cahiers recherche 26 avril 2020

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N°27 NOVEMBRE 2020 www.fondationparalysiecerebrale.org · Fondation reconnue d'utilité publique par décret du 4 juillet 2006 LES CAHIERS DE LA RECHERCHE 15 ans de recherche sur la paralysie cérébrale 1 e partie Depuis 2005 et la création de la Fondation Paralysie Cérébrale, destinée à donner plus d'ampleur à la recherche sur la paralysie cérébrale (PC) en France et en Europe, la compréhension des mécanismes de la PC ainsi que les pratiques ont beaucoup progressé. Ce n°27 des Cahiers de la Recherche, comme le suivant qui sera publié au printemps 2021, est consacré aux évolutions de la connaissance grâce à ces 15 dernières années de recherche. 1. De la paralysie cérébrale aux troubles du développe- ment après lésion cérébrale précoce La définition de la paralysie cérébrale (PC) a évolué au cours du temps et conti- nue d'alimenter des discussions. Le point avec le Dr Stéphane Chabrier, pédiatre. Depuis quand la PC est-elle décrite ? La PC est reconnue depuis environ 200 ans, même si on n'employait pas ce nom. Au début du 19 e siècle, on parlait de pa- ralysie congéniale (aujourd'hui on dirait congénitale) pour décrire cette forme de handicap. Avec l'évolution de la médecine et des techniques, on a essayé d'en décrire la cause - la lésion - et le traitement, mais cela ne suffit pas. On évolue aujourd'hui vers une approche plus globale, pas uniquement médicale mais également sociale : on replace la PC dans un contexte de vie et de développe- ment. Elle est vue comme un trouble du SOMMAIRE 1. De la paralysie cérébrale aux troubles du développement après lésion cérébrale précoce Dr Stéphane Chabrier 2. La prématurité, toujours un facteur de risque majeur de paralysie cérébrale Pr Stéphane Marret 3. Comment protéger le cerveau fragile ? Pr Olivier Baud 4. Saura-t-on un jour réparer le cerveau ? Pr Pierre Gressens 5. Améliorer diagnostic, pronostic et compréhension des mécanismes de la PC grâce à l'IRM Dr Lucie Hertz-Pannier 6. Favoriser la plasticité cérébrale des enfants par des interventions précoces ? Pr Mickaël Dinomais 7. Les registres de population, un enjeu pour la qualité des soins Dr Javier de la Cruz Avertissement Ces Cahiers de la Recherche ont été écrits sur la base d'interviews téléphoniques réalisées pendant l'été 2020. Un grand merci à ces sept personnalités éminentes de la recherche sur la PC pour leur disponibilité. INTERVIEW Dr Stéphane Chabrier Pédiatre, Médecine Physique et de Réadaptation CHU de Saint-Etienne

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Page 1: CAHIERS RECHERCHE 26 AVRIL 2020

N°27NOVEMBRE 2020

www.fondationparalysiecerebrale.org · Fondation reconnue d'utilité publique par décret du 4 juillet 2006

LES CAHIERS DE LARECHERCHE

15 ans de recherchesur la paralysie cérébrale

1e partie

Depuis 2005 et la création de la Fondation Paralysie Cérébrale, destinéeà donner plus d'ampleur à la recherche sur la paralysie cérébrale (PC) enFrance et en Europe, la compréhension des mécanismes de la PC ainsi queles pratiques ont beaucoup progressé. Ce n°27 des Cahiers de la Recherche,comme le suivant qui sera publié au printemps 2021, est consacré auxévolutions de la connaissance grâce à ces 15 dernières années de recherche.

1. De la paralysie cérébraleaux troubles du développe-ment après lésion cérébraleprécoce

La définition de la paralysie cérébrale(PC) a évolué au cours du temps et conti-nue d'alimenter des discussions. Le pointavec le Dr Stéphane Chabrier, pédiatre.

Depuis quand la PC est-elle décrite ?

La PC est reconnue depuis environ 200ans, même si on n'employait pas ce nom.

Au début du 19e siècle, on parlait de pa-ralysie congéniale (aujourd'hui on diraitcongénitale) pour décrire cette forme dehandicap.

Avec l'évolution de la médecine et destechniques, on a essayé d'en décrire lacause - la lésion - et le traitement, maiscela ne suffit pas.

On évolue aujourd'hui vers une approcheplus globale, pas uniquement médicalemais également sociale : on replace la PCdans un contexte de vie et de développe-ment. Elle est vue comme un trouble du

SOMMAIRE

1. De la paralysie cérébrale aux

troubles du développement après

lésion cérébrale précoce

Dr Stéphane Chabrier

2. La prématurité, toujours un

facteur de risque majeur de

paralysie cérébrale

Pr Stéphane Marret

3. Comment protéger le cerveau

fragile ?

Pr Olivier Baud

4. Saura-t-on un jour réparer le

cerveau ?

Pr Pierre Gressens

5. Améliorer diagnostic, pronostic et

compréhension des mécanismes

de la PC grâce à l'IRM

Dr Lucie Hertz-Pannier

6. Favoriser la plasticité cérébrale

des enfants par des interventions

précoces ?

Pr Mickaël Dinomais

7. Les registres de population,

un enjeu pour la qualité des soins

Dr Javier de la Cruz

AvertissementCes Cahiers de la Recherche ontété écrits sur la base d'interviewstéléphoniques réalisées pendantl'été 2020. Un grand merci à cessept personnalités éminentes dela recherche sur la PC pour leurdisponibilité.

INTERVIEW

Dr Stéphane Chabrier

Pédiatre, Médecine Physiqueet de Réadaptation

CHU de Saint-Etienne

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développement, qui concerne un enfantdonné dans un contexte donné.

Beaucoup restent encore focalisés sur lalésion cérébrale en attendant la « répara-tion» du cerveau. Mais se limiter à la lé-sion et à ses conséquences motrices estréducteur : le développement de l'enfantne dépend pas que de cette lésion, ilpasse aussi par ses jeux au parc.

C'est une approche assez originale ?

En effet, et elle est encore peu reconnuemême chez les médecins : la santé estplus globale que l'absence de maladie,et les soins ne sont qu'une partie du dé-veloppement.

Dans le modèle social qui est notammentprôné par l'OMS, la santé et le dévelop-pement se construisent sous l'influencede l'environnement, tout autant que de lacause du handicap, on parle alors desalutogénèse. Du fait de la lésion céré-brale, l'enfant part avec un handicap,mais son chemin développemental suitles règles de celui des autres enfants.C'est un modèle de résilience.

Cette manière de définir la PC a-t-elleune influence sur la recherche ?

Considérer la PC comme un trouble dudéveloppement et pas uniquement com-me un trouble moteur conduit à avoir uneapproche plus transversale de l'état desanté, tout en préservant l'approche lon-gitudinale du développement. Mais cen'est pas tranché. Certains souhaitentque cette notion de trouble du dévelop-pement apparaisse dans la définition dela PC, tandis que d'autres sont à l'aiseavec la définition actuelle sur laquelle lesystème de prise en charge est construit.

Mais considérer la personne sans laconfronter à son environnement ne peutfaire complètement sens. Et tant qu'on nesait pas réparer la lésion à l'origine de laPC, on n'a pas le choix.

Pour améliorer le développement de tousles enfants, il faut intervenir au niveaude la société toute entière et améliorerl'état de santé global de toute la société.Tout autant que l'aspect "guérir" de lamédecine (ce que les Anglais appellent"cure"), on doit prendre en compte lesoin ("care"). Aider les plus vulnérablesdépend de tous.

Il ne faut donc pas se focaliser sur l'aspectmoteur de la PC : certes, c'est l'image laplus facile à se représenter et la déficiencemotrice apparaît comme la plus facile àcompenser. Mais ce n'est pas forcémentce qui gêne le plus la participation de lapersonne concernée. Pour une personnequi a des difficultés à se repérer dansl'espace, à quoi cela sert-il de marcher si

elle ne sait pas où elle va ?

On ne doit donc plus parler de troubles« associés » pour les troubles autresque moteurs, car cela les fait passer ausecond plan, tant dans le soin que pourla recherche. Le développement est untout : tout se développe en même temps,et tout s'influence - c'est l'œuf et la poule.

Ce qui détermine le développement dela personne se joue donc à trois niveauxet la vision purement médicale ne suffitpas pour l'aborder : au niveau individuel,il y a la lésion, au niveau familial la ri-chesse et la qualité des interactions tellesque le partage de la lecture, et au niveaude la société, tout ce qui relève du poli-tique (l'école, les transports, le designdes villes, etc.) Tous ces éléments sontdéterminants.2. La prématurité, toujoursun facteur de risque majeurde paralysie cérébrale

Malgré des progrès dans la prise encharge des nouveau-nés notammentprématurés, on n'observe pas dediminution parallèle du risque de PCchez ces enfants. Les explications duPr Stéphane Marret, pédiatre.

La prévalence de la PC diminue d'unemanière générale, mais vous dites queles chiffres concernant la prématuriténe sont pas bons.

En effet, c'est ce que nous prouvent lesrésultats d'Epipage 2 (cf encadré pagesuivante). Depuis 2008/2010, nous obser-vons une baisse du nombre global denaissances en France, avec un taux denouveau-nés grands prématurés constantautour de 1,5 ou 2%.

Les mots de la paralysie

cérébrale à travers le temps

1827 - Jean-Baptiste Cazauvieilh, psy-chiatre, décrit la paralysie congéniale.

1834 - Claude François Lallemand,chirurgien, fait le lien entre les obser-vations cliniques de Cazauvieilh etle résultat des autopsies qu'il mènesur des cerveaux.

1853 - William John Little, chirurgien,développe une expertise dans le trai-tement de déformations orthopé-diques. Il identifie des formes deparalysie comme résultant de lésionscérébrales causées notamment par lesnaissances prématurées. On donnerason nom (syndrome de Little) à uneforme de PC bilatérale dans les an-nées 1960.

1877 - Pierre Marie, neurologue, décritl'hémiplégie spasmodique infantile.

1888 - Sir William Osler contribuelors de conférences à répandre leterme de paralysie cérébrale. Les an-nées suivantes, Sigmund Freud publieses travaux sur la paralysie cérébraleinfantile et en propose une des pre-mières descriptions, incluant notam-ment les troubles associés à laparalysie.

Années 1950 - Guy Tardieu proposele nom d'infirmité motrice cérébrale(IMC) pour décrire des troublesmajoritairement moteurs résultantd'une lésion cérébrale précoce nonévolutive.

1964 - Martin Bax décrit la PC commeun trouble du mouvement et de laposture résultant d'une lésion dansle cerveau immature.

Jusqu'aux années 2000, la lésion céré-brale précoce domine les définitions.Mais les progrès en imagerie céré-brale, en neurologie et l'évolution desnotions de santé et de handicap dansles travaux de l'OMS font émergerle besoin d'une approche plus globale,et pas uniquement médicale, des be-soins de la personne (Peter Rosen-baum, notamment).

2007 - L'ICF (International Classifica-tion of Functioning, Disability andHealth) établit que les besoins résul-tant des interactions de la personneavec son environnement décriventmieux son état de santé que le seuldiagnostic médical.

2015 - Michele Shusterman, mèred'une enfant atteinte de PC, théorisela notion plus large de trouble dudéveloppement post-cérébrolésionet défend l'idée d'une définition quiintègre la définition historique de laPC (autour de la lésion cérébraleprécoce) et celle de l'ICF.

INTERVIEW

Pr Stéphane Marret

Pédiatre

Service de Pédiatrie néonataleet réanimation - Neuropédiatrie

Fédération interhospitalière duneurodéveloppement Eure-Seine

CHU Rouen-Normandie

Page 3: CAHIERS RECHERCHE 26 AVRIL 2020

Pour ces derniers, la survie s’améliorepuisque certains centres savent prendreen charge des enfants à partir de 24-25semaines d'aménorrhée (SA). Mais cesenfants extrêmement prématurés sonttrès à risque de séquelles et notammentde difficultés neurodéveloppementales.Parmi les 60% qui vont survivre, seule-ment 30% connaîtront un développe-ment sans séquelles. Et 5% des enfantsnés avant 32 SA ont une PC, ces enfantsreprésentant 40% des enfants avec PC.

Comment l'expliquer ?

Il y a eu des progrès considérables dansla prise en charge des enfants grands pré-maturés, celle-ci est moins agressive etpermet une autonomie respiratoire etalimentaire de plus en plus précoce, maiscela ne diminue pas le risque de troublesdu neurodéveloppement. Parmi ceux-ci,la PC est la moins fréquente, mais c’est laplus grave.

On dit pourtant que la prévalence de laPC chez ces enfants diminue.

Il faut être précis et relativiser cettedonnée, même si elle reste vraie. On ob-serve en effet depuis 20 ans une diminu-tion de la prévalence de la PC chez lesenfants prématurés. Dans la 1e populationd’Epipage (enfants nés en 1997), près de9% des enfants nés à moins de 32 SAprésentaient une PC. Ce chiffre est tombéà 5,4% pour les enfants nés en 2011.

Mais cette baisse concerne les formesles moins sévères de PC (grade 1 dans laclassification GMFCS de la fonction mo-trice). Les formes modérées à sévères res-tent importantes, autour de 2-3%.Les stratégies de protection du cerveauont progressé, mais il reste des séquellesfréquentes.

Dépistage et prise en charge ontpourtant progressé.

En effet, on dépiste aujourd'hui mieuxet plus tôt, car on a appris à mieux exami-ner les enfants. Mais le dépistage n'estpas uniforme sur tout le territoire et lesprogrès restent insuffisants.

Savoir détecter les signes fins de trouble

du développement moteur a permisd'abaisser l'âge du diagnostic et de dé-buter une prise en charge plus précoce-ment, ce qui réduit les séquellessecondaires comme l'hypertonie ou lesproblèmes articulaires. La PC est diagnos-tiquée tôt, car les troubles moteurs etsensoriels se détectent tôt, mais elles’accompagne chez les enfants prématu-rés d’un risque accru de troubles du com-portement mineurs - ou plus rarementmajeurs comme l’autisme - et de troublesdu développement cognitif.

On a beaucoup dit que les lésionsen cause dans la PC étaient non progres-sives. C’est un mauvais terme que l’onpeut critiquer depuis que les notionsdéveloppementales sont apparues.La PC se caractérise par des troubles dudéveloppement sensoriel et perceptif enpremier lieu, qui vont perturber le déve-loppement moteur et cognitif.

Dans quels domaines constate-t-ondes progrès ?

La meilleure compréhension des méca-nismes de la PC nous a donné des pistespour améliorer le pronostic de dévelop-pement des enfants.

Si la kinésithérapie préventive très pré-coce (avant l'âge de six mois) n'a pasprouvé son efficacité chez les enfantsgrands prématurés à risque de PC,en revanche des stratégies médicamen-teuses sont plus intéressantes. Notam-ment, le sulfate de magnésium prescrit àla mère en menace d'accouchement pré-maturé a montré un effet neuroprotec-teur. De même, le risque de leucomalaciepériventriculaire a été réduit par l'admi-nistration de corticoïdes, même si desquestions subsistent sur le rapport béné-fices/risques de ces molécules.

Mais des espoirs reposent surtout sur desprogrammes de soutien et d'intervention,une guidance parentale précoce, dessoins néonatals à mettre en place à domi-cile avant la fin de l'hospitalisation pourfavoriser un meilleur développement del'enfant et minimiser ses limitations.

Le suivi des familles et l'accompagne-ment sont primordiaux pour prévenirles ruptures de parcours, les séquellesgraves étant souvent liées au retard dediagnostic. C'est l'enjeu des plateformesde coordination et d'orientation mises enplace notamment dans le cadre du planautisme de 2017, vers qui les médecinsgénéralistes et de PMI doivent pouvoirorienter les enfants dès que des troublesdu développement sont repérés, et quivont ensuite passer la main aux équipesde professionnels du handicap tels queles CAMSP (Centres d'Action Médico-Sociale Précoce).3. Comment protéger lecerveau fragile ?

Prévenir la paralysie cérébrale reposepour une grande part sur la protectiondu cerveau dans les phases où ilest soumis à un risque, comme nousl'explique le Pr Olivier Baud, pédiatre.

Pouvez-vous nous rappeler quels sontles grands «moments» de la protectiondu nouveau-né à risque ?

Pour prévenir la survenue d'une PC,le premier impératif est d'essayer deprévenir ses causes principales. Celapasse donc en premier lieu par une pré-vention de la prématurité, notammentpar une meilleure information desfemmes pendant leur grossesse sur lesrisques psychosociaux liés au mode devie, et sur les signes d'alerte pouvantconduire à une consultation.

Viennent ensuite la prévention et la priseen charge des événements qui peuventsurvenir pendant le travail, comme lesasphyxies périnatales, ou certainescauses qui sont non-prévisibles comme

Epipage 2, étude épidémiologiquesur les petits âges gestationnels,est une étude nationale qui vise à

mieux connaître le devenir des enfantsprématurés. Lancée en 2011, elle suitdes enfants nés en 2011 avant 35 se-

maines d’aménorrhée, de la naissancejusqu’à l’âge de 12 ans.

Epipage 2 fait suite à Epipage 1, quiavait été menée en 1997 par la mêmeéquipe dans neuf régions de France.

INTERVIEW

Pr Olivier Baud

Pédiatre

Néonatalogie - Hôpitaux

universitaires de Genève

Laboratoire Développement et

Croissance - Université de Genève

Page 4: CAHIERS RECHERCHE 26 AVRIL 2020

un décollement du placenta, une ruptureutérine ou une procidence du cordonombilical. Les équipes doivent donc êtreprêtes à prendre en charge ce genrede situation.

Pour la partie néonatale, on doit prévenirtout ce qui est lié aux infections, auxinflammations qui peuvent avoir un effetdélétère sur le cerveau en développe-ment. Enfin, nous avons besoin d'unbon réseau de suivi des enfants pour nepas les perdre de vue avant leur entréeà l'école.En France, les réseaux de suivi régionauxsont bien organisés mais la prise encharge des troubles du développementn'est pas toujours optimale, avec notam-ment un retard dans l'initiation desinterventions de type psychomotricité,physiothérapie ou orthophonie.

Une fois que la PC est constatée, quepeut-on faire ?

Lorsque la PC survient et est confirmée,c'est-à-dire dans une période qui va de1-2 ans à 4-5 ans, on va veiller à dépistertout autre trouble que moteur (cognitif,neurodéveloppemental, etc.) et chercherà prévenir les troubles associés à unemauvaise prise en charge de la PC.

Quels sont les changements intervenusdans la prévention ces 15 dernièresannées ?

Il y a 15 ans, la PC était un peu « l'arbrequi cache la forêt ». Mais aujourd'hui,la PC est moins fréquente et les troublesmoteurs moins sévères, démasquant ainsiles autres troubles (du développement,du langage, psychologiques, etc.) quel'on observe plus parce qu'on les recher-che mieux et plus tôt.

Les interventions sont donc différentes :le soutien en physiothérapie ou psycho-motricité est moins important et on traiteun enfant dans la globalité de son déve-loppement, non seulement moteur maisaussi cognitif et comportemental.

En matière de recherche, qu'est-ce quecela change ?

Le spectre de la recherche est différent.Il y a 15 ans, on cherchait à réduirel'atteinte cérébrale par voie médicamen-teuse essentiellement. Aujourd'hui, onregarde la microstructure globale du cer-veau, ou la fonction. On a une visionphysiologique plutôt que pharmaceu-tique, on regarde le trouble du dévelop-pement global : diminuer l'inflammationde la substance blanche, augmenter laplasticité cérébrale, améliorer la créationde synapses, activer les réseaux de neu-rones...

Par exemple, on sait que les cellulessouches ont un intérêt dans la neuropro-tection, mais on ne les voit plus commedes cellules pour remplacer ou réparer.On les envisage désormais comme régu-latrices de leur environnement, qui vontstimuler d'autres mécanismes.

Le grand changement est celui-ci : on necherche plus la molécule miracle pourprotéger le cerveau. On sait que la lésioncérébrale périnatale est complexe, nonmono-génique, et une molécule seule nepeut avoir qu'un effet très partiel. On adonc des stratégies plus globales.

Quelles sont les pratiques aujourd'hui ?

Avec les différentes interventions, oncherche à rétablir l'état physiologique ducerveau le plus proche de la normalepour contrer l'état de stress de l'enfant.Ce que l'on appelle le NIDCAP*, les soinsde développement qui incluent le peauà peau, la personnalisation des soins,l'implication des familles, la mise en placed'un environnement sonore et lumineuxmoins agressif pour l'enfant, semblentapporter un bénéfice sur le devenir desgrands prématurés, même si on ne saitpas exactement comment. On peut fairel'hypothèse que ces interventions stimu-lent certains neurones ocytocinergiques,qui vont réduire l'inflammation et leshormones de stress.

Pour les enfants nés à terme, l'hypother-mie fait désormais partie des standardsde soins, dans les pays où la formationdes soignants le permet. On sait aussique l'allaitement maternel a un effetneuroprotecteur, il fait donc partie desrecommandations.

Des pistes de recherches telles quela prise d'omega-3, de DHA ou d'EPOpendant la grossesse se sont révéléesdécevantes, mais, comme l'allaitement,ces molécules peuvent être envisagéesdans le «cocktail » de mesures à adopterpour réduire les risques. Ce que l'on saitfinalement aujourd'hui, c'est que le pro-cessus qui conduit à la PC est multifac-toriel et complexe.

D'où viendront donc les progrès ?

Il se peut que dans 15 ans on ait encoreune nouvelle vision des interventionset c'est pour cela que la recherche doit sepoursuivre.

On manque notamment de grandesétudes qui nous aideraient à détermineravec des niveaux de preuve suffisantsce qui apporte un bénéfice cliniquementsubstantiel, et à établir des standards desoins. Ainsi, des essais randomisés sonten cours sur une piste que serait l'associa-tion de l'hypothermie à des molécules oud'autres types d'interventions.

Ce qui semble le plus probable est queles pistes d'amélioration viendront nonpas d'une réelle nouveauté, mais plutôtd'une optimisation de ce que l'on saitdéjà faire : réduire les facteurs de stress,de douleur et d'inflammation par l'amé-lioration du confort de l'enfant, limiterla iatrogénie* (alléger la ventilation dunouveau-né prématuré par exemple),réduire la séparation parent/enfant ou lesinfections nosocomiales...

On sait que l'amélioration des soins demanière générale est facteur de préven-tion. Plutôt qu'attendre une nouveauté,est-on sûr que l'on pratique de manièreoptimale ce que l'on connaît déjà ?

* La iatrogénie désigne les effets néfastes surla santé d'une intervention médicale ou médi-camenteuse.4. Pourra-t-on un jourréparer le cerveau ?

À l'origine de la PC, la lésion cérébraleest l'objet d'études spécifiques sour-ces de nombreuses attentes : saura-t-on un jour réparer le cerveau lésé ?Le point avec le Pr Pierre Gressens,spécialiste de la neuroprotection et desatteintes cérébrales du nouveau-né.

INTERVIEW

Pr Pierre Gressens

Neuropédiatre

Directeur de l’unité de recherche

NeuroDiderot

Inserm, Université de Paris,

Hôpital Robert Debré

* Newborn Individualized DevelopmentalCare and Assessment Program

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Réparer le cerveau, est-ce la bonnemanière de poser la question ?

Réparer le cerveau n'est pas une fin ensoi, ce qu'il est important de traiter cesont les troubles qui affectent la vie de lapersonne. Cependant, on progresse dansla connaissance des possibilités d'inter-vention au niveau de la lésion.

Jusqu'au début des années 1990, onpensait qu'on ne pouvait rien faire unefois que le cerveau était touché, et le tra-vail se concentrait donc vers la prise encharge des dommages causés. Puis on aévolué vers l'idée d'essayer de limiterleur étendue.

Le début des années 2000 a marqué unvrai tournant avec les débuts de l'hypo-thermie (sur les nouveau-nés à terme),qui permet de fortement diminuer lerisque de séquelles même si on n'em-pêche pas tout. On considère que pour 1enfant « sauvé », 10 auront des séquelles,ce qui est très imparfait mais meilleur quepour d'autres pathologies. L'effort derecherche continue donc, notamment surdes hypothèses d'associations « hypo-thermie + molécule » dans les heures quisuivent la naissance.

Aujourd'hui, on a donc trois approches :

- prévenir la lésion cérébrale

- empêcher la progression des lésionsune fois que celles-ci ont eu lieu, on estlà dans l'aigu

- et enfin réparer.

Existe-t-il de nouveaux champs derecherche ?

Pour les enfants qui n'ont pas eu accès àl'hypothermie, pour qui elle n'était pasindiquée ou chez qui elle n'a pas eud'effet, on pense aujourd'hui qu'il y a despossibilités d'intervenir plus tard.

On a tiré des enseignements de l'étudedes traumatismes chez l'adulte, qui nousa montré que, contrairement à ce que l'oncroyait, la pathologie n'était pas «fixée»mais continuait d'évoluer.

En transposant chez l'enfant, on peutpenser que si le cerveau continue de bou-ger et d'évoluer, il existe sans doute unefenêtre d'intervention. On pourrait utilisercette plasticité et intervenir à distance dela lésion (par des médicaments, pas uni-quement la rééducation) pour l'améliorer.On sait que la rééducation fonctionne surles mécanismes cérébraux, et si on lesconnaissait mieux on pourrait aider la ré-éducation à être encore plus efficace.

Des études ont eu lieu dans les années1970, elles ont montré que la rééducationaméliorait le fonctionnement moteur etcognitif des enfants de milieu défavorisé.Nous savons que la stimulation de l'en-

fant au sein de la famille est primordiale,mais tous les enfants ne naissent pas dansun milieu socio-culturel idéal, et la réédu-cation permet de « récupérer » ces enfantsmoins chanceux. Aujourd'hui, il faudraitintégrer la rééducation dans les étudespour pouvoir mieux connaître ses méca-nismes afin d'amplifier son efficacité :jusqu'à quel âge doit-on intervenir ?Quels médicaments associer ? Les cel-lules souches peuvent-elles jouer un rôle ?

Quels sont les autres sujets d'étude ?

Nous avons trois grands axes derecherche :

1. Les mécanismes de la lésionJusqu'à présent, on mettait en cause lemanque d'oxygène. On sait aujourd'huique l'origine est multifactorielle. Il nousfaut donc identifier tous les facteurs derisque, et parmi ceux-ci l'inflammation quiest le « nouvel ennemi » en cause dansbeaucoup de pathologies. Mais l'inflam-mation a aussi des effets bénéfiques,il faut donc la moduler. Pour cela, ons'oriente vers une médecine personnali-sée, au niveau de la cellule.

2. Les moléculesOutre la mélatonine qui est un candidatsérieux, quelles autres molécules pour-raient intervenir ? Seules ou en associa-tion avec l'hypothermie ? À quel momentaprès la naissance ?

3. Les cellules souchesLes cellules souches sont celles quiouvrent la voie de la réparation du cer-veau. Une étude européenne impliquant12 laboratoires est en cours sur le sujet.Le sujet n'est pas nouveau, mais de pre-miers espoirs avaient été douchés : beau-coup de cellules souches meurent eneffet une fois greffées. Elles repèrent lalésion et y migrent, mais disparaissent.Cependant, on a pu observer une amélio-ration fonctionnelle, car ces cellulessouches stimulent les cellules locales. Onles envisage donc plutôt comme des cel-lules «aidantes» et non « remplaçantes ».

Il existe donc un vrai potentiel théorique,qui doit faire l'objet de recherche, notam-ment pour déterminer pendant combiende temps après la lésion on peut agir.

Nous avons l'espoir de passer aux essaischez l'homme au sein du projet euro-péen, en associant également la fonda-tion australienne Cerebral Palsy Alliancequi a accepté de respecter nos étapes devalidation. Il est impératif de disposerd'un protocole valide et optimisé quiévite de devoir stopper les essais à caused'accidents, et de prendre du retard dansun domaine qui présente un vrai poten-tiel, comme cela a été le cas pour la

thérapie génique.

Dans les cinq ans qui viennent, nous de-vrions mettre en place des essais chez lenouveau-né à terme, puis chez le préma-turé en 2025.

Il va donc se passer des choses dans les15 prochaines années.5. Améliorer diagnostic,pronostic et compréhen-sion des mécanismes de laPC grâce à l'IRM

Les progrès en imagerie médicale ontpermis de grandes avancées dans lacompréhension des mécanismes céré-braux, et donc dans la compréhension depathologies comme la PC. Le point avecle Dr Lucie Hertz-Pannier, spécialiste del'imagerie du développement cérébral.

Quels ont été les principaux progrèspermis par l'IRM (Imagerie par Réso-nance Magnétique) ?

L'arrivée de l'IRM a été une vraie révolu-tion. Jusqu'alors, on n'avait pas (ou peu)de moyens techniques de voir le cerveaude l'enfant ; on disposait certes de l'écho-graphie, mais elle n'a pas la même puis-sance. Or l'amélioration de la connaissancedu développement très précoce du cer-veau des enfants typiques nous a donnéla capacité de voir ce qui n'était pas phy-siologique chez les autres enfants, et doncd'affiner notre capacité de diagnostic.

C'est l'IRM qui a réellement permis decomprendre les principaux changementsdu cerveau chez l'enfant : sa croissance,l'organisation des réseaux de neurones,comment ces réseaux se myélinisent(ce qui permet la transmission de l'influxnerveux), etc.

En ce qui concerne la PC en particulier, cesnouvelles connaissances nous ont permisune bien meilleure compréhension des

INTERVIEW

Dr Lucie Hertz-Pannier

Pédiatre, radiologue

NeuroSpin, CEA, INSERM

Université de Paris

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anomalies cérébrales susceptibles deconduire à une PC. On sait ainsi, parexemple, que tous les AVC néonatalsn'entraînent pas une PC car tous netouchent pas le système moteur.

Cette amélioration du diagnostic et dupronostic, qui résulte de l'association sys-tématique de l'imagerie aux donnéescliniques, permet une meilleure guidancedes parents et surtout une prise en chargeprécoce, bénéfique pour l'avenir de l'en-fant. Aujourd'hui, mieux qu'avant, on estcapable de dire aux parents si leur enfantest susceptible de développer un handi-cap moteur et/ou s'il y aura plus que cela.On voit plus, on voit mieux, et on saitregarder si l'anomalie est focale (c'est-à-dire localisée) ou étendue. Avec des me-sures plus fines, on a aussi appris à déce-ler des anomalies du cerveau à distancede la lésion - le cerveau fonctionnant enréseaux à longue distance.

Comment la lésion influe-t-elle sur ledéveloppement du cerveau ?

Le cerveau est un réseau complexe derégions. Et, comme des instruments demusique qui jouent une symphonie, lesréseaux fonctionnels se synchronisent.L'IRM nous a permis de mieux com-prendre cette organisation et dans quelordre les séquences se mettent en placedans le cerveau typique. En observant lesanomalies subtiles, on peut en déduireleurs répercussions à distance.

Le cerveau en développement maintientsa capacité de s'organiser autrement encas de lésion précoce, c'est la plasticitécérébrale. Pendant le développementdu cerveau, les deux hémisphères « separlent », sont connectés : si l'un défaille,cela aura forcément des répercussions surl'autre. L'IRM et ses outils de mesurepermettent de « voir » les connexionsentre les différentes régions et commentelles s'organisent et se réorganisent enfonction de la lésion.

Voir l'altération des connexions autourde la lésion permet de mieux comprendrequelles sont ou seront les difficultés del'enfant.

Par exemple ?

On peut dire que si la lésion altère lesréseaux du langage dans un hémisphère(le gauche le plus souvent chez les droi-tiers), l'enfant va pouvoir développer sonlangage dans l'autre hémisphère mais celava se faire au dépens d'autres fonctions.La plasticité a des limites, sans cela il n'yaurait pas de handicap.

La conjugaison de l'atteinte de plusieurssystèmes va empêcher certains appren-tissages, et donc le développement decertaines capacités. Cette connaissancepermet de guider le pronostic, et doncd'aller plus vite vers des programmes derééducation précoces.

Mais il reste beaucoup à comprendre,notamment la variabilité des atteintesselon les individus (je parle souvent de« 50 nuances de PC »). L'idéal serait unemédecine personnalisée, on en est en-core loin mais on a fait des progrès.

Est-ce que l'IRM permet d'évaluer lesinterventions thérapeutiques, tellesque la rééducation par exemple ?

Maintenant que l'on comprend mieux lesmécanismes, on peut chercher à voirquelles sont les modifications induites auniveau cérébral par une rééducation.

De manière pragmatique, on n'a pasbesoin d'imagerie pour dire si une réédu-cation fonctionne : une rééducation a desobjectifs, sont-ils atteints ou pas ?

En revanche, l'imagerie va nous per-mettre d'évaluer mieux qu'avant ce quise passe dans le cerveau : quels sont leschangements observés dans la myélineou les cellules neuronales lorsque l'on faitde la rééducation, permettant ainsi decomprendre pourquoi cette rééducationest efficace ou pourquoi elle marche chezl'un mais pas chez l'autre.

L'imagerie est un outil pour comprendrece qui se passe, et analyser la variabilitéentre les méthodes ou entre les patients.

Quelles sont les pistes de recherchepour l'avenir ?

Nous avons aujourd'hui des bases fermes,mais encore très incomplètes, de laconnaissance du cerveau de l'enfant.

Les recherches actuelles utilisent des mé-thodes de big data (grandes données) etd'intelligence artificielle pour améliorerla sensibilité et la robustesse des outils.

De grandes bases de données pédia-triques se constituent, en Europe, enAmérique, et au Royaume-Uni, qui ras-semblent plusieurs centaines voire mil-liers d'enfants de tous âges, avec undéveloppement typique mais aussi avecdes troubles du neurodéveloppementdont la PC fait partie. On peut y incluredes données variées et complémentaires(cliniques, biologiques, génétiques,d'imagerie, etc.) dont l'association esttrès fertile. Ces big data sont accessiblesà tous les chercheurs (open data), ce quipermet des études plus riches et plusrobustes pour détecter de nouveauxmarqueurs pronostiques ou de suivi thé-rapeutique, à l'aide de méthodes d'intel-ligence artificielle comme les réseaux deneurones profonds.6. Favoriser la plasticité cé-rébrale des enfants par desinterventions précoces ?

Les progrès dans la connaissance dela plasticité cérébrale encouragent àintervenir précocement chez le petitenfant pour la favoriser, comme nousl'explique le Pr Mickael Dinomais.

Comment fonctionne la plasticitécérébrale ?

La plasticité cérébrale désigne la capacitédu cerveau à se (ré)organiser en créantdes réseaux de neurones, connectés entreeux par des synapses, pour soutenir lesfonctions (motricité, langage, etc.)

La recherche en imagerie coûte cher :elle nécessite des images réaliséesselon le même protocole, sur des

machines semblables, avec la mêmeexpertise clinique.

Les études rétrospectives réalisées àpartir d'images cliniques différentesprésentent nécessairement des biais.

INTERVIEW

Pr Mickael Dinomais

Médecine Physique et de

Réadaptation pédiatrique

CHU-Les Capucins Angers

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Cela se fait naturellement lors de la matu-ration du cerveau, ou après une lésioncérébrale. La plasticité naturelle estpossible toute la vie, mais elle sembleplus intense pendant les 1 000 premiersjours de la vie.

Les synapses sont très nombreuses pouratteindre un maximum de densité à l'âgede 6 ans, puis elles vont subir un élagageau cours de la maturation du cerveau oùne vont perdurer que les plus efficientes :les plus utilisées se stabilisent etdeviennent de plus en plus efficientes,tandis que les autres, ainsi que le corpscellulaire des neurones qu'elles relient,s'auto-détruisent. Cette plasticité natu-relle et son développement dépendentde facteurs génétiques et de facteursexternes comme les sollicitationsexternes : plus un réseau neuronal estsollicité et plus il devient efficient.S'engage alors un cercle vertueux : plusle réseau neuronal est performant, plus lafonction portée est efficace ; et plus lafonction est sollicitée, plus le réseauneuronal s'organise et est efficace.

On sait aujourd'hui que la plasticité céré-brale naturelle est dépendante de l'activi-té, et que pour apprendre à faire un gesteet à le faire de manière efficace, il faut lerépéter dans ses conditions réelles. Onapprend à nager en étant dans l'eau, et nonen imitant le découpage des gestes quemontre le moniteur au bord de la piscine.

On a montré que la plasticité post-lésion-nelle répondait à cette même règle, etétait elle aussi dépendante de l'activité.

Que se passe-t-il après une lésioncérébrale ?

La PC résulte d'une lésion cérébrale pré-coce survenue avant l'âge de deux ans,quand la plasticité naturelle est impor-tante. La plasticité post-lésionnelle, inhé-rente à la lésion, va impacter la plasticiténaturelle en cours, les deux s'interpéné-trant alors. Les capacités de plasticitépost-lésionnelle dépendent, outre del'activité, du moment de survenue de lalésion et du niveau de maturité du sys-tème touché : celui-ci sera d'autant plusplastique qu'il était immature au momentde la lésion. Or tous ne se développentpas au même rythme : le système moteurmature très tôt, le système du langageplus tardivement jusqu'à 6/7 ans, et lesfonctions cognitives jusqu'à l'âge adulte.

Un AVC situé dans l'hémisphère gaucheau niveau des zones du langage conduirapossiblement à une aphasie chez l'adulte.Ce ne sera pas le cas si ce même AVCsurvient en période néonatale : au mo-ment de la naissance, les réseaux dulangage sont portés par les deux hémi-

sphères (même si le gauche est déjà unpeu plus spécialisé que le droit). Dans lecas de cette lésion précoce, les réseauxdu langage portés par l'hémisphère droit,au lieu de disparaître, vont se renforcer etcontinuer à porter le langage. Mais si lalésion se produit après 7/8 ans, une foisle système du langage arrivé à maturité,on ne pourra pas revenir en arrière et lelangage ne pourra pas être porté à droite.On parle de période critique quand lesystème a tellement maturé qu'il ne peutpas revenir en arrière en cas de lésion.

Le cerveau a donc des ressources de ré-organisation, mais il ne peut pas toutet il reste très vulnérable dans sa périodede développement. La lésion va ébranlerses fondations et rendre le reste de saconstruction plus compliqué : les agres-sions sur un système auront des consé-quences sur les autres réseaux neuronaux,et une lésion focale aura un impact diffussur l'ensemble des réseaux neuronaux del'enfant, différent selon le moment de lasurvenue de la lésion.

Comment peut-on favoriser cetteplasticité ?

Il existe plusieurs pistes de recherche.Une première concerne des molécules :les synapses faisant intervenir des molé-cules appelées neurotransmetteurs, onétudie l'utilisation de molécules qui puis-sent favoriser leur renforcement et leurpotentialisation à long terme (c'est-à-direcapables de maintenir stables les sy-napses créées par l'activité).

On peut également intervenir par de larééducation. La plasticité va par exempleêtre favorisée par la répétition du geste,qui doit être orienté vers un objectif etrecevoir un feedback. Ce dernier peut êtreexplicite (par le commentaire de l'instruc-teur) ou implicite (lorsqu'on se rend comptesoi-même de ce qui fonctionne ou pas).

Une autre composante très importanteest le plaisir et la gratification qui favo-risent aussi la stabilisation des synapses.Si l'enfant prend du plaisir à ce qu'il fait,il devient de plus en plus performant,prend donc encore plus de plaisir et s'en-gage encore plus dans le geste. De plus,une bonne qualité de sommeil est néces-saire pour la stabilisation synaptique, etfavorise donc la plasticité naturelle etpost-lésionnelle.

Enfin, plus on intervient tôt, plus le poten-tiel de plasticité semble important, ce quiconduit à la rééducation précoce tellequ'expérimentée dans l'étude CAP' sur laméthode HABIT-ILE : des périodes derééducation courtes et intenses, dirigéesvers un but défini avec la famille, bénéfi-ciant du feedback de deux thérapeutes.

Comment optimiser la rééducation ?

On a besoin de mieux comprendre com-ment fonctionne la plasticité cérébrale(naturelle et après lésion), et comment lastimuler, pour arriver à cartographier etplanifier des interventions adaptées àchaque enfant, c'est-à-dire des program-mes de rééducation individuels et per-sonnalisés en fonction de ses capacités etpotentialités. Mais on n'a pas encore l'ou-til pour identifier parfaitement le poten-tiel et le profil de rééducation de chacun.

Des méthodes d'exploration commel'IRM, la MEG ou l'EEG nous permettrontaussi un jour, j'espère, d'établir un pro-nostic de plasticité pour chaque enfant etde guider au mieux les rééducations.7. Les registres de popula-tion, un enjeu pour laqualité des soins

Ces sources de données sont des outilsprécieux pour suivre l'évolution dans letemps du nombre et des caractéris-tiques d'une pathologie dans unepopulation. L'éclairage du Dr Javier dela Cruz, épidémiologiste spécialiste dela PC.

Quel est le rôle d'un registre ?

Un registre est un recueil de donnéesstandardisé et maintenu sur la durée.

INTERVIEW

Dr Javier de la Cruz

Épidémiologiste

Hospital Universitario12 de Octubre, Madrid

Des doudous connectés pour stimulerprécocement les tout-petits ?

Page 8: CAHIERS RECHERCHE 26 AVRIL 2020

Les registres de population, dits "popula-tion-based", couvrent la population géné-rale dans une zone géographique biendéfinie.

Un registre a une première utilité en ma-tière de santé publique : il permetd'effectuer la surveillance de l'évolutiondans le temps d'une pathologie dans unepopulation, de proposer des actions etde planifier des ressources.

D'autre part, dans le domaine de la re-cherche, un registre établit un cadre pourcontribuer à répondre à des questions :par exemple, quelle est l'origine de laPC ? Quelles sont ses conséquences ?Dans ce cas, l'épidémiologie aide à véri-fier des hypothèses et à planifier desservices.

Comment sont nés les registres de la PC ?

Les premiers à avoir mis en place desregistres de PC étaient des cliniciens quiavaient une vision de santé publique ets'interrogeaient sur la qualité des soins,au Danemark et en Suède. L'Australie asuivi, puis la France où deux registres deshandicaps de l'enfant ont été établis dansles années 1990, à Grenoble (RHEOP,Registre des Handicaps de l’Enfant etObservatoire Périnatal*), puis à Toulouse(RHE31, Registre des Handicaps de l’En-fant en Haute-Garonne**).

La PC n'est pas une pathologie simple àenregistrer, car, plus qu'une maladie,c'est une condition, avec une diversité deprésentations et d'étiologies. Dès lespremiers registres, l'accent a été mis surla qualité des données plutôt que sur leurquantité.

Un registre a un objectif d'inclusion com-plète de la population vis-à-vis delaquelle il est engagé. Dans le cas de laPC, la difficulté réside dans le fait que son

identification dans les basesmédico-administratives n'estpas automatique : il n'y a pasde test ou de code diagnos-tic unique qui permetted'identifier toutes les per-sonnes avec une PC. Il estdonc indispensable de tra-vailler à partir de plusieurssources de données, d'inter-préter les descriptions cli-niques et d'appliquer desdirectives de codage de fa-çon constante.

Derrière un registre, il y atoujours une équipe spéciali-

sée et multidisciplinaire de professionnelsdédiés en contact étroit avec des institu-tions et des réseaux de soignants, dechercheurs, et, dans le cas de la PC, avectous ceux en relation avec les personnesconcernées par une PC.

Pour avoir des données comparablesentre registres, il a donc été important dedévelopper un langage commun auxdifférentes disciplines médico-socialesimpliquées : obstétrique, pédiatrie, réha-bilitation, radiologie, épidémiologie, etc.

Cet effort a été mené à la fin des années1990 à l'initiative du Dr Christine Cans,du Pr Ingeborg Krägeloh-Mann et duDr Ann Johnson. Elles ont été rapidementrejointes par les collègues des registresscandinaves et du reste de l'Europe, pourconstituer le réseau SCPE (Surveillancede la Paralysie Cérébrale en Europe,présidé aujourd'hui par le Dr CatherineArnaud, RHE31).

Ont d'abord été établis des critères d'in-clusion, des algorithmes diagnostiques etdes classifications des sous-types de PC,mais aussi des échelles fonctionnelles oudes critères dans le domaine de la neuro-imagerie qui ont permis de mettre encommun de grandes bases de données.

Que nous ont appris ces registres ?

Les registres publient annuellement unrapport détaillé qui présente les donnéeslocales les plus récentes, mises en pers-pective de l'évolution dans le temps, cequi constitue une ressource de grandevaleur pour la planification des servicessocio-sanitaires.

SCPE nous a montré une diminution glo-bale de la fréquence de la PC. L'évolutionde la qualité des soins maternels et néo-natals peut en partie expliquer cettebaisse.

La base de données commune réunie parle réseau des registres européens a aussipermis d'analyser les caractéristiques desous-groupes de patients et de mieuxcomprendre les causes, en relation avecles sous-types de PC, la prématurité, lesnaissances multiples ou les anomaliesgénétiques.

Les récentes données de neuroimagerieobtenues sur de grandes populationscontribuent à établir la relation entre leslésions cérébrales et les manifestationsfonctionnelles.

Ces développements permettent d'envi-sager des mesures pour réduire lasévérité des atteintes, pour orienter lespersonnes sur les thérapies les mieuxadaptées à leur profil et pour mobiliserles ressources nécessaires.

Comment pourrait-on encore augmen-ter l'utilité des registres ?

Ils gagneraient d'abord à être plusconnus ! Ils seraient de bons pointsd'ancrage pour des programmes desoins, des études de recherche ou cer-taines décisions des services de santé etcommunautaires.

Les registres de la PC font un travailrigoureux et bénéficient d'une bonneévaluation dans le respect des lois deprotection des données. Les renforcerleur permettrait d'évoluer et d'étendreleur influence.

Parmi les défis à relever par les registres,on peut notamment citer :

- continuer à améliorer la qualité des soins

- intégrer le suivi longitudinal (c'est-à-diredans le temps) des personnes enregis-trées, y compris des adultes

- établir des liens avec des biobanques etd'autres systèmes d'information.

L'inclusion des personnes concernéesdans les conseils d'administration desregistres conduit à réviser les objectifs,mesurer et informer sur ce qui est impor-tant pour elles. L'essentiel reste decontinuer à parler le même langage.

FONDATION PARALYSIE CÉRÉBRALE · 67 rue Vergniaud 75013 PARIS · tél. + 33 1 45 54 03 03 · [email protected] CAHIERS DE LA RECHERCHE · N° 27 · NOVEMBRE 2020 · N° ISSN 2109-5663 · Direction Artistique : Jessica Richer · Conception / Rédaction : Christine Cavasa

La 2e partie de ce dossier serapubliée dans les Cahiers de la

Recherche n°28 au printemps 2021.

Elle sera consacrée au parcours devie, de la naissance à l'âge adulte :rééducation, technologie, viesociale, participation, etc.

* https://rheop.univ-grenoble-alpes.fr** https://rhe31.org