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7/23/2019 article_assr_0335-5985_1985_num_60_1_2367 http://slidepdf.com/reader/full/articleassr0335-59851985num6012367 1/13 Stéphane Moses Langage et sécularisation chez Gershom Scholem / Language and Secularization in the Work of Gershom Scholem. In: Archives de sciences sociales des religions. N. 60/1, 1985. pp. 85-96. Citer ce document / Cite this document : Moses Stéphane. Langage et sécularisation chez Gershom Scholem / Language and Secularization in the Work of Gershom Scholem. In: Archives de sciences sociales des religions. N. 60/1, 1985. pp. 85-96. doi : 10.3406/assr.1985.2367 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/assr_0335-5985_1985_num_60_1_2367

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Stéphane Moses

Langage et sécularisation chez Gershom Scholem / Language

and Secularization in the Work of Gershom Scholem.In: Archives de sciences sociales des religions. N. 60/1, 1985. pp. 85-96.

Citer ce document / Cite this document :

Moses Stéphane. Langage et sécularisation chez Gershom Scholem / Language and Secularization in the Work of GershomScholem. In: Archives de sciences sociales des religions. N. 60/1, 1985. pp. 85-96.

doi : 10.3406/assr.1985.2367

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Arch Sc soc des Rel 1985 60/1 juillet-septembre 85- 96

Stéphane

MOSES

LANGAGE ET CULARISATION

CHEZ GERSHOM

SCHOLEM

In

December

1926

Gershom

Scholem

wrote text

in honor of

ranz fortieth birthday text only

recently redisco

vered

Three years after

his arrival

in Palestine

he

compares

his

dream of spiritual

Zionism

destined to represent the internal re

birth of the Jewish people with the reality of

political

Zionism

and expresses his disappointment in the process of secularization

to

which he is witness The most disturbing aspect of this process

is

the

transformation of

the Hebrew language

from its

traditional

status as sacred language

to

another where it is merely means

of

communication

Implicit

in this

criticism is

the

Kabbalist

theory

of

language

in

which

the sacred

nature of

language

is

said

to be revealed in

its

symbolic

dimension while its

communicative

function is

its

most worldly attribute

This

profanation of lan

guage until then uniquely

conceived

of

as

véhicule of divine re

velation is symptomatic

according to

Scholem of

the new

Zionist

attempt

to inhibit

the expression of

religious values and

this inhibition may

eventually

lead to an anarchist explosion

of un

controlled religious forces However

Scholem

later

accepted

Zio

nist secularization as the

dialectical

price for the entry

of

the Je

wish people into real history

Le

texte

de Gershom

Scholem

récemment

découvert

et

que

nous

publions

ici pour

la

première fois est étonnant bien des

égards

Rédigé trois ans après

arrivée de Scholem en Palestine il révèle un

découragement

profond égard

du

sionisme

du moins

tel

il e

manifeste dans

sa praxis concrète et un

déses

poir quasi apocalyptique devant le processus de sécularisation du

judaïsme

qui

se déroule sous ses yeux

Pour

le jeune

Scholem

il est alors

âgé

de

29

ans le

symptôme

le

plus

caractéristique et en

même

temps

le plus inquiétant

de cette

évolution est

ordre

linguistique le passage de

la langue

hébraïque de son sta

tut traditionnel de

langue sacrée sa fonction nouvelle

de

langue

usage

et de

communication

entraîne avec lui

non

seulement

oubli des contenus religieux

de

la langue

mais ce qui est infiniment plus

grave

leur chute dans

la

banalité

et

insignifiance

est-à-dire

pour

Scholem

leur

profanation

Ce

qui

frappe

ici

85

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ARCHIVES DE SCIENCES

SOCIALES

DES

RELIGIONS

est

la

passion avec laquelle Scholem historien de

la

mystique

juive reprend

son

propre

compte

les

thèmes il tudie et identifie

eux

Identification qui

sans nul

doute jette

une

lumière nouvelle sur

les rapports

chez Scholem

entre

le

savant et homme entre le spécialiste épris

objectivité

et

individu engagé

dans

une histoire

En

ce

sens

le

texte

de 1926

illustre parfaitement

la complexité

de

la

corrélation

chez

Scholem entre

écriture

de

histoire

et historicité

de

historien

un autre côté ce

texte

est

remarquable

par

articulation

il ropose

entre une philosophie de

histoire

et une

théorie

du langage La

réflexion

sur

la

mystique

du langage

dans la Kabbale avait préoccupé Scholem depuis

le tout

début

de

ses

recherches

dès

1920 il envisageait

écrire

une

étude

sur ce

sujet

mais ce est après 50 ans de

travaux

il e décida réaliser ce projet

Dans cette grande étude synthèse des recherches de toute une vie 2 Scholem

montre

que la

conception mystique du

langage

est-à-dire avant

tout

idée que

essence

du

réel est ordre linguistique et que cette essence linguistique est

vélation

de

absolu

est une

donnée fondamentale de

la

tradition

juive

En

ce

sens et bien il aille évidemment étudier

dans

son évolution historique

cette

théorie

du

langage relève

dans la

mystique juive une réflexion sur

la

structure

du

réel et non

sur

son

histoire

Dans uvre

de

Scholem

étude de

cette théorie

fait partie un

vaste

ensemble de travaux

consacrés

pour ainsi dire ontolo

gie de

la

mystique

juive Ceci par opposition un autre domaine de recher

che

exploré

par Scholem

celui du messianisme est-à-dire si

on veut de la

philosophie de histoire sous-jacente

la tradition

juive Dans les travaux de

Scholem

analyse de la

théorie

mystique

du

langage et celle

de

la philosophie

mystique de

histoire ne se recoupent

presque jamais et ceci parce

que

dans la

tradition

juive elle-même il agit

de deux domaines nettement séparés Ce

pendant

idée

que ces

deux

ordres

de réalité

articulent

en

quelque

fa

on

était pas

étrangère Scholem

Bien plus

tout

un

ensemble assertions ordre

personnel et non pas scientifique vient témoigner du rôle central joué

dans

sa

pensée

par la

croyance

en une fonction paradigmatique

du

langage con

comme

un indice ou un paramètre

mesurant

le

degré de

présence ou absence

du divin

dans

le monde tel ou tel moment de histoire Cette

idée revient

comme un thème central dans

sa

correspondance avec Walter Benjamin sur

tout dans les

lettres de année 1934

consacrées interprétation de

uvre

de

Kafka

où Scholem voyait

la

fois

envers

et

la

confirmation de

la

vision

du

monde de la Kabbale évocation travers

un langage

structuré par

les

formes

de la négativité un univers le nôtre dont Dieu est retiré et qui ne témoi

gne

plus

que

du néant

de

la

Révélation

6

On

retrouve écho

de ces thèmes dans certains

endroits stratégiques de

uvre

de Scholem comme

par exemple dans

la

dernière des

Dix

propositions

non-historiques sur

la

Kabbale 1958 où il agit nouveau de Kafka

ou

dans le

dernier paragraphe étude

de

1970 sur Le Nom de Dieu Mais

dans

tous ces

passages

la

question

est abordée sous

son

angle le

plus général

celui du statut du

langage dans

un monde désacralisé

Le texte

de 1926

en re

vanche traite ouvertement

du

rapport de

la

langue

hébraïque

con

ue

la

fa on

des mystiques

juifs comme

langue sacrée avec

la

réalité historique présente

celle où

idéal

sioniste entre dans

sa

phase de réalisation concrète Il agit

de

la

confrontation directe

un

thème central de ésotérisme juif avec actualité

historique

elle-même ou

plus précisément

une

tentative

de

lecture de

cette

ac-

86

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LANGAGE ET CULARISATION

tualité celle

précisément

une

mutation

sans

précédent

dans

histoire du ju

daïsme

la

lumière des

catégories

les plus

anciennes

de

la

mystique

juive

II

Une des questions les plus troublantes soulevées

par

ce texte est celle de

son destinataire Pourquoi Scholem a-t-il cru bon

adresser

cette

méditation sur

échec possible

du

sionisme précisément Franz Rosenzweig Ou bien inver

sement il lui fallait écrire Franz Rosenzweig

ou

pour lui pourquoi avoir

choisi justement

ce

thème-là Pour

répondre ces

questions qui

loin

être

pu

rement

circonstancielles nous introduisent déjà au ur du débat dont ce texte

se

fait écho il

nous

faut tenter

abord

de reconstituer

les

conditions dans

les

quelles il fut écrit

Dans

son

livre

autobiographique

De

Berlin

Jérusalem

Scholem

raconte

un

our Buber et Ernst Simon adressèrent lui et

lui

demandèrent

ap

porter sa contribution un

recueil qui

devait

être offert

pour

son

40e anniver

saire Franz Rosenzweig alors

déjà

paralysé et privé de

usage

de

la

parole

est ce que je fis ajoute-t-il

ensemble

de ce recueil qui fut en effet re

mis Rosenzweig pour ses

40 ans

mais

qui

ne fut

jamais publié

se trouve

conservé

aux Archives Léo

Baeck New

York 8 compris

sans

nul doute

original de

la

contribution de

Scholem Mais celui-ci avait

habitude de garder

une

copie

manuscrite de ceux de

ses

textes il stimait

particulièrement impor

tants

est

sans

doute

cette

copie qui vient être retrouvée parmi les papiers de

Scholem Jérusalem

histoire

des

rapports

entre

Scholem

et Rosenzweig

est

celle

une

mésen

tente fondamentale

Malgré

estime que les deux hommes se portaient leurs

conceptions

du

judaïsme et

les

choix

personnels

qui en

découlaient

étaient trop

divergents et

leurs

personnalités trop

entières

pour un compromis puisse

établir

entre

eux

Pourtant ce ils avaient en commun semblait bien être es

sentiel

un même

refus de

assimilation un même

itinéraire

personnel de retour

au judaïsme

et

de manière plus spécifique

encore

ses

sources

religieuses

bref un même parcours

intérieur

de dissimilation Mais si le point de

départ

chez un et chez

autre

était identique leurs conceptions

du

but que le ju

daïsme moderne devait

se

fixer

étaient

inconciliables Scholem résume parfaite

ment la nature de

ce

désaccord idéologique

l

crit dans son

autobiogra

phie

Nos

options allaient dans des

sens absolument opposés Il

cherchait

réformer

ou

révolutionner

je

ne sais ce il aut dire le judaisme allemand de

intérieur Je avais quant moi plus expoir dans

cet

amalgame

connu

sous

le

nom

de Deutschjudentum judéité allemande et attendais le renouveau du ju

daïsme

que

de

sa

renaissance

en

Israël 9

Et de fait Rosenzweig reprochait Scholem de penser que le judaïsme de

la Diaspora est en état de mort clinique et que est seulement là-bas il

e

trouvera vie 10 ses yeux au

contraire le

sionisme en

tant

que

forme

laï

cisée du messianisme

11

risquait

de

priver

le

judaïsme

de

son

identité

reli

gieuse en cherchant

tout

prix

le normaliser 12

Au

printemps

1922 alors

87

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ARCHIVES

DE

SCIENCES SOCIALES

DES RELIGIONS

que

Scholem était déjà décidé

quitter Allemagne

pour aller installer en Pa

lestine il eut avec

Rosenzweig une

longue discussion

sur

le judaïsme allemand

qui

amena entre eux une brouille

complète

Ce fut écrit Scholem dans son au

tobiographie

une des disputes les plus orageuses et les plus irréparables de

ma

jeunesse

Je

aurais

jamais

abordé

ce

sujet

si

avais

su

que

Rosenzweig

souffrait déjà

des premières atteintes de

sa

maladie 13 On sait en effet que

Rosenzweig

atteint de

sclérose

latérale amyothrophique vécut paralysé et

privé

de usage

de la parole de

1923 sa

mort en

1929

Il

semble

que Scholem ne

tarda pas regretter la violence de cette discussion

ce

qui empêcha

pas les

rapports

entre

les deux

hommes

de rester extrêmement tendus Scholem pro

jette sur moi sa mauvaise conscience mon égard et

imagine

que je lui en

veux écrivait Rosenzweig en 1926 quelques mois avant avoir

re le recueil

hommages

dont le texte de Scholem faisait

partie

14 Et de fait on peut

supposer qui si

Scholem

accepta de contribuer

ce

recueil et surtout il choisit

de faire connaître

Rosenzweig

trois ans après son arrivée en Palestine ses

doutes

et

ses

appréhensions

quant

avenir

un

sionisme

tendant

de

plus

en

plus se

couper de ses racines

juives

traditionnelles

ce

fut

entre

autres raisons

pour

réparer

en

quelque

sorte

la

violence de ses propos

de

1922 et pour

lui

avouer où e titre donné

au

texte Une confession au contact de

la

réa

lité

ses propres conceptions étaient beaucoup rapprochées

de

celles

de

Rosenz

weig Non il ût cessé être sioniste sa critique

dans

ce texte est une

criti

que interne Mais ses éléments sont

pour essentiel

ceux que Rosenzweig

avait

cessé de développer de son côté au nom

une

conception religieuse

du

judaïsme 15

un autre

côté

le problème de

la

sécularisation de

la

langue hébraïque

touchait de très

près

un des sujets de débat

les

plus aigus et en

même

temps

les

plus personnels

entre Scholem

et Rosenzweig

savoir

la théorie et la prati

que

de

la

traduction de textes hébreux en allemand Dès 1919 Scholem avait

publié dans

la

revue

Der Jude des traductions de textes liturgiques juifs qui

avaient attiré

attention de

Franz

Rosenzweig Deux

ans

plus tard

celui-ci lui

fit

parvenir une

traduction des

grâces prière après le

repas il enait de

ter

miner

Scholem

de son côté avait lui aussi traduit ce texte ce propos un

échange de lettres

entre les

deux

hommes

mit

au

jour une divergence de principe

quant aux implications historiques de ces traductions

Scholem

reprochant

Rosenzweig de christianiser

dans

ses transpositions esprit de

la

langue hé

braïque

16 Cette critique amplifia

lorsque

Rosenzweig fit

paraître en 1924

ses traductions des poèmes

de

Juda Halevi 17 Dans

une

lettre

Walter

Benja

min Scholem écrit alors il nvisage de publier dans Der Jude un article dé

non ant

la mise mort

de

la poésie hébraïque

au nom une

philosophie

de

histoire

anti-sioniste 18 Il semble que deux ans plus

tard Scholem

sans

re

venir sur

ces

critiques ait voulu

concéder Rosenzweig le

fait que le processus

de

sécularisation et de

banalisation que

la langue hébraïque subit

en

Palestine

est tout aussi dangereux pour son intégrité spirituelle que son

éventuelle

chris-

tianisation ne est en Diaspora pour

la

compréhension du sens originel

elle véhicule Mais

plus

généralement

offrande

Rosenzweig un

texte

qui

proclame

la

suite des mystiques

juifs

les pouvoirs fondateurs du langage

doit

être

comprise

comme

un hommage de Scholem auteur de

Etoile

de la

Rédemption cette uvre dont il dira plus tard elle représente un ouvrage

fondamental

de

la

philosophie des religions 19 une des uvres les plus

88

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LANGAGE ET

CULARISATION

importantes

de la pensée

religieuse

de

notre siècle 20 où

se

montre comme

chez

les

kabbalistes

le

rapport qui existe entre le langage et

une authentique

pensée théologique

21

III

Dans une lettre

Walter Benjamin datée du

er août 1931 Scholem évo

quait

la

divergence radicale

qui

existe entre sa conception

du

sionisme orien

tée vers un renouveau du judaïsme et il ccepte en

définitive

entendre

qualifier

de

mystico-religieuse et le sionisme empirique fondé sur

le mythe

une

soi-disant

solution

politique de la question

juive

Pour ma part ajoutait-il

je ne

crois pas

il xiste

une

solution de la question

juive au sens une

nor

malisation des Juifs et je ne

pense pas que

la question

puisse

être résolue dans

ce

sens-là

en

Palestine

Ce

qui

toujours

été

évident pour moi

et

qui

le

reste

au

hui est simplement le fait que

la

Palestine est

nécessaire

et cela me

suffit 22 Cinq

ans après son

texte pour Rosenzweig

Scholem

revient ici

la

même idée-force dont on peut

dire

elle

aura la fin

dominé sa vision

du sionisme

Au dernier

chapitre

de

son

autobiographie

il répète encore

une

fois

cette

même idée

centrale

En réintégrant

notre

propre

histoire nous

voulions

...

la

transformer mais

nous

ne voulions pas

la

renier Sans cette religio ce

lien

qui nous

lie arrière

entreprise était et reste privée

de

perspective

et

vouée emblée échec 23

Le texte adressé Franz Rosenzweig ne peut se comprendre que sur

arrière-fond de

la

crise idéologique et morale traversée par Scholem pendant

les

premières

années

de

son séjour

en

Palestine Crise

personnelle

en

premier

lieu provoquée par la

confrontation

brutale

des

idéaux

spirituels au nom des

quels le jeune

Scholem était venu installer

Jérusalem

et la réalité politique et

sociale il découvrait Mais cette crise personnelle

reflétait

plus

profondé

ment le

heurt entre

deux conceptions du sionisme

Celui-ci

était né on le sait

au sein de intelligentsia juive

dans

la Russie

de la

fin du

XIXe

siècle comme

réaction une vague de

pogroms mais

aussi

comme

une volonté arracher les

masses juives Europe centrale

leur

aliénation politique et sociale en

les

fai

sant entrer par

le

biais du nationalisme dans le

monde

de la

modernité

em

blée

le

sionisme

était heurté opposition des chefs spirituels

du

judaïsme or

thodoxe

soucieux

de préserver les valeurs et les modes de vie traditionnels Et

de

fait

bien

que

le

sionisme

fût

enraciné dans une

large

mesure

dans

les

repré

sentations

les

plus

classiques du messianisme

juif

il fut vécu

par

ses

adeptes

comme

par ses adversaires comme

un mouvement

de

rupture

radicale avec le

monde du judaïsme

religieux

est

cette volonté

de

rupture qui

guidait égale

ment

de manière plus ou moins résolue plus ou moins consciente

la

cons

truction

par

les générations

de

pionniers une nouvelle société juive

en Pales

tine

est un mouvement de sens absolument opposé

qui

avait conduit

le

jeune

Scholem

au sionisme

Dans

Allemagne

des premières années

du

XXe

siècle

est

la

brisure

avec

assimilation

la

révolte contre

un milieu

social

en porte-à-

faux

entre

un judaïsme déjà plus moitié oublié et une germanité

qui

pour

ardemment désirée

elle

fût

restait

en

réalité

inaccessible

le

refus

des

illu-

89

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ARCHIVES

DE SCIENCES

SOCIALES

DES RELIGIONS

sions dont

se nourrissait ce

rêve une absorption harmonieuse dans la

société

ambiante qui avaient

mené

Scholem rechercher

les sources

spirituelles

de son

identité Le sionisme signifiait pour lui insertion de cet itinéraire personnel

dans un mouvement historique dont

la

finalité devait être le renouveau spirituel

du

peuple juif Par rapport la tradition religieuse

du

judaisme le

sionisme

des

pionniers

que Scholem

découvrait

en

arrivant

en

Palestine

était

aussi

différent

du sien une

idéologie de la rupture peut être

une

idéologie

du

retour

IV

La

critique de

la sécularisation

de

la langue hébraïque telle elle ex

prime

avec

véhémence dans le texte de 1926 dédié

Rosenzweig

ne

peut

se

comprendre

la

lumière de

la

théorie du

langage

de la Kabbale

laquelle

Scholem

ne

cesse

de

se

référer

ici

sinon

explicitement

du

moins

par

allusion

Certes cette époque Scholem avait pas

encore publié

étude il êvait

écrire

sur ce sujet mais son

texte

contient déjà en germe

quelques-unes

des

idées qui

sous-tendront

quarante-cinq ans

plus tard son grand

article sur Le

Nom

de Dieu

La plus fondamentale

est sans

nul

doute la distinction entre

deux

aspects

opposés du langage un aspect

externe

le

langage apparaît

comme instrument de

communication

et un aspect interne où se révèle son

côté

symbolique

ou

encore

magique

insistance sur la

face externe com

municative

de

expression verbale caractérise

la

vision

profane

du

langage

alors

que la

mise en

évidence

de sa

face symbolique

et magique est

la

marque

distinctive de

toute mystique

Cette

distinction éclairera peut-être

si on la

rap

proche de

celle

opère

Roman

Jakobson

entre

une fonction

communicative

et

une fonction poétique

du langage

24 Dans

sa

fonction

poétique

intention du

discours

ne port pas sur

la

transmission

un

message du locuteur

vers

le

desti

nataire

mais sur

le

message lui même dans toute sa matérialité

linguistique

est bien

ce

que Scholem veut dire

l voque

la

magie du

verbe

comme expérience humaine fondamentale où

les mots ont

une

action

qui

passe de

loin

la sphère

du

comprendre

Cette expérience ajoute-t-il est

celle

que font les

poètes

les mystiques et quiconque savoure son terme

la

ri

chesse sensuelle

des mots est

elle

que

provient

idée du pouvoir des noms et

de

leur utilisation magique

25

La distinction entre le langage communicatif et le langage magique ne pro

vient

pas dans ces

termes

de la

Kabbale

elle-même

Ce

sont

des catégories

heu

ristiques projetées par Scholem sur le matériau il tudie pour en éclairer les

articulations essentielles

Or

ces

catégories

lui ont été inspirées directement par

les

écrits

de jeunesse de

Walter

Benjamin en

particulier par

les deux essais Sur

le langage

en

général et sur le langage humain

1916

et La tâche du traduc

teur 1921 publié en 1923 On ne saurait souligner assez

importance

pour

la

formation

de

la

pensée

de Scholem

de

son

dialogue

intellectuel avec Walter

Benjamin

surtout pendant leur séjour commun en

Suisse

de mai

1918

août

1919

26

est

certainement

cette époqucJlue

se

sont

mises

en place

les

caté

gories fondamentales

qui

sous-tendront

la

fin toute

uvre

de Scho

lem

Dans

les deux études que

nous

venons de citer Benjamin développe une

théorie

du langage inspirée

par

Hamann

Humboldt

et

les romantiques

alle-

90

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LANGAGE ET CULARISATION

mands ces

auteurs

leur

tour

avaient

sans doute puisé une

grande partie de

leurs

idées

chez

Jacob Boehme dont le système théosophique révèle selon

Scholem de fortes affinités

avec

la Kabbale sans que

on puisse

toutefois

prou

ver existence de rapports historiques entre un et autre 27 l n soit

travers

la

médiation de Walter Benjamin ce sont des idées

classiques

de

la

mystique

allemande

qui

ont informé

certains

des

concepts majeurs

utilisés

par

Scholem

pour élucider

la théorie du langage

de

la Kabbale 28 Ces

concepts

leur tour se retrouvent arrière-fond de son texte de

1926

dédié

Rosenzweig

idée

centrale

de

ce

texte celle

une déchéance quasi ontologique du lan

gage l asse de sa

fonction

magique sa

fonction

instrumentale pro

vient directement de essai de Benjamin Sur le

langage en général

et sur le lan

gage

humain Partant un commentaire des premiers chapitres de la Genèse

Benjamin distingue trois étapes

dans

histoire de origine

du

langage

la pre

mière

est celle du

langage

divin travers

lequel

le monde été créé ce stade

antérieur même

la

distinction

entre

mots et

choses le langage représente

es

sence

même

de

la

réalité cette

étape laquelle

homme

jamais

eu

accès-

succède celle

du

langage paradisiaque

langage

originel de

humanité

gne une

adéquation parfaite

entre

les mots

et

les choses

la réalité est entière

ment transparente

au

langage

et le langage

rejoint

avec une justesse quasi mira

culeuse

essence même de

la réalité

est ce langage

adamique qui été

perdu

la

suite du

péché

originel réinterprété par

Benjamin la

lumière

de

épisode

de

la Tour

de Babel le langage est devenu

simple

instrument de

communication

apparition

de

la

fonction communicative

du

langage troi

sième étape

de

son histoire

originelle marque

sa déchéance sa

chute dans

abîme

du

bavardage

Dans

notre

langage

actuel sa fonction

instrumentale

désigne son

côté

profane

alors

que sa

fonction

magique

est-à-dire poétique

témoigne de

la

survivance en

lui

de

sa

splendeur

paradisiaque

Il

est pas difficile de distinguer

dans

le texte de Scholem pour Rosenz

weig

écho

de

cette

théorie

la

langue

hébraïque qui

représente pour les mysti

ques

juifs

la langue originelle de humanité conserve dans

sa

quintessence

les

virtualités

magiques du

langage

dans

la mesure

évidemment

elle reste

lan

gue sacrée est-à-dire où elle subsiste

dans

sa

forme

la

plus

pure

celle elle

revêt dans les textes classiques de

la

tradition juive et de sa liturgie En revan

che

sa

manipulation

négligente dans

la

pratique

quotidienne équivaut

une vé

ritable

profanation dans la

mesure où les pouvoirs magiques ou symboliques

elle

recèle trouvent

exposés

dénudés livrés un

usage purement

utili

taire où

mportance

du

thème des noms dans

le

texte de

Scholem

thème

emprunté

la

fois

aux

écrits

de jeunesse

de

Benjamin

et la Kabbale

Chez

Ben

jamin

le

langage

adamique est

constitué

par

les noms

que

selon

le récit

de

la

Genèse

Adam donné aux

animaux et dans interprétation

de

Benjamin

toutes les choses

créées

Ce pouvoir de nomination dont

on

pourrait

dire

il

est

essence du

travail poétique

sa

source

dans la

Kabbale

dans activité

di

vine

elle-même Parmi

la

diversité des noms que

la

Bible attribue Dieu

la

tra

dition

rabbinique

privilégie on le sait le Tetragramme elle considère comme

essence

même de tous

ses

autres noms

Or la

mystique juive

voit

dans le

Tetra

gramme non seulement

la

source de tous les noms divins mais aussi origine du

langage humain lui-même Celui-ci recèle en

effet

par-delà le sens patent il

véhicule un niveau de sens caché structuré en une combinatoire infinie par les

innombrables agencements

des

lettres

dont

sont formés

les

différents

noms

di-

9l

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ARCHIVES DE SCIENCES SOCIALES DES RELIGIONS

vins Dans son interprétation

de

la

théorie du

langage

de

la

Kabbale

Scholem

identifie ce niveau caché avec aspect symbolique

ou

encore magique de toute

langage

29

une

forme supérieure de

la

connaissance qui

consiste

chiffrer

sous la cohérence apparente du discours communicatif

le sens

véritable

qui cache et

qui

est autre une logique des noms

Dans

sa présentation

de

la

théorie

du

langage

du

kabbaliste

espagnol

Abraham

Aboulafia

Scholem

distingue

alors entre cette mise en

évidence

du symbolisme

secret de

tout lan

gage qualifiée par Aboulafia de

magie

licite

et

la magie interdite où la

force

poétique

immanente

au

langage est

utilisée

des fins matérielles et

intéres

sées

Aboulafia

est parfaitement conscient de

la force immédiate qui

émane des

mots et

surtout des mots purifiés

extrême

apparemment sans

signification

mais en réalité chargés de sens

ainsi que

de leurs métamorphoses de leurs révo

lutions ... Pour lui il existe une magie

du langage

est-à-dire une part in

communicable qui fait pourtant le

rayonnement

des mots Il une dimension in

terne

et

profonde

de

la

magie

qui

ne

tombe

pas sous

le

coup de interdiction

de

la

sorcellerie ou

de la

magie

pratique est

cette

magie

licite

que

les

prophètes prati

quaient

...

Mais

quiconque

arroge

le droit sans être parvenu la

dignité de

prophète

intervenir dans

la

nature par cette forme de

technique succombe la

tentation des

sciences mantiques

est-à-dire la

magie

au

sens

habituel du terme

Cette

discipline la

science des démons est

sans

doute

pas

dépourvue de

fon

dement réel

mais elle

représente une falsification de la

mystique

véritable parce

elle

en est une imitation

grossière tournée vers ce qui est purement extérieur

...

Le

magicien est

un

homme qui au

lieu

de se vouer au Seigneur dominus se

voue au diable daimonas

Pour

Aboulafia Satan représente la matérialité de

la

nature et

le kabbaliste

le détrône en la

ramenant

ses

fondements

spirituels 30

Il

semble

que dans

son

texte

de

1926

Scholem

veuille

dire

que

usage

in

contrôlé de la langue hébraïque

implique

en quelque sorte le

risque

une ma

gie pratique involontaire En effet la dimension

symbolique

de hébreu telle

elle apparaît

dans

ses textes sacrés disparaît au profit

un

emploi

pure

ment utilitaire de

la

langue

Certes

dans

notre monde désacralisé il ne agit

plus

de

manipuler

consciemment

les

virtualités

magiques du

langage

pour

en ti

rer

quelque

bénéfice personnel Maisune

ociété

toute entière détourne

la

langue qui fut celle de sa tradition religieuse des fins purement matérielles

elle n fait un

simple instrument

au service

de

ses intérêts immédiats elle

retrouve

sans

le

savoir

attitude des magiciens de jadis

Imitation

grossière

de

la

langue

des textes

sacrés hébreu moderne vidé les

mots anciens

de

leur

si

gnification

symbolique

et

religieuse pour

les

réduire de

simples indices

de

la

réalité

matérielle

Mais pour Scholem ces significations symboliques conti

nuent vivre

au fond du

langage

ou si

on

veut

dans inconscient

de la cul

ture

qui

prétend les

nier

La question est

alors

de

savoir il

aura pas un jour

un retour du refoulé où les

contenus

religieux reviendront sous une forme au

hui

mprévisible mais

qui

risque être pour employer un terme dont

Scholem

ne

se serait pas

servi

mais

qui

traduit

pourtant sa

pensée celle une

névrose collective

Le

jour

où la

langue se

retournera contre ceux qui la parlent

dans

cette

formule

la théorie

mystique du

langage achève en

eschatologie se

résume

intention

du

texte de

Scholem dédié Franz Rosenzweig

Car

si les significa

tions

symboliques

abrite

la

langue

sacrée

risquent

elles

réapparaîtront

92

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LANGAGE ET CULARISATION

au

grand jour dese révéler comme funestes et destructrices

est

paradoxale

ment parce elles sont en elles-mêmes dépourvues un contenu identifiable

Pour

la mystique

juive en effet la

dimension

sémantique

du

langage apparaît

avec exercice du discours

par

homme

la spécificité

des significations est

liée

la

multiplicité

qui

caractérise le monde matériel

dans lequel

homme

créature

finie est immergé Le

langage divin

au contraire

tel

il e

révèle dans

le texte

de

la

Torah et surtout dans sa texture linguistique secrète est une telle

généralité il e présente plutôt sous

la

forme de structures abstraites qui cor

respondent

aux noms

divins et leurs diverses combinaisons Ces structures ne

transmettent pas un sens déterminé et par conséquent limité mais sont porteu

ses une infinité

de

significations

virtuelles

qui

correspondent infinité

des

interprétations

possibles Dire que

la

Torah

est un

texte divin signifie elle

est

infiniment ouverte interprétation 31 Le jour

les noms et les sigles de

ja

dis ui nfouis dans inconscient de

la

culture séculière émergeront

nouveau

la lumière

nul ne peut

dire

comment

ils

seront

réinterprétés

Mais le

risque est grand selon Scholem de voir leur retour après une longue période de

refoulement

collectif

prendre

la

forme une

explosion anarchique de forces re

ligieuses incontrôlées

II semble que le pessimisme qui exprime dans

la

lettre Rosenzweig ait

continué

accompagner

la

pensée

de

Scholem

la fin de sa

vie

mais de

fa

on de plus en plus souterraine On en effet

impression

que

son

attitude

vis-

à-vis

du

sionisme

empirique

évolue peu peu

vers une

sorte

de

dédoublement

une part

Scholem en vient assez rapidement accepter

la

sécularisation

du

judaïsme

comme

un stade historiquement inévitable

dans

ce il ppellera dé

sormais la

dialectique du sionisme

Bien plus

est expérience

concrète

des

contradictions

du

sionisme dans sa

phase de réalisation qui

lui

apprend

la na

ture

fondamentalement

dialectique

des

processus

historiques Un demi-siècle

après

son

texte pour Rosenzweig il confirmera nouveau

que

parmi ces con

tradictions une des plus symptomatiques

avait

été pour

lui

celle

qui existait

entre la

renaissance

de la

langue

sacrée et

le silence

qui était installé au sein

de

cette

même langue 32 Mais il ajoutera que pour lui le passage par

la

cularisation

est nécessaire et inévitable Je

ne

peux

pas affranchir de la

le

on dialectique

de

histoire

selon

laquelle

notre entrée

dans

histoire

passe

par

la

laïcisation Une entrée

dans

histoire est toujours une assimilation

celle-ci

Et

est pourquoi un

retour direct

non

dialectique

au judaïsme

tradi

tionnel est impossible historiquement parlant 33 La question essentielle est

alors

celle de

savoir

si cette phase de sécularisation succédera nécessairement

une phase de retour aux

valeurs religieuses est ci

que

la

notion de dialectique

chez Scholem se distingue radicalement de

la

dialectique au sens hégélien ou

marxiste

Pour Scholem

le

terme

de

dialectique

désigne le

mouvement

de néga

tion

ou de renversement que subissent les idées elles

ncarnent dans la

réalité

historique

Par extension il

dénomme

également dialectiques les contra

dictions

qui

les

affectent au cours de

ce

processus Ce retournement que subis

sent

les

idéaux

ils

ntrent en

contact

avec

la

réalité

historique

en

effet

93

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ARCHIVES

DE SCIENCES

SOCIALES

DES

RELIGIONS

un caractère nécessaire En

ce

sens la

sécularisation des valeurs

religieuses

re

présente

la forme nécessaire de

leur entrée

dans notre

histoire moderne En

re

vanche nulle nécessité ne dicte leur devenir ultérieur au sein de

histoire Chez

Scholem il pas de

sens

de histoire

celle-ci

est

dans sa

nature même

aléatoire

et

imprévisible

En particulier rien ne

garantit

avance

que les

conte

nus religieux

du

judaïsme

survivront leur

sécularisation

et

ils mergeront

nouveau dans un stade ultérieur de histoire

Ou

bien alors si jamais

ils

de

vaient réapparaître nul ne peut

prévoir quelle forme ils revêtiront

Mais si

historien

ne

peut

pas

connaître avance la vérité

de

avenir

il

peut en revanche

analyser dans une

certaine mesure du

moins

les

différentes

virtualités dont le présent est porteur une histoire de

la

nécessité oppose

alors

une histoire des possibles Ce

qui

est sûr par exemple

est

que le

sio

nisme sera toujours confronté

la

question de son

rapport

au passé historique

des Juifs Ce qui

reste

ouvert est la réponse que avenir

apportera

cette

question et qui pourra aller de la rupture

plus ou moins radicale

des for

mes

ui

mprévisibles

de

renaissance

religieuse

un

utre

côté

histo

rien peut également tenter en se fondant sur les constantes il établies ap

précier les significations historiques

générales

dont ces diverses virtualités sont

porteuses est

ainsi

en appuyant sur la corrélation pour lui

évidente

en

tre la permanence

du

peuple juif et

sa

fidélité

son

essence religieuse Scholem

affirme que

si

les

Juifs

devaient devenir

un

peuple

comme

les autres cela

se

rait

la

fin du peuple juif 34 Or

comme

toute réalité

dialectique

le sionisme

comporte une part de

destruction

celle des formes de existence

exilique

La

sécularisation

il mplique est la

fois une

libération et un risque 35

Dans

ce

même entretien de 1975 Scholem déclare ce propos Je ai amais

voulu

croire

et je

ai

amais cru que le sionisme dût échouer Et je ai amais

cru

non plus

il

éussirait

tout

coup

ai

écrit

plus

une

fois

que

le

succès

est

pas

garanti

avance

36

est

dans

des textes

qui

origine étaient pas destinés la

publication

que Scholem donne libre

cours

ses

doutes

les plus intimes quant aux chances

de

succès un sionisme qui

semble

engagé dans la voie une sécularisation ir

révocable Il agit

après la

lettre de 1926

Rosenzweig une

série de poèmes

qui

échelonnent

de

1926

1967 et dont un

seul

daté de 1934 et consacré

une réflexion sur

le

Procès de

Kafka

été

présent

publié 37

Dans

une lettre de 1931

adressée

comme le poème sur Kafka Walter

Benjamin

et

consacrée

entre

autre

au problème

des

relations

judéo-arabes il dénonce la dé

gradation un sionisme

éthique

en une

simple pratique du réalisme

politique

38 Plus

tard il

étendra

cette

interrogation

sur

les

chances

avenir

un

monde entièrement laïcisé ensemble de

la

civilisation

occidentale

Lors

on

voit le processus de sécularisation

et la barbarie de ce que

on

nomme

la

civilisation

moderne il tout lieu de craindre que les graves

événements que

on nous promet ne

soient

guère porteurs de fruits Et pourtant il ajoute en

se

référant

une catégorie

classique

de

la tradition

juive

interprétée

par lui non

pas

comme

expression

une

loi immanente histoire mais comme

la règle

de

une de

ses évolutions possibles Mais qui sait

Peut-être

a-t-il pas

autre moyen de

traverser

les crises

Il faut

descendre pour pouvoir monter

39

est sur

horizon

de cette conception

spécifique

de

la

dialectique histori

que

que

ensemble

des

thèmes

évoqués

dans

le

texte

de

1926

dédié

Franz

94

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LANGAGE ET CULARISATION

Rosenzweig

se trouve

récapitulé en

1970

la

fin de

étude

sur

Le

Nom de

Dieu

La

parole

de

Dieu

qui nous

parle du fond

de la Création et de la Révélation

est infiniment ouverte interprétation et se reflète dans notre langage Les rayons

ou

les

sons

que

nous

en

captons

sont

moins

des

messages que

des

appels

Ce

qui

porte forme sens et signification est pas cette parole elle-même mais

la

tradition

de cette parole

telle

elle se

médiatise

et

se

réfléchit

dans

le temps

Cette

tradi

tion qui possède

sa

dialectique propre subit

des

métamorphoses

il

arrive elle

se transforme en

un chuchotement inaudible et

il peut

même avoir

des

époques comme la

nôtre où cette tradition ne peut plus

être transmise et devient

silencieuse

Telle est

la

crise du langage dans laquelle nous

vivons

nous qui ne

sommes

même plus

capables de saisir

la

moindre parcelle du mystère qui

habitait

jadis Pour les kabbalistes le fait que le langage puisse être parlé était dû au Nom

qui était présent

en

lui

Quelle

sera

la

dignité un langage dont

Dieu

se sera reti

Telle est

la

question

que

doivent se poser

tous ceux qui croient encore

perce

voir dans immanence du

monde

écho de

la

parole créatrice disparue est

une

question

laquelle

notre

époque

seuls

les

poètes peuvent

sans

doute

pondre

eux qui ne désespèrent

pas

du

langage comme la plupart

des mystiques

40

Stéphane MOSES

Université Hébraïque de Jérusalem E.H.E.S.S. Paris

NOTES

Selon

son propre

témoignage dans

De Berlin Jérusalem

Paris Albin

Michel 1984 168-69

trad par Sabine Bollack

Coll

Présence

du

Judaïsme

Le Nom de

Dieu

ou la théorie du langage dans la kabbale 1970 in Gershom SCHOLEM

Le Nom et les symboles de

Dieu

dans

la

mystique

juive Paris

Ed du

Cerf

1983

trad

par Maurice

Hayoun et Georges Väjda

Cf

en fran

ais outre ouvrage déjà cité

La Kabbale

et sa

symbolique Paris

Petite Bibliothè

que

Payot

1966

trad

par Jean Boesse

Les origines

de

la Kabbale Paris Aubier-Montaigne

1966

trad par

Loewenson

Cf en fran ais

Le messianisme

juif Paris Calmann-Lévy 1974 trad

par Bernard Dupuyu Frankisme

au

Jacobinisme

Paris Gallimard-Le

Seuil 1981 trad par Naftali

Deutsch

Stéphane

Moses et Jean Bollack

Sabbataï

Tsevi

le

messie mystique

Paris Verdier

1983

trad

par Alexis

Nouss

et

Marie-José Jolivet Coll

Les

Dix Paroles

Cf cependant dans Le Nom et les symboles de

Dieu

op

cit.

88-9

Cf

Walter Benjamin/Gershom Scholem Briefwechsel hgg von Gershom

Scholem

Frankfurt

a/M 1980 157 166-68 et 75

En fran

ais

Walter BENJAMIN

Correspondance

vol

II 1929-

1940 Paris

Aubier-Montaigne 1979

125 trad

par Guy Petitdemange Cf aussi Stéphane

MOSES

Das

Kafka-Bild Gershom Scholems Merkur no

376

sept 1979 862-67

De

Berlin

Jérusalem op cit. 200

Cf

Franz

Rosenzweig

Der

Mensch und

sein

Werk Briefe und Tagebücher hgg

von

Rachel

Rosenzweig Edith

Rosenzweig-Scheinmann und

Bernhard Casper Band

1918-1919 Der

Haag

1979

1118

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ARCHIVES

DE SCIENCES

SOCIALES

DES

RELIGIONS

De Berl

Jérusalem

op

cit

199-200

10 Lettre

du

6/1/1922

de

Rosenzweig Scholem in Briefe und Tagebücher op cit. 741

11

Briefe und

Tagebücher Band

1900-1918

op cit.

304

12 Ibid. 345

13

De

Berlin

Jérusalem op

cit.

200

14 Briefe und Tagebücher op cit. 1094

15 Cf Stéphane MOSES Système et Révélation la philosophie de Fram Rosenzweig Paris Ed

du Seuil 1982 212-17 et Politique et religion chez Franz Rosenzweig in Politique et

religion

don

nées et débats Vans Gallimard 1981

283-311

Coll

Idées

16 Lettre

du

10/3/1921 de Rosenzweig Scholem in Briefe und Tagebücher op cit. 698 sq

17 Ibid.

927

18 Walter BENJAMIN Correspondance vol 1910-1928 op

cit. 316

19 Gershom

SCHOLEM

Walter Ben/amin Histoire

une

amitié Paris Calmann-Lévy

1981

122 trad par

Paul

Kessler

20 De

Berlin Jérusalem

op cit. 199

21

Walter Benjamin

in

Gershom SCHOLEM Fidélité

et Utopie Paris Calmann-Lévy

1978

3 trad

par Bernard Dupuy

22 Histoire une amitié op cit. 194-95

23 De Berlin

Jérusalem

op cit.

235

24 Cf Linguistique et poétique in

Essais de

linguistique

générale

Paris Ed

de

Minuit 1963

25 Le Nom

et

les

symboles

de

Dieu op

cit. 60

26 Cf dans Histoire une amitié op cit.

le

chapitre

En Suisse

1918-1919

27

Gershom

SCHOLEM

Kabbalah Jérusalem Keter

1974

200

28

Cf avant-propos

Arnaldo

Momigliano De

Berlin

Jérusalem

29 Le Nom et les symboles de

Dieu op cit.

64

30

Ibid.

97-8

31

Ibid. 86

32

Entretien

avec Gershom

Scholem 1975 in

Fidélité et Utopie

op cit.

57

33

Ibid.

54

34 Ibid

35 Ibid 55

36

Ibid.

67

37

Cf

Walter BENJAMIN

Correspondance

II

op cit. 119-20

38 Histoire

une

amitié op cit. 193-96

39 Fidélité

et

Utopie

op

cit.

41

40 Le

Nom et les symboles de Dieu op cit. 98-9

96