apollinaire peintrescubistes

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Guillaume Apollinaire [1913] (Méditations esthétiques) Les Peintres cubistes http://obvil.paris-sorbonne.fr/corpus/apollinaire/ meditations-esthetiques/, tei, html, text, epub. Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL, 2014, license cc. Source : Guillaume Apollinaire, (Méditations esthétiques) Les Peintres cubistes, Paris, Figuière, 1913, 84 p., 46 pl. Ont participé à cette édition électronique : Éric Thiébaud (Stylage sémantique) et Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale). [1913-03 Méditations esthétiques] Méditations esthétiques. Les peintres cubistes § Sur la peinture § I § Les vertus plastiques : la pureté, l’unité et la vérité maintiennent sous leurs pieds la nature terrassée. En vain, on bande l’arc-en-ciel, les saisons frémissent, les foules se ruent vers la mort, la science défait et refait ce qui existe, les mondes s’éloignent à jamais de notre conception, nos images mobiles se répètent ou ressuscitent leur inconscience et les couleurs, les odeurs, les bruits qu’on mène nous étonnent, puis disparaissent de la nature. * * * Ce monstre de la beauté n’est pas éternel.

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Guillaume Apollinaire[1913](Mditations esthtiques) Les Peintres cubisteshttp://obvil.paris-sorbonne.fr/corpus/apollinaire/meditations-esthetiques/, tei, html, text, epub.Universit Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL, 2014, license cc.Source: Guillaume Apollinaire, (Mditations esthtiques) Les Peintres cubistes, Paris, Figuire, 1913, 84p., 46pl.Ont particip cette dition lectronique: ric Thibaud (Stylage smantique) et Frdric Glorieux (Informatique ditoriale).[1913-03 Mditations esthtiques] Mditations esthtiques. Les peintres cubistes Sur la peinture I Les vertus plastiques: la puret, lunit et la vrit maintiennent sous leurs pieds la nature terrasse.En vain, on bande larc-en-ciel, les saisons frmissent, les foules se ruent vers la mort, la science dfait et refait ce qui existe, les mondes sloignent jamais de notre conception, nos images mobiles se rptent ou ressuscitent leur inconscience et les couleurs, les odeurs, les bruits quon mne nous tonnent, puis disparaissent de la nature.* * *Ce monstre de la beaut nest pas ternel.Nous savons que notre souffle na pas eu de commencement et ne cessera point, mais nous concevons avant tout la cration et la fin du monde.Cependant, trop dartistes-peintres adorent encore les plantes, les pierres, londe ou les hommes.On saccoutume vite lesclavage du mystre. Et la servitude finit par crer de doux loisirs.On laisse les ouvriers matriser lunivers et les jardiniers ont moins de respect pour la nature que nen ont les artistes.Il est temps dtre les matres. La bonne volont ne garantit point la victoire.En de de lternit dansent les mortelles formes de lamour et le nom de la nature rsume leur maudite discipline.* * *La flamme est le symbole de la peinture et les trois vertus plastiques flambent en rayonnant.La flamme a la puret qui ne souffre rien dtranger et transforme cruellement en elle-mme ce quelle atteint.Elle a cette unit magique qui fait que si on la divise, chaque flammche est semblable la flamme unique.Elle a enfin la vrit sublime de sa lumire que nul ne peut nier.* * *Les artistes-peintres vertueux de cette poque occidentale considrent leur puret en dpit des forces naturelles.Elle est loubli aprs ltude. Et pour quun artiste pur mourt, il faudrait que tous ceux des sicles couls neussent pas exist.La peinture se purifie, en Occident, avec cette logique idale que les peintres anciens ont transmise aux nouveaux comme sils leur donnaient la vie.Et cest tout.Lun vit dans les dlices, lautre dans la douleur, les uns mangent leur hritage, dautres deviennent riches et dautres encore nont que la vie.Et cest tout.On ne peut pas transporter partout avec soi le cadavre de son pre. On labandonne en compagnie des autres morts. Et lon sen souvient, on le regrette, on en parle avec admiration. Et si lon devient pre, il ne faut pas sattendre ce quun de nos enfants veuille se doubler pour la vie de notre cadavre.Mais nos pieds ne se dtachent quen vain du sol qui contient les morts.* * *Considrer la puret, cest baptiser linstinct, cest humaniser lart et diviniser la personnalit.La racine, la tige et la fleur de lys montrent la progression de la puret jusqu sa floraison symbolique* * *Tous les corps sont gaux devant la lumire et leurs modifications rsultent de ce pouvoir lumineux qui construit son gr.Nous ne connaissons pas toutes les couleurs et chaque homme en invente de nouvelles.Mais le peintre doit avant tout se donner le spectacle de sa propre divinit et les tableaux quil offre ladmiration des hommes leur confreront la gloire dexercer aussi et momentanment leur propre divinit.Il faut pour cela embrasser dun coup dil: le pass, le prsent et lavenir.La toile doit prsenter cette unit essentielle qui seule provoque lextase.Alors rien de fugitif nentranera au hasard. Nous ne reviendrons pas brusquement en arrire. Spectateurs libres, nous nabandonnerons point notre vie cause de notre curiosit. Les faux sauniers des apparences ne passeront point en fraude nos Statues de sel devant loctroi de la raison.Nous nerrerons point dans lavenir inconnu, qui spar de lternit nest quun mot destin tenter lhomme.Nous ne nous puiserons pas saisir le prsent trop fugace et qui ne peut tre pour lartiste que le masque de la mort: la mode.* * *Le tableau existera inluctablement. La vision sera entire, complte et son infini, au lieu de marquer une imperfection, fera seulement ressortir le rapport dune nouvelle crature un nouveau crateur et rien dautre. Sans quoi, il ny aura point dunit, et les rapports quauront les divers points de la toile avec diffrents gnies, avec diffrents objets, avec diffrentes lumires ne montreront quune multiplicit de disparates sans harmonie.Car, sil peut y avoir un nombre infini de cratures attestant chacune leur crateur, sans quaucune cration nencombre ltendue de celles qui coexistent, il est impossible de les concevoir en mme temps et la mort provient de leur juxtaposition, de leur mle, de leur amour.Chaque divinit cre son image; ainsi des peintres. Et les photographes seuls fabriquent la reproduction de la nature.* * *La puret et lunit ne comptent pas sans la vrit quon ne peut comparer la ralit puisquelle est la mme, hors de toutes les natures qui sefforcent de nous retenir dans lordre fatal o nous ne sommes que des animaux.* * *Avant tout, les artistes sont des hommes qui veulent devenir inhumains.Ils cherchent pniblement les traces de linhumanit, traces que lon ne rencontre nulle part dans la nature.Elles sont la vrit et en dehors delles nous ne connaissons aucune ralit.* * *Mais on ne dcouvrira jamais la ralit une fois pour toutes. La vrit sera toujours nouvelle.Autrement, elle nest quun systme plus misrable que la nature.En ce cas, la dplorable vrit, plus lointaine, moins distincte, moins relle chaque jour rduirait la peinture ltat dcriture plastique simplement destine faciliter les relations entre gens de la mme race.De nos jours, on trouverait vite la machine reproduire de tels signes, sans entendement.II Beaucoup de peintres nouveaux ne peignent que des tableaux o il ny a pas de sujet vritable. Et les dnominations que lon trouve dans les catalogues jouent alors le rle des noms qui dsignent les hommes sans les caractriser.De mme quil existe des Legros qui sont fort maigres et des Leblond qui sont trs bruns, jai vu des toiles appeles: Solitude, o il y avait plusieurs personnages.Dans les cas dont il sagit, on condescend encore parfois se servir de mots vaguement explicatifs comme portrait, paysage, nature morte; mais beaucoup de jeunes artistes-peintres nemploient que le vocable gnral de peinture.Ces peintres, sils observent encore la nature, ne limitent plus et ils vitent avec soin la reprsentation de scnes naturelles observes et reconstitues par ltude.La vraisemblance na plus aucune importance, car tout est sacrifi par lartiste aux vrits, aux ncessits dune nature suprieure quil suppose sans la dcouvrir. Le sujet ne compte plus ou sil compte cest peine.Lart moderne repousse, gnralement, la plupart des moyens de plaire mis en uvre par les grands artistes des temps passs.Si le but de la peinture est toujours comme il fut jadis: le plaisir des yeux, on demande dsormais lamateur dy trouver un autre plaisir que celui que peut lui procurer aussi bien le spectacle des choses naturelles.* * *On sachemine ainsi vers un art entirement nouveau, qui sera la peinture, telle quon lavait envisage jusquici, ce que la musique est la littrature.Ce sera de la peinture pure, de mme que la musique est de la littrature pure.Lamateur de musique prouve, en entendant un concert, une joie dun ordre diffrent de la joie quil prouve en coutant les bruits naturels comme le murmure dun ruisseau, le fracas dun torrent, le sifflement du vent dans une fort, ou les harmonies du langage humain fondes sur la raison et non sur lesthtique.De mme, les peintres nouveaux procureront leurs admirateurs des sensations artistiques uniquement dues lharmonie des lumires impaires.* * *On connat lanecdote dApelle et de Protogne qui est dans Pline.Elle fait bien voir le plaisir esthtique et rsultant seulement de cette construction impaire dont jai parl.Apelle aborde, un jour, dans lle de Rhodes pour voir les ouvrages de Protogne, qui y demeurait. Celui-ci tait absent de son atelier quand Apelle sy rendit. Une vieille tait l qui gardait un grand tableau tout prt tre peint. Apelle au lieu de laisser son nom, trace sur le tableau un trait si dli quon ne pouvait rien voir de mieux venu.De retour, Protogne apercevant le linament, reconnut la main dApelle, et traa sur le trait un trait dune autre couleur et plus subtil encore, et, de cette faon, il semblait quil y et trois traits.Apelle revint encore le lendemain sans rencontrer celui quil cherchait et la subtilit du trait quil traa ce jour-l dsespra Protogne. Ce tableau causa longtemps ladmiration des connaisseurs qui le regardaient avec autant de plaisir que si, au lieu dy reprsenter des traits presque invisibles, on y avait figur des dieux et des desses.* * *Les jeunes artistes-peintres des coles extrmes ont pour but secret de faire de la peinture pure. Cest un art plastique entirement nouveau. Il nen est qu son commencement et nest pas encore aussi abstrait quil voudrait ltre. La plupart des nouveaux peintres font bien de la mathmatique sans le ou la savoir, mais ils nont pas encore abandonn la nature quils interrogent patiemment cette fin quelle leur enseigne la route de la vie.Un Picasso tudie un objet comme un chirurgien dissque un cadavre.Cet art de la peinture pure sil parvient se dgager entirement de lancienne peinture, ne causera pas ncessairement la disparition de celle-ci, pas plus que le dveloppement de la musique na caus la disparition des diffrents genres littraires, pas plus que lcret du tabac na remplac la saveur des aliments.III On a vivement reproch aux artistes-peintres nouveaux des proccupations gomtriques. Cependant les figures gomtriques sont lessentiel du dessin. La gomtrie, science qui a pour objet ltendue, sa mesure et ses rapports, a t de tout temps la rgle mme de la peinture.Jusqu prsent, les trois dimensions de la gomtrie euclidienne suffisaient aux inquitudes que le sentiment de linfini met dans lme des grands artistes.Les nouveaux peintres, pas plus que leurs anciens, ne se sont propos dtre des gomtres. Mais on peut dire que la gomtrie est aux arts plastiques ce que la grammaire est lart de lcrivain. Or, aujourdhui, les savants ne sen tiennent plus aux trois dimensions de la gomtrie euclidienne. Les peintres ont t amens tout naturellement et, pour ainsi dire, par intuition, se proccuper de nouvelles mesures possibles de ltendue que dans le langage des ateliers modernes on dsignait toutes ensemble et brivement par le terme de quatrime dimension.* * *Telle quelle soffre lesprit, du point de vue plastique, la quatrime dimension serait engendre par les trois mesures connues: elle figure limmensit de lespace sternisant dans toutes les directions un moment dtermin. Elle est lespace mme, la dimension de linfini; cest elle qui doue de plasticit les objets. Elle leur donne les proportions quils mritent dans luvre, tandis que dans lart grec par exemple, un rythme en quelque sorte mcanique dtruit sans cesse les proportions.Lart grec avait de la beaut une conception purement humaine. Il prenait lhomme comme mesure de la perfection. Lart des peintres nouveaux prend lunivers infini comme idal et cest cet idal que lon doit une nouvelle mesure de la perfection qui permet lartiste-peintre de donner lobjet des proportions conformes au degr de plasticit o il souhaite lamener.Nietzsche avait devin la possibilit dun tel art: Dionysos divin, pourquoi me tires-tu les oreilles? demande Ariane son philosophique amant dans un de ces clbres dialogues sur lle de Naxos. Je trouve quelque chose dagrable, de plaisant tes oreilles, Ariane: pourquoi ne sont-elles pas plus longues encore?Nietzsche, quand il rapporte cette anecdote, fait par la bouche de Dionysos le procs de lart grec.Ajoutons que cette imagination: la quatrime dimension, na t que la manifestation des aspirations, des inquitudes dun grand nombre de jeunes artistes regardant les sculptures gyptiennes, ngres et ocaniennes, mditant les ouvrages de science, attendant un art sublime, et quon nattache plus aujourdhui cette expression utopique, quil fallait noter et expliquer, quun intrt en quelque sorte historique.IV Voulant atteindre aux proportions de lidal, ne se bornant pas lhumanit, les jeunes peintres nous offrent des uvres plus crbrales que sensuelles. Ils sloignent de plus en plus de lancien art des illusions doptique et des proportions locales pour exprimer la grandeur des formes mtaphysiques. Cest pourquoi lart actuel, sil nest pas lmanation directe de croyances religieuses dtermines, prsente cependant plusieurs caractres du grand art, cest--dire de lArt religieux.V Les grands potes et les grands artistes ont pour fonction sociale de renouveler sans cesse lapparence que revt la nature aux yeux des hommes.Sans les potes, sans les artistes les hommes sennuieraient vite de la monotonie naturelle. Lide sublime quils ont de lunivers retomberait avec une vitesse vertigineuse. Lordre qui parat dans la nature et qui nest quun effet de lart svanouirait aussitt. Tout se dferait dans le chaos. Plus de saisons, plus de civilisation, plus de pense, plus dhumanit, plus de vie mme et limpuissante obscurit rgnerait jamais.Les potes et les artistes dterminent de concert la figure de leur poque et docilement lavenir se range leur avis.La structure gnrale dune momie gyptienne est conforme aux figures traces par les artistes gyptiens et cependant les anciens gyptiens taient fort diffrents les uns des autres. Ils se sont conforms lart de leur poque.Cest le propre de lArt, son rle social, de crer cette illusion: le type. Dieu sait que lon sest moqu des tableaux de Manet, de Renoir! Eh bien! il suffit de jeter les yeux sur des photographies de lpoque pour sapercevoir de la conformit des gens et des choses aux tableaux que ces grands peintres en ont peints.Cette illusion me parat toute naturelle, les uvres dart tant ce quune poque produit de plus nergique au point de vue de la plastique. Cette nergie simpose aux hommes et elle est pour eux la mesure plastique dune poque. Ainsi, ceux qui se moquent des nouveaux peintres se moquent de leur propre figure, car lhumanit de lavenir se reprsentera lhumanit daujourdhui daprs les reprsentations que les artistes de lart le plus vivant, cest--dire le plus nouveau, en auront laisses. Ne me dites pas quil y a aujourdhui dautres peintres qui peignent de telle faon que lhumanit puisse sy reconnatre peinte son image. Toutes les uvres dart dune poque finissent par ressembler aux uvres de lart le plus nergique, le plus expressif, le plus typique. Les poupes sont issues dun art populaire; elles semblent toujours inspires par les uvres du grand art de la mme poque. Cest une vrit quil est facile de contrler. Et cependant qui oserait dire que les poupes que lon vendait dans les bazars, vers 1880, ont t fabriques avec un sentiment analogue celui de Renoir quand il peignait ses portraits? Personne alors ne sen apercevait. Cela signifie cependant que lart de Renoir tait assez nergique, assez vivant pour simposer nos sens tandis quau grand public de lpoque o il dbutait, ses conceptions apparaissaient comme autant dabsurdits et de folies.VI On a parfois, et notamment propos des artistes-peintres les plus rcents, envisag la possibilit dune mystification ou dune erreur collectives.Or, on ne connat pas dans toute lhistoire des arts une seule mystification collective, non plus quune erreur artistique collective. Il y a des cas isols, de mystification et derreur, mais les lments conventionnels dont se composent en grande partie les uvres dart nous garantissent que de ces cas il ne saurait en exister de collectifs.Si la nouvelle cole de peinture nous prsentait un de ces cas, ce serait un vnement si extraordinaire quon pourrait lappeler un miracle. Concevoir un cas de cette sorte, ce serait concevoir que, brusquement, dans une nation, tous les enfants natraient privs de tte ou dune jambe ou dun bras, conception videmment absurde. Il ny a pas derreurs ni de mystifications collectives en art, il ny a que diverses poques et diverses coles de lart. Si le but que poursuit chacune delles nest pas galement lev, galement pur, toutes sont galement respectables, et, selon les ides que lon se fait de la beaut, chaque cole artistique est successivement admire, mprise et de nouveau admire.VII La nouvelle cole de peinture porte le nom de cubisme; il lui fut donn par drision en automne 1908 par Henri Matisse qui venait de voir un tableau reprsentant des maisons dont lapparence cubique le frappa vivement.Cette esthtique nouvelle slabora dabord dans lesprit dAndr Derain, mais les uvres les plus importantes et les plus audacieuses quelle produisit aussitt furent celles dun grand artiste que lon doit aussi considrer comme un fondateur: Pablo Picasso dont les inventions corrobores par le bon sens de Georges Braque qui exposa, ds 1908, un tableau cubiste au Salon des indpendants, se trouvrent formules dans les tudes de Jean Metzinger qui exposa le premier portrait cubiste (ctait le mien) au Salon des indpendants en 1910 et fit admettre aussi, la mme anne, des uvres cubistes par le jury du Salon dautomne. Cest en 1910 galement que parurent aux Indpendants des tableaux de Robert Delaunay, de Marie Laurencin, de LeFauconnier, qui ressortissaient la mme cole.La premire exposition densemble du cubisme dont les adeptes devenaient plus nombreux, eut lieu en 1911 aux Indpendants, o la salle41 rserve aux cubistes causa une profonde impression. On y voyait des uvres savantes et sduisantes de Jean Metzinger; des paysages, lHomme nu et la Femme aux phlox dAlbert Gleizes; le Portrait de MmeFernandeX et les Jeunes Filles par MlleMarie Laurencin, la Tour de Robert Delaunay, lAbondance de LeFauconnier, les Nus dans un paysage de Fernand Lger.La premire manifestation des cubistes ltranger eut lieu Bruxelles, la mme anne, et dans la prface de cette exposition jacceptai, au nom des exposants, les dnominations: cubisme et cubistes. la fin de 1911, lexposition des cubistes au Salon dautomne fit un bruit considrable, les moqueries ne furent pargnes ni Gleizes (La Chasse, Portrait de Jacques Nayral), ni Metzinger (La Femme la cuiller), ni Fernand Lger. ces artistes staient joints un nouveau peintre, Marcel Duchamp, et un sculpteur-architecte, Duchamp-Villon.Dautres expositions collectives eurent lieu en novembre1911 la Galerie dart contemporain, rue Tronchet, Paris; en 1912, au Salon des indpendants qui fut marqu par ladhsion de Juan Gris; au mois de mai, en Espagne, o Barcelone accueille avec enthousiasme les jeunes Franais; enfin au mois de juin, Rouen, exposition organise par la Socit des artistes normands et qui fut marque par ladhsion de Francis Picabia la nouvelle cole. (Note crite en septembre 1912.)* * *Ce qui diffrencie le cubisme de lancienne peinture, cest quil nest pas un art dimitation, mais un art de conception qui tend slever jusqu la cration.En reprsentant la ralit-conue ou la ralit-cre, le peintre peut donner lapparence de trois dimensions, peut en quelque sorte cubiquer. Il ne le pourrait pas en rendant simplement la ralit-vue, moins de faire du trompe-lil en raccourci ou en perspective, ce qui dformerait la qualit de la forme conue ou cre.Quatre tendances se sont maintenant manifestes dans le cubisme tel que je lai cartel. Dont deux tendances parallles et pures.Le cubisme scientifique est lune de ces tendances pures. Cest lart de peindre des ensembles nouveaux avec des lments emprunts, non la ralit de vision, mais la ralit de connaissance.Tout homme a le sentiment de cette ralit intrieure. Il nest pas besoin dtre un homme cultiv pour concevoir, par exemple, une forme ronde.Laspect gomtrique qui a frapp si vivement ceux qui ont vu les premires toiles scientifiques venait de ce que la ralit essentielle y tait rendue avec une grande puret et que laccident visuel et anecdotique en avait t limin.Les peintres qui ressortissent cet art sont: Picasso, dont lart lumineux appartient encore lautre tendance pure du cubisme, Georges Braque, Metzinger, Albert Gleizes, MlleLaurencin et Juan Gris.Le cubisme physique, qui est lart de peindre des ensembles nouveaux avec des lments emprunts pour la plupart la ralit de vision. Cet art ressortit cependant au cubisme par la discipline constructive. Il a un grand avenir comme peinture dhistoire. Son rle social est bien marqu, mais ce nest pas un art pur. On y confond le sujet avec les images.Le peintre physicien qui a cr cette tendance est LeFauconnier.Le cubisme orphique est lautre grande tendance de la peinture moderne. Cest lart de peindre des ensembles nouveaux avec des lments emprunts non la ralit visuelle, mais entirement crs par lartiste et dous par lui dune puissante ralit. Les uvres des artistes orphiques doivent prsenter simultanment un agrment esthtique pur, une construction qui tombe sous les sens et une signification sublime, cest--dire le sujet. Cest de lart pur. La lumire des uvres de Picasso contient cet art quinvente de son ct Robert Delaunay et o sefforcent aussi Fernand Lger, Francis Picabia et Marcel Duchamp.Le cubisme instinctif, art de peindre des ensembles nouveaux emprunts non la ralit visuelle, mais celle que suggrent lartiste linstinct et lintuition, tend depuis longtemps lorphisme. Il manque aux artistes instinctifs la lucidit et une croyance artistique; le cubisme instinctif comprend un trs grand nombre dartistes. Issu de limpressionnisme franais, ce mouvement stend maintenant sur toute lEurope.* * *Les derniers tableaux de Czanne et ses aquarelles ressortissent au cubisme, mais Courbet est le pre des nouveaux peintres et Andr Derain, sur qui je reviendrai un jour, fut lan de ses fils bien-aims, car on le trouve lorigine du mouvement des fauves qui fut une sorte de prambule au cubisme et encore lorigine de ce grand mouvement subjectif, mais il serait trop difficile aujourdhui de bien crire touchant un homme qui volontairement se tient lcart de tout et de tous.* * *Lcole moderne de peinture me parat la plus audacieuse qui ait jamais t. Elle a pos la question du beau en soi.Elle veut se figurer le beau dgag de la dlectation que lhomme cause lhomme, et depuis le commencement des temps historiques aucun artiste europen navait os cela. Il faut aux nouveaux artistes une beaut idale qui ne soit plus seulement lexpression orgueilleuse de lespce, mais lexpression de lunivers, dans la mesure o il sest humanis dans la lumire.* * *Lart daujourdhui revt ses crations dune apparence grandiose, monumentale, qui dpasse cet gard tout ce qui avait t conu par les artistes de notre ge. Ardent la recherche de la beaut, il est noble, nergique et cette ralit quil nous apporte est merveilleusement claire.Jaime lart daujourdhui parce que jaime avant tout la lumire et tous les hommes aiment avant tout la lumire, ils ont invent le feu.Peintres nouveaux Picasso Si nous savions, tous les dieux sveilleraient. Ns de la connaissance profonde que lhumanit retenait delle-mme, les panthismes adors qui lui ressemblaient se sont assoupis. Mais malgr les sommeils ternels, il y a des yeux o se refltent des humanits semblables des fantmes divins et joyeux.Ces yeux sont attentifs comme des fleurs qui veulent toujours contempler le soleil. joie fconde, il y a des hommes qui voient avec ces yeux.* * *En ce temps-l, Picasso avait regard des images humaines qui flottaient dans lazur de nos mmoires et qui participent de la divinit pour damner les mtaphysiciens. Quils sont pieux ses ciels tout remus denvolements, ses lumires lourdes et basses comme celle des grottes.Il y a des enfants qui ont err sans apprendre le catchisme. Ils sarrtent et la pluie cesse de tomber: Regarde! Des gens dans ces btisses et leurs vtements sont pauvres. Ces enfants quon nembrasse pas comprennent tant! Maman, aime-moi bien! Ils savent sauter et les tours quils russissent sont des volutions mentales.Ces femmes quon naime plus se rappellent. Elles ont trop repass aujourdhui leurs ides cassantes. Elles ne prient pas; elles sont dvotes aux souvenirs. Elles se blottissent dans le crpuscule comme une ancienne glise. Ces femmes renoncent et leurs doigts remueraient pour tresser des couronnes de paille. Avec le jour, elles disparaissent, elles se sont consoles dans le silence. Elles ont franchi beaucoup de portes: les mres protgeaient les berceaux pour que les nouveau-ns ne fussent pas mal dous; quand elles se penchaient les petits enfants souriaient de les savoir si bonnes.Elles ont souvent remerci et les gestes de leurs avant-bras tremblaient comme leurs paupires.Envelopps de brume glace, des vieillards attendent sans mditer, car les enfants seuls mditent. Anims de pays lointains, de querelles de btes, de chevelures durcies, ces vieillards peuvent mendier sans humilit.Dautres mendiants se sont uss la vie. Ce sont des infirmes, des bquillards et des bltres. Ils stonnent davoir atteint le but qui est rest bleu et nest plus lhorizon. Vieillissant, ils sont devenus fous comme des rois qui auraient trop de troupeaux dlphants portant de petites citadelles. Il y a des voyageurs qui confondent les fleurs et les toiles.Vieillis comme les bufs meurent vers vingt-cinq ans, les jeunes ont men des nourrissons allaits la lune.Dans un jour pur, des femmes se taisent; leurs corps sont angliques et leurs regards tremblent. propos du danger leurs sourires sont intrieurs. Elles attendent leffroi pour confesser des pchs innocents.* * *Lespace dune anne, Picasso vcut cette peinture mouille, bleue comme le fond humide de labme et pitoyable.La piti rendit Picasso plus pre. Les places supportrent un pendu stirant contre les maisons au-dessus des passants obliques. Ces supplicis attendaient un rdempteur. La corde surplombait miraculeuse; aux mansardes, les vitres flambaient avec les fleurs des fentres.Dans des chambres, de pauvres artistes-peintres dessinaient la lampe des nudits toisonnes. Labandon des souliers de femme prs du lit signifiait une hte tendre.* * *Le calme vint aprs cette frnsie.Les arlequins vivent sous les oripeaux quand la peinture recueille, rchauffe ou blanchit ses couleurs pour dire la force et la dure des passions, quand les lignes limites par le maillot se courbent, se coupent ou slancent.La paternit transfigure larlequin dans une chambre carre tandis que sa femme se mouille deau froide et sadmire svelte et grle autant que son mari le pantin. Un foyer voisin attidit la roulotte. De belles chansons sentrecroisent et des soldats passent ailleurs, maudissant la journe.Lamour est bon quand on le pare et lhabitude de vivre chez soi double le sentiment paternel. Lenfant rapproche du pre la femme que Picasso voulait glorieuse et immacule.Les mres, primipares, nattendaient plus lenfant, peut-tre cause de certains corbeaux jaseurs et de mauvais prsage.Nol! Elles enfantrent de futurs acrobates parmi les singes familiers, les chevaux blancs et les chiens comme les ours.Les surs adolescentes, foulant en quilibre les grosses boules des saltimbanques, commandent ces sphres le mouvement rayonnant des mondes. Ces adolescentes ont, impubres, les inquitudes de linnocence, les animaux leur apprennent le mystre religieux. Des arlequins accompagnent la gloire des femmes, ils leur ressemblent, ni mles, ni femelles.La couleur a des matits de fresques, les lignes sont fermes. Mais placs la limite de la vie, les animaux sont humains et les sexes indcis.Des btes hybrides ont la conscience des demi-dieux de lgypte; des arlequins taciturnes ont les joues et le front fltris par les sensibilits morbides.On ne peut pas confondre ces saltimbanques avec des histrions. Leur spectateur doit tre pieux, car ils clbrent des rites muets avec une agilit difficile. Cest cela qui distinguait ce peintre des potiers grecs dont son dessin approchait parfois. Sur les terres peintes, les prtres barbus et bavards offraient en sacrifice des animaux rsigns et sans destine. Ici, la virilit est imberbe, mais se manifeste dans les nerfs des bras maigres, des mplats du visage et les animaux sont mystrieux.Le got de Picasso pour le trait qui fuit, change et pntre a produit des exemples presque uniques de pointes sches linaires o il na point altr les aspects gnraux du monde.* * *Ce Malagugne nous meurtrissait comme un froid bref. Ses mditations se dnudaient dans le silence. Il venait de loin, des richesses de composition et de dcoration brutale des Espagnols du xviiesicle.Et ceux qui lavaient connu se souvenaient de truculences rapides qui ntaient dj plus des essais.Son insistance dans la poursuite de la beaut a tout chang alors dans lArt.* * *Alors, svrement, il a interrog lunivers. Il sest habitu limmense lumire des profondeurs. Et parfois, il na pas ddaign de confier la clart des objets authentiques une chanson de deux sous, un timbre-poste vritable, un morceau de toile cire sur laquelle est imprime la cannelure dun sige. Lart du peintre najouterait aucun lment pittoresque la vrit de ces objets.La surprise rit sauvagement dans la puret de la lumire et cest lgitimement que des chiffres, des lettres moules apparaissent comme des lments pittoresques, nouveaux dans lart, et depuis longtemps dj imprgns dhumanit.* * *Il nest pas possible de deviner les possibilits, ni toutes les tendances dun art aussi profond et aussi minutieux.Lobjet rel ou en trompe-lil est appel sans doute jouer un rle de plus en plus important. Il est le cadre intrieur du tableau et en marque les limites profondes, de mme que le cadre en marque les limites extrieures.* * *Imitant les plans pour reprsenter les volumes, Picasso donne des divers lments qui composent les objets une numration si complte et si aigu quils ne prennent point figure dobjet grce au travail des spectateurs qui, par force, en peroivent la simultanit, mais en raison mme de leur arrangement.Cet art est-il plus profond qulev? Il ne se passe point de lobservation de la nature et agit sur nous aussi familirement quelle-mme.* * *Il y a des potes auxquels une muse dicte leurs uvres, il y a des artistes dont la main est dirige par un tre inconnu qui se sert deux comme dun instrument. Pour eux, point de fatigue, car ils ne travaillent point et peuvent beaucoup produire, toute heure, tous les jours, en tout pays et en toute saison, ce ne sont point des hommes, mais des instruments potiques ou artistiques. Leur raison est sans force contre eux-mmes, ils ne luttent point et leurs uvres ne portent point de traces de lutte. Ils ne sont point divins et peuvent se passer deux-mmes. Ils sont comme le prolongement de la nature et leurs uvres ne passent point par lintelligence. Ils peuvent tre mouvants sans que les harmonies quils suscitent se soient humanises. Dautres potes, dautres artistes au contraire sont l qui sefforcent, ils vont vers la nature et nont avec elle aucun voisinage immdiat, ils doivent tout tirer deux-mmes et nul dmon, aucune muse ne les inspire. Ils habitent dans la solitude et rien nest exprim que ce quils ont eux-mmes balbuti, balbuti si souvent quils arrivent parfois defforts en efforts, de tentatives en tentatives formuler ce quils souhaitent formuler. Hommes crs limage de Dieu, ils se reposeront un jour pour admirer leur ouvrage. Mais que de fatigues, que dimperfection, que de grossirets!* * *Picasso, ctait un artiste comme les premiers. Il ny a jamais eu de spectacle aussi fantastique que cette mtamorphose quil a subie en devenant un artiste comme les seconds.* * *Pour Picasso le dessein de mourir se forma en regardant les sourcils circonflexes de son meilleur ami qui cavalcadaient dans linquitude. Un autre de ses amis lamena un jour sur les confins dun pays mystique o les habitants taient la fois si simples et si grotesques quon pouvait les refaire facilement.Et puis vraiment, lanatomie par exemple nexistait plus dans lart, il fallait la rinventer et excuter son propre assassinat avec la science et la mthode dun grand chirurgien.* * *La grande rvolution des arts quil a accomplie presque seul, cest que le monde est sa nouvelle reprsentation.norme flamme.Nouvel homme, le monde est sa nouvelle reprsentation. Il en dnombre les lments, les dtails avec une brutalit qui sait aussi tre gracieuse. Cest un nouveau-n qui met de lordre dans lunivers pour son usage personnel, et aussi afin de faciliter ses relations avec ses semblables. Ce dnombrement a la grandeur de lpope, et, avec lordre, clatera le drame. On peut contester un systme, une ide, une date, une ressemblance, mais je ne vois pas comment on pourrait contester la simple action du numrateur. Du point de vue plastique, on peut trouver que nous aurions pu nous passer de tant de vrit, mais cette vrit apparue, elle devient ncessaire. Et puis, il y a des pays. Une grotte dans une fort o lon faisait des cabrioles, un passage dos de mule au bord dun prcipice et larrive dans un village o tout sent lhuile chaude et le vin rance. Cest encore la promenade vers un cimetire et lachat dune couronne en faence (couronne dimmortelles) et la mention Mille regrets qui est inimitable. On ma aussi parl de candlabres en terre glaise quil fallait appliquer sur une toile pour quils en parussent sortir. Pendeloques de cristal, et ce fameux retour du Havre.Moi, je nai pas la crainte de lArt et je nai aucun prjug touchant la matire des peintres.Les mosastes peignent avec des marbres ou des bois de couleur. On a mentionn un peintre italien qui peignait avec des matires fcales; sous la Rvolution franaise, quelquun peignit avec du sang. On peut peindre avec ce quon voudra, avec des pipes, des timbres-poste, des cartes postales ou jouer, des candlabres, des morceaux de toile cire, des faux cols, du papier peint, des journaux.Il me suffit, moi, de voir le travail, il faut quon voie le travail, cest par la quantit de travail fournie par lartiste que lon mesure la valeur dune uvre dart.Contrastes dlicats, les lignes parallles, un mtier douvrier, quelquefois lobjet mme, parfois une indication, parfois une numration qui sindividualise, moins de douceur que de grossiret. On ne choisit pas dans le moderne, de mme quon accepte la mode sans la discuter.Peinture Un art tonnant et dont la lumire est sans limites.Georges Braque Les apparences paisibles dans la gnralisation plastique, cest ce que, dans une rgion tempre, a rejoint lart de Georges Braque.* * *Georges Braque est le premier parmi les peintres nouveaux, qui aprs sa mtamorphose esthtique, ait pris contact avec le public.Cet vnement capital se passa au Salon des indpendants en 1908.* * *Le rle historique du Salon des indpendants commence tre aujourdhui bien dfini.Lart du xixesicle art par lequel sest encore manifeste lintgrit du gnie franais nest quune longue rvolte contre la routine acadmique, laquelle les rebelles opposaient les traditions authentiques qui chappent aux matres de cet art dgnr que dfend la citadelle de la rue Bonaparte.Le Salon des indpendants joue, depuis sa fondation, un rle prpondrant dans lvolution de lart moderne et tour tour il nous rvle les tendances et les personnalits qui, depuis vingt-cinq ans, font corps et me avec lhistoire de la peinture franaise, la seule qui compte aujourdhui, qui poursuive la face de lunivers la logique des grandes traditions et qui manifeste toujours une grande intensit de vie.Il convient dajouter que les grotesques ne paraissent pas au Salon des indpendants dans une proportion suprieure celle o ils se montrent, avec un art soi-disant lgitime, dans les Salons officiels.Du reste, la culture artistique, de nos jours, ne relve plus dune discipline sociale. Et ce nest pas le moindre mrite de lart qui se manifesta, en 1908, dans une uvre de Georges Braque, que de saccorder avec la socit o il volue.Ce fait, qui ne stait plus produit depuis la bonne priode de la peinture hollandaise, constitue, en somme, llment social de la rvolution dont Georges Braque fut lorateur.Elle aurait t avance de deux ou trois ans si Picasso avait expos, mais le silence lui tait ncessaire et qui sait si les moqueries auxquelles fut alors en butte un Georges Braque neussent point dtourn un Picasso du chemin difficile o il avait dabord march tout seul.Mais en 1909, la rvolution qui renouvela les arts plastiques tait faite. Les plaisanteries du public et de la critique ne pouvaient plus lempcher.Plus peut-tre que des nouveauts qui paraissaient dans les tableaux de Braque, on stonna que quelquun parmi les jeunes peintres, sans se laisser aller laffterie des illustrateurs, remt en honneur lordre et le mtier, sans quoi il ny a point dart.* * *Voici donc Georges Braque. Son rle fut hroque. Son art paisible est admirable. Il sefforce gravement. Il exprime une beaut pleine de tendresse et la nacre de ses tableaux irise notre entendement. Ce peintre est anglique.Il a enseign aux hommes et aux autres peintres lusage esthtique de formes si inconnues que quelques potes seuls les avaient souponnes. Ces signes lumineux brillent autour de nous, mais quelques peintres seuls en ont dgag la signification plastique. Le travail, surtout dans ses ralisations les plus grossires, contient une multitude dlments esthtiques dont la nouveaut est toujours daccord avec le sentiment du sublime qui permet lhomme dordonner le chaos: il ne faut pas mpriser ce qui parat neuf, ou ce qui est sali ou ce qui nous sert, le faux bois ou le faux marbre des peintres en btiment. Mme si ces apparences paraissent triviales, il faut, lorsque laction rclame un homme, quil parte de ces trivialits.Je dteste les artistes qui ne sont pas de leur poque et de mme que le langage du peuple tait pour Malherbe le bon langage de son poque, le mtier de lartisan, du peintre en btiment devrait tre pour lartiste la plus vigoureuse expression matrielle de la peinture.* * *On dira: Georges Braque le vrificateur. Il a vrifi toutes les nouveauts de lart moderne et en vrifiera encore.Jean Metzinger Aucun jeune peintre contemporain na connu autant dinjustices que Jean Metzinger, na montr plus dopinitret que cet artiste raffin, lun des plus purs qui soient aujourdhui. Il na jamais refus daccepter la leon des vnements. Dans le douloureux voyage quil a fait la recherche dune discipline, Jean Metzinger sest arrt dans toutes les villes bien polices quil a rencontres sur son chemin.Nous lavons rencontr tout dabord dans cette lgante et moderne cit du no-impressionnisme dont Georges Seurat fut le fondateur et larchitecte.* * *On napprcie pas encore ce grand peintre sa valeur.Ses uvres ont, dans le dessin, la composition, la discrtion mme des luminosits contrastes, un style qui les met part et peut-tre bien au-dessus de la plupart des ouvrages des peintres, ses contemporains.Aucun peintre ne me fait songer Molire comme Seurat, au Molire du Bourgeois gentilhomme qui est un ballet plein de grce, de lyrisme et de bon sens. Et des toiles comme Le Cirque ou Le Chahut sont aussi des ballets pleins de grce, de lyrisme et de bon sens.Les peintres no-impressionnistes sont ceux qui, pour citer Paul Signac, ont instaur et, depuis 1886, dvelopp la technique dite de la division en employant comme mode dexpression le mlange optique des tons et des teintes. Cette technique pourrait tre rattache lart des mosastes byzantins, et je me souviens quun jour, dans une lettre adresse M.Charles Morice, Signac se rclamait aussi de la Libreria de Sienne.Cette technique si lumineuse et qui mettait de lordre dans les nouveauts impressionnistes fut devine, applique mme, par Delacroix, auquel elle avait t rvle par lexamen des tableaux de Constable.Cest Seurat qui, en 1886, exposa le premier tableau divis: Un dimanche la Grande-Jatte. Cest lui qui a port le plus loin le contraste des complmentaires dans la construction des tableaux. Linfluence de Seurat se fait aujourdhui sentir jusqu lcole des beaux-arts et fcondera encore la peinture.* * *Jean Metzinger joua un rle parmi les divisionnistes raffins et laborieux. Cependant les minuties colores du no-impressionnisme ne servaient encore qu indiquer quels lments formaient le style dune poque qui, dans presque toutes ses manifestations artistiques ou industrielles, en paraissait dnue aux yeux des contemporains. Seurat, avec une prcision que lon peut appeler gnie, a trac de son poque quelques tableaux o la fermet du Style est gale la nettet presque scientifique de la conception (Le Chahut, Le Cirque qui ressortissent presque au cubisme scientifique). Il a tout redress dans lart de son temps pour fixer les gestes qui caractrisent cette fin de sicle, cette fin du xixesicle, o tout fut anguleux, nervant, purilement insolent et sentimentalement comique.Un aussi beau spectacle intellectuel ne pouvait gure se prolonger et une fois que le Style pittoresque qui se dgage de lart du xixesicle eut t indiqu, le no-impressionnisme cessa de jouer un rle intressant. Il napportait point dautres nouveauts que le contraste des complmentaires et indiquait la valeur esthtique des nouveauts quavaient dcouvertes les coles prcdentes depuis la fin du xviiiesicle. Trop dlments nouveaux sollicitaient les jeunes artistes-peintres. Ils ne pouvaient simmobiliser dans un art qui, tant la dernire et la plus stricte expression dune priode artistique, devait donner du premier coup sa mesure.* * *Cette discipline devenait un rglement ennuyeux. Les grands cris colors des fauves clataient au loin. Ils attirrent Jean Metzinger et lui apprirent sans aucun doute la signification symbolique des couleurs, les formes quelles reprsentent, et, lorsque de cette cit barbare et non sauvage, adonne au luxe et aux orgies violentes, les barbares sen furent alls, les fauves eurent cess de rugir, il ny resta plus que quelques bureaucrates paisibles qui ressemblaient trait pour trait aux fonctionnaires de la rue Bonaparte, Paris. Et le royaume des fauves dont la civilisation paraissait si neuve, si puissante, si clatante, prit soudain laspect dun village abandonn.* * *Cest alors que Jean Metzinger allant la rencontre de Picasso et de Braque, fonda la ville des cubistes. La discipline y est stricte mais ne risque pas encore de devenir un systme et la libert y est plus grande que partout ailleurs.* * *De sa frquentation chez les no-impressionnistes, Jean Metzinger a gard un got pour la minutie, got qui nest point mdiocre.Rien dinachev dans son uvre, rien non plus qui ne soit le fruit dune rigoureuse logique et sil sest jamais tromp, ce que je ne sais pas et quil mimporte peu de savoir, ce nest point au hasard. Son uvre sera un des documents les plus certains lorsquon voudra expliquer lart de notre poque. Cest grce aux tableaux de Metzinger que lon pourra faire le dpart entre ce qui a une valeur esthtique dans notre art et ce qui nen a point. Une peinture de Metzinger contient toujours sa propre explication. Cest peut-tre l une noble faiblesse, mais cest certainement dune haute conscience et je crois un cas unique dans lhistoire des arts.Ds que lon aborde un tableau de Metzinger on sent que lartiste a eu le ferme dsir de ne prendre au srieux que ce qui est srieux et que les vnements, selon une mthode qui me parat excellente, lui fournissent les lments plastiques de son art. Mais sil les accepte tous, il ne les utilise point au hasard. Son uvre est sain, plus sain sans aucun doute que ceux de la plupart des artistes, ses contemporains. Il ravira ceux qui aiment connatre les raisons des choses et ces raisons ont de quoi satisfaire lesprit.* * *Les ouvrages de Jean Metzinger ont de la puret. Ses mditations prennent des formes belles, dont lagrment tend sapprocher du sublime. Les ensembles nouveaux quil compose sont entirement dpouills de tout ce que lon connaissait avant lui.Son art de plus en plus abstrait mais toujours agrable aborde et tche rsoudre les problmes les plus difficiles et les plus imprvus de lesthtique.Chacune de ses uvres renferme un jugement sur lunivers et son uvre entier ressemble au firmament nocturne quand il est pur de tout nuage et quil y tremble dadorables lueurs.Et rien dinachev dans son uvre, la posie y ennoblit les plus petits dtails.Albert Gleizes Les uvres dAlbert Gleizes sont de puissantes harmonies, que lon doit sparer du cubisme thorique tel que lont instaur les peintres scientifiques. Je me souviens de ses essais. On y sentait dj la volont de ramener son art ses lments les plus simples. ses dbuts, Albert Gleizes se trouva vis--vis des coles qui florissaient: les derniers impressionnistes, les symbolistes, dont quelques-uns taient devenus les intimistes, les no-impressionnistes divisionnistes et les fauves, peu prs dans la situation o se trouvait le Douanier Rousseau vis--vis de lacadmisme et de lintellectualisme des Salons officiels.Cest alors quil comprit les travaux de Czanne, qui avait influenc les uvres des premiers cubistes.Alors se dvelopprent ces harmonies, qui sont parmi ce que les arts plastiques ont produit de plus srieux, de plus digne dattention depuis une dizaine dannes.Les portraits dAlbert Gleizes montrent suffisamment que dans son art, comme dans lart de la plupart des peintres nouveaux, lindividuation des objets nest pas seulement le travail des spectateurs.On regarde souvent les tableaux dAlbert Gleizes et ceux de beaucoup de jeunes peintres comme de timides gnralisations.Et cependant dans la plupart des tableaux nouveaux, les caractres individuels sont encore marqus avec une fermet, une minutie mme qui ne saurait chapper ceux qui ont vu travailler les nouveaux peintres, qui ont regard leurs peintures avec un peu dattention.La molle gnralisation est plutt le fait des peintres intellectuels de dcadence. Quels caractres individuels y a-t-il dans la peinture dun Henri de Groux qui gnralise le sentiment dcadent des imitateurs de Baudelaire, dans les tableaux dun Zuloaga qui gnralise lEspagne conventionnelle des derniers romantiques? La vritable gnralisation comporte une individualisation plus profonde et qui vit dans la lumire ainsi que dans les tableaux mmes des impressionnistes la Claude Monet, la Seurat ( la Picasso mme), qui gnralisent leur sincrit et ont renonc prciser les caractres superficiels. Il ny a pas un arbre, pas une maison, pas un personnage auquel les impressionnistes aient gard un caractre individuel.Cest un peintre impressionniste qui, avant de faire un portrait, commenait par dire quil ne le ferait point ressemblant.Mais il y a une gnralisation plus vaste encore et plus prcise la fois. Cest ainsi que le portrait est une des branches importantes de lart des peintres nouveaux. Ils pourraient toujours garantir la ressemblance et je nai jamais vu aucun de leurs portraits qui ne ft ressemblant.* * *Quel souci de la ralit, des caractres individuels, ont bien pu avoir des peintres comme Bouguereau, comme Henner?Chez beaucoup de peintres nouveaux chaque conception plastique est encore individualise dans la gnralisation avec une patience quil faut bien reconnatre.Parce quils ne se soucient ni de chronologie, ni dhistoire, ni de gographie, parce quils rapprochent ce quon navait pas rapproch, parce quun Gleizes tente de dramatiser les objets quil dpeint en en dgageant les lments dmotion artistique, on peut dire que le but de leur art est dune prcision sublime.* * *Toutes les figures des tableaux dAlbert Gleizes ne sont pas la mme figure, tous les arbres, un arbre, tous les fleuves, un fleuve, mais le spectateur, sil peut slever jusquaux ides gnrales pourra fort bien gnraliser cette figure, cet arbre ou ce fleuve parce que le travail du peintre a fait monter ces objets un degr suprieur de plasticit, un degr de plasticit tel, que tous les lments qui en constituent les caractres individuels sont reprsents avec la mme majest dramatique.* * *La majest, voil ce qui caractrise avant tout lart dAlbert Gleizes. Il apporta ainsi dans lart contemporain une mouvante nouveaut. On ne la trouve avant lui, que chez peu de peintres modernes.Cette majest veille limagination, provoque limagination et considre du point de vue plastique elle est limmensit des choses.* * *Cet art est vigoureux. Les tableaux dAlbert Gleizes sont raliss par une force de mme sorte que celles qui ont ralis les pyramides et les cathdrales, qui ralisent les constructions mtalliques, les ponts et les tunnels.Ces uvres ont parfois ce ct un peu inhabile des grandes uvres, de celles que lhumanit met le plus haut parce quen effet le dessein de celui qui les fit tait toujours de faire le mieux possible. Et le plus pur sentiment que puisse avoir de son art un artiste, cest de faire de son mieux et cen est un bas que de se contenter de russir ses uvres sans effort, sans travail, sans avoir fait le mieux possible.MlleMarie Laurencin Notre poque a permis aux talents fminins de spanouir dans les lettres et dans les arts.Les femmes apportent dans lart comme une vision neuve et pleine dallgresse de lunivers.Il y a eu des peintres femmes toutes les poques, et cet art merveilleux offre lattention, limagination, des agrments si dlicats que lon ne stonnerait point sil y avait eu un plus grand nombre de peintresses.Le xviesicle italien a produit Sophonisba Angussola, clbre par Lanzi et Vasari. PaulIV et le roi dEspagne se disputrent ses ouvrages. Il y en a Madrid, Florence, Gnes, Londres. Le Louvre nen possde point. Ne Crmone vers 1530, elle dpassa vite son matre Bernardino, et porta loin lart du portrait. Les modernes ont parfois attribu certains de ces tableaux au Titien lui-mme. Aprs avoir remport les plus grands succs la cour de PhilippeII, elle finit par se retirer Gnes, o elle devint aveugle. Lanzi dit quelle passait pour la personne de son sicle qui raisonnait le mieux sur les arts, et VanDyck, qui vint lcouter, affirma quil avait plus appris de cette vieille femme aveugle que du peintre le plus clairvoyant.Sophonisba Angussola est jusqu prsent lexemple le plus lev dune gloire fminine acquise grce aux arts plastiques.* * *MlleMarie Laurencin a su exprimer, dans lart majeur de la peinture, une esthtique entirement fminine.Ds ses premires peintures, ses premiers dessins, ses premires eaux-fortes, bien que ces essais ne se signalassent que par une certaine simplicit naturelle, on pouvait deviner que lartiste qui allait bientt se rvler exprimerait un jour la grce et le charme, du monde.Elle produisit alors des tableaux o les arabesques devenaient des figures dlicates.Depuis ce temps, travers ses recherches, on retrouve toujours cette arabesque fminine dont elle a su garder intacte la connaissance.Tandis quun Picasso se proccupe, en exaltant le pittoresque encore inconnu dun objet, de lui faire rendre tout ce quil peut donner comme motion esthtique, MlleLaurencin dont lart est issu de ceux dHenri Matisse et de Picasso, sadonne, avant tout, exprimer la nouveaut pittoresque des objets et des figures. Aussi son art est-il moins svre que celui de Picasso, art avec lequel cependant le sien ne va pas sans analogies. Cest quil est la numration des lments qui composent son tableau. Elle sattache ainsi la nature, ltudiant avec acharnement, mais cartant avec soin ce qui nest ni jeune, ni gracieux, et les lments inconnus des choses, elle ne les accueille que sils apparaissent sous un aspect juvnile.Je pense que cest de propos dlibr quelle a orient ainsi son art vers la jeune nouveaut ou grave ou riante. Lesthtique fminine qui ne sest gure montre jusquici que dans les arts appliqus comme la dentelle et la broderie avait avant tout exprimer dans la peinture la nouveaut mme de cette fminit. Plus tard, il viendra des femmes qui exploreront dautres aspects fminins de lunivers.Comme artiste, on peut placer MlleLaurencin entre Picasso et le Douanier Rousseau. Ce nest pas l une indication hirarchique mais une simple constatation de parent. Son art danse comme Salom entre celui de Picasso, nouveau Jean-Baptiste qui lave les Arts dans le baptme de la lumire, et celui de Rousseau, Hrode sentimental, vieillard somptueux et puril que lamour amena sur les confins de lintellectualisme, cest l que les anges vinrent distraire sa douleur, ils lempchrent de pntrer dans laffreux royaume dont il tait devenu le Douanier et ce vieillard, finalement, ils ladmirent dans leur troupe et il lui vint de lourdes ailes.* * *La jeunesse artistique a dj tmoign de lhonneur o elle tient les uvres de ce pauvre vieil ange qutait Henri Rousseau le Douanier, qui mourut en 1910, la fin de lt. On pourrait aussi lappeler le Matre de Plaisance, tant cause du quartier o il demeurait quen raison de ce qui rend ses tableaux si agrables regarder.Peu dartistes ont t plus moqus durant leur vie que le Douanier et peu dhommes opposrent un front plus calme aux railleries, aux grossirets dont on labreuvait. Ce vieillard courtois conserva toujours la mme tranquillit dhumeur et par un tour heureux de son caractre, il voulait voir dans les moqueries mmes lintrt que les plus malveillants son gard taient en quelque sorte obligs de tmoigner son uvre. Cette srnit ntait que de lorgueil bien entendu. Le Douanier avait conscience de sa force. Il lui chappa une ou deux fois de dire quil tait le plus fort des peintres de son temps. Et il est possible que sur bien des points il ne se trompt point de beaucoup. Cest que sil lui a manqu dans sa jeunesse une ducation artistique (et cela se sent), il semble que, sur le tard, lorsquil voulut peindre, il ait regard les matres avec passion et que presque seul dentre les modernes, il ait devin leurs secrets.Ses dfauts consistent seulement parfois dans un excs de sentiment, presque toujours dans une bonhomie populaire au-dessus de laquelle il naurait pu slever et qui contrastait un peu fort avec ses entreprises artistiques et avec lattitude quil avait pu prendre dans lart contemporain.Mais ct de cela que de qualits! Et il est bien significatif que la jeunesse artistique les ait devines! On peut len fliciter, surtout si son intention nest pas seulement de les honorer, mais encore de les recueillir.Le Douanier allait jusquau bout de ses tableaux, chose bien rare aujourdhui. On ny trouve aucun manirisme, aucun procd, aucun systme. De l vient la varit de son uvre. Il ne se dfiait pas plus de son imagination que de sa main. De l viennent la grce et la richesse de ses compositions dcoratives. Comme il avait fait la campagne du Mexique, il avait gard un souvenir plastique et potique trs prcis de la vgtation et de la faune tropicales.Il en est rsult que ce Breton, vieil habitant des faubourgs parisiens, est sans aucun doute le plus trange, le plus audacieux et le plus charmant des peintres de lexotisme. Sa Charmeuse de serpents le montre assez. Mais Rousseau ne fut pas seulement un dcorateur, ce ntait pas non plus un imagier, ctait un peintre. Et cest cela qui rend la comprhension de ses uvres si difficile quelques personnes. Il avait de lordre et cela se remarque non seulement dans ses tableaux, mais encore dans ses dessins ordonns comme des miniatures persanes. Son art avait de la puret, il comporte dans les figures fminines, dans la construction des arbres, dans le chant harmonieux des diffrents tons dune mme couleur, un style qui nappartient quaux peintres franais, et qui signale les tableaux franais o quils se trouvent. Je parle, bien entendu, des tableaux de matres.La volont de ce peintre tait des plus fortes. Comment en douter devant ses minuties qui ne sont pas des faiblesses, comment en douter quand slvent le chant des bleus, la mlodie des blancs dans cette Noce o une figure de vieille paysanne fait penser certains Hollandais.Comme peintre de portraits, Rousseau est incomparable. Un portrait de femme mi-corps avec des noirs et des gris dlicats est pouss plus loin quun portrait de Czanne. Jai eu deux fois lhonneur dtre peint par Rousseau, dans son petit atelier clair de la rue Perrel, je lai vu souvent travailler et je sais quel souci il avait de tous les dtails, quelle facult il avait de garder la conception primitive et dfinitive de son tableau jusqu ce quil let achev et aussi quil nabandonnait rien au hasard et rien surtout de lessentiel.Parmi les belles esquisses de Rousseau, rien de si tonnant que la petite toile intitule La Carmagnole. (Cest lesquisse du Centenaire de lIndpendance, sous lequel Rousseau avait crit:Auprs de ma blondeQuil fait bon, fait bon, fait bon)Un dessin nerveux, la varit, lagrment et la dlicatesse des tons font de cette esquisse un petit morceau excellent. Ses tableaux de fleurs montrent les ressources de charme et daccent qui taient dans lme et la main du vieux Douanier.* * *Au demeurant, on peut faire remarquer ici que ces trois peintres, entre lesquels je ntablis aucune hirarchie, mais dont je cherche discerner tout simplement les degrs de parent sont des portraitistes de lordre le plus lev.Dans luvre gnial de Picasso, les portraits occupent une place importante et quelques-uns dentre eux (le Portrait de M.Vollard, le Portrait de M.Kahnweiler) prendront rang parmi les chefs-duvre. Les portraits du Douanier Rousseau mapparaissent comme des uvres prodigieuses, dont il nous est encore impossible de mesurer toute la beaut. Les portraits forment aussi une importante partie de luvre de MlleLaurencin.Llment prophtique de luvre dun Picasso et llment intellectuel qui, malgr tout, entrait dans la peinture de Rousseau, peinture de vieillard, tout cela se retrouve ici transform en un lment pittoresque entirement nouveau. Il est analogue la danse et cest en peinture une numration rythme infiniment gracieuse.Tout ce qui jusquici composait loriginalit, la dlicatesse des arts fminins dans la dentelle, la broderie, la tapisserie de Bayeux, etc., nous le retrouvons ici transfigur, purifi. Lart fminin est devenu un art majeur et on ne le confondra plus avec lart masculin. Lart fminin est fait de bravoure, de courtoisie, dallgresse. Il danse dans la lumire et salanguit dans le souvenir. Il na jamais connu limitation, il nest jamais descendu aux bassesses de la perspective. Cest un art heureux. propos dun des tableaux les plus tendres de MlleLaurencin, La Toilette, M.Mario Meunier, alors secrtaire de M.Rodin et traducteur excellent de Sapho, de Sophocle, de Platon, rapportait une anecdote amusante. Il montrait au sculpteur quelques photographies reprsentant des tableaux de lcole des fauves, il sy trouvait aussi, par hasard, la reproduction du tableau de MlleLaurencin: Au moins, dit lillustre vieillard, en voil une qui nest pas quune fauvette, elle sait ce quest la grce, elle est serpentine.Cest cela mme: la peinture fminine est serpentine et cest peut-tre cette grande artiste du mouvement et des couleurs, la Loe Fller, qui fut le prcurseur de lart fminin daujourdhui quand elle inventa ces lumires successives o se mlaient la peinture, la danse et la grce et que lon appela justement: la danse serpentine.Et cest propos dune autre uvre de femme que lhumeur perspicace de Rodin a retrouv ce mot-l!* * *Lart fminin, lart de MlleLaurencin, tend devenir une pure arabesque humanise par lobservation attentive de la nature et qui, tant expressive, sloigne de la simple dcoration tout en demeurant aussi agrable.Juan Gris Voici lhomme qui a mdit sur tout ce qui est moderne, voici lartiste-peintre qui ne veut concevoir que des ensembles nouveaux, qui ne voudrait dessiner, peindre que des formes matriellement pures.* * *Ses bouffonneries taient sentimentales. Il pleurait comme dans les romances au lieu de rire comme dans les chansons bachiques. Il ignore encore que la couleur est une forme du rel. Et le voici qui dcouvre les minuties de la pense. Il les dcouvre une une et ses premires toiles ont laspect de prparations pour des chefs-duvre. Peu peu les petits gnies de la peinture se rejoignent. Les collines ples se peuplent. Les flammes bleutres des fourneaux gaz, les ciels aux formes retombantes de saules pleureurs, des feuilles mouilles. Il conserve ses tableaux laspect humide des faades nouvellement repeintes. Le papier peint aux murs dune chambre, un chapeau haut de forme, le dsordre des affiches sur un grand mur, tout cela peut bien servir animer une toile, donner au peintre une limite dans ce quil se propose de peindre. Les grandes formes acquirent ainsi une sensibilit. Elles ne sont plus ennuyeuses. Cet art dornement sacharne recueillir pieusement et ranimer les derniers vestiges de lart classique, tels que les dessins dIngres et les portraits de David. Il atteint au style comme fit un Seurat sans rien avoir de sa nouveaut thorique.* * *Cest certainement dans cette direction que cherche Juan Gris. Sa peinture sloigne de la musique, cest dire quelle sefforce avant tout la ralit scientifique. Juan Gris a tir des tudes qui le rattachent son seul matre, Picasso, un dessin qui parut dabord gomtrique et qui est caractris jusquau style.* * *Cet art, sil progresse dans la direction quil a prise, pourrait aboutir non labstraction scientifique mais larrangement esthtique qui, en dfinitive, peut tre considr comme le but le plus lev de lart scientifique. Plus de formes suggres par lhabilet du peintre, plus de couleurs mme qui sont aussi des formes suggres. On utiliserait des objets dont larrangement capricieux aurait un sens esthtique qui ne serait point niable. Cependant, limpossibilit quil y a de mettre dans une toile un homme en chair et en os, une armoire glace ou la tour Eiffel, forcera le peintre revenir aux mthodes de la vritable peinture, ou bien borner son talent dvelopper lart mineur de la montre il y a aujourdhui des vitrines de magasins admirablement arranges ou encore celui du tapissier, moins que ce ne soit celui du jardinier-paysagiste.Les deux derniers arts mineurs nont pas t sans influencer les peintres, celui de la montre aura une influence analogue. Il ne causera aucun tort la peinture parce quil ne saurait se substituer elle pour la reprsentation des objets prissables. Juan Gris est trop peintre pour renoncer la peinture.* * *Nous le verrons peut-tre tenter ce grand art de la surprise, son intellectualisme et ltude attentive de la nature lui fourniraient des lments imprvus dont le style se dgagerait comme il se dgage aujourdhui des constructions mtalliques des ingnieurs: grands magasins, garages, voies ferres, aroplanes. Lart nayant aujourdhui quun rle social bien limit remplir, il est juste quil se donne la tche dsintresse dtudier scientifiquement, et mme sans aucun dessein esthtique, limmense tendue de son domaine.* * *Lart de Juan Gris est une expression trop rigoureuse et trop pauvre du cubisme scientifique, issu de Picasso; art profondment intellectualiste o la couleur na quune signification symbolique. Cependant, tandis que lart de Picasso est conu dans la lumire (impressionnisme), celui de Juan Gris se contente de la puret conue scientifiquement.* * *Les conceptions de Juan Gris prennent toujours une apparence pure et de cette puret slanceront, sans doute, un jour, des parallles.Fernand Lger Fernand Lger est un des artistes bien dous de sa gnration. Il ne sest pas attard longtemps cette peinture post-impressionniste qui date dhier peine et nous parat dj si lointaine. Jai vu quelques essais de Lger ses dbuts dans lart.Baignades du soir, la mer horizontale, les ttes dj parsemes comme dans les difficiles compositions que seul avait abordes Henri Matisse.Ensuite, aprs des dessins entirement nouveaux, Lger voulut sadonner la peinture pure.Les bcherons portaient sur eux la trace des coups que leur cogne laissait aux arbres et la couleur gnrale participait de cette lumire verdtre et profonde qui descend des frondaisons.* * *Luvre de Lger fut ensuite une ferie o souriaient des personnages noys dans des parfums. Personnages indolents qui, voluptueusement, transforment la lumire de la ville en multiples et dlicates colorations ombres, souvenirs des vergers normands. Toutes les couleurs bouillonnent. Puis, il en monte une vapeur et lorsquelle sest dissipe voil des couleurs choisies. Une sorte de chef-duvre est n de cette fougue, il sappelle Le Fumeur.Il y a donc, chez Lger, un dsir de tirer dune composition toute lmotion esthtique quelle peut donner. Le voil qui amne un paysage au plus haut degr de plasticit.Il en carte tout ce qui naide point donner sa conception laspect agrable dune heureuse simplicit.Il est un des premiers qui, rsistant lantique instinct de lespce, celui de la race, se soient livrs avec bonheur linstinct de la civilisation o il vit.Cest un instinct auquel rsistent beaucoup plus de gens quon ne croit. Chez dautres il devient une frnsie grotesque, la frnsie de lignorance. Chez dautres enfin, il consiste tirer parti de tout ce qui nous vient par les cinq sens.Quand je vois un tableau de Lger, je suis bien content. Ce nest pas une transposition stupide o lon a appliqu quelques habilets de faussaire. Il ne sagit pas non plus dune uvre dont lauteur a fait comme tous ont voulu faire aujourdhui. Il y en a tant qui veulent se refaire une me, un mtier comme au xve ou au xivesicle, il y en a de plus habiles encore qui vous forgent une me du sicle dAuguste ou de celui de Pricls, en moins de temps quil faut un enfant pour apprendre lire. Non, il ne sagit point avec Lger dun de ces hommes qui croient que lhumanit dun sicle est diffrente de celle dun autre sicle et qui confondent Dieu avec un costumier, en attendant de confondre leur costume avec leur me. Il sagit dun artiste semblable ceux du xive et du xvesicle, ceux du temps dAuguste ou de Pricls; ni plus, ni moins, et pour la gloire et les chefs-duvre, que le peintre saide, le ciel laidera.* * *Le sculpteur Manolo lorsquil traversait des temps difficiles se rendit une fois chez un marchand de tableaux, qui avait alors la rputation de protger volontiers les talents inconnus.Manolo avait lintention de lui vendre quelques dessins et il se fit annoncer.Le marchand fit dire Manolo quil ne le connaissait point.Allez dire M.lExpert que je suis Phidias, rpliqua Manolo.Mais le marchand fit encore rpondre quil ne connaissait point ce nom-l.Alors, dites-lui que cest Praxitle quil na pas voulu recevoir. Et le sculpteur sen alla.* * *Certes, Phidias ou Praxitle ou Manolo pouvaient tre l, mais on ne se refait pas une me la Phidias. Et la plupart des hommes se dguisent. On comprend bien comment il y a toujours si peu dartistes modernes. La plupart sont dguiss. Les Salons ne contiennent gure que des accessoires de carnaval. Jaime les uvres dart authentiques. Celles qui ont t conues par des mes quon na point refaites.* * *Vous voici belles teintes, couleurs lgres, et vous, formes en bullition; les plaisantes fumes sont lemblme des civilisations.Ce ciel de guingois, cest le ciel de nos rues, on la dcoup et on la mis debout. La douceur infinie des toits couleur framboise. Et mme si une main avait six doigts, si cet homme avait trois pieds.Ne croyez point quil y ait ici quelque mysticisme. Oh! je ne le mprise point. Il mpouvante dans ladmiration. Quil vienne, un jour, ce grand artiste mystique; que Dieu lui commande, quil le force, quil lui ordonne. Il sera l, peut-tre est-il l, tout prs, son nom, je le connais, mais il ne faut pas le dire, on le saura bien un jour, il vaut mieux ne pas le lui dire; quel bonheur pour lui: sil pouvait ignorer sa mission, ignorer quil souffre et aussi quil est toujours en danger ici-bas!* * *Mais Fernand Lger nest pas un mystique, il est peintre, simple peintre et je me rjouis autant de sa simplicit que de la solidit de son jugement.Jaime son art parce quil nest point ddaigneux, parce quil ne fait point de bassesses non plus et quil nest point raisonneur. Jaime vos couleurs lgres, Fernand Lger. La fantaisie ne vous lvera point jusqu la ferie, elle vous procure cependant toutes vos joies.Ici, la joie est dans le dessein aussi bien que dans lexcution. Il trouvera dautres bouillonnements. Les mmes vergers livreront des colorations plus lgres. Dautres familles sparpilleront comme les gouttelettes dune chute deau et larc-en-ciel viendra vtir somptueusement les minuscules danseuses du corps de ballet. Les gens de la noce se dissimulent lun derrire lautre. Encore un petit effort pour se dbarrasser de la perspective, du truc misrable de la perspective, de cette quatrime dimension rebours, la perspective, de ce moyen de tout rapetisser invitablement.Mais, cette peinture est liquide, la mer, le sang, les fleuves, la pluie, un verre deau et aussi nos larmes, avec la sueur des grands efforts et des longues fatigues, lhumidit des baisers.Francis Picabia Parti de limpressionnisme comme la plupart des peintres contemporains, Francis Picabia avait, avec les fauves, transpos la lumire en couleurs. Cest de l quil en est venu cet art entirement nouveau o la couleur nest plus seulement un coloriage, nest plus mme une transposition lumineuse, na plus enfin de signification symbolique, car elle est elle-mme la forme et la lumire de ce qui est reprsent.Il abordait ainsi un art o comme dans celui de Robert Delaunay, la dimension idale, cest la couleur. Elle a par consquent toutes les autres dimensions. Cependant chez Picabia la forme est encore symbolique quand la couleur devrait tre formelle; art parfaitement lgitime et qui peut tre considr comme extrmement lev. La couleur dans cet art est sature dnergie et ses extrmits se continuent dans lespace. La ralit est ici la matire. La couleur ne dpend plus des trois dimensions connues, cest elle qui les cre.* * *Cet art a avec la musique autant de rapport que peut avoir avec elle un art qui est son contraire. On peut bien dire de lart de Picabia quil voudrait tre la peinture ancienne ce que la musique est la littrature, mais on ne peut dire quil soit de la musique. En effet la musique procde par suggestion, ici, au contraire, on nous prsente des couleurs qui ne devraient plus nous impressionner comme des symboles, mais comme des formes concrtes. Cependant, sans aborder des moyens nouveaux, un artiste comme Picabia se prive ici dun des principaux lments de la peinture universelle: la conception. Pour que lartiste pt sen priver en apparence, la couleur devrait tre formelle (matire et dimension: la mesure).Ajoutons que lindication du titre nest point chez Picabia un lment intellectuel tranger lart auquel il sest consacr. Cette indication doit jouer le rle dun cadre intrieur, comme font dans les tableaux de Picasso les objets authentiques, et les inscriptions exactement copies. Elle doit carter lintellectualisme de dcadence et conjurer le danger quil y a toujours pour les peintres de devenir des littrateurs. Le titre crit de Picabia, les objets authentiques, les lettres et les chiffres mouls des tableaux de Picasso et de Braque, nous en retrouvons lquivalent pittoresque dans les tableaux de MlleLaurencin, sous forme darabesques en profondeur; dans les tableaux dAlbert Gleizes, sous forme dangles droits qui retiennent la lumire; dans les tableaux de Fernand Lger, sous forme de bulles; dans les tableaux de Metzinger, sous forme de lignes verticales, parallles aux cts du cadre et coupes par de rares chelons. On en retrouverait lquivalent chez tous les grands peintres. Il est destin donner de lintensit pittoresque une uvre de peinture et ce rle dit suffisamment quil est lgitime.Cest ainsi que lon se garde de devenir un peintre littraire, cest ainsi que Picabia a tent de se livrer tout entier aux couleurs, sans toutefois oser, en abordant le sujet, leur donner une existence personnelle. (Remarquons que lindication dun titre ne signifie pas que lartiste aborde un sujet.)Des tableaux comme Le Paysage, La Source, Danses la source sont donc bien de la peinture: couleurs qui sunissent ou contrastent, qui prennent une direction dans lespace, se dgradent ou augmentent dintensit pour provoquer lmotion esthtique.Il ne sagit point dabstraction, car le plaisir que ces uvres se proposent de donner au spectateur est direct. La surprise y joue un rle important. Va-t-on dire que la saveur dune pche nest quune abstraction? Chaque tableau de Picabia a son existence propre limite par le titre quil lui a donn. Ces tableaux reprsentent si peu des abstractions a priori que de chacun deux, le peintre pourrait vous raconter lhistoire et le tableau des Danses la source nest que la ralisation dune motion plastique naturelle ressentie dans les environs de Naples.Les possibilits dmotion esthtique enfermes dans cet art, sil tait pur, seraient immenses. Il pourrait prendre son compte le mot de Poussin: La peinture na pas dautre but que la dlectation et la joie des yeux.* * *Picabia qui semble souhaiter un art de la mobilit, pourrait abandonner la peinture statique pour aborder maintenant des moyens nouveaux (comme fit la Loe Fller). Mais comme peintre de tableaux je lui conseille daborder franchement le sujet (posie) qui est lessence des arts plastiques.Marcel Duchamp Les tableaux de Marcel Duchamp ne sont pas encore assez nombreux et ils diffrent trop entre eux pour quon puisse tirer des indications quils fournissent un jugement sur le talent vritable de leur auteur. Comme la plupart des peintres nouveaux, Marcel Duchamp na plus le culte des apparences. (Il semble que ce soit Gauguin qui le premier ait renonc ce qui fut si longtemps la religion des peintres.) ses dbuts, Marcel Duchamp fut influenc de Braque (tableaux exposs au Salon dautomne 1911 et galerie de la rue Tronchet, 1911) et de la Tour de Delaunay (Jeune homme mlancolique dans un train).* * *Pour carter de son art toutes les perceptions qui pourraient devenir notions, Duchamp crit sur son tableau le titre quil lui confre. Ainsi, la littrature, dont si peu de peintres se sont passs, disparat de son art, mais non la posie. Il se sert ensuite de formes et de couleurs, non pour rendre des apparences, mais afin de pntrer la nature mme de ces formes et de ces couleurs formelles qui dsesprent les peintres au point quils voudraient sen passer et dont ils tenteront de se passer chaque fois quil sera possible.Marcel Duchamp oppose, la composition concrte de ses tableaux, un titre intellectuel lextrme. En ce sens, il va aussi loin que possible et ne craint pas dencourir le reproche de faire une peinture sotrique, sinon absconse.* * *Tous les hommes, tous les tres qui ont pass prs de nous ont laiss des traces dans notre souvenir et ces traces de la vie ont une ralit, dont on peut scruter, dont on peut copier les dtails. Ces traces acquirent ainsi toutes ensemble une personnalit dont on peut indiquer plastiquement les caractres individuels, par une opration purement intellectuelle.* * *Il y a de ces traces dtres dans les tableaux de Marcel Duchamp.Quon me permette ici une observation qui a son importance. Duchamp est le seul peintre de lcole moderne qui se soucie aujourdhui (automne 1912) de nu (Le Roi et la Reine entours des nus vites; Le Roi et la Reine traverss par des nus vites; Nu descendant un escalier).* * *Cet art qui sefforce desthtiser des perceptions si musicales de la nature sinterdit le caprice et larabesque inexpressive de la musique.Un art qui se donnerait pour but de dgager de la nature, non des gnralisations intellectuelles mais des formes et des couleurs collectives dont la perception nest pas encore devenue notion, est trs concevable et il semble quun peintre comme Marcel Duchamp soit en train de le raliser.Il est possible que pour tre mouvants ces aspects inconnus, profonds et soudainement grandioses de la nature naient pas besoin dtre esthtiss, ce qui expliquerait laspect flammiforme des couleurs, les compositions en forme dN, les grouillements parfois tendres, parfois fermement accentus. Ces conceptions ne sont point dtermines par une esthtique mais par lnergie dun petit nombre de lignes (formes ou couleurs).Cet art peut produire des uvres dune force dont on na pas ide. Il se peut mme quil joue un rle social.De mme que lon avait promen une uvre de Cimabue, notre sicle a vu promener triomphalement pour tre men aux Arts et Mtiers, laroplane de Blriot tout charg dhumanit, defforts millnaires, dart ncessaire. Il sera peut-tre rserv un artiste aussi dgag de proccupations esthtiques, aussi proccup dnergie que Marcel Duchamp, de rconcilier lart et le peuple.Appendice. Duchamp-Villon Ds que la sculpture sloigne de la nature elle devient de larchitecture. Ltude de la nature est plus ncessaire aux sculpteurs quaux peintres, puisquon peut parfaitement imaginer une peinture qui sloignerait entirement de la nature. De fait les peintres nouveaux, sils tudient la nature avec acharnement, sils la copient mme, se sont entirement dgags du culte de ses apparences. Ce nest mme que par des conventions bnvolement acceptes par le spectateur que lon a pu tablir une relation entre telle peinture et tel objet authentique. Les peintres nouveaux ont rejet ces conventions et quelques-uns dentre eux plutt que de revenir lobservation de ces conventions ont dlibrment introduit dans leurs tableaux des lments trangers la peinture et parfaitement authentiques. La nature est pour eux comme pour lcrivain une source pure laquelle on peut boire sans crainte de sempoisonner. Elle est leur sauvegarde contre lintellectualisme de dcadence qui est le plus grand ennemi de lart.Les sculpteurs, au contraire, peuvent reproduire les apparences de la nature (et ceux qui lont fait ne sont pas rares). Par le coloriage, ils peuvent nous donner jusquaux apparences de la vie. Cependant, ils peuvent demander la nature plus que ces apparences immdiates et mme imaginer, agrandir, diminuer des formes doues dune puissante vie esthtique, mais dont la justification doit toujours se trouver dans la nature, ainsi firent les Assyriens, les gyptiens, les sculpteurs ngres ou ocaniens. Cest lobservation de cette condition essentielle de la sculpture qui justifie les ouvrages de Duchamp-Villon, et lorsquil a voulu sen carter, ce fut pour aborder directement larchitecture.* * *Ds que les lments qui composent une sculpture ne trouvent plus leur justification dans la nature, cet art devient de larchitecture. Tandis que la sculpture pure est soumise une ncessit singulire: elle doit avoir un but pratique, on peut parfaitement concevoir une architecture aussi dsintresse que la musique, art auquel elle ressemble le plus, tour de Babel, colosse de Rhodes, Statue de Memnon, sphinx, pyramides, mausole, labyrinthe, blocs sculpts du Mexique, oblisques, menhirs, etc.; les colonnes triomphales ou commmoratives, arcs de triomphe, tour Eiffel, le monde entier est couvert de monuments inutiles ou presque inutiles ou tout au moins de proportions suprieures au but que lon voulait atteindre. En effet, le mausole, les pyramides, sont trop grands pour des tombeaux et ils sont par consquent inutiles, les colonnes, mme si comme la Trajane ou la colonne Vendme, elles sont destines commmorer des vnements, sont galement inutiles, puisquon ne peut gure suivre jusquau sommet le dtail des scnes historiques qui y sont figures. Y a-t-il rien de plus inutile quun arc de triomphe? Et lutilit de la tour Eiffel est ne aprs sa construction dsintresse.* * *Cependant on a perdu le sens architectural au point que linutilit dun monument apparat aujourdhui comme une chose insolite et presque une monstruosit.* * *Au contraire, on admet fort bien quun sculpteur fasse un ouvrage inutile et cependant quand la sculpture est dsintresse, elle est ridicule.Statue de hros, ou danimal sacr, ou de divinit, la sculpture a pour but pratique de reprsenter des simulacres et cette ncessit artistique a t comprise de tout temps, elle est la cause de lanthropomorphisme des divinits, car la forme humaine est celle qui trouve le plus facilement sa justification naturelle et qui permet aussi le plus de fantaisie lartiste.Ds que la sculpture scarte du portrait, elle nest plus quune technique dcorative destine donner de lintensit larchitecture (rverbres, statues allgoriques des jardins, balustrades, etc.).* * *Le but utilitaire que se sont propos la plupart des architectes contemporains est la cause du retard considrable de larchitecture sur les autres arts. Larchitecte, lingnieur doivent construire avec des intentions sublimes: lever la plus haute tour, prparer au lierre et au temps une ruine plus belle que les autres, jeter sur un port ou sur un fleuve une arche plus audacieuse que larc-en-ciel, composer en dfinitive une harmonie persistante, la plus puissante que lhomme ait imagine.* * *Duchamp-Villon a de larchitecture cette conception titanique. Sculpteur et architecte, il ny a pour lui que la lumire qui compte et pour tous les autres arts aussi il ny a que la lumire qui compte, la lumire incorruptible.Note Outre les artistes dont jai parl dans les chapitres prcdents, il est dautres artistes vivants qui dans les coles antrieures au cubisme, dans les coles contemporaines ou parmi les personnalits indpendantes, se rattachent, bon gr mal gr, lcole cubiste.Le cubisme scientifique dfendu par M.Canudo, Jacques Nayral, Andr Salmon, M.Grani, M.Maurice Raynal, M.Marc Brsil, M.Alexandre Mercereau, M.Reverdy, M.Tudesq, M.Andr Warnod et lauteur de ce livre a comme nouveaux adhrents M.Georges Deniker, M.Jacques Villon et M.Louis Marcoussis.Le cubisme physique dfendu dans la presse par les crivains prcdents, M.Roger Allard, M.Olivier Hourcade, peut rclamer des talents de M.Marchand, de M.Herbin et de M.Vra.Le cubisme orphique qui fut dfendu par M.Max Goth et lauteur de cet ouvrage semble tre la tendance pure que suivront M.Dumont et M.Valensi.Le cubisme instinctif forme un mouvement important, commenc depuis longtemps et qui rayonne dj ltranger. M.Louis Vauxcelles, M.Ren Blum, M.Adolphe Basler, M.Gustave Kahn, M.Marinetti, M.Michel Puy ont dfendu certaines personnalits qui ressortissent cet art; il englobe de nombreux artistes comme Henri Matisse, Rouault, Andr Derain, Raoul Dufy, Chabaud, Jean Puy, VanDongen, Severini, Boccioni, etc., etc.* * *Parmi les sculpteurs qui veulent se rattacher lcole cubiste, mentionnons outre M.Duchamp-Villon, M.Auguste Agro, M.Archipenko et M.Brancusi.Apollinaire, Guillaume(1913)

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