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1 AUTOUR DE ÇA IRA (1) FIN DE LOUIS DE JOËL POMMERAT COMPAGNIE LOUIS BROUILLARD Le spectateur daujourdhui na pas envie quon réfléchisse à sa place. Il a envie quon lui laisse un espace. JOËL POMMERAT (ENTRETIEN AVEC ALTERNATIVES THEATRALES, 2011) RESSOURCES A DESTINATION DES ENSEIGNANTS, ELEVES ET ETUDIANTS Ces documents visent à ouvrir des pistes de réflexion et à expliquer le travail de création sans imposer, si possible, une lecture du spectacle, dont le sens se veut ouvert à la réception de chaque spectateur. DOSSIER REALISE PAR MARION BOUDIER ET LA COMPAGNIE LOUIS BROUILLARD. Remerciements aux élèves de khâgne du Lycée Fénelon et à leur professeur Bertrand Schiro pour leur contribution. Toutes les photos de ce dossier ont été prises par Elisabeth Carecchio.

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AUTOUR DE ÇA IRA (1) FIN DE LOUIS

DE JOËL POMMERAT COMPAGNIE LOUIS BROUILLARD

Le spectateur d’aujourd’hui n’a pas envie qu’on réfléchisse à sa place. Il a envie qu’on lui laisse un espace.

JOËL POMMERAT (ENTRETIEN AVEC ALTERNATIVES THEATRALES, 2011)

RESSOURCES A DESTINATION DES ENSEIGNANTS, ELEVES ET ETUDIANTS Ces documents visent à ouvrir des pistes de réflexion et à expliquer le travail de création sans imposer, si possible, une lecture du spectacle, dont le sens se veut ouvert à la réception de chaque spectateur.

DOSSIER REALISE PAR MARION BOUDIER ET LA COMPAGNIE LOUIS BROUILLARD. Remerciements aux élèves de khâgne du Lycée Fénelon et à leur professeur Bertrand Schiro pour leur contribution. Toutes les photos de ce dossier ont été prises par Elisabeth Carecchio.

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SOMMAIRE Une fiction inspirée de la Révolution française ..................................................................... 3

Déroulé du spectacle .......................................................................................................... 3 Dramaturgie : reconstruire une histoire complexe ............................................................ 5 Une épopée ? ...................................................................................................................... 7

Rendre le passé présent .......................................................................................................... 9

D’hier à aujourd’hui : résonnances et filiations ................................................................ 13 Une histoire sensible ........................................................................................................... 13

La parole et son lieu ............................................................................................................... 15

La parole est l’action ......................................................................................................... 15 Espace théâtral, espace démocratique ......................................................................... 17

Le processus de création ...................................................................................................... 20

Ecrire avec la scène .......................................................................................................... 20 Ecrire l’Histoire ..................................................................................................................... 21

Un tournant dans l’œuvre de Joël Pommerat ? ................................................................... 24 Annexes .................................................................................................................................. 26

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UNE FICTION INSPIREE DE LA REVOLUTION FRANÇAISE

Documents proposés en annexe : - dialogue de présentation du spectacle - plan scène à scène - descriptif des personnages - chronologie historique

Ça ira (1) Fin de Louis est une fiction politique inspirée du processus révolutionnaire de 1787 à 1791. Le spectacle représente ce moment d’invention démocratique, fondement de nos représentations politiques contemporaines. Joël Pommerat décrit son spectacle comme une « épopée » historique et une « fiction vraie ». Ça ira (1) Fin de Louis n’est pas une reconstitution historique de la Révolution française, mais une création fictionnelle. C’est une fiction documentée, « vraie » en ce sens, mais qui s’autorise des licences poétiques. On retrouve ce mélange entre réalité et fiction dans la plupart des spectacles de Joël Pommerat.

DEROULE DU SPECTACLE Les événements de Ça ira (1) Fin de Louis s’inspirent de la période 1787-1791. La première partie du spectacle introduit le contexte de crise économique et politique, depuis la tentative de réforme fiscale voulue par le roi jusqu’au « coup d’état » des députés du tiers-état qui se déclarent Assemblée Nationale. C’est la première fois depuis très longtemps que la population est autorisée et même invitée à s’exprimer et se réunir pour élire ses représentants. Mais la réunion du parlement des Etats généraux est « bloquée » : le tiers-état, qui représente la majorité de la population, refuse de travailler selon l’usage de trois chambres séparées ayant chacune une voix, car les deux partis privilégiés de la noblesse et de l’Eglise risquent de s’allier pour créer une majorité alors qu’ils ne représentent qu’une minorité des Français. La présence de militaires autour de Versailles et de Paris fait courir des rumeurs de massacre général. Les premières violences éclatent. La deuxième partie du spectacle représente le travail concret de l’Assemblée et l’irruption de la violence jusqu’à ce que des députés nobles proposent la suppression de leurs avantages. Craignant une répression militaire, les Parisiens se sont armés et ont attaqué la prison centrale, mais après la venue du roi à Paris pour apaiser la situation, le peuple croit sincèrement que Louis va accompagner la révolution. Les députés travaillent à l’écriture de la Constitution tout en devant faire face à la généralisation de la violence dans le pays, à la pénurie alimentaire et à la menace de banqueroute. La troisième partie du spectacle montre le fossé se creuser entre la population, les députés et le roi. Une manifestation de Parisiens menés par des femmes fait irruption à Versailles à l’Assemblée, accuse et malmène les députés, exige de voir le roi et lui demande des comptes. Un climat de guerre civile s’installe, certains nobles appelant à une contre-

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révolution violente. Transféré à Paris, le roi garde confiance, convaincu que la majorité silencieuse de la population le soutient et que les travaux de l’Assemblée sont voués à l’échec.

Pourquoi avoir choisi une séquence historique allant de l’assemblée des notables, dès 1787, jusqu’au printemps 91 ? Ce choix correspond, je crois, à la volonté de Joël Pommerat de dérouter les récits dominants de la tradition dramaturgique ainsi qu’à proposer une histoire « épaisse », qui restituerait le rôle et l’intelligence de chacun des acteurs de la Révolution. Commencer en 1787, c’est-à-dire au moment où le roi convoque l’Assemblée des Notables et se retrouve confronté à leur farouche opposition, déplace l’acte de naissance de l’événement, habituellement fixé aux Etats Généraux de mai 89, ce qui présente un intérêt dramaturgique, mais rend aussi compte des recherches récentes : une des thèses fortes de l’historien Jean-Clément Martin est ainsi de montrer que la Révolution française ne commence pas par les actions des patriotes mais que ce sont ceux que l’on appellera les « Contre-Révolutionnaires » qui provoquent le blocage initial, menant à l’effondrement de la monarchie absolue. Là encore, cette tension entre recherche historique et dramaturgique me semble particulièrement représentative du travail mené en commun. Quant au choix du printemps 1791, il s’explique un peu de la même manière. Il est cohérent d’un point de vue historique : la fuite du roi (20 juin 1791) constitue un des principaux tournants de la Révolution. Il revêt également un sens dramaturgique, le spectacle étant en partie centré sur la trajectoire de Louis XVI. Pour l’événement révolutionnaire comme pour la personne du roi elle-même, le printemps 1791 symbolise, de ce fait, une sorte de point de non-retour.

Guillaume Mazeau (conseiller historique), Revue d’Histoire du Théâtre, n° 268, 2015

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Commencer avant 1789 déporte le spectacle par rapport à un récit schématique et consensuel de la Révolution tel que l’a en partie fossilisé le Bicentenaire. Débuter le spectacle par la crise et les tentatives de réformes des années 1786-1788 établit également un lien entre la politique et l’économie, qui est par ailleurs un motif récurrent dans les spectacles de Joël Pommerat (par exemple dans Les Marchands, Ma chambre froide, La Grande et Fabuleuse Histoire du commerce).

DRAMATURGIE : RECONSTRUIRE UNE HISTOIRE COMPLEXE Dans l’ensemble, la dramaturgie du spectacle a été guidée par la volonté de raconter une histoire qui donne à voir un processus et ses acteurs dans leur variété et sans préjugés. L’histoire est racontée « avec innocence », comme si nous n’en connaissions pas la fin ni les héros. Réécriture de l’archive et imagination se sont mêlées pour « rendre présent » le passé dans toute son imprévisibilité (voir ci dessous « RENDRE LE PASSE PRESENT » et « LE PROCESSUS DE CREATION »).

En représentant des assemblées, des réunions, des débats, en mettant en scène la conflictualité révolutionnaire, l’avènement de citoyens autonomes et délibérants, Ça ira (1) Fin de Louis cherche à placer les spectateurs au cœur de la complexité humaine de l’expérience politique.

Marion Boudier, Avec Pommerat, un monde complexe, Actes Sud, 2015

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Pour représenter le renversement et la réinvention du pouvoir, le récit de Ça ira (1) Fin de Louis est notamment construit autour de quatre axes dramaturgiques :

- la parole politique : presque toutes les scènes sont des scènes de réunion et de politiques.

- trois lieux qui représentent différentes sphères de débat et de souveraineté : le roi et son entourage dans la résidence royale à Versailles, les députés à l’Assemblée à Versailles, les parisiens réunis en comités de quartier.

- une multitude de personnages, qui représentent différentes parties de la société et différents types d’engagement politique, qui appartiennent à des groupes mais suivent aussi des trajectoires individuelles (engagement, revirement, radicalisation…).

- une continuité narrative : le récit progresse de manière linéaire en déroulant les grandes étapes du processus révolutionnaire. Par rapport à la chronologie des événements historiques, cette temporalité linéaire comporte des ellipses et des contractions qui construisent la tension narrative.

Selon les moments du spectacle, Joël Pommerat étire ou concentre les événements. Il consacre notamment la moitié de la première partie au « blocage » initial des Etats généraux afin d’en faire comprendre tout l’enjeu : avec ce « coup d’état » des représentants du tiers-état, on peut considérer que la révolution est quasiment faite (reste à la mettre en pratique et à savoir si elle est terminée ou non). Certaines scènes de débats entre députés se déroulent comme en « temps réel », donnant à ressentir l’énergie et le piétinement des discussions. Le récit progresse peu dans ces scènes, mais l’événement y est donné à comprendre de manière sensible. Par rapport à la discipline historique, Ça ira (1) Fin de Louis invite à une autre forme de compréhension du passé grâce à la mise en intrigue et à travers le présent de la séance théâtrale. Les émotions et la compréhension narrative des événements priment sur l’exactitude d’une éventuelle démonstration scientifique exhaustive. Joël Pommerat travaille à révéler la complexité des individus. Il représente des anonymes pour déjouer les attentes du spectateur et brise les clichés qui entourent le roi et la reine en montrant notamment la jeunesse du roi, ses tentatives de réforme et ses hésitations. La reine n’est pas une beauté frivole mais une femme politique, en décalage par rapport à son entourage. Les parcours des personnages révèlent comment l’on devient partisan ou ennemi de la Révolution, progressivement et selon de multiples facteurs. Le député modéré Carray se rapproche des conservateurs en réaction à la violence par exemple, tandis qu’Elisabeth (la sœur du roi) ou la reine sont incapables de penser un autre monde. Ça ira (1) Fin de Louis met en mouvement de nombreux motifs et questionnements qui ne trouvent pas forcément de réponse et demeurent des enjeux pour aujourd’hui, entre autres :

- l’exercice et l’organisation du pouvoir, le fonctionnement démocratique, la relation entre le peuple et ses représentants, l’égalité…

- le rapport entre les idées et les actes, le rôle de l’émotion et de l’idéologie dans l’action publique, l’engagement, le courage, la prise de conscience politique…

- les liens entre économie et société… - la justice, la légitimité de la violence, les différents types de violence…

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La périodisation choisie, les thèmes mis en jeu, le traitement des personnages et des événements sur le mode du débat constant en donnant voix à chaque acteur de la Révolution aspirent à restituer une histoire complexe et plurielle, qui cherche à mettre en échec toute tentative d’imposer une vérité unique, forcément partiale. On retrouve dans Ça ira (1) Fin de Louis, le refus de tout surplomb ou dogmatisme propre à l’écriture de Joël Pommerat qui cherche à orienter le moins possible le jugement de son public. Mais Ça ira (1) Fin de Louis ne met pas pour cela en place une « stratégie poétique » comme c’est le cas par exemple dans Les Marchands où un récit en voix off et les images scéniques entraient en friction. Dans Ça ira (1) Fin de Louis, la volonté d’ouvrir la réception passe en partie par le large éventail des positions idéologiques représentées, toutes traitées avec une égale dignité, sans manichéisme ni caricature, et par le dispositif scénographique d’immersion proposée au spectateur.

UNE EPOPEE ? Joël Pommerat dit qu’il souhaitait écrire une « épopée », c’est-à-dire s’emparer d’une matière historique et mythique, travailler un ample récit, dérouler une chronologie avec différentes situations, différents plans de représentation et de nombreux personnages. L’ampleur narrative a pour corollaire une ampleur scénique : Joël Pommerat a écrit ce spectacle pour un grand plateau d’une vingtaine de mètres d’ouverture et pour une jauge de plus de 500 spectateurs.

Ce qui me trouble dans cette époque, c’est la foule de protagonistes différents, au-delà des figures centrales de Danton, Marat ou Robespierre. J’essaie de rendre compte de ce fourmillement de personnages dont il faut faire la synthèse. [...] J’aime organiser cette cohue, trouver un équilibre dans cette spontanéité et cette violence et une intelligence dans ce chaos. Ce théâtre épique essaie d’épouser les contours d’une révolution qui s’est construite au jour le jour, dans la douleur et l’improvisation.

Joël Pommerat, RTBF, 22/09/2015 Par rapport au genre épique, le spectacle mêle réalité historique et fiction, de même que l’épopée peut donner une dimension merveilleuse au récit vraisemblable des faits historiques. Mais alors que l’épopée est habituellement caractérisée par une succession de grandes actions, souvent guerrières et héroïques, et aspire à construire une légende en transmettant des valeurs, Ça ira (1) Fin de Louis montre l’histoire en formation, dans sa marche hésitante, dans toute sa complexité et son imprévisibilité, sans qu’une vision dominante ne soit trop directement imposée au spectateur. Le spectacle ne propose pas « l’histoire des grands hommes » mais une histoire « à hauteur d’homme », faite par des anonymes. Si l’on souhaite attribuer une dimension épique au spectacle, cela pourrait être dans une acception brechtienne. Pommerat n’utilise pas les procédés typiques de distanciation propre au théâtre épique, mais il rejoint le projet de Brecht en ce qu’il invite le spectateur à considérer l’histoire comme une question ouverte et à interroger à travers elle sa propre inscription dans le monde contemporain.

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Quelle vision de la Révolution avez-vous voulu transmettre ? Aucune ! Joël Pommerat n’a pas fait cette pièce avec des intentions historiques ou politiques, même si la pièce dit quelque chose de l’histoire et de la politique. Il n’est plus possible ni probablement souhaitable de faire avec la Révolution ce théâtre trop explicitement militant qui, au fond, conforte chacun dans ses opinions et place les spectateurs dans une position de réception passive. Il ne s’agit donc pas d’une pièce à message, mais d’une expérience collective qui consiste à faire vivre la Révolution comme pour la première fois. […] La Révolution coule encore dans nos veines. Elle est notre mythologie parce que les révolutionnaires ont posé les bases d’une nouvelle anthropologie. La Révolution nous interroge profondément sur l’organisation des hommes en société, sur les rapports de domination, sur la construction du commun, sur la violence aussi et, fondamentalement, sur la place de l’homme sur terre. Pourtant avec le temps, et parce que nous sommes de plus en plus saisis par la tentation de l’incroyance collective, nous y sommes devenus plus insensibles. La Révolution s’est largement patrimonialisée et dépolitisée.La pièce représente la Révolution dans son bouillonnement initial, avec ses espoirs, ses inventions démocratiques. Elle questionne les origines de notre communauté civique et politique mais de manière non manichéenne, prenant au sérieux tous les acteurs de ce grand combat, qu’ils soient révolutionnaires ou contre-révolutionnaires.

Guillaume Mazeau (conseiller historique) L’Histoire, 16/10/15

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RENDRE LE PASSE PRESENT

Documents proposés en annexe : - dialogue de présentation du spectacle

Dans Ça ira (1) Fin de Louis, les costumes et la langue sont contemporains, le décor abstrait mais moderne. On relève également quelques francs anachronismes tel le commentaire télévisé de l'ouverture des Etats généraux. Tout cela peut provoquer chez le spectateur la sensation d’un flottement temporel. Ça ira (1) Fin de Louis n’est pas une reconstitution historique de la Révolution française, mais une recréation dans un temps fictionnel contemporain.

Joël Pommerat assume des « licences poétiques » qui sont des entorses à l’histoire : il représente par exemple des femmes députées alors que les femmes n’avaient alors aucun droit ; il omet certains débats, procède à des ellipses ou à des contractions d’événements. On ne relèvera donc pas de correspondances exactes avec l’histoire telle qu’elle s’est déroulée, même si le sens global adhère souvent le plus étroitement possible avec ce qui s’est passé. Il est fait allusion à des lieux et à des événements réels mais ils sont désignés autrement. Les personnages ont été inspirés par les idées de plusieurs individus ayant réellement existé, mais ce sont des êtres fictifs. Dans le spectacle, seul le roi est clairement identifié comme Louis XVI. Comme l’ont montré notamment le philosophe Paul Ricoeur (« le temps raconté ») ou l’historien Paul Veyne (« l’histoire est un roman vrai »), la fiction peut être au service de la représentation de l’histoire. L’historien et l’écrivain ont en commun de mener une enquête sur les hommes du passé, et pour se développer cette recherche a besoin d’imagination. C’est ce qu’a réaffirmé encore récemment Ivan Jablonka dans son

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essai L’Histoire est une littérature contemporaine : selon lui, l’histoire est d’autant plus scientifique qu’elle est littéraire.

La Révolution française est une réalité historique et un mythe, une légende : mon objectif n’est pas de raconter la légende ni de créer un folklore patrimonial consensuel. Ce qui m’intéresse, c’est d’écrire une histoire qui reconstruit la réalité telle que des contemporains ont pu la vivre : donc placer le spectateur dans le temps présent d’une réalité qui se déroule sous leurs yeux.

Joël Pommerat, RFI, 11/11/2015 Comme pour le travail sur les contes (Le Petit Chaperon rouge, Pinocchio, Cendrillon), Joël Pommerat a voulu « démythifier » le récit pour le « rendre présent ». Il s’agit de plonger le public « dans le présent du passé » pour lui faire ressentir le passé comme si c’était du présent. Ça ira (1) Fin de Louis propose de (re)découvrir la Révolution de 1789 plutôt que de la reconnaître. Tout ce qui pourrait créer de la distance et empêcher les spectateurs de croire qu’ils découvrent les événements pour la première fois est donc transposé : la langue, les costumes, la musique, les accessoires du décor sont contemporains.

Au bout de quelque temps, je me suis dit « oui cette langue est très belle, mais attention, ne soyons pas fétichiste ». J’ai fait le choix dans ma pièce de ne pas travailler avec le costume d’époque. Je serais cinéaste, peut-être que je n’aurais pas le même point de vue. Je pense que le costume d’époque au théâtre, c’est la mort. C’est impossible à contourner. Le costume, la réalité, le détail et la langue sont des trucs pour endormir… […] Plus que la langue, il y a les concepts, la pensée, et, dans le fond peu importe la forme dans laquelle cette pensée et ces concepts sont traduits. C’est parce qu’ils sont puissants qu’ils ont fait bouger le système

Joël Pommerat, Libération, 23/10/2015

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Une série d’adaptations et d’entorses à la réalité du passé ont été faites pour rendre le passé présent, par exemple :

- La distribution de comédiens d’âges, de sexes et de couleurs de peau différentes est une entorse assumée à la vérité historique, concrètement liée à la composition de l’équipe avant même le choix du thème du spectacle, mais qui crée un fort effet de proximité et de vraisemblance.

- Certaines expressions figées ont été traduites dans un souci d’explicitation des enjeux (les Etats généraux sont « une grande consultation nationale », un « parlement »), d’autres pour éviter le folklore et les images stéréotypées.

- Les costumes crées par Isabelle Deffin mêlent des inspirations des années soixante à nos jours afin de gommer la distance et l’étrangeté du passé.

- L’univers sonore, les bruitages et musiques choisis par François Leymarie mêlent passé et présent. L’utilisation d’une chanson du groupe Europe (« The Final Countdown ») par exemple pour l’arrivée du roi à l’Hôtel de Ville transpose la tradition historique des entrées royales spectaculaires en évoquant celles des hommes politiques contemporains lors des meetings.

Comment s’est déroulée la recherche costume ? Comment traiter l’aspect historique ? Isabelle Deffin : Nous avons cherché une forme de contemporanéité intemporelle avec des costumes non historiques. Pour cela il faut trouver le « basique ». Intemporel ne veut pas dire fade : ce n'est pas forcément simple, ce n'est pas forcément trois couleurs (en noir, en gris ou en blanc). Cela doit être très expressif mais on doit trouver l'essence du vêtement, ce qu'il peut dégager dans l'imaginaire collectif. […] Le côté intemporel intervient quand on essaye de ne pas figer le temps. Il faut mixer les éléments, repérer des basiques et les retravailler en utilisant parfois des choses un petit peu plus modernes.

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Quand un élément est trop spécifique d'une période, on gomme des petites choses. Quand on veut faire un peu ancien ou vintage, ça peut être intéressant de travailler sur la couleur. Des couleurs brunes, bleues racontent beaucoup les années 60 par exemple. Il est intéressant de connaître la réalité, mais cela ne marche pas forcément sur un plateau de théâtre. Il faut changer ce qu'on perçoit de la réalité pour qu'on puisse comprendre cette même réalité sur un plateau. Il faut que je sache ce qui m’intéresse dans l’image tirée de la vie réelle pour réfléchir à la manière de faire ressentir la même chose aux gens qui regardent.

Isabelle Deffin (costumière), Revue d’Histoire du Théâtre, n°268, 2015

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D’HIER A AUJOURD’HUI : RESONNANCES ET FILIATIONS C’est bien la révolution de 1789 qui est présente sur scène et non celle qui pourrait avoir lieu en 2015. Ça ira (1) Fin de Louis n’a pas été écrit comme une parabole qui ferait un détour par le passé pour parler d’aujourd’hui. La pièce ne fonctionne pas non plus telle une pièce « à clefs » que l’on pourrait déchiffrer pour y reconnaître des personnalités ou des événements de notre actualité politique. Si des points communs peuvent être établis, comme entre la crise financière de 1789 et la crise économique de 2008 par exemple, la Révolution française est toujours présentée comme un événement singulier, sans analogie historique. En revanche le choix d’un tel sujet historique n’est pas anodin et permet de mettre en évidence la forte empreinte laissée par la Révolution française dans notre présent. Joël Pommerat a la conviction que nous ne sommes pas coupés de ce passé révolutionnaire, que nous avons toujours la même façon de penser et de vivre la politique. Le spectacle met ainsi en évidence la continuité entre nos débats actuels et ceux des révolutionnaires. Le spectateur est laissé entièrement libre d'établir les analogies qui lui sembleront pertinentes, et d'entendre les échos, sinon les appels, qu'il peut lancer.

UNE HISTOIRE SENSIBLE Ça ira (1) Fin de Louis cherche à retrouver du vivant et du présent dans la représentation de la Révolution française, à rendre sensible une histoire plus ou moins connue de tous, pour dépasser les stéréotypes consensuels d’un mythe national patrimonialisé et figé. Il s’agit par là aussi de renouer avec « l’intempestivité », la fébrilité, d’une histoire en train de se faire. Ça ira (1) Fin de Louis met en scène des idéologies et visions du monde, la rencontre entre des ressorts intimes, des croyances, des convictions, et une volonté d’action. Le spectacle révèle les motivations subjectives, concrètes et parfois obscures, de l’action publique et collective. Il montre la fragilité et l’épaisseur humaine de la parole politique, profondément affective et ancrée dans le corps : quel est le rôle du stress et de la fatigue, du vertige et de la peur, de l’attente, de l’effet de masse, dans le discours et la prise de décision politiques ? C’est l’émotion du député Gigart par exemple, son exaspération épidermique face à l’intransigeance et au mépris de la noblesse, qui le pousse du côté des radicaux pour déclarer l’Assemblée nationale, tandis que Ménonville regrette d’avoir participé à ce coup d’Etat sous la pression des circonstances et l’enthousiasme général.

Au-delà de la langue, les débats, à quelques détails près, sont quasiment identiques à ce que l’on connait aujourd’hui. On veut nous faire croire que la Révolution, c’est de la préhistoire. Or les débats à l’époque ne sont rien moins que le choc entre le progressisme et le conservatisme, pour prendre des mots schématiques.

Joël Pommerat, Libération, 23/10/2015

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La démarche théâtrale de Joël Pommerat rejoint ici les préoccupations d’historiens contemporains tels Guillaume Mazeau ou Sophie Wahnich qui soulignent le rôle central des émotions dans l’histoire.

Il s’agit de retrouver le sensible en politique alors que ce qui caractérise notre époque, c’est soit l’impassibilité stoïque, soit la haine de l’hétérogène. Mais sans hétérogénéité et sans conflictualité, il n’y a plus de politique. Les arts offrent la possibilité de retrouver ce qu’on nomme au XVIIIe siècle une « raison sensible ». C’est le propre du théâtre de faire appel à une intrication du logos (raison, NDLR) et du corps. Mais c’est vrai aussi de la littérature car le corps sensible du lecteur y est convoqué. Ce sont les retrouvailles avec ces médias sensibles et la sensibilité à l’humanité qui fabriquent l’homme sensible, c’est-à-dire engagé et révolutionnaire de 1789. […] Or, la Révolution n’est pas un mythe, c’est une histoire vécue, des gens l’ont espérée, ils ont agi, pris des risques importants pour la faire exister et elle a laissé des traces dans l’imaginaire. Mais devenue mythique, la Révolution française était devenue « indisponible ». Puis, dans un deuxième temps, « infréquentable » car [on] l’a accusée d’être matrice des totalitarismes.

Sophie Wahnich, Libération, 23/10/15 Le rôle de l’acteur est primordial pour cette histoire sensible (voir ci-dessous le témoignage du comédien Bogdan Zamfir dans « Le processus de création »). La présence, l’engagement physique et vocal des comédiens (incarnation, adresse, rythme et déplacement) donnent à comprendre les événements autrement qu’un livre d’histoire, en donnant à éprouver leur surgissement, leur énergie et leur incertitude. Les moments de cacophonie et d’empoigne à l’Assemblée placent par exemple le spectateur dans un certain inconfort qui devait aussi être celui des députés à l’époque.

Derrière l’acteur, c’est aussi moi, citoyen, qui m’engage chaque soir dans le spectacle comme pour la première fois.

Yannick Choirat, comédien, décembre 2015

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LA PAROLE ET SON LIEU

LA PAROLE EST L’ACTION

Plus que dans d’autres spectacles de Joël Pommerat, la parole est au centre de Ça ira (1) Fin de Louis : le plateau devient tribune, salle de réunion ou conciliabule. Comme le dit l’auteur-metteur en scène, Ça ira (1) Fin de Louis n’est « pas un spectacle politique mais un spectacle sur la politique », sur la parole et l’action politiques dans toute leur diversité et leur radicalité, voire leur violence. Un temps important des répétitions a été consacré à la recherche d’une véritable parole politique : une parole vivante à l’opposé de la reproduction de postures politiques. Tout en s’appropriant les idées des discours des révolutionnaires, les comédiens ont cherché à ressentir la nécessité et le contexte de ces prises de parole afin de construire une adresse engagée et persuasive.

On a cherché à retrouver ce que c’est qu’une parole politique, et pour commencer à définir ce qu’est une parole politique. Pour entrer dans les actions de ces événements, il fallait entrer dans l’expérience de cette parole politique. Une parole politique, c’est quoi ? C’est essayer de dire le plus précisément et de manière la plus efficace et convaincante possible. Le projet de celui qui parle en politique, a priori, c’est de toucher, d’atteindre, de convaincre l’autre, ou bien de le fragiliser, de le combattre. Doc la parole du politique se doit d’être d’une précision, d’une clarté et d’une efficacité très grande.

Joël Pommerat, France Culture, 11/11/2015

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Dans Ça ira (1) Fin de Louis, la parole véhicule l’action et permet le récit de certains événements, mais elle est aussi et surtout l’action même. Les discours font advenir une nouvelle réalité hic et nunc, en réaction à l’enchaînement des événements et aux repositionnements des uns et des autres dans l’arène politique. Les différents positionnements idéologiques n’étant pas encore sédimentés en blocs opposés (c’est la Révolution qui invente le « côté gauche » et le « côté droit »), les orateurs s’emparent de la parole avec liberté, sans nécessairement suivre une ligne politique préétablie. Les arguments s’élaborent dans l’instant de la crise, dans l’incertitude et la violence de la confrontation. Au cœur du spectacle, la parole fuse de toutes parts, enveloppe le public et l’immerge dans des débats chaotiques, avec des orateurs qui s’invectivent, crient et s’insultent, allant parfois jusqu’à l’altercation physique. La présence de quinze « forces vives », des participants amateurs disséminés dans le public pour applaudir et réagir aux différents discours, crée le climat d’un débat vivant. La sonorisation (utilisation de micro et diffusion du son dans la salle) soutient également cette « immersion » des spectateurs dans l’événement de la parole. Ce trop-plein de mots et d’idées contradictoires peut être troublant pour le spectateur qui se retrouve malgré lui happé par des discours et se demande quel parti prendre. En plaçant le spectateur en position de témoin immergé, le spectacle lui donne à voir et à sentir le débat politique dans son effervescence et sa diversité. De la virulence et de la cacophonie émergent l’enthousiasme de la prise de parole publique et l’urgence du débat citoyen. Théâtre « en présence » de l’événement, Ça ira (1) Fin de Louis interroge ce faisant indirectement notre rapport actuel au débat politique et à la liberté d’expression. La représentation théâtrale devient alors une invitation à vivre « l’histoire en partage » (Guillaume Mazeau) : le spectacle ne donne pas une leçon d’histoire au public mais l’invite à prendre part à une histoire en cours...

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ESPACE THEATRAL, ESPACE DEMOCRATIQUE Le dispositif scénographique de Ça ira (1) Fin de Louis est frontal ou englobant selon les scènes. Comme dans Au monde, Les Marchands ou Cendrillon, le plateau se constitue parfois en boîte noire dans laquelle se déroule une action que le spectateur observe de l'extérieur. Pour les réunions entre notables et députés ainsi que pour l’avant dernière scène située dans une association de quartier, le « quatrième mur » est brisé. La salle entière devient la scène : les spectateurs sont des membres de ces assemblées. Il ne s'agit pas exactement de rendre le public acteur, mais de l'englober. Alors que dans Ma Chambre froide, la scène circulaire tournait pour offrir une certaine mobilité de perception au spectateur, dans Ça ira (1) Fin de Louis, ce sont les spectateurs qui doivent, s’ils le souhaitent, se tourner sur leurs sièges pour suivre les débats entre la scène et la salle. La communauté théâtrale que le dispositif bifrontal de La Réunification des deux Corées rendait visible dans la pénombre est ici en pleine lumière, et devient d’autant plus concrète que les personnages qui la traversent s’interrogent sur l’invention et le fonctionnement d’une communauté politique.

Avec sa dernière création, Ça ira (1) Fin de Louis, Pommerat revient apparemment à une scénographie frontale, mais c’est pour mieux l’éclater : les spectateurs, pris à témoin et englobés par les débats représentés, forment l’assemblée des membres du Parlement ou des districts. Cette immersion physique à travers le débordement de la scène dans la salle souligne indirectement qu’on ne peut aborder au théâtre la question de la représentation démocratique sans interroger la représentation théâtrale elle-même et la convention qui sépare ceux qui regardent de ceux qui représentent en action. […] En immergeant le spectateur dans les assemblées, cette « épopée » historique aux aspects d’uchronie rend sensible le fait, souvent abstrait, d’appartenir à une communauté de destin pour laquelle le débat démocratique demeure un enjeu. Plus qu’un but avoué de l’écriture, l’éveil de cette conscience est une des nombreuses questions qui se pose au moment d’achever ce livre alors que le spectacle vient à peine d’être créé… Recherche d’une sincérité de la parole à chaque instant, présences vraies des acteurs au plateau, kaléidoscopes de points de vue, mise en action mentale du spectateur, mise en mouvement de son regard : c’est avant tout par ces gestes simples et fondamentaux que le théâtre de Pommerat devient politique.

Marion Boudier, Avec Joël Pommerat, un monde complexe, Actes Sud, 2015

On retrouve dans Ça ira (1) Fin de Louis de grands principes d’écriture scénique caractéristiques du travail de Joël Pommerat avec la Compagnie Louis Brouillard :

- construire à partir du noir et du vide (plateau nu) - esquisser et suggérer le réel avec quelques accessoires - stimuler l’imaginaire du spectateur et une réception sensible en le plongeant

dans l’obscurité et un riche environnement sonore

Mais la pénombre laisse aussi place à certains moments à des intensités lumineuses très fortes.

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A la différence des spectacles précédents, l’enchaînement des scènes dans Ça ira (1) Fin de Louis ne se réalise pas systématiquement par un passage au noir de quelques secondes qui fait surgir la scène suivante telle une apparition. Certains changements de décor sont au contraire réalisés à vue, ce qui constitue une évolution importante dans l’esthétique de Joël Pommerat.

Nous revenons à un théâtre frontal mais nourri de nos recherches immersives, circulaires et bifrontales. L'espace scénique devient total, il englobe la scène et la salle et du coup aussi le spectateur. Le pari à tenir est de faire vivre cet ensemble, sans prendre le spectateur en otage. L'immerger sans le prendre en otage. Il y a dans ce spectacle une tension qui parcourt la durée qui est soutenue par des niveaux lumineux extrêmement intenses. Une forme de pression lumineuse est recherchée et sert de lien au rapport scène-salle. Le dispositif scénique est à l'échelle de la cage de scène, une machine à cadrer, à créer du hors champs, et à ménager les espaces de coulisse nécessaires à la circulation des nombreux comédiens et des accessoires tout aussi nombreux (tables, chaises, pupitres…). Le théâtre et ses espaces se construit et se déconstruit, sous nos yeux parfois éblouis, comme un passage au blanc. Une petite ouverture au lointain est la partie immergée de la projection de tous les espaces possibles (nombreux couloirs d'assemblés, de palais, de champs de batailles...). Le dispositif est fragmentaire, laissant la cage de scène dans laquelle il s'inscrit trouver sa respiration. Les matières qui le constituent sont brutes et à même de recevoir la réflexion de ces haut flux lumineux. La lumière participe à ces respirations multiples et aux changements d'échelles.

Eric Soyer (scénographe, éclairagiste), septembre 2015 Dans la résidence royale, la nudité du plateau ainsi qu’une lumière froide et tamisée donnent à sentir l’immensité de l’espace du pouvoir, évoquant tout à la fois la puissance et la fragilité. Les déplacements y sont réglés (ballet des domestiques, distance protocolaire). A l’Assemblée nationale au contraire, la lumière est franche et la scène est fourmillante, notamment à travers les allers et venues des assesseurs et des députés entre les bureaux, le micro et la salle.

Le hors-scène a une fonction importante dans Ça ira (1) Fin de Louis, notamment pour la représentation du peuple, un des enjeux d’une pièce sur la Révolution. Si le peuple n’est pas physiquement sur scène, sa participation est suggérée par les sons, les coups, les vibrations et les cris qui invitent le spectateur à imaginer la foule à l’extérieur, manifestant aux portes de l’Assemblée ou de la résidence royale. Par ce procédé, le peuple est représenté comme une force agissante mais insaisissable. Le mot peuple désigne d’ailleurs des réalités différentes pour les différents personnages. Au-delà du problème de représentation que pose la foule au théâtre, la dissociation spatiale qui s’opère entre le peuple dans le hors-scène et ses représentants en scène éclaire la relation ambiguë qui les unit : le plateau ne fait paraître que ceux qui ont la charge de porter sa voix, représentants à la fois redevables de son soutien et craintifs face à sa violence.

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MULLER. Quel est-il ce véritable esprit de la monarchie ? DUMONT BREZE. Il est respectueux de l’avis du peuple MULLER. De quel peuple parlez-vous monsieur ? […] GIGART. Ce peuple, je ne crains pas aujourd’hui de le désigner sous l’appellation de « peuple illégitime », et même de « mauvais peuple » car ce peuple-là, c’est un peuple criminel et sauvage, mesdames messieurs, qui ne doit pas être confondu avec le véritable peuple, citoyen, qui connaît ses devoirs, qui a respect des lois et de la vie humaine.

Joël Pommerat, Ça ira (1) Fin de Louis, scènes 2 et 18.

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LE PROCESSUS DE CREATION

Documents proposés en annexe : - bibliographie du spectacle - calendrier de création - témoignages et discours d’époque - extrait de Timothy Tackett (historien)

ECRIRE AVEC LA SCENE Joël Pommerat écrit ses textes en même temps qu’il les met en scène. Il se revendique en ce sens « écrivain de spectacles », refusant la séparation traditionnelle entre l’auteur et le metteur en scène.

La mise en scène et le texte s’élaborent conjointement au fur et à mesure des répétions, en collaboration avec l’équipe des comédiens et créateurs artistiques. Cette recherche se déroule dans des conditions proches de celle de la représentation, c’est-à-dire avec une scénographie, des costumes, du son, etc. Les acteurs improvisent sous la direction de Joël Pommerat qui, ensuite, nourri de cette expérience concrète, écrit seul le texte.

Je n’écris pas des pièces, j’écris des spectacles, c’est comme ça. Je ne me suis pas dit : je vais écrire du théâtre. Je ne pense pas « texte ». Le texte c’est ce qui vient après, c’est ce qui reste après le théâtre. Le texte, c’est la trace que laisse le spectacle sur le papier. C’est d’ailleurs sa juste définition. On n’écrit pas un texte de théâtre. Ça c’est de la littérature. Dire que l’on écrit un texte et faire de cet acte l’objet premier du théâtre, c’est une perversité. Il y a là quelque chose de fétichiste, de détourné. L’essence du théâtre pour moi, ce n’est pas cela. Le théâtre se voit, s’entend. Ça bouge, ça fait du bruit. Le théâtre, c’est la représentation. Quand on écrit du théâtre, on écrit en vue d’un événement qu’on appelle communément un spectacle. […] Pour ma part, je fais parler des gens sur scène. Je me confronte à la question de la parole et des mots. Mais travailler le geste, l’attitude, le mouvement d’un acteur sera aussi important que travailler les mots. Je réfute l’idée d’une hiérarchie entre ces différents niveaux de langage ou d’expression au théâtre. La poétique théâtrale n’est pas seulement littéraire.

Joël Pommerat, troubles, Actes Sud, 2009

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ECRIRE L’HISTOIRE Joël Pommerat dit faire du théâtre pour comprendre et ressentir ce que lui-même ne connaît pas. Lorsqu’il commence à travailler sur une idée de spectacle, il adopte donc la conduite d’un chercheur qui tente de se défaire de tout savoir préalable.

Le théâtre est un lieu possible d’interrogation et d’expérience de l’humain. Non pas un lieu où nous allons chercher la confirmation de ce que nous savons déjà mais un lieu de possibles, et de remises en question de ce qui nous semble acquis.

Joël Pommerat, Théâtres en présence, Actes Sud, 2007 Pour Ça ira (1) Fin de Louis, Joël Pommerat a travaillé comme un historien, en menant une « enquête » sur la Révolution et ses acteurs. Pour observer comment fonctionne la Révolution, il se positionne « à hauteur d’homme », déployant un regard de type anthropologique sur les manières de penser et d’agir des révolutionnaires. Au début des répétitions, Joël Pommerat s’était donc proposé comme méthode de :

- partir le plus possible de la connaissance des faits, en lisant différentes chroniques de la Révolution relatant au jour le jour l’événement.

- partir de la lecture de témoignages directs, notamment les procès verbaux des débats de l'Assemblée et autres réunions publiques, des journaux, des correspondances, mémoires intimes ou écrits politiques.

- travailler sur les idées et non à partir des biographies. Partir des faits, des discours et témoignages est une manière d’échapper, autant qu’il est possible, aux images figées et aux interprétations partisanes de la Révolution dont l’historiographie est particulièrement clivée. Pendant 6 mois de répétition étalés sur un an, les acteurs, préalablement nourris par la lecture de documents d’archive sélectionnés par Joël Pommerat, la dramaturge Marion Boudier et l’historien Guillaume Mazeau, ont travaillé à travers des improvisations pour s’approprier les idées et sensibilités politiques de la fin du XVIIIe siècle. Hormis Yvain Juillard, choisi pour incarner le roi, les acteurs n’ont pas été immédiatement distribués dans des rôles particuliers. Pendant les répétitions, ils ont tous exploré différents positionnements idéologiques. Les personnages ne sont pas des décalques de personnages historiques, mais les fruits d’une écriture inspirée par de multiples archives et par les comédiens. La députée Lefranc n’est pas Robespierre ni Marat, mais une invention à partir des propos de Robespierre, Marat, Desmoulins, Lanjuinais et d’autres encore, incorporés par Saadia Bentaïeb et chargés de ses propres « mémoires intimes ».

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CALENDRIER DU TRAVAIL 3 ateliers-laboratoires :

- mai et juin 2014 au Théâtre Nanterre-Amandiers : deux ateliers d’exploration avec deux groupes de 35 personnes

- octobre 2014 à l’Esact (Liège) : un atelier avec les étudiants du conservatoire

6 mois de création - août 2014 au CNCDC (Châteauvallon) - février 2015 au CentQuatre (Paris) - mai 2015 à La Ferme du Buisson (Noisiel) - début juin 2015 à La Commune – Centre Dramatique National d’Aubervilliers - de juin à début septembre 2015 au Théâtre Nanterre-Amandiers

Création à Mons / Le Manège, dans le cadre de Mons 2015 – Capitale européenne de la Culture, du 16 au 18 septembre 2015.

Tournée en 2015-2016-2017 en France et à l’étranger.

Écrire l’histoire - Extraits d’un entretien avec la Revue d’Histoire du Théâtre, n°268, 2015.

1. échapper aux interprétations partisanes Quelles sont les références historiographiques les plus nourrissantes pour votre travail sur ce sujet aujourd’hui encore clivant pour la communauté des historiens de l’héritage révolutionnaire, articulant, pour schématiser, une conception marxiste fondée sur l’essor de l’aventure collective du peuple insurgé (Soboul) et une conception libérale fondée sur le triomphe des valeurs associées à l’essor de l’individu (Furet) ?

Guillaume Mazeau (conseiller historique) : Nous avons voulu éviter de nous enfermer dans des visions trop manichéennes ou partisanes qui, d’ailleurs, depuis le Bicentenaire (1989), ne structurent plus autant le champ de la recherche. Ces histoires un peu hémiplégiques, qui ont eu leur raison d’être, ont pourtant, à la longue, un peu stérilisé la richesse de l’événement. Nous avons donc essayé de « tout lire » ou du moins d’utiliser tous les travaux qui répondaient aux orientations successives que prenait notre enquête, quelque soit leur orientation, leur statut par rapport à la discipline historique ou même leur mode d’écriture, d’Albert Mathiez à Jean-Christian Petitfils en passant par Jules Michelet. Il n’était pas pour autant question de faire comme s’il était possible de tout mettre en équivalence, ni de défendre une histoire « objective » ou désengagée de la Révolution, une des motivations de la pièce étant, sans verser dans la démonstration ni la pédagogie, de remettre en jeu la confrontation de tous les hommes et de toutes les idées, en les prenant tous et toutes avec le plus de sérieux possible. L’objectif était de restituer des situations complexes, en devenir, dans toutes leurs incertitudes, leurs imperfections et leurs possibles, ce qui est, au fond, une manière de sonder la politique dans son cœur même, dans ses tensions, ses rapports de force et son inventivité. Cette approche contextuelle, compréhensive et contrefactuelle fut aussi l’occasion de transposer l’événement dans une partie de son historicité, c’est-à-dire son imprévisibilité. C’est pourquoi des livres comme Par la volonté de du peuple (1997) de Timothy Tackett ou Révolutionnaires (2013) d’Haim Burstin, qui racontent des histoires à hauteur d’homme, s’attardent sur les choix des individus, sur la manière dont ils agissent, s’adaptent et évoluent un peu à tâtons et non en fonction de plans préconçus, ont profondément

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guidé notre travail de recherche, lui-même fondé sur l’enquête et l’expérience de plateau. Mais au-delà des livres, nous avons surtout mené un très important travail d’archives, constituant des corpus en fonction des directions que le metteur en scène nous donnait, afin de poser les situations et de bâtir les paysages mentaux des acteurs. 2. improviser à partir d’archives Comment s’est opéré le travail dramaturgique à partir du matériau historique, dans l’expérimentation collective du plateau à laquelle vous nous avez habitué lors de vos précédents spectacles ?

Marion Boudier (dramaturge) : Chaque spectacle réinvente son processus de création, mais il est vrai qu’un des principes récurrents de la démarche est l’improvisation dirigée. Pour participer à ces improvisations, les comédiens ont besoin d’être « chargés ». Bien avant le début des répétitions, Joël Pommerat avait fait le choix de travailler à partir de documents d’époque. Le premier travail dramaturgique a donc consisté à rassembler et à sélectionner des documents : discours parlementaires, journaux, mémoires, correspondances, compte-rendu... Pour entrer dans la parole politique, pour trouver son efficacité, les comédiens ont travaillé en improvisations solitaires à partir de ces documents qu’ils devaient synthétiser et reformuler avec leurs mots. Puis sont venus les improvisations collectives. Joël Pommerat pouvait par exemple proposer une situation en précisant la date, le lieu, les personnes présentes, leurs positionnements idéologiques, quelques axes thématiques, etc. Guillaume Mazeau, les stagiaires dramaturges et moi avons constitué des pochettes documentaires autour de chaque scène, en précisant le positionnement des un et des autres, en proposant des extraits de textes historiques bruts ou réécrits […] S’est ainsi élaborée une dynamique de palimpseste, voire de palimpseste de palimpseste de palimpseste, qui part des documents historiques pour aboutir au texte du spectacle en passant par plusieurs étapes de pré-écriture et de réécriture à travers le travail dramaturgique et les improvisations. Nourri du matériau documentaire et du concret des improvisations, Joël Pommerat écrit avec et entre toutes ces couches, jusqu’à fixer le texte. 3. Incarner Quel rapport personnel, intime même, le comédien est-il supposé animer et entretenir avec les événements historiques ?

Bogdan Zamfir (comédien) : Il faut accepter d’aller fouiller dans des endroits qu’on ne connaissait pas forcément et où on n’avait peut-être pas envie d’aller. Peu importe que l’acteur soit d’accord ou pas avec le discours qu’il doit porter (je pense pour moi à la noblesse radicale), ce que Joël Pommerat demande, c’est un rapport très intime entre l’être que tu vas jouer et toi-même. C’est à dire que tu ne vas pas à l’extérieur chercher ce que tu n’es pas toi-même. Même si tu lis des discours, des archives parlementaires, il faut aller chercher en soi ce qui fait résonner cette parole extérieure. Pour trouver le lien intime qui existe entre l’acteur et l’événement historique, il faut évidemment faire un grand parcours de compréhension intellectuelle. Mais il ne faut pas que cela devienne intellectuel. Il faut l’habiter avec des émotions pures […] C’est quelque chose qui part de l’intellect et qui descend jusqu’en bas, et qui doit vibrer perpétuellement. Ça va de la grande histoire à la petite histoire et ça fait des allers retours dans tous les sens.

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UN TOURNANT DANS L’ŒUVRE DE JOËL POMMERAT ?

Documents en annexe : - photos d’autres spectacles de Joël Pommerat - extraits de Je tremble (1 et 2) et de Ma chambre froide.

En s’emparant d’un sujet historique pour Ça ira (1) Fin de Louis, Joël Pommerat pourrait donner l’impression de rompre avec l’inquiétante étrangeté qui caractérisaient ces œuvres précédentes, mais plus qu’une véritable rupture, ce nouveau spectacle est un prolongement de son questionnement sur l’idéologie.

Comme ma préoccupation depuis plusieurs années est la question des idéologies et des représentations mentales, je me suis demandé quel contexte historique permettait le mieux d’entrer dans l’idéologie contemporaine Après être allé voir du côté de la Résistance et des révolutions du XIXe siècle, je me suis rendu compte qu’il fallait revenir à la racine, à la révolution de 1789 : c’est le mythe fondateur de notre culture, le cœur de notre roman national. Mais en même temps, on en a une vision superficielle, figée.

Joël Pommerat, Le Monde, 10/07/2015 Au delà de leurs différences de style, les spectacles de Joël Pommerat, qui peuvent être plus ou moins épurés, spectaculaires, réalistes, étranges, linéaires ou fragmentés, sont tous animés par une même quête du réel et par une interrogation d’ordre philosophique sur l’homme et ses représentations. Pour Joël Pommerat, représenter le réel c’est rendre compte de toutes ses dimensions. L’imaginaire, le monde mental, le psychisme de l’individu et la réalité du monde social sont indissociables. Son théâtre cherche à appréhender cette complexité, et c’est dans cette optique que ses spectacles allient différents registres, l’observation de la société contemporaine et la fiction, le familier et le fantastique, le réalisme psychologique et le conte, par exemple.

le plus étrange avec le plus simple, le plus banal le plus intime avec le plus épique, le plus sérieux, le plus tragique avec le plus dérisoire le plus actuel avec le plus anachronique réunir tout ça, ces dimensions, toutes, ne pas en laisser échapper c’est comme cela, peut-être à tort, que je pense pouvoir rendre théâtralement un peu de réalité car mon obsession, c’est ça, saisir un peu de réalité.

Joël Pommerat, notes inédites pour Au monde, 2004. A travers ses personnages, Joël Pommerat aborde l’homme comme une entité complexe, à la fois biologique, subjective et sociale. Il observe notamment les liens

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entre vision du monde, action et perception de soi. Les Marchands révèle par exemple la valeur accordée au travail comme support identitaire. Cercles/Fictions questionne la croyance, croyance en soi ou en un idéal supérieur. Le faux cabaret de Je tremble (1 et 2) fait entendre des individus en quête de raisons d’exister, pris par la nécessité ou la difficulté de vivre avec les autres.

Ça ira (1) Fin de Louis prolonge cette réflexion en mettant en scène la conflictualité de l’époque révolutionnaire : qu’est ce qui pousse les hommes à la révolte et à la prise de pouvoir ? A partir de quelle conception de l’Homme refonder la société ? Faut-il sacrifier ses idées aux circonstances ? A une autre échelle, cette question de l’organisation du pouvoir était aussi celle des employés de Ma chambre froide… Dans ses créations antérieures, Joël Pommerat faisait surgir le politique dans l’intime, souvent au cœur des microcosmes de la famille (Au monde) ou du travail (Les Marchands, Ma Chambre froide) : cette fois, il plonge directement dans le monde politique. Mais il n’en montre pas moins la part intime et émotionnelle de l’engagement. D’une certaine façon, Ça ira (1) Fin de Louis prolonge également son travail sur les contes en invitant le spectateur à interroger son rapport à la réalité contemporaine à travers la reconsidération d’une représentation prégnante dans l’imaginaire collectif : la Révolution est un mythe qu’il s’agit de « rendre présent » pour mieux le comprendre. Ça ira (1) Fin de Louis s’inscrit ainsi dans la continuité d’un questionnement tout en renouvelant certains partis-pris dramaturgiques et scéniques. Joël Pommerat y pousse encore plus loin son goût pour le récit à partir d’une matière historique et politique, ce qui est singulier dans le paysage théâtral contemporain « postdramatique », et renouvelle son écriture scénique à travers une scénographie immersive et des transitions à vue notamment.

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ANNEXES

• Parcours de Joël Pommerat • Distribution • Déroulé du spectacle scène à scène • Liste des personnages • Présentation du spectacle sous forme de dialogue

• Bibliographie • Chronologie historique • Extraits de textes d’archives :

o Sieyès, Qu’est-ce que le tiers état ? o Dufourny, Cahiers du 4e ordre o Lafayette, extrait des Archives parlementaires o Marat, L’Ami du peuple o Montlosier, De la nécessité d’une contre révolution

• Extrait d’un essai de l’historien Timothy Tackett

• Photos du spectacle • Photos d’autres spectacles • Extraits de Je tremble (1 et 2) et de Ma chambre froide de Joël

Pommerat

• Méthode d’analyse chorale de l’ANRAT

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• PARCOURS DE JOËL POMMERAT Joël Pommerat est né en 1963. Il est auteur-metteur en scène. Il a fondé la Compagnie Louis Brouillard en 1990. Joël Pommerat a la particularité de ne mettre en scène que ses propres textes. Selon lui, il n’y a pas de hiérarchie : la mise en scène et le texte s’élaborent en même temps pendant les répétions. C’est pour cela qu’il se qualifie d’« écrivain de spectacles ». En 1995, il crée Pôles, premier texte artistiquement abouti à ses yeux. C’est aussi le premier à être publié en 2002. En 2004, le Théâtre National de Strasbourg accueille la création de sa pièce Au monde, premier grand succès public et critique de la compagnie. Avec la trilogie Au monde (2004), D’une seule main (2005), Les Marchands (2006), Joël Pommerat ancre plus directement ses pièces dans la réalité contemporaine et l’interrogation de nos représentations. Il aborde le réel dans ses multiples aspects, matériels, concrets et imaginaires. En 2006, Au monde, Les Marchands et Le Petit Chaperon rouge sont reprises au Festival d’Avignon, où Joël Pommerat créé également Je tremble (1 et 2) en 2008. Il poursuit sa réécriture des contes avec Pinocchio en 2008 et Cendrillon en 2011. En 2010, il présente Cercles/Fictions dans un dispositif circulaire, qu’il explore à nouveau dans Ma Chambre froide l’année suivante. En 2013, il crée La Réunification des deux Corées dans un dispositif bi-frontal. Son dernier spectacle, Ça ira (1) Fin de Louis, a été créé en septembre 2015 au Manège de Mons, dans le cadre de Mons 2015 – Capitale européenne de la culture. A l’opéra, Joël Pommerat a collaboré avec Oscar Bianchi en adaptant sa pièce Grâce à mes yeux (Thanks to my eyes, Festival d’Aix en Provence, 2011). En 2014, il met en scène Au monde, opéra de Philippe Boesmans d’après sa pièce, au Théâtre de la Monnaie à Bruxelles. Joël Pommerat a reçu de nombreux prix pour son œuvre. Depuis ses débuts, il a été soutenu par de longs partenariats avec le Théâtre de Brétigny-sur-Orge et le Théâtre Paris-Villette. A l’invitation de Peter Brook, il a également été artiste en résidence au Théâtre des Bouffes du Nord entre 2007 et 2010. Il est actuellement artiste associé au Théâtre national de Bruxelles ainsi qu’à l’Odéon-Théâtre de l’Europe. Depuis 2014, il fait partie de l’association d’artistes de Nanterre-Amandiers. Joël Pommerat cherche à créer un théâtre visuel, à la fois intime et spectaculaire. Il travaille sur une grande présence des comédiens et le trouble des spectateurs. Il est revenu sur sa démarche artistique dans deux ouvrages : Théâtres en présence (2007) et, avec Joëlle Gayot, Joël Pommerat, troubles (2010). Tous ses textes sont publiés aux Éditions Actes Sud.

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• DISTRIBUTION UNE CREATION THEATRALE DE JOËL POMMERAT Avec Saadia Bentaïeb, Agnès Berthon, Yannick Choirat, Eric Feldman, Philippe Frécon, Yvain Juillard, Anthony Moreau, Ruth Olaizola, Gérard Potier, Anne Rotger, David Sighicelli, Maxime Tshibangu, Simon Verjans, Bogdan Zamfir.

EQUIPE DE CREATION Scénographie et lumière Eric Soyer Costumes et recherches visuelles Isabelle Deffin Perruques Estelle Tolstoukine Habillage/Couture Elise Leliard, Claire Lezer, Lise Crétiaux et l’équipe de Nanterre-Amandiers Renfort perruques Julie Poulain Son François Leymarie Recherche musicale Gilles Rico Recherche sonore et spatialisation Grégoire Leymarie et Manuel Poletti Dramaturgie Marion Boudier Collaboration artistique Marie Piemontese, Philippe Carbonneaux Assistante à la mise en scène Lucia Trotta Conseiller historique Guillaume Mazeau Assistant dramaturgie et documentation Guillaume Lambert Renfort dramaturgie et documentation Marie Maucorps

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Renfort conseil historique Aurore Chery Direction technique Emmanuel Abate Construction décors Ateliers de Nanterre-Amandiers Construction mobilier Thomas Ramon – Artom Réalisation accessoires Jean-Pierre Costanziello, Mathieu Mironnet, Pierre-Yves Le Borgne Régie lumière Julien Chatenet et Gwendal Malard Régie son Grégoire Leymarie Régie plateau Jean-Pierre Costanziello, Mathieu Mironnet, Pierre-Yves Le Borgne Habilleuses Claire Lezer, Siegrid Petit-Imbert, Lise Crétiaux Stagiaires costumes Aloys Picaud, Eloïse Pons Stagiaire scénographie Laura Chollet Stagiaires dramaturgie et mise en scène Elise Boch, Pauline Collet

BUREAU DE PRODUCTION - COMPAGNIE LOUIS BROUILLARD Anne de Amézaga : Co-directrice Jean-François Louchin : Administrateur Gil Paon : Assistante de la co-directrice et attachée à la communication Lorraine Ronsin-Quéchon : Chargée de la logistique des tournées et attachée à la production Isabelle Muraour : Presse et diffusion Fanny Trujillo: Comptable Yane Agius : Renfort paie Rachel Levieux : Chargée d'accueil et secrétaire de production

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• DEROULE DU SPECTACLE SCENE A SCENE

PREMIERE PARTIE

• Scène 1 : A Versailles, le roi et le Premier Ministre en charge des finances annoncent aux personnes les plus importantes de France (membres de la classe noble et de l’Eglise) leur intention de réformer la fiscalité pour tenter de résoudre la crise économique.

• Scène 2 : Les notables s’opposent à cette réforme jugée despotique et demandent la convocation d’un Parlement national des Etat généraux

• Scène 3 : Un aristocrate commente la constitution originelle de la monarchie. • Scène 4 : A Paris, élection primaire du 49e district pour élire les délégués qui

éliront les députés aux Parlement des Etats généraux et pour rédiger un cahier de recommandations.

• Scène 5 : Ouverture des Etats généraux commentée par une journaliste espagnole.

• Scène 6 : Les députés du tiers-état un mois après l’ouverture débattent du « blocage » et de la réunion des 3 assemblées (tiers, noblesse, église) en une seule.

• Scène 7 : Ultime négociation entre le tiers et la noblesse au sujet de la réunion des 3 assemblées.

• Scène 8 : Réunion de crise autour du roi alors que son fils vient de mourir. • Scène 9 : Le tiers fait un coup d’état en se déclarant seul Assemblée nationale. • Scène 10 : Confession du député Ménonville puis discours du roi qui condamne

le coup de force du tiers. Panique autour du roi car les députés refusent de quitter la salle et se déclarent inviolables.

• Scène 11 : A Paris dans une assemblée de quartier, les habitants discutent de la pénurie et de leur peur face à l’encerclement militaire de Paris. Interrogatoire d’un militaire étranger qui se prétend déserteur.

DEUXIEME PARTIE

• Scène 12 : Débat sur la Déclaration des Droits de l’Homme à l’Assemblée tandis qu’à Paris la prison centrale est attaquée.

• Scène 13 : Le roi est reçu en triomphe à l’Hôtel de Ville de Paris par des officiels et la population.

• Scène 14 : A l’Assemblée, les débats sur la violence populaire sont interrompus par l’arrivée du Premier ministre au sujet de la crise financière ; un noble libéral propose l’égalité totale.

• Scène 15 : Le Premier ministre apprend au roi et à son entourage que les députés de la noblesse et de l’église ont proposé l’abolition de tous leurs avantages.

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TROISIEME PARTIE

• Scène 16 : A Paris, le député Carray rend visite à l’assemblée de son quartier pour condamner la violence ; on lui reproche le tournant réactionnaire de l’Assemblée.

• Scène 17 : Des parisiennes interrompent les débats de l’Assemblée pour exiger une aide alimentaire immédiate ; elles sont reçues par le roi qui annonce qu’il va s’installer à Paris.

• Scène 18 : Des députés, le Maire de Paris et le chef de la police citoyenne accueillent le roi et la reine dans leur nouvelle demeure parisienne. Dans les nouveaux locaux de l’Assemblée, la député Versan de Faillie annonce une contre-révolution violente.

• Scène 19 : Dans une assemblée de quartier, arrestation de deux militants radicaux partisans d’une intensification armée de la révolution et opposés à la nouvelle loi électorale.

• Scène 20 : Le roi renvoie son ministre et rassure son entourage. Il pense que ça ira…

NB : le texte n’étant pas édité à ce jour, la numérotation des scènes est toujours susceptible d’évoluer.

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• LISTE DES PERSONNAGES LE ROI ET SON ENTOURAGE - LOUIS XVI (Yvain Juillard) : Figure paternelle respectée par la majorité des Français mais qui demeure une énigme : est-il réformateur, manipulé ou indécis… ? - LA REINE (Anne Rotger) : Conservatrice, passionnée, elle s’immisce dans les conseils politiques. Elle est détestée par la population. - ELISABETH, LA SŒUR DU ROI (Agnès Berthon) : Convaincue de la supériorité de la noblesse, elle refuse de prendre en compte la nouvelle réalité sociale et politique. - LE PREMIER MINISTRE MULLER (Yannick Choirat) : Réformateur, il préconise une réforme complète de la fiscalité pour sortir l’Etat de la crise. Renvoyé par le roi après la déclaration du tiers-état en Assemblée nationale, il est rappelé au moment où la violence augmente dans le pays. - LE CHEF DU PROTOCOLE (Anthony Moreau) : Fidèle présence, à la fois intendant, secrétaire et confident. - DES MILITAIRES ET DES OFFICIERS : Partisans de l’arrestation des principaux leaders politiques du tiers-état et d’une répression armée des émeutes populaires. L’ÉGLISE ET LA NOBLESSE - DECROY - ARCHEVEQUE DE NARBONNE (Philippe Frécon) : Opposé à l’abolition des avantages dont bénéficie l’Eglise en contrepartie de son action sociale, il se dit concerné par la misère du peuple alors qu’il représente l’opulence des privilégiés. - DUMONT BREZE (Anthony Moreau) : Il s’oppose au despotisme du roi et du Premier ministre qui veulent imposer une réforme fiscale sans convoquer le parlement des Etats généraux mais regrette finalement d’avoir participé à la déstabilisation du pays et rejoint les députés contre-révolutionnaires. - VERSAN DE FAILLIE (Agnès Berthon) : Elle obéit à l’ordre du roi de rejoindre l’Assemblée nationale mais refuse de participer aux débats et prône une contre-révolution armée. - DE LACANAUX (Simon Verjans) et MARBIS (Bogdan Zamfir) : Ils forment avec Versan de Faillie le parti réactionnaire de l’Assemblée, partisans d’une réaction armée et violente contre les radicaux et le peuple. - DU REAU (Gérard Potier) : Il rompt avec ses codéputés réactionnaires et fait don d’une part de sa fortune à l’Assemblée pour aider au redressement économique du pays. LES DEPUTES DU TIERS-ÉTAT

. MODERES

- CARRAY (Éric Feldman) : Partisan de la négociation et de la création d’un cadre légal, il devient plus conservateur à partir de l’irruption violente du peuple dans les affaires publiques et finit par proposer au roi une démission en masse des députés afin de le réinstaurer dans son pouvoir. - LAMY (Gérard Potier) : Président de l’Assemblée nationale au moment où les nobles la rejoignent, il est ensuite nommé Maire de Paris.

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- MENONVILLE (Maxime Tshibangu) : Fasciné par les talents d’orateur de ses codéputés, il est surpris par la tournure que prennent les événements mais fait finalement toujours face…

. RADICAUX

- LEFRANC (Saadia Bentaïeb) : Elle appelle ses codéputés à se déclarer Assemblée nationale, instante qu’elle considère comme la seule légitime à décider des lois. Elle défend le peuple, comprend son recours à la violence mais tout en adhérant aux mêmes idées que les journalistes engagés Marie Soto et Hémé Kristophe, elle est contre leurs appels à la haine. - POSSION-LAVILLE (Yvain Juillard) : Il propose la rédaction d’une Déclaration des Droits de l’Homme en préambule de la Constitution mais soutient la nouvelle loi électorale qui exclut une partie des citoyens en fonction de leurs revenus. - BOBERLE (Simon Verjans), BOUDIN (Philippe Frécon), LAGACHE (Anthony Moreau) : Ils forment le parti des radicaux avec Lefranc et Possion-Laville.

. CONSERVATEURS - GIGART (David Sighicelli) : Attaché aux structures traditionnelles de la société, il se rallie à la déclaration de l’Assemblée Nationale face à l’intransigeance et au mépris de la noblesse. Lorsque les conservateurs l’emportent à l’Assemblée, il en devient le président. - HERSCH (Ruth Olaizola) : Particulièrement bouleversée par la violence, elle a des positions idéologiques similaires à celles de Gigart. - CABRI (Yannick Choirat) et CAMUS (Anne Rotger) : Ils forment le parti conservateur avec Gigart et Hersch. HABITANTS DE PARIS, MEMBRES DE COMITÉS DE QUARTIER Convoqués pour écrire des cahiers de recommandations et pour élire des délégués qui éliront leurs députés au Parlement des Etats généraux, les habitants de Paris continuent à se réunir après les élections. Plus ou moins politisés au départ, une partie des membres de ces comités de quartier devient de plus en plus active. Ils cherchent à s’organiser pour réagir à la pénurie alimentaire et à la violence grâce à des réquisitions et à la création d’une police citoyenne. Méfiants envers l’entourage du roi, certains en viennent à douter de lui et reprochent aux députés de les trahir. - CHARLES YVON DUTREUIL (Philippe Frécon) : Face à la menace d’une répression militaire, il décide de s’armer et rejoint la nouvelle police citoyenne pour défendre les parisiens. Promu responsable de la sécurité du roi à Paris, il est finalement chargé de l’arrestation de ses anciens camarades de quartier. - MARIE SOTTO (Agnès Berthon) et KRISTOPHE HEME (Bogdan Zamfir) : Ce sont deux militants ultra radicaux. Marie Soto est l’une des femmes reçues par le roi lorsque les parisiens vont à Versailles pour exiger des solutions immédiates à la crise et la signature des nouvelles lois. Ils sont arrêtés pour appels au meurtre par voie de presse contre les ennemis de la révolution. Selon eux, la révolution n’est pas terminée.

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• PRESENTATION DU SPECTACLE SOUS FORME DE DIALOGUE

JOËL POMMERAT, ENTRETIEN AVEC MARION BOUDIER, SEPTEMBRE 2015. Les personnages de Ça ira (1) Fin de Louis me font penser aux employés de Ma chambre froide qui soudain doivent prendre en main la gestion de leur entreprise… Comment situerais-tu Ça ira (1) par rapport à tes précédents spectacles ? D’une certaine manière, mais à des époques et à des échelles différentes, les personnages de ces spectacles sont confrontés aux mêmes types de problème : un contexte économique difficile, une réorganisation du pouvoir, différentes idées de l’homme et de l’existence… Les idées et leur mise en œuvre concrète, les individualités et les intérêts collectifs entrent en tension. Pour continuer à aborder ce point de rencontre entre la pensée, l’imagination et l’action, j’ai cette fois choisi une matière historique. Ça ira (1) raconte cet apprentissage, l’inventivité et les difficultés liés à la mise en place d’une organisation démocratique. Ça ira (1) Fin de Louis n’est donc pas un spectacle sur la Révolution. La Révolution inspire la dynamique des événements et certains personnages, mais il ne s’agit pas de reconstituer 1789. C’est un cadre qui sert à l’observation de conflits humains, qui permet de montrer la lutte politique, l’engagement de tous les membres de la société, l’effort et l’effervescence de ce moment d’invention de la politique telle que nous la connaissons encore aujourd’hui. Le motif principal du spectacle serait-il l’engagement ? Les motifs sont nombreux et touchent à des questions à la fois concrètes et philosophiques : l’engagement certes, mais aussi le courage, la violence, la justice, la représentation en politique, la légitimité du pouvoir, la souveraineté populaire, le peuple… Qu’est-ce que vivre ensemble ? Quel rapport instaurer entre l’homme et la société ? Comment s’organiser pour survivre, pour créer du commun, pour se défendre, pour construire une société plus juste, etc. ? Ce sont des questions qui traversent tout le spectacle, plutôt que des réponses. Ça ira (1) met en scène des « camps » opposés, à la différence de tes spectacles précédents qui se focalisaient sur un groupe et ses contradictions internes (Au monde se passe dans une famille de dirigeants alors que Les Marchands inverse la perspective en plongeant dans le récit d’une ouvrière par exemple). Comment organiser cette conflictualité ? Pour entrer dans la complexité humaine de ce moment politique, les personnages incarnent une variété de positionnements dans différents groupes : le roi et son

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entourage, les députés, les parisiens. Ils sont représentés dans des lieux de débats, de réunion : la résidence royale et l’Assemblée à Versailles, l’Hôtel de Ville et les assemblées de quartier à Paris. La conflictualité est le moteur de l’intrigue. Elle existe à tous les niveaux, entre ces différents groupes, entre les membres de chaque groupe et en chaque individu. Il y a des lignes de fractures collectives et des nuances individuelles, des revirements, des prises de conscience. On suit des trajectoires politiques, entre autres avec les députés du tiers que l’on voit évoluer dans leurs convictions et comportements. Le spectacle représente aussi des personnes moins politisées pour qui l’engagement prend des formes diverses. L’engagement dans l’action politique n’est pas que le résultat d’idées politiques. Et puis il y a les circonstances, la réaction de chacun aux événements et à la violence notamment. Les comédiens incarnent tous plusieurs individus, certains ont en charge des personnages tout à fait opposés, avec des points de vue divergents ou contradictoires. A travers la distribution, les acteurs changent de « camp », expérimentent différentes sensibilités, ce qui leur donne une connaissance intime de la complexité et des nuances que le spectacle cherche à représenter. Sans ce foisonnement, le risque est de simplifier, de reproduire des images stéréotypées ou manichéennes ou de prendre trop vite parti. Pour sentir la force du renversement révolutionnaire, il faut faire sentir ce à quoi il s’oppose, sans préjugés, en cherchant les nuances, la sincérité de chaque position. L’attitude du roi et de son entourage par exemple est au départ plus complexe qu’un simple refus passéiste et dictatorial du changement. On ne retrouve pas les grands héros de la Révolution dans ce spectacle : l’écriture est chorale, mais il y a Louis, présent dès le titre. Est-ce le personnage principal du spectacle selon toi ? Y en a-t-il d’autres ? Louis est une énigme autour de laquelle gravitent tous les personnages qui s’interrogent sur ses intentions, cherchent à les orienter ou simplement à les interpréter. C’est le seul personnage historique nommé. Il est l’un des fils conducteurs de la séquence historique représentée, depuis la crise financière de 1787 jusqu’au printemps 1791 peu avant sa tentative de fuite. Mais le héros de cette pièce, c’est l’imaginaire politique, les idées. Pour faire vraiment réentendre ces discours, il me semble qu’il fallait se débarrasser de la rhétorique et de l’apparence des révolutionnaires, retrouver une certaine innocence du regard. Par exemple, à l’époque Robespierre n’est pas Robespierre, mais Monsieur Dupont. Comment raconter une histoire dont on connaît déjà la fin ? L’idée de départ était de déployer l’histoire et ses acteurs sans préjugés, sans grille de lecture psychologique. La Révolution Française est une grande scène mythique de notre histoire contemporaine, avec son lot de légendes et de héros, de bons et de méchants, d’interprétations plus ou moins bien intentionnées véhiculées par notre imaginaire collectif. Pour contourner ces légendes, les comédiens ont travaillé à partir d’archives et de discours d’époque en privilégiant les idées par rapport au style et à l’étude des caractères. J’ai vu des représentations théâtrales, télévisuelles ou cinématographiques dans lesquelles on en venait plus ou moins à faire le procès des idées au moyen de la psychologie, par exemple pour Robespierre, Danton, Saint Just ou d’autres icônes.

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Dans Ça ira (1), ces personnalités ne sont pas identifiables. Le spectateur est placé dans un état de découverte des événements, comme s’il était lui-même contemporain de ce qui se déroule sous ses yeux. Les personnages sont des anonymes dont il ne sait rien à l’avance. L’écriture est portée par deux tentatives apparemment contradictoires : présenter les événements tels qu’ils se sont passés en respectant les grandes étapes du début de la Révolution, et les présenter comme s’ils se passaient maintenant. Le spectacle invente en quelque sorte un nouveau temps : le passé-présent. Pourquoi ? On ne peut pas reconstituer le passé. Le passé n’existe plus. Il s’agit toujours d’une fiction, pour l’historien comme pour l’écrivain ou le metteur en scène. Ça ira (1) est une fiction vraie, c’est-à-dire une fiction que j’ai voulue la plus vraie possible. Je cherche à rendre vie au passé, cela passe naturellement par des entorses à l’histoire, par exemple le fait de représenter des femmes politiques. Je ne prétends pas juger le passé avec nos yeux d’aujourd’hui, mais nous le représentons nécessairement avec ce que nous sommes, avec nos identités contemporaines, on ne peut pas masquer cette distance. Au niveau de la temporalité du spectacle, nous sommes dans un temps recréé. Il y a à la fois contraction du temps (plusieurs années en une scène) et étirement. Le spectacle prend par exemple le temps de dérouler le « blocage » des Etats généraux avant la déclaration de l’Assemblée nationale. A travers le langage, les costumes, le son, etc., j’ai voulu représenter le passé au présent, donner une sensation de temps présent face au passé. Je ne cherche pas à être fidèle à une époque mais à des événements, à un processus. Si reconstitution il y a, c’est au sens d’une recherche de concret, de vérité sensible pour faire apparaître les événements historiques comme pour la première fois. Histoire sensible qui ne figure pas dans les textes et qu’il faut bien prendre le risque de chercher et d’incarner puisque nous sommes au théâtre. Rendre le passé présent n’est pas tout à fait la même chose qu’actualiser, c’est mettre le spectateur dans le temps présent de l’événement passé. Le spectacle ne construit pas de clins d’œil ou d’analogies avec l’époque actuelle, même si je suis évidemment conscient des nombreux échos possibles entre hier et aujourd’hui. Ça ira (1) n’est ni une reconstitution ni une actualisation, mais un objet théâtral qui, comme toute création artistique, met en jeu une relation au réel et de l’imaginaire, de la connaissance et de la fiction, les émotions et les références de chacun de ses producteurs et récepteurs. Son entre-deux temporel en fait pour moi une forme de réminiscence : c’est une création mentale qui vient se superposer à la fois à un souvenir passé, à nos représentations ou connaissances du passé, et à une expérience du présent, au contexte politique dans lequel nous vivons. Peut-on dire que Ça ira (1) est un spectacle politique ? Faire de la salle entière le lieu du spectacle peut être reçu comme la volonté de faire participer le public, de l’inciter à une prise de conscience, voire à une prise de position. Ça ira (1) est un spectacle sur la politique plutôt qu’une pièce politique si on entend par là militante. Je ne travaille pas déconnecté du monde qui m’entoure. Je suis sensible à notre époque et je réagis nécessairement à la crise des valeurs démocratiques en Europe, mais je ne prétends pas tenir un discours sur ce contexte à travers ce spectacle.

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Le dispositif du spectacle est immersif mais non participatif. Je n’aime pas particulièrement être pris en otage au théâtre par des spectacles qui me demandent de réagir ou qui prennent à parti frontalement leurs spectateurs. Dans Ça ira (1) le public devient une partie de l’assemblée, c’est pour lui donner à sentir l’énergie du débat, l’inconfort aussi des ces prises de paroles parfois cacophoniques… Nous avons pensé la scénographie un peu comme dans nos créations en cercle ou en bifrontal, mais nous n’avons rien aménagé matériellement parlant. Nous avons juste décidé que la scène serait la salle de spectacle dans son entier, gradin des spectateurs compris. En conséquence, on peut dire que le spectateur est « sur » la scène et qu’il côtoie bien évidemment les acteurs de très près. L’espace de la fiction et l’espace des spectateurs fusionnent. Penses-tu que le théâtre puisse être un lieu de débat démocratique ? Le théâtre est un lieu de simulacre et d’expérience collective extraordinaire, mais je ne pense pas qu’il soit potentiellement un lieu plus politique que d’autres types de rassemblement d’individus. Il réunit des gens qui sont dans une forme de connivence, qui peuvent se rassembler, se recueillir, se faire plaisir, se chamailler entre eux. Mais ce n’est pas le lieu du débat politique. Quand je fais un spectacle, même comme Ça ira (1), je ne considère pas que je mène une action politique qui aurait pour projet de transformer la société. Le théâtre aujourd’hui n’a aucun moyen de réaliser une chose pareille, du fait même qu’il est fréquenté par une minorité de personnes. Je regrette qu’il ne puisse pas interpeller plus largement la société. Mais il faut être lucide, prendre la mesure de l’endroit où l’on est. J’essaie de faire le théâtre que j’aimerais voir et que je suis capable de faire, un théâtre où la vie peut pénétrer.

JOËL POMMERAT, ENTRETIEN AVEC MARION BOUDIER, SEPTEMBRE 2015.

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• BIBLIOGRAPHIE ELEMENTS DE BIBLIOGRAPHIE Liste non exhaustive proposée par Joël Pommerat et sa dramaturge Marion Boudier L'écriture de Ça ira (1) Fin de Louis est avant tout nourrie par des archives et témoignages d'époque, notamment les procès verbaux des débats de l'Assemblée et autres réunions publiques, des journaux, des correspondances de députés, mémoires intimes ou écrits politiques. Entre autres, par exemple : Les Archives parlementaires ; Le Moniteur ; Mémoires de Jean-Sylvain Bailly, premier maire de Paris ; Correspondance inédite du Marquis de Ferrières, député de la noblesse de Saumur aux Etats généraux ; Journal d'Adrien Duquesnoy, député du tiers-état de Bar-le-Duc ; Lettres et bulletins de Barentin à Louis XVI ; Journal politique national de Rivarol ; Les Révolutions de Paris, journal de Loustalot ; L’Ami du peuple, journal de Marat ; Gazette d'un parisien sous la révolution, lettres du libraire Nicolas Ruault à son frère ; Lettres de Louis XVI et de Marie-Antoinette… Du côté des historiens ont été notamment consultés les ouvrages suivants : - Haim Burstin, Révolutionnaires. Pour une anthropologie politique de la Révolution française, éd. Vendémiaire, 2013. - Jacques Godechot, La Prise de la Bastille, éd. Gallimard, [1965] 1989. - Eric Hazan, Une histoire de la Révolution française, éd. La Fabrique, 2012. - Jean Clément Martin, Nouvelle Histoire de la Révolution française, éd. Perrin, 2012 - Albert Mathiez, Les Grandes Journées de la Constituante, Editions de La Passion, 1989. - Guillaume Mazeau, Le Bain de l’Histoire, éd. Champvallon, 2009. - Jules Michelet, Histoire de la Révolution française - Jean-Christian Petitfils, Louis XVI, éd. Tempus Perrin, 2010. - Jacques de St Victor, La Première Contre-révolution, éd. Puf, 2010. - Timothy Tackett, Par la volonté du peuple. Comment les députés de 1789 sont devenus révolutionnaires, éd. Albin Michel, 1997.

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• CHRONOLOGIE HISTORIQUE

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• EXTRAITS DE TEXTES D’ARCHIVES

o SIEYES, Qu’est-ce que le tiers état ? o DUFOURNY, Cahiers du 4e ordre o LAFAYETTE, extrait des Archives parlementaires o MARAT, L’Ami du peuple o MONTLOSIER, De la nécessité d’une contre révolution

SIEYES, QU’EST-CE QUE LE TIERS ETAT ? (JANVIER 1789)

DUFOURNY, CAHIERS DU 4E ORDRE, BROCHURE S'il est démontré, s'il est évident d'ailleurs que le puissant et le riche ont moins besoin de la société que le pauvre, que c'est pour le faible, le pauvre et l'infirme que la société s'est formée, et que c'est enfin une des clauses fondamentales du pacte de société que de préserver tous les individus de la faim, de la misère et de la mort qui les suit ; je ne demanderai pas seulement pourquoi il y a tant de malheureux, mais pourquoi ils ne sont pas considérés chez nous comme des hommes, comme des frères, comme des Français. Pourquoi cette classe immense de journaliers, de salariés, de gens non gagés, sur lesquels portent toutes les révolutions physiques, toutes les révolutions politiques, cette classe qui a tant de représentations à faire, les seuls qu'on pût peut-être appeler du nom trop véritable, mais avilissant et proscrit, de doléances, est-elle rejetée du sein de la Nation ? Pourquoi n'a-t-elle pas de représentants propres ? Pourquoi cet Ordre qui, aux yeux de la grandeur et de l'opulence, n'est que le dernier, le quatrième des Ordres, mais qui, aux yeux de l'humanité, aux yeux de la vertu comme aux yeux de la religion, est le premier des Ordres, l’Ordre sacré des Infortunés ; pourquoi, dis-je, cet Ordre, qui, n'ayant rien, paye plus, proportionnellement, que tous les autres, est le seul qui, conformément aux anciens usages tyranniques des siècles ignorants et barbares,

On fermerait en vain les yeux sur la révolution que le temps et la force des choses ont opérée ; elle n’en est pas moins réelle. Autrefois, le tiers était serf, l’ordre noble était tout. Aujourd’hui le tiers est tout, la noblesse est un mot. Mais sous ce mot s’est glissée une nouvelle et intolérable aristocratie ; et le peuple a toute raison de ne point vouloir d’aristocrates. Dans une pareille position, que reste-t-il à faire au tiers s’il veut se mettre en possession de ses droits politiques d’une manière utile à la nation ? Il se présente deux moyens pour y parvenir. En suivant le premier, le tiers doit s’assembler à part : il ne concourra point avec la noblesse et le clergé, il ne restera avec eux ni par ordre ni par têtes. Je prie qu’on fasse attention à la différence énorme qu’il y a entre l’assemblée du tiers état et celle des deux autres ordres. La première représente vingt-cinq millions d’hommes et délibère sur les intérêts de la nation. Les deux autres, dussent-elles se réunir, n’ont de pouvoirs que d’environ deux cent mille individus et ne songent qu’à leurs privilèges. Le tiers seul, dira-t-on, ne peut pas former les états généraux. Eh ! Tant mieux ! Il composera une assemblée nationale.

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ne soit pas appelé à l'Assemblée nationale et envers lequel le mépris est, j'ose le dire, égal à l'injustice ? Tout présente des abus ou des crimes ; tout dictera sans doute des réformes et des remèdes ; ainsi, lorsque la sensibilité nationale pourra s'arrêter sur ce tableau de la misère constante d'un grand nombre d'hommes, sur la chute d'un grand nombre d'individus élevés dans l'aisance, qui peut douter qu'elle ne commande au génie de dévoiler quelques nouveaux moyens, non seulement de diminuer le nombre des infortunés et de les soulager, mais de prévenir les fléaux qui dévorent ces véritables héros de la société ? C'est alors qu'inspiré par le plus puissant des sentiments, celui de l'humanité, le génie français aura la gloire immortelle de découvrir quelques nouvelles bases morales pour une société mieux organisée, telle enfin que jamais la propriété, l'aisance et surtout la richesse, que l'état social procure à un certain nombre d'individus, ne soient fondés sur l’oubli, sur la criminelle oppression, sur l'indigence, la misère, la douleur et la mort d'un grand nombre d'hommes. LAFAYETTE, EXTRAIT DES ARCHIVES PARLEMENTAIRES

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MARAT, L’AMI DU PEUPLE, 10 NOVEMBRE 1789 (CONTRE LA LOI MARTIALE) Le peuple ne se soulève que lorsqu’il est poussé au désespoir par la tyrannie. Que de maux ne souffre-t-il pas avant de se venger ! Et sa vengeance est toujours juste dans son principe, quoiqu’elle ne soit pas toujours éclairée dans ses effets, au lieu que l’oppression qu’il endure n’a sa source que dans les passions criminelles de ses tyrans. Et puis, est-il quelque comparaison à faire entre un petit nombre de victimes que le peuple immole à la justice dans une insurrection, et la foule innombrable de sujets qu’un despote réduit à la misère, ou qu’il sacrifie à sa cupidité, à sa gloire, à ses caprices ! Que sont quelques gouttes de sang que la populace fait couler, dans la révolution actuelle, pour recouvrer sa liberté, auprès des torrents qu’en ont versé un Tibère, un Néron, un Caligula, un Caracalla, un Commode ; auprès des torrents que la frénésie mystique d’un Charles IX en a fait répandre ; auprès des torrents qu’en a fait répandre la coupable ambition de Louis XIV ? Que sont quelques maisons pillées en un seul jour par la populace, auprès des concussions que la nation entière a éprouvées pendant quinze siècles sous les trois races de nos rois ? Que sont quelques individus ruinés, auprès d’un milliard d’hommes dépouillés par les traitants, par les vampires, les dilapidateurs publics ? Mettons de côté tout préjugé et voyons. La philosophie a préparé, commencé, favorisé la révolution actuelle ; cela est incontestable ; mais les écrits ne suffisent pas, il faut des actions. Or, à quoi devons nous la liberté, qu’aux émeutes populaires ? C’est une émeute populaire, formée au Palais-Royal, qui a commencé la défection de l’armée et transformé en citoyens deux cent mille hommes dont l’autorité avait fait des satellites. Et dont elle voulait faire des assassins. C’est une émeute populaire, formée aux Champs-Elysées, qui a éveillé l’insurrection de la nation entière ; c’est elle qui a fait tomber la Bastille, conservé l’Assemblée nationale, fait avorter la conjuration, prévenue le sac de Paris, empêché que le feu ne l’ait réduit en cendres et que ses habitants n’aient été noyés dans le sang. C’est une émeute populaire, formée au marché Neuf à la halle, qui a fait avorter la seconde conjuration, qui a empêché la fuite de la maison royale et prévenu les guerres civiles qui en auraient été les suites trop certaines. Ce sont ces émeutes qui ont subjugué la faction aristocratique des Etats Généraux, contre laquelle avaient échoué les armes de la philosophie et l’autorité du monarque ; ce sont elles qui l’ont appelé, par la terreur, au devoir, qui l’ont amené à se réunir au partie patriotique et à concourir avec lui pour sauver l’Etat. Suivez les travaux de l’Assemblée nationale, et vous trouverez qu’elle n’est entrée en activité qu’à la suite de quelque émeute populaire, qu’elle n’a décrété de bonnes lois qu’à la suite de quelque émeute populaire, et que dans des temps de calme et de sécurité cette faction odieuse n’a jamais manqué de se relever pour mettre des entraves à la Constitution ou faire passer des décrets funestes. C’est donc aux émeutes que nous devons tout, et la chute de nos tyrans, et celle de leurs favoris, de leurs créatures, de leurs satellites, et l’abaissement des grands, et l’élévation des petits, et le retour de la liberté, et les bonnes lois qui la maintiendront en assurant notre repos et notre bonheur.

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MONTLOSIER, DE LA NECESSITE D’UNE CONTRE REVOLUTION (1791)

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• EXTRAIT D’UN ESSAI DE L’HISTORIEN TIMOTHY TACKETT

TIMOTHY TACKETT, PAR LA VOLONTE DU PEUPLE. COMMENT LES DEPUTES DE 1789 SONT DEVENUS REVOLUTIONNAIRES, ALBIN MICHEL, 1997 On peut certes dire que l’énigme de la Révolution n’a pas de réponse, que l’interprétation historique sera toujours dépendante des différences fondamentales qui existent entre les idées très personnelles qu’ont les historiens sur les ressorts de la motivation humaine, sur le fait de savoir si les idées, le pouvoir ou les intérêts matériels égoïstes sont les constituants fondamentaux de la « nature humaine ». Mais pour avoir la possibilité de formuler un jugement, il est essentiel d’avoir toutes les données, d’entendre tous les témoignages pertinents. En dépit de l’extraordinaire quantité d’écrits sur la révolution au cours des deux derniers siècles, il existe un grand nombre d’actions, de choix, et d’aspirations de la part des participants de 1789 qui demeurent peu sûrs ou inconnus. En fait, il est peut-être utile de cesser de chercher les origines de la Révolution française au moyen d’analyses générales, pour s’intéresser plutôt à l’expérience révolutionnaire des individus qui ont pris part aux événements et ont incarné cette Révolution. Comment des hommes et des femmes sont devenus des révolutionnaires ? Comment en sont-ils arrivés à cette incroyable conclusion, si rare dans les cours des affaires humaines, que le monde politique et institutionnelle qu’ils avaient toujours connu devait être renversé et réformé de fond en comble ? Quelles sont leurs règles de comportement, leur système de valeur, leur culture politique au soir de la Révolution ? […] Il est évident que pour avoir une approche des expériences et des sentiments des députés de 1789, un large éventail de témoignages doit être réunis. Nous ne devons pas seulement utiliser les minutes officielles et les rapports produits par l’Assemblée nationale, mais aussi les comptes-rendus des journaux et les réflexions des observateurs extérieurs. Nous devons prendre en considération les informations biographiques sur les carrières et les activités des députés que nous donnent diverses sources et études. Mais surtout, nous devons nous intéresser à ce qu’écrivent les députés eux-mêmes, dans les journaux personnels qu’ils tiennent alors, dans leurs lettres et dans leurs mémoires.

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• PHOTOS DE TRAVAIL

RESIDENCE A LA FERME DU BUISSON, MAI 2015

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TRAVAIL A LA FERME DU BUISSON, VISIONNAGE DE DOCUMENTAIRES CONTEMPORAINS

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RESIDENCE AU THEATRE NANTERRE-AMANDIERS, JUIN-SEPTEMBRE 2015

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• PHOTOS D’AUTRES SPECTACLES

AU MONDE, CREATION 2004

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LES MARCHANDS, CREATION 2006

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CERCLES/FICTIONS, CREATION 2010

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MA CHAMBRE FROIDE, CREATION 2011

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LA GRANDE ET FABULEUSE HISTOIRE DU COMMERCE, CREATION 2011

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LA REUNIFICATION DES DEUX COREES, CREATION 2013

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• EXTRAITS DE JE TREMBLE (1 ET 2) ET DE MA CHAMBRE FROIDE DE JOËL

JOËL POMMERAT, JE TREMBLE (1ET 2), 2008. – 2 – Silence. La scène est vide. Un rideau lumineux et scintillant masque le fond. A l’avant, un micro sur pieds. Une femme entre et se dirige vers le micro. Comme si elle allait chanter. Sa robe scintille elle aussi. Sa voix résonne et prendra de plus en plus d’ampleur au fur et à mesure de la scène. LA FEMME. Bonsoir mesdames, messieurs. Avez-vous remarqué comme moi une chose ? Nous n’avons plus d’avenir ! Est-ce que vous avez remarqué ça ? Comme moi ? Est-ce qu’il est arrivé à quelqu’un présent ici ce soir de rêver sérieusement à un avenir pour lui et pour notre société, notre belle société humaine, je dirais, dans les trois derniers mois écoulés ? Un vrai beau rêve d’avenir pour notre société humaine ? Est-ce que quelqu’un pourrait sérieusement me dire cela ? Je ne crois pas… Mais où sont passées les idées, nom de Dieu ?! Donnez-moi une idée qui me fasse rêver, nom de Dieu, et vite ! Moi j’en peux plus. Une idée, un avenir – vous êtes où les gens dont c’est le boulot, dont c’est le métier, dont c’est la responsabilité quand même ? Qu’est-ce que vous faites ? Vous êtes où les gens qui êtes responsables des idées ? Vous pourriez pas me refiler un peu de rêve quand même ? Qu’est-ce que vous foutez, nom de Dieu, vous vous grattez le cerveau ou quoi ? Mais ça se gratte pas un cerveau, Ça se fait chauffer, ça se fait bouillir, ça s’éclate et c’est tout à coup de pensées des pensées bien fortes, et surtout bien constructives, voilà, c’est tout. Moi je veux rêver je vous le dis, car j’y ai droit, comme tout le monde car j’en peux plus, je veux mon avenir je veux qu’on me donne mon avenir j’y ai droit ; La femme arrête subitement de parler, mais on continue à entendre sa voix qui résonne dans tout le théâtre. VOIX DE LA FEMME. Qui pourrait prétendre que je n’ai pas le droit à mon avenir ? Qui pourrait me dire en face que je n’ai plus le droit de rêver à mon avenir, à un bel avenir, à un avenir qui puisse m’enthousiasmer,

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un rêve qui puisse me porter, qui puisse m’emporter, avec ses ailes, ses grandes ailes de l’euphorie, de l’optimisme, et du plaisir vers mon avenir ? Qui ? Ah non ! Vraiment je ne suis pas contente, ce soir je ne suis pas contente et je le dis. Voilà. Noir. JOËL POMMERAT, MA CHAMBRE FROIDE, 2011 ACTE II, SEQUENCE 2 - PREMIERE REUNION DES EMPLOYES Quelques jours plus tard, quelques heures avant l’ouverture du magasin. Dans le bureau d’Adeline. NATHALIE – Je vous le dis j’ai signé, mais je sais pas ce que j’ai signé... Devenir propriétaire d’une entreprise ça me fait le même effet que devenir propriétaire d’un semi-remorque ou d’un hélicoptère… ALAIN – Quatre ! NATHALIE – Quatre quoi ? ALAIN – Propriétaire de quatre entreprises ! NATHALIE – Quatre entreprises ! J’ai même pas les moyens de me faire à manger tous les jours. ADELINE – Moi… je me sens très mal. JEAN-PIERRE - On s’est fait avoir quelque part ALAIN – Qu’est-ce que tu dis ? JEAN-PIERRE – On s’est fait avoir dans cette histoire... ALAIN – Mais par qui ?! JEAN-PIERRE – Blocq ! ALAIN – Recommence pas, Jean Pierre ! Blocq il est plus là alors c’est fini de focaliser sur lui ! JEAN-PIERRE – Me donne pas d’ordre, recommence pas, je suis encore ton supérieur que ça te plaise ou non. Alors tes ordres tu te les gardes. Tu te défoule sur Estelle si ça te démange, elle tout le monde peut lui donner des ordres. ALAIN – On va pas repartir dans les enfantillages c’est pas possible... T’es plus mon supérieur Jean Pierre, tu es mon associé! Silence . ADELINE – Je me demande si on a pas fait la plus grosse connerie de toute notre vie ALAIN – (timidement) C’est dingue ce qui nous arrive, mais c’est quand même pas pire que le chômage ! Moi j’ai jamais été propriétaire de ma vie, alors je savoure excusez moi... Je suis devenu co-propriétaire d’un capital de cinquante millions de francs du jour au lendemain… C’est un rêve... Non ? JEAN-PIERRE – Il est sur son nuage lui. ADELINE – Passe encore d’hériter d’un magasin et d’essayer d’apprendre à le diriger, mais devenir en même temps patron de trois sociétés dans lesquelles j’ai jamais mis les pieds ça me dépasse je l’avoue et ça me liquéfie. ALAIN – On n’est peut être pas obligés de faire couler ces boîtes, non ?!

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ADELINE – Qui s’y connaît ici en gestion d’une entreprise ? ALAIN – C’est peut être pas si compliqué, Blocq c’était pas un génie, pardon. JEAN-PIERRE – N’importe quoi ! C’est Napoléon lui ! Rien ne l’arrête ! Chi dit quelque chose dans un français incompréhensible. ESTELLE – (traduisant) « On ouvre dans 2 heures, faut arrêter de parler, faut travailler. » Silence court. JEAN-PIERRE – Ce qui est encore plus bizarre pour moi c’est qu'on te donne des trucs qui appartenaient à quelqu’un qui n’est pas même pas encore mort... T’as l’air con. ALAIN – Tu es dépressif toi, tu verras toujours la version complètement déprimante des choses. JEAN-PIERRE – Qu’est-ce que tu as dis ? ALAIN – J’ai dit : « dépressif ». (Silence.) Quand on chiale sur la viande des clients pendant deux années consécutives, c’est qu’on est dépressif Jean-Pierre, on va voir un docteur ! ADELINE – Faut arrêter tous les deux ! ALAIN – (à Jean-Pierre) Je te plains… ADELINE – En tout cas, déjà pour commencer, va falloir engager un directeur au magasin. JEAN-PIERRE – Quelqu’un qui va diriger ? Comme Blocq ? On peut peut-être en discuter ?! ADELINE – On va pas arrêter de discuter Jean-Pierre, n’ayez pas d’inquiétude préparez vous à discuter jour et nuit même. NATHALIE – J’ai horreur des réunions je vous préviens. ADELINE – Faudra faire évoluer tes goûts, je m’excuse… Ensuite la chose qu’on doit faire c’est élire un président du conseil d’administration qui aura la signature de la banque et... ALAIN – C’est vous qui devez faire ça non ?! ADELINE – Moi ? C’est hors de question. Y’a quelqu'un que ça intéresse? JEAN-PIERRE – Bon alors moi. Si ça peut arranger, je veux bien rendre ce service… ADELINE – Ok, Jean Pierre. Quelqu’un d’autre ? CHI – Moi… ADELINE – (Surprise.)Chi, très bien ! C’est tout ? ALAIN – Je veux bien me présenter aussi ADELINE – Alain… Bon commence avec Chi. Qui vote pour Chi ? (Chi lève la main.) Bon ben une voix très bien. Alain maintenant ? (Tout le monde lève la main sauf Chi et Jean-Pierre.) Euh, six voix donc. Jean-Pierre maintenant ? (Après une hésitation, Jean-Pierre lève la main.) Une voix. Voilà. Donc c’est Alain je crois… qui devient premier président délégué du conseil d’administration des entreprises anciennement Blocq. JEAN-PIERRE – Comme ça c’est clair. CLAUDIE – Bon faut aller bosser maintenant. Je vous le dis moi, j'en ai rien à foutre de tout ça. La seule chose que je veux c'est pas perdre mon boulot. ADELINE – Quand est-ce qu’on se revoit pour continuer à parler et décider de ce qu’on va devenir ? NATHALIE – Je vous préviens que si je deviens propriétaire c’est pour moins travailler, pas pour faire plus d’heures Chi dit quelque chose dans un français incompréhensible. JEAN-PIERRE – (à Estelle) Qu’est ce qu’il a dit ? ESTELLE – « Sans compter qu’on doit se revoir par rapport à cette connerie de pièce théâtrale. » Chi dit quelque chose dans un français incompréhensible.

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ESTELLE – Il me parle en fait... (traduisant Chi.) « Ce jour là t’as quand même perdu une belle occasion de fermer ta gueule, Estelle. » ALAIN – Ça c’est certain. JEAN-PIERRE – Une pièce sur Blocq, c’est complètement pervers ce truc. ALAIN – Ça c’est sûr, on te dit pas merci, Estelle… NATHALIE – Dis donc, Estelle... pour avoir proposé un truc pareil... en fait tu es vraiment amoureuse de lui alors ?! C’est pas une blague ? Rires. JEAN-PIERRE – Elle est mariée, Estelle, quand même ! Noir.

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• METHODE D’ANALYSE CHORALE DE L’ANRAT

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«Ça ira», les nouveaux canons de 1789 Par Anne Diatkine — 5 novembre 2015 à 18:16 Joël Pommerat présente aux Amandiers la Révolution française sous un angle contemporain. Dans «Ça ira (1) Fin de Louis», les acteurs jouent plusieurs rôles.  Photo Christian Bellavia. Divergence

Imaginez que vous ne savez rien. Vous avez oublié comment se termine ce qu’on nomme la Révolution française, vous ignorez que la Bastille fut autre chose qu’une place dont il est dangereux de faire le tour à vélo, et les Etats généraux vous évoquent un bulletin de santé compliqué. Dans ce cas, est-ce que la nouvelle création de Joël Pommerat, intitulée Ça ira (1), fin de Louis, est intelligible, alors même que le nom des lieux, des événements, des gens sont, à l’exception du couple royal, omis, et que les événements fondateurs sont hors champ ? Oui, nous semble-t-il. Le spectacle a un aspect pédagogique, en dépit des voix qui se chevauchent, de la violence des enjeux, de la confusion du réel recréé, et surtout, de l’absence d’imagerie révolutionnaire. La ligne du récit suit les grandes étapes qui mènent du premier discours de Louis XVI sur le déficit budgétaire astronomique de la France et la nécessité d’une réforme fiscale, jusqu’à sa claustration au palais du Louvre, avec Marie-Antoinette, avant la fuite à Varennes. Louis, avec un brin de fatalisme, dira : «Ça ira.» Il n’entendra pas la Carmagnole et nous non plus. Etes-vous ce premier spectateur, entré par hasard au théâtre des Amandiers, un peu comme on pénètre dans une AG, en s’asseyant discrètement sur un gradin ? Peut-être.

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Forces vives. C’est étrange de voir Louis XVI, joué en complet-veston par l’excellent Yvain Juillard, en réformateur, convaincu qu’une certaine égalité sociale est nécessaire et que les nobles et le clergé, eux-aussi, doivent payer des impôts. Ne pas se méprendre cependant. Le spectacle n’est pas une réhabilitation du monarque. Mais il en propose un aspect qui nous oblige, par curiosité, d’aller ensuite vérifier sur Internet que ces discours, à peine modernisés, existent bien. Fondu au noir. Nous sommes dans une réunion de quartier où il s’agit de débattre et d’élire des représentants qui iront aux Etats généraux. Par quelle revendication commencer ? La plus abstraite : la liberté ? Ou par des préoccupations de vie quotidienne : l’air irrespirable de Paris, car les rues sont des boyaux (l’archive qui donne lieu au texte existe également) ? A moins qu’il faille écouter cette confiseuse, furieuse de la concurrence des religieuses. La troupe est quatre heures durant sur scène et dans la jauge, dans l’écoute et la prise de parole. Un corps tel qu’on hésite à individualiser les acteurs, qui excellent tous, en les citant. Revenons à ce premier spectateur, assis dans l’hémicycle du théâtre des Amandiers. La lumière est souvent sur lui. A ses côtés, des gens, forces vives, dont on ne sait d’où ils viennent, maugréent et réagissent plus ou moins expressément. Rassurons ce spectateur, il ne sera pas pris à parti, personne ne lui demandera de quel bord il est, et ne l’invectivera. Il peut tranquillement comprendre, ne pas comprendre, se tromper dans ce qu’il voit, rectifier sa vision. Et forcément, il fait des allers-retours entre aujourd’hui et hier, hier lui étant présenté au présent, comme n’ayant pas encore eu lieu. Furtivement peut apparaître le fantôme d’une Ségolène Royal. On a à peine le temps de s’en faire la réflexion, qu’elle disparaît. Lorsqu’on se demande d’où viennent les coups de canons, en écho, une actrice s’inquiète de leur proximité. On les entend si bien. On est à Versailles, Paris est tout de même à vingt kilomètres. L’un des défis du spectacle est de faire palpiter des idées. Montrer que dans toute révolution, la vie n’existe plus, l’être est entièrement tendu dans l’espérance du changement possible. Peu de personnages exposent donc leur vie. Il y a la reine, en deuil, son petit garçon est mort, et Anne Rotger qui l’incarne, iconique et ironique, réussit à vider la scène par sa présence. «N’oubliez pas de vous faire applaudir, vous aussi», dit-elle à l’émissaire du roi qui vient donner des nouvelles. Et aussi, d’une voix lasse : «C’est facile de plaire à tout le monde, quand on dit ce que tout le monde veut entendre.» Ce qui est beau est que chacun tente fiévreusement de rendre audible sa parole. Les acteurs jouent tous plusieurs rôles, qui ont des convictions opposées. Une intimité sonore se crée néanmoins, car si les physiques multiplient les personnages, les accents personnels restent. Mur aveugle. Le peuple, la population, le tiers état : peu importe comment on le nomme, il n’est pas d’emblée plus digne ou moins crapule que l’élite. Le spectacle ne montre pas frontalement la misère et la faim. La langue contemporaine permet d’entendre comment les clichés de la rhétorique naissent, se rigidifient et perdurent. Déconstruire le langage et le mur aveugle des expressions toutes faites est l’une des réussites de Ç a ira. Mais on laissera le débat sur les anachronismes contrôlés à d’autres. A ce second spectateur, qui sait déjà tout, et devra accepter de se laisser emporter par cette révolution au présent, sans certitude. Anne Diatkine Ça ira création et m.s. Joël Pommerat Jusqu’au 29 novembre. Théâtre des Amandiers, Nanterre.

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Joël Pommerat, la révolution incarnée LE MONDE | 06.11.2015 à 09h53 | Par Fabienne Darge

Entre ici, spectateur, pour devenir un acteur de l’Histoire ! Ou, du moins, pour vivre une expérience théâtrale passionnante, qui plonge au cœur de la parole et du combat politiques. Voilà ce que propose Joël Pommerat avec cette nouvelle création, très attendue, Ça ira (1) Fin de Louis, au Théâtre Nanterre-Amandiers jusqu’au 29 novembre, qui n’est pas tant un spectacle « sur » la Révolution française qu’une pièce qui, à partir d’elle, interroge et met en jeu de manière on ne peut plus concrète et vivante la construction conflictuelle d’une culture démocratique. Il s’inscrit dans toute une tradition, ce spectacle, mais il s’en démarque nettement par une série de recadrages. La révolution est en elle-même un théâtre, qui a donné lieu – mais pas tant que ça – à des œuvres majeures, qu’il s’agisse de La Mort de Danton, de Georg Büchner, de 1789 et 1793, créations collectives d’Ariane Mnouchkine et du Théâtre du Soleil ou, plus près de nous, du remarquable Notre terreur, par Sylvain Creuzevault et sa compagnie D’ores et déjà. Décaper le mythe La première surprise vient du fait que vous ne verrez pas, dans Ça ira, les grandes figures attendues, les Danton, Robespierre, Saint-Just, Marat et autres Desmoulins. Les seuls personnages historiques qui apparaissent en tant que tels sont Louis XVI et Marie-Antoinette. Le cœur du projet de Joël Pommerat, c’est d’avoir voulu décaper le mythe, les images d’Epinal, pour revenir à la source. Pour ce faire, l’auteur-metteur en scène et sa compagnie ont effectué un énorme travail de documentation, en compagnie de l’historien Guillaume Mazeau (Le Monde du 11 juillet). Ils se sont notamment appuyés sur un livre majeur, celui de l’historien américain Timothy Tackett, Par la volonté du peuple : comment les députés de 1789 sont devenus des révolutionnaires (1997). Le Ça ira de Pommerat, c’est la Révolution à hauteur d’homme, ces hommes ordinaires qui, peu à peu, pas à pas, font l’Histoire, dans les comités de quartier ou à l’Assemblée nationale.

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Rendre le passé présent Et, surtout, c’est la Révolution dans un temps qui est à la fois le sien et le nôtre, ou un temps proche du nôtre. Joël Pommerat a réussi à inventer ici une sorte de temps « anhistorique ». Les événements sont à la fois montrés tels qu’ils se sont passés, depuis la crise financière et fiscale de 1787, qui a tout déclenché, jusqu’au printemps 1791 et la tentative de fuite du couple royal. Mais ils sont présentés comme s’ils se passaient maintenant. Rendre le passé présent est une des grandes réussites de ce spectacle. Joël Pommerat a fait le choix d’éliminer toute reconstitution historique puisqu’il a, là encore, nettoyé toute l’imagerie décorative. C’est une sobriété magistrale, orchestrée par l’excellent scénographe de Pommerat, Eric Soyer, qui se déploie dans le vaste espace du plateau du Théâtre des Amandiers de Nanterre. Un écrin noir et gris sans fioritures, qui donne toute sa place à l’essentiel : la parole et les acteurs, vêtus de costumes plus ou moins contemporains, en une subtile déclinaison qui irait des années 1960 aux années 2000, et compose un vaste tableau des corps, des attitudes, des manières d’être particulières de ces étranges animaux que sont les hommes – et les femmes – politiques.

Un « dispositif immersif » Le troisième parti pris, et pas des moindres, c’est de faire jouer les acteurs dans tout l’espace de la salle de Nanterre, et de créer, notamment grâce au travail sonore de François Leymarie, le grand manitou « son » de Pommerat, un « dispositif immersif » qui fasse que le public devienne lui-même une partie de l’assemblée. Du coup, ils frappent – ils cognent, même –, ces propos, ces débats, ces affrontements qui semblent d’aujourd’hui. Conflit entre la justice et la loi, questions sur la légitimité du crime politique, interrogations sur le degré de maturité auquel doit accéder le peuple pour qu’on lui accorde la liberté, mystère du corps du roi et de l’incarnation d’une nation… Tout semble à la fois d’une actualité brûlante et lesté d’histoire, dans ces débats où les acteurs, qu’il s’agisse des révolutionnaires, des nobles ou de la famille royale, ne sont jamais montrés de manière manichéenne, tandis que les « grands » événements comme la prise de la Bastille restent hors champ. S’il en est ainsi, c’est parce que Pommerat a accompli un fabuleux travail avec ses acteurs – ils sont quatorze pour incarner des dizaines de personnages – qui sont remarquablement vivants et crédibles,

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passant d’une figure à l’autre. Ah ça ira, ça ira, on a déjà hâte de voir le deuxième volet de l’aventure, qui devrait couvrir la période allant de 1791 à 1795. « Ça ira (1) Fin de Louis », une création de Joël Pommerat. Théâtre Nanterre-Amandiers, Nanterre (Hauts-de-Seine). Du mardi au samedi à 19 h 30, dimanche à 15 h 30, jusqu’au 29 novembre. En tournée jusqu’à fin mai en France. Avec Joël Pommerat, un monde complexe, de Marion Boudier. Actes Sud Papiers, 192 p., 16 euros.

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Après les attentats, recommencer à sortir, c'est salutaire. Ce mardi soir, au Théâtre des Amandiers, à Nanterre, on ne pouvait s'empêcher de faire résonner la pièce de Joël Pommerat sur la Révolution française avec l'actualité

Pas, ou très peu, d'absents hier soir : les quelques 900 places de la grande salle des Amandiers de Nanterre ont été pris d'assaut par le public. Comme de coutume, la dernière pièce de Joël Pommerat affiche complet depuis des semaines. Ce 17 novembre était-il pour autant un soir comme les autres ? Pas tout à fait. Dès l'entrée de la salle, une affichette prévenait que des bruits de détonations résonneraient au cours de la soirée : la bande-son du spectacle figure des scènes d'émeutes. Que personne, donc, ne s'inquiète.

En l'occurrence, personne n'aura montré le moindre signe d'inquiétude. Au contraire. Pendant les quatre heures vingt de la représentation, l'attention de la salle fut presque tangible tant elle était forte. Qui aurait imaginé que la pièce sonnerait à ce point comme un écho aux événements ? En évoquant la révolution française tout en la parant d'habits modernes, en saisissant la naissance – dans la douleur – de la démocratie et des droits de l'homme, Pommerat ne cesse d'ouvrir des questionnements contemporains.

A voir ces personnages se démener face au basculement de l'Histoire, débattre de leur destin commun, constater leurs unions et leurs désunions, répondre à la tentation de la violence et au besoin de résistance, s'interroger sur la liberté, aveuglés par leurs croyances politiques ou émancipés des diktats idéologiques, on ne pouvait qu'être saisis par la pertinence et la modernité du propos. Une pièce, comme un temps de réflexion collective échappé à la fureur de l'info en continu. Une mise en abîme soudain vertigineuse, à laquelle le public, jeune – beaucoup de trentenaires –, et intégré de fait à la mise en scène, a répondu par une ovation. Plus intense encore, disait le personnel du théâtre, que les soirs précédents.

Ça ira (1), Fin de Louis de Joël Pommerat Théâtre des Amandiers de Nanterre

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Pommerat nous embarque dans sa folle Révolution

Fabienne Pascaud - Publié le 05/11/2015. Mis à jour le 05/11/2015 à 14h36.

Pour son nouveau spectacle, “Ça ira (1) Fin de Louis”, et après plusieurs mois de travail collectif avec ses comédiens, Joël Pommerat place le spectateur au cœur de la Révolution Française. Aussi fou qu'envoûtant. Sonnés. On sort sonnés et électrisés à la fois de l’épopée historique dans laquelle Joel Pommerat et sa troupe nous ont embarqués plus de quatre heures durant. Eblouis aussi. Et un peu incrédules. Avec eux, à travers eux, non seulement sur la scène mais aux quatre coins de la grande salle du Théâtre des Amandiers de Nanterre, où les comédiens ressuscitent comme en direct – et sans que jamais ça sente la posture – les débats passionnés des représentants du Tiers-Etat, de la noblesse, du clergé, on aura donc vécu ces moments historiques et fous où s’invente la démocratie européenne. Une sorte d’Orestie façon Pommerat. Mais sans destins, sans dieux vengeurs, sans trop de héros individuels non plus, quelques savoureuses figures historiques exceptées et par ailleurs recréées en costumes sobres et modernes d’aujourd’hui. Ici ce sont surtout les droits de l’homme qui naissent enfin, la liberté et l’égalité qui s’imaginent et se forgent. Comment ont-ils fait tous, Pommerat et sa compagnie Louis Brouillard, pour nous mettre ainsi au cœur de l’Histoire dans ce spectacle choral et polyphonique où l’on sent émerger peu à peu la conscience et la science politiques, les racines de toutes les grandes idéologies à naître dans des épisodes de surexcitation et d’effroi collectifs ? Et sans sacrifier à la rayonnante incarnation du théâtre (même si on aurait aimé parfois que quelques acteurs s’égosillent moins), sans sacrifier non plus à la vivacité du tempo (malgré quelques longueurs encore).

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Ils ont juste travaillé comme des fous. Ensemble, car Pommerat après avoir conçu son projet, ne le construit vraiment qu’à partir des improvisations, ne l’écrit qu’après les répétitions des comédiens qu’il a nourri de documents, de textes, de discussions Près de deux ans de travail acharné – dont Emmanuelle Bouchez avait rendu compte dans nos pages et sur notre site – pour élaborer, affûter Ça ira (1) Fin de Louis, cette descente aux abîmes de notre mémoire française, de notre culture historique, politique, de notre imaginaire de citoyen. Que s’est-il passé dans ces années de 1788 à 1791 qui nous marque à jamais, nous illumine ou nous ravage encore ? Le surgissement promis, possible d’une société sans privilèges, enfin fraternelle, humaine ? Ou l’assassinat coupable du père de la nation, ce Louis XVI si grand, si gauche, si mal à l’aise mais pas si niais, plutôt intuitif et sensible dans l’interprétation qu’en donne un bel acteur de la troupe. On ne saura pas qui. Le programme n’indique pas qui fait tel ou tel personnage : le travail collectif a ses exigences. Comme chez la grande soeur Ariane Mnouchkine qui monta elle aussi en 1970, un 1789 d’anthologie, plus centré encore sur le peuple que sur la classe politique, comme ici. On ne saura pas non plus qui joue si admirablement Marie-Antoinette, cette mère nationale qu’on assassinera aussi, et qui malgré sa morgue est bouleversante après la mort d’un de ses fils en pleine tourmente révolutionnaire. Rien de caricatural jamais dans ces tableaux, ces scènes dépouillés qui s’enchaînent sur le plateau noir aux accessoires si sobres et nus, simples et plutôt sombres. On est loin ici des ambiances incertaines et inquiétantes, entre chien et loup, où excelle d’ordinaire Joël Pommerat pour témoigner, au fil de terribles histoires familiales, des cancers qui rongent la société française. Ici pleins feux ! Une rampe est même carrément placée en direction des spectateurs et la scène fréquemment allumée. Pour affronter courageusement, fièrement aussi les fondements de notre communauté hexagonale, Pommerat change sa manière ordinaire. Choisit un dispositif à l’italienne, apparemment classique en tout cas, frontal, où tout devient lisible et clair, où les échanges nous apprennent et nous font voguer simultanément dans le passé. Comme dans une hallucinante machine à remonter le temps, qui sans réalisme affiché, sans couleur locale ni pittoresque des costumes, nous met magistralement quatre siècles en arrière. Et c’est à la fois mystérieusement envoûtant et pédagogique, violent et tendre, fascinant et terrifiant. Un spectacle de service rublic pour mieux comprendre notre héritage commun, mieux le partager, le digérer, le transcender. Ça ira (1) Fin de Louis, mise en scène Joël Pommerat |4h20 | jusqu’au 29 nov. au Théâtre des Amandiers de Nanterre 92000 | Tel. : 01 46 14 70 00.

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LʼHUMANITÉ (Une et ouverture culture)

Lundi 9 novembre 2015

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LE CANARD ENCHAÎNÉ

Mercredi 18 novembre 2015

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Joël Pommerat au sommet : la Révolution Française vue d’en bas via aujourdhui 06 novembre 2015 | Par jean-pierre thibaudat

Le nouveau spectacle de Joël Pommerat ne dure que 4h 10, inclus deux courts entractes de 10 minutes, et comme dirait Lucette « on ne voit pas le temps passer ». Signe d’un théâtre à vif et d’un souffle qui nous entraîne. Comme si la fatigue des personnages qui vivent devant nous et à côté de nous des jours et des nuits intenses, ne nous atteignait pas, que seul le sentiment de vivre un moment exceptionnel nous touchait, nous ébranlait, nous emportait. Et de fait, ce spectacle est exceptionnel. Pas seulement par sa durée. Une loi des finances révolutionnaire Pommerat et son peuple d’acteurs nous restituent les jours des fameux Etats généraux de 1789 et les atermoiements du roi à Versailles, les séances d’un comité de quartier d’un arrondissement parisien, non dans leur jus d’époque mais dans leur fièvre au présent. Le premier coup de maître du spectacle consiste à créer un temps flottant entre hier et aujourd’hui. Pas de costumes de cour, d’aristo ou de gueux mais des tenues passe partout d’aujourd’hui, sans pour autant céder à la transposition (le mobilier est sans âge, les micros d’aujourd’hui, le téléphone d’hier, les costumes des militaires hésitent entre l’Union Soviétique et l’Argentine des généraux). Si bien que nous ne cessons, nous spectateurs, de faire la navette entre cette époque d’où nous venons (constitution, démocratie élective, droits de l’homme, etc.) et qui nous constitue, et la nôtre puisque les mots d’ordre, les plaintes, les angoisses véhiculés par les bouches des députés du Tiers-état, de la Noblessede l'Eglise ou du Peuple de la rue sont ceux d’aujourd’hui.

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Et cela va jusqu’aux plus hautes autorités de l’état. Dès la première réplique : « je ne vous cacherai pas que notre principale préoccupation aujourd’hui est d’augmenter considérablement les revenus de l’état qui n’ont cessé de se dégrader… » dit le monarque qui va bientôt proposer une loi des finances révolutionnaire pour l’époque. Louis XVI parle comme Hollande et consorts. Et inversement. Moment saisissant du spectacle, Louis XVI en costume clair, le cheveu dégarni, pâle, hiératique, dans un halo de lumière, descend un escalier pour aller serrer la main de quelques concitoyens. Il ressemble, d’un coup, y compris physiquement (sa démarche, son visage anguleux) à Mitterrand. A d’autres moments il a l’air de s’ennuyer comme Chirac. Plus anecdotiques mais plaisants comme le sont les clins d’œil, plusieurs moments. Façon de dire que le monde entier regarde la Révolution française en direct, une scène où une commentatrice d'une radio espagnole (Ruth Olaizola, bien sûr) commente l’arrivée du roi (naguère la télé française avait un spécialiste, Léon Zitrone, l’ancêtre de Stéphane Bern, qui n’avait pas son pareil pour commenter le couronnement des rois de la planète). Scène où l’on voit des gens du peuple venir se plaindre du manque de tout auprès du roi avant de se faire photographier avec lui et de s’évanouir de bonheur. Scène où quelqu’un se plaint de « atmosphère absolument irrespirable de Paris » où il serait temps d’étudier la question d’« un courant d’air ». Scène où l’on voit une sorte de Patrick Sébastien chauffer le public et le faire saliver jusqu’au l’entrée de la vedette (sur l’air d’une BO célèbre), celui mesdames et messieurs que nous attendons tous, le roi en personne. L’essentiel est ailleurs : comment la Révolution française offre ses lettres de noblesse (si je puis dire) à la discussion et jette les bases de la démocratie participative. Déclinaison de la brutalité Le second coup de maître c’est d’aborder la Révolution française sans héros historiques notoires (hormis le roi Louis XVI, seul nommé, interprété par Yvain Juillard). Aucune de ces figures qui de Necker (ici simplement nommé premier ministre) à Mirabeau (absent) fascinent nos livres d’histoire. C’est la Révolution vue d’en bas. Des nobles anonymes, des représentants du Tiers-état sans pedigree, des ecclésiastiques sans trop de titres. Il faut l’entendre la députée Lefranc (Saadia Bentaïeb) se faire le député Gigart (David Sighicelli) pour qui il y aurait deux peuples, le bon et le mauvais : «Je vous rappelle simplement que si nous en sommes arrivés là où nous en sommes, c’est grâce à la désobéissance de ce mauvais peuple que vous accusez aujourd’hui, grâce à sa force, son énergie, une brutalité aussi parfois, en réponse à une autre brutalité, une brutalité policière, une brutalité sociale, qui s’est exprimée contre lui pendant des années et des années » (ça ne vous rappelle pas la chemise déchirée d’un certain DRH ? ) .

Il faut le suivre ce député Gigart, l’ancêtre de tous les centristes mous, penchant un coup à droite, un petite coup à gauche. Ces personnages comme d’autres nous accompagnent quasi toute la soirée et on comprend comme l’attachement au roi allait loin, comment pour le peuple, tuer le père, n'alla pas de soi. Chaque acteur, y compris l'acteur qui fait le roi (la démocratie règne sur le plateau) joue entre

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deux et dix rôles. La députée noble et téméraire Versan de Faillie (Agnès Berthon) n’aura aucun mal à devenir la sœur du roi, mais elle sera aussi Marie Sotto, une femme du comité de district. Etc. Et, à côté, la cohorte des anonymes (de vingt à trente) que Pommerat appelle « les forces vives » qui répartis dans la salle, les travées, approuvent, réprouvent, crient, huent. Le corps et surtout les oreilles des spectateurs n’en sortent pas indemnes. On n’est pas au spectacle on est dedans, l’assemblée (où beaucoup de députés ne prirent pas la parole) c’est nous, il nous arrive d’être pris au jeu, de penser, voir de dire « mais tu va la fermer ta grande gueule ! ». Pommerat joue avec les lumières de la salle, les maintenant allumées à l’heure de ces assemblées. Replongeant la salle dans le noir à l’heure des scènes plus intimes. Le spectacle suit la chronologie des faits. Depuis les assemblées de notables dans les provinces en 1787 jusqu’aux lendemains de la nuit du 4 août 1789 en passant par les élections pour les Etats généraux et surtout la tenue de ces derniers dans ses trois assemblées : Noblesse, Eglise, Tiers-état. Le spectacle se concentre logiquement sur celle du Tiers-état, la plus représentative de la population (98%), la moins aguerrie à l’exercice, mais la plus déterminée à réunir les trois chambres en une, à former une assemblée nationale, à rédiger une constitution. L’Assemblée générale, l’AG, la réunion constituent la matrice du spectacle. Ça gueule, ça s’invective, ça se coupe la parole, c’est inaudible, les tripes sont sur la table, les cœurs écorchés, les poings toujours prêts à en découdre. La Révolution est un gigantesque boxon. Une méga tchatche. Une tribune de tous les possibles. La parole est libre comme elle ne l’avait jamais été, on s’enivre de mots, on se saoule de discours, de gueulantes. Heurts et rumeurs du hors champ Ce spectacle ne s‘adresse pas aux historiens qui pourront sans doute ergoter sur des points oubliés, négligés, tordus. Par exemple la sous-représentation de l’Eglise laquelle comme la Noblesse et le Tiers-état, on ne parlait pas d’une seule voix. Le propos de Pommerat n’est pas d’être fidèle à la lettre des faits mais à leur esprit, à leur humeur, à leur ambiance, à cette façon d’accoucher aux forceps un apprentissage de la discussion que l’on voit faire des pas de géants en quelques mois et de mettre en branle les questions cruciales (aujourd’hui encore) qui y sont débattus et dont l’actualité présente ou récente nous saute au visage. La liste est longue de la réforme du système fiscal au nombre « de chômeurs, de pauvres, de nécessiteux qui errent dans les rues ». Ce qui compte ici ce n’est pas l’Histoire telle que la postérité l’a ordonnée, mais son surgissement anarchique où les faits se mêlent aux rumeurs, les écrits aux impros. Le spectacle joue avec force le jeu du hors champ particulièrement dans la partie centrale du spectacle (entre les deux courts entractes) où les députés du Tiers-état bossent dur sur la constitution sur la question d’un préambule qui porterait sur les droits de l’homme tandis qu’à Paris se révolte, et qu’autour de la capitale on annonce des rassemblements de troupes et au fil des jours les sons off s’amplifient. Autre moment étonnant, la nuit du 4 août est vue depuis l’appartement du roi. Dans un ballet d’entrées et de sorties on annonce les décisions qui viennent d’être prises là-bas, toutes plus renversantes que les autres, dans une accélération exaltée, devant un roi bouche bée, comme à la masse, hors-jeu, comme si la fuite (Varennes, deux ans plus tard) commençait là. On comprendra, pour finir, que ce spectacle est une révolution que Pommerat opère sur lui-même. Fini les cadres léchées, les noirs travaillés, les voix métalliques ou chuchotées via des micros Hf. Fini le glacis distancé. Joël Pommerat rompt avec une manière qui a fait le succès de ses spectacles, et dont il avait exploré toutes les facettes. Il casse son joujou, déjoue les attentes. Lui aussi fait sa Révolution. « Ça ira (1) fin de Louis », du mar au sam à 1çH30, dim 15h30, jusqu’au 29 nov Puis tournée à Cergy-Pontoise, Le havre, Villeurbanne, Chambéry, Marne La vallée, Sao Paulo, Ottawa, Luxembourg, Mulhouse, Lille, Grenoble.

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LE FIGARO

Samedi 14 novembre 2015

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La Révolution, c'est maintenant, avec Joël Pommerat Philippe Chevilley / Chef de Service | Le 09/11 à 07:00

L'ouverture des Etats généraux en « live » : rarement le théâtre nous a dit aussi bien le monde, notre Histoire et notre présent. Photo Elizabeth Carecchio Est-ce une plongée dans la Révolution française ou une mise en abîme de la crise démocratique qui sévit aujourd'hui ? « Ca ira (1) Fin de Louis » présenté aux Amandiers de Nanterre est les deux à la fois. C'est le prodige réalisé par Joël Pommerat avec cette fresque qui fusionne habilement le passé et le présent. Ce spectacle de quatre heures, centré sur les années 1788-1790, ne cherche pas à recréer les grands tableaux de la Révolution, telle la prise de la Bastille. Tout ou presque se passe en intérieur : à Versailles où se tiennent les Etats généraux, puis l'Assemblée nationale, et dans les salons royaux ; à Paris dans un comité de quartier et au Louvre, où résident le roi et la reine à partir d'octobre 1789. Du bruit et de la fureur, il y en a tout du long, mais ils proviennent des débats passionnés entre aristocrates et tiers état, petit peuple et députés - le tout ponctué par le son du canon. En complet veston, fripes et sportswear, les comédiens et figurants (une trentaine en tout) investissent autant la scène que la salle transformée en Chambre des députés-machine à remonter le temps. On s'enflamme, on s'invective, on invente la démocratie moderne ! Le public a l'impression de suivre la Révolution en « live », à moins qu'il ne s'agisse de la dernière joute gauche-droite à l'Assemblée, filmée par La Chaîne parlementaire. Le petit peuple a l'allure de travailleurs précaires en colère. Le roi est pris en selfie, tel un président normal. De l'intime à l'épique Rien de gratuit, d'appuyé dans cette transposition fascinante, qui respecte la vérité historique. Tous les débats philosophiques et politiques depuis deux siècles sur la liberté, l'égalité, la justice, l'autorité de l'Etat… brillent d'un éclat nouveau. Evitant les « beaux effets » de mise en scène, mais avec un sens décuplé de l'espace, Pommerat invente un théâtre d'intervention spectaculaire, « mix » de documentaire historique et de thriller politique, qui, dans son intensité, rappelle la déflagration provoquée il y a quarante-cinq ans par « 1789 » d'Ariane Mnouchkine. Ariane et son Théâtre du Soleil versus Joël et sa Cie Louis Brouillard… Le metteur en scène, passé maître dans l'art d'explorer l'intime, prouve qu'il est aussi à l'aise dans les grandes gestes épiques. Le soin porté à l'écriture de plateau, la précision et l'engagement des comédiens, tout concourt à rendre « Ca ira (1) » inoubliable. Rarement le théâtre nous a dit aussi bien le monde, notre Histoire et notre présent qu'en ce soir de Révolution aux Amandiers.

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« Ça ira (1) Fin de Louis », de Joël Pommerat, Théâtre Nanterre-Amandiers à Nanterre

Coup d’éclat Par Léna Martinelli Les Trois Coups 10 novembre 2015

Avec « Ça ira (1) Fin de Louis », fresque entre passé et présent, Joël Pommerat prouve qu’il est aussi à l’aise dans les épopées historiques que les récits intimes. Magistral et salutaire ! Dans un monde bouleversé par les printemps révolutionnaires, Joël Pommerat a choisi, pour sa nouvelle création, de s’interroger sur 1789. Poursuivant sa réflexion sur le pouvoir, il montre l’enthousiasme des révolutionnaires français, leur courage et aussi leurs impasses. Comment se sont effectués le difficile abandon des privilèges et l’apprentissage de la démocratie ? Car avoir et exercer le pouvoir ne relève pas vraiment de la même démarche ! Comment construire une société plus juste ? Bref, bien plus qu’un spectacle sur la Révolution française, Ça ira (1) Fin de Louis traite de la représentation en politique, de la légitimité du pouvoir et du « vivre-ensemble ». L’écriture de plateau, documentée par des archives, des discours et des improvisations, restitue formidablement ce travail de la pensée, l’effervescence, mais aussi la peur, l’épuisement, autant de moments forts en émotions. Entre histoire et fiction, cette dramaturgie nous situe au cœur de cette matière historique bouillonnante, ce coup d’État qui marque la fin d’une ère. C’est éminemment politique et philosophique. Passionnant ! Tragi-comédie en trois actes Nous voilà donc d’abord à Versailles, là où se tiennent les États généraux, puis en pleine Assemblée nationale. Dans la salle, parmi nous, les députés commentent, applaudissent, participent aux débats,

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tandis que les menaces grondent à l’extérieur. Huées, invectives, calomnies, les séances ne sont pas de tout repos. Sans cesse interrompus par des tergiversations, des doutes, puis des dépêches d’actualité de plus en plus alarmantes, les députés prennent la parole, au sens littéral du terme, avec parfois de belles empoignades. Balbutiements de l’histoire. Sursauts et accélérations jusqu’à la fameuse Déclaration des droits de l’homme. Mais à qui se fier quand les tensions exacerbent les extrémismes ? Puis, du chaos à la Terreur, nous comprenons mieux comment les manœuvres de la noblesse ou de l’Église déchues ont pu aboutir à de tels retournements de l’histoire. L’assemblée ne se transforme-t-elle effectivement pas en tribunal ? On se désespère aussi de voir les hommes politiques représentant le tiers état si déconnectés de la réalité. Enfin, nous quittons le huis clos versaillais pour nous rapprocher de Paris, ses districts, le Louvre où Louis XVI est contraint d’aller pour tendre vers la « vraie vie ». Entre savoureuses rencontres avec le peuple et ambiance apocalyptique, c’est malgré tout une réjouissante fin de règne qui nous est dépeinte. D’abord, la société française tout entière est incarnée sous nos yeux. Ensuite, plutôt que la guillotine, la pièce finit sur une pirouette. L’humour quoi qu’il arrive. N’empêche ! Si les citoyens ont réussi à gagner du terrain – souveraineté populaire oblige – jusqu’à bien occuper la vaste scène de Nanterre, ce dénouement nous épargne le sang, mais pas l’angoisse des lendemains qui chantent. Une archéologie de l’imaginaire politique bien vivante En nous montrant ainsi les transformations de la société à l’œuvre, Joël Pommerat s’intéresse au processus révolutionnaire plutôt qu’aux héros. En effet, les protagonistes demeurent tous anonymes. Ici, Robespierre s’appelle Monsieur Dupont. Si l’auteur observe les mécanismes qui régissent les faits et gestes des individus, le metteur en scène insiste sur la dimension collective de l’action politique, avec ces chœurs qui enflent, nourris par le souffle démocratique. Joël Pommerat restitue également la parole trop longtemps confisquée aux femmes. Cependant, tout porte à croire que la révolution reste à faire, surtout que les personnages, en costumes d’aujourd’hui, nous ramènent à notre époque. Même sans fin tragique ni destins héroïques, on imaginerait parfaitement ce spectacle dans un théâtre antique. Pourtant, ici, Joël Pommerat opère une rupture esthétique, abandonnant les dispositifs qu’il avait explorés précédemment pour revenir à la frontalité. Au centre, la parole de l’acteur se confronte à une large assemblée de spectateurs, rejouant ainsi dans les corps l’invention du contrat social, faisant de chacun de nous des témoins privilégiés de ces moments incroyables. Si l’on peut d’abord être amusé de ces procédés, voire agacé de la cacophonie (aggravée par les micros), on se laisse finalement gagner par la fièvre ambiante. Des morceaux de bravoure rhétorique aux mouvements de foule, en passant par les déplacements millimétrés de la famille royale, les idées de mise en scène sont, comme toujours, inventives. Et la conflictualité, moteur de l’intrigue, est parfaitement rendue, que ce soit entre les différents groupes ou au sein de chaque individu. Les trente comédiens, justes et engagés, incarnent tous plusieurs personnages, changent de camp avec eux, expérimentant ainsi la complexité des enjeux. Élevée au rang de mythe, la Révolution française qui nous est ici donnée à voir – et à vivre – éclaire formidablement notre présent. En nous rappelant les fondements de nos sociétés modernes, la base des idées et valeurs qui les constituent, Joël Pommerat et sa troupe mettent habilement en abyme la crise démocratique qui sévit aujourd’hui. Sans aucun didactisme. Un spectacle d’utilité publique. Un vrai coup d’éclat. ¶ Léna Martinelli

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Jeudi 6 Novembre 2015

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