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  • LA VIE DU PROPHETE

    MOHAMED () Abul hasan Ali Nadwi

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    INTRODUCTION Au nom dAllah, le Tout Misricordieux, le Trs Misricordieux.

    Gloire Allah, Seigneur des mondes, et que la paix et les bndictions soient sur le Sceau des messagers, dont la position est leve parmi les prophtes, Mohammed, ainsi que sur sa famille, ses compagnons et sur tous ceux qui le suivent sincrement, jusquau Jour du Jugement. Lcole dans laquelle lauteur de ces lignes prit ses premires leons fut comme une ppinire qui permit aux enseignements du Prophte () de senraciner profondment dans son esprit. Lge auquel il fut inscrit cette institution bnie tait beaucoup plus prcoce que celui auquel les enfants, dordinaire, frquentent lcole ; il sagissait en fait de sa propre maison. Lair parfum quil y respirait et les bonnes manires dont y il fut imprgn prenaient leur source dans les enseignements authentiques du Prophte (). On attendait de chaque enfant de la maisonne quil imite le comportement du Prophte (), conformment la tradition de cette famille dans laquelle la petite collection de livres pour jeunes, compose de prose et de posie, et toujours en circulation parmi les enfants, tenait un rle non ngligeable. Plus tard, alors quil tait encore relativement jeune, son frre an, le docteur Hakim Syed Abdoul Ali, qui tait sage et avis, laida dans sa lecture de deux des meilleurs livres rdigs en ourdou sur la vie du Prophte (). Aprs larabe, lourdou est la seule langue qui possde un tel trsor de littrature sur le sujet et ce, grce aux travaux de plusieurs crivains contemporains.

    Lorsque lauteur de ce livre put apprendre larabe et ds quil le connut suffisamment pour pouvoir en apprcier la littrature, il lut avec un intense intrt deux des premires biographies du Prophte (). Lune delles tait celle de Ibn Hisham, intitule As-Sirat an-Nabawiyah, tandis que lautre tait Zad al-Maad, de Ibn Qayyim. Il ne fit pas que les lire ; il sabsorba compltement dans ltude de ces livres, et une certitude, une conviction inbranlables gagnrent son cur et son esprit. Il se mit ressentir un tendre sentiment daffection envers le Prophte () dont la vie, remplie dvnements palpitants et mouvants, constitue, aprs le Coran, linspiration la plus puissante et la plus propre influencer le comportement, former le caractre et faire natre la ferveur de lesprit. Outre ces deux livres, il lut aussi avidement tous les ouvrages traitant du mme sujet qui lui tombaient sous la main, en ourdou et en anglais. Ces tudes intensives se sont refltes dans ses crits qui, jusqu maintenant, ont toujours relat certains faits de la vie du Prophte (). La chaleur, la vigueur et la franchise que lon retrouve sous sa plume, la lucidit du style avec lequel il exprime ses ides, ont toujours man du charme fascinant quexerait sur lui cet archtype de la perfection, cette source inpuisable dinspiration qui le maintenait en verve et alimentait son imagination, atteignant des sommets sublimes et ingals. En fait, tous ses crits refltent dune manire ou dune autre llgance de ce moule prophtique ou encore sa propre analyse de la sagesse profonde qui dcoule des bonnes manires prophtiques.

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    Ses articles dcrivant les diffrents aspects du noble caractre du Prophte () et ses merveilleuses ralisations ont t publis dans la collection intitule Karavan-i-Medina.

    Lauteur de ce livre a rdig de nombreux ouvrages, mais jamais il navait eu loccasion de rdiger un recueil sur la vie du Prophte (), bien quil et toujours cru qutait ncessaire une nouvelle biographie crite dans un style accessible aux esprits contemporains et qui utiliserait la fois les sources anciennes et celles plus modernes. Sans dvier du Coran et des hadiths, cette bauche biographique devait tre base sur la source originale ; cependant elle ne devait pas tre un simple recueil encyclopdique qui compilerait sans tude critique tous les lments qui ont dj t rapports, sans tenir compte de leur pertinence. Les biographies de ce genre furent en vogue un certain moment, mais elles donnaient naissance des doutes et propageaient des erreurs sans aucun fondement ; elles taient une source de proccupation malvenue dans lesprit des musulmans eux-mmes. Plusieurs savants et rudits (exempts des prdispositions sceptiques des modernistes et des orientalistes) ont dj rpondu de manire satisfaisante aux objections souleves. Un tel travail devait aussi tre en accord avec les vrits et les ralits spirituelles qui sont indispensables pour bien saisir la vraie nature de la rvlation, la porte de la sagesse prophtique, les miracles accomplis et les vnements obscurs qui se sont produits. De plus, elle devait tre crite par une personne capable de ressentir de la confiance envers le Prophte () non seulement en tant que leader national ou homme dtat, mais en tant que Messager de Dieu envoy pour guider lhumanit tout entire. Seule une biographie rdige de la sorte, sans rserve ni raisonnement spcieux, pouvait tre prsente aux personnes instruites, objectives et sans parti pris (musulmanes ou non). Cest pourquoi lauteur a privilgi les sources dorigine dans sa description des vnements et de la personnalit du Prophte () et les a relates de manire ce que les faits puissent parler deux-mmes, laissant le lecteur tirer ses propres conclusions. Le rcit de la vie du Prophte () constitue un exemple vivant de la manire dont il a su transmettre les valeurs du bien. Lauteur na donc nullement eu besoin dchafauder des thories ou de philosopher sur ce point. Pour tre franc, la vie du Prophte (), de par son charme, sa grce, son harmonie, son excellence et son efficacit, ainsi que lattrait que sa personne eu et continue davoir, navaient pas besoin dcrivains au style raffin et utilisant des mots recherchs pour les mettre en valeur. Il fallait uniquement tenter de narrer les faits prcis et de les agencer harmonieusement, dans un style simple et sans affectation.

    Par ailleurs, le rcit de la vie du Prophte ncessitait une approche la fois intellectuelle et motionnelle. En effet, un traitement strictement acadmique du sujet, accompagn dune froide analyse et dun raisonnement purement logique aurait pass sous silence la dlicate chaleur humaine et le charme se dgageant de la personne du Prophte () dont lclat cleste est indispensable la comprhension des faits et des vnements intimement associs la croyance et la foi. Quiconque aurait voulu raconter en dtails la vie du Prophte () en laissant de ct les motions vives qui la caractrisent aurait abouti, sans doute, une numration

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    assidue mais trs aride des vnements; a aurait t une histoire impressionnante et frappante, mais elle naurait pas transmis lessence ni la substance du caractre prophtique. Inversement, il tait tout aussi essentiel de ne pas laisser la crdulit nave compromettre la validit du jugement intellectuel qui fait, de nos jours, office de test rationnel. Une telle uvre ne devait pas aller lencontre des principes tablis du raisonnement logique ni tomber dans un loge bat guid par une foi aveugle acceptable seulement pour les musulmans dont ladhsion est dj bien acquise ou pour les harangueurs de la foi traditionnels qui vivent dans un monde imaginaire sans rapport ni lien avec le monde extrieur moderne daujourdhui. Une foi sans faille anime de la flamme dun amour ardent est sans aucun doute une bndiction divine, cependant on ne doit jamais oublier quil sagit de la vie du Messager dAllah, qui fut envoy en tant que misricorde lhumanit tout entire. Sa bndiction doit tre accessible toute frange de lhumanit mme si elle na pas eu loccasion de grandir dans un milieu musulman. Il se pourrait que le Seigneur, dans Sa Misricorde, veuille bnir ces personnes et leur fasse entrevoir la lumire qui filtre tout au cours de la vie du Prophte (). Les non-musulmans ont autant droit dtudier et de bnficier de la vie du Prophte () que les musulmans ; en fait, ils devraient tre prioritaires car ce sont eux qui en ont le plus besoin.

    Lorsque lon relate la vie du Prophte (), il ne faut pas passer sous silence lpoque et les circonstances dans lesquelles il a volu. Nous devons donc dresser un portrait exact des conditions qui prvalaient partout dans le monde au cours de la priode pr-islamique. Il est ncessaire de dcrire la confusion universelle, la dgradation des murs, lagitation et le dsespoir spirituel dans lesquels les tres humains taient tombs durant le sixime sicle, ainsi que les raisons sociales, conomiques et politiques dont leffet conjugu a produit cette morne atmosphre. Les raisons de cette dgradation globale gouvernements tyranniques, religions dnatures, courants de pense extrmistes et fallacieux, mouvements vous la perte et appels trompeurs staient en quelque sorte conjugues pour mener le monde dalors une destruction complte. Lauteur se rappelle encore combien il a t difficile de prsenter une image fidle de la dpravation qui rgnait lge pr-islamique, au cours de la priode paenne, dans lintroduction de son livre intitul Madha Khaser al-Alam, binhitat il Muslimin. Il a eu parcourir toute la littrature historique occidentale se rapportant cette priode et en recrer le droulement en recoupant et en consolidant plusieurs rcits dtaills parpills dans de nombreux ouvrages.

    Cette introduction la vie du Prophte (), que nous venons maintenant de dcrire de manire plus dtaille, devrait aider le lecteur apprcier, surtout eut gard au monde dcadent dalors, lnorme accomplissement de la sagesse prophtique, la grandeur desprit qui la caractrise, ltendue de sa porte et la manire dont elle a ouvert les esprits. La flamme prophtique a contribu rsoudre des problmes longtemps considrs comme insolubles, et harmoniser des situations et des motivations en apparence irrconciliables. Les plus grandes ralisations du prophte Mohammed () sont en fait davoir raviv lespoir des curs humains dsesprs, davoir ramen les tres humains sur la voie de la droiture, davoir purifi les esprits

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    et les curs des vices qui les contaminaient et davoir lev lhumain vers une spiritualit sublime. Cest seulement lorsque le lecteur pourra se faire une ide prcise de la complexit et de la difficult des tches auxquelles le Prophte () et ses compagnons furent confronts que le gigantisme et lampleur de leur entreprise pourront tre pleinement mesurs. moins dtre parfaitement au courant des conditions sociales, conomiques et politiques qui prvalaient alors Mdine, on est souvent dans limpossibilit de comprendre les dcisions prises par le Prophte (). La situation gographique de Mdine, la topographie mme des lieux, le lien qui existait entre les tribus avoisinantes, lquilibre des forces tabli par les prcdents traits juste avant la Hijrah, les rgles et coutumes tribales, ainsi que le code dtique national devraient tous entrer en ligne de compte pour nous donner une ide de la tournure prise par les vnements.

    Quiconque voudrait tudier la vie du Prophte () en faisant abstraction de ces faits primordiaux serait pareil un voyageur qui emprunte un tunnel sombre ne voyant ni sa droite ni sa gauche et ne sachant pas mme o il mergera la fin du tunnel.

    Tout ce que nous venons de dire propos de la ville de Mdine est galement vrai pour les rgions alors civilises autour de lArabie. Nous ne pouvons mesurer limportance de lappel de lislam ni apprcier les aventures lies son destin si nous ne sommes pas au courant du rgne despotique, mais aussi de ltendue et de la splendeur des royaumes avoisinants, de leur culture, leur civilisation, leur puissance militaire et les individus prtentieux qui les gouvernaient dans la pompe et lapparat, ces mmes individus qui le Prophte () a envoy ses missaires afin quils acceptent lislam. Les recherches rcentes ont rvl de nouvelles donnes jusquici inconnues et dont les historiens navaient quune ide trs approximative propos de la culture, des vnements et des pays en priphrie de lArabie. Une personne qui sattle la biographie du Prophte () doit maintenant utiliser au mieux ces nouvelles dcouvertes archologiques prhistoriques et prsenter les faits en conformit avec les mthodes les plus rcentes dtudes comparatives.

    Celui qui crit ces lignes est pleinement conscient des difficults mentionnes ci-haut, ainsi que de lexistence dune multitude douvrages en diverses langues qui traitent de la vie du Prophte (). Cependant, il considre comme un honneur de faire partie de la longue liste des biographes du Prophte () et dentamer un nouveau rcit de la vie du personnage le plus aimable et le plus admirable de tous les temps.

    Le peu de temps libre dont il dispose, ainsi que sa vue mdiocre, ont toujours t les deux obstacles majeurs laccomplissement de cette tche inspirante. Il tait bien au courant de la nature difficile et dlicate des crits biographiques et ralisait qucrire la biographie du plus grand de tous les prophtes ncessiterait un effort plus grand encore. Il avait en fait dj crit un grand nombre de biographies, plus, peut-tre, que la plupart des crivains contemporains, car il a eu le bonheur de relater les grandes ralisations des grands rformateurs et des instigateurs du renouveau de la foi. La rdaction de ces rcits qui, mis bout bout, slvent quelques milliers de pages fut

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    aussi grisante, pour lui, que sil avait ctoy ces mes pures. Mais son humilit lui faisait manquer dassurance lorsquil sagissait de satteler la rdaction de la biographie du Prophte (). Il tait pleinement conscient quun auteur peut tre tellement subjugu par un parti pris quil commence peindre un modle de vertu qui est sa propre image. Le portrait qui en ressort est plus le portrait de lauteur lui-mme, car au lieu de retracer les vnements et le cours de la vie de son sujet dune manire objective et impartiale, il commence, inconsciemment, lenvisager la lumire de sa propre exprience et de ses inclinations personnelles.

    Les personnes qui sy connaissent en psychologie et qui sont familires avec les rgles dthique humaines, soit partir de leur propre exprience, soit partir de ltude des comportements et de la manire dtre de leur conjoint ou de leur collgue sur une longue priode ralisent facilement que le langage et les modes dexpression sont souvent inadquats dresser un portrait fidle de la personnalit de quelquun. Il est difficile den dcrire en profondeur les recoins les plus intimes et, surtout, de transmettre lesprit qui anime et claire cette personnalit. Il sagit l dune tche si minutieuse et dlicate quelle peut en paratre insurmontable et elle incombe souvent lauteur lui-mme. En effet, lui seul peut esprer russir ce travail car il a la capacit de faire vibrer ses semblables, dexplorer leurs registres de sentiments et dmotions, de partager la dlicatesse mais aussi la ferveur de leurs passions et de reflter leurs joies et leurs peines. Cet auteur doit avoir le cur assez doux pour percevoir la faon dont les gens passent leurs nuits en solitaires aprs laffairement de leurs journes, comment ils se comportent dans lintimit de leurs maisons et lorsquils sont lextrieur en compagnie de leurs amis, quelle est leur bravoure en temps de guerre et en temps de paix, comment ils ragissent dans le calme et dans lexcitation, dans labondance et dans le besoin, en position de force et en position de faiblesse. En fait, il y a encore de nombreuses cordes sensibles, plusieurs sentiments et susceptibilits chez ltre humain qui demeurent mystrieux et secrets et pour lesquels il nexiste aucun mot appropri, dans aucune langue, mme dans les plus grands dictionnaires de chaque langue.

    De par son lgance et son charme, de par son universalit et son caractre exhaustif, et parce quelle dpeint les sentiments les plus profonds et les plus intimes des tres humains, la biographie du Prophte () constitue une tche de loin plus exigeante que tout autre type douvrage. vrai dire, ce sont seulement les hadiths du Prophte () qui ont rendu possible laccs aux recoins les plus intimes de la psychologie humaine. Il nexiste rien de comparable ces hadiths dans la tradition des autres prophtes ou dans les biographies des grands hommes qui nous sont parvenues. Dans les compilations qui relatent les faits et les paroles du Prophte (), ainsi que dans les premires biographies, nous retrouverons de si ravissantes exaltations de Dieu et des invocations si mouvantes, des supplications tellement passionnes et des oraisons tellement captivantes qui expriment une si grande sincrit pour le bien-tre de lhumanit tout entire que nous avons le souffle coup par lmotion provoque par leur ferveur pntrante. De la mme manire, les paroles et discours du Prophte (), recueillis par ses amis et compagnons, sont des pices littraires de choix qui se

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    dmarquent par lexcellence de leur style et par leur infinie loquence. La disponibilit de tout ce matriel relatif la vie du Prophte () facilite un peu le travail du biographe. En effet, nul nest besoin de singnier captiver lattention du lecteur comme il est coutume de le faire pour les biographies dautres personnes. Sa vie est la plus parfaite, la plus engageante dcrire ; elle est base sur des preuves irrfutables de la rvlation divine et sur des documents historiques au-dessus de tout soupon qui fournissent une description vivante et dtaille de son apparence physique et de sa gnalogie, de son caractre et de ses manires, de son comportement moral et de sa faon de prier, de sa conscience vivante de Dieu et de sa sollicitude envers ses semblables, de la grce et de llgance de ses dires, et de lagencement miraculeux des vnements de sa vie. Ces descriptions, mticuleusement vrifies et consignes avec le plus grand soin ne prsentent, malgr le travail laborieux et colossal entrepris par les premiers biographes, quune vue partielle de lme radieuse du Prophte (). QuAllah puisse tous les rcompenser comme ils le mritent car ils nous ont lgu un trsor inpuisable : la vie du Prophte (), qui est accessible tout un chacun quelles que soient ses origines ou sa race et ce, jusqu la fin des temps. En effet, vous avez dans le Messager dAllah un excellent modle suivre pour quiconque espre en Allah et au Jour dernier et invoque Allah frquemment. (Coran, 33:21)

    Cest probablement pour toutes ces raisons quil ne stait jamais aventur crire une biographie du Prophte (). En fait, il avait toujours considr un tel travail comme au-del de ses capacits. Mais certains de ses amis respectables firent pression sur lui afin quil sattle la rdaction dune biographie du Prophte () en arabe, qui sadresserait la gnration intellectuelle moderne et qui serait en accord avec sa recherche empirique de savoir et son esprit critique, tout en respectant les mthodes dtude scientifiques de lhistoire et de linterprtation historique qui prvalent de nos jours. Chaque gnration jette sur lhistoire un regard qui lui est propre, conforme ltat des connaissances du moment et cest une chose quil est ncessaire de faire. Il en va de mme pour le diagnostique des maladies et les traitements mdicaux qui voluent aussi avec le temps. Cependant, mme sil est essentiel de garder ces ides lesprit, il ne devrait jamais tre ncessaire dapporter sa propre interprtation dvnements du pass de manire les assimiler notre propre idologie et nos prjugs qui diffrent dune personne lautre et changent au gr des jours. De la mme manire, la biographie du Prophte () ne doit donner lieu aucune rcupration par des personnes malintentionnes ou simplement ignorantes, et ne doit pas servir justifier ou perptuer un mouvement social ou politique, ou encore une idologie particulire.

    Finalement, Allah a guid le cur de lauteur vers cette tche et il sy est dvou corps et me. Il est revenu sur les hadiths et a relu les crits biographiques sur le Prophte (), nouveaux et anciens, afin de tirer le meilleur parti de tout ce quil pouvait se procurer. Puis, se basant uniquement sur les ouvrages les plus authentiques qui traitent du sujet, il a entam la rdaction du prsent livre. Les

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    uvres qui lont le plus aid sont les livres de Sihah (Les six grands livres de Hadiths), Sirat Ibn Hisham, Zad al-Maad de Ibn Qayyim et Sirat Ibn Kathir (qui faisait lorigine partie dun livre plus volumineux intitul Al-Bidayah wan-Nihayah, mais qui finalement a pris la forme dune biographie du Prophte en quatre volumes). Il a aussi essay de tirer le meilleur parti de travaux modernes et des sources disponibles dans les langues europennes, dont quelques-unes qui rvlent certains vnements de la vie du Prophte () ou jettent un regard nouveau sur la socit et les royaumes des pays limitrophes de lArabie la naissance de la priode islamique. Il a entrepris de prsenter une description exhaustive de la vie du Prophte (), que ce soit sous laspect de la propagation de la foi, sous laspect ducatif ou celui purement intellectuel, sans jamais quaucune de ces composantes, prise individuellement, ne prenne le dessus sur les deux autres. Il a aussi mis beaucoup defforts rendre le rcit aussi clair, aussi facile lire et aussi abordable que possible, ce qui, en soit, peut inciter le lecteur vouloir suivre lexemple du Prophte () dont la vie et la mission sont ingales et uniques. Ce quil prsente est donc la biographie du plus grand homme qui ait jamais foul la terre, sans pareil dans aucune religion ou mouvement politique, en tant parfaitement confiant du magntisme quelle aura sur les lecteurs. Par prudence, il ne placera donc devant les lecteurs que la description authentique des vnements, sans vouloir les embellir ou les parer daucune manire. Car en dernier ressort, le langage de la Vrit est toujours direct, simple, et sans fioriture.

    Doctobre 1975 (Shawwal 1395) octobre 1976 (Shawwal 1396), lauteur sest entirement dvou cette tche, part quelques courtes priodes de maladie ou de voyages, et il a pu remettre le manuscrit de la version arabe lditeur la fin du mois de Shawwal 1396.

    Il fait plaisir lauteur dexprimer sa reconnaissance deux de ses amis qui lont beaucoup aid crire ce livre. Le premier, Mawlana Bourahanouddin Sambhali, professeur de hadith Nadwatoul Oulama, lui a t dun grand secours en trouvant les hadiths pertinents et en vrifiant un certain nombre de sujets mentionns par les biographes de la premire heure. Le second, Mohiouddin Ahmad, un collgue qui a aid lauteur en parcourant les sources occidentales, les encyclopdies et toute la littrature historique. Mohiouddin Ahmad a galement traduit louvrage en anglais. QuAllah les rcompense tous deux pour leur aide sincre et leur ardeur au travail.

    Depuis quelque temps, lauteur a pris lhabitude de dicter ses crits cause de sa mauvaise vision. De ce fait, il a du recourir quelques tudiants de Daroul Ouloom. Parmi ceux-ci, deux tudiants, Mohammed Mouadh de Indore et Ali Ahmad Goujrati, ainsi quun jeune professeur de Nadwi Oulama, Nour Alam Amini Nadwi, lont aid plus particulirement. Quant aux cartes gographiques inclues dans ce livre, une attention toute particulire a t consacre les tablir de la manire la plus prcise possible, car elles sont essentielles la comprhension des situations gopolitiques dcrites. Tandis que Mohammed Hasan Ansari (matrise en gographie), et le professeur Mohammed Shafi, Vice-Chancelier et chef du dpartement de gographie luniversit islamique dAligarh, ainsi que ses

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    collgues, ont pris un intrt particulier prparer ces cartes, dutiles suggestions ont t apportes par Mohammed Rabey Nadwi, chef de dpartement de littrature arabe Daroul Ouloom, Nadwatoul Oulama, qui est aussi lauteur dun ouvrage de rfrence sur la gographie de lArabie . Mille mercis, galement, Mahmood Akhtar, de luniversit dAllahabad, pour avoir tabli de nouvelles versions de ces cartes pour les besoins des versions ourdou et anglaise. En dernier lieu, il faut mentionner le neveu de lauteur, Syed Mohammed Al-Hasani, qui a traduit cet ouvrage en ourdou avec le mme enthousiasme que certains des premiers ouvrages arabes de lauteur. QuAllah les bnisse tous pour leur dur labeur.

    Enfin, lauteur implore la misricorde dAllah pour lui-mme et supplie le Seigneur de rendre son travail bnfique ceux qui le parcourront. Si cet ouvrage russit susciter lamour du Prophte () dans les curs des musulmans ou crer chez les non-musulmans une soif den savoir plus propos de cet tre bni et de ses enseignements, lauteur considrera ses efforts pleinement rcompenss. Cependant, la vraie rcompense quil souhaite et convoite ardemment serait quAllah accepte ce travail afin quil soit, pour lui, un moyen de trouver son Salut dans lau-del.

    Rae Bareli

    Le vendredi 15 dcembre 1978

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    LEPOQUE DE LIGNORANCE LES CONDITIONS RELIGIEUSES

    Avant lpoque islamique, les grandes religions du monde avaient illumin celui-ci de la lumire de la foi, de la moralit et du savoir ; mais ds le sixime sicle de lre chrtienne, chacune delles avait dj dshonor son nom. Avec le temps, des innovateurs perfides, des dissimulateurs sans scrupules, des prtres et des prdicateurs impies avaient tant et si bien altr les critures et fauss les enseignements et les commandements de leurs religions respectives quil tait devenu quasi impossible de se rappeler leur forme et leur contenu dorigine. Si le prophte de lune ou lautre de ces religions tait revenu sur terre, il aurait sans aucun doute rejet sa prtendue religion et accus ses fidles dapostasie et didoltrie.

    cette poque, le judasme avait t rduit un amalgame de rituels et de sacrements ternes et sans vie, dnus de toute signification. De plus, en tant que religion soutenant la division raciale, il navait jamais eu aucun message transmettre aux autres nations ou destin au bien-tre de lhumanit en gnral.

    Il ntait pas mme rest fidle sa croyance en lunit de Dieu (croyance qui avait constitu, par le pass, sa principale caractristique et qui avait lev ses fidles un niveau suprieur celui des adeptes des anciens cultes polythistes), telle quenjointe par le prophte Abraham ses fils et son petit-fils, Jacob. Sous linfluence de leurs puissants voisins et conqurants, les juifs avaient adopt de nombreuses croyances et pratiques idoltres, ce que les autorits juives modernes reconnaissent : La colre des prophtes contre lidoltrie dmontre, cependant, que le culte des dits tait profondment ancr dans le cur du peuple isralite, et il semble quil nait t totalement supprim quaprs le retour de lexil babylonien travers le mysticisme et la magie, plusieurs ides polythistes se sont de nouveau immisces parmi le peuple, et le Talmud confirme le fait que ladoration idoltrique est sduisante. 1

    La Gemara babylonienne2 (si populaire au cours du sixime sicle quelle tait souvent prfre la Torah par les juifs orthodoxes) illustre de faon typique le caractre rudimentaire de la comprhension intellectuelle et religieuse des juifs du sixime sicle, et cela en raison des commentaires factieux et imprudents sur Dieu, ainsi que des nombreuses croyances et ides totalement absurdes et scandaleuses que lon y retrouve, ce qui dnote non seulement un manque de sensibilit, mais aussi un manque de consistance avec la croyance monothique juive. 3 Ds ses dbuts, la chrtient tait livre la ferveur de ses vanglistes trop zls, linterprtation arbitraire de ses principes par des pres de lglise ignorants, et liconoltrie des paens convertis la chrtient. La doctrine de la trinit, qui sest accapare la premire du dogme chrtien ds la fin du quatrime sicle a t dcrite ainsi dans la New Catholic Encyclopedia : Il est difficile, dans la seconde moiti du

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    20e sicle, de prsenter un expos clair, objectif et honnte de la rvlation, de lvolution doctrinale et de la conception thologique du mystre de la trinit. Le dbat trinitaire, tel que conu par les catholiques romains ou par dautres dnominations, nest pas aussi homogne quon le croit. Deux choses se sont produites. Une entente entre les exgtes et les thologiens bibliques, incluant un nombre croissant de catholiques romains, selon laquelle nul ne doit discuter de la trinit telle que prsente dans le Nouveau Testament sans tre rellement qualifi. Et une entente parallle entre les historiens du dogme trinitaire et les thologiens mthodiques selon laquelle lorsque quelquun parle de trinitarisme non-qualifi, il fait alors rfrence la priode comprise entre les origines de la chrtient jusquau dernier quart du 4me sicle. Car ce nest qu ce moment-l que ce qui pourrait tre appel le dogme trinitaire dfinitif un Dieu en trois personnes a t profondment assimil la vie chrtienne et au mode de pense chrtien. 1 Retraant les origines des coutumes, rites, festivals et offices religieux paens chez les idoltres convertis au christianisme, un autre historien de lglise chrtienne nous fait un compte rendu explicite dmontrant quel point les premiers chrtiens sefforaient dimiter les nations paennes. Le rvrend James Houston Baxter, professeur dhistoire ecclsiastique lUniversit de St. Andrews, crit, dans son ouvrage intitul The History of Christianity in the Light of Modern Knowledge (Lhistoire de la chrtient la lumire des connaissances modernes) : Si le paganisme a disparu, cest moins par anantissement que par absorption. Presque tout ce qui tait paen a survcu en tant transmis au christianisme, qui lui a donn une appellation chrtienne. Privs de leurs faux dieux et hros, les hommes ont facilement et plus ou moins consciemment revtu des attributs de ces dieux et hros un martyr local, en plus de donner son nom une de leurs statues, reportant sur lui le culte et la mythologie associs aux dits paennes. Avant mme la fin du sicle, le culte du martyr tait devenu universel et ce fut le premier pas vers l imposition dun tre humain difi comme intrmdiaire entre Dieu et lhomme qui, dune part, tait une consquence de larianisme et qui, dautre part, allait tre lorigine de nombreuses pratiques et de la foi typiques de lpoque mdivale. Plusieurs festivals paens furent adopts et renomms ; ds lan 400, le jour de Nol, qui tait en fait lancien festival du soleil, tait devenu le jour de naissance de Jsus. 1 Ds le dbut du sixime sicle, lantagonisme entre les chrtiens de Syrie, dIrak et dgypte sur la question des natures humaine et divine de Jsus les a pousss des empoignades froces. Le conflit avait pratiquement transform chaque maison, glise et sminaire chrtiens en camp ennemi, chacun condamnant et houspillant son adversaire tout en nourrissant envers lui des penses sanguinaires. Les hommes dbattaient avec acharnement propos des nuances les plus subtiles de la foi et jouaient leur vie sur les questions les plus insignifiantes2, comme si ces diffrences quivalaient une confrontation entre deux religions ou deux nations antagonistes. Par consquent, mme pour le salut de lhumanit, les chrtiens ntaient point disposs mettre de lordre dans leurs affaires ni contenir la mchancet toujours croissante dans le monde, pas plus quils nen avaient le temps.

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    Ds les temps les plus reculs, en Iran, les mages adoraient, dans les oratoires ou dans les temples du feu, quatre lments1 (parmi lesquels le feu tait le principal objet de dvotion) pour lesquels ils avaient labor tout un ensemble de rituels et de commandements. En pratique, cette populaire religion ne comportait que ladoration du feu et ladoration de Houare-kishaeta, ou le Soleil Brillant. Certains rituels accomplis dans un lieu de culte, voil tout ce quexigeait deux cette religion ; ds quils sen taient acquitts, ils taient libres de vivre comme bon leur semblait. Rien ne pouvait donc distinguer un mage dun semblable non-consciencieux et perfide.

    Dans LIran Sous les Sassanides, Arthur Christensen crit : Il incombait aux fonctionnaires de prier le soleil quatre fois par jour, en plus du feu et de leau. Des hymnes diffrents taient prescrits pour le lever et pour le coucher, pour le moment de prendre un bain, pour manger, boire, renifler, se coiffer, se couper les ongles, se soulager et allumer les bougies ; chacun de ces hymnes devait tre rcit chacune de ces occasions avec la plus grande attention. Cest aux prtres que revenait le devoir dentretenir, de purifier et de surveiller le feu sacr qui jamais ne devait steindre et qui jamais ne devait entrer en contact avec de leau. Par ailleurs, aucun mtal ne devait jamais rouiller car les mtaux taient, eux aussi, rvrs dans cette religion. 2

    Pour faire leurs prires, les fidles devaient toujours faire face au feu sacr. Le dernier empereur iranien, Yozdgard III, fit un jour un serment en disant : Par le soleil, qui est le plus grand de tous les dieux ! . Il avait ordonn ceux qui avaient renonc la chrtient pour revenir leur religion premire dadorer le soleil publiquement afin de prouver quils taient sincres.1 Le dualisme, i.e. le conflit des principes du Bien et du Mal, avait t dfendu pendant si longtemps par les Iraniens quil tait devenu la marque, ou le symbole de leur credo national. Ils croyaient que Ormuzd tait celui qui crait tout ce qui tait bien et bon et que Ahriman crait tout ce qui tait mauvais, que les deux taient en guerre constante et quils gagnaient une bataille tour de rle. 2 Les lgendes zoroastriennes dcrites par les historiens des religions ont une grande ressemblance avec la hirarchie de dieux et de desses et le ct fabuleux des mythologies hindoue et grecque. 3

    De lInde lAsie centrale, le bouddhisme a t transform en religion idoltre. Partout o les bouddhistes allaient, ils y amenaient leurs statues de Bouddha et les y installaient. 4 Bien que la religion tout entire, de mme que la vie culturelle des bouddhistes, ait t clipse par lidoltrie, les tudiants des sciences religieuses se demandent srieusement si Bouddha tait un nihiliste ou sil croyait en lexistence de Dieu. Ils stonnent que cette religion ait pu subsister en labsence de foi ou de croyance en ltre premier. Au sixime sicle, lhindouisme avait dpass toutes les autres religions quant au nombre de dieux et de desses quil comportait. Au cours de cette priode, 33 millions de dieux et desses ont t adors par les hindous. La tendance considrer tout chose pouvant nuire ou aider comme un objet de dvotion personnelle tait son apoge, encourageant ainsi la sculpture sur pierre orne de motifs indits. 1

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    Dcrivant les conditions religieuses de lInde durant le rgne de Harsha (606-648), peu avant lpoque o lislam fit son apparition en Arabie, lhistorien hindou C.V. Vaidya crit, dans son ouvrage intitul History of Mediaeval Hindu India (Histoire de lInde hindoue mdivale) : Lhindouisme et le bouddhisme taient tous deux des religions idoltres cette poque. Peut-tre mme que dans le bouddhisme, le ct idoltre tait encore plus intense que dans lhindouisme. En effet, cette religion avait dbut avec la ngation de Dieu pour ventuellement aboutir ladoration de Bouddha lui-mme en tant que Dieu Suprme. Les volutions subsquentes du Bouddha ont permis de conceptualiser dautres dieux, tels les Bodhisatvas, et cest ainsi que sest solidement enracine lidoltrie dans le bouddhisme, particulirement au sein du mouvement Mahayana. Cette idoltrie a progress dans toute lInde comme lextrieur de ses frontires, tant et si bien que le mot utilis pour dsigner une idole, en ancien arabe2, ntait nul autre que le nom de Bouddha. 3

    C. V. Vaidya poursuit ainsi : Il ne fait aucun doute qu cette poque, lidoltrie tait rpandue partout travers le monde. De lAtlantique au Pacifique, le monde entier tait submerg par lidoltrie ; la chrtient, le judasme, lhindouisme et le bouddhisme rivalisaient, pour ainsi dire, les uns contre les autres dans leur adoration didoles.[1]

    Un autre historien de lhindouisme met la mme opinion sur la grande passion des hindous pour la multiplicit des dits au sixime sicle. Il crit : Le processus de dification ne sest pas arrt l. Des dieux et des desses de rang infrieur furent ajouts au nombre toujours grandissant de dits jusqu ce quil y ait une multitude de ces dernires, dont plusieurs avaient t adoptes par les personnes les plus primitives qui taient entres dans lhindouisme avec les dieux quelles avaient pour habitude dadorer. On rapporte que le nombre total de dits avoisinait les 330 millions. Dans plusieurs rgions du pays, les dieux de rang infrieur taient autant, sinon plus vnrs que les dieux principaux. 2

    Les Arabes avaient jadis suivi la religion dAbraham et se distinguaient par le fait davoir sur leurs terres la premire Maison de Dieu. Mais lintervalle de temps qui les sparait des grands patriarches et prophtes du pass, ainsi que leur isolement dans les dserts arides de la pninsule arabe avait favoris la naissance, chez eux, dune excrable idoltrie. Cette adoration se rapprochait beaucoup de celle des hindous au sixime sicle. En associant dautres divinits Dieu, ils partageaient la mme foi que tous les autres peuples polythistes. Croyant fermement que ltre Suprme tait second par des dieux de rang infrieur pour la direction et le gouvernement de lunivers, ils taient convaincus que leurs dits possdaient le pouvoir de les aider ou de leur nuire, de leur donner la vie ou la mort. Lidoltrie, en Arabie, avait atteint un point o chaque rgion, chaque clan, et mme chaque maison avait sa propre divinit. 1

    Trois cent soixante idoles avaient t installes lintrieur de la Kaba2 la maison construite par Abraham pour ladoration du Seul et Unique Dieu ainsi que dans sa cour. Non seulement les Arabes honoraient-ils les idoles sous forme de sculptures, ils

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    vnraient galement tous types didoles ; les pierres, les ftiches, les anges, les djinns et les toiles taient leurs dits. Comme ils croyaient que les anges taient les filles de Dieu et que les djinns partageaient Sa divinit3, ils simaginaient quils jouissaient de pouvoirs surnaturels et quils devaient semployer les apaiser afin dassurer leur propre bien-tre.

    LES CONDITIONS MORALES ET SOCIALES

    Telle tait la situation lamentable des grandes religions rvles par Dieu, certaines poques, pour guider lhumanit. Plusieurs pays civiliss, dirigs par des gouvernements puissants, taient de grands centres dapprentissage, de culture et darts ; mais leurs religions avaient t si corrompues que plus rien ne subsistait de leur contenu et de leur sens profond. De plus, sur toute la surface de la terre, il ne se trouvait plus de rformateurs divinement inspirs pour guider lhumanit.

    L'EMPIRE BYZANTIN Le peuple, cras par de lourdes taxes prleves par lempire byzantin4, considrait lallgeance nimporte quel chef dtat tranger comme moins oppressive que lempire de Byzance. Les insurrections et les rvoltes taient devenues si courantes quen 532, le peuple exprima son mcontentement de faon dramatique, Constantinople, par la sdition Nika (sois vainqueur !) au cours de laquelle 30 000 personnes1 perdirent la vie. Le seul passe-temps des chefs et des nobles tait dextorquer, sous divers prtextes, leurs richesses aux paysans tourments et de dilapider ces biens pour satisfaire leurs propres dsirs. Leur engouement pour les plaisirs des sens et les festivits touchait souvent aux limites de la barbarie la plus abominable.

    Les auteurs de Civilization, Past and Present ont dress un tableau saisissant des passions contradictoires de la socit byzantine pour lexprience religieuse, dune part, de mme que pour les divertissements et les loisirs empreints de corruption morale dautre part : La vie sociale byzantine tait marque dnormes contrastes. Le comportement religieux tait profondment enracin dans lesprit des gens. Lasctisme et le monachisme taient rpandus dans tout lempire et, un degr tonnant, mme les gens les plus ordinaires semblaient vritablement sintresser aux discussions thologiques les plus profondes, tandis que la vie quotidienne du peuple tait empreinte dun rel mysticisme religieux. Mais, loppos, ces mmes personnes apprciaient particulirement les divertissements en tous genres. Le grand hippodrome, qui pouvait accueillir plus de 80 000 spectateurs, tait le thtre de courses de chars passionnment disputes qui divisaient la population tout entire en deux factions rivales : les Bleus et les Verts . Le peuple byzantin possdait la fois un amour de la beaut et une propension la cruaut et la mchancet. Ses loisirs taient souvent sadiques et sanglants, ses tortures, horribles, et sa vie aristocratique tait un mlange de luxe, dintrigues et de vices. 1

    Lgypte possdait dimportantes ressources de mas et des navires en abondance dont dpendait largement Constantinople pour sa prosprit, mais la gestion de tous

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    les rouages du gouvernement imprial de cette province ne visait que latteinte dun mme et unique objectif : tirer le meilleur profit des peuples conquis pour le bien-tre des conqurants. Mme dans les affaires religieuses, la politique visant mettre fin lhrsie jacobite tait poursuivie de faon impitoyable.2 Bref, lgypte tait une vache lait dont les dirigeants ntaient intresss qu puiser les ressources sans jamais lui fournir aucun fourrage. La Syrie, un autre territoire considrable de lempire byzantin, a toujours t considre comme un terrain de prdilection pour les politiques expansionnistes du gouvernement imprial. Les Syriens taient traits comme des esclaves ne mritant aucune merci de leurs matres, et jamais ils nauraient pu prtendre un meilleur traitement ou plus dgards de la part de leurs dirigeants. Le montant des taxes quon leur prlevait tait si excessif et leur frquence, si injuste que souvent, les Syriens navaient dautres choix que de vendre leurs propres enfants pour sacquitter de leurs dettes envers le gouvernement. Les perscutions injustifies, la confiscation des biens, lasservissement et les travaux forcs taient quelques-unes des caractristiques de la loi byzantine. 3

    LEMPIRE PERSAN Le zoroastrisme est la plus ancienne religion dIran. Zarathoustra, son fondateur, a vcu aux environs de 600-650 avant Jsus-Christ. Lempire persan, aprs stre dbarrass de linfluence hellnistique, dpassait de loin, en tendue, en richesses et en magnificence lempire byzantin. Ardashir I, larchitecte de la dynastie sassanide, a pos les fondations de son royaume en vainquant Artabanus V en lan 224 aprs Jsus-Christ. lapoge de sa gloire, lempire sassanide stendait aux territoires de lAssyrie, du Khohistan, du Mde, du Fars (la Perse), de lAzerbadjan, du Tabaristan (Mazandaran), de Sarak, de Marjan, de Marv, de Balkh (Bactriane), de Saghd (Sagdonie), du Sigistan (Sistan), de Hirat, du Hurasan, du Khwarizm (Khiva), de lIrak et du Ymen et, pendant un certain temps, contrlait les rgions situes prs du delta de la rivire, i.e. le Sind, le Kutch, le Kathiawar, le Malwa ainsi que quelques autres districts.

    Ctesiphon (al-Madain), la capitale des Sassanides, avait pour allies quelques villes situes sur les deux rives du Tigre. Au cours du cinquime sicle et des annes suivantes, lempire sassanide tait connu pour sa magnificence, sa culture on ne peut plus raffine, ainsi que la vie pleine daisance et les parties de plaisir dont profitait sa haute noblesse.

    Le zoroastrisme a t fond, ds le dpart, sur le concept de la dualit universelle entre les ahura et les daeva, ou les forces du bien et du mal. Au troisime sicle, Mani fit son apparition en tant que rformateur du zoroastrisme. Au dpart, Sapor I (240-271) embrassa les prceptes mis par linnovateur, y resta fidle pendant les dix annes qui suivirent avant de revenir au mazdisme. Le manichisme tait bas sur le dualisme de deux mes opposes chez lhomme, lune bonne et lautre mauvaise. Afin de se dlivrer de cette dernire, selon Mani, une personne devait sadonner au

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    plus pur asctisme et se tenir loin des femmes. Mani passa un certain nombre dannes en exil et retourna en Iran aprs lavnement de Bahram I, mais fut arrt, reconnu coupable dhrsie et dcapit. Ses convertis durent demeurer fidles ses enseignements, car nous savons que le manichisme continua dinfluencer la pense et la socit iraniennes longtemps aprs la mort de Mani. 1

    Mazdak, fils de Bamdad, naquit Nichapour au cinquime sicle. Il croyait au principe dichotomique de la lumire et des tnbres, mais afin dinhiber le mal manant des tnbres, il prchait la communaut des biens et des femmes, que tous les hommes devaient partager galement de la mme faon quils partageaient leau, le feu et le vent. Grce lappui de lempereur Kavadh, les mazdakites gagnrent bientt suffisamment dinfluence pour provoquer un bouleversement communiste dans tout le pays. Les mauvais sujets sarrogrent la libert de semparer des femmes et des biens des autres citoyens. Dans un manuscrit ancien, connu sous le nom de Namah Tinsar, les ravages faits la socit iranienne par lapplication de la version communiste du mazdisme sont dcrits de faon explicite : La chastet et les bonnes manires avaient t abandonns aux chiens. Et furent propulss lavant-scne ceux qui ne se comportaient gure avec droiture et qui navaient ni noblesse ni caractre, pas plus que de biens ancestraux ; totalement indiffrents leurs familles et la nation, ils navaient ni mtier ni profession ; et tant compltement sans cur, ils taient toujours prts crer des ennuis, dissimuler la vrit et calomnier les autres ; car ctait l, pour eux, lunique profession par laquelle ils pouvaient atteindre la richesse et la renomme. 1

    Arthur Christensen conclut, dans Iran under the Sasanids (lIran sous les Sassanides) :

    Il rsulta de tout cela qu plusieurs endroits, des paysans se rvoltrent et des bandits se mirent entrer par effraction dans les maisons des nobles pour semparer de leurs biens et enlever leurs femmes. Des gangsters prirent possession de proprits foncires, ce qui eu pour consquence de dpeupler graduellement les fermes parce que leurs nouveaux propritaires ne connaissaient rien lagriculture.

    LIran antique a toujours eu une curieuse propension souscrire aux appels extrmistes et aux mouvements radicaux car il a de tout temps subit linfluence de concepts politiques et religieux totalement irrconciliables. Il a souvent oscill, comme par action et raction, entre lpicurisme et un clibat des plus stricts et, dautres moments, il a soit cd passivement une fodalit et une royaut despotiques et un clerg grotesque, soit gliss vers lautre extrme, i.e. vers un communisme drgl et licencieux. Toujours, il est pass ct de ce caractre modr, quilibr et gal si essentiel une saine socit.

    Vers la fin de lempire sassanide, au sixime sicle, tout le pouvoir civil et militaire se trouvait entre les mains des empereurs, quune barrire infranchissable sparait du peuple. En effet, ils se considraient comme les descendants de dieux clestes ; Khosro Parviz, ou Chosroes II, stait attribu le titre grandiose de lme

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    immortelle parmi les dieux, et dieu sans gal parmi les tres humains ; glorieux est son nom qui se lve avec le soleil et qui est la lumire de la nuit aux yeux noirs . 2

    Toutes les richesses et ressources du pays appartenaient lempereur. Les rois, les grands et les nobles ne vivaient que pour amasser richesses et trsors, pierres prcieuses et curiosits. Leur unique intrt consistait augmenter leur niveau de vie et sabandonner la gaiet et aux rires, tel point quil est difficile, pour nous aujourdhui, de comprendre leur engouement pour lamusement et la fte. Seul celui qui a tudi en profondeur lhistoire, la littrature et la posie de lIran antique et qui connat bien la magnificence de Ctesiphon, Aiwan-i-Kisra1 et Bahar-i-Kisra2, de la tiare des empereurs, les impressionnantes crmonies de la cour, le nombre de reines et de concubines, desclaves, de cuisiniers et de serviteurs, doiseaux et danimaux en captivit que possdaient les empereurs, et de dresseurs de ces animaux, etc. peut avoir une ide claire des longues suites de plaisirs vertigineuses de leur vie de dbauche. 3 Nous pouvons juger de la vie daisance et de confort dont jouissaient les rois et les nobles de Perse daprs la faon dont Yazdagird III senfuit de Ctesiphon aprs avoir t captur par les Arabes : il prit la fuite avec mille cuisiniers, mille chanteurs et musiciens, mille dresseurs de lopards et mille gardiens daigles, sans compter une suite innombrable. En dpit de tout cela, lempereur tait des plus malheureux parce quil trouvait quils ntaient pas assez nombreux pour lui remonter le moral. 4

    Les gens du peuple taient, en revanche, extrmement pauvres et vivaient dans des conditions misrables. Le fait que les sommes sur lesquelles devaient tre prleves les diffrentes taxes ne fussent pas clairement tablies fournissait aux percepteurs un prtexte pour soutirer des montants exorbitants. Les travaux forcs, les taxes crasantes, la conscription dans larme en tant que valet de pied sans salaire et sans promesse de rcompense taient toutes des raisons qui avaient contraint un grand nombre de paysans abandonner leurs champs pour se rfugier dans les temples et les monastres1 o ils offraient leurs services. Dans leurs guerres sanglantes contre les Byzantins, guerres qui semblaient ne vouloir jamais prendre fin et qui napportaient ni intrt ni profit au commun des mortels, les rois de Perse utilisaient leurs sujets comme chair canon. 2 LINDE La remarquable russite de lInde antique dans les domaines des mathmatiques, de lastronomie, de la mdecine et de la philosophie lui avait valu une solide renomme, mais la plupart des historiens sentendent sur le fait que son dclin social, moral et religieux commena au cours des premires dcennies du sixime sicle. 3 Cest en effet cette poque que des actes de dbauche impudents et rvoltants furent consacrs par la religion, au point o mme les temples taient devenus des cloaques de corruption. 4 La femme avait perdu son honneur et son respect dans la socit, et les valeurs attaches sa chastet nexistaient plus. Il ntait pas rare quun mari ayant perdu aux jeux de hasard donne mme sa femme pour sacquitter de sa dette.5 Pour que soit sauf lhonneur de la famille surtout dans les classes plus leves de

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    noble descendance une veuve devait mourir brle vive au mme bcher funraire que son dfunt mari. Cette coutume, considre par la socit comme un acte de suprme fidlit de la femme envers son dfunt mari6, tait si enracine parmi cette population quelle ne put tre compltement abolie quaprs linstauration de la loi britannique en Inde.

    LInde sest distancie de ses voisins, ou plutt de tous les autres pays du monde, en laborant une stratification inflexible et totalement inhumaine de sa socit base sur lingalit sociale. Ce systme, qui excluait les indignes du pays considrs ds lors comme des parias, fut tabli pour assurer la supriorit des conqurants aryens, tandis que les brahmanes le revtaient dune aura dorigine divine. Il canalisait tous les aspects de la vie quotidienne des gens selon leur hrdit et leur profession et tait soutenu par des lois religieuses et sociales tablies par les enseignants et les lgislateurs religieux. Son code de vie dtaill sappliquait toute la socit, laquelle tait divise en quatre classes distinctes :

    (1) Les brahmanes (ou prtres), qui dtenaient le monopole de la clbration des rites religieux ;

    (2) Les Kshatriyas (ou nobles et guerriers), qui taient censs gouverner le pays ;

    (3) Les Vaisyas (ou marchands, paysans et artisans) ;

    (4) Les Sudras (ou servants non-aryens), qui servaient les trois autres castes.

    Les Sudras ou les dasas (mot qui signifie esclaves ) formaient la majorit de la population ; on croyait quils taient ns des pieds de Brahma et quils formaient donc la classe la plus avilissante, se trouvant au niveau le plus bas de la socit. Selon le Manu Shastra, rien ntait plus honorable, pour un Sudra, que dtre au service des brahmanes et des autres castes suprieures.

    Les lois sociales accordaient la classe des brahmanes certains privilges, ainsi quune position enviable au sein de la socit. Un brahmane qui se rappelle la Rig Veda , dit le Manu Shastra, est totalement innocent et sans pch, mme sil profane les trois mondes. Aucune taxe ntait impose un brahmane et il tait impossible de lexcuter pour un crime, quel que ft ce crime. Les Sudras, en revanche, ne pouvaient acqurir aucun bien ni en garder sils en recevaient dune faon ou dune autre. Nayant pas mme le droit de lire les critures sacres, les Sudras ntaient pas autoriss sasseoir prs dun brahmane ni le toucher. 1

    LInde se tarissait et perdait de sa vitalit. Divise en de nombreux petits tats, luttant tous entre eux pour la suprmatie, le pays tout entier tait abandonn lanarchie, la mauvaise gestion et la tyrannie. De plus, le pays stait coup du reste du monde et stait retir dans sa coquille. Ses croyances arrtes et la rigidit toujours plus grande de sa structure sociale, de ses normes, rites et coutumes inquitables avaient rendu son tat desprit rigide et statique. Sa mentalit de clocher et ses prjugs bass sur le sang, la race et la couleur portaient en eux les germes de

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    la destruction. Vidya Dhar Mahajan, anciennement professeur dhistoire au Punjab University College, crit, sur la situation de lInde la veille de la conqute musulmane : Les citoyens de lInde vivaient isols du reste du monde. Ils taient si contents deux-mmes quils ne sintressaient gure ce qui se passait lextrieur de leurs frontires. Leur ignorance quant aux vnements et aux dveloppements qui avaient lieu en dehors de chez eux les mettait en position de faiblesse en plus de crer chez eux un sentiment de stagnation. La dcadence les entourait de toutes parts. La littrature, durant cette priode, tait en veilleuse. Larchitecture, la peinture et les arts taient galement affects de faon dfavorable. La socit indienne tait devenue statique et son systme de castes, dune grande rigidit. Les intouchables taient forcs de vivre en dehors des villes. 1 LARABIE Lide mme de la vertu et de la moralit tait totalement inconnue aux anciens bdouins. Grands amateurs de vin et de jeux de hasard, ils avaient le cur assez dur pour enterrer vivantes leurs propres filles. Le pillage des caravanes et les meurtres commis de sang froid pour des sommes misrables taient les mthodes typiquement utilises pour subvenir aux besoins des nomades des nomades. Les jeunes bdouines ne jouissaient daucun statut social, pouvaient tre troques comme nimporte quelle marchandise ou nimporte quel btail changeable, ou encore tre hrites par les lgataires du dfunt. Il y avait certaines nourritures rserves pour les hommes seulement, que les femmes navaient pas le droit de toucher. Un homme pouvait avoir autant dpouses quil le souhaitait, tout comme il pouvait se dfaire de ses enfants sil navait pas les moyens dassurer leur subsistance. 2

    Des liens sacrs de fidlit liaient le bdouin sa famille immdiate et tendue, ainsi qu sa tribu. Les batailles et les incursions taient pour lui un divertissement sportif et le meurtre, une affaire insignifiante. Un incident sans importance pouvait parfois provoquer une guerre longue et sanglante entre deux puissantes tribus. Souvent, ces guerres se poursuivaient pendant aussi longtemps que quarante annes, au cours desquelles des milliers dhommes de chaque tribu finissaient par connatre une mort violente. 1

    LEUROPE Au dbut du moyen-ge, le flambeau du savoir se mit vaciller faiblement, et tous les exploits littraires et artistiques de lpoque classique semblaient destins tre perdus jamais sous linfluence des jeunes et vigoureuses races germaniques qui staient leves jusquau pouvoir politique dans le Nord et lOuest de lEurope. 2 Les nouveaux dirigeants ne trouvaient ni plaisir ni honneur dans la philosophie, la littrature et les arts des nations sises lextrieur de leurs frontires, et semblaient tre aussi grossiers que leur esprit tait rempli de superstitions. Effrays par les horribles fantmes manant de leur cerveau en dlire, 3 leurs moines et membres clricaux, dont la vie tait une longue routine datroces et inutiles tortures quils sinfligeaient eux-mmes, abhorraient la compagnie des tres humains. Ils en taient

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    encore dbattre de la question savoir si la femme a lme dun tre humain ou celle dun animal, ou encore si elle possde un esprit fini ou infini. La femme, de son ct, ne pouvait ni acqurir de biens ni hriter, pas plus quelle navait le droit de vendre quoi que ce ft.

    Dans son livre intitul The Making of Humanity, Robert Briffault crit : Du cinquime au dixime sicle, lEurope sombrait dans une nuit de barbarisme dont les tnbres spaississaient de plus en plus. Ctait un barbarisme de loin plus affreux et horrible que celui des sauvages primitifs, car il sagissait du corps en dcomposition de ce qui avait nagure t une grande civilisation. Toute empreinte et marque de civilisation avaient t compltement effaces. L o son dveloppement avait t son apoge, i.e. en Italie et en Gaulle, tout ntait plus que ruine, misre et dissolution dliquescence. 1

    LPOQUE DE LA GRANDE NOIRCEUR ET DE LA DPRESSION Le sixime sicle, i.e. celui au cours duquel le Prophte de lislam a vu le jour, tait lpoque la plus sombre de lhistoire, une priode des plus dprimantes o lhumanit, sombrant dans un dcouragement total, avait abandonn tout espoir de renouveau et de renaissance. Cest l la conclusion tire par lillustre historien H.G. Wells, qui rsume ltat dans lequel se trouvait le monde au moment o les empires sassanide et byzantin seffritaient jusqu un puisement proche de la mort : La science et la philosophie politique semblaient bel et bien mortes, ce moment-l, dans ces deux empires dcadents en guerre lun contre lautre. Avant de disparatre, les derniers philosophes dAthnes avaient prserv, avec beaucoup de respect, les grands textes littraires du pass. Mais il ne se trouvait plus dhommes valeureux dans le monde, de penseurs indpendants et audacieux pour perptuer une longue tradition de franc-parler, de curiosit et dtudes objectives qui se manifestaient dans ces crits. Le chaos social et politique explique en grande partie la disparition de cette classe de personnes, mais il existe une autre raison pour laquelle lintelligence humaine tait strile cette poque : autant en Perse qu Byzance, ctait une poque dintolrance. Les deux taient des empires religieux, et ils ltaient dune faon qui entravait grandement les libres activits de lesprit humain. 1

    Le mme crivain, aprs avoir dcrit les vnements ayant men lattaque des Sassanides contre Byzance et, ventuellement, la victoire de cette dernire, nous claire, en ces termes, sur la profondeur de la dgradation morale et sociale dans laquelle ces deux grandes nations avaient sombr :

    Un amateur dhistoire passant le monde en revue au dbut du septime sicle aurait sans doute conclu, de faon tout fait raisonnable, que ce ntait quune affaire de quelques sicles avant que lEurope et lAsie tout entires ne tombent sous la domination mongole. Il ny avait, en Europe occidentale, aucun signe dordre ou dunion, et les empires byzantin et persan taient manifestement vous une destruction mutuelle. LInde, de son ct, tait galement divise et perdue.

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    LE CHAOS MONDIAL En rsum, la race humaine tout entire semblait se diriger trs rapidement vers la voie la plus escarpe et la plus rapide menant lautodestruction. Lhomme avait oubli son Matre et tait devenu, par consquent, oublieux de lui-mme, de son avenir et de sa destine. Il narrivait plus faire la distinction entre le vice et la vertu, entre le bien et le mal, et si ce sentiment venait effleurer son esprit ou son cur, il ignorait ce quil tait car il narrivait plus le reconnatre. Jamais il ne portait lattention de son esprit sur des questions telles que la foi ou lau-del, car il nen avait ni lintrt ni le temps. Il tait beaucoup trop occup pour accorder ne fut-ce quun instant la nourriture de son me, lEsprit, au jour dernier, ou la dlivrance des pchs, servir lhumanit ou rtablir sa propre sant morale. Ctait une poque o, dans un pays tout entier, il tait impossible de trouver un seul homme se proccupant de sa foi, adorant le Seul et unique Seigneur de lunivers sans rien lui associer ou semblant sinquiter sincrement de lavenir de plus en plus sombre de lhumanit. Ctait l la situation qui prvalait alors dans le monde, dcrite de faon si explicite, par Dieu, dans le Coran : La corruption est apparue sur la terre et sur la mer cause de ce que les gens ont accompli de leurs propres mains, afin quAllah leur fasse goter une partie de ce quils ont uvr ; peut-tre reviendront-ils vers Allah ? (Coran, 30:41).

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    LA VENUE DU PROPHTE MOHAMMED Cest par la volont dAllah que lclat glorieux qui allait illuminer jamais les tnbres du monde a jailli du cur de lArabie. Ctait lendroit le plus sombre du globe terrestre ; il avait donc besoin de ltoile la plus rayonnante pour dissiper lobscurit qui lenveloppait.

    Allah avait choisi les Arabes pour porter ltendard de lislam et propager son message aux quatre coins du monde parce que ces gens taient candides et que rien ntait grav sur leur esprit et leur cur, du moins rien qui fut grav assez profondment pour quil fut impossible den faire table rase. Les Romains, les Iraniens et les Indiens, profondment fiers des heures de gloire de leurs arts et de leur littrature, de leur philosophie, de leur culture et de leur civilisation taient accabls par le lourd poids de leur pass ; ils souffraient dun rflexe conditionn de narcissisme qui stait grav de faon indlbile dans leur esprit. cause de leur inexprience et de leur ignorance, ou plutt cause de leur vie nomade, les marques laisses dans la mmoire des Arabes ntaient gure profondes et cest pourquoi elles taient susceptibles dtre facilement oblitres et remplaces par de nouvelles impressions. En phrasologie moderne, nous dirions quils taient atteints de non-rceptivit, laquelle on pouvait facilement remdier, tandis que dautres nations civilises, ayant lesprit rempli dimages du pass, taient hantes par une irrationalit obsessionnelle qui jamais naurait pu tre carte de leurs penses. Les Arabes, relativement nafs et francs, possdaient une volont de fer. Sils narrivaient pas accepter une croyance, jamais ils nhsitaient la combattre avec lpe ; mais, convaincus de la vrit dune ide, ils y restaient fidles contre vents et mares et taient toujours prts sacrifier leur vie pour elle. Cest cette mentalit des Arabes que lon retrouvait chez Souhayl bin Amr, au moment de la rdaction de larmistice de Houdaybia. Le document commenait ainsi : Voici ce quoi a consenti Mohammed, laptre dAllah . Souhayl protesta immdiatement : Par Allah ! Si javais attest que tu es laptre dAllah, je ne taurais pas exclu de Sa Maison ni combattu ! . Et cest cette mme tournure desprit arabe que refltent les injonctions de Ikrama bin Abou Jahl. Poursuivi de prs par les forces byzantines, il scria : Quels imbciles vous faites ! Jai mani lpe contre le Messager dAllah ; croyez-vous donc que jabandonnerai ? . Par la suite, il appela ses compagnons darmes : Y a-t-il quelquun parmi vous qui veuille me faire le serment de mourir ?. Plusieurs hommes soffrirent aussitt et combattirent vaillamment jusqu ce quils soient tous mutils et quils succombent de faon hroque. 1

    Les Arabes taient des gens sincres et sans prtentions, pratiques et srieux, travailleurs, entreprenants et directs. Ils ntaient point hypocrites et dtestaient tre pris au pige. Comme toutes les personnes ayant la franchise dans lme, ils sexprimaient toujours de faon directe, et lorsquils avaient pris une dcision, elle tait irrvocable. Un incident qui eut lieu avant la hijrah (migration) du Prophte,

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    loccasion du second pacte de Aqaba, illustre trs clairement le caractre des Arabes.

    Ibn Ishaq rapporte que lorsque Aus et Khazraj firent serment de leur foi au Prophte Aqaba, Abbas bin Oubada, de Khazraj, dit son peuple : hommes de Khazraj ! tes-vous conscients de ce quoi vous vous engagez en soutenant le Prophte ? Ce sera une guerre envers et contre tous ! Si vous croyez quune fois que vous aurez perdu vos biens et que vos nobles auront t tus vous naurez alors qu le livrer ses ennemis, alors faites-le donc maintenant ; car, par Allah, cela ne fera que vous couvrir de honte en ce monde et dans lau-del. Mais si vous avez dcid de tenir parole mme si vos biens sont dtruits et que vos nobles sont tus, alors allez-y ; car, par Allah, cela vous apportera profit et succs ici-bas comme dans lau-del. . Les hommes de Khazraj rpondirent : Nous promettons notre soutien mme si nous perdons nos biens et que nos dirigeants sont tus ; mais, Messager dAllah, quelle sera notre rcompense pour avoir t fidle notre parole ? . Le Paradis , rpondit le Prophte. Sur ce, ils dirent : Tends-nous la main ; le Prophte saccomplit et ils prtrent serment. 1

    Et, en effet, les Ansar 2 restrent fidles leur engagement. Une rplique que donna, plus tard, Sad bin Muadh au Prophte exprime parfaitement leurs sentiments : Par Allah, si tu poursuivais ta marche jusqu aussi loin que Bark al Ghimad3, nous taccompagnerions ; et si tu dcidais de traverser la mer, nous plongerions avec toi. 4

    mon Seigneur ! Cet ocan a interrompu ma marche alors que je souhaitais la poursuivre afin de proclamer Ton nom sur toutes les terres et mers. 5 Telles furent les paroles dsespres de Ouqba bin Nafi au moment o il atteignit la cte de locan Atlantique. Ces paroles, prononces par Ouqba au moment o sa victorieuse avance tait bloque par locan en disent trs long sur la sincrit, la confiance inbranlable et la volont de fer des Arabes lorsquils accomplissaient une tche dont ils ne doutaient pas de la vracit.

    Les Grecs, les Byzantins et les Iraniens taient des peuples dune trempe diffrente. Habitus perptuer leur domination du moment quils sentaient sur le dclin et saisir toutes les opportunits pour prolonger leur heure de gloire, ils navaient gure le courage de se battre contre linjustice et la brutalit qui svissaient. Aucun idal ni principe ne les intressait ; aucune opinion ni aucun appel ntait assez convaincant pour faire vibrer leurs cordes sensibles, pas suffisamment du moins pour quils aillent jusqu compromettre leur confort et leurs plaisirs quotidiens. Nayant point t altrs par les raffinements et lostentation que lon retrouve chez ceux qui font talage de leurs richesses et de leur luxe dans les cultures suprieures, les Arabes navaient pas dvelopp cette mticulosit qui endurcit le cur et ossifie le cerveau, qui ne permet point aux motions de senflammer et qui toujours agit comme inhibiteur lorsque la foi ou la conviction rveille lenthousiasme. Cest l lapathie qui jamais ne sefface du cur dune personne.

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    Franchement honntes et sincres, les Arabes navaient nullement de got pour lintrigue et la duplicit. Ils taient de courageux et intrpides combattants habitus la vie simple et dure parseme de dangers. Ils passaient le plus clair de leur temps dos de cheval, parcourant le dsert aride. Telles taient les dures rgles essentielles une nation destine accomplir une lourde tche, surtout une poque o laventure et lentreprise devaient suivre les mmes lois que celles des Mdes et des Persans.

    Lignorance gnrale des Arabes ignorance exempte de la honte et des reproches qui laccompagnent habituellement leur avait fait conserver leur vivacit naturelle et leur nergie intellectuelle. trangers au philosophisme et la sophistique, la ratiocination et la chicanerie, ils avaient prserv leur quilibre desprit, leur dtermination et leur ferveur.

    La perptuelle indpendance de lArabie du joug des envahisseurs avait fait des Arabes un peuple aussi libre que les oiseaux ; ils jouissaient des avantages de lgalit entre les hommes et de la beaut sans fard de leur environnement naturel sauvage et ne connaissaient pas la pompe, la majest et lattitude hautaine des empereurs. Le temprament servile du peuple de la Perse antique avait, lui, contribu lever les monarques sassanides au statut dtres surnaturels. Si un roi prenait un mdicament quelconque ou sil devait subir une phlbotomie, une proclamation tait faite dans la capitale obligeant tous les citoyens suspendre leurs activits commerciales ce jour-l. 1 Si le roi ternuait, personne nosait lever la voix pour lui souhaiter la bndiction, tout comme on ne sattendait de personne quil dise amen lorsque le roi prononait une prire. Le jour o le roi rendait visite un noble ou un chef tait considr comme un vnement si mmorable que la famille de lheureux lu, transporte de joie, tablissait un nouveau calendrier qui commenait partir de ce mme jour. Il sagissait dun honneur si rare que le noble qui le roi avait rendu visite tait exempt de taxes durant une priode donne, en plus de jouir dautres rcompenses telles que fiefs et robes dhonneur. 2 Nous pouvons nous imaginer ce que devait tre une audience devant le roi pour ceux qui avait t accorde une telle permission. Les convenances exigeaient de tous les courtisans, mme des plus grands nobles et dignitaires, quils se tiennent debout et en silence, les mains croises au niveau du nombril et la tte incline en signe de rvrence1. En fait, ctait l ltiquette crmonielle exige, pour les audiences, au cours du rgne de Chosroes I (531-579), connu sous les noms de Anoushirvan (lme immortelle) et Adil (le juste). On peut facilement simaginer les crmonials pompeux en vogue au cours du rgne des rois sassanides rputs, juste titre, pour avoir t tyrans et despotes.

    La libert dexpression (la censure et la critique encore moins) tait un luxe que nul ne se permettait jamais dans le vaste royaume des Sassanides. Christensen rapporte, en invoquant lautorit de Tabari, une histoire au sujet de Chosroes I, connu sous le nom de la poussire parmi les rois sassanides, qui dmontre le genre de libert dexpression autorise par les rois iraniens et le prix que devaient payer ceux qui avaient eu limprudence dexprimer tout haut leurs penses.

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    Il rassembla son conseil et ordonna son secrtaire responsable des taxes de lire voix haute les nouveaux tarifs de perception. Lorsque le secrtaire eut termin, Chosroes I demanda deux reprises si quelquun voyait quelque objection aux nouvelles dispositions. Tous gardrent le silence, mais lorsquil posa la mme question une troisime fois, un homme se leva et demanda trs respectueusement si lintention du roi tait dtablir une taxe dune dure illimite sur des biens prissables car si ctait le cas, avec le temps cela deviendrait injuste. Maudit sois-tu, imprudent ! cria le roi, quelle classe appartiens-tu ? Je suis lun des secrtaires , rpondit lhomme. Alors , ordonna le roi, battez-le mort avec vos trousses crayons . Sur ce, chaque secrtaire se mit le battre avec sa trousse crayons jusqu ce que le pauvre homme expire, suite quoi ils sexclamrent : roi, toutes les taxes que tu as perues sur nous, nous les jugeons justes et quitables [1]

    Les conditions horribles dans lesquelles se trouvaient les classes conomiquement faibles dans lInde de lpoque, classes dont les gens taient condamns tre des intouchables par les lois sociales et religieuses promulgues par les Aryens, dfie lentendement humain. Victime dune infme indignit, cette malheureuse classe dtres humains tait traite peu prs de la mme manire que les animaux lexception prs que ses membres appartenaient lespce humaine. Selon cette loi, un sudra qui attaquait un brahmin, ou qui tentait de le faire, devait tre amput du membre qui avait particip lattaque ou la tentative dattaque. Un sudra, sil avait eu la prtention denseigner quoi que ce fut quelquun, tait forc de boire de lhuile bouillante en guise de punition.[2] Dune manire gnrale, la peine encourue pour avoir tu un chat, un chien, une grenouille, un camlon, un corbeau ou un hibou tait la mme que celle encourue pour avoir tu un sudra. 3

    Les mauvais traitements injustifis subis par les sujets des empereurs sassanides ne furent pas le lot des hommes de Byzance ; mais par leur arrogance et leur politique fonde sur ltalage des titres et des attributs de leur toute-puissance, les Csar de Rome avaient toutes les caractristiques de leurs homologues orientaux.

    Au sujet des rgles arbitraires et de la majest des empereurs romains, Victor Chopart crit : Les Csar taient des dieux, mais ils ne ltaient pas par hrdit ; quiconque slevait jusquau pouvoir devenait dieu son tour sans quaucun signe distinctif ne leut fait reconnatre lavance. La transmission du titre dAuguste ntait rgie par aucune loi constitutionnelle ; elle tait acquise par la victoire sur les rivaux et le rle du Snat se limitait ratifier la dcision rendue par les armes. Cette situation devint vidente au cours du premier sicle du principat, qui tait simplement la continuit de la dictature militaire. 1

    Si lon compare la servile soumission de lhomme du peuple de Byzance et de Perse avec lesprit de libert, la fiert, le temprament et le comportement social des Arabes davant lislam, on ne peut que constater la diffrence entre la vie sociale et la disposition desprit des Arabes et celles des autres nations.

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    Puisses-tu tre labri de la fragilit et Je te souhaite un bon matin taient quelques-unes des salutations frquemment utilises par les Arabes pour saluer leurs rois. Ils taient si dsireux de prserver leur dignit, leur amour-propre, leur honneur et leur libert quil ntait pas rare quils refusent de satisfaire aux demandes de leurs chefs ou de leurs dirigeants. Une histoire raconte par les historiens arabes dcrit admirablement les vertus rudimentaires de courage et de franc-parler des Arabes. Un roi arabe rclama une jument appele Sikab son propritaire appartenant la tribu Bani Tamim. Lhomme refusa catgoriquement et, sur-le-champ, composa un pome dont les premires strophes allaient comme suit :

    Sikab est une bonne jument, aussi prcieuse que lor, Trop prcieuse pour tre offerte ou vendue.

    Et, la dernire strophe disait :

    Oublie donc cette ide de te laccaparer

    Car tous tes efforts, je les ferais chouer. 1 Les vertus communes tous les Arabes, hommes et femmes, taient leur fiert presque dmesure, leur grande ambition, leur noble maintien, leur gnrosit magnanime, ainsi quun intense esprit de libert. Nous retrouvons toutes ces particularits du caractre arabe dcrites dans laffaire ayant men au meurtre de Amr bin Hind, le roi de Hira. On rapporte quune fois, Amr bin Hind envoya un missaire chez Amr bin Koulthoum, le fier cavalier et clbre pote de la tribu de Banu Taghlib, afin dinviter ce dernier lui rendre visite. Il lui demandait galement damener sa mre, Layla bint Mouhalhil, afin quelle rencontre sa propre mre. Amr partit donc de Jazira pour se rendre Hira avec quelques-uns de ses amis, et sa mre, Layla, les suivit accompagne dun certain nombre de femmes. Des pavillons avaient t rigs entre Hira et lEuphrate. Dans lun deux, Amr bin Hind reut Amr bin Koulthoum, tandis que Layla sinstalla avec Hind dans une tente voisine. Amr bin Hind, cependant, avait dj donn pour instruction sa mre de congdier les servantes avant le dessert, et ainsi faire attendre Layla. Hind congdia donc ses servantes au moment convenu et demanda son invite : Layla, passe-moi ce plat. . Layla se sentit insulte et sexclama, confuse : Que ceux qui veulent quelque chose aillent le chercher eux-mmes. . Mais en dpit de ce refus, Hind insista jusqu ce que Layla, excde, se mette crier : quelle honte ! laide, Taghlib, laide ! . Le sang de Amr bin Koulthoum se mit bouillir en entendant les cris de sa mre et, semparant dune pe accroche un mur, il porta au roi un seul coup, mortel. Au mme instant, les hommes de la tribu de Banu Taghlib saccagrent les tentes, aprs quoi ils quittrent Jazira toute vitesse. Amr bin Koulthoum a racont cette histoire dans une ode constituant un excellent exemple de lidal de la chevalerie pr-islamique. Elle a t incluse dans le Saba Mouallaqat, ou les Sept Odes Suspendues. 1

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    Nous retrouvons la mme tradition arabe de dmocratie, tempre par une certaine aristocratie, dans une rencontre qui eut lieu entre un envoy arabe, Moughira bin Shouba, et Roustam, le gnral sassanide et administrateur de lempire. Lorsque Moughira fut introduit dans la splendide cour de Roustam, il trouva ce dernier assis sur un trne. Moughira, suivant la coutume des Arabes, savana directement vers lui et sassit sur le trne, ses cts. Les courtisans de Roustam ne perdirent pas une seconde pour le faire descendre du trne de leur chef. Alors Moughira dit : Nous avions entendu dire que vous tiez un peuple des plus sagaces, mais maintenant je me rends compte quil ny a pas peuple plus imbcile que vous. Nous, les Arabes, traitons tout le monde de faon gale et nous ne rduisons personne lesclavage, sauf sur le champ de bataille. Javais prsum que vous vous comportiez avec la mme sagacit envers vos semblables. Mais vous auriez d nous dire que vous aviez lev certains dentre vous au statut de divinit ; nous aurions alors comprit quaucun dialogue ntait possible entre nous. Et dans ce cas, nous naurions pas trait avec vous comme nous lavons fait, pas plus que nous ne serions venus vous voir, bien que ce soit vous qui nous avez invits ici.1

    Une autre raison pour laquelle le dernier Prophte () a t envoy en Arabie est la prsence de la Kaba sur cette terre, la Maison dAllah construite par Abraham et son fils Ismal pour quelle soit le centre de ladoration du Dieu Unique.

    La premire Maison qui ait t difie pour les gens, cest bien celle de Bakka2 (la Mecque), un endroit bni et une bonne direction pour lunivers. (Coran, 3:96)

    Dans lAncien Testament, il est fait mention de la valle de Baca. La signification que donnrent ce mot les premiers traducteurs de la Bible est la valle des larmes , mais les traducteurs suivants lui donnrent un sens plus juste. Selon les spcialistes contemporains de la Bible, le mot signifie plutt une valle aride et ils ajoutent : le psalmiste avait manifestement lesprit une valle particulire dont les conditions naturelles lui ont inspir ce nom. 3 Cette valle aride, qui peut facilement tre identifie celle de la Mecque, est donc mentionne dans les Psaumes.

    Heureux les habitants de ta maison,

    ils te louent sans cesse.

    Heureux les hommes dont la force est en toi,

    qui gardent au cur les montes.

    Passant par la valle de Baca,

    ils en feront un lieu de source. (Psaumes, 84 :5-7)

    La naissance du Prophte Mohammed () dans la ville de la Mecque tait rellement une rponse aux prires dAbraham et de son fils Ismal, prires quils avaient prononces alors quils jetaient les fondations de la Kaba. Ils avaient implor Allah

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    en ces mots : Notre Seigneur! Envoie lun des leurs comme messager parmi eux, pour leur rciter Tes versets, leur enseigner le Livre et la Sagesse, et les purifier. Car cest Toi, certes, le Puissant, le Sage! (Coran, 2:129)

    Une des rgles fixes dAllah est quIl rpond toujours aux prires de ceux qui sont pieux, dvous, et dont le cur est pur. Les Messagers dAllah occupent, sans lombre dun doute, un rang suprieur celui des croyants les plus pieux. Toutes les critures et prophties anciennes en tmoignent. Mme lAncien Testament atteste quAllah a rpondu la supplication dAbraham au sujet dIsmal. Dans la Gense on peut lire : En faveur dIsmal aussi, je tai entendu : je le bnis, je le rendrai fcond, je le ferai crotre extrmement, il engendrera douze princes et je ferai de lui un grand peuple. (Gense, 17:20)

    Cest donc la raison pour laquelle le Prophte () a dit : Je suis le rsultat de la prire dAbraham et de la prophtie de Jsus.1. En dpit des nombreuses rvisions et altrations quil a subies, lAncien Testament contient toujours les preuves quAllah a rpondu cette prire dAbraham. Remarquez la rfrence trs claire, dans le Deutronome, la venue dun autre prophte : Ton Dieu suscitera pour toi, du milieu de toi, parmi tes frres, un prophte comme moi, que vous couterez. (Deutronome, 18:15)

    Le pronostic de Mose, parmi tes frres , indique clairement que ce prophte, promis par Dieu, allait tre issu des Ismalites, qui taient les cousins des Isralites. Dieu, dans le mme livre, ritre Sa promesse : Et mon Seigneur me dit : Ils ont bien parl. Je leur susciterai, du milieu de leurs frres, un prophte semblable toi, je mettrai mes paroles dans sa bouche et il leur dira tout ce que je lui commanderai. (Deutronome, 18:17-18)

    Les mots je mettrai mes paroles dans sa bouche ne peuvent faire rfrence quau Prophte (), qui allait rciter et transmettre son peuple la rvlation divine telle quil la recevait, mot pour mot. Dailleurs, le Coran mentionne cette caractristique du Prophte: Et il ne prononce rien sous leffet de la passion; ce nest rien dautre quune rvlation inspire (Coran, 53:3-4)

    Toujours au sujet de la rvlation qui a t descendue au prophte Mohammed (), le Coran dit : Le faux ne latteint (le Coran) daucune part, ni par-devant ni par derrire ; cest une rvlation manant dun Sage, Digne de louange. (Coran, 41:42)

    Mais, contrairement au Coran, la Bible, de mme que ceux qui suivent ses enseignements, attribuent la rdaction des livres dont la Bible est constitue danciens sages et de grands professeurs , mais jamais lAuteur Divin Lui-mme. Les spcialistes contemporains de la Bible sont parvenus la conclusion que : Les anciennes traditions juives attribuaient les textes du Pentateuque1 ( lexception des huit derniers versets dcrivant la mort de Mose) Mose lui-mme. Mais les nombreuses inconsistances et contradictions quils contiennent ont retenu lattention des rabbins qui employrent leur ingniosit les concilier. 2

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    En ce qui concerne les livres constituant la deuxime partie du Nouveau Testament, nul na jamais considr quils taient dorigine divine, ni dans la forme ni dans le contenu. Les derniers scribes rapportent que ces livres contiennent des comptes rendus biographiques, ainsi que quelques anecdotes sur Jsus, et quils ne sont nullement des livres de rvlation envoys au Matre. 3

    Nous allons maintenant tudier la position gographique de lArabie qui, relie aux continents asiatique, africain et europen par des routes terrestres et maritimes, occupait le meilleur emplacement pour tre le centre4, la source dont allait maner la lumire du savoir divin et le phare qui guiderait le monde entier vers son Crateur. Ces trois continents avaient t les berceaux de grandes civilisations et de puissants empires, tandis que lArabie, qui constituait le centre par o passaient les marchandises de tous les pays,1 des plus prs aux plus loigns, offrait, aux diffrentes races et nations, loccasion de se rencontrer et dchanger leurs ides et leurs points de vue. cette poque, deux grands empires, lempire sassanide et lempire byzantin, situs de part et dautre de la pninsule arabe, rgnaient sur le monde. Tous deux taient grands, riches et puissants et taient en guerre continue lun contre lautre. Malgr cela, lArabie a toujours jalousement gard son indpendance et na jamais permis aucun des deux empires de semparer delle, barrant laccs quelques territoires se situant aux frontires. lexception de quelques tribus vivant en priphrie, les Arabes du dsert accordaient une trs grande importance leur dignit et leur entire libert et ne permettaient jamais aucun despote de les asservir. Un tel pays, libre de toutes les contraintes politiques et sociales communes aux autres nations, constituait lendroit idal pour devenir le centre dun Message universel prchant lgalit entre les hommes, la libert et la dignit.

    Pour toutes ces raisons, Allah avait choisi lArabie, et plus particulirement la ville de la Mecque, pour y envoyer Son Prophte, qui Il allait rvler ses critures divines, Son ultime message qui devait ouvrir la voie linstauration de la paix travers le monde entier et travers les ges.

    Allah sait mieux avec qui placer Son message (Coran, 6:124) LE DCLIN DE L'ARABIE

    Grce leur virilit de caractre et leurs qualits de tte et de cur, les Arabes taient les seuls qui avaient droit lhonneur de recevoir, en leur sein, le dernier Prophte dAllah et le seul peuple qui pouvait tre confie la responsabilit de propager le message de lislam. Pourtant, dans toute la pninsule il ny avait aucun signe indiquant un rveil des Arabes ou un renouveau spirituel de leur part. Il y avait peine quelques Hanif 1, pouvant tre compts sur les doigts dune seule main et avanant avec hsitation sur le chemin du monothisme ; mais ils ntaient rien de plus que des vers luisants dans une nuit sombre, froide et pluvieuse, incapables de guider quiconque sur la voie de la vertu ou dapporter un peu de chaleur ceux qui semblaient mourir de froid.

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    Dans lhistoire de lArabie, on parle dune re de grande noirceur et de dpression une priode de profonde obscurit durant laquelle le pays atteignit le plus bas niveau de la dcadence, ne laissant, lhorizon, aucun espoir de rforme ou damlioration quelconque. Cette situation, en Arabie, prsentait une tche et un dfi dune ampleur laquelle navait jamais fait face aucun messager dAllah. La description trs vocatrice que fait Sir William Muir (un des biographes du Prophte toujours prt le critiquer et jeter le doute sur lui) de la situation dans laquelle se trouvait lArabie avant la naissance de Mohammed () discrdite lopinion soutenue par certains orientalistes europens selon laquelle lArabie, cette poque, ressentait un besoin de changement et attendait avec impatience la venue dun homme de gnie tout dsign pour lui apporter ce changement. Sir William Muir ajoute : Au cours des jeunes annes de Mohammed, cet aspect de la pninsule tait trs conservateur; peut-tre mme navait-il jamais t aussi dsespr. 1

    Considrant quel point la chrtient et le judasme avaient cr peu de remous dans lobscur et profond ocan du paganisme arabe, Sir William Muir remarque : Considre dun point de vue religieux, la surface de lArabie avait t, par moments, lgrement ondule par les faibles efforts de la chrtient ; linfluence un peu plus marque du judasme avait t visible, loccasion, dans les courants plus profonds et plus troubles ; mais la mare de lidoltrie indigne et des superstitions ismalites, arrivant de tous cts dans un mouvement puissant et ininterrompu en direction de la Kaba, dmontrait hors de tout doute que la foi et ladoration, la Mecque, maintenait lesprit arabe dans une servitude rigoureuse et inconteste. 2

    Smith, un autre biographe, ajoute : Lun des historiens les plus philosophiques a fait la remarque que de toutes les rvolutions ayant eu une influence permanente sur lhistoire civile de lhumanit, nulle ne pouvait moins tre anticipe, en tudiant les faits dalors, que celle qui fut opre par la religion dArabie. Et premire vue, il faut reconnatre que la science de lhistoire, si telle science existe, est souvent incapable de trouver une squence causale aux vnements. 1

    BESOIN DUN NOUVEAU PROPHTE

    Ds le milieu du sixime sicle, lancien monde tait devenu compltement dissolu et lhomme tait descendu une telle profondeur de dpravation quaucun rformateur ou prcheur religieux naurait pu esprer apporter une vie nouvelle cette humanit corrompue jusqu la moelle. La question ntait pas de combattre une hrsie en particulier ou de rorganiser tel ou tel modle de service religieux, ni de trouver une faon de matriser les maux sociaux de quelque socit, car il navait jamais manqu de rformateurs sociaux et de prcheurs religieux quelque poque ou quelque endroit que ce fut. Se dbarrasser des dbris contaminants de lidoltrie, du ftichisme, de la superstition et du paganisme qui, de gnration en gnration, pendant des sicles, staient superposs aux vritables enseignements des prophtes envoys par Dieu constituait une tche norme, voire extrmement pnible. Ctait une tche herculenne que de faire table rase de ces dbris pour riger ensuite un

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    nouvel difice ayant pour fondations la pit et la dvotion. Bref, le dfi tait de refaire lhomme, de le faire renatre , den faire une personne pensant et agissant diffremment de ses prdcesseurs.

    Est-ce que celui qui tait mort et que Nous avons ramen la vie et qui Nous avons assign une lumire grce laquelle il marche parmi les gens est pareil celui qui est dans les tnbres sans pouvoir en sortir ? (Coran, 6:122)

    Afin de rgler ce problme de faon dfinitive, il tait ncessaire dextirper compltement le paganisme, de faon ce quil nen subsiste aucune trace dans le cur de lhomme, et dy planter, la place, le plant du monothisme si profondment quil lui deviendrait difficile de concevoir un fondement plus solide. Et cela signifiait quil fallait amener lhomme dvelopper une inclination shumilier devant Allah et chercher Lui plaire, ainsi quun dsir de servir lhumanit, une volont de rester sur le droit chemin, et semer en lui ce courage et cette matrise de soi ncessaires pour contenir ses mauvaises passions et ses dsirs. Bref, le problme se rsumait trouver un moyen