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  • Approche psychologique et motivationsdes consultants en dermatologie esthtique

    PH KellerH CaretteA Berjot

    Rsum. Il existe de nombreuses faons denvisager la dimension psychologique dune consultation endermatologie esthtique. Parmi les thories dsormais classiques mises au point dans ce domaine, les auteursprsentent ici un aspect rarement voqu de la dmarche des patients frquentant cette consultation. Entreautres motivations guidant une personne vers le dermatologue spcialis dans lesthtique, ces auteurs fonten effet une large place la pulsion scopique. Sur ce plan, la rencontre avec le praticien prend une dimensionintersubjective de la plus grande importance, impliquant leur insu laffectivit des deux interlocuteursconcerns. Les fondements mmes de lidentit du sujet tant mis en jeu dans sa demande, limage sociale,bien qugalement affecte, apparat ici au second plan. Offrir au regard de lautre une surface corporelleindemne de toute marque pouvant tre interprt comme signe danormalit nest pas un dsir aussirationnel quil y parat premire vue. Le dtour par lunivers subjectif du patient est parfois un passageoblig, sous peine de voir celui-ci faire irruption dans la relation de faon intempestive. Ce qui est possibletechniquement dans cette spcialit, ne concide pas ncessairement avec ce qui est prfrable pour leconsultant. La peau ntant pas un organe tout fait comme les autres, sa position dinterface entre soi etautrui conduit nintervenir sur elle, en cas de demande esthtique, quaprs avoir pris en considration soninvestissement subjectif par le demandeur, dans ses dimensions essentielles la fois consciente etinconsciente.En donnant toute leur importance aux mcanismes psychologiques classiquement dcrit (Freud, Anzieu,Spitz), les auteurs mettent galement laccent sur la spcificit de lapproche psychologique, rcemmentrecommande par le lgislateur dans ce domaine du soin (Journal officiel [JO] du 30 avril 1991). 2000 Editions Scientifiques et Mdicales Elsevier SAS. Tous droits rservs.

    Mots cls : dermatologie esthtique, psychologie clinique, identit, pulsion scopique.

    Introduction

    Chaque dermatologue, quil soit ou non spcialis en esthtique,sest fait une ide de la place que tient la psychologie dans sapratique professionnelle. Laspect psychologique dune consultationy est inclut de faon spontane par le praticien, celui-ci enrichissantprogressivement son exprience dans ce domaine, habituellementgrce son intuition. Il sagit dun savoir empirique, le plus souventfond sur le bon sens, et donnant en rgle gnrale des rsultatssatisfaisants, pour le mdecin comme pour le patient. Mais lamultiplication des conduites revendicatrices et procdurires desconsultants, inaugure outre-Atlantique, donne cependant laconsultation mdicale une tournure quelque peu diffrenteaujourdhui. Dans ce contexte, labord psychologique du patientprend une nouvelle dimension et commence devenir un enjeuimportant et parfois mme redoutable dans la rencontremdecin/malade.

    Albine Berjot : Diplme dtude suprieure spcialise (DESS) psychologie pathologique et clinique.Pascal-Henri Keller : Matre de confrences, psychologue clinicien.Universit Victor-Segalen, Bordeaux II, 3, rue des Trois-Conils, 33000 Bordeaux, France.Hlne Carette : Psychologue clinicienne, service de chirurgie plastique (Pr Baudet), centre hospitalierrgionnal (CHR) de Bordeaux, 33000 Bordeaux, France.

    En dermatologie esthtique, lapproche psychologique cliniquesinscrit dans un autre registre que celui de la typologisationrevendiqu par la psychologie de la sant [4] ou celui de laclassification des dsordres comportementaux mis au point outre-atlantique [14]. Sans se substituer ces deux derniers modes dtudepsychologique, la cohrence de la dmarche clinique prsente ici,fonde sur le discours du patient, peut permettre au dermatologueden identifier les axes principaux. Lexprience montre en effet quecette demande sarticule autour de quatre grands thmes dveloppsici, aprs prsentation du contexte spcifique de la rechercheconcernant le psychisme en dermatologie :

    le lien entre les problmes observs la surface de la peau etlidentit du sujet ;

    le regard dautrui et la peau ;

    limpact social des dommages cutans motivant la consultation ;

    le pouvoir prt au praticien dermatologue par le consultant.

    Psychologie et dermatologie

    Dans les changements qui affectent lensemble des relationsmdecin/malade, la dermatologie esthtique apparat comme une

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    Toute rfrence cet article doit porter la mention : Keller PH, Carette H et Berjot A. Approche psychologique et motivations des consultants en dermatologie esthtique. Encycl Md Chir (Editions Scientifiques et Mdicales ElsevierSAS, Paris, tous droits rservs), Cosmtologie et Dermatologie esthtique, 50-265-B-10, 2000, 6 p.

  • spcialit de la mdecine particulirement expose (alors que lachirurgie esthtique vient en tte avec 19 % des plaintes ourclamations manant des usagers de la mdecine, la mdecinegnrale nest implique en ce qui la concerne que pour 0,9 %seulement dentre elles). Quant aux manifestations dinsatisfaction lgard de la mdecine exprimes sous forme de rclamations, 66 %de leur ensemble concernent la dermatologie (chiffres communiquspar Le Sou Mdical, 1997). Il devient donc ncessaire de mettre enforme cette question mais aussi denvisager la ou les meilleuresfaons dy rpondre.

    Dans le premier temps de la consultation, il va de soi que ce sontprioritairement les critres mdicaux qui sont mobiliss (examenclinique, diagnostic, perspectives thrapeutiques, etc). Labordpsychologique implique pour le praticien en dermatologieesthtique dintgrer cette indispensable approche essentiellementmdicale, fonde sur des critres physiques (par exemple la natureou ltendue des lsions observes sur le corps du patient) dautrescritres, diffrents des premiers et obissant une logique spcifique.Il sagit en effet ici dadmettre que le point de vue du patient,concernant les dommages (rels ou supposs) subis la surface de soncorps, est le point de dpart oblig de lapproche psychologique.

    Second temps de la consultation, cette approche psychologiquencessite par consquent davoir considrer la peau sous un autreangle que lors de sa premire phase. Au cours de ce premier temps(cf supra), lexamen clinique fait en priorit apparatre la peaucomme lappareil somatique dont les atteintes ainsi que leur degrde gravit se doivent dtre valus, afin dtre traits en vue deleur disparition. Mais aborder laspect psychologique implique defaire passer au second plan ce statut dorgane de la peau, au profitde son statut subjectif dans les reprsentations du patient.Autrement dit, et dun simple point de vue technique, apparat icilintrt de recourir un intervenant diffrent, qui soit en mesuredexplorer la manire dont le patient conoit et vit sa propre peau,et qui ne peut tre pour lui quune ralit diffrente par essence decelle que lui prsente le mdecin.

    Si lintrt de la psychologie pour les patients consultants endermatologie ne date pas dhier, on ne peut pas dire que lesmanifestations de cet intrt soient homognes. Ainsi, les tentativesde typologisation en dermatologie sont nombreuses mais peuventalternativement viser, les affections [7], les thrapeutiques [26] ou lespatients eux-mmes [9, 20]. Dautres recherches sur la dimensionpsychologique de cette spcialit sinsrent plus largement dans lechamp dit psychosomatique [2], ou donnent au contraire lapriorit au modle du raisonnement biomdical [ 6 ] voirepsychiatrique [11]. En tant que disciplines part entire, lapsychologie elle-mme [1] ainsi que la psychanalyse [31] ont entreprisnombre de recherches concernant linvestissement subjectif de lapeau. On peut noter par ailleurs que les patients eux-mmes, deplus en plus, cherchent se faire entendre, soit sous forme classiquedassociation de malades, soit sous forme de tmoignage leurpermettant dexprimer subjectivement la perception de leurtrouble [27]. Mais cest grce lensemble de ces recherches quil estdsormais admis que linvestissement subjectif de la peau peutgalement se traduire en termes objectifs [10]. Toutefois, parmi cestravaux, une place part peut tre rserve lhypnose. tort ou raison cette technique demeure dans la plupart des esprits, quilsagisse des professionnels ou du grand public, un dispositifexprimental efficace pour agir sur laspect psychologique dutrouble dermatologique, quil sagisse de le faire surgir (apparitionde traces de brlure par simple suggestion) ou de le faire disparatre(limination de verrues) [30] la surface de la peau. Si cette techniquecommence tre lenjeu de recherches approfondies [34], sonapparition lhpital en dermatologie demeure motive davantagepar lintuition que par la dmonstration scientifique [32].

    Peau et identit

    THORIE

    Peau et construction identitaireLe premier mdecin a avoir voqu le rle jou par la peau dans laconstitution de la personnalit (du moi comme du narcissismeprimaire) est Sigmund Freud en personne. Dans un clbre articlede 1921, Freud postulait en effet que le premier moi est corporel etse construit partir de la projection (et de la reprsentationmentale) dune surface [16]. Plus dun demi-sicle aprs cettepremire formulation, cest un psychologue, D Anzieu, qui areprendra cette proposition en la dveloppant travers la notion de moi-peau . Anzieu dfinit cette notion comme la figuration dontlenfant se sert au cours des phases prcoces pour se reprsenterlui-mme comme moi contenant les contenus psychiques, partirde son exprience de la surface du corps [1]. Il en dcrit lesdiffrentes fonctions :

    unification (sentiment dtre unique) ; dlimitation (capacit dtablir une limite entre soi et non-soi) ; diffrenciation (construction dun monde interne distinct dumonde externe) ; contenant (pour les premiers lments de la pense et de lafonction cognitive).

    Peau et relation la mreCest un autre psychanalyste, Winnicott, que lon doit davoirmontr, la suite de nombreux travaux thologiques (dont les plusconnus sont ceux de Bowlby sur la notion dattachement),limportance des contacts corporels et tactiles, des soins ou descaresses accompagnant les manipulations dans les relations dematernage, pour la constitution de lidentit primaire. Cette identitne pourrait sdifier, selon Winnicott, que dans une relation nourriepar ces gestes et tablie par une mre suffisamment bonne [33] etaimante. Seule une telle relation permettrait que se construisent, nonseulement les bases de lidentit (certitude dtre soi), maisgalement le corps libidinal du narcissisme primaire (amour de soi)ainsi que lestime de soi (sentiment de sa propre valeur) et uneimage de soi aimable . Dveloppant cette rflexion, dautrespsychanalystes, comme JC Lavie, avancent que la mre, fondatricede la relation au corps et la peau y reste prsente, essentiellementdans la manire que chacun peut avoir de se percevoir sous ces deuxaspects, identitaire et narcissique.

    Peau, identit sexue et image esthtique de soiLimage esthtique de soi se construit, selon Lollini, dans desexpriences relationnelles et libidinales personnelles. Que cetteimage soit belle ou bien laide et dforme , cest toujours de lhistoire relationnelle inconsciente de limage de soi que dpendson apprciation esthtique [24]. Lors du stade daboutissement delidentit que reprsente la pubert, limage esthtique de soi finitde sachever sur la scne dipienne : identification au parent demme sexe et sduction du parent de sexe oppos. Cest duregard que le pre porte la fille ou de celui de la mre sur le garonque participe pour ladolescent(e) le sentiment dtre beau (belle) oulaid(e), davoir ou non le pouvoir de plaire, de reprsenter une valeur pour autrui.Ainsi, selon Freud, la capacit dmotion esthtique, issuesublimatoire de cette phase, drive bel et bien de la sexualit. Labeaut et le charme reprsentant des attributs de lobjet investi dansla relation amoureuse, une rupture amoureuse peut par consquentractiver certaines proccupations concernant limage esthtique desoi ainsi que la peau charge denvelopper cette image.

    CLINIQUE

    Demande en dermatologie esthtique et narcissismeCes dimensions psychiques complexes de la peau sactualisentimplicitement dans les demandes adresses la dermatologie

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  • esthtique. On vient de voir que le rle de cet organe dans laconstruction de lidentit, de limage de soi (valorise oudvalorise) ou de lestime de soi en relation avec les premiresrelations affectives de lenfance, en font par la suite un lieu privilgide restauration narcissique.Ces demandes, bien que transitant par un dispositif de soin mdical,possdent donc le plus souvent le sens positif et subjectif dunerenarcissisation. linsu du demandeur de soin comme de soninterlocuteur mdical, prendre soin de soi par lintermdiaire desa peau, peut fort bien constituer un mode inconscient deretrouvailles avec la mre aimante de la petite enfance, et tre vcucomme une tentative de restauration dune image de soi valorise,donc aimable.Mais simultanment, la peau demeure le lieu privilgi defocalisation et de prcipitation des crises existentielles (adolescence,vieillissement) comme des vnements (sparations, pertes, deuils)qui fragilisent lidentit et limage de soi. Sans apporter ladmonstration formelle de leur implication causale, nombreux sontles auteurs pour qui ces tapes cruciales de lexistence peuventprovoquer nombre de dermatoses ; de manire empirique, cespathologies sont ainsi rputes pour tre psychosomatiques [10].

    Crises identitaires et demande en dermatologieesthtique

    Il est classique de considrer, chez ladolescent, que lestransformations corporelles et lvolution psychoaffective entranentun remaniement intense de limage de soi. Certains auteurs notentla frquence de lutilisation du tatouage et autres inscriptionscutanes (piercing) comme support dun discours social dont le butest de se diffrencier (diffrence des gnrations) et de chercher uneressemblance rassurante (avec les pairs) [25].Dans le registre de la psychopathologie, ces mmes auteursrappellent que le problme des limites du corps est frquemmentractiv lors de cette priode. La peau, ainsi que ce quelle recouvre,cristallise alors dintenses proccupations de naturedysmorphophobique ; elle peut galement faire lobjet de conduitesnvrotiques, qui peuvent aller de lacn excorie par exemple, auxpathomimies les plus mutilantes. Mais sans revtir ncessairementces caractristiques pathologiques, ladolescence demeure uncontexte de crise, un ge de grande fragilit narcissique o lancessit de se sparer psychiquement des parents est un impratifpermettant dinvestir les relations sociales amicales et amoureuses,comme mise lpreuve de limage de soi, et de la vulnrabilit auregard de lautre [10]. lge mr, les marques cutanes du vieillissement tendent provoquer un dcalage entre le dedans et le dehors, do peut surgirun malaise identitaire plus ou moins profond ; il arrive en effet, aucours de cette priode, que fortuitement le sujet ne se reconnaisseplus dans limage que lui renvoie le miroir, dclenchant ce que Freudnomme en 1919, un sentiment d inquitante tranget . Dans cettecrise du milieu de vie, il est possible que les identificationsimaginaires aux parents soient ractives, comme le suggre GirardMadoux. La consultation dune patiente de 45 ans rapporte par ladermatologue, illustre cette hypothse ; elle rvle le fantasmed avoir la mme peau que (sa) mre , dfaillante et absente, ettmoigne du vacillement dune identit pige dans uneidentification en miroir [18].

    Peau et regard

    En 1983, une enqute entreprise auprs de dermatologues etmentionne par J Guir aurait rvl une absence daffectionscutanes comme le psoriasis, leczma ou le vitiligo chez lesaveugles de naissance [19]. Lhypothse formule partir de cetteobservation tant que le regard, impliqu dans la constitution de cetype de pathologies, place le malade en position de matriser leregard de lautre port sur lui, tout en lui pargnant le croisementdes regards.

    THORIE

    Thories psychologiques

    La plupart des thories psychologiques portant sur le lien entrela vie psychique et les affections cutanes mettaient jusqu prsentplus volontiers en jeu les relations prcoces entre lenfant et sa mre,ainsi que linvestissement par celle-ci de la peau de son enfant(Anzieu, Bowlby ou Spitz, mentionns plus haut). Lhypothse deGuir, jusqu ce jour invrifie statistiquement, a au moins le mritede rompre avec ces prcdentes hypothses fortes , en faisantappel dautres donnes qui, bien quissues de la cliniquepsychanalytique elles aussi, tmoignent de limplication dans cestroubles dune pulsion peu tudie jusqualors : la pulsion scopique.

    Lessentiel des demandes adresses la dermatologie esthtiqueconcerne bien entendu laspect extrieur du patient. Sil sagit enrgle gnrale de modifier lapparence de parties du corps exposesau regard dautrui (les mains, par exemple) la majorit de cesdemandes concerne le visage. Cette dimension scopique impliquedans la demande en dermatologie nest pour ainsi dire jamaisexplore en tant que telle. Chacun des partenaires de la consultation(patient et mdecin) admet comme une donne de bon sens cetimpratif esthtique : il convient doffrir au regard de lautre unesurface corporelle exempte de marques interprtables en termespathologiques ou plus exactement danormalit. Cest prcisment lunanimit implicite des acteurs de cette situation quil convient derflchir, ainsi qu sa signification du point de vue du demandeurcomme du point de vue de celui qui recueille la demande.Autrement dit, quel est lenjeu psychologique de leffacement duneempreinte la surface de la peau qui semble faire signe tous ?

    Pulsion scopique

    Voir, cest tout dabord pouvoir disposer lintrieur de soidimages, animes ou non, comme autant de reflets de la ralitextrieure. Mais limage qui nous intresse ici est celle dont ladisposition permanente assure lindividu les fondements mmesde son identit : limage spculaire. tape fondamentale dans laccs lunivers symbolique, le stade du miroir dcrit tout dabord par lepsychologue Wallon, reprsente dans la thorie lacanienne le stadesans le franchissement duquel lidentit demeure toujours vacillante.Selon Lacan en effet, cette tape correspond la transformationproduite chez le sujet quand il assume (son) image et reprsente lemoment qui, de faon dcisive, fait basculer tout le savoir humaindans la mdiatisation par le dsir de lautre [22].

    Le rle tenu par la matrise de son image dans le dveloppement dela vie psychique de lhomme est donc crucial. Sans lusage de lavue, cette tape devra trouver les moyens de se raliser par dautrescanaux sensoriels ; mais grce la vue, la peau dans son entier,surface corporelle, se trouve et pour toujours une place capitaledans la construction du sujet, support psychologique dun doubleprouv tactile et visuel. Dans ces conditions, le voir acquiertune dimension considrable dans le droulement de la vie mentaledu sujet, et se trouvera dsormais pris au cur de tout phnomneapparaissant la surface du corps.

    La pulsion scopique , rfre la jouissance voyeuriste pourFreud, se rapporte initialement au corps propre , celui de lenfantqui jubile de se voir en mouvement ; secondairement, le corps delautre est son tour pris dans cette pulsion scopique, dans unmouvement de comparaison et d change [15]. Si lesfondements mmes de cette pulsion de regarder sont donc de naturenarcissique, son volution implique un retournement dans lequel lenouvel enjeu peut devenir tre regard , associ toutes sesdclinaisons possibles. Ces diffrents mouvements pulsionnels sontsouvent interprts comme les manifestations dune agressivitvoile (refoule) issue du dsir de matriser le regard de lautre [24].On reconnat enfin ici le principe relationnel qui fonde laconsultation en dermatologie : montrer-recouvrir.

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  • TABLEAUX CLINIQUES

    Toute maladie ou affection cutane peut ainsi tre ressentie par lepatient atteint comme reflet de lintrieur de lui-mme,potentiellement expos aux yeux de tous. Cest le sens delreuthophobie, o le sujet redoute de voir le regard dautrui lire sur son propre visage certaines penses dont il ne parvient lui-mme que confusment formuler les contenus.Plus gnralement, pour le malade prsentant une vritableanomalie cutane, le risque est celui dtre expos aux autres, dedevenir comme transparent . Quil soit question dun dtailanatomique jug disgracieux dans le cas de la dysmorphophobie oudune pathologie avre et drangeante comme le vitiligo ou lepsoriasis, les dsordres qui frappent la surface corporelle sontcomme exhibs. Selon le sige du dommage dsign par la plainte,il arrive que tout le monde (mdecin ou non) puisse y porter leregard, rompant ainsi le pacte du secret qui accompagne laconsultation mdicale.Quant la sanction chirurgicale lorsquelle est prescrite,promettant dagir sur un dommage cutan visible, et la diffrencede la plupart des autres actes chirurgicaux, elle vise implicitementnon seulement le regard que la personne demandeuse porte sur elle-mme, mais galement tous les regards qui vont dsormais se posersur ce lieu corporel. Lacte chirurgical reprsente en gnral le retourau confort dun organe ou dune fonction jusque-l dfaillant ; dansle cas particulier de lintervention en dermatologie, cet acte impliquedagir partir de linterprtation par le patient du regard de lautrepos sur lui-mme. Remdier chirurgicalement une disgrce placedonc le chirurgien dans limpratif datteindre simultanment deuxidaux esthtiques : ceux de son patient et ceux, supposs par celui-ci, de son environnement familial et social. Ce que rsume ladfinition propose par Laufer pour la chirurgie esthtique, une psychochirurgie, une chirurgie du bonheur [23].En dermatologie esthtique, la concidence entre le projet labor encommun avec le patient et le rsultat obtenu grce au travail dumdecin (chirurgien ou non) est aussi difficile raliser que dans laplupart des spcialits de la mdecine ; ici cependant, lcart entreles deux demeure visible. Le mdecin se trouve associ de cettemanire aux modifications de la nouvelle image de soi du patient,dont on a vu plus haut (cf supra) quelle part elle prenait dans sesfondements identitaires, mais qui nest pas sans retentissement surla vie sociale et relationnelle.

    Peau et socit

    PEAU, ESTHTIQUE ET APPROCHE PSYCHOSOCIALE

    La place minente joue par la peau dans ldification de lasubjectivit et de la vie psychique a t longuement dcrite (cfsupra). Et cest ce titre quelle est troitement mle aux effetsintersubjectifs de la rencontre avec le regard dautrui, en tant quelieu dexpression sociale part entire.Les sciences psychosociales se sont donc naturellement employes tudier les consquences sur la vie de relations (relations sexuelles,professionnelles, de loisirs, etc) des maladies de peau, ainsi quaudegr de handicap impos par ces pathologies au droulement desactivits quotidiennes (familiales et prives ou professionnelles etpubliques). Les questionnaires dindex de qualit de la vie peuventainsi, en pratique dermatologique comme pour la plupart des autresspcialits mdicales, tre un moyen assez maniable permettantdvaluer lamlioration des conditions de vie dun patient aprstraitement [12].Toutefois, lobjectivit ou la subjectivit des expriences de rejetsocioprofessionnel et/ou social sont nuancer ainsi que lutilitpour les patients de recourir aux questionnaires de qualit de vie,comme le montre une tude australienne [28]. Cette recherche portesur 104 patients atteints dacn et utilise le questionnaire Acnedisability index (ADI). Alors que les rsultats montrent une faiblecorrlation entre la qualit de la vie et la svrit clinique de lacn,

    ils permettent nanmoins didentifier ceux des patients ayant uneimage dvalorise deux-mmes et dvaluer sur eux les effetspsychologiques du traitement.Dautres tudes, comme celles de Bruchon-Schweitzer, portent surles effets concrets de lapparence physique sur lentourage. Cestravaux font apparatre que la beaut ainsi que lattrait physiquemanant dune personne peuvent avoir une incidence relle etmesurable sur les attitudes et opinions dautrui, de lenfance lgeadulte [5].

    PEAU ET STIGMATISATION

    Lclairage dsormais classique du sociologue E Goffman permet desaisir leffet de stigmatisation induit par la perception de touthandicap mais aussi de toute apparente diffrence entre le corps normal et celui de lautre ainsi marqu . Les conduitesspcifiques dcrites par Goffman chez les stigmatiss (dissimulation du stigmate , minimisation de ses consquences ouisolement social) sappliquent bien entendu aux personnes atteintesde dermatoses. La maladie de peau, visible, inscrite la surface ducorps, plus ou moins dissimulable, gnre invitablement cet effetde stigmatisation ; la traduction intersubjective de ce mcanisme seretrouvant dans la recherche dun sens donner la marque etla qute de son interprtation.Si, dans la culture, limage du lpreux reste le symbole de lastigmatisation et de lexclusion, Ginsburg [17] a trouv chez despatients atteints de dermatose banale, associ au vcu subjectif de lacontagion, celui plus dissimul de salet ou de sexualit (rfrence aux maladies vnriennes).Plus gnralement, les diffrentes cultures traitent, chacune leurmanire, de ces altrations de lapparence du corps et des angoissesqui en surgissent. Cest cette angoisse spcifiquement humainequtudie Franoise Duvignau (CNRS), selon qui tout se passecomme si les figures de lart taient une tentative inlassable pourlibrer lespce de son angoisse et comme si leur rpondait nonmoins inlassablement la dformation du corps, source deffroi .Si lart pictural (peinture ou bandes dessines) et la science-fictioncinmatographique explorent cet imaginaire dun corpsalternativement idalis et embelli, ou bien trange etmonstrueusement dform (aux limites de limaginable), lesconduites individuelles de marquage du corps (le tatouage ou lepiercing, actuellement prolongs par des pratiques extrmes commele stretching et le branding) peuvent tre interprtes comme destentatives dexorciser ce type dangoisses.Mais le dsir dintgration sociale (exprim par la recherche duntravail) est souvent lorigine de demandes dablation de cesmarques, pour autant quelles sont exposes au regard dautrui.

    Le patient, sa peau et le dermatologue

    LE CORPS REL ET LE DERMATOLOGUE

    Bien que lon puisse, en thorie, mettre laccent sur la part sociale etculturelle ou personnelle et subjective de la demande adresse ladermatologie esthtique, la place tenue en pratique par ledermatologue sy rvle primordiale. Enjoint dinterprter lasouffrance du consultant par son attitude mme, le praticiendtermine en grande partie lissue de cette plainte. Si prendre soinde sa peau fait partie, on la vu, de linvestissement narcissiquehabituel et constitue un signe dquilibre psychique et affectif,confier ce soin un tiers, quelle quen soit la raison, reprsente pourla personne un remaniement subjectif de premire importance.La place de ce tiers, occupe par le dermatologue ds la premireconsultation, lassocie dfinitivement ce bouleversement ; elle faitde lui non seulement un interlocuteur, mais lquivalent dunauxiliaire du dsir suppos du patient, de recouvrer son bien-trephysique et psychique. Il sagit de ce que Caro dcrit, soulignantque le mdecin ne se contente plus de traiter les maladies ni les

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  • malades, mais () participe aussi au maintien de la bonne sant etdevient un conseiller privilgi en matire de bien-tre, de forme etde beaut [8].Pour autant, bon nombre de dmarches sadressant ladermatologie esthtique apparaissent comme des demandes nerelevant ni du bien-tre, ni de la sant, ni de la beaut. Et les plaintespour un dfaut cutan imaginaire ou objectivement mineur peuventse rvler tre celles qui envahissent le plus massivement lepsychisme du patient, comme en tmoignent certains rcits de cas [3].Dans le mme registre, et redouts par les praticiens, certainsconsultants se dclarent ternellement insatisfaits dun rsultat quia manifestement et objectivement amlior un dfaut rel. Il arriveainsi que senclenchent, linsu des protagonistes, certainesdemandes rptition, sources de malentendus et de relationsconflictuelles qui saccumulent, accompagns ou non de conduitesagressives ou procdurires.Tout dermatologue se sait potentiellement confront desdemandes, des souffrances, des comportements, davantage tmoinsde lirrationnel et de la subjectivit de ses patients que relevant desa stricte comptence biomdicale. Rgulirement dailleurs, laprofession se penche sur ces problmes qui, dfaut de possderdes solutions dfinitives, rappellent lensemble des praticienslimportance de la relation intersubjective dans leur domaine decomptence [13].

    LE CORPS IMAGINAIRE ET LE PSYCHOLOGUE

    La plupart des demandes adresses aux dermatologues parvient sinscrire dans le registre du consensus o peut stablir uncompromis entre lapproche du praticien, objective et rationnelle, etla demande du patient, explicite et implicite. Toutefois la socit,obstinment tourne vers la science et la mdecine pour leprolongement de la jeunesse et le retardement du vieillissement,alimente de plus en plus lambigut de la relation entre le public etle dermatologue.Bien que les mdecines esthtiques se rfrent le plus souvent desvaleurs humanistes, visant soulager la souffrance psychique, procurer une meilleure qualit de vie et offrir ses consultantsune meilleure image de soi en amliorant leur apparence, lesdemandes quelles suscitent les inscrivent simultanment dans leregistre de lirrationnel et de lillusion. Cest en tout cas ce quesuggre le psychanalyste Rosolato en soulignant la nature

    inassouvissable de vie et dabolition de la mort des demandesqui sont adresses la mdecine aujourdhui, et qui situent lemdecin au plus prs des limites de son savoir .Pour ainsi dire loppos de cette position dappel une toutepuissance rparatrice o la mdecine, et le dermatologique enpremier lieu, a t place, la psychologie clinique impose au sujet depenser ce corps imaginaire dont la qute est voue unepermanente insatisfaction. Occuper cette place impose aupsychologue de renoncer agir sur le corps rel et sessoubassements biologiques [21]. En mettant laccent sur ce corpsimaginaire, idal, constitutif de la premire identit, le psychologueautorise le patient traiter sur deux scnes clairement diffrencies,dune part cette ralit psychique aux fondements narcissiquesarchaques, et dautre part ce corps rel [29] dont lapparence et lasurface (la peau) sont invitablement soumis, de manire visible, auxprjudices de la maladie, des accidents, de lhrdit, de la nature,et aux avances du temps et du vieillissement.

    ConclusionDe tous les organes de son corps, la peau est sans doute celui qui donnele plus penser au sujet, ds lorigine. Lindissociable exprience de laperception tactile et visuelle de sa surface en fait tout jamais un lieumassif dinvestissement subjectif. Les dsordres qui latteignent, quelsquen soit la nature et ltendue, atteignent du mme coup lensemblede lunivers psychique, menaant peu ou prou son intgrit. Larparation de ces dsordres rels ou supposs ncessite le secours et lacomptence de la mdecine dermatologique, par lintermdiaire de sesdiffrents praticiens.La spcificit de la dermatologie esthtique consiste prcisment prendre en considration linvestissement subjectif de la surfacecorporelle. Cest ce titre que ces spcialistes sont particulirementexposs. Hormis lidentification des tableaux psychopathologiquesclassiquement voqus dans cette spcialit (dlires cutans,dysmorphophobies, pathomimies, etc) [10], il devient de plus en plus utilepour ces praticiens de travailler en collaboration avec des psychologuescliniciens. Ceux-ci sont forms recevoir de plein fouet limpact de larencontre intersubjective et conduire la relation qui en dcoule. cetitre, et comme la loi le recommande (JO du 30 avril 1991), ils mettentleur comptence dans ce secteur de la dermatologie au service despersonnes pour qui le retentissement affectif du dsordre esthtiquedborde le champ de la seule intervention mdicale.

    Rfrences

    Dermatologie esthtique Approche psychologique et motivations des consultants en dermatologie esthtique 50-265-B-10

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