autre_ecrits.pdf

617
 JACQUES LACAN Autres écrits  ÉDITIONS DU SEUIL  21, rue Jacob, Paris VI e

Upload: ken-ito

Post on 04-Apr-2018

216 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

  • 7/29/2019 Autre_ecrits.pdf

    1/615

    JACQUES LACAN

    Autres crits

    DITIONS DUSEUIL21, rue Jacob, Paris VIe

  • 7/29/2019 Autre_ecrits.pdf

    2/615

    ISBN 978-2-02-048647-7

    > ditions du Seuil, avril 2001

    Les rfrences concernant la premire publicationdes textesfigurenten fin d'ouvrage

    Le Code de la proprit intellectuelle interdit les copies ou reproductions destines uneutilisation collective Toute reprsentation ou reproduction intgrale ou partielle faite par quelqueprocd que ce soit, sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitueune contrefaon sanctionne par les articles L.335-2 et suivants du Code de b proprit intellectuelle.

    www.seuil.com

    http://www.seuil.com/http://www.seuil.com/
  • 7/29/2019 Autre_ecrits.pdf

    3/615

  • 7/29/2019 Autre_ecrits.pdf

    4/615

  • 7/29/2019 Autre_ecrits.pdf

    5/615

    Prologue

    Le centenaire de Lacan en cette anne 2001 nous est occasionde prsenter ce recueil au public. Les crits qui le composent onttous t publis ( l'exception de deux) du vivant de l'auteur.

    Le centenaire de la naissance est rare clbrer. Il suppose del'uvre une continuation de l'homme qui voque la survie. Ces lignes de Lacan, crites en 1956 pour le centenaire de Freud,n'taient pas sans ironie, puisqu'il ne voyait dans cette surviequ'un faux-semblant, justifiant son retour Freud . C'tait autemps o l'appareil international auquel celui-ci avait donnmandat de dire le vrai sur le vrai dans la psychanalyse se rvlait pour tre son teignoir.

    La publication du prsent recueil ne s'inscrit dans aucun retour Lacan . C'est que, croyons-nous, Lacan ne s'est pas loign. Il est l. Toujours d'actualit, ou dfinitivement intempestif?Peut-tre est-il l la faon bien particulire de la Lettre vole.

    Quoi qu'il en soit, vingt ans aprs sa mort il n'est personnequi feigne - srieusement s'entend - qu'il ait t surclass dans lapsychanalyse comme sujet suppos savoir. L'accueil fait ses

    Sminaires en tmoigne : ils sont reus par les praticiens et par lepublic comme des livres d'aujourd'hui, non de jadis.Surtout, il n'y a pas d'orthodoxie lacanienne. Il y a, oui, des

    lacaniens, il y en a mme plthore. Lacan, pour sa part, a dit o ilplaait sa mise : ... l'effet qui se propage n'est pas de communication de la parole, mais de dplacement du discours. Freud,incompris, fut-ce de lui-mme, d'avoir voulu se faire entendre,est moins servi par ses disciples que par cette propagation...

    Certes, il fonda une cole. Il l'appelait mon cole . Il pritsoin de la dissoudre peu avant de mourir. Comment montrermieux qu'il ne confiait le soin de sa survie nulle assembledefidles? Il se savait ex-sister. Cette graphie qu'il utilisait signaleque l'on existe moins dans, ou avec, que hors.

    7

  • 7/29/2019 Autre_ecrits.pdf

    6/615

    PROLOGUE

    N'allait-il pas jusqu' supposer parfois que ses crits, protgspar leur pouvoir d'iUecture , tels des hiroglyphes au dsert,ex-sisteraient la psychanalyse mme? Quand il lui arrivait

    de prvoir l'clips de celle-ci, il ne faisait fond que sur euxseuls : C'est quand la psychanalyse aura rendu les armes devantles impasses croissantes de notre civilisation (malaise que Freuden pressentait) que seront reprises par qui ? les indications de mescrits,

    Quelques annes plus tard, il ne voyait plus dans l'crit qu'undchet, bon pour la poubellication . Mais il lui arrivait aussi deprtendre : Il suffit de dix ans pour que ce que j'cris devienneclair pour tous... Le disait-il tongue in cheek ? Plutt faut-il penser que ce tous excluait ceux qu'il appelait les idiots (ceuxqui ne s'y connaissent pas).

    Sans doute lit-on peu Lacan dans le grand public. Cela faitsonger au mot de Picasso : Combien de personnes ont luHomre ? Cependant tout le monde en parle. On a ainsi cr lasuperstition homrique. Il y a une superstition lacanienne. Ne

    pas s'en satisfaire n'empche pas d'admettre un fait, qui est unfait de transfert.La parution du prsent recueil ne sera pas sans incidence sur

    ce transfert. Elle fera ex-sister, croyons-nous, un autre Lacan celui devenu classique (autrement dit, class) sous le signe de laparole et du langage. L'ouverture des crits voquait dj ce quise lve la fin de ce recueil sous le nom d'objet a ( lire : objetpetit a) . Cet objet est ainsi l'alpha des Autres crits.

    Il n'en est pas l'omga. Ce qui se laisse entrevoir infinepointeau-del. Pour le dire en bref: de la jouissance (concept qui runitet dplace ce qui chez Freud se nomme Lust, voire Lustgewinn,Libido, et Befriedigung, satisfaction, de la pulsion), le petit a estseulement le noyau laborable dans un discours, c'est--dire n'estpas rel, n'est qu'un semblant. D'o procde la thse radicaleselon laquelle le rel est l'exclu du sens, y compris du sens

    joui . Cette thse discute dans son dernier enseignement oraln'a t reprise par Lacan dans aucun de ses crits ; elle donne ce recueil sa ligne de fuite.

    Le dernier texte des crits tait de dcembre 1965, son Ouverture d'octobre 1966. Nous avons runi ici les crits

    8

  • 7/29/2019 Autre_ecrits.pdf

    7/615

    PROLOGUE

    majeurs publis ensuite dans la revue Scilicet; repris les comptesrendus des sminaires des Hautes tudes ; joint la Tlvision,de 1973; retenu la plupart des prfaces, articles, et notes, de la

    priode. Ce second recueil prend donc la suite du premier.Nous avons voulu aussi qu'il en reproduise la compositionet se trame avec lui. C'est ainsi que nous sommes revenu surla priode que Lacan appelait de ses antcdents et sur lasuivante, qui va du Discours de Rome (1953) la parutiondes crits (1966), pour donner ici le plus important de ce quin'avait pu trouver place dans le recueil prcdent ; c'est le cas enparticulier de l'article d'encyclopdie sur Les complexes familiaux (1938). Cet ensemble est distribu dans les seconde, troisime et quatrime parties du volume.

    La cinquime regroupe les textes consacrs l'Ecole, de l' Actede fondation de 1964 la Lettre de dissolution de 1980.

    Les trois dernires parties font retour la chronologie.Enfin, pour beaucoup de raisons, Lituraterre nous a paru

    comme prdestin occuper ici la place dvolue dans les Ecrits

    au Sminaire sur La Lettre vole .

    J.-A.M.

    Fvrier 2001

  • 7/29/2019 Autre_ecrits.pdf

    8/615

  • 7/29/2019 Autre_ecrits.pdf

    9/615

    Lituraterre

    Ce mot se lgitime de YErnout et Meillet : lino, litura, liturarius.Il m'est venu, pourtant, de ce jeu du mot dont il arrive qu'on fasseesprit : le contrepet revenant aux lvres, le renversement l'oreille.

    Ce dictionnaire (qu'on y aille) m'apporte auspice d'tre fondd'un dpart que je prenais (partir, ici est rpartir) de l'quivoquedont Joyce (James Joyce, dis-je), glisse d' letter a litter> d'une lettre(je traduis) une ordure.

    On se souvient qu'une messe-haine lui vouloir du bien, luioffrait une psychanalyse, comme on ferait d'une douche. Et de Jungencore...

    Au jeu que nous voquons, il n'y et rien gagn, y allant toutdroit au mieux de ce qu'on peut attendre de la psychanalyse safin.

    A faire litire de la lettre, est-ce saint Thomas encore qui luirevient, comme l'uvre en tmoigne tout de son long?

    Ou bien la psychanalyse atteste-t-elle l sa convergence avec ceque notre poque accuse du dbridement du lien antique dont secontient la pollution dans la culture ?

    J'avais brod l-dessus, comme par hasard un peu avant le maide 68, pour ne pas faire dfaut au paum de ces affluences que jedplace o je fais visite maintenant, Bordeaux ce jour-l. La civilisation, y rappelai-je en prmisse, c'est l'gout.

    Il faut dire sans doute que j'tais las de la poubelle laquelle j'airiv mon sort. On sait que je ne suis pas seul , pour partage,l'avouer.

    L'avouer ou, prononc l'ancienne, l'avoir dont Beckett faitbalance au doit qui fait dchet de notre tre, sauve l'honneur de lalittrature, et me relve du privilge que je croirais tenir ma place.

    La question est de savoir si ce dont les manuels semblent fairetal, soit que la littrature soit accommodation des restes, est affaire

    11

  • 7/29/2019 Autre_ecrits.pdf

    10/615

    LITURATERRE

    de collocation dans l'crit de ce qui d'abord serait chant, mytheparl, procession dramatique.

    Pour la psychanalyse, qu'elle soit appendue l'dipe, ne la quali

    fie en rien pour s'y retrouver dans le texte de Sophocle. L'vocationpar Freud d'un texte de Dostoevski ne suffit pas pour dire que lacritique de textes, chasse jusqu'ici garde du discours universitaire,ait reu de la psychanalyse plus d'air.

    Ici mon enseignement a place dans un changement de configuration qui s'affiche d'un slogan de promotion de l'crit, mais dontd'autres tmoignages, par exemple, que ce soit de nos jours qu'enfinRabelais soit lu, montrent un dplacement des intrts quoi jem'accorde mieux.

    J'y suis comme auteur moins impliqu qu'on n'imagine, et mescrits, un titre plus ironique qu'on ne croit : quand il s'agit soit derapports,fonctionde Congrs, soit disons de lettres ouvertes o jefais question d'un pan de mon enseignement.

    Loin en tout cas de me commettre en cefrotti-frottalittrairedont se dnote le psychanalyste en mal d'invention, j'y dnonce la

    tentative immanquable dmontrer l'ingalit de sa pratique motiver le moindre jugement littraire.Il est pourtant frappant que j'ouvre ce recueil d'un article que

    j'isole de sa chronologie, et qu'il s'y agisse d'un conte, lui-mmebien particulier de ne pouvoir rentrer dans la liste ordonne dessituations dramatiques : celui de ce qu'il advient de la poste d'unelettre missive, d'au su de qui se passent ses renvois, et de quels termess'appuie que je puisse la dire venue destination, aprs que, desdtours qu'elle y a subis, le conte et son compte se soient soutenussans aucun recours son contenu. Il n'en est que plus remarquableque l'effet qu'elle porte sur ceux qui tour tour la dtiennent, toutarguant du pouvoir qu'elle confre qu'ils soient pour y prtendre,puisse s'interprter, ce que je fais, d'une fminisation.

    Voil le compte bien rendu de ce qui distingue la lettre du signifiant mme qu'elle emporte. En quoi ce n'est pas faire mtaphore de

    l'pistole. Puisque le conte consiste en ce qu'y passe comme muscadele message dont la lettre y fait priptie sans lui.Ma critique, si elle a lieu d'tre tenue pour littraire, ne saurait

    porter, je m'y essaie, que sur ce que Poe fait d'tre crivain formerun tel message sur la lettre. Il est clair qu' n'y pas le dire tel quel, ce

    12

  • 7/29/2019 Autre_ecrits.pdf

    11/615

    LITURATERRE

    n'est pas insuffisamment, c'est d'autant plus rigoureusement qu'ill'avoue.

    Nanmoins l'lision n'en saurait tre lucide au moyen de

    quelque trait de sa psychobiographie : bouche plutt qu'elle en serait.(Ainsi la psychanalyste qui a rcur les autres textes de Poe icidclare forfait de son mnage.)

    Pas plus mon texte moi ne saurait-il se rsoudre par la mienne :le vu que je formerais par exemple d'tre lu enfin convenablement. Car encore faudrait-il pour cela qu'on dveloppe ce que j'entends que la lettre porte pour arriver toujours sa destination.

    Il est certain que, comme d'ordinaire, la psychanalyse ici reoit, dela littrature, si elle en prend du refoulement dans son ressort uneide moins psychobiographique.

    Pour moi si je propose la psychanalyse la lettre comme en souffrance, c'est qu'elle y montre son chec. Et c'est par l que jel'clair : quand j'invoque ainsi les lumires, c'est de dmontrer oelle fait trou. On le sait depuis longtemps : rien de plus important enoptique, et la plus rcente physique du photon s'en arme.

    Mthode par o la psychanalyse justifie mieux son intrusion : carsi la critique littraire pouvait effectivement se renouveler, ce seraitde ce que la psychanalyse soit l pour que les textes se mesurent elle, l'nigme tant de son ct.

    Mais ceux dont ce n'est pas mdire avancer que, plutt qu'ilsl'exercent, ils en sont exercs, tout le moins d'tre pris en corps -,entendent mal mes propos.

    J'oppose leur adresse vrit et savoir : c'est la premire o aussitt ils reconnaissent leur office, alors que sur la sellette, c'est leurvrit que j'attends. J'insiste corriger mon tir d'un savoir enchec : comme on ditfigureen abyme, ce n'est pas chec du savoir.J'apprends alors qu'on s'en croit dispens de faire preuve d'aucunsavoir.

    Serait-ce lettre morte que j'aie mis au titre d'un de ces morceauxque j'ai dits crits..., de la lettre l'instance, comme raison de l'incons

    cient?N'est-ce pas dsigner assez dans la lettre ce qui, devoir insister,n'est pas l de plein droit si fort de raison que a s'avance? La diremoyenne ou bien extrme, c'est montrer la bifidit o s'engagetoute mesure, mais n'y a-t-il rien dans le rel qui se passe de cette

    13

  • 7/29/2019 Autre_ecrits.pdf

    12/615

    LITURATERRE

    mdiation ? La frontire certes, sparer deux territoires, en symbolise qu'ils sont mmes pour qui la franchit, qu'ils ont communemesure. C'est le principe de YUmwelt, qui fait reflet de YInnenwelt.

    Fcheuse, cette biologie qui se donne dj tout de principe : le faitde l'adaptation notamment; ne parlons pas de la slection, ellefranche idologie se bnir d'tre naturelle.

    La lettre n'est-elle pas... littorale plus proprement, soit figurantqu'un domaine tout entier fait pour l'autre frontire, de ce qu'ilssont trangers,jusqu' n'tre pas rciproques?

    Le bord du trou dans le savoir, voil-t-il pas ce qu'elle dessine.Et comment la psychanalyse, si, justement ce que la lettre dit lalettre par sa bouche, il ne lui fallait pas le mconnatre, commentpourrait-elle nier qu'il soit, ce trou, de ce qu' le combler, ellerecoure y invoquer la jouissance?

    Reste savoir comment l'inconscient que je dis tre effet de langage, de ce qu'il en suppose la structure comme ncessaire et suffisante, commande cette fonction de la lettre.

    Qu'elle soit instrument propre l'criture du discours, ne la rend

    pas impropre dsigner le mot pris pour un autre, voire par unautre, dans la phrase, donc symboliser certains effets de signifiant,mais n'impose pas qu'elle soit dans ces effets primaire.

    Un examen ne s'impose pas de cette primarit, qui n'est mmepas supposer, mais de ce qui du langage appelle le littoral au littral.

    Ce que j'ai inscrit, l'aide de lettres, des formations de l'inconscient pour les rcuprer de ce dont Freud les formule, tre cequ'elles sont, des effets de signifiant, n'autorise pas faire de la lettreun signifiant, ni l'affecter, qui plus est, d'une primarit au regard dusignifiant.

    Un tel discours confusionnel n'a pu surgir que de celui quim'importe. Mais il m'importe dans un autre que j'pingle, le tempsvenu, du discours universitaire, soit du savoir mis en usage partir dusemblant.

    Le moindre sentiment que l'exprience quoi je pare, ne peut se

    situer que d'un autre discours, et d garder de le produire, sansl'avouer de moi. Qu'on me l'pargne Dieu merci ! n'empche pasqu' m'importer au sens que je viens de dire, on m'importune.

    Si j'avais trouv recevables les modles que Freud articule dansune Esquisse se forer de routes impressives, je n'en aurais pas pour

    14

  • 7/29/2019 Autre_ecrits.pdf

    13/615

    LITURATERRE

    autant pris mtaphore de l'criture. Elle n'est pas l'impression, cen'en dplaise au bloc magique.

    Quand je tire parti de la lettre Fliess 52e, c'est d'y lire ce que

    Freud pouvait noncer sous le terme qu'il forge du WZ, IVahr-nehmungszeichen, de plus proche du signifiant, la date o Saussurene l'a pas encore reproduit (du signans stocien).

    Que Freud l'crive de deux lettres, ne prouve pas plus que demoi, que la lettre soit primaire.

    Je vais donc essayer d'indiquer le vif de ce qui me parat produirela lettre comme consquence, et du langage, prcisment de ce que

    je dis : que l'habite qui parle.J'en emprunterai les traits ce que d'une conomie du langage

    permet de dessiner ce que promeut mon ide que littrature peut-tre vire lituraterre.

    On ne s'tonnera pas de m'y voir procder d'une dmonstrationlittraire puisque c'est l marcher du pas dont la question se produit.En quoi pourtant peut s'affirmer ce qu'est une telle dmonstration.

    Je reviens d'un voyage que j'attendais de faire au Japon de ce que

    d'un premier j'avais prouv... de littoral. Qu'on m'entende demi-mot de ce que tout l'heure de Y Umweltj'ai rpudi comme rendantle voyage impossible : d'un ct donc, selon ma formule, assurant sonrel, mais prmaturment, seulement d'en rendre, mais de maldonne,impossible le dpart, soit tout au plus de chanter Partons .

    Je ne noterai que le moment quej'ai recueilli d'une route nouvelle, la prendre de ce qu'elle ne fut plus comme la premire fois interdite.J'avoue pourtant que ce ne fut pas l'aller le long du cercle arctiqueen avion, que me fit lecture ce que je voyais de la plaine sibrienne.

    Mon essai prsent, en tant qu'il pourrait s'intituler d'une sibri-thique, n'aurait donc pas vu le jour si la mfiance des Sovitiquesm'avait laiss voir les villes, voire les industries, les installations militaires qui leur font prix de la Sibrie, mais ce n'est que conditionaccidentelle, quoique moins peut-tre la nommer accidentelle, yindiquer l'accident d'un amoncellement de l'occire.

    Seule dcisive est la condition littorale, et celle-l ne jouait qu'auretour d'tre littralement ce que le Japon de sa lettre n'avait sansdoute fait ce petit peu trop qui est juste ce qu'il faut pour que je leressente, puisque aprs tout j'avais dj dit que c'est l ce dont salangue s'affecte minemment.

    15

  • 7/29/2019 Autre_ecrits.pdf

    14/615

    LITURATERRE

    Sans doute ce trop tient-il ce que l'art en vhicule : j'en dirai lefait de ce que la peinture y dmontre de son mariage la lettre, trsprcisment sous la forme de la calligraphie.

    Comment dire ce qui me fascine dans ces choses qui pendent,kakmono que a se jaspine, pendent aux murs de tout muse en ceslieux, portant inscrits des caractres, chinois de formation, que je saisun peu, mais qui, si peu que je les sache, me permettent de mesurerce qui s'en lide dans la cursive, o le singulier de la main crasel'universel, soit proprement ce que je vous apprends ne valoir que dusignifiant : je ne l'y retrouve plus mais c'est que je suis novice. L aureste n'tant pas l'important, car mme ce que ce singulier appuieune forme plus ferme, et y ajoute la dimension, la demansion, ai-jedj dit, la demansion du papeludun, celle dont s'voque ce que

    j'instaure du sujet dans le Hun-En-Peluce, ce qu'il meuble l'angoissede l'Achose, soit ce que je connote du petit a ici fait l'objet d'treenjeu de quel pari qui se gagne avec de l'encre et du pinceau ?

    Tel invinciblement m'apparut, cette circonstance n'est pas rien :d'entre-les-nuages, le ruisseDement, seule trace apparatre, d'y oprer

    plus encore que d'en indiquer le relief en cette latitude, dans ce quide la Sibrie fait plaine, plaine dsole d'aucune vgtation que dereflets, lesquels poussent l'ombre ce qui n'en miroite pas.

    Le ruissellement est bouquet du trait premier et de ce qui l'efface.Je l'ai dit : c'est de leur conjonction qu'il se fait sujet, mais de ce ques'y marquent deux temps. Il y faut donc que s'y distingue la rature.

    Rature d'aucune trace qui soit d'avant, c'est ce qui fait terre dulittoral. Litura pure, c'est le littral. La produire, c'est reproduire cettemoiti sans paire dont le sujet subsiste. Tel est l'exploit de la calligraphie. Essayez de faire cette barre horizontale qui se trace de gauche droite pour figurer d'un trait l'un unaire comme caractre, vousmettrez longtemps trouver de quel appui elle s'attaque, de quelsuspens elle s'arrte. A vrai dire, c'est sans espoir pour un occident.

    Il y faut un train qui ne s'attrape qu' se dtacher de quoi que cesoit qui vous raye.

    Entre centre et absence, entre savoir et jouissance, il y a littoralqui ne vire au littral qu' ce que ce virage, vous puissiez le prendrele mme tout instant. C'est de a seulement que vous pouvez voustenir pour agent qui le soutienne.

    Ce qui se rvle de ma vision du ruissellement, ce qu'y domine

    16

  • 7/29/2019 Autre_ecrits.pdf

    15/615

    LITURATERRE

    la rature, c'est qu' se produire d'entre les nuages, elle se conjugue sa source, que c'est bien aux nues qu'Aristophane me hle de trouver ce qu'il en est du signifiant : soit le semblant, par excellence, si

    c'est de sa rupture qu'en pleut, effet ce qu'il s'en prcipite, ce qui ytait matire en suspension.Cette rupture qui dissout ce qui faisait forme, phnomne,

    mtore, et dont j'ai dit que la science s'opre en percer l'aspect,n'est-ce pas aussi que ce soit d'en congdier ce qui de cette ruptureferait jouissance ce que le monde ou aussi bien l'immonde, y aitpulsion figurerla vie.

    Ce qui de jouissance s'voque ce que se rompe un semblant,voil ce qui dans le rel se prsente comme ravinement.

    C'est du mme effet que l'criture est dans le rel le ravinementdu signifi, ce qui a plu du semblant en tant qu'il fait le signifiant.Elle ne dcalque pas celui-ci, mais ses effets de langue, ce qui s'enforge par qui la parle. Elle n'y remonte qu' y prendre nom, commeil arrive ces effets parmi les choses que dnomme la batterie signifiante pour les avoir dnombres.

    Plus tard de l'avion se virent s'y soutenir en isobares, fut-ce obliquer d'un remblai, d'autres traces normales celles dont la pentesuprme du relief se marquait de cours d'eau.

    N'ai-je pas vu Osaka comment les autoroutes se posent lesunes sur les autres comme planeurs venus du ciel? Outre que l-basl'architecture la plus moderne retrouve l'ancienne se faire aile s'abattre d'un oiseau.

    Comment le plus court chemin d'un point un autre se serait-ilmontr sinon du nuage que pousse le vent tant qu'il ne change pasde cap ? Ni l'amibe, ni l'homme, ni la branche, ni la mouche, ni lafourmi n'en eussent fait exemple avant que la lumire s'avre solidaire d'une courbure universelle, celle o la droite ne se soutientque d'inscrire la distance dans les facteurs effectifs d'une dynamiquede cascade.

    Il n'y a de droite que d'criture, comme d'arpentage que venu du

    ciel.Mais criture comme arpentage sont artefacts n'habiter que lelangage. Comment l'oublierions-nous quand notre science n'estoprante que d'un ruissellement de petites lettres et de graphiquescombins ?

    17

  • 7/29/2019 Autre_ecrits.pdf

    16/615

    LITURATERRE

    Sous le pont Mirabeau certes, comme sous celui dont une revuequi fut la mienne se fit enseigne, l'emprunter ce pont-oreille Horus Apollo, sous le pont Mirabeau, oui, coule la Seine primitive,

    et c'est une scne telle qu'y peut battre leV romain de l'heure cinq(cf. L'Homme aux loups). Mais aussi bien n'en jouit-on qu' ce qu'ypleuve la parole d'interprtation.

    Que le symptme institue l'ordre dont s'avre notre politique,implique d'autre part que tout ce qui s'articule de cet ordre soit passible d'interprtation.

    C'est pourquoi on a bien raison de mettre la psychanalyse au chefde la politique. Et ceci pourrait n'tre pas de tout repos pour ce quide la politique a faitfigurejusqu'ici, si la psychanalyse s'en avraitavertie.

    Il suffirait peut-tre, on se dit a sans doute, que de l'criture noustirions un autre parti que de tribune ou de tribunal, pour que s'y

    jouent d'autres paroles nous en faire le tribut.Il n'y a pas de mtalangage, mais l'crit qui se fabrique du langage

    est matriel peut-tre de force ce que s'y changent nos propos.

    Est-il possible du littoral de constituer tel discours qui se caractrise de ne pas s'mettre du semblant? L est la question qui ne sepropose que de la littrature dite d'avant-garde, laquelle est elle-mme fait de littoral : et donc ne se soutient pas du semblant, maispour autant ne prouve rien que la cassure, que seul un discours peutproduire, avec effet de production.

    Ce quoi semble prtendre une littrature en son ambition delituraterrir, c'est de s'ordonner d'un mouvement qu'elle appellescientifique.

    Il est de fait que l'criture y a fait merveille et que tout marqueque cette merveille n'est pas prs de se tarir.

    Cependant la science physique se trouve, va se trouver ramene laconsidration du symptme dans les faits, par la pollution de ce quedu terrestre on appelle, sans plus de critique de YUmwelt, l'environnement : c'est l'ide d'Uexktill behaviourise, c'est--dire crtinise.

    Pour lituraterrir moi-mme, je fais remarquer que je n'ai fait dansle ravinement qui l'image, aucune mtaphore. L'criture est ce ravinement mme, et quand je parle de jouissance, j'invoque lgitimement ce que j'accumule d'auditoire : pas moins par l celles dont jeme prive, car a m'occupe.

    18

  • 7/29/2019 Autre_ecrits.pdf

    17/615

    LITURATFRRE

    Je voudrais tmoigner de ce qui se produit d'un fait dj marqu : savoir celui d'une langue, le japonais, en tant que la travaille l'criture.

    Qu'il y ait inclus dans la langue japonaise un effet d'criture, l'important est qu'il reste attach l'criture et que ce qui est porteur del'effet d'criture y soit une criture spcialise en ceci qu'en japonaiselle puisse se lire de deux prononciations diffrentes : en on-yomi saprononciation en caractres, le caractre se prononce comme teldistinctement, en kun-yomi la faon dont se dit en japonais ce qu'ilveut dire.

    a serait comique d'y voir dsigner, sous prtexte que le caractreest lettre, les paves du signifiant courant aux fleuves du signifi.C'est la lettre comme telle qui fait appui au signifiant selon sa loide mtaphore. C'est d'ailleurs : du discours, qu'il la prend aufiletdusemblant.

    Elle est pourtant promue de l comme rfrent aussi essentiel quetoute chose, et ceci change le statut du sujet. Qu'il s'appuie sur unciel constell, et non seulement sur le trait unaire, pour son identifi

    cation fondamentale, explique qu'il ne puisse prendre appui que surle Tu, c'est--dire sous toutes les formes grammaticales dont lemoindre nonc se varie des relations de politesse qu'il impliquedans son signifi.

    La vrit y renforce la structure de fiction que j'y dnote, de ceque cette fiction soit soumise aux lois de la politesse.

    Singulirement ceci semble porter le rsultat qu'il n'y ait rien dfendre de refoul, puisque le refoul lui-mme trouve se logerde la rfrence la lettre.

    En d'autres termes le sujet est divis comme partout par le langage, mais un de ses registres peut se satisfaire de la rfrence l'criture et l'autre de la parole.

    C'est sans doute ce qui a donn Roland Barthes ce sentimentenivr que de toutes ses manires le sujet japonais ne fait enveloppe rien. L'Empire des signes, intitule-t-il son essai voulant dire : empire

    des semblants.Le Japonais, m'a-t-on dit, la trouve mauvaise. Car rien de plusdistinct du vide creus par l'criture que le semblant. Le premier estgodet prt toujours faire accueil la jouissance, ou tout au moins l'invoquer de son artifice.

    19

  • 7/29/2019 Autre_ecrits.pdf

    18/615

    LITURATERRE

    D'aprs nos habitudes, rien ne communique moins de soi qu'untel sujet qui en fin de compte ne cache rien. Il n'a qu' vous manipuler : vous tes un lment entre autres du crmonial o le sujet

    se compose justement de pouvoir se dcomposer. Le bunraku, thtredes marionnettes, en fait voir la structure tout ordinaire pour ceux qui elle donne leurs murs elles-mmes.

    Aussi bien, comme au bunraku tout ce qui se dit pourrait-il trelu par un rcitant. C'est ce qui a d soulager Barthes. Le Japon estl'endroit o il est le plus naturel de se soutenir d'un ou d'une interprte, justement de ce qu'il ne ncessite pas l'interprtation.

    C'est la traduction perptuelle faite langage.Ce que j'aime, c'est que la seule communication que j'y aie eue

    (hors les Europens avec lesquels je sais manier notre malentenduculturel), c'est aussi la seule qui l-bas comme ailleurs puisse trecommunication, de n'tre pas dialogue : savoir la communicationscientifique.

    Elle poussa un minent biologiste me dmontrer ses travaux,naturellement au tableau noir. Le fait que, faute d'information, je

    n'y compris rien, n'empche pas d'tre valable ce qui restait crit l.Valable pour les molcules dont mes descendants se feront sujets,sans que j'aie jamais eu savoir comment je leur transmettais ce quirendait vraisemblable qu'avec moi je les classe, de pure logique,parmi les tres vivants,

    Une ascse de l'criture ne me semble pouvoir passer qu'rejoindre un c'est crit dont s'instaurerait le rapport sexuel.

    1911

  • 7/29/2019 Autre_ecrits.pdf

    19/615

    II

  • 7/29/2019 Autre_ecrits.pdf

    20/615

  • 7/29/2019 Autre_ecrits.pdf

    21/615

    Les complexes familiauxdans la formation de l'individu

    Essai d'analyse dune fonction en psychologie

    PARU EN 1938 DANS L* ENCYCLOPDIE FRANAISE

    INTRODUCTIONL'INSTITUTION FAMILIALE

    La famille parat d'abord comme un groupe naturel d'individusunis par une double relation biologique : la gnration, qui donneles composants du groupe ; les conditions de milieu que postule

    le dveloppement des jeunes et qui maintiennent le groupe pourautant que les adultes gnrateurs en assurent la fonction. Dans lesespces animales, cette fonction donne lieu des comportementsinstinctifs, souvent trs complexes. On a d renoncer faire driverdes relations familiales ainsi dfinies les autres phnomnes sociauxobservs chez les animaux. Ces derniers apparaissent au contraire sidistincts des instincts familiaux que les chercheurs les plus rcentsles rapportent un instinct original, dit d'interattraction.

    L'espce humaine se caractrise par un dveloppement singulierdes relations sociales, que soutiennent des capacits exceptionnellesde communication mentale, et corrlativement par une conomieparadoxale des instincts qui s'y montrent essentiellement susceptiblesde conversion et d'inversion et n'ont plus d'effet isolable quede faon sporadique. Des comportements adaptatifs d'une varitinfinie sont ainsi permis. Leur conservation et leur progrs, pour

    dpendre de leur communication, sont avant tout uvre collectiveet constituent la culture ; celle-ci introduit une nouvelle dimensiondans la ralit sociale et dans la vie psychique. Cette dimension spcifie la famille humaine comme, du reste, tous les phnomnessociaux chez l'homme.

    23

  • 7/29/2019 Autre_ecrits.pdf

    22/615

    LES COMPLEXES FAMILIAUX DANS LA FORMATION DE L'INDIVIDU

    Si, en effet, la famille humaine permet d'observer, dans les toutespremires phases des fonctions maternelles, par exemple, quelquestraits de comportement instinctif identifiables ceux de la famille

    biologique, il suffit de rflchir ce que le sentiment de la paternitdoit aux postulats spirituels qui ont marqu son dveloppement,pour comprendre qu'en ce domaine les instances culturelles dominent les naturelles, au point qu'on ne peut tenir pour paradoxauxles cas o, comme dans l'adoption, elles s'y substituent.

    Cette structure culturelle de la famille humaine est-elle entirement accessible aux mthodes de la psychologie concrte : observation et analyse ? Sans doute, ces mthodes suffisent-elles mettre envidence des traits essentiels, comme la structure hirarchique de lafamille, et reconnatre en elle l'organe privilgi de cette contraintede l'adulte sur l'enfant, contrainte laquelle l'homme doit une tapeoriginale et les bases archaques de sa formation morale.

    Mais d'autres traits objectifs : les modes d'organisation de cetteautorit familiale, les lois de sa transmission, les concepts de la descendance et de la parent qui lui sont joints, les lois de l'hritage et

    de la succession qui s'y combinent, enfin ses rapports intimes avecles lois du mariage - obscurcissent en les enchevtrant les relationspsychologiques. Leur interprtation devra alors s'clairer des donnes compares de l'ethnographie, de l'histoire, du droit et de lastatistique sociale. Coordonnes par la mthode sociologique, cesdonnes tablissent que la famille humaine est une institution. L'analyse psychologique doit s'adapter cette structure complexe et n'aque faire des tentatives philosophiques qui ont pour objet de rduirela famille humaine soit un fait biologique, soit un lment thorique de la socit.

    Ces tentatives ont pourtant leur principe dans certaines apparences du phnomne familial ; pour illusoires que soient ces apparences, elles mritent qu'on s'y arrte, car elles reposent sur desconvergences relles entre des causes htrognes. Nous en dcrirons le mcanisme sur deux points toujours litigieux pour le psy

    chologue.Entre tous les groupes humains, la famille joue un rle primordialdans la transmission de la culture. Si les traditions spirituelles, lagarde des rites et des coutumes, la conservation des techniques et dupatrimoine lui sont disputes par d'autres groupes sociaux, la famille

    24

  • 7/29/2019 Autre_ecrits.pdf

    23/615

    LES COMPLEXES FAMILIAUX DANS LA FORMATION DE L'INDIVIDU

    prvaut dans la premire ducation, la rpression des instincts,l'acquisition de la langue justement nomme maternelle. Par l elleprside aux processus fondamentaux du dveloppement psychique,

    cette organisation des motions selon des types conditionns parl'ambiance, qui est la base des sentiments selon Shand; plus largement, elle transmet des structures de comportement et de reprsentation dont le jeu dborde les limites de la conscience.

    Elle tablit ainsi entre les gnrations une continuit psychiquedont la causalit est d'ordre mental. Cette continuit, si elle rvlel'artifice de ses fondements dans les concepts mmes qui dfinissentl'unit de ligne, depuis le totem jusqu'au nom patronymique, ne semanifeste pas moins par la transmission la descendance de dispositions psychiques qui confinent l'inn ; Conn a cr pour ces effetsle terme d'hrdit sociale. Ce terme, assez impropre en son ambigut, a du moins le mrite de signaler combien il est difficile aupsychologue de ne pas majorer l'importance du biologique dans lesfaits dits d'hrdit psychologique.

    Une autre similitude, toute contingente, se voit dans le fait que

    les composants normaux de la famille telle qu'on l'observe de nosjours en Occident : le pre, la mre et les enfants, sont les mmesque ceux de la famille biologique. Cette identit n'est rien de plusqu'une galit numrique. Mais l'esprit est tent d'y reconnatre unecommunaut de structure directement fonde sur la constance desinstincts, constance qu'il lui faut alors retrouver dans les formesprimitives de la famille. C'est sur ces prmisses qu'ont t fondesdes thories purement hypothtiques de la famille primitive, tantt l'image de la promiscuit observable chez les animaux, par descritiques subversifs de l'ordre familial existant ; tantt sur le modledu couple stable, non moins observable dans l'animalit, par desdfenseurs de l'institution considre comme cellule sociale.

    Les thories dont nous venons de parler ne sont appuyes suraucun fait connu. La promiscuit prsume ne peut tre affirmenulle part, mme pas dans les cas dits de mariage de groupe : ds

    l'origine existent interdictions et lois. Les formes primitives de lafamille ont les traits essentiels de ses formes acheves : autorit sinonconcentre dans le type patriarcal, du moins reprsente par unconseil, par un matriarcat ou ses dlgus mles ; mode de parent,hritage, succession, transmis, parfois distinctement (Rivers), selon une

    25

  • 7/29/2019 Autre_ecrits.pdf

    24/615

    LES COMPLEXES FAMILIAUX DANS LA FORMATION DE L'INDIVIDU

    ligne paternelle ou maternelle. Il s'agit bien l de familles humainesdment constitues. Mais loin qu'elles nous montrent la prtenduecellule sociale, on voit dans ces familles, mesure qu'elles sont plus

    primitives, non seulement un agrgat plus vaste de couples biologiques, mais surtout une parent moins conforme aux liens naturelsde consanguinit.

    Le premier point est dmontr par Durkheim, et par Fauconnetaprs lui, sur l'exemple historique de la famille romaine ; l'examendes noms de famille et du droit successoral, on dcouvre que troisgroupes sont apparus successivement, du plus vaste au plus troit : la

    gens, agrgat trs vaste de souches paternelles ; la famille agnatique,plus troite mais indivise ; enfin la famille qui soumet la patria potes-tas de l'aeul les couples conjugaux de tous sesfilset petits-fils.

    Pour le second point, la famille primitive mconnat les liensbiologiques de la parent : mconnaissance seulement juridique dansla partialit unilinale de lafiliation; mais aussi ignorance positiveou peut-tre mconnaissance systmatique (au sens de paradoxe dela croyance que la psychiatrie donne ce terme), exclusion totale

    de ces liens qui, pour ne pouvoir s'exercer qu' l'gard de la paternit, s'observerait dans certaines cultures matriarcales (Rivers etMalinowski). En outre la parent n'est reconnue que par le moyende rites qui lgitiment les liens du sang et au besoin en crent defictifs : faits du totmisme, adoption, constitution artificielle d'ungroupement agnatique comme la zadruga slave. De mme, d'aprsnotre code, lafiliationest dmontre par le mariage.

    A mesure qu'on dcouvre des formes plus primitives de la famillehumaine, elles s'largissent en groupements qui, comme le clan,peuvent tre aussi considrs comme politiques. Que si l'on transfre dans l'inconnu de la prhistoire la forme drive de la famillebiologique pour en faire natre par association naturelle ou artificielleces groupements, c'est l une hypothse contre laquelle choue lapreuve, mais qui est d'autant moins probable que les zoologistesrefusent - nous l'avons vu - d'accepter une telle gense pour les

    socits animales elles-mmes.D'autre part, si l'extension et la structure des groupements familiaux primitifs n'excluent pas l'existence en leur sein de familleslimites leurs membres biologiques - le fait est aussi incontestableque celui de la reproduction bisexue -, la forme ainsi arbitraire-

    26

  • 7/29/2019 Autre_ecrits.pdf

    25/615

    LES COMPLEXES FAMILIAUX DANS LA FORMATION DE L'INDIVIDU

    ment isole ne peut rien nous apprendre de sa psychologie et on nepeut l'assimiler la forme familiale actuellement existante.

    Le groupe rduit que compose la famille moderne ne parat pas,

    en effet, l'examen, comme une simplification mais plutt commeune contraction de l'institution familiale. Il montre une structureprofondment complexe, dont plus d'un point s'claire bien mieuxpar les institutions positivement connues de la famille ancienne quepar l'hypothse d'une famille lmentaire qu'on ne saisit nulle part.Ce n'est pas dire qu'il soit trop ambitieux de chercher dans cetteforme complexe un sens qui l'unifie et peut-tre dirige son volution. Ce sens se livre prcisment quand, la lumire de cet examencomparatif, on saisit le remaniement profond qui a conduit l'institution familiale sa forme actuelle ; on reconnat du mme coup qu'ilfaut l'attribuer l'influence prvalente que prend ici le mariage, institution qu'on doit distinguer de la famille. D'o l'excellence du terme famille conjugale , par lequel Durkheim la dsigne.

    I. LE COMPLEXE, FACTEUR CONCRET

    DE LA PSYCHOLOGIE FAMILIALE

    C'est dans l'ordre original de ralit que constituent les relationssociales qu'il faut comprendre la famille humaine. Si, pour asseoir ceprincipe, nous avons eu recours aux conclusions de la sociologie, bienque la somme des faits dont elle l'illustre dborde notre sujet, c'estque l'ordre de ralit en question est l'objet propre de cette science.Le principe est ainsi pos sur un plan o il a sa plnitude objective.Comme tel, il permettra djuger selon leur vraie porte les rsultatsactuels de la recherche psychologique. Pour autant, en effet, qu'ellerompt avec les abstractions acadmiques et vise, soit dans l'observation du behaviour, soit par l'exprience de la psychanalyse, rendre

    compte du concret, cette recherche, spcialement quand elle s'exercesur les faits de la famille comme objet et circonstance psychique ,n'objective jamais des instincts, mais toujours des complexes.

    Ce rsultat n'est pas le fait contingent d'une tape rductible de lathorie ; il faut y reconnatre, traduit en termes psychologiques mais

    27

  • 7/29/2019 Autre_ecrits.pdf

    26/615

    LES COMPLEXES FAMILIAUX DANS LA FORMATION DE L'INDIVIDU

    conforme au principe prliminairement pos, ce caractre essentielde l'objet tudi : son conditionnement par des facteurs culturels,aux dpens des facteurs naturels.

    Le complexe, en effet, lie sous une forme fixe un ensemble deractions qui peut intresser toutes les fonctions organiques depuisl'motion jusqu' la conduite adapte l'objet. Ce qui dfinit lecomplexe, c'est qu'il reproduit une certaine ralit de l'ambiance, etdoublement.

    1) Sa forme reprsente cette ralit en ce qu'elle a d'objectivement distinct une tape donne du dveloppement psychique ;cette tape spcifie sa gense.

    2) Son activit rpte dans le vcu la ralit ainsi fixe, chaquefois que se produisent certaines expriences qui exigeraient uneobjectivation suprieure de cette redite ; ces expriences spcifientle conditionnement du complexe.

    Cette dfinition elle seule implique que le complexe est dominpar des facteurs culturels : dans son contenu, reprsentatif d'un objet ;dans saforme,lie une tape vcue de robjectivation ; enfin dans sa

    manifestation de carence objective l'gard d'une situation actuelle,c'est--dire sous son triple aspect de relation de connaissance, deforme d'organisation affective et d'preuve au choc du rel, le complexe se comprend par sa rfrence l'objet. Or, toute identificationobjective exige d'tre communicable, c'est--dire repose sur un critreculturel ; c'est aussi par des voies culturelles qu'elle est le plus souventcommunique. Quant l'intgration individuelle des formes d'objec-tivation, elle est l'uvre d'un procs dialectique qui fait surgir chaqueforme nouvelle des conflits de la prcdente avec le rel. Dans ce procs il faut reconnatre le caractre qui spcifie l'ordre humain, savoircette subversion de toute fixit instinctive, d'o surgissent les formesfondamentales, grosses de variations infinies, de la culture.

    Si le complexe dans son plein exercice est du ressort de la culture,et si c'est l une considration essentielle pour qui veut rendrecompte des faits psychiques de la famille humaine, ce n'est pas dire

    qu'il n'y ait pas de rapport entre le complexe et l'instinct. Mais, faitcurieux, en raison des obscurits qu'oppose la critique de la biologie contemporaine le concept de l'instinct, le concept du complexe, bien que rcemment introduit, s'avre mieux adapt desobjets plus riches ; c'est pourquoi, rpudiant l'appui que l'inventeur

    28

  • 7/29/2019 Autre_ecrits.pdf

    27/615

    LES COMPLEXES FAMILIAUX DANS LA FORMATION DE L'INDIVIDU

    du complexe croyait devoir chercher dans le concept classique del'instinct, nous croyons que, par un renversement thorique, c'estl'instinct qu'on pourrait clairer actuellement par sa rfrence au

    complexe.Ainsi pourrait-on confronter point par point : 1) la relation deconnaissance qu'implique le complexe, cette connaturalit de l'organisme l'ambiance o sont suspendues les nigmes de l'instinct ;2) la typicit gnrale du complexe en rapport avec les lois d'ungroupe social, la typicit gnrique de l'instinct en rapport avec lafixit de l'espce ; 3) le protisme des manifestations du complexequi, sous des formes quivalentes d'inhibition, de compensation,de mconnaissance, de rationalisation, exprime la stagnation devantun mme objet, la strotypie des phnomnes de l'instinct, dontl'activation, soumise la loi du tout ou rien , reste rigide auxvariations de la situation vitale. Cette stagnation dans le complexetout autant que cette rigidit dans l'instinct - tant qu'on les rfreaux seuls postulats de l'adaptation vitale, dguisement mcaniste dufinalisme, on se condamne en faire des nigmes ; leur problme

    exige l'emploi des concepts plus riches qu'impose l'tude de la viepsychique.Nous avons dfini le complexe dans un sens trs large qui n'ex

    clut pas que le sujet ait conscience de ce qu'il reprsente. Mais c'estcomme facteur essentiellement inconscient qu'il fut d'abord dfinipar Freud. Son unit est en effet frappante sous cette forme, o ellese rvle comme la cause d'effets psychiques non dirigs par laconscience, actes manques, rves, symptmes. Ces effets ont descaractres tellement distincts et contingents qu'ils forcent d'admettrecomme lment fondamental du complexe cette entit paradoxale :une reprsentation inconsciente, dsigne sous le nom d'imago.Complexes et imago ont rvolutionn la psychologie et spcialement celle de la famille qui s'est rvle comme le lieu d'lectiondes complexes les plus stables et les plus typiques : de simple sujet deparaphrases moralisantes, la famille est devenue l'objet d'une analyse

    concrte.Cependant les complexes se sont dmontrs comme jouant unrle d' organiseurs dans le dveloppement psychique ; ainsi dominent-ils les phnomnes qui, dans la conscience, semblent les mieuxintgrs la personnalit ; ainsi sont motives dans l'inconscient non

    29

  • 7/29/2019 Autre_ecrits.pdf

    28/615

    LES COMPLEXES FAMILIAUX DANS LA FORMATION DE L*INDIVIDU

    seulement des justifications passionnelles, mais d'objectivables rationalisations. La porte de la famille comme objet et circonstance psychique s'en est du mme coup trouve accrue.

    Ce progrs thorique nous a incit donner du complexe uneformule gnralise, qui permette d'y inclure les phnomnesconscients de structure semblable. Tels les sentiments o il faut voirdes complexes motionnels conscients, les sentiments familiaux spcialement tant souvent l'image inverse de complexes inconscients.Telles aussi les croyances dlirantes, o le sujet affirme un complexecomme une ralit objective ; ce que nous montrerons particulirement dans les psychoses familiales. Complexes, imagos, sentimentset croyances vont tre tudis dans leur rapport avec la famille et enfonction du dveloppement psychique qu'ils organisent depuis l'enfant lev dans la famille jusqu' l'adulte qui la reproduit.

    1. Le complexe du sevrage

    Le complexe du sevrage fixe dans le psychisme la relation dunourrissage, sous le mode parasitaire qu'exigent les besoins du premier ge de l'homme ; il reprsente la forme primordiale de l'imagomaternelle. Partant, il fonde les sentiments les plus archaques et lesplus stables qui unissent l'individu la famille. Nous touchons iciau complexe le plus primitifdu dveloppement psychique, celuiqui se compose avec tous les complexes ultrieurs ; il n'est que plusfrappant de le voir entirement domin par des facteurs culturels etainsi, ds ce stade primitif, radicalement diffrent de l'instinct.

    Il s'en rapproche pourtant par deux caractres : le complexe dusevrage, d'une part, se produit avec des traits si gnraux dans toutel'tendue de l'espce qu'on peut le tenir pour gnrique ; d'autrepart, il reprsente dans le psychisme une fonction biologique, exerce par un appareil anatomiquement diffrenci : la lactation. Aussicomprend-on qu'on ait voulu rapporter un instinct, mme chez

    l'homme, les comportements fondamentaux qui lient la mre l'enfant. Mais c'est ngliger un caractre essentiel de l'instinct : sa rgulation physiologique manifeste dans le fait que l'instinct maternelcesse d'agir chez l'animal quand la fin du nourrissage est accomplie.

    Chez l'homme, au contraire, c'est une rgulation culturelle qui

    30

  • 7/29/2019 Autre_ecrits.pdf

    29/615

    LES COMPLEXES FAMILIAUX DANS LA FORMATION DE L'INDIVIDU

    conditionne le sevrage. Elle y apparat comme dominante, mme sion le limite au cycle de l'ablactation proprement dite, auquel rpondpourtant la priode physiologique de la glande commune la classe

    des mammifres. Si la rgulation qu'on observe enjalit n'apparatcomme nettement contre nature que dans des pratiques arrires -qui ne sont pas toutes en voie de dsutude -, ce serait cder uneillusion grossire que de chercher dans la physiologie la base instinctive de ces rgles, plus conformes la nature, qu'impose au sevragecomme l'ensemble des murs l'idal des cultures les plus avances. En fait, le sevrage, par l'une quelconque des contingences opratoires qu'il comporte, est souvent un traumatisme psychique dontles effets individuels, anorexies dites mentales, toxicomanies par labouche, nvroses gastriques, rvlent leurs causes la psychanalyse.

    Traumatisant ou non, le sevrage laisse dans le psychisme humainla trace permanente de la relation biologique qu'il interrompt. Cettecrise vitale se double en effet d'une crise du psychisme, la premiresans doute dont la solution ait une structure dialectique. Pour lapremire fois, semble-t-il, une tension vitale se rsout en intention

    mentale. Par cette intention, le sevrage est accept ou refus ; l'intention certes est fort lmentaire, puisqu'elle ne peut pas mme treattribue un moi encore l'tat de rudiment ; l'acceptation ou lerefus ne peuvent tre conus comme un choix, puisqu'en l'absenced'un moi qui affirme ou nie ils ne sont pas contradictoires ; mais,ples coexistants et contraires, ils dterminent une attitude ambivalente par essence, quoique l'un d'eux y prvale. Cette ambivalenceprimordiale, lors des crises qui assurent la suite du dveloppement,se rsoudra en diffrenciations psychiques d'un niveau dialectiquede plus en plus lev et d'une irrversibilit croissante. La prvalenceoriginelle y changera plusieurs fois de sens et pourra de ce fait ysubir des destines trs diverses ; elle s'y retrouvera pourtant et dansle temps et dans le ton, elle propres, qu'elle imposera et ces criseset aux catgories nouvelles dont chacune dotera le vcu.

    C'est le refus du sevrage qui fonde le positif du complexe, savoir

    l'imago de la relation nourricire qu'il tend rtablir. Cette imagoest donne dans son contenu par les sensations propres au premierge, mais n'a de forme qu' mesure qu'elles s'organisent mentalement. Or, ce stade tant antrieur l'avnement de la forme del'objet, il ne semble pas que ces contenus puissent se reprsenter

    31

  • 7/29/2019 Autre_ecrits.pdf

    30/615

    LES COMPLEXES FAMILIAUX DANS LA FORMATION DE L'INDIVIDU

    dans la conscience. Us s'y reproduisent pourtant dans les structuresmentales qui modlent, avons-nous dit, les expriences psychiquesultrieures. Ils seront rvoqus par association l'occasion de celles-

    ci, mais insparables des contenus objectifs qu'ils auront informs.Analysons ces contenus et ces formes.L'tude du comportement de la prime enfance permet d'affirmer

    que les sensations extro-, proprio- et introceptives ne sont pasencore, aprs le douzime mois, suffisamment coordonnes pourque soit acheve la reconnaissance du corps propre, ni corrlativement la notion de ce qui lui est extrieur.

    Trs tt pourtant, certaines sensations extroceptives s'isolentsporadiquement en units de perception. Ces lments d'objetsrpondent, comme il est prvoir, aux premiers intrts affectifs.En tmoignent la prcocit et l'lectivit des ractions de l'enfant l'approche et au dpart des personnes qui prennent soin de lui.Il faut pourtant mentionner part, comme un fait de structure, laraction d'intrt que l'enfant manifeste devant le visage humain :elle est extrmement prcoce, s'observant ds les premiers jours

    et avant mme que les coordinations motrices des yeux soientacheves. Ce fait ne peut tre dtach du progrs par lequel le visagehumain prendra toute sa valeur d'expression psychique. Cette valeur,pour tre sociale, ne peut tre tenue pour conventionneDe. La puissance ractive, souvent sous un mode ineffable, que prend le masquehumain dans les contenus mentaux des psychoses parat tmoignerde l'archasme de sa signification.

    Quoi qu'il en soit,ces

    ractions lectives permettent de concevoirchez l'enfant une certaine connaissance trs prcoce de la prsencequi remplit la fonction maternelle, et le rle de traumatisme causalque, dans certaines nvroses et certains troubles du caractre, peut

    jouer une substitution de cette prsence. Cette connaissance, trsarchaque et pour laquelle semble fait le calembour claudlien de co-naissance , se distingue peine de l'adaptation affective. Ellereste tout engage dans la satisfaction des besoins propres au premier

    ge et dans l'ambivalence typique des relations mentales qui s'y bauchent. Cette satisfaction apparat avec les signes de la plus grandeplnitude dont puisse tre combl le dsir humain, pour peu qu'onconsidre l'enfant attach la mamelle.

    Les sensations proprioceptives de la succion et de la prhension

    32

  • 7/29/2019 Autre_ecrits.pdf

    31/615

    LES COMPLEXES FAMILIAUX DANS LA FORMATION DE L'INDIVIDU

    font videmment la base de cetfe ambivalence du vcu, qui ressortde la situation mme : l'tre qui absorbe est tout absorb et lecomplexe archaque lui rpond dans l'embrassement maternel. Nous

    ne parlerons pas ici avec Freud d'auto-rotisme, puisque le moi n'estpas constitu, ni de narcissisme, puisqu'il n'y a pas d'image du moi ;bien moins encore d'rotisme oral, puisque la nostalgie du seinnourricier, sur laquelle a quivoque l'cole psychanalytique, ne relvedu complexe du sevrage qu' travers son remaniement par le complexe d'dipe. Cannibalisme , mais cannibalisme fusionnel, ineffable, la fois actif et passif; toujours survivant dans les jeux et motssymboliques, qui, dans l'amour le plus volu, rappeent le dsirde la larve, - nous reconnatrons en ces termes le rapport la ralitsur lequel repose l'imago maternelle.

    Cette base elle-mme ne peut tre dtache du chaos des sensations introceptives dont elle merge. L'angoisse, dont le prototypeapparat dans l'asphyxie de la naissance, lefroid,li la nudit du tgument, et le malaise labyrinthique auquel rpond la satisfaction du bercement organisent par leur triade le ton pnible de la vie organique

    qui, pour les meilleurs observateurs, domine les six premiers mois del'homme. Ces malaises primordiaux ont tous la mme cause : uneinsuffisante adaptation la rupture des conditions d'ambiance et denutrition qui font l'quilibre parasitaire de la vie intra-utrine.

    Cette conception s'accorde avec ce que, l'exprience, la psychanalyse trouve comme fonds dernier de l'imago du sein maternel :sous les fantasmes du rve comme sous les obsessions de la veille sedessinent avec une impressionnante prcision les images de l'habitatintra-utrin et du seuil anatomique de la vie extra-utrine. En prsence des donnes de la physiologie et du fait anatomique de lanon-mylinisation des centres nerveux suprieurs chez le nouveau-n, il est pourtant impossible de faire de la naissance, avec certainspsychanalystes, un traumatisme psychique. Ds lors cette forme del'imago resterait une nigme si l'tat postnatal de l'homme ne manifestait, par son malaise mme, que l'organisation posturale, tonique,

    quilibratoire, propre la vie intra-utrine, survit celle-ci.Il faut remarquer que le retard de la dentition et de la marche,un retard corrlatif de la plupart des appareils et desfonctions,dtermine chez l'enfant une impuissance vitale totale qui dure au-del desdeux premires annes. Ce fait doit-il tre tenu pour solidaire de ceux

    33

  • 7/29/2019 Autre_ecrits.pdf

    32/615

    LES COMPLEXES FAMILIAUX DANS LA FORMATION DE L'INDIVIDU

    qui donnent au dveloppement somatique ultrieur de l'homme soncaractre d'exception par rapport aux animaux de sa classe : la durede la priode d'enfance et le retard de la pubert ? Quoi qu'il en soit,

    il ne faut pas hsiter reconnatre au premier ge une dficience biologique positive, et considrer l'homme comme un animal naissance prmature. Cette conception explique la gnralit du complexe, et qu'il soit indpendant des accidents de l'ablactation. Celle-ci- sevrage au sens troit - donne son expression psychique, la premireet aussi la plus adquate, l'imago plus obscure d'un sevrage plusancien, plus pnible et d'une plus grande ampleur vitale : celui qui, la naissance, spare l'enfant de la matrice, sparation prmatured'o provient un malaise que nul soin maternel ne peut compenser.Rappelons en cet endroit un fait pdiatrique connu, l'arrirationaffective trs spciale qu'on observe chez les enfants ns avant terme.

    Ainsi constitue, l'imago du sein maternel domine toute la viede l'homme. De par son ambivalence pourtant, elle peut trouver sesaturer dans le renversement de la situation qu'elle reprsente, cequi n'est ralis strictement qu' la seule occasion de la maternit.

    Dans l'allaitement, l'treinte et la contemplation de l'enfant, la mre,en mme temps, reoit et satisfait le plus primitif de tous les dsirs. Iln'est pas jusqu' la tolrance de la douleur de l'accouchement qu'onne puisse comprendre comme le fait d'une compensation reprsentative du premier apparu des phnomnes affectifs : l'angoisse, neavec la vie. Seule l'imago qui imprime au plus profond du psychismele sevrage congnital de l'homme peut expliquer la puissance, larichesse et la dure du sentiment maternel. La ralisation de cetteimago dans la conscience assure la femme une satisfaction psychique privilgie, cependant que ses effets dans la conduite de lamre prservent l'enfant de l'abandon qui lui serait fatal.

    En opposant le complexe l'instinct, nous ne dnions pas aucomplexe tout fondement biologique, et en le dfinissant par certains rapports idaux, nous le relions pourtant sa base matrielle.Cette base, c'est la fonction qu'il assure dans le groupe social ; et ce

    fondement biologique, on le voit dans la dpendance vitale de l'individu par rapport au groupe. Alors que l'instinct a un support organique et n'est rien d'autre que la rgulation de celui-ci dans unefonction vitale, le complexe n'a qu' l'occasion un rapport organique,quand il supple une insuffisance vitale par la rgulation d'une

    34

  • 7/29/2019 Autre_ecrits.pdf

    33/615

    LES COMPLEXES FAMILIAUX DANS LA FORMATION DE L'INDIVIDU

    fonction sociale. Tel est le cas du complexe du sevrage. Ce rapportorganique explique que l'imago de la mre tienne aux profondeursdu psychisme et que sa sublimation soit particulirement difficile,

    comme il est manifeste dans l'attachement de l'enfant aux jupes desa mre et dans la dure parfois anachronique de ce lien.L'imago pourtant doit tre sublime pour que de nouveaux rap

    ports s'introduisent avec le groupe social, pour que de nouveauxcomplexes les intgrent au psychisme. Dans la mesure o elle rsiste ces exigences nouvelles, qui sont celles du progrs de la personnalit, l'imago, salutaire l'origine, devient facteur de mort.

    Que la tendance la mort soit vcue par l'homme comme objetd'un apptit, c'est l une ralit que l'ana-lyse fait apparatre tousles niveaux du psychisme ; cette ralit, il appartenait l'inventeurde la psychanalyse d'en reconnatre le caractre irrductible, maisl'explication qu'il en a donne par un instinct de mort, pour blouissante qu'elle soit, n'en reste pas moins contradictoire dans lestermes ; tellement il est vrai que le gnie mme, chez Freud, cdeau prjug du biologiste qui exige que toute tendance se rapporte

    un instinct. Or, la tendance la mort, qui spcifie le psychisme del'homme, s'explique de faon satisfaisante par la conception quenous dveloppons ici, savoir que le complexe, unit fonctionnellede ce psychisme, ne rpond pas des fonctions vitales mais l'insuffisance congnitale de ces fonctions.

    Cette tendance psychique la mort, sous la forme originelle quelui donne le sevrage, se rvle dans des suicides trs spciaux qui secaractrisent comme non violents , en mme temps qu'y apparatla forme orale du complexe : grve de la faim de l'anorexie mentale,empoisonnement lent de certaines toxicomanies par la bouche,rgime de famine des nvroses gastriques. L'analyse de ces cas montreque, dans son abandon la mort, le sujet cherche retrouver l'imagode la mre. Cette association mentale n'est pas seulement morbide.Elle est gnrique, comme il se voit dans la pratique de la spulture,dont certains modes manifestent clairement le sens psychologique de

    retour au sein de la mre ; comme le rvlent encore les connexionstablies entre la mre et la mort, tant par les techniques magiquesque par les conceptions des thologies antiques ; comme on l'observeenfin dans toute exprience psychanalytique assez pousse.

    Mme sublime, l'imago du sein maternel continue jouer un

    35

  • 7/29/2019 Autre_ecrits.pdf

    34/615

    LES COMPLEXES FAMILIAUX DANS LA FORMATION DE L'INDIVIDU

    rle psychique important pour notre sujet. Sa forme la plus soustraite la conscience, celle de l'habitat prnatal, trouve dans l'habitation etdans son seuil, surtout dans leurs formes primitives, la caverne, la

    hutte, un symbole adquat.Par l, tout ce qui constitue l'unit domestique du groupe familialdevient pour l'individu, mesure qu'il est plus capable de l'abstraire,l'objet d'une affection distincte de celles qui l'unissent chaquemembre de ce groupe. Par l encore, l'abandon des scurits quecomporte l'conomie familiale a la porte d'une rptition dusevrage et ce n'est, le plus souvent, qu' cette occasion que le complexe est suffisamment liquid. Tout retour, fut-il partiel, ces scurits peut dclencher dans le psychisme des ruines sans proportionavec le bnfice pratique de ce retour.

    Tout achvement de la personnalit exige ce nouveau sevrage.Hegel formule que l'individu qui ne lutte pas pour tre reconnuhors du groupe familial n'atteint jamais la personnalit avant lamort. Le sens psychologique d cette thse apparatra dans la suitede notre tude. En fait de dignit personnelle, ce n'est qu' celle des

    entits nominales que la famille promeut l'individu et eue ne le peutqu' l'heure de la spulture.La saturation du complexe fonde le sentiment maternel ; sa subli

    mation contribue au sentiment familial ; sa liquidation laisse destraces o on peut la reconnatre : c'est cette structure de l'imagoqui reste la base des progrs mentaux qui l'ont remanie. S'il fallaitdfinir la forme la plus abstraite o on la retrouve, nous la caractriserions ainsi : une assimilation parfaite de la totalit l'tre. Sous cetteformule d'aspect un peu philosophique, on reconnatra ces nostalgiesde l'humanit : mirage mtaphysique de l'harmonie universelle,abme mystique de la fusion affective, utopie sociale d'une tutelletotalitaire, toutes sorties de la hantise du paradis perdu d'avant lanaissance et de la plus obscure aspiration la mort.

    2. Le complexe de l'intrusion

    Le complexe de l'intrusion reprsente l'exprience que ralise lesujet primitif, le plus souvent quand il voit un ou plusieurs de sessemblables participer avec lui la relation domestique, autrement dit,

    36

  • 7/29/2019 Autre_ecrits.pdf

    35/615

    LES COMPLEXES FAMILIAUX DANS LA FORMATION DE L*INDIVIDU

    lorsqu'il se connat des frres. Les conditions en seront donc trsvariables, d'une part selon les cultures et l'extension qu'elles donnentau groupe domestique, d'autre part selon les contingences indivi

    duelles, et d'abord selon la place que le sort donne au sujet dansl'ordre des naissances, selon la position dynastique, peut-on dire, qu'iloccupe ainsi avant tout conflit : celle de nanti ou celle d'usurpateur.

    La jalousie infantile a ds longtempsfrapples observateurs : J'aivu de mes yeux, dit saint Augustin, et bien observ un tout-petit enproie la jalousie : il ne parlait pas encore et il ne pouvait sans plirarrter son regard au spectacle amer de son frre de lait (Confes

    sions, I, vu). Le fait ici rvl l'tonnement du moraliste resta longtemps rduit la valeur d'un thme de rhtorique, utilisable toutesfins apologtiques.

    L'observation exprimentale de l'enfant et les investigations psychanalytiques, en dmontrant la structure de la jalousie infantile, ontmis au jour son rle dans la gense de la sociabilit et, par l, de laconnaissance elle-mme en tant qu'humaine. Disons que le pointcritique rvl par ces recherches est que la jalousie, dans son fond,

    reprsente non pas une rivalit vitale mais une identification mentale.Des enfants entre six mois et deux ans tant confronts par coupleet sans tiers et laisss leur spontanit ludique, on peut constater lefait suivant : entre les enfants ainsi mis en prsence apparaissent desractions diverses o semble se manifester une communication.Parmi ces ractions un type se distingue, du fait qu'on peut y reconnatre une rivalit objectivement dfinissable : il comporte en effetentre les sujets une certaine adaptation des postures et des gestes, savoir une conformit dans leur alternance, une convergence dansleur srie, qui les ordonnent en provocations et ripostes et permettent d'affirmer, sans prjuger de la conscience des sujets, qu'ils ralisent la situation comme double issue, comme une alternative.Dans la mesure mme de cette adaptation, on peut admettre queds ce stade s'bauche la reconnaissance d'un rival, c'est--dired'un autre comme objet. Or, si une telle raction peut tre trs

    prcoce, elle se montre dtermine par une condition si dominantequ'elle en apparat comme univoque : savoir une limite qui nepeut tre dpasse dans l'cart d'ge entre les sujets. Cette limite serestreint deux mois et demi dans la premire anne de la priodeenvisage et reste aussi stricte en s'largissant.

    37

  • 7/29/2019 Autre_ecrits.pdf

    36/615

    LES COMPLEXES FAMILIAUX DANS LA FORMATION DE L'INDIVIDU

    Si cette condition n'est pas remplie, les ractions que l'on observeentre les enfants confronts ont une valeur toute diffrente. Examinons les plusfrquentes: celles de la parade, de la sduction, du des

    potisme. Bien que deux partenaires yfigurent,le rapport qui caractrise chacune d'elles se rvle l'observation, non pas comme unconflit entre deux individus, mais dans chaque sujet, comme unconflit entre deux attitudes opposes et complmentaires, et cetteparticipation bipolaire est constitutive de la situation elle-mme. Pourcomprendre cette structure, qu'on s'arrte un instant l'enfant quise donne en spectacle et celui qui le suit du regard : quel est le plusspectateur? Ou bien qu'on observe l'enfant qui prodigue enversun autre ses tentatives de sduction : o est le sducteur? Enfin, del'enfant qui jouit des preuves de la domination qu'il exerce et decelui qui se complat s'y soumettre : qu'on se demande quel est leplus asservi. Ici se ralise ce paradoxe : que chaque partenaire confondla patrie de l'autre avec la sienne propre et s'identifie lui ; mais qu'ilpeut soutenir ce rapport sur une participation proprement insignifiante de cet autre et vivre alors toute la situation lui seul, comme

    le manifeste la discordance parfois totale entre leurs conduites. C'estdire que l'identification, spcifique des conduites sociales, ce stade,se fonde sur un sentiment de l'autre, que l'on ne peut que mconnatre sans une conception correcte de sa valeur tout imaginaire.

    Quelle est donc la structure de cette imago ? Une premire indication nous est donne par la condition reconnue plus haut pourncessaire une adaptation relle entre partenaires, savoir un cartd'ge trs troitement limit. Si l'on se rfre au fait que ce stade estcaractris par des transformations de la structure nerveuse assezrapides et profondes pour dominer les diffrenciations individuelles,on comprendra que cette condition quivaut l'exigence d'unesimilitude entre les sujets. Il apparat que l'imago de l'autre est lie la structure du corps propre et plus spcialement de ses fonctionsde relation, par une certaine similitude objective.

    La doctrine de la psychanalyse permet de serrer davantage le pro

    blme. Elle nous montre dans le frre, au sens neutre, l'objet lectifdes exigences de la libido qui, au stade que nous tudions, sonthomosexuelles. Mais aussi elle insiste sur la confusion en cet objet dedeux relations affectives, amour et identification, dont l'oppositionsera fondamentale aux stades ultrieurs.

    38

  • 7/29/2019 Autre_ecrits.pdf

    37/615

    LES COMPLEXES FAMILIAUX DANS LA FORMATION DE L'INDIVIDU

    Cette ambigut originelle se retrouve chez l'adulte, dans la passion de la jalousie amoureuse, et c'est l qu'on peut le mieux la saisir.On doit la reconnatre, en effet, dans le puissant intrt que le sujet

    porte l'image du rival : intrt qui, bien qu'il s'affirme commehaine, c'est--dire comme ngatif, et bien qu'il se motive par l'objetprtendu de l'amour, n'en parat pas moins entretenu par le sujet dela faon la plus gratuite et la plus coteuse et souvent domine telpoint le sentiment amoureux lui-mme, qu'il doit tre interprtcomme l'intrt essentiel et positif de la passion. Cet intrt confonden lui l'identification et l'amour, et, pour n'apparatre que masqudans le registre de la pense de l'adulte, n'en confre pas moins lapassion qu'il soutient cette irrfutabilit qui l'apparente l'obsession. L'agressivit maximum qu'on rencontre dans les formes psychotiques de la passion est constitue bien plus par la ngation decet intrt singulier que par la rivalit qui parat la justifier.

    Mais c'est tout spcialement dans la situationfraternelleprimitiveque l'agressivit se dmontre pour secondaire l'identification. Ladoctrinefreudiennereste incertaine sur ce point ; l'ide darwinienne

    que la lutte est aux origines mmes de la vie garde en effet un grandcrdit auprs du biologiste ; mais sans doute faut-il reconnatre ici leprestige moins critiqu d'une emphase moralisante, qui se transmeten des poncifs tels que : homo homini lupus. Il est vident, au contraire,que le nourrissage constitue prcisment pour les jeunes une neutralisation temporaire des conditions de la lutte pour la nourriture.Cette signification est plus vidente encore chez l'homme. L'apparition de la jalousie en rapport avec le nourrissage, selon le thmeclassique illustr plus haut par une citation de saint Augustin, doitdonc tre interprte prudemment. En fait, la jalousie peut se manifester dans des cas o le sujet, depuis longtemps sevr, n'est pas ensituation de concurrence vitale l'gard de sonfrre.Le phnomnesemble donc exiger comme pralable une certaine identification l'tat du frre. Au reste, la doctrine analytique, en caractrisantcomme sadomasochiste la tendance typique de la libido ce mme

    stade, souligne certes que l'agressivit domine alors l'conomieaffective, mais aussi qu'elle est toujours la fois subie et agie, c'est--dire sous-tendue par une identification l'autre, objet de la violence.

    Rappelons que ce rle de doublure intime que joue le masochisme dans le sadisme a t mis en relief par la psychanalyse et que

    39

  • 7/29/2019 Autre_ecrits.pdf

    38/615

    LES COMPLEXES FAMILIAUX DANS LA FORMATION DE L'INDIVIDU

    c'est l'nigme que constitue le masochisme dans l'conomie desinstincts vitaux qui a conduit Freud affirmer un instinct de mort.

    Si Ton veut suivre l'ide que nous avons indique plus haut, et

    dsigner avec nous dans le malaise du sevrage humain la source dudsir de la mort, on reconnatra dans le masochisme primaire lemoment dialectique o le sujet assume par ses premiers actes de

    jeu la reproduction de ce malaise mme et, par l, le sublime et lesurmonte. C'est bien ainsi que sont apparus les jeux primitifs del'enfant l'il connaisseur de Freud : cette joie de la premireenfance de rejeter un objet du champ de son regard, puis, l'objetretrouv, d'en renouveler inpuisablement l'exclusion, signifie bienque c'est le pathtique du sevrage que le sujet s'inflige nouveau, telqu'il l'a subi, mais dont il triomphe maintenant qu'il est actif dans sareproduction.

    Le ddoublement ainsi bauch dans le sujet, c'est l'identificationau frre qui lui permet de s'achever : elle fournit l'image qui fixel'un des ples du masochisme primaire. Ainsi la non-violence dusuicide primordial engendre la violence du meurtre imaginaire du

    frre. Mais cette violence n'a pas de rapport avec la lutte pour la vie.L'objet que choisit l'agressivit dans les primitifs jeux de la mort est,en effet, hochet ou dchet, biologiquement indiffrent ; le sujetl'abolit gratuitement, en quelque sorte pour le plaisir, il ne fait queconsommer ainsi la perte de l'objet maternel. L'image dufrrenonsevr n'attire une agression spciale que parce qu'elle rpte dansle sujet l'imago de la situation maternelle et avec elle le dsir de lamort. Ce phnomne est secondaire l'identification.

    L'identification affective est une fonction psychique dont lapsychanalyse a tabli l'originalit, spcialement dans le complexed'dipe, comme nous le verrons. Mais l'emploi de ce terme austade que nous tudions reste mal dfini dans la doctrine ; c'est quoi nous avons tent de suppler par une thorie de cette identification dont nous dsignons le moment gntique sous le terme destade du miroir.

    Le stade ainsi considr rpond au dclin du sevrage, c'est--dire la fin de ces six mois dont la dominante psychique de malaise,rpondant au retard de la croissance physique, traduit cette prmaturation de la naissance qui est, comme nous l'avons dit, le fond spcifique du sevrage chez l'homme. Or, la reconnaissance par le sujet de

    40

  • 7/29/2019 Autre_ecrits.pdf

    39/615

    LES COMPLEXES FAMILIAUX DANS LA FORMATION DE L'INDIVIDU

    son image dans le miroir est un phnomne qui, pour l'analyse dece stade, est deux fois significatif: le phnomne apparat aprs sixmois et son tude ce moment rvle de faon dmonstrative les

    tendances qui constituent alors la ralit du sujet ; l'image spculaire,en raison mme de ces affinits, donne un bon symbole de cetteralit : de sa valeur affective, illusoire comme l'image, et de sa structure, comme elle reflet de la forme humaine.

    La perception de la forme du semblable en tant qu'unit mentaleest lie chez l'tre vivant un niveau corrlatif d'intelligence et desociabilit. L'imitation au signal la montre, rduite, chez l'animalde troupeau ; les structures chomimiques, chopraxiques en manifestent l'infinie richesse chez le singe et chez l'homme* C'est le sensprimaire de l'intrt que l'un et l'autre manifestent leur image spculaire. Mais si leurs comportements l'gard de cette image, sous laforme de tentatives d'apprhension manuelle, paraissent se ressembler, ces jeux ne dominent chez l'homme que pendant un moment, la fin de la premire anne, ge dnomm par Bhler ge duchimpanz parce que l'homme y passe un pareil niveau d'intelli

    gence instrumentale.Or, le phnomne de perception qui se produit chez l'hommeds le sixime mois est apparu ds ce moment sous une forme toutediffrente, caractristique d'une intuition illuminative, savoir, sur lefonds d'une inhibition attentive, rvlation soudaine du comportement adapt (ici geste de rfrence quelque partie du corpspropre) ; puis ce gaspillage jubilatoire d'nergie qui signale objectivement le triomphe ; cette double raction laissant entrevoir lesentiment de comprhension sous sa forme ineffable. Ces caractrestraduisent selon nous le sens secondaire que le phnomne reoitdes conditions libidinales qui entourent son apparition. Ces conditions ne sont que les tensions psychiques issues des mois de prmaturation et qui paraissent traduire une double rupture vitale : rupturede cette immdiate adaptation au milieu qui dfinit le monde del'animal par sa connaturalit ; rupture de cette unit de fonctionne

    ment du vivant qui asservit chez l'animal la perception la pulsion.La discordance, ce stade chez l'homme, tant des pulsions quedes fonctions, n'est que la suite de l'incoordination prolonge desappareils. Il en rsulte un stade affectivement et mentalement constitu sur la base d'une proprioceptivit qui donne le corps comme

    41

  • 7/29/2019 Autre_ecrits.pdf

    40/615

    LES COMPLEXES FAMILIAUX DANS LA FORMATION DE L'INDIVIDU

    morcel : d'une part, l'intrt psychique se trouve dplac sur destendances visant quelque recollement du corps propre ; d'autrepart, la ralit, soumise d'abord un morcellement perceptif, dont

    le chaos atteint jusqu' ses catgories, espaces , par exemple, aussidisparates que les statiques successives de l'enfant, s'ordonne en refltant les formes du corps, qui donnent en quelque sorte le modle detous les objets.

    C'est ici une structure archaque du monde humain dont l'analysede l'inconscient a montr les profonds vestiges : fantasmes de dmembrement, de dislocation du corps, dont ceux de la castration ne sontqu'une image mise en valeur par un complexe particulier ; l'imagodu double, dont les objectivations fantastiques, telles que des causesdiverses les ralisent divers ges de la vie, rvlent au psychiatrequ'elle volue avec la croissance du sujet; enfin, ce symbolismeanthropomorphique et organique des objets dont la psychanalyse,dans les rves et dans les symptmes, a fait la prodigieuse dcouverte.

    La tendance par o le sujet restaure l'unit perdue de soi-mmeprend place ds l'origine au centre de la conscience. Elle est la source

    d'nergie de son progrs mental, progrs dont la structure est dtermine par la prdominance des fonctions visuelles. Si la recherchede son unit affective promeut chez le sujet les formes o il sereprsente son identit, la forme la plus intuitive en est donne, cette phase, par l'image spculaire. Ce que le sujet salue en elle,c'est l'unit mentale qui lui est inhrente. Ce qu'il y reconnat, c'estl'idal de l'imago du double. Ce qu'il y acclame, c'est le triomphede la tendance salutaire.

    Le monde propre cette phase est donc un monde narcissique.En le dsignant ainsi nous n'voquons pas seulement sa structurelibidinale par le terme mme auquel Freud et Abraham, ds 1908,ont assign le sens purement nergtique d'investissement de lalibido sur le corps propre ; nous voulons aussi pntrer sa structurementale avec le plein sens du mythe de Narcisse ; que ce sens indiquela mort : l'insuffisance vitale dont ce monde est issu ; ou la rflexion

    spculaire : l'imago du double qui lui est centrale ; ou l'illusion del'image : ce monde, nous Talions voir, ne contient pas d'autrui.La perception de l'activit d'autrui ne suffit pas en effet rompre

    l'isolement affectifdu sujet. Tant que l'image du semblable ne joueque son rle primaire, limit la fonction d'expressivit, elle

    42

  • 7/29/2019 Autre_ecrits.pdf

    41/615

    LES COMPLEXES FAMILIAUX DANS LA FORMATION DE L'INDIVIDU

    dclenche chez le sujet motions et postures similaires, du moinsdans la mesure o le permet la structure actuelle de ses appareils.Mais tandis qu'il subit cette suggestion motionnelle ou motrice,

    le sujet ne se distingue pas de l'image elle-mme. Bien plus, dans ladiscordance caractristique de cette phase, l'image ne fait qu'ajouterl'intrusion temporaire d'une tendance trangre. Appelons-la intrusion narcissique : l'unit qu'elle introduit dans les tendances contribuera pourtant la formation du moi. Mais, avant que le moiaffirme son identit, il se confond avec cette image qui le forme,mais l'aline primordialement.

    Disons que le moi gardera de cette origine la structure ambigudu spectacle qui, manifeste dans les situations plus haut dcrites dudespotisme, de la sduction, de la parade, donne leur forme despulsions, sadomasochiste et scoptophilitique (dsir de voir et d'trevu), destructrices de l'autrui dans leur essence. Notons aussi quecette intrusion primordiale fait comprendre toute projection du moiconstitu, qu'elle se manifeste comme mythomaniaque chez l'enfantdont l'identification personnelle vacille encore, comme transitiviste

    chez le paranoaque dont le moi rgresse un stade archaque, oucomme comprhensive quand elle est intgre dans un moi normal.Le moi se constitue en mme temps que l'autrui dans le drame de

    la jalousie. Pour le sujet, c'est une discordance qui intervient dans lasatisfaction spectaculaire, du fait de la tendance que celle-ci suggre.Elle implique l'introduction d'un tiers objet qui, la confusionaffective, comme l'ambigut spectaculaire, substitue la concurrence d'une situation triangulaire. Ainsi le sujet, engag dans la

    jalousie par identification, dbouche sur une alternative nouvelle ose joue le sort de la ralit : ou bien il retrouve l'objet maternel et vas'accrocher au refus du rel et la destruction de l'autre ; ou bien,conduit quelque autre objet, il le reoit sous la forme caractristique de la connaissance humaine, comme objet communicable,puisque concurrence implique la fois rivalit et accord ; mais enmme temps il reconnat l'autre avec lequel s'engage la lutte ou le

    contrat, bref il trouve la fois l'autrui et l'objet socialis. Ici encorela jalousie humaine se distingue donc de la rivalit vitale immdiate,puisqu'elle forme son objet plus qu'il ne la dtermine ; elle se rvlecomme l'archtype des sentiments sociaux.

    Le moi ainsi conu ne trouve pas avant l'ge de trois ans sa consti-

    43

  • 7/29/2019 Autre_ecrits.pdf

    42/615

    LES COMPLEXES FAMILIAUX DANS LA FORMATION DE L'INDIVIDU

    tution essentielle ; c'est celle mme, on le voit, de l'objectivit fondamentale de la connaissance humaine. Point remarquable, celle-citire sa richesse et sa puissance de l'insuffisance vitale de l'homme

    ses origines. Le symbolisme primordial de l'objet favorise tant sonextension hors des limites des instincts vitaux que sa perceptioncomme instrument. Sa socialisation par la sympathie jalouse fonde sapermanence et sa substantialit.

    Tels sont les traits essentiels du rle psychique du complexefraternel. En voici quelques applications.

    Le rle traumatisant du frre au sens neutre est donc constitupar son intrusion. Le fait et l'poque de son apparition dterminentsa signification pour le sujet. L'intrusion part du nouveau venu pourinfester l'occupant ; dans la famille, c'est en rgle gnrale le faitd'une naissance et c'est l'an qui en principe joue le rle de patient.

    La raction du patient au traumatisme dpend de son dveloppement psychique. Surpris par l'intrus dans le dsarroi du sevrage, ille ractive sans cesse son spectacle : il fait alors une rgression quise rvlera, selon les destins du moi} comme psychose schizophr-

    nique ou comme nvrose hypocondriaque ; ou bien il ragit par ladestruction imaginaire du monstre, qui donnera de mme soit desimpulsions perverses, soit une culpabilit obsessionnelle.

    Que l'intrus ne survienne au contraire qu'aprs le complexe del'dipe, il est adopt le plus souvent sur le plan des identificationsparentales, plus denses affectivement et plus riches de structure, onva le voir. Il n'est plus pour le sujet l'obstacle ou le reflet, mais unepersonne digne d'amour ou de haine. Les pulsions agressives sesubliment en tendresse ou en svrit.

    Mais le frre donne aussi le modle archaque du moi. Ici lerle d'agent revient l'an comme au plus achev. Plus conformesera ce modle l'ensemble des pulsions du sujet, plus heureuse serala synthse du moi et plus relles les formes de l'objectivit. Cetteformule est-elle confirme par l'tude des jumeaux? On sait que denombreux mythes leur imputent la puissance du hros, par quoi est

    restaure dans la ralit l'harmonie du sein maternel, mais c'est auprix d'un fratricide. Quoi qu'il en soit, c'est par le semblable quel'objet comme le moi se ralise : plus il peut assimiler de son partenaire, plus le sujet conforte la fois sa personnalit et son objectivit,garantes de sa future efficacit.

    44

  • 7/29/2019 Autre_ecrits.pdf

    43/615

    LES COMPLEXES FAMILIAUX DANS LA FORMATION DE L'INDIVIDU

    Mais le groupe de la fratrie familiale, divers d'ge et de sexe, estfavorable aux identifications les plus discordantes du moi. L'imagoprimordiale du double sur laquelle le moi se modle semble d'abord

    domine par les fantaisies de la forme, comme il apparat dansle fantasme commun aux deux sexes de la mre phallique ou dans ledouble phallique de la femme nvrose. D'autant plus facilement sefixera-t-elle en des formes atypiques, o des appartenances accessoires pourront jouer un aussi grand rle que des diffrences organiques ; et l'on verra, selon la pousse, suffisante ou non, de l'instinctsexuel, cette identification de la phase narcissique, soit engendrer lesexigencesformellesd'une homosexualit ou de quelque ftichismesexuel, soit, dans le systme d'un moi paranoaque, s'objectiver dansle type du perscuteur, extrieur ou intime.

    Les connexions de la paranoa avec le complexefraternelse manifestent par lafirquencedes thmes de filiation, d'usurpation, despoliation, comme sa structure narcissique se rvle dans les thmesplus paranodes de l'intrusion, de l'influence, du ddoublement, dudouble et de toutes les transmutations dlirantes du corps.

    Ces connexions s'expliquent en ce que le groupe familial, rduit la mre et lafratrie,dessine un complexe psychique o la ralittend rester imaginaire ou tout au plus abstraite. La clinique montrequ'effectivement le groupe ainsi dcomplt est trs favorable l'closion des psychoses et qu'on y trouve la plupart des cas dedlires deux.

    3. Le complexe dfdipe

    C'est en dcouvrant dans l'analyse des nvroses les faits dipiensque Freud mit au jour le concept du complexe. Le complexed'dipe, expos, vu le nombre des relations psychiques qu'il intresse, en plus d'un point de cet ouvrage, s'impose ici - et notretude, puisqu'il dfinit plus particulirement les relations psychiques

    dans la famille humaine - et notre critique, pour autant que Freuddonne cet lment psychologique pour la forme spcifique de lafamille humaine et lui subordonne toutes les variations sociales dela famille. L'ordre mthodique ici propos, tant dans la considrationdes structures mentales que des faits sociaux, conduira une rvision

    45

  • 7/29/2019 Autre_ecrits.pdf

    44/615

    LES COMPLEXES FAMILIAUX DANS LA FORMATION DE L'INDIVIDU

    du complexe qui permettra de situer dans l'histoire la famille paternaliste et d'clairer plus avant la nvrose contemporaine.

    La psychanalyse a rvl chez l'enfant des pulsions gnitales dont

    l'apoge se situe dans la quatrime anne. Sans nous tendre ici surleur structure, disons qu'elles constituent une sorte de pubert psychologique, fort prmature, on le voit, par rapport la pubertphysiologique. Enfixantl'enfant par un dsir sexuel l'objet le plusproche que lui offrent normalement la prsence et l'intrt, savoirle parent de sexe oppos, ces pulsions donnent sa base au complexe ;leur frustration en forme le nud. Bien qu'inhrente la prmaturation essentielle de ces pulsions, cette frustration est rapportepar l'enfant au tiers objet que les mmes conditions de prsenceet d'intrt lui dsignent normalement comme l'obstacle leursatisfaction : savoir au parent du mme sexe.

    La frustration qu'il subit s'accompagne, en effet, communmentd'une rpression ducative qui a pour but d'empcher tout aboutissement de ces pulsions et spcialement leur aboutissement mastur-batoire. D'autre part, l'enfant acquiert une certaine intuition de la

    situation qui lui est interdite, tant par les signes discrets et diffus quitrahissent sa sensibilit les relations parentales que par les hasardsintempestifs qui les lui dvoilent. Par ce double procs, le parentde mme sexe apparat l'enfant la fois comme l'agent de l'interdiction sexuelle et l'exemple de sa transgression.

    La tension ainsi constitue se rsout, d'une part, par un refoulement de la tendance sexuelle qui, ds lors, restera latente - laissantplace des intrts neutres, minemment favorables aux acquisitionsducatives - jusqu' la pubert ; d'autre part, par la sublimation del'image parentale qui perptuera dans la conscience un idal reprsentatif, garantie de la concidence future des attitudes psychiqueset des attitudes physiologiques au moment de la pubert. Ce doubleprocs a une importance gntique fondamentale, car il reste inscritdans le psychisme en deux instances permanentes : celle qui refoules'appelle le surmoi, celle qui sublime, l'idal du moi. Elles reprsen

    tent l'achvement de la crise dipienne.Ce schma essentiel du complexe rpond un grand nombrede donnes de l'exprience. L'existence de la sexualit infantile estdsormais inconteste ; au reste, pour s'tre rvle historiquementpar ces squelles de son volution qui constituent les nvroses, elle

    46

  • 7/29/2019 Autre_ecrits.pdf

    45/615

    LES COMPLEXES FAMILIAUX DANS LA FORMATION DE L'INDIVIDU

    est accessible l'observation la plus immdiate, et sa mconnaissancesculaire est une preuvefrappantede la relativit sociale du savoirhumain. Les instances psychiques qui, sous le nom du surmoi et

    d'idal du moi, ont t isoles dans une analyse concrte des symptmes des nvroses ont manifest leur valeur scientifique dans ladfinition et l'explication des phnomnes de la personnalit ; il y al un ordre de dtermination positive qui rend compte d'une fouled'anomalies du comportement humain et, du mme coup, rendcaduques, pour ces troubles, les rfrences l'ordre organique qui,encore que de pur principe ou simplement mythiques, tiennent lieude mthode exprimentale toute une tradition mdicale.

    A vrai dire, ce prjug qui attribue l'ordre psychique un caractre piphnomnal, c'est--dire inoprant, tai