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C’est à la demande (très insistante !) de notre Président, que j’extirpe d’une mémoire qui commence à défaillir quelques anecdotes tirées de mon séjour en Algérie. Hélas, la mémoire d’un vieillard se délite aux cours des ans et les trous s’y font de plus en plus nombreux, comme dans un tissu usagé. Il me va falloir les combler de pièces neuves que j’essaierai d’assortir au mieux avec les lambeaux récupérés . Mais avant de commencer, quelques précisions : L’époque : entre 1959 et 1962 L’unité : 4 eme Régiment de Zouaves, 2 ème Compagnie où je suis chef de la 1 ère section Le lieu : Zone Ouest Constantinois, secteur de M’sila que les cartes ci-dessous préciseront 0 100 Kilomètres __________________________________

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C’est à la demande (très insistante !) de notre Président, que j’extirpe d’une mémoire qui commence à défaillir quelques anecdotes tirées de mon séjour en Algérie. Hélas, la mémoire d’un vieillard se délite aux cours des ans et les trous s’y font de plus en plus nombreux, comme dans un tissu usagé. Il me va falloir les combler de pièces neuves que j’essaierai d’assortir au mieux avec les lambeaux récupérés. Mais avant de commencer, quelques précisions : L’époque : entre 1959 et 1962 L’unité : 4eme Régiment de Zouaves, 2ème Compagnie où je suis chef de la 1ère section Le lieu : Zone Ouest Constantinois, secteur de M’sila que les cartes ci-dessous préciseront

0 100 Kilomètres

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CHOU BLANC

N

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Pour un bleuAnecdote pour une simple mise dans l’ambiance

En septembre 1959, à mon arrivée au 4ème Zouaves j’avais été affecté à la 2ème Compagnie, commandée par le Lieutenant L…ancien d’Indochine ayant servi au sein du Commando Nord-Vietnam, officier de valeur titulaire de nombreuses citations et de la Légion d’Honneur. Je l’ai retrouvé général une vingtaine d’années après, dans les années 1980 et quelques.

En cette année 1959 sa compagnie n’était pas encore stationnée à l’endroit indiqué sur l’extrait de carte ci dessus, mais sur les hauteurs qui dominaient au Nord le PC du Régiment en un  lieu nommé Argoub Diss. On ne pouvait y accéder qu’à pied, voire à dos de mulet : c’est d’ailleurs de cette manière que l’officier d’ordinaire nous faisait apporter les vivres. Mes premières patrouilles avaient surtout pour but de reconnaître le terrain autour du poste. Mais peu après une grande opération de « bouclage et ratissage » montée par le Commandant du secteur de M’sila eut lieu.

Un mot d’explication pour les générations qui n’ont pas connu cette guerre.Boucler une région consistait à la cerner par un cordon de troupes afin que nul ne puisse s’en échapper. La région bouclée pouvait être de taille quelconque, sa superficie ne dépendant que des renseignements que l’on avait sur l’ennemi mais étant toujours de plusieurs dizaines de kilomètres carrés. Quand au cordon de troupes il ne faut pas voir là un dispositif absolument linéaire, chaque unité devant s’étager en profondeur ; la condition essentielle devant être qu’elle soit en liaison à vue avec les unités voisines. Bien entendu il était autant que possible nécessaire d’être sur une crête pour observer le terrain bouclé. On se mettait en place discrètement de nuit, et au lever du jour, commençait le ratissage.

Ratisser le terrain consistait à faire avancer dans le terrain cerné, une partie des troupes du bouclage, les extrémités de ce dispositif mobiles devant bien sur être jointives avec les éléments restés statiques.L’ensemble bouclage et ratissage (les deux mamelles de la guerre d’Algérie) mettait en œuvre plusieurs régiments.

L’opération pouvait, en gros, se dérouler de trois manières : Un petit élément fell se dévoilait devant une unité (soit en ratissage soit en bouclage) :

celle ci effectuait la manœuvre nécessaire pour le détruire ou le capturer s’il était à sa taille. S’il était un peu plus important, son échelon supérieur intervenait.

Si au contraire on avait affaire à une grosse bande rebelle bien armée, le commandant de l’opération remaniait son dispositif et prenait l’affaire à son compte.

Et s’il n’y avait rien le commandant de l’opération donnait le signal de la fin quand il le jugeait utile (bien avant que les éléments de ratissage n’atteignent les éléments de bouclage du fond de cette nasse) et chacun rentrait chez soi.

Voilà donc la première opération à laquelle je participais.Le 4ème Zouaves devait être en bouclage avec trois compagnies sur une certaine ligne de crête, la 2ème compagnie n’étant pas utilisée…sauf une section qu’elle devait détacher pour compléter le dispositif du régiment.Et cette section c’était bien entendu…la mienne, le Chef de Corps voulant probablement observer le comportement du nouvel officier ( c’est ce que je pensais plus tard).Ma position dans le dispositif n’étant qu’à quelques kilomètres de l’implantation de la compagnie, c’est a pied que je m’y rendis, de nuit bien entendu. Arrivé sur les lieux, une crête

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dénudée (ça va être agréable quand il fera chaud !), j’y disposais ma section après avoir pris contact avec les éléments voisins et rendu compte par radio, tout ça ayant été préalablement bien préparé sur la carte.

Puis au lever du jour, signal de démarrage aux troupes de ratissage… et pour nous, éléments de bouclage commencement d’une ennuyeuse attente. Bien sur on se devait de suivre au mieux les opérations par les ordres et C.R. captés par la radio (à l’époque on était dotés du lourd SCR300), et aux jumelles ou par la simple observation du terrain à l’œil nu.

Le temps passait  … il faisait chaud car le terrain n’offrait pas de zone d’ombre et le soleil continuait à monter… De temps en temps quelques coups de feu lointains dont on ne comprenait pas bien la cause, mais qui ne nous concernaient pas directement. Rien de bien passionnant. L’opération n’étant prévue que pour la demi journée, c’était la position des aiguilles de ma montre qui m’intéressait le plus. « Ah c’qu’on s’…ennuie ici » comme dit la chanson…

Soudain : « Mon lieutenant Alembert appelle bleu 1 » C’est mon radio qui m’interpelle. Je prends l’écoute. Alembert c’est l’indicatif du régiment, Alembert bleu celui de ma compagnie, mais qui n’étant pas concernée par l’opération n’est pas mentionné et Alembert bleu 1 ou plus simplement bleu 1 celui de la première section, la mienne.Alembert me signale que des fells viennent de mon côté ; à moi de les intercepter.Ah… enfin…. !

Toute la section écarquillait les yeux… rien… ah si …en voilà un ! En fait de fells au pluriel on n’en voyait qu’un, qui courait dans une direction oblique par rapport à nous ; il semblait armé d’un fusil ou d’une carabine. Les FM n’étant pas au mieux pour le tirer c’est avec mes GV que je pensais me le faire ; les pièces FM restant aux ordres du Sous officier adjoint avec toute initiative de sa part s’il jugeait utile d’intervenir. De là ou j’étais on voyait notre fell en contre bas à 200 m environ, dans un terrain parsemé de touffes d’alfa.

Tel des aigles s’envolant d’un rocher pour fondre sur une proie nous dévalâmes la pente, en ligne pour ne pas le manquer Mais nous ayant vus il changea de direction pour nous fuir.Au bas de la pente, ces sacrées touffes d’alfa ainsi qu’un léger relief nous le dérobèrent à la vue. Qu’importe, on a continué à courir dans la direction qu’il semblait avoir prise, bien en ligne pour ne pas le manquer. On a couru, couru, cinq minutes, dix peut-être …rien ! On a du le dépasser, ce n’est pas possible ! Retour, et fouille du terrain, un mini ratissage en quelque sorte, pendant un bon quart d’heure et rien, toujours rien : le bonhomme semblait s’être volatilisé. Amer désappointement !…

Plus tard ; après l’opération, au PC du régiment le Chef de corps me dit : « On vous a vus à l’endroit où était le fell, vous étiez dessus ! Vous ne pouviez pas le manquer !… »Oui, mais, voir d’en bas ce n’est pas la même chose que voir d’en haut. Ah si j’avais vu quelque chose… !Tant pis.

_________________________________________________UN TIR BIEN AJUSTÉ ET EFFICACE Une anecdote qui plaira à notre Président

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Pour une fois la mémoire de la date, ne me fait pas défaut ! C’était à Pâques 1960.

En ce saint jour où personne ne semblait se préoccuper d’accomplir quelque dévotion que ce fut, l’aspect gastronomique avait prévalu sur l’aspect spirituel et l’ordinaire avait fourni au cuisinier de quoi nous confectionner un petit festin. Le Lieutenant L… qui commandait la compagnie avait été convoqué au PC du Régiment (et invité à y déjeuner). Avant de partir il me dit  en substance : « En guise de dessert, après le déjeuner vous ferez une patrouille avec votre section renforcée d’un groupe de la quatrième section, en tel et tel endroit » qu’il me désigna sur la carte. Le sous lieutenant P... devait rester en alerte au poste avec le reste de la compagnie …et un appui dont je parlerai plus loin.

Il faut dire que pendant les jours de fêtes chrétiennes les fellaghas pensaient que le terrain était libre pour faire mouvements et déplacements à leur guise sans être gênés par une troupe qu’ils pensaient occupée à faire la sieste ou a cuver son vin. Bien entendu ce n’était pas le cas, surtout chez nous dans les djebels ou dans le bled ! Pour comprendre la mission qui m’était assignée, ainsi que la suite des évènements, un petit extrait de carte paraît nécessaire.

Le poste de notre compagnie était implanté à Mechta Cheki, dans une zone faiblement mamelonnée à environ 2 à 3 km au sud du pied d’une chaîne de montagne culminant à 1800 m. Au pied de cette chaîne, une série de petites crêtes allongées culminant à environ 100 m au dessus du terrain environnant, nous séparaient du mouvement de terrain principal. On avait l’impression d’une énorme muraille percée par des passages tous les 2 km environ. Entre ces crêtes et la montagne elle-même il y avait donc une sorte de couloir, à peu près plat où l’on pouvait circuler aisément et rapidement, sans être vu du poste ni de tout observateur se trouvant au sud de ces crêtes. Le Commandement ayant eu l’information de mouvements possibles d’Est en Ouest par des éléments de fellaghas, c’est là qu’on m’avait dit d’aller jeter un « un petit coup d’œil ».…………………………………………………………………………………………………

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Départ, 14 h environ, regrettant une bonne sieste qui aurait été bien agréable à l’ombre, pour aller affronter dans l’immédiat, à défaut de fellaghas, les ardeurs d’un soleil déjà très chaud en cette saison et surtout à cette heure là ! Quatre groupes de combat, puisque ma section était renforcée, me permettaient ainsi de prendre un dispositif des plus convenables pour la sûreté.

A gauche, sur les contreforts de la montagne, deux groupes car de ce côté les risques étaient plus grands ; à droite un seul groupe car sur les petites crêtes le risque était pratiquement nul, mais le FM pouvait utilement appuyer le groupe de gauche en cas de besoin. Moi, dans le couloir central avec un groupe et l’élément de commandement.

Et si besoin était, j’avais à ma disposition….une batterie d’artillerie ! Enfin une batterie très allégée dirons nous, puisqu’elle n’était constituée que d’un groupe de deux pièces. En effet peu de temps auparavant, le Commandement nous avait détaché, pour notre poste, un sympathique sous–lieutenant artilleur avec ses deux tubes de 105 HM2, ce qui faisait notre fierté, mais qui, au grand regret du sous-lieutenant, nous n’avions pas eu l’occasion d’utiliser.

Ce qui ne l’avait pas empêché de préparer, sur la carte, quantité de tirs sur la partie Nord montagneuse de notre sous-quartier. Cette région avait été classée « zone interdite » : non seulement personne n’y habitait, les villages ayant été évacués, mais aucun civil n’avait le droit d’y circuler. ………………………………………………………………………………………….Patrouille de routine donc …du genre qui se termine toujours par le CR laconique : R.A.S… Mais qui n’était pas inutile car ces patrouilles contribuaient à créer un climat d’insécurité chez les autres.15h ou 15h30 -Il faisait chaud, très chaud ; nous marchions lentement car mon groupe de gauche avançait sur un terrain difficile, coupé de petits oueds, à sec bien sur, mais qu’il devait constamment descendre et remonter. De temps à autre je jetais un coup d’œil sur ma carte bien que le terrain me fût familier, mais pour pouvoir répondre immédiatement à une autorité indiscrète pouvant demander à la radio « Donnez moi votre position »…ou bien si j’avais eu besoin d’avoir rapidement quelque secours ………………………………………………………………………………………………-« Mon lieutenant ! Regardez ! » Je levais les yeux de ma carte : le G.V qui marchait non loin de moi me désignait deux hommes à 200m devant environ et qui marchaient à notre rencontre, semblant ne nous avoir pas encore vus … mais qui, presque aussitôt, tournant les talons, s’enfuyaient à toute vitesse.

C’en est ! Interpellation et sommations eurent pour effet d’accélérer la vitesse des coureurs. Rafale de PM de mes GV de tête, mais les deux autres n’en n’avaient cure. En raison de la configuration du terrain que j’ai expliquée, ils ne pouvaient aller ni à droite, ni à gauche, les pentes qui bordaient le couloir étant assez raides et dénudées : donc une seule direction, droit devant.

L’instinct du chasseur qui dort dans tout homme se réveilla et mes soldats, appelés du contingent, comme on dit, qui dans le civil étaient d’aimables commis épiciers, de distingués employés d’administration, de paisibles ouvriers ou paysans ou de studieux étudiants n’ avaient qu’un but : capturer leur proie ! Et on se mit à courir… (va pour les GV…mais pour la pièce FM…)

Tout beau mes amis ! La section devait rester groupée car les deux loustics allaient peut–être nous conduire dans un traquenard où la section se ferait débiter en détail  : d’abord les

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malheureux GV dont les chargeurs auront été rapidement et inutilement vidés, puis les pièces FM avec leurs servants tout soufflants et suants, dépourvus de protection rapprochée, et la fête se terminerait par le chef de section dont on prélèverait chirurgicalement quelques morceaux de choix dans les régions intimes pour les lui faire goûter en les lui fourrant dans la bouche !Non ! Souvenons-nous du combat des Horace et des Curiace ! Il faut rester groupés.

Mais les fugitifs avaient l’avantage de la légèreté et nous distançaient rapidement : s’ils atteignaient la première échancrure dans le relief comme je l’ai décrit au début ils pouvaient soit tourner à gauche où grâce à la végétation et au réseau de petits oueds à sec ils disparaissaient dans la montagne, soit tourner à droite, et se réfugier dans les régions habitées où ils se fondraient rapidement dans la population. On pourrait toujours y aller pour se renseigner ! « Mais non mon lieutenant, j’y rien vu , j’y sais rien, j’y connais pas, ma narf».

Alors : Faites donner l’artillerie ! Bien entendu nos cartes étaient équipées des emplacements des tirs savamment calculés par notre camarade artilleur, qui à l’heure actuelle tenait, comme pendant toute sortie, ses pièces prêtes à faire feu, lui-même étant près de son poste radio réglé sur la fréquence de la compagnie.

J’appelais le poste, expliquais brièvement la situation, donnais ma position et demandais le tir n°tant, calculé à priori pour frapper à l’endroit délicat où les fellaghas pouvaient passer.Mes fugitifs couraient toujours, mais nous nous pouvions ralentir l’allure : les obus couraient plus vite qu’eux !Les deux gaillards n’étaient plus qu à quelques centaines de mètres du point où ils pensaient trouver leur salut… encore un effort et sauvés ! « - Coups partis »…Et soudain .. Boum badaboum boum boum : dans un grand fracas les deux obus firent monter un impressionnant nuage de fumée et de poussière précisément à cet endroit !Nos deux champions de course à pied stoppèrent net.Nous, on pouvait avancer calmement : et souffler un peu !… J’annonçais à la radio « Bon en direction, bon en portée » ou quelque chose d’approchant.

Comme il n’y avait pas d’ordre, l’artilleur remit ça comme le veut le règlement.Re .. Boum badaboum boum boum.Etait-ce la faute du vent ? Des lois de la dispersion ? Ou une simple impression ? Il me sembla que les coups impacts étaient plus proches.Peu importe, nous étions au contact des deux fells qui n’en menaient pas large et montraient leurs paumes de mains bien en évidence à hauteur d’épaule.

« Halte au feu ! ». Inutile de gaspiller de la munition, nous tenions deux lascars. L’un d’eux était blessé ; au bras je crois, mais assez légèrement : une balle  « perdue » ? ( « perdue »…expression dure à dire pour mes « tireurs d’élite »…d’élite.. enfin… hum…)

Tous les deux avaient un petit galon sur une poche de leur chemise l’un était doré c’était celui d’un sergent, l’autre rouge, c’était un caporal. Armement : simplement deux grenades chacun. En fait ils étaient mutés d’une katiba à une autre et rejoignaient leur nouvelle affectation.

Les féroces soldats de l’Armée française ont bon cœur : on donna à boire aux prisonniers qui avaient bien soif  après une telle course sous le soleil !

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J’envoyais mon CR au poste de la compagnie, chargée de le retransmettre au Régiment et on rentra, toujours sur nos gardes. Il eut été possible que l’on cherchât, par un mauvais coup, à délivrer nos prisonniers. Ça m’est arrivé une fois : un prisonnier s’était échappé pendant un accrochage, à la grande colère d’un sous-officier qui avait trouvé commode de lui faire porter son sac ! Mais cette fois, retour sans encombre.

La patrouille n’avait pas été vaine… grâce à notre ami l’artilleur.A la popote, avec le Commandant de compagnie de retour du PC du Régiment, une bonne bière bien fraîche à la santé de l’artilleur, de l’Artillerie et de tous ses canonniers…et pour le plus grand bien de nos gosiers. On en avait bien besoin !Les prisonniers : l’infirmier s’occupait du blessé, mais déjà l’Officier Renseignement du régiment était là avec son escorte pour les récupérer.Mais ceci n’est pas notre affaire.

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DE PROFUNDIS CLAMAVI AD TE …ALEMBERT

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Cette troisième anecdote que j’appellerai « De profundis clamavi ad te …Alembert » se situe dans les environs sud des mines de phosphate de Tocqueville qui se trouve à 50 Km N.E de M’sila.

Une opération avait été montée par le Commandement du secteur avec le concours du Génie et participation du 4ème Zouaves, pour extirper les fells qui utilisaient ces mines comme base de repos. Si bien que certain jour de 1960 (ou 1961 ?), en été si mes souvenirs sont exacts, je me trouvais avec ma section devant un trou creusé dans le sol en pleine nature et destiné probablement à ventiler les galeries de ces mines.

Outre ma section, beaucoup de monde autour de ce trou. Là mes souvenirs sont incertains mais peut–être y avait-il le commandant de l’opération et son PC, mon commandant de Compagnie, probablement aussi le Chef de corps.

Descendre dans le trou était techniquement facile, une solide échelle de fer y était fixée…Mais voilà, voilà pourquoi on discutait ferme autour : « Il y a un fell qui jette des grenades dans la galerie » disait-on. En effet de temps en temps on entendait un coup sourd, suivi d’un long silence, puis un autre éclatement suivi encore d’un silence…Le bonhomme devait lancer ses grenades à priori et sachant qu’il avait peut-être été repéré dissuadait ainsi toute tentative d’intrusion.

Que faire ? Désigner « un petit élément pour aller reconnaître… etc… etc », ou bien un volontaire… ? des volontaires… ? Non je n’y pensais même pas, encore qu’il y en aurait peut-être eu !… mais seulement … « peut-être ». ….« - Bon ! J’y vais… quand faut y aller, faut y aller ! » Question de dignité, dans ce cas c’est le chef qui y va !

Quel armement et équipement prendre ? Un PM ? Mais pour tirer où ? Et se faire repérer aussitôt. Un P. A ; oui, c’est moins encombrant et ça peut toujours servir, mais toujours, pour tirer où, dans le noir ? Une lampe torche … oui aussi, mais à garder dans la poche au moins provisoirement car s’en servir c’est se désigner comme étant une excellente cible… Et je ne vais pas, bien sur m’embarrasser d’un poste radio : de toute manière bien des oreilles seront à l’écoute au dessus du trou. Un casque léger, quand même pour ne pas se cogner la tête aux parois ou à la voûte qui doit être basse. Mais il me faudrait quand même quelque chose d’efficace pour neutraliser l’homme aux grenades…

Ah j’y suis : je vais me servir… d’une fusée à signaux. Ce sont ces longs cylindres d’aluminium qui projettent de jolies gerbes d’étoiles de couleur quand on actionne la tirette qui se trouve à une extrémité. Si par chance mon fell prend ça dans la gueule ce serait un beau résultat ! Mais je n’y compte pas trop ; par contre je compte sur l’effet de surprise dû à l’illumination inattendue, et moi-même j’y verrai au moins quelque chose. Une deuxième fusée passée au ceinturon pourra aussi être utile après usage de la première.

Ainsi équipé, j’empoigne l’échelle et je descends…

Ce n’est pas très profond, trois mètres au maximum, moins peut-être, et je suis vite au fond.En bas, le noir1 … et le silence. Je reste immobile pendant un bon moment espérant que mes yeux s’accoutumeront à l’obscurité. Vrai tant que je suis proche de l’ouverture, mais après…

1 A l’époque on disait : «  il fait noir comme dans le trou du cul d’un n…. »,

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J’avance à tâtons aussi silencieusement que possible...toujours le silence :… Ou bien mon fell n’a plus de grenades ou bien il me guette dans l’ombre avec des yeux habitués à l’obscurité depuis de longues heures. Au choix, s’il a décelé ma présence : une bonne rafale de PM dans le ventre, un grenade DF dans les gencives (ou ailleurs) ou bien le poignard planté dans la gorge… Il faut en finir : j’actionne ma fusée dans l’axe de la galerie …

Oh la belle illumination ! Des gerbes d’étoiles jaillissent, frappent parois et plafond et rebondissent dans toutes les directions. C’est une fusée verte donnant au décor l’aspect lugubre que l’on voit dans les films d’épouvante...magnifique !

Et non loin de moi, sur la gauche, dans un renfoncement de la paroi, au dessus d’une petite murette de pierre apparaît une tête ahurie. Le bonhomme à grenades se lève lentement montrant les paumes de ses mains bien en évidence. Oui mais les lumières de ma fusée vont s’éteindre. Je tire la deuxième prépare ma lampe torche et m’assure de mon P.A. Et rends compte à Alembert (indicatif du régiment) à la voix bien sûr. Mon ahuri ne bouge toujours pas, pris dans le faisceau de ma lampe avec laquelle je m’arrange aussi pour faire miroiter mon P.A afin que les choses soient claires :«- Pour toi, mon gars , la guerre est finie ».

Je ne suis pas long à avoir le renfort d’un de mes groupes. Les lampes torche sont en action et pour voir on y voit ! D’ailleurs un sapeur en rajoute avec un puissant phare qui illumine la galerie comme en plein jour. J’envoie mon sergent fouiller la cache du fell : aucune arme2, que des grenades, mais, prise de guerre pour ce brave sous-officier, une belle paire de jumelles civiles toutes neuves et aussi un fanion fellagha. Pour moi, plus tard, une petite étoile de bronze.

Déjà le Génie est en action et monte une ligne électrique dans la galerie : des ampoules tous les dix mètres alimentées par un groupe électrogène ; on se croirait dans le métro parisien !Il ne me reste qu’à remonter à la lumière du jour en poussant devant moi mon prisonnier qui n’offre aucune résistance. Il sera accueilli avec enthousiasme par l’Officier Renseignement Amusant et inhabituel cet épisode n’est-ce pas ?…………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………Mais au moment où j’écris ces lignes une pensée affreuse me vient à l’esprit, plus d’un demi siècle après. Au début de cette narration j’ai rapporté les paroles suivantes : « Il y a un fell qui jette des grenades dans la galerie, disait-on. … » Oui, c’est bien ce qu’on disait : un fell… Mais qu’est ce qui leur prouvait qu’il avait seulement un fell ? Et non pas deux …ou dix ! Armés de PM prêts à tirer au juger en direction du puits d’accès. Ah ça aurait fait une belle symphonie en 9mm pour m’accueillir ! Personne n’y pensait alors, même pas moi ! Maintenant que j’y songe, j’en frémis, mon sang se glace dans mes veines et mes cheveux se dressent sur ma tête. Sur que je ne vais pas en dormir de la nuit ou alors faire d’horribles cauchemars !Ces jeunes officiers sont d’une inconscience ! (Les vieux aussi d’ailleurs… parfois)

2 Dixit le sergent. Mais quand on trouve un P.A. dans ces conditions là, on peut se le mettre discrètement dans la poche et on rend compte : « aucune arme trouvée »

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ET POUR TERMINER SUR UNE NOTE INHABITUELLE Courte anecdote instructive sur une danse (si l’on peut dire) macabre

Les massacres de villages entiers ne sont pas l’apanage des troupes nationales–socialistes comme à Oradour sur Glane en juin 1944, ou des troupes républicaines sous la Révolution comme aux Lucs-sur–Boulogne (Vendée) en février 1794. Les fellaghas y ont été aussi de bon cœur …si l’on peut s’exprimer ainsi !

C’est ainsi que 14 mars 1961 je reçus l’ordre d’aller vérifier sur le terrain un événement ayant eu lieu deux trois ans plus tôt, alors que la région n’était pas encore pacifiée, à savoir le massacre d’un village entier par les fellaghas. La population de ce village, Tolba, resté inhabité depuis, car situé en zone interdite, aurait été emmenée par les fellaghas dans un oued proche et proprement abattue par arme à feu, hommes, femmes, enfants, comme aux Lucs-sur -Boulogne et à Oradour–sur-Glane. Renseignement recueilli par l’O.R du secteur auprès d’un prisonnier ou d’un rallié.

Tolba n’est situé qu’à deux ou trois Kilomètres du poste de la compagnie, au N.O.  ; simple promenade, donc, faite bien sûr, avec ma section.

Arrivé sur les lieux, un terrain de couleur ocre, dénudé et caillouteux, creusé par un oued à sec. Je jette un coup d’œil circulaire et ne vois rien d’anormal, les soldats non plus. Des cailloux, des pierres grosses et petites, toutes de cette même teinte ocre uniforme …

Mais si ! « Regardez ça, mon lieutenant », me dit un soldat, puis un autre… et effectivement se confondant par leur teinte avec le sol environnant, on discerne toute une collection d’ossements divers, des fémurs, des côtes des crânes, des bassins, de vertèbres, que sais-je encore. Non ce ne sont pas des beaux squelettes, bien présentés comme dans une salle d’anatomie, mais un éparpillement général. Il y en a partout. Il faut dire que les bêtes sauvages se sont régalées, surtout au début, puis les pluies d’hiver ont passé, l’oued a charrié les débris des corps, les insectes ont fini le nettoyage et on a maintenant des ossements tous beaux et tous propres.

Je ramasse des pièces à conviction pour étoffer mon CR au retour : un crâne, d’abord, puis je recherche une mâchoire qui s’adapte ; en cherchant bien je trouve quelque chose qui convient (mais probablement pas du même personnage !) Le crâne est intéressant : on voit l’entrée de la balle dans l’occipital gauche et dont le trou, bien rond, fait environ 10 mm de diamètre, correspondant à peu près au calibre de l’arme. Mais la sortie est toute autre ! Le pariétal droit a été complètement arraché et lorsque les chaires ont été rongées, il a disparu, laissant un large trou béant à sa place.

Je ramasse également un énorme fémur, mets le tout dans ma musette, et on rentre. D’habitude de retour au poste après une opération quelconque, on est accueilli avec des démonstrations de joie par la chienne du commandant de compagnie, un énorme chien-loup noir qui fait la fête aux arrivants.

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Cette fois-ci, au lieu d’une simple caresse, je lui dis « Prends le gros nonoss, Fuka (c’est son nom) » Et lui donne le fémur qu’elle garde dans sa gueule en gambadant gaiement tout autour du poste, à la grande joie des soldats.

Quand au crâne, bien rafistolé, avec du plâtre pour boucher le trou, il a orné ma tente pendant tout notre séjour à Mechta Chéqui. La légende s’y est mise : «  Ce crâne … et bien c’est celui du dernier gars qui a dérangé le lieutenant pendant sa sieste … alors…» Je l’ai rapporté en France, peint à la peinture fluorescente et éclairé en lumière noire, la nuit … ça fait de l’effet ; et en ajoutant de petites ampoules dans les orbites, ça fait encore mieux ! Un petit souvenir parmi tant d’autres.

Colonel Francis Hamilton,Mai 2011