anthologie d’auteurs des siècles...

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Anthologie d’auteurs des siècles passés Sur la Pointe de l’Automne… Création de Lunienne (http://www.lunienne-macro.com/ ) Anthologie compilée, réalisée, mise en page par Pascal Lamachère http://touga.20six.fr/ Les illustrations proviennent d’un concours mis en place dans le cadre du Forum littéraire et artistique : http://leplumorum.free.fr

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Anthologie d’auteurs des siècles passés

Sur la Pointe de l’Automne…

Création de Lunienne (http://www.lunienne-macro.com/)

Anthologie compilée, réalisée, mise en page par Pascal Lamachère

http://touga.20six.fr/

Les illustrations proviennent d’un concours mis en place dans le cadre du

Forum littéraire et artistique : http://leplumorum.free.fr

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Photographie d’Elyse ([email protected])

Voici que la saison décline

Voici que la saison décline, L'ombre grandit, l'azur décroît, Le vent fraîchit sur la colline,

L'oiseau frissonne, l'herbe a froid.

Août contre septembre lutte ; L'océan n'a plus d'alcyon ;

Chaque jour perd une minute, Chaque aurore pleure un rayon.

La mouche, comme prise au piège,

Est immobile à mon plafond ; Et comme un blanc flocon de neige,

Petit à petit, l'été fond.

© Victor Hugo (1802-1885) (Recueil : Dernière gerbe)

Peinture de Liliane Scotto ([email protected])

Ô mes lettres d'amour, de vertu, de jeunesse

Ô mes lettres d'amour, de vertu, de jeunesse,

C'est donc vous ! Je m'enivre encore à votre ivresse ; Je vous lis à genoux.

Souffrez que pour un jour je reprenne votre âge ! Laissez-moi me cacher, moi, l'heureux et le sage,

Pour pleurer avec vous !

J'avais donc dix-huit ans ! j'étais donc plein de songes !

L'espérance en chantant me berçait de mensonges. Un astre m'avait lui !

J'étais un dieu pour toi qu'en mon cœur seul je nomme !

J'étais donc cet enfant, hélas! devant qui l'homme

Rougit presque aujourd'hui !

Ô temps de rêverie, et de force, et de grâce ! Attendre tous les soirs une robe qui passe !

Baiser un gant jeté ! Vouloir tout de la vie, amour, puissance et gloire !

Etre pur, être fier, être sublime et croire A toute pureté !

A présent j'ai senti, j'ai vu, je sais. - Qu'importe ?

Si moins d'illusions viennent ouvrir ma porte Qui gémit en tournant !

Oh ! que cet âge ardent, qui me semblait si sombre, A côté du bonheur qui m'abrite à son ombre,

Rayonne maintenant !

Que vous ai-je donc fait, ô mes jeunes années ! Pour m'avoir fui si vite et vous être éloignées

Me croyant satisfait ? Hélas ! pour revenir m'apparaître si belles,

Quand vous ne pouvez plus me prendre sur vos ailes, Que vous ai-je donc fait ?

Oh ! quand ce doux passé, quand cet âge sans tache,

Avec sa robe blanche où notre amour s'attache, Revient dans nos chemins,

On s'y suspend, et puis que de larmes amères Sur les lambeaux flétris de vos jeunes chimères

Qui vous restent aux mains !

Oublions ! oublions ! Quand la jeunesse est morte, Laissons-nous emporter par le vent qui l'emporte

A l'horizon obscur, Rien ne reste de nous ; notre œuvre est un problème . L'homme, fantôme errant, passe sans laisser même

Son ombre sur le mur !

© Victor Hugo (1802-1885) (Recueil : Les feuilles d'automne)

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L'Automne

Sois le bienvenu, rouge Automne, Accours dans ton riche appareil,

Embrase le coteau vermeil Que la vigne pare et festonne.

Père, tu rempliras la tonne

Qui nous verse le doux sommeil ; Sois le bienvenu, rouge Automne, Accours dans ton riche appareil.

Déjà la Nymphe qui s'étonne, Blanche de la nuque à l'orteil, Rit aux chants ivres de soleil

Que le gai vendangeur entonne. Sois le bienvenu, rouge Automne.

© Théodore de BANVILLE (1823-1891)

(Recueil : Les cariatides)

* * *

La feuille des forêts

La feuille des forêts Qui tourne dans la bise Là-bas, par les guérets,

La feuille des forêts Qui tourne dans la bise,

Va-t-elle revenir Verdir - la même tige ?

L'eau claire des ruisseaux Qui passe claire et vive A l'ombre des berceaux,

L'eau claire des ruisseaux Qui passe claire et vive,

Va-t-elle retourner Baigner - la même rive ?

© Jean MORÉAS (1856-1910)

(Recueil : Les Syrtes)

Automne

Dans le brouillard s'en vont un paysan cagneux

Et son boeuf lentement dans le brouillard d'automne

Qui cache les hameaux pauvres et vergogneux

Et s'en allant là-bas le paysan chantonne

Une chanson d'amour et d'infidélité Qui parle d'une bague et d'un coeur

que l'on brise

Oh! l'automne l'automne a fait mourir l'été Dans le brouillard s'en vont

deux silhouettes grises

Guillaume Apollinaire - (1880-1918) (Recueil : Alcools)

* * *

Chanson d'automne

Les sanglots longs Des violons

De l'automne Blessent mon coeur

D'une langueur Monotone.

Tout suffocant

Et blême, quand Sonne l'heure, Je me souviens

Des jours anciens Et je pleure

Et je m'en vais

Au vent mauvais Qui m'emporte

Deçà, delà, Pareil à la

Feuille morte.

© Paul VERLAINE (1844-1896) (Recueil : Poèmes saturniens)

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Photographie de Catherine ([email protected])

Quand reviendra l'automne avec les feuilles mortes

Quand reviendra l'automne

avec les feuilles mortes Qui couvriront l'étang du moulin ruiné,

Quand le vent remplira le trou béant des portes

Et l'inutile espace où la meule a tourné,

Je veux aller encor m'asseoir sur cette borne, Contre le mur tissé d'un vieux lierre vermeil,

Et regarder longtemps dans l'eau glacée et morne

S'éteindre mon image et le pâle soleil.

© Jean MORÉAS (1856-1910) (Recueil : Les Stances)

L'automne ou les satyres

Hier j'ai rencontré dans un sentier du bois Où j'aime de ma peine à rêver quelquefois, Trois satyres amis ; l'un une outre portait Et pourtant sautelait, le second secouait

Un bâton d'olivier, contrefaisant Hercule. Sur les arbres dénus, car Automne leur chef

A terre a répandu, tombait le crépuscule. Le troisième satyre, assis sur un coupeau,

De sa bouche approcha son rustique pipeau, Fit tant jouer ses doigts qu'il en sortit un son

Et menu et enflé, frénétique et plaisant : Lors ses deux compagnons,

délivres se faisant, De l'outre le premier et l'autre du bâton,

Dansèrent, et j'ai vu leurs pieds aux jambes tortes, Qui, alternés, faisaient

voler les feuilles mortes.

© Jean MORÉAS (1856-1910) (Recueil : Enone au clair visage)

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La chute des feuilles

De la dépouille de nos bois L'automne avait jonché la terre ;

Le bocage était sans mystère, Le rossignol était sans voix.

Triste, et mourant à son aurore, Un jeune malade, à pas lents,

Parcourait une fois encore Le bois cher à ses premiers ans :

" Bois que j'aime ! adieu... je succombe. Ton deuil m'avertit de mon sort ; Et dans chaque feuille qui tombe

Je vois un présage de mort. Fatal oracle d'Epidaure,

Tu m'as dit : " Les feuilles des bois "A tes yeux jauniront encore ;

"Mais c'est pour la dernière fois. "L'éternel cyprès se balance ;

"Déjà sur ta tête en silence "Il incline ses longs rameaux :

"Ta jeunesse sera flétrie "Avant l'herbe de la prairie,

"Avant le pampre des coteaux. " Et je meurs ! De leur froide haleine M'ont touché les sombres autans ;

Et j'ai vu, comme une ombre vaine, S'évanouir mon beau printemps.

Tombe, tombe, feuille éphémère ! Couvre, hélas ! ce triste chemin ; Cache au désespoir de ma mère

La place où je serai demain. Mais si mon amante voilée

Au détour de la sombre allée Venait pleurer quand le jour fuit,

Eveille par un léger bruit Mon ombre un instant consolée. " Il dit, s'éloigne... et, sans retour...

La dernière feuille qui tombe A signalé son dernier jour.

Sous le chêne on creusa sa tombe... Mais son aimante ne vint pas

Visiter la pierre isolée ; Et le pâtre de la vallée

Troubla seul du bruit de ses pas Le silence du mausolée.

©Charles-Hubert MILLEVOYE (1782-1816)

Automne malade

Automne malade et adoré Tu mourras quand l'ouragan soufflera dans

les roseraies Quand il aura neigé

Dans les vergers

Pauvre automne Meurs en blancheur et en richesse

De neige et de fruits mûrs Au fond du ciel

Des éperviers planent Sur les nixes nicettes

aux cheveux verts et naines Qui n'ont jamais aimé

Aux lisières lointaines

Les cerfs ont bramé

Et que j'aime ô saison que j'aime tes rumeurs Les fruits tombant sans qu'on les cueille

Le vent et la forêt qui pleurent Toutes leurs larmes en automne feuille à

feuille

Les feuilles Qu'on foule

Un train Qui roule

La vie S'écoule

© Guillaume Apollinaire - (1880-1918)

(Recueil : Alcools)

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La spirale sans fin dans le vide s'enfonce

La spirale sans fin dans le vide s'enfonce ;

Tout autour, n'attendant qu'une fausse réponse Pour vous pomper le sang,

Sur leurs grands piédestaux semés d'hiéroglyphes, Des sphinx aux seins pointus, aux doigts armés de

griffes, Roulent leur oeil luisant.

En passant devant eux, à chaque pas l'on cogne

Des os demi-rongés, des restes de charogne, Des crânes sonnant creux.

On voit de chaque trou sortir des jambes raides ; Des apparitions monstrueusement laides

Fendent l'air ténébreux.

C'est ici que l'énigme est encor sans Oedipe, Et qu'on attend toujours le rayon qui dissipe

L'antique obscurité. C'est ici que la mort propose son problème, Et que le voyageur, devant sa face blême,

Recule épouvanté.

Ah ! Que de nobles cœurs et que d'âmes choisies, Vainement, à travers toutes les poésies,

Toutes les passions, Ont poursuivi le mot de la page fatale,

Dont les os gisent là sans pierre sépulcrale Et sans inscriptions !

Combien, dons juans obscurs, ont leurs listes remplies

Et qui cherchent encor ! Que de lèvres pâlies Sous les plus doux baisers,

Et qui n'ont jamais pu se joindre à leur chimère ! Que de désirs au ciel sont remontés de terre

Toujours inapaisés !

Il est des écoliers qui voudraient tout connaître, Et qui ne trouvent pas pour valet et pour maître

De Méphistophélès. Dans les greniers, il est des Faust sans Marguerite,

Dont l'enfer ne veut pas et que Dieu déshérite ; Tous ceux-là, plaignez-les !

Car ils souffrent un mal, hélas ! Inguérissable ; Ils mêlent une larme à chaque grain de sable

Que le temps laisse choir. Leur cœur, comme une orfraie au fond d'une ruine,

Râle piteusement dans leur maigre poitrine L'hymne du désespoir.

Leur vie est comme un bois à la fin de l'automne, Chaque souffle qui passe arrache à leur couronne

Quelque reste de vert, Et leurs rêves en pleurs s'en vont fendant les nues,

Silencieux, pareils à des files de grues Quand approche l'hiver.

Leurs tourments ne sont point redits par le poète Martyrs de la pensée, ils n'ont pas sur leur tête

L'auréole qui luit ; Par les chemins du monde ils marchent sans cortège,

Et sur le sol glacé tombent comme la neige Qui descend dans la nuit.

© Théophile Gautier (1811-1872)

* * *

L'Azur

De l'éternel Azur la sereine ironie Accable, belle indolemment comme les fleurs,

Le poëte impuissant qui maudit son génie A travers un désert stérile de Douleurs.

Fuyant, les yeux fermés, je le sens qui regarde

Avec l'intensité d'un remords atterrant, Mon âme vide. Où fuir ? Et quelle nuit hagarde Jeter, lambeaux, jeter sur ce mépris navrant ?

Brouillards, montez ! versez vos cendres monotones

Avec de longs haillons de brume dans les cieux Que noiera le marais livide des automnes, Et bâtissez un grand plafond silencieux !

Et toi, sors des étangs léthéens et ramasse En t'en venant la vase et les pâles roseaux,

Cher Ennui, pour boucher d'une main jamais lasse Les grands trous bleus

que font méchamment les oiseaux.

Encor ! que sans répit les tristes cheminées Fument, et que de suie une errante prison

Eteigne dans l'horreur de ses noires traînées Le soleil se mourant jaunâtre à l'horizon !

- Le Ciel est mort. - Vers toi, j'accours ! Donne, ô matière,

L'oubli de l'Idéal cruel et du Péché A ce martyr qui vient partager la litière

Où le bétail heureux des hommes est couché,

Car j'y veux, puisque enfin ma cervelle, vidée Comme le pot de fard gisant au pied d'un mur,

N'a plus l'art d'attifer la sanglotante idée, Lugubrement bâiller vers un trépas obscur...

En vain ! l'Azur triomphe, et je l'entends qui chante Dans les cloches. Mon âme, il se fait voix pour plus

Nous faire peur avec sa victoire méchante, Et du métal vivant sort en bleus angelus !

Il roule par la brume, ancien et traverse Ta native agonie ainsi qu'un glaive sûr ;

Où fuir dans la révolte inutile et perverse ? Je suis hanté. L'Azur ! l'Azur ! l'Azur ! l'Azur !

© Stéphane MALLARME (1842-1898)

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Création de Serafin (http://stores.lulu.com/spinte)

Parfum exotique

Quand, les deux yeux fermés, en un soir chaud d'automne,

Je respire l'odeur de ton sein chaleureux, Je vois se dérouler des rivages heureux

Qu'éblouissent les feux d'un soleil monotone ;

Une île paresseuse où la nature donne Des arbres singuliers et des fruits savoureux ;

Des hommes dont le corps est mince et vigoureux, Et des femmes dont l'oeil par sa franchise étonne.

Guidé par ton odeur vers de charmants climats,

Je vois un port rempli de voiles et de mâts Encor tout fatigués par la vague marine,

Pendant que le parfum des verts tamariniers,

Qui circule dans l'air et m'enfle la narine, Se mêle dans mon âme au chant des mariniers.

Charles BAUDELAIRE (1821-1867)

(Recueil : Les fleurs du mal)

Une histoire d’automne… (citations)

A l'automne les arbres font des stripteases pour faire pousser les champignons. (Patrick Sébastien - Présentateur de télévision français) C'est à l'automne qu'il faut compter la couvée. (Proverbe russe) L'automne est un andante mélancolique et gracieux qui prépare admirablement le solennel adagio de l'hiver (George Sand - Femme de lettres française) Les nouvelles sont comme les feuilles d'automne. Le vent qui les porte les malmène. (Christian Bobin - Ecrivain français) Automne. Le post-scriptum du soleil. (Pierre Véron - Ecrivain et poète français) L'automne est une mutation, l'hiver une lutte, le printemps un épanouissement. (Anonyme) Quand le chagrin est là, une journée dure autant que trois automnes. (Le Thanh Tong) L'automne est le printemps de l'hiver. (Henri de Toulouse-Lautrec - Peintre et lithographe français) L'automne raconte à la terre les feuilles qu'elle a prêtées à l'été. (Georg Christoph Lichtenberg - Physicien et écrivain allemand)

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Le Confiteor de l'artiste

Que les fins de journées d'automne sont pénétrantes ! Ah ! pénétrantes jusqu'à la douleur ! car il est de certaines sensations délicieuses dont le vague n'exclut pas l'intensité ; et il n'est pas de pointe plus acérée que celle de l'Infini. Grand délice que celui de noyer son regard dans l'immensité du ciel et de la mer ! Solitude, silence, incomparable chasteté de l'azur ! une petite voile frissonnante à l'horizon, et qui par sa petitesse et son isolement imite mon irrémédiable existence, mélodie monotone de la houle, toutes ces choses pensent par moi, ou je pense par elles (car dans la grandeur de la rêverie, le moi se perd vite !) ; elles pensent, dis-je, mais musicalement et pittoresquement, sans arguties, sans syllogismes, sans déductions. Toutefois, ces pensées, qu'elles sortent de moi ou s'élancent des choses, deviennent bientôt trop intenses. L'énergie dans la volupté crée un malaise et une souffrance positive. Mes nerfs trop tendus ne donnent plus que des vibrations criardes et douloureuses. Et maintenant la profondeur du ciel me consterne ; sa limpidité m'exaspère. L'insensibilité de la mer, l'immuabilité du spectacle me révoltent... Ah ! faut-il éternellement souffrir, ou fuir éternellement le beau ? Nature, enchanteresse sans pitié, rivale toujours victorieuse, laisse-moi ! Cesse de tenter mes désirs et mon orgueil ! L'étude du beau est un duel où l'artiste crie de frayeur avant d'être vaincu.

Charles Baudelaire (1821-1867) (Recueil : Le Spleen de Paris

Repris dans Petits poèmes en prose [posth. 1869])

* * *

Adieu

L’automne déjà ! — Mais pourquoi regretter un éternel soleil, si nous sommes engagés à la découverte de la clarté divine, — loin des gens qui meurent sur les saisons. L’automne. Notre barque élevée dans les brumes immobiles tourne vers le port de la misère, la cité énorme au ciel taché de feu et de boue. Ah ! les haillons pourris, le pain trempé de pluie, l’ivresse, les mille amours qui m’ont crucifié ! Elle ne finira donc point cette goule reine de millions d’âmes et de corps morts et qui seront jugés ! Je me revois la peau rongée par la boue et la peste, des vers plein les cheveux et les aisselles et encore de plus gros vers dans le cœur, étendu parmi les inconnus sans âge, sans sentiment.... J’aurais pu y mourir... L’affreuse évocation ! J’exècre la misère. Et je redoute l’hiver parce que c’est la saison du comfort ! — Quelquefois je vois au ciel des plages sans fin couvertes de blanches nations en joie. Un grand vaisseau d’or, au-dessus de moi, agite ses pavillons multicolores sous les [page]brises du matin. J’ai créé toutes les fêtes, tous les triomphes, tous les drames. J’ai essayé d’inventer de nouvelles fleurs, de nouveaux astres, de nouvelles chairs, de nouvelles langues. J’ai cru acquérir des pouvoirs surnaturels. Eh bien ! je dois enterrer mon imagination et mes souvenirs ! Une belle gloire d’artiste et de conteur emportée ! Moi ! moi qui me suis dit mage ou ange, dispensé de toute morale, je suis rendu au sol, avec un devoir à chercher, et la réalité rugueuse à étreindre ! Paysan !

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Suis-je trompé ? la charité serait-elle sœur de la mort, pour moi ? Enfin, je demanderai pardon pour m’être nourri de mensonge. Et allons. Mais pas une main amie ! et où puiser le secours ?

_____________ Oui, l’heure nouvelle est au moins très-sévère. Car je puis dire que la victoire m’est acquise : les grincements de dents, les sifflements de feu, les soupirs empestés se modèrent. Tous les souvenirs immondes s’effacent. Mes derniers regrets détalent, — des jalousies pour les mendiants, les brigands, les amis de la mort, les arriérés de toutes sortes. — Damnés, si je me vengeais ! Il faut être absolument moderne. Point de cantiques : tenir le pas gagné. Dure nuit ! le sang séché fume sur ma face, et je n’ai rien derrière moi, que cet horrible arbrisseau !... Le combat spirituel est aussi brutal que la bataille d’hommes ; mais la vision de la justice est le plaisir de Dieu seul. Cependant c’est la veille. Recevons tous les influx de vigueur et de tendresse réelle. Et à l’aurore, armés d’une ardente patience, nous entrerons aux splendides villes. Que parlais-je de main amie ! Un bel avantage, c’est que je puis rire des vieilles amours mensongères, et frapper de honte ces couples menteurs, — j’ai vu l’enfer des femmes là-bas ; — et il me sera loisible de posséder la vérité dans une âme et un corps.

avril-août, 1873.

Arthur RIMBAUD (1854-1891) (Recueil : Une saison en enfer)

Photographie de Angel

([email protected])

L'Ennemi

Ma jeunesse ne fut qu'un ténébreux orage, Traversé çà et là par de brillants soleils ;

Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage, Qu'il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils.

Voilà que j'ai touché l'automne des idées, Et qu'il faut employer la pelle et les râteaux Pour rassembler à neuf les terres inondées,

Où l'eau creuse des trous grands comme des tombeaux.

Et qui sait si les fleurs nouvelles que je rêve

Trouveront dans ce sol lavé comme une grève Le mystique aliment qui ferait leur vigueur ?

– O douleur! ô douleur! Le Temps mange la vie,

Et l'obscur Ennemi qui nous ronge le coeur Du sang que nous perdons croît et se fortifie!

Charles BAUDELAIRE (1821-1867)

(Recueil : Les fleurs du mal)

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Photographie de Robert Brouat ([email protected])

Rêves d'Automne

Salut ! bois couronnés d'un reste de verdure ! Feuillages jaunissants sur les gazons épars !

Salut, derniers beaux jours ! Le deuil de la nature Convient à la douleur et plaît à mes regards !

Je suis d'un pas rêveur le sentier solitaire,

J'aime à revoir encor, pour la dernière fois, Ce soleil pâlissant, dont la faible lumière

Perce à peine à mes pieds l'obscurité des bois !

Oui, dans ces jours d'automne où la nature expire, A ses regards voilés, je trouve plus d'attraits, C'est l'adieu d'un ami, c'est le dernier sourire

Des lèvres que la mort va fermer pour jamais !

Ainsi, prêt à quitter l'horizon de la vie, Pleurant de mes longs jours l'espoir évanoui, Je me retourne encore, et d'un regard d'envie Je contemple ses biens dont je n'ai pas joui !

Terre, soleil, vallons, belle et douce nature, Je vous dois une larme

aux bords de mon tombeau ; L'air est si parfumé ! la lumière est si pure !

Aux regards d'un mourant le soleil est si beau !

Je voudrais maintenant vider jusqu'à la lie Ce calice mêlé de nectar et de fiel !

Au fond de cette coupe où je buvais la vie, Peut-être restait-il une goutte de miel ?

Peut-être l'avenir me gardait-il encore

Un retour de bonheur dont l'espoir est perdu ? Peut-être dans la foule, une âme que j'ignore

Aurait compris mon âme, et m'aurait répondu ? ...

La fleur tombe en livrant ses parfums au zéphire ; A la vie, au soleil, ce sont là ses adieux ;

Moi, je meurs; et mon âme, au moment qu'elle expire,

S'exhale comme un son triste et mélodieux.

Alphonse de LAMARTINE (1790-1869) (Recueil : Méditations poétiques)

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Photographie de Gefobob ([email protected])

Soleils couchants

J'aime les soirs sereins et beaux, j'aime les soirs,

Soit qu'ils dorent le front des antiques manoirs

Ensevelis dans les feuillages ; Soit que la brume au loin s'allonge en bancs de feu ;

Soit que mille rayons brisent dans un ciel bleu

A des archipels de nuages.

Oh ! regardez le ciel ! cent nuages mouvants, Amoncelés là-haut sous le souffle des vents,

Groupent leurs formes inconnues ; Sous leurs flots par moments

flamboie un pâle éclair. Comme si tout à coup quelque géant de l'air

Tirait son glaive dans les nues.

Le soleil, à travers leurs ombres, brille encor ;Tantôt fait, à l'égal des larges dômes d'or,

Luire le toit d'une chaumière ; Ou dispute aux brouillards

les vagues horizons ; Ou découpe, en tombant sur les sombres gazons,

Comme de grands lacs de lumière.

Puis voilà qu'on croit voir, dans le ciel balayé,

Pendre un grand crocodile au dos large et rayé,

Aux trois rangs de dents acérées ;

Sous son ventre plombé glisse un rayon du soir ;

Cent nuages ardents luisent sous son flanc noir

Comme des écailles dorées.

Puis se dresse un palais. Puis l'air tremble, et tout fuit.

L'édifice effrayant des nuages détruit S'écroule en ruines pressées ;

Il jonche au loin le ciel, et ses cônes vermeils Pendent, la pointe en bas,

sur nos têtes, pareils A des montagnes renversées.

Ces nuages de plomb, d'or, de cuivre, de fer,

Où l'ouragan, la trombe, et la foudre, et l'enfer

Dorment avec de sourds murmures, C'est Dieu qui les suspend

en foule aux cieux profonds, Comme un guerrier qui pend £

aux poutres des plafonds Ses retentissantes armures.

Tout s'en va ! Le soleil, d'en haut précipité,

Comme un globe d'airain qui, rouge, est rejeté

Dans les fournaises remuées, En tombant sur leurs flots

que son choc désunit Fait en flocons de feu jaillir jusqu'au zénith

L'ardente écume des nuées.

Oh ! contemplez le ciel ! et dès qu'a fui le jour,

En tout temps, en tout lieu, d'un ineffable amour,

Regardez à travers ses voiles ; Un mystère est au fond de leur grave beauté,

L'hiver, quand ils sont noirs comme un linceul, l'été,

Quand la nuit les brode d'étoiles.

© Victor Hugo (1802-1885)(Poème tiré du recueil : Les feuilles d'automne)

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Photographie de Malena ([email protected])

Chant d'automne

I

Bientôt nous plongerons dans les froides ténèbres ;

Adieu, vive clarté de nos étés trop courts ! J'entends déjà tomber

avec des chocs funèbres Le bois retentissant sur le pavé des cours.

Tout l'hiver va rentrer dans mon être : colère, Haine, frissons, horreur, labeur dur et forcé, Et, comme le soleil dans son enfer polaire,

Mon coeur ne sera plus qu'un bloc rouge et glacé.

J'écoute en frémissant

chaque bûche qui tombe ; L'échafaud qu'on bâtit

n'a pas d'écho plus sourd. Mon esprit est pareil à la tour qui succombe Sous les coups du bélier infatigable et lourd.

Il me semble, bercé par ce choc monotone,

Qu'on cloue en grande hâte un cercueil quelque part.

Pour qui ? - C'était hier l'été ; voici l'automne !

Ce bruit mystérieux sonne comme un départ.

II

J'aime de vos longs yeux la lumière verdâtre, Douce beauté, mais tout aujourd'hui m'est amer,

Et rien, ni votre amour, ni le boudoir, ni l'âtre,Ne me vaut le soleil rayonnant sur la mer.

Et pourtant aimez-moi,

tendre coeur ! soyez mère, Même pour un ingrat,

même pour un méchant ; Amante ou soeur, soyez la douceur éphémère

D'un glorieux automne ou d'un soleil couchant.

Courte tâche ! La tombe attend ;

elle est avide ! Ah ! laissez-moi, mon front

posé sur vos genoux, Goûter, en regrettant l'été blanc et torride, De l'arrière-saison le rayon jaune et doux !

© Charles BAUDELAIRE (1821-1867)

(Recueil : Les fleurs du mal)

* * * Sonnet d'automne

Ils me disent, tes yeux, clairs comme le cristal :

" Pour toi, bizarre amant, quel est donc mon mérite ? " - Sois charmante et tais-toi ! Mon coeur, que tout irrite,

Excepté la candeur de l'antique animal,

Ne veut pas te montrer son secret infernal, Berceuse dont la main

aux longs sommeils m'invite, Ni sa noire légende avec la flamme écrite. Je hais la passion et l'esprit me fait mal !

Aimons-nous doucement. L'Amour

dans sa guérite, Ténébreux, embusqué, bande son arc fatal. Je connais les engins de son vieil arsenal :

Crime, horreur et folie ! - Ô pâle marguerite ! Comme moi n'es-tu pas un soleil automnal,

Ô ma si blanche, ô ma si froide Marguerite ?

© Charles BAUDELAIRE (1821-1867) (Recueil : Les fleurs du mal)

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La Source

Tout près du lac filtre une source, Entre deux pierres, dans un coin; Allègrement l'eau prend sa course Comme pour s'en aller bien loin.

Elle murmure: Oh! quelle joie! Sous la terre il faisait si noir ! Maintenant ma rive verdoie, Le ciel se mire à mon miroir.

Les myosotis aux fleurs bleues Me disent : Ne m'oubliez pas! Les libellules de leurs queues

M'égratignent dans leurs ébats:

A ma coupe l'oiseau s'abreuve; Qui sait? - Après quelques détours Peut-être deviendrai-je un fleuve

Baignant vallons, rochers et tours.

Je broderai de mon écume Ponts de pierre, quais de granit, Emportant le steamer qui fume

À l'Océan où tout finit.

Ainsi la jeune source jase, Formant cent projets d'avenir;

Comme l'eau qui bout dans un vase, Son flot ne peut se contenir;

Mais le berceau touche à la tombe;

Le géant futur meurt petit; Née à peine, la source tombe

Dans le grand lac qui l'engloutit!

© Théophile Gautier - 19 ème

Dessin de Rêva (http://www.revaremy.com/)

Que j’aime le premier frisson d’hiver...

Que j’aime le premier frisson d’hiver ! le chaume, Sous le pied du chasseur, refusant de ployer !

Quand vient la pie aux champs que le foin vert embaume, Au fond du vieux château s’éveille le foyer ;

C’est le temps de la ville. - Oh ! lorsque l’an dernier,

J’y revins, que je vis ce bon Louvre et son dôme, Paris et sa fumée, et tout ce beau royaume

(J’entends encore au vent les postillons crier),

Que j’aimais ce temps gris, ces passants, et la Seine Sous ses mille falots assise en souveraine !

J’allais revoir l’hiver. - Et toi, ma vie, et toi !

Oh ! dans tes longs regards j’allais tremper mon âme ; Je saluais tes murs. - Car, qui m’eût dit, madame,

Que votre coeur si tôt avait changé pour moi ?

© Alfred de Musset - 1829

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Quand on rentre chez soi, délivré de la rue

Quand on rentre chez soi, délivré de la rue, Aux fins d'automne où, gris cendré, le soir descend

Avec une langueur qu'il n'a pas encore eue, La chambre vous accueille alors tel qu'un absent...

Un absent cher, depuis longtemps séparé d'elle,

Dont le visage aimé dormait dans le miroir ; Ô chambre délaissée, ô chambre maternelle Qui, toute seule, eût des tristesses de parloir.

Mais pour l'enfant prodigue elle n'a que louanges...

L'ombre remue au long des murs silencieux : C'est le soir nouveau-né qui bouge dans ses langes ; Les lampes doucement s'ouvrent comme des yeux,

Comme les yeux de la chambre, pleins de reproche

Pour celui qui chercha dehors un bonheur vain ; Et les plis des rideaux, qu'un frisson lent rapproche,

Semblent parler entre eux de l'absent qui revint.

La chambre fait accueil ; et le miroir lucide Pour l'absent qui s'y mire, est soudain devenu Son portrait-grâce à quoi lui-même il élucide Tant de choses sur son visage mieux connu,

Des choses de son âme obscure qui s'avère Dans ce visage à la dérive où transparaît Son identité vraie au fil nu du portrait,

Pastel qui dort dans le miroir comme sous verre !

© Georges RODENBACH (1855-1898) (Recueil : Le règne du silence - XIII)

* * *

L'hiver qui vient

Blocus sentimental ! Messageries du Levant !... Oh, tombée de la pluie ! Oh ! tombée de la nuit,

Oh ! le vent !... La Toussaint, la Noël et la Nouvelle Année,

Oh, dans les bruines, toutes mes cheminées !... D'usines....

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On ne peut plus s'asseoir, tous les bancs sont mouillés ; Crois-moi, c'est bien fini jusqu'à l'année prochaine,

Tant les bancs sont mouillés, tant les bois sont rouillés, Et tant les cors ont fait ton ton, ont fait ton taine !...

Ah, nuées accourues des côtes de la Manche, Vous nous avez gâté notre dernier dimanche.

Il bruine ;

Dans la forêt mouillée, les toiles d'araignées Ploient sous les gouttes d'eau, et c'est leur ruine.

Soleils plénipotentiaires des travaux en blonds Pactoles

Des spectacles agricoles, Où êtes-vous ensevelis ?

Ce soir un soleil fichu gît au haut du coteau Gît sur le flanc, dans les genêts, sur son manteau,

Un soleil blanc comme un crachat d'estaminet Sur une litière de jaunes genêts

De jaunes genêts d'automne. Et les cors lui sonnent !

Qu'il revienne.... Qu'il revienne à lui !

Taïaut ! Taïaut ! et hallali ! Ô triste antienne, as-tu fini !...

Et font les fous !... Et il gît là, comme une glande arrachée dans un cou,

Et il frissonne, sans personne !...

Allons, allons, et hallali ! C'est l'Hiver bien connu qui s'amène ; Oh ! les tournants des grandes routes,

Et sans petit Chaperon Rouge qui chemine !... Oh ! leurs ornières des chars de l'autre mois,

Montant en don quichottesques rails Vers les patrouilles des nuées en déroute

Que le vent malmène vers les transatlantiques bercails !... Accélérons, accélérons, c'est la saison bien connue, cette fois.

Et le vent, cette nuit, il en a fait de belles !

Ô dégâts, ô nids, ô modestes jardinets ! Mon coeur et mon sommeil : ô échos des cognées !...

Tous ces rameaux avaient encor leurs feuilles vertes,

Les sous-bois ne sont plus qu'un fumier de feuilles mortes ; Feuilles, folioles, qu'un bon vent vous emporte

Vers les étangs par ribambelles, Ou pour le feu du garde-chasse,

Ou les sommiers des ambulances Pour les soldats loin de la France.

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C'est la saison, c'est la saison, la rouille envahit les masses,

La rouille ronge en leurs spleens kilométriques Les fils télégraphiques des grandes routes où nul ne passe.

Les cors, les cors, les cors - mélancoliques !...

Mélancoliques !... S'en vont, changeant de ton,

Changeant de ton et de musique, Ton ton, ton taine, ton ton !... Les cors, les cors, les cors !...

S'en sont allés au vent du Nord.

Je ne puis quitter ce ton : que d'échos !... C'est la saison, c'est la saison, adieu vendanges !...

Voici venir les pluies d'une patience d'ange, Adieu vendanges, et adieu tous les paniers,

Tous les paniers Watteau des bourrées sous les marronniers, C'est la toux dans les dortoirs du lycée qui rentre,

C'est la tisane sans le foyer, La phtisie pulmonaire attristant le quartier,

Et toute la misère des grands centres.

Mais, lainages, caoutchoucs, pharmacie, rêve, Rideaux écartés du haut des balcons des grèves

Devant l'océan de toitures des faubourgs, Lampes, estampes, thé, petits-fours,

Serez-vous pas mes seules amours !... (Oh ! et puis, est-ce que tu connais, outre les pianos,

Le sobre et vespéral mystère hebdomadaire Des statistiques sanitaires

Dans les journaux ?)

Non, non ! C'est la saison et la planète falote ! Que l'autan, que l'autan

Effiloche les savates que le Temps se tricote ! C'est la saison, oh déchirements ! c'est la saison !

Tous les ans, tous les ans, J'essaierai en choeur d'en donner la note.

© Jules LAFORGUE (1860-1887)

(Recueil : Derniers vers)

Anthologie compilée, réalisée, mise en page par Pascal Lamachère http://touga.20six.fr/

Les illustrations proviennent d’un concours mis en place dans le cadre du Forum littéraire et artistique :

http://leplumorum.free.fr

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