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1 Une crise, quelle crise? La rémunération des hauts dirigeants au 21e siècle Aperçu La rémunération des hauts dirigeants fait beaucoup jaser, en partie en raison des augmentations de salaire démesurées accordées aux hauts dirigeants combinées aux scandales économiques, à la crise financière mondiale et à l’inégalité croissante entre les revenus. Dans quelle mesure la structure de la rémunération des hauts dirigeants a-t-elle contribué à ces phénomènes? Quel rôle les investisseurs ont-ils joué? Et que peuvent faire les investisseurs responsables pour remédier à de tels enjeux? Dans Une crise, quelle crise?, Fonds Éthiques présente les raisons qui expliquent pourquoi nous faisons fausse route en misant sur la primauté des actionnaires, un concept théorique à la base de la structure de rémunération des hauts dirigeants, et se penche sur la façon dont la théorie des parties prenantes peut nous remettre sur la bonne voie.

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Une crise, quelle crise?La rémunération des hauts dirigeants au 21e siècle

AperçuLa rémunération des hauts dirigeants fait beaucoup jaser, en partie en raison des augmentations de salaire démesurées accordées aux hauts dirigeants combinées aux scandales économiques, à la crise financière mondiale et à l’inégalité croissante entre les revenus.

Dans quelle mesure la structure de la rémunération des hauts dirigeants a-t-elle contribué à ces phénomènes? Quel rôle les investisseurs ont-ils joué? Et que peuvent faire les investisseurs responsables pour remédier à de tels enjeux?

Dans Une crise, quelle crise?, Fonds Éthiques présente les raisons qui expliquent pourquoi nous faisons fausse route en misant sur la primauté des actionnaires, un concept théorique à la base de la structure de rémunération des hauts dirigeants, et se penche sur la façon dont la théorie des parties prenantes peut nous remettre sur la bonne voie.

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UNE CRISE, QUELLE CRISE ?

Placements NEI emploie l’équipe de

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responsable la plus importante au

Canada. Son équipe procure des

services d’analyse environnementale,

sociale et de gouvernance (ESG) aux

gestionnaires des fonds socialement

responsables, notamment les Fonds

Éthiques de Placements NEI.

Faire des Gains.

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UNE CRISE, QUELLE CRISE ?

Qui sommes-nousPlacements NEI (NEI) gère des actifs d'environ 5 milliard $. NEI est détenue à parts égales entre la Provincial Credit Union Centrals et le Groupe Desjardins. Par l’intermédiaire de sa division Fonds Éthiques, la société est le plus grand fournisseur de fonds communs de placement socialement responsables au Canada.

L’approche préconisée par Fonds Éthiques en matière d’investissement repose sur le principe selon lequel les sociétés qui intègrent les meilleures pratiques en matière d’enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans leurs stratégies et leurs activités opérationnelles créent une valeur durable pour toutes les parties prenantes et offrent, à long terme, un rendement plus élevé, ajusté en fonction du risque, aux actionnaires. L’équipe responsable du Service ESG de NEI mène des recherches pour appuyer et améliorer les évaluations de sociétés et l’engagement des entreprises, ainsi que les politiques publiques et la défense des normes. Les recherches sont également publiées dans le but d’aider à améliorer la compréhension des occasions et des risques ESG auprès des entreprises, des investisseurs et des autres parties prenantes.

Robert Walker, vice-président, Service ESG, est l’auteur principal de ce document.

Randy Evans, analyste ESG et expert en gouvernance d’entreprise, a fourni commentaires et recherches pour appuyer l’information se trouvant dans ce document.

John Mountain, vice-président principal, chef des affaires juridiques et de la conformité, a jeté un regard critique du point de vue juridique sur ce document et a mis à contribution son expertise en gouvernance.

Christie Stephenson, chef, Évaluations et recherche ESG, gère le programme de recherche ESG à NEI.

Des commentaires ont été formulés par les personnes suivantes de Fonds Éthiques :

Jamie Bonham, chef, Recherche et engagement sur les industries extractives Michelle de Cordova, directrice, Engagement des entreprises et politiques publiques Omar Dominguez, analyste ESG Rob Gross, chef, Opérations ESG Genevieve St. Denis, analyste ESG

Remerciements

Fonds Éthiques désire remercier les lecteurs qui ont pris le temps de passer en revue des versions préliminaires de ce document et de fournir leurs commentaires. Nous remercions :

Yvon AllaireJudy CotteCarol LiaoLynn Stout

Deux autres lecteurs, un haut dirigeant exerçant sa profession au sein d’une société ouverte au Canada et un autre aux États-Unis. Ces lecteurs ont fourni leurs commentaires, mais n’ont pas voulu être identifiés.

La qualité de ce document n’en est que meilleure grâce à leur contribution. Cependant, les opinions exprimées dans les présentes ne sont que celles de Fonds Éthiques.

Stephanie BertelsWilliam DavisCatherine McCallRosalie Vendette

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UNE CRISE, QUELLE CRISE ?

Résumé 5

Recommandations sommaires 6

Introduction 7

Primauté des actionnaires 8

Théorie des parties prenantes 17

Recommandations 21

Conclusion 28

Table des matières

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UNE CRISE, QUELLE CRISE ?

RésuméDe nos jours, la primauté des actionnaires est la théorie dominante de la firme. Selon cette théorie, l’obligation principale des entreprises consiste à maximiser le cours de l’action au profit des actionnaires. La primauté des actionnaires (concept aussi appelé la maximisation de la valeur pour les actionnaires) façonne la structure de la rémunération des hauts dirigeants dans les sociétés ouvertes. Pour atteindre ce but, la rémunération des hauts dirigeants a été conçue de manière à la lier au cours de l’action.

Cette pratique a contribué à la création de risques au niveau de la firme, des marchés financiers et de l’économie mondiale. Du point de vue de la firme, un fossé se creuse entre les niveaux de rémunération des hauts dirigeants et le rendement à long terme des sociétés. Du côté des marchés financiers, nous assistons à la création d'incitatifs ayant contribué à la prise de risques excessifs et à la crise financière mondiale. Sur le plan de l’économie mondiale, on constate une disparité grandissante des revenus, le déclin de la classe moyenne et une agitation sociale.

Les investisseurs socialement responsables ont l’occasion unique de jouer un rôle de premier plan dans le secteur de l’investissement et de renverser la vapeur. Pour ce faire, nous pouvons commencer par appuyer la théorie des parties prenantes, relancer les discussions sur la mission de la société et proposer les grandes lignes d’une structure de rémunération des hauts dirigeants conséquente.

Selon la théorie des parties prenantes, la société a pour mission de créer de la valeur pour toutes ses parties prenantes. Ces parties prenantes varient d’une firme à l’autre, mais comprennent généralement les employés, les clients, les fournisseurs, les communautés, les représentants des communautés futures, les organismes de réglementation, les créditeurs, les bailleurs de fonds et les investisseurs. Bien qu’en général, les réflexions des actionnaires et la structure de la rémunération des hauts dirigeants soient animées par la théorie de la primauté des actionnaires, les fondements légaux de cette théorie sont, au mieux, fragiles. La théorie des parties prenantes, en revanche, est appuyée par la loi, la théorie de la gestion et bon nombre de dirigeants d’entreprises. Les dirigeants qui adoptent une vision à long terme et tiennent compte des intérêts d’un grand nombre de bénéficiaires peuvent réussir à réduire les risques, réduire les coûts et tirer parti d’occasions contribuant à la prospérité à long terme de leur entreprise.

La théorie des parties prenantes est cohérente avec les fondements qui définissent l’investissement socialement responsable. Au cours des deux dernières décennies, les investisseurs socialement responsables ont contribué à l’élaboration d’indicateurs de mesure du rendement des sociétés ouvertes sur le plan environnemental, social et de la gouvernance (ESG). Ces indicateurs permettent de déterminer dans quelle mesure les sociétés servent les intérêts des parties prenantes.

Depuis les cinq dernières années, Fonds Éthiques fait la promotion des indicateurs les indicateurs ESG comme des éléments clés d’une structure de rémunération des hauts dirigeants au moyen de recherches et de collaborations avec les sociétés et les organismes de réglementation et de normalisation. Certaines sociétés se sont mises à intégrer ces indicateurs dans la structure de rémunération de leurs hauts dirigeants, les récompensant ainsi pour l’amélioration de la satisfaction de la clientèle, de l’engagement des employés, et du rendement sur le plan de la sécurité, et pour la réduction des répercussions sur l’environnement. Les efforts concertés des investisseurs socialement responsables pour étendre ces pratiques profiteront aux sociétés et à leurs actionnaires. Par ailleurs, de tels efforts pourraient contribuer à la réduction de la prise de risques à court terme et réhabiliter le concept selon lequel les sociétés peuvent, devraient et doivent fournir des avantages à long terme à la population.

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Recommandations sommaires aux organismes d’investissementLes investisseurs socialement responsables devraient envisager l’adoption d’une série de mesures visant à s‘attaquer aux défis actuels que pose la rémunération des hauts dirigeants. Voici les recommandations de Fonds Éthiques :

1. Cesser de véhiculer le mythe selon lequel les « actionnaires sont propriétaires de la société ». Nous détenons des titres et avons des droits précis. Les biens de la société ne sont pas à notre disposition.

2. Encourager les sociétés à trouver des moyens d’offrir des bénéfices à toutes les parties prenantes, et non seulement aux actionnaires. Des lignes directrices sur la façon d’identifier les parties prenantes et d’entrer en relations avec elles ont déjà été établies.

3. Encourager les sociétés à fixer des indicateurs de performance sur le plan environnemental, social et de la gouvernance (ESG) précis et mesurables et liés aux intérêts des parties prenantes. Ces critères devraient avoir une place tout aussi importante que celle des indicateurs financiers dans la structure de rémunération des hauts dirigeants. Les investisseurs devraient insister sur une corrélation claire et cohérente entre tous les indicateurs de performance et la rémunération offerte.

4. Reconnaître que les actionnaires ne sont pas tous pareils. Encourager les sociétés à faire appel à des organismes d’investissement partageant un intérêt pour la création de valeur à long terme. Cette mesure peut être illustrée au moyen d’énoncés publics relatifs à la philosophie en matière d’investissements, de périodes de détention et de taux de roulement.

5. Accroître la divulgation du dialogue auprès des sociétés et garantir que cette dialogue soit mené avec comme objectif la création de valeur durable à long terme.

6. Accepter le recours légitime à la discrétion par les comités de rémunération qui désirent s'écarter des formules de rémunération. Toutefois, insister sur le fait de recourir à la discrétion avec parcimonie. Les conseils d’administration devraient divulguer les occasions où le recours à la discrétion a été utilisé, la façon dont il a été utilisé et la raison pour laquelle il a été utilisé.

7. Exercer son droit de vote sur la rémunération des hauts dirigeants telle qu’elle est proposée par la direction (vote consultatif) et expliquer au comité de rémunération la raison de toute objection afin que les sociétés améliorent leurs pratiques.

8. Plaider en faveur du retrait des options d’achats d’actions. Les options d’achat d’actions sont très complexes et hautement susceptibles d’être manipulées. Elles ont également pour effet de rémunérer de façon excessive les hauts dirigeants sur la base d’un seul indicateur de performance discutable.

9. Influencer des décideurs en matière de politiques et de normes dans le but d’améliorer les pratiques relatives à la rémunération des hauts dirigeants. Les autorités réglementaires peuvent améliorer les pratiques en matière de divulgation et de rémunération. Les actionnaires ont l’obligation de contribuer à l’uniformisation des règles du jeu au profit des sociétés qui adoptent des pratiques exemplaires.

10. Lancer des discussions éclairées, et y prendre part, sur le plafonnement de la rémunération des hauts dirigeants. Le rythme auquel croît la rémunération de ces hauts dirigeants n’est pas viable. Ces discussions doivent être lancées séance tenante.

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UNE CRISE, QUELLE CRISE ?

Introduction: L’importance de la conceptionLe 31 mai 1916, la Marine royale a engagé le combat contre la flotte allemande dans la mer du Nord, près de la péninsule danoise. Durant l’affrontement, trois croiseurs de bataille britanniques, l’Invincible, le Queen Mary, et l’Indefatigable, ont été coulés par des tirs ayant causé une explosion à bord. Plus de 3 000 hommes y ont perdu la vie. Le commandant de la flotte, le vice-amiral David Richard Beatty, du HMS Lion s’est adressé à son capitaine de pavillon : « Chatfield, on dirait que quelque chose cloche avec nos navires aujourd’hui »

Malgré la remarque flegmatique de Beatty, la vulnérabilité extrême des croiseurs a causé une surprise. Plus tard, une enquête a permis de constater qu’en raison d’un vice de conception, les obus allemands avaient pu pénétrer dans les tourelles et faire exploser les munitions stockées sous le pont.

La rémunération des hauts dirigeants provoque une réflexion semblable : il y a quelque chose qui cloche dans la façon de rémunérer nos hauts dirigeants.1 De nos jours, la plupart des hauts dirigeants de sociétés cotées en bourse sont évalués principalement en fonction du rendement du cours de l’action et des indicateurs financiers considérés comme éléments principaux animant le cours de l’action. La façon la plus commune d’inciter les dirigeants à se focaliser sur le cours de l’action consiste à leur offrir un régime d’option d’achat d’actions ou toute autre rémunération à base d’actions.2 Au Canada et aux États-Unis, la rémunération à base de titres représente plus de la moitié de la rémunération des hauts dirigeants. Ce phénomène est relativement récent. Il a pris naissance vers la fin des années 1970 et s’est fermement enraciné dans les années 1990.3 Faut-il s'en étonner, alors que la plupart des sociétés clament que leur mission première consiste à maximiser le cours de l'action? En effet, maximisez le cours de l’action et du coup, vous maximiserez votre rémunération.

Toutefois, un problème se pose. Les niveaux d’imputabilité et de performance des hauts dirigeants n'ont pas suivi la même cadence. Alors que la rémunération des hauts dirigeants augmentait, nous avons plutôt été témoins d’une série de scandales provoqués par des fraudes comptables, d’une gestion axée sur les revenus au détriment d’une gestion axée sur la société, et d’une prise de risques accrue pour les sociétés. De plus, selon certains commentateurs, la structure de la rémunération des hauts dirigeants aurait contribué à la crise financière mondiale qui perdure et à la polarisation des niveaux de revenus qui menace la stabilité sociale, économique et politique. Dans ce contexte, des experts en gouvernance, des universitaires, des actionnaires et des politiciens suivent de près la question de la rémunération des hauts dirigeants et conviennent que la structure de cette rémunération adoptée par les sociétés cotées en bourse renferme quelque chose d’énormément malsain.

Ce mémoire ne se veut pas uniquement qu’une autopsie des pratiques utilisées d’hier à aujourd’hui : nous nous tournons vers l’avenir pour aborder la question à savoir comment, en tant qu’investisseurs responsables, nous devrions relever ce défi. Pour ce faire, nous nous basons sur les travaux menés par des chercheurs notoires en gouvernance d’entreprise pour redonner vie à une autre théorie de la firme, une théorie selon laquelle la mission de la société consiste à fournir un rendement positif à toutes ses parties prenantes.

Toutefois, nous ne pouvons pas nous limiter à plaider pour une théorie. Nous recommandons en outre la mise en place d’une série de mesures pratiques que les investisseurs socialement responsables peuvent prendre pour encourager les sociétés à revoir leurs pratiques en matière de rémunération des hauts dirigeants. Nous sommes persuadés que la mobilisation d’une masse critique d’investisseurs contribuerait à créer de meilleures sociétés, des communautés plus fortes et une économie plus durable.

1 Ce document traite principalement des hauts dirigeants à la tête de sociétés ouvertes exploitées selon le modèle anglo-américain, soit des sociétés caractérisées par un actionnariat dispersé et un conseil d’administration à un seul niveau composé de membres n’étant pas membres de la haute direction, élus par les actionnaires et mettant l’accent sur les intérêts des actionnaires. Depuis trente ans, on assiste à une tendance vers le modèle anglo-américain dans la gouvernance des sociétés et, par surcroît, la rémunération des hauts dirigeants. Thomas Clarke en fait une critique générale dans « A Critique of the Anglo-American Model of Corporate Governance », Comparative Research in Law & Political Economy Research Paper 15/2009 vol. 5 no 3, (2009). Pour une discussion sur les différences entre les sociétés ouvertes au Canada et celles aux États-Unis et au Royaume-Uni, consultez « Some Obstacles to Good Corporate Governance In Canada and How to Overcome Them », Research Study Commissioned by the Task Force to Modernize Securities Legislation in Canada, 18 août, 2006, de Randall Morck et Bernard Yeung. Les sociétés ouvertes au Canada sont plus susceptibles d’être dirigées par un seul actionnaire contrôlant que celles aux États-Unis. Voir par exemple, Second Class Investors, The Use and Abuse of Subordinated Shares in Canada, Shareholder Association for Research and Education, 2004. Cette tendance ne change toutefois rien à l’observation selon laquelle la rémunération des hauts dirigeants canadiens n’est que légèrement inférieure à celles de leurs homologues américains..2 Voir comme exemple, Meridian Compensation Partners, Trends and Developments in Executive Compensation, mars 2011 et Equilar, « Performance Share Usage Among S&P 1500 CEOs Continues to Grow ».3 ALLAIRE, Yvon, Pay for Value: Cutting the Gordian Knot of Executive Compensation, Institute for Governance of Private and Public Corporations, 2012.

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UNE CRISE, QUELLE CRISE ?

Primauté des actionnaires: L’idée la plus insensée au monde?

L’idée selon laquelle la principale obligation des sociétés consiste à maximiser le cours de l’action au profit des actionnaires, ce qu’on appelle la primauté des actionnaires, constitue la philosophie dominante sur laquelle s’appuie la structure actuelle des régimes de rémunération des hauts dirigeants. Comment en sommes-nous arrivés là?

La réponse pourrait résider dans l’émergence de la société ouverte comme une entité économique importante au 16e siècle. Sous cette forme d’incorporation, la société ouverte fait une distinction nette entre la propriété de l’entreprise, soit les actionnaires, et la gestion quotidienne de l’entreprise, soit les dirigeants. Cette distinction s’inscrit dans le concept de « problème principal-agent ».

Adam Smith pourrait être le premier à avoir défini ce problème alors qu’il observait l’émergence des sociétés par actions, lesquelles émettaient des titres sur les premières bourses. Dans La richesse des nations (1776), il écrit : « Toutefois, puisque les dirigeants de telles sociétés gèrent l’argent des autres plutôt que la leur, [on ne peut s’attendre d’eux qu’ils] veillent sur cet argent avec autant de vigilance [que s’ils en étaient les propriétaires] ». Ainsi, « la négligence et la profusion vont toujours transcender la gestion des affaires d’une telle société. »

Le débat sur la solution à adopter pour remédier au problème de l’agence est demeuré en suspens jusqu’en 1930. Aux États-Unis, les responsables de l’élaboration des politiques publiques ont manifesté un vif intérêt pour ce sujet au moment où le président Roosevelt s’est mis à réglementer les sociétés commerciales et d’investissement fortement blâmées pour le krach boursier de 1929 et la Grande Crise qui a suivi. C’est alors que les organismes de réglementation des valeurs mobilières s’en sont remis à la transparence pour veiller à ce que les actionnaires disposent de l’information dont ils avaient besoin pour prendre des décisions éclairées en matière d’investissement et garder l’œil sur les dirigeants. On racontait que la lumière du soleil était le meilleur désinfectant, et la réglementation introduite dans les années 1930 a jeté les bases des règles actuelles entourant la divulgation.

« À première vue, la valeur pour l’actionnaire est l’idée la plus

insensée au monde. La valeur de l’actionnaire est un résultat, et

non une stratégie… C’est le produit de vos efforts combinés… Vos

principaux intérêts sont vos employés, vos clients et vos produits. »

Jack Welch, ancien président et chef de la direction de General Electric, citation tirée de «

Welch Condemns Share Price Focus », The Financial Times, 12 mars 2009.

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UNE CRISE, QUELLE CRISE ?

Pendant la crise, la guerre, et finalement le boom des années 1950 et 1960, les exigences accrues en matière de divulgation étaient largement considérées comme suffisantes. Mais la stagflation survenue durant les années 1970 a été accompagnée d’une crainte voulant que les entreprises modernes, en raison de la lourdeur de leurs bureaucraties et de leurs systèmes de contrôle, se soient éloignées de leur passé entrepreneurial. Le mode de fonctionnement des grandes entreprises était de plus en plus calqué sur celui de l’État. Les gestionnaires étaient trop confiants et l’économie stagnait.4 Dans un document publié en 1976, les économistes Michael Jensen et William Meckling se penchent sur ce problème. La solution? Faire des gestionnaires les propriétaires de l’entreprise en associant leur rémunération au cours de l’action sous la forme d’actions et d’options d’achat d’actions. Cette façon de faire visait à harmoniser les intérêts de la direction avec ceux des actionnaires. Les gestionnaires se montreraient plus dynamiques, feraient preuve d’un plus grand esprit d’entreprise et mettraient tout en œuvre pour stimuler la croissance.5

Le mantra erroné de la primauté des actionnairesTrente-cinq ans plus tard, la théorie de la maximisation de la valeur pour les actionnaires domine largement le monde universitaire, ainsi que les programmes des écoles de droit et de commerce aux États-Unis, et elle structure la rémunération des hauts dirigeants.

Dans le milieu universitaire, la victoire a été déclarée en 2001. Dans « The End of History of Corporate Law », Hansmann et Kraakman font état d’un « consensus normatif à grande échelle selon lequel les administrateurs de sociétés devraient agir exclusivement dans l’intérêt économique des actionnaires. » Ils affirment que cela résulte du triomphe économique du modèle d’entreprise anglo-américain axé sur la maximisation de la valeur pour les actionnaires et de l’échec des autres modèles, tels que le modèle orienté vers le gestionnaire qui a évolué aux États-Unis dans les années 1950, le modèle orienté sur l’État qui a dominé en France et en Asie et le modèle orienté sur la main-d’œuvre en Allemagne. Le consensus émergent avait déjà touché les pratiques en matière de gouvernance d'entreprise partout dans le monde, et ce n’était qu’une question de temps avant que son influence se fasse également sentir dans la réforme du droit des sociétés.6

Aux États-Unis, les programmes des écoles de droit et de commerce mettent l’accent sur la maximisation de la valeur pour l’actionnaire comme élément central de l’entreprise. Selon une étude de la Brooklings Institution, « L’éducation influe sur les points de vue, et selon les sondages menés auprès d’étudiants diplômés, ces derniers sont plus susceptibles de voir la maximisation de la valeur pour les actionnaires comme l’objectif le plus important de l’entreprise. »7

En dernier lieu, sur le plan de la rémunération des hauts dirigeants, l’évaluation du rendement de la plupart des dirigeants de sociétés publiques s’appuie sur le rendement du cours de l’action et sur des indicateurs financiers qui, considère-t-on, stimulent le cours de l’action, comme le bénéfice par action, la rentabilité totale pour l’actionnaire, les revenus et les produits d’exploitation.8 La façon la plus commune d’inciter les dirigeants à se focaliser sur le cours de l’action consiste à leur offrir un régime d’option d’achat d’actions ou toute autre rémunération à base d’actions, comme des actions spéciales, des actions liées au rendement et un régime d’achat d’actions différé.

4 GALBRAITH, John Kenneth, The New Industrial State, (Princeton University Press, 1967).5 JENSEN, Michael C., et William H. MECKLING, Theory of the Firm: Managerial Behavior, Agency Costs and Ownership Structure, Journal of Financial Economics, vol. 3, no 4.6 HANSMANN, Henry, et Reinier KRAAKMAN, The End of History for Corporate Law, 89 Geo, L.J. 439, (2001).7 WEST, Darrell, The Purpose of the Corporation in Business and Law School Curricula, (Brookings, 19 juillet 2010).8 Comme indiqué ailleurs, il s’agit d’un phénomène récent. En 1976, la rémunération à base d’actions comptait pour moins de 1 % des régimes de rémunération des chefs de la direction dans les grandes sociétés américaines. En 2011, 63 % de la rémunération totale des hauts dirigeants était fondée sur un régime à base de titres. Voir Meridian Compensation Partners, Trends and Developments in Executive Compensation, mars 2011 et Equilar, Performance Share Usage Among S&P 1500 CEOs Continues to Grow, 2012.

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La notion de primauté de l’actionnaire occupe une position prééminente. Mais avec l’inquiétude grandissante au sujet du rendement des entreprises, des effondrements boursiers et de l’inégalité des revenus, l’opposition à la primauté des actionnaires gagne de la vigueur. Cette opposition s’articule autour de cinq principaux points :

1. Les actionnaires ne sont pas propriétaires d’entreprises. Ils en détiennent des actions.

Sous le couvert de la primauté des actionnaires, les investisseurs sont nombreux à agir comme si les actifs de l’entreprise leur appartenaient, insistent pour que le monde de l’entreprise tourne autour d’eux, et rejettent les autres types de propriété ou de participation au bien-être de l’entreprise que d’autres pourraient avoir.

Comme le souligne Lynn Stout, chercheuse émérite en gouvernance d’entreprise à l‘Université Cornell, des droits précis sont liés à l’actionnariat (p. ex., le droit de déposer des propositions d’actionnaires à inclure dans la circulaire d’information de la société). Toutefois, les actionnaires n’exercent aucun contrôle sur les actifs de l’entreprise. Ils n’ont pas le droit de piger dans les profits de la société. Des dividendes peuvent leur être versés, mais seulement si les administrateurs décident de le faire. L’influence des actionnaires sur la société se fait par le truchement d’une prise de position (engagement ou proposition) ou d’une élection des administrateurs. Ainsi, « bien qu’il soit excusable de décrire librement une entreprise dirigée par un seul actionnaire comme étant « détenue » par cet actionnaire, décrire la relation entre une société ouverte et ses actionnaires en parlant de propriété pourrait être déroutant.9

9 STOUT, Lynn, Bad and Not-So-Bad Arguments for Shareholder Primacy, Southern California Law Review, vol. 75:1189.

Source: Equilar, Performance Share Usage among S&P 1500 CEOs Continue to Grow, Redwood City: Equilar, 2012.!

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Prevalence of Metrics Used in Performance AwardsPrédominance des indicateurs utilisés dans les primes de rendement

BPA/

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RTA Revenu Bénéfice

d'exploitation

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trésorerie

RCP

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UNE CRISE, QUELLE CRISE ?

2. Les administrateurs ne sont pas tenus de maximiser la valeur pour les actionnaires; dans la plupart des cas, leur obligation légale principale est due à l’entreprise, et non aux actionnaires.

Selon l’article 122 (1) (a) de la Loi canadienne sur les sociétés par actions : Les administrateurs et les dirigeants doivent, dans l’exercice de leurs fonctions, agir avec intégrité et de bonne foi au mieux des intérêts de l’entreprise.

La Cour suprême du Canada a confirmé l’application de l’article 122 (1) (a) de la Loi canadienne sur les sociétés par actions. Dans un litige opposant les Magasins à rayons Peoples à Wise, la Cour suprême a statué comme suit :

« [Il] est clair que l’énoncé ''dans les meilleurs intérêts de l’entreprise’’ ne devrait pas être interprété seulement comme '’les meilleurs intérêts des actionnaires’’. Nous considérons qu’il est juste d’affirmer en droit que, pour déterminer s’il agit au mieux des intérêts de l’entreprise, il peut être légitime pour le conseil d’administration, vu l’ensemble des circonstances dans un cas donné, de tenir compte notamment des intérêts des actionnaires, des employés, des fournisseurs, des créanciers, des consommateurs, des gouvernements et de l’environnement. »10

Dans cette décision, entre autres, la Cour soutient l’existence d’une règle d’appréciation commerciale permettant aux administrateurs de tenir compte d’un vaste éventail de facteurs dans leur processus décisionnel. Ils n’ont pas l’obligation, d’ordre général, de maximiser la valeur pour les actionnaires. Elle s’en remet à l’appréciation commerciale des administrateurs, pourvu qu’un niveau approprié de prudence et de diligence soit exercé dans la prise de décisions commerciales raisonnables au moment où elles sont prises.11

Les tribunaux canadiens et internationaux peuvent se laisser influencer par les décisions prises par les tribunaux américains.12 Mais même aux États-Unis, où la rémunération fondée sur des titres s’est poursuivie avec dynamisme, l’idée voulant que le droit des sociétés exige des administrateurs et des dirigeants qu’ils maximisent la valeur pour les actionnaires trouve peu d’écho.

Le fondement juridique relatif à la primauté des actionnaires est généralement considéré comme prenant appui sur une seule opinion judiciaire se trouvant dans la décision de la Cour suprême du Michigan rendue en 1919 dans l’affaire Dodge c. Ford Motor Company.13 Dans cette cause, les frères Dodge ont intenté un procès contre Henry Ford qui refusait de verser un dividende aux actionnaires minoritaires. Les frères Dodge voulaient utiliser ce versement pour intensifier les activités de leur entreprise, en concurrence avec celle de Ford, et Ford le savait. Pour sa défense, ce dernier affirmait vouloir conserver le dividende dans le but d’offrir des prix plus bas aux consommateurs et de meilleurs salaires à ses employés. La décision du tribunal a favorisé les frères. Le tribunal, dans sa décision désormais célèbre, affirmait : « Il ne devrait pas y avoir de confusion… une société par actions est organisée d’abord et avant tout pour le profit des actionnaires. Les pouvoirs des administrateurs doivent être utilisés à cette fin. »

10 Magasins à rayons Peoples inc. c. Wise, Cour suprême du Canada, 29 octobre 2004.11 Pour une analyse juridique de la décision de Peoples et de la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire BCE c. Détenteurs de débentures de 1976, lire Peoples, BCE, and the Good Corporate Citizen, Osgood Hall Law Journal 47, 2009, de Ed Waitzer et Johny Jaswal. Waitzer et Jaswal concluent que même si la Cour n’a pas pris position en faveur de la primauté des actionnaires, elle aurait pu préciser davantage les obligations des entreprises envers les parties prenantes.12 L’influence des décisions des tribunaux américains pourrait être en déclin. Lire U.S. Court Is Now Guiding Fewer Nations, New York Times, 18 septembre 2008 de Adam Piptak.13 Exemple, BAKAN, Joel, The Corporation: The Pathological Pursuit of Profit and Power, (Free Press, 2004). Ce livre, ainsi que le documentaire très prisé auquel il a donné naissance, expose en profondeur l’affaire Dodge c. Ford.

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Stout fait valoir que ce cas n’édicte pas la loi. Son argumentaire comprend quatre parties. Premièrement, la déclaration de la Cour a été publiée sous forme de principe; un énoncé d'opinion qui, bien qu'autoritaire, n'est pas contraignant. Deuxièmement, cette affaire remonte à près d’un siècle. Le droit des sociétés a beaucoup évolué depuis 1919. Troisièmement, aux États-Unis, la jurisprudence touchant les sociétés tend à être établie au Delaware où les juges sont reconnus pour leur expertise en droit des sociétés. L’État du Michigan n’est pas reconnu pour avoir apporté une contribution dans ce domaine. Et quatrièmement, et c’est peut-être le point le plus important, au cours des 30 dernières années, la Cour du Delaware n’a cité le cas de Dodge c. Ford qu’à une seule occasion, et non pas sur la question de la mission des sociétés, mais sur celle des obligations des actionnaires majoritaires envers les actionnaires minoritaires.14

Les défenseurs de la théorie de la primauté des actionnaires présentent également l’affaire Revlon Inc c. MacAndrews & Forbes Holdings Inc. pour appuyer leur thèse selon laquelle la loi stipule que la maximisation de la valeur pour les actionnaires représente la mission première de la firme. Dans ce cas, les administrateurs de Revlon ont décidé de vendre la société à un groupe privé d’actionnaires. Les actionnaires publics devaient abandonner leurs intérêts et recevoir une compensation en espèces ou sous forme d’autres titres pour leurs actions. La Cour suprême du Delaware soutenait que lorsqu’une société met en branle une procédure d’appels d’offres, le rôle du conseil d’administration passe de celui d’agir dans les meilleurs intérêts de la société à celui d’obtenir le meilleur prix possible pour les actions détenues par les actionnaires. Comme le souligne Stout, c’est « seulement lorsqu’une société ouverte s’apprête à cesser de faire appel à l’épargne public que les administrateurs perdent la protection en vertu de la règle d’appréciation commerciale et doivent à ce moment avoir comme objectif unique la valeur pour les actionnaires. »

La règle concernant l’appréciation commerciale prévaut également au Delaware, l’État américain où se trouvent les tribunaux les plus favorables aux entreprises. La jurisprudence nous enseigne qu’au Delaware, les tribunaux sont réticents à passer en revue les décisions commerciales des administrateurs ayant rempli leurs obligations de bonne foi, avec prudence et dans les meilleurs intérêts de la société. Dans l’exemple le plus célèbre, soit l’affaire Schlensky c. Wrigley, le plaignant William Shlensky a intenté une action dérivée contre Phillip Wrigley pour forcer l'installation d’un système d’éclairage au stade Wrigley Field pour permettre au Cubs de Chicago de jouer des matchs de baseball en soirée. À cette époque (1968), tous les stades des autres équipes du baseball majeur étaient équipés de systèmes d’éclairage. Les défendeurs ont refusé d'installer ces systèmes pour les Cubs, arguant que les quartiers voisinant souffriraient de la tenue de matchs de baseball en soirée. Les tribunaux ont statué en faveur du défendeur citant la jurisprudence selon laquelle lorsqu’une société mène ses activités selon la loi, le tribunal n’a aucune autorité à substituer son jugement à celui des administrateurs.16

Le résultat est que, contrairement aux régimes de rémunération des hauts dirigeants qui mettent l’accent sur le cours de l’action, les administrateurs des sociétés ouvertes ne sont pas tenus légalement de maximiser la valeur de l’action.

14 Lire STOUT, Lynn A., Why We Should Stop Teaching Dodge v. Ford, Virginia Law and Business Review, volume 3, no 1, printemps 2008 et Stout, The Shareholder Value Myth, (San Francisco, California: Berreet-Koehler Publishers Inc. 2012).15 STOUT, The Shareholder Value Myth. La jurisprudence sur ce point aux États-Unis est en quelque sorte un point sensible. Les lecteurs intéressés devraient également consulter Unocal c. Mesa Petroleum, une autre décision dans le cadre de laquelle la Cour suprême du Delaware a légitimé les pilules empoisonnées afin de prévenir les prises de contrôle lorsqu’il peut être démontré que la politique d’entreprise est menacée et que les mesures de défenses sont proportionnelles et raisonnables. Voir aussi Leonard L. Rotman, « Debunking the “End of History” Thesis for Corporate Law », Boston College International and Comparative Law Review, volume 33, numéro 2, 2010).16 Shlensky v. Wrigley, 95, Ill. App. 2d, 173, 237 N.E.2d 776 (1968). Voir également Air Products and Chemicals, Inc., v. Airgas Inc., Civ. 5249-CC, 5256-CC (Del. Ch., 15 fév., 2011) 92.

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3. La primauté des actionnaires incite les sociétés à favoriser les profits à court terme, quelles que soient les conséquences à long terme.

On entend par politique à court terme l’attention excessive accordée par les gestionnaires de sociétés aux résultats à court terme à des fins de manipulation du cours de l’action. Pour les sociétés non financières, cette pratique peut passer par la maximisation des profits trimestriels et du cours de l’action en gonflant les revenus actuels au détriment de la viabilité à long terme de la société. Pour y arriver, les sociétés peuvent réduire les dépenses discrétionnaires, limiter les investissements dans les actifs à long terme ou prendre des risques excessifs pour maximiser les revenus à court terme. Du côté des sociétés financières, la politique à court terme peut en outre impliquer des investissements dans des actifs comportant des risques cachés et la contraction d’une dette excessive pour soutenir des profits à court terme ou le rendement des portefeuilles. Cette politique peut aussi donner lieu à des stratégies de négociation à court terme faisant fi de la valeur fondamentale des actifs sous-jacents, ou à l’utilisation de droits de vote visant à presser les entreprises à fournir un rendement immédiat aux propriétaires au moyen de dividendes, de rachats d’actions ou de ventes d’actifs. Ces mesures pour faire monter le cours de l’action s’appellent la gestion du résultat.17

Lynn Dallas, de la Faculté de droit de l’Université de San Diego, fait partie d’un groupe d’universitaires qui fait la distinction entre la gestion du résultat comptable et la gestion du résultat réel. Enron a fait appel à la gestion du résultat comptable lorsqu’elle a manipulé les résultats en inscrivant un gain considérable dans ses livres comptables après avoir « vendu » sa division non rentable dans le domaine de la large bande à une « entité ad hoc » dont elle avait également le contrôle. Lehman Brothers s’est elle aussi adonnée à la gestion du résultat comptable lorsqu’elle a inscrit ses emprunts comme ventes, augmentant ainsi ses résultats à temps pour plaire aux analystes, qui attendaient la publication des résultats trimestriels. Bien que ces méthodes comptables préoccupantes soient moins courantes depuis l’adoption de la législation aux États-Unis (Sarbanes-Oxley), la gestion du résultat réel occupe une plus grande place. Parmi les exemples, notons la réduction de prix pour augmenter temporairement les ventes et la réduction des dépenses dans différents domaines comme la formation des employés et la recherche et le développement, et ce, pour accroître les marges. 18

Dans quelle mesure les deux formes de gestion des résultats sont-elles étendues? Selon un sondage mené en 2005 auprès de 400 dirigeants dans le domaine financier, la majorité des répondants ont affirmé qu’ils éviteraient de déposer un projet de valeur actuelle nette positive si celui-ci entraînait un déficit par rapport aux estimations consensuelles des résultats du trimestre en cours. Ils agiraient de la sorte, car ils croient que rater un objectif de résultat, ou publier des résultats volatiles, influe négativement sur le cours de l’action. 19

17 CFA Centre for Financial Market Integrity/Business Roundtable Institute for Corporate Ethics, Breaking the Short-Term Cycle: Discussion and Recommendations, 2006. 18 DALLAS, Lynne L., Short-Termism, The Financial Crisis and Corporate Governance, Research Paper No. 12-078, University of San Diego Law School, février 2012.19 GRAHAM, John R., Campbell R. HARVEY, et Shiva RAJGOPAL, The Economic Implications of Corporate Financial Reporting, Journal of Accounting and Economics, 2005, vol. 40 (1-3, déc.). Dans Fixing the Game, Bubbles, Crashes and What Capitalism Can Learn from the NFL, Roger Martin écrit : « Le concept de la valeur pour l’actionnaire échoue en tant que théorie unificatrice visant à produire de la valeur au sein des entreprises ».

Les données financières ne peuvent répondre seules à cette situation

La plupart des hauts dirigeants et des administrateurs estiment qu’en privilégiant seulement les indicateurs financiers, nous obtenons un tableau incomplet de la capacité de la société à créer de la valeur à long terme.

Dans un sondage mené par Deloitte en 2004 auprès de 250 administrateurs et hauts dirigeants, 92 % des répondants ont affirmé que les indicateurs financiers ne donnent pas une bonne représentation des forces ou des vulnérabilités sous-jacentes des sociétés qu’ils dirigent. Deloitte a répété l’exercice en 2007. Dans ce sondage, 78 % des répondants ont alors affirmé que les indicateurs financiers seuls ne donnent pas une bonne représentation des forces et des faiblesses de leurs sociétés. Ce chiffre est monté à 85 % pour les sociétés dont les produits d’exploitation excèdent 1 milliard de dollars. Un pourcentage considérable de répondants a affirmé que la haute direction a besoin de meilleures données concernant certains domaines, tels que l’engagement des employés (58 %), la satisfaction de la clientèle (48 %), l’innovation (36 %), les répercussions sur la population (32 %), la performance opérationnelle (32 %) et la performance de la chaîne d’approvisionnement (31 %)

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4. La primauté des actionnaires a réuni les conditions ayant mené à la crise financière mondiale.

La Financial Crisis Inquiry Commission (FCIC) a été créée en 2009 par le Congrès américain à titre de panel biparti ayant pour objectif d’enquêter sur les causes de la crise financière mondiale. La FCIC a conclu que ce désastre aurait pu être évité. Elle a pointé du doigt l’effondrement de la bulle immobilière comme élément déclencheur de la chute la plus vertigineuse du marché boursier depuis le krach de 1929 et de la crise financière mondiale qui s’en est suivie.

Bon nombre de conditions préalables ont toutefois grandement favorisé cet effondrement. L’une de ces conditions : la primauté des actionnaires.

Pour assurer son bon fonctionnement, l'industrie des services financiers compte sur une régulation efficace et efficiente. Les actionnaires doivent disposer de renseignements pour garantir l'efficacité des marchés et surveiller la gouvernance des entreprises. Les ménages ont besoin d’institutions de dépôts sécuritaires qui sauront protéger leurs économies. Le risque de crédit des acheteurs de résidences et des petites entreprises doit être évalué avec justesse.20 Toutefois, avant la crise, les entreprises, par leurs activités de lobbying sans relâche, ont réussi à entraver l'élaboration d'une réglementation visant à protéger les intérêts des parties prenantes.21 Pendant plusieurs décennies, la législation séparant les services aux entreprises et les services bancaires d’investissement a été abrogée et les lois contre les prêts abusifs ont été assouplies dans plusieurs États – deux éléments clés ayant mené à la crise. Trente années de dérèglementation, l'incapacité des agences de notation à sonner l'alarme, une vision à court terme, la volonté de maximiser le cours des actions et la cupidité sont tous des éléments qui ont contribué à définir le cadre qui allait donner lieu à la crise. Comme le note la Financial Inquiry Commission, ce cadre comprenait :

• La hausse marquée des prêts accordés à des emprunteurs à haut risque et de la titrisation de ces créances, le prix insoutenable des maisons, la généralisation des pratiques d’octroi de prêts déloyales, l’augmentation de la dette hypothécaire par ménage et la croissance exponentielle des opérations pour compte propre hautement rentables de la part des cabinets de services financiers.

• L’échec spectaculaire de la gouvernance d’entreprise et de la gestion du risque au sein d’institutions financières considérées trop solides pour tomber. En effet, un trop grand nombre d’institutions ont accepté de prendre trop de risques, sans disposer des capitaux suffisants, tout en dépendant excessivement d’un financement à court terme. Les ratios de levier financier des cinq plus importantes banques d’investissement aux États-Unis avaient atteint 40:1 et le levier était souvent camouflé par des instruments dérivés et hors bilan.

• Un effondrement systématique de la responsabilité et de l’éthique. Les prêteurs accordaient des prêts à des emprunteurs tout en étant conscients de l’incapacité des emprunteurs à les rembourser. Les prêts intégrés aux produits financiers vendus aux investisseurs n’étaient souvent pas conformes aux normes de souscription des institutions financières qui élaboraient et vendaient ces produits.

20 Exemple, POSNER, Richard, A Failure of Capitalism: The Crisis of '08 and the Descent into Depression, (Cambridge, Harvard University Press, 2009).21 LIAO, Carol, Corporate Governance Reform for the 21st Century: A Critical Reassessment of the Shareholder Primacy Model, (2012) 43 Ottawa Law Review.

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La FCIC a relevé que les systèmes de rémunération dans l’industrie des services financiers « récompensaient trop souvent les ententes conclues rapidement et le gain à court terme sans bien considérer les conséquences à long terme. Souvent, ces systèmes encourageaient les paris audacieux qui proposaient de très gros avantages et des désavantages limités ».22

Cette situation était prévisible. Dès 2003, l'Association nationale des administrateurs de sociétés a recommandé aux sociétés ouvertes de réduire leur dépendance au cours de l’action comme indicateur de performance pour la rémunération des hauts dirigeants et d’opter plutôt pour des indicateurs misant sur la qualité et la quantité.23 En 2007, avant la crise financière, le Research and Development Committee du Committee for Economic Development, un panel de dirigeants, d’universitaires et de responsables politiques éminents a critiqué la dépendance aux résultats financiers à court terme plutôt qu’à la stabilité et aux résultats à long terme. Selon ce panel, les décisions qui s’appuient principalement sur des considérations à court terme « nuisent aux capacités des sociétés ouvertes et, par conséquent, empêchent l'économie des États-Unis de soutenir une performance de haut niveau à long terme ».

5. Le modèle de rémunération des hauts dirigeants fondé sur la primauté des actionnaires contribue à la polarisation des revenus et pose des risques pour l’économie mondiale.

L’inégalité entre les revenus augmente de façon continue, principalement en raison de la rémunération des hauts dirigeants.

En 1980, les chefs de la direction des grandes entreprises américaines touchaient en moyenne un salaire de 624 966 $ par année, soit 42 fois plus que le salaire moyen d’un travailleur dans une usine. En 2010, ce salaire avait atteint les 10,8 millions de dollars, soit 315 fois le salaire médian des travailleurs. De plus, les statistiques démontrent que l’écart entre les revenus a atteint des pourcentages que l’on n’avait pas connus depuis la Grande Crise. En 2008, la tranche de 0,1 % des plus hauts salariés aux États-Unis gagnait plus de 10 % de la masse des salaires personnels au pays et la tranche de 1 % des plus hauts salariés en gagnait plus de 20 $.24

Qui sont ces gens? Ils sont majoritairement des hauts dirigeants et des gestionnaires de sociétés. Selon les économistes John Bakija, Adam Cole et Bradley T. Heim, de nos jours, les hauts dirigeants et les professionnels financiers représentent environ 60 % de la tranche de 0,1 % des plus hauts salariés et sont responsables de 70 % de l’augmentation de la part du revenu octroyé à cette tranche de salariés à l’échelle nationale entre 1979 et 2005.25

22 The Financial Crisis Inquiry Commission Report, (Washington, DC, janvier 2011). Voir également le Kay Review Final Report sur le Royaume-Uni, 23 juillet 2012.23 BARRETT, Annalisa, et Paula TODD, Towers Perrin, NACD Blue Ribbon Commission on Executive Compensation and the Role of the Compensation Committee, décembre 2003.24 WHORISKEY, Peter, With Executive Pay, Rich Pull Away from the Rest of America, The Washington Post, 18 juin 2011.25 BAKIJA, Jon, Adam COLE, et Bradley T. HEIM, Jobs and Income Growth of Top Earners and the Causes of Changing Income Inequality: Evidence from U.S. Tax Return Data, avril 2012.

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Au Canada, la situation est semblable, bien qu’à peine moins désolante. Selon le Conference Board du Canada, en 1995, le salaire moyen des 50 chefs de la direction les mieux payés au pays s’élevait à 2,66 millions de dollars, soit 85 fois le salaire d’un travailleur moyen, et en 2012, il s’élevait à 8,38 millions de dollars, soit 255 fois le salaire d’un travailleur moyen.

Au Canada, comme aux États-Unis, plus l’économie croît, plus les gains passent pour la plupart aux mains d’un très petit groupe de gens ultrariches. De 1998 à 2007, la décennie des générations actuelles ayant connu la plus rapide croissance économique, la tranche de 1 % des Canadiens les plus riches (246 000 personnes dont le salaire moyen était de 405 000 $) a récolté près du tiers de la croissance des revenus. La croissance de leurs revenus ne s’explique pas par les biens qu’ils possèdent, mais plutôt par la rémunération, ce qui laisse croire que la rémunération des hauts dirigeants alimente au moins une partie de cette croissance. À l’autre bout du spectre, les pauvres s’appauvrissent sur une base relative. L’écart entre le revenu moyen réel du groupe le plus riche et du groupe le plus pauvre est passé de 92 300 $ en 1976 à 117 500 $ en 2009. L’inégalité des revenus se creuse davantage au Canada qu’aux États-Unis depuis la deuxième moitié des années 1990.

Cette tendance ne s’observe pas uniquement au Canada et aux États-Unis. Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et le Fonds monétaire international (FMI), l’écart entre les revenus est à la hausse dans la plupart des pays. De l’ensemble des revenus mondiaux, 42 % ont été versés aux personnes composant la tranche de 10 % des plus riches de la planète. Seulement 1 % des revenus de la planète ont été versés aux personnes composant la tranche de 10 % des plus pauvres.

26 MACKENZIE, Hugh, Canada’s CEO Elite 100, Centre canadien de politiques alternatives, janvier 2012.27 Conference Board du Canada, Canadian Income Inequality: Is Canada Becoming More Unequal?, juillet 2011.28 High Pay Commission, Cheques With Balances: Why Tackling High Pay is in the National Interest, novembre 2011.29 Berg, Andrew G. and Jonathan D. Ostry, “Equality and Efficiency”, Finance and Development, International Monetary Fund, September 2011.29 BERG, Andrew G., et Jonathan D. OSTRY, Equality and Efficiency, Finance and Development, International Monetary Fund, septembre 2011.

Salaires élevés au Royaume-Uni

Au Royaume-Uni, une commission indépendante sur les salaires élevés a mis à jour que l’écart entre les salaires des patrons et des employés moyens avait considérablement augmenté. Par exemple, la commission a découvert qu’en 2010, alors que la croissance économique ralentissait, le salaire des hauts dirigeants des entreprises composant le FTSE 100 avait augmenté en moyenne de 49 %, comparativement à un maigre 2,7 % pour l’employé moyen. La commission en est venue à la conclusion que les salaires excessivement élevés avaient des effets négatifs sur les entreprises, l’économie et la société dans son ensemble.

Pourquoi cette situation est-elle inquiétante? En fait, les preuves démontrent qu’une croissance économique durable n’est possible que si les revenus sont largement partagés. Selon le FMI, la hausse de l’écart entre les revenus est destructrice pour la croissance de l’économie puisqu’elle occasionne de l’instabilité politique, une diminution des options de politiques publiques relativement aux chocs économiques et une incapacité d’investir dans l’éducation et les activités professionnelles. Un test visant à découvrir les variables qui contribuent à une croissance économique durable révèle que la distribution du revenu est un facteur plus important que l’ouverture aux échanges commerciaux et la robustesse des institutions politiques.29

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L’émergence, le déclin et la remontée de la théorie des parties prenantes

Selon la théorie des parties prenantes, l’objectif de l’entreprise consiste à fournir un rendement aux parties prenantes. Pour réussir et durer, les administrateurs et les hauts dirigeants doivent harmoniser les intérêts des employés, des clients, des fournisseurs, des communautés, des actionnaires et des générations futures. Le but principal consiste à faire preuve d’innovation pour assurer l'harmonisation de ces intérêts, plutôt que sacrifier les intérêts d’une partie prenante au profit d’une autre. En prônant une gestion axée sur les parties prenantes, les entreprises fournissent un vaste éventail d'avantages pour la société, créent de la valeur pour les actionnaires et autres bailleurs de fonds et garantissent l’allocation efficace des ressources.31

L’idée selon laquelle les entreprises ont un objectif social allant au-delà de la maximisation de la valeur pour les actionnaires remonte à la création des premières sociétés par actions. Au Canada, la Compagnie de la Baie d’Hudson a reçu sa charte corporative en 1670 non pas pour maximiser les gains des actionnaires, mais bien à des fins de commercialisation et de colonisation dans la région de la Baie d’Hudson en Amérique du Nord et d’exploration du passage du Nord-Ouest vers l’Asie.

Dès 1916, J. Maurice Clark décrivait le besoin d’une économie basée sur les responsabilités qui prendrait forme dans la pratique éthique des activités commerciales32 Il s’en est suivi un débat entre les théoriciens de la gouvernance d’entreprise, particulièrement après le krach boursier de 1929, à propos du rôle de la société ouverte. Puis, pendant plusieurs décennies, l’idéologie prédominante voulait que les entreprises aient un devoir envers la société. Dès les tensions économiques de la Grande Crise, durant la Deuxième Guerre mondiale et jusqu’au boom des années 1950 et 1960, bon nombre d’entreprises ont reconnu le fait que leur mission, au-delà de réaliser des profits, consistait à fournir de l’emploi, remporter la guerre et accepter leur rôle d'être une force motrice importante derrière l'économie. En reconnaissant ce fait, elles ont contribué à l’acceptation étendue du contrat social entre les entreprises, la main-d’œuvre et le gouvernement. E. Merrick Dodd de l’Université Harvard, un des principaux théoriciens de l’époque sur la gouvernance d’entreprise, dénote alors que l’opinion publique, qui, en fin de compte, fait la loi, a beaucoup évolué et avance toujours vers une vision de la société par actions comme institution économique comprenant une fonction de service social et une fonction de génération de profits.33

30 Risk Response Network, Global Risks 2012, septième édition, World Economic Forum. 2012.31 Cette définition provient du Financial Times Lexicon. La théorie des parties prenantes comme approche à la gestion des entreprises remonte au livre de Mary Parker Follet, The New State, publié en 1918. Voir Melissa A. Schilling, Decades Ahead of Her Time: Advancing Stakeholder Theory Through the Ideas of Mary Parker Follett, Journal of Management History, vol. 6. no 5, 2000. À notre époque, R. Edward Freeman est considéré par beaucoup comme étant celui qui a détaillé la théorie dans son livre intitulé Strategic Management: A Stakeholder Approach, (Cambridge: Cambridge University Press, 2010). Pour des recherches plus récentes, voir l’ouvrage de Jeffrey S. Harrison, Andrew C. Wicks, Bidhan Parman et Simeone de Colle, Stakeholder Theory: the State of the Art, Cambridge University Press, 2010, celui de David Milton, Enlightened Shareholder Value, Social Responsibility and the Redefinition of Corporate Purpose Without Law, Washington and Lee Public Legal Studies Research Paper Series, Working Paper, 16 juin 2010, et celui de Michael Porter, How to Fix Capitalism, Harvard Business Review, février 2011. Les travaux des actionnaires activistes John et Lewis Gilbert traitent également de certains points de la théorie des parties prenantes, dès les années 1930. Voir Dividends and Democracy.32 CLARK, J.M., The Changing Basis of Economic Responsibility, The Journal of Political Economy, vol. 24 no 3 (1919), CLARKSON, Max B.E., The Corporation and its Stakeholders: Classic and Contemporary Readings, (Toronto: University of Toronto Press, 1998).33 DODD, E. Merrick, For Whom are Corporate Managers Trustees?, Harvard Law Review, 1932 vol. 45 no 7.

Selon un sondage mené dans le cadre du Forum économique mondial de 2012 auprès de 469 spécialistes de l’industrie, du gouvernement, du milieu universitaire et de la société civile, le plus important des 50 risques identifiés à l’échelle mondiale est celui que représente un écart important entre les revenus. Les « graines de la contre-utopie », pour reprendre les mots du Forum économique mondial, sont semées alors que l’écart entre les revenus contribue au déclin des conditions économiques, mettant en danger les contrats sociaux entre l’État et le citoyen.30

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Pourquoi cette théorie n’a-t-elle pas fonctionné?

Certaines critiques des premières notions de la théorie des parties prenantes lui reprochent une structure et une pratique vagues. Les responsabilités générales des entreprises envers la société avaient été définies, mais il fallait désormais se prononcer sur la frontière entre les obligations des entreprises et le rôle de l’État. L’article de Milton Friedman, « The Social Responsibility of Business is to Increase Profits », publié dans le magazine The New York Times en 1970 et devenu un classique, déplorait le relâchement analytique lié à la notion voulant que les entreprises aient des responsabilités sociales. 34

Les structures, outils, normes et services ont changé

M. Friedman avait sans doute raison en 1970 à propos du manque de rigueur du concept de responsabilité sociale pour les entreprises. Bien que le débat sur la mission sociale des entreprises ait fait rage au cours des siècles, il est vrai qu’en 1970 les hauts dirigeants disposaient de très peu de lignes directrices pour veiller à ce que les parties prenantes profitent des activités de l’entreprise. Aucun outil ne permettait d’identifier de façon rigoureuse les parties prenantes et bien peu d’efforts avaient été déployés à l’établissement des frontières entre l’entreprise et ses obligations sociales. On s’intéresse désormais à cette critique. Grâce au secteur de l’investissement socialement responsable, le concept de responsabilité sociale de l’entreprise et la théorie des parties prenantes refont surface comme fondements de la stratégie de gestion. Des efforts considérables ont été consentis pour identifier les parties prenantes et leur attribuer une catégorie qui leur est propre. Bien que d’une société à l’autre la composition des parties prenantes varie, on y retrouve généralement les clients, les employés, les fournisseurs, les communautés, les générations futures (ou l’environnement), les organismes de réglementation, les créanciers, les bailleurs de fonds et les investisseurs.

Quarante ans après Friedman, de nouveaux principes servant à orienter les relations entre les parties prenantes et les sociétés ont été élaborés. Des codes de conduite visant les pratiques relatives à la main d’œuvre aux conseils pour le respect des droits humains, en passant par les normes régissant les pratiques exemplaires à observer par les conseils d’administration, les sociétés possèdent maintenant les connaissances nécessaires pour établir des frontières et mettre au point des politiques, des pratiques et des mécanismes de conformité qui orientent leurs activités propres et celles de leurs fournisseurs. De plus, les hauts dirigeants et les administrateurs ont dorénavant bon nombre d’outils pratiques à leur disposition pour identifier les parties prenantes et travailler avec elles.

34 FRIEDMAN, Milton, The Social Responsibility of Business is to Increase Profits, The New York Times Magazine, 13 septembre 1970.

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Friedman contre Freeman

Milton Friedman endossait la primauté des actionnaires et Edward Freeman, la théorie des parties prenantes. M. Freeman est largement reconnu comme ayant été le premier à détailler le concept dans son œuvre classique de 1984, Strategic Management: A Stakeholder Approach. Dans son ouvrage, M. Freeman, plutôt que de mettre l’accent sur la théorie, s’attarde plutôt à la façon dont les entreprises fonctionnent. Pour M. Freeman, l’entreprise peut être vue comme un système qui crée de la valeur pour les parties prenantes et met fermement en relation ses opérations, sa mission et l’éthique. La Cambridge University Press a récemment publié une nouvelle édition de son œuvre disponible sur demande.

Loi sur les sociétés au Royaume-Uni, 2006

Au Royaume-Uni, la Companies Act, 2006 prévoit une nouvelle obligation législative de loyauté qui impose aux administrateurs de « promouvoir le succès de la société au profit de l’ensemble de ses membres » et, ce faisant, de tenir compte d’une série de considérations prévues par la loi, dont :

(a) les conséquences probables à long terme de toute décision;(b) les intérêts des employés de la société;(c) le besoin d’encourager les relations commerciales de la société avec les fournisseurs, les clients et autres;(d) les répercussions des activités d’exploitation de la société sur la communauté et l’environnement;(e) la volonté de la société de conserver une réputation qui fait d'elle une société qui respecte des normes pointues de pratique professionnelle;(f) le besoin d'agir équitablement entre les membres de la société.

Voici les plus importants :

• La norme AA 1000, Stakeholder Engagement Standard, définit les procédures permettant aux organisations d’identifier les parties prenantes et de coopérer avec elles en suivant une norme structurée et vérifiable. La norme AA 1000 SES a été mise au point en collaboration avec les sociétés, les responsables de l’élaboration de politiques, la société civile et les représentants des entités qui établissent les normes. Elle sert de base pour concevoir, mettre en œuvre, évaluer et contrôler la qualité de la coopération avec les parties prenantes.

• La Global Reporting Initiative (GRI) : principales normes mondiales de production de rapports sur des sujets touchant le développement durable des sociétés. Le fondement du processus de production de rapports de la GRI repose sur une définition de l’importance. Elle implore les entreprises à faire rapport de sujets et d’indicateurs qui reflètent les répercussions économiques, environnementales et sociales importantes de l’entreprise ou qui influenceraient considérablement les évaluations et les décisions des parties prenantes s'ils étaient divulgués.

• La norme ISO 26000 : guide normalisé à l’échelle mondiale sur les responsabilités sociales devant être appliquées dans les secteurs publics et privés. Ce guide a été rédigé par l’Organisation internationale de normalisation (ISO). L’ISO est le plus grand producteur mondial de normes internationales et dirige un réseau d’instituts nationaux de normalisation dans 163 pays. Au cours des précédentes décennies, l’ISO a établi un grand nombre de normes internationales, comme les normes ISO 9000 (gestion de la qualité) et ISO 14000 (systèmes de gestion environnementale).

En outre, depuis Friedman, des dizaines de cabinets-conseils ont vu le jour pour aider les sociétés à identifier les parties prenantes et à collaborer avec elles. Par exemple, le cabinet-conseil mondial Deloitte place le concept des parties prenantes dans un cadre de gestion du risque et a mis au point des outils et des services pour ses clients, lesquels ont pour but d’indiquer le processus structuré à suivre pour l’élaboration, la conception, la mise en œuvre et le contrôle d’un plan de coopération avec les parties prenantes et la production de rapports à cet effet. Hay Group, un cabinet-conseil de gestion à l'échelle mondiale se spécialisant dans la rémunération des hauts dirigeants, a publié un guide strict et détaillé sur la rémunération durable. Ce guide peut aider les administrateurs et les hauts dirigeants à établir des paramètres en lien avec les parties prenantes et à repenser le système de rémunération selon une vision à long terme.35

35 Hay Group, Sustainable Remuneration: A Guide for Linking Sustainable Goals to Executive Incentives, janvier 2010.

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UNE CRISE, QUELLE CRISE ?

Repenser la conception et recommandations

Lorsque le blindage a fait son apparition sur les navires vers la fin du dix-neuvième siècle, les batailles navales se déroulaient à distance rapprochée. Les obus, suivant une trajectoire basse, frappaient les meurtrières situées sur les flancs des navires. Pour cette raison, c’est à cet endroit qu’on y installait le blindage le plus épais. Mais au moment où la Grande Guerre a éclaté, les navires étaient désormais équipés de canons à longue portée. Lors de la bataille du Jutland, les obus allemands tirés à partir d’un endroit beaucoup plus éloigné suivaient une trajectoire élevée et s’abattaient sur les ponts mal blindés des croiseurs de bataille britanniques, les faisant exploser. Après la bataille du Jutland, les Britanniques, réalisant cette faille, ont modifié la conception de leurs navires et les ont modernisés.

Une restructuration de la rémunération des hauts dirigeants s’impose. La primauté des actionnaires, et les modèles de rémunération des hauts dirigeants qui y sont connexes, doivent faire place à une théorie selon laquelle l’objectif de la société consiste à fournir une valeur durable à long terme à toutes les parties prenantes. Les hauts dirigeants devraient être incités à adopter une vision à long terme et à tenir compte des intérêts d’un grand nombre de bénéficiaires potentiels. En agissant de la sorte, ils peuvent éviter les conflits, réduire les coûts et saisir les occasions qui assurent la pérennité de la société qu’ils dirigent.

Faire valoir la théorie des parties prenantes comme fondement à la rémunération des hauts dirigeants ne sera pas une mince tâche : la primauté des actionnaires est désormais ancrée dans notre esprit et bon nombre de gens ont intérêt à ce que ce mode de pensée soit maintenu en raison d’avantages pécuniaires importants.

Voici nos recommandations :

1. Cesser de véhiculer le mythe selon lequel les « actionnaires sont propriétaires de la société ». Nous détenons des titres et avons des droits précis, mais les biens de la société ne sont pas à notre disposition.

Bien que les actionnaires jouissent de droits uniques reconnus par la loi, ils ne dirigent pas les biens de la société. L’affirmation selon laquelle les actionnaires sont propriétaires est fausse. Si on continue de la véhiculer, le cadre des discussions au sein des sociétés s’en trouve restreint, ce qui limite le champ d’action des administrateurs et des hauts dirigeants. Les actionnaires doivent intégrer leurs perspectives dans un cadre plus large.

2. Encourager les sociétés à trouver des moyens d’offrir un bénéfice à toutes les parties prenantes, et non seulement aux actionnaires. Des lignes directrices sur la façon d’identifier les parties prenantes et d’entrer en relation avec elles ont déjà été établies.

Les actionnaires doivent reconnaître, protéger et utiliser leurs droits de façon responsable tout en encourageant les sociétés à adopter des mécanismes officiels pour être à l’écoute des préoccupations des parties prenantes et veiller à ce qu’elles profitent aussi des activités de la société.

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UNE CRISE, QUELLE CRISE ?

Bon nombre de sociétés de premier plan coopèrent déjà avec les parties prenantes sur une base régulière et structurée par le truchement de programmes de coopération avec les employés, de comités de liaison avec la communauté, ou de panel des parties prenantes. Ces sociétés ont recours aux guides d’orientation, aux initiatives de l’industrie et aux cabinets-conseils partout dans le monde pour éclairer cette démarche.

3. Encourager les sociétés à fixer des indicateurs de performance précis et mesurables sur le plan environnemental, social et de la gouvernance (ESG) qui sont aussi liés aux intérêts des parties prenantes. Ces critères devraient avoir une place tout aussi importante que celle des indicateurs financiers dans la structure de rémunération des hauts dirigeants. Les investisseurs devraient insister sur une corrélation claire et cohérente entre tous les indicateurs de performance et la rémunération offerte.

Les indicateurs de mesures sur le plan environnemental, social et de la gouvernance devraient être adaptés aux besoins spécifiques des parties prenantes de la société et ainsi varier d’une industrie à l’autre, et d’une société à l’autre. Des outils d’orientation servant à dresser le profil des parties prenantes et à identifier les indicateurs ESG sont déjà disponibles. Des indicateurs financiers, comprenant le cours de l’action, doivent être conservés. Les sociétés doivent jouir d’une bonne santé financière si elles veulent prospérer et les actionnaires sont des parties prenantes à part entière. En ne prêtant pas suffisamment d’attention au cours de l’action, on risque de nuire aux autres formes de financement et d'encourager les prises de contrôle hostiles.

Que les indicateurs s’appuient sur les données financières ou les données ESG, les sociétés doivent divulguer les critères et le processus utilisés pour le calcul de la rémunération totale accordée. Les sociétés ont tendance à fournir un aperçu de leur philosophie en matière de rémunération et des montants versés, mais omettent de divulguer les calculs utilisés pour arriver à ces montants. La ventilation de la rémunération devrait exposer la structure de rémunération, ce qui comprend les indicateurs, les objectifs, les résultats et la pondération à la base des facteurs de performance de la société.

Le CN et la santé et la sécurité

En 2007, Fonds Éthiques a déposé une proposition des actionnaires enjoignant la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) à fournir le détail des objectifs sur le plan environnemental, social et de la gouvernance utilisés pour l’évaluation de la performance dans un contexte de rémunération des hauts dirigeants, avec une attention particulière sur les objectifs de performance sur le plan de la sécurité. La raison du dépôt de cette proposition s’explique par le fait qu’en dépit d’une performance médiocre sur le plan de la sécurité cette année-là, le chef de la direction s’est vu remettre la prime maximale en vertu d’un régime qui devait tenir compte de cet indicateur. À la suite de notre proposition, la société a mis en branle un programme visant à améliorer la performance sur le plan de la sécurité, mais aussi à assurer un lien plus rigoureux entre la sécurité et la rémunération. Après avoir repris les discussions avec la société en 2011, nous avons constaté des progrès encourageants dans la divulgation des renseignements sur la rémunération au sein du CN dans la circulaire d’information de 2012, notamment l’inclusion d’une corrélation avec certains indicateurs de sécurité clés. En 2012, le CN était l’une des quelques sociétés à avoir tenu un vote consultatif sur la rémunération qui nous a permis de nous prononcer sur le régime de rémunération des hauts dirigeants.

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UNE CRISE, QUELLE CRISE ?

4. Reconnaître que les actionnaires ne sont pas tous pareils. Encourager les sociétés à faire appel à des organismes d’investissement partageant un intérêt pour la création de valeur à long terme. Cette mesure peut être illustrée au moyen d’énoncés publics relatifs à la philosophie en matière d’investissements, de périodes de détention et de chiffres d’affaires.

Les actionnaires qui approchent les sociétés devraient avoir un intérêt positif substantiel dans la société et partager un objectif de création de valeur durable à long terme. Cela signifie que les actionnaires responsables devraient collaborer avec les sociétés pour réduire les droits des investisseurs prédateurs bénéficiant d’une position à fort effet de levier, mais n’ayant aucun engagement à long terme envers les sociétés dans lesquelles ils investissent. En confrontant ces institutions, les investisseurs responsables devraient réclamer une limite des effets de levier, des obligations plus larges en matière de divulgation des positions nettes, des droits de vote accrus pour les investisseurs détenant des actions pour une période minimale (comme c’est le cas en France) ou l'acquisition de droits de vote en fonction du temps et d’autres règles visant à freiner la capacité de tels fonds à inciter les sociétés ouvertes à prendre des décisions risquées.36

5. Accroître la divulgation de la participation auprès des sociétés et garantir que cette participation soit menée avec comme objectif la création de valeur durable à long terme.

Les investisseurs socialement responsables devraient faire état de procédures et de politiques de prises de décisions claires en ce qui a trait à la gouvernance et à la rémunération des hauts dirigeants des sociétés dans lesquelles ils investissent. Les actionnaires devraient se préoccuper de la situation particulière de la société concernée plutôt que de l’application figée de stratégies de collaboration telles que la rédaction de lettres à partir d’un gabarit et le dépôt de propositions par les actionnaires. Les décideurs devraient être outillés adéquatement et respecter des normes pertinentes sur le plan des compétences et de l’expérience. En déléguant le processus d’engagement, les mandataires participant aux processus d’investissement ne sont pas exemptés de leurs responsabilités. Ils devraient être en mesure de justifier aux bénéficiaires certaines mesures prises en leur nom.

La collaboration avec les sociétés est non seulement un droit, mais aussi une responsabilité. Les actionnaires devraient adopter et divulguer des codes de conduite relatifs à leurs programmes de collaboration et envisager d’adhérer au Statement of Principles on Institutional Shareholder Responsibilities du International Corporate Governance Network et aux Principles for Governance Monitoring: Voting and Shareholder Engagement de la Coalition canadienne pour la bonne gouvernance. Dans la mesure où ces principes font référence à la primauté des actionnaires, les actionnaires responsables devraient approcher les membres de la coalition et plaider en faveur de révisions.

36 STRINE, Leo E. Jr., One Fundamental Corporate Governance Question We Face: Can Corporations Be Managed for the Long-term Unless Their Powerful Electorates Also Act and Think Long-term, The Business Lawyer, novembre 2010.

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6. Accepter le recours légitime au jugement discrétionnaire des comités de rémunération qui désirent s’écarter des formules de rémunération. Toutefois, insister sur le fait de recourir au jugement discrétionnaire avec parcimonie. Les conseils d’administration devraient divulguer les occasions où le recours au jugement discrétionnaire a été utilisé, la façon dont il a été utilisé et la raison pour laquelle il a été utilisé.

Pour obtenir un résultat équitable et raisonnable, il peut parfois être nécessaire d'avoir recours au jugement discrétionnaire. Le conseil d’administration est assujetti à une obligation fiduciaire d’exercer un jugement informé et il ne peut renoncer à cette obligation pour s’appuyer sur une formule. Toutefois, le jugement discrétionnaire ne doit pas être utilisé de façon arbitraire. Lorsqu’on y a recours, les actionnaires devraient demander la divulgation de tous les arguments judicieux qui ont servi à déterminer la rémunération des hauts dirigeants.

7. Exercer son droit de vote sur la rémunération des hauts dirigeants telle qu’elle est proposée par la direction (vote consultatif) et expliquer au comité de rémunération la raison de toute objection afin que les sociétés

améliorent leurs pratiques.

Les votes consultatifs sur la rémunération des hauts dirigeants permettent aux actionnaires de bénéficier d’un vote non exécutoire sur le régime de rémunération des sociétés. Au Royaume-Uni et aux États-Unis, la tenue de ce type de vote est obligatoire pour la plupart des sociétés ouvertes, mais elle est volontaire au Canada. Les actionnaires ont peu d’occasions de transmettre publiquement leurs commentaires aux sociétés dans lesquelles ils possèdent une participation. Ils devraient profiter pleinement de ce mécanisme pour exprimer leur point de vue sur les régimes proposés de rémunération des hauts dirigeants. Les investisseurs dans les régimes de retraite, contrairement aux fonds communs de placement, ne sont pas tenus de divulguer leurs activités liées aux votes par procuration. Malgré tout, ces investisseurs devraient divulguer la raison sous-jacente à leurs votes, à tout le moins pour les affaires très médiatisées.

8. Prôner l’élimination des options, à l’exception des entreprises en démarrage et d’autres situations où les entreprises pourraient ne pas avoir les ressources pour attirer les talents dont ils ont besoin. Les options sont complexes, susceptibles d’être manipulées, et ont pour effet de récompenser excessivement les hauts dirigeants d’après un indicateur

de performance unique et discutable.

La rémunération des chefs de la direction par l’octroi d’options a tendance à donner lieu à une prise de risques excessive. Ce type de rémunération est également responsable des écarts considérables qui se creusent entre la rémunération du chef de la direction et les autres hauts dirigeants d’une même société, compromettant ainsi l’équilibre du pouvoir, sapant le moral et compliquant la planification de la succession. Les options sont en outre susceptibles de donner lieu à de la manipulation quant au moment choisi pour annoncer une bonne ou une mauvaise nouvelle, ainsi qu’à d’autres techniques de gestion des résultats. Cela dit, dans certaines circonstances spéciales, le recours aux options peut s’avérer approprié et efficace, comme dans le cas d’une entreprise en démarrage ne disposant pas des trésoreries nécessaires pour rémunérer adéquatement les hauts dirigeants.

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9. S’assurer le concours des responsables des politiques et des organismes

de normalisation pour améliorer les pratiques en matière de rémunération

des hauts dirigeants. Les organismes de réglementation ont la capacité

d’améliorer les pratiques en matière de divulgation et de rémunération.

Les actionnaires ont l’obligation de contribuer à uniformiser les règles du

jeu pour éviter aux sociétés qui adoptent des pratiques exemplaires d’en

subir les contrecoups.

Les votes par procuration, les votes consultatifs des actionnaires sur la rémunération et la collaboration peuvent être des moyens efficaces de transmettre aux sociétés le point de vue des investisseurs et de provoquer des changements. Les investisseurs peuvent également demander que des changements soient apportés à la réglementation afin de resserrer les exigences auxquelles les sociétés doivent se conformer.

Les investisseurs disposent de nombreuses façons de faire connaître leurs points de vue sur les pratiques optimales de rémunération des hauts dirigeants auprès des gouvernements, des organismes de réglementation et d’autres organismes de normalisation.

S’assurer le concours des responsables des politiques

En 2007, Fonds Éthiques a fait parvenir aux Autorités canadiennes en valeurs mobilières ses observations concernant la Déclaration de la rémunération de la haute direction qu’elles proposaient. Fonds Éthiques a salué les efforts consentis pour améliorer la transparence et la divulgation en ce qui a trait à la rémunération des hauts dirigeants, en plus d’encourager une imputabilité accrue des comités de rémunération. Fonds Éthiques a en outre encouragé les Autorités canadiennes en valeurs mobilières à resserrer la réglementation imposant aux sociétés de lier à long terme la performance, la rémunération et les facteurs ESG.

En 2009 et 2010, Fonds Éthiques a fait part de ses commentaires à la Coalition canadienne pour une bonne gouvernance en lien avec sa version préliminaire des Principes régissant la rémunération des hauts dirigeants. Dans ses commentaires, Fonds Éthiques recommandait d’inclure la corrélation entre la rémunération et les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance, d’encourager la mise en place d’un processus indépendant de prise de décisions touchant la rémunération, et de promouvoir une plus grande imputabilité envers les actionnaires par le truchement de votes consultatifs. À cette même période, Fonds Éthiques a transmis ses observations aux Autorités canadiennes en valeurs mobilières concernant la révision proposée de sa politique de gouvernance d’entreprise et des exigences en matière de rapports. Fonds Éthiques a souligné en outre l’importance d’assurer l’indépendance des comités de rémunération.

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UNE CRISE, QUELLE CRISE ?

En 2010, Fonds Éthiques a émis ses commentaires sur les Principes régissant la surveillance des risques des entreprises élaborés par l’International Corporate Governance Network. Par nos commentaires, nous avons attiré l’attention sur un élément essentiel de la surveillance des conseils d’administration, soit l’harmonisation de la rémunération des hauts dirigeants avec la stratégie de l’entreprise. Cette même année, Fonds Éthiques est revenu à la charge auprès des Autorités canadiennes en valeurs mobilières en ce qui a trait aux changements qu’elles proposaient d’apporter à la Déclaration de la rémunération de la haute direction. Fonds Éthiques a suggéré une fois de plus qu’elles renforcent les règles favorisant la divulgation de la corrélation entre la performance ESG et la rémunération.

10. Lancer des discussions concernant le plafonnement de la rémunération

des hauts dirigeants et prendre part à ces discussions. Le taux

d’augmentation de la rémunération des hauts dirigeants n’est pas viable.

Les discussions sur le plafonnement doivent commencer.

Le plafonnement de la rémunération des hauts dirigeants est désormais un sujet sur le tapis. Dans le graphique ci-dessous, nous utilisons un taux d’augmentation moyen de la rémunération des hauts dirigeants sur deux ans de 21,5 %, composé sur 10 ans. Conformément à ce scénario de continuité, la rémunération moyenne des chefs de la direction passerait de 5,8 millions $ en 2011 à 41 millions $ en 2021. Nul doute qu’en extrapolant sur la base des augmentations survenues au cours des dernières années, le système de rémunération n'est pas tenable selon nous. Un jour, cette tendance devra arrêter

Chez Fonds Éthiques, nous appuyons les sociétés qui se fixent des limites sur le plan de la rémunération, mais nous n’avons pas précisé de ratio ni de montant particulier. La communauté d’investisseurs socialement responsables devrait lancer une sérieuse discussion à ce sujet. Les investisseurs devraient sans tarder lancer un appel aux sociétés et aux organismes de réglementation et de normalisation à se pencher sur cette question.

Source: http://www.guardian.co.uk/business/2012/may/02/american-ceos-pay-rise

Years

Croissance projetée de la rémunération moyenne des chefs de la direction (Russell 3000)

Années

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UNE CRISE, QUELLE CRISE ?

Conclusion: Nous avons vu l’ennemi…En ce qui concerne la rémunération des hauts dirigeants au début du 21e siècle, nous suggérons que les actionnaires, en insistant sur le fait que leurs préoccupations sont prépondérantes, sont grandement responsables de l’appui accordé aux versements de ces incitatifs nuisibles pour tous. En appuyant la primauté des actionnaires et les explications simplistes sur la méthode de rémunération des hauts dirigeants, nous nuisons à la création de valeur à long terme pour toutes les parties prenantes et contribuons à la polarisation des revenus et aux dissensions sociales. Par ailleurs, nous contribuons à l’affaiblissement de notre économie, de notre société et des entreprises dans lesquelles nous investissons.

Les investisseurs socialement responsables peuvent contribuer à renverser la vapeur. Depuis plusieurs années, nous sommes nombreux à élaborer nos actions dans l’optique des parties prenantes. Certains parmi nous ont déjà commencé à attirer l’attention sur la rémunération des hauts dirigeants. Certes, il reste encore beaucoup de chemin à parcourir. Nous devons veiller à transmettre le concept des parties prenantes, fournir le temps et l’effort nécessaires pour analyser les régimes de rémunération incitative, donner notre point de vue à cet égard et plaider en faveur de régimes appropriés, tant auprès des sociétés que des organismes de normalisation et de réglementation.

Sur une note plus ambitieuse, nous devons entamer les discussions sur la façon dont les sociétés intègrent de façon officielle le point de vue de toutes les parties prenantes, et nous devons mettre à l’ordre du jour la notion de limitation de la rémunération des hauts dirigeants au moyen de ratios et d’autres mécanismes.

Tout cela doit être accompli avec prudence en gardant l’œil ouvert sur de possibles conséquences non intentionnelles. La rémunération des hauts dirigeants et la motivation humaine sont des sujets délicats, lesquels risquent d’être occultés si l’unique objectif consiste à maximiser la valeur pour les actionnaires. Comme Platon le mentionne dans Le Politique, « Il est donc impossible qu’un principe totalement simple puisse être appliqué à un état de choses qui est le contraire de la simplicité ».

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Clause de non-responsabilité

Placements NEI et Fonds Éthiques sont des marques de commerce déposées de Placements Nord Ouest & Éthiques S.E.C. Les fonds gérés par Placements NEI peuvent détenir ou non des titres émis par les sociétés dont il est question dans ce rappor t. En investissant dans les secteurs dont il est question dans ce rappor t, Placements NEI choisira des titres qui, du point de vue des gestionnaires du fonds, présentent la meilleure occasion d’investissement, que l’émetteur des titres fasse par tie de ce rappor t ou non. Les renseignements et les opinions fournis dans ce rappor t ont été compilés ou proviennent de sources réputées fiables en date des présentes, mais aucune déclaration ni garantie, expresse ou implicite, n’est faite en ce qui a trait à leur précision ou leur exhaustivité. Dans cer tains cas, les renseignements et les opinions fournis dans ce rappor t ont été obtenus auprès d’autres sources ou nous ont été fournis par d'autres sources. En exprimant ses opinions et en fournissant ces renseignements, Placements NEI s’appuie sur des sources réputées fiables en date des présentes; aucune déclaration ni garantie, expresse ou implicite, n’est faite en ce qui a trait à leur précision ou leur exhaustivité. Bien que s’appuyant principalement sur des renseignements accessibles au public ou des renseignements fournis aux auteurs lors de réunions et de communications privées, le rappor t inclut également le point de vue personnel des auteurs. Ce rappor t, et tous les renseignements, toutes les opinions et les conclusions qu'il renferme sont protégés par des droits d’auteur. Ce rappor t ne peut pas être reproduit ni distribué en tout ou en par tie sans le consentement exprès donné par écrit par Placements NEI.