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Page 1: Le théâtre d'Aimé Césaire ou la primauté de l'universalité
Page 2: Le théâtre d'Aimé Césaire ou la primauté de l'universalité

CLÉMENT MBOM Docteur ès Lettres de l'Université de Paris (Paris X-Nanterre)

L E T H É Â T R E D ' A I M É C É S A I R E

ou la primauté de

l'universalité humaine

Préface de Guy Michaud Professeur à l'Université de Paris X

FERNAND NATHAN

Page 3: Le théâtre d'Aimé Césaire ou la primauté de l'universalité

Chez le même éditeur

Les philosophes africains par les textes, par S. Azombo Menda, M. Enobo Kosso

Collection

CLASSIQUES DU MONDE L I T T E R A T U R E A N T I L L A I S E Jacques Stephen ALEXIS Aimé CESAIRE René MARAN Le roman antillais - Tome 1 Le roman antillais - Tome 2 La poésie antillaise

L I T T E R A T U R E A F R I C A I N E Bibliographie des auteurs africains Initiation à la littérature négro-africaine SEYDOU BADIAN Olympe BHELY-QUENUM (nouvelle édition) Bernard DADIE Birago DIOP Epopée Bambara - Tome 1 Epopée Bambara - Tome 2 L'épopée traditionnelle en Afrique Cheikh Hamidou KANE Camara LAYE Ferdinand OYONO La poésie traditionnelle en Afrique Léopold Sédar SENGHOR

L I T T E R A T U R E M A L G A C H E J.J. RABEARIVELO Flavien RANAIVO J. RABEMANANJARA

© Editions Fernand Nathan 1979. Toute reproduction, même partielle, de cet ouvrage est interdite. Une copie ou reproduction par quelque procédé que ce soit, pho- tographie, photocopie, microfilm, bande magnétique, disque ou autre, constitue une contrefaçon passible des peines prévues par la loi du 11 mars 1957 sur la protection des droits d'auteur.

Page 4: Le théâtre d'Aimé Césaire ou la primauté de l'universalité

Préface 4

Avant-propos 6

PREMIER CHAPITRE : Un théâtre politique 11

DEUXIÈME CHAPITRE : « Et les chiens se taisaient »

ou la lutte contre le colonialisme 33

TROISIÈME CHAPITRE : « La Tragédie du Roi Christophe »

ou les pays du tiers monde au lendemain de leurs indépendances . . . . . 51

QUATRIÈME CHAPITRE : « Une saison au Congo »

ou la force omniprésente du néo-colonialisme en Afrique . . . . . 71

CINQUIÈME CHAPITRE : « Une tempête »

ou les deux tendances d'une même lutte 85

SIXIÈME CHAPITRE : Une situation de défaite 101

SEPTIÈME CHAPITRE : La réhabilitation du Nègre

et l'universalité d'Aimé Césaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 115

HUITIÈME CHAPITRE : Le Nègre et l'autorévolution . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135

NEUVIÈME CHAPITRE : Une œuvre pédagogique . . . . . 151

A N N E X E 1

Chronologie de la vie d'Aimé Césaire ..... 165

ANNEXE 2 : Bibliographie ..... 169

Page 5: Le théâtre d'Aimé Césaire ou la primauté de l'universalité

Le théâtre d'Aimé Césaire n'a peut-être jamais été aussi actuel. Celui qui fu t avec Léopold Senghor un des parrains de la « négritude », en se penchant sur le berceau des indépendances, avait su prophétiser pour elles la difficulté d'être et de vivre. Il ne s'agissait pas seulement en effet pour les jeunes nations africaines d'effacer les signes formels d'une aliénation politique, mais surtout de découvrir leur identité et, mieux encore, de se forger une personnalité nouvelle qui leur per- mette de vivre et d'agir au diapason d'un monde en pleine transformation. Dans une telle perspective, l'œuvre de ce poète antillais devenu militant politique est doublement exemplaire. Comme Antillais, il a vécu avec une particulière inten- sité sa double relation conflictuelle avec la culture française et avec l'héritage ancestral et douloureux qui le rattachait par ses fibres les plus profondes à la « Mère Afrique », vis-à-vis de laquelle il pouvait adopter une attitude faite à la fois de sympathie agissante et de recul critique. D'où la lucidité de son diagnos- tic. Poète militant, il a trouvé dans le théâtre à visée politique la forme propre à évoquer pour ses frères africains, en même temps que l'épopée du Nègre à travers l'histoire moderne et contemporaine, et avec des accents prophétiques, la voie d'une authentique libération.

On a déjà beaucoup écrit sur Césaire, ses idées, sa poésie, son théâtre. Mais il manquait jusqu 'ici une étude d'ensemble qui permît non seulement de sai- sir à la fois l'unité et la progression de l'œuvre dramatique, mais d'en pénétrer la signification et d'en mesurer la véritable portée. L'ouvrage de Clément Mbom vient combler cette lacune. D'une lecture aisée, écrit dans un style qui sait éviter la technicité à la mode chez certains critiques, il constitue d'abord une excellente introduction au théâtre de Césaire, dont chaque pièce est située dans son contexte et analysée d'une façon claire, précise et pénétrante. On parcourt ainsi par étapes l'itinéraire du dramaturge, en se familiarisant avec son univers ainsi qu'avec sa langue, qui n 'a pas fini d'étonner par sa vigueur et sa puissance d'évocation poé- tique : vue diachronique d'un théâtre politique dans lequel son auteur « essaie de reconstruire une histoire que l'Histoire a délibérément tronquée ».

Clément Mbom n'eût-il offert que cette lecture attentive et révélatrice d'une dynamique cachée, il faudrait déjà lui en savoir gré. Mais son livre nous apporte beaucoup plus, et c'est dans la deuxième partie que se déploie non sans bonheur cette « critique de signification » que Pierre-Henri Simon définissait comme demandant aux œuvres « ce qu 'elles veulent nous apprendre sur l'homme, sur le monde, sur nous-mêmes ». Or ce que nous apprend le théâtre de Césaire, c'est d'abord que l'entreprise coloniale a créé en Afrique une situation de défaite, où la société est dégradée et le Nègre dégénéré. Dès lors, une double tâche s'impose, dont on peut discerner le dessein à travers toutes ses pièces : démystifier l'image

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du Blanc (Caliban, Lumumba s'y emploient tour à tour) et réhabiliter le Nègre, le « réévaluer », non par l'imitation du Blanc, mais en l'aidant à être lui-même. Il s'agit moins ici pour Césaire d'un « retour aux sources » que d'un engagement dans la vie, dans le monde actuel, d'un sentiment de responsabilité. Et pour être responsable, il faut être libre, pleinement et totalement, c'est-à-dire ne pas se contenter de cette liberté politique issue théoriquement des indépendances, mais conquérir une liberté économique qui reste problématique, et réaliser une libéra- tion culturelle qui sache adapter la tradition africaine au monde moderne. C'est bien une thérapeutique, comme le souligne Clément Mbom, que Césaire propose dans son théâtre aux peuples africains.

Une thérapeutique, mais non une solution. Des lecteurs insuffisamment at- tentifs, partisans ou mal intentionnés ont critiqué le théâtre de Césaire, lui repro- chant son racisme ou son esprit de vengeance et d'agressivité. Clément Mbom a beau jeu de faire justice de telles accusations et de souligner au contraire le mes- sage largement humain de cette œuvre et l'appel qu'elle lance à la fraternité des peuples et des races. Mais précisément ce sont ce refus de la haine, cet humanisme et cette volonté de s'ouvrir à l'Autre qui ont souvent conduit Césaire à adopter sur le plan politique, en ce qui concerne son propre pays, des positions ambiguës et réformistes que lui reproche aujourd'hui une partie de la jeunesse, et qui l'ont peut-être empêché, dans son théâtre, d'aller plus avant vers l'ébauche d'une solu- tion au vaste problème que pose la réinsertion du monde noir et de sa culture dans le monde actuel. Ici l'analyse à laquelle se livre Clément Mbom pour mar- quer les limites de l'œuvre de Césaire me paraît for t pertinente. Il constate en effet que celui-ci ne remonte pas aux causes véritables du drame. Or la prétendue supériorité du Blanc ne provient nullement de quelque privilège biologique, mais de la puissance économique qu'il s'est acquise au cours des derniers siècles. J'insisterais volontiers pour ma part sur le fait que cette puissance, appuyée sur le progrès rapide des sciences et des techniques, a développé chez le Blanc un ethno- centrisme quasi-paranoïaque qui l 'a rendu aveugle jusqu'à nos jours à l'égard des autres civilisations. Et ce serait paradoxalement pour l'Afrique aujourd'hui tom- ber dans le piège que lui tend l'Histoire que de se contenter, comme beaucoup le pensent, de chercher à « rattraper le retard » en imitant le modèle des pays indus- trialisés, alors qu'il s'agit pour elle, ainsi que le souligne Clément Mbom après d'autres, de s'approprier la science et la technique dans un nouveau modèle de société, dont l'avènement suppose de la part de l'Africain une véritable auto- révolutiçn.

A cet égard, le théâtre de Césaire nous apporte aux uns et aux autres une grande leçon. Ses héros choisissent toujours de relever le défi de l'Histoire. S'ils aboutissent à l'échec, c'est qu'ils sont venus trop tôt. Mais ce sont des prophètes et des voyants. Par là, ce théâtre a bien une portée pédagogique. Et l'on ne peut que féliciter Clément Mbom d'avoir su lui consacrer une étude qui, elle aussi, dans sa ferveur lucide, me paraît pouvoir être qualifiée de pédagogique au meil- leur sens du terme. Guy MICHA UD.

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Avant-propos

ils

Batouala,

1

1. MBOM (C.), « Aimé Césaire, poète du renouveau nègre », in Mélanges africains, Paris, Les Presses de la S . P . N . T . , 1973.

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PREMIER CHAPITRE

Un théâtre politique La vie des hommes de tous les temps et de tous les pays, dans ce qu'elle

comporte de joies et de peines, de succès et d'échecs, d'espérances et d'illusions, apparaît dans ses diverses manifestations, selon les époques, les lieux, les couches sociales ou les circonstances considérées, centrée sur la réalisation du destin de l'homme.

Tout se déroule chez l'homme d'après un ensemble de faits, d'événements contingents ou non, émanant parfois de sa volonté et parfois échappant à cette même volonté.

Le problème de sa condition ne peut pas ne pas se situer au premier rang des préoccupations quotidiennes de l'homme. Toutes ses réalisations, toutes ses actions, tous ses projets sont commandés de façon explicite ou implicite par la réponse qu'il apporte à ce problème. Incapable de le supprimer, l'homme cher- che sans cesse par tous les moyens à le résoudre. Tous ses efforts tendent, de loin ou de près, à le cerner, voire à le contrôler et même à en devenir maître. Toutes les branches des activités humaines ne s'expliquent que par ce souci fondamen- tal : l'homme cherche à maîtriser sa condition depuis des millénaires, en un mot à assumer pleinement son destin.

La littérature, dans son acception générale, n'est que l'une des branches des activités de l'homme, lui permettant de se réaliser pleinement. La littérature dite engagée n'est que la forme achevée de la littérature en général, puisque toute lit- térature part de la vie pour revenir à la vie. En effet, toute œuvre, poétique, dra- matique ou romanesque, ne fait que reprendre de façon artistique dans son cadre et selon ses exigences propres sous forme de tableaux, la succession de différentes séquences de la vie. Et voilà affirmée, une fois de plus, l'indéniable interdépen- dance de la littérature et de la vie. Pour expliquer leur indissoluble lien, Pierre- Henri Simon cite la définition que Charles Du Bos donne de la littérature :

La vie et la littérature sont liées l'une à l'autre ; elles sont interdépen- dantes (...) La littérature est avant tout, quoi qu'elle puisse devenir par ailleurs, la vie prenant conscience d'elle-même lorsque dans l'âme d'un homme de génie elle reçoit sa plénitude d'expression .

Sous ce rapport, on peut dire que chaque œuvre, en reprenant les différentes séquences de la vie, reflète un quelconque visage du destin de l'homme. En effet, chaque œuvre humaine essaie de présenter un monde où l'homme envahit tou- jours la scène. Elle cherche à cerner son existence dans le temps et dans l'espace,

1. DU BOS (C.), cité par Henri Simon, in Théâtre et Destin, Paris, Armand Colin, 1966, p. 8.

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l e p l u s s o u v e n t p o u r d o n n e r u n s e n s à s a v i e . C e t t e m i s s i o n e s s e n t i e l l e d e t o u t e

œ u v r e , s e l o n l e s c a s e t l es g e n r e s c o n s i d é r é s , d e v i e n t é v i d e n t e e t p r e n d u n c a r a c -

t è r e t o u t à f a i t p a r t i c u l i e r q u a n d il s ' a g i t d ' u n e œ u v r e t h é â t r a l e 2 E n e f f e t , p l u s

q u e t o u t e a u t r e œ u v r e , le t h é â t r e r e p r o d u i t l a v i e . T o u t e f o i s u n e r e s t r i c t i o n

s ' i m p o s e ic i ; si le t h é â t r e r e p r o d u i t l a v i e , il n ' e s t p a s l a v i e .

M a i s q u e l e s t a l o r s le v é r i t a b l e r a p p o r t e n t r e le t h é â t r e e t l a v i e ? L e t h é â t r e

é v o l u e r a i t - i l d a n s u n m o n d e i r r é e l ? S i l e t h é â t r e é t a i t i r r é e l , il n ' i n t é r e s s e r a i t p e r -

s o n n e . L e s p e c t a t e u r a s s i s t e r a i t a u x s o i r é e s t h é â t r a l e s c o m m e u n a m n é s i q u e e t

c ' e s t u n e e x p é r i e n c e q u ' i l n e r e c o m m e n c e r a i t j a m a i s . O r , s i le s p e c t a t e u r r e v i e n t

a u t h é â t r e , c ' e s t p a r c e q u ' i l y t r o u v e u n e p a r t d e l a r é a l i t é q u o t i d i e n n e . I l n e s ' a g i t

p a s d e l a v é r i t é t o u t e n u e : u n e t e l l e r é a l i t é e s t d i s p e r s é e e t a b s u r d e , d o n c s a n s

b e a u t é . M a i s il s ' a g i t d ' u n e r é a l i t é c o n c e n t r é e , s t y l i s é e , e m b e l l i e . L a c o n s i d é r a -

t i o n d u c a d r e d a n s l e q u e l s e j o u e n t les p i è c e s d e t h é â t r e , d e s p e r s o n n a g e s q u i y

é v o l u e n t s e l o n d e s l o i s e t d e s r è g l e s , m o n t r e c l a i r e m e n t q u ' a u s s i b i e n p o u r

l ' a c t e u r q u e p o u r le s p e c t a t e u r , u n e i n t e r f é r e n c e i n d i s s o l u b l e d u r é e l e t d e l ' i r r é e l

e x i s t e a u t h é â t r e . L e s p e c t a t e u r s a i s i t le l i e n d ' é v é n e m e n t s d i v e r s e t e n m ê m e

t e m p s s e d i t i n t é r i e u r e m e n t q u e c ' e s t j o u é , q u e c ' e s t i r r é e l . I l e n e s t d e m ê m e p o u r

l ' a c t e u r . Q u e l l e q u e s o i t s o n a d h é s i o n a u p e r s o n n a g e , l ' a c t e u r s a i t q u ' i l j o u e ,

q u ' i l e s t a u t r e q u e le p e r s o n n a g e e t c ' e s t p o u r c e t t e r a i s o n q u ' i l j o u e p l u s i e u r s p e r -

s o n n a g e s d a n s d i f f é r e n t e s p i è c e s . I l f a u t r e m a r q u e r q u e d a n s l a r é a l i t é , c e t t e o p é -

r a t i o n r e s t e i n s t a n t a n é e , v é c u e 3 L e s p e c t a t e u r c o m m e l ' a c t e u r v i v e h t le p h é n o -

m è n e s a n s c h e r c h e r à l ' a n a l y s e r . I l s l ' é p r o u v e n t t o u t n a t u r e l l e m e n t e t c ' e s t c e q u i l e u r p e r m e t d e j o u i r d u p l a i s i r q u e d o n n e l e t h é â t r e e t d ' y t r o u v e r d e l ' i n t é r ê t .

H e n r i G o u h i e r a n a l y s e a v e c b e a u c o u p d e p é n é t r a t i o n l e p h é n o m è n e c o n v e n t i o n -

n e l d u t h é â t r e :

L e t h é â t r e v i t d e c o n v e n t i o n s . S u r l a s c è n e , t o u t e s t i l l u s i o n , l e t e m p s ,

l ' e s p a c e , l a l u m i è r e e t l e s g e n s e u x - m ê m e s r e ç o i v e n t u n n o u v e l ê t r e d e

l e u r d é g u i s e m e n t , i c i c ' e s t l ' h a b i t q u i f a i t l e m o i n e .

L ' i n t é r ê t d e c e t t e a n a l y s e r é s i d e d a n s s a c o n c l u s i o n d ' u n e g r a n d e s i m p l i c i t é ;

si l e t h é â t r e n ' e s t p a s l a v i e , il r e n v o i e i n c o n t e s t a b l e m e n t à l a v i e . C a r il p r e n d

n a i s s a n c e d a n s l a v i e . E t c ' e s t e n c o r e H e n r i G o u h i e r q u i é c r i t :

L e s c a t é g o r i e s d r a m a t i q u e s q u a l i f i e n t é v é n e m e n t s e t s i t u a t i o n s q u i

c r é e n t l ' h i s t o r i c i t é d e l ' e x i s t e n c e . P o u r p e r c e v o i r l e t r a g i q u e o u l e

d r a m a t i q u e o u le c o m i q u e d e c e q u i a r r i v e , i l f a u t d o n c q u e c e q u i

a r r i v e s o i t t e n u p o u r e x i s t a n t . C e c i n ' e s t p l u s a f f a i r e d e p e r c e p t i o n ,

m a i s d e j u g e m e n t . E t c e j u g e m e n t n ' e s t p a s s e u l e m e n t le f a i t d e

l ' a c t e u r q u i r e n d l ' a c t i o n p r é s e n t e d a n s l a r e p r é s e n t a t i o n m a i s d u

s p e c t a t e u r p o u r l e q u e l c e t t e p r é s e n c e s i g n i f i e u n e e x i s t e n c e r é e l l e .

2. MICHAUD (G.), L ' Œ u v r e et ses techniques, Paris, Nizet, p. 179. 3. MICHAUD (G.), op. cit., Paris, Nizet 1971, p. 180. 4. GOUHIER (H.) , Théâtre et existence, Paris , Aubier , 1963, p. 25. 5. Ibidem, p. 25.

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T o u t e f o i s s i o n p e u t d i r e q u ' i l e x i s t e u n t h é â t r e d ' é v a s i o n , u n t h é â t r e d e r e d o u -

b l e m e n t , e n g é n é r a l e t à s a l i m i t e s u p é r i e u r e , c ' e s t à p a r t i r d e l a v i e d e t o u s l e s

j o u r s q u e s ' é l a b o r e t o u t t h é â t r e a u q u e l a s s i s t e l e s p e c t a t e u r . C o m m e l e s o u l i g n e

l ' a u t e u r d e T h é â t r e e t e x i s t e n c e , l e d r a m e s e j o u e d ' a b o r d d a n s l e m o n d e a v a n t

d ' ê t r e j o u é s u r l a s c è n e t h é â t r a l e . T e l l e e s t a u s s i l a p e n s é e d e T h o m a s M e l o n e ;

p o u r l u i , l a v i e e s t u n t h é â t r e :

Q u ' i l s ' a g i s s e d u s a v o i r a c q u i s . . . d e l a v o i t u r e , d u c o m p t e e n b a n q u e ,

d e l a r é s i d e n c e , p o u r n e c i t e r q u e c e s q u e l q u e s m a n i f e s t a t i o n s ,

l ' e s s e n t i e l d e l ' e x i s t e n c e s e v i t a u j o u r d ' h u i , b i e n d r a m a t i q u e m e n t , a u -

d e l à d e l a p e r s o n n e , d a n s l e s p e c t a c u l a i r e , d a n s l e t h é â t r a l , d a n s c e t

e n s e m b l e d e s c o n d u i t e s q u e n o u s e x p o s o n s a u r e g a r d d e s a u t r e s , s o u -

v e n t a v e c u n e s a v a n t e m i s e e n s c è n e p o u r l e u r s u g g é r e r , s u i v a n t l e s

é c l a i r a g e s q u e n o u s y m e t t o n s e t l ' a t m o s p h è r e q u e n o u s s u s c i t o n s ,

p o u r l e u r s u g g é r e r u n e c e r t a i n e l e c t u r e d e n o t r e p e r s o n n a l i t é e t l e s

v a l e u r s q u i s o u s - t e n d e n t l e d é r o u l e m e n t g é n é r a l d e n o t r e n u m é r o s u r

l a s c è n e d u t h é â t r e u n i v e r s e l .

Q u e l q u e f o i s , n o s t a l g i e d e n o s p r i v i l è g e s p e r d u s o u d é s i r e f f r é n é

d ' é c h a p p e r à l ' e n n u i . . . n o u s t e n t o n s d e f a i r e m a r c h e a r r i è r e d a n s l e

r e t r a i t d e n o u s - m ê m e s .

O n c o m p r e n d d o n c l ' i m p o r t a n c e q u e r e v ê t à c e n i v e a u u n e é t u d e s o c i o -

h i s t o r i q u e d u r a p p o r t d ' u n t h é â t r e d o n n é a v e c l e d e s t i n d e l ' h o m m e d o n t i l

e m b r a s s e l ' u n i v e r s s p a t i o - t e m p o r e l , à t r a v e r s s e s c a r a c t é r i s t i q u e s e t s e s a s p i r a -

t i o n s l e s p l u s f o n d a m e n t a l e s . C e t t e é t u d e p r e n d u n a s p e c t t o u t p a r t i c u l i e r l o r s q u e

l e t h é â t r e e n q u e s t i o n s e v e u t p o r t e u r d ' u n m e s s a g e . S ' a g i s s a n t d u t h é â t r e d e

C é s a i r e , c ' e s t l e d r a m e d u N è g r e d a n s l e m o n d e .

E n e f f e t , c e N o i r m a r t i n i q u a i s , n é l e 2 5 j u i n 1 9 1 3 à B a s s e - P o i n t e , p e t i t e v i l l e

d e 6 0 0 0 h a b i t a n t s , u n e d e s c o m m u n e s d e l a M a r t i n i q u e d a n s l ' a r r o n d i s s e m e n t d e

S a i n t - P i e r r e , e s t i s s u d ' u n e f a m i l l e d ' e s c l a v e s d o n t l e s a n c ê t r e s r e m o n t e r a i e n t

a u t o u r d e 1 6 4 2 a u x p r e m i e r s N o i r s a r r a c h é s d ' A f r i q u e e t j e t é s s u r u n e t e r r e é t r a n -

g è r e . C o m m e t o u t e s l e s f a m i l l e s d e c e t t e c l a s s e s o c i a l e ,

l a d i s p r o p o r t i o n e s t t e l l e , e n t r e l e l a b e u r f o u r n i e t q u e l q u e s f r a n c s d e

r é t r i b u t i o n , q u e l e m o t s a l a i r e s e r a i t i m p r o p r e . J ' a j o u t e p o u r l e s

s c e p t i q u e s q u ' u n t r a v a i l l e u r g a g n e e n m o y e n n e d e 7 à 1 2 f r a n c s , e t

c e l a p o u r u n e j o u r n é e q u i a t t e i n t t r e i z e h e u r e s .

L a f a m i l l e d e C é s a i r e e s t p a u v r e , c o m m e l e m o n t r e l a d e s c r i p t i o n q u ' i l n o u s

f a i t d e s a m a i s o n n a t a l e :

A u b o u t d u p e t i t m a t i n , u n e a u t r e p e t i t e m a i s o n q u i s e n t t r è s m a u -

v a i s , d a n s u n e r u e t r è s é t r o i t e , u n e m a i s o n m i n u s c u l e q u i a b r i t e e n s e s

6. MELONE (T.), « La vie africaine et le langage théâtral », in Actes du colloque sur le théâtre négro- africain, Paris, Présence Africaine, 1971, pp. 143-144.

7. Il s'agit de l'ancien franc français, qui est l'équivalent de la moitié du franc C.F.A., c'est-à-dire chez nous 50 centimes en fait.

8. QUITMAN (M.-S.), « Paradis sur terre », in revue Légitime Défense, Paris, 1930, pp. 5-6.

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entrailles de bois pourri des dizaines de rats et la turbulence de mes six frères et sœurs, une petite maison cruelle dont l'intransigeance affole nos fins de mois et mon père fantasque, grignoté d'une seule misère, je n 'ai jamais su laquelle, qu 'une imprévisible sorcellerie assoupit en mélancolique tendresse ou exalte en hautes flammes de colère ; et ma mère dont les jambes pour notre faim inlassable péda- lent de jour, de nuit, je suis même réveillé la nuit pas ses jambes inlas- sables qui pédalent la nuit et la morsure âpre dans la chair molle de la nuit d'une Singer que ma mère pédale, pédale pour notre faim et de jour et de nuit 9

La maigre rétribution de son père, petit fonctionnaire, et les petites sommes que sa mère gagnait avec des travaux de couture, permettaient tout juste à cette famille de sept enfants de ne pas mourir de faim. Comme il le note lui-même dans le Cahier d'un retour au pays natal :

Et ni l'instituteur dans sa classe, ni le prêtre au catéchisme ne pour- ront tirer un mot de ce négrillon somnolent, malgré leur manière si énergique à tous deux de tambouriner son crâne tondu, car c'est dans les marais de la faim que s'est enlisée sa voix d'inanition (un-mot-un- seul-mot-et-je-vous-en-tiens-quitte-de-la-reine-Blanche-de-Castille, un-mot un-seul-mot, voyez-vous-ce-petit-sauvage-qui-ne-sait-pas- un-seul-des-dix-commandements-de-Dieu), car sa voix s'oublie dans les marais de la faim, et il n'y a rien à tirer vraiment de ce petit vau- rien, qu 'une faim qui ne sait plus grimper aux agrès de sa voix, une faim lourde et veule, une faim ensevelie au plus profond de la Faim de ce morne famélique .

La scolarité de Césaire au niveau primaire n'a d'ailleurs pas été des plus bril- lantes, et pour cause : « Ventre affamé n'a point d'oreilles. » Cependant, reçu au concours des bourses, il entre au lycée Schœlcher à Fort-de-France où, délivrée de la grande faim, son intelligence commence à se signaler à mesure qu'il avance, et plus particulièrement à partir de la seconde et de la première où il se classe déjà parmi les meilleurs. En terminale, l'arrivée de Damas, qui a dans l'ensemble les mêmes vues que lui, donne un tour nouveau à sa vie. Loin de mépriser les autres Noirs, ils cherchent à s'entendre et à sympathiser avec tout le monde. Reçu au baccalauréat, il part en France en 1932 et entre en « hypo-khâgne » au lycée Louis-le-Grand pour préparer le concours d'entrée à l'École Normale Supérieure de la rue d'Ulm où il est brillamment reçu et d'où il sortira quelques années plus tard, bien que brillant étudiant, sans agrégation. Selon certains témoignages, cet échec semble plus dû aux circonstances du moment et à ce que représentait déjà Aimé Césaire qu'à une baisse, ou encore moins à une défaillance intellectuelle. Senghor, son ami de toujours et qui le connaît parfaitement, déclarera plus tard :

9. CÉSAIRE (A.), Cahier d ' u n re tour au p a y s natal, Présence Africaine, Paris, 1956, p. 38. 10. CÉSAIRE (A.), op. cit., pp. 30-31.

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Nous avons commencé à nous fréquenter au lycée Louis-le-Grand. Il venait souvent à la Cité et moi j'allais chez lui. Il habitait à ce moment-là à Cachan, dans un hôtel. Nous avions des discussions longues, passionnées, vraiment nous menions une vie de ferveur, une vie de militants, nous étions dans une tension perpétuelle. C'était un homme extrêmement cultivé, curieux de tout, lisant tout. Il aurait pu préparer l'agrégation de lettres, naturellement, mais tout aussi bien l'agrégation de grammaire ou de philosophie, d'histoire et de géogra- phie, d'anglais et d'italien. Je me rappelle, il lisait Dante dans le texte. C'était un garçon extraordinaire, se posant des tas de questions métaphysiques 11

Ce témoignage montre la valeur d'Aimé Césaire. Marié à une Martiniquaise, Suzanne, Césaire avait continué à mener une activité intense auprès du milieu estudiantin. C'est ainsi qu'il participe activement à la mise en place du mouve- ment de la Négritude dans la revue Étudiant noir, aux côtés de Senghor.

En 1939, à la suite de la déclaration de la Deuxième Guerre mondiale, il rentre chez lui pour le lycée Schœlcher, mais cette fois-ci en qualité de professeur. Sa présentation, sa manière d'enseigner, ses relations avec les élèves et avec ses collè- gues transformèrent complètement l'allure générale de l'établissement. Les élè- ves, jusque-là habitués aux vieux maîtres confinés dans leurs méthodes surannées et désuètes, avaient perdu le goût du travail et de l'émulation. L'arrivée de Césaire apporta une véritable renaissance au lycée, au dire de M. Herman Lor- tho, ancien élève de Césaire, aujourd'hui professeur au collège Kléber, à Dakar.

Aimé Césaire fi t son entrée pour la première fois au lycée Schœlcher en octobre 1940, il avait vingt-six ans. Pendant quelques jours, nous regardâmes avec curiosité ce jeune homme qui nous faisait alors l'effet d'un original. Demi-sourire aux lèvres, toujours vêtu du même complet vert à carreaux, il tranchait sur les pontifiantes vieilles bar- bes fleuries de morgue qui changeaient leur costume de toile deux fois par jour. Puis il nous sembla remarquer quelque chose d'inso- lite, des élèves se réunissaient pour discuter, on parlait du journal de classe, de poésie, de surréalisme. Bref, le lycée jusqu 'alors doucement somnolent se réveillait ; il respi- rait. Un flot d'idées s'emparait des jeunes esprits qui se découvraient souvent des vocations. Jusque-là Virgile et Sophocle nous avaient peu parlé, nous y plongeâmes avec délices. Et quelle stupeur lorsqu 'on annonça les résultats du bac ; pas un seul échec en sections A (latin-grec). A juste titre, on attribua ce résultat sans précédent à la valeur du nouveau professeur, dont l'influence commençait d'ail- leurs à s'étendre au-delà du cadre de ses propres classes : les élèves des classes parallèles en étaient à recopier et apprendre ses cours, à traiter les sujets « à Césaire », les résultats furent stupéfiants : on n'enregistra plus aucun échec en A, mieux encore, des élèves de

11. SENGHOR (L.S.) , interview accordée à J e u n e Afr ique, 30 octobre 1966.

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seconde ayant suivi cet exemple se présentèrent et fu ren t reçus sans difficulté. Bientôt l 'assurance du succès f u t si bien établie que les élè- ves de la seconde moderne, j u squ 'alors réfractaires au français, utili- sèrent les « Cours Césaire » p o u r obtenir eux aussi des notes incroya- bles en dissertation (18-17/20). En janvier 1942, on lui confia aussi la troisième A, d 'une faiblesse notoire, qui bientôt pour t an t ne se découragea plus, et eut à cœur de fa i re vivre des langues prétendues mortes. De sorte qu 'en février, il présenta le même texte de thème grec aux élèves de première et troi- sième en appliquant le même barême de correction ; la p lupar t des troisièmes avaient obtenu bien au-delà de la moyenne. L' idolâtr ie succéda bientôt à l 'admiration. Son physique, son allant, la considération qu 'il nous témoignait, sa gentillesse sans familiarité, tout contribuait à en fa i re le dieu de notre jeunesse ; à son contact s 'exaltait notre désir de toujours mieux faire, avec la crainte de n 'être pas digne de lui. Malheureusement, notre chance ne dura pas. Nous perdîmes bientôt Césaire p o u r retomber sous la coupe des vieilles barbes, pareilles à elles-mêmes, sans aucun progrès. Doucement, nous allions recommencer à nous étouffer. Happé p a r un autre démon (celui de la politique), Césaire disparut hélas définitivement de notre horizon 12

S'il réussit au lycée, par contre, Aimé Césaire, parce que très nationaliste, aura des ennuis avec les représentants du gouvernement vichyssois. Élu député du parti communiste en 1944, en sa qualité d 'homme politique, il va, sous la domi- nation du parti communiste, qui impose une discipline très rigoureuse, sauver son peuple, tour à tour en soutenant la thèse « assimilationniste » et la loi qui institue la Martinique département français. Il quitte ce parti en 1956 par une let- tre adressée à Maurice Thorez, où il déclare notamment :

Nous, hommes de couleur... avons dans notre conscience pris posses- sion de tout le champ de notre singularité... Singularité de notre situation dans le monde qui ne se confond avec nulle autre... de nos problèmes qui ne se ramènent à nul autre problème.. . de notre his- toire coupée de terribles avatars qui n 'appart iennent qu ' à elle... Qu'en résulte-t-il, sinon que nos voies vers l'avenir... la voie politi- que comme la voie culturelle ne sont pas toutes faites, qu 'elles sont à découvrir et que les soins de cette découverte ne regardent que nous 13

Ce bref aperçu de la vie de Césaire resterait insuffisant pour le comprendre. Si nous ne le complétions par l 'étude de son milieu géographique, économique et social.

12. LORTHO (H.), cité dans « Lit térature Africaine », A imé Césaire, écrivain martiniquais, Nathan, Paris, 1967, pp. 5-6.

13. CÉSAIRE (A.), Le t t re à Maur ice Thorez, Présence Africaine, Paris, 1956, pp. 7-8.

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Les Antilles forment un archipel dans l'océan Atlantique entre les deux Amé- riques. Séparant l'océan de la mer des Antilles, elles se présentent en deux zones distinctes : à l'ouest, les « grandes Antilles » formées principalement d'îles beau- coup plus étendues que les autres : Cuba, Haïti, la Jamaïque et Porto Rico ; à l'est les « petites Antilles » divisées en deux sous-groupes : « les îles du Vent » composées de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Désirade et de Marie- Galante liées à la France... la Barbade et la Trinité dépendant du Common- wealth, et « les îles Sous-le-Vent » au large de la côte du Venezuela. La disparité de ces îles est accentuée non seulement par la configuration du terrain mais encore par leurs différentes appartenances aux puissances occidentales : on a ainsi les Antilles françaises, anglaises, américaines, espagnoles, hollandaises, comme le fait remarquer Daniel Guérin :

Me permettra-t-on une image empruntée à l'esclavage ? De même que, jadis, les enfants d'esclaves étaient vendus à l'encan à des maî- tres différents, arrachés l'un à l'autre, condamnés à ne plus jamais se revoir, les sœurs antillaises ont été asservies séparément au cours de l'histoire, par un petit nombre de prédateurs qui, après avoir détruit leurs liens de parenté, leur ont imposé chacun à chacune leur langue, leur culture, leur religion, leurs mœurs et jusqu'à leurs simagrées, leur domination économique et politique, leur système monétaire et leurs lois. Si bien qu'elles sont, aujourd'hui encore, non pas « antil- laises » mais françaises, anglaises, américaines, hollandaises, espa- gnoles 14

C'est ici que les bateaux des négriers vinrent échouer, apportant à l'homme blanc les instruments qui lui permettront de vivre assez confortablement sur cette terre essentiellement inculte. La raison de la faiblesse et de la pauvreté des Noirs serait selon eux inhérente à leur nature, au fait qu'ils sont nègres, car de tous temps le Nègre a été ainsi et il le restera à jamais.

Dès lors, les Nègres de ces temps et tous leurs descendants connaîtront les mésaventures de l'exil géographique, économique, social et culturel. Séparés à jamais de leurs terres natales, survivant dans un monde qui souhaite leur dispari- tion et ne les tolère temporairement qu'à cause de leur rentabilité, ils furent dissé- minés dans les différentes îles, sans que l'on tienne compte de leur origine régio- nale, de leur appartenance tribale, de leurs relations familiales.

La Martinique a toujours occupé une place appréciable dans le cadre des Antilles françaises. Mais il n'en reste pas moins que cette île à plus d'un titre ren- ferme la majorité des tares de cette région.

Blottie sur 1 100 k m avec environ 300 000 habitants, cette île dont les ressources vitales se limitent à quelques produits tropicaux : canne à sucre, bana- nes, ananas, est plutôt inhospitalière non par sa géographie naturelle, très belle, mais quant à la situation sociale, raciale ; c'est dans ce sens que Césaire écrit dans Tropiques :

14. GUÉRIN (D.), Les Antilles décolonisées, Présence Africaine, Paris, 1969, pp. 25-26.

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Le théâtre d'Aimé Césaire n'a peut-être jamais été aussi actuel. Celui qui fut avec Léopold Senghor un des parrains de la « négritude », en se penchant sur le berceau des indépendances, avait su prophétiser pour elles la difficulté d'être et de vivre. Il ne s'agissait pas seulement en effet pour les jeunes nations africaines d'effacer les signes formels d'une aliénation politique, mais surtout de découvrir leur identité et, mieux encore, de se forger une personnalité nouvelle qui leur permette de vivre et d'agir au diapason d'un monde en pleine transformation. Dans une telle perspective, l 'œuvre de ce poète antillais devenu militant politique est doublement exemplaire (...).

On a déjà beaucoup écrit sur Césaire, ses idées, sa poésie, son théâtre. Mais il manquait jusqu'ici une étude d'ensemble qui permît non seulement de saisir à la fois l'unité et la progression de l'œuvre dramatique, mais d'en pénétrer la signification et d'en mesurer la véritable portée. L'ouvrage de Clément Mbom vient combler cette lacune. D'une lecture aisée, écrit dans un style qui sait éviter la technicité à la mode chez certains critiques, il constitue d'abord une excellente introduction au théâtre de Césaire, dont chaque pièce est située dans son contexte et analysée d 'une façon claire, précise et pénétrante.

Guy Michaud

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