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Bernard Fontaine GRAFFITI UNE HISTOIRE EN IMAGES © Groupe Eyrolles, 2012 ISBN : 978-2-212-13258-8

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Bernard Fontaine

GRAFFITIUNE HISTOIREEN IMAGES

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© Groupe Eyrolles, 2012

ISBN : 978-2-212-13258-8

Introduction

Les graffitis, œuvres éphémères par essence, arriventpourtant à résister au temps. La présentation chronologiquede l’ouvrage propose de mettre en perspective différentstypes de graffitis dont la motivation et la forme diffèrentsuivant le lieu et l’espace. De la Préhistoire à nos jours,leur variété et leur nombre méritent de les coucher surle papier, le temps d’un livre, pour les rendre intelligibles.L’approche historique, par laquelle transparaît l’appar-tenance culturelle de chacun de ces graffitis, est complétéepar un décryptage technique des outils utilisés. Dans ce voyage à travers le temps et l’espace, le seul motde «graffiti » doit sans cesse être redéfini. Nous verronsque l’usage du terme, relativement récent, se répand aumoment des découvertes archéologiques des inscriptionssur les murs de Pompéi, ville où la distinction entre espace public et privé ne se posait pas. Aujourd’hui l’espace public apparaît comme le principal lieu d’ins-cription des graffitis, qui se retrouvent dans le mêmetemps sur les cimaises des galeries. Les paradoxes quepose le terme sont nombreux, irrésolus parfois. Face à ladiversité des démarches, les mots manquent. La languefrançaise, en éludant l’usage du singulier graffito quel’origine italienne du mot impose, convient que le graffitiest un art pluriel.Plusieurs formes d’expression qui utilisent le mur jalonnentce panorama illustré et commenté en onze parties. Spon-tanées, politiques, artistiques, individuelles, collectives,les inscriptions et les images choisies sont présentées dansle souci de garder intactes les frontières qui les distinguent.Elles ne sont pas moins complémentaires en établissantentre elles des liens généalogiques : l’utilisation du traincomme support de propagande en Russie trouve un écho

différent sur les métros de New York cinquante ans plustard. Cherchant la manière la plus directe de communi-quer au plus grand nombre, les graffitis ont pour projetcommun de modifier l’environnement visuel quotidien desregardeurs. Par mimétisme, ils s’inspirent de la profusiondes images de propagande et de publicité mais à d’autresfins, ou en détournent le message. Parmi les buts re-cherchés par les graffiteurs, celui de marquer les terri-toires. Les écritures de gangs aux États-Unis ou lesmurals, plus élaborés, en Irlande du Nord consolident lesfrontières entre les communautés. Inversement les graf-fitis du mur de Berlin ou les murs peints d’Afrique du Sudau moment de l’apartheid, en les recouvrant, les effacent.Les graffitis sont tantôt avec, tantôt contre les murs.Quand on les inclut dans l’appellation street art, ils de-viennent une marchandise, se partagent entre le public dela rue et celui des galeries. Le writing, ou l’art d’écrireson nom, est sans doute la forme de graffiti actuellela plus pratiquée. Ce livre remonte à la source du mou-vement, aux États-Unis, avant de décrire les différentsfacteurs de son développement en France.Ces distinctions sont liées aux événements de la «grande»histoire, avec laquelle l’ouvrage fait le lien : la découvertede Pompéi, la construction des États-Unis, la révolutiond’Octobre en Russie, la Seconde Guerre mondiale, les évé-nements de Mai 68, la chute du mur de Berlin, la fin del’apartheid. Dans l’ombre ou en marge, les auteurs de graffitis sont parfois pittoresques comme le Roi de Kowloonà Hong Kong ou les hobos aux États-Unis, qui donnentune autre version de l’histoire communément apprise. Lalibre parole des murs, ici expliquée, requiert une histoirerevue et graffitée à l’usage de tous.

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1. 28000 av. J.-C. -1856PREMIÈRES TRACES, PREMIÈRES ÉTUDES 8- L’art des cavernes 10- Pompéi, sous la cendre, les graffitis 12- La fille du potier Dibutadès 14

Point technique 15

2. 1870-1946 UN ART VOYAGEUR 16- Hobos et tramps 18- À l’est, Octobre rouge 20- Kilroy à la conquête du monde 22

L’histoire réécrite 23

3. 1934-1970 CULTURE POP 24- Comics et cartoons, une influence mondiale 26

Point technique 29- Le football, du stade aux murs 30

4. 1965-1973 REPENSER LA VILLE 34- Artistes hors-cadre 36

Alain Arias-Misson 36Ernest Pignon-Ernest 38

- Les débuts du writing 40Du gang au writer 40Cornbread l’amoureux 40De Philadelphie à New York 40Taki 183 42L’expansion 42

5. 1968 RÉVOLTE ET PROPAGANDE 46- Mai 68 : de la fac à la rue 48- Brigada Ramona Parra 50- Les murs d’Irlande du Nord 52

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6. 1973-1980 WRITING, LE DÉVELOPPEMENT 56- Culture de la crise 58- Les writers, leurs ennemis 60- Les writers, leurs alliés 62

7. 1972-1985 STREET ART: LES PIONNIERS 66 - Gérard Zlotykamien 68- Blek le rat 70- VLP 72- Miss.Tic 76

8. 1982-1991 WRITING: LA RÉCEPTION 78- La musique, les institutions 80- Les writers s’organisent 82- Artistes dans les musées... et en prison 86

9. 1989-1995 VERS L’UNIFICATION 88- Les graffitis du mur de Berlin 90- Les couleurs de l’après-apartheid 94

10. 1991-2010 RECONNAISSANCE ET RÉPRESSION 98- Punir... et après ? 100

Ce que dit la loi 105- La reconnaissance, à tout prix 106- Pichação : adieu New York ! 108

11. 2OOO-2011 STREET ART: NOUVELLE VAGUE 110- Banksy 112- YZ 116- Space Invader 118- Thomas Canto 120

Les nouveaux outils 121- Zevs 122

GLOSSAIRE 124BIBLIOGRAPHIE 126REMERCIEMENTS 128

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Une certaine catégorie de vagabonds, tels que Jack Londona pu en décrire, est à l’origine de la construction des États-Unis ; ce sont les hobos, accessoirement gribouilleursd’étranges signes nécessaires à leur survie.Dans une période économique aussi instable que la secondepartie du XIXe siècle, ils ont été nombreux à prendre laroute. Jusqu’aux années 1930, ils seront des milliers. S’ilest impossible de les recenser précisément à cause de leurmobilité, on peut observer que leur nombre croît pendantles nombreuses crises économiques de cette période. Ceshobos, dont le nom reste d’origine mystérieuse, sont destravailleurs migrants que l’on distingue des tramps, vaga-bonds sans emploi. D’origine américaine le plus souvent,parfois scandinave, allemande ou britannique, le hobo traverse clandestinement le vaste pays à bord d’un train demarchandise, son principal moyen de locomotion. Ouvrieragricole ou manœuvre sur les chantiers de construction, il contribue au développement de l’Ouest américain. Il estlui-même parfois employé à l’extension du réseau de chemin de fer qui passe de 48 000 km de voie en 1870 à409000 km en 1916. L’expansion économique allant de pair,

il est aussi le premier employé des nouvelles entreprises del’Ouest, comblant le déficit de population locale. Victimes de la faim, des maladies et de la répression poli-cière, les hobos ont très rapidement développé une certainesolidarité, comme en témoignent les marques inscrites surleurs lieux de passage et d’arrêt, destinées à ceux qui passeront après eux. Ces pictogrammes, souvent tracés àla craie sur les portes, les murs ou les palissades, donnentdes informations sur l’hospitalité des habitants, les possibi-lités d’embauche, les pratiques de la police locale ou encoresur la direction de la voie ferrée la plus proche. Pour un même message, les signes se modifient ou diffèrent totalement selon les régions et les auteurs si bien qu’il estdifficile de les classifier : ce système est empirique et mouvant, à l’image du hobo.

Hobos et tramps

Fin du XIXe siècle: des vagabonds (tramps) attendent au pied d’une citerne d’eau qu’un train de marchandise stationne pour se réap-provisionner, leur laissant le temps de grimper à bord pour de nouveauxhorizons. Les vagabonds improvisent souvent des camps temporaires(les jungles) autour des citernes de ravitaillement. À l’arrière-plan,un vagabond inscrit à la craie les noms de quelques-uns de sescongénères présents ce jour-là, une manière de tuer le temps. Lesnoms sont à distinguer des signes hobos qui délivrent des informationsprécises et pratiques sur le lieu (illustration de Jay Hambridge).

Century Magazine, juin 1899

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Cette forme d’écriture est de type pictographique. En haut: femme au foyer accueillante; par ici la voie ferrée; nourriture en échange de travail;accueil des malades; bon endroit pour dormir; campement sûr; danger.En bas: hobo mal perçu; pars vite; chien méchant; maison d’un policier;maison d’un homme armé; maison d’un homme accueillant; maison d’unhomme malhonnête1.1. Paru dans le magazine Boy’s Life, février 1976, p. 56.

Code hobo

Ce graffiti hobo de 1932 présente toutes lescaractéristiques d’un type d’inscriptionqui va se répandre comme une traînée de poudre trente ans plus tard : il s’agitd’un nom marquant un passage; il est misen valeur par des flèches, signe récurrentdepuis les hommes préhistoriques jusqu’auxgraffitis actuels. Le nom ou pseudonymede l’auteur («Tex») est accompagné de ladate de réalisation («32»). Cette associationest universellement partagée par les graf-feurs de toutes tendances et de toutesépoques. Notons que ce nom est tracé au pin-ceau et non à la craie, dans une intentionde pérennité. Les inscriptions à la peinturese généraliseront dans les années 1950 avecl’invention de la bombe aérosol (voir page 29).

Tex, États-Unis, 1932

The Minneapolis Journal, 24 août 1901. Cet article décrit la vie des hobos, travailleurs migrants.

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Dans les années 1960, certains artistes s’affranchissent de l’espace du musée pour travailler dans et avec la rue. Parmi eux Alain Arias-Misson et Ernest Pignon-Ernest se sont préoccupésde la question du lieu de l’art et prolongent leur démarche entre la rue et la galerie d’art. Avec une démarche empirique, des enfants américains commencent à écrire frénétiquement leurs pseudonymes. D’une histoire d’amourdéçue à Philadelphie naît un phénomène de société: le writing. En à peine une décennie, les fondements de ce que l’on appellera plus tard en France le tag et le graff sont inventés sur les métros de New York.

Métro de New York, début des années 1970. On peut lire les signatures de Coco 144, SJK 171, Frank 207, Ace 137.

1973REPENSERLA VILLE

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TAKI 183Le 21 juillet 1971, un article du New York Times fait grandbruit. Pour la première fois, un journal officiel se penchesur le phénomène du writing en proposant un portrait deTaki 183, titré « Taki 183’ Spawns Pen Pals » (Taki 183, lepère de tous les correspondants). On apprend que, d’ori-gine grecque, il a choisi comme pseudonyme le diminutiftraditionnel de son vrai prénom, Demetrius. Taki ne prétendpas faire de la publicité, mais souhaite communiquer avecceux qui le connaissent, ou non. Le journaliste inscrit la démarche du jeune writer dans la lignée de Kilroy (voirpage 22). Au-delà de cette reconnaissance médiatique, Taki 183 étaitvéritablement actif. Né en 1954, habitant de WashingtonHeights, au nord-ouest de Manhattan, il devient livreur àl’âge de 16 ans. C’est au gré des commandes, à déposerdans de nombreux quartiers, qu’il laisse sa trace. Cette ubi-quité, relayée par un grand média, a fait de lui le père duwriting new-yorkais. Deux ans après son interview, en 1973,Taki stoppera définitivement son parcours fulgurant.Un autre texte, plus littéraire, contribuera à lancer un intérêt

pour ce type de graffitis. En 1974 l’écrivain Norman Mailerdonne une approche sensible de cet art des origines, dansson article « The Faith of Graffiti » : « Les peintures rupestressont aujourd’hui collectives (...). Les graffitis s’attardentsur la portière de notre métro comme le témoignage de cequi a pu avoir lieu, notre premier art du karma, et commesi toutes les vies jamais vécues retentissaient soudaincomme le clairon de ces armées qui se ressemblent de l’autrecôté d’une chaîne montagneuse et que nous ne voyonspas. » Le texte fut relayé la même année dans la presse internationale3.

L’EXPANSIONMalgré les premières lois anti-graffiti de 1972, le phéno-mène s’accentue. La simplicité des signatures des débutsfait place à un travail plus élaboré, donnant naissance àdes styles identifiables. Les hits, jusque-là limités aux stations de métro et à l’intérieur des wagons, deviennentplus visibles en apparaissant sur les flans des trains.L’utilisation du fat cap, un embout de bombe qui permet detracer des traits plus larges que les embouts traditionnels,augmente la capacité à recouvrir les surfaces. Les lettresdes signatures prennent de l’épaisseur et sont contournées :c’est le passage des hits (signatures) aux pieces (lettragesépais et contournés). En français, les équivalents de ces

termes seront respectivement les tags et les graffs (voirglossaire pages 124-125).

Entre 1972 et 1973, la recherche de styles, pour se démarquerdu nombre croissant de writers, bat son plein. Top Cat 126est reconnaissable avec ses lettres à base large qui rappellentles lettrages des comics (voir page 26). Comet et Phase 2développent leurs lettres de type bubbles. Croix, étoiles,spirales apparaissent comme motifs de remplissage à l’intérieur des graffs. Autour apparaissent les fonds, souventen forme de nuages. Les lettres gagnent en volume avec lesgraffs de Pistol 1 qui ajoute un effet de troisième dimension.Flint 77 ou Malta et Ali du groupe Soul Artists excellerontdans l’art du style 3D. Un peu plus tard, en 1974, Tracy 168sera le précurseur du Wild Style, un style « sauvage » oùs’enchevêtrent les lettres. Phase 2 en aura une grande maîtrise et ira jusqu’à brouiller la lisibilité de son nom.

Signes de l’ampleur que prend le writing au tout début desannées 1970, plusieurs groupes se montèrent pour exposersur toile cet art émergent. Hugo Martinez, en cette fin

d’année 1972, termine ses études de sociologie et rencontreplusieurs writers qui ont pour habitude de se regrouper surla 188e rue. Ensemble, ils créent les UGA (United GraffitiArtists) dont le but, comme leur nom l’indique, est d’éleverles writers au rang d’artistes. Des noms importants ont faitpartie de ce groupe, comme Phase 2 et Stay High 149, quiinfluencèrent la seconde génération. Les writers étaient regroupés dans un atelier, dans lequel ils préparaient leursexpositions. Dès septembre 1973, la Razor Gallery, dansle quartier de Soho, accueille le groupe. Les toiles sont vendues entre 200 et 3 000 dollars. Jack Pelsinger lanceraen 1974 une organisation similaire, NOGA, pour Nation ofGraffiti Artists. À peine né, le writing est commercialisé.

3. Norman Mailer, Graffiti de New York, photographies de Mervyn Kurlansky et Jon Naar,traduction de Nicole Tisserand, éditions du Chêne, 1974.

Les débuts du writing

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Taki 183 est considéré comme le père des writers. Son activité, relayée par un articleparu dans le New York Times, l’a rendu célèbre.

Le « end-to-end».Super Kool 223 est considéré comme le premier

à avoir réalisé un graff d’ampleur sur le métro new-yorkais.

Ce wagon a été peint alors que les writerscommençaient à épaissir leurs signatures età les contourner. On y voit à la fois des hits(signatures, ou tags) et des pieces (lettragesépais et contournés, ou graffs).

Du tag au graff

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Quelques mois plus tard, en 1981, la plupart des graffiti artists (comme il convient désormais de les appeler) de cetteexposition participent à un autre événement de taille, organisé par Diego Cortez dans une ancienne école primairedu Queens réhabilitée pour l’occasion. Il s’agit de «New YorkNew Wave» dont l’ambition était de montrer ensemble desartistes d’univers différents. Les œuvres d’Andy Warhol, artiste du Pop Art qui signait ses célèbres boîtes de soupeCampbell’s vingt ans plus tôt, ou celles du musicien BrianEno côtoient des photographies et même des dessins d’enfants. Si la critique n’est pas tendre pour les writersexposés et pour l’exposition en général, elle encense deuxjeunes inconnus, un certain Keith Haring et un certain Jean-Michel Basquiat. À partir de ce moment tous deuxconnaîtront la célébrité et seront souvent associés à l’art dugraffiti qu’ils pratiquaient par ailleurs, mais en dehors descodes du writing. « J’ai exposé avec Haring et Basquiat. Cen’était pas des vrais graffeurs, mais ils étaient rattachés àun certain mouvement qui était dans la rue»1 explique Crash.Hors des expositions, les artistes se rencontrent, brisant lesfrontières entre les pratiques : l’atelier partagé par Lee,

Futura et Zephyr dans le quartier de West Spanish était unlieu où se croisaient la photographe Cindy Sherman, l’artisteBarbara Kruger connue pour ses affiches percutantes etmême les jeunes peintres français de la Figuration libre(François Boisrond, Rémi Blanchard, Hervé Di Rosa). En cedébut des années 1980, l’art du writing suscite plus que jamais la curiosité, cherchant sa place dans le champ de l’art,toujours problématique.

1. Cité dans Coming from the Subway, catalogue de l’exposition au Groninger Museum(Pays-Bas), ouvrage collectif, VBI, 1992.

Les writers, leurs alliés

Jean-Michel Basquiat, né à Brooklyn le 22 décembre 1960, utilise pour sesgraffitis le pseudonyme SAMO (pour Same Old Shit). Le graffiti est l’une desnombreuses facettes de son univers créatif. Cette image illustre la sponta-néité que recherche Basquiat dans sa peinture. Même si on retrouve l’écrituredans ses toiles, sa démarche n’est pas celle d’un writer qui se consacre enpriorité au travail des lettres, à leur sophistication (à ce qu’ils appellentle style). Basquiat n’a que faire de donner un style à ses lettres. Il leur donneun aspect plus primitif. Cette image est extraite du film documentaire Downtown 81 (New York Beat Movie) tourné par Edo Bertoglio entre décembre1980 et janvier 1981, et sorti en 2001.

Jean-Michel Basquiat

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Crash (John Matos) et John Fekner,Lower East Side, New York, 1982.

Un mur peint par Crash et John Fekner, connu pour ses

phrases au pochoir.

Vue de la première exposition à la Fashion Moda, 1980. Crash et Noc 167 exposent ici sous l’œil d’un public jeune. © 2011 Lisa Kahane, NYC

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Panneau d’entrée du terrainvague de Stalingrad, 1985.

Des lieux de rendez-vous réunissaient breakers, DJs, writers.Le plus emblématique est le terrain vague de Stalingrad,à Paris. L’endroit, découvert par Ash, membre du groupeBBC auquel appartiennent SKKI©, Lokiss et Jay One,connaît sa période de gloire entre 1985 et 1989. Dee Nasty(cité plus haut) assure la musique aux platines : « (…)j’avais dégotté à Saint-Denis un vieux groupe électrogèneoù je branchais ma sono-enceintes-platines que je rame-nais à l’arrache de chez moi (et en scooter). Je plaçais mesplatines sur un vieux frigo et c’était parti pour des free-jamstous les samedis après-midi, du moins lorsque le temps lepermettait.»3 Un art de la débrouille pour le plus grand plaisirdes danseurs de break et des rappeurs, appartenant eux aussià la première génération française dans leurs domaines. C’estle cas de Destroy Man et Johnny Go, deux rappeurs issus del’univers rock. En plus des BBC et CTK, les FBI et les TZCcomptaient parmi les principaux groupes de ce nouveaugenre de peintres à développer de grandes fresques coloréesdans un endroit relativement toléré par la forces de l’ordre.

3. Cité dans Langages de rue n°1, octobre 2001, éditions Graff It !

Les writers s’organisent

Panneau tagué à l’entrée du terrain de Stalingrad, 1985.

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Stalingrad, 1986. Les groupes BBC et FBI

prennent la pose.

Jay et SKKI©, 1988.Les artistes ont déserté le terrain de Stalingrad pour peindreà l’étranger, comme ici à Berlin.

Dessin préparatoire de SKKI©, 1999. Crayon sur papier, 15 x 10 cm.

À deux pas du terrain, le magasin Tikaret est le premier àvendre des vêtements pour avoir le look hip-hop. À partirde 1988 les initiateurs du projet de Stalingrad désertent leslieux. Victimes de leur succès, qui attire de plus en plus demonde, ils préfèrent trouver d’autres terrains de jeu, àl’étranger pour certains. Les BBC partent vers Stockholm, ouBerlin pour y peindre le mur (voir partie 9). SKKI© explique :« Notre activité artistique était passée de locale à interna-tionale grâce aux médias. Notre influence a commencé às’étendre et nous avons aussi à cette époque commencé à peindre sur toiles afin d’immortaliser notre art éphémère,une autre page était tournée pour les BBC et pour le graff engénéral. »

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Les tags sont omniprésents sur les stores parisiens depuis le début des années 1990.

1998 est une année « explosive» pour le graffiti à Paris et dans d’autres villes françaises. En haut : Persu, Clermont-Ferrand, 1998 ;

au centre : Stor, whole car, Lyon, 1998 ; en bas : Nome, whole car, Lyon, 1998.

Graff de Riske et Clone, Paris, 1997.Moins effacés qu’à hauteur d’homme,les toits sont prisés par les graffeurs.

Sken et Bronx, Paris. À partir de 1995

les tagueurs réagissent à l’effacement

systématique des peinturessur les rames en gravant,

à l’aide de pierres ou de tournevis,

les carrosseries et les vitres.

Le groupe 132 se spécialise dans les graffitis surstores à la fin des années 1990. Ici à Paris près de la

place de la République.

Punir... et après?

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Nous sommes tous tombés un jour nez ànez avec ces inscriptions d’une autreépoque qui nous prient, parfois avec unepolitesse en lettres bouclées, de ne pasafficher. Cette inscription est la marquede la loi du 29  juillet 1881. En mêmetemps qu’elle œuvre pour la liberté de lapresse en permettant un affichage libre desécrits (notamment politiques), cette loi endéfinit les cadres et les emplacements dansla ville. Il est intéressant de constaterqu’en 1962, alors que la Haute Juridictioncontinue d’autoriser l’affichage, ellecommence à punir les graffitis : « l’articleR. 38-3° du code pénal, qui punit d’uneamende de 60 NF à 400 NF inclusivement,et facultativement d’un emprisonnementde huit jours au plus ceux qui, sans êtrepropriétaire, usufruitier ou locataired’un immeuble, ou sans y être autoriséspar une de ces personnes, y auront, parquelque procédé que ce soit, effectuédes inscriptions, tracé des signes ou dessins, ne s’applique pas à l’apposition

d’affiche.» Jusque dans les années 1970,l’affiche est considérée comme inatta-quable, en tant que symbole de la libertéd’expression de la loi de 1881 ; les ins-criptions « sauvages » restent, quant àelles, illégales. Tout se complique en 1979 avec unesurenchère d’affiches publicitaires : cer-tains sénateurs commencent à trouverindigeste et envahissant ce déploiement depublicités placardées sur les murs. Lesquestions sur l’appréciation de deux naturesd’images différentes posent problème :en quoi une affiche publicitaire serait-elle plus nuisible à l’environnementqu’une affiche politique? La loi n’a pastranché : le message politique devientpublicitaire et inversement. La régle-mentation pour toutes les affiches sedurcit en interdisant le collage sur unemultitude de supports, à l’exceptiond’emplacements réservés, en nombrerestreint, dans le cadre du code de l’en-vironnement.

Indépendamment des qualités esthé-tiques de l’inscription, tout writer peignantsur un support sans autorisation encourtune sanction pénale. En France et commedans la plupart des pays, l’attachementà la propriété fait loi. « La répression dugraffiti en France obéit aux mêmes règlesque la répression pénale en général. Lespeines sont demandées lors des audiencescorrectionnelles par le procureur de laRépublique ou son substitut, en fonctionde la gravité des faits, de la personnalitéde son auteur, etc.» explique Maître Em-manuel Moyne3, avocat à la Cour. « Iln’est pas rare que des peines d’empri-sonnement, le plus souvent avec sursis,soient requises, ce qui est, de mon pointde vue, choquant eu égard à la naturedes faits en cause » ajoute-t-il. Dès ledébut des années 1990, et à l’image del’affaire de la station Louvre en 1991(voir page 100), les peines d’emprison-

nement se multiplient. Le code pénalentré en vigueur le 1er mars 1994s’adapte plus précisément au développe-ment du writing avec les articles 322-1et suivants, classés au chapitre « Desdestructions, dégradations et détério-rations, section 1 : Des destructions,dégradations et détériorations ne pré-sentant pas de danger pour les per-sonnes». Maître Moyne décrit : «L’article322-1, alinéa 1er, punit la dégradationgrave d’un bien appartenant à autruid’une peine d’emprisonnement de deuxans et d’une amende de 30 000 euros.Les articles 322-2 et 322-3 prévoient descas d’aggravation des peines (selon letype de bien peint, si les faits sont in-tervenus en réunion, etc.). Le critère dela distinction entre dégradation légèreet grave est l’atteinte au support. Si lesupport a été recouvert d’une peinturefacilement lavable, sans risque de

dégradation du support, c’est la dégra-dation légère qui devra être retenue.»Quant à l’article 322-4, il va plus loin :« La tentative des infractions prévues àla présente section est punie des mêmespeines. » Autrement dit l’intentioncompte pour l’acte.

3. Entretien de l’auteur avec Maître Moyne, voir articlehttp://labrique.net/numeros/numero-09-sept-oct-2008/tag-graffitti-les-murs-immacules-a/article/interview-la-question-de-la.

Affiches, inscriptions et publicité

Writing

Détournement d’une inscription « Défense d’afficher, loi du 29 juillet 1881», à Paris, 20e arrondissement, 2010.

Documentaire sur legraffiti intitulé 322.1en référence à l’articledu code pénal classé

au chapitre «Des destructions,

dégradations et détériorations».

Ce que dit la loi

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