analyse prospective des smart contracts … · de meilleure sécurité juridique et une facilité...

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UNIVERSITE DE MONTPELLIER Faculté de Droit et de Science Politique UMR 5815 Dynamiques du droit CENTRE DU DROIT DE LA CONSOMMATION ET DU MARCHE Master II Droit de la consommation et Droit de la concurrence ANALYSE PROSPECTIVE DES SMART CONTRACTS EN DROIT FRANCAIS Présenté par Melle Aurélie BAYLE Mémoire réalisé ́ sous la direction de Monsieur Julien ROQUE, Maître de conférences à la Faculté de droit de Montpellier, Année universitaire 2016-2017

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Page 1: ANALYSE PROSPECTIVE DES SMART CONTRACTS … · de meilleure sécurité juridique et une facilité quant à l’exécution des obligations contractées par les parties. Pour autant

UNIVERSITE DE MONTPELLIER

Faculté de Droit et de Science Politique

UMR 5815 Dynamiques du droit

CENTRE DU DROIT DE LA CONSOMMATION ET DU MARCHE

Master II Droit de la consommation et Droit de la concurrence

ANALYSE PROSPECTIVE DES SMART CONTRACTS EN

DROIT FRANCAIS

Présenté par Melle Aurélie BAYLE

Mémoire réalisé́ sous la direction de Monsieur Julien ROQUE,

Maître de conférences à la Faculté de droit de Montpellier,

Année universitaire 2016-2017

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« L'Université n'entend donner aucune approbation, ni improbation aux opinions

émises. Celles-ci doivent être considérées comme propres à leur auteur. »

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REMERCIEMENTS

Je tiens à̀ adresser mes plus sincères remerciements à :

Monsieur Julien ROQUE, Maître de conférences à la Faculté de droit de Montpellier,

pour m'avoir permis de mener à bien la réalisation de ce mémoire, grâce à ses précieux

conseils, sa patience ainsi que toute l'aide qu'il a pu m'apporter.

Monsieur Malo Depincé, Maître de conférences HDR à la Faculté́ de droit de Montpellier

et Directeur du Master II Droit de la consommation et droit de la concurrence, pour

m’avoir offert l’opportunité́ de suivre ce parcours si riche d’enseignements et

d’expériences.

Monsieur le Professeur Daniel Mainguy, Professeur à la Faculté́ de droit de Montpellier

et Directeur du Master II Droit privé économique pour la qualité des enseignements

dispensés et de nos « échanges technologiques » au cours de l’année universitaire 2016-

2017.

Monsieur David MANSET, Docteur en ingénierie des modèles pour les systèmes

informatiques distribués, PDG de Gnúbila, Cerebro, et Directeur du pôle Recherche et

Innovation du groupe Almerys, qui m'a énormément épaulé dans ce projet, mais surtout

permis d’effectuer un stage au cœur du système Blockchain.

L’ensemble des membres de l’équipe pédagogique du Centre de la Consommation et du

Marché, ainsi que Mélanie et Hugo, mes brillants amis et soutiens qui ont partagé la même

expérience, et partageront tout autant celle de la thèse à venir.

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LISTE DES ABREVIATIONS

al. Alinéa

art. Article

Ass. Plén Cour de Cassation, Assemblée plénière

Bull. Bulletin

CA Cour d’appel

Cass. Cour de cassation

Cass. Civ. 1ère Première chambre civile de la Cour de cassation

Cass. Civ. 2ème Deuxième chambre civile de la Cour de cassation

Cass. Civ. 3ème Troisième chambre civile de la Cour de cassation

Cass. Com. Chambre commerciale de la Cour de cassation

Cass. Crim. Chambre criminelle de la Cour de cassation

cf Confer

CJUE Cour de justice de l’Union européenne

Chron. Chronique

Cons. Const Conseil Constitutionnel

D. Dalloz

Dir. Sous la direction de

JO Journal Officiel

n° Numéro

obs. Observations

op. cit. Opere citato, ouvrage précité

Ord. Ordonnance

p. Page

Préc. Précité

Rapp. Rapport

s. Suivant(e)s

TGI Tribunal de grande instance

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SOMMAIRE

INTRODUCTION .......................................................................................................... 8

Partie 1 : Une réception favorisée des smart contracts en droit français ................ 23

Titre1:L’appréhensionfavoriséedelanotiondesmartcontractauregarddudroitdes

contratsfrançais.............................................................................................................24

Chapitre 1 : La réception contractuelle de la notion de smart contract ................ 25

Chapitre 2 : la transposition et l’adaptation du cadre légal de la formation

contractuelle aux smart contracts ........................................................................... 43

Titre2:l’appréhensionfavoriséedelanotiondesmartcontractauregarddeleurs

modalitésd’exécution.....................................................................................................72

Chapitre 1 : Les spécificités liées à l’exécution des smart contracts ..................... 73

Chapitre 2 : L’auto-exécution, un nouveau remède de la sphère contractuelle ? .. 87

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Partie 2 : Une réception contrastée des smart contracts en droit français ............ 103

Titre 1 : Une appréhension contrastée des smart contracts au regard du droit des

contrats français ....................................................................................................... 104

Chapitre 1 : Une application à tous les contrats ? ............................................... 105

Chapitre 2 : Une appréhension contrastée au regard des notions intrinsèques aux

smart contracts...................................................................................................... 122

Titre 2 : une nécessaire adaptation du dispositif normatif français ...................... 136

Chapitre 1 : la possible consécration d'un nouveau mode de preuve .................. 137

Chapitre 2 : des conséquences de la désintermédiation issue des smart contracts

en matière de statut et de responsabilité des utilisateurs ..................................... 152

BIBLIOGRAPHIE ...................................................................................................... 182

WEBOGRAPHIE ....................................................................................................... 192

INDEX ........................................................................................................................ 195

TABLE DES MATIERES .......................................................................................... 197

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INTRODUCTION

« Il n’y a rien de plus puissant qu’une idée dont l’heure est venue. »

Victor Hugo

1. Dans sa définition légale, le contrat est un « accord de volontés entre deux ou

plusieurs personnes destiné à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations1 ».

A titre de comparaison, un « smart contract » est un accord de volonté entre deux ou

plusieurs personnes qui a vocation à s’exécuter automatiquement dès lors que les

conditions d’exécution arrêtées par les parties dans le code originel du contrat sont

réunies.

Ces « contrats intelligents » pour la stricte traduction française, ont été inventés dans les

années 1990 par Nick Szabo, un informaticien et juriste américain.

Dès les années 1980, les avancées en termes d’informatique, mais surtout de

cryptographie, ont modifié les perspectives de sécurité en ligne, et près de dix ans plus

tard, en 1993, N. Szabo inventait le concept des smart contracts, pour mettre en avant des

pratiques hautement évoluées du droit des contrats au service des protocoles de commerce

électronique entre particuliers.

Son cursus, alliant informatique et technique juridique, lui a permis d’entrevoir un grand

nombre des problématiques les concernant, sans toutefois permettre d’imaginer qu’ils

puissent être mis en place à si grande échelle bien des années plus tard.

Par la suite, le développement des contrats automatisés a pu croître grâce à de nombreux

chercheurs ayant implémenté l’idée de leur concepteur initial, et trouvant au fil du temps

des cas d’usages de plus en plus divers et variés.

Enfin, le déploiement des smart contract et de leur étude résulte aujourd’hui des

nombreux projets de recherche de la part des sociétés qui emploient la technologie

numérique. De concert avec ces recherches et leurs résultats, l’Union Européenne et l’Etat

français ont finalement pris la suite des avancées dans ce domaine.

1 Article 1101 du Code Civil, modifié par la réforme du 10 février 2016.

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Pour beaucoup, ces contrats basés sur la blockchain sont considérés comme une garantie

de meilleure sécurité juridique et une facilité quant à l’exécution des obligations

contractées par les parties. Pour autant, ils ne sont pas une programmation sans

conséquences.

Ces contrats s’exécutent sur la base de conditions d’exécution prédéfinies par les parties

en amont au sein du code même du contrat, et valent engagement pour ses acteurs. De ce

fait, il existe un grand nombre de problématiques à résoudre, avant que cette technologie

soit entérinée au sein du droit français.

A titre liminaire, il conviendra cependant de distinguer le système des smart contracts de

leur « support » qu’est la blockchain, en y étudiant les composantes qu’elle regroupe (I),

avant de se focaliser sur les smart contracts, objet de la présente étude, et leurs spécificités

qui soulèvent, à leur tour, de nombreuses questions au regard du droit actuel (II).

I. L’environnement des smart contracts : genèse de la blockchain

2. Après l'immixtion de la technologie dans des domaines tels que celui de la santé,

l'urbanisme (notamment avec les « smart cities »), ou encore la finance, le secteur du

Droit s’apprête à son tour, à rencontrer d’importants bouleversements. L’émergence de

services automatisés, du big data et d’autres innovations technologiques du même type

semble effectivement conduire le paysage juridique actuel à une profonde refonte.

Cependant, « à la différence des précédentes grandes révolutions juridiques comme ont

pu l'être celle du Code civil ou du constitutionnalisme, ce changement n'est pas le fait de

juristes, ni du législateur qui semble subir cette mutation2 ».

En effet, encore trop peu envisagée tant par la loi, que par la jurisprudence ou encore la

doctrine, la problématique des technologies disruptives3 telles que celle de la blockchain

2 A. GARAPON, « Les enjeux de la justice prédictive », La Semaine Juridique Edition Générale n° 1-2, 9 Janvier 2017, doctr. 31 3 Le terme « disruptif » est tiré de la locution latine « disrumpere » signifiant 'rompre'. Bien qu'emprunté au lexique du marketing, appliqué à la technologie, le qualificatif de disruptif est alors entendu comme une « innovation de rupture, par opposition à l’innovation incrémentale qui se contente

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et ses smart contracts méritent une attention toute particulière à l'aune de cette révolution.

Afin d’en apprécier dans toute leur ampleur les enjeux, apports et éventuels dangers, il

apparait indispensable de cerner les principaux éléments de cette nouvelle technologie

que sont les smart contrats, eux même composante et application particulière d’une

technologie bien plus vaste : la blockchain.

3. La blockchain - La technologie blockchain, sans autre traduction française que

« chaîne de blocs », est selon ses développeurs, « une technologie de stockage numérique

et de transmission à coût minime, décentralisée et totalement sécurisée »4.

Dans une formule plus allégée, la communauté informatique s'accorde pour la considérer

comme un grand livre de comptes, un registre dématérialisé inaltérable qui enregistrerait

chronologiquement les transactions effectuées, qui serait public (tout le monde peut

consulter la blockchain à tout moment), anonyme, gratuit et infalsifiable

puisqu'impossible à modifier ou détruire.

La première blockchain a été créée en 2008 par un illustre inconnu, caché sous le

pseudonyme « Satoshi Nakamoto ».

Cette 'base de données' à grande échelle et décentralisée demeure inappropriable,

puisqu’elle repose sur un partage entre tous ses utilisateurs qui vérifient tous la véracité

des informations inscrites définitivement dans la blockchain. L’authenticité de la

blockchain est alors garantie par sa conception, son architecture et infrastructure même.

On parle alors de « mineurs » lorsque l'on désigne les utilisateurs vérifiant les données

inscrites dans les blocs de la chaîne (vérification de l'expéditeur et sa propriété sur la

monnaie par exemple). Ces mineurs perçoivent une rémunération portant sur un

pourcentage du nombre de nouvelles cryptomonnaies créées (ex : le Bitcoin).

Les rédacteurs de ce registre sont considérés comme « les nœuds » du réseau qu’est la

blockchain, et sont les garants de sa pérennité. En effet, il n’existe pas un seul et unique

registre, mais chaque utilisateur possède une copie du registre, actualisée à chaque ajout

d’un bloc. Une fois la validation du bloc par les mineurs (par exemple, dans la blockchain

d’optimiser l’existant » - Jean-Marie DRU, « New », Editions Broché, 2016. C. ZOLYNSKI, Blockchain et smart contracts : premiers regards sur une technologie disruptive, RD Bancaire et fin. N°1, Janvier 2017. 4 Site officiel Blockchain France

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du Bitcoin, on parle de « Proof-of-work »), le bloc de la transaction créée est daté, et

inséré au sein de la blockchain publique et infalsifiable en temps réel.

A chaque instant, de par ce mode de fonctionnement, le système actualise le solde de

chaque utilisateur et empêche toute fraude : la cryptomonnaie ne peut être ni copiée, ni

utilisée en double emploi.

Par exemple, un individu A souhaite donner 10 Bitcoins (ou toute autre cryptomonnaie)

à l’individu B : les mineurs vont devoir aller vérifier (via des manipulations

algorithmiques très lourdes), si A a bien reçu auparavant ces 10 Bitcoins dans l’historique

de la blockchain concernée (le système de découvert n’existe pas sur la blockchain), et

surtout ne s’en est pas déjà servi au préalable (c’est ici la « proof-of-work » ou preuve de

travail). Une fois qu’ils auront constaté qu’il est bien dépositaire de cette somme, ils

valideront le bloc et ce dernier sera inscrit et horodaté sur la blockchain, partagée elle-

même dans l’ensemble du réseau. Simultanément, l’individu B recevra les 10 Bitcoins.

4. Usages de la blockchain. - Les principaux acteurs de Blockchain France

s’accordent pour catégoriser les usages de la blockchain en 3 catégories :

- le transfert d’actifs : il permet les flux d’actifs sans qu’aucune commission ne soit

prélevée (puisqu’il n’y a pas de tiers intermédiaire comme une banque notamment). Par

actifs, on peut entendre non seulement les monnaies, mais aussi les actions, obligations

titres de propriété, etc.

- le registre : grâce à son aspect inaltérable et transparent, la blockchain se pose en atout

majeur pour assurer aux individus une transparence et une traçabilité des documents (ex

état civil, diplômes, etc.)

- les smart contracts : pierre angulaire du présent mémoire, ils seront longuement

explicités et détaillés au fil des développements à venir.

Il existe des blockchains publiques (par exemple Bitcoin ou Ethereum sur lesquelles un

point précis sera consacré ci-après), mais aussi des blockchains privées, dont l’utilisation

et les droits d’inscription sont limités à certains individus seulement. En ce qui concerne

les blockchains publiques, elles sont accessibles à tout le monde, et chacun peut participer

et inclure des transactions (si elles respectent les règles de la blockchain visée). A

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l’inverse, les blockchains privées permettent une inscription de blocs à un nombre

restreint de personnes, qui décident elles-mêmes de l’accès accordé (la blockchain privée

peut être seulement réservée aux participants, ou publique mais seulement pour la lecture

des blocs).

La première blockchain est apparue en 2008 avec le système de cryptomonnaie Bitcoin,

au sein duquel on a créé un véritable chaînage sécurité contenant tout l’historique des

échanges crypto-monétaires entre les utilisateurs depuis son heure de création. La

blockchain est donc l’infrastructure, le support du Bitcoin.

En cas de transaction entre deux utilisateurs, la transaction est inscrite définitivement sur

la blockchain après vérification des mineurs, et un enregistrement est conservé par chaque

individu sur le réseau. Les transactions sont ensuite regroupées en blocs (d’où la block-

chain) et chaque bloc représente environ 10 minutes de transactions.

Présente désormais sur le devant de la scène juridique, la blockchain devient l'objet des

préoccupations en ce que de nombreux acteurs tant publics que privés s'y intéressent,

lançant des programmes expérimentaux sur l'utilisation de cette blockchain pour d'autres

applications que la monnaie virtuelle comme le Bitcoin.

Sur ce point, le gouvernement français a d’ailleurs lancé une consultation en la matière,

preuve étant que cette technologie s’installe progressivement dans le paysage

technologique, et à terme, juridique5. Terminée le 19 mai 2017, le Conseil des Ministres

dispose alors d’une période étendue jusqu’à décembre 2017 pour proposer un texte sur ce

domaine technique qu’il est urgent de réguler.

5. La consécration légale de la blockchain. - Pointée du doigt par la doctrine, les

spécialistes, et malgré tout encore absente du droit français jusqu'en 2016, la blockchain

a fait l'objet d'une véritable première consécration légale au sein de l'ordonnance du 28

avril 2016 relative aux bons de caisse6. Cette dernière a effectivement été l'occasion pour

le gouvernement de créer de nouveaux titres nommés « minibons de caisse », pouvant

être accueillis au sein même de la blockchain, définie dans le Code monétaire et financier.

5 Consultation lancée le 24 mars 2017 et à retrouver sur http://www.tresor.economie.gouv.fr/File/434688 6 Ord. N°2016-520, 28 avril 2016 relative aux bons de caisse, publiée au JO du 29 avril 2016.

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Ces « minibons », intervenant le plus souvent dans le cas de financements participatifs

des entreprises via des sites Internet, ne sont pas des instruments financiers de paiement

mais sont, à la lecture des nouveaux articles insérés au sein du Code précité, des « titres

nominatifs et non négociables comportant engagement par un commerçant de payer à

échéance déterminée, délivrés en contrepartie d'un prêt7 (…)» qui font « l’objet d’une

offre par l’intermédiaire d’un prestataire de services d’investissement ou d’un conseiller

en investissement participatifs au moyen d’un site interne remplissant les caractéristiques

fixées par le Règlement général de l’Autorité des marchés financiers8 ».

C'est ensuite l'article L223-12 qui dessine les contours de la définition légale de la

blockchain : il dispose que « l'émission et la cession des minibons peuvent également être

inscrites dans un dispositif d'enregistrement électronique partagé permettant

l'authentification de ces opérations, dans des conditions de sécurité, définies par décret

en Conseil d'Etat ».

Si le mot « blockchain » n'est pas employé en toutes lettres au sein de l'article, il convient

de préciser que le rapport présentant ce projet d'ordonnance au Président de la République

en 2015 mentionnait pourtant le mot entre parenthèses9, ce qui nous permet de considérer

qu'il s'agit bien là d'une première définition légale d'un type de blockchain.

Enfin, l'article suivant10, précise un élément essentiel : les minibons emportent transfert

de propriété, et l'inscription au sein de la blockchain, citée comme « dispositif

électronique mentionné à l'article L223-12 », tient « lieu de contrat écrit pour

l'application des articles 1321 et 132211 du Code civil ». De fait, la transcription sur la

blockchain demeure opposable aux tiers, et permet au justiciable de faire valoir ses droits

devant un juge avec ce moyen de preuve. Preuve en est que le système de blockchain est

7 Article L223-1 du Code monétaire et financier. 8 Article L223-6 du Code monétaire et financier. 9 Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2016-520 du 28 avril 2016 relative aux bons de caisse (JO du 29-4-2016) 10 Article L223-13 du Code monétaire et financier. 11 Ces deux articles mentionnés tiennent compte de la nouvelle numérotation du Code civil issue de l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016.

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en proie à bouleverser l'ordre juridique français, l'inscription d'une cession de titres

(minibons) au sein de la blockchain fait son entrée dans le cercle privilégié des preuves

écrites admises par le Code Civil.

Pour autant, le décret définissant les conditions de sécurité n'est, pour l'heure, pas encore

paru, laissant une marge de manœuvre au gouvernement pour rendre la blockchain

pleinement opérationnelle.

La seconde étape a été franchie par le Gouvernement français dans le cadre de la loi

n°2016-1691 du 9 décembre 201612 où la blockchain est mentionnée dans l’article 120,

étant cette fois un « dispositif d’enregistrement partagé ».

Cette disposition se destine à la mise en place d’un cadre juridique pour les opérations

sur les titres non cotés qui seront enregistrés sur la blockchain.

Par ailleurs, cette définition légale, bien que remarquable en ce qu'elle insère la

blockchain dans le bloc légal français, reste critiquable dans le mesure où elle ne précise

pas un élément essentiel à la blockchain : son caractère décentralisé.

C’est justement cette décentralisation qui bouleverse l’architecture classique,

fonctionnant à l’inverse des transactions générées sur la blockchain : autrefois, la monnaie

fiduciaire ou encore scripturale, et tous les autres instruments financiers reposaient sur

l’idée de confiance, une confiance placée entre les mains de l’institution centralisée (Etat,

banques, instances locales, etc.). Avec la blockchain, les transactions reposent sur un

chiffrement grâce aux clés privées et aux algorithmes dans un système dit de « pair à

pair13 », ce qui n’a rien à voir avec la dématérialisation simple de l’argent telle qu’on peut

la rencontrer avec le système des banques en ligne et leur serveur central.

Enfin, la France, par cette intégration de la blockchain au sein du Code monétaire et

financier, devient alors la première nation européenne à octroyer une place de choix à ce

nouvel instrument technologique de stockage, permettant l'authentification des transferts

12 Loi n° 2016-1691, 9 déc. 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « Sapin II ». Elle autorise le Gouvernement à légiférer par ordonnance dans les 12 mois pour « adapter le droit applicable aux titres financiers et aux valeurs mobilières afin de permettre la représentation et la transmission, au moyen d'un dispositif d'enregistrement électronique partagé, des titres financiers qui ne sont pas admis aux opérations d'un dépositaire central ni livrés dans un système de règlement et de livraison d'instruments financiers ». 13 De l’anglais « peer-to-peer » (souvent mentionné avec l’abréviation P2P) : Technologie permettant l’échange direct de données entre ordinateurs reliés à Internet, sans passer par un serveur central. (On parle aussi de poste à poste.)

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de propriété en l'espèce. En effet, en permettant à ces « minibons » d'être enregistrés sur

la blockchain, le législateur français s'est érigé en chef de file à l'échelle européenne, et a

permis la création de nouveaux usages « légalisés » de la blockchain en matière

financière. Depuis lors, les projets d'usages multiples de la blockchain fleurissent au sein

des établissements financiers, mais aussi des entreprises du secteur tant public que privé.

6. La blockchain Ethereum - Si le terme « blockchain » est en réalité un terme

générique, et regroupe dans la globalité un ensemble de ces « registres », ces derniers

justement disposent de très nombreuses possibilités d’applications.

Porté par Vitalik Buterin (programmeur), Ethereum est une blockchain qui a pour

ambition de révolutionner l’Internet que chacun connait actuellement. Elle est par ailleurs

une des plus connues et présentes sur le devant de la scène technologique et est devenue,

début 2017, la deuxième blockchain la plus utilisée après celle du Bitcoin.

A la différence de certaines blockchains connues jusque-là, Ethereum propose à ses

utilisateurs de créer une base de données publique, infalsifiable afin de lutter contre toute

fraude, perte des données ou corruption. En réalité, Ethereum peut être considérée comme

le berceau de centaines d’autres blockchains sécurisées.

Les utilisateurs peuvent donc envisager et programmer la création de blockchain dans

tous les domaines qu’ils souhaitent : santé, sport, finance, politique, etc. Aucun domaine

n’échappe à Ethereum, qui vise une extension sans limite de ses projets et blockchains.

Par exemple, un parti politique14 a décidé fin 2016 de proposer une mise en place de vote

via la blockchain, afin de promouvoir ce dispositif qui pourrait s’avérer tout aussi

démocratique et anonyme que le vote classique et ‘matériel’ que l’on connait jusqu’alors.

La blockchain Ethereum, forte de ces multiples et infinies possibilités, permet également

la création de smart contracts, dits aussi « contrats automatisés ». Ainsi, au-delà d’être le

berceau de multiples autres blockchains, elle est aussi le berceau de la technologie des

smart contrats, dont la programmation en code informatique réplique l’exécution d’un

contrat dit ‘classique’.

14 Le parti politique « Nous citoyens » a fait appel pour ce projet à la start-up BELEM.

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II. L’accueil des smart contracts en droit français

7. Les smart contracts – Bien que leur nom puisse porter à confusion, ces derniers

sont des programmations informatiques qui reprennent les termes d’un engagement

contractuel (traduits en langage informatique, en code), conditionnés sur le modèle du

« Si… Alors » et qui permettent, lorsque les conditions arrêtées par les parties sont

réalisées et vérifiées, une exécution automatique de ces engagements (sans aucune

intervention humaine).

Le schéma de raisonnement demeure relativement simple : si une condition est vérifiée,

alors la conséquence s’auto-exécute ensuite telle que prévue dans le code du smart

contract.

Par exemple, si un individu loue un véhicule de location connecté pour un jour X, alors

il doit payer la location avant d’obtenir activation de la clé électronique à la date prévue.

Le terme « smart » marque la réelle complexité et capacité d’adaptation des smart

contracts : s’ils ne sont pas des contrats qui ‘réfléchissent’ comme peut le faire un humain,

il est possible de déduire des progrès technologiques actuels en matière d’intelligence

artificielle15 et de machine ou deep learning16 (ou « apprentissage profond »), qu’il n’est

qu’une question de temps avant que ces hypothèses deviennent réalité.

Ensuite, le terme « contract » ouvre quant à lui la voie à de nombreuses interrogations :

15 « On pourrait dire que l’Intelligence Artificielle (IA) est un ensemble de techniques permettant à des machines d’accomplir des tâches et de résoudre des problèmes normalement réservés aux humains et à certains animaux ». Yann LECUN, L’apprentissage profond, une révolution en intelligence artificielle, Collection Collège de France, Editions Fayard, à paraître en décembre 2017 et présenté lors de la leçon inaugurale du 4 février 2016. 16Le machine learning est un domaine de l’intelligence artificielle visant à faire apprendre à l’algorithme au moyen de reproductions, exemples et photographies. Par exemple, en montrant une photographie d’un vélo à l’algorithme, il devra parcourir toute sa mémoire et les exemples qu’il aura engrangé jusqu’alors, et ce jusqu’à la conclusion qu’il s’agit d’un vélo au vu des similarités entre les images analysées. Le deep learning est quant à lui une étape supplémentaire au sein de l’intelligence artificielle, cette fois, l’algorithme n’aura pas au préalable eu à apprendre et visualiser des milliers ou millions de photographies pour pouvoir conclure qu’il s’agit d’un vélo, il devra établir lui-même le schéma de raisonnement pour établir qu’il peut s’agir de cet objet : par exemple, en fonction des caractéristiques telles que les roues, le guidon, la forme, les pédales, il sera capable de croiser toutes ces données pour déduire, tout comme le cerveau humain le ferait, qu’il s’agit d’un vélo. Définitions de Yoshua BENGIO, Learning Deep Architectures for AI, Foundations and Trends in Machine Learning, 2(1), 2009

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s’ils sont des sources évidentes d’obligations juridiques, les smart contracts ne sont, pour

l’heure, pas encore des contrats au sens purement juridique du terme, régis par

l’application de l’article 1101 du Code civil précité.

Smart contracts, blockchain, ces deux éléments demeurent souvent confondus et mêlés

au sein des diverses publications et articles que l’on peut trouver sur les différentes

sources de recherche. Il convient, après avoir distingué les smart contracts de leur

environnement qu’est la blockchain, de se focaliser sur les cryptomonnaies au sein de ce

propos introductif, qui elles aussi, sont indissociables des spécificités des smart contracts,

et souvent confondues au sein du terme ‘blockchain’ très générique.

8. Smart contract et cryptomonnaie - La cryptomonnaie se distingue de la

monnaie ‘virtuelle’ telle que l’on peut la connaître en ce sens qu’elle est une monnaie

numérique, alternative, décentralisée et basée sur la cryptographie. Contrairement aux

monnaies que l’on connait dans le monde physique (appelées « monnaies FIAT » en

langage informatique), les cryptomonnaies ne sont pas gérées par des organismes

régulateurs.

Les cryptomonnaies sont constituées de « jetons », appelés aussi « token » en langage

technique.

Il existe plusieurs cryptomonnaies au sein des différentes blockchains créées jusqu’alors.

Par exemple, on retrouve parmi les plus connues le Bitcoin, l’Ether, Ripple ou encore le

Litecoin. Leurs cours sont relativement variables, et oscillent entre à peine 0.006 centimes

d’euros pour certaines, contre plus de 1 800€ pour d’autres.

Certaines ne représentent pas une ‘valeur’ convertible en devise monétaire, mais

représentent un intérêt d’un indivu, par exemple, sur certaines blockchains, il est possible

de voir des tokens représenter un droit de vote, une prise de participation à une assemblée.

Tous les tokens n’ont donc pas vocation à se monétiser, mais les plus connus, répandus

et médiatisés, comme le Bitcoin, sont ceux sur lesquels les problématiques s’accroissent.

9. Le Bitcoin est la première cryptomonnaie à avoir été créée, en même temps que

l’émergence de la blockchain (en 2008).

Dans les grandes lignes, le Bitcoin n’est pas émis par une autorité centrale tel que peut

l’être l’Euro par la Banque Centrale Européenne, et sa quantité n’est pas non plus fixée à

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l’avance. Ils sont créés au fur et à mesure de l’inscription des blocs. La seule limite est la

prévision, au sein de l’algorithme de la blockchain Bitcoin, de l’émission du dernier

Bitcoin en 2140. Cette cryptomonnaie est stockée sur une adresse personnelle Bitcoin,

sécurisée par une clé privée (une chaîne de lettres et de chiffres) qui peut se conserver sur

différents supports (ordinateur, smartphone, etc).

Pour situer l’importance de cette cryptomonnaie, en septembre 2016, environ 15.25

millions de Bitcoins étaient émis depuis la création de cette blockchain17.

La publication du premier taux de change des Bitcoins a été effectuée le 5 octobre 2009,

et à cette époque, un Bitcoin valait environ 0.001 dollar USD, soit environ 0.00071 €.

A titre informatif, un Bitcoin était évalué avec un taux de change de 1197,52 € en date du

27 avril 2017 (soit 1313 dollars environ), et passait le cap des 1800€ aux alentours du 20

mai 2017. Le cap des 1 000 € avait été franchi en janvier 2017 et ce fut d’ailleurs un

record pour le cours du Bitcoin jusqu’alors, qui ne cesse d’augmenter.

Pour comparer, il était à 121.4 dollars au 1er juin 2013, et enfin oscillait entre 4.24 et

11.89 dollars entre janvier 2010 et janvier 2013, date à laquelle les cours ont commencé

à augmenter petit à petit.

Il est alors indéniable que la blockchain et ses cryptomonnaies connaissent un essor sans

précédent et doivent faire l’objet, au même titre que la blockchain et le droit des nouvelles

technologies au sens large, de toute l’attention de la sphère juridique et judiciaire.

10. La consécration d’un « lexique de l’informatique ». – Publié au Journal Officiel

le 23 mai 2017, un « Vocabulaire de l’informatique (listes de termes, expressions et

définitions adoptés) »18 intervient en amont de toute loi sur la blockchain, et a vocation à

préciser les notions essentielles de la blockchain.

A la lecture de ce lexique, la blockchain se voit décrite de manière bien plus simple et

accessible au regard des définitions parfois trop techniques : elle est désormais un « mode

d’enregistrement de données produites en continu, sous forme de blocs liés les uns aux

autres dans l’ordre chronologique de leur validation, chacun des blocs et leur séquence

17 C. JEAN JARRY et R. ROUPHAEL, Introduction (non-technique) à la « blockchain », Conseil & Entreprises, La revue de l’ACE, Septembre 2016, p. 137 18 « Vocabulaire de l’informatique » publié au JORF n°0121 du 23 mai 2017, texte n°20

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étant protégés contre toute modification ». Une note complémentaire précise ensuite

qu’elle est notamment utilisée dans le domaine de la cybermonnaie, où elle agit en tant

que « registre public des transactions ».

Pour dresser un inventaire, là encore, le caractère inaltérable, chronologique, permanent,

et authentique de la blockchain transparaissent, cependant, force est de constater qu’une

fois de plus le caractère décentralisé brille par son absence. Dans le même sens, aucune

mention n’est faite à la distinction essentielle opérée entre blockchain publique et

blockchain privée.

Cette définition, relativement récente, appelle alors déjà à de nouvelles modifications et

prises en comptes des véritables caractéristiques de la blockchain.

Concernant la cryptomonnaie, que nous décrivions dans le précédent point, le législateur

a finalement opté pour un nouveau terme, plus dans l’ère du temps (à l’époque de la

cyber-criminalité, du cyber-espace, cybernétique, cyber-stratégie, etc.) : on parle

désormais de cybermonnaie.

Il convient ici de préciser que la présente étude se bornera à conserver l’ancien terme,

dans l’attente de toute reconnaissance légale ultérieure et sous réserve que la

‘cybermonnaie’ redevienne plus précisément une « cryptomonnaie ».

Pour présenter un œil plus critique et appuyer ce choix, un article du New York Magazine

rédigé sous la plume de Philip Elmer-Dewitt donnait une vision très caustique du préfixe

« cyber » : « Cyber is such a perfect prefix. Because nobody has any idea what it means,

it can be grafted into any old word to make it seem new, cool – and therefore strange,

spooky. It’s also short, which makes it easier to run there inches high on the front pages

of a tabloid newspaper.19 » (Traduit en : Cyber est un préfixe parfait. Parce que personne

n’a la moindre idée de ce qu’il signifie, il peut être ajouté à tout mot ancien et le rendre

innovant, cool – et surtout étrange, effrayant. Il est aussi court, ce qui rend beaucoup plus

facile de l’étaler sur les premières pages des journaux et tabloïds.).

Cette dernière se définit dans les lignes du texte publié comme une « monnaie dont la

création et la gestion reposent sur l’utilisation des techniques de l’informatique et des

télécommunications ». Une note poursuit en précisant qu’elle peut être convertible en

19 Philip Elmer-Dewitt, « Cyber extra », New York Magazine, 23 décembre 1996, p23

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monnaie régalienne, et ne doit pas être confondue avec la ‘monnaie électronique’, ni

appelée « cryptomonnaie », contrairement à ce qui sera réalisé au sein de la présente

étude.

Là encore, cette définition demeure relativement brève et imprécise, et appelle une fois

de plus à l’analyse et à la proposition de nouvelles perspectives pour envisager la notion.

D’autres notions sont elles aussi précisées par ce lexique : minage, monnaie électronique,

pair à pair, preuve de travail et enfin validation de blocs, mais demeurent rédigées en des

termes très génériques, et appellent elles-aussi à la mesure et à la précision pour les textes

ultérieurs.

Enfin, et ici se cristallise le plus grand regret de la communauté informatique et juridique

en matière de blockchain, les smart contracts demeurent grands absents de ce nouveau

lexique. Aucune justification n’apparaît cependant quant à cette absence, et laisse le libre

champ aux spéculations sur l’intervention ultérieure du législateur en la matière.

11. Les problématiques issues des smart contracts. – Tout comme le démontre

l’absence de référence au sein de ce Vocabulaire Juridique, les smart contracts demeurent

encore inconnus à la sphère juridique, et on se demande de facto quelle appréhension de

ces mécanismes l’on pourrait faire en droit français.

Les technologies de la blockchain sont actuellement entourées d’un certain flou juridique.

Malgré les quelques ébauches de législation qui ont pu être mises en place, les normes

seront sans doute amenées à évoluer dans les années à venir, pour autant, les

problématiques que les smart contracts soulèvent restent en suspens et s’accroissent au

fil du temps.

Notamment, la principale de celles-ci se cristallise sur le point de savoir si les smart

contracts pourront, un jour, être considérés comme des contrats au sens juridique du

terme. De cette qualification contractuelle permettrait d’en déduire nombreuses autres

problématiques ayant vocation à graviter autour de cette nouvelle technologie :

conclusion et exécution du contrat, qualification des cryptomonnaies, terrain probatoire,

responsabilités découlant de la relation contractuelle, recours. Tout le raisonnement

propre au contrat aurait-il vocation à s’appliquer ?

Tous ces éléments, en l’absence de précision par le pouvoir législatif, restent à l’état de

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questions et nécessitent une analyse précise.

12. La nécessité de créer un nouveau cadre et de nouvelles notions précises. - Pour

toutes ces raisons et ces carences, afin de favoriser l’appréhension de ces nouvelles

notions, l’idée est ici de proposer une analyse tantôt théorique, tantôt concrète, afin de

donner l’impulsion à des réformes à venir, visant à la prise en compte des singularités de

la blockchain et de ses applications.

La présente analyse visera pourtant à appréhender cette nouvelle notion, qui peut se

rapprocher en de nombreux points avec la qualification contractuelle telle qu’elle est

décrite au sein des dispositifs normatifs français (Partie I).

De la formalisation des smart contracts à leur exécution, en passant par la gestion des

litiges pouvant en découler, il s’avèrera nécessaire d’analyser avec minutie l’ensemble

des éléments favorisant leur réception en droit français.

Pour autant, s’il sera démontré qu’un certain nombre d’entre eux a vocation à

s’accommoder des spécificités des smart contracts, force est de constater que d’autres

poseront en revanche des difficultés d’appréhension de la notion.

Il est évident que ce nouveau mécanisme est encore immature, et fait naître une certaine

défiance au sein de la sphère juridique et judiciaire.

Cette méfiance relative de la part des juristes s’explique non seulement par la nouveauté

de la technologie blockchain, mais aussi et surtout par la multiplicité de ses applications

et dérives possibles, qui nécessitent une analyse approfondie (Partie II).

Dans la lignée des mots de David Lefranc, « la diffusion des outils numériques jusque

dans les foyers a donné un coup de vieux au droit des contrats informatiques des

origines20 », et c’est pour cela qu’il convient d’opter pour une analyse pragmatique et

proposer de solutions réfléchies pour appréhender les évolutions de la société et s’y

adapter.

Le but de la présente étude est d’approfondir ces définitions tantôt généralistes, tantôt

brèves, ou encore absentes, pour proposer un angle de vue bien différent et plus juridique

du domaine de la blockchain.

20 David LEFRANC, Droit des applications connectées, Préface d’André Lucas, Manuels Larcier, 2017

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Les différentes approches retenues ont conduit, au sein de la présente étude, à s’engager

sur de nombreux sentiers : droit des obligations, droit des contrats, droit de la

consommation, droit bancaire, etc, et c’est effectivement ce qui constitue la difficulté des

nouvelles technologies : elles innervent le quotidien, et nécessitent une prise en charge

globale et attentive par le Droit.

Par ailleurs, dans la majorité des cas et sauf indication contraire, le principal exemple de

blockchain mentionné au sein de cette étude sera celui des blockchains publiques, qui

posent davantage de problématiques juridiques au regard de leur spécificités que les

blockchains privées, pour qui les problématiques peuvent être régulées par contrat entre

les parties créatrices de ladite blockchain.

Comparable à ce qu’était la situation dans laquelle se trouvaient les juristes lors de

l’émergence du droit de l’Internet, qui est d’ailleurs toujours en perpétuelle évolution, le

droit de la blockchain et des technologies décentralisées effraie dans les premiers temps,

et nécessitera après une prise de recul, dans une seconde phase, un dispositif légal sur

mesure, prenant en compte toutes ses spécificités.

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Partie 1 : Une réception favorisée des smart contracts en

droit français

13. Alors même que la blockchain a fait l’objet d’une reconnaissance légale (certes

encore peu étendue et détaillée), les smart contracts quant à eux, sont encore trop

embryonnaires et peu expérimentés pour faire l’objet d’une telle considération de la part

du législateur. En effet, encore absents du Vocabulaire Juridique consacré à la fin mai

2017, les smart contracts sont encore inconnus du Droit, et leur régime reste à envisager

de part en part.

Pour autant, force est de constater qu’il convient d’agir à des fins prospectives, et de

mettre en miroir les notions juridiques qui pourraient s’intégrer à cette technologie

innervant de manière croissante l’environnement numérique, économique, social et

autres.

Sur ce point, il s’avèrera nécessaire d’envisager les perspectives contractuelles issues de

la notion de « contrats automatisés », et de souligner l’appréhension favorable que permet

le droit des contrats français au regard des spécificités de ces smart contracts (Titre 1).

Dans un second temps, il conviendra de mettre en abîme cette réception opportune non

plus seulement dans la phase de la formation contractuelle, mais au-delà, au sein de

l’exécution même des smart contracts (Titre 2) qui justement, marque inexorablement

leur particularisme et semble promettre de nombreux apports au droit français.

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Titre 1 : L’appréhension favorisée de la notion de smart contract au

regard du droit des contrats français

14. Au sein des utilisations multiples de la blockchain se trouve le smart contract,

aussi appelé plus singulièrement « contrat automatisé ». Ce contrat défini dans le propos

introductif ci-avant, permet aux cocontractants d’enregistrer et d’authentifier leurs

engagements contractuels de manière certaine, mais aussi d’en automatiser leur

exécution.

Ces deux modalités caractéristiques définissent le smart contract dans son essence même,

bien qu’ils ne soient pas (encore ?) des contrats à part entière et reconnus comme tels, et

ne disposent d’aucune définition officielle ni juridique.

A l’aune de cette absence de « statut » et de qualification, il apparaît cependant important

d’appréhender la notion de smart contract (Chapitre 1) au regard de la théorie générale

du contrat en étudiant les parallélismes et analogies pouvant être faits entre le contrat au

sens du droit français, et le smart contract informatique.

Après cette analyse de la réception contractualiste de la notion, il adviendra une étude

plus précise sur l’opportunité de calquer le régime de droit commun sur la formation des

contrats (Chapitre 2), et de vérifier si l’ensemble de ce régime aurait vocation ou non à

favoriser une réception des smart contracts en droit français.

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Chapitre 1 : La réception contractuelle de la notion de smart contract

15. Avant d’être des objets de droit potentiels, les smart contracts ne sont encore

considérés qu’en tant que protocoles et programmes informatiques relatant les

engagements contractuels des parties.

Contrats intelligents, contrats auto-exécutants, smart contracts, les termes varient, et dans

le même sens, les définitions précises ne sont que trop divergentes et éparses : il n’existe,

pour l’heure, aucune définition juridique des smart contracts.

Certains considèrent une consécration de définition comme superflue.

Cependant, à l’aune de ce flou juridique entourant les smart contracts, la première

interrogation se posant est celle de savoir si, basiquement, les smart contracts sont, en

réalité, ou non, des contrats (Section 1). Pour l’heure, ils en ont l’appellation, mais en

droit, peut-on en réalité affirmer que ce nom a été choisi avec bienveillance ?

Dans une autre mesure, à l’image de la démarche du gouvernement et de sa consultation

publique en matière de blockchain, la visée de la présente étude dans un second temps,

sera de préconiser des pistes afin de définir ces protocoles si particuliers (Section 2) et

d’opérer un tri entre toutes les définitions proposées par différents mouvements

doctrinaux.

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Section 1 : La perspective contrat-smart contract

16. La visée de la présente étude sera de donner des pistes et réflexions au sujet des

smart contracts, et de suggérer la création d’un écosystème juridique de recherche et de

création de normes sur ce thème, de manière à ce qu’ils évoluent dans un environnement

propice à leur développement.

Ce manque de définition a d’ailleurs été mis en exergue par la consécration d’un

vocabulaire de l’informatique21, au sein duquel les smart contracts se présentent comme

les grands absents, au profit de définitions plus axées sur les procédures et détails de

fonctionnement de la blockchain (minage, validation de blocs, etc.).

De fait, il s’avèrera en premier lieu nécessaire d’analyser l’état actuel des débats se

cristallisant autour de la nature même des smart contracts.

En effet, pour l’heure, plusieurs théories s’affrontent, et il est possible de se demander

s’ils sont véritablement des contrats (§1).

Dans un second temps et après cette analyse, il s’avèrera nécessaire de proposer une

définition claire et précise de ce qu’ils sont.

Ces éléments pourraient alors être considérés comme des pistes de raisonnement à

prendre en compte pour les lois et textes ultérieurs en matière de blockchain, et plus

spécifiquement, de smart contracts (§2).

§1. Notions contractuelles : genèse du contrat

17. Définition. - Le contrat, dans son sens juridique le plus pur et issu du latin

contractus, désigne un accord, une convention, manifestant une autonomie de la volonté

des parties et ayant pour objet de créer une obligation ou transférer la propriété22. Pour la

compréhension du présent propos, ils seront mentionnés en tant que contrats

21 « Vocabulaire de l’informatique » publié au JORF n°0121 du 23 mai 2017, texte n°20 22 Racine latine contractus et contrahere, signifiant rassembler, réunir, conclure. G. CORNU, Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, Editions Puf, 9ème Edition, p. 257

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« classiques » ou « analogiques » au sens informatique du terme.

L’article 1101 du Code civil définit le contrat comme un « un accord de volontés entre

deux ou plusieurs personnes destiné à créer, modifier, transmettre ou éteindre des

obligations ».

Avec une nouvelle définition introduite avec la réforme opérée par l’ordonnance du 10

février 2016, l’article 1101 propose une vision modernisée du contrat, inspirée pour autant

quelque peu de l’ancienne version.

En effet, malgré un abandon de la référence aux notions classiques mais controversées

concernant les obligations de donner, faire ou ne pas faire, l’ordonnance a poursuivi une

profonde focalisation sur la nature même du contrat : l’accord de volontés, et ses effets :

tant sur leur création que la modification ou l’extinction des obligations.

Au sein de la grande catégorie des actes juridiques, définis comme des manifestations

intentionnelles de volonté dans le but de réaliser certains effets de droits, les contrats

impliquent nécessairement un accord de volonté.

18. Le contrat : une convention. – Malgré que la mention des « conventions » au

sein du Code civil se soit vue supprimée par la réforme, pour l’heure, il convient de

maintenir la distinction entre les contrats et les conventions.

Le contrat est une convention mais s’en distingue : la convention est une notion bien plus

large qui inclut tout accord de volontés destiné à produire des effets de droit. Le contrat

est une espèce dont plus largement, le genre est la convention. En définitive, les contrats

sont des conventions, mais toutes les conventions ne sont pas des contrats.

Sous l’empire de l’ancien Code civil, avant donc la réforme de 2016, le contrat était plus

précisément une convention spécifique, qui avait vocation à générer des obligations

juridiques, sans quoi il s’agissait notamment d’un acte de complaisance ou d’un accord

conventionnel (mais pas contractuel), puisqu’aucune sanction n’était encourue et

qu’aucune obligation juridique ne naissait.

Par exemple, en matière d’effets non obligationnels, une remise de dette, extinctive de

l’obligation issue d’un contrat, n’était en revanche pas un contrat, mais un autre type de

convention.

Cependant, à regarder de plus près les nouvelles dispositions, le contrat peut créer,

modifier, transmettre ou éteindre des obligations, ainsi, par analogie et pour reprendre

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l’exemple susmentionné, une remise de dette devient désormais, à l’aune de la réforme,

un contrat. Pour illustrer ce propos avec un autre exemple, on peut notamment citer le fait

de désigner un tiers de confiance auprès d’un service médical qui devient, là aussi, un

contrat malgré qu’aucun effet obligationnel ne naisse.

Le contrat est donc un accord de volontés doté d’effets obligationnels, mais pas toujours,

bien que ce soit plus généralement ce qui permette en premier lieu de le distinguer. Une

fois encore, le rapport obligationnel est bien souvent l’élément distinctif par excellence

du contrat et en découle par la suite toute l’application du régime contractuel qui lui est

spécifique.

Le contrat naît du seul accord des volontés des parties, et s’il fait naître des obligations,

celles-ci ne peuvent être qu’à la charge d’une seule des parties.

19. Les grands principes contractuels. – Les articles 1102, 1103 et 1104 énoncent,

à la suite de la définition du contrat, les grands principes du droit des contrats français :

la liberté contractuelle, la force obligatoire, et la bonne foi. Deux de ces principes étaient

déjà présents au sein du Code civil avant l’entrée en vigueur de la réforme opérée en

2016, la bonne foi et la force obligatoire, mais ils étaient jusqu’alors mentionnés au sein

d’autres parties dudit Code, alors que la liberté contractuelle était quant à elle absente,

déduite implicitement d’autres dispositions.

Le législateur a opéré, par cette réforme à la visée pédagogique, une mise en abîme de

ces trois principes en les plaçant directement à l’issue de la définition du contrat au titre

des dispositions préliminaires :

« Chacun est libre de contracter ou de ne pas contracter, de choisir son cocontractant et

de déterminer le contenu et la forme du contrat dans les limites fixées par la loi.

La liberté contractuelle ne permet pas de déroger aux règles qui intéressent l’ordre

public. »

L’article 1102 définit précisément la liberté contractuelle, fondement essentiel de la

société actuelle et exprimée au sein de l’article 4 de la Déclaration des Droits de l’Homme

et du Citoyen de 1789. L’affirmation nouvelle du principe de liberté contractuelle issue

de la réforme de 2016 au sein du Code civil n’est cependant pas un bouleversement

significatif du droit des contrats français : ce principe avait auparavant été élevé au rang

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de principe constitutionnel dans une décision du 13 juin 201323.

De fait, la liberté contractuelle recouvre plusieurs perspectives : la liberté de contracter

au sens large, mais aussi la liberté dans la détermination du contenu, de la forme et du

choix du cocontractant. La seule limite à cette liberté contractuelle réside dans le second

alinéa, au titre des dispositions d’ordre public.

L’article 1103 pose quant à lui le principe de la force obligatoire des contrats, complété

par les dispositions de l’article 1193 : « Les contrats légalement formés tiennent lieu de

loi à ceux qui les ont faits ».

La force obligatoire équivaut au respect de la parole donnée, et à l’adage latin « pacta

sunt servanda ».

Par le terme « loi », employé par les rédacteurs du Code civil, il convient d’assimiler la

loi de l’Etat : la norme contractuelle a simplement une différence de format avec les

normes légales, mais elles sont des lois à l’échelle des relations entre les individus. Il

serait alors le dernier maillon de la chaîne au sein de la pyramide des normes de Kelsen.

Par ailleurs, le contrat tire sa légitimité de la loi, qui lui est supérieure, il oblige les parties

à ce qu’elles se sont engagées parce que la loi l’y autorise, il en tire ici toute sa légitimité

et son autorité. La loi des parties s’offre au respect de tous.

Non seulement les obligations prévues au sein du contrat doivent être exécutées, mais au-

delà, toutes les stipulations doivent être strictement respectées.

Le contrat est une source d’obligations définies et acceptées par les parties, contrairement

aux mécanismes de responsabilité civile, dont toute volonté est indépendante.

Enfin, il est possible de lier la liberté contractuelle et la force obligatoire des contrats,

tous deux piliers des principes contractuels de droit français : il est en effet possible

d’affirmer que le contrat est obligatoire non seulement parce qu’il tire sa légitimité de la

loi, mais aussi parce qu’il est l’expression par excellence de l’exercice d’un droit

fondamental : celui la liberté individuelle, et par conséquent, de la liberté contractuelle.

Enfin, l’article 1104 concerne la bonne foi : « Les contrats doivent être négociés, formés

et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d’ordre public ».

A la lecture de la réforme, si autrefois la bonne foi s’inscrivait dans le cadre de l’exécution

23 Cons. Const. 13 juin 2013, n°2013-672 DC

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avec l’ancien article 1134, force est de constater que la bonne foi a été étendue à tout le

processus contractuel : négociation, formation et exécution. C’est ici la première

consécration régalienne de la bonne foi précontractuelle, antérieurement affirmée

seulement par la jurisprudence, et sur laquelle nous reviendrons plus loin au sein de cette

étude.

La bonne foi innerve désormais l’ensemble de la relation contractuelle. Elle suppose

notamment que les cocontractants n’exploitent pas la dépendance d’un autre pour en tirer

un avantage excessif, ou encore de ne pas stipuler de clauses créant un déséquilibre

significatif au sein du contrat.

Un dernier principe demeure quant à lui absent explicitement du Code civil : l’autonomie

de la volonté. Issue des théories consensualistes et du principe de liberté contractuelle, le

principe de l’autonomie de la volonté implique que les contrats se forment sur le simple

échange des consentements, et s’émancipent de tout formalisme. Bien sûr, il existe

aujourd’hui de nombreuses exceptions à ce principe, souvent ad probationem et non ad

validitatem (articles 1173 et s.).

20. Les différents types de contrats. – Les articles suivants, à savoir les articles 1106

à 1111, déclinent toutes les qualifications possibles de contrat et les définissent : contrats

synallagmatiques ou unilatéraux, onéreux ou à titre gratuit, commutatifs ou aléatoires,

consensuels, solennels ou réels, de gré à gré ou d’adhésion, et enfin contrats cadres ou

d’adhésion.

Toutes ces définitions sont un ajout opéré par la réforme, et il convient de saluer

l’initiative du législateur qui a souhaité préciser les qualifications à donner aux contrats.

21. Les conditions essentielles au contrat. - Si les conditions de formation et de

validité des contrats seront détaillées plus amplement et précisément au sein d’un

prochain chapitre, il convient cependant de les mentionner ici, au titre d’une présentation

la plus exhaustive possible de la théorie générale des contrats.

A l’aune de l’ancien droit des contrats, pour être valable, un contrat se devait de remplir

quatre conditions de validité : consentement, capacité juridique, cause et objet du contrat.

Cependant, parmi les notables évolutions de la réforme opérée par ordonnance, on notera

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la disparition des notions de cause et d’objet au profit d’une notion plus globale à l’article

1128 : ainsi, sont désormais nécessaires : le consentement des parties, leur capacité de

contracter, et un contenu licite et certain.

Par ailleurs, au-delà de ces conditions de validité, il importe, dès la conclusion du contrat,

de s’intéresser à la preuve.

Si elle n’est pas une condition de validité du contrat pour tous les contrats (on pense

notamment pour cette condition exigée aux actes authentiques), la preuve a pourtant des

conséquences sur les effets du contrat en cas de contestation et se doit d’être mentionnée

au titre de la théorie générale du contrat.

22. La preuve dans le contrat. – Si par principe les contrats demeurent consensuels

(article 1172 du Code civil), l’imposition de formes n’est pas requise, la seule expression

des consentements suffit à former le contrat. Pour autant, le législateur a, au fil des

réformes, multiplié les atteintes au consensualisme : bien que par principe le formalisme

ne soit pas une condition de validité, le principe a été renversé à titre probatoire ou à titre

de validité, notamment au titre des contrats solennels pour ce dernier cas : on parle de

forme ad validitatem. Il importe donc de noter que l’écrit peut être parfois une condition

de validité supplémentaire du contrat pour certains actes.

Dans ces cas-là, l‘écrit vise à permettre la preuve d’une part, de l’existence du contrat, et

d’autre part, du contenu obligationnel du contrat.

A la différence du formalisme exigé à titre de validité, sur le terrain probatoire et de

l’opposabilité, le formalisme du contrat intervient quant à lui sans sanction possible en

matière d’annulation de l’acte : on parle de forme ad probationem (c’est ici notamment

les écrits concernant les formalités de publicité pour assurer l’opposabilité de l’acte aux

tiers).

Pendant longtemps, l’écrit a été considéré comme la preuve par excellence, cependant,

avec l’apport de la loi du 13 mai 2000, l’écrit électronique a pu être considéré comme une

preuve à part entière au même titre que l’écrit sur support papier (ce point sera explicité

au sein des points n°161 et suivants).

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Tenant compte des avancées technologiques, l’ordonnance du 10 février 2016 a elle aussi

apporté sa pierre à l’édifice probatoire : le contrat pour lequel une copie est réalisée sur

support électronique acquiert la même force probante que l’original. Ainsi, le Code civil

envisage désormais de laisser une part croissante aux contrats et écrits électroniques au

sein de ses dispositions.

23. Le cas particulier du contrat électronique : généralités – Le contrat

électronique, ou contrat en ligne, est défini comme un contrat conclu par l’intermédiaire

d’un réseau de télécommunications. Par télécommunications, on entend en premier lieu

internet, mais il peut également s’agir, bien qu’ils se fassent de plus en plus rare, les

contrats passés notamment par le biais de minitels.

Le contrat électronique est un contrat ordinaire, tel que nous le définissions ci-avant, mais

effectué dans un univers virtuel : il est donc un contrat de vente à distance. Portant sur

une vente de biens ou sur une prestation de services mais particulier de par son

environnement, le contrat électronique suppose un régime qui lui est propre, bien qu’il

emprunte certaines dispositions au droit commun. Régi par les articles 1125 et suivants

du Code civil et 1174 et suivants pour la forme, le contrat électronique requiert trois

conditions de validité.

En effet, comme tout contrat, le contrat électronique doit respecter les 3 conditions de

validité susmentionnées pour les contrats « classiques » : le consentement des parties,

leur capacité de contracter, et le contenu licite et certain du contrat.

A la différence de l’expression du consentement dans le monde physique, en matière de

contrat électronique, le consentement est la plupart du temps exprimé à travers un « clic »

d’acceptation de l’offre commerciale.

Pour ce qui est de la capacité, il est relativement plus difficile de vérifier cette condition

sur l’environnement de l’internet, puisque les contrats sont conclus à distance et où rien

ne prouve que la personne derrière l’écran puisse être un mineur non émancipé.

Enfin, en matière d’objet licite et certain, la prestation, ou l’objet de la vente se doivent

d’être conformes à l’ordre public, et autorisés par les législations nationales qui leurs sont

propres.

Au même titre que pour les contrats « papiers », le cyber-cocontractant dispose d’un droit

de rétractation sous 14 jours francs pour les contrats passés (issu du droit de la

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33

consommation).

Au sein des contrats électroniques, la plupart d’entre eux s’applique au commerce

électronique, et le cocontractant, bien souvent qualifiable de consommateur au sens de

l’article préliminaire du Code de la consommation24, est plus largement protégé avec une

formation du contrat en 3 étapes :

- la mise à disposition des conditions contractuelles : le but est ici de permettre au

cocontractant de contracter en toute connaissance de cause, et de remplir l’obligation de

bonne foi et d’information du cocontractant (souvent professionnel).

- la vérification des conditions du contrat, avec un « clic » de validation et de vérification :

le cocontractant doit pouvoir vérifier sa commande, et le cas échéant, abandonner la

« négociation virtuelle ».

- enfin, la confirmation intervient : le cocontractant peut valider le contrat, exprime son

consentement à travers un second « clic » qui entraîne cette fois la formation du contrat

électronique entre les parties.

Tout comme le raisonnement opté en matière de contrats classiques, les modalités

d’exécution, de responsabilité contractuelle et de résolution des litiges ultérieurs en

matière de contrats électroniques seront abordées au sein de différentes autres sections de

la présente étude.

A la lecture de ces étapes de formation, force est de constater que le schéma du contrat

électronique s’éloigne des concepts classiques d’offre et acceptation, au profit de contrats

d’adhésion pour la plupart, où la dépersonnalisation et la dématérialisation du processus

contractuel sont de mise, à l’image de celles que l’on peut rencontrer en matière de smart

contracts.

24 « Est considérée comme un consommateur toute personne physique qui agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale ».

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34

§2. Le smart contract, un contrat ?

24. Notions et généralités. - En l’absence de toute définition des smart contracts, sur

laquelle nous allons revenir ci-après, il semble difficile d’envisager les perspectives

contractuelles qu’ils recouvrent. Pour pallier à cette difficulté, il convient dans un premier

lieu de se demander si, tout simplement, le smart contract pourrait être qualifié de contrat

au sens du droit français, ce qui permettrait de donner une première piste quant à la

définition à leur octroyer ensuite.

Cette première interrogation est la pierre de touche de toutes les problématiques issues

des smart contracts : pour certains auteurs, les smart contracts « ressemblent pourtant

furieusement à des contrats, certes un peu particuliers et bien étranges25 », pour d’autres,

ils n’en sont pas.

Pour tenter de trancher ce débat, il existe cependant deux hypothèses à distinguer en

matière de smart contracts : une première viserait le cas où le smart contract intervient

comme un « traducteur », et une seconde viserait la situation dans laquelle la globalité du

contrat évolue uniquement sur la blockchain.

25. Le smart contract dit « de traduction » - Dans le premier cas, on assisterait à

la naissance d’une génération de contrats auto-exécutants, mais basés sur le monde

physique, étant simplement la traduction littérale en langage informatique des

engagements des parties. On parle alors d’ « utiliser en quelque sorte le smart contract

comme une modalité d’exécution d’un accord passé26 ».

Cette traduction, au-delà d’être inscrite sur la blockchain et horodatée, valant donc preuve

et opposabilité (se référer ici aux développements à venir sur la blockchain et sa valeur

probante aux points n°161 et suivants), pourrait avoir également pour avantage d’exécuter

automatiquement les clauses du contrat, voire le contrat dans sa globalité selon sa nature.

Par ailleurs, cette auto-exécution intrinsèque aux smart contracts permettrait aussi

25 J. GIUSTI, La blockchain changera notre métier, La revue de l’ACE, septembre 2016, n°137, p. 19 26 V. infra, n°25, p. 34

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d’adopter une nouvelle vision de l’exécution du contrat, assurant la capacité d’éviter les

litiges classiques du contentieux de l’exécution (ce point sera plus amplement développé

au sein des points 143 et suivants).

Pour autant, malgré toutes les perspectives que cette « traduction contractuelle

automatique » pourrait impliquer, force est de constater qu’en l’espèce, le smart contract

ne serait pas un contrat au sens juridique du terme, au sens d’un accord de volontés et

respectant les conditions de forme et validité du contrat.

En l’absence de cette qualité, il ne serait alors qu’une « copie » du contrat informatisée,

et plus précisément une copie des clauses insérées dans un algorithme pour exécuter le

contrat, mais ne serait pas le contrat en lui-même, il lui serait complémentaire.

Cette vision rejoint très largement les théories avancées par Primavera De Filippi, juriste

et pionnière sur le thème de la blockchain et des smart contracts, qui selon elle, n’assimile

pas les smart contracts aux contrats : « les smart contracts ne remplacent pas les contrats,

mais les renforcent 27».

C’est également ici l’opinion que partage Benjamin Jean, fondateur d’Open Law (une

association organisant des formations notamment sur les nouvelles technologies et ayant

créé la Smart Contract Academy) et Maître de conférences à Sciences Politiques de Paris :

« Il s’agit d’outils qui peuvent se superposer au contrat tel un clone numérique, n’en

assurer qu’une implémentation (…) ».

En somme, c’est ici considérer le smart contract comme une annexe au contrat, mais pas

comme le contrat lui-même.

Il existe cependant une toute autre vision, plus complexe et technologiquement aboutie

des smart contracts.

26. Le smart contract ex nihilo. - Dans la seconde hypothèse, l’idée est de créer

entièrement le smart contract sur la blockchain, mais cette fois ex nihilo. Dans ce cas de

figure, il n’y a plus aucun contrat de « support », et le smart contract passe d’une modalité

d’exécution à un contrat à part entière. C’est d’ailleurs et à juste titre, ce type de formation

des smart contracts qui fera l’objet de la présente étude, et d’une tentative de définition.

Pour qu’il devienne un véritable « contrat », il s’agirait alors de codifier, dans l’idéal,

27 P. DE FILIPPI, Les smart contracts, les nouveaux contrats augmentés, La revue de l’ACE, septembre 2016, n°137, p. 40

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l’ensemble du droit des contrats français, pour qu’il puisse répondre par nature à toutes

les exigences légales. Cependant, en l’état d’avancement de cette technologie, ce n’est

pour l’heure pas expérimenté à une échelle aussi complexe, mais rien n’est moins sûr que

ça ne tarde.

Dans une idée très prospective là encore, il ne semble pas impossible de voir un jour, les

lois « codées » elles-mêmes lors de leur promulgation, pour pouvoir, dans une certaine

mesure, les coder à leur tour en les copiant au sein des smart contracts.

Cependant, avec une telle démarche, il conviendra à ce moment-là de s’interroger sur la

question de la loi dans le temps, qui peut connaître des évolutions, et comment dès lors

les appréhender dans des contrats qui peuvent s’exécuter parfois à durée indéterminée.

Le code sera alors un cerbère : code informatique mais aussi contrat liant les parties,

auxquels s’ajoute le droit des contrats figé dans le temps codé lui aussi.

Il convient de souligner que ce n’est qu’une réflexion prospective, et ne constitue en rien

l’état actuel de la technologie.

27. Illustration de smart contract ex nihilo. – L’exemple le plus concret de smart

contract ex nihilo qui pourrait être utilisé est celui de l’assurance dans le transport aérien.

Cet exemple d’ailleurs a été expérimenté lors d’une conférence internationale pour

prouver l’utilité et les espérances fondées dans les smart contracts pour le futur (on parle

alors de proof of concept).

Un voyageur décide de prendre un voyage pour aller à New York, à X date et heure. Son

vol arrive avec 7 heures de retard pour diverses raisons qui n’importent pas ici. Dans la

vie courante, ce passager ayant subi le retard doit contacter la compagnie et s’adonner à

un certain nombre de démarches pour se voir rembourser tout ou partie de son vol. Par la

même occasion, si ces démarches sont source de perte de temps et d’argent pour lui, il en

est de même pour la compagnie qui elle aussi débourse des frais de gestion pour effectuer

la procédure de remboursement.

Imaginons cette fois la situation avec un smart contract : le contrat automatisé

comporterait ici l’ensemble des éléments techniques pouvant déterminer le quota de

remboursement de ce client, codé avec des conditions précises (par exemple, 1 heure de

retard = X €, entre 1 et 3 heures = Y €, etc.). La réalisation de ces conditions, c’est-à-dire

la confirmation du retard ou annulation des vols, serait quant à elle interne à la blockchain

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de la compagnie aérienne, et de fait, sans contestation possible.

Dans cette configuration, à partir du moment où un seul avion arrivera en retard à partir

d’un temps fixé par la compagnie, les remboursements seront automatiquement

déclenchés par smart contract, et la compagnie pourrait alors, tout autant que le client, y

gagner en temps et en argent. Tout le processus de démarches et de réclamations serait

dès lors supprimé.

On peut aussi extrapoler cet exemple à tous les modes de déplacement, notamment le

train, les ferrys, etc.

Ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres de smart contracts, mais c’est un exemple qui

s’avère relativement simple à comprendre pour saisir l’efficacité et les apports possibles

des smart contracts dans les relations économiques notamment.

28. Le smart contract, un contrat électronique/numérique ? – Le contrat

électronique se distingue du contrat principalement en matière de support et d’expression

des consentements : tout est réalisé en ligne. Sur ces points, les smart contracts ne

diffèrent guère : le support est un réseau et les consentements, sur lesquels un point précis

sera consacré, peuvent être exprimés par un « clic » ou par la transmission à l’autre partie

de sa clé publique (tout en gardant confidentielle et pour soi la clé privée). Pour autant,

faire l’analogie entre les deux se trouve pourtant trop éloigné de la réalité. En effet, les

smart contracts, pour l’instant, ne sont certes pas des contrats au sens juridique du terme,

mais ne sont pas non plus résumés à être des contrats électroniques, ils ont des modalités

d’exécution bien plus complexes et caractéristiques de ce qu’ils sont.

Dès lors, à terme, il sera peut-être possible un jour d’affirmer que les smart contracts sont

des contrats, au regard d’une certaine adaptation du cadre légal probablement, mais

surtout et principalement, au regard des avancées technologiques qui pourront exister au

fil du temps. La présente étude se borne à un état de l’art tel qu’il se dépeint en 2017, et

il est loin d’être impossible que les smart contracts connaissent très vite, dans la décennie

à venir, une toute nouvelle implémentation qui leur permettra de rentrer dans la catégorie

formelle des contrats juridiquement parlant.

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Section 2 : l’absence de définition établie des smart contracts

29. En décortiquant l’expression « smart contract », avec une traduction littérale et

mal choisie de « contrats intelligents », on remarque que l’intelligence ne touche

finalement pas le contrat lui-même, un contrat n’a pas à être « intelligent », qu’il soit

automatisé ou pas, et c’est un qualificatif généralement plutôt attribué aux humains, bien

que ce puisse être récemment une nouvelle tendance (smart cities, smart phones, etc.)

Pour autant, si certains sont tentés de définir littéralement cette technologie et d’en

déduire qu’ils sont purement et simplement des contrats, qui plus est intelligents donc,

cela peut être trompeur. Sur ce point, les avis divergent notamment entre juristes et

développeurs, qui ne proposent pas de définition uniforme (§1), et il s’avère ainsi

nécessaire de s’attarder à la constitution d’une réelle définition concise et juridicisée des

smart contracts (§2).

§1. De nombreuses tentatives de définition des smart contracts

30. Justifications. - L’idée de proposer une définition pour les smart contracts n’est

pas la plus simple bien qu’elle semble être un prérequis nécessaire et inévitable dans

l’appréhension des smart contracts : en effet, les propositions varient, qu’elles émanent

des techniciens de la sphère informatique ou de juristes, ces dernières sont loin d’être

convergentes.

Cette hétérogénéité des définitions trouve plusieurs explications : tout d’abord, il convient

de prendre en compte la relative nouveauté de cette technologie. En effet, bien que la

blockchain Bitcoin existe depuis 2008, et que les smart contracts aient été imaginés dès

1996 par Nick Szabo, ils ne sont pourtant devenus plus connus et ont été expérimentés

que dans les trois dernières années, dès 2014. Avant cela, ils demeuraient inconnus pour

le grand public, bien que pour beaucoup, aujourd’hui, ils le demeurent encore.

La deuxième raison qui pourrait justifier cette absence de cohésion est celle de la

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complexité des smart contracts : d’affinités premières avec l’informatique, c’est une

technologie relativement difficile à appréhender pour les juristes et les régulateurs, qui

souvent s’attachent au pragmatisme, et préfèrent observer avant de proposer des cadres

trop restrictifs et pouvant freiner la technologie et son avancée.

Enfin, la dernière piste d’explication résiderait dans la multiplicité des cas et applications

de smart contracts : en matière de location, de vente, de transfert de données, il existe une

multitude de possibilités d’implémentation des smart contracts, et il semble difficile pour

les juristes d’englober toutes ces formes en une seule définition. Cependant, plusieurs s’y

sont essayé.

31. Des définitions complexes. – La définition la plus complexe émane du fondateur

d’Ethereum, Vitalik Butterin : « A smart contract is a mechanism involving digital assets

and two or more parties, where some or all the parties put assets in, and assets are

automatically redistributed among those parties, according to a formula based on certain

data that is not know at the time the contract is initiated28 ».

En français, le fondateur d’Ethereum définit donc le smart contract comme un mécanisme

impliquant des actifs numériques et deux ou plusieurs parties, où les parties les distribuent

elles-mêmes, en fonction d’une formule dont ils auront décidé et basée sur certaines

données (conditions) qui ne sont pas encore certaines lors de la conclusion du contrat.

De plus, il ajoute au sein d’une publication supplémentaire sur le site Ethereum qu’un

smart contract peut : fixer un nombre de parties déterminé ou déterminable, fixer un temps

d’exécution défini ou indéfini, et viser des relations consommateurs-professionnels.

Force est de constater que cette définition du smart contract est relativement compliquée

et ne saurait s’adapter à une appréhension efficace en droit français de la notion.

32. Des définitions d’une modalité supplétive du contrat. - P. De Filippi définit

les contrats autonomes ainsi : « les smart contracts sont des logiciels exécutés de manière

décentralisée sur la Blockchain dont les fonctionnalités se déclenchent par la réalisation

de conditions prédéfinies29 ». Plutôt simpliste mais concise, cette définition souligne

28 Publication de V. BUTTERIN sur le blog Ethereum : https://blog.ethereum.org/2014/05/06/daos-dacs-and-more-an-incomplete-terminology-guide/ 29 P. DE FILIPPI, Les smart contracts, les nouveaux contrats augmentés, La revue de l’ACE, septembre 2016, n°137, p. 40

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pourtant le caractère ‘traducteur’ des smart contracts, et non sa potentielle

implémentation contractuelle totale. En effet, force est de constater que les smart

contracts sont, dans la majorité des cas, considérés comme des « faux-amis » du terme

contrat, car, bien qu’ils fassent naître des effets juridiques, ils ne sont pas des contrats au

sens civiliste du terme pour beaucoup, mais seulement relatifs à l’exécution automatisée

de tout ou partie des clauses du contrat.

33. Des définitions d’un smart contract en tant que contrat. - Plusieurs auteurs et

experts en matière de blockchain s’accordent, dans le sens contraire de celui de P. De

Filippi notamment, pour accorder au contraire aux smart contracts la qualification de

« contrats ».

C’est le cas particulièrement de Régis de Boisé, fondateur d’une entreprise basée sur la

blockchain, lorsqu’il les définit : « les smart contracts sont des contrats numériques

reposant sur la technologie Blockchain, qui permettent de contrôler les engagements de

chaque partie au titre du contrat 30».

Mais qu’est-ce alors qu’un contrat numérique ? Absente de la loi ou de tout autre texte,

cette notion peut laisser perplexe. Il est alors possible de se demander si l’auteur n’a pas

voulu signifier ici « contrat électronique », qui eux sont envisagés par le législateur,

notamment au regard des dispositions sur le e-commerce et la signature électronique.

Certaines formes de smart contract, pour se tourner désormais vers le droit comparé, sont

quant à elles considérées comme des titres, notamment aux Etats-Unis, dans certains états.

Si en France la démarche n’a pas été encore initiée, il serait possible de les voir émerger,

à terme, pour les smart contracts ex nihilo, en tant que contrats sui generis, ou innomés.

30 Article par Régis de Boisé pour Les Echos, publié en ligne le 16 décembre 2016, disponible sur https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-163946-la-revolution-des-smart-contracts-quelle-intelligence-pour-quels-contrats-2051155.php#vb1qixWlUOlZTFGl.99

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§2. Proposition d’une définition des smart contracts

34. L’élaboration d’une définition globale. - Après avoir dégagé une vue

d’ensemble sur les smart contracts, il convient de mettre en abîme ici une réception tout

à fait favorisée de la notion de smart contract, notamment par le biais d’une définition

claire, intelligible et précise. Pour ce faire, il convient de prendre plusieurs éléments

caractéristiques en compte avant de parvenir à formuler plus précisément une définition.

35. Le langage de programmation des smart contracts. - Les smart contracts, à

l’image des contrats classiques, sont rédigés avec des clauses. Si elles ne prennent pas la

forme que nous connaissons et ne sont pas écrites en langage littéraire, tel l’anglais de

Shakespeare ou le français de Maupassant ou Baudelaire, ou toute autre langue, ces

clauses revêtent une forme relativement étrangère aux juristes : le code. Les smart

contracts sont en effet rédigés en langage de programmation en utilisant d’ailleurs souvent

des locutions anglaises, et composés de lettres, symboles, éléments de ponctuation et de

chiffres. Sur ce point, la langue de programmation insérée dans les clauses est tout à fait

semblable à celle que l’on connait (quelle qu’elle soit, français, anglais, italien, espagnol,

tout langue indifféremment), puisqu’elles contiennent, entre autres, un certain

vocabulaire, un alphabet, et des formulations grammaticales qui leurs sont propres.

C’est en cela que la réception des smart contracts demeure favorisée notamment,

puisqu’ils disposent d’un langage traductible et que les juristes peuvent appréhender

d’une certaine manière, en agissant en étroite collaboration avec les développeurs.

36. Proposition de définition des smart contracts actuels. – En attendant de voir se

développer des smart contracts ex nihilo, et au-delà de toute collaboration juridico-

technique, on peut aujourd’hui considérer que les smart contracts sont :

« des modalités d’exécution automatisée d’un contrat traduites en code informatique et

reposant sur la technologie blockchain.

Les smart contacts sont issus d’un engagement préalable des parties et subordonné à la

réalisation de conditions strictement définies entre elles.

Ces conditions peuvent être intérieures ou extérieures à la technologie blockchain.

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Une fois l’exécution automatisée déclenchée par la réalisation des conditions définies

entre les parties, le smart contract est automatiquement répertorié au sein du registre

décentralisé, qu’il soit public, hybride ou privé. »

37. Définition future. - Demain, il sera possible de sensiblement modifier cette

définition de manière à ce qu’ils soient des « codes résultant d’un accord de volonté entre

deux ou plusieurs parties destinés à créer, modifier, transmettre ou éteindre des

obligations, dont l’exécution sera automatique au moyen d’une blockchain, et déclenchée

par la réalisation de conditions définies strictement entre les parties ».

38. Proposition de définition corollaire : la blockchain. – Au-delà de la définition

relativement brève et incomplète proposée par le Vocabulaire Informatique publié au Jour

Officiel en mai 2016, il s’avère ici opportun de proposer une nouvelle définition, là encore

plus juridique, de cette nouvelle technologie.

A ce titre, il serait possible de reformuler la définition de la blockchain ainsi : au regard

de ses particularités, elle pourrait être considérée comme une « base de données

transactionnelle distribuée, décentralisée, accessible selon sa nature publique, hybride ou

privée, et sécurisée à l’aide de mécanismes cryptographiques.

Elle peut stocker et transférer des valeurs ou des données de façon transparente.

Basée sur l’authentification de blocs, la blockchain est un registre actif, chronologique

(horodaté), vérifiable et protégé contre la falsification par un système de confiance par

consensus. »

Dans l’attente de toute consécration officielle éventuelle, il convient de se référer pour

l’instant aux règles de droit commun pour envisager les effets juridiques naissants des

smart contracts issus de la blockchain. En effet, l’immense spectre d’applications qui

pourraient avoir comme support la blockchain appelle à une certaine initiative de la part

des régulateurs, bien que, pour l’instant, de nombreuses législations puissent trouver à

s’appliquer mutatis mutandis à différents cas d’usages, dont font partie les smart

contracts.

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Chapitre 2 : la transposition et l’adaptation du cadre légal de la

formation contractuelle aux smart contracts

39. Un contrat peut être défini comme un accord de volontés entre deux ou plusieurs

personnes, destiné à créer, modifier, ou éteindre des obligations.

En comparaison, les smart contracts pourraient se définir dans des termes simples et au

regard de la présente analyse comme un programme, un protocole informatique, écrit en

langage code, permettant l’exécution automatique d’engagements contractuels dès lors

que les conditions arrêtées par les parties sont réalisées.

Bien que comprenant l’expression « contract » en leur sein, les smart contract ne sont pas

pour autant, il convient de le répéter, à l’heure actuelle, reconnus comme des contrats à

part entière et au sens juridique du terme.

Pour autant, il ne s’agit pas de déduire du silence actuel de la loi en la matière, une

impossibilité manifeste de la transcription juridique de ces contrats sui generis dans le

droit français. Force est de constater que ce type de technologie est nouveau, et il

appartiendra au législateur pragmatique d’en créer le cadre opportun.

On se demande alors si le code ne pourrait pas, à terme, faire office de loi. A l’image des

arguments avancés par Lawrence Lessig quand il parlait de « Code is law31 », il est

possible, dans une démarche prospective, de se demander s’il est concevable que les smart

contracts puissent permettre de réinventer les conditions matérielles et juridiques de la

formation des contrats et leur exécution.

Surtout, on se demande également si les smart contracts pourront éventuellement, à terme,

être considérés comme des contrats valablement formés en droit.

31 L. LESSIG, Code is Law – On Liberty in Cyberspace, Harvard Magazine, janvier 2000 L. LESSIG est professeur de droit des affaires au centre des affaires de Harvard, il a notamment écrit un ouvrage intitulé « Le code, et les autres lois du cyberespace », publié aux éditions Basic Books en 1999. Au sein de cet article, l’auteur s’attelle à décrire la régulation qu’opère le code informatique d’Internet à l’aune du XXIème siècle, et surtout fait ressortir de ses études que le cyberespace, à terme, peut supplanter, ou intégrer, certaines valeurs légales et constitutionnelles telles que nous les connaissons actuellement. Sans la prise de conscience et l’intégration de cette nouvelle donne qu’impose le code informatique et les réseaux créés qui évoluent (tels que la blockchain), il affirme que le code les supplantera.

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De ce fait, il convient d’analyser s’il est possible d’appliquer le régime de validité issu du

droit des contrats, aux smart contracts et à leurs spécificités (Section 1).

Après une analyse détaillée de ces conditions, il s’avèrera nécessaire de vérifier si, par

analogie, une possible transposition et adaptation du cadre légal en matière de formation

contractuelle s’avèrerait efficace et suffisante (Section 2).

Avant de poser toute perspective définitive, il convient de s’interroger dans la globalité

sur la réception de cette notion au sein du droit français, et dans le sens contraire, de

s’interroger également sur l’appréhension du droit des contrats par les smart contracts,

pour envisager de proposer à leur égard un régime « sur mesure » qui pourrait être mis en

place ultérieurement.

Bien que les smart contracts n'aient pas encore trouvé de place au sein du droit français,

il convient tout de même d'envisager une transposition et adaptation des mécanismes

existants pour accueillir cette nouvelle notion.

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Section 1 : La reprise des conditions classiques de validité d’un contrat adaptées aux smart

contracts

40. Dans un système consensuel tel que celui ancré en droit français, le contrat

demeure valablement formé par la rencontre des volontés des parties sur les éléments

essentiels du contrat, et de ces éléments de conclusion se distinguent les conditions de

validité du contrat. L'ancien Code civil consacrait quatre conditions de validité des

contrats32 : le consentement de la partie qui s'oblige (§1), sa capacité à contracter (§2), un

objet et une cause licite dans l'obligation (§3).

La réforme opérée par l'ordonnance du 10 février 2016 a sensiblement modifié cette

disposition pour en évincer la cause. Désormais, le Code civil consacre un triptyque de

conditions de validité du contrat :

« Sont nécessaires à la validité d’un contrat :

« 1° Le consentement des parties ;

« 2° Leur capacité de contracter ;

« 3° Un contenu licite et certain. 33».

§1. Le consentement et l’identification des parties au contrat

41. L’exigence d’un consentement en droit des contrats. - Pour que le contrat

soit considéré comme créateur d’obligations, l’article 1103 du Code civil précise pour

autant qu’il doive être « légalement formé ». Aussi, cette formulation subordonne la

validité du contrat à plusieurs conditions, dont la première est le consentement des parties.

32 Ancien article 1108 du Code civil. 33 Article 1128 du Code civil.

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L’article 1129 poursuit l’énonciation de ces conditions en précisant que le consentement

au contrat doit être donné par une personne « saine d’esprit » pour qu’il puisse produire

ses effets, et qu’il soit également libre et éclairé.

Si l’article n’exprime pas expressément qu’à défaut de ces caractéristiques, le

consentement demeure vicié, cette antithèse se déduit des dispositions suivantes.

42. L’exigence d’un consentement exempt de vice. – L’article 1130 pose le principe

selon lequel les vices du consentement sont pris en compte seulement lorsqu’ils sont de

nature à avoir permis à une partie de contracter alors qu’elle ne l’aurait pas fait ou à des

conditions relativement différentes : en somme, le vice du consentement n’est pas

toujours sanctionné, il doit avoir induit le cocontractant dans l’erreur, et l’avoir poussé à

contracter dans des conditions où, s’il n’avait pas été vicié, il n’aurait jamais conclu le

contrat dans ces termes-là. Le vice du consentement doit donc avoir été déterminant, et

cette caractéristique est commune à tous les vices du consentement que nous allons

énumérer ci-après.

Par ailleurs, la sanction d’un vice du consentement est là encore commune aux différents

types qu’il en existe : pour protéger les intérêts du cocontractant dont le consentement a

été vicié, et peu importe de quelle façon, l’article 1131 pose le principe de la nullité

relative du contrat.

Il existe, au regard de la réforme du droit des contrats, 3 types de vices du consentement :

- l’erreur (article 1135) : cette dernière doit porter sur un élément essentiel du contrat,

puisque l’erreur sur un simple motif ne suffit pas à engager la nullité du contrat. Par

exemple, l’erreur peur porter sur la qualité de la prestation, la qualité du cocontractant,

etc.

Enfin, cette erreur peut être de fait ou de droit.

- le dol (article 1137 et suivants) : il consiste en l’obtention du consentement d’un

cocontractant par le biais de manœuvres frauduleuses ou de mensonges. Le dol est en

réalité une sorte d’erreur provoquée : on a menti, manipulé l’autre partie pour qu’elle

finisse par accepter les termes du contrat. Le dol, au-delà d’être une cause de nullité du

contrat, peut aussi être placé sur le terrain de la responsabilité délictuelle, puisqu’il peut

causer un préjudice certain à la partie qui en est victime.

- la violence (article 1140 et suivants) : pouvant émaner d’un tiers ou d’un cocontractant,

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la violence implique d’avoir influencé, par le biais d’un comportement violent, sur la

partie au contrat. Par exemple, il peut s’agir de menacer une personne de signer un contrat

avec un revolver sur la tempe. Ce peut être une pression, des menaces, des coups, des

circonstances extérieures particulières, le juge peut apprécier au cas par cas ces violences.

43. Smart contract et consentement. - L’acceptation du contrat par les parties, qu’il

soit formalisé par un écrit ou non, est un préalable exigé par la loi absolument nécessaire

à son exécution qui interviendra ensuite. De fait, il s’avère essentiel de prévoir un

mécanisme au sein des smart contracts mettant en place une expression du consentement

des parties qui ne puisse être remis en cause. Par exemple, dans le cadre d’un smart

contract de traduction, on imagine la signature d’un support papier ou électronique par

les parties, et dans le cadre d’un smart contrat ex nihilo, on imagine plutôt la manifestation

du consentement en ligne, via une interface qui rappelle les obligations d’information et

toutes les obligations intrinsèques aux phases de la formation du contrat.

La question du consentement est un aspect très important de la formation des smart

contracts au regard de la spécificité de cette technologie et de sa nouveauté. Pour autant,

au regard de la décentralisation et de l’anonymat régnant sur la blockchain, une

problématique de taille se pose : celle de la nécessaire identification des parties.

44. La problématique de l’identification des parties. – Au-delà du fait que les

« objets » des smart contracts n’aient encore aucun statut juridique arrêté et puissent

laisser perplexe, une autre problématique s’y greffe : l’anonymat.

Tel qu’il était expliqué dans le propos introductif, la blockchain repose sur un mécanisme

de double clé cryptographique : une clé publique, que l’on donne à son cocontractant, et

une clé privée, que chaque utilisateur conserve en toute confidentialité. Nulle question

d’identité sur la blockchain, où ce paramètre n’est en aucun cas, et pour le moment, pas

obligatoire.

Techniquement, il n’est encore pas possible d’intégrer les identités des individus au sein

des transactions opérées par smart contracts, même si l’on peut considérer a fortiori qu’il

ne s’agit que d’une difficulté temporaire. Sur ce point, de nombreuses sociétés travaillent

de concert pour prévoir une transparence identitaire accrue.

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45. Vers une identification obligatoire ? - Sur ce point, il semblerait opportun pour

le législateur de mener une réflexion quant à l’imposition d’une prise d’identité lors de la

création d’un compte utilisateur, qu’il s’agisse d’un particulier ou d’un professionnel.

A ce propos, Michel Sapin souhaitait inclure dans la loi et proposer de « limiter

l’anonymat en imposant une prise d’identité lors de l’ouverture par un professionnel d’un

compte en monnaies virtuelles pour un tiers, et en imposant une vérification d’identité

pour les retraits et dépôts aux ‘distributeurs’ de Bitcoins34 ».

Avec l’imposition de cette identification sur un serveur sécurisé, la présente

problématique se verrait résorbée et cet obstacle technique ne serait plus en mesure de

freiner les développements des smart contracts au regard de la technologie mais aussi du

droit.

En outre des réflexions du gouvernement français sur cette question de l’identification,

force est de constater que l’Union Européenne a, quant à elle, programmé plusieurs

mesures visant à pallier à cette difficulté : les hautes instances européennes finalisent

actuellement une mise à jour de la 4ème Directive de Lutte anti-blanchiment et

financement du terrorisme35 en prévoyant une identification obligatoire des clientèles des

plateformes d’échange de cryptomonnaies : on parle alors d’une démarche de Know Your

Customer (ou KYC).

Par cette intégration dans le corpus européen, l’Union démontre bien de son intérêt envers

la blockchain, les cryptomonnaies, et les smart contracts. Avec une approche restrictive

envers les transactions financières, l’idée est véritablement de responsabiliser les

plateformes pour qu’elles puissent estomper les freins techniques à l’évolution de la

blockchain.

46. Know Your Customer. - Connaître sa clientèle : tel est le principe aujourd’hui

pour de nombreuses entreprises, et plus particulièrement dans le secteur bancaire et

financier. Ces dernières, encadrées strictement depuis bien longtemps déjà, d’abord au

niveau international, puis à l’échelle nationale, ont petit à petit englobé l’ensemble de

34 Issu de l’article « Réguler les monnaies virtuelles », se référer à la webographie sur ce point. 35 Directive 2015/849 du Parlement Européen et du Conseil du 20 mai 2015 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme

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leurs obligations (obligation de vigilance, obligation d’information, obligation

d’identification, etc.) en matière de lutte contre le blanchiment, la fraude et le terrorisme,

dans l’expression du KYC. D’inspiration américaine, cet ensemble d’obligation

regroupées sous l’idée de connaître son client semble parfaitement pouvoir répondre et

solutionner la problématique d’anonymat de la blockchain.

Même si la directive qui impose cette connaissance de la clientèle pour les plateformes

de cryptomonnaies n’entrera en vigueur qu’en 2018, elle est déjà̀ appliquée en France sur

cet aspect depuis le 1er décembre 2016, et déjà quelques-unes des plateformes ont

anticipé́ et s’y conforment déjà en exigeant une identification de leurs clients. Cette

directive obligera notamment la collecte de données d’identité́ ainsi qu’une attestation de

domicile de l’utilisateur, la vérification du nom de la personne sur une liste de fraude, et

imposera enfin de prévenir TRACFIN36 ont vocation à dépasser un certain seuil.

A la moindre première utilisation de la blockchain, le serveur devrait pouvoir enregistrer,

et encrypter à cette occasion, l’identité des titulaires de comptes et des parties aux

transactions. Une fois cette problématique d’identification réglée, la perplexité quant aux

applications de la blockchain pourra être atténuée.

Une piste de solution peut être trouvée sur le terrain de la pseudonymisation37 et de

l’anonymisation38, ce que permettent aujourd’hui les techniques d’encryption, et qui

pourraient garantir l’identité de la personne, tout en ne faisant transiter aucune donnée

personnelle, elles-mêmes encryptées, cependant, ces pistes ne sont qu’au stade de

36 TRACFIN est l’acronyme du Traitement du Renseignement et Action contre les Circuits Financiers clandestins. C’est un organisme du ministère de l’Economie chargé de la lutte contre le blanchiment d’argent et contre le financement du terrorisme. 37 L’article 4 du RGPD définit la pseudonymisation comme le : « traitement de données à caractère personnel de telle façon que celles-ci ne puissent plus être attribuées à une personne concernée précise sans avoir recours à des informations supplémentaires, pour autant que ces informations supplémentaires soient conservées séparément et soumises à des mesures techniques et organisationnelles afin de garantir que les données à caractère personnel ne sont pas attribuées à une personne physique identifiée ou identifiable ». 38 L’anonymisation quant à elle, absente du RGPD en tant que telle, renvoie à une donnée qui ne concerne pas une personne physique identifiée ou identifiable. La donnée a été minimisée, encryptée, de façon à ne pouvoir remonter à l’identité de l’individu. Pour déterminer cette anonymisation et son degré, il convient de prendre en compte l’ensemble des moyens raisonnablement mis en place pour tenter de remonter à l’identité de l’individu (coûts, technologies utilisées, temps nécessaire, etc).

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l’expérimentation et n’ont pas encore été réputées efficaces et probantes.

47. Raisonnement analogique : les contrats de trading. – La formation du contrat

suppose l’expression du consentement des parties, c’est un fait. Pour autant, si l’on peut

partir dans des développements d’expression « personnalisée » du consentement, et au

cas par cas, il existe cependant un exemple à rapprocher des smart contracts, et au-delà

des contrats électroniques, pour lequel les consentements peuvent être exprimés à une

vitesse et dépersonnalisation considérable.

Il s’agit ici de comparer l’expression des consentements au sein des contrats automatisés

avec les contrats que passent chaque jour les traders haute fréquence : par le biais

d’algorithmes, ils passent des contrats pour acquérir des actions, et sans pour autant que

leur volonté apparaisse comme viciée pour autant. Il devrait ainsi relever, en matière de

smart contracts, d’un raisonnement relativement similaire.

Par ailleurs et surtout, cette idée est relativement confortée par la phase préparatoire de

certains smart contracts : plus ils seront complexes, plus ils nécessiteront de phase

précontractuelle longue et concise, qui pourra ainsi être interprétée en faveur de

l’expression du consentement des parties.

Certes, négocier un contrat ne veut pas dire qu’il aboutit forcément à un consensus entre

les parties et à leur engagement, mais il est un ‘indice’ pouvant se regrouper à d’autres,

constituant à terme un « faisceau d’indice » que le juge pourra interpréter en cas de litige

portant sur un smart contract.

48. La sanction des vices du consentement au regard des spécificités des smart

contracts. – Si la problématique de l’identification venait à être résolue, il convient de se

préoccuper cependant des conséquences et de l’appréhension des vices du consentement

dans le cadre d’un smart contract. Il convient de les étudier successivement.

En matière d’erreur tout d’abord, force est de constater qu’il est possible, exactement au

même titre que dans un contrat classique, de commettre une erreur dans le smart contract :

la personne peut prétendre être directeur d’une société alors qu’en réalité elle n’avait pas

la qualité pour engager un tel contrat, il peut y avoir une erreur sur les qualités

substantielles du bien objet du contrat, peu importe. Quelle que soit l’hypothèse concrète

d’erreur, le vice du consentement par erreur est admissible au regard des spécificités des

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smart contracts, et ne pose pas de problème. En revanche, quant à leur démonstration,

force est de constater qu’ici, l’intervention du juge sera obligatoire et il sera impossible

de prévoir une appréciation par le code de ce vice. La démarche est exactement la même

pour le dol ou la violence, qui relèvent eux aussi d’une appréciation subjective du juge,

décidant lui-même de la survie ou non du contrat. La seule possibilité en revanche, serait

de prévoir, au sein des conditions du smart contract, l’anéantissement du contrat à l’issue

d’une décision de justice reconnaissant le vice du consentement. Dans la mesure où il

serait possible de codifier le droit des contrats dans le code de chaque smart contract, il

serait envisageable de prévoir cette hypothèse, même si ce n’est pour l’instant pas

techniquement possible.

§2. La capacité des parties à contracter

49. Principes de la capacité de contracter. – La capacité juridique de contracter

est l’aptitude pour une personne à être titulaire de ses droits et obligations, et de les

exercer. Il existe avec une subdivision : la capacité juridique englobe à la fois la capacité

d’exercer un droit, aussi appelée capacité d’exercice et pour laquelle un représentant légal

est nécessaire, et la capacité de jouir d’un droit, ou la capacité de jouissance.

Par principe, tout le monde est titulaire de la capacité juridique, et seule la loi prévoit les

exceptions : l’article 1145 dispose en effet que « toute personne physique peut contracter

sauf en cas d’incapacité prévue par la loi ».

La loi désigne dans l’article suivant deux cas d’exception à la capacité : les mineurs non

émancipés, et les majeurs protégés au sens de l’article 425 du même code.

Il existe, au sein de l’incapacité plusieurs hypothèses :

- l’incapacité générale : dans ce cas, tout contrat passé par la personne frappée

d’incapacité peut être annulé. C’est le cas des deux cas prévus par la loi pour les mineurs

non émancipés, les majeurs en tutelle, et les groupements non notés de la personnalité

morale.

- l’incapacité spéciale : ici, la loi proscrit à certaines personnes de passer des

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contrats spécifiques avec d’autres personnes : par exemple, c’est le cas de l’interdiction

de la vente entre époux.

La capacité de contracter est à mettre en étroite relation avec le ‘pouvoir’ d’exercer ce

droit : il faut toujours vérifier si le cocontractant a le pouvoir de passer tel ou tel acte. Par

exemple, lorsque le contrat est passé pour le compte d’une personne morale, seules

certaines personnes peuvent être habilitées à engager la responsabilité de leur société, ou

autre exemple, en matière de couple marié, il faut vérifier que les époux disposent bien

du pouvoir sur un bien avant de disposer de l’acte seul.

La vérification de cette condition de validité du contrat suppose donc de vérifier si les

parties étaient mineures ou faisaient l’objet d’une mesure de protection lors de la

signature du contrat, mais aussi de vérifier si elles disposent du pouvoir de passer ledit

acte.

50. La capacité et le smart contract. - Les parties qui ont souhaité créer un smart

contract étaient-elles aptes à le vouloir ?

Au regard des difficultés techniques patentes en matière de consentement et

d’identification des parties, force est de constater que là encore, l’anonymat est un

obstacle technique à résoudre pour pouvoir vérifier le respect des conditions de validité

du contrat.

Pour autant, s’il était possible de s’offusquer quant à cette modalité relativement

incertaine de par l’anonymat régnant sur la blockchain, il convient de faire un bref rappel

ici.

En effet, cela fait plus de vingt ans que la problématique est la même sur Internet, et cela

n’a pas constitué un obstacle majeur à l’appréhension de la technologie par le droit. Sur

internet, il est impossible, sauf à placer une caméra dans l’ordinateur de celui qui

contracte, et encore cela ne marcherait que pour les jeunes enfants, mais pas les majeurs

sous tutelle, de savoir si la personne qui s’engage derrière son écran est bel et bien majeure

et capable, au regard des conditions légales.

Comment procéder dès lors ?

Là encore, dans une analyse relativement prospective, il serait possible de créer un

véritable écosystème sur la blockchain, où chaque smart contract pourrait aller vérifier au

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sein d’un registre pareil à celui d’état civil et du tribunal, si la personne a premièrement

bien l’âge requis pour contracter, et deuxièmement n’est pas frappée d’une incapacité, et

troisièmement, si tel est le cas, dans quelle mesure et pour quels actes.

Cette solution est encore trop avancée au regard des progrès techniques, mais sera, il est

fort à parier, possible à mettre en place d’ici quelques années, lorsque la technologie

blockchain aura innervé le quotidien.

51. L’action en nullité issue de l’incapacité. – L’incapacité, au titre de l’article 1147

du Code civil, est une cause de nullité relative. La nullité rétablit les parties statu quo

ante, dans l’état où elles étaient avant de contracter dans le cadre d’un contrat.

Pour autant, eu égard à l’irréversibilité de la blockchain, cette sanction dans le cadre d’un

défaut de validité du contrat semble difficile à mettre en place, dans la mesure où il est

impossible de modifier la blockchain rétroactivement.

Il faudrait alors, là encore, prévoir au sein même du contrat la possible vérification de ces

conditions, et dans le cas d’une non-satisfaction de ces dernières, prévoir une auto-

annulation du contrat, et le rétablissement des situations antérieures des parties.

Une deuxième problématique se greffe à celle-ci : si le tribunal annule les effets du contrat

en pratique pour un contrat classique, le tribunal peut aussi forcer la partie qui en a tiré

profit à rembourser la partie lésée : dans le cadre d’un smart contract, cette situation aussi

peut poser problème, et implique une prise en compte ante-rédaction pour éviter tout litige

ultérieur.

§3. Le contenu licite et certain du smart contract

52. Cette troisième condition de validité du contrat est un apport majeur de la réforme

opérée par l’ordonnance du 10 février 2016, en ce que le « contenu licite et certain du

contrat » remplace désormais les anciennes notions de cause et d’objet du contrat.

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53. La licéité du contenu contractuel. – L’article 1162 du Code civil dispose que

« Le contrat ne peut déroger à l’ordre public ni par ses stipulations, ni par son but, que

ce dernier ait été connu ou non par toutes les parties ».

Cette formulation n’est pas sans rappeler les termes de l’article 1102 du même code, qui

précise dans son alinéa 2 que « La liberté contractuelle ne permet pas de déroger aux

règles qui intéressent l’ordre public » et l’article 6 disposant aussi qu’« on ne peut par

des conventions particulières déroger aux lois qui intéressent l’ordre public et les bonnes

mœurs ».

Il advient alors nécessaire de définir les notions d’ordre public, et de bonnes mœurs, qui,

bien qu’ayant disparu de l’article 1162, demeurent toujours à l’article 6 du Code civil.

L’ordre public est une notion relativement large et difficile à définir : ordre public

politique, économique, les expressions varient, mais l’ordre public n’est toujours pas

titulaire d’une définition propre. Par défaut, on peut alors le considérer comme un

ensemble de règles impératives auxquelles on ne peut déroger. La source de cet ensemble

de règles est la loi et d’ailleurs, « la loi ne se contente pas de dire ce qu’il ne faut pas

faire ; elle dit ce qu’il faut faire39 ».

Notamment, lorsqu’une disposition est d’ordre public, les parties ne peuvent y déroger

conventionnellement.

Les bonnes mœurs, visées désormais seulement à l’article 6 du Code civil, ne trouvent

pas non plus de définition au sein du code. Il existe deux conceptions de cette notion :

une conception idéaliste, qui définit les bonnes mœurs en référence à l’éthique issue de

la morale chrétienne ; et une école empirique, qui elle s’accorde pour admettre que les

bonnes mœurs sont en réalité ce que fait la majorité de la population d’une société.

Pour trouver un compromis entre ces deux conceptions, il est possible de confondre

mœurs et morale, qui définissent finalement un concept de bonne conduite générale des

individus.

Quoi qu’il en soit, les bonnes mœurs demeurent une notion évidemment subjective et

appréciée par le juge et lui seul.

Le contrat qui contreviendrait à un de ces principes, et plus principalement à l’ordre

39 G. RIPERT, L’ordre économique et la liberté contractuelle, Mélanges Gény, t.II, 347, n°8

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public au regard du maintien de ce dernier seulement au sein de l’article 1162 verrait les

clauses qui dérogent à l’ordre public annulées, mais n’entraînent pas la nullité du contrat

dans la plupart des cas, sauf à ce que ladite clause emporte l’économie du contrat lui-

même.

A titre d’exemple, il est possible de citer une jurisprudence qui a sanctionné ce non-

respect de l’ordre public : ce fut le cas dans l’affaire de l’exposition « Our body » portant

sur l’exposition de corps humains siliconés avec de nombreuses positions de la vie

quotidienne. On y voyait par exemple des cadavres faire du vélo, du cheval, etc. Les

organisateurs de cette exposition avaient contracté une assurance pour obtenir garantie en

cas d’annulation de l’exposition.

Ce contrat a été annulé, dans son intégralité pour cette fois, par la Cour de Cassation qui

a considéré que : « Le principe d'ordre public, selon lequel le respect dû au corps humain

ne cesse pas avec la mort, préexistait à la loi n° 2008-1350 du 19 décembre 2008 d'où

est issu l'article 16-1-1 du code civil ; (...) ayant relevé que le contrat d'assurance souscrit

le 7 novembre 2008 par la société Encore Events avait pour objet de garantir les

conséquences de l'annulation d'une exposition utilisant des dépouilles et organes de

personnes humaines à des fins commerciales, la cour d'appel en a exactement déduit que,

bien qu'ayant été conclu avant l'entrée en vigueur de l'article 16-1-1 précité, le contrat

litigieux avait une cause illicite et, partant, qu'il était nul40 ».

54. La détermination du contenu contractuel. – Au-delà des règles intéressant

l’ordre public mentionnées par le Code civil, les articles 1163 et suivants précisent les

contours du contenu contractuel : les prestations peuvent être présentes ou futures,

possibles, déterminées ou déterminables.

Au regard du premier alinéa, les conventions portant sur des choses futures sont alors

possibles, tout comme celles portant sur la chose d’autrui (dans les cas où le bien n’est

pas encore entré dans le patrimoine du cocontractant).

Eu égard aux choses futures, il suffit simplement que les biens ou prestations puissent

exister ultérieurement (par exemple un appartement à construire sur plans).

L’article poursuit en disposant que les prestations doivent être possibles : cette nouvelle

40 Cass. civ. 1ère, 29 octobre 2014, n°13-197.29

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formulation rappelle les lignes de l’ancien article 1128 qui disposait qu’« il n’y a que les

choses qui sont dans le commerce qui puissent être l’objet de conventions ».

Sur ce point, on ne peut par exemple citer les conventions portant sur le corps humain,

souvent considéré comme ‘hors du commerce’ (notamment la gestation pour autrui) sauf

certaines exceptions consacrées par la loi de la bioéthique de 1994, par exemple en cas

de don du sang, d’organe, de sperme, d’ovocytes, etc.

Enfin, les prestations doivent être déterminées ou déterminables.

Par déterminée, il faut entendre que la chose ou la prestation objet du contrat doive être

suffisamment décrite, et nécessite une certaine rigueur de la part des parties, pour définir

le plus précisément possible le contenu contractuel.

Par déterminable en revanche, il est possible de considérer que la chose pourra être

déterminée avec plus de précision ultérieurement. C’est par exemple préciser ‘le contenu

des stocks d’un magasin à date X’.

Au regard de toutes ces caractéristiques relatives au contenu contractuel, il convient

d’analyser si ces dernières peuvent se calquer en matière de smart contract.

55. Le contenu du smart contract. – Il s’avère ici nécessaire d’analyser

successivement l’adaptabilité des contrats automatisés aux dispositions de droit commun

exposées ci-avant.

Pour ce qui concerne l’ordre public, qui regroupe les règles auxquelles on ne peut déroger,

il est pour l’instant difficile de contrôler le contenu smart contractuel. En effet, la

technicité des smart contracts les rend difficiles à appréhender, et peut, dans le cas d’un

développeur qui n’a pas recours à un juriste, poser problème au regard du contenu. En

effet, une personne mal intentionnée pourrait décider de coder ce qu’elle souhaite comme

contenu du smart contract, en marge des dispositions légales, et il n’y a pas de juge pour

l’instant capable de lire ce contenu tel quel.

Cependant, il est envisageable, nous l’avons évoqué précédemment, de proposer qu’un

jour les dispositions de lois puissent être codées. A cette condition, il est envisageable de

considérer que les smart contracts puissent respecter les dispositions de l’article 1162 du

Code civil.

En matière de bonnes mœurs, bien que la notion ait disparu de l’article 1162 mais subsiste

à l’article 6, là encore, la subjectivité dont elle est empreinte fait obstacle à l’appréhension

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des smart contrats.

Sauf à imaginer de manière futuriste que les blockchains puissent intégrer des notions

d’intelligence artificielle, ce qui n’est pas envisageable avant un certain nombre d’années,

cette subjectivité et subtilité n’est pas compréhensible par le code pour l’instant.

Cependant, pour rationaliser un peu cette inadaptation, il convient de souligner que cette

notion a disparu des conditions de validité, et donc, il est possible de ne pas se formaliser

sur cette subjectivité, gommée de l’article 1162 au profit de l’ordre public, que le smart

contract pourra intégrer à terme.

56. Les caractéristiques du contenu « smart contractuel ». - Enfin, la dernière

difficulté pourra résider dans les caractéristiques même du contenu contractuel : chose

déterminée, déterminable, dans le commerce, future, etc.

Deux hypothèses peuvent ici encore être distinguées :

- dans le cas où le développeur rédige de manière autonome son contrat, il est absolument

impossible de contrôler le contenu, sauf dans le cadre d’une blockchain privée où le code

même de la blockchain pourrait avoir une liste de choses hors du commerce impossibles

à faire transiger sur le réseau. A l’inverse, dans le cadre d’une blockchain publique, rien

ne peut permettre de contrôler la rédaction du smart contract et l’individu peut y mettre

ce qu’il souhaite.

La puissance de calcul mobilisée par les mineurs est elle aussi algorithmique, et ne saura

se rendre compte comme le ferait un juge, que le contrat est passé en fraude de la loi et

porte sur des biens normalement indisponibles par exemple. Cette puissance de calcul

issue du minage n’a aucune notion ni éthique, morale, ou subjective, elle se contente de

vérifier les informations.

Le seul rempart pourrait être l’utilisation d’oracles, qui pourraient, dans leur démarche de

validation des conditions extérieures à la blockchain (voir ici points n°84 et 85 sur les

oracles), censurer ces contrats illicites.

- dans le cas où le développeur rédige par contre le smart contract en étroite collaboration

avec un juriste, ce dernier sera le rempart contre la fraude, sauf à considérer qu’il soit

malhonnête et valide la mise en place de contrats illicites.

Les informations du contenu contractuel seront forcément dévoilées en revanche, en ce

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sens que la blockchain est un registre automatisé et horodaté, public et infalsifiable. De

cette manière, il sera donc impossible pour le rédacteur du smart contract illicite

d’échapper à sa responsabilité pour avoir introduit ce contrat illicite dans le système.

Quoi qu’il en soit, dans la mesure où tous les smart contracts ne seront pas des contrats

d’adhésion, il est possible de lutter contre cette fraude et ces contrats illicites également

par le biais du respect des conditions de formation du contrat, notamment au sein de la

négociation, où les parties pourront faire appel, là encore, à un professionnel du droit qui

saura éviter ce genre de situation.

Enfin, une dernière question reste irrésolue pour l’heure : en cas de piratage du smart

contract, bien que relativement difficile à envisager techniquement parlant pour le

moment, le « hacker » peut décider, si la modification du contrat était prévue sur certains

points, de complètement détourner l’usage et l’exécution du contrat, et intrinsèquement,

son contenu. Se pose alors la question du consentement des parties à l’objet de ce contrat

initialement licite, devenu illicite suite au piratage. Le détournement des fonctions

programmées ab initio dans le smart contract engage t’elle leur responsabilité et ne remet-

elle pas en cause leur consentement (sur le terrain de l’erreur notamment) ? Cette question

reste ici en suspens.

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Section 2 : La reprise des conditions classiques de formation d’un contrat adaptées aux

smart contracts

57. A l'aune de la rédaction du Code civil en 1804, les pères codificateurs n'avaient

consacré aucune disposition quant à la conclusion du contrat. Passant du domaine

extracontractuel au contrat en lui-même, il suffisait que les parties trouvent un accord sur

la chose et le prix, et le contrat naissait.

Cette considération écourtée de la formation du contrat a rapidement trouvé ses limites,

et peu à peu, la doctrine et la jurisprudence ont pointé du doigt cette carence, mais surtout

l'insécurité juridique qui pouvait en découler.

A terme, à l’issue de nombreuses réformes à l’aune des XX et XXIème siècles, ce n'est

pas moins de 212 ans plus tard que certaines des propositions palliatives proposées et

utilisées jusqu'alors par les juges, ont fini par être entérinées par le législateur.

En effet, désormais, le corpus législatif français issu du Code civil, complété récemment

par l'ordonnance du 10 février 2016, a institué un véritable cadre légal à la conclusion

contractuelle et modifié quelque peu les anciennes dispositions.

Sur ce point, la lecture des nouvelles dispositions du Code permet de retenir une analyse

classique de la conclusion du contrat, avec la rencontre de l’offre (§2), et son acceptation

(§3), mais permet aussi dans le même temps de cristalliser un nouveau régime des

négociations (§1), basé principalement sur l’idée d’une codification à droit constant, dans

la continuité des positions prétoriennes antérieures.

58. Au-delà du fait que les smart contracts demeurent absents pour l’heure du cadre

juridique actuel, il ne faut pas pour autant les reléguer au second plan et les considérer

comme inexistants. Ces derniers existent, font l’objet d’expérimentations ou

d’applications concrètes chaque jour, et nécessitent d’autant plus d’attention au regard de

la rapidité de leur évolution au sein de la sphère informatique et financière.

Si le principe du consensualisme domine la sphère des obligations (malgré des

exceptions), il apparaît ainsi qu’il n’est interdit à aucune partie de former un contrat

valablement en s’engageant sous forme de code informatique.

Partant, il ne demeure pas non plus impossible d’intégrer sous forme de code, toutes les

contraintes légales et réglementaires auxquelles peuvent être soumis les smart contracts

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et les parties contractantes.

Par ailleurs, la blockchain s’apparentant sur de nombreux point à l’internet tel que nous

pouvons le connaître dans le quotidien, un rapprochement avec les contrats électroniques

semblera ici pertinent au regard de leurs spécificités à mettre en miroir avec celles des

smart contracts.

§1. Les négociations

59. Bien que pour l’instant faux-amis avec les termes « smart » et surtout « contract »,

rien ne s’oppose pour autant à ce que l’accord contenu au sein de ces derniers puisse avoir

valeur de contrat écrit entre les parties, à condition cependant qu’il respecte les conditions

de conclusion classique d’un contrat.

Avant l’intervention de toute offre et son acceptation que nous étudierons dans un second

temps, il convient tout d’abord d’analyser les perspectives issues des smart contracts en

matière de négociation.

60. L’adaptation au « droit de la négociation ». – La négociation est un processus

précontractuel qui vise à permettre aux parties de s’accorder sur les termes du contrat.

Intervenant en amont donc, elles sont une étape sensible et essentielle pour certains

contrats, surtout par exemple les contrats d’affaires, ou encore de distribution.

A l’inverse, il existe certains types de contrats, on pense notamment aux contrats

d’adhésion, où les négociations n’ont pas leur place. En revanche, appliquée aux smart

contracts, la négociation semble essentielle au regard du caractère décentralisé de cette

technologie.

En effet, en l’absence de tiers de confiance (ce point sera précisé au sein du Titre suivant

aux points n°143 et suivants), et au regard des conséquences automatisées de la suite de

la relation contractuelle, les parties doivent exactement et précisément s’entendre sur les

modalités de formation et d’exécution du smart contract.

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61

61. Le nouveau régime des négociations. - Sur ces négociations, le « nouveau » droit

commun issu de l’ordonnance précitée prévoit, avec les articles 1112, 1112-1 et 1112-2,

un nouveau régime consacré aux négociations et au déroulement des pourparlers.

Ce régime de droit commun pourrait tout à fait se calquer au cas des smart contracts, qui

ne diffèrent pas sur ce point avec les contrats classiques qui sont mis en place, les

négociations se déroulent dans le même champ précontractuel, à ceci près qu’elles

doivent nécessairement être très précises et strictement anticipatives pour la rédaction du

smart contract.

A la lecture de ces nouvelles dispositions, le Code civil pose un raisonnement en trois

temps autour de ces pourparlers.

Dans un premier temps, il existe un principe de liberté des négociations et de bonne foi

au sein de celles-ci : celui qui négocie n’est pas contraint d’aller jusqu’à la conclusion

du contrat, mais doit le faire en toute bonne foi. Dans le cas contraire, il s’expose à la

commission d’une faute et peut être sanctionné par le droit civil au regard de sa

responsabilité extracontractuelle.

Dans un second temps, le législateur a voulu consacrer une protection supplémentaire,

calquée sur le droit de la consommation, en faveur des parties prêtes à s’engager, en

imposant un devoir général d’information entre les parties, portant sur les « informations

dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre41 » mais ne portant

pas sur « l’estimation de la valeur ou de la prestation ».

Enfin, le texte prévoit une obligation de confidentialité à maintenir entre les parties, sans

quoi elles engagent leur responsabilité dans les conditions de droit commun.

A regarder de plus près ces trois conditions, on peut aisément raisonner par analogie, et

imaginer que ces dernières puissent être appliquées aux smart contract sans problème. Par

ailleurs, il convient de rappeler qu’en l’absence de droit spécial, le droit commun prévaut,

et ici, il aura vocation à s’appliquer sans poser de difficultés aux juges, bien que les smart

contracts soient, pour leur part, des notions manifestement inconnues des juridictions

pour l’instant. La phase précontractuelle d’un smart contract ne diffère finalement pas

tant avec celle d’un contrat classique, à la différence qu’au lieu de s’entourer d’un

41 Article 1112-1 du Code civil.

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spécialiste de droit pour le rédiger, en matière de smart contract, la compétence technique

sera requise en complément.

Enfin, le seul point issu du droit commun des négociations qui pourrait à l’inverse poser

quelques difficultés est celui de la confidentialité : la blockchain étant un registre

décentralisé et public (s’il s’agit d’une blockchain publique évidemment, car les

modalités sont différentes en cas de blockchain hybride ou privée), elle peut poser le

problème au regard du caractère confidentiel des négociations. Pour y remédier, il

apparait souhaitable de lier le développeur technique qui créera le contrat en collaboration

avec l’avocat ou le juriste, par une obligation de secret professionnel, au même titre que

celle issue de la déontologie des avocats.

A l’issue de cette solution, il apparait ensuite de vérifier les conditions relatives à l’offre

proposée au sein de la blockchain.

§2. L’offre

62. Il conviendra ici de distinguer deux modalités de l’offre au sens contractuel du

terme : cette dernière varie selon que l’on l’envisage sous l’angle du droit commun, et

sous l’angle du droit des contrats électroniques. Nous procèderons à l’analyse successive

de ces deux perspectives.

63. L’offre dans le droit commun des contrats. – En application de l’article 1113

du Code civil, « le contrat est formé par la rencontre d’une offre et d’une acceptation par

lesquelles les parties manifestent leur volonté de s’engager ». Ce sont ensuite les articles

1114 à 1117 qui prévoient une déclinaison des modalités encadrant l’offre.

Si la notion d’offre n’est pas elle-même définie dans ces dispositions, appelée aussi

pollicitation, son contenu et ses caractéristiques sont cependant précisés : « l'offre, faite

à personne déterminée ou indéterminée, comprend les éléments essentiels du contrat

envisagé et exprime la volonté de son auteur d'être lié en cas d'acceptation. A défaut, il y

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a seulement invitation à entrer en négociation42 ».

En définitive, l’offre est l’expression de volonté unilatérale d’une partie qui souhaite

s’engager et qui détaille les conditions auxquelles elle propose de le faire.

Pour compléter ces dispositions, la jurisprudence a dégagé deux caractéristiques

impérativement nécessaires pour admettre la validité d’une offre : elle doit être ferme et

précise. A défaut, l’offre n’est considérée que comme une ‘invitation à entrer en

pourparlers’.

Outre ces deux caractéristiques, l’offre peut être expresse (avec un écrit mentionnant le

prix par exemple), ou tacite (par exemple en cas de renouvellement du bail, le fait que le

locataire se maintienne dans les lieux constitue une offre tacite de renouvellement du

bail).

Une fois que l’offre est présentée à ses destinataires (identifiés ou non), l’offre bénéficie

d’un régime juridique qui lui est propre, notamment sur le point de savoir jusqu’à quel

moment on peut la considérer comme valable.

64. La caducité de l’offre. – Il existe en droit français deux causes d’extinction d’une

offre : la caducité et la rétractation.

La caducité se subdivise en deux catégories d’offres : celles à durée déterminée, et celles

à durée indéterminée.

Pour les offres à durée déterminée, la caducité intervient à l’échéance du terme, ce après

l’offre disparait et devient caduque.

Pour les offres à durée indéterminée (pas illimitée, mais indéterminée, c’est-à-dire

qu’aucune date n’est précisée dans l’offre), la caducité est plus difficile à apprécier : le

juge, pour la constater, devra apprécier l’intention du pollicitant, les circonstances de

l’offre, l’environnement contextuel et factuel de la relation pollicitant/acceptant potentiel,

les usages de la profession selon les cas, etc. On parle ici encore de « délai raisonnable »43,

issu de l’article 1117. La caducité intervient aussi pour d’autres raisons : incapacité du

pollicitant, décès de ce dernier, ou enfin contre-proposition faite par le destinataire.

42 Article 1114 du Code civil. 43 Civ. 3ème, 20 mai 2009, n° 08-13.230, Bull. n° 118

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Dans toutes ces hypothèses, quelles qu’elles soient, la caducité entraîne la disparition de

l’offre qui n’a pas été acceptée44, et n’engage pas la responsabilité du pollicitant,

contrairement à certaines situations en cas de rétractation.

65. La rétractation de l’offre. - Là encore, la subdivision des offres avec ou sans

délai s’impose.

Pour les offres assorties de délai, il est impossible pour le pollicitant de la retirer sauf à

engager sa responsabilité délictuelle.

Pour l’offre sans délai déterminé en revanche, l’article 1115 prévoit qu’elle puisse être

librement révoquée avant sa réception par le destinataire, tandis que l’article 1116 prévoit

quant à lui le cas des offres assorties de délais : elles ne peuvent être rétractées, sans quoi

il y a engagement de la responsabilité de leur auteur à nouveau sur la base de l’article

1240 du Code civil (la responsabilité contractuelle ne peut être engagée dans la mesure

où le contrat n’était pas encore conclu).

66. L’offre dans le droit des contrats électroniques. – Un contrat électronique est,

à l’image du contrat classique, une convention par laquelle une ou plusieurs personnes

s’obligent envers une ou plusieurs autres, à donner, faire ou ne pas faire quelque chose.

Dans le cadre de ces contrats nommés, leur spécificité tient à l’environnement contractuel

particulier sur lesquels ils évoluent : internet.

A l’image de toute activité économique, le commerce électronique (ou e-commerce)

suppose lui aussi l’existence d’un contrat, précédé lui-même par une offre électronique,

aussi appelée « offre commerciale électronique ». Ces offres, bien que différentes dans

leur forme et dans leurs modalités en matière de contrat électronique, doivent respecter

les obligations imposées par le droit français, mais aussi européen, qui est très actif en

matière de commerce électronique (directives, règlements, etc.).

Ces offres, comme pour le droit commun, sont une proposition de contracter, mais à la

différence près qu’elles se doivent de contenir tous les éléments du contrat projeté, de

manière à ce que l’acceptation puisse suffire à former valablement le contrat (souvent

exprimée par une série de « clics » sur laquelle nous reviendrons ultérieurement.

Si encore une fois, certaines règles du droit commun ont vocation à être similaires

44 Voir notamment Civ. 3e, 10 déc. 1997, n°95-16.461, Bull. civ. III, n°223, D. 1999. 9, note Brun.

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(proposition ferme et précise, contenu des éléments essentiels du contrat, délai précisé

s’il en existe un), d’autres sont en revanche spécifiques à la particularité des contrats

électroniques.

A ce titre, l’offre électronique implique notamment une identification de l’offrant, et la

consultation ou l’envoi des conditions générales de vente (qui précisent elles-mêmes les

conditions contractuelles, les garanties commerciales et légales, mais aussi les conditions

de résiliation du contrat s’il est à durée indéterminée).

67. L’offre dans le smart contract. – Le droit commun, indéniablement, est moins

précisé et exigeant que le droit du contrat électronique. Pour autant, si l’on raisonne par

analogie, certaines dispositions demeurent difficiles à transposer au regard des

spécificités des smart contracts.

En effet, si les problématiques liées à l’envoi des conditions générales de ventes peuvent

être solutionnées par la programmation de l’envoi de ces documents dès la consultation

de l’offre en ligne par l’utilisateur de la blockchain, force est de constater que la

problématique d’identification du vendeur pourra parfois poser problème.

Sur ce point, nous renvoyons aux développements issus des points n°44 et suivants qui

éclaireront la problématique de l’identification sur la blockchain et dans les smart

contracts, qui posera d’ailleurs problème à plusieurs reprises au sein de la présente étude.

68. La rétractation de l’offre dans le smart contract. - Au regard du droit commun

des contrats, la rétractation peut intervenir à différents moments, qu’il convient ici

d’analyser et de comparer avec les cas possibles issus des smart contracts.

Pour ce qui est de la rétractation avant réception du consentement par l’autre partie, elle

ne pose pas problème.

En revanche, en matière de rétractation post-acceptation, force est de constater qu’elle

demeure impossible.

En effet, il convient ici de rappeler le mécanisme du smart contract en tant que modalité

d’exécution : une fois que les conditions par les parties sont arrêtées, et que l’acceptation

est parvenue (ce qui est en soi, une condition du smart contract), le contrat auto-déclenche

l’exécution des termes. Sauf à avoir prévu un arrêt du contrat qui n’a pas encore été

exécuté, admettons par exemple que l’acceptation est intervenue le 10 mai, la rétractation

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le 20, mais que le contrat avait une exécution automatisée avec le paiement d’une somme

le 30, force est de constater que l’auto-exécution a été déclenchée mais l’obligation non

encore réalisée. Dans le cadre d’une telle situation, il est envisageable, si les parties l’ont

prévu, de stopper l’exécution du smart contract pour intenter une action en justice pour

engager la responsabilité du pollicitant qui s’est rétracté trop tard.

Dans une idée prospective, il serait possible de chiffrer au sein du smart contract ces

dispositions pour prévoir automatiquement la délivrance de dommages et intérêts chiffrés

par avance en cas de renonciation abusive du pollicitant, avec le versement de ce capital

à la partie heurtée par cette renonciation.

Dans le cadre d’un contrat qui a commencé à être exécuté, il conviendra en revanche de

prendre en compte le commencement d’exécution des obligations au sein du contrat, par

exemple, si des sommes ont été au préalable versées entre la période d’acceptation et de

renonciation, force est de constater qu’en justice, il conviendra de réclamer le

rétablissement de ces sommes statu quo ante, au-delà de la demande d’indemnisation du

préjudice, ou, dans une démarche prospective là encore, de prévoir dans le code une

restitution et une remise en état des parties là encore statu quo ante, mais cette idée reste

très prospective pour l’instant.

Quoi qu’il en soit, si par contre l’arrêt du contrat n’a pas été prévu par les parties, il semble

très difficile de considérer la rétractation comme possible, dans la mesure où le contrat

est déjà en cours d’exécution, similaire à l’idée d’exécution forcée, et cette fois non pas

ordonnée par le juge, mais par le code lui-même.

§3. La rencontre de l’offre et de l’acceptation

69. La formation du contrat classique. - En application de l’article 1113 du Code

civil, « le contrat est formé par la rencontre d’une offre et d’une acceptation par

lesquelles les parties manifestent leur volonté de s’engager ». En clair, l’article 1118

reprend ces termes et permet de déduire que l’acceptation d’une offre est l’expression de

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la volonté d’être lié dans les termes de l’offre, sans nuances, sans quoi il s’agit en

revanche d’une contre-offre.

Cette acceptation, tout comme l’offre doit revêtir plusieurs caractéristiques en droit

commun : en effet, elle se doit d’être expresse et non équivoque.

En droit civil, le principe selon lequel le silence vaut acceptation n’existe pas45, ce que

rappelle d’ailleurs l’article 1120 du Code civil.

L’acceptation suppose donc un acquiescement, un « oui » exprimé de la part du

destinataire de l’offre, quand bien même cet acquiescement puisse revêtir de multiples

formes (écrit, geste, manifestation orale, comportement, tout cela est laissé à la libre

interprétation du juge en cas de litige). Dans toutes les hypothèses, le comportement doit

être extériorisé pour parvenir à la perception du pollicitant.

Il existe quelques exceptions à cette manifestation expresse de l’acceptation, notamment

au regard de certains cas prévus par la loi, par les usages commerciaux ou en cas de

circonstances particulières, l’article 1120 le prévoit lui-même. On peut citer notamment

ici le cas du renouvellement du bail d’habitation, qui intervient en cas de silence du

locataire.

70. La rétractation de l’acceptation. – Bien que cela puisse semble paradoxal, il est

possible en matière d’acceptation, tout comme en matière d’offre de se rétracter. En effet,

Il existe ici aussi en parallèle deux hypothèses de rétractation, puisque la caducité n’existe

pas en revanche en matière d’acceptation : le cas de l’acceptation reçue par l’offrant, et

cette ne l’ayant pas atteint.

Dans l’hypothèse où l’offrant ignore encore que son futur cocontractant a manifesté son

acceptation, et qu’elle ne lui est donc pas encore parvenue, celle-ci peut être rétractée au

regard de l’article 1118 alinéa 2, qui fait écho à l’article 1115 du Code civil.

La situation est en revanche toute autre en cas de réception de l’acceptation par l’offrant.

En effet, dans ce cas de figure là, l’article 1122 précise que la rétractation est impossible,

sauf faculté octroyée par la loi ou par les parties elles-mêmes dans le contrat qui est, de

fait, né. Les parties peuvent conventionnellement s’aménager au sein du contrat conclu

un droit de rétractation assorti d’un certain délai. Ces situations sont relativement

fréquentes en droit de la consommation, où le législateur a pris grand soin de protéger le

45 Cass. Civ 1ère, 16 avril 1996, Bull. civ. I, n°181 : « le silence ne vaut pas, à lui seul, acceptation ».

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plus largement possible le consommateur ‘acceptant’ face au professionnel ‘offrant’,

notamment en matière de ventes à distance ou hors établissement, qui ne sont pas sans

rappeler les dispositions adaptées aux contrats électroniques.

71. La formation du contrat électronique. – La loi du 21 juin 200446 sur la

confiance dans l’économie numérique (LCEN) a permis l’insertion au sein du Code civil

de dispositions propres à la formation de contrats sur internet, que l’on retrouve aux

article 1125 et suivants du Code.

Au titre de la formation du contrat, l’article 1127-2 rappelle que « le contrat n'est

valablement conclu que si le destinataire de l'offre a eu la possibilité de vérifier le détail

de sa commande et son prix total, et de corriger d'éventuelles erreurs, avant de confirmer

celle-ci pour exprimer son acceptation. L'auteur de l'offre doit accuser réception sans

délai injustifié, par voie électronique, de la commande qui lui a été adressée. La

commande, la confirmation de l'acceptation de l'offre et l'accusé de réception sont

considérés comme reçus lorsque les parties auxquelles ils sont adressés peuvent y avoir

accès ».

La visée de ce texte est limpide : le législateur a souhaité retarder la formation du contrat

et l’acceptation du particulier sur internet pour éviter que ce dernier se retrouve lié sans

le vouloir et surtout sans en avoir pris pleinement conscience. L’offre, comme nous

l’avons vu précédemment, est donc bien plus encadrée au regard de l’offrant et de ses

obligations, et l’acceptation est elle aussi plus explicitée qu’en matière de droit commun :

elle doit intervenir par un double « clic ».

Reste alors la question du moment exact de formation du contrat : considère-t’on que le

contrat est formé dès le double « clic » opéré par l’internaute, ou que le contrat est formé

à l’inverse lorsque le professionnel recevra la confirmation de l’acceptation de

l’internaute ?

C’est ici retrouver les théories de l’émission ou de la réception de l’acceptation47, qui ont

fait longtemps l’objet de débats en droit commun (jurisprudences Chronopost, etc.).

46 Loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN). 47 E. GRIMAUX, La détermination de la date de conclusion du contrat par voie électronique, Communication, commerce électronique 2004, chron. n°10

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Pour l’instant, ce débat n’est pas tranché par la Cour de cassation.

72. La formation du smart contract. – En matière de contrat automatisé, le schéma

de formation du contrat semble analogue au droit du commerce électronique : il doit être

bien plus rigoureux.

En effet, au regard des conséquences automatiques qu’entraîne la formation du smart

contract, les parties doivent être particulièrement sures de s’engager en formalisant leur

acceptation au travers d’un « clic » ou d’une signature physique sur papier formalisant

l’accord ensuite retranscrit en code informatique (dans le cadre d’un smart contract de

traduction).

La formation du smart contract, au-delà des négociations et de la manifestation de l’offre,

nécessitera un processus en plusieurs étapes pour pouvoir déclencher, dès la conclusion,

l’auto-exécution du smart contract.

En premier lieu, les parties devront effectuer, après une vérification minutieuse des

conditions auxquelles elles souhaitent s’engager, un premier « clic », ou une première

étape d’acceptation en cas de support papier (là encore en cas de smart contract de

traduction qui ne portera sur l’exécution que de certaines modalités et clauses du contrat).

Après cette étape intermédiaire, interviendra la véritable confirmation, l’acceptation

définitive du smart contract, puisqu’il ne peut y avoir de rétractation sauf à l’avoir prévu

dans le code.

Cette acceptation définitive pose le principe de la formation du contrat, et surtout, du

déclenchement de la phase de formation du smart contract.

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CONCLUSION TITRE 1

73. Les smart contracts ont-ils vocation à révolutionner le droit tel qu’il peut être dans

son état actuel ?

Dans la continuité du « Vocabulaire de l’informatique » paru le 23 mai 2017, il ne parait

pas invraisemblable qu’un vocabulaire ultérieur, plus détaillé et plus complet, soit

développé au sein d’une loi ou d’un décret, mentionnant cette fois expressément les smart

contracts, jusqu’alors oubliés.

Malgré les éléments qui peuvent susciter le doute, à l’aune d’une collaboration étroite

entre juristes et développeurs, moyennant un encadrement législatif et une élaboration

des contrats dans le strict respect des dispositions contractuelles et leurs exigences, les

smart contracts, bien qu’encore au stade des balbutiements, ont vocation à modifier

substantiellement le monde que nous connaissons.

A tout le moins, n’ayant pas encore de statut juridique ni de reconnaissance à part entière,

il n’est pas encore possible de parler de « révolution » en cours, mais il n’est pas exclu

qu’elle soit en revanche embryonnaire.

Et que faire pour qu’ils puissent à terme être considérés comme des contrats ?

Les smart contracts, pour aboutir à un rapprochement certain avec un « contrat » au sens

civiliste, vont nécessiter une double compétence ou le développement d’une collaboration

professionnelle essentielle entre développeurs et juristes.

En effet, il sera nécessaire de faire rédiger, vérifier et valider chaque smart contract par

une personne qualifiée pour ce faire, et surtout envisager toutes les situations possibles

au regard du droit commun (notamment sur le point de la réversibilité des actions, où une

décision du tribunal devra ultérieurement faire survivre ou annuler le contrat, ou encore

ordonner le versement de dommages et intérêts).

Dans une autre mesure, il convient de conclure ici que les contrats, majoritairement

consensuels, et donc formés par la simple rencontre des volontés, sont les plus nombreux,

et surtout, ils sont ceux qui se prêtent au mieux aux expérimentations des smart contracts

sur la blockchain, ce qui pourrait justement faciliter leur appréhension par le droit

français.

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74. Dans le langage informatique, deux expressions rappellent alors ce système

informatico-juridique à naître : il existe des patterns lorsque certains programmes

informatiques respectent certains principes à l’avance, et en complément, on parle de

frameworks lorsque ces programmes réutilisent un code existant pour s’exécuter dans un

environnement prédéfini. En matière de smart contracts donc, les juristes, de pair avec les

développeurs, devront créer un véritable pattern de smart contracts et des frameworks

respectant les règles du droit des contrats français, pour que ces contrats automatisés

puissent, à terme, être considérés comme des contrats à part entière.

Le débat s’élève alors, au regard des démonstrations de ce Titre, sur le point de savoir s’il

est nécessaire de créer un nouveau cadre légal, ou de simplement prévoir une adaptation

de l’existant. Bien que les smart contracts puissent faire preuve dans une certaine mesure

d’adaptabilité à l’écosystème normatif préexistant, il ne semble pas pour autant

souhaitable de calquer le régime du droit des contrats mot pour mot, mais plutôt d’y

préférer un nouveau cadre juridique sur mesure, quitte à faire certains emprunts aux

normes existantes.

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Titre 2 : l’appréhension favorisée de la notion de smart contract au

regard de leurs modalités d’exécution

75. Aussi essentielle que puisse être la rigueur apportée à la phase de conception des

contrats, force est de constater que l’équilibre entier d’un contrat peut se voir ébranlé par

une mauvaise exécution par les parties pourtant souvent engagées en connaissance de

cause au préalable.

Avec la technologie blockchain, et plus particulièrement les smart contracts, une réponse

technique semble se dessiner au regard de la spécificité liée à l’exécution des smart

contracts (Chapitre 1), qui semblent promettre une meilleure efficacité et une sécurité

accrue entre les parties, mais surtout, qui peuvent aussi se poser en remèdes contre

certaines difficultés contractuelles généralement rencontrées tant par les parties, que par

les professionnels du Droit (Chapitre 2).

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Chapitre 1 : Les spécificités liées à l’exécution des smart contracts

76. Les smart contracts, une fois rédigés et mis à disposition des parties, sont

accessibles publiquement sur la blockchain et s’exécutent jusqu’au terme décidé par les

parties, conformément aux dispositions dont elles ont ensemble décidé lors de la phase

« pré-smart contractuelle », telle est leur logique.

Pour autant, si cette exécution semble si simple à mettre en place et à perpétuer de par

l’automatisme, il convient cependant de préciser que cette exécution ne sera gage

d’efficacité qu’au regard d’une certaine rigueur imposée aux parties et, indirectement,

aux développeurs et juristes qui seront en charge de la formation du contrat (Section 1).

Egalement, il est relativement intéressant, après une mise en miroir des conditions de

formation et de validité du contrat, d’opérer le même ordre de raisonnement en matière

d’exécution et de voir à quel point les smart contracts, avec leur complexité en la matière,

peuvent être réceptionnés favorablement en droit français (Section 2).

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74

Section 1 : Une rigueur accrue dans la sélection et réalisation des conditions requises au

sein des smart contracts

77. Le fonctionnement du smart contract est théoriquement simple : il est basé sur le

modèle du « If… Then », traduit en « Si… Alors ». En effet, en pratique, si une condition

est réalisée puis vérifiée, la ou les conséquences prévues par les parties s’exécutent

automatiquement.

Sur ce point relatif à la formation et en conséquence, par la même occasion, à l’exécution

du contrat, pour que les smart contracts puissent trouver une plus large application dans

des domaines parfois sensibles comme la finance ou les assurances, il convient de se

focaliser en l’espèce sur le mode de vérification des informations nécessaires à la

réalisation des conditions strictes stipulées par les parties.

Cependant, selon la nature et l’objet du contrat, ces conditions peuvent provenir de trois

sources différentes et être vérifiables premièrement soit dans la blockchain, si le contrat

comporte une condition vérifiable sur son réseau (§1), soit dans un environnement

extérieur à la blockchain, si le contrat comporte une condition vérifiable hors réseau (§2).

Dans le troisième cas, il s’agit de conditions de dates (le smart contract s’exécutera le

XX/XX/XXXX par exemple), pour lesquelles nous ne nous attarderons pas ici dans la

mesure où une condition de date ne nécessite ni la blockchain, ni l’intervention d’un

élément extérieur.

§1. La vérification d’une condition réalisée dans la blockchain

78. Définitions. - Les smart contracts sont des programmes automatisés qui, une fois

déclenchés, exécutent automatiquement les termes arrêtés entre les parties au préalable.

Cette automatisation de l’exécution est déclenchée par la validation de conditions de type

‘Si…Alors’. Par exemple, si un individu A a reçu au préalable 5 Bitcoins, qu’il les détient

dans son portefeuille virtuel, et qu’il conclut un smart contract avec un individu B

moyennant la réalisation d’une autre transaction de B avec un tiers (qui consiste donc en

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75

la condition), il adviendra aux nœuds du réseau, et donc aux mineurs, de vérifier non

seulement la détention des Bitcoins par A, mais aussi la réalisation de la condition stipulée

par les parties. Il existe deux types de conditions stipulées au sein des smart contracts :

des conditions extérieures à la blockchain (par exemple déclencher le paiement d’un objet

dès lors qu’il a été reçu par le cocontractant dans le monde ‘physique’), que nous

étudierons ci-après, et la réalisation de conditions internes à la blockchain, qui elles,

découlent du réseau lui-même, et sont plus simples à envisager dans un premier temps.

Pour la vérification de ces conditions, les smart contracts font appel à une technique

spécifique intrinsèque à la validation des blocs : le minage.

79. Le minage. - Le « Vocabulaire informatique » du 26 mai 2017 consacre le minage

en exposant sur ce point que « Le minage est utilisé dans certains systèmes de paiement

tels que Bitcoin et Ethereum. » Envisagé pour le moins très globalement et

fonctionnellement, cette définition ne précise pas pour autant ce en quoi il consiste.

En réalité, le minage est l’opération par laquelle les mineurs vérifient la véracité des

informations contenus dans la chaîne de blocs avant d’inscrire un nouveau bloc. En

parallèle de la vérification de la propriété des fonds par les parties par exemple s’il s’agit

d’une transaction financière, leur tâche consiste également en la vérification des

conditions requises par les parties par le biais d’une résolution d’un problème

mathématique extrêmement complexe à l’aide des capacités de calcul de leurs

ordinateurs.

Tel qu’exposé ci-avant, les conditions programmées ex ante, provoquent l’exécution

automatique de l’engagement simple ou multiple des parties. Cependant, lorsque la

condition demeure vérifiable dans la blockchain, il est d’usage de parler de condition

endogène. Le terme endogène désigne le fait de prendre naissance à l’intérieur d’un corps,

d’un organisme, d’une société. C’est précisément cette notion qui qualifie les conditions

que l’on retrouve à l’intérieur même du système blockchain au sens large du terme.

En effet, il existe la blockchain au sens large, qui désigne la technologie en elle-même,

mais il existe aussi des blockchains, qui elles même constituent, pour la somme d’entre

elles, toute la blockchain dans son ensemble.

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80. Exemple concret de condition endogène. -. Il s’agit dans tous les cas de

conditions qui impliquent d’autres écritures au sein de la blockchain : par exemple il est

possible de prendre le cas prospectif de la création d’un smart contract en matière

d’assurance.

Il conviendra en matière de catastrophe naturelle, si un individu est assuré pour un

ouragan par exemple, de voir inscrit au sein de la blockchain sur laquelle publie une

station météorologique officielle, qu’il y a bel et bien eu ce type de catastrophe naturelle,

et qu’elle a été enregistrée comme telle par les autorités.

Les mineurs, dans leur méthode de minage, vont donc aller devoir vérifier plusieurs

éléments : si la compagnie d’assurance est bien titulaire des sommes qu’elle est

susceptible de verser aux assurés, mais aussi et surtout, s’il existe, quelque part sur la

blockchain au sens large, une preuve authentique (au sens de la blockchain là encore, pas

au sens de l’acte authentique juridique), que cet évènement a bien eu lieu et peut

déclencher l’automatique exécution du contrat.

Si à première vue cette vérification de conditions endogènes semble simple, elle

nécessitera tout de même, à terme, une mise en place d’un véritable écosystème sur la

blockchain, où de nombreuses informations transiteront, et ce dans des secteurs divers et

variés.

81. La nécessaire mise en place d’un écosystème blockchain. – A terme, la

généralisation des smart contracts, et plus particulièrement de ceux composés de

conditions endogènes, devra nécessairement s’accompagner d’une mise en place de

blockchains interconnectées et nombreuses.

En effet, si les particuliers souhaitent généraliser les procédés blockchains, sans avoir

besoin de recourir à chaque smart contract à des conditions exogènes, et donc extérieures

à la blockchain, et plus coûteuses à vérifier, les entreprises, administrations, et beaucoup

d’institutions se devront de mettre en place des blockchains interconnectées pour garantir

l’expansion des smart contracts et leur coût moindre.

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§2. La vérification d’une condition extérieure la blockchain

82. La libre détermination des conditions par les parties. - En vertu du principe de

liberté contractuelle, les parties au contrat sont libres de déterminer ou non des conditions

nécessaires au déclenchement de l’exécution du smart contrat.

Par exemple, l’exemple d’un pari hippique peut être illustratif ici : le contrat liant

l’organisme de jeu et le joueur prévoit la réalisation d’une condition tenant à l’arrivée des

chevaux dans l’ordre choisi par le joueur. Tant que la course n’a pas lieu et que les

chevaux n’ont pas franchi la ligne d’arrivée, aucun versement de gain ne peut être

effectué. En revanche, une fois que les chevaux franchissent la ligne d’arrivée, les gains

deviennent exigibles par le joueur s’il a choisi les bonnes combinaisons d’ordre d’arrivée

des chevaux.

La condition nécessaire à la réalisation du contrat est l’arrivée des chevaux selon l’ordre

choisi par le joueur, pour autant, cette information, si le contrat initial était un smart

contract, n’est pas vérifiable dans la blockchain, elle est une information extérieure,

réalisée dans le monde physique, évidemment extérieur au réseau dématérialisé de la

blockchain.

83. Des conditions exogènes problématiques. - C’est justement cette certification de

la véracité des données extérieures à la blockchain qui constitue une des particularités

supplémentaires liées aux smart contracts, mais aussi une source de difficultés. En effet,

lorsque la condition est vérifiable au sein de la blockchain, la vérification sera, tout

comme l’exécution du smart contract, automatique. Mais lorsque la condition est

extérieure, force est de constater qu’une retranscription au sein de la blockchain sera

évidemment nécessaire pour déclencher l’exécution du contrat.

Par exemple, pour en revenir à l’exemple susmentionné de pari hippique, il conviendra

de retranscrire les résultats de la course au sein de la blockchain, qui eux seuls, pourront

déterminer et déclencher l’exécution du smart contract.

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Cependant, cette retranscription de l’information pose problème : comment vérifier la

véracité de cette dernière ? Au siècle d’internet et des hackers, il ne parait pas

invraisemblable de se douter que des individus mal intentionnés pourront très

certainement tenter de rentrer de fausses données au sein de la blockchain pour déclencher

des smart contracts illicites.

Cette possible falsification des données extérieures inclues à la blockchain peut poser

problème en ce sens que la blockchain et ses smart contracts sont à terme destinés à des

applications dans des domaines sensibles tels que la finance ou la fiscalité. Il faut alors

nécessairement résoudre cette problématique d’authentification des données extérieures,

sans quoi tout l’édifice contractuel de la blockchain pourrait s’effondrer, mais aussi sans

quoi des séismes financiers ou même industriels pourraient voir le jour à cause

d’informations erronées.

84. Les oracles : gage de véracité des informations. - Après la prise en compte de

cet enjeu essentiel au développement de ces technologies, les acteurs majeurs de la

blockchain ont proposé une solution, en mettant en œuvre de nouveaux protagonistes au

sein de ce réseau.

C’est en effet par l’intervention de nouvelles entités, appelées « oracles », que la

blockchain va authentifier ces informations.

Ces entités ont la responsabilité de vérifier et certifier, avec un processus prédéterminé,

les informations issues de l’extérieur de la blockchain et que les utilisateurs souhaitent

intégrer.

Pour reprendre à nouveau l’exemple des paris hippiques, l’oracle sera en charge de croiser

les données parues sur tout le réseau internet : sites officiels de paris sportifs,

communiqués de fédérations hippiques, sites officiels de presse, etc. Avec ce croisement

des données à grande échelle, il sera possible d’assurer quasiment avec certitude la

véracité de l’arrivée des chevaux, ou plus largement de toute information à vérifier quant

à la réalisation du smart contract.

85. La généralisation possible des oracles. - Après l’intervention d’un oracle qui

aura vérifié et certifié les informations visées, l’intégration à la blockchain pourra avoir

lieu. De nombreuses sociétés sont aujourd’hui créées pour mettre en place des systèmes

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d’oracles spécialisés : en matière météorologique, en matière financière avec les actions

boursières, en matière bancaire avec les taux et pourcentages pratiqués, etc.

L’idée serait ici, pour assurer une sécurité juridique complète, que les pouvoirs publics

puissent mettre en place leurs propres oracles : les tribunaux, les administrations, etc.

De cette manière, la véracité des informations ne serait alors pas remise en cause, et le

problème des conditions exogènes s’en verrait résolu.

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Section 2 : l’impossible exécution anticipée et inexécution des smart contracts

86. Les contrats automatisés, ou smart contracts, sont présentés souvent par leurs

développeurs comme des garanties d’une meilleure sécurité juridique. Pourtant, il semble

ici paradoxal que ces « profanes » de la sphère juridique puissent avancer ce type

d’arguments quant à la fiabilité en termes de droit pour la blockchain et ses ‘contrats’.

Il convient alors de vérifier si, sous l’angle du droit positif et du cadre actuel, les modalités

d’exécution des smart contracts constituent bien, à l’image de la promotion qui en est

faite, des possibilités de sécurité juridique accrue.

Pour ce faire, il conviendra d’analyser les deux conséquences immédiates qu’induisent

les smart contracts en matière d’exécution : premièrement, il adviendra de se focaliser sur

l’impossible exécution anticipée issue des contrats auto-exécutants (§1), avant d’en

déduire les conséquences cette fois en matière d’inexécution (§2), rendue potentiellement

impossible de par l’automatisation même des smart contracts.

§1. L’auto-exécution comme obstacle à l’anticipation en matière d’exécution

87. Au sein de la sphère contractuelle, nous l’avons rappelé à plusieurs reprises, le

principe de liberté gouverne dans la plupart des cas. Aussi, si les parties peuvent décider

et planifier l’exécution du tout contrat, il est également possible pour elles de s’exécuter

par anticipation au regard des termes prévus initialement entre elles.

Par exemple, il est possible pour une partie de payer la somme qu’il doit à son créancier

avant le terme prévu au contrat. Même chose lorsque le débiteur d’une obligation de

livraison à date précise, le livre avant la date fixée.

L’anticipation contractuelle, dès lors qu’elle est issue d’un consentement exprimé par les

deux parties, ne pose pas de problème au regard des principes traditionnels du droit des

contrats. Notamment, à titre illustratif, on la retrouve principalement réglementée en

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matière de droit de la consommation, au sujet des remboursements anticipés de crédits.

88. Parallèle avec le droit du crédit. - Le remboursement par anticipation, qu’il

s’agisse d’un crédit mobilier ou immobilier, est une « faculté » que peut exercer tout

emprunteur, et qui trouve d’ailleurs sa source dans la loi, notamment à l’article L313-47

du Code de la consommation en matière de crédit immobilier, et L312-34 pour les crédits

à la consommation).

Cette faculté est souvent issue, dans les cas où la loi l’autorise donc, de l’insertion d’une

clause autorisant l’emprunteur à y procéder, à condition qu’il verse une indemnité de

remboursement anticipée à l’établissement financier, laquelle indemnité est cependant

plafonnée à 3% du montant du capital restant dû (pour le crédit immobilier là encore –

R313-25), contre 1% en matière de crédit mobilier et 0.5 s’il reste moins d’un an de

mensualités à régler).

Bien que cette indemnité soit une sorte de « sanction » pour l’emprunteur qui finalement

solde le montant restant dû avant l’heure, cette possibilité demeure admise par le droit

spécial, tout autant qu’en droit commun là où le Code civil reste silencieux (en vertu du

principe « là où la loi ne distingue pas, il n’y a pas lieu de distinguer », force est de

constater qu’au regard du silence de la loi, il est possible de déduire que l’exécution

anticipée n’est pas proscrite, sauf à contrevenir à la liberté contractuelle et à découler

d’une quelconque mauvaise foi des parties.

89. Le strict respect des clauses du smart contract. – Si les remboursements

anticipés existent au sein du droit de la consommation, mais plus largement au sein de

tous les contrats lorsque les parties y consentent, force est de constater que ce schéma

d’exécution ne peut trouver d’écho au sein du mode de fonctionnement des smart

contracts.

En effet, si les smart contracts sont souvent présentés comme des contrats ‘immuables’,

il convient de mettre en abîme ici cette intangibilité au regard de l’impossible exécution

anticipée qu’ils induisent.

Dès lors, que les parties aient prévu un terme à date précise ou mentionnent au contraire

des exécutions successives de leur contrat, il s’avère ici impossible de modifier les lignes

de codes à l’origine du smart contract pour modifier le moment d’exécution des termes

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du contrat ou leur montant. Si par exemple la partie A avait convenu avec la partie B

qu’elle transfèrerait sur la blockchain le bien objet du contrat dès lors que le paiement

serait perçu par cette dernière, il semble impossible pour la partie dont l’obligation est de

délivrer le bien (un logiciel par exemple, mais peu importe le bien), de le livrer avant

d’avoir perçu cette somme. En l’absence de satisfaction de toute condition prévue par les

parties, la phase exécutoire du smart contract ne pourra se déclencher et ne pourra donc

absolument pas prévoir une exécution anticipée comme il est possible de le faire avec le

crédit pour reprendre l’exemple précité au point n°88.

S’il était possible d’envisager de coder des crédits immobiliers ou à la consommation (ce

que d’ailleurs certains envisagent d’expérimenter rapidement dès qu’une régulation ou

reconnaissance légale sera intervenue), force est de constater que la mise en place de

clauses types « faculté de remboursement anticipé » seraient pourtant impossibles à

mettre en place dès lors où le smart contract s’auto-exécute sur la base de conditions

prédéfinies par les parties, lesquelles ne peuvent pas évoluer.

Si dans certains cas, cette conséquence des particularismes des smart contracts peut

sembler réductrice et faire obstacle à leur déploiement, il convient d’admettre que c’est

aussi, dans le même temps, une source de sécurité pour les parties au regard de l’exécution

du contrat, au même titre que l’absence d’inexécution qu’emporte là-aussi, l’auto-

exécution.

§2. L’auto-exécution comme obstacle à l’inexécution contractuelle

90. L’inexécution d’un contrat classique. – Au regard du principe de la force

obligatoire des contrats (« Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui

les ont faits48 »), les parties qui se sont engagées de par le contrat sont tenues de l’exécuter.

Dans le cas contraire, on parle alors d’inexécution.

L’inexécution est consacrée au sein du la Section 5 du Chapitre IV (Les effets du contrat),

48 Article 1103 du Code civil.

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du Sous-titre I (Le contrat), du Titre III (Des sources d’obligations) du Code civil, aux

articles 1217 et suivants.

Cette dernière peut revêtir plusieurs formes : retard dans l’exécution (l’obligation est

exécutée mais plus tard que ce que prévoyait le contrat), inexécution partielle (par

exemple le paiement devait être de 100, et le débiteur n’a payé que 50), ou inexécution

totale : le débiteur ne s’est pas du tout exécuté en aucune mesure.

Dans un souci didactique, les nouvelles dispositions du Code civil ont mis en place une

liste exhaustive des sanctions de l’inexécution, qui peuvent d’ailleurs se cumuler avec des

dommages et intérêts selon les conditions de la responsabilité civile et selon leur nature :

l’exception d’inexécution, l’exécution forcée en nature de l’obligation, la sollicitation

d’une réduction du prix, la résolution du contrat, ou enfin la sollicitation d’une réparation

des conséquences de l’inexécution.

91. L’impossible inexécution d’un smart contract. – Le smart contract est un

programme informatique capable d’exécuter automatiquement les termes arrêtés entre les

parties. A la différence du raisonnement ex post des contrats analogiques (contrats dits

« classiques »), ceux-ci se démarquent par une exécution ex ante du code informatique et

pouvant contraindre une partie au smart contract en amont.

Cela signifie plus exactement que l’exécution par contrainte intervient par principe en

l’absence de toute décision judiciaire, puisque, de facto, elle est inscrite dans le code à

l’origine du smart contract et sera déclenchée en l’absence de toute intervention humaine.

Ainsi, ces contrats issus du code ne se limitent pas aux contrats établis entre parties

« humaines » et s’étendent au domaine des contrats dits « machine-to-machine ».

Du fait de ces multiples possibilités de relations contractuelles et de l’auto-exécution des

smart contracts, ces derniers évincent toute nécessité de tiers de confiance ou

intermédiaire de transaction.

Nous ne nous intéresserons pas ici, au sein de la présente étude, aux contrats (et smart

contracts) « machine-to-machine », les cas d’expérimentation étant encore peu nombreux,

nous privilégierons les smart contracts passés entre les individus dans leur environnement

quotidien et dans le monde physique.

La seule possibilité d’inexécution qu’il est possible de retrouver, dans des cas limités

d’ailleurs, est celle dans les smart contracts issus de conditions majoritairement exogènes,

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puisque dans ce cadre-là, les smart contracts ressemblent d’autant plus à des contrats

classiques, et leur régime n’en diffèrera que peu au regard du droit commun.

S’il s’agit en revanche d’un contrat pour sa grande majorité endogène, il est possible en

revanche ici d’affirmer que l’inexécution est purement et simplement impossible : issue

d’un retard, partielle ou totale, il n’y a pas de place pour l’inexécution dans un smart

contract issu totalement de la blockchain et dont l’exécution est basée sur des conditions

et conséquences contractuelles endogènes.

92. Le cas de la force majeure dans les smart contracts. – Le Code civil dans sa

nouvelle rédaction, fait l’objet d’un apport majeur en la matière : il consacre une véritable

définition de la force majeure, qui jusque-là n’était dégagée que de la jurisprudence, bien

que la force majeure ait été pour sa part envisagée dans le Code civil dès 1804.

Désormais, elle se définit comme un « évènement échappant au contrôle du débiteur, qui

ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets

ne peuvent être évités par des mesures appropriées49 ».

On remarque alors que la force majeure, si elle a conservé ses caractères imprévisibles et

irrésistibles retenus par la jurisprudence établie, perd cependant son critère d’extériorité

de l’évènement par rapport au débiteur.

Nouvelle donne également en la matière, l’article 1218 distingue deux situations de force

majeure : la force majeure temporaire ou non, qui peut justifier une simple « suspension »

de l’exécution du contrat et non sa résolution, sauf circonstances particulières justifiant

le contraire.

En matière de smart contract, envisager cette notion aussi imprévisible et subjective peut

poser certaines difficultés. En effet, si l’on peut penser inclure au sein du smart contract

des clauses prévoyant des cas de nullité ou d’évolution du contrat, il est difficile d’inclure

une donnée qui, par principe est imprévisible.

Toute idée de force majeure sera donc à apprécier par le juge et ne pourra faire son entrée

au sein des codes des smart contracts qu’en envisageant leur évolution au regard du deep

learning (grâce auquel les machines auront pu faire un apprentissage sur les notions

‘humaines’ et pourront qualifier la force majeure).

49 Article 1218 du Code civil.

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93. L’exception d’inexécution en droit français. – L’exception d’inexécution,

nouvelle entrante au sein du Code civil avec la réforme opérée par l’ordonnance du 10

février 2016, est un mécanisme fréquemment rencontré au sein du droit des contrats

français. Elle se définit comme une mesure qui consiste, pour une partie, à suspendre

l’exécution de son obligation jusqu’à ce que l’autre partie exécute la sienne50. Pour autant,

cette exception demeure encadrée par de strictes conditions : pour qu’une partie puisse

valablement faire valoir son inexécution comme justifiée, il est nécessaire que l’autre

partie n’ait pas exécuté l’obligation qui lui incombait, mais que cette exécution soit

surtout « suffisamment grave ». Par cette expression, il convient de comprendre ici qu’une

simple inexécution portant sur des éléments accessoires au contrat ne saura justifier une

exception d’inexécution devant un juge. En revanche, si l’autre partie n’exécute pas

l’obligation essentielle, principale du contrat, cette fois l’exception d’inexécution pourra

être évoquée sans aucun obstacle. Il convient d’opérer un raisonnement assez subjectif

pour analyser la ‘gravité’ de l’inexécution du cocontractant, et de vérifier si la réponse,

donc l’inexécution à son tour de l’autre partie, demeure une réponse proportionnée à la

situation.

Cette nouvelle disposition n’est pas sans rappeler la lecture de l’article 1653 qui prescrit

depuis 1804 que « Si l’acheteur est troublé ou a juste sujet de craindre d’être troublé par

une action, soit hypothécaire, soit en revendication, il peut suspendre le paiement du prix

jusqu’à ce que le vendeur ait fait trouble, (…) ».

Le Code civil envisage également le cas de l’exception d’inexécution lorsqu’il est

« manifeste » que le cocontractant n’exécutera pas ses obligations, valable seulement sous

réserve là encore d’une certaine gravité (à apprécier encore une fois subjectivement et in

concreto), mais aussi supposant une notification au cocontractant « dans les meilleurs

délais 51».

Là encore, l’exception d’inexécution a une autre traduction pour les smart contracts :

50 Article 1219 du Code civil : « Une partie peut refuser d’exécuter son obligation alors même que celle-ci est exigible, si l’autre n’exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave. » 51 Article 1220 du Code civil : « Une partie peut suspendre l’exécution de son obligation dès lors qu’il est manifeste que son cocontractant ne s’exécutera pas à l’échéance et que les conséquences de cette inexécution sont suffisamment graves pour elle. Cette suspension doit être notifiée dans les meilleurs délais. »

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l’inexécution n’étant pas possible, il semble tout autant impossible que l’exception

d’inexécution puisse naître elle aussi, sauf à considérer qu’il puisse s’agir de conditions

exogènes, réalisées dans le monde physique et sur le long terme.

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Chapitre 2 : L’auto-exécution, un nouveau remède de la sphère

contractuelle ?

94. Alors que l’exécution automatique des smart contracts induit des conséquences

rigoureuses et inévitables en matière de formation contractuelle, notamment au regard du

déclenchement automatisé de l’exécution du contrat ou encore de son impossible

exécution anticipée, il convient cependant, au-delà d’y trouver certains aspects

inquiétants, de mettre en abîme à l’inverse tous les apports à retirer de ces spécificités.

En effet, en admettant que le contrat ne puisse avoir absolument aucune autre issue que

celle prévue à l’origine par les parties, il est possible de se demander s’il ne faut pas

envisager les smart contracts comme un gage supplémentaire de l’efficacité du contrat

(Section 1), mais s’ils ne permettraient pas, au-delà de cela, de pallier, avec l’idée

d’automatisation, à certains contentieux qui engorgent les tribunaux à l’heure actuelle

(Section 2).

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Section 1 : L’auto-exécution, garante de la force obligatoire et de l’égalité des parties au

contrat ?

95. Les smart contracts, bien que très spécifiques quant à leur élaboration et à leur

exécution ont cependant le mérite d’être gages de sécurité juridique quant à l’exécution

du contrat s’ils demeurent correctement codés. Pour autant l’engagement « ferme et

définitif » des parties, programmé comme tel, soulève ici encore de nouvelles

conséquences relatives à la théorie générale du contrat en matière d’exécution.

A ce titre, il convient d’analyser dans quelle mesure l’exécution sui generis des smart

contracts permet de réaffirmer la force obligatoire des contrats (§1), tout en mettant en

balance les perspectives d’égalité induites de ce nouveau mode de contractualisation (§2).

§1. La mise en abîme de la force obligatoire des contrats

96. Le code est la loi des parties. - Le smart contract est, informatiquement parlant,

un programme capable d’exécuter automatiquement les termes strictement arrêtés entre

les parties. A la différence du raisonnement ex post des contrats classiques, ceux-ci se

démarquent par une exécution ex ante du code informatique et pouvant contraindre une

partie au smart contract en amont. Cela signifie plus exactement que l’exécution par

contrainte intervient par principe en l’absence de toute décision judiciaire, puisque, de

facto, elle est écrite dans le code à l’origine du smart contract et sera déclenchée en

l’absence de toute intervention humaine.

97. Une exécution obligatoire. - Le concept de smart contract et ses différentes

implémentations est très attirant en ce qu’il verrouille, de par son mode de

fonctionnement, l’exécution du contrat.

Une fois que les parties ont arrêté les conditions et termes qu’elles souhaitaient imposer,

et ce à l’issue d’une minutieuse négociation (pour les contrats les plus complexes

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davantage encore), l’exécution est la seule issue du contrat.

Habituellement, le contrat est une promesse acceptée par les deux parties, et pour laquelle

elles acceptent de la rendre juridiquement exécutoire. Le smart contrat peut avoir vocation

à emporter exactement cette conséquence, à la différence près que le terme

« juridiquement exécutoire » se devra d’être remplacé par l’expression « techniquement »

exécutoire. En effet, il n’y a ici, selon les contentieux, plus besoin de juge ou de

quelconque autorité régulatrice choisie par les parties (médiateur, arbitre, etc.).

98. Illustration concrète. - Il convient ici de prendre un exemple pour illustrer ce

propos : prenons le cas d’un contrat de location de smartphone avec forfait, à l’image de

ceux mis en place par les différents opérateurs sur le marché. Dans le cadre de ces

prestations, le client paie un forfait dit « de base », admettons 30.00€, en contrepartie de

la fourniture de réseau pour passer appels et SMS, mais aussi pour accéder au réseau 4G

(prenons ici 5 Giga Octets).

Partons du principe que la personne a effectué, courant mai et juin 2017, un voyage à

l’étranger, pensant que les prestations à l’étranger étaient fournies au sein de son contrat,

et n’ayant pas pris le temps de vérifier cette donnée au sein de son contrat avant de partir.

A l’aune d’un contrat analogique, ou classique, dans l’environnement actuel, le client

dispose de plusieurs alternatives : négocier avec son opérateur, payer en plusieurs fois,

voire même jusqu’à contester cette créance devant un tribunal, en avançant qu’il est dans

l’impossibilité de payer une telle somme.

Dans un tel cas, l’affaire portée devant le tribunal permet une régulation du contentieux

dite « légale », puisque c’est la loi qui interviendra, exprimée via la bouche du juge.

Dans le cadre du smart contract, le client est automatiquement débité de ces sommes, à

moins qu’il n’y ait une disposition contraire programmée au sein du smart contract, ce

qui ne devrait en principe, que peu arriver dans la mesure où le professionnel n’éludera

pas la responsabilité et la solvabilité de son client.

99. Un remède absolu ? - Si la démonstration opérée ici tend à montrer que l’auto-

exécution peut renforcer sans nul doute la force obligatoire des contrats, ce n’est pas pour

autant une solution absolue, et les parties, dans le monde physique, restent encore libres,

selon que la condition soit endogène ou exogène à la blockchain, décider de se soustraire

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à leurs obligations, tout en étant conscientes qu’elles engagent leurs responsabilités.

§2. L’auto-exécution, gage d’égalité accrue entre les parties ?

100. « Jus est ars boni et aequi ». - Célèbre locution de Celse reprise sous la plume du

plus connu Ulpien52, cette dernière signifie que le Droit est l’art du juste (ou de

l’équitable) et du bon.

Cependant, il existe une différence fondamentale entre la justice, l’égalité et le juste dans

la société contemporaine : les lois, mais aussi les contrats, ne sont pas faits pour être

absolument justes, et c’est bien là le point de touche avec les smart contracts.

Pour faire un parallèle avec la philosophie, Platon l’exprimait ainsi dans son ouvrage « Le

politique » : « aucune loi ne sera un jour capable d’embrasser avec exactitude ce qui,

pour tous à la fois, est le meilleur et le plus juste et de prescrire à tous ce qui vaut le

mieux53 ».

En matière d’égalité, la constatation est plus nuancée, on remarque que de nombreuses

dispositions civilistes mais aussi dans les matières commerciales ou administratives

encore, s’attachent en revanche à consacrer des dispositions de manière à rétablir une

certaine égalité entre les parties. A ce titre, on pense notamment à l’introduction par la

réforme via l’ordonnance du 10 février 2016, du « déséquilibre significatif » des clauses

abusives au sein des contrats d’adhésion à l’article 117154.

Un grand nombre de contrats de la vie quotidienne sont aujourd’hui d’adhésion, et le

52 Ulpien est un homme politique romain et juriste des débuts du IIIème siècle. Il est notamment célèbre pour ses traités de droit, mais surtout pour sa rédaction des Institutes, ouvrage pédagogique du droit à destination des étudiants et praticiens du droit sous l’Antiquité romaine. 53 Platon, Le Politique. Etude de son ouvrage pae Luc Brisson et Jean-François Pradeau, Introduction : Politique (Platon), GF Flammarion, 2011, p. 319 54 Article 1171 du Code Civil : « Dans un contrat d'adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite. L'appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix à la prestation ».

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législateur a souhaité sanctionner certains abus marquants, en empruntant au droit de la

consommation (à l’article L132-1) et au droit commercial (à l’article L442-6, I-2°) cette

disposition quelque peu remaniée pour l’intégrer au Code civil, et par destination, au droit

commun.

Peut-on alors considérer que le smart contract, pouvant être lui aussi un contrat

d’adhésion, puisse constituer un renfort à l’égalité des parties ?

101. Le smart contract : un dumb contract en réalité ? – Il a été évoqué à plusieurs

reprises le fait que les smart contracts portent un nom inadapté avec le qualificatif traduit

de « smart ». Il n’existe pas d’intelligence contractuelle au sens que certains voudraient

bien lui donner, et, cette traduction pose en effet problème.

Etant par nature rigides puisqu’intangibles (ce point sera précisé ultérieurement aux

points n°148 et suivants), les smart contracts peuvent ici poser quelques soucis au regard

de l’égalité et de l’équité. En effet, au regard de la liberté contractuelle ici aussi, il est

possible pour les parties de contracter sur ce qu’elles souhaitent, dans la limite d’un objet

licite et certain. Pour autant, les parties peuvent tout autant envisager une relation

déséquilibrée ou des injustices. Par exemple, il a pu arriver, au cours des expérimentations

pour tester certains smart contracts, de voir que les smart contracts pouvaient effectuer

des transactions avec des personnes décédées, si dans leur code d’origine il n’était pas

inscrit qu’il fallait arrêter l’auto-exécution du contrat en cas de décès de la partie adverse

(et de la retranscription préalable de ce décès dans la blockchain puisque c’est une

condition purement exogène, sur ce point se référer aux points n°82 et suivants).

Cette constatation pose un problème que les contrats classiques ne posent pas en principe.

Par ailleurs, une seconde problématique relève des smart contracts en matière d’égalité :

ils ne sont pas dotés de conscience, et intuitivement, ne peuvent fournir une interprétation

ou prendre un certain recul sur le contrat pour pouvoir l’autoévaluer comme déséquilibré.

Les smart contracts ne sont capables d’exécuter et résoudre les problèmes seulement pour

ce pourquoi ils sont programmés pour leurs développeurs. L’interprétation de notions

subjective, et plus largement toute interprétation peut être un obstacle de taille pour les

smart contracts, qu’il conviendra à terme de résoudre.

Dès lors, les recherches sont désormais axées sur une amélioration de la technologie, plus

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particulièrement en matière d’intelligence artificielle et de machine learning et deep

learning55.

102. Les divergences entre code et droit. – Au regard des éléments précédemment

mentionnés, on remarque qu’il existe plusieurs points de dissonances entre ces deux

« langages ».

A ce titre, il est possible de considérer que le droit est empreint de flexibilité : s’il n’est

pas doté de recul en tant que tel et sein des textes de loi, mais il est pour autant marqué

par la souplesse et l’adaptabilité en ce qu’il est interprété par le juge, qui à son tour, peut

donner sens à la loi au sens très large du terme et juger au cas par cas les litiges. Le

smart contract quant à lui agit bien au cas par cas, il n’est pas question ici de remettre en

cause cette idée, mais demeure étranger à toute subjectivité, il ne se contente que

d’exécuter strictement les clauses décidées par les parties et mises en place par leur

développeur, pas plus, il n’a pas vocation à évoluer.

Le droit est aussi quant à lui évolutif, là où le smart contract sera figé dans ses conditions

prédéfinies, quand bien même elles puissent être complexes et nombreuses. Le code ne

peut connaître l’effet du temps, ce qui pose d’ailleurs une autre problématique au regard

des smart contracts qui peuvent, pour l’instant, être perpétuels, alors que le Code civil

proscrit les engagements perpétuels au regard des articles 1210 et suivants.

55 V. infra note n°16 p. 16.

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Section 2 : l’auto-exécution, un remède à certains contentieux ?

103. Dans la lignée du raisonnement opéré avec la notion de force obligatoire des

contrats, l’auto-exécution induite des smart contracts, bien qu’évacuant l’idée de

« confiance » entre les parties bien souvent, pourrait pour autant diminuer, voire

supprimer certains des risques de contentieux (§1). Une partie des juristes ont alors

avancé potentiellement l’idée d’une nouvelle version d’un certain « arbitrage privé ».

Pour autant, si les smart contracts permettraient probablement d’anticiper et supprimer

certains litiges, force est de constater que certains domaines demeurent par nature,

hostiles à l’imposition de cette auto-exécution élusive des contentieux (§2).

§1. Une solution réductrice des contentieux

104. Automatisme et contentieux. – L’auto-exécution peut avoir de nombreuses

conséquences quant à la sécurité juridique du marché et des contrats. En effet, dans une

grande majorité des cas, les litiges naissent d’une situation d’impayé, donc d’inexécution

d’une des parties à ses obligations.

L’idée introduite ici avec les smart contracts permet de contrer ce type de contentieux,

pourtant si fréquent devant les juridictions : en cas de retard d’exécution par exemple, il

est possible de prévoir cette éventualité au sein du code, et envisager la mise en place de

clauses particulières mettant en place des pénalités de retard automatiquement dues et

payées par la partie dont les obligations ne sont pas remplies. L’inexécution entraîne alors

directement une mise en demeure de cette dernière, et déclenche automatiquement le

paiement des pénalités de retard sur le compte de la partie victime du retard ou de

l’inexécution.

On pourrait penser à première vue que les clauses pénales existent déjà au sein des

contrats, et que, de fait, les smart contrats pourraient se révéler superfétatoires, seulement,

à la différence des clauses pénales qui nécessitent une force exécutoire par un juge si

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jamais elles ne sont pas respectées, les smart contracts quant à eux prélèvent directement

la somme pour la transférer à la partie victime de l’inexécution.

Si cette solution peut paraître sévère pour la partie qui ne s’exécute pas, force est de

constater qu’elle demeure source d’efficacité et de rapidité pour la partie qui est

« victime » de cette inexécution, puisqu’elle se voit directement payée de l’indemnité de

retard, et pour le compte de laquelle la mise en demeure est directement envoyée

automatiquement, sans démarche supplémentaire de sa part.

Le gain se chiffre non seulement en termes d’efficacité, mais surtout de temps et d’argent

au regard des procédures à mettre en place et des frais de gestion parfois.

Au sein de cette automatisation donc, nul besoin d’aller devant le juge pour permettre

l’exécution effective de ces clauses pénales, ou de toute autre mise en demeure, les smart

contracts éludent le contentieux de l’inexécution et prévoient un paiement automatique.

105. De minimis non curat praetor. – A l’aune de cette locution latine, le préteur (juge

romain) ne se préoccupe pas des choses mineures. Aussi, ce raisonnement va dans le

même sens que celui des consommateurs, qui hésitent souvent à engager des frais de

justice pour des litiges portant sur un bien moindre montant.

Si en France, l’action de groupe instituée par la loi du 17 mars 201456 s’avère être un

remède à ce type de « contentieux oublié » ou encore « délaissé », en permettant aux

consommateurs de se regrouper pour porter devant le juge un litige, portant parfois sur

de faibles montants, force est de constater qu’il ne désengorge pas les tribunaux, quand

bien même les actions soient peu nombreuses pour l’instant (probablement car encore

quelque peu méconnues).

On pense d’ailleurs au litige envers Foncia, première action de groupe ayant abouti à une

transaction, pour laquelle le préjudice individuel se chiffrait à environ 2€ par mois et par

personne. Cependant, avec le rassemblement de toutes les personnes concernées, le litige

avait finalement pris une ampleur considérable, se chiffrant à des millions. Seul, le

consommateur n’aurait pas agi pour un litige de 24€ sur une année.

56 Loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation

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L’idée est un peu répliquée en matière de smart contracts, à la différence que ce n’est pas

le nombre de demandeurs qui peut influer, mais bel et bien l’automatisation.

En effet, l’automatisation peut être un remède non seulement au contentieux, en

permettant le versement automatique des sommes dues, pénalités de retard, etc. mais

surtout un remède pour les consommateurs eux-mêmes, qui hésitent souvent à réclamer

les sommes trop perçues, erronées, ou autre, quand elles sont minimes.

Avec l’automatisation des réclamations, ou plus précisément l’automatisation des

versements et remboursements (notamment, l’exemple des smart contracts en matière de

trafic aérien ou ferroviaires peut être repris ici) par la partie fautive, la réclamation devient

sans objet et les parties sont directement satisfaites.

106. Cas concret d’illustration. - Il convient de reprendre ici pour une illustration

complémentaire, l’exemple de la facture de forfait téléphonique utilisé ci-avant au sein

de la Section 1 : pour mémoire, un individu payait 30.00€ par mois pour des appels et

SMS illimités, ainsi que 40 Giga Octets d’internet, et recevait, après un voyage à

l’étranger, une facture de l’ordre de 450.00€.

A l’aune d’un contrat analogique, ou classique, dans l’environnement actuel, le client

dispose de plusieurs alternatives : négocier avec son opérateur, payer en plusieurs fois,

voire même, si l’on envisage une phase contentieuse, aller jusqu’à contester cette créance

devant un tribunal, en avançant par exemple qu’il est dans l’impossibilité de payer une

telle somme.

Dans un tel cas, l’affaire portée devant le tribunal permet une régulation du contentieux

dite « légale et judiciaire », puisque c’est la loi qui interviendra, exprimée via la bouche

du juge.

Dans le cas des smart contracts, l’exécution automatique met un terme à cette possible

contestation ante-paiement.

Il ne resterait en effet qu’au consommateur malheureux les possibilités de contester ce

prélèvement automatisé « après-coup », aussi post-paiement.

Ici, l’idée de régulation précédemment avancée semble très difficile à mettre en pratique,

et le particulier n’aura aucune garantie de succès a posteriori devant les institutions

judiciaires.

Plutôt que de parler de régulation légale ou judiciaire, il s’agira, dans le cadre des smart

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contracts, d’une régulation par le code lui-même, d’où l’expression Code is law, pouvant

se renverser en Law is code.

§2. Un palliatif absolu ?

107. L’alternative arbitrale algorithmique. - Au sein des structures traditionnelles,

il est loisible aux établissements financiers, aux entreprises, aux parties ou encore aux

tribunaux plus généralement, de modifier ou renverser unilatéralement les transactions

considérées comme illicites, frauduleuses ou pour toute autre raison autorisée par la loi.

Au sein de la blockchain, cette logique ne trouve aucun écho : les parties sont liées par

l’exécution automatisée du smart contract et la marche arrière n’est pas possible. Il

n’existe pas d’autorité supérieure au sein même du code capable de juger si une

transaction est illicite ou non par exemple.

Pour autant, une nouvelle solution alternative est de plus en plus mise en place au regard

des expérimentations récentes sur la blockchain : les parties prévoient, au sein même du

code, un mode de règlement alternatif au litige : elles inscrivent au sein du code, à l’image

du contrat traditionnel, une clause de résolution des litiges via un arbitre ou un juge privé.

Cette modalité est ici encore empruntée au droit commun, qui permet l’insertion de ce

type de clause. Cependant, force est de constater que cette solution contrevient quelque

peu à l’idée de décentralisation issue de la blockchain, puisqu’elle ferait appel à la

subjectivité d’un tiers pour trancher le litige, bien que cela demeure calqué sur la situation

traditionnelle.

En définitive, les appels à un intermédiaire issu de l’architecture traditionnelle de l’édifice

du droit français seront multiples au sein de la présente étude, ce qui renforce l’idée selon

laquelle un système absolu sans confiance demeure relativement difficile à élaborer, mais

qui, dans un autre sens, renforce l’appréhension par le droit des mécanismes de la

blockchain.

En clair, éloigner quelque peu la blockchain de ses principes fondamentaux lui permet

une meilleure adaptabilité aux réalités et aux exigences issues des normes actuelles, et

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favorise son appréhension.

108. La régulation par le code, code is law or law is code ? - Cette idée code faisant

loi, issue des théories de L. Lessig57, en vient ici à permettre d’envisager l’effet contraire,

où la loi est le code en tant que tel, code et loi se confondent et ne forment plus qu’une

seule entité. Outre l’idée selon laquelle selon le code sera la loi des parties, avancée

précédemment, il serait dans le même temps une alternative aux contentieux, servant

d’arbitrage pré-intégré au contrat, rendant quasi-impossible, à tout le moins très difficile,

toute contestation antérieure.

Cette hypothèse est différente de celle présentée ci-dessus, en ce qu’elle n’intègre pas ici

une référence à un arbitre dans le monde réel, mais permet de trancher le litige éventuel

via un algorithme. En revanche, cette solution fait appel à des techniques de justice

prédictive et implique une certaine technicité, mais surtout à une nécessaire foi en le deep-

learning, indispensable à l’appréhension du raisonnement humain transposé à l’ère des

machines.

De plus, pour envisager passer d’un code-loi, à une loi codée, il faut comprendre au

préalable que les smart contracts, pour être en conformité avec l’ensemble des

dispositions légales en vigueur, nécessiteront de s’adapter à ce cadre légal, et devront

donc intégrer les normes telles qu’elles existent dans leur environnement, bien qu’il soit

si particulier.

A la lecture de ces lignes, il ne faut pour autant par en conclure que l’exercice de la justice

puisse être laissé entre les lignes du code.

Si est possible d’envisager de coder l’ensemble du droit des contrats français au sein des

lignes du code des smart contracts, force est de constater qu’il demeurera toujours une

certaine nécessité d’interprétation par les juges.

La visée des smart contracts, il convient de ne pas se méprendre, est celle d’une meilleure

efficacité du contrat dans son exécution, et d’éviter certains litiges qui peuvent en

découler. En aucun cas, le but de cette technologie ne vise à évincer ni les avocats, ni les

57 V. infra, n°31, p. 43

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juges, qui parfois se sentent menacés, d’ailleurs à tort.

109. La loi, toute la toi, est-elle le code ? – Si en réalité il s’avérait possible au fil du

temps, d’intégrer les normes au sein du code qui régule les smart contracts, force est de

constater que cela n’élude en aucun cas la nécessité de tribunaux et ce pour plusieurs

raisons.

La première d’entre elles tient à la nature même de certains contentieux et de certains

domaines, qui ne pourront jamais se voir concernés par des smart contracts : il s’agit ici

de matières comme le droit de la famille, ou le droit du travail.

On peut certes envisager de prévoir des cas d’usages de la blockchain en matière de

gestion du personnel et de ressources humaines, mais en aucun cas prévoir des smart

contracts portant sur des droits personnels en tant que tels.

La seconde raison réside dans la technicité et dans la nouveauté de la blockchain : pour

l’instant, il est encore impossible d’envisager le complet codage du droit tel qu’il est

actuellement, mais au-delà, il est surtout encore inenvisageable, sauf au stade prospectif,

d’imaginer insérer du deep learning et de la justice prédictive au sein des smart contracts,

eux-mêmes encore immatures.

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CONCLUSION TITRE 2

110. « Pour la première fois dans l’histoire des révolutions technologiques, l’une

d’entre elle, au-delà de la révolution internet, a la capacité d’agir sur le pouvoir vertical

et centralisé exercé par les Etats sur la monnaie, sur celui des banques et les transactions

financières, des notaires et les cessions immobilières, des monopoles énergétiques sur la

distribution d’électricité ou de carburants. (…)

Tout transfert d’actifs, conservation de données critiques dans des registres, signatures

contractuelles, sont bouleversés par la blockchain ; d’où le principe des smart contracts.

Une fois lancé, le système gère automatiquement les conditions contractuelles, les termes

et les conditions du contrat entre les contractants. Grâce à la transparence et

l’infalsifiabilité des blocs, chaque intervenant peut vérifier la réalisation et la

justification des termes contractuels et, dans le cas d’une transaction financière, être

automatiquement réglé par transfert bancaire »58.

111. Il y eut les ordinateurs et Internet dans les années 1990, suivis par les téléphones,

les montres, les bracelets connectés, les lunettes, les appartements connectés, les villes

connectées, les voitures, les drones, et même les équipements de santé. Tout a vocation à

être connecté à l’aune de notre XXIème siècle. Certaines études59 évaluent même le

nombre d’objets connectés à 4,9 milliards en 2020, tandis que l’Institution Européen Idate

prévoit quant à lui que le monde en compte 155 milliards en 2025.

Tous ces objets fournissent chaque jour, chaque minute, d’innombrables données, qui

pour l’instant sont stockées sur des serveurs. Serveurs qui, à terme, s’essouffleront et ne

seront plus suffisants. Comment alors gérer massivement ces données, leur

automatisation de traitement, et les litiges qui en découlent ?

En marge de cette « connexion » massive du monde, la blockchain pourrait répondre à

cette future explosion des interactions entre objets connectés.

S’il ne fait aucun doute qu’elle puisse régir des situations tant internes qu’externes à la

58 Extrait de la préface de La blockchain décryptée, Les clefs d’une révolution, par Joël de Rosnay. Editions Broché, 2016 59 Etude du Cabinet Gartner réalisée fin 2015.

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blockchain grâce aux oracles, il ne fait aucun doute non plus qu’elle saura s’adapter au

flux de données des objets connectés.

Avec la blockchain et ses smart contracts, les objets, en plus des êtres humains, pourront

interagir ensemble et faire des transactions, tel est le futur que réserve la blockchain.

Toutes ces perspectives impliquent aussi que les objets connectés bénéficient de tous les

avantages de la blockchain et des smart contracts : automatisation, décentralisation,

transparence, sécurité, immutabilité, garantie de l’exécution. Tous ces éléments sont une

force de la blockchain aujourd’hui, et favorisent non seulement son appréhension

juridique, mais plus largement son appréhension générale dans la société.

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CONCLUSION PARTIE 1

112. Les smart contracts ont pour ambition de créer une société dans laquelle les

utilisateurs pourraient établir simplement et automatiquement des rapports juridiques.

A l’heure actuelle, il n’est pas possible d’affirmer que le smart contract est purement un

contrat, c’est un fait. Pour autant, nous l’avons détaillé au regard des modalités de

formation, puis au sein du présent titre, des modalités d’exécution, les smart contracts se

présentent comme une source d’apports non négligeables pour le droit des contrats, à la

condition qu’ils deviennent une technologie plus mature et que les juristes, surtout,

travaillent de concert avec les développeurs pour envisager une rédaction plus sûre et

efficace.

L’objet de la présente étude est, il convient de le rappeler une fois de plus, une démarche

absolument prospective, en ce que nous sommes convaincus que les smart contracts

auront vocation à revenir très rapidement sur le devant de la scène juridique.

Sur ce point, ils font d’ailleurs parler de manière croissante d’eux, et deviennent de plus

en plus l’objet des préoccupations des régulateurs, et même de certaines institutions

incontournables du domaine juridique, notamment le Conseil National des Barreaux ou

encore la Caisse des Dépôts, qui envisagent tous deux de mettre en place des blockchains

privées ou hybrides, et pour la Caisse des Dépôts, d’envisager des smart contracts.

113. Là encore, vient aussi la question, après celle des régulateurs et de leurs usages en

cours de développement des smart contracts, de la régulation.

L’appréhension des smart contracts, pour certains, nécessite sans nul doute une régulation

par la loi, ne serait-ce que pour les définir premièrement, et pour ensuite leur déterminer

un cadre légal de formation et d’exécution contractuelle.

Pour d’autres, cette idée n’est absolument pas une priorité et met en péril la technologie

même, qui se veut par nature décentralisée.

Enfin, certains proposent, bien qu’ils aient une idée bien plus contrastée des smart

contracts et de leur accueil au sein du droit français (Partie 2), la mise en place de soft

law, qui a tendance à se multiplier ces dernières années qu’il s’agisse du droit français ou

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européen.

En effet, une certaine promotion de « best practises » voit le jour depuis quelques temps :

« National law does not create effective solutions to prevent code-based problems, but a

better solution may be a combination of a pooling of sovereignity to create global

standards in support of effective code and protect users’ rights60 ».

(Traduction : La loi nationale ne crée pas de solution efficace pour éviter les problèmes

issus du code, mais une meilleure solution pourrait être trouvée en combinant une mise

en commun des souverainetés pour créer des normes mondiales pour appuyer le

développement d’un code efficace et protéger le droit des personnes.)

60 I. BROWN et C. MARSDEN, Regulating code : Good governance and better regulation in the information age, MIT Press, 2013, p. 6

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Partie 2 : Une réception contrastée des smart contracts en

droit français

114. « Très en vogue aujourd’hui, les smart contracts intéressent autant qu’ils font

peur ».

Avec une telle formulation, P. De Filippi a su résumer avec exactitude les problématiques

que connaissent l’ensemble des nouvelles technologies au stade de leur émergence.

En matière de blockchain, le sujet passionne, divise, suscite l’exaltation et le renouveau,

ou au contraire des doutes et craintes. Pourtant, les enjeux et les bénéfices de cette

nouvelle technologie méritent une analyse précise et exhaustive, en ce qu’elle s’installe

progressivement au sein des structures établies (banques, assurances, hôpitaux, etc.).

Après avoir envisagé la réception favorisée par le droit français de ce nouveau mode de

contractualisation dans une première Partie, il conviendra d’opter pour une analyse

parallèle, mettant cette fois en exergue les sérieux doutes et problématiques que peuvent

mettre en avant les smart contracts au regard des grands principes contractuels

traditionnels (Titre 1).

Par ailleurs, pour les juristes, une technologie nouvelle suscite toujours des interrogations.

Ainsi, comme ce fut le cas pour l’émergence de l’internet, ces derniers se demandent

instinctivement si le droit positif sera suffisamment flexible, ou au contraire à adapter,

pour accueillir cette nouvelle technologie (Titre 2).

On sait pourtant que le droit ne précède jamais l’innovation.

L’idée est ici calquée en matière de blockchain, et par opposition aux juristes qui

préconisent souvent une régulation au plus tôt, les techniciens et développeurs ont quant

à eux, une certaine hostilité avec l’idée même de régulation, qu’ils considèrent comme un

risque d’étouffement de l’innovation et surtout, comme paradoxale au regard de la

décentralisation intrinsèque à la blockchain.

La démarche des présents titres sera alors d’évaluer les modifications à envisager au

regard du droit actuel, pour permettre de créer un écosystème juridique d’accueil le plus

favorable, efficace, et le moins entravant possible au regard de l’émergence progressive

de la blockchain.

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Titre 1 : Une appréhension contrastée des smart contracts au regard

du droit des contrats français

115. Dans la continuité du « Vocabulaire de l’informatique » paru le 23 mai 2017, il

ne parait pas invraisemblable qu’un vocabulaire ultérieur, plus détaillé et plus complet,

soit développé au sein d’une loi ou d’un décret, mentionnant cette fois expressément les

smart contracts, jusqu’alors oubliés.

Ces derniers ne sont cependant pas les seuls à mériter une reconnaissance, dans la mesure

où les « objets » des transactions opérées par smart contracts sont eux aussi, les grands

absents des normes françaises.

Le débat s’élève alors, au regard des démonstrations de ce Titre, sur le point de savoir s’il

est nécessaire de créer un nouveau cadre légal, ou de simplement prévoir une adaptation

de l’existant. Bien que les smart contracts puissent faire preuve dans une certaine mesure

d’adaptabilité à l’écosystème normatif préexistant, il ne semble pas pour autant

souhaitable de calquer le régime du droit des contrats mot pour mot, mais plutôt d’y

préférer un nouveau cadre juridique sur mesure, quitte à faire certains emprunts aux

normes existantes sur plusieurs points qui seront étudiés.

En effet, de nombreux obstacles semblent se dessiner pour remettre en cause une

appréhension précoce par le droit français des smart contracts, si particuliers (Chapitre

1).

116. Ensuite, la désintermédiation, pierre angulaire de la blockchain, et tout autant des

smart contracts, est un élément incontournable pour son appréhension, pour laquelle la

prise en compte sera absolument nécessaire dans l’élaboration éventuelle d’un nouveau

dispositif juridique.

Cette désintermédiation bouleverse l’économie des contrats telle que nous pouvons la

connaître, surtout en matière d’exécution, notamment en évinçant certaines notions qui

pourtant, semblaient essentielles, ce qui peut aussi constituer une explication au fait que

la doctrine puisse parfois accueillir les smart contracts de manière assez hostile (Chapitre

2).

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Chapitre 1 : Une application à tous les contrats ?

117. Au regard de la technicité et complexité des technologies issues de la blockchain,

le sujet nécessite un travail relativement important et de concert entre juristes spécialisés

en nouvelles technologies et développeurs, qui auront quant à eux, une vision technique

des aspects des smart contracts.

Pour autant cette collaboration, si elle peut être gage d’efficacité et de sécurité au sein de

la phase rédactionnelle, n’implique pas davantage que tous les cas d’usages soient

envisageables en matière de blockchain.

En effet, il n’est pour l’instant pas possible de considérer que les smart contracts puissent

être l’avenir de tous les contrats (Section 1), étant donné que de nombreuses difficultés

principalement statutaires et techniques persistent (Section 2).

Ces considérations, non sans conséquences, permettent d’affirmer qu’à l’heure actuelle,

il n’est pas envisageable de transposer tous les contrats en une suite linéaire d’obligations

auto-exécutantes.

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Section 1 : Les limites des programmations informatiques : d’impossibles smart contracts

118. Les smart contracts sont techniquement et culturellement très éloignés de

l’environnement familier aux juristes. En effet, par rapport aux techniques contractuelles

classiques que manient quotidiennement les juristes, les smart contracts peuvent mettre

en lumière certaines difficultés de transposition (§1) et renforcer les clivages juridico-

technologiques existants.

De ces clivages naissent, à l’apparition de chaque nouvelle technologie, certains

mouvements et courants de pensées relativement controversés, et empreints de

scepticisme. Ce fut le cas pour les prémices de l’Internet, et la blockchain et ses smart

contracts ne sont pas épargnés des controverses à leur tour.

Si nous pouvions témoigner d’une réception favorisée des smart contracts par le droit des

contrats français au sein de la première Partie de cette étude, force est de constater que

les impressions laissées par les smart contracts ne sont pas toujours aussi lisses et bien

accueillies par les juristes (§2).

Cette certaine distance et dureté de la doctrine se voit par ailleurs renforcée par

l’émergence concomitante à celle de la blockchain, de normes internationales qui

pourraient être en contrariété avec les principes mêmes de cette technologie.

§1. Des contrats difficilement programmables

119. D’impossibles smart contracts. - Bien que les smart contract semblent se poser

comme un avenir plus que certain pour nombre d’opérations dans divers domaines, force

est de constater que l’appellation de « contrat intelligent » ne leur confère pas pour autant

un caractère absolu et réalisable pour tous les cas de figure.

Par ailleurs, elle ne signifie pas plus que les « anciens contrats » en sont moins intelligents

pour autant, ce terme est d’ailleurs mal choisi, raison pour laquelle il a été évincé au

maximum de la présente étude, au sein de laquelle il a été préféré le terme ‘automatisé’.

Partant, le terme de smart contract prête quelque peu à confusion : s’ils sont des suites de

vérifications et automatisations d’obligations contractuelles, ils ne sont pas pour autant

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dotés automatiquement d’une valeur juridique. C’est d’ailleurs là toute la difficulté à

laquelle se heurte le législateur ou encore les hautes instances européennes, qui

réfléchissent timidement à un encadrement de ces contrats, jusqu’alors absents du

paysage juridique actuel. Il leur incombe évidemment de se référer à des catégories de

contrats visés et mis en application au sein des smart contracts, tâche qui s’avère loin

d’être simple au regard des complexités de tous les droits superposés, tant nationaux

qu’internationaux.

Pour qu’un contrat existe juridiquement, la loi impose cumulativement des conditions de

fond, ainsi que des conditions de forme. Cependant, ces exigences légales demeurent à

géométrie variable selon le type de contrat envisagé.

En effet, tout contrat ne saurait être transposé en contrat auto-exécutant que peut

constituer le smart contract. Pour pouvoir comprendre l’ensemble de ces limites

techniques et juridiques à la conclusion des smart contract, il convient notamment de

prendre plusieurs exemples qui peuvent s’avérer démonstratifs.

120. Illustrations concrètes. - En premier lieu, il semble difficile de coder par exemple

les baux d’habitation, et cet exemple s’avère probant de par sa complexité.

Dans le cadre d’une location saisonnière mise en place avec le système de clef

automatisée délivrée lors de la réception du paiement par le locataire temporaire (exemple

notamment issu des services mis en place par la société allemande Slock.it), cela ne pose

aucun problème dans la mesure où la législation encadrant les locations saisonnières est

bien moindre qu’en matière de baux d’habitation classiques.

Dans ces derniers en revanche, l’impossibilité demeure marquée : toutes les normes

encadrant le droit au bail et les baux d’habitation font obstacle, pour l’instant peut-être, à

l’automatisation complète de ce type de contrat.

On ne saurait admettre, au regard des dispositions protectrices des locataires, que le

preneur d’un bail se retrouve expulsé suite à un blocage automatisé de la serrure

électronique, ayant pour cause un impayé de sa part notamment.

De nombreuses dispositions, telles que celles de l’article L613-3 du Code de la

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construction et de l’habitation61 prévoyant une interdiction d’expulsion durant la période

de trêve hivernale, empêchent la réalisation d’une automatisation en matière de baux

d’habitation.

Pour toutes ces raisons et obstacles, la transformation d’un contrat de bail d’habitation en

smart contract ne pourrait s’avérer que partielle. En effet, si certaines modalités

demeurent impossibles à retranscrire dans le code, d’autres en revanche ne poseraient

aucun problème : c’est le cas par exemple de l’émission de tout avis d’échéance, quittance

de loyer ou encore relance qui serait générée automatiquement en fonction du paiement

(ou non) du locataire au bailleur.

Le cas du contrat de bail s’avère marquant dans la mesure où il est un contrat fréquent au

sein du quotidien des consommateurs et citoyens, et permet de prendre en compte toute

la dimension des difficultés encore patentes en matière de smart contracts et de leur

programmation.

Dans la mesure où un contrat se voit assorti de droits personnels et de droits

fondamentaux pareils à ceux octroyés par le contrat de bail, ces types de contrats semblent

difficiles à appréhender pour l’instant sous la forme de smart contracts.

Cette position n’est pas surprenante au regard de l’immaturité prégnante de la blockchain

et de ses technologies, et a vocation à se voir atténuer au fil des évolutions. Cependant,

en l’état de l’art, il est pour l’instant nécessaire de souligner les limites contractuelles et

techniques qui semblent freiner l’émergence d’un écosystème complet de smart contracts.

Il est alors possible d’opter pour une position plus contrastée en matière de smart

contracts : tout contrat ne peut être transposé en suite binaire d’obligations auto-

exécutantes.

61 Article L613-3 du Code de la construction et de l’habitation : « Nonobstant toute décision d'expulsion passée en force de chose jugée et malgré l'expiration des délais accordés en vertu des articles précédents, il doit être sursis à toute mesure d'expulsion non exécutée à la date du 1er novembre de chaque année jusqu'au 15 mars de l'année suivante, à moins que le relogement des intéressés soit assuré dans des conditions suffisantes respectant l'unité et les besoins de la famille. Les dispositions du présent article ne sont toutefois pas applicables lorsque les personnes dont l'expulsion a été ordonnée sont entrées dans les locaux par voie de fait ou lorsque ceux-ci sont situés dans un immeuble ayant fait l'objet d'un arrêté de péril. »

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§2. L’émergence d’un certain scepticisme à l’égard des smart contracts

121. Une disruption inquiétante. - A toute chose nouvelle se rattachent la

circonspection et les doutes qui l’accompagnent. La blockchain ne fait pas échec à ce

fait : de par sa nouveauté, beaucoup demeurent encore sceptiques quant aux possibilités

quasi infinies de cette technologie.

Une des premières problématiques soulevée à l’égard de la blockchain est celle de la

question du droit à l’oubli numérique, qui se pose en principal contradicteur du caractère

immuable de la blockchain.

122. Genèse du droit à l’oubli numérique. – Bien que cette notion n’ait encore

aucune définition officielle, et ne soit consacrée en droit français pour l’instant, elle

recouvre la question de la publicité d’une information ancienne et de son stockage.

La blockchain, avec son caractère infalsifiable, mais surtout immuable, semble poser

problème au regard de l’exercice de ce nouveau droit, dont il convient de faire la genèse.

La Loi Informatique et Libertés du 6 janvier 1978 conférait déjà depuis sa promulgation

un droit de suppression ou de rectification des données personnelles collectées et

enregistrées, pour autant, aucune mention de « droit à l’oubli » n’était quant à elle

abordée.

Si c’est une notion juridique qui donc n’existait pas encore dans les mécanismes normatifs

existants et en vigueur, il a fallu attendre près de 35 ans pour qu’elle soit implicitement

consacrée par la Cour de Justice de l’Union Européenne dans un arrêt du 13 mai 201462 :

l’exploitant d’un moteur de recherche sur internet est responsable du traitement qu’il

effectue des données à caractère personnel qui sont publiées sur les pages web, et à ce

titre, il se doit d’effacer les pages et liens délivrant des données personnelles lorsqu’un

utilisateur en exprime la demande.

62 CJUE, n°C-131/12, Google Spain, 13 mai 2014

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En l’espèce, un citoyen espagnol, lorsqu’il tapait son nom sur le moteur de recherche, se

voyait directement mené à des pages annonçant une vente aux enchères immobilières à

la suite d’une faillite personnelle datant de 1998. Voulant laisser derrière lui ce passé

endetté, ce dernier avait saisi l’Agence de Protection des Données en Espagne (AEDP)

pour faire retirer ces liens et pages concernant son passé, qu’il jugeait désormais non

pertinents au regard du rétablissement de sa situation financière.

L’Agence espagnole avait alors accédé à sa demande, demandant à son tour à Google

Spain de supprimer lesdites pages, ce à quoi ils ont refusé de procéder.

Face à ce refus, l’AEDE saisissait la Cour de Justice de l’Union Européenne.

A l’issue d’un raisonnement pointu et détaillé, sur la base de la directive du 24 octobre

1995 sur la protection des personnes à l’égard du traitement des données63, la Cour a

considéré que Google se devait de répondre aux exigences de ses utilisateurs lorsqu’ils

souhaitaient obtenir la suppression d’un lien ou d’une page spécifique.

Les contours d’une définition de ce nouveau droit se dessinaient alors : il s’agit d’un droit

permettant d’écarter tout risque d’atteinte de la personne, émanant d’une utilisation à son

insu de données la concernant. Comportant deux volets : un droit à l’effacement, et un

droit au déréférencement, le droit à l’oubli implique que l’introduction des données sur

internet de la propre initiative de la personne ou de celle d’un tiers n’importe pas.

123. Une consécration réglementaire du droit à l’oubli. – Si jusqu’alors les textes

ne mentionnaient jamais explicitement ce nouveau droit, que l’on soit dans le cadre légal

français ou européen, le nouveau Règlement Général Européen en matière de Protection

des Données64 (RGPD), d’application directe et qui entrera en vigueur le 25 mai 2018,

met un terme à ce silence.

A la lecture de l’article 17 dudit Règlement, « la personne concernée a le droit d'obtenir

du responsable du traitement l'effacement, dans les meilleurs délais, de données à

caractère personnel la concernant et le responsable du traitement a l'obligation d'effacer

63 Directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données. 64 Règlement 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, abrogeant la directive 95/46/CE.

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ces données à caractère personnel dans les meilleurs délais ».

S’appliquant à toutes les entreprises et secteurs qui collectent des données personnelles,

le Règlement a vocation à s’appliquer tout autant à la blockchain et ses utilisateurs, quels

qu’ils soient.

124. Blockchain et droit à l’oubli, deux antagonistes ? – La blockchain, de par son

inaltérabilité, semble accentuer fortement la problématique du droit à l’effacement des

données au stade de développement auquel elle se trouve à l’heure actuelle.

Au regard des expérimentations menées jusqu’au mois de juin 2016, il n’y avait en effet

aucun acteur majeur capable d’affirmer pouvoir mettre en place cette idée de « retrait »

des données via la blockchain.

Cependant, pour atténuer quelque peu cette incertitude, il convient de préciser qu’il

n’existe, pour l’heure, aucun « moteur de recherche » à l’image de Google sur la

blockchain, permettant de rechercher des informations sur un individu, des smart

contracts passés, seule la consultation du registre est possible, et peut prendre un temps

colossal.

En revanche, la propriété de « registre public » que l’on confère à la blockchain ne permet

pas de faire disparaître les données contenues dans ce grand livre, c’est bien en ces

constatations que la problématique reste, pour l’instant, encore irrésolue.

Par ailleurs, au regard du raisonnement précédent concernant l’identification et son

imposition au fur et à mesure, l’idée de partage et traitement de données personnelles ne

fera que s’accroître, et la conformité au RGPD sera elle aussi davantage réclamée, surtout

au regard de la sévérité des sanctions encourues en cas de non-conformité (notamment,

20 millions d’euros, et pour une entreprise, jusqu’à 4% du chiffre d’affaire annuel

mondial total).

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Section 2 : Les difficultés patentes liées à la formation des smart contracts

125. Les smart contracts, s’ils ne sont pas (encore) considérés des contrats, sont

considérés pour l’heure comme des clauses programmées pour exécuter des actions

spécifiques. A la différence du contrat analogique, classique, qui va définir les modalités

d’engagement et les obligations des parties, on superpose avec le smart contract

premièrement une vérification automatique des conditions arrêtées par les parties, et

ensuite une exécution automatique des termes du contrat en conséquence.

Néanmoins, il convient de souligner que le smart contract reste pour l’heure à une étape

primitive de son développement, et se heurte à des questions persistantes, tant sur leurs

objets (§1), que sur les aspects techniques dont ils ne peuvent se défaire (§2).

En effet, les blockchains fonctionnent généralement avec des monnaies virtuelles

programmables à l’image de celle du Bitcoin. Pour autant, ce mode de fonctionnement

n’est pas une vérité absolue, puisqu’il arrive de rencontrer des blockchains sans monnaies,

et dont le but peut être simplement la diffusion et le partage de données et informations.

Ces dernières, plus rares, ne posent pas de problématique particulière au regard de leur

objet, et ne feront pas l’objet d’une mention particulière au sein de ce paragraphe.

§1. La difficile appréhension des objets d’opérations sur la blockchain : l’exemple

du Bitcoin, un « objet » juridique sans statut

126. A l’heure actuelle, les smart contracts et la blockchain prévoient des opérations et

plus principalement des transactions, seulement à l’aide de cryptomonnaies.

Il en existe à l’heure actuelle plus de six-cent différentes dans le monde, avec un mode

de fonctionnement proche de celui du Bitcoin.

Ces dernières, prédéfinies au sein du propos introductif comme des « monnaies »

numériques alternatives et basées sur la cryptographie, posent pourtant une problématique

de taille en matière de valeur : au milieu de l’année 2017, les cryptomonnaies n’ont

toujours pas de statut juridique, et se sont retrouvées par défaut considérées comme des

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« biens meubles ». C’est notamment le cas du Bitcoin, mentionné lui aussi au sein du

propos introductif. Etant la cryptomonnaie la plus ancienne et la plus connue pour l’heure,

il s’avère nécessaire de le prendre comme exemple pour aborder ici le statut de ces

cryptomonnaies, qui pourtant, transitent chaque jour en masse sur le réseau via les

blockchains.

127. Les tentatives de définition. - Le « Vocabulaire de l’informatique » paru au

Journal Officiel en date du 23 mai offre une définition très approximative en matière de

cryptomonnaies, qu’il rebaptise, à tort peut-être, comme étant des « cybermonnaies » :

elles sont une « monnaie dont la création et la gestion reposent sur l’utilisation des

techniques de l’informatique et des télécommunications ».

A titre liminaire, il convient de préciser ici que le Bitcoin est l’exemple le plus connu et

le plus représentatif pour l’heure sur la blockchain, cependant, la problématique est à

calquer sur toutes les autres cryptomonnaies nées, ou à naître (notamment l’Ether, le

Litecoin, Darkcoin, DogeCoin, Solarcoin, etc.).

Les échanges et flux de Bitcoins sur la blockchain sont permanents et extrêmement

nombreux, c’est pourquoi il semble relativement paradoxal que cette « monnaie » n’aie

pourtant aucun statut jusqu’alors.

En effet, l’émission pourtant croissante de cette dernière ne rentre actuellement dans

aucune des « cases » du Code monétaire et financier, ou même des réglementations

européennes en vigueur.

Tantôt qualifié de « mesure financière pouvant servir de support à des contrats

financiers », « unité de mesure monétaire », ou encore d’« indice financier », le Bitcoin

était malmené par tant de spéculation autour de sa qualification.

Pour autant, les professionnels de l’informatique et les principaux acteurs de la

blockchain ne sont pas les seuls à s’être préoccupés de cette problématique, pour laquelle

la Cour de Justice de l’Union Européenne s’est finalement inquiétée il y a moins de deux

ans : dans un arrêt du 22 octobre 2015, la Cour consacre que le Bitcoin est un « moyen

de paiement », et qu’à ce titre, il peut bénéficier des exonérations de TVA prévues pour

les opérations financières :

« La devise virtuelle ‘bitcoin’ étant un moyen de paiement contractuel elle ne saurait,

d’une part, être regardée ni comme un compte courant ni comme un dépôt de fonds,

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un paiement ou un virement. D’autre part, à la différence des créances, des chèques

et des autres effets de commerce (…), elle constitue un moyen de règlement direct

entre les opérateurs qui l’acceptent. 65»

128. L’absence de statut officiel. - Pour autant, bien que satisfaits de la prise en

compte de cette cryptomonnaie par la haute instance européenne, les protagonistes en la

matière ont rapidement considéré que l’arrêt disait tout, mais rien à la fois, et surtout ne

lui consacrait aucun statut juridique précis.

Malgré sa dénomination de « reine des cryptomonnaies66 », la monnaie décentralisée

qu’est le Bitcoin n’est juridiquement ni une monnaie « légale » comme peuvent l’être par

exemple l’euro, le dollar, ou encore la livre pour citer les plus connus, ni une monnaie

électronique, ni même tout autre instrument de paiement tels que ceux connus jusqu’alors.

129. Une monnaie légale ? - Premièrement, il ne s’agit pas d’une monnaie légale.

En effet, Jean Carbonnier précisait à leur sujet : « les trois fonctions que l’économie

politique assigne à la monnaie quand elle la définit comme intermédiaire des échanges,

mesure des valeurs, réservoir de liquidité́ – se traduisent par autant de fonctions

juridiques : la monnaie est moyen de paiement, instrument d’évaluation, objet de

propriété́ »67.

Dans sa conception traditionnelle, la monnaie est un bien dont la valeur et la production

sont garanties par l’État. Pour ce type de monnaie, on parle alors d’effet libératoire68 : le

débiteur est libéré de sa dette d’argent une fois qu’il a remis à son créancier la quantité

de monnaie qu’il lui devait. Cet effet dit « libératoire » s’opère de plein droit.

Parmi les monnaies légales, il en existe deux subdivisions : la monnaie fiduciaire (les

pièces et billets) et la monnaie scripturale (les écritures en compte détenues au sein des

établissements financiers). Pour payer au moyen de la deuxième, il convient d’obtenir des

65 CJUE, n° C-264/14, Arrêt (JO) de la Cour, Skatteverket/David Hedqvist, 22 octobre 2015 66 M. ROUSSILLE, Le Bitcoin : objet juridique non identifié, Revue Banque et Droit, n°159, Janvier-Février 2015, p29 à 31 67 J. CARBONNIER, Droit civil, Les biens, Les obligations, PUF, coll. « Quadrige », 2004, n° 688, p. 1560 68 M. BALI, Les cryptomonnaies, une application des blockchain-technologies à la monnaie : RD Bancaire et fin. 2016, étude 8, n° 5

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instruments de paiement, sur lesquels nous reviendrons ci-après en matière de

cryptomonnaies.

En matière de Bitcoin, afin d’exclure la qualité de « monnaie » se pose alors la question

de son origine ainsi que celle de son effet libératoire. Pour ce qui est de l’origine, le fait

qu’il émane de la blockchain, organe décentralisé et partagé, exclut premièrement le

qualificatif de « monnaie légale ». L’effet libératoire dans un second temps, vient lui aussi

corroborer cette inadéquation de qualification : pour pouvoir obtenir libération après son

paiement, le débiteur doit tout de même obtenir un accord du créancier pour le règlement

dans cette « devise ». Le créancier n’est d’ailleurs contraint par aucune disposition à

l’heure actuelle, d’accepter le Bitcoin en échange de toute prestation ou produit. En

revanche, si la qualification de monnaie légale semble éludée, on s’interroge ensuite sur

la possible qualification de monnaie électronique que pourraient revêtir le Bitcoin et les

autres cryptomonnaies.

130. Une monnaie électronique ? - Partant, il convient de se pencher sur la définition

et les aspects de cette « monnaie électronique » en tant que telle.

Sur ce point, le « Vocabulaire de l’informatique » précité, paru au Journal officiel délivre

une définition, là encore, plus que sommaire, il nous apprend sans surprise qu’elle est une

« monnaie dont les unités de compte sont stockées sur un support électronique ».

De fait, on ne peut considérer que cette consécration permette de dégager une

qualification pour le Bitcoin.

A l’aune des dispositions du Code monétaire et financier, qui résultent elles-mêmes de la

transposition d’une directive de 200969, la monnaie électronique suppose une créance sur

l’émetteur et offre au détenteur un droit au remboursement garanti opposable à celui-ci70.

De fait, il ne peut y avoir de monnaie électronique sans remise de fonds, et la monnaie

électronique ainsi créée a obligatoirement une « contre-valeur » égale à la somme remise

lors de l’émission.

En analysant de plus près le Bitcoin une fois encore, on remarque que le Bitcoin n’est pas

69 Directive 2009/110/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 concernant l’accès à l’activité́ des établissements de monnaie électronique et son exercice ainsi que la surveillance prudentielle de ces établissements, modifiant les directives 2005/60/CE et 2006/48/CE et abrogeant la directive 2000/46/CE 70 Article L315-1 du Code monétaire et financier.

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à l’origine d’une personne déterminée, puisqu’il est émis par un ensemble de mineurs au

sein de la blockchain. Par ailleurs, naissant d’une programmation, l’émission de Bitcoin

n’est pas non plus conditionnée par une remise de fonds, ce qui, là encore, fait échapper

la cryptomonnaie du qualificatif de monnaie électronique.

131. La proposition d’un régime sui generis. - Les deux qualifications ne

conviennent donc pas, et quid des autres proposées dans le Code précité ?

Sur ce point, l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne apporte des éléments

concrets : ces cryptomonnaies ne sont pas des instruments de paiement au sens de l’article

L133-4 c)71 ; pas non plus un instrument financier avec la liste exhaustive à l’article L211-

1 ; toujours pas des « mesures financières » pouvant servir comme support de contrats

financiers, au sens cette fois de l’article D.211-1 A 1, et enfin pas à un « indice » au sens

de l’article L465-2-1, qui emporterait ensuite compétence de l’Autorité des Marchés

Financiers pour réguler et sanctionner les pratiques sur le marché.

Aujourd’hui donc, sous l’angle strictement financier, le Bitcoin ne trouve écho dans

aucune des définitions proposées par le Code monétaire et financier, bien qu’il permette

pourtant, lui mais aussi les autres cryptomonnaies, de régler des « achats » sans l’aide

d’une banque et sans communication d’une quelconque coordonnée bancaire ou code

secret de carte bancaire.

Monnaie décentralisée, cryptomonnaie... Tous ces termes désignent un état de fait sans

pour autant qu’aucun régime applicable ne soit encore érigé.

La présente étude a vocation à proposer l’établissement d’un régime sui generis, qui

s’avère être indispensable à la matérialisation des opérations sur la blockchain et leur

reconnaissance.

Le Bitcoin, ou les autres, sont à mi-chemin entre monnaie et actifs financiers, sans pour

autant se rapprocher complètement de l’un ou de l’autre. C’est pour cette raison qu’il

revient au législateur de proposer un régime hybride, et sur mesure, à ces cryptomonnaies.

Et cette fois, surtout, de ne pas les considérer qu’au regard de leur support, mais envisager

toute leur complexité dans un cadre général.

71 « Un instrument de paiement s'entend, alternativement ou cumulativement, de tout dispositif personnalisé et de l'ensemble de procédures convenu entre l'utilisateur de services de paiement et le prestataire de services de paiement et auquel l'utilisateur de services de paiement a recours pour donner un ordre de paiement ».

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Sur ce point, la Banque Centrale Européenne recommandait de les considérer comme des

« digital representation of value » ou DRV (traduit en représentation numérique de valeur

– RNV), utilisables comme moyen d’échange plutôt que comme moyen de paiement.

Cependant, ce début de recommandation s’achevait bien vite en laissant le soin de

légiférer au sujet des cryptomonnaies aux législateurs nationaux, ce qui ne fit guère

avancer le débat, qui a stagné jusqu’alors, ne permettant, par analogie, toujours pas de

reconnaissance des opérations créées sur la blockchain.

132. Notions de droit comparé. – Pour parachever l’étude de l’objet juridique

« fantôme » des smart contracts, il convient de se pencher sur les cadres légaux rencontrés

à l’échelle mondiale en matière de cryptomonnaie.

Malgré l’absence de cadre légal général au niveau mondial, les paiements en

cryptomonnaies ne sont pas pour autant pas impossibles. En effet, de nombreuses

corporations internationales les acceptent au titre de mode de paiement ou d’échanges

commerciaux : Amazon, Tesla, Apple, Microsoft, etc.

Il n’existe pour autant aucune convention ni aucune harmonisation, internationale

européenne, en matière de cryptomonnaie, et chaque état demeure libre de fixer son

propre cadre.

Certains états ont alors tranché en faveur d’une réception de la notion de cryptomonnaie,

souvent pour le Bitcoin : on pense ici à l’Australie, le Canada, les Etats-Unis, la Suisse

ou encore le Brésil, qui ont intégré le Bitcoin comme monnaie.

D’autres, plus pragmatiques dans leurs démarches, ont pour l’instant souhaité opter pour

une position plus neutre, en ne leur conférant aucun statut ni aucune qualification : c’est

ici le cas de la France, mais aussi de la Belgique, et d’Hong Kong.

Enfin, d’autres pays, asiatiques pour la plupart, ont à l’inverse fait preuve d’hostilité

envers les cryptomonnaies, en les interdisant et les déclarant comme illégales, comme

c’est le cas au Vietnam ou en Thaïlande.

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§2. Les difficultés techniques : des obstacles à l’appréhension des smart contracts

133. La contrainte de l’environnement informatique. – Le premier aspect technique

à envisager en matière de smart contract et qui pourrait nuire à leur appréhension est celui

du code informatique en lui-même. Toute condition programmée se doit être vérifiée ou

vérifiable au moyen de la blockchain (sur ce point, se référer aux points n°82 et suivants :

la nécessaire réalisation de conditions d’exécution strictement définies).

En conséquence, la vérification de ces conditions, pour être la plus efficace, authentique

et rapide possible, se devra d’intervenir de manière informatique, soit au sein du

programme même, et donc dans le même écosystème informatique.

Cependant, pour l’heure, les blockchains ne sont pas encore, pour la plupart,

interdépendantes ou interconnectées entre elles, ce qui peut parfois créer une certaine

barrière technologique, qu’il conviendra de résoudre.

Cela limite donc les informations auxquelles le programme du smart contract peut avoir

accès selon les types de contrats et leur environnement, et donc par destination, limite

pour l’instant la création/conclusion des smart contracts eux-mêmes.

134. La crainte du « bug ». – Si les difficultés techniques se focalisent sur

l’environnement informatique intrinsèque à la blockchain, il n’est pour autant pas

directement le seul point d’ancrage des craintes de la doctrine et des acteurs de la sphère

technologique.

En effet, les smart contracts, et plus globalement la blockchain sur laquelle ils évoluent,

sont soumis aux contraintes similaires à tout programme informatique, et peuvent

contenir des failles de sécurité, ou pour les formuler autrement, des « bugs ». Outre les

questions de responsabilité qu’ils peuvent soulever, point sur lequel nous reviendrons au

terme de cette étude avant la conclusion générale (Partie 2, Titre 2, Chapitre 2, Section

2), ils peuvent relativement effrayer et faire naître des doutes sur les capacités de la

technologie en elle-même, jusque-là tout à fait immature et encore trop peu inconnue aux

yeux des acteurs juridiques majeurs.

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135. Les risques allégués de « défaillance technique ». – A toute technologie

nouvelle s’accompagne les risques et « bugs » des débuts. La doctrine et les

professionnels expérimentant la blockchain ont rapidement rationalisé, pour certains,

leur engouement pour les smart contracts : à l’image des propos B. Chambon et Q. Hulot

au sein de leurs écritures72 : « l’arrivée sur le marché de nouvelles technologies

prometteuses voire ‘’révolutionnaires’’ ne pas nous faire céder au chant de leurs sirènes :

ces technologies sont séduisantes, mais celles-ci recèlent des défaillances techniques qui

peuvent être dangereuses. ».

Au regard de la multiplication des expérimentations des smart contracts, et plus

généralement de la technologie Blockchain, les cas d’usage commencent à se déployer et

mettre en exergue certaines difficultés techniques, qui ne manqueront pas d’être

corrigées. Bien que leur liste ne soit pas encore exhaustive (et ne le sera peut-être jamais

d’ailleurs), certains risques peuvent d’ores et déjà être mentionnés.

Il convient tout d’abord de pointer du doigt les risques liés à la rapidité de la technologie :

J.M Figuet73 a lui aussi pointé cet élément : le nombre moyen de transaction sur une

même chaîne de blocs est de 7 par secondes. En comparaison, les transactions de paiement

par carte bancaire opérées par le réseau visa peuvent aller jusqu’à 20.000 transactions par

seconde.

Cette « lenteur », bien qu’elle soit gage d’authentification, méritera à terme de sérieuses

modifications pour pouvoir répondre aux besoins croissants des utilisateurs et acteurs de

la blockchain.

Sur ce point, des études sont d’ailleurs en cours, afin d’explorer différentes pistes de

résolution de ce souci : réduction de la taille des blocs, modification des techniques de

minage, plusieurs éléments sont expérimentés pour aboutir à une force de calcul

équivalente à plusieurs milliers d’opérations par seconde, à l’image du système Visa

précité.

72 B. CHAMBON et Q. HULOT, Blockchain, « smart contracts » et droit public des affaires, une combinaison gagnante ?, paru sur Village Justice le 23 mai 2017 (lien dans la webographie en fin de mémoire). 73 J.M FIGUET, Bitcoin et blockchain : quelles opportunités ?, Revue d’économie financière 2016/3 (n°123), p. 325-338

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136. Le risque de piratage. - Une autre défaillance technique tiendrait quant à elle aux

risques de piratages de la chaîne de blocs. En effet, la technique de « minage » où les

mineurs valident les transactions et opérations passées sur la blockchain à l’aide

d’algorithmes très sophistiqués peut connaître un seul risque de faille : on parle alors de

« l’attaque des 51%74 ».

Pour mettre en place cette dernière, il faudrait que 51% des mineurs valident une

transaction fausse. Pour rationaliser au sujet de cette crainte, cela impliquerait des coûts

colossaux puisqu’une attaque de cette envergure imposerait la prise de contrôle de 51%

des ordinateurs des utilisateurs de la blockchain, ce qui semble relativement impossible à

mettre en place. Néanmoins, la faille existe et il convient de la prendre en compte.

137. La cohabitation du langage informatique et juridique. – La formalisation

d’engagements contractuels sous forme de smart contract suppose d’avoir une maîtrise

technique des outils informatiques. Pour autant, il peut sembler difficile pour les

professions juridiques de s’adapter à ce nouveau langage, qu’il convient de distinguer du

langage juridique.

Le « code juridique » tel qu’appréhendé en droit français repose sur l’idée selon laquelle

le juge est la bouche de la loi. Intervenant en aval, mais surtout la plupart du temps avec

une appréciation in concreto, les juges interprètent, appliquent les règles aux litiges qui

leurs sont soumis, et parfois écartent les dispositions légales au profit de la volonté des

parties au regard des circonstances particulières entourant les actes juridiques.

Le « code informatique » quant à lui, demeure tout d’abord différent dans son écriture :

loin d’être littérale, la formalisation du code informatique implique une rigueur d’autant

plus accentuée, avec une application relativement binaire des modalités d’exécution (c’est

justement le cas des smart contracts avec le principe de fonctionnement basé sur le

raisonnement « Si… Alors »).

Contrairement à la loi, le code informatique ne présente pas les mêmes possibilités de

« souplesse » qu’offre l’interprétation du juge de ladite loi. De fait, les possibilités

d’imprévus, et d’analyses in concreto sont bien plus difficiles à envisager.

74 S. DRILLON, La révolution Blockchain : la redéfinition des tiers de confiance, RTD Com. 2016 p. 893

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138. Les problématiques issues du réseau. - Enfin, le dernier risque se présente

comme le plus « évident » et le plus classique que chaque utilisateur actuel d’internet

puisse rencontrer : il s’agit des problèmes de connexion aux réseaux et serveurs. On

imagine alors ce problème, bien qu’indépendant évidemment de la volonté des parties,

comme un risque de mise en danger des contrats passés, que ce soit dans le cadre de leur

formation ou dans celui de leur exécution. Pour autant, et pour atténuer cette idée, il

convient de rappeler ici que le même problème se pose actuellement avec la formation et

l’exécution de contrats électroniques passés chaque instant sur internet, et pour lesquels

le problème ne se pose pas davantage comme un obstacle insurmontable.

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Chapitre 2 : Une appréhension contrastée au regard des notions

intrinsèques aux smart contracts

139. La désintermédiation bouleverse l’économie des contrats telle que nous pouvons

la connaître, surtout en matière d’exécution, en évinçant certaines notions qui pourtant,

semblaient essentielles, et c’est souvent sur ce point que peuvent se cristalliser les

critiques émanant des spécialistes.

Notamment, la blockchain élimine le besoin de confiance entre les individus, et permet

d’envisager des contrats et transactions entre personnes qui ne se connaissent pas et ne se

font pas confiance au sein de la relation contractuelle.

Cette idée, à première vue, ne semble pas empreinte de nouveauté, il existe dans la vie de

tous les jours des contrats pour lesquelles la confiance est mise entre parenthèses. Pour

autant, il existe d’autres relations pour lesquelles, à l’inverse, la confiance est un pilier,

et c’est justement pour ces types de contrats que la blockchain va devoir faire preuve

d’adaptation (Section 1).

Par ailleurs, si les smart contracts font preuve d’adaptabilité au cadre légal en matière de

formation contractuelle, certaines notions, là encore entérinées au sein du droit français,

posent pourtant problème au regard de la spécificité de ces contrats auto-exécutants et des

modalités d’exécution qui en découlent.

A ce titre, on pense notamment à l’imprévision : nouvelle entrante au sein du Code civil

après la réforme opérée en 2016 après une vaste période d’interdiction, elle se trouverait,

au sein des smart contracts, reléguée (Section 2).

Pour toutes ces raisons, ici encore une approche théorique permettra de mettre en lumière

les nombreuses spécificités, mais surtout difficultés, qui devront être prises en compte

dans la mise en place de tout mécanisme juridique à venir en la matière.

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Section 1 : Le débat smart contract et confiance

140. La blockchain et ses smart contracts ne sont pas, en leur qualité de technologies

disruptives, à considérer comme des ennemis du droit. A contrario de certaines idées

reçues et certaines opinions sceptiques reléguées au sein de la doctrine, ils pourraient tous

deux se révéler être des outils puissants pour accompagner le droit dans une transition

technologique, mais aussi être gage de sécurité et de transparence.

Cependant, avant de se poser comme des technologies matures, il s’avère nécessaire de

les envisager au fil de leurs évolutions, en prenant en compte toute la complexité de leur

élaboration, qui elle-même, a des influences notables sur l’exécution du contrat.

En la matière justement, alors que la blockchain se pose en technologie révolutionnaire

et disruptive, le véritable bouleversement repose en réalité premièrement sur l’édification

d’une toute nouvelle forme de confiance. Il conviendra alors en premier lieu, de remonter

la genèse de la confiance telle que nous la connaissons actuellement (§1), pour dessiner

enfin les contours de la « nouvelle confiance » au sein de la relation contractuelle mise

en place par la blockchain et ses smart contracts (§2).

§1. La notion traditionnelle de confiance

141. Confiance, loyauté et bonne foi. - Depuis l’avènement des sociétés, mais surtout

au cours du dernier siècle, le contrat est peu à peu devenu un instrument essentiel dans

les relations humaines, et au-delà, dans les relations inter-organisationnelles.

La confiance, quant à elle, issue du latin confidentia, connait de nombreuses définitions :

assurance et conscience de la valeur de soi (avoir confiance en soi), sentiment que l’on

peut se fier à l’autre, à quelque chose (avoir confiance), sentiment de sécurité et stabilité

entre plusieurs partenaires commerciaux ou politiques, ou encore approbation donnée au

gouvernement par la majorité du Parlement ; la confiance revêt de nombreuses facettes

qui se déclinent.

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Dans une acception plus juridique, la confiance est souvent mise en parallèle avec la

bonne foi, ou encore la loyauté.

Cette dernière permet de dégager une définition juridique assez large de la confiance :

elle est une croyance dans la loyauté de chacun des cocontractants que l’autre respectera

les engagements qu’il a pris.

« Le rôle de la confiance dans les relations contractuelles a été mis en évidence au travers

de l'approche relationnelle dans des travaux divers, soit en tant qu’élément principal

(Morgan & Hunt, 1994 ; Doney & Cannon75, 1997 ; Dyer & Singh, 1998) ou faisant

partie d’un ensemble de normes essentielles à l’échange (Mc Neil, 1980). La confiance

s'entend alors comme le fait de nourrir des attentes positives à l'égard d'autrui dans les

situations d'incertitude ou de vulnérabilité (Rousseau, Sitkin, Burt, & Camerer, 1998).

Cette définition renvoie à l’idée d’une présomption que, en situation d’incertitude, l’autre

partie va agir selon de règles de comportement acceptables, même dans des

circonstances imprévues (Bidault et Jarillo, 1995)76 ».

Certains auteurs et scientifiques ont pu avancer que la confiance et le contrat étaient

purement incompatibles (Malhotra et Murnighan en 2002, Sitkin et Roth en 1993), tandis

que d’autres ont plutôt évoqué la complémentarité de ces deux notions : quand la relation

de confiance s’installe entre les cocontractants, les contrats se multiplient, surtout au

regard du droit des affaires.

L’instauration de la confiance entre deux partenaires contractuels a vocation à développer

les échanges entre eux, notamment au regard des processus de négociation et de

discussion des termes du futur contrat.

142. La confiance et la confidentialité. – Au-delà des corollaires que sont la bonne

foi et la loyauté contractuelle, la confiance peut aussi se voir reliée à l’idée de

confidentialité. En effet, la confidentialité peut être une donnée primordiale dans les

relations d’affaires ou dans le cadre de certains contrats. La blockchain, et plus largement

75 P-M. DONEY et J-P. CANNON, An Examination of the Nature of Trust in Buyer-Seller, Relationships, Journal of Marketing, 1997, 61, pp. 35-51 76 M. FRECHET et L. BERTRANDIAS, La forme du contrat : influence de la confiance et des caractéristiques individuelles dans le cadre d’une approche expérimentale, 2010

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les smart contracts, offrent des garanties en matière de confidentialités qui sont

incomparables avec les standards actuels de contractualisation, et c’est en cela qu’il

convient d’analyser les apports en matière de confiance au regard des smart contracts.

§2. L’abandon de la confiance à l’aune de la technologie blockchain

143. Si le smart contract n’est pas si « smart » que son nom le lui confère, ils sont

pourtant des automates qui ont vocation à échanger et faire transiter des fonds et passer

des opérations (souvent de la monnaie numérique mais pas que), en s’exécutant

automatiquement et en toute autonomie.

C’est justement cette autonomie qui bouscule les codes traditionnels de la sphère

contractuelle, et implique une disparition des intermédiaires classiques de confiance,

mais aussi dans le même temps, une nouvelle vision des échanges contractuels, sans

confiance (ou presque).

144. L’autonomie au profit de l’intermédiaire. - En matière de smart contract, force

est de constater que les préceptes et théories contractualistes ne trouvent plus d’écho :

l’autonomie et la décentralisation sont les règles, la confiance demeure l’exception.

Etant automatisé, le smart contract va être exécuté et appliquer les termes du contrat aux

parties, qu’elles soient humaines ou non (contrats dits « machine-to-machine »), sur la

base de la réalisation des conditions préalablement insérées dans le code originaire, et de

la validation de cette réalisation des conditions.

Telle que nous l’avons analysée, cette validation intervient, elle aussi, et ce sans surprise,

de manière autonome et automatique (si bien-sûr, la condition est réalisée dans la

blockchain, pour le cas inverse, il conviendra de se référer aux développements liés à la

réalisation de conditions externes à la blockchain aux points n°82 et suivants).

« Je pense qu’il y a fondamentalement quelque chose de spécial dans la technologie

blockchain. Elle permet d’une certaine façon à des gens qui sont connectés par internet

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de faire des affaires directement entre eux ; dans l’histoire de l’humanité, c’est quelque

chose qui a seulement été possible dans la société en général par le biais d’un

intermédiaire de confiance.

Désormais, de façon inédite nous avons un moyen de le faire sans intermédiaire de

confiance. C’est le cœur de la proposition de la blockchain. 77»

145. Illustration. - Par exemple, il est possible de calquer, pour illustrer le présent

propos et donner toute sa dimension à l’abandon de la notion de confiance, le

raisonnement d’un smart contract appliqué à celui d’une vente immobilière.

On peut imaginer en effet que le processus de la vente soit automatisé et authentifié au

sein de la blockchain et d’un smart contract, où, à terme, le notaire et l’agent immobilier,

intermédiaires de confiance, deviennent totalement obsolètes.

Le smart contract sera rédigé à la manière d’un compromis, où les conditions suspensives

seront à vérifier elles-mêmes au sein de la blockchain. En pratique, lors d’une acquisition

immobilière, les acheteurs font inscrire au sein du compromis une condition suspensive

d’obtention de prêt, de permis de construire, et le vendeur quant à lui impose souvent le

versement d’un dépôt de garantie ou acompte. Ces éléments seront donc inscrits, de la

même manière qu’ils peuvent l’être dans le compromis, au sein du code même du smart

contract.

Cela implique cependant une globalisation et généralisation de l’utilisation de la

blockchain par les acteurs majeurs des opérations : en l’occurrence, pour l’exemple de la

vente immobilière, il s’agira des banques et notaires, voire mairies si dépôt de permis de

construire il y a.

En l’espèce, le notaire devra authentifier les titres de propriété sur ce grand livre de

compte décentralisé qu’est la blockchain, tout autant que la banque devra y inscrire les

transactions effectuées par ses clients (pour le versement d’acompte ou dépôt de garantie

notamment), et tout autant enfin, que les services municipaux d’urbanisme devront tenir

à jour le cadastre et les autorisations de construire78.

77 Extrait d’une interview de Gavin Wood, cofondateur d’Ethereum, issue de La blockchain décryptée, Les clefs d’une révolution, Editions Broché, 2016 78 Sur ce point, le Honduras et le Ghana expérimentent depuis 2016, la mise en place d’un cadastre sur la blockchain (notamment pour lutter contre la fraude et la corruption en matière de titres de propriété dans

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Sur ce point, de nombreux acteurs économiques et judiciaires explorent les possibilités

de la blockchain et mettent en place ce système au sein de leurs institutions à l’aide de

florissantes start-ups créées dans ce but.

146. L’exemple peut être pris aussi en matière de location de véhicules, le loueur

devient un organisme totalement caduc dans la mesure où le smart contract peut prévoir

lui-même la délivrance de la clé numérique de déblocage du véhicule lorsque la condition

de paiement sera réalisée. Une fois encore, cela nécessite une inscription des transactions

de la banque sur la blockchain, ou alors une coopération des banques qui mettront à

disposition leurs bases de données pour la blockchain, avec un usage strictement

confidentiel et par le biais de clés privées.

147. Le caractère numérique et automatisé des smart contracts permet donc aux

partenaires contractuels d’envisager en définitive une relation sans qu’ils aient besoin de

se faire confiance au préalable pour la plupart d’entre eux. C’est non plus les parties, ni

un tiers de confiance, mais le système lui-même qui a vocation à garantir l’honnêteté et

l’authentification des contrats et transactions passées.

De cette manière, l’automatisation issue des smart contracts a vocation à contribuer à une

confiance accrue dans les négociations et la conclusion des contrats, surtout entre

professionnels qui n’ont jamais noué de relation auparavant, pour lesquelles le

fonctionnement même du smart contract peut avoir comme équivalent les

recommandations que l’on reçoit sur tel ou tel cocontractant dans les relations d’affaires,

ou l’idée de « réputation ».

cet état).

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Section 2 : L’impossible imprévision au sein des smart contracts

148. Nous l’évoquions précédemment, les smart contracts intéressent les

contractualistes, et suscitent tantôt leur approbation, tantôt leurs doutes. Pour autant, on

se demande si cette nouvelle méthode de contractualisation, non encore reconnue comme

telle pour l’instant, ne pourrait pas bouleverser les règles d’établissement des contrats

telles que nous les connaissons aujourd’hui. Après un bouleversement du droit des

contrats qui a permis l’insertion de l’imprévision dans le Code civil, force est de constater

que les smart contracts remettent pourtant en cause cette consécration régalienne bien que

très récente. Dans le même sens, cette modalité contractuelle influe sur l’ensemble de

l’exécution du contrat, qui sera elle-même vouée à être bien plus complexe en

conséquence, du fait de l’immuabilité du contrat.

Partant, après avoir analysé le régime de l’imprévision tel qu’il a pu être repensé

récemment (§1), il conviendra de se focaliser sur l’idée selon laquelle les inscriptions sur

la blockchain sont immuables faisant évidemment obstacle à toute imprévision au sein du

contrat, et impliquant forcément une vigilance immense lors de la rédaction et conception

des smart contract (§2).

§1. La notion d’imprévision en droit français

149. « Omnis conventio intellegitur rebus sic stantibus ». Une convention ne peut rester

valable que si les choses demeurent en l’état, tel est le principe de l’imprévision au sein

des contrats : elle devrait être admise si un changement de circonstances concernant une

ou plusieurs parties le justifie.

Sacrifiée lors de la rédaction du Code civil en 1804, cette formule, présente pour autant

dans d’autres droits européens, et dans quelques notions de droit international public, a

pourtant été reléguée pendant longtemps en France.

Pour autant, avant une célèbre décision mentionnée ci-après, les juges avaient établi

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quelques résistances en s’octroyant le pouvoir de réviser des conventions devenues

relativement déséquilibrées au regard des circonstances ayant évolué suite à un

évènement imprévisible. Pour autant, cette fronde judiciaire n’allait pas durer, et une

harmonisation allait sonner la fin de l’imprévision.

150. Canal de Craponne et ses infléchissements. -Depuis donc 1876 et le célèbre

arrêt Canal de Craponne79, la Cour de cassation se bornait à juger que « dans aucun cas,

il n’appartient aux tribunaux, quelque équitable que puisse apparaître leur décision, de

prendre en considération le temps et les circonstances pour modifier les conventions des

parties à substituer des clauses nouvelles à celles qui ont été librement acceptées par les

contractants ».

Cependant, après quelques décisions qui montraient un certain essoufflement de

l’interdiction de l’imprévision, les parties aux contrats avaient notamment réussi à pallier

quelque peu cette difficulté au moyen de clauses de hardship, qui leur impliquaient, avec

ces mécanismes conventionnels, d’insérer des clauses au contrat permettant une révision

pour imprévision.

Les juges du Quai de l’Horloge avaient eux aussi mené une nouvelle fronde, à l’image de

celle des débuts du Code civil, pour réinsérer la notion d’imprévision : lors de l’arrêt

Huard80, ils avaient notamment considéré qu’il existait une obligation de renégociation

du contrat fondée sur le principe de bonne foi pour contourner le silence de la loi en

matière d’imprévision. Une solution du même type avait été reprise dans l’arrêt

Chevassus Marche81 en 1998, ou encore dans l’arrêt plus récent Soffimat82.

79 Cass. Civ, 6 mars 1876 80 Cass. com. 3 novembre 1992, Bull. IV n°340 81 Cass. com. 24 novembre 1998, Bull. IV n°277 82 Dont notamment l’arrêt Soffimat (Cass. com. 29 juin 2010 n°09-67.369) : « Attendu qu’en statuant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l’évolution des circonstances économiques et notamment l’augmentation du coût des matières premières et des métaux depuis 2006 et leur incidence sur celui des pièces de rechange, n’avait pas eu pour effet, compte tenu du montant de la redevance payée par la société SEC, de déséquilibrer l’économie générale du contrat tel que voulu par les parties lors de sa signature en décembre 1998 et de priver de toute contrepartie réelle l’engagement souscrit par la société Soffimat, ce qui était de nature à rendre sérieusement contestable l’obligation dont la société SEC sollicitait l’exécution, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ».

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Désormais, à l’issue des nombreux appels de la doctrine et du pouvoir judiciaire, et depuis

la réforme du 10 février 2016, les nouvelles dispositions du Code civil marquent une

véritable consécration de la théorie de l’imprévision, enterrant définitivement la solution

du Canal de Craponne.

151. L’admission de la révision du contrat pour imprévision. – Insérée au sein du

Code civil avec l’article 1195, l’imprévision a fait l’objet d’une consécration relativement

tardive en droit français :

« Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend

l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer

le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle

continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.

En cas de refus ou d'échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la

résolution du contrat, à la date et aux conditions qu'elles déterminent, ou demander d'un

commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d'accord dans un délai

raisonnable, le juge peut, à la demande d'une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à

la date et aux conditions qu'il fixe ».

152. En mettant fin à la solution dégagée par l’arrêt précité du Canal de Craponne, les

rédacteurs de l’ordonnance de 2016 se sont bornés à rattacher l’imprévision à trois

conditions cumulatives : l’admission de la résolution pour imprévision nécessite un

changement de circonstances premièrement ; que ce changement rende l’exécution du

contrat excessivement onéreuse pour une partie deuxièmement ; et enfin, que la partie

pour laquelle cela devient excessivement onéreux n’aie pas accepté d’en assumer le

risque.

De cette manière, le fait que l’exécution, à l’issue de circonstances imprévues, soit

devenue excessivement onéreuse implique que la situation ait changé après la conclusion

du contrat, et non ab initio (sans quoi il s’agirait d’un cas de lésion ou de contrat avec une

contrepartie dérisoire).

Le processus de l’imprévision, si elle est admise, se déroule ensuite en trois étapes

successives : les parties peuvent premièrement renégocier le contrat, tout en continuant à

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exécuter leurs obligations. A l’issue de cette phase consensuelle, les parties peuvent

notamment décider de modifier le contrat, ou y mettre définitivement un terme.

Si cette solution n’aboutit pas, l’intervention judiciaire devient nécessaire : les parties

peuvent demander au juge, d’un commun accord, de procéder à une adaptation du contrat.

Malgré que la France demeure assez hostile aux théories de ‘forçage du contrat’ par le

juge, c’est une notion qui innerve de plus en plus de décisions de révision judiciaire, et

qui fait son entrée ici au sein du Code civil.

Enfin, si les parties ne trouvent toujours pas de point d’accord dans un délai raisonnable

(notion très subjective là encore), l’une des parties seulement, et non plus les deux, peut

demander au juge d’adapter ou résoudre le contrat devenu un fardeau pour elle.

§2. L’imprévision reléguée au sein des smart contracts : une nouvelle rigueur dans

la conception du contrat

153. La blockchain est marquée premièrement par sa décentralisation, mais aussi

singulièrement par son immutabilité. En effet, ventant ses mérites de registre

« infalsifiable » et « authentique », la blockchain se veut perpétuelle : une fois qu’une

chose y est inscrite, elle l’est pour toujours, quand bien même l’exécution du contrat

puisse être terminée.

Cette caractéristique, au regard du terrain probatoire (lequel il sera amplement détaillé au

sein des points n°161 et suivants), apparaît comme positive. Sur un autre terrain, celui de

la surveillance, entre grands guillemets, la blockchain peut apparaître là encore comme

positive : gage de traçabilité, elle pourrait permettre de suivre les transactions et de tracer

les transferts patrimoniaux illégaux, notamment au regard du blanchiment d’argent et du

trafic d’objets illégaux.

Pour autant, si certains aspects se montrent en faveur de cette immutabilité de la

blockchain, force est de constater que ce caractère peut amener à certaines problématiques

dans la sphère contractuelle.

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154. Le smart contract immuable. – En matière de smart contracts, l’immutabilité

implique que le code qui les compose et qui les crée ne puisse plus être changé dès lors

que le smart contract est inscrit dans la chaîne de blocs. Il ressort de cette constatation

que les contrats automatisés, et plus spécifiquement leur rédaction, devienne une phase

extrêmement rigoureuse et précise, sans quoi les parties prennent le risque de se lier dans

un accord erroné et qui ne pourrait plus être modifié par la suite.

155. La rédaction du contrat immuable. - Dans sa contribution sur le site83 Ethereum

France, Simon Polrot, avocat et co-fondateur du site, résume en quelques lignes la

gymnastique contractuelle à laquelle les concepteurs et rédacteurs de smart contracts vont

devoir se soumettre :

« en pratique, il sera impossible, sauf à l’avoir prévu dès le départ, de modifier un contrat

enregistré dans la blockchain après qu’il ait été enregistré dans celle-ci ».

Toute l’attention mérite d’être portée sur trois simples mots : « dès le départ ».

Il s’avère nécessaire de comprendre ici que toutes les conséquences et les modifications

éventuelles devront être anticipées par les rédacteurs.

Cette tâche s’avère rigoureuse mais surtout semble friser avec l’impossible.

Il ne faut pas s’y méprendre ici : ce n’est pas une situation équivalente à la rédaction des

contrats sous l’empire du droit avant la réforme de 2016, puisqu’il était déjà possible

d’insérer des clauses de hardship pour pallier à l’intangibilité du contrat, mais il s’agit

bel et bien d’une conséquence de l’automatisation : devoir tout prévoir d’avance, même

certaines situations improbables.

156. Piste de solution. - Pour relativiser cette immutabilité de la blockchain qui

semble enfermer les smart contracts dans une exécution (erronée ?) sans fin, inquiétante

à l’instar du sort d’une des parties, il est possible de considérer que ces contrats

automatisés ne sont pas fondamentalement inchangeables. Là encore, cette idée découle

du principe de liberté contractuelle, appliqué à la nouvelle technologie.

A l’image des clauses de hardship, il faudrait envisager l’insertion technique dans le code

de clauses de type ‘repli’, avec par exemple, un certain seuil de coût du contrat à ne pas

dépasser, sans quoi le contrat arrête de s’auto-exécuter, en enjoignant les parties de

83 https://www.ethereum-france.com/smart-contract-ou-le-contrat-auto-executant/

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procéder à la conclusion d’un nouveau.

Il s’agirait, dans le langage technique, de prévoir un fallback, une sortie de secours du

contrat, en faveur de la partie pour laquelle le contrat deviendrait, au sens de

l’imprévision, un fardeau avec une exécution devenue « excessivement onéreuse ».

Dans certains logiciels, il existe aujourd’hui des possibilités de « selfdestruct fonction »

ou encore de « suicide clause », qui permettent d’écraser les exécutions en cours du code

et de tout arrêter. L’idée est d’introduire le même type de mécanisme à l’échelle des smart

contracts.

Là encore, cette possible solution n’est dépendante que de la volonté des parties, bien

qu’elle soit pensée en leur faveur et pour leur sécurité dans la relation contractuelle.

Dès lors, une fois de plus, les parties devront être absolument rigoureuses dans la

conception du smart contract et dans la relation juriste/développeurs, qui devront entamer,

très probablement, une réelle création d’un « catalogue » de clauses types à insérer dans

les contrats automatisés en fonction des volontés respectives des parties et à l’issue de la

négociation ayant eu lieu entre elles.

157. Law is code again. - Enfin, dans une démarche encore une fois prospective, à

reprendre l’idée selon laquelle on pourrait en venir à coder en langage informatique

l’entièreté ou presque du droit des contrats français, il serait possible d’affirmer que les

contrats pourraient être automatiquement mis en status quo en attendant que les parties

définissent (en toute bonne foi) une nouvelle modalité d’exécution du smart contract, ou

alors, dans le pire des cas prévus par la loi, demander un résolution judiciaire, avec là

encore, une mise en pause de l’exécution du contrat jusqu’à ce que le juge statue et que

sa décision soit inscrite dans le code du smart contract.

Dans une optique très prospective, il n’est pas exclu de voir naître un jour un véritable

écosystème de blockchains interdépendantes pour lesquelles les conditions seront

vérifiées de manière authentiques, avec des oracles ‘officiels’ tels que l’Administration,

ou les tribunaux.

158. Le consensus comme solution alternative ? – Malgré l’emprise de l’auto-

exécution au sein des smart contracts, et l’idée d’insertion de clauses analogues à celles

de hardship pour pallier à cette absence de mutabilité, force est de constater qu’il existe

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un autre type de solution.

En effet, il est possible de considérer que les smart contracts puissent être modifiés ou

réinterprétés par la communauté des mineurs, au regard d’un consensus.

Cette solution, propre à la décentralisation de la blockchain, permet au système même qui

héberge les smart contracts d’accepter la mutabilité d’un smart contract donné, et surtout

d’introduire une certaine souplesse au sein des contrats dits « irrévocables » jusqu’alors.

C’est ici voir une certaine forme de médiation, pour accepter ou pas la mutation du

contrat, mais il s’agit ici d’une nouvelle médiation bien éloignée de celle connue

traditionnellement : une mutation décentralisée, qui n’est pas sans rappeler les idées

d’alternative à la justice que peuvent constituer les smart contracts (cf. développements

aux points n°103 et suivants).

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135

CONCLUSION TITRE 1

159. A l’image du « Vocabulaire de l’informatique » paru le 23 mai 2017, il semble

opportun aujourd’hui d’appeler à la formulation légale d’une définition et d’un régime

adapté aux smart contracts et à leurs spécificités, plus détaillés et plus complets, et même

développés si besoin en complétement de décrets, mentionnant cette fois expressément

les smart contracts, jusqu’alors oubliés.

Ces derniers ne sont cependant pas les seuls à mériter une reconnaissance, dans la mesure

où les « objets » des transactions opérées par smart contracts sont eux aussi, les grands

absents des normes françaises.

En effet, les Bitcoins, Ethers, ou tous autres tokens (jetons) issus de cryptomonnaies

restent pour leur part dans le même flou juridique.

Sur ce point, nous proposons d’entériner une définition concrète, bien plus précise et

concise que celle proposée jusqu’alors, prenant en compte les cryptomonnaies comme

des actifs, des unités de comptes dont le support est la blockchain, ayant plusieurs

fonctions que le législateur prendra le soin de définir dans son encadrement.

De la même façon et dans le même ordre idée, il semble également opportun de relayer

cette création de cadre juridique au rang européen, qui pourrait prévoir à son tour une

harmonisation en la matière.

Par ailleurs, la désintermédiation, pierre angulaire de la blockchain, et tout autant des

smart contracts, est un élément incontournable pour son appréhension, pour laquelle la

prise en compte sera absolument nécessaire dans l’élaboration éventuelle d’un nouveau

dispositif juridique.

Cette désintermédiation bouleverse l’économie des contrats telle que nous pouvons la

connaître, surtout en matière d’exécution, et évince certaines notions qui pourtant,

semblaient essentielles, et c’est en cela que l’idée de créer des dispositions sur mesures

se voit confortée (Titre 2).

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Titre 2 : une nécessaire adaptation du dispositif normatif français

160. « Les problèmes de droit posés par les nouvelles technologies ne justifient que de

quarante ans d’histoire. Pire, ils sont, comme les technologies elles-mêmes, en perpétuel

mouvement. Ils ne forment en outre qu’un agrégat disparate de questions empruntant à

plusieurs disciplines classiques »84.

Les perspectives engendrées par l’exploitation massive des données, par les bonds

technologiques et par les révolutions disruptives sont multiples et variées. Comme a pu

le souligner à juste titre André Lucas, professeur émérite de l’Université de Nantes, toutes

ces raisons « aiguisent maintenant les appétits et appellent, elles aussi, une

réglementation 85».

Il s’avérait ici absolument nécessaire d’adopter une réflexion prospective, à l’instar de

l’objet global de ce mémoire, sur la nécessaire prise en compte et valorisation de la

blockchain au sein du droit français.

Après une analyse globalement théorique, il convient de proposer ici des solutions et des

dispositifs concrets permettant à cette nouvelle technologie encore embryonnaire de se

déployer en toute sécurité, qu’il s’agisse du terrain de la preuve (Chapitre 1), ou de celui

des utilisateurs et leur responsabilité (Chapitre 2).

Ces deux problématiques demeurent par ailleurs les plus urgentes à réguler en matière de

blockchain, ce qui justifie de s’y intéresser tout au long du présent titre.

84 David LEFRANC, Droit des applications connectées, Manuels Larcier, 2017 85 V. infra, n°84 (Extrait de la préface de l’ouvrage).

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Chapitre 1 : la possible consécration d'un nouveau mode de preuve

161. La blockchain sur laquelle se retrouvent les smart contracts, est une base de

données décentralisée contenant tout l’historique des échanges ayant eu lieu entre les

utilisateurs depuis sa création. Chacun participe au bon fonctionnement du registre

actualisé en permanence et horodaté, et surtout, chacun en possède une copie.

Beaucoup se sont interrogés, avec le développement des transactions et des smart

contracts, sur le point de savoir à quelle intensité pouvait-on considérer que la blockchain

était sécurisée, de là à pouvoir éventuellement constituer un nouveau mode de preuve.

En premier lieu, le caractère « infalsifiable » de la blockchain peut interpeller et rappeler

les mécanismes préexistants en matière de signatures électroniques (Section 1),

notamment à l’aide de la clé cryptographique asymétrique qui sert à identifier les

individus faisant l’objet de transactions.

Dans un second temps, il sera nécessaire de se rapprocher de notions familières au droit

civil, mais aussi au droit de la consommation, pour envisager la qualification de mode de

preuve en tant que telle pour la blockchain, et plus loin encore, la qualification de

« support durable » qu’elle pourrait notamment recevoir (Section 2).

Il convient alors, de fait, de s’atteler à vérifier si, par analogie ou par adaptation, ces

mécanismes et qualifications ne sauraient trouver écho dans la nouveauté de la blockchain

et de ses mécanismes.

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Section 1 : la signature par clé cryptographique : nouvelle forme de signature

électronique ?

162. Au vu des éléments de sécurisation de la blockchain, on se demande alors, si dans

la droite lignée de la position de l’ordonnance du 28 avril 2016 relative aux bons de

caisse86 (sur les « minibons »), cette technologie si récente et complexe pourrait être, à

terme, consacrée en tant que mode de preuve, et se voir reconnaître devant une juridiction,

une valeur juridique pour les actes signés en son sein. Pour ce faire, il apparait opportun

de s’interroger sur la possible formalisation des consentements des parties par le biais

d’une signature électronique, consacrée depuis plus de quinze ans en droit français (§1),

laquelle étant enserrée dans de strictes conditions qu’il convient là encore d’analyser en

détail (§2).

§1. La signature électronique cryptée comme preuve de l'expression du

consentement des parties

163. La blockchain : une garantie de sécurité. - A la question posée de savoir si la

blockchain est sécurisée, il est possible d’y apporter une double réponse. En effet, la

blockchain est tout d’abord sécurisée de par la création de nouveaux blocs : à cette

occasion, la sécurité est premièrement garantie par la mise en place d’une double clé

cryptographique et asymétrique pour chaque individu (une clé publique, comparable au

RIB dans le domaine bancaire, et une clé privée, comparable au PIN bancaire là aussi).

Sans cette double clé, la signature électronique de transactions demeure impossible.

Deuxièmement, au sein de l’inscription des blocs et leur horodatage, le processus de

minage (via notamment le « proof-of-work » ou encore le « proof-of-stake » détaillé au

sein du propos introductif) assure une objectivité totale.

86 Ord. N°2016-520, 28 avril 2016 relative aux bons de caisse, publiée au JO du 29 avril 2016.

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Ensuite, la blockchain est sécurisée par son architecture de duplique : elle est répliquée

sur l’ensemble des ordinateurs du réseau, et chaque utilisateur en conserve une copie.

Pour envisager la falsification d’une transaction, il conviendrait de modifier

simultanément plus de la moitié des ordinateurs connectés et détenteurs de cette copie du

registre, on parle alors d’« attaque des 51% », ce qui apparait comme purement

impossible. Quand bien même un comportement frauduleux de cette nature serait

expérimenté, le serveur détecterait rapidement une faille ou incohérence et la fraude serait

immédiatement repérée, et surtout rejetée.

Depuis sa création (en 2008), la blockchain n’a donc jamais connu de piratage (ou

« hackage »), et a seulement connu un ‘bug’ dans son protocole, sur lequel nous

reviendrons lors de l’étude de la responsabilité des protagonistes de la blockchain (cf.

point n° 193 – La faille dans la blockchain).

164. La preuve d’un acte. - L'article 1364 du Code Civil préconise la preuve d'un acte

juridique par un écrit soit en la forme authentique, soit sous signature privée87. Dans le

même sens, l'article 1359 prévoit cette obligation de support probatoire pour des actes

juridiques portant sur une somme ou valeur excédant 1.500 €.

Si le smart contract venait à être reconnu en droit français, il passerait alors de la

qualification actuelle de fait juridique à celle d’acte juridique, et nécessiterait donc, pour

être prouvé, d'être constaté par un de ces deux actes. Cependant, tel qu'il a pu l'être

démontré dans le propos introductif de cette analyse, les smart contracts demeurent

formés au sein de la blockchain, laquelle ne prévoit pas d'écrit matérialisé et ayant valeur

probatoire au sens juridique du terme, qu'il soit authentique ou sous seing privé.

Pour autant, la légitime question de l'expression du consentement se pose ici, tout comme

elle a pu se poser autrefois en matière de contrats à distance ou en ligne, avec l'émergence

d'internet et le développement du commerce électronique.

A ce titre, depuis le 1er juillet 2016, la signature électronique demeure recevable

légalement dans tous les états membres88.

Avant cela, la France avait d’ores et déjà défini et entériné cette notion dans le droit de la

87 Art. 1364. – La preuve d'un acte juridique peut être préconstituée par un écrit en la forme authentique ou sous signature privée. 88 Transposition du règlement européen eIDAS : Règlement n°910/2014 du Parlement européen et du Conseil du 23 juillet 2014.

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preuve depuis une loi du 13 mars 200089, en la conditionnant pour autant avec le respect

de certaines exigences.

En effet, s'il s'est avéré nécessaire que les actes juridiques conclus en ligne aient une

valeur juridique identique à ceux apposés d'une signature manuscrite, force est d’analyser

si le raisonnement pourrait être analogue et appliqué également en matière de smart

contracts.

165. La signature d’un acte. - Au sens étymologique du terme, la signature désigne

l'action qui consiste en le fait d'écrire son nom à la fin d'une lettre, d'un contrat. A la

lecture du Code civil, elle était quant à elle « la preuve littérale, ou preuve par écrit »

{qui} « résulte d'une suite de lettres, de caractères, de chiffres ou de tous autres signes

ou symboles dotés d'une signification intelligible, quels que soient leur support et leurs

modalités de transmission90 ».

Cependant, à l'aune des avancées digitales, la signature s'est rapidement vue octroyer une

dimension électronique, qui a pourtant mis du temps à trouver écho dans le droit français.

166. La reconnaissance de la signature électronique. - Ce n'est en effet que par une

loi du 13 mars 200091 que le législateur a donné une définition et une valeur probante à

ce nouveau type d'expression du consentement des cocontractants.

Sous l'impulsion d'une directive européenne92, ont donc été créés les articles 1316-1 et

suivants du Code Civil93, (désormais numérotés aux articles 1365 et suivants), définissant

la signature électronique comme « l'usage d'un procédé fiable d'identification

garantissant son lien avec l'acte auquel elle s'attache94 ».

La signature électronique doit remplir deux fonctions principales : elle doit avoir

89 Loi n° 2000-230 du 13 mars 2000 portant adaptation du droit de la preuve aux technologies de l'information et relative à la signature électronique. 90 Article 1316 de l'ancien Code Civil, et article 1365 nouveau. 91 Cf. infra n° 89, p. 140 92 Directive 1999/93/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 1999 portant sur un cadre communautaire pour les signatures électroniques. 93 Article 1316-1 et suivants de l'ancienne numérotation, et article 1366 nouveau du Code civil. 94 Article 1367 du Code civil.

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vocation à assurer l’identification de son auteur, et deuxièmement, manifester son

consentement à l’acte.

167. La signature électronique d’un smart contract sur la blockchain. –

L’inscription sur la blockchain d’un smart contract signé électroniquement, moyennant

identification et authentification de ladite signature par un service idoine, emporterait

alors de nombreuses conséquences en matière de preuve : les smart contracts auraient

alors valeur probante au même titre que les contrats écrits.

Chaque transaction serait alors décrite par un code, celui du smart contract, composé de

chiffres, symboles et de lettres, quel que soit l’objet du contrat : transfert de

cryptomonnaies, prestation de service, vente de bien, etc.

Par ailleurs, pour conforter cette idée, une autre société, cette fois issue d’une école

d’ingénieurs95, envisage depuis mars 2016 de certifier ses diplômes par le biais de la

blockchain, diplômes étant eux-mêmes contresignés par les directeurs de l’école qui ont

apposé leur signature électronique.

Une autre piste en matière d’identification pourrait être empruntée cette fois à la réalité

bancaire : en effet, il est envisageable de calquer l’authentification à mettre en place sur

la blockchain sur celle utilisée par les banques lors d’un paiement électronique. A l’aide

de ce mécanisme, la problématique d’identification serait alors résolue, et les auteurs de

smart contracts ou utilisateurs, identifiables.

§2. Les conditions de fiabilité d'une signature électronique cryptée

168. A défaut d’identification des parties, le contrat pourrait se voir priver de ses effets

juridiques, voire, plus strictement, être annulé. L’anonymat pose des problèmes

95 Ecole Supérieure d’Ingénieurs Léonard de Vinci (ESILV).

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juridiques, et la signature électronique pourrait en être la réponse.

169. Signature électronique, conditions et valeur probante. - La signature

électronique a aujourd’hui valeur juridique en France, cela ne fait aucun doute, pour

autant, la jurisprudence ne s’est encore penchée sur la blockchain en tant qu’objet de

propriété, et par destination, la signature électronique sur la blockchain comme

déclencheur de transferts de propriétés.

Sur ce point d’ailleurs, le règlement eIDAS96 reconnait une équivalente de force probante

à la signature manuscrite pour les signatures électroniques qualifiées.

Bien qu’il ne fasse aucun doute que les juges ne tardent pas à s’emparer de cette question

encore irrésolue, il convient pour autant d’analyser les conditions de fiabilité de la

signature électronique telle que consacrée dans le Code civil, pour tenter de raisonner par

analogie au sujet de la blockchain, et d’en retirer une conclusion sur la faisabilité et la

potentielle reconnaissance de ces dernières en matière de smart contract.

Le décret n°2001-272 du 30 mars 2001 prévoyait quant à lui deux types de signature

électronique : la signature électronique simple, et la signature électronique sécurisée.

Seule la seconde bénéficiait de la présomption de fiabilité à la lecture du Code civil.

Cette dernière, pour être qualifiée de sécurisée (et plus tard de « qualifiée » au sens du

règlement eIDAS si elle émane d’un prestataire de service qualifié par l’ANSSI97), doit

respecter trois conditions :

- la signature doit émaner du signataire,

- elle doit être créée par des moyens tels que le signataire puisse la garder sous son

contrôle exclusif,

- elle doit garantir un lien de manière à prouver que toute modification ultérieure de l’acte

soit détectable.

Si les deuxièmes et troisièmes conditions ne posent pas problème au regard des

spécificités de la blockchain et de son procédé d’authentification, force est de constater

qu’une fois le plus, la problématique se recentre sur l’identification des parties.

96 Règlement (UE) n ° 910/2014 du Parlement européen et du Conseil du 23 juillet 2014 sur l’identification électronique et les services de confiance pour les transactions électroniques au sein du marché intérieur 97 Agence Nationale de la Sécurité des Systèmes d’Information

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170. Première condition : l’identification de l’auteur et de son consentement au

smart contract par la signature électronique. – La problématique de l’identification

des parties n’est pas nouvelle au sein de cette étude. Qu’elle ait trait à l’expression du

consentement des parties, à leur capacité, ou plus largement à leur responsabilité au sein

des smart contracts, force est de constater qu’elle demeure aussi présente en matière

probatoire. En effet, il semble relativement difficile de prouver quoi que ce soit sur la

blockchain, en l’absence de toute identification des individus.

Outre les développements précédents en matière de Know Your Customer qui devrait, à

juste titre, trouver une adaptation dans la sphère blockchain (voir points n°46 et suivants),

force est de constater que d’autres pistes techniques ont là aussi été envisagées.

En effet, sur ce point, la start-up ShoCard crée depuis fin 2016 une proof of concept, ou

plutôt une expérimentation, d’une blockchain publique de certification d’identité. Si pour

le moment cette société se borne aux domaines des passeports pour le trafic aérien, elle

souhaite élargir son offre et proposer à terme, aux utilisateurs, la mise en place d’un

système d’authentification des identités semblable à un véritable état civil décentralisé,

sur lequel les données ne sont pas stockées (pour être conformes au Règlement sur la

Protection des Données et aux lois nationales en la matière), mais sont cryptographiées

et authentifiées pour certifier l’identité des utilisateurs utilisant les services blockchain.

Avec cette implémentation de la technologie, force est de constater que cela aurait

vocation à résoudre de nombreuses problématiques que pose l’identification incertaine

des smart contracts à l’heure actuelle.

171. Comme il a pu l’être démontré au fil de la présente étude, l’identification est une

modalité difficile à assurer sur la blockchain en l’absence de toute régulation sur ce point.

Cette régulation, si elle intervient, se devra de prévoir les conditions de recevabilité des

signatures électroniques cryptées sur la blockchain, qui garantiront elles-mêmes

l’intégrité des transactions émises, et surtout l’identification des parties, qui revient à de

nombreuses reprises comme un élément essentiel de la formation, de l’exécution, et plus

largement de tout le processus contractuel.

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Section 2 : la blockchain comme support probatoire

172. Une fois la passerelle établie entre le code juridique et le code informatique, toutes

les conditions seront mises en œuvre pour favoriser un développement sain et licite des

blockchains et de leurs smart contracts.

Pour autant, à l’issue des problématiques intrinsèques à la formation ou à l’exécution des

smart contract, se pose celle de la reconnaissance de leur valeur probatoire (§1). Il ne fait

en effet aucun doute que, dans les mois ou années à venir, des litiges portant sur la

blockchain puissent voir le jour, et porter ainsi cette question devant les juges, et in fine,

devant la Cour de Cassation.

L’adaptation du droit aux technologies est inévitable, et, de par un arrêt d’avant dire loi

du 11 février 201698, la Cour d’Appel de Paris a réaffirmé la valeur probatoire des « copies

fiables », solution qui a d’ailleurs été entérinée par la réforme du 10 février 2016.

De nombreuses branches du droit renvoient, aussi en matière de conditions de conclusion

d'un contrat ou encore d'obligation d'information, à la notion de « support ». En la matière,

le Code de la consommation renvoie à de multiples reprises à l'exigence de support

durable : contrats hors établissements99, exercice du droit de rétractation100, obligation

d'information précontractuelle101, support de crédit renouvelable102, etc.

La blockchain, se présentant comme une technologie comparable à un « registre », mérite

alors une attention toute particulière à l’aune de cette qualification qu’elle pourrait être

susceptible de recevoir (§2).

98 Cour d’appel, Paris, 9ème ch., 11 février 2016. 99 Article L221-8 du Code de la consommation. 100 Article L221-25 du Code de la consommation. 101 Article L222-6 du Code de la consommation. 102 Article L312-85 du Code de la consommation.

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§1. L’inscription sur la blockchain comme preuve parfaite ou imparfaite

173. Les types de preuves. - A la différence du droit commercial français où le mode

de preuve est libre, il existe en droit civil français deux types de preuves : les preuves

parfaites et les preuves imparfaites, aussi nommées « preuves légales », et « preuves

morales » pour les secondes. Les preuves parfaites ne peuvent être écartées par le juge et

peuvent concernant tant les actes que les faits juridiques ; tandis que les preuves

imparfaites, au contraire, ont une force probante à géométrie variable, appréciée par le

juge, et concernent principalement les faits, plus rarement les actes juridiques.

Le droit de la preuve a été récemment repensé au sein de la réforme du droit des contrats

opérée par l’ordonnance du 10 février 2016103. Autrefois traitée dans le titre « Des

contrats ou des obligations conventionnelles en général », la preuve s’est vu octroyée tout

un titre IV vis dédié à son approche, avec les articles 1353 à 1386-1.

Tel qu’énoncé ci-avant, il existe deux types de preuves : les preuves dites « parfaites » et

les dites « imparfaites ».

Sous la catégorie des preuves parfaites se regroupent trois grands types de moyens :

l’écrit, avec les actes authentiques (écrits et signés par un officier public), sous seing privé

(écrits et établis entre les parties, ou encore électroniques (écrits et signés sur un support

électronique) ; l’aveu judiciaire, et enfin le serment décisoire.

A l’opposé, sous la catégorie des preuves imparfaites se regroupent cinq autres moyens

de preuve : le commencement de preuve par écrit, le témoignage, les présomptions de

l’homme (ou indices), l’aveu extrajudiciaire, et enfin le serment supplétoire.

174. La valeur probante des inscriptions sur la blockchain. - Les smart contracts

évoluant sur la blockchain, il semble inévitable de se poser la question de la valeur

probante de toute mention sur ce « registre décentralisé ».

Ce dernier contient l’historique de tous les échanges effectués entre ses utilisateurs depuis

103 Ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.

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le début : chaque transaction, après avoir été authentifiée, est insérée dans la chaîne de

blocs et horodatée simultanément, avant d’être partagée sur les copies détenues par

chaque utilisateur de la blockchain.

Il convient ici de retracer plus en détails cette inscription via un exemple de transaction

sur la blockchain avant d’en analyser les implications juridiques en matière de valeur

probante.

175. Exemple concret. - Monsieur A souhaite payer 0.10 Bitcoins à Monsieur B pour

la location saisonnière de son appartement. Il souhaite débloquer le paiement lors de la

délivrance de la carte magnétique de l’appartement. Ils soumettent (via une

programmation de code) cette condition et cette transaction subséquente au réseau, et

inscrivent ce smart contract sur la blockchain. Les mineurs (ou autres utilisateurs) vont

alors procéder à la vérification de cette opération : ils vont vérifier tout d’abord que

Monsieur A est bien titulaire de la somme à verser, et que les conditions de la transaction

sont conformes à ce que les parties ont prescrit : à savoir que la clé magnétique a bien été

activée. Les mineurs vont arriver à un consensus : soit une condition fait défaut ou

Monsieur A n’est pas titulaire de la somme, alors dans ce cas-là, la transaction est

abandonnée à ce stade ; soit dans le cas contraire, ils décident de valider la transaction. A

l’aune de cette décision d’authentification, la transaction est validée et inscrite à la suite

de registre inaltérable qu’est la blockchain. La transaction devient un maillon de la chaîne

de blocs, et est, si elle est inscrite sur une blockchain publique, visible par tous. Ce registre

actualisé est ensuite partagé entre tous les utilisateurs de la blockchain qui conservent en

temps réel une ‘copie’, empêchant toute fraude ou altération.

Admettons qu’une contestation émane de ce contrat de location saisonnière, et pour lequel

les parties n’avaient prévu aucune issue arbitrale ou médiatrice au sein du code. Le

smart contract, achevé puisqu’exécuté, a été inscrit sur la blockchain, il est désormais

authentifié et inaltérable.

Monsieur A saisit alors le juge en réparation d’un préjudice qu’il a subi au sein de

l’appartement : pour prouver le lien contractuel qui les liait, peut-il se fonder sur le smart

contract inscrit sur la blockchain ?

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176. Publicité et traçabilité. - De tout ce processus se dégagent deux éléments majeurs

sur lesquels il convient de se focaliser : l’idée de publicité et l’idée de traçabilité. C’est

grâce à ces deux notions que l’on peut rapporter la preuve de toute transaction.

Cependant, à la différence d’un système centralisé qui authentifie la transaction

(notamment une banque), c’est le système lui-même qui authentifie104 et fabrique de

toutes pièces la preuve. On se demande alors si cette inscription horodatée peut avoir

valeur de « sceau numérique105 ».

Il ne semble pas invraisemblable ici de pouvoir considérer, et envisager à terme une

consécration légale de l’idée selon laquelle une inscription sur la blockchain puisse

acquérir la même force probante qu’un acte sous seing privé : elle serait donc un mode

de preuve parfait, pour lequel le juge est lié et qui fait foi à l’égard de tous. De cette

qualification découlerait alors une application des articles 1372 à 1377 du Code civil ; ou

tout aussi bien d’un acte authentique, s’il s’agit d’une blockchain privée réservée aux

officiers publics notamment.

Certaines entités sur la blockchain travaillent justement sur cette problématique,

notamment au regard des cadastres publics : ils souhaitent, à terme, pouvoir permettre

aux notaires d’accéder et ajouter des transactions immobilières au sein de la blockchain,

ce qui les rendrait opposables à tous en temps réel et permettrait une plus grande

accessibilité de ces registres.

177. Vers une consécration officielle de la blockchain et sa valeur probante ? -

Partant, la blockchain s’avèrerait être un nouveau mode de preuve si le législateur optait

pour la reconnaissance de ce dispositif en tant que tel. En envisageant la consécration

officielle d’un nouveau mode de preuve, les perspectives de mise en œuvre demeurent

vastes. Notamment, tel qu’il avait pu l’être mentionné au sein du propos introductif du

présent mémoire, cette technologie potentiellement probante (pour l’heure) pourrait

permettre de repenser tout le système cadastral des mairies, ou le système de gestion des

droits de propriété intellectuelle.

104 H. DE VAUPLANE, La Blockchain et la loi, in chron. Finance de l'innovation, innovation(s) dans la finance, préc. note n° 2 105 C. ZOLYNSKI, Blockchain et smart contracts : premiers regards sur une technologie disruptive, RD Bancaire et fin. N°1, Janvier 2017

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En attendant cette consécration, force est de constater que le nouvel article 1368 maintient

la possibilité conventionnelle de prévoir par avance de régler les questions de preuve : il

est possible pour les parties d’inclure donc au sein du smart contract que l’inscription sur

la blockchain aura valeur probante, ce qui liera le juge.

§2. Le smart contract érigé en support durable

178. L’exigence de « copie fiable ». - A l’heure où les implémentations et

expérimentations des smart contracts se démultiplient sur de nombreuses blockchains,

privées ou publiques, il apparaît opportun de s’interroger sur la capacité de ces derniers à

constituer des « supports durables » au sens des différentes dispositions du droit français.

La réforme du Code Civil intervenue avec l'ordonnance du 10 février 2016 et entrée en

vigueur au 1er octobre 2016, a opéré quelques modifications en matière de droit de la

preuve.

Si elle n'a pas sensiblement bouleversé le terrain de la preuve électronique des anciens

articles 1316-1 et 1316-4, ou encore 1375, la réforme a cependant imposé la recevabilité

conditionnée de nouveaux modes de preuve.

Sur ce point, elle a notamment entériné la position prétorienne106 qui consistait en la

reconnaissance de la force probante d'une copie numérisée « fiable » d'un document

bancaire.

179. Le support durable. - Innervé dans le droit de la consommation, le « support

durable » se retrouve aussi dans de nombreuses autres branches du droit français107 : il

sert de preuve de l’existence de la relation contractuelle entre les parties.

Cette notion est définie par l'article L222-4 du code de la consommation : « est considéré́

106 Cour d'appel, Lyon, 6e chambre, 3 Septembre 2015 – n° 13/09407 et Cour d’appel, Paris, 9ème ch., 11 février 2016 107 Notamment avec l'article L113-15-2 du Code des assurances à titre d'illustration.

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comme support durable, tout instrument permettant au consommateur de stocker des

informations qui lui sont adressées personnellement afin de pouvoir s'y reporter

ultérieurement pendant un laps de temps adapté aux fins auxquelles les informations sont

destinées et qui permet la reproduction à l'identique des informations stockées ».

Par ailleurs, le droit européen lui offre aussi un socle de dispositions et d’exigences au

sein de plusieurs textes : c’est le cas notamment de la directive du 25 novembre 2015108

sur les services de paiement qui définit le support durable comme « tout instrument

permettant à l’utilisateur de services de paiement de stocker les informations qui lui sont

personnellement adressées d’une manière telle que ces informations puissent être

consultées ultérieurement pendant une période adaptée à leur finalité et reproduites à

l’identique ».

Enfin, on retrouve enfin la directive du 25 octobre 2011109 qui, dans son vingt-troisième

considérant, considère qu’un support durable peut prendre diverses formes : support

papier, clés USB, disques durs externes, DVD, CD-ROM, cartes mémoires, courriels.

180. On retrouve également la directive du 23 avril 2008110 concernant les crédits à la

consommation : cette dernière a servi de support à de nombreux arrêts111 pour consacrer

les exigences du support durable : garantir au consommateur la possession des

informations requises pour lui permettre de faire valoir ses droits le cas échéant.

Un premier pas a été franchi avec l’arrêt du 25 janvier 2017, pour laquelle la Cour a

précisé qu’un site internet pouvait être considéré comme un support durable et apporté

des précisions en matière d’ « informations » à fournir, stocker et rendre disponibles, ce

qui laisse quelques perspectives enthousiastes en matière de smart contract : « les

modifications des informations et des conditions, prévues à l’article 42 de ladite

directive, ainsi que les modifications du contrat-cadre, qui sont transmises par le

108 Directive 2015/2366 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2015 concernant les services de paiement dans le marché intérieur. 109 Directive 2011/83/CE du Parlement européen et du conseil du 25 octobre 2011 relative aux droits des consommateurs. 110 Directive 2008/48/CE du Parlement européen et du conseil du 23 avril 2008, concernant les contrats de crédit aux consommateurs. 111 Dont notamment CJUE N° C-49/11, Contents Services, 5 juillet 2012 et CJUE n° C-42/15, Home Credit Slovakia, 9 novembre 2016

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150

prestataire de services de paiement à l’utilisateur de ces services au moyen d’une boîte

à lettres électronique intégrée à un site Internet de banque en ligne, ne sauraient être

considérées comme étant fournies sur un support durable, au sens de ces dispositions,

que si les deux conditions sont réunies :

ce site Internet permet à cet utilisateur de stocker les informations qui lui ont été́

personnellement adressées de manière qu’il puisse y accéder et les reproduire à

l’identique, pendant une durée appropriée, sans qu’aucune modification unilatérale de

leur contenu par ce prestataire ou par un autre professionnel ne soit possible, et

si l’utilisateur de services de paiement est obligé de consulter ledit site Internet afin de

prendre connaissance desdites informations, la transmission de ces informations est

accompagnée d’un comportement actif du prestataire de services de paiement destiné à

porter à la connaissance de cet utilisateur l’existence et la disponibilité́ desdites

informations sur ledit site Internet. »112.

Par ailleurs, le support doit surtout garantir l’absence de modification possible de son

contenu, et c’est bien là que la blockchain se pose en pionnière en la matière : un site

internet peut en revanche être piraté, tandis que la blockchain demeure de par son

architecture, infalsifiable.

181. La blockchain comme support durable infalsifiable. - Le support durable joue

un rôle considérable dans les règles applicables en matière de commerce en ligne113, on

pourrait alors imaginer un raisonnement analogue en matière de smart contract, calqué

sur celui pour admettre les smart contacts en tant que support probatoire (cf. raisonnement

ci-avant dans le précédent paragraphe).

Admettons qu’un smart contract simple en matière de location temporaire de véhicule

soit créé dans la blockchain : A loue à l’entreprise B un véhicule, ils inscrivent les

conditions dans le code et prévoient un versement du paiement pour moitié lors de

l’arrivée, pour moitié lors de la restitution des clés par le locataire, ainsi que le versement

puis la restitution d’une caution. Ce contrat, qualifié en contrat de prestation de location

112 CJUE, n° C-375/15, BAWAG PSK Bank c. Verein für Konsumenteninformation, 25 janvier 2017 113 Articles L221-5 et s. du Code de la consommation.

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véhicule, sera soumis aux dispositions du Code de la consommation précité.

Il n’est pas impossible d’ancrer dans le code l’envoi des informations précontractuelles

et contractuelles obligatoires (L111-1 et L113-1 plus spécifiquement pour ces contrats-

là) prévues notamment à l’article L221-5 et L221-12 du Code de la consommation en

matière de contrats en ligne, au loueur.

De fait, il semble tout à fait envisageable que la blockchain puisse constituer un « support

durable » que l’utilisateur puisse aller consulter à tout moment et utiliser pour faire foi ou

pour faire valoir ses droits.

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Chapitre 2 : des conséquences de la désintermédiation issue des smart

contracts en matière de statut et de responsabilité des utilisateurs

182. En matière de blockchain, l’anonymat gouverne. Contrairement à la vie courante

et quotidienne, dans laquelle il est plus aisé d’obtenir l’identité de celui avec qui on

contracte. La blockchain, avec pour corollaire la mise à l’écart de toute confiance, met en

lumière un nouveau mode de conclusion des contrats et une nouvelle automatisation de

ces derniers, qui emporte avec lui de nombreuses interrogations quant au statut des

protagonistes (Section 1), mais aussi quant aux responsabilités de ces différents acteurs

(Section 2), qu’elles soient pénales ou civiles, et basées sur des législations existantes, ou

à créer.

Toute la difficulté de la blockchain, encore une fois, prend racine dans sa nouveauté et

son absence de réglementation établie.

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Section 1 : le statut complexe des utilisateurs de la blockchain et ses smart contracts

183. Si les nouvelles technologies offrent de nouvelles ambitions et perspectives, elles

introduisent dans le même temps de nombreuses complexités.

Les smart contracts, au vu de leur évolution si rapide et de leur extension à des domaines

divers et variés, méritent une attention toute particulière au regard de la qualification à

apporter plus précisément aux parties qui s’engagent, et des conséquences légales qui

pourraient en découler.

Par exemple, de nombreuses sociétés se spécialisent et focalisent leurs activités

précisément sur la blockchain, et, n’étant réglementée qu’en tant que « support », on se

demande si les dispositions légales en vigueur, notamment le Code de la consommation

ou encore le Code de commerce, auront vocation à s’appliquer, pour protéger ou atteindre

tantôt les professionnels (§1), tantôt les particuliers agissant en son sein (§2).

§1. « L’utilisateur professionnel ou commerçant »

184. Dispositions codifiées. - Le Code de commerce définit les commerçants comme

« ceux qui exercent des actes de commerce et en font leur profession habituelle114 ».

Le Code de la consommation définit le professionnel comme « toute personne physique

ou morale, publique ou privée, qui agit à des fins entrant dans le cadre de son activité

commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, y compris lorsqu'elle agit au

nom ou pour le compte d'un autre professionnel115 ».

Enfin, le Code civil définit quant à lui la société : elle est « instituée par deux ou plusieurs

personnes qui conviennent par un contrat d’affecter à une entreprise commune des biens

ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra

114 Article L121-1 du Code de commerce. 115 Article liminaire du Code de la consommation, modifié par Loi n°2017-203 du 21 février 2017

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en résulter. Elle peut être instituée, dans les cas prévus par la loi, par l’acte de volonté

d’une seule personne. Les associés s’engagent à contribuer aux pertes. 116»

Au regard de toutes ces définitions, il convient de se demander si les utilisateurs de la

blockchain peuvent être qualifiés distinctement de chacune de ces qualifications, ce qui

permettra de préciser leur statut, mais par la suite également le régime qui se rapportera

à leurs actes passés sur la blockchain.

185. La blockchain et le commerçant professionnel. – Le commerçant est une

personne physique ou morale qui exerce habituellement des actes de commerce et qui est

inscrite au Registre du Commerce et des Sociétés. Il dispose, de par cette qualification

particulière, d’un régime spécial protégeant son outil de travail (principalement son

commerce), mais aussi d’autres personnes tierces, pour la plupart créanciers ou clients.

Un acte de commerce se définit comme un acte passé par le commerçant pour les besoins

de son activité, au regard des listes non limitatives des articles L110-1 et suivants du Code

de commerce (regroupant les actes de commerce par nature, par leur objet, par leur forme,

ou par accessoire).

Les actes de commerce pouvant revêtir de nombreuses formes et modalités, il est possible

dès lors de pouvoir qualifier certaines opérations passées sur la blockchain comme étant

des actes de commerces, dont découlent ensuite la qualité de commerçant.

Seul le support change en définitive, au lieu de passer des actes de commerce dans le

monde physique ou sur la blockchain, les opérations sont déportées sur le registre

décentralisé qu’est la blockchain, où les opérations procèdent de smart contracts.

186. La blockchain et les « sociétés d’algorithmes » – Il existe sur la blockchain une

profusion de formes de contributions. Mineurs, utilisateurs simples, offreurs de biens et

de services, de nombreux statuts peuvent se cumuler, et coexister, mais quid des

« organisations numériques » constituées sur cette technologie d’un nouveau genre.

A l’aide de certaines innovations proposées par des start-ups, il est désormais possible,

sur la blockchain, d’intégrer des systèmes distribués et décentralisés qui ont un contexte

relativement semblable à celui d’une entreprise.

On parle alors ici des Decentralized Autonomous Organisations (DAO) : elles sont un

116 Article 1832 du Code civil.

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empilement ou un écosystème de smart contracts (et donc d’algorithmes) qui ont vocation

à accomplir un ensemble complexe de tâches, semblable à l’organisation d’une société

telle que nous les connaissons dans le monde physique.

Ces DAO issues de smart contracts et donc de la blockchain ont plusieurs

caractéristiques :

- elles sont des « entreprises commerciales distribuées » ayant vocation à réaliser un

certain profit, en ce sens qu’elles fonctionnent aussi simultanément sur tous les serveurs

des utilisateurs répartis dans le monde. Entre associations, société de financements, ou

même sociétés anonymes elles ont une forme hybride et complexe, pour laquelle aucun

statut n’a vocation à s’adapter ;

- elles sont autonomes, puisque basées sur des smart contracts et produisent des effets

juridiques comme le font les contrats classiques ;

- ces effets juridiques sont issus des actifs de la blockchain, les cryptomonnaies donc, qui

sont regroupées de manière à former un capital social comme le ferait une société

classique ;

- enfin, elles n’ont, de par leur nature décentralisée et issue de la blockchain, pas de

personnalité juridique, ni siège, ni autorité centrale.

Cette nouvelle ‘forme’ de société a d’ailleurs bien des avantages : en termes de coûts

principalement, la blockchain permet de réaliser des économies non négligeables dans

des domaines qui nécessitent en temps normal une certaine expertise : comptabilité,

ressources humaines, management, et bien d’autres. Chacun d’entre eux peut avoir une

vocation automatisée au sein de la blockchain. Pour autant, quel statut donner à ces entités

qui, bien que non reconnues pour l’heure, agissent sur la blockchain au même titre que

des « sociétés » au sens légal du terme ?

Ces systèmes, prétendent peu à peu à une reconnaissance légale similaire à celle des

sociétés au sens du Code civil et du régime qui leur est propre au sein du Code de

commerce.

187. Les sociétés de fait de la blockchain. - Pour l’heure, force est de constater qu’en

l’absence de toute reconnaissance légale, ces entités ne peuvent être qualifiées que de

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« sociétés de fait », quand bien même les plus sophistiquées d’entre elles aient le même

type de fonctionnement et de structure que les SARL ou SCIC du monde physique.

Cependant, une seule différence demeure avec les sociétés de fait telles que reconnues

par le Code de commerce : traditionnellement, il s’agit de personnes physiques ou morales

qui se comportent comme une société immatriculée, alors qu’ici, en l’espèce, il s’agit

lignes de code qui agissent.

De plus, cette qualification emporte logiquement les mêmes conséquences que pour les

sociétés de fait du monde physique : les associés sont tenus solidairement,

personnellement et de manière illimitée aux dettes et ce sur leurs biens personnels.

Ici encore, cela pose la question de l’identification des créateurs d’une organisation

décentralisée, sans quoi toute poursuite semblerait ineffective.

A titre de précision, il convient cependant de noter qu’il se met en place actuellement au

sein de la blockchain un véritable écosystème de « sociétés de fait » qui se proposent de

répliquer les organisations connues dans les structures légales : automatisation des

services financiers, juridiques, comptables, conseils d’administration, etc.

Un projet d’implémentation de la technologie vise même actuellement à mettre en place

un processus d’immatriculation de ces sociétés, à l’image du Registre du Commerce et

des Sociétés que nous connaissons dans l’environnement actuel.

Au regard de ces évolutions, et du nombre croissant de « sociétés » créées sur la

blockchain, il apparait absolument nécessaire de reconnaitre le statut si particulier de ces

systèmes, organisations, entités, les qualificatifs sont nombreux. Une piste pourrait être

évoquée en prenant en compte notamment l’idée d’une « personnalité électronique » à

l’image de cette envisagée pour les robots117, puisque la qualification de « société de fait »

n’est que transitoire et ne se révèle pas satisfaisante.

117 Projet de rapport du 31 mai 2016 (par Mady Delvaux) contenant des recommandations à la Commission concernant des règles de droit civil sur la robotique disponible sur : http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=//EP//NONSGML%2BCOMPARL%2BPE-582.443%2B01%2BDOC%2BPDF%2BV0//FR

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§2. « L’utilisateur consommateur ou non professionnel »

188. Une refonte en profondeur du commerce et de l’acte d’achat. – Le terme de

blockchain ou encore de smart contracts sont encore bien peu connus du grand public.

Tellement techniques, ces derniers se présentent comme assez difficiles à appréhender

pour les profanes en la matière. Pour autant, si on les rattache bien souvent aux Bitcoins

et à la sphère financière, la blockchain, aussi disruptive soit-elle, et ses multiples

applications, sont en voie pour changer radicalement le monde commercial tel que nous

le connaissons.

Outre le mode de conclusion du contrat qui promet d’évoluer, ce qui a fait l’objet de

l’ensemble de la première Partie, c’est aussi les actes de consommation des individus qui

pourraient se voir bouleversés par les implémentations de la blockchain.

En effet, à une époque où la traçabilité et le suivi des produits sont plus que jamais mis

en exergue et surveillés, la blockchain pourrait être une source d’information sûre et

précise pour les consommateurs.

Notamment, les possibilités sont multiples dans le domaine du commerce équitable : dans

ce dernier, les marques cherchent à renforcer l’obligation d’information et l’étiquetage

auprès des consommateurs, et la blockchain se pose en valeur sûre quant au suivi de la

provenance et du parcours des denrées : on imagine à terme pouvoir scanner le code-barre

d’un produit, et pouvoir découvrir sur la blockchain en simultané toutes les étapes du

cycle de production et de vie du produit.

Evidemment, la blockchain pourrait servir à l’ensemble des produits, mais il convient

dans un premier temps que les distributeurs et les producteurs, industriels ou locaux, se

fassent à cette nouvelle technologie.

Pour aller plus loin dans cette idée de commerce, la tendance dans la société est au

commerce de proximité, et on imagine aisément la prolifération de smart contracts entre

distributeurs et petits producteurs locaux afin de créer un commerce encore plus traçable

et transparent auprès des consommateurs, qui auront de fait la garantie de leur geste

d’achat dit « de proximité ».

Cette idée de traçabilité a matière a s’imposer pour tout ce qui concerne les denrées

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alimentaires, mais pas seulement : plusieurs sociétés avant-gardistes proposent elles aussi

une solution de traçabilité sur des produits bien plus sensibles et faisant l’objet de

régulières fraudes : les diamants et les pierres précieuses.

En attribuant une identité cryptée à chaque pierre sur la blockchain, elle crée alors un

registre infalsifiable et immuable quant à la traçabilité des diamants et pierres précieuses.

Ce ne sont que quelques exemples illustratifs pour prouver les capacités de la blockchain

et des smart contracts pour faire évoluer la sphère consumériste, où le consommateur

aurait désormais un droit d’information et d’affichage bien plus renforcée en sa faveur.

A terme, on imagine même, en allant plus loin, que les smart contracts puissent se

démocratiser entre les consommateurs eux-mêmes et les sociétés : en établissant certaines

conditions sur mesure évidemment (respect des normes environnementales,

conditionnement, salaire versé aux producteurs locaux en contrepartie, etc.), le

consommateur pourrait à terme prévoir des smart contracts avec les entreprises, lesquels

seraient directement enclenchés une fois acceptation et satisfaction des conditions par

cette dernière. Une fois cette étape franchie, l’argent serait automatiquement transféré du

consommateur envers le professionnel, et le bien entrerait en production, puis en livraison

par la suite, avec un suivi possible par le consommateur via le registre.

189. La partie au smart contract : qualifiée de consommateur ? – Le Code de la

consommation, dans son article préliminaire, définit le consommateur comme « toute

personne physique qui agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité

commerciale, industrielle, artisanale ou libérale ».

A l’instant des développements précédents sur le statut de commerçant au sein de la

blockchain, la question se posant ici est principalement, et une fois de plus, celle de

l’identification des utilisateurs.

Nous ne reviendrons pas ici sur l’ensemble de la problématique liée à l’identification des

individus, pour laquelle nous avons par ailleurs proposé une solution, mais force est de

constater que là encore, la problématique se pose.

Si en revanche, cette dernière venait à être résolue, il semble dès lors possible d’affirmer

que les utilisateurs de la blockchain peuvent eux aussi, être considérés comme des

consommateurs, et pour lesquels les dispositions du Code précité pourraient s’appliquer

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à leurs actes de consommation.

Au regard des expérimentations actuelles de la technologie, certaines dispositions sont

par nature (et pour l’instant seulement, car rien ne prévoit que ces domaines ne puissent

innerver la blockchain un jour ou l’autre), évincées des prospections en matière de

blockchain : il est possible ici de mentionner par exemple les dispositions intéressant les

différents types de crédits, qui sont pour l’heure étrangers à la blockchain. Pour autant,

s’ils sont étrangers à la blockchain, cela ne signifie pas qu’ils soient irréalisables, car il

est possible d’imaginer un smart contract complexe qui reprend les éléments d’un prêt tel

qu’une banque pourrait le faire, à la différence qu’ici il n’y aurait aucun intermédiaire de

confiance comme peut l’être l’établissement bancaire.

190. Le smart contract : danger pour le consommateur ? – Si pour l’heure il n’existe

encore pas de smart contracts qualifiés de « contrats de consommation » au sens

consumériste du terme et que la question ne se pose pas encore, il convient pour autant là

encore, d’opter pour une analyse prospective. Des expérimentations ont pour l’instant lieu

notamment dans le secteur assurantiel, afin de mettre en place des systèmes de smart

contracts pour assurer certains risques notamment les risques météorologiques et

technologiques.

Dans le même sens, certaines prestations et certains contrats de vente sont petit à petit

envisagés de manière à pouvoir être réglés en monnaie cryptographique, soit sur la

blockchain.

Par exemple, aux Etats-Unis, certains commerçants commencent à accepter le paiement

en Bitcoin pour certaines ventes d’objets, avec la création d’une plateforme de type Ebay,

mais basé sur la cryptomonnaie Bitcoin pour les paiements entre les utilisateurs.

En France, cette expérimentation n’est pas encore mise en place, mais ne saurait tarder.

Comment envisager dès lors le respect des droits du consommateur et l’application du

cadre légal qui leur est attribué via le code de la consommation ?

L’automatisation permet des perspectives bien vastes, et n’évacue pas l’hypothèse de

prévoir une insertion au sein même du code d’un smart contract des conditions générales

de vente ou de prestation de service. Cependant, cette hypothèse est, pour l’heure, encore

trop avancée. Dans l’état actuel de « début de transition », il est plutôt envisageable dans

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un premier temps de prévoir des conditions générales stipulant les obligations et

informations contractuelles, envoyées à part du smart contract sur la blockchain, comme

c’est le cas pour un contrat électronique. Ces conditions représenteront alors un premier

cadre qui régirait le smart contract, pour autant, ce serait, ici encore à l’image des théories

de P. De Filippi, considérer que le smart contract n’est qu’une modalité d’exécution d’un

contrat, et pas un contrat en lui-même. C’est de là que vient l’idée de programmer le droit

au sein même du contrat, et de faire en sorte qu’il puisse prévoir à terme, lui-même, le

respect des dispositions du code de la consommation au sein des lignes du code et de

l’automatisation du contrat.

On imagine par exemple que l’obligation d’information puisse être automatiquement

remplie au sein même de l’exécution du contrat, et même en amont, avec l’envoi des

mentions obligatoires, et la programmation de toutes ces exigences.

En cas de litige, les choses ne diffèrent pas de la situation actuelle avec le commerce

électronique : si certains contentieux peuvent être évités, il sera toujours possible de saisir

le juge pour faire valoir ses droits. Il ne faut pas voir ici une automatisation complète

jusqu’au stade de la décision de justice : le smart contract se doit de rester à l’intérieur de

ses frontières et ne pas interférer avec la sphère judiciaire en elle-même, sauf en ce qu’il

peut devenir un mode de preuve comme il a pu l’être énoncé. Par contre, cette interaction

entre juges et smart contracts nécessitera, quant à elle, une certaine adaptation et

formation des juges aux complexités de la technologie blockchain.

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Section 2 : les smart contracts entre désintermédiation et responsabilités

191. Lors de la création du protocole Bitcoin, Satoshi Nakamoto a veillé à ce qu’il reste

en pair-à-pair, mais surtout crypté et quasi anonyme. De cette façon, le lien entre les

protagonistes de toute transaction, et par analogie de tout smart contract, demeure difficile

à retracer, même s’il ne faut pour autant aller jusqu’à considérer que c’est totalement

impossible.

Contrairement à toute relation contractuelle entre débiteurs et créanciers, la

désintermédiation et l’encryption marquent ici un net recul de l’identification des parties,

et pose la question de leur responsabilité respective, qu’il s’agisse en l’espèce des

rédacteurs du code support des smart contract (§1), ou des parties elles-mêmes (§2).

§1. La responsabilité des rédacteurs et créateurs du code du smart contract

192. L’obligation principale des développeurs. - Les smart contracts, créés au sein

de la blockchain dont les perspectives et modalités ont été abordées tout au long de la

présente analyse, reposent sur l’idée de désintermédiation et d’abandon de la notion de

confiance au sein de la relation contractuelle.

Pour autant, en l’absence de cette confiance qui vient classiquement sécuriser les

transactions, se pose la question de la responsabilité des concepteurs et rédacteurs des

smart contracts, qu’elle soit pénale ou civile.

Dans le cadre des expérimentations actuelles, les smart contracts sont pour la plupart

développés par des développeurs, professionnels ou non, pour leur propre usage ou non.

A terme, c’est aboutir à une forme de troisième partie transparente au sein du contrat : le

développeur devient une sorte de cocontractant : les parties lui soumettent une obligation

dans le cadre d’un contrat analogue à un contrat d’entreprise, reste à déterminer s’il s’agit

par conséquent d’une obligation de résultat ou de moyen.

Dans le cadre d’une obligation de moyen, bien moins stricte que celle de résultat, et pour

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laquelle le juge serait éventuellement plus indulgent, le débiteur de l’obligation doit

mettre tous les moyens en sa possession pour parvenir à l’exécution de l’obligation, et

ici, rédiger un smart contract exempt de vice ou d’erreur. Or, l’obligation de moyen

implique une certaine incertitude au regard du résultat, ce qui ne semble pas s’appliquer

ici.

La rédaction du smart contract revêt alors les caractères d’une science exacte, et surtout,

d’une science binaire comme le code, ce qui permet de se placer en faveur de l’existence

d’une obligation de résultat.

Dans le cadre de ces dernières, le rédacteur du smart contract s’engage à atteindre

précisément le résultat envisagé par les parties, sans aucune défaillance. Dans cette

hypothèse, les rédacteurs engagent bien plus leur responsabilité, et il pourrait être

intéressant de voir mise en place une assurance spécifique en matière de smart contracts

défectueux, causant des préjudices aux cocontractants ou même à des tiers, pour surtout

limiter les risques liés à l’activité des développeurs.

Notons cependant que cette assurance n’aurait à exister qu’en matière de développeur

professionnel qui agit pour le compte d’autrui, à la demande des parties, et non en son

nom propre, sans quoi il redevient un utilisateur classique et où s’appliquera l’adage

« nemo auditur propriam turpitudinem allegans 118».

Il s’agirait donc, en définitive, au regard de tous ces éléments, d’une responsabilité

individuelle mais surtout parfois contractuelle, s’il s’agit d’un contrat d’entreprise, et

d’autres fois délictuelle, du moins pour l’instant, puisque le smart contract n’est pas

encore envisagé comme un contrat et ne peut se voir appliqué la responsabilité

contractuelle issue du Code civil ; sous réserve là encore, d’une identification des parties.

193. La faille dans la blockchain. - Sur cette problématique vient se greffer une

expérience concrète : lancée en avril 2017 sur la blockchain, un fond d’investissement

désintermédié (The DAO) ayant récolté 150 millions d’euros a pourtant connu une illustre

mésaventure119.

118 Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude. 119 Sur l’attaque de la DAO d’Ethereum : https://blog.bity.com/la-faille-de-the-dao-les-cles-pour-comprendre/

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Ce fond d’investissement était basé sur l’idée des crowdfundings120 classiques, mais

adaptée à la blockchain : en échange d’une contribution initiale, l’utilisateur recevait des

jetons (tokens) qu’il pouvait accorder aux projets de son choix, et pour lesquels il

disposait d’un droit de vote et parfois même une rémunération.

Il convient de préciser également que toute création de jeton implique une autorisation de

retrait seulement 27 jours après : si un individu a finalement obtenu des participations

pour son projet, il ne peut les retirer qu’à l’issue de cette période : on parle alors de gel

des fonds conservatoire.

Le versement des fonds aux titulaires des projets retenus est opéré via un smart contract.

Ayant pourtant levé 150 millions d’euros en moins d’une semaine, le projet a cependant

connu une faille au courant du moins de juin 2017, exploitée par un individu encore

inconnu à ce jour et donnant lieu à un détournement d’un tiers des participations (soit 50

millions d’euros environ).

Ce détournement était issu d’une faille dans le logiciel (code) que les pirates ont su

exploiter. Après avoir été retiré de la plateforme participative, l’argent avait été transféré

par smart contract vers une copie de la plateforme, mais une copie en réalité frauduleuse,

sur laquelle les hackers comptaient ensuite potentiellement dérober l’argent détourné, à

l’issue des vingt-sept jours de délai obligatoire.

Trois possibilités s’offraient aux responsables du programme DAO : ne rien faire et

laisser ces fonds sur le compte usurpé ; détruire cette copie usurpée mais détruire dans le

même temps l’argent dérouté, ou enfin adopter une démarche contraire à la genèse de la

blockchain : écraser la chaîne de blocs avec une manœuvre semblable à une

« restauration » dans le langage informatique plus courant, et contrevenir aux principes

d’inaltérabilité de la blockchain, modifier manuellement un code réputé inviolable, mais

récupérer l’argent.

Dans la droite lignée de la blockchain et de sa logique de validation des blocs par

consensus, les utilisateurs du réseau se devaient, dans la période conservatoire de vingt-

sept jours, d’opter pour une de ces trois solutions.

En l’état actuel, encore une fois, le droit ne s’est pas penché sur les dérives possibles,

mais il convient ici de proposer une analyse pragmatique de ce cas de figure, qui ne

120 Le crowdfunding désigne en réalité le « financement participatif ». C’est un mode de financement de projets visant à se passer des banques, pour lequel les particuliers ou entreprises peuvent participer au financement de projets de diverses manières : dons, dons avec contrepartie, prêts, etc.

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manquera pas de rapidement se poser ultérieurement au regard des mises en pratiques

actuelles des smart contract.

Cet incident au sein de la blockchain Ethereum et ses smart contracts soulève de multiples

interrogations et manières d’envisager la situation.

Dans un premier cas, il est possible d’envisager cet évènement comme un vol, sous

l’angle pénal donc ; alors que dans une autre optique, il est envisageable de considérer

cette situation comme un « simple bug » du code, pour lequel aucune responsabilité, sinon

celle des concepteurs du logiciel source, peut être recherchée.

En matière de vol ou toute autre infraction, et de responsabilité pénale, la situation peut

impliquer ici que ce soit un utilisateur de la blockchain qui ait commis l’infraction, cette

hypothèse sera donc abordée pour ce cas de figure dans les développements du

paragraphe suivant (§2. La responsabilité des utilisateurs et parties aux smart contracts).

194. Le développeur/concepteur « voleur » dans la blockchain. – Si les smart

contracts et les engagements qu’ils contiennent sont auto-exécutés une fois la réalisation

des conditions arrêtées par les parties réputée acquise, que faire en cas d’erreur volontaire

dans la rédaction du code même du smart contract ?

Cette hypothèse n’est pas inconnue à la sphère de la blockchain, puisqu’elle a pu être

observée à deux reprises dans l’Histoire de ce registre.

Le premier cas s’est révélé dans le courant du mois de février 2014 : l’une des plus

anciennes bourses d’échanges japonaises de Bitcoin, MtGox, dirigée par un français Mark

Karpelès, a fait faillite à l’issue d’un détournement de plus de 750 000 Bitcoins (plus d’un

milliard et demi d’euros au regard du cours du Bitcoin courant mai 2017)121. Plusieurs

infractions prévues par les tribunaux japonais étaient en cause : détournement de fonds,

malversations, manipulation et falsification de données.

Concrètement, le dirigeant avait inséré des anomalies dans le code pour se voir attribuer

des sommes sur des comptes cachés et cryptés via sa plateforme d’hébergement. Il était

par ailleurs également accusé d’avoir faussé les cours du Bitcoin sur son site.

121 Affaire du Bitcoin : nouveau chef d’accusation à l’encontre du français Karpelès, article paru le 21 août 2015, disponible sur https://francais.rt.com/international/5877-affaire-bitcoin-nouveau-chef-accusastion-mark-karpeles

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Comment aborder ces infractions au regard de l’objet matériel des infractions, à savoir le

Bitcoin, qui n’a encore aucun statut ?

Les autorités japonaises ne se sont pas préoccupées du statut préexistant ou non de cette

cryptomonnaie, et y ont appliqué leur droit pénal et leur procédure pénale au même titre

qu’en cas de détournement de yens ou de dollars. Ils se sont affranchis de cette complexité

au profit d’une justice efficace et réactive. En juin 2017, l’affaire n’avait toujours pas été

jugée.

Un deuxième exemple122, quelque peu plus récent, témoigne lui aussi, cette fois sur le

continent américain, des manœuvres des juges pour éviter les obstacles de droit et de fait

qu’impliquent l’absence de reconnaissance du Bitcoin ou de toute autre cryptomonnaie,

et plus généralement l’absence de régulation de la blockchain.

Il s’agissait, cette fois dans l’état de New York aux Etats-Unis, du créateur d’un site

hébergeur de vente de drogues et d’armes en ligne, payables en Bitcoins (Silk Road). Ce

dernier nommé Ross Ulbricht, a été condamné courant mai 2015 à la réclusion à

perpétuité par les juges, sous les chefs de blanchiment, trafic de drogue et piratage

informatique. Là encore, si l’élément matériel des infractions ne posait pas problème, le

paiement par le biais de Bitcoin aurait pu causer des difficultés. Cependant, en optant

pour la même position que les juridictions japonaises dans leur garde à vue et dans leurs

poursuites, les juges américains se sont affranchis de cette absence de qualification pour

sanctionner malgré tout l’hébergeur.

En France, on imagine qu’en l’absence pour l’instant de toute législation spécifique, il ne

semble pas invraisemblable de considérer les cryptomonnaies et infractions générées sur

la blockchain par analogie à celles préexistantes. De plus, dans sa jurisprudence, si la

Cour de Cassation n’admettait pas pendant un certain temps le vol de données

immatérielles123, a fini par osciller et admettre ce « vol de données numériques 124»

ponctuellement, que les utilisateurs peuvent, eux aussi commettre.

122 Prison à perpétuité pour le créateur de Silk Road : responsabilité pénale et Bitcoin, article paru le 30 mai 2015 sur https://francais.rt.com/international/2772-createur-silk-road-condamne-perpetuitele 123 CA Paris 13ème ch. 23 novembre 1992 124 CA Nancy, 12 septembre 2002, Cass. Crim, 9 septembre 2003, n°02-87.098

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§2. La responsabilité des utilisateurs et parties aux smart contracts

195. Il demeure opportun de rappeler ici une clef de voûte du système blockchain :

l’anonymisation.

Du fait de cet élément, tout comme pour les responsabilités des auteurs et rédacteurs de

smart contracts, la responsabilité pénale, mais aussi civile des utilisateurs posent elles

aussi de nombreuses problématiques juridiques. En effet, les utilisateurs de la blockchain

demeurent anonymes, et utilisent pour la formation de smart contracts, une clé privée125.

De fait, comment procéder et envisager toute notion de responsabilité ?

Si la blockchain peut être critiquée pour cet anonymat souvent perçu comme un

synonyme de risque de blanchiment d’argent ou de fraude fiscale, il est important de noter

pourtant que, bien que chaque nouvel utilisateur détienne une clé publique, il détient tout

autant une clé privée, ce qui rend certes compliqué, mais pas impossible l’identification

du titulaire du compte sur la blockchain.

196. La clé privée : obstacle à la responsabilité pénale ? - Tout inscription sur la

blockchain nécessite la création d’une « clé privée ». Cette dernière, absolument

confidentielle et propre à chaque utilisateur, peut être considérée comme une variante

d’une carte d’identité codée et certifiant de l’identité de son propriétaire. Cependant,

contrairement à la carte d’identité qui comporte l’état civil de chaque individu, la clé

privée permet d’identifier l’utilisateur sans que jamais ne soit mentionnée son identité

civile, celle justement mentionnée sur sa véritable pièce d’identité.

Il convient également de préciser que toute clé privée ne peut être supprimée, elles sont

attribuées à un utilisateur et le sont perpétuellement.

Pour autant, si ces clés demeurent gages d’anonymisation, elles ne sont cependant pas

synonymes de sécurité absolue. En effet, ces clés peuvent être volées, et revendues

frauduleusement ensuite126. Se pose alors la question de la responsabilité en cas de

125 Cf. propos introductif sur la création d’une transaction avec les clés cryptographiques privées. 126 Notamment, en 2014, des pirates informatiques proposaient à la vente 5 500 clés privées frauduleusement obtenues, pour la somme de 200 Bitcoin, soit, à l’époque, environ 70 000 €.

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commission de ce type d’infraction, qui reste, au demeurant, encore absente du Code

pénal, mais aussi la question de la survie de la transaction, opérée en fraude des droits de

l’utilisateur dépouillé.

197. L’infraction portant sur une transaction frauduleuse. - Sur le sort de la

transaction, il n’existe encore à l’heure actuelle aucun recours susceptible de permettre à

toute personne victime de tels agissements d’annuler les transactions. En effet, tel est le

principe même de la blockchain : une fois la transaction inscrite dans le registre, il n’est

plus possible de la modifier, la blockchain demeure inaltérable. De fait, toutes les

transactions frauduleuses passées en fraude de la victime seront validées et ne pourront

être annulées ultérieurement.

Sur le sort de l’infraction, la question est en réalité bien vaste, et englobe plusieurs

problématiques : il conviendra dans un premier temps de rapporter la preuve de

l’infraction, avant d’identifier les auteurs et le régime qui leur est applicable, et enfin

envisager la juridiction compétente pour juger une telle affaire et faire exécuter une

éventuelle décision.

La première d’entre elles interviendrait donc sur le terrain de la preuve et ne pose pas

grande difficulté au regard du développement précédent127 : la blockchain, étant à terme

qualifiée de support probatoire et reconnue en tant que tel par le législateur, pourrait être

opposée en justice devant le juge pénal pour justifier d’une infraction.

Que la blockchain soit publique ou privée ne poserait là encore aucun souci, dans la

mesure où, dans les deux cas, la base de données est inviolable et serait gage

d’authentification de tous les mouvements horodatés.

La seconde préoccupation intervient ensuite en matière d’identification de l’auteur de

l’infraction. Tel que nous le mentionnions ci-avant, la blockchain sécurise les transactions

par le biais d’un système de double clé cryptographique, et les échanges réalisés sur la

blockchain sont anonymisés.

127 Cf. développements sur la prise en compte de la blockchain comme nouveau mode de preuve (voir points n°172 et suivants)

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198. Vers une identification obligatoire ? - Sur ce point, il semblerait opportun pour

le législateur de mener une réflexion quant à l’imposition d’une prise d’identité lors de la

création d’un compte utilisateur, qu’il s’agisse d’un particulier ou d’un professionnel.

A ce propos, Michel Sapin souhaitait inclure dans la loi et proposer de « limiter

l’anonymat en imposant une prise d’identité lors de l’ouverture par un professionnel d’un

compte en monnaies virtuelles pour un tiers, et en imposant une vérification d’identité

pour les retraits et dépôts aux ‘distributeurs’ de Bitcoins128 ».

Avec l’imposition de cette identification sur un serveur sécurisé, la mise en cause des

individus sur le terrain pénal se verrait largement facilitée.

Pour aller plus loin et envisager la lutte contre la fraude fiscale et le blanchiment d’argent,

il serait aussi possible de concevoir une identification des individus couplée à une

identification de l’origine des fonds : en assurant la traçabilité des fonds et leur origine.

C’est d’ailleurs le but de la Directive n°4129 sur la lutte contre le blanchiment d’argent et

le terrorisme, qui est en voie d’être modifiée pour inclure une obligation de « Know Your

Customer » que nous décrivions au sein des points 46 et suivants du présent mémoire.

Cette identification devrait ensuite se référer à un régime créé sur mesure en matière

d’infractions sur la blockchain : les régimes de responsabilité existants se montrent

inadaptés aux spécificités de la blockchain, qu’il s’agisse par exemple de la responsabilité

éditoriale (limitée aux contenus), ou de la responsabilité en matière d’hébergement

(limitée aux contenus notifiés cette fois).

199. La pénalisation de la blockchain. - Par ailleurs, il est tout aussi concevable de

voir émerger une prise en compte pénale des infractions sur la blockchain : à l’image des

infractions numériques, on pourrait imaginer la création ou modification d’articles

existants du Code pénal pour pénaliser certains comportements frauduleux (usurpation

d’identité, vol, inscription de faux, etc.).

Pour terminer, il convient de s’interroger sur la juridiction compétente en cas de

commission d’une infraction. Ici, par analogie, on peut imaginer que les critères usuels

de l’application de la loi pénale auront vocation à s’appliquer.

128 Issu de l’article « Réguler les monnaies virtuelles », se référer à la webographie sur ce point. 129 Directive 2015/849 du Parlement Européen et du Conseil du 20 mai 2015 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme

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Une fois l’auteur identifié (à supposer que le législateur entérine l’obligation

d’identification), les dispositions des articles 43, 382, et 522 du Code de procédure pénale

pourront de fait régir l’infraction commise sur la blockchain. En matière de droit pénal

international, il suffira que la victime soit française pour que les juridictions françaises

soient compétentes.

En matière d’exécution des décisions là encore la réponse peut se poser naturellement :

tout comme pour les exécutions en matière de droit de l’Internet, celles des décisions de

justice à venir en matière de blockchain devraient relever des accords entre États, afin

d’éviter toute insécurité et que les décisions restent sans effet si un individu fuyait la

France pour échapper à sa responsabilité pénale ou à l’exécution d’une décision à son

encontre.

200. La responsabilité civile et l’irrésolue identification obligatoire. - En matière

de responsabilité civile, la question de l’identification des parties est ici encore

sempiternelle. Michel Sapin souhaitait inclure dans la loi et proposer de « limiter

l’anonymat en imposant une prise d’identité lors de l’ouverture par un professionnel d’un

compte en monnaies virtuelles pour un tiers, et en imposant une vérification d’identité

pour les retraits et dépôts aux ‘distributeurs’ de Bitcoins130 ».

Nous proposons ici de créer une variante à cette réflexion et de proposer plutôt de « limiter

l’anonymat en imposant une prise d’identité lors de l’ouverture par tous les utilisateurs

d’un compte en monnaies virtuelles, en imposant une vérification d’identité dès

l’inscription, identité qui serait ensuite encryptée et impossible à obtenir par quiconque

autre que les institutions titulaires d’une mission d’intérêt général, à savoir la sécurité

publique, l’Administration et la justice ».

Une fois cette problématique d’identification complètement résolue, toutes les autres en

matière de responsabilité seront ensuite à envisager.

201. L’étape de l’identification des responsabilités. - Une fois l’identification

réalisée techniquement, une seconde étape demeure à franchir : l’identification des

responsabilités. Si cette question n’est pas nouvelle en matière de nouvelles technologies

130 Issu de l’article « Réguler les monnaies virtuelles », se référer à la webographie sur ce point.

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surtout en cas de systèmes complexes et imbriqués (technologies des ordinateurs dans

l’aviation, dans la marine, droit des plateformes, etc.), force est de constater que les

partages ou déterminations de responsabilités n’interviendront là encore que grâce à des

expertises techniques : parmi la multitude des intervenants sur la blockchain et au smart

contract selon sa complexité, ses parties, et ses conditions d’exécution, il reviendra au

juge, désignant un expert, d’opérer cette identification des responsabilités. En matière

d’aviation, pour illustrer le mode de raisonnement, la responsabilité est souvent tournée

vers le plus professionnel, étant titulaire le plus souvent d’une assurance. On pourrait

opter pour un raisonnement analogue entre les parties au smart contract, que la

responsabilité soit ici pénale ou civile.

Certains litiges ne nécessiteront pas une expertise de par leur nature même, notamment,

dans le cadre d’un litige portant sur la réalisation d’une condition extérieure à la

blockchain et dans le cadre d’un contrat « simple » de vente entre deux individus, la

responsabilité de telle ou telle partie ne nécessitera pas tous les éléments précédemment

évoqués. Pour autant, au regard de la jurisprudence, il est possible d’affirmer que tous les

litiges ne sont pas aussi simples et les responsabilités pas toujours aussi faciles à

identifier.

202. Responsabilité civile et extranéité. - Au regard de la complexité et de l’extranéité

de la blockchain, surtout la blockchain publique, les dispositions normatives nationales

pourront s’avérer insuffisantes en cas de conflit internationalisé. Certaines normes

existantes au niveau international peuvent assurer la transition. Notamment, on pense ici

à l’article 4 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 qui prévoit pour le contrat une

application de la loi du pays avec lequel le contract « présente les liens les plus étroits »,

malgré quelques exceptions énoncées ensuite en matière immobilière, de contrat de

travail, de marchandises, ou encore de droit du consommateur, pour lequel

l’établissement de la loi applicable est élargi à la prise en compte du lieu de résidence du

consommateur.

Aussi, dans toutes les situations où l’utilisation de la blockchain, et plus particulièrement

des smart contracts, créerait un dommage contractuel, un rattachement à une loi nationale

serait toujours possible, malgré la nature publique, et anonymisée de la blockchain, qui

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serait de fait résolue par l’imposition d’une identification encryptée lors de l’inscription.

En matière de dommage corporel, dans le même sens et en application de l’adage Lex loci

delicti de droit international privé, il suffisait que le dommage survienne en France lors

de l’exécution d’un smart contract pour que le droit français (actuel, mais surtout futur en

matière de blockchain), puisse s’appliquer.

En matière d’exécution des décisions de justice la réponse sera ici identique à la matière

pénale : tout comme pour les exécutions en matière de droit de l’Internet, celles des

décisions de justice à venir en matière de blockchain devraient relever des accords entre

États.

En réalité, on remarquera ici que les questions de territorialité et procédure qui ont

souvent été décriées par la doctrine en matière de smart contract trouvent en réalité leurs

réponses dans les textes existants.

Par précaution en revanche, il semblerait pertinent de prévoir, pour les développeurs et

juristes qui s’attèleront à la création des smart contracts, de prévoir un rattachement par

défaut du smart contract, pour faciliter l’ultérieure désignation de la juridiction

compétente. Qu’il s’agisse de la désignation d’un tribunal ou d’un arbitre, les smart

contracts pourraient anticiper ces questions de responsabilité civile et de procédure, et

cela pourrait s’avérer relativement efficace.

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CONCLUSION TITRE 2

203. « La blockchain instaure une perte de pouvoir incontestable pour les banques sur

le marché du crédit, les compagnies d’assurance et la gestion statistique et impersonnelle

de leurs clients, les grandes galeries d’art, les sociétés d’auteurs compositeurs, les

monopoles de distribution de l’énergie. (…) Il existe cependant de nombreuses questions

à régler. Par exemple, renforcer le cadre législatif de la blockchain (…)

La France ne peut pas manquer de s’impliquer dans une telle révolution.131 ».

Comme ce fut le cas avec Internet, et notamment le e-commerce, qu’il a fallu réglementer

de manière rapide et pragmatique pour en assurer l’efficacité et l’efficience, la nouvelle

technologie qu’est la blockchain met à l’épreuve les règles de droit.

Par ailleurs, l’idée même de décentralisation engendre dans le même temps des obstacles

qui nécessiteront, à terme, une adaptation du système judiciaire et surtout des normes

existantes, en veillant à créer un cadre propice aux développements et expérimentations

des smart contracts au sein de la blockchain.

Cependant, là où certains ont pu parler d’insécurité manifeste ou encore de vide juridique,

force est de constater que la blockchain peut malgré tout, en attendant toute adaptation

ultérieure par le législateur, se référer aux principes de droit commun : « Il faut se méfier

de l'expression "vide juridique" parfois utilisée pour parler de la blockchain car en

l'absence de règlementation spéciale, il n'en demeure pas moins des dispositions de droit

commun facilitant dans un premier temps l’innovation et le développement de nouveaux

usages. Ainsi, la blockchain - tout comme d'autres nouvelles technologies - peut être

appréhendée par le droit.132 ».

204. Qu’il s’agisse du terrain probatoire ou de celui de la responsabilité, constituant

l’un comme l’autre deux problématiques majeures de la blockchain et des smart

contracts, tout comme celle de l’identification des utilisateurs qui innerve la présente

131 Extrait de la préface de La blockchain décryptée, Les clefs d’une révolution, par Joël de Rosnay. Editions Broché, 2016 132 Discours de Sandrine Cullaffroz-Jover, Avocat et Directrice de PwC Avocats.

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étude de part en part, la communauté tant juriste que technique ont toutes deux un rôle

essentiel à jouer en ce sens que ce sont elles qui pourront proposer les traits d’une certaine

régulation, mais d’une régulation souple, notamment au regard de la soft law, pour qu’elle

s’impose et permette le développement croissant de la blockchain et des smart contracts,

sans pour autant l’étouffer. Certains parlent aussi de l’instauration d’une véritable lex

cryptographia133,

205. Cependant, les utilisations de la blockchain et ses smart contracts sont tellement

rapidement mises en place et diverses, que le laps de temps écoulé entre encadrement et

mise en place des systèmes risque de créer un décalage. Quelle alternative proposer

alors ? Plusieurs développeurs mettent en avant l’idée d’une législation « ponctuelle et

centrée sur certains éléments » de la blockchain, en n’encadrant que certaines modalités,

pour permettre à la fois une régulation, mais dans le même temps, une atteinte limitée au

caractère décentralisé de la blockchain. Pour l’instant, la réponse donnée par le législateur

est celle du silence et de l’attente.

Le point d’orgue sur lequel s’accorde l’ensemble des institutions et professionnels de tous

milieux confondus est l’aspect sécuritaire de la blockchain, et c’est d’ailleurs ce qui

explique la consécration légale française de la blockchain au cours de l’année 2016.

Cependant, à l’heure actuelle, ces titres de propriétés et leur cession qui a été reconnue

via le support de la blockchain n’a toujours pas reçu de décret d’application, et ne

demeurent toujours pas opposables pleinement aux tiers ni titulaires de valeur légale pour

l’instant (surtout pour les cryptomonnaies).

La reconnaissance légale de la valeur probante de la blockchain est donc vivement

attendue.

Par exemple, il serait envisageable de voir intégrer au Code civil un article disposant que

« toute transaction enregistrée sur la blockchain pourra être tenir lieu de preuve au même

titre que le contrat écrit issu des articles 1353 et suivants du présent code ».

133 A. WRIGHT et P. DE FILIPPI, Decentralized blockchain technology and the rise of lex cryptographia, Mars 2015

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206. Par ailleurs, pourraient demeurer certaines incertitudes et critiques sur le principe

même de la blockchain en tant que preuve. La blockchain est un système majoritaire : le

juge sera-t-il convaincu parce que 51 % des personnes interrogées ont affirmé que la

preuve était valable ?

A ces craintes-là, il apparait opportun de se poser la question suivante : vaut-il mieux une

preuve qui émane d’une seule personne (potentiellement corruptible - même un officier

public - ou qui émane d’une entité immatérielle qui rassemble un consensus de plus de

51% obligatoirement ?

La réponse logique à cette question devrait éteindre certains doutes.

Le pouvoir politique et législatif devra se poser tôt ou tard la question de la valeur

juridique des actes passés sur la blockchain, car sans cet ‘adoubement’, les actes n’auront

pas de valeur opposable, quand bien même ils offrent une sécurité et une immutabilité

redoutables.

Il y a effectivement des dangers avec la blockchain et les smart contracts, tout autant qu’il

y a des dangers avec Internet, mais ces derniers seront comblés par la loi mais surtout en

attendant, par la pratique, pour laquelle la jurisprudence et la casuistique se poseront en

architectes d’une régulation nouvelle nécessaire, mais mesurée.

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CONCLUSION PARTIE 2

« Avons-nous trouvé la pierre philosophale d’un nouveau droit contractuel, celle qui

transforme le formalisme papier en formalisme animé par la machine ? Et si la machine

libérait le droit... et les hommes ? 134».

208. Si les technologies issues de la blockchain offrent des perspectives de

désintermédiation pour de nombreuses situations, force est de constater qu’elles

introduisent concomitamment de nouvelles complexités.

La nouveauté effraie, et ces complexités issues de la technologie ont pu mettre en lumière

de nombreux aspects de la blockchain difficilement appréhendables par les juristes.

Pour autant, au-delà de ces problématiques pour lesquelles un appel aux régulateurs est

lancé, les juristes et les développeurs vont devoir, à terme, adopter dans les plus brefs

délais une démarche commune dans l’élaboration des smart contracts, pour associer

compétences techniques et juridiques dans un domaine pour l’instant trop étranger au

droit, et surtout, pour assurer des expérimentations cadrées, licites, et permettre une

information claire et précise aux clients potentiels sur les thématiques de la blockchain.

209. Au-delà de l’adaptation des professionnels sur cette évolution technologie doit

intervenir celle des pouvoirs régulateurs. En effet, le mouvement doit s’accompagner

d’une intervention du législateur sur les questions les plus sensibles et en suspend sur la

blockchain : identification, responsabilité, statut des utilisateurs, trop de questions restent

encore sans réponse, et les pistes lancées tantôt par Michel Sapin en 2014, tantôt par

l’ordonnance sur les « minibons », ou enfin par le vocabulaire informatique et juridique

consacré à la fin mai 2016, ne suffisent pas pour pouvoir établir une véritable régulation

de la blockchain. Pour autant, ces mesures traduisent manifestement la volonté de l’État

français et du législateur d’appréhender juridiquement cette technologie qui, à terme, sera

omniprésente dans le quotidien des citoyens. Il est à noter le fait que le gouvernement

134 J. GIUSTI, La blockchain changera notre métier, La revue de l’ACE, septembre 2016, n°137

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souhaite en réalité évaluer la sécurité, sûreté et la maturité de cette technologie, avant de

pouvoir lancer tout projet de régulation.

Par ailleurs, cette attente mise en place va de pair avec les critiques qui peuvent découler

de l’idée même de régulation : la blockchain est par nature décentralisée, alors est-il

réellement nécessaire d’ajouter une couche supplémentaire de normes, au-dessus du code

lui-même, qui ferait perdre à la blockchain son caractère complètement décentralisé ?

Certains répondent que cette régulation n’est absolument pas souhaitable et pourrait nuire

à la blockchain et à sa décentralisation principalement.

Pour d’autres, cette couche de régulation supplémentaire se doit d’être simple et surtout

mesurée, pour ne pas freiner l’évolution de la technologie, à l’image de la régulation optée

pour internet à ses débuts.

210. Pour rationaliser l’accueil parfois contrasté de la blockchain, dû principalement à

sa nouveauté et à son immaturité, il convient aussi de se rapprocher du droit commun.

Il existe en France un dispositif normatif relativement solide et flexible, et si sur bien des

domaines la blockchain bouleverse les notions et les concepts du droit tel que nous le

connaissons actuellement, il en existe d’autres pour lesquels, en revanche, la blockchain

ne pose pas de problèmes juridiques absolument inédits et difficilement appréhendables.

Par exemple, sur certaines questions du droit international privé telles que celles de savoir

quel droit sera applicable ou quel tribunal sera compétent, le droit de l’Internet, en place

depuis plus d’une quinzaine d’années a déjà résolu ces problématiques.

C’est effectivement sur ces points que la disruption n’a pas d’effets. A l’inverse, sur les

terrains de la formation contractuelle, de la confiance, de la preuve, de la responsabilité,

et quelques autres, la réponse est bien moins aisée à trouver par analogie. La nouveauté

et la complexité de la blockchain ne permettent pas toujours de calquer les raisonnements

et solutions préexistants, et appellent à une analyse pragmatique et détaillée à l’image de

celle qui a été opérée dans la présente analyse.

Le caractère décentralisé de la blockchain et le pouvoir détenu par la communauté n’est

pas sans responsabilités. Si cette dernière a un droit de vie ou de mort sur les transactions

opérées au sein de la blockchain, et par destination, un droit de vie ou de mort sur les

smart contracts, force est de constater qu’il existera une manière d’exercer ces droits. En

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l’absence de tout organe régulateur, il revient à la communauté de respecter en premier

lieu les règles de droit avant même celles qu’elle s’auto-impose, afin d’assurer le maintien

de l’ordre public au sens que l’on lui connait dans le droit traditionnel.

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CONCLUSION GENERALE

211. Les blockchains, qu’elles soient publiques, privées, ou hybrides, présentent des

caractéristiques et perspectives innovantes au regard des registres et institutions

centralisées telles qu’elles sont aujourd’hui.

Pour autant, au-delà des projets en termes de preuve avec les registres horodatés, la

blockchain (au sens large) permet, en incorporant du code informatique à la chaîne de

blocs, la création de transactions étant exécutées automatiquement lorsque certaines

conditions prédéfinies sont remplies : ce sont les smart contracts.

Non encore considérés comme des « contrats » au sens d’un accord de volontés qui crée,

modifie ou éteint des obligations, donc au sens du droit des contrats français, ces

‘protocoles informatiques’ connaissent pourtant un développement rapide.

Toutefois, ce développement, au fur et à mesure de son avancée et des expérimentations,

pose des questions au regard de la porosité et des rapports entre code informatique et loi,

qui ont été analysés au fil de la présente étude successivement.

La première question portait sur la définition des smart contracts et sa réception en droit

français. Au regard des spécificités de cette technologie, de sa nouveauté et de sa

complexité, force est de constater que l’élaboration d’une définition théorique, juridique

et à la fois technique, s’est avérée relativement difficile, bien qu’une proposition soit ici

formulée, empruntant des éléments à la multitude de définitions proposées au préalable

par les praticiens et techniciens.

Une fois les traits de cette définition tracés, il s’était avéré nécessaire de faire un parallèle

entre droit des contrats, plus précisément au regard des dispositions intéressant la

formation du contrat, et smart contracts. S’ils ne sont encore une fois, pas pour le moment

des « contrats » à part entière, force est de constater qu’ils produisent des effets juridiques,

et il convenait, dans une démarche prospective, d’analyser les modalités de formation des

smart contracts pour proposer une étude la plus exhaustive et précise pour envisager leur

accueil par le droit français.

De ce parallèle est ressorti une grande adaptabilité des smart contracts à s’imprégner du

droit des contrats, moyennant toutefois certaines améliorations techniques qui sont

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179

aujourd’hui en cours d’expérimentation. A ce titre, et ce fut le cas tout au long de l’étude,

les smart contracts ont montré leur vocation disruptive, en ce sens qu’ils promettent un

jour, de pouvoir « coder » le droit pour s’y conformer au mieux. L’expression « Code is

law », inversée en « Law is code » promet alors une intégration en termes de

programmation des dispositions du Code civil. A l’heure actuelle, aucune société ne

travaille sur ce projet, mais il ne fait aucun doute que certaines start-ups prendront ce

risque.

La troisième phase du raisonnement s’attachait au cœur de l’apport des smart contracts :

leur automatisation.

Gage d’efficacité, de renfort de la force obligatoire des contrats et par extension de lutte

contre l’inexécution et son contentieux, le contrat automatisé emportait aussi avec lui une

nécessaire élaboration d’une véritable ‘politique d’anticipation’ de la part des parties et

des rédacteurs des smart contracts.

En effet, ces derniers ont montré, avec l’abandon de la notion de confiance telle qu’elle

était envisagée dans les relations contractuelles jusqu’alors, une certaine inflexibilité et

des difficultés à s’adapter aux changements de circonstances.

Au-delà des difficultés techniques qui s’imposent aux juristes et dont la résolution prendra

un certain temps, d’autres difficultés légales s’ajoutaient elles aussi.

Sur ces aspects en revanche, le droit traditionnel des contrats tend vers une réception plus

contrastée des smart contracts : en termes de preuve notamment, la législation aurait

vocation à évoluer pour s’adapter aux mécanismes de la blockchain. .

« La blockchain n’est pas un sujet numérique de plus. Elle a le potentiel de transformer

radicalement nos économies et nos sociétés. La France peut encore se placer à la pointe

de la révolution qui s’annonce, à condition de suivre quelques principes de bon sens.

En janvier [2016], le gouvernement britannique a publié un rapport sur la blockchain à

destination du législateur et des pouvoirs publics. Il soulignait les dimensions essentielles

devant permettre à la technologie de se déployer dans de bonnes conditions. Les

propositions qui en ressortaient sont applicables aujourd’hui aussi bien à la France

Page 180: ANALYSE PROSPECTIVE DES SMART CONTRACTS … · de meilleure sécurité juridique et une facilité quant à l’exécution des obligations contractées par les parties. Pour autant

180

qu’au Royaume-Uni135. »

Datant de 2016, cette citation n’avait encore le recul nécessaire pour prendre en compte

la consultation publique mise en place par le gouvernement, que nous citions dans le

propos introductif. Désormais, les appels des techniciens et juristes ont trouvé écho au

sein des initiatives gouvernementales, et le rapport est attendu avant de laisser présager à

toute consécration légale ou réglementaire en matière de blockchain et de smart contract.

Toutefois, en attendant, force est de constater que les imprévus et l’absence de régulation

sont toujours de mise, d’où l’intérêt marqué au sein de la présente de se focaliser sur le

droit commun, en l’absence de toute prise en considération spéciale.

Entre formation et exécution des smart contracts, il semblait alors difficile de tout prévoir

à l’origine du smart contract, ce qui posait une ultime interrogation : la question légale,

fondamentale, la responsabilité au sein de la blockchain.

Qui est responsable en cas de litige sur une blockchain publique ? Etait-ce celui qui crée

la blockchain ? L’ensemble des membres qui ont validé les nœuds du réseau ? Les parties

au smart contract ? Quid en cas de faille dans le code (comme ce fut le cas pour le « hack »

de The DAO) ? Si dans cette mésaventure, l’affaire n’a pas été portée devant aucun

tribunal, il y a fort à parier que ce ne sera pas toujours le cas, et que les juges auront à

déterminer les limites des responsabilités de chacun, en ce qu’elles ne sont pas

aujourd’hui clairement établies sur les blockchains publiques. Il en va différemment pour

les blockchains privées qui elles, peuvent déterminer par avance les responsabilités

ressortant de leur réseau interne.

La responsabilité a constitué le dernier axe de l’analyse prospective des smart contracts :

en l’absence de tout cadre et au regard de leurs spécificités entre une fois, qu’il s’agisse

de la formation ou de leur exécution, chaque intervenant dans le processus de « smart

contractualisation » se devait de voir son statut étudié par le législateur, tout comme les

questions de responsabilités intrinsèques qui se posaient ensuite.

Cette question de la responsabilité des acteurs au sein des smart contracts et de la

135 BLOCKCHAIN FRANCE, La blockchain décryptée, Les clefs d’une révolution, Netexplo, Editions Broché, 2016

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181

blockchain plus généralement est pour le moins inexplorée en l’état de l’art actuel. La

blockchain étant par nature immatérielle, de nombreuses problématiques

internationalisées se posent.

Pour l’instant, nous avons mis en abîme les différentes solutions que peuvent apporter le

droit international public ou privé, cependant, la spécification et technicité de la

blockchain appellera à terme, à une réglementation plus spécifique.

Toutes les limites précitées sont donc considérées comme surmontables sur le moyen ou

long terme pour certaines d’entre elles. Le smart contract est en proie à révolutionner

certains domaines du droit, mais pour ce faire, la technologie aura besoin d’une

casuistique développée à l’aide de spécialistes hybrides, entre droit et technologie. Par

conséquent, l’appréhension véritable des smart contracts, non plus prospective,

nécessitera cette fois l’appui de spécialistes, et pourquoi pas d’une nouvelle génération

d’avocats spécialisés, impliquant un renouvellement de la profession, mais surtout

l’utilisation des smart contracts comme de véritables outils juridiques au même titre qu’un

contrat.

Page 182: ANALYSE PROSPECTIVE DES SMART CONTRACTS … · de meilleure sécurité juridique et une facilité quant à l’exécution des obligations contractées par les parties. Pour autant

182

BIBLIOGRAPHIE

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pratique de l’idée de l’implémentation, Collection Epsilon, Editions Broché, Janvier

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Textes

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l’identification électronique et les services de confiance pour les transactions

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Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif

à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère

personnel et à la libre circulation de ces données

b) Directives européennes

Directive 1995/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 1995,

relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à

caractère personnel et à la libre circulation de ces données.

Directive 1999/93/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 1999

portant sur un cadre communautaire pour les signatures électroniques

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185

Directive 2008/48/CE du Parlement européen et du conseil du 23 avril 2008, concernant

les contrats de crédit aux consommateurs

Directive 2009/110/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009

concernant l’accès à l’activité́ des établissements de monnaie électronique et son

exercice ainsi que la surveillance prudentielle de ces établissements

Directive 2011/83/CE du Parlement européen et du conseil du 25 octobre 2011 relative

aux droits des consommateurs

Directive 2015/849 du Parlement Européen et du Conseil du 20 mai 2015 relative à la

prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou

du financement du terrorisme

Directive 2015/2366 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2015

concernant les services de paiement dans le marché intérieur

c) Codes français

Code civil Code de commerce Code de la consommation Code de la construction et de l’habitation Code des assurances Code monétaire et financier Code pénal

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186

d) Textes de lois

Loi n° 2000-230 du 13 mars 2000 portant adaptation du droit de la preuve aux

technologies de l'information et relative à la signature électronique

Loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN)

Loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation

Loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation

Loi n° 2016-1691, 9 déc. 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption

et à la modernisation de la vie économique, dite « Sapin II »

Loi n°2017-203 du 21 février 2017 ratifiant les ordonnances n° 2016-301 du 14 mars

2016 relative à la partie législative du code de la consommation

e) Ordonnances

Ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du

régime général et de la preuve des obligations

Ordonnance N°2016-520, 28 avril 2016 relative aux bons de caisse

f) Autres

« Vocabulaire de l’informatique » publié au JORF n°0121 du 23 mai 2017, texte n°20

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187

Rapports, notes et colloques

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janvier 2017

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190

b) Conseil constitutionnel

Cons. Const. 13 juin 2013, n°2013-672 DC

c) Cour de cassation

Cass. Civ, 6 mars 1876 (Canal de Craponne)

Cass. com. 3 novembre 1992, Bull. IV n°340

Cass. Civ 1ère, 16 avril 1996, Bull. civ. I, n°181

Civ. 3e, 10 déc. 1997, n°95-16.461, Bull. civ. III, n°223, D. 1999. 9, note Brun.

Cass. com. 24 novembre 1998, Bull. IV n°277

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Cass. com. 29 juin 2010, n°09-67.369

Cass. civ. 1ère, 29 octobre 2014, n°13-197.29

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d) Cour d'Appel

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INDEX

A

acceptation, 32, 33, 47, 59, 62, 64, 66, 67, 69, 158 accord de volontés, 8, 27, 35, 42, 43, 178 algorithme, 14, 16, 18, 35, 50, 97, 120, 154 anonymat, 47, 48, 52, 141, 152, 166, 168 attaque des 51%, 120, 139, 174 auto-exécution, 34, 66, 69, 80, 82, 83, 87, 88, 89, 90, 91, 93, 133, autonomie de la volonté, 26, 30 authenticité, 10 authentification, 13, 14, 42, 78, 119, 127, 141, 142, 146, 147

B

Bitcoin, 10, 11, 12, 15, 17, 18, 38, 74, 75, 112, 113, 114, 115, 116, 135, 146, 157, 159, 164, 165, 166, 169 blockchain privée, 12, 19, 22, 57, 101, 147, 180 blockchain publique, 11, 19, 22, 57, 62, 143, 146, 170, 180 blockchain hybride, 42, 62, 101, 178 bonne foi, 28, 29, 30, 33, 62, 123, 124, 125, 133

C

cadastre, 126, 147 caducité, 63, 64, 67 capacité, 30, 31, 32, 35, 45, 51, 52, 143 chiffrement, 14 clé privée, 18, 37, 47, 138, 166 clé publique, 18, 37, 47, 138, 166 code is law,43, 96, 97, 179 commerce électronique, 8, 33, 64, 69, 139, 160 conditions de formation, 30, 58, 73 conditions d'exécution, 8, 9, 118, 170 conditions de validité, 30, 31, 32, 45, 52, 57 confiance, 14, 28, 42, 68, 93, 96, 122, 123, 124, 125, 126, 127, 152, 159, 161, 176, 179 confidentialité, 47, 61, 62, 124 consensus,42, 50, 133, 134, 146, 163, 174 consentement,30, 31, 32, 37, 45, 46, 47, 50, 52, 58, 61, 80, 138, 139, 140, 141, 143 consommation, 22, 23, 61, 67, 81, 91, 137, 148, 149, 157, 159

consommateur, 33, 39, 68, 94, 95, 108, 149, 157, 158, 159 contentieux, 35, 87, 89, 93, 94, 95, 97, 98, 160, 179 contrat électronique, 32, 33, 37, 40, 64, 65, 68, 160 crowdfunding, 163 cryptographie, 8, 17, 42, 47, 112, 137, 138, 143, 159, 167 cryptomonnaie, 10, 11, 12, 17, 18, 19, 20, 48, 49, 112, 113, 114, 115, 116, 117, 152, 155, 159, 165, 173

D

DAO, 154, 155, 162, 163, 180 décentralisée, 10, 14, 17, 19, 22, 39, 42, 60, 62, 101, 114, 115, 116, 126, 134, 137, 143, 154, 155, 173, 176 deep learning, 16, 84, 92, 98 défaillance, 119, 120 désintermédiation, 104, 122, 135, 152, 161, 175 disruptive, 9, 109, 123, 136, 157, 176, 179 données personnelles, 49, 109, 111

E

égalité, 80, 90, 91 Ethererum, 11, 15, 39, 75, 164 exécution anticipée, 80, 81, 82, 87 extinction, 27, 63 exogène,

F

force exécutoire, 93 force majeure, 84 force obligatoire, 28, 29, 82, 88, 89, 179 formalisme, 30, 31 formation du contrat, 33, 47, 50, 58, 66, 68, 69, 73, 178 H hack, 139, 180 horodatage, 11, 34, 42, 58, 137, 138, 146, 167, 178

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196

I

identité, 47, 48, 49, 50, 143, 152, 158, 166, 168, 179 identification, 45, 47, 48, 49, 50, 52, 65, 111, 140, 141, 142, 143, 156, 158, 161, 162, 166, 168, 169, 172, 175 immutabilité, 100, 131, 132, 174 imprévision, 122, 128, 129, 130, 131, 133 inaltérabilité, 10, 19, 111, 146, 163, 167 incapacité, 51, 53, 63 inexécution, 80, 82, 83, 84, 85, 93, 94, 179 J

justice prédictive, 9, 97, 98 K

Know Your Customer, 48, 143, 168

L

liberté contractuelle, 28, 29, 30, 54, 77, 81, 91, 132 logiciel, 39, 82, 133, 163, 164 loyauté, 123, 124

M

minage, 20,26, 57, 75, 76, 119, 138 mineur,32, 51, 52 minibons, 12, 13, 15, 138, 175 monnaie électronique, 20, 114, 115 monnaie légale, 114, 115 monnaie numérique, 17, 125 monnaie virtuelle, 12, 133, 134

N

négociations, 30, 33, 58, 60, 61, 62, 69, 88, 124, 127, 133 nullité, 46, 53, 55, 84

O

objet, 32, 45, 50, 53, 54, 55, 58 offre, 33, 59, 60, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68 oracle, 57, 78, 79, 100, 133

P personnalité juridique, 155 piratage,58, 120, 139, 165 pollicitant, 63, 64, 65, 67 preuve imparfaite, 145, 146 preuve parfaite, 145, 146 professionnel,33, 39, 48, 58, 62, 68, 70, 72, 89, 113, 119, 127, 150, 153, 157, 158, 161, 162, 168, 170, 171, 175 proof-of-work, 11, 138

R

réception de l'acceptation, 67, 68 rémunération, 10 responsabilité contractuelle, 33, 64, 162 responsabilité délictuelle, 46, 64 rétractation, 32, 63, 64, 65, 67, 144 révision du contrat, 129, 130, 131 révolution, 9, 10, 15, 70, 136, 172, 179

S

sécurité juridique, 9, 59, 80, 88, 93 signature électronique, 138, 139, 140, 141, 142 société de fait, 156 support durable, 137, 144, 148, 149, 150, 151, 152 support probatoire, 139, 144, 150, 167

T

tiers de confiance, 28, 60, 83, 127 token,17, 135, 163 traçabilité, 11, 131, 147, 157, 158, 168 transaction, 10, 11, 12, 14, 47, 48, 74, 75, 83, 91, 94, 96, 99, 104, 112, 119, 122, 126, 131, 137, 139, 142, 146, 161, 167, 173, 176, 178 transfert d'actifs, 11, 99 transparence, 11, 47, 99, 100, 123 tribunal, 53, 70, 89, 95, 171, 176, 180

V

validité, 30, 31, 32, 44, 45, 52, 53, 63 vice du consentement, 46, 50

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TABLE DES MATIERES

REMERCIEMENTS ................................................................................................................... 4

LISTE DES ABREVIATIONS ................................................................................................... 5

SOMMAIRE ................................................................................................................................. 6

INTRODUCTION ....................................................................................................................... 8

Partie 1 : Une réception favorisée des smart contracts en droit français ............................. 23

Titre 1 : L’appréhension favorisée de la notion de smart contract au regard du droit des

contrats français .................................................................................................................... 24

Chapitre 1 : La réception contractuelle de la notion de smart contract ............................... 25

Section 1 : La perspective contrat-smart contract ........................................................... 26

§1. Notions contractuelles : genèse du contrat ........................................................... 26

§2. Le smart contract, un contrat ? ............................................................................. 34

Section 2 : l’absence de définition établie des smart contracts ....................................... 38

§1. De nombreuses tentatives de définition des smart contracts ................................ 38

§2. Proposition d’une définition des smart contracts ................................................. 41

Chapitre 2 : la transposition et l’adaptation du cadre légal de la formation contractuelle aux

smart contracts .................................................................................................................... 43

Section 1 : La reprise des conditions classiques de validité d’un contrat adaptées aux

smart contracts ................................................................................................................ 45

§1. Le consentement et l’identification des parties au contrat ................................... 45

§2. La capacité des parties à contracter ...................................................................... 51

§3. Le contenu licite et certain du smart contract ....................................................... 53

Section 2 : La reprise des conditions classiques de formation d’un contrat adaptées aux

smart contracts ................................................................................................................ 59

§1. Les négociations ................................................................................................... 60

§2. L’offre .................................................................................................................. 62

§3. La rencontre de l’offre et de l’acceptation ........................................................... 66

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Titre 2 : l’appréhension favorisée de la notion de smart contract au regard de leurs

modalités d’exécution ............................................................................................................ 72

Chapitre 1 : Les spécificités liées à l’exécution des smart contracts .................................. 73

Section 1 : Une rigueur accrue dans la sélection et réalisation des conditions requises au

sein des smart contracts .................................................................................................. 74

§1. La vérification d’une condition réalisée dans la blockchain ................................ 74

§2. La vérification d’une condition extérieure la blockchain ..................................... 77

Section 2 : l’impossible exécution anticipée et inexécution des smart contracts ........... 80

§1. L’auto-exécution comme obstacle à l’anticipation en matière d’exécution ......... 80

§2. L’auto-exécution comme obstacle à l’inexécution contractuelle ......................... 82

Chapitre 2 : L’auto-exécution, un nouveau remède de la sphère contractuelle ? ............... 87

Section 1 : L’auto-exécution, garante de la force obligatoire et de l’égalité des parties au

contrat ? ........................................................................................................................... 88

§1. La mise en abîme de la force obligatoire des contrats .......................................... 88

§2. L’auto-exécution, gage d’égalité accrue entre les parties ? .................................. 90

Section 2 : l’auto-exécution, un remède à certains contentieux ? ................................... 93

§1. Une solution réductrice des contentieux ............................................................... 93

§2. Un palliatif absolu ? ............................................................................................. 96

Partie 2 : Une réception contrastée des smart contracts en droit français ......................... 103

Titre 1 : Une appréhension contrastée des smart contracts au regard du droit des

contrats français .................................................................................................................. 104

Chapitre 1 : Une application à tous les contrats ? ............................................................. 105

Section 1 : Les limites des programmations informatiques : d’impossibles smart

contracts ........................................................................................................................ 106

§1. Des contrats difficilement programmables ......................................................... 106

§2. L’émergence d’un certain scepticisme à l’égard des smart contracts ................ 109

Section 2 : Les difficultés patentes liées à la formation des smart contracts ................ 112

§1. La difficile appréhension des objets d’opérations sur la blockchain : l’exemple du

Bitcoin, un « objet » juridique sans statut ................................................................ 112

§2. Les difficultés techniques : des obstacles à l’appréhension des smart contracts 118

Chapitre 2 : Une appréhension contrastée au regard des notions intrinsèques aux smart

contracts ............................................................................................................................ 122

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Section 1 : Le débat smart contract et confiance .......................................................... 123

§1. La notion traditionnelle de confiance ................................................................. 123

§2. L’abandon de la confiance à l’aune de la technologie blockchain ..................... 125

Section 2 : L’impossible imprévision au sein des smart contracts ............................... 128

§1. La notion d’imprévision en droit français .......................................................... 128

§2. L’imprévision reléguée au sein des smart contracts : une nouvelle rigueur dans la

conception du contrat ............................................................................................... 131

Titre 2 : une nécessaire adaptation du dispositif normatif français ............................... 136

Chapitre 1 : la possible consécration d'un nouveau mode de preuve ................................ 137

Section 1 : la signature par clé cryptographique : nouvelle forme de signature

électronique ? ................................................................................................................ 138

§1. La signature électronique cryptée comme preuve de l'expression du consentement

des parties ................................................................................................................. 138

§2. Les conditions de fiabilité d'une signature électronique cryptée ........................ 141

Section 2 : la blockchain comme support probatoire .................................................... 144

§1. L’inscription sur la blockchain comme preuve parfaite ou imparfaite ............... 145

§2. Le smart contract érigé en support durable ........................................................ 148

Chapitre 2 : des conséquences de la désintermédiation issue des smart contracts en matière

de statut et de responsabilité des utilisateurs ..................................................................... 152

Section 1 : le statut complexe des utilisateurs de la blockchain et ses smart contracts153

§1. « L’utilisateur professionnel ou commerçant » .................................................. 153

§2. « L’utilisateur consommateur ou non professionnel » ....................................... 157

Section 2 : les smart contracts entre désintermédiation et responsabilités ................... 161

§1. La responsabilité des rédacteurs et créateurs du code du smart contract ........... 161

§2. La responsabilité des utilisateurs et parties aux smart contracts ........................ 166

BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................................... 182

WEBOGRAPHIE .................................................................................................................... 192

INDEX ..................................................................................................................................... 195

TABLE DES MATIERES ....................................................................................................... 197

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