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Analyser le financement et les dépenses du secteur de la santé Module 6

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Analyser le fi nancement et les dépenses du secteur de la santé

Module 6

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Résumé

Le présent module explore le domaine crucial mais complexe du fi nancement et des dépenses dans le secteur de la santé. Il analyse tout d’abord les méthodes d’étude des principales sources de fi nancement intérieur et extérieur, de l’enveloppe globale dont dispose ce secteur, de la répartition des dépenses de santé, ainsi que les modes d’évaluation des schémas de répartition en vigueur. Il examine ensuite les nombreuses variables à prendre en considération lorsqu’il s’agit de prévoir l’enveloppe à venir, ainsi que les moyens pratiques de formuler des projections raisonnables. Ce module contient aussi une analyse de la durabilité du secteur de la santé dans les pays ravagés par la guerre et de ses conséquences pour les politiques publiques. Tout au long de ce module, les auteurs prêtent particulièrement attention aux nombreux écueils relatifs à l’information qu’il convient d’éviter afi n de pouvoir tirer des conclusions signifi catives à propos du fi nancement et des dépenses dans le secteur de la santé.

L’Annexe 6a énonce des recommandations pratiques en vue de la réalisation d’une enquête sur les ressources externes, qui constitue un exercice nécessaire, quoique diffi cile, dans toute situation de dépendance vis-à-vis de l’aide.

L’Annexe 6b examine les concepts, les modalités et les applications de l’analyse des coûts, autre aspect souvent négligé mais indispensable à la formulation des politiques publiques, ainsi qu’à la planifi cation et à la gestion des activités du secteur de la santé, en particulier en vue d’un processus de relèvement.

Modules connexes :

Module 5. Comprendre les processus d’élaboration de la politique sanitaire

Module 7. Analyser les modèles de prestation des soins de santé

Module 8. Analyser les systèmes de gestion

Module 12. Formuler des stratégies pour le relèvement d’un secteur de la santé en crise

Introduction

Toute analyse sérieuse du secteur de la santé passe par l’estimation des ressources allouées à la prestation des soins, qui conditionnent les schémas actuels, ainsi que les choix de politiques publiques (même si nul ne le reconnaît explicitement). Étant donné la place centrale qu’elle occupe dans tout débat, il convient de procéder dès que possible à une estimation de l’enveloppe globale afi n de pouvoir ensuite effectuer cette étude sectorielle.

Pour des raisons pratiques, les « ressources » sont souvent exprimées en termes fi nanciers, mais leur nature varie en réalité. Une grande partie des ressources consommées par le secteur de la santé sont fi gées, comme l’investissement dans l’infrastructure physique ou les ressources humaines, ou sont dans une large mesure prédéterminées, comme les salaires. La marge de manœuvre des décideurs est donc bien plus étroite qu’on ne le pense habituellement. Ainsi, la composition des dépenses de santé compte tout autant que leur montant total. S’intéresser aux dépenses de santé suppose d’étudier toutes les composantes de ce secteur. Les Modules 9, 10 et 11 explorent plus en détail le réseau de santé, le personnel de santé et le secteur pharmaceutique.

L’analyse du fi nancement et des dépenses du secteur de la santé requiert d’étudier un large éventail de facteurs, y compris ceux exprimés dans la monnaie locale, ceux chiffrés dans la monnaie forte de nombreux pays, et ceux en nature. Les taux de change offi ciels sont souvent faussés à un tel point qu’il faut éviter de les utiliser. Dans le cas d’une crise prolongée, l’économie peut s’être « dollarisée », si bien que certains prix seront déjà exprimés en dollars. Les salaires des cadres de la fonction publique sont toutefois habituellement exprimés dans la monnaie locale, ce qui entraîne des diffi cultés considérables lorsqu’il s’agit de fusionner ou de comparer différentes catégories de dépenses. S’il est possible de recourir à des prix fi ctifs (voir défi nition ci-après) pour déterminer un prix pour les facteurs en nature et pour évaluer les autres ressources subventionnées, il n’existera probablement aucune conversion

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équivalente pour les coûts salariaux, qui sont souvent laissés en termes nominaux. Une fois qu’ils sont convertis dans une unité monétaire commune, il arrive que les coûts de personnel soient largement dépassés par d’autres catégories de dépenses, par exemple celles consacrées aux investissements ou aux médicaments. L’infl ation pose une diffi culté supplémentaire, car elle est souvent galopante dans de telles situations. Pour une discussion plus poussée de ces problèmes et de la manière de les régler, voir l’Annexe 6b.

Défi nition de quelques termes utilisés dans ce module

Terme Défi nition

Actualisation Ajustement à la préférence pour le présent des individus, qui veulent en général profi ter des bénéfi ces aujourd’hui et différer les coûts à demain.

Aide étrangère (ou assistance étrangère)

Flux fi nanciers, assistance technique ou bien octroyés (1) avec pour objectif principal la promotion du développement économique et du bien-être (ce qui exclut l’aide pour des objectifs militaires ou d’autres objectifs ne relevant pas du développement) et (2) fournie sous la forme d’un don ou d’un prêt subventionné.

Ajustement structurel

Politique adoptée par les institutions fi nancières internationales depuis les années 1980 afi n de renforcer la viabilité externe des pays en cours d’ajustement ainsi que la stabilité du système fi nancier international, et qui s’inscrit dans la logique de l’idéologie libérale dominante qui régit les processus de mondialisation. Ses objectifs macroéconomiques sont la dévaluation, la réduction des dépenses publiques, l’augmentation de la fi scalité et la rigueur monétaire.

Dépréciation Diminution de la valeur d’un bien d’équipement résultant de l’usure.

Appui ou aide aux programmes

Terme couvrant un large éventail d’interventions, dont le soutien budgétaire, l’allègement de la dette et le soutien à la balance des paiements.

Appui ou aide aux projets

Affectation de certaines dépenses à des activités spécifi ques ou à un ensemble défi ni d’activités pour lesquelles des objectifs et des résultats cohérents, ainsi que les moyens requis pour y parvenir, sont établis.

Coût d’opportunité

Valeur de l’autre possibilité privilégiée, celle à laquelle on renonce en raison de la décision prise.

Coût marginal Variation du coût total observée lorsque la production augmente d’une unité.

Coûts de transaction

Toute utilisation de ressources requises pour négocier et exécuter des accords, y compris le coût de l’information nécessaire pour faciliter une stratégie de négociation, le temps passé à marchander et les coûts de la prévention de toute tricherie par les parties à la négociation.

Défl ation ou correction de l’infl ation

Suppression de l'effet de l'infl ation des prix sur les montants de dépense. Ceci est réalisé en divisant le montant des dépenses par un indice de prix, ou défl ateur.

Dépenses d’équipement

Coût des ressources qui durent plus d’un an, telles que les bâtiments, les véhicules, les ordinateurs ou la formation avant emploi.

Dépenses récurrentes

Coûts des facteurs qui durent moins d’un an et que l’on acquiert régulièrement (par exemple les salaires, les médicaments, le carburant, l’électricité, la formation en cours d’emploi, etc.).

Échec du marché

Incapacité d’un marché non réglementé à parvenir à une allocation effi ciente des ressources ou à la réalisation d’objectifs sociaux.

Effi cience allocative ou effi cacité de l’allocation des ressources

Capacité d’un système à répartir les ressources entre des activités concurrentes de telle sorte qu’aucune réallocation n’offre de meilleurs rendements.

Effi cience technique

Maximisation du résultat pour un ensemble donné de facteurs physiques, ou minimisation des facteurs physiques requis pour produire un résultat donné.

Élasticité Mesure de la réactivité du volume de la demande d’un bien à une variation du prix de ce bien.

EngagementsEn comptabilité, l’engagement est l’étape du processus de dépenses à laquelle un contrat ou toute autre forme d’accord est passé, en général en vue de la livraison future de biens ou de services.

Espace budgétaire

Marge qui permet au gouvernement d’affecter des ressources à la poursuite d’un objectif sans mettre en péril la viabilité de sa position fi nancière ou la stabilité de l’économie.

Financement budgétaire/extra budgétaire

Intégration (ou non intégration) des fonds dans le processus budgétaire de l’État destinataire.

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Terme Défi nition

Fongibilité Possibilité d’affecter les fonds à des dépenses concurrentes.

Infl ation Hausse générale du niveau des prix accompagnée d’une dépréciation de la monnaie.

Marchandise Bien économique qui se prête à un échange ou à une exploitation sur un marché.

Nouvelle gestion publique

Paradigme dominant de la réforme du secteur public dans le monde entier. Prévoit habituellement « la déréglementation de la direction opérationnelle, la transformation de services de la fonction publique en agences ou entreprises autonomes, une responsabilité engagée sur la performance, en particulier via les contrats, les mécanismes de mise en concurrence par la sous-traitance et les marchés internes, la privatisation et la réduction des coûts ».

Parité de pouvoir d’achat (PPA)

Technique visant à exprimer dans une unité commune les pouvoirs d'achat des différentes monnaies. Les données économiques converties sont exprimées en dollars internationaux, lesquels, dans chaque pays, doivent avoir le même pouvoir d’achat qu’un dollar aux États-Unis.

Partage (ou récupération) des coûts

Encaissement par un prestataire de soins de santé d’un montant versé par un usager ou par la communauté en échange de services de santé. Ce montant peut s’exprimer en pourcentage des dépenses.

Prix fi ctifsPrix redressés à divers chefs, parce qu’il s’agit d’une donation, de subventions ou qu’ils sont infl uencés par les taux de change, afi n d’aboutir à un coût économique qui exprime plus justement la valeur d’un bien donné.

Promesse Engagement contraignant de faire ou de ne pas faire.

Réforme de la santé

Démarche visant à reconfi gurer les services de santé, engagée dans de nombreux pays dans les années 1990, prévoyant une séparation entre la fonction de fi nancement et la prestation, l’élaboration de nouveaux mécanismes de fi nancement, en particulier la prise en charge d’une partie du coût par l’usager et l’assurance maladie, la décentralisation, la limitation du secteur public et l’incitation à l’extension du rôle du secteur privé, ainsi que l’utilisation prioritaire des techniques de maîtrise des coûts.

Risque fi duciaire

Risque que les fonds ne soient pas utilisés pour atteindre les objectifs poursuivis, ou pas de façon optimale, ou ne fassent pas l’objet d’une reddition des comptes satisfaisante.

Soutien budgétaire ou appui au budget

Méthode de fi nancement du budget d’un pays partenaire via un transfert de ressources d’une agence de fi nancement externe au Trésor public du gouvernement partenaire. Les fonds ainsi transférés sont gérés conformément aux procédures budgétaires du pays bénéfi ciaire.

Versement ou décaissement

Mise à la disposition d’un bénéfi ciaire de fonds ou achat pour son compte de biens ou de services ; par extension, le montant ainsi dépensé. Les versements correspondent aux transferts internationaux effectifs de ressources fi nancières, ou de biens et de services, évalués à leur coût pour le donneur.

Note : Le Glossaire du Module 14. Ressources, contient des termes supplémentaires, des défi nitions plus détaillées, ainsi que les sources y afférentes et des conseils de lecture.

Sources de fi nancement

Les ressources consommées par le secteur de la santé sont mises à disposition par l’État (central et décentralisé), par les donateurs publics, les employeurs (directement ou via des dispositifs d’assurance), les organismes caritatifs, les donateurs privés et les usagers des services de santé. Dans le cas de groupes rebelles ayant mis en place un système de soins, on peut tenir compte d’une source supplémentaire de moyens « publics ».

Financement public

Les données disponibles sur les contributions de l’État sont dans la plupart des cas insuffi santes. Après un premier examen, il arrive de constater que les budgets sont incomplets, erronés, illisibles ou inexistants. Les contradictions criantes entre les documents budgétaires émanant de différentes administrations publiques sont monnaie courante. Dans certains cas, il est possible de corriger quelques-unes des principales incohérences en procédant petit à petit à une triangulation des ressources disponibles, ce qui permet de formuler une estimation sommaire du budget de l’État.

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Quoique précieuses, les informations ainsi glanées dans les documents offi ciels peuvent être trompeuses lorsqu’un large pan des fi nances et des dépenses publiques sont exclues du processus budgétaire. Cette carence, fréquente dans la gestion des dépenses publiques (GDP), a tendance à s’aggraver pendant les crises prolongées. Parmi les fonds publics qui restent souvent extrabudgétaires budget, on peut citer les fonds spéciaux contrôlés par les poids lourds du gouvernement (parfois sous couvert d’actions caritatives), les dépenses détaxées, le fi nancement de projets associé à une aide extérieure, les prêts à conditions préférentielles accordés par les banques de développement, les dépenses liées à la sécurité et les transactions douteuses. Les recettes périphériques encaissées par les autorités locales, comme la contribution fi nancière des usagers, les loyers et la vente de services, sont souvent exclues des budgets publiés par les autorités centrales. Cet inconvénient a tendance à être plus marqué dans des pays à structure fédérale ou décentralisée.

Fréquent dans le cas de crises prolongées, le désordre comptable peut dans une large mesure expliquer les problèmes détectés. Nonobstant les faiblesses techniques des systèmes administratifs, on ne peut pas ignorer le fait que bien souvent, les responsables sèment volontairement le désordre dans les livres pour éviter un examen minutieux de leurs opérations. Cette tactique n’est pas forcément motivée par la quête d’un avantage personnel. En effet, il arrive parfois que l’opacité des procédures comptables réponde à un impératif de sécurité, par exemple pour les achats d’armes.

Même dans les documents budgétaires les mieux tenus, il arrive que les affectations soient trompeuses. Avant d’être considérés comme corrects, les chiffres budgétés doivent être comparés aux dépenses effectives, compilées une fois l’exercice budgétaire terminé. En fait, l’esquive budgétaire est une stratégie très prisée par les ministères des Finances à court de liquidités (Schick, 1998). Elle consiste à formuler un budget répondant aux impératifs politiques, dans le but de montrer aux électeurs que le gouvernement est attaché aux causes populaires, indépendamment des prévisions de recettes, ou même s’il sait pertinemment qu’une partie des dépenses ne sera pas fi nancée. Les dotations aux régions ou aux secteurs sociaux négligés sont ainsi gonfl ées, souvent pour satisfaire aux exigences des donateurs (et pour accéder à un allègement de la dette). Lorsque les recettes effectives se révèlent insuffi santes pour honorer les engagements budgétaires, le Trésor entreprend tout simplement de rationner les fonds disponibles dans le courant de l’exercice, en fonction de ses priorités non avouées ou de décisions prises de manière erratique.

Dans le cadre d’un ajustement structurel, les dépenses publiques sont habituellement gérées en fonction d’une stricte limitation des dépenses, qui interdit les emprunts discrétionnaires destinés à compléter les recettes. Dans la mesure où ces derniers alimentent le Trésor de manière très fl uctuante, les périodes de pénurie grave de liquidités, et donc de cessation de paiements, ne sont pas rares. Le système appelé budget de trésorerie empêche de respecter les priorités de dépense, ce qui vide encore un peu plus de leur sens les allocations budgétaires.

Lorsque le processus budgétaire est touché par tout ou partie de ces distorsions, seuls les véritables chiffres des dépenses de santé apportent des indications fi ables sur les niveaux de ressources et les décisions d’allocation. Dans la mesure où ces chiffres sont communiqués avec beaucoup de retard, cette évaluation est forcément rétrospective. Dans ce cas également, il arrive qu’une certaine opacité soit introduite de manière délibérée dans les documents budgétaires par un ministère des Finances souhaitant dissimuler des pratiques peu orthodoxes.

Certains systèmes de GDP ont dégénéré à un point tel que personne, même au cœur de l’appareil d’État, ne contrôle l’information nécessaire pour prendre des décisions raisonnables ou ne sait avec certitude quelles sont les transactions qui sont menées dans le secteur public. On ne peut pas alors attendre grand-chose d’une étude scrupuleuse des documents budgétaires. L’analyse doit se rabattre sur de grossières estimations agrégées, qui sont en général les seules informations que l’on peut réalistement se procurer.

Les secteurs publics à court de liquidités reçoivent parfois un coup de pouce sous la forme d’un soutien budgétaire émanant des donateurs, via plusieurs mécanismes de fi nancement. Une large part des fi nancements publics peut en fait être fi nancée par les donateurs. Il convient

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de prêter attention aux différentes formes que revêt l’aide des donateurs afi n d’éviter une double comptabilité, ainsi qu’une sous-estimation des contributions effectives.

Assistance extérieure

Les contributions des donateurs au secteur de la santé varient considérablement selon les pays, sous l’effet de motivations politiques qui ne sont pas toujours évidentes pour les observateurs extérieurs. Dans certains cas, les niveaux de fi nancement d’aujourd’hui sont conditionnés par des décisions antérieures. En fait, le secteur de l’aide, dominé par de vastes administrations nationales, peut faire preuve d’une grande inertie. Ainsi, il se peut que ce soit une conjonction de facteurs favorable dans le passé qui explique la générosité actuelle, qui est sinon diffi cilement compréhensible.

Pour estimer les contributions des donateurs, il convient d’étudier les promesses, les engagements et les décaissements. Les promesses des donateurs sont juste révélatrices de leur volonté d’apporter une aide et peuvent faciliter l’estimation des intentions de tel ou tel organisme donateur, ainsi que du positionnement global de la communauté des donateurs. Il arrive que les promesses ne soient pas ventilées par secteur, ce qui en limite l’utilité. Pour l’établissement des prévisions des niveaux de ressources à venir, les promesses sont parfois la seule source d’informations disponible. Les engagements sont plus détaillés, et précisent habituellement le secteur, le domaine, le calendrier et l’organisme d’exécution. Ils sont aussi généralement inférieurs aux promesses. Si toutes les contributions des donateurs sont présentées sous un format unique, l’étude des engagements donne des indications sur les ressources externes dans lesquelles le secteur de la santé peut potentiellement puiser.

À leur tour, les décaissements (à savoir les fonds versés par les donateurs aux organismes d’exécution) sont en général inférieurs aux engagements. Ils ne doivent donc pas être assimilés aux dépenses. Les informations concernant les dépenses effectuées par les organismes d’exécution sont en général si éparses que leur étude est impossible, du moins dans les secteurs étendus comptant de nombreux intervenants. On peut parvenir à une estimation rétrospective grossière des dépenses en examinant les dépenses consolidées des organismes donateurs pour les exercices précédents. Dans le cas de certains donateurs, cette information n’est disponible que plusieurs années après la date des dépenses effectives.

Il est très fréquent que les promesses et les engagements des donateurs ne soient pas suivis par un décaissement effectif. Ces retards de décaissement entravent l’exécution des plans convenus. Ces diffi cultés d’exécution retardent souvent les dépenses, ce qui nécessite de reprogrammer les fonds. Cette reprogrammation des dépenses en fonction de décisions propres aux donateurs, ou d’événements qui ont lieu en dehors du pays ou du secteur, risque de mettre en péril les activités du secteur de la santé.

Comparer les décaissements aux engagements et (si possible) aux dépenses permet de se faire une idée de la capacité du système à absorber le fi nancement extérieur. Il n’est pas rare d’observer un niveau d’absorption très faible. Il convient de faire preuve de prudence lorsque l’on compare ces chiffres, en raison des fl uctuations erratiques des fl ux de fi nancement, qui évoluent souvent en dents de scie. Ainsi, il arrive que la majeure partie des fonds alloués ne soit disponible qu’au cours de l’exercice suivant. L’absorption en pâtit généralement, même s’il est impossible d’en rendre compte correctement en s’appuyant sur les taux d’exécution annuels, car les fl ux de fi nancement sont erratiques.

Pendant les crises graves qui sapent les fonctions fondamentales de l’État, l’essentiel de l’aide est apporté sous la forme de fi nancement de projets. Cette modalité recouvre un large éventail de situations, qui se caractérisent par des dispositifs de gestion spéciaux, des échéanciers défi nis, des objectifs spécifi ques et des dotations explicites. Au sein de cette catégorie, la gestion peut relever, de manière individuelle ou conjointement, d’organismes publics, d’unités d’exécution spéciales, d’organismes d’aide ou d’ONG. Dans le cadre du fi nancement de projets, les lignes de fi nancement qui ne sont pas explicitement confi gurées comme telles, mais affectées à un objectif défi ni, sont généralement mentionnées. L’aide des donateurs pour les achats de médicaments, par exemple, est habituellement désignée sous ce titre, même si elle n’est pas présentée sous la forme d’un projet. Les prêts consentis par les banques de développement et présentant plusieurs des attributs des projets énumérés ci-

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dessus entrent le plus souvent dans cette catégorie, même lorsqu’ils sont étiquetés comme fi nançant des programmes.

Dans les pays qui disposent encore d’un système de GDP élémentaire et où l’État bénéfi cie du soutien de la communauté des donateurs, une grande partie de l’aide peut être apportée sous la forme d’un appui aux programmes. Cette modalité regroupe l’allègement de la dette, l’appui à l’importation de produits de base, d’autres fonds de contrepartie, des dons en devises et d’autres formes d’aide macrofi nancière qui permettent de boucler le fi nancement du budget de l’État. Avec l’appui aux programmes, c’est l’État destinataire qui décide de l’affectation des fonds versés. En accordant un appui aux programmes généreux, les donateurs témoignent de leur confi ance dans la politique et dans la capacité de gestion de l’institution bénéfi ciaire. Ainsi, la part relative de l’appui aux projets et aux programmes nous renseigne sur la réputation (justifi ée ou non) des institutions bénéfi ciaires.

Au-delà de la rhétorique relative à l’appropriation de l’aide par le bénéfi ciaire, l’appui aux programmes n’est en général accordé qu’aux pays qui adhèrent, du moins dans leur discours, à la politique privilégiée par la communauté des donateurs. En général, les conditions incluent l’ajustement structurel macroéconomique, la libéralisation des marchés et des affectations préférentielles aux secteurs sociaux. Dans la pratique, en raison des insuffi sances dans la GDP évoquées plus haut, les donateurs auront du mal à vérifi er si les États destinataires tiennent véritablement ces engagements.

Le fi nancement de projets et de programmes, ainsi que le concept y afférent de fi nancement budgétaire et extra-budgétaire, sont des termes à la défi nition très fl uctuante, qui revêtent des sens différents suivant les praticiens et les analystes. Les formes hybrides de ces concepts sont légion, de nouveaux termes (ne correspondant pas toujours à de nouveaux concepts) supplantent les anciens, et la pratique sur le terrain évolue. Il convient donc d’être très attentif et de procéder régulièrement à des ajustements afi n de fusionner les fonds enregistrés dans des chiffres globaux. Par exemple, les instruments de fi nancement ayant en commun plusieurs caractéristiques doivent être classés en fonction de leur caractéristique principale. Les prêts à conditions préférentielles comportant une part importante de dons doivent être comptabilisés dans une catégorie distincte et ne doivent pas être ajoutés aux totaux.

La surveillance des fl ux d’aide revêt une importance critique pendant les phases de transition d’un confl it vers la paix, au moment où les fl ux d’aide humanitaire se tarissent. L’aide au développement, qui, par nature, a besoin de plus de temps pour atteindre ses bénéfi ciaires et est tributaire de multiples conditions politiques et relatives à l’action publique, arrive parfois avec beaucoup de retard et dans des volumes insuffi sants pour contrebalancer la baisse du fi nancement humanitaire, ce qui entraîne un défi cit de fi nancement pendant la transition. Pour éviter ce défi cit, il faut se montrer vigilant, compiler des données fi ables et pratiquer un lobbying offensif. En 2006, le ministère de la Santé du Libéria a craint que de nombreuses ONG, cruciales pour la prestation des services de santé dans le pays, ne doivent cesser leurs activités car leur fi nancement humanitaire était en train de prendre fi n. Le ministère a donc recueilli des données supplémentaires pour confi rmer cette tendance et a engagé des pourparlers, placés sous l’égide du ministre de la Santé, qui s’est montré très déterminé. De nombreux donateurs ont réagi à ce message d’alerte en prolongeant leurs lignes de fi nancement, ce qui a permis d’éviter de graves perturbations de la prestation des soins de santé (Canavan et al., 2008). Cette réussite témoigne de ce que l’on peut obtenir lorsque l’on dispose d’informations actualisées sur les enjeux critiques, à condition d’être appuyé par un leadership local puissant et crédible et par une technique de communication effi cace.

Dans les secteurs de la santé désorganisés, les cycles de fi nancement sont souvent courts, ce qui conditionne les décisions de gestion et les approches de programmation. Les interruptions des fl ux de fi nancement, qui contraignent de reprogrammer les activités afi n de faire face aux crises du fi nancement, sont monnaie courante. Ce sont les domaines qui ont besoin d’un soutien ininterrompu sur la durée, comme le développement des ressources humaines ou le renforcement du management et des capacités, qui en souffrent le plus.

Dans de nombreux cas, les États bénéfi ciaires reprochent aux donateurs de ne pas honorer leurs engagements. Or, le palmarès de nombreux ministères destinataires n’est pas plus

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reluisant. Seule une restructuration radicale et simultanée des systèmes de GDP dans les pays bénéfi ciaires et des pratiques des donateurs permettra de remédier à une situation aussi désastreuse. Il faut engager les changements sur trois axes :

• En améliorant l’information fi nancière mise à la disposition des participants, de manière à ce qu’ils puissent prendre des décisions éclairées. Cette mesure requiert beaucoup de personnel, mais est en général réalisable dans des environnements perturbés à condition que des investissements suffi sants soient effectués sur la durée. L’Annexe 6a énonce quelques suggestions dans ce sens.

• En instaurant des instruments de gestion fi nancière novateurs, qui canaliseront les fonds des États et des donateurs. Une telle approche peut être mise en œuvre dans des environnements perturbés à condition que la confi ance règne entre les partenaires et qu’une certaine stabilité soit installée du côté des décideurs. Pour une analyse des instruments de gestion de l’aide, voir le Module 8. Analyser les systèmes de gestion.

• En introduisant un programme sectoriel, ou sous la forme de mesures provisoires, pour les programmes de certains sous-secteurs. Cet objectif ambitieux semble hors de portée dans de nombreux secteurs perturbés, mais peut être envisagé dès que des conditions plus propices se présentent. Voir l’Annexe 8 pour une description rapide du conceptde SWAp.

L’Annexe 6a décrit les mesures pratiques à prendre pour procéder à une étude détaillée des contributions des donateurs. Dans des contextes troublés, lorsque les donateurs conditionnent leurs fi nancements à l’évolution de la situation politique et militaire, un tel exercice peut se révéler prématuré. La formulation de scénarios de remplacement, fondés sur plusieurs hypothèses concernant le degré de générosité des donateurs, constitue un autre moyen raisonnable d’estimer les apports des donateurs sans occulter l’incertitude sous-jacente. Si ces scénarios sont liés aux résultats attendus suivant les différents niveaux de fi nancement, les organismes donateurs ainsi que les autorités destinataires pourront prendre des décisions plus éclairées.

Pour de plus amples détails sur l’aide étrangère, voir le Module 3. Comprendre le contexte passé, présent et futur du pays.

Financement privé

Les documents sur la contribution fi nancière des usagers sont relativement rares. Lorsque des études connexes, telles que des enquêtes auprès des ménages, existent, elles se réfèrent à des situations spéciales, comme celle des zones sûres, et ne se prêtent pas à une généralisation. Dans la plupart des cas, on ne s’intéresse pas au fi nancement privé car les données font défaut, ou on le sous-estime en supposant qu’une population appauvrie par la crise ne peut pas supporter de dépenses de santé substantielles. Néanmoins, les données existantes laissent à penser que les populations touchées par un confl it consacrent des sommes importantes à l’achat de certains services de santé curatifs, essentiellement auprès de prestataires privés (formels ou informels). L’importance croissante de la contribution des usagers est confi rmée par la multiplication des structures de santé privées dans de nombreux pays frappés par un confl it, du moins dans les zones urbaines. Ainsi, le recul des services subventionnés se traduit par un bond des dépenses privées. Ce réajustement ne peut pas durer éternellement. Lorsque les ressources privées sont épuisées et que des dépenses concurrentes (par exemple alimentaires) deviennent prioritaires, les dépenses de santé privées diminuent forcément.

La durée et la gravité de la crise, de même que les niveaux de pauvreté de départ, infl uent sur la décision par les particuliers d’acquérir des soins de santé. Cela étant, il semble raisonnable de tabler sur le fait que dans la plupart des cas, les dépenses privées seront considérables, du moins jusqu’à ce que la crise atteigne son paroxysme. Il convient de tenir compte de ce schéma lorsque l’on s’efforce de formuler des prévisions concernant cette source de fi nancement des services de santé.

Un niveau de dépenses privées signifi catif ne se traduit pas systématiquement par un partage des coûts plus poussé pour les services de santé offerts par les prestataires publics. En réalité, on a pu observer que dans les pays stables, en moyenne 5 % des dépenses récurrentes du

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système de santé sont générées par des mécanismes de partage des coûts. Si l’on tient compte des coûts administratifs, cette proportion se réduit encore (Poletti, 2003).

Dans les environnements frappés par la guerre, le partage des coûts risque de rapporter encore moins, en raison de l’érosion des niveaux de qualité et de la pénurie de médicaments à laquelle doivent faire face les services de santé publics, ce qui comprime la demande. De plus, les pauvres s’appauvrissent encore et sont rejoints par les nouveaux pauvres, qui gonfl ent la proportion de la population qui n’est pas en mesure de payer pour les services de santé procurés par des prestataires publics, et ne souhaite pas le faire. Et les pauvres qui paient leurs soins de santé en vendant des actifs productifs ou en renonçant à envoyer leurs enfants à l’école risquent de plus en plus d’en subir les conséquences, et de voir leur santé se dégrader davantage. Outre le coût administratif élevé qu’elles induisent, la gratuité accordée aux pauvres donne des résultats mitigés et entraîne des abus. Dans un environnement instable, repérer les personnes qui ont réellement besoin d’une exonération peut se révéler encore plus diffi cile.

En périodes de troubles, l’instauration et le maintien de mécanismes de partage des coûts se traduiront par un coût d’opportunité élevé. En effet, il faudra pour cela priver de capacités et de ressources d’autres objectifs concurrents, considérés par certains comme plus urgents, par exemple l’élargissement de l’accès aux soins de santé, l’amélioration de la qualité de ces soins, le renforcement de la capacité d’orientation des patients et la lutte contre le VIH/sida. Cet aspect, bien souvent négligé, a été manifeste au Sud-Soudan (Erasmus et Nkoroi, 2002).

Les débats sur le partage des coûts ont tendance à prendre une forte tonalité idéologique. Outre les préoccupations évidentes pour l’équité soulevées par cette question, on sous-estime souvent l’ineffi cience intrinsèque de bien des dispositifs de partage des coûts en période de crise. Tout d’abord, le coût d’exploitation de ces dispositifs peut annuler tout ou partie de leurs maigres rendements. Ensuite, ces mécanismes peuvent comprimer la demande de soins de santé, ce qui se traduit par une hausse du coût unitaire (en raison des coûts fi xes importants, comme ceux de l’infrastructure et du personnel). Pour compenser ce recul de la demande de services, et donc des recettes, les prestataires peuvent être tentés de majorer les honoraires, ce qui ne fait que tasser davantage la demande. Ce cercle vicieux est patent dans les contextes où la participation fi nancière de l’usager constitue la principale source de recettes, voire la seule, pour des prestataires qui se débattent pour garder la tête horsde l’eau.

En République démocratique du Congo, le débat sur le partage des coûts occupe depuis des années une place de choix dans l’ordre du jour, sans pour autant produire de solution pratique. Ce débat très animé y est largement passé à côté de l’enjeu. Le sous-fi nancement criant (les dépenses de santé atteignant US $2-3 par personne et par an) qui touchait le secteur dans ce pays il y a encore quelques années a contraint les prestataires à relever la contribution fi nancière des usagers, quels que soient les effets indésirables de cette décision. Il fallait en effet remédier aux limitations structurelles avant de pouvoir envisager sérieusement d’autres méthodes de fi nancement de la santé.

Mécontents de la qualité des soins apportés par des services publics en diffi culté, les usagers aisés optent de plus en plus pour des prestataires privés à but lucratif (formels et informels). Le niveau élevé des dépenses privées peut donc résulter de la consommation d’un volume plutôt modeste de soins de santé curatifs dispensés en ville, et qui constituent en réalité un marché distinct. Cette situation peut permettre de comprendre les diffi cultés que rencontre le secteur public lorsqu’il s’efforce de capter cette source de fi nancement.

Mécanismes assurantiels

Dans nombre des pays étudiés, les programmes d’assurance sociale étendus étaient rares même avant la crise. Lorsqu’ils existent, les dispositifs d’assurance sociale risquent d’être durement frappés. Au Soudan, le programme national d’assurance santé (National Health Insurance) couvre 8 % de la population (essentiellement des fonctionnaires), pour un niveau de dépenses fi nancières annuel d’environ US $90 millions. Les diffi cultés rencontrées par

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le système (lourdeur des coûts administratifs et carences du recouvrement des primes) sont monnaie courante dans les environnements dégradés (Decaillet, Mullen et Guen, 2003).

Dans de nombreux pays, des initiatives de fi nancement communautaire à petite échelle, reposant sur des modèles assurantiels rudimentaires, ont été introduites, en général par des ONG. L’élargissement de dispositifs communautaires volontaires prend généralement du temps, se révèle ardue et produit des résultats incertains. Les dispositifs de fi nancement communautaire local rencontrent le plus souvent des problèmes d’escalade des coûts, qui touchent l’assurance dans son ensemble, si les modalités de paiement adéquates des prestataires ne sont pas appliquées. Les résultats de ces dispositifs dans les pays connaissant des perturbations n’ont pas fait l’objet d’analyses poussées, à l’exception de celui mis en œuvre en République démocratique du Congo pendant des décennies. Dans ce pays, l’érosion des moyens fi nanciers de la majorité de la population a réduit la couverture de l’assurance, qui reste négligeable. Il est évident que les pouvoirs publics devront débloquer des subventions s’ils veulent que cette approche soit étendue. Ainsi, dans un contexte d’appauvrissement de la population, les mécanismes d’assurance communautaire devraient être considérés comme une stratégie de prestation de services plutôt que comme des mécanismes de mobilisation des ressources et devraient être mis en oeuvre pour leurs avantages sociaux.

Étudier l’enveloppe de ressources actuelle

Les estimations produites par les organismes internationaux, telles que les institutions fi nancières internationales (IFI), sont peut-être plus précises que celles émanant des autorités nationales. Dans certains cas, les chiffres fournis par les organismes internationaux sont les seuls disponibles. La prudence est donc de mise pour toute estimation. Il faut éviter de retenir tout chiffre de cette importance sans vérifi er au préalable dans la source la validité de l’estimation. Les IFI sont soumises à des pressions politiques, au même titre que les ministères des Finances, et embellissent parfois les chiffres afi n de les rendre compatibles avec le discours politique prédominant.

Les incohérences entre estimations ne sont pas rares. À condition que les ordres de grandeur des chiffres disponibles soient les mêmes, les écarts ne doivent normalement pas constituer un motif de préoccupation. Lorsque la différence entre les estimations produites par plusieurs sources n’est pas supérieure à 10 % du total, ces chiffres peuvent globalement être considérés comme cohérents. Il convient de se montrer très attentif afi n de vérifi er si l’accord sur les chiffres se fait autour de valeurs fi ables, ou s’il s’explique par la répétition de la même erreur d’une estimation à l’autre, ou par des chiffres provenant, explicitement ou non, de la même source, qui risque elle-même d’être entachée d’erreur. Par exemple, beaucoup d’estimations n’intègrent pas la contribution fi nancière des usagers dans le total des dépenses de santé. Dans ce cas, il ne faut pas tenir la cohérence pour un signe d’exactitude.

Dans la situation, courante, où il est impossible de se procurer des chiffres signifi catifs sur les dépenses de santé, il faut remplacer ces chiffres par des estimations fondées sur le bon sens. L’Étude de cas n° 11 présente la méthode suivie en 2003 dans le cas de l’Iraq, dans une situation d’extrême instabilité, où l’information disponible était largement inexploitable. Pour faire comprendre au lecteur la forte incertitude qui a pesé sur les calculs, on a préféré établir une fourchette dans laquelle les niveaux de fi nancement futurs étaient supposés s’inscrire plutôt que de donner une estimation ponctuelle.

Le tableau ci-après donne des indices sur les valeurs à attendre. Les dépenses de santé (publiques et privées) en valeur absolue varient considérablement d’un pays à l’autre, mais une fois qu’elles sont exprimées en proportion du PIB, la fourchette se réduit. Dans les pays proches du niveau supérieur, les dépenses privées occupent une place importante, et sont égales, voire supérieures, aux dépenses publiques. La contraction de l’activité économique, la réduction de la base de recettes et l’augmentation des dépenses militaires expliquent dans une large mesure la faiblesse du fi nancement public de la santé observée dans les pays frappés par un confl it. Sachant que les estimations des dépenses privées résultent souvent d’évaluations au jugé, les véritables écarts entre les pays peuvent se révéler plus étroits que ne le suggère ce tableau.

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Les dépenses de santé dans certains pays frappés par la guerre

Pays

Dépenses de santé en % du PIB

Aide pour la santé par

habitant (US $)

Dépenses de santé totales par habitant

(US $)

AnnéePubliques Privées

Angola 16 2000

Cambodge 1,4 7,8 2 22 1994

Cisjordanie et Bande de Gaza 7 5 54 135 2005

Colombie 5,2 4,2 227 1995-99

Congo (République démocratique)

6 12 2004-6

Iraq 67 2004-6

Kosovo 2,5 4,0 60 2001

Liberia 6 2000

Mozambique 2,8 0,7 4,6 8,8 1995-99

Ouganda 1,7 1,8 2,1 6 1990

Rwanda 2,0 2,1 10 "

(Nord) Soudan 0,6 3,3 4 26 2006

Il faut juger du volume de l’enveloppe de ressources que l’on fi nit par calculer en fonction du secteur de santé censé opérer à l’intérieur de cette limite. Le volume, la composition, la nature et la qualité des soins, les résultats quantitatifs ainsi que l’effi cience opérationnelle sont autant de facteurs qui donnent une idée des moyens dont le système a besoin, ce qui permet de vérifi er grossièrement la validité des estimations obtenues. Les Exemples concrets n° 10 et 11 présentent des exemples de ce type de raisonnement. Si l’on constate un écart important entre les niveaux de ressources et les caractéristiques du secteur de la santé, comme dans le cas du Soudan, il convient de réexaminer les sources des données et de refaire les calculs. Hors de leur contexte, des niveaux de fi nancement exprimés en valeur absolue peuvent en effet se révéler très trompeurs. Par exemple, au Sud-Soudan, le fi nancement annuel attribué par les donateurs au secteur de la santé a été estimé à US $55 millions, ce qui n’est pas négligeable pour une population d’environ 8 millions d’habitants. Si l’on tient compte du fait que la logistique, la sécurité et le transport peuvent représenter jusqu’à 70 % des coûts, le chiffre du fi nancement prend un tout autre sens. D’ailleurs, les résultats et la couverture rapportés pour le secteur de la santé sont très faibles (Decaillet, Mullen et Guen, 2003).

Estimer le niveau de ressources

Si la valeur des dépenses de santé échappe en général à tout calcul précis, leur ordre de grandeur se trouve au cœur des décisions de politiques publiques, en raison de l’infl uence des ressources sur la confi guration du secteur. Malgré d’importantes différences dans les coûts opérationnels suivant les pays, certaines considérations se vérifi ent dans la plupart des situations.

La littérature a progressivement admis que la prestation des services de santé revient plus cher que ce qui avait été prévu lorsque le concept de soins de santé primaires a été lancé (Chabot et Waddington, 1987). Après une décennie de pratique sur le terrain, le chiffre jugé par la Banque mondiale comme un niveau de fi nancement correct pour un paquet de services essentiels de santé (1993), de US $12 par habitant et par an, paraît plutôt optimiste, même une fois corrigé de l’infl ation, ce qui aboutirait aux alentours de US $20 pour 2008. La Commission sur la macroéconomie et la santé (2001) a révisé à la hausse le besoin de fi nancement pour la prestation de services de santé d’une qualité acceptable, pour le porter à US $34 (ce qui équivaut à environ US $42 en 2008). Hay (2003) a opté pour une approche pragmatique, soulignant que les pays qui parviennent à apporter des services de santé universels d’une qualité acceptable supportent des dépenses plus importantes. Étant donné les ineffi ciences qui affectent régulièrement des secteurs de la santé instables, la prestation de soins de santé dans de tels environnements entraînera probablement des surcoûts par rapport

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à une situation normale, à laquelle se référent en général les estimations mentionnées. Pour une analyse pertinente de cette question, voir Doherty et Govender (2004).

Pour simplifi er, nous avons ici réparti les dépenses de santé en trois tranches, en utilisant des délimitations arbitraires.

Dépenses de santé annuelles totales (publiques et privées) inférieures à US $10 par habitant

Ces secteurs de la santé sont touchés par un grave sous-fi nancement, ce qui exclut pratiquement toute prestation universelle des services de santé de base d’une qualité acceptable, même avec une gestion optimale et une forte effi cience opérationnelle (qui sont habituellement diffi ciles à obtenir avec des ressources aussi limitées). Beaucoup de secteurs de la santé frappés par la guerre relèvent de cette tranche. Donner impitoyablement la priorité aux services de santé dégageant des rendements importants du point de vue de la santé publique, tels que certaines activités préventives (mais pas toutes), semble constituer la seule option raisonnable sur le plan technique. On peut aussi choisir de privilégier les catégories pauvres et vulnérables. Cependant, ces deux stratégies présentent des diffi cultés d’ordre à la fois technique et politique.

Dans de nombreux cas, les réductions d’effectifs sont la principale mesure engagée en vue d’assurer une maîtrise des dépenses récurrentes à venir et d’offrir aux décideurs une certaine marge de manœuvre qui leur permettra de choisir les vraies priorités. Pour une analyse de cette option, voir le Module 10. Analyser les ressources humaines du secteur de la santé. Il faut résister à la tentation d’adopter de grands programmes de construction, même s’ils sont fi nancés par les donateurs. Sur le plan politique, appliquer cette stratégie peut se révéler impossible.

Sachant que la plupart des pays de cette catégorie sont désespérément pauvres, la mise à contribution de ressources internes supplémentaires (et en particulier privées, comme le préconisent les partisans du partage des coûts) n’améliorera le fi nancement qu’à la marge, sans pour autant permettre de surmonter le défi cit de fi nancement en valeur absolue. Dans la plupart des cas, le partage des coûts réussit à capter la part des dépenses privées qui était jusque-là absorbée par les transactions informelles, mais sans produire d’effet sur les niveaux totaux de fi nancement

La dépendance vis-à-vis de l’extérieur est bien souvent considérable dans de telles situations. Le secteur de la santé ne peut pas réalistement espérer apporter des soins équitables ou effi caces, même après l’introduction de grandes réformes du management, sans une augmentation substantielle de l’aide extérieure. Les secteurs de la santé du Mozambique et de l’Afghanistan (dans les années 1990) et de l’Éthiopie sont classés dans cette catégorie.

Dépenses de santé annuelles totales (publiques et privées) comprises entre US $10 et US $50 par habitant

Ces pays peuvent viser une couverture universelle des soins de santé à long terme à condition de remédier aux principales ineffi ciences allocatives, d’adopter des modèles de prestation rationnels et d’améliorer leurs capacités de gestion. Si la majeure partie des ressources sont englouties dans des hôpitaux tertiaires, les médicaments de marque, les frais administratifs, la corruption, les soins privés à but lucratif ou les ONG internationales aux frais généraux élevés, il ne faut pas s’attendre au moindre progrès. Pour optimiser l’utilisation d’un niveau de fi nancement qui n’autorise guère les gaspillages, le secteur de la santé doit être géré avec fermeté par des autorités publiques portées sur l’équité et l’effi cience. Le fi nancement intérieur suffi t peut-être à couvrir les opérations de base, et les contributions des donateurs peuvent alors fi nancer le relèvement et l’extension des services. La dépendance vis-à-vis de l’extérieur peut paraître alarmante aux premières heures de la reconstruction, mais ce sentiment devrait se dissiper au fi l du temps, à mesure que le fi nancement interne prend de l’ampleur. Les secteurs de la santé de l’Angola et du Soudan (Nord) se classent dans cette catégorie. Tous deux affi chent des niveaux de consommation de services peu brillants et des soins de piètre qualité en raison de très nombreuses ineffi ciences allocatives et techniques.

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Étude de cas n° 10Indicateurs synthétiques, Soudan 2002

Une étude du secteur de la santé soudanais, placé sous la tutelle de l’État (Organisation mondiale de la Santé, 2003) a calculé les indicateurs synthétiques suivants à partir d’un grand nombre de sources :

Population : 30 millions

Structures de soins de santé primaires : 6 000

Hôpitaux : 300

Lits : 23 000

Personnel de santé : 45 000

Médecins : 5 000

Dépenses de santé : 3,3 % du PIB, soit 40 dollars internationaux (PPA), ou US $10 par habitant

Contribution privée aux dépenses de santé : 60–70 %

Accès aux services de santé : 40–60 %

Enfants ayant reçu tous les vaccins PEV : 27 %

Naissances dans un centre de santé : 12 %

Consultations en dispensaire par habitant : 0,8 par an

Cet ensemble d’indicateurs évoque un réseau de santé très étendu, disposant d’effectifs nombreux, dont une proportion signifi cative de médecins. Sur la base des dépenses de santé exprimées en dollars internationaux (PPA, voir Défi nitions), le secteur de la santé soudanais semble aussi correctement fi nancé, du moins selon des critères de comparaison africains. Toutefois, les chiffres de l’accès aux services de santé, de la couverture et de la consommation de services sont loin des niveaux attendus d’un secteur de santé censément doté de ressources substantielles. Ce décalage devait être éclairci. Si la conversion en PPA a conduit à surestimer les niveaux de fi nancement (ce qui n’est pas impossible dans un pays perturbé et divisé) et si les chiffres du fi nancement sont plus fi dèles à la réalité lorsqu’ils sont exprimés en US$, alors l’écart entre les entrées et les sorties se comprend mieux. D’ailleurs, un secteur de la santé aussi étendu, comptant de nombreux hôpitaux et opérant dans un pays en guerre, aurait de sérieuses diffi cultés à procurer une couverture universelle avec un niveau de fi nancement de US $10 par habitant.

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Dépenses de santé annuelles totales (publiques et privées) supérieures à US $50 par habitant

L’accès universel à des services de base d’une qualité acceptable (y compris l’orientation des patients) devient une possibilité concrète à une échéance relativement proche. Si les capacités et les conditions de sécurité le permettent, la panoplie des réformes préconisées par les instances internationales peuvent être introduites avec des perspectives raisonnables de succès. La tentation d’adapter les modèles techniques occidentaux étant souvent forte, il convient de garder la tête froide lorsque l’on établit les niveaux de soins. Le fi nancement extérieur peut se révéler essentiel pour la prestation des soins élémentaires pendant le confl it et stimuler aussi la reconstruction. La dépendance ne constitue toutefois pas une préoccupation à long terme. Exemples de secteurs de santé entrant dans cette catégorie : celui du Kosovo et de l’Iraq.

S’agissant des valeurs chiffrées évoquées ci-dessus, il convient de formuler un avertissement important concernant tous les indicateurs exprimés « par habitant ». En réalité, dans aucun pays en guerre le secteur de la santé ne peut desservir l’intégralité de la population. En effet, beaucoup d’habitants se sont réfugiés à l’étranger, et d’autres auront du mal à accéder aux services de santé en raison des lignes de front, des terrains minés ou de routes impraticables. Il convient donc de corriger l’enveloppe de ressources par habitant en fonction de la population effectivement desservie. En règle générale, les usagers potentiels représentent en réalité entre un quart et la moitié de la population totale, laquelle diminue dans certains cas considérablement en raison des décès résultant du confl it. Pour un exemple parlant, lire l’Étude de cas n° 2, qui porte sur le Mozambique, déchiré par la guerre. Une fois ramené à la population effectivement desservie, le niveau de fi nancement en valeur absolue semble plus favorable que le résultat initial des calculs. Rapportées au volume et à la qualité des services fournis, les dépenses de santé permettent de juger de la capacité du secteur à opérer dans des conditions diffi ciles. Cette évaluation peut donner des indices sur sa réaction probable à une vive augmentation des sollicitations lorsque la guerre sera fi nie. D’une certaine manière, l’expansion massive des services enregistrée au Mozambique pendant les années qui ont suivi la fi n du confl it, en 1992, aurait pu être anticipée étant donné la performance relativement satisfaisante des services de santé dans les zones sûres pendant la guerre. Tel ne fut pas le cas en Angola pendant ou après la guerre (Pavignani et Colombo, 2001).

Composition des dépenses de santé dans les secteurs publics gravement sous-fi nancés

Les niveaux de ressources conditionnent la composition des dépenses de santé. Plus le défi cit est important, plus ces dépenses en pâtissent. Face à un amenuisement des fi nancements, la plupart des secteurs publics en diffi culté s’adaptent en commençant par rogner sur les investissements, puis en économisant sur la maintenance de leurs actifs. Les pays pauvres limitent aussi considérablement leurs achats de médicaments, qu’ils doivent payer dans une devise forte. La proportion du fi nancement intérieur disponible affectée aux salaires augmente, et dépasse dans certains cas 80 % du total. À mesure que la crise s’aggrave, les salaires sont gelés et le pouvoir d’achat se comprime. Lorsque certaines dépenses ne sont plus couvertes par le fi nancement intérieur, se sont habituellement les donateurs qui prennent le relais et qui deviennent alors la seule source de moyens pour les investissements, la maintenance, le matériel, la formation, l’achat des médicaments, les programmes de lutte contre les maladies et les soins de santé primaires (le plus souvent via les ONG).

Lorsque la crise se prolonge, ces ajustements se traduisent en général par un délabrement et par une sous-utilisation du réseau (même en l’absence de dégradations causées par la guerre), dont le personnel est peu motivé et improductif et ne dispose pas des outils élémentaires pour soigner la population. Les maigres ressources sont consacrées aux zones sûres (souvent les grandes villes) et aux infrastructures importantes, comme les hôpitaux tertiaires. Les ineffi ciences et les inégalités augmentent de manière exponentielle.

Étudier la composition des dépenses de santé n’est utile que lorsque l’on dispose d’estimations raisonnablement complètes. Ainsi, il ne sert à rien d’examiner la composition du budget de

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Étude de cas n °11L’estimation des dépenses du secteur de

la santé iraquien en 2004

Malgré tout l’attention dont l’Irak a fait l’objet pendant la période qui a précédé la guerre en 2003, l’information disponible sur le secteur de santé de ce pays est restée lacunaire, approximative et entachée de graves erreurs. Plusieurs facteurs expliquent le fl ou qui entourait alors le secteur de la santé iraquien : le goût du secret de l’administration publique, les dissensions internes, la crise économique, les désillusions des fonctionnaires concernant l’avenir du secteur public, ainsi que le pillage généralisé des infrastructures de santé (avec à la clé la destruction des fi chiers et des dossiers). Les informations de base concernant les années qui ont précédé le dernier confl it, par exemple sur les ressources fi nancières et humaines, ont ainsi irrémédiablement disparu, si tant est qu’elles aient jamais existé.

Nonobstant ces « blancs » dans l’information, il a bien fallu prendre des mesures pour préserver la prestation des services de base et établir les fondements de la reconstruction. Avant d’introduire de telles mesures, il a fallu procéder à une estimation grossière des dépenses du secteur de la santé à brève échéance. Une première série de calculs a été engagée en juillet 2003, en préparation à la conférence conjointe Nations Unies-Banque mondiale sur la reconstruction, qui était prévue en octobre 2003.

Cette projection rapide a pris pour point de départ le PIB par habitant, estimé à US $1 000 en 2003, et censé augmenter rapidement une fois que le secteur pétrolier se serait redressé. Différents rapports chiffraient les dépenses de santé avant la guerre à environ US $110 par habitant, dont 40 % étaient fi nancés par des contributions privées. L’investissement était considéré comme négligeable. Ce niveau de fi nancement correspondait globalement à celui des pays voisins et aux prévisions de coûts établies pour le fonctionnement d’un secteur de santé assez étendu et sophistiqué, centré sur les hôpitaux. Il a donc été admis comme un chiffre raisonnable.

On a ensuite choisi un seuil et un plafond pour le fi nancement interne, fi xés respectivement à 4 et 8 % du PIB, représentant le niveau de fi nancement le moins favorable (la santé n’est pas considérée comme prioritaire) et le plus favorable (la santé est considérée comme prioritaire). Ces deux valeurs délimitaient la fourchette dans laquelle le fi nancement effectif avait de grandes probabilités de s’inscrire en 2004 (du moins fallait-il l’espérer). Pour la santé, cette proportion du PIB représentée par le fi nancement interne (privé et public) a donné des sommes de US $39 et US $77 par habitant respectivement, dont on pensait qu’elles serviraient essentiellement à couvrir les dépenses récurrentes, comme cela avait été le cas les années précédentes.

Concernant l’aide extérieure au secteur de la santé iraquien, les calculs n’ont pas anticipé de générosité particulière de la part des donateurs, telle que celle dont avait bénéfi cié le Kosovo, par exemple. Ils se sont donc fondés sur une fourchette prudente comprise entre US $10 et US $20 par habitant, ce qui correspond globalement aux estimations disponibles pour les cas antérieurs de reconstruction post-confl it (Nordhaus, 2002).

En combinant ces deux fourchettes, on a abouti à un seuil de US $49 et à un plafond de US $97 par habitant. Le résultat est donc inférieur au chiffre d’avant-guerre, qui ressortait à US $110, mais sans s’en écarter trop non plus. Sachant qu’avant le confl it, les services de santé iraquiens souffraient de graves ineffi ciences et qu’après la guerre, ils ne fonctionneraient pas au maximum de leurs capacités pendant des années, le niveau de fi nancement ainsi calculé a paru adéquat à condition d’être affecté de manière judicieuse. Certes, avant de considérer ces estimations approximatives comme plausibles, il a fallu répondre à d’importantes questions. Il a notamment fallu se procurer des informations fi ables sur a) le nombre et la composition du personnel et la grille de rémunération ; b) la taille et la composition du réseau de santé et c) la répartition des services de santé dans le pays.

En attendant les informations qui leur manquaient, les décideurs ont conclu qu’avec un niveau de fi nancement proche du bas de la fourchette, il ne fallait pas compter sur une expansion du secteur de la santé après la guerre. Dans ce scénario, la plupart des ressources seraient englouties dans la préservation des services existants. À mesure que l’on approche du haut de la fourchette, on peut consacrer une part croissante des ressources à l’investissement dans la reconstruction physique, le développement des ressources humaines et la restructuration de l’organisation. Le relèvement du secteur de la santé devient alors une possibilité concrète.

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l’État sans tenir compte des substantielles dépenses extrabudgétaires, de même que lorsque les contributions des donateurs ou des usagers entrent pour une large part dans le total des dépenses.

Dans les cas plus favorables, où il est possible d’évaluer la proportion des dépenses totales absorbées par les principaux postes de dépense, on peut obtenir des indications importantes sur la nature du secteur de santé, ses principales distorsions, ainsi que les mesures nécessaires pour y remédier. Au-delà des grands postes de dépense (salaires, médicaments, autres dépenses récurrentes et d’équipement), il convient d’examiner la part relative absorbée par l’administration dans le cadre de la prestation des services, et par les hôpitaux s’agissant des soins de santé primaires. De même, la répartition géographique des fonds revêt une certaine importance. En effet, des considérations militaires, des tensions ethniques, la distribution de l’infrastructure de santé, les communications, le niveau de développement économique ou les capacités des groupes de pression régionaux constituent autant de facteurs qui infl uencent la manière dont le fi nancement est réparti dans le pays. Malheureusement, il est rare que les données sur les parts respectives des dépenses soient disponibles, ou alors, leur calcul suppose de procéder à des études ad hoc.

La détection d’inégalités grossières dans les dépenses de santé, habituellement possible même en présence de graves lacunes dans l’information, doit infl échir l’élaboration des politiques, ainsi que la planifi cation et les décisions de gestion. Les inégalités ne peuvent être corrigées qu’à long terme, par l’application continue de mesures (portant essentiellement sur l’investissement) favorisant les zones et les populations négligées. Par exemple, dans de nombreux pays, les ONG ont tendance à se regrouper dans les zones qui offrent les meilleures conditions de sécurité et d’action. Réorienter le fi nancement sur les zones sous-desservies contribuerait à dissuader les nouveaux arrivants d’opter pour les zones privilégiées, ce qui pourrait remédier aux déséquilibres existants.

Caractéristiques des décisions d’affectation de ressourcesTous les décideurs agissent sur un terrain fortement marqué par l’incertitude et l’ignorance de ce que font les autres participants, et ajustent leurs allocations sur la base d’une information très insuffi sante. Dans un tel contexte, ils se fi ent davantage à leurs perceptions qu’aux faits, qu’ils ignorent, négligent, voire réfutent parce qu’ils les jugent indésirables. De plus, à force d’être colportées, les rumeurs s’enracinent et acquièrent une infl uence qui ne s’appuie sur aucune preuve.

La raréfaction des ressources, conjuguée à l’incertitude des mandats politiques, se traduit dans la plupart des cas par une tendance à la prudence au sein des administrations publiques. Là où ils devraient être intraitables sur les priorités, les ministères de la Santé, ébranlés par les confl its, choisissent de préserver les services de santé qui ont été épargnés par les violences (quels que soient leurs mérites comparés) et évitent la controverse politique qu’entraînerait la réallocation de ressources en diminution. La planifi cation de la réduction des moyens est un art rarement pratiqué (Cumper, 1993). L’effi cience allocative du secteur public tombe par conséquent à des niveaux catastrophiques.

Il arrive que d’autres acteurs, qui ont pris de l’ampleur pendant la crise, soient mieux dotés, mais dans l’établissement de leurs priorités, ils se heurtent aux mêmes obstacles que les administrations publiques : instabilité, pressions politiques et information inadéquate. Personne n’est en mesure de prendre de décisions d’allocation judicieuses, ce qui ne fait qu’éroder davantage l’effi cience du système, avec la multiplication des participants et des initiatives.

Même les négociations laborieuses visant à fusionner des fi nancements distincts afi n de doter correctement le secteur de la santé et ses principales activités peuvent se révéler inutiles dès lors qu’un organisme de fi nancement donné se retire de l’accord convenu initialement.Dans certains cas, il s’ensuit une cascade de réallocations. Il se peut aussi qu’aucun ajustement ne soit opéré, ce qui laisse d’importants pans des dépenses de santé privés de fi nancement.

Les décisions de dépenses, qu’il s’agisse d’allocations ou de dépenses effectives, sont toujours prises compte tenu, explicitement ou non, de ce que les autres sources de fi nancement prennent en charge. Ainsi, l’État peut être moins généreux vis-à-vis de la santé et préférer

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fi nancer d’autres secteurs, car il a l’impression que les dépenses de santé sont déjà prises en charge par les donateurs. Il arrive qu’un donateur décide de venir en aide à un secteur qu’il perçoit comme négligé par les autres donateurs, ou inversement que le fonctionnement d’un service donné, jugé comparativement performant, attire plusieurs sources de fi nancement.

Lorsqu’ils examinent la composition des dépenses de santé, les analystes ne doivent pas oublier les obstacles auxquels se heurtent les décideurs. En effet, les déséquilibres observés dans le profi l des dépenses résultent bien souvent des pressions auxquelles le secteur de la santé ne peut se soustraire. Ce sont les dépenses faciles à comprimer qui sont les premières touchées, tandis que la proportion des frais fi xes augmente. Il est très fréquent que les exhortations venant de l’extérieur à une réforme des schémas de dépenses soient ignorées par nécessité, alors même qu’elles sont acceptées sur le principe.

Trop souvent, les critiques n’ont pas pleinement conscience des contraintes héritées des décisions d’investissement passées. Par exemple, plutôt que d’exercer des pressions en faveur d’un recentrage des dépenses au profi t des soins de santé primaires (préconisation de prédilection des donateurs), dans les situations où l’infrastructure requise n’existe pas et où la culture correspondante n’est pas enracinée, les partisans des soins de santé primaires obtiendraient de meilleurs résultats en militant pour la formation de cadres et pour la construction de structures spécialisées dans les soins de santé primaires, car les décideurs n’auraient alors plus d’autre choix que de favoriser cette approche. Dans le même ordre d’idées, la prolifération des médecins dans les pays en crise, comme en Afghanistan, en Angola et au Soudan, se traduit ensuite par la prédominance des soins curatifs en hôpital, même si les décideurs auraient préféré qu’il en soit autrement.

On peut suspecter que l’effi cience allocative est insuffi sante lorsque l’on observe plusieurs ou toutes les situations suivantes :

• La production de services est globalement modeste alors que les moyens déployés sont importants.

• Il existe une multitude de priorités diverses, voire contradictoires, si bien que l’on ne distingue pas clairement quelle direction prennent les opérations et le développement du secteur.

• Certaines zones sont saturées de personnel et de ressources alors que d’autres sont négligées. Comparer l’intérêt (en termes de rendements potentiels pour la santé) des activités privilégiées à celui des activités dédaignées permet de juger de la gravité des ineffi ciences du système.

• Il existe des déséquilibres entre les catégories de facteurs de production de base, par exemple des effectifs pléthoriques manquant de médicaments, ou des médecins très nombreux épaulés par des personnels infi rmiers trop rares.

• Il existe des déséquilibres entre les niveaux de soin. Il est fréquent que dans un secteur de la santé en crise, la strate des soins de santé communautaires (soutenue par les ONG et les organismes d’aide) et les hôpitaux tertiaires dotés de moyens conséquents prospèrent alors que les strates intermédiaires sont négligées.

Prévisions des ressources à venir dans une perspective de relèvementLes niveaux de fi nancement à venir dépendent de nombreux facteurs, dont aucun n’est facilement prévisible. Lors de l’établissement des projections, il convient de tenir compte de divers aspects, comme les performances économiques et budgétaires, les freins politiques, les dépenses militaires ou, inversement, les « dividendes de la paix », les dépenses sociales concurrentes, les engagements de l’État (par exemple le service de la dette), la générosité des donateurs ou encore les chocs exogènes. De plus, d’autres facteurs peuvent entrer en ligne de compte dans certaines circonstances.

Malgré ces diffi cultés qui peuvent être décourageantes, les prévisions des ressources occupent une place si centrale dans l’instauration d’une stratégie effi cace qu’il faut tenter l’exercice,

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même dans des situations d’extrême incertitude, dans lesquelles les analystes préfèreraient s’abstenir. En effet, en l’absence de prévisions crédibles des ressources, toute discussion sur les politiques publiques, aussi érudite, construite et bien intentionnée soit-elle, est vide de sens.

Le meilleur moyen d’aborder le dédale d’incertitudes qui caractérise cet exercice de prévision consiste à énoncer les hypothèses retenues pour chaque étape du raisonnement et sur lesquelles reposent les projections. Il est ainsi plus facile d’actualiser les prévisions à mesure que les événements se produisent et que l’on reçoit de nouvelles informations. De plus, les lecteurs sont en mesure de juger du réalisme des hypothèses et de les modifi er selon leur avis et les informations qu’ils détiennent. L’utilité de cet exercice de prévision dépend, dans une large mesure, de la solidité des hypothèses sur lesquelles il se fonde et du raisonnement suivi pour aboutir à chaque conclusion. Une présentation transparente des étapes suivies lors des calculs améliore considérablement la crédibilité des prévisions, et donc leur infl uence sur le processus de décision.

Le meilleur modèle de travail analytique permettant d’élaborer une vision réaliste pour un secteur de la santé redressé est celui de Noormahomed et Segall (1994), qui ont dessiné la carte du Mozambique post-confl it. L’OMS l’a publié à titre d’exemple de « meilleure pratique ». Ses fondements rationnels sont décrits clairement dans Segall (1991). De plus en plus souvent, les discussions à propos du relèvement des pays sortant d’une crise (et les conférences des donateurs organisées pour fi nancer ce relèvement) s’articulent autour d’un examen complet des dépenses d’équipement et récurrentes qu’il faut soutenir. Les Nations Unies, la Banque mondiale et un groupe de donateurs essentiels participent habituellement à l’étude des principaux facteurs, arrêtent leurs priorités et estiment le coût supplémentaire de la reconstruction. Le Module 12. Formuler des stratégies pour le relèvement d’un secteur de la santé en crise présente les étapes pratiques à suivre pour formuler des scénarios de reconstruction réalistes, ainsi que pour défi nir les obstacles que l’on risque de rencontrer et les erreurs usuelles à éviter. Voir également l’Annexe 3. Évaluation des besoins post-confl it.

Dans des situations caractérisées par l’apparition soudaine d’opportunités de relèvement, comme ce fut le cas au Kosovo, au Timor-Leste, en Afghanistan et récemment en Iraq, il n’a pas été possible de procéder à une analyse détaillée semblable à celle menée pour le Mozambique. Aux premières heures, agitées, de la transition, lorsqu’il a fallu prendre des décisions d’allocation très globales, il a fallu se contenter d’estimations agrégées et grossières au lieu de chiffres résultant d’une analyse plus fi ne. Des estimations imprécises (mais non biaisées) revêtent tout de même une certaine utilité pour les décideurs. Malgré leurs carences, lorsqu’elles existent et que les participants leur accordent plus ou moins foi, des prévisions même rapides peuvent infl uer fortement sur les grandes décisions. À condition qu’elles ne soient pas trop éloignées de la réalité (ce qui ne peut se vérifi er qu’a posteriori), un secteur de la santé en pleine transition aura toujours à gagner à disposer de projections de ressources.

La projection de l’enveloppe fi nancière du secteur de la santé pour les années à venir ne constitue pas un exercice académique. Si elles sont formulées correctement, les projections procurent aux décideurs un cadre de référence utile qui permet de juger des diverses options possibles. Là encore, l’ordre de grandeur des niveaux de fi nancement projetés est primordial. Par exemple, tous les scénarios concevables à propos de la Somalie convergent vers la même conclusion : le secteur de la santé doit opérer dans les limites de fi nancement très strictes, et faire preuve d’une grande retenue et d’un sens très aigu des priorités dans ses choix. À l’autre extrémité du spectre, en 2003, les prévisions concernant l’Iraq montraient que les limitations de capacité, la sécurité et la gouvernance allaient probablement compter davantage que les niveaux de fi nancement pour l’avenir du secteur de la santé iraquien.

La disponibilité des ressources ne devient pleinement pertinente que si l’on peut estimer le coût des services, de façon à en déduire de manière raisonnable les résultats à attendre pour un niveau de ressources donné. Les coûts de la prestation des services sont souvent négligés et sous-évalués, ce qui compromet tout l’exercice de prévision ultérieur. Dans l’enthousiasme propre aux phases de transition, la tentation de prendre ses rêves pour des réalités à propos des niveaux de ressources et des coûts des services est fréquente, et il convient d’y résister

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avec force. Les exemples de planifi cateurs et de décideurs qui fi nissent par déchanter sont légion. Il semble plus sage de produire des estimations plus prudentes.

Pour formuler des hypothèses raisonnables sur l’évolution à venir dans un contexte marqué par l’instabilité, il faut forcément s’appuyer sur un jugement subjectif et des choix arbitraires. Cet exercice ne doit donc pas être mené sans le concours des personnes qui connaissent le domaine et des décideurs. Les deux peuvent en effet apporter un retour d’information précieux et renforcer ainsi la fi abilité des prévisions. Sur le plan conceptuel, les objectifs poursuivis par la consultation des parties sont différents et évoluent au fi l du temps.

Au départ, il s’agit d’améliorer la fi abilité des projections en sollicitant un éventail aussi large que possible d’avis éclairés, avis qui ne reçoivent pas tous automatiquement le même poids. En effet, les analystes doivent incorporer aux projections les conseils judicieux, mais laisser de côté les arguments peu convaincants ou les suggestions erronées. Lorsque le premier cycle de consultations est terminé et que les prévisions sont considérées comme raisonnablement solides compte tenu des informations disponibles, il convient de contacter les parties prenantes afi n de les informer des raisonnements qui ont présidé à la réalisation des projections, ainsi que de la validité et des limites de ces dernières. Une fois que ces prévisions sont acceptées (au moins sur le plan technique), on peut commencer à analyser leurs conséquences pratiques pour les différentes parties. Cette dernière phase n’est pas dénuée de risques. En effet, les parties prenantes qui repèrent des effets indésirables dans les prévisions telles qu’elles ont été acceptées peuvent réagir négativement. Il faut s’attendre à ce type de revers et le gérer avec habileté politique. Ce n’est que si cette dernière phase est couronnée de succès que l’exercice de prévision sera intégré aux mesures effectivement adoptées.

Le tableau ci-après propose un moyen de cartographier les nombreux facteurs à prendre en compte pour la prévision des ressources à venir. Tous les facteurs présentés ne seront pas pertinents dans tous les cas. La plupart ont trait aux évaluations qualitatives, c’est-à-dire qu’ils ne se traduisent pas directement en variables, mais permettent de choisir des valeurs supérieures ou inférieures pour les principales variables.

Voir également le Module 2. Donner un sens (approximatif) à des données (bancales), section Faire des projections à partir des informations disponibles.

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Prévisions des ressources à venir dans une perspective de relèvement

Domaine Points à prendre à compte/Questions à poser Remarques Conseils et exemples

Politique et militaire

Des négociations de paix sont-elles en cours ? À quelle échéance peut-on s’attendre à ce qu’elles aboutissent ?

Il est possible que l’on attende beaucoup des « dividendes de la paix », ce qui risque d’infl uencer les projections budgétaires.

L’issue des tentatives précédentes de règlement de paix donne des indications sur les chances de succès des négociations en cours.

Les « dividendes de la paix » se sont souvent révélés être une chimère. Les processus de paix coûtent généralement plus cher que prévu.

Les périodes d’impasse politique et militaire offrent aux participants une certaine marge de manœuvre pour apprécier la situation de départ et pour discuter des projets de relèvement.

L’issue probable de la crise sera-t-elle la continuité de l’ancien gouvernement/État ou un changement radical ?

Lorsque l’on anticipe un changement radical, les prévisions fi nancières deviennent extrêmement sensibles aux hypothèses de base. Des scénarios différents doivent exposer aux décideurs les conséquences des différentes hypothèses. Par exemple, on ignore parfois complètement la base budgétaire potentielle d’une région sécessionniste.

Les pays qui accèdent à l’indépendance ou à la liberté après avoir connu l’oppression conçoivent souvent des projets sociaux audacieux. Ces aspirations sont le plus souvent contrariées lorsque la situation évolue.

Des intervenants extérieurs peuvent apporter aux décideurs locaux des indications précieuses tirées de processus antérieurs comparables.

L’échec de l’État peut se traduire par une vacance du pouvoir à certains endroits, même après l’arrêt des opérations militaires à grande échelle.

L’économie politique des États faillis est mal connue. La documentation (inadéquate) disponible sur les soins de santé dans les environnements privés d’État laisse à penser que les coûts opérationnels sont élevés. Pour tirer des conclusions plus solides, il faut explorer davantage la question.

Le pays est gouverné par un organisme national ou étranger.

Il convient de tenir compte du calendrier de restitution des fonctions assurées par l’autorité transitoire à un gouvernement national.

Dans certains cas, comme en Bosnie, les dispositifs transitoires restent en place plus longtemps que prévu.

Relations attendues du futur gouvernement avec la communauté internationale.

Les principales dimensions du confl it (géopolitiques, économiques, pénales et humanitaires) conditionnent le degré et le mode de participation de la communauté internationale.

Une allégeance politique et militaire résolue aux pays occidentaux est habituellement associée à la générosité des donateurs et à l’effacement de la dette.

Le confl it s’inscrit-il dans le cadre d’une crise régionale ?

Lorsque l’on s’attend à ce que la crise régionale dure, on ne peut guère anticiper de réduction des dépenses militaires.

Poids de l’armée dans les décisions concernant l’avenir du pays.

Les haut gradés ne veulent pas perdre la part généreuse de fi nancement public dont ils bénéfi ciaient en temps de guerre. On peut encourager les militaires à accepter des postes dans le civil, ce qui coûte souvent très cher.

Les seigneurs de la guerre conservent souvent leur milice personnelle alors que les hostilités sont offi ciellement terminées et taxent pour ce faire la population locale.

Nombre de combattants à démobiliser de tous les côtés.

La démobilisation coûte cher. Elle conditionne dans une large mesure les dépenses publiques et absorbe une grande partie des fonds des donateurs.

Exemple : Au Mozambique (1993-1997), lors de l’une des opérations les plus réussies à ce jour, l’estimation prudente du coût de la démobilisation par combattant est ressortie à US $1 000.

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Domaine Points à prendre à compte/Questions à poser Remarques Conseils et exemples

Économie

Cohérence et stabilité du gouvernement.

Les gouvernements de cohabitation sont parfois incapables de gouverner. Par ailleurs, en cas de remaniements fréquents, le respect des engagements devient de moins en moins probable.

Situation économique de départ et tendances récentes. Performances économiques prévues.

Les variables macroéconomiques suggèrent-elles une continuité par rapport aux années précédentes ou un revirement spectaculaire ?

L’Economist Intelligence Unit apporte des données macroéconomiques actualisées et qui ont fait l’objet de recherches poussées. La Banque mondiale et le Fonds monétaire international constituent également des sources utiles (pour de plus amples détails, voir le Module 14. Ressources).

Principaux facteurs conditionnant l’économie. Vulnérabilité face aux chocs exogènes.

Les recettes des pays pétroliers fl uctuent considérablement.

Les départements du Trésor dont les recettes sont tributaires d’un produit de base unique ont du mal à honorer leurs engagements à long terme.

Événements/conditions susceptibles d’induire une évolution spectaculaire des performances économiques.

Il convient de tenir compte des facteurs militant pour ou contre des investissements privés étrangers substantiels.

Exemple : Si la République démocratique du Congo est considérée comme un pays potentiellement riche (à condition d’être correctement géré), la Somalie est considérée comme structurellement pauvre. Les prévisions économiques doivent tenir compte de ce type de facteurs.

Niveaux de pauvreté. La rapidité et l’intensité du relèvement post-confl it dépendent des niveaux de richesse de départ et de leur répartition.

Infrastructure économique. Les réseaux bancaires et de communication peuvent être inexistants ou rudimentaires, comme en Afghanistan en 2002.

Perspectives économiques internationales : expansion ou contraction ?

La perception de l’environnement économique mondial conditionne largement les choix de politique publique.

Il arrive que des conditions particulières protègent certains pays des événements économiques mondiaux.

Relations attendues entre le futur gouvernement et les IFI.

S’il est perçu comme enclin à l’ajustement et à la réforme, le futur gouvernement devrait bénéfi cier d’un soutien important de l’extérieur.

Les positions de la Banque mondiale en disent long sur les intentions de la communauté internationale des donateurs dans son ensemble.

Gestion des dépenses publiques

(GDP)

Capacité budgétaire de l’État. Dans nombre de pays pauvres, même en l’absence de confl it, la capacité de l’État à lever des impôts est minime. La plupart des recettes publiques proviennent des droits de douane ou des licences. S’attend-on à ce que les recettes publiques augmentent signifi cativement après la fi n des hostilités ?

Dans les pays déchirés par la guerre, il arrive que les recettes publiques passent en dessous de 10 % du PIB. De plus, « Le relèvement budgétaire après l’effondrement prend du temps. On considère qu’augmenter de 0,5 pour cent par an la part de l’économie assujettie constitue un effort considérable » (Hay, 2003).

Mécanismes de gestion des fi nancements accordés par les donateurs, en place (comme un fonds fi duciaire multidonateurs) ou en cours de discussion.

Les niveaux de fi nancement peuvent devenir plus prévisibles à court et moyen terme en présence de tels dispositifs.

Il faut beaucoup de temps et d’efforts pour que les instruments de gestion de l’aide soient opérationnels, et ces derniers sont lents à réagir aux événements imprévus. Ils peuvent même se révéler ineffi caces durant les processus de transition rapides, surtout lors des premières phases.

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Domaine Points à prendre à compte/Questions à poser Remarques Conseils et exemples

Gestion des dépenses publiques

(GDP)

Cohérence des décisions de politiques publiques. Le pays est-il tenu à un programme d’ajustement structurel/de lutte contre la pauvreté ? Quel est l’historique de mise en œuvre de ces programmes par le gouvernement ?

Il arrive que le ministère des Finances s’engage à protéger certains secteurs des crises fi nancières, en déclarant leur attribuer une part minimum de fi nancement.

Les déclarations en faveur du secteur de la santé sont fréquentes, mais la santé constitue rarement la priorité d’un gouvernement en guerre.

Le comportement du ministère des Finances lorsqu’une crise frappe permet de déceler si ces engagement sont sincères de la part des décideurs locaux ou s’ils sont imposés de l’extérieur et simplement invoqués à intervalles réguliers.

Exemple : En Angola, le président a régulièrement fait échouer les tentatives déployées par le ministère des Finances pour instaurer une certaine discipline budgétaire.

Qualité des systèmes de GDP.

Plusieurs aspects entrent en ligne de compte : transparence, respect des règles et des rôles, discipline budgétaire, respect des engagements et bonne exécution des allocations budgétisées, entre autres.

La proportion de l’assistance apportée par les donateurs qui passe directement par les administrations publiques donne une idée de la perception de la qualité des systèmes de GDP existants.

Situation de la dette, actuelle et projetée. Position des principaux créanciers vis-à-vis du pays.

Le volume de l’encours et du service de la dette, ainsi que les projections d’évolution, donnent une indication de la marge de manœuvre fi nancière dont bénéfi cie l’État.

Les pays perçus comme étant riches, tels que l’Angola ou l’Iraq, peuvent avoir accumulé un niveau d’endettement qui les paralyse. Le service de la dette pèse à son tour sur le fi nancement public des services de santé.

L’importance de l’endettement existant s’appréhende mieux lorsqu’elle est exprimée en proportion de l’économie plutôt qu’en valeur absolue. Il convient également d’étudier le profi l de la dette. La dette commerciale à court terme est plus lourde à supporter que la dette préférentielle à long terme.

« La part du budget discrétionnaire allouée à la santé constitue parfois un meilleur indicateur de l’engagement des autorités vis-à-vis des services de santé à fi nancement public que sa part dans le total des dépenses publiques » (Hay, 2003).

Concurrence de la part des sollicitations budgétaires des autres secteurs.

Il faut aussi tenir compte des engagements offi ciels de l’État envers des secteurs qui font concurrence à celui de la santé pour obtenir des ressources.

Lorsque des documents offi ciels citent la santé comme une priorité au même titre que beaucoup d’autres, il ne faut pas s’attendre à des allocations préférentielles.

Dépenses extrabudgétaires. Existe-t-il une estimation de la proportion des dépenses publiques non intégrées au processus budgétaire ?

Les dépenses budgétaires et extrabudgétaires sont des concepts mal défi nis, utilisés de manière imprécise par les participants. Les arrangements hybrides ne sont pas rares. Voir le Glossaire du Module 14.

Les allocations budgétées sont parfois payées et comptabilisées en dehors des voies régulières de la GDP. Par exemple, il arrive que des prêts concessionnels soient inscrits au budget mais dépensés dans le cadre d’accords spéciaux, ce qui se traduit par des écarts importants entre les dépenses planifi ées et exécutées.

Aide (en général)

Niveau de dépendance vis-à-vis de l’aide. Tendances récentes de l’aide.

Existe-t-il des signes témoignant de la lassitude des donateurs (fréquente lorsque les crises se prolongent beaucoup) ?

Un hiatus pendant la transition risque-t-il de se produire ? Il n’est pas impossible qu’un recul du fi nancement humanitaire à la fi n d’une crise prolongée soit concomitant à un démarrage lent de l’aide au développement pendant tout processus de transition.

Un appui bilatéral aux programmes et de vastes prêts concessionnels témoignent de l’engagement à long terme des donateurs. Inversement, si les donateurs préfèrent faire passer les fi nancements par les agences des Nations Unies et par les ONG, c’est qu’ils rechignent à prendre des engagements fermes.Il faut prévoir l’apparition d’un hiatus pendant la transition et les donateurs doivent faire pression pour qu’il soit comblé avant que ses conséquences ne frappent de plein fouet la prestation des services de santé.

Position actuelle et attendue de la communauté des donateurs vis-à-vis du pays, du gouvernement, des rebelles et du secteur de la santé.

Les valeurs géopolitiques du pays jouent un rôle important dans les décisions des donateurs.

Par ailleurs, il arrive que les donateurs soutiennent l’approche adoptée dans un pays à des fi ns de démonstration, ce qui en assure le succès.

La communauté internationale a parfois investi massivement, en capital politique et en moyens fi nanciers, pour faire aboutir un processus de paix/relèvement, au point que la dépendance commence à s’inverser. La générosité des donateurs, même si elle n’est pas justifi ée par les événements, est alors assurée.

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Domaine Points à prendre à compte/Questions à poser Remarques Conseils et exemples

Aide (en général)

Conditionnalité. Qu’attendent les donateurs du pays afi n de maintenir ou de majorer les niveaux d’aide ? Ces conditions peuvent-elles être remplies ?

Pour accepter d’aider un pays, les donateurs imposent souvent comme condition que celui-ci débloque des dotations publiques généreuses pour la santé et l’éducation. Les donateurs des pays du Nord sont les plus ardents partisans de ce type de pratique.

Les exigences des donateurs sont-elles réalistes ? Si l’on déçoit les donateurs, risque-t-ils de revoir leur aide à la baisse ?

Un revirement spectaculaire de la part d’un donateur vis-à-vis d’un pays est-il prévisible ?

Le traitement des urgences complexes par les médias internationaux infl ue sur les niveaux d’aide. Quelle est la proportion de l’aide actuelle qui risque de disparaître lorsque l’attention se portera sur d’autres zones à problème ?

Exemple : L’Afghanistan est passé du statut de paria à celui d’important destinataire de l’aide lorsqu’il a changé de gouvernement et de majorité politique, en 2002.

Concurrence d’autres pays/urgences pour le fi nancement par les donateurs.

Une crise visible, avec des implications politiques, peut capter l’attention et les fonds des donateurs. Inversement, si d’autres pays tombent en disgrâce auprès des donateurs, ces derniers peuvent se tourner en réaction vers un pays comparativement perçu comme un bon élève.

Il arrive que la façon dont un pays destinataire se présente aux donateurs infl ue davantage sur les décisions de ces derniers que le comportement ou les résultats effectifs de ce pays.

Financement de la santé

Capacité d’absorption du fi nancement intérieur et extérieur du secteur de la santé. L’absorption peut-elle s’améliorer à court ou moyen terme ?

Il est rare qu’une estimation directe de la capacité d’absorption soit disponible. On peut dans certains cas repérer des signes indirects indiquant des problèmes sur ce plan.

Les retards et les prolongations dans les programmes planifi és témoignent d’une piètre capacité d’absorption.

Il peut exister des goulets d’étranglement importants en dehors du secteur de la santé. Au Sud-Soudan, l’absence de banques, de moyens de communication, de routes et d’entreprises conditionne le profi l, le coût et le rythme du relèvement.

Engagements formels des pouvoirs publics concernant le fi nancement de la santé.

Peuvent s’inscrire dans le cadre d’engagements de niveau supérieur, comme la stratégie de réduction de la pauvreté.

Les exemples de pays pauvres capables d’allouer plus de 10 % de leurs ressources publiques intérieures à la santé pendant une période prolongée sont extrêmement rares.

Conditionnalité de l’action des donateurs dans le secteur de la santé. Qu’attendent les donateurs du pays afi n de maintenir ou de majorer les nivaux d’aide ? Ces conditions peuvent-elles être remplies ?

Il arrive que les donateurs ne fi nancent que certains domaines, et négligent ainsi des composantes importantes de la prestation des services de santé.

Les exigences des donateurs sont-elles adaptées aux ressources et capacités (intérieures et extérieures) disponibles ?

Il est fréquent que des objectifs globaux soient adoptés sans que l’on ait sérieusement analysé les ressources susceptibles d’être allouées à la santé. Les décalages grossiers entre les ambitions et les moyens sont monnaie courante.

Estimations disponibles de l’aide au secteur de la santé, actuelle et à venir.

Étant donné la fragmentation et l’enregistrement lacunaire des fl ux d’aide, les chiffres ont tendance à sous-estimer les niveaux effectifs.

Exemple : En Somalie, l’aide allouée à la santé a été estimée à US $5-7 par habitant et par an en 2005. En 2006, une étude détaillée a révélé que les fl ux d’aide étaient deux fois plus importants qu’on ne le pensait (Capobianco et Naidu, 2008).

Programmes de fi nancement sur plusieurs années en cours ou en phase de négociation dans le secteur de la santé.

Ces instruments de fi nancement peuvent stabiliser les dépenses de santé tant qu’ils sont en vigueur.

Le total des dépenses augmente rarement du montant d’un fi nancement supplémentaire, comme un prêt concessionnel. Les autorités fi nancières peuvent en effet profi ter d’une partie de ce nouvel apport pour en faire bénéfi cier des domaines négligés extérieurs au secteur de la santé. Les fonds sont fongibles (voir la défi nition).

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Domaine Points à prendre à compte/Questions à poser Remarques Conseils et exemples

Financement de la santé

Contributions probables des initiatives mondiales pour la santé aux dépenses de santé.

Des initiatives mondiales pour la santé sont-elles déjà en place dans le pays ?

Exemple : Le fi nancement accordé aux projets verticaux au Libéria a quadruplé entre 2005 et 2008, ce qui a conduit à un doublement des dépenses par habitant consacrées aux services de santé (Canavan et al., 2008).

Proportion du fi nancement réservé à la santé.

Un volume élevé de dépenses de santé agrégées peut masquer des déséquilibres et des rigidités.

Exemple : Les engagements des donateurs pour le VIH/sida en 2005 ont dépassé l’allocation nationale budgétée pour 2003 par l’Éthiopie, le Rwanda et l’Ouganda, trois pays où le niveau de prévalence du VIH est faible à modéré (Shiffman, 2008).

Instruments de gestion de l’aide, comme les fonds communs, en place ou en cours de discussion dans le secteur de la santé.

Des négociations soutenues entre des donateurs infl uents, visant à mettre en place de tels instruments, témoignent d’un engagement à long terme vis-à-vis du secteur de la santé.

Étant donné les limitations des fonds fi duciaires multidonateurs, un ou plusieurs fonds communs d’aide spécifi quement consacrés à la santé peuvent se révéler plus effi caces pendant la transition de la guerre à la paix.

Situation relative du secteur de la santé par rapport aux autres postes de dépense.

La réputation du secteur de la santé et la pertinence politique de la prestation des soins infl uent sur les décisions de fi nancement des pouvoirs publics, des donateurs et des usagers.

Promettre de confi er la gestion de la santé aux rebelles dans le cadre des négociations de paix montre que l’on ne la considère pas comme un secteur prioritaire, qui ne bénéfi ciera pas d’un fi nancement généreux, ni d’un poids politique important à l’avenir.

Sources de fi nancement intérieur non exploitées.

Il convient d’évaluer dans quelle mesure le fi nancement intérieur pourra réalistement être étoffé au fi l du temps.

Le PIB (de départ et projeté) ainsi que les niveaux de pauvreté donnent des indications sur les contributions privées aux dépenses de santé auxquelles on peut raisonnablement s’attendre.

Dans les pays pauvres, les accords de partage des coûts ne tiennent généralement pas leurs promesses. Après le confl it, il faut des années de reprise économique soutenue avant que ces accords dégagent un rendement signifi catif.

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Placer la durabilité dans son contexte

La durabilité est sans cesse évoquée au titre des critères essentiels permettant d’évaluer toute activité ou initiative induite par l’aide. Il arrive que l’on confère à cette notion le poids d’un argument décisif. Ainsi, déclarer que quelque chose est « non durable » revient à le qualifi er d’inutile, voire de nuisible, ce qui exclut toute autre considération. Dans le contexte des États faillis, marqués par une grande pauvreté ou des besoins de services de santé en forte augmentation, comme en République démocratique du Congo et en Afghanistan, il convient de revoir la signifi cation que l’on accorde à la durabilité. En effet, pendant de longues périodes (probablement durant des décennies), ces pays seront incapables de survivre en comptant uniquement sur leurs propres moyens. Un service de santé doit donc être considéré comme « durable » quand il fonctionne sans interruption, quitte à ce qu’il soit fi nancé par des ressources extérieures. Plutôt que de minimiser l’importance de services de santé effi caces pour une population qui en a besoin uniquement au motif qu’ils sont fi nancés par des sources extérieures, il vaut mieux s’attacher à la prévisibilité de ces fi nancements et aux éventuelles conditions dont ils s’accompagnent. Ce changement de perspective suffi rait à corriger l’approche adoptée.

Les donateurs rechignent à admettre le simple fait qu’un pays ravagé par un confl it prolongé et privé des ressources et des capacités élémentaires n’est pas viable et ne le sera pas avant longtemps, même une fois que les remèdes habituels auront été administrés. Les donateurs se retrouvent face à un choix diffi cile, auquel ils préfèrent échapper : se désengager totalement et de manière irréversible (et accepter le bond de la mortalité, de la morbidité et de la pauvreté qu’entraîne cette décision), soit garantir que les services de santé essentiels seront assurés sur la durée, sans interruption ni baisse de qualité. S’ils optent pour cette deuxième possibilité, il convient de ne pas lancer toute nouvelle activité dans le secteur de la santé sans être certain que les donateurs la fi nanceront sur la durée.

Malheureusement, les donateurs optent souvent pour une solution intermédiaire : cycles de fi nancement courts, évaluations répétées de l’intérêt de reconduire le fi nancement, changements fréquents des activités bénéfi ciant de l’aide et de l’approche de programmation et interruptions répétées des fl ux d’aide sont monnaie courante. Ainsi, des initiatives disparates sont lancées mais n’ont jamais la chance de s’enraciner. Par exemple, l’insistance des donateurs à introduire un dispositif de partage des coûts dans des pays ravagés par une guerre témoigne de cet attachement excessif à la durabilité (Poletti, 2003). Cette erreur a exacerbé l’ineffi cience et l’iniquité dans un contexte déjà marqué par la détresse, la pauvreté écrasante et de graves limitations opérationnelles. Les protestations qui ont suivi semblent avoir dissuadé les donateurs de rechercher la durabilité à tout prix.

On a tendance à utiliser la notion de durabilité comme un concept global, mais il n’est pas inutile d’opérer une distinction entre la durabilité technique, qui a trait à la capacité d’exécuter certaines fonctions, et la durabilité fi nancière, laquelle résulte de la disponibilité de ressources, de la capacité budgétaire et de la priorité relative accordée aux soins de santé. En effet, il arrive qu’un État ait en absolu les moyens de fi nancer des services de santé, mais qu’il préfère les utiliser dans un autre domaine. De surcroît, il faut aussi tenir compte de la durabilité politique. Par exemple, un gouvernement qui n’est pas sûr que son mandat sera renouvelé sera peut-être tenté d’abandonner une mesure nécessaire mais impopulaire. Il en va de même pour les donateurs, dont les revirements fréquents sont bien connus.

Si les différents aspects de la durabilité comptent tout autant lorsqu’il s’agit de déterminer l’avenir d’une activité du secteur de la santé introduite grâce à un soutien extérieur, les discussions à ce sujet ont tendance à accorder trop d’importance à la dimension fi nancière. Ce biais inopportun, très fréquent chez les donateurs, ne fait que perpétuer l’hypothèse selon laquelle un fi nancement adéquat lève la plupart des obstacles, voire tous. En ne se souciant pas des limitations des capacités, on encourage les gaspillages. En raison de ce biais en faveur de la viabilité fi nancière, on ferme les yeux sur les dégâts que provoque une crise prolongée sur les capacités techniques. Plus les perturbations sont prolongées et graves et plus le relèvement prendra du temps, d’autant que dans certains cas, les capacités étaient déjà très insuffi santes avant la crise.

Pour une étude intéressante de la durée de la dépendance des pays sortant d’un confl it vis-à-vis du fi nancement des donateurs, voir Chand et Coffman (2008).

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Conseils de lecture

Evans R.G. Health for all or wealth for some? Confl icting goals in health care reform. In Mills A., (ed.), Reforming health sectors. Londres, Kegan Paul International, 2000.

Analyse caustique des principes, du discours et des objectifs (avoués et inavoués) du mouvement de réforme de la santé, dont les fondements bancals sont mis au jour sans complaisance. Selon cet ouvrage, toute réforme a des visées redistributives (explicites ou non), qui peuvent être progressistes ou régressives. La réforme du secteur de la santé telle qu’elle a été préconisée avec vigueur dans les années 1990 insistait sur l’effi cience et l’effi cacité, ce qui a détourné l’attention de son objectif central, à savoir le basculement des coûts de la santé, qui étaient jusque-là supportés dans une large mesure (via la fi scalité) par les ménages aisés et en bonne santé, sur les individus pauvres et malades. Ces réformes n’étaient pas celles « de Robin des Bois mais du Sheriff de Nottingham ». Selon cette interprétation, la réforme du secteur de la santé visait délibérément à faire pièce aux ambitions d’équité du système des soins de santé primaires, ainsi qu’aux avancées modestes réalisées dans cette direction.

Au cours de la dernière décennie, la réforme du secteur de la santé a perdu nombre de ses attraits. Un corpus grandissant de travaux de recherche montre que cette réforme n’a que rarement, et encore, produit les effets escomptés. Tandis que ses partisans imputent ces revers à une mauvaise exécution et à de la résistance politique, Evans est plus direct. À son avis, la réforme des services de santé a échoué en raison de ses défauts intrinsèques, visibles dès le départ à quiconque a bien voulu se donner la peine d’étudier l’ensemble des mesures proposées. « Des idées anciennes sont revenues au goût du jour, du moins dans les débats, ignorant ainsi complètement non seulement les données actualisées sur les déterminants de la santé, mais aussi l’expérience accumulée sur le terrain par les systèmes de santé au cours des cinquante dernières années. Cet historique, ainsi que les avancées dans la recherche dont il s’est accompagné, a apporté des enseignements importants sur les implications et les conséquences des différentes formes d’organisation et de fi nancement de la santé. Il semblerait toutefois qu’un certain nombre de ‘réformateurs’ aient manqué ces cours (voire tout le cursus) ».

Gottret P. et Schieber G. Financer la santé : une nouvelle approche : un guide pour les décideurs et les praticiens. Montréal, Québec : Éditions Saint-Martin, 2007. Disponible en ligne à l’adresse suivante : www.worldbank.org, consulté le 10 janvier 2011.

Présentation concise, complète et informative, qui porte un nouveau regard sur l’expérience accumulée lors de la mise en œuvre des réformes du secteur de la santé dans un large éventail de pays. De manière fort intelligente, cet ouvrage souligne que les pays se caractérisant par des niveaux de revenu différents doivent aborder ces problèmes et ces choix de manières différentes. Selon Gottret et Schieber, les pays à bas revenu doivent faire des choix et des arbitrages diffi ciles, et il n’existe aucune solution ou panacée universelle. Cet ouvrage constitue un point de départ utile pour qui a besoin d’informations élémentaires sur la réalité et les tendances du fi nancement de la santé, tout en proposant une analyse des principaux concepts. Il présente avec honnêteté les méthodes de fi nancement en les replaçant dans leur contexte, en énonçant leurs avantages et leurs insuffi sances, loin des expressions à la mode, slogans et autres solutions magiques.

Hay R. The ‘fi scal space’ for publicly-fi nanced health care. Oxford, Oxford Policy Institute (Policy Brief No. 4), 2003.

Description succincte, réaliste et tranchante des importantes limitations de fi nancement auxquelles doivent faire face les décideurs dans les pays pauvres. Des améliorations marginales ne suffi sent pas à combler de tels défi cits. Dans de nombreux pays, le secteur de la santé est condamné à dépendre massivement et durablement de l’aide. S’ils veulent s’affranchir de cette dépendance, ces pays doivent adopter des stratégies radicalement différentes pour défi nir les objectifs et les priorités du secteur, son fi nancement et le mode de prestation des services. Lecture à compléter par:

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Williams G. et Hay R. Fiscal Space and Sustainability from the Perspective of the Health Sector. Chapitre 4 in : High Level Forum on the Health Millennium Development Goals Selected Papers 2003–2005. OMS et Banque mondiale, 2006.

Cette étude accessible procède à une projection des fl ux d’aide et des dotations publiques pour un groupe de trente pays à bas revenu suivant différents scénarios. Ses conclusions ne sont pas optimistes. Même accrue, l’aide ne suffi ra pas à porter les dépenses de santé aux niveaux requis pour permettre à ces pays d’atteindre les OMD relatifs à la santé. Il convient donc de restructurer la manière dont les donateurs et les bénéfi ciaires fi nancent les dépenses de santé dans les pays pauvres.

McPake B., Kumaranayake L. et Normand C. Health economics: an international perspective, Londres, Routledge, 2002.

Cet ouvrage permet aux analystes et aux planifi cateurs de comprendre les diverses options possibles ainsi que les conséquences des choix qu’ils opèrent. Dans des situations où l’écart entre ressources et besoins est très important, comme dans les pays frappés par une crise chronique ou sortant d’une telle crise, l’analyse économique se révèle particulièrement précieuse. La méconnaissance de l’économie de la plupart du personnel humanitaire facilite l’exportation de mesures depuis les pays à haut revenu vers les pays à bas revenu, mesures qui sont acceptées ou imposées, bien souvent via les organisations internationales, sans considération pour leurs conséquences ou pour leurs limites.

Cet ouvrage applique des concepts économiques élémentaires au secteur de la santé en s’appuyant sur des comparaisons, de brèves études de cas et des exemples. Ses auteurs estiment que les principes économiques sont universels. Les exemples tirés de différents pays renforcent cette conviction, laquelle doit toutefois être considérée avec un certain recul dans un contexte de crise.

Poletti T. Healthcare fi nancing in complex emergencies: a background issues paper on cost-sharing. Londres, London School of Health and Tropical Medicine, 2003. Pour une introduction à la litérature disponible sur ce sujet, voir Cost-recovery in the health sector: an inappropriate policy in complex emergencies aussi par Timothy Poletti, disponible en ligne à http://www.odihpn.org/report.asp?id=2609, consulté le 9 janvier 2011.

Examen franc et réfl échi d’une question controversée. Près de deux décennies d’expérimentation de divers mécanismes de partage des coûts dans les pays pauvres n’ont produit que de bien piètres résultats. Malgré l’expérience peu probante accumulée dans des régions frappées par des confl its, certains donateurs ont conditionné leur fi nancement des projets exécutés par les ONG dans le secteur de la santé à l’inclusion d’une composante de partage des coûts dans leur structure. Ce document présente certains des mécanismes de partage des coûts mis en place en République démocratique du Congo et au Libéria, et les juge tous décevants sur le plan de la collecte des recettes, de l’effi cience et de l’équité. Il convient d’étudier de manière approfondie l’impact du partage des coûts dans des situations d’urgence complexe, tout en neutralisant les biais idéologiques qui entachent habituellement l’examen de cette question, rendant toute discussion inutile. Il convient également de trouver d’autres moyens de fi nancer la prestation des soins de santé lorsque les crises se prolongent.

Ce document synthétise en outre avec clarté les principales sources de fi nancement de la santé, les mécanismes de paiement des prestataires et les dispositifs de partage des coûts.

Schick A. A contemporary approach to public expenditure management. Washington, DC, The World Bank Institute, 1998. Disponible en ligne à l’adresse suivante : www.worldbank.org, consulté le 10 janvier 2011.

Magnifi que introduction au domaine, claire et parfaitement lisible, vivement recommandée aux néophytes. Les praticiens chevronnés y trouveront aussi des informations intéressantes. L’auteur réussit à rendre intéressant et vivant un sujet aussi aride que la présentation des systèmes de gestion des fi nances publiques, de leurs insuffi sances et de leurs limitations structurelles. Un chapitre est consacré à la question cruciale de l’inadaptation des systèmes de GDP dans les pays développés lorsqu’ils sont appliqués au secteur public indigent

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des pays pauvres. Allen Schick est également l’auteur principal du Manuel de gestion des dépenses publiques. Washington, DC, Banque mondiale, 1998. Cet excellent manuel couvre bon nombre de ces thèmes, d’un point de vue légèrement plus pratique.

Segall M. Health sector planning led by management of recurrent expenditure: an agenda for action-research. International Journal of Health Planning and Management, 6, 37-75, 1991.

Présentation claire, riche d’enseignements, et directement ancrée dans l’expérience, de ce que signifi e planifi er dans le secteur de la santé : opérer des choix éclairés entre plusieurs solutions d’allocation en tenant compte des limitations d’ordre politique, fi nancier et de gestion. Ce document analyse les étapes logiques à suivre ainsi que les nombreux obstacles à surmonter pour parvenir à une politique redistributive progressiste, telle que celle des soins de santé primaires. La mauvaise réputation dont souffre depuis quelque temps la planifi cation de la santé, ainsi que les résultats médiocres enregistrés par la mise en œuvre des soins de santé primaires dans de nombreux pays, peuvent dans une certaine mesure être considérés comme partiellement responsables du désintérêt dont on témoigne actuellement pour l’approche réaliste et rationnelle exposée dans cet article classique. Ce dernier ne fait aucune référence aux obstacles supplémentaires spécifi ques auxquels se heurtent les secteurs de santé des pays en guerre. Néanmoins, la plupart, si ce n’est l’intégralité, des considérations présentées par l’auteur se confi rment aussi dans un tel contexte, du moins au niveau conceptuel.

Références bibliographiques

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Capobianco E. et Naidu V. A review of health sector aid fi nancing to Somalia (2000–2006). Washington, DC, Banque mondiale (Working Paper n °142), 2008.

Chabot J. et Waddington C. Primary health care is not cheap: a case study from Guinea Bissau. International Journal of Health Services, 17, 387-409, 1987.

Chand S. et Coffman R. How soon can donors exit from post-confl ict states? Washington, DC, Center for Global Development (Working paper 141), 2008. Disponible en ligne à l’adresse suivante : www.cgdev.org, consulté le 10 janvier 2011.

Commission sur la macroéconomie et la santé. Macroéconomie et santé : investir dans la santé pour le développement économique, Genève, OMS, 2001.

Cumper G. E. Should we plan for contraction in health services? The Jamaican experience. Health Policy and Planning, 8, 113-121, 1993.

Decaillet F., Mullen P.D. et Guen M. Sudan health status report, (version préliminaire), Banque mondiale, 2003.

Doherty J. et Govender R. The cost-effectiveness of primary care services in developing countries: a review of the international literature. [Washington, DC], Banque mondiale (Projet sur les priorités en matière de lutte contre les maladies, Working Paper n° 37), (2004). Disponible en ligne à l’adresse suivante : www.dcp2.org, consulté le 10 janvier 2011.

Erasmus V. et Nkoroi I. Report on cost sharing in selected counties of the New Sudan. Secrétariat à la Santé du Nouveau Soudan et International Rescue Committee, 2002.

Noormahomed A.R. et Segall M. The public health sector in Mozambique: a post-war strategy for rehabilitation and sustained development, Mozambique country paper. Genève, OMS (Série Macroéconomie, Santé et Développement n °14), 1994. Disponible en ligne à l’adresse suivante : http://whqlibdoc.who.int/hq/1994/WHO_ICO_MESD.14.pdf, consulté le 10 janvier 2011.

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Module 6 Analyser le fi nancement et les dépenses du secteur de la santé 187

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Nordhaus W.D. The economic consequences of a war with Iraq. In: War with Iraq: costs, consequences, and alternatives. Washington, DC, American Academy of Arts and Science, 2002.

Pavignani E. et Colombo A. Providing health services in countries disrupted by civil wars: a comparative analysis of Mozambique and Angola 1975–2000. Genève, OMS, 2001. Disponible en ligne à l’adresse suivante : www.who.int/hac/techguidance/hbp/Providing_services_main/en/, consulté le 9 janvier 2011.

Shiffman J. Has donor prioritization of HIV/AIDS displaced aid for other health issues? Health Policy and Planning, 23, 95-100, 2008.

Banque mondiale. Rapport sur le développement dans le monde 1993. Investir dans la santé. Banque mondiale, 1993.

Organisation mondiale de la Santé/Soudan. The health sector in Sudan: a strategic framework for recovery. Khartoum, 2003.

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Pourquoi et comment effectuer une enquête sur les ressources extérieures

Lorsqu’une crise se prolonge, il est très diffi cile de se procurer des informations fi ables, actualisées et complètes sur les ressources provenant de l’aide internationale. Sachant que, dans de telles situations, les ressources extérieures représentent souvent la plus grande part du fi nancement alloué à la santé, toute analyse sérieuse du secteur ne saurait en faire l’impasse. Les donateurs comme les destinataires s’efforcent de recueillir des données sur les entrées de ressources extérieures, et collectent généralement des volumes impressionnants de chiffres, malheureusement présentés dans des formats disparates. À partir de ces données, il est donc impossible de se renseigner sur la situation véritable sur le terrain de manière continue et régulière.

Dans de nombreuses crises de longue durée, les Nations Unies s’efforcent d’étudier les fl ux d’aide, comme le décrit le Module 3. Comprendre le contexte passé, présent et à venir du pays Cependant, il arrive que le format standardisé agrégé utilisé par la plupart des bases de données soit insuffi sant pour répondre aux besoins d’information de secteurs tels que celui de la santé. Lorsqu’un système de suivi comme celui mis en place en Afghanistan existe déjà, il convient d’explorer les moyens de le compléter par des informations supplémentaires sur la santé.

Les diffi cultés décrites plus bas expliquent en partie l’inadéquation de la plupart des données de routine. Si l’on veut obtenir une vision sérieuse des ressources extérieures, il est dans la plupart des cas nécessaire de procéder à une enquête standardisée ad hoc. Cette enquête doit être reconduite chaque année, ou tous les deux ans, et suivre chaque fois la même méthode standardisée.

Objectifs de l’enquête sur les ressources extérieures :

• Obtenir une image fi able de l’enveloppe de ressources disponible pour le secteur de la santé depuis quelques années.

• Étudier les tendances du fi nancement et en tirer des conclusions sur les niveaux de fi nancement probables dans un avenir proche.

• En savoir plus sur la nature des ressources extérieures mises à la disposition du secteur de la santé (investissement, salaires, médicaments, etc.) et sur leur répartition dans le pays et entre les niveaux de soins.

• Se renseigner sur les responsabilités de management des ressources extérieures incombant aux différents acteurs du secteur de la santé.

De toute évidence, rassembler des données sur l’assistance extérieure, qui constitue souvent une grande partie du fi nancement total du secteur, sans les compléter par des informations sur les dépenses intérieures y afférentes, publiques et privées, ne permet que de dresser un tableau incomplet.

L’enquête proposée est nécessaire, mais mobilise beaucoup de personnel et se heurte à de nombreuses diffi cultés :

• La fragmentation et l’ambiguïté des rôles : multiplicité des donateurs, des organismes de développement, des banques, des fondations et des ONG. La plupart des ressources émanent de donateurs bilatéraux (à savoir les pays riches) et passent par les organismes d’exécution. Ainsi, un organisme donné peut faire fi gure de donateur aux yeux du destinataire sur le terrain, alors qu’en fait, il n’est qu’un intermédiaire dans la transaction. Le risque de double ou de triple comptage des fonds constitue donc une préoccupation de tous les instants.

• La fragmentation dans le pays donateur, avec des fonds gérés par certaines administrations (par exemple ceux destinés aux urgences) qui suivent des règles et des voies de décaissement différentes de ceux qui sont contrôlés par d’autres administrations, par exemple celles chargées du développement. À cet égard, l’Union européenne affi che l’une des confi gurations les plus complexes. Certains pays, comme la France, comptent de nombreux organismes spécialisés, tous indépendants les uns des autres. Par ailleurs, chez

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certains donateurs, des fonds sont contrôlés par le siège, et d’autres par les bureaux de pays, qui peuvent tout ignorer des lignes de fi nancement accordées par le siège. De plus, des autorités décentralisées, comme les régions et les communes, versent parfois des fonds supplémentaires. Enfi n, il arrive que des fi nancements privés émanent du même pays, sans que les autorités de l’État en aient connaissance, en totalité ou en partie.

• Les dons informels émanant de sources privées peuvent être substantiels, par exemple dans le cas de pays ayant une large diaspora. Par ailleurs, les pays hors du cercle occidental traditionnel du Comité d’aide au développement (CAD) peuvent constituer une source d’aide non négligeable, mais diffi cile à étudier en raison de leurs modalités.

• La variété des cycles de planifi cation et des formats budgétaires. Il est extrêmement diffi cile d’élaborer un instrument d’enquête convenant à tous les acteurs, lesquels utilisent des outils de planifi cation, de budgétisation et de comptabilité très différents. Les responsables de l’enquête doivent s’entendre avec chaque organisme sur le meilleur moyen d’ajuster les données de chacun à l’outil de collecte standard. Dans certains cas, la conversion des données sources, qui permet de les intégrer dans la base de données de l’enquête, suppose des manipulations lourdes et imaginatives. Il convient d’arrêter un calendrier standard pour le recueil des données fi nancières, puisque les dates de clôture des exercices et les systèmes comptables et d’information fi nancière varient d’un organisme à l’autre. Pour la plupart des organismes, l’exercice fi scal correspond à l’année civile, laquelle peut donc servir de norme. Il convient alors d’ajuster en conséquence les données communiquées par les organismes dont l’exercice fi scal chevauche deux années civiles.

• Des problèmes de langue peuvent entraver l’accès à l’information, car certains organismes n’ont pas pour usage de faire traduire leurs documents de travail pour les diffuser à l’international. Dans un tels cas, les responsables de l’enquête doivent décider s’ils ignorent ces contributions (peut-être parce qu’elles sont d’une importance marginale) ou au contraire s’ils souhaitent engager des coûts supplémentaires pour surmonter la barrière de la langue.

• Les préoccupations concernant l’utilisation des informations recueillies. Certains organismes sont mal à l’aise vis-à-vis de ce type d’enquêtes, surtout lorsqu’elles interviennent dans des environnements troublés. Il convient tout particulièrement de rassurer les participants en leur expliquant que les chiffres collectés ne seront pas utilisés contre ceux et que les déclarations sujettes à controverse prononcées lors des interviews seront citées de manière anonyme. Les informations particulièrement sensibles concernent le salaire du personnel international, les coûts de l’appui aux programmes ou les frais généraux supportés par les organismes d’exécution, ainsi que l’achat de certains articles (lorsque l’aide est liée).

• La lassitude des répondants. Les acteurs de l’aide sont sans arrêt invités (par de multiples organismes dans le pays destinataire, par les unités de coordination, par le siège, les auditeurs, les donateurs, etc.) à communiquer des chiffres (toujours sous des formats différents) sur leurs activités, chiffres qui le plus souvent ne circulent que dans un sens, sans revenir, traduits en information, à leur source. Il arrive donc que certains rejettent spontanément les nouvelles demandes d’informations, synonymes pour eux de corvée.

• Les lacunes dans les informations disponibles auprès des répondants. Par exemple, la plupart des organismes versent des fonds aux ONG sans garder de trace détaillée des projets fi nancés jusqu’à leur achèvement. Ainsi, estimer les taux annuels d’exécution pour l’intégralité du portefeuille de projets d’un organisme nécessiterait une étude détaillée de chaque projet, et donc de se procurer les données auprès de chaque ONG. Étant donné que ces dernières sont fort nombreuses, il serait peut-être plus indiqué de s’appuyer sur un échantillon d’ONG plutôt que d’étudier tous les projets. Par ailleurs, certaines lignes de fi nancement sont consacrées à des programmes intégrés (c’est-à-dire qui couvrent d’autres secteurs, comme l’éducation, l’agriculture, etc.), si bien qu’il est diffi cile, voire impossible, d’obtenir des chiffres précis concernant la

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santé. Les programmes visant à enrayer le VIH/sida sont ainsi souvent multisectoriels, et donc complexes à étudier. De plus, de nombreux projets s’étendent sur plusieurs zones administratives ou niveaux de soin, ce qui entrave l’examen analytique des allocations respectives.

• Étant donné l’incertitude du contexte politique, certains organismes peuvent hésiter à communiquer les chiffres prévisionnels de leurs fi nancements, ou tout simplement ne pas être informés des grandes décisions qui sont prises au siège en fonction de l’évolution de la situation politique et militaire. Malgré cette importante limitation, l’information à propos des exercices en cours et passés (qui permettent d’étudier les tendances du fi nancement) devrait être disponible pour la plupart des organismes. Il convient toutefois de faire preuve de prudence lorsque l’on interprète les tendances à venir, car elles indiquent souvent un recul des niveaux de fi nancement, qui s’amorce un ou deux ans après l’enquête. Ce recul est souvent un artifi ce qui s’explique par la propension des donateurs à communiquer des chiffres prudents qui ne tiennent compte que des engagements ou des promesses fermes.

• Dans un environnement en évolution rapide, le renouvellement fréquent du personnel chez les donateurs limite le volume d’informations que ces derniers maîtrisent et la collaboration qu’ils offrent.

Méthodes et dispositifs pratiques

• Pour surmonter les réactions de méfi ance, l’équipe qui réalise l’étude doit être perçue comme indépendante des institutions pour lesquelles le résultat de l’enquête revêt un intérêt particulier (outre la connaissance). Pour résoudre ce problème, on peut demander à un organisme de recherche de chapeauter tout le dispositif. On peut aussi composer une équipe conjointe comprenant des représentants des différentes parties. Si elle veut motiver les informants, l’équipe doit bénéfi cier d’une solide réputation technique. Elle doit aussi clarifi er l’objectif de l’enquête et expliquer pourquoi chaque organisme a tout intérêt à ce que l’on parvienne à une évaluation fi able de l’assistance extérieure ciblant le secteur. Par exemple, recevoir un courrier signé par les principaux acteurs prêts à promouvoir l’enquête pourrait inciter les autres organismes à y participer.

• L’équipe chargée de l’enquête doit rester restreinte (2-3 personnes), afi n de préserver la cohérence du travail. Il est préférable que tous les membres de l’équipe se penchent sur le cas des premiers organismes étudiés, afi n de pouvoir s’entendre sur les méthodes et les corrections à apporter.

• Pour favoriser la participation, toutes les parties doivent accepter (et avoir l’assurance) que les informations collectées tomberont dans le domaine public, seront largement diffusées et resteront facilement accessibles pour toutes les parties prenantes.

• L’équipe doit tester l’instrument d’enquête et les critères retenus pour la collecte des données sur un petit échantillon d’organismes, choisis en raison de leur diversité. Par exemple, un organisme bilatéral travaillant uniquement/principalement par l’intermédiaire des ONG, une agence des Nations Unies gérant directement la plupart de ses activités et une banque de développement pourraient constituer un échantillon acceptable pour un cycle d’essai. Il faut par ailleurs encourager les organismes test à faire part d’un retour d’information sur les problèmes rencontrés lors de la préparation des données nécessaires, sur le volume de travail interne requis, etc., ce qui permettra d’améliorer les outils d’enquête.

• L’instrument d’enquête doit intégrer autant d’instructions et de défi nitions que nécessaire afi n de standardiser au maximum les réponses. Dans un environnement multilingue, les malentendus sont particulièrement fréquents. Il convient donc de repérer autant que possible les sources de malentendu et d’y remédier pendant la phase de test.

• Il convient de présenter l’enquête à l’organisme interviewé lors d’une réunion formelle pendant laquelle l’instrument est étudié par toutes les parties et les défi nitions, questions et doutes sont éclaircis. Habituellement, une deuxième session de travail

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est nécessaire pour lever les doutes résultant de la compilation des données et pour décider des approches les plus judicieuses à adopter en vue de surmonter les principales diffi cultés. Pour certains organismes de confi guration particulièrement complexes, une troisième réunion peut se révéler utile. De nombreux organismes omettent d’actualiser régulièrement les informations requises et doivent donc les collecter au moment du lancement de l’enquête, ce qui peut prendre du temps et nécessiter des conseils techniques de la part des responsables de l’enquête.

• De nombreuses contributions extérieures sont apportées en nature, et l’organisme doit en convertir la valeur en termes monétaires afi n de pouvoir en faire état. Lorsqu’il ne le fait pas, il faut convertir ces données à l’aide d’une grille de coûts standard, utilisée pour toutes les sources. On se heurte à une diffi culté particulière (fréquente dans le cas de l’aide liée et des médicaments de marque) lorsque les organismes donateurs ont acheté les apports en nature à un prix qui dépasse largement la moyenne des prix internationaux. L’étude de ces écarts permet d’obtenir des informations précieuses sur les ineffi ciences qui existent et offre un argument de poids en faveur de leur correction. Toutefois, appliquer les mêmes critères à tous les informants peut se révéler très diffi cile et coûteux en main-d’œuvre. Dans tous les cas, l’aide liée doit être traitée à part.

• La plupart des organismes donateurs expriment les chiffres dans leur monnaie locale, et ces chiffres doivent alors être convertis dans une unité commune, comme le dollar des États-Unis. Si l’on utilise la monnaie locale, il convient de convertir les séries temporelles en prix constants pour neutraliser l’effet d’une forte infl ation. Lorsqu’on veut harmoniser les taux de change, on peut avantageusement s’appuyer sur le site Web http://www.oanda.com/convert/fxhistory, qui donne les taux de change annuels moyens pour la plupart des monnaies. Le repli du taux de change du dollar des États-Unis par rapport à la plupart des monnaies utilisées par les donateurs, qui s’est amorcé au milieu des années 2000, risque de laisser croire à une augmentation des fi nancements, alors que ce ne fut pas le cas, ou d’aboutir à une surestimation des véritables augmentations. Pour que les tendances suivies soient plus proches de la réalité, on peut envisager de convertir tous les montants en euros.

• Une fois que les enquêteurs ont compilé les données, il convient de retourner l’instrument à chaque organisme concerné, afi n qu’il en vérifi e l’exactitude.

• Il est pratique de commencer par les organismes de fi nancement à proprement parler, au niveau national. L’équipe pourra ainsi couvrir une large proportion du fi nancement total, accumuler une expérience précieuse, prendre confi ance en elle et dans ses capacités, sans pour autant engager de frais de déplacement. Une fois que l’on a une vision plus claire de la situation au niveau national, on peut envisager d’étendre l’enquête aux ONG. Cependant, cette deuxième phase suppose des instruments différents et un coût plus élevé. De plus, de nombreuses ONG ne fonctionnent pas selon un budget formel, ce qui ajoute aux diffi cultés. Avant de lancer l’enquête auprès des ONG, il convient donc d’envisager de vérifi er la cohérence entre les informations recueillies auprès des organismes fi nanciers et celles tirées d’un échantillon d’ONG. Si l’écart est important, il faut en comprendre les raisons avant de concevoir l’enquête sur les contributions des ONG.

• Étant donné la multiplicité des sources de fi nancement et la fragmentation qui prédomine, il est hors de question que l’enquête parvienne à une couverture totale, même si les enquêteurs déploient tous les efforts possibles. Ces derniers doivent décider quand cesser de rechercher les données manquantes (sources inconnues ou impossibles à contacter ou organismes qui refusent de collaborer), en raison des coûts qu’entraîne la recherche de toute information supplémentaire. Une enquête couvrant plus de 80 % de toutes les sources de fi nancement possibles doit être considérée comme une réussite. Le rapport fi nal doit mentionner clairement toutes les sources de données manquantes identifi ées.

• Il convient de prendre des mesures pour capitaliser sur l’expérience accumulée lors de l’exécution de la première enquête lorsque l’on élabore la suivante. Dans l’idéal, il

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faut se doter d’une capacité permanente, conformément à ce qui est décrit à l’Annexe 5. La mise en place d’une cellule d’information sur la politique sanitaire. S’il est encore trop tôt pour le faire, il est recommandé de prendre des mesures afi n de regrouper les outils d’enquête, ce qui permettra aux enquêteurs de s’en servir à l’avenir.

Pour une excellente application de l’approche proposée dans la présente annexe, voir Capobianco et Naidu (2008).

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Les coûts et leur analyse

Il est primordial d’être conscient des coûts induits par toutes les décisions relatives au secteur de la santé, et de comprendre le comportement relatif aux coûts, à tous les niveaux de soins, et encore plus en cas de pénurie de ressources, dont souffrent invariablement les secteurs de la santé en crise. Les gestionnaires du secteur de la santé doivent veiller à recueillir et à analyser les données sur les coûts des soins : sans cette analyse, toute planifi cation, tout pilotage et toute évaluation deviennent des exercices vains.

Malheureusement, de par leur formation et leur expérience professionnelle, bon nombre de ces gestionnaires ignorent tout de l’analyse des coûts et de la discipline que l’on acquiert lorsqu’on la pratique. De plus, la rareté des informations adéquates et la diffi culté objective des évaluations économiques que l’on observe en cas de crise prolongée ne font qu’étendre le règne de la subjectivité dans les décisions. Néanmoins, une analyse des coûts même rudimentaire, ou du moins la conscience des concepts sur lesquels elle repose, constituent des éléments incontournables de toute décision de gestion sensée.

Cette brève annexe a pour objectif de guider les professionnels de la santé dans le dédale des concepts et des termes relatifs aux différents types de coûts, ainsi que dans leurs usages différents. Pour une discussion détaillée, accessible aux profanes, des questions décrites ci-après, voir les documents cités dans les Références bibliographiques.

Le coût s’entend comme la valeur des ressources utilisées pour produire quelque chose. Il convient d’opérer une première distinction entre le coût fi nancier et le coût économique. Le premier « mesure l’argent que l’on perd lorsque l’on acquiert ou consomme une ressource » (Perrin, 1988). Il indique donc combien d’argent a été dépensé pour les facteurs utilisés pour apporter un service. Le coût économique exprime lui le coût total supporté par la société, et se fonde sur le coût d’opportunité, soit le coût de l’alternative la plus appropriée que l’on choisit de ne pas retenir. Par exemple, un travailleur du secteur des soins de santé communautaires qui choisit de procurer des services gratuitement induit un coût d’opportunité pour la société : il aurait pu consacrer son temps à une autre activité, par exemple à la culture de la terre (le rendement de cette activité donnant une mesure du coût d’opportunité de la prestation gratuite des services de santé). Mais si ce travailleur devient un réfugié et qu’il ne peut accéder à aucune autre activité productive, le coût d’opportunité de son temps recule signifi cativement.

Les coûts économiques doivent inclure les biens et services qui sont produits gratuitement par les donateurs ou les bénévoles et aussi ceux qui sont subventionnés (leur coût ne refl ète plus le prix du marché), et leur donner un prix. Pour évaluer ces coûts, il est fréquent de s’appuyer sur les prix du marché local, ou sur les prix du marché corrigés, en cas d’imperfections (par exemple des subventions) ou les prix du marché imputés, lorsque ces prix n’existent pas et qu’il faut recourir à des valorisations de substitution. Par exemple, on peut se fonder sur le salaire moyen de la main-d’œuvre locale pour évaluer le coût indirect (voir ci-après) d’un domestique cherchant à se faire soigner.

Dans les contextes perturbés, lorsque les dons sont très nombreux, que l’on importe beaucoup de facteurs et que les prix sont largement faussés par les subventions, il importe de corriger les prix afi n d’obtenir une estimation du coût économique effectif. Les secteurs sociaux, tels que celui de la santé, profi tant largement de ces facteurs, dans la plupart des cas, le recours à des prix fi ctifs (shadow prices, comme on appelle ces prix corrigés) est obligatoire. Par exemple, les médicaments qui ont été donnés peuvent gonfl er le coût des soins de santé s’ils entrent dans les calculs au prix auquel ils ont été achetés par un organisme caritatif occidental auprès d’un distributeur d’un pays riche. Le recours aux prix locaux peut remédier à cette distorsion. Inversement, lorsque les taux de change locaux sont grossièrement gonfl és, l’utilisation des prix internationaux peut être préférable. Les coûts économiques doivent également tenir compte du coût d’opportunité d’investir aujourd’hui pour le service en question plutôt que de retarder le paiement et d’utiliser l’argent à des fi ns productives.

Les facteurs ci-dessus expliquent pourquoi les coûts fi nanciers sont inférieurs aux coûts économiques. C’est la perspective de l’utilisateur des coûts et sa fi nalité qui déterminent quand il faut utiliser le coût fi nancier ou le coût économique. Le coût fi nancier est principalement

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utilisé à des fi ns comptables et de gestion, tandis que le coût économique est privilégié pour les valorisations économiques, la planifi cation et l’allocation des ressources.

La défi nition des coûts fi nanciers ci-dessus met en avant la valeur des ressources acquises ou consommées, et non le coût effectif d’un bien. La valeur des ressources varie au fi l du temps et il existe souvent une différence de valeur entre l’achat et la consommation d’une ressource : le coût historique désigne la valeur d’une ressource au moment où elle a été achetée. Pour refl éter cette différence, il est donc préférable d’utiliser le coût de remplacement (courant), qui correspond au prix de la ressource consommée si elle était achetée aujourd’hui. Le recours au coût de remplacement est particulièrement justifi é pour les infrastructures de santé, qui ont parfois été construites plusieurs décennies avant la date de l’analyse. Le coût historique de la construction se révélerait plutôt inutile dans le contexte de la planifi cation du relèvement d’un réseau ravagé, de sa restructuration ou de son expansion. Le coût d’achat est le prix payé pour acheter un service en dehors de l’organisation (voir l’Annexe 7 sur la contractualisation), au lieu de se procurer ce service à l’aide des ressources internes.

Certains coûts varient avec le volume d’activité, certains restent fi xes, et d’autres sont dans le cas intermédiaire :

• Les coûts fi xes restent constants, indépendamment de ce qui est produit, du moins à court terme. Exemple : achat de matériel, location d’un immeuble, salaire d’un responsable administratif. Les coûts irrécupérables représentent une catégorie de coûts particulière, qui ont été engagés de manière irrévocable et qui ne peuvent pas être récupérés : il s’agit par exemple du coût de la formation d’un professionnel de santé qui émigre ultérieurement. La prestation des soins de santé a tendance à s’accompagner de coûts fi xes élevés, liés à l’infrastructure, à l’équipement et au personnel.

• Les coûts variables varient proportionnellement au volume d’activité. Exemples : médicaments, consommables, alimentation, carburant.

• Les coûts semi-variables ont une composante fi xe et une composante variable. Par exemple, la masse salariale se compose d’une partie fi xe, car les fonctionnaires doivent être rémunérés quelle que soit leur charge de travail, et d’une partie variable, correspondant au personnel recruté à durée déterminée, par exemple les vaccinateurs pendant une campagne.

• Les coûts par paliers ont le même comportement que les coûts fi xes jusqu’à ce que le niveau d’activité atteigne un certain seuil. Ils passent alors au niveau supérieur. Exemple : un médecin peut traiter un certain nombre de patients, mais si ce nombre est dépassé, un autre médecin doit être recruté, et le coût du travail fait un bond.

• Le coût total est la somme des coûts fi xes, variables, semi-variables et par paliers pour un volume d’activité donné.

En divisant le coût total par la production (nombre d’unités produites), nous obtenons le coût unitaire (ou coût à la pièce), par exemple le coût du traitement d’un patient.

Les centres de coûts sont des unités au sein des organisations (service d’un hôpital, centre de santé, etc.) pour lequel on souhaite identifi er et analyser les coûts. Il est important de défi nir précisément la structure et les fonctions des centres de coûts que nous entendons analyser et comparer, et d’identifi er une unité moyenne typique afi n d’éviter de tirer des conclusions erronées.

Une autre classifi cation pertinente se fonde sur la durée de vie utile des facteurs nécessaires à une activité : les coûts d’équipement sont les coûts des ressources qui durent plus d’un an (par exemple, bâtiments, véhicules, formation préalable, ordinateurs et autre matériel) tandis que les coûts récurrents sont ceux des facteurs qui durent moins d’un an et qui doivent être achetés régulièrement (salaires, médicaments, carburant, chauffage, etc.). Le matériel qui dure plus d’un an mais qui coûte très peu cher peut être considéré comme une dépense récurrente à condition que le plafond de prix soit défi ni et utilisé de manière systématique (habituellement US $100). La distinction entre coût d’équipement et coût récurrent est importante, car la plupart des budgets présentent cette structure « duale ».

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Les facteurs d’équipement sont achetés à un moment dans le temps, mais sont utilisés pendant une période, et leurs coûts doivent donc être étalés sur cette période. Puisqu’ils peuvent représenter des sommes substantielles (par exemple dans le cas d’un immeuble), qui sont mobilisées et qui ne peuvent pas produire de rendement, il importe de tenir compte de l’intérêt des autres opportunités d’investir ce capital. Pour ce faire, on utilise des techniques d’annualisation, qui tiennent compte de la dépréciation de l’actif et de la préférence pour le présent (actualisation). Si, au contraire, notre analyse se borne à comptabiliser le coût du capital, nous pouvons nous contenter d’estimer la dépréciation du bien d’équipement. La méthode la plus simple est celle de l’amortissement linéaire, avec laquelle le coût de remplacement du bien d’équipement est divisé par le nombre d’année de vie utile attendu.

Voici un exemple de classifi cation type des coûts par catégorie de facteurs

Coûts d’équipement Coûts récurrents

Immeubles Salaire du personnel

Véhicules Médicaments, fournitures, vaccins

Équipement Carburant et maintenance des véhicules

Formation avant emploi Formation en cours d’emploi

Etc. Exploitation et maintenance des bâtiments

Etc.

Il est également possible de classer les coûts suivant la fonction et l’activité (gestion, supervision, formation, etc.), par niveau d’utilisation et par source.

Les coûts fi nanciers d’un service peuvent être répartis en coûts directs, indirects et généraux. Les coûts directs ont trait aux ressources directement consommées pour la production du service : médicaments, personnel, etc. Les coûts indirects sont ceux des ressources utilisées pour la prestation des services par les unités d’appui (par exemple la radiologie, les laboratoires) qui fournissent de manière centralisée les autres départements. Les frais généraux sont les coûts relatifs aux ressources partagées utilisées pour le fonctionnement de l’organisation dans son ensemble, mais qui n’ont pas directement trait aux soins : gestion, sécurité, etc. Il n’est pas possible d’allouer directement les coûts indirects et les frais généraux, car leurs ressources partagées servent à différents clients. Il existe différentes techniques pour répartir ces types de coûts, sur la base de la distribution de l’utilisation des ressources entre les différents centres de coûts. Dans le cadre d’une évaluation économique (plutôt que fi nancière), cette classifi cation est utilisée différemment : les coûts directs sont ceux qui ont trait à la prestation et à l’utilisation directes des services de santé, les coûts indirects renvoient à la perte de productivité des patients et des soignants en raison du traitement médical, et les coûts intangibles ne peuvent pas être évalués, car ils concernent la douleur, la souffrance, la stigmatisation sociale, etc.

Dans les comparaisons de coûts, on utilise le coût marginal, défi ni comme le coût supplémentaire supporté pour produire une unité de service supplémentaire. Par exemple, admettre un patient supplémentaire à l’hôpital alors que le taux d’occupation des lits n’est que de 60 % n’entraîne qu’une hausse de coût modeste. Inversement, une fois que tous les lits sont occupés, admettre un patient de plus suppose d’agrandir le service, de recruter du personnel supplémentaire, etc. Le coût marginal augmente alors considérablement. On préfère souvent utiliser le coût marginal plutôt que le coût moyen, surtout pour les microdécisions à court terme (par exemple lorsqu’un directeur d’hôpital a besoin d’évaluer plusieurs options). Au niveau macro et à long terme, les coûts moyens refl ètent bien les véritables coûts variables.

Il est délicat de comparer les coûts et les prix au fi l du temps dans un environnement perturbé, en raison des variations spectaculaires du pouvoir d’achat de la monnaie qui ne sont pas rares dans de telles situations. Pour pouvoir tirer des conclusions signifi catives, il faut convertir les montants courants ou nominaux en termes constants ou fi xes. Pour y parvenir, il faut

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tenir compte de l’infl ation. La pratique courante consiste à prendre pour année de base (ou de référence) la première année d’une série temporelle, à laquelle se référeront toutes les valeurs suivantes. Les prix des années suivantes sont ensuite défl atés, c’est-à-dire corrigés en fonction du taux d’infl ation observé pendant l’année correspondante, ce qui les rend comparables à ceux de l’année de base. Les défl ateurs sont généralement calculés par les autorités centrales telles que le ministère des Finances, l’institut national de la statistique ou la banque centrale. Dans les pays connaissant des perturbations, les défl ateurs offi ciels sont souvent inexistants ou contestés, ce qui rend diffi cile, voire impossible, l’établissement de comparaisons pertinentes sur la durée. Les économies dirigées par l’État central posent des diffi cultés particulières, car l’accès aux ressources n’y dépend pas strictement de l’argent. Ainsi, dans un pays en transition entre l’administration centralisée et l’économie de marché, les tendances de fi nancement peuvent se révéler très trompeuses.

Les données fi nancières sont généralement produites par les différents départements des organisations sanitaires à des fi ns comptables. Pourtant, il est rare de trouver une présentation ou une analyse consolidée des coûts supportés par ce secteur. Cette carence s’explique en partie par la séparation fonctionnelle entre les dirigeants et le personnel administratif, ainsi que par la fragmentation de ces données entre les différents départements. Par ailleurs, l’existence de sources de fi nancement et de procédures comptables différentes ne facilite pas la reconstitution du tableau d’ensemble. De plus, de nombreux systèmes d’information fi nancière sont conçus pour maîtriser les dépenses, plutôt que pour les optimiser, et procurent des données d’une utilité limitée pour l’analyse des coûts, qui requiert des études ad hoc. Les diffi cultés techniques liées à l’identifi cation, à la valorisation, à l’interprétation et à la comparaison des coûts découragent également les dirigeants. Cependant, étant donné la pénurie de ressources et le gaspillage qui frappent de nombreux secteurs de la santé en diffi culté, l’analyse des coûts peut établir le socle qui permettra de dégager des gains d’effi cience spectaculaires.

Références bibliographiques

Creese A. et Parker D. (eds.). Cost analysis in primary health care: a training manual for programme managers. Genève, Organisation mondiale de la Santé, 1994. Disponible en ligne à l’adresse suivante : www.who.int, consulté le 10 janvier 2011.

Introduction brève et brillante aux concepts, termes et méthodes, accessible aux profanes, facilement lisible, qui abonde d’exemples pertinents et est complétée par des exercices. Point de départ recommandé aux professionnels de la santé qui ont besoin d’acquérir les notions de base de l’économie de la santé, de l’analyse des coûts, de l’évaluation, de la planifi cation et du management.

Kumaranayake L. The real and the nominal: making infl ationary adjustments to cost and other economic data. Health Policy and Planning, 15, 230-234, 2000.

Perrin J. Resource management in the NHS. Londres, Chapman and Hall, 1988.

Walker D. et Kumaranayake L. Allowing for differential timing in cost analyses: discounting and annualization. Health Policy and Planning, 17, 112-118, 2002.

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