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Épreuve orale 2 de -1 re Baccalauréat général et technologique Présentation La nouvelle épreuve orale de français du bac réhabilite une méthode que l’on croyait disparue de l’enseignement secondaire : l’ex- plication dite linéaire. Elle faisait loi jusqu’au début des années 1980 mais, sous divers noms (la lecture méthodique entre autres), elle avait cédé la place à une version orale du commentaire composé. Il ne s’agi- ra pas ici de recenser tous les outils de l’étude stylistique, qui restent valables quelle que soit la méthode, mais de dégager ce qui fait la spé- cificité de la lecture linéaire, et d’appliquer celle-ci aux quatre grands types de texte. Sommaire Principes de l’explication linéaire 1. Ce qu'expliquer veut dire 2. L'objectif et les écueils de l'exercice Genre 1. Le texte romanesque 1. La progression, moteur de la narration 2. L’importance des descriptions et des portraits Genre 2. Le texte de théâtre 1. La tirade : une parole performative 2. La dispute comme ressort dramatique Genre 3. Le texte poétique 1. La prosodie classique 2. La prose poétique Genre 4. Le texte d’idées Le risque de la paraphrase Par Jean-Pierre Aubrit, professeur de lettres classiques Le retour de l’explication linéaire 26 NRP LYCÉE NOVEMBRE 2020 L’instituteur et ses deux élèves, bas-relief de Neumagen, grès, fin du II e siècle ap. J.-C., Trèves, Allemagne. Les textes de la séquence Dans cette séquence, vous pourrez exploiter les ressources multimédia suivantes, disponibles sur le site NRP dans l’espace « Ressources abonnés ». Rendez-vous sur http://www.nrp-lycee.com. Les numériques +

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Page 1: Baccalauréat général et technologique Le retour de l ... · est un développement dans un discours plus long, cela ne doit pas être un délayage où il se noie. La seule justification

26 NRP LYCÉE SEPTEMBRE 2017

Épreuve orale 2de-1re

Baccalauréat général et technologique

Présentation

La nouvelle épreuve orale de français du bac réhabilite une méthode que l’on croyait disparue de l’enseignement secondaire : l’ex-plication dite linéaire. Elle faisait loi jusqu’au début des années 1980 mais, sous divers noms (la lecture méthodique entre autres), elle avait cédé la place à une version orale du commentaire composé. Il ne s’agi-ra pas ici de recenser tous les outils de l’étude stylistique, qui restent valables quelle que soit la méthode, mais de dégager ce qui fait la spé-cificité de la lecture linéaire, et d’appliquer celle-ci aux quatre grands types de texte.

Sommaire

Principes de l’explication linéaire1. Ce qu'expliquer veut dire2. L'objectif et les écueils de l'exercice

Genre 1. Le texte romanesque1. La progression, moteur de la narration2. L’importance des descriptions et des portraits

Genre 2. Le texte de théâtre1. La tirade : une parole performative2. La dispute comme ressort dramatique

Genre 3. Le texte poétique1. La prosodie classique2. La prose poétique

Genre 4. Le texte d’idéesLe risque de la paraphrase

Par Jean-Pierre Aubrit, professeur de lettres classiques

Le retour de l’explication linéaire

26 NRP LYCÉE NOVEMBRE 2020

L’instituteur et ses deux élèves, bas-relief de Neumagen, grès, fin du iie siècle ap. J.-C., Trèves, Allemagne.

Les textes de la séquence

Dans cette séquence, vous pourrez exploiter les ressources multimédia suivantes, disponibles sur le site NRP dans l’espace « Ressources abonnés ». Rendez-vous sur http://www.nrp-lycee.com.

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NOVEMBRE 2020 NRP LYCÉE 27

Baccalauréat général et technologique Épreuve orale 2de-1re

Principes de l’explication linéaire

1. Ce qu'expliquer veut direUn peu d’étymologie permettra de faire comprendre aux élèves

ce que signifie expliquer un texte, et ce que cela implique. Le verbe latin explicare veut d’abord dire « déployer », « dérouler ». Sa pre-mière application à l’écrit est d’ordre matériel, puisque « expliquer un volume » (volumen explicare), c’est déployer l’une de ces lon-gues bandes de papyrus ou de parchemin qu’au fur et à mesure de leur lecture les Romains enroulaient et déroulaient autour d’une baguette d’os ou de bois. De ce déploiement physique qui consti-tue le sens premier du mot, le latin tire deux acceptions figurées : celle de débrouiller, tirer au clair, et celle (qui relève du vocabulaire de la rhétorique) de développer, allonger. La seconde attitude ne peut s’autoriser que de la première : si l’explication d’un texte en est un développement dans un discours plus long, cela ne doit pas être un délayage où il se noie. La seule justification de l’exercice est de clarifier le texte en en mettant à jour tous les implicites (étymo-logiquement, ce qui est emmêlé, entortillé dans les plis du texte).

Retenons donc de cet examen de l’origine du mot qu’expliquer un texte, c’est accompagner son déroulement dans une démarche attentive à ne pas le briser, mais sous-tendue par la volonté de le comprendre et le maîtriser.

2. L’objectif et les écueils de l'exerciceCar l’explication d’un texte ne vaut qu’autant qu’elle en fait émer-

ger le sens – ou à tout le moins du sens. Elle devra donc se garder non seulement de le diluer dans la paraphrase mais aussi de l’émiet-ter en une poussière de remarques sans cohérence. Pour cela, il suffit de penser qu’à l’exception de quelques collages surréalistes, le sens d’un texte (sa signification) est généralement le produit de son sens, c’est-à-dire de l’orientation qui le structure. Dégager le mouvement du texte est donc le moyen le plus sûr de trouver ce qui fait la cohérence dynamique du texte, ce qui lui donne forme et sens tout à la fois (un sens à travers une forme).

On préférera la notion de mouvement à celle de plan, trop statique. Car l’explication dite linéaire ne doit pas être asservie à un ligne-à-ligne paralysant : adoptant sur le texte une sorte de perspective cavalière, elle en suivra le développement global, non pour en mimer passi-vement le cours, mais guidée par le souci de mettre en évidence les principes de son organisation interne. C’est ainsi qu’elle s’autorisera à l’occasion un regard prospectif ou rétrospectif, afin de suivre le déploie-ment d’un effet de sens ou d’en identifier les premières manifestations implicites.

GENRE 1 Le texte romanesque

1. La progression, moteur de la narration

Un texte narratif est le plus souvent construit sur une progression : en prenant le mot dans son acception littérale, il est un passage, le lieu d’une évolution physique et/ou morale, voire d’une métamor-phose. Observons donc le sens de ce passage, c’est-à-dire sa direction vectorielle pour en dégager le sens, soit la signification. Pierre Grimal remarquait que, contrairement aux héros tragiques enchaînés à leur sol en même temps qu’à leur destin, les héros de roman sont par défi-

nition d’« éternels voyageurs » devant qui « le monde entier ouvre ses routes1 ». Cette liberté d’allure, qui obéit à la seule loi de la volonté ou de la nécessité individuelles, fait du personnage romanesque un être essentiellement mobile dont le déplacement spatial est souvent la forme sensible que prend le mouvement plus intime de ses senti-ments. La fin du quatrième chapitre du Nœud de vipères en fournit un exemple patent.

➔ Exemple d’analyse

Une nuit, quelques mois après leur mariage, Isa a confessé à Louis, le narrateur, avoir dû rompre de précédentes fiançailles. Louis a compris alors que cette union avec une héritière de la prestigieuse famille bor-delaise des Fondaudège n’était due qu’au désir de la « caser » après cet échec. Cette révélation a causé l'effondrement de ce jeune avocat brillant mais sans grâce, que la certitude d'être aimé avait métamorphosé. Après une nuit sans sommeil, il sort de la maison, à l'aube.

Je descendis vers la terrasse. De grêles arbres à fruits se dessi-naient vaguement au-dessus des vignes. L'épaule des collines sou-levait la brume, la déchirait. Un clocher naissait du brouillard, puis l'église à son tour en sortait, comme un corps vivant. Toi qui t'ima-gines que je n'ai jamais rien compris à toutes ces choses… j'éprou-vais pourtant, à cette minute, qu'une créature rompue comme je l'étais peut chercher la raison, le sens de la défaite ; qu'il est possible que cette défaite renferme une signification, que les événements, surtout dans l'ordre du cœur, sont peut-être des messagers dont il faut interpréter le secret… Oui, j'ai été capable, à certaines heures de ma vie, d'entrevoir ces choses qui auraient dû me rapprocher de toi.

D'ailleurs ce ne dut être, ce matin-là, que l'émotion de quelques secondes. Je me vois encore remontant vers la maison. Il n'était pas huit heures et, déjà, le soleil tapait dur. Tu étais à ta fenêtre, la tête penchée, tenant tes cheveux d'une main et de l'autre, tu les brossais. Tu ne me voyais pas. Je demeurai, un instant, la tête levée vers toi, en proie à une haine dont je crois sentir le goût d'amertume dans la bouche, après tant d'années.

Je courus jusqu'à mon bureau, j'ouvris le tiroir fermé à clef ; j'en tirai un petit mouchoir froissé, le même qui avait servi à essuyer tes larmes, le soir de Superbagnères, et que, pauvre idiot, j'avais pressé contre ma poitrine. Je le pris, j'y attachai une pierre, comme j'eusse fait à un chien vivant que j'aurais voulu noyer, et je le jetai dans cette mare que, chez nous, on appelle « gouttiu ».

François Mauriac, Le Nœud de vipères, fin du chapitre 4, Grasset, 1932.

Trois paragraphes composent ce texte. À l'origine de chacun d'eux, une notation de mouvement (« Je descendis vers la terrasse », « remon-tant vers la maison », « Je courus jusqu'à mon bureau »), qui associe à ces trois lieux particuliers trois états d'âme distincts. II s'agira d'étudier comment leur courbe dessine le cheminement intérieur du narrateur, du trouble métaphysique (1er paragraphe) à la fermeture affective (2e paragraphe), qui se solde elle-même dans une rupture symbolique (3e paragraphe).

1. Par touches impressionnistes, le 1er paragraphe dessine un pay-sage mouvant aux formes tremblantes, presque anthropomorphe : loin de la stabilité rassurante que ce terrien pouvait en espérer, il le fait accé-der, le temps d’une « minute » vertigineuse, à l'intuition d'un mystère religieux, qui devrait le « rapprocher » d’Isa, mais ne fait que souligner le fossé infranchissable qui s’est creusé entre eux (ce que traduit d’emblée l'anacoluthe « Toi qui t'imagines […] … »).