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Revue de l’OTAN L’OTAN hier , aujourd’hui et demain

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Division Diplomatie publique de l’OTAN1110 Bruxelles

BelgiqueSite web : www.otan.nato.int

Courriel : [email protected]

© OTAN 2006

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L’OTAN hier, aujourd’hui et demain

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Opérations

32L’évolution des opérations de l’OTANJames Pardew et Christopher Bennett s’intéressent à l’évolution de la focalisa-tion de l’OTAN sur les opérations.

36Renforcer la stabilité en AfghanistanMihai Carp s’intéresse aux défis et aux perspectives de l’opération menée par l’OTAN en Afghanistan.

40L’approfondissement des relationsGabriele Cascone et Joaquin Molina analysent les perspectives qui s’ouvrent aux Balkans occidentaux au cours de l’année à venir.

Spécial

15Le rôle humanitaire croissant de l’OTANMaurits Jochems se penche sur le rôle de l’OTAN en matière de secours en cas de catastrophe.

Débat

20L’indépendance du Kosovo contribuerait-elle ou nuirait-elle à la sécurité internationale ?Face à face : Louis Sell et Bruno Coppieters

Interviews

26Christian Schwarz-Schilling : dernier Haut représentant en Bosnie-Herzégovine

29Hikmet Çetin : notre représentant à Kaboul

SommaireHistoire

4Histoire de trois grands stratègesKenneth Weisbrode rend hommage à George F. Kennan, Paul H. Nitze et Andrew J. Goodpaster.

7Les négociations sur l’Article 5Stanley R. Sloan retrace le débat sur l’Article 5 qui domina les négociations liées au Traité de l’Atlantique Nord « Traité de Washington ».

10Rapport des « Trois Sages » : cinquante ans déjàLawrence S. Kaplan analyse l’importance du « Rapport du Comité des Trois sur la coopération entre les pays de l’OTAN dans les domaines non militaires ».

Rédacteur en chef : Christopher BennettAssistante de production : Marcela ZelnickovaEditeur : Jean FournetTél: +32 2 707 4602Fax: +32 2 707 4579Courriel: [email protected] [email protected] web : www.nato.int/review

L’objectif de cette revue, publiée sous l’autorité du Secrétaire général, est de con-tribuer à une discussion constructive des thèmes atlantiques. Les articles qui y figurent ne représentent donc pas nécessairement l’opinion ou la politique officielle des gouver-nements des pays membres ou de l’OTAN.

La Revue de l’OTAN est un magazine élec-tronique publié quatre fois par an sur le site web de l’OTAN et peut être lue dans 22 langues de l’OTAN, ainsi qu’en arabe, en hébreu, en russe et en ukrainien sur www.nato.int/review.

Les articles peuvent être reproduits sous réserve de l’autorisation de la Rédaction et de la mention de leur origine. La reproduc-tion d’articles signés de la Revue de l’OTAN doit indiquer le nom de l’auteur.

Chaque mention de l’ex-République yougoslave de Macédoine dans cette publication est suivie d’un astérisque (*) renvoyant à la note de bas de page suivante : la Turquie reconnaît la République de Macédoine sous son nom constitutionnel.

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L’OTAN hier, aujourd’hui et demain

Les demandes et commandes d’exemplaires impriméssont à adresser à la :Division Diplomatie publique – Unité de diffusionOTAN, 1110 Bruxelles, BelgiqueTél : +32 2 707 5009Fax : +32 2 707 1252Courriel : [email protected]

Des versions électroniques de ces publications sont disponibles sur le site web de l’OTAN www.otan.nato.int

Le site web publie également des déclarations officielles, des communiqués de presse, des mises à jour hebdomadaires des activités de l’Alliance, la Revue de l’OTAN et d’autres informations sur les structures, les politiques et les activités de l’OTAN.

TOUTES LES PUBLICATIONS SONT DISPONIBLES EN ANGLAIS ET EN FRANÇAISPLUSIEURS SONT DISPONIBLES DANS D’AUTRES LANGUES éGALEmENT

L’OTAN transforméeCette introduction complète à l’OTAN décrit le mode de fonctionnement de l’Alliance ainsi que le processus de transformation en cours

L’OTAN au 21ème siècleCette introduction offre un aperçu de l’histoire, des politiques et des

activités de l’Alliance

Briefings de l’OTANCette série de publications de l’OTAN est consacrée à des thèmes qui occupent une position clé dans la politique de l’Alliance, notamment le rôle de l’OTAN en Afghanistan, les Opérations, les Balkans et la Méditerranée, la gestion des crises, l’amélioration des capacités, la Force de réaction de l’OTAN et la lutte contre le terrorisme et la prolifération des ADM

Cas de coopération pratiqueCette série de publications illustre des cas concrets de coopération de l’OTAN,

par exemple le projet, Route de la soie virtuelle, L’élimination des stocks de mines antipersonnel en Albanie, La prévention des inondations en Ukraine, Les

tremblements de terre : comment limiter les dégâts ?, AWACS : les yeux de l’OTAN dans les cieux, ou encore, La réforme de la défense : les défis, sans oublier l’environnement et la sécurité ainsi que les projets Trust Fund

La sécurité via le Partenariat Publication analysant la coopération de l’OTAN avec les pays partenaires par le biais du Partenariat pour la paix et du Conseil de partenariat euro-atlantique

Le Sommet d’Istanbul : Guide completAperçu des décisions prises lors du Sommet de l’OTAN d’Istanbul

(Turquie) les 28 et 29 juin 2004, informations contextuelles

La coopération dans le domaine de la sécurité avec la région méditerranéenne et le moyen-Orient élargiCette brochure explique l’Initiative de l’OTAN en matière de dialogue et coopération avec la région méditerranéenne, qui vise à intensifier le dialogue et la coopération dans ces régions dont l’importance stratégique ne cesse de croître.

Pour ou contre : débats sur les options de sécurité euro-atlantique Cette publication rassemble et reproduit des débats publiés dans les éditions

en ligne 2002 et 2006 de la Revue de l’OTAN

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�L’OTAN hier, aujourd’hui et demainRevuede l’OTAN

Article 5

43Invocation de l’Article 5 il y a cinq ans Sebestyén L. v. Gorka analyse l’impact de l’invocation de l’Article 5.

46L’invocation de l’Article 5Edgar Buckley décrit la manière dont l’OTAN a invoqué l’Article 5.

49Le choc de la réalitéTomas Valasek se penche sur l’évolution des attitudes au sein de l’OTAN en matière de défense collective.

Futur

52Placer le monde, l’avenir et l’OTAN sous le signe de l’ambitionJulian Lindley-French formule clairement sept messages stratégiques pour la communauté euro-atlantique.

58L’adieu à la guerreChristoph Bertram fait valoir que l’OTAN devrait se focaliser sur la stabilisation.

62Quel sera le profil de l’OTAN demain ? Stephan De Spiegeleire et Rem Korteweg envisagent une série de scénarios pour l’avenir de l’Alliance.

Juillet 2006

Le présent numéro spécial – exceptionnellement imprimé sur papier – de la Revue de l’OTAN, le magazine en ligne de l’Alliance, rassemble une grande partie des articles figurant dans les versions électroniques récentes. Il s’agit également du dernier numéro dont j’assurerai l’édition. Lorsqu’il paraîtra, je serai en congé exceptionnel à Sarajevo, en Bosnie-Herzégovine, où je remplirai les fonctions de directeur de la communication du Bureau du Haut représentant. Avec ce départ pour Sarajevo, la boucle est en quelque sorte bouclée, puisque j’ai consacré la majeure partie des années 1990 à des séjours en ex-Yougoslavie ou à la rédaction d’articles sur les événements survenant dans cette région du monde. J’ai d’ailleurs décidé d’entrer à l’OTAN parce que je croyais en l’Alliance, après avoir constaté ce qu’elle avait accompli en ex-Yougoslavie et, en particulier, en Bosnie-Herzégovine.

La Revue de l’OTAN constitue une institution unique et le fait d’être son rédacteur en chef aura été pour moi un plaisir et un privilège. Elle est unique car, bien qu’elle soit publiée par l’OTAN, elle a pour raison d’être de représenter un forum de débats. D’où la grande diversité des points de vue présents dans ses pages. Lorsque l’ex-Secrétaire général de l’OTAN Paul-Henri Spaak a créé la Revue de l’OTAN en 1959, il l’a fait par ce qu’il croyait dans le pouvoir des idées, l’importance du débat dans la prise de décisions et les avantages de l’analyse critique. Près d’un demi-siècle plus tard, l’environnement sécuritaire euro-atlantique s’est modifié de fond en comble, mais le besoin d’idées neuves, de débats ouverts et de recherches de qualité est plus important que jamais. C’est pourquoi la pertinence de la Revue de l’OTAN et son importance pour l’Alliance ne se sont jamais démenties.

Les six années que j’ai passées à la Revue de l’OTAN ont coïncidé avec une remarquable période dans l’histoire de l’Alliance, émaillée par des événements marquants : les épreuves et tribulations du maintien de la paix en ex-Yougoslavie, l’intervention préventive dans l’ex-République yougoslave de Macédoine*, l’invocation de l’Article 5, la transformation de l’Alliance après le 11 septembre, le deuxième cycle d’élargissement de l’après-Guerre froide, la discorde à propos de l’Iraq et l’engagement ultérieur de l’OTAN au-delà de la zone euro-atlantique. Le rythme des changements ne cesse en outre de s’accélérer. Face à ces questions et à d’autres encore, l’équipe de publication et votre serviteur ont en permanence cherché à être à la hauteur de la mission impartie à la Revue de l’OTAN, à savoir contribuer à un débat constructif sur les thèmes atlantiques.

En 2000, la Revue de l’OTAN était un magazine imprimé ; aujourd’hui, elle repose essentiellement sur Internet. L’édition en ligne connaît un succès qui dépasse toutes nos espérances et elle s’améliore en permanence, grâce aux nouveautés qui émaillent presque chaque nouveau numéro. En réponse à la demande, d’ailleurs, la Revue de l’OTAN est désormais publiée en arabe en en hébreu depuis le début de cette année, en plus des vingt-deux langues de l’OTAN, du russe et de l’ukrainien.

Christopher Bennett

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� L’OTAN hier, aujourd’hui et demainRevuede l’OTAN

Histoire

L a disparition récente, en l’espace de six mois, de George F. Kennan, Paul H. Nitze et Andrew J. Goodpaster, trois figures centrales de l’époque de la Guerre froide, constitue

un événement marquant, même s’il n’a peut-être été remarqué que par les spécialistes.

George F. Kennan est le plus connu des trois. C’est à lui en effet que l’on doit dans une large mesure la paternité de la politique de « l’endiguement », qui permit sans doute aux Etats-Unis de sortir vainqueur de la Guerre froide. Sa mort en mars 2005, à l’âge de 101 ans, a été le deuxième décès en importance après celui du pape Jean-Paul II quant au nombre de nécrologies qu’il a inspiré l’année dernière.

Moins connu que George F. Kennan, Paul H. Nitze, décédé en octobre 2004 à l’âge de 97 ans, était cependant loin d’être une personnalité anodine. Ses funérailles, organisées à la Cathédrale nationale de Washington, ont attiré plus de mille personnes. Sa carrière au sein et en dehors du gouvernement débuta sous l’administration Truman pour s’achever sous celle de Reagan, alors que celle de Kennan s’était achevée au milieu des années 1950, mis à part un bref séjour en Yougoslavie en tant qu’ambassadeur de John F. Kennedy. Si Kennan élabora les grandes lignes d’une stratégie pour la Guerre froide, Nitze, en rédigeant la majeure partie du plus célèbre document d’orientation de la période, après le « Long Télégramme » de Kennan – la directive NSC-68 (National Security Memorandum No. 68) de 1950 sur les Objectifs et programmes des Etats-Unis pour la sécurité nationale - imagina la mission destinée à mettre en œuvre la stratégie de celui-ci. Il s’agissait – ni plus, ni moins – de sauver la civilisation de la tyrannie soviétique.

Kennan et Nitze étaient des collègues qui ne partageaient pas toujours le même point de vue. Kennan haïssait par exemple la NSC-68, affirmant ne jamais avoir voulu une telle militarisation de son plan d’endiguement, ni son extension au-delà de l’Europe. Le document recommandait de tripler voire de quadrupler les dépenses de défense. Mais les relations entre les deux hommes demeuraient cordiales, même s’ils se méfiaient occasionnellement l’un de l’autre. Leur décès a d’ores et déjà été comparé à la disparition de John Adams et Thomas Jefferson en 1826 : le yin et le yang de la stratégie de la Guerre froide ou – comme Nitze aimait le dire – des « partenaires d’une tension entre des extrêmes », finalement unis dans la mort, la disparition de l’un suivant de peu celle de l’autre.

Cette image romantique dénature , malheureusement, les faits. Une troisième figure, connue uniquement d’un petit groupe d’initiés passionnés, est en effet également disparue récemment. À la différence de Kennan et Nitze, Goodpaster, qui nous a quittés en mai 2005, était un soldat de profession, un général quatre étoiles de l’armée de terre et un ancien Commandant suprême des forces alliées de l’OTAN. Il était également un proche collègue et ami de Kennan et Nitze. Il est impossible de comprendre la Guerre froide sans tenir compte de ce trio, qui formait les trois piliers intellectuels d’une même architecture. Il n’y avait pas une seule politique ni deux doctrines opposées, mais bien une synthèse tripartie supérieure à la somme de ses composants.

Le Président Dwight D. Eisenhower peut être considéré comme la personne ayant le mieux appréhendé la véritable portée de cette synthèse. Goodpaster était son « Staff Secretary », l’équivalent de l’actuel conseiller à la sécurité nationale. À ce titre, il participait à presque toutes les réunions du Président, en plus de remplir les fonctions d’officier de liaison en chef avec la bureaucratie du département d’État. Ce n’est pas sans raison que Goodpaster était qualifié d’ « alter ego de Ike ».

Histoire de trois grands stratèges Kenneth Weisbrode rend hommage à George F. Kennan, Paul H. Nitze et Andrew J. Goodpaster, trois grands stratèges de la Guerre froide récemment disparus.

Kenneth Weisbrode a travaillé pour le général Goodpaster de 1994 à 1998 au Conseil atlantique des États-Unis. Cet article est déjà paru dans la version électronique de l’édition Printemps 2006 de « La Revue de l’OTAN ».

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George F. Kennan, 1904-2005

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�L’OTAN hier, aujourd’hui et demainRevuede l’OTAN

Histoire

La mort de Staline intervint peu après l’arrivée d’Eisenhower à la Maison blanche, en 1953. De nombreuses incertitudes planaient quant à son successeur à la tête de l’Union soviétique et à l’attitude qu’il adopterait. Les Etats-Unis sortaient d’une guerre coûteuse en Corée contre les Chinois et les « mandataires » de Moscou ; l’Union soviétique disposait désormais de l’arme nucléaire ; la Guerre froide s’était militarisée et s’étendait à l’ensemble de la planète. Les prévisions de la NSC-68 se vérifiaient parfaitement.

Mais Eisenhower ne voulait rien savoir. L’endiguement constituait une doctrine irréfutable, mais les outils de prédilection de Kennan – presque exclusivement politiques et propagandistes – n’étaient plus adéquats. La NSC-68 n’offrait d’autre part qu’une directive opérationnelle minimale. Remplie de sinistres prédictions sur la catastrophe menaçant le monde, elle ne proposait aucun plan réaliste pour mener un combat à long terme contre le communisme, à part conseiller instamment aux Etats-Unis et à leurs Alliés de surclasser l’Union soviétique en termes de dépenses et d’effectifs en tout point du mode constituant un terrain d’affrontement. Elle offensait en outre le sens de la prudence budgétaire d’Eisenhower, obsédé par l’éventualité d’une défaite des Etats-Unis résultant de gaspillages et de largesses. Il était conscient que la Guerre froide devait être menée sur plusieurs fronts, dont le moindre n’était pas l’économie. D’où le « complexe militaro-industriel », contre lequel il mit en garde lors de son discours d’adieu. Ce complexe préoccupa d’ailleurs Eisenhower tout au long de ses deux mandats de Président et pas seulement au moment où il quitta le pouvoir.

Que devait-il faire ? Eisenhower fit plus que se contenter de simplement demander des propositions pour un autre projet politique. Il décida d’ « organiser une compétition », c’est-à-dire de mettre en concurrence trois équipes de conseillers chargées d’examiner en détail – à court, moyen et long terme – les implications des différentes approches politiques possibles. Leur travail débuta au cours de l’été 1953 et porta ses fruits sept mois plus tard. Comme cette compétition fut imaginée et se déroula en partie dans le solarium de la Maison blanche, elle porta le nom de « Projet Solarium ».

L’on se souviendra du Projet Solarium et du principal document politique qui en a résulté – le NSC-162/2 – comme l’un des plus importants efforts collectifs de l’histoire des relations étrangères américaines. Si l’aune de l’importance historique est l’éloquence ou le retentissement bureaucratique, le Long Télégramme et la NSC-68 conservent leur place éminente. Mais si l’on inclut l’impact d’une politique donnée sur le terrain, le Projet Solarium revêt alors une importance tout aussi élevée. Les trois équipes travaillant sur ce projet ont imaginé l’ensemble du scénario de la Guerre froide. Rétrospectivement, on peut considérer qu’elles se sont bien acquittées de leur tâche, puisqu’elles ont anticipé – dès 1953– quelle serait son issue. Dans l’ensemble, on peut les créditer d’une remarquable prescience quant aux enjeux pour les Etats-Unis et d’une grande sagesse quant aux différents outils dont ils auraient besoin pour s’imposer.

Chaque équipe se composait d’une dizaine de membres issus de divers composants du département d’État, ainsi que de quelques

universitaires externes. L’équipe A – dirigée fort à propos par Kennan – était chargée de définir une stratégie principalement politique envers l’Union soviétique, avant tout focalisée sur l’Europe et évitant d’importants engagements militaires dans d’autres parties du monde. Elle s’appuyait aussi fortement sur les alliés des Etats-Unis et accordait la priorité à la cohésion de l’Alliance. Eisenhower avait fixé un objectif similaire à l’équipe B, tout en lui permettant d’adopter une ligne plus dure à l’encontre de l’Union soviétique et en lui donnant pour instruction de moins s’appuyer sur les alliés per se et davantage sur l’arsenal nucléaire américain. Elle avait donc reçu une mission plus unilatérale, mais qui s’opposait néanmoins clairement à toute action militaire directe au sein de la sphère d’influence soviétique. L’équipe C était chargée d’adopter l’attitude la plus « musclée ». Nitze était exclu du projet, mais le mandat de l’équipe C s’appuyait presque mot pour mot sur les recommandations de la NSC-68 : faire diminuer la puissance soviétique – et le territoire contrôlé par l’URSS – partout et par tous les moyens disponibles. Eisenhower avait assigné Goodpaster à l’équipe C, non pas parce son bras droit était connu pour privilégier l’approche « musclée », mais parce que Ike avait confiance en son intégrité et savait que Goodpaster veillerait au sérieux du rapport de l’équipe.

Les résultats furent exactement ce qu’Eisenhower attendait. L’approche « musclée » et la NSC-68 passèrent à la trappe de l’histoire, du moins jusqu’à la reprise par Ronald Reagan de certains

Paul H. Nitze, 1907-2004

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� L’OTAN hier, aujourd’hui et demainRevuede l’OTAN

Histoire

de leurs aspects dans des circonstances très différentes. Les participants au Projet Solarium arrivèrent à la conclusion que – dans le contexte des années 1950 – le résultat logique d’une politique « musclée » serait catastrophique. L’équipe A révéla l’efficacité de la gestion d’un front occidental uni, mais également les entraves associées à la faiblesse militaire et aux fluctuations de la politique européenne, en particulier en Allemagne. L’équipe B proposa une solution « médiane », les Etats-Unis devant alors supporter seuls la charge de la défense occidentale.

Eisenhower résuma les conclusions des équipes dans un exposé qui, d’après Kennan « démontra l’ascendant intellectuel du Président sur tous les hommes présents dans la pièce ». Goodpaster lui demanda : « Vous compris, George ? » À quoi Kennan répondit : « Absolument. Seul le Président s’est avéré capable de saisir toutes les implications politiques et militaires des politiques examinées. »

Le débat quant à savoir si et comment les Etats-Unis ont remporté la Guerre froide se poursuivra pendant des décennies encore, mais il est certain que la synthèse d’Eisenhower a rendu la survie possible. Il a transformé une doctrine ambivalente d’endiguement en une politique de dissuasion réalisable. La préférence de Kennan pour

la propagande, l’action occulte et les pressions politiques, était insuffisante. Le plan de Nitze était trop risqué et inexact. Les deux approches exigeaient une synthèse dissuadant l’agression soviétique, tout en maintenant un front commun avec les alliés des Etats-Unis et en limitant les coûts, pour l’Amérique, d’un combat long et onéreux. La stratégie – exposée dans le document NSC-162/2 – établissait l’équilibre recherché et elle s’avéra à l’épreuve du temps, surtout parce que les différents acteurs du Projet Solarium participèrent à un processus qui – comme Eisenhower aimait le dire

lorsqu’il était le Commandant suprême des forces alliées de l’OTAN – était conçu, pour « chacun d’eux, en présence de tous ».

Les pensées et conversations de Kennan, Nitze et Goodpaster ne nous sont pas parvenues, mais le reste de leurs vies fait apparaître une attitude cohérente avec le rôle joué – directement ou indirectement – par chacun d’eux dans le Projet Solarium. Ils continuèrent tous les trois à susciter le débat et à contribuer au consensus sur la stratégie de la Guerre froide. De sa sinécure à Princeton, Kennan œuvra infatigablement à défendre et à redéfinir sa compréhension et sa

prescription de l’endiguement, tout en rédigeant plusieurs ouvrages primés sur l’histoire de la diplomatie. Nitze continua pour sa part à occuper des postes au gouvernement, en remplissant les fonctions de Secrétaire à la Marine et de Secrétaire adjoint à la Défense à l’époque de la guerre du Vietnam (époque où il devint une colombe refoulée), avant de reprendre son rôle antérieur de chef de file des faucons de la Guerre froide, tout en négociant pratiquement tous les traités majeurs de maîtrise des armements avec l’Union soviétique. Goodpaster continua quant à lui à conseiller huit autres présidents, remplissant ainsi un rôle discret mais essentiel, en contribuant, par exemple, à convaincre Ronald Reagan d’apporter son soutien à Mikhaïl Gorbatchev et à ses réformes, en rédigeant les premiers arrangements sécuritaires de l’après-Guerre froide pour les pays d’Europe centrale et orientale, et en apportant sa contribution au plan du Pentagone pour le remaniement de la politique nucléaire au cours des deux dernières années.

Les Etats-Unis et le monde ont survécu à la Guerre froide parce que ces trois hommes, et beaucoup comme eux, ont préservé la continuité intellectuelle qu’Eisenhower redoutait tant de voir disparaître en raison des aléas politiques. Chacun rappela aux dirigeants qu’il n’existait aucune nouvelle stratégie magique pour faire face au défi soviétique. Les intérêts américains exigeaient un savant dosage : Kennan, apportant sa foi dans la diplomatie et les pressions politiques ; Nitze, adepte de la capacité de réaction ; et Goodpaster, soucieux de la préservation de la dissuasion. À sa manière très particulière, chaque membre de ce trio était simultanément un soldat, un érudit et un homme d’État. Le monde est moins sûr à présent qu’ils ont disparu.

Pour plus d’informations sur l’Atlantic Council of the United States, voir www.acus.org

Il est impossible de comprendre la Guerre

froide sans tenir compte de Kennan, Nitze et

Paster, qui formaient les trois piliers intellectuels

d’une même architecture

Général Andrew J. Goodpaster, 1915-2005

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�L’OTAN hier, aujourd’hui et demainRevuede l’OTAN

Histoire

L ors des négociations sur le Traité de l’Atlantique Nord, charte fondatrice de l’OTAN, la formulation de l’Article 5 contenant la clause de défense collective fut conçue pour

rassurer les Alliés européens quant à l’engagement des Etats-Unis envers leur sécurité et pour veiller à l’acceptation de ses termes par le Congrès et l’opinion publique américains. Depuis lors, les Alliés ont été contraints d’adapter l’application de l’Article 5 à l’évolution des conditions au sein et en dehors de l’Alliance. On pourrait d’ailleurs faire valoir que la manière dont l’engagement est mis en œuvre est au moins aussi importante que les mots soigneusement choisis de l’Article.

Le secrétaire au Foreign Office Ernest Bevin est universellement considéré comme le père du Traité de l’Atlantique Nord et l’instigateur de ce qui est devenu l’Article 5. En décembre 1947, après l’échec des pourparlers quadripartites entre les Etats-Unis, la France, le Royaume-Uni et l’Union soviétique sur l’avenir de l’Allemagne, Bevin était convaincu que les puissances occidentales devaient s’organiser pour se défendre contre les ambitions expansionnistes de Joseph Staline et la puissance militaire soviétique. Le président américain Harry S. Truman et le secrétaire d’État George C. Marshall s’interrogèrent au départ sur l’opportunité pour les Etats-Unis d’adhérer à une quelconque alliance pour défendre l’Europe. L’héritage isolationniste et la réticence à adhérer à des alliances officielles étaient certes en recul, mais demeuraient bien représentés au Congrès américain, où tout traité devait être approuvé par les deux tiers des sénateurs américains.

Bevin persista néanmoins. Son discours historique devant la Chambre des Communes en janvier 1948 demandait la création d’une Union de l’Europe occidentale comme prélude à un pacte transatlantique. Le 17 mars, les gouvernements belge, britannique, français, luxembourgeois et néerlandais signèrent le Traité de Bruxelles, un pacte prévoyant de solides dispositions de défense mutuelle. Ce Traité fut immédiatement salué par le président Truman et la balle repassa dans le camp de Washington.

Les pourparlers secrets

Des responsables américains, britanniques et canadiens commencèrent à se réunir en secret au Pentagone cinq jours

plus tard à peine. L’argument fondamental justifiant un pacte transatlantique était apporté par Bevin et ses collègues, mais ce furent les participants américains qui conçurent et rédigèrent le projet de traité, les Canadiens leur apportant un important soutien.

Le 24 mars, la délégation américaine soumit un mémorandum entérinant l’idée d’un pacte de sécurité pour la zone nord-atlantique, aux termes duquel « le gouvernement américain considérerait une attaque contre l’une des Puissances du Traité de Bruxelles comme une attaque contre les Etats-Unis, à laquelle ceux-ci répondraient conformément aux termes de l’Article 51 de la Charte des Nations Unies [préservant le droit des membres des Nations Unies à “l’autodéfense individuelle ou collective”]. » Une fois que l’administration Truman eut accepté d’inclure ce concept dans les « propositions du Pentagone », l’étape suivante consista à rallier le Congrès, l’autre partenaire américain, à « l’accord transatlantique » en gestation.

Parallèlement aux discussions tripartites secrètes, l’administration américaine avait commencé à s’informer auprès de quelques membres influents du Congrès pour tenter d’apprendre quel genre d’accord avait des chances d’être approuvé par le Sénat. Le sénateur Arthur Vandenberg, ancien isolationniste et président républicain de la Commission des relations extérieures du sénat, décida d’intégrer l’essence des propositions du Pentagone dans une résolution soumise au Sénat. Vandenberg approuvait non seulement la direction adoptée par les pourparlers, mais désirait également que le Congrès (et lui-même en particulier) soit crédité d’une partie du concept. La « Résolution Vandenberg » fut adoptée par le sénat le 11 juin, ce qui contribua à aplanir le terrain pour la poursuite des pourparlers sur le Traité.

En juillet 1948, les négociations tripartites secrètes cédèrent la place à des pourparlers réunissant sept puissances, la France et les pays du Benelux participant aux discussions qui regroupaient désormais tous les signataires du Traité de Bruxelles, ainsi que le Canada et les Etats-Unis. Le représentant français demanda instamment qu’au lieu de perdre du temps à rédiger un projet de traité transatlantique, les Etats-Unis s’associent immédiatement aux puissances du Traité de Bruxelles, envoient une aide militaire à la France et à d’autres pays, et renforcent leur présence militaire en Europe. Comme, à ce stade, la France n’avait pas connaissance des propositions du Pentagone et que le gouvernement américain se ralliait de plus en plus au principe d’un accord de défense transatlantique, la position française était tout à fait logique. En cas de déploiement de forces américaines à l’est des frontières françaises, toute attaque des forces soviétiques impliquerait instantanément les Etats-Unis, avec ou sans un engagement de défense collective.

Les négociations sur l’Article �Stanley R. Sloan retrace le débat sur l’Article 5 qui domina les négociations liées au Traité de l’Atlantique Nord «Traité de Washington ».

Stanley R. Sloan est le directeur de l’Atlantic Community Initiative et l’auteur de l’ouvrage récent « NATO, the European Union and the Atlantic Community : The Transatlantic Bargain Challenged » (Rowman and Littlefield, 2005). Cet article est déjà paru dans la version électronique de l’édition Eté 2006 de « La Revue de l’OTAN ».

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Histoire

L’engagement de défense collective

Du point de vue américain cependant, la plus importante question à long terme résidait dans la formulation de l’engagement de défense collective. Bevin et les autres Européens auraient aimé que le nouveau Traité reproduise le ferme engagement de défense collective présent dans le Traité de Bruxelles. Cela aurait impliqué la participation automatique des Etats-Unis et du Canada à la défense en cas d’attaque perpétrée contre un autre membre du pacte. Les négociateurs américains savaient qu’une telle disposition serait immédiatement considérée par le Congrès comme allant à l’encontre de son pouvoir constitutionnel de déclarer la guerre et n’aurait, dès lors, aucune chance d’obtenir le consentement du Sénat. L’équipe américaine préférait une formulation similaire à celle du Traité de Rio de 1947, signé par les Etats-Unis et vingt-et-un autres États américains. Le Traité de Rio prévoyait une assistance en cas d’attaque contre l’un de ses membres, mais ne spécifiait pas une action armée. Pour les Européens cependant, omettre l’option d’une réponse militaire revenait à vider le Traité de sa substance.

La formulation finale de l’Article 5, avec ses ambiguïtés et compromis manifestes, parvint toutefois à satisfaire le critère de garantie cher aux Européens et les conditions d’acceptation politique des Américains. La zone couverte par l’engagement incluait une attaque survenant « en Europe ou en Amérique du Nord » et, dans l’Article 6, incluait également les départements algériens de la France. Il stipulait que toute attaque dans cette zone « sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties... » Faisant ensuite référence à la légitimité de telles actions aux termes de l’Article 51 de la Charte des Nations Unies, chaque Allié s’engageait à assister « la partie ou

les parties ainsi attaquées en prenant aussitôt, individuellement et d’accord avec les autres parties, telle action qu’elle jugera nécessaire, y compris l’emploi de la force armée… »

Avec cet engagement quelque peu conditionnel mais néanmoins significatif, le Traité fut signé à Washington, le 4 avril 1949. Le Sénat américain donna son consentement à sa ratification le 21 juillet, par quatre-vingt-deux voix contre treize.

Plusieurs opposants au Traité firent cependant valoir une réalité importante. Le sénateur Forrest Donnell souligna ainsi que « l’apparente liberté de choix de la part des États-Unis était illusoire ». Lors de l’examen du Traité, Donnell posa une question dans le cas où l’Union soviétique envahirait la Norvège : « Pensez-vous que nous tiendrions nos engagements aux termes de l’Article 5 si nous déclarions : “Tout ce que nous sommes tenus de faire est d’engager l’action que nous jugeons nécessaire. Nous pensons donc que l’envoi de dix gallons de kérosène est suffisant.” » S’intéressant au principal opposant au Traité qu’était le sénateur Robert Taft, l’historien de l’OTAN Lawrence S. Kaplan écrit : « Il ne faisait aucun doute dans son esprit que l’Article 5 impliquait le pays dans une guerre, que le Congrès la déclarât ou non avant l’intervention des forces américaines. »

Un bluff audacieux

À certains égards, le Traité et son engagement de défense collective peuvent être considérés comme un bluff audacieux, en raison de la position vulnérable des pays européens en 1949 et des doutes généralisés quant à l’aptitude des forces militaires disponibles

Discours inaugural : les responsables américains et européens, y compris le président Truman (qui prononce un discours sur la photo), à l’origine du Traité de Washington, auraient été surpris de constater l’efficacité avec laquelle celui-ci continue à servir de base à la coopération euro-atlantique en matière de sécurité

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à empêcher une campagne militaire soviétique d’atteindre la Manche. Ces circonstances expliquent pourquoi la France insistait tellement pour obtenir une assistance militaire des États-Unis avant même l’adoption d’un traité transatlantique. Quoi qu’il en soit, le bluff fonctionna, peut-être parce qu’il comportait la promesse de l’affectation de ressources américaines substantielles à la défense de l’Europe ou peut-être parce que la stratégie de Staline consistait à renverser les démocraties européennes de l’intérieur, par le biais des partis communistes soutenus par Moscou, avant de risquer à nouveau des vies russes sur le champ de bataille.

Si l’Article 5 constituait un bluff lorsque le Traité fut signé en 1949, il acquit rapidement plus de substance. L’Union soviétique fournit à l’Occident de nombreuses raisons d’agir. Le blocus de Berlin de 1948 et 1949 conféra un sentiment d’urgence au processus d’élaboration du Traité. L’essai par les Soviétiques d’une arme nucléaire en août 1949 accéléra l’aide militaire américaine aux Alliés européens. L’attaque de la Corée du Sud par la Corée du Nord en juin 1950 affermit l’engagement américain envers l’Article 5, tout en incitant les États-Unis à envoyer quatre divisions supplémentaires en Europe.

Avec le déploiement par les États-Unis de forces conventionnelles importantes et d’armes nucléaires en Europe, l’Article 5 gagna encore en crédibilité. Exactement comme la France l’avait fait valoir aux premiers stades des négociations sur le Traité et comme les opposants à celui-ci au sénat américain l’avaient redouté, une fois les États-Unis pleinement engagés au cœur de la défense contre une attaque soviétique, la signification pratique de l’Article 5 était beaucoup plus grande que celle qu’il avait jamais eue en théorie.

Tout au long de la Guerre froide, les Alliés ont débattu de la meilleure façon d’appliquer l’Article 5. La préférence initiale des États-Unis aurait consisté à fournir une puissance aérienne et des forces supplémentaires au sol afin de soutenir les forces européennes sur le terrain. Les Européens voulaient, quant à eux, des forces américaines déployées en avant en Europe, afin de garantir l’engagement d’éléments américains aux premiers stades de la bataille. Les Européens ne sont naturellement jamais parvenus à fournir les forces nécessaires pour satisfaire les préférences des États-Unis.

Motivée par la nécessité, à ses yeux, de limiter les dépenses militaires américaines, ainsi que par l’incapacité des Alliés européens de déployer des forces conventionnelles suffisantes, l’administration du président Dwight D. Eisenhower opta en décembre 1954 pour des représailles (nucléaires) massives comme principal instrument de la défense collective. Lorsque la crédibilité des représailles massives fut sapée suite à l’acquisition par l’Union soviétique de vecteurs capables de frapper des cibles sur le territoire des États-Unis continentaux, Washington convainquit les Alliés d’adopter une stratégie de « réponse graduée », aux termes de laquelle l’OTAN prévoirait de répondre à une attaque soviétique à l’aide des forces

conventionnelles ou nucléaires jugées nécessaires pour faire échec à cette attaque.

La réponse graduée n’a jamais totalement satisfait les États-Unis ni leurs Alliés européens et, en conséquence, l’Alliance fut le théâtre de batailles et de débats sur le partage des charges portant sur le déploiement de nouveaux systèmes d’armes nucléaires. En dépit de multiples soubresauts, la dissuasion basée sur l’engagement aux termes de l’Article 5 fut toutefois maintenue jusqu’à l’effondrement de l’Union soviétique.

À la fin de la Guerre froide, l’OTAN a été confrontée à une toute nouvelle série de questions, incluant le maintien de la pertinence de l’Article 5. Sans remettre l’engagement en question, les Alliés ont commencé à le dépouiller de ses instruments. C’est ainsi que la plupart des armes nucléaires américaines ont été retirées d’Europe et qu’a débuté le processus consistant à réduire le niveau des troupes américaines et à réorienter la stratégie de l’Alliance vers de « nouveaux risques et dangers ».

De nombreux analystes, dont l’auteur du présent article, ont expliqué au milieu des années 1990 que l’Article 5 était désormais rangé dans la « trousse de secours » de l’OTAN, pour n’être utilisé

qu’en cas de nécessité, et que des contingences ne relevant pas de l’Article 5 étaient appelées à préoccuper de plus en plus l’Alliance et à dominer ses activités politiques et militaires au quotidien.

L’Article 5 a certes été invoqué en réponse aux attentats du 11 septembre 2001 contre les États-Unis, mais les activités de l’OTAN relèvent désormais dans une large mesure de l’Article 4 du Traité de l’Atlantique Nord. Cet article, qui stipule que « les parties se consulteront chaque fois que, de l’avis de l’une d’elles, l’intégrité territoriale,

l’indépendance politique ou la sécurité de l’une des parties sera menacée », a été inclus dans le Traité en raison principalement des préoccupations suscitées chez les Européens par leurs intérêts coloniaux résiduels. Il ne promet rien, comme cela est apparu clairement lors du débat des Alliés à propos de la guerre en Iraq, mais invite les signataires du Traité à collaborer pour défendre leurs intérêts face aux menaces émanant d’une source, quelle qu’elle soit, partout dans le monde.

Cela étant, l’Article 5 constitue l’essence même de l’Alliance. Il représente un ferme engagement de coopération et apporte une raison d’être durable à la Structure militaire intégrée de l’OTAN, en l’absence de laquelle celle-ci ne disposerait pas de la capacité de mener des missions ne relevant pas de l’Article 5. Les responsables européens et américains clairvoyants qui ont rédigé ce document apparemment intemporel seraient peut-être surpris de son efficacité en tant que base permanente de la coopération sécuritaire euro-atlantique.

Pour plus d’informations sur l’Initiative de la communauté atlantique, voir www.atlanticcommunity.org

Du point de vue américain cependant, la plus

importante question à long terme résidait dans la

formulation de l’engagement de défense collective

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L es visiteurs du Siège de l’OTAN passent souvent la journée dans des salles de réunion portant les noms de Lange, Martino et Pearson. Ces noms sont ceux de

Halvord Lange, Gaetano Martino et Lester B. Pearson, ministres des Affaires étrangères de Norvège, d’Italie et du Canada respectivement, auteurs – en 1956 – du « Rapport du Comité des Trois sur la coopération entre les pays de l’OTAN dans les domaines non militaires ». Bien que ce rapport soit généralement présenté comme l’un des documents majeurs de l’OTAN et que plusieurs des idées qu’il contient aient fini par devenir normatives pour l’Alliance, il n’a eu que peu d’impact à son époque.

En mai 1956, le Conseil de l’Atlantique Nord nomma un comité rassemblant trois hommes d’État et chargé « de présenter au Conseil des recommandations quant aux mesures à prendre pour améliorer et développer la coopération entre pays de l’OTAN dans les domaines non militaires et pour accroître l’unité au sein de la Communauté Atlantique». Les « Trois Sages » remirent leur rapport de quinze pages en décembre de la même année, et le Conseil fit part de son évaluation lors de la réunion de mai 1957, au cours de laquelle il inaugura de nouvelles procédures, sur la base des recommandations du comité. Les ministres conclurent que des « résultats utiles et concrets avaient été obtenus et que l’Alliance acquérait une maturité et une solidarité accrues ».

Si les membres du Conseil croyaient sincèrement que la consultation constituerait le modus operandi pour l’avenir immédiat, ils se faisaient des illusions ou étaient sûrs de pouvoir adoucir les prétentions des petits pays membres de l’OTAN. Il suffit d’examiner rapidement l’histoire de l’Alliance après 1956 pour constater que les grandes puissances – les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni – ont continué à prendre des décisions en ne consultant guère ou pas du tout les ministres des pays des auteurs du rapport. Ils n’ont pas été consultés lorsque le président Charles de Gaulle proposa, en 1960, la création d’un triumvirat avec les Etats-Unis et le Royaume-Uni pour gérer l’Alliance, ni quand les Etats-Unis

défièrent la marine soviétique lors de la crise des missiles à Cuba en 1962, pas plus que lorsque le Royaume-Uni retira ses troupes à l’est de Suez en 1968. Qui plus est, au cours des années qui suivirent, rares furent les références au Rapport, qui recommandait spécifiquement une coopération et une consultation étendues « aux tout premiers stades de l’élaboration des politiques, avant que la position des pays ne soit définitivement arrêtée ».

Il est peut-être paradoxal que la crise de Suez soit survenue au moment où le comité rédigeait son rapport. Six semaines exactement avant la collaboration de la France et du Royaume-Uni en vue d’envahir l’Égypte et de sécuriser le canal de Suez, leurs ministres des Affaires étrangères avaient consulté tous les pays membres individuellement, pour clarifier la position adoptée par chaque gouvernement « quant à la coopération dans les domaines politique, économique, culturel et de l’information ». À l’époque, les ministres des Affaires étrangères français et britannique, Christian Pineau et Anthony Nutting respectivement, avaient vraisemblablement fourni les réponses souhaitées par le comité. L’hiatus entre l’action franco-britannique en octobre, dont ni les Etats-Unis, ni le Comité des Trois n’avaient été avertis, et les conversations apparemment fructueuses de septembre fut particulièrement net.

Les origines

L’incitation à l’amélioration des conditions de consultation au sein de l’Alliance a longtemps tardé à apparaître. Dès le début, les Alliés de plus petite taille avaient considéré que leur voix n’était que trop rarement écoutée ou entendue. Les pays du Benelux avaient ainsi éprouvé des difficultés à inciter la France et le Royaume-Uni à leur accorder le statut de partenaires plus égaux dans le Pacte de Bruxelles de 1948. Alors que les négociations en vue d’une alliance atlantique se déroulaient en 1948, les positions des Etats-Unis prévalaient dans presque tous les domaines, qu’il s’agisse de surmonter les réticences européennes à admettre des pays « marchepieds » tels que la Norvège ou le Portugal comme membres fondateurs ou d’établir, après la signature du traité, un Groupe permanent composé des Etats-Unis, de la France et du Royaume-Uni chargé de prendre les décisions essentielles pour le Comité militaire. Comme on pouvait s’y attendre, la signature du traité eut lieu à Washington et non aux Bermudes comme les Britanniques l’avaient suggéré, ni à Paris, où tant de traités avec les Etats-Unis avaient été conclus par le passé. L’administration Truman intervint en Corée sans consulter aucun de ses Alliés de l’OTAN. Le fait de ne choisir, après la Guerre de Corée, que des Américains et non des Européens au poste de Commandant

Rapport des « Trois Sages » : cinquante ans déjà Lawrence S. Kaplan analyse l’importance du « Rapport du Comité des Trois sur la coopération entre les pays de l’OTAN dans les domaines non militaires », à l’occasion du 50ème anniversaire de sa publication.

Lawrence S. Kaplan est directeur émérite du Centre Lyman L. Lemnitzer d’Études de l’OTAN et de l’Union européenne à la Kent State University et maître de conférences en Histoire à la Georgetown University. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur l’OTAN, dont le plus récent s’intitule « NATO Divided, NATO United : The Evolution of an Alliance » (Praeger, 2004). Cet article est déjà paru dans la version électronique de l’édition Printemps 2006 de « La Revue de l’OTAN »

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suprême des forces alliées en Europe était la conséquence logique de la dominance des Etats-Unis sur l’Alliance dans les années 1950. Le fait, pour l’Europe d’alors, de dépendre du soutien économique américain et de la capacité militaire des États-Unis à empêcher une invasion soviétique expliquait l’acceptation réticente des petits Alliés de se contenter d’un rôle moindre que celui de Washington. Ils firent toutefois preuve de moins de patience lorsque les deux principaux Alliés européens prétendirent disposer d’un statut supérieur.

Ce fut le secrétaire d’État américain John Foster Dulles qui ouvrit la voie au Comité des Trois en avril, en procédant à un certain nombre de déclarations indiquant que les Etats-Unis étaient désireux d’étendre les fonctions de l’OTAN à des domaines non militaires. La Guerre froide était un élément majeur de son raisonnement. La modification proposée portant sur un changement de focalisation de

l’OTAN était en grande partie motivée par la nécessité de répondre à l’apparent changement de la stratégie soviétique, aux termes duquel Nikita Khrouchtchev semblait s’éloigner de l’intimidation militaire. La consultation dans des domaines non militaires pouvait représenter un moyen efficace de contrer les offensives économiques et sociales croissantes de l’Union soviétique.

C’est la raison pour laquelle le Conseil de l’Atlantique Nord nomma un comité pour « examiner activement de nouvelles mesures susceptibles d’être prises dès à présent pour promouvoir efficacement [les] intérêts communs ».

Le Comité des Trois avait eu un précédent sous la forme d’un autre Comité des Trois, également appelé « les Trois Sages », nommé en 1951 pour recommander des moyens d’accroître la

Trois sages (de gauche à droite) : Halvard Lange, Gaetano Martino et Lester B. Pearson

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12 L’OTAN hier, aujourd’hui et demainRevuede l’OTAN

production militaire des membres sans nuire à la reconstruction de leurs économies. Notons que les trois personnalités choisies pour cette mission délicate représentaient les grandes puissances : W. Averell Harriman, coordinateur américain du Programme de relèvement européen, l’éminent industriel britannique Sir Edwin Plowden et l’économiste français réputé Jean Monnet. Pour la première fois, les besoins militaires, les capacités économiques et les limites politiques de l’OTAN devaient être examinés de concert, afin de dégager des solutions concrètes. Le moment choisi pour la nomination du comité se justifiait par la prise de conscience, par l’administration Truman, que la coopération de l’Europe aurait un effet bénéfique sur l’attitude du Congrès concernant l’aide future à l’étranger.

En 1956, le problème résidait dans le maintien de l’exclusion des petits Alliés du processus de prise de décisions. L’Alliance était fière de son processus de prise de décisions par consensus, mais – aux termes de la « méthode OTAN » – ce consensus était trop souvent obtenu après une action unilatérale de l’Allié le plus puissant ou en réduisant la consultation aux seules grandes puissances. Les autres membres de l’OTAN étaient laissés sur la touche. Pour renforcer l’Alliance en se conciliant ces petits pays, le Conseil nomma des hommes d’État aussi éminents que ceux qui avaient constitué en 1951 le Comité des Trois et provenant de trois pays qui exprimaient des doléances.

La composition

Halvord Lange, Gaetano Martino, le président, et Lester Pearson étaient des partisans convaincus de l’OTAN. Halvord Lange était probablement la personnalité qui avait exercé la plus forte influence

en Scandinavie en faveur d’une adhésion de la Norvège et du Danemark à l’Alliance en 1949, plutôt qu’à une alliance nordique avec la Suède. Signataire du Traité de l’Atlantique Nord pour le Canada, Lester Pearson dirigea pour sa part la délégation canadienne aux Nations Unies de 1948 à 1957. Après avoir proposé la création de la Force d’urgence des Nations Unies afin de maîtriser la crise de Suez, il devait obtenir le Prix Nobel de la paix en 1957. Avec le professeur Gaetano Martino, l’un des principaux défenseurs de l’unité européenne (et père de l’actuel ministre italien de la Défense, Antonio Martino), ce trio était donc composé de représentants éminents des petits pays.

Chacun de ces derniers avait des raisons particulières et impérieuses de réclamer une reconnaissance plus grande de son rôle au sein de l’Alliance. Du point de vue quantitatif, il était tout à fait illogique d’identifier l’Italie à un « petit » membre de l’OTAN. Dans les années 1950, sa population atteignait près de cinquante millions d’habitants et dépassait donc celle du Royaume-Uni (46 millions) et de la France (43 millions). La seule manière de ranger l’Italie au nombre des petits pays consistait à lui appliquer le terme « de pays de moindre importance », correspondant d’ailleurs à l’évaluation italienne à l’époque. Bien que membre fondateur de l’OTAN à l’instar du Canada et de la Norvège, nul pays n’avait fait l’objet de plus de débats que l’Italie lors des Pourparlers exploratoires de Washington en 1948. Les objections à son adhésion résultaient en partie de la contribution militaire douteuse qu’elle pouvait apporter à l’Alliance, en raison des restrictions imposées à cet ancien pays de l’Axe après la Deuxième Guerre mondiale. L’éloignement géographique de l’Italie par rapport à l’Atlantique représentait une autre raison d’exclusion. Elle fut finalement acceptée comme partenaire à part entière grâce aux efforts de la France et des responsables

Histoire

Le Comité des Trois a recommandé les orientations générales suivantes en matière de coopération politique :

• Les membres devraient informer le Conseil de l’Atlantique Nord de tout développement affectant l’Alliance de manière significative ; ils devraient le faire non pas en tant que formalité mais comme préliminaire à une consultation politique efficace.

• Tant les gouvernements des différents pays membres que le Secrétaire général devraient avoir le droit de soulever au Conseil de l’Atlantique Nord toute question relevant de l’intérêt commun de l’OTAN et ne se limitant pas à des considérations purement nationales.

• Le gouvernement d’un pays membre devrait s’abstenir, sans une consultation

préalable adéquate, d’adopter des politiques fermes ou de faire des déclarations politiques importantes sur des questions qui affectent de manière significative l’Alliance ou l’un de ses membres, quel qu’il soit, à moins qu’une telle consultation s’avère manifestement et concrètement impossible en raison des circonstances.

• Lorsqu’ils élaborent leurs politiques nationales, les pays membres devraient prendre en considération les vues et intérêts des autres gouvernements, notamment de ceux qui sont le plus directement concernés, tels que ces vues et intérêts ont été exprimés lors de consultations au niveau de l’OTAN, et cela même lorsque le Conseil de l’Atlantique Nord n’est pas parvenu à atteindre une position commune ou un consensus.

• Lorsqu’un consensus est atteint, il devrait être reflété dans l’élaboration des politiques nationales.

• Lorsque, pour des raisons nationales, le consensus n’est pas suivi, le gouvernement concerné devrait fournir une explication au Conseil. Lorsque les discussions au sein du Conseil de l’Atlantique Nord aboutissent à une recommandation officielle et approuvée par tous, il est encore plus important de veiller à ce que celle-ci soit pleinement prise en compte dans toute action ou politique nationale relative à l’objet de cette recommandation.

Le Comité a également élaboré un certain nombre de recommandations plus spécifiques dans le but de renforcer la procédure. En voici un aperçu : • Pour consolider le processus de

consultation, les Ministres des Affaires étrangères devraient, lors de chacune de leurs réunions de printemps, faire le point sur les progrès politiques de l’Alliance, sur la base d’une évaluation politique annuelle soumise par le Secrétaire général.

Recommandations du Comité des Trois en matière de coopération politique au sein de l’OTAN

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1�L’OTAN hier, aujourd’hui et demainRevuede l’OTAN

du département d’État américain, qui voulaient faire obstacle à la résurgence de la menace du communisme italien. La France s’était initialement opposée à l’adhésion italienne, mais avait changé de position lorsqu’il était apparu que son soutien servirait l’inclusion de l’Algérie.

Les responsables italiens reconnaissaient pour leur part l’ambivalence, voire l’hostilité des futurs partenaires de l’OTAN et envisageaient la possibilité d’un arrangement bilatéral pour l’obtention d’une aide des Etats-Unis associée à des garanties de sécurité. Ils étaient indignés par l’attitude de leurs nouveaux Alliés, comme par l’exclusion de leur pays du Groupe permanent du Comité militaire, chasse gardée des dirigeants américains, britanniques et français.

La position du Canada était plus enviable. Il était courtisé par les Etats-Unis, désireux de prouver que l’Alliance était véritablement « atlantique » et ne se résumait pas à un euphémisme pour qualifier l’extension de l’Union occidentale. Avec une population de seize millions d’habitants, le Canada constituait une puissance moyenne par la taille, mais assurément davantage que cela en termes de ressources. Il avait beaucoup à offrir à l’Alliance, à l’instar de ce qu’il avait apporté à la cause alliée au cours de la Deuxième Guerre mondiale. Les diplomates canadiens avaient joué un rôle important dans la rédaction du projet du Traité de Washington en 1948. Il existait toutefois toujours une ambivalence dans les relations du Canada avec son grand voisin. En 1948, la délégation canadienne avait adopté une position sur les aspects non militaires d’une alliance transatlantique qui n’était pas partagée par les États-Unis. Indépendamment de la forme finale des futures relations, les Canadiens considéraient que l’OTAN devait être plus qu’une simple

alliance militaire. Cette position avait été à la base de l’insistance du Canada en faveur de l’article 2 du Traité de Washington, engageant les signataires à développer des relations internationales pacifiques et amicales tout en éliminant les conflits économiques. Cet article n’avait d’ailleurs été approuvé qu’à contrecœur par le secrétaire d’État américain, Dean Acheson. Les Canadiens n’étaient absolument pas sûrs qu’une OTAN sous leadership des Etats-Unis mettrait l’accent sur les liens économiques et culturels nécessaires pour assurer l’unité de la communauté atlantique.

Il y avait une autre dimension encore à l’intérêt du Canada pour l’OTAN. L’adhésion à une entité transatlantique lui apporterait une plus grande marge de manœuvre face à un voisin méridional parfois intimidant. Les diplomates canadiens pensaient que l’Alliance atlantique pourrait servir de contrepoids face aux États-Unis. Plus la communauté atlantique progresserait sur la voie de l’union économique et politique, plus l’influence de la France et du Royaume-Uni restreindrait la puissance des États-Unis. Parallèlement, le Canada redoutait que l’établissement de liens trop étroits entre les États-Unis et l’Europe nuisît au rôle qu’il espérer jouer sur la scène internationale au sens large. Cette attitude schizophrénique face aux États-Unis faisait du Canada un candidat idéal pour une participation au Comité des Trois, d’autant que le but déclaré de celui-ci consistait à promouvoir les objectifs recherchés par les Canadiens depuis les débuts de l’OTAN.

Parmi les trois pays représentés au sein du comité, seule la Norvège, avec ses 3 millions d’habitants, pouvait à juste titre être considérée comme un petit pays. Frontalière de l’Union soviétique, la Norvège s’était tournée vers les États-Unis et le Royaume-Uni pour obtenir leur protection et avait adhéré à l’OTAN avec plus

Histoire

North Atlantic Council meeting at which the Three Wise Men were appointed

• Pour aider les Représentants permanents ainsi que le Secrétaire général à déléguer leurs responsabilités en matière de consultations politiques, un Comité des Conseillers politiques devrait être institué sous l’égide du Conseil de l’Atlantique Nord.

• Tout différend entre des pays membres n’ayant pu faire l’objet d’un règlement direct devrait être soumis aux procédures de bons offices dans le cadre de l’OTAN, avant d’être porté devant une autre agence internationale (sauf s’il s’agit d’un litige à caractère juridique ou économique pour lequel il serait plus opportun de rechercher d’abord une solution auprès des organisations spécialisées appropriées). Le Secrétaire général devrait être habilité à proposer ses bons offic es aux pays en opposition et à initier ou faciliter, avec leur consentement, des procédures d’enquête, de médiation, de conciliation ou d’arbitrage.

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1� L’OTAN hier, aujourd’hui et demainRevuede l’OTAN

d’enthousiasme que les autres pays scandinaves. La perception de sa vulnérabilité expliquait toutefois son insistance à exclure le déploiement de troupes ou d’armes atomiques de l’OTAN sur son territoire. Les États-Unis n’accueillirent pas avec plaisir ce « post-scriptum », mais ils acceptèrent les conditions de la Norvège et du Danemark en 1949. Une présence américaine sous la forme d’un groupe de conseillers militaires plus important que l’ensemble du personnel du ministère norvégien des Affaires étrangères souleva cependant d’inévitables questions quant à l’ampleur de l’influence des États-Unis sur les politiques de l’OTAN.

A l’instar de l’Italie et du Canada, la Norvège voulait assurer la consultation, de même que l’élargissement de la mission de l’OTAN. Les recommandations des Trois Sages reflétèrent donc ces préoccupations.

Le résultat

L’un des résultats concrets du rapport du Comité des Trois fut le lancement du Programme Scientifique de l’OTAN en 1957. Ce programme avait pour but de promouvoir des projets de collaboration afin de stimuler les échanges internationaux et d’optimiser le rendement des ressources nationales affectées à la recherche. Un autre domaine où le Comité des Trois eut un impact direct fut l’information, avec la désignation de responsables nationaux chargés de l’information, suivie de programmes d’information nationaux ciblés. Le rapport était cependant centré sur la consultation politique et, à cet égard, les résultats furent mitigés. Les réunions ministérielles du Conseil de l’Atlantique Nord manifestèrent au moins un intérêt de pure forme pour la nécessité d’accroître la consultation sur les questions autres que militaires. Un Comité de conseillers politiques fut mis sur pied en 1957, conformément à l’une des recommandations des Trois Sages. Mais dans quelle mesure les grandes puissances tinrent-elles ensuite compte de l’avis des petits pays ? Aucun des Trois Sages ne représentait un pays possédant des colonies et cela peut expliquer en partie pourquoi les pays non coloniaux furent tenus à l’écart des discussions portant sur des territoires débordant de l’aire géographique couverte par le traité. Les problèmes « hors zone » – de la Corée et de Cuba à l’Indochine et au Vietnam dans les années 1960 – eurent néanmoins un impact sur les Alliés, petits et grands. En approuvant les recommandations des Trois Sages, le Conseil reconnut également « le droit et le devoir des gouvernements des pays membres et du Secrétaire Général de porter à son attention les questions qui leur paraîtraient comporter une menace pour la solidarité ou l’efficacité de l’Alliance ».

Le message ne pouvait être plus clair. Mais il ne fut entendu qu’une décennie plus tard. Et cela non pas en raison d’une soudaine conversion des grandes puissances à cette thèse. En fait, l’évolution

de l’environnement propre à la Guerre froide dans les années 1960 contribue à expliquer la modification des relations entre les Alliés. L’échec de l’Union soviétique à atteindre ses objectifs à Cuba et à Berlin en 1962 et 1964 amena de nombreux Européens à penser que les Soviétiques avaient renoncé à leur comportement provocateur à l’encontre de l’OTAN et s’étaient adaptés au rôle de voisin normal bien qu’antagoniste. La nouvelle perception des Soviétiques permettait aux questions non militaires d’acquérir plus d’importance dans les cercles de l’OTAN et offrait l’opportunité d’une plus grande participation des petits pays au processus de prise de décisions.

Parallèlement, la guerre du Vietnam drainait des ressources américaines hors d’Europe, tout en portant atteinte à la stature des États-Unis parmi leurs Alliés. En 1965, les responsables néerlandais et scandinaves au sein du Conseil furent les premiers à critiquer l’implication américaine dans le Sud-Est asiatique, tandis que leurs homologues allemand et britannique demeuraient relativement discrets. Les petits pays faisaient également pression – avec une vigueur et une confiance qu’ils étaient loin de manifester dix ans

plutôt – sur les Alliés de plus grande taille pour mettre l’accent davantage sur la détente que sur la défense.

À l’initiative du ministre belge des Affaires étrangères Pierre Harmel, les Alliés décidèrent en 1966 « d’entreprendre une large analyse des changements intervenus sur le plan international depuis la signature du Traité de l’Atlantique Nord en 1949, en vue de déterminer leur influence sur l’Alliance et de définir les tâches qu’elle devra accomplir pour renforcer l’Alliance en tant qu’élément d’une paix durable ». Cette étude des tâches futures de l’OTAN s’inscrivait

dans l’esprit adopté par le Comité en 1956, tout en étant plus orientée et d’une portée plus grande.. A l’instar du Rapport des Trois Sages, il affirmait qu’ « il est essentiel d’approfondir et d’améliorer la pratique qui consiste à procéder en temps utile à des consultations franches ». Toutefois, enhardi par la puissance économique croissante de l’Europe occidentale et par la plus grande implication des petits pays alliés dans les discussions nucléaires, le Rapport Harmel traitait aussi bien de questions militaires que politiques. Son principal message consistait à réclamer instamment à l’OTAN d’œuvrer à la détente, tout en maintenant ses défenses face à un Pacte de Varsovie continuant à représenter un danger. L’avis des Sages figure dans le Rapport Harmel. Bien qu’elle ne soit pas toujours respectée, la consultation politique demeure aussi importante pour l’avenir de l’OTAN en 2006 qu’elle l’était en 1956.

Pour consulter le texte du Rapport du Comité des Trois sur la coopération entre les pays de l’OTAN dans les domaines non militaires, voir : www.nato.int/docu/basictxt/b561213a.htm

Histoire

La consultation politique demeure aussi

importante pour l’avenir de l’OTAN en 2006

qu’elle l’était en 1956

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1�L’OTAN hier, aujourd’hui et demainRevuede l’OTAN

Spécial

Le rôle humanitaire croissant de l’OTAN À la suite de l’ouragan Katrina et du tremblement de terre dans le Sud de l’Asie, Maurits Jochems se penche sur le rôle de l’OTAN en matière de secours en cas de catastrophe.

L a réaction de l’OTAN, l’an dernier, tant à l’ouragan Katrina aux Etats-Unis, qu’au tremblement de terre au Pakistan, a placé l’organisation sous les feux

de la rampe pour son rôle humanitaire. L’Alliance est certes impliquée dans les secours en cas de catastrophe depuis les années 1950, mais un rôle aussi en vue est inhabituel. C’est pourquoi des analystes et commentateurs, dont des représentants de certains Alliés, se demandent s’il s’agit-là d’une activité appropriée pour l’OTAN.

Dans le cas de l’aide fournie aux Etats-Unis, l’OTAN a apporté une contribution pratique utile et démontré sa solidarité en offrant aux victimes de l’ouragan une aide très appréciée dans leur détresse. Cette contribution n’était toutefois pas essentielle dans le cadre des mesures globales de secours. (Voir L’opération de secours Katrina ci-après.) Par contre, la contribution de l’OTAN à l’envoi de secours destinés au Pakistan s’est avérée substantielle. De fait, si l’on ajoute les nombreuses contributions bilatérales et en particulier celle de l’armée américaine à l’opération de l’OTAN, l’effort consenti par les Alliés a été déterminant pour l’opération de secours dans son ensemble et a contribué à sauver de nombreuses vies. (Voir L’opération de secours au Pakistan ci-après.)

Si l’opération de l’OTAN a incontestablement fait toute la différence pour l’effort de secours global, elle a également soulevé un certain nombre de questions. Pourquoi, par exemple, des capacités militaires doivent-elles être déployées dans le cadre d’opérations de secours

Maurits Jochems est Vice-secrétaire général adjoint à la Division Opérations de l’OTAN. À ce poste, il est notamment responsable du travail de l’Alliance dans le domaine des plans civils d’urgence. Cet article est déjà paru dans la version électronique de l’édition Printemps 2006 de « La Revue de l’OTAN ».

Des secours venus du ciel : les hélicoptères se révèlent essentiels dans la première phase des opérations de secours, quand les routes sont trop endommagées pour être praticables

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1� L’OTAN hier, aujourd’hui et demainRevuede l’OTAN

Spécial

en cas de catastrophe ? Et qui doit diriger les opérations pour faire face aux conséquences d’une catastrophe naturelle ou industrielle ?

Certains commentateurs sont clairement d’avis que les secours consécutifs à une catastrophe peuvent être dispensés de manière plus efficace et plus économique par des acteurs civils, qu’il s’agisse d’autorités nationales, d’organisations internationales ou d’ONG. Cela est peut-être vrai pour la plupart des catastrophes, mais il existe malheureusement des cas où l’échelle des dégâts est telle que les premiers responsables – les autorités locales et/ou les forces du ministère de l’Intérieur – sont tout simplement dépassés

par les événements. Dans de telles circonstances, l’armée peut et doit être impliquée. Aider les autorités nationales à faire face à une catastrophe naturelle ou industrielle constitue, d’ailleurs, une mission fondamentale des forces armées dans la plupart des pays membres (et non membres) de l’OTAN.

Le déploiement des capacités militaires

Les récentes catastrophes aux Etats-Unis et au Pakistan ont mis en lumière l’utilité de certaines capacités militaires lorsque les premiers responsables se trouvent débordés. Le transport aérien stratégique

L’opération de secours Katrina Alors que l’ampleur des dégâts provoqués, le 29 août 2005, par l’ouragan Katrina dans les États de l’Alabama, de Floride, de Louisiane et du Mississippi se révélait dans toute son horreur, le Centre euro-atlantique de coordination des réactions en cas de catastrophe (EADRCC) de l’OTAN a offert ses services aux États-Unis. Cela se passait le 2 septembre. Le lendemain, une demande d’aide officielle américaine était adressée et transmise en moins d’une heure et quart aux capitales des quarante-six membres du Conseil de partenariat euro-atlantique (CPEA). À la demande de Washington, un officier de liaison de l’EADRCC a été chargé le 4 septembre de collaborer avec l’Agence fédérale des situations d’urgence et le Bureau de l’aide étrangère aux sinistrés, à Washington.

Les deux premières offres d’aide sont arrivées le 4 septembre et, au total, trente-neuf membres du CPEA ont fourni leur assistance par le biais de l’EADRCC. Le 8 septembre, le Conseil de l’Atlantique Nord a autorisé une opération de transport de l’OTAN composée d’avions de formation et de transport de la Force aéroportée de détection lointaine et d’avions et de navires de transport de la Force de réaction de l’OTAN (NRF), afin de contribuer à l’acheminement urgent de matériel depuis l’Europe vers les États-Unis. L’EADRCC a rempli le rôle de bureau de centralisation entre les demandes et les offres d’aide. La coordination des dons devant être acheminés a été assurée par le Centre interallié de coordination des mouvements, en collaboration avec l’EADRCC. Deux experts de l’aviation civile ont en outre été affectés à l’EADRCC, pour aider à la coordination des exigences en matière de transport civil.

Le matériel de secours a été regroupé à la Base aérienne de Ramstein, en Allemagne, les dons étant acheminés par route ou par un pont aérien tactique assuré par la NRF sous l’autorité du Commandement conjoint à Lisbonne. Le regroupement à Ramstein de toutes les cargaisons émanant des donateurs européens s’est achevé le 19 septembre. Plus de 90 heures de vol ont été assurées par des C-130 et des C-160 français, allemands, grecs et italiens assignés par la NRF.

Le 2 octobre, douze vols d’avions-cargos de l’OTAN avaient acheminé les secours de l’Europe jusqu’aux Etats-Unis, 189 tonnes de biens – y compris des produits alimentaires, des trousses de premiers secours, des fournitures médicales, des générateurs et des pompes - ayant été expédiées par le pont aérien de l’OTAN.

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Chargement de matériel de secours destiné aux victimes de Katrina

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1�L’OTAN hier, aujourd’hui et demainRevuede l’OTAN

est crucial pour acheminer les secours d’urgence lorsque les moyens de transport aérien civil ne sont pas disponibles en nombre suffisant. Qui plus est, le rôle des hélicoptères s’est avéré essentiel dans la première phase des opérations de secours, les routes étant souvent trop endommagées pour être praticables, tandis que les capacités de transport maritime revêtent une importance critique pour le soutien plus rentable des efforts de secours au cours des semaines et des mois qui suivent la catastrophe. Des hôpitaux militaires et du personnel médical susceptibles d’être déployés rapidement peuvent également contribuer à soulager les premiers responsables surchargés. Le génie militaire, les unités chargées de la purification de l’eau et les équipes de recherche et de secours disposent en outre de compétences susceptibles de grandement améliorer les capacités de réaction à la crise et de sauver des vies.

Si les forces armées disposent manifestement de capacités utiles à fournir aux opérations de secours en cas de catastrophe, une telle assistance doit être apportée en fonction du principe de subsidiarité. Les responsables civils devraient toujours diriger les opérations et demander officiellement le soutien des militaires. Il doit s’agir d’une contribution répondant à une demande et non pas justifiée par la simple volonté de fournir des secours. En principe, ce sont les autorités locales et/ou le ministère de l’Intérieur ou un autre organisme national compétent qui devraient demander une assistance extérieure, notamment militaire, si et lorsqu’ils estiment que l’ampleur de la catastrophe est telle qu’ils ne peuvent y faire face seuls.

Dans les cas de l’ouragan Katrina et du tremblement de terre dans le Sud de l’Asie, les gouvernements nationaux respectifs ont officiellement demandé l’aide de l’OTAN. Qui plus est, dans le cas du Pakistan, les Nations Unies ont publiquement et clairement demandé l’aide de l’OTAN lors de la mise sur pied de leur propre opération de secours. C’est ainsi que la majeure partie des tentes indispensables fournies par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a été acheminée au Pakistan par le biais du pont aérien de l’OTAN avant le commencement du rigoureux hiver himalayen.

L’OTAN reconnaît que, lors de toute opération internationale de secours en cas de catastrophe, les Nations Unies et en particulier leur Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA) devraient toujours être aux commandes, en collaboration avec les autorités du pays touché. Le Centre euro-atlantique de coordination des réactions en cas de catastrophe (EADRCC), le principal mécanisme de réaction aux crises de l’OTAN qui implique vingt pays partenaires en plus des vingt-six Alliés, accueille d’ailleurs un officier de liaison de l’OCHA, qui conseille l’Alliance en cas de nécessité. Dans le cas de l’opération de secours au Pakistan, l’OTAN a également participé aux réunions de coordination générale à Islamabad, dirigées conjointement par le gouvernement pakistanais et le représentant résident des Nations Unies, ainsi

qu’aux réunions sous-régionales appropriées dirigées par les Nations Unies et portant notamment sur les soins de santé et les abris à fournir aux réfugiés.

La valeur ajoutée de l’OTAN

Si l’on reconnaît que des capacités militaires peuvent être utilement déployées lors d’opérations de réaction aux catastrophes, la question suivante à laquelle il convient de s’intéresser est celle de la valeur ajoutée apportée par l’OTAN. Les contributions militaires ne doivent absolument pas être fournies sur une base bilatérale. Qui plus est, la prise de décisions en réponse à des catastrophes doit s’effectuer rapidement et l’approche multilatérale de l’Alliance est, en théorie, plus lente que celle des Alliés à titre individuel.

Comme il n’existe pas deux opérations de secours identiques et que des solutions novatrices et pragmatiques sont presque toujours indispensables, il n’est pas possible d’affirmer avec certitude que l’OTAN devrait automatiquement être impliquée, ni qu’à titre individuel, certains Alliés devraient prendre la direction

des opérations. Plusieurs facteurs doivent toutefois être pris en considération. D’abord, seuls quelques très rares Alliés, comme les Etats-Unis, sont capables d’acheminer rapidement, sur de longues distances, des capacités de secours importantes jusqu’aux régions touchées et de soutenir leur effort dans le temps. Deuxièmement, la contribution principale de l’OTAN consiste à remplir la fonction de coordination, de liaison et de facilitation des structures militaires fournies par l’EADRCC et l’Alliance. Cela permet à des Alliés de plus petite taille de fournir des capacités - telles qu’un hôpital de campagne ou une unité chargée de la purification de l’eau - qu’ils n’auraient pu offrir à titre individuel. Qui plus est, le rôle de

coordination qui caractérise les opérations dirigées par l’OTAN s’avère utile pour les autorités du pays bénéficiaire et pour les Nations Unies, qui peuvent ainsi s’adresser à un seul interlocuteur plutôt qu’à plusieurs.

L’OTAN est-elle en mesure de prendre une décision relative à des secours en cas de catastrophe presque aussi vite qu’un gouvernement national ? En général, lorsqu’il existe un précédent, l’Alliance est capable de procéder rapidement. C’est ainsi, par exemple, que la décision d’établir un pont aérien vers le Pakistan a pu être prise rapidement en raison, principalement, du fait qu’il y avait un précédent, à savoir les opérations aériennes destinées aux Etats-Unis à la suite de l’ouragan Katrina. La décision d’envoyer du personnel médical et des membres du génie au Pakistan a, par contre, pris plus de temps, étant donné qu’il n’y avait à l’époque aucun précédent d’envoi de personnel militaire dans un pays n’appartenant pas à l’OTAN (ni partenaire) pour une opération de secours consécutive à une catastrophe.

L’Alliance tire actuellement les enseignements des opérations liées à l’ouragan Katrina et au tremblement de terre au Pakistan.

Spécial

Les récentes catastrophes ont mis en lumière l’utilité de certaines capacités militaires lorsque les

premiers responsables se trouvent débordés

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1� L’OTAN hier, aujourd’hui et demainRevuede l’OTAN

Spécial

Une fois que ce processus sera achevé et que des questions telles que le financement de certains éléments des opérations seront résolues, il devrait être possible de réduire encore le délai de réaction. Le processus décisionnel de l’OTAN pourrait ainsi être presque aussi rapide que celui des autorités nationales des différents Alliés.

Le financement de la réforme

À l’avenir, l’un des problèmes les plus importants auquel il faudra apporter une solution avant que l’OTAN dans son ensemble ou des Alliés à titre individuel mettent à nouveau des capacités à disposition pour des opérations de secours en cas de catastrophe consiste à disposer de mécanismes de financement appropriés. Si, comme c’est le cas actuellement, les ministères de la Défense des pays auxquels l’on demande de fournir des hélicoptères pour une future opération de secours en cas de catastrophe sont également censés supporter la totalité de la charge financière de leur engagement, ils pourraient estimer ne pas pouvoir se permettre financièrement d’être impliqués. Si de nouveaux mécanismes de financement ne sont pas trouvés, les

interventions de secours en cas de catastrophe absorberont une grande partie du budget de la défense, alors que l’aide accordée au niveau national et international aux premiers responsables sera, pour l’essentiel, gratuite.

Certaines mesures pour réformer et améliorer les mécanismes de financement étaient déjà en place dans certains pays lors de l’opération de secours destinée au Pakistan. Au Royaume-Uni, par exemple, le ministre pour le Développement international Hilary Benn a décidé de couvrir les coûts de fonctionnement supplémentaires entraînés par le déploiement de trois hélicoptères Chinook et un régiment du génie en puisant dans le budget dévolu au développement international. En recourant à cette source alternative de financement, Hilary Benn est parvenue à apporter une contribution financière importante au « fonds d’affectation spéciale » de l’OTAN qui a couvert le coût du pont aérien.

L’arrangement improvisé d’Hilary Benn présente des avantages manifestes. Il permet à un ministère en charge du Développement international d’éviter de gérer et de déployer sa propre flotte d’hélicoptères et évite donc la duplication de ressources. Qui plus

Deux jours après que le tremblement de terre du 8 octobre dans le Sud de l’Asie ait provoqué plus de 73 000 morts, 70 000 blessés et quelque 4 millions de sans abri, le Pakistan a demandé l’aide de l’OTAN pour l’opération de secours humanitaire qu’il était en train de mettre sur pied. Le Conseil de l’Atlantique Nord a accepté de fournir cette aide et approuvé une réaction en deux phases de l’Alliance.

La première phase s’est focalisée sur le pont aérien. Le Centre euro-atlantique de coordination des réactions en cas de catastrophe (EADRCC) a établi des liens entre les instances nationales de coordination de l’aide fournie par ses différents membres et les autorités pakistanaises. Il a collaboré avec les autorités militaires de l’OTAN pour coordonner les réactions des membres du Conseil de partenariat euro-atlantique (CPEA) désireux de canaliser leur aide par ce mécanisme.

Le 13 octobre 2005, l’EADRCC a reçu une première demande du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCRNU) en vue d’assurer le transport par voie aérienne de 10 000 tentes, 104 000

couvertures et 2 000 fours entre la Turquie et le Pakistan. Plusieurs autres demandes émanant d’agences des Nations Unies ont suivi. Le premier vol de secours de l’OTAN vers le Pakistan est survenu le 14 octobre. À la demande des autorités pakistanaises, la priorité a d’abord été accordée à l’envoi de tentes et de couvertures, la majeure partie du matériel de secours étant fourni par le HCRNU. En fin de compte, 160 vols ont assuré l’acheminement de quelque 3 500 tonnes de matériel de secours.

Quarante-deux des quarante-six membres du CPEA ont fourni une assistance au Pakistan, notamment pas le biais de l’EADRCC. Le pont aérien de l’OTAN a été utilisé par dix-neuf pays du CPEA et deux n’y appartenant pas – Malte et la Bosnie-Herzégovine –, de même que par le HCRNU, le Programme alimentaire mondial et le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires.

Des officiers de liaison ont été assignés à l’EADRCC et intégrés à la structure de travail du Centre, tandis que des experts civils du Haut Comité pour l’étude des plans d’urgence dans le domaine civil ont apporté

leur aide à l’EADRCC, au Grand quartier général des puissances alliées en Europe et à l’Agence d’entretien et d’approvisionnement de l’OTAN, au besoin depuis leurs lieux de travail habituels. À la fin de l’opération, toute l’aide offerte au Pakistan par le biais du pont aérien de l’OTAN était arrivée à bon port.

La seconde phase de l’opération a ajouté des éléments issus de la Force de réaction de l’OTAN, incluant un quartier général responsable de la structure de commandement et de contrôle, des unités du génie, des hélicoptères et des hôpitaux de campagne militaires, le tout disposant d’un soutien approprié. L’OTAN a travaillé au quotidien en étroite collaboration avec le gouvernement du Pakistan et les Nations Unies, tout en étant reliée au système des représentants résidents des Nations Unies. La contribution de l’OTAN à l’opération de secours a consisté à assurer le pont aérien, à soutenir le transport intra-théâtre, à restaurer les infrastructures routières critiques et à fournir des abris de fortune et un soutien médical. L’objectif de ces activités de secours consistait à permettre aux survivants du tremblement de terre d’affronter l’hiver.

Début décembre 2005, la plupart des éléments étaient en place et contribuaient

L’opération de secours au Pakistan

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1�L’OTAN hier, aujourd’hui et demainRevuede l’OTAN

Spécial

est, en fonction du mode de calcul des coûts, cette solution est susceptible de s’avérer considérablement moins chère que tout autre arrangement impliquant la location d’hélicoptères civils, pour autant qu’ils soient disponibles. Une telle approche peut naturellement avoir d’autres conséquences. Un ministère de la Défense peut, par exemple, décider d’acquérir davantage d’hélicoptères. Or, même dans ce cas, les frais généraux, la formation et la maintenance peuvent être limités à une seule organisation au lieu de deux, voire davantage.

Toutefois, afin de conférer un caractère officiel à de tels arrangements, il faudra également revoir la définition de « l’aide officielle au développement » (AOD). Il semble que, aux termes de la définition actuelle, le financement d’hélicoptères militaires pour des opérations de secours en cas de catastrophe ne puisse être considéré comme entrant dans le cadre de l’AOD. En conséquence, les ministres du Développement sont dissuadés de reproduire l’initiative pour le Pakistan de leur homologue britannique. Toutefois, comme de nombreux pays resserrent encore les relations de travail entre leurs différents ministères - Développement international, Défense et Affaires étrangères - , le

moment est peut-être venu de procéder à une réévaluation des critères de l’AOD.

Dans le cas de l’opération de secours au Pakistan, une telle décision s’avérerait particulièrement appropriée, puisque les Nations Unies ont demandé à l’OTAN d’assurer un pont aérien et de déployer des hélicoptères. La logique exige que les pays de l’OTAN puissent imputer une partie des coûts supplémentaires entraînés pour leur armée par l’aide internationale au budget de l’aide au développement ou que les Nations Unies les remboursent directement en puisant dans les fonds récoltés pour payer les opérations de secours. Depuis 1989, de nombreuses barrières – aussi bien réelles que virtuelles – sont tombées. Le moment est peut-être venu de supprimer certaines des divisions institutionnelles qui existent entre le monde de l’aide au développement international d’une part et celui de la défense, de l’autre.

Pour plus d’informations sur les interventions humanitaires de l’OTAN et du Centre euro-atlantique de coordination des réactions en cas de catastrophe, voir www.nato.int/eadrcc/home.htm

efficacement aux efforts de secours dans la région de Bagh, désignée par les autorités pakistanaises comme zone cible pour les opérations de secours de l’OTAN sur le terrain.

Les hélicoptères de l’OTAN ont embarqué plus de 1700 tonnes de matériel de secours à Islamabad pour les acheminer vers des points de regroupement avancés, puis directement sur les lieux où l’on en avait besoin. Ils ont assuré l’évacuation de plus de 7 500 malades, blessés et personnes déplacées depuis la zone immédiate du tremblement de terre. Les sites de ravitaillement de l’OTAN ont fourni du carburant pour plus de mille vols d’hélicoptères appartenant à la force internationale. L’hôpital de campagne de l’Alliance a accepté près de 5 000 patients et traité 3 500 autres personnes par le biais de ses équipes médicales mobiles. Les soldats du génie de l’OTAN ont édifié plus de 110 abris multifonctions, tout en dégageant et en réparant 60 kilomètres de routes et en déplaçant pour ce faire quelque 42 000 mètres cubes de débris. Ils ont également assuré la fourniture en eau douce de plus de mille personnes par jour et réparé un système permanent de distribution et de stockage d’eau de source, capable de ravitailler 8 000 personnes supplémentaires

par jour. Le 1er février 2006, toutes les unités de l’OTAN avaient quitté la région de Bagh pour une zone de regroupement, depuis laquelle elles ont regagné leurs pays d’origine.

Qui plus est, après avoir initialement contribué à l’effort de secours sur une base bilatérale, le Canada a intégré son équipe de réaction – l’Équipe d’intervention en cas

de catastrophe (DART) – à l’opération de l’OTAN. Le personnel médical de la DART a traité quelque 10 000 patients et laissé une clinique derrière lui lors de son retrait. Ottawa a également mis des hélicoptères et des unités chargées de la purification de l’eau à disposition et supporté le financement durant trois mois de trois hélicoptères destinés aux Nations Unies.

Une équipe médicale de l’OTAN soigne un jeune survivant du tremblement de terre

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20 L’OTAN hier, aujourd’hui et demainRevuede l’OTAN

Cher Bruno,

L’indépendance constitue la seule manière d’assurer la sécurité du Kosovo et de l’ensemble des Balkans. Le refus de reconnaître les prétentions légitimes du Kosovo à l’indépendance a déjà débouché sur une guerre et contribué à au moins deux autres conflits. Si les négociations actuelles sur le statut final du Kosovo ne conduisent pas rapidement à une véritable indépendance, un nouveau conflit – qui s’étendrait presque certainement au-delà de la province – n’est pas à exclure.

Le désir d’indépendance parmi les Albanais du Kosovo (les Kosovars) – représentant plus de 90 pour cent de la population de la province – est manifeste et la pertinence de leurs arguments en faveur de cette

indépendance est incontestable du point de vue légal, de la moralité et du simple bon sens. Depuis la dissolution de la Yougoslavie, les dirigeants et le peuple du Kosovo luttent pour leur indépendance. Cette lutte a débuté par une résistance non violente à une occupation brutale et illégale, s’est muée en résistance armée lorsque l’oppression serbe est devenue intolérable et que les promesses internationales se sont avérées creuses, puis – après la campagne aérienne de l’OTAN en 1999 – a abouti à la libération. Depuis lors, elle se poursuit sous une administration des Nations Unies bien intentionnée, mais en fin de compte inefficace. Tout au long de cette période, les Kosovars et leurs dirigeants, à de rares exceptions près, ont choisi de collaborer avec la communauté internationale. Aucune autre nation, probablement, n’a

rencontré un tel nombre d’obstacles sur la voie de son indépendance. La communauté internationale devrait comprendre que le refus d’accorder cette indépendance, que tous les Kosovars considèrent comme leur droit, finirait par provoquer une réaction déstabilisatrice.

L’effet stabilisateur de l’indépendance apparaît plus clairement encore lorsqu’on le compare aux autres alternatives. Sans même parler de l’immoralité de cette perspective, on peut aisément imaginer l’impact sur la stabilité internationale qu’aurait une tentative de replacer le Kosovo sous l’autorité serbe. Ce serait comme si, en 1952, l’on avait tenté de réimposer la domination nazie à la France. Et qu’en est-il de la notion de « Trois Républiques » ou d’une autre forme

L’indépendance du Kosovo contribuerait-elle ou nuirait-elle à la sécurité internationale ?

Louis Sell est professeur auxiliaire d’histoire et

de science politique à l’Université du Maine. Cet ancien diplomate américain à la retraite

a dirigé le Groupe international de crise au

Kosovo, a été le directeur exécutif de la Fondation

de l’Université américaine au Kosovo et est l’auteur

de Slobodan Milosevic and the Destruction of Yugoslavia (Duke

University Press, 2002).

Bruno Coppieters est professeur de science politique à la Vrije Universiteit Brussel (Université Libre de Bruxelles). Il est l’un des auteurs de Statehood and Security : Georgia after the Rose Revolution (MIT Press, 2005) et de Contextualizing Secession : Normative Studies in Comparative Perspective (Oxford University Press, 2003).

Débat

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21L’OTAN hier, aujourd’hui et demainRevuede l’OTAN

d’association peu contraignante avec Belgrade ? Même si le Kosovo (et par la même occasion le Monténégro) pouvait être persuadé d’accepter l’association, il est difficile d’imaginer comment les deux peuples pourraient coopérer efficacement ou à l’amiable. La poursuite de l’administration internationale actuelle n’est pas plus réaliste. La patience des Kosovars est arrivée à son terme. Ils ne tolèrent l’administration internationale que parce qu’ils croient obtenir bientôt leur indépendance et qu’ils comprennent que leur avenir comme État indépendant est lié à la coopération internationale.

Parlons à présent de la situation après l’indépendance. En la matière également, les arguments sont très convaincants. Avec l’aide internationale, les Albanais du Kosovo ont jeté les bases solides de la démocratie. Depuis 1999, plusieurs élections ont été organisées au Kosovo. La province dispose d’un système multipartite qui fonctionne, de médias indépendants et des bases d’un système d’autonomie. Qui plus est, elle a surmonté avec succès une épreuve qui aurait ébranlé des démocraties plus fermement établies : le décès d’Ibrahim Rugova, le « père fondateur » de l’indépendance du Kosovo.

La mise en place d’une économie prospère et durable, essentielle à la stabilité du Kosovo et de la région, dépend également de l’indépendance. Le maintien de l’administration internationale et les incertitudes qui planent sur l’avenir du Kosovo empêchent l’application d’un grand nombre de règles et de procédures de base, sans lesquelles le Kosovo ne peut entretenir de relations commerciales normales avec le reste du monde. De nombreuses études internationales voient

les richesses du Kosovo en charbon comme la base d’une industrie de production et d’exportation d’énergie. Après sept années d’administration internationale toutefois, il est clair que seule l’indépendance est en mesure d’assurer l’environnement politique stable et prévisible et le régime économique et légal aptes à attirer les investissements étrangers.

Un Kosovo indépendant constitue également un préalable nécessaire à l’harmonie ethnique et au retour des réfugiés. Tant que l’avenir du Kosovo demeurera incertain, les Albanais et les Serbes se tourneront vers leurs communautés respectives afin de renforcer leur opposition au changement. Dans un Kosovo indépendant, les Albanais seront plus enclins à faire preuve de tolérance et les Serbes qui souhaitent rester comprendront que le Kosovo constitue la patrie où construire leur avenir.

Bien que cela puisse paraître paradoxal en apparence, un Kosovo indépendant représente également le moyen de garantir un avenir démocratique pour la Serbie. Depuis que Slobodan Milosevic a commencé à utiliser le Kosovo pour alimenter son ordre du jour nationaliste, la province empoisonne la Serbie. Qui plus est, cette situation n’a pas pris fin avec l’extradition de Milosevic à La Haye. Les dirigeants serbes admettent en privé que le Kosovo est perdu, mais aucun d’eux n’a le courage de le reconnaître en public. De toute façon, un Kosovo indépendant où les intérêts légitimes des Serbes seraient protégés constitue la seule base réaliste sur laquelle édifier des relations stables et pacifiques entre la Serbie et le Kosovo, ainsi qu’entre la Serbie et le reste du monde.

Il est naturellement possible d’imaginer un autre cas de figure, allant dans la direction opposée. Si la communauté internationale devait retarder l’indépendance ou la conditionner à une nouvelle série de « normes », ou encore, si l’indépendance offerte s’avérait être une comédie, en ne prévoyant par exemple pas l’adhésion immédiate aux Nations Unies, les Kosovars risqueraient de se sentir trahis et de prendre les choses en main, comme l’a fait l’Armée de libération du Kosovo entre

1997 et 1999. En se séparant de la région à majorité serbe dans le Nord ou en créant de facto des cantons ethniques ailleurs, une partition pourrait alors entraîner des violences au Kosovo et dans les régions avoisinantes.

L’indépendance constitue la seule voie réaliste pour créer un Kosovo pacifique, démocratique et prospère. Mais cette indépendance doit être rapide et réelle; elle doit assurer l’intégrité territoriale du Kosovo et l’établissement d’une véritable autonomie dans le cadre d’un État démocratique fonctionnel, et comporter une présence internationale permanente de sécurité et d’assistance. Une telle indépendance, qui fournirait la base de la tolérance ethnique et de bonnes relations avec tous les voisins du Kosovo, est le seul moyen d’assurer la stabilité internationale dans cette partie troublée du monde.

Bien à vous,Louis

Cher Louis,

Votre position est claire et catégorique. L’indépendance du Kosovo constituerait la solution la plus stable pour la région. Et elle ouvrirait la voie à la réconciliation avec la Serbie, tout en facilitant l’intégration de la minorité serbe du Kosovo. Vous oubliez de mentionner tous les problèmes rencontrés par la communauté internationale dans ses tentatives pour faire du Kosovo un État démocratique et multiethnique. Et vous ne semblez pas davantage voir une quelconque nécessité de compromis. En fait, vous considérez que limiter la souveraineté du Kosovo, en lui octroyant par exemple une forme d’indépendance n’allant pas immédiatement de pair avec son adhésion au Nations Unies, risquerait

Louis Sell versus Bruno Coppieters

Louis Sell

Le désir d’indépendance parmi les Kosovars est

manifeste et la pertinence de leurs arguments en faveur de cette indépendance est

incontestable du point de vue légal, de la moralité et du

simple bon sens

Bruno Coppieters

Si le premier enseignement à tirer du Kosovo est que la résolution d’un conflit doit reposer sur des critères ad hoc, l’indépendance

s’avérerait extrêmement déstabilisatrice

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– à vos yeux – d’entraîner de nouvelles violences, les Kosovars prenant alors « les choses en main ».

Je ne nie pas que l’indépendance du Kosovo soit devenue inévitable. La dégradation des relations entre Belgrade et la majorité albanaise du Kosovo au cours de la décennie qui s’est écoulée entre la suppression de l’autonomie du Kosovo en 1989 et la campagne aérienne de l’OTAN en 1999 a porté le conflit au-delà du point de non-retour. Mais des questions demeurent à résoudre, telles que le genre d’accord de compromis qui favoriserait la création d’un environnement sûr pour les minorités du Kosovo et minimiserait les conséquences nécessairement dé- stabilisatrices d’une décision d’indépend-ance conditionnelle pour tous les autres conflits sécessionnistes.

Dans les années à venir, tous les membres des Nations Unies devront probablement décider s’ils sont prêts à reconnaître l’indépendance du Kosovo. Beaucoup de ces États constituent eux-mêmes des sociétés divisées et, dans certains cas, des conflits sécessionnistes y ont

dégénéré en violence. Pour tous ces pays, la reconnaissance du Kosovo ne constitue pas une simple formalité de diplomatie internationale, mais soulève des questions quant à leur statut d’État.

Tant les mouvements sécessionnistes que les gouvernements s’opposant à toute sécession sont presque invariablement convaincus que la pertinence de leurs arguments est « incontestable du point de vue légal, de la moralité et du simple bon sens », pour utiliser votre formulation en faveur de l’indépendance du Kosovo. Malheureusement, la foi en de telles vérités « incontestables » rend superflue toute discussion sur des compromis (nécessairement douloureux). Pire encore, les défenseurs de telles positions font ensuite valoir que la violence est la conséquence inévitable et logique du refus par l’autre partie d’accepter (ou de rejeter) toute idée de sécession.

Le Kosovo fait d’ores et déjà figure de « modèle » ailleurs dans le monde et apporte de l’eau au moulin de certains camps dans d’autres conflits pour légitimer leurs positions. Les interprétations du « modèle Kosovo » sont, bien sûr, très différentes, mais toutes ont une chose en commun : elles renforcent le point de vue selon lequel seule la force ou d’autres décisions unilatérales peuvent apporter une solution à un conflit sécessionniste.

Certains gouvernements impliqués dans les négociations sur le statut final du Kosovo nient l’existence d’un « modèle Kosovo ». À leur avis, les principes impliqués dans la résolution de ce conflit ne constitueront pas un précédent pour un autre processus de ce type. Il est en effet fort peu probable que l’ensemble complexe de facteurs à la base de la campagne aérienne de l’OTAN en 1999 et des négociations actuelles sur le futur statut se reproduise ailleurs sous la même forme. La question n’est cependant pas de savoir si ce modèle peut s’appliquer universellement, mais bien si les principes qui sous-tendent la décision finale sur le statut du Kosovo sont universellement fondés. Si le premier enseignement à tirer du Kosovo est que la résolution d’un conflit doit reposer sur des critères ad hoc qui sont fonction d’une situation

spécifique, l’indépendance s’avérerait extrêmement déstabilisatrice pour la sécurité internationale.Ceux qui prétendent vouloir l’application de principes universels au Kosovo pourraient finir par adopter des positions ad hoc dans des conflits similaires. Le président russe Vladimir Poutine préconise le recours aux principes applicables aux négociations actuellement dans une impasse en ex-Union soviétique. Mais il a déclaré publiquement que, si les pays occidentaux décident unilatéralement de reconnaître l’indépendance du Kosovo, la Russie sera en droit de se comporter de la même manière dans le cadre de conflits où elle est impliquée et de reconnaître des États séparatistes.

Un second enseignement à tirer du Kosovo, qui pourrait s’avérer déstabilisateur, concerne le recours à la force dans les conflits sécessionnistes. Peu après la campagne aérienne de l’OTAN en 1999, le président géorgien de l’époque, Édouard Chevardnadze, a été le premier à réclamer la résolution des conflits sécessionnistes dans son pays en s’inspirant du modèle du Kosovo. Avant cette date, les appels de la Géorgie au Conseil de sécurité des Nations unies en faveur d’une intervention internationale pour écraser de facto la sécession abkhaze avaient été vains, en raison surtout de l’opposition de la Russie. La guerre au Kosovo a cependant montré que les pays occidentaux sont prêts à intervenir dans une crise sécessionniste et même à passer outre à un veto russe. L’intervention de l’OTAN pour soutenir un mouvement sécessionniste était secondaire pour Chevardnadze. Plus importante est l’idée que la force militaire demeure l’instrument le plus efficace pour mettre fin à une lutte entre des volontés différentes dans un conflit sécessionniste, un enseignement également tiré par nombre de ceux qui sont en faveur d’une sécession unilatérale.

Lors de leurs efforts de médiation, les Nations Unies prennent en compte les ramifications mondiales de tout règlement basé sur des décisions unilatérales. Au niveau local, les propositions de compromis doivent, avant tout, chercher à améliorer les conditions de vie des

Louis Sell versus Bruno Coppieters

Louis Sell

La communauté internationale devrait comprendre que le refus d’accorder l’indépendance finirait

par provoquer une réaction déstabilisatrice

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2�L’OTAN hier, aujourd’hui et demainRevuede l’OTAN

minorités et faciliter l’engagement des Serbes du Kosovo dans les institutions locales. Une autorité internationale de transition devra peut-être être créée pour s’occuper de cette question. Tous les efforts possibles doivent être consentis pour persuader Belgrade d’adhérer à l’idée d’un Kosovo indépendant. Si, en dépit des solides garanties accordées aux minorités, la Serbie devait refuser d’accepter un Kosovo souverain, les négociations sur la reconnaissance internationale devraient se poursuivre pour éviter une division au sein du Conseil de sécurité des Nations Unies. En dépit de l’impatience de la majorité de la population, cela retarderait probablement l’obtention par le Kosovo d’un siège aux Nations Unies. Il m’intéresserait de connaître votre point de vue sur la manière dont un compromis pourrait contribuer à éviter de nouvelles décisions unilatérales en rapport avec le statut final.

Bien à vous,Bruno

Cher Bruno,

Il apparaît que nous sommes d’accord sur la question essentielle : l’indépendance. Mais vous posez deux conditions : les minorités et l’impact ailleurs dans le monde.

La démocratie exige le respect de tous les citoyens et les droits des minorités sont tout autant dans l’intérêt de la majorité albanaise du Kosovo que de la minorité serbe. La meilleure façon de protéger les droits des minorités consiste à les intégrer dans un État stable et démocratique, considéré comme sien par la majorité de la population : en d’autres termes, par le biais d’un Kosovo indépendant. Les droits vont toutefois de pair avec des responsabilités. Les Serbes doivent être prêts à vivre pacifiquement et de manière responsable au sein d’un tel État indépendant et démocratique.

De même, il serait à la fois injuste et difficilement applicable de faire de l’avenir du Kosovo l’otage du comportement d’extrémistes dans d’autres parties du monde. Dire aux Kosovars qu’ils ne peuvent être indépendants en raison

de l’Abkhazie, aurait le même impact – et la même inefficacité – que si on avait déclaré à Thomas Jefferson d’oublier une indépendance susceptible d’encourager des ambitions similaires dans d’autres parties de l’Empire britannique.

Soulever de tels problèmes – certes importants dans leurs régions respectives, mais hors de propos au Kosovo – nous ramène à notre question d’origine : la stabilité. En dépit de son calme apparent, la situation actuelle au Kosovo n’est pas stable à long terme. Différer une décision sur le statut final ou générer une indépendance boiteuse amènerait rapidement l’instabilité à la surface. Il y a également le problème de la simple justice. Si la communauté internationale a l’intention de refuser ou de chercher des faux-fuyants à l’indépendance du Kosovo, elle doit en expliquer la raison aux Kosovars. Dire que l’indépendance ne peut survenir en raison du Transdniestr manque de crédibilité. Les gens du Kosovo n’accepteraient pas une telle explication, pas plus que la Belgique de 1830 n’aurait accepté un appel à renoncer à son désir d’indépendance pour ne pas contrarier le système conservateur issu du Congrès de Vienne.

Il serait très souhaitable de persuader Belgrade d’ « investir » dans un Kosovo indépendant. Personne ne veut d’une Serbie revancharde, de type Versailles. Mais la responsabilité principale pour la création d’une Serbie démocratique échoit aux Serbes eux-mêmes. La contribution du Kosovo ne peut résulter de la mise en place forcée de structures injustes, déstabilisatrices ou inapplicables, mais bien de la création d’un État indépendant, démocratique et prospère, qui garantira les droits des minorités, la protection des monuments religieux et respectera les autres droits légitimes de ses voisins.

En politique, le choix du moment adéquat est essentiel et il en va de même pour un compromis. Au cours de l’été 1776, un an après le début de la Révolution américaine, l’amiral britannique Richard Howe – un ami sincère des colons américains, même s’il commandait la flotte britannique dans les eaux américaines – offrit de satisfaire pratiquement toutes les exigences

exprimées par les révolutionnaires avant le début des hostilités. L’équipe américaine conduite par Benjamin Franklin rejeta la proposition de Richard Howe, tout simplement parce qu’elle n’offrait pas ce qui était alors devenu un ingrédient essentiel : l’indépendance totale.

Dans les pourparlers en cours, les Kosovars consentent de nombreux efforts pour parvenir aux compromis recherchés par la communauté internationale, mais ils insisteront sur l’obtention rapide d’une indépendance réelle, reconnue par un siège aux Nations Unies, l’intégrité territoriale et un État fonctionnel. Cela devrait inclure une présence de l’OTAN et une adhésion à terme à l’Alliance, ainsi qu’une présence civile internationale apportant ses conseils mais s’abstenant de gouverner, le tout conduisant à une association avec l’Union européenne. Des tentatives visant à imposer une solution contraire, qui chercherait par exemple à « éviter une division au sein du Conseil de sécurité » – quelle que soit son importance aux yeux des diplomates –, ne serait pas considérée par les habitants du Kosovo comme une réponse à leurs exigences parfaitement justifiées et raisonnables. De

Louis Sell versus Bruno Coppieters

Bruno Coppieters

Les Nations Unies doivent prendre en compte les ramifications mondiales

de tout règlement

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2� L’OTAN hier, aujourd’hui et demainRevuede l’OTAN

telles tentatives ne seraient dès lors guère propices à la stabilité, ni calculées pour encourager une situation où les droits des minorités seraient vraiment respectés.

Bien à vous,Louis

Cher Louis,

Le genre de compromis que vous envisagez pour contribuer à sortir de l’impasse m’intéresse. En ce qui concerne les droits des minorités, vous écrivez que les Serbes du Kosovo doivent être « intégrés » dans les institutions du nouvel État. Je suis totalement d’accord ! Mais la question consiste à savoir comment une telle intégration serait structurée. Les émeutes de mars 2004 suscitent des craintes légitimes pour la sécurité de la minorité serbe qui demeure au Kosovo. Je pense qu’une administration internationale transitoire dans le Nord de l’actuelle province serait nécessaire pour sauvegarder les droits des Serbes et que, à l’échelle de l’ensemble du Kosovo, le pouvoir doit être décentralisé de manière

à ce que les municipalités à majorité serbe se sentent en sécurité. Les droits des minorités doivent être appuyés par une vaste réforme institutionnelle.

Vous faites également valoir que les droits doivent aller de pair avec des responsabilités et que les citoyens serbes doivent être loyaux envers le nouvel État. À mon avis, une telle loyauté n’apparaîtra que par le biais de la participation active des minorités aux institutions politiques d’un état multiethnique. La loyauté d’une minorité ne peut être rendue tout simplement obligatoire parce que la majorité redoute que cette minorité agisse comme la cinquième colonne d’un pays voisin. Une crainte de ce type a toujours dominé l’histoire des Balkans et risque de saper les perspectives de pluralisme pour l’avenir du Kosovo.

Vous pensez qu’il ne faut pas s’attendre à ce que les Kosovars tiennent compte dans leurs revendications des conséquences potentiellement déstabilisatrices des exemples d’indépendance sans condition dont témoigne l’histoire. Vous écrivez que la lutte pour l’indépendance des Américains ou des Belges n’a jamais pris en compte les conséquences internationales potentielles. Mais vous dites également que, du moins lorsque des minorités sont impliquées, les droits doivent s’accompagner de responsabilités. Si le Kosovo a droit à la souveraineté, il doit partager avec d’autres nations souveraines la responsabilité du maintien de la sécurité et de la stabilité internationales, en sauvegardant les principes du droit international. Le Kosovo doit, lui aussi, chercher à contribuer à des solutions pour maintenir l’équilibre entre le principe de l’intégrité territoriale et le droit à l’autodétermination nationale. Et il doit respecter l’autorité du Conseil de sécurité des Nations Unies, lorsque celui-ci prescrit un modus operandi spécifique pour promouvoir la stabilité dans les Balkans. Il s’agit-là d’une raison supplémentaire d’appeler les délégations kosovar et serbe à éviter d’adopter des positions intransigeantes lors des pourparlers sur le Kosovo. Et cela souligne l’importance de parvenir à un large consensus international sur l’avenir du Kosovo au sein du Conseil de sécurité, dans le cas où les parties

s’avéreraient incapables de parvenir à un compromis.

Vos références historiques à la Belgique et aux Etats-Unis ne sont guère utiles. Manifestement, le cas du Kosovo n’est pas unique lorsque l’on examine les origines historiques de nombreux États actuels. Des positions intransigeantes et/ou un environnement géopolitique favorable ont souvent conduit à la création de nouveaux États. Mais le monde ne peut être réorganisé en fonction des principes moraux et légaux du nationalisme du XVIII° ou du XIX° siècle.

La stabilité internationale ne peut être assurée par la désintégration des États multiethniques, mais par la réforme de ces États et l’accroissement de l’autonomie pour les populations minoritaires. La principale justification à l’octroi d’une indépendance conditionnelle au Kosovo est que la Serbie n’est pas parvenue à réformer l’État yougoslave afin de prendre les droits des Kosovars en considération et que sa tentative ultérieure pour résoudre le problème par la force s’est retournée contre elle. Mais toute exception à la règle générale suivant laquelle les conflits ethniques doivent être résolus par la réforme de l’État et non par l’éclatement des États existants ou par la force a nécessairement des conséquences déstabilisatrices pour l’ordre international. La sécession du Kosovo rendra plus difficile les tentatives de médiation ailleurs et en particulier dans l’ex-Union soviétique. Une communauté mondiale divisée sur la question de l’indépendance du Kosovo aurait des conséquences plus nuisibles encore pour les tentatives de résolution d’autres conflits sécessionnistes. Nous ne pouvons qu’espérer que les délégations kosovar et serbe aux pourparlers sur le Kosovo et que les autres acteurs impliqués dans le processus de reconnaissance politique feront preuve de sagesse pragmatique dans leurs efforts pour parvenir à un compromis et éviteront la rhétorique intransigeante qui a guidé les conflits nationalistes aux cours des siècles passés.

Bien à vous,Bruno

Louis Sell versus Bruno Coppieters

Louis Sell

Tant que l’avenir du Kosovo demeurera incertain, les Albanais et les Serbes se tourneront vers leurs communautés respectives afin de renforcer leurs positions

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2�L’OTAN hier, aujourd’hui et demainRevuede l’OTAN

Cher Bruno,

La création d’une « administration de transition » efficace dans le Nord, comme la communauté internationale aurait dû le faire en 1999, serait une étape positive. Malheureusement, il est peu probable que cela survienne désormais, alors que la présence internationale diminue. Un régime spécial dans le Nord créerait, dès lors, un quasi-État serbe et une partition de-facto, en particulier parce que les dirigeants serbes extrémistes du Nord rejettent tout lien avec le Kosovo. Une partition du Kosovo exacerberait les problèmes autour de la ville divisée de Mitrovica, qui déborderaient probablement dans la vallée de Presevo, dans l’ex-République yougoslave de Macédoine*, voire même en Bosnie-Herzégovine.

La vengeance contre les Serbes du Kosovo en 1999 et les violents incidents de mars 2004 sont déplorables, de même que l’incapacité internationale à y mettre un terme. Mais les préoccupations légitimes pour les Serbes du Kosovo semblent aller de pair avec une amnésie historique. Pour comprendre pourquoi l’indépendance est si importante pour les Albanais, il suffit de se souvenir de l’histoire récente : la suppression violente et illégale de l’autonomie du Kosovo en 1989, la brutale occupation serbe de style apartheid dans les années 1990 et la campagne génocidaire serbe de 1999. Après la dissolution de la Yougoslavie en 1991, seule la force pouvait obliger le Kosovo à demeurer une partie de la Serbie. Une « réforme institutionnelle » est hors de propos à cet égard et il suffit de se souvenir de l’expérience des Albanais avec Belgrade pour en comprendre aisément la raison. Les principes douteux relatifs aux conflits ethniques ne peuvent davantage changer cette situation; à ce jour, le monde a reconnu cinq nouveaux États issus de l’ex-Yougoslavie et quinze issus de l’ex-Union soviétique. L’indépendance du Kosovo n’affectera pas les conflits en ex-Union soviétique, qui – comme celui au Kosovo – trouveront une solution basée sur des réalités locales.

Enfin, pour en revenir au point de départ de notre dialogue, j’aimerais souligner

qu’il n’existe qu’une seule solution qui puisse fonctionner au Kosovo et c’est celle de l’indépendance, dans un État démocratique respectant pleinement les droits de l’homme et des minorités de la totalité de la population. Toute autre option ne serait ni juste, ni stabilisatrice. C’est aussi simple que cela.

Bien à vous,Louis

Cher Louis,Nous sommes d’accord pour considérer que l’indépendance du Kosovo est la seule option applicable, mais nos avis divergent quant aux principes normatifs qui sous-tendent cette position. Vous faites valoir que les violences passées au Kosovo ont été le résultat du refus de reconnaître son indépendance et que les politiques d’oppression du gouvernement Milosevic ont démontré que seule la violence pourrait maintenir le Kosovo au sein de la Serbie. Je pense, par contre, que ces violences ont été le résultat de l’échec de la Serbie à réformer ses institutions d’État. De la sorte, la légitimité de l’indépendance du Kosovo ne repose que sur le refus serbe d’accorder des réformes démocratiques d’autonomie à la population kosovar, réformes qui auraient respecté le principe de l’intégrité territoriale, et sur les politiques d’oppression serbes. Nos divergences ne sont pas principalement liées au souvenir ou à l’oubli d’événements historiques particuliers, à l’ « amnésie historique » comme vous l’appelez, mais à des principes moraux.

Deuxièmement, nous ne sommes pas d’accord sur la mesure dans laquelle un compromis est nécessaire. Tant au niveau intérieur qu’international, des conditions très importantes devront être posées à l’exercice de la souveraineté du Kosovo. Elles sont nécessaires pour veiller aux droits des minorités et à un accord au sein des Nations Unies. Vous soulignez toutefois les conséquences potentiellement déstabilisatrices des solutions de compromis que j’ai mentionnées, telles que le risque de partition qui pourrait résulter d’un pouvoir fort accordé aux municipalités à majorité serbe.

Troisièmement, vous considérez que l’indépendance du Kosovo n’affectera pas d’autres conflits sécessionnistes et que ceux-ci se résoudront au cas par cas. Je pense, par contre, que le Kosovo constitue déjà et demeurera une importante référence pour tous les conflits sécessionnistes. Cela ne veut pas dire que la formule d’ « indépendance conditionnelle » sera utilisée pour résoudre un autre conflit, quel qu’il soit, mais bien que le Kosovo sera évoqué dans toutes les discussions portant sur des questions du même type. En conséquence, les pourparlers sur le Kosovo ne concernent pas le seul Kosovo. Ils doivent également résoudre le problème de savoir comment trouver une solution satisfaisante à un cas individuel de manière à ne pas saper la sécurité internationale au sens large.

Bien à vous,Bruno

Pour plus d’informations sur l’Uni-versité du Maine, voir www.umaine.edu

Pour plus d’informations sur la Vrije Universiteit Brussel, voir www.vub. ac.be/english/index.php

Louis Sell versus Bruno Coppieters

Bruno Coppieters

Des conditions très importantes devront être posées à l’exercice de la souveraineté du Kosovo

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2� L’OTAN hier, aujourd’hui et demainRevuede l’OTAN

Christian Schwarz-Schilling : dernier Haut représentant en Bosnie-Herzégovine

Interview

Revue de l’OTAN : Quels sont les plus grands défis auxquels la Bosnie-Herzégovine est confrontée ?

La Bosnie-Herzégovine doit devenir un État normal, avec des institutions qui fonctionnent pour assurer la primauté du droit et un gouvernement efficace à tous les citoyens du pays. La voie pour y parvenir est longue et complexe, et il y aura de nombreux obstacles à surmonter dans les années à venir. Les préparatifs pour une adhésion à terme à l’Union européenne offrent toutefois déjà une marche à suivre. Le défi consiste dès lors à suivre la voie tracée. La Bosnie-Herzégovine progresse désormais de concert avec ses voisins sur la voie de l’Europe. Elle a du retard par rapport à la majeure partie de la région, mais – avec de l’aide – elle pourrait avancer plus vite que d’autres pays. À l’avenir, la concurrence entre les pays de la région portera, avec un peu de chance, sur le rythme de l’ajustement aux structures européennes; elle sera donc positive et mutuellement profitable.

RO : Quelles sont vos priorités en tant que Haut représentant ?

L’économie doit constituer une priorité élevée. L’agriculture est à la base de l’économie et il sera important d’exploiter les possibilités d’exportation dans la région et au-delà, vers l’Union européenne. Il sera également important de promouvoir un meilleur climat pour les investissements étrangers directs en Bosnie-Herzégovine. Une deuxième priorité réside dans les négociations sur l’Accord de stabilisation et d’association avec l’Union européenne. J’espère que ces négociations pourront être finalisées d’ici la fin de cette année et qu’elles ne seront pas retardées ou n’avorteront pas en raison de problèmes tels qu’un manque de coopération avec le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie. Une troisième priorité consiste à préserver la dynamique réformatrice de ces dernières années, qui porte – par exemple – sur la poursuite des réformes constitutionnelles, de la police et de la défense. Une quatrième priorité enfin est l’éducation. Seul l’investissement dans l’éducation permettra aux jeunes Bosniaques d’acquérir les compétences leur permettant

Depuis le 1er février, Christian Schwarz-Schilling est le Haut représentant de la communauté internationale en Bosnie-

Herzégovine, responsable de la supervision du processus de paix bosniaque. En tant que dernier Haut Représentant, le

docteur Schwarz-Schilling est chargé de contrôler la transition entre le quasi-protectorat actuel et l’appropriation locale.

Il fermera ensuite le Bureau du Haut représentant et renoncera au large éventail de pouvoirs associés à cette fonction,

mais demeurera ensuite en Bosnie-Herzégovine, en qualité de Représentant spécial de l’Union européenne. Au cours

de la décennie qui a précédé sa nomination comme Haut représentant, le docteur Schwarz-Schilling, ancien industriel

et politicien, a travaillé dans toute la Bosnie-Herzégovine comme médiateur international. En 1992, il a démissionné

du gouvernement allemand, au sein duquel il avait été Ministre des Postes et Télécommunications à partir de 1982,

pour protester contre l’incapacité collective de l’Allemagne et de l’Europe à mettre un terme à la guerre en Bosnie-

Herzégovine. A partir de 1994 le docteur Schwarz-Schilling a présidé ou vice-présidé le Comité des droits de l’homme

et de l’aide humanitaire du Bundestag, jusqu’en 2002, date à laquelle il quitta ses fonctions parlementaires. En tant que

médiateur international, il a été le pionnier de la « médiation intégrative », qui met en œuvre des techniques novatrices

pour résoudre les problèmes dans les situations d’après conflit. Ces techniques sont aujourd’hui utilisées au Kosovo et

dans l’ex-République yougoslave de Macédoine*, sous les auspices du CSSProject, un programme créé par le docteur

Schwarz-Schilling et qui porte ses initiales.

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2�L’OTAN hier, aujourd’hui et demainRevuede l’OTAN

Interview

d’affronter le monde moderne et de décider de rester en Bosnie-Herzégovine, pour se construire une meilleure vie dans leur patrie plutôt que d’émigrer.

RO : Combien de temps pensez-vous conserver les vastes pouvoirs associés à la fonction de Haut représentant ?

Je conserverai ces pouvoirs jusqu’au moment où le Bureau du Haut représentant deviendra celui du Représentant spécial de l’Union européenne. Aucune date n’a encore été fixée pour la transition. Je n’entends toutefois avoir recours à ces pouvoirs que dans deux cas : s’il y avait une menace pour la paix et la sécurité ou une tentative pour saper le travail du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie. Si les autorités bosniaques tentent de saboter le processus de paix d’une manière ou de l’autre, je n’hésiterai pas à utiliser les pleins pouvoirs du Haut représentant.

RO : Lorsque l’on considère à quel point la Bosnie-Herzégovine dépend du soutien international, est-il réaliste d’espérer aujourd’hui que le pays puisse assurer son autonomie ?

Le soutien international est nécessaire et utile au redressement d’après conflit de la Bosnie-Herzégovine. Toutefois, ce sont les Bosniaques qui contribuent le plus à la reconstruction de leur pays. Sans les efforts des gens ordinaires et la bonne volonté, il n’aurait certainement pas été possible de parvenir au résultat que nous avons atteint. Je pense donc qu’il est réaliste de considérer que les Bosniaques sont capables d’assurer leur autonomie et que la communauté internationale devrait avoir davantage confiance en leurs capacités. Même si les Bosniaques ne prennent pas toujours les bonnes décisions, ils sont à même de tirer les enseignements de leurs erreurs et de convertir cette expérience en quelque chose de positif.

Mon optimisme repose sur mon expérience en tant que médiateur en Bosnie-Herzégovine. La seule façon de parvenir à un accord, c’est de faire preuve de beaucoup de patience – plus que n’en a habituellement la communauté internationale –, ainsi que de foi et de confiance dans les Bosniaques. Lorsqu’on considère que dix ans seulement se sont écoulés depuis la fin des hostilités, il est remarquable de constater l’ampleur de leur bonne volonté. Une décennie est une période bien courte dans le cadre de l’histoire européenne. Il a fallu beaucoup plus longtemps, par exemple, pour rétablir la confiance entre les pays d’Europe occidentale après la Deuxième Guerre mondiale.

RO : Quelles perspectives voyez-vous pour l’économie bosniaque et comment pouvez-vous promouvoir la croissance ?

La Bosnie-Herzégovine a désespérément besoin d’une meilleure réglementation de son marché, d’une réduction radicale de sa bureaucratie, d’incitants plus importants pour les investissements, de meilleures conditions pour les petites et moyennes entreprises, ainsi que d’une prise de conscience que l’État doit apporter son soutien à ces institutions et aux personnes qui créent des emplois et des richesses. Ces problèmes doivent

être résolus et il reste beaucoup de chemin à parcourir. La mise en œuvre des réformes permettra toutefois à l’économie de progresser et aux Bosniaques de constater les avantages de cette croissance. Il devrait alors être possible de créer un cercle vertueux de développement. Celui-ci renforcera à son tour le sentiment de bien-être et de sécurité parmi l’ensemble de la population, ce qui stimulera le processus de paix. Pour que cela arrive, il est cependant important que tous les Bosniaques, et pas seulement les citoyens de l’une ou de l’autre entité, se rallient au processus de réforme.

RO : Quelle importance revêt pour la Bosnie-Herzégovine l’arrestation et le jugement de Radovan Karadzic et Ratko Mladic ?

L’arrestation de ces individus et de tous les accusés est de la plus haute importance, car tant que les suspects les plus notoires de crimes de guerre ne seront pas derrière les barreaux, parler de la primauté du droit n’aura aucun sens. C’est seulement lorsque ces individus seront à La Haye et que le cycle de l’impunité sera vraiment brisé qu’il sera possible de prouver au Bosniaque de la rue qu’il vit dans un pays où tout le monde est égal devant la loi. L’arrestation et le jugement de Radovan Karadzic et de Ratko Mladic sont peut-être plus importants encore depuis la mort de Slobodan Milosevic. La disparition de ce dernier avant

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2� L’OTAN hier, aujourd’hui et demainRevuede l’OTAN

Interview

le prononcé du verdict a sapé l’impact potentiel de son procès sur le processus de cicatrisation en Bosnie-Herzégovine et dans l’ensemble des Balkans.

RO : Quelles sont les perspectives d’une adhésion de la Bosnie-Herzégovine au programme de Partenariat pour la paix de l’OTAN ?

Je souhaite que les négociations sur l’adhésion au PpP et sur un Accord de stabilisation et d’association avec l’Union européenne se déroulent parallèlement. Malheureusement, le fait que Ratko Mladic et Radovan Karadzic soient toujours en fuite, et peut-être même en Bosnie-Herzégovine, constitue un obstacle et retarde le début de ces négociations. Il est important que les politiciens de tous bords, y compris en Republika Srpska, prouvent qu’ils consentent à faire le nécessaire pour placer leur pays sur la voie de l’intégration européenne et euro-atlantique. J’espère fermement que la Bosnie-Herzégovine sera invitée à adhérer au programme de Partenariat pour la paix lors du Sommet de l’Alliance qui se tiendra à Riga, à la fin de l’année.

RO : Comment envisagez-vous l’évolution des relations de la Bosnie-Herzégovine avec l’Union européenne ?

Les négociations qui se déroulent actuellement avec la Commission européenne sur un Accord de stabilisation et d’association (ASA) constituent une première étape importante. Leur aboutissement sera un événement déterminant, mais ne doit être considéré que comme le début d’un long processus potentiellement ardu. La Bosnie-Herzégovine ne peut envisager de rester à ne rien faire, ni attendre que l’Europe accomplisse tout le travail. Elle devra adapter ses structures et procédures pour les aligner sur les normes et les standards européens. Les années à venir seront cruciales. Si la Bosnie-Herzégovine traîne les pieds et ne procède pas aux réformes nécessaires, elle risque de laisser passer la chance qui lui est offerte.

L’Union européenne pourrait, cependant, se montrer plus accommodante dans plusieurs domaines. C’est ainsi, par exemple, que le régime des visas entre la Bosnie-Herzégovine et l’Union européenne devrait être assoupli. Á l’heure actuelle, même les Bosniaques qui ont des parents dans un pays de l’UE éprouvent des difficultés à obtenir un visa pour les visiter. L’intégration doit être bidirectionnelle et accroître les contacts au bénéfice de toutes les parties. J’aimerais assister à la levée de nombreuses restrictions de circulation, afin de permettre aux Bosniaques – qu’ils aient de la famille dans l’Union européenne, présentent des compétences professionnelles ou soient étudiants ou professeurs d’université – d’entrer et de sortir facilement de l’Union européenne. Ce problème doit être résolu rapidement, en raison du statut de la population croate de la Bosnie-Herzégovine. Comme les Croates bosniaques ont également le droit d’obtenir des passeports croates, ils pourront bientôt se rendre librement

dans l’Union européenne, à la différence des populations musulmanes et serbes de la Bosnie-Herzégovine.

RO : Comment envisagez-vous votre futur rôle en tant que Représentant spécial de l’UE ?

Le rôle intrusif joué par le Haut représentant s’achèvera et les politiciens bosniaques devront assumer l’appropriation du processus de paix et, avec lui, la responsabilité de leurs actes, réussites et échecs. En tant que Représentant spécial de l’UE, j’entends être – intérieurement et extérieurement – un « facilitateur » du processus au terme duquel la Bosnie-Herzégovine s’intégrera à l’Europe.

Intérieurement, j’espère accomplir cette tâche en fournissant aux Bosniaques des conseils et un appui, en termes de compétences et d’expertise professionnelles, , pour les aider dans leurs négociations. Qui plus est, je chercherai à les convaincre de la nécessité d’adopter des mesures qui seront souvent impopulaires. À cette fin, le premier outil à ma disposition sera mon pouvoir de

persuasion. Je me tournerai en outre également vers la société civile bosniaque, afin de bénéficier de son aide. J’espère d’ailleurs que cette société civile bosniaque deviendra un puissant lobby pour l’intégration européenne.

Extérieurement, je conçois ma tâche comme un rôle visant à promouvoir la Bosnie-Herzégovine à l’étranger, dans l’Union européenne et au-delà, et à veiller à ce que le pays reçoive dans les prochaines années l’aide dont il a besoin. La poursuite du soutien international est essentielle, non seulement pour la Bosnie-Herzégovine, mais aussi pour l’ensemble de la région des Balkans

et pour l’Europe. Il est en effet dans l’intérêt de tous que le pays devienne un exemple de stabilité en Europe, plutôt qu’un trou noir à la périphérie européenne.

En tant que Représentant spécial de l’UE, j’ai également l’intention de mettre en place des mécanismes pour préserver les liens avec les Etats-Unis et d’autres États n’appartenant pas à l’Union, comme le Canada, le Japon, la Russie et la Turquie, qui jouent un rôle important et sont donc parties prenantes dans le processus de paix bosniaque. Cela est important, car ces pays ont joué un rôle déterminant dans le processus de paix jusqu’à présent, par le biais de leur représentation dans le Conseil de mise en œuvre de la paix supervisant l’application des Accords de paix de Dayton et au niveau du Bureau du Haut représentant. Lorsque l’Union européenne prendra en charge le processus de paix, l’influence de ces pays diminuera. Je veux être sûr qu’ils maintiendront leur engagement, en raison de la crédibilité dont ils disposent auprès des Bosniaques et de la contribution qu’ils peuvent apporter pour l’avenir de la Bosnie-Herzégovine.

Pour plus d’informations sur le Bureau du Haut représentant, voir www.ohr.int

Les politiciens bosniaques devront

assumer l’appropriation du processus de paix et, avec lui, la responsabilité

de leurs actes, réussites et échecs

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2�L’OTAN hier, aujourd’hui et demainRevuede l’OTAN

Interview

Hikmet Çetin : notre représentant à Kaboul Hikmet Çetin est le Haut représentant civil de l’OTAN en Afghanistan. A ce titre, il représente le visage politique de l’Alliance

sur le terrain. Nommé en novembre 2003, il est basé à Kaboul depuis janvier 2004. Cet économiste de formation est parti pour

l’Afghanistan après une longue et brillante carrière politique en Turquie. En plus d’un quart de siècle de présence au parlement,

M. Çetin a rempli un certain nombre de hautes fonctions, dont celles de ministre des Affaires étrangères, de vice-Premier

ministre et de président du parlement.

Revue de l’OTAN : Quel rôle jouez-vous en qualité de Haut représentant civil de l’OTAN en Afghanistan et comment interagissez-vous avec le commandant de la FIAS ?

Hikmet Çetin : Je représente l’OTAN en Afghanistan et ma tâche consiste à promouvoir l’ordre du jour politique et militaire de l’Alliance. Mon mandat consiste également à entretenir des liens étroits avec les autres organisations internationales, notamment la Mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan, ainsi qu’à établir la liaison avec le gouvernement afghan, les autres acteurs politiques et, en cas de nécessité, avec les pays voisins. À ce jour, j’ai collaboré avec six commandants de la FIAS successifs et cela a été un plaisir de travailler avec chacun d’eux. Nos responsabilités sont complémentaires et nous nous rencontrons régulièrement pour faire le point et/ou nous consulter. Comme nous travaillons dans le même bâtiment, cette proximité physique contribue à la qualité de nos communications et de notre coordination.

RO : Est-il important pour l’OTAN de jouer un rôle politique dans les régions en crise où ses forces sont déployées ?

HÇ : Je pense que c’est extrêmement important. La réussite de la gestion d’une crise ne peut être assurée uniquement par des moyens militaires. La seule manière de gérer efficacement un conflit et de mettre en place des solutions durables consiste à adopter une approche complète et polyvalente, qui fait appel à tous les instruments possibles et qui offre, en particulier, une dimension politique. C’est notamment le cas en Afghanistan, où l’un de nos objectifs consiste à aider le gouvernement à étendre son autorité à l’ensemble du pays. Nous apportons d’ailleurs actuellement notre aide pour le rétablissement d’institutions qui ne fonctionnent plus dans ce pays depuis trente ans.

De nombreuses autres activités politiques contribuent également à l’édification de solutions durables. C’est ainsi, par exemple, que le développement des relations avec les pays voisins exige un engagement politique et qu’il est essentiel à la fois pour la réussite de la mission de l’OTAN et pour l’avenir de l’Afghanistan. Par ailleurs, le processus politique gagne en importance au fur et à mesure que se poursuit l’opération militaire. Plus les Afghans assument une responsabilité croissante dans ce processus, plus le rôle politique de l’Alliance est appelé à s’intensifier.

RO : Comment les Afghans considèrent-ils la présence militaire étrangère dans leur pays ? Vous sentez-vous bien accueilli ?

HÇ : Historiquement, les Afghans ont toujours très mal perçu et combattu les diverses armées étrangères qui ont cherché à occuper leur pays. Ils sont toutefois conscients que l’OTAN est présente en Afghanistan à l’invitation du gouvernement afghan, afin d’apporter son aide à la reconstruction de leur pays. Nous ne sommes pas ici pour occuper leur pays. Nous n’avons pas l’intention d’essayer de gouverner l’Afghanistan. Et notre présence ici se justifie par un mandat du Conseil de sécurité des Nations Unies. L’OTAN et la FIAS consentent de nombreux efforts pour s’attirer la sympathie des citoyens afghans et elles y réussissent dans une très large mesure.

Lors de tous mes contacts avec des Afghans, dans la rue et dans les campagnes, avec des dirigeants politiques ou des responsables du gouvernement, je cherche à expliquer la raison de notre présence, ce que nous faisons et comment nous pouvons les aider. Je demande également aux Afghans d’aider les militaires, pour que ceux-ci puissent à leur tour les aider. J’apprécie d’ailleurs énormément le soutien du peuple afghan, qui fait tout ce que la communauté internationale lui demande.

RO : Quels sont les principaux défis pour la sécurité auxquels l’Afghanistan est actuellement confronté ?

HÇ : D’importants progrès ont été réalisés en Afghanistan dans le domaine de la sécurité depuis quelques années. De graves défis subsistent cependant. Nous sommes aujourd’hui confrontés à une insurrection qui s’élargit, en particulier dans le Sud et l’Est du pays. Qui plus est, les insurgés modifient leurs tactiques. Les talibans et d’autres forces militaires hostiles focalisent leurs attaques sur des cibles «faiblement protégées», afin de maximaliser l’attention des médias à un coût minimal. En plus de s’en prendre à l’armée et à la police nationales afghanes, ils visent des civils et des cibles civiles, tels que des professeurs et des écoles. Les insurgés collaborent également de plus en plus avec des trafiquants de drogue et des groupes criminels : les talibans forcent ainsi les paysans à cultiver du pavot pour produire de l’opium et s’adjugent une part de la récolte en retour de leur protection. Un autre défi essentiel consiste à assurer la sécurité frontalière. Les frontières de l’Afghanistan sont en effet extrêmement longues et comptent notamment 2 500 kilomètres avec

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�0 L’OTAN hier, aujourd’hui et demainRevuede l’OTAN

le Pakistan et quelque 1 000 kilomètres avec l’Iran. La seule manière d’assurer la sécurité frontalière consiste à veiller à la coordination, des deux côtés de la frontière, des opérations de contre-insurrection, comme – par exemple – en Afghanistan et au Pakistan. Comme tous les pays de la région sont confrontés à des menaces similaires, il sera important que chacun d’eux et la FIAS/l’OTAN collaborent pour mettre en place des réponses communes.

RO : Quelle est votre évaluation des perspectives de consolidation de l’État en Afghanistan après l’achèvement du processus de Bonn ?

HÇ : Les quatre ans et demi qui se sont écoulés depuis que les factions afghanes se sont réunies, en décembre 2001, pour lancer le processus de Bonn ne représentent qu’une période très brève dans la vie d’un pays. De formidables progrès ont néanmoins été enregistrés au cours de cette période, notamment en matière de consolidation de l’État. En 2001, l’Afghanistan n’avait ni président, ni gouvernement, ni parlement, ni constitution. Les Afghans ont aujourd’hui un président, pour la première fois élu par un vote populaire; ils ont également une constitution, un parlement élu et un gouvernement qui fonctionne.

Lors de l’arrivée à terme du processus de Bonn, une conférence s’est tenue à Londres, afin d’établir l’agenda des cinq prochaines années pour l’Afghanistan. À la Conférence de Londres, un document intitulé l’ « Afghanistan Compact » a été signé entre le gouvernement afghan et la communauté internationale. La soixantaine de pays et d’organisations internationales qui étaient présents ont renouvelé leur engagement envers l’Afghanistan, tout en promettant d’allouer 10,5 milliards de dollars supplémentaires à la reconstruction du pays. Il s’agit-là d’une somme importante et généreuse. En raison de l’ampleur des besoins de l’Afghanistan, elle n’est cependant pas suffisante. Nous devrons tenter de rendre cette aide aussi efficace que possible, car nous ne parviendrons pas à établir la paix, la stabilité et la sécurité en l’absence d’un développement économique et social. L’Afghanistan est l’un des pays les plus pauvres au monde et il continuera à avoir besoin de l’aide internationale durant de nombreuses années encore.

RO : De quelle manière la FIAS et l’OTAN peuvent-elles contribuer au mieux à la stabilisation de l’Afghanistan ?

HÇ : La FIAS et l’OTAN cherchent à apporter la sécurité et la stabilité à l’Afghanistan. Cette politique repose sur l’extension graduelle de l’autorité du gouvernement afghan à l’ensemble du pays. Nous devons contribuer à convaincre l’ensemble des Afghans qu’ils ont tout intérêt, à long terme, à soutenir le gouvernement plutôt que les insurgés. Pour ce faire, nous devons apporter notre concours pour apporter une sécurité de base à la population, car c’est seulement lorsque l’Afghan moyen se sentira en sécurité qu’il osera déclarer son allégeance à Kaboul.

La mission de l’OTAN en Afghanistan est extrêmement difficile. Nous devons concentrer nos ressources militaires et notre assistance financière pour séduire le peuple afghan. Si nous ne séduisons pas l’ensemble des Afghans, nous ne parviendrons pas à stabiliser le pays. La sympathie et le soutien des Afghans sont absolument essentiels pour la réussite de la mission de la FIAS. Qui plus est, je

suis fier de constater que les pays fournissent la formation nécessaire à leurs troupes pour les aider à interagir efficacement avec la population afghane. Pour être vraiment efficace, l’opération militaire doit cependant être coordonnée avec les efforts de reconstruction de la communauté internationale. Dans les années à venir, le développement des forces de sécurité afghanes sera crucial pour la stabilité du pays. Il convient toutefois de se rendre compte qu’il n’est pas possible de mettre sur le terrain, du jour au lendemain, des soldats et des policiers bien formés et efficaces. À l’heure actuelle, les efforts pour recruter des volontaires pour l’armée et la police nationales afghanes sont couronnés de succès en termes d’effectifs. Le problème réside toutefois dans la qualité, pas dans la quantité. Pour le résoudre, davantage de formation et d’équipements sont nécessaires. Notre objectif à long terme consiste à mettre en place des forces de sécurité capables de se prendre en charge et d’assumer la responsabilité qui consiste à répondre aux besoins de leur pays en matière de sécurité.

RO : Dans quelle mesure l’OTAN doit-elle soutenir les efforts de lutte contre les stupéfiants en Afghanistan ?

HÇ : La lutte contre les stupéfiants constitue sans doute le principal défi auquel l’Afghanistan est confronté. À moins qu’une solution y soit trouvée, nous ne pouvons espérer résoudre le problème de la situation sécuritaire au sens large dans le pays. Parallèlement cependant, il s’agit d’une question extrêmement complexe, dont les dimensions dépassent la sécurité pour concerner le cœur de l’économie nationale. Comme la culture du pavot représente le moyen de subsistance de nombreux paysans afghans, il faut prendre beaucoup de précautions pour aborder ce problème.

En matière d’efforts internationaux visant à combattre la menace de la drogue, c’est le Royaume-Uni qui se trouve à la pointe. Ceci étant, la FIAS/l’OTAN et les divers Alliés de l’Alliance ne procèdent pas à des opérations d’éradication, étant donné que les efforts de lutte contre les stupéfiants incombent aux autorités afghanes. Nous ne pouvons, dès lors, qu’apporter notre assistance. Le soutien offert au gouvernement afghan pour lutter contre les stupéfiants fait d’ailleurs partie du mandat de la FIAS. Nous aidons à la mise en place de procédures de commandement et de contrôle pour une coordination efficace des liaisons, nous soutenons la campagne d’information contre les stupéfiants et nous assurons la formation des forces de sécurité afghanes en matière de lutte contre les stupéfiants. Nous fournissons également un soutien logistique à divers organismes antidrogues internationaux et nous appuyons les opérations du gouvernement afghan dans ce domaine, grâce à nos capacités de renseignement et de surveillance. Nous espérons, à terme, contribuer à l’édification de forces de sécurité afghanes capables de mener à bien ces programmes sans aide extérieure.

Comme la dimension économique du problème de la drogue en Afghanistan revêt une telle importance, il convient également d’aider les paysans afghans à trouver des moyens de subsistances alternatifs. Pour cette raison, les Alliés de l’OTAN doivent être prêts à soutenir l’Afghanistan financièrement et à investir dans des programmes qui rendent cette transition possible.

Interview

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�1L’OTAN hier, aujourd’hui et demainRevuede l’OTAN

RO : Certaines organisations non gouvernementales critiquent le concept des Équipes de reconstruction provinciale (PRT), car elles considèrent qu’il estompe la différence entre activités civiles et militaires. Dans quelle mesure les soldats doivent-ils être impliqués dans la reconstruction ?

HÇ : Le concept des PRT est conçu pour inclure des éléments civils et militaires de manière à maximaliser les efforts de la communauté internationale et à répondre aux besoins des provinces où les équipes sont en place. Il convient impérativement que les acteurs militaires et civils collaborent efficacement pour que la réussite soit au rendez-vous en Afghanistan. Les conditions sont cependant différentes dans chacune des provinces afghanes et l’équilibre entre les éléments militaires et civils au sein des PRT doit répondre aux besoins locaux. Dans certaines provinces, la situation sécuritaire est telle que les PRT doivent se focaliser sur la sécurité et la composante militaire est donc plus importante. C’est ainsi, par exemple que, dans la province de Helmand, dans le sud du pays, la situation sécuritaire est relativement précaire. Le composant militaire prédomine donc sur son homologue civil.

Les conditions diffèrent, mais l’objectif ultime est le même dans toutes les provinces : il consiste à établir des conditions stables, qui permettront à Kaboul d’étendre son autorité et qui favoriseront le processus de reconstruction. Comme nous sommes en Afghanistan pour aider le peuple afghan, les gens des villes et des campagnes attendent énormément de l’aide à la reconstruction, c’est-à-dire du travail des composants civils des PRT. Ceux-ci collaborent avec des représentants de tous les niveaux du gouvernement, y compris les conseils provinciaux, pour identifier les projets permettant de contribuer à la reconstruction du pays.

RO : À quel rythme progresse l’expansion de la FIAS dans le sud de l’Afghanistan ? Quels sont les principaux défis auxquels vous êtes confrontés ?

HÇ : L’expansion dans le sud de l’Afghanistan constitue probablement l’opération sur le terrain la plus difficile entreprise par l’OTAN. Des préparatifs sont en cours et l’expansion se déroulera cet été. Les Alliés de l’OTAN déploient d’ores et déjà des forces dans la région. Les pays impliqués se préparent pour le transfert d’autorité et collaborent avec les instances responsables pour assurer une transition sans à-coups.

Comme les structures et les capacités ne sont pas les mêmes, certains ajustements seront nécessaires. L’OTAN renforce les effectifs de ses structures actuelles dans le sud et sa présence y sera donc plus visible. La FIAS/OTAN prendra le commandement et assumera le contrôle dans cette région à la fin juillet. Les préparatifs se poursuivent et il existe une bonne coopération entre l’OTAN et l’Opération Enduring Freedom sur le terrain. Les insurgés tentent de mettre à l’épreuve la résolution de l’OTAN et de dissuader les Alliés contributeurs de troupes de déployer des forces. Ils semblent penser qu’ils peuvent y parvenir en menant des attaques soigneusement ciblées, parce que nous sommes des démocraties. Il est un fait que les Alliés discutent de ces questions au sein de leurs parlements respectifs et

que l’opinion publique n’y reste pas indifférente. L’OTAN s’est cependant engagée à aider l’Afghanistan et elle a clairement fait savoir que la FIAS constitue la toute première priorité à son ordre du jour.

Tout le monde est conscient que l’Alliance sera confrontée à des situations difficiles et qu’elle devra, si nécessaire, recourir à la force dans le sud du pays. Rien ne dissuadera toutefois l’OTAN. Sa résolution est inébranlable et les pays contributeurs de troupes déploient des forces dans le sud sans pratiquement imposer aucune restriction ou condition à la manière dont elles opèrent. L’OTAN est plus déterminée que jamais à faire tout ce qui est nécessaire dans le sud de l’Afghanistan.

RO : En dépit de l’expansion de la FIAS et de la synergie croissante entre la FIAS et l’Opération Enduring Freedom, les deux missions demeurent distinctes. Comment ces relations sont-elles censées évoluer ?

HÇ : Il existe déjà une excellente synergie entre la FIAS et l’Opération Enduring Freedom, et cette situation devrait encore s’améliorer avec l’expansion de la FIAS. Une fois celle-ci réalisée, les deux missions relèveront d’un seul commandant de l’OTAN. De la sorte, il y aura toujours deux organisations, avec deux missions différentes et distinctes, se déroulant sur le même théâtre d’opérations. Cela peut paraître étrange, mais n’a rien d’inhabituel en termes militaires. Si les mandats des deux opérations demeurent différents, il y aura une fusion graduelle de certaines fonctions, ce qui devrait contribuer à intensifier la synergie et à augmenter l’efficacité des deux opérations.

RO : L’OTAN et l’Afghanistan mettent actuellement en place un programme spécial de coopération. Quelle est sa raison d’être et qu’implique-t-il ?

HÇ : En septembre 2005, le président afghan Hamid Karzaï a écrit au Secrétaire général l’OTAN pour lui demander l’établissement d’un « bon partenariat stratégique». Cela s’explique par le fait que l’OTAN est importante pour l’Afghanistan et que l’Afghanistan est important pour l’OTAN. Comme l’Alliance mène déjà une série de programmes de partenariat, incluant le Partenariat pour la paix, le Conseil OTAN-Russie, la Commission OTAN-Ukraine, le Dialogue méditerranéen et l’Initiative de coopération d’Istanbul, de nombreux outils existants peuvent s’avérer utiles pour un partenariat avec l’Afghanistan. Le contenu du programme fait encore l’objet de discussions, mais il est clair que l’Afghanistan désire des relations à long terme avec l’OTAN, le développement de l’interopérabilité entre les forces afghanes et de l’Alliance, ainsi que l’accueil de personnel militaire afghan dans les centres de formation de l’OTAN. L’Afghanistan souhaite veiller à ce que la communauté internationale ne l’abandonne pas. Bien que les vingt-six Alliés de l’OTAN doivent s’accorder sur la nature du partenariat, j’ai bon espoir que nous parviendrons à un accord dans l’intérêt de l’Afghanistan et de l’OTAN.

Interview

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TAN

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�2 L’OTAN hier, aujourd’hui et demainRevuede l’OTAN

E n un peu plus d’une décennie, l’OTAN est passée du stade d’une Alliance focalisée sur les plans de circonstance pour une guerre de haute intensité en Europe centrale

à celui d’une organisation hautement opérationnelle, confrontée à une série éclectique de missions. Les Alliés et Partenaires de l’OTAN sont aujourd’hui déployés dans diverses opérations dirigées par l’Alliance sur trois continents : en Afrique, en Asie et en Europe. Cette multiplication des engagements démontre la volonté et l’aptitude de l’Alliance à répondre aux menaces pour la sécurité, où qu’elles se situent.

Au lieu de constituer, comme certaines analystes le redoutaient, une organisation à la recherche d’une identité, l’OTAN est désormais confrontée au choix des missions qu’elle peut accepter face à un flot soutenu d’exigences opérationnelles et autres. Ce climat opérationnel dynamique a été et continue d’être un moteur de réforme pour l’ensemble de la structure de l’Alliance. La nécessité d’équiper l’OTAN pour ces opérations est d’ailleurs au cœur de la transformation en cours de l’Alliance. Comme l’a déclaré le Secrétaire général Jaap de Hoop Scheffer « nos forces doivent être capables de réagir rapidement, et pouvoir être déployées sur de longues distances et sur une longue période ».

Le caractère opérationnel acquis par l’Alliance en une période relativement brève est en tous points remarquable. Il est un fait que les progrès ne se sont pas toujours déroulés sans à-coups et que les débats ont parfois été animés. Ce changement d’orientation a exigé un considérable pragmatisme, des improvisations fréquentes et une réforme de grande ampleur. Qui plus est, il est survenu à une époque de nouvelles adhésions, au cours de laquelle les nouveaux membres ont apporté des perspectives, des capacités et une énergie nouvelles à l’Alliance. Dès le début, le processus est allé de pair avec une courbe d’apprentissage prononcée, accompagnée d’un rythme de changement toujours plus soutenu.

Les initiatives pour modifier l’OTAN en fonction des missions qu’elle sera susceptible d’entreprendre dans les prochaines années incluent la mise sur pied de la Force de réaction de l’OTAN (NRF), des initiatives en vue de conférer un rôle plus politique à l’Alliance,

en particulier dans les régions où ses forces sont déployées, et des mesures pour établir des partenariats toujours plus étroits avec des pays non-membres et d’autres organisations internationales.

La violence dans les Balkans, catalyseur du changement

L’intervention de l’OTAN en Bosnie-Herzégovine au cours de l’été 1995 a constitué un tournant pour l’Alliance. Initialement, l’OTAN s’est impliquée dans la guerre en Bosnie pour soutenir les Nations Unies dans l’application de sanctions économiques, d’un embargo sur les ventes d’armes et d’une zone d’interdiction aérienne, tout en fournissant des plans de circonstance militaires. Ces mesures ont contribué à modérer le conflit et à épargner des vies, mais se sont révélées inadéquates pour mettre un terme à la guerre. La campagne aérienne de douze jours menée par l’OTAN a par contre ouvert la voie aux Accords de Dayton marquant la fin de la guerre en Bosnie. Aux termes de ces accords, qui sont entrés en vigueur le 20 décembre 1995, l’OTAN a pour la première fois déployé des soldats de la paix, en dirigeant une Force multinationale de mise en œuvre (IFOR), forte de 60 000 hommes.

Le déploiement de l’IFOR, incluant des soldats de pays alliés et n’appartenant pas à l’OTAN, a constitué le premier engagement militaire terrestre majeur de l’Alliance au niveau opérationnel et a considérablement contribué au remodelage de son identité de l’après-Guerre froide. Le processus d’adaptation et d’apprentissage s’est révélé évident dans la manière dont a évolué le maintien de la paix en Bosnie-Herzégovine, d’abord assuré par l’IFOR, puis par la Force de stabilisation (SFOR) de l’OTAN, tout en fournissant des enseignements essentiels pour le déploiement au Kosovo de la Force internationale dirigée par l’OTAN (KFOR), en juin 1999.

Comme toujours, la réussite militaire en Bosnie-Herzégovine a été étroitement liée à celle des programmes civils internationaux. L’effort global de renforcement de la paix devait constituer un succès pour générer les conditions d’une paix stable et durable. Cette réalité a contribué à l’établissement de liens plus étroits entre la force internationale de sécurité et son homologue civil, le Bureau du Haut représentant. Au moment du déploiement de la KFOR, ces enseignements avaient déjà été tirés et se sont reflétés dans le mandat conféré d’emblée à la Force et dans les relations de coopération qui se sont créées entre la KFOR et la Mission d’administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo (MINUK).

James Pardew et Christopher Bennett s’intéressent à l’évolution de la focalisation de l’OTAN sur les opérations, ainsi qu’aux défis qui attendent l’Alliance.

James Pardew est Vice-secrétaire général adjoint et Directeur des opérations à la Division Opérations de l’OTAN. Christopher Bennett est le Rédacteur en chef de « La Revue de l’OTAN ». Cet article est déjà paru dans la version électronique de l’édition Printemps 2006 de « La Revue de l’OTAN ».

L’évolution des opérations de l’OTAN

Opérations

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��L’OTAN hier, aujourd’hui et demainRevuede l’OTAN

Après une campagne aérienne de 78 jours, l’OTAN a déployé une force de 50 000 hommes afin de fournir un environnement sûr et sécurisé à l’administration des Nations Unies au Kosovo. La décision d’intervention sans mandat des Nations Unies – à l’origine de l’un des débats les plus controversés dans l’histoire de l’Alliance – a été prise après plus d’un an de combats au Kosovo et l’échec des efforts diplomatiques pour résoudre le conflit, à l’origine d’une crise humanitaire menaçant de dégénérer en une sorte de campagne de nettoyage ethnique comparable à celles auxquelles on avait précédemment assisté en Bosnie-Herzégovine et en Croatie.

La victoire militaire n’a constitué que la première étape sur la longue voie de l’édification d’une société multiethnique durable, libérée de la menace d’un retour au conflit. De la sorte, en plus d’aider à préserver un environnement sécurisé, les forces dirigées par l’OTAN en Bosnie-Herzégovine et au Kosovo ont été activement impliquées dans l’aide au retour dans leurs foyers des réfugiés et des personnes déplacées, dans la recherche et l’arrestation des personnes accusées de crimes de guerre et dans l’aide à la réforme des structures militaires intérieures pour prévenir un retour des violences – autant de tâches exigeant un engagement à long terme.

Il aura fallu près de trois ans et demi d’effusions de sang en Bosnie-Herzégovine et une année de combats au Kosovo avant une intervention de l’OTAN pour mettre un terme à ces conflits. Au printemps 2001 cependant, l’Alliance s’est impliquée, à la demande des autorités de Skopje, dans un effort visant à désamorcer un conflit en voie d’intensification dans l’ex-République yougoslave de Macédoine*. A cette occasion, l’OTAN a, pour la première fois, nommé un diplomate de haut rang dans une zone de conflit pour la représenter sur le terrain et agir en qualité d’envoyé personnel du Secrétaire général.

La création ad hoc d’une représentation civile de l’OTAN à un tel échelon n’avait jamais été envisagée à l’époque de la Guerre froide. Qui plus est, le rôle du Haut représentant civil allait bien au-delà de celui des conseillers politiques intégrés aux commandements militaires lors d’opérations précédentes.

Dans l’ex-République yougoslave de Macédoine*, le haut représentant civil a dirigé une équipe de gestion de crise, dépêchée sur place pour négocier un cessez-le-feu avec l’Armée de libération nationale (ALN), un groupe armé de rebelles de souche albanaise. Collaborant étroitement avec les représentants de l’Union européenne, de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe et des Etats-Unis, l’équipe est parvenue à persuader l’ALN d’accepter un cessez-le-feu et d’accorder son soutien au processus en cours de négociations politiques. Ces pourparlers de l’OTAN ont complété l’Accord cadre aux

termes duquel l’OTAN a déployé des forces, initialement pour superviser le désarmement de l’ALN, puis pour aider à renforcer la confiance.

Après ce premier envoi d’un représentant politique sur un théâtre opérationnel, l’OTAN a par la suite assigné un haut représentant civil à la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS) en Afghanistan et au Pakistan, dans le cadre des opérations de secours humanitaire en 2005.

L’OTAN a transféré la responsabilité de son opération dans l’ex-République yougoslave de Macédoine* à l’Union européenne en avril 2003, tout en conservant un quartier général militaire dans le pays pour aider les autorités de Skopje à réformer la défense et à se préparer à une adhésion à l’Alliance. De même, en Bosnie-Herzégovine, l’OTAN a transféré la responsabilité de la sécurité au quotidien à l’Union européenne en décembre 2004, tout en conservant sur place un quartier général militaire se focalisant sur la réforme de la défense et la préparation du pays à son adhésion au Partenariat pour la paix. Parallèlement, l’OTAN a encore 17 000 hommes affectés à la KFOR, qui demeure la plus importante opération de l’Alliance. (Pour plus d’informations sur les opérations de l’OTAN en ex-Yougoslavie, voir l’article « L’approfondissement des relations » de Gabriele Cascone et Joaquin Molina.)

Les événements depuis le 11 septembre

Depuis les attaques terroristes du 11 septembre 2001 contre les États-Unis, les capacités opérationnelles et de gestion de crises de l’OTAN sont de plus en plus sollicitées. Bien qu’elle n’ait pas directement contribué à Enduring Freedom, l’opération destinée à chasser les talibans et al-Quaïda d’Afghanistan au lendemain

Opérations

Des forces sans cesse plus faciles à déployer : alors que la demande pour le genre d’opérations dans lequel l’OTAN se spécialise s’accroît, les Alliés doivent décider si, où et quand s’impliquer, notamment de l’opportunité de déployer la NRF

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�� L’OTAN hier, aujourd’hui et demainRevuede l’OTAN

du 11 septembre, l’OTAN a fourni des avions AWACS (Système aéroporté de détection et de contrôle) aux Etats-Unis, afin de libérer des ressources américaines pour cette campagne, tout en lançant à cette époque Active Endeavour, une opération toujours en cours avec, pour objectifs, de détecter et de décourager les activités terroristes en Méditerranée et de s’en protéger. Qui plus est, l’OTAN a par la suite été fréquemment sollicitée pour déployer des avions AWACS lors de réunions internationales majeures, tels que les Jeux olympiques d’Athènes et de Turin et les Coupes d’Europe et du monde de football.

Les trois premières opérations de soutien de la paix de l’OTAN se sont déroulées en Europe, mais la nécessité d’un renforcement de la paix à long terme est mondiale. Les ministres des Affaires étrangères de l’Alliance l’ont reconnu lors d’une réunion à Reykjavik, en Islande, en mai 2002, en stipulant que « pour accomplir la gamme complète de ses missions, l’OTAN doit pouvoir aligner des forces capables de se déployer rapidement partout où elles sont nécessaires, de mener des opérations soutenues, à longue distance et dans la durée, et de réaliser leurs objectifs ». Cette décision a concrètement ouvert la voie au premier déploiement de l’Alliance en dehors de la zone euro-atlantique, en Afghanistan. L’OTAN s’est depuis lors impliquée en Iraq et au Darfour (Soudan).

Depuis le mois d’août 2003, l’Alliance dirige la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS), mandatée par les Nations Unies et chargée de contribuer à assurer la sécurité dans la ville de Kaboul, capitale de l’Afghanistan, et ses alentours, pour soutenir l’Autorité intérimaire afghane et la Mission d’assistance des Nations Unies pour l’Afghanistan. La FIAS apporte également son aide dans l’établissement de structures sécuritaires fiables, l’identification des besoins de reconstruction, ainsi que la formation et la mise sur pied des futures forces de sécurité afghanes.

En octobre 2003, une nouvelle résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies a ouvert la voie à l’extension de la mission de la FIAS au-delà de Kaboul, afin d’aider le gouvernement afghan à étendre son autorité au reste du pays et de fournir un environnement sûr et sécurisé propice à des élections libres et équitables, à la généralisation de la primauté du droit et à la reconstruction du pays. Depuis lors, l’OTAN étend régulièrement sa présence via la création des Équipes de reconstruction provinciale (PRT), des équipes internationales associant personnel civil et militaire.

La FIAS dispose actuellement de quelque 9 000 hommes en Afghanistan, qui assurent la sécurité sur près de la moitié du territoire afghan, par le biais de neuf PRT dans le Nord et l’Ouest du pays. Au cours des prochains mois, l’OTAN accroîtra davantage encore sa présence dans le Sud du pays, en déployant 6 000 hommes supplémentaires, ce qui portera le total des effectifs à quelque 15 000 hommes. (Pour plus d’informations sur l’opération

dirigée par l’OTAN en Afghanistan, voir l’article « Renforcer lastabilité en Afghanistan » de Mihai Carp.)

Depuis peu de temps après le Sommet d’Istanbul en juin 2004, l’OTAN forme du personnel iraquien en Iraq et soutient le développement des institutions de sécurité pour aider le pays à mettre en place des forces armées efficaces capables d’assurer sa propre sécurité. L’Alliance a également contribué à la création du Collège interarmées de défense iraquien près de Bagdad, qui se consacre essentiellement à la formation d’officiers et coordonne les donations d’équipements à l’Iraq.

Avec l’Union européenne, l’OTAN aide depuis juin 2005 l’Union africaine (UA) à étendre sa mission de maintien de la paix au Darfour. L’Alliance assure le transport aérien de soldats de la paix de l’UA dans la région et forme l’UA à gérer un quartier général militaire multinational et des services de renseignement.

En plus de ses opérations de paix, l’OTAN joue un rôle de plus en plus important en matière de secours humanitaires, depuis la création, en 1998, du Centre euro-atlantique de coordination des

réactions en cas de catastrophe. Ce Centre fournit un point focal pour la coordination des efforts de secours des quarante-six Alliés et Partenaires de l’OTAN en cas de catastrophe naturelle ou technologique sur le territoire d’un membre du Conseil de partenariat euro-atlantique. C’est ainsi, par exemple, qu’à la suite des ravages causés par l’ouragan Katrina à la fin du mois d’août de l’année dernière, les Alliés de l’OTAN ont répondu à une demande d’aide des Etats-Unis en leur fournissant des secours par voie aérienne. La Force de réaction de l’OTAN (NRF) a ainsi été impliquée au niveau opérationnel pour la première fois.

À la suite du tremblement de terre dévastateur de l’année dernière au Pakistan, qui aurait fait quelque 80 000 victimes, l’Alliance a lancé une opération de secours intensive d’une durée de trois mois, incluant le transport aérien de près de 3 500 tonnes de vivres et de matériel jusqu’au Pakistan, le déploiement de techniciens, d’unités médicales et d’équipements spécialisés, tout en impliquant une fois encore la NRF. (Pour en savoir plus sur les opérations de secours en cas de catastrophe de l’Alliance, voir l’article « Le rôle humanitaire croissant » de l’OTAN de Maurits Jochems.)

Pour être efficace en cas de déploiement loin de son territoire, l’OTAN a adopté une série de mesures visant à disposer de l’éventail complet des équipements pour les missions militaires modernes. Ces mesures comprennent une initiative liée aux capacités – l’Engagement capacitaire de Prague –, au terme de laquelle les Alliés se sont engagés à procéder à des améliorations spécifiques dans des domaines essentiels, tels que le transport aérien et maritime. Cette initiative implique également le développement de la NRF, le fer de lance qui

Opérations

Le caractère opérationnel acquis par l’Alliance en

une période relativement brève est en tous points

remarquable

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��L’OTAN hier, aujourd’hui et demainRevuede l’OTAN

Opérations

confère à l’Alliance la capacité de répondre rapidement aux crises. Et elle inclut la rationalisation de la structure de commandement militaire de l’OTAN, notamment la création du Commandement allié Opérations, pour parvenir à une plus grande souplesse et à une meilleure adaptation face aux contingences du XXIè siècle, de même que celle de la Division Opérations au Siège de l’OTAN.

Les questions émergentes

Comme l’OTAN devient de plus en plus opérationnelle, de nouvelles questions apparaissent à son ordre du jour. L’Alliance doit ainsi se muer en une organisation plus politique et établir des relations de travail efficaces avec les pays partenaires de même sensibilité et les organisations internationales appropriées. Elle doit également améliorer ses processus de planification de la défense et de constitution de forces pour mettre ses capacités en adéquation avec les engagements auxquels elle souscrit, et examiner les modalités de financement des opérations. De plus, au niveau du théâtre d’opération, l’OTAN doit résoudre le problème des restrictions imposées par des Alliés sur l’utilisation de leurs forces et équipements d’une part et celui de l’obtention de renseignements de qualité, de l’autre. Enfin, comme la demande s’accroît pour le genre d’opérations dans lequel l’Alliance se spécialise, les Alliés sont appelés à décider si, quand et comment ils s’impliquent, ainsi qu’à répondre à la question de savoir si la NRF doit être déployée.

Depuis que l’OTAN a lancé sa première opération de soutien de la paix en Bosnie-Herzégovine, les armées alliées collaborent avec les forces armées des pays partenaires qui fournissent des troupes et l’Alliance a établi des partenariats de travail avec des organisations internationales telles que l’Union européenne, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe et les Nations Unies. Jusqu’à présent, les pays partenaires qui contribuent le plus aux opérations alliées sont européens. Toutefois, avec l’expansion de la portée géographique des opérations de l’OTAN, il sera de plus en plus important d’établir des partenariats mondiaux avec des pays de même sensibilité, tels que l’Australie, la Nouvelle-Zélande et la Corée du Sud. Cette question a d’ailleurs constitué l’un des thèmes du discours du Secrétaire général Jaap de Hoop Scheffer en février 2006, lors de la Conférence de Munich sur la politique de sécurité. Il est également important de développer et d’officialiser les relations avec tous les acteurs internationaux concernés, y compris des organisations régionales telles que l’Union africaine.

L’obtention de ressources pour garantir la réussite de l’OTAN et améliorer la planification de la défense et la constitution de forces, est essentielle. À cette fin, les ministres des Affaires étrangères alliés ont entériné en décembre 2005 un document intitulé « Directives politiques globales », visant à harmoniser les diverses « disciplines » impliquées dans la conception, le développement et la mise en place des capacités sur le terrain. Ce document sera probablement rendu public lors du Sommet de Riga en novembre.

En ce qui concerne le financement des opérations, l’OTAN examine actuellement comment adopter des moyens de financement en commun, y compris, le cas échéant, l’acquisition de ressources communes comme cela a été le cas pour la flotte d’AWACS. Cette attitude s’écarte de l’approche actuelle, suivant laquelle « les coûts incombent à leurs bénéficiaires ». Cette question est d’actualité depuis le déploiement de la NRF au Pakistan, car les pays participant à cette force à l’époque ont été obligés de supporter les coûts de son déploiement. Comme le Secrétaire général Jaap de Hoop Scheffer l’a déclaré lors de la Conférence de Munich sur la politique de sécurité : « La participation à la NRF ressemble à une loterie “qui-gagne-perd” : lorsque votre numéro sort, vous perdez de l’argent. Si la NRF se déploie alors que vous faites partie de la rotation, la totalité des coûts de déploiement de vos forces est à votre charge. »

Parallèlement à l’élargissement de l’expérience opérationnelle de l’OTAN, les pays cherchent à éliminer ou à réduire les restrictions qu’ils imposent à la manière dont leurs contributions aux opérations peuvent être utilisées. Ces restrictions empêchent notamment l’implication de leurs troupes ou de leurs équipements dans certaines activités, telles que le contrôle des foules. Cette tendance s’explique par le fait que les restrictions nationales compliquent la tâche du commandant opérationnel et contraignent à déployer des forces et des capacités supplémentaires pour les compenser. La situation dans ce domaine s’améliore toutefois régulièrement et les pays expriment d’autant moins de réserves qu’ils prennent conscience de la complexité des opérations.

Le regain de violence au Kosovo en mars 2004 a mis en lumière le problème posé par les restrictions à l’utilisation des forces et l’importance de renseignements de qualité. Ces émeutes ont réellement pris l’Alliance par surprise et l’opposition des pays a empêché une réaction immédiate. La nécessité de disposer de bons renseignements et de pouvoir réagir rapidement en cas de troubles est en outre plus importante encore en Afghanistan, où les forces de l’OTAN intégrées aux PRT sont déployées dans des zones isolées.

À l’avenir, les pressions exercées sur l’OTAN pour qu’elle s’implique dans un nombre encore accru d’opérations sont susceptibles de s’accroître. À de nombreux égards, l’Alliance est d’ailleurs la victime de son propre succès. Il existe cependant des limites à ce que l’OTAN peut faire et le danger existe qu’elle nuise à sa réputation en acceptant plus de missions qu’elle ne peut en accomplir avec succès. L’OTAN n’est ni le policier du monde, ni une organisation de secours humanitaire au niveau mondial. Elle ne représente en outre certainement pas une alternative aux Nations Unies. Elle est toutefois en mesure de convertir une volonté politique généralement limitée et des ressources invariablement insuffisantes en une action internationale efficace dans les situations où les vingt-six Alliés s’accordent sur la nécessité d’intervenir.

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�� L’OTAN hier, aujourd’hui et demainRevuede l’OTAN

E n prenant en charge, au cours de l’été 2003, la coordination stratégique de la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS) en Afghanistan, l’OTAN a souscrit

l’engagement politique d’aider à long terme le gouvernement afghan et son peuple. Cet engagement constitue parallèlement un signe visible de l’adaptation de l’Alliance aux exigences sécuritaires du XXIè siècle, car il montre qu’elle est prête et désireuse de contribuer au combat contre le terrorisme et à des efforts de sécurité internationaux plus étendus, au-delà de la zone euro-atlantique.

Près de trois ans plus tard, la mission de l’OTAN en Afghanistan demeure à nulle autre pareille, avec ses défis particuliers. Par le biais de la FIAS, l’Alliance assure un rôle d’assistance sécuritaire essentiel en Afghanistan, tout en innovant du point de vue conceptuel. En assumant sa principale mission, à savoir aider les autorités afghanes, l’OTAN assume des tâches nouvelles et complexes de stabilisation, au sein d’un environnement beaucoup plus éprouvant que celui des autres opérations qu’elle dirige. À maints égards, l’Afghanistan représente un test essentiel pour la transformation de l’OTAN. De l’accomplissement de la mission dans des zones distantes et souvent dangereuses à la constitution des forces nécessaires pour satisfaire les exigences militaires liées à cette mission lointaine, la FIAS et l’OTAN sont en effet quotidiennement mises à l’épreuve. Veiller à la réussite permanente de cette mission est aussi important pour l’Alliance que pour l’Afghanistan.

L’historique des faits à ce jour

À la suite de l’effondrement du régime des talibans à la fin 2001, la restauration de la paix et de la stabilité associée à la reconstruction de l’Afghanistan apparaissaient comme un formidable défi. Ravagé par la guerre depuis plus de deux décennies, l’Afghanistan était le pays comportant le plus de terrains minés au monde. D’après le Programme des Nations Unies pour le développement, 70 pour cent de ses 22 millions d’habitants souffraient de malnutrition et l’espérance de vie n’était que de quarante ans. De nombreux progrès ont été réalisés depuis lors, de sorte que l’OTAN, la communauté internationale et les Afghans eux-mêmes peuvent se targuer de toute une série d’accomplissements. • Le processus de Bonn, officiellement institué en 2001 après

la chute des talibans, s’est achevé avec succès, avec la tenue d’élections parlementaires en septembre dernier. En dépit de prévisions pessimistes, ce processus électoral – à l’instar des élections présidentielles de 2004 – s’est déroulé de manière

relativement sûre et pacifique, grâce, en partie, à l’assistance apportée par la FIAS au gouvernement afghan afin d’assurer la sécurisation de l’environnement. De la sorte, le pluralisme politique commence à s’enraciner au niveau national et le parlement élu a entamé son travail.

• Le gouvernement du président Hamid Karzaï continue graduellement à étendre son influence à tout le pays, tout en ayant réussi à faire participer nombre d’éminences grises et d’ex-seigneurs de la guerre à la vie politique.

• Bien que lente, l’édification des institutions afghanes progresse indubitablement, grâce à l’aide de la communauté internationale et des différents pays donateurs.

• Ayant étendu son contrôle à l’ouest du pays, la FIAS est considérée comme un partenaire indispensable, qui contribue – grâce à sa présence – au maintien de la sécurité et de la stabilité dans treize provinces et dans les zones couvertes par neuf Équipes de reconstruction provinciale (PRT). En plus d’accomplir cette fonction essentielle, les troupes de la FIAS apportent leur aide à la reconstruction, au désarmement des anciennes milices, au cantonnement des armes lourdes et aux mesures de renforcement de la confiance.

• Signalons enfin qu’une conférence internationale de haut niveau sur l’Afghanistan, rassemblant plus de soixante délégations, dont l’OTAN, s’est tenue à Londres en janvier et qu’elle a officiellement inauguré une nouvelle phase de coopération entre l’Afghanistan et la communauté internationale. Pour bien marquer la poursuite de l’engagement international envers l’Afghanistan, une aide supplémentaire de 10,5 milliards de dollars a été promise. Lors de la Conférence de Londres, un ambitieux plan d’aide a également été renouvelé pour cinq ans. Intitulé Afghanistan Compact, il prévoit que la communauté internationale et l’Afghanistan s’appuient sur la dynamique positive qui a été créée pour apporter une paix et une stabilité durables au pays.

Il est clair que la FIAS aura un rôle important à jouer dans le processus de stabilisation en cours et que l’année 2006 sera cruciale pour l’évolution de la mission de l’OTAN. Comme l’ont déclaré les ministres des Affaires étrangères de l’Alliance lors de leur réunion à Bruxelles en décembre dernier : « Nous sommes résolus à faire en sorte que la mission de la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS) dirigée par l’OTAN et agissant sous mandat des Nations Unies reste un succès, à tous égards, et nous avons aujourd’hui décidé de rehausser le niveau du soutien apporté par l’OTAN en faveur de la paix et de la sécurité en Afghanistan. » À l’avenir, l’Alliance se focalisera sur trois domaines prioritaires : la poursuite de l’extension de la zone couverte par la FIAS, le renforcement des efforts d’assistance au secteur de la sécurité tels que la formation des forces de sécurité afghanes et le perfectionnement des mécanismes de

Opérations

Renforcer la stabilité en Afghanistan Mihai Carp s’intéresse aux défis et aux perspectives de l’opération menée par l’OTAN en Afghanistan, alors que l’Alliance étend sa présence dans ce pays.

Mihai Carp est chef adjoint de la Section Politique de gestion des crises à la Division Opérations de l’OTAN. Cet article est déjà paru dans la version électronique de l’édition Printemps 2006 de « La Revue de l’OTAN ».

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��L’OTAN hier, aujourd’hui et demainRevuede l’OTAN

Opérations

coordination entre l’OTAN/la FIAS et d’autres organisations et missions internationales opérant en Afghanistan.

L’engagement de l’OTAN se manifestera d’abord et avant tout par la poursuite de l’extension de la mission de la FIAS. Après que cette mission ait d’abord été étendue de Kaboul vers le nord, puis vers l’ouest du pays par le biais des Équipes de reconstruction provinciale (PRT), la FIAS est désormais sur le point de se déplacer vers le sud et, finalement, vers l’est de l’Afghanistan. Plusieurs Alliés de l’OTAN, incluant les Etats-Unis, le Canada, les Pays-Bas et le Royaume-Uni, joueront un rôle moteur à cet égard. Avec d’autres Alliés et Partenaires, ils devraient porter le nombre de PRT dirigées par la FIAS à quatorze. Au total, les forces de la FIAS totaliseront bientôt plus de 16 000 hommes, provenant de trente-six pays de l’OTAN et partenaires.

La décision d’étendre graduellement la mission a été prise officiellement voici plus de deux ans, sur la base des résolutions

existantes du Conseil de sécurité des Nations Unies. Les ministres des Affaires étrangères de l’OTAN ont entériné un Plan d’opérations révisé pour la FIAS en décembre 2005, qui fournit des directives stratégiques globales pour les prochaines phases d’extension. Aux termes de ce plan, la mission de la FIAS demeurera la même pour l’essentiel et consistera à aider le gouvernement à maintenir la sécurité, à faciliter le développement des institutions publiques et à contribuer aux efforts de reconstruction et humanitaires. Il est cependant clair que les forces de l’OTAN seront bientôt redéployées afin d’opérer dans des zones moins stables, où la menace est plus élevée et où la situation sécuritaire demeure plus précaire.

Cela exigera une approche plus solide des opérations de sécurité et de stabilité, afin de créer les conditions qui permettront aux forces de l’OTAN – par le biais des PRT – d’accomplir leur travail. En d’autres termes, les forces alliées devront être adéquatement dotées en personnel, équipées et dirigées pour se défendre et, si nécessaire, capables d’écarter d’éventuelles menaces pouvant

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�� L’OTAN hier, aujourd’hui et demainRevuede l’OTAN

mettre en danger la mission. En janvier de cette année, le Conseil de l’Atlantique Nord a approuvé des règles d’engagement offrant la vigueur et la souplesse appropriées, afin de couvrir toutes les situations auxquelles pourraient être confrontées les forces déployées en Afghanistan.

Parallèlement, la FIAS fera également son entrée dans des zones où l’autre force militaire internationale – la coalition dirigée par les Etats-Unis ou Opération Enduring Freedom – mène des opérations contre les derniers talibans, Al-Qaïda et d’autres forces militaires adverses. La FIAS ne sera pas impliquée dans des opérations de contre-terrorisme en tant que telles ; l’environnement sécuritaire actuel exige toutefois une coordination intensifiée, pour permettre à la FIAS et à l’Opération Enduring Freedom de mener à bien leurs missions respectives. De nouvelles dispositions en matière de commandement seront mises en place à cette fin. Les mandats de la FIAS et de l’Opération Enduring Freedom demeureront distincts mais complémentaires. Alors que certaines forces de la FIAS poursuivront leur travail de reconstruction ou de formation, d’autres pourront être appelées à faire face à des attaques des talibans. La mission de la FIAS comporte donc également de nouveaux risques inévitables pour les forces de l’OTAN.

Le concept des PRT

A l’avenir, les PRT demeureront le principal vecteur de l’extension de la FIAS. Bien que relativement neuf et ayant fait l’objet de certaines critiques lors des étapes initiales du déploiement militaire international en Afghanistan, le concept des PRT dans son ensemble a évolué et est aujourd’hui perçu comme un vecteur hautement bénéfique, qui aide le gouvernement afghan à étendre son influence aux provinces. Revêtant la forme d’équipes conjointes de taille variable rassemblant des militaires et des civils et dirigées par différents pays, les PRT sont déployées dans des capitales provinciales sélectionnées d’Afghanistan. Elles constituent une alternative viable à une présence internationale à part entière de maintien de la paix, qui n’est pas envisageable pour l’Afghanistan et ne fait pas partie du mandat de la FIAS. Des PRT de la FIAS sont actuellement dirigées par l’Allemagne, l’Espagne, les États-Unis, l’Italie, la Lituanie, la Norvège, les Pays-Bas et le Royaume-Uni. D’autres Alliés de l’OTAN et des Partenaires apportent d’importantes contributions en personnel militaire ou civil. Les PRT dirigées par la FIAS contribuent à d’innombrables projets de reconstruction, jouent le rôle de médiatrices entre des parties en conflit, ont contribué au processus de désarmement des milices afghanes, aidé au déploiement des forces de police et de l’armée nationale afghanes, et contribuent en général à l’amélioration de l’environnement sécuritaire, par le biais de contacts avec les autorités et les populations locales.

Les PRT se révèlent également une manière inédite de rassembler efficacement des acteurs militaires et civils pour accomplir la tâche complexe que constitue l’aide extérieure à l’édification de la nation. Leur composition s’appuie sur la logique suivant laquelle la stabilisation et la reconstruction représentent les deux facettes d’une seule et même réalité. Comme le souligne l’Afghanistan Compact : « La sécurité demeure un préalable fondamental pour parvenir à la stabilité et au développement en Afghanistan, mais des moyens exclusivement militaires ne suffisent pas pour y parvenir. » Même si les PRT sont placées sous la direction de pays chefs de file et adaptées aux circonstances régionales, on constate de plus en plus qu’une coordination plus étroite – et pas seulement au niveau militaire – est souhaitable pour la mise en commun des efforts et l’harmonisation des activités respectives des différentes équipes avec les priorités nationales et régionales du gouvernement afghan. Il serait également souhaitable de définir plus précisément des directives communes pour les PRT.

La réforme du secteur de la sécurité

Une autre tâche essentielle pour la FIAS consistera à soutenir le développement par le gouvernement afghan de ses propres forces de sécurité nationale. L’encadrement et le soutien de l’Armée nationale afghane (ANA) sont un test. En souscrivant à l’Afghanistan Compact, le gouvernement afghan s’est engagé à créer d’ici 2010 une ANA entièrement professionnelle, bien formée et ethniquement équilibrée de 70 000 hommes. De nombreux progrès ont d’ores et déjà été réalisés sur cette voie, avec l’aide des principaux donateurs et des pays chefs de file. Beaucoup reste à faire cependant. Aux termes du Plan d’opérations approuvé, les forces de la FIAS complèteront la formation dispensée par les pays chefs de file, en aidant les unités de l’ANA à se déployer et à opérer efficacement dans tout le pays. Avec les pays chefs

Opérations

Occupation des positions : les forces alliées devront être adéquatement dotées en per-sonnel, équipées et dirigées pour se défendre et pour écarter les menaces qui mettent en danger la mission

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��L’OTAN hier, aujourd’hui et demainRevuede l’OTAN

Opérations

de file et d’autres organisations, la FIAS soutiendra également le développement de la Police nationale afghane, dans le cadre de ses moyens et de ses capacités.

Le soutien de la FIAS au gouvernement afghan s’étendra également aux efforts de lutte contre les narcotiques. L’élimination de l’industrie hautement dommageable des narcotiques pose l’un des défis les plus pressants auquel le gouvernement d’Hamid Karzaï, les pays voisins et la communauté internationale dans son ensemble sont confrontés. La campagne de lutte contre les stupéfiants ne doit ni ne peut toutefois être du ressort exclusif de l’armée. La mise en œuvre d’une stratégie efficace de lutte contre les narcotiques est étroitement liée à la création de moyens de subsistance alternatifs, au renforcement des organismes d’application des lois et des capacités judiciaires de l’Afghanistan, ainsi qu’à la lutte contre la corruption. Pour sa part, la FIAS ne sera pas impliquée dans l’éradication de la culture du pavot. Elle continuera toutefois à apporter son aide par le biais d’une optimisation du partage des renseignements, de l’apport d’un soutien logistique aux organismes afghans de lutte contre les stupéfiants et d’une aide à des campagnes d’information efficaces pour la lutte contre les narcotiques.

Signalons enfin que l’OTAN et l’Afghanistan développent un programme spécial de coopération en réponse à une demande d’aide du président Hamid Karzaï en vue de renforcer les institutions centrales afghanes de sécurité et de défense. Ce programme – qui s’appuie en partie sur des instruments sélectionnés élaborés pour le Partenariat pour la paix – complètera les activités de la FIAS et sera personnalisé pour répondre aux besoins de l’Afghanistan.

Tout ce qui précède vise à atteindre un objectif majeur : permettre au gouvernement afghan d’assumer une appropriation croissante et, à terme, d’exercer un contrôle intégral sur le pays et d’en être pleinement responsable.

L’Afghanistan comme partenaire

Dans ce processus de promotion de l’appropriation locale, l’OTAN et la FIAS continueront à travailler en étroite collaboration avec les partenaires internationaux, dont l’Union européenne, les pays donateurs du G-8, l’Opération Enduring Freedom et les Nations Unies. La FIAS remplira son rôle moteur pour les questions de sécurité, mais sa réussite continuera à dépendre des progrès réalisés dans d’autres domaines, tels que la primauté du droit, le développement économique, la création d’institutions publiques efficaces et le renforcement des capacités humaines. De la sorte, une attention particulière sera accordée à la poursuite par les Nations Unies de leur important rôle de coordination civile en Afghanistan. La Conférence de Londres a fait apparaître un large consensus international à cet égard. Il convient cependant de se focaliser sur la mise en œuvre de cet ordre du jour ambitieux.

À cette fin, l’on peut s’appuyer sur divers mécanismes de coordination qui existent déjà sur le terrain en Afghanistan et qui incluent le gouvernement afghan, ainsi que des acteurs militaires et civils essentiels tels que la FIAS, l’Union européenne et les Nations Unies. Il est toutefois impératif d’améliorer leur efficacité et leur « portée » dans les provinces afghanes, si l’on veut que les efforts conjoints visant à produire des résultats tangibles en faveur du peuple afghan soient couronnés de succès. Étape positive, un Conseil de coordination et de surveillance conjoint, coprésidé par les Nations Unies et le gouvernement afghan avec la participation d’autres organisations, sera institué pour assurer la coordination stratégique globale de l’Afghanistan Compact. L’expérience a montré qu’une étroite coopération internationale, l’unité des efforts et une perspective d’avenir s’avèrent essentiels dans les divers scénarios d’après conflit.

La marche à suivre

Pour la FIAS et l’OTAN, les prochaines années s’avèreront décisives, car un Afghanistan plus stable et plus sûr apportera de considérables avantages. L’application d’une politique déterminée et cohérente en Afghanistan et l’accomplissement de la mission

mandatée par les Nations Unies contribueront non seulement à vaincre le terrorisme et à apporter la stabilité régionale, mais engendreront également une vie meilleure pour des millions d’Afghans, qui continuent à dépendre du soutien de la communauté internationale. Parallèlement, la réussite de la mission de l’OTAN en Afghanistan aura un effet direct sur le processus en cours de transformation de l’Alliance.

Comme lors des premières missions de maintien de la paix menées par l’OTAN dans les Balkans,

la réalité sur le terrain, de même que le contexte opérationnel et politique global de la mission de la FIAS en Afghanistan, continuent à régir l’ordre du jour de l’Alliance. Avant les attaques du 11 septembre contre New York et Washington, un déploiement de l’OTAN en Afghanistan semblait impensable. Aujourd’hui, l’un des membres les plus récents de l’Alliance, la Lituanie, dirige une PRT dans l’une des régions les plus reculées d’Afghanistan. Cette évolution est aussi bien révélatrice de la profondeur des changements mondiaux des quatre dernières années que de la transformation en cours de l’OTAN et de son adaptation aux nouveaux défis. Elle indique également quel rôle l’Alliance est susceptible de jouer à l’avenir.

S’il est clair que les Alliés continueront à devoir résoudre des problèmes critiques pour leur mission, tels que la constitution et le financement de forces adéquates, la réussite de la mission de la FIAS en Afghanistan permet d’envisager avec confiance le Sommet de l’OTAN prévu à Riga, en novembre. Le travail de l’Alliance en Afghanistan démontre au quotidien comment ses capacités uniques contribuent aux efforts collectifs de promotion de la paix, de la stabilité et de l’appropriation locale consentis par la communauté internationale dans les régions en crise. Grâce en partie à l’OTAN, le peuple afghan s’est engagé avec succès sur cette voie.

Veiller à la réussite permanente de la FIAS

est aussi important pour l’OTAN que pour

l’Afghanistan

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�0 L’OTAN hier, aujourd’hui et demainRevuede l’OTAN

L a situation sécuritaire dans les Balkans occidentaux s’est grandement améliorée depuis la fin des conflits qui ont marqué la dissolution de la Yougoslavie et l’attention des

médias est désormais tournée vers d’autres endroits du monde, mais l’Alliance demeure fortement engagée dans cette région. L’engagement de l’OTAN à l’égard des Balkans occidentaux aurait d’ailleurs une nette tendance à s’accroître, au fur et à mesure que l’Alliance cherche à intégrer tous les pays de la région dans les structures euro-atlantiques, afin d’étendre la zone de stabilité et de sécurité en Europe.

Actuellement, l’OTAN continue à diriger au Kosovo ce qui demeure – en termes d’effectifs – la plus vaste opération de soutien de la paix dans le monde. Elle collabore aussi étroitement avec la Bosnie-Herzégovine et le Monténégro, afin de préparer ces pays à leur adhésion au programme de Partenariat pour la paix (PpP). Qui plus est, l’OTAN établit des relations de plus en plus étroites avec l’Albanie, la Croatie et l’ex-République yougoslave de Macédoine*, les trois membres du Plan d’action pour l’adhésion (MAP), le programme personnalisé de l’Alliance qui prépare les candidats à une adhésion à terme.

Le contraste entre la situation actuelle dans les Balkans occidentaux et celle qui prévalait voici un peu plus d’une décennie, lorsque – au cours de l’été 1995 – l’OTAN est intervenue militairement en Bosnie-Herzégovine, pourrait difficilement être plus tranché. Alors que la guerre ou la menace d’une guerre planait sur l’ensemble de la région, le retour à des hostilités majeures est aujourd’hui impensable et tous les pays et entités peuvent à juste titre envisager une intégration euro-atlantique à terme, voire imminente. Qui plus est, la plupart des progrès réalisés en dix ans peuvent être directement attribués à l’environnement sécurisé assuré par l’OTAN.

Des défis subsistent néanmoins et 2006 sera critique pour la région. C’est en effet l’année au cours de laquelle le statut final du Kosovo doit être décidé, avec toutes les tensions et les désordres éventuels que cette décision impliquera probablement, tant au Kosovo proprement dit que dans les pays voisins. C’est également l’année durant laquelle la nature des relations entre le Monténégro et la Serbie devrait être décidée, à la suite du référendum sur l’indépendance au Monténégro. C’est enfin l’année qui marquera l’élection par les Bosniaques de leurs dirigeants, appelés à baliser le chemin qu’empruntera leur pays à la suite de la réduction des pouvoirs de la communauté internationale en Bosnie-Herzégovine, consécutive à la fermeture du Bureau du Haut Représentant.

Le Kosovo

Les négociations destinées à définir le statut final du Kosovo ont débuté en novembre de l’année dernière sous les auspices de l’Envoyé spécial des Nations Unies et de l’ancien président finlandais Martti Ahtisaari. L’OTAN soutient les efforts de celui-ci – ainsi que ceux du Groupe de contact – visant à faire progresser les négociations et à aboutir à un règlement qui renforcera la sécurité et la stabilité dans les Balkans.

Au cours de ces derniers mois, l’OTAN a demandé à plusieurs reprises à toutes les parties d’aborder les pourparlers sur le statut final de manière constructive. Qui plus est, l’Alliance demeure impliquée dans les discussions du « Groupe de contact étendu », qui inclut des représentants de l’Allemagne, des États-Unis, de la France, de l’Italie, du Royaume-Uni et de la Russie, comme de la Commission européenne, du Conseil européen, de l’OTAN et de la Présidence de l’Union européenne. Ces discussions incluent la réunion ministérielle qui s’est déroulée à Londres le 31 janvier, à laquelle a participé le Secrétaire général de l’OTAN Jaap de Hoop Scheffer en personne.

Le règlement final, attendu avant la fin de l’année, devra respecter les dix principes établis par le Groupe de contact immédiatement après la décision du Secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan – décision entérinée par le Conseil de sécurité des Nations unies – d’entamer des négociations sur le futur statut du Kosovo. Ces principes incluent la compatibilité avec les normes internationales en matière de droits de l’homme ; la conformité aux valeurs démocratiques et aux normes européennes, incluant une dimension euro-atlantique ; un cadre multiethnique durable ; des mécanismes pour assurer la participation de toutes les communautés aux affaires publiques ; des garanties pour la protection du patrimoine culturel et religieux du Kosovo ; des mesures pour renforcer la sécurité et la stabilité régionales ; des dispositions spécifiques portant sur des arrangements de sécurité pour le Kosovo ; des mécanismes en vue de renforcer la capacité du Kosovo à faire respecter l’État de droit et à lutter contre la criminalité organisée ; des mesures pour promouvoir le développement économique du Kosovo ; ainsi que le maintien, pendant un certain temps, d’une présence civile et militaire internationale.

Qui plus est, le règlement devrait veiller à ce que le Kosovo ne revienne pas à la situation qui prévalait avant l’intervention de l’OTAN en mars 1999, qu’aucun changement n’intervienne dans les frontières actuelles du Kosovo, que la province ne soit pas divisée, ni rattachée à un autre pays et que l’intégrité territoriale et la stabilité des voisins du Kosovo soient respectées. Des progrès restent à faire dans la mise en œuvre des normes pour le Kosovo

Opérations

L’approfondissement des relations Gabriele Cascone et Joaquin Molina analysent – du point de vue de l’OTAN – les perspectives qui s’ouvrent aux Balkans occidentaux au cours de l’année à venir.

Gabriele Cascone et Joaquin Molina travaillent sur les Balkans occidentaux respectivement à la Division affaires politiques et politique de sécurité et à la Division Opérations de l’OTAN. Cet article est déjà paru dans la version électronique de l’édition Printemps 2006 de « La Revue de l’OTAN ».

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�1L’OTAN hier, aujourd’hui et demainRevuede l’OTAN

Opérations

entérinées par l’UNMIK et le gouvernement du Kosovo en 2003. Toute solution unilatérale ou résultant du recours à la force est en outre inacceptable.

La présence d’une force dirigée par l’OTAN au Kosovo demeure perçue par tous les acteurs comme le facteur clé pour garantir un environnement sûr et sécurisé et, par extension, la stabilité dans la région au sens large. À cette fin, l’OTAN maintiendra une solide présence militaire au Kosovo tout au long des pourparlers sur le futur statut et de la période consécutive au règlement. Depuis les émeutes qui ont secoué le Kosovo en mars 2004, l’Alliance procède à une reconfiguration de ses forces – qui s’élèvent actuellement à quelque 17 000 hommes – sur le terrain, afin de les rendre plus efficaces. La KFOR fait ainsi l’objet d’une transformation depuis ces dix derniers mois et les quatre brigades ont cédé la place à cinq unités multinationales sous la forme de Task Forces.

La Serbie-et-Monténégro

Les événements en Serbie-et-Monténégro continuent à avoir des conséquences importantes au Kosovo et dans la majeure partie de la région. Les relations entre Belgrade et l’OTAN se sont considérablement améliorées depuis la campagne aérienne menée en 1999 par l’Alliance au Kosovo et en particulier depuis l’éviction de l’ex-président yougoslave Slobodan Milosevic un an plus tard. Qui plus est, la Serbie-et-Monténégro a officiellement demandé son adhésion au programme PpP de l’OTAN en juin 2002 et espère être invitée à y adhérer lors du Sommet de Riga de l’Alliance en novembre. D’importants obstacles doivent toutefois encore être surmontés.

L’arrestation du président Milosevic, son transfert au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) à La Haye, puis son décès en mars 2006 pourraient un jour être considérés comme marquant symboliquement la fin d’un chapitre sanglant de l’histoire de la Serbie-et-Monténégro et de la région au sens large. À l’heure actuelle, il n’est cependant pas sûr que la page soit définitivement tournée. C’est ainsi que des extrémistes cherchent à exploiter politiquement la mort du président Milosevic et la crainte que la Serbie soit sur le point de « perdre » le Kosovo, faisant ainsi renaître certains des discours intolérants des années 1990.

L’Union européenne a décidé, en octobre 2005, d’entamer des pourparlers sur un Accord de stabilisation et d’association avec la Serbie-et-Monténégro, mais les a suspendus en raison du non respect par Belgrade de la date butoir du 30 avril pour le transfert au TPIY de Ratko Mladic, le commandant, à l’époque de la guerre, des forces serbes de Bosnie qui est accusé de génocide. C’est en outre ce problème de la coopération avec le TPIY qui bloque l’adhésion de la Serbie-et-Monténégro au PpP.

Depuis 2003, l’OTAN apporte son aide à la Serbie-et-Monténégro par le biais d’un Programme de coopération individuel qui inclut un certain nombre d’activités pré-PpP focalisées sur la réforme de la défense. Ce programme permet également la participation à certaines activités du PpP. L’OTAN a en outre accepté d’ouvrir un Bureau de liaison militaire à Belgrade et a mis en place, avec le ministère de la Défense de la Serbie-et-Monténégro, le Groupe de réforme de la défense, qui s’est réuni pour la première fois

Maintien de la paix : la présence d’une force dirigée par l’OTAN au Kosovo est perçue par tous les acteurs comme le facteur le plus déterminant pour garantir un environnement sûr et sécurisé

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�2 L’OTAN hier, aujourd’hui et demainRevuede l’OTAN

Opérations

en février pour soutenir la poursuite des efforts de réforme de la défense dans le pays.

Les programmes existants de l’OTAN contribuent à l’amélioration des relations entre l’Alliance et la Serbie-et-Monténégro. Ces relations ne peuvent toutefois continuer à se développer si Belgrade ne coopère pas pleinement avec le TPIY et ne transfère pas, à La Haye, les accusés restants, dont Mladic. Qui plus est, à la suite du vote du Monténégro en faveur de l’indépendance, un nouvel État est susceptible de voir le jour dans la région et il pourrait également s’inscrire dans le cadre des efforts d’intégration de l’Alliance.

La Bosnie-Herzégovine

Un manque de coopération similaire avec le TPIY, en particulier de la part de la Republika Srpska, entrave l’adhésion de la Bosnie-Herzégovine au PpP. L’OTAN collabore néanmoins déjà avec ce pays pour l’aider à satisfaire les futures exigences impliquées par l’adhésion au programme PpP et, à terme, à l’OTAN.

L’OTAN a transféré en décembre 2004 la responsabilité de la sécurité au quotidien en Bosnie-Herzégovine à une force de l’UE forte de 7 000 hommes ou EUFOR, mais l’Alliance demeure présente dans le pays. Le quartier général de l’OTAN à Sarajevo, qui regroupe 150 personnes environ, s’occupe essentiellement de la réforme de la défense dans le cadre du Programme de coopération individuel, ainsi que de la lutte contre le terrorisme, en appréhendant les suspects de crimes de guerre et en collectant des renseignements. De la sorte, l’OTAN contribue à la création de forces armées unifiées, regroupant les trois armées rivales qui existaient à la fin des hostilités en 1995.

En avril de cette année, le Secrétaire général Jaap de Hoop Scheffer a demandé aux Alliés de financer un Fonds d’affectation spéciale du PpP destiné à aider la Bosnie-Herzégovine à démobiliser une partie des troupes et à soutenir leur réintégration dans la vie civile. L’ampleur de ce programme reste à définir, mais il devrait constituer le plus important fonds d’affectation spéciale de l’OTAN à ce jour.

A terme, les progrès en matière de réforme de la défense devraient aider la Bosnie-Herzégovine à passer du stade de consommateur à celui de fournisseur de sécurité. Le pays a d’ailleurs commencé à contribuer à des opérations internationales de stabilisation en novembre dernier, en déployant en Iraq une équipe de trente-six experts en matériel.

Le résultat des élections, prévues pour le 1er octobre, sera particulièrement important, car la nature de la présence internationale en Bosnie-Herzégovine se modifie. Le poste de Haut Représentant, chargé de la supervision de la mise en œuvre du processus de paix et disposant de pouvoirs extraordinaires, cessera d’exister au cours du premier semestre 2007. À sa place, un Représentant spécial de l’UE cherchera à contribuer à la transformation en cours en Bosnie-

Herzégovine, en mettant en particulier l’accent sur l’intégration du pays à l’Europe. Des pourparlers sur un Accord de stabilisation et d’association avec l’Union européenne ont débuté en janvier de cette année. (Pour plus de détails sur les changements en cours, voir l’interview de Christian Schwarz-Schilling, dernier Haut Représentant en Bosnie-Herzégovine.)

Le trio du MAP

Les trois pays membres du MAP – l’Albanie, la Croatie et l’ex-République yougoslave de Macédoine* – enregistrent des progrès soutenus dans le domaine de la réforme de la défense, en élaborant et en mettant en œuvre des programmes de plus en plus réalistes sous les auspices de l’OTAN. L’Alliance a en outre établi des quartiers généraux miliaires en Albanie et dans l’ex-République yougoslave de Macédoine*, afin d’aider ces pays à réformer leur défense.

De nouvelles adhésions à l’OTAN ne figurent pas à l’ordre du jour du Sommet de Riga, mais l’Albanie, la Croatie et l’ex-République yougoslave de Macédoine* s’intègrent progressivement aux structures de l’Alliance, dans le cadre du MAP. Qui plus est, ces trois pays fournissent des troupes à la Force internationale

d’assistance à la sécurité (FIAS) dirigée par l’OTAN en Afghanistan. Ils collaborent également de plus en plus au sein de la Charte adriatique parrainée par les Etats-Unis et fournissent dans ce cadre une équipe médicale combinée de douze personnes à la FIAS.

Outre leur volonté d’adhésion à l’OTAN, l’Albanie, la Croatie et l’ex-République yougoslave de Macédoine* cherchent à entrer le plus tôt possible dans l’Union européenne. L’Albanie est sur le point de signer un Accord de stabilisation et d’association

avec l’Union européenne. La Croatie a entamé des pourparlers d’adhésion en octobre de l’année dernière et, suite à l’arrestation en décembre d’Ante Gotovina, l’officier croate de plus haut grade inculpé par le TPIY, elle a désormais la possibilité de faire progresser ces relations. Quant à l’ex-République yougoslave de Macédoine*, elle a obtenu le statut de candidat à l’UE en décembre de l’année dernière.

L’avenir de l’Albanie, de la Croatie et de l’ex-République yougoslave de Macédoine* est dégagé et s’inscrit dans la perspective d’une intégration européenne et euro-atlantique totale. Les calendriers de ces deux processus ne sont pas fixés et dépendent de la manière dont chaque pays poursuivra la mise en œuvre d’un large éventail de réformes. Toutefois, si tous les trois continuent à réaliser le genre de progrès qu’ils enregistrent depuis quelques années, il est très probable qu’ils seront invités à adhérer à l’Alliance lors du Sommet de 2008 de l’OTAN. Ils ouvriront ainsi la voie de l’adhésion au reste de la région –Bosnie-Herzégovine, Serbie-et-Monténégro et Kosovo – dont la stabilité, la sécurité et la prospérité à long terme dépendent en grande partie des relations qu’ils entretiendront avec l’Union européenne et avec l’OTAN.

Tous les pays et entités des Balkans occidentaux

peuvent à juste titre envisager une intégration euro-atlantique à terme,

voire imminente

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��L’OTAN hier, aujourd’hui et demainRevuede l’OTAN

L e 11 septembre 2001, l’organisation terroriste internationale Al-Qaïda réalisait ce que l’Union soviétique n’avait jamais tenté : tuer un grand nombre d’Américains, de même

que de nombreux non-Américains, sur le territoire des États-Unis. Ce jour-là, le carnage et le bilan des victimes dépassèrent ceux infligés soixante ans plus tôt, lors de l’attaque contre Pearl Harbor, événement qui fit entrer les États-Unis dans la Deuxième Guerre mondiale. On ne saurait trop souligner leur impact sur l’environnement sécuritaire au sens large et sur l’OTAN.

Dès le lendemain, le Conseil de l’Atlantique Nord, principal organe décisionnel de l’OTAN, stipulait que « s’il est établi que cette attaque était dirigée depuis l’étranger contre les États-Unis, elle serait assimilée à une action relevant de l’Article 5 du Traité de Washington », la clause la plus importante de la charte fondatrice de l’Alliance. Après les clarifications apportées par des responsables américains aux États membres de l’OTAN le 2 octobre, les conditions liées au caractère externe de l’attaque furent considérées comme satisfaites. C’est pourquoi la « clause d’implication » de l’OTAN a été intégralement appliquée.

Le paradoxe de la décision de l’OTAN est immédiatement apparu. Le Mur de Berlin s’était effondré presque douze ans auparavant, le 9 novembre 1989, et l’Alliance avait remporté la Guerre froide sans devoir invoquer l’Article 5, le « cœur » politique et militaire de sa charte fondatrice, et même sans tirer un seul coup de feu. Qui plus est, alors que cette clause était manifestement considérée par les signataires du Traité de Washington comme un mécanisme grâce auquel les États-Unis apporteraient leur aide à leurs Alliés européens, c’étaient ces derniers qui offraient leur soutien à Washington.

Face à la monstruosité des événements du 11 septembre, il n’est pas exagéré de considérer qu’ils ont provoqué la fin abrupte de l’adaptation post-Guerre froide de l’OTAN. Si, dès lors, la période qui s’est écoulée entre la chute du Mur de Berlin le 9 novembre 1989 et les attentats du 11 septembre 2001 constitue une deuxième phase distincte de l’histoire de l’Alliance après quatre décennies de Guerre froide, l’importance symbolique de l’invocation de l’Article 5 annonce le commencement d’une troisième phase consécutive à

la Guerre froide, dont les ramifications continuent à se développer cinq années plus tard.

L’invocation de l’Article 5 constitue manifestement un jalon historique, mais certains analystes ont cherché à minimiser son importance, voire celle de l’Article 5 proprement dit. Évoquant la formulation prudente du texte original, ils soutiennent que la clause d’implication ne revêt qu’une valeur réelle minimale, se résumant pratiquement à un écran de fumée.

D’une part, l’Article 5 stipule qu’une attaque contre l’une des parties sera considérée comme une attaque contre toutes les parties, que les Alliés sont tenus de répondre et que la force armée constitue une option. D’autre part, il stipule également que tout Allié donné « assistera la Partie ou les Parties ainsi attaquées en prenant aussitôt… telle action [qu’il] jugera nécessaire ». Pour comprendre la force et l’importance de la clause (et de l’Alliance elle-même), il convient toutefois de prendre également en compte les motivations de ses auteurs.

L’intention originelle

Le Traité de Washington, remarquable par sa brièveté et sa clarté lorsqu’on le compare à des documents similaires, a été rédigé pour servir aussi bien de déclaration politique que de document juridiquement contraignant. En tant que tel, il représentait un compromis entre deux documents existants en matière de défense collective, à savoir le Pacte de Rio de 1947 et le Traité de Bruxelles de 1948. Le premier, conclu entre États américains, engageait ses signataires à une assistance réciproque en cas d’attaque contre l’une des parties ; le second, conclu entre pays d’Europe occidentale, stipulait que, au cas ou l’une des parties serait l’objet d’une agression armée en Europe, les autres devaient lui porter « aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir, militaires et autres ».

Les auteurs de la charte fondatrice de l’OTAN considéraient la formulation du Pacte de Rio comme trop vague et celle du Traité de Bruxelles comme trop globale, étant donné que l’on ne pouvait raisonnablement attendre de certains membres fondateurs, comme l’Islande, qu’ils apportent une réponse militaire à une attaque, alors qu’ils étaient en mesure, à la suite de leur situation géographique ou pour d’autres raisons, d’apporter leur propre contribution à la défense collective. En conséquence, l’obligation était automatique, mais ne se limitait pas à une réponse militaire.

De la sorte, l’OTAN envoyait également un message politique au monde. En tant qu’Alliance, elle respectait la volonté de ses États membres et leur accordait la liberté de choisir la nature de la réponse

Invocation de l’Article � il y a cinq ans Sebestyén L. v. Gorka analyse l’impact de l’invocation de l’Article 5 du Traité de Washington il y a cinq ans.

Sebestyén L. v. Gorka est le fondateur et le directeur de l’Institute for Transitional Democracy and International Security (Institut pour la démocratie de transition et la sécurité internationale) à Budapest et professeur adjoint d’études sur le terrorisme et la sécurité au George C. Marshall Center en Allemagne. En 1997, il a été le premier Hongrois à bénéficier d’une bourse de recherche PpP au Collège de défense de l’OTAN à Rome. Cet article est déjà paru dans la version électronique de l’édition Eté 2006 de « La Revue de l’OTAN ».

Article 5

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�� L’OTAN hier, aujourd’hui et demainRevuede l’OTAN

la mieux adaptée à leur propre situation. Cette caractéristique de l’OTAN allait être nettement mise en évidence six années plus tard, lorsque son adversaire fonda sa propre alliance, le Pacte de Varsovie, dont les membres n’étaient pas des volontaires – leur volonté n’étant pas prise en compte - et au sein de laquelle tous les intérêts étaient supplantés par ceux de Moscou.

L’examen des nuances politiques régissant l’adoption de l’Article 5 doit aller de pair avec une prise en compte de la perception de la menace militaire par les auteurs du Traité de Washington et par les chefs d’État et de gouvernement signataires. À l’époque, l’Europe occidentale était en position d’infériorité massive face à l’Union soviétique et s’avérait donc vulnérable à une invasion éclair. Pour une Europe en position de faiblesse, le scénario consistait à bénéficier de l’aide militaire des Etats-Unis lors d’une attaque. En cas d’invasion par l’Union soviétique, la seule superpuissance nucléaire au monde viendrait ainsi lui prêter main forte.

Les pères fondateurs de l’Alliance n’auraient cependant jamais pu prévoir les circonstances dans lesquelles l’Article 5 serait invoqué. Le 11 septembre 2001, l’Union soviétique et le Pacte de Varsovie n’existaient plus. Qui plus est, ce n’est pas l’Europe qui était attaquée avec des forces conventionnelles par un État et ses alliés,

mais bien les Etats-Unis, qui subissaient l’assaut d’un acteur ne constituant pas un État et faisant appel à des moyens totalement non conventionnels. La charte fondatrice de l’OTAN était dépassée par les événements.

Les conséquences immédiates

Quelles ont été les conséquences immédiates de l’invocation de l’Article 5 et comment l’OTAN a-t-elle fait face à la modification fondamentale de ses responsabilités opérationnelles ?

Alors que l’Alliance est aujourd’hui extrêmement active en Afghanistan, où elle dirige la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS), Washington a choisi d’opérer en dehors du cadre de l’OTAN pour expulser les talibans et Al-Qaïda d’Afghanistan, en dépit de l’invocation de l’Article 5. Pour que les choses soient bien claires, lorsque Richard Armitage, alors Secrétaire d’État américain adjoint, s’est rendu au Siège de l’OTAN quelques jours après les attentats du 11 septembre, il a déclaré sans ménagements : « Je ne suis pas… venu ici pour demander quoi que ce soit. »

La décision américaine de se passer du soutien de l’OTAN reflétait la perception, par les Etats-Unis, des performances de l’Alliance

Article 5

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Nouvelles missions : l’invocation de l’Article 5 a joué un rôle fondamental dans la décision de ré-équiper l’Alliance pour qu’elle dispose des capacités d’assumer des opérations telles que la FIAS

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��L’OTAN hier, aujourd’hui et demainRevuede l’OTAN

lors de la campagne au Kosovo en 1999, des limites des capacités antiterroristes de l’OTAN à ce moment-là, outre la volonté d’éviter de futurs problèmes politiques. À tort ou à raison, l’OTAN était associée à « la répartition des objectifs par commission», ce qui n’était pas considéré comme un mode d’opération suffisamment efficace. Les Etats-Unis reconnaissaient que l’Alliance avait fait beaucoup de progrès depuis la Guerre froide, mais elle n’était manifestement pas configurée pour mener des opérations de lutte contre le terrorisme en Asie centrale. Washington ne souhaitait pas non plus avoir les mains liées par la nécessité d’un consensus au sein du Conseil de l’Atlantique Nord, dans l’éventualité de futures campagnes, telles que l’invasion de l’Iraq.

Certains analystes soutiennent que les membres européens de l’OTAN n’ont pas réagi avec plus de vigueur à la menace terroriste en raison de l’absence de perception commune de cette menace parmi les Alliés, avec – pour conséquence – la perte de ce « ciment » - pour reprendre le terme de Phillip Gordon, de la Brookings Institution de Washington - qui avait assuré pendant si longtemps la cohésion de la communauté transatlantique. Mais tel n’est pas nécessairement le cas.

En dépit de profonds différends politiques sur la campagne en Iraq, la Stratégie de sécurité nationale des Etats-Unis et la Stratégie européenne de sécurité constituent des documents similaires et les professionnels de la sécurité, dont le travail consiste à évaluer la menace pour leurs pays respectifs, que ce soit à Berlin, à Paris ou à Washington, sont largement d’accord pour considérer que la menace qui se dessine est celle du terrorisme islamiste. En outre, à la suite des attentats de Londres et de Madrid en 2005, il est clair que l’Europe n’est plus en paix.

En dépit de la décision de Washington de jouer, en grande partie, cavalier seul en Afghanistan, quatorze des dix-neuf Alliés de l’OTAN de l’époque ont fourni des forces pour la campagne visant à chasser les talibans et al-Qaïda en 2001. L’invocation de l’Article 5 a en outre été fondamentale pour le rééquipement de l’Alliance, intervenu depuis lors et qui consiste à se doter des capacités lui permettant d’assurer des opérations telles que celle de la FIAS. En fait, cette invocation a amorcé la transformation – toujours en cours - de l’après-après-Guerre froide de l’OTAN. Ce processus a permis à l’Alliance de mettre en place de nouvelles structures de commandement, de lancer diverses initiatives en matière de

capacités, de développer certaines compétences liées à la lutte contre le terrorisme et de créer la Force de réaction de l’OTAN. La sphère d’intervention de l’Alliance dépasse désormais largement la zone euro-atlantique, avec des opérations et des missions en Iraq, au Pakistan et au Soudan, en plus de l’Afghanistan.

L’OTAN n’est pas et n’a jamais été un club d’États homogènes. Traditionnellement, elle apporte plutôt différentes choses à ses différents membres. Pour nombre d’entre eux et en particulier pour les nouveaux Alliés, l’Article 5 demeure une pierre angulaire de l’Alliance. Pour d’autres, cette clause revêt une importance politique plus grande. Et d’autres encore considèrent la valeur de l’Alliance en termes pratiques au niveau de ses nouvelles missions et opérations hors zone, qui ne font pas partie du menu traditionnel des compétences guerrières.

Il y a enfin ceux qui pensent que l’OTAN a démontré qu’elle est capable de s’adapter progressivement aux nouveaux défis et que, avec le temps, l’Article 5 pourrait être perçu comme ayant une pertinence directe non pas en matière de scénarios d’invasion, mais quant à la manière dont les Alliés combattent collectivement le fléau du terrorisme international. En conséquence, alors que les observateurs de l’UE évoquent, depuis des années, la possibilité d’une Union européenne à plusieurs vitesses, l’OTAN a d’ores et déjà concrètement créé une alliance à plusieurs vitesses, capable de servir de multiples objectifs pour répondre aux besoins diversifiés

de ses nombreux membres.

Le débat quant à savoir si l’OTAN demeure une organisation de défense collective ou si elle se transforme en une alliance de sécurité collective est, pour l’essentiel, académique. L’Alliance satisfait ces deux besoins et continuera à le faire durant un certain temps encore. Ce faisant, elle possède en outre des capacités qui n’appartiennent à nulle autre organisation internationale. En ce qui concerne l’invocation historique de l’Article 5, nous serions probablement bien avisés de reconnaître la justesse de l’évaluation de l’ancien Secrétaire général Lord Robertson : « Il est encore trop tôt pour dire ce que la décision sur l’Article 5 signifiera pratiquement dans l’avenir immédiat. »

Pour plus d’informations sur l’Institute for Transitional Democracy and International Security, voir www.itdis.org

Article 5

Les pères fondateurs de l’Alliance n’auraient jamais pu prévoir les circonstances dans lesquelles l’Article 5

serait invoqué

L’Article 5Les parties conviennent qu’une attaque armée contre l’une ou plusieurs d’entre elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties, et en conséquence elles conviennent que, si une telle attaque se produit, chacune

d’elles, dans l’exercice du droit de légitime défense, individuelle ou collective, reconnu par l’article 51 de la Charte des Nations unies, assistera la partie ou les parties ainsi attaquées en prenant aussitôt, individuellement et d’accord avec les autres parties, telle action qu’elle jugera nécessaire, y compris l’emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la sécurité

dans la région de l’Atlantique Nord. Toute attaque armée de cette nature et toute mesure prise en conséquence seront immédiatement portées à la connaissance du Conseil de Sécurité. Ces mesures prendront fin quand le Conseil de Sécurité aura pris les mesures nécessaires pour rétablir et maintenir la paix et la sécurité internationales.

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�� L’OTAN hier, aujourd’hui et demainRevuede l’OTAN

J e présidais une réunion du Groupe de coordination des orientations de l’OTAN lorsqu’est tombée la nouvelle de l’impact du premier avion contre le World Trade Center, nouvelle qui

m’a été transmise par le Secrétaire exécutif. J’ai parcouru la note, puis je l’ai lue à haute voix aux personnes présentes. Les délégués américains semblaient abasourdis et incrédules. Nous l’étions tous.

Quelques minutes plus tard, la nouvelle d’un second impact contre la deuxième tour est arrivée et j’ai été informé que le Secrétaire général envisageait l’évacuation du Siège de l’OTAN, au cas où des attaques similaires auraient été planifiées en Europe. J’ai également lu ces informations à haute voix. Ken Huffman dirigeait l’équipe américaine et il a demandé la parole. Il a annoncé que l’ambassadeur des Etats-Unis avait déjà annoncé que le personnel américain devait quitter le bâtiment. J’ai ajourné la réunion et je me suis rendu au bureau du Secrétaire général.

La confusion était générale. Des rapports faisaient état d’avions non identifiés ou ne répondant pas qui se dirigeaient vers Bruxelles, mais la fiabilité de ces informations n’était pas établie. La décision avait effectivement été prise d’évacuer le personnel non essentiel. Le Conseil de l’Atlantique Nord devait-il se réunir et, si oui, en quel endroit ? Une réunion informelle des ambassadeurs a été programmée dans le bureau du Secrétaire général et une réunion du Conseil a été convoquée pour le lendemain.

J’ai alors rencontré Burns et l’ambassadeur canadien David Wright dans l’antichambre du bureau du Secrétaire général. L’ambassadeur Burns a parlé des pertes probables : plusieurs milliers et probablement le nombre le plus élevé de tués en une seule journée depuis la bataille d’Antietam, pendant la Guerre de sécession. L’ambassadeur Wright, qui était également le doyen du Conseil, l’a assuré du soutien des Alliés. « Mais après tout, nous formons une Alliance », a-t-il déclaré. « Nous avons l’Article 5. »

Ce fut la première référence à l’Article 5 que j’ai entendue ce jour-là et elle a immédiatement fait vibrer en moi une corde sensible. En tant que Secrétaire général adjoint pour les plans de défense et les opérations, j’ai su que nous avions une mission à remplir, même si personne ne nous l’avait assignée. En particulier en cas d’urgence, le Conseil se tourne vers le Secrétaire général dont il

attend un leadership et des propositions. Contrairement à de nombreuses autres organisations internationales, la responsabilité des projets de documents et de résolutions à l’OTAN revient au Secrétariat international. Nous devions donc préparer les avis et recommandations que le Secrétaire général soumettrait au Conseil le lendemain matin.

J’ai pensé à une éventuelle fiche de décisions ou déclaration. Le Secrétaire général avait déjà pris l’initiative de publier une brève condamnation des attentats, mais cela n’était pas suffisant. Que pouvait ajouter le Conseil lui-même ?

Nous n’avions guère d’indices. En effet, avant ces événements, il n’y avait pratiquement jamais eu, au sein de l’OTAN, de discussions à propos du terrorisme. À ma connaissance, il n’existait aucune politique claire concernant l’utilisation des ressources de l’Alliance en réponse à des attentats terroristes. Il n’y avait eu aucune consultation avec les délégations sur ce qui venait de se passer. Nous n’avions même pas discuté de la marche à suivre, ni des options existantes avec le Secrétaire général ou son cabinet. Aucune capitale n’avait fait part d’une « orientation ».

J’ai pour la première fois évoqué la possibilité d’une déclaration invoquant l’Article 5 lors d’une réunion dans le bureau de Günter Altenburg, en début de soirée. En tant que Secrétaire général adjoint pour les affaires politiques, Günter devait également conseiller le Secrétaire général et nous devions faire preuve d’unité. J’avais emporté avec moi le texte du Traité de Washington.

Ted Whiteside, à la tête du Centre sur les armes de destruction massive de l’OTAN, était également présent ; il s’interrogeait sur le fait de savoir si les attaques avaient été « armées ». Un avion doit-il être considéré comme une arme ? Nous nous sommes également demandé comment faire la différence entre ce qui venait de se passer et le terrorisme « normal », tel que pratiqué par l’IRA, l’ETA ou le PKK. La discussion s’est avérée utile, mais peu concluante. J’ai regagné mon bureau et appelé Holger Pfeiffer, mon adjoint, ainsi que Steve Sturm, responsable de la politique de défense.

Nous avons passé tous les événements en revue. Nous sommes tombés d’accord pour considérer qu’il s’agissait effectivement d’attaques armées, les avions ayant été utilisés comme des missiles. Pour établir la distinction entre ces attaques et le terrorisme « normal », nous avons sélectionné deux critères : l’échelle et le fait que des instructions émanent de l’extérieur. Nous considérions l’échelle comme importante. En effet, le Traité de Washington ayant été conçu pour faire face à des menaces pour la paix et la sécurité dans la zone nord-atlantique, cela implique un seuil élevé de recours à la force ou

L’invocation de l’Article � Edgar Buckley décrit la manière dont l’OTAN a invoqué l’Article 5 le 12 septembre 2001, vingt-quatre heures après les attentats terroristes contre les États-Unis.

Edgar Buckley a été Secrétaire général adjoint pour les plans de défense et les opérations de 1999 à 2003. Il est actuellement « senior vice president » de Thales, responsable du développement des activités en Europe. Cet article est déjà paru dans la version électronique de l’édition Eté 2006 de « La Revue de l’OTAN ».

Article 5

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��L’OTAN hier, aujourd’hui et demainRevuede l’OTAN

de son impact. Le fait que des instructions émanent de l’extérieur s’avérait important, les Alliés ne considérant manifestement pas des attaques d’organisations terroristes intérieures – comme à Belfast ou à Oklahoma City – comme relevant du Traité. Il existait, bien sûr, une autre façon d’établir la distinction entre un attentat terroriste et un autre type d’attaque : par le biais d’une décision ad hoc du Conseil de l’Atlantique Nord. Si les Alliés décidaient que l’attaque répondait aux critères d’une réponse dans le cadre de l’Article 5, la cause serait entendue.

Nous sommes rapidement parvenus à la conclusion qu’il était pleinement justifié de déclarer que ces attaques entraînaient le déclenchement des dispositions en matière de défense collective du Traité de Washington. L’étape suivante a consisté à rechercher, dans les documents et communiqués antérieurs de l’OTAN, d’éventuelles déclarations politiques en ce sens, la référence à une rhétorique agréée constituant une étape capitale pour faciliter le consensus. J’ai demandé à Steve Sturm d’examiner la déclaration faite à l’issue

du Sommet de Washington de 1999, et le Concept stratégique en particulier, afin d’identifier tout élément d’information utile susceptible d’étayer notre approche, et de trouver d’autres déclarations politiques traitant du terrorisme. Je lui ai également demandé de rédiger un premier projet, sur la base de notre discussion.

Une heure plus tard, nous nous sommes à nouveau réunis et nous avons examiné ensemble le projet. Nous y avons inclus une clause conditionnelle, visant les incertitudes liées aux commanditaires des attentats : « S’il s’avère que ces attaques ont été dirigées de l’étranger contre les Etats-Unis, elles seront considérées comme des actes relevant de l’Article 5 du Traité de Washington… » Nous faisions référence à la condamnation du terrorisme par les chefs d’État et de gouvernement lors du Sommet de Washington et à leur déclaration stipulant leur détermination à combattre le terrorisme conformément à leurs engagements réciproques. Notre travail était achevé et nous disposions d’un projet dactylographié, prêt à être présenté le matin suivant au Secrétaire général.

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L’aube d’une ère nouvelle pour la sécurité : lors de la réunion du Conseil de l’Atlantique Nord qui a immédiatement suivi les attentats du 11 septembre, toutes les délégations se sont prononcées en faveur de la réaction la plus vigoureuse possible

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�� L’OTAN hier, aujourd’hui et demainRevuede l’OTAN

Article 5

Le 12 septembre, je suis arrivé au Cabinet vers sept heures trente, le projet de déclaration à la main. Lord Robertson se trouvait à l’entrée de son bureau. Je lui ai remis le projet, en lui expliquant que nous l’avions préparé au cas où le Conseil souhaiterait exprimer le plus ferme soutien possible. Il l’a lu, l’a apprécié et l’a transmis à Damien Wilson, le directeur adjoint américain du Cabinet, en lui donnant pour instruction de l’envoyer immédiatement aux autorités américaines pour connaître leur réaction. Le Conseil devait se réunir quelques heures plus tard.

La réponse des Etats-Unis a été rapide. J’ai ultérieurement appris que, après avoir consulté son adjoint Toria Nuland, Burns avait transmis le texte au secrétaire d’État Colin Powell, en lui recommandant une approbation. Powell a rapidement autorisé Burns à le faire, tout en consultant parallèlement le président George W. Bush. Au moment de la réunion du Conseil, le président Bush avait, lui aussi, marqué son accord.

Lors du Conseil, dont le nombre de participants était très limité, toutes les délégations se sont prononcées en faveur de la réponse la plus ferme possible de la part de l’OTAN et presque toutes étaient prêtes à approuver le projet de déclaration, que le Secrétaire général avait fait circuler avant la réunion. Un petit groupe de pays demanda toutefois une clarification juridique quant à l’invocation de l’Article 5. Ces pays avaient deux préoccupations principales. Ils voulaient d’abord être sûrs que leur droit de décision souverain ne serait pas affecté quant à la nature, à l’échelle et au moment des actions jugées nécessaires pour restaurer la paix et la sécurité. En d’autres termes, ils voulaient que l’on stipule clairement que chaque Allié jugerait par lui-même ce qui serait « nécessaire ». Deuxièmement, ils voulaient être sûrs qu’aucune action collective entreprise par l’Alliance, par exemple une action militaire des forces de l’OTAN, ne serait lancée sans une consultation et une décision supplémentaires spécifiques du Conseil.

Après avoir reçu l’assurance que ces questions pourraient être rapidement résolues par le conseiller légal de l’OTAN Baldwin De Vidts, le Secrétaire général a alors ajourné la réunion jusqu’à plus tard dans la journée. Lorsque le Conseil s’est à nouveau réuni, ses membres avaient sous les yeux le mémorandum rassurant de Baldwin De Vidts, concluant qu’il appartenait à chaque Allié de juger quelle action devait être entreprise et si cette action devait aller jusqu’à une attaque, quels moyens il désirait mettre en œuvre et quelles mesures il estimait nécessaires pour restaurer la paix et la sécurité. Quant à la question de la réponse collective, De Vidts expliquait qu’une consultation collective serait manifestement nécessaire. Après ces clarifications et une brève discussion, le Conseil entérina à l’unanimité le projet de déclaration, tel qu’il lui avait été soumis. La déclaration fut rendue publique le soir même et, conformément aux dispositions du Traité de Washington, Lord Robertson en informa parallèlement le Secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan.

Entre le moment où la déclaration avait quitté mon bureau et celui où elle fut publiée moins de seize heures plus tard, aucun changement majeur ne lui avait été apporté.

Quels ont été nos sentiments une fois la décision prise ? En vérité, nous étions convaincus qu’il s’agissait-là de la seule attitude correcte et adéquate à adopter. Nous étions prêts à la mettre en œuvre avec le soutien de tous les Alliés. Nous étions simplement un peu surpris de la rapidité de leur réaction.

Au niveau politique et de l’opinion publique, l’action de l’OTAN a eu un effet fantastique. Alors que j’étais dans mon lit le week-end suivant, j’ai entendu Alistair Cooke dans sa Letter from America faire état du remarquable héroïsme des secouristes et des citoyens ordinaires confrontés aux conséquences des attentats. C’était très émouvant. A la fin de l’émission, Alistair Cooke a parlé de manière inattendue de l’OTAN et a déclaré que ce que l’Alliance avait fait immédiatement après les attentats constituait « la seule petite note pouvant être qualifiée d’optimiste dans ce terrible contexte ».

Au cours des cinq années qui se sont écoulées depuis, j’ai fréquemment entendu des critiques quant à la décision d’invoquer l’Article 5. Certaines personnes, par exemple, ont déclaré qu’il était peu sage de souscrire à une série d’actions avant même qu’elles soient entièrement définies, actions que les Etats-Unis devaient d’ailleurs juger superflues par la suite.

J’étais présent au Conseil deux semaines après l’invocation par l’OTAN de l’Article 5, lorsque le secrétaire adjoint américain à la Défense de l’époque, Paul Wolfowitz, a exposé sa doctrine de l’après-11

septembre stipulant que « c’est la mission qui détermine la coalition ». Il a commis, à mon avis, une erreur de jugement fondamentale quant à la nature de l’Alliance, erreur qui a dévalué l’importance de la solidarité stratégique. Je partage donc la frustration de ceux qui pensent que les Etats-Unis auraient pu faire davantage pour impliquer l’Alliance dans leur combat contre les talibans et al-Qaïda.

Je rejette toutefois les critiques liées à la décision d’invoquer l’Article 5. Après la suppression de la clause conditionnelle le 2 octobre, les Alliés ont fait – collectivement et individuellement – tout ce que les Etats-Unis leur demandaient et ils étaient prêts à faire plus encore. Qui plus est, depuis lors, Washington en est venu à reconnaître de plus en plus l’importance de l’OTAN et des alliances en général, tout en tirant les enseignements de ses expériences en Afghanistan et en Iraq.

Aujourd’hui, l’OTAN est extrêmement active en Afghanistan, les Etats-Unis sont plus que jamais convaincus de la nécessité de s’assurer un soutien international dans leur lutte contre le terrorisme et l’OTAN procède à la transformation de ses structures politiques et militaires, comme de ses stratégies, afin de faire plus efficacement face aux véritables menaces pour la sécurité auxquelles nous sommes confrontés. Une telle évolution n’aurait pas été possible si les Alliés n’avaient pas fait front, dès l’avènement de la nouvelle ère dominée par la sécurité que nous vivons aujourd’hui.

Au niveau politique et de l’opinion publique,

l’action de l’OTAN a eu un effet fantastique

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��L’OTAN hier, aujourd’hui et demainRevuede l’OTAN

Le choc de la réalité Tomas Valasek se penche sur l’évolution des attitudes au sein de l’OTAN en matière de défense collective, du point de vue des pays d’Europe centrale et orientale.

Article 5

N ous ne saurons probablement jamais si les dignitaires rassemblés à la Bibliothèque Truman d’Independence, dans le Missouri, le 12 mars 1999, pour les cérémonies

marquant l’élargissement de l’OTAN songeaient à la guerre. Mais il est un fait que celle-ci éclata douze jours plus tard seulement. L’Alliance avait gagné la Guerre froide sans tirer un seul coup de feu, mais elle était sur le point de mener sa seconde campagne aérienne en moins de quatre ans. La chose la plus remarquable quant à la guerre au Kosovo, déclenchée le 24 mars, n’est pas le fait qu’elle ait éclaté, ni l’endroit où elle a eu lieu, mais bien le contraste entre la cérémonie d’adhésion dans le Missouri et la réalité du Kosovo.

Les trois nouveaux Alliés – la République tchèque, la Hongrie et la Pologne – accueillis le 12 mars n’avaient guère d’intérêt à intervenir militairement dans les Balkans. Leur vif désir d’adhésion à l’OTAN s’expliquait bien davantage par un sentiment d’injustice historique, des préoccupations en matière de sécurité intérieure et la crainte de la Russie, à l’Est. Or, au printemps 1999, la principale zone d’opérations de l’Alliance se situait bel et bien dans le sud de l’Europe, non à l’est, et l’OTAN s’intéressait aux droits de l’homme, pas à la défense collective. D’après toutes les interprétations, la Guerre au Kosovo constituait une démarche orientée dans une direction très différente de celle espérée par les nouveaux membres lorsqu’ils avaient posé leur candidature à l’Alliance. En surface, l’ironie cruelle de l’histoire semblait se jouer une fois encore de l’Europe centrale et orientale. Au lieu d’apporter une protection à ses nouveaux membres, l’OTAN les appelait à prendre les armes pour une cause qui était loin de susciter leur enthousiasme.

Il serait toutefois inexact de considérer que l’OTAN a suscité une déception chez ses membres d’Europe centrale et orientale. L’histoire de l’après-Guerre froide de l’Alliance se singularise par deux phases et, à de nombreux égards, par deux alliances différentes. La première phase, la période des « Balkans » propre aux années 1990, a été marquée par les tensions entre nouveaux et anciens membres, les premiers préférant une focalisation sur les devoirs de défense collective et les seconds, l’extension à de nouvelles missions. Les attentats du 11 septembre 2001 contre les Etats-Unis ont toutefois entraîné une réévaluation si radicale de la finalité de l’OTAN que, cinq ans plus tard, ces divisions ont pratiquement disparu.

L’attrait de l’OTAN

Chacun des trois pays ayant adhéré à l’OTAN en 1999 avait ses propres raisons de vouloir adhérer à l’Alliance, mais les

ingrédients de base étaient les mêmes. Toute l’Europe centrale et orientale partageait un sentiment d’injustice historique, et avait l’impression que, sans qu’aucune faute ne puisse leur être imputée, deux générations de l’après-Deuxième Guerre mondiale avaient été spoliées de leurs libertés et de leurs opportunités fondamentales. L’adhésion à l’OTAN ne pourrait jamais restituer ce qui avait été pris, mais rendrait toutefois de manière symbolique à la moitié du continent sa place légitime parmi les pays libres et démocratiques.

L’Alliance était également considérée comme un « amortisseur » face aux luttes internes. En 1999, moins d’une décennie s’était écoulée depuis l’effondrement du communisme dans les pays alors candidats. Les premières années de liberté avaient été marquées par des troubles et – au milieu des années 1990 – la stabilité n’apparut que lentement. Pour Budapest, Prague et Varsovie, le destin de la Slovaquie constituait un avertissement : le communisme ne cédait pas nécessairement la place à la démocratie. Le premier gouvernement slovaque postérieur à l’indépendance s’était en effet avéré corrompu et enclin à persécuter ses opposants politiques. Alors qu’il ne s’agit pas là de problèmes que l’OTAN traite spécifiquement, l’adhésion à l’Alliance contribuait concrètement à mettre un frein aux excès antidémocratiques potentiels et réels. Le processus d’adhésion à l’OTAN avait défini le cadre politique au sein duquel les pays candidats étaient tenus d’opérer. Pour les pays candidats de l’époque, le risque d’être éliminé de la liste des membres potentiels incitait fortement à demeurer dans de saines limites.

Enfin, il y avait la Russie. Aucun des pays d’Europe centrale et orientale ne connut une transition aisée après la chute du communisme, mais la Russie semblait éprouver le plus de difficultés. Par ailleurs, alors qu’aucun des anciens États communistes n’était totalement assuré d’être à l’abri d’une rechute totalitaire, les difficultés politiques de la Russie en faisaient, aux yeux des pays candidats à l’OTAN, un voisin potentiellement dangereux. Ces craintes n’étaient pas du tout apaisées par l’incapacité ou la mauvaise volonté de Moscou à résoudre les problèmes frontaliers existants avec les pays baltes. C’est ainsi que la mission originale de l’OTAN devint l’un des composants essentiels du débat sur l’élargissement. Les pays candidats en arrivèrent à la conclusion qu’une fois dans l’Alliance, l’Article 5 dissuaderait toute tentation hostile de la part du camp russe.

Voici donc, en résumé, le processus de réflexion qui a abouti à la cérémonie d’adhésion du 12 mars. Pour les nouveaux États membres, l’Alliance représentait le symbole triomphant de la liberté retrouvée, exerçant une influence lénifiante sur les luttes internes et dressant une barrière amicale mais suffisamment solide contre

Tomas Valasek dirige le bureau du World Security Institute à Bruxelles. Cet article est déjà paru dans la version électronique de l’édition Eté 2006 de « La Revue de l’OTAN ».

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�0 L’OTAN hier, aujourd’hui et demainRevuede l’OTAN

l’instabilité à l’Est. L’adhésion survenait certes plusieurs années plus tard que prévu à l’origine. Toutefois, après une longue attente et de fastidieux préparatifs, les documents d’adhésion étaient dûment signés et les trois nouveaux drapeaux quittèrent l’antichambre pour flotter aux côtés de ceux des seize membres existants.

Inutile de dire que la perspective d’une intervention dans les Balkans était très éloignée de l’analyse originale des pays candidats quant aux implications de l’adhésion à l’OTAN. Il existait, bien

sûr, un lien logique entre l’élargissement à l’Europe centrale et orientale d’une part et l’imposition et le maintien de la paix dans les Balkans de l’autre – les deux étant destinés à engendrer à long terme une Europe stable et pacifique –, mais les exigences de la campagne au Kosovo et la focalisation de l’OTAN sur l’Europe du Sud-Est étaient plus difficiles à apprécier dans des pays qui n’avaient échappé que récemment au communisme et croyaient voir dans l’Alliance la tranquillité d’esprit qu’ils recherchaient. Le contraste entre les événements du 12 et du 24 mars pourrait être comparé au paradoxe d’un marathonien franchissant la ligne d’arrivée et constatant qu’il doit aider les organisateurs à déplacer leur équipement lourd pour préparer une autre épreuve.

Les pays candidats étaient donc déçus par la tournure des événements, mais ils parvinrent à dissimuler leurs émotions. L’approche « un pour tous, tous pour un » de l’OTAN en matière de sécurité devait bénéficier aux pays candidats plus qu’à d’autres et c’est pour cette raison qu’ils apportèrent leur soutien à la campagne. Mais il y eut également d’indubitables tensions. Le soutien par

l’opinion publique de la guerre au Kosovo atteignit son plus bas niveau parmi les nouveaux membres. Les gouvernements des trois nouveaux Alliés se retrouvèrent sur la défensive, expliquant à leurs opinions publiques respectives pourquoi une Alliance destinée à leur apporter la paix bombardait désormais Belgrade en leur nom. Il s’agissait-là d’un concept diaboliquement difficile à défendre, même si à long terme la logique d’imposition de la paix à la périphérie de l’Europe se justifiait pour la plupart des gens en Europe centrale et orientale.

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Frappe aérienne : la perspective d’une intervention dans les Balkans était très éloignée de l’analyse originelle des pays candidats quant aux implications de leur adhésion à l’OTAN

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�1L’OTAN hier, aujourd’hui et demainRevuede l’OTAN

Article 5

L’impact du 11 septembre

En 2001, les points de vue avaient évolué en Europe centrale et orientale. Le temps et les progrès réalisés éloignaient la perspective d’une instabilité intérieure. Même la Slovaquie avait cessé d’être le mauvais élève de la région pour se muer en tigre économique, tandis que la Russie suscitait moins la crainte de ses voisins en raison de sa faiblesse intérieure. L’éloignement des risques originaires d’Europe centrale et orientale allait de pair avec le recul des exigences des nouveaux membres et des pays candidats en matière de défense collective. Le fossé entre les nouveaux et anciens membres se comblait graduellement.

La plupart des différences restantes disparurent d’emblée le 11 septembre 2001. Les attaques contre New York et Washington constituèrent un événement charnière pour les nouveaux Alliés comme pour les anciens. Si, jusqu’en 2001, les Alliés étaient divisés en fonction de leur focalisation sur les missions traditionnelles et nouvelles – l’Article 5, face aux opérations, relevant de « la responsabilité de protéger » –, les conséquences potentielles de cette frappe terroriste monstrueuse avaient été sous-estimées de part et d’autre.

Les attentats du 11 septembre ramenèrent la défense collective à l’avant-plan et au centre des préoccupations alliées. L’urgence de la menace était manifeste, comme l’était sa définition, pour la plupart des Alliés. Ceux-ci s’accordaient pour considérer que le terrorisme ne constituait pas une menace conventionnelle, qu’il était le plus souvent le fait de groupes et d’individus, plutôt que de gouvernements, et qu’il ne pouvait être vaincu par des moyens traditionnels, tels que la dissuasion. Qui plus est, considérées parallèlement à la menace créée par la prolifération des armes de destruction massive, les conséquences du terrorisme étaient potentiellement catastrophiques. Le consensus de l’après-11 septembre au sein de l’OTAN avait toutefois ses limites. Il couvrait le diagnostic, mais pas le remède. La manière exacte de faire échec à la perspective d’un terrorisme cataclysmique était une question à laquelle les différents Alliés allaient répondre différemment.

L’une des conséquences du 11 septembre est l’apparition de nouvelles lignes de division au sein de l’OTAN. Leurs contours sont très différents de ce qu’ils étaient dans les années 1990, à l’époque des divisions entre les partisans d’une démarche « nouvelle » et les défenseurs de l’« ancienne » approche. Le tracé de ces nouvelles lignes est étroitement lié à la question des forces. Dans quelles circonstances faut-il recourir à la force ? Quelle est l’ampleur du soutien international nécessaire à son utilisation ? Que faut-il faire quand les bombardements ont cessé? Les débats actuels ont engendré des divisions très différentes de celles nées des interventions de l’OTAN dans les Balkans. Qui plus est, ces divisions sont suffisamment marquées pour saper la cohésion alliée à propos de l’Iraq. C’est ainsi que, lors de la seconde guerre en Iraq, l’un des Alliés les plus récents de l’OTAN, la Pologne,

a combattu aux côtés des Etats-Unis, alors que nombre des membres plus anciens choisirent de ne pas participer. D’autres se sont engagés dans la coalition dirigée par les Etats-Unis, mais ont changé d’avis ultérieurement, en raison du manque de soutien de leur opinion publique ou, dans certains cas, d’un changement de gouvernement.

Les lignes de divisions actuelles sont fluides. En plus de la question des forces, elles se modulent en fonction de l’attitude par rapport aux États-Unis. Washington a entamé l’action en Iraq et a adopté un point de vue particulièrement affirmé quant à l’usage de la force. Cela a inévitablement créé des controverses et des divisions au sein de l’OTAN. Le fait que certaines des réactions aient été influencées par des comportements émotionnels envers les Etats-Unis en tant que tels, est regrettable, mais la concurrence entre une perspective euro-centrique d’une part et euro-atlantique de l’autre – motivée dans une large mesure par des points de vue différents quant au rôle des Etats-Unis en Europe – est l’une des composantes du discours allié actuel.

Après sept années et un nouveau cycle d’élargissement, l’OTAN a parcouru bien du chemin depuis la cérémonie d’Independence,

dans le Missouri. L’opposition entre la simplicité de la défense collective et le débat concernant « la responsabilité de protéger » appartient désormais au passé. L’Alliance en est revenue à ses préoccupations de défense collective, tout en étant divisée sur ce que cela implique exactement dans la pratique. Nous sommes d’accord pour reconnaître que nous sommes beaucoup moins en sécurité que nous le pensions en 1990, mais sommes en désaccord quant à la manière de nous protéger et au choix de l’organisation. La position prééminente de l’OTAN ne va plus de

soi. Plusieurs Alliés préféreraient probablement limiter le rôle de l’Alliance face aux nouvelles menaces et étendre celui de l’Union européenne.

Ces divisions peuvent encore s’aplanir lorsque nous tirerons les enseignements de l’Iraq quant aux limites de la force, et de l’Iran pour ce qui a trait aux limites de la diplomatie. Le fait pour l’OTAN de reconquérir sa place incontestée d’acteur central de la sécurité en Europe dépendra également du succès avec lequel elle intégrera en son sein l’Union européenne. Les progrès réalisés par celle-ci en vue d’une intégration de la défense sont réels et devront se refléter dans l’OTAN au quotidien. Cette relation évolue cependant. Les Alliés d’Europe centrale et orientale, qu’ils soient d’ores et déjà membres de l’Union européenne ou sur le point de le devenir, apporteront sans nul doute leurs arguments au débat. Et ils ne le feront plus sous la forme d’un seul bloc, mais bien dans le cadre d’associations diversifiées et fluctuantes au sein de l’Alliance.

Pour plus d’informations sur le World Security Institute, voir www.worldsecurityinstitute.org

L’approche « un pour tous, tous pour un » de l’OTAN en matière de

sécurité devait bénéficier aux pays candidats plus

qu’à d’autres

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�2 L’OTAN hier, aujourd’hui et demainRevuede l’OTAN

L ’univers dans lequel évolue l’OTAN change rapidement et pas nécessairement en mieux. Le rythme du changement est tel que la majeure partie du débat sur la sécurité

et la défense, en particulier en Europe, ressemble au théâtre de l’absurde, se focalisant sur ce qui peut être accompli plutôt que sur ce qui doit l’être. Le monde a besoin d’une Europe forte, les relations transatlantiques ont besoin d’une Europe forte et l’OTAN a besoin d’une Europe forte. Mais, alors que le monde s’agrandit, l’Europe semble rapetisser. Bref, la défense européenne se désengage de la sécurité mondiale. Il y a, bien sûr, des raisons. Pour la première fois

en cinq cents ans, l’Europe n’est pas plus le centre des conflits que du pouvoir. Il en résulte un danger réel qu’une petite Europe conduise à une petite OTAN, condamnant ainsi au déclin l’Occident et son système de puissance stable et institutionnalisée.

Le centre de gravité du pouvoir sur notre planète se déplace inexorablement vers l’Est. Ce faisant, la nature du pouvoir lui-même se modifie. La région Asie-Pacifique apporte la majeure partie de tout ce qui est dynamique et positif à notre monde, mais le rapide changement qu’elle connaît n’est, jusqu’à présent, ni stable, ni articulé autour d’institutions stables. Jusqu’à ce qu’il le devienne, il appartient aux Européens et aux Américains du Nord, ainsi qu’aux institutions qu’ils ont mises en place, d’ouvrir la voie vers la stabilité stratégique. Il est cependant difficile pour les dirigeants et les planificateurs de générer la vision nécessaire. Non seulement la volonté politique de voir grand fait défaut, mais le tempo opérationnel privilégie

Placer le monde, l’avenir et l’OTAN sous le signe de l’ambition Julian Lindley-French formule clairement sept messages stratégiques pour la communauté euro-atlantique.

Julian Lindley-French est chercheur principal au Centre de recherche appliquée en politique (CAP) de l’université de Munich. Cet article est déjà paru dans la version électronique de l’édition Hiver 2005 de « La Revue de l’OTAN ».

Futur

En mouvement : l’OTAN a besoin à la fois de forces haut de gamme et de forces capables de stabiliser et de reconstruire

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��L’OTAN hier, aujourd’hui et demainRevuede l’OTAN

Futur

impitoyablement le « ici » et « maintenant », ne laissant que peu de temps et de rares ressources pour prendre en compte le « suivant » et l’« après ». En dépit de cette situation, c’est à la nature et à la portée du changement que l’Alliance doit s’intéresser désormais, et pas seulement à ses nombreux symptômes.

Deux mots dominent l’environnement sécuritaire en plein essor : grande perspective. Cette perspective s’avère plus nette de jour en jour et pose plusieurs grandes questions sur l’avenir collectif de l’Alliance, des questions auxquelles il convient de répondre aujourd’hui, et non dans cinq ou dix ans. Des défis et menaces comme le terrorisme stratégique, l’Afghanistan et l’Iraq ne sont que des composants – mais des composants importants – de cette grande perspective. Les enseignements qui seront tirés de la réponse à ces questions seront d’ailleurs essentiels pour la réussite de la future mission stratégique de l’OTAN : la stabilisation stratégique.

Le présent article propose à la communauté euro-atlantique sept messages et défis stratégiques face auxquels les Européens et les Américains du Nord devraient dès à présent voir grand. Ils portent sur leur rôle collectif dans le monde du XXIè siècle.

Seule l’OTAN peut replacer l’Occident au centre de la sécurité mondiale

A toutes les époques de l’histoire écrite, le genre de rapides changements sociaux, économiques et militaires que nous connaissons actuellement a toujours généré une insécurité profonde. Le déplacement du centre de gravité du pouvoir n’est ni contrôlé, ni institutionnalisé. En conséquence, il en résultera presque inévitablement des tensions entre les États et pas seulement entre États et acteurs non étatiques. La politique de l’équilibre des pouvoirs revient en force, avec toute une série d’implications politiques sécuritaires pour les Européens et les Américains du Nord, absents depuis la fin de la Guerre froide. Le large éventail de risques et de menaces généré par le nouvel environnement exige un nouveau dialogue stratégique transatlantique et un nouveau dialogue stratégique inter-européen. En d’autres termes, les Européens doivent commencer à agréger le pouvoir et non à désagréer le leadership, s’ils veulent – pour citer librement la Stratégie européenne de sécurité – créer une Europe stable, dans un monde meilleur. Et ils doivent le faire dans le contexte de l’Occident politique, qui demeure une identité sécuritaire vitale dans le monde du XXIè siècle.

Aussi démodée que l’Alliance puisse apparaître dans certains milieux, elle doit être au centre de ce dialogue. L’Europe est importante et, face à la complexité des problèmes sécuritaires auxquels l’Occident est confronté, il en va de même du rôle en plein essor de l’Union européenne en tant qu’actrice de la sécurité. L’on ne peut dès lors que regretter qu’une part si importante de l’européanisation récente s’effectue au détriment d’une volonté des Européens de comprendre les implications sécuritaires de la mondialisation, implications qui les concernent de manière réaliste et effective. La focalisation des Européens sur la basse politique affecte presque tous les instruments et institutions que l’Occident peut offrir au monde. A la suite de la débâcle constitutionnelle, l’Union européenne semble incapable

d’affronter la haute politique de la sécurité mondiale. Parallèlement, l’Afghanistan et l’Iraq apportent la démonstration des limites plutôt que de l’ampleur de la puissance des Etats-Unis dans le monde. Tant les Européens que les Américains du Nord ont besoin d’une institution capable et désireuse d’affronter la haute politique. Dans un avenir prévisible, cette institution doit être l’OTAN, car celle-ci fournit le seul mécanisme pour combler le fossé entre instabilité et capacités.

Affronter la haute politique de la sécurité mondiale ne sera pas chose facile, en particulier pour les Européens et les Canadiens. Il est peu probable que beaucoup d’argent soit disponible pour la sécurité et la défense. Alors que l’Asie est en pleine expansion, l’Europe risque d’ailleurs de devenir une zone marginale du point de vue stratégique, bien trop vulnérable face au raz-de-marée du changement. Une tâche considérable a été accomplie en matière de transformation de l’Alliance au cours des quinze dernières années, mais même ce processus ne parvient pas à suivre le rythme du changement du monde extérieur. L’OTAN était jadis une alliance focalisée sur la zone euro-atlantique. Au XXIè siècle, l’OTAN doit devenir une alliance fondée sur la zone euro-atlantique, conçue pour projeter une stabilité systémique au-delà de ses frontières. Pour le bien de tous ses membres, il n’y a pas d’autre choix, car – dans le monde où nous vivons – l’efficacité sécuritaire est impossible en l’absence de légitimité et de capacités. Depuis la fin de la Guerre froide, l’OTAN s’écarte de son grand but stratégique et joue le rôle de stabilisateur régional, en se concentrant sur la micro-gestion de l’environnement sécuritaire européen. Or, le destin de l’OTAN consiste à jouer le rôle de macro-stabilisation pour lequel elle a été créée. L’OTAN doit toujours demeurer le miroir de l’environnement qu’elle sert et se transformer à nouveau, si elle veut satisfaire les besoins du grand environnement sécuritaire.

A l’ère de l’hyper-électronique, la sécurité et la défense fusionnent pour générer une interdépendance mondiale et une vulnérabilité mutuelle. Le fonctionnement critique des États ou des communautés d’États est d’ailleurs désormais dépendant de tant de systèmes électroniques interdépendants et d’infrastructures critiques que leur perturbation pourrait bien, à l’avenir, avoir la même conséquence que leur destruction. La défense collective aux termes de l’article 5 restera une préoccupation importante. Toutefois, à l’instar de l’Alliance elle-même, le traité qui l’a créée doit être interprété comme la base d’une défense dynamique à une époque dynamique, où les frontières seront autant virtuelles que physiques. Pour être efficace dans le monde, l’Alliance doit se souvenir de la raison pour laquelle elle a été formée : assurer l’intégrité politique et physique de ses membres, par le biais d’une solidarité politique sous-tendue par une capacité crédible à engendrer la stabilité politique.

La relation transatlantique doit être reconstituée sous la forme d’une relation nouvelle pour un monde nouveau

Dans un monde idéal, les changements en Asie devraient entraîner l’émergence de nouvelles grandes puissances, qui deviendraient des homologues et des partenaires sans être des concurrentes. La majeure partie de l’Asie est toutefois aux prises avec des déséquilibres

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économiques et d’autres pressions, telles que le nationalisme, qui rendent la région imperméable au genre d’institutions que l’Occident a édifié, en dépit de l’existence de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) et des divers groupes de sécurité de Shanghai. Tant que l’exercice de la puissance dans la région Asie-Pacifique ne sera pas encadré par des institutions opérationnelles du type représenté par l’Union européenne et l’OTAN, un modèle de stabilité en la matière demeurera indispensable : seuls des Européens (et des Canadiens) capables d’un partenariat avec des Etats-Unis ouverts à sa dimension politique peuvent instituer une base de ce type. En d’autres termes, un nouveau contrat transatlantique est nécessaire et il doit être centré sur une nouvelle OTAN, qui deviendra la pierre angulaire de la stabilité mondiale.

Étant donné le rythme et la nature des changements en Asie, étant donné les systèmes de croyances extrêmes qui semblent, de multiples manières, constituer un corollaire direct de la mondialisation et de la dissémination des technologies de destruction massive, datant, pour beaucoup d’entre elles, de plus d’un demi-siècle, la seule manière de protéger le système international édifié par l’Occident consiste à re-dynamiser les relations transatlantiques. Si les relations transatlantiques ne sont jamais bonnes dans le contexte d’une vision étriquée de la sécurité, elles sont bonnes lorsque la sécurité est approchée au sens large. L’Alliance doit, dès lors, se voir confier une mission prospective et ne pas se cantonner

dans de mesquines rivalités de hiérarchie et de prestige au sein de l’Occident.

Avec le temps, il se pourrait fort bien que la Chine devienne un partenaire vital pour l’Alliance, favorisant ainsi la stabilité stratégique. Les préoccupations communes face au programme nucléaire de la Corée du Nord et le fléau du piratage en haute mer sont révélatrices d’une telle possibilité. Trois caractéristiques de la modernisation de l’armée chinoise doivent toutefois préoccuper les planificateurs occidentaux. En premier lieu, la Chine investit dans les capacités de guerre électronique offensive et dans les contre-mesures électroniques. Deuxièmement, la Chine se dote d’une marine complétée par des forces aériennes et terrestres de soutien conçue pour empêcher l’accès par la marine américaine à la mer du Japon pendant deux ou trois semaines. Troisièmement, les dépenses de défense de la Chine sont probablement deux à trois fois supérieures à celles déclarées. En l’absence d’une totale transparence en matière de sécurité et de défense, les partenaires transatlantiques doivent envisager les implications sécuritaires d’une telle puissance militaire en plein essor. Bref, la politique de défense de la Chine constitue de plus en plus ostensiblement une réplique à la capacité de défense des États-Unis. Elle vient en outre perturber une région déjà instable. Il ne peut exister de sécurité systémique en l’absence d’une sécurité asiatique et il n’y aura pas de sécurité asiatique sans que l’Occident y contribue fortement.

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Couvrir l’éventail complet des types de conflit : les distinctions entre maintien de la paix, imposition de la paix et combat perdent rapidementleur sens dans le contexte d’une guerre « en trois blocs »

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Le Concept stratégique doit trouver sa place dans le « grand » monde

Étant donné le rythme et la nature des changements dans le monde, le contexte du Concept stratégique se modifie avec une rapidité alarmante et, dans le meilleur des cas, son actualisation pourrait s’avérer judicieuse. Ceci étant, le Concept stratégique existant offre déjà tout le nécessaire pour apporter une orientation aux dirigeants et aux planificateurs qui préparent l’Alliance à faire face au nouvel environnement sécuritaire au sens large. La question réside dans la manière dont ce Concept stratégique est interprété et le problème est, comme à l’accoutumée, de nature politique et non militaro-stratégique. En conséquence, il n’y a que peu de rapport entre le Concept stratégique et la vision stratégique nécessaire pour faire face au changement et le gérer ensuite. Un nombre impressionnant d’événements s’est produit depuis 1999, lorsque le Concept stratégique a été agréé et que le centre de gravité de la plupart des intérêts sécuritaires des membres s’est déplacé nettement au-delà de l’Europe. A tout le moins, l’Alliance devra modifier la focalisation du Concept stratégique sur l’Europe pour le repositionner à un niveau mondial.

En l’absence d’un Concept stratégique complet et approprié, la planification des forces et de la défense est déséquilibrée. Des forces armées limitées pourraient être prévues en ne prenant en compte qu’une partie seulement de l’environnement où elles devront opérer et des missions qu’elles devront accomplir. En fournissant une interface efficace entre la « grande » stratégie et la stratégie militaire, le Concept stratégique devrait permettre aux forces armées de conserver leur aptitude – de la plus haute importance – à se reconstituer face à une escalade des changements dans l’environnement sécuritaire. Le réalisme politique doit, dès lors, être réintroduit dans la planification de l’Alliance. Des opérations soutenues dans le temps et crédibles au niveau stratégique exigent que la planification repose sur une analyse solide et sur la prise en compte des données de base en ce qui concerne les forces. Cependant, aussi longtemps que les Européens (et les Canadiens) ne seront prêts à reconnaître que les menaces auxquelles ils peuvent faire face, un tel réalisme sera difficile à trouver.

A l’heure actuelle, l’Alliance est également trop souvent tenue de n’utiliser que des forces armées limitées pour combler le fossé entre la protection de ses intérêts (ce qui est vital pour le bien-être immédiat de la communauté euro-atlantique) et la projection de valeurs (l’évolution politique des autres pays en fonction de la propre image de l’Occident). A tout le moins, le réexamen du Concept stratégique pourrait et devrait offrir une meilleure compréhension des relations entre les états finals politiques recherchés dans des endroits éloignés et complexes, et l’utilisation des forces armées à cette fin. Étant donné le décalage de quinze ans entre la vision, la planification et les capacités, et compte tenu du rythme du changement systémique, le processus de planification devrait débuter dès à présent.

L’OTAN devrait également lancer un projet d’Horizons sécuritaires stratégiques, afin que la transformation des forces aille de pair avec une transformation de la planification stratégique. Pour les

Européens d’ailleurs, le seul moyen de renforcer le Concept stratégique - car il s’agit bien là de ce qui sera nécessaire - résidera dans une transformation régénératrice des forces armées par le biais d’une meilleure organisation et de dépenses plus rationnelles. En d’autres termes, non seulement une révision permanente de la stratégie et du Concept s’impose en fonction des changements, mais la liaison entre stratégie et capacités doit, elle aussi, être rétablie. Un tel exercice se situe au cœur de l’Alliance. En l’absence de cette révision, toute alliance, aussi vénérable soit-elle, est condamnée à sombrer par manque de pertinence.

La transformation doit aussi bien assurer la pérennité de la puissance que la capacité de combat

Avec la révision de la stratégie, la transformation des forces armées de l’OTAN constitue peut-être la mission la plus urgente pour l’Alliance. Les deux processus sont, d’ailleurs, intrinsèquement liés. La crédibilité politique des relations transatlantiques comme fondement du système international et le rôle particulier qui échoit aux Européens à cet égard doivent nécessairement reposer sur des capacités militaires qui préservent la supériorité des démocraties. Une telle remarque n’est peut-être pas correcte d’un point de vue politique, mais elle l’est certainement d’un point de vue stratégique. Malheureusement, l’aptitude de l’OTAN à générer un effet sécuritaire dans un grand monde est sapée par un dilemme en matière de planification des forces. La nécessité de pouvoir disposer de forces armées très faciles à déployer et très compétentes est parfaitement justifiée. Pour ce faire, il faut cependant pouvoir compter sur une masse critique de forces capables de couvrir l’éventail complet des types de conflits, quels que soient leur durée et l’endroit où ils surviennent.

Dix ans après le déploiement de l’OTAN en Bosnie-Herzégovine, l’Alliance passe de la stabilisation régionale à la stabilisation stratégique, d’abord par le biais du partenariat, ensuite par le biais de l’adhésion et enfin – si nécessaire – par le biais d’une entrée en force et d’une coercition temporaire. A ce jour, personne n’a toutefois résolu le dilemme des ressources engendré par une telle stabilisation : comment équilibrer la capacité de pénétrer un environnement non permissif et la capacité nécessaire pour rendre un tel environnement durablement permissif ?

L’OTAN a besoin à la fois de forces haut de gamme et de forces capables de stabiliser et de reconstruire. Qu’on le veuille ou non, certains pays sont plus qualifiés pour effectuer une entrée en force, tandis que d’autres sont mieux à même de stabiliser et de reconstruire. Cette réalité de base s’estompe à la suite d’un débat inutile, qui va à l’encontre du but recherché sur la division des tâches. Il existe bien, cependant, une division des tâches entre les pays qui peuvent prétendre à des forces solides et ceux qui ne le peuvent pas. Les pays qui choisissent de ne pas disposer de telles forces, que ce soit en raison du faible niveau de leurs dépenses de défense ou par choix politique conscient, doivent reconnaître que leur participation à l’OTAN, en cette époque de post-élargissement, les oblige à assumer un rôle de stabilisation. Parallèlement, les capacités de stabilisation et de reconstruction doivent se voir accorder une plus grande valeur

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56 L’OTAN hier, aujourd’hui et demainRevuede l’OTAN

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au sein de la structure politique de l’Alliance. Le point de référence de l’influence politique est aujourd’hui trop focalisé sur les capacités de combat réseau-centrées. Chaque tâche a sa propre valeur pour parvenir à des états finals politiques complexes, pour lesquels il n’existe pas de stratégies de sortie, mais uniquement des stratégies de retrait progressif.

La transformation devrait, dès lors, reconnaître la valeur d’une division des tâches entre les membres. La focalisation de la transformation sur ce que les membres ont déjà tendance à bien effectuer et le renforcement de ces aptitudes, même si l’Alliance se tourne vers le grand monde qui l’entoure, devraient veiller à ce que chacun contribue désormais aux états finals politiques désirés, les seuls pour lesquels des forces devraient être déployées. Qui plus est, un renforcement des points forts permettrait aux establishments des différentes défenses nationales de se sentir plus à l’aise face à la planification de la transformation, actuellement intimidante et contraignante pour de nombreux membres. Confrontés au « discours » de la transformation, de nombreux Alliés adoptent d’ailleurs une attitude comparable à celle de lapins hypnotisés par les phares d’un camion qui fonce vers eux. La paralysie qui en résulte empêche trop souvent une modernisation efficace, car la transformation s’effondre sous le poids des excuses invoquant les retraites, le vieillissement de la population et le rétrécissement de la base d’imposition.

Les distinctions faites entre maintien de la paix, imposition de la paix et combat perdent rapidement leur sens dans le contexte d’une guerre « en trois blocs », c’est-à-dire d’une guerre impliquant des activités humanitaires, la stabilisation et des combats de haute intensité. Au minimum, toutes les forces de l’OTAN devraient être portées à un niveau où elles peuvent faire face aux réalités opérationnelles, plutôt que d’essayer de dissimuler leurs faiblesses respectives en imposant des restrictions nationales. En conséquence, la transformation doit être mieux adaptée à chaque État, sur la base de ce qui est politiquement et économiquement possible, pour autant que, une fois déployées, les forces soient en mesure d’assumer la gamme complète des tâches qui leur sont assignées.

Le Commandement allié Transformation souligne à juste titre que la transformation constitue un processus et non un événement, et qu’il s’agit ici autant d’une question d’état d’esprit que d’équipements. Si tel est le cas, il devrait y avoir plusieurs transformations, basées sur le besoin de faire de nécessité vertu. Il est donc paradoxal de constater que, alors que la transformation était destinée à promouvoir le partage des tâches, qui demeure au cœur de la philosophie opérationnelle de l’Alliance, sa focalisation sur l’obtention d’un effet haut de gamme assure la promotion de la spécialisation et de la fragmentation, qui ne représentent qu’une partie de la mission de stabilisation stratégique. En d’autres termes, la transformation doit couvrir l’éventail complet des effets et pas uniquement l’intensité de ces effets.

Aujourd’hui, le partenariat est synonyme de partenariat mondial actif

La grande mission d’élargissement des années 1990 appartient au passé. Dans l’ensemble, l’OTAN a tenu sa promesse de restaurer l’intégrité de l’Europe et de la rendre libre. Dans le nouveau grand monde, en plus de ses responsabilités aux termes de l’article 5, l’OTAN doit désormais devenir le catalyseur de la sécurité mondiale. D’autres États souhaitent naturellement adhérer à l’Alliance et, en temps utile, leur désir devrait être satisfait. Le concept et la valeur du partenariat doivent cependant changer. De fait, l’importance politique des partenaires devrait d’une façon ou d’une autre être égale à celle des membres. Aujourd’hui, le partenariat ne signifie plus préparer de nouveaux pays à l’adhésion, ni simplement offrir à des pays tiers une relation politique avec l’Alliance. Une politique de partenariat mondial actif doit nécessairement placer l’OTAN au centre d’un réseau mondial d’États qui pensent comme elle, un réseau qui agirait comme un pôle de stabilité pour le système international, qui étendrait l’influence de l’Alliance et qui intégrerait des États désireux et capables de se joindre à l’OTAN pour des missions stratégiques de stabilisation. Un partenariat actif implique de cultiver les liens avec les démocraties du monde entier, y compris l’Afrique du Sud, l’Australie, le Brésil, l’Inde et le Japon, et

les familiariser avec les normes et la doctrine de l’OTAN, afin que des opérations puissent être entreprises ensemble, sans qu’il faille à chaque fois réinventer la roue opérationnelle.

En premier lieu, en s’appuyant sur l’Initiative de coopération d’Istanbul, amis et voisins doivent recevoir l’aide nécessaire à l’établissement des meilleures pratiques dans des domaines tels que la gouvernance sécuritaire et la réforme de la sécurité. A cette fin, les normes de l’OTAN devraient s’étendre au partenariat et à la sécurité, et pas uniquement à l’adhésion et au militaire. C’est au Moyen-Orient et en Asie centrale que la nouvelle OTAN sera forgée ou

échouera, et ce sont la nature et l’efficacité du partenariat qui en constitueront le test.

L’Union européenne et l’OTAN sont des partenaires naturels en matière de sécurité

Bien que cette perspective ne rassure sans doute pas les Américains du Nord, ni d’ailleurs certains Européens, l’Union européenne est appelée à devenir un partenaire essentiel de l’Alliance dans la gouvernance de la sécurité stratégique. A moyen ou plus long terme d’ailleurs, le centre de gravité de l’effort civil et militaire des Européens se focalisera sur l’Union européenne. Il est dès lors déplorable que la petite européanisation entrave, ces derniers temps, le développement des relations entre l’Union européenne et l’OTAN. Comme la légitimité est aussi importante que la capacité à générer l’efficacité, l’Union européenne a besoin de l’OTAN et l’OTAN a besoin de l’Union européenne. Celle-ci ne sera jamais forte en l’absence d’une OTAN forte et l’OTAN

Toutes les forces de l’OTAN devraient être portées à un

niveau leur permettant de faire face aux réalités opérationnelles,

plutôt que d’essayer de dissimuler leurs faiblesses

respectives en imposant des restrictions nationales

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��L’OTAN hier, aujourd’hui et demainRevuede l’OTAN

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ne sera jamais forte en l’absence d’une Union européenne forte. L’engagement sécuritaire d’une communauté sécuritaire pluraliste au sein d’un environnement sécuritaire complexe exigeant des réponses complexes nécessite tout un éventail d’acteurs et d’institutions. La diversité fait la force. La communication et la coordination sont toutefois tout aussi importantes.

L’Occident présente actuellement deux centres de leadership sécuritaire : l’OTAN et l’Union européenne. En fonction de l’état final politique recherché, de l’emplacement ou de la nature de la crise à gérer, l’une ou l’autre prendra les commandes. L’Union européenne poursuivra son essor en tant qu’acteur sécuritaire, d’autant et surtout qu’il est essentiel que les Européens assument la responsabilité de leur propre sécurité, d’autant et surtout que la capacité de projeter de la puissance serait sapée sans une aptitude équivalente à protéger son propre territoire. Une grande partie du travail visant à l’amélioration de la capacité sécuritaire des Européens se déroulera d’ailleurs nécessairement au sein de l’Union européenne, qui – à la différence de l’OTAN – est ouverte à la compétence des États. Dans le grand monde dès lors, la concurrence implicite entre l’OTAN et l’Union européenne est non seulement stratégiquement vide de sens, mais elle est également dangereuse. Les deux institutions sont absolument nécessaires et il y a suffisamment d’espace pour chacune d’elles, et l’on ne peut qu’espérer que ceux qui sont à l’origine de cette concurrence stérile commencent à se rendre compte des dommages qu’ils causent à leur propre sécurité et à celle du monde en général.

Quelle voie emprunter pour une coopération efficace ? D’abord, mettre un terme aux déclarations UE-OTAN pompeuses et inutiles. Des relations pragmatiques entre les deux organisations doivent s’établir sur la base d’une coopération pratique sur le terrain. Des équipes UE-OTAN d’action de crise constitueraient une première étape dans ce sens. Deuxièmement, à un nombre déterminé d’Etats européens correspond un ensemble précis de capacités. Dès lors, des relations de travail plus étroites s’avèrent nécessaires entre l’Engagement capacitaire de Prague et le Plan d’action européen sur les capacités. Attribuer un certain rôle à l’Agence européenne de défense lors du Sommet de l’OTAN de 2006 serait un bon début. Troisièmement, les relations entre la Force de réaction de l’OTAN et les Groupes de combat de l’UE doivent être mieux établies et édifiées autour d’un concept de planification des forces pouvant assumer la guerre « en trois blocs », dans lequel la maîtrise de l’escalade de la violence constitue le paradigme de la planification. L’OTAN doit faire preuve de plus de souplesse quant aux relations entre la Force de réaction de l’OTAN et les Groupes de combat ; l’Union européenne doit faire preuve de plus de transparence quant à sa propre planification et à la gestion des crises.

Mener et remporter la lutte mondiale contre le terrorisme exige une « grande » stratégie

Le contre-terrorisme stratégique évolue, passant d’une succession de chasses à l’homme à une nouvelle doctrine stratégique d’engagement dans un monde qui ramène inexorablement l’Occident à la grande sécurité mondiale. Européens et Américains

du Nord doivent prendre conscience que la série d’engagements « exceptionnels » qui ont défini les interventions extra-européennes au cours des quinze dernières années constituent, en fait, un thème. L’histoire est un éternel recommencement, comme en témoigne la métaphore stratégique de la lutte mondiale contre le terrorisme. L’Afghanistan et l’Iraq se situent au croisement du contre-terrorisme, de la stabilité stratégique et de la coercition stratégique, et – en conséquence – impliquent l’engagement des moyens civils et militaires de tous les Alliés. Le résultat de la contre-offensive est une nouvelle Guerre de Trente Ans, dans laquelle des systèmes de croyances extrêmes, des technologies anciennes mais de destruction massive, des sociétés instables et intolérantes, des crimes stratégiques et la mondialisation des matières premières s’associent pour engendrer une menace multidimensionnelle, qui transcende la géographie, les fonctions et les capacités. La réponse de l’Occident et de ses partenaires exigera une nouvelle « grande » stratégie, articulée autour d’une grande OTAN.

Il existe un continuum entre le contre-terrorisme stratégique et le nouveau grand monde des États, parce que, sous de multiples formes, la politique de la puissance est de retour. Le contre-terrorisme ne doit, dès lors, pas devenir la pierre angulaire de la planification de l’Alliance, ni une excuse pour se focaliser sur le terrorisme tactique, en éludant ainsi la nécessité de voir grand face au futur environnement. La reconstitution du mode de pensée stratégique de l’Alliance, avec l’OTAN et l’Union européenne comme centre de gravité de la réponse, exigera la création de forces armées dotées de capacités civiles et militaires, aptes à gérer un large éventail de menaces pour parvenir aux états finals politiques recherchés.

Pour atteindre cet objectif, les Européens et les Américains du Nord vont devoir réfléchir à un monde beaucoup plus grand que celui auquel l’Alliance se prépare actuellement. Les Européens vont devoir réhabiliter la coercition, s’ils veulent que leurs moyens et outils non coercitifs fonctionnent. Et l’Alliance va devoir faire plus avec les ressources disponibles. Puisque les possibilités offertes par une économie d’abondance ont disparu, seules une meilleure organisation et une intégration harmonieuse de la défense permettront de générer au meilleur coût une masse critique efficace face à une masse critique d’insécurité, d’instabilité et de mouvance stratégique.

La planétarisation des enjeux privilégiera des mécanismes crédibles et efficaces pour la multiplication des effets sécuritaires, ce qui implique une collaboration harmonieuse d’institutions telles que l’OTAN et l’Union européenne, pour le bien commun ; cette planétarisation plaide surtout en faveur d’une grande OTAN. Si l’Occident a désormais une vision ambitieuse face à l’ampleur des défis futurs, il doit admettre que la communauté euro-atlantique représente la meilleure chance possible de sauver le système international qu’il a lui-même créé. L’absence d’une vision stratégique à ce stade condamnerait cependant ce système d’équilibre, de légitimité et de stabilité institutionnalisés, entraînant l’apparition d’un monde infiniment plus dangereux.

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�� L’OTAN hier, aujourd’hui et demainRevuede l’OTAN

L orsque l’OTAN a défini son rôle et son but après la Guerre froide, dans son Concept stratégique de 1991, on ne pouvait exclure la possibilité d’une implication éventuelle dans

un nouveau conflit. Depuis lors cependant, la guerre est devenue la mission la moins probable pour l’OTAN, dont le but militaire primordial consiste désormais à promouvoir la stabilité dans des parties du monde où l’instabilité pourrait affecter le bien-être, plutôt que la sécurité militaire de ses nombreux membres. En dépit de cette situation, l’OTAN refuse jusqu’à présent de reconnaître cette nouvelle réalité stratégique et continue à prétendre que l’aptitude à s’imposer dans une guerre conventionnelle doit constituer la norme à l’aune de laquelle sa doctrine, ses capacités, sa culture et son organisation seront mesurées.

Il est un fait que l’OTAN a apporté la preuve de sa considérable capacité d’adaptation au cours des quinze dernières années. L’Alliance accueille de nouveaux membres, ce qui étend fortement la zone de stabilité en Europe et au-delà. Elle reconnaît en outre que la sécurité est aujourd’hui mondialisée et que, en tant que principale organisation sécuritaire occidentale, elle doit être prête à opérer au-delà de la zone euro-atlantique si elle veut demeurer crédible aux yeux de ses membres et du monde. L’Alliance doit toutefois encore accepter que promouvoir la stabilité constitue la seule tâche que l’on demande désormais à ses forces d’accomplir. Il est concevable que ses différents membres désirent maintenir des capacités pour mener des guerres conventionnelles, mais l’OTAN n’est plus adaptée – et il ne lui est plus demandé – de relever le défi face auquel elle a été créée à l’origine.

L’OTAN n’est plus tenue à la guerre parce que son membre dominant, les Etats-Unis, dispose de forces plus que suffisantes pour mener et remporter une guerre traditionnelle contre n’importe quelle autre puissance au monde. Pour des raisons qui, d’après Andrew J. Bacevich dans The New American Militarism (Oxford University Press, 2005), reflètent l’ambition stratégique de la dernière superpuissance ainsi qu’une dynamique intérieure, Washington a mis en place et entretient une capacité de guerre telle qu’il est inutile pour les Alliés de suivre son exemple. Parlant de la campagne du Kosovo de 1999 et de la guerre en Afghanistan de 2001 dans Visions of the Atlantic Alliance (CSIS Press, 2005),

un ouvrage dont la publication a été dirigée par Simon Sefarty, James Dobbins, de la Rand Corporation, conclut : « Ces deux campagnes militaires ont démontré que les Etats-Unis disposent d’une capacité plus que suffisante pour le combat conventionnel et qu’ils n’ont guère besoin de l’aide matérielle que pourraient leur apporter leurs Alliés dans le domaine militaire... Considérée dans une perspective transatlantique, une amélioration de la capacité conventionnelle de l’Europe ferait en grande partie double emploi, sauf dans la mesure où elle améliorerait également la capacité de l’Europe à déployer et à soutenir des forces plus importantes pour des opérations de stabilisation en des lieux plus lointains. » En ce qui concerne la guerre en Iraq, les Etats-Unis ont une fois de plus apporté la preuve qu’ils n’ont pas besoin des autres Alliés pour vaincre un opposant militaire.

Politiquement, l’OTAN n’est pas davantage adaptée à mener des guerres conventionnelles, qui – pour autant qu’elles soient concevables – se dérouleraient probablement en Europe, affectant ainsi à divers degrés d’intensité le nombre sans cesse croissant de ses membres. En de telles circonstances, le consensus serait difficile à atteindre. Une guerre conventionnelle ne constituerait pas un facteur d’union pour l’OTAN, mais mettrait plutôt en lumière sa désunion, tout en sapant sa crédibilité. Les campagnes conventionnelles seront donc probablement menées par les seuls Etats-Unis ou par une coalition de volontaires, regroupant à la fois un certain nombre de membres de l’Alliance et des pays n’appartenant pas à l’OTAN.

Mission possible : la stabilisation

Ce que l’OTAN peut faire et ce que l’on attend d’elle, elle l’accomplit depuis son déploiement en Bosnie-Herzégovine en 1995, à savoir constituer des forces pour contribuer à stabiliser des régions fragiles dans le monde. Cela a commencé dans les Balkans, s’étend aujourd’hui à l’Afghanistan; on peut penser qu’il y aura un besoin croissant pour des missions de ce type à l’avenir. La lecture des récents communiqués de l’OTAN confirme qu’il s’agit-là, désormais, du travail quotidien de l’Alliance. La Force de réaction (NRF) de l’OTAN, à l’origine créée pour permettre aux forces européennes de coopérer avec les forces américaines au plus haut niveau d’un conflit militaire, vient d’achever une mission humanitaire au Pakistan. Comme ne cesse de le souligner le Secrétaire général de l’OTAN Jaap de Hoop Scheffer, la question qui se pose avec le plus d’acuité quant à l’avenir de l’Alliance consiste à savoir si elle « maintiendra le cap » en Afghanistan, une mission dont on ignore encore quand elle s’achèvera.

La stabilisation constitue également la tâche que l’OTAN est la mieux adaptée à accomplir, politiquement et militairement.

L’adieu à la guerre Christoph Bertram fait valoir que l’OTAN devrait se focaliser sur la stabilisation et renoncer à se présenter comme une alliance guerrière.

Christoph Bertram est titulaire de la chaire Steven Muller pour les études allemandes au Bologna Center de la School of Advanced International Studies de Johns Hopkins University. Il a auparavant dirigé la Stiftung Wissenschaft und Politik à Berlin, entre 1998 et 2005, ainsi que l’International Institute for Strategic Studies à Londres, entre 1974 et 1982. Cet article est déjà paru dans la version électronique de l’édition Printemps 2006 de « La Revue de l’OTAN ».

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��L’OTAN hier, aujourd’hui et demainRevuede l’OTAN

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Politiquement, des expériences récentes démontrent que ses membres ont tendance à s’accorder très facilement sur des opérations de stabilisation. Militairement, alors qu’aucune des forces armées européennes ne peut rivaliser avec celle des Etats-Unis en termes de dépenses et de capacité de combat de haut niveau, nombre d’entre elles ont l’expérience des opérations de stabilisation. Qui plus est, le Grand quartier général des puissances alliées en Europe installé à Mons présente une qualification unique pour accomplir le travail préparatoire qui est nécessaire pour permettre aux membres et aux Partenaires de déployer des forces dans le cadre d’opérations d’endiguement des crises et d’imposition de la paix.

En dépit de cela, le mythe qui prévaut à Bruxelles est que la tâche principale de l’Alliance consiste toujours à être prête à faire échouer toute menace militaire directe contre l’intégrité territoriale

de ses membres. Les même communiqués de l’OTAN, qui ne cessent de parler de maintien de la paix, affirment que l’Alliance demeure la base de la défense collective. Plutôt que d’admettre les changements manifestes intervenus dans l’environnement stratégique, le mode de pensée politiquement correct associe l’Alliance au mantra contenu dans le Concept stratégique actualisé de 1999, suivant lequel « le maintien d’un potentiel militaire adéquat et une volonté manifeste d’agir collectivement pour la défense commune restent essentiels à la réalisation des objectifs de l’Alliance sur le plan de la sécurité » et l’existence de capacités militaires efficaces « est aussi fondamentale pour permettre à l’Alliance de contribuer à la prévention des conflits et à la gestion des crises ». La structure, les procédures, le langage et la culture de l’organisation continuent à transmettre le message qu’elle doit pouvoir faire face aux risques les plus élevés d’agression militaire. Les défauts de capacités continuent à être définis dans une large mesure en fonction de cette norme. De même, les

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L’OTAN en première ligne : constituer des forces devant contribuer à stabiliser les régions fragiles dans le monde, un rôle auquel l’Alliance est adaptée et pour lequel elle est indispensable

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structures de commandement, bien qu’ayant subi un considérable ajustement, demeurent conçues pour l’ancien modèle et pas pour la nouvelle tâche. Les innovations les plus récentes – la NRF et le Commandement allié Transformation – ont été spécifiquement créées pour remédier au déficit supposé de l’OTAN en matière de puissance militaire haut de gamme.

Les raisons de cette déconnexion entre la réalité et l’idéologie ne résident pas essentiellement dans un aveuglement face aux nouveaux défis. Après tout, les opérations de stabilisation sont aujourd’hui largement considérées comme étant la principale préoccupation de l’OTAN. Admettre qu’elles doivent désormais constituer le principe organisateur de l’Alliance s’avère toutefois difficile en raison de l’inertie institutionnelle et de la crainte que cela affaiblirait encore le tissu déjà fragilisé de l’OTAN. D’aucuns redoutent qu’une division des tâches entre « stabilisateurs » et « combattants » sape la cohésion de l’Alliance et mène à une organisation à deux niveaux, où certains pays ne seraient actifs qu’à l’un de ces deux niveaux. Qui plus est, les pays pourraient ainsi ignorer leurs promesses concernant des engagements militaires de plus haut niveau, en faveur de tâches de stabilisation censées être moins onéreuses. Des forces à deux niveaux ne tarderaient pas à produire une mentalité, elle aussi, à deux niveaux. Le fossé entre les niveaux de préparation militaire européen et américain continuerait de s’élargir..

De telles craintes ne sont toutefois pas fondées. Dans la pratique, un ralliement résolu à la priorité qu’est la stabilisation renforcera l’Alliance, tout en offrant le cadre au sein duquel certain des problèmes actuels pourront être abordés avec davantage de chances de succès.

Unir et non diviser

En se concentrant sur la stabilisation, l’OTAN effectuerait une tâche apte à satisfaire les intérêts de sécurité de tous ses membres, des deux côtés de l’Atlantique. Il pourrait y avoir un risque d’une Alliance à deux niveaux si les seules forces européennes étaient impliquées dans la stabilisation. Mais l’expérience des États-Unis en Iraq n’a pas été vaine pour les politiciens et planificateurs militaires américains, qui ont tardivement désigné la stabilisation comme une mission militaire essentielle. Elle a d’ailleurs même fait apparaître aux critiques de la « guerre en coalition » l’utilité de disposer d’alliés pouvant fournir les effectifs plus importants nécessaires à la mission de longue durée qu’exige une stabilisation sérieuse. Aujourd’hui et à l’avenir, les forces américaines et non américaines seront de plus en plus impliquées dans cette tâche.

La stabilisation ne doit pas être considérée comme une option moins onéreuse. De telles opérations sont d’ailleurs généralement plus coûteuses que les actuelles campagnes militaires de courte durée. Elles exigent des forces bien formées et bien équipées,

et comportent souvent des risques plus importants pour les soldats. La première guerre de l’OTAN, la campagne du Kosovo en 1999, n’a pas entraîné de pertes alliées. Bien que prolongée en raison du refus de déployer des troupes au sol, elle a duré moins de trois mois. Depuis lors, des forces de l’OTAN ont été déployées en grand nombre au Kosovo et, bien que leur niveau ait été réduit, une présence militaire occidentale d’une forme ou d’une autre sera probablement nécessaire dans la province durant de nombreuses années encore. Le coût de la stabilisation et de la reconstruction dépasse d’ores et déjà considérablement celui de l’opération militaire d’origine. La guerre en Iraq de 2003 s’est achevée en quelques semaines. Par contre, la stabilisation d’après conflit dure déjà depuis trois ans, est loin d’être achevée et s’avère extrêmement coûteuse en termes de pertes et de dépenses. Au lieu de s’inquiéter de voir des Alliés opter pour le développement de capacités de stabilisation plutôt que de guerre, l’OTAN devrait plutôt se préoccuper des membres qui essayent de faire les deux simultanément, mais de façon imparfaite. Quelques rares et précieux Alliés possèdent les ressources leur permettant d’être convaincants dans les deux domaines.

Une OTAN qui se spécialise dans la stabilisation élargirait-elle le fossé entre les capacités et mentalités sécuritaires européennes et américaines ? Étant donné que le désaccord transatlantique le plus récent trouve son origine dans les tendances guerrières de l’Allié dominant, il semble pour le moins discutable d’incriminer un tel effet à un engagement commun en faveur de la stabilisation. Le fossé entre les capacités et les mentalités européennes et américaines s’élargit de lui-même et aucun des appels des divers sommets de l’OTAN pour réduire le fossé des capacités n’a pas produit le résultat désiré. Si les guerres divisent l’Alliance parce

qu’elles ne bénéficient pas du soutien de tous les membres et n’impliquent les capacités que de quelques-uns d’entre eux, des opérations de maintien de la paix, comme en Bosnie-Herzégovine et en Afghanistan, unissent l’Alliance, car elles font appel aux intérêts communs et à des capacités que presque tous les Alliés peuvent apporter.

Lors de la prise de décisions au sein de l’Alliance, le pouvoir de négociation des « stabilisateurs » ne devrait pas être moindre que celui des « combattants ». Après tout, les forces qui procèdent au nettoyage sont au moins aussi importantes que celles qui enfoncent la porte. Tout Allié espérant se tourner vers la capacité de stabilisation de l’OTAN une fois les combats achevés serait bien avisé d’obtenir très tôt l’appui d’autant de membres que possible. Les Alliés dont les forces seront essentielles une fois la guerre achevée doivent pouvoir s’attendre à disposer d’un degré d’influence proportionné avant le début des hostilités.

Futur

Au lieu de s’inquiéter de voir des Alliés opter pour le développement de

capacités de stabilisation plutôt que de guerre, l’OTAN devrait se préoccuper des

membres qui essayent de faire les deux simultanément, mais

de façon imparfaite

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�1L’OTAN hier, aujourd’hui et demainRevuede l’OTAN

Futur

Les effets en prime

Non seulement il n’est pas justifié de redouter une perte de cohésion de l’Alliance si celle-ci accorde la priorité à des opérations et des capacités de stabilisation. Au contraire, cette évolution ne pourra être que bénéfique à la cohésion de l’Alliance. Une fois ce choix fait, il contribuera probablement à résoudre aussi certains des problèmes auxquels l’Alliance est confrontée aujourd’hui et le sera demain: l’unité, l’élargissement, les relations avec la Russie et la coopération avec l’Union européenne.

Au sein de l’Alliance de l’après-Guerre froide, l’unité est généralement mise à rude épreuve par des actions militaires traditionnelles, puis restaurée par le biais de l’intérêt commun pour la stabilisation. Cela n’est guère surprenant dans les circonstances stratégiques actuelles, où les menaces sont ambiguës et la décision quant à la manière d’y faire face au mieux suscite dès lors des controverses. Ces controverses tendent cependant à être moins nombreuses lorsqu’il s’agit d’empêcher des régions importantes de basculer dans le chaos.

L’élargissement a étendu la zone de stabilité impliquée par l’adhésion à l’OTAN. Toutefois, il est intrinsèquement impossible à l’Alliance de définir ses frontières extérieures et l’élargissement est voué à se poursuivre. Mais, avec chaque nouveau membre, le fait pour l’OTAN de prétendre constituer avant tout une organisation de défense collective devient moins plausible et l’engagement de défense collective figurant dans l’article 5 du Traité de Washington apparaît plus édulcoré. Mettre l’accent sur les opérations de stabilité en tant que fonction principale de l’Alliance rappellerait aux nouveaux venus que l’adhésion ne consiste pas à exiger l’assistance de l’OTAN face à la moindre difficulté qu’ils pourraient rencontrer avec leurs voisins, mais qu’elle implique une contribution active à la tâche conjointe de stabilisation.

Comme l’élargissement inclura probablement tôt ou tard l’Ukraine, l’OTAN doit élaborer une stratégie destinée à rendre cette étape

acceptable aux yeux de la Russie. Accorder la préséance à la mission de stabilisation par rapport à la défense collective aiderait l’OTAN à présenter l’ajout de l’Ukraine à ses membres comme ne constituant pas une menace pour la Russie et à ouvrir des perspectives pour une coopération pratique dans ce domaine avec cette même Russie.

Signalons enfin que cela contribuerait à fournir la base d’une coopération plus étroite entre l’Alliance et l’Union européenne. Les réticences d’un certain nombre de membres de l’Union européenne face à des relations plus structurées s’expliquent par la crainte que celles-ci entravent la propre intégration de la défense de l’Union, en accordant à l’OTAN et à son membre dominant un droit de veto sur ce que les Européens projettent de faire. Une fois que l’OTAN aura clairement opté en faveur de la stabilisation, cette crainte pourra probablement être plus facilement apaisée.

Il faut souligner qu’une telle démarche n’implique pas que l’OTAN doive renoncer à l’engagement de défense collective de ses membres. Étant donné l’ampleur des défis probables, les forces qu’elle pourra mobiliser pour des opérations de stabilité seront par ailleurs adéquates pour cette défense. Mais cela implique que le renouvellement de l’Alliance ne résulte plus de la mise en évidence de ses prouesses guerrières, conventionnelles ou non conventionnelles, mais uniquement de la démonstration du rôle extraordinaire, unique et majeur qu’elle peut jouer dans l’apport de forces militaires pour la gestion des crises et la stabilisation d’après conflit, nouvelle norme en fonction de laquelle il y a lieu de procéder à la planification des forces et de définir les exigences y afférentes. Depuis la Guerre froide, l’OTAN fait preuve d’un remarquable état de préparation pour s’adapter aux nouvelles réalités. Faire de la stabilisation sa vocation centrale constitue la prochaine et nécessaire étape.

Pour plus d’informations sur le Bologna Center of Johns Hopkins University School of Advanced International Studies, voir www.jhubc.it

Concours d’essais Manfred WörnerPour rendre hommage à la mémoire de Manfred Wörner, le regretté Secrétaire général de l’OTAN, et en particulier au rôle qu’il a joué dans la transformation de l’Alliance à la fin de la Guerre froide, les Alliés de l’OTAN ont décidé d’instituer un concours annuel de rédaction d’essais, récompensé par deux prix. A partir de 2006, il y aura un Junior NATO Manfred Wörner Essay Award et un Senior NATO Manfred Wörner Essay Award.

Le Junior NATO Manfred Wörner Essay Award s’adresse aux universitaires, chercheurs et écrivains de l’OTAN et des pays partenaires qui ont entre 20 et 35 ans. Un prix de 5 000 euros sera décerné à la personne qui rédigera le meilleur essai sur un sujet intéressant l’Alliance. L’essai ne doit pas dépasser 5 000 mots et doit se prêter à une large diffusion, notamment dans les publications de l’OTAN.

Le Senior NATO Manfred Wörner Essay Award est destiné aux universitaires, chercheurs et écrivains de l’OTAN et des pays partenaires d’au moins 35 ans, confirmés dans le domaine de la politique de sécurité internationale. Un prix de 10 000 euros sera décerné à la personne qui rédigera le meilleur essai sur un sujet intéressant l’Alliance. L’essai ne doit pas dépasser 5 000 mots et doit se prêter à une large diffusion, notamment dans les publications de l’OTAN.

Une brochure fournissant tous les détails sur les NATO Manfred Wörner Awards ainsi que des formulaires d’inscription sont disponibles sous forme électronique via l’adresse www.nato.int/acad/fellow/mw00e.htm.

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�2 L’OTAN hier, aujourd’hui et demainRevuede l’OTAN

Futur

A quoi pourrait ressembler l’OTAN en 2025 ? Tous les aspects importants de l’Alliance ont considérablement fluctué – avec des hauts et des bas – depuis la signature

du Traité de l’Atlantique Nord (« Traité de Washington »). L’Alliance continue actuellement à se modifier et doit sans aucun doute s’attendre à d’autres changements à l’avenir. Au cours de l’été 2005, le Centre Clingendael d’études stratégiques (CCSS) a apporté son soutien à l’Agence de l’OTAN pour la consultation, le commandement et le contrôle (NC3A), en effectuant une étude des futurs contextes potentiels à des fins de planification de la défense de l’Alliance. Résumée dans le présent article, cette étude intitulée Future NATOs constitue l’une des sources qui permettra à la NC3A d’apporter son soutien au Commandement allié Transformation (ACT) dans l’élaboration d’une série de « mondes futurs » alternatifs, faisant chacun référence à un environnement sécuritaire ultérieur et à une OTAN spécifique de demain.

La littérature concernant l’OTAN foisonne d’articles sur ce que l’avenir peut réserver à l’Alliance. Nombre d’entre eux sont normatifs par nature ; ils traitent de ce qui convient ou non à l’OTAN et de la manière dont les choses pourraient être améliorées aux yeux de l’auteur. Ces articles peuvent s’avérer utiles à des fins d’orientation, mais ils traduisent en général davantage les préférences de l’auteur qu’une réflexion structurée ou une intuition concernant l’avenir. Si d’autres articles tentent par ailleurs d’explorer le futur, la plupart ont tendance à extrapoler l’avenir de l’OTAN à partir de tendances existantes, telles qu’elles sont perçues par l’auteur. La communauté stratégique a été surprise à de si nombreuses reprises au cours des dernières décennies – chute du Mur de Berlin, l’effondrement de l’Union soviétique, émergence du terrorisme comme principal défi sécuritaire mondial – qu’il apparaît désormais clairement que cette approche par extrapolations est insuffisante pour satisfaire les besoins de planification à long terme en matière de défense.

Face aux pièges des approches normatives et aux extrapolations existantes, le CCSS a conçu un atelier chargé d’élaborer un certain nombre de scénarios « instantanés » destinés à identifier les principales dimensions du changement de l’OTAN. Le but de cet atelier ne consistait pas à prédire ni à exposer des probabilités, mais bien à esquisser et à dresser la carte des diverses incertitudes entourant l’OTAN tout en distillant des « instantanés » de l’avenir de l’Alliance dans le cadre de cet espace de scénarios. L’atelier a rassemblé un panel d’analystes néerlandais de haut niveau présentant un assortiment varié de compétences professionnelles,

universitaires et idéologiques. Deux groupes de travail équilibrés ont indépendamment identifié les caractéristiques de l’Alliance susceptibles de subir des changements à l’avenir, ainsi que les principaux facteurs considérés comme les moteurs de ces changements.

Comme les constatations issues de l’atelier étaient destinées à servir de contribution pour la planification à long terme de l’Alliance, la question de savoir si l’OTAN existera encore en 2025 n’a pas fait l’objet d’un examen systématique. Une majorité des participants a considéré que la disparition de l’OTAN est concevable, tout en constituant un paramètre inutile dans le cadre des objectifs de planification de la défense.

Les caractéristiques essentielles de l’OTAN

La première étape de la méthodologie impliquait l’identification des principales caractéristiques de l’OTAN susceptibles – de l’avis des deux groupes – d’évoluer au cours des vingt prochaines années. Pour chacune de ces caractéristiques, une échelle a été créée, permettant d’établir la « marge de fluctuation » au sein de laquelle des changements sont susceptibles d’intervenir. Voici un aperçu des caractéristiques identifiées par les deux groupes et des valeurs des échelles correspondantes :

• Lien transatlantique : la force du lien – politique et opérationnel – entre les Alliés américains et européens ;

• Leadership des États-Unis : la mesure suivant laquelle les États-Unis maintiendront leur engagement envers l’OTAN et seront désireux de continuer à assumer un rôle de leadership ;

• Zone d’opérations : l’espace géographique au sein duquel des opérations de l’OTAN peuvent avoir lieu ;

• Prise de décisions : la mesure suivant laquelle l’Alliance peut prendre des décisions sur des questions controversées ;

• Orientation directive : la mesure suivant laquelle l’OTAN en tant qu’organisation est capable d’avoir une action déterminante sur les décisions et les actes de ses membres ;

• Éventail des missions : le segment au sein de l’éventail des conflits dans lequel l’Alliance effectuera des missions ;

• Capacités : l’ampleur des capacités dont dispose l’OTAN et l’efficacité avec laquelle elle mettra conjointement en œuvre ses instruments de coercition ;

• Nature politique vs. militaire : l’équilibre entre les dimensions politique et militaire de l’Alliance ; et

• Adhésions : l’ampleur et la dissémination géographique des adhésions à l’OTAN.

Au cours de l’étape suivante, les participants à l’atelier se sont intéressés aux principaux facteurs qui, à leur avis, pourraient entraîner la modification des capacités mentionnées ci-dessus. Les deux groupes ont identifié les trois facteurs essentiels suivants :

Quel sera le profil de l’OTAN demain ? Stephan De Spiegeleire et Rem Korteweg envisagent une série de scénarios pour l’avenir de l’Alliance.

Stephan De Spiegeleire est directeur de programme pour la transformation de la défense et Rem Korteweg effectue des recherches pour l’obtention de son doctorat au Centre Clingendael d’études stratégiques à La Haye. Cet article est déjà paru dans la version électronique de l’édition Eté 2006 de « La Revue de l’OTAN ».

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��L’OTAN hier, aujourd’hui et demainRevuede l’OTAN

Futur

• Volonté des États-Unis d’assumer un rôle de leadership au sein de l’OTAN : leadership américain marqué ou absent ?

• Impact de l’Union européenne : l’Union européenne sera-t-elle un acteur politique cohérent et marquera-t-elle, dès lors, de son empreinte la politique internationale (y compris dans le domaine militaire) ou son influence sera-t-elle fragmentaire, et donc faible ?

• Perception des menaces : indépendamment de la nature des menaces, les Alliés de l’OTAN adopteront-ils une perception commune en 2025 ou cette perception sera-t-elle de plus en plus diversifiée au sein de l’Alliance ?

Il est intéressant de noter que les deux groupes de travail ont identifié des facteurs exclusivement internes à l’OTAN. Ils ont indépendamment conclu que l’évolution au sein même de l’Alliance serait plus importante pour son avenir que tout événement survenu en dehors de l’OTAN au niveau de l’environnement sécuritaire au sens large.

Ces caractéristiques et ces facteurs, plutôt que des tendances spécifiques, définissent globalement la forme et la nature futures de l’OTAN. Le résultat des délibérations a consisté à présenter un espace de scénarios détaillés, illustrant graphiquement les principales incertitudes auxquelles l’OTAN est confrontée. Les contours de cet espace sont constitués par les valeurs extrêmes des facteurs déjà mentionnés. Au sein de cet espace, cinq « instantanés » de l’OTAN ont été placés, afin de servir de contextes à la planification de la défense. Ils doivent être considérés comme des illustrations relevant de l’espace de scénarios, et non comme une liste exhaustive de tous les futurs probables de l’OTAN en 2025. Ils ont néanmoins été sélectionnés afin d’apporter une diversité et une ampleur suffisantes à la restitution des principales dimensions des changements de l’Alliance et, par conséquent, une réelle utilité en matière de planification de la défense.

Scénarios

« Boîte à outils bien garnie »

[Fort leadership des États-Unis au sein de l’OTAN, forte perception militaire définie en commun et Europe relativement faible et fragmentée]

Suivant ce scénario, les États-Unis sont un acteur politique dominant sur la scène internationale et assument pleinement un rôle de leadership au sein de l’OTAN. L’élargissement de l’Union européenne n’a pas accru l’unité politique et la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD) manque de coordination et de vigueur.

Les deux côtés de l’Atlantique partagent une même perception des menaces auxquelles l’Alliance est confrontée. Dans ce contexte, les États européens considèrent que l’OTAN constitue l’instrument de prédilection pour renforcer la stabilité mondiale. Cette perspective politique commune ne se traduit cependant pas par un accroissement substantiel des capacités de défense. En conséquence, l’aptitude à opérer aux côtés des États-Unis dans le segment supérieur de l’éventail des conflits est réservée à quelques Alliés européens. Les États européens ne sont pas en mesure de maîtriser des opérations de théâtre majeures - toutes catégories confondues - sans un soutien appuyé des États-Unis. Le fossé technologique entre les deux continents continue à se creuser. Les normes d’interopérabilité sont maintenues et affinées, mais la plupart des Alliés européens n’offrent que des capacités expéditionnaires limitées pour des opérations de gestion de crises. Les États-Unis continuent néanmoins à s’intéresser aux capacités de niche européennes et à considérer l’OTAN comme leur instance de prédilection pour la fourniture – effective ou potentielle – de forces. De même, les États membres européens perçoivent l’OTAN comme l’instrument privilégié par le biais duquel ils peuvent utiliser leurs forces armées. La portée de l’OTAN est mondiale et, grâce à un large choix de capacités, elle couvre un segment étendu de l’éventail des missions. L’Alliance constitue une « boîte à outils » puissante, souple et modulaire. Elle est unie dans la perception des menaces, bien que la composition des coalitions dépende des missions qui se présentent et de l’aptitude des différents membres à contribuer aux opérations.

« Partenariat partagé »

[Combinaison d’une forte participation des États-Unis au sein de l’OTAN, d’une Europe forte/cohérente et d’une perception commune des menaces]

Le deuxième scénario reflète un partenariat réellement partagé entre les États-Unis et l’Union européenne pour la gestion des crises. L’Union européenne a considérablement progressé dans le

Paramètres, échelles et valeurs

Caractéristiques Échelles et valeurs

Lien transatlantique Fort Faible

Leadership des États-Unis Absent Égal UE Fort

Zone d’opérations Régionale Mondiale

Prise de décisions Inefficace Efficace

Orientation directive Inefficace Efficace

Éventail des missions Focalisation étroite (éventail limité) Focalisation large (éventail complet)

Capacités Limitées Expéditionnaires effectives

Nature politique vs. militaire Politique Militaire

Adhésions Peu de membres Beaucoup de membres

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�� L’OTAN hier, aujourd’hui et demainRevuede l’OTAN

Futur

renforcement de son unité politique. Ce renforcement de l’intégration politique entraîne une plus grande cohérence dans le domaine de la PESD. Les États européens ont élaboré des méthodes pour utiliser leurs budgets de défense (probablement légèrement accrus) en vue de réaliser des progrès substantiels dans la transformation de leurs armées respectives, ceci afin de disposer de composants expéditionnaires efficaces. En termes de capacités, l’écart entre l’Union européenne et les États-Unis s’est réduit, en raison – principalement – de mesures de renforcement de l’efficacité, incluant la standardisation des équipements et la mise en commun de diverses ressources (telles que le transport aérien). La Force de réaction de l’OTAN (NRF) a joué un rôle important dans cette transformation. Un nouvel accord politique transatlantique aux termes duquel les États-Unis tiennent davantage compte de l’avis de l’Union européenne au sein de l’OTAN entraîne le renforcement (et la complémentarité) des capacités européennes. Les Alliés européens continuent à accepter le leadership américain, alors que la perception des menaces par les États-Unis et l’Union européenne est définie en commun. Les deux côtés de l’Atlantique sont conscients que de réels progrès ne peuvent être réalisés qu’en projetant la stabilité et la paix par le biais d’un véritable partenariat.

La capacité européenne à opérer sur des théâtres éloignés et dans le segment supérieur de l’éventail des conflits demeure plus limitée que celle des États-Unis. Une division des tâches a donc été convenue, aux termes de laquelle l’Union européenne (même lorsqu’elle opère sans le soutien des États-Unis) mène surtout des opérations sur des théâtres proches de l’Europe et relevant du segment inférieur de l’éventail des conflits. Des forces armées européennes sélectionnées peuvent intervenir à l’échelle mondiale aux côtés des États-Unis, pour des missions relevant du segment supérieur de l’éventail des conflits, en recourant à des procédures, ressources et capacités OTAN établies. Les coalitions de volontaires (pouvant résulter d’initiatives provenant de l’Alliance) demeurent un composant important de la gestion internationale des crises, mais l’OTAN agit également de plus en plus comme un acteur à part entière.

« Boîte à outils dispersée »

[Combinaison d’un leadership tiède des États-Unis au sein de l’OTAN, d’une cohésion européenne moyenne et d’une perception très diversifiée des menaces]

OTAN placée sous un fort leadership

américain

Perception commune

de la menace

Perception différente

de la menace

OTAN « Boîte à outils bien garnie » OTAN

« Partenariat partagé »

OTAN « Retour à l’IESD »

OTAN « Boîte à outils dispersée »

OTAN « Club de Gentlemen »

OTAN sans leadership américain

UE fragmentée/faible UE

homogène/solide

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��L’OTAN hier, aujourd’hui et demainRevuede l’OTAN

Futur

La troisième possibilité implique une OTAN moins cohésive, basée sur un engagement limité des États-Unis, une Union européenne de moyenne puissance et des divergences dans la perception des menaces. Cela conduit à une approche « boîte à outils » des capacités restantes, conférant à une Alliance moins cohésive un rôle plus limité en tant qu’actrice stable pour la gestion des crises au niveau mondial.

Europe et États-Unis ne partagent pas la même perception des menaces qui les entourent en matière de sécurité. Alors que les États-Unis considèrent avant tout le monde en termes « réalistes » traditionnels et se focalisent sur les menaces militaires, leurs Alliés européens, stimulés par l’unité politique – bien qu’incomplète – de l’Union européenne, ont une vision post-moderne du monde et mettent l’accent sur des approches non militaires au niveau de leurs considérations sécuritaires. Les ressources financières européennes sont principalement investies dans des capacités à large spectre, telles que celles qui permettent d’accomplir des opérations de stabilisation et de reconstruction. Comme il s’avère de plus en plus difficile de fixer des priorités politiques communes, la position de l’OTAN sur la scène politique internationale s’érode et, parallèlement, les dissensions entre les Alliés se multiplient. L’intérêt des États-Unis pour un leadership au sein de l’Alliance décline. Le fossé des capacités n’a pas été comblé, puisqu’une diversification des capacités est intervenue, ce qui affaiblit l’Alliance en tant qu’entité miliaire. Les divergences entre Alliés en matière de culture stratégique sont importantes. C’est ainsi que la prévention militaire demeure l’option favorite des États-Unis, mais qu’elle n’est pas acceptée par les États membres de l’Union européenne. Côté positif, les États membres européens se focalisent sur le développement de capacités de réaction aux crises, d’aide humanitaire et de secours en cas de catastrophe, et l’OTAN dispose désormais d’une palette de possibilités plus diversifiée, qu’elle accepte d’utiliser au niveau mondial. La NRF constitue une force européenne, focalisée sur le segment inférieur des options de réaction aux crises. De la sorte, dans les cas où les dirigeants des deux côtés de l’Atlantique s’accordent sur une politique commune, l’OTAN peut utiliser les capacités de sa « boîte à outils » diversifiée. La gestion de cette division implicite des tâches constitue un obstacle non négligeable.

« Retour à l’IESD »

[Combinaison d’une Europe assez cohérente, d’un intérêt limité des États-Unis pour l’OTAN et d’une perception modestement commune des menaces]

Le quatrième scénario implique une Alliance principalement conduite par l’Union européenne. L’unité politique accrue au sein de celle-ci a eu un fort impact sur l’OTAN. Le succès relatif de la PESD entraîne des progrès importants dans la gestion des crises, en donnant forme à un composant européen cohérent et plus « holistique ». L’Union européenne peut opérer dans le cadre de la NRF et peut en outre le faire sans le soutien des États-Unis.

Le fossé des capacités n’est pas comblé et s’est même peut-être élargi. Les Alliés européens sont pour la plupart incapables d’opérer aux côtés des États-Unis dans les segments moyen et élevé de l’éventail des conflits. La NRF est principalement utilisée pour des missions de réaction à des crises dans les segments inférieur ou moyen de l’éventail des conflits. Les États-Unis se focalisent sur les capacités haut de gamme et ne souhaitent pas utiliser leurs ressources pour des opérations de l’OTAN intéressant le segment inférieur. Il en résulte que le leadership des États-Unis au sein de l’Alliance s’estompe. Dans la pratique, lorsque l’OTAN agit, ce sont les Européens qui interviennent. La crainte d’une distanciation structurelle transatlantique a persuadé les Alliés de ne pas renoncer complètement à l’OTAN, mais les débats politiques continuent à porter préjudice à l’efficacité de l’Alliance au-delà d’un seuil relativement bas. Les États-Unis opèrent sur une base unilatérale et ne participent pas aux opérations de l’OTAN, même s’ils soutiennent politiquement les opérations entreprises par leurs Alliés européens. De même, la crainte des Européens d’une distanciation avec les États-Unis conduit à des opérations menées sous le drapeau de l’OTAN. La plupart des idées qui sous-tendaient à l’origine l’Identité européenne de sécurité et de défense (IESD) se sont ainsi matérialisées, même si le pilier européen de l’OTAN supporte la majeure partie du poids de l’Alliance.

Une alternative possible à ce scénario consisterait à dire que, suite à l’atténuation du leadership des États-Unis au sein de l’OTAN et à l’accroissement de la cohésion européenne, les États européens préfèrent recourir à l’Union européenne plutôt qu’à l’Alliance comme principal instrument pour la gestion des crises. Les opérations de gestion des crises s’accomplissent ainsi par le

biais du mécanisme « Berlin Plus », en utilisant les ressources de planification et les capacités de l’OTAN, mais en menant ces opérations sous le drapeau de l’UE. L’Alliance se réduit ainsi à un simple catalyseur des opérations de l’UE.

« Club de gentlemen »

[Combinaison d’une absence totale d’intérêt des États-Unis pour l’OTAN, d’une Europe cohérente ou fragmentée et d’une perception commune ou diversifiée des menaces]

Le dernier scénario est le plus pessimiste des cinq profils potentiels de l’OTAN en 2025. Les États-Unis ont perdu tout intérêt pour l’Alliance. Le fossé des capacités s’est accru et même les Alliés les plus atlantistes sont incapables de soutenir le rythme d’évolution des États-Unis en matière de transformation et de développement de leurs forces armées. La NRF n’est pas parvenue à fédérer la cohésion et le rapprochement des membres de l’Alliance. Les budgets de la défense européens continuent à décroître ou restent stables dans le meilleur des cas. Les Alliés européens se sont tournés vers l’Union européenne et la PESD pour trouver des réponses aux problèmes de sécurité. En l’absence de leadership américain, ils font valoir qu’il n’y a aucune raison d’investir dans l’Alliance et qu’il vaut mieux se focaliser sur une approche européenne de la gestion des

L’avenir de l’Alliance serait fort sombre en

l’absence du leadership des États-Unis

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�� L’OTAN hier, aujourd’hui et demainRevuede l’OTAN

Futur

crises, par le biais de l’Union européenne. Parallèlement, les États-Unis marquent leur préférence pour l’unilatéralisme et n’acceptent qu’occasionnellement de participer à une coalition ad-hoc de volontaires européens. L’OTAN ne constitue plus l’instrument de développement – ni de standardisation - des capacités militaires. Les questions de sécurité mondiale sont discutées, mais la volonté d’une action commune est absente. L’Alliance s’est muée en une enceinte politique, qui rappelle davantage un club de gentlemen de la fin du XIX° siècle qu’une organisation de sécurité collective. Un tel scénario révèle que, si les États-Unis venaient à perdre tout intérêt pour l’OTAN, le rôle des deux autres facteurs pris en compte ici serait sans importance pour ce qui concerne l’Alliance. Que l’Union européenne soit faible ou forte et quelle que soit l’évaluation des menaces, l’avenir de l’Alliance serait fort sombre en l’absence du leadership des États-Unis.

Conclusion

La manière de faire face aux incertitudes profondes qui dominent le système international depuis plusieurs décennies est devenue la préoccupation essentielle des planificateurs stratégiques au niveau mondial. Dans un monde en rapide évolution, ces planificateurs ne peuvent plus s’en tenir à des choix d’orientation rigides, optimisés

en fonction des certitudes apparentes liées au moment présent et à l’avenir. Ils sont contraints de faire des choix d’orientation flexibles, capables de résister face à un large éventail d’avenirs plausibles. La planification de la défense de l’OTAN tient compte de cette attitude. Il convient d’ailleurs d’inscrire au crédit de l’Alliance qu’elle a également commencé à inclure l’incertitude quant à son avenir dans son processus de planification à long terme de la défense, une disposition que l’on omet fréquemment lorsqu’on planifie des scénarios, même dans le monde des affaires. Les divers scénarios figurant dans l’étude du CCSS esquissent certaines incertitudes fondamentales quant à l’avenir de l’OTAN elle-même. Reste à voir, à présent, dans quelle mesure ces incertitudes d’un genre particulier pourront être intégrées dans un processus permettant de les traduire en exigences concrètes en matière de défense.

L’étude menée pour développer des “mondes futurs” alternatifs fait partie d’une étude globale sur les besoins à long terme - ACT Long-Term Requirements Study – et est décrite dans un projet de rapport ACT disponible sur le site www.act.nato.int/events/documents/06fsesymp/worldscenarios.pdf

Pour plus d’informations sur le Clingendael Centre for Strategic Studies, voir www.ccss.nl

Comparaison des différents profils possibles de l’OTAN de demain

Profils OTAN

Caractéristiques

Lien trans-atlantique

Leadership des États-Unis

Zone d’opérations

Prise de décisions

Orientation directive

Éventail des missions

Nature politique vs. militaire de l’OTAN

Adhésions

Boîte à outils bien garnie

Moyennement fort Fort Mondiale

Efficace (via des coalitions de volontaires)

Assez efficace Large Principalement

militaire

Pas d’élargis- sement

Partenariat partagé Très fort

Fort (De plus en plus à l’unisson avec l’Europe)

Mondiale

Efficace(au sein de l’OTAN) Limitée Total

Militaire (mais de plus en plus holistique)

Elargis- sementlimité

Boîte à outils dispersée

Pas tellement fort

De plus en plus à l’unisson avec l’Europe

Mondiale Difficile Inefficace Fragmenté

Fortes caractéris-tiques politiques

?

Retour à l’IESD Faible Minimal

Régionale (Europe et voisinage direct)

InefficaceInefficace, régie par la PESD

Limité Politique

Élargissement à davantage d’États européens

Club de gentlemen Faible Absent - - - - Politique ?

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Opérations

32L’évolution des opérations de l’OTANJames Pardew et Christopher Bennett s’intéressent à l’évolution de la focalisa-tion de l’OTAN sur les opérations.

36Renforcer la stabilité en AfghanistanMihai Carp s’intéresse aux défis et aux perspectives de l’opération menée par l’OTAN en Afghanistan.

40L’approfondissement des relationsGabriele Cascone et Joaquin Molina analysent les perspectives qui s’ouvrent aux Balkans occidentaux au cours de l’année à venir.

Spécial

15Le rôle humanitaire croissant de l’OTANMaurits Jochems se penche sur le rôle de l’OTAN en matière de secours en cas de catastrophe.

Débat

20L’indépendance du Kosovo contribuerait-elle ou nuirait-elle à la sécurité internationale ?Face à face : Louis Sell et Bruno Coppieters

Interviews

26Christian Schwarz-Schilling : dernier Haut représentant en Bosnie-Herzégovine

29Hikmet Çetin : notre représentant à Kaboul

SommaireHistoire

4Histoire de trois grands stratègesKenneth Weisbrode rend hommage à George F. Kennan, Paul H. Nitze et Andrew J. Goodpaster.

7Les négociations sur l’Article 5Stanley R. Sloan retrace le débat sur l’Article 5 qui domina les négociations liées au Traité de l’Atlantique Nord « Traité de Washington ».

10Rapport des « Trois Sages » : cinquante ans déjàLawrence S. Kaplan analyse l’importance du « Rapport du Comité des Trois sur la coopération entre les pays de l’OTAN dans les domaines non militaires ».

Rédacteur en chef : Christopher BennettAssistante de production : Marcela ZelnickovaEditeur : Jean FournetTél: +32 2 707 4602Fax: +32 2 707 4579Courriel: [email protected] [email protected] web : www.nato.int/review

L’objectif de cette revue, publiée sous l’autorité du Secrétaire général, est de con-tribuer à une discussion constructive des thèmes atlantiques. Les articles qui y figurent ne représentent donc pas nécessairement l’opinion ou la politique officielle des gouver-nements des pays membres ou de l’OTAN.

La Revue de l’OTAN est un magazine élec-tronique publié quatre fois par an sur le site web de l’OTAN et peut être lue dans 22 langues de l’OTAN, ainsi qu’en arabe, en hébreu, en russe et en ukrainien sur www.nato.int/review.

Les articles peuvent être reproduits sous réserve de l’autorisation de la Rédaction et de la mention de leur origine. La reproduc-tion d’articles signés de la Revue de l’OTAN doit indiquer le nom de l’auteur.

Chaque mention de l’ex-République yougoslave de Macédoine dans cette publication est suivie d’un astérisque (*) renvoyant à la note de bas de page suivante : la Turquie reconnaît la République de Macédoine sous son nom constitutionnel.

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Les demandes et commandes d’exemplaires impriméssont à adresser à la :Division Diplomatie publique – Unité de diffusionOTAN, 1110 Bruxelles, BelgiqueTél : +32 2 707 5009Fax : +32 2 707 1252Courriel : [email protected]

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Le site web publie également des déclarations officielles, des communiqués de presse, des mises à jour hebdomadaires des activités de l’Alliance, la Revue de l’OTAN et d’autres informations sur les structures, les politiques et les activités de l’OTAN.

TOUTES LES PUBLICATIONS SONT DISPONIBLES EN ANGLAIS ET EN FRANÇAISPLUSIEURS SONT DISPONIBLES DANS D’AUTRES LANGUES éGALEmENT

L’OTAN transforméeCette introduction complète à l’OTAN décrit le mode de fonctionnement de l’Alliance ainsi que le processus de transformation en cours

L’OTAN au 21ème siècleCette introduction offre un aperçu de l’histoire, des politiques et des

activités de l’Alliance

Briefings de l’OTANCette série de publications de l’OTAN est consacrée à des thèmes qui occupent une position clé dans la politique de l’Alliance, notamment le rôle de l’OTAN en Afghanistan, les Opérations, les Balkans et la Méditerranée, la gestion des crises, l’amélioration des capacités, la Force de réaction de l’OTAN et la lutte contre le terrorisme et la prolifération des ADM

Cas de coopération pratiqueCette série de publications illustre des cas concrets de coopération de l’OTAN,

par exemple le projet, Route de la soie virtuelle, L’élimination des stocks de mines antipersonnel en Albanie, La prévention des inondations en Ukraine, Les

tremblements de terre : comment limiter les dégâts ?, AWACS : les yeux de l’OTAN dans les cieux, ou encore, La réforme de la défense : les défis, sans oublier l’environnement et la sécurité ainsi que les projets Trust Fund

La sécurité via le Partenariat Publication analysant la coopération de l’OTAN avec les pays partenaires par le biais du Partenariat pour la paix et du Conseil de partenariat euro-atlantique

Le Sommet d’Istanbul : Guide completAperçu des décisions prises lors du Sommet de l’OTAN d’Istanbul

(Turquie) les 28 et 29 juin 2004, informations contextuelles

La coopération dans le domaine de la sécurité avec la région méditerranéenne et le moyen-Orient élargiCette brochure explique l’Initiative de l’OTAN en matière de dialogue et coopération avec la région méditerranéenne, qui vise à intensifier le dialogue et la coopération dans ces régions dont l’importance stratégique ne cesse de croître.

Pour ou contre : débats sur les options de sécurité euro-atlantique Cette publication rassemble et reproduit des débats publiés dans les éditions

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