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Marya Kasterska, messager de la culture entre la Pologne, la Roumanie et la France Petre Sergescu (internationalement connu sous le nom de Pierre Sergesco) et Marya Kasterska ont formé un couple mythique, unis dans la vie et unis dans la mort. Ils étaient unis par leur grand amour, leur passion pour la beauté et la recherche permanente de la vérité. Mais leurs personnalités étaient très différentes. La première différence était la culture dont ils étaient imprégnés: Pierre Sergesco était roumain, tandis que Marya Kasterska était polonaise avec des ascendants français. Pierre Sergesco était, comme Mesdames Magda Stavinschi et Nicole Capitaine l’ont dit, un mathématicien important et un historien des sciences très connu. Pierre Sergesco s’exile à Paris, avec sa femme, en 1946. La France s’est avérée être, après 1946, le tiers aimant et conciliateur entre le scientifique Pierre Sergesco et l’écrivaine Marya Kasterska, entre la Roumanie et la Pologne. La passion de Pierre Sergesco pour la Roumanie était harmonieusement imprégnée par le respect et l'appréciation de la Pologne, le pays de sa femme. En 1931, quand il était président d'honneur du deuxième congrès des mathématiciens polonais à Wilno, il a prononcé sa conférence en polonais. Le grand historien roumain Nicolae Iorga avait raison quand il écrivait, à propos du livre Lettres de Varsovie, publié par Pierre Conférence à l’Institut Culturel Roumain de Paris, 22 janvier 2014. 1

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Marya Kasterska, né à Varsovie le 2 février 1894 dans une famille de boyards appauvris, a milité toute sa vie pour faire connaître, en Roumanie et en France, l'histoire de la Pologne et les trésors culturels de ce pays.Elle a obtenu un diplôme d’études à l’école russe de Biala Podlaska en 1914. Dans sa jeunesse, elle a été membre d'un parti politique antirusse. En 1914, elle émigre en France, cinq ans avant que Pierre Sergesco arrive à Paris grâce à une bourse en vue d’obtenir une licence en mathématiques. En 1918 Marya Kasterska a soutenu sa thèse de Doctorat d’Université Les poètes latins-polonais (jusqu’en 1589) à la Faculté de Lettres de l'Université de Paris, donc cinq ans avant que Sergesco soutienne, à Bucarest, sa propre thèse de doctorat en sciences mathématiques . Elle s'est mariée avec Peter Sergescu à Paris le 20 Juillet 1922, en l’accompagnant en Roumanie, où elle a eu une intense activité culturelle, par ses publications dans les journaux et revues à travers le pays. Marya Kasterska vit entre les deux guerres en France, où elle a publié un grand nombre d’articles dans „Nouvelles littéraires”, „Fontaine”, „La vie catholique”, „Revue de France”, „Revue mondiale”, „L’art vivant”, „Historia”, „Les Annales politiques et littéraires”, „La Quinzaine critique”, „La muse française”, „La Pologne” et aussi quelques livres, comme, par exemple, Légendes et contes de Podlachie ou Les Lys d’Anjou en Pologne . " Podlachie ", mot qui se trouve dans le titre du premier livre, fait référence à la région Podlesie de la Pologne orientale, qui a fasciné son enfance et son adolescence et dont le nom latin est Subsylvania en troublante consonance prédestinée avec Transylvanie, nom de la région où est né son mari.

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Page 1: Basarab Nicolescu, Marya Kasterska (1894-1969), messager de la culture entre la Pologne, la  Roumanie et la France

Marya Kasterska, messager de la culture entre la Pologne, la

Roumanie et la France

Petre Sergescu (internationalement connu sous le nom de Pierre Sergesco) et Marya

Kasterska ont formé un couple mythique, unis dans la vie et unis dans la mort. Ils étaient unis

par leur grand amour, leur passion pour la beauté et la recherche permanente de la vérité.

Mais leurs personnalités étaient très différentes.

La première différence était la culture dont ils étaient imprégnés: Pierre Sergesco était

roumain, tandis que Marya Kasterska était polonaise avec des ascendants français.

Pierre Sergesco était, comme Mesdames Magda Stavinschi et Nicole Capitaine l’ont

dit, un mathématicien important et un historien des sciences très connu.

Pierre Sergesco s’exile à Paris, avec sa femme, en 1946. La France s’est avérée être,

après 1946, le tiers aimant et conciliateur entre le scientifique Pierre Sergesco et l’écrivaine

Marya Kasterska, entre la Roumanie et la Pologne.

La passion de Pierre Sergesco pour la Roumanie était harmonieusement imprégnée par

le respect et l'appréciation de la Pologne, le pays de sa femme. En 1931, quand il était

président d'honneur du deuxième congrès des mathématiciens polonais à Wilno, il a prononcé

sa conférence en polonais. Le grand historien roumain Nicolae Iorga avait raison quand il

écrivait, à propos du livre Lettres de Varsovie, publié par Pierre Sergesco en 1925: «Un

homme très cultivé qui sait écrire, un mathématicien qui sait la valeur de la pensée. Il est lié à

un pays dont il a fait amoureusement la connaissance. Il est allé là-bas sans préjugé, a regardé

et s’est senti obligé de nous communiquer ses impressions."1 Nous pouvons aussi mentionner

que l’idée de fonder à Cluj la revue Mathematica lui a été inspirée par l'existence d’une

prestigieuse revue polonaise de mathématiques dirigée par Waclav Sierpinski. Sergesco a été

membre correspondant de la société Scientarum Varsoviensis et membre de la Société

Historique et Littéraire de Pologne. En reconnaissance de ses mérites, les autorités polonaises

lui ont attribué la Croix de Commandeur dans l’Ordre Polonia Restituta.

À son tour, Marya Kasterska, né à Varsovie le 2 février 1894 dans une famille de

boyards appauvris, a milité toute sa vie pour faire connaître, en Roumanie et en France,

l'histoire de la Pologne et les trésors culturels de ce pays.

Conférence à l’Institut Culturel Roumain de Paris, 22 janvier 2014. 1 Petre Sergescu, Scrisori din Varşovia, Editura Ramuri, Craiova, 1925, prefaţă de Nicolae Iorga.

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Page 2: Basarab Nicolescu, Marya Kasterska (1894-1969), messager de la culture entre la Pologne, la  Roumanie et la France

Elle a obtenu un diplôme d’études à l’école russe de Biala Podlaska en 1914. Dans sa

jeunesse, elle a été membre d'un parti politique antirusse. En 1914, elle émigre en France,

cinq ans avant que Pierre Sergesco arrive à Paris grâce à une bourse en vue d’obtenir une

licence en mathématiques. En 19182 Marya Kasterska a soutenu sa thèse de Doctorat

d’Université Les poètes latins-polonais (jusqu’en 1589)3 à la Faculté de Lettres de l'Université

de Paris, donc cinq ans avant que Sergesco soutienne, à Bucarest, sa propre thèse de doctorat

en sciences mathématiques4. Elle s'est mariée avec Peter Sergescu à Paris le 20 Juillet 1922,

en l’accompagnant en Roumanie, où elle a eu une intense activité culturelle, par ses

publications dans les journaux et revues à travers le pays.

Marya Kasterska vit entre les deux guerres en France, où elle a publié un grand nombre

d’articles dans „Nouvelles littéraires”, „Fontaine”, „La vie catholique”, „Revue de France”,

„Revue mondiale”, „L’art vivant”, „Historia”, „Les Annales politiques et littéraires”, „La

Quinzaine critique”, „La muse française”, „La Pologne” et aussi quelques livres, comme, par

exemple, Légendes et contes de Podlachie5 ou Les Lys d’Anjou en Pologne6. " Podlachie ",

mot qui se trouve dans le titre du premier livre, fait référence à la région Podlesie de la

Pologne orientale, qui a fasciné son enfance et son adolescence et dont le nom latin est

Subsylvania en troublante consonance prédestinée avec Transylvanie, nom de la région où est

né son mari.

En même temps, Marya Kasterska a été animée par un grand amour pour la Roumanie.

À Paris elle fait connaître la littérature roumaine connue, en écrivant des articles sur Cezar

Petrescu7, Gib Mihăiescu et Tudor Arghezi et a publié, en 1927, une importante étude „Le

roman roumain d’après guerre”8. Elle a respecté la volonté de son mari de ne pas demander la

nationalité française, pour rester pleinement roumain. Marya Kasterska considérait la

Roumanie comme son propre pays. Dans une lettre adressée à son mari et qui se trouve dans

les collections spéciales de la Bibliothèque Nationale de Roumanie, Marya fait cette simple

2 Deci cu cinci ani înainte ca Petre Sergescu să îşi susţină, tot la Paris, propria sa teză.3 Marya Kasterska, Les poètes latins-polonais (jusqu’en 1589), thèse de Doctorat d’Université, Librairie Roysseau, 1918.4 Petre Sergescu, Sur les noyaux symétrisables, teză de doctorat în ştiinţe matematice la Facultatea de Ştiinţe, Universitatea din Bucureşti, 28 noiembrie 1923, Imprimeria de Stat, Bucureşti, 1924 ; Bul. şt. mat. Soc. rom. şt. VVVII, ianuarie-iulie 1924, p. 31-54 şi august-decembrie 1924, p. 3-21. Din comisie au făcut parte Gheorghe Ţiţeica, Traian Lalescu şi David Emmanuel.5 Marya Kasterska, Légendes et contes de Podlachie, Librairie Ernest Leroux, Paris, 1928, préface de Louis Artus.6 Marya Kasterska, Les Lys d’Anjou en Pologne, Maison de la Bonne Presse, 1948.7 Marya Kasterska, «  Cezar Petrescu », La Revue mondiale, Paris, 1 martie 1930.8 Marya Kasterska, «Le roman roumain d’après guerre», Revue mondiale, Paris, 15 august 1927.

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mais émouvante déclaration : “Quelque part que tu sois, quoi que tu fasses, je suis ta femme et

ton pays est mon pays, tu le sais”9.

En 1968, peu de temps avant sa mort, Marya Kasterska réussit à publier, à une

prestigieuse maison d'édition aux Pays-Bas, une monographie sur son mari10. Par un beau

geste symbolique, elle signe la préface avec le nom Kasterska-Sergescu, unissant ainsi son

nom de famille avec celui de son mari, écrit en roumain. Les derniers mots de sa préface sont:

«Un fils digne de son pays, un grand roumain."11

Une deuxième différence est liée au fait que Pierre Sergesco était un chrétien orthodoxe

convaincu, tandis que Marya Kasterska était une catholique militante. L’opinion de Marya sur

l’orthodoxie n'était pas bonne. Avec tristesse dans l’âme, elle ne fait pas néanmoins de

pressions sur son mari pour qu’il fasse le passage à la confession catholique et elle accepte

son choix.

Une troisième différence consiste dans le fait que Sergesco a été largement connu en

Roumanie et en France, tandis que Marya Kasterska était moins connue. Avec beaucoup de

modestie, Marya écrit à son mari : “Je voudrais être la plus belle, la plus célèbre, la plus

séduisante des femmes. Je voudrais avoir un grand talent. Pour déposer tout cela à tes pieds et

pour te dire: tu vois, cela vaut ton amour. Mais tu es si grand et moi si petite…“12

Marya exagère cependant: la différence de réputation entre les deux n'était pas si

grande. Il suffit de mentionner qu'elle a reçu deux prix prestigieux. Si le prix d'Aumale de

l'Académie Française des Sciences, obtenu en 1961, le rapporteur étant le Prix Nobel de

physique Louis de Broglie, lui est accordée pour la préparation de la bibliographie de l’œuvre

mathématique et d'histoire des sciences de Pierre Sergesco, en revanche le Prix Valentine de

Wolmar de l'Académie Française lui a été accordé en 196713 pour l’ensemble de son propre

œuvre.

Le grand écrivain Henry de Montherlant (1895-1972), membre de l'Académie

Française, était un bon ami de Marya Kasterska. En voyage à Londres, Montherlant lui écrit :

« Je ne regrette, de France, que la rue Daubenton. » Ils étaient pratiquement du même âge.

Marya Kasterska a publié un texte important d'introduction, de plus de 30 pages, à

9 Cristina Marinescu, « Marya Kasterska: un exemplu de intelectualitate feminină », Revista Bibliotecii Naţionale a României, Bucureşti, anul XIV, nr. 1, 2008, p. 58.10 Pierre Sergescu (1893-1954), op. cit.11 M. Kasterska-Sergescu, « Paroles caractéristiques de Pierre Sergescu », prefaţă la Pierre Sergescu (1893-1954), op. cit., p. 2.12 Idem. 13 http://www.academie-francaise.fr/prix-valentine-de-wolmar

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l'anthologie d’Henry de Montherlant Pages Catholiques14, qu’elle a conçue chez Plon en

1947.

L’étude de Marya Kasterska n’est pas passée inaperçue. Prétendre à coller l'étiquette

«catholique» à un écrivain si rebelle et non-inféodé comme Montherlant était, en soi, un acte

d'extrême courage et même insolent. Dans la lettre adressée que Montherlant lui adresse et qui

est publiée dans le livre, Montherlant affirme avec élégance: „Écrivant pour tous, sinon pour

moi seul, j'accepte qu'on présente mon œuvre sous divers éclairages, chacun d'eux en isolant

tel aspect à l'intention d'un public particulier. À condition qu'il me soit permis de rappeler que

le projecteur peut toujours être incliné de manière différente, et jusqu'à éclairer la face

opposée à la face qu'il éclairait précédemment.”

Le livre provoque de réactions diverses dans le milieu culturel français. Par exemple,

Manuel de Dieguez écrit dans « Paroles françaises »: « En ce moment, j'ai entre les mains le

choix de pages catholiques extraites de l'œuvre de Montherlant. Mme Kasterska, dans sa

préface, veut prouver que l'auteur a la foi, toute la foi. « Je plaide non coupable  », écrit-elle

[…] Montherlant, voyant cet amoncellement, le déplace avec un humour où une pointe de

dédain se mêle au sourire […] Tous les personnages de Montherlant se justifient et s'éclairent

par une certaine exigence de sainteté. »15 Et Louis Barjon se déchaîne furieusement dans la

revue “ Études”: “Et que ces « pages catholiques » arrivent donc bien à propos ! De quoi faire

oublier tant de bénins blasphèmes […] Il ne manquera point de bonnes âmes pour affirmer

d’autant plus résolument : « Montherlant a toujours eu la foi » que lui-même le niera

davantage. Témoin celle qui, en nous présentant ces pages, n’a d’autres yeux pour son héros

que ceux de Thérèse Pantevin pour Costals. « Pitié » pour Marya Kasterska!”16. Il faut placer

cette citation dans son contexte. Pierre Costals, un écrivain libertin, est le personnage central

du roman Les jeunes filles de Henry Montherlant (Grasset, Paris, 1936). Dans ce roman,

Thérèse Poitevin (qui signe ses lettres à Costals sous le nom « Marie Paradis »), fille de

paysans riches, est une adolescente mystique qui hésite de devenir nonne et qui est animée

simultanément de sa passion pour Costals et son amour ardent pour le Christ. Les mots

„« Pitié » pour Marya Kasterska!” font allusion au deuxième volume de la série Les jeunes

filles : Pitié pour les femmes (Grasset, 1936). Dans une section de Pages catholiques, Marya

Kasterska inclue les lettres de Pierre Costals adressées à Thérèse Poitevin. Louis Barjon

14 Henry de Montherlant, Pages catholiques, Plon, Paris, 1947, alegere de texte prezentate de Marya Kasterska, cu o scrisoare a autorului. A se vedea şi M. Kasterska, „Pétrone, Sienkiewicz et Montherlant”, Revue générale belge nr. 2, 1963, p. 67-89. 15 Manuel de Diéguez, « Visages de Montherlant », Paroles françaises, Paris, 6 martie 1948.16 Louis Barjon, «  Henry de Montherlant – Pages catholiques », Etudes, Paris, janvier 1948, p. 271-272.

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suggère donc que Thérèse Poitevin (Marie Paradis) este, en fait, Marya Kasterska, ce qui

constitue une hypothèse plausible.

La quatrième et dernière différence que je voudrais souligner, c'est que Sergesco venait

du domaine des sciences exactes, tandis que Marya Kasterska venait de celui de la littérature.

Cette différence était, en fait, un lien solide et harmonieux entre eux. Sergesco était violoniste

et ténor. Étudiant à Bucarest à la Faculté de Mathématiques, il a suivi simultanément les cours

de la Faculté de Philosophie et du Conservatoire de Musique. Sa passion pour Leonardo da

Vinci17 est, en soi, un fait éloquent. Sergesco a demandé au célèbre dessinateur Janusz

Berszten Tlomakowski de concevoir, pour lui, un ex-libris réunissant sa passion pour les

mathématiques, la musique et l'art18. Le résultat est magnifique. La superbe tête de femme,

appuyée sur une partition musicale et une formule mathématique, semble détachée d’une toile

de Botticelli.

Pierre Sergesco et Marya Kasterska ont animé un salon culturel à la résidence du couple

dans le Quartier Latin , où venaient, tous les samedis soirs, de personnalités connues de la vie

culturelle parisienne, comme Henry de Montherlant ou Mircea Eliade, d’illustres

mathématiciens comme Paul Montel et Émile Borel, mais aussi de jeunes réfugiés roumains et

polonais. Sur la façade de l'appartement peut être contemplée aujourd'hui une plaque de

granite, déposée le 2 Février 1978, jour d’anniversaire de Marya Kasterska, à l'initiative de

l’ami fidèle Petre Mircea Cârjeu, spécialiste en droit et magistrat à Paris19. L'inscription sur

cette plaque est la suivante: Pierre Sergesco / mathématicien, historien des sciences / 1893-

1954 / Marya Kasterska Sergesco / femme des lettres / 1894-1969 / ont habité cette maison/.

En 1961 Marya Kasterska a fondé la Bibliothèque Roumaine ayant le siège dans son

appartement, et le 7 Décembre 1969, le jour même du décès de Marya Kasterska, Petre

Mircea Cârjeu lui a donné le nom de „Bibliothèque Roumaine Pierre Sergesco-Marya

Kasterska”. Les livres écrits par Marya Kasterska ont été donnés à la Bibliothèque Polonaise

de Paris tandis que la collection de livres de Pierre Sergesco a été donnée à l’Institut de

France. Par la suite, la bibliothèque a été transférée au 39 rue Lhomond, le directeur étant

Petre Mircea Cârjeu qui, en collaboration avec la documentaliste Eugenia Nussbaum, a fait

beaucoup pour préserver la mémoire de deux conjoints et pour augmenter le fonds de cette

17 Pierre Sergesco, « Léonard de Vinci et la science », Cahiers du Sud, Marseille, nr. 313, p. 361-369.18 Jacques Tony, « Janusz Berszten Tlomakowski – Dessinateur polonais d’ex-libris, timbres et vignettes », L’Ex-libris, Paris, 2e trimestre 1930, p. 74-75.19 Dan Simonescu, « Bibliothèque roumaine Pierre Sergesco-Marya Kasterska », Biblioteca şi cercetarea, Bucureşti, vol. 6, 1982, p. 343-353.

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bibliothèque20. D’ailleurs, Petre Mircea Cârjeu a signé en collaboration avec Marya Kasterska,

une étude sur la famille Haşdeu, étude publiée deux ans après la mort de Marya Kasterska21.

Actuellement, cette bibliothèque a disparu, mais elle est encore vivante dans la mémoire

de ceux qui ont visité22. Les fonds ont été transférés à la Bibliothèque de Documentation

Internationale Contemporain (BDIC), qui a pris possession de fonds constitués par Nicolae

Iorga, Cezar Petrescu, Elena Văcărescu, Nicolae Herescu, Pierre Sergesco et Marya

Kasterska, et aussi des archives de Léon Thévenin, correspondant du journal français „Le

Temps” en Roumanie.

En particulier, la collection Marya Kasterska est très riche. Elle contient ses publications

en Roumanie, en Pologne et en France, totalisant 1 430 études et articles. D'une grande

importance en termes d'histoire littéraire sont les 253 lettres adressées par Henry de

Montherlant à Marya Kasterska23. Tout ce trésor se trouve maintenant à la BDIC, mais à ce

jour, il n’a pas été exploré et répertorié24.

Un autre trésor se trouve en Roumanie, à la Bibliothèque Nationale: 239 lettres adressées

par Marya Kasterska à Pierre Sergesco dans la période 1921-193425. Ce fonds aussi n'a pas

encore été exploré.

L’édition de la correspondance de Marya Kasterska avec Henry de Montherlant et Pierre

Sergesco, totalisant 492 lettres, s’impose comme un acte culturel de grande importance pour

les cultures roumaine, polonaise et française. Je fais un appel aux autorités roumaines et

polonaises pour soutenir l’accomplissement d’un tel acte culturel. Je me permets de

mentionner aussi que dans l’important Dictionnaire des étrangers qui ont fait la France, qui

vient d’être publié chez Laffont26, ne figure ni le nom de Pierre Sergesco ni celui de Marya

Kasterska. Ce fait étrange mérite d’être compris et corrigé.

Marya Kasterska a marqué sur la pierre tombale de Pierre Sergesco au cimetière polonais

de Montmorency (au nord de Paris) une de ses phrases favorites : J’ai ce que j’ai donné. Elle

aurait pu dire la même phrase sur elle-même, car Marya Kasterska a donné beaucoup et à la

Pologne et à la Roumanie et à la France. Mais elle est morte dans un état de grande pauvreté,

20 Idem.21 P. M. Carjeu et Marya Kasterska, « Une étrange famille littéraire : les Haşdeu », Etudes Slaves et Est-Européennes, vol. XVI, 1971, p. 90-104, Presses de l’Université de Laval.22 Solomon Marcus, Academica, Bucureşti, nr. 5(41), 1994, p. 14.23 Dan Simonescu, op. cit., p. 344.24 Rodica Paléologue, «  La place et le rôle du livre roumain dans les bibliothèques françaises  », in Lucrările simpozionului internaţional « Cartea, România, Europa », ediţia I – 500 de ani de la prima carte tipărită pe teritoriul României, Biblioteca Metropolitană Bucureşti, Editura Biblioteca Bucureştilor, Bucureşti, 2009, p. 76-89.25 Colecţiile speciale BNR, secţia manuscrise, ms. 33759-34000. A vedea Cristina Marinescu, op. cit., p. 58.26 Pascal Ory (Ed.), Dictionnaire des étrangers qui ont fait la France, Robert Laffont, 2013. 

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seule, à l’Hôpital Cochin. A son enterrement, son cercueil était recouvert par les drapeaux

polonais, roumain et français.

Sur la pierre tombale, selon son vœux, sont marqués les mots mystérieux Semper eadem,

qu’on peut traduire par « Toujours la même ». Il s’agit, en fait du titre d’un très beau poème

de Baudelaire, que je voudrais vous lire en conclusion de ses trop brèves considérations sur

une femme d’exception :

Semper eadem

"D'où vous vient, disiez-vous, cette tristesse étrange, 

Montant comme la mer sur le roc noir et nu?" 

- Quand notre cœur a fait une fois sa vendange, 

Vivre est un mal. C'est un secret de tous connu,

Une douleur très simple et non mystérieuse, 

Et, comme votre joie, éclatante pour tous.

Cessez donc de chercher, ô belle curieuse! 

Et, bien que votre voix soit douce, taisez-vous!

Taisez-vous, ignorante! âme toujours ravie! 

Bouche au rire enfantin! Plus encor que la Vie,

La Mort nous tient souvent par des liens subtils.

Laissez, laissez mon cœur s'enivrer d'un mensonge, 

Plonger dans vos beaux yeux comme dans un beau songe, 

Et sommeiller longtemps à l'ombre de vos cils!

Basarab Nicolescu

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