anne gabrièle wersinger.sextus empiricus logique

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    DOSSIER La rationalitsceptique

    SEXTUS EMPIRICUSET LA CONSQUENCEINASSIGNABLE: LE SCEPTICISME

    LPREUVE DE LA LOGIQUE1Anne Gabrile Wersinger

    Dans les Esquisses pyrrhoniennes, Sextus Empiricus entreprend de

    rfuter lesunmmenon, qui correspond en logique notre impli-

    cation. Sa rfutation procde circulairement, chacun des quatre

    critres proposs se voyant rfut par le critre qui lui succde,

    de sorte que la dernire rfutation marque implicitement le retour

    la premire. Une telle situation est exemplaire parce quelle

    trouve un trange cho dans la controverse qui oppose leslogiciens du xxe sicle: savoir si la consquence logique peut tre

    rduite la validit du conditionnel matriel ou si elle nexige

    pas plutt ce que les logiciens appellent la pertinence. Envisage

    dans cette perspective, la batterie des rfutations sceptiques

    se rduit au rle dadjuvant dans une controverse qui la dpasse,

    comme si la logique elle-mme devenait sceptique lorsquelle se

    heurte une aporie constitutive.

    Au livre II des Esquisses pyrrhoniennes (110-112), SextusEmpiricus entreprend de rfuter ce que les Grecs appellentle sunmmenon (du verbe sunaptein, nouer ensemble), qui correspond enlogique notre implication ou conditionnel. Dans son opuscule Contre lesLogiciens, livre II, 109, Sextus explique en termes stociens, que limplica-tion est une proposition complexe, forme de deux propositions simples arti-cules par la conjonction de subordination si suivie de ladverbe alors.

    1. Une premire version de cette tude a t prsente lors dune journe scientifique organise lUniversitde Paris-I en 2003, consacre aux rapports du scepticisme et de la logique. Je remercie pour leurs observations cette occasion J. Barnes et tout particulirement F. Rivenc qui a relu cette tude.

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    RUne implication a la structure de lexemple : Sil y a de la fume, alors ily a du feu . Elle est constitue par une suite ou consquence logique, appe-le akolouthia (ce que les Anglais appellent entailment) qui existe entre un

    antcdent (appel hgoumenon le guide ou encoreprton le premier)et un consquent (appel lgon ou encore deuteron, le second). Le problmede Sextus est abord dans ces termes : Ce type de propositions sembleannoncer (epaggellesthai) que le consquent suit de, est entran par (akolou-then) lantcdent, et que, tandis que lantcdent existe (ontos tou hgou-menou), le consquent existera (111-112). Limplication est dite vraiequand la promesse de lannonce est remplie, savoir que le consquent suitde lantcdent, et elle est fausse lorsque la promesse nest pas remplie.

    Le problme de Sextus consiste trouver une implication qui remplissesa promesse. Il sagit de discerner, au sens presque mdical de la diagn-sis, limplication saine (hugis, 118-119)2. Il sagit donc non seulementde se demander quoi lon reconnat la vrit de limplication, ce qui dfi-nit la recherche dun critre de la consquence logique (to ts akolouthiaskritrion, 113), mais aussi den saisir ce qui sappelle le concept compr-hensif (katalpsis) dans la langue stocienne qui est devenue la koin, lalangue philosophique commune lpoque de Sextus.

    Cette question est loin dtre triviale. Rappelons que la logique classiqueinterprte limplication logique en termes vrifonctionnels comme la vali-dit du conditionnel matriel. Le conditionnel si A et B, alors B restetoujours vrai, quels que soient les noncs substitus A et B. La vrit

    du conditionnel est indpendante de tout contenu, les seules valeurs sman-tiques admises tant les valeurs de vrit possibles, le vrai (V) et le faux (F).La notion de validit ainsi explicite repose sur lanalyse extensionnelle delimplication. Pour toutes les distributions de valeurs de vrit dans les combi-naisons possibles, si les prmisses ont la valeur V, la conclusion aussi. Or,la notion de consquence logique qui se dgage de linterprtation vri-fonctionnelle de limplication est que la vrit des prmisses se transmet la conclusion3. La logique classique se dsintresse du rapport entre lesmembres de limplication, pour se concentrer sur sa validit. La questiondu rapport entre lantcdent et le consquent relve des applications utiles

    du conditionnel. Dans la science par exemple, une loi fonde un rapport entrelantcdent et le consquent. Mais cette question doit tre soigneusementdistingue de celle qui porte sur la validit du conditionnel qui autorise uneimplication du genre: Si la France est en Europe, alors la mer est sale.

    Autrement dit, la logique classique se dsintresse de la notion de perti-nence de la consquence.

    Une telle indiffrence na pas clos le dbat des logiciens pour autant: toutes les poques et jusqu nos jours, certains logiciens ont rclam unedfinition logique du lien dinfrence. Ainsi, dans les annes 1970, Andersonet Belnap ont pu crire au dbut de leur ouvrage consacr la Relevant logic,

    2. En dpit de la couleur mdicale de notre terme valide , il convient dtre prudent dans la traduction enraison de sa connotation prcise en logique classique et formelle.

    3. Pour une prsentation de ces notions, F. Rivenc, Introduction la logique pertinente, Paris,PUF, 2005, p. 9sq.

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    R ces lignes provocatrices: la notion de pertinence at nglige par la tradition fregeenne et russelliennede la logique4.

    Il faut avoir cela lesprit pour donner tout sonrelief lanalyse de Sextus. Il sen prend ce quiconstitue selon Belnap et Anderson le cur de lalogique5 , la notion de si alors. Dans une telleperspective, la recherche sur limplication menepar Sextus nest pas rductible une rfutation quonpourrait se contenter de mettre sur le compte duscepticisme no-pyrrhonien et de sa clause suspen-sive : il ny a pas plus de fondement nier qu affir-mer que limplication existe. Une telle rduction manquerait essentiellement

    la ligne mme du dbat sur limplication tel quil est men par Sextus et dontles tapes ressemblent trangement celles que lon retrouve plus tard dansles arguments de Quine lorsquil dfend le point de vue de la logique clas-sique, ceux de Lewis quand il sen prend au contraire la mme logiqueclassique, ceux de Nelson quand il sen prend Lewis, et ceux de Belnapet Anderson quand ils sopposent la fois aux uns et aux autres. Sans doutela mthode mme de la rfutation de Sextus ne possde pas le raffinementtechnique des uns et des autres et cela fait videmment une diffrenceincontournable majeure. Mais il vaut la peine dexaminer la mthode deSextus dans une perspective capable de mettre le scepticisme lpreuve de

    la logique. On a pu soutenir en effet que toute stratgie sceptique se limi-tait parasiter la logique dans la mesure o il est impossible au sceptiquede fourbir ses armes en dehors de la logique. Cest ainsi que les sceptiquesde lAcadmie passent pour avoir emprunt leurs stratgies dialectiques leurs ennemis qui en sont aussi les inventeurs, les Stociens, et cest ainsiaussi que les tropes dAgrippa passent pour tre redevables de la logiquearistotlicienne. Cest donc une banalit que de faire remarquer que le projetde rfuter la logique renferme quelque chose de contradictoire. moins deconsidrer le problme en changeant de perspective, par exemple en obser-vant que lentreprise sceptique a surtout eu pour effet de mettre nu les

    ressorts du discours dogmatique sur la logique : cela signifie alors que lesceptique a contribu manciper la logique de tout assujettissement audiscours du dogmatisme, en attirant lattention sur les points critiques de laphilosophie dogmatique de la logique. Le sceptique mettrait en vidence lesarticulations critiques au sens littral, cest--dire les tournants nvralgiquesdu discours o se produit la dcision, autrement dit le discours de lgiti-mation et ses nuds caractristiques: le principe, la totalit, le systme, lajustification, autrement dit encore les trois grandes structures de larchi-tectonique. Or, si la dconstruction de larchitectonique nest faisable qulintrieur de la logique, cela ne signifie pas ncessairement que le sceptique

    4.A. R.Anderson, N. D. Belnap, Entailment, the Logic of Relevance and Necessity, vol. 1, Princeton UniversityPress, 1975, p. XXI.

    5. The heart of logic, ibid., p. 3.

    La recherche surlimplication

    mene par Sextusnest pas

    rductible une rfutation

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    Rsoit prisonnier de la logique, mais plutt que le sceptique fait voir que lalogique possde un statut singulier dans lensemble des savoirs. La logiqueest capable de servir ou de transgresser loisir le discours dogmatique: cela

    lui confre un pouvoir et un statut trangement autonome et cest cela prci-sment que le sceptique a contribu mettre au jour. Dans cette perspec-tive, il faudrait soutenir que quelque chose dans la logique mme a toujourst sceptique et le sceptique ne fait qupouser le mouvement naturel ouspontan de la logique. Cest cette question quil sagit de mettre lpreuvedans cette tude, partir du cas exemplaire de limplication.

    Lexpos de Sextus procde circulairement, en quatre tapes dont chacuneconstitue la rfutation de celle qui la prcde. Au critre de limplicationle plus faible reprsent par Philon de Mgare selon lequel la consquencelogique est dfinie de manire la fois fluctuante, transitive et ngative,

    succde le critre plus strict de Diodore de Mgare, fond sur la ncessitdu rapport entre les prmisses de limplication. Contre celui-ci, le critre deChrysippe le Stocien oppose le critre le plus fort, la pertinence du rapportentre les prmisses, vritable clef de vote de limplication. Mais son tourelle vole en clats, sous les coups du dernier critre, lemphasis, o lant-cdent reflte le consquent dans un jeu de miroir o la pertinence, carte-

    le entre le principe didentit et lexigence desuccessivit diffrencie, rvle son inassignabilit.Du mme coup, la rfutation, refermant le cercle,revient au point de dpart, le critre de Philon.

    Que signifie cette stratgie sinon que cest lalogique elle-mme qui se rfute sans pour autantperdre quoi que ce soit de son essence? Que penserde la structure logique qui commande lensemblede ce cercle, dessinant une vaste implication? Cettecircularit nest-elle pas structurellement lie lin-dcidabilit de la question de la consquence?

    Philon de Mgare et limplication matrielle

    Tout commence par le critre de Philon de Mgare (IVe sicle avantJ.-C.

    dans lcole des Mgariques).La plupart des commentateurs, sur la foi de lexpos de Sextus dans

    Contre les Logiciens (II, 113-114), admet que la thse de Philon peut treanalyse partir de ce que les logiciens appellent limplication matrielle6. propos du critre de limplication de Philon, Sextus mentionne les tropesdu vrai et du faux (Contre les Logiciens II, 113-114), ce quil semble assi-miler ce quil appelle ailleurs quatre syzygies, quatre attelages du vraiet du faux (suzugin, II, 247). Philon aurait vraisemblablement conu unetable de vrit combinatoire qui rappelle nos tables de vrit logiques7.

    Pour Philon, limplication est vraie de trois manires: si elle commence

    par le vrai et finit par le vrai, comme dans lexemple sil fait jour, il fait

    La thse de Philon

    peut tre analyse partir de ceque les logiciensappellentlimplicationmatrielle

    6. J.-B. Gourinat, La Dialectique des Stociens, Paris, Vrin, 2000 p. 219. 7. R. Muller, Les Mgariques, fragments et tmoignages, Paris,Vrin, 1985, p. 159.

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    R clair ; si elle commence par le faux et finit par le faux comme dans lexem-ple si la terre vole, la terre a des ailes; et si elle commence par le faux etfinit par le vrai comme dans lexemple si la terre vole, la terre existe.

    Trois traits fondamentaux caractrisent limplication de Philon. Le premiertrait est que limplication est purement matrielle : dans lexemple sil faitjour, il fait clair, il ny a aucune ncessit pour que le jour implique la lumire,puisque lon pourrait aussi bien remplacer il fait clair par je parle8.

    Le deuxime trait caractristique est que limplication nglige compl-tement le contenu des propositions et se concentre sur la valeur de vritdes propositions atomiques qui la composent. Ainsi dans lexemple, silfait jour, je parle : il ny a aucun lien conceptuel entre lantcdent et leconsquent.

    Le troisime trait est corrlatif du second. Pour

    Philon, comme le rapporte Sextus dans le passageprcit des Esquisses, cest la ngation de la conjonc-tion du vrai et du faux qui constitue le critre de lim-plication : le rle de la ngation est de fournir unelimite purement exclusive du lien de consquence.

    Ces traits suffisent justifier linterprtation delimplication en termes de conditionnel matriel.Cependant, daprs le rapport de Sextus, on constateque Philon accordait une certaine importance auxcirconstances de la profration de la proposition. Ce souci est particulire-

    ment sensible dans la dfinition du critre telle quelle est expose dans lesEsquisses (II, 110), o Sextus expose la thse de Philon dans ces termes : Philon dclare saine limplication qui ne commence pas par le vrai pourfinir par le faux, par exemple, alors quil fait jour et que je suis en train deparler, sil fait jour, je parle (dialegomai).

    Daprs lexemple offert, Philon pensait limplication partir dun certaintype dnonc conditionnel. Les logiciens modernes appellent ce type dnoncun conditionnel lindicatif. Ils considrent (cest du moins lopinion deQuine)9, que ce type de conditionnel peut toujours tre construit de manirevrifonctionnelle, parce que, aprs que nous avons avanc une affirmation

    concernant lantcdent, si celui-ci se rvle vrai, nous nous considronscomme engags envers le consquent et serons prts reconnatre notreerreur sil se trouve faux10 .

    Telle semble bien aussi tre la manire dont Philon comprenait les non-cs conditionnels lindicatif, comme en tmoigne cet autre exemple expospar Sextus: Limplication nest fausse que dune manire, si elle commencepar le vrai et finit par le faux, comme dans lexemple sil fait jour, il faitnuit; parce que quand il fait jour, lnonc il fait jour est vrai, et le cons-quent il fait nuit est faux (CL II, 114).

    Les propositionschangent de valeur

    de vrit dansle temps de

    leur nonciation

    8. Il ne faut pas ici voquer un argument comme par exemple la lumire pourrait natre dune lampe ou dunfeu quelconque, ce qui ne consisterait une objection valide qu supposer de substituer lun lautre lant-cdent et le consquent dans une implication telle que sil y a de la lumire, il fait jour.

    9. F. Rivenc, Introduction la logique pertinente, Paris, PUF, 2005, p. 18-19. 10. W.V. Quine, Methods of Logic, New York, Holt, 1950, cit par Rivenc, 2005, p. 19.

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    RCes exemples prennent sens tre confronts aux objections du condis-ciple de Philon, Diodore, selon lequel le critre de Philon tait si lche11,quil semblait confondre la condition temporelle et limplication. Cest ce

    que semble suggrer Sextus, quand il voque le critre qui consiste sedemander quandle consquent suit de lantcdent (CL II, 112-113).

    En effet, si Philon admettait quest valide limplication sil fait jour alorsje parle , quand il fait jour et que je parle, cest vraisemblablement parceque sa conception de la proposition tait pour ainsi dire performative. Lavaleur de vrit dune proposition est, dans ce cas, dpendante du temps desa profration et de son nonciation qui constituent des lments dindexi-calit. Mais alors les propositions changent de valeur de vrit dans le tempsde leur nonciation. Cest la thorie qui rapparat chez les Stociens souslappellation les chutes (aximata metapiptonta). Quand je suis silen-

    cieux, la proposition selon laquelle je parle est fausse. Or (et cette objectiontait faite Philon par Diodore), tant fausse, la proposition ne peut plustre analyse comme un consquent dans une implication matrielle. Daprsle tmoignage de Sextus, Diodore poussait la rfutation jusqu lautorf-rence : Avant que je ne commence parler, lantcdent il fait jourtait vrai, mais le consquent je parle tait faux (CL II, 115)12. Philonqui semblait reconnatre linstabilit de la proposition devait admettre ainsila mobilit de son critre de limplication li aux fluctuations du temps dela proposition en tant quelle dpend de lnonciation. Parce quelle estperformative, une mme proposition peut donc cesser ou non dtre une

    implication vraie13.Admettant les fluctuations temporelles lies la performativit, le critre

    de Philon est le plus lche. On pourrait lexprimer par lorsque, alors.Comme Quine, Philon aurait pu dire: Un conditionnel est vrai quelle quesoit labsence de rapport entre lantcdent et le consquent aussi longtempsque napparat pas le cas dun antcdent vrai et dun consquent faux14.

    Toutefois, si lanalyse prcdente se montre capable de rendre comptedes propositions performatives dans les noncs conditionnels lindica-tif, elle ne permet pas de dterminer la raison pour laquelle Philon admet-tait les implications telles que si la terre vole alors elle a des ailes qui nont

    rien de performatif. La raison ntait videmment pas pour lui, dordreconceptuel: pour voler il faut des ailes; pour voler il faut exister.

    On pourrait croire que ces exemples entrent dans la catgorie de ce queles logiciens modernes considreraient comme des noncs conditionnelscontrefactuels ou irrels qui ne peuvent pas tre analyss comme des impli-cations matrielles. En effet, si les logiciens modernes cartent ce type deproposition cest dans la mesure o lantcdent tant faux, si la table desconditionnels sappliquait, il serait toujours vrai, ce qui est manifestement

    11. Sans doute au sens o, tant lmentaire, il est le plus faible (B. Mates, Stoic Logic, Berkeley, University ofCalifornia Press, 1961, 2e d., p. 45, note 25). 12. Sur les paradoxes et la subtilit redoutable de la dialectique de Diodore, R. Muller, op. cit.,p .75sq. 13. M. Hurst-Kneale remarque que cela ne se voit pas toutefois quil sagit de performativit et se contente de

    parler de external circumstances, Implication in the Fourth Century B.C., Mind44,1935,484-495, p. 486. 14.W. V. Quine, Methods of Logic, op. cit.,p.32.

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    R faux15. Dans une telle perspective, une proposition telle que si la terre vole,alors elle a des ailes tant moins fausse quirrelle, devrait tre crite pluttde la faon suivante: si la terre volait, elle aurait des ailes. Mais dans la

    mesure o le grec crirait ces exemples limparfait de lindicatif modalispar an dans la proposition principale, une telleremarque ne se justifie pas. Philon navait vraisem-blablement pas souponn la distinction moderneentre les notions de conditionnels contrefactuels etdimplication matrielle. On peut supposer au contraireque de telles propositions fournissaient ses yeuxles cas flagrants dimplications toujours vraies alorsque leurs antcdents sont toujours faux, par oppo-sition aux conditionnels performatifs qui, comme le

    lui objectait Diodore, peuvent soudain cesser ou nondtre des implications. Comme en tmoignent lesexemples offerts par Sextus en CL II, 116-117, Philonnexcluait pas de considrer comme des implicationsvraies les conditionnels performatifs tels que silfait nuit, je parle quand il fait jour et que je suis silencieux, ou encore silfait nuit, il fait jour quand il fait jour. De telles propositions sont invali-des par Diodore pour la bonne raison quau moment o le jour fait place la nuit et que je me tais, limplication est falsifie et cesse dtre une impli-cation. Si lon refuse de supposer que cest sous linfluence des objections

    de Diodore que Philon avait recouru des exemples comme si la terre vole,elle a des ailes , il faut admettre quil ne rduisait pas son interprtation delimplication aux conditionnels performatifs et donc aux conditionnels lin-dicatif. Prcisment parce quil noprait pas cette rduction, il ne pouvaitpas se borner dire, comme Quine propos des conditionnels lindica-tif, que sil apparat que lantcdent est faux, tout se passe comme si laf-firmation conditionnelle navait jamais t faite (Mthodes de Logique16).Or il nest pas non plus vraisemblable quil ait admis quelque principe dugenre de celui des Scolastiques, ex falso sequitur quolibet (EFQ) selon lequelde prmisses contradictoires nimporte quoi sensuit17.

    Il semble plutt que Philon, ne limitant pas son intelligence de limpli-cation ce que les conditions performatives peuvent en dvoiler, pensait queles conditionnels non performatifs dont lantcdent est faux composent desimplications vraies parce quil sagit dhypothses purement logiques quelon peut paraphraser par En admettant que alors ou par Dans lhy-pothse o alors 18. Nous verrons dailleurs plus loin que de tels non-cs ne semblent point avoir suscit la polmique de Diodore de la mmemanire que les conditionnels performatifs.

    Une implicationne sera vraie que

    si les propositionsqui la composent

    ne changentpas leur valeur

    de vritdans le temps

    15. F. Rivenc, 2005, op. cit.,p.17. 16. Dans la traduction franaise de M. Clavelin, Paris,Armand Colin, 1972 p. 29.

    17. Les exemples nexhibent aucune contradiction dans lantcdent, ce qui est au contraire au fondement duprincipe EFQ.

    18. Cette paraphrase est connue de Sextus, par exemple si nous accordons par hypothse (sugchroun-tn hmn, EPII, 190).

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    RDiodore de Mgare et limplication stricte

    Cette transition nous replonge dans la suite de lextrait des Esquisses,o Sextus passe la rfutation de Philon. Remarquons que, dans ce but, il

    moule son propos dans celui de Diodore de Mgare qui passe pour avoirrigidifi le critre de limplication. Ici, le texte parle de lui-mme: une impli-cation est vraie qui na pas permis ni ne permet (mte enedecheto mteendechetai) de commencer par le vrai et de finir par le faux. Les commen-tateurs interprtent cela en disant que la conjonction de lantcdent vrai etdu consquent faux est impossible. Cela signifie que pour Diodore une impli-cation ne sera vraie que si les propositions qui la composent ne changentpas leur valeur de vrit dans le temps, autrement dit, si elles sont ternel-les. Diodore exige la stabilit du critre de limplication, ce que lui paratfournir amplement sa ncessit, son apodicticit. Pour lui limplication ne

    peut pas tre contingente. Diodore limine les propositions instables dePhilon au nom de la modalit du rapport dans limplication. Aussi, les seulespropositions autorises par Diodore seront des propositions exemptes defluctuation. Ces propositions sont mancipes de la contingence, elles sontncessaires. Tel est le cas de la proposition: Sil y a du mouvement, il y adu vide (CL II, 332-333)19.

    Selon Sextus, la proposition prcite est valide parce quelle procde dufaux au faux, Diodore refusant aussi bien le mouvement que le vide20. Ilen est de mme pour cette autre implication que Diodore considrait commetant parfaitement valide parce quelle procde du faux au vrai: Sil ny a

    pas dlments sans parties dans la ralit, il y aura des lments sans partiesdans la ralit.

    Il semble que pour Diodore, la vrit de limplication soit interprte partir de la modalit, de sorte quon peut parler son propos de logiquemodale o la ncessit joue un rle premier21. Cela peut faire penser lim-plication stricte de Clarence I. Lewis22. Celui-ci cherchait liminer ce quilappelait les paradoxes de limplication matrielle, en particulier le fait quuneimplication qui procde du faux au vrai ou au faux, est valide. Une propo-sition en implique une autre au sens strict de Lewis quand il est impossi-ble qu la fois lantcdent et la ngation du consquent soient vrais, de

    sorte que si lantcdent est vrai, le consquent est ncessairement vrai.Ce rapprochement entre Diodore et Lewis a souvent t jug trs sv-

    rement, parce que, comme lont fait remarquer certains commentateurs, lesproprits de limplication stricte de Lewis sont en accord avec le sens usueldu verbe impliquer, contrairement celles de limplication matrielle,alors que Diodore demeure dans le cadre dimplications matrielles23, commele prouve la prsence dimplications qui procdent du faux au vrai ou aufaux et peuvent tre juges paradoxales.

    19. Remarquons quon ne trouve pas dans lexpos de Sextus dexemple positif dimplication vraie attribu

    Diodore. 20. Sur les arguments concernant le mouvement, voir R. Muller, 1985, op. cit.,p .43sq. 21. Voir les arguments de Hurst-Kneale (1935, op. cit., p. 487-490) en faveur de cette interprtation. 22. Cest J. Lukasiewicz qui le premier a fait cette comparaison. Le point de vue de Mates (1961, 2e d., op.

    cit.) est confus (comparer p. 4 et p. 48). Hurst-Kneale admet la comparaison avec Lewis (1935, op. cit., p. 485). 23. J.-B. Gourinat, 2000, op. cit, p. 219-220; R. Muller, 1985, op. cit., p. 217, note 378.

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    R Toutefois, contre ces arguments, on peut objecter que sil est exact quelimplication stricte de Lewis est plus proche de la notion de dduction impli-cite dans linterprtation vulgaire du mot implication, elle nest pas syno-

    nyme de dduction pour autant, dans la mesure o elle ne fait pas appel lapertinence de la notion de consquence24. De son ct, mme si Diodoredemeure dans le cadre de limplication matrielle, on peut dceler un indicesusceptible dinflchir linterprtation selon laquelle il admet les implica-tions paradoxales.

    Remarquons en effet que, comparables du point de vue de leur validit,les deux propositions dapparence paradoxale attribues Diodore diffrentcependant lune de lautre.

    La premire (sil y a du mouvement, il y a du vide) est du mme genreque les implications de Philon telles que si la terre vole alors elle a des ailes.

    Nous avons vu que ces propositions non performatives doivent tre compri-ses comme des hypothses logiques, coupes de toute rfrence la ralit.Mais la seconde (sil ny a pas dlments sans parties dans la ralit, il y aurades lments sans parties dans la ralit) repose sur lautocontradiction.

    Or on a pu dire25 que du point de vue de Diodore, dans une telle propo-sition, lantcdent est une contradiction dans les termes, la notion dunlment constitu de parties tant contradictoire, elle est impossible et donctoujours fausse26. Il y a donc de fortes chances pour que Diodore ait recouru cet exemple prcisment parce quil fait intervenir une modalit: sil accepteque le faux implique le vrai cest au sens o une proposition ncessaire

    suit de limpossibilit de sa contradictoire27. En recourant une interpr-tation modale des noncs, Diodore pensait sinon sauver les implicationsdes paradoxes prsents dans les noncs de Philon, au moins btir un typede proposition plus strict que celui de Philon qui ne fait pas intervenir demodalit. cet gard si Diodore retrouve dautres paradoxes, la situationest comparable celle de Lewis, puisque, en liminant les paradoxes de lim-plication matrielle, Lewis en retrouve dautres au plan de limplicationstricte (une proposition impossible implique toutes les propositions etc.)28.

    Sans doute cela ne suffit pas pour identifier Diodore et Lewis, puisqueDiodore continue voluer dans la table de vrit de limplication mat-

    rielle, mais la comparaison nest pas liminer radicalement. Il y a un certainparalllisme dans une dmarche qui tend dfinir une notion de consquenceplus stricte que celle qui intervient dans linterprtation de limplicationmatrielle.

    24. Le systme de Lewis a pu tre qualifi de quasi-quantitatif au sens o, tout en ntant pas extension-nel, il est nanmoins quantifiable.Voir aussi E. J. Nelson Intensional Relations, Mind, 39, 1930, 440-453,p. 447.

    25. M. Hurst-Kneale, 1935, op. cit., p. 489. 26. On ne doit pas confondre cette clause avec cet autre argument qui fait intervenir une notion de cons-

    quence pertinente trangre Diodore: tant impossible par autocontradiction, la proposition implique sonrenversementdans le vrai et le ncessaire. Il en est de mme pour la proposition si la dmonstration nexiste

    pas, elle existe, exemple donn par Sextus en CL II, 467: car lexistence de la dmonstration suit sa non-exis-tence dans la mesure o cette inexistence doit tre dmontre. Mme chose pour le signe (CL II 281-282). Detels antcdents se renversent, (structure que les Grecs appellentperitrop, CL II, 285). Une telle interprta-tion ne doit pas tre impute Diodore.

    27. M. Hurst-Kneale, op. cit., 1935, p. 489 et 490. 28. Sur ce point, ibid., p. 490.

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    RDe la mme manire que Diodore substituait la ncessit la contin-gence des propositions performatives, il substituait limpossibilit aucadre de lhypothse dans les propositions non performatives de Philon, ce

    qui tmoigne dun critre plus strict pour la consquence logique.

    Chrysippe le Stocien et limplication pertinente

    Il est trs important de comprendre que tout change du point de vue deChrysippe le Stocien, le troisime sur la liste des logiciens convoqus parSextus. Le critre de Chrysippe est appel la cohrence ou la congruence,traduction du grec sunartsis, compos du prfixe sun (ensemble) et dunom artsis lien, jonction. Une implication est valide selon Chrysippe siet seulement si loppos (antikeimenon) du consquent est en conflit (mache-tai) avec lantcdent. Par exemple, limplication suivante: sil fait jour

    alors il fait clair est valide parce que loppos de il fait clair (il faitsombre) est incompatible avec lantcdent il fait jour . Cependant,loin de sen tenir une interprtation vrifonctionnelle, le critre de Chrysippese situe au niveau de la relation intime et conceptuelle entre lantcdentet le consquent, autrement dit, il exclut les propositions dpourvues depertinence. Sont donc exclues les implications diodoriennes qui, commedans lexemple des lments sans parties reposent sur le conflit avec soi-mme29. Sera aussi exclue en tant que faute de pertinence une propositiontelle que : si la terre vole elle existe , parce quil ny a aucune perti-nence entre lexistence de la terre et le fait quelle vole30. En revanche, on

    acceptera si la terre vole, alors elle a des ailes. Si cette proposition estvraie ce nest pas pour les raisons invoques par Philon, mais parce que

    la terre ne peut pas voler sans ailes. Alors que pourDiodore la fausset de lantcdent est interpr-te en termes de modalit lexclusion de touteconsidration de pertinence, ce nest pas le cas pourChrysippe31. Le critre de Chrysippe conduit repen-ser limplication de manire radicale. Il ne faut pasconfondre la dfinition de limplication matriellepar la ngation de la conjonction de lantcdent

    vrai et du consquent faux avec le critre de Chrysippe:la contradiction du consquent doit tre en conflitavec lantcdent. Cest pourquoi comme en tmoi-gne un passage du De Fato de Cicron (VIII, 15),Chrysippe refusait didentifier les implications et

    Une rvolutionparadigmatique,comparableau passagede la logique

    extensionnelleaux logiques ditesintensionnelles

    29. M. Nasti de Vincentis, Chrysippean implication as strict equivalence (in W.M.Abrusci, E. Casari,M. Mugnai,(ds),Atti dei Convegno Internationale di Stori della Logica, San Gimignano, 4-8 Dicembre 1982, CLUEB, Bologna,1983, 235-240, p. 236) qui montre que linterprtation du critre de Chrysippe en termes dimplication stricteconduit autoriser les propositions autocontradictoires que prcisment refuse Chrysippe; J.-B.Gourinat,2000,

    op. cit., p. 227 qui toutefois ne mentionne pas explicitement le critre de pertinence. 30. Mme chose pour lexemple donn par Diogne Larce: sil fait jour, Dion se promne (Vies et doctri-nes des philosophes illustres, VII, Le Livre de Poche, 1999, 73).

    31 Il ne faut donc surtout pas confondre Chrysippe et Diodore, comme en tmoigne du reste un passage deSextus, PH II, 188-192, qui met parfaitement en vidence lincompatibilit des deux doctrines de limplication.Ce passage a fait lobjet dun commentaire de Nasti de Vincentis (1983, op. cit., p. 237-238).

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    R les conjonctions ngatives32. Cest une rvolution paradigmatique, compa-rable au passage de la logique extensionnelle aux logiques dites inten-sionnelles. Ce passage suggre la diffrence entre limplication matrielle

    classique et ce que les Anglo-Saxons appellent relevance, la pertinence dela consquence logique33.

    Cest pourquoi on ne trouve pas chez Chrysippe des infrences redon-dantes comme: A=> (B=>A) (si A alors si B alors A). Avec prudence, onpeut comparer ces restrictions celles de Belnap et Anderson qui consid-rent que la formule cite (si A alors si B alors A) constitue une faute de perti-nence ( a fallacy of relevance ). En effet, cet axiome suppose de faonexorbitante que lhypothse que A est vrai suffit pour que nimportequelle proposition B entrane A. Cela revient poser par exemple Sil faitjour, alors si on vend des pommes, il fait jour . Pour des raisons similai-

    res, Belnap et Anderson refusent, linstar de Chrysippe, les paradoxes dutype le faux implique le vrai A => (A => B) ou tels que lantcdent contra-dictoire implique un consquent vrai (A ^ A => B).

    Il peut sembler que Belnap et Anderson sloignent de Chrysippe dansla mesure o ils considrent quune autre faute de pertinence est constituepar le syllogisme disjonctif, autrement dit le Cinquime indmontrable sto-cien. Mais en ralit, il nen est rien si lon tient compte prcisment ducaractre intensionnel de la logique stocienne34, de sorte que finalement laussi, la ressemblance est frappante.

    LEmphasis ou la pertinence inassignablePour certains commentateurs, l sarrterait la rfutation de Sextus. En

    effet, Sextus voque de manire trs elliptique ce quil semble prsentercomme un autre critre de limplication quil dsigne par le mot emphasis.Les commentateurs ont rappel que ce terme pouvait renvoyer aussi bien une cole stocienne diffrente de celle de Chrysippe, aux Sceptiques de

    32. J.-B. Gourinat, 2000, op. cit., p. 223. 33. Ce rapprochement est admis par J. Barnes, Proof destroyed, M. Schofield, M. Burnyeat, J.Barnes, Doubt

    and Dogmatism, Studies in Hellenistic Epistemology, Oxford, Clarendon Press, 1980, 161-181,p. 172.Toutefois,

    comme le dmontre Nasti de Vincentis, sa dfinition de limplication chrysippenne (One proposition, s, isconsequential if < if s holds then> necessarily s holds because s holds) ne concide pasavec la dfinition de limplication pertinente, le symptme tant quil nvite pas les propositions autocon-tradictoires admises par Diodore mais refuses par Chrysippe (N. de Vincentis, 1983, op. cit., p. 236).

    34. Ou le premier ou le second, or non le premier, donc le second. Soit encore:A^ (Av B)B. Il est vrai que sous cette forme le syllogisme disjonctif peut bien tre considr comme unefaute de pertinence. En effet, nous navons aucune preuve ni de A ni de AvB en tant que ces expressionssont prises vrifonctionnellement. Cest comme si lon posait : ou il fait jour ou je me promne, or il ne faitpas jour donc je me promne. Rien ne permet de justifier une telle conclusion dans la mesure o il nexisteaucun lien de pertinence entre chaque proposition.Mais ce nest prcisment pas ce que signifie le Cinquimeindmontrable stocien.En effet, celui-ci est conu intensionnellement et non pas vrifonctionnellement.DaprsSextus (HPII, 191) et Galien, la disjonction telle que lentendait Chrysippe tait caractrise par un conflit(mach, Institution logique, IV, 2).Autrement dit, la disjonction est de la forme de lexemple suivant: ou il fait

    jour ou il fait nuit. Cela ne signifie pas que les Stociens privilgient la disjonction exclusive mais quils exigentde la disjonction la pertinence.Dans lexemple cit, ou il fait jour ou il fait nuit, il faut comprendre que silne fait pas jour, il fait nuit. Une disjonction ne peut donc pas tre de la forme ou il fait jour ou nimportequoi, parce que dans ce cas elle serait dpourvue de pertinence. En consquence, Belnap et Anderson nex-cluent pas le Cinquime indmontrable stocien mais sa mouture vrifonctionnelle. Leur point de vue nestgure loign de celui de Chrysippe et, de ce point de vue, lcriture vrifonctionnelle fausse compltementla porte du Cinquime indmontrable stocien.

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    RlAcadmie, aux Pripatticiens quaux Mdecins. Nous ne chercherons pas prendre parti dans cette identification. Il semble que lide qui dominedans lemphasis35 est tout dabord celle de reflet ou de rverbration,

    puis dans la tradition rhtorique du Ier sicle av. J.-C., lemphasis est unefigure de pense qui consiste suggrer autre chose que ce quon dit expli-citement, mais, et cest important de le souligner, cela peut avoir lieu partirdun rapport de conscutivit (ek tn parakolouthountn)36. Lide selonlaquelle, dans une implication, le consquent est reflt dans lantcdent,domine dans la doctrine du signe indicatif chez les Stociens et chez les mde-cins rationalistes, comme en tmoigne Galien dans la Therapeutik Methodos37.

    Dans la mdecine rationnelle, comme le dit Galien, partir de la nature de la chose, on dcouvre laconsquence sans lexprience (TM 12, X). La nature

    de la chose est alors reflte par lantcdent (emphai-nomenon ti hgoumeni)38. Dans un registre nonmdical, un passage des Entretiens dpictte montreque le verbe emphanein est le corollaire dune cons-cience de signe (I, 6, 7)39

    Lemphasis est donc le reflet du consquent danslantcdent qui le signifie au sens dune ressem-blance de structure40, ce quon pourrait appeler unisomorphisme. En ce sens, on doit considrer que

    35. Le terme est driv de emphainein, action de faire paratre dans. 36. Tout cela a t mis en vidence par J. Croissant: Autour de la quatrime formule dimplication dans Sextus

    Empiricus, Hyp. Pyrrh. II 112, Revue de philosophie ancienne, 2, 1984, 73-120, p. 91. Notons que lemphasiscorrespond ce quon appellerait aujourdhui une implication au sens rhtorique (formule dont le contenusmantique conduit le lecteur comprendre, de plus,autre chose,qui ne parat pas au premier abord,mais quidcoule quand on y rflchit de ce qui a t dit , B. Dupriez, Gradus, les procds littraires, Paris, UGE,1984, p. 248).

    37. Galien souligne la diffrence entre signe indicatif et signe commmoratif. Le signe commmoratif procdeessentiellement par exprience et ce sont les relations temporelles de concomitance, de succession et de prces-sion qui le rgissent comme dans les exemples de la fume qui prcde le feu ou de la cicatrice qui succde la blessure ou de la lsion du cur qui prcde la mort. En revanche, le signe indicatif est prcisment dfinipar lemphasis : sa fonction est de dvoiler une chose cache, observation qui concide avec celles que Sextusconsacre au signe.

    38. Ainsi, les manifestations somatiques comme les mouvements du corps ont une structure qui rvle lmede manire indicative (endeiktiks mnuetai, CL II, 155). Lme est rvle par les mouvements du corps entant quun certain pouvoir du corps interne qui excite ces mouvements. Autrement dit (daprs ce que nouspouvons comprendre, parce que Sextus nest pas trs explicite), lme qui napparat videmment pas entant que telle,puisquelle est invisible par nature, est en quelque sorte prsente par les manifestations soma-tiques comme une facult interne dexcitation. Ou encore, elle est signifie en tant que facult interne dex-citation. Lme nest pas signifie en tant quune autre de ses dfinitions possibles, comme corps pneumatiquesubtil ou principe de vie. Lme est signifie en fonction du signe, les mouvements du corps.

    39. pictte veut montrer que les phnomnes manifestent la Providence et ils refltent dans leur structurela volont dun artiste divin. La saisie de cette structure par lhomme est rationnelle et doit tre distinguede la simple perception sensible. Il sagit dune conscience de signe qui suppose les oprations de la raison :addition, soustraction, synthse, et surtout transition dune chose lautre en tant quelles sont contigus(parakeima).

    40. Dans CL II, 201, Sextus prcise que le signe indicatifsuggre partir de sa nature la chose signifie (hupa-

    goreutikon). C. Chiesa a dvelopp lhypothse que le signifi du signe indicatif, insaisissable directement,doit tre pour ainsi dire, compltement dcrit par le signe lui-mme car cest dans la structure du signe quele signifi doit sinscrire comme en filigrane ( Sextus Smiologue: le problme des signes commmora-tifs in A.-J. Voelke, Le Scepticisme antique, perspectives historiques et systmatiques, Actes du colloque inter-national sur le scepticisme antique, Universit de Lausanne, 1988, Cahiers de la Revue de thologie et de

    philosophie 15,1990,151-166,p. 161).

    Lemphasisest le refletdu consquentdans lantcdentqui le signifieau sens duneressemblancede structure

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    R lemphasis constitue un critre de la consquencedistinct de la sunartsis, mme sil est essentiel ce critre dtre fragile41. Car pour jouer son rle

    dans la stratgie de Sextus, la fragilit du critre delemphasis doit tre souligne, ce que Sextus nemanque pas de faire en accompagnant sa rfuta-tion dune clause de vraisemblance (sans doute,iss, EPII, 112)42 .

    En fait, Sextus oppose assez explicitement lem-phasis et la sunartsis pour quon les distingue, endpit du texte de Plutarque (De E apud Delphos,386E11-387A5) qui semble dire au contraire quilssont synonymes43. Mais rien dans ce texte ne confirme

    une telle interprtation. Plutarque dclare dun pointde vue trs gnral que seul lhomme possde lanotion de lantcdent et du consquent, de leur rflexion et de leur congruencelun vis--vis de lautre (emphases te kai sunartses toutn pros allla,387A3), de leur convenance (kai schses) et de leur diffrence (kai diapho-ras)44. Le texte de Plutarque ne confirme pas seulement que le contexte delemphasis tait bien celui de limplication, il permet mme de compltercelui de Sextus en distinguant diffrents aspects de lexamen dune impli-cation: le rapport de convenance et la diffrence des termes. Sextus prciseen effet que pour ceux qui jugent en fonction de lemphasis, est vraie lim-

    plication dont le consquent est contenu en puissance (dunamei) dans lan-tcdent (PHII, 112). Le consquent est inclus implicitement danslantcdent.

    Or, Sextus met cette dfinition en relation avec la suppression du prin-cipe didentit qui joue en revanche dans le critre de pertinence chrysip-pen un rle fondamental. Il oppose, en effet, lemphasis et ce quilappelle les propositions doubles (ou ddoubles) telles que sil fait jour,il fait jour, quil faut rattacher au principe didentit. La principale diffi-cult que pose cette opposition est que lon voit mal aujourdhui en quoile principe didentit serait incompatible avec lemphasis telle quelle est

    dfinie par Sextus, comme une inclusion potentielle. lpoque moderne,en effet, les dfenseurs de limplication intensionnelle ne voient l aucuneincompatibilit: Nelson interprte limplication comme une relation analy-tique: Entailment is an identity between a structural part (though not neces-sarily less than the whole) of the antecedent and the entire consequent45.

    41. La plupart des commentateurs ne prend pas ce critre au srieux. Par exemple, J.Croissant pense quilsagit dune simple application de limplication au signe indicatif quil convient de placer sur un plan mtho-dologique et non pas logique, de sorte quelle refuse de considrer quil sagit dun autre critre de limplica-tion, 1984, op. cit., p. 116.

    42. La plupart des commentateurs en a dduit que Sextus tait lui-mme lauteur de lobjection. Mais celarevient passer au second plan un geste sceptique essentiel. 43. Comme le rappelle J. Croissant, cest une interprtation rpandue, 1984, op. cit, p. 109. 44. La coordination grecque te kaiexplicite seulement quil sagit dun couple de notions qui peuvent parfai-

    tement tre distinctes. 45.E. J. Nelson, 1930, op. cit., p. 447.

    Comprendre

    pourquoilemphasis conduit

    rejeter leprincipe didentit

    qui sembleconstituer pour

    Chrysippelarchtype du

    critre depertinence

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    ROn constate que Nelson ne voit aucun inconvnient concilier lidentit etlinclusion.

    Le dfi auquel le texte de Sextus nous confronte est donc de compren-

    dre pourquoi lemphasis conduit rejeter le principe didentit qui sembleconstituer pour Chrysippe larchtype du critre de pertinence.

    Notre question doit donc tre la suivante : que devient la sunartsis,la congruence ou pertinence chrysipenne, une fois ampute du principedidentit?

    Largument avanc par Sextus est quune implication constitue par uneproposition double est fausse parce quune chose ne peut tre contenue ensoi-mme (en heauti periechesthai, II, 112): lidentit serait tout simple-ment impensable. Dune part, une identit ne saurait tre le signe ou lin-dice delle-mme, sans se ddoubler et fausser sa signification comme en

    tmoignent les paradoxes comme le Menteurvoqu explicitement parCicron vraisemblablement contre Chrysippe46. La rptition qui consti-tue limplication dans les propositions doubles, perd davance lunit delidentit. Dautre part, rciproquement, lidentit vritable saisie dansune unit singulire ne saurait tre formule dans une implication qui esttoujours complexe. Bref, le bateau de lidentit fait eau de partout.

    On peut songer ici aux objections de Wittgenstein propos des propo-sitions qui ne peuvent pas tre contenues en elles-mmes47, mais aussi auxcritiques de Strawson48 selon lequel une rptition ne peut pas fonder uneinfrence.

    Selon le critre de lemphasis, puisquune chose ne peut tre contenue enelle-mme, elle lest forcment dans une autre. Lantcdent et le consquentdoivent donc tre diffrents. Le consquent doit dire autre chose que lan-tcdent tout en tant contenu potentiellement ou implicitement en lui.

    videmment, cette ide peut paratre contradictoire : comment concilierlimplicite avec laltrit? Dans une implication, le critre de cohrence doittre tel que la seconde proposition nest pas implique dans la premire maisimpliqueparla premire. Cela signifie que limplication est une cons-quence et nullement une composante virtuelle. Pour tre une vraie cons-quence, la consquence doit dire autre chose que les prmisses et pas la

    mme chose49. Cest pourquoi exiger de limplication quelle soit la foisune explicitation et une suite peut paratre contradictoire, dautant que si

    46. Le texte de Cicron (Acadmiques premiers, II, 28, 91) est consacr aux objections acadmiciennes contreles propositions doubles. Certaines de ces propositions sont renversantes, comme dans le paradoxe du Menteur(si je mens, alors je mens) que Cicron attribue Chrysippe qui ne les aurait pas rsolues (96). Dans cetteperspective, les propositions doubles ne pourraient plus servir de critre de pertinence puisque certaines den-tre elles sont paradoxales. Que Cicron prenne ou non cette objection au srieux est un autre problme quiconcerne plus gnralement la valeur probante de lobjection. Depuis Aristote (Rfutations sophistiques, 25,180 a 35-180 b), les logiciens se sont efforcs de tenir ce type de paradoxe pour un sophisme.

    47. L. Wittgenstein, Tractatus Logico-Philosophicus, London, Routledge & Kegan, 1958, 7e d.,3, 332,p. 57.

    48. P. F. Strawson, Introduction to Logical Theory, Londres, Methuen, 1952, p. 15. 49. Par exemple, Aristote refusait lide que dans une dmonstration rien de nouveau ne sensuit des prmis-ses.Au dbut desAnalytiques premiers, il dfinit le syllogisme comme un discours dans lequel, certaines chosestant poses, quelque chose dautre que ces donnes en rsulte ncessairement. On dira quil sagit ici duraisonnement et non de limplication. Il nempche: limplication nest pas une explicitation de limplicite maisune suite.

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    R lemphasis fait la diffrence entre lantcdent et leconsquent, elle sexpose alors lobjection inverse: quoi reconnatra-t-on sa pertinence? Lemphasis

    est donc prisonnire dun dilemme sans issue: dansle premier cas, celui de limplicite, le critre est troptroit, et dans le second cas, celui de la suite, il esttrop lche. partir du moment o lon exclut leprincipe didentit on sexpose de telles cons-quences contradictoires.

    Ces contradictions peuvent tre illustres par ce que les Stociensappelaient laprolepsis, la prnotion. Rappelons en quoi consiste une prno-tion. Elle ne repose pas sur lexprience acquise mais sur la notion quasinaturelle prsente chez tous les hommes partir de lge de raison qui variait

    entre 7 et 14 ans. Une prnotion est une sorte de strotype rationnel prsentchez tous les hommes. Cest le tissu de la rationalit humaine, qui fournit leliant qui permet de relier lantcdent au consquent dans limplication.Cest la prnotion qui fonde le signe indicatif: par exemple, sil y a de lasueur alors il y a des pores. Mme si je ne peux pas observer lexistencedes pores puisquils sont inobservables, il nen demeure pas moins que jedispose dune prnotion telle que la sueur transpire travers la peau cequi nest possible que sil y a des trous dans la peau appels des pores. Ainsi,il y a incompatibilit entre la ngation de lexistence des pores et la sueur.La prnotion est donc le lien de pertinence dans une implication. Or, ce qui

    la caractrise cest prcisment dtre la limite de la contradiction voqueplus tt: une prnotion fournit, en effet, un lien entre lantcdent et le cons-quent, mais ce lien rpond la gageure dtre la fois ce qui permet duni-fier lantcdent et le consquent et ce qui permet de les distinguer. Laprnotion est la fois le mme et lautre. Mais cet cartlement quidevrait rsoudre le problme de la pertinence ne rsout rien en ralit. Cequi le prouve cest que la prnotion na jamais cess dtre le lieu minentde la controverse que ce soit chez pictte50, qui montre que ce que la prno-tion engage nest rien de moins que la philosophie en tant que disciplinede la pertinence dans lusage des prnotions51, ou chez Sextus, qui pense

    50. La prnotion est conflictuelle parce que si tous se font la mme ide de la sant ou du Bien, ds quon tentede passer aux applications concrtes, cest le conflit. Par exemple, chacun sait ce quest le courage mais dsquon est en prsence dune action courageuse les apprciations divergent : pour lun on a t courageux,pourlautre on a t insens (Entretiens I, 22, 1). Autre exemple: chaque mdecin sait ce quest la sant et pour-tant lorsquon en vient pronostiquer un remde, cest la divergence qui domine (Entretiens I I, 17, 9). Leproblme pos par la prnotion cest prcisment celui de son usage dans limplication. pictte illustre parfai-tement les choses dans lexemple suivant: Sil dit: - je lui ferai couper le cou - alors il menace mon cou; sildit : - je te ferai jeter en prison - alors il menace mon corps; - ce nest donc pas toi quil menace? Non, si jaiconscience que ces choses ne sont rien pour moi. Mais si je crois lune delles, cest bien moi quil menace(I,29, 5-7). Dans ce passage, le problme pos est de savoir comment appliquer le critre desunartsis, commentappliquer le critre de pertinence en usant des prnotions. Lasunartsis sapplique de la faon suivante: la

    contradictoire de il menace mon cou ou mon corps est en conflit avec lantcdent je te ferai couper lecou ou emprisonner ton corps . Or, pictte veut dire quil sagit dun conflit o couper le cou menaceexclusivement le cou et o emprisonner menace exclusivement le corps.Appliquer correctement la prno-tion cest donc sinterdire didentifier le cou ou le corps au moi.

    51. Cest dautant plus grave que daprs pictte, la prnotion de la philosophie est elle-mme un problme : elle est mal dfinie, confuse, indistincte (Entretiens IV, 8, 11).

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    Rque nous avons non pas une prnotion, mais plusieurs propos dune mmechose (CL I, 333-334). Ce quil est important de comprendre cest que laprnotion tant conflictuelle, elle ne peut pas constituer un concept vrai

    (335). Linfinit des conflits de la prnotion invalide toute application ducritre de sunartsis. En termes modernes, les variables communes lan-tcdent et au consquent sont trop nombreuses52 de sorte que la pertinence(sumpnoia, CL II, 430-431) est inassignable53.

    En dautres termes, sans le principe didentit qui vient rigidifier et matri-ser lusage des prnotions, la pertinence sombre dans linfini54. Le prin-cipe didentit est bien le premier axiome de la pertinence, rien ne permetdassurer une implication, ds quon sloigne de lui, mais sans cet loi-gnement comment obtiendrait-on la suite quexige une implication bienpense? Cest pourquoi avec le critre de lemphasis cest le cur mme de

    la pertinence qui vient tre frapp, puisquonmontre quelle est inassignable. ce titre, lemphasisjoue, dans la stratgie de Sextus, le rle dune de cesdrogues purgatives (kathartika pharmaka) quisexpulsent elles-mmes en supprimant tout le reste(EPII, 13, 188).

    Lorsquil passe en revue les thories anciennesde limplication, Sextus les rfute tour tour. Ce quiest remarquable cest quil lui suffit de rfuter chaquethorie par celle qui suit comme si la rfutation exis-

    tait dj toute trace dans lhistoire de la logique,du critre matriel de Philon, au critre modal de Diodore et au conflit ausein mme des thories de la pertinence, illustr par le critre de Chrysippeet celui de lemphasis. Sextus peut tirer sa conclusion : puisque le critrele plus fort de la consquence, la pertinence, est controvers, on peut sedemander si chercher un critre est seulement souhaitable. On est alorsramen Philon qui ne recherchait pas de critre de la consquence et secontentait de limplication matrielle.

    La structure de la rfutation est circulaire. Elle ressemble celle que lontrouve au livre III de lEnqute dHrodote (80-83). Trois gnraux confrontent

    52. W. Parry (Analytic Implication, J. Norman et R. Sylvan (eds), Directions in Relevant Logics, Dordrecht,Kluwer, 1989) exige un critre analytique plus fort dans sa dfinition: A implique analytiquement B seule-ment si toutes les variables qui figurent dans B figurent dans A. Cette exigence le conduit par exemple exclure la contraposition prcisment parce que lantcdent contient moins de variables que le consquent(AB) ( B A).

    53. Cest ce que montre encore cet argument appliqu aux signes indicatifs : la contraposition ne sappliquepas. En effet, cela implique quune seule chose peut tre signifie et que sa structure est unique (monoeidos).Sextus nie cela. Et pour rfuter cette proprit du signe indicatif, Sextus donne dautres exemples du signe indi-catif. Ainsi, la pauvret dun homme peut tre le signe indicatif dune vie de dissipation, dun naufrage en mer,ou de libralit excessive lgard de ses amis. Comment choisir entre ces hypothses dgal poids de convic-tion ? Cest impossible, et cest lexistence mme du signe indicatif quon remettra en cause. Parmi les autresexemples donns par Sextus, il y a celui-ci : le mouvement est le signe du vide. Mais lexemple du mouve-

    ment est alors tantt signe de lme, tantt signe du vide. Il ny a rien de commun entre lme et le vide. Lastructure du mouvement qui est cens tre le signe nest donc pas la fois celle de lme ou celle du vide. Toutcela montre quil ny a pas moyen dassurer le rapport entre les variables contenues dans lantcdent et leconsquent de limplication.

    54. Telle est bien la raison qui inspire Nelson privilgier la relation didentit de manire dfinir lentail-menten tant ququivalence et implication rciproque : p = q => pEq. =. qEp.

    Avec le critrede lemphasiscest le curmme de lapertinence quivient tre frapp

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    R leurs thses pour choisir la meilleure forme de gouvernement. Largumentationest dispose en cercle de faon ce que chaque Constitution soit rfute parcelle qui la suit jusqu ce que les extrmes finissent par se faire face.

    Dans la rfutation circulaire de Sextus, quatre rponses ont t proposeset rfutes tour tour, chaque critre se voyant rfut par le critre qui luisuccde de sorte que la dernire rfutation marque implicitement le retour la premire. La porte de cette stratgie dpasse considrablement lim-pact de la batterie habituelle des rfutations sceptiques que constitue le dve-loppement en tropes dAgrippa (en particulier la diaphnia qui dsigne ledsaccord entre les critres, et le diallle qui mne la conclusion que lim-plication est insaisissable EPII, 115). Comme le suggre Sextus en souli-gnant la ptition de principe selon laquelle la dcision au sujet du critresuppose une dmonstration qui suppose elle-mme que la dcision soit dj

    connue (EPII, 114), la circularit peut tre ramene une vaste implicationdont le critre chappe jamais55. Une telle situation est exemplaire parcequelle trouve un trange cho dans la controverse qui agite les logiciens duXXe sicle, qui se demandent si limplication logique peut tre rduite lavalidit du conditionnel matriel. Il y a un paralllisme frappant entre lecaractre circulaire de la rfutation de Sextus et linsolubilit de la contro-verse autour de la consquence logique qui rassemble, dans une danse deslogiciens, Quine, Lewis, Belnap et Anderson. Dans cette perspective, la batte-rie des rfutations sceptiques se rduit au rle dadjuvant dans une contro-verse qui la dpasse mais, rciproquement, tout se passe comme si la logique

    elle-mme devenait sceptique lorsquelle se heurte une aporie constitutive.Cest de cette concidence structurale entre le moment logique du scepti-cisme et le moment sceptique de la logique que le texte de Sextus consti-tue le tmoignage pistmologique irremplaable.

    Anne Gabrile Wersinger,

    Universit de Reims - Champagne

    EA 3794

    55. Si le premier alors, si non le premier alors le second, alors, si non le second alors le troisime, alors si non

    le troisime alors le quatrime, si non le quatrime alors le premier. Cette structure est dautant plus remar-quable que Sextus sy prend trois fois pour rfuter limplication. La premire fois, cest dans CL II 110-119.Sextus se limite la controverse entre Philon et Diodore et en retient le caractre contradictoire (118) ; laseconde fois, cest en CL 265: Sextus dclare quil faut soumettre lexamen le critre de validit de limpli-cation pour savoir sil est celui de Philon ou de Diodore ou de ceux qui admettent la pertinence ou dautresencore. Cette fois la structure de la controverse est dfinie par la disjonction.