brève histoire de l'anthropologie

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BRÈVE HISTOIREDE L’ANTHROPOLOGIE

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DU MÊME AUTEUR

Le Salaire de la confiance. L’aide à domicile aujourd’hui (avecLoïc Trabut et Solène Billaud, dir.), Rue d’Ulm, 2014.

Penser la parenté aujourd’hui. La force du quotidien, Rued’Ulm, 2013.

Handicap et dépendance. Drames humains, enjeux politiques,Rue d’Ulm, 2011.

Les Paradoxes de l’économie informelle. À qui profitent les règles ?(avec Laurence Fontaine, dir.), Karthala, 2010.

Manuel de l’ethnographe, PUF, 2009.Le Travail au noir. Une fraude parfois vitale ?, Rue d’Ulm,

2008.L’Ethnographie économique (avec Caroline Dufy), La Décou-

verte, 2007.Écrire, compter, mesurer. Vers une histoire des rationalités pra-

tiques (avec Natacha Coquery et François Menant, dir.),Rue d’Ulm, 2006.

Le Sang, le nom, le quotidien. Une sociologie de la parenté pra-tique, Aux lieux d’être, 2005.

La Fortune de Karol. Marché de la terre et liens personnels dansles Abruzzes au haut Moyen Âge (avec Laurent Feller et AgnèsGramain), École française de Rome, 2005.

Charges de famille. Dépendance et parenté dans la Francecontemporaine (avec Séverine Gojard et Agnès Gramain,dir.), La Découverte, 2003.

Guide de l’enquête de terrain (avec Stéphane Beaud), La Décou-verte, 1998.

L’Honneur des jardiniers. Les potagers dans la France duXXe siècle, Belin, 1998.

Les Campagnes à livre ouvert. Regards sur la France rurale desannées trente (avec Tiphaine Barthélémy, éd.), Presses del’ENS/EHESS, 1989.

Le Travail à-côté. Étude d’ethnographie ouvrière, INRA/EHESS, 1989.

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Florence WEBER

BRÈVE HISTOIREDE L’ANTHROPOLOGIE

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Cet ouvrage a été publié avec le soutiendu Centre national du livre

ainsi que du laboratoire d’excellence TransferS(programme Investissements d’avenir

ANR-10-IDEX-001-02 PSL* et ANR-10-LABX-0099).

© Flammarion, 2015. Tous droits réservés.ISBN : 978-2-0812-3922-7

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« Rarement deux voyageurs auront vu lemême objet de la même façon mais chacunen fit, selon sa sensibilité et selon son intel-ligence, une interprétation particulière. Ilfallait donc connaître d’abord l’observateuravant de pouvoir faire usage de sesobservations. »

Georg Forster, A Voyage Round the World, 1777

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NOTE PRÉLIMINAIRE

Selon l’usage, cet ouvrage utilise le terme « anthropo-logie » pour traiter de l’anthropologie sociale, c’est-à-diredes travaux de recherche portant sur l’homme en sociétéet fondés sur l’ethnographie (ou enquête de terrain).Cette terminologie s’est imposée depuis la SecondeGuerre mondiale en français et en anglais. Le terme« ethnologie » pour désigner ce même champ derecherches a gardé des partisans, mais ne sera pas utiliséici. D’autres sciences de l’homme appartiennent àl’anthropologie au sens le plus large, notamment la pré-histoire, l’anthropologie physique et la linguistique. Il ensera question seulement lorsque leur histoire croise cellede l’anthropologie sociale.

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INTRODUCTION

L’expérience du dépaysement

L’anthropologie sociale apparaît au début du XXe siècleaux États-Unis et en Europe. C’est donc l’une dessciences de l’homme les plus récentes si l’on s’en tient àla naissance d’une activité professionnelle et à la codifi-cation d’une méthode d’investigation. Si on la définitplus largement comme l’aller et retour d’un témoin entredeux cultures avec ses effets de connaissance, elle estl’une des plus anciennes. On pourrait alors la dater desLumières européennes, au XVIIIe siècle, et des grandesexplorations scientifiques mues par le désir de connais-sance et de découverte de la nature et de l’homme àl’échelle planétaire – pensons au voyage de Bougainvilleautour du monde et à la découverte du Pacifique pardes voyageurs européens. Plus convaincant encore, elleremonterait à la Renaissance et au XVIe siècle, lorsque ladécouverte de l’Amérique ouvrit la voie en Europe à uneinterrogation sur la diversité de l’homme qui mit à malla thèse chrétienne de la création de l’homme par Dieuet « à son image ».

On a fait le choix ici de remonter plus loin encore, àla Grèce classique du Ve siècle avant Jésus-Christ, carl’anthropologie sociale est née avec les premiers ethno-graphes dont s’est inspiré l’historien Hérodote pour

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rédiger son œuvre en prose intitulée L’Enquête. L’ethno-graphie qui consiste à observer « en direct » des comporte-ments et à écouter des récits n’avait pas encore été isoléedes autres méthodes d’enquête, dont la critique des docu-ments écrits privilégiée par l’historien ou l’analyse desobjets matériels propre à l’archéologie. Il est néanmoinsfacile de la reconnaître dans les récits de rencontres entreun témoin qui observe et cherche à comprendre, et leshommes auxquels il s’intéresse. C’est l’histoire de ces ren-contres qui sera relatée ici, l’histoire d’une science née descontacts culturels, l’histoire d’une méthode d’investiga-tion qui permet de connaître les peuples éloignés et legrand large, mais aussi l’humanité la plus proche de soi.Car le changement de point de vue sur le monde, né del’expérience du dépaysement et que les spécialistes nom-ment le « décentrement », à la fois rapproche ce qui étaitlointain et éloigne ce qui était familier. De sorte que leregard éloigné de l’ethnographe, rendu célèbre par le titred’un ouvrage de Claude Lévi-Strauss paru en 1983 *,enclenche d’un même mouvement la connaissance desautres cultures et celle de la sienne propre.

L’unité de l’anthropologie sociale repose aujourd’huisur la méthode ethnographique, c’est-à-dire sur l’enquêtedirecte menée par le savant lui-même, par opposition auxenquêtes déléguées à des personnels subalternes, utiliséesnotamment en sociologie, en science politique et enscience économique. En anthropologie, c’est le chercheurqui rencontre les membres des groupes qu’il étudie. Ilcommence par apprendre leur langue pour communi-quer avec eux. Puis il les observe, il les écoute et il par-tage leur vie pour des périodes allant de plusieurs mois

* On trouvera en fin d’ouvrage les références bibliographiques lesplus importantes, parmi lesquelles la plupart des ouvrages cités dansle texte.

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à plusieurs années. Il rédige ensuite son analyse à partirdu journal de terrain qu’il a tenu tout au long de sonenquête. L’ethnographe est quelqu’un qui écrit, pendantet après l’enquête, comme le souligne l’étymologiegrecque du mot qui le désigne dans toutes les langueseuropéennes depuis le début du XIXe siècle : graphein,écrire, ethnos, un peuple parmi d’autres, d’où est venuégalement, à la fin du XIXe siècle, le mot « ethnie »,groupe d’hommes défini par une culture.

Le mot « anthropologie » est bien plus ancien. Il estnotamment attesté en français dans un poème de 1516,comme une branche de la connaissance, au côté de l’his-toire naturelle et de l’histoire morale, de la philosophie,de la géographie et de la linguistique. Il vient de deuxautres mots grecs, logos, le discours scientifique (paropposition au récit mythique et à l’opinion, doxa), etanthropos, l’homme sans distinction de race, de langueni de sexe (par opposition à l’animal et au divin). Ildésigne depuis le XVIe siècle l’étude de l’homme en géné-ral, considéré comme un tout physiologique et social,depuis ses origines jusqu’à nos jours et dans toutes lesrégions du globe. Cette étude s’est divisée dès leXVIIIe siècle en Allemagne, à la fin du XIXe siècle enAngleterre et en France, en plusieurs spécialités : ladimension physiologique de l’homme devint l’objetpropre de l’anthropologie physique, les origines del’homme furent l’objet de la préhistoire, la dimensionpsychologique et sociale de l’homme « moderne » paropposition à l’homme « préhistorique » devint enfinl’objet de l’anthropologie sociale, proche de la sociologiedès la naissance de celle-ci à la fin du XIXe siècle.

L’histoire de l’anthropologie avant sa professionnalisa-tion fut celle des contacts culturels. Ces moments derencontre entre deux groupes humains inconnus l’un àl’autre, qui ne parlent pas la même langue et qui ne

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vivent pas de la même façon, furent rarement dus auhasard. Ils s’inscrivaient dans des relations intermittentes,marquées par la longue distance et la longue durée, lorsdesquelles des objets et des informations circulaient, ainsique des images, des stéréotypes et des représentations. Lecommerce, l’échange de cadeaux, les tributs réclamés enéchange d’une protection, étaient des occasions de brefscontacts chargés de significations et d’émotions. Certainsd’entre eux ont pu dégénérer en violence armée. Maison trouvait dans chaque groupe des intermédiaires quiconnaissaient la langue et la culture du partenaire, quisavaient comment se comporter pour que la rencontre sepasse au mieux. Ces spécialistes sont devenus des ethno-graphes lorsqu’ils ont transmis leur savoir par écrit,ouvrant ainsi la voie à des réflexions de portée plusgénérale.

Ces contacts culturels ont entraîné deux réactionscomplémentaires : le goût de découvrir le monde, lanécessité de témoigner sur soi. Néanmoins ces réactionsn’étaient pas non plus aléatoires. Elles étaient liées à l’his-toire des relations entre les groupes mais aussi à la posi-tion sociale et à l’expérience des témoins : qu’avaient-ils àgagner ou à perdre au cours de ces relations ? Y étaient-ilspersonnellement respectés ou humiliés ? Ont-ils faitl’expérience de promesses non tenues ? C’est pourquoinous aurons à suivre des explorateurs du lointain, maisaussi des connaisseurs du proche, tant la découverte dumonde inspira des quêtes identitaires.

Le goût de découvrir a caractérisé les grands voyageurset les explorateurs issus de toutes les civilisations et detous les continents, mais c’est avec l’hégémonie euro-péenne que débuta la nécessité de témoigner sur soi : lespremiers récits remontent aux Amérindiens à l’époquede la Conquête espagnole au XVIe siècle. Inversement, denombreux ethnographes ont accompagné les expéditions

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scientifiques du XVIIIe et du XIXe siècle, mais il fautattendre la Première Guerre mondiale pour voir la pro-fessionnalisation de l’ethnographie : le séjour forcé deBronisław Malinowski chez les indigènes des îles Trobri-and entre 1914 et 1918 est devenu l’archétype de l’eth-nographie du lointain. La fin du XXe siècle, elle, a vufleurir à nouveau la quête identitaire et l’ethnographie duproche, au confluent de trois phénomènes historiques :le repli sur soi de l’Europe après la décolonisation, laculpabilité des anthropologues devant la disparition despeuples premiers, et la lutte de ces mêmes peuples pre-miers pour leur reconnaissance.

Découvrir l’autre et témoigner sur soi : ces deux atti-tudes fondent deux méthodes ethnographiques diffé-rentes et complémentaires. La première renvoie àl’ethnographie « par familiarisation », lorsqu’il faut sur-monter la distance vis-à-vis des indigènes, la seconde àl’ethnographie « par distanciation », lorsqu’il faut sur-monter la proximité avec eux.

Comparées aux sciences de la nature et du vivant, lessciences de l’homme se heurtent à un problème éthique,qui a été explicitement posé dans la seconde moitié duXXe siècle, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, avecles procès de Nuremberg en Europe, puis après le mou-vement des droits civiques avec le scandale de la Tuske-gee Syphilis Study commencée en 1932 en Alabama auxÉtats-Unis. Les procès de Nuremberg avaient mis en évi-dence l’implication de certains médecins conduisant desexpérimentations à visée scientifique dans les campsd’extermination. La Tuskegee Syphilis Study, elle, suivitpendant quarante ans deux cohortes d’ouvriers agricolesnoirs atteints de la syphilis, dont l’une recevait les traite-ments disponibles et l’autre non, pour étudier le dévelop-pement de la maladie avec et sans soins. Dans les deuxcas, la science médicale tout entière était confrontée à

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l’intolérable : avoir failli au serment d’Hippocrate aunom même de l’amélioration des connaissances scienti-fiques. Ces expérimentations n’étaient pas nouvelles. Jus-qu’au XIXe siècle, les médecins expérimentaient sur les« corps vils », pour reprendre le titre d’un livre de l’histo-rien Grégoire Chamayou : ceux des condamnés à mort,des détenus, des indigènes des colonies, et de toutes lespersonnes de peu d’importance, les fous, les handicapés,voire les pauvres. La nouveauté, c’est qu’elles étaientdevenues intolérables à la communauté des savants et,surtout, qu’elles furent condamnées moralement et juri-diquement.

La question est de portée générale : à quelles condi-tions les savants ont-ils le droit d’observer leurs sem-blables ? Comment poursuivre un objectif scientifique– considérer des humains comme des objets de science –sans dénier à ces objets leur qualité de sujets humains ?Elle se pose dans toutes les sciences de l’homme, lessciences biomédicales comme les sciences de la société,dont fait partie l’anthropologie sociale. En effet, touteobservation de l’homme pose la question de la « bonnedistance » à maintenir entre le savant et ceux qui, depuisle XXe siècle, ne doivent pas devenir ses « cobayes » : pastrop près bien sûr, pour éviter l’introspection qui mèneà l’erreur par égocentrisme ; pas trop loin, pour ne pasoublier leur commune humanité.

La spécificité de l’enquête ethnographique et, par là,celle de l’anthropologie, tient à ce que l’observation del’homme y passe par une rencontre avec des personnesvivantes qui ont les moyens sinon de refuser la présencede l’enquêteur, du moins de coopérer de mauvaise grâce,ou tout simplement de se taire. Cette spécificité sera lefil conducteur de cet ouvrage. Contrairement aux histo-riens, aux archéologues, aux linguistes, l’ethnographedépend entièrement des personnes sur lesquelles et avec

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lesquelles il travaille. Tandis que les archéologues tra-vaillent surtout sur des squelettes, les historiens surtoutsur des documents, les linguistes surtout sur des texteset des enregistrements, les ethnographes travaillent surdes humains en chair et en os avec lesquels ils doiventparler, discuter, négocier, s’affronter, confronter despoints de vue et vivre une partie de leur temps.

En ethnographie, l’observateur ne doit pas être troploin, pour ne jamais oublier que ceux qu’il étudie sontdes humains comme lui. Ce n’est pas là une questionthéorique. Il s’agit de la compétence propre de l’ethno-graphe par familiarisation : celui-ci réduit la distance, ils’engage dans des relations personnelles, voire amicales.Il établit avec certains indigènes, devenus des informa-teurs ou des alliés, des relations de coopération, quipeuvent être ou non rémunérées, la norme profession-nelle ayant changé selon les périodes historiques. Il entre-tient avec d’autres enquêtés des relations de soumission,de domination, de crainte. Parfois certains indigènesl’évitent, refusent de le recevoir. L’observateur ne doitpas non plus être trop près, sinon son savoir relève del’introspection et ne se distingue pas du savoir indigène.C’est la compétence propre de l’ethnographe par distan-ciation : il étudie ses proches, et parfois lui-même, en lestenant à distance à l’aide des outils d’objectivation de ladiscipline et des compétences que lui donne sa connais-sance bibliographique des cultures différentes.

La distance culturelle à surmonter n’est pas seulementun effet de l’éloignement géographique, elle est aussi uneffet de la distance sociale. Ce qui importe, c’est le senti-ment de distance ou de familiarité qui habite l’ethno-graphe lorsqu’il est sur le terrain, ainsi que les enquêtéssur lesquels et avec lesquels il travaille. Aussi l’ethnogra-phie de l’Europe faite par des Européens, depuis leXVIIIe siècle, n’est-elle pas ontologiquement différente de

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l’ethnographie des tropiques ou des pôles, à laquelle onréduit trop souvent la discipline. Les chouans décrits parBalzac en 1828, les montagnards enquêtés par le socio-logue Robert Hertz en 1913, n’étaient pas moins étran-gers, voire « primitifs », aux yeux de leurs observateursque ne l’étaient les Pygmées.

Les échanges au sein même de la discipline anthropo-logique permettent de confronter les résultats obtenuspar familiarisation et par distanciation. Ces échangessont parfois difficiles. Qui est le plus légitime à parlerd’une culture, les représentants de cette culture devenusanthropologues par distanciation, ou les anthropologuesdevenus par familiarisation spécialistes d’une cultureautre que la leur ? Un anthropologue venu de métropolepeut-il étudier les Kanaks de Nouvelle-Calédonie ?Lorsqu’une anthropologue franco-canadienne étudie lesjeunes Maoris de Nouvelle-Zélande à Auckland et qu’unanthropologue d’origine maori conteste son travail aumotif que ses enquêtés ne seraient pas de vrais Maoris,qu’est-il en train de se passer ? Une controverse scienti-fique ou un avatar de la quête identitaire ? Un anthropo-logue qui travaille sur les personnes en situation dehandicap a-t-il le droit de ne déclarer aucun handicaplui-même, ni aucun lien personnel avec le monde duhandicap ?

Telles sont les questions qui agitent la discipline audébut du XXIe siècle et qui ont remplacé la question lan-cinante de la fin du XXe siècle : l’anthropologie est-elleune science coloniale, écrite par les Européens pour lesEuropéens ? Cette interrogation s’est résolue d’elle-mêmelorsque se sont imposés à l’échelle mondiale des anthro-pologues non européens de premier plan. L’ethnographiedes Brésiliens travaillant sur le Brésil, celle des danseurstravaillant sur la danse, celle des personnes handicapéestravaillant sur le handicap, serait-elle en passe de

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l’emporter ? L’ethnographie par familiarisation serait-elledépassée ? C’est peu probable, tant l’aller-retour ethno-graphique entre différentes cultures reste le moteur de laconnaissance de soi et des autres.

L’ethnographe ne travaille jamais seul. Prendre encompte la division du travail à l’œuvre dans l’enquêteethnographique oblige à reconnaître la part prise par lesindigènes dans la construction du savoir anthropolo-gique, à la fois matériellement et conceptuellement. Celapermet aussi de rompre avec l’opposition trop simpleentre ethnographe et indigène. Le monde des ethno-graphes est hiérarchisé selon des lignes nationales et pro-fessionnelles. Le monde des indigènes est traversé deconflits parfois violents. Pour l’anthropologie d’aujour-d’hui, la vision manichéiste des contacts culturels estpérimée : la colonisation n’est pas « le bien » qui apportela civilisation à des êtres inférieurs ni « le mal » quidétruit les cultures indigènes, mais un événement majeuret complexe au cœur des transformations socialescontemporaines, au moment où s’affirme un monde depart en part « postcolonial ».

Au XIXe siècle, l’Europe se représentait comme lecentre du monde, même et surtout lorsqu’elle allaitexplorer ses confins. Réduire l’anthropologie à la curio-sité des Européens pour les peuples éloignés, ce seraitl’amputer de ses trois autres faces. La deuxième faceporte la curiosité de ces peuples éloignés envers les Euro-péens, par exemple l’attitude des empereurs mongols àl’égard des voyageurs européens à l’époque de MarcoPolo. La quête de sa propre identité, chez les Européensconfrontés aux peuples des confins, représente la troi-sième face, et chez les peuples éloignés confrontés auxEuropéens, la quatrième. Mais il y a encore d’autrescubes, puisqu’il faut répéter le même raisonnement pour

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tous les contacts culturels qui n’impliquaient pas d’Euro-péens. L’histoire universelle vue de Chine, d’Inde oud’Afrique reste en effet un vaste chantier pour les savantsdu XXIe siècle.

De fait, les premières grandes synthèses de type ency-clopédique ne furent pas européennes stricto sensu, maisgrecques et musulmanes (chapitre premier). Jusqu’auXIIIe siècle, l’Europe était moins impliquée que d’autresrégions du monde dans le commerce à longue distance,la diplomatie et la guerre. Les périodes de bouleverse-ment à l’échelle du monde connu ont favorisé laréflexion sur les cultures des autres et sur la siennepropre. Ce fut le cas dans la Grèce d’Hérodote, marquéepar la fin de l’expansion perse. Ce fut le cas dans l’Islamd’Ibn Khaldûn, marqué par l’expansion de l’islam jus-qu’en Indonésie. Le XXIe siècle est l’une de ces périodesde bouleversement propices à l’interrogation sur les iden-tités culturelles.

Avec l’arrivée des Européens en Amérique à la fin duXVe siècle, naquit une anthropologie proprement euro-péenne (chapitre II). La découverte d’un nouveau conti-nent remettait en cause les croyances sur l’hommediffusées par la Bible, mais aussi les fables antiques répé-tées jusqu’à satiété. Au même moment, pour les Indiensdes deux Amériques, la violence de la Conquête obligeaitau retour sur soi, avec ou sans l’aide des missionnaireseuropéens. C’est alors que furent inventées les troisgrandes façons de faire de l’ethnographie : l’ethnographiesolitaire par familiarisation, celle des marins et desprêtres européens ; l’ethnographie collective, danslaquelle des missionnaires chrétiens utilisaient les Indienscomme des interprètes, des alliés et des informateurs ;l’ethnographie solitaire par distanciation, celle des indi-gènes lettrés.

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Au XVIIe et au XVIIIe siècle, l’exploration systématiquedu globe terrestre conduisit les grandes expéditions toutautour du monde, jusqu’en Océanie et en Australie (cha-pitre III). Mues par un objectif proprement scientifique,ces expéditions reposaient sur l’absence de distinctionentre science de la nature et science de l’homme. Ellesentraînèrent ensuite la séparation entre des sciences natu-relles en voie de consolidation rapide, et des sciences dela société handicapées par les mauvaises relations entreles voyageurs-ethnographes et ceux qu’on appelait alorsles « philosophes des Lumières », qui mirent en scèneune parole indigène fictive. La Révolution française etson idéal d’égalité entre les peuples entraînèrent desavancées significatives dans les sciences des sociétés,qu’elles soient européennes ou exotiques (chapitre IV),mais celles-ci furent rapidement recouvertes par l’appari-tion au XIXe siècle d’un nouveau discours sur les raceshumaines puis d’un intérêt obsessionnel pour l’étude descrânes humains. Tandis que la biologie poursuivait sesprogrès avec Darwin, les sciences de la société furentbouleversées par l’exploration de l’Afrique centrale et laconcurrence coloniale, notamment sur le continent afri-cain (chapitre V).

Ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle que l’anthropologiesociale affirma sa complète autonomie vis-à-vis dessciences biologiques. Les découvertes empiriques, l’ima-gination théorique, l’essor des grands musées d’ethnogra-phie, tout contribua à une effervescence intellectuelle quiconduisit l’anthropologie à son âge d’or, entre 1885et 1937 (chapitre VI). Les deux derniers tiers duXXe siècle, eux, furent riches en rebondissements drama-tiques. La Seconde Guerre mondiale n’a pas épargnél’anthropologie, dont les promoteurs étaient en premièreligne de la guerre idéologique et, parfois, de la guerre

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tout court. Les guerres de décolonisation, immédiate-ment après, touchèrent de plein fouet l’anthropologieeuropéenne, puis avec la guerre du Vietnam, l’anthropo-logie américaine (chapitre VII). Après 1968 et une criseréflexive profonde, l’anthropologie s’est réconciliée,depuis les années 1990, avec l’Occident, devenu l’un deses grands objets d’étude, et avec le reste du monde, dontproviennent désormais certains de ses représentants lesplus éminents. Témoignage sur soi et découverte del’ailleurs semblent enfin marcher d’un même pas(chapitre VIII).

Le rapprochement des deux grands courants del’anthropologie tenus longtemps séparés, l’anthropologieailleurs et l’anthropologie chez soi, a ouvert une nouvelleère pour la discipline. En France cependant, l’anthropo-logie est connue du grand public surtout grâce à ClaudeLévi-Strauss, mort en 2009, l’un des plus grands repré-sentants de l’anthropologie ailleurs, et grâce au musée duquai Branly à Paris, ouvert en 2006 pour exposer les artsnon occidentaux. L’anthropologie du lointain reste doncmieux connue en France que l’anthropologie du proche,qui semble encore relever de l’érudition locale confinéedans de petits musées nostalgiques d’un monde rural etindustriel disparu. Pourtant l’anthropologie des sociétésoccidentales occupe aujourd’hui le devant de la scènescientifique internationale, tout comme les travaux quis’intéressent à l’interdépendance entre les différentessociétés à différentes échelles. On peut espérer quel’ouverture du nouveau musée des Civilisations del’Europe et de la Méditerranée à Marseille renversera latendance, en offrant au public une nouvelle image del’anthropologie du proche. Le nouveau musée pourraitnotamment permettre de réfléchir sur la construction desappartenances collectives dans les périodes de contacts

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culturels intenses, dont le XXIe siècle fournit une belleillustration.

Pour penser l’anthropologie universelle, imaginonscôte à côte des photographies d’ethnographes sur le ter-rain, un universitaire britannique d’origine polonaise,Malinowski, dans une île du Pacifique en 1918 (ill. 1 *),un officier français, Robert Hertz, enquêtant dans les tran-chées auprès de ses soldats d’origine paysanne (ill. 2), unpsychiatre antillais, Frantz Fanon, chef de service dansun hôpital algérien en 1956 (ill. 29), un anthropologuefrançais dans un laboratoire biologique américain en 1979.

Car l’objet de l’anthropologie, c’est toute l’humanitéet non seulement les peuples sauvages ou les sociétés pri-mitives, c’est le soldat français tout comme l’indigènetrobriandais, c’est le patron d’une multinationale toutcomme ses ouvriers, c’est l’homme politique d’envergureinternationale tout comme les électeurs dans leurcontexte local, c’est le médecin comme son patient,l’enseignant comme ses élèves, le spéculateur autant quele sans-abri. En d’autres termes, l’objet de l’anthropolo-gie est devenu l’indigène universel.

Ce petit livre voudrait donner à ses lecteurs une imageactualisée de l’anthropologie sociale. J’y fais le pari quel’histoire de l’anthropologie peut servir de passerelleentre les spécialistes et le grand public. Cette histoireest importante pour les anthropologues eux-mêmes parcequ’ils y puisent leur documentation, leurs références etleurs modèles, tout ce qui soude une communauté scien-tifique au-delà des querelles et des controverses. Elle peutégalement faire comprendre au grand public la lentereconnaissance scientifique de l’ethnographie, pratiquéedepuis l’Antiquité, mais dépendante des contextes danslesquels se produisaient les contacts entre les cultures. Si

* On trouvera toutes les illustrations dans le cahier central.

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ces contextes furent marqués depuis le XVIe siècle par laviolence et la destruction, liées à la volonté de puissanceeuropéenne, la construction du savoir représente aussiune critique de toute volonté de puissance et peut aiderà la combattre. Loin d’être une science du passé, tournéevers le passé, l’anthropologie sociale est résolument unescience du présent, tournée vers l’avenir. C’est du moinsce à quoi tendent les représentants de la discipline quirefusent la nostalgie et la mélancolie caractéristiques deses courants les plus passéistes, encore trop présents dansles médias et dans l’imaginaire européen *.

* On utilisera systématiquement les termes de la science actuellepour profiter du progrès dans la définition des disciplines et desconcepts. Par convention, on utilisera toujours « anthropologiesociale » pour désigner ce qui s’est aussi appelé « ethnologie » et« anthropologie culturelle », sauf si cet usage risque d’engendrer uneambiguïté. On utilisera les termes d’époque pour désigner les popula-tions étudiées, afin de marquer l’importance du contexte historique.L’opposition ethnographe/indigène permettra de distinguer ce quirenvoie à l’observateur (l’ethnographe) et ce qui renvoie aux per-sonnes observées (les indigènes), y compris lorsque les indigènes sonteux-mêmes des savants.

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Chapitre premier

AVANT L’HÉGÉMONIE EUROPÉENNE

Cligner de l’œil, est-ce un tic de la paupière ou unsigne de complicité ? Sourire, est-ce un signe d’amitié oude défiance ? Comment distinguer dans une autreculture le rire qui masque la gêne, le rire qui exprime lagaieté, le rire qui signifie le sarcasme ? Être habillé deblanc, est-ce un code de la virginité comme en Europeou du deuil comme en Chine ? Parler fort, une marquede plaisir ou de colère ?

Dans certaines situations, une erreur d’interprétationpeut enclencher la rupture, la violence ou la mort, et lespremiers voyageurs en pays inconnu en ont parfois faitl’expérience. C’est pourquoi les commerçants au longcours, les militaires en campagne, les envoyés du princeont toujours eu recours à des intermédiaires-interprètes.À l’époque des croisades, on les appelait en français destruchements, et dans l’Empire ottoman, des drogmans,parfois dotés d’une mission de diplomate. Ces interprètesne se contentaient pas de traduire les discours, ilsconnaissaient les codes culturels et évitaient les impairs.Passeurs entre les voyageurs et ceux qui les accueillaient,ils ont été les premiers ethnographes et ont participé deprès ou de loin aux descriptions et aux récits par le biaisdesquels chaque culture s’ouvrait aux autres. De cesrécits, L’Enquête d’Hérodote est le premier exempleconnu : les interprètes et les intermédiaires y sont légion.

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BRÈVE HISTOIRE DE L’ANTHROPOLOGIE26

LE SAVOIR PERSE AU SERVICE

DE LA DÉMOCRATIE ATHÉNIENNE

Contemporain du médecin Hippocrate, Hérodote estl’un de ces personnages qui firent la grandeur de la Grèceclassique, notamment de la cité d’Athènes au Ve siècleavant notre ère, au côté du philosophe Socrate et desdramaturges Sophocle et Euripide. Considéré comme lefondateur de l’histoire et de l’ethnographie, il offrit àAthènes, et à l’Europe qui en hérita, le savoir perse surles peuples lointains. Il était né vers 485 avant notre èreà Halicarnasse, une cité grecque sous domination perse,située sur la côte méditerranéenne de l’actuelle Turquie,en Asie Mineure. L’Empire perse s’étendait alors, depuispresque un siècle, de la Turquie jusqu’à l’Inde, et del’Égypte jusqu’à l’Afghanistan (ill. 3). Rien ne semblaitpouvoir arrêter son expansion. Hérodote fut le contem-porain de l’écrasement de l’armée perse par une coalitionde cités grecques, lors de la victoire de Salamine en 480.

Enfant, Hérodote grandit avec le récit de cette bataillequi lui inspirait des sentiments ambivalents. Il se réjouis-sait de la victoire grecque, qui n’avait pourtant pas libérésa cité du joug perse, tout en admirant la ruse et la bra-voure d’Artémise, la reine de sa cité Halicarnasse, quiavait combattu dans l’armée perse. Il s’engagea ensuiteaux côtés de ses concitoyens lorsqu’ils se soulevèrentcontre le successeur d’Artémise, toujours allié des Perses.Son oncle trouva la mort au cours de cette rébellion etlui-même fut contraint, très jeune, de s’exiler. En 454avant Jésus-Christ, alors qu’il avait trente ans, Halicar-nasse devint enfin une cité libre, alliée d’Athènes.

C’est là, à Athènes, où il s’installa pour un temps,qu’Hérodote reçut une récompense pour une partie deson œuvre, un long récit en prose dont le titre grec,

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Historia, est aujourd’hui traduit en français parL’Enquête. Cette réflexion sur l’histoire et la géographiehumaines est fondée sur une compilation de récitsrecueillis par Hérodote au cours des vingt années devoyages qu’il entreprit pendant et après son exil.

En rédigeant L’Enquête, Hérodote souhaitait d’abordlaisser une trace de la longue guerre qui avait opposé lesGrecs et les Perses. Il voulait transmettre, dit-il, « lesgrands exploits accomplis soit par les Grecs, soit par lesBarbares ». (Les Grecs nommaient « Barbares » tous lespeuples qui ne parlaient pas le grec : à leurs yeux, ladifférence entre les hommes passait par la langue et nonpar la race ou la culture.) En parlant d’exploits, Héro-dote s’inscrit ainsi dans la filiation des épopéesd’Homère, ces récits magnifiés d’une histoire anciennedans laquelle les dieux interviennent. Mais il s’en dis-tingue fermement par son intérêt pour le présent, celuides guerres médiques (du nom des Mèdes, les principauxalliés des Perses), et pour une histoire universelle, quicomprend l’ensemble du monde connu. Enfin, Hérodoterapporte systématiquement ses récits à leurs sources. Quece souci soit la trace d’une méthode effectivement suivie,ou un artifice rhétorique pour faire croire à la véracitéde ses histoires, il marque une rupture avec l’épopée etsa rhétorique poétique.

L’Enquête est une histoire du présent et du passérécent, une histoire universelle et une histoire documen-tée. C’est pourquoi Hérodote fut considéré dès l’époqueromaine comme le père de l’histoire au sens moderne duterme, même s’il fut parfois critiqué comme l’ami desBarbares et souvent taxé d’exagération ou de mensonge.

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Hérodote : historien ou ethnographe ?

Aujourd’hui, l’on peut considérer qu’en de nombreuxpassages de L’Enquête, Hérodote est davantage un ethno-graphe qu’un historien. Lui-même a voyagé, observé et,lorsque ce n’est pas le cas, il connaît les voyageurs dontil cite le témoignage. Ces derniers sont souvent, commelui, des Grecs d’Asie qui ont été au service des Perses.

Pour comprendre l’attitude d’Hérodote à l’égard deses « informateurs », ces premiers ethnographes dont ilcompile les connaissances, il faut se souvenir que la citégrecque d’Halicarnasse avait fourni au pouvoir perse denombreux collaborateurs. La génération des parentsd’Hérodote avait connu une situation historique particu-lière : la victoire de Salamine leur avait donné l’espoir des’émanciper du joug perse alors même que, de gré ou deforce, ils en étaient encore les agents. Par comparaison,Hérodote a connu le luxe de voyager, certes en exil, maissans être le guide ni l’espion du pouvoir. Il a savourécette liberté du voyageur sans oublier que ses prédéces-seurs, eux, pouvaient être considérés comme des espionsau service du pouvoir perse, risquant la mort s’ilsétaient démasqués.

Face aux cultures qu’il décrit, Hérodote met en œuvreune attitude très proche de l’ethos professionnel, autre-ment dit la morale collective, des anthropologuesactuels : il décrit les coutumes dans leur diversité et ilrefuse de les hiérarchiser. Cette attitude, qu’on appelleaujourd’hui le « refus de l’ethnocentrisme », consiste enun refus explicite et volontaire de croire sa propre culturesupérieure à toutes les autres. Notons qu’il ne s’agit paspour Hérodote d’une attitude purement personnelle.Tout au contraire, il montre à plusieurs reprises qu’ils’agit du mode de gouvernement présent dans l’Empireperse. Ayant soumis tant de peuples différents, l’empire

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cherchait justement à s’assurer de leur loyauté par sa tolé-rance (ill. 4).

Pour mettre en lumière cet impératif politique de tolé-rance culturelle, Hérodote choisit deux exemplescontrastés : celui de la « folie » de Cambyse et celui dela « sagesse » de Darius, son successeur. Le premier,Cambyse, avait mis l’empire en danger par sa folie, alorsque son règne n’avait duré que sept années. Il avait systé-matiquement profané des temples et des statues de dieuxégyptiens, détruisant et tournant en dérision les cou-tumes du pays qu’il cherchait à conquérir. Inversement,Darius, qui régna ensuite pendant trente-six ans, avaitpleinement conscience du fait que « chacun juge sespropres coutumes supérieures à toutes les autres(III, 38) * » et des conséquences politiques qu’il fallaiten tirer. Voici l’histoire par laquelle Hérodote cherche àprouver la sagesse de Darius :

« Darius fit un jour venir les Grecs qui se trouvaient dansson palais et leur demanda à quel prix ils consentiraient àmanger le corps de leur père à sa mort : ils répondirent tousqu’ils ne le feraient jamais, à aucun prix. Darius fit ensuitevenir les Indiens qu’on appelle Callaties, qui, eux, mangentleurs parents ; devant les Grecs [qui suivaient l’entretiengrâce à un interprète], il leur demanda à quel prix ils serésoudraient à brûler sur un bûcher le corps de leur père :les Indiens poussèrent les hauts cris et le prièrent instam-ment de ne pas tenir de propos sacrilèges. Voilà bien laforce de la coutume, et Pindare a raison, à mon avis, de lanommer dans ses vers “la reine du monde” (III, 38). »

* Les citations d’Hérodote proviennent de l’édition d’Andrée Bar-guet : Hérodote, L’Enquête, Paris, Gallimard, 1964. On s’est appuyéégalement sur François Hartog, Le Miroir d’Hérodote. Essai sur lareprésentation de l’autre, Paris, Gallimard, 2001, ainsi que sur ArnaldoMomigliano, Sagesses barbares, Paris, Gallimard, 1979.

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Hérodote prend là, sans ambiguïté, le point de vue dupouvoir impérial, qu’il considère à la fois comme efficaceet comme juste, car la tolérance est à ses yeux un prin-cipe de gouvernement avant d’être une vertu scientifique.Le roi Darius entouré de ses interprètes oblige ses vas-saux, qu’il place à égalité l’un de l’autre, à prendreconscience de la différence entre leurs coutumes et deleur égale légitimité. En outre, ce n’est pas par hasardque Darius, et Hérodote après lui, prennent l’exempledes rituels funéraires. Manger, brûler, enterrer, momifier,exposer : à chaque période des contacts culturels, onretrouve le scandale que représente une coutume vécuecomme inhumaine, dont la plus haïe reste l’absorptionrituelle des restes humains, désignée sous les nomsd’anthropophagie et de cannibalisme. Darius cherche à« neutraliser » ces différences au sens propre du terme.

L’ethnographie et l’anthropologie sont donc déjà là,dans cette connaissance et ce respect des coutumes desautres. Dans ce contexte cependant, l’ethnographie n’estpas seulement une science de gouvernement, elle estaussi une science de la guerre et de la conquête. De faitelle comporte les pratiques de l’espionnage et de l’explo-ration : Darius utilisait des espions pour préparer uneattaque ponctuelle et des explorateurs pour préparer laconquête. Hérodote s’en félicite, non pas pour applaudirà la conquête, mais parce que l’exploration accroît laconnaissance : « Sur l’Asie, nous devons à Darius la plu-part de nos connaissances, dit-il. Pour savoir où se ter-mine l’Indus, l’un des deux fleuves où l’on trouve descrocodiles, il confia des navires à des hommes dont lavéracité méritait sa confiance, entre autres Scylax deCaryanda [un contemporain et un compatriote d’Héro-dote]. Les explorateurs partirent de la ville de Caspatyroset du pays des Pactyes et descendirent le cours du fleuveen direction de l’aurore et du levant jusqu’à la mer […].

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Ce périple achevé, Darius soumit les Indiens et ouvritleur mer à ses vaisseaux (IV, 44). »

D’autres moyens peuvent accroître les connaissancessur la diversité des sociétés humaines. Ainsi, des Égyp-tiens confiés tout jeunes à des Grecs pour apprendre leurlangue ont joué un rôle majeur dans la connaissance del’Égypte par les Grecs. Ces intermédiaires courent desdangers bien différents selon les cas. Les espions courentle risque d’être dévoilés, les explorateurs courent le risqued’être tués au cours de leur déplacement, mais les voya-geurs scythes, ces peuples présents au nord de la Grèceet jamais soumis à l’Empire perse, courent le risque d’êtreéliminés à leur retour chez eux, tant la connaissanceintime de la culture grecque paraît dangereuse à leursconcitoyens.

Hérodote illustre ce risque couru par de simples voya-geurs à travers deux histoires qu’il juge particulièrementédifiantes. La première est celle du Scythe Anacharsis,qui vivait au VIe siècle avant Jésus-Christ. Considéré parles Grecs comme l’un des Sept Sages, membre d’unefamille royale, Anacharsis avait été tué et renié par lessiens pour avoir célébré un rite grec à son retour en Scy-thie après avoir beaucoup voyagé, notamment en Grèce.Aux yeux d’Hérodote, Anacharsis était mort « victimedes coutumes étrangères qu’il avait adoptées (IV, 77) ».Il n’était plus un Scythe aux yeux des siens. « Si de nosjours quelqu’un leur parle d’Anacharsis, les Scythesdéclarent qu’ils ne le connaissent pas, tout simplementparce qu’il a voyagé en Grèce et adopté des coutumesétrangères (IV, 76). »

La seconde histoire est celle de Scylès, qui n’était pasun voyageur, mais ce que nous appellerions un « métisculturel ». Fils d’un roi scythe et d’une Grecque d’Istria« qui lui enseigna la langue et les lettres de la Grèce »,

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Scylès régnait sur les Scythes, mais « ne trouvait nul plai-sir à leur genre de vie ; l’éducation qu’il avait reçue leportait à préférer de beaucoup les mœurs de la Grèce(IV, 78) ». Surpris par ses propres soldats en train departiciper à un cortège en l’honneur du dieu grec Dio-nysos, Scylès fut décapité, et par son propre frère.

Ce qui importait pour les Scythes, ou en tout cas pourHérodote parlant des Scythes, ce n’était donc pas le liende sang avec une Grecque, qui en ferait un métis biolo-gique, mais le franchissement d’une frontière culturelle,où la connaissance de la langue était perçue comme leprélude à l’adoption de coutumes et de religionsétrangères.

Les Scythes, qu’Hérodote considérait comme « lespopulations les moins évoluées qu’il y ait », étaient desnomades et des éleveurs qui devaient leur survie à leursmœurs. Or s’ils voyageaient de leur propre chef, ils ris-quaient de perdre leur attachement aux coutumesscythes, les seules armes dont ils disposaient contre desennemis plus évolués techniquement et mieux organisés.Pour les Scythes, l’acculturation était donc un mal et unetrahison car elle risquait d’entraîner la perte de la puis-sance guerrière qui faisait leur force. Hérodote les admirecar ils savent comment « empêcher tout envahisseur, etde leur échapper, et de les atteindre […]. Ces gens neconstruisent ni villes ni remparts, ils emportent leursmaisons avec eux, ils sont archers et cavaliers, ils nelabourent pas et vivent de leurs troupeaux, ils ont leurschariots pour demeures : comment ne seraient-ils pas àla fois invincibles et insaisissables ? (IV, 46) » Seul leurmode de vie les protège. Il est donc normal qu’ilscherchent à le défendre en sanctionnant les voyageurs,surtout s’ils sont issus de familles « royales », importantespolitiquement, comme Anacharsis ou Scylès.

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Mais les Scythes étaient également des commerçants,et à ce titre avaient besoin eux aussi d’interprètes : lamultiplicité des langues était la règle sur les grands mar-chés ouverts sur l’Asie. Ainsi, pour décrire les Argippéens,Hérodote explique qu’il tient ses informations d’eux :« Jusque [en ce lieu], le pays et ses divers habitants noussont bien connus, car des Scythes qu’on peut aisémentinterroger se rendent dans ces régions, ainsi que desGrecs […] du Pont-Euxin. Les Scythes qui s’y rendentont besoin de sept interprètes, en sept langues diffé-rentes, pour traiter leurs affaires (IV, 24). »

En revanche, souligne Hérodote, le commerce entreles Carthaginois et les Libyens, tels qu’on appelait tousles peuples qui vivaient en Afrique (ill. 3), pouvait sepasser d’interprète :

« D’après les Carthaginois […], il y a sur la côte libyenneun point habité, au-delà des Colonnes d’Héraclès [aujour-d’hui le détroit de Gibraltar], où ils abordent et débarquentleurs marchandises ; ils les étalent sur la grève, regagnentleurs navires et signalent leur présence par une colonne defumée. Les indigènes, qui voient la fumée, viennent aurivage, déposent sur le sable de l’or pour payer les marchan-dises et se retirent ; les Carthaginois descendent alors exami-ner leur offre : s’ils jugent leur cargaison bien payée, ilsramassent l’or et s’en vont ; sinon, ils regagnent leur navireet attendent. Les indigènes reviennent et ajoutent de l’or àla somme qu’ils ont déposée, jusqu’à ce que les marchandssoient satisfaits. Tout se passe honnêtement, selon les Car-thaginois : ils ne touchent pas à l’or tant qu’ils jugent lasomme insuffisante, et les indigènes ne touchent pas auxmarchandises tant que les marchands n’ont pas ramassél’or (IV, 196). »

Ce marchandage muet est entièrement dans les mainsdes Carthaginois, puisque c’est eux qui fixent le montantd’or qu’ils désirent. Et il repose sur des codes de compor-tement intelligibles au-delà des frontières linguistiques et

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culturelles : les Libyens acceptent de livrer une quantitéd’or en contrepartie d’une cargaison de marchandises.Cependant la curiosité pour l’autre ne dépasse pas l’inté-rêt mutuel à ces échanges fondés sur un accord inégal. Ils’agit là du degré zéro de la communication et ducontact.

Hérodote fait donc œuvre de compilateur critique,cherchant à évaluer la qualité des informations trans-mises par les différents intermédiaires auxquels ils’adresse, ainsi que les difficultés propres de leur position.On peut considérer son œuvre comme un hommage auxethnographes sur lesquels il s’appuie : explorateurs etespions grecs au service des Perses, marchands carthagi-nois, interprètes égyptiens, perses et scythes. Lui-mêmevoyageur désintéressé pour un temps, non seulement ilse sent proche d’eux, mais surtout il a besoin d’eux. Ilinnove pourtant de façon radicale, en rompant avec lafinalité pratique de leurs connaissances, commerciales,militaires, impériales, pour les transmettre au public grecsous la forme d’un savoir désintéressé sur la diversité descultures humaines. C’est pourquoi L’Enquête appartientde plein droit à la tradition anthropologique. Largementdiffusée, elle a offert à ses lecteurs grecs la conscienced’appartenir à un monde pluriel, composé non seule-ment de Grecs, mais de Barbares (Perses et Égyptiens) etde Sauvages (Scythes et Libyens). L’accent mis sur lalangue et les coutumes, et l’absence de toute mentionde race, font de l’œuvre d’Hérodote un précieux pointd’ancrage pour l’anthropologie sociale, par-delà lesdérives naturalistes des XVIIIe et XIXe siècles.

Jusqu’au XVIe siècle pourtant, l’œuvre d’Hérodote n’apas été poursuivie par la tradition européenne. Aucontraire, elle y a été exploitée comme un répertoiremort, un catalogue de légendes indéfiniment recopiéeset jamais vérifiées. Or il y a chez Hérodote une légèreté,

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une curiosité attentive non seulement aux récits mais auxnarrateurs, un goût pour la variété des coutumes et desmœurs, qui doivent beaucoup à l’optimisme des Grecsayant repoussé des armées perses incomparablement plusnombreuses et puissantes. Il faudra attendre des sièclespour que l’Europe retrouve une telle curiosité face auxpeuples éloignés et, peut-être, un tel optimisme.

LE REFLUX DE LA CONNAISSANCE EMPIRIQUE :FABLES MÉDIÉVALES

ET PHILOSOPHIE CHRÉTIENNE

Du Ve au XIIIe siècle, l’Europe chrétienne maintient lacirculation d’une culture lettrée grâce aux monastèrespuis aux universités, mais ce maintien fait paradoxale-ment obstacle au développement d’une connaissance del’homme fondée sur l’observation et l’enquête, uneanthropologie au sens moderne du mot. Les érudits secontentent de recopier les histoires tirées d’Hérodote oud’auteurs romains, tel Pline l’Ancien, en insistant sur leurcaractère étrange, bizarre ou fabuleux.

Prenons par exemple l’histoire des fourmis géanteschercheuses d’or. D’après Hérodote, qui disait tenir cerécit des Perses, les Indiens des confins désertiques, peut-être l’Himalaya ou la Sibérie, payaient à l’Empire perseleur tribut en or en le volant à des fourmis « plus grandesque des renards » qui l’extrayaient elles-mêmes deterriers-fourmilières, et auxquelles seule une course enchameau permettait d’échapper. Longtemps répétéecomme une fable, cette histoire paraissait largementinvraisemblable et elle contribua au discrédit qui frappaHérodote parmi les cercles européens de lettrés.

Or la recherche récente a retrouvé la même histoire defourmis chercheuses d’or dans le Mahabharata, la grande

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épopée indienne rédigée entre le Xe et le VIe siècleavant Jésus-Christ. Ce texte, écrit en sanskrit, utilise unmot non pas sanskrit, mais d’origine sibérienne ou tibé-taine, pour désigner à la fois l’or précieux et l’animalinconnu. Il ne s’agit donc nullement de fourmis,fussent-elles géantes, mais peut-être de marmottes oud’autres mammifères. Hérodote aurait alors été victimed’une traduction fantaisiste en grec d’un terme qui lui-même n’avait jamais été traduit en sanskrit. La confusionest éloquente, et révèle un même intérêt pour lesconfins – l’Inde pour les Grecs, le Tibet et la Sibériepour les Indiens –, terres de trésors et de dangers, partagépar les rédacteurs anonymes du Mahabharata et parHérodote dans L’Enquête. Néanmoins ces confins, pour-tant réels et parfois explorés, vont redevenir des lieuxfabuleux dès lors que leurs lecteurs médiévaux se replie-ront sur l’Europe.

Ce repli doit sans doute beaucoup au traumatisme quereprésentèrent, pour une culture chrétienne en voied’affermissement, les invasions barbares du Ve siècleaprès Jésus-Christ. Le christianisme s’était diffusé jus-qu’en Afrique, en Chine et en Perse, dès les Ier etIIe siècles après Jésus-Christ, par l’intermédiaire desapôtres, un mot grec qui signifie « envoyés de Dieu »,comme le mot « missionnaires » qui est, lui, d’originelatine. Mais les chrétiens avaient subi la répression férocede l’Empire romain qui en avait fait des « martyrs », ycompris en Afrique. Avec l’empereur Constantin auIVe siècle, Rome était devenue chrétienne. Et c’est cetteRome chrétienne que détruisirent les hordes barbares.

Saint Augustin, évêque d’Hippone (Annaba en Algé-rie), fut le témoin d’un épisode clé de cette invasion : lamise à sac de Rome par Alaric et ses Barbares wisigothsen 410. Il réagit en rédigeant La Cité de Dieu, l’un desmonuments de la philosophie chrétienne dont

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l’influence sur l’Église chrétienne et sur la pensée euro-péenne sera considérable. Il y plaidait pour le salut horsdu monde, c’est-à-dire pour une vie spirituelle dédiéeaux valeurs morales et religieuses, et pour le renoncementà la recherche des plaisirs et des intérêts d’ici-bas. Enopposant ainsi le temporel et le spirituel, le monde d’ici-bas et la « cité de Dieu », tournée vers l’au-delà, l’Églisechrétienne, à la suite de saint Augustin, détournera pourlongtemps la libido sciendi (le désir de savoir) du travailempirique pour la circonscrire à la théologie.

On se souvient qu’Hérodote était originaire d’AsieMineure, une porte grecque ouvrant sur la Perse etl’Inde. Près de dix siècles plus tard, saint Augustin, lui,était originaire d’Afrique du Nord, éduqué dans laculture gréco-latine et nourri par les récits de la chute deCarthage, une superbe cité et un comptoir commercialdoté d’immenses réseaux sur le territoire africain, quiavait osé défier Rome lors des guerres puniques, depuis leIIIe siècle avant Jésus-Christ jusqu’à sa destruction en 146avant Jésus-Christ. Hérodote avait rédigé L’Enquête peuaprès la victoire grecque contre les Perses et l’alliance desa cité d’Halicarnasse avec Athènes. Saint Augustin rédi-gea La Cité de Dieu juste après la chute de Rome. Héro-dote était plein d’une curiosité amusée, parfoisaffectueuse, à l’égard des peuples non grecs. Saint Augus-tin ne s’intéressait ni aux Barbares ni à l’histoire deRome. Au contraire, il écrivit La Cité de Dieu pouropposer la cité céleste aux vicissitudes de la cité terrestre,cette Rome occidentale qui périt sous ses yeux.

L’opposition fondatrice du christianisme entre la vie« dans le monde » et « hors du monde » était née. Lemonde, c’était la cité terrestre, le siècle et ses vanités. Lacité céleste, c’est la vie hors du monde, celle des moinesdans les monastères, des ermites dans la solitude, des

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Cré

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28. Luiz de Castro Faria photographie Lévi-Strauss photographiant un Indien nambikwara, 1937. Cf. p. 249.

29. Frantz Fanon à l’hôpital de Blida, 1955. Cf. p. 23 et 263.

Chapitre 7 – Des savants dans la tourmente

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TABLE

Note préliminaire ..................................................... 9

Introduction............................................................ 11Chapitre premier. Avant l’hégémonie européenne.. 25Chapitre 2. La découverte de l’Amérique............... 49Chapitre 3. La volonté de savoir ............................ 77Chapitre 4. Une anthropologie de l’Europe est-elle

possible ? ............................................................. 113Chapitre 5. Des crânes à la culture ........................ 149Chapitre 6. L’âge d’or de l’anthropologie sociale.... 187Chapitre 7. Des savants dans la tourmente............ 229Chapitre 8. Crise et renouveau .............................. 267Conclusion.............................................................. 301Épilogue.................................................................. 307

ANNEXES ............................................................... 313Chronologie.......................................................... 315Références bibliographiques ................................... 327Pour aller plus loin............................................... 339Index ................................................................... 347Remerciements ...................................................... 355

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N° d’édition : L.01EHQN000464.N001Dépôt légal : avril 2015