ra p p e l e r q u e l a p l u p a r t d e c e sjeunes ont pas sé la moit ié de leur jeune exi s-t enc e en marge de l a v i e normal e , e r ran td’un pay s à l ’autre ne suivant aucune in s -t ruc t ion régul i ère e t manquant souvent dus imple ense ignement primaire . A pré sent , i l ss on t dan s d e s c amp s , d é s o euv r é s , d é s ax é s ,sans in s t ruc t ion, sans intérê t cu l ture l177.De ce fait, les orienter vers des métiers manuelsest une tâche humanitaire et sociale. C’est danscet ordre d’idées qu’ont été réalisés, au campde réfugiés de Champéry, divers ateliers–appelés ouvroirs dans les documents d’époque– où plusieurs artisans ont travaillé à la pré-paration et à l’entretien des affaires des autresréfugiés. De plus, des cours de formationprofessionnelle pour des réfugiés ont été misen place. Cet essai fait à Champéry a permis

�174 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l 777,

Rappor t du médec in - che f dusec teu r Rhône Ad r ien Jo ly,d ’aoû t 1942.

175 RE G A R D 2002, p . 95.176 PA RV E X 1984, pp .133-136.177 AF, E 9500, 1969/150, vo l .

15, Not i ce de Razdowi tz su r l erec lassement p ro fess ionne l desré fug iés du home d ’accue i l deChampér y, j u i l l e t 1943.

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des réalisations analogues dans les autrescamps de réfugiés. A Champéry, on prévoyaitmême d’introduire ces types de cours pen-dant les longs mois d’hiver dans des campsde travail, en vue de formation et de reclas-sement professionnels. En 1943, peu aprèsla mise en place de la formation, une tren-taine de personnes participaient aux cours etaux ateliers. Outre ces activités, l’ORT-Suisse178 a élaboré, au home d’accueil deChampéry, huit formations professionnellesen vue de l’après-guerre. On pouvait yapprendre la couture (où cinquante internésétaient formés à de simples travaux de rac-commodage jusqu’à la confection d’habits)voire la haute couture (cinq tailleurs sous laresponsabilité d’un professionnel). Il y avaitaussi deux cordonniers. Dix-huit élèves pou-vaient suivre également des cours l’après-midi pour confectionner de corsets et deschapeaux hauts de forme. Pour ces deux der-niers cours, la formation durait cinq mois,à raison de quatre heures quotidiennes cinqfois par semaine. En août 1944, on prévoyaitencore de nouvelles formations, à savoir descours de couture sous la direction d’ins-tructeurs professionnels, auxquels vingt-cinqélèves pouvaient prendre part pendant sixmois de même que des cours d’électrotech-nique et des cours spécifiques pour machinesà tricoter. Très vite, les résultats obtenusfurent encourageants et la volonté affichée prou-vait bien l’utilité de créer dans d’autres campsdes centres de formation et de reclassementprofessionnels179. Si à l’intérieur des camps la vie permettait trèspeu de contacts avec la population avoisi-nante, pendant les périodes de congés, denombreuses rencontres eurent lieu. Certainesse firent notamment par le biais de la musique.En mai 1943, la Croix-Rouge de Sierre orga-nisa un concert donné à la grande salle duCasino par le chœur des internés polonais deGranges. Le spectacle connut un très grandsuccès. Pendant cette soirée, les internés ontexécuté des chants en langue polonaise, tan-dis que le ténor Pregowski a chanté des airs

d’opéra et qu’Aleksander Kagan a interprétédes œuvres de Chopin. Dans son compterendu, La Patrie Valaisanne rend témoignaged’une sympathie ardente pour nos frères Polonais,dont nous voudrions que l’exil chez nous fûtaussi doux que peut l’être un exil. A cet élanhelvétique, le chœur des internés polonais répon-dit avec une reconnaissance profonde et une atten-tion délicate en interprétant des chants suissestels Le vieux Chalet de l’abbé Bovet, qui a prisune couleur particulière, […] parce que noussommes habitués à des exécutions plus vagues,et parfois, bêlantes. Cette amitié s’est encorerenforcée par une réception organisée aprèsle concert à l’Hôtel Bellevue, où La vodkasuccéda aux crus valaisans; mais ces échangesspiritueux n’étaient qu’un signe des échanges spi-rituels que la capitaine polonais, le préfet dudistrict, le président de la municipalité et celuide la Croix-Rouge sierroise opérèrent avec unefraternité totale180. D’autres camps avaientégalement mis sur pied un chœur. Celuid’Illarsaz notamment a donné plusieursconcerts au public suisse. Parfois, des chœursd’internés venus d’autres cantons ont chantéen Valais. Par exemple, en avril 1944, lechœur des internés universitaires de Fribourga organisé une tournée, présentant des chantspopulaires et accompagné par la magnifi-cence181 du pianiste Alexander Kagan à lagrande salle du Casino à Sierre. Le bénéficede la soirée fut en faveur de la Croix-Rougeet des enfants polonais en Suisse. Le chœurd’étudiants avait déjà chanté à Neuchâtel, àBulle, à Montreux et à la Tour-de-Peilz et devaitencore se présenter à Genève, à Lausanne, àFribourg et à l’Hôtel de la Paix à Sion unesemaine plus tard. Que ce soit à Sierre ou àSion, le public manifestait un grand enthou-siasme à l’égard des artistes182. Dans l’article,le journaliste reconnaît que la qualité duchœur universitaire était excellente, contrai-rement à celle du camp de Granges qui n’avaitpas enchanté le public (une année auparavant),mais qui avait accordé l’intérêt de la curiositéet de la sympathie due au malheur183. D’autresconcerts eurent lieu à Sion, notamment en

�178 ORT (Organ i sa t ion ,

Recons t r uc t ion , Trava i l ) é ta i tune assoc ia t ion spéc ia l i sée dansle re tou r des ré fug iés enPa les t ine .

179 AF, E 9500, 1969/150, vo l .15, Not i ce de Razdowi tz su r l erec lassement p ro fess ionne l desré fug iés du home d ’accue i l deChampér y, j u i l l e t 1943.

180 PV, 7 ma i 1943, Le conce r t desin te r nés po lona i s , S . M.

181 PV, 18 av r i l 1944, Conce r t demus ique po lona i se , S . M.

182 AF, E 5791 ( - )/ -1 , vo l . 598,Compte rendu de la tou rnée demus ique po lona i se au sec teu rRhône, o rgan i sée du 29 mars au30 av r i l 1944.

183 PV, 18 av r i l 1944, Conce r t demus ique po lona i se , S . M.

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septembre 1942, pour commémorer ledeuxième anniversaire de l’arrivée des inter-nés à Chandoline. Après le spectacle, une réception fut donnéeà l’Hôtel de la Gare à Sion. Le capitaineSiegriest, dans son rapport, écrit :Sans qu’ i l y a i t eu d’ excè s , l ’a tmosphère e s tdevenue a s s ez é l evée e t a donné l ’ impre s s iond’une f ra terni sa t ion complè te avec l e s o f f i -c ier s polonais . Le l ieutenant colonel Jacquata embras s é d iver s o f f i c i e r s po lonai s (bai s e rf ra terne l po lonai s )184.Au home d’accueil de Finhaut, la société de chanta eu le privilège d’avoir un brillant directeur

de juillet à septembre 1945. Les anciens membresse souviennent bien de Yvan Arato, réfugiéd’origine hongroise et logeant dans le home d’ac-cueil de l’Hôtel Bristol à Finhaut. Yvan Aratoavait été avant la guerre compositeur et chefd’orchestre à Budapest. Selon les souvenirs deMaxime Gay-des-Combes, ce musicien parlaitbien le français. C’était un chef exigeant et lesmembres de la société se sentaient comme dejeunes apprentis à ses côtés. On avait deux répé-titions par semaine. Il est resté tout l’automne ettout l’hiver. Yvan Arato a dirigé la chorale jus-qu’en septembre 1945. Maxime Gay-des-Combes se rappelle une messe chantée à quatre

�184 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 672,

Rappor t du 28 sep tembre 1942conce rnan t l a so i rée mus i ca le .

104

Conce r t donné , pou r commémore r l e deux ième ann ive r sa i re des in te r nés po lona i s aux mines de Chando l ine , S ion , 27 sep tembre 1942(Fondat ion A r ch i vum He lve to -Po lon i cum, F r ibou rg)�

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voix pour la fête de la mi-août. Selon lui, levillage n’avait jamais entendu la société chanterde la sorte. C’était grâce à Monsieur Arato. Grâceaux relations forgées par l’intermédiaire duchant, les membres de la chorale ont été reçusà l’Hôtel Bristol où logeaient les réfugiés. Cesderniers avaient mis sur pied un programmemusical en mai 1945 pour la société de chantde Finhaut185.Le football, sport populaire déjà à l’époque,était reconnu sur la scène internationale.Pendant l’internement des internés, de nom-breux matchs amicaux eurent lieu avec deséquipes suisses. Ces matchs se déroulaientgénéralement avant la reprise des champion-nats. En Suisse allemande, le camp polonaisde Flüeli a joué de nombreux matchs amicauxen 1945, notamment contre le F.C. Kreuzlingen,

le F.C. Schaffhouse ou même le Montreux-Sport186. En septembre 1942, le camp de tra-vail de Viège a participé à un tournoi de foot-ball à Salquenen187. En 1943, plusieurs matchsamicaux eurent encore lieu dans les camps valai-sans. Par exemple, la première et la deuxièmeéquipe de Viège ont joué plusieurs matchesamicaux contre l’équipe du camp de travailde Lalden et de Rarogne en 1943188. En juin1943, le camp de travail de Rarogne a aussidisputé un match amical contre le club deSalgesch. A noter que les internés de Rarogneont lancé un appel à d’autres clubs en vue dematchs amicaux pour les mois suivants189.L’équipe de football du camp d’Illarsaz a jouénotamment un match amical contre le F.C.Aigle en mars 1943. A Illarsaz, plusieurs inter-nés étaient des joueurs chevronnés190. En août

�185 I n te r v iew de Max ime Gay -des -

Combes , réa l i sée l e 11 août2004 à F inhau t .

186 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 596,Le t t re du 14 fév r i e r 1945 ducommandant du camp mi l i t a i rede F lüe l i à l ’o f f i c i e r responsab ledu camp.

187 WB, 1er sep tembre 1942,Tou rn ie r i n Sa lgesch .

188 WB, 9 mars 1943, V i sp Is ch läg t A rbe i t s l age r La lden 7 :3(3 :2) ; WB, 16 mars 1943,Fussba l l ; WB, 18 mars 1943,V i sp I I gegen das A rbe i t s l age rRa ron 2 :3 (0 :1) .

189 WB, 8 ju in 1943, A rbe i t s l age rRa ron gegen Sa lgesch I I 6 :3 .

190 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 596,Le t t re du ma jo r Czyzewsk i ,o f f i c i e r po lona i s de l i a i sonaup rès du CF IH, du 16 ma i1944.

105

Le 15 août 1943, un concou r s spo r t i f e s t o rgan i sé au camp d ’ in te r nés po lona i s de Sa i l l on(A r ch i ves p r i vées de la fami l l e Pe r re t )�

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1943, un conseiller municipal d’Aigle deman-dait même à la Confédération l’autorisationd’engager un joueur du camp d’Illarsaz pourdevenir entraîneur-joueur de la premièreéquipe. Le j eune homme dé s igné s e ra i t d ’un grandsecour s pour notre soc i é t é e t permet t ra i t àno t re j eun e s s e d e p ro f i t e r d e l ’ e xp é r i en c espor t ive de ce s joueurs é trangers . Dans le casp a r t i c u l i e r, c e t i n t e r n é p ou r ra i t a i n s i s erendre utile à la cause du sport en Suisse. […]Il s e ra i t b ien entendu, comme nous l ’avonsdéclaré au commandant du secteur Rhône, quel e d i t interné jouerai t avec l ’Aig l e F. C. l edimanche , donc jour de l iber t é pour l e s d i t si n t e r n é s , e t r e j o i n d ra i t c h a q u e s o i r s o ncamp191.Toutefois, le CFIH refusa la demande, car unetelle autorisation était jugée tout à fait inop-portune à l’époque; le statut des soldats d’ar-mées étrangères internés dans notre pays, régipar des conventions internationales, [impo-sait] à ceux-ci certaines restrictions à leur libertéde mouvement 192. D’autres footballeurs ont pu jouer dans des clubsgrâce à certains subterfuges, tel l’interné ita-lien Amedeo Lanzi. Ce dernier était entré clan-destinement en Suisse, comme beaucoup demilitaires italiens fuyant les soubresauts dufascisme, avant d’être interné au camp de Pont-de-la-Morge près de Sion. Selon son témoignage,tous les soirs après le travail, on tapait dans leballon; jusqu’au jour où un habitant de Vétrozlui proposa de jouer pour l’équipe de son vil-lage sous un faux nom. C’est ainsi qu’AmedeoLanzi, du camp de travail de Pont-de-la-Morge,a joué au F.C. Vétroz sous divers faux nomsen 1944 et 1945193. A Chandoline, après leur travail, les internésallaient au cinéma, jouaient aux cartes ou fré-quentaient les bals populaires. Il leur arrivaitégalement de se promener au bord du Rhôneou en ville de Sion194. A Chandoline, les inter-nés non occupés dans la journée ou dans la soi-rée étaient libres dans le rayon de déconsi-gnation, mais devaient être de retour au campà 22 h. De plus, deux fois par semaine, les

internés avaient la possibilité de fréquenter lescinémas de la ville de Sion. La populationvalaisanne se montrait chaleureuse à leur égard.Ainsi on apprend que la nouvelle du conflitaux mines de Chandoline (grève des internésmineurs en janvier 1941) avait causé un cer-tain émoi en ville de Sion où les ouvriers polo-nais jouissaient de l’estime et de la sympathie dela population195. Des actions privées témoi-gnaient également du respect des Valaisans àl’égard des internés polonais. En effet, lesmineurs polonais du Mont-Chemin n’avaientpas pu rejoindre leurs familles pendant les fêtesde Noël en 1941. C’est pourquoi, ils reçurentdes présents particuliers de la Distillerie Morandà Martigny. De plus, l’ouvroir militaire deMartigny leur a fait encore parvenir différentslainages et sous-vêtements. Les Polonais, pourexprimer leur reconnaissance aux généreuxdonateurs, ont souhaité publier un entrefiletdans Le Confédéré 196. Pour les mineurs de Chandoline, les bons rap-ports avec la population valaisanne se sontrenforcés dans les cafés proches des mines. Eneffet, comme il n’y avait pas de foyer du sol-dat, les internés s’arrêtaient fréquemment aucafé de Turin après leur travail. Il n’était pasrare que des Polonais sortaient de l’établisse-ment en état d’ébriété. En août 1942, soitaprès plus de deux ans passés aux mines, lesinternés avaient tendance à devenir des ouvrierspresque civils, jouissant de trop grandes libertés.[…] A Bramois et à Salins, les internés se per-mettaient de danser et de s’enivrer en compagniede jeunes filles de ces villages. La surveillance desinternés durant leur temps libre ne put se faireà Chandoline de la même façon que dans lesautres camps du secteur, si bien que de nom-breuses rencontres eurent lieu entre les inter-nés et la population locale, principalement àSalins, village situé en amont des mines. L’opinion publique était au courant des inter-dictions frappant les internés, puisque le CFIHavait porté à la connaissance des citoyens, parl’intermédiaire notamment de la presse, lesdirectives concernant les rapports entre popu-lation civile et internés militaires. Il y était

�191 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 596,

Le t t re du conse i l l e r mun i c ipa lCap ré au CF IH, du 17 août1943.

192 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 596,Le t t re du 13 sep tembre 1943,che f de la D iv i s ion des a f fa i resé t rangè res au conse i l l e rmun i c ipa l Cap ré .

193 En 1945, Amedeo Lanz i es tre tou rné à Domodosso la ; avan tde reven i r en Su i s se en 1947pour joue r dans l e c lub deCh ipp i s e t t rava i l l e r à A lusu i s se ,pu i s à l a FTMH à S ie r re j usqu’àsa re t ra i te en 1983. I l fu t connudans tou t l e Va la i s commefootba l l eu r e t dans tou te laSu i s se comme un bon rec r u teu rà la FTMH. Vo i r STE INAUER, VON ALLMEN 2000, pp . 21 -22.

194 Cor respondance avec Dan ie l l aKo rbac insk i . La l e t t re da te du10 novembre 2004.

195 NF, 4 janv ie r 1941, Un con f l i taux mines de Chando l ine .

196 CONF, 2 janv ie r 1942, Noë l à l amine de fe r du Mont -Chemin , G . M.

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précisé qu’il n’[était] pas permis aux internésde contracter mariage. De ce fait, toutes relationstendant à cette fin [étaient] interdites197.Malgré des mesures plus strictes de surveillance,les ouvriers polonais ont continué d’entrete-nir de bonnes relations avec les populations localeset quelques rencontres ont même abouti à desmariages. Bronislaw Korbacinski est né le 13avril 1919 à Kaminiec Podolski en Pologne.A l’âge de 5 ans, il a quitté la Pologne avec safamille pour se rendre en France et s’installaen Saône-et-Loire au Bois-Perrault. A 13 ans,il commença à travailler à la mine de la région.Ainsi, lors de la mobilisation française, alorsâgé de vingt ans, il était domicilié en Franceet il combattit dans la Deuxième Division deschasseurs à pied. Acculé par l’armée allemande,il a franchi la frontière jurassienne en juin1940. Désarmé puis interné à Büren, il travaillad’abord dans plusieurs camps en Suisse alé-manique et fut affecté à diverses tâches (construc-tion de routes, de bâtiments ou déboisementen forêt), avant d’être transféré aux mines deChandoline. Là, les internés étaient réguliè-rement en contact avec les ouvriers suisses.Léontine Pitteloud travaillait alors au triaged’anthracite. Un jour, sa fille Daniella, quihabitait à Turin, lui apporta le repas au travail.C’est à ce moment-là, qu’elle rencontra for-tuitement Bronislaw198. Malgré son jeune âge,puisque Daniella était encore mineure (Daniellaest née le 15 juillet 1926), les jeunes gens nese quittèrent plus. Daniella, selon ses souve-nirs, n’apportait aucune importance au faitque son ami fût d’une autre nationalité :A 17 ans , on ne voi t pa s beaucoup p lus lo inque l e bout de son nez e t l e premier amoure s t vraiment t r è s impor tant . De p lus , c e luiqui al lait devenir mon mari était for t sédui-sant. Il m’appelait gueule d’amour et de pou-pée , a lor s comment ré s i s t e r !199

Mais cet amour fut loin d’être simple. Selonles dires de Daniella, la fréquentation d’uninterné n’avait pas posé de gros problèmesdans sa famille. Par contre, au sein du village,certains jeunes hommes valaisans, jaloux,l’avaient traitée à plusieurs reprises de sale

Pollack. Ces jeunes hommes n’étaient pas lesseuls. En effet, l’opinion publique n’encoura-geait pas ce type de rencontres. Leur fréquentation perdura. Alors enceinte deplusieurs mois, Daniella, en compagnie deBronislaw, fit les démarches nécessaires auprèsde l’Etat du Valais pour que l’enfant soitreconnu par son père. D’un point de vue légis-latif, la loi interdisait en principe une telleunion. Avant le conflit, il existait déjà des lois inter-nationales en matière de mariage. Cette conven-tion fut conclue à La Haye le 12 juin 1902 etratifiée par la Suisse puis plus tard par laPologne. Elle fut encore renforcée en novembre1941 par le commissaire fédéral à l’internementqui interdisait de contracter mariage. Le premier cas de demande en mariage entreun interné et une Suissesse datait de 1942. Eneffet, en mars 1942, un officier polonais internédans un camp du canton du Thurgovie s’étaitfiancé à une Bernoise. Après avoir requis l’of-ficier de l’état civil de publier la promesse demariage, l’interné polonais recourut au Tribunalfédéral. A cette époque, la section de droitpublic avait rejeté le recours200. Le Nouvellistedu 10 mars 1942, expliquait ainsi le choix del’interdiction de mariage : Pour ce qui est du mariage, l ’ interné ne peutsonger à cons t i tuer un foyer, base de la com-munauté conjugale, qu’implique l’état matri-monia l . Si nou s p la i gnons l e s o r t de t ou sceux que la guerre soumet à sa loi implacable,nous ne devons pas moins sauvegarder notreintérê t nat ional e t c e t intérê t ex ige l ’ in ter -dic t ion de mariage fa i t e aux interné s201. Une autre raison sous-jacente à celle du droitinternational demeurait ancrée dans la mémoirecollective. En effet, pour justifier et appuyercette décision d’interdiction, l’opinion publiquefaisait référence aux souvenirs de la PremièreGuerre mondiale, avec les cas de bigamie, les aban-dons de famille qu’elle traîna dans son sillage 202.En mai 1944, à la suite de demandes fré-quentes de publications et de célébrations demariages de la part des internés, le Conseild’Etat décida de ne pas autoriser, en principe,

�197 FAM, 14 novembre 1941,

In te rnés e t popu la t ion c i v i l e .198 Cor respondances avec Dan ie l l a

Ko rbac insk i . La l e t t re da te du10 novembre 2004.

199 I b idem.200 NF, 10 mars 1942, D ro i t s au

mar iage des in te r nés , duco r respondant aup rès du Tr i buna lfédé ra l .

201 I b idem.202 I b idem.

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les mariages d’émigrants réfugiés en séjour dansle canton du Valais203. L’Etat du Valais avançaitl’argument suivant : Ces gens sont généralement dépourvus de touspapier s de l ég i t imat ion e t l eur é ta t c iv i l nepeut pas ê t re é tab l i avec c er t i tude a t t enduque le s re lations avec le s autorité s du l ieu deleur domici le sont pratiquement imposs ible s .[…] Dans c e s condi t ions , nous vous invi -tons à ne pas donner sui t e aux demandes dece t t e nature e t à in former l e s intére s s e r quel e Gouvernement cantonal l eur re fu se l ’au-tor i sa t ion de mariage204.Ce fut ainsi le cas pour un interné militaire polo-nais du camp d’Illarsaz et d’une jeune fille deCollombey-Muraz : l’interné ne pouvant four-nir, dans un premier temps, les papiers de légi-timation : Nous fa i s on s remarquer […] que s o i t l e sin t e rné s mi l i t a i re s , s o i t l e s r é fug i é s c i v i l squi sont de pas sage dans notre pay s ne sontgénéra lement pas en mesure de produire l e spapier s de l ég i t imat ion néce s sa i re à la cé l é -brat ion du mariage […] Nous devons parconséquent re fuser l ’autori sat ion de mariagedans l e ca s par t i cu l i e r e t nous vous invi tonsà ne pas donner d’autre suite à cette affaire205.Si la loi polonaise admettait la reconnaissanced’enfants naturels et le mariage, l’Etat du Valais,en réponse à la lettre de la famille Pittelouddatant du 24 février 1944, se montrait parcontre extrêmement réservé et prudent sur sadécision : Il y aura l i eu […] d’examiner s i la recon-nai s sance en ques t ion e s t b ien dans l ’ intérê tde l’enfant. Celui-ci acquerrait, par la recon-nai s sance , l a na t iona l i t é po lonai s e de s onpère . Or, ce dernier, peut ê tre appelé à quit-t e r n o t r e p a y s d ’ u n m o m e n t à l ’ a u t r e .Qu’adviendra-t-i l de cet enfant ? Son père nepourra pas s’ en occuper, de sor te qu’ i l re s teraà la charge de la mère . La reconnai s sancen’aura i t , dans c e ca s , aucune u t i l i t é . El l es e ra i t , au con t ra i re , p r é jud i c iab l e à l ’ en -fant . […]206

Souhaitant malgré tout contracter mariage,Daniella et Bronislaw établirent une demande

officielle. Entre temps, un matin du 23 mai1944, naquit Wanda Adeline Pitteloud à Turin,commune de Salins. Avoir une relation avecun interné n’était pas chose aisée. L’opinionpublique valaisanne n’y était guère favorable.Le Journal et Feuille d’Avis du Valais, de mêmeque Le Nouvelliste, stigmatisant certaines atti-tudes, dénonçant l’emballement avec lequel nosjeunes filles valaisannes se sont éprises de la plu-part de nos internés207. On en cherchait les rai-sons : sans doute sont-ils mieux que nos compa-triotes de Bumpliz Nord ou de Goummëns leJus 208. En mai 1945 encore, Le Journal etFeuille d’Avis du Valais fit une dernière allusionaux difficiles ruptures lors du rapatriement desinternés 209. Malgré ce contexte difficile, lecouple de Salins ne renonça pas à son projetde mariage. Il faut dire que si l’ordre du 1er

novembre 1941 était encore en vigueur en1945, son application s’était assouplie. Ainsi,après une année de pourparlers, l’Etat du Valaisaccepta finalement la publication de promessede mariage des fiancés210, les pièces de légiti-mation ayant été officiellement reconnues. Lemariage fut autorisé sitôt obtenu le certificatde résidence et de célibat de Bronislaw Korbacinski(de Saint-Vallier en Saône-et-Loire)211. Lesfiancés purent contracter mariage le 5 juin1945. Néanmoins, la situation resta difficile,car ce jeune couple, à peine marié, a dû seséparer quelque temps. En effet, Bronislaw, àla suite d’un ordre de transfert, dut se rendreau camp d’Illarsaz en février 1945. Puis lasituation ne s’arrangea guère, puisque le mariéquitta la Suisse clandestinement. Et ce n’est quesept mois plus tard, le 7 février 1946, queDaniella et Wanda l’ont rejoint à Dijon, avantde retrouver toute la famille polonaise deBronislaw Korbacinsky en Saône-et-Loire. Deretour à la mine, Bronislaw continua d’y tra-vailler jusqu’à l’âge de la retraite. Le cas de la famille Korbacinski n’est pas uneexception. Aux mines de Chandoline, ondénombre pas moins de quatre mariages offi-ciels et une trentaine à l’échelon cantonal. Acela s’ajoutent encore une centaine de mariagesentre réfugiés des différents camps et homes

�203 AEV, 5030-2, 290.3. vo l . 156,

Le t t re du che f du Dépa r tementde jus t i ce aux o f f i ces de l ’é ta tc i v i l de S ie r re , G ranges ,Conthey, Sa in t -Maur i ce -de -Laques , Montana , F inhaut ,Champér y e t Tro i s to r ren t s , du 3mai 1944. Une même le t t re aé té envoyée en a l l emand auxo f f i ces de l ’é ta t c i v i l de Sa in t -N i co las , Täsch , Randa, Ra rogneet Gampe l .

204 I b idem. 205 AEV, 5030-2, vo l . 156, 290.14,

Le t t re du che f du Dépa r tementde jus t i ce à l ’o f f i c i e r de l ’é ta tc i v i l de Co l lombey -Muraz , du 22décembre 1944. Ce t te l e t t reconce rne une demande enmar iage d ’un resso r t i s san tpo lona i s i n te r né au campd’ I l l a r saz , avec une Va la i sannede Co l lombey -Muraz .

206 AEV, 5030-2, vo l . 158, 549.14,Le t t re du 7 mars 1944 duDépar tement fédé ra l de jus t i cee t po l i ce , se r v i ce de l ’é ta t c i v i l ,au Dépa r tement de jus t i ce ducan ton du Va la i s .

207 FAV, 10 ju i l l e t 1944, Nos j eunesf i l l e s e t l e s in te r nés , E . R . ; l emême a r t i c l e se t rouve dans LeNouve l l i s te du 8 ju i l l e t 1944.

208 FAV, 5 fév r i e r 1945, Au f i l desjou r s , Cand ide .

209 FAV, 2 ma i 1945, Au f i l desjou r s , Cand ide .

210 AEV, 5030-2, vo l . 158, 549.14,Le t t re du 17 ma i 1945 du che fdu Dépa r tement de jus t i ce àl ’o f f i ce de l ’é ta t c i v i l .

211 AEV, 5030-2, vo l . 158, 549.14,Ce r t i f i ca t de rés idence (29 ma i1945) e t de cé l i ba t (7 ju in1945) réa l i sés à Sa in t -Va l l i e r.

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d’accueil. Si certains se déroulèrent dans l’al-légresse, il ne faut pas oublier les épreuves ter-ribles subies par certaines jeunes filles valaisannes.Les rencontres avec des internés militairesétaient interdites. De plus, avoir un enfantillégitime de père étranger, d’un point de vuesocial, était une catastrophe à cette époque. Certaines relations connurent une issue bienplus dramatique encore. A la fin du conflit, deuxcas en particulier, impliquant des internés etdes jeunes filles, firent les gros titres de la pressecantonale qui, au-delà de ces suicides et assas-sinats, dénonça le danger des relations vouéesle plus souvent à l’échec. Les contacts entre la population valaisanne etles réfugiés aussi bien civils que militaires ontété conviviaux, voire parfois fraternels. Pourtant,comme le témoigne un article du Rhône, les

internés militaires semblaient parfois mieuxappréciés : Parmi l e s é t range r s qu i v iven t chez nou s ,beaucoup se comportent dignement. Les inter-né s mi l i ta i re s po lonai s en par t i cu l i e r fontla mei l l eure impre s s ion à tout point de vue ,e t i l s ont la s ympathie de la populat ion. Onremarque l eur e sp r i t de co rp s , l eur bonnet enu e , l e u r c ou r t o i s i e . Ma lh eu reu s emen t ,beaucoup de réfugiés sont loin de les imiter212.Les autorités fédérales ont même dû prendre desmesures particulières dans certains domaines. Lalutte contre l’abus d’alcool, par exemple, concer-nait la majorité des camps d’internement. Dureste l’armée décida d’agir pour lutter contre cefléau :Les cas d’ivresse sont moins nombreux, cepen-dant i l y en a encore t rop ; c ec i provient de

�212 RH, 11 août 1944, Ba t tage ,

C lément Bé ra rd .

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I n te r nés po lona i s e t j eunes f i l l e s va la i sannes devant l e ca fé de Tu r in(A r ch i ves de la fami l l e Ko rbac insk i )�

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ce que la population du Valais a le ges te troplarge e t invi t e t rop fac i l ement l e s interné s àb o i r e un v e r r e a v e c e l l e . La t empé ra tu rechaude et le s vins du pays as sez for t s e t as sezbon marché , auxque l s l e s in t e rné s ne sontpa s hab i tu é s , s on t c au s e d e s c a s d ’ i v re s s econs ta té s213.De peur que les internés ne s’enivrent encoreplus qu’à l’accoutumée, une surveillance spé-ciale fut même exercée à l’occasion des vendangesen 1942 : Je vous pr i e de prendre toute s d i spo s i t ionsu t i l e s a f in d ’ é v i t e r que l ’ é poque d e s v en -dange s en Valai s ne so i t l ’ o cca s ion pour l e sinternés de nouveaux acte s d’ indi sc ipl ine. Ily aurait lieu en particulier de réduire momen-tanément le rayon de sortie de certains camps

e t d’ interdire aux interné s l ’accè s de s v igne se t de s pre s so i r s . Le s e c t eur Rhône e s t l e s eu lac tue l l ement où l ’ on compte autant de ca sd ’ i v r e s s e . J ’ a t t e n d s q u e v o u s p r e n i e z d e smesure s s évère s en ce s ens214.Si l’alcool a favorisé la convivialité, il fut égale-ment la cause de nombreux dérapages, dont cer-tains dégénérèrent en véritables rixes. Les plusimportantes se sont passées à Eyholz en décembre1943, à Sierre le 11 mars 1944, à Granges le 1er

août 1944 et à Glis le 15 avril 1945. A Grône, dans la soirée du 1er août 1944, desbagarres se sont produites dans le Café desMayens entre des Valaisans et des ressortis-sants grecs du camp de Granges. Trois habi-tants de la région et six Grecs furent blessés.Un des Grecs succomba à ses blessures215.

�213 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 666,

Rappor t mensue l du sec teu rRhône pa r l e co lone l Cuénod, desep tembre 1942.

214 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 672,Le t t re du 21 sep tembre 1942 dumajo r Co t t i e r, o f f i c i e r de l ’E ta t -ma jo r du CF IH au commandantdu sec teu r Rhône.

215 NF, 11 août 1944, La baga r rede G ranges -G rône ,commun i ca t ion o f f i c i e l l e .

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Mar iage de Dan ie l l a P i t te loud e t de l ’ i n te r né po lona i s B ron i s law(Arch i ves de la fami l l e Ko rbac insk i )�

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La Confédération a toujours pris très au sérieuxles conflits entre population civile et internés,car, dans une certaine mesure, sa renommée endépendait. Pour mieux mettre en valeur l’im-portance accordée par la Confédération à ces inci-dents, nous allons analyser les différentes inter-ventions des organes politiques et policiers lorsde la rixe de Sierre, dont les victimes furent desréfugiés juifs. Dans les journaux valaisans, uncommuniqué de presse décrit les événements : Dans la so i rée du 11 mars 1944, à Sierre ,quelques réfugiés qui entraient dans un campde t ravai l ont é t é mole s t é s par un groupe dej eune s g en s de l ’ endro i t . Sept r é fug i é s onté t é b l e s s é s ; l ’un deux a dû ê t re ho spi ta l i s é .Une enquête ouver te immédiatement n’a pasen co re p e rmi s d ’ é t ab l i r ave c c e r t i tude l e sra i s on s d e c e t t e a g re s s i on . I l e s t t ou t e f o i s

c er ta in que l e s a s sa i l lant s é ta ient sous l ’ in-f luence de l ’a l coo l . Les autorités du canton et de la Confédérations’ e f forcent de fa i re la lumière l e p lu s rapi -dement po s s ib l e sur ce regre t tab le inc ident .Un avocat s e ra mi s à la di spo s i t ion de s v i c -times avant l’ouverture du procès pénal. Tantque les autorités administratives compétentessont autor i s é e s e t qu’e l l e s auront la po s s ib i -l i t é de fa i re connaî tre l eur manière de vo irau Mini s t è re publ i c , e l l e s demanderont unepuni t ion s évère de s coupable s […]216.La rixe de Sierre a interpellé l’Etat pour plu-sieurs raisons. D’une part, à cause de l’originedes réfugiés, on a craint à un acte volontaired’antisémitisme. D’autre part, certains milieuxdiplomatiques ont demandé que lumière soitfaite sur cette bagarre. Ainsi, cet incident, amobilisé Rothmund, le conseiller fédéral Eduardvon Steiger, le Conseil national via une inter-pellation du député zurichois Maag et enfin laPolice cantonale valaisanne. Selon von Steiger,dans l’intérêt de l’ordre et de la tranquillité àl’intérieur du pays, de même que dans l’intérêtdu bon renom de la Suisse, il importait quetoutes les mesures utiles soient prises en vue d’em-pêcher que de tels incidents ne se reproduisent àSierre en l’occurrence ou dans d’autres endroits.C’est pourquoi, à la suite de la bagarre de Sierre,le Ministère public fédéral a été chargé d’ou-vrir une enquête, de concert avec la Police can-tonale. D’une façon sous-jacente, dans les rap-ports de chacun, on peut déceler constammentla hantise ou un reproche plus ou moins véhé-ment de la part des pays étrangers à l’égard dutraitement des réfugiés établis en Suisse. Commele fait remarquer le député zurichois Maag dansson intervention au Conseil national : Le Conse i l f édéra l e s t - i l prê t à prendre de smesures pour empêcher la répétition de pareilsincident s de nature à compromettre la répu-tat ion humanitaire de la Sui s s e ?217

Rothmund, dans son rapport concernant cetteaffaire, a insisté à deux reprises sur ce mêmedanger : Bien que l ’ importance de l ’ incident ne doivepas ê t re exagérée , i l convient cependant de

�216 AF, E 4001 (C) , vo l . 258,

Commun iqué du 23 mars 1944conce rnan t l e camp de ré fug iésde S ie r re .

217 AF, E 4001 (C) , vo l . 258,sess ion d ’é té du Conse i lna t iona l conce rnan t l e camp deré fug iés de S ie r re .

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Bron i s law Ko rbac insk i , Dan ie l l a P i t te loud e t l eu r en fan t Wandadevant l a ma i son de la fami l l e P i t te loud à Sa l ins(A r ch i ves de la fami l l e Ko rbac insk i )�

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ne pas perdre de vue qu’ i l por te a t t e inte aurenom de la Sui s s e , comme pay s d ’accue i l .Il ne faut en outre pas oubl i er que de nom-breux Etat s observent at tent ivement l e t rai-t ement a c co rdé par l a Su i s s e aux r é fug i é sétrangers . Le fait que divers consulats se sontintéressés à l’incident est une indication à cetégard. Il e s t abso lument néce s sa i re , pour l ebon renom de la Sui s s e , mai s aus s i pour de sconsidérations de politique intérieure, que depet i t s inc ident s pouvant donner ou donnantl’ impression qu’il existe de l’antisémitisme enSuisse, fassent l’objet d’enquêtes approfondiese t qu e l e s r e s p on s ab l e s s o i e n t s é v è r emen tpunis dans le cadre de notre légi s lat ion et entenant compte équi tab l ement de toute s l e sc i rcons tance s218.Le jugement rendu en février 1945 condamnales Valaisans impliqués dans la rixe et innocentales réfugiés juifs. La Police cantonale reconnutelle-même que les réfugiés [avaient] été attaquéssans provocation de leur part par quelques éner-gumènes pris de vin. Par contre, elle refusa de croireque cette affaire ait été un coup monté commesemblent nous le faire admettre les réfugiés ducamp. Si le rapport de la Police cantonale refusede parler d’acte antisémite, il souligne que l’at-titude de certains réfugiés du camp de Sierre nefaisait de loin pas l’unanimité au sein de lapolice et de l’opinion publique sierroise. Oncite le président de la bourgeoisie de Sierre, cesréfugiés n’ont pas toujours eu une conduite exem-plaire. Ils occupent les établissements publics, lescafés, les tea-rooms et les cinémas d’une façon quin’est certainement pas faites pour leur attirer dessympathies 219. La Police cantonale, dans cemême rapport, critique de façon plus virulentel’attitude des réfugiés juifs du camp de Sierre : Nous tenons cependant à soul igner qu’ i l e s te xa c t qu e l a p opu la t i on d e no t re c i t é e s tquelque peu montée contre le s jui f s du camp.Effectivement quelques éléments se permettentdes actes qui ne sont pas faits pour gagner l’es-t ime de la populat ion. Dans l e s magas ins ,ils veulent tout obtenir sans coupon de ration-nement e t on nous l e s pré s ent e comme de sindividus co l lant s dont on ne peut s e débar-

rasser avant de leur avoir donné sati s faction.D’autre s ré fugié s n’hé s i tent pas à arrê ter de sdames sur la chaussée et de mendier des titresde rat ionnement en invoquant toute s sor te sde mot i f s . D’autre s en f in pous s ent la har-diesse jusqu’à se présenter au domicile d’épousesde so ldats sui s se s mobil i sé s pour leur deman-der une sor t ie avec eux. Tous ce s ac te s , bienque n’ayant pas directement trait à la bagarrequi s’ e s t déroulée dernièrement , ne sont pasde nature à ca lmer la populat ion, mais bienà l’exciter d’avantage. Dans l’opinion publiquenou s en t endon s a s s e z f r équemment pa r l e ravec que lque mépri s de c e s r é fug ié s s i peureconnai s sant s de notre ho sp i ta l i t é . De là ,a u f a i t q u e d e s i n d i v i d u s c h i c a n e u r s e tbatai l l eurs comme sur tout l e s f rère s I . pro-f i tent de l ’occas ion pour pas ser aux acte s i ln’y a qu’un pas220.Le cas de Sierre n’est pas unique. A Aproz, vil-lage faisant partie du rayon de déconsignationdu camp de Châteauneuf, de nombreux inci-dents ont rapidement surgi avec les internéspolonais. Selon le rapport de la Police d’armée,les disputes étaient causées dans la majoritédes cas par les habitants de la région, si bienque la décision fut prise d’exclure le village durayon de déconsignation. Vu la mentali té de la population indigène etafin d’éviter le renouvellement d’incidents telsque ceux qui s e sont pas s é s l e moi s dernier,j’ a i d é c idé de re t i re r purement e t s imp l e -ment l e v i l lage d’Aproz du rayon de décon-s ignat ion221.A la suite à cette décision il n’y a plus eu aucunennui au camp de Châteauneuf pendant lesheures de déconsignations 222.A Glis, une bagarre générale a failli éclater le15 avril 1945. Des civils ont insulté des inter-nés italiens qui passaient tranquillement leur che-min en les traitant de lâches italiens, de voleurs,etc. Il y avait là soixante à septante personnes,y compris les internés. On fit appel à la gen-darmerie cantonale, à la gendarmerie d’arméeainsi qu’à des troupes de garde stationnées àBrigue. L’incident fut clos rapidement. Selonle rapport du commandant du camp, à la suite

�218 AF, E 4001 (C) , vo l . 258, Le t t re

du 18 av r i l 1944 du che f de laD iv i s ion de po l i ce au conse i l l e rna t iona l Cami l l e C r i t t i n , avoca tà Mar t igny.

219 AF, E 4001 (C) , vo l . 258, Le t t redu 22 mars 1944 de Amste in auche f de la Po l i ce fédé ra le .

220 AF, E 4001 (C) , Bd 258, Le t t redu 22 mars 1944 de la Po l i cecan tona le va la i sanne (s ignée pa rDaye r au nom du Se r v i ce de lasû re té) , au juge ins t r uc teu r dud i s t r i c t de S ie r re .

221 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 669,Le t t re du 7 décembre 1942 ducommandant du sec teu r Rhône,le co lone l Pe r re t , aucommandant du camp deChâteauneuf .

222 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 669,Le t t re du 21 décembre 1942 duco lone l Pe r re t à l ’o f f i c i e r del ’E ta t -ma jo r du CF IH.

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d’un concours de tir ayant eu lieu le matin même,les civils étaient pris de vin et certains étaientencore armés. Ce début d’agitation, selon lecommandant du camp, n’était pas provoquéuniquement par l’abus d’alcool, mais parcequ’un très mauvais esprit contre les internésrégnait à l’encontre des Italiens du camp de Glis.Le lendemain, le commandant suisse, de mêmeque le capitaine italien Giulio Chiesa, officierresponsable du camp, souhaitaient même la levéedu camp sans aucun délai : Afin d’éviter que ces scènes désagréables puis-sent se répéter, étant donné qu’i l res sort c lai-rement que l e s interné s ne sont pas l e s b ien-venus à la population du village, […] je vouspr ie , mon co lone l , de voulo ir d i s soudre aup lu s v i t e l e camp. […] Dans l e ca s où l ecamp ne dût pas ê t re d i s sous , […] j e vousdemanderai ma démis s ion en s igne de pro-t e s ta t ion223.A travers ces rixes et leurs sources administra-tives, on saisit un peu mieux l’attitude de laPolice valaisanne et de l’opinion publique parrapport aux réfugiés. Selon Gollut, le com-mandant de la Police cantonale, les intérêtsde la Confédération ne semblaient pas coïn-cider avec les intérêts du canton et des com-munes. Car, alors que la Confédération avaitintérêt à ce que l’accueil se passe aussi bien quepossible, sorte d’image de marque à préserverpour éviter des critiques pouvant mettre encause le bon renom de la Suisse, les communeset le canton avaient pour objectif de protégerla population indigène. De ce fait, il est diffi-cile d’accepter, selon Gollut, que pour des rai-sons de propagande, – à savoir une opinion favo-rable de la Suisse à diffuser après la fin deshostilités – on laisse aux internés une tropgrande liberté : nous sommes trop généreux, écrit-il alors et il souhaite un traitement humain,mais avec des ordres fermes. Du reste, toutes sesdécisions allaient dans ce sens : renforcer lasurveillance des camps; exiger plus des réfu-giés qui ne travaillent pas assez et disposent detrop de libertés durant la journée; être plusstrict, car la discipline laisse à désirer dans cer-

tains camps. Tous les rapports de la Police can-tonale mettent en avant la trop grande libertéaccordée aux internés. Et le commandantGollut de conclure: Cette situation est désagréableet la population s’en plaint 224.

R A P A T R I E M E N T D E S I N T E R N É S M I L I T A I R E S

Peu avant le rapatriement des internés, laConfédération demeurait très sensible à sabonne renommée. La lecture de nombreuxrapports, dont celui de Probst, chef de sec-tion du CFIH, en témoigne : Maintenant surtout, i l faut user de beaucoupde psychologie vi s -à-vi s de s internés , en rai-son du bon renom de la Sui s s e . Il faut queles internés emportent un bon souvenir de leurpassage en Suis se , car sûrement une foi s chezeux, l e s pe t i t s ennui s s’ e s tomperont . […] Ilfaut s’ a t t endre à c e que l o r s de s rapat r i e -ments de toutes nationalités, il y aura des res-tants en Suisse, certains en raison de la situa-t ion po l i t ique de l eur s pay s , d ’autre s de parleurs attaches en Suisse , de travail ou d’ami-t i é f éminine . Ces re s tant s po seront de s pro-b lèmes a s s ez di f f i c i l e s à ré soudre , i l s s e rontpeut-ê t re ob l igé s de par t i r quand même225.Le traitement des internés polonais était déter-miné par une convention polono-françaiseconclue en juin 1940 au moment de leur inter-nement. Cette convention prévoyait que lestroupes polonaises incorporées à l’armée fran-çaise et internées en Suisse puissent retourneren France à la fin de la guerre pour y êtredémobilisées226. Les Polonais ont pu être rapa-triés, dès que la question des événements quiarrivaient au-delà de la frontière fut résolue.Le rapatriement des internés russes commençale 10 août 1945 impliquant dix mille per-sonnes réparties dans nonante camps environ.Il était prévu d’organiser un convoi de millepersonnes par jour. Pour les Italiens, les pre-mières demandes de rapatriement datent de mars1945. A cause de la fermeture de la frontière,les demandes n’ont pu quitter la Suisse qu’enoctobre 1945, malgré la volonté des autorités

�223 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 621,

Le t t re du 16 av r i l 1945adressée à l ’o f f i c i e r de l i a i sondu sec teu r Rhône e t s ignée pa rle cap i ta ine G lu tz , commandantdu camp de G l i s , e t pa r l ecap i ta ine Ch iesa G iu l i o , o f f i c i e ri t a l i en responsab le du camp.

224 AF, E 5791 ( - )/1, vo l . 621. Le t t re ad ressée à la d i rec t ioncen t ra le des camps de t rava i lpou r ré fug iés . A l a su i te de lar i xe de G ranges , deux rappo r t sfu ren t e f fec tués pa r l a Po l i cecan tona le va la i sanne .

225 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 664,4.5.45, in te r ven t ion du 4 av r i l1945 du che f de sec t ion duCF IH, co lone l P robs t , l o r s desrappo r t s des commandants decamps du sec teu r Rhône.

226 RH, 22 ma i 1945, A p ropos dudépa r t des in te r nés po lona i s .

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suisses. Les internés se montraient impatientsde retourner en Italie. Mais, faute d’une bonnecommunication, ils étaient persuadés de la res-ponsabilité des autorités suisses et ne com-prenaient pas les réticences des armées d’oc-cupation en Italie. De ce fait, une communicationfut faite, notamment par des délégués du CICRau cours de leurs visites dans les camps, afind’expliquer cette situation singulière. L’objectifprincipal était d’empêcher toute diffusion derenseignements inexacts et de lutter contreune certaine démobilisation ou une inquié-tude dommageables227. En avril, l’Etat-major,selon les désirs de l’officier de police allié, a décidéde rapatrier les réfugiés italiens dans l’ordresuivant : carabinieri, finanzieri, partisans etprisonniers de guerre évadés, par secteur ou parcamp, en proportion de la possibilité d’accueildes camps de transit institués en Italie duNord228. Environ six cents hommes du groupeVal Toce auraient du être rapatriés par Briguele 5 mai, avec un petit groupe d’étudiants quiavaient terminé leurs études. Finalement en mai1945, mille hommes par jour ont pu être rapa-triés par Brigue, par le Tessin ou encore lesGrisons229. En conclusion, lors de la Deuxième Guerremondiale, plus de trois cent mille personnes,avec un pic de cent mille lors des derniersmois de la guerre, ont trouvé un refuge plusou moins durable sur le territoire helvétique.Comme le précise un communiqué de presse,le camp devait donner la possibilité aux inter-nés et aux réfugiés d’exercer une activité corpo-relle, de les préparer à la vie difficile qui les atten-dait à l’issue de la guerre, de pallier le manque demain-d’œuvre nécessaire à l’extension des cultures,et les faire contribuer à l’effort national d’auto-suffisance alimentaire ainsi qu’à leurs dépensesd’entretien tout en facilitant le contrôle de gens peut-être dangereux230. L’extension des cultures vou-lue par le plan Wahlen et les travaux agricoles

en général ont impliqué au total plus d’un mil-lion de jours de labeur effectués par des personnesisolées ou regroupées pour des travaux en équipe.Ce sont encore plus de 1,3 million de jours quifurent consacrés à la construction de routes,sans compter les travaux dans les tourbières, lesmines, les forêts, et les contrats pour l’armée (1,4million de jours). Malgré ces chiffres, qu’il fautprendre avec précaution, les rendements et laqualité restèrent faibles. En effet, l’autosuffi-sance recherchée ne fut pas atteinte en raisond’une trop faible proportion de réfugiés apteset préparés au genre de tâches qu’on leur confiait,mais aussi par le fait que les entreprises devaientse limiter à des activités peu profitables à causede l’inexpérience de la main-d’œuvre et de l’in-terdiction d’entrer en concurrence avec des tra-vailleurs suisses.Les conditions de vie des internés, comptetenu du contexte de la guerre, étaient difficiles,tant au niveau des infrastructures mises à dis-position que de la rudesse du travail à accom-plir; le plus souvent inadaptés à la formationprofessionnelle des internés, ces travaux n’avaientpas toujours des objectifs clairement définis. Enfin, comme l’affirmait Zaugg, directeur dela Zentralleitung en 1944 et comme on peutle constater du reste avec cette brève étude surles camps d’internement civil et militaire, la direc-tion centrale des camps était devenue, enquelque sorte, un petit Etat dans l’Etat. Eneffet, elle comprenait des hommes de tous lespays et de tous les âges, possédait notammentses universités, ses hôpitaux, ses entreprises.De plus, avec un effort constant vers l’auto-suffisance financière, avec une organisationautonome des loisirs et des activités culturelles,voire une volonté de restreindre le contact avecl’extérieur, la direction centrale des campsreprésentait véritablement, à l’intérieur de lasociété suisse, selon l’expression d’André Lasserre,un univers autre.

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�227 AF, E 5791 ( - ) -/1, vo l . 621,

Le t t re du 11 av r i l 1945 de Pau l -E . Mar t in , membre du C ICR, auco lone l P robs t , che f de sec t iondu CF IH.

228 AF, E 5791 ( - ) -/1, 621, Le t t redu 19 av r i l 1945 du co lone lP robs t à l ’ambassade d ’ I ta l i econce rnan t l e rapa t r i ement desI ta l i ens .

229 AF, E 5791 ( - ) -/1, 621, Le t t redu 1e r ma i 1945 conce rnan t l erapa t r i ement des I ta l i ens .

230 LA S S E R R E 1995, p . 239.